SAINT THOMAS D'AQUIN

 

COMMENTAIRE DU LIVRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

(Scriptum super Sententiis)

(1254-1256)

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD (2007, 2008)

Deuxième édition numérique http://docteurangelique.free.fr

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

LIVRE IV – LES SACREMENTS ET LES FINS DERNIERES

 

Le texte latin est en caractère 12, en bleu. En l'absence d'une édition critique du Commentaire sur le livre des Sentences de Thomas d'Aquin, la présente traduction française est faite à partir de l'édition électronique des Opera omnia de Thomas d'Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcon, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

 

NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs années, le Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne du premier enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner une traduction française, même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur seront corrigées ou abandonnées dans des œuvres ultérieures. Les lecteurs intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la pensée de Thomas d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en français. On se rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a fourni les matériaux du Supplément de la IIIa Pars de la Somme de théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa mort, en 1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a. 4). On trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae, éd. I. Brady, Grottaferrata, 1971-1981. Il n’existe pas de traduction française de ce texte pourtant fondamental de la théologie médiévale. Sur Pierre Lombard, on pourra voir la brève notice «Pierre Lombard», Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi que la notice «Pierre Lombard», Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1106-1107 (bibl.). Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire de Thomas d’Aquin sur le Livre des Sentences, nous renvoyons à J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.), p. 53ss. (bibl.).

 

Version préliminaire : En effet, il reste :

1. à vérifier, à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que j'ai laissées telles que les éditeurs du texte latin les avait données);

2. à traduire les expositiones textus, lorsqu’existera une traduction française de référence des Sentences de Pierre Lombard. Pour le moment, il n’est pas tenu compte du texte de Pierre Lombard (expositio textus) présenté au début de chaque distinction. Il a paru préférable d’attendre une traduction du Livre des Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de renvoyer à la traduction des textes correspondants pour chaque expositio textus.

                                                                                                                                                      

 

LIVRE IV – [LES SACREMENTS ET LES FINS DERNIÈRES] 16

Introduction générale_ 16

LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL 20

Distinction 1 – [Les sacrements en général] 20

Question 1 – [Le sacrement, sa nécessité et son efficacité] 20

Prologue_ 20

Article 1 – Est-ce que la définition du sacrement donnée par le Maître est formulée de manière appropriée ?  20

Article 2 – Est que les sacrements étaient nécessaires après la chute de l’homme ?_ 30

Article 3 – Est-ce que les sacrements comportent des paroles et des choses ?_ 39

Article 4 – Est-ce que les sacrements de la loi nouvelle causent la grâce ?_ 42

Article 5 – Est-ce que les sacrements de la loi ancienne conféraient la grâce ?_ 58

Question 2 – [Un sacrement de la loi ancienne : la circoncision] 65

Prologue_ 65

Article 1 – Est-ce que la circoncision était nécessaire ?_ 66

Article 2 – Est-ce que la circoncision aurait dû être donnée à tous les peuples ?_ 70

Article 3 – Est-ce que le huitième jour était nécessaire pour la circoncision ?_ 74

Article 4 – Est-ce que la circoncision imprimait un caractère dans l’âme ?_ 79

Article 5 – Est-ce que la circoncision devait cesser ?_ 85

Article 6 – Est-ce que la foi seule suffisait aux enfants pour la rémission du péché originel ?_ 93

Explication du texte – Distinction 1_ 98

Distinction 2 – [Les sacrements de la loi nouvelle] 98

Question 1 – [Présupposés aux sacrements de la loi nouvelle] 98

Prologue_ 98

Article 1 – Est-ce que tous les sacrements ont été institués contre une carence de l’âme ?_ 99

Article 2 – Est-ce qu’il doit y avoir sept sacrements ?_ 106

Article 3 – Est-ce que l’ordre des sacrements donné par le Maître est approprié ?_ 113

Article 4 – Est-ce que, sous la loi nouvelle, de nouveaux sacrements devaient être institués ?_ 116

Question 2 – [Le baptême de Jean] 122

Prologue_ 122

Article 1 – Est-ce que le baptême de Jean était un sacrement ?_ 122

Article 2 – Est-ce que le baptême de Jean conférait la grâce ?_ 126

Article 3 – Est-ce qu’il convenait que le Christ soit baptisé du baptême de Jean ?_ 129

Article 4 – Est-ce que ceux qui ont été baptisés du baptême de Jean devaient être baptisés de nouveau ?  131

Explication du texte – Distinction 2_ 134

BAPTÊME_ 135

Distinction 3 – [Les sacrements en particulier : le baptême en lui-même] 135

Question 1 – [Le baptême] 135

Prologue_ 135

Article 1 – Est-ce que la définition qui est donnée du baptême est appropriée ?_ 137

Article 2 – Est-ce que ces mots : «Je te baptise, etc.» font partie intégrante de la forme baptismale ?_ 147

Article 3 – Est-ce que le baptême doit être accompli dans l’eau ?_ 160

Article 4 – Est-ce que l’immersion est nécessaire au baptême ?_ 167

Article 5 – Était-il nécessaire d’instituer le baptême après la circoncision ?_ 171

Explication du texte – Distinction 3_ 174

Distinction 4 – [L’effet du baptême pour ceux qui le reçoivent] 175

Question 1 – [L’effet du baptême quant à sa réalité qui est un sacrement] 175

Prologue_ 175

Article 1 – Est-ce qu’il existe un caractère dans l’âme ?_ 177

Article 2 – Est-ce que la définition que Denys donne du caractère est exacte ?_ 183

Article 3 – Est-ce que le caractère se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet ?_ 188

Article 4 – Est-ce qu’un caractère est imprimé seulement dans les sacrements de la nouvelle loi ?_ 195

Question 2 – [L’effet du baptême quant à sa réalité qui n’est pas un sacrement] 199

Prologue_ 199

Article 1 – Est-ce que le baptême enlève la faute actuelle ?_ 200

Article 2 – Est-ce que par le baptême sont conférées aux enfants la grâce et les vertus ?_ 206

Article 3 – Est-ce que le baptême a un égal effet chez tous pour ce qui est de l’enlèvement du mal ?_ 214

Question 3 – [Sur ceux qui reçoivent le baptême] 217

Prologue_ 217

Article 1 – Est-ce que les enfants peuvent recevoir le sacrement ?_ 217

Article 2 – Est-ce qu’une indisposition de la volonté humaine peut empêcher l’effet du baptême ?_ 223

Article 3 – Doit-il y avoir d’autres baptêmes en plus du baptême d’eau ?_ 229

Explication du texte – Distinction 4_ 236

Distinction 5 – [Les ministres du baptême] 238

Question 1 – [Les ministres du baptême] 238

Prologue_ 238

Article 1 – Est-ce que le Christ, en tant qu’homme, avait le pouvoir de remettre les péchés ?_ 238

Article 2 – Est-ce que le Christ a donné à des ministres le pouvoir de coopérer à la purification intérieure ?  241

Article 3 – Est-ce qu’un pouvoir de coopération pouvait être conféré par Dieu aux ministres ?_ 244

Question 2 – [Quels sont les ministres du baptême ?] 253

Prologue_ 253

Article 1 – Est-ce que personne ne peut baptiser à moins d’être ordonné ?_ 254

Article 2 – Est-ce que les méchants peuvent conférer le sacrement du baptême ?_ 257

Article 3 – Est-ce que le démon peut baptiser sous l’apparence d’un homme ?_ 264

Explication du texte – Distinction 5_ 266

Distinction 6 – [Ce qui convient au baptême] 267

Question 1 – [Ce qui convient au baptême du point de vue de celui qui baptise] 267

Prologue_ 267

Article 1 – Est-ce qu’il faut attendre la sortie du sein pour baptiser ?_ 269

Article 2 – Est-ce que l’intention de celui qui baptise est requise pour le baptême ?_ 276

Article 3 – Est-ce que la foi est nécessaire chez le baptisé ?_ 282

Question 2 – [À propos du rite du baptême] 287

Prologue_ 287

Article 1 – Est-ce que le baptême peut être répété ?_ 287

Article 2 – Est-ce que le catéchisme doit précéder le baptême ?_ 294

Article 3 – Est-ce que l’exorcisme doit précéder le baptême ?_ 299

Explication du texte – Distinction 6_ 305

CONFIRMATION_ 306

Distinction 7 – [Le sacrement de la confirmation] 306

Question 1 – [La confirmation est-elle un sacrement ?] 306

Prologue_ 306

Article 1 – La confirmation est-elle un sacrement ?_ 307

Article 2 – Le sacrement de confirmation a-t-il une matière ?_ 314

Article 3 – Le sacrement de confirmation a-t-il une forme ?_ 321

Question 2 – [L’effet de la confirmation] 327

Prologue_ 327

Article 1 – Un caractère est-il imprimé par la confirmation ?_ 328

Article 2 – La grâce sanctifiante est-elle conférée par la confirmation ?_ 334

Question 3 – [La célébration du sacrement de confirmation] 340

Prologue_ 340

Article 1 – Celui qui n’est pas ordonné peut-il confirmer un autre ?_ 340

Article 2 – Le Christ aurait-il dû recevoir le sacrement de confirmation ?_ 346

Article 3 – Est-il nécessaire que quelqu’un en présente un autre à la confirmation ?_ 350

Explication du texte – Distinction 7_ 354

EUCHARISTIE_ 354

Distinction 8 – [Le sacrement de l’eucharistie] 354

Question 1 – [L’eucharistie est-elle un sacrement ?] 354

Prologue_ 354

Article 1 – Est-ce que l’eucharistie est un sacrement ?_ 355

Article 2 – Des figures doivent-elles être mises en rapport avec ce sacrement ?_ 364

Article 3 – Était-il nécessaire d’instituer ce sacrement ?_ 370

Article 4 – Ce sacrement peut-il être reçu par ceux qui ne sont pas à jeun ?_ 377

Question 2 – [La forme du sacrement] 383

Prologue_ 383

Article 1 – Est-ce que «Ceci est mon corps» est la forme du sacrement ?_ 383

Article 2 – La forme de la consécration du sang consiste-t-elle dans ces seules paroles : «Ceci est le calice de mon sang» ?  396

Article 3 – Existe dans les paroles en question une puissance créée en vue de réaliser la transsubstantiation ?  404

Article 4 – Les formes [de l’eucharistie] s’attendent-elles pour agir ?_ 410

Explication du texte – Distinction 8_ 415

Distinction 9 – [L’usage de l’eucharistie] 423

Question unique – [L’usage de l’eucharistie] 423

Prologue_ 423

Article 1 – Le corps du Christ doit-il être pris sous forme de manducation ?_ 423

Article 2 – Est-ce qu’un pécheur mange le corps du Christ sacramentellement ?_ 429

Article 3 – Est-ce qu’on pèche en mangeant le corps du Christ avec la conscience d’un péché mortel ?_ 438

Article 4 – La pollution nocturne qui survient pendant le sommeil est-elle un péché ?_ 450

Article 5 – Un prêtre doit-il donner le corps du Christ à celui qui le demande, s’il sait qu’il est un pécheur ?  462

Explication du texte – Distinction 9_ 469

Distinction 10 – [Le corps véritable du Christ contenu dans le sacrement] 469

Prologue_ 469

Question unique – [Le corps véritable du Christ contenu dans l’eucharistie] 470

Article 1 – Le corps véritable du Christ est-il contenu dans le sacrement de l’autel ?_ 470

Article 2 – Le Christ est-il contenu dans le sacrement selon son âme ?_ 475

Article 3 – Le corps du Christ est –il contenu de manière circonscrite dans le sacrement ?_ 484

Article 4 – L’œil glorieux peut-il voir le corps véritable du Christ qui se trouve dans les espèces ?_ 493

Explication du texte – Distinction 10_ 501

Distinction 11 :[La conversion du pain au corps du Christ] 503

Prologue_ 503

Question 1 – [La conversion du pain au corps du Christ] 504

Article 1 – La substance du pain demeure-t-elle après la consécration ?_ 505

Article 2 – Le pain est-il anéanti, une fois réalisée la conversion ?_ 512

Article 3 – Le pain peut-il être converti au corps du Christ ?_ 516

Article 4 – Est-ce que la conversion mentionnée peut être exprimée par un autre temps de verbe que le présent ?  531

Question 2 – [La matière du sacrement de l’eucharistie] 536

Prologue_ 536

Article 1 – Y a-t-il une double matière de ce sacrement ?_ 536

Article 2 – Faut que ce soit du pain de froment ?_ 544

Article 3 – Le sang du Christ doit-il être consacré seulement avec du vin de la vigne ?_ 554

Article 4 – Est-ce que de l’eau doit être mélangée au vin ?_ 557

Question 3 - [Comment le Christ a-t-il usé de ce sacrement lors de sa première institution ?] 563

Prologue_ 563

Article 1 – Le Christ a-t-il mangé son corps ?_ 564

Article 2 – Le Christ a-t-il donné son propre corps à Judas ?_ 566

Article 3 – Lors de la cène, le Christ a-t-il donné à ses disciples son corps impassible ?_ 568

Article 4 – Si le corps du Christ avait été conservé dans une pyxide, y serait-il mort ?_ 571

Explication du texte – Distinction 11_ 574

Distinction 12 :[Le sacrement et la réalité dans l’eucharistie] 575

Question 1 – [Le sacrement seul et la réalité seule dans le sacrement de l’eucharistie] 575

Prologue_ 575

Article 1 – Dieu peut-il faire que les accidents existent sans sujet ?_ 577

Article 2 – Les accidents qui demeurent dans ce sacrement peuvent-ils changer quelque chose d’extrinsèque ?  587

Article 3 – Le corps véritable du Christ est-il rompu dans le sacrement ?_ 604

Question 2 – [L’effet de l’eucharistie] 610

Prologue_ 610

Article 1 – Les vertus sont-elles augmentées par ce sacrement ?_ 610

Article 2 – Les péchés véniels sont-ils remis par la puissance de ce sacrement ?_ 615

Question 3 – [La fréquentation du sacrement de l’eucharistie] 620

Prologue_ 620

Article 1 – Doit-on recevoir fréquemment ce sacrement ou ne le recevoir qu’une seule fois dans sa vie ?  620

Article 2 – Est-il permis de cesser complètement de communier ?_ 625

Explication du texte – Distinction 12_ 629

Distinction 13 – [Les ministres de l’eucharistie] 632

Question 1 – [Les ministres de l’eucharistie] 632

Prologue_ 632

Article 1 – Un laïc peut-il aussi consacrer ?_ 633

Article 2 – Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de la consécration ?_ 640

Article 3 – Un laïc peut-il dispenser le corps du Christ ?_ 650

Question 2 – [À propos de l’hérésie] 654

Prologue_ 654

Article 1 – Est-ce que l’hérésie indique une déviation de la foi ?_ 655

Article 2 – L’hérésie est-elle le plus grand péché ?_ 659

Article 3 – Les hérétiques doivent-ils être endurés ?_ 661

Explication du texte – Distinction 13_ 663

PÉNITENCE_ 666

Distinction 14 – [Le sacrement de pénitence] 666

Question 1 – [Qu’est-ce que la pénitence ?] 666

Prologue_ 666

Article 1 – La pénitence est-elle un sacrement ?_ 668

Article 2 – La vertu de pénitence vient-elle de la crainte ?_ 685

Article 3 – La pénitence existe-t-elle dans toutes les puissances  ?_ 694

Article 4 – Fait-il partie de la notion de vraie pénitence qu’elle se poursuive jusqu’à la fin de la vie  ?_ 702

Article 5 – Une pénitence doit-elle être publique et solennelle  ?_ 708

Question 2 – [L’effet de la pénitence] 713

Prologue_ 713

Article 1 – Les péchés sont-ils toujours enlevés par la pénitence ?_ 713

Article 2 – Les vertus sont-elles rendues par la pénitence  ?_ 719

Article 3 – Les actes bons posés en état de péché mortel sont-ils aussi comptés pour la vie  ?_ 721

Article 4 – Les effets mentionnés sont-ils ceux de la pénitence comme vertu  ?_ 727

Article 5 – Peut-on obtenir la rémission des péchés sans la pénitence  ?_ 730

Explication du texte – Distinction 14_ 733

Distinction 15 – [La pénitence véritable] 735

Question 1 – [Qu’est-ce que la satisfaction ?] 735

Prologue_ 735

Article 1 – La satisfaction est-elle une vertu ou l’acte d’une vertu ?_ 737

Article 2 – L’homme peut-il rendre satisfaction à Dieu ?_ 745

Article 3 – L’homme peut-il satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre ?_ 748

Article 4 – Doit-on satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines ?_ 758

Article 5 – La restitution est-elle une partie de la satisfaction ?_ 764

Question 2 – [L’aumône] 773

Prologue_ 773

Article 1 – La définition de l'aumône est-elle formulée de manière appropriée ?_ 773

Article 2 – L’aumône libère-t-elle de la peine de l’enfer celui meurt dans le péché ?_ 784

Article 3 – Les sept aumônes corporelles sont-elles énumérées de manière superflue ?_ 789

Article 4 – Est-il nécessaire de faire l’aumône ?_ 796

Article 5 – Une épouse peut-elle faire l’aumône avec les biens de son mari ?_ 802

Article 6 – Peut-on se faire l’aumône ?_ 806

Question 3 – [Le jeûne] 809

Prologue_ 809

Article 1 – Isidore définit-il le jeûne de manière appropriée ?_ 809

Article 2 – Tous sont-ils tenus sans dispense au jeûne établi par l’Église ?_ 820

Article 3 – Doit-il exister des temps déterminés pour le jeûne, comme l’Église l’a établi ?_ 828

Article 4 – Le jeûne est-il rompu par une double alimentation ?_ 834

Question 4 – [La prière] 839

Prologue_ 839

Article 1 – La prière est-elle un acte de la partie affective ?_ 839

Article 2 – La prière doit-elle être vocale ou seulement mentale  ?_ 849

Article 3 – Les espèces de la prière sont-elles bien distinguées ?_ 859

Article 4 – Doit-on demander quelque chose de déterminé par la prière ?_ 865

Article 5 – Doit-on prier Dieu seulement, conformément à la définition de la prière ?_ 869

Article 6 – Est-ce qu’il revient à une personne divine de prier ?_ 874

Explication du texte – Distinction 15_ 884

Distinction 16 – [Les parties de la pénitence] 887

Question 1 – [Les parties de la pénitence] 887

Prologue_ 887

Article 1 – La pénitence a-t-elle des parties ?_ 888

Article 2 – La pénitence antérieure au baptême doit-elle être considérée comme une partie de la pénitence ?  897

Question 2 – [La rémission des péchés véniels] 904

Prologue_ 904

Article 1 – Le péché véniel peut-il être remis, alors que la volonté continue d’être tournée vers lui ?_ 904

Article 2 – Le péché véniel peut-il être remis sans l’infusion d’une nouvelle grâce ?_ 909

Question 3 – [Les circonstances du péché] 916

Prologue_ 916

Article 1 – La circonstance est-elle une propriété ou une condition de l’acte moral ?_ 916

Article 2 – Les circonstances aggravent-elles le péché ?_ 924

Question 4 – [Les empêchements à une pénitence véritable] 936

Prologue_ 936

Article 1 – L’hypocrisie est-elle un péché ?_ 936

Article 2 – Les jeux empêchent-ils la pénitence de l’extérieur ?_ 940

Explication du texte – Distinction 16_ 944

Distinction 17 – [Les parties de la pénitence] 946

Question 1 – [La justification] 946

Prologue_ 946

Article 1 – La description de la justification donnée à propos de Rm 8 est-elle correcte ?_ 948

Article 2 – Une préparation par laquelle on fait ce qui est en son pouvoir est-elle requise pour la justification ?  955

Article 3 – L’infusion de la grâce est-elle nécessaire pour la justification ?_ 962

Article 4 – L’enlèvement de la faute précède-t-il naturellement l’infusion de la grâce ?_ 970

Article 5 – La justification de l’impie est-elle miraculeuse ?_ 976

Question 2 – [La contrition] 984

Prologue_ 984

Article 1 – La contrition est-elle une douleur assumée pour les péchés, accompagnée du propos de les confesser et de satisfaire ?  985

Article 2 – Doit-on être contrit pour les peines, et non seulement pour les fautes ?_ 995

Article 3 – La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse exister dans la nature ?_ 1004

Article 4 – Toute la vie présente est-elle un temps de contrition ?_ 1011

Article 5 – La rémission des péchés est-elle un effet de la contrition ?_ 1017

Question 3 – [La confession] 1021

Prologue_ 1021

Article 1 – La confession est-elle nécessaire au salut ?_ 1021

Article 2 – Augustin définit-il la confession de manière appropriée ?_ 1032

Article 3 – Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ?_ 1038

Article 4 – La confession peut-elle exister sans forme ?_ 1050

Article 5 – La confession libère-t-elle de la mort du péché ?_ 1059

Explication du texte – Distinction 17_ 1063

Distinction 18 – [Le pouvoir des ministres du sacrement de pénitence] 1065

Question 1 – [Le pouvoir des clés] 1066

Prologue_ 1066

Article 1 – Doit-il exister des clés dans l’Église ?_ 1067

Article 2 – La souillure existe-t-elle de manière positive dans l’âme ?_ 1075

Article 3 – Le pouvoir des clés va-t-il jusqu’à la rémission de la faute ?_ 1080

Question 2 – [L’excommunication] 1090

Prologue_ 1091

Article 1 – La définition de l’excommunication donnée par certains est-elle correcte ?_ 1091

Article 2 – Tous les prêtres peuvent-ils excommunier ?_ 1098

Article 3 – Peut-on s’excommunier soi-même, un égal ou un supérieur ?_ 1102

Article 4 – Est-il permis d’échanger avec un excommunié en matière purement corporelle ?_ 1105

Article 5 – Tous les prêtres peuvent-ils absoudre leurs sujets d’une excommunication ?_ 1110

Explication du texte – Distinction 18_ 1115

Distinction 19 – [Les détenteurs des clés] 1115

Question 1 – [Les détenteurs des clés] 1115

Prologue_ 1115

Article 1 – Le prêtre de la loi détenait-il les clés ?_ 1117

Article 2 – Les saints qui ne sont pas prêtres détiennent-ils les clés ?_ 1122

Article 3 – Le prêtre peut-il faire usage de la clé qu’il possède sur n’importe quel homme ?_ 1127

Question 2 – [La correction fraternelle] 1134

Prologue_ 1134

Article 1 – La définition de la correction fraternelle est-elle incorrectement donnée ?_ 1134

Article 2 – Tous sont-ils obligés en vertu d’un commandement à la correction fraternelle ?_ 1138

Article 3 – Un avertissement fraternel doit-il précéder la dénonciation qui doit être faite à l’Église ?_ 1148

Explication du texte – Distinction 19_ 1158

Distinction 20 [Les conséquences de la pénitence] 1160

Question 1 – [Corollaires de la pénitence] 1160

Prologue_ 1160

Article 1 – Quelqu’un peut-il se repentir à la toute fin de sa vie ?_ 1162

Article 2 – La peine temporelle, dont la dette demeure après la pénitence, est-elle établie en proportion de la faute ?  1168

Article 3 – Une partie de la peine satisfactoire peut-elle être remise par une indulgence ?_ 1176

Article 4 – Tous les prêtres paroissiaux peuvent-ils donner une indulgence ?_ 1185

Article 5 – Une indulgence a-t-elle de la valeur pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel ?_ 1190

Explication du texte – Distinction 20_ 1195

Distinction 21 – [Questons sur le temps de la pénitence et la confession] 1196

Prologue_ 1196

Question 1 – [Le purgatoire] 1197

Article 1 – Existe-t-il un purgatoire après la vie présente ?_ 1198

Article 2 – Le bois, le foin et la paille qu’on rajoute à la construction sont-ils les péchés véniels [1 Co 3, 12] ?  1206

Article 3 – Le péché véniel sera-t-il expié par la peine du purgatoire quant à la faute ?_ 1212

Question 2 – [La confession générale] 1218

Prologue_ 1218

Article 1 – Les péchés véniels sont-ils remis par la confession générale qui est faite à complies et à prime ?  1218

Article 2 – La confession générale suffit-elle pour détruire les péchés mortels oubliés ?_ 1221

Article 3 – Quelqu’un peut-il confesser un péché qu’il n’a pas ?_ 1223

Question 3 – [Le secret de la confession] 1225

Prologue_ 1225

Article 1 – Un prêtre est-il obligé dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la confession ?  1225

Article 2 – Un prêtre peut-il, avec la permisssion du pénitent, confier à quelqu’un d’autre ce qu’il connaît sous le secret de la confession ?_ 1231

Article 3 – Ce que quelqu’un connaît par la confession et d’une autre manière, ne peut-il le révéler d’aucune manière ?  1232

Explication du texte – Distinction 21_ 1235

Distinction 22 – [Questions sur la rémission des péchés] 1236

Question 1 – [Les péchés remis reviennent-ils ?] 1236

Prologue_ 1236

Article 1 – Les péchés remis reviennent-ils chez celui qui récidive ?_ 1237

Article 2 – L’ingratitude est-elle un péché particulier ?_ 1243

Article 3 – Les péchés véniels reviennent-ils à cause de l’ingratitude ?_ 1247

Article 4 – Le récidiviste est-il obligé de confesser les péchés dont il s’est déjà confessé ?_ 1250

Question 2 – [La réalité et le sacrement dans la pénitence] 1254

Prologue_ 1254

Article 1 – La pénitence [corr. : poenitentiae/poenitentia] extérieure est-elle le signe sacramentel ?_ 1254

Article 2 – La pénitence est-elle un seul sacrement ?_ 1260

Article 3 – Le sacrement de la pénitence a-t-il été institué ?_ 1264

Explication du texte – Distinction 22_ 1269

EXTRÊME ONCTION_ 1270

Distinction 23 – [L’extrême-onction] 1270

Question 1 : [Qu’est-ce que l’extrême-onction] 1270

Prologue_ 1270

Article 1 – L’extrême-onction est-elle un sacrement ?_ 1271

Article 2 – L’extrême-onction a-t-elle une valeur pour la rémission des péchés ?_ 1277

Article 3 – L’huile d’olive est-elle une matière convenable pour ce sacrement ?_ 1283

Article 4 – Ce sacrement a-t-il une forme ?_ 1288

Question 2 – [L’administration de l’extrême-onction] 1292

Prologue_ 1293

Article 1 – Un laïc peut-il conférer ce sacrement ?_ 1293

Article 2 – Ce sacrement doit-il être conféré à ceux qui sont en santé ?_ 1296

Article 3 – Tout le corps doit-il être oint par ce sacrement ?_ 1300

Article – Ce sacrement doit-il être répété ?_ 1303

Explication du texte – Distinction 23_ 1305

ORDRE_ 1306

Distinction 24 – [Le sacrement de l’ordre] 1306

Question 1— [Le sacrement de l’ordre en lui-même] 1306

Prologue_ 1306

Article 1 – L’ordre doit-il exister dans l’Église ?_ 1308

Article 2 –La grâce sanctifiante est-elle donnée par ce sacrement ?_ 1317

Article 3 – Une bonne vie est-elle nécessaire chez ceux qui reçoivent les ordres ?_ 1324

Question 2 – [La distinction entre les ordres] 1333

Prologue_ 1333

Article 1 – Doit-on faire une distinction entre plusieurs ordres ?_ 1333

Article 2 – Les actes des ordres sont-ils convenablement assignés dans le texte ?_ 1341

Article 3 – Le caractère du sacerdoce est-il imprimé par la présentation du calice ?_ 1346

Question 3 – [Ceux qui sont ordonnés doivent-ils porter la tonsure ?] 1349

Prologue_ 1349

Article 1 – Ceux qui sont ordonnés doivent-ils porter la tonsure ?_ 1349

Article 2 – Un pouvoir épiscopal doit-il exister au-dessus de l’ordre sacerdotal ?_ 1354

Article 3 – Les vêtements des ministres ont-ils été convenablement établis dans l’Église ?_ 1360

Explication du texte – Distinction 24_ 1364

Distinction 25 – [Les agents actifs et passifs du sacrement de l’ordre] 1364

Question 1 – [La collation du sacrement de l’ordre est-elle réservée à l’évêque ?] 1365

Prologue_ 1365

Article 1 – Est-ce que seul un évêque confère le sacrement de l’ordre ?_ 1365

Article 2 – Les hérétiques et ceux qui sont séparés de l’Église peuvent-ils conférer les ordres ?_ 1368

Question 2 – [À propos de ceux qui sont ordonnés] 1371

Prologue_ 1371

Article 1 – Le sexe féminin empêche-t-il de recevoir l’ordre ?_ 1371

Article 2 – La condition de serf empêche-t-elle quelqu’un de recevoir l’ordre ?_ 1375

Question 3 – [La simonie] 1381

Prologue_ 1381

Article 1 – La définition donnée de la simonie est-elle adéquate ?_ 1381

Article 2 – Les sacrements peuvent-ils être achetés et vendus sans simonie ?_ 1386

Article 3 – La simonie est-elle commise des trois manières dterminées par le pape Urbain ?_ 1395

Explication du texte – Distinction 25_ 1400

MARIAGE_ 1402

Distinction 26 – [Le mariage] 1402

Question 1 – [Le mariage est-il naturel ?] 1402

Prologue_ 1402

Article 1 – Le mariage est-il naturel ?_ 1403

Article 2 – Le mariage continue-t-il à relever d’un commandement ?_ 1406

Article 3 – L’acte matrimonial est-il toujours un péché ?_ 1408

Article 4 – L’acte matrimonial est-il méritoire ?_ 1411

Question 2 – [Le mariage comme sacrement] 1413

Prologue_ 1413

Article 1 – Le mariage est-il un sacrement ?_ 1414

Article 2 – Le mariage devait-il être institué avant le péché ?_ 1415

Article 3 – Le mariage donne-t-il la grâce ?_ 1418

Article 4 – L’union charnelle fait-elle partie de l’intégrité du mariage ?_ 1421

Explication du texte – Distinction 26_ 1422

Distinction 27 – [Les causes du mariage] 1423

Question 1 – [Qu’est-ce que le mariage ?] 1423

Prologue_ 1423

Article 1 – Le mariage fait-il partie du genre de l’union ?_ 1425

Article 2 – Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ?_ 1431

Article 3 – Un des époux, même après l’union charnelle, peut-il entrer en religion malgré l’autre ?_ 1437

Question 2 – [Les fiançailles] 1442

Prologue_ 1442

Article 1 – Les fiançailles sont-elles correctement appelées la promesse d’un mariage à venir ?_ 1442

Article 2 – L’âge de sept ans est-il correctement assigné pour contracter des fiançailles ?_ 1445

Article 3 – Les fiançailles peuvent-elles être dirimées lorsqu’un des deux entre en religion ?_ 1449

Question 3 – [La bigamie] 1452

Prologue_ 1452

Article 1 – Une irrégularité s’ajoute-t-elle à la bigamie, qui consiste en ce que quelqu’un a eu deux épouses de manière successive ?_ 1452

Article 2 – La bigamie est-elle dissooute par le baptême ?_ 1459

Article 3 – Est-il permis de dispenser un bigame ?_ 1460

Explication du texte – Distinction 27_ 1462

Distinction 28 – [Le consentement du mariage] 1463

Prologue_ 1463

Article 1 – [Le serment associé au consentement par des paroles portant sur le futur réalise-t-il le mariage ?] 1464

Article 2 – L’union charnelle, après des paroles exprimant un consentement dans l’avenir, réalise-t-elle le mariage ?  1466

Article 3 – Le consentement par des paroles portant sur le présent réalise-t-il le mariage ?_ 1468

Article 4 – Le consentement qui réalise le mariage est-il le consentement à l’union charnelle ?_ 1470

Explication du texte – Distinction 28_ 1472

Distinction 29 – [Les empêchements au consentement au mariage] 1473

Prologue_ 1473

Article 1 – Un consentement peut-il être forcé ?_ 1473

Article 2 – La coercition de la crainte affecte-t-elle un homme constant ?_ 1475

Article 3 – Un consentement forcé écarte-t-il le mariage ?_ 1477

Article 4 – Peut-on être forcé au mariage par un ordre de son père ?_ 1481

Explication du texte – Distinction 29_ 1483

Distinction 30 – [Le mariage et l’erreur] 1483

Prologue_ 1483

Question 1 – [L’erreur doit-elle être présentée comme un empêchement au mariage par elle-même ?] 1484

Article 1 – L’erreur doit-elle être présentée comme un empêchement au mariage par elle-même ?_ 1485

Article 2 – Est-ce que toute erreur empêche le mariage ?_ 1487

Article 3 – Le mariage peut-il exister par le consentement de quelqu’un à une femme pour une raison mauvaise ?  1490

Question 2 – [Le mariage de la bienheureuse Vierge] 1492

Article 1 – La bienheureuse Vierge devait-elle faire vœu de virginité ?_ 1492

Article 2 – Le mariage en question a-t-il été parfait ?_ 1497

Article 3 – Ce mariage a-t-il été jamais consommé ?_ 1499

Explication du texte – Distinction 30_ 1502

Distinction 31 – [Les causes de la bonté du mariage ou les biens du mariage] 1502

Question 1 – [Les biens qui excusent le mariage] 1502

Prologue_ 1502

Article 1 – Le mariage doit-il comporter des biens qui l’excusent ?_ 1504

Article 2 – Les biens du mariage sont-ils indiqués de manière suffisante dans le texte ?_ 1507

Article 3 – Le sacrement est-il le bien principal du mariage ?_ 1510

Question 2 – [Les biens du mariage excusent-ils l’acte du mariage ?] 1513

Prologue_ 1513

Article 1 – L’acte du mariage peut-il être excusé par les biens mentionnés, de sorte qu’il ne soit pas péché ?  1513

Article 2 – L’acte du mariage peut-il être excusé même sans les biens du mariage ?_ 1515

Article 3 – Quelqu’un pèche-t-il mortellement en connaissant son épouse sans avoir comme but un bien du mariage, mais son seul plaisir ?_ 1518

Explication du texte – Distinction 31_ 1520

Distinction 32 – [L’acte conjugal sous son aspect de dette] 1521

Prologue_ 1521

Article 1 – Chacun des époux est-il obligé par la nécessité d’un commandement de toujours rendre à l’autre ce qui lui est dû ?  1522

Article 2 – Le mari est-il obligé de rendre ce qui est dû à son épouse qui ne le demande pas ?_ 1525

Article 3 – Le mari et la femme sont-ils égaux dans l’acte du mariage ?_ 1530

Article 4 – Le mari et l’épouse peuvent-ils faire une vœu contraire à la dette du mariage sans un consentement mutuel ?  1532

Article 5 – Lors des temps sacrés, doit-on être empêché de demander ce qui est dû ?_ 1534

Explication du texte – Distinction 32_ 1538

Distinction 33 – [Les biens du mariage chez les anciens] 1539

Prologue_ 1539

Question 1 – [Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses ?] 1540

Article 1 – Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses ?] 1540

Article 2 – A-t-il jamais été permis de pouvoir avoir plusieurs épouses ?_ 1547

Article 3 – Avoir une concubine est-il contraire à la loi de la nature ?_ 1551

Question 2 – [L’acte de répudiation] 1559

Prologue_ 1559

Article 1 – L’inséparabilité de l’épouse relève-t-elle de la loi de la nature ?_ 1559

Article 2 – Est-il permis de pouvoir renvoyer sa femme grâce à une dispense ?_ 1561

Article 3 – La cause de la répudiation était-elle la haine de son épouse ?_ 1570

Question 3 – [La virginité] 1573

Prologue_ 1573

Article 1 – La virginité est-elle « le propos perpétuel de rester non corrompu dans une chair corruptible » ?  1573

Article 2 – La virginité est-elle une vertu ?_ 1578

Article 3 – La virginité est-elle la plus grande de toutes les vertus ?_ 1583

Explication du texte – Distinction 33_ 1587

Distinction 34 – [Les personnes qui contractent mariage] 1588

Question unique – [Les empêchements du mariage en général] 1589

Prologue_ 1589

Article 1 – Les empêchements au mariage sont-ils indiqués de manière appropriée ?_ 1590

Article 2 – La frigidité empêche-t-elle de contracter mariage ?_ 1596

Article 3 – Un sortilège peut-il empêcher le mariage ?_ 1600

Article 4 – La folie empêche-t-elle le mariage ?_ 1603

Article 5 – L’inceste, par lequel quelqu’un connaît la sœur de son épouse, dirime-t-il le mariage ?_ 1604

Explication du texte – Distinction 34_ 1605

Distinction 35 – [Le mari peut-il renvoyer sa femme pour cause de fornication ?] 1607

Prologue_ 1607

Article 1 – Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme pour cause de fornication ?_ 1608

Article 2 – Un mari est-il tenu en vertu d’un précepte de renvoyer son épouse qui fornique ?_ 1610

Article 3 – Un mari peut-il renvoyer de son propre jugement son épouse qui fornique ?_ 1612

Article 4 – Le mari et l’épouse doivent-ils avoir les mêmes droits dans un jugement de divorce ?_ 1615

Article 5 – Le mari peut-il en épouser une autre après le divorce ?_ 1618

Article 6 – Le mari et l’épouse peuvent-ils se réconcilier après le divorce ?_ 1619

Explication du texte – Distinction 35_ 1622

Distinction 36 – [L’empêchement de la condition servile] 1622

Prologue_ 1622

Article 1 – La condition de serf empêche-t-elle le mariage ?_ 1623

Article 2 – Le serf peut-il contracter mariage sans le consentement du seigneur ?_ 1627

Article 3 – La servitude peut-elle survenir après le mariage ?_ 1630

Article 4 – Les fils doivent-ils suivre la condition du père ?_ 1632

Article 5 – Une carence d’âge empêche-t-elle le mariage ?_ 1634

Explication du texte – Distinction 36_ 1636

Distinction 37 – [L’empêchement de l’ordre] 1636

Prologue_ 1636

Question 1 – [L’empêchement de l’ordre] 1637

Article 1 – L’ordre empêche-t-il le mariage ?_ 1637

Article 2 – Un ordre sacré peut-il survenir après le mariage ?_ 1639

Question 2 – [Le meurtre de l’épouse] 1642

Prologue_ 1642

Article 1 – Est-il permis à un mari de tuer son épouse prise en flagrant délit d’adultère ?_ 1642

Article 2 – Le meurtre de l'épouse empêche-t-il le mariage ?_ 1644

Explication du texte – Distinction 37_ 1646

Distinction 38 – [L’empêchement du vœu] 1647

Question 1 – [L’empêchement du vœu] 1647

Prologue_ 1647

Article 1 – Le vœu est-il défini de manière appropriée dans le texte ?_ 1648

Article 2 – La distinction entre vœu général et particulier est-elle appropriée ?_ 1656

Article 3 – Un vœu oblige-t-il toujours de telle manière qu’il soit toujours nécessaire de l’observer ?_ 1662

Article 4 – Peut-il y avoir dispense d’un voeu ?_ 1671

Article 5 – Un voile particulier est-il dû aux vierges qui ont fait vœu de continence, pour les distinguer des autres qui ont fait vœu de continence et qui ont été corrompues ?_ 1679

Question 2 – [Le scandale] 1682

Prologue_ 1682

Article 1 – La définition du scandale est-elle donnée de manière appropriée ?_ 1682

Article 2 – Le scandale est-il toujours un péché ?_ 1685

Article 3 – Le scandale passif est-il toujours le fait des petits ?_ 1692

Article 4 – La vérité doit-elle être mise de côté à cause du scandale ?_ 1696

Explication du texte – Distinction 38_ 1709

Distinction 39 – [L’illégitimité d’une personne par rapport à certaines personnes] 1711

Question unique – [Le mariage avec un infidèle] 1711

Prologue_ 1711

Article 1 – Un croyant peut-il contracter mariage avec une incroyante ?_ 1713

Article 2 – Peut-il y avoir mariage entre des infidèles ?_ 1715

Article 3 – Un époux converti à la foi peut-il demeurer avec son épouse infidèle qui ne veut pas se convertir ?  1718

Article 4 – Un fidèle converti peut-il, sans injure au Créateur, renvoyer son épouse infidèle et qui veut cohabiter ?  1721

Article 5 – Le fidèle qui se sépare de son épouse infidèle peut-il prendre une autre épouse ?_ 1724

Article 6 – D’autres vices dissolvent-ils le mariage comme l’infidélité ?_ 1727

Explication du texte – Distinction 39_ 1729

Distinction 40 – [L’empêchement de consanguinité] 1730

Prologue_ 1730

Article 1 – La définition de la consanguinité donnée par certains est-elle exacte ?_ 1731

Article 2 – La consanguinité se différencie-t-elle en lignes et en degrés ?_ 1734

Article 3 – La consanguinité empêche-t-elle le mariage selon le droit naturel ?_ 1739

Article 4 – L’Église peut-elle établir que les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage atteignent le quatrième degré ?  1742

Explication du texte – Distinction 40_ 1748

Distinction 41 – [L’empêchement d’affinité] 1749

Prologue_ 1749

Article 1 – L’affinité est-elle causée par le mariage d’un consanguin ?_ 1750

Article 2 – L’affinité empêche-t-elle le mariage ?_ 1762

Article 3 – Les fils qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ?_ 1765

Article 4 – L’inceste est-il une espèce différente des autres espèces de luxure ?_ 1769

Article 5 – Le mariage qui a été contracté entre des affins ou des consanguins doit-il toujours être dirimé par le divorce ?  1775

Explication du texte – Distinction 41_ 1781

Distinction 42 – [L’empêchement de proximité spirituelle] 1781

Prologue_ 1781

Question 1 – [La parenté spirituelle] 1783

Article 1 – La parenté spirituelle empêche-t-elle le mariage ?_ 1783

Article 2 – La proximité spirituelle est-elle contractée seulement par le baptême ?_ 1786

Article 3 – Une parenté spirituelle est-elle contractée entre celui qui reçoit le baptême et celui qui relève des fonts baptismaux ?  1789

Question 2 – [La parenté légale] 1794

Prologue_ 1794

Article 1 – L’adoption est-elle correctement définie ?_ 1794

Article 2 – Contracte-t-on par l’adoption un lien empêchant le mariage ?_ 1798

Article 3 – Une telle parenté n’est-elle contractée qu’entre le père adoptif et le fils adoptif ?_ 1800

Question 3 – [Les secondes noces] 1802

Prologue_ 1802

Article 1 – Les secondes noces sont-elles permises ?_ 1802

Article 2 – Le second mariage est-il un sacrement ?_ 1803

Explication du texte – Distinction 42_ 1805

LES FINS DERNIÈRES 1806

Distinction 43 – [La résurrection des corps] 1806

Question 1 – [La résurrection en elle-même] 1806

Prologue_ 1806

Article 1 – Y aura-t-il une résurrection des corps ?_ 1807

Article 2 – La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ?_ 1817

Article 3 – Le moment de la résurrection doit-il être reporté jusqu’à la fin du monde, de sorte que tous ressuscitent en même temps ?_ 1825

Article 4 – La mort sera-t-elle pour tous le terme a quo de la résurrection ?_ 1836

Article 5 – Après la résurrection, chacun connaîtra-t-il les péchés qu’il a commis ?_ 1844

Explication du texte – Distinction 43_ 1852

Distinction 44 – [Les conditions des ressuscités] 1852

Question 1 – [Les ressuscités seront-ils identiques à eux-mêmes ?] 1852

Prologue_ 1852

Article 1 – L’âme reprendra-t-elle le même corps lors de la résurrection ?_ 1853

Article 2 – Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?_ 1865

Article 3 – Tous ressusciteront-ils avec le même âge, celui de la jeunesse ?_ 1884

[2] L’homme ressuscitera avec la plus grande perfection de la nature. Or, la nature humaine a son état le plus parfait à l’âge de la jeunesse. Tous ressusciteront donc avec cet âge. 1885

Question 2 – [Les conditions des bienheureux] 1893

Prologue: 1893

Article 1 – Les corps des saints après la résurrection seront-ils passibles ?_ 1893

Article 2 – La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ?_ 1908

Article 3 – Les corps glorieux seront-ils agiles ?_ 1929

Article 4 – L’éclat conviendra-t-il aux corps glorieux ?_ 1943

Question 3 – [La condition des damnés] 1949

Prologue_ 1949

Article 1 – Les corps des damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités ?_ 1949

Article 2 – Le feu de l’enfer, par lequel les corps des damnés seront torturés, est-il un feu corporel ?_ 1959

Article 3 – Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ?_ 1969

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44_ 1985

Distinction 45 – [La demeure des âmes après la mort] 1988

Question 1 – [Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ?] 1988

Prologue_ 1988

Article 1 – Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ?_ 1989

Article 2 – Les limbes sont-ils la même chose que le sein d’Abraham ?_ 1999

Article 3 – Faut-il faire une distinction entre autant de demeures ?_ 2004

Question 2 – [Les suffrages pour les morts] 2008

Prologue_ 2008

Article 1 – Les suffrages faits par un seul peuvent-ils être utiles à un autre ?_ 2009

Article 3 – Les âmes des défunts sont-elles aidées seulement par les prières de l’Église, le sacrifice de l’autel et les aumônes ?  2031

Article 4 – Les suffrages accomplis pour un défunt profitent-ils davantage à celui pour qui ils sont accomplis qu’aux autres ?  2039

Question 3 – [Les saints ont-ils connaissance de nos prières ?] 2046

Prologue_ 2046

Article 1 – Les saints ont-ils connaissance de nos prières ?_ 2046

Article 2 – Devons-nous prier les saints d’intercéder pour nous ?_ 2050

Article 3 – Les prières que les saints répandent pour nous auprès de Dieu sont-elles toujours écoutées ?_ 2053

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 45_ 2057

Distinction 46 – [La justice et la miséricorde de Dieu envers les damnés] 2059

Question 1 – [La justice doit-elle être attribuée à Dieu ?] 2059

Prologue_ 2059

Article 1 – Doit-on attribuer la justice à Dieu ?_ 2061

Article 2 – L’action de Dieu est-elle appe-lée juste du seul fait qu’elle lui agrée ?_ 2070

Article 3 – Une peine éternelle est-elle infligée aux pécheurs en vertu de la justice divine ?_ 2079

Question 2 – [La miséricorde de Dieu] 2084

Prologue_ 2084

Article 1 – La miséricorde existe-t-elle en Dieu ?_ 2085

Article 2 – Dieu manifeste-t-il toujours sa miséricorde en punissant moins que ce qui est mérité et en récompensant au-delà du mérite ?_ 2091

Article 3 – Toute peine des hommes et des démons a-t-elle un terme en raison de la miséricorde de Dieu ?  2102

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 46_ 2111

Distinction 47 – [Le jugement général] 2112

Question 1 – [Le jugement général en lui-même] 2112

Prologue_ 2112

Article 1 – Y aura-t-il un jugement général ?_ 2113

Article 2 – Certains hommes jugeront-ils avec le Christ ?_ 2121

Article 3 – Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement ?_ 2131

Question 2 – [Le feu de l’enfer] 2137

Prologue_ 2137

Article 1 – Y aura-t-il une purification du monde à venir ?_ 2138

Article 2 – Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ?_ 2146

Article 3 – Le feu de l’ultime déflagration doit-il suivre le jugement ?_ 2153

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 47_ 2160

Distinction 48 – [La condition du juge] 2160

Question 1 – [Le juge jugera-t-il en sa condition d’homme ?] 2160

Prologue_ 2160

Article 1 – Le Christ jugera-t-il en sa condition de serviteur ?_ 2161

Article 2 –Le Christ apparaîtra-t-il lors du jugement dans la condition glorieuse de son humanité ?_ 2165

Article 3 – La divinité peut-elle être vue sans joie par les méchants ?_ 2167

Article 4 – Est-ce que certains signes précèdent la venue du Seigneur pour le jugement ?_ 2170

Question 2 – [Le renouvellement du monde] 2178

Prologue_ 2178

Article 1 – Le monde sera-t-il un jour renouvelé ?_ 2178

Article 2 – Le mouvement des corps célestes cessera-t-il lors de ce renouvellement du monde ?_ 2182

Article 3 – L’éclat des corps célestes est-il accru lors de ce renouvellement ?_ 2189

Article 4 – Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’un certain éclat ?_ 2193

Article 5 – Les plantes et les animaux demeureront-ils lors de ce renouvellement ?_ 2196

Explication du texte – Distinction 48_ 2200

Distinction 49 – [Les récompenses et les peines qui découlent du jugement général] 2201

Question 1 – [En quoi faut-il chercher la béatitude ?] 2201

Prologue_ 2201

Article 1 – La béatitude consiste-t-elle dans les biens du corps ?_ 2202

Article 2 – La béatitude est-elle quelque chose de créé ?_ 2219

Article 3 – Tous désirent-ils la béatitude ?_ 2233

Article 4 – La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après qu’avant le jugement ?_ 2245

Question 2 – [La vision de Dieu] 2253

Prologue_ 2253

Article 1 – L’intellect humain peut-il aller jusqu’à voir Dieu par son essence ?_ 2254

Article 2 – Après la résurrection, les saints verront-ils Dieu de leurs yeux corporels?_ 2270

Article 3 – En voyant Dieu dans la patrie, les saints l’étreignent-ils (comprehendant) ?_ 2275

Article 4 – Parmi ceux qui voient Dieu par son essence, l’un voit-il plus parfaitement qu’un autre ?_ 2280

Article 5 – Les saints qui voient Dieu par son essence voient-ils tout ce que Dieu voit en lui-même ?_ 2283

Article 6 – Un intellect créé peut-il, par ce qui lui est naturel, voir Dieu par son essence?_ 2291

Article 7 – Dieu peut-il être vu par son essence dans l’état de cheminement ?_ 2297

Question 3 – [La délectation] 2310

Article 1 – La délectation est-elle une passion ?_ 2311

Article 2 – La cause de la délectation est-elle seulement une opération connaturelle à un habitus non contrariée ?  2320

Article 3 – La tristesse est-elle contraire à la délectation ?_ 2327

Article 4 – Toute délectation est-elle bonne ?_ 2334

Article 5 – Les délectations corporelles sont-elles plus fortes que les délectations spirituelles ?_ 2342

Question 4 – [Les dots] 2355

Prologue_ 2355

Article 1 – Faut-il reconnaître des dots chez les hommes bienheureux ?_ 2355

Article 2 – La dot est-elle la même chose que la béatitude ?_ 2360

Article 3 – Convient-il au Christ de posséder des dots ?_ 2362

Article 4 – Les anges possèdent-ils des dots ?_ 2365

Article 5 – Affirme-t-on de manière appropriée qu’il existe trois dots de l’âme?_ 2368

Question 5 – [Les auréoles] 2377

Prologue_ 2377

Article 1 – L’auréole est-elle une autre récompense que la récompense essentielle, qui est appelée la [couronne] d’or ?  2377

Article 2 – L’auréole diffère-t-elle du fruit ?_ 2382

Article 3 – Une auréole est-elle due en raison de la virginité ?_ 2391

Article 4 – Une auréole est-elle due au Christ ?_ 2406

Article 5 – Les trois auréoles sont-elles désignées de manière appropriée ?_ 2410

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 49_ 2415

Distinction 50 – [Les peines des impies] 2416

Question 1 – [La connaissance de l’âme séparée] 2416

Prologue_ 2416

Article 1 – L’âme peut-elle intelliger quelque chose, une fois qu’elle est séparée du corps?_ 2417

Article 2 – Lorsque qu’elle sera séparée par la suite, l’âme intelligera-t-elle quelque chose grâce aux espèces qu’elle abstrait maintenant à partir du corps ?_ 2424

Article 3 – L’âme séparée connaît-elle le singulier ?_ 2429

Article 4 – La distance locale empêche-t-elle la connaissance de l’âme séparée ?_ 2434

Question 2 – [Les peines affectives des damnés] 2438

Article 1 – Toute volonté des damnés est-elle mauvaise ?_ 2438

Article 2 – Les damnés peuvent-ils utiliser la connaissance qu’ils avaient en ce monde ?_ 2447

Article 3 – Les damnés en enfer sont-ils affligés par la seule peine du feu ?_ 2451

Article 4 – Les bienheureux qui seront dans la patrie voient-ils les peines des damnés ?_ 2457

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 50_ 2461

 

 

Textum Parmae 1858 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD, 2008.

Liber IV

LIVRE IV – [LES SACREMENTS ET LES FINS DERNIÈRES]

 

Prooemium

Introduction générale

[13255] Super Sent., lib. 4 pr. Misit verbum suum, et sanavit eos, et eripuit eos de interitionibus eorum. Psal. 106, 20. Ex peccato primi hominis humanum genus duo incurrerat, scilicet mortem, et infirmitatem. Mortem propter separationem a vitae principio, de quo in Psalm. 35, 10, dicitur: apud te est fons vitae; et qui separatur ab hoc principio, de necessitate moritur: et hoc factum est per primum hominem. Unde dicitur Rom. 5, 12: per unum hominem peccatum in mundum intravit, et per peccatum mors. Infirmitatem vero propter destitutionem gratiae, quae est hominis sanitas, quae petitur Hierem. 17, 14: sana me domine, et sanabor; et ideo in Psalm. 6, 3, dicitur: miserere mei domine, quoniam infirmus sum. Ad hoc autem sufficiens remedium haberi non poterat, nisi ex verbo Dei, quod est fons sapientiae in excelsis, Eccli. 1, et per consequens vitae: quia sapientia vitam tribuit possessori, Eccli. 7; unde dicitur Joan. 5, 21: sicut pater suscitat mortuos et vivificat; sic filius quos vult, vivificat. Ipsum etiam est virtus Dei, quo omnia portantur; Hebr. 1, 3: portans omnia verbo virtutis suae; et ideo est efficax ad infirmitatem tollendam. Unde in Psalm. 32, 6, dicitur: verbo domini caeli firmati sunt; et Sap. 16, 12: neque herba neque malagma sanavit eos, sed sermo tuus, domine, qui sanat omnia. Sed quia vivus est sermo Dei et efficax, et penetrabilior omni gladio ancipiti, ut dicitur Heb. 4, 12, necessarium fuit ad hoc quod nobis medicina tam violenta proficeret, quod ei carnis nostrae infirmitas adjungeretur, ut nobis magis congrueret. Hebr. 11, 17: debuit per omnia fratribus assimilari, ut misericors fieret. Et propter hoc, verbum caro factum est, et habitavit in nobis; Joan. 1, 14. Sed quia haec medicina tantae est efficaciae ut omnes sanare possit (virtus enim exibat de illo, et sanabat omnes, ut dicitur Luc. 6, 19), ideo ab hac universali medicina et prima aliae particulares medicinae procedunt universali medicinae conformes, quibus mediantibus virtus universalis medicinae proveniat ad infirmos: et haec sunt sacramenta, in quibus sub tegumento rerum visibilium divina virtus secretius operatur salutem, ut Augustinus dicit. Sic ergo in verbis propositis tria tanguntur: scilicet confectio medicinae, sanatio ab infirmitate, et liberatio a morte. Confectio medicinae tangitur in hoc quod dicit: misit verbum suum; quod quidem referendum est et ad verbi incarnationem, quod dicitur a Deo missum, quia caro factum; Gal. 4, 4: misit Deus filium suum factum ex muliere; et ad sacramentorum institutionem, in quibus accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum, ut sic sit conformitas sacramenti ad verbum incarnatum. Sanctificatur enim creatura sensibilis per verbum Dei et orationem; 1 Timoth., 4. Sanatio autem ab infirmitate peccati et reliquiarum ejus, tangitur in hoc quod dicitur: et sanavit eos; quae quidem sanatio per sacramenta fit: unde ipsa sunt unguenta sanitatis, quae Christus quasi unguentarius confecit; unde et in Psalm. 102, 3, dicitur: qui propitiatur omnibus iniquitatibus tuis, quantum ad peccata; qui sanat omnes infirmitates tuas, quantum ad peccatorum reliquias. Liberatio autem a morte tangitur in hoc quod dicitur: et eripuit eos de interitionibus eorum. Et quia interitus in mortem violentam sonare videtur, ideo congrue ad poenalem mortem referri potest: quia ratio poenae est ut contra voluntatem sit, sicut ratio culpae ut sit voluntaria; et ideo culpa ad infirmitatem reducitur, poena ad mortem: quia via ad poenam est culpa, sicut infirmitas ad mortem. Non solum autem separatio animae a corpore mors dici potest, sed etiam omnes praesentis vitae poenalitates: et ideo pluraliter interitiones nominantur, sicut et 2 Cor. 11, 23: in mortibus frequenter. A morte ergo corruptionis naturae eripiet verbum incarnatum per resurrectionem: quia in Christo omnes vivificabuntur; 1 Corinth. 25, 22, Isai. 26, 19: vivent interfecti mei etc.; sed a mortibus poenalitatum per gloriam: tunc enim absorpta erit mors per victoriam; 1 Corinth. 25; et de his in Psalm. 102, 4, dicitur: qui redimit de interitu vitam tuam, quantum ad primum: qui coronat te in misericordia, quantum ad secundum. Sic ergo ex verbis propositis tria possumus accipere circa hunc quartum librum, qui prae manibus habetur, scilicet materiam: quia in eo agitur de sacramentis, et de resurrectione et gloria resurgentium. Item continuationem ad tertium librum: quia in tertio agebatur de missione verbi in carnem, in hoc autem libro de effectibus verbi incarnati; ut quartus respondeat tertio, sicut secundus primo. Item divisionem istius libri. Dividitur enim in partes duas: in prima determinat de sacramentis; in secunda determinat de resurrectione, et gloria resurgentium, 43 distinct., ibi: postremo de conditione resurrectionis et modo resurgentium (...) breviter disserendum est. Item prima dividitur in duas. In prima determinat de sacramentis in generali; in secunda descendit ad sacramenta novae legis, 2 dist., ibi: jam ad sacramenta novae legis accedamus. Prima in duas: in prima dicitur de quo est intentio: in secunda prosequitur, ibi: sacramentum est sacrae rei signum. Circa primum duo facit: primo proponit materiam de qua agendum est. Secundo ostendit quid de ea primo dicendum sit, ibi: de quibus quatuor primo consideranda sunt. Sacramentum est sacrae rei signum. Hic determinare incipit de sacramentis in communi; et dividitur in partes duas: in prima determinat de sacramentis secundum se; in secunda de divisione sacramenti in suas partes, ibi: duo autem sunt in quibus sacramentum consistit. Prima in duas: in prima ostendit quid est sacramentum; in secunda necessitatem institutionis sacramentorum, ibi, triplici autem ex causa sacramenta instituta sunt. Prima in duas: in prima venatur genus sacramenti; in secunda differentias, ibi: signorum vero alia sunt naturalia (...) alia data. Circa primum duo facit: primo ponit sacramentum in genere signi; secundo definit signum, ibi : signum vero est res praeter speciem quam ingerit sensibus, aliquid aliud ex se faciens in cognitionem venire. Signorum vero alia sunt naturalia (...) alia data. Hic venatur differentias: et primo unam differentiam communem omnibus sacramentis, quae est ut imaginem gerat; secundo aliam quae est propria sacramentorum novae legis, in quibus est perfecta ratio sacramenti, scilicet ut causa existat, ibi: sacramentum enim proprie dicitur, quod ita signum est gratiae Dei, et invisibilis gratiae forma, ut ipsius imaginem gerat et causa existat. Duo autem sunt in quibus sacramentum consistit. Hic dividit sacramentum in duas partes: et primo in partes integrales; secundo in partes subjectivas, ibi: jam videre restat differentiam sacramentorum veterum, et novorum. Et circa haec, duo facit: primo ostendit differentiam inter sacramenta veteris et novae legis; secundo determinat de quodam sacramento veteris legis, quod maxime cum sacramentis novae legis communicat, ibi: fuit autem inter illa sacramenta sacramentum quoddam, scilicet circumcisionis, idem conferens remedium contra peccatum quod nunc Baptismus praestat. Quarum prima pars cum praecedentibus est de lectione praesenti.

Il envoya sa parole et les guérit ; il les arracha à leurs anéantissements, Ps 106, 20. Par le péché du premier homme, le genre humain avait encouru deux choses : la mort et la maladie. La mort, en raison de la séparation du principe de la vie, dont il est dit en Ps 35, 10 : La source de la vie est en toi. Celui qui est séparé de ce principe meurt nécessairement. Et cela est arrivé à cause du premier homme. Aussi est-il dit en Rm 5, 12 : Le péché est entré dans le monde par un seul, et, par le péché, la mort. La maladie, en raison de la perte de la grâce, qui est la santé de l’homme. Elle est demandée en Jr 17, 14 : Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri. C’est pourquoi il est dit dans Ps 6, 3 : Aie pitié de moi, Seigneur, car je suis malade. Or, il ne pouvait y avoir de remède suffisant pour cela que par la parole de Dieu, qui est la source de la sagesse dans les hauteurs, Si 1, 5, et, par conséquent, la source de la vie, car la sagesse donne vie à celui qui la possède, Si 7. Aussi est-il dit en Jn 5, 21 : Comme le Père ressuscite les morts et leur donne vie, ainsi le Fils donne-t-il vie à ceux qu’il veut. [Cette parole] est aussi la puissance de Dieu par laquelle tout est soutenu, He 1, 3 : Soutenant tout par la parole de sa puissance. C’est pourquoi elle est efficace pour enlever la maladie. Ainsi est-il dit en Ps 32, 6 : Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur, et en Sg 16, 12 : Ni l’herbe ni l’émollient ne les a guéris, mais ta parole, Seigneur, qui guérit tout. Mais parce que la parole de Dieu est vivante et efficace, et pénètre plus profond que le glaive à deux tranchants, comme il est dit en He 4, 12, il était nécessaire, pour qu’un remède si puissant nous soit utile, que la faiblesse de notre chair lui soit unie afin qu’il nous soit mieux adapté. He 11, 17 : Il devait se faire semblable en tout à ses frères afin de montrer sa miséricorde. Pour cette raison, le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, Jn 1, 14. Mais parce que ce remède est d’une telle efficacité qu’il peut guérir tous (en effet, une puissance sortait de lui et les guérissait tous, comme il est dit en Lc 6, 19), d’autres remèdes particuliers, semblables à ce remède universel, sont issus de ce remède universel et premier, par l’intermédiaire desquels la puissance du remède universel parvient aux malades. Tels sont les sacrements, par lesquels, sous le voile de choses visibles, la puissance divine réalise le salut d’une manière plus secrète, comme le dit Augustin. Ainsi donc, dans les paroles rappelées, trois choses sont abordées : la préparation du remède, la guérison de la maladie et la libération de la mort. La préparation du remède est abordée lorsqu’il dit : Il envoya sa parole. Cela se rapporte à l’incarnation du Verbe, dont on dit qu’il est envoyé par Dieu parce qu’il est devenu chair. Ga 4, 4 : Il a envoyé son Fils, né d’une femme. [Cela se rapporte aussi] à l’institution des sacrements, dans lesquels «la parole est jointe aux éléments, et le sacrement se réalise», afin qu’il y ait ainsi similitude entre le sacrement et le Verbe incarné. En effet, la créature sensible est sanctifiée par le Verbe de Dieu et par la prière, 1 Tm 4. Mais la guérison de la maladie du péché et de ses suites est abordée lorsqu’il dit : Et il les guérit. Cette guérison est réalisée par les sacrements. Ceux-ci sont donc des pommades de santé, que le Christ a préparées comme un pharmacien. Ainsi est-il dit en Ps 102, 3 : Lui qui pardonne toutes tes fautes, pour ce qui est des péchés ; qui guérit toutes les maladies, pour ce qui est des suites des péchés. Quant à la libération de la mort, elle est abordée lorsqu’il dit : Et il les arracha à leurs anéantissements. Et parce que l’anéantissement semble annoncer une mort violente, il peut à juste titre être mis en rapport avec le châtiment de la mort, car le caractère du châtiment est d’être contraire à la volonté, comme le caractère de la faute est d’être volontaire. C’est pourquoi la faute se ramène à la maladie, et le châtiment, à la mort, car le chemin vers le châtiment est la faute, comme la maladie est le chemin vers la mort. Or, ce n’est pas seulement la séparation de l’âme du corps qui peut être appelée mort, mais aussi tout ce qui est peine dans la vie présente. C’est pourquoi on parle d’anéantissements au pluriel [iterationes], comme en 2 Co 11, 23 : Souvent à la mort. Le Verbe incarné arrachera donc à la mort de la corruption de la nature par la résurrection, car dans le Christ, tous reprendront vie, 1 Co 25, 22. Is 26, 19 : Tous mes morts revivront, etc. Mais [il arrachera] aux morts des peines par la gloire. En effet, la mort sera alors engloutie par la victoire, 1 Co 25. Et il en est question en Ps 102, 4 : Lui qui rachète ta vie à la mort, pour le premier point ; qui te couronne de miséricorde, pour le second. Ainsi donc, nous pouvons tirer trois choses des paroles rappelées à propos du quatrième livre que nous avons sous la main, à savoir, sa matière, car il y est question des sacrements, de la résurrection et de la gloire des ceux qui ressuscitent. Aussi, la suite du troisième livre, car, dans le troisième, il était question de l’envoi du Verbe dans la chair, et, dans ce livre, des effets du Verbe incarné, de sorte que le quatrième réponde au troisième comme le deuxième au premier. Aussi, la division de ce livre. En effet, il se divise en deux parties : dans la première, il traite des sacrements ; dans la seconde, il traite de la résurrection et de la gloire de ceux qui ressuscitent, à la d. 43, en cet endroit : «Ensuite, il faut traiter brièvement de la condition de la résurrection et du mode de ceux qui ressuscitent.» De même, la première partie se divise en deux. Dans la première, il traite des sacrements en général ; dans la seconde, il en arrive aux sacrements de la loi nouvelle, d. 2, en cet endroit : «Maintenant, occupons-nous des sacrements de la loi nouvelle.» La première partie [se divise] en deux parties : dans la première, on dit quelle est l’intention ; dans la seconde, on poursuit, en cet endroit : «Le sacrement est le signe d’une chose sainte.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il propose la matière dont il faut traiter ; deuxièmement, il montre ce qu’il faut dire d’elle en premier lieu, en cet endroit : «Il faut d’abord examiner ces quatre premières choses.» «Le sacrement est le signe d’une chose sainte.» Ici, il commence à traiter des sacrements en général, et cela se divise en deux parties : dans la première, il traite des sacrements en eux-mêmes ; dans la seconde, de la division du sacrement selon ses parties, en cet endroit : «Or, le sacrement consiste en deux choses.» La première partie se divise en deux parties : dans la première, il montre ce qu’est le sacrement ; dans la seconde, la nécessité de l’institution des sacrements, en cet endroit : «Or, les sacrements ont été institués pour une triple cause.» La première partie se divise en deux : dans la première, on recherche le genre du sacrement ; dans la seconde, les différences, en cet endroit : «Mais, parmi les signes, certains sont naturels…, et d’autres sont convenus.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il place le sacrement dans le genre du signe ; deuxièmement, il définit le signe, en cet endroit : «Le signe est une chose qui dépasse ce qu’elle représente pour les sens, et qui fait venir à la connaissance quelque chose d’autre qu’elle-même. Or, parmi les signes, certains sont naturels…, d’autres sont convenus.» Ici, on recherche les différences : premièrement, une différence commune à tous les sacrements, qui consiste en ce qu’il représente ; deuxièmement, une autre qui est propre aux sacrements de la loi nouvelle, où se trouve le caractère parfait de sacrements, à savoir, qu’il est cause, en cet endroit : «En effet, on appelle sacrement au sens propre ce qui est signe de la grâce de Dieu et forme de la grâce invisible, de telle manière qu’il en soit l’image et la cause.» «Or, le sacrement consiste en deux choses.» Ici, il divise le sacrement en deux parties : premièrement, dans ses parties intégrales ; deuxièmement, dans ses parties subjectives, en cet endroit : «Il reste maintenant à voir la différence entre les sacrements anciens et les nouveaux.» À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre la différence entre les sacrements de la loi ancienne et de la loi nouvelle ; deuxièmement, il traite d’un sacrememnt de la loi ancienne, qui a beaucoup en commun avec les sacrements de la loi nouvelle, en cet endroit : «Or, il y a eu, entre ces sacrements, un sacrement, à savoir, la circoncision, qui conférait le même remède contre le péché qu’assure maintenant le baptême.» La première de ces parties, avec les précédentes, est l’objet de la présente leçon.

LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL

Distinctio 1

Distinction 1 – [Les sacrements en général]

Quaestio 1

Question 1 – [Le sacrement, sa nécessité et son efficacité]

 

Prooemium

Prologue

 [13256] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 pr. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit sacramentum; 2 de necessitate sacramentorum; 3 ex quibus consistat sacramentum; 4 de efficacia sacramentorum novae legis; 5 de efficacia sacramentorum veteris legis.

Ici sont posées cinq questions : 1 – qu’est-ce qu’un sacrement ? 2 – La nécessité des sacrements. 3 – En quoi consiste le sacrement ? 4 – L’efficacité des sacrements de la loi nouvelle. 5 – L’efficacité des sacrements de la loi ancienne.

 

 

Articulus 1 [13257] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio sacramenti a Magistro convenienter assignetur

Article 1 – Est-ce que la définition du sacrement donnée par le Maître est formulée de manière appropriée ?

 

Sous-question 1 – [Première définition du sacrement par Pierre Lombard]

[13258] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter definiatur sacramentum per hoc quod dicitur: sacramentum est sacrae rei signum. Sacramenta enim sunt alligamenta sanitatis, ut dicitur in Glossa super illud Psalm. 146, 3: qui sanat contritos corde. Sed de ratione medicamenti non est ut aliquid significet, sed solum ut efficiat sanitatem. Ergo sacramentum non est signum.

1. Il semble que le sacrement soit défini de manière inappropriée lorsqu’on dit : «Le sacrement est le signe d’une chose sainte.» En effet, «les sacrements sont des pansements en vue de la santé», comme il est dit dans la Glose sur Ps 146, 3 : Lui qui guérit les cœurs meurtris. Or, il ne fait pas

partie de la nature d’un remède qu’il signifie quelque chose, mais seulement qu’il apporte la santé. Le sacrement n’est donc pas un signe.

[13259] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnes creaturae sensibiles sunt signa invisibilium divinorum, ut patet Rom. 1, nec tamen dici possunt sacramenta. Ergo male definitur sacramentum sacrae rei signum.

2. Toutes les créatures sensibles sont des signes des réalités divines invisibles, comme cela ressort clairement de Rm 1, mais elles ne peuvent cependant pas être appelées des sacrements. On définit donc mal le sacrement lorsqu’on dit : «Le signe d’une chose sainte.»

[13260] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, serpens aeneus, de quo dicitur Num. 21, signum fuit sacrae rei, scilicet crucis Christi: nec tamen fuit sacramentum. Ergo definitio praedicta est male data.

3. Le serpent d’airain, dont il est question dans Nb 21, était le signe d’une chose sainte, à savoir, la croix du Christ. Il n’était cependant pas un sacrement. La définition proposée est donc mal formulée.

[13261] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, triplex est signum; scilicet demonstrativum, quod est de praesenti; rememorativum, quod est de praeterito; prognosticum, quod est de futuro. Sed nullum istorum competit sacramento, cum quandoque recipiens sacramentum, gratiam non habeat, nec habuit, nec in posterum habiturus sit. Ergo non omne sacramentum est signum.

4. Il existe un triple signe : démonstratif, qui porte sur ce qui est présent ; commémoratif, qui porte sur le passé ; annonciateur, qui porte sur le futur. Or, aucun de ceux-ci ne convient au sacrement, puisque, parfois, celui qui reçoit le sacrement n’a pas la grâce, ne l’a pas eue et ne l’aura pas par la suite. Tout sacrement n’est donc pas un signe.

[13262] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, signum contra causam dividitur. Sed aliquod sacramentum est causa. Ergo non omne sacramentum est signum.

5. Le signe s’oppose à la cause. Or, un sacrement est cause. Ce n'est donc pas tout sacrement qui est un signe.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Définition du signe]

[13263] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod male definiatur signum, cum dicitur: signum est res praeter speciem quam ingerit sensibus, aliquid aliud ex se faciens in cognitionem venire. Unum enim oppositorum non debet poni in definitione alterius. Sed res et signa ex opposito dividuntur, ut patuit in 1 dist. primi libri. Ergo res non debet poni in definitione signi.

 

1. Il semble que le signe soit mal défini lorsqu’on dit : «Le signe est une chose qui dépasse ce qu’elle représente pour les sens, et qui fait venir à la connaissance quelque chose d’autre qu’elle-même.» En effet, un des opposés ne doit pas être mis dans la définition de l’autre. Or, les choses et les signes se distinguent comme des opposés, comme cela ressortait clairement dans la d. 1 du premier livre. «Chose» ne doit donc pas être mis dans la définition du signe.

[13264] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in libro priorum, omnis effectus suae causae signum esse potest. Sed quidam effectus sunt spirituales, qui nullam speciem ingerunt sensibus. Ergo non omne signum aliquam speciem sensibus ingerit.

2. Selon le Philosophe, dans le livre des Premiers [analytiques], tout effet peut être le signe de sa cause. Or, certains effets sont spirituels, qui ne fournissent aucune représentation aux sens. Tout signe ne fournit donc pas de représentation aux sens.

[13265] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omnis locutio fit per aliqua signa. Sed Angeli loquuntur non prolato aliquo sensibili sermone, ut in 2 Lib., dist. 2, dictum est. Ergo non omne signum est sensibile.

3. Tout expression verbale se fait par des signes. Or, les anges parlent sans exprimer de discours sensible, comme on l’a dit dans le Livre II, d. 2. Tout signe n’est donc pas sensible.

 

Sous-question 3 – [Seconde définition du sacrement par Pierre Lombard]

[13266] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec definitio male detur: sacramentum est invisibilis gratiae visibilis forma, ut imaginem gerat, et causa existat. Sicut enim in littera dicitur, in duobus sacramenta consistunt, scilicet in rebus et verbis. Sed sicut res sunt visibiles, ita verba sunt audibilia. Ergo debuit dicere: visibilis et audibilis forma.

 

1. Il semble que cette définition soit mal formulée : «Le sacrement est la forme visible de la grâce invisible, de telle manière qu’il en soit l’image et la cause.» En effet, comme on le dit dans le texte, les sacrements consistent dans deux choses : dans des réalités et dans des paroles. Or, de même que les réalités sont visibles, de même les paroles sont-elles audibles. On devait donc dire : «La forme visible et audible.»

 [13267] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis forma est intrinseca vel exemplaris. Sed sacramenta non sunt formae intrinsecae invisibilis gratiae, ut per se patet: nec iterum formae exemplares, cum gratia invisibilis non imitetur rem visibilem, sed e converso. Ergo sacramentum nullo modo est forma invisibilis gratiae.

2. Toute forme est intrinsèque ou exemplaire. Or, les sacrements ne sont pas des formes intrinsèques de la grâce invisible, comme cela est évident de soi ; ils ne sont pas non plus des formes exemplaires, puisque la grâce invisible n’imite pas une chose visible, mais que c’est plutôt l’inverse. Le sacrement n’est donc d’aucune façon la forme de la grâce invisible.

[13268] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, character baptismalis est sacramentum et res, ut infra, dist. 4, quaest. 1, dicetur, et similiter corpus Christi verum existens in altari. Sed neutrum istorum est forma visibilis. Ergo definitio non est bene data.

3. Le caractère baptismal est sacrement et réalité, comme on le dira plus loin, d. 4 ; de même en est-il du corps véritable du Christ qui se trouve sur l’autel. Or, aucun des deux n’est une forme visible. La définition n’est donc pas bien formulée.

[13269] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, imago est quod ad imitationem alterius fit; forma autem exemplaris est ad cujus imitationem aliquid fit. Ergo non est idem forma et imago respectu ejusdem. Sed sacramentum est forma invisibilis gratiae. Ergo non est imago respectu ejusdem.

 

4. L’image est ce qui est fait à l’imitation d’autre chose ; mais la forme exemplaire est ce à l’imitation de quoi quelque chose est fait. Forme et image ne sont donc pas la même chose par rapport à la même chose. Or, le sacrement est forme de la grâce invisible. Il n’est donc pas une image par rapport à cette même [chose].

 

[13270] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in definitione generis non debet poni differentia constitutiva alicujus specierum in quas dividitur genus. Sed esse causam ejus quod figurat, est differentia sacramentorum novae legis. Ergo non debet poni in definitione communi sacramenti.

5. Dans la définition du genre, on ne doit pas mettre la différence constitutive d’une des espèces en lesquelles se divise le genre. Or, être la cause de ce qu’il représente est la différence des sacrements de la loi nouvelle. Il ne faut donc pas le mettre dans la définition commune des sacrements.

 

Sous-question 4 – [Définition augustinienne du sacrement]

[13271] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod definitio quam ponit Augustinus, sit incompetens; scilicet: sacramentum est in quo sub tegumento rerum visibilium divina virtus secretius operatur salutem. Occultatio enim manifestationi opponitur. Sed signum instituitur ad manifestandum. Cum ergo tegumentum occultationem importet, videtur quod male ponatur in definitione sacramenti.

 

 

 

1. Il semble que la définition que propose Augustin soit déplacée : «Le sacrement consiste en ce que, sous le voile de choses visibles, la puissance divine réalise le salut de manière plus secrète.» En effet, la dissimulation s’oppose à la manifestation. Or, le signe est établi afin de manifester. Puisque le voile comporte une dissimulation, il semble donc qu’il est mis de manière inexacte dans la définition du sacrement.

[13272] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, frequenter accipientes sacramenta, salutem non consequuntur. Ergo operatio salutis non debet poni in definitione sacramenti.

2. Fréquemment, ceux qui reçoivent les sacrements n’obtiennent pas le salut. La réalisation du salut ne doit donc pas être mise dans la définition du sacrement.

 

[13273] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, in sanctis hominibus divina virtus operatur ad salutem ipsorum, ut dicitur Isai. 26, 12: omnia opera nostra operatus es in nobis, nec tamen sancti homines dicuntur sacramenta. Ergo idem quod prius.

3. Chez les saints, la puissance divine agit en vue de leur salut, comme il est dit en Is 26, 12 : Tu as accompli en nous tout ce que nous avons fait. Cependant, les saints ne sont pas appelés des sacrements. Donc, la même chose que précédemment.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Le sacrement selon Hugues de Saint-Victor]

[13274] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod definitio Hugonis a sancto Victore, sit incompetens, quae talis est: sacramentum est corporale vel materiale elementum, extrinsecus oculis suppositum, ex institutione signans, ex similitudine repraesentans, et ex sanctificatione invisibilem gratiam continens. Materia enim non praedicatur de toto. Sed materiale elementum est materia sacramenti. Ergo male ponitur in definitione sacramenti ut genus.

1. Il semble que la définition d’Hugues de Saint-Victor ne soit pas appropriée. La voici : «Le sacrement est un élément corporel ou matériel, placé à l’extérieur sous les yeux, ayant une signification selon son institution, représentant selon une ressemblance, et contenant par une sanctification la grâce invisible.» En effet, la matière n’est pas attribuée au tout. Or, l’élément matériel est la matière du sacrement. Il est donc mis à tort comme genre dans la définition du sacrement.

[13275] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, in quibusdam sacramentis non est elementum, sed elementatum, sicut in extrema unctione est oleum. Ergo definitio non est communis omnibus sacramentis.

2. Dans certains sacrements, il n’y a pas d’élément, mais quelque chose issu d’un élément, comme l’huile dans l’extrême-onction. La définition n’est donc pas

commune à tous les sacrements.

[13276] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, similitudo est rerum differentium eadem qualitas. Sed non potest esse eadem qualitas rerum spiritualium ad corporalia. Ergo nec similitudo; ergo male dicitur: ex similitudine repraesentans.

3. La similitude est une qualité identique pour des choses différentes. Or, il ne peut y avoir de qualité identique entre les choses spirituelles et corporelles. Il ne peut donc y avoir de similitude. On dit donc incorrectement : «Représentant selon une ressemblance.»

[13277] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 4 Praeterea, si est aliqua similitudo, illa est ex naturali proprietate materialis elementi. Si ergo ex similitudine repraesentat, et idem est repraesentare quod significare, ut potest patere per definitionem signi in littera positam; ergo sacramentum non significat ex institutione.

4. S’il existe une certaine similitude, elle vient de la propriété naturelle de l’élément matériel. Si donc [le sacrement] représente selon une ressemblance, représenter est la même chose que signifier, comme on peut le voir clairement par la définition du signe donnée dans le texte. Le sacrement ne signifie donc pas selon son institution.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13278] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacramentum secundum proprietatem vocabuli videtur importare sanctitatem active, ut dicatur sacramentum quo aliquid sacratur, sicut ornamentum quo aliquid ornatur. Sed quia actiones activorum dicuntur esse proportionatae conditionibus passivorum, ideo in sanctificatione qua homo sanctificatur, debet esse talis sanctificandi modus qui homini competat secundum quod rationalis est, quia ex hoc est homo. Inquantum autem est rationalis, habet cognitionem a sensibilibus ortam; unde oportet quod sanctificetur hoc modo quod sua sanctificatio sibi innotescat per similitudines sensibilium rerum; et secundum hoc invenitur diversa acceptio sacramenti. Aliquando enim sacramentum importat rem qua fit consecratio; et sic passio Christi dicitur sacramentum; et haec est prima acceptio quam Magister ponit. Aliquando vero includit modum consecrationis, qui homini competit secundum quod causae sanctificantes et sua sanctificatio per similitudines sensibilium sibi notificantur; et sic sacramenta novae legis sacramenta dicuntur: quia et consecrant, et sanctitatem significant modo praedicto, et etiam primas sanctificationis causas significant; sicut Baptismus et puritatem designat, et mortis Christi signum est. Aliquando etiam includit tantum significationem praedictarum consecrationum, sicut signum sanitatis dicitur sanum; et hoc modo sacramenta veteris legis, sacramenta dicuntur, inquantum significant ea quae in Christo sunt gesta, et etiam sacramenta novae legis. Relicto ergo primo modo dicendi sacramentum (quia de hujusmodi sacramentis dictum est in 3 libro), de sacramentis secundo et tertio modo dictis non poterit alia communis definitio assignari nisi dicatur: sacramentum est sacrae rei signum; nisi quod oportet ut subintelligatur talis modus significandi, qui est per similitudinem rei sensibilis quod Magister addit quod est id ut scilicet ejus similitudinem gerat.

Le sacrement, au sens propre du mot, semble comporter une sainteté au sens actif, de sorte qu’on puisse dire que le sacrement sanctifie quelque chose, comme un ornement orne quelque chose. Or, parce qu’on dit que les actions de ce qui est actif sont proportionnées aux conditions de ce qui est passif, dans la sanctification par laquelle l’homme est sanctifiée, doit exister une manière de signifier telle qu’elle convienne à l’homme selon qu’il est raisonnable, car c’est par là qu’il est homme. En tant qu’il est raisonnable, il reçoit ainsi la connaissance à partir des choses sensibles. Aussi doit-il être sanctifié de telle manière que sa sanctification lui soit connue par des similitudes des choses sensibles. À partir de là, on trouve diverses conceptions du sacrement. En effet, le sacrement comporte parfois la chose par laquelle la consécration est faite. En ce sens, la passion du Christ est appelée un sacrement. Tel est le premier sens que propose le Maître. Mais parfois, [le sacrement] inclut le mode de la consécration, qui convient à l’homme selon que les causes sanctifiantes et sa sanctification sont portées à sa connaissance par des similitudes des choses sensibles. Ainsi les sacrements de la loi nouvelle sont-ils appelés des sacrements, car ils consacrent et signifient la sainteté de la manière dite, et signifient même les causes de la sanctification, comme le baptême indique la pureté et est le signe de la mort du Christ. Parfois aussi, [le sacrement] inclut seulement la signification des consécrations mentionnées, comme un signe de la santé est dit sain. De cette manière, les sacrements de la loi ancienne sont appelés sacrements, pour autant qu’ils signifient ce qui s’est accompli dans le Christ, et aussi les sacrements de la loi nouvelle. En laissant donc de côté la première manière de parler du sacrement (car on a parlé de ces sacrements dans le livre III), on ne pourra donner une définition commune des sacrements évoqués de la deuxième et de la troisième manière qu’en disant : «Le sacrement est le signe d’une chose sainte», à moins de sous-entendre nécessairement la manière de signifier par la similitude d’une chose sensible, ce que le Maître ajoute en disant qu’il est cela, à savoir qu’il en est la similitude.

[13279] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis significatio non sit de ratione curationis simpliciter, est tamen de ratione curationis talis quae fit per sacramenta, ut ex dictis patet.

1. Bien que la signification ne fasse pas simplement partie de la notion de traitement, elle fait cependant partie de la notion du traitement réalisé par les sacrements, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

[13280] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res sensibiles non sunt signa divinorum ut sunt sacrantia, sed ut sunt in seipsis sacra. Sacramentum autem debet intelligi signum rei sacrae ut est sacrans; et ideo non oportet quod omnes res sensibiles sint sacramenta.

2. Les choses sensibles ne sont pas des signes des réalités divines en tant qu’elles sanctifient, mais en tant qu’elles sont saintes en elles-mêmes. Or, il faut concevoir le sacrement comme le signe d’une chose sainte en tant qu’elle sanctifie. Aussi n’est-il pas nécessaire que toutes les choses sensibles soient des sacrements.

[13281] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis serpens aeneus esset signum rei sacrae sacrantis, non tamen inquantum sacrans est actu: quia non ad hoc adhibebatur ut aliquis sanctificationis effectus perciperetur; sed solum effectus exterioris curationis; et similis est ratio de imagine crucis, quae ponitur tantum ad repraesentandum.

3. Bien que le serpent d’airain ait été le signe d’une chose sainte sanctifiante, il ne l’était cependant pas en tant qu’il sanctifiait en acte, car il n’était pas exposé afin qu’un effet de sanctification soit reçu, mais seulement comme effet d’un traitement extérieur. Et il en va de même de l’image de la croix, qui est exposée seulement pour représenter.

 

[13282] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sacramenta novae legis tria significant; scilicet causam primam sanctificantem, sicut Baptismus mortem Christi; et quantum ad hoc sunt signa rememorativa. Item significant effectum sanctificationis quam faciunt; et haec significatio est eis principalis; et sic sunt signa demonstrativa. Nec obstat, si aliquis sanctitatem non recipit: quia non est ex defectu sacramenti, quod, quantum in se est, natum est gratiam conferre. Item significant finem sanctificationis, scilicet aeternam gloriam; et quantum ad hoc sunt signa prognostica. Sacramenta vero veteris legis erant totaliter signa prognostica.

4. Les sacrements de la loi nouvelle signifient trois choses. La cause première sanctifiante, comme le baptême [signifie] la mort du Christ. De ce point de vue, ils sont des signes commémoratifs. Ils signifient aussi l’effet de la sanctification qu’ils produisent. Et cette signification est pour eux la principale. Ils sont ainsi des signes démonstratifs. Ne s’oppose pas à cela le fait que quelqu’un ne reçoit pas la sainteté, car cela ne vient pas d’une déficience du sacrement qui, en lui-même, est destiné à donner la grâce. Ils signifient aussi la fin de la sanctification : la gloire éternelle. De ce point de vue, ils des signes annonciateurs. Mais les sacrements de la loi ancienne étaient des signes entièrement annonciateurs.

[13283] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod signum, quantum est in se, importat aliquid manifestum quo ad nos, quo manuducimur in cognitionem alicujus occulti. Et quia ut frequentius effectus sunt nobis manifestiores causis; ideo signum quandoque contra causam dividitur, sicut demonstratio quia est quae dicitur esse per signum a communi, ut in 1 Physicor. dicitur; demonstratio autem propter quid est per causam. Quandoque autem causa est manifesta quo ad nos, utpote cadens sub sensu; effectus autem occultus, ut si expectatur in futurum; et tunc nihil prohibet causam signum sui effectus dici.

5. En lui-même, le signe comporte quelque chose de manifeste pour nous, par quoi nous amenés à connaître quelque chose de caché. Et parce que les effets nous sont plus souvent connus que les causes, le signe est parfois opposé à la cause, comme la démonstration quia est celle qui dit que quelque chose existe en raison d’un signe tiré de ce qui est commun, comme il est dit dans le livre I des Physiques. Mais la démonstration propter quid se fait par la cause. Parfois, cependant, la cause est manifeste pour nous parce qu’elle tombe sous le sens, mais l’effet est caché, comme lorsqu’on espère dans l’avenir. Et alors, rien n’empêche de dire qu’une cause est le signe de son effet.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13284] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, signum importat aliquod notum quo ad nos, quo manuducimur in alterius cognitionem. Res autem primo notae nobis, sunt res cadentes sub sensu, a quo omnis nostra cognitio ortum habet; et ideo signum quantum ad primam sui institutionem significat aliquam rem sensibilem, prout per eam manuducimur in cognitionem alicujus occulti; et sic Magister accipit hic signum. Contingit autem aliquando quod aliquod magis notum quo ad nos, etiam si non sit res cadens sub sensu, quasi secundaria significatione dicatur signum; sicut dicit philosophus in 2 Ethic., quod signum generati habitus in nobis oportet accipere fientem in opere delectationem, quae non est delectatio sensibilis, cum sit rationis.

Comme on l’a dit, le signe comporte quelque chose qui nous est connu, par quoi nous sommes amenés à la connaissance d’autre chose. Or, les choses qui nous sont d’abord connues sont celles qui tombent sous le sens, dont provient toute notre connaissance. C’est pourquoi le signe, pour ce qui est de sa première mise en œuvre, signifie une chose sensible, en tant que nous sommes amenés par elle à la connaissance de quelque chose de caché. C’est ainsi que le Maître entend ici le signe. Mais il arrive parfois que quelque chose, qui nous est plus connu même si ce n’est pas quelque chose qui tombe sous le sens, soit appelé signe dans un sens secondaire. Ainsi, le Philosophe dit dans le livre II de l’Éthique, qu’il faut voir le signe d’un habitus engendré en nous dans le fait de trouver plaisir à accomplir une action, plaisir qui n’est pas une délectation sensible, puisqu’il relève de la raison.

 

[13285] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod definitio illa non est per oppositas res, sed per oppositas rationes; unde etiam ibidem dictum est, quod omne signum est res.

1. Cette définition ne vient pas de choses opposées, mais de notions opposées. Aussi est-il dit au même endroit que tout signe est une chose.

[13286] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus intelligibilibus fit processus ab his quae sunt notiora simpliciter, sicut patet in mathematicis; unde ibi effectus non sunt signa causarum; sed in rebus sensibilibus.

2. Pour les choses intelligibles, on progresse à partir de ce qui est simplement plus connu, comme cela est clair pour les mathématiques. Aussi les effets n’y sont-ils pas des signes des causes. Mais c’est le cas pour les choses sensibles.

[13287] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum similiter de locutione Angelorum, quod fit per ea quae sunt notiora simpliciter: unde non possunt proprie dici signa, sed quasi transumptive.

3. Il faut dire la même chose pour la manière dont les anges s’expriment, qui se réalise à partir de ce qui simplement plus connu. Aussi cela ne peut-il pas être appelé signe au sens propre, mais par mode de transposition.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13288] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illa definitio Magistri completissime rationem sacramenti designat, prout nunc de sacramentis loquimur. Ponitur enim efficientia sanctitatis in hoc quod dicitur: ut causa existat; et modus competens homini quantum ad cognitionem, in hoc quod dicitur: invisibilis gratiae visibilis forma; et modus significationis homini connaturalis, scilicet ex similitudine sensibilium, in hoc quod dicitur: ut imaginem gerat.

Cette définition du Maître indique de la manière la plus complète la notion de sacrement, tel que nous parlons maintenant des sacrements. En effet, la réalisation de la sainteté est indiquée lorsqu’on dit : «De telle sorte qu’elle [en] soit la cause» ; le mode qui convient à l’homme pour ce qui est de la connaissance, lorsqu’on dit : «La forme de la grâce invisible» ; et le mode de signification connaturel à l’homme, à savoir, à partir de la similitude de choses sensibles, lorsqu’on dit : «De telle sorte qu’il [en] soit l’image.»

[13289] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia visus est nobilior inter alios sensus, et plures differentias rerum ostendit, ut dicitur in 1 Metaph.; ideo, ut Augustinus dicit, nomen visus ad omnes alios sensus extenditur; et ideo visibilis ponitur hic pro sensibili communiter.

1. La vue est le plus noble des sens et montre plusieurs différences entre les choses, comme il est dit dans le livre I des Métaphysiques. C’est pourquoi, comme le dit Augustin, le mot «vue» est étendu à tous les autres sens, et c’est pourquoi «visible» est employé ici pour «sensible» d’une manière générale.

[13290] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma sumitur hic communiter pro figura, secundum quod est in quarta specie qualitatis, et non pro forma exemplari: quia per mutationem figurae imaginibus aliquid repraesentamus. Vel si sumatur pro forma exemplari, hoc est inquantum sacramenta sunt quodammodo causae invisibilis gratiae; et ita in via generationis praecedunt, quamvis quantum ad institutionem imitentur.

2. «Forme» est pris ici d’une manière générale pour «figure», selon qu’elle se situe dans la quatrième espèce de qualité, et non pour «forme exemplaire», car nous représentons quelque chose par des images en changeant la figure. Ou bien, si on l’entend au sens de «forme exemplaire», cela vient de ce que les sacrements sont d’une certaine manière causes de la grâce invisible. Et ainsi, ils précèdent par voie de génération, bien qu’ils imitent pour ce qui est de leur institution.

[13291] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod character baptismalis et corpus Christi verum non dicuntur sacramenta nisi secundum quod conjunguntur signis sensibilibus.

3. Le caractère baptismal et le corps véritable du Christ ne sont appelés sacrements que dans la mesure où ils sont unis à des signes sensibles.

[13292] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, sicut ad secundum, quod forma quae est figura, non habet oppositionem ad imaginem, cum figura imago dicatur.

4. Comme pour la deuxième réponse, la forme qui est une figure ne s’oppose pas à l’image, puisque la figure est appelée image.

 

[13293] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sacramentum non dividitur per sacramenta veteris et novae legis sicut genus per species, sed sicut analogum in suas partes, ut sanum in habens sanitatem, et significans eam. Sacramentum autem simpliciter est quod causat sanctitatem. Quod autem significat tantum, non est sacramentum nisi secundum quid. Et ideo esse causam potest poni in definitione sacramenti, sicut habens sanitatem in definitione sani.

5. Le sacrement ne se divise pas en sacrements de l’ancienne loi et [sacrements] de la loi nouvelle comme un genre en espèces, mais comme ce qui est analogue en ses parties, comme ce qui est en santé [se divise] en ce qui possède la santé et ce qui la signifie. Or, le sacrement est simplement ce qui cause la sainteté. Du fait qu’il signifie seulement, il n’est un sacrement que de manière relative. C’est pourquoi «être la cause» peut être mis dans la définition du sacrement, comme «le fait de posséder la santé» dans la définition d’«être en santé».

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13294] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod definitio illa Augustini, si tamen in verbis illis sacramentum definire intendit, datur de sacramento quantum ad id quod est principale in ratione ipsius, scilicet causare sanctitatem. Et quia sacramenta non sunt primae causae sanctitatis, sed quasi causae secundariae et instrumentales; ideo definiuntur sacramenta, sanctificationis instrumenta. Actio autem non attribuitur instrumento, sed principali agenti, cujus virtute instrumenta ad opus applicantur, prout sunt mota ab ipso; et ideo sacramenta non dicit esse sanctificantia, sed quod in eis divina virtus occulta existens sanctificat.

 

Cette définition du sacrement par Augustin, à supposer qu’il ait l’intention de définir le sacrement par ces mots, est donnée du point de vue de ce qui est principal dans la définition de celui-ci, à savoir, causer la sainteté. Et parce que les sacrements ne sont pas les causes premières de la sainteté, mais comme des causes secondaires et instrumentales, les sacrements sont définis comme des instruments de sanctification. Or, l’action n’est pas attribuée à l’instrument, mais à l’agent principal, par la puissance duquel les instruments sont appliqués à une action, en tant qu’ils sont mus par lui. C’est pourquoi il ne dit pas que les sacrements sont des choses qui sanctifient, mais que par eux la puissance divine cachée sanctifie.

[13295] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramentum est causa et signum. Est quidem causa instrumentalis; et ideo virtus agentis principalis occulte in ipso operatur, sicut virtus artis vel artificis in serra. Sed inquantum est signum, est ad manifestandum hujusmodi occultationem; ut sic ante significationem sit occultum; sed postquam significatio facta est actu, sit manifestum.

1. Le sacrement est cause et signe. Il est en réalité une cause instrumentale. C’est pourquoi la puissance de l’agent principal agit en lui de manière cachée, comme la puissance de l’art ou de l’artisan dans la scie. Mais en tant que signe, il existe pour manifester ce qui est ainsi caché, de sorte qu’il est caché avant la signification, mais que, après que la signification a été réalisée en acte, il est manifeste.

[13296] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc contingit per accidens ex defectu recipientium. Definitiones autem respiciunt hoc quod per se est, sicut quod ignis calefacit, quantum in se est, quamvis ex parte passivi impediri posset.

2. Cela se produit par accident, en raison d’un manquement de ceux qui le reçoivent. Or, les définitions portent sur ce qui existe par soi. Ainsi, le feu réchauffe par lui-même, bien qu’il puisse être empêché de la part de ce qui reçoit [son action].

[13297] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in sacramentis Deus operatur salutem sicut in instrumentis, quibus mediantibus salus causatur; sed in hominibus sicut in subjectis recipientibus salutem; et ideo ratio non sequitur.

3. Dans les sacrements, Dieu réalise le salut comme par des instruments par l’intermédiaire desquels le salut est causé, mais [il le réalise] dans les hommes comme dans les sujets qui reçoivent le salut. Ainsi, l’argument n’est pas valable.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [13298] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod definitio Hugonis de sancto Victore eadem est cum definitione quam Magister in littera ponit, hoc excepto quod addit causam significationis, quae est institutio, et causam efficientiae, quae est sanctificatio: idem enim est dictum materiale elementum exterius oculis suppositum, et ex institutione significans, quod invisibilis gratiae visibilis forma; et ex similitudine repraesentans, idem est ei quod dicitur, ut imaginem gerat; et ex sanctificatione invisibilem gratiam continens, idem est ei quod dicitur: ut causa existat.

La définition de Hugues de Saint-Victor est la même que la définition que le Maître présente dans le texte, sauf qu’il ajoute la cause de la signification, qui est l’institution, et la cause de l’efficacité, qui est la sanctification. En effet, c’est la même chose de dire : «Un élément matériel extérieurement placé sous les yeux et signifiant par une institution», et : «La forme visible de la grâce invisible». «Représentant sous forme de similitude» est la même chose que ce qui est dit : «De telle sorte qu’il soit l’image». «Contenant en vertu de la sanctification la grâce invisible» est la même chose que ce qui est dit : «De telle sorte qu’il soit cause.»

[13299] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut formae artificiales sunt accidentales, tamen in artificialibus tota substantia est materia, et propter hoc praedicatur, ut dicatur, phiala est aurum; ita etiam cum in sacramentis forma non det esse substantiale, sed accidentale in genere causae et signi, non est inconveniens ut materia sacramenti de ipso praedicetur, et in ejus definitione sicut genus ponatur; hoc enim etiam in aliis accidentibus contingit, ut dicitur in 7 Metaph., ut cum dicitur: simum est nasus curvus.

1. De même que les formes artificielles sont accidentelles, toutefois, dans les choses artificielles, toute la substance est la matière. Pour cette raison, on fait cette attribution : «La coupe est de l’or.» Aussi, puisque, dans les sacrements, la forme ne donne pas l’être substantiel, mais l’être accidentel dans le genre de la cause et du signe, il n’est pas inapproprié que la matière du sacrement lui soit attribuée et qu’elle soit mise comme genre dans sa définition. En effet, cela arrive aussi pour d’autres accidents, comme on le dit dans Métaphysique, VII : «Ce qui est camus est le nez courbé.»

[13300] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod elementum accipitur communiter pro quolibet corporali visibili, sive sit elementum simplex, sive elementatum; et utimur tali modo loquendi propter verbum Augustini, qui dicit: accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum. In Baptismo enim, qui est sacramentorum janua, materia est elementum simplex.

2. «Élément» est pris d’une manière générale pour tout ce qui est visible corporellement, qu’il s’agisse d’un élément simple ou de ce qui a la condition d’élément. Et nous employons une telle manière de parler en raison de la parole d’Augustin, qui dit : «La parole est jointe à l’élément, et le sacrement se réalise.» En effet, dans le baptême, qui est la porte des sacrements, la matière est un élément simple.

[13301] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inter corporalia et spiritualia non attenditur similitudo per participationem ejusdem qualitatis, sed per proportionalitatem, quae est similitudo proportionatorum; ut sicut se habet aqua ad delendas maculas corporales, ita gratia ad abluendum spirituales; et secundum hunc modum similitudinis transferuntur etiam corporalia ad spiritualia.

3. Entre les choses corporelles et spirituelles, on ne relève pas de similitude en vertu d’une participation à une même qualité, mais en vertu d’une proportionalité, qui est une similitude entre les choses qui sont l’objet d’une proportion. Ainsi, tel est le rapport de l’eau pour enlever les souillures corporelles, telle est la grâce pour laver les [souillures] spirituelles. Et selon ce mode de ressemblance, même les choses corporelles sont reportées sur les choses spirituelles.

[13302] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod res sensibilis secundum praedictam similitudinem ex naturali proprietate pluribus est conformis; et ideo quantum est de se aequaliter potest quodlibet illorum significare. Ad hoc ergo quod ad unum determinetur, et sic sua significatio sit certa, oportet quod accedat institutio, quae ad unum determinet; quia etsi repraesentatio quae est ex similitudine naturalis proprietatis, importet aptitudinem quamdam ad significandum, attamen determinatio et complementum significationis ex institutione est.

4. Conformément à la ressemblance relevée, une chose sensible ressemble à plusieurs choses selon ce qui lui est propre naturellement. C’est pourquoi, pour autant qu’il relève d’elle, elle peut signifier également n’importe quelle de ces choses. Afin qu’elle soit déterminée à une seule et qu’ainsi sa signification soit assurée, il est nécessaire que soit jointe l’institution, qui détermine à une seule chose, car, même si la représentation qui vient de la similitude avec une propriété naturelle comporte une certaine aptitude à signifier, la détermination et l’achèvement de la signification viennent cependant de l’institution.

Articulus 2 [13303] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum sacramenta fuerint necessaria post hominis lapsum

Article 2 – Est que les sacrements étaient nécessaires après la chute de l’homme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La nécessité des sacrements après la chute]

 [13304] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod sacramentis humanum genus etiam post lapsum non indigeat. Per gratiam enim et virtutes peccati vulnera sanantur in nobis: quia gratia a sanctis dicitur sanitas et decor animae. Philosophus etiam in 2 Ethic. comparat virtutem sanitati corporali. Cum ergo sacramenta sint instituta ut medicinae peccati, ut Hugo de sancto Victore dicit, videtur quod eis non indigeamus.

1. Il semble que le genre humain n’avait pas besoin de sacrements, même après la chute. En effet, les blessures du péché sont guéries en nous par la grâce et les vertus, car la grâce est appelée par les saints la santé et la beauté de l’âme. Le Philosophe aussi, dans Éthique, II, compare la vertu à la santé corporelle. Puisque les sacrements ont été institués comme des remèdes au péché, comme le dit Hugues de Saint-Victor, il semble que nous n’en ayons pas besoin.

[13305] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, contraria contrariis curantur. Sed homo morbum peccati incurrerat, se per affectum rebus temporalibus subjiciendo. Ergo videtur inconveniens modus curationis ut sub rebus sensibilibus humilietur, sicut Magister dicit.

2. Les contraires sont traités par les contraires. Or, l’homme avait encouru la maladie du péché en se soumettant à l’amour des choses temporelles. Le mode de la guérison par la soumission à des choses sensibles ne semble donc pas approprié, comme le dit le Maître.

[13306] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, id quod est causa occultationis et erroris, non prodest ad eruditionem. Sed tradere spiritualia sub signis corporalibus est occultatio quaedam spiritualium; unde et pluribus est causa erroris, sicut patet de illis qui Deum credebant per lineamenta corporalia distingui propter modum loquendi symbolicum in Scripturis. Ergo non facit ad eruditionem nostram sacramentorum exhibitio, ut Magister dicit.

3. Ce qui est cause de dissimulation et d’erreur n’est pas utile à l’enseignement. Or, communiquer les choses spirituelles sous des signes corporels est une certaine dissimulation des choses spirituelles. Aussi est-ce pour plusieurs une cause d’erreur, comme cela ressort clairement pour ceux croyaient que Dieu se distinguait par des contours corporels en raison de la manière symbolique dont l’Écriture parlait. La représentation des sacrements ne sert donc pas à notre enseignement, comme le dit le Maître.

[13307] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, 1 Tim. 6, 8: corporalis exercitatio ad modicum utilis est. Sed exercitatio quae fit in sacramentis, est corporalis: quia res quae in usum veniunt, corporales sunt. Ergo eis non indigemus propter exercitationem, ut iterum Magister dicit.

4. Il est dit, en 1 Tm 4, 8 : Les exercices corporels ne servent pas à grand-chose. Or, l’exercice qui est réalisé dans les sacrements est corporel, car les choses qui y sont utilisées sont corporelles. Nous n’avons donc pas besoin d’eux pour l’exercice, comme le dit encore le Maître.

[13308] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Augustinus dicit contra Faustum, quod omnis religio habuit aliqua signa exteriora, in quibus conveniebant ad Deum colendum. Sed in Ecclesia Dei, post peccatum in hoc mundo peregrinante, est verissima religio. Ergo oportet in ea esse hujusmodi signa: et haec sunt sacramenta; ergo indigemus eis.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit contre Fautus que toute religion a eu certains signes extérieurs, dans lesquels on se retrouvait pour rendre un culte à Dieu. Or, dans l’Église de Dieu, qui, après le péché, est en pèlerinage dans ce monde, se trouve la religion la plus vraie. Il est donc nécessaire qu’il y ait en elle des signes : ce sont les sacrements. Nous en avons donc besoin.

[13309] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, medicina vulneri debet esse proportionata. Sed vulnus peccati devenerat in humano genere usque ad corpus, in quo habitat lex peccati, ut dicitur Rom. 7. Ergo debuit medicina etiam per aliqua corporalia ei parari. Sed hujusmodi sunt sacramenta. Ergo sacramentis homo in statu naturae lapsae indiget.

S.c. 2 – De plus, le remède doit être proportionné à la blessure. Or, la blessure du péché avait atteint le genre humain jusque dans le corps, dans lequel habite la loi du péché, comme il est dit en Rm 7. Le remède devait donc aussi être proposé par des choses corporelles. Or, les sacrements sont de cet ordre. L’homme a donc besoin des sacrements dans l’état de chute de la nature.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La nécessité des sacrements avant la chute]

 [13310] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam ante peccatum homo eis indiguisset. Homo enim etiam ante peccatum gratia indigebat, ut in 2 Lib., dist. 24, art. 4 ad 2, dictum est. Sed sacramenta sunt instituta ad gratiae collationem. Ergo homo eis in statu innocentiae indiguisset.

1. Il semble que, même avant le péché, l’homme avait besoin [de sacrements]. En effet, même avant le péché, l’homme avait besoin de la grâce, comme on l’a dit au livre II, d. 24, a. 4, ad 2. Or, les sacrements ont été institutués pour conférer la grâce. L’homme aurait donc eu besoin d’eux dans l’état d’innocence.

[13311] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius assignat hanc causam institutionis hujusmodi sensibilium figurarum in sacramentis: quia per hujusmodi sensibiles figuras materiale nostrum melius reducitur ad spiritualia, propter connaturalitatem cognitionis nostrae ad sensibilia. Sed homo in statu innocentiae materialis erat, et ex sensibilibus cognitionem accipiens, propter quod etiam in Paradiso dicitur positus ad operandum, ut naturales vires rerum experiretur. Ergo et hunc indiguit hujusmodi sacramentis.

2. Denys donne cette cause de l’institution de ce genre de représentations sensibles dans les sacrements : par ces représentations sensibles, ce qu’il y a de matériel en nous est ramené aux choses spirituelles en raison de la connaturalité de notre connaissance par rapport aux choses sensibles. Or, dans l’état d’innocence, l’homme était matériel et il recevait la connaissance à partir des choses sensibles. Pour cette raison, on dit aussi qu’il a été placé dans le Paradis pour agir en faisant l’expérience de la puissance naturelle des choses. Il avait donc besoin là de sacrements de ce genre.

[13312] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, matrimonium sacramentum quoddam est. Hoc autem in Paradiso fuit institutum in statu innocentiae, ut patet Gen. 2. Ergo in statu innocentiae homo sacramentis indiguisset.

3. Le mariage est un sacrement. Or, celui-ci a été institué au Paradis dans l’état d’innocence, comme cela ressort clairement de Gn 2. Dans l’état d’innocence, l’homme a donc eu besoin de sacrements.

[13313] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Matth. 9, 12: non opus est sanis medico, nec etiam medicina. Sed Hugo de sancto Victore dicit, quod sacramenta sunt vasa medicinalia. Ergo non erant in statu innocentiae necessaria, cum morbus non erat.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit en Mt 9, 12 : Les gens en santé n’ont pas besoin de médecin, pas plus que de remède. Or, Hugues de Saint-Victor dit que les sacrements sont des récipients médicinaux. Ils n’étaient donc pas nécessaires dans l’état d’innocence, puisqu’il n’y avait pas de maladie.

[13314] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, sacramenta virtutem sortiuntur ex passione Christi: unde et de latere ipsius in cruce pendentis fluxisse dicuntur. Sed si homo non peccasset, Christi passio non fuisset. Ergo nec sacramenta.

S.c. 2 – Les sacrements tirent leur puissance de la passion du Christ. Aussi dit-on qu’ils ont coulé de son côté alors qu’il était suspendu à la croix. Or, si l’homme n’avait pas péché, il n’y aurait pas eu de passion, et donc, pas de sacrements.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La nécessité des sacrements sous la loi naturelle]

 [13315] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in statu legis naturae sacramenta non fuerunt necessaria. Non minus enim est necessaria eruditio quae fit per praecepta quam illa quae fit per sacramenta. Sed praecepta non fuerunt alia data ad bene vivendum, praeter ea quibus naturali ratione ad bene vivendum informabantur. Ergo videtur quod nec sacramenta debuerunt pro tempore illo institui, cum ea lex naturalis non dictet: quod patet ex hoc quod non sunt eadem apud omnes et secundum omne tempus.

1. Il semble que, dans l’état de la loi naturelle, les sacrements n’étaient pas nécessaires. En effet, l’enseignement qui vient des commandements n’est pas moins nécessaire que celui qui se réalise par les sacrements. Or, il n’y a pas eu d’autres commandements donnés pour vivre bien, à part ceux par lesquels [les hommes] étaient informés par la raison naturelle de la manière de vivre bien. Il semble donc que des sacrements ne devaient pas non plus être institués pour cette époque, puisque la loi naturelle ne les impose pas, ce qui ressort clairement du fait qu’ils ne sont pas les mêmes chez tous en tout temps.

[13316] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sacramenta, quando instituta sunt, necessaria sunt ad salutem, ut patet Joan. 3, 5: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei. Sed ea quae ante legem scriptam videntur esse sacramenta, erant voto celebrata, et non necessitate, ut Hugo de sancto Victore dicit. Ergo non erant sacramenta, et per consequens nec necessaria.

2. Une fois institués, les sacrements sont nécessaires au salut, comme cela ressort clairement de Jn 3, 5 : Si quelqu’un n’est pas né à nouveau de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Or, ce qui semble avoir été des sacrements avant la loi écrite était célébré en désir, et non comme une nécessité, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Il ne s’agissait donc pas de sacrements et, par conséquent, ceux-ci n’étaient pas nécessaires.

[13317] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, secundum Hugonem, quandocumque fuit morbus, fuit et medicina morbi. Sed in statu legis naturae erat morbus peccati. Ergo necessaria erat sacramentorum medicina.

S.c. 1 – En sens contraire, selon Hugues, partout où il y a eu maladie, il y a eu un remède pour la maladie. Or, dans l’état de la loi naturelle, existait la maladie du péché, Le remède des sacrements était donc nécessaire.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La nécessité des sacrements sous la loi mosaïque]

 [13318] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec debuerunt supra illa sacramenta legis naturae alia superaddi in lege Moysi. Quod enim superadditur alteri, debet esse magis ad perfectionem accedens. Sed sacramenta quae fuerunt in lege naturae, erant propinquissima perfectis sacramentis, quae sunt in lege nova, ut patet de oblatione Melchisedech. Ergo non debuit fieri superadditio per legem Moysi.

1. Il semble que, sous la loi de Moïse, d’autres sacrements ne devaient pas être ajoutés aux sacrements de la loi naturelle. En effet, ce qui ajouté à quelque chose d’autre doit s’approcher davantage de la perfection. Or, les sacrements sous la loi naturelle étaient les plus rapprochés des sacrements parfaits, qui existent sous la loi nouvelle, comme cela ressort clairement de l’offrande de Melchisédech. Il ne devait donc pas y avoir d’ajout par la loi de Moïse.

[13319] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, superadditio ad id quod bonum erat, vel mutatio ejus, non debet fieri nisi propter meliorationem. Sed sacramenta veteris legis non habebant alium effectum meliorem effectu sacramentorum legis naturae: quia utraque sacramenta significabant tantum. Ergo non debuit fieri aliqua mutatio ipsorum, vel superadditio ad ea.

2. Un ajout ou un changement à ce qui était bon ne doit être effectué qu’en vue d’une amélioration. Or, les sacrements de la loi ancienne n’avaient pas un autre effet meilleur que l’effet des sacrements de la loi naturelle, car les deux sacrements ne faisaient que signifier. Il ne fallait donc pas les changer ou y ajouter.

[13320] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 S.c. 1 Sed contra, sacramenta, ut Magister in littera dicit, ad eruditionem instituta sunt. Sed secundum Gregorium, per incrementum temporum crevit scientia sanctorum patrum, et fides etiam magis explicata est, ut in 3, dist. 25, quaest. 3, art. 2, quaestiunc. 1, dictum est. Ergo oportuit in lege Moysi alia sacramenta addi sacramentis legis naturae.

S.c. 1 – En sens contraire, les sacrements, comme le dit le Maître dans le texte, ont été institués en vue de notre enseignement. Or, selon Grégoire, avec le passage du temps, la connaissance des saints pères s’est accrue et la foi s’est aussi explicitée, comme on l’a dit au livre III, d. 25, q. 3, a. 2, qa 1. Il fallait donc que, sous la loi de Moïse, d’autres sacrements soient ajoutés aux sacrements de la loi naturelle.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La nécessité des sacrements sous la loi nouvelle]

[13321] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in lege nova non debuerunt aliqua sacramenta remanere. Veniente enim veritate cessat figura. Sed gratia et veritas jam per Christum Jesum facta est, Joan. 1. Non ergo indigemus sacramentis gratiam ipsius et veritatem signantibus.

1. Il semble que des sacrements n’auraient pas dû persister sous la loi nouvelle. En effet, la figure cesse lorsque paraît la vérité. Or, la grâce et la vérité ont été réalisées par le Christ Jésus, Jn 1. Nous n’avons donc pas besoin de sacrements pour signifier la grâce et la vérité.

[13322] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, apostolus Galat. 3, dicit, quod antiqui patres erant sub elementis mundi servientes, sicut pueri sub paedagogo usque ad praefinitum tempus a patre. Sed tempus plenitudinis est tempus incarnationis, ut ibidem dicitur. Ergo cum sacramentum sit materiale elementum, videtur quod ex tunc non debuerimus sub sacramentis salutem quaerere.

2. L’Apôtre dit, en Ga 3, que les pères anciens étaient dans l’état de serviteurs soumis aux éléments du monde, comme des enfants soumis à un pédagogue, jusqu’au moment décidé par le père. Or, le temps de l’incarnation est le temps de la plénitude, comme il est dit au même endroit. Puisque le sacrement est un élément matériel, il semble donc qu’à partir de ce moment-là, nous n’aurions pas dû chercher le salut dans des sacrements.

[13323] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 S.c. 1 Sed contra, quando est tempus medicandi, tunc magis necessariae sunt medicinae. Sed tempus aptissimum spirituali medicationi est tempus gratiae; unde in Psal. 101, tempus miserendi, annus benignitatis Dei dicitur. Ergo in statu gratiae maxime necessaria sunt sacramenta, quae sunt medicinae quaedam.

S.c. 1 – En sens contraire, lorsque vient le temps de soigner, c’est alors que les remèdes sont plus nécessaires. Or, le temps le plus propice aux soins spirituels est le temps de la grâce. Ainsi, selon Ps 10l, l’année où se manifeste la bonté de Dieu est un temps de miséricorde. Dans l’état de la grâce, les sacrements, qui sont des remèdes, étaient donc au plus haut point nécessaires.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13324] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod sacramenta non erant necessaria necessitate absoluta, sicut necessarium est Deum esse, cum ex sola divina bonitate instituta sint, sed de necessitate quae est ex suppositione finis; non ita tamen quod sine his Deus hominem sanare non posset, quia sacramentis virtutem suam non alligavit, ut in littera dicitur (sicut cibus necessarius est ad vitam humanam), sed quia per sacramenta magis congrue fit hominis reparatio; sicut equus dicitur necessarius ad iter, quia in equo facilius homo vadit. Hujusmodi autem congruitatis causa potest accipi ex hoc quod homo per peccatum praecipue circa sensibilia corruptus erat, eis detentus ne in Deum surgere posset. Erat autem praedicta corruptio quantum ad cognitionem: quia humana mens circa sensibilia tantum occupari noverat, intantum ut quidam nihil extra sensibilia crederent; et si qui ad cognitionem intelligibilium pervenirent, ea secundum modum rerum sensibilium judicabant. Similiter quantum ad affectionem: quia eis quasi summis bonis inhaerebant, Deo postposito. Similiter etiam quantum ad actionem: quia homo eis inordinate utebatur. Necessarium ergo fuit ad curationem peccatorum ut homo ex sensibilibus in spiritualia cognoscenda proficeret, et ut affectum quem circa ea habebat, in Deum referret, et ut eis ordinate et secundum divinam institutionem uteretur; et ideo necessaria fuit sacramentorum institutio, per quae homo ex sensibilibus de spiritualibus eruditur; et haec est secunda causa quam Magister ponit: per quae etiam affectum, qui sensibilibus subjicitur, in Dei reverentiam referret; et haec est prima causa: per quae etiam circa ea in honorem Dei excitaretur; et haec est tertia causa.

Les sacrements n’étaient pas nécessaires d’une nécessité absolue, comme il est nécessaire que Dieu existe, puisqu’ils ont été institués par la seule bonté divine. [Ils étaient nécessaires] d’une nécessité qui suppose la fin, non pas au point où sans eux Dieu ne pouvait cependant pas guérir l’homme, car il n’a pas assujetti sa puissance aux sacrements, comme le dit le texte (comme la nourriture est nécessaire à la vie humaine), mais parce que, par les sacrements, le rétablissement de l’homme se réalise d’une manière plus appropriée, comme on dit que le cheval est nécessaire pour la route parce que l’homme circule plus facilement à cheval. La cause de cette convenance peut être comprise par le fait que l’homme avait été corrompu par le péché surtout en ce qui concerne les choses sensibles, qui le retenaient pour qu’il ne puisse se lever pour aller vers Dieu. Or, cette corruption affectait la connaissance, car l’esprit humain avait appris à être tellement occupé par les choses sensibles que certains ne croyaient plus rien en dehors des choses sensibles. [Elle affectait] aussi l’affectivité, car ils s’attachaient [aux choses sensibles] comme aux biens suprêmes, en mettant Dieu de côté. De même [affectait-elle] l’action, car l’homme utilisait [les choses sensibles] d’une manière désordonnée. Pour guérir les péchés, il était donc nécessaire que l’homme progresse vers la connaissance des choses spirituelles à partir des choses sensibles, qu’il reporte sur Dieu l’amour qu’il leur portait et qu’il les utilise selon que Dieu les avait établies. C’est pourquoi l’institution de sacrements était nécessaire, par lesquels l’homme reçoit un enseignement sur les choses spirituelles à partir des choses sensibles (c’est la deuxième raison que le Maître présente) ; par lesquels aussi il puisse reporter sur la révérence envers sur Dieu l’amour qui est soumis aux choses sensibles (c’est la première raison) ; par lesquels il soit aussi stimulé à honorer Dieu à leur propos (c’est la troisième raison).

[13325] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia et virtutes sanant formaliter, sicut sanitas; sed sacramenta quodammodo effective, sicut medicinae quaedam. Unde sicut non sequitur: sanitas sanat; ergo medicinae non sunt necessariae; ita nec haec: gratia sanat; ergo sacramenta non sunt necessaria: sed magis posset contrarium concludi.

1. La grâce et les vertus guérissent à la manière d’une forme, comme la santé ; mais les sacrements le font en quelque sorte par mode d’efficacité, comme certains remèdes. Aussi ne peut-on conclure : la santé guérit, donc les remèdes ne sont pas nécessaires. On ne peut pas non plus conclure ainsi : la grâce guérit, donc les sacrements ne sont pas nécessaires. Mais on pourrait plutôt conclure le contraire.

[13326] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per eadem contrario modo fit virtus et corrumpitur, ut in 2 Ethic. Unde sicut corruptio virtutis facta est in homine per hoc quod se sub sensibilibus rebus humiliavit propter ipsa sensibilia; ita reparatio virtutis convenienter fit per hoc quod homo sub eis humiliatur propter Dei reverentiam; et sic contraria contrariis curantur: quia contraria debent accipi circa idem.

2. La vertu se réalise et se corrompt d’une manière contraire, comme il est dit dans Éthique, II. Comme la corruption de la vertu s’est réalisée dans l’homme par le fait qu’il s’est humilié en se soumettant aux choses sensibles à cause des choses sensibles, de même le rétablissement de la vertu se réalise-t-il de manière appropriée par le fait que l’homme s’humilie en se soumettant à celles-ci par révérence pour Dieu. Et ainsi, les contraires sont guéris par les contraires, car les contraires doivent concerner la même chose.

[13327] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod remanentibus in sensibilibus praedictus modus tradendi spiritualia est occulti erroris occasio; a quibus etiam congruum est sancta occultare, ut Dionysius dicit. Sed eis qui instruuntur ex sensibilibus in spiritualem intellectum consurgere, est valde congruus: quia est conformis naturali cognitioni, qua ex sensibilibus cognitionem intellectus accipit.

3. Pour ceux qui demeurent dans les choses sensibles, la manière indiquée de transmettre les choses spirituelles est l’occasion d’une erreur cachée. Il est aussi approprié de leur dissimuler les choses saintes, comme le dit Denys. Mais pour ceux qui apprennent à monter vers l’intelligence spirituelle à partir des choses sensibles, elle est tout à fait appropriée, car elle est conforme à la connaissance naturelle, par laquelle l’intelligence tire sa connaissance des choses sensibles.

[13328] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corporalis exercitatio secundum se accepta ad modicum utilis est in comparatione ad pietatem, ut ibi apostolus intendit; sed si ei pietas adjungatur, sicut fit in sacramentis, quae ad religionis pietatem pertinent, est valde utilis.

4. Les exercices corporels, considérés en eux-mêmes, sont de peu d’utilité comparés à la piété, comme l’Apôtre veut le dire en cet endroit ; mais s’ils sont joints à la piété, comme cela se produit dans les sacrements qui se rapportent à la piété de la religion, ils sont très utiles.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13329] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod utilitas sacramentorum est eruditio et curatio. Quantum autem ad curationem omnibus patet quod non erant necessaria sacramenta in statu innocentiae, cum tunc morbus non esset. Sed quidam dicunt, quod erant necessaria quantum ad eruditionem: quia homo in statu etiam illo sensibilibus utebatur, et ita ex sensibilibus spiritualia significari congruebat. Sed hoc non videtur conveniens: quia significatio fit ad acquirendum cognitionem de eo quod significatur. Quamvis autem in primo statu sensibilia cognosceret, et in eis etiam spiritualium similitudines inspiceret, non tamen ex sensibilibus spiritualium cognitionem accepit, sed magis ex influentia divini luminis; et ideo sacramentis ad eruditionem non indigebat. Et hoc etiam in littera Magister videtur significare: quia refert hoc quod de eruditione dicit, ad defectum cognitionis qui est in statu peccati. Et ideo dicendum est cum aliis, quod in statu innocentiae sacramenta non fuissent necessaria.

L’utilité des sacrements est qu’ils enseignent et qu’ils soignent. Pour ce qui est de soigner, il est clair pour tout le monde que les sacrements n’étaient pas nécessaires dans l’état d’innocence, alors qu’il n’y avait pas encore de maladie. Mais certains disent qu’ils étaient nécessaires pour l’enseignement, parce que l’homme, même dans cet état, utilisait les choses sensibles, et qu’ainsi il était approprié de signifier les réalités spirituelles à partir des réalités sensibles. Mais cela ne semble pas approprié, car la signification est donnée pour acquérir la connaissance de ce qui est signifié. Or, bien que, dans son premier état, il ait connu les réalités sensibles et ait vu en elles des similitudes des réalités spirituelles, il ne recevait cependant pas la connaissance des réalités spirituelles à partir des réalités sensibles, mais plutôt à partir de l’action intérieure de la lumière divine. C’est la raison pour laquelle il n’avait pas besoin de sacrements pour l’enseigner. Et le Maître semble indiquer cela dans le texte même, car il met ce qu’il dit de l’enseignement en rapport avec la déficience de la connaissance qui existe dans l’état de péché. Aussi faut-il dire avec les autres que, dans l’état d’innocence, les sacrements n’étaient pas nécessaires.

[13330] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramenta non sunt instituta ad gratiam conferendam, nisi prout gratia est sanans formaliter morbum peccati; et sic in statu innocentiae homo gratia non indigebat.

1. Les sacrements n’ont été institués pour donner la grâce que dans la mesure où la grâce guérit la maladie du péché à la manière d’une forme. Et ainsi, dans l’état d’innocence, l’homme n’avait pas besoin de la grâce.

[13331] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in statu innocentiae superiores partes hominis omnino inferioribus dominabantur; et ideo quamvis homo haberet sensus, et materialis esset, non tamen intellectus ex sensibilibus cognitionem accipiebat, sed ex influentia divini luminis habebat. Sed quia experientia etiam eorum quae prius sciebamus, delectabilis est, ideo operabatur ad experiendum naturae vires, non ut ex hoc habitum scientiae acciperet, sed ut ex visione experimentali eorum quae sciebat, delectaretur.

2. Dans l’état d’innocence, les parties supérieures de l’homme avaient la maîtrise complète des parties inférieures. Aussi, bien que l’homme ait eu des sens et ait été matériel, l’intelligence ne recevait cependant pas sa connaissance à partir des réalités sensibles, mais elle l’avait par l’action intérieure de la lumière divine. Mais parce que l’expérience de ce que nous connaissions auparavant est délectable, [l’intelligence] agissait pour faire l’expérience des forces de la nature, non pas pour en recevoir l’habitus de science, mais pour se délecter par la vision expérimentale de ce qu’elle connaissait.

[13332] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod matrimonium non fuisset in statu innocentiae in remedium, sed in officium. Et quia sacramenta remedia sunt, ideo proprie loquendo, non fuisset sacramentum, nisi forte inquantum rem sacram significabat; et non quidem illius sacrae rei, scilicet conjunctionis Christi et Ecclesiae, per hujusmodi matrimonium homo in statu illo cognitionem accepisset; sed magis e converso ex cognitione praedictae conjunctionis convenientiam et sanctitatem matrimonii cognovisset.

3. Le mariage n’aurait pas existé dans l’état d’innocence à titre de remède, mais en vue de sa fonction. Et parce que les sacrements sont des remèdes, à proprement parler, il n’y aurait pas eu de sacrement, si ce n’est peut-être dans le mesure où il signifiait une réalité sainte ; et, dans cet état, l’homme n’aurait pas reçu la connaissance de cette réalité sainte, à savoir, l’union du Christ et de l’Église, mais plutôt, en sens inverse, à partir de la connaissance de cette union, il aurait connu la convenance et la sainteté du mariage.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13333] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ea quae ab homine fiunt, a cognitione ortum oportet habere; alias non essent humana opera; unde oportet quod operatio cognitioni respondeat, sicut effectus causae. In statu autem legis naturae non sufficiebat ad salutem sola naturalis cognitio, sed exigebatur fides aliquorum quae supra rationem sunt; et post lapsum exigebatur fides de reparatore, per quem erat medicina morbi; et ideo in statu illo non tantum erant necessaria opera quae sunt de dictamine legis naturalis, sed etiam alia quae essent protestationes et signa eorum quae ad reparationem pertinebant; et haec erant illius temporis sacramenta, sicut sacrificia, decimae, oblationes, et hujusmodi.

 

Ce qui est fait par l’homme prend son origine dans la connaissance, autrement, il ne s’agirait pas d’actions humaines. Il faut donc que l’action corresponde à la connaissance, comme l’effet à la cause. Or, dans l’état de la loi de nature, la seule connaissance naturelle ne suffisait pas pour le salut, mais la foi à certaines réalités qui dépassaient la raison était nécessaire. Et, après la chute, la foi dans le réparateur, par qui était donné le remède contre la maladie, était nécessaire. C’est pourquoi, dans cet état, non seulement les actions prescrites par la loi naturelle étaient nécessaires, mais aussi d’autres qui seraient des attestations et des signes de ce qui se rapportait à la réparation. Tels seront les sacrements de cette époque, comme les sacrifices, les dîmes, les offrandes et les choses de ce genre.

[13334] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praecepta quae ordinant ad bene vivendum, sunt praecepta legis naturae, quae respondent cognitioni naturali. Et quia cognitio naturalis sufficienter ea dictabat, nondum per contrariam consuetudinem omnino obtenebrata, ideo non erat tanta necessitas ut eorum expressio fieret, sicut sacramentorum, quae supernaturali cognitioni respondent.

1. Les commandements qui ordonnent à bien vivre sont les commandements de la loi naturelle, qui répondent à la connaissance naturelle. Et parce que la connaissance naturelle les prescrivait suffisamment, sans qu’ils soient encore du tout obscurcis par une coutume contraire, il n’était pas nécessaire qu’ils soient exprimés, comme c’est le cas des sacrements, qui répondent à une connaissance surnaturelle.

[13335] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ante legem scriptam erant quaedam sacramenta necessitatis, sicut illud fidei sacramentum quod ordinabatur ad deletionem originalis peccati; et similiter poenitentia, quae ordinabatur ad deletionem actualis; et similiter matrimonium, quod ordinabatur ad multiplicationem humani generis. Sed sacrificia et oblationes et hujusmodi erant necessitatis in communi, ut scilicet aliquid facerent in protestationem fidei suae, qua Deo per latriae religionem subjecti erant; sed in speciali erant voluntatis, utrum scilicet deberent sacrificia exhibere, vel oblationes, vel aliquid hujusmodi.

2. Avant la loi écrite, existaient certains sacrements de nécessité, comme ce sacrement de la foi qui était ordonné à effacer le péché originel. De même en était-il de la pénitence, qui était ordonnée à effacer le péché actuel. De même pour le mariage, qui était ordonné à la multiplication du genre humain. Mais les sacrifices, les offrandes et les choses de ce genre étaient nécessaires d’une manière générale : il était nécessaire qu’ils fassent quelque chose pour attester leur foi, par laquelle ils étaient soumis à Dieu par un culte religieux de latrie. Mais, d’une manière particulière, cela relevait de la volonté que quelqu’un doive offrir des sacrirfices, des offrandes ou quelque chose de ce genre.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13336] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum sacramentorum usus fidei proportionaliter respondeat, sicut dictum est, oportuit quod secundum diversum statum fidei diversimode sacramenta traderentur. Fides autem quantum ad articulorum explicationem semper magis et magis crevit secundum propinquitatem temporis gratiae, ut 3 Lib., dist. 25, dictum est; et secundum hoc oportuit sacramenta magis ac magis determinari. Et propter hoc, quia in Abraham fides primo habuit quasi notabilem quantitatem, ut propter fidei religionem ab aliis separaretur (unde et pater fidei dicitur), ideo sibi signaculum, sive sacramentum fidei, determinatum fuit, scilicet circumcisio. Et quia tempore Moysi jam fides ad tantam quantitatem devenerat ut non solum in uno homine refulgeret, vel in familia; sed in una tota gente, populo Dei multiplicato; ideo oportuit et legem dari, quae non nisi populo ferri potest (unde legis positio est pars politicae, non oeconomicae vel monasticae) et sacramenta in speciali determinari et multiplicari; et propter hoc necessarium fuit in lege Moysi determinari sacrificia, oblationes, et decimas, quantum ad omnes singulares circumstantias, et matrimonia ordinari, et poenitentiae satisfactiones distingui.

Comme l’usage des sacrements correspond de manière proportionnelle à la foi, comme on l’a dit, il fallait que, selon les divers états de la foi, les sacrements soient communiqués de manière différente. Or, la foi, pour ce qui est de l’explicitation des articles, s’est de plus en plus développée en fonction de la proximité par rapport au temps de la grâce, comme on l’a dit dans le livre III, d. 25. Il fallait ainsi que les sacrements soient de plus en plus précisés. Pour cette raison, parce que ce fut chez Abraham que la foi eut un niveau remarquable, de telle sorte qu’il a été distingué des autres en raison de la religion de sa foi (c’est la raison pour laquelle il est appelé le père de la foi), un signe ou un sacrement de la foi fut précisé : la circoncision. Et parce que, à l’époque de Moïse, la foi avait atteint un tel niveau qu’elle ne brillait pas seulement chez un seul homme ou une seule famille, mais dans l’ensemble d’une nation, alors que le peuple de Dieu s’était multiplié, il fallait qu’une loi soit donnée, qui ne peut être donnée que pour un peuple (aussi l’établissement de la loi relève-t-il de la politique, et non de l’économique ou de la vie solitaire), et que les sacrements soient précisés et multipliés d’une manière particulière. Pour cette raison, il était nécessaire que des sacrifices, des offrandes et des dîmes soient précisés pour toutes les circonstances particulières, et que les mariages soient ordonnés et des satisfactions pénitentielles, détaillées.

[13337] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis oblatio Melchisedech perfectissime repraesentaret nostrum sacrificium quantum ad materiam, tamen etiam oportuit multas alias circumstantias repraesentari, sicut modum sumendi, et passionem Christi, cujus est memoriale, quae explicite significantur per agnum paschalem, et per alia legis sacramenta.

1. Bien que l’offrande de Melchisédech ait représenté très parfaitement notre sacrifice pour ce qui est de la matière, il fallait cependant aussi que beaucoup d’autres circonstances soient représentées, comme la manière de les prendre et la passion du Christ, dont il est le mémorial, qui sont explicitement signifiés par l’agneau pascal et par les autres sacrements de la loi.

[13338] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non sit facta melioratio per sacramenta veteris legis quantum ad alium effectum in genere, scilicet causare; facta est tamen quantum ad eumdem effectum qui est significare, inquantum expressius et pluribus modis futura gratiae significabantur sacramenta.

2. Bien qu’il n’y ait pas eu d’amélioration par les sacrements de la loi ancienne par rapport à un autre effet général, qui consiste à causer, il en eut cependant une par rapport à un même effet, qui consiste à signifier, dans la mesure où les futurs sacrements de la grâce étaient signifiés de plusieurs façons.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [13339] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod eadem fides est modernorum et antiquorum, ut Augustinus dicit, quia quem illi credebant venturum, nos credimus jam venisse; et ideo cum sacramenta fidei correspondeant, sicut protestationes ipsius, et ab ea virtutem habentia, oportet quod sicut antiqui patres redemptionis Christi participes effecti sunt per sacramenta quae erant signa futuri ita et in nos redemptio ejus perveniat mediantibus aliquibus sacramentis significantibus quod jam factum est, quae sunt sacramenta novae legis.

La foi des anciens et des modernes est la même, comme le dit Augustin, car ce que ceux-là croyaient comme à venir, nous croyons que cela est déjà arrivé. C’est pourquoi, puisque les sacrements correspondent à la foi en tant qu’ils en sont des attestations et en reçoivent leur puissance, il est nécessaire que, de même que les pères anciens sont devenus participants de la rédemption du Christ par des sacrements qui étaient des signes du futur, de même, il est nécessaire que la rédemption nous parvienne par certains sacrements signifiant ce qui s’est déjà produit. Ce sont les sacrements de la loi nouvelle.

[13340] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius in Eccles. Hier., status novae legis medius est inter statum veteris legis et statum caelestis patriae; et ideo etiam ea quae sunt novae legis, et sunt veritas respectu signorum veteris legis, et sunt figurae respectu manifestae et plenae cognitionis veritatis, quae erit in patria; et ideo adhuc oportet in nova lege quod maneant aliquae figurae, quae scilicet in patria, ubi erit plenaria perceptio veritatis, omnes cessabunt.

1. Comme le dit Denys dans la Hiérarchie ecclésiastique, l’état de la loi nouvelle se situe entre l’état de la loi ancienne et l’état de la patrie céleste. C’est pourquoi les réalités qui relèvent de la loi nouvelle sont vérité par rapport aux signes de la loi ancienne, et figures par rapport à la connaissance manifeste et plénière de la vérité, qui se réalisera dans la patrie. Il est donc nécessaire qu’il reste dans la loi nouvelle certaines figures, qui, dans la patrie, où l’on aura une perception plénière de la vérité, cesseront toutes.

[13341] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramenta legalia gratiam non continebant; et ideo apostolus ibidem nominat ea egena et vacua; et propter hoc qui eis subdebantur, erant sub elementis pure corporalibus. Sed non est simile de sacramentis quae gratiam invisibilem continent.

2. Les sacrements de la loi ne contenaient pas la grâce. C’est pourquoi, en cet endroit, l’Apôtre les dit insuffisants et vides. Pour cette raison, ceux qui leur étaient soumis étaient soumis à des éléments purement corporels. Mais ce n’est pas la même chose pour les sacrements qui contiennent la grâce invisible.

 

 

Articulus 3 [13342] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 tit. Utrum sacramenta consistant in verbis et rebus

Article 3 – Est-ce que les sacrements comportent des paroles et des choses ?

[13343] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacramenta non consistant in verbis et rebus. Sacramentum enim est aliquid unum. Sed ex duobus quae non sunt conjuncta, non potest aliquid unum fieri, nec unum potest esse forma alterius. Cum ergo verba et res sint omnino separata, videtur quod ex eis non possit constare sacramentum, ut habeat pro forma verba, et res pro materia.

1. Il semble que les sacrements ne consistent pas en paroles et en choses. En effet, le sacrement est quelque chose d’unique. Or, on ne peut faire quelque chose d’unique à partir de deux choses qui ne sont pas unies, ni l’une [de ces choses] ne peut-elle être la forme de l’autre. Puisque les paroles et les choses sont complètement séparées, il semble donc qu’un sacrement ne puisse en être composé, de sorte qu’il ait les paroles comme forme, et les choses comme matière.

[13344] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut in sacramentis requiruntur verba, ita et facta quaedam, ut dicit Hugo de sancto Victore. Sed facta non ponuntur de integritate sacramenti. Ergo nec verba.

 

2. De même que, dans les sacrements, des paroles sont nécessaires, de même certaines actions le sont-elles, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Or, on ne dit pas que les actions font pas partie de l’intégrité du sacrement. Donc, les paroles non plus.

[13345] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sacramenta sunt ad significandum et causandum. Sed utrumque horum potest fieri per res sine verbis. Ergo sacramenta non consistunt in his duobus.

3. La fin des sacrements est de signifier et de causer. Or, ces deux choses peuvent être réalisées par des choses, sans paroles. Les sacrements ne sont donc pas constitués des deux.

[13346] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sacramenta veteris legis erant signa nostrorum sacramentorum. Sed in illis non erant aliqua verba determinata. Ergo nec in nostris esse debent.

4. Les sacrements de la loi ancienne étaient des signes de nos sacrements. Or, en eux, aucune parole n’était précisée. Il ne doit donc pas y en avoir dans les nôtres.

[13347] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, poenitentia et matrimonium sunt quaedam sacramenta. Sed de integritate eorum non sunt verba aliqua. Ergo hoc quod Magister dicit, non est verum de omnibus sacramentis.

5. La pénitence et le mariage sont des sacrements. Or, des paroles ne font pas partie de leur intégrité. Ce que le Maître dit n’est donc pas vrai de tous les sacrements.

Sed contra, sacramenta ex similitudine repraesentant ea quae circa Christum sunt gesta. Ergo cum in Christo fuerit verbum rei sensibili adjunctum, oportet quod hoc etiam sit in sacramentis.

S.c. 1 – En sens contraire, les sacrements représentent par similitude ce qui s’est accompli dans le Christ. Or, puisque la parole a été unie à une réalité sensible dans le Christ, il est nécessaire que cela existe aussi dans les sacremements.

[13349] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 S.c. 2 Praeterea, medicina debet proportionari morbo. Sed morbus peccati hominem quantum ad animam et corpus infecerat. Ergo oportet in sacramentis esse verba quae respondeant animae, et res quae respondeant corpori.

S.c. 2 – Le remède doit être proportionné à la maladie. Or, la maladie du péché avait infecté l’homme dans son âme et dans son corps. Il est donc nécessaire que, dans les sacrements, il y ait des paroles, qui ont rapport à l’âme, et des choses, qui ont rapport au corps.

[13350] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 S.c. 3 Praeterea, secundum Hugonem, sacramenta ex sanctificatione invisibilem gratiam continent. Sed creatura sanctificatur per verbum Dei; 2 Tim., 3. Ergo oportet in sacramentis non solum res sed etiam verba esse.

S.c. 3 – Selon Hugues, les sacrements contiennent la grâce invisible en vertu de leur sanctification. Or, la créature est sanctifiée par la parole de Dieu, 2 Tm 3. Il est donc nécessaire qu’il y ait dans les sacrements non seulement des choses, mais aussi des paroles.

Respondeo dicendum, quod hoc est commune in omnibus sacramentis quod consistant in rebus sensibilibus invisibilem gratiam significantibus. Sed hoc est speciale in sacramentis novae legis quod rebus verba addantur, propter tres rationes. Prima est, quia haec sacramenta non solum significant opus redemptionis quae per Christum est facta, sicut alia sacramenta, sed etiam ab ipsa Christi passione fluxerunt; et ideo sicut effectus proximi, habent suae causae imaginem quantum possunt, ut scilicet ex rebus et verbis consistant, sicut Christus ex verbo et carne. Secunda ratio est, quia non solum sunt signa futurorum, sicut sacramenta veteris legis, sed praesentium et praeteritorum, ut prius dictum est, quae possunt expressius significari quam futura, sicut et certius cognosci; et ideo, significatio verborum, quae est expressissima, adjungitur significationi rerum. Tertia ratio est, quia gratiam continent ex sanctificatione quae fit per verbum Dei, ut dictum est.

Réponse :

 

Tous les sacrements ont en commun d’être composés de choses sensibles signifiant la grâce invisible. Or, les sacrements de la loi nouvelle ont en propre que des paroles soient ajoutées aux choses pour trois raisons. La première est que ces sacrements ne signifient pas seulement l’œuvre de la rédemption qui a été réalisée par le Christ, comme les autres sacrements, mais aussi qu’ils ont coulé à partir de la passion même du Christ. En tant qu’effets prochains, ils portent l’image de leur cause autant qu’ils le peuvent, à savoir qu’ils sont composés de choses et de paroles, comme le Christ l’est du Verbe et de chair. La deuxième raison est qu’ils ne sont pas seulement des signes de choses à venir, comme les sacrements de la loi ancienne, mais des [signes] de choses présentes et passées, comme on l’a dit plus haut, qui peuvent être signifiées de manière plus expresse que les choses à venir. C’est pourquoi la signification par des paroles, qui est la plus expresse, est jointe à la signification des choses. La troisième raison est qu’ils contiennent la grâce en vertu d’une sanctification qui est réalisée par le Verbe de Dieu, comme on l’a dit.

[13352] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramentum est aliquid unum in genere signi vel causae, quorum utrumque relationem importat. Non est autem inconveniens ut quae sunt in se distincta uniantur in relatione ad aliquid unum, sicut accidit de multis trahentibus navim qui sunt una causa tractus navis. Et sicut pater et mater sunt unum in generatione; sic etiam verba et res sunt unum in causando et significando, et per consequens efficiunt unum sacramentum. Et quia virtus causandi est in rebus ex verbis significantibus, ut dictum est, ideo verba sunt formalia, et res materiales, per modum quo omne completivum forma dicitur.

 

1. Le sacrement est quelque chose d’unique dans le genre du signe ou de la cause, qui tous deux comportent une relation. Or, il n’est pas inapproprié que ce qui est distinct par soi soit uni dans une relation à quelque chose d’unique, comme il arrive que ceux qui sont nombreux à tirer un navire sont une seule cause de la traction du navire. Et comme le père et la mère sont une seule réalité dans la génération, de même aussi les paroles et les choses sont une seule réalité qui cause et signifie, et elles réalisent par conséquent un seul sacrement. Et parce que la capacité de causer se trouve dans les choses à partir des paroles qui signifient, comme on l’a dit, les paroles ont donc le caractère de forme, et les choses, celui de matière, à la manière dont tout ce qui complète est appelé forme.

[13353] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut Hugo de sancto Victore dicit, ad sacramenta concurrunt verba et res et facta: sed facta pertinent ad usum vel dispensationem sacramentorum; verba autem et res sunt de essentia sacramenti. Et ideo Magister in his duobus dicit constare sacramenta, et non in factis. Vel dicendum, quod facta ad res reducuntur.

2. Comme le dit Hugues de Saint-Victor, des paroles, des choses et des actions concourent au sacrement, mais les actions se rapportent à l’usage ou à la dispensation des sacrements, alors que les paroles et les choses font partie de l’essence du sacrement. C’est pourquoi le Maître dit que les sacrements consistent dans ces deux choses, et non dans les actions. Ou bien il faut dire que les actions se ramènent aux choses.

[13354] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nec efficacia causandi nec expressio significandi poterat esse in rebus, nisi verba adjungerentur, ut dictum est.

3. Ni l’efficacité pour causer, ni le caractère explicite pour signifier ne pouvaient se trouver dans les choses, à moins que leur soient unies des paroles, comme on l’a dit.

[13355] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio de sacramentis veteris et novae legis, ut ex dictis patet.

4. Le raisonnement n’est pas le même pour les sacrements de la loi ancienne et pour ceux de la loi nouvelle, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

[13356] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod matrimonium secundum quod est in officium, et poenitentia secundum quod est virtus, non habent aliquam formam verborum; sed secundum quod utrumque est sacramentum in dispensatione ministrorum Ecclesiae consistens, utrumque habet aliqua verba; sicut in matrimonio sunt verba exprimentia consensum, et iterum benedictiones ab Ecclesia institutae; in poenitentia autem est absolutio sacerdotis verbotenus facta.

5. Le mariage, en tant qu’il est une fonction, et la pénitence, en tant qu’elle est une vertu, n’ont pas une forme de paroles ; mais selon que les deux sont des sacrements consistant dans une dispensation par des ministres de l’Église, les deux comportent des paroles : dans le mariage, il y a les paroles exprimant le consentement et aussi les bénédictions instituées par l’Église ; dans la pénitence, il y a l’absolution du prêtre qui est faite sous forme de paroles.

Articulus 4 [13357] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 tit. Utrum sacramenta novae legis sint causa gratiae

Article 4 – Est-ce que les sacrements de la loi nouvelle causent la grâce ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les sacrements de la loi nouvelle causent-ils la grâce ?]

[13358] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod sacramenta novae legis non sint causa gratiae. Dicit enim Bernardus: sicut investitur canonicus per librum, abbas per baculum, episcopus per anulum; sic divisiones gratiarum diversis sunt tradita sacramentis. Sed liber non est causa canonicatus, nec anulus episcopatus. Ergo nec sacramenta gratiae.

1. Il semble que les sacrements de la loi nouvelle ne causent pas la grâce. En effet, Bernard dit : «De même que le chanoine est investi par un livre, l’abbé par un bâton et l’évêque par un anneau, de même la répartition des grâces est faite à chacun par les sacrements.» Or, le livre n’est pas la cause du canonicat, ni l’anneau, de l’épiscopat. Donc, ni les sacrements, de la grâce.

[13359] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si sunt causae gratiae, oportet quod sint secundum aliquod genus causae. Sed constat quod non sunt materiales nec formales, cum sint extra essentiam gratiae; nec iterum sunt causae finales, quia magis sacramenta propter gratiam habendam quaeruntur quam e converso: nec iterum causae efficientes, quia solus Deus efficit gratiam, adeo quod nec Angelis, qui sunt nobiliores sensibilibus creaturis, hoc communicatur. Ergo nullo modo sacramenta sunt causa gratiae.

 

2. S’ils causent la grâce, il est nécessaire que cela soit selon un certain genre de cause. Or, il est clair qu’ils ne sont pas des [causes] matérielles ni formelles, puisqu’ils ne font pas partie de l’essence de la grâce. Ils ne sont pas non plus des causes finales, car les sacrements sont plutôt recherchés afin d’obtenir la grâce que l’inverse. Ils ne sont pas non plus des causes efficientes, car seul Dieu réalise la grâce, au point où cela n’est même pas confié aux anges, qui sont plus nobles que les créatures sensibles. Les sacrements ne causent donc d’aucune façon la grâce.

[13360] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nobilius est agens patiente, secundum Augustinum in 12 super Gen.; et secundum philosophum, in 3 de anima; et iterum causa dignior est effectu. Sed tam anima rationalis quam gratia praevalent sensibilibus elementis. Ergo sacramentum, quod est materiale elementum, ut prius dictum est, non potest agere in animam ad causandum gratiam in ipsa.

3. Ce qui agit est plus noble que ce qui subit, selon Augustin, dans le commentaire sur la Genèse, XII, et selon le Philosophe, De l’âme, III. De plus, la cause est plus digne que l’effet. Or, aussi bien l’âme raisonnable que la grâce l’emportent sur les éléments sensibles. Le sacrement, qui est un élément matériel, comme on l’a dit antérieurement, ne peut donc agir sur l’âme pour causer la grâce en elle.

[13361] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omnis causa vel est univoca vel aequivoca. In causa autem aequivoca est aliquid nobiliori modo quam in causatis, sicut calor in sole quam in aere; in causa autem univoca est aliquid eodem modo. Sed gratia non est in sacramentis neque eodem modo ut in anima, neque nobiliori modo. Ergo non sunt causa gratiae nec univoce nec aequivoce; et ita nullo modo.

4. Toute cause est soit univoque, soit équivoque. Or, dans la cause équivoque, quelque chose de plus noble existe que dans ce qui est causé, comme la chaleur [existe davantage] dans le soleil que dans l’air ; mais, dans la cause univoque, [ce qui est causé] est la même chose. Or, la grâce n’existe pas dans les sacrements ni de la même manière que dans l’âme, ni d’une manière plus noble. Ils ne causent donc pas la grâce, ni de manière uninoque, ni de manière équivoque. Ils ne le font donc d’aucune manière.

[13362] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 5 Praeterea, sacramenta non causant gratiam in anima per modum influentiae, quia sic crearent ipsam, nec iterum educunt eam de potentia materiae, quia gratia non est in potentia naturali materiae. Ergo nullo modo gratiam causant.

5. Les sacrements ne causent pas la grâce dans l’âme par mode d’action intérieure, car alors ils la crééraient ; ils ne la tirent pas non plus de la puissance de la matière, car la grâce n’existe pas dans la puissance naturelle de la matière. Ils ne causent donc la grâce d’aucune manière.

[13363] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 6 Praeterea, in sacramento altaris transubstantiatur panis in corpus Christi; quod non potest fieri nisi virtute infinita, qualis non est virtus formae illius sacramenti. Ergo virtus illa non causat dictam transubstantiationem, et eadem ratione nec alia sacramenta causant quod significant.

6. Dans le sacrement de l’autel, le pain est transsubstantié dans le corps du Christ, ce qui ne peut se réaliser que par une puissance infinie, qui n’est pas celle de la puissance de la forme de ce sacrement. Cette puissance ne cause donc pas la transsubstantiation et, pour la même raison, les autres sacrements non plus ne causent pas ce qu’ils signifient.

[13364] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, haec differentia assignatur communiter inter sacramenta novae legis et veteris, quod sacramenta novae legis efficiunt quod figurant, quod sacramentis veteris legis non competit. Figurant autem sacramenta invisibilem gratiam. Si ergo sacramenta novae legis gratiam non causant, non differunt in aliquo a sacramentis veteris legis.

 

S.c. 1 – En sens contraire, on donne généralement comme différence entre les sacrements de la loi nouvelle et ceux de la loi ancienne, que les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils représentent, ce qui n’est pas le fait des sacrements de la loi ancienne. Or, les sacrements représentent la grâce invisible. Si donc les sacrements de la loi nouvelle ne causent pas la grâce, ils ne diffèrent en rien des sacrememnts de la loi ancienne.

[13365] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod aqua Baptismi corpus tangit, et cor abluit. Sed cor non abluitur nisi per gratiam. Ergo sacramenta novae legis gratiam causant.

S.c. 2 – Augustin dit que «l’eau du baptême touche le corps et lave le cœur». Or, le cœur n’est lavé que par la grâce. Les sacrements de la loi nouvelle causent donc la grâce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les sacrements contiennent-ils une puissance ?]

[13366] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in sacramentis non sit aliqua virtus specialis ad gratiam inducendam. Quod enim non est in aliquo genere entium, non est ens. Sed hujusmodi virtus non potest reduci ad aliquod decem generum: quia non est forma substantialis, ut per se patet: neque in aliquod aliorum generum praeter qualitatem, nec etiam in qualitatem, ut patet discurrenti per quatuor species qualitatis. Ergo non est ens.

1. Il semble que, dans les sacrements, il n’y ait pas quelque puissance spéciale qui entraîne la grâce. En effet, ce qui ne se trouve dans aucun genre des êtres n’est pas un être. Or, une puissance de ce genre ne peut être ramenée à aucun des dix genres, car elle n’est pas une forme substantielle, comme cela va de soi ; elle n’est dans aucun des autres genres, sauf la qualité, et elle n’est pas non plus dans la qualité, comme cela ressort clairement pour celui qui parcourt les quatre espèces de qualité. Elle n’est donc pas un être.

[13367] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, constat quod sacramenta non habent a seipsis hujusmodi virtutem. Si ergo est in eis, oportet quod a Deo habeant eam: nec est assignare, ut videtur, quando eis data sit. Non enim in ista institutione sacramentorum dari eis potuit: quia res istae et haec verba tunc non erant, et non enti nihil datur: nec iterum quotidie eis dat hanc virtutem: quia creatio dicitur esse hoc tempore solum quantum ad animas rationales et quantum ad gratiam: nec alio modo potest eis dari, nisi in eis creetur: nec iterum est probabile quod tam nobilis virtus creetur in verbis, quae statim esse desinunt; et res etiam in brevi corrumpuntur. Ergo nullo modo hujusmodi virtus est in sacramentis.

2. Il est clair que les sacrements n’ont pas par eux-même une puissance de cette sorte. Si elle existe en eux, il est donc nécessaire qu’ils la reçoivent de Dieu, et, semble-t-il, l’on ne peut préciser quand elle leur a été donnée. En effet, elle n’a pas pu être donnée lors de l’institution des sacrements, car ces choses et ces paroles n’existaient pas alors, et rien n’est donné à ce qui n’existe pas. Il ne leur donne pas non plus chaque jour cette puissance, car on ne parle de création, à ce moment, que pour les âmes raisonnables et pour la grâce ; or, elle ne peut leur être donnée autrement que par création. Il n’est pas non plus probable qu’une puissance si noble soit créée par des paroles qui cessent aussitôt d’existe. De même, les choses se corrompent-elles rapidement. Cette puissance n’existe donc d’aucune manière dans les sacrements.

[13368] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, dicta virtus non potest computari inter minima bona: quia sic ad gratiam inducendam, quae est de maximis bonis, efficaciam non haberet: nec iterum inter media, cujusmodi sunt animae potentiae, quibus homo bene et male utitur: eadem ratione nec iterum inter maxima, cum neque sit gratia, neque virtus mentis. Ergo non est aliquod bonum, et ita nihil est.

3. La vertu mentionnée ne peut être comptée parmi les biens les plus infimes car, alors, elle n’aurait pas d’efficacité pour conduire à la grâce, qui compte parmi les biens les plus grands. Elle ne peut pas non plus être comptée parmi les biens intermédiaires, dont font partie les puissances de l’âme, dont l’homme fait un bon ou un mauvais usage. Pour la même raison, elle ne peut pas non plus être comptée parmi les biens les plus grands, puisqu’elle n’est ni la grâce, ni une puissance de l’esprit. Elle n’est donc pas un bien, et ainsi elle n’est rien.

[13369] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, omne quod recipitur in aliquo, est in eo per modum recipientis; et inde est quod virtus spiritualis non potest esse in re corporali. Sed haec virtus, quae ordinatur ad gratiam inducendam, est maxime spiritualis. Ergo non potest esse in rebus corporalibus.

4. Tout ce qui est reçu dans quelque chose existe en cette chose selon le mode de ce qui reçoit; de là vient qu’une puissance spirituelle ne peut exister dans une chose corporelle. Or, cette puissance, qui est ordonnée à conduire à la grâce, est spirituelle au plus haut point. Elle ne peut donc exister dans les choses corporelles.

[13370] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, unius sacramenti non potest esse nisi una virtus, cum sit ad unum effectum. Sed una virtus non potest esse in diversis. Ergo cum in sacramento sint plura, scilicet verba et res, videtur quod non possit in sacramento esse aliqua virtus ad gratiam inducendam.

5. Il ne peut y avoir qu’une seule puissance pour un seul sacrement, puisqu’il n’y a qu’un seul effet. Or, une seule puissance ne peut exister dans des choses différentes. Puisque, dans le sacrement, il y a plusieurs [composantes], à savoir, des paroles et des choses, il semble qu’il ne puisse exister dans le sacrement une puissance qui conduise à la grâce.

[13371] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est, quod Augustinus dicit: quae est vis aquae ut corpus tangat et cor abluat ? Ergo habet aliquam virtutem. Similiter etiam Beda dicit, quod Christus tactu mundissimae suae carnis vim regenerativam contulit aquis.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit : «Quelle est la puissance de l’eau qui touche le corps et lave le cœur ?» Elle a donc une certaine puissance. De même aussi, Bède dit que le Christ, par le contact de sa chair très pure, a donné aux eaux une puissance régénératrice.

[13372] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, sacramenta medicinae quaedam sunt. Sed omnis medicina habet aliquam virtutem per quam fit efficax. Ergo et in sacramentis est aliqua virtus.

S.c. 2 – Les sacrements sont des remèdes. Or, tout remède possède quelque puissance par laquelle il devient efficace. Il y a donc aussi une puissance dans les sacrements.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La passion du Christ est-elle la source des sacrements ?]

[13373] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec virtus non sit in sacramentis a passione Christi. Christus enim, secundum quod homo, non dat spiritum sanctum, neque gratiam causat, ut in 1 Lib., dist. 14, qu. 3, art. unic., dictum est. Sed passio convenit ei secundum quod homo. Ergo efficacia virtutis quae est in sacramentis ad gratiam causandam, non potest esse a Christi passione, sed ab ejus divinitate.

1. Il semble que cette puissance des sacrements ne vienne pas de la passion du Christ. En effet, le Christ, en tant qu’homme, ne donne pas l’Esprit Saint ni ne cause la grâce, comme on l’a dit au livre I, d. 14, q. 3, art. un. Or, la passion lui convient en tant qu’il est homme. L’efficacité de la puissance qui existe dans les sacrements pour causer la grâce ne peut donc pas venir de la passion du Christ, mais de sa divinité.

[13374] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Rom. 4, 25, dicitur, quod resurrexit propter justificationem nostram. Sed justificatio fit per infusionem gratiae. Ergo magis a resurrectione sacramenta praedictam virtutem habent.

2. Il est dit, en Rm 4, 25, qu’il est ressuscité pour notre justification. Or, la justification se réalise par l’infusion de la grâce. Les sacrements tiennent donc plutôt de la résurrection la puissance mentionnée.

[13375] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacramenta dicuntur a fide efficaciam habere. Sed fides non solum est de passione sed etiam de aliis articulis. Ergo non solum a passione efficaciam habent.

3. On dit que les sacrements tiennent leur efficacité de la foi. Or, la foi ne porte pas seulement sur la passion, mais aussi sur les autres articles. Ils ne tiennent donc pas seulement de la passion leur efficacité.

[13376] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, Rom. 5, super illud: similitudinem praevaricationis Adae, dicit Glossa: ex latere Christi profluxerunt sacramenta per quae salvata est Ecclesia. Hoc autem factum est in passione. Ergo ex passione efficaciam habent.

S.c. 1 – En sens contraire, à propos de Rm 5 : La ressemblance de la faute d’Adam, la Glose dit : «Les sacrements par lesquels l’Église a été sauvée ont coulé du côté du Christ.» Or, cela s’est produit dans la passion. Ils tiennent donc leur efficacité de la passion.

[13377] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, sacramenta sunt medicinae contra peccata. Sed peccata sunt ablata per Christi passionem; quia mortuus est propter delicta nostra: Rom. 5. Ergo a passione efficaciam habent.

S.c. 2 – Les sacrements sont des remèdes contre les péchés. Or, les péchés sont enlevés par la passion du Christ, car il est mort pour nos fautes, Rm 5. Ils tiennent donc leur efficacité de la passion.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les sacrements de la loi nouvelle contiennent-ils la grâce ?]

[13378] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacramenta novae legis non contineant gratiam. Idem enim est subjectum gratiae et gloriae. Sed nihil potest esse subjectum gloriae nisi creatura rationalis. Ergo nec in sacramento, quod est materiale elementum, potest esse gratia.

1. Il semble que les sacrements de la loi nouvelle ne contiennent pas la grâce. En effet, le sujet de la grâce et de la gloire est le même. Or, rien ne peut être le sujet de la gloire qu’une créature raisonnable. La grâce ne peut donc non plus exister dans le sacrement, qui est un élément matériel.

[13379] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Si dicatur quod gratia non est in sacramentis sicut in subjecto, sed sicut in vase; contra. Esse in vase significat esse in loco, secundum philosophum in 4 Physic. Sed accidenti non competit esse in loco. Ergo non potest esse verum quod dictum est.

2. Si l’on dit que la grâce n’est pas dans le sacrement comme dans son sujet, mais comme dans un contenant, on opposera qu’être dans un contenant signifie être dans un lieu, selon le Philosophe, Physique, IV. Or, il ne convient pas à un accident d’être dans un lieu. Ce qui a été dit ne peut donc pas être vrai.

[13380] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, si Deus in sacramentis gratiam posuit, hoc non est nisi propter animam, in quam gratia transfundi debet. Sed non potest eadem gratia quae est in sacramentis, in animam transfundi, quia accidens non transit de subjecto in subjectum. Ergo frustra esset ibi; et ita non est ibi: quia in operibus gratiae minus est aliquid frustra quam in operibus naturae.

3. Si Dieu a mis la grâce dans les sacrements, ce ne peut être que pour l’âme, dans laquelle la grâce doit être versée. Or, la même grâce qui se trouve dans les sacrements ne peut être versée dans l’âme, car l’accident ne passe pas de sujet en sujet. Ce serait donc en vain qu’elle y serait. Ainsi, elle ne s’y trouve pas, car, dans les œuvres de la grâce, moins de choses sont faites en vain que dans les œuvres de la nature.

[13381] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum in 1 de anima, spiritualia, etiamsi sint in corporalibus, non dicuntur ab eis contineri, sed magis continere, sicut anima est in corpore, et continet ipsum. Sed gratia est res spiritualis. Ergo etsi sit in sacramentis corporalibus, non debet dici contineri ab eis.

4. Selon le Philosophe, De l’âme, I, on ne dit pas que les réalités spirituelles, même si elles se trouvent dans des réalités corporelles, sont contenues par elles, mais plutôt qu’elles les contiennent, comme l’âme est dans le corps et le contient. Or, la grâce est une réalité spirituelle. Même si [la grâce] se trouve dans des sacrements corporels, on ne doit donc pas dire qu’elle est contenue par eux.

[13382] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa, Gal. 3, quod sacramenta veteris legis dicebantur egena et inania, quia gratiam non continebant. Sed hoc non potest dici de sacramentis novae legis. Ergo gratiam continent.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans la Glose, à propos de Ga 3, que les sacrements de la loi ancienne étaient dits déficients et vains parce qu’ils ne contenaient pas la grâce. Or, on ne peut pas dire cela des sacrements de la loi nouvelle. Ils contiennent donc la grâce.

[13383] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 S.c. 2 Praeterea hoc patet per definitionem Hugonis de sancto Victore supra positam.

S.c. 2 – Cela ressort clairement de la définition de Hugues de Saint-Victor donnée plus haut.

 

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La grâce des sacrements est-elle différente de la grâce des dons et des vertus ?]

[13384] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia quae est in sacramentis, non differat ab illa quae est in virtutibus et donis. Gratia enim quae est in sacramentis, est gratia gratum faciens, quia facit dignum vita aeterna, ut patet de Baptismo. Sed gratia gratum faciens est una tantum, quod patet ex unitate subjecti, quod est essentia animae, et ex unitate effectus, quod est Deo acceptum facere. Ergo cum gratia quae est in virtutibus et donis, sit gratia gratum faciens, videtur quod eadem gratia sit hic et ibi.

1. Il semble que la grâce qui existe dans les sacrements ne diffère pas de celle qui se trouve dans les vertus et les dons. En effet, la grâce qui se trouve dans les sacrements est la grâce sanctifiante [gratum faciens], car elle rend digne de la vie éternelle, comme cela est clair pour le baptême. Or, il n’y a qu’une seule grâce sanctificante : cela ressort clairement de l’unité du sujet, qui est l’essence de l’âme, et de l’unité de l’effet, qui est de rend agréable à Dieu. Puisque la grâce qui se trouve dans les vertus et les dons est la grâce sanctifiante, il semble donc que la même grâce se trouve ici et là.

[13385] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 2 Praeterea, unum uni opponitur. Sed tam gratia quae est in sacramentis quam illa quae est in virtutibus, opponitur peccato, quia utraque peccatum destruit. Ergo est una tantum gratia.

2. Une chose s’oppose à une autre. Or, tant la grâce qui se trouve dans les sacrements que celle qui se trouve dans les vertus s’opposent au péché, parce que les deux détruisent le péché. Il n’y a donc qu’une seule grâce.

[13386] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 3 Praeterea, idem est motus in natura a termino et ad terminum. Sed gratia sacramentalis ordinatur contra peccatum, gratia autem virtutum ad perficiendum animam, et Deo conjungendum. Ergo est una gratia in sacramento.

3. Dans la nature, le mouvement qui vient d’un et va vers [un autre] terme est le même. Or, la grâce sacramentelle est ordonnée contre le péché, mais la grâce des vertus, à perfectionner l’âme et à unir à Dieu. Il n’y a donc qu’une seule grâce dans le sacrement.

[13387] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 S.c. 1 Sed contra, gratia in sacramento non datur nisi ei qui non ficte accedit. Sed talis habet gratiam virtutum. Cum ergo nulli detur quod jam habet, videtur quod gratia quam accipit in sacramento, sit alia.

S.c. 1 – En sens contraire, la grâce qui se trouve dans le sacrement n’est donnée qu’à celui qui s’en approche sans feinte. Or, celui-ci possède la grâce des vertus. Puisque n’est donné à personne ce qu’il possède déjà, il semble donc que la grâce qu’il reçoit dans le sacrement est différente.

[13388] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 S.c. 2 Praeterea, virtutes et dona sunt connexa propter gratiam, ut in 3 Lib., dist. 36, quaest. unic., art. 2, et 3, dictum est, non autem sacramenta. Ergo non est eadem gratia hic et ibi.

S.c. 2 – Les vertus et les dons sont connexes en raison de la grâce, comme on l’a dit dans le livre III, d. 36, q. un., a. 2 et 3. Or, les sacrements ne le sont pas. Il ne s’agit donc pas de la même grâce ici et là.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13389] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod omnes coguntur ponere, sacramenta novae legis aliquo modo causas gratiae esse, propter auctoritates quae hoc expresse dicunt. Sed diversi diversimode eas causas ponunt. Quidam enim dicunt, quod non sunt causae quasi facientes aliquid in anima, sed causae sine quibus non: quia increata virtus, quae sola effectus ad gratiam pertinentes in anima facit, sacramentis assistit per quamdam Dei ordinationem, et quasi pactionem. Sic enim ordinavit et quasi pepigit Deus, ut qui sacramenta accipiunt, simul ab iis gratiam recipiant, non quasi sacramenta aliquid faciant ad hoc. Et est simile de illo qui accipit denarium plumbeum facta tali ordinatione, ut qui habuerit unum de illis denariis, habeat centum libras a rege: qui quidem denarius non dat illas centum libras, sed solus rex accipienti ipsum. Et quia pactio talis non erat facta in sacramentis veteris legis, ut accedentes ad ipsa gratiam acciperent, ideo dicuntur gratiam non conferre, sed promittebant tantum. Sed hoc non videtur sufficere ad salvandum dicta sanctorum. Causa enim sine qua non, si nihil omnino faciat ad inducendum effectum vel disponendo vel meliorando, quantum ad rationem causandi, nihil habebit supra causas per accidens; sicut album est causa domus, si aedificator sit albus; et secundum hoc sacramenta essent causae per accidens tantum sanctificationis. Illa enim ordinatio quam dicunt, sive pactio, nihil dat eis de ratione causae, sed solum de ratione signi; sicut etiam denarius plumbeus est solum signum indicans quis debet accipere. Quod autem est per accidens, omittitur ab arte, nec ponitur in definitione; unde in definitione sacramenti non poneretur causalitas praedicta, nec sancti multum curassent de ea dicere. Nec iterum sacramenta novae legis, quae differunt a sacramentis veteris legis secundum ordinationem praedictam, differrent ab eis secundum rationem causae, sed solum quantum ad modum significandi, inquantum haec significant gratiam ut statim dandam, illa vero non. Et ideo alii dicunt, quod ex sacramentis duo consequuntur in anima. Unum quod est sacramentum et res, sicut character, vel aliquis ornatus animae in sacramentis in quibus non imprimitur character, aliud quod est res tantum, sicut gratia. Respectu ergo primi effectus sunt sacramenta causae aliquo modo efficientes; sed respectu secundi sunt causae disponentes tali dispositione quae est necessitas, nisi sit impedimentum ex parte recipientis; et hoc videtur magis theologis et dictis sanctorum conveniens. Ad cujus evidentiam sciendum est, quod causa efficiens dupliciter potest dividi. Uno modo ex parte effectus; scilicet in disponentem, quae causat dispositionem ad formam ultimam; et perficientem, quae inducit ultimam perfectionem. Alio modo ex parte ipsius causae in agens principale, et instrumentale. Agens enim principale est primum movens, agens autem instrumentale est movens motum. Instrumento autem competit duplex actio: una quam habet ex propria natura, alia quam habet prout est motum a primo agente; sicut calor ignis, qui est instrumentum virtutis nutritivae, ut dicitur in 2 de anima, ex natura propria habet dissolvere, et consumere, et hujusmodi effectus: sed inquantum est instrumentum animae vegetabilis, generat carnem. Sed sciendum, quod actio instrumenti quandoque pertingit ad ultimam perfectionem, quam principale agens inducit aliquando autem non; semper tamen pertingit ad aliquid ultra id quod competit sibi secundum suam naturam, sive illud sit ultima forma, sive dispositio, alias non ageret ut instrumentum: sic qualitates activae et passivae elementorum pertingunt instrumentaliter ad formas materiales educendas de materia, non autem ad productionem animae humanae, quae est ab extrinseco. Dicendum est ergo, quod principale agens respectu justificationis Deus est, nec indiget ad hoc aliquibus instrumentis ex parte sua; sed propter congruitatem ex parte hominis justificandi, ut supra dictum est, utitur sacramentis quasi quibusdam instrumentis justificationis. Hujusmodi autem materialibus instrumentis competit aliqua actio ex natura propria, sicut aquae abluere, et oleo facere nitidum corpus; sed ulterius, inquantum sunt instrumenta divinae misericordiae justificantis, pertingunt instrumentaliter ad aliquem effectum in ipsa anima, quod primo correspondet sacramentis, sicut est character, vel aliquid hujusmodi. Ad ultimum autem effectum, quod est gratia, non pertingunt etiam instrumentaliter, nisi dispositive, inquantum hoc ad quod instrumentaliter effective pertingunt, est dispositio, quae est necessitas, quantum in se est, ad gratiae susceptionem. Et quia omne instrumentum agendo actionem naturalem, quae competit sibi inquantum est res quaedam, pertingit ad effectum qui competit sibi inquantum est instrumentum, sicut dolabrum dividendo suo acumine pertingit instrumentaliter ad formam scanni: ideo etiam materiale elementum exercendo actionem naturalem, secundum quam est signum interioris effectus, pertingit ad interiorem effectum instrumentaliter. Et hoc est quod Augustinus dicit, quod aqua Baptismi corpus tangit, et cor abluit; et ideo dicitur, quod sacramenta efficiunt quod figurant. Et hunc modum justificandi videtur Magister tangere in littera: dicit enim, quod homo non quaerit salutem in sacramentis quasi ab eis, sed per illa a Deo. Haec enim praepositio a denotat principale agens: sed haec praepositio per denotat causam instrumentalem.

 

 

 

Tous sont obligés de reconnaître que les sacrements de la loi nouvelle sont de quelque façon causes de la grâce, en raison des autorités qui le disent expressément. Mais les opinions varient sur la manière dont ils sont causes. En effet, certains disent qu’ils ne sont pas causes comme s’ils produisaient quelque chose dans l’âme, mais causes sine qua non, car la puissance incréée, qui seule réalise dans l’âme les effets qui relèvent de la grâce, est présente aux sacrements par une disposition divine et comme par un pacte. En effet, Dieu a ainsi disposé et comme fixé que ceux qui reçoivent les sacrements reçoivent d’eux en même temps la grâce, mais non comme si les sacrements y étaient pour quelque chose. Cela ressemble à celui qui reçoit un denier de plomb, étant entendu que celui qui possédera un de ces deniers, recevra dix livres du roi : ce denier ne donne pas les cent livres, mais le roi seul [les donne] à celui qui reçoit [le denier]. Et parce qu’un tel pacte n’existait pas dans les sacrements de la loi ancienne afin que ceux qui s’en approchaient reçoivent la grâce, on dit qu’ils ne confèraient pas la grâce, mais qu’ils la promettaient seulement. Mais cela ne semble pas être suffisant pour rendre justice à ce que disent les saints. En effet, une cause sine qua non, si elle ne fait rien du tout pour entraîner l’effet, soit en disposant, soit en améliorant, n’aura rien de plus, en tant que cause, que les causes accidentelles, comme si ce qui est blanc est cause de la maison, si le constructeur est blanc. Selon ce point de vue, les sacrements ne seraient que des causes accidentelles de la sanctification. En effet, cette disposition ou ce pacte dont ils parlent ne font en rien [des sacrements] des causes, mais seulement des signes, comme le denier de plomb n’est que le signe indiquant qui doit le recevoir. Or, ce qui existe par accident est omis par l’art et n’est pas mis dans la définition. Aussi la causalité mentionnée ne serait pas mise dans la définition du sacrement, et les saints ne se seraient pas beaucoup préoccupés d’en parler. De plus, les sacrements de la loi nouvelle, qui diffèrent des sacrements de la loi ancienne selon le rapport indiqué, n’en seraient pas différents en tant que causes, mais seulement selon la manière de signifier, pour autant qu’ils signifient la grâce qui doit être immédiatement donnée, et ceux-là, non. C’est pourquoi d’autres disent que deux choses se produisent dans l’âme en vertu des sacrements. L’une qui est le sacrement et la réalité, comme le caractère, ou quelque ornement de l’âme par les sacrements qui n’impriment pas de caractère ; l’autre qui est la réalité seulement, comme la grâce. Par rapport au premier effet, les sacrements sont donc d’une certaine manière des causes efficientes ; mais par rapport au second, ils sont des causes qui disposent selon une disposition nécessaire, à moins qu’il n’y ait un empêchement du côté de celui qui reçoit. Et cela semble plus conforme aux théologiens et à ce que disent les saints. D’une part, du point de vue de l’effet, c’est-à-dire de celui qui dispose, qui cause la disposition à la forme ultime ; et du point de vue de celui qui parfait, qui conduit à la perfection ultime. D’autre part, du point de vue de la cause elle-même qu’est l’agent principal et instrumental. En effet, l’agent principal est ce qui meut en premier, mais l’agent instrumental est ce qui meut en étant mû. Or, une double action convient à l’instrument : l’une qu’il possède par sa propre nature ; l’autre qu’il possède en tant qu’il est mû par le premier agent, comme la chaleur du feu, qui est l’instrument de la puissance nutritive, comme il est dit dans De l’âme, II, est apte par sa propre nature à dissoudre, à consumer et à produire des effets de ce genre ; mais, en tant qu’elle est instrument de l’âme végétative, elle engendre la chair. Mais il faut savoir que l’action de l’instrument va parfois jusqu’à la perfection ultime, que l’agent principal parfois produit, et parfois non. Toutefois, elle va toujours jusqu’à quelque chose qui dépasse ce qui convient à sa nature, que ce soit la forme ultime ou une disposition, autrement, il n’agirait pas en tant qu’instrument. Ainsi, les qualités actives et passives des éléments vont de manière instrumentale jusqu’aux formes matérielles qui doivent être tirées de la matière, mais non jusqu’à la production de l’âme humaine, qui vient de l’extérieur. Il faut donc dire que, en ce qui concerne la justification, l’agent principal est Dieu et qu’il n’est pas besoin d’instruments de sa part ; mais, en raison d’une convenance de la part de l’homme qui doit être justifié, comme on l’a dit, [Dieu] utilise les sacrements comme des instruments de la justification. Or, une certaine action convient aux instruments matériels selon leur propre nature, comme [il convient] à l’eau de laver et à l’huile, de rendre le corps brillant ; mais en plus, en tant qu’ils sont des instruments de la divine miséricorde qui justifie, ils vont de manière instrumentale jusqu’à un effet dans l’âme elle-même, qui conviendra en propre aux sacrements, comme le caractère ou quelque chose de ce genre. Mais ils ne vont pas, même de manière instrumentale, jusqu’à l’effet ultime, qui est la grâce, si ce n’est à la manière d’une disposition, pour autant que ce qu’ils réalisent de manière instrumentale est une disposition, qui, en elle-même, est une nécessité de recevoir la grâce. Et parce que tout instrument, en accomplissant son action naturelle, qui lui convient en tant qu’il est une certaine chose, va jusqu’à l’effet qui lui convient en tant qu’il est un instrument, comme la hache, en séparant par son tranchant, va jusqu’à la forme de l’escabeau, c’est la raison pour laquelle un élément matériel, en exerçant son action naturelle, selon laquelle il est le signe d’un effet intérieur, atteint aussi de manière instrumentale l’effet intérieur. Et c’est ce que dit Augustin, que «l’eau du baptême touche le corps et lave le cœur». C’est pourquoi on dit que les sacrements réalisent ce qu’ils représentent. Et c’est cette manière de justifier que le Maître semble aborder dans le texte : en effet, il dit que l’homme ne cherche pas le salut dans les sacrements comme s’il venait d’eux, mais comme s’il venait de Dieu par eux. En effet, la préposition «de» indique l’agent principal ; mais la préposition «par» indique la cause instrumentale.

[13390] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Bernardus, ut ex praecedentibus ibidem patet, non intendit ostendere similitudinem sacramentorum ad illa, nisi quantum ad significationem: quia anulus est signum et baculus, et similiter sacramenta; sed sacramenta ulterius sunt causae.

1. Comme cela ressort clairement de ce qui a été dit précédemment, Bernard n’entend pas montrer la ressemblance des sacrements à ces choses, si ce n’est pour la signification, car l’anneau est un signe, ainsi que le bâton, et de même les sacrements. Mais, en plus, les sacrements sont causes.

 

[13391] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reducuntur ad genus efficientis causae, non principalis, sed instrumentalis. Deus autem solus est causa gratiae quasi principale agens, sed sacramenta quasi instrumentaliter et dispositive, ut dictum est, agentia sunt.

2. Ils se ramènent au genre de la cause efficiente, non pas principale, mais instrumentale. En effet, Dieu seul est cause de la grâce en tant qu’agent principal, mais les sacrements sont des agents pour ainsi dire à la manière d’instruments et de dispositions, comme on l’a dit.

[13392] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod agens non semper est nobilius patiente simpliciter loquendo, sed inquantum est agens. Agit enim ignis vel ferrum in corpus humanum, quod est simpliciter nobilius, quo tamen ignis est nobilior inquantum est actu calidus, et secundum hoc agit in corpus humanum; et sic non oportet quod res illae materiales quae sunt in sacramentis, sint simpliciter anima nobiliores, sed secundum quid, scilicet inquantum sunt instrumenta divinae misericordiae operantis ad justificationem. Nec iterum oportet quod instrumentaliter agens sit simpliciter nobilius effectu; quia effectus non proportionatur instrumento, sed principali agenti, qui quandoque per vilia instrumenta nobiliores effectus inducit, sicut medicus perducit ad sanitatem per clysterem.

3. À parler simplement, l’agent n’est pas toujours plus noble que ce qui subit, mais en tant qu’il est agent. En effet, le feu ou le fer agissent sur le corps humain, qui est plus noble à parler simplement ; toutefois, le feu est plus noble en tant qu’il est chaud en acte et qi’il agit ainsi sur le corps humain. Ainsi, il n’est pas nécessaire que les choses matérielles qui se trouvent dans les sacrements soient simplement plus nobles que l’âme, mais de manière relative, à savoir, en tant qu’elles sont des instruments de la miséricorde divine agissant en vue de la justification. Il n’est pas non plus nécessaire que l’agent instrumental soit plus noble que l’effet, car l’effet n’est pas proportionné à l’instrument, mais à l’agent principal, qui parfois réalise des effects plus nobles par des instruments de peu de valeur, comme le médecin conduit à la santé par un clystère.

[13393] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod causa univoca vel non univoca, proprie loquendo et simpliciter sunt divisiones illius causae cujus est similitudinem habere cum effectu; haec autem est principalis agentis et non instrumentalis, ut dicit Alexander, secundum quod narrat Commentator. Et ideo proprie loquendo, neque instrumentum est causa univoca neque aequivoca. Posset tamen reduci ad utrumlibet, secundum quod principale agens, in cujus virtute instrumentum agit, est causa univoca, vel non univoca.

4. La cause univoque ou [la cause] non univoque sont, à parler proprement et simplement, des divisions de cette cause à qui il revient de ressembler à l’effet. Or, cette cause est celle de l’agent principal, et non de l’agent instrumental, comme le dit Alexandre, selon le récit du Commentateur. C’est pourquoi, à proprement parler, l’instrument non plus n’est ni une cause univoque, ni une cause équivoque. Toutefois, il pourrait être ramené aux deux selon que l’agent principal, par la puissance duquel l’instrument agit, est cause univoque ou non univoque.

[13394] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex sacramentis causatur per modum influentiae gratia: nec tamen sacramenta sunt quae influunt gratiam, sed per quae Deus sicut per instrumenta animae gratiam influit.

5. À partir des sacrements, la grâce est causée par mode d’action intérieure. Toutefois, ce ne sont pas les sacrements qui causent intéroeirement la grâce, mais ils sont ce par quoi Dieu cause intérieurement la grâce dans l’âme comme par l’intermédiaire d’instruments.

[13395] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in transubstantiatione, cum sit quasi quidam motus vel mutatio, duo sunt, scilicet recessus a termino, et accessus ad terminum. Verba ergo sacramentalia pertingunt instrumentaliter ad transubstantiationem quantum ad recessum a termino a quo; sed quantum ad accessum ad terminum ad quem non pertingunt instrumentaliter, nisi dispositive, sicut in aliis sacramentis accidit.

6. Puisqu’elle est comme un mouvement ou un changement, deux choses existent dans la transsubstantiation : l’éloignement d’un terme et le rapprochement d’un [autre] terme. Les paroles sacramentelles affectent la transubstantiation de manière instrumentale pour ce qui est de l’éloignement du terme d’origine; mais, pour ce qui est du rapprochement par rapport au terme d’arrivée, elles ne l’affectent de manière instrumentale que par mode de disposition, comme cela se produit dans les autres sacrements.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13396] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod propter auctoritates inductas necesse est ponere aliquam virtutem supernaturalem in sacramentis. Sustinentes autem primam opinionem dicunt, quod illa virtus non est nisi quidam ordo ad aliquid. Sed hoc nihil est dictu: quia semper virtus nominat principium alicujus, praecipue prout sumitur hic pro virtute causae. Ad aliquid autem, sive relatio, non potest esse principium actionis, vel terminus, ut probatur in 5 Physic.; et ideo nullo modo ille ordo potest habere nomen virtutis neque rationem. Et propter hoc dicendum aliter, quod virtus agendi proportionatur agenti. Unde alio modo oportet ponere virtutem agendi in agente principali; alio modo in agente instrumentali. Agens enim principale agit secundum exigentiam suae formae; et ideo virtus activa in ipso est aliqua forma vel qualitas habens completum esse in natura. Instrumentum autem agit ut motum ab alio; et ideo competit sibi virtus proportionata motui: motus autem non est ens completum sed est via in ens quasi medium quid inter potentiam puram et actum purum, ut dicitur in 3 Physic. Et ideo virtus instrumenti inquantum hujusmodi, secundum quod agit ad effectum ultra id quod competit sibi secundum suam naturam, non est ens completum habens esse fixum in natura, sed quoddam ens incompletum, sicut est virtus immutandi visum in aere, inquantum est instrumentum motum ab exteriori visibili; et hujusmodi entia consueverunt intentiones nominari, et habent aliquid simile cum ente, quod est in anima quod est ens diminutum, ut dicitur in 6 Metaph. Et quia sacramenta non faciunt effectum spiritualem nisi inquantum sunt instrumenta; ideo virtus spiritualis est in eis non quasi ens fixum, sed sicut ens incompletum.

 

 

 

 

[13397] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ens incompletum quod est in anima, dividitur contra ens distinctum per decem genera, ut patet in 6 Metaph.; et ideo talia entia incompleta, per se loquendo, non sunt in aliquo genere nisi per reductionem, sicut motus quantum ad suam substantiam reducitur ad illud genus in quo sunt termini motus, sicut imperfectum ad perfectum, quamvis ponatur in praedicamento passionis secundum quod importat ordinationem moventis ad motum, ut dicit Commentator. Unde et virtus haec quae est in sacramentis reducitur ad id genus in quo est virtus completa principalis agentis, quae est qualitas, vel in qua esset, si in genere esset: quia virtus increata non est in aliquo genere.

En raison des autorités invoquées, il est nécessaire de reconnaître une certaine puissance surnaturelle dans les sacrements. Or, ceux qui soutiennent la première opinion disent que cette puissance n’est qu’un rapport à quelque chose. Mais c’est là ne rien dire, car la puissance désigne toujours le principe de quelque chose, surtout qu’elle est entendue ici de la puissance d’une cause. Or, un «rapport à quelque chose», une relation, ne peut être le principe d’une action ou son terme, comme cela est démontré dans Physique, V. C’est pourquoi ce rapport ne peut d’aucune façon avoir ni le nom ni la réalité de puissance. Pour cette raison, il faut s’exprimer autrement. La puissance d’agir est proportionnée à l’agent. Aussi faut-il affirmer autrement la puissance d’agir pour l’agent principal et autrement pour l’agent instrumental. En effet, l’agent principal agit selon l’exigence de sa forme. C’est pourquoi la puissance active en lui est une forme ou qualité qui possède un être complet par sa nature. Or, l’instrument agit en tant que mû par un autre. Une puissance proportionnée au mouvement lui convient donc. Or, le mouvement n’est pas un être complet, mais un chemin vers l’être, comme un milieu entre la puissance pure et l’acte pur, ainsi qu’il est dit en Physique, III. Ainsi, la puissance de l’instrument en tant que tel, selon qu’il agit en vue d’un effet qui dépasse ce qui lui convient selon sa nature, n’est pas un être complet possédant un être arrêté par nature, mais un être incomplet, comme l’est la puissance de changer la vision dans l’air, pour autant qu’elle est un instrument mû par quelque chose d’extérieur qui est visible. Et les êtres de ce genre ont l’habitude d’être appelés des «intentions» : ils ont quelque chose de semblable à l’être, qui existe dans l’âme et qui est un être amoindri, comme il est dit dans Métaphysique, VI. Et parce que les sacrements ne produisent un effet spirituel que dans la mesure où ils sont des instruments, la puissance spirituelle existe en eux, non pas comme un être arrêté, mais comme un être incomplet.

 

1. L’être incomplet qui existe dans l’âme s’oppose à l’être divisé en dix genres, comme cela ressort clairement de Métaphysique, VI. C’est pourquoi, à parler proprement, ils ne se situent dans un genre que par réduction, comme le mouvement, quant à sa substance, se ramène au genre dans lequel se trouvent les termes du mouvement, comme l’imparfait au parfait, bien qu’il soit placé dans le prédicament de la passion selon qu’il comporte un rapport de ce qui meut à ce qui est mû, comme le dit le Commentateur. Aussi, la puissance qui existe dans les sacrements se ramène-t-elle au genre où se trouve la puissance complète de l’agent principal, qui est la qualité, ou dans lequel elle se trouverait, si elle était dans un genre, car la puissance incréée ne fait pas partie d’un genre.

[13398] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod instrumento datur virtus agendi instrumentaliter dupliciter. Uno modo quasi inchoative, quando instituitur in specie instrumenti; et ideo dicit Hugo, quod continet gratiam ex sanctificatione. Alio modo datur complete, quando actu movetur a principali agente, sicut quando carpentarius utitur serra; et similiter complete datur virtus sacramentis in ipso usu sacramentorum. Nec est inconveniens, si virtus quae motui proportionatur, datur rei statim vel post modicum desiturae.

2. La puissance d’agir instrumentalement est donnée à l’instrument de deux manières. D’une manière, pour ainsi dire par mode d’inchoation, lorsqu’elle est établie dans l’espèce de l’instrument. C’est pourquoi Hugues dit qu’il contient la grâce en vertu d’une sanctification. D’une autre manière, [la puissance] est donnée [à l’instrument] de manière complète lorsqu’il est mû en acte par l’agent principal, comme lorsque le charpentier utilise la scie. De la même manière, la puissance est donnée complètement aux sacrements dans l’usage même des sacrements. Et il n’est pas approprié que la puissance qui est proportionnée au mouvement soit donnée à une chose qui va cesser tout de suite ou peu après.

[13399] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut virtus praedicta non potest poni in aliquo genere entis nisi per reductionem; ita nec constitui in aliquo gradu boni, nisi per reductionem. Reducitur autem ad bona maxima, in quibus est gratia, quae quodammodo est complementum ipsius virtutis, quasi finis ejus.

3. De même que la puissance dont il a été question ne peut être placée dans un genre d’être que par réduction, de même ne peut-elle être située dans un degré de bien que par réduction. Or, elle se ramène aux biens les plus grands dans lesquels consiste la grâce, qui est d’une certaine manière l’achèvement de la puissance même en tant qu’elle est sa fin.

[13400] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in re corporali non potest esse virtus spiritualis secundum esse completum; potest tamen ibi esse per modum intentionis, sicut in instrumentis motis ab artifice est virtus artis, et sermo audibilis existens causa disciplinae, ut dicitur in Lib. de sensu et sensato continet intentiones animae quodammodo: etiam in motu est virtus substantiae separatae moventis, secundum philosophos, et semen agit in virtute animae, ut dicitur in 1 de Generat. animalium.

4. Il ne peut y avoir de puissance spirituelle dans une chose corporelle selon l’être complet, mais il peut cependant y en avoir par mode d’intention, comme existe la puissance de l’art dans les instruments mus par l’artisan, et comme un discours perceptible est cause de l’enseignement, comme il est dit, dans le livre Du sens et de l’objet du sens, que celui-ci contient d’une certaine manière les intentions de l’âme. Et aussi, dans le mouvement, existe la puissance d’une substance séparée qui meut, selon les philosophes, et la semence agit par la puissance de l’âme, comme il est dit dans La génération des animaux, I.

[13401] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut virtus absoluta non est complete in quolibet congregatorum ad unam actionem quam nullus per se perficere potest, sicut est de tractu navis, sed est in omnibus simul, inquantum sunt omnes loco unius agentis, et sic virtus in eis existens suam retinet unitatem; ita etiam est de instrumentis, quando unum non sufficit; et sic etiam est in aliis multis quae exiguntur ad sacramentum: quia in omnibus est illa virtus simul acceptis complete, in singulis autem incomplete.

5. De même que la puissance absolue n’existe pas de manière complète dans aucun de ceux qui sont rassemblés en vue d’une seule action que personne ne peut accomplir par lui-même, comme c’est le cas pour tirer un navire, mais qu’elle existe en même temps en tous pour autant qu’il jouent tous le rôle d’un seul agent, et qu’ainsi la puissance qui existe en eux garde son unité, de même en est-il aussi dans les instruments, lorsqu’un seul n’est pas suffisant. Et il en est aussi de même pour toutes les autres choses qui sont requises pour le sacrement, car, dans toutes, cette puissance existe de manière complète, mais en chacune, de manière incomplète.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13402] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod instrumentum praedicto modo virtutem non accipit nisi secundum quod principali agenti continuatur, ut virtus ejus quodammodo in instrumentum transfundatur. Principale autem et per se agens ad justificationem est Deus sicut causa efficiens, et passio Christi sicut meritoria. Huic autem causae continuatur sacramentum per fidem Ecclesiae, quae et instrumentum refert ad principalem causam, et signum ad signatum; et ideo efficacia instrumentorum, sive sacramentorum, vel virtus, est ex tribus: scilicet ex institutione divina sicut ex principali causa agente, ex passione Christi sicut ex causa prima meritoria, ex fide Ecclesiae sicut ex continuante instrumentum principali agenti.

L’instrument ne reçoit la puissance de la manière qui a été dite que pour autant qu’il est en contact avec l’agent principal, de sorte que la puissance de celui-ci soit transvasée d’une certaine manière dans l’instrument. Or, l’agent principal agissant par soi en vue de la justification est Dieu comme cause efficiente et la passion du Christ comme cause méritoire. Mais le sacrement est en contact avec cette cause par la foi de l’Église, qui met l’instrument en rapport avec la cause principale et le signe avec ce qui est signifié. C’est pourquoi l’efficacité des instruments ou des sacrements, ou leur puissance, vient de trois choses : l’institution divine, à titre de cause agente ; la passion du Christ, à titre de cause première méritoire ; la foi de l’Église, comme cause mettant l’instrument en contact avec l’agent principal.

[13403] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus, secundum quod homo, est causa meritoria nostrae justificationis; sed secundum quod Deus, est causa influens gratiam.

1. Le Christ, en tant qu’homme, est la cause méritoire de notre justification. Mais en tant que Dieu, il est la cause qui cause la grâce de l’intérieur.

 

[13404] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod resurrectio est causa justificationis quantum ad terminum ad quem; sed sacramenta magis respiciunt terminum a quo; et ideo directius respiciunt passionem, quae ad peccati deletionem principaliter quasi satisfactio quaedam ordinatur.

2. La résurrection est la cause de la justification pour ce qui est du point d’arrivée. Mais les sacrements concernent plutôt le point de départ. Ils concernent donc plus directement la passion, qui est ordonnée principalement à la destruction du péché comme une certaine satisfaction.

[13405] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides dat efficaciam sacramentis, inquantum causae principali ea quodammodo continuat, ut dictum est; et ideo fides passionis, a qua immediate et directe sacramenta efficaciam habent, sacramentis efficaciam largitur.

3. La foi donne efficacité aux sacrements en tant qu’elle les met d’une certaine manière en contact avec la cause principale, comme on l’a dit. C’est pourquoi la foi en la passion, dont les sacrements tirent leur efficacité de manière immédiate et directe, communique aux sacrements leur efficacité.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[13406] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, quia omne agens agit sibi simile, ideo effectus agentis oportet quod aliquo modo sit in agente. In quibusdam enim est idem secundum speciem; et ista dicuntur agentia univoca, sicut calor est in igne calefaciente. In quibusdam vero est idem secundum proportionem sive analogiam, sicut cum sol calefacit. Est enim in sole aliquid quod ita facit eum calefacientem sicut calor facit ignem calidum; et secundum hoc calor dicitur esse in sole aequivoce, ut dicitur in libro de substantia orbis. Ex quo patet quod illud quod est in effectu ut forma dans esse, est in agente, inquantum hujusmodi, ut virtus activa; et ideo sicut se habet agens ad virtutem activam, ita se habet ad continendam formam effectus. Et quia agens instrumentale non habet virtutem agendi ad aliquod ens completum, sed per modum intentionis, ut dictum est, et forma introducta continetur in eo per modum intentionis, sicut sunt species colorum in aere, a quibus aer non denominatur coloratus; etiam hoc modo gratia est in sacramentis sicut in instrumento, non complete, sed incomplete quantum ad quatuor. Primo, quia in instrumento non est forma effectus secundum completam rationem speciei, sicut est in effectu jam completo, et in causa univoca. Secundo, quia est in eo per modum intentionis, et non secundum completum esse in natura, sicut forma effectus est in causa principali non univoca secundum esse perfectum in natura, quamvis non secundum completam rationem illius speciei sive formae quam inducit in effectu, ut calor est in sole. Tertio, quia non est in eo per modum intentionis quiescentis, sicut sunt intentiones rerum in anima, sed per modum intentionis fluentis duplici fluxu: quorum unus est de potentia in actum, sicut etiam in mobili est forma, quae est terminus motus, dum movetur ut fluens de potentia in actum; et inter haec cadit medium motus, cujus virtute instrumentum agit: alius de agente in patiens, inter quae cadit medium instrumentum, prout unum est movens, et alterum motum. Quarto, quia sacramentum etiam instrumentaliter non attingit directe ad ipsam gratiam, ut dictum est, sed dispositive.

 

Tout agent réalise quelque chose qui lui ressemble. C’est pourquoi il est nécessaire que l’effet de l’agent existe de quelque manière dans l’agent. En effet, chez certains, il est identique selon l’espèce : ces agents sont appelés univoques, comme la chaleur se trouve dans le feu qui réchauffe. Mais, chez certains, il est identique selon une proportion ou une analogie, comme lorsque le soleil réchauffe. En effet, il existe dans le soleil quelque chose qui le fait réchauffer comme la chaleur rend le feu chaud. De cette manière, on dit que la chaleur se trouve dans le soleil de manière équivoque, comme cela est dit dans le livre Sur la substance du monde. Il ressort clairement de cela que ce qui se trouve dans l’effet comme forme donnant l’être se trouve dans l’agent, en tant que tel, en tant que puissance active. C’est pourquoi l’agent a avec la puissance active le même rapport qu’il a la forme qu’il contient. Et parce que l’agent instrumental n’a pas la puissance d’agir en vue de réaliser un être complet, mais [ne la possède] que par mode d’intention, comme on l’a dit, et que la forme introduite est contenue en lui par mode d’intention, comme le sont les espèces des couleurs dans l’air, qui ne font pas dire que les couleurs sont colorées, la grâce existe aussi de cette manière dans les sacrements comme dans un instrument, de manière non pas complète mais incomplète sur quatre points. Premièrement, parce que la forme de l’effet n’existe pas dans l’instrument selon la notion complète de l’espèce, comme c’est le cas dans l’effet déjà achevé et dans la cause univoque. Deuxièmement, parce qu’elle existe en lui par mode d’intention, et non selon un être complet par nature, comme la forme de l’effet existe dans la cause principale non univoque selon un être parfait par nature, bien que non selon la notion complète de cette espèce ou la forme qu’elle introduit dans l’effet, comme la chaleur existe dans le soleil. Troisièmement, parce qu’elle n’existe pas en lui par mode d’intention à l’état de repos, comme sont les intentions des choses dans l’âme, mais par mode d’intention qui passe, selon un double mouvement : l’un est le passage de la puissance à l’acte, comme ce qui est mobile existe dans la forme, qui est le terme du mouvement, lorsqu’il passe de la puissance à l’acte, entre lesquels s’intercale le mouvement, par lequel l’instrument agit ; l’autre est le passage de l’agent dans ce qui subit, entre lesquels s’intercale l’instrument, pour autant que l’un meut et que l’autre est mû. Quatrièmement, parce que le sacrement ne réalise pas la grâce elle-même, même de manière instrumentale, mais à la manière d’une disposition, comme on l’a dit.

[13407] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia non est in sacramentis sicut in subjecto, sed sicut in causa dispositiva instrumentali; sed intentio illa quae et virtus dicitur, est in sacramento sicut in subjecto.

1. La grâce n’existe pas dans les sacrements comme dans un sujet, mais comme dans une cause instrumentale qui dispose. Mais cette intention, qu’on appelle aussi puissance, existe dans les sacrements comme dans un sujet.

[13408] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pulcherrime dictum est, gratiam contineri in sacramentis sicut in vase per quamdam similitudinem. Sicut enim quod est in vase, non denominat vas, sed in eo conservatur, ut possit inde accipi cum libet; ita gratia quae continetur in sacramentis, non denominat ipsa, nec qualificat ea secundum aliquod esse completum, sed gratiam in eis accipere poterit qui eis uti voluerit.

2. C’est en vertu d’une certaine similitude qu’on a très bellement dit que la grâce est contenue dans les sacrements comme dans un vase. En effet, de même que ce qui est dans un vase ne désigne pas le vase, mais ce qui est conservé en lui, pour qu’on puisse en tirer à volonté, de même, la grâce qui est contenue dans les sacrements ne les désigne pas eux-mêmes ni ne leur donne la qualité d’un être complet, mais celui qui voudra les utiliser pourra recevoir en eux la grâce.

[13409] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma effectus quae est in agente principali vel instrumentali, non fit eadem numero in effectu. Nec propter hoc frustra est: quia non ad hoc ordinatur ut ipsamet in effectum fluat, sed ut ab ea vel per eam similis fiat in effectu. Causa enim efficiens non reducitur in idem numero cum forma generati, sed in idem specie, ut patet in 2 Phys.

 

3. La forme de l’effet qui existe dans l’agent principal ou instrumental n’est pas numériquement la même que celle qui existe dans l’effet. Elle n’est pas pour autant vaine, car elle n’est pas ordonnée à passer elle-même dans l’effet, mais à ce qu’une [forme] semblable existe à partir d’elle ou par elle dans l’effet. En effet, la cause efficiente ne se ramène pas à la même chose numériquement parlant que la forme de ce qui est engendré, mais à la même chose selon l’espèce, comme cela ressort clairement de Physique, II.

[13410] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod continere dicuntur, inquantum aliquo modo sunt causa ipsius.

4. On dit qu’ils contiennent pour autant qu’ils en sont causes d’une certaine manière.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [13411] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod, sicut in 2 Lib., 26 dist., quaest. unic., art. 3, et 4, dictum est, gratia gratum faciens est una, et est in essentia animae sicut in subjecto, et ab ipsa fluunt virtutes et dona ad perficiendum potentias animae, sicut etiam potentiae fluunt ab essentia; et distinguuntur istae virtutes secundum diversos actus, ad quos oportet potentias animae perfici. Similiter etiam a gratia illa quae est in essentia animae, effluit aliquid ad reparandum defectus qui ex peccato inciderunt; et hoc diversificatur secundum diversitatem defectuum. Sed quia hujusmodi defectus non sunt ita noti sicut actus ad quos virtutes perficiunt; ideo hic effectus ad reparandum defectum non habet speciale nomen, sicut virtus, sed retinet nomen suae causae, et dicitur gratia sacramentalis, ad quam directe sacramenta ordinantur: quae quidem non potest esse sine gratia quae respicit essentiam animae, sicut nec virtus. Sed tamen gratia quae est in essentia animae, non potest esse sine virtutibus; et ideo virtutes in ea habent connexionem. Potest autem esse sine gratia sacramentali; et ideo gratiae sacramentales connexionem non habent. Et ita patet quod gratia quam sacramentum directe continet, differt a gratia quae est in virtutibus, et donis; quamvis etiam illam gratiam per quamdam continuationem contineant.

Comme on l’a dit dans le livre II, d. 26, q. un., a. 3 et 4, la grâce sanctifiante [gratum faciens] est unique, et elle existe dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, et les vertus et les dons découlent d’elle pour perfectionner les puissances de l’âme, de la même manière dont les puissance découlent de l’essence. Ces diverses vertus se distinguent selon divers actes pour lesquels les puissances de l’âme doivent être perfectionnées. De même, de cette même grâce qui se trouve dans l’essence de l’âme, découle quelque chose en vue de réparer les carences qui sont issues du péché, et cela se diversifie selon la diversité des carences. Mais parce que ces carences ne sont pas aussi bien connues que les actes pour lesquels les vertus perfectionnent, cet effet destiné à réparer la carence ne porte pas de nom particulier, comme la vertu, mais il garde le nom de sa cause : on l’appelle la grâce sacramentelle, avec laquelle les sacrements ont un rapport direct, qui ne peut cependant exister sans la grâce qui concerne l’essence de l’âme, pas davantage que la vertu. Toutefois, la grâce qui existe dans l’essence de l’âme ne peut exister sans les vertus : c’est pourquoi les vertus trouvent en elle leur connexion. Mais elle peut exister sans la grâce sacramentelle : c’est pourquoi les grâces sacramentelles n’ont pas de connexion. Il est ainsi clair que la grâce que le sacrement contient directement diffère de la grâce qui se trouve dans les vertus et les dons, bien qu’ils contiennent cette grâce selon une certaine continuité.

[13412] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia gratum faciens, prout est in essentia animae, est una, sed secundum quod fluit ad defectus potentiarum tollendos, et potentias perficiendas multiplicatur.

1. La grâce sanctifiante, en tant qu’elle existe dans l’essence de l’âme, est unique, mais selon qu’elle s’écoule en vue d’enlever les carences des puissances et de perfectionner les puissances, elle se diversifie.

[13413] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia virtutum opponitur peccato, secundum quod peccatum continet inordinationem actus; sed gratia sacramentalis opponitur ei secundum quod vulnerat naturale bonum potentiarum.

2. La grâce des vertus s’oppose au péché, selon que le péché comporte un désordre de l’acte ; mais la grâce sacramentelle s’y oppose selon qu’il blesse le bien naturel des puissances.

[13414] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 4 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod recessus a peccato, prout opponitur virtuti, et accessus ad perfectionem virtutis pertinent ad eamdem gratiam, non autem recessus a peccato secundum quod vulnerat naturam: quia requirit specialem medicinam, sicut in morbo corporali etiam patet.

3. L’éloignement du péché, en tant qu’il s’oppose à la vertu, et la marche vers la vertu relèvent de la même grâce, mais non l’éloignement du péché en tant qu’il blesse la nature, car cela demande un remède particulier, comme cela est clair pour la maladie corporelle.

 

 

Articulus 5 [13415] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 tit. Utrum sacramenta veteris legis gratiam conferrent

Article 5 – Est-ce que les sacrements de la loi ancienne conféraient la grâce ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les sacrements de la loi ancienne conféraient-ils la grâce ?]

[13416] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sacramenta veteris legis gratiam conferebant. Ut enim supra dictum est, sacramenta a sacrando dicuntur, sicut ornatus ab ornando, et munimenta a muniendo. Sed sine gratia non potest aliquid sacrari. Ergo sacramenta veteris legis gratiam conferebant.

1. Il semble que les sacrements de la loi ancienne conféraient la grâce. En effet, comme on l’a dit plus haut, le mot «sacrement» vient de sanctifier, comme celui d’«ornement» d’orner, et celui de «fortifications» de fortifier. Or, quelque chose ne peut être sanctifié sans la grâce. Les sacrements de la loi ancienne conféraient donc la grâce.

[13417] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in canone Missae fit oratio, ut sacrificium Ecclesiae Deo sit acceptum, sicut sacrificia antiquorum accepta fuerunt; et Dan. 3, petitur ut sacrificium humiliati et contriti spiritus suscipiatur a Deo, sicut holocaustum arietum et taurorum. Sed sacrificium Ecclesiae et sacrificium contriti spiritus gratiam conferunt. Ergo et sacramenta veteris legis gratiam conferebant.

2. Dans le canon de la messe, on prie pour que le sacrifice de l’Église soit agréable à Dieu, comme l’ont été les sacrifices des anciens. Et en Dn 3, il est demandé que le sacrifice d’un esprit humble et repentant soit agréé de Dieu, comme l’holocauste de béliers et de taureaux. Or, le sacrifice de l’Église et le sacrifice d’un esprit contrit confèrent la grâce. Les sacrements de la loi ancienne conféraient donc la grâce.

[13418] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit, quod ex quo homo aegrotare coepit, Deus in sacramentis suis medicinam paravit. Sed medicina non potest exhiberi contra morbum peccati nisi per gratiam. Ergo sacramenta antiquorum gratiam conferebant.

3. Hugues de Saint-Victor dit qu’à partir du moment où l’homme a commencé à être malade, Dieu lui a préparé un remède par les sacrements. Or, un remède contre la maladie du péché ne peut être apporté que par la grâce. Les sacrements des anciens conféraient donc la grâce.

[13419] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, homo periculosius infirmabatur in affectu per concupiscentiam quam in intellectu per ignorantiam. Sed sacramenta contra ignorantiam figurabant futuram salutem. Ergo multo amplius contra concupiscentiam gratiam conferebant.

4. L’homme souffrait d’une maladie plus dangereuse dans son affectivité du fait de la concupiscence, que dans son intelligence du fait de l’ignorance. Or, les sacrements contre l’ignorance étaient les figures du salut à venir. Ils conféraient donc bien davantage la grâce contre la concupiscence.

[13420] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 5 Praeterea, impossibile est sine gratia satisfacere. Sed sacramenta veteris legis erant satisfactoria; unde pro diversis peccatis diversa sacrificia injungebantur in lege, ut patet Levit. 16 et 17. Ergo gratiam conferebant.

5. On ne peut satisfaire sans la grâce. Or, les sacrements de la loi ancienne étaient satisfactoires ; c’est la raison pour laquelle divers sacrifices étaient ordonnés pour divers péchés dans la loi, comme cela ressort clairement de Lv 16 et 17. Ils conféraient donc la grâce.

[13421] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Hebr. 10, 4: impossibile est sanguine hircorum et taurorum auferri peccata. Sed gratia tollit peccatum. Ergo antiqua sacramenta gratiam non conferebant.

S.c. 1 – En sens contraire, He 10, 4 dit : Il est impossible d’enlever les péchés par le sang des boucs et des taureaux. Or, la grâce enlève le péché. Les sacrements anciens ne conféraient donc pas la grâce.

[13422] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, per gratiam est vita animae. Sed de praeceptis veterum sacramentorum dicitur Ezech. 20, 25: dedi eis praecepta non bona, et judicia in quibus non vivent. Ergo gratiam non conferebant.

S.c. 2 – La vie de l’âme se réalise par la grâce. Or, en Ez 20, 25, il est dit, des commandements concernant les sacrements anciens : Je leur ai donné des commandements qui n’étaient pas bons, et des jugements par lesquels ils ne vivront pas. Ils ne conféraient donc pas la grâce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’usage des sacrements de la loi ancienne était-il méritoire ?]

[13423] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eorum usus non erat meritorius. Nihil enim est meritorium nisi sit Deo acceptum. Sed sacramenta illa non erant Deo accepta; super illud enim Isaiae 1: sanguinem hircorum nolui, dicit Glossa: praeterito utens tempore, ostendit se nunquam sacrificia Judaeorum amasse. Ergo eorum usus non erat meritorius.

1. Il semble que leur usage n’était pas méritoire. En effet, rien n’est méritoire à moins d’être agréable à Dieu. Or, ces sacrements n’étaient pas agréables à Dieu : en effet, à propos d’Is 1 : Je n’ai pas voulu du sang des boucs, la Glose dit : «En employant le passé, il montre qu’il n’a jamais aimé les sacrifices des Juifs.» Leur usage n’est donc pas méritoire.

[13424] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullum opus inutile est meritorium. Sed occisio tot animalium erat omnino inutilis. Ergo non erat meritoria.

2. Aucune action inutile n’est méritoire. Or, le fait de tuer des animaux était tout à fait inutile. Ils n’étaient donc pas méritoires.

[13425] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil efficit nisi hoc quod a Deo institutum est. Sed illa sacramenta imposuit Deus in onus; sicut in littera dicitur. Ergo eorum exercitium meritorium non erat.

3. Rien n’est efficace que ce qui a été établi par Dieu. Or, Dieu a imposé ces sacrements comme un fardeau, comme on le lit dans le texte. Leur mise en œuvre n’était donc pas méritoire.

[13426] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Origenes dicit quod illa ratione permisit Deus hoc sibi fieri qua permisit libellum repudii. Sed libellus repudii semper malus fuit, et nunquam meritorius. Ergo nec praedictorum sacramentorum usus.

4. Origène dit que Dieu a permis que cela soit accompli pour lui pour la même raison qu’il a permis la lettre de répudiation. Or, la lettre de répudiation a toujours été mauvaise et n’a jamais été méritoire. Il en va donc de même pour l’usage des sacrements mentionnés.

[13427] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, dicit Beda, quod sacramenta veteris legis suo tempore custodita vitam conferebant aeternam. Sed nihil perducit ad vitam aeternam, nisi sit meritorium. Ergo erant meritoria.

S.c. 1 – En sens contraire, Bède dit que les sacrements de la loi ancienne observés en leur temps donnaient la vie éternelle. Or, rien ne conduit à la vie éternelle qui ne soit méritoire. Ils étaient donc méritoires.

[13428] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, omnis actus virtutis formatae est meritorius. Sed usus sacramentorum veteris legis erat actus latriae, quae in sanctis viris caritate formata erat. Ergo erat meritorius.

S.c. 2 – Tout acte d’une vertu formée est méritoire. Or, l’usage des sacrements de la loi ancienne était un acte de latrie, qui, chez les saints, reçoit la forme de la charité. Il était donc méritoire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les sacrements de la loi ancienne purifiaient-ils la chair ?]

[13429] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non purgabant ab immunditiis carnis. Aut enim illae immunditiae sunt pure corporales, aut spirituales. A corporalibus pure non mundabant, immo magis inquinare videbantur. Similiter nec a spiritualibus, quia spirituales ab anima in corpus fiunt: quia secundum Augustinum, non inquinatur corpus, nisi prius anima inquinata fuerit. Dicta autem sacramenta animam non mundabant, cum gratiam non conferrent. Ergo neque carnem.

1. Il semble qu’ils ne purifiaient pas des impuretés de la chair. En effet, ces impuretés étaient purement corporelles ou spirituelles. Ils ne purifiaient pas des impuretés corporelles, bien plus, ils semblaient souiller davantage. De même, [ils ne purifiaient pas] des [impuretés] spirituelles, car les [impuretés] spirituelles sont provoquées dans le corps par l’âme : selon Augustin, le corps n’est pas souillé à moins que l’âme n’ait d’abord été souillée. Or, les sacrements en cause ne purifiaient pas l’âme, puisqu’ils ne conféraient pas la grâce. Ils ne purifiaient donc pas non plus la chair.

[13430] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, inter omnia sacramenta veteris legis magis erat purgativum cinis vitulae aspersus. Sed hic magis immundabat quam purgaret: quia sacerdos, qui vitulum immolaverat, immundus efficiebatur, ut patet Num. 19. Ergo nec alia sacramenta purgabant.

2. Parmi tous les sacrements de la loi ancienne, celui qui purifiait davantage était la cendre de génisse dispersée. Or, celle-ci souillait davantage qu’elle ne purifiait, car le prêtre qui avait immolé en était souillé, comme cela ressort clairement de Nb 19. Les autres sacrements ne purifiaient donc pas non plus.

[13431] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacramenta novae legis sunt majoris efficaciae quam sacramenta veteris legis. Sacramenta autem novae legis non purgant ab irregularitatibus. Ergo nec sacramenta veteris legis ab eis purgabant; quas irregularitates Magister hic exponit immunditias carnis.

3. Les sacrements de la loi nouvelle ont une plus grande efficacité que les sacrements de la loi ancienne. Or, les sacrements de la loi nouvelle ne purifient pas des irrégularités. Les sacrements de la loi ancienne n’en purifiaient donc pas non plus, irrégularités que le Maître interprète comme des impuretés de la chair.

[13432] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Hebr. 9, 13: sanguis hircorum, et sanguis vitulae aspersus inquinatos sanctificat ad emundationem carnis.

S.c. 1 – En sens contraire, He 9, 13 dit : Le sang des boucs et le sang de génisse répandu sanctifient les impurs des impuretés de la chair.

[13433] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, sicut sacramenta nostra dicuntur spiritualia, ita et illa carnalia dicebantur; Heb. 9, 1: habuit prius testamentum justificationes culturae. Glossa: non veras et spirituales, sed pro modo culturae carnalis. Sed sacramenta novae legis purgant ab immunditiis spiritualibus. Ergo illa purgabant ab immunditiis carnis.

S.c. 2 – De même que nos sacrements sont appelés spirituels, de même ceux-là étaient appelés charnels. He 9, 1 : La première alliance avait donc des institutions cultuelles. Glose : «Non pas vraies et spirituelles, mais par mode de culte charnel.» Or, les sacrements de la loi nouvelle purifient des impuretés spirituelles. Ceux-là purifiaient donc des impuretés charnelles.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13434] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod in sacramento est duo considerare; scilicet ipsum sacramentum, et usum sacramenti. Ipsum sacramentum dicitur a quibusdam opus operatum; usus autem sacramenti est ipsa operatio, quae a quibusdam opus operans dicitur. Cum ergo dicitur sacramentum, per se loquendo, gratiam conferre vel non conferre, justificare vel non justificare, referendum est ad opus operatum. De opere autem operato in sacramentis veteris legis duplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod in illis sacramentis opus operatum erat signum sacramentorum novae legis, et passionis Christi, a quo efficaciam habent; et ideo illud opus operatum erat cum quadam protestatione fidei; et ideo indirecte et ex consequenti habebant justificare, quasi mediantibus nostris sacramentis per ea significatis a Deo significationem habentia, ut dicit Hugo de sancto Victore. Nostra autem sacramenta directe et immediate justificant, quia ad hoc directe sunt instituta. Sed haec opinio non videtur convenire dictis sanctorum: dicunt enim, quod lex erat occasio mortis, inquantum ostendebat peccatum, et gratiam adjutricem non conferebat. Nec differt quantum ad hoc qualitercumque vel directe vel indirecte gratiam conferrent. Et praeterea secundum hoc nulla esset vel valde modica praeeminentia sacramentorum novae legis ad sacramenta veteris legis: quia etiam sacramenta novae legis a fide et significatione causandi efficaciam habent, ut dictum est. Et ideo alii dicunt, et melius, quod nullo modo sacramenta ipsa veteris legis, idest opus operatum in eis, gratiam conferebant, excepta circumcisione, de qua post dicetur.

Dans le sacrement, il faut tenir compte de deux choses : le sacrement lui-même, et l’usage du sacrement. Le sacrement lui-même est appelé par certains opus operatum [l’acte sacramentel en lui-même]; mais l’usage du sacrement est l’opération elle-même, qui est appelée par certains opus operans [l’acte sacramentel en tant que posé par quelqu’un]. Ainsi donc, lorsqu’on dit qu’à parler proprement, le sacrement confère ou ne confère pas la grâce, justifie ou ne justifie pas, il faut mettre cela en rapport avec l’acte posé. Or, à propos de l’acte posé dans les sacrements de la loi ancienne, il y a une double opinion. En effet, certains disent que, dans ces sacrements, l’acte posé était signe des sacrements de la loi nouvelle et de la passion du Christ, dont ils tirent leur efficacité. C’est pourquoi cette acte posé s’accompagnait d’une certaine attestation de foi et donc, indirectement et en vertu de ce qui suivait, ils possédaient la capacité de justifier, en recevant de Dieu leur signification comme par l’intermédiaire de nos sacrements signifiés par eux, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Or, nos sacrements justifient de manière directe et immédiate, parce qu’ils ont été directement institués pour cela. Mais cette opinion ne semble pas être en accord avec ce que disent les saints. En effet, ils disent que la loi était une occasion de mort dans la mesure où elle montrait le péché et ne conférait pas l’aide de la grâce. Et la façon dont ils conféraient la grâce directement ou indirectement ne fait pas de différence. De plus, selon cette opinion, il n’y aurait pas ou peu de prééminence des sacrements de la loi nouvelle par rapport aux sacrements de la loi ancienne, car même les sacrements de la loi nouvelle tiennent de la foi et de leur signification leur efficacité causale, comme on l’a dit. C’est pourquoi d’autres disent, et mieux, que d’aucune façon les sacrements de la loi ancienne, c’est-à-dire l’acte posé en eux, ne conféraient la grâce, à l’exception de la circoncision, dont il sera question plus loin.

[13435] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Secundum hoc ergo ad primum dicendum, quod sanctificatio quandoque importat emundationem et confirmationem spiritualem, quae fit per gratiam; et sic sacramenta veteris legis non dicebantur sacramenta, nisi quasi signa sanctificantium, ut dictum est. Alio modo sanctificatio importat mancipationem alicujus ad aliquod sacrum; et sic dicebantur sacramenta, et quasi sanctificantia, quia per ea fiebat quaedam idoneitas ad sacros usus et in templo et in vasis et in ministris et in populo. Et per hunc etiam modum apud gentiles dicebantur sacramenta militaria, quibus homo mancipabatur officio militari, quod sacramentum reputabant, sicut et omnia quae ad communitatem pertinebant.

 

1. Conformément à cela, il faut donc dire que la sanctification comporte parfois une purification et un renforcement spirituels, qui se réalisent par la grâce ; et ainsi, les sacrements de la loi ancienne ne s’appelaient pas des sacrements, si ce n’est en tant que signes de réalités sanctifiantes, comme on l’a dit. D’une autre manière, la sanctification comporte la consécration de quelque chose à quelque chose de saint ; et ainsi, on les appelait sacrements et même sanctifiants, parce que, par eux, se réalisait une certaine aptitude à des usages sacrés pour le temple, les vases, les ministries et le peuple. De cette manière aussi, chez les païens, on parlait de sacrements militaires, par lesquels un homme se vouait à la fonction militaire, qu’ils considéraient comme un sacrement, comme tout ce qui concernait la communauté.

[13436] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa oratio in canone Missae non attenditur quantum ad ipsa operata, quia hoc sacrificium magis placet quam illa; sed petitur ut devotio istius offerentis placeat, sicut illorum placuit: et similiter Daniel comparat sacrificium, quale tunc poterat offerre, ad devotionem illorum qui sacrificia in lege praecepta in Hierusalem cum magna devotione obtulerant.

2. Cette prière du canon de la messe ne porte pas sur les actes posé eux-mêmes parce ce que ce sacrifice-ci plaît davantage que ceux-là ; mais on demande que la dévotion de celui qui l’offre soit agréable, comme la leur était agréable. De la même manière, Daniel compare le sacrifice qu’il pouvait alors offrir à la dévotion de ceux qui avaient offert avec une grande dévotion à Jérusalem les sacrifices prescrits par la loi.

[13437] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacramenta veteris legis dicebantur medicinae quantum ad significationem, et non quantum ad collationem gratiae.

3. Les sacrements de la loi ancienne étaient appelés des remèdes quant à leur signification, et non en tant qu’ils conféraient la grâce.

[13438] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo tempore legis naturae relictus est sibi quantum ad cognitionem; et per ignorantiam erravit in idolatriam lapsus: unde ut quantum ad omnia se infirmum inveniret, oportebat ut instructus per legem et sacramentorum ejus significationem, se impotentem cognosceret sine auxilio gratiae; et ideo congruum fuit ut illa sacramenta gratiam non conferrent, ut sic salus a solo Christo expectaretur.

4. Au temps de la loi naturelle, l’homme a été laissé à lui-même pour ce qui était de la connaissance. Par ignorance, il a erré en tombant dans l’idolatrie. Aussi, pour qu’il se découvre malade en tout, il fallait que, instruit par la loi et par la signification de ses sacrements, il se reconnaisse impuissant sans l’aide de la grâce. Il était donc approprié que ces sacrements ne confèrent pas la grâce, afin qu’ainsi le salut soit attendu du Christ seul.

[13439] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis illa sacramenta peccata non diluerent quantum ad maculam, quia gratiam non conferebant, diminuebant tamen reatum, inquantum onerosa erant; et ideo satisfactoria esse poterant, praesupposita gratia ex fide mediatoris ei collata.

5. Bien que ces sacrements ne faisaient pas disparaître les péchés pour ce qui est de la souillure, parce qu’ils ne conféraient pas la grâce, ils diminuaient cependant la faute, dans la mesure où ils étaient un fardeau. Ils pouvaient ainsi être satisfactoires, en présupposant la grâce conférée en vertu de la foi au médiateur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13440] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod de usu sacramentorum, qui opus operans a quibusdam dicitur, est etiam duplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod usus ipse non erat meritorius, etiamsi in fide et caritate fierent: et hoc videtur Magister in littera dicere. Sed hoc videtur absurdum, quod labores sanctorum patrum in hujusmodi sacramentis Deo accepti non fuerint, et quod opus virtutis possit esse non meritorium. Et ideo communiter tenetur, quod usus eorum meritorius esse poterat, si ex caritate fieret. Aliqui tamen excusant Magistrum, dicentes, quod ipse intellexerit ipsa opera operata non justificare quantumcumque in caritate fierent, quamvis ipsa operatio ex caritate facta possit esse meritoria in eo qui est in statu merendi.

1. À propos de l’usage des sacrements, qui est appelé par certains opus operans, il existe deux opinions. En effet, certains ont dit qu’un tel usage n’était pas méritoire, même si on l’accomplissait dans la foi et la charité. Et c’est ce que semble dire le Maître dans le texte. Mais cela paraît absurde que les efforts des saints pères dans ces sacrements n’aient pas été agréables à Dieu et qu’un acte de vertu puisse n’être pas méritoire. C’est pourquoi on tient généralement que leur usage pouvait être méritoire, s’il était accompli par charité. Toutefois, certains excusent le Maître en disant qu’il a compris que les actes posés [opera operata] eux-mêmes ne justifiaient pas, même s’ils étaient accomplis par charité, bien que l’acte fait par charité puisse être méritoire du fait qu’il se trouve en état de mériter.

[13441] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacrificia illa per se loquendo nunquam fuerunt Deo accepta, quia gratiam non continebant, per quam Deo aliquid est acceptum; sed per accidens erant et accepta et non accepta. Accepta quidem propter significationem et devotionem offerentium; sed non accepta et abominabilia propter peccata et abusum offerentium, et quia eadem idolis immolabantur, et sic inquantum erant Deo accepta, poterant esse meritoria.

1. En soi, ces sacrifices n’ont jamais été agréables à Dieu, parce qu’ils ne contenaient pas la grâce par laquelle quelque chose est agréable à Dieu. Mais, par accident, ils pouvaient être acceptés ou non. Ils étaient agréables en raison de leur signification et de la dévotion de ceux qui les offraient; mais ils n’étaient pas agréables, ils étaient même abominables, en raison des péchés et de l’abus de ceux qui les offraient, et parce qu’ils étaient immolés aux idoles. Et ainsi, pour autant qu’ils étaient agréables à Dieu, ils pouvaient être méritoires.

[13442] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis occisio animalium esset secundum se inutilis, tamen inquantum ordinabatur ad cultum Dei, ex divina institutione utilis erat, et ejus utilitates tanguntur in Glossa, Rom. 5: lex data est ad domandum superbum, ut scilicet Deo offerret potius quam idolis; ad flagellandum durum, inquantum erat ad satisfactionem; ad instruendum insipientem, ratione significationis, ad ostensionem delicti, et humanae infirmitatis; et hoc respondet primis duobus; ad manifestationem et testimonium gratiae, et futurorum significationem; et hoc exponit tertium.

2. Bien que le fait de tuer des animaux soit inutile par lui-même, pour autant qu’il était ordonné au culte de Dieu, il était cependant utile en vertu d’une institution divine. Les raisons de son utilité sont abordées dans la Glose sur Rm 5 : «La loi a été donnée afin de mater l’orgueilleux», à savoir, pour qu’il offre à Dieu plutôt qu’aux idoles; «pour fouetter durement», parce qu’elle était destinée à satisfaire; «pour instruire l’ignorant», en raison de la signification; «pour montrer la faute et la faiblesse humaines» : cela répond aux deux premiers points; «pour manifester et témoigner de la grâce et signifier les choses à venir» : cela explique le troisième.

[13443] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod lex secundum Augustinum data est quantum ad hujusmodi sacramenta duris et superbis in flagellum et onus, ut oneratis divinis sacrificiis non liberet eis ad idolatriam declinare; sed perfectis in signum, et parvulis in paedagogum: et quantum ad hoc poterat esse eorum usus meritorius.

3. Selon Augustin, en ce qui concerne les sacrements de ce genre, la loi a été donnée aux rebelles et aux orgueilleux comme un châtiment et un fardeau, afin que ceux qui en étaient chargés ne puissent tomber dans l’idolatrie par des sacrifices offerts à Dieu. Mais elle a été donnée aux parfaits à titre de signe, et aux petits à titre de pédagogue. Pour autant, usage de ces choses pouvait être méritoire.

[13444] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister loquitur de illis sacrificiis, secundum quod habebant aliquam rationem displicentiae ex hoc quod idolis immolabantur; et quantum ad hoc non habebant rationem meriti.

4. Le Maître parle de ces sacrifices selon qu’ils comportaient une raison d’être désagréables du fait qu’ils étaient immolés aux idoles. Pour autant, ils n’étaient pas méritoires.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13445] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod veteris legis intentio erat homines ad timorem et reverentiam Dei inducere, et a carnalibus ad spiritualia trahere paulatim; et ideo instituit multa impedimenta, quibus homines ab usu illorum sacramentorum frequenter impedirentur, ut sic magis in reverentia haberentur, quia omne rarum carum; et sic etiam paulatim a carnalibus observantiis dissuescerent, quandoque totaliter abstrahendi in tempore gratiae. Et haec impedimenta immunditiae carnis dicebantur, quibus homo corporaliter accedere ad sancta inidoneus efficiebatur; et ab his carnis immunditiis sacramenta legis purgabant.

L’intention de la loi ancienne était de conduire les hommes à la crainte et au respect de Dieu et de les attirer peu à peu vers les réalités spirituelles en [les éloignant] des réalités charnelles. C’est pourquoi elle a établi plusieurs empêchements par lesquels les hommes étaient empêchés de faire un usage fréquent de ces sacrements, de sorte qu’on aurait plus respect à leur endroit, car tout ce qui est rare est cher. De cette manière aussi, on perdrait peu à peu l’habitude des observances charnelles, pour s’en détacher complètement au temps de la grâce. Et l’on disait que ces empêchements étaient des impuretés de la chair, par lesquelles l’homme était rendu inapte à approcher les choses saintes. C’est de ces impuretés de la chair que les sacrements de la loi purifiaient.

[13446] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod immunditiae illae non erant spirituales, quasi a peccato causatae semper, sed quasi a sacramentis prohibentes.

1. Ces impuretés n’étaient pas spirutelles, comme si elles étaient toujours causées par le péché, mais parce qu’elles empêchaient l’accès aux sacrements.

[13447] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacerdos lavabat manus et vestimenta, ne cum manibus sanguinolentis et cinerosis alia tangeret; et quia sacrorum ad communia non debet esse commixtio; unde etiam uncti chrismate manus lavant, et abstergunt. Immundus autem reputabatur propter tria. Primo ut sacerdotes essent sub onere, sicut et alii. Secundo ad tollendum superbiam sacerdotum de hoc quod alios sanctificabant. Tertio ad significandum quod sacerdos novi testamenti propter maximam sanctitatem sacrificii semper debet se inidoneum reputare.

2. Le prêtre lavait ses mains et ses vêtements afin de ne pas toucher aux autres choses avec des mains sanglantes et couvertes de cendre, et parce que les choses saintes ne doivent pas être mêlées aux choses ordinaires. Aussi lavaient-ils et essuyaient-ils même leurs mains ointes du chrême. Il était considéré comme impur pour trois raisons. Premièrement, afin que les prêtres portent le fardeau comme les autres. Deuxièmement, pour enlever l’orgueil des prêtres provenant de ce qu’ils sanctifiaient les autres. Troisièmement, pour signifier que le prêtre de la nouvelle alliance doit toujours se considérer comme inapte en raison de la très grande sainteté du sacrifice.

[13448] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in nova lege non sunt irregularitates tot sicut in veteri lege, nec sunt nisi in ministris Ecclesiae, in quibus requiritur maxima idoneitas propter sacramentorum sanctitatem; ideo tales irregularitates non ita facile absterguntur.

3. Dans la loi nouvelle, il n’existe pas d’irrégularités aussi nombreuses que dans la loi ancienne, et elles n’existent que chez les ministres de l’Église, chez qui est exigée l’aptitude la plus grande en raison de la sainteté des sacrements. C’est pourquoi de telles irrégularités ne sont pas lavées aussi facilement.

 

Quaestio 2

Question 2 – [Un sacrement de la loi ancienne : la circoncision]

 

Prooemium

Prologue

[13450] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 pr. Postquam determinavit Magister differentiam sacramentorum veteris et novae legis, hic determinat de quodam sacramento veteris legis, scilicet circumcisione, quod cum sacramentis novae legis aliquam convenientiam habet; et dividitur in partes duas: in prima determinat de circumcisione; in secunda movet quamdam quaestionem circa praedeterminata, ibi: si vero quaeritur, et cetera. Prima in tres: in prima determinat efficaciam circumcisionis; in secunda institutionem ipsius, ibi: hic dicendum est in quo instituta fuerit circumcisio; in tertia determinat de mutatione ipsius per Baptismum, ibi: ideo autem mutata est et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit quam efficaciam circumcisio habeat; secundo ostendit quod eamdem efficaciam contra originale habebant quaedam remedia ante praeceptum de circumcisione datum, ibi: quaeritur autem de viris qui fuerunt ante circumcisionem. Hic quaeruntur sex: 1 de necessitate circumcisionis; 2 quibus competeret; 3 de his quae ad circumcisionem requirebantur; 4 de efficacia circumcisionis; 5 de mutatione ipsius; 6 de remedio quod circumcisionem praecessit.

Après avoir précisé la différence entre les sacrements de l’ancienne et de la nouvelle loi, le Maître précise ce qu’il en est d’un sacrement de l’ancienne loi en particulier, à savoir, la circoncision, qui a quelque chose de commun avec les sacrements de la loi nouvelle. Il y a deux parties : dans la première, il précise ce qu’il en est de la circoncision ; dans la seconde, il soulève une question à propos de ce qu’il a précisé, à cet endroit : «Mais si l’on cherche, etc.» La première partie se divise en trois : dans la première, il précise l’efficacité de la circoncision ; dans la deuxième, son institution, à cet endroit : «Ici, il faut dire comment la circoncision a été instituée» ; dans la troisième, il précise comment elle s’est changée en baptême, en cet endroit : «C’est pourquoi elle a été changée, etc.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre quelle efficacité a la circoncision ; deuxièmement, il montre qu’avant le commandement sur la circoncision, certains remèdes avaient la même efficacité contre le [péché] originel, en cet endroit : «On s’interroge sur ceux qui ont existé avant la circoncision.» Ici, six questions sont posées : 1. La nécessité de la circoncision ; 2. Qui en avait l’usage ? 3. Ce qui était requis pour la circoncision 4. L’efficacité de la circoncision ; 5. Sa transformation ; 6. Le remède qui a précédé la circoncision.

 

Articulus 1 [13451] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum necessarium fuerit circumcisionem dari

Article 1 – Est-ce que la circoncision était nécessaire ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La circoncision était-elle nécessaire ?]

 [13452] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit necessarium circumcisionem dari. Sapientis est enim facere aliquid quanto brevius potest. Sed per fidem et sacramenta legis naturae sufficienter originale purgabatur. Ergo, non oportebat in remedium originalis circumcisionem dari.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire de donner la circoncision. En effet, il relève du sage de faire quelque chose le plus rapidement possible. Or, par la foi et les sacrements de la loi naturelle, le [péché] originel était suffisamment purifié. Il n’était donc pas nécessaire que la circoncision soit donnée comme remède du péché orignel.

[13453] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, peccato originali, quia ex alio contractum est, non debetur poena sensibilis, nec expiatio per satisfactionem. Sed circumcisio poenam sensibilem habebat. Ergo non erat conveniens remedium contra originale.

2. Une peine sensible et une expiation par la satisfaction n’étaient pas dues pour le péché originel parce qu’il a été contracté à partir d’un autre. Or, la circoncision comportait une peine sensible. Elle n’était donc pas appropriée comme remède au remède originel.

[13454] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, circumcisio est signaculum fidei, quae est in praeputio patris nostri Abrahae, Rom. 4. Sed conveniens fuit illam fidem significari, cujus oportet nos omnes imitatores existere. Ergo congruum fuit circumcisionem dari.

S.c. 1 – En sens contraire, la circoncision est un sceau de la foi dans le prépuce de notre père Abraham, Rm 4. Or, il était approprié que cette foi soit signifiée, dont nous devons tous être les imitateurs. Il était donc convenable que la circoncision soit donnée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Pourquoi la circoncision a-t-elle été donnée avant la loi écrite ?]

[13455] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit dari ante legem scriptam. Quia in lege naturae non erat aliqua distinctio, cum lex communis omnibus esset. Sed circumcisio signum distinctivum est: quia secundum Damascenum, est signum determinans Israel a gentibus. Ergo non debebat dari ante legem scriptam.

 

1. Il semble que [la circoncision] n’aurait pas dû être donnée avant la loi écrite, car, dans la loi naturelle, il n’existait pas de distinction, puisque cette loi était commune à tous. Or, la circoncision est un signe distinctif, car, selon [Jean] Damascène, elle est un signe qui distingue Israël des païens. Elle ne devait donc pas être donnée avant la loi écrite.

[13456] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, praecepta quae non sunt indita rationi naturali, debent ad populum per ministrorum officium tradi. Sed circumcisio non erat de dictamine legis naturalis. Ergo cum ante legem scriptam non esset ministrorum distinctio, videtur quod tunc dari non debuerit.

2. Les commandements qui ne sont pas innés à la raison naturelle doivent être transmis au peuple par la fonction des ministres. Or, la circoncision ne relevait pas d’une prescription de la loi naturelle. Puisqu’il n’y avait pas de distinction entre les ministres avant la loi écrite, il semble donc qu’elle n’aurait pas dû être donnée à ce moment-là.

 [13457] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, circumcisio, secundum apostolum, est signum fidei. Sed etiam ante legem scriptam erat distinctio fidelium a non fidelibus. Ergo tunc oportebat eis dari.

 

S.c. 1 – En sens contraire, selon l’Apôtre, la circoncision est un signe de la foi. Or, même avait la loi écrite, il existait une distinction entre les croyants et les non-croyants. Il était donc nécessaire qu’elle soit donnée.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La circoncision aurait-elle dû être donnée avant l’époque d’Abraham ?]

[13458] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit differri usque ad tempus Abrahae. Quia etiam ante ipsum erant fideles ab infidelibus distincti. Sed circumcisio est signum fidei. Ergo ante tempus Abrahae dari debuit.

1. Il semble qu’elle n’aurait pas dû être reportée jusqu’à l’époque d’Abraham, car, même avant lui, les croyants étaient distincts des non-croyants. Or, la circoncision est un signe de la foi. Elle aurait donc dû être donnée avant l’époque d’Abraham.

[13459] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, circumcisio majorem habet efficaciam quam sacramenta legis naturae; alias postea instituta non fuisset. Sed non minor erat necessitas efficacis remedii ante Abraham quam post. Ergo etiam ante eum dari debuit.

2. La circoncision a une plus grande efficacité que les sacrements de la loi naturelle, autrement, elle n’aurait pas été instituée par la suite. Or, la nécessité d’un remède n’était pas moins grande avant Abraham qu’après lui. Elle aurait donc dû être donnée même avant lui.

[13460] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, fides quae sacramentis efficaciam significandi dat, est fides mediatoris, ut supra dictum est. Sed Abrahae primo dictae sunt repromissiones de mediatore ex semine ejus nascendo. Ergo ei primo signum fidei distinctum dari debuit in generationis membro.

S.c. 1 – En sens contraire, la foi qui donne aux sacrements leur capacité de signifier est la foi au médiateur, comme on l’a dit plus haut. Or, c’est à Abraham qu’ont d’abord été faites les promesses d’un médiateur qui devait naître de sa descendance. Le signe de la foi devait donc d’abord lui être donné dans le membre de la génération.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13461] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circumcisio primo et principaliter necessaria fuit ad expressiorem significationem, quam sacramenta praecedentia fuissent. Oportuit enim quod secundum processum temporis, sicut explicatio fidei crescebat, ita cresceret distinctio signorum sacramentalium. Habet autem circumcisio expressam similitudinem ablationis originalis peccati quantum ad quatuor. Primo quantum ad membrum generationis, per quam originale transfunditur. Secundo quantum ad figuram circularem, in qua significatur circulus, qui est in processu originalis infectionis, secundum quod persona corrumpit naturam, et natura personam. Tertio quantum ad poenam, quae erat in circumcisione contra delectationem concupiscentiae, in qua praecipue viget fomitis virtus. Quarto quantum ad sanguinis effusionem, in quo significatur passio Christi, per quam pro originali satisfaciendum erat. Et quantum ad hanc utilitatem definitur circumcisio, quod est signaculum curationis ab originali. Sed ex consequenti fuit alia utilitas circumcisionis scilicet distinctio fidelis populi ab infideli propter fidem ejus cui data fuit circumcisio; et quantum ad hoc definit Damascenus, circumcisionem sic: circumcisio est signum determinans Israel a gentibus, cum quibus conversabatur. Habuit etiam mysticam significationem; et moralem, quia erat signum castitatis servandae; et allegoricam, inquantum significabat purgationem per Christum futuram; et quasi anagogicam, inquantum significabat depositionem corruptibilitatis carnis et sanguinis in resurrectione.

La circoncision était nécessaire d’abord et principalement pour exprimer de manière plus explicite que ne l’avaient fait les sacrements précédents. En effet, il fallait que, selon le passage du temps, de même que la foi devenait plus explicite, de même les signes sacramentels devenaient-ils plus précis. Or, la circoncision possède une similitude expresse avec l’enlèvement du péché originel sur quatre points. Premièrement, quant au membre de la génération, par lequel le péché originel est transmis. Deuxièmement, quant à la figure du cercle, par laquelle est signifié le cercle qui se trouve dans la progression du péché originel, selon lequel la personne corrompt la nature et la nature, la personne. Troisièmement, quant à la peine qui se produisait dans la circoncision, à l’encontre du plaisir de la concupiscence, dans laquelle surtout s’exprime la force du désir désordonné. Quatrièmement, quant à l’effusion du sang, par lequel est signifié la passion du Christ, par laquelle satisfaction devait être donnée pour le péché originel. Et la circoncision se définit ainsi par cette utilité : elle était un signe de la guérison du péché originel. Mais, par voie de conséquence, la circoncision avait aussi une autre utilité : distinguer le peuple fidèle de l’infidèle en raison de la foi de celui à qui la circoncision avait été donnée. Sous cet aspect, [Jean] Damascène définit ainsi la circoncision : «La circoncision est un signe distinguant Israël des païens au milieu desquels il vivait.» Elle avait aussi un sens mystique et moral, qui consitait à être signe de la chasteté qui doit être gardée ; et un sens allégorique, pour autant qu’elle signifiait la purification qui devait être réalisée par le Christ ; et [un sens] pour ainsi dire anagogique, pour autant qu’elle signifiait l’abandon de la corruptibilité de la chair et du sang par la résurrection.

[13462] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod has utilitates habuit circumcisio prae sacramentis legis naturae; et ideo post illa institui debuit.

1. La circoncision était ainsi plus utile que les sacrements de la loi naturelle. C’est pourquoi elle devait être instituée après ceux-ci.

[13463] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena illa non erat ad satisfactionem, sed tantum ad significationem.

2. Cette peine ne visait pas la satisfaction, mais seulement la signification.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13464] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod lex scripta non debuit dari divinitus nisi populo fideli; et ideo oportuit populum fidelem prius congregari, et ab aliis distingui, quam lex divinitus ei daretur. Hoc autem non poterat fieri nisi per aliquod signum in quo fideles ad invicem convenirent, et ab aliis distinguerentur, quod ad circumcisionem pertinet; et ideo ante legislationem debuit circumcisio dari.

La loi écrite ne devait être donnée par Dieu qu’au peuple fidèle. C’est pourquoi il était nécessaire que le peuple fidèle soit d’abord rassemblé et distingué des autres, avant que la loi ne lui soit donnée par Dieu. Or, cela ne pouvait se faire que par un signe dans lequel les fidèles se reconnaîtraient et se distingueraient des autres, ce qui est le cas de la circoncision. C’est pourquoi la circoncision devait être donnée avant la promulgation de la loi.

[13465] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circumcisio erat quodammodo legis naturae, inquantum tempore legis naturae data fuit, et quodammodo legis scriptae, inquantum ad ipsam praeparabat. Dispositiones autem distinctionem habent penes ea ad quae disponunt.

1. La circoncision relevait d’une certaine façon de la loi naturelle, pour autant qu’elle fut donnée à l’époque de la loi naturelle, et d’une certaine façon, de la loi écrite, pour autant qu’elle préparait à celle-ci. Or, ce qui dispose se distingue de ce à quoi cela dispose.

[13466] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum originale a nobis non habemus, sed aliunde; et ideo aliunde totaliter remedium habet, nobis non cooperantibus, scilicet a Deo. Et propter hoc, sacramentum quod in remedium originalis erat, a Deo immediate praecipi debuit, sicut circumcisio et Baptismus. Secus autem est de sacramentis legalibus, quae erant instituta ad satisfaciendum pro actualibus.

2. Nous ne tenons pas le péché originel de nous-mêmes, mais d’ailleurs. C’est pourquoi il reçoit d’ailleurs un remède, sans notre coopération, à savoir, de Dieu. Pour cette raison, le sacrement qui devait servir de remède au péché originel devait-il être immédiatement ordonné par Dieu, comme la circoncision et le baptême. Il en va autrement des sacrements de la loi, qui avaient été institués comme satisfaction pour les péchés actuels.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13467] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ex corruptione peccati originalis humanum genus circa tempora Abrahae usque ad profundissima peccatorum venerat, scilicet in infidelitatem, et turpissimum vitium contra naturam; et ideo tunc temporis primo conveniebat promissionem fieri manifestam de semine nascituro, in quo omnes gentes benedicerentur, et a peccatis mundarentur. Tunc etiam oportebat in significationem aliquod exemplum fidei hominibus proponi contra infidelitatem; tunc signa castitatis dari contra corruptissimam concupiscentiam; et ideo Abrahae primo data est circumcisio in signum paternitatis, ut ex quo nasciturus erat peccatorum destructor et in signum fidei, et distinctionis ab infidelibus, et in signum castitatis et munditiae.

En raison de la corruption du péché originel, le genre humain en était venu, à l’époque d’Abraham, jusqu’à un abîme de péchés : l’infidélité et le vice le plus honteux contraire à la nature. C’est pourquoi il convenait qu’à ce moment-là soit d’abord faite la claire promesse que quelqu’un naîtrait de sa descendance, en qui toutes les nations seraient bénies et seraient purifiées des péchés. Il fallait aussi que soit alors proposé aux hommes comme signe un exemple de foi qui s’opposait à l’infidélité ; aussi, que soient alors donnés des signes de la chasteté contraires à la concupiscence la plus corrompue. C’est pourquoi la circoncision fut donnée d’abord à Abraham en signe de paternité à l’égard de celui qui devait naître de lui comme destructeur des péchés, en signe de foi, de distinction par rapport aux infidèles, et en signe de chasteté et de pureté.

[13468] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ante Abraham fere omnes fideles erant: circa tempora enim ejus dicitur idolatria incepisse.

1. Avant Abraham, presque tous étaient des croyants : en effet, on dit que l’idolatrie a commencé vers son époque.

[13469] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia tunc temporis corruptio magis invaluerat, ideo etiam tunc oportebat efficacius remedium dari.

2. Parce que la corruption s’était alors accrue, il était alors nécessaire qu’un remède plus efficace soit donné.

 

Articulus 2 [13470] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum omnibus populis debuerit circumcisio dari

Article 2 – Est-ce que la circoncision aurait dû être donnée à tous les peuples ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La circoncision aurait-elle due être donnée à tous les peuples ?]

[13471] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnibus populis circumcisio dari debuerit. Data est enim in remedium contra originale. Sed morbus iste communis omnibus erat. Ergo et medicina debuit esse communis.

1. Il semble que la circoncision aurait dû être donnée à tous les peuples. En effet, elle a été donnée comme remède au péché originel. Or, cette maladie était commune à tous. Le remède devait donc être commun.

[13472] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, circumcisio data est in signum fidei. Sed Abrahae fidem imitari omnes tenebantur: ac fides semper fuit de necessitate salutis. Ergo omnibus circumcisio dari debuit.

2. La circoncision a été donnée en signe de la foi. Or, tous étaient tenus d’imiter la foi d’Abraham, et la foi a toujours été nécessaire au salut. La circoncision aurait donc dû être donnée à tous.

[13473] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Genes. 17, 10, dicitur: hoc est pactum quod observabitis inter me et vos, et semen tuum post te. Circumcidetur in vobis omne masculinum. Sed de semine Abrahae multi populi processerunt praeter filios Israel, sicut Ismaelitae, Idumaei et cetera. Ergo non solum filiis Israel circumcisio competebat.

3. Il est dit en Gn 17, 10 : Telle est l’alliance entre moi et vous que vous observerez, et ta descendance après toi : tous les mâles parmi vous seront circoncis. Or, plusieurs peuples sont issus de la descendance d’Abraham en plus des fils d’Israël : les Ismaélites, les Iduméens, etc. La circoncision ne convenait donc pas seulement aux fils d’Israël.

[13474] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, circumcisio erat signum fidei. Sed unus tantum populus erat in quo fides, et cultus Dei remansit, ceteris per idolatriam depravatis. Ergo eis tantum circumcisio competebat.

S.c. 1 – En sens contraire, la circoncision était un signe de la foi. Or, il n’y avait qu’un seul peuple chez qui la foi et le culte de Dieu persistaient, alors que les autres avaient été corrompus par l’idolatrie. La circoncision convenait donc à eux seuls.

[13475] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, circumcisio significabat medicinam futuram per Christum. Sed tantum ex uno populo scilicet Israel, Christus nasciturus erat. Ergo tantum illi populo circumcisio competebat.

S.c. 2 – La circoncision signifiait le remède qui devait être apporté par le Christ. Or, le Christ ne devait naître que d’un seul peuple. La circoncision ne convenait donc qu’à ce peuple.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le remède de la circoncision devait-il aussi être donné aux femmes ?]

[13476] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debuit hoc remedium etiam mulieribus communiter dari. Circumcisio enim data erat in medicinam contra primam transgressionem. Sed prima transgressio incepit a femina. Ergo et feminis remedium dari debuit.

1. Il semble que ce remède devait être aussi donné aux femmes. En effet, la circoncision avait été donnée comme remède contre la première transgression. Or, la première transgression a commencé par la femme. Le remède devait donc aussi être donné aux femmes.

[13477] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ubi eadem causa, et idem effectus. Sed eadem causa in viris est, ut circumcisio eis daretur, et in mulieribus: quia et ipsae ad populum Dei pertinent, et in eis corruptio originalis est. Ergo eis remedium dari debuit.

2. Là où il y a une même cause, il y a un même effet. Or, la cause est la même chez les hommes pour que leur soit donnée la circoncision, et chez les femmes, car elles appartiennent aussi au peuple de Dieu, et la corruption originelle se trouve aussi en elles. Le remède devait donc leur être donné.

[13478] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Hugo de sancto Victore dicit, quod solis masculis data est circumcisio carnis, quia sacra Scriptura per masculinum sexum animam, per feminam vero carnem significare consueverit, ut scilicet ostenderetur quod illa circumcisio animabus sanctificationem contulit, non abstulit carni corruptionem.

S.c. 1 – En sens contraire, Hugues de Saint-Victore dit : «La circoncision n’a été donnée qu’aux seuls mâles parce que le Sainte Écriture a coutume de signifier l’âme par le sexe masculin et la chair par la femme, afin que soit montré que cette circoncision apportait la sanctification aux âmes, sans enlever la corruption de la chair.»

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Convenait-il que le Christ soit circoncis ?]

[13479] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christo circumcidi non competebat. Sabbati enim observatio vicinior erat praeceptis moralibus, inter quae etiam computatur, quam circumcisio. Sed Christus sabbatum litteraliter non observabat; unde dicebant de ipso, Joan. 9, 16: non est hic homo a Deo, qui sabbatum non custodit. Ergo nec circumcisionem servare debuit.

1. Il semble qu’il ne convenait pas que le Christ soit circoncis. En effet, l’observance du sabbat était plus rapprochée des préceptes moraux, parmi lesquels la circoncision était comptée. Or, le Christ n’observait pas littéralement le sabbat. Aussi disait-on de lui, Jn 9, 16 : Cet homme ne vient pas de Dieu, car il n’observe pas le sabbat. Il ne devait donc pas observer la circoncision.

[13480] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Hebr. 7, dicit Glossa, quod Christus in lumbis Abrahae decimatus non fuit, quia decima figurabat medicinam originalis, quod in Christo non fuit. Sed similiter circumcisio, ut dictum est, significat emundationem ab originali. Ergo Christo non competebat.

2. À propos de He 7, la Glose dit que le Christ n’a pas payé la dîme en la personne d’Abraham, car la dîme était la figure du remède au péché originel, qui n’existait pas dans le Christ. Or, il en est de même de la circoncision, comme on l’a dit : elle signifie la purification du péché originel. Elle ne convenait donc pas au Christ.

[13481] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, Gal. 4, 4: misit Deus filium suum, natum de muliere, factum sub lege. Sed illis qui sub lege erant, competit circumcisio. Ergo et Christo.

S.c. 1 – En sens contraire, Ga 4, 4 dit : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, placé sous la loi. Or, la circoncision était pour ceux qui étaient placés sous la loi. Elle convenait donc aussi au Christ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13482] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut peccatum per Adam in omnes transierat, ita oportebat per Christum in omnes sanctificationem a peccato transire; unde ad praerogativam sanctitatis ejus insinuandam oportebat quidquid ad Christum pertinebat, speciali sanctitate pollere. Et ideo in populo de quo Christus nasciturus erat, oportebat specialiter cultum Dei esse, et ipsum apud eos significari. Et quia circumcisio est signum distinguens populum Dei ab aliis, ideo oportebat populo Israel specialiter circumcisionem datam esse non solum quantum ad illos qui de stirpe Jacob erant, sed quantum ad omnes qui ad populum illum qualitercumque pertinebant.

De même que le péché est passé chez tous par Adam, de même il fallait que la sanctification du péché passe chez tous par le Christ. Aussi, afin de suggérer le privilège de sa sainteté, il fallait que tout ce qui se rapportait au Christ l’emporte par une sainteté particulière. C’est pourquoi, chez le peuple dont devait naître le Christ, il était nécessaire qu’existe le culte de Dieu et qu’il soit lui-même signifié chez eux d’une manière particulière. Et parce que la circoncision est le signe qui distingue des autres le peuple de Dieu, il était nécessaire que la circoncision soit donnée d’une manière particulière au peuple d’Israël, non seulement à ceux qui étaient de la lignée de Jacob, mais aussi à ceux qui se rattachaient à ce peuple de quelque manière que ce soit.

[13483] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circumcisio erat remedium contra originale cum significatione sanctificationis nascituri seminis, propter quod erat in membro generationis; et ideo hoc remedium illi tantum populo competebat ex quo Christus nasciturus erat. Apud alios autem manebant adhuc eadem remedia quae fuerant ante circumcisionem data, quia eis non oportebat specialia sanctitatis documenta et remediadare.

1. La circoncision était un remède contre le pécjé originel signifiant la sanctification de la descendance qui devait naître. Pour cette raison, elle se situait dans le membre qui servait à la génération. C’est pourquoi ce remède convenait seulement au peuple dont le Christ devait naître. Mais, pour les autres, demeuraient encore les mêmes remèdes qui avaient été donnés avant la circoncision, parce qu’il n’était pas nécessaire de leur donner des enseignements et des remèdes particuliers pour la sainteté.

[13484] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnes tenerentur ad habendum fidem quam habuit Abraham, non tamen omnes tenebantur imitari Abraham in fide: quia nec ad omnes notitia Abrahae venerat, nec omnibus erat datus ut exemplum imitabile nisi mediante semine, in quo omnes gentes benedictionem Abrahae consecuturae erant; et ideo circumcisio, quae erat signum fidei Abrahae, non omnibus populis competebat.

2. Bien que tous aient été tenus d’avoir la foi qu’avait Abraham, tous n’étaient cependant pas tenus d’imiter Abraham dans sa foi, car la connaissance d’Abraham n’était pas parvenue à tous, et il n’avait pas été donné à tous comme un exemple à imiter, si ce n’est par l’intermédiaire de sa descendance, dans laquelle toutes les nations devaient obtenir la bénédiction d’Abraham. C’est pourquoi la circoncision, qui était le signe de la foi d’Abraham, ne convenait pas à tous les peuples.

[13485] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad promissionem factam Abrahae, separatus est per electionem Dei Isaac ab Ismaele, et Jacob ab Esau, ut patet Rom. 9, non autem aliqua segregatio facta est in filiis Israel; et ideo omnes filii Israel pertinebant ad populum Dei peculiarem; et propter hoc illis solis circumcisio competebat, quasi nunquam a familia Abrahae separatis. Ismael autem et Esau tenebantur ad circumcisionem quamdiu erant in familia parentum, non autem post recessum ab eis.

3. Pour ce qui est de la promesse faite à Abraham, Isaac a été séparé d’Ismaël et Jacob d’Ésaü par l’élection de Dieu, comme cela ressort clairement de Rm 9, mais il n’y a pas eu de mise à l’écart chez les fils d’Israël. C’est pourquoi tous les fils d’Israël appartenaient au peuple particulier de Dieu. Pour cette raison, la circoncision ne convenait qu’à eux seuls, pour autant qu’ils n’ont jamais été séparés de la famille d’Abraham. Ismaël et Ésaü étaient tenus à la circoncision aussi longtemps qu’ils faisaient partie de la famille de leurs parents, mais non après qu’ils en furent éloignés.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13486] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod peccatum originale, ut 2 Lib., dist. 31, quaest. 1, art. 1, dictum est, quantum ad culpam et reatum descendit a patre in filios; quantum ad poenalitates descendit a femina: quia pater est efficiens in generatione, et mater materiam ministrat. Circumcisio autem data est contra originale ad tollendum culpam, non autem ad tollendum carnis corruptionem; et ideo viris, et non mulieribus data est: et haec est causa quae in objectione tacta est. Per hoc etiam ostenditur sacramentum imperfectum, et sua imperfectio in expectationem perfectionis ducit.

Le péché originel, comme on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 1, est transmis du père aux fils quant à la faute et à la culpabilité. Mais quant aux peines, il est transmis par la femme, car le père est celui qui produit dans la génération, et la mère en fournit la matière. Or, la circoncision a été donné contre le péché originel afin d’enlever la faute, et non pour enlever la corruption de la chair. C’est pourquoi elle a été donnée aux hommes, et non aux femmes. Telle est la cause qui est abordée dans l’objection. Par cela aussi est montré un sacrement imparfait, et son imperfection conduit à l’attente de la perfection.

[13487] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis transgressio a femina inceperit, tamen transfusionis originalis peccati causa non fuit femina, sed vir: quia si vir non peccasset originale transfusum non fuisset; ideo dicit apostolus Rom. 5, 12, quod: per hominem peccatum intravit in mundum.

1. Bien que la transgression ait commencé par la femme, la femme ne fut pas cependant la cause de la transmission du péché originel, mais l’homme, car si l’homme n’avait pas péché, le péché originel n’aurait pas été transmis. C’est pourquoi l’Apôtre dit, en Rm 5, 12 : C’est par l’homme que le péché est entré dans le monde.

[13488] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam patet quod non est eadem causa et viris et mulieribus quantum ad hoc quod circumcisio contra originale ordinatur; similiter etiam nec quantum ad hoc quod est distinctivum et signum populi fidelis ab infideli: quia principaliter populi distinctio est ex parte virorum, quia mulieres viris subjectae sunt; et ideo etiam apud Hebraeos non computabantur genealogiae ex parte mulierum, sed ex parte virorum.

2. Il est déjà clair que, parce que la circoncision a été donnée contre le péché originel, la situation n’est pas la même pour les hommes et pour les femmes. Il en va de même pour autant qu’elle est un facteur de distinction et un signe du peuple fidèle en regard de l’infidèle, car le caractère distinctif d’un peuple vient surtout des hommes, les femmes étant soumises aux hommes. C’est pourquoi, même chez les Hébreux, on ne comptait pas les générations selon les femmes, mais selon les hommes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13489] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christo circumcisio competebat non propter indigentiam, sed propter decentiam: cujus potest in Christo multiplex ratio assignari. Prima est, ut ipse se ostenderet filium Abrahae, cui praeceptum circumcisionis erat factum, et promissio nascituri seminis; et sic Dei promissionem impletam insinuaret. Secunda, ut circumcisionem, sicut et alia legalia, suscipiens, ab onere legis nos liberaret. Tertia, ut fratrem Judaeorum se ostenderet, ne haberent justam occasionem ipsum repellendi.

La circoncision convenait au Christ, non parce qu’il en avait besoin, mais par mode de convenance, dont plusieurs raisons peuvent être données pour le Christ. La première est qu’il devait se montrer le fils d’Abraham, à qui avaient été donnés le commandement de la circoncision et la promesse de la descendance qui devait naître ; ainsi, il signalerait l’accomplissement de la promesse de Dieu. La deuxième était qu’il nous libérerait du fardeau de la loi en recevant la circoncision comme toutes autres [prescriptions] de la loi. La troisième, afin de se montrer le frère des Juifs, de sorte qu’ils n’aient pas de juste occasion de le rejeter.

[13490] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus in pueritia in nullo ab aliis pueris segregatus fuit quantum ad exteriorem conversationem; et ideo omnia quae ad pueros pertinebant in veteri lege, in se implere voluit. Sed quando jam ad perfectam aetatem pervenit, ostendere debuit se dominum legis esse, et legem usque ad ipsum impositam fuisse; et ideo in quibusdam supra legem operatus est, sicut de observatione sabbati, et in tactu leprosi.

 

1. Durant son enfance, le Christ n’a été d’aucune manière séparé des autres enfants pour ce qui était de son comportement extérieure. C’est pourquoi il a voulu accomplir en lui-même tout ce qui concernait les enfants dans la loi ancienne. Mais, après être parvenu à l’âge adulte, il devait montrer qu’il était le maître de la loi et que la loi avait été imposée jusqu’à ce qu’[il vienne]. C’est pourquoi, sur certains points, il s’est comporté en dépassant la loi, comme pour l’observance du sabbat et pour le contact avec le lépreux.

[13491] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod decimatio erat actus tantum figuralis quantum ad illos qui in lumbis Abrahae decimabantur; et ideo Christo non competebat, quia ab originali immunis fuit: sed circumcisio etiam habet alias causas praeter significationem in illis qui circumciduntur; et ideo non est similis ratio de utroque.

2. La dîme était seulement une figure pour ceux qui payaient la dîme en la personne d’Abraham. C’est pourquoi elle ne convenait pas au Christ, car il était exempt du péché originel. Mais la circoncision a aussi d’autres raisons, en plus de la signification, pour ceux qui sont circoncis. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour les deux choses.

 

Articulus 3 [13492] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 tit. Utrum dies octavus ad circumcisionem requireretur

Article 3 – Est-ce que le huitième jour était nécessaire pour la circoncision ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La ciconcision devait-elle être donnée le huitième jour ?]

[13493] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod octavus dies non requireretur ad circumcisionem. Alia enim remedia contra originale data sive in lege naturae sive in lege gratiae, tempus determinatum non habent. Ergo nec circumcisio habere debuit ad idem data.

1. Il semble que le huitième jour n’était pas requis pour la circoncision. En effet, d’autres remèdes, donnés contre le péché originel dans la loi naturelle ou dans la loi de la grâce, n’ont pas de moment déterminé. La circoncision, qui était donnée pour la même chose, ne devait donc pas en avoir.

[13494] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, poterat contingere quod dies octavus erat dies sabbati. Sed in die illo praecepta erat quies ab exterioribus operibus. Ergo non erat de necessitate circumcisionis quod octavo die fieret.

2. Il pouvait arriver que le huitième jour soit un jour de sabbat. Or, ce jour-là, on se reposait de toute activité extérieure. Il ne faisait donc pas nécessaire que la circoncision ait lieu le huitième jour.

[13495] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illi qui vagati sunt in deserto, non fuerunt octavo die circumcisi, sed postea tempore Josue in Galgala, Josue 5; et profuit illis circumcisio, nec illis obfuit ad transgressionem, ut videtur, qui in deserto mortui sunt incircumcisi. Ergo determinatio temporis non est de necessitate circumcisionis.

3. Ceux qui errèrent dans le désert ne furent pas circoncis le huitième jour, mais par la suite, à l’époque de Josué, à Galgala, Jos 5. Et la circoncisionleur fut avantageuse, et cela ne fut pas considéré comme une transgression, semble-t-il, de la part de ceux qui sont morts incirconcis dans le désert. La détermination du moment ne faisait donc pas nécessairement partie de la circoncision.

[13496] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut praetermittitur determinatum tempus, si praeveniatur, ita et si tardetur. Sed proseliti circumcidebantur post octavum diem, et eis valebat. Ergo et pueri poterant ante octavum diem circumcidi, et eis valere.

4. De même que l’on s’abstient du moment prescrit s’il survient avant, de même en est-il s’il survient plus tard. Or, les prosélytes étaient circoncis après le hutième jour, et cela était bon pour eux. Les enfants pouvaient donc être circoncis avant le huitième jour, et cela était bon pour eux.

[13497] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, circumcisio non habebat efficaciam nec obligationem nisi ex praecepto divino. Sed circumcisio fuit in praecepto secundum determinatum tempus. Gen. 17, 12: infans octo dierum circumcidetur in vobis. Ergo et determinatum tempus erat de necessitate circumcisionis.

S.c. 1 – En sens contraire, la circoncision n’avait d’efficacité et de nécessité qu’en vertu d’un commandement divin. Or, la circoncision relevait d’un commandement comportant un moment déterminé. Gn 17, 12 : L’enfant sera circoncis chez vous le huitième jour. Le moment déterminé faisait donc nécessairement partie de la circoncision.

[13498] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, significatio est de necessitate sacramenti. Sed octava dies facit ad significationem. Ergo est de necessitate ipsius.

S.c. 2 – La signification faisait nécessairement partie du sacrement. Or, le huitième jour comporte une signification. Il fait donc nécessairement partie [de la circoncision].

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La détermination du membre dans la circoncision]

 

[13499] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod determinatio membri non fuerit de necessitate circumcisionis. In sacramentis enim signum debet respondere signato. Sed purgatio originalis quae significatur per circumcisionem, non est secundum aliquam partem determinatam, sed secundum totum. Ergo nec circumcisio debet aliquam partem determinatam habere.

 

1. Il semble que la détermination du membre ne faisait pas nécessairement partie de la circoncision. En effet, dans les sacrements, le signe doit correspondre à ce qui est signifié. Or, la purification du péché originel, qui est signifiée par la circoncision, ne se réalise pas dans un membre en particulier, mais dans l’ensemble. La circoncision ne doit donc pas comporter un membre particulier.

[13500] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta maximam honestatem in se habere debent. Sed membra generationis videntur esse turpia et verecunda. Ergo non decuit ut in illo membro determinate aliquod sacramentum daretur.

2. Les sacrements doivent comporter en eux-mêmes le plus grand honneur. Or, les membres de la génération semblent être honteux et cachés. Il ne convenait donc pas qu’un sacrement soit donné de manière précise dans un tel membre.

[13501] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Gen. 17, 2: circumcidetis carnem praeputii vestri.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans Gn 17, 2 : Vous circoncirez la chair de votre prépuce.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le couteau de pierre fait-il nécessairement partie de la circoncision ?]

[13502] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cultellus lapideus sit de necessitate circumcisionis. Circumcisioni enim Baptismus successit. Sed determinatum instrumentum ablutionis, scilicet aqua, est de necessitate Baptismi. Ergo et determinatum instrumentum incisionis esse debuit de necessitate circumcisionis, et praecipue propter significationem quae in littera ponitur; significatio enim est de ratione sacramenti.

1. Il semble qu’un couteau de pierre fasse nécessairement partie de la circoncision. En effet, le baptême a succédé à la circoncision. Or, un instrument particulier pour le lavage, à savoir l’eau, fait nécessairement partie du baptême. Un instrument coupant particulier devait donc faire nécessairement partie de la circoncision, surtout en raison de la signification qui est indiquée dans le texte. En effet, la signification fait partie de la notion de sacrement.

[13503] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit super Ezech.: in sanctorum vita cognoscimus quid in Scriptura intelligere debeamus. Sed sancti et praecipue legislatores, lapideo instrumento fecerunt circumcisionem, sicut legimus Josue 5 et Exod. 4 de Moyse. Ergo lapideum instrumentum erat de necessitate praecepti.

2. Grégoire dit, en commentant Ézéchiel: «Nous connaissons par la vie des saints ce que nous devons comprendre de l’Écriture.» Or, les saints, surtout ceux qui ont donné la loi, ont accompli la circoncision avec un instrument de pierre, comme nous le lisons dans Jos 5 et dans Ex 4 à propos de Moïse. Un instrument de pierre était donc nécessaire en vertu du commandement.

[13504] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, circumcisio non habebat vim nisi ex divina institutione. Sed in ejus institutione quae tangitur, Gen. 17, nulla fit mentio de instrumento lapideo. Ergo non fuit de necessitate circumcisionis.

S.c. 1 – La circoncision n’avait de puissance qu’en vertu d’une institution divine. Or, dans cette institution, qui est abordée dans Gn 17, aucune mention n’est faite d’un instrument de pierre. Celui-ci ne faisait donc pas nécessairement partie de la circoncision.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13505] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circumcisio et erat in praecepto, et erat sacramentum. Octava ergo dies erat de necessitate circumcisionis quantum ad obligationem praecepti, ita quod reus transgressionis erat qui illud tempus non observabat. Sed non erat de necessitate ejus quantum ad efficaciam sacramenti: quia etiam in alio tempore circumcisio facta suum effectum sacramentalem habebat. Sicut etiam accidit de ministrantibus nostra sacramenta, qui servant materiam et formam debitam, et omittunt aliquid de ritu ad solemnitatem sacramenti ab Ecclesia instituto. Determinationis autem hujus temporis causa est et mystica, quae tangitur in littera, et litteralis quae tangitur a Rabbi Moyse: quia puer ante octavum diem est ita tener quasi in ventre matris; et ideo sicut animalia non offerebantur propter praedictam causam ante octavum diem, ita nec puer circumcidebatur.

La circoncision relevait d’un commandement et elle était un sacrement. Le huitième jour faisait donc nécessairement partie de la circoncision pour ce qui est de l’obligation en vertu du précepte, de telle sorte que celui qui n’observait pas ce jour était coupable de transgression. Mais il n’en faisait pas nécessairement partie pour ce qui est de l’efficacité du sacrement, car, même accomplie à un autre moment, elle avait son effet sacramentel, de même que cela se produit chez ceux qui administrent nos sacrements, qui respectent la matière et la forme appropriées, mais omettent quelque chose du rite institué par l’Église pour la solennité au sacrement. Or, la cause de la détermination de ce moment est à la fois mystique – elle est abordée dans le texte – et littérale – elle est abordée par Rabbi Moïse, car l’enfant, avant le huitième jour, est si faible qu’il est comme dans le ventre de sa mère. C’est pourquoi, de même que les animaux n’étaient pas offerts avant le huitième jour pour cette raison, de même l’enfant n’était-il pas circoncis.

[13506] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod remedium quod praecessit circumcisionem, computatur simpliciter inter sacramenta legis naturae, quae non habebant tantam determinationem secundum Hugonem de sancto Victore, quantam habent sacramenta legis scriptae, ad quam quodammodo pertinet circumcisio. Remedium autem quod circumcisionem sequitur, scilicet Baptismus, est magis generale et perfectius, nec debuit ita restringi. Et ideo non est similis ratio de circumcisione et aliis.

1. Le remède qui a précédé la circoncision est rangé simplement parmi les sacrements de la loi naturelle, qui, selon Hugues de Saint-Victor, ne possédaient pas une aussi grande précision que celle des sacrements de la loi écrite, dont relève la circoncision d’une certaine manière. Or, le remède qui suit la circoncision, à savoir, le baptême, est plus universel et plus parfait, et il ne devait pas être ainsi limité. C’est pourquoi il n’en va pas de même de la circoncision et des autres choses.

[13507] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dies sabbati non impediebat circumcisionem: non enim erat opus pure corporale, sed sacramentale; sicut et sacrificia, quae in sabbato offerri licebat; et ideo dicitur Joan. 7, 23: circumcisionem accipit homo in sabbato, et non solvitur lex Moysi.

2. Le jour du sabbat n’empêchait pas la circoncision. En effet, il ne s’agissait pas d’un acte purement corporel, mais sacramentel, comme les sacrifices qui pouvaient être offerts le jour du sabbat. C’est pourquoi il est dit en Jn 7, 23 : Un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, et la loi de Moïse n’en est pas enfreinte.

[13508] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illis qui in deserto vagabantur dispensatio praecepti facta est propter necessitatem, quae tangitur Josue 5: quia scilicet nesciebant quando castra movenda essent. Et iterum quia non erat necesse eos tunc aliquod signum distinctionis habere, ut Damascenus dicit, quando seorsum ab aliis hominibus habitabant; et tamen quantum ad aliquos qui ex negligentia vel contemptu praetermittebant, dicit Augustinus, quod inobedientiam incurrebant. Non autem constat quod aliqui de illis qui in deserto nati sunt, in deserto mortui sint; et videtur probabile quod non: quia dicitur in Psal. 104, 37. Non erat in tribubus eorum infirmus. Unde illi qui de Aegypto egressi sunt, qui circumcisi erant, mortui sunt. Et ita nullus est ibi mortuus incircumcisus. Si tamen aliqui incircumcisi mortui sunt, idem dicendum est de eis, et de illis qui ante circumcisionis institutionem moriebantur.

3. Pour ceux qui erraient dans le désert, il y eut dispense du commandement pour une raison de nécessité, abordée dans Jos 5 : ils ne savaient pas quand le campement devait être levé. Et aussi, parce qu’il ne leur était pas nécessaire d’avoir un signe distinctif, comme le dit [Jean] Damascène, alors qu’ils vivaient à part des autres hommes. Cependant, comme le dit Augustin, certains qui l’omettaient par négligence ou par mépris encouraient une désobéissance. Mais il n’est pas certain que ceux qui, parmi eux, étaient nés au désert sont morts dans le désert ; il semble probable que ce ne soit pas le cas, car il est dit dans Ps 104, 37 : Il n’y avait pas de malade dans leurs tribus. Aussi ceux qui étaient sortis d’Égypte et qui avaient été circoncis étaient-ils morts. Et ainsi, personne dans le désert n’est mort incirconcis. Toutefois, si certains sont morts incirconcis, il faut dire la même chose pour eux et pour ceux qui étaient morts avant l’institution de la circoncision.

[13509] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister videtur sentire in littera, quod licebat imminente mortis articulo idem praevenire. Quidam vero dicunt, Hugonem de sancto Victore sequentes, quod non erat necessitas idem praeveniendi: quia illis qui ante octavum diem moriebantur, valebat ad salutem remedium quod ante circumcisionem fuerat, quod adhuc efficaciam habebat; et hoc confirmant per Judaeos qui nunc sunt, qui nunquam ante octavum diem circumciduntur, et per Glossam, Prover. 4, super illud: unigenitus eram coram matre mea; quae dicit, quod alius filius Bersabee parvulus non computatur, quia ante octavum diem mortuus, nominatus non fuit, et per consequens nec circumcisus. Similiter etiam confirmant per simile: quia nullum animal offerebatur domino ante octavum diem. Secundum hanc ergo opinionem dicendum, quod non est simile de praeveniendo et differendo: quia praeceptum nullo modo quis transgredi debet, ut praeveniat; sed si transgressus fuerit differendo, debet, quantum potest, illud implere in quocumque tempore.

4. Dans le texte, le Maître semble être d’avis qu’il était permis de l’anticiper en cas de mort prochaine. Mais certains disent, en suivant Hugues de Saint-Victor, qu’il n’était pas nécessaire de l’anticiper, car, pour ceux qui étaient morts avant le luitième jour, le remède qui existait avant la circoncision était valable et possédait encore son efficacité. Et ils confirment cela par les Juifs qui vivent maintenant, qui ne sont jamais circoncis avant le huitième jour, et par la Glose, à propos de Pr 4 : J’étais le fils unique de ma mère, qui dit qu’un autre petit enfant de Bersabée ne comptait pas, parce qu’il était mort avant le huitième jour, qu’il n’avait pas reçu de nom et, par conséquent, n’avait pas été circoncis. Ils le confirment aussi par quelque chose de semblable : aucun animal n’était offert au Seigneur avant son huitième jour. Selon cette opinion, il faut donc dire qu’anticiper n’est pas la même chose que différer, car on ne doit enfreindre un commandement d’aucune façon en l’anticipant ; mais, si on l’a enfreint en le différant, on doit autant que possible l’accomplir à n’importe quel moment.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13510] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circumcisio erat in signum purgationis originalis peccati, et in signum distinctionis populi, ex quo Christus propagandus erat, et in signum castitatis servandae, ut dictum est; et quantum ad omnia haec decuit ut in membro generationis fieret, quia per actum generationis et originale contrahitur, et Christus ab illo populo descendit, et in illo actu castitas consistit; et ideo membrum generationis erat de necessitate circumcisionis et quantum ad efficaciam sacramenti, et quantum ad obligationem praecepti.

La circoncision était un signe de la purification du péché originel, un signe distinctif du peuple dont le Christ devait être issu et un signe de la chasteté qui devait être observée, comme on l’a dit. Par rapport à tout cela, il convenait qu’elle soit faite dans le membre de la génération, car, par l’acte de la génération, le péché originel est contracté, le Christ descend de ce peuple, et l’acte de la chasteté consiste dans cet acte. C’est pourquoi le membre de la génération était un élément nécessaire de la circoncision tant pour ce qui est de l’efficacité du sacrement que pour ce qui est de l’obligation du précepte.

[13511] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis originale peccatum quantum ad essentiam non determinet aliquam partem corporis, neque quantum ad effectum; tamen quantum ad causam determinat, ut dictum est.

1. Bien que le péché originel ne détermine aucune partie du corps ni pour ce qui est de son essence, ni pour ce qui est de son effet, il le détermine toutefois pour ce qui est sa cause efficiente, comme on l’a dit.

[13512] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod membrum generationis, quod de se nobile erat, propter concupiscentiam, quae praecipue in parte illa viget, ignobile redditum est; et ideo oportebat quod in illo membro praecipue medicina apponeretur: quia quae inhonesta sunt nostra, abundantiorem honestatem habent, ut dicitur 1 Corinth. 12, 23.

2. Le membre de la génération, qui, en lui-même, était noble, a perdu sa noblesse en raison de la concupiscence, qui se manifeste surtout dans ce membre. C’est pourquoi il était nécessaire que le remède soit surtout appliqué à ce membre, car c’est aux membres que nous tenons pour les moins honorables que nous faisons le plus d’honneur, comme il est dit en 1 Co 12, 23.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13513] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sacramentum quod est signum et causa, efficit quod figurat; et ideo illa significatio est de necessitate sacramenti quae ad effectum sacramenti refertur, non autem illa quae refertur ad causam principalem effectus, sed est de bene esse ipsius. Cultellus autem lapideus non est de necessitate incisionis, per quam significat circumcisio suum effectum, scilicet purgationem originalis; sed habet aliquam similitudinem ad causam principalem meritoriam remissionis originalis, scilicet Christum; et ideo non erat de necessitate circumcisionis neque quantum ad obligationem praecepti, neque quantum ad efficaciam sacramenti, quod fieret cultello lapideo, quod ritus Judaeorum usque hodie ostendit: sed in principalibus circumcisionibus, in quibus Christum significari oportebat, tale instrumentum adhibitum est.

Le sacrement qui est signe et cause réalise ce qu’il représente. C’est pourquoi la signification qui se rapporte à l’effet du sacrement est nécessaire au sacrement, et non pas celle qui se rapporte à la cause principale de l’effet, qui fait partie de sa bonne condition. Or, le couteau de pierre n’est pas nécessaire pour l’incision, par laquelle la circoncision signifie son effet, à savoir, la purification du péché originel ; mais il a une certaine ressemblance avec la cause principale méritoire de la rémission du péché originel, le Christ. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire à la circoncision, ni pour ce qui est de l’obligation du commandement, ni pour ce qui est de l’efficacité du sacrement, qu’elle soit faite avec un couteau de pierre, ce que montre le rite de Juifs jusqu’à aujourd’hui. Mais, pour les circoncisions principales, par lesquelles il était nécessaire que le Christ soit signifié, un tel intrument a été utilisé.

[13514] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aqua de se habet maximam convenientiam ad ablutionem, per quam Baptismus significat quod efficit, non autem lapis ad incisionem; et ideo non est simile.

1. L’eau en soi convient au plus haut point à l’ablution, par laquelle le baptême signifie ce qu’il réalise, ce qui n’est pas le cas de la pierre pour l’incision. Ce n’est donc pas la même chose.

[13515] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc intelligendum est de illis quae sancti observant quasi ex lege obligati; sic autem non est in proposito; et ideo ratio non sequitur.

2. Cela doit s’entendre de ce que les saints observent en tant qu’ils sont obligés par la loi. Mais tel n’est pas ici le cas. L’argument n’a donc pas de valeur.

 

 

Articulus 4 [13516] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 tit. Utrum circumcisio characterem imprimeret in anima

Article 4 – Est-ce que la circoncision imprimait un caractère dans l’âme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La circoncision imprimait-elle un caractère dans l’âme ?]

[13517] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod circumcisio characterem imprimebat in anima. In sacramentis enim effectus figurae respondet. Sed circumcisio exterius erat signum distinctivum, non solum purgativum. Ergo et interius characterem distinguentem imprimebat.

1. Il semble que la circoncision imprimait un caractère dans l’âme. En effet, dans les sacrements, l’effet correspond à ce qui est représenté. Or, la circoncision était un signe extérieur distinctif, et non seulement purificateur. Elle imprimait donc un caracère intérieur distinctif.

[13518] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne sacramentum quod non reiteratur in nova lege, characterem imprimit. Sed circumcisio in veteri lege non reiterabatur. Ergo characterem imprimebat.

2. Tout sacrement qui n’est pas répété sous la loi nouvelle imprime un caractère. Or, la circoncision n’était pas répétée sous la loi ancienne. Elle imprimait donc un caractère.

[13519] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, aliquis adultus circumcisus poterat fictus accedere; et sic tunc effectum circumcisionis non suscipiebat; postmodum autem deposita fictione circumcisio ei valebat: alias enim non fuisset via salutis, cum iterari non posset. Ergo habebat aliquem effectum manentem in anima, ratione cujus postea effectum ultimum circumcisionis consequebatur; et hoc est character. Ergo imprimebat characterem.

3. Un adulte circoncis pouvait donc se présenter par feinte. Il ne recevait pas alors l’effet de la circoncision, mais, par la suite, s’il écartait la feinte, la circoncision lui était profitable, autrement, il n’y aurait pas eu de chemin vers le salut, puisqu’elle ne pouvait pas être répétée. Elle possédait donc un effet qui demeurait dans l’âme, grâce auquel, par la suite, il obtenait l’effet dernier de la circoncision. Or, cela est le caractère. Elle imprimait donc un caractère.

[13520] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, in sacramentis novae legis perfectissima tantum sunt illa quae characterem imprimunt. Sed circumcisio erat longe inferior sacramentis novae legis. Ergo characterem non imprimebat.

S.c. 1 – Dans les sacrements de la loi nouvelle, les plus parfaits seulement sont ceux qui impriment un caractère. Or, la circoncision était de beaucoup inférieure aux sacrements de la loi nouvelle. Elle n’imprimait donc pas de caractère.

[13521] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, character nos Trinitati configurat. Sed hoc indifferenter competit viris et mulieribus. Cum ergo circumcisio mulieribus non competeret, videtur quod in ea character non imprimeretur.

S.c. 2 – Le caractère nous rend semblables à la Trinité. Or, cela convient indifféremment aux hommes et aux femmes. Puisque la circoncision ne convenait pas aux femmes, il semble donc qu’un caractère n’était pas imprimé par elle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La circoncision purifiait-elle des péchés ?]

[13522] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circumcisio a peccato non purgaret. Rom. 3, 20: ex operibus legis non justificatur omnis caro coram illo. Sed alia opera legis, ut sacrificia, non videntur minus honesta fuisse quam circumcisio. Ergo nec circumcisio a peccato justificabat.

1. Il semble que la circoncision ne purifiait pas du péché. Rm 3, 20 : Personne n’est justifié à ses yeux par les œuvres de la loi. Or, les autres œuvres de la loi, comme les sacrifices, ne semblent pas moins dignes d’honneur que la circoncision. La circoncision ne justifiait donc pas du péché.

[13523] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si ab aliquo peccato purgabat, praecipue videtur quod ab originali. Sed ab originali non purgabat, quod patet per hoc quod Joannes circumcisus octava die, ut dicitur Luc. 1, dixit ad Jesum Matth. 3, 14: ergo a te debeo baptizari; Glossa: a peccato originali mundari. Ergo nullo modo a peccato mundabat.

2. Si elle purifiait d’un péché, il semble que c’était principalement du péché originel. Or, elle ne purifiait pas du péché originel, ce qui ressort clairement du fait que Jean, circoncis le huitième jour, comme il est dit en Lc 1, dit à Jésus en Mt 3, 14 : Je dois donc être baptisé par toi. Glose : «Pour être purifié du péché originel.» Elle ne purifiait donc d’aucune manière du péché.

[13524] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil impedit vitae aeternae introitum nisi peccatum. Sed circumcisio januam vitae aeternae non aperiebat, ut in littera dicitur. Ergo neque peccata purgabat.

3. Rien n’empêche l’entrée dans la vie éternelle que le péché. Or, la circoncision n’ouvrait pas la porte de la vie éternelle, comme il est dit dans le texte. Elle ne purifiait donc pas des péchés.

[13525] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, quidquid tollit unum peccatum, tollit omnia: quia impium est a Deo dimidiam sperare veniam. Sed nunquam invenitur a sanctis dictum, quod circumcisio tolleret peccatum actuale. Ergo nec originale tollebat.

4. Tout ce qui enlève un péché les enlève tous, car il est impie d’espérer de Dieu un demi-pardon. Or, on ne voit nulle part que les saints aient dit que la circoncision enlevait le péché actuel. Elle n’enlevait donc pas non plus le péché originel.

[13526] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 S.c. 1 Sed in contrarium sunt auctoritates in littera positae.

S.c. 1 – En sens contraire, il y a les autorités indiquées dans le texte.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La circoncision conférait-elle la grâce ?]

[13527] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circumcisio gratiam non conferret. Sacramentum enim non efficit nisi quod figurat. Sed circumcisio non significat gratiae collationem, sed solum culpae ablationem. Ergo gratiam non confert.

1. Il semble que la circoncision ne conférait pas la grâce. En effet, le sacrement ne réalise que ce qu’il représente. Or, la circoncision ne signifie pas l’octroi de la grâce, mais seulement l’enlèvement de la faute. Elle ne confère donc pas la grâce.

[13528] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus non amplius facit, nisi quod aufert culpam, et confert gratiam. Si ergo hoc ipsum circumcisio faciebat, Baptismus in nullo circumcisionem excedit.

2. Le baptême ne fait pas plus que d’enlever la faute et de conférer la grâce. Si donc la circoncision faisait la même chose, le baptême ne dépasse en rien la circoncision.

[13529] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, propter hoc lex vetus dicebatur occidere, quia gratiam contra concupiscentiam non conferebat. Hoc autem non esset, si circumcisio, quae erat quodammodo legis sacramentum, gratiam conferret. Ergo gratiam non conferebat.

3. On disait que la loi ancienne tuait parce qu’elle ne conférait pas la grâce contre la concupiscence. Or, tel ne serait pas le cas si la circoncision, qui était d’une certaine manière le sacrement de la loi, conférait la grâce. Elle ne conférait donc pas la grâce.

[13530] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, in littera dicitur, quod idem remedium praebebat circumcisio quod Baptismus, excepto quod januam regni caelestis non aperiebat. Sed Baptismus gratiam confert, non solum culpam aufert. Ergo et circumcisio idem facit.

S.c. 1 – Il est dit, dans le texte, que la circoncision apportait le même remède que le baptême, sauf qu’il n’ouvrait pas les portes du royaume des cieux. Or, le baptême confère la grâce et n’enlève pas pas seulement la faute. La circoncision le fait donc aussi.

[13531] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, tenebra non expellitur nisi per praesentiam lucis. Sed gratia opponitur culpae, sicut lux tenebrae. Cum ergo circumcisio expelleret culpam, videtur quod gratiam conferret.

S.c. 2 – Les ténèbres ne sont enlevées que par la présence de la lumière. Or, la grâce s’oppose à la faute comme la lumière aux ténèbres. Puisque la circoncision enlevait la faute, il semble qu’elle conférait la grâce.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13532] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo, ad primam quaestionem dicendum, quod character spiritualis est quoddam signum distinctivum per hoc quod hominem in aliquo statu perfectionis constituit, sicut in Baptismo, confirmatione, et ordine, ut magis infra patebit. Circumcisio autem principaliter erat signum ad purgandum constitutum; et ideo in ipsa non ponebatur homo in aliquo alio statu, et sic non competebat quod in ipsa character spiritualis conferretur.

Le caractère spirituel est un signe distinctif du fait qu’il place un homme dans un certain état de perfection, comme c’est le cas du baptême, de la confirmation et de l’ordre, comme cela ressortira plus clairement plus loin. Or, la circoncision était un signe établi principalement pour purifier du péché. C’est pourquoi l’homme n’était pas placé par elle dans un autre état, et ainsi, il ne convenait pas qu’un caractère spirituel soit conféré par elle.

[13533] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circumcisio principaliter significat per se ablationem, sed distinctionem ex consequenti et per accidens, inquantum aliqui circumcidebantur, et aliqui non; et ideo oportebat quod responderet ei effectus quantum ad principalem significationem, non autem quantum ad secundariam.

1. La circoncision signifie en elle-même principalement une suppression, mais [elle signifie] par mode de conséquence et par accident une distinction, pour autant que certains étaient circoncis et d’autres, non. C’est pourquoi il était nécessaire que son effet corresponde à sa signification principale, et non à sa [signification] secondaire.

[13534] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circumcisio non iterabatur: quia causa ejus, scilicet originale peccatum, iterari non poterat; et non propter hoc quod character spiritualis in ipsa imprimeretur.

2. La circoncision n’était pas répétée parce que sa cause, le péché originel, ne pouvait pas être répété, et non pas parce qu’un caractère spirituel était imprimé par elle.

[13535] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in Baptismo manet character spiritualis, ratione cujus fictus deposita fictione effectum Baptismi recipit; ita manebat character exterior in circumcisione, quae hoc idem faciebat.

3. De même que, dans le baptême, le caractère spirituel demeure, en raison duquel celui qui feint, une fois la feinte écartée, reçoit l’effet du baptême, de même le caractère extérieur de la circoncision demeurait, qui réalisait la même chose.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13536] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod peccatum quod ex alio contrahitur, conveniens est ut per alium tollatur; et ideo in quolibet statu post peccatum fuit aliquod remedium per quod originale peccatum ex virtute passionis Christi tolleretur. Et iterum quia non poterat puer natus, antequam haberet usum liberi arbitrii, se ad gratiam praeparare, ne omnino sine remedio relinqueretur, oportuit aliquod remedium dari quod ex ipso opere operato peccatum aboleret; et tale remedium fuit circumcisio; et ideo ab omnibus conceditur, quod peccatum auferebat, sicut significabat ablationem; et in hoc cum sacramentis novae legis quodammodo conveniebat, quia efficiebat hoc quod figurabat. Operabatur autem circumcisio peccati dimissionem a posteriori. In peccato enim originali tria sunt, scilicet culpa, reatus carentiae visionis divinae, et fomes. Prima duo totaliter tolluntur; sed tertium per sacramentum diminuitur; et ideo circumcisio, quae erat particularis abscissio, directe significabat et causabat diminutionem fomitis, et per consequens auferebat reatum visionis aeternae, et per consequens culpam. In Baptismo autem e contrario est: quia prius destruit culpam, cujus ablationem significat ablutio exterior et etiam causat, et per consequens destruit alia.

Il convient que le péché qui est contracté à partir d’un autre soit enlevé par un autre. C’est pourquoi, en tout état, il y eut, après le péché, un remède par lequel le péché originel serait enlevé par la puissance de la passion du Christ. Et aussi, parce qu’un enfant, avant d’avoir l’usage du libre arbitre, ne pouvait pas se préparer à la grâce, pour qu’il ne soit pas laissé complètement sans remède, il fallait qu’un remède soit donné qui, par le geste posé [ex opere operato], effacerait le péché. Ce remède était la circoncision. C’est pourquoi il est accepté par tous qu’elle enlevait le péché, de même qu’elle signifiait l’action de supprimer. Elle avait en cela quelque chose de commun avec les sacrements de la loi nouvelle, car elle réalisait ce qu’elle représentait. Mais la circoncision réalisait la suppression du péché a posteriori. En effet, dans le péché originel, il y a trois choses : la faute, la punition de la perte de la vision de Dieu, et le désir désordonné. Les deux premières sont entièrement enlevées, mais la troisième est diminuée par le sacrement. C’est pourquoi la circoncision, qui était une amputation particulière, signifiait et causait directement la diminution du désir désordonné et, par conséquent, enlevait la punition de la perte de la vision éternelle, et, par conséquent, la faute. Mais, dans le baptême, c’est le contraire, car il détruit en premier lieu la faute, dont l’ablution extérieure signifie et cause aussi l’élimination et, par conséquent, détruit les autres choses.

[13537] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacrificia erant instituta ad satisfaciendum pro peccatis actualibus, quae homo ex se perpetravit; et ideo non oportebat quod peccata tollerentur per sacrificia, sicut peccatum originale per circumcisionem.

1. Les sacrifices avaient été établis en vue de satisfaire pour les péchés actuels, que l’homme lui-même avait commis. C’est pourquoi il fallait que les péchés soient enlevés par des sacrifices, comme le péché originel l’était par la circoncision.

[13538] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circumcisio quamvis a peccato originali liberaret, non tamen per eam aliquis perfecte fructum liberationis consequi poterat, quia januam non aperiebat; et secundum hoc Joannes circumcisus, a peccato originali mundari indigebat, scilicet per Baptismum.

2. Bien que la circision ait libéré du péché originel, on ne pouvait cependant pas obtenir parfaitement par elle le fruit de la libération, parce qu’elle n’ouvrait pas la porte [du royaume des cieux]. Ainsi, Jean, bien que circoncis, avait besoin d’être purifié du péché originel par le baptême.

[13539] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per circumcisionem auferebatur impedimentum quod erat ex parte personae, ablato peccato originali, prout erat infectio hujus personae; adhuc tamen manebat impedimentum ex parte naturae, nondum soluto pretio; et ideo per accidens erat quod januam regni caelestis non aperiebat: quia si etiam Baptismus, eamdem quantum in se est gratiam conferens quam modo confert, eo tempore fuisset, januam non aperuisset; et si modo circumcisio locum haberet, januam aperiret.

3. Par la circoncision, l’empêchement du côté de la personne était enlevé, une fois enlevé le péché originel, pour autant que celui-ci affectait cette personne. Cependant, l’empêchement du côté de la nature demeurait, puisque le prix n’avait pas encore été acquitté. C’était donc par accident qu’elle n’ouvrait pas la porte du royaume céleste, car, même si avait alors existé le baptême, conférant par lui-même la grâce qu’il confère maintenant, il n’aurait pas ouvert la porte. Et si la circoncision avait lieu maintenant, elle ouvrirait la porte.

[13540] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circumcisio directe contra originale ordinata fuit, sed ex consequenti etiam actuale tollebat ubi inveniebat. Sed tamen sancti de hoc non loquuntur, quia ad hoc non erat circumcisio principaliter instituta.

4. La circoncision a été établie directement contre le péché originel, mais, par voie de conséquence, elle enlevait aussi le péché actuel où elle le trouvait. Cependant, les saints ne parlent pas de cela, parce que la circoncision n’avait pas été établie principalement pour cette raison.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13541] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod circumcisio, quantum est de se, culpam tollebat, sed gratiam non conferebat, innitentes cuidam Glossae quae habetur Rom. 4, quae dicit: in circumcisione peccata remittebantur, sed non gratia per eam praestabatur. Dicebant enim, quod cum originale nihil aliud sit quam concupiscentia intensa cum carentia debitae justitiae, circumcisio sine hoc quod gratia conferretur, poterat auferre debitum, non auferendo reatum, ut patet per hoc quod si homo illam justitiam non habebat, non ei imputaretur ad poenam. Sed hoc non potest esse: quia manente inordinatione culpae, nullo modo potest non imputari a Deo ad poenam, cum culpae inordinatio per poenam ordinetur. Et ideo oportet, si imputatio ad poenam tollitur, quod inordinatio tollatur; quod sine gratia fieri non potest. Et ideo alii dicunt, quod circumcisio ex sua virtute culpam tollebat, et gratia circumciso conferebatur, non ex vi circumcisionis, sed ex divina liberalitate ablato gratiae impedimento. Sed hoc non potest esse: quia quamvis ex parte recipientis prius sit expulsio contrarii quam introductio formae, tamen ex parte causae agentis est prius introductio formae: quia non expellitur contrarium nisi introducendo formam; et ideo nisi circumcisio aliquo modo gratiam conferret, nullo modo culpam tolleret. Et ideo alii dicunt, quod circumcisio conferebat gratiam quantum ad effectus privativos, qui scilicet sunt auferre culpam, sed non quantum ad effectus positivos. Sed hoc nihil est: quia effectus ultimus gratiae positivus, est facere dignum vita aeterna; quod fiebat per circumcisionem, sicut et modo fit per Baptismum. Et ideo alii dicunt probabilius ut videtur, quod dabat gratiam quantum ad effectus privativos culpae et reatus, et quantum ad quosdam effectus positivos, sicut ordinare animam et facere dignum vita aeterna; non tamen quantum ad omnes quos habet gratia baptismalis; quia illa sufficit ad totaliter concupiscentiam reprimendam, et meritorie agendum, ad quod gratia in circumcisione data sufficere non valebat; et secundum hoc intelligitur Glossa inducta.

À ce sujet, les opinions varient. En effet, certains ont dit que, par elle-même, la circoncision, enlevait la faute, mais ne conférait pas la grâce, en s’appuyant sur une glose à propos de Rm 4, qui dit : «Par la circoncision, les péchés étaient remis, mais la grâce n’était pas donnée par elle.» En effet, ils disaient que, puisque le péché originel n’est rien d’autre qu’une intense concupiscence accompagnée du manque de la justice appropriée, la circoncision, sans conférer la grâce, pouvait enlever la dette, sans enlever la culpabilité, comme cela ressort clairement du fait que, si un homme ne possédait pas cette justice, cela ne lui sera pas imputé comme faute. Mais cela ne peut être le cas, car, alors que demeure le désordre de la faute, elle ne peut d’aucune manière ne pas être imputée par Dieu à titre de peine, puisque le désordre de la faute est remis en ordre par le châtiment. C’est pourquoi, si l’imputation à titre de peine est enlevée, il faut que le désordre soit enlevé, ce qui ne peut se réaliser que par la grâce. C’est pourquoi d’autres ont dit que la circoncision enlevait la faute par sa propre puissance et que la grâce était conférée au circoncis, mais parce que l’empêchement à la grâce avait été enlevé par la libéralité divine. Mais cela ne peut pas être le cas, car bien que, du côté de celui qui reçoit, l’expulsion du contraire précède l’introduction de la forme (puisque le contraire n’est enlevé qu’en introduisant la forme), cependant, du point de vue de la cause qui agit, l’introduction de la forme précède. C’est pourquoi, si la circoncision ne conférait pas la grâce d’une certaine manière, elle n’enlèverait la faute d’aucune manière. Aussi d’autres disent-ils que la circoncision conférait la grâce quant à ses effets privatifs, qui consistent à enlever la faute, mais non quant à ses effets positifs. Mais cela ne tient pas, car l’ultime effet positif de la grâce est de rendre digne de la vie éternelle, ce qui était accompli par la circoncision, comme cela se réalise maintenant par le baptême. C’est pourquoi d’autres disent, de manière plus probable, semble-t-il, qu’elle donnait la grâce quant à ses effets privatifs de la faute et de la culpabilité, et quant à certains effets positifs, comme ordonner l’âme et rendre digne de la vie éternelle, mais non pas cependant quant à tous [les effets] que réalise la grâce baptismale, car celle-ci suffit pour réprimer complètement la concupiscence et agir de manière méritoire, ce que ne pouvait pas faire la grâce donnée par la circoncision. Et c’est ainsi que s’entend la glose invoquée.

[13542] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in sacramento altaris est aliquid ex vi sacramenti, aliquid autem ex naturali concomitantia, ut infra dicetur, dist. 10, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 1, ita circumcisio principaliter ordinata erat ad ablationem culpae, sed ex consequenti ad collationem gratiae.

1. De même que, dans le sacrement de l’autel, il existe quelque chose en vertu du sacrement, et quelque chose en vertu d’une concomitance naturelle, comme on le dira plus loin, d. 10, q. 1, a. 2. qa 1, de même la circoncision était-elle principalement ordonnée à enlever la faute, mais, par voie de conséquence, à conférer la grâce.

[13543] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Baptismo amplior gratia datur, ut dictum est.

2. Dans le baptême, une grâce plus étendue est donnée, comme on l’a dit.

[13544] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia circumcisionis non sufficienter reprimebat concupiscentiam, sicut facit gratia novi testamenti; et ideo ratio non sequitur.

3. La grâce de la circoncision ne réprimait pas suffisamment la concupiscence, comme le fait la grâce de la nouvelle alliance. Ainsi, l’argument ne tient pas.

Articulus 5 [13545] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 tit. Utrum circumcisio cessare debuerit

Article 5 – Est-ce que la circoncision devait cesser ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La circoncision devait-elle cesser ?]

 [13546] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod circumcisio cessare non debuerit. Gen. 17, dicitur, quod circumcisio datur in foedus aeternum. Sed aeternum est quod nullo fine clauditur. Ergo circumcisio cessare non debuit.

1. Il semble que la circoncision ne devait pas cesser. Il est dit en Gn 17, que la circoncision est donnée en vue d’une alliance éternelle. Or, est éternel ce qui ne se termine pas. La circoncision ne devait donc pas cesser.

[13547] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod cum lege non incipit, cum lege cessare non debet. Sed circumcisio ante legem incepit: non enim est ex lege, sed ex patribus, ut dicitur Joan. 7. Ergo cum lege cessare non debuit.

2. Ce qui ne commence pas avec la loi ne doit pas cesser avec la loi. Or, la circoncision a commencé avant la loi : en effet, elle ne vient pas de la loi, mais des pères, comme il est dit dans Jn 7. Elle ne devait donc pas cesser avec la loi.

[13548] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, figuralia quae significant id quod semper faciendum est, non debet cessare, sicut de thurificatione, quae significat devotionem, patet. Sed circumcisio cordis, cujus laus ex Deo est, ut dicitur Rom. 2, semper facienda est; et hanc significat exterior circumcisio. Ergo cessare non debuit.

3. Les figures qui signifient ce qui doit toujours être fait ne doivent jamais cesser, comme cela est clair pour l’encensement, qui signifie la dévotion. Or, la circoncision du cœur, qui tient sa louange de Dieu, comme il est dit en Rm 2, 29, doit toujours être accomplie : c’est cela que signifie la circoncision extérieure. Elle ne devait donc pas cesser.

[13549] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Gal. 5, 2: si circumcidimini, Christus vobis nihil proderit.

S.c. 1 – Ga 5, 2 : Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sert à rien.

[13550] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, veniente perfecto frustra imperfectum remaneret ad idem ordinatum. Sed Baptismus perfectius facit hoc ad quod circumcisio ordinata erat, quam circumcisio faceret. Ergo veniente Baptismo circumcisio cessare debuit.

S.c. 2 – Une fois venu ce qui est parfait, ce qui était imparfait et ordonné à la même chose demeurerait inutilement. Or, le baptême réalise plus parfaitement ce à quoi la circoncision était ordonnée que ne le faisait la circoncision. Une fois venu le baptême, la circoncision devait donc cesser.

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les autres dispositions de la loi devaient-elles aussi cesser ?]

[13551] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec alia legalia cessare debuerint. Christus enim, ut dicitur Matth. 5, non venit legem solvere, sed implere. Sed lex consistebat non tantum in moralibus, sed etiam in sacramentis legalibus. Ergo non venit ea solvere.

1. Il semble que les autres dispositions de la loi ne devaient pas non plus cesser. En effet, le Christ, comme il est dit en Mt 5, ne vient pas détruire la loi, mais l’accomplir. Or, la loi ne comprenait pas seulement des dispositions morales, mais aussi des sacrements de la loi. [Le Christ] ne vient donc pas les détruire.

[13552] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, apud Deum non est transmutatio. Sed signum mutationis voluntatis est ut praeceptum quod prius datum est, postea revocetur. Cum ergo Deus haec sacramenta praeceperit, videtur quod cessare non debuerant.

2. Il n’y a pas de changement en Dieu. Or, le signe du changement de volonté est qu’un commandement donné antérieurement est révoqué par la suite. Puisque Dieu avait ordonné ces sacrements, il semble donc qu’ils ne devaient pas cesser.

[13553] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, praeceptum non potest revocari nisi per aequalem, vel superiorem. Sed Deus nunquam revocasse legitur praeceptum de sacramentis legalibus in nova lege. Ergo adhuc durant.

3. Un commandement ne peut être révoqué que par un égal ou un supérieur. Or, on ne lit jamais que Dieu ait révoqué dans la loi nouvelle un commandement concernant les sacrements de la loi. Ils durent donc encore.

[13554] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Heb. 10, 1: umbram habet lex futurorum bonorum. Sed veniente veritate cessat figura. Ergo veniente Christo legalia cessare debuerunt.

S.c. 1 – En sens inverse, on lit dans He 10, 1 : La loi contient l’ombre des biens à venir. Or, une fois venue la vérité, la figure cesse. Une fois le Christ venu, les dispositions légales devaient donc cesser.

[13555] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, Hebr. 7, 12: translato sacerdotio necesse est ut et legis translatio fiat. Sed in Christo translatum fuit sacerdotium, ut ibidem apostolus probat. Ergo et legalia cessare debuerunt.

S.c. 2 – Il est dit en He 7, 12 : Changé le sacerdoce, nécessairement se produit aussi un changement de loi. Or, dans le Christ, le sacerdoce a été changé, comme l’Apôtre le montre en cet endroit. . Les dispositions légales devaient donc changer.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les observances légales pouvaient-elles êre observées au temps de la grâce ?]

[13556] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod tempore gratiae poterant sine peccato observari. Omnis enim Christi actio nostra est instructio. Sed Christus tempore gratiae ea observavit, sicut in multis patet. Ergo licitum est tempore gratiae ea servare.

1. Il semble qu’au temps de la grâce, [les dispositions légales] pouvaient être observées sans péché. En effet, toute action du Christ est pour nous un enseignement. Or, le Christ les a observées au temps de la grâce, comme cela ressort clairement en plusieurs [endroits]. Il est donc permis de les observer au temps de la grâce.

[13557] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, tempore apostolorum etiam observabantur, sicut patet Act. 16, de Paulo, qui circumcidit Timotheum, et de eodem Act. 21, qui purificatus per legem, templum intravit, et hostias obtulit: quod non fecisset ad vitandum scandalum, si peccatum fuisset; quia veritas vitae non est dimittenda propter scandalum. Ergo sine peccato tempore gratiae observari poterant.

2. [Les dispositions légales] étaient aussi observées à l’époque des apôtres, comme cela ressort clairement de Ac 16, à propos de Paul qui circoncit Timothée, et à propos du même, Ac 21, qui, purifié selon la loi, est entré dans le Temple et a offert des victimes. Il n’aurait pas fait cela pour éviter le scandale, si cela avait été un péché, car la vérité de la vie ne doit pas être mise de côté à cause du scandale. Elles pouvaient donc être observées au temps de la grâce.

[13558] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis actus qui non est de se malus, potest sine peccato fieri, et meritorie, si recta intentione fiat. Sed sacrificare et circumcidi non sunt de se mala, alias nunquam licita fuissent. Ergo si bona intentione fiant, erunt meritoria etiam modo, nedum ut sint peccata.

3. Tout acte qui n’est pas mauvais en soi peut être accompli sans péché et de manière méritoire, s’il est accompli avec une intention droite. Or, sacrifier et être circoncis ne sont pas en eux-mêmes mauvais, autrement ils n’auraient jamais été permis. S’ils sont accomplis avec une bonne intention, non seulement ne sont-il donc pas un péché, mais ils seront aussi méritoires maintenant.

[13559] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Gal. 5, 2: si circumcidimini, Christus nihil vobis proderit. Sed omne quod impedit profectum qui provenit ex Christi redemptione, est peccatum. Ergo circumcisio tempore gratiae non poterat fieri sine peccato, et pari ratione nec alia sacramenta.

S.c. 1 – Il est dit en Ga 5, 2 : Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sert à rien. Or, tout ce qui empêche un progrès qui vient de la rédemption du Christ est un péché. La circoncision au temps de la grâce ne pouvait donc pas être accomplie sans péché et, pour la même raison, ni les autres sacrements.

[13560] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, Gal. 4, super illud: quomodo convertimini rursus ad egena et infirma elementa ? Dicit Glossa: ideo dicit, denuo, ut ostendat quod non distat modo lex post Christum ab antiqua idolatria. Sed idolatria nunquam poterat observari sine peccato. Ergo nec legalia post Christum.

S.c. 2 – À propos de Ga 4, 9 : Comment retournez-vous encore à ces éléments sans force ni valeur ? la Glose dit : «Il dit donc : “encore”, pour montrer qu’après le Christ, la loi ne se distingue pas maintenant de l’idolatrie ancienne.» Or, l’idolatrie ne pouvait jamais jamais être accomplie sans péché. Il en est donc de même pour les dispositions légales après le Christ.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Sommes-nous tenus d’observer maintenant certaines dispositions légales ?]

[13561] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod usque modo teneamur aliqua legalia observare. Tenemur enim ad observanda praecepta novi testamenti, et statuta Ecclesiae. Sed praeceptum apostolorum in novo testamento fuit de quibusdam legalibus observandis. Act. 15, 28: visum est spiritui sancto et nobis nihil ultra imponere vobis oneris quam ut abstineatis vos ab immolatis simulacrorum, et sanguine, et suffocato, et fornicatione. Ergo adhuc tenemur ad haec legalia servanda.

1. Il semble que, jusqu’à maintenant, nous soyons tenus d’observer certaines dispositions légales. En effet, nous sommes obligés d’observer les commandements du Nouveau Testament et les décisions de l’Église. Or, le commandement des apôtres dans le Nouveau Testament a été d’observer certaines dispositions légales. Ac 15, 29 : L’Esprit Saint et nous avons décidé de ne pas vous imposer d’autre fardeau que de vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et de la fornication. Nous sommes donc encore obligés d’observer ces dispositions légales.

[13562] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 2 Sed si dicatur, quod fuit permissio apostolorum pro tempore illo; contra. Glossa ibidem dicit, haec esse necessaria. Sed necessaria sunt sine quibus non est salus, et de quibus non est permissio, sed praeceptum. Ergo adhuc observare tenemur.

2. Mais si l’on dit que c’était une permission des apôtres pour ce moment-là, la Glose dit en sens contraire en cet endroit que ces choses étaient nécessaires. Or, est nécessaire ce sans quoi il n’y a pas de salut et pour quoi il n’y a pas de permission, mais un commandement. Nous sommes donc encore obligés de les observer.

[13563] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 3 Si dicatur, quod per Paulum revocatum est, ut cum dicitur 1 Timoth. 4, 4: nihil rejiciendum quod cum gratiarum actione percipitur; contra. Inferior non potest praeceptum superioris revocare. Sed Paulus fuit inferior quam totum apostolorum Concilium in Hierusalem congregatum. Ergo non potuit revocare.

3. Si l’on dit que cela a été révoqué par Paul, de sorte que, alors qu’il dit en 1 Tm 4, 4 : Rien ne doit être rejeté de ce qui est pris avec action de grâce, en sens contraire, [on dira] qu’un inférieur ne peut pas révoquer un commandement d’un supérieur. Or, Paul était inférieur à tout le concile des apôtres rassemblé à Jérusalem. Il ne pouvait donc pas révoquer [la décision de celui-ci].

[13564] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 S.c. 1 Sed contra, Petrus ibidem dicit, Act. 15, quod per gratiam Christi salvamur in lege nova sine onere legis, sicut et patres nostri; unde hoc jugum non est fidelibus imponendum. Sed onus praedictum est observatio caeremonialium. Ergo ad ea servanda non tenemur.

S.c. 1 – Pierre dit au même endroit, Ac 15, que nous sommes sauvés sous la loi nouvelle sans le fardeau de la loi [ancienne], comme nos pères. Aussi ce fardeau ne doit-il pas être imposé aux fidèles. Or, le fardeau mentionné est l’observance des dispositions cérémonielles. Nous ne sommes donc pas obligés de les observer.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13565] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum venit quod perfectum est, evacuari debet quod ex parte est, si ad idem ordinetur: quia gratia non facit per duo quod per unum potest facere, sicut nec natura. Circumcisio autem imperfecta erat respectu Baptismi tripliciter. Primo quantum ad significationem: quia non ita significabat expresse emundationem totius hominis ab immunditia totius culpae originalis, sicut ablutio baptismalis. Secundo quantum ad efficaciam: quia non tam abundans gratia ad operandum et reprimendum fomitem in circumcisione dabatur sicut in Baptismo. Tertio quantum ad utilitatem: quia non erat ejus utilitas ita communis sicut Baptismi, cum haberet determinatum populum, determinatum sexum, et determinatum tempus, quod in Baptismo non accidit; et ideo adveniente tempore plenitudinis debuit cessare, Baptismo substituto.

Lorsque vient ce qui est parfait, il faut rejeter ce qui est partiel, si cela est ordonné à la même chose, car la grâce ne réalise pas par deux choses ce qu’elle peut réaliser par une seule, pas plus que la nature. Or, la circoncision était imparfaite par rapport au baptême de trois manières. Premièrement, quant à sa signification, car elle ne signifiait pas aussi expressément pour tout homme la purification de l’impureté de toute la faute originelle, comme [le fait] l’ablution du baptême. Deuxièmement, quant à son efficacité, car, dans la circoncision, une grâce aussi abondante n’était pas donnée pour agir et pour réprimer le désir désordonné, que dans le baptême. Troisièmement, quant à son utilité, car son utilité n’est pas aussi générale que celle du baptême, puisqu’elle concernait un peuple déterminé, un sexe déterminé et une époque déterminée, ce qui n’est pas le cas du baptême. C’est pourquoi, avec la venue du temps de la plénitude, elle devait cesser pour laisser la place au baptême.

[13566] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aeternum hic accipitur pro saeculo; quod habet quidem finem, sed non est determinatus nobis. Vel etiam dicendum, quod circumcisio corporalis potuit esse in foedus aeternum quantum ad suum significatum, et quantum ad id quod ei succedit; sicut etiam fides potest dici semper manere ratione visionis, quae ei succedit in patria.

1. Ce qui est éternel est entendu ici du siècle, qui a un terme, qui n’est pas précisé pour nous. Ou encore, il faut dire que la circoncision corporelle pouvait exister en vue d’une alliance éternelle pour ce qu’elle signifiait et pour ce qui lui a succédé ; de même qu’on peut dire que la foi demeure toujours, en raison de la vision qui lui succède dans la patrie.

[13567] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis cum lege non inceperit circumcisio, tamen propter legem incepit quasi legis praeparatorium; et ideo cessante lege cessare debuit.

2. Bien que la circoncision n’ait pas commencé avec la loi, cependant elle a commencé en vue de la loi, comme quelque chose de préparatoire. Aussi, la loi cessant, devait-elle cesser.

[13568] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principalis significatio ad quam circumcisio instituta est, est ablatio originalis culpae, quia sacramentalis significatio refertur ad effectum. Hoc autem non semper faciendum erat per circumcisionem; et ideo non oportebat quod circumcisio semper remaneret. Alia autem significatio est ex consequenti, et secundum illam non oportet accipi judicium de duratione circumcisionis. Thurificationis autem significatio nunquam fuit ad significandum aliquid ut effectum ejus; et ideo non est similis ratio.

3. La principale signification pour laquelle la circoncision a été instituée est la suppression de la faute originelle, parce que la signification sacramentelle est en rapport avec l’effet. Or, cela ne devait pas se réaliser toujours par la circoncision. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire que la circoncision demeure. Une autre signification vient de ce qui suit : selon celle-ci, il n’est pas nécessaire de porter un jugement sur la durée de la circoncision. Mais la signification de l’encensement n’a jamais été de signifier quelque chose qui était son effet. Ce n’est donc pas le même raisonnement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13569] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod triplex erat praecipua ratio cessationis legalium. Una est, quia lex instituta fuit ad significandum gratiam novi testamenti, quae per Christum facta est; et ideo veniente Christo cessare debuerunt, sicut veniente corpore cessat umbra; et hanc causam tangit apostolus Hebr. 10, 1: umbram habens lex futurorum bonorum. Alia ratio est ex imperfectione: quia in legalibus gratia non conferebatur quantam oportebat in novo testamento dari. Sicut enim virtus naturalis rei naturali proportionatur, ita virtus sacramentalis sacramento; unde oportuit alia sacramenta institui, in quibus amplior gratia conferretur; et hanc causam tangit apostolus Heb. 7, 18: reprobatio quidem fit prioris mandati propter infirmitatem et inutilitatem. Tertia accipitur ex parte eorum quibus lex data est, qui erant parvuli; et ideo erant paulatim a pristina consuetudine idolatriae abstrahendi, ut sic eis concederetur eadem Deo offerre quae prius idolis obtulerunt, vel offerri viderant, sicut Rabbi Moyses dicit. Sed postmodum quando ad perfectam aetatem humanum genus pervenit, debuit ab his observantiis liber esse. Et hanc causam tangit apostolus Gal. 3 et 4, et Petrus Act. 15, ostendens illa legalia in onus populo rudi imposita esse.

Il y avait trois raisons pour que les dispositions légales cessent. L’une, parce que la loi a été instituée pour signifier la grâce de la nouvelle alliance, qui a été réalisée par le Christ ; dès lors que le Christ est venu, elles devaient donc cesser, comme lorsque l’ombre cesse lorsqu’un corps approche. C’est cette raison que donne l’Apôtre en He 10, 1 – [La loi] était l’ombre des biens à venir. Une autre raison vient de leur imperfection, car, sous les dispositions légales, la grâce n’était pas conférée autant qu’elle devait être donnée sous la nouvelle alliance. En effet, de même que la puissance naturelle d’une chose est proportionnée à sa nature, de même la puissance sacramentelle est-elle proportionnée au sacrement. Il était donc nécessaire que d’autres sacrements soient institués, dans lesquels une grâce plus abondante serait conférée. C’est cette raison qu’aborde l’Apôtre en He 7, 18 : Ainsi se trouve abrogé un commandement antérieur en raison de sa faiblesse et de son inutilité. La troisième raison se prend du point de vue de ceux à qui la loi a été donnée, qui étaient des petits enfants. C’est pourquoi ils devaient être peu à peu arrachés de la coutume ancienne de l’idolâtrie, afin qu’il leur soit ainsi permis d’offrir à Dieu les mêmes choses qu’ils offraient ou semblaient auparavant offrir aux idoles, comme le dit Rabbi Moïse. Mais, par la suite, lorsque le genre [humain] fut parvenu à l’âgre adulte, il devait être libéré de telles observances. C’est cette raison qu’abordent l’Apôtre, en Ga 3 et 4, et Pierre, en Ac 15, en montrant que ces dispositions légales avaient été imposées à un peuple ignorant.

[13570] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus in hoc legem implevit quod moralibus praeceptis consilia apposuit, et praecepta magis elucidavit: sed figuris caeremonialium veritatem apposuit, et ea in seipso suscepit.

1. Le Christ a accompli la loi en ajoutant aux préceptes moraux des conseils et en clarifiant davantage les préceptes. Mais il a ajouté la vérité aux préceptes cérémoniels et l’a accueillie en lui-même.

[13571] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non ex mutabilitate praecipientis, sed ex prudenti dispensatione contingit quod diversa praecepta diversis temporibus accommoda proponit, sicut est in proposito.

2. Il arrive que ce ne soit pas en raison de l’immuabilité de celui qui ordonne, mais d’un aménagement prudent, que divers préceptes soient adaptés à des moments différents, comme c’est le cas ici.

[13572] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dominus ipso facto revocavit, adimplens in se quod in figura praeceperat observandum; et ideo in sua passione dixit: consummatum est. Joan. 19, 30.

3. Le Seigneur a révoqué par le fait même ce qu’il avait prescrit d’observer en figures, en l’accomplissant en lui-même. C’est pourquoi il dit durant sa passion : Tout est consommé, Jn 19, 30.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13573] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec quaestio videtur habere difficultatem ex quibusdam contrarietatibus quae super hoc inveniuntur tam in canone, quam in dictis sanctorum. Quandoque enim inveniuntur observata legalia tempore gratiae, quandoque autem prohibita; et de hoc etiam Petrus a Paulo redargutus videtur Gal. 2. Et ideo super hoc Hieronymus et Augustinus diversa sensisse videntur. Volebat enim Hieronymus quod legalia statim post passionem Christi quantum ad hos ad quos gratia novi testamenti manifeste divulgata erat, fuerunt mortifera; sed apostolos quadam pia dispensatione his usos fuisse ad vitandum scandalum Judaeorum; et ideo Petrus judaizans non peccavit, dispensatorie id faciens, secundum quod etiam dicitur 1 Corinth. 9, 22: omnibus omnia factus sum; et similiter Paulus dispensatorie eum redarguit, ne gentiles exemplo Petri, quorum ipse apostolus erat, veteris legis sacramenta quasi necessaria quaererent: quia et ipse invenitur eadem pia simulatione servasse; et sic uterque excusatur, et Petrus a culpa, et Paulus a procaci reprehensione. Sed quia non videtur conveniens quod apostoli aliquid contra veritatem doctrinae fecissent ad vitandum scandalum Judaeorum, nec iterum videtur conveniens quod Paulus in epistola ad Galatas aliquid simulate diceret, ubi dicit Petrum reprehensibilem fuisse; ideo Augustinus aliter dicit, et melius, quod ante Christi passionem legalia fuerunt observanda ex necessitate divinae jussionis, et habuerunt adhuc effectum; sed post Christi passionem ante divulgationem Evangelii observari poterant a Judaeis ad fidem conversis, non spem in ipsis ponentibus, quasi alicujus virtutis essent, aut quasi sine eis gratia Christi non sufficeret ad salutem, sed ne omnino videretur lex vetus reprobanda, si statim quasi idolatria fugeretur; et ideo hoc modo erat mater synagoga deducenda ad tumulum cum honore. Sed post divulgationem Evangelii non solum non sunt salutifera, sed mortifera. Medio ergo tempore Petrus et Paulus et alii apostoli legalia observabant non simulatorie, sed vere. Petrus tamen incaute se habuit in observatione legalium, nimis condescendens Judaeis illis qui legalia observanda esse dicebant, ita ut aliqui ejus exemplo inducerentur ad ea observanda quasi necessaria; et ideo vere reprehensibilis erat, et aliquam levem incurrit culpam; et Paulus vere et non dispensative ipsum reprehendit.

Cette question semble comporter une difficulté en raison de contradictions qui se trouvent tant dans le droit canonique que dans les paroles des saints. En effet, on trouve parfois que les observances de la loi sont prohibées au temps de la grâce, et parfois qu’elles sont permises ; c’est sur ce point que Pierre semble être repris par Paul en Ga 2. C’est pourquoi Jérôme et Augustin semblent avoir eu une opinion différente à ce sujet. En effet, Jérôme voulait que les dispositions légales aient été causes de mort immédiatement après la passion du Christ pour ceux à qui la grâce de la nouvelle alliance avait été manifestement révélée, mais que les apôtres en aient fait usage en vertu d’un pieux aménagement afin d’éviter le scandale des Juifs. C’est pourquoi Pierre n’a pas péché en judaïsant, en faisant cela selon un aménagement, conformément à ce qui est aussi dit en 1 Co 9, 22 : Je me suis fait tout pour tous. De même Paul le reprit-il, de crainte que les païens, à l’exemple de Pierre qui en était l’apôtre, ne recherchent les sacrements de la loi ancienne comme s’ils étaient nécessaires, car on voit que lui-même a observé les mêmes choses par une pieuse dissimulation. Ainsi, les deux sont excusés : Pierre, de la faute, et Paul, d’un reproche insolent. Mais parce qu’il ne semble pas convenable que les apôtres aient accompli quelque chose à l’encontre de la vérité de la doctrine pour éviter un scandale de la part des Juifs, et qu’il ne semble pas non plus convenable que Paul, dans l’épître aux Galates, ait parlé avec feinte lorsqu’il dit que Pierre était répréhensible, Augustin s’exprime autrement et en mieux : avant la passion du Christ, les dispositions légales devaient être observées en vertu du caractère obligatoire d’un commandement divin, et elles étaient encore en vigueur ; mais, après la passion du Christ, elles pouvaient être observées par les Juifs convertis à la foi, non pas en mettant en elles leur espérance, comme si elles possédaient quelque puissance, et comme si, sans elles, la grâce du Christ ne suffisait pas au salut, mais afin qu’il ne semble pas que la loi ancienne dût être complètement rejetée, si on la rejetait immédiatement comme l’idolâtrie. Mais, après la diffusion de l’évangile, non seulement [les dispositions légales] ne sont-elles pas salutaires, mais elles donnent la mort. Dans l’époque intermédiaire, Pierre, Paul et les autres apôtres observaient les dispositions légales, non par feinte, mais en vérité. Toutefois, Pierre se comporta de manière imprudente pour l’observance des dispositions légales, en se montrant trop condescendant vis-à-vis des Juifs qui disaient que les dispositions légales devaient être observées, de telle sorte que certains étaient amenés par son exemple à les observer comme si elles étaient nécessaires. C’est pourquoi il était vraiment répréhensible et il encourut une faute légère ; mais Paul le réprimanda conformément à la vérité, et non selon l’aménagement.

[13574] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum et secundum: quia ante Christi passionem, quando Christus ea servavit, non erant mortua nec mortifera, sed salutifera; tempore vero apostolorum ante divulgationem Evangelii erant quidem mortua, quasi nullius existentia utilitatis, sed non mortifera.

1-2. La solution des arguments un et deux est ainsi claire, car, avant la passion du Christ, alors que le Christ les observait encore, elles n’étaient pas mortes ni n’apportaient la mort, mais elles étaient salutaires. Mais, à l’époque des apôtres, avant la diffusion de l’évangile, elles étaient à la vérité mortes, comme si elles n’avaient aucune utilité, mais elles n’apportaient pas la mort.

[13575] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod una circumstantia mutata facit actum bonum in genere, vel malum; et ideo legalia, quae absque consideratione alicujus temporis sunt indifferentia, suo tempore facta fuerunt bona, tempore autem non suo observata, sunt facta mala; et ideo bona intentione fieri non possunt bene.

3. Une seule circonstance rend un acte bon ou mauvais d’une manière générale. C’est pourquoi les dispositions légales, qui sont indifférentes aux considérations de temps, sont devenues bonnes en leur temps, mais, observées à une époque qui n’était pas la leur, elles sont devenues mauvaises. C’est pourquoi elles ne peuvent pas devenir bonnes en vertu d’une bonne intention.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13576] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod circa hoc tres sunt opiniones. Una opinio dixit, quod ad litteram intelligendum est illud praeceptum quod legitur in actibus, et ejus obligatio usque nunc manet. Sed hoc manifeste contrariatur dictis Pauli, qui dixit nihil esse commune, idest immundum, per Christum, nisi ei qui aestimat aliquid esse commune, Rom. 14; et iterum est contra rationem: quia cum hoc praeceptum non sit morale, quia naturalis ratio illud non dictat, oportet quod sit caeremoniale; et ideo ejus obligatio non manet magis quam aliorum. Et ideo alii dixerunt, quod non est intelligendum ad litteram de sanguine animalis, et suffocato animali, sed de effusione sanguinis quae fit per homicidium, et de suffocatione pauperum. Sed hoc non potest stare: quia Hieronymus Ezech. 18, post illam expositionem mysticam, expositionem ponit litteralem, quam dicit apostolos etiam intendisse. Et ideo alii dicunt, quod epistola apostolorum non erat praeceptoria quantum ad hoc quod abstinerent se ab immolatitiis, et sanguine, et suffocato; sed erat quaedam provisio ad conservandam pacem, et communem vitam gentilium et Judaeorum fidelium; et ideo fornicationem prohibuerunt quasi per se malum, quod apud gentiles non reputabatur pro peccato. Immolatitium autem prohibuerunt quasi illud quod posset suspicionem idolatriae adhuc retentae generare de gentilibus in cordibus Judaeorum; sanguinem autem suffocatum sicut quod Judaei abominabantur propter dissuetudinem: sicut etiam usque hodie si aliquis socialiter vult alii convivere, oportet quod abstineat ab his quae alter abominatur.

 

À ce sujet, il y a trois opinions. Une opinion dit qu’il faut entendre à la lettre ce précepte qu’on lit dans les Actes, et que son obligation demeure jusqu’à maintenant. Mais cela est manifestement contraire à ce que dit Paul : il dit que ce qui est impur n’a rien de vulgaire, c’est-à-dire d’impur, dans le Christ, si ce n’est pour celui qui estime que cela est vulgaire, Rm 14. Cela est aussi contraire à la raison, car, comme ce précepte n’est pas [un précepte] moral, puisque la raison ne l’impose pas, il est nécessaire qu’il soit cérémoniel. C’est pourquoi son obligation ne dure pas davantage que celle des autres. Aussi d’autres ont-ils dit qu’il ne fallait pas l’entendre à la lettre du sang d’un animal ni d’un animal étouffé, mais de l’effusion du sang qui survient dans l’homicide et de l’étouffement des pauvres. Mais cela ne tient pas, car Jérôme, à propos de Ez 18, après cette interprétation mystique, propose une interprétation littérale, dont il dit que les apôtres l’avaient en vue. C’est pourquoi d’autres disent que la lettre des apôtres n’avait pas le caractère de précepte, pour ce qui était de l’abstention des viandes immolées, du sang et de la chair étouffée, mais qu’elle était une disposition en vue de préserver la paix et la vie commune entre les païens et les Juifs croyants. C’est ainsi qu’ils ont interdit la fornication parce qu’elle était mal en elle-même, alors qu’elle n’était pas considérée comme un péché par les païens. Mais ils ont interdit la viande immolée comme quelque chose qui pouvait engendrer dans le cœur des Juifs un soupçon que les païens avaient conservé l’idolâtrie ; [ils ont interdit] le sang de la chair étouffée parce que les Juifs l’avaient en abomination, en ayant perdu l’habitude, comme aujourd’hui encore, si quelqu’un veut vivre en société avec un autre, il lui faut s’abstenir de ce que l’autre a en abomination.

[13577] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

[13578] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicuntur esse necessaria quantum ad sensum mysticum praetactum, vel quantum ad observandum communitatem vitae inter Judaeos et gentiles.

2. On dit qu’elles sont nécessaires quant au sens mystique qui y est abordé à l’avance, ou en vue de maintenir la vie commune entre les Juifs et les païens.

[13579] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Paulus non revocavit, sed exposuit apostolorum intentionem, sicut qui praesens fuerat quando sententia data erat. Unde dicitur 1 Corinth. 8, 1: de his autem quae idolis immolantur, non omnes habemus scientiam: quia non omnes intelligebant qualiter essent prohibita.

3. Paul n’a pas abrogé, mais expliqué l’intention des apôtres, comme celui qui était présent lorsqu’on a fait connaître la décision. Aussi est-il dit en 1 Co 8, 1 : En ce qui concerne ce qui est immolé aux idoles, nous n’avons pas tous la science, car tous ne comprenaient pas comment elles étaient interdites.

 

 

Articulus 6

 

[13580] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 tit. Utrum sola fides valeret parvulis ad remissionem originalis peccati

Article 6 – Est-ce que la foi seule suffisait aux enfants pour la rémission du péché originel ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Avant la circoncision, la foi seule suffisait-elle aux enfants pour la rémission du péché originel ?]

[13581] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod ante circumcisionem non valebat ad remissionem originalis peccati pro parvulis sola fides. Efficacior enim est caritas quam fides. Sed caritas aliena nunquam sufficit ad meritum. Ergo nec fides ad justificationem.

1. Il semble qu’avant la circoncision, la foi seule ne suffisait pas aux tout-petits pour la rémission du péché originel. En effet, la charité est plus efficace que la foi. Or, la charité d’un autre ne suffit jamais pour le mérite. La foi non plus ne suffit donc pas pour la justification.

[13582] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si fides aliena valebat, ergo eadem ratione etiam infidelitas nocebat; et ita ex peccato actuali parentum puer puniretur; quod est inconveniens.

2. Si la foi d’un autre suffisait, pour la même raison l’infidélité lui nuisait. Et ainsi, un enfant serait puni pour le péché actuel de ses parents, ce qui est incorrect.

[13583] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides non magis juvat alium quam habentem. Sed illi qui habebant fidem, non semper juvabantur a fide: quia poterat esse quod haberent fidem informem. Ergo nec puero valebat fides parentum ad delendum originale peccatum.

3. La foi n’aide personne d’autre que celui qui la possède. Or, ceux qui avaient la foi n’étaient pas toujours aidés par la foi, car il pouvait arriver qu’ils aient une foi informe. La foi des parents n’était donc pas utile pour détruire le péché originel.

[13584] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod dicit Gregorius in littera.

S.c. 1 – Ce que dit Grégoire dans le texte va en sens contraire.

[13585] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, peccatum quod ex altero contrahitur, ex altero potest habere medicinam. Sed peccatum originale parvuli ex altero contrahebatur. Ergo poterat ex fide aliena ab ipso mundari.

S.c. 2 – Le péché qui est contracté à partir d’un autre peut avoir un remède à partir d’un autre. Or, le péché originel de l’enfant est contracté à partir d’un autre. Il pouvait donc être purifié par la foi à partir de la foi d’un autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi suffisait-elle, sans un signe extérieur, pour les enfants ?]

 [13586] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides non suffecerit sine aliquo exteriori signo. Dicit enim Augustinus contra Faustum, quod in nullum nomen religionis, sive verum, sive falsum, poterant homines sine aliquo signo visibili adunari. Sed per illud quo originale deletur, homines in religionem verae fidei adunantur: quia oportet hujusmodi remedium esse intrantium. Ergo oportebat quod fieret aliquo visibili signo.

1. Il semble que la foi ne suffira pas sans un signe extérieur. En effet, Augustin dit contre Faustus que les hommes ne pouvaient être rassemblés dans ce qu’on appelle religion, que ce soit vrai ou faux, sans un signe extérieur. Or, les hommes sont rassemblés dans la religion de la vraie foi par ce qui détruit le péché originel, car il était nécessaire qu’un remède de cette sorte soit celui de ceux qui entrent. Il fallait donc que cela se réalise par un signe visible.

[13587] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 arg. 2 Praeterea, actus mentis potest se extendere ad natos et non natos, sed conceptos, aequaliter. Si ergo fides sine exteriori signo sufficiebat ad deletionem originalis, videtur quod poterant etiam nondum nati ab originali peccato per fidem mundari.

2. Un acte de l’esprit peut s’étendre également à ceux qui sont nés et à ceux qui ne le sont pas, mais qui sont seulement conçus. Si donc la foi sans un signe extérieur suffisait pour détuire le péché originel, il semble que même ceux qui ne sont pas encore nés pouvaient être purifiés du péché originel.

[13588] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 arg. 3 Praeterea, modo non valet fides ad salutem sine aliquo signo exteriori. Si ergo tunc valuisset, videtur quod fuisset majoris efficaciae quam modo.

3. Maintenant, la foi ne sert pas pour le salut sans un signe extérieur. Si donc elle était alors utile, il semble qu’elle était d’une plus grande efficacité que maintenant.

[13589] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est, quia secundum hoc non esset differentia inter parvulos et adultos, quam tamen Gregorius assignat.

S.c. 1 – En sens inverse, il n’y aurait pas ainsi, entre les enfants et les adultes, la différence que Grégoire indique.

[13590] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, omnia sacramenta illius temporis habebant totam efficaciam suam ex fide. Ergo tantum faciebat fides sine exteriori signo, quantum cum eo; et ita exteriora signa non requirebantur, ut videtur.

S.c. 2 – Tous les sacrements de cette époque tenaient toute leur effacité de la foi. La foi avait donc la même efficacité sans signe extérieur qu’avec celui-ci. Et ainsi, les signes extérieurs n’étaient pas requis, semble-t-il.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un signe extérieur était-il nécessaire pour les adultes ?]

[13591] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in adultis non requireretur sacrificium, vel aliud hujusmodi. Non minus enim valet alicui fides propria quam alteri fides aliena. Sed pueris sufficiebat fides aliena sine exteriori signo, ut probatum est. Ergo et adultis.

1. Il semble que, pour les adultes, un sacrifice ou quelque chose du genre ne soit pas requis. En effet, la foi propre n’est pas moins utile à quelqu’un que la foi d’une autre pour quelqu’un d’autre. Or, pour les enfants, la foi d’un autre sans signe extérieur suffisait, comme on l’a montré. Il en était donc de même pour les adultes.

[13592] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit, quod nullus obligabatur ad sacramenta illius temporis, sed voto celebrabantur. Sed quod est hujusmodi, non est de necessitate salutis. Ergo absque sacrificiis poterat emundari ab originali.

2. Hugues de Saint-Victor dit que personne n’était obligé de recevoir les sacrements de cette époque, mais qu’ils étaient célébrés en intention. Or, ce qui est de ce genre n’est pas nécessaire au salut. Il pouvait donc être purifié du péché originel sans les sacrifices.

[13593] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod Gregorius in littera dicit, quod pro parvulis sola fides, pro adultis sacrificia et oblationes valebant.

S.c. 1 – S’oppose à cela ce que dit Grégoire dans le texte, que seule la foi était utile pour les enfants, mais, pour les adultes, les sacrifices et les offrandes [aussi].

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13594] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod peccatum originale est peccatum naturae: natura autem reparari non poterat nisi per Christum; et ideo nunquam poterat remitti peccatum originale alicujus nisi facta relatione, et quadam continuatione illius qui curari debebat, ad Christum, quod per fidem fiebat; et ideo fides mediatoris semper fuit efficax ad curandum ab originali: in illis quidem qui usum liberi arbitrii habebant, propria; in aliis vero aliena, ut nec eis omnino deesset divinum remedium.

Le péché originel est un péché de nature. Or, la nature ne pouvait être réparée que par le Christ. C’est pourquoi le péché originel de quiconque ne pouvait être remis sans que soit établi un certain rapport, un certain contact, de celui qui devait être guéri avec le Christ, qui se réalisait par la foi. C’est ainsi que la foi au médiateur fut toujours efficace pour guérir le péché originel : chez ceux qui avaient l’usage du libre arbitre, [la foi] personnelle [était nécessaire] ; chez les autres, la foi d’un autre, de sorte que même à eux, le remède divin ne fasse pas défaut.

[13595] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides in cognitione est, caritas autem in affectione. Affectio autem est ejus quod est sibi bonum; sed cognitio est ejus quod est verum simpliciter; et ideo fides poterat magis respicere mediatorem, prout erat causa salutis alteri, quam caritas; et propter hoc magis justificatio quae fit in sacramentis, attribuitur fidei quam caritati.

1. La foi se trouve dans la connaissance, mais la charité dans l’affectivité. Or, l’affectivité porte sur ce qui est bon pour soi ; mais la connaissance porte sur ce qui est tout simplement vrai. C’est pourquoi la foi, plutôt que la charité, pouvait davantage concerner le médiateur en tant qu’il est cause de salut pour un autre. Pour cette raison, la justification qui se réalise dans les sacrements est attribuée à la foi plutôt qu’à la charité.

[13596] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides aliena non juvabat inquantum erat actus personae, sed ex parte illa qua respiciebat objectum suum, scilicet Christum, quod erat medicina totius naturae; in quo habebat quamdam similitudinem cum sacramentis nostris, inquantum justificabat ex objecto, quasi ex opere operato, non autem ex opere operante.

2. La foi d’un autre n’était pas utile en tant qu’elle était l’acte d’une personne, mais en tant qu’elle portait sur son objet, le Christ, qui était le médiateur de toute la nature. En cela, elle avait une certaine ressemblance avec les sacrements pour autant qu’elle justifiait par l’objet, comme par l’acte posé [ex opere operato], et non en raison de l’agent [ex opere operante].

[13597] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium: quia formatio et informitas fidei sunt conditiones ejus ex parte operantis, non autem ex parte objecti; et ideo informitas fidei in parente non impediebat effectum salutis in filio; impediebat autem in ipso, quia informitas illa proveniebat ex aliquo quod erat contrarium saluti, scilicet ex peccato mortali.

3. La solution du troisième argument ressort ainsi clairement, car le fait que la foi soit formée ou informe relève de conditions du point de vue de l’agent, et non du point de vue de l’objet. C’est pourquoi le fait que la foi ne soit pas formée chez le parent n’empêchait pas l’effet du salut chez le fils ; mais il l’empêchait chez [le parent], car le fait que cette foi n’était pas formée venait de quelque chose qui était contraire au salut, à savoir, le péché mortel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13598] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod non sufficiebat fides sine protestatione fidei facta per aliquod exterius signum; et erat differentia inter parvulos et adultos quantum ad hoc tantum quod parvulis sufficiebat fides aliena cum exteriori signo ab aliis facto, sed adultis fides propria cum signo ab eis facto. Sed quia hoc non videtur consonare cum verbis Gregorii in littera positis, ideo alii probabilius dicunt, quod parvulis sufficiebat sola fides sine omni exteriori signo; non autem habitus fidei solum, sed motus ejus relatus ad salutem pueri in vi cujusdam professionis interioris fidei, quicumque esset ille qui quoquo modo professionem fidei suae ad puerum suum referret; magis tamen pertinebat hoc ad parentes, qui pueri curam habere debebant, et per quos originale contraxerat.

À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, certains disent que la foi ne suffisait pas sans une attestation de la foi par un signe extérieur ; la différence entre les enfants et les adultes ne consistait que dans le fait que, pour les enfants, suffisait la foi d’un autre accompagnée d’un signe extérieur fait par d’autres, mais, pour les adultes, la foi propre accommpagnée d’un signe fait par d’autres. Mais parce que cela ne semble pas s’accorder avec les paroles de Grégoire rappelées dans le texte, d’autres disent de manière plus probable que, chez les enfants, suffisait la foi seule, sans aucun signe extérieur, non seulement l’habitus de foi, mais son mouvement orienté vers le salut de l’enfant en vertu d’une profession de foi intérieure, quelle que soit la personne qui, de quelque façon que ce soit, mettait en rapport la profession de sa foi avec son enfant. Cependant, cela relevait davantage des parents, qui devaient prendre soin de l’enfant, et par qui celui-ci avait contracté le péché originel.

[13599] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum secundum hoc, quod illud per quod homines tempore legis naturae in veram religionem congregabantur, non habebat virtutem nisi ex fide; et ideo non erat necessitatis, sed pro voto celebrabatur, ut unus alii innotesceret.

1. D’après cela, ce par quoi les hommes étaient rassemblés dans la vraie religion au temps de la loi naturelle n’avait de puissance que par la foi. C’est pourquoi cela n’était pas célébré de manière obligatoire, mais volontairement, afin que l’un soit connu de l’autre.

[13600] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod puer adhuc in utero matris existens, quantum ad humanam cognitionem pertinet, non habet esse distinctum a matre, et ideo per actum hominis consequi non potest nec nunc ut mundetur ab originali per Baptismum, nec tunc ut mundaretur per fidem parentum: sed divinitus mundari potest, sicut de sanctificatis in utero apparet.

2. L’enfant qui est encore dans le sein de sa mère ne peut pas être distingué de sa mère pour ce qui est de la connaissance humaine. C’est pourquoi il ne peut obtenir par un acte d’homme ni d’être maintenant purifié du péché originel par le baptême, ni d’être alors purifié par la foi de ses parents. Mais il peut être purifié par Dieu, comme cela ressort clairement de ceux qui ont été sanctifiés alors qu’ils étaient dans le sein.

[13601] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fidei efficacia non est diminuta, cum omnia sacramenta ex fide efficaciam habeant; sed est ei aliquid adjunctum quod necesse est observari; sicut non est minoris efficaciae lex moris in religioso quam in saeculari; quamvis praecepta moralia sufficiant ad salutem in saeculari, sed in religioso requirantur consilia, ad quae se ex voto obligavit.

3. L’efficacité de la foi n’est pas diminuée, puisque tous les sacrements tiennent leur efficacité de la foi, mais quelque chose lui est associé qu’il est nécessaire d’observer. Ainsi, la loi morale n’est pas moins efficace chez le religieux que chez le séculier, bien que les préceptes moraux suffisent au salut chez le séculier, mais que les conseils auxquels il s’est obligé par vœu soient exigés chez le religieux.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13602] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illa sacramenta legis naturae non erant ex praecepto divino obligantia, sed ex voto celebrabantur, secundum quod unicuique dictabat sua mens, ut fidem suam aliis exteriori signo profiteretur ad honorem Dei, secundum quod habitus caritatis inclinabat ad exteriores actus; et sic dicimus de caritate, quod sufficit motus interior; quando autem tempus habet operandi, requiruntur etiam exteriores actus. Ita etiam quantum ad adultos in lege naturae sufficiebat sola fides, cum etiam modo sufficiat ei qui non ex contemptu sacramenta dimittit; sed ipsa fides, quando tempus habebatur, instigabat ut se aliquibus signis exterioribus demonstraret. Quando autem illa signa adhibebantur, non erat efficacia remissionis culpae ex illis exterioribus, sed ex interiori fide; et sic intelligenda sunt verba Gregorii.

Les sacrements de la loi naturelle n’obligeaient pas selon un précepte divin, mais ils étaient volontairement célébrés, selon que son esprit le dictait à chacun, afin de professer pour les autres sa foi en l’honneur de Dieu par un signe extérieur, selon que l’habitus de charité poussait à des actes extérieurs. Ainsi disons-nous que le mouvement intérieur de la charité suffit, mais lorsque le temps est venu d’agir, des actes extérieurs sont aussi nécessaires. De même aussi, pour ce qui était des adultes sous la loi naturelle, la foi seule suffisait, puisque même maintenant elle suffit à celui qui n’écarte pas les sacrements par mépris. Mais la foi elle-même, lorsque le temps était venu, poussait à se manifester par certains signes extérieurs. Mais lorsque ces signes étaient montrés, l’efficacité de la rémission de la faute ne venait pas de ces [signes] extérieurs, mais de la foi intérieure. C’est ainsi que doivent se comprendre les paroles de Grégoire.

[13603] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

1-2. Ainsi ressort clairement la solution aux objections.

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 1

[13604] Super Sent., lib. 4 d. 1 q. 2 a. 6 qc. 3 expos. In sinu Abrahae, sinus Abrahae dicitur Limbus patrum, in quo distincti erant sancti ab aliis; et quia Abraham primus ab infidelibus loco et ritu se separasse legitur, ideo dicitur Abrahae sinus. Lapideo cultro, intelligendum est non semper, sed in quibusdam notabilibus circumcisionibus, sicut legitur Exod. 4, et Josue 5. In carne vero praeputii ideo jussa est fieri circumcisio, quia in remedium instituta est originalis peccati. Caro praeputii dicitur pellicula contegens carnem: quia in ipsa carne, ubi concupiscentia magis est, non poterat abscissio fieri sine periculo. Tamen sub lege, ingruente necessitate mortis, ante octavum diem circumcidebant sine peccato filios. Magister hic loquitur secundum opinionem suam; tamen alia opinio quae supra posita est, videtur esse magis probabilis.

 

 

Distinctio 2

Distinction 2 – [Les sacrements de la loi nouvelle]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Présupposés aux sacrements de la loi nouvelle]

 

Prooemium

Prologue

[13605] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramentis in communi, hic descendit ad sacramenta novae legis, de quibus principaliter intendit; et dividitur in partes duas: in prima determinat de quibusdam quae praeexiguntur ad sacramenta novae legis; in secunda prosequitur de eis, 3 dist., ibi: post hoc videndum est quid sit Baptismus. Prima dividitur in duas: in prima determinat quaedam quae praeexiguntur ad sacramenta novae legis ordine doctrinae; in secunda determinat de Baptismo Joannis, quod praeexigebatur ad ea ut dispositio, sive praeparatio, ibi: nunc autem de Baptismi sacramento videamus. Circa primum duo facit: primo ponit distinctionem sacramentorum novae legis et quantum ad numerum et quantum ad effectum; secundo ponit eorum institutionem, ibi: si vero quaeratur et cetera. Ubi primo ponit communem sacramentorum novae legis institutionem; secundo excipit matrimonium quantum ad aliquid, ibi: fuit tamen conjugium ante peccatum institutum. Nunc autem de Baptismi sacramento videamus. Hic determinat de Baptismo Joannis; et circa hoc duo facit: primo determinat de ipso Baptismo secundum se; secundo de eo quantum ad suscipientes, ibi: hic considerandum est et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit differentiam Baptismi Joannis ad Baptismum Christi; secundo ostendit quasdam conditiones Baptismi Joannis; et primo utilitatem, ibi: ad quid ergo utilis erat Baptismus Joannis ? Secundo nomen, ibi: sed quaeritur quare dictus est Baptismus Joannis; tertio genus, ibi: si vero quaeritur an sacramentum fuerit, satis potest concedi et cetera. Hic est duplex quaestio. Primo de sacramentis novae legis in generali. Secundo de Baptismo Joannis. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de distinctione sacramentorum quantum ad effectum; 2 de distinctione eorum quantum ad numerum; 3 de ordine ipsorum; 4 de institutione eorum.

Après avoir déterminé à propos des sacrements en général, le Maître en arrive aux sacrements de la loi nouvelle, qui constituent son objet principal. [Cette partie] est divisée en deux: dans la première, il détermine à propos de certains présupposés des sacrements de la loi nouvelle; dans la seconde, il en traite, d. 3, en cet endroit: «Après cela, il faut voir ce qu’est le baptême.» La première partie est divisée en deux: dans la première, il détermine à propos de certains présupposés des sacrements de la loi nouvelle selon l’ordre de l’enseignement; dans la seconde, il traite du baptême de Jean, qui leur était présupposé comme une disposition ou une préparation, en cet endroit: «Maintenant, voyons ce qu’il en est du sacrement de baptême.» À propos du premier point, il présente la distintion entre les sacrements de la loi nouvelle, tant pour leur nombre que pour leur effet; en second lieu, il présente leur institution, en cet endroit: «Mais si l’on cherche, etc.» Là, il présente d’abord l’institution commune des sacrements de la loi nouvelle; en second lieu, il fait une exception pour le mariage sur un point, en cet endroit: «Cependant, le mariage a été institué avant le péché.» «Maintenant, voyons ce qu’il en est du sacrement de baptême.» Ici, il traite du baptême de Jean. À de propos, il fait deux choses: premièrement, il traite du baptême en lui-même; deuxièmement, il en traite du point de vue de ceux qui le reçoivent, en cet endroit: «Ici, il faut observer, etc.» À propos du premier point, il fait deux choses: premièrement, il montre la différence entre le baptême de Jean et le baptême du Christ; deuxièmement, il montre certaines conditions du baptême de Jean. Premièrement, son utilité, à cet endroit: «À quoi le baptême de Jean était-il utile ?» Deuxièmement, son nom, à cet endroit: «Mais on se demande pourquoi il a été appelé le baptême de Jean.» Troisièmement, son genre, en cet endroit: «Mais si l’on demande s’il était un sacrement, on peut assez facilement le concéder, etc.» Ici, il y a une double question: premièrement, à propos des sacrements de la loi nouvelle d’une manière générale; deuxièmement, à propos du baptême de Jean. À propos du premier point, on pose quatre questions: 1 – Sur la distinction entre les sacrements du point de vue de leur effet; 2 – Sur la distinction entre eux quant à leur nombre; 3 – Sur leur ordre; 4 – Sur leur institution.

 

 

Articulus 1 [13606] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnia sacramenta contra aliquem animae defectum sint instituta

Article 1 – Est-ce que tous les sacrements ont été institués contre une carence de l’âme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que tous les sacrements ont été institués comme des remèdes ?]

[13607] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non omnia sacramenta sint instituta in remedium contra aliquem animae defectum. Sacramentum enim a sanctitate dicitur. Sed sanctitas non semper importat remedium contra defectum, sed etiam confirmationem in bono. Ergo non omne sacramentum est ad remedium institutum.

1. Il semble que tous les sacrements n’ont pas été institués pour remédier à une carence de l’âme. En effet, «sacrement» vient de «sainteté». Or, la sainteté ne comporte pas toujours un remède contre une carence, mais aussi la confirmation dans le bien. Tout sacrement n’a donc pas été institué pour être un remède.

[13608] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne remedium contra aliquem defectum ad purgationem pertinet. Sed Dionysius, distinguit sacramenta quae pertinent ad perfectionem, scilicet confirmationem et Eucharistiam, ab illis quae pertinent ad purgationem, sicut est Baptismus. Ergo non omne sacramentum est ad remedium.

2. Tout remède contre une carence relève de la purification. Or, Denys fait une distinction entre les sacrements qui se rapportent à la perfection, à savoir, la confirmation et l’eucharistie, et ceux qui se rapportent à la purification, comme c’est le cas du baptême. Tout sacrement n’existe donc pas en tant que remède.

[13609] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc videtur ex definitione quam Magister ponit in littera. Quibusdam enim attribuit remedium conferre et gratiam, sicut Baptismo; quibusdam gratiam tantum, sicut confirmationi et ordini; matrimonio autem remedii collationem tantum. Ergo non omne sacramentum est ad remedium institutum.

3. Cela semble venir de la définition que le Maître donne dans le texte. En effet, il attribue à certains de conférer un remède et la grâce, comme au baptême ; à certains, la grâce seulement, comme à la confirmation et à l’ordre ; mais au mariage, de n’apporter qu’un remède. Tout sacrement n’a donc pas été institué comme un remède.

[13610] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Hugo de sancto Victore dicit, quod sacramenta sunt vasa medicinalia. Sed omnis medicina est in remedium alicujus morbi. Ergo et omne sacramentum est in remedium alicujus defectus spiritualis.

S.c. 1 – En sens inverse, Hugues de Saint-Victor dit que les sacrements sont des vases à médicaments. Or, tout médicament est un remède contre une maladie. Tout sacrement est donc un remède contre une carence spirituelle.

[13611] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, sacramenta, ut dictum est, dist. 1, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 1, habent efficaciam a passione Christi. Sed passio Christi directe ordinatur ad tollendos defectus nostros. Ergo et sacramenta in remedium ordinata sunt.

S.c. 2 – Comme on l’a dit, d. 1, q. 1, a. 2, qa 1, les sacrements tiennent leur efficacité de la passion du Christ. Or, la passion du Christ est directement ordonnée à elever nos carences. Les sacrements sont donc ordonnés à être un remède.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le mariage n’est-il qu’un remède, sans conférer la grâce ?]

 [13612] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquod sacramentum sit tantum in remedium, scilicet matrimonium. Solus enim consensus mutuus matrimonium facit. Sed consensus non potest esse causa gratiae, quia gratia non est ex actibus nostris. Ergo in matrimonio gratia non confertur; et sic est in remedium tantum.

1. Il semble qu’un sacrement, à savoir, le mariage, n’ait été donné que comme un remède. En effet, seul le consentement mutuel réalise le mariage. Or, le consentement ne peut être cause de la grâce, car la grâce ne vient pas de nos actes. La grâce n’est donc pas conférée dans le mariage. Ainsi, il n’est qu’un remède.

[13613] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Hugonem, sacramenta ex sanctificatione invisibilem gratiam continent. Sed sanctificatio quae fit per ministros Ecclesiae, non est de essentia matrimonii quantum ad sacramenti necessitatem, sed solum est de solemnitate ipsius. Ergo non confertur ibi gratia; et sic idem quod prius.

2. Selon Hugues [de Saint-Victor], les sacrements tiennent de la sanctification la grâce invisible. Or, la sanctification qui est réalisée par les ministres de l’Église ne fait pas partie de l’essence du mariage pour ce qui est nécessaire au sacrement, mais seulement pour sa solennité. La grâce n’y est donc pas conférée. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[13614] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc Magister expresse in littera dicit.

3. Le Maître dit expressément cela dans le texte.

[13615] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, definitio generis debet omnibus speciebus convenire. Sed in definitione sacramenti novae legis ponitur: ut causa gratiae existat. Ergo convenit matrimonio; et sic non est tantum in remedium.

S.c. 1 – La définition du genre doit convenir à toutes les espèces. Or, dans la définition du sacrement de la loi nouvelle, on dit : «Afin qu’il soit cause de la grâce.» Elle convient donc au mariage. Il n’est donc pas donné seulement comme un remède.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les sacrements ont-ils été institués pour remédier à la faute et à la peine ?]

[13616] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacramenta non sint in remedium contra poenam, sed solum contra culpam. Sacramenta enim efficaciam habent ex hoc quod gratiam continent. Sed gratia non opponitur poenae, sed culpae. Ergo sacramenta non ordinantur in remedium contra poenam.

1. Il semble que les sacrements ne soient pas donnés comme un remède contre la peine, mais seulement contre la faute. En effet, les sacrements tirent leur efficacité du fait qu’ils contiennent la grâce. Or, la grâce ne s’oppose pas à la peine, mais à la faute. Les sacrements ne sont donc pas ordonnés à être un remède contre le péché.

[13617] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sapientis medici est per causam curare effectum. Sed causa poenae est culpa. Ergo cum Christus sit sapientissimus medicus, non instituit aliqua sacramenta ad curandum poenam, nisi ea quae curant et culpam.

2. C’est le propre d’un médecin sage de guérir l’effet par la cause. Or, la cause de la peine est la faute. Puisque le Christ est le médecin le plus sage, il n’a donc pas institué des sacrements pour guérir la peine, sans qu’ils guérissent aussi la faute.

[13618] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed contra, extrema unctio contra infirmitatem videtur ordinari, ut patet Jac. ult. Sed infirmitas poena est. Cum ergo extrema unctio sit sacramentum, aliquod sacramentum ordinabitur contra poenam, et non tantum contra culpam.

3. L’extrême onction semble être ordonnée contre la maladie, comme cela ressort clairement de Jc 5. Or, la maladie est une peine. Puisque l’extrême-onction est un sacrement, un sacrement sera donc ordonné contre la peine, et non seulement contre la faute.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le sacrement remédie-t-il au péché mortel et au péché véniel ?]

[13619] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquod sacramentum ordinetur contra culpam venialem. Quaedam enim sacramenta sunt nociva, nisi deposito mortali accipiantur, sicut patet de Eucharistia et de ordine. Sed dantur in remedium alicujus culpae. Ergo dantur contra venialem.

1. Il semble qu’un sacrement soit ordonné contre la faute vénielle. En effet, certains sacrements sont nuisibles, s’ils ne sont pas reçus après que le péché mortel a été enlevé, comme cela est clair pour l’eucharistie et l’ordre. Or, ils sont donnés pour remédier à une faute. Ils sont donc donnés contre une faute vénielle.

[13620] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, medicina spiritualis magis debet apponi contra culpam quam contra poenam. Sed peccatum veniale culpa aliqua est. Cum ergo aliqua sacramenta ordinentur contra poenam, multo fortius videtur quod aliquod possit ordinari contra culpam venialem.

2. Le remède spirituel doit être donné plutôt contre une faute que contre une peine. Or, le péché véniel est une faute. Puisque certains sacrements sont ordonnés contre une peine, à bien plus forte raison, semble-t-il, un sacrement pourra-t-il être ordonné contre une faute vénielle.

[13621] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 S.c. 1 Sed contra, poenitentia ordinatur contra mortale et veniale peccatum; quod patet per Magistrum qui infra, dist. 6, determinat de poenitentia venialium, et Augustinum in Lib. de poenitentia. Sed poenitentia sufficit contra mortale nec aliud sacramentum contra mortale ordinatur. Ergo multo magis sufficit contra veniale; nec oportet aliquod sacramentum speciale contra veniale ordinari.

S.c. 1 – La pénitence est ordonnée contre le péché mortel et le péché véniel, ce qui ressort clairement de ce que précise le Maître, plus loin, d. 6, à propos de la pénitence pour les fautes vénielles, et Augustin, dans le Livre sur la pénitence. Or, la pénitence suffit contre le péché mortel et aucun autre sacrement n’est ordonné contre le péché mortel. À bien plus forte raison, suffit-elle contre le péché véniel, et il n’est pas nécessaire qu’un sacrement particulier soit ordonné contre le péché véniel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13622] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod quandocumque ad perfectionem alicujus rei oportet aliquid apponere ultra id quod requirit ordo illius naturae secundum se consideratae hoc accidit ad subveniendum alicui defectui illius rei; sicut quando ad sustentationem corporis non sufficit cibum ministrare, nisi addantur aliqua digestiva, signum est defectus in virtute digerente. Ex ordine autem humanae naturae nihil aliud requiritur ad ejus perfectionem spiritualem, nisi Deus influens, et gratia, et virtutes influxae. Unde cum aliquae res corporales adhibentur ad hominis sanctificationem ex quibus secundum ordinem naturae sanctificatio hominis non dependet, signum est quod hoc sit ad subveniendum alicui defectui ipsius; et ideo cum hoc inveniatur in omnibus sacramentis, omnia sacramenta in remedium alicujus spiritualis defectus instituta sunt.

Chaque fois que, pour la perfection d’une chose, il faut ajouter quelque chose en plus de ce qu’exige l’ordre de cette nature considérée en elle-même, cela vient de la nécessité de remédier à une carence de cette chose, comme lorsque, pour sustenter le corps, la nourriture ne suffit pas, à moins que ne soient ajoutés certains digestifs, c’est le signe d’une carence de la puissance digestive. Or, selon l’ordre de la nature humaine, rien d’autre n’est exigé, pour sa perfection spirituelle, que Dieu qui infuse, ainsi que la grâce et les vertus infuses. Aussi, lorsque certaines choses corporelles sont utilisées pour la sanctification de l’homme, dont la sanctification de l’homme ne dépend pas selon l’ordre de la nature, c’est le signe que c’est en vue de subvenir à une de ses carences. Puisque cela se retrouve dans tous les sacrements, c’est donc le signe que tous les sacrements ont été institués comme un remède contre une carence spirituelle.

[13623] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc ipso quod ad sanctitatem homo perducitur per ea quae naturae secundum se consideratae ordo non requirit, signum est quod alicui defectui remedium adhibetur. Unde quamvis sacramenta ex ratione sanctificationis non habeant quod sint in remedium, habent tamen hoc ex officio, sive ex modo sanctificandi.

1. Par le fait même que l’homme est conduit à la sainteté par des choses que l’ordre de la nature, considérée en elle-même, n’exige pas, c’est le signe que cela lui est donné comme remède à une carence. Bien que les sacrements, en raison de leur sanctification, ne soient pas des remèdes par eux-mêmes, ils le sont cependant en raison de leur fonction ou de leur manière de sanctifier.

[13624] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod defectus spiritualis dupliciter contingit, sicut et corporalis. Uno modo ex positione contrarii, sicut quando corpus est aegrum, et quando in anima est peccatum. Alio modo ex subtractione ejus quod ad perfectionem necessarium erat vel corporis vel animae; sicut quando corpus est debile ad exercenda corporalia opera, et similiter quando spiritus ad exequenda spiritualia. Remedia ergo quae dantur contra primum defectum, aliquid realiter tollunt; et ideo purgationis rationem habent. Remedia autem quae sunt contra defectum secundum, non tollunt aliquid secundum rem, sed solum aliquid adjiciunt ad perfectionem; et ideo talia remedia non dicuntur purgare, sed perficere. Et haec eadem sunt quae Magister dicit nos gratia et virtute fulcire inquantum perfectiva sunt; nihilominus tamen in remedium alicujus defectus sunt.

2. Une carence spirituelle se produit de deux manières, comme la carence corporelle. D’une manière, par la présence du contraire, comme lorsque le corps est malade et qu’il y a un péché dans l’âme. D’une autre manière, par soustraction de ce qui était nécessaire à la perfection du corps ou de l’âme, comme lorsque le corps est faible pour des exercices corporels et, semblablement, lorsque l’esprit [l’est aussi] pour accomplir ce qui est spirituel. Les remèdes qui sont donnés contre la première carence enlèvent réellement quelque chose : c’est pourquoi ils sont une purification. Mais les remèdes contre la seconde carence n’enlèvent pas réellement quelque chose, mais ajoutent seulement quelque chose à la perfection. C’est pourquoi on ne dit pas que de tels remèdes purifient, mais perfectionnent. Et c’est la même chose que le Maître dit, que nous sommes renforcés par la grâce et la vertu en tant qu’elles perfectionnent. Toutefois, elles sont un remède pour une carence.

[13625] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. La solution du troisième argument est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13626] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Una est quod in matrimonio gratia aliqua non confertur; sed tantummodo sit in remedium contra concupiscentiam. Hoc autem non videtur convenienter dictum: quia aut intelligitur esse in remedium concupiscentiae, quasi concupiscentiam reprimens, quod sine gratia esse non potest: aut quasi concupiscentiae in parte satisfaciens, quod quidem facit ex ipsa natura actus, non intellecta etiam ratione sacramenti; et praeterea concupiscentia non reprimitur per hoc quod ei satisfit, sed magis augetur, ut philosophus dicit in 3 Ethicor.: aut inquantum excusat concupiscentiae actum; quod sine matrimonio deformis esset; et hoc quidem facit per bona matrimonii quae ei conveniunt etiam inquantum est in officium, et ratione suae sanctificationis, cum qua communicat cum sacramentis veteris legis; et ita per hoc non haberet aliquid prae illis, ut cum sacramentis novae legis computari debeat. Et propter hoc alii dicunt, quod matrimonium consideratur in triplici statu. Primo ante peccatum et tunc erat tantum in officium. Secundo sub lege, ubi ex ipsa sanctificatione sua excusabilem reddebat matrimonii actum, qui absque hoc turpis fuisset. Tertio sub statu gratiae, ubi ulterius gratiam confert ad concupiscentiam reprimendam, ut scilicet unusquisque possideat vas suum in honorem, et non in contumeliam, sicut et gentes quae ignorant Deum, 1 Thessal. 4, et Tob. 6, dicitur, quod in illis qui in timore Dei uxores accipiunt et amore filiorum ad cultum Dei magis quam amore libidinis, Daemon potestatem non habet.

À ce propos, il y a deux opinions. L’une est que, dans le mariage, une grâce n’est pas conférée, mais qu’il est seulement un remède contre la concupiscence. Mais cela ne semble pas être affirmé correctement. En effet, soit on entend qu’il est un remède contre la concupiscence, comme s’il réprimait la concupiscence, ce qui ne peut se faire sans la grâce. Soit il satisfait en partie à la concupiscence, ce qu’il accomplit par la nature même de l’acte, sans qu’on tienne compte de la nature du sacrement. Au surplus, la concupiscence n’est pas réprimée par le fait de la satisfaire, mais elle en est plutôt augmentée, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Soit il excuse l’acte de la concupîscence, qui, sans le mariage, serait honteux. Il réalise cela par les biens du mariage qui lui conviennent même en raison de sa fonction et en raison de sa sanctification, par laquelle il a quelque chose en commun avec les sacrements de l’ancienne loi. Ainsi, il n’aurait rien de plus qui obligerait à le compter parmi les sacrements de la loi nouvelle. C’est la raison pour laquelle d’autres disent que le mariage est considéré dans trois états. Premièrement, avant le péché : il n’était alors ordonné qu’à une fonction. Deuxièmement, sous la loi, où, par sa sanctification même, il rendait excusable l’acte du mariage, qui aurait été honteux sans cela. Troisièmement, dans l’état de la grâce, où il confère en plus une grâce destinée à réprimer la concupiscence, à savoir, que chacun possède son vase avec honneur et sans outrage à la pudeur, comme c’est le cas des païens qui ignorent Dieu. En 1 Th 4 et Tb 6, il est dit que ceux qui prennent leurs épouses avec la crainte de Dieu et par amour de leurs enfants pour le culte de Dieu plutôt que par amour du plaisir, le démon n’a pas de pouvoir [sur eux].

[13627] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut res corporales quae sunt in aliis sacramentis non habent ut propria virtute gratiam conferre possint, sed ex institutione divina, ita etiam est de illis quae matrimonium causant, quae ex ipsa institutione divina habent quod ad gratiam instrumentaliter disponant, nisi sit defectus ex parte nostra.

1. De même que les choses corporelles qui existent dans les autres sacrements n’ont pas le pouvoir de conférer la grâce par leur propre puissance, mais en vertu de l’institution divine, de même aussi en est-il de ce qui cause le mariage, qui, en vertu de l’institution divine, peut disposer à la grâce de manière instrumentale, à moins qu’il n’y ait carence de notre part.

[13628] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quaedam sacramenta sunt ad quorum efficaciam praeexigitur sanctificatio materiae, ut patet in confirmatione vel extrema unctione; quaedam vero non praeexigunt praedictam sanctificationem, sicut patet in Baptismo. Unde benedictio materiae quae fit a ministro, non est de necessitate, sed de solemnitate sacramenti; et similiter est etiam de matrimonio.

2. Il existe certains sacrements dont l’efficacité exige au prélable la sanctification de la matière, comme cela est clair pour la confirmation ou l’extrême-onction. Mais certains n’exigent pas au préalable une telle sanctification, comme cela est clair pour le baptême. Aussi la bénédiction qui est faite par un ministre n’est-elle pas nécessaire, mais fait partie de la solennité du sacrement. De même aussi en est-il pour le mariage.

[13629] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unumquodque denominatur ab eo ad quod est. Gratia autem quae in matrimonio confertur, secundum quod est sacramentum Ecclesiae in fide Christi celebratum, ordinatur directe ad reprimendum concupiscentiam, quae concurrit ad actum matrimonii; et ideo Magister dicit, quod matrimonium est tantum in remedium; sed hoc est per gratiam quae in eo confertur.

3. Toute chose tire son nom de ce à quoi elle est destinée. Or, la grâce qui est donnée dans le mariage, selon qu’il est un sacrement de l’Eglise célébré dans la foi au Christ, est ordonnée directement à réprimer la concupiscence, qui accompagne l’acte du mariage. C’est pourquoi le Maître dit que le mariage n’existe que comme un remède. Mais cela est le fait de la grâce qui est conférée par lui.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13630] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod duplex est poena peccati. Quaedam quae pro peccato infligitur, sicut poena Inferni, et flagella quibus a Deo temporaliter punimur; quaedam ex ipso peccato consequens immediate, et per consequens ad peccatum ordinans, sicut est debilitatio naturae ad resistendum peccato, et hujusmodi. Contra primam ergo poenam non datur sacramentum in remedium directe, sed ex consequenti, ut scilicet curata causa, scilicet peccato, cesset effectus, scilicet poena; sed contra secundam poenam datur directe aliquod sacramentum, illa scilicet quae in remedium sunt contra defectum contingentem ex subtractione necessarii, non ex positione contrarii.

Il existe une double peine pour le péché. L’une qui est infligée pour le péché, comme la peine de l’enfer, et les fléaux par lesquels nous sommes punis temporellement par Dieu. Une autre, qui découle immédiatement du péché lui-même et, par conséquent, ordonne au péché, comme c’est le cas de l’affaiblissement de la nature pour résister au péché, et les choses de ce genre. Contre la première peine, le sacrement n’est pas donné comme remède directement, mais par mode de conséquence, à savoir que, la cause étant guérie du péché, l’effet cesse, à savoir, la peine. Mais, contre la seconde peine, un sacrement est donné directement, à savoir, ceux qui sont un remède contre la carence qui survient par la soustraction de ce qui est nécessaire, et non par la présence du contraire.

[13631] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenae contra quas dictum est sacramentum ordinari, etiam ad gratiam contrarietatem habent: quia ex subtractione contingunt, et in contrarium gratiae ordinant.

1. Les peines contre lesquelles on dit que le sacrement est ordonné sont aussi contraires à la grâce, car elles surviennent par mode de soustraction et ordonnent à ce qui est contraire à la grâce.

[13632] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut est in medicina corporali, quod curato morbo adhuc remanent aliquae reliquiae morbi ex morbo causatae, contra quas oportet specialia medicamenta dari, ita etiam est in medicina spirituali; et propter hoc contra praedictas poenas oportet esse aliqua sacramenta.

2. De même qu’il arrive que, pour un remède corporel, une fois la maladie guérie, demeurent des séquelles de la maladie causées par la maladie, contre lesquelles il faut donner des médicaments particuliers, de même en est-il pour le remède spirituel. Pour cette raison, il est nécessaire qu’existent certains sacrements contre les peines mentionnées.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13633] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, aliqua sacramenta in remedium venialis dari, sicut Eucharistiam, et extremam unctionem. Sed hoc non videtur convenienter dictum: quia poenitentia purgativa est universaliter omnis peccati actualis, mortalis et venialis; unde ad hoc non oportebat aliquod sacramentum institui. Et praeterea etiam non existentibus venialibus, adhuc necessitas illorum sacramentorum esset ad consummandum in bonum, secundum doctrinam Dionysii. Et ideo aliter dicendum, quod contra veniale non ordinatur aliquod sacramentum ad curationem ipsius principaliter institutum, quamvis ex consequenti multa sacramenta, contra venialia valeant. Veniale enim et culpa est, et dispositio ad culpam, imperfectam tamen rationem habens culpae, ita quod gratiam non excludit. Et ideo inquantum culpa est, potest tolli per omnia sacramenta quae contra culpam tollendam ordinantur; inquantum vero est dispositio ad culpam, ex ablata mortali culpa remanens, potest tolli etiam per sacramenta illa quae contra poenam ex culpa relictam et ad culpam inclinantem ordinantur.

À ce propos, il existe deux opinions. En effet, certans disent que certains sacrements sont donnés pour remédier au péché véniel, telles l’eucharistie et l’extrême-onction. Mais cela ne semble pas être affirmé correctement, car la pénitence purifie de manière universelle de tout péché actuel, qu’il soit mortel ou véniel. Aussi n’était-il pas nécessaire d’instituer un sacrement à cette fin. Au surplus, même s’il n’existait pas de péchés véniels, ces sacrements seraient encore nécessaires pour atteindre la perfection du bien, selon l’enseignement de Denys. Aussi faut-il s’exprimer autrement : contre le péché véniel, aucun sacrement n’a été instituté principalement pour le guérir, bien que, par voie de conséquence, plusieurs sacrements soient efficaces. En effet, le péché véniel est à la fois une faute et une disposition à la faute, mais qui possède cependant imparfaitement la raison de faute, de telle sorte qu’il n’exclut pas la grâce. C’est pourquoi, en tant que faute, il peut être enlevé par tous les sacrements qui sont ordonnées à l’enlèvement d’une faute ; mais, en tant que disposition à la faute, qui demeure après qu’une faute mortelle a été enlevée, il peut être enlevé aussi par les sacrements qui sont ordonnés contre la peine résiduelle de la faute et qui incline à la faute.

[13634] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa sacramenta quae gratiam in suscipiente praeexigunt, non ordinantur directe contra culpam: quia non sunt ad tollendum contrarium, sed ad supplendum defectum.

1. Les sacrements qui exigent au préalable la grâce chez celui qui les reçoit ne sont pas ordonnés directement contre la faute, parce qu’ils ne sont pas destinés à enlever ce qui est contraire, mais à suppléer une carence.

[13635] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum quod tollit mortalem culpam, sufficit etiam ad tollendum venialem; et ideo contra veniale non oportet aliquod sacramentum dari, sicut contra reliquias culpae, ad quarum ablationem poenitentia non ex toto sufficit sine aliis sacramentis.

2. Le sacrement qui enlève la faute mortelle suffit aussi pour enlever la [faute] vénielle. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’existe un sacrement contre la [faute] vénielle, comme contre les résidus de la faute, que la pénitence ne suffit pas à enlever complètement sans les autres sacrements.

 

 

Articulus 2 [13636] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum sacramenta debeant esse septem

Article 2 – Est-ce qu’il doit y avoir sept sacrements ?

 

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non debeant esse septem sacramenta. Sicut enim supra dictum est, omnia sacramenta efficaciam habent a passione Christi. Sed unum est sacramentum quod directe est repraesentativum passionis Christi, et ipsum totum Christum continet, scilicet Eucharistia. Ergo illud sacramentum sufficeret.

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir sept sacrements. En effet, comme on l’a dit plus haut, tous les sacrements tiennent leur efficacité de la passion du Christ. Or, il n’y a qu’un seul sacrement qui représente directement la passion du Christ et qui contient le Christ lui-même tout entier, à savoir, l’eucharistie. Ce sacrement serait donc suffisant.

[13638] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quod potest fieri per unum, non debet fieri per plura. Sed per Baptismum tolluntur omnia peccata. Ergo non oportebat quod aliquod aliud sacramentum contra culpam ordinaretur.

2. Ce qui peut être fait par une seule chose ne doit pas être fait par plusieurs. Or, par le baptême, tous les péchés sont enlevés. Il n’était donc pas nécessaire qu’un autre sacrement soit ordonné contre la faute.

[13639] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sacramenta in remedium contra defectum ordinantur. Sed duplex est defectus, scilicet culpae, quae est quasi contrarium, et poenae, quae ex defectu gratiae accidit, ut dictum est. Ergo duo sacramenta sufficerent.

3. Les sacrements sont ordonnés à remédier à une carence. Or, il existe une double carence : celle de la faute, qui est comme un contraire, et celle de la peine, qui vient de la carence de la grâce, comme on l’a dit. Deux sacrements seraient donc suffisants.

[13640] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in lege nova, ubi manifestior est veritas, minimum debet esse de figuris. Sed in lege naturae, secundum Hugonem, erant tantum tria sacramenta, scilicet oblationes, decimae et sacrificia. Ergo non debent esse plura sacramenta in lege nova quam tria.

4. Sous la loi nouvelle, où la vérité est plus manifeste, doit exister le moins de figures possible. Or, sous la loi naturelle, selon Hugues, il n’existait que trois sacrements : les offrandes, les dîmes et les sacrifices. Il ne doit pas y avoir plus de trois sacrements sous la loi nouvelle.

 

[13641] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, sacramenta legalia nostrorum sacramentorum figurae fuerunt. Sed ipsi non habuerunt aliqua sacramenta respondentia confirmationi et extremae unctioni. Ergo nec nos hujusmodi sacramenta habere debemus.

5. Les sacrements de la loi étaient les figures de nos sacrements. Or, ils n’avaient pas de sacrements correspondant à la confirmation et à l’extrême-onction. Nous ne devons donc pas avoir des sacrements de ce genre.

[13642] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, Dionysius in Eccl. Hierar., ubi de sacramentis tractat, matrimonium et poenitentiam omittit. Ergo videtur quod non sint nisi quinque sacramenta.

6. Dans la Hiérarchie ecclésiastique, où il traite des sacrements, Denys omet le mriage et la pénitence. Il semble donc qu’il n’existe que cinq sacrements.

[13643] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 7 Sed contra, videtur quod sint plura. Omne enim illud quod in remedium peccati datur, videtur esse sacramentum. Sed aqua benedicta est hujusmodi, quia per eam venialia tolluntur. Ergo est sacramentum.

7. En sens contraire, il semble qu’il y en ait davantage. En effet, tout ce qui est donné comme remède au péché semble être un sacrement. Or, l’eau bénite est de cette sorte, car les [fautes] vénielles sont elevées par elle. Elle est donc un sacrement.

[13644] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, sicut circa concupiscentiam quae est in venereis, contingit esse peccatum intemperantiae; ita circa concupiscentiam quae est in cibis et potibus. Sed contra primam concupiscentiam habemus unum sacramentum. Ergo et contra secundam habere debemus.

8. Comme pour la concupiscence qui porte sur les plaisirs sexuels, il arrive qu’existe un péché d’intempérance, de même en est-il pour la concupiscence qui porte sur la nourriture et la boisson. Or, contre la première concupiscence, nous n’avons qu’un seul sacrement. Nous devons donc en avoir aussi contre la seconde.

[13645] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, Dionysius, inter sacramenta nominat monasticam consummationem, sive consecrationem. Sed non computatur inter septem sacramenta hic enumerata. Ergo sunt plura quam septem.

9. Parmi les sacrements, Denys nomme la consommation ou consécration monastique. Or, elle ne fait pas partie des sept sacrements énumérés ici. Il y en a donc plus que sept.

[13646] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea, oblationes et decimae in lege naturae erant sacramenta, secundum Hugonem. Cum ergo modo sint oblationes et decimae, videtur quod sint sacramenta; et sic idem quod prius.

10. Les offrandes et les dîmes sous la loi naturelle étaient des sacrements, selon Hugues. Puisqu’il existe maintenant des offrandes et des dîmes, il semble donc qu’elles soient des sacrements. On a ainsi la même conclusion que précédemment.

[13647] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea, sacramenta ex sanctificatione invisibilem gratiam continent, secundum Hugonem. Sed multae sunt sanctificationes per ministros Ecclesiae factae quae hic non numerantur, sicut consecratio templi et altaris et sacrarum vestium, et hujusmodi. Ergo sunt plura sacramenta.

11. Les sacrements contiennent la grâce invisible en vertu d’une sanctification, selon Hugues. Or, nombreuses sont les sanctifications faites par les ministres de l’Église, qui ne sont pas mentionnées ici, comme la consécration du temple, de l’autel et des vêtements sacrés, et les choses de ce genre. Les sacrements sont donc plus nombreux.

Respondeo dicendum, quod sacramenta ex hoc quod sunt sacramenta, habent quod sint in remedium contra defectum aliquem; ex hoc autem quod sacramenta Ecclesiae, habent per ministros Ecclesiae dispensari, et in membra Ecclesiae transfundi. Et ideo dupliciter potest accipi numerus sacramentorum proprie. Primo ex defectibus contra quos sacramenta ordinantur. Ordinantur autem sacramenta, ut ex dictis patet, ad tollendum contrarium, et ad supplendum defectum. Contrarium autem sanctitati est culpa: quae quidem dupliciter tollitur. Uno modo, impediendo ne fiat; et hoc modo in remedium culpae matrimonium ordinatur. Alio modo subtrahendo jam existentem; et sic contra originalem culpam ordinatur Baptismus, contra actualem poenitentia. Secundum remedium praebent supplendo quod deficit, et ea quae perfectionis sunt effectiva. Est autem duplex perfectio. Una formae ad actum; et hanc quidem perfectionem facit ordo quantum ad executionem bonorum, quia reddit hominem idoneum ad dispensationem sacramentorum; sed quantum ad perpessionem difficilium facit dictam perfectionem confirmatio, quae hominem fortem reddit, ut nomen Christi propter pressuras mundi confiteri non refugiat. Alia autem perfectio est in ordine ad finem, ad quem per actus pervenitur; et hanc quidem perfectionem quantum ad finem intra facit extrema unctio, quae est quaedam delibutio praeparans in gloriam resurrectionis; quantum vero ad finem extra facit Eucharistia, quae membra capiti conjungit. Et quia hic est ultimus terminus nostrae sanctificationis, ideo dicit Dionysius, quod omnis alia sanctificatio in Eucharistiam terminatur: quia et ordinati et baptizati Eucharistiam sumunt. Si autem considerantur sacramenta ut sunt Ecclesiae sacramenta, scilicet per ministros Ecclesiae dispensanda, sic potest secundum doctrinam Dionysii, hoc modo numerus eorum accipi. In qualibet enim hierarchia oportet esse actionem hierarchicam, et exercentes eam, et recipientes. Recipientes autem per ipsas actiones superiorum in suis gradibus perficiuntur; et ideo ex parte eorum non debet esse aliquod speciale sacramentum, per quod receptivi sacramentorum fiant. Actio autem hierarchica est triplex scilicet purgare, illuminare, perficere. Sed quia nullum sacramentum novae legis purgat sine gratiae infusione, quae illuminatio dicitur; ideo Dionysius in sacramentis conjungit purgationem illuminationi. Potest autem esse in sacramentis purgatio vel a culpa; et sic habet purgativam et illuminativam vim quantum ad originale Baptismus, quantum ad actuale poenitentia; vel a reliquiis culpae, et sic extrema unctio purgare habet; vel a causa culpae, quae est concupiscentia, et sic matrimonium, quod eam reprimit et ordinat, vim purgativam habet. Perfectio autem est duplex scilicet perfectio formae, et ad hanc est confirmatio, quae hominem in seipso consistere facit, ut a contrariis non facile solvatur; et perfectio finis, et ad hanc est Eucharistia, quae nos fini conjungit. Ex parte autem exercentium actiones hierarchicas accipitur unum sacramentum, scilicet ordo, per quem ministri Ecclesiae ponuntur in statu exercendi hierarchicas actiones. Potest et aliter accipi numerus sacramentorum secundum conditionem eorum quibus per sacramenta subvenitur. Sunt enim sacramenta in remedium data. Aut igitur in remedium unius personae, aut totius Ecclesiae. Si primo modo, aut quantum ad ingressum, et sic est Baptismus; aut quantum ad egressum, et sic est extrema unctio; aut quantum ad progressum, et hoc est dupliciter. Uno modo quantum ad executionem virtutis, vel ut a malis non superemur, et quantum ad hoc est confirmatio, vel ut bonis adhaereamus, et quantum ad hoc est Eucharistia. Alio modo quantum ad reparationem virtutis, si ipsam in pugna spirituali aliquo modo laedi contingit, et sic est poenitentia. Si in remedium totius Ecclesiae, aut in regimen et multiplicationem ipsius spiritualem, et sic est ordo, quia principatus bonum multitudinis est secundum philosophum in 5 Ethic., aut quantum ad multiplicationem materialem fidelium, et sic est matrimonium. Quidam autem accipiunt numerum sacramentorum secundum adaptationem ad virtutes, ut fidei respondeat Baptismus, quod sacramentum fidei dicitur; spei extrema unctio, per quam homo praeparatur quodammodo ad futuram gloriam; caritati Eucharistia; prudentiae ordo; justitiae poenitentia; temperantiae matrimonium; fortitudini confirmatio. Quidam vero adaptant diversis generibus culparum et poenarum; ut Baptismus sit contra culpam originalem, poenitentia contra actualem mortalem, extrema unctio contra venialem, ordo contra ignorantiam, matrimonium contra concupiscentiam, confirmatio contra infirmitatem, Eucharistia contra malitiam, quia est sacramentum caritatis, quae per se opponitur malitiae. Haec enim quatuor dicit Beda ex peccato consecuta.

Réponse :

Les sacrements, du fait même qu’ils sont des sacrements, ont la qualité de remède contre une carence ; mais du fait qu’ils sont des sacrements de l’Église, ils doivent être dispensés par des ministres de l’Église et répandus dans les membres de l’Église. C’est pourquoi, à proprement parler, on peut concevoir de deux façons le nombre des sacrements. Premièrement, à partir des carences contre lesquelles les sacrements sont ordonnés. Or, comme cela ressort de ce qui a été dit, les sacrements sont ordonnés à enlever ce qui est contraire et à réparer une carence. Or, la faute est le contraire de la sainteté, et elle est enlevée de deux manières. D’une manière, en empêchant qu’elle ne s’accomplisse : le mariage est ordonné à être un remède à la faute de cette manière. D’une autre manière, en enlevant [la faute] qui existe déjà : le baptême est ordonné de cette manière contre le péché originel, et la pénitence contre la faute actuelle. [Les sacrements] apportent un second remède en suppléant ce qui manque et ce qui réalise la perfection. Or, il existe une double perfection. L’une est celle de la forme par rapport à l’acte : l’ordre réalise cette perfection pour ce qui est de l’accomplissement de ce qui est bien, car il rend l’homme apte à la dispensation des sacrements ; mais, pour ce qui est du courage dans les choses difficiles, la confirmation réalise cette perfection : elle rend l’homme fort, afin qu’il ne s’abstienne pas de confesser le nom du Christ à cause des pressions exercées par le monde. L’autre perfection se prend de la fin, à laquelle nous parvenons par les actes. L’extrême-onction réalise de l’intérieur cette perfection qui se prend de la fin, comme une onction qui prépare à la gloire de la résurrection ; mais l’eucharistie réalise de l’extérieur la perfection qui se prend de la fin, en unissant les membres à la tête. Et parce que c’est là le terme ultime de notre sanctification, c’est la raison pour laquelle Denys dit que toute autre sanctification trouve son terme dans l’eucharistie, car ceux qui sont baptisés et ceux qui sont ordonnés reçoivent l’eucharistie. Mais si les sacrements sont considérés comme les sacrements de l’Église, à savoir qu’ils doivent être dispensés par des ministres de l’Église, leur nombre peut être conçu de la manière suivante, selon l’enseignement de Denys. En effet, dans n’importe quelle hiérarchie, doivent exister une action hiérarchique, ceux qui l’exercent et ceux qui la reçoivent. Or, ceux qui la reçoivent sont perfectionnés dans leurs degrés par les actions mêmes de ceux qui leur sont supérieurs. C’est pourquoi, il n’est pas nécessaire qu’existe un sacrement particulier par lequel ils sont rendus réceptifs à l’endroit des sacrements. Or, l’action hiérarchique est triple : purifier, illuminer, perfectionner. Mais comme aucun sacrement de la nouvelle loi ne purifie sans infuser la grâce, qu’on appelle une illumination, Denys joint la purification à l’illumination dans les sacrements. Or, dans les sacrements, il peut y avoir purification, soit de la faute, et ainsi le baptême a une puissance purificatrice et illuminatrice par rapport [au péché] originel, et la pénitence par rapport [au péché] actuel ; ou [une purification] des suites de la faute, et ainsi l’extrême-onction peut purifier ; ou [une purification] de la cause de la faute, qui est la concupiscence, et ainsi le mariage, qui la réprime et l’ordonne, possède une puissance purificatrice. Or, la perfection et double : la perfection de la forme, et la confirmation est ordonnée à celle-ci, elle qui fait que l’homme se possède en lui-même, de sorte qu’il n’est pas facilement affaibli par les choses contraires ; et la perfection de la fin, et l’eucharistie est ordonnée à celle-ci, elle qui nous unit à notre fin. Du point de vue de ceux qui exercent les actions hiérarchiques, n’est reçu qu’un seul sacrement, à savoir, l’ordre, par lequel les ministres de l’Église sont placés dans l’état d’exercer les actions hiérarchiques. On peut aussi concevoir autrement le nombre des sacrements selon la condition de ceux qu’on vient secourir par les sacrements. En effet, les sacrements sont donnés comme un remède, soit comme remède pour une seule personne, soit comme remède pour toute l’Église. S’ils [sont donnés] de la première manière, ou bien c’est pour l’entrée, et tel est le baptême ; ou pour la sortie, et telle est l’extrême-onction ; ou pour l’avancement, et cela de deux manières. D’une manière, quant à l’accomplissement de la vertu ou pour que nous ne soyons pas vaincus par les maux, et telle est la confirmation ; ou pour que nous adhérions aux biens, et telle est l’eucharistie. D’une autre manière, quant au recouvrement de la vertu, s’il arrive que, dans le combat spirituel, elle soit blessée de quelque manière, et telle est la pénitence. S’ils [sont donnés] comme un remède pour toute l’Église, c’est ou bien pour son gouvernement et sa multiplication spirituelle, et tel est l’ordre, car le bien de la multitude relève du gouvernement, selon le Philosophe, Éthique, V ; ou c’est pour la multiplication matérielle des fidèles, et tel est le mariage. Mais certains conçoivent le nombre des sacrements selon leur adaptation aux vertus : ainsi, répond à la foi le baptême, qu’on appelle le sacrement de la foi ; à l’espérance, l’extrême-onction, par laquelle l’homme est préparé d’une certaine manière à la gloire future ; à la charité, l’eucharistie ; à la prudence, l’ordre ; à la justice, la pénitence ; à la tempérance, le mariage ; à la force, la confirmation. Mais certains adaptent [les sacrements] aux divers genres de fautes et de peines, de sorte que le baptême est contre la faute originelle, la pénitence contre le péché actuel, l’extrême-onction contre le péché véniel, l’ordre contre l’ignorance, le mariage contre la concupiscence, la confirmation contre la faiblesse, l’eucharistie contre la malice, parce qu’elle est le sacrement de la charité qui, par elle-même, s’oppose à la malice. En effet, Bède dit que ces quatre choses découlent du péché.

[13649] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Eucharistia sit memoriale ipsius dominicae passionis, ipsum Christum continens, non tamen quantum ad omnes effectus ejus. Vel dicendum, quod propter praedictam rationem Eucharistia ordinatur ad ultimum effectum passionis Christi, quasi completissime ab ea efficaciam habens; et ideo, quantum est de se, valet contra omnes spirituales defectus; unde et cum singulis sacramentis exhibetur, quasi consummans effectum uniuscujusque; sed tamen praeexigit alia sacramenta, ut idoneus quis reddatur ad tanti perceptionem mysterii, sicut etiam in naturalibus ultima forma non datur nisi praecedentibus omnibus dispositionibus.

1. Bien que l’eucharistie soit le mémorial de la passion du Seigneur, contenant le Christ lui-même, elle ne l’est cependant pas quant à tous ses effets. Ou bien il faut dire que, pour la raison rappelée, l’eucharistie est ordonnée à l’effet ultime de la passion du Christ, en tant qu’elle reçoit d’elle son efficacité de la manière la plus complète. C’est pourquoi, en elle-même, elle vaut pour toutes les carences spirituelles. Aussi est-elle proposée avec chacun des sacrements, comme si elle achevait l’effet de chacun. Cependant, elle exige au préalable les autres sacrements, afin qu’on soit rendu apte à la réception d’un tel mystère, comme, dans les choses natuelles, la forme ultime n’est donnée que si toutes les dispositions précédentes existent.

[13650] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus est sacramentum intrantium, quia facit hominem primo participem redemptionis Christi consepeliens eum in similitudinem mortis Christi; et ideo non potest iterari, sicut nec passio Christi. Et quia peccata actualia iterantur, ideo contra culpam actualem oportuit aliquod remedium adhiberi, scilicet poenitentiam, quamvis etiam Baptismus ipsum deleat.

2. Le baptême est le sacrement de ceux qui entrent, parce qu’il fait d’abord participer l’homme à la rédemption du Christ, en l’ensevelissant avec lui à l’image de la mort du Christ. C’est pourquoi il ne peut pas être réitéré, comme ne le peut pas la passion du Christ. Et parce que les péchés actuels se répètent, il fallait qu’un remède soit proposé contre la faute actuelle, à savoir, la pénitence, bien que le baptême aussi la détruise.

[13651] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod defectus illi sunt generales; et non habent eamdem rationem in omnibus suis partibus; et ideo oportuit contra diversas partes eorum diversa remedia adhiberi.

3. Ces carences sont générales, et elles n’ont pas la même raison dans toutes leurs parties. C’est pourquoi il fallait que divers remèdes soient donnés contre leurs diverses parties.

[13652] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in lege naturae multa signa gratiae praecesserunt, sicut diluvium, occisio Abel, et hujusmodi, quae tamen non debent dici sacramenta; sed illa tantum quae ad aliquod remedium exhibebantur. Ea enim significabant rem sacram, ut actu sacrantem, quod est de ratione sacramenti, ut supra dictum est; et ideo in lege naturae Hugo, tantum ponit tria sacramenta, scilicet sacrificia, oblationes, et decimas; quia per haec, ut dicit Gregorius, remedium ante circumcisionem contra originale erat. Et quamvis tunc esset tempus figurarum magis quam modo, non oportebat esse signa determinata ad determinatos effectus gratiae, sicut modo sunt; et ideo in quadam generalitate sacramenta illa, nostra sacramenta, et ipsorum causam, scilicet passionem Christi, significabant; sicut quod per sacrificia significabatur passio, per oblationes dispositio patientis ad passionem, quia ipse se voluntarie obtulit ad passionem: Isai. 53; per decimas autem comparatio patientis ad illos pro quibus patiebatur, qui imperfecti erant, ab ipso omnem perfectionem expectantes, sicut novem per decem complentur. Horum autem duo referuntur ad Eucharistiam: scilicet sacrificium quantum ad significatum, et oblatio quantum ad materiam et usum, sed decima praefigurabat Baptismum, inquantum aliquid auferebatur. Matrimonium autem et poenitentia et ordo erant illo tempore, sed tamen non computantur inter sacramenta illius temporis, quia non fiebant cum aliqua consecratione. Quilibet enim primogenitus, secundum Hieronymum sacerdos erat: nec erat aliquis modus determinatus ipsorum, nisi secundum instinctum naturae, prout cuique ratio fide innata dictabat faciendum.

4. Sous la loi naturelle, plusieurs signes de la grâce avaient précédé, comme le déluge, le meurtre d’Abel, et des choses de ce genre, qu’il ne faut cependant pas appeler des sacrements – [il faut appeler sacrements] ceux-là seuls qui apportaient un remède. En effet, ceux-ci signifiaient une chose sainte, qui sanctifiait en acte, ce qui fait partie de la définition même du sacrement, comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi, sous la loi naturelle, Hugues place seulement trois sacrements, à savoir, les sacrifices, les offrandes et les dîmes, car, par ceux-ci, comme le dit Grégoire, il y avait un remède contre le péché originel avant la circoncision. Et bien qu’il se soit alors agi d’une époque de figures plus que maintenant, il n’était pas nécessaire que les signes soient affectés à des effets déterminés de la grâce, comme ils le sont maintenant. C’est pourquoi ces sacrements signifiaient d’une manière générale nos sacrements et leur cause, à savoir, la passion du Christ : ainsi, par les saccrifices, était signifiée la passion, par les offrandes, la disposition de celui qui souffre à l’égard de la passion, car il s’est lui-même offert volontairement pour la passion, Is 53 ; par les dîmes, la comparaison de celui qui souffre par rapport à ceux pour qui il souffrait, qui étaient imparfaits, qui attendaient de lui toute perfection, comme le nombre neuf est complété par le nombre dix. Parmi ces choses, deux se rapportent à l’eucharistie : le sacrifice, pour ce qui est signifié, et l’offrande, pour la matière et l’usage ; mais la dîme préfigurait le baptême, pour autant que quelque chose était enlevé. Le mariage, la pénitence et l’ordre existaient à cette époque, mais ils n’étaient cependant pas comptés parmi les sacrements de cette époque, parce qu’ils n’étaient pas accomplis avec une certaine consécration. En effet, tout premier-né, selon Jérôme, était prêtre. Et [ces choses] n’avaient pas de mode déterminé, si ce n’est sous l’impulsion de la nature, pour autant que la raison prescrivait à chacun de les accomplir par une foi innée.

[13653] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod tempore legis scriptae jam plura cum aliqua consecratione celebrabantur, quae nostris sacramentis quasi figurae respondent: quia per circumcisionem nostrum Baptisma figuratur; per oblationes et sacrificia Eucharistia; per diversos ritus expiationum poenitentia; per consecrationes Aaron et filiorum ejus noster ordo; et per matrimonium jam ad aliquas certas personas determinatum et sub lege constitutum, nostrum matrimonium. Sed extremae unctionis non debuit praecedere figura: quia extrema unctio est directivum et praeparatorium in gloriam, quam tunc statim post mortem consequi non poterant, sicut modo possunt. Similiter nec confirmatio, in qua complementum spiritus sancti datur: tempus autem illud non erat tempus plenitudinis, sicut tempus istud.

5. À l’époque de la loi écrite, plusieurs choses étaient célébrées par une consécration : elles correspondent comme des figures à nos sacrements, car, par la circoncision, notre baptême était figuré, par les offrandes et les sacrifices, l’eucharistie ; par les divers rites d’expiation, la pénitence ; par les consécrations d’Aaron et de ses fils, notre ordre ; et par le mariage, déjà déterminé par rapport à certaines personnes et établi selon la loi, notre mariage. Mais il n’était pas nécessaire que l’extrême-onction soit préfigurée, car l’extrême-onction oriente vers la gloire et y prépare, [gloire] qu’ils ne pouvaient pas obtenir immédiatement après la mort, comme ils le peuvent maintenant. De même en était-il pour la confirmation, par laquelle on est rempli de l’Esprit Saint, car ce temps-là n’en était pas un de plénitude, comme ce temps-ci.

[13654] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Dionysius non intendit ibi determinare de sacramentis, sed de actionibus hierarchicis, quae consistunt in consecratione per ministros Ecclesiae facta. Et quia matrimonium et poenitentia possunt habere suum effectum sine tali consecratione, ideo de eis non determinavit.

6. Denys n’entend pas préciser là son opinion sur les sacrements, mais sur les actions hiérarchiques, qui consistent dans une consécration faite par les ministres de l’Église. Et parce que le mariage et la pénitence peuvent obtenir leur effet sans une telle consécration, il n’en a pas traité avec précision.

[13655] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aqua benedicta non ordinatur directe ad remedium praestandum, sed ad removendum prohibens; unde datur contra Daemonum nequitias et venialia, et omne quod effectum sacramentorum impedire posset: propter hoc non est sacramentum, quia removens prohibens est agens per accidens; sed sacramentale, quasi dispositio quaedam ad sacramenta.

7. L’eau bénite n’est pas ordonnée directement à apporter un remède, mais à enlever un obstacle. Aussi est-elle donnée contre la fourberie des démoins et les fautes vénielles, et contre tout ce qui pourrait empêcher l’effet des sacrements. Pour cette raison, elle n’est pas un sacrement, car ce qui enlève un obstacle agit par accident ; mais elle est appelée un sacramental, comme une certaine disposition aux sacrements.

[13656] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod concupiscentia quae est in actu generativae, habet specialem foeditatem ab aliis concupiscentiis: quia praeter hoc quod est infectiva personae, quod habet commune cum aliis, et idem remedium habens, scilicet poenitentiam, est etiam infectio naturae; et ideo debet habere speciale remedium, secundum quod ad purgationem naturae ordinatur.

8. La concupiscence qui se trouve dans l’acte de la puissance générative possède une difformité particulière par rapport aux autres concupiscences, car, en plus d’infecter la personne, ce qu’elle a en commun avec les autres et qui reçoit le même remède, à savoir, la pénitence, elle infecte aussi la nature. C’est pourquoi elle doit avoir un remède particulier, par lequel elle est ordonnée à la purification de la nature.

[13657] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ad quamlibet eminentiam status datur aliqua sanctificatio, cum sit ibi necessarium speciale auxilium gratiae, sicut in consecratione regum et monachorum et monialium; et ideo sunt actiones hierarchicae; et propter hoc Dionysius de eis determinat; non tamen habent rationem sacramenti; sed solum illa eminentia per quam homo efficitur sacrorum dispensator.

9. Pour toute élévation d’état, une certaine sanctification est donnée, puisqu’une aide particulière de la grâce y est nécessaire, comme par la consécration des rois, des moines et des moniales. Elles sont donc des actions hiérarchiques : c’est la raison pour laquelle Denys en traite. Elles n’ont cependant pas raison de sacrement, mais seule cette élévation par laquelle l’homme est rendu dispensateur des choses saintes.

[13658] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod oblationes et decimae erant tunc inquantum erant figurales; sed quantum ad hoc nunc non manent; sed solum secundum quod sunt morales ad usum ministrorum Ecclesiae et pauperum deputatae; et ideo nunc non sunt sacramenta.

10. Les offrandes et les dîmes existaient alors en tant figures. Cependant, elles ne demeurent pas maintenant sous cet aspect, mais seulement en tant qu’elles ont un sens moral pour l’usage des ministres et des pauvres de l’Église. C’est pourquoi elles ne sont pas maintenant des sacrements.

[13659] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod omnes illae sanctificationes ordinantur ad sacramentum Eucharistiae; et ideo non sunt sacramenta, sed sacramentalia quaedam.

11. Toutes ces sanctifications sont ordonnées au sacrement de l’eucharistie. C’est pourquoi elles ne sont pas des sacrements, mais des sacramentaux.

Articulus 3 [13660] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum sacramenta convenienter a Magistro ordinentur

Article 3 – Est-ce que l’ordre des sacrements donné par le Maître est approprié ?

Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacramenta inconvenienter a Magistro hic ordinentur. Prius enim est quod animale est quam quod spirituale; 1 Corinth. 15. Sed matrimonium ad vitam animalem pertinet, omnia autem alia sacramenta ad vitam spiritualem. Ergo matrimonium est omnibus prius.

1. Il semble que l’ordre des sacrements donné par le Maître est inapproprié. En effet, ce qui est animal précède ce qui est spirituel, 1 Co 15. Or, le mariage se rapporte à la vie animale, mais tous les autres sacrements à la vie spirituelle. Le mariage les précède donc tous.

[13662] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, agens naturaliter prior est sua actione; unde et in jure prius determinatur de officiis quam de actionibus. Sed per sacramentum ordinis constituuntur dispensatores aliorum sacramentorum. Ergo ordo inter alia primo debet poni.

2. L’agent est naturellement antérieur à son action; aussi, dans le droit, est-il d’abord déterminé des fonctions avant les actions. Or, par le sacrement de l’ordre, les dispensateurs des autres sacrements sont établis. Il doit donc venir en premier parmi les autres.

[13663] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, bonum commune est divinius quam bonum personae, ut dicitur in 1 Ethic. Sed matrimonium et ordo ordinantur in remedium commune, alia autem in remedium unius personae, ut dictum est. Ergo illa duo sacramenta ante alia poni debent.

3. Le bien commun est plus divin que le bien de la personne, comme il est dit dans Éthique, I. Or, le mariage et l’ordre sont ordonnés comme un remède commun, mais les autres, comme un remède pour une seule personne, comme on l’a dit. Ces deux sacrements doivent donc être placés avant les autres.

[13664] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, Eucharistia perficit nos conjungendo fini, ut dictum est. Sed finis est ultimum in adeptione. Ergo Eucharistia post omnia debet poni.

4. L’eucharistie nous perfectionne en nous unissant à la fin, comme on l’a dit. Or, la fin est la dernière chose qu’on obtient. L’eucharistie doit donc être placée après tous les autres [sacrements].

[13665] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, purgatio praecedit illuminationem et perfectionem. Sed secundum Dionysium, Eucharistia pertinet ad perfectionem, similiter et confirmatio. Ergo poenitentia, quae maxime ad purgationem pertinet, videtur quod antea debet poni.

5. La purification précède l’illumination et la perfection. Or, selon Denys, l’eucharistie se rapporte à la perfection, de même que la confirmation. La pénitence, qui se rapporte surtout à la purification, semble donc devoir être placée avant [l’eucharistie et la confirmation].

[13666] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, Dionysius ponit Eucharistiam ante confirmationem. Cum ergo Magister contrarium faciat, videtur quod inconvenienter ordinet.

6. Denys place l’eucharistie avant la confirmation. Puisque le Maître fait le contraire, il semble donc qu’il donne un ordre inapproprié.

Respondeo dicendum, quod prius et posterius multipliciter dicitur; sed in his quae ad actiones pertinent, prius quo ad nos est illud quod est prius in via generationis; et ideo secundum hanc viam Magister sacramenta quae sanctificationes quaedam sunt, ordinat. Prius enim in via generationis est bonum privatum quam commune, quod consurgit ex bonis singulorum, sicut homo est prior domo, et domus civitate; et ideo sacramenta quae in remedium unius personae ordinantur, prius ponuntur, inter quae primo ponitur illud quod pertinet ad intrantes, scilicet Baptismus; ultimo illud quod pertinet ad exeuntes, scilicet extrema unctio; in medio illa quae pertinent ad progredientes, quae hoc modo ordinantur. Quia enim perfici bono essentialius est virtuti, et commune singulis progredientibus ad virtutem; sed resurgere a peccato accidit huic progressui ex parte subjecti quod cecidit (unde non est omnibus commune), et quantum ad perfectionem ad bonum perfectio in forma praecedit in via generationis perfectionem in consecutione ad finem; ideo inter sacramenta quae ad progressum in bonum pertinent, primo ponitur confirmatio; quae est ad perfectionem similem perfectioni formae; secundo Eucharistia, quae est ad perfectionem in fine; tertio poenitentia quae est ad reparationem virtutis amissae. Inter sacramenta autem quae ad remedium totius Ecclesiae deputantur, primo ponitur ordo: quia matrimonium, inquantum matrimonium, per ordinem dispensatur, secundum quod est sacramentum.

On parle d’avant et d’après de plusieurs manières. Mais, pour ce qui se rapporte aux actions, est premier par rapport à nous ce qui est premier sur la voie de la génération. C’est pourquoi le Maître ordonne les sacrements, qui sont des sanctifications, selon cette voie. En effet, le bien privé précède le bien commun par voie de génération: le bien commun provient des biens des individus, comme l’homme vient avant la maison et la maison avant la ville. C’est pourquoi les sacrements qui sont ordonnés comme remède pour une seule personne sont placés en premier. En premier lieu, est placé ce qui se rapporte à ceux qui entrent, à savoir, le baptême. En dernier lieu, ce qui se rapporte à ceux qui partent, à savoir, l’extrême-onction. Et au milieu, ceux qui se rapportent à ceux qui avancent, qui sont ordonnés de la manière suivante. En effet, puisqu’être perfectionné par le bien est plus essentiel à la vertu et commun à tous ceux qui progressent vers la vertu, et que se relever du péché affecte ce progrès du point de vue du sujet qui est tombé (ce n’est donc pas commun à tous), et que, pour ce qui est de la perfection par rapport au bien, la perfection selon la forme précède sur la voie de la génération la perfection selon l’obtention de la fin, c’est pourquoi, parmi les sacrements qui se rapportent au progrès vers le bien, la confirmation est placée en premier: par rapport à la perfection, elle est semblable à la perfection de la forme. En deuxième lieu, [vient] l’eucharisite, qui, par rapport à la perfection, atteint la fin. Troisièmement, la pénitence, qui vise à réparer la vertu perdue. Mais, parmi les sacrements qui sont ordonnés comme des remèdes pour toute l’Église, l’ordre vient en premier, car, le mariage, en tant que mariage, est dispensé comme sacrement par l’ordre.

Ad primum ergo dicendum, quod matrimonium secundum quod pertinet ad vitam animalem, non est sacramentum, sed naturae officium; sed secundum quod habet aliquid spiritualis quantum ad signum et effectum, sic sacramentum est; et quia minimum habet de spiritualitate, ideo ultimo inter sacramenta ponitur.

1. Le mariage, pour autant qu’il se rapporte à la vie animale, n’est pas un sacrement, mais une fonction de la nature. Mais selon qu’il possède quelque chose de spirituel en tant que signe et quant à son effet, il est un sacrement. Et parce qu’il a le caractère spirituel le plus faible, il est placé en dernier lieu parmi les sacrements.

[13669] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentorum actionibus ordo non constituit principalem agentem, sed ministrum, et instrumentum quoddam divinae operationis; in judiciis autem judex secundum formam scientiae et justitiae operatur non solum sicut instrumentum; et ideo in jure praemittuntur ea quae ad officia pertinent, sed in sacramentis non oportet.

2. Dans les actions des sacrements, l’ordre n’établit pas l’agent principal, mais le ministre, comme instrument de l’action divine. Mais, pour les jugements, le juge agit selon la forme de la science et de justice, et non seulement comme un instrument. C’est pourquoi, dans le droit, ce qui concerne les fonctions est placé en premier, mais cela n’est pas nécessaire dans les sacrements.

[13670] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis bonum commune sit divinius, tamen bonum singulare est prius in via generationis; et ideo etiam philosophus monasticam politicae praemisit, ut patet in 10 Ethic.

3. Quoique le bien commun soit plus divin, le bien individuel vient cependant avant sur la voie de la génération. C’est pourquoi même le Philosophe a placé la vie individuelle avant la vie politique, comme cela ressort clairement d’Éthique, X.

[13671] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod conjunctio ad finem est duplex. Una secundum plenam participationem ipsius; et ista conjunctio non efficitur per aliquod sacramentum; sed sacramenta ad eam disponunt, et inter omnia vicinius extrema unctio; et ideo ultimo ponitur inter ea quae ad remedium unius personae ordinantur. Alio modo secundum imperfectam, qualis est fruitio viae; et ad hanc ordinatur Eucharistia; et ideo non oportet quod ponatur ultima simpliciter, sed ultima in progressu ad bonum.

4. L’union à la fin est double. L’une, selon qu’on y participe pleinement : cette union n’est pas réalisée par un sacrement, mais les sacrements y disposent, surtout celui qui parmi tous est le plus proche [de la fin], l’extrême-onction. C’est pourquoi il est placé en dernier parmi ce qui est un remède pour une seule personne. D’une autre manière, selon [une union] imparfaite, comme l’est la jouissance [fruitio] alors qu’on est en route. Et à cela est ordonnée l’eucharistie. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit placée en tout dernier lieu, mais comme la dernière dans le progrès vers le bien.

[13672] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod poenitentia non dicit purgationem absolute respectu cujuslibet impuritatis spiritualis, hoc enim ad Baptismum pertinet; sed purgationem in casu, scilicet quando aliquis a statu virtutis cecidit, ut iterum ad bonum redeat; et haec est secunda tabula post naufragium, secundum Hieronymum; et ideo poenitentia ponitur post illa sacramenta quae ad consummationem in bonum ordinantur.

5. La pénitence n’indique pas une purification absolue par rapport à une impureté spirituelle : cela relève du baptême. Mais [elle indique] une purification dans un cas particulier, à savoir, lorsque quelqu’un est tombé de l’état de la vertu, afin qu’il revienne au bien. Elle est la seconde planche après le naufrage, selon Jérôme. C’est pourquoi la pénitence est placée après les sacrements qui sont ordonnés à l’accomplissement du bien.

[13673] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Dionysius consideravit in eis ordinem magis quantum ad dispensationem eorum quam quantum ad effectum: quia Eucharistia statim baptizatis datur, si sint adulti, non autem confirmatio; ideo post Baptismum immediate Eucharistiam posuit.

6. Denys les a plutôt abordés selon leur dispensation que selon selon leur effet, car l’eucharistie est immédiatement donnée aux baptisés s’ils sont adultes, mais non la confirmation. C’est pourquoi il place l’eucharistie immédiatement après le baptême.

 

 

Articulus 4 [13674] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 tit. Utrum in nova lege aliqua nova sacramenta de novo institui debuerint

Article 4 – Est-ce que, sous la loi nouvelle, de nouveaux sacrements devaient être institués ?

 

Sous-question 1 – [Devait-il y avoir de nouveaux sacrements sous la loi nouvelle ?]

[13675] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non debuerint in nova lege aliqua sacramenta de novo institui. Natura enim operatur breviori via qua potest; et hoc ad ordinationem naturae pertinet. Sed gratia est magis ordinata quam natura. Cum ergo brevior via esset quod sacramenta jam in veteri lege existentia perficerentur quam aliqua de novo instituerentur, videtur quod aliqua de novo institui non debuerint.

 

1. Il semble que, sous la loi nouvelle, de nouveaux sacrements n’auraient pas dû être institués. En effet, la nature agit par le chemin le plus court possible, et cela relève de l’ordre de la nature. Or, la grâce est plus ordonnée que la nature. Puisque que le chemin était plus court de perfectionner les sacrements qui existaient déjà sous la loi ancienne que d’en instituter de nouveaux, il semble donc que des [sacrements] nouveaux ne devaient pas être institués.

[13676] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut sacramenta sunt necessaria ad salutem, ita et praecepta. Sed Christus non alia praecepta moralia instituit, sed praeexistentia consiliis perfecit. Ergo nec nova sacramenta instituere debuit.

2. De même que les sacrements sont nécessaires au salut, de même le sont les commandements. Or, le Christ n’a pas institué de nouveaux commandements moraux, mais a perfectionné ceux qui existaient par des conseils. Il ne devait donc pas non plus instituer des sacrements nouveaux.

[13677] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, sacramenta sunt medicinae spirituales, ut prius dictum est. Sed non competit eadem medicina parvulo et adulto. Cum ergo status legis comparetur puerili aetati, status autem temporis gratiae aetati perfectae, ut patet Gal. 4, videtur quod alia sacramenta fuerunt etiam tempore gratiae instituenda.

S.c. 1 – Les sacrements sont des remèdes spirituels, comme on l’a dit plus haut. Or, le même remède ne convient pas à l’enfant et à l’adulte. Puisque l’état de la loi est comparé à l’état de l’enfance, et l’état de l’époque de la grâce à l’âge adulte, comme cela est clair selon Ga 4, il semble que d’autres sacrements devaient aussi être institués à l’époque de la grâce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les mêmes sacrements devaient-ils être institués dès le commencement du monde après le péché ?]

 

[13678] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec eadem debuerit a principio mundi post peccatum instituere. Quia ad crudelem medicum pertinet ut efficacem medicinam non statim infirmo proponat, sed eum diu periclitari sinat. Sed a Deo omnis crudelitas relegata est. Ergo sacramenta novae legis, quae sunt efficacissimae medicinae, debuerunt statim post peccatum humano generi exhiberi.

1. Il semble qu’il devait instituer les mêmes dès le commencement du monde après le péché, puisque c’est le fait d’un médecin cruel de ne pas proposer un remède efficace au malade, mais de le laisser longtemps péricliter. Or, toute cruauté a été mise de côté par Dieu. Les sacrements de la loi nouvelle, qui sont les remèdes les plus efficaces, devaient donc être proposés au genre humain aussitôt après le péché.

[13679] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta novae legis totam efficaciam habent ex passione Christi. Sed passio Christi operabatur etiam a principio mundi post peccatum ad reparationem, secundum quod erat credita, ut in 3 Lib., dist. 19, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 2 ad 2, dictum est. Ergo et tunc sacramenta institui debuerunt.

2. Les sacrements de la loi nouvelle tirent toute leur efficacité de la passion du Christ. Or, la passion du Christ était à l’œuvre dès le commencement du monde après le péché en vue de la réparation, selon qu’elle était objet de la foi, comme on l’a dit dans le livre III, d. 19, q. 1, a. 1, qa 2, ad 2. Les sacrements devaient donc être institués à ce moment.

[13680] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, gratia perficit naturam. Sed natura procedit ex imperfectioribus ad perfectiora, sicut patet in omni motu et generatione; et similiter etiam ars. Ergo et similiter gratia debuit prius imperfecte et postea copiose per efficaciam sacramenti dari.

S.c. 1 – La grâce parfait la nature. Or, la nature va de l’imparfait au parfait, comme cela est clair pour tout mouvement et toute génération, et aussi pour l’art. De la même façon, la grâce devait donc d’abord être donnée imparfaitement, puis avec abondance grâce à l’efficacité des sacrements.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les sacrements devaient-ils être institués immédiatement après la naissance du Christ ?]

 

[13681] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod statim Christo nato sacramenta institui debuerunt. Sunt enim sacramenta novae legis gratiam continentia. Sed tempus gratiae ex tunc incepit. Ergo tunc institui debuerunt.

1. Il semble que les sacrements devaient être institués immédiatement après la naissance du Christ. En effet, les sacrements de la nouvelle loi contiennent la grâce. Or, le temps de la grâce a commencé à ce moment. Ils devaient donc être institués à ce moment.

[13682] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sacramenta adjuvant ad implendum praecepta. Sed praecepta moralia omnia simul data fuerunt in ipso initio legis. Ergo et sacramenta gratiae in ipso initio gratiae omnia simul dari debuerunt.

2. Les sacrements aident à accomplir les commandements. Or, les préceptes moraux furent tous donnés en même temps, au commencement de la loi. Les sacrements de la grâce devaient donc être tous donnés au commencement même de la grâce.

[13683] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est, quia quae a Deo sunt, ordinata sunt, Rom. 13, 1. Sed iste est debitus ordo, ut causa effectum praecedat, et ut illud quod prius est, primo tradatur. Ergo cum passio Christi sit causa efficaciam sacramentis praebens, et unum sacramentum sit alio prius, ut dictum est, videtur quod non debuerunt institui statim Christo nato.

S.c. 1 – Ce qui vient de Dieu est ordonné, Rm 13, 1. Or, l’ordre approprié consiste dans le fait que la cause précède l’effet, et que ce qui est antérieur est d’abord donné. Puisque la passion du Christ est la cause qui donne leur efficacité aux sacrements et qu’un sacrement est antérieur à l’autre, comme on l’a dit, il semble donc qu’ils ne devaient pas être institués immédiatement après la naissance du Christ.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les sacrements de la loi nouvelle ont-ils tous été institués par le Christ ?]

 

[13684] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacramenta novae legis non sunt omnia a Christo instituta. Quia de confirmatione et extrema unctione non legitur aliquid dixisse. Sed extrema unctio et confirmatio sunt sacramenta novae legis. Ergo non omnia sacramenta novae legis sunt instituta a Christo.

1. Il semble que les sacrements de la loi nouvelle n’aient pas tous été institués par le Christ, car on ne lit pas qu’il ait dit quelque chose à propos de l’extrême-onction et de la confirmation. Or, l’extrême-onction et la confirmation sont des sacrements de la loi nouvelle. Tous les sacrements de la loi nouvelle n’ont donc pas été institués par le Christ.

[13685] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, non minoris auctoritatis est mysterium sacerdotii novae legis quam legis naturae. Sed qui sacramenta dispensabant in lege naturae, scilicet sacerdotes, pro suo libito sacramentis visibilibus suam fidem profitebantur. Ergo multo fortius hoc debet esse in lege nova, quae etiam est majoris libertatis.

2. Le mystère du sacerdoce de la loi nouvelle n’a pas une autorité moins grande que celui de la loi naturelle. Or, ceux qui dispensaient les sacrements sous la loi naturelle, à savoir, les prêtres, confessaient leur foi comme il leur plaisait par des sacrements visibles. À bien plus forte raison cela doit-il donc se trouver sous la loi nouvelle, qui est caractérisée par une plus grande liberté.

[13686] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 S.c. 1 Sed contra, sacramenta novae legis efficiunt quod significant. Sed ex institutione significant secundum Hugonem. Ergo ex institutione efficaciam habent. Sed efficacia sacramentorum non est nisi a Deo, qui solus peccata remittit. Ergo non potuit esse a puro homine sacramentorum institutio.

S.c. 1 – Les sacrements de la loi nouvelle réalisent ce qu’ils signifient. Or, leur signification vient de leur institution, selon Hugues. Ils tiennent donc leur efficacité de leur institution. Or, l’efficacité des sacrements vient de Dieu seul, qui seul remet les péchés. L’institution des sacrements ne pouvait donc pas être le fait d’un simple homme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [13687] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacramenta sunt signa remedii ad quod ordinantur. Sunt autem signa repraesentantia effectus spirituales ex similitudine sensibilium rerum, quarum in sacramento est usus. Et ideo cum in nova lege oportuerit esse sacramenta majoris efficaciae propter perfectionem testamenti, debuerunt etiam esse alia signa quae expressius figurarent gratiam; et ideo oportuit alia sacramenta institui.

Les sacrements sont les signes du remède auquel ils sont ordonnés. Or, ils sont des signes représentant les effets spirituels par une ressemblance avec les choses sensibles utilisées dans le sacrement. C’est pourquoi, puisqu’il était nécessaire qu’il y ait dans la loi nouvelle des sacrements d’une plus grande efficacité en raison de la perfection de l’alliance, il devait y avoir d’autres signes qui seraient une figure plus expresse de la grâce. Aussi était-il nécessaire que d’autres sacrements soient institués.

[13688] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis natura brevissime operetur, tamen nihil omittit de contingentibus quibus aliquid optime fieri possit et similiter gratia; et ideo in sacramentis instituendis non solum attenditur qualiter aliquid breviter fiat, sed qualiter congruenter.

1. Bien que la nature agisse de la manière la plus directe, elle n’omet cependant rien des réalités contingentes par lesquelles quelque chose peut être réalisé au mieux. Et il en va de même de la grâce. C’est pourquoi, dans l’institution des sacrements, on ne consiède pas seulement comment quelque chose peut être réalisé rapidement, mais comment il peut l’être de manière appropriée.

[13689] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praecepta moralia consequuntur naturam humanam, cum sint de dictamine rationis naturalis; et ideo permanent eadem in qualibet lege, et in quolibet statu hominis; et propter hoc non est simile de praeceptis et sacramentis, quae ex sola institutione efficaciam habent.

2. Les préceptes moraux découlent de la nature humaine, puisqu’ils sont déterminés par la raison naturelle. C’est pourquoi ils demeurent les mêmes sous n’importe quelle loi et dans n’importe état de l’homme. Pour cette raison, il n’en va pas de même des préceptes et des sacrements, qui n’ont d’efficacité que par leur seule institution.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13690] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sacramenta novae legis, quia gratiam continent, non sunt vacua, sed plena; et ideo non competebat ea institui nisi tempore plenitudinis, quod est tempus incarnationis. Quare autem Christus suum adventum distulerit, et non statim post peccatum carnem assumpserit, in 3 Lib., dist. 1, quaest. 1, art. 4, dictum est.

Parce qu’ils contiennent la grâce, les sacrements de la loi nouvelle ne sont pas vides, mais pleins. C’est pourquoi il convenait qu’ils soient institués seulement au temps de la plénitude, qui est le temps de l’incarnation. Mais pourquoi le Christ a-t-il reporté sa venue et n’a-t-il pas assumé la chair immédiatement après le péché, on l’a dit dans le livre III, d. 1, q. 1, a. 4.

[13691] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliter est in morbo spirituali et corporali. Non enim potest aliquis a morbo spirituali congrue curari, nisi prius morbum cognoscat, et medicinam desideret, si sit cognitionis capax; et ideo oportuit ut homo sibi relinqueretur, et sic primo tempore legis naturae infirmum se cognosceret per ignorantiam, ad idolatriam declinando; et deinde tempore legis scriptae quae auxilium contra ignorantiam praebebat, recognosceret se infirmum per concupiscentiam, ad peccata declinando, et sic salutem ab alio expectaret; qui et viam salutis docuit contra ignorantiam et sacramenta gratiae dedit contra infirmitatem concupiscentiae, ut dicitur Joan. 1, 17: gratia et veritas per Jesum Christum facta est. In morbo autem corporali hoc non requiritur, quia corpus non est cognitionis capax.

1. Il en va autrement de la maladie spirituelle et de la maladie corporelle. En effet, on ne peut être convenablement guéri d’une maladie spirituelle à moins de connaître d’abord la maladie et de désirer un remède, si l’on est capable de connaissance. C’est pourquoi il fallait que l’homme soit laissé à lui-même et qu’ainsi, à l’époque de la loi naturelle, il se reconnaisse d’abord malade en raison de l’ignorance, en déviant vers l’idolâtrie. Ensuite, au temps de la loi écrite, qui apportait une aide contre l’ignorance, il se reconnaîtrait malade en raison de la concupiscence, en tombant dans des péchés, et ainsi attendrait son salut d’un autre, qui enseignait le chemin du salut contre l’ignorance et donnait les sacrements de la grâce contre la maladie de la concupiscence, comme il est dit en Jn 17 : La grâce et la vérité sont apparues dans le Christ Jésus. Mais, pour la maladie corporelle, cela n’est pas nécessaire, car le corps n’est pas capable de connaissance.

[13692] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis etiam ex tunc passio Christi efficaciam haberet, non tamen tantam efficaciam in humana natura, pro qua nondum satisfactum erat, habebat, sicut post satisfactionem habuit, et post Christi incarnationem, quae totam naturam humanam dignificavit, ut fieret magis ad gratiam recipiendam idonea.

2. Bien que la passion du Christ eût alors son efficacité, elle n’avait cependant pas une aussi grande efficacité dans la nature humaine, pour laquelle il n’y avait pas encore eu satisfaction, comme il y eut satisfaction pas la suite, et après l’incarnation du Christ, qui a donné sa dignité à toute la nature humaine, afin qu’elle soit rendue apte à recevoir la grâce.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13693] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sacramenta novae legis dupliciter instituta sunt. Primo ad documentum et exercitium quoddam; et sic potuerant ante passionem Christi institui. Secundo quantum ad necessitatem et obligationem, et sic eorum institutio non fuit ante passionem, quia adhuc legalia non fuerant mortua; unde a tempore praedicationis Christi usque ad passionem, sacramenta novae legis simul currebant cum legalibus, et utraque ad salutem operabantur. Sic ergo quantum ad secundum modum institutionis omnia simul in passione Christi instituta sunt; sed quantum ad primum, oportuit ut primo instituerentur illa quae sunt majoris necessitatis; unde statim in principio praedicationis suae poenitentiam praedicavit, ut legitur Matth. 4, et Baptismum docuit ut legitur Joan. 3. Alia autem sacramenta processu temporis instituit et docuit.

Les sacrements de la loi nouvelle ont été institués de deux manières. Premièrement, en vue d’un enseignement et d’un certain usage ; ainsi, ils auraient pu être institués avant la passion du Christ. Deuxièmement, quant à leur nécessité et à leur caractère obligatoire ; ainsi, ils ne furent pas institués avant la passion parce que les dispositions légales n’étaient pas encore mortes. Aussi, depuis la prédication du Christ jusqu’à la passion, les sacrements de la loi nouvelle avaient cours en même temps que les dispositions de la loi, et les deux étaient mis en œuvre en vue du salut. Ainsi, pour ce qui est du second mode d’institution, tous ont donc été institués dans la passion du Christ. Mais, pour ce qui est du premier mode, il fallait que soient d’abord institués ceux qui étaient plus nécessaires. Aussi, dès le début de sa prédication, prêcha-t-il la pénitence, comme on le lit dans Mt 4, et enseigna-t-il le baptême, comme on le lit dans Jn 3. Mais il institua et enseigna les autres sacrements au fil du temps.

[13694] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tempus gratiae dicitur quantum ad initium, et quantum ad complementum. Complementum autem ejus non fuit ante passionem, et resurrectionem Christi; unde Joan. 7, 39, dicitur: nondum erat spiritus datus, quia nondum erat Jesus glorificatus. Principium autem potest attendi dupliciter. Primo quantum ad praesentiam gratiae in mundo; et sic fuit in ipsa incarnatione. Secundo quantum ad ejus diffusionem in mundo, et sic fuit in praedicatione sive Baptismo Christi; et ante non oportebat institui sacramenta.

1. On parle de temps de la grâce du point de vue de son début et du point de vue de son achèvement. Son achèvement n’eut pas lieu avant la passion et la résurrection du Christ. Aussi est-il dit dans Jn 7, 39 : L’Esprit n’avait pas encore été donné, parce que Jésus n’avait pas été glorifié. Or, le commencement peut s’entendre de deux manières. Premièrement, quant à la présence de la grâce dans le monde : et ainsi, il eut lieu dans l’incarnation elle-même. Deuxièmement, quant à sa diffusion dans le monde : et ainsi, il eut lieu dans la prédication ou dans le baptême du Christ. Et il n’était pas nécessaire que les sacrements soient institués avant.

[13695] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praecepta moralia homini natura dictat; et ideo statim potuerunt homini simul proponi: non autem est ita de sacramentis.

2. La nature dicte à l’homme les préceptes moraux. C’est pourquoi ils purent être proposés à l’homme en même temps. Mais il n’en est pas de même pour les sacrements.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13696] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, non omnia sacramenta a Christo immediate instituta fuisse; sed quaedam ipse per se instituit, quaedam vero apostolis instituenda commisit; scilicet confirmationem, in qua spiritus sanctus datur ad robur, cujus institutio esse non debuit ante plenam spiritus sancti missionem; et extremam unctionem, quae cum ad gloriam resurrectionis sit immediatum et proximum praeparatorium, ante resurrectionem institui non debuit. Sed quia institutio sacramentorum videtur ad potestatem plenitudinis in sacramentis pertinere quam sibi Christus reservavit in sacramentis, cum ex institutione sacramenta habeant quod significent; ideo aliis probabilius videtur, quod sicut hominis puri non est sacramenta mutare, vel a sacramentis absolvere, ita nec nova sacramenta instituere; et ideo omnia sacramenta novae legis ab ipso Christo institutionem habent.

À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, certains disent que tous les sacrements n’ont pas été institués par le Christ de manière immédiate, mais qu’il en a institué certains par lui-même, et qu’il a confié aux apôtres d’en instituer d’autres, à savoir, la confirmation, par laquelle l’Esprit Saint est donné en vue de la fermeté et dont l’institution ne devait pas avoir lieu avant le plein envoi de l’Esprit Saint, et l’extrême-onction, qui ne devait pas être instituée avant la résurrection, puisqu’elle prépare de manière immédiate et prochaine à la gloire de la résurrection. Mais parce que l’institution des sacrements semble relever du pouvoir plénier que le Christ s’est reservé pour les sacrements, puisque les sacrements tirent leur signification de leur institution, il semble à d’autres plus probable que de même qu’il ne relève pas d’un simple homme de changer les sacrements ou de délier des sacrements, de même en est-il pour ce qui est d’en instituer de nouveaux. C’est pourquoi tous les sacrements de la loi nouvelle ont été institués par le Christ.

[13697] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Secundum hoc ergo dicendum ad primum, quod ipse sacramentum confirmationis instituit, quando pueris sibi praesentatis manus imposuit; similiter extremam unctionem, quando apostolos ad praedicandum mittens, oleo inungere infirmos disposuit, ut sic curarentur.

1. Lui-même a institué le sacrement de la confirmation lorsqu’il imposa les mains aux enfants qui lui avaient été présentés. De même pour l’extrême-onction, lorsque, envoyant les apôtres prêcher, il établit que les malades seraient oints afin d’être guéris.

[13698] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramenta illa legis naturae non habebant aliquam efficaciam ex opere operato, sed solum ex fide; et ideo determinatio eorum ab homine puro habente fidem fieri poterat. Non autem ita est de sacramentis novae legis, quae ex opere operato gratiam conferunt.

2. Ces sacrements de la loi naturelle n’avaient aucune efficacité ex opere operato, mais seulement en vertu de la foi. C’est pourquoi un simple homme ayant la foi pouvait en décider. Mais il n’en va pas de même des sacrements de la loi nouvelle, qui confèrent la grâce ex opere operato.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le baptême de Jean]

 

Prooemium

Prologue

 [13699] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 pr. Deinde quaeritur de Baptismo Joannis, et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum fuerit sacramentum; 2 de efficacia ipsius; 3 quibus competebat; 4 utrum baptizati a Joanne, essent Baptismo Christi baptizandi.

Ensuite, on s’interroge sur le baptême de Jean. À ce sujet, quatre questions sont posées : 1 – Est-ce qu’il était un sacrement ? 2 – À propos de son efficacité. 3 – À qui convenait-il ? 4 – Est-ce que ceux qui avaient été baptisés par Jean devaient être baptisés du baptême du Christ ?

 

 

Articulus 1 [13700] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 tit. Utrum Baptismus Joannis fuerit sacramentum

Article 1 – Est-ce que le baptême de Jean était un sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le baptême de Jean était-il un sacrement ?]

 [13701] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Baptismus Joannis non fuerit sacramentum. Joan. 3, super illud: erat Joannes baptizans etc., dicit Glossa: quantum catechumenis nondum baptizatis prodest doctrina fidei, tantum profuit Baptismus Joannis ante Baptismum Christi. Sed catechismus non est sacramentum, sed sacramentale. Ergo Baptismus Joannis non erat sacramentum sed sacramentale.

1. Il semble que le baptême de Jean n’était pas un sacrement. À propos de Jn 3, sur ce passage : Jean baptisait, etc., la Glose dit : «Autant l’enseignement de la foi est utile aux catéchumènes non encore baptisés, autant le baptême de Jean était-il utile avant le baptême du Christ.» Or, le catéchisme n’est pas un sacrement, mais un sacramental. Le baptême de Jean n’était donc pas un sacrement mais un sacramental.

[13702] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne sacramentum est alicujus legis sacramentum. Sed Baptismus Joannis non erat sacramentum legis naturae, neque legis veteris: quia, sicut Augustinus dicit, nulli praecedentium prophetarum fuit datum baptizare, nisi Joanni soli, quod non contingit de sacramentis veteris legis; similiter non est sacramentum novae legis, quia praedicationem Christi praecessit. Ergo non erat sacramentum.

2. Tout sacrement est un sacrement d’une loi donnée. Or, le baptême de Jean n’était pas un sacrement de la loi naturelle, ni de la loi ancienne, car, comme le dit Augustin, à aucun prophète antérieur, sauf à Jean, n’avait-il été donné de baptiser, ce qui n’est pas le cas des sacrements de la loi ancienne. De même [le baptême de Jean] n’est-il pas un sacrement de la loi nouvelle, car il a précédé la prédication du Christ. Il n’était donc pas un sacrement.

[13703] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, sacramentum est sacrae rei signum. Sed Baptismus Joannis figurabat Baptismum Christi. Ergo erat sacramentum.

S.c. 1 – Le sacrement est un signe d’une chose sainte. Or, le baptême de Jean était la figure du baptême du Christ. Il était donc un sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême de Jean était le même que celui donné par les apôtres ?]

[13704] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non baptizaverit sub hac forma: ego baptizo te in nomine venturi. Christus enim, in cujus nomine baptizabat, jam venerat. Ergo non competebat forma illa pro tempore illo.

1. Il n’a pas baptisé en utilisant cette formule : «Je te baptise au nom de celui qui doit venir.» En effet, le Christ, au nom de qui il baptisait, était déjà venu. La forme ne convenait donc pas à ce moment.

[13705] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, eadem est fides de Christo venturo quae erat in patribus et de Christo qui jam venit, quam nos habemus. Ergo eadem est forma Baptismi in nomine venturi, et in nomine Christi. Ergo Baptismus idem. Sed apostoli baptizaverunt in nomine Christi, ut infra dicetur. Si ergo Joannes baptizavit in nomine venturi, idem fuit Baptisma Joannis et apostolorum Christi; quod falsum est.

2. La foi au Christ à venir était la même chez les pères que celle que nous avons au Christ déjà venu. La forme du baptême est donc la même pour le baptême au nom de celui qui doit venir et au nom du Christ. Le baptême est donc le même. Or, les apôtres ont baptisé au nom du Christ, comme on le dira plus loin. Si donc Jean a baptisé au nom de celui qui devait venir, le baptême de Jean était le même que celui des apôtres du Christ, ce qui est faux.

[13706] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Act. 19, 4: baptizabat Joannes populum dicens, in eum qui venturus est post ipsum, ut crederent.

S.c. 1 – Il est dit en Ac 19, 4 : Jean baptisait en disant au peuple de croire en celui qui devait venir après lui.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême de Jean était-il institué par Dieu ?]

[13707] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non fuit institutus a Deo. Nullum enim sacramentum a Deo institutum nominatur a ministro; non enim dicitur Baptismus Petri. Sed Baptismus ille dicitur Baptismus Joannis. Ergo non fuit a Deo institutus.

1. Il semble que [le baptême de Jean] n’ait pas été institué par Dieu. En effet, aucun sacrement institué par Dieu n’est nommé d’après le ministre : en effet, on ne parle pas du baptême de Pierre. Or, ce baptême est appelé le baptême de Jean. Il n’a donc pas été institué par Dieu.

[13708] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sacramenta legis naturae, quae ad sacramenta Christi disponebant, a Deo institutionem non habuerunt, sed ex voto celebrabantur, secundum Hugonem. Sed Baptismus Joannis fuit praeparatorius ad sacramenta Christi. Ergo non debuit habere institutionem a Deo.

2. Les sacrements de la loi naturelle, qui disposaient aux sacrements du Christ, n’ont pas été institués par Dieu, mais étaient célébrés comme on le voulait, selon Hugues. Or, le baptême de Jean était préparatoire aux sacrements du Christ. Il ne devait pas être institué par Dieu.

[13709] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 1, 33: qui me misit baptizare in aqua, ille mihi dixit: super quem videris spiritum descendentem, et manentem super eum, hic est qui baptizat in spiritu sancto.

S.c. 1 – Il est dit en Jn 1, 33 : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : «Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c'est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint.»

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le baptême de Jean aurait-il dû cesser immédiatement après le baptême du Christ ?]

[13710] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debuit statim Christo baptizato cessare. Quia super illud Joan. 1: vidit Joannes Jesum venientem ad se, dicit Augustinus: baptizatus est dominus Baptismo Joannis, et cessavit Baptismus Joannis.

1. Il semble que [le baptême de Jean] aurait dû cesser immédiatement après le baptême du Christ. Car, sur ce passage de Jn 1 : Jean voit Jésus venir vers lui, Augustin dit : «Le Seigneur a été baptisé du baptême de Jean, et le baptême de Jean a cessé.»

[13711] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Baptismus Joannis erat praeparatorius ad Baptismum Christi. Sed Baptismus Christi incepit statim Christo baptizato: quia tactu mundissimae suae carnis vim regenerativam contulit aquis, ut dicit Beda. Ergo statim debuit cessare.

2. Le baptême de Jean préparait au baptême du Christ. Or, le baptême du Christ a commencé aussitôt que le Christ a été baptisé, car, «au contact de sa chair très pure, il a donné à l’eau une puissance régénératrice», comme le dit Bède. [Le baptême de Jean] devait donc cesser aussitôt.

[13712] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est quod legitur Joan. 3, quod post Baptismum Christi baptizabat Joannes, et discipuli ejus similiter baptizabant. Ergo Baptismus Joannis non cessavit statim Christo baptizato.

S.c. 1 – On lit en Jn 3, qu’après avoir baptisé le Christ, Jean baptisait et que ses disciples aussi baptisaient. Le baptême de Jean n’a donc pas cessé immédiatement après le baptême du Christ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13713] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod secundum Hugonem de sancto Victore, secundum processum temporis et majorem propinquitatem ad tempus gratiae, oportuit alia et alia sacramenta institui. Unde quia in Joanne quodammodo incepit tempus gratiae (quia lex, et prophetae usque ad Joannem, Matth. 11, 13), non quasi ab ipso esset gratia, sed quia ad gratiam viam praeparabat; ideo ejus Baptismus fuit aliquod sacramentum; quod quidem erat initiatio quaedam sacramentorum gratiae, quamvis gratia in eo non conferretur. Unde dicendum, quod Baptismus Joannis sacramentum erat quodammodo medium inter sacramenta veteris et novae legis, sicut dispositio ad formam media est quodammodo inter privationem et formam. Conveniebat enim quodammodo cum sacramentis veteris legis in hoc quod erat signum tantum; cum sacramentis autem legis novae in materia, et quodammodo in forma.

Selon Hugues de Saint-Victor, il était nécessaire que d’autres sacrements soient institués selon le déroulement du temps et une plus grande proximité par rapport au temps de la grâce. Aussi, parce que le temps de la grâce a commencé d’une certaine manière en Jean (car la loi et les prophètes durent jusqu’à Jean, Mt 11, 13), non que la grâce se trouvait en lui, mais parce qu’il préparait le chemin vers la grâce, son baptême était-il un sacrement, qui était une amorce des sacrements de la grâce, bien que la grâce ne fût pas conférée par lui. Aussi faut-il dire que le baptême de Jean était en quelque sorte un sacrement intermédiaire entre les sacrements de l’ancienne loi et ceux de la nouvelle, comme la disposition à la forme est intermédiaire entre la privation [de la forme] et la forme. En effet, il avait d’une certaine manière en commun avec les sacrements de la loi ancienne de n’être qu’un signe ; mais il avait avec les sacrements de la loi nouvelle une matière commune et, d’une certaine manière, la forme.

[13714] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus Joannis habet aliquid simile cum sacramentalibus Baptismi, inquantum erat dispositio ad Baptismum Christi; sed inquantum praecessit institutionem Baptismi Christi, differt a sacramentalibus, et est sacramentum per se; sicut sacramenta veteris legis, quae etiam suo modo, licet non tam de propinquo, ad sacramenta novae legis disponebant.

1. Le baptême de Jean a quelque chose de semblable aux sacramentaux du baptême, en tant qu’il était une disposition au baptême du Christ. Mais, pour autant qu’il a précédé l’institution du baptême du Christ, il diffère des sacramentaux et il est en lui-même un sacrement, comme les sacrements de l’ancienne loi qui disposaient aussi de leur propre manière, bien que d’une manière moins rapprochée, aux sacrements de la loi nouvelle.

[13715] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dispositio reducitur ad genus formae ad quam disponit; et ideo Baptismus Joannis reducitur ad sacramenta novae legis, sicut incompletum in genere illo; et hoc patet ex ordine procedendi quem Magister servat.

2. La disposition se ramène au genre de la forme à laquelle elle dispose. C’est pourquoi le baptême de Jean se ramène aux sacrements de la loi nouvelle, comme quelque chose d’inachevé dans ce genre. Et cela ressort clairement de l’ordre que suit le Maître.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13716] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod utilitas rei ex forma sua consequitur; et ideo formae sacramentorum ostendunt illud ex quo sacramenta et efficaciam et utilitatem habent. Et quia utilitas Baptismi Joannis tota erat disponere ad Christum, ideo haec erat sua forma competens, ut in nomine venturi baptizaret.

L’utilité d’une chose se prend de sa forme. C’est pourquoi les formes des sacrements montrent ce dont les sacrements tirent leur efficacité et leur utilité. Et parce que l’utilité du baptême de Jean consistait entièrement à disposer au Christ, c’était sa forme convenable qu’il baptise au nom de celui qui allait venir.

[13717] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis jam venisset in carne, non tamen jam venerat ad baptizandum, et alia salutis nostrae opera exercendum.

1. Bien qu’il fût déjà venu dans la chair, il n’était cependant pas encore venu baptiser et accomplir les autres œuvres de notre rédemption.

[13718] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides, cum sit cognitio quaedam, respicit rei veritatem; et quia diversitas temporum significatorum non diversificat veritatem, nec fides penes hoc diversificatur. Sed sacramenta respiciunt effectum; et quia non eodem modo se habet ad actum hoc quod jam est et hoc quod expectatur futurum, quia ad id quod expectatur futurum, actus ordinantur ut disponentes, ab eo autem quod jam est, effective aliquid producitur; ideo diversificatio formae per futurum et praesens designant diversitatem sacramenti.

2. La foi, puisqu’elle est une certaine connaissance, concerne la vérité d’une chose. Et parce que la diversité des temps signifiés ne diversifie pas la vérité, la foi non plus n’est pas diversifiée par cela. Mais les sacrements concernent un effet. Et parce que ce qui existe déjà et ce qui est attendu dans l’avenir n’a pas le même rapport à l’acte, car les actes y sont ordonnés comme une disposition, alors que quelque chose est effectivement produit à partir de ce qui existe déjà, la diversification de la forme selon le futur et le présent désigne la diversité du sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 [13719] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Joannes suum Baptismum instituit praecepto divino. Unde patet quod institutio ipsius fuit a Deo per auctoritatem, et ab ipso Joanne per ministerium.

Jean a institué son baptême en vertu d’un commandement divin. Aussi ressort-il clairement que son institution venait de Dieu comme de son auteur, et de Jean en vertu de son ministère.

[13720] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter tres rationes Baptismus a Joanne nomen accepit. Primo, quia ipse fuit sui Baptismi institutor aliquo modo; Petrus autem nullo modo Baptismi quo baptizabat. Secundo, quia nihil in illo Baptismo efficiebatur quod Joannes non faceret. Tertio, quia sibi soli erat datum illius Baptismi ministerium.

1. Le baptême a reçu son nom de Jean pour trois raisons. Premièrement, parce que Jean lui-même a d’une certaine manière institué son baptême, mais Pierre ne l’a fait d’aucune manière pour le baptême par lequel il baptisait. Deuxièmement, parce que rien n’était accompli dans ce baptême que Jean n’accomplissait. Troisièmement, parce qu’à lui seul avait été confié le ministère de ce baptême.

[13721] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides magis determinabatur secundum appropinquationem ad Christum; et ideo etiam sacramenta, quae quaedam fidei protestationes sunt, magis a Christo remota, minus determinata esse debuerunt. Et quia Baptismus Joannis de propinquo ad Christi sacramenta disponebat, ideo debuit magis habere determinationem quam sacramenta legis naturae.

2. La foi se précisait à mesure qu’on approchait du Christ. C’est pourquoi les sacrements, qui sont des attestations de la foi, alors qu’ils étaient plus éloignés du Christ, devaient être moins précis. Et parce que le baptême de Jean disposait de manière prochaine aux sacrements du Chrisst, il devait avoir une précision plus grande que les sacrements de la loi naturelle.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [13722] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cessatio Baptismi Joannis potest accipi dupliciter. Uno modo quando cessavit totaliter; et hoc fuit Joanne in carcerem misso, quia ministerium illud soli Joanni concessum est. Alio modo quantum ad maximum suum posse; et sic cessavit baptizato Christo: quia ex tunc ejus Baptismus non fuit praecipuus, sed alius fuit eo dignior; sicut cessat officium legati domino suo superveniente, quamvis et aliqua exerceat.

 

La cessation du baptême de Jean peut s’entendre de deux manières. D’une manière, lorsqu’il cessa totalement : et ceci se produisit lorsque Jean fut emprisonné, parce que ce ministère avait été confié à Jean seul. D’une autre manière, quant à sa puissance maximale : et ainsi, il cessa lorsque le Christ fut baptisé, car, à partir de ce moment-là, le baptême [de Jean] n’était plus le principal, mais un autre était plus digne que lui, comme lorsque cesse la fonction d’un légat lorsque son maître se présente, bien qu’il en exerce quelque chose.

[13723] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet solutio.

Ainsi ressort clairement la solution à l’argument en sens contraire.

 

 

Articulus 2 [13724] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 tit. Utrum Baptismus Joannis gratiam contulerit

Article 2 – Est-ce que le baptême de Jean conférait la grâce ?

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Baptismus Joannis gratiam contulerit. Luc. 3, 3: erat Joannes baptizans, et praedicans Baptismum poenitentiae in remissionem peccatorum. Sed remissio peccatorum non fit sine gratia. Ergo Baptismus ille gratiam contulit.

1. Il semble que le baptême de Jean conférait la grâce. Lc 3, 3 : Jean baptisait en prêchant un baptême de pénitence en vue de la rémission des péchés. Or, la rémission des péchés ne se réalise pas sans la grâce. Ce baptême conférait donc la grâce.

[13726] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Damascenus dicit: purgat Joannes spiritum per aquam. Sed purgatio spiritualis non fit sine gratia. Ergo ille Baptismus gratiam contulit.

2. [Jean] Damascène dit : «Jean purifie l’esprit par l’eau.» Or, la purification spirituelle ne se réalise pas sans la grâce. Ce baptême conférait donc la grâce.

[13727] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit contra Donatistas: ita credam Joannem baptizasse in aqua in remissionem peccatorum, ut ab eo baptizatis in spe remitterentur peccata. Sed spes de remissione peccatorum non potest esse nisi per gratiam. Ergo Baptismus ille gratiam contulit.

3. Augustin dit contre les donatistes : «Je croirai que Jean a baptisé dans l’eau en vue de la rémission des péchés, au point que leurs péchés étaient remis en espérance à ceux qui étaient baptisés par lui.» Or, l’espérance de la rémission des péchés ne peut exister que par la grâce. Ce baptême conférait donc la grâce.

[13728] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, Baptismus Joannis propinquior fuit Baptismo Christi quam circumcisio; sed circumcisio gratiam contulit, ut dictum est, dist. 1, quaest. 2, art. 4, quaestiunc. 3. Ergo multo fortius Baptismus Joannis.

4. Le baptême de Jean était plus proche du baptême du Christ que la circoncision. Or, la circoncision conférait la grâce, comme on l’a dit, d. 1, q. 2, a. 4, qa 3. À bien plus forte raison donc, le baptême de Jean.

[13729] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, sacramentum non instituitur, nisi ad causandum gratiam, vel significandum. Sed gratia sufficienter per sacramenta veteris legis erat significata. Si ergo Baptismus Joannis gratiam non contulit, pro nihilo institutus fuit.

5. Un sacrement n’est institué que pour causer la grâce ou pour la signifier. Or, la grâce était suffisamment signifiée par les sacrements de la loi ancienne. Si donc le baptême de Jean ne conférait pas la grâce, il a donc été institué pour rien.

[13730] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 S.c. 1 Sed contra, gratia non confertur sine spiritu sancto. Sed in Baptismo Joannis non conferebatur spiritus sanctus, sed aqua tantum, ut patet Act. 1, 3: Joannes quidem baptizavit aqua; vos autem baptizabimini spiritu sancto. Ergo in illo Baptismo non erat gratia.

S.c. 1 – La grâce n’est pas conférée sans l’Esprit Saint. Or, dans le baptême de Jean, l’Esprit Saint n’était pas conféré, mais l’eau seulement, comme cela ressort clairement de Ac 1, 3 : Jean a baptisé par l’eau ; mais vous, vous serez baptisés par l’Esprit Saint. La grâce ne se trouvait donc pas dans ce baptême.

[13731] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 S.c. 2 Praeterea, non est idem effectus dispositionis et perfectionis. Si ergo Baptismus Joannis disponebat ad Baptismum Christi, cujus est gratiam conferre: quia gratia et veritas facta est per Jesum Christum, Joannes 1, 17, videtur quod Baptismus Joannis gratiam non contulit.

S.c. 2 – L’effet de la disposition n’est pas le même que celui de la perfection. Si donc le baptême de Jean disposait au baptême du Christ, à qui il appartient de conférer la grâce, car la grâce et la vérité sont apparues par Jésus, le Christ, Jn 1, 17, il semble que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce.

[13732] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hoc ab omnibus conceditur, quod non efficiebatur aliquid per Baptismum Joannis quod non esset operatio hominis. Et quia gratia non potest ab homine dari, ideo patet quod Baptismus Joannis gratiam non conferebat.

Réponse :

 

Tous concèdent que rien d’autre qu’une opération humaine n’était accomplie par le baptême de Jean. Et parce que la grâce ne peut être donnée par l’homme, il est donc clair que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce.

[13733] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa auctoritas sic exponenda est, ut referatur ad diversa Baptismata hoc modo. Erat Joannes baptizans, scilicet Baptismate suo, et praedicans, scilicet Baptismum Christi, qui est in remissionem peccatorum. Si autem referatur utrumque ad Baptismum Joannis, sic dicitur esse in remissionem peccatorum: quia baptizatis imponebat dignos fructus poenitentiae agere, quibus peccatorum remissionem consequerentur. Unde Baptismus ille erat quasi quaedam protestatio, et professio poenitentiae.

1. Cette autorité doit être interprétée comme se rapportant à divers baptêmes de la manière suivante. Jean baptisait, à savoir, de son baptême, en prêchant, à savoir, le baptême du Christ, qui consiste dans la rémission des péchés. Si les deux sont mis en rapport avec le baptême de Jean, on dit alors qu’il était donné en vue de la rémission des péchés, parce qu’il imposait à ceux qui étaient baptisés de produire de dignes fruits de pénitence, par lesquels ils obtiendraient la rémission de leurs péchés. Ainsi, ce baptême était en quelque sorte un témoignage et une profession de pénitence.

[13734] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus ille purgare dicitur modo praedicto: vel etiam materialiter a sordibus corporalibus in signum spiritualis purgationis per Christum futurae; vel a caecitate ignorantiae per doctrinam Joannis Christum annuntiantis.

2. On dit que ce baptême purifie de la manière déjà dite. Ou bien [il le fait] même matériellement pour les souillures corporelles en signe de la purification spirituelle par le Christ à venir. Ou bien [il purifie] de la cécité de l’ignorance par l’enseignement de Jean qui annonce le Christ.

[13735] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spes semper ex gratia procedit, non tamen semper ex gratia habita, sed quandoque ex gratia expectata; et sic Baptismus Joannis spem faciebat remissionis peccatorum, non conferens gratiam, sed promittens eam in hoc quod praefigurabat Baptismum Christi, quo gratia daretur.

3. L’espérance procède toujours de la grâce, cependant, pas toujours de la grâce possédée, mais parfois de la grâce attendue. Et ainsi, le baptême de Jean donnait l’espérance de la rémission des péchés, non pas en conférant la grâce, mais en la promettant par le fait qu’il préfigurait le baptême du Christ, par lequel la grâce serait donnée.

[13736] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Baptismus Joannis magis conveniret cum Baptismo Christi quam circumcisio quantum ad materiam, non tamen conveniebat magis quantum ad causam institutionis: quia circumcisio ad necessitatem instituta erat ut remedium contra originale; sed Baptismus Joannis, ut assuefaceret ad Baptismum Christi.

4. Bien que le baptême de Jean ait plus en commun avec le baptême du Christ que la circoncision pour ce qui est de la matière, toutefois il n’avait pas plus en commun pour ce qui est de la cause de l’institution, car la circoncision avait été institutée par nécessité comme un remède contre le péché originel, mais le baptême de Jean, pour qu’il accoutume au baptême du Christ.

[13737] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Baptismus Joannis expressius figurabat Baptismum Christi quam sacramenta veteris legis propter majorem similitudinem ad ipsum; et ideo magis de propinquo praeparabat ad ipsum in significatione, et quadam poenitentiae protestatione.

5. Le baptême de Jean était une figure plus expresse du baptême du Christ que les sacrements de la loi ancienne parce qu’il avait avec lui une plus grande ressemblance. C’est pourquoi il y préparait de manière plus prochaine par sa signification et par une certaine protestation de pénitence.

 

 

Articulus 3 [13738] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 tit. Utrum convenienter Christus Joannis Baptismate baptizatus fuerit

Article 3 – Est-ce qu’il convenait que le Christ soit baptisé du baptême de Jean ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Convenait-il que le Christ soit baptisé du baptême de Jean ?]

[13739] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christo non competeret baptizari Baptismo Joannis. Baptismus enim Joannis erat Baptismus poenitentiae, ut dicitur Luc. 3. Sed Christo non competit poenitentia, sicut nec peccatum. Ergo nec baptizari Baptismo Joannis.

1. Il ne convenait pas que le Christ soit baptisé du baptême de Jean. En effet, le baptême de Jean était un baptême de pénitence, comme il est dit en Lc 3. Or, la pénitence ne convient pas au Christ, pas plus que le péché. [Il ne convenait] donc pas qu’il soit baptisé du baptême de Jean.

[13740] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis Christi actio nostra est instructio. Sed non instruimur baptizari Baptismo Joannis. Ergo non debuit Christus illo Baptismo baptizari.

2. Toute action du Christ est pour nous un enseignement. Or, on ne nous enseigne pas d’être baptisés du baptême de Jean. Le Christ ne devait donc pas être baptisé de ce baptême.

[13741] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod ipse ad Baptismum Joannis vadens dixit: sic decet nos implere omnem justitiam; Matth. 3, 15.

S.c. 1 – En sens contraire, [le Christ] lui-même, en allant au baptême de Jean, dit : Ainsi convient-il que nous accomplissions toute justice, Mt 3, 15.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême de Jean devait-il être donné à d’autres qu’au Christ ?]

 

[13742] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nulli alii hoc Baptismo debuerunt baptizari. Hoc enim est solius Christi ut a sacramentis non accipiat, sed magis eis conferat. Sed Baptismus Joannis erat tale sacramentum a quo non poterat aliquid accipi. Ergo soli Christo competebat.

1. Il semble que ce baptême ne devait être donné à personne d’autre. En effet, il appartient au Christ seul de ne rien recevoir des sacrements, mais plutôt de leur conférer [quelque chose]. Or, le baptême de Jean était un sacrement dont on ne pouvait rien recevoir. Il convenait donc au Christ seul.

[13743] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta eadem ratione omnibus competunt. Sed non erat necessarium quod omnes Baptismo Joannis baptizarentur. Ergo nulli praeter Christum ipso baptizari debuerunt.

2. Les sacrements conviennent à tous pour la même raison. Or, il n’était pas nécessaire que tous soient baptisés du baptême de Jean. Personne d’autre que le Christ ne devait donc être baptisé par ce [sacrement].

[13744] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 3, 5: egrediebantur ad illum Hierosolymitae universi, et baptizabantur ab eo.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit en Mt 3, 5 : Tous les habitants de Jérusalem accouraient vers lui et ils étaient baptisés par lui.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les enfants devaient-ils recevoir le baptême de Jean ?]

[13745] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debuerunt illo Baptismo pueri baptizari. Erat enim ille Baptismus signum Baptismi Christi. Sed Baptismus Christi competit pueris. Ergo et ille.

1. Il semble que les enfants devaient être baptisés de ce baptême. En effet, ce baptême était le signe du baptême du Christ, Or, le baptême du Christ convient aux enfants. Donc, celui-là aussi.

[13746] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, circumcisio dabatur etiam pueris, et eis principaliter. Sed Baptismus Joannis est medium inter circumcisionem et Baptismum Christi, qui datur indifferenter magnis et parvis. Ergo et Baptismus Joannis parvis dari debuit.

2. La circoncision était aussi donnée aux enfants, et principalement à eux. Or, le baptême de Jean occupe le milieu entre la circoncision et le baptême du Christ, qui est donné indifféremment aux grands et aux petits. Le baptême de Jean aussi devait donc être donné aux petits.

[13747] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, quia Baptismus ille erat ut assuescerent ad Baptismum Christi. Sed hoc non poterat esse nisi ratione illorum qui discretionem habebant. Ergo pueris ille Baptismus non competebat.

S.c. 1 – Le but de ce baptême était d’habituer au baptême du Christ. Or, cela ne pouvait être le cas que pour ceux qui avaient [l’âge de] discrétion. Ce baptême ne convenait donc pas aux enfants.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13748] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod Christus pluribus de causis a Joanne baptizari voluit, quarum tres tanguntur in Glossa Marc. 1; scilicet propter humilitatem implendam (ut ipsemet dicit Matth. 3); ut Baptismum Joannis approbaret, et ut aquas consecraret suae carnis tactu, et sic Baptismum suum institueret. Quartam causam tangit Augustinus, ut scilicet ostenderet non interesse quis a quo baptizaretur. Quintam tangit in Lib. quaestionum veteris et novi testamenti, scilicet ad exemplum Baptismi proponendum illis qui erant futuri filii Dei per fidem. Sextam tangit Chrysostomus, ut scilicet in Baptismo miracula ostendens, evacuaret illorum errorem qui Joannem Christo majorem credebant.

Le Christ a voulu être baptisé par Jean pour plusieurs raisons, dont trois sont abordées dans Mc 1 : pour accomplir l’humilité (comme il le dit lui-même en Mt 3) ; pour approuver le baptême de Jean et pour consacrer les eaux par le contact de sa chair, et ainsi, pour instituer son propre baptême. Augustin donne une quatrième raison : pour montrer que celui par qui on serait baptisé n’a pas d’importance. Il en donne une cinquième dans le Livre des questions de l’Ancien et du Nouveau Testament : pour proposer l’exemple du baptême à ceux qui devaient devenir les fils de Dieu par le baptême. Chrysostome en donne une sixième : afin qu’en montrant des miracles dans le baptême, il chasse l’erreur de ceux qui croyaient que Jean était plus grand que le Christ.

[13749] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est, Christus a sacramentis nihil accepit; et ideo non dicitur Baptismus Joannis Baptismus poenitentiae quo ad Christum, sed quo ad alios qui ad poenitentiam per ipsum praeparabantur; sicut etiam circumcisio Christi non fuit in remedium originalis peccati, a quo Christus immunis erat.

1. Comme on l’a dit, le Christ n’a rien reçu des sacrements. Aussi le baptême de Jean n’est-il pas appelé baptême de pénitence pour le Christ, mais pour les autres qui étaient préparés par lui à la pénitence, de même que la circoncision du Christ n’était pas un remède pour le péché originel, dont le Christ était exempt.

[13750] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actio Christi nostra est instructio, non ut eodem modo agamus sicut Christus fecit, sed ut pro modo nostro Christum imitemur; et ideo per Baptismum suum dedit nobis exemplum, ut baptizaremur illo Baptismo qui nobis competit, per quem scilicet remissionem peccatorum consequamur.

2. L’action du Christ est pour nous un enseignement, non pas pour que nous agissions comme le Christ l’a fait, mais pour que nous imitions le Christ à notre façon. C’est pourquoi il nous a donné l’exemple par son baptême, afin que nous soyons baptisés du baptême qui nous convient, à savoir, par celui dont nous obtenons la rémission des péchés.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13751] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Augustinus in Lib. de Baptismo contra Donatistas, si Joannes solum Christum baptizasset, videretur melioris Baptismi dispensator, quanto melior erat qui baptizabatur, et si omnes baptizasset videretur quod Christi Baptismus non sufficeret ad salutem; et ideo quosdam alios baptizavit, sed non omnes.

 

Comme le dit Augustin dans le Livre sur le baptême contre les donatistes, si Jean n’avait baptisé que le Christ, il aurait paru être le dispensateur d’un baptême meilleur, et s’il avait baptisé tout le monde, il semblerait que le baptême du Christ ne suffisait pas au salut. C’est pourquoi il en a baptisé certains autres, mais pas tous.

 

[13752] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis alii a Baptismo Joannis non acciperent gratiam; accipiebant tamen quoddam signum gratiae suscipiendae, et servandae poenitentiae.

1. Bien que les autres n’aient pas reçu la grâce par le baptême de Jean, ils recevaient cependant un certain signe de la grâce à recevoir et de la pénitence à observer.

[13753] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

2. La solution ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13754] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Baptismus Joannis erat Baptismus poenitentiae; et quia pueris non competit poenitentia, ideo non competebat eis ille Baptismus. Nec est simile de Baptismo Christi et circumcisione, quae ordinantur contra originale peccatum, quod in pueris est.

Le baptême de Jean était un baptême de pénitence. Et parce que la pénitence ne convient pas aux enfants, ce baptême ne leur convenait pas non plus. Mais il n’en est pas de même du baptême du Christ et de la circoncision, qui sont ordonnés contre le péché originel, qui existe chez les enfants.

[13755] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Par cela, ressort clairement la solution aux objections.

 

 

Articulus 4 [13756] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 tit. Utrum baptizati Joannis Baptismate, iterum baptizari debuerint

Article 4 – Est-ce que ceux qui ont été baptisés du baptême de Jean devaient être baptisés de nouveau ?

Ad quartum sic proceditur. Videtur quod baptizati Baptismo Joannis, non debebant baptizari Baptismo Christi. Actor. enim 8 dicitur, quod apostoli in Samariam venientes, illos qui baptizati erant in nomine Jesu, non baptizabant, sed tantum manus imponebant. Cum ergo Baptismus in nomine Jesu sine collatione spiritus sancti sit Baptismus Joannis, videtur quod baptizati Baptismo Joannis, non baptizabantur Baptismo Christi.

1. Il semble que ceux qui ont été baptisés du baptême de Jean ne devaient pas être baptisés du baptême du Christ. En effet, il est dit, dans Ac 8, que les apôtres, venus en Samarie, ne baptisaient pas ceux qui avaient été baptisés au nom de Jésus, mais leur imposaient seulement les mains. Puisque le baptême au nom de Jésus sans réception de l’Esprit Saint est le baptême de Jean, il semble donc que ceux qui étaient baptisés du baptême de Jean n’étaient pas baptisés du baptême du Christ.

[13758] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, Hieronymus super illud: effundam de spiritu meo, dicit: quod haec est causa quare quidam baptizati a Joanne, Baptismo Christi iterum baptizati sunt a Paulo, Actor. 20 quia fidem Trinitatis non habebant, quia neque si spiritus sanctus est audierant. Si ergo aliqui baptizati essent a Joanne, fidem Trinitatis habentes, videtur quod iterum baptizari non debuerint Baptismo Christi.

2. À propos de : Je répandrai mon Esprit, Jérôme dit que c’est la raison pour laquelle certains, qui avaient été baptisés par Jean, ont été baptisés de nouveau par Paul du baptême du Christ, Ac 20, car ils n’avaient pas la foi en la Trinité, n’ayant pas même entendu parler de l’existence de l’Esprit Saint. Si donc certains avaient été baptisés par Jean en ayant la foi en la Trinité, il semble qu’ils ne devaient pas être baptisés de nouveau du baptême du Christ.

[13759] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, in apostolis debuit ostendi omne illud quod est necessarium ad salutem. Sed apostolis post Baptismum Joannis solus Baptismus spiritus sancti praenuntiatur, Actor. 1. Ergo non erat necessarium quod Baptismo Christi iterum baptizarentur.

3. Tout ce qui est nécessaire au salut devait être montré chez les apôtres. Or, après le baptême de Jean, seul le baptême de l’Esprit Saint est annoncé à l’avance, Ac 1. Il n’était donc pas nécessaire qu’ils soient baptisés à nouveau du baptême du Christ.

[13760] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, ad Baptismum requiritur aqua et spiritus sanctus. Sed per Baptismum Joannis erat facta ablutio aquae. Ergo non oportebat nisi quod suppleretur quod deerat, scilicet spiritus sanctus.

4. Pour le baptême, sont requis l’eau et l’Esprit Saint. Or, par le baptême de Jean, était réalisée une ablution par l’eau. Il n’était donc nécessaire de suppléer qu’à ce qui manquait, à savoir, l’Esprit Saint.

Sed contra est quod dicitur Joannis 3, 5: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei. Sed Baptismus Joannis non regenerabat aliquo modo. Ergo necessarium erat ut iterum Baptismo Christi baptizarentur.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit en Jn 3, 5 : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Or, le baptême de Jean ne regénérait d’aucune façon. Il était donc nécessaire qu’ils soient de nouveau baptisés du baptême du Christ.

[13762] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 S.c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod baptizabat Joannes et non est baptizatum. Sed de necessitate salutis tempore gratiae est quod homo sit baptizatus, vel saltem propositum Baptismi habuerit. Ergo oportebat eos qui Baptismum Joannis acceperant, iterum baptizari Baptismo Christi.

S.c. 2 – Augustin dit que Jean baptisait, mais qu’on n’était pas baptisé. Or, au temps de la grâce, il est nécessaire au salut que l’homme soit baptisé ou, au moins, qu’il ait le propos du baptême. Il était donc nécessaire que ceux avaient reçu le baptême de Jean soient de nouveau baptisés du baptême du Christ.

[13763] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 S.c. 3 Praeterea, impositio manuum praecedente Baptismo Joannis non imprimebat characterem baptismalem. Sed character talis est de necessitate salutis vel in actu vel in proposito. Ergo oportebat quod baptizati Baptismo Joannis iterum baptizarentur Baptismo Christi, et non sufficiebat eis manus impositio.

S.c. 3 – L’imposition des mains, précédée du baptême de Jean, n’imprimait pas de caractère baptismal. Or, un tel caractère est nécessaire au salut, soit en acte, soit en intention. Il était donc nécessaire que ceux qui avaient été baptisés du baptême de Jean soient de nouveau baptisés du baptême du Christ, et l’imposition des mains ne suffisait pas pour eux.

[13764] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod Baptismus Joannis erat praeparatorius ad Christum suscipiendum; et ideo si quis Baptismum Joannis suscepisset in eo sistens, non referens ad Christum, Baptismus in eo frustraretur a fine suo; et ideo oportebat eum iterum baptizari Baptismo Christi. Si autem non figeret spem suam in Baptismo Joannis, sed ulterius referret ad Christum, sic ex gratia Christi et Baptismo Joannis praeaccepto efficiebatur quasi unum quid; et ideo non oportebat quod iterum aqua baptizaretur, sed solum quod spiritum sanctum per manus impositionem acciperet; et haec videtur fuisse Magistri opinio in littera. Sed quia sacramenta novae legis ex ipso opere operato efficaciam habent, ideo videtur quod spes et fides illius qui Baptismum suscipit, nihil faciat ad sacramentum, quamvis posset facere ad rem sacramenti impediendam vel promovendam. Unde quantumcumque spem suam aliquis ad Christum referret baptizatus Baptismo Joannis, Baptismum novae legis non consequebatur; et ideo si Baptismus novae legis est de necessitate salutis, oportebat quod iterum illo Baptismo baptizaretur. Praeterea est generale in omnibus sacramentis, quod si omittatur quod est de substantia sacramenti, oportet id sacramentum iterari. Unde cum non esset forma debita in Baptismo Joannis, oportebat quod iteraretur Baptismus. Et hoc habet communior opinio, quae etiam ex verbis Augustini confirmatur, qui dicit super Joan., Hom. 5: qui baptizati sunt Baptismate Joannis, non eis sufficit: baptizandi enim sunt Baptismate Christi.

Réponse de l’article 4

 

À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, certains disent que le baptême de Jean préparait à recevoir le Christ ; ainsi, si quelqu’un avait reçu le baptême de Jean en le mettant en rapport avec lui, sans le mettre en rapport avec le Christ, le baptême était privé de sa fin chez lui. C’est pourquoi il était nécessaire qu’il soit de nouveau baptisé du baptême du Christ. Mais s’il ne mettait pas son espoir dans le baptême de Jean, mais s’en rapportait au Christ, ainsi une seule chose était pour ainsi dire réalisée par la grâce du Christ et par le baptême de Jean reçu auparavant. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’il soit de nouveau baptisé dans l’eau, mais seulement qu’il reçoive l’Esprit Saint par l’imposition des mains. Telle semble avoir été l’opinion du Maître dans le texte. Mais parce que les sacrements de la loi nouvelle ont une efficacité ex opere operato, il semble que l’espérance et la foi de celui qui reçoit le baptême ne contribuent en rien au sacrement, bien qu’elles puissent empêcher la réalité du sacrement ou y contribuer. Autant que celui qui a été baptisé du baptême de Jean ait mis son espérance en rapport avec le Christ, il ne recevait donc pas un sacrement de la loi nouvelle. Ainsi, si le baptême de la loi nouvelle est nécessaire au salut, il était nécessaire qu’il soit de nouveau baptisé de ce baptême. De plus, c’est un point commun de tous les sacrements que si l’on omet quelque chose qui fait partie de la substance du sacrement, il est nécessaire que le sacrement soit réitéré. Aussi, puisque la forme appropriée ne se trouvait pas dans le baptême de Jean, il était nécessaire que le baptême soit renouvelé. C’est ce que soutient l’opinion plus commune, qui est aussi confirmée par les paroles d’Augustin, qui dit, dans la cinquième homélie sur Jean : «À ceux qui ont été baptisés du baptême de Jean, cela ne suffit pas : en effet, ils doivent être baptisés du baptême du Christ.»

[13765] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 ad 1 Et ideo secundum hoc dicendum ad primum, quod ibi agitur de illis qui baptizati erant a Philippo, de quo constat quod Baptismo Christi baptizaverat. Sed non erat ibi spiritus sanctus ad robur, sicut in confirmatione datur: quia ille non fuit Philippus apostolus, sed unus de septem diaconibus, et ideo non poterat manus imponere, quia hoc episcoporum est; et propter hoc missi sunt ad hoc Petrus et Joannes.

1. Il s’agit là de ceux qui avaient été baptisés par Philippe; il est donc ainsi clair que [celui-ci] avait baptisé du baptême du Christ. Mais l’Esprit Saint n’était pas là pour donner la force, comme il est donné dans la confirmation, car celui-ci n’était pas l’apôtre Philippe, mais un des sept diacres. Aussi ne pouvait-il pas imposer les mains, car cela appartient aux évêques. Pour cette raison, Pierre et Jean ont été envoyés pour l’accomplir.

[13766] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Hieronymus non vult tangere causam rebaptizationis, sed insufficientiam fidei ipsorum ad salutem, ut patet ex verbis praecedentibus. Praemittit enim: qui dicit se credere in Christum, et non credit in spiritum sanctum, nondum habet claros oculos. Insufficientiam autem fidei non posset esse causa quare aliqui baptizarentur, sed quare instruendi essent, sicut et nunc fit.

2. Jérôme ne veut pas aborder la cause de la réitération du baptême, mais l’insuffisance de leur foi pour le salut, comme cela ressort clairement de ce qui précédait. En effet, il avait dit : «Celui qui dit croire au Christ et ne croit pas en l’Esprit Saint, n’a pas encore un regard éclairé.» Or, l’insuffisance de la foi ne pourrait être la raison pour laquelle certains étaient baptisés, mais la raison pour laquelle ils devraient être enseignés, comme on le fait maintenant.

[13767] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli creduntur baptizati fuisse Baptismo Christi, quamvis scriptum non inveniatur, ut dicitur in Glossa Joan. 13 super illud: qui lotus est, non indiget nisi ut pedes lavet. Ex quo enim ipsi alios baptizabant, ut habetur Joan. 3, videtur quod et ipsi venientes ad Christum baptizati fuerint. Si tamen Christus, qui habuit potestatem remittendi peccata, et qui virtutem suam sacramentis non alligavit, eos sine Baptismo ex privilegio quodam sanctificare voluisset, non esset ad consequentiam trahendum. Ex auctoritate autem inducta non habetur quod apostoli tantum Baptismo Joannis baptizati erant; sed comparatio quaedam Baptismi flaminis ad Baptismum Joannis.

3. On croit que les apôtres avaient été baptisés du baptême du Christ, bien qu’on ne le trouve pas écrit, comme on le dit dans la Glose sur Jn 13, à propos de : Celui qui a pris un bain n’a besoin que de se laver les pieds. En effet, du fait qu’ils en baptisaient d’autres, comme on le trouve en Jn 3, il semble que ceux qui venaient vers le Christ avaient été baptisés. Cependant, si le Christ, qui avait le pouvoir de remettre les péchés et qui n’a pas lié sa puissance aux sacrements, avait voulu les sanctifier par privilège sans le baptême, cela ne devrait pas entraîner de conséquence. Mais, à partir de l'autorité invoquée, on ne voit pas que les apôtres aient été baptisés seulement du baptême de Jean; mais il existe une certaine comparaison entre le baptême de feu et le baptême de Jean.[1]

[13768] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad Baptismum requiritur aqua cum debita forma. Joannes autem non observabat formam Baptismi Christi, nec iterum erat in eo efficacia sicut in Baptismo Christi; et ideo, quia omittebantur ea quae erant de necessitate sacramenti, oportebat iterum baptizari.

4. Pour le baptême, l’eau est nécessaire, accompagnée de la forme appropriée. Or, Jean n’observait pas la forme du baptême du Christ, et celui-ci n’avait pas non plus l’efficacité du baptême du Christ. C’est pourquoi, parce qu’était omis ce qui est nécessaire pour le sacrement, il fallait être baptisé de nouveau.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 2

[13769] Super Sent., lib. 4 d. 2 q. 2 a. 4 expos. Quorum alia remedium contra peccatum praebent (...) alia gratia et virtute nos fulciunt. Omnia sacramenta novae legis sunt in remedium, et gratiam conferunt, ut dictum est. Ergo distinctio illa nulla videtur. Et dicendum, quod illa distinctio sacramentorum sumitur secundum id ad quod principaliter ordinantur. Quamvis ergo omnia sacramenta aliquo modo gratiam conferant, et in remedium sint, quaedam tamen principaliter ordinata sunt in remedium, contra aliquem specialem morbum, ut matrimonium contra concupiscentiam; quaedam vero de sui propria intentione sunt ordinata ad remedium morbi, et ad gratiam, sicut Baptismus, qui est spiritualis regeneratio, per quam vetus homo corrumpitur, et novus generatur; quaedam autem, quia gratiam praesupponunt, ordinantur ad gratiae perfectionem sicut Eucharistia; et sic intelligenda sunt verba Magistri: non utique propter remedium, sed ad sacramentum; et debet accipi sacramentum large pro quolibet signo rei sacrae. Baptismum Christi Joannes suo Baptismo praenuntiavit. Ideo Baptismus Christi potius quam alia sacramenta novae legis praeparatorium habuit, quia Baptismus est janua sacramentorum, et ipse facit aliis viam; unde praeparatorio sacramenta alia non indigebant. Iterum baptizabantur, immo verum Baptisma accipiebant. Ex hoc patet quod praecedens Baptismus non reputabatur aliquibus pro Baptismo: quia qui Baptisma Christi accipiebant, non iterato baptizabantur, sed verum Baptisma de novo accipiebant; et ideo quasi corrigens quod dixerat: iterum baptizabantur, addit, immo verum Baptisma accipiebant; et sic Magister per verba Hieronymi suam intentionem probare non potest.

 

 

 

BAPTÊME

 

 

Distinctio 3

Distinction 3 – [Les sacrements en particulier : le baptême en lui-même]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le baptême]

 

Prooemium

Prologue

[13770] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae praeexiguntur ad sacramenta novae legis, hic incipit determinare de singulis sacramentorum novae legis; et dividitur in partes duas: in prima determinat de illis sacramentis quae sunt ordinata in remedium unius personae; in secunda de illis quae sunt ordinata in remedium totius Ecclesiae; 24 dist., ibi: nunc ad considerationem sacrae ordinationis accedamus. Prima dividitur in tres: in prima determinat de sacramento intrantium, scilicet Baptismo, in secunda de sacramentis progredientium, 7 dist., ibi: nunc de sacramento confirmationis addendum est; in tertia de sacramento exeuntium, scilicet extrema unctione, 23 dist., ibi: praeter praemissa est aliud sacramentum, scilicet unctio infirmorum. Prima in tres: in prima determinat de Baptismo secundum se; in secunda de Baptismo per comparationem ad recipientes, 4 dist., ibi: hic dicendum est, aliquos suscipere sacramentum et rem sacramenti etc.; in tertia secundum comparationem ad ministrantes, 5 dist., ibi: post haec sciendum est, sacramentum Baptismi a bonis et a malis ministris dari. Prima in duas: in prima determinat de Baptismo secundum se; in secunda determinat de eo per comparationem ad circumcisionem, ibi: solet etiam quaeri, si circumcisio amisit statim vim suam ab institutione Baptismi. Prima in duas: in prima determinat quid est Baptismus; in secunda de his quae ad Baptismum requiruntur, ibi: sed quod est illud verbum quo accedente ad elementum fit sacramentum ? Haec pars dividitur in tres secundum tria quae exiguntur ad Baptismum: in prima enim determinat de forma Baptismi; in secunda de materia ejus, ibi: celebratur autem hoc sacramentum tantum in aqua; in tertia de ipso actu ablutionis vel immersionis, ibi: de immersione vero si quaeritur quomodo fieri debeat, praecise respondemus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prima in duas: in prima determinat de forma Baptismi; in secunda de institutione ipsius, ibi: de institutione Baptismi quando coepit, variae sunt aestimationes. Circa primum duo facit: primo determinat formam Baptismi; secundo movet quamdam quaestionem circa formam Baptismi, et determinat eam, ibi: hic quaeritur, an Baptismus esset verus, si diceretur, in nomine patris tantum et cetera. Prima in duas: in prima determinat formam principalem Baptismi; in secunda quamdam formam secundariam pro tempore observatam, ibi: legitur tamen in actibus apostolorum, apostolos baptizasse in nomine Christi. Solet etiam quaeri, si circumcisio amisit statim vim suam ab institutione Baptismi. Hic determinat de Baptismo per comparationem ad circumcisionem, et circa hoc tria facit: primo determinat cessationem circumcisionis; secundo institutionem Baptismi, ibi: causa vero institutionis Baptismi est innovatio mentis; tertio effectum utriusque, ibi: si quaeritur, utrum Baptismus aperuerit caelum, quod non aperuit circumcisio; dicimus, quia nec Baptismus nec circumcisio, regni nobis aditum aperuit, sed hostia salvatoris. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit Baptismus; 2 de forma ipsius; 3 de materia ejus; 4 de intentione; 5 de institutione.

Après que le Maître a précisé ce qui est préexigé aux sacrements de la loi nouvelle, il commence ici à préciser ce qui concerne chacun des sacrements de la loi nouvelle. Cela est divisé en deux parties : dans la première, il précise ce qui concerne les sacrements qui sont ordonnés à être un remède pour l’individu ; dans la seconde, ce qui concerne [les sacrements] ordonnés à être un remède pour toute l’Église, d. 24, à cet endroit : «Mainteant, venons-en à l’examen de cette sainte ordination.» La première partie est divisée en trois parties. Dans la première, il précise ce qui concerne le sacrement de ceux qui entrent, à savoir, le baptême ; dans la deuxième, les sacrements de ceux qui progressent, d. 7, à cet endroit : «Maintenant, il faut ajouter à propos du sacrement de confirmation» ; dans la troisième, le sacrement de ceux qui partent, d. 23, à cet endroit : «En plus de ce qui a été dit, il y a un autre sacrement, l’onction des malades.» Dans la première [partie], il précise ce qui concerne le baptême en lui-même ; dans la deuxième, le baptême en rapport avec ceux qui le reçoivent, d. 4, à cet endroit : «Il faut dire ici que certains reçoivent le sacrement et la réalité du sacrement, etc.» ; dans la troisième, en rapport avec ceux qui l’administrent, d. 5, à cet endroit : «Après cela, il faut savoir que le sacrement de baptême peut être donné par des ministres bons et des ministres mauvais.» La première partie est divisée en deux : dans la première, il précise ce qui concerne le baptême en lui-même ; dans la deuxième, il précise ce qui le concerne en rapport avec la circoncision, à cet endroit : «On a aussi l’habitude de se demander si la circoncision a perdu sa puissance depuis l’institution du baptême.» La première se divise en deux parties : dans la première, il précise ce qu’est le baptême ; dans la seconde, ce qui est est requis pour le baptême, à cet endroit : «Mais quelle est cette parole qui, en étant associée à l’élément, fait que le sacrement existe ?» Cette partie est divisée en trois, selon les trois choses qui sont exigées pour le baptême : dans la première, il précise la forme du baptême ; dans la deuxième, sa matière, à cet endroit : «Mais ce sacrement n’est célébré que dans l’eau» ; dans la troisième, l’acte même d’ablution ou d’immersion, à cet endroit : « À propos de l’immersion, si l’on demande comment elle doit être faite, nous répondons précisément.» La première partie [est divisée] en deux [parties] : dans la première, il précise la forme du baptême ; dans la seconde, son institution, à cet endroit : «À propos de l’institution du baptême et du moment où il a commencé, les opinions varient.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il précise la forme du baptême ; deuxièmement, il soulève une question à propos de la forme du baptême et la tranche, à cet endroit : «Ici, on demande si ce serait un vrai baptême si l’on disait ; “Au nom du Père” seulement, etc.» La première partie se divise en deux : dans la première, il précise la forme principale du baptême ; dans la seconde, il indique une forme secondaire utilisée temporairement, à cet endroit : «On lit cependant, dans les Actes des apôtres, que les apôtres ont baptisé au nom du Christ.» On a aussi coutume de demander si la circoncision a perdu immédiatement sa puissance à partir de l’institution du baptême. Ici, il précise ce qui concerne le baptême en rapport avec la circoncision et, à ce propos, il fait trois choses : premièrement, il précise la cessation de la circoncision ; deuxièmement, l’institution du baptême, en cet endroit : «Mais la raison de l’institution du baptême est le renouvellement de l’esprit» ; troisièmement, l’effet des deux, en cet endroit : «Si l’on demande si le baptême a ouvert le ciel, que n’a pas ouvert la circoncision, nous disons que ni le baptême ni la circoncision ne nous ont ouvert l’accès au royaume, mais la victime qu’est le Sauveur.» Ici, on pose cinq questions : 1 – Qu’est-ce que le baptême ? 2 – La forme du baptême. 3 – La matière du baptême. 4 – L’intention du baptême. 5 – L’institution du baptême.

 

 

 

Articulus 1 [13771] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum Baptismi definitio assignata sit conveniens

Article 1 – Est-ce que la définition qui est donnée du baptême est appropriée ?

 

 

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que la définition qui est donnée du baptême est appropriée ?]

 

[13772] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter sit assignata haec definitio Baptismi quae in littera ponitur, scilicet: Baptismus est ablutio corporis exterior, facta sub forma praescripta verborum. Manente enim definito, manet definitio. Sed transeunte ablutione, quae est quaedam actio, vel passio, manet Baptismus. Ergo Baptismus non est ablutio.

 

1. Il semble que la définition du baptême donnée dans le texte soit inappropriée : «Le baptême est l’ablution extérieure du corps, faite selon la forme prescrite pour les paroles.» En effet, si ce qui est défini demeure, la définition demeure. Or, alors que l’ablution passe (elle est une action ou une passion), le baptême demeure. Le baptême n’est donc pas une ablution.

[13773] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sacramentum, secundum Hugonem, est materiale elementum. Ablutio autem non est materiale elementum, sed elementi usus. Ergo Baptismus, cum sit sacramentum, non erit ablutio.

2. Selon Hugues, le sacrement est un élément matériel. Or, l’ablution n’est pas un élément matériel, mais l’usage d’un élément. Puisqu’il est un sacrement, le baptême ne sera donc pas une ablution.

[13774] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramentum est in genere relationis, cum sit causa, vel signum, sicut supra dictum est. Sed Baptismus est sacramentum. Ergo inconvenienter ponitur in genere actionis vel passionis.

3. Le sacrement se situe dans le genre de la relation puisqu’il est une cause ou un signe, comme on l’a dit plus haut. Or, le baptême est un sacrement. Il est donc mal situé dans le genre de l’action ou de la passion.

[13775] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in definitione instrumenti debet poni illud ad quod est. Sed Baptismus, sicut et alia sacramenta, ut prius dictum est, sunt instrumenta sanctificationis. Ergo cum in definitione ejus nulla mentio fiat de sanctificatione, videtur inconvenienter esse assignata.

4. Dans la définition de l’instrument, il ne faut pas mettre ce à quoi il est destiné. Or, le baptême, comme les autres sacrements, ainsi qu’on l’a déjà dit, sont des instruments de sanctification. Puisque aucune mention n’est faite de la sanctification dans la définition, il semble donc que [la définition] soit donnée de manière inappropriée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La définition du baptême par Hugues de Saint-Victor est-elle appropriée ?]

[13776] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam inconvenienter assignetur definitio Hugonis, quae talis est: Baptismus est aqua diluendis criminibus sanctificata per verbum Dei. Nihil enim fit in seipso. Sed Baptismus in aqua fit. Ergo Baptismus non est aqua.

1. Il semble que la définition de Hugues soit aussi donnée de manière inappropriée. La voici : «Le baptême est de l’eau sanctifiée par la parole de Dieu en vue de détruire les fautes.» En effet, rien n’est réalisé en soi-même. Or, le baptême est réalisé par l’eau. Le baptême n’est donc pas de l’eau.

[13777] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in definitione alicujus non debet poni aliquid quod non sit de essentia ejus. Sed sanctificatio materiae non est de essentia Baptismi: quia in mari vel in flumine potest fieri Baptismus. Ergo sanctificatio aquae non debet poni in definitione Baptismi.

2. Dans la définition d’une chose, il ne faut pas placer quelque chose qui ne fait pas partie de son essence. Or, la sanctification de la matière ne fait pas partie de l’essence du baptême, car le baptême peut s’effectuer dans la mer ou dans une rivière. La sanctification de l’eau ne doit donc pas être mise dans la définition du baptême.

[13778] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, definitio debet converti cum definito. Sed potest esse aqua sanctificata verbo vitae diluendis criminibus, et tamen non erit Baptismus, sicut quando non fit intinctio. Ergo haec non est competens Baptismi definitio.

3. La définition doit être convertible avec ce qui est défini. Or, de l’eau peut être sanctifiée par la parole en vue de détruire les fautes, et cependant ce ne sera pas un baptême, comme lorsqu’on ne mouille pas [avec l’eau]. Il ne s’agit donc pas d’une définition adéquate du baptême.

[13779] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, effectus qui potest impediri, non debet poni in definitione causae, quia tunc definitio esset minus quam definitum. Sed potest impediri quod per Baptismum non diluantur crimina. Ergo non debet ablutio criminum in definitione Baptismi poni.

4. L’effet qui peut être empêché ne doit pas être mis dans la définition de la cause, car alors la définition serait moindre que ce qui est défini. Or, le fait que soient détruites les fautes par le baptême peut être empêché. L’ablution des fautes ne doit donc pas être placée dans la définition du baptême.

Quaestiuncula 3

[13780] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam inconvenienter assignetur definitio Dionysii, quam ponit 2 cap. Cael. Hier., ubi dicit: quoddam ergo est principium sanctissimorum mandatorum sacrae actionis, ad aliorum divinorum eloquiorum et sacrarum actionum susceptivam opportunitatem, formans nostros animales habitus ad supercaelestis quietis anagogem, nostrum iter faciens, sacrae et divinissimae nostrae regenerationis traditio. Principium enim reducitur ad genus principiatorum. Sed sacramentum non est in genere principii, sed in genere sacramenti. Ergo non debet dici principium sanctissimorum mandatorum.

Sous-question 3 – [La définition du baptême par Denys est-elle appropriée ?]

1. Il semble que la définition donnée par Denys soit aussi donnée de manière inappropriée. Il la donne dans la Hiérarchie céleste, II, où il dit : «Il est le commencement des très saints commandements concernant l’action sainte, donnnant la possibilité de recevoir les paroles divines et les actions saintes, donnant forme aux comportements de notre âme [«comportement animaux» : voir ad 3] en vue de l’amener au repos au plus haut des cieux, traçant notre chemin, nous donnant une sainte et très divine régénération.» En effet, le principe se ramène au genre de ce qui est soumis au principe. Or, le sacrement ne se situe pas dans le genre du commencement, mais dans le genre du sacrement. Il ne doit donc pas être appelé le commencement des très saints commandements.

[13781] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non dicitur esse principium sanctorum mandatorum nisi inquantum praeparat viam ad alia mandata. Ergo superfluum fuit postea addere: ad susceptivam opportunitatem aliorum nos formans.

2. Il n’est appelé le commencement des saints commandements que dans la mesure où il prépare le chemin pour les autres commandements. Il était donc superflu d’ajouter par la suite : «Donnant la possibilité de recevoir les autres [commandements].»

[13782] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nihil potest formari ad divina eloquia nisi quod est perceptivum eorum. Sed hoc quod est animale in nobis, non percipit divina eloquia, sed solum hoc quod est rationale. Ergo male dixit: formans animales habitus ad divina eloquia.

3. Rien ne peut être formé aux paroles divines si on ne les perçoit pas. Or, ce qui est animal [les «comportements animaux»] en nous ne perçoit pas les paroles divines, mais seulement ce qui est raisonnable. Il s’est donc mal exprimé [en disant] : «Donnant forme aux comportements animaux en vue des paroles divines.»

[13783] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, forma et materia sunt de essentia rei. Sed ipse nullam mentionem facit de materia et forma Baptismi. Ergo videtur quod insufficienter definiat.

4. La forme et la matière font partie de l’essence d’une chose. Or, il ne fait aucune mention de la matière et de la forme du baptême. Il semble donc qu’il la définit de manière insuffisante.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La définition du baptême par [Jean] Damascène est-elle appropriée ?]

[13784] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter assignetur definitio quam Damascenus ponit in 4 Lib. cap. 10, sic dicens: Baptismus est per quem primitias spiritus sancti accipimus, et principium alterius vitae fit nobis regeneratio et sigillum et custodia et illuminatio. Aliqui enim prius habent spiritum sanctum et spiritualem vitam, quam Baptismum consequantur, sicut patet de Cornelio Act. 10. Ergo per Baptismum non semper accipimus primitias spiritus sancti, nec est Baptismus principium alterius vitae in nobis.

1. Il semble que la définition donnée par [Jean] Damascène, le livre IV, ch. 10, soit inappropriée, alors qu’il dit : «Le baptême est ce par quoi nous recevons les prémices de l’Esprit Saint et par quoi le principe d’une autre vie devient en nous une régénération, un sceau, une protection et une illumination.» En effet, certains ont l’Esprit Saint et la vie spirituelle avant de recevoir le baptême, comme cela ressort clairement pour Corneille, Ac 10. Nous ne recevons donc pas toujours par le baptême les prémices de l’Esprit Saint, et le baptême n’est pas [toujours] le principe d’une autre vie en nous.

[13785] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, idem non debet poni in definitione sui ipsius. Sed regeneratio est idem quod Baptismus. Ergo non debet poni in definitione Baptismi.

2. La même chose ne doit pas être mise dans la définition d’une chose. Or, la régénération est la même chose que le baptême. Elle ne doit donc pas être mise dans la définition du baptême.

[13786] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, illuminatio non fit nisi per virtutes intellectuales. Sed Baptismus non est intellectualis virtus, sed sacramentum. Ergo non debet sibi attribui illuminatio.

3. L’illumination ne se réalise que par les vertus intellectuelles. Or, le baptême n’est pas une vertu intellectuelle, mais un sacrement. On ne doit donc pas lui attribuer l’illumination.

[13787] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, custodia fit in nobis per divinam providentiam, de qua dicitur in Psalm. 120, 4: ecce non dormitabit neque dormiet qui custodit Israel. Ergo non debet hoc Baptismo attribui.

4. La protection se réalise en nous par la providence divine, dont il est dit dans Ps 120, 4 : Celui qui protège Israël ne dormira jamais. Cela ne doit donc pas être attribué au baptême.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13788] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod secundum doctrinam philosophi in Lib. 2 posteriorum, triplex est genus definitionis. Quaedam enim sunt definitiones materiales, quas dicimus demonstrationis conclusiones: quaedam formales, quae sunt principia demonstrationis: quaedam materiales et formales simul, quae sunt demonstrationes positione differentes: quia habent medium demonstrationis, inquantum continent definitionem formalem, et conclusionem, inquantum continent materialem; sed deest solus ordo terminorum. Quia autem omne completivum quodammodo formale est respectu ejus quod completur, ideo definitio formalis non dicitur quae solum continet formam, sed illa quae continet hoc quod est completivum respectu alterius. Et quia in causis est talis ordo quod materia completur per formam, et forma per efficientem, et efficiens per finem; ideo definitio quandoque materialis dicitur, quae comprehendit tantum materiam rei, formalis autem quae comprehendit formam; sicut, ira est accensio sanguinis circa cor, dicitur materialis definitio; et, ira est appetitus in vindictam, dicitur formalis. Quandoque autem materialis comprehendit formam et materiam; sed formalis causam efficientem, sicut haec dicitur materialis: tonitruum est continuus sonus in nubibus; haec autem formalis: tonitruum est extinctio ignis in nube. Quandoque autem definitio materialis comprehendit materiam et formam et efficientem, formalis autem finem: sicut, domus est coopertorium factum ex lapidibus et lignis per talem modum et talem artem, est definitio materialis respectu hujus: domus est cooperimentum prohibens nos a frigoribus et caumatibus; et hoc praecipue accidit in instrumentis, quia in eis quasi tota ratio speciei a fine sumitur. Et quia Baptismus, cum sit sacramentum, quoddam instrumentum est; ideo definitio materialis ejus erit quae comprehendit materiam et formam ejus et efficientem; et formalis quae comprehendit finem; et sic definitio quam Magister in littera ponit, est materialis. Continet enim materiam in hoc quod dicit: ablutio exterior; et innuit efficientem in hoc quod dicit, facta; et ponit formam in hoc quod dicit, sub forma verborum praescripta. Et sciendum, quod Augustinus, ponit eamdem definitionem, quamvis sub aliis verbis; dicit enim: Baptismus est tinctio in aqua verbo vitae sanctificata.

Selon l’enseignement du Philosophe, dans Analytiques postérieurs, II, il existe trois genres de définition. En effet, certaines sont des définitions matérielles, que nous appelons les conclusions d’une démonstration ; certaines sont formelles, qui sont les principes d’une démonstration ; certaines sont à la fois matérielles et formelles, qui sont les démonstrations différant par la position, car elles ont le moyen terme de la démonstration, pour autant qu’elles contiennent la définition formelle, et la conclusion, pour autant qu’elles contiennent la [définition] matérielle, mais seul manque l’ordre des termes. Or, parce que tout ce qui achève joue en quelque sorte le rôle de forme par rapport à ce qui est achevé, c’est pourquoi on n’appelle pas définition formelle seulement celle qui contient la forme, mais celle qui contient ce qui achève quelque chose d’autre. Et parce que, dans les causes, l’ordre est tel que la matière est achevée par la forme, la forme par la capacité de réaliser et la capacité de réaliser par la fin, c’est pourquoi la définition est parfois appelée matérielle, lorsqu’elle comporte seulement la matière d’une chose, mais formelle, lorsqu’elle comporte la forme, comme «la colère est un afflux de sang au cœur» est appelée une définition matérielle, et «la colère est le désir de vengeance» est appelé une définition formelle. Mais, parfois, la [définition] matérielle comporte la forme et la matière, comme celle-ci est dite [définition] matérielle : «Le tonnerre est un son continu dans les nuages», mais celle-ci est dite formelle : «Le tonnerre est l’extinction du feu dans la nuée.» Mais, parfois, la définition matérielle comporte la matière, la forme et la [cause] efficiente, mais la définition formelle [comporte] la fin, comme «la maison est un abri fait de pierres et de bois de telle manière et selon tel art» en est la définition matérielle, mais «la maison est un abri qui nous protège du froid et de la chaleur» [en est la définition formelle], et cela arrive surtout pour les instruments, car, en eux, presque toute la raison de l’espèce se prend de la fin. Et parce que la baptême, puisqu’il est un sacrement, est un certain instrument, sa définition matérielle sera celle qui comprend sa matière et sa forme, ainsi que sa [cause] efficiente ; sa [définition] formelle [sera celle] qui comprend sa fin. Et ainsi, la définition que le Maître donne dans le texte en est la [définition] matérielle. En effet, elle contient la matière lorsqu’elle dit : «une ablution extérieure», et insinue la [cause] efficiente lorsqu’elle dit : «faite», et elle indique la forme lorsqu’elle dit : «selon la forme prescrite pour les paroles». Et il faut savoir qu’Augustin donne la même définition, bien que sous d’autres mots. Il dit en effet : «Le baptême est un bain dans l’eau sanctifiée par la parole de vie.»

[13789] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in sacramento Baptismi sunt tria. Aliquid quod est sacramentum tantum, sicut aqua quae exterius fluit et transfluit, et non manet; et aliquid quod est sacramentum et res, et hoc semper manet, scilicet character; et aliquid quod est res tantum, quod quandoque manet quandoque transit, scilicet gratia. Magister ergo hic definit Baptismum quantum ad id quod est sacramentum tantum, quia intendit ipsum materialiter definire.

1. Dans le sacrement de baptême, il y a trois choses. Il y a quelque chose qui est le sacrement seulement, comme l’eau qui coule et se répand à l’extérieur, et ne reste pas ; il y a quelque chose qui est le sacrement et une réalité : cela demeure toujours, tel le caractère ; et quelque chose qui est la réalité seulement, qui parfois demeure, parfois passe, comme la grâce. Le Maître définit donc ici le baptême selon ce qui est le sacrement seulement, parce qu’il entend le définir par sa matière.

[13790] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum novae legis est signum et causa gratiae; unde secundum hoc est sacramentum, secundum quod habet significare, et causare. Aqua autem non habet significare et causare effectum Baptismi, nisi secundum quod est abluens. Unde essentialiter Baptismus est ipsa ablutio: quia ad ablutionem interiorem causandam institutus est, quam significando causat ipsa exterior ablutio: sed aqua est materia ejus remota, et ablutio ipsa est materiale Baptismi; sed verbum vitae est forma completiva sacramenti. Augustinus autem et Magister definiunt Baptismum per materiam proximam, quae praedicatur proprie de Baptismo, sicut materia de artificialibus, ut phiala est argentum; sed Hugo definivit per materiam remotam, quae non ita proprie praedicatur, nisi per causam remotam.

2. Le sacrement de la nouvelle loi est signe et cause de la grâce. Ainsi, il est sacrement pour autant qu’il signifie et cause. Mais l’eau par elle-même ne signifie pas et ne cause pas l’effet du baptême, si ce n’est pour autant qu’elle lave. Aussi le baptême est-il essentiellement l’ablution elle-même, parce qu’il a été institué pour causer l’ablution intérieure, que l’ablution extérieure cause en signifiant. Mais l’eau est sa matière éloignée, alors que l’ablution est l’élément matériel du baptême ; cependant, la parole de vie est la forme qui achève le sacremenmt. Mais Augustin et le Maître définissent le baptême par sa matière prochaine, qui est prédiquée en propre du baptême, comme la matière dans les choses artificielles : ainsi la coupe est de l’argent. Mais Hugues l’a défini par sa matière éloignée, qui n’est pas prédiquée aussi proprement, si ce n’est selon la cause éloignée.

[13791] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus, inquantum est sacramentum, est in genere signi vel causae; et in hoc genere constituitur per formam verborum, a qua habet significationem et efficaciam sacramentalem. Sicut autem artificialia non ponuntur in genere ex forma simpliciter, sed ex materia (non enim dicimus quod domus sit in genere qualitatis nisi inquantum artificiale figuratum, sed dicitur esse in genere substantiae), ita etiam est de sacramentis. Baptismus enim simpliciter est in genere ablutionis; sed secundum quid, scilicet inquantum est sacramentum, est in genere relationis.

3. Le baptême, pour autant qu’il est un sacrement, se situe dans le genre du signe ou de la cause. Il est placé dans ce genre par la forme des paroles, de laquelle il tient sa signification et son efficacité sacramentelles. De même que les choses artificielles ne sont pas placées dans un genre simplement par la forme, mais par la matière (en effet, nous ne disons que la maison est dans le genre de la qualité, si ce n’est dans la mesure où elle est une représentation artificielle, mais on dit qu’elle se situe dans le genre de la substance), de même en est-il aussi des sacrements. En effet, le baptême se situe simplement dans le genre de l’ablution, mais de manière relative, car, pour autant qu’il est un sacrement, il se situe dans le genre de la relation.

[13792] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod finis ad quem est sacramentum, est ultimum formale ipsius, a quo sumitur formalis definitio. Magister autem non intendit hic definire Baptismum formaliter, sed materialiter; et ideo sanctificationem praetermisit.

4. La fin pour laquelle existe le sacrement en est l’ultime élément formel, dont se prend la définition formelle. Mais le Maître n’a pas l’intention ici de définir le baptême formellement, mais matériellement. C’est pourquoi il a omis la sanctification.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [13793] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod definitio illa Hugonis complectitur et materiam Baptismi in hoc quod dicit, aqua, et finem in hoc quod dicit, diluendis criminibus, et formam per hoc quod dicit, per verbum vitae sanctificata; unde est definitio composita ex materiali et formali, quasi demonstratio positione differens: et complete essentiam Baptismi complectitur, excepto quod actus ablutionis intermittitur, qui facit materiam proximam Baptismo; quamvis ex aliis quae ponuntur, intelligi possit.

Cette définition d’Hugues embrasse la matière du baptême, lorsqu’elle dit : «l’eau» ; sa fin, lorsqu’il dit : «afin de détruire les fautes» ; et sa forme, lorsqu’il dit : «sanctifiée par la parole de vie». C’est donc une définition composée des éléments matériel et formel, comme une démonstration qui diffère par la position [des éléments]. Et elle embrasse complètement l’essence du baptême, excepté que l’acte de l’ablution, qui constitue la matière prochaine du baptême, est passager, bien qu’on puisse le comprendre à partir des autres choses qui sont présentées.

[13794] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec est propria praedicatio, Baptismus fit in aqua; sed haec est per causam praedicatio, Baptismus est aqua.

1. L’attribution propre est la suivante : le baptême se réalise dans l’eau ; mais l’attribution selon la cause est la suivante : le baptême est de l’eau.

[13795] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ibi non tangitur sanctificatio, nisi illa quae fit per formam Baptismi, quae consistit in invocatione Trinitatis; et haec sanctificatio est de necessitate Baptismi.

2. La sanctification n’est pas abordée là, si ce n’est celle qui se réalise par la forme du baptême, qui consiste dans l’invocation de la Trinité. Et cette sanctification est nécessaire pour le baptême.

[13796] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacramenta non efficiunt nisi id quod figurant. Ex hoc autem ipso quod ponitur dilutio criminum, effectus Baptismi potest accipi: quia Baptismus materialiter non consistit in aqua nisi secundum quod est abluens; quandocumque autem est aqua sanctificata in actu ablutionis, est Baptismus.

3. Les sacrements ne réalisent que ce qu’ils représentent. Par le fait qu’on dit que les fautes sont lavées, l’effet du baptême peut être saisi, car le baptême ne consiste matériellement dans l’eau que selon qu’elle lave. Or, chaque fois que l’eau est sanctifiée lors de l’acte d’ablution, il s’agit du baptême.

[13797] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod idem numero quandoque est effectus alicujus et finis, sicut sanitas est effectus et finis medicantis; sed effectus, secundum quod producitur per actum medici, finis autem secundum quod est intentum a medico. Medicus autem potest impediri a productione sanitatis, sed non ab intentione; et ideo sanitas potest poni in definitione ut est finis, non autem ut est effectus; et similiter dilutio criminum in definitione sacramenti.

4. Parfois, l’effet et la fin d’une chose sont les mêmes numériquement, comme la santé est l’effet et la fin de celui qui soigne, mais elle est l’effet selon qu’elle est produite par l’acte du médecin, et la fin selon que [la santé] est le but du médecin. Or, le médecin peut être empêché de produire la santé, mais non de l’avoir comme but. C’est pourquoi la santé peut être placée dans la définition en tant que fin, mais non en tant qu’effet. De même en est-il des fautes lavées dans la définition du sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13798] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Dionysius ex definitione Baptismi data intendit procedere ad ea quae materialiter in Baptismo requiruntur: unde post hanc definitionem datam, ritum Baptismi ponit; et ideo ponit eam ut demonstrationis principium: et propter hoc est definitio totaliter formalis. Et est sciendum, quod in verbis ejus aliquid ponitur quasi definitum, et aliquid ponitur tamquam definitio. Tamquam definitum ponitur, scilicet traditio sacrae et divinissimae regenerationis. Ista enim est quaedam circumlocutio Baptismi, qua ipse frequenter utitur; et hoc patet ex hoc quod ibi Baptismum non nominat; ut sit sensus: quoddam est principium etc., scilicet sacrae et divinissimae regenerationis traditio. Quasi definitio ponitur hic, quod dicit, principium sanctissimorum mandatorum sacrae actionis. Et ponit tria ad quae Baptismus ordinatur, quae formaliter rationem ejus complent. Unum est quod competit ei secundum quod est janua sacramentorum; et quantum ad hoc dicit, quod est principium sanctissimorum mandatorum sacrae actionis. Actiones enim sacras nominat actiones hierarchicas, scilicet purgare, illuminare, et perficere; quae praecipue in nostra hierarchia consistunt in dispensatione sacramentorum: quae quidem actiones nobis sub praecepto traditae sunt, et ad eas est principium Baptismus quasi eorum janua. Secundum competit sibi inquantum est causa, prout scilicet characterem imprimit, et gratiam confert, secundum quod homo informatur et idoneus redditur ad aliorum sacramentorum perceptionem; et quantum ad hoc dicit, quod est formans per characterem et gratiam nostros animales habitus, idest, vires animae, ad susceptivam opportunitatem, idest ad idoneam et opportunam susceptionem divinorum eloquiorum quantum ad doctrinam fidei, et sacrarum actionum quantum ad alia sacramenta, quae nulli non baptizato debent conferri. Tertium competit sibi inquantum est signum et figura caelestium, et secundum hoc per Baptismum manuducimur in caelestium contemplationem; et quantum ad hoc dicit, quod est faciens iter nostrum, idest praeparans nobis contemplationis viam ad anagogem, idest sursum ductionem, supercaelestis quietis, quae consistit in contemplatione spiritualium. Vel potest dici, quod per secundum tangit finem proximum Baptismi quantum, ad ea quae sunt viae; per tertium autem tangit finem remotum et ultimum, quantum ad ea quae sunt patriae; ad quam nos Baptismus perducit per gratiam, quam confert, quae est res significata et non contenta.

Par la définition du baptême qu’il a donnée, Denys entend s’occuper de ce qui est matériellement exigé dans le baptême. Aussi, après avoir donné cette définition, présente-t-il le rite du baptême. Ainsi la présente-t-il comme un principe de démonstration ; pour cette raison, il s’agit d’une définition totalement formelle. Et il faut savoir que, dans ses paroles, quelque chose est présenté comme ce qui est défini, et quelque chose comme la définition. Comme ce qui est défini, à savoir : «Donnant la régénération sainte et divine, etc.» En effet, il s’agit d’une périphrase pour le baptême, qu’il utilise souvent : cela ressort clairement du fait qu’il ne nomme pas le baptême à cet endroit. Le sens est donc : «Il est le commencement, etc., c’est-à-dire le don d’une régénération sainte et divine.» Comme définition, il dit : «Le commencement des très saints commandements concernant l’action sainte.» Et il présente trois choses qui sont ordonnées au baptême et qui satisfont à sa notion. L’une lui convient en tant qu’il est la porte des sacrements. En rapport avec cela, il dit qu’il est «le commencement des très saints commandements concernant l’action sainte». En effet, il appelle «saintes» les actions hiérarchiques : purifier, illuminer et parfaire, qui consistent principalement, pour notre hiérarchie, dans la dispensation des sacrements. Ces actions nous sont transmises sous forme d’un commandement et le baptême en est pour ainsi dire la porte. La deuxième lui convient en tant qu’il est cause, à savoir, en tant qu’il imprime un caractère et confère la grâce ; par cela, l’homme reçoit une forme et est rendu apte à recevoir les autres sacrements. En rapport avec cela, il dit qu’il «donne forme», par le caractère et la grâce, «aux comportements de notre âme», c’est-à-dire aux puissances de l’âme, «en vue de la possibilité de recevoir», c’est-à-dire, en vue de la réception efficace et opportune des «paroles divines», l’enseignement de la foi, «et des actions saintes», les autres sacrements, qui ne doivent être conférés à personne qui n’est pas baptisé. La troisième lui convient en tant qu’il est signe et figure des choses célestes et que, par le baptême, nous sommes menés à la contemplation des réalités célestes. En rapport avec cela, il dit qu’il «trace notre chemin», c’est-à-dire qu’il nous prépare le chemin de la contemplation, «pour nous conduire au repos qui dépasse les cieux», qui consiste dans la contemplation des réalités spirituelles. Ou bien l’on peut dire que, par le deuxième point, il aborde la fin prochaine du baptême, pour ce qui concerne les réalités qui appartiennent au cheminement, mais qu’il aborde par le troisième sa fin éloignée et ultime, pour ce qui concerne la patrie, à laquelle le baptême nous conduit par la grâce qu’il confère, qui est la réalité signifiée mais non contenue.

[13799] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius determinat de Baptismo secundum quod est actio quaedam hierarchica; et ideo definit principium mandatorum, non quorumlibet sed illorum quibus actiones hierarchicae nobis traduntur.

1. Denys précise ce qu’il en est du baptême en tant qu’il est une action hiérarchique. C’est pourquoi il le définit comme «le commencement des commandements», non pas de n’importe lequel, mais de ceux par lesquels les actions hiérarchiques nous communiquées.

[13800] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per primum tangit tantum ordinem Baptismi ad alia sacramenta, sed per secundum tangit effectum, quo mediante ad alia sacramenta percipienda idonee perducit, ut ex dictis patet.

2. Par le premier point, il n’aborde que l’ordre du baptême aux autres sacrements ; mais, par le deuxième, il en aborde l’effet, par l’intermédiaire duquel il conduit à la réception efficace des autres commandements, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

[13801] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod animales habitus hic dicuntur ab anima, et non ab animalitate, qua scilicet cum aliis animalibus communicamus; ut ostendat quod non solum Baptismus corpus exterius lavat, sed etiam animam interius format.

3. Les «comportemements animaux» sont ainsi appelés à cause de l’âme [anima], et non en raison de l’animalité [animal], que nous avons en commun avec les autres animaux. Il montre ainsi que le baptême ne lave pas seulement le corps à l’extérieur, mais donne forme à l’âme de l’intérieur.

[13802] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec definitio est principium omnium quae Dionysius de Baptismo tradit; unde in principio statim hanc definitionem ponit. Et quia in omnibus quae sunt propter finem et ex fine, debet accipi et forma competens fini, et materia competens formae et fini; ideo in hac definitione non posuit formam et materiam, sed solum ea ad quae Baptismus ordinatur quasi ad finem proximum vel remotum.

4. Cette définition est le point de départ detout ce que Denys dit du baptême ; aussi donne-t-il cette définition dès le début. Et parce que, dans tout ce qui est fait pour une fin ou à partir d’une fin, il faut considérer une forme convenant à la fin et une matière convenant à la forme et à la fin, il n’a pas mis dans cette définition la forme et la matière, mais seulement ce qui est ordonné au baptême comme fin prochaine ou éloignée.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[13803] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod Damascenus praedictam definitionem venatur ex hoc ipso quod Baptismus regeneratio dicitur. Cum enim generatio sit motus ad esse, constat quod Baptismus est per quem nobis traditur spirituale esse. Et quia nullus potest agere actionem alicujus naturae, nisi prius habeat esse in natura illa, ideo concluditur quod Baptismus est principium omnium spiritualium actionum: et secundum hoc Damascenus Baptismum definivit adhuc per priora quam Dionysius, inquantum accipit primum effectum Baptismi, qui est constituere in spirituali vita, ex qua habet quod regeneratio dicatur; et ideo definit Baptismum ut principium spiritualis vitae in hoc quod dicit, principium alterius vitae, scilicet spiritualis, quae est altera a naturali; ut haec generatio sit altera a naturali, et regeneratio dicatur; et iterum ut principium eorum quae ad vitam prima consequuntur, et ideo dicit: per quod fiunt primitiae spiritus, idest primi spiritus effectus in nobis. Hi autem effectus vel consequuntur ipsam generationem, sicut filiatio, vel aliqua talis relatio, et sic per Baptismum dicimur regenerari in filios Dei, et quantum ad hoc dicitur regeneratio, vel consequuntur formam per generationem inductam; et hoc tripliciter. Primo in ordine ad generantem, secundum quod per formam inductam genitus fit similis generanti; et quantum ad hoc dicitur sigillum. Secundo quantum ad esse ipsius geniti, quod per formam conservatur; et quantum ad hoc dicitur custodia. Tertio quantum ad actionem ejus, cujus forma est principium; et quantum ad hoc dicitur illuminatio.

Il faut dire que [Jean] Damascène tire cette définition du fait que le baptême est appelé une régénération. En effet, puisque la génération est un mouvement vers l’existence, il est clair que le baptême est ce par quoi nous est communiquée l’existence spirituelle. Et parce que personne ne peut accomplir l’action d’une nature à moins d’exister d’abord dans cette nature, on en conclut que le baptême est le principe de toutes les actions spirituelles. De ce point de vue, [Jean] Damascène définit le baptême par des éléments encore plus éloignés que ceux de Denys, pour autant qu’il envisage l’effet premier du baptême, qui est d’établir dans la vie spirituelle, à partir de quoi on peut l’appeler une régénération. C’est pourquoi il définit le baptême comme «le principe d’une autre vie», à savoir, [la vie] spirituelle, qui est différente de la vie naturelle, de sorte que cette génération est différente de la génération naturelle et qu’elle est appelée régénération. [Il le définit] aussi comme le principe de ce qui découle en premier lieu de la vie ; il dit donc : «par lequel sont réalisées les prémices de l’Esprit», à savoir, les premiers effets de l’Esprit en nous. Ces effets découlent de la génération elle-même, à savoir, la filiation ou une relation de ce genre, et ainsi, on dit que nous sommes régénérés pour devenir des fils de Dieu. De ce point de vue, [le baptême] est appelé une régénération, ou [ces effets] découlent de la forme reçue par la génération, et cela, de trois manières. Premièrement, par rapport à celui qui engendre, selon que celui qui est engendré est rendu semblable par la forme reçue à celui qui engendre ; de ce point de vue, [le baptême] est appelé un «sceau». Deuxièmement, par rapport à l’existence même de celui qui est engendré, qui est conservée par la forme ; de ce point de vue, [le baptême] est appelé une «protection». Troisièmement, par rapport à l’action de celui dont la forme est le principe ; de ce point de vue, [le baptême] est appelé une «illumination».

[13804] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod primitiae spiritus dantur antequam percipiatur Baptismus actu, sed non antequam percipiatur proposito habituali, sicut in Cornelio; vel actuali, sicut in aliis qui Baptismi fidem habent. Vel dicendum, quod hic loquitur de vita spirituali, secundum quod homo quantum ad exteriora reputatur membrum Ecclesiae, quod non fit ante Baptismum, quia ad actus fidelium nullus ante Baptismum admittitur.

1. Les prémices de l’Esprit sont données avant que le baptême ne soit reçu en acte, mais non avant qu’il ne soit reçu par un propos habituel [du baptême], comme chez Corneille, ou par un [propos] actuel, comme chez les autres qui ont la foi du baptême. Ou bien il faut dire qu’il parle ici de la vie spirituelle selon que l’homme est considéré comme un membre de l’Église pour ce qui est de l’extérieur, ce qui ne se réalise pas avant le baptême, parce que personne n’est admis avant le baptême aux actes des fidèles.

[13805] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod regeneratio ponitur hic pro relatione consequente regenerationem, sicut est filiatio.

2. La régénération est utilisée ici pour la relation qui découle de la régénération, comme c’est le cas de la filiation.

[13806] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam Dionysius, vim illuminativam Baptismo attribuit, quod quidem ei competit inquantum est fidei sacramentum; unde baptizatus jam admittitur ad inspectionem sacramentorum quasi illuminatus: non autem ante debet admitti, ne sancta canibus tradantur secundum Dionysium.

3. Même Denys attribue au baptême une puissance illuminatrice, qui lui convient en tant qu’il est le sacrement de la foi. Ainsi le baptisé, pour autant qu’il est éclairé, est-il admis à observer les sacrements ; mais il ne doit pas y être admis avant, de crainte que les choses saintes ne soient données aux chiens, selon Denys.

[13807] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod custodia conservationem importat: quae quidem est a Deo sicut a principio efficiente, a gratia autem baptismali sicut a principio formali.

4. La protection comporte une conservation : elle vient de Dieu comme principe efficient, mais de la grâce baptismale comme d’un principe formel.

 

 

Articulus 2 [13808] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 tit. Utrum haec verba, ego te baptizo etc., sint de integritate formae baptismalis

Article 2 – Est-ce que ces mots : «Je te baptise, etc.» font partie intégrante de la forme baptismale ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que l’intégrité de la forme du baptême est contenue dans les mots : «Je te baptise au nom du Père, etc.» ?]

 

[13809] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod integritas formae baptismalis non contineatur in his verbis, ego te baptizo in nomine patris et filii et spiritus sancti. Actio enim magis debet attribui principali agenti quam secundario. Sed principalis baptizans est Christus, ut patet Joan. 1, 33, ubi dicitur: hic est qui baptizat; homo autem est tantum minister Baptismi. Ergo magis debuit dici, Christus te baptizat etc. quam ego te baptizo.

1. Il semble que l’intégrité de la forme baptismale ne soit pas contenue dans ces paroles: «Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.» En effet, une action doit être attribuée à l’agent principal plutôt qu’à l’agent secondaire. Or, celui qui baptise à titre d’agent principal est le Christ, comme cela ressort clairement de Jn 1, 33, où il est dit : C’est lui qui baptise; l’homme n’est que le ministre du baptême. Il aurait donc plutôt fallu dire : «Le Christ te baptise, etc.», que : «Je te baptise.»

[13810] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum grammaticos in verbis primae et secundae personae intelligitur nominativus certus et determinatus. Sed baptizo est verbum primae personae. Ergo non fuit necessarium quod adderetur ego.

2. Selon les grammairiens, par les verbes à la première ou à la deuxième personne, on entend un nominatif clair et déterminé. Or, «Je te baptise» [baptizo] est un verbe à la première personne. Il n’était donc pas nécessaire qu’on ajoute : «Je [Ego baptizo

[13811] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramenta habent a divina institutione efficaciam et virtutem. Sed ex forma quam dominus tradidit Matth. ult. 19, ubi dicitur, docete omnes gentes, non potest haberi quod ego te baptizo sit de forma Baptismi: quia hoc participium baptizantes, ponitur ibi ad designandum exercitium actus; non quasi pars formae. Ergo videtur quod non sit de necessitate formae.

3. Les sacrements tiennent leur efficacité et leur puissance de l’institution divine. Or, de la forme que le Seigneur a transmise en Mt 28, 19, où il est dit : Enseignez à toutes les nations, [les baptisant], on ne peut conclure que «Je te baptise» fasse partie de la forme du baptême, car ce participe : les baptisant, est mis là pour désigner l’exercice de l’acte, et non comme une partie de la forme. Il semble donc qu’il fasse nécessairement partie de la forme.

[13812] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, simul dominus praecepit actum docendi et baptizandi, Matth. ult. Sed non exigitur ad docendum quod sacerdos dicat, ego te doceo. Ergo similiter non exigitur ad Baptismum quod dicat, ego te baptizo.

4. Le Seigneur a donné en même temps l’ordre d’enseigner et de baptiser, Mt 28. Or, pour enseigner, il n’est pas exigé que le prêtre dise : «Je t’enseigne.» De la même manière, il n’est pas exigé pour le baptême qu’il dise : «Je te baptise.»

[13813] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, verba non debent dirigi ad eum qui non est verborum sensus perceptivus. Sed quandoque baptizatus non potest percipere sensum verborum, sicut patet quando puer baptizatur. Ergo non debet dicere, baptizo te, sed, baptizo Joannem.

5. Les paroles ne doivent pas être adressées à celui qui ne saisit pas le sens des paroles. Or, parfois, le baptisé ne peut saisir le sens des paroles, comme cela ressort clairement lorsqu’un enfant est baptisé. On ne doit donc pas dire : «Je te baptise», mais : «Je baptise Jean.»

[13814] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, hoc videtur ex modo loquendi quo dominus usus est, ponens baptizandos in tertia persona dicens: baptizantes eos.

6. Cela semble venir de la manière de parler employée par le Seigneur, qui indique ceux qui doivent être baptisés à la troisième personne : «Les baptisant.»

[13815] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 7 Praeterea, materia sacramenti non minus est de essentia sacramenti quam suscipiens illud sacramentum. Sed nulla mentio fit in forma de aqua, quae est materia sacramenti. Ergo non debet fieri mentio de recipiente, ut dicatur: baptizo te.

7. La matière du sacrement ne fait pas moins partie de l’essence du sacrement que celui qui reçoit le sacrement. Or, aucune mention n’est faite de l’eau, qui est la matière du sacrement. Il ne faut donc pas mentionner celui qui reçoit [le sacrement], en disant : «Je te baptise.»

[13816] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 8 Praeterea, Baptismus a passione Christi efficaciam habet, et figura est mortis Christi, ut patet Rom. 6. Ergo potius debuit in Baptismi forma fieri mentio de fide passionis quam de fide Trinitatis.

8. Le baptême reçoit son effiacacité de la passion du Christ et il est la figure de la mort du Christ, comme cela ressort clairement de Rm 6. Il aurait fallu mentionner dans la forme du baptême la foi en la passion plutôt que la foi en la Trinité.

[13817] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 9 Praeterea, omne illud in quo personae non conveniunt, debet de eis pluraliter dici. Sed personae distinguuntur quantum ad nomen: quia nomen filii patri non convenit, nec e converso. Ergo non debuit dici: in nomine patris etc., sed: in nominibus.

9. Tout ce que des personnes n’ont pas en commun doit être dit d’elles au pluriel. Or, les personnes se distinguent par leur nom, car le Fils n’a pas le même nom que le Père, ni inversement. On ne devait donc pas dire : «Au nom du Père, etc.», mais : «Aux noms.»

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Peut-on exprimer autrement la forme du baptême, sans préjudice pour le baptême ?]

[13818] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liceat ea quae in hac forma ponuntur, mutare sine praejudicio Baptismi. Graeci enim hanc formam baptizandi habent: baptizatur servus Christi Nicolaus in nomine patris et filii et spiritus sancti. Sed apud omnes est unum Baptisma. Ergo et noster similiter Baptismus fieri posset.

1. Il semble qu’on puisse changer ce qui est mis dans la forme du baptême, sans préjudice pour le baptême. En effet, les Grecs ont cette forme pour baptiser : «Nicolas, le serviteur du Christ, est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.» Or, il n’y a qu’un seul baptême pour tous. On pourrait donc faire de même pour notre baptême.

[13819] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc quod dicit: ego baptizo te, ponitur in forma ad exprimendum Baptismi actum. Sed actus Baptismi potest effici ab uno et duobus et in unum et in duos. Ergo potest fieri mutatio formae, ut dicatur: nos baptizamus vos.

2. «Je te baptise» est placé dans la forme pour exprimer l’acte du baptême. Or, l’acte du baptême peut être fait par un seul ou par deux, et au nom d’un seul ou de deux. La forme peut donc être changée pour dire : «Nous vous baptisons.»

[13820] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Ecclesia est ejusdem potestatis nunc cujus erat primitiva Ecclesia quantum ad sacramentorum dispensationem. Sed primitiva Ecclesia mutavit formam Baptismi: quia baptizabant in nomine Christi, sicut in Act. legitur. Ergo et nunc Ecclesia formam mutare posset.

3. Pour ce qui est de la dispensation des sacrements, l’Église a le même pouvoir maintenant que l’Église primitive. Or, l’Église primitive a changé la forme du baptême, car on baptisait au nom du Christ, comme on le lit dans Ac. L’Église peut donc aussi maintenant changer la forme.

[13821] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, tres personae in forma Baptismi ponuntur ad exprimendum fidem Trinitatis. Sed ita exprimeretur fides Trinitatis, si diceretur: in nomine Trinitatis, sicut si dicitur: in nomine patris et filii et spiritus sancti. Ergo potest ita mutatio fieri ut dicatur: in nomine Trinitatis.

4. Les trois personnes sont mises dans la forme du baptême pour exprimer la foi en la Trinité. Or, on exprimerait aussi la foi en la Trinité si on disait : «Au nom de la Trinité», comme on dit : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.» On peut donc changer pour dire : «Au nom de la Trinité.»

 [13822] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, virtus sacramentaria non consistit in verbis, nisi secundum quod ad significationem referuntur: alias non esset virtutis alicujus nisi in una lingua, quia voces non sunt eaedem apud omnes. Sed idem significat pater quod genitor, et filius quod genitus, et spiritus sanctus quod ab utroque procedens. Ergo potest hoc modo fieri mutatio, ut dicatur: in nomine genitoris, et geniti, et procedentis ab utroque.

5. La puissance des sacrements ne consiste pas dans les paroles, si ce n’est selon qu’elles sont mises en rapport avec la signification ; autrement, elle n’aurait de puissance que dans une seule langue, car les mots ne sont pas les mêmes dans toutes [les langues]. Or, «Père» signifie la même chose que «géniteur», et «Fils» qu’«engendré», et «Esprit-Saint» que «procédant des deux». On peut donc faire un changement pour dire : «Au nom du Géniteur, de l’Engendré et de Celui qui procède des deux.»

[13823] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, qui corrumpit verba mutat litteras et syllabas, et per consequens dictiones. Sed infra, dist. 6, dicitur, quod reputatur Baptismus, quamvis aliquis verba corrupte proferat. Ergo potest fieri formae mutatio.

6. Celui qui formule mal les mots change les lettres et les syllabes et, par conséquent, la prononciation. Or, plus loin, d. 6, on dit que le baptême est présumé, bien que quelqu’un formule les mots de manière incorrecte. Il peut donc y avoir changement de la forme.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on ajouter ou retrancher quelque chose à la forme du baptême ?]

[13824] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possit aliquid addi vel minui. Non enim est minor necessitas in verbis quae pertinent ad formas sacramentorum, quam in verbis sacrae Scripturae. Sed in verbis sacrae Scripturae non licet addere vel minuere, ut patet Apocal. ult. Ergo nec verbis formarum in sacramentis.

1. Il semble qu’on ne puisse rien ajouter ni retrancher. En effet, l’exigence n’est pas moindre pour les paroles qui se rapportent aux formes des sacrements que pour les paroles de la Sainte Écriture. Or, pour les paroles de la Sainte Écriture, il n’est pas permis d’ajouter ou de retrancher, comme cela ressort clairement de Ap 22, 18‑19. Cela n’est donc pas permis non plus pour les sacrements.

[13825] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in formis naturalibus ita est quod differentia addita vel subtracta variat speciem. Ergo et si in formis sacramentorum aliquid addatur vel subtrahatur, tolletur ratio illius sacramenti.

2. Dans les formes naturelles, une différence ajoutée ou soustraite fait varier l’espèce. Si quelque chose est ajouté ou retranché dans les formes des sacrements, la raison de ce sacrement [variera aussi].

[13826] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Ariani non mutabant formam istam nisi per additionem. Dicebant enim: in nomine patris majoris et filii minoris; et propter hoc non reputabantur baptizati. Ergo non licet addere vel diminuere in forma.

3. Les Ariens ne changeaient cette forme que par addition. En effet, ils disaient : «Au nom du Père plus grand et du Fils inférieur», et, pour cette raison, ils n’étaient pas considérés comme baptisés. Il n’est donc pas permis d’ajouter ou de retrancher dans la forme.

[13827] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Sed contra, in littera habetur ab Ambrosio quod si fides totius Trinitatis corde teneatur et una tantum persona sit nominata, sit Baptisma verum. Ergo licet aliquid de forma subtrahere.

4. En sens inverse, on lit dans un texte tiré d’Ambroise que si la foi en la Trinité est gardée de cœur et qu’une seule personne est nommée, le baptême est vrai. Il est donc permis de soustraire quelque chose de la forme.

[13828] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, actus baptizandi ponitur in forma ad excitandum attentionem. Ergo, ut videtur, licet addere verbum intentionem signans, ut dicatur: intendo te baptizare.

5. L’acte de baptiser reçoit une forme afin d’éveiller l’attention. Il est donc permis, comme il semble, d’ajouter un mot indiquant l’intention, en disant : «J’ai l’intention de te baptiser.»

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Peut-on reporter le baptême ?]

[13829] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possit fieri interpositio vel transpositio. Quia Baptismus est unus actus: unus autem est actus qui est continuus, ut dicitur in 5 physicorum. Sed interruptio tollit continuitatem Baptismi. Ergo tollit unitatem ejus; ergo non debet fieri aliqua interruptio.

1. Il semble qu’une suspension ou un report ne sont pas permis, parce que le baptême est un seul acte et que l’acte unique est continu, comme il est dit dans Physique, 5. Or, l’interruption enlève la continuité du baptême. Elle en enlève donc l’unité. On ne doit donc pas faire d’interruption.

[13830] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut ad fidem Trinitatis pertinent tres personae, ita et personarum ordo. Sed in translatione variatur ordo. Ergo corrumpitur forma.

2. De même que les trois personnes appartiennent à la Trinité, de même l’ordre des personnes. Or, l’ordre varie dans une traduction. La forme est donc corrompue.

[13831] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est, quia transposita nomina et verba idem significant.

S.c. 1 – Les noms et les verbes déplacés signifient la même chose.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13832] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod forma completiva rei media est quodammodo inter materiam quam perficit, et causam efficientem a qua producitur, ut virtus efficientis mediante forma ad materiam traducatur. Et quia medium complectitur aliquo modo utrumque extremorum, ideo forma Baptismi continet et principale efficiens, unde Baptismus efficaciam habet, et materiam Baptismi proximam quae est actus ablutionis; et ideo ponitur: in nomine patris et filii et spiritus sancti, tamquam principale efficiens, a quo Baptismus efficaciam habet; et ponitur actus materialis cum iis quae circumstant ipsum scilicet conferens et recipiens, in hoc quod dicitur: ego baptizo te.

La forme qui achève une chose est en quelque sorte intermédiaire entre la matière qu’elle perfectionne et la cause efficiente par laquelle elle est produite, de sorte que la puissance de la [cause] efficiente est transmise à la matière par l’intermédiaire de la forme. Et parce que ce qui est intermédiaire comprend d’une certaine manière les deux extrêmes, la forme du baptême contient aussi la [cause] efficiente principale, d’où le baptême tire son efficacité, et la matière prochaine du baptême, qui est l’acte d’ablution. C’est pourquoi l’on dit : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit», en tant que [cause] efficiente principale, dont le baptême tire son efficacité ; et l’on désigne l’acte qui a caractère de matière, avec ce qui l’entoure, à savoir, celui qui confère et celui qui reçoit, par le fait de dire : «Je te baptise.»

[13833] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod principale agens significatur in invocatione Trinitatis quae invisibiliter agit, et ideo relinquebatur ut circa actum materialem poneretur agens secundarium, scilicet minister sacramenti.

1. L’agent principal est signifié dans l’invocation de la Trinité qui agit invisiblement ; c’est pourquoi il restait à indiquer pour l’acte un agent secondaire, à savoir le ministre du sacrement.

[13834] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae sacramentorum non accipiuntur ut voces significativae tantum, sed ut effectivae. Et quia nihil agit nisi secundum quod perfectum est, ideo de integritate formae baptismalis est ut ponatur totum quod ad Baptismum requiritur, quamvis unum ex alio intelligi possit.

2. Les formes des sacrements ne doivent pas être conçues seulement comme des mots ayant une signification, mais [comme des mots] ayant une efficacité. Et parce que rien n’agit que dans la mesure où il est parfait, il fait partie intégrante du baptême que soit indiqué tout ce qui requis pour le baptême, bien qu’une chose puisse être comprise par une autre.

[13835] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in verbis illis dominus principaliter non intendit tradere formam sacramenti, quia prius eis tradiderat, quando baptizabant etiam ante passionem; sed intendit eis praecipere actum baptizandi secundum formam prius eis traditam; et ideo ex verbis illis potest probabiliter accipi forma praedicta, quamvis non expresse ibi ponatur.

3. Par ces paroles, le Seigneur n’a pas principalement comme intention de communiquer la forme du baptême, parce qu’il l’avait communiquée auparavant, alors qu’ils baptisaient avant la passion. Mais il a l’intention de leur ordonner l’acte de baptiser selon la forme d’abord transmise. Ainsi, on peut comprendre de manière probable la forme en question, bien qu’elle n’y soit pas expressément indiquée.

[13836] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia Baptismus est sacramentum necessitatis, et in sacramento requiritur intentio; ideo oportet exprimi omnia quae intentionem determinant ad actum illum; non autem sic in aliis actibus, in quibus non est tantum periculum, si intentio non adsit. Vel dicendum, quod alii actus habent efficaciam ex ipso suo exercitio tantum, sed actus baptizandi habet efficaciam ex forma verborum. Et quia talis efficacia est sacramentalis, idcirco oportet quod verba formae significando efficaciam actui praebeant; et ideo oportet baptizantem actum suum verbo significare, quamvis hoc in aliis actibus non reperiatur.

4. Parce que le baptême est un sacrement nécessaire et que, dans le sacrement, l’intention est requise, il faut donc que soit exprimé tout ce qui précise l’intention en rapport avec cet acte. Mais il n’en est pas de même des autres actes où le danger n’est pas aussi grand, si l’intention n’est pas indiquée. Ou bien il faut dire que les autres actes tirent leur efficacité de leur propre mise en œuvre seulement, mais que l’acte de baptiser tire son efficacité de la forme des paroles. Et parce qu’une telle efficacité est sacramentelle, il est donc nécessaire que les paroles de la forme donnent à l’acte son efficacité en le signifiant. C’est pourquoi il est nécessaire que celui qui baptise signifie son acte par la parole, bien qu’on ne trouve pas cela dans les autres actes.

[13837] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa tenet de illis verbis quae proferuntur causa significationis tantum, non autem de illis quae proferuntur causa efficiendi, quae etiam oportet ad res non intelligentes proferri, ut effectus verborum determinetur ad res illas; unde etiam dicitur: exorcizo te creatura salis.

5. Cet argument est valable pour les paroles qui sont proférées en vue de signifier seulement, mais non pour celles qui sont proférées en vue d’une efficacité, qui doivent être proférées même pour les choses qui n’ont pas l’intelligence, afin que l’effet des paroles soit précisé pour ces choses, comme on dit : «Je t’exorcise, créature du sel.»

[13838] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dominus praecipiebat actum Baptismi, ut absentium; et ideo oportebat quod uteretur tertia persona: secus autem est de illis qui exercent actum illum in praesentes.

6. Le Seigneur ordonnait l’acte du baptême pour des personnes absentes. Il était donc nécessaire qu’il utilise la troisième personne. Mais il en est autrement de ceux qui exercent cet acte pour des personnes présentes.

[13839] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod aqua comprehenditur in distinctione Baptismi: quia Baptismus nihil aliud est quam ablutio facta in aqua; et ideo esset nugatio, si iterum poneretur.

7. L’eau est comprise dans la distinction du baptême, car le baptême n’est rien d’autre qu’une ablution réalisée par l’eau. Il serait donc futile qu’elle soit répétée.

[13840] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod actio semper magis attribuitur principali agenti, quia efficacius imprimit ad agendum. Tota enim virtus mediae causae est a prima, sed non convertitur: quia prima causa a qua Baptismus efficaciam habet, auctoritative est Trinitas; passio autem Christi causa secundaria et meritoria; ideo magis fit mentio de Trinitate quam de passione.

8. L’action est toujours attribuée à l’agent principal, car il intervient plus efficacement dans l’action. En effet, toute la puissance d’une cause intermédiaire vient de la cause première, mais non l’inverse. Parce que la cause première de qui le baptême tient son efficacité est la Trinité à titre d’auteur, et que la passion du Christ est la cause secondaire et méritoire, il est donc plutôt fait mention de la Trinité que de la passion.

[13841] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod nomen non competit voci nisi secundum quod facit notitiam de re; nomen enim dicitur quasi notamen. Notitiam autem habemus de Trinitate per fidem. Et quia est una fides Trinitatis, et una confessio Dei, quamvis sint diversae voces significantes tres personas; ideo dicitur: in nomine, quasi in invocatione, quae fit per professionem exteriorem interioris fidei.

9. Un mot ne convient à une paarole que pour autant qu’il fait connaître une chose: en effet, nomen [nom] est employé pour notamen [désignation]. Or, nous connaissons la Trinité par la foi. Et parce qu’il n’y qu’une seule foi en la Trinité et une seule confession de Dieu, bien qu’il y ait divers mots signifiant les trois Personnes, on dit donc : «Au nom», comme pour une invocation qui est faite par une profession extérieure de la foi intérieure.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13842] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quia sacramenta efficaciam habent ex institutione divina, et principalius est in sacramentis forma quam etiam materia; ideo sicut nulli licet mutare sacramentum, vel aliquod novum instituere, ita nulli licet mutare formam sacramenti quantum ad id quod est de essentia formae absque speciali consilio spiritus sancti, qui virtutem suam illis verbis non alligavit: et si mutatur, nihil agitur; et praeter hoc culpa incurritur. Si autem aliquid pertinet ad formam ex determinatione Ecclesiae, si illud mutatur, nihilominus est sacramentum, sed culpa incurritur. In forma autem baptismali essentialius est quod exprimit causam agentem, a qua est tota efficacia, quam quod exprimit actum exercitum; et ideo quantum ad omnes invocatio Trinitatis est de essentia formae, nec aliqui quantum ad hoc formam mutare possunt. Quidam vero dicebant, quod actus exercitus non est de essentia formae, et quod in illa invocatione Trinitatis essentia formae consistit; quos refellit auctoritas Alexandri Papae, qui dicit, quod non est Baptismus illud lavacrum quo aliquis in nomine patris et filii et spiritus sancti nihil addendo baptizatur.

Parce que les sacrements tirent leur efficacité d’une institution divine et que, dans les sacrements, la forme l’emporte même sur la matière, c’est pourquoi, de même qu’il n’est permis à personne de changer un sacrement ou d’en instituer un nouveau, de même il n’est permis à personne de changer la forme d’un sacrement pour ce qui fait partie de l’essence de la forme, sans un conseil particulier de l’Esprit Saint, qui n’a pas lié sa puissance à ces paroles. Et si elle est changée, rien ne se produit et, en plus, on encourt une faute. Mais si quelque chose appartient à la forme par décision de l’Église, si cela est changé, il y a néanmoins sacrement, mais on encourt une faute. Or, dans la forme du baptême, ce qui exprime la cause efficiente, dont toute l’efficacité provient, est plus essentiel que ce qui exprime l’acte exercé. C’est pourquoi l’invocation de la Trinité est nécessaire pour tous, et personne ne peut changer la forme sur ce point. Mais certains disaient que l’acte exercé ne fait pas partie de l’essence de la forme et que l’essence de la forme consiste dans cette invocation de la Trinité. L’autorité du pape Alexandre les repousse, en disant que n’est pas un baptême le bain par lequel quelqu’un est baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, sans rien ajouter.

[13843] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum opinionem Graecorum, de necessitate formae est actus Baptismi quantum ad significatum, sed non quantum ad consignificatum. Persona autem baptizans per ministerium non est de necessitate formae, quia ex eo Baptismus efficaciam non habet; sed persona recipiens est de necessitate formae, quia actus ad suscipientem terminatur; et ideo differunt in forma a nobis quantum ad tria. Primo, quia personam ministri in forma non exprimunt; et hoc dicunt ad removendum errorem qui fuit in primitiva Ecclesia, qui efficaciam Baptismi baptizanti attribuebat, ut patet Corinth. 3. Secundo in hoc quod significant actum sub alia persona, scilicet tertia, et sub alio modo, scilicet subjunctivo vel optativo, ad significandum quod actus interior expectatur ab extra. Tertio quia personam ponunt in nominativo casu, et in tertia persona; quia quandoque baptizatus non habet intellectum ut ad eum possit dirigi sermo. Utrum autem ipsi mutent aliquid quod sit de substantia formae, ut sic oporteat rebaptizari, quamvis quidam dicant hoc, non tamen est determinatum, sed dubium apud quosdam, quibus videtur quod sufficiat actum Baptismi significare ad perfectionem sacramenti, et quod consignificationis determinatio sit ex Ecclesiae institutione. Hoc autem certum quod forma qua nos utimur, melior est: tum quia perfectior est, ut patet ex supradictis; tum quia magis consonat verbis Evangelii quod ministros baptizantes dicit; tum propter auctoritatem Ecclesiae, quae hanc formam tradit, quae nunquam a vera fide legitur declinasse, hanc formam ab apostolis retinens; et ideo non licet, praecipue Latinis, in forma Graecorum baptizare: quod si praesumerent, secundum quosdam non esset Baptismus, secundum quosdam autem esset, sed graviter peccarent.

1. Selon l’opinion des Grecs, fait nécessairement partie de la forme l’acte du baptême en raison de sa signification, mais non ce qui accompagne la signification. Or, la personne qui baptise par mode de ministère ne fait pas nécessairement partie de la forme parce que le baptême ne tient pas d’elle son efficacité ; mais la personne qui reçoit fait nécessairement partie de la forme parce que l’acte a son terme dans celui qui reçoit. Ainsi, ils s’écartent de nous à propos de la forme sur trois points. Premièrement, parce qu’ils n’expriment pas la personne du ministre dans la forme : ils disent cela pour écarter l’erreur qui avait eu lieu dans l’Église primitive, qui attribuait l’efficacité du baptême à celui qui baptisait, comme cela ressort clairement de 1 Co 3. Deuxièmement, parce qu’il signifient l’acte sous une autre personne, la troisième, et sous un autre mode, le subjonctif ou l’optatif, pour montrer que l’acte intérieur est attendu de l’extérieur. Troisièmement, parce qu’ils mettent les personnes au nominatif et à la troisième personne, afin que la parole puisse être adressée au baptisé, qui, parfois, ne comprend pas. Changent-ils quelque chose à la substance de la forme de la forme, de sorte qu’il faille rebaptiser ? Bien que certains le disent, cela n’a cependant pas été tranché, mais reste douteux pour d’autres, pour qui il semble suffire de signifier l’acte du baptême pour que se réalise le sacrement, alors que ce qui accompagne la signification relève d’une institution de l’Église. Mais il est certain que la forme que nous utilisons est meilleure, d’abord parce qu’elle est plus complète, comme cela ressort de ce qui a été dit, ensuite parce qu’elle s’accorde mieux avec les paroles de l’évangile qui parle des ministres qui baptisent, enfin en raison de l’autorité de l’Église qui transmet cette forme, dont on dit qu’elle ne s’est jamais écartée de la vraie foi, et qui garde cette formule depuis les apôtres. Il n’est donc pas permis, principalement aux Latins, de baptiser selon la forme des Grecs ; s’ils présumaient de la faire, ce ne serait pas un baptême selon certains ; c’en serait un, selon d’autres, mais ils pécheraient gravement.

[13844] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unus actus qui uno agente expleri potest, non progreditur a pluribus agentibus simul, et ideo unus baptizans, cum ipse solus baptizare possit, debet significare actum suum non ut a pluribus exeuntem, sed ut a se solo; et ideo non potest dici, nos baptizamus; sed secundum quosdam dici potest, ego baptizo vos, si necessitas adsit. Nec est aliqua mutatio formae, quantum ad significationem, quia plurale non est nisi singulare geminatum. Potest et alia ratio assignari, quia baptizo vos, idem est quod baptizo te et te; et ideo per hoc non fit mutatio formae quantum ad sensum, sed solum quantum ad vocem. Sed nos baptizamus, idem est quod ego et ille; non autem ego et ego. Unde non omnino est idem; et ideo qui dicit, nos baptizamus, nihil facit; qui autem dicit, baptizo vos, si simul plures baptizaret, baptizatum est; sed peccat, nisi ex magna necessitate faciens.

2. Un seul acte qui peut être accompli par un seul agent ne provient pas de plusieurs agents agissant en même temps. C’est pourquoi un seul qui baptise, puisqu’il peut baptiser seul, doit signifier son acte, non pas comme s’il provenait de plusieurs, mais [comme s’il provenait] de lui seul. C’est pourquoi on ne peut pas dire : «Nous baptisons». Mais, selon certains, on peut dire : «Je vous baptise», s’il y a nécessité. Ce n’est pas un changement de la forme quant à la signification, car le pluriel n’est rien d’autre que le singulier répété. On peut aussi donner une autre raison, car «Je vous baptise» est la même chose que «Je baptise toi et toi». Ainsi, il n’y a pas de changement de la forme pour ce qui est du sens, mais seulement pour ce qui est du mot. Mais «Nous baptisons» est la même chose que : «Moi et cet autre», et non pas : «Moi et moi.» Ce n’est donc pas tout à fait la même chose. Aussi, celui qui dit : «Nous baptisons» ne réalise rien ; mais celui qui dit : «Je vous baptise» en baptiseraient plusieurs ensemble, mais il pèche, à moins qu’il n’agisse par grande nécessité.

[13845] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma quam dominus tradidit, non fuit ab apostolis mutata quantum ad intellectum: quia in Christi nomine tota Trinitas intelligitur, ut in littera habetur, sed solum quantum ad vocem: et hoc est quod quidam dicunt, quod est mutata forma sensibilis, sed non intelligibilis. Nec hoc ipsum potuissent, nisi ex familiari consilio spiritus sancti. Ratio autem mutationis fuit, ut nomen Christi amabile redderetur, si in ejus nomine Baptismus fieret: et hoc etiam Ecclesia nunc posset, si speciale praeceptum a spiritu sancto haberet; non autem propria auctoritate. Et quia illius mutationis causa fuit conveniens illi tempori, ideo cessante causa, cessat effectus: et modo non esset Baptismus; si quis in Christi nomine baptizaret, ut communiter dicitur; quamvis quidam contrarium dicant.

3. La forme que le Seigneur a transmise n’a pas été changée par les apôtres quant à son sens, mais seulement quant aux mots, car, dans le nom du Christ, toute la Trinité était comprise, comme on le lit dans le texte. C’est ainsi que certains disent que la forme sensible a été changée, mais non la forme intelligible. Et [les apôtres] n’auraient pu le faire que selon un conseil intime de l’Esprit Saint. Mais la raison du changement fut de rendre aimable le nom du Christ, en accomplissant le baptême en son nom. Cela aussi l’Église ne le pourrait pas, à moins de recevoir un commandement de l’Esprit Saint ; elle ne le pourrait pas de sa propre autorité. Et parce que la cause de ce changement était appropriée à cette époque, la cause cessant, l’effet cesse donc. Maintenant, ce ne serait pas un baptême, si quelqu’un baptisait au nom du Christ, comme on le dit généralement, bien que certains disent le contraire.

[13846] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in nomine Trinitatis non exprimuntur ipsae personae, sed solum numerus personarum; et ideo non sufficit dicere, in nomine Trinitatis; nec esset Baptismus, si diceretur.

4. Dans «au nom de la Trinité», ne sont pas exprimées les personnes elles-mêmes, mais seulement le nombre des personnes. C’est pourquoi il ne suffit pas de dire : «au nom de la Trinité», et ce ne serait pas un baptême, si on le disait.

[13847] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod genitor non significat personam patris sicut hypostasim subsistentem, ut hoc nomen pater, sed per modum actus; et ideo non est eadem significatio, si dicatur in nomine genitoris, et in nomine patris; et similis ratio est de aliis. Quamvis autem non sit eadem vox in Graeco et Latino, tamen est eadem vocis significatio; et in qualibet lingua verba illa pertinent ad formam quae principalius sunt instituta ad signandum personas illas.

5. «Géniteur» ne signifie pas la personne du Père en tant qu’hypostase subsistante, comme le nom de Père, mais par mode d’acte. Ce n’est donc pas la même signification si l’on dit «au nom du Géniteur», et «au nom du Père». Et le raisonnement est le même pour les autres. Bien que le mot ne soit pas le même en grec et en latin, la signification du mot est cependant la même. Et, dans toutes les langues, les mots qui ont été plus précisément établis pour signifier ces personnes appartiennent à la forme.

[13848] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod qui corrupte profert verba, aut hoc facit ex industria; et sic non videtur intendere quod Ecclesia intendit, unde non est Baptismus: aut hoc facit ex ignorantia vel defectu linguae; et tunc dicitur quod si sit tanta corruptio quod omnino auferat sensum locutionis, non est Baptismus; si autem sensus locutionis remaneat, tunc erit Baptismus; et hoc praecipue accidit quod sensus non mutatur, quando fit corruptio in fine: quia ex parte finis mutatio variat consignificationem, non autem significationem, ut grammatici dicunt. Sed mutatio ex parte principii variat significationem; unde corruptio talis, maxime si sit magna, omnino sensum locutionis auferret. Quando autem sensus locutionis aliquo modo manet, tunc quamvis mutetur forma quantum ad sonum sensibilem, non tamen mutatur quantum ad significationem: quia quamvis oratio corrupte prolata nihil significet ex veritate impositionis, significat tamen ex accommodatione usus.

6. Celui qui prononce mal les mots le fait soit de manière délibérée, et alors il ne semble pas avoir la même intention que l’Église : aussi n’est-ce pas un baptême. Ou il le fait par ignorance ou par un défaut de la langue, et alors on dit que si la corruption est telle qu’elle enlève le sens de l’expression, ce n’est pas un baptême; mais si le sens de l’expression demeure, ce sera un baptême. Et cela arrive surtout que le sens ne soit pas changé lorsque la corruption se produit à la fin, car, à la fin, le changement modifie la signification indirecte, mais non la signification, comme le disent les grammairiens. Mais le changement au commencement, modifie la signification. Aussi une telle corruption, surtout si elle est grande, enlèverait complètement le sens de l’expression. Mais lorsque le sens de l’expression demeure de quelque manière, alors, bien que la forme soit changée quant au son sensible, elle n’est cependant pas changée quant à la signification, car, bien que l’expression proférée de manière incorrecte ne signifie rien selon la vérité du sens convenu, elle a cependant un sens selon l’usage habituel.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13849] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de subtractione hoc certum est, quod si subtrahatur aliquid quod sit de essentia formae, non est Baptismus, et ille qui baptizat, graviter peccat. Et quia apud omnes invocatio Trinitatis est de essentia formae ideo hoc nullo modo subtrahi potest. Sed quidam dicunt, quod expressio actus non est de substantia formae; unde si subtrahatur, facta sola Trinitatis invocatione, erit Baptismus, quamvis peccet baptizans. Sed contra hoc est decretalis Alexandri Papae tertii qui dicit, quod si quis puerum in aqua ter merserit dicendo, in nomine patris et filii et spiritus sancti, si non dicat: ego baptizo te, talis immersio non facit Baptisma. Oportet enim quod per formam virtus Trinitatis invocatae ad materiam propositam determinetur, quod fit in expressione actus. Similiter etiam expressio personae baptizatae est de substantia formae, quia per eam determinatur actus ad hunc Baptismum; et ideo si subtrahatur, non erit Baptismus. Sed expressio personae baptizantis dicitur quod non est de forma quantum ad necessitatem sacramenti, sed ex institutione Ecclesiae, ut intentio magis referatur ad actum illum; et ideo si omittatur, erit Baptismus, sed peccat omittens. De additione vero duo sunt observanda. Primum est ex parte addentis. Quia si adderet, intendens illud esse de forma, quasi volens per hoc novum ritum adducere, constat quod non intendit proferre formam qua utitur Ecclesia, et ita nec facere quod Ecclesia facit: quare non esset Baptismus. Secus autem est, si quis ex aliqua causa adderet, ut ex devotione quadam. Secundum est ex parte ejus quod additur: quod si est corruptivum formae, tunc non est Baptismus; si autem non, est Baptismus secundum quosdam; sicut si dicatur, in nomine patris majoris et filii minoris, corrumpitur fides quam forma profitetur. Si autem addatur, et beatae Mariae, quidam dicunt quod non est Baptismus, quia non fit Baptismus in virtute beatae Mariae: fieret autem si diceretur; et beata Maria juvet puerum istum, vel aliquod hujusmodi. Alii autem dicunt et probabilius, quod esset Baptismus etiam primo modo additione facta. Quia secundum Magistrum: in nomine patris, idem est quod in invocatione. Potest autem in invocatione beatae Mariae fieri Baptismus, cum invocatione Trinitatis; non quasi ex virtute ejus efficaciam habeat Baptismus, sicut habet ex virtute Trinitatis, sed ut ejus intercessio baptizato proficiat ad salutem. Quidam autem addunt tertium considerandum: dicunt enim, quod si fiat additio in medio vel in principio, non est Baptismus; si autem in fine, est Baptismus. Sed hoc nullam videtur habere rationem. Unde secundum alios qualitercumque fiat additio non refert, dummodo non sit contraria formae, et baptizans non intendat mutare ritum Baptismi.

 

À propos de la soustraction, il est certain que si quelque chose qui fait partie de l’essence de la forme est soustrait, ce n’est pas un baptême, et celui qui baptise pèche gravement. Et parce que, chez tous, l’invocation de la Trinité fait partie de l’essence de la forme, elle ne peut donc d’aucune manière être enlevée. Mais certains disent que la mention de l’acte ne fait pas partie de la substance de la forme. Aussi, si elle est enlevée, alors que seule est faite l’invocation à la Trinité, ce sera un baptême, bien que celui qui baptise pèche. Mais la lettre décrétale du pape Alexandre III s’oppose à cela : elle dit que si quelqu’un a immergé un enfant trois fois dans l’eau en disant : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit», s’il ne dit pas : «Je te baptise», une telle immersion ne réalise pas le baptême. En effet, il faut que, par la forme, la puissance de la Trinité invoquée soit mise précisément en rapport avec la matière présente, ce qui est accompli par la mention de l’acte. De même, aussi, la mention de la personne baptisée fait-elle partie de la substance de la forme, car, par elle, est déterminé l’acte par rapport à ce baptême. Aussi, si elle est soustraite, ce ne sera pas un baptême. Mais on dit que la mention de la personne qui baptise ne fait pas partie de la forme quant à ce qui est nécessaire au sacrement, mais en vertu d’une institution de l’Église, de sorte que l’intention se réfère davantage à cet acte. Aussi, si elle est omise, il y aura baptême, mais celui qui l’omet pèche. Mais, à propos de l’addition, deux choses doivent être observées. Premièrement, du point de vue de celui qui ajoute, car s’il l’ajoutait en ayant l’intention que cela fasse partie de la forme, comme s’il voulait ainsi introduire un nouveau rite, il est clair qu’il n’a pas l’intention d’exprimer la forme que l’Église utilise, et ainsi de faire ce que l’Église fait. Pour cette raison, il n’y aurait pas baptême. Il en va autrement si quelqu’un ajoutait pour une cause quelconque, par exemple, en raison d’une dévotion. Deuxièmement, du point de vue de ce qui est ajouté : si cela corrompt la forme, alors il n’y a pas de baptême ; mais si cela ne [la corrompt] pas, il y baptême selon certains. Comme si on dit : «Au nom du Père plus grand, du Fils inférieur», la foi que professe la forme est corrompue. Mais si on ajoute : «et de la bienheureuse Marie», certains disent que ce n’est pas un baptême, car le baptême n’est pas réalisé par la puissance de la bienheureuse Marie ; mais il y aurait baptême si on disait : «et que la bienheureuse Marie aide cet enfant !», ou quelque chose de ce genre. Mais d’autres disent, de manière plus probable, qu’il y aurait baptême même avec la première addition. En effet, selon le Maître, «au nom du Père» est la même chose que [ce qui est dit] dans l’invocation. Mais un baptême pourrait être réalisé par l’invocation de la bienheureuse Marie avec l’invocation de la Trinité, non pas que le baptême tire son efficacité de la puissance [de Marie], comme il la tire de la puissance de la Trinité, mais afin que son intercession soit utile au baptisé pour le salut. Mais certains ajoutent une troisième considération : en effet, ils disent que si l’addition est faite au milieu ou au commencement, il n’y a ps baptême ; mais si elle est faite à la fin, il y a baptême. Mais cela ne semble avoir aucune justification. Aussi, selon d’autres, la manière dont l’addition est faite n’a pas d’importance, pourvu qu’elle ne soit pas contraire à la forme [du baptême] et que celui qui baptise n’ait pas l’intention de changer le rite du baptême.

[13850] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud dicitur contra haereticos qui addebant Scripturae, vel minuebant ex ea propter fidei corruptionem; et similiter in proposito additio vel subtractio corrumpens formam tollit Baptisma.

1. Cela est dit contre les hérétiques qui ajoutaient à l’Écriture ou en retranchaient en raison d’une corruption de la foi. De même, dans la question en cause, l’addition ou la soustraction qui corrompt la forme enlève-t-elle le baptême.

[13851] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est verum de differentia essentiali, non autem de accidentali. Unde si subtrahatur aliquid de essentia formae existens, vel addatur aliquid non de essentia formae, ac si sit de essentia formae, non erit Baptismus.

2. Cela est vrai de la différence essentielle, mais non de la [différence] accidentelle. Si donc on soustrait quelque chose qui fait partie de l’essence de la forme ou si l’on ajoute quelque chose qui ne fait pas partie de l’essence de la forme comme si cela faisait partie de l’essence de la forme, il n’y aura pas baptême.

[13852] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod additio illa corrumpebat fidem Trinitatis quam exprimit forma; et ideo corrumpebat formam.

3. Cette addition corrompait la foi en la Trinité que la forme exprime. Elle corrompait donc la forme.

[13853] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum quosdam sufficiebat quantum ad invocationem Trinitatis, ut nihil minueretur de forma intelligibili, quamvis minueretur de forma sensibili, quia in una persona omnes intelliguntur. Ideo dicebant; quod una persona nominata plenus esset Baptismus, si fides interius plena esset. Sed quia fides personae baptizantis vel infidelitas nihil prodest nec nocet ad Baptismum, qui fit in fide Ecclesiae; ideo quasi communiter modo dicitur, quod oportet omnes tres personas exprimi; et ideo ad verbum Ambrosii multipliciter respondetur. Quidam enim dicunt, quod cum dicit: plenum fit sacramentum, ponit sacramentum pro fide: quia qui unam tantum personam confitetur, si alias corde teneat, plenam habet fidem. Quidam vero dicunt, quod intelligitur quantum ad plenitudinem ipsius sacramenti quam habet ex fide: quod patet ex hoc quod dicit: plenum est fidei sacramentum; vel quod intelligatur secundum quosdam in casu quando una persona nominata, puer vel sacerdos moreretur (creditur enim quod invisibilis sacerdos suppleret defectum), vel in casu simili, in quo apostoli in nomine Christi baptizabant; et hoc magis consonat verbis ejus.

4. Selon certains, il suffisait, pour ce qui est de l’invocation de la Trinité, que rien ne soit enlevé de la forme intelligible, bien qu’on enlevât quelque chose à la forme sensible, parce qu’en une seule personne, toutes [les personnes] sont comprises. Ils disaient donc que si une seule personne était nommée, le baptême était complet, si la foi était complète à l’intérieur. Mais parce que la foi de la personne qui baptise ou son infidélité ne sert ni ne nuit en rien au baptême, qui est réalisé en vertu de la foi de l’Église, on dit maintenant généralement qu’il est nécessaire que les trois personnes soient exprimées. C’est pourquoi on répond de multiples façons à la parole d’Ambroise. En effet, certains disent que lorsqu’il dit : «Le sacrement est complet», il emploie sacrement pour la foi, car celui qui confesse une seule personne, s’il a une autre conviction en son cœur, a une foi complète. Mais certains disent que cela s’entend de la plénitude que le sacrement lui-même tient de la foi, ce qui ressort clairement du fait qu’il dit : «Le sacrement de la foi est complet», ou on l’entend selon certains du cas où la personne désignée, enfant ou prêtre, mourait (en effet, on croit que le prêtre invisible suppléerait à la carence), ou dans un cas similaire, où les apôtres baptisaient au nom du Christ. Et cela est plus en accord avec ses paroles.

[13854] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod qui intendit aliquid facere, non est consequens quod faciat illud; unde esset ad corruptionem formae: ego intendo te baptizare.

5. Lorsque que quelqu’un a l’intention de faire quelque chose, il n’en découle pas qu’il le fait. «J’ai l’intention de te baptiser» serait donc une corruption de la forme.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[13855] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum forma verborum consistat in tribus, scilicet significatione, integritate verborum, et ordine; quidam dicunt, quod quidquid horum mutetur vel varietur, non erit Baptismum. Sed quia formae sacramentorum sunt quaedam fidei professiones, fidem autem non profitentur verba formae nisi ratione suae significationis; ideo alii dicunt, quod dummodo servetur intellectus vel implicite vel explicite, etiam si non esset vocum integritas nec ordo, idem erit Baptismus. Sed quia sacramentum quantum ad formam et materiam debet esse ejusdem signum, ideo alii dicunt medio modo, quod requiritur et significatio plena, et verba integra quae sunt de essentia formae. Si autem ordo, vel aliquid circa verba mutetur quod non tollit nec significationem nec integritatem verborum, erit Baptismus.

 

 

Puisque la forme des paroles consiste en trois choses : la signification, l’intégrité des paroles et leur ordre, certains disent que tout ce qui y est changé ou modifié ne sera pas un baptême. Mais parce que les formes des sacrements sont des professions de foi, les paroles de la forme ne professent la foi qu’en raison de leur signification. C’est pourquoi d’autres disent que pourvu que le sens soit respecté implicitement ou explicitement, même si l’intégrité ou l’ordre ne le sont pas, le baptême sera le même. Mais parce que le sacrement doit être le signe de la même chose quant à la forme et à la matière, d’autres disent, d’une manière intermédiaire, que la pleine signification est requise, ainsi que l’intégrité des mots eux-mêmes qui font partie de l’essence de la forme. Mais si l’ordre ou quelque chose concernant les mots est changé, qui n’enlève pas la signification ni l’intégrité des mots, il y aura baptême.

[13856] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Et secundum hoc ad primum dicendum, quod si fiat tanta interruptio quod intercipiat intentionem baptizantis, tunc non erit una forma; et ideo utraque per se erit imperfecta, nec sufficit ad Baptismum; sicut si dicatur: in nomine patris, et interponat longam fabulam, et postea dicat, et filii. Si autem ita fiat parva interruptio, vel verbi non corrumpentis formam, ut si dicatur: in nomine patris omnipotentis; aut silentii, aut tussis, vel alicujus hujusmodi, quod intentionem non discontinuet; tunc erit ab unitate intentionis unitas formae. Constat enim quod continuitas formae ex vocibus unitatem habere non potest, cum oratio sit quantitas discreta.

1. Si l’interruption est telle qu’elle suspend l’intention de celui qui baptise, il n’y aura pas alors une seule forme. Aussi, les deux seront-elles imparfaites et ne suffiront pas au baptême. Ainsi, si l’on dit : «Au nom du Père», qu’on intercale un long récit, puis l’on dit ensuite : «Et du Fils». Mais si l’on fait une petite interruption, soit pour une parole qui ne corrompt pas la forme, comme si l’on dit : «Au nom du Père tout-puissant», qu’on fait un silence, ou l’on tousse ou quelque chose du genre, qui n’interrompt pas l’intention, alors il y aura unité de la forme en raison de l’unité d’intention. En effet, il est clair que la continuité de la forme ne peut recevoir son unité des paroles, puisque le langage est une quantité discrète.

[13857] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt, quod si sit talis ordo qui mutet intellectum, non fit Baptismus; ut si dicatur: in nomine patris baptizo te, et filii et spiritus sancti. Si autem non mutetur intellectus, erit Baptismus, ut si dicatur: in nomine patris et filii et spiritus sancti baptizo te. Alii vero dicunt, quod qualitercumque mutetur ordo verborum, non videtur intellectus mutari; et ideo erit Baptismus, quamvis peccet transponens. Et secundum hoc dicendum, quod ordo personarum non est quo una sit prior altera, sed quo una est ex altera; quem ordinem ipsa nomina personarum ostendunt, quocumque ordine proferantur.

2. Certains disent que si l’ordre est tel qu’il change le sens, il n’y a pas baptême, comme si l’on dit : «Au nom du Père, je te baptise, et du Fils et du Saint-Esprit.» Mais si le sens n’est pas changé, il y aura baptême, comme si l’on dit : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je te baptise.» Mais d’autres disent que quelle que soit la façon dont l’ordre des mots est changé, le sens ne semble pas être changé : c’est pourquoi il y aura baptême, bien que celui qui transpose [les mots] pèche. Selon cette position, il faut dire que l’ordre des personnes ne consiste pas en ce que l’une soit antérieure à l’autre, mais que l’une vienne d’une autre ; c’est cet ordre que les noms des personnes montrent, quel que soit l’ordre dans lequel ils sont proférés.

 

 

Articulus 3 [13858] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum Baptismus debeat fieri in aqua

Article 3 – Est-ce que le baptême doit être accompli dans l’eau ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le baptême devait-il être donné dans l’eau ?]

 

[13859] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Baptismus non debeat fieri in aqua. Ex similibus enim causis similes effectus producuntur. Sed Baptismus habet similem effectum cum circumcisione. Cum ergo aqua in nullo conveniat cum instrumento circumcisionis, videtur quod non congrue fiat Baptismus in aqua.

1. Il semble que le baptême ne doive pas être donné dans l’eau. En effet, des effets semblables sont produits par des causes semblables. Or, le baptême a un effet semblable à la circoncision. Puisque l’eau n’a rien en commun avec l’instrument de la circoncision, il semble que le baptême ne soit pas accompli de manière appropriée dans l’eau.

[13860] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Damascenum, et Dionysium, Baptismus habet vim illuminativam, et in eo spiritus sanctus datur, et homo in filium Dei regeneratur. Sed ignis inter alia elementa plus habet de luce, et per eum ratione caloris spiritus sanctus, qui est caritas, significatur, et secundum Dionysium in fine Cael. Hier., ignis maxime deiformitatem significat. Ergo Baptismus debet fieri in igne, et non in aqua.

2. Selon [Jean] Damascène et Denys, le baptême a une puissance illuminatrice, l’Esprit Saint est donné par lui, et l’homme est régénéré pour devenir fils de Dieu. Or, de tous les éléments, le feu est celui qui apporte le plus de lumière, et l’Esprit saint, qui est charité, est signifié par lui en raison de la chaleur ; et, selon Denys, à la fin de la Hiérarchie céleste, le feu signifie au plus haut point la divinisation [deiformitas]. Le baptême doit donc être accompli dans le feu, et non dans l’eau.

[13861] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Damascenum, Baptismus est principium vitae, et est sacramentum maximae necessitatis. Sed aer habet maximam convenientiam cum vita, quia calidus est et humidus, et est communissimum elementum, ut nulli propter ejus penuriam posset esse periculum, sicut quandoque parvulis est periculum propter defectum aquae. Ergo Baptismus debuit in aere fieri, et non in aqua.

3. Selon [Jean] Damascène, le baptême est un principe de vie et il est le sacrement le plus nécessaire. Or, l’air a le plus en commun avec la vie parce qu’il est chaud et humide, et parce qu’il est l’élément le plus commun, de sorte qu’il ne pourrait y avoir de danger pour personne en raison de sa pénurie, comme il y a parfois danger pour les enfants en raison du manque d’eau. Le baptême aurait donc dû être accompli dans l’air, et non dans l’eau.

[13862] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, per Baptismum configuramur sepulturae Christi; Rom. 6. Sed Christus in terra sepultus est. Ergo Baptismus debet in terra fieri, et non in aqua.

4. Par le baptême, nous sommes ensevelis avec le Christ, Rm 6. Or, le Christ a été enseveli dans la terre. Le baptême doit donc être accompli dans la terre, et non dans l’eau.

[13863] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, oleum et vinum ablutiva sunt, et laetificantia, et impinguantia. Sed Baptismus praeter ablutionem peccatorum, pinguedinem et laetitiam spiritualem tribuit. Ergo in his liquoribus fieri debet.

 

5. L’huile et le vin servent à l’ablution, et ils donnent joie et consistance. Or, le baptême, en plus de l’ablution des péchés, donne consistance et joie. [Le baptême] doit donc être accomplis dans les liquides.

[13864] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, sacramenta de latere Christi fluxerunt. Sed sicut fluxit aqua, sic et sanguis. Ergo in sanguine debet fieri Baptismus.

6. Les sacrements ont coulé du côté du Christ. Or, de même que de l’eau a coulé, de même aussi du sang. Le baptême doit donc être accompli dans le sang.

[13865] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 3, 5: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei.

S.c. 1 – Il est dit en Jn 3, 5 : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

[13866] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, reparatio debet creationi respondere. Sed in creatione mundi spiritus domini commemoratur primo super aquas ferri, et ex aquis primo animam viventem produxisse, ut patet Genes. 1. Ergo et spiritus sanctus in opere reparationis primo dari debet in aqua, et per illum spiritualis vita; et sic Baptismus in aqua fieri debet, quod est principium alterius vitae, et per quod primitias spiritus accepimus.

S.c. 2 – La réparation doit correspondre à la création. Or, dans la création du monde, on rappelle d’abord que l’Esprit du Seigneur était porté sir les eaux, et qu’il a produit la première âme vivante à partir des eaux, comme cela ressort clairement de Gn 1. L’Esprit Saint dans l’œuvre de la réparation doit donc être d’abord donné dans l’eau, et par lui, la vie spirituelle. Et ainsi, le baptême doit être accompli dans l’eau, lui qui est le principe d’une autre vie, par lequel nous avons reçu les prémices de l’Esprit.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême devait-il être donné dans l’eau seule ?]

[13867] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat fieri in aqua simplici. Quia medicina debet esse infirmis proportionata. Sed nos, quibus medicina Baptismi adhibetur, habemus corpus ex elementis mixtum. Ergo aqua Baptismi non debet esse elementum simplex.

1. Il semble qu’il ne doive pas être accompli dans l’eau à l’état simple, car le médicament doit être proportionné aux malades. Or nous, à qui le médicament est donné, avons un corps mixte fait de plusieurs éléments. Le baptême ne doit donc pas être donné dans l’eau seulement.

[13868] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta fluxerunt de latere Christi dormientis in cruce. Sed de latere ejus non est probabile fluxisse aquam quae sit purum elementum, cum tale quid in corporibus mixtis non inveniatur. Ergo non debet in aqua simplici Baptismus fieri.

2. Les sacrements ont coulé du côté du Christ qui dormait sur la croix. Or, il n’est pas probable que se soit écoulée de son côté une eau qui était un élément pur, puisqu’une telle chose ne se trouve pas dans les corps mixtes. Le baptême ne doit donc pas être donné dans une eau simple.

[13869] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, pura elementa, secundum philosophos, non sunt in extremis, sed in mediis elementorum: quia in extremis alterant se invicem. Si ergo oporteret in aqua simplici Baptismum fieri, non posset apud nos fieri.

3. Selon les philosophes, les éléments purs n’existent pas dans les éléments extrêmes, mais dans les éléments du milieu, car, dans les extrêmes, ils s’altèrent l’un l’autre. S’il était nécessaire d’accomplir le baptême dans une eau simple, il ne pourrait pas être accompli pour nous.

[13870] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, constat quod aqua maris non est simplex aqua, quod ejus amaritudo et salsedo demonstrat, quae ex terrestri mixto contingit. Sed in aqua maris potest fieri Baptismus. Ergo non requiritur aqua simplex.

4. Il est manifeste que l’eau de mer n’est pas une eau simple, ce que démontrent son aigreur et sa salinité, qui proviennent d’un [corps] terrestre mixte. Or, le baptême peut être accompli dans l’eau de mer. L’eau simple n’est donc pas requise.

[13871] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, aqua competit Baptismo ratione ablutionis. Sed quaedam aqua mixta magis abluit, sicut lixivium et hujusmodi. Ergo magis Baptismo competit.

5. L’eau convient au baptême en raison de l’ablution. Or, une certaine eau mixte lave, telle l’eau de lessive et celles de ce genre. Elle convient donc plutôt au baptême.

[13872] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod mixtum neutrum miscibilium est. Si ergo fiat Baptismus in aqua mixta, non fieret in aqua; quod esset contra doctrinam Evangelii.

S.c. 1 – Un [corps] mixte n’est aucun des éléments qui peuvent être mêles. Si donc le baptême était donné dans de l’eau mixte, il ne serait pas donné dans l’eau, ce qui serait contraire à l’enseignement de l’évangile.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême peut-il être donné dans n’importe quelle eau simple ?]

[13873] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non in qualibet aqua simplici possit fieri Baptismus. Dominus enim tactu mundissimae suae carnis vim regenerativam contulit aquis. Sed non tetigit nisi aquas Jordanis. Ergo solae illae aquae habent vim regenerativam; et ita non in qualibet aqua potest fieri Baptismus.

Il semble que le baptême ne puisse pas être donné dans n’importe quelle eau simple. En effet, par le contact de sa chair très pure, le Seigneur a donné aux eaux une puissance régénératrice. Or, elle n’a touché que les eaux du Jourdain. Seules ces eaux ont donc une puissance régénératrice. Ainsi, le baptême ne peut pas être accompli dans n’importe quelle eau.

[13874] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus non potest fieri nisi in aqua verbo vitae sanctificata. Si ergo Baptismus fieret in mari, vel in aliquo fluvio, tota aqua fluminis esset sanctificata; quod videtur absurdum.

2. Le baptême ne peut être accompli que dans de l’eau sanctifiée par le Verbe de vie. Si donc le baptême était accompli dans la mer ou dans un fleuve, toute l’eau du fleuve serait sanctifiée, ce qui paraît absurde.

[13875] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quaedam aquae non habent vim abluendi, sed magis deturpant, sicut aquae paludum. Ergo videtur quod in hujusmodi aquis non possit fieri Baptismus.

3. Certaines eaux n’ont pas de puissance pur laver, mais souillent plutôt, comme les eaux des marécages. Il semble donc que le baptême ne puisse être accompli dans des eaux de genre.

[13876] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est, quia materia Baptismi debet esse communis: quia Baptismus est sacramentum maximae necessitatis. Sed hoc non esset, nisi in qualibet aqua Baptismus fieri posset. Ergo in qualibet aqua potest fieri Baptismus.

S.c. 1 – La matière du baptême doit être commune, car le baptême est le sacrement le plus nécessaire. Or, ce ne serait pas le cas si le baptême ne pouvait être donné dans n’importe quelle eau. Le baptême peut donc être donné dans n’importe quelle eau.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13877] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ex institutione divina necessarium est Baptismum in aqua fieri. Possunt autem institutionis accipi sex rationes. Prima est, quia aqua ratione diaphaneitatis habet aliquid de lumine, et ita competit Baptismo qui habet vim illuminativam, secundum quod in eo gratia confertur. Secunda est, quia ratione humiditatis habet vim ablutivam; et ideo competit Baptismo, in quo sordes culpae mundantur. Tertia est, quia ratione frigiditatis habet vim refrigerandi; et ideo competit Baptismo, in quo incendium fomitis mitigatur. Quarta est, quia, ut dicitur in 17 de animalibus, aqua maxime competit generationi et augmentationi rerum viventium; unde et in principio mundi ex aqua primitus animalia producta sunt; et sic competit Baptismo, inquantum est regeneratio in spiritualem vitam. Quinta est, quia in omnibus mundi partibus aqua invenitur. Sexta, quia est res quae de facili ab omnibus haberi potest sine magno pretio. Et hae duae competunt Baptismo prout est sacramentum necessitatis.

Il est nécessaire par institution divine que le baptême soit accompli dans l’eau. Or, six raisons peuvent être données pour cette institution. La première est que l’eau, en raison de sa transparence, possède quelque chose de la lumière, et ainsi convient au baptême qui possède une puissance illuminatrice, selon que la grâce est conférée par lui. La deuxième est que, en raison de son humidité, elle possède une puissance d’ablution, et ainsi convient au baptême, par lequel les souillures de la faute sont purifiées. La troisième est que, en raison de sa froideur, elle possède une pussance de rafraîchissement ; c’est pourquoi elle convient au baptême, par lequel le feu du désir désordonné est diminué. La quatrième est que, comme il est dit dans Sur les animaux, XVII, l’eau convient au plus haut point à la génération et à l’accroissement des choses vivantes ; aussi, au commencement du monde, les animaux ont-ils d’abord été produits à partir de l’eau. Et ainsi, elle convient au baptême, pour autant qu’il est une régénération en vue de la vie spirituelle. La cinquième est qu’on trouve de l’eau dans toutes les parties du monde. La sixième est qu’elle est une chose qu’on peut obtenir de tous sans grands frais. Et ces deux dernières [raisons] conviennent au baptême en tant qu’il est un sacrement nécessaire.

[13878] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod neque circumcisio neque Baptismus tollunt originalem culpam ex virtute naturali ipsarum rerum, sed inquantum significant aliquid spirituale; et in significatione communicat aqua cum instrumento circumcisionis, quia in utroque fit ablatio alicujus.

1. Ni la circoncision ni le baptême n’enlèvent la faute originelle par la puissance naturelle des choses elles-mêmes, mais pour autant qu’ils signifient quelque chose de spirituel. Et l’eau a quelque chose en commun avec l’instrument de la circoncision parce qu’on enlève quelque chose dans les deux.

[13879] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ignis habet lucem ex se et calorem, qui est qualitas activa; et quia spiritus sanctus est primum agens deiformitatem in Baptismo, et primum illuminans, sed Baptismus est sicut quaedam instrumentalis causa, ideo spiritui sancto competit figurari per ignem, sed Baptismo per aquam, qua mediante transfunditur lumen a spiritu sancto in animam, sicut per diaphanum lumen corporale ad sensum.

2. Le feu possède lumière et chaleur par lui-même, lesquelles sont des qualités actives. Et parce que l’Esprit Saint est celui qui réalise en premier la divinisation [deiformitatem] dans le baptême, et qui illumine en premier, alors que le baptême est comme une cause instrumentale, il convient à l’Esprit Saint d’être représenté par le feu, mais au baptême, de l’être par l’eau, par l’intermédiaire de laquelle la lumière est versée par le Saint-Esprit dans l’âme, comme [elle l’est] par la lumière corporelle diaphane dans le sens.

[13880] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aer communicet cum vita, non tamen aer generationi viventium, sicut aqua, competit; et propter hoc magis competit aqua Baptismo quam aer.

3. Bien que l’air ait quelque chose en commun avec la vie, l’air ne convient cependant pas à la génération des vivants comme l’eau. Pour cette raison l’eau convient-elle davantage que l’air au baptême.

[13881] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sepultura Christi est res significata, non contenta; institutio autem sacramentalis materiae attenditur principaliter quantum ad significationem rei contentae. Magis autem competit aqua tali significationi in Baptismo quam terra; et ideo ratio non sequitur.

4. La sépulture du Christ est la réalité signifiée non contenue, mais l’institution sacramentelle concerne principalement la matière pour ce qui est de la signification de la réalité contenue. Or, l’eau convient davantage que la terre à une telle signification dans le baptême. Ainsi, le raisonnement ne vaut pas.

[13882] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod oleum et vinum non habentur in usu ablutionis, sicut aqua, nec ita bene abluunt, quia ex eis etiam aliquae sordes contrahuntur, et desunt iterum aliae conditiones, quae aquae competunt; et ideo non ita competunt Baptismo sicut aqua. Pinguedo autem devotionis et laetitia sunt quidam effectus Baptismum consequentes, et non primi.

5. L’huile et le vin ne sont pas utilisés comme l’eau pour l’ablution et ils ne lavent pas aussi bien, car certaines saletés sont recueillies par eux, et il manque d’autres conditions qui conviennent à l’eau. C’est pourquoi ils ne conviennent pas autant que l’eau au baptême. Mais la consistance de la dévotion et la joie sont des effets qui découlent du baptême, et non les premiers.

[13883] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex latere Christi fluxit sanguis et aqua; sed sanguis ad redimendum, ut dicitur 1 Petr. 1, aqua autem ad abluendum; et ideo aqua Baptismo competit, et non sanguis.

6. Du sang et de l’eau se sont écoulés du côté du Christ, mais le sang pour racheter, comme il est dit en 1 P 1, et l’eau pour laver. C’est pourquoi l’eau convient au baptême, et non le sang.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13884] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod permixtio aquae potest esse duplex. Una quae tollit speciem, sicut quando per alterationem transit in aliam speciem, sicut per putrefactionem aliquam vel digestionem transit in vinum, aut etiam per additionem tantam alterius liquoris, quod solvatur species aquae, sicut si parum aquae multo vino admisceatur. Alia permixtio est quae non tollit speciem aquae; sicut quando alteratur aqua secundum aliquod accidens, et manet species, ut patet in aqua calefacta; vel quando additur aliquid aquae quod vel non commisceatur, sicut si aliqua solida ponantur in aqua; vel si sit commiscibile, sicut aliquod humidum, tamen est tam parvae quantitatis quod mixtionem non faciat, sed in aquam penitus convertatur. In aqua ergo primo modo permixta non potest fieri Baptismus, quia jam non est aqua; in aqua autem secundo modo potest fieri. Ut autem cognoscatur quando sic vel sic permixta est aqua, sciendum est, quod sicut diversitatem speciei in animalibus judicamus ex diversitate figurarum, ita etiam diversam speciem in elementis cognoscimus ex diversitate rari et densi; et ideo si fiat tanta alteratio vel permixtio aquae quod recedatur a termino raritatis et densitatis aquae vel in actu vel in potentia, signum est quod sit species aquae transmutata; et dico in potentia, quando humor aliquis non condensatur et rarefit calido vel frigido, sicut aqua; sed aliter, sicut patet in vino, oleo, lacte, et hujusmodi.

Le mélange d’eau peut être double. L’un qui enlève l’espèce : ainsi, par une altération, elle passe à une autre espèce, comme, par une putréfaction ou une digestion, elle devient du vin, ou que, par l’addition d’une telle quantité d’un autre liquide, l’espèce disparaît, comme lorsqu’un peu d’eau est mêlé à une grande quantité de vin. L’autre mélange est celui qui n’enlève pas l’espèce de l’eau, comme lorsque l’eau est altérée selon un accident et que son espèce demeure, comme cela est clair pour l’eau chaude ; ou comme lorsque quelque chose est ajouté à l’eau, qui n’est pas mélangé, comme lorsque certains solides sont mis dans l’eau, ou quelque chose d’humide, mais en si petite quantité que cela ne réalise pas un mélange, mais qu’il est totalement converti en eau. Dans l’eau mélangée de la première manière, le baptême ne peut donc être donné, car il n’y a plus d’eau ; mais dans l’eau [mélangée] de la seconde manière, [le baptême] peut être donné. Pour savoir quand l’eau a été mélangée de telle ou telle manière, il faut savoir que, de même que nous jugeons de la diversité de l’espèce chez les animaux par la diversité de leur apparence, de même jugeons-nous de la diverse de l’espèce dans les éléments par la diversité de ce qui est rare et dense. Ainsi, s’il se réalise une altération ou un mélange d’eau si importants qu’elle s’éloigne du terme de la rareté et de la densité de l’eau en acte ou en puissance, c’est le signe que l’espèce de l’eau a été changée. Et je dis en puissance, lorsqu’un liquide n’est pas condensé et raréfié par le chaud ou le froid, comme l’eau, mais d’une autre manière, comme cela est clair pour le vin, l’huile, le lait et les choses de ce genre.

[13885] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod aqua competat nobis per convenientiam in naturali proprietate, sed significando effectum qui in nobis debet fieri.

1. Il n’est pas nécessaire que l’eau nous convienne par sa propriété naturelle, mais pour signifier l’effet qui doit être produit en nous.

[13886] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de corpore Christi exivit vera aqua, sicut verus sanguis; et hoc ad probandum esse corpus Christi verum, non phantasticum, ut Manichaei ponunt. Fuit enim in eo compositio ex elementis, quod probatum fuit ex eo quod aqua, quae est elementum, prodiit ex ejus latere; et compositionem humorum probavit sanguis effluens.

2. Du corps du Christ sont sortis une eau véritable comme un sang véritable, et cela, afin de montrer que le corps du Christ était véritable, et non chimérique, comme l’affirment les manichéens. En effet, il existait en lui une composition faite d’éléments, ce qui a été démontré par le fait que l’eau, qui est un élément, est sortie de son côté. Et le sang qui a coulé montrait la composition des humeurs.

[13887] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aqua quae est apud nos, sit aliquo modo alterata, et habens aliquid de permixtione aliorum elementorum, non tamen amisit speciem propriam.

3. Bien que l’eau que nous connaissons soit altérée d’une certaine façon et possède quelque chose par mélange avec d’autres éléments, elle n’a cependant pas perdu sa propre espèce.

[13888] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Et similiter dicendum est ad quartum de aqua maris.

4. Il faut dire la même chose pour l’eau de mer.

[13889] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illae aquae quae per aliquam transmutationem speciem aquae amittunt, etsi retineant abluendi virtutem, tamen materia Baptismi esse non possunt, quia prima virtus abluendi est in vera aqua; et etiam purius abluit, quia ex aliis liquoribus corpora abluta aliquo modo inficiuntur: communius etiam aqua utimur ad abluendum. De lixivio autem quidam dicunt quod speciem aquae amisit, unde Baptismi materia esse non potest. Sed hoc non videtur: quia eadem ratione nec aqua transiens per mineras sulphureas et terras combustas posset esse materia Baptismi; quod falsum est. Lixivium enim ab alia aqua non differt nisi in hoc quod per cineres transivit. Unde videtur aliter dicendum, quod Baptismus potest fieri in lixivio, sicut et in aquis sulphureis, et in aliis aquis quae ex terra, per quam transeunt, immutantur.

5. Les eaux qui perdent l’espèce de l’eau par une certaine transformation, même si elles gardent la capacité de laver, ne peuvent cependant pas être la matière du baptême, car la première capacité de laver se trouve dans l’eau véritable : elle lave même d’une manière plus pure, car les corps lavés avec d’autres liquides sont d’une certaine manière souillés. De plus, nous utilisons plus généralement de l’eau pour laver. Pour ce qui est de l’eau de lessive, certains disent qu’elle a perdu l’espèce de l’eau; aussi ne peut-elle pas être la matière du baptême. Mais cela ne semble pas être le cas, car, pour la même raison, l’eau qui passe à travers des minéraux sulfureux et des terres brûlées ne pourrait pas non plus être la matière du baptême, ce qui est faux. En effet, l’eau de lessive ne diffère pas d’une autre eau, si ce n’est qu’elle a passé à travers des cendres. Il semble donc qu’il faille dire autre chose : le baptême peut être donné dans de l’eau de lessive, comme dans des eaux sulfureuses ou dans d’autres eaux qui ont été changées par la terre à travers laquelle elles ont passé.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13890] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod diversitas aquarum quae est per loca et situs, est differentia accidentalis, unde non mutat speciem aquae; et ideo in qualibet aqua hujusmodi, vel maris vel fluminis vel cisternae vel fontis vel stagni, potest fieri Baptismus.

La différence des eaux qui vient des lieux et des endroits est une différence accidentelle : elle ne change donc pas l’espèce de l’eau. C’est pourquoi le baptême peut être accompli dans n’importe quelle eau de ce genre, qu’elle provienne de la mer, d’une rivière, d’une citerne, d’une source ou d’un étang.

[13891] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus tangendo illam aquam dedit vim regenerativam in tota specie aquae, instituens eam instrumentum Baptismi.

1. Le Seigneur, en touchant cette eau, a donné une puissance régénératrice à toute espèce d’eau, en l’instituant comme instrument du baptême.

[13892] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si baptizatur aliquis in mari, sola illa aqua maris pertinet ad Baptismum quae potest habere aliquem effectum in baptizato vel lavando vel infrigidando, et non totum mare.

2. Si quelqu’un est baptisé dans la mer, seule l’eau de la mer qui peut avoir un effet chez le baptisé en le lavant ou en le rafraîchissant aura un rapport au baptême, et non toute la mer.

[13893] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si aqua paludis esset intantum ingrossata quod recederet a vera raritate aquae non esset Baptismus, sicut si esset lutum, alias esset Baptismus, quia adhuc species aquae manet.

3. Si l’eau d’un marais était tellement épaisse qu’elle s’éloignait de la rareté véritable de l’eau, il n’y aurait pas baptême, comme si elle était de la boue ; autrement, il y aurait baptême, parce que l’espèce de l’eau demeure.

 

 

Articulus 4 [13894] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum immersio sit de necessitate Baptismi

Article 4 – Est-ce que l’immersion est nécessaire au baptême ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’immersion est-elle nécessaire au baptême ?]

 

[13895] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod immersio sit de necessitate Baptismi. Quia per Baptismum configuramur sepulturae Christi, ut dicitur Rom. 6. Sed hoc non fit per Baptismum nisi inquantum immergimur et occultamur in aqua, sicut Christus sub terra. Ergo immersio est de necessitate Baptismi.

1. Il semble que l’immersion soit nécessaire au baptême, car, par le baptême, nous sommes rendus semblables au Christ, comme il est dit en Rm 6. Or, cela n’est accompli par le baptême que si nous sommes immergés et cachés dans l’eau, comme le Christ sous la terre. L’immersion est donc nécessaire au baptême.

[13896] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Baptismus datur in remedium contra originale peccatum. Sed originale peccatum est in toto corpore. Ergo totum debet immergi.

2. Le baptême est donné comme remède contre le péché originel. Or, le péché originel se trouve dans tout le corps. Il doit donc être entièrement immergé.

[13897] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si aliqua pars sufficeret ut intingeretur, praecipue videretur de membris genitalibus, in quibus praecipue originale manet, et in quibus circumcisio fiebat. Sed ablutio non potest fieri congrue in illis membris, nisi totum corpus immergatur. Ergo totum corpus debet immergi.

3. S’il suffisait de toucher un membre, il semblerait que ce devrait être surtout le cas des membres génitaux, dans lesquels le [péché] originel réside principalement, et dans lesquels la circoncision était effectuée. Or, l’ablution ne peut être faite convenablement sur ces membres, à moins que tout le corps soit immergé. Tout le corps doit donc être immergé.

[13898] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est consuetudo in aliquibus Ecclesiis, in quibus quandoque per aspersionem et non per immersionem Baptismus celebratur.

S.c. 1 – En sens contraire, il y a la coutume de certaines églises, dans lesquelles le baptême est célébré parfois par aspersion, et non par immersion.

[13899] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, in Baptismo beati Laurentii legitur; quod Romanus ab eo baptizandus urceum aquae attulit, in quo constat quod immergi non poterat. Ergo immersio non est de necessitate Baptismi.

S.c. 2 – On lit, dans le baptême du bienheureux Laurent, que Romain apporta pour le baptiser une cruche d’eau, dans laquelle il est clair qu’il ne pouvait pas être immergé. L’immersion n’est donc pas nécessaire au baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’immersion est-elle nécessaire au baptême ?]

[13900] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debet esse trina. Baptismus enim est tinctio in aqua verbo vitae sanctificata, ut dicit Augustinus. Sed unus est Baptismus. Ergo debet esse una tinctio, sive immersio.

1. Il ne doit pas y avoir une triple [immersion]. En effet, le baptême est un bain dans une eau sanctifiée par la parole, comme le dit Augustin. Or, le baptême est unique. Il doit donc y avoir un seul bain ou immersion.

[13901] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, requiritur ad Baptismum fides de unitate et de Trinitate personarum. Sed Trinitas personarum sufficienter exprimitur in forma. Ergo unitas essentiae debet exprimi in unitate immersionis.

2. La foi en l’unité et en la trinité des personnes est nécessaire pour le baptême. Or, la trinité des personnes est suffisamment exprimée dans la forme. L’unité de l’essence doit donc être exprimée par l’unité de l’immersion.

[13902] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Baptismus est figura passionis Christi. Sed una est passio Christi. Ergo una debet esse immersio in Baptismo.

3. Le baptême est la figure de la passion du Christ. Or, la passion du Christ est unique. L’immersion du baptême doit donc être unique.

[13903] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod debet fieri Baptismus tribus immersionibus et elevationibus, ad designandum quod Christus in sepulcro jacuit tribus diebus et tribus noctibus.

S.c. 1 – En sens contraire, il y a ce que Denys dit, que le baptême doit être accompli par une triple immersion et une triple élévation, pour indiquer que le Christ a reposé au tombeau trois jours et trois nuits.

[13904] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, Chrysostomus super Joan. 3: fit immersio, ut discas quoniam virtus patris et filii et spiritus sancti omnia haec implet. Idem dicit Hieronymus super Epist. ad Ephes. 4.

S.c. 2 – Chrysostome [dit], en commentant Jn 3 : L’immersion est accomplie afin que tu apprennes que la puissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit remplit tout cela. Jérôme dit la même chose à propos de Ep 4.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une triple immersion est-elle nécessaire au baptême ?]

[13905] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod trina immersio sit de necessitate sacramenti. Legitur enim in decretis de consecratione, dist. 6: si quis presbyter vel episcopus semel immergat, et unam immersionem fecerit, deponatur. Hoc autem non esset, nisi trina immersio esset de necessitate sacramenti. Ergo est de necessitate sacramenti.

1. Il semble qu’une triple immersion soit nécessaire au baptême. En effet, on lit dans le Décret [de Gratien], à propos de la consécration, d. 6 : «Si un prêtre ou un évêque immerge une seule fois et accomplit une seule immersion, qu’il soit déposé.» Cela ne serait pas le cas si une triple immersion n’était pas nécessaire au baptême. Elle est donc nécessaire au baptême.

[13906] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut fides Trinitatis exprimitur per nomina trium personarum, ita per tres immersiones, ut ex dictis patet. Sed si non nominarentur tres personae non esset Baptismus. Ergo similiter si non trina immersio fiat.

2. De même que la foi en la Trinité est exprimée par les noms des trois personnes, de même en est-il par les trois immersions, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. Mais si les trois personnes n’étaient pas nommées, il n’y aurait pas baptême. De même donc, s’il n’y avait pas une triple immersion.

[13907] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si non trina immersio est de necessitate sacramenti, statim in prima immersione Baptismus habet totum effectum suum. Ergo aliae immersiones frustra adderentur, et fit injuria sacramento.

3. Si une triple immersion n’est pas nécessaire au baptême, le baptême a tout son effet dans la première immersion. Les autres immersions sont donc ajoutées inutilement, et on cause ainsi un tort au sacrement.

[13908] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod ipsa immersio non est de necessitate sacramenti. Ergo multo minus numerus immersionis.

S.c. 1 – En sens contraire, l’immersion elle-même n’est pas nécessaire au sacrement. Encore bien moins donc, le nombre d’immersions.

[13909] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, auctoritas Gregorii in littera posita dicit, quod utrumque potest fieri servata Ecclesiae consuetudine. Ergo non est de necessitate sacramenti neque una neque trina immersio.

S.c. 2 – L’autorité de Grégoire indiquée dans le texte dit que les deux choses peuvent être accomplies, en respectant la coutume de l’Église. Ni une seule, ni trois immersions ne sont donc nécessaires au sacrement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13910] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Baptismus ablutionem importat. Ablutio autem per aquam potest fieri non tantum per modum immersionis, sed per modum aspersionis vel effusionis; et ideo utroque modo potest fieri Baptismus. Et videtur quod apostoli hoc modo baptizarent, cum legatur quod simul una die conversi sunt quinque millia, et alia tria millia Act. 2 et 3; et ideo quando consuetudo Ecclesiae patitur, vel quando necessitas incumbit propter defectum aquae, sive propter periculum pueri, de cujus morte timetur, vel etiam propter imbecillitatem sacerdotis non potentis sustentare infantem, potest sine immersione Baptismus celebrari.

Le baptême comporte une ablution. Or, une ablution avec de l’eau peut être accomplie, non seulement par mode d’immersion, mais par mode d’aspersion ou d’effusion. Ainsi, le baptême peut être accompli des deux façons. Et il semble que les apôtres baptisaient de cette manière, puisqu’on lit que cinq mille personnes se sont converties d’un seul coup, la même journée, et trois autres mille, Ac 2 et 3. Ainsi, lorsque la coutume de l’Église le permet ou lorsque la nécessité s’impose en raison d’un manque d’eau, soit en raison d’un danger pour l’enfant dont on craint la mort, soit encore en raison de la faiblesse du prêtre qui ne peut soutenir l’enfant, le baptême peut être célébré sans immersion.

[13911] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in effusione aquae homo quodammodo sub aqua ponitur; et ideo quodammodo Christo per Baptismum consepelitur.

1. Même par l’effusion d’eau, un homme est d’une certaine manière placé sous l’eau. C’est pourquoi il est d’une certaine manière enseveli avec le Christ par le baptême.

[13912] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnes operationes animales a capite principium habent, quia Baptismus format animales habitus secundum definitionem Dionysii prius positam, art. 1, quaestiunc. 3, non autem naturales vel vitales; ideo si sit caput aspersum aqua, in totum corpus aspersio reputatur; sicut etiam juristae dicunt, quod ubi caput hominis jacet, reputatur ac si totus homo sepultus esset ibidem. Non sic autem est de aliis partibus.

2. Toutes les opérations de l’âme ont leur principe dans la tête, car le baptême donne forme aux dispositions de l’âme selon la définition de Denys déjà rapportée, a. 1. qa 3, mais non aux [dispositions] naturelles ou vitales. Ainsi, si la tête est aspergée par l’eau, on considère qu’une aspersion a été faite sur tout le corps, de même que les juristes disent que là où la tête d’un homme repose, on estime que tout l’homme a été enseveli. Mais il n’en est pas de même des autres membres.

[13913] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis originale peccatum consistat praecipue in membris genitalibus quantum ad originem, tamen in operationibus animalibus consummatur quantum ad rationem culpae; et ideo potius oportet Baptismum adhiberi circa caput, si necessitas incumbit, ut non totum corpus possit immergi.

3. Bien que le péché originel réside principalement dans les membres génitaux quant à son origine, cependant il est consommé par des opérations de l’âme quant à sa raison de faute. C’est pourquoi il est nécessaire que le baptême soit plutôt donné sur la tête, si la nécessité s’impose, afin que tout le corps puisse être immergé.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13914] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod congruentissime fit trina immersio, tum ad exprimendum in factis fidem Trinitatis, tum ad significandum Christi sepulturam, cui per Baptismum consepelimur, ut patet ex auctoritatibus inductis.

C’est avec une très grande convenance qu’une triple immersion est faite, tant pour exprimer par des gestes la foi en la Trinité, que pour signifier la sépulture du Christ, avec lequel nous sommes ensevelis par le baptême, comme cela ressort clairement des autorités invoquées.

[13915] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Magister exposuit tinctionem per ablutionem. Quamvis autem in trina immersione sit trina intinctio, tamen est una ablutio; sicut etiam in ablutionibus pure materialibus videmus contingere, quod aliquid pluries in aquam immergitur vel aqua perfunditur, antequam ablutio una sit perfecta.

1. Le Maître a interprété le bain comme une ablution. Mais bien que dans la triple immersion, il y ait un triple bain, il n’y a cependant qu’une seule ablution; de même nous voyons que, dans les ablutions purement matérielles, il arrive que quelque chose soit immergé dans l’eau ou qu’on y verse de l’eau plusieurs fois, avant qu’une seule ablution soit achevée.

[13916] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in fide Trinitatis includitur fides unitatis; et ideo in Baptismo cum fide Trinitatis expressa datur intelligi fides unitatis et in forma verborum per hoc quod singulariter dicitur: in nomine, et in immersione propter similitudinem immersionum. Non autem in fide unitatis includitur fides Trinitatis; et ideo congruentius est ut etiam in actu Baptismi fides Trinitatis exprimatur.

2. Il faut dire que, dans la foi en la Trinité, est comprise la foi en l’unité. C’est pourquoi, dans le baptême, la foi en l’unité doit être comprise avec la foi en la Trinité, ainsi que dans la forme des mots, par le fait qu’il est dit au singulier : «Au nom», et dans l’immersion, en raison de similitude des immersions. Mais la foi en la Trinité n’est pas comprise dans la foi en l’unité; c’est pourquoi il est plus convenable que la foi en la Trinité soit exprimée dans l’acte du baptême.

[13917] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis passio Christi sit una, tamen Christus passus triduo in sepulcro quievit: et hoc Baptismus significare debuit trina immersione.

3. Bien que la passion du Christ soit unique, cependant le Christ souffrant a reposé trois jours dans le sépulcre. Et le baptême devait signifier cela par une triple immersion.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13918] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum trina immersio non sit ad significandum rem in sacramento contentam, quam oportet per materiam et usum sacramenti significari, sed significet rem significatam et non contentam, quae significatio non est principalis in sacramento, trina immersio, ut in littera dicitur, non est de necessitate sacramenti. Si tamen omittatur contra consuetudinem Ecclesiae, graviter aliquis peccat semel tantum immergens; et ideo per canones poena adhibetur.

 

Puisque la triple immersion n’est pas destinée à signifier une réalité contenue dans le sacrement, qui devrait être signifiée par la matière et par l’usage du sacrement, mais à signifier une réalité signifiée et non contenue, signification qui n’est pas la principale dans le sacrement, la triple immersion, comme on le dit dans le texte, n’est pas nécessaire au sacrement. Cependant, si elle est omise à l’encontre de la coutume de l’Église, on pèche gravement en n’immergeant qu’une seule fois. C’est pourquoi une peine est imposée par les canons.

[13919] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Per quod patet solutio ad primum.

1. La solution au premier argument est ainsi claire.

[13920] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma principaliter debet significare illud unde est efficacia in sacramento, cum sit medium quo quasi pervenit efficacia ad materiam quae verbo illo sanctificatur; sed materia debet principaliter significare effectum qui immediate consequitur ex usu ejus.

2. La forme doit signifier principalement ce qui à l’origine de l’efficacité du sacrement, puisqu’elle est le moyen par lequel l’efficacité atteint la matière qui est sanctifiée par cette parole. Mais la matière doit signifier principalement l’effet qui découle immédiatement de son usage.

[13921] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unitas intentionis in tribus immersionibus facit unitatem Baptismi, ut dictum est; et ideo quando aliquis intendit ter immergere, prima immersio non terminat intentionem baptizantis, et per consequens nec esse Baptismi completur, nec per illam tantum habet effectum, nisi per ordinem ad alias; unde aliae non superfluunt. Si autem non intendit nisi unam facere, prima sola complet Baptismum, terminans intentionem baptizantis.

3. L’unité d’intention dans les trois immersions fait l’unité du baptême, comme on l’a dit. C’est pourquoi lorsque quelqu’un a l’intention d’immerger trois fois, la première immersion ne met pas un terme à l’intention de celui qui baptise, et par conséquent l’existence du baptême n’est pas achevée, et il n’a pas non par elle un aussi grand effet, si ce n’est qu’elle est ordonnée aux autres [immersions]. Les autres [immersions] ne sont donc pas superflues. Mais s’il a l’intention de n’en accomplir qu’une seule, la première achève le baptême, en mettant un terme à l’intention de celui qui baptise.

 

 

Articulus 5 [13922] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 tit. Utrum fuerit necessarium instituere Baptismum post circumcisionem

Article 5 – Était-il nécessaire d’instituer le baptême après la circoncision ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que le baptême soit institué après la circoncision ?]

 

[13923] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non fuit necessarium instituere Baptismum post circumcisionem. Causa enim institutionis Baptismi, ut in littera dicitur, est innovatio mentis. Sed circumcisio mentem innovabat, cum peccatum auferret, et gratiam conferret, ut supra dictum est, dist. 1, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 5. Ergo non fuit necessarium Baptismum instituere.

1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire d’instituer le baptême après la circoncision. En effet, la cause de l’institution du baptême, comme on le dit dans le texte, est le renouvellement de l’esprit. Or, la concision renouvelait l’esprit puisqu’elle enlevait le péché et conférait la grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 2, a. 2, qa. 5. Il n’était donc pas nécessaire d’instituer le baptême.

[13924] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in sacramentis efficacia respondet significationi. Sed circumcisio expressius significat, ut videtur, ablationem originalis et quantum ad causam ablationis, quae est effusio sanguinis Christi et quantum ad causam traductionis, quae est generatio, in membris generationis cum sanguinis effusione facta. Ergo habuit majorem efficaciam quam Baptismus; et ita non debuit post eam Baptismus institui.

2. Dans les sacrements, l’efficacité correspond à la signification. Or, la circoncision exprime plus explicitement, semble-t-il, l’enlèvement du [péché] originel, tant pour ce qui est de la cause de l’enlèvement, qui est l’effusion du sang du Christ, que pour la cause de la transmission, accomplie qu’elle est dans les membres de la génération avec effusion de sang. Elle avait donc une plus grande efficacité que le baptême, et ainsi le baptême ne devait pas être instituée après elle.

[13925] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, perfectum debet imperfecto succedere. Sed Baptismus est perfectior circumcisione, quia communior est. Ergo debuit post circumcisionem institui.

S.c. 1 – Le parfait doit succéder à l’imparfait. Or, le baptême est plus parfait que la circoncision, parce qu’il est plus commun. Il devait donc être institué après la circoncision.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême a-t-il existé avant la passion ?]

[13926] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fuerit ante passionem institutus: quia dominus tactu carnis suae, vim regenerativam contulit aquis. Sed hoc fuit ante passionem in Baptismo suo. Ergo ante passionem fuit institutus.

1. Il semble qu’il ait été institué avant la passion, car le Seigneur a donné aux eaux une puissance régénératrice par le contact de sa chair. Or, cela s’est réalisé dans son baptême avant la passion. Il a donc été institué avant la passion.

[13927] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Joan. 3, 5, dixit: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei. Sed hoc fuit ante passionem. Ergo Baptismus ante passionem fuit institutus.

2. Jn 3, 5 dit : Si quelqu’un ne naît pas à nouveau de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Or, cela eut lieu avant la passion. Le baptême n’a donc pas été institué avant la passion.

[13928] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, causam non praecedit effectus. Sed Baptismus habet efficaciam a passione Christi. Ergo non debuit ante passionem institui.

S.c. 1 – En sens contraire, l’effet ne précède pas la cause. Or, le baptême tire son efficacité de la passion du Christ. Il ne devait donc pas être institué avant la passion.

[13929] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, Baptismus non fuit sine forma sua. Sed forma fuit instituta post passionem, Matth. ult. Ergo et Baptismus.

S.c. 2 – Le baptême n’a pas existé sans sa forme. Or, sa forme fut institutée après la passion, en Mt 28. De même le baptême l’a-t-il été.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13933] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod secundum Hugonem de sancto Victore, oportuit ut secundum processionem temporum spiritualium gratiarum signa magis ac magis evidentia darentur; et ideo oportuit quod Baptismus post circumcisionem institueretur; quia circumcisio significabat tantum in removendo; perfectio autem sanctificationis non est in removendo, sed in collatione gratiae, cujus effectus aqua figurat, scilicet vitam, illuminationem, et hujusmodi, de quibus dictum est; et propter hoc significat ablutionem; et iterum etiam est perfectio quantum ad usum, quia sexui utrique communis est, quod non erat de circumcisione.

Il faut dire que, selon Hugues de Saint-Victor, il était nécessaire que, selon le cours du temps, des signes de plus en plus manifestes des grâces spirituelles devaient être donnés. C’est pourquoi il fallait que le baptême soit institué après la circoncision, car la circoncision signifiait seulement par le fait d’enlever, et la perfection de la sanctification ne consiste pas seulement dans le fait d’enlever, mais dans le fait de conférer la grâce, dont l’eau représente l’effet, à savoir, la vie, l’illumination et les choses de ce genre, dont on a parlé. Pour cette raison, elle signifie l’ablution. De plus, [le baptême] est aussi une perfection pour ce qui est de son usage, car il est commun aux deux sexes, ce qui n’était pas le cas de la circoncision.

[13934] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis circumcisio auferret culpam sicut Baptismus, non tamen conferebat tantam plenitudinem gratiae sicut Baptismus, nec tantum diminuebat fomitem; et ideo oportuit Baptismum succedere. Innovatio enim non solum consistit in remotione culpae, sed in collatione gratiae.

1. Bien que la circoncision ait enlevé la faute comme le baptême, elle ne conférait cependant pas une aussi grande plénitude de grâce que le baptême et ne diminuait pas autant le désir désordonné. Il fallait donc que le baptême lui succède. En effet, le renouvellement ne consiste pas seulement dans l’enlèvement de la faute, mais dans la grâce conférée.

[13935] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illae significationes sunt rerum non contentarum; et ideo de illis nihil ad propositum.

2. Ces significations sont celles de réalités non contenues. Ainsi, elles ne sont en rien concernées.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13936] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod multiplex fuit Baptismi institutio. Fuit enim primo institutus quantum ad materiam in Baptismo Christi; tunc enim vim regenerativam aquis contulit; et aliquo modo fuit forma figurata per praesentiam trium personarum in signo visibili, quia pater apparuit in voce, filius in carne, spiritus sanctus in columba; et similiter fructus Baptismi ibi praefiguratus fuit, quia caeli aperti sunt super eum. Sed necessitas ejus fuit declarata Joan. 3, 5, ubi dicit: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest introire in regnum Dei. Sed usus fuit inchoatus quando misit discipulos ad praedicandum et baptizandum, ut patet Matth. 10. Sed efficaciam habuit ex passione Christi, quantum ad ultimum effectum, qui est apertio januae. Sed divulgatio ejus quantum ad omnes nationes praecepta fuit Matth. ult., 10, ubi dixit: euntes, docete omnes gentes et cetera.

L’institution du baptême a été multiple. Il a été institué quant à sa matière dans le baptême du Christ : en effet, il a alors conféré aux eaux une puissance régénératrice et, d’une certaine manière, la forme était représentée par un signe visible par la présence des trois personnes, puisque le Père apparut dans la voix, le Fils dans la chair, et l’Esprit Saint dans la colombe. De même, le fruit du baptême y était préfiguré, car les cieux se sont ouverts au-dessus de lui. Mais la nécessité [du baptême] fut déclarée en Jn 3, 5, où [le Seigneur] dit : Si quelqu’un ne naît pas à nouveau de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Mais son usage fut amorcé lorsqu’il envoya les disciples prêcher et baptiser, comme cela ressort clairement de Mt 10. Il tira cependant son efficacité de la passion du Christ quant à son effet ultime, qui est l’ouverture de la porte [des cieux]. Cependant, sa divulgation à toutes les nations fut ordonnée en Mt 28, 10, où [le Seigneur] dit : Allez, enseignez toutes les nations, etc.

[13937] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. Tamen sciendum, quod Matth. ult., non fuit forma instituta cum ante passionem in eadem forma baptizaverint sicut in littera dicitur, sed fuit iterata.

1. Ainsi ressort clairement la solution des objections. Cependant, il faut savoir que, en Mt 28, la forme ne fut pas instituée, puisque, avant la passion, ils avaient baptisé selon la même forme, comme on le dit dans le texte, mais elle fut réitérée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[13938] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ante passionem nullus obligabatur ad Baptismum, quia tunc non erat institutus ad obligandum, sed ad exercitandum; sed post passionem obligatorium fuit, quando circumcisio mortua fuit quantum ad omnes ad quos institutio potuit pervenire.

Avant la passion, personne n’était obligé au baptême, car il n’avait pas alors été institué en vue d’être obligatoire, mais en vue d’être fréquemment mis en œuvre. Mais, après la passion, il était obligatoire, après la mort de la circoncision, pour tous ceux à qui son institution a pu parvenir.

[13939] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. Dominus enim Joan. 3, magis praedixit obligationem futuram quam narraret praesentem nec praeceptum obligat antequam sit divulgatum.

Par cela, la réponse aux objections est claire. En effet, en Jn 3, le Seigneur a plutôt prédit une obligation future que décrit une [obligation] présente, et un précepte n’oblige pas avant d’être divulgué.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 3

[13940] Super Sent., lib. 4 d. 3 q. 1 a. 5 qc. 3 expos. Baptismus dicitur corporis tinctio et cetera. Sciendum est, quod baptizare in Graeco, idem est quod lavare: a lavando enim duo dicuntur, scilicet lavacrum, quod significat aquam, in qua fit lotio humano artificio praeparatam; alio modo lotio, quae significat usum lavacri. Baptismus ergo potest significare ipsam aquam, quae dicitur lavacrum; unde dicitur Tit. 3, 5: per lavacrum regenerationis et renovationis spiritus sancti; et potest significare ipsam ablutionem. Marc. 7, 8: tenentes Baptismata hominum, et calicum, et urceorum; idest ablutiones. Et ideo Hugo de sancto Victore, definivit Baptismum aquam quantum ad primam acceptionem; Magister vero ablutionem quantum ad secundam. Sed haec definitio est magis propria quia aqua non significat mundationem, neque causat, nisi secundum quod est abluens. Unde est haec tanta virtus aquae, ut corpus tangat, et cor abluat, nisi faciente verbo ? Quid sit ista virtus, et quando sit data; dictum est supra, dist. 1, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 2. Unde nihilominus insinuare videtur verum Baptisma dari posse in nomine patris tantum et cetera. Hoc est intelligendum in simili casu, sicut apostoli in nomine Christi baptizabant; alias Magister falsum diceret. Celebratur autem hoc sacramentum tantum in aqua. Sciendum, quod aqua est materia Baptismi, et potest tripliciter considerari. Quia secundum quod consideratur in sua propria natura est quasi materia remota, quia ex naturali proprietate habet aliquam convenientiam ad hoc quod sit Baptismi materia ratione similitudinis. Secundum autem quod est instituta ad hoc, accipiens vim regenerativam ex tactu carnis salvatoris, sic est materia quasi disposita. Secundum autem quod consideratur sub forma verborum, est quasi materia jam informata. Solet autem quaeri, si circumcisio amisit statim vim suam ab institutione Baptismi. De hac dictum est prius distinct. 1. Aditum nobis regni aperuit. Apertio januae non est aliud quam remotio impedimenti quod prohibebat totum humanum genus ab introitu caeli: quod quidem ablatum est per passionem Christi, ut dictum est in 3 Lib., dist. 18, qu. 1, art. 6, quaestiunc. 3.

 

 

 

Distinctio 4

Distinction 4 – [L’effet du baptême pour ceux qui le reçoivent]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’effet du baptême quant à sa réalité qui est un sacrement]

 

Prooemium

Prologue

[13941] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de Baptismo quantum ad ea quae conveniunt ei secundum se considerato, hic determinat de effectu Baptismi per comparationem ad accipientes; et dividitur in partes duas: in prima determinat de effectu Baptismi communiter quantum ad omnes; in secunda specialiter quantum ad parvulos, ibi: solet etiam quaeri, si parvulis in Baptismo datur gratia; prima dividitur in partes tres: in prima ostendit quomodo quidam recipiunt sacramentum et rem sacramenti; in secunda quomodo quidam sacramentum recipiunt, et non rem, ibi: qui vero sine fide vel ficte accedunt, sacramentum, non rem suscipiunt; in tertia quomodo quidam accipiunt rem, et non sacramentum, ibi: sunt et alii, ut supra posuimus, qui suscipiunt rem, et non sacramentum. Circa secundum duo facit: primo determinat veritatem; secundo objicit in contrarium, ibi: videtur tamen Augustinus dicere, quod etiam ficte accedenti (...) omnia condonentur peccata, et post Baptismum mox redeant. Et circa hoc duo facit: primo objicit per auctoritatem Augustini, qui contrarium ex auctoritate apostoli probare videtur; secundo solvit: et primo ad auctoritatem Augustini, ibi: hoc tamen, ut supra diximus, non sub assertione dixit; secundo ad auctoritatem apostoli, ibi: quaeritur ergo quomodo illud accipiatur. Quotquot in Christo baptizati estis, Christum induistis. Sunt et alii, ut supra posuimus, qui suscipiunt rem, et non sacramentum. Hic determinat de illis qui recipiunt rem sine sacramento, et circa hoc duo facit: primo ostendit quod quidam accipiunt rem sine sacramento; secundo inquirit, quid postmodum per hujusmodi sacramentum addatur, quando sacramentum susceperint, ibi: solet etiam quaeri de illis qui jam sanctificati spiritu, cum fide et caritate ad Baptismum accedunt. Circa primum duo facit: primo ostendit veritatem; secundo excludit errorem, ibi: sed dicunt aliqui nullum adultum in Christum credere, vel caritatem habere sine Baptismo, nisi sanguinem fundat pro domino. Circa primum duo facit: primo ostendit propositum; secundo respondet cuidam objectioni, ibi: his autem videntur obviare et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit quod patientes pro Christo, si non sunt baptizati, recipiunt rem sacramenti sine sacramento; secundo ostendit idem de illis qui fidem et contritionem habent, ibi: nec tamen passio vicem Baptismi implet, sed etiam fides et contritio, ubi necessitas excludit sacramentum. Sed dicunt aliqui nullum adultum in Christum credere et cetera. Hic excludit errorem dicentium, non posse aliquem salvari per fidem et contritionem sine Baptismo; et circa hoc duo facit: primo ostendit hoc esse falsum quantum ad adultos; secundo ostendit hoc esse verum quantum ad parvulos, ibi: parvulis non sufficit fides Ecclesiae sine sacramento. Solet quaeri de illis qui jam sanctificati spiritu, cum fide et caritate ad Baptismum accedunt. Hic determinat de Baptismo eorum qui prius rem sacramenti acceperant; et circa hoc duo facit: primo ostendit effectum Baptismi in eis; secundo significationem, ibi: si quaeritur cujus rei Baptismus ille sit sacramentum qui datur jam justo; dicimus et cetera. Hic est triplex quaestio. Primo de effectu qui est in Baptismo sacramentum et res, scilicet de charactere. Secundo de eo quod est res tantum, scilicet effectu ultimo Baptismi. Tertio de suscipientibus alterum vel utrumque: quia de eo quod est sacramentum tantum, in praecedenti dictum est. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum sit character; 2 quid sit; 3 in quo sit; 4 a quo sit.

Après avoir déterminé, à propos du baptême, ce qui le concerne en lui-même, ici il détermine l’effet du baptême par rapport à ceux qui le reçoivent. Il y a deux parties : dans la première, il détermine l’effet du baptême d’une manière générale pour tous ; dans la seconde, [il détermine] en particulier ce qui concerne les enfants, en cet endroit : «On a aussi l’habitude de demander si, par le baptême, la grâce est donnée aux enfants.» La première [partie] se divise en trois : dans la première, il montre comment certains reçoivent le sacrement et la réalité du sacrement ; dans la deuxième, comment certains reçoivent le sacrement, mais non sa réalité, à cet endroit : «Mais ceux qui s’en approchent sans la foi et par feinte, reçoivent le sacrement, mais non sa réalité» ; dans la troisième, comment certains reçoivent la réalité, mais non le sacrement, à cet endroit : «Il y en a d’autres, comme nous l’avons dit plus haut, qui reçoivent la réalité, mais non le sacrement.» À propos de la deuxième [partie], il fait deux choses : premièrement, il détermine la vérité ; deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, à cet endroit : «Cependant, Augustin semble dire que même à celui qui s’en approche avec feinte…, tous ses péchés sont pardonnés, et qu’aussitôt après le baptême, ils reviennent.» À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente l’objection selon l’autorité d’Augustin, qui semble montrer le contraire selon l’autorité de l’Apôtre ; deuxièmement, il résout [l’objection]. Premièrement, selon l’autorité d’Augustin, à cet endroit : «Cependant, comme nous l’avons dit plus haut, il n’a pas dit cela en l’affirmant» ; deuxièmement, selon l’autorité de l’Apôtre, en cet endroit : «On se demande donc comment cela se comprend : Vous tous qui avez été baptisés, vous avez revêtu le Christ.» Mais il y en a d’autres, comme nous l’avons dit plus haut, qui reçoivent la réalité, mais non le sacrement. Ici, il détermine ceux qui reçoivent la réalité sans le sacrement. Et, à ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que certains reçoivent la réalité sans le sacrement ; deuxièmement, il se demande ce qui est ajouté par la suite par le sacrement, lorsque le sacrement sera reçu, à cet endroit : «On a aussi coutume de s’interroger sur ceux qui ont déjà été sanctifiés par l’Esprit, lorsqu’ils s’approchent du sacrement avec foi et charité.» À propops du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre la vérité ; deuxièmement, il écarte l’erreur, à cet endroit : «Mais certains disent qu’aucun adulte ne croit au Christ ou ne possède la charité sans le baptême, à moins de verser son sang pour le Seigneur.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que ceux qui souffrent pour le Christ, s’ils ne sont pas baptisés, reçoivent la réalité du sacrement sans le sacrement ; deuxièmement, il montre la même chose pour ceux qui ont la foi et la contrition, à cet endroit : «Toutefois, ce n’est pas seulement la souffrance [passio] qui tient lieu de baptême, mais aussi la foi et la contrition, lorsque la nécessité exclut le sacrement.» «Mais certains disent qu’aucun adulte ne croit au Christ, etc.» Ici, il écarte l’erreur de ceux qui disent qu’on ne peut être sauvé par la foi et la contrition sans le baptême. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que cela est faux pour les adultes ; deuxièmement, il montre que cela est vrai pour les enfants, à cet endroit : «La foi de l’Église sans le sacrement ne suffit pas aux enfants.» «On a l’habitude de s’interroger sur ceux qui, déjà sanctifiés par l’Esprit, s’approchent du baptême avec foi et charité.» Ici, il détermine à propos du baptême de ceux qui avaient d’abord reçu la réalité du sacrement. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre l’effet du baptême en eux ; deuxièmement, sa signification, en cet endroit : «Si on se demande de quelle réalité ce baptême est le sacrement donné à un juste, nous disons, etc.» Ici, il y a trois questions. Premièrement, à propos de l’effet de ce que sont dans le baptême le sacrement et la réalité [du sacrement], à savoir, à propos du caractère. Deuxièmement, à propos de ce qui en est la réalité seulement, à savoir, de l’effet ultime du baptême. Troisièmement, à propos de ceux qui reçoivent l’un des deux ou les deux, car on a parlé précédemment de ce qui est le sacrement seulement. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Est-ce qu’il existe un caractère ? 2 – Quel est-il ? 3 – Chez qui existe-t-il ? 4 – D’où vient-il ?

 

 

Articulus 1 [13942] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum character sit in anima

Article 1 – Est-ce qu’il existe un caractère dans l’âme ?

[13943] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod character non sit in anima. Quia, ut in 2 Ethic., philosophus dicit, omne quod est in anima, est potentia, vel passio, vel habitus. Sed character non est potentia, quia potentiae omnibus hominibus communes sunt; character autem non, cum sit distinctivum signum, sicut ipsum nomen ostendit; et praeterea potentiae sunt a natura, non autem character. Nec iterum est passio, quia passiones animae contingunt cum aliqua transmutatione corporali, ut dicitur in 1 de anima, et pertinent ad sensitivam partem, ut dicitur 7 Physicor. Nec iterum est habitus, quia habitus ordinantur ad agendum, ut patet per definitionem Augustini: habitus est quo quis agit, cum opus fuerit. Ergo character collatus in Baptismo, non est aliquid in anima.

1. Il semble qu’il n’y ait pas de caractère dans l’âme. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, II, tout ce qui existe dans l’âme est soit une puissance, soit une passion, soit un habitus. Or, le caractère n’est pas une puissance, car toutes les puissances sont communes aux hommes, mais le caractère ne l’est pas puisqu’il est un signe distinctif, comme le montre son nom ; au surplus, les puissances viennent de la nature, mais non le caractère. [Le caractère] n’est pas non plus une passion, car les passions de l’âme surviennent avec une certaine transformation corporelle, comme il est dit dans Sur l’âme, I, et elles appartiennent à la partie sensible, comme il est dit dans Physique, VII. [Le caractère] n’est pas non plus un habitus, car les habitus sont ordonnés à l’action, comme cela ressort clairement de leur définition par Augustin : «L’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque cela est nécessaire.» Le caractère conféré dans le baptême n’est donc pas quelque chose dans l’âme.

[13944] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod est, reducitur ad aliquod genus entis. Sed character non videtur posse reduci ad aliquod genus entis, nisi forte ad qualitatem. Qualitas autem esse non potest, cum sub nulla specie qualitatis contineatur. Non enim est habitus, ut probatum est; nec dispositio, cum non sit facile mobilis, immo omnino indelebilis; nec iterum est potentia naturalis, ut probatum est; nec impotentia, quia tunc sacramenta quae characterem imprimunt, magis officerent quam juvarent; nec iterum est passio, ut probatum est; nec passibilis qualitas, cum non sit natus aliquam passionem sensui inferre, nec a passione aliqua innascatur; nec iterum est forma, et circa aliquid constans figura, quia figura est terminatio quantitatis, anima autem non habet quantitatem. Ergo character nihil est.

2. Tout ce qui existe se ramène à un genre de l’être. Or, le caractère ne semble pas pouvoir se ramener à un genre de l’être, sauf peut-être à la qualité. Or, il ne peut être une qualité puisqu’il ne se trouve dans aucune espèce de qualité. En effet, il n’est pas un habitus ; ni une disposition, puisqu’il n’est pas mis en mouvement facilement, bien plus, qu’il est totalement indélébile ; il n’est pas non plus une puissance naturelle, comme on l’a montré ; il n’est pas non plus une incapacité, puisqu’alors les sacrements qui impriment un caractère nuiraient davantage qu’ils n’aideraient ; il n’est pas non plus une passion, comme on l’a montré ; ni une qualité sujette à une passion, puisqu’il n’est pas destiné à provoquer une passion dans un sens, ni n’apparaît dans un sens ; il n’est pas non plus une forme ni une figure entourant quelque chose, car la figure est le terme de la quantitié et l’âme n’a pas de quantité. Le caractère n’est donc rien.

[13945] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Sed ea quae Christo competunt, sunt contraria his quae ad Diabolum pertinent. Cum ergo character bestiae, de qua dicitur Apoc. 13, nihil aliud sit quam peccatum mortale, videtur quod supra virtutem et gratiam non oporteat in anima aliquem characterem poni.

3. Les contraires font partie du même genre. Or, ce qui se rapporte au Christ est contraire à ce qui se rapporte au Diable. Puisque le caractère de la Bête, dont on parle dans Ap 13, n’est rien d’autre que le péché mortel, il semble donc qu’il ne faille pas situer dans l’âme un caractère en plus de la vertu et de la grâce.

[13946] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ea quae sunt in sacramentis novae legis, ordinantur ad causandum gratiam. Sed character non videtur posse gratiam causare, quia multi characterem habere dicuntur qui gratia carent. Ergo non videtur in sacramentis aliquis character imprimi.

4. Ce qui fait partie des sacrements de la loi nouvelle est ordonné à causer la grâce. Or, le caractère ne semble pas pouvoir causer la grâce, car on dit de plusieurs à qui la grâce fait défaut qu’ils possèdent un caractère. Il ne semble donc pas qu’un caractère soit imprimé par des sacrements.

[13947] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, si dicatur quod est dispositio ad gratiam; contra. Agens infinitum non requirit materiam dispositam. Sed dispositio non est necessaria nisi ad hoc quod materia sit disposita. Cum ergo gratia sit ab agente infinitae virtutis, videtur quod non oporteat characterem dari in sacramentis ad disponendum ad gratiam.

5. Si l’on dit qu’il est une disposition à la grâce, on objectera qu’un agent infini ne requiert pas de matière disposée. Or, une disposition n’est nécessaire que pour que la matière soit disposée. Puisque la grâce vient d’un agent dont la puissance est infinie, il semble donc qu’il n’est pas nécessaire qu’un caractère soit donné dans des sacrements pour disposer à la grâce.

[13948] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Damascenus, in definitione Baptismi ponit sigillum. Sed sigillum impressum in aliquo est character quidam. Ergo in sacramentis character imprimitur.

S.c. 1 – En sens contraire, [Jean] Damascène met un sceau dans la définition du baptême. Or, le sceau imprimé chez quelqu’un est un caractère. Un caractère est donc imprimé dans des sacrements.

[13949] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 S.c. 2 Praeterea, ubicumque est aliqua distinctio competit esse aliquem characterem distinguentem. Sed per sacramenta fit distinctio fidelium ab infidelibus, et fidelium ab invicem. Ergo competit in sacramentis characterem dari.

S.c. 2 – Partout où il existe une certaine distinction, il convient qu’il y ait un caractère distinctif. Or, par les sacrements, une distinction est faite entre les fidèles et les infidèles, et entre les fidèles eux-mêmes. Il convient donc qu’un caractère soit donné dans les sacrements.

[13950] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 S.c. 3 Praeterea, per sacramentum configuramur Christo: quia ab eo sacramenta efficaciam habent, et ipsum significant. Sed configuratio fit per characterem assimilationis. Ergo in sacramentis competit esse characterem.

 S.c. 3 – Par le sacrement, nous sommes rendus conformes au Christ, car les sacrememts reçoivent de lui leur efficacité et le signifient. Or, la conformation se réalise par un caractère qui assimile. Il convient donc qu’il y ait un caractère dans les sacrements.

[13951] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 co.

Respondeo dicendum, quod characterem in sacramentis quibusdam imprimi, omnes moderni confitentur; sed in modo ponendi ipsum in anima partim differunt, et partim conveniunt. Conveniunt quidem in hoc quod omnes dicunt per characterem importari relationem triplicem. Est enim character signum distinctivum et configurativum. Inquantum ergo est signum, importat relationem ad signatum; inquantum autem est distinctivum, importat relationem ad ea a quibus distinguit; inquantum autem est configurativum, importat relationem ad ea quibus assimilat. Differunt autem in hoc, quia quidam ponunt istis relationibus non subesse aliquod accidens absolutum, sed immediate in anima fundari istas relationes. Hoc autem esse non potest: quia signum per formam quam sensibus vel intellectui imprimit, facit aliquid in cognitionem venire. Similiter etiam nihil distinguitur ab alio nisi per aliquam formam. Similitudo etiam est relatio super unitate qualitatis fundata, ut dicitur in 5 Metaph. Unde patet quod quaelibet illarum relationum quam importat character, requirit aliquam formam substratam; et cum non sit forma substantialis, quia forma substantialis in sacramentis non datur, relinquitur quod forma substrata sit qualitas quaedam, cujus unitas consignificationis similitudinem facit. Et ideo quidam dicunt, quod non est in aliqua quatuor specierum qualitatis, et tamen est in genere qualitatis, innitentes illi verbo philosophi in praedicamentis: fortasse, inquit, apparebunt alii qualitatis modi. Sed haec est nuga quaedam: quia quamvis sint alii modi qualitatis, tamen omnes reducuntur ad has species: quod patet ex hoc quod nulla alia species inveniri adhuc potuit. Et ideo dicunt alii, quod est in quarta specie qualitatis: quia in ipsa configuratio quam character suo nomine exprimit, importat unitatem figurae, quae est in specie quarta qualitatis. Et quidam dicunt hanc figuram esse crucem Christi. Sed hoc non potest stare: quia aut figura proprie accipitur, aut metaphorice. Si proprie accipitur, sic importat terminationem quantitatis dimensivae, quam constat in anima non esse. Si autem metaphorice dicatur, tunc oportet quod metaphora reducatur ad proprietatem: quia res non ponitur in genere per id quod de eo metaphorice dicitur; sicut non dicitur quod apostoli sint in genere qualitatis, quia eis dictum est, Matth. 5: vos estis lux mundi. Nec poterit aliquid in quarta specie qualitatis inveniri quod sit in anima secundum proprietatem; unde character, de quo loquimur, non potest fundari supra qualitatem quartae speciei. Et ideo quidam dicunt, quod est in tertia specie qualitatis, eo quod sensui spirituali infert quamdam muliebrem passionem, inquantum animam ornat et decorat. Sed hoc iterum non potest stare: quia, sicut probat philosophus in 7 Physic.; tertia species qualitatis non est nisi in sensibili parte animae: character autem a nullo ponitur in hac parte animae, sed in intellectiva. Et praeterea illae qualitates semper habent ordinem ad aliquam transmutationem corporalem, vel quam inferunt, vel a qua causantur. Et ideo alii dicunt, quod est in prima specie qualitatis, et est quasi media inter dispositionem et habitum. Inquantum enim est difficile mobilis, convenit cum habitu, inquantum autem non est ultima perfectio, sed ad gratiam disponit, cum dispositione convenit. Sed hoc non potest stare: quia secundum philosophum in 2 Ethic., habitus est quo habemus nos ad passiones bene vel male; et universaliter consideranti haec apparet differentia inter habitum et potentiam, quia potentia est qua possumus aliquid simpliciter, habitus autem quo possumus illud bene vel male; sicut intellectus quo consideramus, scientia qua bene consideramus, concupiscibilis qua concupiscimus, temperantia qua bene concupiscimus, intemperantia qua male; et similiter est de dispositione: quia nihil aliud est dispositio quam quidam habitus incompletus. Cum ergo character ordinetur ad aliquid simpliciter non ad illud bene vel male (quia sacerdos potest conficere bene vel male) non potest esse quod qualitas, super quam fundatur relatio characteris sit habitus, sed magis potentia. Unde relinquitur quod non sit in prima specie qualitatis; sed magis reducitur ad secundam, ut quidam alii dicunt; et hoc sic patet. Sicut enim cujuslibet existentis in aliqua natura, sunt aliquae operationes propriae, ita etiam in spirituali vita regenerati, ut Dionysius dicit. Ubicumque autem sunt operationes propriae, oportet quod sint principia propria illarum operationum. Unde sicut in aliis rebus sunt potentiae naturales ad proprias operationes, ita etiam renati in vitam spiritualem habent quasdam potentias, secundum quas possunt illa opera: quae potentiae sunt similes illis virtutibus quibus sacramenta efficaciam habent sibi inditam: quia sicut sacramenta causant gratiam instrumentaliter, ut supra, dist. 1, qu. 1, art. 4, dictum est, ita recipientes characterem operantur divina per ministerium. Minister autem est sicut instrumentum ejus cui ministrat; unde dicit philosophus, quod servus est sicut organum animatum; et ideo tam virtus sacramenti quam minister et character est instrumentalis. Et quod hujusmodi potentia sit character, patet si quis diligenter considerat verba Dionysii, a quo prima traditio characteris nobis advenit. Assignans enim ministerium ritus cujusdam qui in primitiva Ecclesia erat, quando adulti baptizabantur, quod accedenti ad Baptismum hierarcha, idest pontifex, manum imponebat, et signabat eum signo crucis, et praecipiebat eum describi inter nomina Christianorum, ut de cetero ad divina cum aliis admitteretur, dicit, quod sic accedentem, scilicet ad vitam spiritualem, divina beatitudo in sui participationem recipit, sicut sacerdos baptizandum in proprio lumine quasi quoddam signum ipsi tradit, scilicet sui participationem, perficiens eum, scilicet divinum et communicantem divinorum et cetera. Patet ergo quod ipse per hoc signum nihil aliud intendit quam illud quod facit eum participativum divinarum operationum; unde hoc signum nihil aliud est quam quaedam potentia qua potest in actiones hierarchicas, quae sunt ministrationes et receptiones sacramentorum, et aliorum quae ad fideles pertinent et ad hoc quod has operationes bene exerceat indiget habitu gratiae, sicut et aliae potentiae habitibus indigent.

Réponse

Tous les modernes reconnaissent qu’un caractère est imprimé par certains sacrements, mais, sur la manière de le situer dans l’âme, ils divergent partiellement et ils sont partiellement d’accord. Ils sont d’accord sur le fait que tous disent que, par le caractère, une triple relation est établie. En effet, le caractère est un signe distinctif qui donne une ressemblance. Pour autant qu’il est un signe, il comporte donc une relation à ce qui est signifié ; pour autant qu’il est distinctif, il comporte une relation à ce dont il distingue ; et pour autant qu’il donne une ressemblance, il comporte une relation à ce à quoi il assimile. Mais ils divergent sur le fait que certains affirment qu’il n’existe pas d’accident absolu sous-jacent, mais que ces relations ont leur base dans l’âme de manière immédiate. Mais cela ne peut pas être le cas, car le signe, par la forme qu’il imprime dans les sens ou dans l’intelligence, fait que quelque chose vient à la connaissance. De la même façon, rien n’est distingué que par une certaine forme. De plus, la ressemblance est une relation fondée sur l’unité d’une qualité, comme il est dit dans Métaphysique, V. Ainsi, il est clair que chacune des relations qui comportent un caractère exige une certaine forme sous-jacente. Et puisqu’il ne s’agit pas de la forme substantielle, puisque la forme substantielle n’est pas donnée par les sacrements, il reste que la forme sous-jacente soit une qualité, dont l’unité de la signification réalise la ressemblance. C’est pourquoi certains disent qu’elle ne fait pas partie des quatre espèces de qualités, mais qu’elle se situe toutefois dans le genre de la qualité, en s’appuyant sur cette parole du Philosophe, dans les Prédicaments : «Peut-être certains autres modes de la qualité apparaîtront-ils.» Mais c’est là une futilité, car bien qu’il existe d’autres modes de la qualité, ils se ramènent cependant tous à ces quatre espèces : cela ressort clairement du fait qu’on n’a encore pu en trouver aucune autre espèce. C’est pourquoi d’autres disent que [le caractère] se situe dans la quatrième espèce de la qualité, car, dans l’assimilation même qu’exprime son nom, il comporte une unité de figure, qui se situe dans la quatrième espèce de la qualité. Et certains disent que cette figure est la croix du Christ. Mais cela ne peut pas être le cas, car soit le mot «figure» est pris au sens propre, soit au sens métaphorique. S’il est pris au sens propre, il comporte ainsi la limite d’une quantité dimensionnelle, qui n’existe manifestement pas dans l’âme. Si on l’emploie au sens métaphorique, il faut alors que la métaphore ne soit pas située dans un genre par ce qui en est dit métaphoriquement ; ainsi, on ne dit pas que les apôtres se situent dans le genre de la qualité parce qu’il leur a été dit, en Mt 5 : Vous êtes la lumière du monde. Et on ne pourra rien trouver dans la quatrième espèce de qualité qui existe dans l’âme au sens propre ; aussi, le caractère dont nous parlons ne peut-il être fondé sur une qualité de la quatrième espèce. C’est pourquoi certains disent qu’il se situe dans la troisième espèce de qualité par le fait qu’il apporte au sens spirituel une certaine passion féminine, pour autant qu’il pare et décore l’âme. Mais cela non plus ne peut pas être le cas, car, comme le montre le Philosophe dans Physique, VII, la troisième espèce de qualité n’existe que dans la partie sensible de l’âme ; or, le caractère ne se situe aucunement dans cette partie de l’âme, mais dans la partie intellective. De plus, ces qualités sont toujours en rapport avec un changement corporel, soit qu’elles le causent, soit qu’il soit causé par elles. Aussi d’autres disent-ils qu’il se situe dans la première espèce de qualité et qu’il est comme intermédiaire entre la disposition et l’habitus. En effet, pour autant qu’il est difficilement mobile, il a quelque chose en commun avec l’habitus ; mais pour autant qu’il n’est une perfection ultime mais dispose à la grâce, il a quelque chose en commun avec la disposition. Mais cela ne peut pas être le cas, car, selon le Philosophe, dans Éthique, II, l’habitus est ce par quoi nous avons un bon ou un mauvais rapport aux passions. Et à qui examine cela d’une manière générale, il y a cette différence entre l’habitus et la puissance que la puissance est ce par quoi nous pouvons faire simplement quelque chose, mais l’habitus, ce par quoi nous pouvons le faire bien ou mal. Ainsi, l’intellect est ce par quoi nous considérons, mais la science ce par quoi nous considérons bien ; le concupiscible, ce par quoi nous nous désirons, mais la tempérance, ce par quoi nous désirons bien, et l’intempérance, ce par quoi nous désirons mal. Et ainsi en est-il de la disposition, car la disposition n’est rien d’autre qu’un habitus incomplet. Ainsi donc, comme le caractère est ordonné à quelque chose simplement, et non pas bien ou mal (car le prêtre peut réaliser [l’eucharistie] bien ou mal), il ne se peut pas que la qualité sur laquelle se fonde le rapport du caractère soit un habitus, mais plutôt une puissance. Il reste donc qu’il ne fait pas partie de la première espèce de qualité, mais qu’il se ramène plutôt à la deuxième, comme d’autres le disent. Et cela s’éclaire ainsi. De même que chez tout ce qui existe selon une certaine nature, il existe des opérations qui lui sont propres, de même en est-il chez ceux qui sont régénérés pour la vie spirituelle, comme le dit Denys. Or, partout où se trouvent des opérations propres, il faut qu’il existe des principes propres de ces opérations. De même que, dans les autres choses, il existe des puissances naturelles pour leurs opérations propres, de même aussi ceux qui sont nés de nouveau pour la vie spirituelle possèdent-ils certaines puissances par lesquelles ils peuvent accomplir ces actions : ces puissances sont semblables aux capacités actives [virtutes] par lesquelles les sacrements possèdent une efficacité interne, car, de même que les sacrements causent la grâce de manière instrumentale, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 4, de même ceux qui reçoivent un caractère accomplissent-ils des choses divines par leur ministère. Car le ministre est comme un instrument pour celui qu’il sert. C’est ainsi que le Philosophe dit que le serviteur est comme un instrument animé. C’est pourquoi tant la puissance du sacrement que le ministre et le caractère sont instrumentaux. Que le caractère soit une puissance de ce genre, cela ressort clairement de l’examen attentif de ce que dit Denys, de qui la première tradition concernant le caractère nous est venue. En effet, précisant le ministère d’un rite qui existait dans l’Église primitive, alors que des adultes étaient baptisés, selon lequel l’hiérarque, c’est-à-dire, le pontife, imposait la main à celui qui s’approchait pour être baptisé et faisait sur lui le signe de la croix, et ordonnait qu’il soit inscrit parmi les noms des chrétiens, afin qu’il soit désormais admis aux sacrements avec les autres, [Denys] dit que «la béatitude divine accueille pour qu’il participe à elle celui qui s’approche ainsi – à savoir, de la vie spirituelle –, comme le prêtre lui communique un signe pour le baptiser dans sa propre lumière – à savoir, un signe qu’il participe à elle –, qui le perfectionne, par la communication d’une réalité divine, etc.». Il est donc clair que, par ce signe, il ne vise rien d’autre que de le rendre capable de participer à des opérations divines. Aussi ce signe n’est-il rien d’autre qu’une certaine puissance par laquelle il est rendu apte aux actions hiérarchiques, que sont l’administration et la réception des sacrements, ainsi qu’aux autres choses qui ont rapport aux fidèles, et pour qu’il accomplisse bien ces actions, il a besoin de l’habitus de la grâce, comme les autres puissances ont besoin d’habitus.

[13952] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non sunt habitus nec passiones, sed sunt potentiae quaedam consequentes animam, secundum quod est in vita spirituali regenerata; et ideo non oportet quod omnibus insint, vel quod a natura sint.

1. Ils ne sont ni des habitus ni des passions, mais ils sont des puissances qui échoient à l’âme selon qu’elle est régénérée dans la vie spirituelle. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’elles se trouvent chez tous, ni qu’elles découlent de la nature.

[13953] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reducitur ad secundam speciem qualitatis, et est alius modus ab illo quem philosophus ibi ponit: quia philosophus non cognoscebat nisi operationes naturales, et ita non nisi potentias naturales. Constat autem quod apud nos oportet ponere potentias spirituales, sicut potentiam conficiendi, et absolvendi, et hujusmodi et quod ad secundam speciem qualitatis reducantur; sicut habitus infusi in eadem specie qualitatis sunt cum habitibus naturalibus, vel acquisitis.

2. Il se ramène à la deuxième espèce de qualité, et il est un autre mode que celui que le Philosophe y présente, car la Philosophe ne connaissait que les opérations naturelles, et ainsi seulement les puissances naturelles. Or, il est clair qu’il faut reconnaître chez nous des puissances spirituelles, comme les puissances de réaliser [le corps du Christ], d’absoudre et les choses de ce genre, et qu’elles se ramènent à la deuxième espèce de qualité, de même que les habitus infus se trouvent dans la même espèce de qualité que les habitus naturels ou acquis.

[13954] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per hoc quod homo configuratur bestiae, non accipit aliquam spiritualem potestatem, sicut per aliquam potestatem spiritualem homo assimilatur Christo; et ideo non est simile. Tamen ex littera apostoli colligitur quod charactere bestiae configuratur quis ad saeculares operationes; unde dicit: ut non possit emere vel vendere etc., et similiter charactere Christi aliquis configuratur ad actiones Christi.

3. Par le fait que l’homme est semblable à la bête, il ne reçoit aucune puissance spirituelle, comme lorsque l’homme est assimilé au Christ par un certain pouvoir spirituel. Ce n’est donc pas la même chose. Toutefois, on conclut du texte de l’Apôtre qu’on est rendu semblable à la bête en vue d’opérations séculières. C’est pourquoi il dit : Afin qu’il ne puisse vendre ou acheter, etc. De la même manière, par le caractère du Christ, [lui] est-on assimilé en vue des actions du Christ.

[13955] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod character est causa sacramentalis gratiae; et quod quidam cum charactere gratiam non recipiunt, est ex eorum indispositione ad gratiam suscipiendam.

4. Le caractère est la cause sacramentelle de la grâce. Que certains ne reçoivent pas la grâce avec le caractère, cela vient de ce qu’ils ne sont pas disposés à recevoir la grâce.

[13956] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod character est dispositio ad gratiam per quamdam congruitatis dignitatem. Ex hoc enim ipso quod homo mancipatus est divinis actionibus, et inter membra Christi connumeratus, fit ei quaedam congruitas ad gratiam suscipiendam: quia Deus perfecte in sacramentis homini providet; unde simul cum charactere, quo datur homini ut possit exercere spirituales actiones fidelium, vel passiones seu receptiones, datur gratia qua haec bene possit.

5. Le caractère est une disposition à la grâce en vertu d’une certaine dignité de convenance. En effet, du fait même que l’homme est chargé d’actions divines et est compté parmi les membres du Christ, apparaît chez lui une certaine convenance de recevoir la grâce, car Dieu s’occupe parfaitement de l’homme dans les sacrements. Aussi, en même temps que le caractère, par lequel il est donné à l’homme d’exercer les actions spirituelles des fidèles, ou les passions ou réceptions [des sacrements], est donnée la grâce par laquelle il peut bien les faire.

 

 

Articulus 2 [13957] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum definitio quae attribuitur Dionysio de charactere bene assignetur

Article 2 – Est-ce que la définition que Denys donne du caractère est exacte ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La définition du caractère donnée par Denys est-elle exacte ?]

 

[13958] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod definitio quae attribuitur Dionysio de charactere, non bene assignetur, quae talis est: character est signum sanctum communionis fidei, et sanctae ordinationis, datum divina beatitudine a hierarcha. Signum enim, ut in 1 dist. dictum est, est quod speciem aliquam sensibus ingerit, et praeter eam aliquid facit in cognitionem venire. Sed character nullam sensibus formam ingerit. Ergo non est signum.

1. Il semble que la définition que Denys donne du caractère ne soit pas exacte. La voici : «Le caractère est un signe sacré de la communion de la foi et d’une ordination sainte, donné par la béatitude divine par l’intermédiaire du hiérarque.» En effet, comme on l’a dit à la d. 1, le signe transmet une certaine espèce aux sens et amène à la connaissance de quelque chose d’autre au-delà d’elle. Or, le caractère ne transmet aucune forme aux sens. Il n’est donc pas un signe.

[13959] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, potentiis quae sunt principium actionis vel passionis, magis congruit significari quam significare: quia causae per effectus significantur. Sed character, ut dictum est, est potentia spiritualis. Ergo non est signum.

2. Il convient davantage que les puissances qui sont un principe d’action ou de passion soient signifiées plutôt qu’elles ne signifient, car les causes sont signifiées par les effets. Or, le caractère, comme on l’a dit, est une puissance spirituelle. Il n’est donc pas un signe.

[13960] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quidam habent characterem qui non habent fidem, sicut qui post Baptismum in haeresim dilabuntur. Sed qui non habet fidem non communicat in fide. Ergo character non est signum communionis fidei; vel erit signum falsum; quod absurdum est sentire de signo divinitus dato.

3. Certains ont le caractère sans avoir la foi, comme ceux qui sont tombés dans l’hérésie après le baptême. Or, celui qui n’a pas la foi ne partage pas la foi. Le caractère n’est donc pas un signe de la communion de la foi, ou alors, il sera un signe faux, ce qu’il est absurde de penser à propos d’un signe donné par Dieu.

[13961] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, definitio debet omnibus quae continentur sub definito, communiter convenire. Sed esse signum sacrae ordinationis non convenit omni characteri, sed solum characteri qui imprimitur in ordine. Ergo non est definitio bene assignata.

4. Une définition doit convenir d’une manière générale à tout ce qui est contenu dans ce qui est défini. Or, être un signe d’une ordination sainte ne convient pas à tous les caractères, mais seulement au caractère qui est imprimé par l’ordination. Il ne s’agit donc pas d’une définition exacte.

[13962] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, hierarcha, ut dictum est, est pontifex. Sed in aliquibus sacramentis, quae conferuntur a simplicibus sacerdotibus, vel etiam a laicis, imprimitur character. Ergo non debuit dicere: datum a hierarcha.

5. L’hiérarque, comme on l’a dit, est le pontife. Or, dans certains sacrements, qui sont conférés par de simples prêtres ou même par des laïcs, un caractère est imprimé. [Denys] ne devait donc pas dire : «Donné par l’hiérarque.»

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une autre définition magistrale du caractère est-elle exacte ?]

[13963] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non bene assignetur quaedam alia definitio magistralis quae talis est: character est distinctio a charactere aeterno impressa animae rationali secundum imaginem, consignans Trinitatem creatam Trinitati creanti et recreanti; et distinguens a non configuratis secundum statum fidei. Ubi enim est magna differentia, non oportet signa distinctionis dari. Sed infideles a fidelibus maxime differunt et in vita et in ritu. Ergo non oportet quod detur aliquod signum distinctivum.

1. Il semble qu’une autre définition donnée par un maître ne soit pas exacte. La voici : «Le caractère est une distinction en vertu d’un caractère éternel, donnée à l’âme raisonnable selon l’image, assimilant la Trinité créée à la Trinité qui crée et recrée, et qui réalise une distinction par rapport à ceux qui ne sont pas assimilés selon l’état de la foi.» En effet, là où il existe une grande différence, il n’est pas nécessaire que soient donnés des signes de la distinction. Or, les infidèles diffèrent des fidèles au plus haut point par leur vie et par leurs rites. Il n’est donc pas nécessaire que soit donné un signe distinctif.

[13964] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, aut istud signum distinctionis fit propter hominem, aut propter Deum, aut propter Angelos. Non propter hominem, quia nec alii homines possunt cognoscere characterem, nec ipsemet qui habet, percipit se habere; signum autem oportet esse notum: nec quo ad Deum, qui sine hoc signo scit fideles ab infidelibus discernere; et similiter nec quo ad Angelos. Ergo illud signum distinctionis character non est.

2. Ce signe d’une distinction existe soit pour l’homme, soit pour Dieu, soit pour les anges. Or, il n’existe pas pour l’homme, car les autres hommes ne peuvent pas connaître le caractère, et celui-là même qui le possède ne perçoit pas qu’il le possède. [Il n’existe] pas non plus pour Dieu, qui est capable de distinguer les fidèles des infidèles sans ce signe. Et de la même façon, [il n’existe] pas pour les anges. Le caractère n’est donc pas un signe distinctif.

[13965] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, homo non configuratur Trinitati nisi per imaginem et similitudinem. Sed prima configuratio est per naturam, secunda per gratiam. Ergo character nullo modo configurat.

3. L’homme n’est semblable à la Trinité que par l’image et la ressemblance. Or, la première similitude se réalise par la nature, et la deuxième par la gràce. Le caractère ne rend donc aucunement semblable [à la Trinité].

[13966] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, caritas est excellentior virtus quam fides. Sed caritati non ponitur aliquod distinguens signum, nec aliis virtutibus. Ergo nec fidei debet poni.

4. La charité est une vertu plus élevée que la foi. Or, on n’assigne pas à la charité quelque chose qui la distingue, pas plus qu’aux autres vertus. [Le caractère] ne doit donc pas non plus être assigné à la foi.

[13967] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, contrarium distinguit sufficienter a suo contrario. Sed fides infidelitati contraria est. Ergo sufficienter fideles ab infidelibus distinguit; et ita non oportet quod per characterem distinguantur.

5. Le contraire se distingue suffisamment de son contraire. Or, la foi est contraire à l’infidélité. Elle distingue donc suffisamment les fidèles des infidèles. Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’ils soient distingués par un caractère.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13968] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illa definitio nusquam invenitur a Dionysio posita, sed potest accipi ex verbis ejus supra inductis; et acciperetur adhuc convenientius si sic diceretur: character est signum communionis potestatis divinorum, et sacrae ordinationis fidelium datum a divina beatitudine. Et tangit quatuor causas. Primo genus characteris inquantum est character, scilicet signum, quod pertinet ad causam formalem. Secundo finem: datur enim hoc signum ad duo, ut scilicet recipiens configuretur quasi ascriptus ad communicandum divinis sacramentis, et actionibus sacris; et quantum ad hoc dicit: communionis divinorum potestatis; et ut configuretur coordinandus aliis, quibus eadem potestas data est, quod tangit in hoc quod dicit: et sacrae ordinationis fidelium; quae duo excommunicatio suspendit ad tempus: quia privat hominem participatione divinorum et communione fidelium.

 

Tertio ponit materiam in qua, in hoc quod dicit: datum a sacerdote. Quarto efficiens, scilicet a divina beatitudine. Tamen definitio prius posita potest etiam sustineri, ut in idem redeat cum ista; ut hoc quod dicit: communionis fidei, referatur ad participationem sacramentorum et actionum fidelium. Quod autem dicit: et sanctae ordinationis, ponitur coordinatio ejus ad alios: accedenti datum a hierarcha ponitur quantum ad causam efficientem instrumentalem scilicet ministrum, qui configuratione exteriori figurat interiorem.

On ne trouve pas que cette définition ait jamais été donnée par Denys, mais on peut la tirer de ses paroles qui ont déjà été rappelées. Elle serait plus acceptable si on disait : «Le caractère est un signe de participation à un pouvoir en vue des choses divines et d’une sainte ordination des fidèles, donné par la béatitude divine.» Et elle aborde les quatre causes. Premièrement, le genre du caractère en tant que caractère, à savoir, un signe, ce qui se rapporte à la cause formelle. Deuxièmement, sa fin. En effet, ce signe est donné pour deux choses : afin que celui le reçoit soit rendu conforme en tant qu’assigné à participer aux sacrements divins et aux actions saintes. Sur ce point, [la définition] dit : «[Un signe] de participation à un pouvoir en vue des choses divines ; afin aussi qu’il ait soit rendu conforme en vue d’être cooordonné avec les autres à qui le pouvoir a été donné, ce que [la définition] aborde lorsqu’elle dit : «Et d’une ordination sainte des fidèles.» L’excommunication suspend temporairememnet ces deux choses, car elle prive l’homme de participer aux choses divines et à la communion des fidèles. Troisièmement, [la définition] indique la matière sur laquelle [le caractère est imprimé], lorsqu’elle dit : «Par un prêtre». Quatrièmement, [la cause] efficiente, à savoir : «Par la béatitude divine.» Cependant, la première définition peut être maintenue en étant ramenée à celle-ci, de sorte que ce qu’il dit : «De la communion de la foi» se rapporte à la participation aux sacrements et aux actions des fidèles. Ce qu’il dit : «Et d’une ordination sainte», se rapporte à la coordination de celui [qui reçoit le caractère] avec les autres ; «Donné par le hiérarque à celui qui s’approche» se rapporte à la cause efficiente instrumentale, à savoir, le ministre, qui représente la conformation intérieure par la conformation extérieure.

[13969] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod character accipit rationem signi, secundum quod per sacramentum visibile exterius efficitur et significatur.

1. Le caractère reçoit la raison de signe en tant qu’il est réalisé et signifié par un sacrement visible.

[13970] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum qualibet potestate exterius datur aliquod visibile signum illius potestatis, sicut regi in signum regiae potestatis datur corona et sceptrum; et pontifici mitra et baculus et anulus; et similiter cum spirituali potestate, quae in sacramentis confertur, datur signum sacramentale exterius; et per comparationem ad illud exterius signum, ipsa spiritualis potentia dicitur signum, inquantum homo per eam configuratur et determinatur ad actiones spirituales.

2. Avec tout pouvoir, est extérieurement donné un signe visible de ce pouvoir, comme sont donnés au roi la couronne et le sceptre comme signes du pouvoir royal, et au pontife, la mitre, le bâton et l’anneau. De même, avec un pouvoir spirituel, qui est conféré par le sacrement, est donné un signe sacramentel extérieur. Et en rapport avec ce signe extérieur, cette même puissance spirituelle est appelée un signe, pour autant que l’homme est conformé par elle et déterminé en vue d’actions spirituelles.

[13971] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod communio fidei, ut patet per verba Dionysii, oportet quod recipiatur pro communione in sacramentis fidei, et aliis actionibus quae fidelibus competunt, ad quas nullus admittitur antequam characterem suscipiat spiritualis potestatis respectu illorum. Nec oportet quod omnis qui characterem habet, illas actiones bene exerceat, sicut nec omnis qui habet potentiam, bene operatur actum illius potentiae.

3. La communion de la foi, comme cela ressort des paroles de Denys, doit être prise pour la communion dans les sacrements de la foi et dans les autres actions qui conviennent aux fidèles, auxquels nul n’est admis avant de recevoir le caractère de la puissance spirituelle à leur égard. Et il n’est pas nécessaire que tous ceux qui possèdent le caractère exercent bien ces actions, de même que tous ceux qui possèdent un pouvoir n’exercent pas bien l’acte de ce pouvoir.

[13972] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ordinatio non accipitur hic pro ordinis sacramento, sed pro coordinatione ad alios fideles, ut in coetu fidelium aggregetur, quantum ad ea quae fideles facere dicuntur, vel quantum ad ea quae pro fidelibus fiunt.

4. L’ordination n’est pas entendue ici du sacrement de l’ordre, mais de la coordination par rapport aux autres fidèles, de sorte qu’on soit intégré à l’assemblée des fidèles par rapport aux actions qu’on attribue aux fidèles ou par rapport à ce qui est fait pour les fidèles.

[13973] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod dicitur: datum accedenti a hierarcha, non potest accipi a verbis Dionysii, sed magis sic: datum accedenti a divina beatitudine; et sic cessat objectio. Si autem accipiatur dans ministerio, sic dicitur a hierarcha dari character baptismalis quantum ad maximam solemnitatem Baptismi, quae quandoque per pontifices celebratur: sic enim Dionysius ibi ritum Baptismi tradit, summum sacerdotem ministrum Baptismi ponens, ut patet litteram ejus intuenti.

5. Ce qui est dit : «Donné à celui qui s’approche par un hiérarque», ne peut pas être tiré des paroles Denys, mais plutôt ceci : «Donné à celui qui s’approche par la béatitude divine.» Et ainsi l’objection cesse. Mais si on entend celui qui donne en vertu d’un ministère, on dit alors que le caractère baptismal est donné par un hiérarque en raison de la plus grande sollennité du baptême, qui est parfois célébré par des pontifes. En effet, c’est ainsi que Denys transmet le rite du baptême en cet endroit, en indiquant le prêtre suprême comme ministre du baptême, comme cela ressort de celui qui examine le texte.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13974] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in illa etiam definitione tanguntur quatuor causae characteris. Nam causa formalis tangitur in hoc quod ponitur genus, cum dicit, distinctio, id est distinctivum signum; et est genus in praecedenti definitione positum. Causa efficiens tangitur in hoc quod dicit: charactere aeterno, idest filio, qui est figura substantiae patris; Hebr. 1. Causa autem materialis in qua ponitur cum dicit: animae rationali impressa secundum imaginem. Causa vero finalis ponitur duplex, scilicet configuratio, in hoc quod dicit: consignans Trinitatem creatam Trinitati creanti et recreanti, idest configurans; et distinctio in hoc quod dicit: et distinguens a non configuratis secundum statum fidei. Et sicut hic ponitur genus proximum, ita finis proximus, et subjectum proximum, et efficiens appropriatum: in quo excedit praedictam definitionem haec definitio, inquantum per causas magis proximas datur.

Dans cette définition aussi, les quatre causes du caractère sont abordées. Ainsi, la cause formelle est abordée par le fait que le genre est indiqué, lorsqu’on dit : «Une distinction», c’est-à-dire un signe distinctif. C’est le genre qui est indiqué dans la définition précédente. La cause efficiente est abordée lorsqu’on dit : «Par le caractère éternel», c’est-à-dire par le Fils, qui est la figure de la substance du Père, He 1. La cause matérielle [est abordée] lorsqu’on dit : «Imprimée dans l’âme raisonnable selon l’image.» Mais une double cause finale est indiquée : la conformation, lorsqu’il dit : «Conférant à la Trinité créée la Trinité qui crée et recrée», c’est-à-dire en conformant ; et la distinction, lorsqu’il dit : «Et le distinguant de ceux qui ne sont pas conformés selon l’état de la foi.» Et de même qu’est indiqué ici le genre prochain, de même en est-il pour la fin prochaine, le sujet prochain et la cause efficiente prochaine propre. En cela, cette définition dépasse la définition précédente, dans la mesure où elle est donnée selon des causes plus rapprochées.

[13975] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod character non est signum tantum ut distinctionis nota, sed ut distinctionem causans, sicut et alia sacramentalia signa; et ideo eo indigetur ad distinctionem faciendam.

 

1. Le caractère n’est pas seulement un signe qui dénote une distinction, mais qui cause une distinction, comme les autres signes sacramentels. C’est pourquoi il en a besoin pour faire une distinction.

[13976] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod istud distinctionis signum est et propter ipsum hominem qui suscipit, qui eo accipit distinctum posse ab aliis; et propter alios homines qui eum admittunt ad spirituales actiones, ex consignatione sacramentali exteriori interiorem perpendentes; et quo ad Deum, qui ejus actionibus spiritualibus efficaciam praebet.

2. Cela est un signe distinctif tant pour l’homme même qui le reçoit, qui ainsi reçoit de pouvoir être distingué des autres, que pour les autres hommes qui l’admettent à des actions spirituelles, en jugeant du [signe sacramentel] intérieur à partir du signe sacramentel extérieur. Ce l’est aussi par rapport à Dieu, qui donne l’efficacité à ses actions spirituelles.

[13977] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod configuratio ista attenditur ad Deum secundum participationem divinae potestatis, quae non est neque per gratiam virtutum, neque per naturam.

3. Cette conformation est en rapport avec Dieu selon une participation à la puissance divine, qui n’existe ni par la grâce des vertus, ni par la nature.

[13978] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides hominis nota est, caritas autem incerta. Nihil enim est alicui certius sua fide, ut Augustinus dicit; sed an habeat caritatem non est alicui certum, et ideo distinctio data magis respicit fidem quam caritatem vel alias virtutes. Vel dicendum, quod ista distinctio praecipue attenditur quantum ad operationes, et receptiones, quae sunt in sacramentis, in quibus maxime operatur fides.

4. La foi d’un homme est connue, mais sa charité est incertaine. En effet, rien n’est plus certain pour quelqu’un que sa foi, comme le dit Augustin ; mais qu’il ait la charité, cela n’est certain pour personne. Ainsi, la distinction indiquée concerne davantage la foi que la charité et les autres vertus. Ou bien il faut dire que cette distinction se prend principalement des opérations et des réceptions, qui se réalisent dans les sacrements, dans lesquels la foi est à l’œuvre au plus haut point.

[13979] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fides sufficienter distinguit fideles ab infidelibus quantum ad actus fidei, non tamen quantum ad actus spirituales qui competunt fidelibus, quia ad hoc oportet quod spiritualis potentia addatur.

5. La foi distingue suffisamment les fidèles des infidèles pour ce qui est des actes de la foi, mais non pour ce qui est des actes spirituels qui conviennent aux fidèles, car, pour cela, une puissance spirituelle est ajoutée.

 

 

Articulus 3 [13980] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum character sit in essentia animae quasi in subjecto

Article 3 – Est-ce que le caractère se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le caractère se trouve-t-il dans l’essence de l’âme ?]

 

[13981] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod character sit in essentia animae quasi in subjecto. Dispositio enim et habitus sunt in eodem subjecto. Sed character disponit ad habitum gratiae. Cum ergo gratia sit in essentia animae sicut in subjecto, videtur quod etiam character.

1. Il semble que le caractère se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet. En effet, la disposition et l’habitus sont dans le même sujet. Or, le caractère dispose à l’habitus de la grâce. Puisque la grâce se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, il semble donc qu’il en est de même du caractère.

[13982] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil est subjectum potentiae animae nisi essentia animae. Sed character, ut dictum est, est quaedam spiritualis potentia. Ergo est in essentia animae sicut in subjecto.

2. Rien n’est le sujet d’une puissance de l’âme que l’essence de l’âme. Or, le caractère, comme on l’a dit, est une certaine puissance spirituelle. Il se trouve donc dans l’essence de l’âme comme dans son sujet.

[13983] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, character configurat Trinitatem creatam increatae, ut patet ex definitione supra posita. Sed Trinitas increata consistit in potentiis, unitas autem in essentia, ut in 1 Lib., dist. 3, dictum est. Ergo character non est in essentia animae.

S.c. 1 – Le caractère rend la Trintié créée conforme à la Trinité incréée, comme il ressort de la définition donnée plus haut. Or, la Trinité incréée se trouve dans les puissances et l’unité dans l’essence, comme on l’a dit au livre I, d. 3. Le caractère se trouve donc pas dans l’essence de l’âme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le caractère se trouve-t-il dans plusieurs puissances de l’âme ?]

[13984] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit in una potentia, sed in pluribus. Quia, sicut ex praedicta definitione patet, character est in anima rationali secundum imaginem, secundum quam etiam est configuratio hominis ad Deum. Sed imago non consistit in una tantum potentia, sed in pluribus. Ergo nec character.

1. Il semble que [le caractère] ne se trouve pas dans une seule puissance, mais dans plusieurs, car, ainsi qu’il ressort de la définition donnée plus haut, le caractère se trouvre dans l’âme raisonnable selon l’image d’après laquelle il est aussi une conformation de l’homme par rapport à Dieu. Or, l’image ne se trouve pas dans une seule puissance seulement, mais dans plusieurs. Donc, le caractère non plus.

 

[13985] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, cujus est potentia, ejus est actio, et e converso, ut dicitur in 1 de somno et vigilia. Sed actio spiritualis, ad quam character ordinatur, est per plures potentias, scilicet quia requiritur et affectiva et intellectiva. Ergo character est in pluribus potentiis, sicut spiritualis potentia.

2. L’action appartient à celui à qui appartient la puissance, comme il est dit dans Sur le sommeil et la veille, I. Or, l’action spirituelle, à laquelle le caractère est ordonné, se réalise par plusieurs puissances, car la [puissance] affective et [la puissance] intellective sont requises. Le caractère se trouve donc dans plusieurs puissances, comme la puissance spirituelle.

[13986] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, unum accidens non est in pluribus subjectis. Sed in uno sacramento imprimitur unus character. Ergo non est in pluribus potentiis.

S.c. 1 – Un seul accident ne se trouve pas dans plusieurs sujets. Or, dans un seul sacrement, est imprimé un seul caractère. Il ne se trouve donc pas dans plusieurs puissances.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le caractère se trouve-t-il dans la puissance affective plutôt que dans la puissance cognitive ?]

[13987] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit magis in affectiva quam cognitiva. Quia character disponit ad gratiam. Sed gratia magis respicit affectivam. Ergo et character.

1. Il semble que [le caractère] se trouve plutôt dans la [puissance] affective que dans la [puissance] cognitive, car le caractère dispose à la grâce. Or, la grâce concerne plutôt la [puissance] affective. Donc, le caractère aussi.

[13988] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, character est ad assimilandum nos Deo. Sed per affectum maxime Deo appropinquamus, et similes ei efficimur. Ergo character est in affectiva.

2. Le caractère existe en vue de nous assimiler à Dieu. Or, nous nous approchons de Dieu et lui devenons semblables surtout par l’affectivité. Le caractère se trouve donc dans la [puissance] affective.

[13989] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, characterem Dionysius lumini comparat. Sed lumen magis intellectivae competit quam affectivae. Ergo et character.

S.c. 1 – Denys compare le caractère à la lumière. Or, la lumière convient plutôt à la [puissance] intellective qu’à la [puissance] affective. Donc, le caractère aussi.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le caractère est-il indélébile ?]

[13990] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod character non indelebiliter insit potentiae cui inest. Accidens enim diuturnitatem habet ex causa et subjecto. Sed gratia est ab eadem causa et in eodem subjecto cum charactere. Ergo cum gratia amitti possit, et character similiter deleri poterit.

1. Il semble que le caractère ne se trouve pas de manière indélébile dans la puissance où il se trouve. En effet, l’accident reçoit sa durée de sa cause et de son sujet. Or, la grâce vient de la même cause et se trouve dans le même sujet que le caractère. Puisque la grâce peut être enlevée, le caractère peut donc aussi être détruit.

[13991] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est; 1 Corinth. 13, 10. Sed character est ex parte: datur enim ad distinguendum in operibus sacramentalibus, quae competunt secundum statum viae. Ergo in patria character cessabit, et ita est delebilis.

2. Lorsque sera venu ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra (1 Co 13, 10). Or, le caractère est partiel : en effet, il est donné afin d’opérer une distinction dans les actions sacramentelles qui conviennent à l’état du cheminement [secundum statum viae]. Dans la patrie, le caractère cessera donc. Il est ainsi délébile.

[13992] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 S.c. 1 Sed contra, si character deleretur, maxime per culpam deleretur. Sed per culpam non deletur, quia sacerdos malus non reordinatur, ut iterum characterem accipiat. Ergo character est indelebilis.

S.c. 1 – Si le caractère était détruit, il serait surtout détruit par la faute. Or, il n’est pas détruit par la faute, car le mauvais prêtre n’est pas ordonné à nouveau afin de recevoir le caractère. Le caractère est donc indélébile.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Le Christ a-t-il eu un caractère ?]

[13993] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus habuerit characterem. Ipse enim sacerdos fuit secundum ordinem Melchisedech, Heb. 7, quod est sacerdotium novi testamenti. Sed tale sacerdotium requirit characterem. Ergo Christus habuit characterem.

1. Il semble que le Christ a eu un caractère. En effet, il était prêtre selon l’ordre de Melchisédech, He 7, qui est le sacerdoce de la Nouvelle Alliance. Or, un tel sacerdoce requiert un caractère. Le Christ donc eu un caractère.

[13994] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, nihil quod est perfectionis quantum ad animam, vel dignitatis, Christo subtrahendum est. Sed character decorat et nobilitat animam in qua est. Ergo character in Christo fuit.

2. Rien de la perfection ou de la dignité de l’âme ne doit être enlevé au Christ. Or, le caractère pare et ennoblit l’âme dans laquelle il se trouve. Il y avait donc un caractère dans le Christ.

[13995] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 S.c. 1 Sed contra, character est regeneratorum, et accipientium aliquid a sacramentis. Sed Christus non accepit aliquid a sacramentis, nec renatus est etiam: quia, sicut dicit Augustinus, in Enchir., ipse solus ita potuit nasci, ut non esset ei opus renasci. Ergo non habet characterem.

S.c. 1 – Le caractère est propre à ceux qui ont été régénérés et qui reçoivent quelque chose des sacrements. Or, le Christ n’a rien reçu des sacrements et il n’est pas non plus né à nouveau, car, comme le dit Augustin dans l’Enchiridion, «lui seul a pu naître sans qu’il lui soit nécessaire de naître à nouveau». Il n’a donc pas de caractère.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[13996] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod natura proportionaliter spiritualitati substernitur, sicut perfectibile perfectioni. Unde sicut gratia, quae est spiritualis vitae principium, est in essentia animae sicut in subjecto; ita et character, qui est spiritualis potentia, est sicut in subjecto in naturali potentia animae, et non in essentia animae, ut quidam dicunt, nisi mediante potentia animae.

La nature est soumise à ce qui est spirituel comme ce qui est perfectible à la perfection. Aussi, de même que la grâce, qui est le principe de la vie spirituelle, se trouve dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, de même le caractère, qui est une puissance spirituelle, se trouve-t-il dans une puissance de l’âme comme dans son sujet, et non dans l’essence de l’âme, comme certains le disent, si ce n’est par l’intermédiaire d’une puissance de l’âme.

[13997] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dispositionem esse in eodem cum eo ad quod disponit, non est necesse, nisi quando dispositio postea fit perfectio, sicut scientia quae prius fuit dispositio, postea fit habitus; et ideo scientia dispositio et scientia habitus sunt in eodem subjecto proximo. Non autem hoc oportet quando dispositio et perfectio differunt per essentiam; sed possunt esse in diversis subjectis; et praecipue quando illa diversa habent ordinem ad invicem; sicut operatio sensibilis est dispositio ad intelligibilem operationem, et similiter character est dispositio ad gratiam.

1. Qu’une disposition se trouve dans ce qu’elle dispose, cela n’est pas nécessaire, sauf lorsque la dispotion devient par la suite une perfection, comme la science, qui était d’abord une disposition, devient par la suite un habitus. C’est pourquoi la science comme disposition et la science comme habitus se trouvent dans le même sujet rapproché. Mais cela n’est pas nécessaire lorsque la disposition et la perfection diffèrent selon l’essence : elles peuvent se trouver dans des sujets différents, surtout lorsque ces sujets différents ont un ordre entre eux, comme l’opération sensible est une disposition à l’opération intelligible. Et ainsi, le caractère est une disposition à la grâce.

[13998] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa objectio procedit de potentiis naturalibus; sed potentias spirituales oportet fundari in naturalibus.

2. Cette objection vient des puissances naturelles ; mais il est nécessaire que les puissance spirituelles soient fondées sur les [puissances] naturelles.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[13999] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod esse in pluribus potentiis est dupliciter: aut ita quod aequaliter sit in omnibus, sicut essentia animae est in omnibus potentiis; aut ita quod sit in una per prius, et per posterius respiciat alias mediante illa in qua primo est; sicut electio est in intellectu et appetitu, et formaliter in appetitu perficitur, ut patet per philosophum in 6 Ethicor. Primo ergo modo nullum accidens potest esse in pluribus potentiis quia accidens numeratur et distinguitur penes materiam et distinctionem subjecti; et ideo cum character sit accidens, non potest esse in pluribus potentiis animae primo modo, sed secundo modo: quia unam respicit per prius, et alias per posterius.

Il y a deux façons de se trouver dans plusieurs puissances : se trouver de manière égale dans toutes [les puissances], comme l’essence de l’âme se trouve dans toutes les puissances ; ou qu’une partie s’y trouve en priorité, et que, par la suite, elle soit en rapport avec les autres par l’intermédiaire de celle où elle se trouve en premier, comme le choix se trouve dans l’intellect et dans l’appétit, et s’accomplit de manière formelle dans l’appétit, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI. De la première façon, aucun accident ne peut donc se trouver dans plusieurs puissances parce que l’accident se dénombre et se distingue selon la matière et la distinction du sujet. Aussi, puisque le caractère est un accident, il ne peut se trouver dans plusieurs puissances de l’âme de la première manière, mais de la seconde, car il en concerne une en priorité, et les autres par la suite.

[14000] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam potentiae magis habent ordinem ad invicem, ut in 1 Lib. dictum est; et ideo quod est in una, potest aliquando ad alias redundare.

1. Les puissances aussi ont plutôt un ordre entre elles, comme on l’a dit dans le livre I. C’est pourquoi ce qui se trouve dans l’une peut parfois rejaillir sur les autres.

[14001] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando ad unam actionem requiruntur plures potentiae, in illa actione est principalis una potentia quasi movens et trahens alias in obsequium sui, et aliae induunt quodammodo formam ipsius; et ideo ex eo quod est in principali potentia, potest actio illa sufficienter perfici.

2. Lorsque plusieurs puissances sont nécessaires pour une seule action, une puissance est la principale dans cette action en tant qu’elle meut et entraîne les autres à la suivre, et les autres revêtent d’une certaine façon sa forme. C’est pourquoi, du fait qu’elle se trouve dans la puissance principale, cette action peut être suffisamment accomplie.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14002] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod imago principaliter consistit in potentia cognitiva, quia ex memoria et intelligentia oritur voluntas; unde tota imago est in intellectiva parte sicut in radice; et ideo omne quod attribuitur homini ratione imaginis, principaliter respicit intellectivam, et ex consequenti affectivam: quia etiam ex intellectiva parte habet homo quod sit homo; sed ex affectiva quod sit bonus vel malus; et ideo quia character respicit imaginem, principaliter est in intellectiva parte.

L’image réside principalement dans la puissance cognitive, car la volonté est issue de la mémoire et de l’intelligence. Aussi l’image se trouve-t-elle en totalité dans la partie intellective comme dans sa source. C’est pourquoi tout ce qui est attribué à l’homme en raison de l’image concerne principalement la [partie] intellective et, de manière conséquente, la [partie] affective, car l’homme tient d’être homme de la partie intellective, mais il tient de la [partie] affective d’être bon ou mauvais. Ainsi, parce que le caractère concerne l’image, se trouve-t-il principalement dans la partie intellective.

[14003] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia non est neque in intellectiva neque in affectiva, sed in essentia animae; tamen magis de propinquo respicit affectivam, quia gratia datur ad bene operandum; qualiter autem aliquis operetur, praecipue ex voluntate pendet. Sed character datur ad exercendas actiones spirituales aliquas simpliciter: quod autem bene vel male fiant, hoc est per gratiam et per habitum virtutum; et ideo non est similis ratio de charactere et gratia.

1. La grâce ne se trouve ni dans la [partie] intellective, ni dans la [partie] affective, mais dans l’essence de l’âme. Cependant, elle concerne de plus près la [partie] affective, car la grâce est donnée pour bien agir, et la manière dont quelqu’un agit dépend principalement de la volonté. Mais le caractère est donné pour poser simplement des actes spirituels, mais qu’ils soient bien ou mal faits, cela relève de la grâce et de l’habitus. Ainsi, le raisonnement n’est pas la le même pour le caractère et pour a grâce.

[14004] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod assimilatio in bonitate praecipue est ad Deum per voluntatem; sed assimilatio in esse et posse magis est ex parte intellectus: quia ex hoc ipso quod aliquid esse immateriale habet, intellectivum est, et potentiam habet quodammodo infinitam, secundum quod intellectus universalium est, quae quodammodo infinita sunt virtute; et ideo cum conformitas characteris respiciat spiritualem potestatem, magis competit intellectivae parti quam affectivae.

2. L’assimilation à la bonté par rapport à Dieu se réalise principalement par la volonté ; mais l’assimilation par l’être et le pouvoir vient d’avantage de l’intellect, car par le fait même que quelque chose a un être immatériel, cela est intelligent et possède une puissance en quelque sorte infinie, en sorte que l’intellect porte sur les réalités universelles, qui, d’une certaine façon, ont une puissance infinie. Aussi, comme la conformité du caractère concerne le pouvoir spirituel, il convient davantage à la partie intellective qu’à la [partie] affective.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14005] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod impressio characteris est per quamdam animae rationalis sanctificationem, prout sanctificatio dicitur deputatio alicujus ad aliquid sacrum. Ad hanc autem sanctificationem non magis active comparatur anima sanctificanda, quam aqua sanctificanda, vel oleum vel chrisma, ad sui sanctificationem; nisi quod homo se subjicit tali sanctificationi per consensum, res autem praedictae subjiciuntur, quia libero arbitrio carent; et ideo qualitercumque anima varietur per proprias operationes, nunquam characterem amittit; sicut nec chrisma nec oleum nec panis consecratus unquam sanctificationem perdunt, qualitercumque transmutentur, dummodo non corrumpantur.

 

L’impression du caractère se réalise par une certaine sanctification de l’âme raisonnable, au sens où la sanctification signifie l’affectation d’une chose à quelque chose de sacré. Le rapport de l’âme à sanctifier avec cette sanctification n’a pas un caractère plus actif que celui de l’eau à sanctifier, ou de l’huile ou du chrême à leur sanctification, sauf que l’homme se soumet à une telle sanctification par consentement, mais les choses mentionnées y sont soumises parce que le libre arbitre leur fait défaut. Aussi, quelque changement qu’il survienne dans l’âme par ses propres opérations, elle ne perd jamais le caractère, comme ni le chrême, ni l’huile, ni le pain consacrés ne perdent jamais leur sanctification, quelle que soit leur transformation, à condition qu’ils ne soient pas détruits.

[14006] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod causa indelebilitatis characteris est ex parte subjecti, quod est incorruptibile, et ex parte causae, quae est invariabilis. Gratia autem habet aliquo modo causam non efficientem, sed disponentem ex parte subjecti: quia, secundum Augustinum: qui creavit te sine te, non justificabit te sine te; et ideo per indispositionem subjecti gratia amittitur.

1. La cause de l’indélébilité du caractère vient du sujet, qui est incorruptible, et de sa cause, qui ne change pas. Or, la grâce possède d’une certaine façon une cause non efficiente, mais qui dispose le sujet. En effet, selon Augustin : «Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi.» Ainsi, la grâce est perdue en raison du sujet mal disposé.

[14007] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per characterem homo configuratur ad hoc quod sit de coetu fidelium, et particeps hierarchicarum actionum. Ecclesiasticae autem hierarchiae succedit caelestis; et ideo ad communionem fidelium in Ecclesia triumphante, et ad participationem actionum caelestis hierarchiae character in patria perficiet; et sic erit ad alios actus; sicut virtutes et dona in damnatis etiam manent. Sed hoc est per accidens praeter intentionem imprimentis characterem, quod recipiens damnetur; et ideo non est ibi ordinatus ad aliquem finem: quia quae praeter intentionem accidunt, carent ordine ad finem. Tamen Deus, qui nihil inordinatum relinquit, elicit ex hoc aliquod bonum, scilicet quod appareat justior eorum damnatio qui tantum munus neglexerunt.

2. Par le caractère, l’homme est configuré en vue de faire partie de l’assemblée des fidèles et de participer aux actions hiérarchiques. Or, la hiérarchie céleste succède à la hiérarchie ecclésiastique. Aussi le caractère perfectionnera-t-il dans la patrie en vue de la communion des fidèles dans l’Église triomphante et de la participation aux actions de la hiérarchie céleste dans la patrie. Il servivra ainsi à d’autres actes. De la même manière, les vertus et les dons demeurent-ils chez les damnés. Mais que celui qui le reçoit soit damné, cela est un accident par rapport à l’intention de celui qui imprime le caractère ; aussi n’est-il pas là ordonné à une fin, car l’ordre à la fin fait défaut à ce qui arrive hors de l’intention. Toutefois Dieu, qui ne laisse rien de désordonné, tire un bien de cela, à savoir que la condamnation de ceux qui ont négligé un si grand don apparaît plus juste

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[14008] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod Christus non habuit characterem baptismalem, quia a Baptismo nihil accepit: habuit autem characterem ordinis, qui pertinet ad quemdam eminentem statum. Sed melius est, si dicatur, quod Christus nullum characterem habuit: quia ipse habuit potestatem plenitudinis in sacramentis, quasi ea instituens, et eis efficaciam praebens. Unde sicut poterat inducere effectum sacramenti in aliquo sine sacramento exteriori, ita ex parte ipsius ad hoc non requirebatur aliquod sacramentale interius.

Certains disent que le Christ n’a pas eu le caractère baptismal parce qu’il n’a rien reçu du baptême, mais qu’il a eu le caractère de l’ordre, qui est en rapport avec un état éminent. Mais il est mieux de dire que le Christ n’a eu aucun caractère, car il a possédé le pouvoir plénier sur les sacrements en tant qu’il les a institués et leur a donné leur efficacité. Aussi, de même qu’il pouvait octroyer l’effet du sacrement à quelqu’un sans le sacrement extérieur, de même une réalité sacramentelle extérieure n’était-il pas nécessaire de sa part.

[14009] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ipse fuit sacerdos, quasi sacerdotium instituens; et ideo ejus non est habere characterem, sed illius qui aliunde sacerdotium recipit, ut per characterem principali sacerdoti configuretur.

1. Lui-même était prêtre en tant que celui qui a institué le sacerdoce. C’est pourquoi il n’a pas à posséder de caractère, mais cela revient à celui qui reçoit d’ailleurs le sacerdoce, afin qu’il soit rendu conforme au prêtre principal par le caractère.

[14010] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquid est perfectionis in nobis quod non esset Christi, sicut gratia adoptionis; et similiter est de charactere, qui poneret in eo potestatem spiritualem coarctatam, et ab alio derivatam.

2. Il y a en nous une certaine perfection qui n’existait pas chez le Christ, telle la grâce d’adoption. De même en est-il du caractère, qui lui donnerait un pouvoir spirituel limité et dérivé d’un autre.

 

 

Articulus 4 [14011] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 tit. Utrum character solum in sacramentis novae legis imprimatur

Article 4 – Est-ce qu’un caractère est imprimé seulement dans les sacrements de la nouvelle loi ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un sacrement est-il imprimé seulement par les sacrements de la loi nouvelle ?]

[14012] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non solum in sacramentis novae legis character imprimatur. Characteris enim effectus est configurare et distinguere. Sed hoc faciunt virtutes: quia in eis boni et a malis distinguuntur, et Deo assimilantur. Ergo per virtutes, et non per sacramenta novae legis tantum, character imprimitur.

1. Il semble qu’un caractère ne soit pas imprimé seulement par les sacrements de la loi nouvelle. En effet, l’effet du caractère est de conformer et de distinguer. Or, les vertus font cela, car les bons sont distingués des mauvais et assimilés à Dieu par elles. Le caractère est donc imprimé par les vertus, et non par les sacrements de la loi nouvelle.

[14013] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut per sacramenta novae legis distinguitur populus fidelis ab infideli, ita per sacramenta veteris legis distinguebatur. Ergo sacramenta novae legis non magis imprimunt characterem quam sacramenta veteris legis.

2. De même que le peuple fidèle est distingué du peuple infidèle par les sacrements de la loi nouvelle, de même était-il distingué par les sacrements de la loi ancienne. Les sacrements de la loi nouvelle n’impriment donc pas davantage de caractère que les sacrements de la loi ancienne.

[14014] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, habens characterem non baptizatur, quia alii characteres Baptismum praesupponunt, qui etiam iterari non debet. Sed habentes virtutem, et qui sacramenta veteris legis susceperant, baptizabantur. Ergo neque per virtutes neque per sacramenta veteris legis character imprimitur.

S.c. 1 – Celui qui possède un caractère n’est pas baptisé, car les autres caractères présupposent le baptême, qui ne peut pas non plus être répété. Or, ceux qui possédaient la vertu et qui avaient reçu les sacrements de la loi ancienne étaient baptisés. Un caractère n’est n’est donc imprimé ni par les vertus, ni par les sacrements de la loi ancienne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un caractère est-il imprimé par tous les sacrements de la loi nouvelle ?]

[14015] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per omnia sacramenta legis novae imprimatur character. In quolibet enim sacramento novae legis est aliquid quod est sacramentum tantum, et aliquid quod est res tantum, et aliquid quod est res et sacramentum. Sed character in Baptismo est illud quod est res et sacramentum. Ergo in quolibet sacramento novae legis imprimitur character.

1. Il semble qu’un caractère soit imprimé par tous les sacrements de la loi nouvelle. En effet, dans chaque sacrement de la loi nouvelle, il existe quelque chose qui est le sacrement seulement [sacramentum tantum], quelque chose qui est la réalité seulement [res tantum] et quelque chose qui est la réalité et le sacrement [res et sacramentum]. Or, dans le baptême, le caractère est ce qui est la réalité et le sacrement [res et sacramentum]. Dans chaque sacrement de la loi nouvelle, un caractère est donc imprimé.

[14016] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quolibet sacramento novae legis confertur gratia, et distinguitur recipiens a non recipiente. Cum ergo character sit disponens ad gratiam, et distinguat, videtur quod in quolibet sacramento novae legis character imprimatur.

2. La grâce est conférée par chaque sacrement de la loi nouvelle et celui qui le reçoit y est distingué de celui qui ne le reçoit pas. Puisque le caractère dispose à la grâce et distingue, il semble donc que, dans chaque sacrement de la loi nouvelle, un caractère soit imprimé.

[14017] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, nullum sacramentum, in quo character imprimitur, iteratur: quia character indelebilis est. Sed quaedam sacramenta iterantur. Ergo non omnia sacramenta novae legis characterem imprimunt.

S.c. 1 – Aucun sacrement dans lequel un caractère est imprimé n’est répété, car le caractère est indélébile. Or, certains sacrements sont répétés. Tous les sacrements de la loi nouvelle n’impriment donc pas de caractère.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un caractère est-il imprimé par le sacrement de baptême ?]

[14018] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in sacramento Baptismi character non imprimatur. Baptismus enim sanguinis est dignior quam Baptismus fluminis, quia meretur aureolam. Sed in Baptismo sanguinis non imprimitur character. Ergo nec in Baptismo fluminis.

 

1. Il semble que, par le sacrement de baptême, un caractère n’est pas imprimé. En effet, le baptême de sang est plus digne que le baptême d’eau, car il mérite une auréole. Or, un caractère n’est pas imprimé par le baptème de sang. Il ne l’est donc pas non plus dans le baptême d’eau.

[14019] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus fluminis non habet supra Baptismum flaminis nisi aquam. Sed Baptismus ratione aquae non potest imprimere characterem: alias Baptismus Joannis impressisset characterem: quod esse non potest, cum baptizati a Joanne iterum baptizarentur, ut supra, dist. 2, art. 4, dictum est. Ergo nec Baptismus fluminis characterem imprimit.

2. Le baptême d’eau ne dépasse que par l’eau le baptême de feu. Or, le baptême ne peut imprimer de caractère en raison de l’eau, autrement le baptême de Jean aurait imprimé un caractère, ce qui ne peut pas être le cas, puisque ceux qui avaient été baptisés par Jean devaient être à nouveau baptisés, comme on l’a dit dans d. 2, a. 4. Le baptême d’eau n’imprime donc pas non plus de caractère.

[14020] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est auctoritas Dionysii, ex qua characteris traditio derivatur: quia ipse inducit verba illa unde definitio characteris accipitur in tractatu de Baptismo.

S.c. 1 – En sens contraire, il y a l’autorité de Denys, dont est issue la tradition concernant le caractère, car lui-même invoque les paroles d’où est tirée la définition du caractère dans le traité du baptême.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le caractère vient-il du seul Fils comme de sa cause efficiente première ?]

[14021] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod character sit sicut a causa efficiente prima a solo filio. Character enim est distinctio a charactere aeterno impressa etc., ut supra, art. 2, quaestiunc. 2, dictum est. Sed character aeternus est solus filius, sicut et imago. Ergo a solo filio character imprimitur.

1. Il semble que le caractère ne vienne que du seul Fils comme de sa cause efficiente première. «En effet, le caractère est une distinction imprimée par le caractère éternel, etc.», comme on l’a dit plus haut dans a. 2. Or, le caractère éternel est le Fils seul, comme l’image. Le caractère est donc imprimé par le seul Fils.

[14022] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, charactere configuratur et assimilatur anima Deo. Sed principium assimilationis ad Deum est filius; unde Augustinus filium nominat similitudinem, per quam ad unitatem reformamur, ut patet 1 Lib., dist. 3. Ergo character est tantum a filio.

2. Par le caractère, l’âme est rendue conforme à Dieu. Or, le principe d’assimilation à Dieu est le Fils. Ainsi Augustin nomme-t-il le Fils la ressemblance par laquelle nous retrouvons la forme de l’unité, comme cela ressort du livre I, d. 3. Le caractère vient donc seulement du Fils.

[14023] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod signum characteris datur a divina beatitudine. Sed divina beatitudo est communis tribus personis. Ergo character non datur a solo filio.

S.c. 1 – En sens contraire, Denys dit que le signe du caractère est donné par la béatitude divine. Or, la béatitude divine est commune aux trois personnes. Le caractère n’est donc pas donné par le Fils seul.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14024] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut in 2 Ethic., dicit philosophus: virtus ex quibus innascitur, ea operatur, loquens de virtute acquisita; et similiter est in omnibus virtutibus quae ex aliquibus actibus aliquo modo causantur. Unde cum character sit virtus, seu potentia spiritualis ad actiones sacramentales ordinata, si ex aliquo quod per nos fiat, imprimi character debeat, oportet quod per sacramenta novae legis imprimatur, et per ea tantum, quia ad illas actiones tantum directe illa potentia ordinatur.

Comme le dit le Philosophe dans Éthique, II, en parlant de la vertu acquise, «la vertu accomplit ce dont elle est issue». Il en va de même de toutes les vertus qui sont causées d’une certaine manière par certains actes. Puisque le caractère est une vertu ou puissance spirituelle ordonnée à des actions sacramentelles, si le caractère doit être imprimé par quelque chose qui est fait par nous, il est nécessaire qu’il soit imprimé par les sacrements de la loi nouvelle et par eux seulement, car cette puissance n’est ordonnée directement qu’à ces actions.

[14025] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actiones spirituales ad quas character ordinat, intra Ecclesiam tantum exercentur; et ideo pro nihilo potestas ad illas actiones daretur alicui, nisi tali modo quod innotesceret illis qui sunt de Ecclesia, ut eum ad tales actiones admittant. Per gratiam autem, et virtutes non posset innotescere quia ignotae sunt; et ideo oportet quod imprimatur character per signa visibilia sacramentorum.

1. Les actions spirituelles auxquelles le caractère ordonne sont exercées à l’intérieur de l’Église seulement. C’est pourquoi un pouvoir en vue de ces actions serait donné à quelqu’un inutilement, s’il n’était pas porté à la connaissance de ceux qui font partie de l’Église, de telle façon qu’ils l’admettent à de telles actions. Or, il ne pourrait être connu par la grâce et les vertus parce qu’elles ne sont pas connues. Il est donc nécessaire qu’il soit imprimé par les signes visibles des sacrements.

[14026] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramenta veteris legis ex opere operato nihil conferebant, et ideo illae actiones non requirebant aliquam spiritualem potestatem; et ideo nec ab illis, nec ad illa imprimebatur character.

2. Les sacrements de la loi ancienne ne conféraient rien en vertu de l’action accomplie [ex opere operato]. C’est pourquoi ces actions n’exigeaient pas un pouvoir spirituel. Ainsi un caractère n’était-il imprimé ni par ceux-là ni pour ceux-là.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14027] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sacramenta legis novae sunt sanctificationes quaedam. Sanctificatio autem duobus modis accipitur. Uno modo pro emundatione, quia sanctum est mundum. Alio modo pro mancipatione ad aliquod sacrum, sicut dicitur altare sanctificari, vel aliquod hujusmodi. Omnia ergo sacramenta sunt sanctificationes primo modo, quia omnia dantur in remedium contra aliquem defectum, ut dictum est prius, dist. 2, sed quaedam sunt sanctificationes etiam secundo modo, sicut patet praecipue in ordine, quia ordinatus mancipatur ad aliquid sacrum: non autem omnia, sicut patet de poenitentia. Quicumque autem mancipatur ad aliquid sacrum spirituale exercendum, oportet quod habeat spiritualem potestatem, et solum talis; et ideo non omnia sacramenta novae legis characterem imprimunt, sed quaedam, quae etiam secundo modo sanctificationes sunt.

Les sacrements de la loi nouvelle sont des sanctifications. Or, la sanctification s’entend de deux manières. D’une manière, de la purification, car ce qui est saint est pur. D’une autre manière, de l’affectation à quelque chose de sacré, comme on dit qu’un autel est santifié ou quelque chose de ce genre. Tous les sacrements sont donc des sanctifications selon la première manière, car tous sont donnés comme un remède contre quelque carence, comme on l’a dit antérieurement, d. 2. Mais certains sont aussi des sanctifications selon la seconde manière, comme cela ressort principalement dans l’ordre, car celui qui est ordonné est affecté à quelque chose de sacré ; mais ce n’est pas le cas de tous [les sacrements], comme cela est clair pour la pénitence. Or, il est nécessaire que tous ceux qui sont affectés à accomplir quelque chose de spirituel possèdent un pouvoir spirituel, et seulement ceux-là. C’est pourquoi tous les sacrements de la loi nouvelle n’impriment pas de caractère, mais certains, qui sont aussi des sanctifications selon la seconde manière.

[14028] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illud quod est res et sacramentum, in Baptismo sit character, non tamen oportet quod sit character in omnibus sacramentis in quibus est res et sacramentum. Quid autem sit res et sacramentum in singulis, postea singillatim ostendetur.

1. Bien que ce qui est la réalité et le sacrement soit un caractère dans le baptême, il n’est cependant pas nécessaire que ce soit un caractère dans tous les sacrements dans lesquels il y a réalité et sacrement. On montrera plus loin cas par cas ce qu’est la réalité et le sacrement dans chacun [des sacrements].

[14029] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis quodlibet sacramentum distinguat a non habente, non tamen tali distinctione indelebili, qualis est distinctio in sacramentis sanctificantibus secundo modo; et ideo non est simile de omnibus sacramentis.

2. Bien que tout sacrement établisse une distinction par rapport à celui qui ne le reçoit pas, il ne le fait cependant pas par une distinction indélébile comme l’est la distinction dans les sacrements qui sanctifient selon la seconde manière. Ce n’est donc pas la même chose dans tous les sacrements.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14030] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem, dicendum, quod sicut in naturalibus est potentia activa et potentia naturalis passiva; ita etiam in spiritualibus est potentia spiritualis quasi passiva per quam homo efficitur susceptivus spiritualium actionum; et talis spiritualis potentia confertur in Baptismo: quia non baptizatus effectum aliorum sacramentorum suscipere non posset, unde et per consequens nec aliis tradere: et haec est prima distinctio, qua communiter totus populus fidelis, cujus est sacramentorum participem esse, ab aliis distinguitur. Alia potentia est activa spiritualis ordinata ad sacramentorum dispensationem, et aliarum sacrarum hierarchicarum actionum exercitium; et haec potestas traditur in confirmatione et ordine, ut suis locis patebit.

 

Et quia in ecclesiastica hierarchia non omnes sunt agentes, ut puta perficientes purgantes, et illuminantes, sicut omnes sunt recipientes puta purgandi, illuminandi, perficiendi, ut dicit Dionysius; ideo isti duo characteres non distinguunt populum Dei universaliter ab aliis, sed quosdam de populo ab aliis.

De même que, dans les choses naturelles, il existe une puissance active et une puissance naturelle passive, de même aussi, dans les choses spirituelles, existe-t-il une puissance spirituelle pour ainsi dire passive, par laquelle l’homme est rendu capable de recevoir des actions spirituelles. Une telle puissance spirituelle est conférée par le baptême, car le non-baptisé ne pourrait recevoir les effets des autres sacrements et, par conséquent, ne pourrait pas les donner. Telle est la première distinction par laquelle, d’une manière générale, tout le peuple fidèle, à qui il revient de participer aux sacrements, est distingué des autres. Une autre puissance est [une puissance] spirituelle active ordonnée à la dispensation des sacrements et à l’exercice des autres actions saintes hiérarchiques. Cette puissance est conférée par la confirmation et l’ordre, comme on le montrera aux endroits appropriés. Et parce que, dans la hiérarchie ecclésiastique, tous ne sont pas actifs, ainsi ceux qui perfectionnent en purifiant et en illuminant, alors que tous sont réceptifs, ainsi ceux qui doivent être purifiés, illuminés et perfectionnés, comme le dit Denys, ces deux caractères ne distinguent pas des autres le peuple de Dieu d’une manière universelle, mais certains parmi le peuple par rapport aux autres.

[14031] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus sanguinis non habet efficaciam sacramentalem, sed solum meritoriam; et ideo ibi non confertur potestas spiritualis ad actiones hierarchicas, nec character sicut in Baptismo fluminis, quod est sacramentum.

1. Le baptême de sang n’a pas d’efficacité sacramentelle, mais seulement méritoire. C’est pourquoi il n’y est pas conféré de puissance spirituelle en vue d’actions hiérarchiques, ni de caractère, comme dans le baptême d’eau, qui est un sacrement.

[14032] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nec Baptismus flaminis tantum, nec Baptismus aquae tantum sufficit ad sacramentum novae legis; et ideo neuter eorum characterem imprimit.

2. Ni le baptême de feu seul, ni le baptême d’eau seul ne suffit pour le sacrement de la loi nouvelle. C’est pourquoi aucun des deux n’imprime de caractère.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14033] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod omnis effectus in creatura est communiter a tota Trinitate; unde et character non est tantum a filio, sed a tribus personis. Attribuitur autem filio tum propter rationem similitudinis ad proprium personae, quia ipse per proprietatem est imago et figura, sive character patris; tum quia virtus passionis Christi operatur in sacramentis.

Tout effet dans la créature vient de toute la Trinité d’une manière générale. Aussi le caractère ne vient-il pas seulement du Fils, mais des trois personnes. Mais il est attribué au Fils en raison de la similitude par rapport à une personne particulière, car [le Fils] est à proprement parler une image, une figure ou un caractère du Père. Il lui est aussi [attribué] parce que la puissance de la passion du Christ agit dans les sacrements.

[14034] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 1 a. 4 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des arguments est ainsi claire.

 

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’effet du baptême quant à sa réalité qui n’est pas un sacrement]

 

Prooemium

Prologue

[14035] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de effectu Baptismi, qui est res et non sacramentum; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de effectu ipsius quantum ad remotionem mali; 2 de effectu ipsius quantum ad collationem boni; 3 utrum effectus ejus aequaliter participetur.

On s’interroge ensuite sur l’effet du baptême qui est une réalité sans être un sacrememnt [res et non sacramentum]. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Son effet pour ce qui est de l’enlèvement du mal ; 2 – Son effet pour ce qui est du bien conféré ; 3 – Est-ce que tous participent également à son effet ?

 

 

Articulus 1 [14036] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum Baptismus tollat actualem culpam

Article 1 – Est-ce que le baptême enlève la faute actuelle ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le baptême enlève-t-il la faute actuelle ?]

[14037] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Baptismus non tollat actualem culpam. Baptismus enim non tollit actualem culpam nisi adsit contritio: quia nullus suae voluntatis arbiter constitutus in quo solum potest esse actualis culpa potest inchoare novam vitam, nisi poeniteat eum veteris vitae, ut in littera dicitur. Contritio autem per se etiam sine Baptismo delet culpam actualem. Ergo Baptismus nihil facit ad deletionem actualis culpae.

1. Il semble que le baptême n’enlève pas la faute actuelle. En effet, le baptême n’enlève la faute actuelle que si la contrition l’accompagne, car nul qui est arbitre de sa volonté, où seul peut exister la faute actuelle, ne peut commencer une nouvelle vie s’il ne se repent pas de sa vie ancienne, comme il est dit dans le texte. Or, la contrition détruit par elle-même, sans le baptême, la faute actuelle. Le baptême ne contribue donc en rien à la destruction de la faute actuelle.

[14038] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, diversorum diversae sunt medicinae: quia non sanat oculum quod sanat calcaneum, ut dicit Hieronymus. Sed Baptismus directe ordinatur ut medicina contra peccatum originale. Ergo non potest salvare ab actuali.

2. Les remèdes varient selon les cas, car ce qui soigne l’œil ne soigne pas le talon, comme le dit Jérôme. Or, le baptême est ordonné directement comme remède contre le péché originel. Il ne peut donc sauver de la [faute] actuelle.

[14039] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, aliquis qui est in proposito peccandi, non potest consequi peccati remissionem. Sed contingit aliquem dum baptizatur, peccare venialiter, vel in proposito peccandi venialiter remanere; nec tamen propter hoc reputatur fictus. Ergo etiam in non fictis Baptismus non tollit culpam actualem.

3. Celui qui a le propos de pécher ne peut obtenir la rémission du péché. Or, il arrive que quelqu’un, alors qu’il est baptisé, pèche véniellement ou garde le propos de pécher véniellement ; il n’est cependant pas réputé feindre pour autant. Même chez ceux qui ne feignent pas, le baptême n’enlève donc pas la faute actuelle.

[14040] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus in Enchir.: baptizati non uni tantum peccato, sed multis magis aut omnibus moriuntur quaecumque jam propria commiserunt vel cogitatione vel locutione vel opere. Sed haec sunt peccata actualia. Ergo Baptismus tollit culpam actualem.

S.c. 1 – Ce que dit Augustin dans l’Enchiridion va en sens contraire : «Ceux qui sont baptisés meurent non seulement à un seul péché, mais à plusieurs ou à tous ceux qu’ils ont déjà commis par leurs propres pensée, parole ou action.» Le baptême enlève donc la faute actuelle.

[14041] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, Baptismus est ordinatus ad tollendum culpam originalem. Sed originale non potest tolli sine actuali, etiam ei qui utrumque habet: quia impium est a Deo dimidiam sperare veniam, ut infra dicetur, dist. 15. Ergo Baptismus etiam tollit culpam actualem.

S.c. 2 – Le baptême est ordonné à enlever la faute originelle. Or, le [péché] originel ne peut être enlevé sans le [péché] actuel, même chez celui qui a les deux, car il est impie d’espérer de Dieu une moitié de pardon, comme on le dira plus loin, d. 15. Le baptême enlève donc la faute actuelle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême enlève-t-il toute la peine temporelle due pour le péché actuel ?]

[14042] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non tollit omnem poenam temporalem debitam actuali peccato. Quia sicut Augustinus dicit, peccatum aut homo punit, aut Deus. Si ergo homo in seipso non puniat peccatum quod commisit a Deo punietur; et ita per Baptismum actualis peccati poena non totaliter tollitur.

1. Il semble que [le baptême] n’enlève pas toute peine temporelle due pour le péché actuel, car, comme le dit Augustin, «l’homme ou Dieu punit pour le péché». Si donc l’homme ne punit pas en lui-même le péché qu’il a commis, Dieu le punira. Et ainsi, par le baptême, la peine du péché actuel n’est pas totalement enlevée.

[14043] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, culpa non potest ordinari nisi per poenam. Sed Deus nil inordinatum relinquit. Ergo non dimittit quin pro culpa aliquam poenam infligat; et sic Baptismus non absolvit ab omni poena.

2. La faute ne peut revenir à l’ordre que par la peine. Or, Dieu n’a rien laissé de désordonné. Il n’enlève donc pas [la faute] sans une certaine peine. Et ainsi, le baptême n’absout pas de toute peine.

[14044] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Eucharistia est perfectius sacramentum quam Baptismus, quia est speciale repraesentativum passionis Christi a qua est efficacia in sacramentis. Sed Eucharistia non absolvit etiam non indigne percipientes ab omni poena. Ergo multo minus Baptismus.

3. L’eucharistie est un sacrement plus parfait que le baptême parce qu’elle représente d’une manière particulière la passion du Christ dont provient l’efficacité des sacrements. Or, l’eucharistie n’absout pas non plus de toute peine ceux qui la reçoivent indignement. Donc, encore bien moins le baptême.

[14045] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicit Ambrosius Rom. 2 super illud: sine poenitentia enim sunt dona Dei. Gratia Dei (inquit) in Baptismo non requirit gemitum vel planctum vel aliquod opus, sed omnia gratis condonat.

S.c. 1 – En sens contraire, Ambroise dit, à propos de Rm 2 : Les dons de Dieu sont sans repentance : «La grâce de Dieu dans le baptême n’exige pas de gémissement, de plainte ou quelque action, mais elle pardonne tout gratuitement.»

[14046] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, Christus sua simplici morte scilicet poenae, duas mortes in nobis consumpsit ut dicitur in Glossa Rom. 6, scilicet culpae et poenae. Sed in Baptismo configuratur homo morti Christi, ut ibidem dicit apostolus. Ergo absolvitur et a culpa et a poena.

S.c. 2 – Le Christ, par sa simple mort, c'est-à-dire par sa peine, a détruit en nous deux morts, comme il est dit dans la Glose sur Rm 6 – [la mort] de la faute et [la mort] de la peine. Or, par le baptême, l’homme est rendu conforme à la mort du Christ, comme le dit l’Apôtre à cet endroit. Il est donc absous de la faute et de la peine.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême enlève-t-il toute peine due pour le péché originel ?]

[14047] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam tollat omnem poenam originalis peccati. Efficacius enim est donum Christi quam peccatum Adae, ut dicit apostolus, Rom. 5. Sed omnis poena peccati originalis est inducta per peccatum Adae. Ergo per donum Christi, quod maxime in Baptismo operatur omnis poena tollitur.

1. Il semble que [le baptême] enlève toute peine du péché originel. En effet, le don du Christ est plus efficace que le péché d’Adam, comme le dit l’Apôtre, Rm 5. Or, toute peine pour le péché originel est issue du péché d’Adam. Par le don du Christ, qui agit surtout dans le baptême, toute peine est donc enlevée.

[14048] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus directius ordinatur contra peccatum originale quam contra peccatum actuale. Sed tollit omnem poenam actualis peccati, ut Ambrosius dicit. Ergo tollit omnem poenam originalis.

2. Le baptême est plus directement ordonné contre le péché originel que contre le péché actuel. Or, il enlève toute peine du péché actuel, comme le dit Ambroise. Il enlève donc toute peine du [péché] originel.

[14049] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, cessante causa cessat effectus. Sed causa poenae est culpa. Si ergo tollit culpam originalem, et per consequens aufert poenam.

3. La cause cessant, l’effet cesse. Or, la cause de la peine est la faute. Si donc [le baptême] enlève la faute originelle, il en enlève la cause par voie de conséquence.

[14050] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, nullus qui est debitor alicujus poenae, evolat statim. Sed baptizatus, si statim moriatur, evolat. Ergo non est debitor alicujus poenae; et sic Baptismus absolvit ab omni poena etiam originali.

4. Personne qui est débiteur d’une certaine peine ne s’envole immédiatement [vers le ciel au moment de sa mort]. Or, le baptisé, s’il meurt immédiatement, s’envole. Il n’est donc pas débiteur d’une peine. Et ainsi, le baptême absout de toute peine, même de [la peine] originelle.

[14051] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est, quia in baptizatis etiam caro concupiscit adversus spiritum. Sed haec pugna est ex peccato originali consecuta. Ergo non tollitur omnis poena originalis peccati per Baptismum.

S.c. 1 – En sens contraire, même chez les baptisés, la chair désire à l’encontre de l’esprit. Or, ce combat est la suite du péché originel. Toute peine du péché originel n’est donc pas enlevée par le baptême.

[14052] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, necessitas moriendi, et incinerationis et poenalitates hujus vitae sunt poenae originalis peccati. Sed istae adhuc manent in baptizatis. Ergo Baptismus non tollit omnem poenam originalis peccati.

S.c. 2 – La nécessité de la mort, du retour à la poussière et les peines de cette vie viennent du péché originel. Or, celles-ci demeurent même chez les baptisés. Le baptême n’enlève donc pas toute peine du péché originel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14053] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in generatione qualibet per introductionem formae omnis contraria forma expellitur, et etiam dispositio ad formam contrariam, nisi quandoque relinquatur ex indispositione recipientis formam. Unde cum Baptismus sit regeneratio in vitam spiritualem, omne quod est vitae spirituali contrarium, quod scilicet cum gratia stare non potest, quae est spiritualis vitae principium per Baptismum tollitur; et ideo Baptismus delet et originalem et actualem culpam mortalem, et quantum est de se etiam venialem, quae disponit ad privationem gratiae; quamvis quandoque culpa venialis remaneat post Baptismum mortali remota propter indispositionem recipientis Baptismum.

Dans n’importe quelle génération, toute forme contraire, et même la disposition à une forme contraire, est expulsée par l’introduction d’une [autre] forme, à moins qu’elle ne demeure parfois en raison de l’indisposition de celui qui reçoit la forme. Puisque, dans le baptême, se réalise une régénération en vue de la vie spirituelle, tout ce qui était contraire à la vie spirituelle, et qui ne peut demeurer avec la grâce qui est le principe de la vie spirituelle, est enlevé par le baptême. Ainsi, le baptême détruit-il tant la faute originelle que [la faute] actuelle mortelle, et, pour ce qui est de lui, [la faute] vénielle, qui dispose à la privation de la grâce. Mais parfois, la faute vénielle demeure après le baptême, une fois [la faute] mortelle enlevée, en raison de l’indisposition de celui qui reçoit le baptême.

[14054] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus non requirit contritionem quasi continuam ad destructionem peccati actualis quasi de se ad hoc non sufficiat, sed solum ad removendam fictionem quae est contraria dispositio impediens effectum Baptismi.

1. Le baptême ne requiert pas une contrition pour ainsi dire continue pour détruire le péché actuel, comme s’il ne suffisait pas en lui-même, mais seulement pour enlever la feinte qui est une disposition contraire empêchant l’effet du baptême.

[14055] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus non ordinatur tantum contra culpam originalem alias circumcisis in primitiva Ecclesia non fuisset necessarius Baptismus, sed ordinatur ad destruendum omnem culpam quam inveniat, et ad regenerandum in novam vitam destructa omni vetustate; et ideo est sicut totum potentiale habens completam potentiam ad destruendum totaliter peccatum. Sed poenitentia participat aliquid de potentia, quasi pars potentialis ordinata contra alia peccata, scilicet actualia; quia Baptismus iterari non potest.

2. Le baptême n’est pas ordonné seulement contre la faute originelle, autrement le baptême n’aurait pas été nécessaire pour les circoncis dans l’Église primitive ; mais il est ordonné à détruire toute faute qu’il peut trouver et à régénérer en vue d’une vie nouvelle, après que toute ce qui est vieux a été détruit. Ainsi, il est comme un tout potentiel possédant une puissance complète pour détruire totalement le péché. Mais la pénitence participe d’une certaine façon à cette puissance, comme une partie potentielle ordonnée contre les autres péchés, à savoir, [les péchés] actuels, car le baptême ne peut pas être répété.

[14056] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum est de se, Baptismus, ut dictum est, tollit omnem culpam originalem et actualem non solum mortalem, sed venialem; quae quamvis non contrarietur gratiae simpliciter, contrariatur tamen gratiae baptismali, quae debet esse perfecta ratione novitatis vitae. Sed potest impediri effectus ejus ex parte recipientis, si sit indispositus per fictionem. Sed cum fictio sit peccatum, sicut peccatum mortale est peccatum simpliciter, ita facit fictum simpliciter, et totaliter effectum Baptismi impedit quantum ad remissionem culpae. Sed peccatum veniale quod in actu vel in proposito est, facit fictum secundum quid, et est secundum quid peccatum, ut dispositio ad peccatum; et ideo impedit effectum Baptismi non simpliciter, sed quantum ad remissionem illius venialis.

3. En lui-même, le baptême, comme on l’a dit, enlève toute faute originelle et actuelle, non seulement mortelle, mais vénielle. Celle-ci, même si elle n’est pas tout à fait contraire à la grâce, est cependant contraire à la grâce baptismale, qui doit exister selon la raison parfaite de la nouveauté de la vie. Mais l’effet [du baptême] peut être empêché de la part de celui qui le reçoit, s’il est mal disposé en raison d’une feinte. Mais puisque la feinte est un péché, de même que le péché mortel est tout simplement un péché, de même en est-il de ce qui est tout simplement feint : cela empêche donc totalement l’effet du baptême pour ce qui est de la rémission de la faute. Mais le péché véniel, en acte ou en intention, rend relatif ce qui est feint et est un péché de manière relative, en tant qu’il est une disposition au péché. Cela empêche donc l’effet du baptême non pas tout simplement, mais quant à la rémission de ce [péché] véniel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14057] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Christus per mortem suam sufficienter satisfecit pro peccatis totius humani generis, etiam si essent multo plura. Et quia homo per Baptismum in mortem Christi baptizatur, et ei commoritur et consepelitur, ut dicitur Roman. 6, ideo Baptismus, quantum in se est, totam efficaciam passionis in baptizatum influit; et propter hoc absolvit non solum a culpa, sed a poena satisfactoria.

 

Par sa mort, le Christ a suffisamment satisfait pour les péchés de tout le genre humain, même s’ils étaient encore beaucoup plus nombreux. Et parce que l’homme est baptisé dans la mort du Christ par le baptême et qu’il meurt avec lui et est enseveli avec lui, comme il est dit en Rm 6, le baptême, en lui-même, transmet toute l’efficacité de la passion à celui qui est baptisé. Pour cette raison, il absout non seulement de la faute, mais de la peine satisfactoire.

[14058] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per Baptismum homo incorporatur Christo, et efficitur membrum ejus; et ideo poena quam Christus sustinuit, reputatur isti in satisfactionem: quia si patitur unum membrum, omnia alia compatiuntur, ut dicitur 1 Corinth. 11; et ideo Deus in Christo peccata illa punivit, sicut dicitur Isai. 53: posuit in eo iniquitatem omnium nostrum.

1. Par le baptême, l’homme est incorporé au Christ et en devient membre. C’est pourquoi la peine que le Christ a supportée lui est comptée comme satisfaction, car si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, comme il est dit en 1 Co 11. Ainsi Dieu a-t-il puni ces péchés dans le Christ, comme il est dit dans Is 53 : Il a placé sur lui l’iniquité de nous tous.

[14059] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena ordinat culpam dupliciter. Uno modo ut satisfaciens; et sic culpa remanet ordinata per satisfactionem Christi. Alio modo ut medicina sanans, vel repraesentans membrum sanabile, et sic culpa in baptizatis ordinatur ut sanata per gratiam oppositam.

2. La peine est en rapport avec la faute de deux manières. D’une manière, en tant qu’elle satisfait : et ainsi, la faute continue d’être en rapport avec la faute par la satisfaction du Christ. D’une autre manière, en tant que remède qui guérit, ou en tant que représentant le membre qui peut être guéri : et ainsi, la faute chez les baptisés est en rapport avec la grâce opposée qui a guéri.

[14060] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Eucharistia sit memoriale passionis Christi, non ordinatur tamen ad hoc quod per ipsam homo regeneretur in membrum Christi crucifixi, sed ut jam regeneratus ei adhaereat, et in ipso perficiatur; et ideo non est similis ratio de Baptismo et Eucharistia.

3. Bien que l’eucharistie soit le mémorial de la passion du Christ, elle n’est pas ordonnée à ce que, par elle, l’homme soit régénéré pour devenir membre du Christ crucifié, mais à ce que l’homme déjà régénéré lui soit uni et atteigne en lui la perfection. C’est pourquoi il n’en va pas de même pour le baptême et l’eucharistie.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14061] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in peccato originali talis fuit processus quod persona corrupit naturam, et natura personam corrupit; unde aliquid consideratur in hoc peccato quod pertinet ad naturam, aliquid quod pertinet ad personam. Passio autem Christi sufficienter peccatum originale abstulit quantum ad utrumque. Sed quia sacramenta personis adhibentur, ideo Baptismus hoc ab homine tollit quod ex corruptione naturae in personam redundabat; et propter hoc ipsam infectionem culpae, prout afficit personam, et poenam illam quae actum personae privabat, scilicet carentiam visionis divinae, Baptismus aufert; sed non aufert actu infectionem prout afficit naturam: quod patet ex hoc quod baptizatus per actum naturae originale transmittit in prolem, similiter nec poenas quae consequuntur principia naturae destitutae gratia innocentiae primi status, cujusmodi sunt rebellio carnis ad spiritum, mors, et hujusmodi poenalitates, quae consequuntur ex hoc ipso quod homo ex contrariis compositus est et quantum ad corpus et quantum ad animam quodammodo, scilicet quantum ad appetitum sensus et intellectus. Sed per gratiam baptismalem efficitur ut hae poenae remanentes non dominentur in personam, sed magis ei subjiciantur, et in utilitatem ipsius cedant, inquantum sunt materia virtutis, et occasio humilitatis et exercitii.

Dans le péché originel, le déroulement fut tel que la personne a corrompu la nature, et la nature a corrompu la personne. Aussi relève-t-on dans ce péché quelque chose qui se rapporte à la nature, et quelque chose qui se rapporte à la personne. Or, la passion du Christ a suffisamment enlevé le péché originel sur les deux points. Mais parce que les sacrements sont donnés aux personnes, le baptême enlève chez l’homme ce qui rejaillissait sur la personne du fait de la corruption de la nature. Pour cette raison, le baptême enlève l’infection de la faute en tant qu’elle affecte la personne, et la peine qui privait l’acte de la personne, à savoir, la privation de la vision divine. Mais il n’enlève pas l’infection en acte pour autant qu’elle affecte la nature : ce qui ressort clairement du fait que le baptisé transmet le [péché] originel à sa descendance par un acte de la nature, de même que les peines qui découlent des principes de la nature déchue de la grâce de l’innocence dans son état primitif, dont font partie la rébellion de la chair contre l’esprit, la mort et les peines de ce genre, qui découlent du fait même que l’homme est d’une certaine maniere composé de contraires tant dans son corps que dans son âme, c’est-à-dire dans son appétit sensible et intellectuel. Mais la grâce baptismale fait en sorte que ces peines qui demeurent ne dominent pas la personne, mais lui sont plutôt soumises et tournent à son utilité, pour autant qu’elles sont matière à vertu et occasion d’humilité et d’effort.

[14062] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio Christi sufficienter aufert et illud quod est personae, et illud quod est naturae per causam. Sed quia omnes homines in natura communicant, ideo effectus secundum legem communem curationis naturae non erit nisi in fine mundi; quando omnibus electis jam congregatis, simul cum eis etiam alia creatura insensibilis liberabitur a servitute corruptionis, ut dicitur Rom. 8.

1. La passion du Christ enlève suffisamment en tant que cause ce qui relève de la personne et ce qui relève de la nature. Mais parce que les hommes partagent la nature, l’effet, selon la loi commune de la guérison de la nature, ne se manifestera qu’à la fin du monde, lorsque, avec tous les élus déjà rassemblés, les autres créatures insensibles seront libérées en même temps qu’eux de la servitude la corruption, comme il est dit en Rm 8, 18s.

[14063] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae ad peccatum actuale pertinent, sunt tantum personae, quia actus individuorum sunt, secundum philosophum; et ideo non est simile de poena actualis et originalis.

2. Ce qui relève du péché actuel concerne seulement la personne, car les actes sont le fait des individus, selon le Philosophe. Il n’en va donc pas de même de la peine pour le [péché] actuel et pour le [péché] originel.

[14064] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tollitur culpa originalis per Baptismum inquantum est infectiva personae, non autem inquantum est infectiva naturae per actum generationis; et ideo poenae quae ad corruptionem naturae pertinent, etiam non tolluntur.

3. La faute originelle est enlevée par le baptême en tant qu’elle atteint la personne, mais non en tant qu’elle afecte la nature par l’acte de la généréation. C'est pourquoi les peines qui se rapportent à la corruption de la nature ne sont pas non plus enlevées.

[14065] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod baptizatus statim evolat, quia nulla poena debetur sibi ratione personae, sed ratione naturae humanae, quae post mortem non manet secundum hunc statum, in quo sibi poena debetur.

4. Le baptsié s’envole, car aucune peine ne lui est due en raison de sa personne, mais en raison de la nature humaine, qui, après la mort, ne demeure pas dans l’état où une peine lui est due.

 

 

Articulus 2 [14066] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum per Baptismum conferantur pueris gratia et virtutes

Article 2 – Est-ce que par le baptême sont conférées aux enfants la grâce et les vertus ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La grâce et les vertus sont-elles conférées aux enfants par le baptême ?]

 

[14067] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per Baptismum non conferantur pueris gratia et virtutes. Dicit enim Augustinus in libro de Baptismo parvulorum: parvulos fideles facit non fides ea quae consistit in credentium voluntate, sed fidei sacramentum. Sed fides quae est virtus, consistit in credentium voluntate, ut in 3 libro, dist. 23, quaest. 2, art. 3, quaestiunc. 1, dictum est. Ergo parvuli baptizati non habent virtutem fidei, et pari ratione nec alias virtutes, quae etiam in voluntate consistunt.

1. Il semble que, par le baptême, la grâce et les vertus ne sont pas conférées aux enfants. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur le baptême des enfants : «Ce n’est pas la foi qui réside dans la volonté de ceux qui croient qui rend fidèles les enfants, mais le sacrement de la foi.» Or, la foi, qui est une vertu, réside dans la volonté de ceux qui croient, comme on l’a dit dans le livre III, d. 23, q. 2, a. 3, qa 1. Les enfants baptisés n’ont donc pas la vertu de foi et, pour la même raison, les autres vertus, qui résident aussi dans la volonté.

[14068] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si aliquid de novo recipiatur in aliquo, oportet quod recipiens vel influens alio modo se habeat nunc quam prius. Sed anima pueri baptizati non alio modo se habet dum baptizatur quam prius: quia proprium motum non habet, carens liberi arbitrii usu; nec Deus, qui est influens gratiam et virtutes. Ergo pueri in Baptismo gratiam et virtutes non recipiunt.

2. Si quelque chose est reçu de nouveau par quelqu’un, il est nécessaire que celui reçoit ou celui qui agit se trouve dans un autre état qu’antérieurement. Or, l’âme de l’enfant baptisé ne se trouve pas dans un autre état, lorsqu’il est baptisé, qu’antérieurement, car elle ne possède pas de mouvement propre, puisque lui fait défaut l’usage du libre arbitre; et Dieu non plus, qui verse la grâce et les vertus. Les enfants ne reçoivent donc pas la grâce et les vertus par le baptême.

[14069] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Damascenus dicit, quod substantia nullo modo est sine propria operatione. Sed constat quod in puero non sunt operationes virtutum, quia non habet electionem, ut dicitur in 3 Ethic., quae in opere virtutis requiritur. Ergo non habet virtutes.

3. [Jean] Damascène dit qu’une substance n’existe pas du tout sans son opération propre. Or, il est clair que, chez l’enfant, n’existent pas les actes des vertus parce qu’il n’exerce pas le choix, comme il est dit dans Éthique, III, lequel est nécessaire à l’acte de la vertu. [Il ne possède] donc pas non plus les vertus.

[14070] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, virtutes, cum sint habitus, habilitant ad actum. Sed pueri non sunt habiles ad agendum quae secundum virtutem sunt. Ergo non recipiunt virtutes in Baptismo.

4. Les vertus, puisqu’elles sont des habitus, habilitent à l’acte. Or, les enfants ne sont pas aptes à faire ce qui est conforme à la vertu. Ils ne reçoivent donc pas les vertus par le baptême.

[14071] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod fides datur et nutritur in Baptismo: datur quantum ad parvulos, nutritur quantum ad adultos. Sed fides est virtus. Ergo virtutes dantur parvulis in Baptismo, et eadem ratione aliae virtutes.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit que la foi est donnée et nourrie par le baptême : elle est donnée aux enfants, elle est nourrie chez les adultes. Or, la foi est une vertu. Les vertus sont donc données aux enfants par le baptême et, pour la même raison, les autres vertus.

[14072] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, nullus admittitur ad gloriam nisi habeat vestem nuptialem, quae est caritas. Sed pueri baptizati, si moriantur, statim evolant. Ergo habent caritatem, quae est magistra virtutum, et per consequens alias virtutes.

S.c. 2 – Personne n’est admis à la gloire s’il n’a pas le vêtement nuptial, qui est la charité. Or, les enfants baptisés, s’ils meurent, s’envolent aussitôt. Ils possèdent donc la charité, qui est la maîtresse des vertus, et, par conséquent, les autres vertus.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles augmentées chez les adultes par le baptême ?]

[14073] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in adultis virtutes per Baptismum non augeantur. Augmentum enim virtutum est per meritum: quia secundum Augustinum, caritas meretur augeri, ut aucta mereatur et perfici. Sed in Baptismo non operatur meritum baptizati quantum ad opus operatum. Ergo ex opere operato virtutes in Baptismo non augentur.

1. Il semble que, chez les adultes, les vertus ne sont pas augmentées par le baptême. En effet, l’augmentation des vertus se fait par le mérite, car, selon Augustin, «la charité mérite d’être augmentée afin que, augmentée, elle mérite aussi d’être rendue parfaite». Or, par le baptême, le mérite du baptisé n’agit pas pour ce qui est de l’opus operatum. Les vertus ne sont donc pas augmentées dans le baptême en vertu de l’opus operatum.

[14074] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, cibus corporalis in eo qui jam pervenit ad quantitatem determinatam, non facit augmentum. Sed potest esse quod aliquis ante Baptismum perveniat ad quantitatem gratiae baptismalis quam puer recipit, in quo nullum est impedimentum. Ergo Baptismus nihil supra gratiam adjiciet.

2. La nourriture corporelle ne cause pas d’accroissement chez celui qui est parvenu à une quantité déterminée. Or, il peut arriver que, avant le baptême, quelqu’un parvienne à la quantité de la grâce baptismale que l’enfant reçoit, chez qui il n’existe aucun empêchement. Le baptême n’ajoutera donc rien à la grâce.

[14075] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, super illud Psal. 22: super aquam refectionis educavit me, dicit Glossa: per augmentum virtutis et bonae operationis educavit in Baptismo. Ergo Baptismus auget virtutes habentibus.

S.c. 1 – En sens contraire, à propos du Ps 22 : Il m’a conduit à l’eau qui revigore, la Glose dit : «Par l’augmentation de la vertu et de l’action bonne, il l’a revigoré par le baptême.» Le baptême augmente donc lez vertus chez ceux qui les possèdent.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-ce que l’illumination est l’effet du baptême ?]

[14076] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Baptismi effectus non sit illuminatio. Quia illuminatio ad doctrinam pertinet. Sed doctrina fidei est per catechismum, qui praecedit Baptismum. Ergo non est actus Baptismi.

1. Il semble que l’effet du baptême ne soit pas l’illumination, car l’illumination se rapporte à l’enseignement. Or, l’enseignement de la foi se réalise par le catéchisme, qui précède le baptême. [L’illumination] n’est donc pas un acte du baptême.

[14077] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illuminatio contra ignorantiam ordinatur. Sed secundum quosdam Baptismus non ordinatur contra ignorantiam, sed magis ordo. Ergo illuminatio non est effectus Baptismi, sed magis ordinis.

2. L’illumination s’oppose à l’ignorance. Or, selon certains, le baptême ne s’oppose pas à l’ignorance, mais plutôt l’ordre. L’illumination n’est donc pas un effet du baptême, mais plutôt de l’ordre.

[14078] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod Damascenus, ponit inter effectus Baptismi illuminationem, ut patet ex ejus definitione in praecedenti dist. inducta.

S.c. 1 – [Jean] Damascène place l’illumination parmi les effets du baptême, comme cela ressort de sa définition invoquée dans la distinction précédente.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Est-ce que la fécondation est un effet du baptême ?]

[14079] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fecundatio non sit effectus Baptismi. Non enim idem est quo aliquis active generat, et passive generatur. Sed Baptismus est regeneratio passiva baptizati. Cum ergo fecunditas importet generationem activam, videtur quod non pertineat ad Baptismum.

1. Il semble que la fécondation ne soit pas un effet du baptême. En effet, ce par quoi quelqu’un engendre activement et ce par quoi il est engendré passivement n’est pas la même chose. Puisque la fécondité comporte une génération active, il semble donc qu’elle ne relève pas du baptême.

[14080] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, fecunditas est proprietas consequens aliquid quantum ad perfectum statum sui: quia, ut dicitur in 4 Meteor., perfectum unumquodque est, quando potest alterum generare. Sed Baptismus non ordinatur ad perficiendum, sicut Eucharistia et confirmatio, secundum Dionysium, sed magis ad illuminandum et purgandum. Ergo Baptismus non habet fecunditatem pro effectu.

2. La fécondité est une propriété qui découle de l’état parfait de quelque chose, car, comme il est dit dans les Météores, IV, toute chose est parfaite lorsqu’elle peut en engendrer une autre. Or, le baptême n’est pas ordonné à perfectionner, comme l’eucharistie et la confirmation, selon Denys, mais plutôt à illuminer et à purifier. Le baptême n’a donc pas comme effet la fécondité.

[14081] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est quod dicit Glossa super illud Psal. 22: super aquam refectionis: anima peccatorum ariditate sterilis fecundatur per Baptismum.

S.c. 1 – En sens contraire, la Glose dit, à propos du Ps 22 : À l’eau qui revigore : «L’âme stérile à cause de la sécheresse des péchés est fécondée par le baptême.»

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Est-ce que l’incorporation au Christ est un effet du baptême ?]

[14082] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod incorporari Christo non sit effectus Baptismi. Aliquis enim incorporatur Christo et membris ejus per fidem formatam, ut in 3 Lib., dist. 23, dixit Magister. Sed aliquis habet fidem formatam etiam ante Baptismum. Ergo incorporatio non est effectus Baptismi.

1. Il semble qu’être incorporé au Christ ne soit pas un effet du baptême. En effet, quelqu’un est incorporé au Christ et à ses membres par la foi formée, comme l’a dit le Maître dans le livre III, d. 23. Or, quelqu’un peut avoir une foi formée même avant le baptême. L’incorporation n’est donc pas un effet du baptême.

[14083] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, incorporatio est effectus Eucharistiae. Sed ad eumdem effectum non ordinantur diversa sacramenta. Ergo non est effectus Baptismi.

2. L’incorporation est un effet de l’eucharistie. Or, les divers sacrements ne sont pas ordonnés au même effet. [L’incorporation] n’est donc pas un effet du baptême.

[14084] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 S.c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit ad Bonifacium quod in Baptismo aliquis membrum Christi efficitur. Sed hoc est Christo incorporari. Ergo incorporatio est effectus Baptismi.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit à Boniface que, par le baptême, on devient membre du Christ. Or, c’est là être incorporé au Christ. L’incorporation est donc un effet du baptême.

[14085] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod apertio januae non sit effectus Baptismi. Quidam enim ante passionem Christi baptizati sunt. Sed tunc eis janua non est aperta: quia si aliquis eorum tunc decessit, regnum non introivit. Ergo Baptismus non aperit januam regni caelestis.

Sous-question 6 – [L’ouverture de la porte du royaume céleste est-elle un effet du baptême ?]

1. Il semble que l’ouverture de la porte [du royaume céleste] ne soit pas un effet du baptême. En effet, certains ont été baptisés avant la passion du Christ. Or, la porte ne leur était pas alors ouverte, car, si quelqu’un parmi eux mourait, il n’entrait pas dans le royaume. Le baptême n’ouvre donc pas la porte du royaume céleste.

[14086] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, Baptismus repraesentat passionem Christi, non resurrectionem, ut videtur. Sed in resurrectione est aperta janua, ut patet per collectam quae dicitur in die resurrectionis: Deus qui in hodierna die per unigenitum tuum aeternitatis nobis aditum devicta morte reserasti. Ergo non debet iste effectus Baptismo attribui.

2. Le baptême représente la passion du Christ, et non la résurrection, semble-t-il. Or, la porte a été ouverte par la résurrection, comme cela ressort clairement de la collecte qui est dite le jour de la résurrection : «Dieu, qui nous as ouvert aujourd’hui par ton Fils unique l’accès à ton éternité après la victoire sur la mort.» Cet effet ne doit donc pas être attribué au baptême.

[14087] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 S.c. 1 Sed contra est auctoritas Bedae supra inducta, dist. 1, quod in hoc differebat circumcisio a Baptismo quod aditum regni caelestis non aperiebat.

S.c. 1 – En sens contraire, l’autorité de Bède, invoquée plus haut à la distinction 1, dit que la circoncision différait du baptême par le fait qu’elle n’ouvrait pas l’accès au royaume céleste.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14088] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod pueris in Baptismo nullo modo virtutes dantur, sed solum a peccato originali mundantur; sed postea quando decedunt, vel quando ad perfectam aetatem veniunt, eis virtutes conferuntur, si innocentiam servent. Sed haec opinio non potest stare: quia lignum cum praecisum fuerit, ubi ceciderit, ibi stabit, Eccle. 11; et ideo si pueris ante mortem non fuissent collatae virtutes, et gratia operans et cooperans, nec in morte eis conferrentur, et sic non salvarentur; quod falsum est. Videtur autem haec opinio venisse ex hoc quod virtutes actus tantum esse credebant; quod falsum est, ut in 2 libro, dist. 27, quaest. 1, art. 1, dictum est. Et ideo alii dicunt, quod pueris in Baptismo dantur gratia et virtutes non in seipsis, sed in radice sua, scilicet gratia quae est radix virtutum, sicut essentia animae potentiarum; sed postea quando solvuntur potentiae, perfectis organis, effluunt virtutes in ipsa ab ipsa essentia animae. Sed hoc pro tanto esse non potest, quia tunc si puer in furiam verteretur antequam ad perfectam aetatem veniret, nunquam in ipso potentiae solverentur, et ita nunquam virtutes explicite haberet: et praeterea quod potentiae sint ligatae aliquo impedimento, non impedit habitum, sed actum: quia dormientes et vinolenti habitus habent, sed ligatos. Et ideo alii dicunt, et melius, quod pueris in Baptismo dantur gratia et virtutes; sed habitus illi ligati sunt propter pueritiam, sicut in dormiente propter somnum: sed pueritia discedente inclinant ad bene operandum, nisi aliquis spiritui sancto resistat.

 

À propos de la première question, il y a diverses opinions. En effet, certains ont dit que les vertus n’étaient aucunement données aux enfants par le baptême, mais qu’ils étaient seulement purifiés du péché originel ; mais, par la suite, lorsqu’ils meurent ou lorsqu’ils parviennent à l’âge adulte, les vertus leur sont conférées, s’ils conservent l’innocence. Mais cette opinion ne peut être soutenue, car l’arbre qui a été coupé restera là où il est tombé, Si 11. C’est pourquoi, si les vertus n’ont pas été conférées aux enfants avant leur mort, ainsi que la grâce opérante et coopérante, elles ne leur seront pas non plus conférées à leur mort, et ainsi ils ne seraient pas sauvés, ce qui est faux. Or, il semble que cette opinion vienne de ce qu’on croyait que les vertus n’étaient que des actes, ce qui est faux, comme on l’a dit dans le livre II, d. 27, q. 1, a. 1. C’est pourquoi d’autres disent que, par le baptême, la grâce et les vertus sont données aux enfants, non pas en elles-mêms, mais dans leur racine, à savoir, la grâce qui est la racine des vertus, comme l’essence de l’âme l’est de ses puissances. Mais, par la suite, lorsque les puissances sont dégagées après que les organes ont atteint leur perfection, les vertus se déversent en elle à partir de l’essence même de l’âme. Mais cela ne peut pas être le cas, car, alors, si un enfant tombait dans la folie avant d’atteindre l’âge adulte, jamais les puissances ne seraient dégagées chez lui, et ainsi, il n’aurait jamais les vertus de manière distincte ; au surplus, le fait que les puissances soient liées par un empêchement, n’empêche pas l’habitus, mais l’acte, car ceux qui dorment et ceux qui sont ivres possèdent les habitus, mais liés. C'est pourquoi d’autres disent, plus justement, que la grâce et les vertus sont données aux enfants par la baptême, mais que ces habitus sont liés en raison de l’enfance, comme chez celui dort en raison du sommeil ; mais, après l’éloignement de l’enfance, elles inclinent à bien agir, à moins qu’on ne résiste au Saint-Esprit.

[14089] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de fide et voluntate actuali, quae in pueris esse non potest.

1. Augustin parle de la foi et de la volonté actuelles, qui ne peuvent exister chez les enfants.

[14090] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis agens principale sit immobile, tamen agens instrumentale non eodem modo se habet nunc et prius ad puerum: quia nunc adhibetur sibi Baptismus, non autem prius. Tamen etiam sine aliqua mutabilitate sui Deus alicui puero posset gratiam conferre, etiam sine adhibitione sacramenti, si ab aeterno disposuisset se ei daturum, sicut patet de sanctificatis in utero.

2. Bien que l’agent principal soit immuable, l’agent instrumental n’est cependant pas dans la même situation avant et après par rapport à l’enfant, car maintenant le baptême lui est donné, mais non pas auparavant. Toutefois, même sans aucun changement de sa part, Dieu pourrait conférer la grâce à quelqu’un, même sans que le sacrement soit donné, s’il avait disposé depuis l’éternité qu’il la lui donnerait, comme cela ressort clairement pour ceux qui sont sanctifiés dans le sein.

[14091] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplex est actus virtutum. Unus primus, qui est perficere animam et potentias ejus; et hunc actum etiam pueri habent. Alius est secundus, qui est operari cum electione; et hunc actum non semper habent: quia earum operationes sunt voluntariae, et voluntas non habet necesse semper agere, etiam in adultis.

3. L’acte des vertus est double. L’un, le premier, consiste à perfectionner l’âme et ses puissances : même les enfants possèdent cet acte. L’autre, le second, consiste à agir par choix : les enfants n’ont pas toujours cet acte, car leurs opérations sont volontaires et la volonté n’est pas toujours en action, même chez les adultes.

[14092] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod habitus facit habilem ad actum tollendo inhabilitatem quae est ex imperfectione potentiae, non autem tollit inhabilitatem quae est ex parte corporis, sicut patet in dormientibus.

4. L’habitus rend apte à l’acte en enlevant l’inaptitude qui vient de l’imperfection de la puissance ; mais il n’enlève pas l’inaptitude qui vient du corps, comme cela ressort clairement chez ceux qui dorment.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14093] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod per easdem causas virtus generatur et augetur, ut dicit philosophus in 2 Ethic.; et ideo, quia Baptismi est conferre virtutem et gratiam non habentibus, oportet quod in habentibus augeat.

La vertu est engendrée et augmentée par les mêmes causes, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Ainsi, parce qu’il revient au baptême de conférer la vertu et la grâce à ceux qui ne les ont pas, il est nécessaire qu’il l’augmente chez ceux qui l’ont.

[14094] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Baptismo quamvis non operetur meritum baptizati, operatur ibi tamen meritum Christi, quod est efficacius.

1. Bien que le mérite du baptisé n’agisse pas dans le baptême, le mérite du Christ, qui est plus efficace, y agit cependant.

[14095] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia non habet aliquem determinatum terminum ad quem pertingat, vel ultra quem procedere non possit, sicut est de quantitate animalis; et ideo non est simile.

2. La grâce n’a pas de terme déterminé à atteindre ou au-delà duquel elle ne pourrait aller, comme c’est le cas de la quantité animale. Ainsi, ce n’est pas la même chose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14096] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum quod lumen est quo dirigimur in visionem alicujus rei. Baptismus autem dirigit in visionem spiritualem exteriorem in interiorem. Quidem inquantum Baptismus dicitur sacramentum fidei, quae oculum mentis idoneum facit ad visionem divinorum; exteriorem vero, quia baptizatis conceditur inspicere sacram Eucharistiam, et non aliis, ut Dionysius dicit; et ideo tam Damascenus quam Dionysius Baptismo vim illuminativam attribuunt.

La lumière est ce par quoi nous sommes dirigés pour voir quelque chose. Or, le baptême dirige vers la vision spirituelle, ainsi que la vision extérieure vers la vision intérieure. Ainsi donc, pour autant qu’il est appelé le sacrement de la foi, il rend l’œil de l’esprit apte à voir les réalités divines. Mais [il dirige] la vision extérieure parce qu’il est permis aux baptisés de regarder la sainte eucharisite, et non aux autres, comme le dit Denys. C’est pourquoi aussi bien [Jean] Damascène que Denys attribuent au baptême une puissance illuminatrice.

[14097] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides principaliter est ex infusione; et quantum ad hoc per Baptismum datur; sed quantum ad determinationem suam est ex auditu; et sic homo ad fidem per catechismum instruitur.

1. La foi vient principalement d’une infusion : le baptême est donné pour cela. Mais pour ce qui est de sa détermination, elle vient de l’écoute : et ainsi l’homme est instruit du catéchisme en vue de la foi.

[14098] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia plus dicit quam illuminatio. Importat enim comprehensionem eorum ad quorum visionem illuminatio dirigebat; et ideo scientia ad perfectionem pertinet; unde Dionysius doctos perfectos nominat, et doctores perfectores: et sic contra ignorantiam ordo datur, ut scilicet ordinati sint docti, et etiam doctores aliorum.

2. La science dit plus que l’illumination. En effet, elle implique la compréhension de ce vers quoi l’illumination dirigeait la vision. C'est pourquoi la science relève de la perfection. Aussi Denys appelle-t-il parfaits ceux qui sont instruits, et docteurs ceux qui perfectionnent. Et ainsi, un ordre est donné contre l’ignorance, à savoir que ceux qui sont ordonnés soient instruits et deviennent aussi les docteurs des autres.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14099] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod fecunditas dicitur dupliciter. Uno modo respectu fructus producendi in ipso qui dicitur fecundari, sicut operationes virtutum quidam fructus boni dicuntur; et hoc modo fecundatur anima in Baptismo, cum in eo dentur virtutes non habentibus, et augeantur habentibus. Alio modo respectu fructus producendi in altero, sicut cum aliquis per doctrinam et solicitudinem pastoralem in plebe Dei fructum facit; et hoc modo fecundatio non pertinet ad Baptismum, sed magis ad sacramentum ordinis.

On parle de fécondité de deux manières. D’une manière, par rapport au fruit qui sera produit par ce dont on dit qu’il est fécondé, comme on dit que les actes des vertus sont de bons fruits. De cette manière, l’âme est fécondée par le baptême, puisque par lui sont données les vertus à ceux qui ne les ont pas et elles sont augmentées chez ceux qui les ont. D’une autre manière, par rapport au fruit qui sera produit chez un autre, comme lorsque quelqu’un produit du fruit dans le peuple de Dieu par l’enseignement et la sollicitude pastorale. De cette manière, la fécondation ne relève pas du baptême, mais plutôt du sacrement de l’ordre.

[14100] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex eodem ex quo aliquid habet generationem in natura aliqua, habet quod faciat operationes illius naturae; et ideo cum per Baptismum homo regeneretur in vitam spiritualem, per ipsum homo efficitur active fecundus, et quasi genitor spiritualium operum.

1. Quelque chose peut réaliser les opérations d’une nature par cela même qui l’a engendré dans cette nature. C’est pourquoi, comme l’homme est régénéré par le baptême en vue de la vie spirituelle, l’homme est par lui rendu activement fécond et comme celui qui engendre des actions spirituelles.

[14101] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de secunda fecundatione.

2. Cet argument porte sur la seconde fécondation.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[14102] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod incorporari Christo contingit dupliciter, scilicet merito et numero. Merito quidem potest aliquis de Ecclesia effici (quod est Christo incorporari) etiam ante Baptismum actu susceptum, sed non ante Baptismi propositum vel ipsum Baptismum post tempus gratiae revelatae; sed numero non potest aliquis effici de Ecclesia nisi per Baptismum; unde aliquis ante Baptismum non admittitur ad perceptionem Eucharistiae et aliorum sacramentorum Ecclesiae, ut prius dictum est.

L’incorporation au Christ se réalise de deux manières : par le mérite et selon le nombre. Par le mérite, quelqu’un peut devenir membre de l’Église (ce qu’est l’incorporation au Christ) même avant de recevoir en acte le baptême, mais non avant l’intention du baptême ou le baptême lui-même après le temps de la grâce révélée. Mais selon le nombre, quelqu’un ne peut devenir membre de l’Église que par le baptême. Ainsi, personne n’est admis à recevoir l’eucharistie et les autres sacrements de l’Église avant le baptême, comme on l’a dit plus haut.

[14103] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de prima incorporatione.

1. Cette objection vient de la première incorporation.

[14104] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perceptio Eucharistiae praesupponit incorporationem absolute: quia capitis virtus non communicatur membro nisi jam unito. Sed per Eucharistiam est perfecta influentia a capite in membro; et quantum ad hanc perfectionem incorporatio est effectus Eucharistiae.

2. La réception de l’eucharistie présuppose l’incorporation d’une manière absolue, car la puissance de la tête n’est communiquée qu’au membre déjà uni. Mais, par l’eucharistie, se réalise une influence parfaite de la tête dans les membres. Pour ce qui est de cette perfection, l’incorporation est l’effet de l’eucharistie.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

 [14105] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod aperiri januam regni caelestis nihil aliud est quam amovere impedimentum quo aditus in regnum caeleste toti naturae humanae prohibebatur. Hoc ergo impedimentum absolute quantum ad omnes remotum fuit sufficienter per passionem Christi; sed illa remotio efficienter fit quo ad istum, secundum quod particeps fit passionis Christi jam factae per Baptismum; et sic Baptismus quasi causa instrumentalis aperit januam regni caelestis quo ad istum, sed passio ut causa satisfactoria quo ad omnes.

Le fait que la porte du royaume céleste soit ouverte n’est rien d’autre que l’enlèvement de l’obstacle par lequel l’accès au royaume céleste était interdit à toute la nature humaine. Cet empêchement fut donc enlevé pour tous d’une manière suffisante par la passion du Christ; mais cet enlèvement est réalisé pour quelqu’un selon qu’il participe par le baptême à la passion du Christ déjà accomplie. Et ainsi, le baptême ouvre pour celui-ci la porte du royaume céleste comme une cause instrumentale, mais la passion, comme cause de la satisfaction pour tous.

[14106] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec ratio erat, quia passio Christi, in cujus virtute Baptismus agit, nondum facta erat, nec per eum aditus regni caelestis apertus; unde ratio probat quod Baptismus non habeat hanc virtutem quasi causa principalis.

1. La raison en était que la passion du Christ, par la puissance de laquelle le baptême agit, n’avait pas encore été accomplie et l’accès au royaume céleste n’avait pas encore été ouvert par lui. L’argument prouve donc que le baptême ne possède cette puissance à titre de cause principale.

[14107] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aditus regni caelestis aperitur tripliciter. Uno modo quantum ad gloriam animae; et sic in passione apertus est; unde dictum est latroni, Luc. 23, 43: hodie mecum eris in Paradiso. Alio modo quantum ad gloriam corporis; et sic apertus est in resurrectione. Alio modo quantum ad locum gloriae congruentem; et sic apertus est in ascensione. Et his tribus modis Baptismus instrumentaliter aperit quo ad istum: agit enim virtute et passionis et resurrectionis et ascensionis, inquantum homo configuratur Christo passo per immersionem, qua quodammodo Christo consepelitur, et ei resurgenti quantum ad nitorem qui resultat ex aqua, et ascendenti quantum ad elevationem baptizati de sacro fonte. Unde Baptismus passioni appropriatur: quia etiam gloria animae principalior est, et causa quodammodo aliorum; et in hujus signum baptizato domino caeli aperti sunt super eum; Matth. 3.

2. L’accès au royaume céleste est ouvert de trois manières. D’une manière, pour ce qui est de la gloire de l’âme: ainsi a-t-il été ouvert par la passion. Aussi a-t-il été dit au larron, en Lc 23, 43: Aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis. D’une autre manière, pour ce qui est de la gloire du corps: ainsi a-t-il été ouvert par la résurrection. D’une autre manière, pour ce qui est du lieu qui convient à la gloire: ainsi a-t-il été ouvert par l’ascension. Et le baptême ouvre au [royaume céleste] de manière instrumentale de ces trois manières. En effet, il agit par la puissance de la passion, de la résurrection et l’ascension pour autant que l’homme est rendu conforme au Christ qui a souffert par l’immersion, par laquelle il est d’une certaine façon enseveli avec le Christ; au Christ ressuscité, pour ce qui est de la pureté qui vient de l’eau; au Christ montant [au ciel], pour ce qui est de l’élévation du baptisé depuis la fontaine sacrée. Ainsi le baptême est-il approprié à la passion parce que la gloire de l’âme est la principale et la cause des autres choses, et aussi parce que les cieux se sont ouverts sur lui pour la signifier lorsque le Seigneur a été baptisé, Mt 3.

 

 

Articulus 3 [14108] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 tit. Utrum Baptismus aequalem effectum habeat in omnes quantum ad remotionem mali

Article 3 – Est-ce que le baptême a un égal effet chez tous pour ce qui est de l’enlèvement du mal ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le baptême enlève-t-il également le mal chez tous ?]

 

[14109] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Baptismus non aequalem effectum habeat in omnes quantum ad remotionem mali. In adultis enim removet peccatum actuale et originale; sed in pueris originale tantum. Ergo plus efficit in adultis quam in pueris quantum ad mali remotionem.

1. Il semble que le baptême n’ait pas un égal effet chez tous pour ce qui est de l’enlèvement du mal. En effet, chez les adultes, il enlève le péché actuel et originel, mais, chez les enfants, seulement le péché originel. Il est donc plus efficace chez les adultes que chez les enfants pour ce qui est de l’enlèvement du mal.

[14110] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, mitigatio fomitis est effectus Baptismi. Sed post Baptismum in quibusdam invenitur fomes magis mitigatus quam in aliis. Ergo in eis efficacius Baptismus se habuit in remotione mali.

2. Un affaiblissement du désir désordonné est l’effet du baptême. Or, après le baptême, on trouve chez certains une incitation plus affaiblie que chez d’autres.

[14111] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Baptismus habet efficaciam ad removendum malum, secundum quod habet quamdam similitudinem mortis. Sed morientium unus non magis moritur quam alius. Ergo et Baptismus aequaliter in omnibus mala aufert.

S.c. 1 – En sens contraire, le baptême tire son efficacité pour enlever le mal du fait qu’il a une certaine ressemblance avec la mort. Or, l’un des morts ne meurt pas davantage que l’autre. Le baptême enlève donc les maux également chez tous.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une grâce égale est-elle conférée à tous par le baptême ?]

[14112] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam aequalis gratia omnibus in Baptismo conferatur, qui non ficte accedunt. In Baptismo enim operatur passio Christi, quae habet quodammodo efficaciam infinitam. Sed finitum infinito additum nihil majus efficit. Cum ergo devotio accedentis qua unus alium excedit, sit quoddam bonum finitum, videtur quod devotio vel aliquid hujusmodi, efficere non possit quin omnes in Baptismo aequalem gratiam consequantur.

1. Il semble qu’une grâce égale est conférée par le baptême à tous ceux qui y accèdent sans feinte. En effet, la passion du Christ, qui possède une efficacité pour ainsi dire infinie, agit dans le baptême. Or, le fini ajouté à l’infini ne réalise rien de plus grand. Puisque la dévotion de celui qui y accède, par laquelle l’un dépasse l’autre, est quelque chose de fini, il semble donc que la dévotion ou quelque chose du genre ne puisse empêcher que tous reçoivent une grâce égale par le baptême.

[14113] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad Baptismi effectum capiendum non requiritur alia concausa, sed solum ut impedimentum removeatur. Sed nullus recipit gratiam in Baptismo nisi ab eo sit impedimentum remotum. Ergo omnes recipiunt gratiam aequalem.

2. Pour recevoir l’effet du baptême, une cause associée n’est pas nécessaire, mais seulement pour qu’un empêchement soit enlevé. Or, personne ne reçoit la grâce par le baptême que si un empêchement en est enlevé. Tous reçoivent dont une grâce égale.

[14114] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Damascenus dicit, quod peccatorum remissio cunctis aequaliter in Baptismo datur, gratia autem spiritus sancti secundum proportionem fidei, et secundum purgationem. Sed non omnes cum aequali fide nec aequaliter praeparati ad Baptismum accedunt. Ergo non omnes aequaliter gratiam consequuntur.

S.c. 1 – En sens contraire, [Jean] Damascène dit que la rémission des péchés est donnée à tous de manière égale par le baptême, mais la grâce du Saint-Esprit, en proportion de la foi et selon la purification. Or, tous n’accèdent pas au baptême avec une foi égale et n’y sont pas également préparés. Tous n’y reçoivent donc pas également la grâce.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-ce que même les enfants reçoivent une grâce égale par le baptême ?]

[14115] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam pueri in Baptismo consequantur aequalem gratiam. Quia in Angelis secundum quantitatem naturalium gratia infundebatur. Sed unus puerorum habet meliora naturalia quam alius. Ergo et majorem gratiam in Baptismo recipit.

1. Il semble que même les enfants n’obtiennent pas une grâce égale par le baptême. En effet, chez les anges, la grâce était répandue en fonction de l’ampleur de leurs dispositions naturelles. Or, un enfant possède de meilleures dispositions naturelles qu’un autre. Il reçoit donc une plus grande grâce par le baptême.

[14116] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quidam in Baptismo recipiunt gratiam finalem, qui innocentiam baptismalem usque ad finem servant, quidam autem non. Ergo etiam de pueris aliqui aliis majorem gratiam consequuntur.

2. Certains, qui conservent l’innocence baptismale jusqu’à la fin, reçoivent par le baptême la grâce finale, mais d’autres non. Même chez les enfants, certains obtiennent donc une grâce plus grande que d’autres.

[14117] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, gratia baptismalis in pueritia non opponitur nisi peccato originali. Sed unus puer non habet plus de peccato originali quam alius. Ergo nec majorem gratiam baptismalem recipit unus alio.

S.c. 1 – En sens contraire, la grâce baptismale chez les enfants ne s’oppose qu’au péché originel. Or, un enfant n’a pas davantage qu’un autre le péché originel. Il ne reçoit donc pas davantage qu’un autre la grâce baptismale.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14118] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod Baptismus universaliter aufert in eo qui non ficte accedit, culpam personam inficientem, quam invenit, ut dictum est, et sic accedit ad terminum. Ea autem quae in termino sunt, intensionem non recipiunt; et ideo quantum ad remotionem culpae, aequalem effectum habet in omnibus Baptismus; et similiter est de poena personali, quae respondet culpae originali prout est inficiens personam, scilicet carentia divinae visionis. Sed contra aliam poenam ex principiis naturae corruptae consequentem, sicut est concupiscentia vel fomes, remedium adhibetur in Baptismo, ut non dominentur per gratiam in Baptismo collatam; et ideo simile est de poena illa et de gratia.

Le baptême enlève de manière universelle, chez celui qui s’en approche sans feinte, la faute qu’il rencontre chez la personne affectée, comme on l’a dit, et ainsi il atteint son terme. Mais ce qui se trouve dans le terme ne reçoit pas d’impulsion. C'est pourquoi, du point de vue de l’enlèvement de la faute, le baptême a le même effet chez tous. Il en va de même pour la peine personnelle, qui correspond au péché originel pour autant qu’il affecte la personne, à savoir, la carence de la vision divine. Mais contre une autre peine qui découle des principes de la nature corrompue, comme le sont la concupiscence ou le désir désordonné, un remède est donné par le baptême en raison de la grâce conférée par le baptême, de sorte qu’ils ne dominent pas. Ainsi, il en va de même pour cette peine et pour la grâce.

[14119] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc non est de efficacia Baptismi quod non tot peccata destruit in uno quot in alio: in quolibet enim destruit omnia quae invenit.

1. Il ne relève pas de l’efficacité du baptême qu’il ne détruise pas autant de péchés chez l’un que chez l’autre : en effet, il détruit chez tous tous les péchés qu’il rencontre.

[14120] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa objectio procedit de secunda poena, quae habet reprimi per Baptismum ex parte gratiae collatae.

2. Cette objection est tirée de la seconde peine qu’il revient au baptême de réprimer en raison de la grâce conférée.

[14121] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus activorum recipiuntur in passivis secundum suam dispositionem; et ideo quamvis Baptismus (ut et passio Christi, quae in eo operatur) quantum est de se, aequalem respectum ad omnes habeat; quia tamen quidam ad Baptismum cum majori praeparatione fidei et devotionis accedunt quam alii, ideo quidam aliis majorem gratiam consequuntur. Nullus enim gratiam in termino recipit, ut intendi non possit per Baptismum.

L’acte de ce qui est actif est reçu dans ce qui est passif selon la disposition de celui-ci. Ainsi, bien que le baptême (ainsi que la passion du Christ qui agit en lui), pour ce qui est de lui-même, ait un égal rapport avec tous, parce que certains s’approchent du baptême avec une plus grande préparation de la foi et de la dévotion que d’autres, certains reçoivent une plus grande grâce. En effet, personne ne reçoit au terme la grâce de telle sorte qu’il ne puisse y tendre par le baptême.

[14122] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod devotio baptizati non additur quasi concausa, ut efficienter agat ad gratiae receptionem; sed additur quasi dispositio materialis; et ideo secundum diversitatem ipsius participatur Baptismi effectus.

1. La dévotion du baptisé n’est pas ajoutée comme une cause associée pour qu’elle agisse efficacement en vue de la réception de la grâce, mais elle est ajoutée comme une disposition matérielle. C’est pourquoi l’on participe à l’effet du baptême selon la diversité de [sa dévotion].

[14123] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando adultus baptizatur, non solum requiritur ad percipiendum Baptismi effectum removens prohibens, scilicet fictionem, sed etiam requiritur dispositio quasi materialis, scilicet devotio et fides recipientis Baptismum; et secundum quod magis vel minus invenitur dispositus, effectum Baptismi diversimode consequitur.

2. Lorsqu’un adulte est baptisé, n’est pas nécessaire pour recevoir l’effet du baptême ce qui enlève un obstacle, mais une dispisition pour ainsi dire matérielle est aussi nécessaire, à savoir, la dévotion et la foi de celui qui reçoit le baptême. Selon qu’il se trouve plus ou moins disposé, il obtient donc diversement l’effet du baptême.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14124] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in pueris baptizatis nihil ex parte eorum requiritur, sed habent quasi pro dispositione ad salutem fidem Ecclesiae, et pro effectivo salutis virtutem passionis Christi, quae operatur in Baptismo; et haec duo aequaliter ad pueros se habent; et ideo non differunt quantum ad effectum Baptismi suscipiendum, sed omnes aequalem gratiam suscipiunt.

Chez les enfants baptisés, rien n’est exigé de leur part, mais ils ont pour ainsi dire comme disposition au salut la foi de l’Église, et comme [cause] efficiente la puissance de la passion du Christ, qui agit dans le baptême. Ces deux choses affectent également les enfants. C’est pourquoi ils ne diffèrent pas du point de vue de l’effet du baptême reçu, mais tous reçoivent une grâce égale.

[14125] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de pueris et de Angelis: quia Angeli differunt specie, secundum multorum opinionem, pueri autem non; unde non est tanta differentia naturalium in pueris sicut in Angelis. Vel dicendum, quod in Angelis secundum proportionem gradus naturalium erat etiam proportio conatus qui ex parte eorum requirebatur, et ideo accipiebant gratiam secundum proportionem naturalium; in pueris autem non requiritur aliquis actus ex parte eorum; et ideo non est simile.

1. Il n’en va pas de même des enfants et des anges, car les anges diffèrent par l’espèce, selon l’opinion d’un grand nombre, mais non les enfants. Il n’y a donc pas autant de différences entre les dispositions naturelles des enfants et celles des anges. Ou bien il faut dire que, chez les anges, la proportion de l’effort qui était nécessaire de leur part correspondait à la proportion des degrés des dispositions naturelles. Ainsi, ils recevaient la grâce selon la proportion de leurs dispositions naturelles ; mais, chez les enfants, aucun acte n’est requis de leur part. Ce n’est donc pas la même chose.

[14126] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia accepta in pueris, non facit eis necessitatem ad bonum, sed inclinationem tantum; et ideo postquam ad perfectam aetatem pervenerint, possunt diversimode gratia recepta uti; et inde est quod quidam proficiunt et perseverant, quidam vero deficiunt; non ex diversa quantitate gratiae in Baptismo perceptae.

2. La grâce reçue par les enfants ne les force pas au bien, mais les incline seulement. Aussi, après qu’ils sont parvenus à l’âge adulte, ils peuvent utiliser diversement la grâce reçue. De là vient que certains progressent et persévèrent, mais certains font défecton, mais non pas en raison d’une quantité de grâce différente reçue dans le baptême.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Sur ceux qui reçoivent le baptême]

 

Prooemium

Prologue

[14127] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 pr. Deinde quaeritur de recipientibus Baptismum; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de pueris, et aliis usu rationis carentibus, quos constat sacramentum et rem sacramenti percipere; 2 de fictis qui recipiunt sacramentum, et non rem sacramenti; 3 de baptizatis Baptismo flaminis et sanguinis, qui non recipiunt sacramentum, sed rem sacramenti.

On s’interroge ensuite sur ceux qui reçoivent le baptême. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – À propos des enfants et de ceux à qui fait défaut l’usage de la raison, dont il est clair qu’ils reçoivent le sacrement et la réalité du sacrement ; 2 – À propos de ceux qui reçoivent le sacrement avec feinte, mais non la réalité du sacrement ; 3 – À propos de ceux qui sont baptisés dans le feu et dans le sang, qui ne reçoivent pas le sacrement, mais la réalité du sacrement.

 

 

Articulus 1 [14128] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 tit. Utrum pueri sacramentum suscipere possint

Article 1 – Est-ce que les enfants peuvent recevoir le sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les enfants peuvent-ils recevoir le baptême comme sacrement ?]

[14129] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod pueri sacramentum suscipere non possint. Marc. ult., 16: qui crediderit et baptizatus fuerit, salvus erit; ex quo patet quod credere praesupponitur ad Baptismum. Sed pueri non possunt credere, quia non possunt aliquid cum assertione cogitare. Ergo pueri non possunt suscipere sacramentum Baptismi.

1. Il semble que les enfants ne peuvent pas recevoir le sacrement. Mc 16, 16 : Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Il ressort clairement de cela que la foi est présupposée au baptême. Or, les enfants ne peuvent croire, parce qu’ils ne peuvent penser quelque chose en l’affirmant. Les enfants ne peuvent donc pas recevoir le sacrement de baptême.

[14130] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea. In Baptismo fit quaedam obligatio hominis ad ea quae sunt fidei Christianae servanda. Sed obligatio non potest fieri nisi ab eo qui est suae voluntatis arbiter constitutus. Ergo pueri sacramentum Baptismi suscipere non possunt.

2. Par le baptême, est contractée une certaine obligation de l’homme d’observer ce qui relève de la foi chrétienne. Or, une obligation ne peut être contractée que par celui est en état d’exercer son libre arbitre. Les enfants ne peuvent donc pas recevoir le sacrement de baptême.

[14131] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per Baptismum, ut dicit Dionysius, fit aliquis particeps communionis divinorum. Sed pueris non competit sacra communicare. Ergo non competit eis sacramentum Baptismi.

3. Comme le dit Denys, par le baptême, on participe à la communion aux réalités divines. Or, il ne convient pas aux enfants de communier aux réalités sacrées. Le sacrement du baptême ne leur convient donc pas.

[14132] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod divini nostri duces, scilicet apostoli, probaverunt infantes recipi ad Baptismum. Ergo pueri possunt sacramentum Baptismi recipere.

S.c. 1 – En sens contraire, Denys dit que «nos divins dirigeants – à savoir, les apôtres – ont montré que les enfants sont reçus pour le baptême». Les enfants peuvent donc recevoir le sacrement de baptême.

[14133] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, Baptismus circumcisioni successit. Sed circumcisio pueris conferebatur. Ergo et Baptismus pueris debet dari.

S.c. 2 – Le baptême succède à la circoncision. Or, la circoncision était conférée aux enfants. Le baptême aussi doit donc être donné aux enfants.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il préférable de reporter le baptême pour les enfants ?]

[14134] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod melius sit Baptismum differri quam statim in pueritia dare, nisi necessitas mortis emergat. Quia omnis Christi actio, nostra est instructio. Sed Christus Baptismum accipere voluit in tricesimo anno vitae suae, ut dicitur Luc. 3. Ergo et similiter apud nos debet usque ad tempus perfectae aetatis differri.

1. Il semble qu’il soit mieux de reporter le baptême que de le donner immédiatement pendant l’enfance, à moins que n’appariasse une nécessité liée à la mort, car toute action du Christ est pour nous un enseignement. Or, le Christ a voulu recevoir le baptême à l’âge de trente ans, comme il est dit en Lc 3. De la même façon, [le baptême] doit donc être reporté jusqu’à l’âge adulte.

[14135] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, medicina efficax debet sumi quando maxime potest juvare. Sed Baptismus maxime juvaret in fine vitae, vel saltem in perfecta aetate; quia per ipsum omnia delicta adolescentiae et juventutis solverentur. Ergo usque tunc deberet differri.

2. Un médicament doit être pris lorsqu’il peut le plus aider. Or, le baptême aiderait surtout à la fin de la vie ou, tout au moins, à l’âge adulte, car, par lui, toutes les fautes de l’adolescence et de la jeunesse seraient effacées. Il doit donc être reporté jusqu’à ce moment.

[14136] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, magis afficitur homo ad ea quae ex seipso acquirit quam ad ea quae ab alio accipit; unde et illi qui ex propria acquisitione divitias habent, non sunt ita liberales sicut qui ab aliis acceperunt, ut dicit philosophus in 4 Ethic. Sed pueri qui baptizantur, quasi ab aliis Baptismum suscipiunt; adulti autem ex seipsis ad Baptismum accedunt. Ergo magis afficerentur ad fidem Christianam, quae in Baptismo suscipitur, si baptizarentur adulti, quam si baptizarentur infantes.

3. L’homme est davantage affecté par ce qu’il acquiert par lui-même que par ce qu’il reçoit d’un autre. Ainsi, ceux qui possèdent des richesses pour les avoir acquises eux-mêmes ne sont pas aussi libéraux que ceux qui les ont reçues d’autres, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV. Or, les enfants qui sont baptisés reçoivent pour ainsi dire des autres le baptême, mais les adultes s’en approchent par eux-mêmes. Ils seraient donc davantage affectés par la foi chrétienne, qui est reçue par le baptême, s’ils étaient baptisés à l’âge adulte, que s’ils étaient baptisés alors qu’ils sont enfants.

[14137] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, medicina debet quam citius morbo apponi. Sed Baptismus est medicina contra originale peccatum, quod etiam in pueris est. Ergo debet eis Baptismus dari statim.

S.c. 1 – En sens contraire, un remède doit être donné aussi tôt que possible contre une maladie. Or, le baptême est un remède contre le péché originel, qui se trouve aussi chez les enfants. Le baptême doit donc leur être donné aussi tôt que possible.

[14138] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, melius est impedire malum ne fiat, quam jam factum destruere. Sed per Baptismum debilitatur fomes, ne dominetur in nobis, et in peccatum actuale ne nos praecipitet; et sic in pueritia susceptus futura peccata impedit. Ergo melius est tunc dari Baptismum quam postea ad destruendum peccata praeterita.

S.c 2 – Il est mieux d’empêcher qu’un mal n’arrive que de détruire un mal déjà fait. Or, par le baptême, le désir désordonné est affaibli pour qu’elle ne nous domine pas et ne nous précipite pas dans le péché actuel. Ainsi, [le baptême] reçu dans l’enfance empêche les péchés futurs. Il est donc mieux que le baptême soit donné alors que par la suite afin de détruire les péchés passés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême doit-il être donné aux adultes privés de raison ?]

[14139] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod adultis usu rationis carentibus Baptisma dari non debeat. In adultis enim non solum per Baptismum originale, sed etiam actualia peccata solvuntur. Sed contra actuale peccatum quod quis ex seipso commisit, requiritur proprius motus liberi arbitrii. Ergo his adultis qui usum liberi arbitrii non habent, Baptismus dari non debet.

1. Il semble que le baptême ne doive pas être donné aux adultes à qui la raison fait défaut. En effet, chez les adultes, non seulement le péché originel, mais aussi les péchés actuels sont effacés. Or, contre le péché actuel que quelqu’un a commis de lui-même, un mouvement propre du libre arbitre est requis. Le baptême ne doit donc pas être donné aux adultes à qui fait défaut l’usage du libre arbitre.

[14140] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nulli contradicenti sacramentum exhiberi oportet. Sed quandoque amentes et furiosi contradicunt. Ergo eis Baptismus dari non debet.

2. Il ne faut pas donner le sacrement à celui qui s’y oppose. Or, parfois, les fous et les forcenés s’y opposent. Le baptême ne doit donc pas leur être donné.

[14141] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, dormientes secundum philosophum, vivunt vita plantae. Sed Baptismus non datur nisi viventi vita humana, quae est secundum animam rationalem. Ergo dormienti Baptismus dari non oportet.

3. Selon le Philosophe, ceux qui dorment vivent selon la vie des plantes. Or, le baptême n’est donné qu’à celui qui vit selon une vie humaine, laquelle est conforme à l’âme raisonnable. Il ne faut donc pas donner le baptême à celui qui dort.

[14142] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit 4 Confess., de amico suo, qui cum desperaretur, baptizatus est nesciens; et tamen in ipso Baptismus efficaciam habuit: quod patet ex hoc quod postea perversae suasioni contradixit. Ergo etiam carentibus usu rationis Baptismus dari potest.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin parle dans les Confessions, de son ami, qui, alors qu’il se désespérait, a été baptisé sans le savoir ; cependant, le baptême était efficace chez lui, ce qui ressort du fait que, par la suite, il s’opposa à ses convictions perverses. Le baptême peut donc être donné même à ceux à qui fait défaut l’usage de la raison.

[14143] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, pueri, qui nunquam habuerunt usum rationis, baptizantur. Ergo multo amplius illi qui aliquando habuerunt, quamvis nunc non habeant.

S.c. 2 – Des enfants qui n’ont jamais eu l’usage de la raison sont baptisés. À plus forte raison, ceux qui l’ont déjà eue, bien qu’ils ne l’aient plus maintenant.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14144] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod diversi status mundi comparantur diversis aetatibus unius hominis, sicut Augustinus dicit in Lib. 83 quaestionum. Unde sicut nullus status mundi fuit in quo esset humano generi praeclusa via salutis, ita nulla aetas hominis unius est in qua sibi via salutis praecludatur. Unde cum in pueris sit peccatum originale, per quod a consecutione aeternae salutis impediuntur, oportet quod eis adhiberi possit aliquod remedium ad removendum praedictum impedimentum. Hoc autem est Baptismus. Unde divinae misericordiae contradicit qui negat Baptismum parvulis posse exhiberi; et propter hoc haereticum est hoc dicere.

Les divers états du monde sont comparés aux divers âges d’un seul homme, comme le dit Augustin dans le Livre des quatre-vingt- trois questions. Ainsi, de même qu’il n’y eut aucun état du monde où le chemin du salut ait été fermé au genre humain, de même il n’y a aucun âge d’un homme où le chemin du salut lui soit fermé. Puisque le péché originel existe chez les enfants, par lequel ils sont empêchés d’obtenir le salut éternel, il est donc nécessaire que puisse leur être donné un remède pour enlever cet empêchement. Or, tel est le baptême. Celui qui refuse le baptême aux petits enfants s’oppose donc à la miséricorde divine. Pour cette raison, il est hérétique de dire cela.

[14145] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pueri quamvis non habeant actum fidei, habent tamen habitum, quem in Baptismo suscipiunt, sicut et habitus aliarum virtutum. Sed si verbum domini intelligatur de actu fidei, tunc referendum est ad illos tantum qui per doctrinam apostolorum imbuendi erant, de quibus praedixerat: praedicate Evangelium omni creaturae; nulli enim eorum quibus Evangelium praedicandum erat, Baptismus dari debebat, nisi crederet.

1. Bien que les enfants n’aient pas l’acte de la foi, ils en ont cependant l’habitus qu’ils reçoivent par le baptême, de même que les habitus des autres vertus. Mais si la parole du Seigneur est entendue de l’acte de foi, alors elle doit se rapporter seulement à ceux qui devaient être formés par l’enseignement des apôtres, dont il avait dit à l’avance : Prêchez l’évangile à toute créature. En effet, le baptême ne devait être donné à aucun de ceux à qui l’évangile devait être annoncé, à moins qu’il ne croie.

[14146] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obligatio in Baptismo non fit ad aliquid ad quod non omnis homo teneatur.

2. L’obligation contractée par le baptême ne porte pas sur une chose à laquelle tout homme n’est pas tenu.

[14147] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ille qui ascribitur ad militiam non oportet quod statim in pugnam vadat, sed quando opportunitas imminet; ita nec ille qui in Baptismo ascribitur ad divinas actiones, oportet quod statim ad eas admittatur, sed quando tempus opportunum fuerit.

3. De même qu’il n’est pas nécessaire que celui qui est assigné à l’armée aille se battre immédiatement, mais lorsque l’occasion s’en présentera, de même celui qui est assigné aux actions divines par le baptême doit-il y être admis immédiatement, mais [les exerce] en temps opportun.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14148] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod magis laudabile est quod pueri quam citius poterint baptizentur commode, non expectata perfecta aetate, propter tres rationes. Primo, quia propter imbecillitatem naturae de facili mori possunt et damnari; unde ut damnationis periculum evitetur, debent Baptismo praeveniri. Secundo propter infestationes Daemonum, qui non habent tantam potestatem in pueris baptizatis ab originali mundatis, quantum in illis qui adhuc originale habent, neque quantum ad nocumenta spiritualia, neque quantum ad nocumenta corporalia. Tertio, quia in pueritia facilius homo ad aliqua inducitur, et firmius inhaeret, secundum quod philosophus dicit in 2 Ethic., cap. 1: non parum differt ex juvene confestim assuefieri, sed multum; magis autem omne; et hanc causam assignat Dionysius in fine Eccles. Hierarc. dicens: tradit autem puerum sacris symbolis, idest sacramentalibus signis, summus sacerdos, ut cum eis conversetur, et neque formetur in vitam alteram, nisi divina contemplantem semper.

Il est plus louable que les enfants soient baptisés aussitôt qu’on le peut commodément, sans attendre l’âge adulte, pour trois raisons. Premièrement, parce qu’en raison de la faiblesse de la nature, ils peuvent facilement mourir et être damnés. Pour que le danger de damnation soit évité, il faut donc qu’on prenne les devants par le baptême. Deuxièmement, en raison des attaques des démons, qui n’ont pas autant de pouvoir contre les enfants baptisés purifiés du péché originel, ni pour leur nuire spirituellement, ni pour leur nuire corporellement. Troisièmement, parce qu’un homme est plus facilement incité et adhère plus fermement à certaines choses dans l’enfance, selon ce que dit le Philosophe dans Éthique, II, ch. 1 : «Cela ne fait pas une petite mais une grande différence qu’un jeune prenne une habitude ; cela fait même toute la différence.» Et Denys donne cette raison à la fin de la Hiérarchie ecclésiastique, lorsqu’il dit : «Le souverain pontife met l’enfant en contact avec les symboles sacrés – c’est-à-dire, les signes sacramentels – afin qu’il y devienne familier et ne soit pas formé à une autre vie que de contempler toujours les réalités divines.»

[14149] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus suscepit Baptismum quasi ipsum instituens vel consecrans. Hoc autem ad doctoris vel sacerdotis officium pertinet, nuntiare viam salutis; et ideo ante tempus perfectae aetatis, quod competit esse in doctore vel sacerdote, baptizari non debuit. Nec est simile de aliis qui Baptismum suscipiunt, ut ab eo juventur.

1. Le Christ a reçu le baptême en l’instituant ou en le consacrant. Mais il relève de la fonction du docteur ou du prêtre d’annoncer le chemin du salut. Aussi ne devait-il pas être baptisé avant l’âge adulte, qui doit se trouver chez le docteur ou le prêtre. Il n’en va pas de même chez ceux qui reçoivent le baptême afin d’être aidés par lui.

[14150] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Baptismo confertur gratia ad bene vivendum, et peccata tolluntur praeterita, et impediuntur futura; et ideo quamvis Baptismus in fine vitae susceptus plura peccata praeterita tolleret, tamen pauciora impediret, et ad pauciora bona promoveret; et ideo minus esset utilis. Praeterea multis casibus subjacet humana vita, et posset contingere ut qui Baptismum in fine accipere expectaret, morte subita praeventus expectatione sua fraudaretur.

2. Par le baptême, la grâce est conférée pour bien vivre, les péchés passés sont enlevés et il est fait obstacle aux [péchés] futurs. Bien que le baptême reçu à la fin de la vie enlève beaucoup de péchés passés, il en empêcherait cependant un moins grand nombre et pousserait à un moins grand nombre de biens. Il serait donc moins utile. De plus, la vie humaine est soumise à beaucoup d’aléas et il pourrait arriver que celui qui attendrait de recevoir le baptême à la fin [de sa vie] soit trompé en étant devancé dans son attente par une mort subite.

[14151] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia baptismalis non est per acquisitionem hominis, sed dono Dei. Praeterea status paupertatis ante divitias acquisitas non inclinat affectum ut homo paupertatem sequatur, sed magis ut paupertatem fugiat; status autem peccati ante gratiam vel virtutem relinquit propter assuetudinem inclinationem in anima ut facilius in peccatum labatur; et ideo non est simile de acquisitione pecuniae, et gratiae vel virtutis.

3. La grâce baptismale n’est pas acquise par l’homme, mais vient d’un don de Dieu. De plus, l’état de pauvreté avant l’acquisition de richesses n’incline pas l’affectivité de l’homme à suivre la pauvreté, mais plutôt à fuir la pauvreté ; mais l’état de péché avant la grâce ou la vertu laisse dans l’âme, en raison de l’habitude, une inclination à tomber plus facilement dans le péché. C’est pourquoi il n’en va pas de même de l’acquisition de l’argent et de [celle] de la grâce et de la vertu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14152] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de amentibus distinguendum est. Quidam enim sunt qui ex nativitate amentes fuerunt, et nunquam habent aliqua lucida intervalla; et de talibus videtur esse idem judicium quod de pueris. Quidam autem amentiam incurrerunt ex infirmitate vel aliquo hujusmodi, et habent aliqua lucida intervalla; et de istis dicendum est, quod si antequam amentiam incurrerunt, vel dum habent lucida intervalla, fuerunt in proposito Baptismum suscipiendi, si necessitas sit, possunt baptizari, et Baptismi sacramentum suscipiunt, et rem sacramenti, etiam si tunc actu dissentiant quando baptizantur in amentia existentes. Si autem ante amentiam contradixerint, non recipiunt sacramentum neque rem sacramenti.

Au sujet des déments, il faut faire une distinction. En effet, certains sont déments depuis leur naissance et n’ont jamais d’intervalles de lucidité ; le jugement à porter sur ceux-ci semble être le même que sur les enfants. Mais certains ont encouru la démence à la suite d’une maladie ou de quelque chose du genre, et ils ont des intervalles de lucidité. De ceux-là, il faut dire que s’ils ont eu le désir de recevoir le baptême avant d’avoir encouru la démence ou lorsqu’ils ont des intervales de lucidité, ils peuvent être baptisés, si cela est nécessaire, et qu’ils reçoivent le sacrement et la réalité du sacrement, même s’ils s’opposent en acte à être baptisés, alors qu’ils sont en état de démence. Mais s’ils s’y sont opposés avant leur démence, ils ne reçoivent ni le sacrement, ni la réalité du sacrement.

[14153] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in adulto qui habet usum rationis, disponit ad gratiam baptismalem suscipiendam motus liberi arbitrii quem habet dum baptizatur; ita in amente motus liberi arbitrii quem habebat dum sanae mentis erat.

1. De même que, chez l’adulte qui a l’usage de la raison, le mouvement du libre arbitre dispose à recevoir la grâce baptismale lorsqu’il est baptisé, de même, chez le dément, le mouvement du libre arbitre qu’il avait lorsqu’il était sain d’esprit.

[14154] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus Baptismi in mente suscipitur, nec impeditur nisi ex contradictione mentis. Illi autem qui mentis usum non habent, non contradicunt mente, sed magis phantasia ducti; et ideo talis contradictio effectum Baptismi non impedit, quando mentis consensus praecessit.

2. L’effet du baptême est reçu dans l’esprit et n’est empêché que par une opposition de l’esprit. Mais ceux qui n’ont pas l’usage de leur esprit ne s’y opposent pas par l’esprit, mais ils sont plutôt menés par l’imagination. C’est pourquoi une telle opposition n’empêche pas l’effet du baptême, lorsqu’un consentement de l’esprit a précédé.

[14155] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dormientes baptizandi non sunt, nisi periculum mortis immineat; et tunc similiter distinguendum est de dormientibus sicut de illis qui amentiam incurrunt post statum sanae mentis.

3. Ceux qui dorment ne doivent pas être baptisés, si ce n’est en raison d’un danger de mort imminent. Il faut alors faire, à propos de ceux qui dorment, la même distinction que pour ceux qui encourent la démence après un état d’esprit sain.

 

 

Article 2

[14156] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a.2 tit.

Utrum aliqua indispositio voluntatis humanae possit effectum Baptismi impedire.

Article 2 – Est-ce qu’une indisposition de la volonté humaine peut empêcher l’effet du baptême ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce qu’une indisposition de la volonté humaine peut empêcher l’effet du baptême ?]

 

 

[14157] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nulla indispositio voluntatis humanae possit effectum Baptismi impedire. Ea enim quae sunt a natura, sunt magis permanentia quam ea quae sunt a voluntate. Sed originale est peccatum naturae, quod Baptismi effectum non impedit. Ergo nec aliqua indispositio voluntatis Baptismum in suo effectu impedire potest.

1. Il semble qu’aucune indisposition de la volonté humaine ne peut empêcher l’effet du baptême. En effet, ce qui vient de la nature est plus durable que ce qui vient de la volonté. Or, le péché originel est un péché de nature, qui ne peut empêcher l’effet du baptême. Aucune indisposition de la volonté ne peut donc empêcher l’effet du baptême.

[14158] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in naturalibus indispositio materiae non impedit effectum agentis totaliter, nisi quando contraria dispositio quae est in materia, est fortior quam virtus agentis, sicut patet de aquositate lignorum per comparationem ad calorem ignis. Sed virtus divina, quae in sacramentis secretius operatur salutem, ut Augustinus dicit, est potentior qualibet indispositione nostrae voluntatis. Ergo non potest propter indispositionem voluntatis effectus Baptismi totaliter tolli.

2. Dans les choses naturelles, l’indisposition de la matière n’empêche pas entièrement l’effet de l’agent, si ce n’est lorsqu’une disposition contraire qui se trouve dans la matière est plus forte que la puissance de l’agent, comme cela ressort de l’humidité du bois par rapport à la chaleur du feu. Or, la puissance divine, qui réalise secrètement le salut dans les sacrements, comme le dit Augustin, est plus puissante que n’importe quelle indisposition de notre volonté. L’effet du baptême ne peut donc être entièrement empêché par l’indisposition de la volonté.

[14159] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Baptismus, sicut et alia sacramenta, instrumentum est divinae misericordiae operantis salutem. Sed divina misericordia operans salutem etiam voluntatem in bonum mutat per gratiam praevenientem. Ergo et Baptismus indispositionem voluntatis magis tollit quam ab ea impediatur.

3. Le baptême, comme les autres sacrements, est un instrument de la miséricorde divine qui réalise le salut. Or, la miséricorde divine qui réalise le salut change même la volonté en vue du bien par la grâce prévenante. Le baptême aussi enlève donc l’indisposition de la volonté plus qu’il n’est empêché par elle.

[14160] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, Rom. 2, super illud: sine poenitentia sunt dona Dei et vocatio, dicit Ambrosius, quod gratia Dei in Baptismo non requirit nisi solam fidem et contritionem. Sed per haec duo tollitur omnis contrarietas voluntatis ad gratiam. Ergo requiritur ad Baptismum ut indispositio voluntatis tollatur.

S.c. 1 – En sens contraire, à propos de Rm 2 : Les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance, Ambroise dit que la grâce de Dieu dans le baptême ne requiert que la foi seule et la contrition. Or, par ces deux choses, toute opposition de la volonté à la grâce est enlevée. Il est donc nécessaire que l’indisposition de la volonté soit enlevée par le baptême.

[14161] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, secundum Augustinum, qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. Sed ille qui habet indispositam voluntatem, non cooperatur Deo, immo magis in contrarium operatur. Ergo in Baptismo non justificatur.

S.c. 2 – Selon Augustin, «celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi». Or, celui qui a une indisposition de la volonté ne coopère pas avec Dieu, bien plus, il agit en sens contraire. Il n’est donc pas justifié par le baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La feinte est-elle un empêchement à recevoir la grâce baptismale ?]

[14162] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hujusmodi voluntatis indispositio non debeat dici fictio. Secundum enim unumquodque genus peccati contingit voluntatem esse indispositam ad baptismalis gratiae susceptionem. Sed fictio est speciale peccatum, quia opponitur speciali virtuti, scilicet veritati, ut patet per philosophum in 4 Ethic. Ergo non debet dici universale impedimentum baptismalis gratiae.

1. Il semble que ce genre d’indisposition de la volonté ne doive pas être appelé une feinte. En effet, la volonté est indisposée à recevoir la grâce baptismale par n’importe quel genre de péché. Or, la feinte est un péché particulier, car elle s’oppose à une vertu particulière, à savoir, la vérité, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe, dans Éthique, IV. Elle ne doit donc pas être appelé un empêchement universel à la grâce baptismale.

[14163] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod fictus est qui non credit. Sed sicut in Baptismo datur fides, ita et aliae virtutes, et praecipue caritas, per quam aliquis fit filius Dei. Ergo fictio non magis debet poni impedimentum Baptismi, quam opposita aliarum virtutum.

2. Augustin dit que celui qui feint est celui qui ne croit pas. Or, de même que la foi est donnée par le baptême, de même aussi les autres vertus, et principalement la charité, par laquelle l’on devint fils de Dieu La feinte ne doit donc pas être présentée davantage comme un empêchement au baptême que les contraires des autres vertus.

[14164] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum aliquo modo fictus est qui indevotus accedit. Sed indevotio potest esse sine peccato mortali; talis autem non habet aliquod impedimentum Baptismi. Ergo impedimentum Baptismi non debet dici fictio.

3. Selon Augustin, celui qui s’approche sans la dévotion feint d’une certaine manière. Or, un manque de dévotion peut exister sans péché mortel ; mais un tel manque ne comporte pas un empêchement au baptême. La feinte ne doit donc pas être appelé un empêchement au baptême.

[14165] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum, alio modo dicitur fictus qui aliter celebrat. Sed qui non servat formam Ecclesiae, non confert sacramentum, neque suscipit. Ergo talis fictio non est sacramenti impedimentum.

4. Selon Augustin, on dit que quelqu’un feint lorsqu’il célèbre d’une autre manière. Or, celui qui n’observe pas la forme de l’Église ne confère pas le sacrement ni ne le reçoit. Une telle feinte n’est donc pas un empêchement du sacrement.

[14166] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, fictus alio modo ab Augustino dicitur qui contemnit suscipere. Sed talis non suscipit. Ergo talis fictio non impedit sacramenti effectum.

5. Augustin parle de celui qui feint d’une autre manière que de celui qui méprise de recevoir [le sacrement]. Or, celui-ci ne le reçoit pas. Une telle feinte n’empêche donc l’effet du sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le sacrement obtient-il son effet lorsque la feinte disparaît ?]

[14167] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod recedente fictione Baptismus effectum non consequatur. Opus enim mortuum nunquam vivificatur, ut infra, dist. 14, dicetur. Sed opus mortuum dicitur quod in peccato mortali factum est. Cum ergo ficte accedens ad Baptismum, in peccato mortali sit, Baptismus ille nunquam vivificari poterit, ut ei gratiam conferat.

1. Il semble que, lorsque la feinte disparaît, le baptême n’obtienne pas son effet. En effet, l’action de ceux qui sont morts n’est jamais vivifiée, comme on le dira plus loin, d. 14. Or, on appelle œuvre morte celle qui a été commise en état de péché mortel. Puisque celui qui s’approche du baptême avec feinte est en état de péché mortel, ce baptême ne pourra jamais être revivifié afin que la grâce lui soit conférée.

[14168] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, effectus Baptismi est ab omni culpa et poena absolvere. Sed hoc non accidit recedente fictione: quia a poena peccatorum quae post Baptismum commisit, non absolvitur alias esset majoris efficaciae in ficte accedentibus quam in aliis, quibus ad deletionem sequentium peccatorum Baptismus non operatur. Ergo recedente fictione Baptismus non habet suum effectum.

2. L’effet du baptême est d’absoudre de toute faute et de toute peine. Or, cela ne se produit pas lorsque la feinte disparaît, car il n’y a pas absolution de la peine des péchés qu’il a commis après le baptême, autrement [le baptême] aurait une plus grande efficacité chez ceux qui s’en approchent par feinte que chez les autres, chez qui le baptême ne réalise pas la destruction des péchés ultérieurs. Lorsque la feinte disparaît, le baptême n’a donc pas son effet.

[14169] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut aliquis ficte accedit ad Baptismum, ita etiam ad Eucharistiam. Sed recedente fictione Eucharistiae effectum non percipit qui prius fictus accesserat. Ergo nec etiam recedente fictione aliquis Baptismi effectum percipit.

3. De même que quelqu’un s’approche du baptême par feinte, de même en est-il aussi pour l’eucharisite. Or, lorsque la feinte disparaît, celui qui s’était approché par feinte ne reçoit pas l’effet de l’eucharistie. Lorsque la feinte disparaît, on ne reçoit donc pas non plus l’effet du baptême.

[14170] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, remota causa removetur effectus. Sed causa impediens effectum Baptismi erat fictio. Ergo remota fictione Baptismus effectum suum habebit.

S.c. 1 – En sens contraire, une fois la cause enlevée, l’effet en est enlevé. Or, la cause qui empêchait l’effet du baptême était la feinte. Lorsque la feinte est enlevée, le baptême aura donc son effet.

[14171] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, cuilibet culpae in statu viae potest remedium adhiberi. Sed contra originalem culpam non est aliud remedium quam Baptismus. Ergo cum ficte accedentibus originale non remittatur, oporteret Baptismum iterari si recedente fictione Baptismus effectum suum non haberet quod est inconveniens et haereticum.

S.c. 2 – Un remède peut être obtenu pour toute faute en cours de route [in statu viae]. Or, il n’y a pas d’autre remède contre le péché originel que le baptême. Puisque le [péché] originel n’est pas remis à ceux qui s’approchent [du baptême] par feinte, il faudrait donc renouveler le baptême, s’il n’obtenait pas son effet, lorsque la feinte disparaît, ce qui ne convient pas et est hérétique.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14172] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est effectus Baptismi. Primus est res et sacramentum, scilicet character. Et quia character non imprimitur ad praeparandum hominis voluntatem, ut aliquid bene fiat cum non sit habitus, sed potentia, ut dictum est, ideo hunc effectum voluntatis indispositio non impedit, dummodo aliqualis sit voluntas recipiendi sacramentum. Alius effectus est qui est res et non sacramentum, scilicet gratia, et quae ad ipsam consequuntur, per quae hominis voluntas praeparatur ut bene cooperetur; et ideo ad hunc effectum percipiendum non sufficit quaelibet voluntas sacramentum recipiendi, sed requiritur voluntas talis a qua removeatur omnis indispositio contraria gratiae baptismali quia contraria non se compatiuntur; unde manente contraria dispositione, Baptismus ultimum suum effectum habere non posset.

Il existe un double effet du baptême. Le premier est la réalité et le sacrement [res et sacramentum], à savoir, le caractère. Et parce que le caractère n’est pas imprimé pour préparer la volonté de l’homme afin que quelque chose soit bien accompli, puisqu’il n’y a pas d’habitus mais une puissance, comme on l’a dit, l’indisposition de la volonté n’empêche pas cet effet, pourvu qu’il y ait une certaine volonté de recevoir le sacrement. L’autre effet est ce qui est la réalité, mais non le sacrement [res, et non sacramentum], à savoir, la grâce et ce qui en découle, par quoi la volonté de l’homme est préparée à bien coopérer. Pour recevoir cet effet, ne suffit pas n’importe volonté de recevoir le sacrement, mais est nécessaire une volonté par laquelle est enlevée toute indisposition contraire à la grâce baptismale, car les contraires ne se supportent pas. Aussi, si demeure une indisposition contraire, le baptême ne pourrait avoir son effet.

[14173] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum originale eo ipso quod non est voluntarium voluntate hujus personae, habet quod in voluntate, in qua ultimus effectus Baptismi effici debet, indispositionem aliquam non causet; et ideo effectum Baptismi impedire non potest.

1. Le péché originel, par le fait même qu’il n’est pas volontaire de la part de la volonté de telle personne, fait que, dans la volonté où doit se réaliser l’effet ultime du baptême, il ne cause pas d’indisposition. C’est pourquoi il ne peut empêcher l’effet du baptême.

[14174] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de ratione voluntatis est ut cogi non possit; et ideo non est similis ratio de indispositione voluntatis et aliarum rerum naturalium, quae per violentam actionem agentis dispositiones contrarias admittunt.

2. Il est de la nature de la volonté qu’elle ne puisse être forcée. C’est pourquoi il n’en vas pas de même de l’indisposition de la volonté et des autres choses naturelles, qui reçoivent des dispositions contraires par une action violente d’un agent.

[14175] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in his quae ad esse naturae spectant, quaedam Deus operatur mediantibus rebus naturalibus, quaedam autem sibi reservavit, ita etiam in aliis quae ad gratiam pertinent, quaedam operatur mediantibus sacramentis, quaedam autem immediate operatur; et quandoque praeter legem naturae, sicut et miracula facit praeter rationes seminales seu naturales; et de hujusmodi est permutatio voluntatis eorum qui gratiae contrariam voluntatem habent non solum habitu (quod quandoque contingit in his qui non ficte accedunt, se ad gratiam disponentibus, quam in ipso momento Baptismi consequuntur), sed etiam eorum qui contrariam actu voluntatem habent, sicut de Paulo accidit; Act. 10.

3. Comme pour ce qui concerne l’être naturel, sur lequel Dieu agit par l’intermédiaire de choses naturelles, mais s’en réserve certaines, de même aussi, pour les choses qui concernent la grâce, réalise-t-il certaines choses par l’intermédiaire des sacrements, mais en réalise-t-il certaines de manière immédiate, et parfois, en dehors de la loi de la nature, comme lorsqu’il accomplit des miracles qui dépassent les raisons séminales ou naturelles. Est de ce genre le changement de la volonté de ceux qui ont une volonté contraire à la grâce non seulement en habitus (ce qui arrive parfois chez ceux qui ne s’approchent pas par feinte, mais se disposent à la grâce, qu’ils reçoivent au moment même du baptême), mais aussi chez ceux qui ont une volonté contraire en acte, comme cela est arrivé à Paul, Ac 10.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14176] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquis alicujus agentis effectum percipere debeat, oportet quod se habeat in debita dispositione ad causam agentem, et ad effectum percipiendum; et ideo indispositio voluntatis, quae effectum ultimum Baptismi impedit est duplex: una secundum ordinem ad ipsum sacramentum; alia secundum ordinem ad effectum sacramenti. Ad ipsum autem sacramentum contingit voluntatem esse indispositam dupliciter: uno modo per subtractionem necessarii; alio modo per positionem contrarii. Quia autem omnis actio est per contactum; ideo necessarium est quod recipiens sacramentum quodammodo contingat ipsum et per intellectum quem quidem contactum facit fides et per affectum quem contactum facit devotio; et ideo indispositus reputatur et qui non credit, et qui indevotus accedit. Similiter autem duplex est contrarium, quod subtrahi oportet. Unum est ex parte eorum quae exterius aguntur; et sic indispositus est qui aliter celebrat. Aliud est ex parte virtutis intrinsecae, quae secretius operatur salutem; et sic indispositus est qui contemnit. Similiter autem per comparationem ad effectum Baptismi, oportet quod disponatur aliquis adhibendo necessarium, scilicet fidem, quae cor purificat, et quod removeat contrarium, scilicet peccatum, per contritionem; et ideo Ambrosius dicit quod non sunt necessaria ex hac parte nisi fides et contritio, tamen contritio etiam in devotione includitur.

Pour que quelqu’un doive recevoir l’effet d’un agent, il est nécessaire qu’il se trouve dans une disposition appropriée vis-à-vis de la cause efficiente et de l’effet à recevoir. C’est pourquoi l’indisposition de la volonté qui empêche l’effet ultime du baptême est double : l’une, par rapport au sacrement lui-même ; l’autre, par rapport à l’effet du sacrement. Par rapport au sacrement lui-même, il arrive que la volonté soit indisposée de deux manières : d’une manière, par l’enlèvement de ce qui est nécessaire ; d’une autre manière, par la présence de quelque chose de contraire. Or, parce que toute action se réalise par un contact, il est nécessaire que celui qui reçoit le sacrement entre d’une certaine manière en contact avec lui, tant par l’intelligence – contact que réalise la foi – que par l’affectivité – contact que réalise la dévotion. Ainsi, on estime indisposé celui qui ne croit pas et qui s’en approche sans dévotion. De même, il existe un double contraire qu’il est nécessaire d’enlever. L’un du côté de ce qui est accompli extérieurement, et ainsi celui qui est indisposé est celui qui célèbre d’une autre manière. L’autre, du côté de la puissance intrinsèque qui réalise secrètement le salut. Et ainsi, est indisposé celui qui méprise [le sacrement]. De la même façon, si l’on compare à l’effet du baptême, il est nécessaire que l’on soit disposé en faisant preuve de ce qui est nécessaire, à savoir, la foi, qui purifie le cœur et enlève ce qui est contraire, à savoir, le péché, par la contrition. C’est pourquoi Ambroise dit que ne sont nécessaires de ce point de vue que la foi et la contrition, mais la contrition fait aussi partie de la dévotion.

L’absence de cette dévotion ne peut exister sans péché mortel, bien que le manque de dévotion, en tant qu’elle comporte la ferveur de la charité pour révérer Dieu et les réalités divines, puisse exister sans péché mortel.

[14177] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fictio proprie est cum aliquis aliquid ostendit dicto vel facto, quod non est in rei veritate. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo quando ex hac intentione aliquid dicitur vel fit, ut aliud ostendatur quam rei veritas habet; et tunc fictio est speciale peccatum, et sic non accipitur hic. Alio modo quando aliquid ostenditur quod rei veritas non habet dicto vel facto, etiam si non propter hoc dicatur vel fiat; et sic accipitur hic fictio. Quicumque enim ad Baptismum accedit, ostendit se veteri vitae abrenuntiare, et novam inchoare; unde si voluntas ejus adhuc in vetustate vitae remaneat, aliud ostendit quam sit in rei veritate; et ideo est fictio.

1. Il y a feinte à proprement parler lorsque quelqu’un montre en paroles ou en actes ce qui n’existe pas dans la vérité d’une chose. Or, cela arrive de deux manières. D’une manière, lorsque lorsque quelque chose est dit ou fait avec l’intention de montrer autre chose que ne comporte la réalité d’une chose ; alors, la feinte est un péché particulier, et ce n’est pas en ce sens qu’elle est entendue ici. D’une autre manière, lorsque quelqu’un montre en paroles ou en actes ce que ne comporte pas la réalité d’une chose, même si cela n’est pas dit ou fait dans ce but ; c’est ainsi qu’on entend ici la feinte. En effet, tous ceux qui s’approchent du baptême montrent qu’ils veulent renoncer à leur ancienne vie et en commencer une nouvelle.

[14178] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentis praecipue fides operatur, per quam sacramenta quodammodo continuantur suae causae principaliter agenti, et etiam ipsi recipienti; et ideo defectus fidei specialius pertinet ad fictionem quae est in sacramentis, quam defectus aliarum virtutum.

2. Dans les sacrements, c’est la foi qui agit principalement, par laquelle les sacrements sont d’une certaine manière mis en contact avec leur cause qui agit principalement et avec celui-là même qui les reçoit. C'est pourquoi le manque de foi se rapporte de manière plus particulière à la feinte qui existe dans les sacrements, que le manque d’autres vertus.

[14179] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod devotio hic accipitur voluntas consequendi Baptismum totaliter, et quantum ad sacramentum et quantum ad rem sacramenti; et hujus devotionis defectus non potest sine peccato mortali esse; quamvis defectus devotionis prout importat fervorem caritatis in reverentia Dei et divinorum, possit esse sine peccato mortali.

3. La dévotion est entendue ici au sens de volonté de recevoir complètement le baptême, tant pour ce qui est du sacrement que pour ce qui est de la réalité du sacrement.

[14180] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliter celebrans quandoque non variat ea quae sunt de essentia sacramenti, et tunc confertur sacramentum; sed non consequitur aliquis rem sacramenti, nisi suscipiens sacramentum sit immunis a culpa aliter celebrantis.

4. Celui qui célèbre de manière différente parfois ne change pas ce qui fait partie de l’essence du sacrement ; alors, le sacrement est conféré. Mais l’on ne reçoit pas la réalité du sacrement, à moins que celui qui reçoit le sacrement ne soit exempt de la faute de celui qui célèbre différemment.

[14181] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non loquimur hic de contemptu quo aliquis abjicit sacramentum non recipiens ipsum, sed quo aliquis parvipendit non aestimans in eo esse efficaciam ad salvandum.

5. Nous ne parlons pas ici du mépris par lequel on rejette le sacrement en ne le recevant pas, mais par lequel on le dédaigne en estimant qu’il ne possède pas d’efficacité pour le salut.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14182] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in Baptismo imprimitur character, qui est immediata causa disponens ad gratiam; et ideo, cum fictio non auferat characterem, recedente fictione, quae effectum characteris impediebat, character, qui est praesens in anima, incipit habere effectum suum; et ita Baptismus recedente fictione, effectum suum consequitur.

Par le baptême, un caractère est imprimé, qui est la cause immédiate disposant à la grâce. C’est pourquoi, puisque la feinte n’enlève pas le caractère, une fois la feinte écartée, laquelle empêchait l’effet du caractère, le caractère, qui est présent dans l’âme, commence à avoir son effet. Et ainsi, le baptême, une fois la feinte écartée, obtient son effet.

[14183] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus non habet efficaciam solum ex opere operante sed magis ex opere operato, quod est opus Dei et non hominis; et ideo non potest esse mortuum.

1. Le baptême ne tient pas son efficacité seulement de l’action [de celui qui] le donne [ex opere operante], mais davantage de l’action posée [ex opere operato], qui est l’œuvre de Dieu, et non de l’homme.

[14184] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus recedente fictione habet illum effectum quem prius habuisset, si fictio non fuisset; et ideo peccata praecedentia Baptismum remittit et quo ad culpam et quo ad poenam; sed peccata sequentia remittuntur virtute contritionis quae fictionem amovet, quantum ad culpam, sed non quantum ad poenam totaliter.

2. Une fois la feinte écartée, le baptême obtient l’effet qu’il aurait eu d’abord, s’il n’y avait pas eu de feinte. C'est pourquoi le baptême remet les péchés qui précèdent tant pour la faute que pour la peine. Mais les péchés subséquents sont remis en vertu de la contrition qui enlève la feinte pour ce qui est de la faute, mais non pas totalement pour ce qui est de la peine.

[14185] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Eucharistia non imprimitur character cujus virtute possit aliquis virtutem sacramenti percipere fictione recedente; et ideo non est simile.

3. Par l’eucharistie, un caractère n’est pas imprimé, en vertu duquel quelqu’un peut recevoir la puissance du sacrement, une fois la feinte écartée. Ce n’est donc pas la même chose.

 

 

Articulus 3 [14186] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 tit. Utrum praeter Baptismum fluminis debeant alia Baptismata esse

Article 3 – Doit-il y avoir d’autres baptêmes en plus du baptême d’eau ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-il y avoir d’autres baptêmes ?]

[14187] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod praeter Baptismum fluminis non debeant alia Baptismata esse. In omnibus enim quae sunt unius speciei, est unus modus generationis. Sed Baptismus est regeneratio in vitam spiritualem, quae est unius rationis in omnibus generatis. Ergo non debet esse regeneratio nisi unius modi, et ita tantum Baptismus fluminis.

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir d’autres baptêmes en plus du baptême d’eau. En effet, dans tout ce qui fait partie d’une même espèce, il n’existe qu’un seul mode de génération. Or, le baptême est une régénération en vue de la vie spirituelle, qui a la même nature chez tous ceux qui sont engendrés. Il ne doit donc y avoir de régénération que sous un seul mode, et ainsi seulement le baptême d’eau.

[14188] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Baptismus condividitur contra alia sacramenta novae legis. Sed alia sacramenta non multiplicantur: non enim sunt plures confirmationes neque plura sacerdotia, et sic de aliis. Ergo praeter Baptismum etiam fluminis non debet esse aliquod Baptisma.

2. La baptême se distingue des autres sacrements de la loi nouvelle. Or, les autres sacrements ne sont pas multipliés : en effet, il n’existe pas plusieurs confirmations ni plusieurs sacerdoces, et ainsi pour les autres. En plus du baptême d’eau, il ne doit pas y avoir d’autre baptême.

[14189] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramentum est genus Baptismi. Sed alia quae dicuntur Baptismata non sunt sacramenta, quia non servatur debita forma et debita materia. Ergo non sunt Baptismata.

3. Le genre du baptême est d’être un sacrement. Or, les autres actes qui sont appelés des baptêmes ne sont pas des sacrements, car la forme et la matière appropriées n’y sont pas observées. Ils ne sontdonc pas des baptêmes.

[14190] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Damascenus determinat plura genera Baptismatum.

S.c. 1 – En sens contraire, [Jean] Damascène distingue plusieurs genres de baptême.

[14191] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, Heb. 6, super: Baptismatum doctrinae, dicit Glossa: plura dicit quia est Baptisma aquae, poenitentiae, et sanguinis. Ergo sunt plura genera Baptismatum.

S.c. 2 – À propos de He 6 : Les enseignements sur les baptêmes, la Glose dit : «Il parle au pluriel parce qu’il existe un baptême d’eau, de pénitence et de sang.» Il existe donc plusieurs genres de baptêmes.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le baptême de pénitence suffit-il au salut ?]

[14192] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentiae Baptismus non sufficiat ad salutem. Character enim baptismalis videtur esse de pertinentibus ad salutem, eo quod per ipsum distinguitur populus Dei a non populo Dei. Sed per Baptismum poenitentiae non imprimitur character. Ergo non sufficit ad salutem.

1. Il semble que le baptême de pénitence ne suffise pas au salut. En effet, le caractère baptismal semble faire partie de ce qui appartient au baptême du fait que, par lui, une distinction est faite entre le peuple de Dieu et ce qui n’est pas le peuple de Dieu. Or, un caractère n’est pas imprimé par le baptême de pénitence. Il ne suffit donc pas au salut.

[14193] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, posita causa sufficiente superfluum videtur aliam causam addere. Si ergo Baptismus poenitentiae ad salutem sufficeret necessitate imminente, tunc aliquis necessitatis articulum evadens non deberet Baptismo aquae baptizari: quod falsum est.

2. Une fois établie une cause suffisante, il semble superflu d’ajouter une autre cause. Si donc le baptême de pénitence suffisait au salut en cas de nécessité urgente, alors celui qui échapperait à une telle urgence ne devrait pas être baptisé d’un baptême d’eau, ce qui est faux.

[14194] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, aetas puerilis magis est ad misericordiam inclinans quam aetas perfecta, ut patet per Glossam Rom. 5 super illud: vix pro justo quis moritur et cetera. Sed pueris non remittitur peccatum originale pro sola fide et contritione aliorum, nisi Baptismus aquae eis adhibeatur. Ergo videtur quod nec adultis remittatur originale et actuale simul sine Baptismo aquae.

3. L’enfance incline davantage à la miséricorde que l’âge adulte, comme cela ressort de la Glose à propos de Rm 5 : À peine meurt-on pour un juste, etc. Or, le péché originel n’est pas remis aux enfants seulement par la foi et la contrition des autres, si le baptême d’eau ne leur est pas donné. Il semble donc que le [péché] originel et actuel n’est pas en même temps remis aux adultes sans le baptême d’eau.

[14195] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, salus hominis cum sit de maximis bonis, non potest homini invito auferri. Sed in potestate hominis est impedire alium ne baptizetur Baptismo aquae. Ergo sine Baptismo aquae per solam fidem et contritionem potest esse salus.

S.c. 1 – Comme le salut de l’homme concerne les biens les plus grands, il ne peut être enlevé à l’homme malgré lui. Or, il relève du pouvoir de l’homme d’en empêcher un autre d’être baptisé du baptême d’eau. Sans le baptême d’eau, le salut peut donc exister par la foi et la contrition seules.

[14196] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, Rom. 6, 23, dicitur: gratia Dei vita aeterna. Sed contritio non est sine gratia. Ergo qui habet, fidem et contritionem, etiam sine Baptismo aquae salvatur.

S.c. 2 – En Rm 6, 23, il est dit : La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. Or, il n’y a pas de contrition sans la grâce. Celui qui possède la foi et la contrition est donc aussi sauvé sans le baptême d’eau.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême de sang peut-il suppléer le baptême d’eau ?]

[14197] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Baptismus sanguinis non suppleat vicem Baptismi aquae. Baptismus enim aquae habet efficaciam ex opere operato, Baptismus autem sanguinis solum ex opere operante; unde sine caritate non prodest, ut dicitur 1 Corinth. 13. Sed in pueris nihil habet efficaciam ex opere operante, quia usum liberi arbitrii non habent. Ergo in eis Baptismus sanguinis non supplet vicem Baptismi aquae.

1. Il semble que le baptême de sang ne peut suppléer le baptême d’eau. En effet, le baptême reçoit son efficacité en vertu de l’opus operatum, mais le baptême de sang [ne la reçoit] que de l’opere operante. Il ne sert donc à rien sans la charité, comme il est dit dans 1 Co 13. Or, chez les enfants, rien ne reçoit son efficacité ex opere operante, parce qu’ils n’ont pas l’usage du libre arbitre. Chez eux, le baptême de sang ne supplée donc pas le baptême d’eau.

[14198] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in Baptismo sanguinis non est nisi poena et causa. Sed poena quandoque non est proportionata ad tollendam totam poenam debitam pro peccatis; nec etiam devotio ad causam passionis, cum quis pro Deo patitur, ad hoc sufficeret. Ergo Baptismus sanguinis non semper totam poenam debitam pro peccatis tollit, et ita non supplet in omnibus vicem Baptismi aquae.

2. Dans le baptême de sang, il n’y a que la peine et la cause. Or, parfois, la peine n’est pas proportionnée à l’enlèvement total de la peine due aux péchés ; ni la dévotion [n’est-elle proportionnée] aussi à la cause de la souffrance, puisqu’il suffirait pour cela que quelqu’un souffre pour Dieu. Le baptême de sang n’enlève donc pas toujours toute la peine due aux péchés, et ainsi il ne supplée pas chez tous le baptême d’eau.

[14199] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, alia multa sunt genera supererogationum, sicut virginitas, cui etiam debetur aureola; et doctrina, et hujusmodi. Sed haec non supplent locum Baptismi. Ergo nec martyrium, ut videtur.

3. Il existe beaucoup de genres de choses qui existent de surcroît, comme la virginité, à laquelle est aussi due une auréole, et l’enseignement, et les choses de ce genre. Or, ces choses ne remplacent pas le baptême. Ni donc le martyre, semble-t-il.

[14200] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit de Cypriano, quod si quid in eo purgandum erat, passionis falce ablatum est. Ergo Baptismus sanguinis purgat universaliter, et etiam supplet locum Baptismi aquae.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit, à propos de Cyprien, que si quelque chose devait être purifié en lui, cela a été enlevé par le glaive de la passion. Le baptême de sang purifie donc de manière universelle et remplace même le baptême d’eau.

[14201] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, Baptismus aquae efficaciam habet ex passione Christi, cui nos conformat. Sed similiter Baptismus sanguinis nos passioni Christi conformat. Ergo supplet vicem Baptismi.

S.c. 2 – Le baptême d’eau tient son efficacité de la passion du Christ à laquelle il nous rend conformes. Or, de la même façon, le baptême de sang nous rend-il conformes à la passion du Christ. Il supplée donc le baptême.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le baptême d’eau est-il plus puissant que le baptême de sang ?]

[14202] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Baptismus aquae sit potior quam Baptismus sanguinis. Baptismus enim sanguinis efficaciam habet ex opere operante illius qui patitur, Baptismus autem aquae ex passione Christi. Cum ergo passio Christi sit efficacior quam opus operans alicujus puri hominis, Baptismus aquae nobilior erit quam Baptismus sanguinis.

 

1. Il semble que le baptême d’eau soit plus puissant que le baptême de sang. En effet, le baptême de sang tire son efficacité de l’œuvre accomplie par celui qui souffre, mais le baptême d’eau, de la passion du Christ. Puisque la passion du Christ est plus puissante que l’action accomplie par un simple homme, le baptême d’eau sera donc plus noble que le baptême de sang.

[14203] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, per Baptismum aquae datur homini gratia per quam debetur ei aurea, sed per Baptismum sanguinis debetur homini aureola. Ergo cum aurea sit nobilior quam aureola, et Baptismus aquae erit nobilior quam Baptismus sanguinis.

2. Par le baptême d’eau, est donnée à l’homme la grâce par laquelle lui est due une couronne d’or [aurea], mais, par le baptême de sang, est due à l’homme une auréole [aureola] : sur cette distinction, voir Sent., IV, d. 49, q. 5, a. 1; Suppl., q. 96, a. 1]. Puisque la couronne d’or est plus noble que l’auréole, le baptême d’eau aussi sera donc plus noble que le baptême de sang.

[14204] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa, Judic. 6: Baptismus in sanguine puriores reddit quam Baptismus aquae.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans la Glose, à propos de Jg 6 : «Le baptême de sang [les] rend plus purs que le baptême d’eau.»

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14205] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod proprie loquendo, unum est tantum Baptisma, quod in aqua celebratur sub determinata forma verborum, de qua dominus dicit Matth. ult., 19: docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti. Alia autem dicuntur Baptismata per ordinem ad illud Baptisma; et hoc tripliciter. Primo dicitur aliquid Baptisma quasi signum hujus Baptismi; et sic diluvium dicitur Baptismus, inquantum significat nostrum Baptismum quantum ad salvationem spiritualis vitae ex salvatione humani generis tunc facta in arca, ut patet 1 Petr. 3, et transitus maris rubri, qui significat Baptismum nostrum quantum ad liberationem a servitute Daemonum, ut dicitur 1 Corinth. 10 et ablutiones quae fiebant in lege, quae significant nostrum Baptisma quantum ad purgationem peccatorum quae in ipso fit. Alio modo dicitur Baptisma quasi causa aliqua nostri Baptismi; et sic Baptismus Joannis dicitur Baptisma ut disponens ad nostrum Baptisma; et Baptisma quo Christus baptizatus est, ut dans efficaciam nostro Baptismo. Alio modo dicitur aliquid Baptismus secundum proportionem ad eumdem effectum; et sic dicitur Baptismus poenitentiae et Baptismus sanguinis de quibus Magister hic loquitur: vel quantum ad effectum secundarium, qui est consummatio in bono; et sic dicitur Baptismus spiritus, de quo dicitur Act. 1. Et haec novem genera Baptismatum ponit Damascenus; sed Magister hic tangit illa tantum quae habent convenientiam cum sacramento Baptismi in principali effectu.

À parler proprement, il n’existe qu’un seul baptême, qui est célébré sous une forme déterminée de paroles, à propos de laquelle le Seigneur dit en Mt 28, 19 : Enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Mais les autres sont appelés des baptêmes en rapport avec ce baptême, et cela, de trois manières. Premièrement, quelque chose est appelé un baptême en tant que signe de ce baptême : et ainsi, le déluge est appelé un baptême, en tant qu’il signifie notre baptême pour ce qui est de sauver la vie spirituelle par le salut du genre humain réalisé alors dans l’arche, comme cela ressort de 1 P 3. Aussi, le passage de la Mer morte, qui signifie notre baptême pour ce qui est de la libération de la servitude des démons, comme il est dit dans 1 Co 10, ainsi que les ablutions qui étaient faites sous la loi, qui signifient notre baptême pour ce qui est la purification des péchés qui s’y réalise. D’une autre manière, est appelé baptême ce qui est comme une cause de notre baptême. Et ainsi, le baptême de Jean est-il un baptême, en tant qu’il dispose à notre baptême ; et le baptême par lequel le Christ a été baptisé, en tant qu’il donne son efficacité à notre baptême. On parle encore de baptême en raison d’une proportion par rapport au même effet ; ainsi parle-t-on de baptême de pénitence et de baptême de sang, dont le Maître parle ici. Ou par rapport à un effet secondaire, qui est l’établissement définitif dans le bien : ainsi parle-t-on du baptême de l’Esprit, dont il est question dans Ac 1. Et [Jean] Damascène précise ces neuf genres de baptêmes. Mais, ici, le Maître aborde seulement ceux qui ont quelque chose en commun avec le sacrement de baptême quant à son effet principal.

[14206] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus sanguinis et Baptismus poenitentiae habent vim eamdem regenerandi cum Baptismo aquae; quia Baptismus sanguinis et poenitentiae non valent ad regenerationem nisi ei qui habet Baptismum aquae in proposito, scilicet quando articulus necessitatis non contemptus religionis sacramentum excludit, ut in littera dicitur, et sic quodammodo agunt in vi Baptismi aquae.

1. Le baptême de sang et le baptême de pénitence ont la même puissance de régénération que le baptême d’eau, car le baptême de sang et [le baptême] de pénitence n’ont de valeur pour la régénération que pour celui qui a l’intention de recevoir le baptême d’eau, à savoir, lorsqu’une nécessité urgente, et non le mépris de la religion, exclut le sacrement, comme il est dit dans le texte. Et ainsi, ils agissent d’une certaine manière en vertu du baptême d’eau.

[14207] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum quod alia sacramenta non sunt tantae necessitatis sicut Baptismus; et ideo non oportuit quod haberent aliqua supplentia cum articulus necessitatis sacramentum excludit.

2. Les autres sacrements ne sont pas aussi nécessaires que le baptême. Il n’était donc pas requis que quelque chose les supplée lorsqu’une nécessité urgente exclut le sacrement.

[14208] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duo Baptismata de quibus Magister facit mentionem in littera, non conveniunt cum Baptismi sacramento in significando, sed solum in causando; et ideo non proprie possunt dici sacramenta: propter quod in littera dicitur quod tales suscipiunt rem sacramenti sine sacramento.

3. Les deux baptêmes que le Maître mentionne dans le texte n’ont pas en commun avec le sacrement de baptême la signification, mais ce qu’ils causent. À proprement parler, ils ne peuvent donc pas être appelés des sacrements. C’est la raison pour laquelle il est dit dans le texte que [de tels baptisés] reçoivent la réalité du sacrement sans le sacrement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14209] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquid dicitur ad salutem dupliciter. Uno modo simpliciter et absolute; et sic Baptismus poenitentiae sine Baptismo aquae non sufficit ad salutem. Alio modo secundum quid et in casu; et sic sufficit, quando articulus necessitatis sacramentum excludit ne actu percipi possit. Tunc enim quamvis sit poenitentia sine Baptismo in actu est tamen cum desiderio et proposito Baptismi; et voluntas pro facto reputatur ei qui non habet tempus operandi.

On dit que quelque chose [suffit] au salut de deux manières. D’une manière, de façon simple et absolue : et ainsi, le baptême de pénitence sans le baptême d’eau ne suffit pas au salut. D’une autre manière, de façon relative et dans un cas particulier : et ainsi, il suffit lorsqu’une nécessité urgente exclut le sacrement, de sorte qu’il ne puisse être reçu en acte. En effet, bien qu’alors il y ait pénitence sans baptême en acte, celui-ci existe cependant avec le désir et le propos du baptême. Et la volonté est comptée comme réalité à celui qui n’a pas le temps de réaliser l’action.

[14210] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eadem ratio est de charactere baptismali, et de ablutione aquae exteriori: quia utrumque simpliciter est necessarium ad salutem, sed in casu sufficit propositum, quando articulus necessitatis sacramentum excludit.

1. On raisonne de la même façon pour le caractère baptismal et pour l’ablution extérieure par l’eau, car les deux sont tout simplement nécessaires au salut, mais, dans un cas particulier, le propos suffit, lorsqu’une nécessité urgente exclut le sacrement.

[14211] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet bene, si Baptismus poenitentiae esset simpliciter et absolute ad salutem sufficiens.

2. Cet argument serait valable si le baptême de pénitence suffisait tout simplement et absolument au salut.

[14212] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis puerorum aetas sit magis miserabilis, tamen oportet si salvari debeant, quod in eis aliqua causa salutis sit. Et quia per proprium motum liberi arbitrii salvari non possunt, oportet quod per sacramentum Baptismi salventur. Plus enim valet adulto fides propria, quam parvulo fides aliena. Quod enim aliquando fides aliena puero ad salutem sufficiebat cum aliqua protestatione hoc erat inquantum illa protestatio habebat vim sacramenti quam nunc habet Baptismus aquae.

3. Bien que l’âge des enfants soit le plus digne de compassion, il est cependant nécessaire, pour qu’ils soient sauvés, qu’une cause de salut existe pour eux. Et parce qu’ils ne peuvent être sauvés par le mouvement propre de leur libre arbitre, il est nécessaire qu’ils soient sauvés par le baptême. En effet, la foi propre a plus de valeur chez l’adulte que la foi d’un autre pour un enfant. Que la foi d’un autre, accompagnée d’une promesse, ait parfois suffi au salut, cela avait cours pour autant que cette promesse avait la puissance du sacrement que possède maintenant le baptême d’eau.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14213] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Baptismus aquae efficaciam habet a passione Christi, inquantum eam sacramentaliter repraesentat; Baptismus autem sanguinis passioni Christi conformat realiter, non sacramentali repraesentatione; et ideo in his quae sacramentalia sunt Baptismus sanguinis non supplet vicem Baptismi aquae, sicut est impressio characteris et hujusmodi, sed in eo quod est res tantum, supplet totaliter vicem Baptismi aquae quando articulus necessitatis sacramentum excludit. Sicut enim in Baptismo aquae liberatur homo ab omni culpa praecedente et poena, ita in Baptismo sanguinis.

Le baptême d’eau tire sa puissance de la passion du Christ, pour autant qu’il la représente sacramentellement. Or, le baptême de sang rend conforme à la passion du Christ réellement, et non par une représentation sacramentelle. C’est pourquoi, pour ce qui est sacramentel, comme le sont la marque du caractère et les choses de ce genre, le baptême de sang ne remplace pas le baptême d’eau, mais, pour ce qui est la réalité seulement, il supplée entièrement le baptême d’eau, lorsqu’une nécessité urgente exclut le sacrement. En effet, de même que, par le baptême d’eau, l’homme est libéré de toute faute précédente et de toute peine, de même en est-il par le baptême de sang.

[14214] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus sanguinis non habet hoc tantum ex opere operante, neque quantum ad poenam qua aliquis martyrium excipit: quam contingit non esse sufficientem ad satisfaciendum pro peccato; neque quantum ad devotionem justae voluntatis: quia contingit quod voluntate majori caritate informata aliquis sine martyrio non potest ab omni poena liberari, sed hoc habet ex imitatione passionis Christi; unde de martyribus dicitur Apocal. 7, 14: laverunt stolas suas in sanguine agni; et ideo pueri quamvis liberum arbitrium non habeant, si occidantur pro Christo, in suo sanguine baptizati salvantur.

1. Le baptême de sang ne tient pas cela seulement de l’action de celui agit, ni de la peine par laquelle quelqu’un reçoit le martyre, qui peut ne pas suffire à la satisfaction pour le péché, ni quant à la dévotion d’une volonté juste, car il arrive que quelqu’un ne puisse être libéré de tout péché par une volonté possédant la forme d’une plus grande charité. Mais [le baptême de sang] tient cela de l’imitation de la passion du Christ. Aussi est-il dit des martyrs dans Ap 7, 14 : Ils ont lavé leurs tuniques dans le sang de l’Agneau. C’est pourquoi les enfants, bien qu’ils n’aient pas le libre arbitre, s’ils sont tués pour le Christ, sont sauvés en étant baptisés dans leur sang.

[14215] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illa poena in se considerata, non esset sufficiens ad liberandum ab omni poena peccati, tamen relata ad causam passionis, accipit efficaciam a passione Christi, cui aliquis per talem poenam conformatur, et ex hoc ab omni poena absolvere potest.

2. Bien que cette peine, considérée en elle-même, n’ait pas été suffisante pour libérer de toute peine du péché, cependant, mise en rapport avec la cause de la passion, elle reçoit une efficacité de la passion du Christ à qui, par une telle peine, quelqu’un est rendu conforme. Elle peut ainsi absoudre de toute peine.

[14216] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliis supererogationis vel perfectionis operibus vel statibus, non est ita expressa conformitas ad passionem Christi sicut in Baptismo sanguinis, neque etiam in Baptismo poenitentiae; et ideo non oportet quod in eis omnis poena dimittatur. Tamen in vitis patrum dicitur, quod quidam patrum vidit eamdem gratiam descendentem super eum qui habitum religionis assumit, et super eum qui baptizatur. Sed hoc non est, quia talis a satisfactione absolvatur, sed quia eo ipso quod suam voluntatem etiam in servitutem redigit propter Deum, plenarie jam pro omni peccato satisfecit, quia eum cariorem habet omnibus rebus mundi, de quibus tantum posset dare quod eleemosynis omnia peccata redimeret, etiam quantum ad poenam.

3. Dans tous les autres actions ou états de surérogatoires ou de perfection, la conformité à la passion du Christ n’est pas aussi expresse que dans le baptême de sang, pas plus que dans le baptême de pénitence. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que toute peine soit remise par eux. Toutefois, il est dit dans les Vies des pères qu’un des pères a vu la même grâce qui descendait sur celui qui prend l’habit religieux que sur celui qui est baptisé. Mais cela n’est pas dû au fait que ce dernier est libéré de la satisfaction, mais que, par le fait même qu’il ramène sa volonté en servitude pour Dieu, il a satisfait pleinement pour tous ses péchés, puisque Dieu lui est plus cher que toutes les réalités du monde avec lesquelles il pourrait faire l’aumône au point de racheter sous ses péchés, même pour ce qui est de la peine.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14217] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod uterque Baptismus habet efficaciam a passione Christi, secundum quod ei conformat. Et quia Baptismus aquae conformat ei sacramentali significatione, Baptismus autem sanguinis realiter; ideo quantum ad sacramentalia excedit Baptismus aquae, sicut est impressio characteris, et hujusmodi; sed quantum ad ea quae sunt res sacramenti, excedit Baptismus sanguinis, quia et gratia in Baptismo sanguinis magis augetur habenti, et amplior datur non habenti, si impedimentum non adsit; et remissio peccatorum quamvis non sit plenior, quia uterque omnem poenam et culpam tollit, tamen est in Baptismo sanguinis efficacior et fructuosior, quia secundis maculis non inquinatur, ut Damascenus dicit. Quod enim quidam dicunt, quod in Baptismo sanguinis gratia non confertur, apparet falsum esse in pueris qui pro Christo occiduntur, et etiam in adultis, quibus potest in ipso actu passionis gratia dari, sicut et in Baptismo aquae, si se ad eam disposuerint, et obicem aliquem non ponant spiritui sancto. Et hoc patet per Augustinum, qui loquens de comparatione horum Baptismatum, ait: baptizatus confitetur fidem suam coram sacerdote, martyr coram persecutore; ille post professionem aspergitur aqua, hic sanguine; ille per impositionem manus pontificis recipit spiritum sanctum, hic templum efficitur spiritus sancti. Nullus autem efficitur templum spiritus sancti nisi gratiam accipiendo.

Les deux baptêmes tiennent leur efficacité de la passion du Christ en y rendant conforme. Et parce que le baptême d’eau y rend conforme par la signification sacramentelle, alors que le baptême de sang le fait réellement, le baptême d’eau l’emporte pour ce qui est sacramentel, comme l’impression du caractère et les choses de ce genre ; mais, pour ce qui est de la réalité du sacrement, le baptême de sang l’emporte, car, par le baptême de sang, la grâce est davantage augmentée chez celui qui la possède et une plus grande est donnée à celui qui ne la possède pas, s’il n’y a pas d’empêchement. Et la rémission des péchés, bien qu’elle ne soit pas pluscomplète, puisque les deux enlèvent toute peine et toute faute, est cependant plus efficace et porte plus de fruit dans le baptême de sang, parce qu’elle n’est pas entachée par de nouvelles fautes, comme le dit [Jean] Damascène. En effet, certains disent que, dans le baptême de sang, la grâce n'est pas conférée ; cela paraît faux pour les enfants qui sont tués pour le Christ et même pour les adultes, à qui la grâce peut être donnée sans l’acte même de la passion, s’ils s’y sont disposés et ne mettent pas d’obstacle à l’Esprit Saint. Cela ressort clairement chez Augustin qui, en parlant de la comparaison entre ces baptêmes, dit : «Le baptisé confesse sa foi devant le prêtre, le martyr devant le persécuteur. Celui-là est aspergé d’eau après sa profession, celui-ci de sang. Celui-là reçoit l’Esprit Saint par l’imposition de la main du pontife, celui-ci devient le temple du Saint-Esprit.» Or, personne ne devient le temple de l’Esprit Saint qu’en recevant la grâce.

[14218] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam Baptismus sanguinis efficaciam habet a passione Christi, cui expressius conformat quam Baptismus aquae.

1. Même le baptême de sang tient son efficacité de la passion du Christ, à laquelle il rend plus expressément conforme que le baptême d’eau.

[14219] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Baptismo sanguinis aliquis non solum aureolam meretur, sed etiam auream per gratiam tunc collatam, vel augmentatam.

2. Par le baptême de sang, on ne mérite pas seulement une auréole, mais aussi une couronne d’or par la grâce alors donnée ou augmentée.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 4

[14220] Super Sent., lib. 4 d. 4 q. 3 a. 3 qc. 4 expos. Omnes parvuli qui in Baptismo ab originali mundantur, sacramentum et rem suscipiunt. Non tamen soli parvuli, sed etiam adulti quandoque. Tamen de parvulis non est dubium quin recipiant; de adultis autem est, quia per fictionem impediri possent; et ideo parvulis potius exemplificat. Nisi poeniteat, eum veteris vitae. Contra. Ergo Baptismus non est primum sacramentum, sed poenitentia. Et dicendum, quod loquitur de poenitentia prout est virtus, non prout est sacramentum. Non redire dimissa etc., hoc qualiter verum sit, infra, dist. 22, quaest. 1, art. 1, in corp., dicetur. Induunt homines Christum aliquando et cetera. Induere Christum nihil aliud est quam Christi similitudinem assumere; quod contingit exterius per sacramentalem repraesentationem, et interius per realem imitationem. Nec tantum passio vicem Baptismi implet, sed etiam fides et contritio, ubi necessitas excludit sacramentum. Contritio non totaliter supplet: quia non semper a tota poena absolvit, quamvis absolvat ab omni culpa. Neque enim ille latro pro nomine Christi crucifixus est. Contra est quod Hieronymus dicit, quod Christus homicidii poenam in illo latrone fecit esse martyrium. Et dicendum quod habuit aliquid de martyrio, scilicet poenam, et justam voluntatem; et aliquid defecit ad martyrium, scilicet causa; sicut in innocentibus defuit justa voluntas; sed fuit poena et causa. Quem regeneraturus eram, amisi. Amisisse se eum dicit, quia gaudium et meritum quod de baptizatione ejus habiturus erat, amisit differens Baptismum ejus usque ad solemne tempus secundum morem Ecclesiae qui tunc erat, vel usque ad perfectam instructionem. Iste autem gratiam Baptismi non amisit, quia cum desiderio ejus decessit; et hoc est verum quantum ad remissionem culpae, sed non quantum ad remissionem omnis poenae. Ubi tota sacramenta Baptismi complentur. Verum est quantum ad id quod est tantum res in sacramento. Aeterno supplicio puniendos, supplicium improprie nominat poenam damni, quam solam pueri sustinebunt, ut in 2 Lib., dist. 33, quaest. 2, art. 2, dictum est. Quia fidelium consortio non separantur. Orationes tamen illae non sunt pro eis suffragia, sed gratiarum actiones.

 

 

 

Distinctio 5

Distinction 5 [Les ministres du baptême]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les ministres du baptême]

 

Prooemium

Prologue

[14221] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de Baptismo per comparationem ad recipientes, hic determinat de ipso per comparationem ad dantes; et dividitur in duas partes: in prima ostendit a quibus dari possit Baptismus; in secunda a quibus et qualiter dari debeat, 6 dist.: nunc quibus liceat baptizare, addamus. Prima in tres: in prima ostendit a quibus dari possit Baptismus, quia a bonis et a malis; in secunda assignat hujus rationem, ibi: quia ministerium tantum habent, non potestatem Baptismi; in tertia removet quamdam dubitationem, ibi: hic quaeritur quae sit potestas Baptismi quam Christus sibi retinuit. Hic est duplex quaestio. Prima de potestate baptizandi. Secunda de ipsis baptizantibus. Circa primum quaeruntur tria: 1 quam potestatem Christus, secundum quod homo, in baptizando habuit; 2 quam ministris contulerit; 3 quam conferre potuerit, sed non contulit.

Après avoir déterminé du baptême par rapport à ceux qui le reçoivent, le Maître en détermine ici par rapport à ceux qui le donnent. Il y a deux parties: dans la première, il montre par qui le baptême peut être donné; dans la seconde, par qui et comment il peut être donné, à la d. 6: «Maintenant, ajoutons à qui il est permis de baptiser.» La première partie [se divise] en trois: dans la première, il montre par qui le baptême peut être donné, car [il peut l’être] par des bons et des méchants; dans la deuxième, il en donne la raison, en cet endroit: «Car ils n’exercent qu’un ministère, et non le pouvoir du baptême»; dans la troisième, il écarte un doute, à cet endroit: «Ici, on s’interroge sur le pouvoir du baptême que le Christ a gardé pour lui.» Il y a ici une double question: la première, sur le pouvoir de baptiser; la seconde, sur ceux qui baptisent. Sur le premier point, trois questions sont posées: 1 – quel pouvoir le Christ, en tant qu’homme, possédait-il dans le baptême ? 2 – Quel pouvoir a-t-il communiqué aux ministres ? 3 – Quel pouvoir aurait-il pu conférer, mais n’a pas conféré ?

 

 

Articulus 1 [14222] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, habuit potestatem dimittendi peccata

Article 1 – Est-ce que le Christ, en tant qu’homme, avait le pouvoir de remettre les péchés ?

Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, habuit potestatem dimittendi peccata. Matth. 9, 6, dicitur: ut autem sciatis quia filius hominis habet potestatem in terra dimittendi peccata, dixit paralytico: surge, et ambula. Sed non oportebat signum ostendere ad probandum quod Deus haberet potestatem dimittendi peccatum: quia hoc Judaei confitebantur. Ergo etiam secundum quod homo habuit hanc potestatem.

1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, avait le pouvoir de remettre les péchés. Il est dit en Mt 9, 6: Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur terre, il dit au paralytique: «Lève-toi et marche!» Or, il n’était pas nécessaire de montrer un signe pour prouver que Dieu avait le pouvoir de remettre le péché, car les Juifs le confessaient. Même comme homme, il avait donc ce pouvoir.

[14224] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Christus, secundum quod homo, est redemptor, ut in 3, dist. 19, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 1, dictum est. Sed non potest aliquis liberari a servitute peccati nisi sibi peccatum dimissum sit. Ergo Christus, secundum quod homo, habuit potestatem dimittendi peccata.

2. Le Christ, en tant qu’homme, est le rédempteur, comme on l’a dit dans le livre III, d. 19, q. 1, a. 4, qa 1. Or, quelqu’un ne peut être libéré de la servitude du péché à moins que le péché lui ait été remis. Le Christ, en tant qu’homme avait donc le pouvoir de remettre les péchés.

[14225] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, super illud Joan. 5: sicut pater suscitat mortuos etc., dicit Augustinus: judicat, et suscitat corpora, non pater, sed filius, secundum humanitatis dispensationem, qua minor est patre. Sed suscitatio corporum attestatur suscitationi animarum, quae fit per dimissionem peccati. Ergo Christus, secundum quod homo, potuit peccatum dimittere.

3. À propos de Jn 5: De même que le Père ressuscite les morts, etc., Augustin dit: «Il juge et il ressuscite les corps, non pas le Père, mais le Fils, selon une disposition de son humanité par laquelle il est inférieur au Père.» Or, la résurrection des corps témoigne de la résurrection des âmes, qui est réalisée par la remise du péché. Le Christ, en tant qu’homme, pouvait donc remettre le péché.

[14226] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, majus est imperium ejus quam invocatio nominis ejus. Sed ad invocationem nominis Christi dabatur Baptismus et remissio peccatorum in primitiva Ecclesia. Ergo et ipse Christus suo imperio poterat peccata dimittere.

4. Son pouvoir est plus grand que l’invocation de son nom. Or, dans l’Église primitive, à l’invocation du nom du Christ, le baptême et la rémission des péchés étaient donnés. Le Christ lui-même pouvait donc remettre les péchés par son pouvoir.

[14227] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Christus amplioris gloriae prae Moyse habitus est, quia non sicut servus vel minister, sicut Moyses, est in domo Dei, sed sicut dominus et heres, ut dicitur Hebr. 3. Sed si non haberet potestatem dimittendi peccatum, secundum quod homo, non esset sicut dominus, sed solum sicut minister, sicut et alii. Ergo habet potestatem dimittendi peccata.

5. Le Christ a été revêtu d’une plus grande gloire que Moïse, car il ne se trouve pas dans la maison de Dieu comme un serviteur ou un ministre, mais comme le maître et l’héritier, comme il est dit dans He 3. Or, s’il n’avait pas le pouvoir de remettre le péché en tant qu’homme, il ne serait pas le maître, mais seulement un ministre, comme les autres. Il possède donc le pouvoir de remettre les péchés.

[14228] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 S.c. 1 Sed contra, illud quod est solius Dei, non convenit Christo inquantum est homo. Sed dimittere peccatum est hujusmodi; ut patet Isai. 43: ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Ergo non convenit Christo.

S.c. 1 – En sens contraire, ce qui n’appartient qu’à Dieu seul ne convient pas au Christ en tant qu’il est homme. Or, remettre le péché est de cet ordre, comme cela ressort de Is 43: C’est moi qui détruis tes iniquitiés à cause de moi. Cela ne convient donc pas au Christ.

[14229] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 S.c. 2 Praeterea, nulli dimittitur peccatum, nisi per spiritum sanctum. Sed Christus, secundum quod homo, non poterat dare spiritum sanctum, ut dist. 15, 1 Lib., quaest. 5, art. 1, quaestiunc. 4, dictum est. Ergo non potest remittere peccata secundum quod homo.

S.c. 2 – Le péché n’est remis à personne que par l’Esprit Saint. Or, le Christ, en tant qu’homme, ne pouvait donner l’Esprit Saint, comme on l’a dit au livre I, d. 15, q. 5, a. 1, q. 4. Il ne peut donc remettre les péchés en tant qu’homme.

[14230] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 S.c. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod Christus secundum quod est filius Dei, est vita quae vivificat animas. Sed quod convenit sibi inquantum est filius Dei, non competit ei secundum quod est homo. Ergo vivificare animas remittendo peccata, non competit ei secundum quod homo.

S.c. 3 – Augustin dit que le Christ, en tant que Fils de Dieu, est la vie qui vivifie les âmes. Or, ce qui lui appartient en tant que Fils de Dieu, ne lui appartient pas en tant qu’homme. Vivifier les âmes en remettant les péchés ne lui appartient donc pas en tant qu’il est homme.

[14231] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod triplex est potestas absolvendi a peccato in Baptismo. Una potestas auctoritatis; et haec solius Dei est, quia propria virtute peccata dimittit, quasi principalis causa remissionis peccati; unde tali potestate Christus, secundum quod homo, peccata remittere non poterat. Alia potestas est ministerii, quae eis competit qui sacramenta dispensant, in quibus divina virtus secretius operatur salutem. Tertia est media inter has duas, quae dicitur potestas excellentiae; et hanc Christus prae aliis habuit. Attenditur autem haec excellentia quantum ad tria. Primo quantum ad hoc quod ex merito passionis ejus Baptismus efficaciam habet, non autem ex merito alicujus alterius baptizantis; unde non est melior Baptismus a meliore baptizante datus. Secundo quantum ad hoc quod Christus sine sacramento sacramentorum effectum conferre poterat quasi dominus et institutor sacramentorum; quod de aliis non est verum. Tertio quantum ad hoc quod ad invocationem nominis ejus dabatur remissio peccatorum in Baptismo in primitiva Ecclesia. Sed quia secundae rationes videntur procedere de prima potestate, ideo concedendae sunt illae, et respondendum est ad primas.

Il y a un triple pouvoir d’absoudre le péché dans le baptême. L’un est le pouvoir d’autorité. Celui-ci appartient à Dieu seul, car il remet les péchés par sa propre puissance en tant que cause principale de la rémission du péché. Aussi le Christ, en tant qu’homme, ne pouvait-il pas remettre les péchés par un tel pouvoir. Un autre pouvoir est celui qui revient au ministère: il appartient à ceux qui dispensent les sacrements, dans lesquels la puissance divine réalise secrètement le salut. Le troisième est intermédiaire entre les deux: on l’appelle le pouvoir d’excellence. Et le Christ l’a possédé plus que les autres. Or, cette excellence se prend de trois choses. Premièrement, du fait que le baptême tire son efficacité de sa passion, et non du mérite d’un autre qui baptise; aussi le baptême n’est-il pas meilleur s’il est donné par quelqu’un de meilleur qui baptise. Deuxièmement, du fait que le Christ pouvait conférer l’effet des sacrements sans le sacrement en tant que maître et instaurateur des sacrements, ce qui n’est pas vrai des autres. Troisièmement, du fait que, dans l’Église primitive, la rémission des péchés était donnée par le baptême. Mais parce que les arguments donnés en second lieu semblent découler du premier pouvoir, il faut donc les concéder et répondre aux premiers.

[14232] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filius hominis habebat potestatem auctoritatis dimittendi peccata, non secundum quod homo, sed secundum quod Deus; et ideo per miraculum ostensum hic probatur quod ille homo esset Deus, cui natura obediebat quasi proprio creatori.

1. Le Fils de l’homme avait le pouvoir d’autorité de remettre les péchés, non pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu. C’est pourquoi il est prouvé par le miracle ici manifesté que cet homme était Dieu, à qui la nature obéissait comme à son propre créateur.

[14233] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod redemptor dicitur dupliciter. Uno modo propter usum potestatis auctoritativae in absolvendo a peccato, et sic Christus secundum quod Deus, redemptor est. Alio modo propter effectum humilitatis; et sic competit ei secundum quod homo, inquantum per humilitatem passionis nobis remissionem meruit peccatorum; et hoc pertinet ad potestatem excellentiae, ut dictum est.

2. On parle de rédempteur de deux manières. D’une manière, en raison de l’usage du pouvoir d’autorité pour absoudre le péché; ainsi le Christ, en tant que Dieu, était rédempteur. D’une autre manière, en raison de l’effet de l’humilité; ainsi, cela lui appartient en tant qu’homme, pour autant que, par l’humilité de la passion, il nous a mérité la rémission des péchés. Et cela se rapporte au pouvoir d’excellence, comme on l’a dit.

[14234] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas quam Christus secundum quod homo habuit suscitandi corpora, non est potestas tantum ministerii, sicut et Petrus mortuos suscitavit; neque est iterum potestas auctoritatis, quia hoc solius Dei est: sed est potestas cujusdam excellentiae, quae ei competit ex unione ad Deum, ut scilicet imperio, non prece, mortuos suscitaret: et similiter habuit potestatem excellentiae in remittendo peccata.

3. Le pouvoir que le Christ avait, en tant qu’homme, de ressusciter les corps n’est pas seulement un pouvoir ministériel, comme celui de Pierre qui a ressuscité des morts. Il n’est pas non plus un pouvoir d’autorité, car cela n’appartient qu’à Dieu. Il est plutôt un pouvoir d’excellence qui lui appartient en vertu de son union à Dieu, à savoir que sur son ordre, et non à sa prière, il ressusciterait les morts. De même avait-il un pouvoir d’excellence pour remettre les péchés.

[14235] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod ad invocationem nominis ejus conferebatur remissio peccatorum in Baptismo, pertinet ad potestatem excellentiae.

4. Le fait que, par l’invocation de son nom, la rémission des péchés était donnée par le baptême se rapporte au pouvoir d’excellence.

[14236] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non habuit tantum ministerii potestatem, sed altiorem, ut dictum est.

5. Il n’avait pas seulement un pouvoir ministériel, mais [un pouvoir] plus élevé, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 2 [14237] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus ministris contulerit potestatem cooperandi ad interiorem emundationem

Article 2 – Est-ce que le Christ a donné à des ministres le pouvoir de coopérer à la purification intérieure ?

[14238] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ministris contulerit potestatem cooperandi ad interiorem emundationem. Ministris enim data est aliqua spiritualis potestas. Sed ad emundationem corporalem non requiritur aliqua spiritualis potestas, sed sufficit corporalis. Ergo ministri cooperantur ad emundationem interiorem.

1. Il semble qu’il ait donné à des ministres le pouvoir de coopérer à la purification intérieure. En effet, un pouvoir spirituel a été donné aux ministres. Or, pour la purification corporelle, un pouvoir spirituel n’est pas nécessaire, mais [un pouvoir] corporel suffit. Les ministres coopèrent donc à la purification intérieure.

[14239] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut sanctificatio quaedam adhibetur rebus sacramentalibus, ita etiam ministris sacramentorum. Sed res sacramentales ex sanctificatione invisibilem gratiam continent et conferunt, secundum Hugonem de sancto Victore. Ergo ministri sanctificati, in sua sanctificatione ad interiorem emundationem, quae est per gratiam, operantur.

2. Comme une certaine sanctification est donnée aux choses sacramentelles, de même aussi [l’est-elle] aux ministres des sacrements. Or, les choses sacramentelles contiennent et confèrent la grâce invisible en vertu de leur sanctification, selon Hugues de Saint-Victor. Les ministres sanctifiés, en vertu de leur sanctification, agissent donc en vue de la purification intérieure qui est réalisée par la grâce.

[14240] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter creaturas dignior est creatura rationalis quam aliqua forma accidentalis. Sed gratia operatur interius ad peccati remissionem. Ergo et homo multo fortius habet potestatem interius cooperandi.

3. Parmi les créatures, la créature raisonnable est plus digne qu’une forme accidentelle. Or, la grâce agit de l’intérieur en vue de la rémission des péchés. À bien plus forte raison, l’homme a-t-il aussi un pouvoir de coopérer de l’intérieur.

[14241] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnis actio alicujus formae attribuitur habenti formam illam, quia calor agit secundum calidum. Sed remissio culpae est actio gratiae. Ergo habenti gratiam competit cooperari ad remissionem culpae.

4. Toute action d’une forme est attribuée à celui qui possède cette forme, car la chaleur agit selon ce qui est chaud. Or, la rémission de la faute est une action de la grâce. Il appartient donc à celui qui possède la grâce de coopérer à la rémission de la faute.

[14242] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum Dionysium, ad ministros Ecclesiae pertinet purgare, illuminare, perficere. Sed purgatio in Ecclesia fit a sordibus mentis. Ergo ministri Ecclesiae cooperantur ad interiorem emundationem.

5. Selon Denys, il appartient aux ministres de l’Église de purifier, d’illuminer et de perfectionner. Or, la purification dans l’Église est réalisée par [la purification] des souillures de l’esprit. Les ministres de l’Église coopèrent donc à la purification intérieure.

[14243] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 S.c. 1 Sed contra, emundatio interior a peccatis fit per spiritum sanctum. Sed ministri Ecclesiae non dant spiritum sanctum. Ergo nec cooperantur ad interiorem emundationem.

 

S.c. 1 – En sens contraire, la purification intérieure des péchés est réalisée par l’Esprit Saint. Or, les ministres de l’Église ne donnent pas l’Esprit Saint. Ils ne coopèrent donc pas non plus à la purification intérieure.

[14244] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 S.c. 2 Praeterea, majus est justificare impium quam creare caelum et terram. Sed in creatione caeli et terrae nihil Deo cooperatur. Ergo nec in justificatione impii.

S.c. 2 – Il est plus grand de justifier un impie que de créer le ciel et la terre. Or, rien ne coopère avec Dieu pour la création du ciel et de la terre. Ce n’est donc non plus le cas pour la justification de l’impie.

[14245] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 S.c. 3 Praeterea, hominis operatio etiam in actibus hierarchicis est sub operatione Angeli, ut dicit Dionysius. Sed Angeli non possunt imprimere in affectum, ut in 2 Lib., dist. 8, qu. 1, art. 5, dictum est. Ergo cum affectum oporteat a peccatis mundari, videtur quod nec cooperentur ad emundationem interiorem.

S.c. 3 – L’action de l’homme, même pour les actes hiérarchiques, est soumise à l’action de l’ange, comme le dit Denys. Or, les anges ne peuvent agir sur l’affectivité, comme on l’a dit dans le livre II, d. 8, q. 1, a. 5. Puisqu’il faut que l’affectivité soit purifiée des péchés, il semble donc qu’ils ne coopèrent pas non plus à la purification intérieure.

[14246] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cooperari alicui agenti dicitur quatuor modis. Uno modo sicut adjuvans ei cui auxilium praebet, cooperatur. Alio modo sicut consilium praebens. Tertio modo sicut quo mediante agens primum suum effectum inducit, sicut cooperantur instrumenta principali agenti. Quarto modo sicut disponens materiam ad effectum agentis principalis suscipiendum. Primis ergo duobus modis in nulla actione aliquid Deo cooperatur propter perfectam ejus potentiam, quae auxilio non indiget, et propter perfectam sapientiam, quae non indiget consilio, Isai. 40, 13: quis adjuvit spiritum domini, aut quis consiliarius ejus fuit ? Sed tertio modo cooperatur aliqua creatura Deo in aliqua actione, non tamen in omnibus. Cum enim Deus sit primum agens omnium naturalium actionum, quidquid natura agit, hoc efficit quasi instrumentale agens cooperans primo agenti, quod est Deus. Sed quaedam sunt quae sibi Deus retinuit, immediate ea operans; et in his creatura Deo non cooperatur hoc tertio modo, sed quarto modo potest ei cooperari; sicut patet in creatione animae rationalis, quam immediate Deus producit, sed tamen natura disponit materiam ad animae rationalis receptionem. Et quia recreatio animae rationalis creationi ipsius respondet, ideo in emundatione ipsius immediate operatur; nec aliquis ei quantum ad hoc cooperatur tertio modo, sed quarto; et hoc dupliciter: vel ex opere operante, sive docendo, sive merendo; et sic homines ei cooperantur in peccatorum remissione, de quibus dicitur 1 Corinth. 3, 9: Dei adjutores sumus, vel ex opere operato, sicut qui conferunt sacramenta, quae ad gratiam disponunt, per quam fit remissio peccatorum; et haec est cooperatio ministerii, quae ministris Ecclesiae competit, de quibus dicitur 1 Corinth. 4, 1: sic nos existimet homo ut ministros Christi.

On parle de coopérer avec un agent de quatre manières. Premièrement, comme coopère celui qui aide celui à qui il prête son concours. D’une autre manière, comme celui qui conseille. Troisièmement, comme celui par l’intermédiaire de qui le premier agent réalise son effet, comme des instruments coopèrent avec l’agent principal. Quatrièmement, comme celui qui dispose la matière en vue qu’elle reçoive l’effet de l’agent principal. Selon les deux premières manières, rien ne coopère avec Dieu dans aucune action en raison de sa puissance parfaite, qui n’a pas besoin d’aide, et de sa sagesse parfaite, qui n’a pas besoin de conseil, Is 40, 13 : Qui a aidé l’Esprit du Seigneur, qui a été son conseiller ? Mais, selon la troisième manière, une créature coopère avec Dieu pour une action, mais non pour toutes. En effet, puisque Dieu est le premier agent de toutes les actions naturelles, tout ce que la nature fait, elle le fait comme un agent instrumental qui coopère avec le premier agent qui est Dieu. Mais il y a certaines choses que Dieu s’est réservées pour les faire par lui-même. Pour ces choses, la créature ne coopère pas avec Dieu selon cette troisième manière, mais elle peut coopérer avec lui selon la quatrième manière, comme cela se voit pour la création de l’âme raisonnable, que Dieu produit de manière immédiate, alors que la nature dispose la matière pour qu’elle reçoive l’âme raisonnable. Et parce que la recréation de l’âme raisonnable répond à sa création, [Dieu] agit donc de manière immédiate en vue de la purifier, et personne ne coopère avec lui sur ce point selon la troisième manière, mais selon la quatrième. Et cela, de deux façons. En vertu de l’action de celui qui agit, soit en enseignent, soit en méritant : ainsi les hommes coopèrent-ils à la rémission des pchés; c’est d’eux que parle 1 Co 3, 9 : Nous sommes les collaborateurs de Dieu. Ou bien, en vertu de l’opus operatum, comme ceux qui donnent les sacrements, qui disposent à la grâce par laquelle se réalise la rémission des péchés. Il s’agit alors d’une coopération ministérielle, qui revient aux ministres de l’Église, dont il est dit en 1 Co 4, 1 : Ainsi, qu’on nous considère comme les ministres du Christ.

[14247] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potestas spiritualis quae ministris Ecclesiae conceditur, ad aliquid interius se extendit, sicut virtus sacramentalis sed non ad collationem gratiae, per quam est remissio peccatorum, nisi dispensando, sicut et de sacramentis dictum est.

1. Le pouvoir spirituel qui est donné aux ministres de l’Église s’étend jusqu’à quelque chose d’intérieur, comme c’est le cas de la puissance sacramentelle; mais [il ne s’étend] au don de la grâce, par laquelle se réalise la rémission des péchés, que par le fait de dispenser, comme on l’a dit des sacrements.

[14248] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Unde patet solutio ad secundum.

2. La solution du deuxième argument est ainsi claire.

[14249] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia non remittit culpam effective, sed formaliter, sicut albedo aufert nigredinem; et ideo non sequitur quod creaturae rationali competat, quae non est forma.

3. La grâce ne remet pas la faute par mode d’efficience, mais par mode de forme, comme la blancheur enlève la couleur noire. Ainsi, il n’en découle pas qu’elle relève de la créature raisonnable, qui n’est pas une forme.

[14250] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod est duplex operatio formae alicujus: scilicet prima, quae pertinet ad informationem subjecti sicut scientia et secunda, quae dicitur usus vel actio, sicut considerare. Primam ergo operationem non participat habens formam, sed solum secundam. Remittere autem culpam competit gratiae quantum ad operationem primam; sicut albedo eadem ratione qua facit album, aufert et nigredinem a subjecto in quo est; et ideo non oportet quod habens gratiam, hoc per gratiam participet.

4. Une forme possède une double action : la première, qui se rapporte à l’acquisition de la forme par un sujet, comme c’est le cas pour la science; la seconde, qu’on appelle la mise en œuvre ou l’action, comme le fait d’examiner. Ce qui possède la forme ne participe pas à la première opération, mais seulement à la seconde. Or, remettre la faute relève de la grâce selon la première action, comme la blancheur, par le fait même qu’elle rend blanc, enlève aussi la couleur noire du sujet où elle se trouve. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que celui qui possède la grâce participe à cela par la grâce.

[14251] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod purgatio, de qua Dionysius loquitur, est a tenebris ignorantiae, sicut ipsemet dicit; unde magis pertinet ad intellectum quam ad affectum.

5. La purification, dont parle Denys, porte sur les ténèbres de l’ignorance, comme il le dit lui-même. Elle se rapporte donc davantage à l’intellect qu’à l’affectivité.

 

 

Articulus 3 [14252] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 tit. Utrum ministris conferri potuerit a Deo potestas cooperationis

Article 3 – Est-ce qu’un pouvoir de coopération pouvait être conféré par Dieu aux ministres ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un pouvoir de coopération pouvait-il être conféré par Dieu aux ministres ?]

 

 

[14253] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ministris conferri potuit a Deo potestas cooperationis. Nam super illud Joan. 1: hic est qui baptizat, dicit Augustinus, quod Joannes dicit, quod potestatem mundandi a peccatis Christus dare potuit, sed non dedit: dedit autem potestatem ministerii. Ergo videtur quod potuerit dare, potestatem cooperationis.

1. Il semble qu’un pouvoir de coopération pouvait être conféré par Dieu aux ministres. En effet, à propos de Jn 1 : C’est lui qui baptise, Augustin dit que Jean dit que le Christ pouvait donner le pouvoir de purifier des péchés, mais qu’il ne l’a pas donné ; il a cependant donné le pouvoir ministériel. Il semble donc qu’il pouvait donner le pouvoir de coopération.

[14254] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, major est potestas auctoritatis quam cooperationis. Sed super illud 1 Corinth. 1: divisus est Christus ? Dicit Glossa, quod potuit eis dare potestatem baptizandi quibus contulit ministerium. Ergo multo fortius potuit dare cooperationem interius emundandi.

2. Le pouvoir d’autorité est plus grand que [le pouvoir] de coopération. Or, à propos de 1 Co 1 : Le Christ est-il divisé ? la Glose dit qu’il pouvait donner le pouvoir de baptiser à ceux à qui il a confié le ministère. À bien bien plus forte raison, pouvait-il donc donner [le pouvoir] de coopérer de l’intérieur à la purification.

[14255] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, plus est expellere Daemonem quam seminatum per ipsum, scilicet peccatum. Sed Deus dedit hominibus potestatem Daemones expellendi, ut patet Luc. 10. Ergo multo fortius potuit dare potestatem expellendi peccatum.

3. C’est plus de chasser le démon que ce qui a été semé par lui, à savoir, le péché. Or, Dieu a donné aux hommes le pouvoir de chasser les démons, comme cela ressort de Lc 10. À bien plus forte raison, il pouvait donc donner le pouvoir de chasser le péché.

[14256] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, omne agens oportet quod sit simul cum patiente, ut probatur in 7 Phys. Sed non potest conferri alicui creaturae quod illabatur in animam rationalem. Ergo non potest conferri quod cooperetur ad interiorem emundationem.

S.c. 1 – Il faut que tout ce qui agit soit avec ce qui subit, comme cela est prouvé dans Physique, 7. Or, il ne peut être donné à aucune créature de s’introduire dans l’âme raisonnable. Il ne peut donc pas lui être donné de coopérer à la purification intérieure.

[14257] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, gratia est quaedam inchoatio gloriae. Sed non potest alicui creaturae communicari quod ab ipsa sit gloria, sicut neque quod sit summum bonum. Ergo potestas cooperationis ad gratiam habendam, per quam fit peccatorum remissio, homini conferri non potuit.

S.c. 2 – La grâce est une amorce de la gloire. Or, il ne peut être donné à aucune créature que la gloire vienne d’elle, pas davantage que ce qui est le bien suprême. Le pouvoir de coopération en vue d’avoir la grâce, par laquelle se réalise la rémission des péchés, ne pouvait donc pas être conféré à l’homme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le pouvoir d’excellence pouvait-il être conféré aux ministres ?]

[14258] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec potestas excellentiae. Quia Matth. 25, dicitur, quod dedit unicuique secundum propriam virtutem. Sed non dedit potestatem excellentiae nisi soli Christo. Ergo non potuit aliis conferri.

 

1. Il semble que le pouvoir d’excellence [ne pouvait pas non plus être donné aux ministres]. En effet, en Mt 25, il est dit que [Dieu] a donné à chacun selon sa propre capacité. Or, il n’a donné qu’au seul Christ le pouvoir d’excellence. Il ne pouvait donc pas être donné à d’autres.

[14259] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, potestas excellentiae competit Christo, secundum quod meritum ejus operatur ad remissionem omnium peccatorum, ut dictum est. Sed hoc non competit Christo nisi secundum quod ejus meritum habet quamdam infinitatem, ut in 3 Lib. dictum est, dist. 18, quaest. 2, art. 6, quaestiunc. 1, et dist. 19, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 1. Cum ergo habere efficaciam infinitam in merendo non possit alicui creaturae purae conferri, videtur quod nec potestas excellentiae.

2. Le pouvoir d’excellence appartient au Christ pour autant que son mérite agit en vue de la rémission des péchés, comme on l’a dit. Or, cela n’appartient au Christ que dans la mesure où son mérite possède un caractère infini, comme on l’a dit dans le livre III, d. 18, q. 2, a. 6, qa 1, et d. 19, q. 1, a. 1, qa 1. Puisque posséder une efficacité infinie de mériter ne peut être donné à une pure créature, il semble donc que le pouvoir d’excellence ne pouvait pas non [lui être donné].

[14260] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, potestas excellentiae competit Christo secundum quod est caput Ecclesiae de cujus plenitudine omnes accipimus. Sed hoc competit ei quia est unigenitus a patre, ut dicitur Joan. 1. Ergo nulli purae creaturae communicari potuit.

3. Le pouvoir d’excellence appartient au Christ selon qu’il est la tête de l’Église, de la plénitude de laquelle nous recevons tous. Or, cela lui appartient parce qu’il le Fils unique du Père, comme il est dit en Jn 1. Il ne pouvait donc être communiqué à aucune simple créature.

[14261] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, quidquid competit Christo secundum quod homo, potest et alii homini communicari. Sed potestas excellentiae, ut dictum est, competit Christo secundum quod homo est. Ergo potest aliis hominibus communicari.

S.c. 1 – En sens contraire, tout ce qui appartient au Christ en tant qu’homme peut aussi être communiqué à un autre homme. Or, le pouvoir d’excellence, comme on l’a dit, appartient au Christ selon qu’il est homme. Il peut donc être communiqué aux autres hommes.

[14262] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, ad potestatem excellentiae pertinet quod ad invocationem nominis Christi remissio peccatorum in ipso detur. Sed potuit etiam hoc Deus conferre Petro vel Paulo, ut ad invocationem nominis ejus Baptisma conferretur, ut dicit Glossa 1 Corinth., 1. Ergo potestas excellentiae potuit aliis conferri.

S.c. 2 – Il relève du pouvoir d’excellence qu’à l’invocation du nom du Christ, la rémission des péchés soit donnée [au pécheur]. Or, Dieu pouvait aussi conférer à Pierre et à Paul que son baptême soit conféré à l’invocation de son nom, comme le dit la Glose sur 1 Co 1. Le pouvoir d’excellence pouvait donc être conféré à d’autres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le pouvoir de créer pouvait-il être communiqué à une créature ?]

[14263] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod potentia creandi potuerit creaturae communicari. Plus enim Deus potest facere quam homo possit intelligere; quia non est impossibile apud Deum omne verbum, ut dicitur Luc. 1, 37. Sed quidam philosophi posuerunt in aliquibus creaturis potentiam creandi, sicut Avicenna, qui dicit, quod intelligentia prima producit secundam, et sic deinceps. Ergo Deus posset hoc creaturae communicare.

 

1. Il semble que le pouvoir de créer pouvait être communiqué à une créature. En effet, Dieu peut faire plus que ce que l’homme peut comprendre, car aucune parole n’est impossible à Dieu, comme il est dit en Lc 1, 37. Or, certains philosophes ont attribué à certaines créatures le pouvoir de créer, tel Avicenne qui dit que l’intelligence première produit l’intelligence seconde, et ainsi de suite. Dieu pourrait donc communiquer cela à une créature.

[14264] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nihil potentiae divinae absolute acceptae subtrahendum est quod in se contradictionem non implicat vel defectum. Sed quod aliqua creatura habeat potentiam creandi hoc nullam contradictionem implicat, ut videtur; neque in aliquem defectum sonat, immo magis in perfectionem divinam: quia perfectum est quod potest alterum facere quale ipsum est, ut dicitur in 4 Meteor.; et sic non ponit imperfectionem in Deo, quod ipse creator alios creatores constituat. Ergo hoc potentiae ejus subtrahendum non est.

2. Rien de la puissance divine considérée de manière absolue ne doit être soustrait, qui ne comporte pas en soi une contradiction ou une carence. Or, le fait qu’une créature ait le pouvoir de créer ne comporte aucune contradiction, semble-t-il ; il n’implique non plus aucune carence, bien plus, [cela montre] la puissance divine, car est parfait ce qui peut en rendre un autre semblable à soi, comme il est dit dans les Météores, IV. Ainsi, cela n’indique pas une imperfection en Dieu que le créateur lui-même établisse d’autres créateurs. Cela ne doit donc pas être soustrait à sa puissance.

[14265] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, forma est nobilior quam materia. Sed aliquibus creaturis collatum est ut possint producere formas. Ergo et potuit creaturae conferri ut possit producere materiam; et hoc est creare: ergo potentia creandi creaturae communicari potuit.

3. La forme est plus noble que la matière. Or, il a été donné à certaines créatures de pouvoir produire des formes. Il pouvait donc être conféré à une créature de pouvoir créer la matière. Et c’est cela créer. Le pouvoir de créer pouvait donc être communiqué à une créature.

[14266] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, quanto est major resistentia tanto est major difficultas in actione. Sed contrarium magis resistit actioni quam non ens, quod non potest agere. Si ergo creaturae collatum est ut possit aliquid ex contrario facere, multo fortius potuit ei conferri ut possit aliquid ex non ente facere, quod est creare.

4. Plus la résistance est grande, plus grande est la difficulté dans l’action. Or, un contraire résiste davantage à l’action que le non-être, qui ne peut agir. Si donc il a été conféré à une crétaure de pouvoir quelque chose à partir d’un contraire, à bien plus forte raison pouvait-il lui être conféré de pouvoir faire quelque chose à partir du non-être, ce qui est créer.

[14267] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 5 Sed contra, creaturae non potest conferri quod habeat potentiam infinitam, cum sit essentiae finitae. Sed creatio est opus potentiae infinitae, quod patet per distantiam infinitam quae est inter ens et non ens. Ergo potentia creandi creaturae communicari non potuit.

5. Il ne peut être conféré à une créature d’avoir un pouvoir infini, puisqu’elle a une essence finie. Or, la création est l’œuvre d’une puissance infinie, ce qui ressort de la distance infinie entre l’être et le non-être. Le pouvoir de créer ne pouvait donc pas être communiqué à une créature.

[14268] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 6 Praeterea, creatori debetur latria. Sed hoc non potest creaturae communicari ut ei latria debeatur, sicut nec quod sit Deus. Ergo creaturae non potest communicari potentia creandi.

6. La latrie est due au Créateur. Or, la latrie ne peut être attribuée à une créature, pas plus que d’être Dieu. Le pouvoir de créer ne peut donc être communiqué à une créature.

[14269] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 7 Praeterea, nihil agit nisi secundum quod est actu. Sed creaturae non potest communicari quod sit actus purus. Ergo non potest sibi communicari quod agat se tota; ergo neque quod agat totum quod est in re, quod est creare.

7. Rien n’agit que selon qu’il existe en acte. Or, il ne peut être communiqué à une créature qu’elle soit un acte pur. Il ne peut donc lui être communiqué qu’elle agisse par tout ce qu’elle est. [Il ne peut donc lui être communiqué] de faire tout ce qui existe dans une chose, ce qui est créer.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14270] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod dupliciter dicitur aliquid non posse communicari alicui creaturae: aut quia nulli creaturae communicari potest aut quia alicui potest communicari sed non isti. Quidquid enim communicatum alicui traheret ipsum extra terminos suae speciei, non potest sibi communicari sicut equo non potest communicari quod habeat rationem, quamvis hoc communicatum sit homini. Quod autem communicatum alicui trahit ipsum extra terminos creaturae non potest alicui creaturae communicari. Potestas ergo auctoritatis communicata alicui traheret ipsum extra terminos creaturae: quia non potest esse quod creatura sit agens principale respectu nobilissimi effectus, quo ultimo fini conjungimur, cujusmodi est gratia per quam fit remissio peccatorum. Et ideo omnes dicunt, quod potestas auctoritatis nulli creaturae communicari potuit. Sed de potentia cooperationis est duplex opinio. Magister enim in littera videtur dicere, quod potentia cooperationis ad emundationem interiorem possit alicui creaturae conferri, quamvis non sit collata: quod non potest intelligi de cooperatione quae fit per modum dispositionis quia haec collata est ministris Ecclesiae, ut dictum est. Alii autem dicunt contrarium, quod conferri non potuit. Utraque autem opinio aliquo modo sustineri potest. Cooperatur enim aliquid Deo instrumentaliter duobus modis. Uno modo ita quod per virtutem aliquam habentem esse absolutum et completum in natura operetur ad effectum aliquem producendum non solum secundarium, sed principalem, sicut ignis cooperatur Deo in generatione ignis alterius; et hoc modo accipiendo cooperationem, non poterat conferri homini ut Deo cooperetur in interiori mundatione quae fit per gratiam: quia gratia elevat hominem ad vitam quandam quae est supra conditionem omnis naturae creatae; est enim esse gratiae supra esse naturale et hominis et Angeli, quae sunt supremae creaturae; et ideo agens quod propria virtute sibi animam assimilat per gratiam, oportet quod sit supra omnem virtutem creatam, et sic talis cooperatio excedet terminos creaturae. Alio modo aliquid cooperatur Deo non per virtutem quae habeat esse perfectum in natura, neque ad ultimum principalem effectum directe pertingendo, sicut de sacramentis in 1 dist., qu. 1, art. 4, dictum est, et hoc modo cooperari Deo in interiori emundatione, ut quidam dicunt, disponendo, potuit homini conferri sine sacramentis, sicut sacramenta praebendo facit; et hoc modo cooperari pertinet ad potestatem excellentiae in Christo, ut dictum est.

 

Quelque chose ne peut être communiqué à une créature de deux manières : soit que cela ne puisse être communiqué à aucune créature, soit que cela puisse être communiqué à une créature, mais non à celle-ci. En effet, tout ce qui, en étant communiqué, ferait sortir quelque chose des limites de son espèce ne peut lui être communiqué ; ainsi, il ne saurait être communiqué à un cheval d’avoir la raison, bien que cela ait été communiqué à l’homme. Or, ce qui, en étant communiqué à quelque chose, le fait sortir des limites de la créature ne peut être communiqué à aucune créature. Le pouvoir d’autorité communiqué à quelque chose le tirerait donc hors des limites de la créature, car il ne se peut pas qu’une créature soit l’agent principal par rapport à l’effet le plus noble par lequel il est uni à la fin ultime, la grâce par laquelle est réalisée la rémission des péchés étant de cet ordre. C’est pourquoi tous disent que le pouvoir d’autorité ne pouvait être communiqué à aucune créature. Mais, à propos du pouvoir de coopération, il y a une double opinion. En effet, le Maître semble dire dans le texte que le pouvoir de coopération en vue de la purification intérieure peut être donné à une créature, bien qu’il n’ait pas été donné. Cela ne peut s’entendre de la coopération qui est réalisée par mode de disposition, car celle-ci a été conférée aux ministres de l’Église, comme on l’a dit. Mais d’autres disent le contraire : qu’il ne pouvait être communiqué. Or, les deux opinions peuvent être soutenues d’une certaine manière. En effet, quelque chose coopère avec Dieu de manière instrumentale de deux manières. D’une manière, de telle sorte que, par une puissance possédant un être naturel absolu et complet, il agisse en vue de produire un effet non seulement secondaire, mais principal, comme le feu coopère avec Dieu dans la génération d’un autre feu. En entendant la coopération de cette manière, il ne pouvait être donné à l’homme de coopérer avec Dieu dans la purification intérieure qui est réalisée par la grâce, car la grâce élève l’homme à une vie qui est au-dessus de la condition de toute nature créée : en effet, l’être de la grâce est au-dessus de l’être naturel de l’homme et de l’ange, qui sont les créatures suprêmes. C’est pourquoi l’agent qui, par sa propre puissance, assimile à lui-même l’âme par la grâce doit être être au-dessus de toute puissance créée. Ainsi, une telle coopération dépasserait les limites d’une créature. D’une autre manière, quelque chose coopère avec Dieu, non par la puissance que possède un être parfait par nature, ni en atteignant l’ultime effet principal, comme on l’a dit à propos des sacrements dans le livre I, d. 1, q. 1, a. 4. De cette manière, il pouvait être donné à l’homme de coopérer avec Dieu pour la purification intérieure en disposant, comme le disent certains, sans les sacrements, comme il le fait par les sacrements. Coopérer de cette manière relève du pouvoir d’excellence dans le Christ, comme on l’a dit.

[14271] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur de potestate excellentiae quam Christus habuit etiam secundum quod homo; quae includit potestatem cooperationis secundo modo dictae; non autem de potestate cooperationis primo modo dictae.

1. Cela s’entend du pouvoir d’excellence qu’avait le Christ même comme homme : il inclut le pouvoir de coopération selon la seconde manière, mais non le pouvoir de coopération selon la première manière.

[14272] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritas ibi accipitur non respectu emundationis, sed respectu institutionis sacramentorum eis efficaciam praebendo per meritum baptizantis, quod ad potestatem excellentiae pertinet; et hoc potuit eis conferri. Vel dicendum, quod non loquitur de auctoritate prima sed de subauctoritate: quod patet ex eo quod sequitur in Glossa: ita scilicet quod ipse principalis auctor existeret.

2. L’autorité s’entend là, non pas par rapport à la purification, mais par rapport à l’institution des sacrements qui leur donne leur efficacité par le mérite de celui qui baptise, ce qui relève du pouvoir d’excellence ; cela pouvait leur être donné. Ou bien il faut dire qu’il ne parle pas de l’autorité première, mais d’une autorité subordonnée, ce qui ressort de ce qui suit dans la Glose : «De telle sorte qu’il soit l’auteur principal.»

 [14273] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hominibus datur potestas expellendi Daemones quantum ad effectum nocumenti corporalis, quem in vexatis faciunt, non autem quantum ad effectum spiritualis nocumenti, quod est peccatum expellere, et a servitute Daemonis liberare. Joan. 8, 36: si filius vos liberaverit, vere liberi eritis.

3. Le pouvoir d’expulser les démons est donné aux hommes pour ce qui est de l’effet de nuisance corporelle qu’ils produisent chez ceux qui en sont affligés, mais non pour ce qui est de l’effet de nuisance spirituelle, qui consiste à chasser le péché et à libérer de la servitude du démon. Jn 8, 36 : Si le Fils vous a libérés, vous être vraiment libres.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14274] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod potestatem excellentiae Deus homini puro conferre potuit, sed tamen non fuit decens, ne spes in homine poneretur, et ut Ecclesiae unum caput esse ostenderet, a quo omnia membra spiritualem sensum et motum reciperent.

Dieu pouvait donner à un simple homme le pouvoir d’excellence, mais cela ne convenait pas, afin d’éviter que l’espérance soit mise dans l’homme et de montrer qu’il n’existe qu’une seule tête de l’Église, de laquelle tous les membres recevraient le sens et le mouvement spirituels.

[14275] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur de illis quae sunt necessaria ad perfectionem hominis vel quantum ad esse naturae vel quantum ad esse gratiae. Non enim oportet quod Deus homini dederit omnem gratiam gratis datam quam dare potest: quia divisiones gratiarum sunt, et dat unicuique sicut vult; 1 Corinth., 12.

1. Cela s’entend de ce qui est nécessaire à la perfection de l’homme, soit pour son être naturel, soit pour l’être de la grâce. En effet, il n’est pas nécessaire que Dieu donne à l’homme tous les charismes qu’il peut donner, car il existe une répartition des grâces, et il donne à chacun comme il le veut, 1 Co 12.

[14276] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod homo purus cooperaretur Deo in interiori emundatione modo praedicto non oportet quod haberet efficaciam infinitam in merendo, quamvis Christus quodammodo habuerit infinitatem in merendo: quia non cooperaretur respectu omnium, nec ita plene sicut Christus.

2. Pour qu’un simple homme coopère avec Dieu à la purification intérieure de la manière indiquée plus haut, il n’est pas nécessaire qu’il possède une puissance infinie en mérite, bien que le Christ ait eu d’une certaine manière un mérite infini. En effet, il ne coopérerait pas en toutes choses, ni aussi pleinement que le Christ.

[14277] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia capitis in Christo distinguitur a gratia unionis: quamvis ex ipsa unione per quamdam condecentiam plenitudo omnis gratiae, et capitis et singularis personae in illa anima fuerit. Nec tamen sequitur, si alicui quantum ad aliquid potestas excellentiae conferretur, puta quod in nomine ejus Baptismus daretur vel quod meritum ejus aliquo modo operaretur ad effectum Baptismi in illo baptizato, quod esset simpliciter caput.

3. La grâce capitale dans le Christ se distingue de la grâce d’union, bien qu’ait existé dans cette âme, en vertu de l’union même selon une convenance d’accompagnement, la plénitude de toute grâce, tant celle de la tête que celle de cette personne particulière. Cependant, il n’en découle pas que si un pouvoir d’excellence était donné à quelqu’un pour quelque chose, par exemple, que le baptême soit donné en son nom ou que son mérite agisse d’une certaine manière en vue de l’effet du baptême chez tel baptisé, qu’il serait tout simplement la tête.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14278] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod communis opinio habet, quod creatio non potest alicui creaturae communicari: quia est opus infinitae potentiae, propter distantiam infinitam quae est inter simpliciter ens et simpliciter non ens, inter quae est mutatio creationis; potentia autem infinita non potest esse in essentia finita. Unde ex hoc ipso quod ponitur potentia infinita alicui communicari, ponitur consequenter quod illud habeat essentiam infinitam, et per hoc habeat esse non receptum, sed purum et simplex; et sic ponitur extra terminos creaturae; et ideo nulli creaturae secundum communem opinionem communicari potest talis potentia.

L’opinion commune est que l’acte de créer ne pouvait être communiquée à une créature, car elle est l’œuvre d’une puissance infinie, en raison de la distance infinie qui existe entre être et ne pas être tout simplement, entre lesquels existe la mutation de la création. Or, une puissance infinie ne peut exister dans une essence finie. Ainsi, par le fait fait qu’on affirme qu’une puissance infinie est communiquée à quelque chose, on affirme en conséquence qu’il possède une essence infinie, et ainsi qu’il possède un être non reçu, mais pur et simple. On le place alors hors des limites de la créature. C’est pourquoi, selon l’opinion commune, une telle puissance ne peut être communiquée à aucune créature.

[14279] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi philosophi qui hoc posuerunt, non intellexerunt plene rationem creationis, et quomodo requirit potentiam infinitam agentem; et ideo non intellexerunt incompossibilitatem suae positionis.

1. Les philosophes qui ont affirmé cela n’ont pas pleinement compris la notion de création et comment elle exige une puissance agissante infinie. C’est pourquoi ils n’ont pas compris que leur position était en elle-même impossible.

[14280] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc etiam implicat contradictionem, inquantum ponitur creaturam habere essentiam infinitam; et per consequens non esse creaturam; et sonat in defectum divinae majestatis, cui ponitur aliquid in essentiae infinitate posse aequari. Non enim oportet ut quod est perfectionis apud nos, scilicet posse aliquid facere aequale sibi sit perfectionis apud Deum ut scilicet possit facere aliquid aequale sibi.

2. Cela aussi comporte une contradiction, pour autant qu’on affirme qu’une créature possède une essence infinie et que, par conséquent, elle n’est pas une créature. Et cela va à l’encontre de la majesté divine, dont on affirme que quelque chose peut être l’égal par l’infinité d’essence. En effet, il n’est pas nécessaire que ce qui relève d’une perfection chez nous, à savoir, pouvoir faire quelque chose d’égal à soi, relève de la perfection chez Dieu, à savoir, qu’il puisse faire quelque chose d’égal à lui-même.

[14281] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nullum agens creatum facit formam, quia formae non fiunt ut probatur in 7 Metaph., sed educuntur de potentia materiae. Sed materia non potest educi de potentia alterius; et ideo non est simile de forma et materia.

3. Aucun agent créé ne fait une forme, car les formes ne sont pas faites, comme on le démontre dans Métaphysique, VII, mais sont tirées de la puissance de la matière. Or, la matière ne peut être tirée de la puissance de quelque chose d’autre. C’est pourquoi il n’en va pas de même de la forme et de la matière.

[14282] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contrarium ex quo fit generatio, non impedit actionem agentis nisi dupliciter. Uno modo, debilitando virtutem agentis, quod etiam non est universaliter verum, sed in his tantum in quibus est mutua actio et passio, unde hoc accidit. Alio modo, per se loquendo, elongando potentiam passivam patientis per indispositionem a receptione effectus agentis; et hoc est in omnibus. Constat autem quod nulla indispositio potest potentiam passivam tantum elongare ab effectu agentis percipiendo, quantum subtractio ipsius potentiae totaliter; et ideo multo majoris virtutis est facere aliquid ex nihilo quam ex contrario, simpliciter loquendo; quamvis secundum quid hoc habeat aliquam difficultatem quae non est in illo. Quia tamen Magister in littera dicit, quod potest creaturae communicari ministerium creationis et non auctoritatis: si quis vellet eum in hoc sustinere, posset dicere, quod tunc proprie aliquid creatur quando fit ex nullo praeexistente. Unde patet quod creatio de sui ratione excludit praesuppositionem alicujus praeexistentis. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo ita quod excludat omne praeexistens et ex parte agentis et ex parte facti, ut scilicet creatio dicatur quando nec agit virtute alicujus prioris agentis nec factum sit ex aliqua praeexistente materia: et haec est potentia auctoritatis in creando, et est infinita; et ideo nulli creaturae communicari potest. Alio modo ita quod excludat praeexistens ex parte facti, sed non ex parte agentis, ut scilicet dicatur creatio, sed minus proprie, quando aliquid agens virtute alicujus prioris agentis ex non praesupposita materia aliquem effectum producit, et sic erit creationis ministerium; et ita aliqui philosophi posuerunt aliquas creaturas creare; et sic Magister dicit quod potuit communicari potentia creandi, non est autem alicui communicata.

 

 

 

4. Le contraire à partir duquel est réalisée la génération n’empêche l’action de l’agent que de deux manières. D’une manière, en affaiblissant la puissance de l’agent, ce qui n’est même pas universellement vrai, mais seulement là où il y a action et passion mutuelles par lesquelles cela se produit. D’une autre manière, à proprement parler, en éloignant la puissance passive du sujet par une indisposition envers la réception de l’effet de l’agent : et cela se trouve en toutes choses. Or, il est clair qu’aucune indisposition ne peut à ce point éloigner la puissance passive de la réception de l’effet de l’agent que l’annulation totale de la puissance elle-même. Ainsi, à proprement parler, il faut une puissance beaucoup plus grande pour faire quelque chose à partir de rien qu’à partir d’un contraire, bien que, relativement parlant, il y ait en ceci une difficulté qui n’existe pas en cela. Toutefois, parce que le Maître dit dans le texte que le ministère de la création, mais non celui de l’autorité, peut être communiqué à une créature, si quelqu’un veut le soutenir sur ce point, il pourrait dire que quelque chose est créé à proprement parler lorsqu’il est fait à partir de rien. Ainsi ressort-il que la création, par sa notion même, exclut de supposer quelque chose qui préexiste. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, selon qu’elle exclut tout ce qui préexiste, tant du point de vue de l’agent que du point de vue de ce qui est fait, de sorte qu’on parle de création lorsqu’on n’agit pas en vertu d’un agent antérieur et qu’on ne fait pas quelque chose à partir d’une matière préexistante : telle est la puissance d’autorité dans la création, et elle est infinie. Aussi ne peut-elle être communiquée à aucune créature. D’une autre manière, selon qu’elle exclut quelque chose de préexistant du point de vue de ce qui est fait, mais non du point de vue de l’agent, de sorte qu’on parle de création, mais moins proprement, lorsqu’un agent, par la puissance d’un agent antérieur, produit un effet sans qu’il y ait une matière présupposée : il sera alors ministère de la création. Et ainsi, certains philosophes ont affirmé que certaines créatures créent. Ainsi le Maître dit-il que le pouvoir de créer pouvait être communiqué, mais qu’il n’a été communiqué à personne.

[14283] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 5 Secundum hoc ergo ad quintum dicendum esset secundum Magistrum, quod distantia inter ens et non ens requirit absolute infinitatem potentiae in eo qui facit aliquid ex simpliciter non ente. Quod enim in motibus virtus moventis proportionetur distantiae quae est inter terminos, ideo contingit, quia ab illa distantia motus accipit quantitatem. Quanta enim est via, tantus est motus, ut dicitur in 4 Physic. Motus autem est proprius effectus virtutis moventis, inquantum hujusmodi, ei proportionatus. Sed in creatione non sic est: quia non ens purum non est per se terminus creationis, sed per accidens se habet ad ipsam: dicitur enim aliquid fieri ex non ente, idest post non ens. Unde creatio non habet quantitatem ex distantia non entis ad ens, sed ab ente quod creatur; et ideo non oportet quod potentia creantis proportionetur distantiae quae est inter ens et non ens, sed solum ei quod creatur, quod non est infinitum; et ideo non requiritur potentia infinita simpliciter, sed infinita secundum quid, scilicet non commensurata alicui materiae determinatae, sicut sunt omnia agentia naturalia et materialia: ignis enim non habet effectum nisi in aliqua materia determinata, quia virtus ejus materialis est. Et ideo etiam philosophi non posuerunt creationem secundo modo, nisi in substantiis incorporeis et immaterialibus. Vel dicendum, quod non est distantia infinita inter ens et non ens ex parte ipsius entis, nisi ens sit infinitum: quia tantum distat aliquid ab uno oppositorum, quantum participat de altero; unde non distat in infinitum a non esse nisi quod esse infinitum habet, scilicet Deus, cui quanto reliqua entia sunt proximiora, tanto magis a non esse distant, sicut Augustinus dicit in Lib. 12 Confession., quod Angelus factus est prope Deum, materia prope nihil. Sed verum est quod dicta distantia est quodammodo infinita ex parte non entis simpliciter, eo quod neque determinatam distantiam ab aliquo ente signato transcendit, quia nihil potest magis distare ab ente quam non ens. Contingit enim aliquam distantiam esse infinitam ex una parte et finitam ex altera, sicut quandocumque fit comparatio finiti ad infinitum. Nisi enim esset aliquo modo talis distantia finita, non distaret minus una creatura a Deo quam altera; et nisi esset aliquo modo infinita, posset intelligi aliquid magis distans a creatura quacumque quam Deus. Creatio autem non respicit hanc distantiam ex parte non entis, sed magis ex parte entis, quod est creationis terminus.

 

 

5. Conformément à cela, il faudrait dire, selon le Maître, que la distance entre l’être et le non-être exige absolument une puissance infinie chez celui qui fait quelque chose à partir de ce qui n’existe tout simplement pas. En effet, que, dans les mouvements, la puissance de ce qui meut soit proportionnée à la distance qui existe entre les termes, cela se produit parce que le mouvement reçoit sa quantité de cette distance. En effet, la longueur du chemin correspond à l’ampleur du mouvement, comme il est dit dans Physique, IV. Or, le mouvement est l’effet propre d’une puissance qui meut en tant que telle et il lui est proportionné. Mais il n’en va pas de même dans la création, car le non-être pur n’est pas en lui-même un terme de la création, mais il a un rapport accidentel avec elle : en effet, on dit que quelque chose est fait à partir du non-être, c’est-à-dire après le non-être. Aussi la création ne comporte-t-elle pas une quantité selon la distance entre le non-être et l’être, mais à partir de l’être qui est créé. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la puissance de ce qui créé soit proportionné à la distance qui existe entre l’être et le non-être, mais seulement à ce qui est créé, qui n’est pas infini. Aussi une puissance infinie n’est-elle pas nécessaire de manière absolue, mais une puissance infinie de manière relative, à savoir, qui n’est pas proportionnée à une matière déterminée, comme le sont tous les agents naturels et matériels. En effet, le feu n’a d’effet que sur une matière déterminée parce que sa puissance est matérielle. C’est pourquoi même les philosophes n’ont pas affirmé la création selon le second mode, si ce n’est pour les substances incorporelles et immatérielles. Ou bien il faut dire qu’il n’existe pas de distance infinie entre l’être et le non-être du point de vue de l’être même, à moins que l’être soit infini, car quelque chose se situe à une distance de l’un des opposés selon qu’il participe à l’autre. Il n’est donc pas distant du non-être d’une manière infinie, à moins qu’il ait un être infini ; c’est le cas de Dieu, dont plus les autres êtres se rapprochent, plus ils s’éloignent du non-être, comme Augustin dit, dans le livre des Confessions, XII, que l’ange a été créé proche de Dieu, et la matière proche du néant. Mais il est vrai que la distance mentionnée est d’une certaine manière infinie du point de vue du non-être absolu du fait qu’elle ne dépasse pas une distance déterminée à partir d’un être déterminé, car rien ne peut être aussi éloigné de l’être que le non-être. En effet, il arrive qu’une distance soit infinie sous un aspect et finie sous un autre, comme lorsque l’on compare le fini à l’infini. Car, à moins qu’une telle distance soit infinie, une créature ne serait pas plus éloignée de Dieu qu’une autre ; et si elle n’était pas d’une certaine manière infinie, on pourrait comprendre que quelque chose est plus éloigné d’une quelconque créature que Dieu. Or, la création ne se rapporte pas à cette distance du point de vue du non-être, mais plutôt du point de vue de l’être, qui est le terme de la création.

[14284] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod latria debetur creatori inquantum ipse est primum agens, cujus virtute omnia alia agunt, et ipse non agit virtute alterius; et hoc non potest alicui creaturae communicari.

6. La latrie est due au Créateur en tant qu’il est le premier agent, dont la puissance agit dans toutes les autres choses, alors que lui-même n’agit pas par la puissance d’un autre. Et cela ne peut être communiqué à une créature.

[14285] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis nulla creatura sit in qua non sit aliquid de potentia, ad minus secundum quod ejus natura se habet ad esse quod recipit a Deo sicut potentia ad actum; tamen aliqua creatura est in qua nihil de potentia remanet quae non sit completa per actum, sicut est Angelus; et ideo talis creatura se tota potest agere, quamvis primum principium suae actionis sit aliquid aliud ab ipsa, scilicet Deus, qui est primum agens.

7. Bien qu’il n’existe aucune créature dans laquelle il n’y ait quelque chose en puissance, au moins selon que sa nature a avec l’être qu’elle reçoit de Dieu un rapport de puissance à l’acte, cependant, il existe une créature dans laquelle il ne reste rien de la puissance qui ne soit complété par l’acte, comme l’est l’ange. C’est pourquoi une telle créature peut se mouvoir totalement elle-même, bien que le principe de son action soit quelque chose d’autre qu’elle-même, à savoir, Dieu, qui est le premier agent.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Quels sont les ministres du baptême ?]

 

Prooemium

Prologue

[14286] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur, qui possint baptizare; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum possint baptizare tam ordinati quam non ordinati; 2 utrum possint baptizare tam boni, quam mali; 3 utrum possint baptizare tam homines quam Angeli.

On s’interroge ensuite sur ceux qui peuvent baptiser. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Est-ce que ceux qui sont ordonnés comme ceux qui ne sont pas ordonnés peuvent baptiser ? 1 –Est-ce que les bons comme les méchants peuvent baptiser ? 3 – Est-ce que les hommes comme les anges peuvent baptiser ?

 

 

Articulus 1 [14287] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum nullus possit baptizare nisi habeat ordinem

Article 1 – Est-ce que personne ne peut baptiser à moins d’être ordonné ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [ Quelqu’un peut-il baptiser sans avoir été ordonné ?]

[14288] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nullus possit baptizare nisi habeat ordinem. Actum enim hierarchicum nullus potest exercere nisi sit hierarchiae particeps. Sed illi qui non habent ordinem, non sunt participes hierarchiae, quia non habent aliquem sacrum principatum. Ergo cum baptizare sit actus hierarchicus, quia Baptismus est purgatio et illuminatio, ut dicit Dionysius in Eccl. Hierarc., videtur quod nullus possit baptizare nisi habeat ordinem.

1. Il semble que personne ne puisse baptiser sans avoir l’ordre. En effet, personne ne peut exercer un acte hiérarchique à moins de participer à la hiérarchie. Or, ceux qui n’ont pas l’ordre ne participent pas à la hiérarchie, parce qu’ils n’ont pas de pouvoir sacré. Puisque baptiser est un acte hiérarchique, car le baptême est une purification et une illumination, comme le dit Denys dans la Hiérarchie ecclésiastique, il semble que personne ne puisse baptiser sans avoir l’ordre.

[14289] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut Baptismus est sacramentum necessitatis, ita et poenitentia. Sed nullus potest absolvere sacramentaliter in poenitentia nisi habeat ordinem. Ergo et similiter nullus non ordinatus potest baptizare.

2. De même que le baptême est un sacrement nécessaire, de même en est-il de la pénitence. Or, personne ne peut absoudre sacramentellement sans avoir l’ordre. De la même façon, personne qui n’est pas ordonné ne peut donc baptiser.

[14290] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Isidorus dicit, quod cum ultima necessitas cogit, etiam laicis fidelibus permittitur baptizare. Sed laici non habent ordinem. Ergo et cetera.

S.c. 1 – En sens contraire, Isidore dit que lorsqu’une nécessité ultime s’impose, il est permis même aux laïcs de baptiser. Or, les laïcs n’ont pas l’ordre. Donc, etc.

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il propre au diacre de pouvoir baptiser ?]

[14291] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod baptizare sit proprium ordinis diaconi. Quia, secundum Dionysium, diaconi habent vim purgativam. Sed Baptismus principaliter ad purgandum est institutus. Ergo diaconis competit baptizare ex proprio officio.

1. Il semble que baptiser soit propre à l’ordre du diacre, car, selon Denys, les diacres ont une puissance purificatrice. Or, le baptême a été principalement institué afin de purifier. Il appartient donc aux diacres de baptiser en vertu de leur fonction propre.

[14292] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Marc. ult., simul injungitur officium baptizandi cum praedicatione Evangelii. Sed praedicatio Evangelii pertinet ad diaconos ex proprio officio. Ergo et baptizare.

2. En Mc 16, la fonction de baptiser est ordonnée en même temps que la prédication de l’évangile. Or, la prédication de l’évangile appartient aux diacres en vertu de leur fonction propre. Il en est donc de même de baptiser.

[14293] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, est quod Isidorus dicit, quod Baptismi ministerium nec ipsis diaconibus implere est licitum.

S.c. 1 – En sens contraire, Isidore dit que l’accomplissement du ministère du baptême n’est pas permis aux diacres eux-mêmes.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les non-baptisés peuvent-ils baptiser ?]

[14294] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non baptizati baptizare non possint. Minus enim est sacramentum recipere quam sacramentum conferre. Sed non baptizati non possunt sacramentum aliquod recipere: quia, secundum Dionysium, non sunt ad spirituales et hierarchicas actiones idonei. Ergo nec sacramentum Baptismi conferre possunt.

1. Il semble que les non-baptisés ne peuvent pas baptiser. En effet, recevoir un sacrement est une chose moindre que de conférer un sacrement. Or, les non-baptisés ne peuvent recevoir aucun sacrement, car, selon Denys, ils ne sont pas aptes aux actions spirituelles et hiérarchiques. Ils ne peuvent donc pas conférer non plus le sacrement de baptême.

[14295] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si non baptizatus posset baptizare, et ipse Baptismo indigeret, posset seipsum baptizare. Sed hoc est impossibile: tum quia nulla res, secundum Augustinum, seipsam gignit ut sit; Baptismus autem regeneratio quaedam est: tum quia non posset servari forma Ecclesiae. Ergo non baptizatus baptizare non potest.

2. Si un non-baptisé pouvait baptiser et si lui-même avait besoin du baptême, il pourrait se baptiser lui-même. Or, cela est impossible, tant parce qu’aucune chose ne s’engendre à l’être, selon Augustin, alors que le baptême est une certaine régénération, que parce qu’il ne pourrait respecter la forme de l’Église. Un baptisé ne peut donc pas baptiser.

[14296] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod Romanus pontifex non hominem judicat qui baptizat, sed spiritum Dei, quamvis Paganus sit qui baptizat. Sed Paganus non est baptizatus. Ergo non baptizatus potest baptizare.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans le texte que le Pontife romain ne juge pas l’homme qui baptise, mais l’Esprit de Dieu, bien que ce que soit un païen qui baptise. Or, le païen n’est pas baptisé. Un non-baptisé peut donc baptiser.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14297] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Baptisma inter alia sacramenta est maximae necessitatis: tum quia pueris non potest aliter subveniri; tum quia etiam nec adultis quantum ad remissionem totius poenae; et ideo ea quae ad necessitatem sacramenti requiruntur, debuerunt esse communissima et ex parte materiae, scilicet aquae, quae ubique haberi potest, et ex parte ministri, ut quilibet homo baptizare possit; et sic sanctificatio materiae et benedictio praecedens Baptismum non est de necessitate sacramenti, sed de solemnitate, quam non licet praetermittere propter Ecclesiae institutionem. Ita etiam ordinatio ministri non est de necessitate sacramenti, sed de solemnitate; et peccat si aliquis non ordinatus baptizet, nisi necessitate imminente, tamen sacramentum confert.

Parmi tous les sacrements, le baptême est le plus nécessaire, tant parce qu’on ne peut autrement venir au secours des enfants, que parce qu’on ne le peut pas plus pour les adultes pour ce qui est de la rémission de toute la peine. C’est pourquoi ce qui est requis comme nécessaire au sacrement devait être ce qu’il y a de plus commun tant du côté de la matière, à savoir, l’eau, qu’on peut trouver partout, que du côté du ministre, de sorte que tout homme puisse baptiser. Et ainsi, la sanctification et la bénédiction de la matière qui précèdent le sacrement ne sont pas nécessaires au sacrement, mais font partie de sa solennité, qu’il n’est pas permis d’omettre en raison de l’institution par l’Église. De même, aussi, l’ordination du ministre n’est pas nécessaire au sacrement, mais fait partie de sa solennité. Si quelqu’un qui n’est pas ordonné baptise, il pèche, sauf en cas de nécessité urgente ; cependant, le sacrement est conféré.

[14298] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homini non competit actus hierarchicus ex natura sua, sed ex divina institutione et sanctificatione; et quamvis simpliciter gradum hierarchicum non contulit omni homini, tamen actum istum hierarchicum omnibus hominibus contulit propter necessitatem, sicut omnibus aquis vim regenerativam dedit.

1. Un acte hiérarchique ne relève pas de l’homme de par sa nature, mais en vertu de l’institution divine et de la sanctification. Bien qu’elles ne confèrent pas à tout homme un degré hiérarchique, elle confère cependant à tout homme un acte hiérarchique en raison de la nécessité, comme elles ont donné à toute eau une puissance régénératrice.

[14299] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est simile de poenitentiae sacramento, et Baptismo: quia aliquis sine absolutione sacramenti poenitentiae potest salvari in necessitate nec iterum absolutio sacerdotalis a tota poena absolvit; sed in pueris non est aliquid aliud per quod possint salvari, nec quo adulti possint a tota poena liberari; et ideo est majoris necessitatis quam poenitentia.

2. Il n’en va pas de même du sacrement de la pénitence et du baptême, car, en cas de nécessité, on peut être sauvé sans l’absolution du sacrement de pénitence ; de plus, l’absolution sacerdotale n’absout pas de toute la peine. Mais, chez les enfants, il n’y a rien d’autre qui puisse les sauver, ni qui puisse libérer les adultes de toute la peine. C’est pourquoi [le baptême] est plus nécessaire que la pénitence.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14300] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in potentiis ordinatis ita est quod quidquid potest potentia inferior, potest superior; sed non convertitur. Unde cum potestas sacerdotalis ordinis sit supra potestatem diaconi, sacerdos habet vim purgativam cum illuminativa; sed diaconus habet purgativam tantum sine illuminativa. Et quia in omnibus sacramentis novae legis est illuminatio gratiae cum purgatione, ideo non est diaconus proprius minister Baptismi nec alicujus sacramenti sed aliquorum sacramentalium, sicut exorcismi, et expulsionis immundorum a divinis, ut cum dicit: si quis Judaeus est, abscedat; et eruditionis eorum qui ignorant qualiter se habere debeant ad divina, ut cum dicit: flectamus genua, et humiliate vos, ad benedictionem, vel aliud hujusmodi.

Chez les puissances ordonnées, tout ce que peut une puissance inférieure, une [puissance] supérieure le peut ; mais l’inverse n’est pas vrai. Comme le pouvoir de l’ordre sacerdotal est supérieur au pouvoir du diacre, le prêtre a une puissance purificatrice en même temps qu’illuminatrice, mais le diacre a [une puissance] purificatrice seulement, sans [puissance] illuminatrice. Et parce que, dans tous les sacrement de la loi nouvelle, se produit l’illumination de la grâce en même temps que la purification, le diacre n’est pas le ministre propre du baptême ni d’un autre sacrement, mais de certains sacramentaux, comme l’exorcisme, l’expulsion des êtres impurs des réalités divines, comme lorsqu’il dit : «Si quelqu’un est juif, qu’il s’éloigne !», et l’enseignement de ceux qui ignorent comment ils doivent se comporter par rapport aux réalités divines, comme lorsqu’il dit : «Fléchissons les genoux et humiliez-vous !», lors de la bénédiction, ou quelque chose de ce genre.

[14301] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus non habet tantum purgare, sed illuminare, ut dicit Dionysius; et ideo non competit diacono, sed sacerdoti.

1. Il ne revient pas seulement au baptême de purifier, mais d’illuminer, comme le dit Denysé. C’est pourquoi [le baptême] ne revient pas au diacre, mais au prêtre.

[14302] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad diaconum pertinet praedicare Evangelium, et in Ecclesia recitare, quod est quasi loqui linguis; sed ad presbyterum pertinet interpretari et exhortari, quod est quasi prophetare.

2. Il appartient au diacre d’annoncer l’évangile et de le réciter dans l’église, ce qui est comme parler en langues ; mais il appartient au prêtre de l’interpréter et d’exhorter, ce qui est est comme prophétiser.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14303] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut aqua absque omni sanctificatione est materia Baptismi, ita etiam homo absque omni sacramentali sanctificatione est Baptismi minister quantum ad necessitatem sacramenti; unde non baptizatus potest baptizare, dummodo servet formam Ecclesiae, et habeat intentionem baptizandi.

De même que l’eau, sans aucune sanctification, est la matière du baptême, de même l’homme, sans aucune sanctification sacramentelle, est-il le ministre du baptême, pour ce qui est nécessaire au sacrement. Ainsi, un non-baptisé peut baptiser, pourvu qu’il obseve la forme de l’Église et qu’il ait l’intention de la baptiser.

[14304] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod receptio aliorum sacramentorum non est tantae necessitatis quantae collatio istius; et ideo potest aliquis conferre hoc sacramentum qui alia non posset percipere.

1. La réception des autres sacrements n’est pas aussi nécessaire que de donner celui-ci. C’est pourquoi on peut conférer ce sacrement, alors qu’on ne pourrait recevoir les autres.

[14305] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis posset aliquis non baptizatus baptizare alium, non tamen potest seipsum baptizare rationibus praedictis in objectione. Sed quod Innocentius tertius in decretali quadam dicit: Judaeus qui se ipsum in aquam immersit, dicens: ego baptizo me in nomine patris etc. si decessisset, ad patriam evolasset, intelligendum est propter vim contritionis et devotionis, ex cujus magnitudine hoc procedere videbatur, ut inter Judaeos existens, quasi periculo mortis se offerret.

2. Bien qu’un non-baptisé pourrait baptiser quelqu’un d’autre, il ne pourrait cependant se baptiser pour les raisons indiquées dans l’objection. Mais ce que dit Innocent III dans une décrétale : «Le Juif qui s’est immergé dans l’eau en disant : “Je me baptise au nom du Père, etc”, s’il mourait, s’envolerait vers la patrie», doit être interprété dans le sens que c’est en vertu de sa contrition et de sa dévotion, de la grandeur desquelles semblait provenir le fait que, alors qu’il vivait parmi les Juifs, il s’exposait au danger de mort.

 

 

Articulus 2 [14306] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum mali sacramentum Baptismi conferre possint

Article 2 – Est-ce que les méchants peuvent conférer le sacrement du baptême ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les méchants peuvent-ils conférer le baptême ?]

[14307] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod mali sacramentum Baptismi conferre non possint. Sicut enim ad Baptismum requiritur forma et materia, ita et minister. Sed si sit materia indebita vel forma, non erit Baptismus. Ergo et similiter si sit minister indebitus. Sed mali non sunt debiti ministri: quia, sicut dicit Augustinus, justos oportet esse per quos baptizatur. Ergo mali sacramentum conferre non possunt.

1. Il semble que les méchants ne puissent conférer le sacrement du baptême. En effet, de même que, pour le baptême, sont requises une matière et une forme, de même aussi un ministre. Or, si la matière ou la forme est inappropriée, il n’y aura pas baptême. De même, donc, si le ministre est inapproprié. Or, les méchants ne sont pas les ministres approptiés, car, comme le dit Augustin, il faut que soient justes ceux par lesquels on est baptisé. Les méchants ne peuvent donc pas conférer le baptême.

[14308] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, membrum aridum non participat aliquam actionem corporis. Sed baptizare est aliqua actio corporis mystici. Cum ergo mali sint quasi membrum aridum, carentes pinguedine caritatis et gratiae, videtur quod Baptismum conferre non possint.

2. Un membre desséché ne participe à aucune action du corps. Or, baptiser est une action du corps mystique. Puisque les méchants sont comme un membre desséché, dépourvu de l’abondance de la charité et de la grâce, il semble donc que [les méchants] ne puissent conférer le baptême.

[14309] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra sunt plures rationes in littera.

S.c. 1 – En sens inverse, plusieurs arguments sont apportés dans le texte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les méchants confèrent-ils la réalité du sacrement ?]

[14310] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per eos non conferatur res sacramenti. Eccli. 34, 4: ab immundo quis mundabitur ? Sed peccator omnis est immundus. Ergo ab eo nullus potest mundari. Cum ergo mundatio sit res sacramenti Baptismi, videtur quod per malos res sacramenti non conferatur.

1. Il semble que la réalité du sacrement ne soit pas conférée par [les méchants]. Si 34, 4 : Qui sera purifié par l’impur ? Or, tout pécheur est impur. Personne ne peut donc être purifié par lui. Puisque la purification est la réalité du sacrement de baptême, il semble donc que la réalité du sacrement ne puisse être conférée par les méchants.

[14311] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacerdotes sunt medii inter Deum et plebem, divina in sacris praebentes populo per doctrinam, et ea quae sunt populi repraesentantes Deo per orationem. Sed orationes malorum sacerdotum non prosunt plebi: quia, secundum Gregorium in pastorali, cum is qui displicet, ad intercedendum mittitur, irati animus ad deteriora provocatur. Ergo nec sacramenta per malos ministros data prosunt ad effectum salutis.

2. Les prêtres sont des intermédiaires entre Dieu et le peuple, en donnant les réalités divines au peuple par l’enseignement et en présentant à Dieu par la prière ce qui appartient au peuple. Or, les prières des prêtres mauvais ne sont pas utiles au peuple, car, selon Grégoire, dans le Pastoral, «lorsque celui qui déplaît est envoyé intercéder, l’esprit de celui qui est colère est provoqué à faire encore pire». Les sacrements donnés par des ministres mauvais ne sont donc pas non plus utiles pour réaliser le salut.

[14312] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur: cum baptizat malus, illud quod datum est, unum est, nec impar propter impares ministros. Sed boni baptizando conferunt sacramentum et rem sacramenti. Ergo et mali.

S.c. 1 – En sens inverse, il est dit dans le texte : «Lorsqu’un méchant baptise, ce qui est donné est unique et n’est pas inégal en raison de ministres inégaux.» Or, en baptisant, les bons confèrent le sacrement et la réalité du sacrement. Il en va donc de même des méchants.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême conféré par un ministre meilleur a-t-il un plus grand effet ?]

[14313] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per meliorem ministrum Baptismus datus majorem effectum habeat. Multiplicata enim causa multiplicatur effectus. Sed Baptismus ex opere operato gratiam confert: similiter etiam patet quod sancti homines ex opere operante gratiam alicui merentur. Ergo si opus operans baptizantis adjungatur cum efficacia Baptismi, major gratia dabitur.

1. Il semble que le baptême donné par un ministre meilleur ait un plus grand effet. En effet, plus la cause est accrue, plus s’accroît l’effet. Or, le baptême confère la grâce en vertu de l’opus operatum ; il est clair aussi que les saints méritent pour quelqu’un la grâce en vertu de l’acte qu’ils posent. Si donc l’acte de celui qui baptise est ajouté à l’efficacité du baptême, une plus grande grâce sera donnée.

[14314] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus magis est ordinatus ad spiritualem salutem quam ad corporalem. Sed aliquis baptizatus a sancto homine, meritis et intercessione baptizantis quandoque salutem corporalem consequitur; quod non est ex opere operato; quia Baptismus ad hoc efficaciam non habet; sicut patet de Constantino, quem Silvester baptizavit. Ergo etiam quantum ad spiritualem salutem Baptismus a bono ministratus potest ampliorem effectum spiritualis salutis habere.

2. Le baptême est davantage ordonné au salut spirituel qu’à la santé corporelle. Or, celui qui est baptisé par un homme saint obtient parfois la santé corporelle par les mérites et l’intercession de celui qui baptise, ce qui n’est pas le fait de l’opus operatum, car le baptême n’a pas d’efficacité pour cela. Cela ressort clairement du cas de Constantin que Sylvestre a baptisé. Pour ce qui est du salut spirituel, le baptême administré par quelqu’un de bon peut donc avoir un effet plus étendu pour le salut spirituel.

[14315] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur: non est melior Baptismus qui per meliorem ministrum datur; sed per ministros dispares Dei munus est aequale.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans le texte : «Le baptême administré par un meilleur ministre n’est pas meilleur, mais le don de Dieu est égal, même lorsqu’il est fait par des ministres inégaux.»

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le ministre mauvais pèche-t-il en baptisant ?]

[14316] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod malus minister peccet baptizans. Quia, sicut Augustinus in littera dicit, justos oportet esse per quos baptizatur. Si ergo non sint justi cum baptizent, faciunt quod non oportet. Ergo peccant.

1. Il semble que le ministre mauvais pèche en baptisant, car, ainsi que le dit Augustin dans le texte, «il faut que ceux par qui on est baptisé soient justes». S’ils ne sont pas justes lorsqu’ils baptisent, ils font donc ce qu’ils ne doivent pas faire. Ils pèchent donc.

[14317] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Eucharistiae sacramentum non est majoris efficaciae quam Baptismi. Sed peccat sacerdos indigne accedens ad illud sacramentum, ut patet 1 Corinth., 11. Ergo et peccat, si sit malus, baptizando.

2. Le sacrement de l’eucharistie n’a pas plus d’efficacité que le baptême. Or, le prêtre qui s’approche indignement de ce sacrement pèche, comme cela ressort de 1 Co 11. Il pèche donc aussi en baptisant, s’il est mauvais.

[14318] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Sed contra, ex officio habet quod baptizet. Ergo exequendo suum ministerium non peccat.

3. En sens inverse, il relève de la fonction du [prêtre] de baptiser. En accomplissant son ministère, il ne pèche donc pas.

[14319] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, ipse tenetur baptizare. Ergo si baptizando peccat, esset perplexus; quod non potest esse.

4. [Le prêtre] est tenu de baptiser. Si donc il pèche en baptisant, il sera perplexe, ce qui ne saurait être.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Celui qui reçoit un sacrement de la part d’un prêtre mauvais pèche-t-il ?]

[14320] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod recipiens in se vel in alio sacramentum a malo sacerdote, peccat. Quia consentiens peccanti ipse peccat. Sed sacerdos in aliquo casu peccat indigne baptizans. Ergo et ab eo Baptismum accipiens vel exigens.

1. Il semble que celui qui reçoit pour lui-même ou pour un autre un sacrement de la part d’un prêtre mauvais pèche, car celui qui consent à celui qui pèche pèche lui-même. Or, un prêtre pèche en baptisant de manière indigne dans certains cas. Il en va donc de même de celui qui reçoit ou exige de lui le baptême.

[14321] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, esto quod sacerdos non velit baptizare sine pretio, constat quod si datur ei pretium, simonia committitur; quod sine peccato fieri non potest. Ergo in alio casu peccat accipiens sacramentum Baptismi a malo ministro.

2. En supposant qu’un prêtre ne veuille pas baptiser sans recevoir d’argent, il est clair que, si on lui donne de l’argent, la simonie est commise, ce qui ne saurait être fait sans péché. Dans un autre cas, celui qui reçoit le sacrement de baptême d’un ministre mauvais pèche donc.

[14322] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 S.c. 1 Sed contra est quod Augustinus in littera dicit: nec timeo adulterum nec homicidam. Esset autem timendus, si ab eo accipiens sacramentum peccaret. Ergo nec peccat ab eo accipiens sacramentum.

S.c. 1 – En sens contraire, Augustin dit dans le texte: «Je ne crains ni l’adultère ni l’homicide.» Or, il faudrait les craindre si l’on péchait en recevant d’eux le sacrement. Celui qui reçoit d’eux le sacrement ne pèche donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question

[14323] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem quod in sacramentis est aliquid quod est de substantia sacramenti, et aliquid quod est de convenientia sacramenti et solemnitate. Si ergo subtraheretur aliquid quod est de substantia sacramenti, non erit verum sacramentum; si autem subtraheretur aliquid eorum quae requiruntur ad solemnitatem vel convenientiam sacramenti, propter hoc non desinit esse sacramentum. Unde cum bonitas ministri non sit de substantia sacramenti, quia non omnino certa est, sed quandoque ignorata, ea autem quae sunt de substantia sacramenti oportet esse certa; patet quod subtracta bonitate ministri adhuc est sacramentum, dummodo alia quae sunt de sacramenti substantia, observentur.

Dans les sacrements, il y a quelque chose qui fait partie de la substance du sacrement, et quelque chose qui convient au sacrement et à sa solennité. Si donc on en enlevait quelque chose qui fait partie de la substance du sacrement, ce ne sera pas un vrai sacrement ; mais si on enlevait quelque chose de ce qui est requis pour la solennité ou de ce qui convient au sacrement, cela ne cesse pas pour autant d’être un sacrement. Ainsi, puisque la bonté du ministre ne fait pas partie de la substance du sacrement, parce qu’elle n’est pas tout à fait certaine, mais parfois ignorée, alors que ce qui fait partie du sacrement doit être certain, il est clair que, même si la bonté du ministre était enlevée, il y aura encore sacrement, pourvu que les autres choses qui font partie de la substance du sacrement soient observées.

[14324] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod debitum dicitur dupliciter. Uno modo, debito necessitatis; et sic est debitus minister Baptismi quilibet homo. Alio modo, debito convenientiae et congruitatis; et sic oportet ministrum esse bonum, sicut oportet aquam in qua fit Baptismus, esse mundam ob reverentiam sacramenti; tamen si sit immunda, nihilominus fit in ea Baptismus; et similiter si sit minister malus, nihilominus confertur Baptismus.

1. «Approprié» s’entend de deux manières. D’une manière, [ce qui est approprié] en cas de nécessité ; et ainsi, le ministre approprié du baptême est n’importe quel homme. D’une autre manière, [ce qui est approprié] selon la convenance et la décence ; et ainsi, il faut que le ministre soit bon, comme il faut que l’eau dans laquelle le baptême est accompli soit pure par révérence pour le sacrement. Cependant, si elle est impure, il y a néanmoins baptême par elle. De même, si le ministre est mauvais, le baptême est néanmoins conféré.

[14325] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est actio corporis. Una est intranea, sicut sentire, vivere, et hujusmodi; et talem actionem non participat membrum aridum; et similiter nec homo malus actionem virtutum, quae huic proportionatur. Alia est actio ad extra; et talis actio bene potest fieri per membrum aridum, sicut percutere, quod etiam omnino re inanimata fit, ut baculo; et huic proportionaliter respondet ministratio sacramentorum.

2. Il y a une double action du corps. L’une est interne, comme sentir, vivre et les choses de ce genre. Un membre desséché ne participe pas à une telle action et, de la même façon, un homme mauvais ne participe pas à l’action des vertus, qui lui est proportionnée. Une autre action est extérieure. Une telle action peut être accomplie par un membre desséché, comme frapper, qui est même accomplie par une chose inanimée, comme un bâton. Et l’administration des sacrements lui correspond de manière proportionnelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14326] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod duplex est agens; unum principale, et aliud instrumentale. Agens autem principale, cum agat sibi simile, oportet quod habeat formam, quam inducit per suam actionem in agentibus univocis, vel aliquam nobiliorem in agentibus non univocis. Sed agens instrumentale non oportet quod habeat formam quam inducit ut disponentem ipsum, sed solum per modum intentionis, sicut de forma scamni in serra patet, ut in 1 dist., quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 1 et 2, dictum est. Agens autem principale in baptizando est ipse Deus per auctoritatem, et ipse Christus secundum quod homo, cujus meritum operatur in Baptismo; et ex plenitudine divinae bonitatis et gratiae Christi pervenit gratia ad baptizatum. Sed baptizans est tantum agens instrumentale; unde non refert ad rem sacramenti percipiendam, utrum ipse gratiam habeat, vel non.

Il existe un double agent : l’un principal, l’autre instrumental. L’agent principal, puisqu’il fait quelque chose de semblable à lui-même, doit posséder la forme qu’il produit par son action, dans le cas des agents univoques, ou [une forme] plus noble, dans le cas des agents non univoques. Mais il n’est pas nécessaire que l’agent instrumental possède la forme qu’il produit en disposant, mais [qu’il la possède] par mode d’intention, comme c’est le cas de la scie pour la forme de l’escabeau, comme on l’a dit dans le livre I, q. 1, a. 4, qa 1 et 2. Or, dans le baptême, l’agent principal est Dieu lui-même en vertu de son autorité, et le Christ en tant qu’homme, dont le mérite agit dans le baptême ; et la grâce parvient au baptisé à partir de la plénitude de la bonté divine et de la grâce du Christ. Mais celui qui baptise n’est que l’agent instrumental ; aussi cela n’a-t-il pas d’importance pour la réception de la réalité du sacrement qu’il ait la grâce ou non.

[14327] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actio non attribuitur instrumento secundum philosophum, proprie, sed principali agenti. Unde proprie et per se loquendo iste malus minister non est qui mundat, sed Christus, de quo dictum est, Joan. 1, 33: hic est qui baptizat.

1. À proprement parler, l’action n’est pas attribuée à l’instrument, selon le Philosophe, mais à l’agent principal. Aussi, à parler proprement et en soi, ce n’est pas ce mauvais ministre qui purifie, mais le Christ, dont il a été dit en Jn 1, 33 : C’est lui qui baptise.

[14328] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in oratione orans est sicut principale agens, non solum sicut instrumentale; et ideo requiritur ad efficaciam orationis quod ex opere operante effectum sortiatur, non solum ex opere operato, sicut est in sacramentis; et ideo malorum orationes infructuosae sunt, quantum ex eis est; sed possunt esse fructuosae aliis pro quibus oratur, propter eorum devotionem, vel inquantum orant in persona Ecclesiae.

2. Dans la prière, celui qui prie est comme un agent principal, et non pas seulement comme un agent instrumental. C’est pourquoi, pour que la prière soit efficace, il est nécessaire que l’effet vienne de l’action de celui qui agit, et non seulement de l’opus operatum, comme c’est le cas dans les sacrements. Ainsi, les prières des méchants sont infructueuses en elles-mêmes ; mais elles peuvent être fructueuses pour d’autres pour qui l’on prie en raison de leur dévotion ou pour autant qu’ils prient au nom de l’Église.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14329] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquid dicitur effectus alicujus per se et per accidens. Per se quidem effectus alicujus est quod per ipsum ad hoc ordinatum producitur, sicut domus aedificatoris. Per accidens quod conjungitur ei quod est effectus per se, sicut si habitatio domus dicatur effectus aedificatoris. Sic ergo dico, quod effectus per se Baptismi aequalis est a quocumque detur, vel a malo vel a bono, ceteris paribus ex parte baptizati; sed cum effectu Baptismi potest aliquid aliud baptizato conferri, sive pertineat ad salutem corporis, sive animae, ex merito Baptismi; et hoc non est proprie effectus Baptismi: quia Baptismus non est causa nisi instrumentalis, et non est instrumentum agens in virtute ministri, qui et ipse instrumentum est, agens in virtute Christi et Dei.

[14330] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

On dit qu’une chose est l’effet d’une [autre] chose par soi et par accident. Par soi, est l’effet d’une chose ce qui est produit par elle-même en tant qu’elle y est ordonnée, comme la maison [est l’effet] du constructeur. Par accident, ce qui est associé à ce qui est l’effet par soi, comme si l’on dit que l’habitation de la maison est l’effet du constructeur. Ainsi donc, je dis que l’effet par soi du baptême est égal, quel que soit celui qui le donne, par un méchant ou par un bon, toutes choses étant égales du point de vue du baptisé ; mais, avec l’effet du baptême, quelque chose d’autre peut être conféré au baptisé, que cela se rapporte à la santé du corps ou de l’âme, par le mérite du baptême. Et cela n’est pas à proprement parler l’effet du baptême, car le baptême n’est qu’une cause instrumentale et n’est pas un instrument qui agit par la puissance du ministre, qui est lui-même un instrument qui agit par la puissance du Christ et de Dieu.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14331] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod quicumque in peccato mortali existens, exhibet se ministrum Ecclesiae in quocumque spirituali, peccat, secundum quorumdam opinionem satis probabilem, et quae per auctoritatem Dionysii, confirmatur, ut infra dist. 24, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 1, melius ostendetur; et ideo sacerdos baptizans cum solemnitate, ministrum Ecclesiae se exhibens, peccat mortaliter; si autem simpliciter baptizet in articulo necessitatis, non quasi minister Ecclesiae, sed sicut vetula baptizare posset, non peccat.

Tous ceux qui, se trouvant dans le péché mortel, se présentent comme ministres de l’Église pour tout ce qui est spirituel, pèchent, selon l’opinion assez probable de certains, qui est confirmée par l’autorité de Denys, comme on le montrera mieux plus loin, d. 24, q. 1, a. 3, qa 1. C’est pourquoi un prêtre baptisant solennellement, en se présentant comme ministre de l’Église, pèche mortellement. Mais s’il baptise simplement en cas de nécessité, et non comme ministre de l’Église, mais comme une petite vieille pourrait baptiser, il ne pèche pas.

[14332] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Augustini non multum cogit, quia loquitur de opportunitate congruentiae; et praeterea loquitur de illis qui baptizant ut ministri Ecclesiae; unde subdit: justos oportet esse tanti judicis ministros.

1. L’autorité d’Augustin n’est pas très contraignante, car il parle de l’opportunité de convenance. De plus, il parle de ceux qui baptisent en tant que ministres de l’Église. Ainsi ajoute-t-il : «Il est nécessaire que les ministres d’un si grand juge soient justes.»

[14333] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secus est de Eucharistia: quia illud sacramentum nunquam nisi a ministris Ecclesiae perfici potest; et ideo semper aliquis celebrans illud sacramentum, ministrum Ecclesiae se exhibet.

2. Il en va autrement de l’eucharistie, car ce sacrement ne peut être accompli que par des ministres de l’Église. C’est pourquoi celui qui célèbre ce sacrement se présente toujours comme ministre de l’Église.

[14334] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ex officio competat sibi quod baptizet, tamen officium suum debet juste exercere, sicut dicitur Deut. 16, 20: juste quod justum est exequeris.

3. Bien qu’il relève de lui de baptiser en vertu de sa fonction, il doit cependant exercer sa fonction de manière juste, comme il est dit dans Dt 16, 20 : Tu accompliras avec justice ce qui est juste.

[14335] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ipse non est perplexus: quia potest conteri de peccato, et tunc baptizare et conficere.

4. Il n’est pas perplexe, car il peut se repentir de son péché, et alors baptiser et accomplir [l’eucharistie].

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[14336] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod malus minister aut est praecisus ab Ecclesia aut non. Si sit praecisus ab Ecclesia, tunc peccat ab eo recipiens sacramentum, nisi in necessitate in qua posset etiam a Pagano vel a Judaeo suscipere. Si autem non sit praecisus ab Ecclesia, non peccat ab eo accipiens sacramentum, nisi per accidens scilicet si ejus peccato communicet.

Le mauvais ministre est écarté par l’Église ou il ne l’est pas. S’il est écarté par l’Église, alors celui qui reçoit de lui le sacrement pèche, à moins d’un cas de nécessaité où il pourrait le recevoir d’un païen ou d’un Juif. S’il n’est pas écarté de l’Église, il ne pèche pas en recevant de lui le sacrement, si ce n’est pas accident, à savoir, en participant à son péché.

[14337] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dato quod malus sacerdos peccet baptizando, non tamen oportet quod ille qui ab eo Baptismum recipit vel exigit, etiam excepto casu necessitatis, peccet propter duas rationes. Primo quia isti non potest esse certum quod ille sit in peccato mortali, cum in uno instanti spiritus operetur justificationem impii. Secundo, quia iste petit quod justum est quia a suo sacerdote debet sacramenta percipere. Nec propter hoc cogit vel inducit eum ad peccandum: quia ille potest reddere quod debet non peccando.

1. À supposer que le mauvais prêtre pèche en baptisant, il n’est cependant pas nécessaire que celui qui reçoit ou exige de lui le sacrement pèche, et cela pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il ne peut pas être certain que [le prêtre] soit en état de péché mortel, puisque l’Esprit réalise en un seul instant la justification de l’impie. Deuxièmement, parce qu’il demande ce qui est juste, car il doit recevoir de son prêtre les sacrements. Et il ne le force pas ni ne l’induit à pécher pour autant, car il peut rendre ce qu’il doit sans pécher.

[14338] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aut ille qui est baptizandus, est adultus, aut non. Si est adultus, sufficit ei petere Baptismum ad salutem, quia baptizatur Baptismo flaminis; nec debet propter hoc simoniam committere. Si autem sit puer qui est baptizandus, tunc potius debet ipsemet puerum baptizare, quam pretium sacerdoti pro Baptismo simoniace dare. Et tamen licitum est ei aquam emere, si alias habere non posset, quia aqua non est sacrum quid: et si sit sanctificata non operatur ad Baptismum de necessitate ejus existens quasi sanctificata, sed quasi aqua; et ideo non emit aquam sanctificatam, sed aquam. Quidam vero dicunt, quod potest pretium dare: quia hoc non est simoniam committere, sed redimere vexationem suam. Sed primum melius videtur.

2. Celui qui doit être baptisé est adulte ou il ne l’est pas. S’il est adulte, il lui suffit pour son salut de demander le baptême, parce qu’il est baptisé d’un baptême d’eau, et il ne commet pas nécessairement la simonie à cause de cela. Mais si c’est un enfant qui doit être baptisé, alors il doit lui-même baptiser l’enfant, plutôt que de donner de l’argent au prêtre par simonie pour le baptême. Toutefois, il lui est permis d’acheter de l’eau, s’il ne peut en avoir autrement, car l’eau n’est pas quelque chose de sacré. Et si elle est sanctifiée, elle n’agit pas en vue du baptême par une nécessité qui lui viendrait du fait qu’elle est sanctifiée, mais en tant qu’eau. C’est pourquoi il n’achète pas de l’eau sanctifiée, mais de l’eau. Mais certains disent qu’il peut donner de l’argent [pour être baptisé], car cela n’est pas commettre la simonie, mais racheter son outrage. Mais la première opinion est meilleure.

 

 

Articulus 3 [14339] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 tit. Utrum Daemon in figura hominis apparens possit baptizare

Article 3 – Est-ce que le démon peut baptiser sous l’apparence d’un homme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le démon peut-il baptiser sous une apparence humaine ?]

[14340] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Daemon in figura hominis apparens possit baptizare. Dicit enim Augustinus super Joan., quod talis est Baptismus, qualis ille in cujus potestate datur. Si ergo Diabolus baptizet invocando potestatem Trinitatis, bonus est Baptismus.

1. Il semble que le démon, se présentant sous une apparence humaine, puisse baptiser. En effet, Augustin dit, en commentant Jean, que le baptême est tel que celui en vertu duquel il est donné. Si donc le Diable baptise en invoquant le pouvoir de la Trinité, le baptême est bon.

[14341] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in baptizante non requiritur assimilatio ad Deum per gratiam, quia etiam mali possunt baptizare; nec etiam assimilatio per characterem, quia etiam Pagani baptizare possunt. Ergo sufficit assimilatio per naturam. Sed hoc est in Daemonibus. Ergo possunt baptizare.

2. L’assimilation à Dieu par la grâce n’est pas requise de la part de celui qui baptise, car même les méchants peuvent baptiser. Ni non plus l’assimilation par le caractère, car même les païens peuvent baptiser. L’assimilation par la nature suffit donc. Or, cela se trouve chez les démons. Ils peuvent donc baptiser.

[14342] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, ministri Baptismi ad Christum est aliqua conventio. Sed nulla est conventio Christi ad Diabolum, ut patet 2 Corinth., 6. Ergo Diabolus non potest conferre sacramentum Baptismi.

S.c. 1 – En sens inverse, il existe un pacte avec le Christ de la part du ministre du baptême. Or, il n’existe aucun pacte entre le Christ et le Diable, comme cela ressort de 2 Co 6. Le Diable ne peut donc pas conférer le sacrement du baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un ange bon peut-il baptiser sous une apparence humaine ?]

[14343] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod bonus Angelus in figura hominis apparens, baptizare possit. Baptismus enim est actio hierarchica: quia est illuminatio et purgatio, secundum Dionysium. Sed Angeli exercent in nos hierarchicas actiones: quia purgant nos perficiunt, et illuminant. Ergo possunt baptizare.

1. Il semble qu’un ange bon, se présentant sous l’apparence d’un homme, puisse baptiser. En effet, le baptême est une action hiérarchique, car il est une illumination et une purification, selon Denys. Or, les anges exercent sur nous des actions hiérarchiques, puisqu’ils nous purifient, nous perfectionnent et nous illuminent. Ils peuvent donc baptiser.

[14344] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in actionibus hierarchicis ita est quod quamcumque actionem potest facere inferior, potest facere superior: sicut quidquid potest diaconus, potest sacerdos. Sed, secundum Dionysium, quilibet Angelus est major summo sacerdote apud nos, qui ex eorum potestatis participatione Angelus dicitur, Malach. 2. Si ergo sacerdos homo potest baptizare multo fortius Angelus.

2. Dans les actions hiérarchiques, toute action qu’un inférieur peut accomplir peut l’être par un supérieur, de même que tout ce que peut un diacre, le prêtre le peut. Or, selon Denys, tous les anges sont plus grands que le plus grand prêtre parmi nous, qui est appelé un ange en raison de sa participation à leur pouvoir, Ml 2. Si donc un prêtre humain peut baptiser, à bien plus forte raison un ange le peut-il.

[14345] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Baptismus est actio militantis Ecclesiae. Sed Angeli non sunt neque actu neque potentia de Ecclesia militante. Ergo baptizare non possunt.

S.c. 1 – En sens inverse, le baptême est une action de l’Église militante. Or, les anges ne font partie de l’Église militante ni en puissance ni en acte. Ils ne peuvent donc pas baptiser.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14346] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Diabolus in figura sacerdotis apparens potest immergere, sed non sacramentum conferre, propter duas rationes. Primo, quia dispensatio sacramentorum non est concessa nisi hominibus, qui conveniunt cum verbo incarnato, a quo sacramenta fluxerunt in natura assumpta; et etiam cum sacramentis, in quibus est spiritualis virtus in corporeis elementis, sicut et homines ex natura spirituali et corporali compositi sunt. Secundo si baptizare se fingeret, semper esset timendum quod non faceret intentione baptizandi, quae ad sacramentum exigitur, sed intentione decipiendi: quia non esset probabile quod tantum bonum homini procuraret, sicut est spiritualis regeneratio.

Le Diable sous l’apparence d’un prêtre peut immerger, mais non conférer le sacrement, pour deux raisons. Premièrement, parce que la dispensation des sacrements n’a été confiée qu’aux hommes, qui ont quelque chose en commun avec le Verbe incarné, de qui les sacrements se sont écoulés dans la nature qu’il a assumée. Ils ont aussi quelque chose en commun avec les sacrements, dans lesquels existe une puissance spirituelle à l’intérieur d’éléments corporels, comme les hommes sont composés d’une nature spirituelle et corporelle. Deuxièmement, si le Diable feignait de baptiser, il faudrait toujours craindre qu’il ne le ferait pas avec l’intention de baptiser, mais avec l’intention de tromper, car il ne serait pas probable qu’il procurerait à l’homme le bien si grand qu’est la régénération spirituelle.

[14347] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ubi datur Baptismus, talis est qualis ille in cujus potestate datur. Sed Diabolus nullo modo dare potest.

1. Là où le baptême est donné, il ressemble à celui en vertu de qui il est donné. Mais le Diable ne peut d’aucune manière le donner.

[14348] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo peccator habet similitudinem cum Deo non solum quantum ad naturam divinam per imaginem, sed etiam quantum ad naturam assumptam; et iterum in malis hominibus possibile est esse similitudinem per gratiam, non autem in Daemonibus. Et praeterea quod omnibus hominibus concessa est baptizandi potestas, hoc est propter necessitatem sacramenti, ut omnibus possit de facili adesse baptizans. Sed Diaboli conversatio non est cum hominibus; unde non juvaret ad necessitatem sacramenti, si sibi potestas illa concederetur.

2. L’homme pécheur a une ressemblance avec Dieu, non seulement pour ce qui est de la nature divine en vertu de l’image, mais aussi pour ce qui est de la nature assumée. De plus, chez les hommes mauvais, il est possible qu’il y ait une ressemblance par la grâce, mais non chez les démons. Au surplus, que le pouvoir de baptiser ait été confié aux hommes, cela relève du fait que le baptême est nécessaire, afin que celui qui baptise puisse être facilement présent pour tous. Mais le Diable ne vit pas parmi les hommes. Aussi n’apporterait-il rien au fait que le baptême est nécessaire, si ce pouvoir lui avait été confié.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14349] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum quod Angelis bonis non est collata potestas baptizandi, propter duas rationes. Primo, quia non habent praedictam convenientiam cum sacramento, et cum Christo, qui est auctor sacramenti. Secundo, quia ad necessitatem Baptismi non valeret potestas eis concessa, cum non sint in promptu hominibus, ut per eos baptizentur. Sed sicut Deus potentiam suam sacramentis non alligavit, ita nec potestatem consecrandi sacramenta alligavit aliquibus ministris; unde qui dedit hanc potestatem hominibus, posset dare et Angelis. Nec Angelus bonus baptizaret nisi divinitus potestate sibi concessa; unde si baptizaret, non esset rebaptizandus, dummodo constaret quod bonus Angelus esset; sicut et judicatum est, templum quod per Angelos consecratum est, non oportere per hominem consecrari, ut legitur in historia dedicationis sancti Michaelis.

Le pouvoir de baptiser n’a pas été donné aux anges bons pour deux raisons. Premièrement, parce qu’ils n’ont pas de similitude avec les sacrements et le Christ, qui est l’auteur du sacrement. Deuxièmement, parce que le pouvoir qui leur aurait été confié n’apporterait rien puisqu’ils ne sont pas facilement accessibles aux hommes pour que ceux-ci soient baptisés par eux. Mais, de même que Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements, de même n’a-t-il pas lié le pouvoir de consacrer les sacrements à certains ministres. Celui qui a donné ce pouvoir aux hommes pourrait donc le donner aussi aux anges. Et l’ange bon ne baptiserait qu’en vertu du pouvoir qui lui aurait été confié. S’il baptisait, il ne serait donc pas nécessaire de rebaptiser, pourvu qu’il soit clair qu’il s’agissait d’un ange bon, comme on a jugé qu’un temple consacré par les anges ne devait pas être consacré par l’homme, ainsi qu’on le lit dans l’histoire de la dédicace de Saint-Michel.

[14350] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli actiones hierarchicas eis proportionaliter exequuntur, scilicet invisibiliter: non autem eis est proportionale ut per corporalia hierarchicas actiones perficiant.

1. Les anges exécutent les actions hiérarchiques qui leur sont proportionnées, à savoir, de manière invisible. Mais il ne leur est pas proportionné d’accomplir des actions hiérarchiques par l’intermédiaire de choses corporelles.

[14351] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet quod superior potestas eodem modo operetur quo inferior, sed modo altiori; et ideo non oportet si homines sacerdotes per sacramentalia symbola actiones hierarchicas exequuntur, quod hoc Angeli possint facere, sed moto altiori.

2. Il n’est pas nécessaire qu’un pouvoir supérieur agisse de la même manière qu’un pouvoir inférieur, mais [il peut agir] d’une manière plus élevée. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire, si les prêtres humains accomplissent des actions hiérarchiques par l’intermédiaire de symboles sacramentels, que les anges puissent le faire, mais qu’ils [puissent le faire] d’une manière plus élevée.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 5

[14352] Super Sent., lib. 4 d. 5 q. 2 a. 3 qc. 2 expos. Quid noverat Joannes Baptista ? Dominum. Sciendum est, quod Joannes antequam intraret eremum, Christum cognovit personaliter ex conversatione, cum fuerit ejus cognatus per carnem et scivit etiam dignitatem ejus ex prophetica revelatione sed propter longam moram amiserat vultus ejus imaginationem; unde personaliter eum non cognoscebat. Et ideo Christo veniente ad Baptismum, tria didicit, secundum diversos sanctos: quia, secundum Chrysostomum, didicit quod iste in persona erat ille quem praedicaverat venturum: secundum Augustinum, didicit quod haberet potestatem excellentiae quam sibi retineret, tamen posset eam servis largiri quod tamen in generali prius sciverat, sed tunc in speciali de hac persona cognovit; sed secundum Hieronymum didicit, quod per Baptismum Christi non solum gratia conferretur mundans a culpa, sed etiam ab omni poena absolvens, quod habet ab ejus passione. Tot essent Baptismi quot servi. Hoc non videtur esse inconveniens; quia per hoc non differrent Baptismi secundum speciem, cum haberent unam formam et unum effectum, sed differrent tantum secundum materiam, sicut et nunc differunt. Et dicendum, quod differrent secundum virtutem, et secundum invocationem; et sic esset occasio schismatis in Ecclesia, ut unus diceret: ego sum Pauli, alius, ego sum Petri.

 

 

Distinctio VI

Distinction 6 – [Ce qui convient au baptême]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Ce qui convient au baptême du point de vue de celui qui baptise]

 

Prooemium

Prologue

[14353] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 pr. Superius determinavit Magister, qui possunt baptizare; hic intendit, determinare qui et qualiter congrue baptizent; et dividitur in partes tres: in prima ostendit qualiter congrue fiat Baptismus ex parte baptizantis; in secunda qualiter congrue fiat ex parte baptizandi; utrum scilicet aliquis sit rebaptizandus, vel non, ibi: de illis vero qui ab haereticis baptizantur, utrum rebaptizandi sint quaeri solet; in tertia qualiter congrue fiat quantum ad ritum Baptismi, ibi: cognoscendum est etiam, in baptizandis electis duo tempora esse servanda; secunda pars dividitur in tres: in prima ostendit utrum aliquis sit rebaptizandus propter defectum baptizantis; in secunda, utrum sit rebaptizandus propter defectum baptizati, ibi: illud etiam ignorandum non est, quod in materno utero nullus baptizari potest; in tertia, utrum sit rebaptizandus propter defectum eorum quae pertinent ab Baptismum, ibi: quaeri autem solet, si corrupte proferantur verba illa, an Baptismus sit. Prima dividitur in tres: in prima ostendit quod baptizati ab haereticis non sunt rebaptizandi; in secunda excludit opinionem contrariam, ibi: sunt tamen nonnulli doctorum (...) qui dicere videntur, ab haereticis non posse tradi Baptismum; in tertia removet quamdam objectionem, quae rebaptizantibus patrocinari videtur, ibi: hoc etiam sciendum est et cetera. Illud autem ignorandum non est et cetera. Hic inquirit, utrum sit aliquis rebaptizandus propter defectum nativitatis ex utero; et circa hoc duo facit: primo ostendit quod illi qui nondum nati sunt, in maternis uteris existentes, non susceperunt Baptismum baptizatis matribus; unde baptizandi sunt; secundo objicit in contrarium, et solvit, ibi: si vero opponitur de Hieremia, et Joanne (...) dicimus et cetera. Quaeri autem solet, si corrupte proferantur verba illa, an Baptismus sit. Hic inquirit, utrum sint aliqui rebaptizandi propter defectum eorum quae ad Baptismum requiruntur: et primo utrum propter corruptionem formae; secundo utrum propter incertitudinem baptismalis ablutionis, ibi: praeterea sciendum est, quod illi de quibus nulla extant indicia inter propinquos vel domesticos vel vicinos, a quibus baptizati fuisse doceantur, agendum est ut renascantur, ne pereant; tertio utrum propter defectum intentionis, ibi: solet etiam quaeri de illo qui jocans, sicut mimus, commemoratione tamen Trinitatis immergitur. Cognoscendum est etiam, in baptizandis electis duo tempora esse servanda. Hic ostendit qualiter Baptismus congrue fiat ex parte ritus, et circa hoc tria facit: primo ostendit quod tempus sit deputatum ad solemnem Baptismi celebrationem; secundo determinat de professione quae praecedit Baptismum, ibi: porro cuncti ad Baptismum venientes fidem suam profiteri debent; tertio determinat de catechismo et exorcismo, in quibus hujusmodi professio fit, ibi: illa autem interrogatio et responsio fidei fit in catechismo. Circa secundum duo facit: primo ostendit propositum; secundo movet duas quaestiones; primam ibi: si vero quaeritur ex quo sensu pro parvulo dicatur, credo, vel fidem peto; dicimus de sacramento fidei id esse intelligendum; secundum ibi: sed adhuc quaeritur, ex quo sensu pro parvulo respondeatur, credo in Deum patrem et cetera. Hic est duplex quaestio. Prima de his quae requiruntur ad Baptismum ex parte baptizantis et baptizati. Secunda de ritu Baptismi. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum requiratur in baptizando nativitas ex utero; 2 utrum requiratur in utroque intentio et voluntas; 3 utrum requiratur fides.

Plus haut, le Maître a déterminé à propos de ceux qui peuvent baptiser. Ici, il entend déterminer à propos de ceux qui peuvent baptiser et de leurs qualités. Il y a trois parties. Dans la première, il montre comment le baptême est donné de manière convenable de la part de celui qui baptise. Dans la deuxième, comment il peut être accompli de manière convenable de la part de celui qui doit être baptisé, à savoir, quelqu’un doit-il être rebaptisé ou non, à cet endroit : «À propos de ceux qui sont baptisés par des hérétiques, on a coutume de se demaner s’ils doivent être rebaptisés.» Dans la troisième, comment le baptême est-il accompli pour ce qui est du rite du baptême, en cet endroit : «Il faut aussi savoir que, pour ceux qu’on a choisi de baptiser, deux moments doivent être observés.» La deuxième partie se divise en trois. Dans la première, il se demande si quelqu’un doit être rebaptisé en raison d’une carence de celui qui baptise. Dans la deuxième, s’il doit être rebaptisé en raison d’une carence de celui qui est baptisé, en cet endroit : «Il ne faut pas non plus ignorer que personne ne doit pas être baptisé dans le sein de sa mère.» Dans la troisième, s’il doit être rebaptisé en raison d’une carence de ce qui se rapporte au baptême, en cet endroit : «On a coutume de se demander s’il y a baptême lorsque ces paroles sont prononcées de manière déficiente.» La première partie est divisée en trois. Dans la première partie, il montre que ceux qui ont été baptisés par des hérétiques ne doivent pas être rebaptisés. Dans la deuxième, il écarte l’opinion contraire, à cet endroit : «Il y a certains docteurs… qui semblent dire que le baptême ne peut pas être donné par des hérétiques.» Dans la troisième, il écarte une objection qui semble être en faveur de ceux qui rebaptisent, à cet endroit : «Il faut aussi savoir, etc. Il ne faut pas ignorer, etc.» Ici, il se demande si quelqu’un doit être rebaptisé en raison d’une carence de sa sortie du sein. À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre que ceux qui ne sont encore nés et se trouvent dans le sein maternel n’ont pas reçu le baptême alors que leur mère était baptisée ; il faut donc les baptiser. Deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire et la résout, à cet endroit : «Mais si l’on fait objection en rappelant Jérémie et Jean…, nous disons, etc.» «On a coutume de se demander s’il y a baptême lorsque ces paroles sont prononcées de manière déficiente.» Ici, il se demande s’il faut en rebaptiser certains en raison d’une carence de ce qui est nécessaire au baptême. Premièrement, en raison d’une carence de la forme. Deuxièmement, en raison de l’incertitude de l’ablution baptismale, à cet endroit : «De plus, il faut savoir que dans le cas de ceux pour lesquels il n’existe aucune indication de la part des proches, des domestiques ou des voisins, montrant par qui ils ont été baptisés, il faut faire en sorte qu’ils renaissent pour ne pas périr.» Troisièmement, en raison d’une carence de l’intention, en cet endroit : «On a aussi coutume de se poser des questions à propos de celui qui, en jouant, comme un mime, est cependant immergé pour commémorer la Trinité.» «Il faut aussi savoir que, pour ceux qu’on a choisi de baptiser, deux moments doivent être observés.» Ici, il montre comment le baptême est convenablement donné pour ce qui est du rite, et, à ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre qu’un moment a été établi pour la célébration solennelle du baptême, à cet endroit : Deuxièmement, il détermine à propos de la profession qui précède le baptême, à cet endroit : «Ensuite, tous ceux qui s’approchent du baptême doivent confesser leur foi.» Troisièmement, il détermine à propos du catéchisme et de l’exorcisme, où cette profession est faite, en cet endroit : «Ces interrogations et ces réponses sont faites pendant le catéchisme.» À propos du deuxième point, il fait deux choses. Premièrement, il montre son intention ; deuxièmement, il soulève deux questions. La première, à cet endroit : «Si l’on se demande en quel sens “Je crois” ou “Je demande la foi” est dit pour un enfant, nous disons que cela doit s’entendre du sacrement de la foi.» La seconde, à cet endroit : «Mais on se demande aussi en quel sens on répond pour un enfant : “Je crois en Dieu le Père”, etc.» Ici, il y a une double question. La première porte sur ce qui est requis pour le baptême de la part de celui qui baptise et de celui qui est baptisé. La seconde, à propos du rite du baptême. À propos de la première, trois questions sont posées : 1 – Est-ce qu’il est requis pour baptiser que [l’enfant] soit sorti du sein ? 2 – Est-ce que sont requises l’intention et la volonté ? 3 – Est-ce que la foi est requise ?

Articulus 1 [14354] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum nativitas ex utero in baptizando sit expectanda

Article 1 – Est-ce qu’il faut attendre la sortie du sein pour baptiser ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Faut-il attendre la sortie du sein pour baptiser ?]

 

[14355] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nativitas ex utero non sit expectanda. Nulli enim statui hominis praecluditur via salutis ab eo qui vult omnes homines salvos fieri. Sed existentes in maternis uteris homines sunt, cum sint jam animam rationalem sortiti, et sunt in periculo damnationis propter peccatum originale contractum, et facilitatem corruptionis. Ergo cum eis non possit remedium adhiberi perveniendi ad vitam nisi per Baptismum, videtur quod debeant baptizari.

1. Il semble qu’il ne faille pas attendre la sortie du sein. En effet, le chemin du salut n’est fermé à aucun état humain par celui qui veut que tous les hommes soient sauvés. Or, ceux qui se trouvent dans le sein maternel sont des hommes, puisqu’ils ont déjà une âme raisonnable, qu’ils sont en danger de damnation à cause du péché originel contracté et par la facilité avec laquelle ils peuvent être détruits. Puisqu’on ne peut leur donner un autre remède que le baptême pour parvenir à la vie, il semble donc qu’ils doivent être baptisés.

 

[14356] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, puer in materno utero existens est quasi quaedam pars matris, sicut fructus pendens in arbore, pars arboris. Ergo baptizata matre, baptizatur puer in ventre ejus existens.

2. L’enfant qui se trouve dans le sein maternel est comme une partie de sa mère, comme le fruit qui pend de l’arbre est une partie de l’arbre. Lorsque la mère est baptisée, l’enfant qui se trouve dans son ventre est donc baptisé.

[14357] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, contingit quandoque quod aliqua pars prius egreditur, sicut legitur, Gen. 25, de Esau, quod exivit primo manus; et tamen timetur de periculo mortis. Ergo videtur quod saltem in tali casu non sit expectanda nativitas ex utero sed pars egressa aspergenda baptismali aqua.

3. Il arrive parfois qu’un membre sorte en premier, comme on lit dans Gn 25, à propos d’Ésaü, qu’il sortit d’abord une main ; cependant, on peut craindre un danger de mort. Il semble donc qu’au moins dans ce cas il ne faille pas attendre la sortie du sein, mais que le membre qui est sorti doive être aspergé d’eau baptismale.

[14358] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, mors aeterna pejor est quam mors corporalis in infinitum. Sed de duobus malis eligendum est minus malum. Ergo debet mater scindi, et extrahi puer, ut baptizatus a morte aeterna liberetur et non expectari nativitas ex utero.

4. La mort éternelle est infiniment pire que la mort corporelle. Or, entre deux maux, il faut choisir le moindre. La mère doit donc être incisée et l’enfant sorti, afin que, baptisé, il soit libéré de la mort éternelle, sans attendre la sortie du sein.

[14359] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 46: non prius quod spirituale est, sed quod animale, deinde quod spirituale. Sed Baptismus est quaedam regeneratio spiritualis. Ergo prius homo animali, et carnali nativitate nasci debet quam baptizetur.

S.c. 1 – En sens contraire, on lit en 1 Co 15, 46 : Non pas d’abord ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, et ensuite, ce qui est spirituel. Or, le baptême est une régénération spirituelle. L’homme doit donc d’abord naître d’une naissance animale et charnelle avant d’être baptisé.

[14360] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, sacramentum est actio militantis Ecclesiae. Sed quamdiu puer est in ventre matris, nondum connumeratur aliis membris Ecclesiae. Ergo non potest sibi Baptismus exhiberi.

S.c. 2 – Le sacrement est une action de l’Église militante. Or, aussi longtemps qu’un enfant est dans le ventre de sa mère, il n’est pas compté parmi les autres membres de l’Église. On ne peut donc pas lui donner le baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Quelqu’un peut-il être sanctifié dans le sein maternel par le don de la grâce ?]

[14361] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullus etiam in materno utero possit sanctificari per gratiae gratum facientis donum. Quia, ut Isidorus dicit, regeneratio in eo dici non potest in quem generatio non praecessit. Sed per gratiam gratum facientem fit homo filius Dei, et ita regeneratur. Ergo non potest homo sanctificari antequam nascatur ex utero.

 

 

1. Il semble que personne ne puisse être sanctifié dans le sein maternel par le don de la grâce sanctifiante [per gratiae gratum facientis donum ; comp. qa 3, arg. 3 : gratia sanctificationis]. En effet, comme le dit Isidore, on ne peut parler de régénération pour celui dont la génération n’a pas précédé. Or, par la grâce sanctifiante, l’homme devient fils de Dieu et est ainsi régénéré. L’homme ne peut donc être sanctifié avant d’être sorti du sein.

[14362] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut peccatum actuale contrahitur ex actu, ita originale contrahitur ex origine. Sed peccatum actuale non potest remitti quamdiu homo est in actu peccandi. Ergo nec peccatum originale potest remitti puero in materno utero existenti, qui adhuc est actualiter in origine existens.

2. De même que le péché actuel est contracté par un acte, de même le péché originel est-il contracté par l’origine. Or, le péché actuel ne peut être remis aussi longtemps que l’homme est en acte de pécher. Le péché originel ne peut donc non plus être remis à l’enfant qui se trouve dans le sein de sa mère, alors qu’il se trouve actuellement dans l’état originel.

[14363] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ubi est majus periculum, ibi magis divina misericordia subvenit. Sed illi qui morituri sunt antequam ex utero nascantur, sunt in majori periculo quam Joannes Baptista et Hieremias, qui ex utero postmodum nati sunt. Si ergo non dicimus pueros dictos sanctificari in utero, ne praeveniantur morte, videtur quod multo fortius nec Joannes nec Hieremias sanctificati fuerunt.

3. Là où où le danger est plus grand, la miséricorde divine vient davantage au secours. Or, ceux qui doivent mourir avant d’être sortis du sein sont dans un plus grand danger que Jean-Baptiste et Jérémie, qui sont sortis du sein par la suite. Si donc nous ne disons pas que les enfants en question sont sanctifiés dans le sein, de crainte qu’ils ne soient devancés par la mort, il semble à bien plus forte raison que ni Jean ni Jérémie n’ont été sanctifiés.

[14364] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Hierem. 1, 5: antequam exires de vulva sanctificavi te; et Luc. 1, 16, dicitur de Joanne: et spiritu sancto replebitur adhuc ex utero matris suae. Ergo aliqui in utero sanctificantur.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans Jr 1, 5 : Avant que tu ne sortes du sein, je t’ai sanctifié, etc. Lc 1, 16 : Et il sera rempli de l’Esprit Saint dans le sein de sa mère. Certains sont donc sanctifiés dans le sein.

[14365] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 S.c. 2 Praeterea, de nullo celebrat Ecclesia festum, nisi de sancto aliquo. Sed celebrat nativitatem Joannis. Ergo tunc nascens sanctus erat; ergo in utero sanctificatus fuit.

S.c. 2 – L’Église ne célèbre de fête que pour un saint. Or, elle célèbre la naissance de Jean. Il était donc saint dès sa naissance. Il a donc été sanctifié dans le sein.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ceux qui sont sanctifiés dans le sein doivent-ils être baptisés ?]

[14366] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in utero sanctificati non sunt baptizandi. In sanctificatione enim in utero datur major gratia quam in Baptismo: quia sanctificationis gratia dicitur esse confirmans saltem contra mortale peccatum. Sed injuriam faceret Baptismo qui baptizatum iterum baptizaret. Ergo injuriam facit sanctificationi in utero qui sanctificatum iterum baptizando sanctificaret.

1. Il semble que ceux qui sont sanctifiés dans le sein ne doivent pas être baptisés. En effet, par la sanctification dans le sein, une plus grande gloire est donnée que par le baptême, car on dit que la grâce de la sanctification affermit au moins contre le péché mortel. Or, on ferait injure au baptême en baptisant celui qui a déjà été baptisé. Il fait donc injure à la sanctification dans le sein celui qui sanctifierait de nouveau celui qui a été sanctifié en [le] baptisant.

[14367] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, natura non facit per plura quod per unum potest facere. Sed operatio gratiae est ordinatior quam natura. Cum ergo ad salutem sufficiat gratia sanctificationis, videtur quod frustra Baptismus addatur.

2. La nature ne réalise pas par plusieurs ce qu’elle peut réaliser par un seul. Or, l’action de la grâce est plus ordonnée que la nature. Puisque la grâce de la sanctification suffit au salut, il semble donc le baptême est ajouté pour rien.

[14368] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, divina operatio non est minus efficax in sanatione spirituali quam corporali. Sed in illis quos curavit corporaliter, non oportebat aliquem medicum ab homine superaddi. Ergo et in illis quos curat per gratiam sanctificationis interius non sunt adhibenda sacramentorum medicamenta.

3. L’action divine n’est pas moins efficace pour la guérison spirituelle que pour la guérison corporelle. Or, chez ceux qu’elle a guéris corporellement, il n’est pas nécessaire qu’un médecin soit ajouté par l’homme. Les remèdes des sacrements ne doivent donc pas être donnés à ceux que [l’action divine] guérit intérieurement par la grâce de la sanctification.

[14369] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, Baptismus circumcisioni successit. Sed Joannes sanctificatus in utero, octavo die legitur circumcisus, Luc. 1. Ergo et sanctificatus in utero esset baptizandus.

S.c. 1 – En sens contraire, le baptême a succédé à la circoncision. Or, on lit de Jean, qui a été sanctifié dans le sein, qu’il a été circoncis le huitième jour, Lc 1. Celui qui a été sanctifié dans le sein devrait donc être baptisé.

[14370] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, sanctificatio in utero est Baptismus flaminis. Sed adulti baptizati per contritionem Baptismo flaminis, sunt baptizandi Baptismo fluminis. Ergo et similiter sanctificati in utero.

S.c. 2 – La sanctification dans le sein est le baptême de feu. Or, les adultes baptisés du baptême de feu par la contrition doivent être baptisés du baptême d’eau. Il en va donc de même pour ceux qui sont sanctifiés dans le sein.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14371] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Baptismus est actio hierarchica secundum Dionysium; unde per ministros Ecclesiae conferendus est, vel per eos qui in necessitate vicem ministrorum obtinent. Puer autem quamdiu est in utero matris existens, non potest subjici operationi ministrorum Ecclesiae nec est hominibus notus; et ideo tunc baptizari non potest. Quidam autem assignant alias causas, quae non sunt magni ponderis: quarum una est quod divina justitia exigit quod peccatum quodlibet non dimittatur sine poena aliqua, quam puer in Baptismo sentit, quod esse non posset, dum adhuc est in utero matris. Sed hoc nihil est quia Baptismus, secundum Ambrosium, non requirit poenam exteriorem. Et praeterea peccato originali non debetur poena sensibilis inflicta. Alia est quod gratia dat esse ordinatum; et ideo regeneratio gratiae praesupponit generationem naturae. Alia est quod puer quamdiu est in materno utero, adhuc conjungitur causae originalis peccati; et ideo non potest ab eo mundari. Sed hae duae causae repugnant sanctificationi in utero, sicut et Baptismo. Alia est quod in Baptismo debet esse aqua et spiritus contra infectionem carnis, et animae per originale; et ideo oportet praeexistere ad Baptismum nativitatem in utero, qua infunditur anima, et nativitatem ex utero, qua nascitur corpus. Sed hoc nihil est: quia nativitas neque est animae neque corporis, sed conjuncti; unde in nativitate in utero nascitur et corpus et anima. Unde primae rationi standum est.

Le baptême est une action hiérarchique selon Denys. Aussi doit-il être conféré par les ministres de l’Église ou par ceux qui, en cas de nécessité, jouent le rôle de ministres. Or, l’enfant, aussi longtemps qu’il se trouve dans le sein de sa mère, ne peut être soumis à l’action des ministres de l’Église et il n’est pas non plus connu des hommes. C’est pourquoi il ne peut être alors baptisé. Mais certains font valoir d’autres arguments, qui n’ont pas un grand poids. L’un est que la justice divine exige qu’aucun péché ne soit remis sans une peine, que l’enfant ressent dans le baptême, et qui ne pourrait avoir lieu alors qu’il est dans le sein de sa mère. Mais cela est futile, car le baptême, selon Ambroise, n’exige pas une peine extérieure. De plus, une peine sensible n’est pas due pour le péché originel. Un autre [argument] est que la grâce donne un être ordonné ; c’est pourquoi la régénération de la grâce présuppose la génération de la nature. Un autre, que l’enfant, aussi longtemps qu’il est dans le sein maternel, est encore lié à la cause du péché originel. C’est pourquoi il ne peut en être purifié. Or, ces deux causes s’opposent à la sanctification dans le sein comme au baptême. Un autre argument dit que, dans le baptême, il doit y avoir de l’eau et l’Esprit contre l’infection de la chair et de l’âme par le péché originel. C’est pourquoi il faut que préexiste au baptême une naissance dans le sein et une sortie du sein, par laquelle naît le corps. Mais cela est futile, car la naissance n’est le fait ni du corps ni de l’âme, mais du composé. Ainsi, dans la naissance à l’intérieur du sein, naissent le corps et l’âme. Aussi faut-il s’en tenir au premier argument.

 

[14372] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est ex defectu divinae misericordiae quod in maternis uteris existentibus remedium non exhibetur, sed quia non sunt capaces illius remedii, per quod secundum legem communem participes passionis Christi efficiantur, a qua est remissio peccatorum: quia non possunt subjici operationi ministrorum Ecclesiae, per quos talia remedia ministrantur.

1. Ce n’est pas par manque de miséricorde divine qu’un remède n’est pas donné à ceux qui se trouvent dans le sein maternel, mais parce qu’ils ne sont pas capables de [recevoir] ce remède, par lequel, selon la loi commune, ils deviennent participants de la passion du Christ par laquelle se réalise la rémission des péchés. La raison en est qu’ils ne peuvent être soumis à l’action des ministres de l’Église, par lesquels de tels remèdes sont administrés.

[14373] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod puer in materno utero existens, quamvis sit conjunctus matri secundum corpus, quod ab ipsa traxit tamen est omnino distinctus secundum animam rationalem quam ab extrinseco habet; et ideo secundum immutationem corporalem matris, immutatur corporaliter, sed non oportet quod sanctificata matre per Baptismum, spiritualiter sanctificetur.

2. L’enfant dans le sein maternel, bien qu’il soit uni à sa mère par le corps qu’il a reçu d’elle, en est cependant entièrement distinct selon l’âme raisonnable qu’il reçoit de l’extérieur. Aussi, selon le changement corporel de la mère est-il changé corporellement, mais il n’est pas nécessairement sanctifié spirituellement parce que sa mère a été sanctifiée par le baptême.

[14374] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod expectanda est totalis egressio ex utero, nisi periculum mortis timeatur; tunc autem egressa parte principali scilicet capite, in quo operationes animae magis manifestantur, ut quidam dicunt, baptizari debet: secus autem est de aliis partibus, ut de manu et pede, quamvis non noceat etiam si tunc asperguntur illae partes baptismali aqua, quia divina misericordia non est arctanda. Si tamen postea plenarie nascatur non est rebaptizandus, secundum quosdam. Sed nihil periculi accidit, si ad majorem cautelam baptizetur sub hac forma: si non es baptizatus, ego te baptizo et cetera.

3. Il faut attendre une sortie totale du sein, à moins qu’on ne craigne un danger de mort. Mais, dans ce cas, une fois sortie le membre principal, à savoir, la tête, dans laquelle se manifestent surtout les actions de l’âme, elle doit être baptisée, comme certains le disent. Mais il en va autrement des autres membres, comme la main et le pied, bien que cela ne nuise pas si ces membres sont alors aspergés d’eau baptismale, car la miséricorde divine ne doit pas être limitée. Toutefois, s’il naît complètement par la suite, [l’enfant] ne doit pas être rebaptisé selon certains. Mais il n’y a pas de danger si, par une plus grande précaution, il est baptisé sous cette forme : «Si tu n’as pas été baptisé, je te baptise, etc.»

[14375] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non sunt facienda mala, ut veniant bona, sicut dicitur Rom. 3; et ideo homo potius debet dimittere perire infantem quam ipse pereat, homicidii crimen in matre committens.

4. Il ne faut pas faire le mal pour qu’en sorte le bien, comme il est dit en Rm 3. Aussi doit-on laisser l’enfant mourir plutôt que de périr soi-même en commettant le crime d’homicide sur la mère.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14376] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut Deus non alligavit virtutem suam rebus naturalibus, ut non possit praeter eas operari cum voluerit quod in miraculosis actibus facit, ita non alligavit virtutem suam sacramentis, ut non possit sine sacramentorum ministris aliquem sanctificare; et ideo aliquos praeter legem communem quasi miraculose in maternis uteris sanctificasse legitur, illos praecipue qui immediatius ordinabantur ad ejus sanctissimam conceptionem; et ideo mater sanctificata creditur, et Joannes Baptista, qui ei in utero existenti testimonium perhibuit, et Hieremias, qui ipsius conceptionem vaticinio expresso praedixit: novum, inquit, faciet dominus super terram. Mulier circumdabit virum: Hierem. 31, 22; et ideo etiam in beata virgine fuit amplior sanctificatio, in qua fomes adeo debilitatus est vel extinctus, ut ad peccatum actuale nunquam inclinaretur; in aliis autem inclinavit ad veniale, non autem ad mortale; et in Joanne Baptista etiam fuit expressior quam in Hieremia cujus interior sanctificatio exultatione quadam in notitiam hominum prodiit, quia dictum est: exultavit infans in utero ejus, Luc. 1, 41, ut secundum gradum propinquitatis ad Christum sit gradus sanctificationis.

De même que Dieu n’a pas lié sa puissance aux choses naturelles, de sorte qu’il ne puisse pas agir au-delà d’elles lorsqu’il le veut, ce qu’il fait dans les actes miraculeux, de même n’a-t-il pas lié sa puissance aux sacrements, de sorte qu’il ne puisse sanctififer quelqu’un sans les ministres des sacrements. C’est pourquoi on lit qu’il en a sanctifié certains dans le sein maternel en dehors de la loi commune et comme par miracle, principalement ceux qui étaient plus immédiatement en rapport avec sa propre conception très sainte. Ainsi croit-on que sa mère a été sanctifiée, Jean le Baptiste, qui lui a rendu témoignage alors qu’il se trouvait dans le sein, et Jérémie, qui a prédit sa conception par une prophétie explicite : Le Seigneur fera du nouveau sur la terre : la femme entourera l’homme, Jr 31, 22. C’est pourquoi une plus grande sanctification a été réalisée chez la bienheureuse Vierge, chez laquelle le désir désordonné a été à ce point affaibli ou éteint qu’elle n’allait jamais être encline au péché actuel. Mais, chez les autres, il inclinait au [péché] véniel, mais non au [péché] mortel. Et chez Jean le Baptiste, elle fut encore plus explicite que chez Jérémie, car sa sanctification intérieure est venue à la connaissance des hommes par une exultation, car il est dit : L’enfant a bondi dans mon sein, Lc 1, 41, de sorte que le degré de la sanctification se conforme au degré de proximité par rapport au Christ.

[14377] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio spiritualis praesupponit naturalem sibi correspondentem; et ideo generatio spiritualis quae fit per ministerium hominum in Baptismo praesupponit nativitatem ex utero, qua homo in notitiam et societatem hominum prodit. Sed regeneratio quae fit divinitus, non praesupponit de necessitate nisi nativitatem in utero, qua homo a Deo creatus, formatus est.

1. La génération spirituelle présuppose la [génération] naturelle qui lui correspond. C’est pourquoi la génération spirituelle qui se réalise par le ministère des hommes dans le baptême présuppose la sortie du sein, par laquelle un homme parvient à la connaissance et à la société des hommes. Mais la régénération qui est réalisée divinement ne présuppose nécessairement que la naissance dans le sein, par laquelle l’homme créé par Dieu a pris forme.

[14378] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam formato puerperio anima rationali infusa, puer non accipit a matre nisi nutrimentum. Peccatum autem originale non contrahitur per actum nutritivae, sed generativae; et ideo non est actu in contrahendo originale, nisi in ipsa infusione animae; et propter hoc nihil prohibet puerum in statu illo post infusionem a peccato originali mundari.

2. Une fois réalisé l’enfantement par l’âme raisonnable infuse, l’enfant ne reçoit de sa mère que la nourriture. Or, le péché originel n’est pas contracté par l’acte de la [partie] nutritive, mais de la [partie] générative. C’est pourquoi le péché originel n’est contracté en acte que lors de l’infusion même de l’âme. Pour cette raison, rien n’empêche qu’un enfant dans cet état soit purifié du péché originel après l’infusion [de l’âme].

[14379] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae fiunt praeter legem communem, non fiunt principaliter ad subveniendum uni personae, sed ad insinuationem et commendationem gratiae; et ideo quamvis non fuerit tantum periculum in sanctificatis in utero, qui prodituri erant, tamen quia eligebantur divinitus ut gratiae speciales praecones et ministri, ideo tali privilegiata sanctificatione dotati sunt.

3. Ce qui est fait hors de la loi commune n’est pas fait pour aider une seule personne, mais pour suggérer et recommander la grâce. Bien que n’ait pas existé un si grand danger pour ceux qui ont été sanctifiés dans le sein et qui devaient en sortir, cependant, parce qu’ils étaient divinement choisis pour être les hérauts et les ministres particuliers de la grâce, ils ont reçu une telle sanctification privilégiée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14380] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sanctificatus in utero debet baptizari, propter tres rationes. Primo propter acquirendum characterem, quo annumeretur ad populum Dei, et quasi deputetur ad percipienda divina sacramenta. Secundo, ut per Baptismi perceptionem passioni Christi etiam corporaliter conformetur. Tertio propter bonum obedientiae: quia praeceptum de Baptismo omnibus datum est, et ab omnibus impleri debet, nisi articulus necessitatis sacramentum excludat.

Celui qui a été sanctifié dans le sein doit être baptisé pour trois raisons. Premièrement, pour recevoir le caractère par lequel il est compté comme membre du peuple de Dieu et destiné à recevoir les sacrements divins. Deuxièmement, pour que, par la réception du baptême, il soit rendu conforme à la passion du Christ, même corporellement. Troisièmement, pour le bien de l’obéissance, car le commandement du baptême a été donné pour tous et doit être accompli par tous, à moins qu’un cas de nécessité n’exclue le sacrement.

[14381] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus quantum ad aliquid extensive excedit sanctificationem: quia in Baptismo imprimitur character, et corporaliter homo morti Christi configuratur: quamvis intensive in sanctificatione amplior gratia fortassis praebeatur; et ideo non fit injuria sanctificationi, si sanctificatis Baptismus conferatur.

1. Le baptême dépasse d’une certaine manière la sanctification en étendue, car le baptême imprime un caractère et l’homme est rendu corporellement conforme à la mort du Christ. En intensité, toutefois, il donne peut-être une plus grande grâce. C’est pourquoi il n’est pas fait de tort à la santification si le baptême est conféré à des personnes sanctifiées.

[14382] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non totum quod facit Baptismus, factum est per sanctificationem, quia non imprimit characterem; et ideo non frustra Baptismus additur, in quo etiam sanctificatis gratia augetur.

2. Tout ce que fait le baptême n’est pas réalisé par la sanctification, car celle-ci n’imprime pas de caractère. C’est pourquoi le baptême n’est pas ajouté pour rien : par lui, la grâce est augmentée pour ceux qui sont sanctifiés.

[14383] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per medicinam corporalem nihil addi posset ad salutem eorum quos Christus curaverat; et ideo non est similis ratio.

3. Rien ne pourrait être ajouté par un remède corporel à la santé de ceux que le Christ avait guéris. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 

 

Articulus 2 [14384] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum intentio baptizantis ad Baptismum requiratur

Article 2 – Est-ce que l’intention de celui qui baptise est requise pour le baptême ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’intention de celui qui baptise est-elle requise pour le baptêm ?]

[14385] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod intentio baptizantis non requiritur ad Baptismum. Intentio enim non requiritur ad opus nisi in principali agente, qui praestituit finem, et per imperium suum alios movet ad finem intentum a se. Sed sacerdos baptizans non est principale agens, sed instrumentale, ut dictum est supra. Ergo non requiritur ejus intentio ad Baptismum.

1. Il semble que l’intention de celui qui baptise ne soit pas requise pour le baptême. En effet, l’intention n’est requise pour l’action que chez l’agent principal, qui a établi la fin et, par son commandement, en meut d’autres à la fin qu’il vise. Or, le prêtre qui baptise n’est pas un agent principal mais instrumental, comme on l’a dit plus haut. Son intention n’est donc pas requise pour le baptême.

[14386] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, intentio hominis non est alicui certa nisi sibi. Si ergo requiratur intentio ad Baptismum, non erit certum de aliquo quod sit baptizatus, nisi apud eum qui baptizavit; et hoc est inconveniens quod homo sit in tanto dubio salutis.

2. L’intention d’un homme n’est certaine que pour lui-même. Si donc l’intention est requise pour le baptême, il ne sera certain que quelqu’un est baptisé que pour celui qui l’a baptisé. Or, cela ne convient pas qu’un homme soit dans un grand doute à propos du salut.

[14387] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus dicit, ebriosus et furiosus baptizare possunt. Sed isti, ut videtur, non possunt habere intentionem, quia privantur usu rationis. Ergo intentio non requiritur ad Baptismum.

3. Comme le dit Augustin, l’homme enivré et le forcené peuvent baptiser. Or, il semble que ceux-ci ne peuvent en avoir l’intention, car ils sont privés de l’usage de la raison. L’intention n’est donc pas requise pour le baptême.

[14388] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, intentio cognitionem requirit. Sed frequenter et de facili cogitatio ad alia rapitur. Ergo frequenter Baptismus impediretur.

4. L’intention exige la connaissance. Or, la pensée est souvent et facilement détournée. Le baptême serait donc empêché fréquemment.

[14389] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra, ea quae fiunt praeter intentionem, sunt casualia. Sed hoc sacramentis non competit, cum habeant determinatos effectus, et determinatas causas. Ergo requiritur intentio in Baptismo, et in aliis sacramentis.

S.c. 1 – En sens contraire, ce qui est accompli sans intention est fortuit. Or, cela ne convient pas aux sacrements, puisqu’ils ont des effets déterminés et des causes déterminées. L’intention est donc nécessaire pour le baptême et pour les autres sacrements.

[14390] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, opera quae fiunt a voluntate, determinantur et specificantur intentione. Unde Ambrosius dicit quod affectus tuus operi tuo imponit nomen; et in Glossa, Matth. 12, dicitur: quantum intendis, tantum facis. Sed baptizare est actus voluntarius. Ergo requiritur in ipso intentio ex parte baptizantis.

S.c. 2 – De plus, les actes qui sont accomplis par la volonté sont déterminés et spécifiés par l’intention. Aussi Ambroise dit-il que «ton intention donne son nom à ton acte». Et, dans la Glose sur Mt 12, il est dit : «Telle est ton intention, tel est ce que tu fais.» Or, baptiser est un acte volontaire. L’intention y est donc nécessaire de la part de celui qui baptise.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une intention droite est-elle nécessaire au baptême chez celui qui baptise ?]

[14391] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod requiratur intentio recta. Requiritur enim intentio faciendi quod facit Ecclesia. Sed hoc intendere est rectae intentionis. Ergo ad Baptismum requiritur recta intentio.

1. Il semble qu’une intention droite soit nécessaire. En effet, l’intention de faire de que fait l’Église est nécessaire. Or, avoir cette intention relève d’une intention droite. Une intention droite est donc nécessaire au baptême.

[14392] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in omnibus ad quae requiritur intentio, ita est quod per pravam intentionem vitiantur. Sed Baptismus, dummodo detur, non potest esse pravus, ut in praecedenti distinctione dictum est. Ergo videtur quod prava intentio non possit conferre Baptismum.

S.c. 1 – En sens contraire, le baptême n’est pas empêché par la malice de celui qui baptise. Or, une intention perverse se rapporte à la malice de celui qui baptise. Une intention perverse chez d’autres n’empêche donc pas l’effet du baptême.

[14393] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Baptismus non impeditur ex malitia baptizantis. Sed perversa intentio pertinet ad malitiam baptizantis. Ergo perversa intentio in aliis non impedit Baptismi effectum.

2. Tout ce qui requiert une intention est vicié par une mauvaise intention. Or, le baptême, pourvu qu’il soit donné, ne peut être mauvais, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Il semble donc qu’une mauvaise intention ne puisse conférer le baptême.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’intention de recevoir le baptême est-elle nécessaire chez le baptisé ?]

[14394] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod intentio vel voluntas non requiratur in baptizato. Baptismus enim contra peccatum originale datur. Sed peccatum originale praeter voluntatem et intentionem contrahitur. Ergo intentio et voluntas non requiruntur ad Baptismum in baptizando.

1. Il semble que l’intention ou la volonté ne soient pas nécessaires chez le baptisé. En effet, le baptême est donné contre le péché originel. Or, le péché originel est contracté sans volonté et sans intention. L’intention et la volonté ne sont donc pas requises pour le baptême chez celui qui doit être baptisé.

[14395] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, pueri, dormientes et amentes possunt baptizari, ut supra, dist. 4, quaest. 3, art. 1, quaestiunc. 2 et 3, dictum est. Sed illi carent intentione Baptismi. Ergo ad Baptismum non requiritur intentio ex parte baptizandi.

2. Les enfants, ceux qui dorment et les fous peuvent être baptisés, comme on l’a dit plus haut, d. 4, q. 3, a. 1, qa 2 et 3. Or, à ceux-ci manque l’intention [de recevoir] le baptême. L’intention n’est donc pas nécessaire pour le baptême de la part de celui qui doit être baptisé.

[14396] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, unaquaeque res per eadem corrumpitur et fit, contrarie tamen facta, ut dicitur in 2 Ethic. Si ergo intentione baptizandi fieret Baptismus, tunc intentione ipsius character baptismalis deleri posset; quod falsum est.

3. Toute chose est corrompue et est réalisée par les mêmes choses, mais en sens contraire, comme il est dit dans Éthique, II. Si donc le baptême était fait en vertu de l’intention de celui qui doit être baptisé, alors le caractère baptismal pourrait être détruit par son intention, ce qui est faux.

[14397] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, in Baptismo fit quoddam spirituale connubium animae ad Deum. Sed in conjugio requiritur consensus. Ergo et in Baptismo.

S.c. 1 – Par le baptême, un mariage spirituel entre l’âme et Dieu est réalisé. Or, pour un mariage, le consentement est nécessaire. Donc aussi, pour le baptême.

[14398] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, Baptismi effectus magis impeditur ex parte baptizati quam baptizantis: quia malitia baptizantis non impedit receptionem gratiae in Baptismo, quae impediri potest per malitiam recipientis sacramentum. Sed defectus intentionis ex parte baptizantis impedit sacramentum. Ergo multo fortius defectus intentionis ex parte baptizati.

S.c. 2 – L’effet du baptême est empêché plutôt de la part du baptisé que de la part de celui qui baptise, car la malice de celui qui baptise n’empêche pas la réception de la grâce par le baptême, alors qu’elle peut être empêchée par la malice de celui qui reçoit le sacrement. Or, le manque d’intention de la part de celui qui baptise empêche le sacrement. À bien plus forte raison, donc, le manque d’intention de la part du baptisé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14399] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod cum unius effectus una sit causa, si ex aliquibus pluribus causis unus effectus procedat, oportet quod illae causae sint aliquo modo factae unum ad invicem. Ad effectum autem sacramenti videmus multa concurrere; scilicet ministrum, formam verborum, et materiam. Haec autem non possent colligari ad invicem ut sint una causa, nisi per intentionem baptizantis, qui scilicet formam ad materiam applicat, suum vero ministerium ad utrumque, et totum hoc ad sacramenti collationem; et ideo requiritur intentio baptizantis. Et similiter etiam in omnibus aliis sacramentis requiritur intentio ministri cum debita materia et forma, non solum ad effectum sacramenti consequendum, sed ad sacramenti perceptionem.

Comme il n’y a qu’une seule cause d’un seul effet, si un seul effet procède de causes multiples, il faut que ces causes soient d’une certaine manière unifiées les unes par rapport aux autres. Or, nous voyons que plusieurs choses concourent à l’effet d’un sacrement : le ministre, la forme des paroles et la matière. Or, ces choses ne peuvent être reliées entre elles pour être une seule cause que par l’intention de celui qui baptise, qui applique la forme à la matière, son ministère aux deux, et tout cet ensemble à la collation du sacrement. C’est pourquoi l’intention de celui qui baptise est nécessaire. De la même manière, pour tous les sacrements, est nécessaire l’intention du ministre ainsi que la matière et la forme appropriées, non seulement pour l’obtention de l’effet du sacrement, mais pour la réception du sacrement.

[14400] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est instrumentum, scilicet animatum, ut servus, et inanimatum ut securis, ut dicitur in 8 Ethic. In instrumento igitur inanimato non requiritur intentio propria, quia ipsa inclinatio instrumenti ad effectum per motum principalis agentis, locum intentionis supplet; sed in instrumento animato, quod non tantum agitur, sed aliquo modo agit, utpote per imperium agens, et non per impulsum motus, requiritur intentio exequendi ministerium ad quod applicatum est.

1. Il existe un double intrument : animé, comme un serviteur, et inaniné, comme une scie, comme il est dit dans Éthique, VIII. L’intention n’est pas nécessaire chez l’instrument inanimé, car l’inclination même de l’instrument à l’effet par le mouvement de l’agent principal tient lieu d’intention. Mais, chez l’instrument animé, qui ne reçoit pas seulement l’action, mais agit d’une certaine manière, en agissant selon le commandement, et non par l’impulsion d’un mouvement, l’intention d’accomplir un ministère pour ce à quoi il a été appliqué est nécessaire.

[14401] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc dupliciter secundum diversas opiniones respondetur. Quidam enim dicunt, quod si desit mentalis intentio in baptizante, non confert sacramentum Baptismi; tamen in adulto supplet fides et devotio effectum Baptismi, ut periculum ex hoc baptizato, qui ignorat intentionem baptizantis, nullum proveniat. Si autem sit puer, creditur pie, quod summus sacerdos, scilicet Deus, defectum suppleat, et salutem ei conferat. Si tamen non facit, non injuste facit, sicut nec in illo qui sacramento non subjicitur. Alii dicunt, quod in Baptismo et in aliis sacramentis quae habent in forma actum exercitum, non requiritur mentalis intentio, sed sufficit expressio intentionis per verba ab Ecclesia instituta; et ideo si forma servatur, nec aliquid exterius dicitur quod intentionem contrariam exprimat, baptizatus est. Non enim sine causa in sacramentis necessitatis, scilicet Baptismo, et quibusdam aliis, actus baptizantis tam solicite expressus est ad intentionis expressionem.

2. On répond à cela de deux manières, selon les diverses opinions. En effet, certains disent que si l’intention mentale fait défaut chez celui qui baptise, il ne confère pas le sacrement de baptême ; toutefois, chez l’adulte, la foi et la dévotion assurent l’effet du baptême, de sorte qu’aucun danger ne provient à cause de cela pour le baptisé, qui ignore l’intention de celui qui baptise. Mais s’il s’agit d’un enfant, on croit pieusement que le souverain prêtre, Dieu, supplée à la carence et lui confère le salut. Cependant, s’il ne le fait pas, il n’agit pas injustement, pas plus que chez celui qui n’est pas soumis au sacrement. D’autres disent que, dans le baptême et dans les autres sacrements qui ont un acte mis en œuvre par leur forme, l’intention mentale n’est pas nécessaire, mais que l’expression de l’intention par les paroles établies par l’Église suffit. Ainsi, si la forme est observée et que rien d’autre n’est extérieurement exprimé qui exprime une intention contraire, il est baptisé. En effet, ce n’est pas sans raison que, dans les sacrements nécessaires, comme l’est le baptême, et dans certains autres, l’acte de celui qui baptise est exprimé avec tant d’attention afin exprimer l’intention.

[14402] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis actu ebrius intentionem habere non possit, tamen ebriosus potest esse non actu ebrius, et intentionem baptizandi habens, baptizare.

3. Bien que celui qui est ivre ne puisse avoir d’intention en acte, cependant l’ivrogne peut ne pas être ivre en acte et, en ayant l’intention de baptiser, baptiser.

[14403] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis minister sacramenti debeat niti ad custodiendum cor suum quantum potest, ut maxime in verbis sacramentalis formae intentionem habeat actualem; quia tamen cogitatio est valde labilis, etiam si tunc non adsit actualis intentio quando verba profert, dummodo prius intenderit, et contraria intentio non intervenerit, sacramentum non impeditur: quia operatur tunc in vi principalis intentionis. Non enim oportet quod in opere semper intentio conjungatur in actu, sed sufficit quod opus ab intentione procedat.

4. Bien que le ministre du sacrement doive s’efforcer de garder son cœur autant qu’il le peut, afin que, dans les paroles de la forme sacramentelle, il ait une intention actuelle, toutefois, parce que la pensée est très mobile, même s’il n’a pas l’intention actuelle au moment où il profère les paroles, pourvu qu’il en ait eu au préalable l’intention et qu’une intention contraire ne soit pas survenue, le sacrement n’est pas empêché, car il agit alors en vertu de l’intention principale. En effet, il n’est pas nécessaire pour l’action que l’intention soit toujours associée, mais il suffit que l’action procède de l’intention.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14404] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod rectum est cujus medium non exit ab extremis. Sacramentum autem Baptismi est quo mediante acquiritur effectus Baptismi in anima baptizati; unde tunc est recta intentio quando baptizans seu baptizatus sacramentum ordinat ad effectum sacramenti, qui est salus. Si ergo intentio adsit in baptizante, quia intendit sacramentum conferre; sed desit rectitudo, quia ordinat sacramentum ad finem indebitum; non propter hoc in recipiente impeditur perceptio sacramenti, quia ad hoc fertur intentio baptizantis; neque effectus sacramenti, quia mundatio interior a ministro non est, unde ejus intentio ad hoc nihil facit. Si autem in baptizato sit intentio percipiendi sacramentum, sed desit rectitudo intentionis, recipit quidem quod intendit sacramentum, sed non rem sacramenti: quia obicem per pravam intentionem spiritui sancto ponit.

Est droit ce dont le milieu ne s’écarte pas des extrêmes. Or, par l’intermédiaire du sacrement de baptême, est acquis l’effet du baptême dans l’âme du baptisé. L’intention est donc droite lorsque celui qui baptise ou le baptisé ordonnent le sacrement à l’effet du sacrement, qui est le salut. Si donc existe l’intention chez celui qui baptise parce qu’il a l’intention de conférer le sacrement, mais que fait défaut la rectitude, parce qu’il ordonne le sacrement à une fin inappropriée, la réception du sacrement n’est pas pour autant empêchée chez celui qui le reçoit, car l’intention de celui qui baptise porte sur cela. L’effet du sacrement n’est pas non plus empêché, car la purification intérieure ne vient pas du ministre ; aussi son intention n’y est-elle pour rien. Mais si existe chez le baptisé l’intention de recevoir le sacrement, mais fait défaut la rectitude de l’intention, il reçoit ce que vise le sacrement, mais non la réalité du sacrement, car, par son intention mauvaise, il fait obstacle à l’Esprit Saint.

[14405] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ad sacramentum requiratur intentio faciendi quod facit Ecclesia, non tamen requiritur quasi de necessitate sacramenti existens, facere quod facit Ecclesia propter hoc quod Ecclesia facit: et in hoc consistit rectitudo intentionis.

1. Bien que l’intention de faire ce que fait l’Église soit nécessaire au sacrement, il n’est cependant pas requis, comme si cela était nécessaire au sacrement, de faire ce que fait l’Église pour la raison pour laquelle l’Église le fait. Et c’est en cela que consiste la rectitude d’intention.

[14406] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus non habet bonitatem ex ministro, sicut alia operatio voluntaria habet bonitatem ex operante; et ideo non est simile.

2. Le baptême ne reçoit pas sa bonté du ministre, comme une autre opération volontaire reçoit sa bonté de celui qui l’accomplit. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14407] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in Baptismo baptizatus duo recipit, scilicet sacramentum, et rem sacramenti; sed ad haec duo recipienda non requiritur aliquid causans ex parte recipientis, sed solum impedimentum removens: quod quidem impedimentum nihil aliud est quam voluntas contraria alteri praedictorum; et ideo in adultis et in habentibus usum rationis, in quibus potest esse contraria voluntas actu vel habitu, requiritur et contritio; sive devotio, ad percipiendam rem sacramenti, et intentio, vel voluntas ad recipiendum sacramentum; in pueris autem absque utroque percipitur et sacramentum et res sacramenti; et similiter est in carentibus usu rationis, nisi contraria voluntas habitu insit, etsi non actu. Tamen sciendum, quod non requiritur in adulto voluntas absoluta suscipiendi quod Ecclesia confert, sed sufficit voluntas conditionata, sicut est in voluntariis mixtis, ut dicitur in 3 Ethic.; et ideo si sit coactio sufficiens, ita quod principium sit ex toto extra, nil conferente vim passo, ut cum aliquis reclamans immergitur violenter, tunc talis nec sacramentum suscipit, nec rem sacramenti. Si autem sit coactio inducens, sicut minis vel flagellis, ita quod baptizatus potius eligat Baptismum suscipere quam talia pati; tunc suscipit sacramentum, sed non rem sacramenti.

 

Par le baptême, le baptisé reçoit deux choses : le sacrement et la réalité du sacrement. Or, pour recevoir ces deux choses, n’est pas nécessaire quelque chose qui agisse comme une cause de la part de celui qui reçoit, mais qui enlève seulement un empêchement, empêchement qui n’est rien d’autre qu’une volonté contraire à une autre parmi les choses mentionnées. C’est pourquoi, chez les adultes et chez ceux qui ont l’usage de la raison, chez qui peut exister une volonté contraire en acte ou en habitus, la contrition est aussi requise ou la dévotion pour recevoir la réalité du sacrement, et l’intention ou la volonté de recevoir le sacrement. Mais, chez les enfants, le sacremnet et la réalité du sacrement sont reçus sans ces deux choses. De même en est-il chez ceux à qui la raison fait défaut, à moins qu’ils aient une volonté contraire en habitus, même s’ils ne l’ont pas en acte. Toutefois, il faut savoir que n’est pas nécessaire chez l’adulte la volonté absolue de recevoir ce que confère l’Église, mais que suffit la volonté conditionnée, comme cela existe dans les réalités volontaires mixtes, comme il est dit dans Éthique, III. C’est pourquoi, s’il existe une coercition suffisante, telle que le principe vienne entièrement de l’extérieur sans que celui qui subit y contribue, comme lorsque quelqu’un crie alors qu’il est submergé, celui-là ne reçoit ni le sacrement ni la réalité du sacrement. Mais si la coercition est incitative, comme par des menaces ou des coups, telle que le baptisé choississe plutôt le baptême que de supporter de telles choses, alors il reçoit le sacrement, mais non la réalité du sacrement.

[14408] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio vel voluntas in baptizato, ut dictum est, non requiritur quasi causans deletionem culpae originalis, sed solum quasi removens prohibens, scilicet contrariam voluntatem.

1. Comme on l’a dit, l’intention ou la volonté chez le baptisé n’est pas nécessaire en tant qu’elle cause la destruction de la faute originelle, mais seulement en tant qu’elle enlève ce qui l’empêche, telle une volonté contraire.

[14409] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in pueris non potest esse contraria voluntas neque actu neque habitu; et ideo non requiritur voluntas vel intentio in eis, qua prohibens removeatur. In amentibus autem et dormientibus potest esse voluntas contraria habitualis, quamvis non sit actualis; et ideo si ante somnum vel furiam fuerunt contrariae voluntatis, non recipiunt sacramentum, quia adhuc illa voluntas habitualiter manet. Si autem habuerunt propositum recipiendi Baptismum, et hoc per aliqua signa innotuit, tunc in articulo necessitatis debet eis conferri Baptismus; et suscipiunt sacramentum et rem sacramenti, etiam si furiosus tunc contradicat: quia illa contradictio non procedit a voluntate rationis, secundum quam est capax baptismalis gratiae. Si autem necessitas non sit, debet in furiosis expectari lucidum intervallum, vel in dormientibus vigilia. Si tamen baptizetur in statu illo, sacramentum suscipit, quamvis peccet baptizans.

2. Chez les enfants, il ne peut y avoir de volonté contraire ni en acte, ni en habitus. C’est pourquoi la volonté ou l’intention n’est pas nécessaire chez eux, par laquelle serait enlevé un obstacle. Chez les fous et chez ceux qui dorment, il peut exister une volonté habituelle contraire, bien qu’elle ne soit pas actuelle. C’est pourquoi, si avant le sommeil ou la folie ils avaient une volonté contraire, ils ne reçoivent pas le sacrement, car cette volonté habituelle demeure. Mais s’ils avaient le propos de recevoir le baptême et que cela a été exprimé par certains signes, alors, en cas de nécessité, le baptême doit leur être conféré. Ils reçoivent alors le sacrement et la réalité du sacrement, même si le forcené s’y oppose alors, car cette opposition ne procède pas de la volonté selon la raison, selon laquelle il est capable de la grâce baptismale. Mais s’il n’y a pas urgence, il faut attendre pour les fous une période de lucidité ou, pour ceux qui dorment, qu’ils soient à l’état de veille. Toutefois, s’il est baptisé dans cet état, il reçoit le sacrement, bien que celui qui baptise pèche.

[14410] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas vel intentio Baptismum suscipiendi non requiritur ad Baptismum quasi causa vel dispositio characteris, sed solum sicut removens prohibens: ideo ratio non valet.

3. La volonté ou l’intention de recevoir le baptême n’est pas nécessaire pour le baptême en tant que cause ou disposition au caractère, mais seulement en tant qu’elle enlève un obstacle. L’argument ne vaut donc pas.

 

 

Articulus 3 [14411] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 tit. Utrum in baptizato fides requiratur

Article 3 – Est-ce que la foi est nécessaire chez le baptisé ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La foi est-elle nécessaire chez le baptisé pour qu’il reçoive le sacrement ?]

[14412] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in baptizato fides requiratur ad hoc quod sacramentum suscipiat. Baptismus enim sacramentum fidei dicitur. Sed nonnisi propter fidem recipientis ipsum. Ergo requiritur fides baptizandi.

1. Il semble que, chez le baptisé, la foi soit nécessaire pour qu’il reçoive le sacrement. En effet, le baptême est appelé sacrement de la foi. Or, ce n’est qu’en raison de la foi de celui qui le reçoit. La foi chez celui qui doit être baptisé est donc nécessaire.

[14413] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Marc. ult. 16, dicitur: qui crediderit et baptizatus fuerit. Ergo videtur quod requiritur in adulto quod credat ad hoc quod baptizetur.

2. Il est dit en Mc 16, 16 : Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Il semble donc qu’il soit nécessaire pour l’adulte de croire afin d’être baptisé.

[14414] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides essentialior est sacramento quam voluntas. Sed voluntas requiritur, ut dictum est. Ergo multo amplius fides.

3. La foi est plus essentielle au sacrement que la volonté. Or, la volonté est nécessaire, comme on l’a dit. Donc, encore bien davantage la foi.

[14415] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Sed contra, adulti non sunt pejoris conditionis quam pueri. Sed in pueris sufficit fides Ecclesiae ad Baptismum, et non requiritur fides personae illius. Ergo nec in adultis.

4. La condition de l’adulte n’est pas pire que celle de l’enfant. Or, pour les enfants, la foi de l’Église suffit pour le baptême, et la foi de cette personne n’est pas nécessaire. Donc, chez les adultes non plus.

[14416] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, caritas propinquior est ad gratiam quam fides: quia caritas non potest esse sine gratia sicut fides. Sed non requiritur caritas in recipiente Baptismum, quia sic nullus adultus de novo acciperet ibi gratiam. Ergo non requiritur fides.

5. La charité est plus proche de la grâce que la foi, car la charité ne peut exister sans la grâce comme la foi. Or, la charité n’est pas requise pour le baptême, car ainsi aucun adulte n’y recevrait à nouveau la grâce. La foi n’est donc pas nécessaire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La foi est-elle requise chez celui qui baptise ?]

[14417] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod requiratur fides in baptizante. Requiritur enim in baptizante intentio conferendi sacramentum. Sed infidelis quantum ad articulum Baptismi non credit sacramentum Baptismi. Ergo non potest intendere conferre illud, et ita non potest baptizare.

1. Il semble que la foi soit requise chez celui qui baptise. En effet, chez celui qui baptise, l’intention de conférer le baptême est nécessaire. Or, l’infidèle, en cas de nécessité du baptême, ne croit pas au sacrement du baptême. Il ne peut donc pas avoir l’intention de le conférer, et ainsi il ne peut baptiser.

[14418] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Baptismus est sacramentum Ecclesiae. Sed fides est per quam membra Ecclesiae primo ad invicem uniuntur. Ergo qui non habet fidem, nec potest baptizare, cum non sit de Ecclesia.

2. Le baptême est un sacrement de l’Église. Or, c’est par la foi que les membres de l’Église sont d’abord unis. Celui qui n’a pas la foi ne peut donc pas baptiser, puisqu’il ne fait pas partie de l’Église.

[14419] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, propinquius se habet ad Baptismum baptizans quam offerens puerum ad baptizandum. Sed in offerente requiritur fides, quia respondet, credo. Ergo multo fortius requiritur in baptizante.

3. Celui qui baptise est plus proche du baptême que celui qui présente l’enfant pour qu’il soit baptisé. Or, la foi est nécessaire chez celui qui présente [l’enfant], car il répond : «Je crois.» [La foi] est donc bien davantage requise chez celui qui baptise.

[14420] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra est quod in littera determinatur, quod haeretici verum Baptismum conferunt. Haeretici autem infideles sunt. Ergo et cetera.

S.c. 1 – En sens contraire, il est précisé dans le texte que les hérétiques confèrent un vrai baptême. Or, les hérétiques sont des infidèles. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ceux qui reçoivent le baptême de la part d’hérétiques obtiennent-ils la réalité du sacrement ?]

[14421] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod recipientes Baptismum ab haereticis non consequantur rem sacramenti. Quia Augustinus dicit, quod qui foris Ecclesiam baptizantur, non sumunt Baptismum ad salutem, sed ad perniciem. Sed baptizati ab haereticis sumunt Baptismum extra Ecclesiam. Ergo non sumunt ad salutem; et ita rem sacramenti non consequuntur.

1. Il semble que ceux qui reçoivent le baptême de la part d’hérétiques n’obtiennent pas la réalité du sacrement, car Augustin dit que ceux qui sont baptisés en dehors de l’Église ne reçoivent pas le baptême pour leur salut, mais pour leur perte. Or, ceux qui sont baptisés par des hérétiques reçoivent le baptême hors de l’Église. Ils ne le reçoivent donc pas pour leur salut. Et ainsi, ils n’obtiennent pas la réalité du sacrement.

[14422] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quicumque accipit aliquid ab aliquo qui non habet jus dandi illud, injuste accipit. Sed haereticus non habet jus dandi Baptismum, ut dicit Augustinus: si, inquit, haereticus jus baptizandi non habuit, tamen Christi est quod dedit. Ergo accipiens ab haeretico, injuste accipit, et ita peccat.

2. Quiconque reçoit de quelqu’un quelque chose qu’il n’a pas le droit de donner le reçoit injustement. Or, l’hérétique n’a pas le droit de donner le baptême, comme le dit Augustin : «Si l’hérétique n’a pas le droit de baptiser, c’est cependant le Christ qui l’a fait.» Celui qui reçoit [le baptême] de la part d’hérétiques le reçoit donc injustement, et ainsi il pèche.

[14423] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra, peccatum baptizantis non polluit Baptismum, ut dictum est supra. Sed infidelitas est quoddam peccatum. Ergo non impedit effectum Baptismi in baptizato.

S.c. 1 – En sens contraire, le péché de celui qui baptise ne souille pas le baptême, comme on l’a dit plus haut. Or, l’infidélité est un péché. Elle n’empêche donc pas l’effet du baptême chez celui qui est baptisé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14424] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum quaeritur utrum fides requiratur, velut necessaria ad Baptismum, non intelligitur quaestio de necessitate absoluta, sed de necessitate quae est ex conditione finis. Est autem duplex finis in baptizatis. Primus est perceptio sacramenti; secundus est perceptio rei sacramenti. Dico ergo, quod in adultis requiritur fides etiam personalis necessitate quae est ex suppositione finis secundi: quia nisi credat, reputatur fictus, ut supra, dist. 4, quaest. 3, art. 2, quaestiunc. 1, 2, et 3, dictum est, et ita non consequitur rem sacramenti. Non autem requiritur ad primum finem consequendum: quia sacramentum percipit aliquis etiam si non credat. Unde Augustinus dicit quod prorsus fieri potest ut aliqui verum Baptisma habeant, et non habeant veram fidem. In parvulis autem sufficit fides Ecclesiae ad utrumque.

Lorsque qu’on demande si la foi est requise en tant que nécessaire au baptême, la question ne s’entend pas d’une nécessaité absolue, mais selon une nécessité conditionnelle en regard de la fin. Or, il y a une double fin chez les baptisés. La première est la réception du sacrement ; la seconde est la réception de la réalité du sacrement. Je dis donc que, chez les adultes, la foi, même personnelle, est requise selon une nécessité qui vient de la seconde fin, car, à moins qu’il ne croie, il est considéré agir par feinte, comme on l’a dit d. 4, q. 3, a. 2, qa 1, 2 et 3. Et ainsi, il ne reçoit pas la réalité du sacrement. Mais elle n’est pas requise pour atteindre la première fin, car on reçoit le sacrement même si l’on ne croit pas. Aussi Augustin dit-il qu’il ne peut pas du tout arriver que certains reçoivent un vrai baptême sans avoir la vraie foi. Mais, chez les enfants, la foi de l’Église suffit pour les deux [fins].

[14425] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus dicitur fidei sacramentum, quia per eum homo coetibus fidelium aggregatur; et ideo qui accipit Baptismum, ostendit se fidem habere; et si non habet, reputatur fictus, et rem sacramenti cum sacramento percepto non percipit.

1. Le baptême est appelé le sacrement de la foi parce que, par lui, un homme est intégré aux communautés de fidèles. C’est pourquoi celui qui reçoit le baptême montre qu’il a la foi. Et s’il ne l’a pas, on condière qu’il feint et qu’il ne reçoit pas la réalité du sacrement en recevant le sacrement.

[14426] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus in verbis illis ostendit quid requiritur in baptizando ad salutem consequendam, quae est res sacramenti; unde subdit: qui crediderit et baptizatus fuerit, salvus erit.

2. Par ces paroles, le Seigneur montre ce qui est requis chez celui qui doit être baptisé afin qu’il reçoive le salut, qui est la réalité du sacrement : Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé.

[14427] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacramentum Baptismi in anima recipitur quantum ad characterem. Anima autem non potest alicui subjici invita; et ideo voluntas seu intentio facit ad hoc quod homo se sacramento subjiciat; sed fides facit ad hoc quod debito modo se subjiciat. Unde fides requiritur tantum ad perceptionem rei sacramenti, sed intentio ad perceptionem rei simpliciter.

3. Le sacrement du baptême est reçu dans l’âme pour ce qui est du caractère. Or, l’âme ne peut être soumise à quelqu’un malgré elle. C’est pourquoi la volonté ou l’intention fait en sorte que l’homme se soumette au sacrement ; mais la foi [fait en sorte] qu’il le fasse de la manière appropriée. Aussi la foi est-elle requise seulement pour recevoir la réalité du sacrement, mais l’intention, pour recevoir la réalité tout simplement.

[14428] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Et quia aliae rationes probant, quod nec quantum ad ultimum effectum fides requiratur, ideo ad quartum dicendum, quod in pueris non potest esse contrarium gratiae baptismalis ex personali voluntate; et ideo non requiritur personalis fides, sicut requiritur in adultis ad consequendam rem sacramenti, in quibus potest esse personalis infidelitas.

4. Les autres arguments montrent que la foi est requise par rapport à l’effet ultime. C’est pourquoi il faut dire, à propos du quatrième, que, chez les enfants, il ne peut y avoir rien de contraire à la grâce baptismale par volonté personnelle. Aussi la foi personnelle n’est-elle pas requise [d’eux], comme elle est requise chez les adultes, pour obtenir la réalité du sacrement, chez qui peut exister une infidélité personnelle.

[14429] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod recta intentio requiritur ad consequendam rem sacramenti. Fides autem intentionem dirigit, et sine ea non potest esse, praecipue in talibus, intentio recta; sed caritas ulterius facit intentionem meritoriam; et ideo ad hoc quod homo praeparet se ad gratiam in Baptismo percipiendam, praeexigitur fides, sed non caritas: quia sufficit attritio praecedens, etsi non sit contritio.

5. L’intention droite est requise pour obtenir la réalité du sacrement. Or, la foi dirige l’intention et, sans elle, il ne peut exister d’intention droite, surtout en de telles matières. Mais la charité rend en plus l’intention méritoire. C’est pourquoi, pour que l’homme se prépare à recevoir la grâce par le baptême, la foi est prérequise, mais non la charité, car l’attrition qui précède suffit, même s’il n’y a pas contrition.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14430] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod dum haereticus vel quicumque infidelis debitam formam servet, et intentionem baptizandi habeat, verum sacramentum confert: quia Baptismus non habet efficaciam ex merito baptizantis, sed ex merito Christi, quod operatur in baptizato per fidem propriam in adultis, vel per fidem Ecclesiae in pueris.

Pourvu qu’un hérétique ou n’importe quel infidèle observe la forme appropriée et ait l’intention de baptiser, il confère un vrai sacrement, car le baptême ne reçoit pas son efficacité du mérite de celui qui baptise, mais du mérite du Christ, qui agit chez le baptisé par la foi personnelle, chez les adultes, ou par la foi de l’Église chez les enfants.

[14431] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ille qui non credit Baptismum esse sacramentum, aut habere aliquam spiritualem virtutem, non intendat dum baptizat conferre sacramentum; tamen intendit facere quandoque quod facit Ecclesia, etsi illud reputet nihil esse; et quia Ecclesia, aliquid facit, ideo ex consequenti et implicite intendit aliquid facere, quamvis non explicite.

1. Bien que celui qui ne croit pas que le baptême soit un sacrement ou qu’il possède une puissance spirituelle n’ait pas l’intention de conférer le sacrement lorsqu’il baptise, toutefois il arrive qu’il ait l’intention de faire ce que fait l’Église, même s’il estime que cela n’est rien. Et parce que l’Église fait quelque chose, il a donc par conséquent et implicitement l’intention de faire quelque chose, bien que ce ne soit pas de manière explicite.

[14432] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis haereticus per fidem rectam non sit membrum Ecclesiae, tamen inquantum servat morem Ecclesiae in baptizando, Baptismum Ecclesiae tradit; unde regenerat filios Christo et Ecclesiae, non sibi vel haeresi suae. Sicut enim Jacob genuit filios per liberas et ancillas, ita Christus per Catholicos et haereticos, bonos et malos, ut Augustinus dicit contra donatum ubi supra.

2. Bien que l’hérétique ne soit pas membre de l’Église par une foi droite, toutefois, pour autant qu’il observe néanmoins la coutume de l’Église en baptisant, il donne le baptême de l’Église. Il régénère donc des fils pour le Christ et pour l’Église, et non pour lui-même ou pour son hérésie. En effet, de même que Jacob engendra des fils de femmes libres et de servantes, de même le Christ [en engendre-t-il] de catholiques et d’hérétiques, de bons et de mauvais, comme le dit Augustin contre Donat, à l’endroit indiqué plus haut.

[14433] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non requiritur fides personalis offerentium puerum ad Baptismum, nec alicujus personae determinatae, sed solum fides Ecclesiae militantis; quam non est possibile deficere totaliter, Deo sic ordinante, qui dixit, Matth. ult., 20: ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi. Si tamen deficeret, illud suppleret quod de fide remansit in Ecclesia triumphante, scilicet visio: nec offerens puerum ad Baptismum in persona sua dicit, credo, sed in persona pueri, ut sit sensus: credo, idest, sacramentum fidei praesto sum recipere.

3. La foi personnelle ni celle d’aucune personne en particulier ne sont requises de la part de ceux qui présentent des enfants au baptême, mais seulement la foi de l’Église militante, qui ne peut faire totalement défaut, comme Dieu l’a établi, en disant, en Mt 28, 20 : Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin du temps. Toutefois, si elle faisait défaut, ce qui est resté de foi dans l’Église triomphante suppléerait, à savoir, la vision. Et celui qui présente un enfant au baptême ne dit pas : «Je crois», en son nom propre, mais au nom de l’enfant, de sorte que le sens est : «Je crois, c'est-à-dire, je suis disposé à recevoir le sacrement de la foi.»

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14434] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ille qui ab haeretico baptizatur, propter peccatum haeretici non privatur gratia Baptismatis, sed quandoque propter peccatum proprium. Unde si sit puer, in quem culpa actualis non cadit, si baptizatur in forma Ecclesiae, recipit sacramentum et rem sacramenti: similiter si sit adultus, et baptizans non sit haereticus manifestus et ab Ecclesia praecisus, vel si baptizatus sit in articulo necessitatis. Si autem sciat ipsum esse haereticum, et Baptismum ab ipso suscipiat, hoc contingit vel quia favet haeresi suae, vel in contemptum Ecclesiae, vel propter aliquod temporale commodum; et sic ipsemet peccat; unde proprio peccato obicem ponit spiritui sancto, ne consequatur rem sacramenti.

Celui qui est baptisé par un hérétique n’est pas privé de la grâce du baptême à cause du péché de l’hérétique, mais parfois à cause de son propre péché. Aussi, s’il est un enfant, qui n’est pas affecté par la faute actuelle, s’il est baptisé selon la forme de l’Église, il reçoit le sacrement et la réalité du sacrement. De même, s’il est adulte et que celui qui baptise n’est pas un hérétique manifeste et retranché de l’Église, ou si le baptisé est dans une situation d’urgence. Mais si [celui qui est baptisé] sait qu’il est hérétique et s’il reçoit de lui le baptême, cela arrive soit parce qu’il est favorable à son hérésie, soit par mépris de l’Église, soit pour un avantage temporel. Et ainsi lui-même pèche. Il fait donc obstacle à l’Esprit Saint par son propre péché, de sorte qu’il ne reçoit pas la réalité du sacrement.

[14435] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur in casu illo quando aliquis in favorem haeresis vel aliquo alio malo fine ab haeretico Baptismum suscipit.

1. Augustin parle du cas de celui qui est favorable à l’hérésie ou qui reçoit le baptême d’un hérétique pour une autre fin mauvaise.

[14436] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jus dandi Baptisma est ex duobus; scilicet ex ordine sacerdotali, et ex jurisdictione. In haeretico ergo ab Ecclesia praeciso manet jus dandi Baptisma quantum ad ordinem sacerdotalem, si primo in Ecclesia sacerdos fuerit; non tamen manet quantum ad jurisdictionem, quam amittit. Nec tamen sequitur quod Baptismum ab haeretico suscipiens, semper injuste accipiat, cum credit eum habere jus dandi, et non esse haereticum, vel in casu necessitatis, in quo quilibet habet potestatem baptizandi.

2. Le droit de donner le baptême vient de deux choses : de l’ordre sacerdotal et de la juridiction. Chez l’hérétique retranché de l’Église, le droit de donner le baptême demeure pour ce qui est de l’ordre sacerdotal, s’il avait d’abord été prêtre dans l’Église ; toutefois, il ne demeure pas pour ce qui est de la juridiction, qu’il a perdue. Toutefois, il n’en découle pas que celui qui reçoit le baptême d’un hérétique le reçoive toujours injustement, lorsqu’il croit que celui-là a le droit de le donner et qu’il n’est pas hérétique, ou dans un cas de nécessité, où tout le monde a le pouvoir de baptiser.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [À propos du rite du baptême]

 

Prooemium

Prologue

[14437] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 pr. Deinde quaeritur de ritu Baptismi; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de ritu ipsius Baptismi; 2 de ritu catechismi; 3 de ritu exorcismi.

Ensuite, on s’interroge sur le rite du baptême. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – à propos du rite du baptême lui-même ; 2 – à propos du rite du catéchisme ; 3 – à propos du rite de l’exorcisme.

 

 

Articulus 1 [14438] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 tit. Utrum Baptismus iterari possit

Article 1 – Est-ce que le baptême peut être répété ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le baptême peut-il être répété ?]

[14439] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Baptismus iterari possit. Quia Eucharistia est sacramentum excellentius quam Baptismus: quia est perfectio, secundum Dionysium. Sed Eucharistia iteratur. Ergo et Baptismus iterari potest.

1. Il semble que le baptême puisse être répété, car l’eucharistie est un sacrement plus élevé que le baptême, puisqu’elle est une perfection, selon Denys. Or, l’eucharistie est répétée. Le baptême aussi peut donc être répété.

[14440] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, gratia est principalior effectus Baptismi quam character. Sed gratia amittitur, quamvis character non deleatur. Ergo videtur quod ratione gratiae recuperandae Baptismus iterari debeat.

2. La grâce est un effet du baptême plus important que le caractère. Or, la grâce est perdue, alors que le caractère n’est pas détruit. Il semble donc que, pour récupérer la grâce, le baptême doive être répété.

[14441] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut ad unitatem actionis requiritur unitas temporis, ita et unitas agentis. Sed plures possunt aliquem simul baptizare, quia unus alium non impedit; et praecipue hoc necessarium est, si unus sit mutus, qui verba proferre non possit, et alius mancus, qui non possit immergere. Ergo et similiter potest aliquis pluries diversis temporibus baptizari.

3. De même que, pour l’unité d’action, l’unité de temps est nécessaire, de même l’unité d’agent. Or, plusieurs peuvent baptiser quelqu’un en même temps, car l’un n’empêche pas l’autre ; et cela est particulièrement nécessaire si l’un est muet et ne peut proférer de paroles, alors que l’autre est manchot et ne peut immerger. De la même manière, quelqu’un peut être baptisé plusieurs fois à divers moments.

[14442] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Ephes. 4, 5: una fides, unum Baptisma. Ergo iterari non debet.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit dans Ep 4, 5 : Une seule foi, un seul baptême. Il ne doit donc pas être répété.

[14443] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, Baptismus contra originale datur. Sed originale peccatum non iteratur. Ergo nec Baptismus iterari debet.

S.c. 2 – Le baptême est donné contre le péché [originel]. Or, le péché originel n’est pas répété. Le baptême ne doit donc pas être répété.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Doit-il exister deux moments déterminés pour le baptême ?]

[14444] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant esse illa duo tempora determinata ad Baptismum, scilicet sabbatum Paschae, et Pentecostes. Quia periculo quam citius succurrendum est. Sed homo propter fragilitatem naturae semper est in periculo vitae suae. Ergo non debet expectari tempus aliquod determinatum ad Baptismum, sed statim baptizari.

 

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir deux moments déterminés pour le baptême : le Samedi saint et la Pentecôte, car il faut venir aussitôt au secours de celui qui est en danger. Or, en raison de la fragilité de sa nature, la vie de l’homme est toujours exposée au danger. Il ne faut donc pas attendre un moment déterminé pour le baptême, mais être baptisé immédiatement.

[14445] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per Baptismum homo regeneratur in filium Dei ad imaginem Christi. Ergo praecipue in festo nativitatis Baptismus celebrari deberet.

2. Par le baptême, l’homme est régénéré pour devenir fils de Dieu à l’image du Christ. Le baptême devrait donc surtout être célébré lors de la fête de la Nativité.

[14446] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Baptismus Christi contulit aquis vim regenerativam. Sed Christus in die Epiphaniae baptizatus fuit. Ergo tunc praecipue homo deberet baptizari.

3. Le baptême du Christ a donné aux eaux une puissance régénératrice. Or, le Christ a été baptisé le jour de l’Épiphanie. L’homme doit donc être baptisé principalement à ce moment.

[14447] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Baptismus habet efficaciam a passione Christi. Ergo in die passionis dominicae magis deberet celebrari Baptismus, quam in sabbato Paschae.

4. Le baptême tire son efficacité de la passion du Christ. Le baptême devrait donc être célébré le jour de la passion du Seigneur plutôt que le Samedi saint.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les sacramentaux du baptême sont-ils correctement présentés par Denys ?]

[14448] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacramentalia Baptismi male ponantur a Dionysio. Ponit enim primo receptionem baptizandi ab episcopo quem summum sacerdotem dicit praesente omni Ecclesiae plenitudine. Debet enim baptizandus recipi ab eo qui est proprius Baptismi minister. Talis autem est sacerdos, et non episcopus. Ergo non oportet ponere receptionem ab episcopo.

1. Les sacramentaux du baptême sont mal présentés par Denys. En effet, il présente en premier lieu l’accueil par l’évêque, qu’il appelle suprême, de celui qui doit être baptisé, en présence de toute l’église. En effet, celui qui doit être baptisé doit être accueilli par celui qui est le ministre propre du baptême. Or, celui-ci est le prêtre, et non l’évêque. Il n’est donc pas nécessaire de présenter l’accueil par l’évêque.

[14449] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per manus impositionem datur spiritus sanctus ad robur; quod ad confirmationem pertinet, quae Baptismum sequitur. Ergo inconvenienter ponit quod episcopus baptizando recepto manus ei ante Baptismum imponit.

2. L’Esprit Saint est donné par l’imposition de la main comme une force, ce qui relève de la confirmation, qui suit le baptême. Il présente donc de manière inappropriée le fait que l’évêque, en accueillant celui qui doit être baptisé, lui impose la main avant le baptême.

[14450] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, baptizandis sal in os mittitur, et aures et nares sputo liniuntur. Cum ergo de his Dionysius mentionem non faciat, videtur quod sacramentalia Baptismi ponat insufficienter.

3. On met du sel dans la bouche de ceux qui doivent être baptisés, et de la salive est appliquée sur leurs oreilles et leurs narines. Comme Denys ne mentionne pas ces choses, il semble qu’il présente de manière insuffisante les sacramentaux du baptême.

[14451] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, ipse ponit olei inunctionem ante Baptismum, quo inungitur Christianus quasi ad pugnam, ut ipse dicit. Sed ad pugnam spiritualem praecipue ordinatur sacramentum confirmationis. Ergo videtur quod talis inunctio non debet fieri in Baptismo.

4. [Denys] présente l’onction d’huile avant le baptême, par laquelle le chrétien est oint en vue du combat, comme il le dit lui-même. Or, c’est le sacrement de confirmation qui est principalement ordonné au combat spirituel. Il semble donc qu’une telle onction ne doive pas être faite lors du baptême.

[14452] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, sacramenta sunt distincta. Ergo videtur quod non debeat simul cum Baptismo connumerare Eucharistiae perceptionem, et sacri chrismatis linitionem.

5. Les sacrements sont distincts. Il semble donc qu’il ne faille pas mentionner avec le baptême la réception de l’eucharistie et l’onction du saint chrême.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14453] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod Baptismus nullo modo iterari debet propter quatuor rationes. Prima sumitur ex morbo contra quem datur, scilicet originale peccatum, quod non iteratur; unde nec medicina iterari debet. Secunda sumitur ex re sacramenti: quia in Baptismo deletur culpa et poena totaliter. Unde si frequenter liceret homini Baptismum suscipere, esset quaedam provocatio ad peccandum: quia facilitas veniae incentivum praebet delinquendi, ut dicit Gregorius. Tertia sumitur ex sua significatione: quia configurat morti Christi, qui semel tantum mortuus est. Quarta sumitur ex ipso sacramento, scilicet charactere, qui indelebiliter manet; unde fieret injuria sacramento si Baptismus iteraretur, quasi prima sanctificatio non suffecisset; et iterum, quia ipsum sacramentum regeneratio quaedam est: cujuslibet autem generatio est tantum semel. Quod autem nescitur esse factum, non iteratur. Unde si inveniatur pro certo aliquis defectus fuisse in Baptismo eorum quae sunt de essentia sacramenti, debet absolute iterum baptizari sub hac forma: baptizo te, si non es baptizatus, in nomine patris et cetera.

Le baptême ne doit d’aucune manière être répété pour quatre raisons. La première vient de la maladie contre laquelle il est donné, à savoir, le péché originel, qui n’est pas répté. Le remède ne doit donc pas non plus être répété. La deuxième vient de la réalité du sacrement, car la faute et la peine sont entièrement effacées par le baptême. Ainsi, s’il était permis à l’homme de recevoir souvent le baptême, ce serait une incitation à pécher, car «la facilité du pardon incite à pécher», comme le dit Grégoire. La troisième vient de sa signification, car il rend conforme à la mort du Christ, qui est mort une seule fois. La quatrième vient du sacrement lui-même, à savoir, du caractère, qui demeure de manière indélébile. Il serait donc fait tort au sacrement si le baptême était répété, comme si la première sanctification n’avait pas suffi. De plus, le sacrement lui-même est une certaine régénération. Or, la génération de tous n’a lieu qu’une fois. Mais ce dont on ne sait pas si cela a eu lieu n’est pas répété. De sorte que si l’on constate avec certitude une certaine carence dans le baptême, affectant ce qui fait partie de l’essence du sacrement, le baptême doit être absolument répété sous cette forme : «Je te baptise, si tu n’es pas baptisé, au nom du Père, etc.»

[14454] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in Eucharistiae sacramento sanctificatur materia, ita in Baptismo sanctificatur recipiens characteris impressionem. Unde sicut fieret injuria Eucharistiae, si hostia consecrata consecraretur iterum; ita fit injuria Baptismo, si aliquis semel baptizatus iterum baptizaretur: quia sicut ibi sanctificatio refertur ad materiam, ita hic ad suscipientem sacramentum.

 

1. De même que, dans le sacrement de l’eucharistie, la matière est sanctifiée, de même, dans le baptême, celui qui reçoit l’impression du caractère est-il sanctifié. De même qu’on ferait injure à l’eucharistie, si l’hostie consacrée était à nouveau consacrée, de même serait-il fait injure au baptême, si quelqu’un qui est déjà baptisé était baptisé de nouveau. Car, de même que là la sanctification se rapporte à la matière, de même ici [se rapporte-t-elle] à celui qui reçoit le sacrement.

[14455] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis gratia sit dignior effectus Baptismi quam character, et sit quodammodo principalior; non tamen est ita proprius effectus ejus, et in hoc non ita principalis: quia gratia amissa, per alia sacramenta recuperari potest; et ideo non oportet quod ad ipsam recuperandam iteretur Baptismus.

2. Bien que la grâce soit un effet du baptême plus digne que le caractère et soit, d’une certaine manière, plus importante, toutefois elle n’en est pas un effet aussi propre et ainsi, elle n’est pas aussi importante, car la grâce perdue peut être récupérée par d’autres sacrements. C’est pourquoi il n'est pas nécessaire que le baptême soit répété pour la récupérer.

[14456] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si plures simul immergerent, ita quod uterque diceret, ego te baptizo etc., baptizatum esset; quamvis peccarent non servantes ritum Ecclesiae: nec tamen essent puniendi tamquam iterantes Baptisma, nisi hoc intenderent: quia contingit eamdem actionem et ab uno et a pluribus exerceri; non autem contingit eamdem actionem esse quae in diversis temporibus fit. Si autem dicant: nos baptizamus te, non erit Baptismus: quia non servatur debita forma, ut supra, dist. 3, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 2, dictum est. Similiter non erit Baptismus, si unus sit mancus et alius mutus, uno proferente verba, et alio immergente: quia ipsa verba formae ostendunt quod ab eodem debet fieri immersio et verborum pronuntiatio.

3. Si les deux immergeaient ensemble, de sorte que les deux diraient: «Je te baptise, etc.», il aurait été baptisé, bien qu’ils auraient péché en n’observant pas le rite de l’Église. Toutefois, ils ne devraient pas être punis comme s’ils avaient répété le baptême, à moins qu’ils en aient eu l’intention, car il arrive que la même action soit exercée par un seul et par plusieurs, mais il n’arrive pas que ce soit la même action qui soit posée à divers moments. Mais s’ils disent : «Nous te baptisons», il n’y aura pas de baptême, car la forme appropriée n’est pas observée, comme on l’a dit plus haut, d. 3, q. 1, a. 2, qa 2. De même, il n’y aura pas baptême si l’un est manchot et l’autre muet, alors qu’un seul prononce les paroles et l’autre fait l’immersion, car les paroles mêmes de la forme montrent que l’immersion et la prononciation des paroles doivent être faites par le même.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14457] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in Baptismo duo considerantur; scilicet substantia sacramenti, et solemnitas; et quantum ad substantiam sacramenti non est aliquod tempus determinatum ad Baptismum; immo quolibet die et qualibet hora Baptismus celebrari potest. Sed solemnis celebratio Baptismi in Ecclesia habet tempus deputatum, scilicet duplex sabbatum, de quo in littera dicitur; cujus ratio est, quia Baptismus habet efficaciam ex duobus; scilicet ex virtute spiritus sancti; et ideo in vigilia Pentecostes celebratur solemniter Baptismus: item ex passione Christi, cujus morti aliquis configuratur per Baptismum quasi consepultus Christo in mortem, ut dicitur, Rom. 6; et ideo celebratur solemniter in die sepulturae Christi, idest in vigilia Paschae.

Dans le baptême, deux choses sont considérées : la substance du sacrement et sa solennité. Pour ce qui est de la substance du sacrement, aucun moment n’est déterminé pour le baptême ; bien plus, le baptême peut être célébré n’importe quel jour et à n’importe quelle heure. Mais la célébration solennelle du baptême dans l’Église a un moment assigné, à savoir, les deux samedis dont on parle dans le texte. La raison en est que le baptême tire son efficacité de deux choses : la puissance du Saint-Esprit, et c’est la raison pour laquelle le baptême est célébré solennellement lors de la vigile de la Pentecôté ; et aussi la passion du Christ, à la mort duquel l’on est rendu conforme par le baptême, comme si l’on était enseveli avec lui dans la mort, comme il est dit dans Rm 6. Et c’est la raison pour laquelle il est célébré solennellement le jour de la sépulture du Christ, c’est-à-dire durant la vigile pascale.

[14458] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in necessitate non oportet expectare ista duo tempora. Unde dicitur, de Consecr., dist. 3: de catechumenis baptizandis in decretum est ut in paschali festivitate vel Pentecostes veniant ad Baptismum; in ceteris autem solemnitatibus infirmi tantum debent baptizari. Et quia pueri infirmi computantur propter naturae imbecillitatem, et propter periculum damnationis, a qua non possunt aliter liberari; ideo nunc ipsi pueri baptizantur ut in pluribus, et non expectantur haec duo tempora, sicut in adultis expectari solebant.

1. En cas de nécessité, il ne faut pas attendre ces deux moments. Ainsi est-il dit [dans le Décret], «Sur la consécration», d. 3 : «À propos des catéchumènes qui doivent être baptisés, il a été décrété qu’il s’approchent du baptême lors de la fête de Pâques ou de la Pentecôte. Lors des autres solennités, les malades seulement doivent être baptisés.» Et parce que les enfants sont comptés au nombre des malades en raison de la faiblesse de la nature et du danger de damnation, dont ils ne peuvent être autrement libérés, c’est la raison pour laquelle maintenant les enfants eux-mêmes sont immédiatement baptisés dans la plupart des cas, et pour laquelle on n’attend pas ces deux moments, comme on avait coutume de les attendre pour les adultes.

[14459] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in festo nativitatis recolitur nativitas domini secundum carnem. Nos autem non efficimur fratres ejus nativitate carnis, sed spiritus; et ideo non oportet quod tunc Baptismus celebretur.

2. Lors de la fête de la Nativité, on rappelle la naissance du Seigneur selon la chair. Mais nous, nous ne devenons pas ses frères par la naissance charnelle, mais [par la naissance] selon l’Esprit. Il n’est donc pas nécessaire que le baptême soit célébré à ce moment-là.

[14460] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per Baptismum Christi est tantum materia praeparata ad actum Baptismi; sed virtus agens in Baptismo est meritum passionis Christi, et virtus spiritus sancti. Et quia agens in omnibus est principalius quam materia, ideo potius in duobus determinatis temporibus Baptismus celebrari debet quam in Epiphania. Tamen ideo non est specialiter institutum Baptismum celebrari in die illa, ut excluderetur error quorumdam, qui dicebant, nunquam Baptismum, posse conferri nisi in die illa qua dominus baptizatus est.

3. Par le baptême du Christ, seule la matière a été préparée en vue de l’acte du baptême. Mais la puissance agissante dans le baptême est le mérite de la passion du Christ et la puissance du Saint-Esprit. Et parce que l’agent est en toutes choses plus important que la matière, le baptême doit être plutôt célébré aux deux moments déterminés que lors de l’Épiphanie. Toutefois, il n’a pas été établi que le baptême devait être célébré ce jour-là au point d’écarter l’erreur de certains qui disaient que le baptême ne pouvait jamais être conféré que le jour où le Seigneur a été baptisé.

[14461] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo in Baptismo configuratur passioni Christi per modum cujusdam consepelitionis, ut apostolus, Rom. 6, dicit; et ideo in die sepulturae congruentius fit quam in die passionis.

4. Par le baptême, l’homme est rendu conforme à la passion du Christ comme étant enseveli avec lui, comme le dit l’Apôtre en Rm 6. C’est pourquoi [le baptême] est donné le jour de sa sépulture avec plus de convenance que le jour de sa passion.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14462] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Dionysius prosequitur ritum Baptismi qui in primitiva Ecclesia servabatur in solemni celebratione Baptismi, quando adulti ad Baptismum veniebant; et ideo quatuor per ordinem ponit; quorum primum pertinet ad catechismum, secundum ad exorcismum, tertium ad Baptismum, quartum ad Baptismi complementum. Quantum ad catechismum pertinent haec quae hic per ordinem tanguntur. Primo instructio de fide per praedicationem episcopi. Secundo conversio infidelis ad fidem, et accessus ad episcopum mediante patrino, quem anadochum dicit. Tertio gratiarum actio et oratio ab episcopo et clericis facta. Quarto petitio Baptismi et professio observantiae Christianae religionis. Quinto manus impositio, et signatio ejus signo crucis. Sexto conscriptio baptizandi et anadochi. Sed quantum ad exorcismum ponuntur quatuor. Primo exsufflatio versus Occidentalem partem, et abrenuntiatio. Secundo manuum ad caelum erectio cum sacra confessione fidei, et professione Christianae religionis. Tertio oratio, benedictio, et manus impositio. Quarto denudatio, et unctio oleo sancto, quod dicitur ad catechumenos. Sed quantum ad Baptismum ponit trinam immersionem cum aliis quae requiruntur ad Baptismum; quantum vero ad perfectionem Baptismi, quae consequitur, ponit tria scilicet vestis traditionem, linitionem chrismatis in vertice, et Eucharistiae perceptionem.

Denys suit le rite du baptême qui était observé dans l’Église primitive lors de la célébration solennelle du baptême, alors que des adultes s’approchaient du baptême. C’est pourquoi il présente quatre choses successivement : la première se rapporte au catéchisme ; la deuxième, à l’exorcisme ; la troisième, au baptême ; la quatrième, à un complément du baptême. Ce qui se rapporte au catéchisme est abordé successivement. Premièrement, l’instruction par la prédication de l’évêque à propos de la foi. Deuxièmement, la conversion de l’infidèle à la foi et sa venue auprès de l’évêque, accompagné de son parrain, qu’il appelle anadochos. Troisièmement, l’action de grâce et la prière faites par l’évêque et les clercs. Quatrièmement, la demande du baptême et la profession de l’observance de la religion chrétienne. Cinquièmement, l’imposition de la main et la marque faite sur lui du signe de la croix. Sixièmement, l’inscription de celui qui doit être baptisé et du parrain. Mais, en ce qui concerne l’exorcisme, quatre choses sont présentées. Premièrement, le souffle vers l’occident et la rénonciation. Deuxièmement, l’élévation des mains vers le ciel, accompagnée d’une sainte profession de foi et de la profession de la religion chrétienne. Troisièmement, la prière, la bénédiction et l’imposition des mains. Quatrièmement, la mise à nu et l’onction d’huile sainte, ce qui est dit pour les catéchumènes. En ce qui concerne le baptême, [Denys] présente la triple immersion avec les autres choses qui sont requises pour le baptême ; mais, en ce qui concerne la perfection du baptême qui suit, il présente trois choses : la passation du vêtement, l’onction avec le chrême sur le front et la réception de l’eucharistie.

[14463] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius tradit ritum Baptismi quantum ad maximam sui solemnitatem; et ideo non ponit solum ministrum sufficientem, sed excellentem.

1. Denys transmet le rite du baptême selon sa plus grande solennité. C’est pourquoi il ne présente pas seulement le ministre qui suffit, mais [le ministre] le plus élevé.

[14464] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa Baptismum ut ex praedictis patet, triplex manus impositio datur. Una in catechismo, ut homo in fide roboretur in seipso; alia in exorcismo, ut roboretur in pugna adversus Diabolum; tertia in confirmatione, ut roboretur in confessione fidei contra pressuras mundi.

2. Comme cela ressort de ce qui a été dit, il existe une triple imposition de la main lors du baptême. L’une, lors du catéchisme, afin que l’homme soit renforcé en lui-même dans la foi. Une autre, lors de l’exorcisme, afin qu’il soit renforcé dans le combat contre le Diable. La troisième, lors de la confirmation, afin qu’il soit renforcé dans la confession de la foi contre les afflictions du monde.

[14465] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de illis sacramentalibus quae pertinent ad solemnitatem Baptismi, quaedam fuerunt in primitiva Ecclesia quae nunc non sunt; et quaedam postea superaddita sunt. Unde exorcismo aliquid subtractum est, ut patet per ritum quem docet Rabanus, scilicet conversio ad Occidentalem partem et Orientalem; et aliquid additum, scilicet salis cibatio, et aurium et naris sputo linitio, ad designandum remotionem illorum quae praecipue possunt impedire fidei doctrinam, cujus sacramentum percipiendum est. Potest enim impediri ne recipiatur, et contra hoc adaperiuntur aures sputo ad recipiendum fidem ex auditu per verbum Dei, et nares ad quaerendum doctrinam fidei per odorem bonum notitiae suae sparsum in conversatione et doctrina sanctorum; ad similitudinem ejus quod dominus luto ex sputo facto linivit oculos caeci nati. Ideo autem oculi non liniuntur, quia visus inventioni servit, fides autem non est per inventionem humanam. Potest etiam impediri divulgatio fidei in confitentibus et docentibus ipsam; et ideo apponitur in ore sal discretionis, ut omnis sermo fidelium sit sale conditus.

3. Parmi ces sacramentaux qui se rapportent à la solennité du baptême, certains existaient dans l’Église primitive pour la solennité du baptême, qui n’existent plus maintenant, et certains ont été ajoutés par la suite. Ainsi, quelque chose a été enlevé à l’exorcisme, comme cela ressort du rite qu’enseigne Raban, à savoir, le fait de se tourner vers l’occident et l’orient, et quelque chose a été ajouté, à savoir, le fait de donner du sel à manger et de frotter les oreilles et les narines avec de la salive, pour indiquer l’enlèvement de qui peut le plus empêcher l’enseignement de la foi, dont le sacrement doit être reçu. En effet, il peut être empêché d’être reçu : contre cela, les oreilles sont ouvertes avec de la salive afin de recevoir la foi qui vient de l’écoute de la parole de Dieu, et les narines [le sont] afin de chercher l’enseignement de la foi par la bonne odeur de sa connaissance diffusée dans le comportement et l’enseignement des saints, comme le Seigneur a oint avec de la salive les yeux de l’aveugle né. C’est pourquoi les yeux ne sont pas oints, car la vue sert à la découverte, mais la foi ne relève pas de la recherche humaine. La diffusion de la foi peut être aussi empêchée chez ceux qui la confessent et l’enseignent. C’est pourquoi on dépose le sel de la discrétion dans la bouche, afin que toute parole des fidèles soit assaisonnée de sel.

[14466] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod circa Baptismum est triplex inunctio. Una ante Baptismum, quae fit oleo sancto, quod dicitur ad catechumenos et hoc secundum Dionysium et Ambrosium, fit in signum pugnae contra inimicum, sicut athletae inunguntur; vel secundum Rabanum, ut nullae reliquiae latentis inimici resideant: quia quod emollitum est, facilius ablui ab intrinsecis sordibus potest. Secunda fit post Baptismum chrismate in vertice, ut sicut per ablutionem aquae significatur emundatio a peccatis. Ita per chrismatis linitionem in vertice significetur gratia collata in mente ad bene operandum, ut odor boni exempli ad alios diffundatur. Tertia fit in confirmatione, de qua post dicetur.

4. Lors du baptême, il y a une triple onction. L’une, avant le baptême, qui est faite avec de l’huile sainte : elle est destinée aux catéchumènes. Selon Denys et Ambroise, elle est donnée en signe de combat contre l’ennemi, à la manière dont les athlètes sont oints ; ou, selon Raban, afin qu’aucun vestige de l’ennemi caché ne demeure, car ce qui a été ramolli peut être plus facilement lavé de ses souillures internes. La deuxième est donnée avec le chrême sur le front après le baptême, afin de signifier la purification des péchés, comme l’ablution avec l’eau, de sorte que, par l’onction de chrême sur le front, soit signifiée la grâce donnée à l’intérieur de l’esprit afin de bien agir ; ainsi, l’odeur du bon exemple se diffuse pour les autres. La troisième est donnée lors de la confirmation, dont on parlera plus loin.

[14467] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa linitio chrismatis non est sacramentum confirmationis, sed datur tantum in signum, sicut et vestis candida, et candela accensa; ut per vestem candidam significetur novitas vitae et puritas, per chrisma odor bonae famae, per candelam accensam veritas doctrinae. Eucharistiae autem perceptio non ponitur a Dionysio quasi sacramentale Baptismi, sed quia jam baptizatus est configuratus admittitur ad sacramentalem mensam; et iterum quia omne sacramentum per Eucharistiam consummatur, ut Dionysius dicit.

5. Cette onction avec le chrême n’est pas le sacrement de la confirmation, mais elle est donnée seulement comme un signe, comme le vêtement blanc et le cierge allumé. Par le vêtement blanc sont signifiées la vie nouvelle et la pureté ; par le chrême, l’odeur de la bonne réputation ; par le cierge allumé, la vérité de la doctrine. Mais la réception de l’eucharistie n’est pas présentée par Denys comme un sacramental du baptême, mais parce que celui qui a déjà été baptisé et qui est déjà rendu conforme est admis à la table sacramentelle, et aussi, parce que tout sacrement est consommé dans l’eucharistie, comme le dit Denys.

 

 

Articulus 2 [14468] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 tit. Utrum catechismus Baptismum praecedere debeat

Article 2 – Est-ce que le catéchisme doit précéder le baptême ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le catéchisme doit-il précéder le baptême ?]

[14469] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod catechismum Baptismum praecedere non debeat. Quia, sicut dicit Augustinus in Lib. de catechizandis rudibus: narratio plena est cum quisque primo catechizatur, ab eo quod scriptum est, in principio creavit Deus caelum et terram, usque ad praesentia tempora Ecclesiae. Sed hoc non potest fieri nisi longissimo tempore. Cum ergo periculosum sit tantum differri Baptismum, videtur quod non debeat Baptismum catechismus praecedere.

1. Il semble que le catéchisme ne doive pas précéder le baptême, car, comme le dit Augustin dans le livre La catéchèse des gens simples : «Le récit est complet lorsque chacun est d’abord catéchisé à propos de ce qui est écrit : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, jusqu’à l’époque présente de l’Église.» Or, cela ne peut se faire que sur une très longue période. Puisqu’il est dangereux de tellement reporter le baptême, il semble que le catéchisme ne doive pas précéder le baptême.

[14470] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Matth. 7, 6, dicitur: nolite sanctum dare canibus. Sed sanctum ibi dicitur doctrina sacra, quae non est committenda immundis, ut Dionysius dicit. Cum ergo non baptizati sint immundi, videtur quod non debeant catechizari non baptizati.

2. Il est dit en Mt 7, 6 : Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré. Or, on appelle ici «sacré» l’enseignement sacré, qui ne doit pas être confié aux impurs, comme le dit Denys. Puisque les non-baptisés sont impurs, il semble que les non-baptisés ne doivent pas être catéchisés.

[14471] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Baptismus est spiritualis regeneratio, per quam datur esse spirituale, ut Dionysius dicit. Sed prius est accipere esse quam doctrinam. Ergo Baptismus debet praecedere catechismum.

3. Le baptême est une régénération spirituelle, par laquelle il est donné d’exister spirituellement, comme le dit Denys. Or, il faut d’abord recevoir l’existence avant l’enseignement. Le baptême doit donc précéder le catéchisme.

[14472] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. ult., 19: docete omnes gentes, baptizantes eos et cetera. Ergo doctrina fidei quae ad catechismum pertinet, debet praecedere Baptismum.

S.c. 1 – En sens contraire, il est dit en Mt 28, 19 : Enseignez toutes les nations, les baptisant, etc. L’enseignement de la foi, qui relève du catéchisme, doit donc précéder le baptême.

[14473] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, nullus digne accedit ad Baptismum qui fictus accedit. Sed non credens reputatur fictus secundum Augustinum. Cum ergo fides sit ex auditu, auditus autem per verbum Christi, ut dicitur Rom. 10, videtur quod oporteat prius instrui aliquem per verbum Christi quam ad Baptismum accedat.

S.c. 2 – Personne ne s’approche du baptême par feinte. Or, le non-croyant est considéré comme quelqu’un qui feint, selon Augustin. Puisque la foi vient de l’écoute, et l’écoute, de la parole du Christ, comme il est dit en Rm 10, il semble qu’il faille d’abord être instruit par la parole du Christ avant de s’approcher du baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-ce que catéchiser est une fonction du prêtre ?]

[14474] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod catechizare non sit officium sacerdotis. Quia, secundum Dionysium in Ecclesiast. Hierarch., diaconi habent officium super omnes immundos, quia ipsi habent purgativam virtutem. Sed primus gradus immundorum sunt cathecumeni, ut ipse dicit. Ergo ad diaconos pertinet eorum instructio.

1. Il semble que catéchiser ne soit pas une fonction du prêtre, car, selon Denys, dans la Hiérarchie ecclésiastique, les diacres exercent leur fonction sur tous les impurs parce qu’ils ont une puissance purificatrice. Or, le premier degré des impurs, ce sont les catéchumènes, comme il le dit. Leur instruction relève donc des diacres.

[14475] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illius videtur esse instruere baptizandum cujus est ad Baptismum eum adducere. Hoc autem est anadochi, idest patrini, secundum Dionysium, et non sacerdotis. Ergo et catechizare non erit sacerdotis officium.

2. Il semble qu’il revient à celui qui doit le conduire au baptême d’instruire celui qui doit être baptisé. Or, cela relève de l’anadochos, c’est-à-dire du parrain, selon Denys, et non du prêtre. Catéchiser ne relèvera donc pas de la fonction du prêtre.

[14476] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Sed contra est quod dicit Nicolaus Papa: catechismi baptizandorum a sacerdotibus uniuscujusque Ecclesiae fieri possunt. Ergo videtur esse officium sacerdotum.

3. En sens contraire, le pape Nicolas dit : «Le catéchisme pour ceux qui doivent être baptisés peut être fait par les prêtres de chaque église.» Il semble donc que cela relève de la fonction des prêtres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les enfants doivent-ils être catéchisés ?]

[14477] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pueri non debeant catechizari. Frustra enim adhibetur instructio ei qui non est perceptibilis disciplinae. Sed puer non est perceptibilis disciplinae, quia non habet usum liberi arbitrii. Ergo non debet ei instructio adhiberi.

1. Il semble que les enfants ne doivent pas être catéchisés. En effet, c’est en vain que l’instruction est donnée à celui qui ne peut recevoir l’enseignement. Or, l’enfant ne peut recevoir l’enseignement, car il n’a pas l’usage du libre arbitre. On ne doit donc pas lui donner une instruction.

[14478] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in catechismo requiritur confessio fidei, et professio Christianae religionis, ut per Dionysium patet. Sed hoc per se puer facere non potest, nec aliquis pro puero: quia nullus potest ex voto alterius obligari. Ergo videtur quod non debeant pueri catechizari.

2. Pour le catéchisme, il faut une confession de la foi et une profession de la religion chrétienne, comme cela ressort de Denys. Or, l’enfant ne peut faire cela par lui-même, et personne ne le peut pour l’enfant, car personne ne peut être obligé par le vœu d’un autre. Il semble donc que les enfants ne doivent pas être catéchisés.

[14479] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si ipse pro puero confitetur ergo videtur quod ipse patrinus obligetur ad instruendum puerum de his quae pertinent ad fidem Christianam; et ita videtur quod sit valde periculosum puerum de sacro fonte levare, cum raro aliquis de pueri instructione curam gerat.

3. Si le parrain confesse pour l’enfant, il semble que le parrain lui-même soit obligé d’instruire l’enfant de ce qui se rapporte à la foi chrétienne. Et ainsi, il semble qu’il soit très dangereux de relever un enfant des fonts baptismaux, puisqu’il est rare que quelqu’un s’occupe de l’instruction de l’enfant.

[14480] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod ritus Baptismi debet in omnibus similiter observari, ut ostendatur unitas Baptismi. Si ergo adulti catechizantur, et similiter pueri catechizari debent.

S.c. 1 – En sens contraire, le rite du baptême doit être observé de la même façon par tous, afin que soit montrée l’unité du baptême. Si donc les adultes sont catéchisés, de la même façon les enfants doivent-ils l’être.

[14481] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 S.c. 2 Praeterea, ad hoc est generalis Ecclesiae consuetudo.

S.c 2 – Une coutume générale de l’Église va dans ce sens.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14482] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in aliis scientiis et doctrinis quaedam sunt communia, quibus ignoratis necesse est artem ignorare; quaedam autem propria, quae sine ignorantia illius doctrinae ignorari possunt; ita etiam in doctrina fidei quaedam dicuntur quae sunt fidei communia rudimenta, ad quae credenda explicite omnes tenentur, sicut est fides Trinitatis, et incarnationis, et passionis, et divini judicii, et providentiae Dei de factis hominum; et talis instructio catechismus dicitur: de aliis autem debet instrui post Baptismum temporis processu.

De même que, dans les autres sciences et enseignements, certaines choses sont communes, dont l’ignorance entraîne nécessairement l’ignorance de l’art, alors que d’autres sont propres, qui peuvent être ignorées sans qu’on ignore cet enseignement, de même aussi, dans l’enseignement de la foi, on parle de certaines choses qui sont les rudiments communs de la foi, que tous sont tenus de croire explicitement, comme la foi en la Trinité, en l’incarnation, en la passion, au jugement divin et à la providence de Dieu sur les actes des hommes. C’est une telle instruction qu’on appelle catéchisme. Mais on doit être instruit des autres choses après le baptême, au fil du temps.

[14483] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est necessarium quod omnia in particulari addiscat quae in tota Biblia continentur sed in quadam summa, ut scilicet videat quomodo in quolibet statu mundi Deo fuit cura de omnibus.

1. Il n’est pas nécessaire qu’il apprenne d’une manière particulière ce qui est contenu dans l’ensemble de la Bible, mais en résumé, afin qu’il voie comment, dans tous les états du monde, Dieu s’est occupé de tous.

[14484] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus loquitur de illis immundis qui fidei contrariantur non de illis qui ad fidem accedere volunt; unde sequitur: ne ipsi conversi dirumpant vos.

2. Le Seigneur parle des impurs qui s’opposent à la foi, et non de ceux qui veulent accéder à la foi. Aussi continue-t-il : De crainte qu’ils ne se retournent contre vous pour vous déchirer.

[14485] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod generatio naturalis non praesupponit aliquam cognitionem; et ideo non potest praeexistere aliqua instructio; sed spiritualis regeneratio praesupponit vitam naturalem; et ideo potest praeexistere aliqua instructio.

3. La génération naturelle ne présuppose pas une certaine connaissance; aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle soit précédée d’une certaine instruction. Mais la régénération spirituelle présuppose la vie naturelle; c’est pourquoi une certaine instruction peut la précéder.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14486] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod triplex est instructio fidei. Una admonitoria, qua quis ad fidem convertitur, et haec proprie est sacerdotum, quorum est praedicare et docere; unde et Dionysius, hanc instructionem episcopo attribuit. Alia est instructio disciplinalis, qua quis instruitur qualiter ad Baptismum accedere debet, et quid credere debeat; et haec pertinet ad officium diaconi, et per consequens sacerdotis: quia quidquid est diaconi, est etiam sacerdotis. Tertia, quae sequitur Baptismum, et haec pertinet ad anadochum, et ad praelatos Ecclesiae. Praelati enim Ecclesiae habent quasi doctrinam generalem, quae per officium anadochi specialiter ad hunc vel illum adaptatur secundum quod ei competit.

Il existe une triple instruction de la foi. L’une a le caractère d’avertissement : par elle, on est converti à la foi. Cette [instruction] relève en propre des prêtres, à qui il appartient de prêcher et d’enseigner. Aussi Denys attribue-t-il cette instruction à l’évêque. Une autre instruction a le caractère d’enseignement : par elle, on est instruit de la manière dont on doit accéder au baptême et dont on doit croire. Celle-ci relève de la fonction du diacre et, par conséquent, du prêtre, car tout ce qui relève du diacre relève aussi du prêtre. La troisième, qui suit le baptême : celle-ci relève de l’anadochos et des prélats de l’Église. En effet, les prélats de l’Église exercent un enseignement pour ainsi dire général, qui est adapté par l’anadochos à tel ou tel, selon qu’il lui convient.

[14487] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in primitiva Ecclesia, quando adulti ad Baptismum veniebant, qui magna instructione indigebant, hoc per diaconos exercebatur, sacerdotibus circa majora occupatis; et ideo Dionysius diaconibus attribuit.

1. Dans l’Église primitive, alors que des adultes venaient au baptême, qui avaient besoin de beaucoup d’instruction, celle-ci était exercée par les diacres, pendant que les prêtres s’occupaient de choses plus importantes. C’est pourquoi Denys l’attribuait aux diacres.

[14488] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anadochus non instruit ante Baptismum de fide, sed conversum jam recipit, ad instructionem praesentans.

2. L’anadochos ne donne pas d’instruction sur la foi avant le baptême, mais il accueille celui qui est déjà converti pour le présenter à l’instruction.

[14489] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidquid est diaconi, licet etiam sacerdotibus facere; unde per hoc non removetur quin catechizare sit officium diaconi.

3. Tout ce qui relève du diacre, il est aussi permis au prêtre de le faire. Aussi n’est-il pas écarté par cela que catéchiser soit une fonction du diacre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14490] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod catechismus est quasi quaedam dispositio ad Baptismum. Dispositiones autem debent proportionari illis ad quae disponunt; unde in adultis, in quibus in Baptismo requiritur propria fides et propria voluntas, requiritur etiam quod ipse per se catechizetur, et per se confiteatur, et Christianam religionem profiteatur. In puero autem cujus Baptismus operatur tantum ex fide Ecclesiae et merito Christi, fit instructio mediante alio; unde eadem quibus instruendus est, proponuntur praesente anadocho, cui committitur in his instruendus; et ipse loco ejus confessionem et professionem facit.

Le catéchisme est comme une disposition au baptême. Or, les dispositions doivent être proportionnées à ce à quoi elles disposent. Aussi, chez les adultes, de la part de qui sont requises une foi et une volonté propres pour le baptême, est-il exigé aussi qu’ils soient eux-mêmes catéchisés, qu’ils confesse [la foi] par eux-mêmes et qu’ils professent la religion chrétienne. Mais chez l’enfant, dont le baptême est réalisé seulement en vertu de la foi de l’Église et du mérite du Christ, l’instruction est réalisée par l’intermédiaire d’un autre. Aussi les choses dont il doit être instruit sont-elles proposées en présence de l’anadochos, à qui il est confié de l’instruire de ces choses. Et lui-même confesse et fait la profession à sa place.

[14491] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non sit tunc actu perceptibilis disciplinae, tamen habet hujusmodi perceptibilitatem in radice quantum ad potentiam rationis quam habet ex natura, et quantum ad habitum fidei, quem recipit in Baptismo.

1. Bien qu’il ne soit pas alors capable de recevoir un enseignement en acte, toutefois il a à la source la capacité de le recevoir pour ce qui est de la puissance de la raison, qu’il possède naturellement, et pour ce qui de l’habitus de foi, qu’il reçoit par le baptême.

[14492] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis puer confiteri non possit per se, vel profiteri, tamen alius vicem ejus supplet, non quidem suam propriam fidem confitens sed fidem pueri, et quantum ad id quod nunc est, ut sit sensus: credo, idest, sacramentum fidei praesto sum accipere, in persona pueri loquens, ut Augustinus exponit, et quantum ad id quod futurum est, ut fit sensus, credo, idest, quando ad perfectam aetatem veniam, fidei consentiam, ut Dionysius exponit; et hoc quidem confiteri potest ex proposito solicitudinis circa ipsum adhibendae, ut alio modo possit esse sensus, credo, idest, operam dabo ad hoc quod credat; et in hoc ipse puer obligatur, et anadochus: quia de illis ad quae omnes tenentur, non est inconveniens si unus alium obliget; secus autem est de consiliis, ad quae non omnes tenentur.

2. Bien que l’enfant ne puisse pas confesser ou professer par lui-même, un autre tient cependant sa place, en ne confessant pas sa propre foi, mais la foi de l’enfant, selon ce qu’il est alors, de sorte que le sens est : «Je crois», c’est-à-dire : «Je suis prêt à recevoir le sacrement de la foi», en parlant en la personne de l’enfant, comme l’explique Augustin. Et selon ce que [l’enfant] deviendra, de sorte que le sens est : «Je crois», c’est-à-dire : «Je consentirai à la foi lorsque je serai devenu adulte», comme l’explique Denys. Et [le parrain] peut confesser cela parce qu’il a l’intention de s’en occuper, de sorte qu’il puisse y avoir un autre sens : «Je crois», c’est-à-dire : «Je prendrai soin qu’il croie.» Et par cela, l’enfant lui-même et l’anadochos sont obligés, car, pour ce à quoi tous sont obligés, il n’y a pas d’inconvénient à ce que l’un oblige l’autre. Mais il en va autrement des conseils, auxquels tous ne sont pas tenus.

[14493] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est ibi magnum periculum quantum ad modernum tempus: quia parentes pueri sunt Christiani, et satis probabiliter potest aestimari quod eum in fide nutrient, et etiam ex aliis quibus convivet, fidem addiscet. Secus autem erat in primitiva Ecclesia, ubi pueri cum infidelibus conversabantur; et ideo diligentior cura adhibenda erat ab anadocho vel patrino. Et similiter etiam nunc, si pueri parentes de infidelitate suspecti essent, vel si inter infideles conversaturus forte puer esset.

3. Il n’y a pas là un grand danger pour l’époque récente, car les parents de l’enfant sont chrétiens, et l’on peut estimer avec une probabilité suffisante qu’ils l’élèveront dans la foi et qu’il apprendra la foi des autres avec qui il vivra. Mais il en allait autrement dans l’Église primitive, où les enfants vivaient avec les infidèles ; c’est pourquoi un soin plus attentif devait être donné par l’anadochos ou le parrain. Et il en ira de même maintenant, si les parents de l’enfant étaient soupçonnés d’infidélité ou si l’enfant devait peut-être vivre au milieu d’infidèles.

 

 

Articulus 3 [14494] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 tit. Utrum exorcismus Baptismum praecedere debeat

Article 3 – Est-ce que l’exorcisme doit précéder le baptême ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’exorcisme doit-il précéder le baptême ?]

 

[14495] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod exorcismus in eodem non debeat praecedere Baptismum. Exorcismi enim contra energumenos instituti sunt. Sed non omnes qui accedunt ad Baptismum, sunt energumeni. Ergo non omnes sunt exorcizandi.

1. Il semble que l’exorcisme ne doive pas précéder le baptême chez la même personne. En effet, l’exorcisme a été établi contre les énergumènes. Or, tous ceux qui accèdent au baptême ne sont pas des énergumènes. Tous ne doivent donc pas être exorcisés.

[14496] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, prius debet curari causa quam curetur effectus. Sed peccatum est causa quare in quibusdam Diabolus potestatem habeat. Si ergo exorcismi sunt ad potestatem Diaboli pellendam, videtur quod prius deberet aliquis per Baptismum a peccato mundari quam per exorcismum a potestate Diaboli.

2. La cause doit d’abord être guérie avant de guérir l’effet. Or, le péché est la cause par laquelle le démon possède un pouvoir. Si donc les exorcismes visent à écarter le pouvoir du Diable, il semble que l’on doive être purifié du péché par le baptême avant d’être soustrait au pouvoir du Diable par l’exorcisme.

[14497] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad idem superfluum est diversa remedia ordinari. Sed ad potestates Daemonis arcendas sufficit aqua benedicta. Ergo non oportet ad hoc alios exorcismos esse.

3. Il est superflu d’ordonner divers remèdes pour la même chose. Or, l’eau bénite suffit pour contenir les pouvoirs du démon. Il n’est donc pas nécessaire qu’il existe d’autres exorcismes.

[14498] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 1 Sed contra est quod Caelestinus Papa dicit: sive parvuli sive juvenes ad regenerationis veniant sacramentum, non fontem vitae prius adeant quam exorcismis et exsufflationibus clericorum immundus spiritus ab eis abjiciatur.

S.c. 1 – En sens contraire, le pape Célestin dit : «Que ce soient des enfants ou des jeunes qui viennent au sacrement de la régénération, qu’ils ne s’approchent pas de la fontaine de vie avant que l’esprit impur ait été rejeté d’eux par les exorcismes et les insufflations des clercs.»

[14499] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 S.c. 2 Praeterea, alia quae sanctificantur, prius exorcizantur, sicut patet in aqua benedicta, et in sale quod apponitur. Cum ergo in Baptismo homo consecretur, videtur quod prius debeat exorcizari.

S.c. 2 – Les autres choses qui sont sanctifiées sont d’abord exorcisées, comme cela est clair pour l’eau bénite et pour le sel qu’on donne. Puisque, par le baptême, l’homme est consacré, il semble donc qu’il doive d’abord être exorcisé.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’exorcisme a-t-il valeur de signe seulement ?]

[14500] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod exorcismus non habeat aliquem effectum, sed sit ad significandum tantum. Nihil enim plus exigitur ad sacramentum novae legis nisi quod significet, et efficiat quod significat. Si ergo ea quae sunt in exorcismo, non solum significant, sed etiam efficiunt, tunc per se sacramenta sunt, et non sacramentalia.

1. Il semble que l’exorcisme n’ait aucun effet, mais qu’il n’ait que valeur de signe. En effet, rien n’est exigé de plus d’un sacrement de la loi nouvelle que de signifier et d’accomplir de qu’il signifie. Si donc ce qui se trouve dans l’exorcisme ne signifie pas seulement, mais réalise, alors cela est en soi un sacrement, et non un sacramental.

[14501] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut exorcismus praecedit Baptismum, ita et quaedam alia sacramentalia consequuntur ipsum, sicut prius dictum est. Sed illa consequentia sunt tantum ad significandum. Ergo et exorcismus.

2. De même que l’exorcisme précède le baptême, de même certains autres sacramentaux le suivent-ils, comme on l’a dit plus haut. Or, ceux qui suivent n’ont que valeur de signes. Il en est donc de même de l’exorcisme.

[14502] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si aliquis exorcizatus puer ante Baptismum moriatur, constat quod hoc eum a Daemone non liberet. Ergo ad minus in anima ejus exorcismus nullum effectum habuit.

3. Si un enfant exorcisé meurt avant le baptême, il est reconnu que cela ne le libère pas du démon. Au moins dans son âme, l’exorcisme n’a donc aucun effet.

[14503] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Cyprianus: scias nequitiam Diaboli permanere usque ad aquam salutarem posse; in Baptismo autem nequitiam amittere. Sed aliquando etiam post Baptismum exorcismus fit in illis quibus in articulo necessitatis exorcismus omissus fuerit, si periculum evadant. Ergo non liberat a potestate Daemonis, et nullum effectum habere videtur.

 

4. Comme le dit Cyprien : «Sache que la malice du Diable demeure jusqu’à ce que tu puisses accéder à l’eau salutaire et rejeter la malice par le baptême.» Or, parfois, l’exorcisme est accompli après le baptême chez ceux pour qui, en raison d’une urgence, l’exorcisme a été omis, s’ils échappent au danger. L’exorcisme ne libère donc pas du pouvoir du démon et ne semble avoir aucun effet.

[14504] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 1 Sed contra, Gregorius super Ezech.: sacerdos dum per exorcismi gratiam manus imponit credentibus, et habitare malignos spiritus in eorum mente contradicit, quid aliud facit, nisi quia Daemones ejicit ? Ergo habet aliquem effectum.

S.c. 1 – En sens contraire, Grégoire dit en commentant Ézéchiel : «Le prêtre, lorsqu’il impose les mains aux croyants grâce à l’exorcisme et s’oppose à ce que les esprits malins habitent leur esprit, que fait-il d’autre que de chasser les démons ?» [L’exorcisme] a donc un effet.

[14505] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 S.c. 2 Sed contra, exorcismi Salomonis habebant aliquem effectum ad pellendos Daemones. Ergo multo fortius exorcismi Ecclesiae.

S.c. 2 – Les exorcismes de Salomon avaient un effet pour chasser les démons. À bien plus forte raison, les exorcismes de l’Église en ont-ils donc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Exorciser relève-t-il seulement de ceux qui ont reçu les ordres sacrés ?]

[14506] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod exorcizare sit officium eorum qui in sacris ordinibus constituuntur. Quia operari in immundis, secundum Dionysium, ad diaconos pertinet. Sed inter immundos, secundum Dionysium, locum tenent energumeni. Cum ergo exorcizatio sit ad eos sicut catechizatio ad catechumenos, videtur quod sit eorum qui sunt in sacris ordinibus.

1. Il semble qu’exorciser soit une fonction de ceux qui sont établis dans les ordres sacrés, car agir sur les impurs, selon Denys, relève des diacres. Or, parmi les impurs, selon Denys, se trouvent les énergumènes. Puisque l’exorcisme est pour eux ce que le catéchisme pour les catéchumènes, ils semble qu’il relève de ceux qui sont dans les ordres sacrés.

[14507] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, catechismus praecedit exorcismum. Sed in artibus operativis ita est, quod operatio principalioris artis semper sequitur, sicut patet de arte quae secat ligna, et quae compaginat navem. Cum ergo catechismus per diaconos vel sacerdotes fiat, videtur quod exorcismus non possit fieri per illos qui sunt in minoribus ordinibus.

2. Le catéchisme précède l’exorcisme. Or, dans les arts opératoires, l’opération de l’art principal suit toujours, comme il est clair pour l’art qui coupe le bois et qui assemble le navire. Puisque le catéchisme est fait par les diacres ou les prêtres, il semble donc que l’exorcisme ne puisse être fait par ceux qui sont dans les ordres mineurs.

[14508] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad hoc est consuetudo Ecclesiae: quia exorcizatio solum per sacerdotes fit; quod etiam ex auctoritate Gregorii inducta patet.

3. La coutume de l’Église va dans ce sens, car l’exorcisme est accompli seulement par des prêtres. Cela ressort aussi clairement de l’autorité de Grégoire invoquée.

[14509] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 S.c. 1 Sed contra est quod infra, dist. 24, dicit Magister quod ad exorcistas pertinet exorcismos memoriter tenere, manus super energumenos imponere. Ergo cum exorcista non sit sacer ordo, videtur quod ille qui est in minoribus ordinibus constitutus possit exorcizare ex officio.

S.c. 1 – En sens contraire, il y a ce que dit le Maître plus loin, d. 24, qu’il relève des exorcistes d’accomplir de mémoire les exorcismes et d’imposer les mains aux énergumènes. Puisque l’exorciste n’est pas un ordre sacré, il semble donc que celui qui se trouve dans les ordres mineurs puisse exorciser en vertu de sa fonction.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14510] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod propter peccatum hominis Diabolus potestatem accipit in hominem, et in omnia quae in usum hominis veniunt, in ipsius nocumentum. Et quia nulla conventio est Christi ad Belial, ideo quandocumque aliquid sanctificandum est ad cultum divinum, prius exorcizatur, ut liberatum a potestate Diaboli, qua illud in nocumentum hominis assumere poterat, Deo consecretur; et hoc patet in benedictione aquae, in consecratione templi, et in omnibus hujusmodi. Unde cum propria sanctificatio qua homo Deo consecratur, sit in Baptismo, oportet quod etiam homo prius exorcizetur quam baptizetur, multo fortiori ratione quam alia res: quia in ipso homine est causa quare Diabolus potestatem accepit in hominem, et in alia quae sunt propter hominem, scilicet peccatum originale vel actuale; et haec significant ea quae in exorcismo dicuntur, ut cum dicitur: recede ab eo Satana, et hujusmodi; et similiter ea quae ibi fiunt: quia ipsa exsufflatio significat Daemonis expulsionem; benedictio autem cum manus impositione praecludit expulso viam, ne redire possit; sal autem in os missum, et narium et aurium sputo linitio significat remotionem impedimenti ipsius Daemonis respectu fidei docendae vel addiscendae, ut dictum est; sed olei inunctio significat expeditionem hominis in pugna quam adversus Diabolum suscipit, a cujus potestate exemptus est.

À cause du péché de l’homme, le Diable reçoit pouvoir sur l’homme et sur tout ce qui vient à l’usage de l’homme pour lui nuire. Et parce qu’il n’y a rien de commun entre le Christ et Bélial, parfois une chose qui doit être sanctifiée pour le culte divin est d’abord exorcisée afin que, libérée du pouvoir du Diable, par lequel celui-ci pouvait l’utiliser pour nuire à l’homme, elle soit consacrée à Dieu. Cela ressort clairement dans la bénédiction de l’eau, dans la consécration d’une église et dans toutes les choses de ce genre. Ainsi, parce que la sanctification propre par laquelle l’homme est consacré se réalise par le baptême, il est nécessaire que l’homme soit aussi d’abord exorcisé avant d’être baptisé, à bien plus forte raison qu’une autre chose, car la cause pour laquelle le Diable a reçu pouvoir sur l’homme et sur les autres choses qui existent pour l’homme, à savoir le péché originel et actuel, se trouve dans l’homme même. C’est ce que signifie ce qui est dit dans l’exorcisme, comme lorsqu’on dit : «Éloigne-toi de lui, Satan !», et les choses de ce genre ; de même pour les choses qui y sont accomplies, car l’insufflation signifie l’expulsion du démon. La bénédiction accompagnée de l’imposition de la main barre la route à celui qui a été expulsé ; le sel qui est mis dans la bouche et l’onction des narines et des oreilles avec de la salive signifient l’enlèvement de l’obstacle que représente le démon pour l’enseignement ou l’éducation de la foi, comme on l’a dit. Quant à l’onction d’huile, elle signifie l’envoi de l’homme au combat qu’il soutient contre le Diable, au pouvoir duquel il a été soustrait.

[14511] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod energumeni dicuntur interius laborantes, ab en, quod est in, et ergon, quod est labor. Et quamvis non omnes baptizandi sint energumeni, nec interius laborantes a Diabolo vexati corporaliter, tamen interius laborant vel infirmantur propter infectionem fomitis Diabolo in eis potestatem habente.

1. On appelle énergumènes ceux qui souffrent intérieurement – de en, qui veut dire «dans», et ergon, qui veut dire «souffrance». Et bien que tous ceux qui doivent être baptisés ne soient pas des énergumènes et ne souffrent pas intérieurement en étant corporellement tourmentés, cependant ils souffrent intérieurement ou ils sont affaiblis en raison de l’infection du désir désordonné, du fait que le Diable a pouvoir sur eux.

[14512] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando effectus confirmat causam, tunc prius laborandum est ad curandum effectum, ut sic expeditius procedatur ad curationem causae. Potestas autem Daemonis, quae ex peccato consequitur, et tenet et servat hominem in malitia et in peccato; et ideo prius evacuanda est potestas Daemonis, vel debilitanda, quod in exorcismo fit, ne curationem causae, idest peccati, in Baptismo factam impedire possit.

2. Lorsque l’effet renforce la cause, alors il faut travailler à guérir l’effet, afin de s’appliquer plus rapidement à guérir la cause. Or, le pouvoir du démon, qui découle du péché, garde et asservit l’homme à la malice et au péché. C’est pourquoi il faut d’abord supprimer ou affaiblir le pouvoir du démon, ce qui est réalisé par l’exorcisme, de sorte qu’il ne puisse empêcher la guérison de la cause, à savoir, le péché, réalisée par le baptême.

[14513] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Diabolus impugnat nos et ab exteriori et ab interiori. Aqua ergo benedicta ordinatur contra impugnationem Diaboli quae est ab exteriori, sed exorcismus contra impugnationem quae est ab interiori. Unde et illi contra quos datur, dicuntur energumeni, idest interius laborantes.

3. Le Diable nous combat de l’extérieur et de l’intérieur. L’eau bénite est ordonnée à combattre le Diable de l’extérieur, mais l’exorcisme [est ordonné] à [le] combattre de l’intérieur. Aussi ceux pour qui il est donné sont-ils appelés énergumènes, c’est-à-dire, qui souffrent de l’intérieur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14514] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt quod ea quae in exorcismo aguntur, sunt tantum signa eorum quae postea in Baptismo complentur, in quo potestas Daemonis totaliter evacuatur, ut Cyprianus dicit in auctoritate inducta. Sed hoc est contra auctoritatem Gregorii inductam, et contra ea quae in exorcizando dicuntur, quae frustra dicerentur, nisi aliquem effectum haberent, praecipue cum per modum imperii, et non solum per modum orationis dicantur in hoc quod dicitur: ergo, maledicte Diabole, exi ab eo et cetera. Et ideo dicendum secundum alios, quod non tantum significant, sed etiam efficiunt aliquid, non tantum in corpore, sed etiam in anima, quia in utroque est infectio fomitis. Effectus autem iste est debilitatio potestatis Daemonis, ne tantum possit in homine sicut ante, ne Baptismum et alia bona in ipso impediat; sed potestas praedicta totaliter in Baptismo aufertur: sicut etiam Pharao prius flagellatus est populo nondum de Aegypto egresso, et postea totaliter in mari rubro, quod est figura Baptismi, submersus.

À ce sujet, il existe une double opinion. En effet, certains disent que ce qui est accompli dans l’exorcisme n’est qu’un signe de ce qui accompli ensuite par le baptême, par lequel le pouvoir du démon est entièrement supprimé, comme le dit Cyprien dans l’autorité invoquée. Mais cela est contraire à l’autorité de Grégoire invoquée et à ce qui est dit dans l’exorcisme, qui serait dit en vain si cela n’avait aucun effet, surtout que cela est dit sous forme de commandement, et non pas seulement sous forme de demande, lorsqu’on dit : «Aussi, Diable maudit, sors de lui, etc. !». C’est pourquoi il faut dire, selon d’autres, que cela n’est pas seulement un signe, mais que cela réalise quelque chose, non seulement dans le corps, mais aussi dans l’âme, car l’infection du désir désordonné existe dans les deux. Or, cet effet est l’affaiblissement du pouvoir du démon afin qu’il ne puisse avoir autant de pouvoir sur l’homme qu’auparavant, de sorte qu’il n’empêche pas en lui le baptême et les autres biens qui s’y trouvent. Mais le pouvoir évoqué est entièrement enlevé par le baptême. Ainsi Pharaon a-t-il été frappé, alors que le peuple n’était pas encore sorti d’Égypte, et, par la suite, il a été totalement englouti dans la Mer rouge, qui est une figure du baptême.

[14515] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramenta novae legis habent effectum in conferendo gratiam qua perfecte morbo subvenitur, contra quem sacramentum ordinatur; sed sacramentalia habent effectum in removendo contrarias dispositiones, vel impedimenta gratiae; et ideo secundum diversa impedimenta multiplicantur, nec in eis gratia confertur.

1. Les sacrements de la loi nouvelle ont comme effet de conférer la grâce par laquelle la maladie est parfaitement traitée, contre laquelle le sacrement est prescrit. Mais les sacramentaux ont comme effet d’enlever les dispositions contraires ou les empêchements à la grâce. C’est pourquoi ils sont multipliés selon les divers obstacles et la grâce n’est pas conférée par eux.

[14516] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est simile de sacramentalibus quae sequuntur et quae praecedunt: quia ex quo Baptismus plene effectum suum habet, non oportet quod impedientia Baptismum tollantur, quia jam impediri non potest; tamen non est remotum quin unctio chrismatis post Baptismum in vertice facta aliquem effectum ad gratiam conferendam vel conservandam habeat.

2. Il n’en va pas de même pour les sacramentaux qui suivent et pour ceux qui précèdent, car, du fait que le baptême obtient son plein effet, il n’est pas nécessaire que les empêchements au baptême soient enlevés parce que déjà il ne peut pas être empêché. Toutefois, l’onction avec le chrême faite sur le front n’est pas loin d’avoir comme effet de donner la grâce ou de la conserver.

[14517] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Praepositinus dixit, quod exorcizatus ante Baptismum decedens, minores tenebras patietur. Sed hoc nihil est: quia tenebrae illae in sola carentia divinae visionis consistunt, cum non habeant aliam poenam sensibilem; et hoc in omnibus aequaliter erit. Et ideo dicendum aliter, quod non habet effectum in collatione gratiae, sed solum in debilitatione potestatis Daemonis; et ideo hoc valet ei tantum in vita.

3. Prévostin a dit que celui qui meurt après avoir été exorcisé avant le baptême endurera des ténèbres moins profondes. Mais cela ne tient pas, car ces ténèbres consistent dans le seul manque de la vision divine, alors qu’ils n’ont pas d’autre peine sensible. Et cela se trouvera chez tous. Il faut donc dire autre chose – [l’exorcisme] n’a pas d’effet pour la collation de la grâce, mais seulement pour l’affaiblissement du pouvoir du démon. C’est pourquoi cela ne lui apporte pas autant pour la vie.

[14518] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc quod uniformitas Baptismi observetur, oportet quod exorcismus si praetermissus fuit, post Baptismum suppleatur; et tunc tantum significat; vel forte additur etiam aliqua cohibitio ab impugnatione Diaboli. Nec hoc est inconveniens, cum etiam per aquam benedictam, qua post Baptismum aspergimur, aliqua potestas Daemonis reprimatur.

4. Pour que l’uniformité du baptême soit observée, il faut que l’exorcisme, s’il a été omis avant le baptême, soit remplacé après le baptême. Il n’est alors qu’un signe ou peut-être s’y ajoute-t-il une répression des attaques du Diable. Et cela convient, puisque même par l’eau bénite, qui est aspergée après le baptême, un certain pouvoir du démon est réprimé.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14519] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod exorcizare ad exorcistas pertinet ex proprio officio ordinis; nihilominus tamen est et superiorum ordinum. Tamen propter ostendendam unitatem Baptismi, consuetum est in Ecclesia ut totum quod ad Baptismum pertinet, expleatur ab uno, scilicet a sacerdote; et praecipue nunc, quando non venit magna multitudo simul ad Baptismum, et sunt multi sacerdotes. In primitiva autem Ecclesia quandoque magna turba simul ad Baptismum accedebat, et erant pauci sacerdotes; unde hujusmodi sacramentalia relinquebantur in minoribus ordinibus constitutis.

Exorciser relève des exorcistes en vertu de la fonction propre de leur ordre ; toutefois, il relève néanmoins aussi des ordres supérieurs. Cependant, afin de montrer l’unité du baptême, c’est la coutume dans l’Église que tout ce qui se rapporte au baptême soit accompli par un seul, à savoir, le prêtre. Et surtout maintenant, alors qu’une foule nombreuse ne s’approche pas en même temps du baptême et qu’il y a beaucoup de prêtres. Mais, dans l’Église primitive, une grande foule s’approchait parfois du baptême et il y avait peu de prêtres. Aussi ces sacramentaux étaient-ils laissés à ceux qui étaient établis dans des ordres inférieurs.

[14520] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius sub ministris comprehendit omnes ordines inferiores; et ideo ministris qui diaconi dicuntur, attribuit omnia quae sunt inferiorum ordinum: quia forte in primitiva Ecclesia nondum erant illi ordines ita distincti propter paucitatem ministrorum.

1. Denys inclut parmi les ministres tous les ordres inférieurs. C’est pourquoi il attribue aux ministres appelés diacres tout ce qui relève des ordres inférieurs, peut-être parce que, dans l’Église primitive, ces ordres n’étaient pas aussi distincts en raison du petit nombre des ministres.

[14521] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut exorcismus primo pertinet ad exorcistam, ita etiam primus ordo, qui habet actum in catechizando, est ordo lectorum, quamvis hoc postea per superiores ordines compleatur; et ideo sicut catechismus praecedit exorcismum, ita ordo lectoris praecedit ordinem exorcistae.

2. De même que l’exorcisme relève en premier lieu de l’exorciste, de même le premier ordre qui exerce l’acte de catéchiser est-il l’ordre des lecteurs, bien que, par la suite, celui-ci ait été accompli par des ordres supérieurs. C’est pourquoi, de même que le catéchisme précède l’exorcisme, de même l’ordre de lecteur précède-t-il l’ordre d’exorciste.

[14522] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod completa potestas in exorcizando competit sacerdoti; et ideo quando non est magna necessitas, ipse secundum consuetudinem Ecclesiae exorcismi actum exequitur; et secundum hanc consuetudinem loquitur auctoritas Gregorii.

3. Le pouvoir complet d’exorciser appartient au prêtre. C’est pourquoi, lorsqu’il n’y a pas de grande urgence, il accomplit l’acte de l’exorcisme selon la coutume de l’Église. L’autorité de Grégoire s’exprime conformément à cette coutume.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 6

[14523] Super Sent., lib. 4 d. 6 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Hic etiam sciendum est, quod licet ter immergatur propter mysterium Trinitatis, tamen unum Baptisma reputatur. De trina immersione supra, dist. 3, dictum est. Acceleratus est usus rationis. Quia Augustinus super hoc ambigue loquitur, ideo diversimode quidam de hoc senserunt. Dixerunt enim quidam, quod Joannis exultatio non fuit aliquis motus corporalis, sed miraculosus quasi gaudentis, ut matri innotesceret matris salvatoris adventus. Alii autem dicunt aliter et melius, quod ad illud momentum datus est ei usus rationis; et non est inconveniens si postea sit subtractus, sicut et gratia raptus ad momentum datur: secus autem est de gratia gratum faciente, quae non subtrahitur sine culpa. Non errorem inducens et cetera. Quia si errorem vellet inducere, intendens mutare formam Ecclesiae, hoc ipso non intenderet facere quod Ecclesia facit; et ideo non baptizaret. De corruptione autem formae supra, dist. 2, dictum est. Divinum judicium per alicujus revelationis miraculum oratione implorandum esse censerem. Videtur quod male dicat: quia divinum judicium non est hoc modo requirendum nisi in dubiis. Certum autem videtur, quod si ludo fecit, intentio defuit, et verus Baptismus non fuit. Et dicendum, quod ludus aliquando excludit intentionem, et aliquando non. Cum enim ludo fieri dicantur quae praeter intentionem alicujus utilitatis fiunt ad solam delectationem, ludus baptizantium potest excludere intentionem respectu utriusque effectus ablutionis, scilicet sacramenti collationis, et rei sacramenti; et tunc non intendit facere quod facit Ecclesia in collatione sacramenti; et ita talis ludus evacuat intentionem quae requiritur in sacramento: vel potest excludere tantum secundam utilitatem, ut scilicet velit de hoc ludum suum facere ex eo quod Baptismi sacramentum conferat, non propter sanctificationem baptizandi hoc faciens; et tunc manet intentio quae sufficit ad Baptismum. Et propter hoc dubium dixit Aug. implorandum est divinum judicium; et ideo dicitur quod puer Athanasius ludendo simulans se episcopum baptizavit quosdam, et judicatum est ab Alexandro episcopo ut non rebaptizarentur: quia inventum est quod ipse intentionem baptizandi habuit; quod etiam patet ex hoc quod non baptizabat nisi catechumenos. Cui additur exorcismus et cetera. Videtur quod exorcismus debeat praecedere catechismum: quia prius removendum est malum quam perficiatur aliquis in bono. Et dicendum, quod verum est, si utrumque in eodem genere accipiatur. Sed catechismus ordinat ad bonum non efficiendo aliquid, sed solum instruendo; exorcismus autem removet malum in operando; et instructio in talibus debet operationem praecedere, ut sciat homo quid in eo fieri debeat.

 

 

 

 

CONFIRMATION

 

 

Distinctio 7

 

Distinction 7 – [Le sacrement de la confirmation]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La confirmation est-elle un sacrement ?]

 

Prooemium

Prologue

[14524] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de sacramento intrantium, scilicet de Baptismo, hic intendit determinare de sacramentis quae pertinent ad progredientes in via Dei; et dividitur in partes duas: in prima determinat de sacramentis quibus progredientes in bono perficiuntur; in secunda de sacramento quo a malo sublevantur quos cadere accidit, scilicet de poenitentia, dist. 14, ibi: post hoc de poenitentia agendum est. Prima in duas: in prima determinat de sacramento confirmationis qua aliquis in seipso perficitur ad modum quo forma perficit; in secunda de Eucharistia, qua aliquis perficitur per conjunctionem ad finem, 8 dist., ibi: post sacramentum Baptismi et confirmationis sequitur Eucharistiae sacramentum. Prima in duas: in prima tangit ea quae sunt intra essentiam sacramenti, scilicet materiam et formam; in secunda ea quae sunt extra essentiam ipsius, ibi: hoc sacramentum ab aliis perfici non potest, nisi a summis pontificibus. Et circa hoc tria facit: primo determinat ministrum hujus sacramenti; secundo effectum, ibi: virtus autem hujus sacramenti est donatio spiritus sancti; tertio ritum, ibi: hoc sacramentum tantum a jejunis accipi, et jejunis tradi debet. Circa primum duo facit: primo determinat veritatem; secundo removet quamdam objectionem, ibi: Melchiades et cetera. Hic est triplex quaestio. Prima de ipso sacramento confirmationis. Secunda de effectu ejus. Tertia de celebratione ejus. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum confirmatio sit sacramentum per se; 2 de materia ejus; 3 de forma.

Après avoir déterminé à propos du sacrement de ceux qui entrent [dans la vie spirituelle], à savoir, le baptême, [le Maître] entend ici déterminer à propos des sacrements qui concernent ceux qui progressent sur le chemin de Dieu. Il y a deux parties : dans la première, il détermine à propos des sacrements par lesquels ceux qui progressent dans le bien sont perfectionnés ; dans la seconde, à propos du sacrement par lequel ceux à qui il arrive d’y tomber sont relevés du mal, à savoir, la pénitence, d. 14, à cet endroit : «Après cela, il faut traiter de la pénitence.» La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il détermine à propos du sacrement de confirmation par lequel on est perfectionné en soi-même à la manière dont une forme perfectionne. Dans la seconde, à propos de l’eucharistie, par laquelle on est perfectionné par l’union à la fin, d. 8, à cet endroit : «Après les sacrements de baptême et de confirmation, vient le sacrement de l’eucharistie.» La première partie se divise en deux parties. Dans la première, il aborde ce qui fait partie de l’essence du sacrement [de confirmation], à savoir, sa matière et sa forme. Dans la seconde, ce qui est en dehors de son essence, à cet endroit : «Ce sacrement ne peut être accompli par d’autres que les souverains prêtres.» À ce sujet, il fait trois choses : premièrement, il précise le ministre de ce sacrement ; deuxièmement, son effet, à cet endroit : «L’effet de ce sacrement est le don de l’Esprit Saint» ; troisièmement, son rite, à cet endroit : «Ce sacrement ne doit être donné et reçu que par des personnes à jeûn.» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine à propos de la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : «Melchiade, etc.» Il y a ici trois questions : la première, sur le sacrement de confirmation ; la deuxième, sur son effet ; la troisième, sur sa célébration. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Est-ce que la confirmation est un sacrement par elle-même ? 2. Sa matière. 3. Sa forme.

Articulus 1 [14525] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 tit. Utrum confirmatio sit sacramentum

Article 1 – La confirmation est-elle un sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La confirmation est-elle un sacrement ?]

[14526] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod confirmatio non sit sacramentum. Omne enim sacramentum efficaciam habet ab institutione divina. Sed confirmatio non legitur a domino instituta. Ergo non est sacramentum.

1. Il semble que la confirmation ne soit pas un sacrement. En effet, tout sacrement tient son efficacité d’une institution divine. Or, on ne lit pas que la confirmation ait été instituée par le Seigneur. Elle n’est donc pas un sacrement.

[14527] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud cujus est usus in omnibus vel pluribus sacramentis, non videtur esse sacramentum per se. Sed, sicut dicit Dionysius, usus sacri unguenti, scilicet chrismatis, est in aliis sacramentis pluribus, sicut patet in Baptismo, in quo infunditur chrisma in aqua Baptismi, et baptizatus in vertice chrismate inungitur, et similiter pontifices chrismatis inunctione consecrantur, et altare etiam in quo Eucharistia consecranda est, chrismate linitur, et calix similiter. Ergo confirmatio, quae dicitur chrismatio, non est aliquod sacramentale.

2. Ce qu’on utilise dans tous ou dans plusieurs sacrements ne semble pas être en soi un sacrement. Or, comme le dit Denys, l’utilisation d’une huile sacrée, à savoir, le chrême, se retrouve dans plusieurs sacrements, comme cela ressort clairement pour le baptême, pour lequel le chrême est versé dans l’eau du baptême, le baptisé est oint sur le front avec le chrême ; les pontifes sont de même consacrés par une onction avec le chrême et l’autel sur lequel l’euchariste doit être consacrée est aussi oint avec le chrême, de même que le calice. La confirmation, qui est appelée chrismation, n’est donc pas quelque chose de sacramentel.

[14528] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramenta novae legis in veteri praefigurata fuerunt. Sed nulla figura confirmationis in lege veteri legitur praecessisse. Ergo confirmatio non est sacramentum.

3. Les sacrements de la loi nouvelle étaient préfigurés sous la loi ancienne. Or, on ne lit pas qu’une figure de la confirmation ait précédé sous la loi ancienne. La confirmation n’est donc pas un sacrement.

[14529] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Melchiades in littera dicit: scitote utrumque magnum esse sacramentum, scilicet confirmationem et Baptismum.

Cependant, [1] Melchiade dit dans le texte : «Sachez que les deux sont de grands sacrements», à savoir, la confirmation et le baptême.

[14530] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per definitionem sacramenti, quae competit confirmationi, quae habet significationem gratiae in linitione olei, et habet efficaciam, ut in littera dicitur, in collatione gratiae ad plenitudinem sanctitatis. Ergo est sacramentum.

[2] Cela resort de la définition du sacrement, qui convient à la confirmation : elle signifie la grâce par l’onction d’huile, et elle possède une efficacité du fait qu’elle confère la grâce en vue de la plénitude de la sainteté, comme il est dit dans le texte. Elle est donc un sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La confirmation est-elle un sacrement nécessaire ?]

[14531] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit sacramentum necessitatis. Quia, ut Rabanus in littera dicit, omnes fideles debent post Baptismum per episcopos accipere spiritum sanctum, ut pleni Christiani inveniantur. Sed hoc est de necessitate salutis, ut aliquis sit plenus Christianus. Ergo sacramentum confirmationis est sacramentum necessitatis.

1. Il semble qu’elle soit un sacrement nécessaire, car, comme le dit Raban dans le texte, «tous les fidèles doivent recevoir le Saint-Esprit après le baptême par l’entremise des évêques, afin d’être des chrétiens au sens complet.» Or, il est nécessaire au salut que l’on soit un chrétien au sens complet. Le sacrement de confirmation est donc un sacrement nécessaire.

[14532] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramentum confirmationis contra morbum peccati ordinatur. Sed hoc est de necessitate salutis, ut quis a morbo peccati liberetur. Ergo confirmatio est sacramentum necessitatis.

2. Le sacrement de confirmation existe contre la maladie du péché. Or, il est nécessaire au salut que l’on soit libéré de la maladie du péché. La confirmation est donc un sacrement nécessaire.

[14533] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut ad justitiam exigitur recessus a malo, ita et accessus ad bonum. Sed Baptismus operatur ad recessum a malo, quod ipsum ablutionis nomen ostendit; confirmatio autem ad accessum ad bonum, quod etiam ex nomine patet. Ergo sicut Baptismus est de necessitate sanctificationis, ita et confirmatio.

3. De même que s’éloigner du mal est requis pour la justice, de même se rapprocher du bien. Or, le baptême agit en vue de l’éloignement du mal, ce que montre le mot même d’ablution ; mais la confirmation [agit en vue] de l’approche du bien, ce qui ressort aussi du mot même. De même que le baptême est nécessaire à la sanctification, de même donc la confirmation [l’est-elle] aussi.

[14534] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sine eo quod est de necessitate salutis, non est salus. Sed pueri baptizati salvantur si ante confirmationem moriantur. Ergo non est sacramentum necessitatis.

Cependant, [1] sans ce qui est nécessaire au salut, il n’y a pas de salut. Or, les enfants baptisés sont sauvés s’ils meurent avant la confirmation. Celle-ci n’est donc pas nécessaire au salut.

[14535] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea gratia et virtus sufficiunt ad salutem. Sed in Baptismo confertur gratia et plenitudo virtutum. Ergo Baptismus sufficit ad salutem; et ita confirmatio non est sacramentum necessitatis.

[2] La grâce et les vertus suffisent au salut. Or, par le baptême, la grâce et la plénitude des vertus sont conférées. Le baptême suffit donc au salut. Et ainsi, la confirmation n’est pas un sacrement nécessaire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le baptême est-il plus noble que la confirmation ?]

[14536] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Baptismus sit nobilius sacramentum quam confirmatio: quia essentialia rei accidentalibus digniora sunt, sicut substantia accidente. Sed Baptismus essentialiter se habet ad salutem, cum sit sacramentum necessitatis; confirmatio autem accidentaliter, cum non sit necessitatis sacramentum. Ergo Baptismus est nobilius sacramentum confirmatione.

1. Il semble que le baptême soit un sacrement plus noble que la confirmation, car ce qui est essentiel à une chose est plus digne que ce qui est accidentel, comme la substance est plus noble que l’accident. Or, le baptême a un rapport essentiel au salut, puisqu’il est un sacrement nécessaire ; mais la confirmation [a un rapport] accidentel, puisqu’elle n’est pas un sacrement néccessaire. Le baptême est donc un sacrement plus noble que la confirmation.

[14537] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, effectus proportionatur suae causae. Sed Baptismus habet majorem efficaciam in efficiendo: quia delet omnem culpam et poenam, quod non facit confirmatio. Ergo est nobilius sacramentum.

2. L’effet est proportionné à sa cause. Or, le baptême a une plus grande efficacité par son action, car il détruit toute faute et toute peine, ce que ne fait pas la confirmation. Il est donc un sacrement plus noble.

[14538] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ad nobiliorem actionem ordinatur nobilius ministerium. Sed confirmatio datur a nobiliori ministro quam Baptismus. Ergo confirmatio est nobilius sacramentum Baptismo.

Cependant, [1] En sens contraire, un ministère plus noble est ordonné à une action plus noble. Or, la confirmation est donnée par un ministre plus noble que le baptême. La confirmation est donc un sacrement plus noble que le baptême.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [14539] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod actiones quae sunt ordinatae ad aliquos effectus proprios et determinatos, recipiunt distinctionem secundum proportionem ad suos effectus; unde si ad duos effectus distinctos ordinentur, erunt duae diversae actiones. Si autem ordinentur ad unum effectum, ita quod una disponat vel impedimentum removeat, et alia perficiat, et alia ornet perfectum; totum computatur pro una integra actione, sicut patet in operibus artificum. Unde cum sacramenta sint quaedam actiones hierarchicae secundum Dionysium, ordinatae ad aliquos effectus salutis, quando plures actiones sacramentales ordinantur ad unum effectum, una ut perficiens, alia ut disponens, vel impedimentum removens, vel aliquo modo ornans, tunc in illa quae efficit effectum principalem consistit essentialiter ratio sacramenti. Aliae autem non dicuntur per se sacramenta, sed sacramentalia quaedam, quasi sacramentis adjuncta, sicut patet ex his quae dicta sunt circa Baptismum in exorcismo et catechismo et aliis hujusmodi concurrere. Quando autem sunt plures actiones ordinatae ad effectus omnino distinctos, tunc sunt diversa sacramenta. Et ideo cum confirmatio habeat per se effectum distinctum ab effectu Baptismi, ut patebit, non est sacramentale Baptismi, sed potius per se est principale sacramentum.

Les actions qui sont ordonnées à des effets propres et déterminés reçoivent leur distinction selon la proportion par rapport à leurs effets. Ainsi, si elles sont ordonnées à deux effets distincts, il y aura deux actions différentes. Mais si elles sont ordonnées à un seul effet, de sorte que l’une dispose ou écarte un empêchement, une autre perfectionne et une autre embellit ce qui est perfectionné, l’ensemble est considéré comme une seule action intégrale, comme cela ressort clairement dans les œuvres des artisans. Ainsi, puisque, selon Denys, les sacrements sont des actions hiérarchiques ordonnées à certains effets par rapport au salut, lorsque plusieurs actions sacramentelles sont ordonnées à un seul effet, l’une en perfectionnant, une autre en disposant ou en écartant un empêchement, une autre en embellisant d’une certaine manière, alors la raison de sacrement se trouve essentiellement dans celle qui réalise l’effet principal. Les autres [actions] ne sont pas appelées des sacrements par elles-mêmes, mais des sacramentaux, pour ainsi dire associés aux sacrements, comme cela est clair pour l’exorcisme, le catéchisme et les autres choses de ce genre, à partir de ce qui a été dit du baptême. Mais lorsqu’il s’agit de plusieurs actions ordonnées à des effets complètement distincts, alors ce sont des sacrements différents. Aussi, puisque la confirmation a par elle-même un effet distinct de celui du baptême, comme cela ressortira clairement, elle n’est pas un sacramental du baptême, mais elle est plutôt un sacrement principal par elle-même.

[14540] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circa institutionem hujus sacramenti est triplex opinio. Una enim dicit, quod hoc sacramentum non fuit institutum nec a Christo nec ab apostolis, sed postea processu temporis in quodam Concilio; et dicunt quod dominus rem sacramenti hujus sine sacramento conferebat manus imponendo, similiter et apostoli, eo quod ipsi confirmati fuerunt immediate a spiritu sancto. Et hoc videtur valde absurdum: quia secundum hoc Ecclesia tota die posset nova sacramenta instituere, quod falsum est, cum ipsi non sint latores legis, sed ministri, et fundamentum cujuslibet legis in sacramentis consistit; et praeterea in littera dicitur de tempore apostolorum: non ab aliis quam ab apostolis fuit peractum. Ideo alii dicunt, quod non fuit a Christo sed ab apostolis institutum hoc sacramentum. Sed hoc etiam non competit: quia ipsi apostoli quamvis erant bases Ecclesiae, tamen non fuerunt legislatores; unde ad eos non pertinebat sacramenta instituere. Et ideo probabilior videtur aliorum opinio, qui dicunt, hoc sacramentum, sicut et omnia alia, a Christo fuisse institutum: quod patet ex hoc quod ipse etiam dominus manus pueris imponebat, ut patet Matth. 19. Nec obstat quod in Evangelio vel in actibus apostolorum non fit mentio de materia vel forma hujus sacramenti: quia formae sacramentales et alia quae in sacramentis exiguntur occultanda erant in primitiva Ecclesia propter irrisiones gentilium, ut Dionysius dicit; unde etiam in fine Eccl. Hier. excusat se a determinatione formarum sacramentalium. Secus autem de Baptismo quod erat sacramentum necessitatis, et statim cuilibet offerebatur in principio.

1. À propos de l’institution de ce sacrement, il existe une triple opinion. En effet, l’une dit que ce sacrement n’a été institué ni par le Christ ni par les apôtres, mais plus tard, par un concile, selon le déroulement du temps : ils disent que le Seigneur conférait la réalité de ce sacrement sans le sacrement en imposant les mains ; de même en était-il des apôtres, du fait qu’eux-mêmes avaient été confirmés immédiatement par le Saint-Esprit. Cela semble tout à fait absurde, car, d’après cela, l’Église pourrait instituer de nouveaux sacrements à longueur de journée, ce qui est faux, puisque [les dirigeants de l’Église] ne font pas la loi, mais en sont les ministres, et que le fondement de toutes les lois se trouve dans les sacrements. Au surplus, il est dit dans le texte, à propos de l’époque des apôtres : «Il n’a pas été accompli par d’autres que les apôtres.» C’est pourquoi d’autres disent que ce sacrement n’a pas été institué par le Christ, mais par les apôtres. Mais cela non plus ne convient pas, car les apôtres eux-mêmes, bien qu’ils aient été les fondements de l’Église, n’en ont pas été les législateurs. Il ne relevait donc pas d’eux d’instituer les sacrements. C’est pourquoi l’opinion d’autres est plus probable : ils disent que ce sacrement, comme tous les autres, a été institué par le Christ, ce qui ressort clairement de ce que le Seigneur lui-même imposait les mains aux enfants, comme cela est signalé dans Mt 19. Et cela ne fait rien qu’il ne soit pas fait mention de la matière et de la forme de ce sacrement dans l’évangile ou dans les Actes des apôtres, car les formes sacramentelles et les autres choses qui sont exigées pour les sacrements devaient être cachées dans l’Église primitive en raison de la dérision des infidèles, comme le dit Denys. Aussi, à la fin de la Hiérarchie ecclésiastique, s’excuse-t-il de ne pas préciser les formes sacramentelles. Mais il en allait autrement du baptême, qui était un sacrement nécessaire et était offert à tous dès le début.

[14541] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis materia confirmationis, scilicet chrismate, utantur Ecclesiae ministri in diversis sacramentis; tamen hoc sacramentum non consistit tantum in materia, sed in forma verborum, et actu, sicut et sacramentum Baptismi; et hoc non utuntur in aliis sacramentis; et ideo est per se sacramentum.

2. Bien que les ministres de l’Église utilisent la matière de la confirmation, à savoir, le chrême, dans divers sacrements, ce sacrement ne consiste cependant pas seulement dans la matière, mais dans la forme des paroles et dans l’acte, comme le sacrement de baptême, et ils ne font pas usage de cela dans d’autres sacrements. C’est pourquoi [la confirmation] est en elle-même un sacrement.

[14542] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc sacramentum est ad perfectionem gratiae. Et quia status legis erat status imperfectionis, eo quod nihil ad perfectum adduxit lex, Hebr. 7, 19, ideo hoc sacramentum non habuit aliquid sibi respondens in veteri lege: quamvis aliquo modo sit figuratum in unctione pontificum, qua significabatur unctio Christi, a quo haec unctio derivatur.

3. Ce sacrement existe en vue de la perfection de la grâce. Et parce que l’état de la loi était un état d’imperfection, du fait que la loi ne conduit à rien de parfait, He 7, 19, ce sacrement n’avait rien qui lui correspondît dans la loi ancienne, bien qu’il ait été figuré d’une certaine manière par l’onction des pontifes, par laquelle l’onction du Christ était signifiée, de qui cette onction est dérivée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14543] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod est triplex necessitas. Una est necessitas absoluta, sicut necessarium est Deum esse, vel triangulum habere tres angulos. Alia est necessitas ex causa efficiente, quae dicitur necessitas coactionis. Tertia est necessitas ex suppositione finis; et est duplex. Quia uno modo dicitur necessarium sine quo aliquis non potest conservari in esse, sicut nutrimentum animali. Alio modo sine quo non potest haberi quod pertinet ad bene esse, sicut equus dicitur necessarius ambulare volenti, et medicina ad hoc quod homo sane vivat. Primis autem duobus modis non dicitur aliquod sacramentum esse necessitatis, sed tertia necessitate; quaedam quidem quantum ad primum modum, illa scilicet sine quibus non potest homo in spirituali vita vivere, sicut est Baptismus et poenitentia; quaedam autem sine quibus non potest consequi aliquem effectum qui est ad bene esse spiritualis vitae; et hoc modo confirmatio et omnia alia sunt necessaria. Verumtamen contemptus cujuslibet sacramenti est periculosus. Objectiones autem procedunt de primo modo tertiae necessitatis.

Il existe une triple nécessité. L’une est la nécessaité absolue, comme il est nécessaire que Dieu existe ou que le triangle ait trois angles. Une autre est la nécessité qui vient de la cause efficiente, qui est appelée nécessité coercitive. La troisième est la nécessité qui suppose une fin. Et celle-ci est double. D’une manière, on appelle nécessaire ce sans quoi quelque chose ne peut continuer d’exister, comme la nourriture pour l’animal. D’une autre manière, ce sans quoi ne peut être obtenu ce qui permet de bien exister, comme on dit que le cheval est nécessaire à celui qui veut marcher et le médicament pour que l’homme vive en santé. Aucun sacrement n’est appelé nécessaire selon les deux premiers modes, mais selon la troisième nécessité : certains le sont selon le premier mode [de cette troisième nécessité], à savoir, ceux sans lesquels l’homme ne peut vivre selon la vie spirituelle, comme le baptême et la pénitence ; mais d’autres sans lesquels on ne peut obtenir un effet qui permet de bien exister selon la vie spirituelle. De cette [dernière] manière, tous les sacrements sont nécessaires. À la vérité, le mépris de n’importe quel sacrement est dangereux. Mais les objections se rapportent au premier mode de la troisième nécessité.

[14544] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Et ideo dicendum ad primum, quod est plenitudo Christianae gratiae sufficiens ad salutem, et haec datur in Baptismo; et est plenitudo copiae gratiae ad fortiter resistendum contra pressuras mundi, et haec datur in confirmatione, et sine hac potest esse salus.

1. La plénitude de la grâce chrétienne est suffisante pour le salut : celle-ci est donnée par le baptême. Il existe aussi une plénitude par abondance de la grâce en vue de résister aux pressions du monde : celle-ci est donnée par la confirmation, et le salut peut exister sans celle-ci.

[14545] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod morbus peccati dupliciter expellitur. Uno modo quo ad culpam originalem in Baptismo, et actualem in poenitentia; et haec expulsio sufficit ad salutem. Alio modo quo ad poenam inclinantem ad culpam; et sic expellitur in confirmatione, et in aliis sacramentis; et haec non est de necessitate salutis.

2. La maladie du péché est écartée de deux façons. D’une façon, par le baptême, pour le péché originel, et par la pénitence, pour le péché actuel : cette expulsion [du péché] suffit pour le salut. D’une autre façon, pour ce qui est de la peine inclinant à la faute : celle-ci est ainsi expulsée par la confirmation et par les autres sacrements. Celle-ci n’est pas nécessaire au salut.

[14546] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Baptismo datur gratia quae a peccato mundat, et ad bene operandum perficit quantum ad sufficientiam salutis; sed in confirmatione additur amplius munus gratiae, quod non est de necessitate salutis.

3. Par le baptême, la grâce qui purifie du péché est donnée, et il donne une perfection en vue de bien agir suffisante pour le salut. Mais, par la confirmation, est ajouté un plus grand don de la grâce, qui n’est pas nécessaire au salut.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14547] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quinque modis unum sacramentum dicitur esse dignius alio. Uno modo quo ad rem sacramenti, sive effectum ejus; et sic Baptismus, qui delet omnem culpam et aufert omnem poenam, est maximum sacramentorum. Alio modo quantum ad id quod continetur in sacramento; et sic Eucharistia est nobilissimum, in qua continetur ipse Christus. Tertio quantum ad gradum dignitatis in quo constituit; et sic ordo est dignissimum sacramentum. Quarto quantum ad ministrum; et sic confirmatio, et etiam ordo, sunt dignissima, quia non nisi per episcopum ministrantur. Quinto quantum ad signatum et non contentum; et sic matrimonium est dignissimum, quia signat conjunctionem duarum naturarum in persona Christi. Si tamen has dignitates ad invicem comparemus, invenitur illa dignitas potissima quam sacramentum habet ex contento, quia est essentialior; et ideo sacramentum Eucharistiae est simpliciter dignissimum, et ad ipsum quodammodo alia sacramenta ordinantur. Dignitas autem quae est in efficiendo, praevalet ei quae est in significando; et illa quae est in efficiendo respectu boni, simpliciter loquendo, praevalet ei quae est in amotione mali; et ideo, simpliciter loquendo, post Eucharistiam nobilius sacramentum est ordo, per quod homo et in gratia et in gradu dignitatis ponitur; et post hoc confirmatio, per quam perfectio gratiae confertur; et post Baptismus, per quem fit plena remissio culpae et poenae; et post matrimonium, quod habet maximam significationem. Poenitentia autem et extrema unctio ponuntur inter Baptismum et matrimonium: quia ordinantur directe ad remotionem mali: quamvis in hoc poenitentia habeat minorem efficaciam quam Baptismus; quia ordinatur contra culpam actualem tantum, et non delet totaliter poenam; et adhuc minorem extrema unctio, quae contra reliquias peccati ordinatur.

On dit qu’un sacrement est plus digne qu’un autre de cinq manières. D’une manière, en fonction de la réalité du sacrement ou de son effet. Ainsi, le baptême, qui détruit toute faute et enlève toute peine, est le plus grand des sacrements. D’une autre manière, en fonction de ce qui est contenu dans le sacrement. Ainsi, l’eucharistie est le plus noble, dans laquelle est contenu le Christ lui-même. Troisièmement, en fonction du degré de dignité où il établit. Ainsi, l’ordre est le plus digne des sacrements. Quatrièmement, en fonction du ministre. Ainsi, la confirmation et aussi l’ordre sont les plus dignes, car ils ne sont administrés que par un évêque. Cinquièmement, en fonction de ce qui est signifié sans être contenu. Ainsi, le mariage est le plus digne, parce qu’il signifie l’union des deux natures dans la personne du Christ. Toutefois, si nous comparons entre elles ces dignitiés, la dignité la plus grande vient de ce qui est contenu dans un sacrement parce qu’elle est plus essentielle. C’est pourquoi l’eucharistie est, à parler simplement, le [sacrement] le plus digne et les autres sacrements lui sont d’une certaine manière ordonnés. Mais la dignité qui consiste à réaliser l’emporte sur celle qui consiste à signifier, et celle qui consiste à réaliser en regard du bien l’emporte, à proprement parler, sur celle qui consiste à enlever le mal. C’est pourquoi, à parler simplement, l’ordre est le sacrement le plus noble après l’eucharistie, et après lui, la confirmation, par laquelle la perfection de la grâce est conférée, et ensuite, le baptême, par lequel est réalisée la rémission de la faute et de la peine ; ensuite, le mariage, qui possède la signification la plus grande. Mais la pénitence et l’extrême-onction se situent entre le baptême et le mariage parce qu’elles sont directement ordonnées à enlever le mal, bien que, sur ce point, la pénitence soit moins efficace que le baptême, car elle est ordonnée seulement contre la faute actuelle et ne détruit pas totalement la peine. Et l’extrême-onction [a une efficacité] encore moindre, ordonnée qu’elle est contre ce qui reste du péché.

[14548] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis confirmatio se habeat quasi accidentaliter ad vitam spiritualem simpliciter acceptam, tamen ad vitam spiritualem secundum sui perfectam differentiam non habet se accidentaliter, sed essentialiter; et ideo non oportet quod sit minoris dignitatis quam Baptismus. Sicut etiam rationale est differentia nobilior quam sensibile: quamvis animali inquantum animal accidat esse rationale, cui inquantum hujusmodi per se convenit esse sensibile. Vel dicendum, ut quidam dicunt, quod confirmatio praesupponit Baptismum; unde dupliciter possunt comparari. Uno modo ut accipiatur confirmatio cum praesuppositione Baptismi; et sic confirmatio simpliciter est nobilior: sicut etiam esse substantiale perfectum per accidentalia simpliciter, nobilius est quam esse substantiale simpliciter. Alio modo cum praecisione Baptismi; et sic quodammodo Baptismus est nobilior quantum ad majorem efficaciam in removendo malum.

1. Bien que la confirmation ait un rapport pour ainsi dire accidentel à la vie spirituelle considérée simplement, elle n’a cependant pas un rapport accidentel mais essentiel à la vie spirituelle selon sa différence parfaite. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle ait une dignité moindre que le baptême. De même que ce qui est raisonnable est une différence plus noble que ce qui est sensible, bien que l’animal en tant qu’animal ne soit raisonnable que par accident, alors qu’il lui convient d’être sensible par lui-même. Ou bien il faut dire, comme le font certains, que la confirmation présuppose le baptême. Il faut donc les comparer de deux manières. D’une manière, en considérant la confirmation qui présuppose le baptême : ainsi, la confirmation est, à parler simplement, plus noble, de même que l’être substantiel, perfectionné par ce qui est accidentel, est plus noble que le simple être substantiel. D’une autre manière, en excluant le baptême ; ainsi, d’une certaine manière, le baptême est plus noble en raison de sa plus grande efficacité pour enlever le mal.

[14549] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus non habet majorem efficaciam simpliciter, sed solum in remotione mali, ut dictum est.

2. Le baptême n’a pas une plus grande efficacité à parler simplement, mais seulement pour l’enlèvement du mal, comme on l’a dit.

Articulus 2 [14550] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 tit. Utrum sacramentum confirmationis habeat materiam

Article 2 – Le sacrement de confirmation a-t-il une matière ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce sacrement a-t-il une matière ?]

[14551] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod sacramentum istud materiam non habeat. Sacramenta enim habent efficaciam ex divina institutione. Sed materia hujus sacramenti non legitur a domino instituta. Ergo non habet determinatam materiam.

1. Il semble que ce sacrement n’ait pas de matière. En effet, les sacrements possèdent une efficacité en vertu d’une institution divine. Or, on ne lit pas que la matière de ce sacrement ait été instituée par le Seigneur. Il n’a donc pas de matière déterminée.

[14552] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, confirmatio datur ad plenitudinem sancti spiritus percipiendam. Sed super apostolos in die Pentecostes descendit spiritus sancti plenitudo absque omni materia. Ergo hoc sacramentum materia non indiget.

2. La confirmation est donnée en vue de recevoir la plénitude de l’Esprit Saint. Or, la plénitude l’Esprit Saint est descendue sur les apôtres, le jour de la Pentecôte, sans aucune matière. Ce sacrement n’a donc pas besoin de matière.

[14553] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, apostoli formam nobis ecclesiastici ritus tradiderunt. Sed ipsi confirmabant manus imponendo sine aliqua materia, ut legitur in Act. apostolorum. Ergo hoc sacramentum materiam non habet.

3. Les apôtres nous ont transmis la forme du rite de l’Église. Or, eux-mêmes confirmaient en imposant la main, sans aucune matière, comme on le lit dans les Actes des apôtres. Ce sacrement n’a donc pas de matière.

[14554] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia, secundum Hugonem de s. Victore, sacramentum est materiale elementum. Ergo debet omne sacramentum habere materiam.

Cependant, [1] selon Hugues de Saint-Victor, le sacrement est un élément matériel. Tout sacrement doit donc avoir une matière.

[14555] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, si omittatur aliquid quod non sit de substantia sacramenti, non impeditur perceptio sacramenti. Sed si omitteret episcopus chrismatis linitionem, non conferret sacramentum. Ergo materia est de essentia hujus sacramenti.

[2] Si on omet quelque chose qui ne fait pas partie de la substance d’un sacrement, la réception du sacrement n’est pas empêchée. Or, si l’évêque omettait d’oindre avec le chrême, il ne conférerait pas le sacrement. Une matière fait donc partie de l’essence de ce sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le chrême est-il une matière appropriée ?]

[14556] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod chrisma non sit materia competens. In sacramentis enim uniformitas observari debet. Sed in Baptismo est materia simplex elementum, scilicet aqua. Ergo etiam in confirmatione aliquod elementum debet esse materia.

1. Il semble que le chrême ne soit pas une matière appropriée. En effet, l’uniformité doit être observée dans les sacrements. Or, dans le baptême, la matière est un élément simple, l’eau. Dans la confirmation aussi, un élément doit donc être la matière.

[14557] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, virtus agentis proportionatur agenti. Sed virtus agens in sacramentis est simplex. Ergo et materia debet esse simplex; et ita materia confirmationis non debet esse commixta ex duobus liquoribus, scilicet oleo et balsamo.

2. La puissance de l’agent est proportionnée à l’agent. Or, la puissance qui agit dans les sacrements est simple. La matière aussi doit donc être simple. Et ainsi, la matière de la confirmation ne doit pas être un mélange de deux liquides, à savoir, l’huile et le baume.

[14558] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, materia sacramenti debet esse omnibus communis: quia omnibus sacramenta proponuntur in salutem. Sed oleum olivae et balsamum non est apud omnes. Ergo non sunt conveniens materia alicujus sacramenti.

3. La matière d’un sacrement doit être commune pour tous, car les sacrements sont proposés à tous en vue du salut. Or, l’huile d’olive et le baume n’existent pas chez tous. Ils ne sont donc pas la matière appropriée d’un sacrement.

[14559] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ex aliis etiam rebus fit oleum quam ex oliva, sicut ex nucibus et papavere. Ergo videtur quod etiam ex tali oleo posset fieri chrisma.

4. L’huile est aussi réalisée à partir d’autre chose que l’olive, comme les noix et le pavot. Il semble donc que le chrême pourrait être aussi réalisé avec une telle huile.

[14560] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, sacramentum confirmationis est ad corroborandum hominem in pugna spirituali. Sed vinum facit homines bonae spei, secundum philosophum, quod ad fortitudinem pugnae exigitur; et similiter panis cor hominis confirmat, ut dicitur in Psal. 103. Ergo panis et vinum esset hujus sacramenti convenientior materia quam oleum et balsamum.

5. Le sacrement de la confirmation a comme fin de renforcer l’homme en vue du combat spirituel. Or, le vin donne aux hommes de grands espoirs, selon le Philosophe, ce qui est nécessaire pour la force dans le combat ; de même, le pain renforce le cœur de l’homme, comme on le dit dans Ps 103. Le pain et le vin seraient donc une matière plus appropriée que l’huile et le baume.

[14561] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, materia sacramenti debet habere significationem et respectu effectus, et respectu alicujus quod in Christo praecessit, a quo sacramenta profluxerunt. Sed per hujusmodi liquores nihil significatur in Christo praecedens. Ergo hujusmodi liquores non sunt conveniens materia hujus sacramenti.

6. La matière du sacrement doit avoir une signification en regard de son effet et en regard de quelque chose qui a précédé chez le Christ, de qui les sacrements se sont écoulés. Or, par ces liquides, rien d’antérieur n’est signifié chez le Christ. Ces liquides ne sont donc pas la matière appropriée pour ce sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une matière sanctifiée à l’avance est-elle nécessaire ?]

[14562] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non exigatur materia prius sanctificata. Confirmatio enim, ut in littera dicitur, non est majoris virtutis quam Baptismus. Sed in Baptismo non requiritur materia prius sanctificata. Ergo nec in confirmatione.

1. Il semble qu’une matière sanctifiée à l’avance ne soit pas nécessaire. En effet, la confirmation, comme il est dit dans le texte, n’a pas une plus grande puissance que le baptême. Or, pour le baptême, une matière sanctifiée à l’avance n’est pas nécessaire. Donc, non plus pour la confirmation.

[14563] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum. Si ergo oporteret quod materia aliquibus verbis prius sanctificaretur, tunc etiam ipsum chrisma per se est quoddam sacramentum, et non sacramenti materia.

2. Selon Augustin, «la parole est jointe à un élément, et le sacrement est réalisé». Si donc il fallait que la matière soit d’abord sanctifiée par certaines paroles, le chrême lui-même serait aussi par lui-même un sacrement, et non la matière du sacrement.

[14564] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sanctificatio non est iteranda circa idem. Sed per formam sacramenti sanctificatur materia, ut patet in Baptismo, cujus materia est aqua verbo vitae sanctificata; quod verbum supra, dist. 3, dixit Magister esse formam Baptismi. Ergo non debet ante prolationem formae sacramentalis aliqua sanctificatio circa materiam confirmationis adhiberi.

3. Une sanctification ne doit pas être répétée pour la même chose. Or, par la forme du sacrement, la matière est sanctifiée, comme cela ressort clairement dans le baptême, dont la matière est de l’eau sanctifiée par une parole de vie, parole que, plus haut, d. 3, le Maître affirme être la forme du baptême. Une sanctification relative à la matière de la confirmation n’est donc pas nécessaire avant que la forme sacramentelle ne soit exprimée.

[14565] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est communis usus Ecclesiae, et etiam determinatio Dionysii, qui ponit ritum consecrationis chrismatis.

Cependant, il y a l’usage commun de l’Église et même la position de Denys, qui présente le rite de la consécration du chrême.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14566] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod materia sacramenti dicitur illa res visibilis sub cujus tegumento divina virtus secretius operatur salutem; et ideo ad hoc necessaria est materia sacramentis, ut ad effectum, ad quem virtus humana nullatenus attingit neque operando neque cooperando, divina virtus in re visibili operans perducat. Et ideo in poenitentia et in matrimonio cujus effectus aliquo modo dependet ex operatione humana, scilicet dolore de peccatis, et consensu etiam in copulam conjugalem, non requiritur talis materia. In Baptismo autem, cujus effectus totaliter est ab extrinseco, nil cooperante interius baptizante neque eo qui baptizatur, nisi ad removendum impedimentum, requiritur materia sensibilis. Cum ergo effectus confirmationis, qui est plenitudo spiritus sancti, sit omnino ab extrinseco, non per aliquam operationem humanam, non est dubium quod in sacramento confirmationis materia exigatur.

Est appelée matière du sacrement la chose visible sous le voile de laquelle la puissance divine réalise secrètement le salut. Aussi, une matière est-elle nécessaire aux sacrements afin que la puissance divine, agissant dans une chose visible, conduise à l’effet que la puissance humaine ne peut d’aucune manière atteindre ni en agissant ni en coopérant. C’est pourquoi, dans la pénitence et dans le mariage, dont l’effet dépend d’une certaine manière de l’action humaine, à savoir, la douleur pour les péchés et aussi le consentement à l’union conjugale, une telle matière n’est pas nécessaire. Mais, dans le baptême, dont l’effet vient entièrement de l’extérieur, sans que celui qui baptise ni celui qui est baptisé ne coopèrent de l’intérieur, si ce n’est pour enlever un empêchement, une matière sensible est requise. Puisque l’effet de la confirmation, qui est la plénitude de l’Esprit Saint, vient entièrement de l’extérieur, et non d’une action humaine, il n’est donc pas douteux qu’une matière soit nécessaire dans le sacrement de confirmation.

[14567] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod plenitudo spiritus sancti non erat danda ante Christi resurrectionem et ascensionem, sicut dicitur Joan. 7, 39: nondum erat spiritus datus, quia nondum erat Jesus glorificatus; et ideo secundum unam opinionem, ea quae ad hoc sacramentum pertinent non fuerunt ante Christi ascensionem instituenda. Sed aliquo modo praefiguratum fuit hoc sacramentum in manus impositione Christi super pueros; quamvis etiam illa manus impositio possit referri magis ad manus impositionem quae fit super catechumenos, ut dictum est. Nec hoc differt, sive dominus ipsemet instituit, sive apostoli ejus speciali praecepto. Secundum vero aliam opinionem dicendum, quod dominus materiam hujus sacramenti per seipsum instituit, sicut et adventum spiritus sancti promisit; sed denuntiandam apostolis dereliquit, quando usus sacramenti competebat, scilicet post plenam spiritus sancti missionem.

1. La plénitude de l’Esprit Saint ne devait pas être donnée avant la résurrection et l’ascension du Christ, comme il est dit en Jn 7, 39 : L’Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. C’est pourquoi, selon une opinion, ce qui se rapporte à ce sacrement ne devait pas être institué avant l’ascension du Christ. Mais il a été préfiguré d’une certaine manière par l’imposition de la main aux enfants par le Christ, bien que cette imposition de la main puisse être mise en rapport plutôt avec l’imposition de la main faite aux catéchumènes, comme on l’a dit. Et cela ne fait pas de différence que le Seigneur lui-même ou que ses apôtres l’aient institué par un commandement spécial de sa part. Mais, selon une autre opinion, il faut dire que le Seigneur a institué par lui-même la matière de ce sacrement, comme il a promis la venue de l’Esprit Saint, mais il a laissé aux apôtres d’annoncer le moment où l’usage du sacrement serait approprié, à savoir, après le plein envoi de l’Esprit Saint.

[14568] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut sacramentum Baptismi incepit in Baptismo Christi; ita sacramentum confirmationis incepit in adventu spiritus sancti in apostolos. Et quia principia rerum debent esse notissima, ideo utrobique spiritus sanctus apparuit visibiliter; in Baptismo quidem in columbae specie, et in confirmatione apostolorum in linguis igneis; et propter hoc non oportuit esse materiam, in qua spiritus sanctus secretius operaretur salutem, ut Augustinus dicit.

2. De même que le sacrement de baptême a commencé avec le baptême du Christ, de même le sacrement de confirmation a-t-il commencé avec la venue de l’Esprit Saint sur les apôtres. Et parce que le commencement des choses doit être le plus connu, c’est pourquoi l’Esprit Saint est apparu aux deux endroits : dans le baptême [du Christ], sous la forme d’une colombe, et dans la confirmation des apôtres, sous la forme de langues de feu. Pour cette raison, il n’était pas nécessaire qu’il y eût une matière par laquelle l’Esprit Saint réaliserait secrètement le salut, comme le dit Augustin.

[14569] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli non confirmabant sine materia, nisi forte quando praeter legem communem visibilibus signis spiritus sanctus in eos descendebat quibus per apostolos manus impositio facta fuerat: tunc enim illa visibilis apparitio supplebat locum elementi visibilis. Quod autem aliquando materia uterentur, patet per Dionysium in 4 cap. Eccl. Hier. in principio, ubi dicitur, quod est quaedam perfectiva operatio quam duces nostri, quos apostolos nominat, chrismatis hostiam nominant, hostiam dicens communiter omnem ritum sacramenti.

3. Les apôtres ne confirmaient pas sans matière, si ce n’est peut-être lorsque, hors de la loi commune, l’Esprit Saint descendait par des signes visibles sur ceux à qui les apôtres avaient imposé la main. Alors, en effet, cette apparition visible remplaçait l’élément visible. Qu’ils aient parfois utilisé une matière, cela ressort clairement de Denys, dans la Hiérarchie ecclésiastique, IV, au début, où il dit qu’il y a une action qui perfectionne que nos chefs, comme il appelle les apôtres, appellent «l’offrande du chrême», en appelant «offrande» d’une manière générale tout rite sacramentel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14570] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, hoc sacramentum initium sumpsit ab adventu spiritus sancti in discipulos, qui quamvis prius spiritum sanctum habuissent in munere gratiae, quo perficiebantur ad ea quae ad singulares personas eorum pertinebant, tamen in die etiam Pentecostes susceperunt spiritum sanctum, sed in munere gratiae quo perficiebantur ad promulgationem fidei in salutem aliorum; et ideo facta est apparitio spiritus sancti linguis igneis, ut verbis essent proflui ad divulgandam fidem Christi; et caritate fervidi, aliorum salutem quaerentes; et propter hoc dicitur Act. 2, 4: repleti sunt spiritu sancto, et coeperunt loqui. Igni autem nihil convenientius accipi potuit loco ejus in materia confirmationis quam oleum, tum quia lucet, tum quia maxime est nutritivum ignis. Figurae autem linguae nihil convenientius esse potuit quam balsamum propter odorem, quia propter confessionem linguae odor bonae notitiae Dei diffunditur in omni loco. Et ideo sicut visibilis apparitio spiritus sancti fuit in igne figurato figura linguae, ita materia confirmationis est oleum balsamatum, ut oleum pertineat ad conscientiam quam oportet nitidam habere eos qui confessores divinae fidei constituuntur; et balsamum ad famam, quam oportet effundere et verbis et factis fidei confessores.

Comme on l’a dit, ce sacrement a pris origine dans la venue de l’Esprit Saint sur les disciples, qui, bien qu’ils aient eu auparavant l’Esprit Saint par le don de la grâce, par lequel ils étaient perfectionnés en vue de ce qui relevait de chaque personne en particulier, ont cependant reçu l’Esprit Saint, le jour de la Pentecôte, mais par un don de la grâce qui les perfectionnaient en vue de la diffusion de la foi pour le salut des autres. C’est pourquoi il y eut apparition de l’Esprit Saint sous la forme de langues de feu, afin qu’ils débordent de paroles pour diffuser la foi au Christ, et aient une charité fervente pour chercher le salut des autres. Pour cette raison, il est dit en Ac 2, 4 : Ils furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler. Or, rien de plus approprié que l’huile ne put être trouvé pour remplacer le feu comme matière de la confirmation : en effet, [l’huile] brille et elle est ce qui entretient le plus le feu. Mais il ne pouvait y avoir rien de plus approprié à la langue que le baume en raison de son odeur, car, par la confession de la langue, l’odeur d’une bonne connaissance de Dieu se diffuse en tout lieu. Ainsi, de même que l’apparition visible de l’Esprit Saint se réalisa dans la figure du feu sous forme de langue, de même la matière de la confirmation est-elle l’huile embaumée, de sorte que l’huile soit en rapport avec la conscience pure que doivent avoir ceux qui sont établis comme confesseurs de la foi, et le baume avec la bonne renommée que les confesseurs de la foi doivent répandre par leurs paroles et par leurs actes.

[14571] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non debet in omnibus sacramentis observari uniformitas identitatis, sed proportionalitatis; ut sicut materia unius sacramenti competit illi sacramento, ita materia alterius sacramenti etiam competat alii. Et quia Baptismus est janua sacramentorum, quasi principium et elementum omnium aliorum, ideo sibi competit materia quae sit simplex elementum, non autem ita aliis sacramentis, in quibus additur aliquid speciale; sicut corpora mixta habent aliquas virtutes superadditas speciem consequentes.

1. Il n’est pas nécessaire que soit respectée dans tous les sacrements une uniformité selon l’identité, mais [une uniformité] selon la proportionnalité, de sorte que, de même que la matière d’un sacrement est appropriée à ce sacrement, de même la matière d’un autre sacrement est aussi appropriée à un autre. Et parce que le baptême est la porte des sacrements, comme uun principe et un élément de tous les autres, lui est appropriée une matière qui est un élément simple. Mais il n’en est pas de même pour les autres sacrements par lesquels quelque chose de spécial est ajouté, de même que les corps mixtes ont des puissances ajoutées qui découlent de leur espèce.

[14572] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus hujus sacramenti quamvis sit simplex in essentia, tamen est multiplex in effectu: quia et hominem facit ferventem in conscientia, et famosum per confessionem; et ideo materia hujus sacramenti est et una et multiplex: una in actu, sed multiplex in virtute, sicut et alia mixta.

2. La puissance de ce sacrement, bien qu’elle soit simple par essence, est cependant multiple par son effet, car elle rend l’homme fervent dans sa conscience et renommé par sa confession. Ainsi, la matière de ce sacrement est-elle à la fois une et multiple : une en acte, mais multiple par sa puissance, comme les autres réalités mixtes.

[14573] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio procedit in sacramentis necessitatis, cujusmodi non est hoc sacramentum. Tamen oleum et balsamum quamvis non ubique terrarum crescant, tamen ubique de facili transportari possunt.

3. Ce raisonnement vaut pour les sacrements nécessaires, ce que n’est pas ce sacrement. Cependant, l’huile et le baume, bien qu’ils ne croissent pas partout sur la terre, peuvent cependant être facilement transportés partout.

[14574] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietates olei perfectius in oleo olivae inveniuntur, unde antonomastice oleum dicitur; et praeterea ipsa oliva propter virorem perpetuum quem conservat, adjuvat ad significationem mysterii.

4. Les propriétés de l’huile se trouvent plus parfaitement dans l’huile d’olive. Aussi est-elle appelée «huile» par antonomase. Au surplus, l’olivier lui-même contribue à la signification du mystère par la vigueur perpétuelle qu’il conserve.

[14575] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod vinum et panis roborant hominem per modum nutrimenti confortando hominem in seipso; ideo magis competunt Eucharistiae; sed oleum facit expeditum et ferventem ad ea quae exterius sunt; et ideo etiam pugiles oleo unguntur; et ideo competit magis oleum huic sacramento.

5. Le vin et le pain renforcent l’homme par mode de nourriture, en le fortifiant en lui-même. Aussi sont-ils plutôt appropriés à l’eucharistie. Mais l’huile le rend empressé et fervent pour ce qui est à l’extérieur [de lui-même]. C’est pourquoi les lutteurs sont aussi oints d’huile. Ainsi, l’huile est-elle plus appropriée pour ce sacrement.

[14576] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hac unctione, ut dicit Hugo de sancto Victore, significatur illa unctio qua Christus unctus est ut rex et sacerdos oleo laetitiae prae consortibus suis. Unde etiam a chrismate Christus dicitur, et a Christo Christianus; et propter hoc etiam Dionysius per chrisma Christum significari dicit.

6. Comme le dit Hugues de Saint-Victor, par cette onction, est signifiée l’onction qu’a reçue le Christ comme roi et prêtre avec l’huile de la joie, plus que tous ceux qui partagent son sort. Aussi le nom de Christ vient-il de chrême et celui de chrétien de Christ. Pour cette raison aussi, Denys dit que le Christ est signifié par le chrême.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14577] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod materia sacramenti est quasi instrumentum sanctificationis; est autem instrumentum et principalis agentis et ministri qui materia sacramenti utitur ad significandum. Quodlibet autem sacramentum determinat sibi principale agens quantum ad necessitatem sacramenti, quia non habet efficaciam aliquam nisi ex auctoritate domini et merito Christi; sed non quodlibet sacramentum determinat sibi ministrum quantum ad necessitatem sacramenti, sed quandoque solum quantum ad solemnitatem, sicut patet in Baptismo. Et ideo ut materia sacramenti etiam principali agenti respondeat proportionaliter et ministro, illa sacramenta quae ministrum sibi determinant, materiam sanctificatam exigunt, ut dispositio sacramenti a ministris Ecclesiae descendere ostendatur. Sacramentum autem quod non determinat sibi ministrum nisi quantum ad solemnitatem, non habet materiam sanctificatam quantum ad necessitatem sacramenti, sed solum quantum ad solemnitatem, in cujus materia etiam chrisma in modum crucis effunditur. Et quia sacramentum confirmationis determinat sibi ministrum, ut dicetur, ideo materiam sanctificatam requirit ab eo qui est minister sacramenti, scilicet ab episcopo.

La matière d’un sacrement est comme un instrument de sanctification, mais elle est un instrument pour l’agent principal et pour le ministre, qui utilise la matière du sacrement pour signifier. Or, tous les sacrements déterminent pour eux-mêmes un agent principal pour ce qui est nécessaire au sacrement, car celui-ci n’a de puissance qu’en vertu de l’autorité du Seigneur et du mérite du Christ. Mais tous les sacrements ne déterminent pas pour eux-mêmes un ministre pour ce qui est nécessaire au sacrement, mais parfois seulement pour [ce qui est nécessaire] pour leur solennité, comme cela ressort clairement pour le baptême. C’est pourquoi, afin que la matière du sacrement corresponde proportionnellement à l’agent principal et au ministre, les sacrements qui déterminent pour eux-mêmes un ministre requièrent une matière sanctifiée, comme le montre le fait que l’aménagement du sacrement vient des ministres de l’Église. Mais le sacrement qui ne détermine pour lui-même un ministre que pour sa solennité n’a pas de matière sanctifiée pour ce qui est nécessaire au sacrement, mais seulement pour sa solennité, matière dans laquelle le chrême est aussi versé en forme de croix. Et parce que le sacrement de confirmation détermine pour lui-même un ministre, comme on le dira, il exige une matière sanctifiée par celui qui est ministre du sacrement, l’évêque.

[14578] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad hoc nihil facit virtus sacramenti, sed determinatio ministri, ut dictum est. Vel dicendum, quod Baptismus est sacramentum necessitatis; et ideo materiam communissimam habet; et propter hoc sanctificatione non indiget.

1. La puissance du sacrement ne contribue ici en rien, mais la détermination du ministre, comme on l’a dit. Ou bien il faut dire que le baptême est un sacrement nécessaire. C’est pourquoi il a la matière la plus commune et, pour cette raison, n’a pas besoin de sanctification.

[14579] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt ipsum chrisma esse sacramentum. Sed hoc falsum apparet in hoc quod usus chrismatis in pluribus est quam sacramentum confirmationis; sicut patet in baptizato, qui chrismate in fronte linitur, et de pontifice, cujus caput chrismate tangitur. Et ideo dicendum, quod sacramentum confirmationis non est ipsum chrisma, sed linitio chrismatis sub forma praescripta verborum. Illa autem benedictio vocalis chrismatis non est forma sacramenti, sed magis est quaedam benedictio sacramentalis, sicut benedictio aquae vel altaris.

2. Certains disent que le chrême lui-même est le sacrement. Mais cela apparaît faux du fait que l’usage du chrême sert à plus de choses qu’au sacrement de confirmation, comme cela est clair pour le baptisé, qui est oint de chrême sur le front, et pour le pontife, dont le chrême touche la tête. C’est pourquoi il faut dire que le sacrement de confirmation n’est pas le chrême, mais l’onction de chrême faite selon la forme prescrite pour les paroles. Mais cette bénédiction verbale du chrême n’est pas la forme du sacrement : elle est plutôt une bénédiction sacramentelle, comme la bénédiction de l’eau ou de l’autel.

[14580] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut instrumentum virtutem instrumentalem acquirit dupliciter, scilicet quando accipit formam instrumenti, et quando movetur a principali agente ad effectum; ita etiam materia sacramenti duplici sanctificatione indiget: una qua instituitur materia propria sacramenti, et ad hoc est sanctificatio materiae; alia est quando applicatur ad effectum, quae fit per formam sacramenti. Et ideo non fit injuria sanctificationi, si duplex sanctificatio in talibus adhibeatur.

3. De même que l’instrument reçoit une puissance instrumentale de deux manières, à savoir, lorsqu’il reçoit la forme d’instrument et lorsqu’il est mû par l’agent principal en vue d’un effet, de même aussi la matière d’un sacrement requiert-elle une double sanctification : l’une par laquelle est instituée la matière propre du sacrement, et c’est le but de la sanctification de la matière ; l’autre, lorsqu’elle est appliquée en vue d’un effet et qui se réalise par la forme du sacrement. C’est pourquoi aucun tort n’est causé à la sanctification si une double sanctification est faite dans de tels cas.

 

 

Articulus 3 [14581] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 tit. Utrum sacramentum confirmationis habeat formam

Article 3 – Le sacrement de confirmation a-t-il une forme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le sacrement de confirmation a-t-il une forme ?]

[14582] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacramentum confirmationis non habeat formam. Sacramenta enim a Christo descenderunt. Sed Christus non legitur aliqua forma usus, manus imponens. Ergo cum illa manus impositio confirmationem designet, videtur quod confirmationis sacramentum non habeat aliquam formam.

1. Il semble que le sacrement de confirmation n’ait pas de forme. En effet, les sacrements viennent du Christ. Or, on ne lit pas que le Christ ait utilisé une forme en imposant les mains. Puisque cette imposition de la main désigne la confirmation, il semble donc que le sacrement de confirmation n’ait pas de forme.

[14583] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, apostoli etiam leguntur per manus impositionem spiritum sanctum dedisse. Sed illa manus impositio, ut sancti dicunt, fuit confirmatio illorum quibus manus imponebant. Ergo cum non legatur eos sub aliqua forma verborum manus imposuisse, sicut leguntur in nomine Christi baptizasse, videtur quod hoc sacramentum non habeat formam.

2. On lit aussi que les apôtres ont donné l’Esprit Saint par l’imposition de la main. Or, cette imposition de la main, comme le disent les saints, était la confirmation pour ceux à qui ils imposaient les mains. Puisqu’on ne lit pas qu’ils aient imposé les mains sous une forme déterminée de paroles, comme on lit qu’ils ont baptisé au nom du Christ, il semble donc que ce sacrement n’ait pas de forme.

[14584] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramenta quae habent formam, sub eisdem verbis apud omnes perficiuntur. Sed sacramentum confirmationis non perficitur eisdem verbis apud omnes. Dicunt enim quidam: consigno te signo crucis, et confirmo te chrismate salutis in nomine patris et filii et spiritus sancti. Quidam autem dicunt: chrismate sanctificationis. Ergo hoc sacramentum non habet aliquam formam.

3. Les sacrements qui ont une forme sont accomplis pour tous selon les mêmes paroles. Mais le sacrement de confirmation n’est pas accompli selon les mêmes paroles pour tous. En effet, certains disent : «Je te marque du signe de la croix et je te confirme par le chrême du salut au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.» Mais certains disent : «… du chrême de la sanctification». Ce sacrement n’a donc pas de forme.

[14585] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Magister dixit in 1 dist., quod duo sunt in quibus sacramenta consistunt, verbum, et res. Verba autem ad formam pertinent.

Cependant, [1] le Maître a dit, dans la d. 1, que les sacrements consistent en deux choses : une parole et une chose. Or, les paroles se rapportent à la forme.

[14586] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum.

[2] Augustin dit : «La parole est jointe à un élément, et cela devient un sacrement.»

 

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La forme des paroles est-elle appropriée ?]

[14587] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illa forma verborum non sit competens. In quolibet enim sacramento exigitur intentio. Sed ad designandum intentionem in forma Baptismi exprimitur persona baptizans hoc pronomine ego. Ergo et in forma confirmationis hoc pronomen ego apponi debet.

1. Il semble que cette forme des paroles ne soit pas appropriée. En effet, pour tout sacrement, l’intention est exigée. Or, pour indiquer l’intention dans la forme du baptême, la personne qui baptise est exprimée par le pronom «je». Dans la forme de la confirmation, ce pronom doit donc être présent.

[14588] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, consignatio videtur ad characteris impressionem pertinere. Sed characterem non imprimit minister magis hic quam in Baptismo. Cum ergo in Baptismo nulla fiat mentio de consignatione in forma, nec hic fieri deberet de ipsa mentio.

2. La marque semble se rapporter à l’impression du caractère. Or, le ministre n’imprime pas davantage ici un caractère que dans le baptême. Puisque aucune mention de marque n’est faite dans la forme lors du baptême, une telle mention ne devrait pas en être ici faite.

[14589] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per Baptismum homo maxime configuratur passioni Christi. Sed in forma Baptismi non fit mentio aliqua de Christi passione. Ergo nec in forma ista deberet fieri mentio de cruce.

3. Par le baptême, l’homme est surtout configuré à la passion du Christ. Or, dans la forme du baptême, il n’est pas fait mention de la passion du Christ. On ne devrait donc pas non plus mentionner la croix dans la forme [de la confirmation].

[14590] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut confirmatio habet formam determinatam, ita et Baptismus. Sed in Baptismi forma non fit mentio de materia ipsius: non enim dicitur: baptizo te aqua. Ergo nec hic deberet fieri mentio de chrismate.

4. De même que la confirmation a une forme déterminée, de même aussi le baptême. Or, dans la forme du baptême, il n’est pas fait mention de sa matière. En effet, on ne dit pas : «Je te baptise par l’eau.» On ne devrait donc pas ici non plus mentionner le chrême.

[14591] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, forma est de essentia sacramenti: quia multi accipiunt sacramentum qui non accipiunt rem sacramenti. Ergo non debet res sacramenti poni in forma, sicut hic ponitur, chrismate salutis.

5. La forme fait partie de l’essence du sacrement, car beaucoup reçoivent le sacrement sans recevoir la réalité du sacrement. La réalité du sacrement ne devrait donc pas être indiquée dans la forme, comme elle l’est ici : «… par le chrême du salut».

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La forme de ce sacrement a-t-elle une efficacité ?]

[14592] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod forma ista non habeat in hoc sacramento aliquam efficaciam. Quia, secundum Hugonem de sancto Victore, sacramentum ex sanctificatione invisibilem gratiam continet. Sed materia hujus sacramenti est sanctificata etiam ante formae prolationem. Ergo formae prolatio nullam efficaciam praebet sacramento.

1. Il semble que cette forme n’a pas d’efficacité dans ce sacrement. En effet, selon Hugues de Saint-Victor, le sacrement contient une grâce invisible en vertu de sa sanctification. Or, la matière de ce sacrement est même sanctifiée avant l’expression de la forme. L’expression de la forme ne confère donc aucune efficacité au sacrement.

[14593] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut in Eucharistia est sanctificatio hostiae et usus ipsius, ita et hic. Sed ibi tota virtus sacramenti est in hostia sanctificata, ut patet in forma verborum quae proferuntur, cum quis hostiam sumit, cum dicitur: corpus domini nostri et cetera. Ergo et similiter hic virtus sacramenti non consistit in verbis praemissis, quae in usu materiae hujus sacramenti dicuntur.

2. De même que, dans l’eucharistie, il y a sanctification et usage de l’hostie, de même ici. Or, [dans l’eucharistie], toute la puissance du sacrement se trouve dans l’hostie sanctifiée, comme cela ressort clairement de la forme des paroles dites lorsqu’on prend l’hostie : «Le corps de notre Seigneur, etc…» De la même manière ici, la puissance du sacrement ne consiste pas dans les paroles mentionnées, qui sont dites lors de l’usage de la matière de ce sacrement.

[14594] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quod forma est principalior in re quam in materia. Si ergo materia aliquid efficit, multo fortius forma.

Cependant, [1] la forme est plus importante pour la réalité que pour la matière. Si donc la matière réalise quelque chose, à bien plus forte raison la forme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14595] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ministri sacramentorum operantur in sacramentis benedicendo et sanctificando; et ideo secundum quod ad aliquod sacramentum requiritur minister, ita requiritur forma qua minister sacramentum dispensat.

Les ministres des sacrements agissent dans les sacrements en bénissant et en sanctifiant. Aussi, selon qu’un ministre est requis pour un sacrement, la forme par laquelle le ministre dispense le sacrement l’est-elle aussi.

[14596] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est, illa manus impositio quam dominus pueris exhibebat, non erat proprie sacramentum confirmationis, quod non conveniebat exhiberi ante ipsius glorificationem; sed vel erat signum quoddam futurae confirmationis, vel erat talis manus impositio, qualis fit in catechismo et exorcismo. Si tamen dominus confirmasset sine forma vel materia, non esset inconveniens; quia ipse habebat excellentiae potestatem in sacramentis, qui poterat effectum sacramenti sine sacramentalibus praebere; quod non est de aliis.

1. Comme on l’a dit, cette imposition de la main que le Seigneur fait aux enfants n’était pas à proprement parler le sacrement de confirmation, qu’il n’était pas approprié de donner avant sa glorification. Elle était soit un signe d’une confirmation à venir, soit une imposition de la main comme celle qui est faite lors du catéchisme et de l’exorcisme. Toutefois, si le Seigneur avait confirmé sans forme ou matière, cela ne serait pas inapproprié, car il avait un pouvoir d’excellence sur les sacrements, qui pouvait conférer l’effet du sacrement sans les sacrements [corr.], ce qui n’est pas le cas pour les autres.

[14597] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt quod apostoli propter dignitatem et auctoritatem ipsorum confirmabant sine materia et forma per solam manus impositionem. Sed hoc non videtur bene dictum: quia quantumcumque ipsi essent magnae auctoritatis, tamen potestatem excellentiae in sacramentis dispensandis non habebant. Et ideo dicendum, quod apostoli aliqua forma utebantur, quamvis non sit scripta. Multa enim apostoli servabant in sacramentorum dispensatione quae nolebant divulgari propter irrisionem gentilium evitandam, sicut patet per apostolum, qui dicit 1 Corinth. 11, 34: cetera, cum venero, disponam; et loquitur de celebratione sacramenti Eucharistiae; et hoc est etiam quod Dionysius dicit in fine Eccl. Hier.: consummativas autem invocationes, idest verba quibus perficiuntur sacramenta, non est justum Scripturas interpretantibus, neque mysticum earum, aut in ipsis operatas ex Deo virtutes, ex occulto ad commune adducere; sed, ut nostra sacra traditio habet, sine pompa, idest occulte, eas edocere et cetera. Ex quibus verbis tria possumus accipere. Primo, quia apostoli in sacramentis utebantur forma verborum certa, quia ipse alibi in eodem Lib. dicit, quod tradit ritum sacramentorum sicut apostoli docebant. Secundo, quod in occulto tradebantur hujusmodi sacramentalia in primitiva Ecclesia. Tertio, quod in ipsis verbis est aliqua virtus, quod quidam negant.

2. Certains disent que les apôtres, en raison de leur dignité et de leur autorité, confirmaient sans matière ni forme, par la seule imposition de la main. Mais cela ne semble pas être exact, car, aussi grande qu’ait été leur autorité, ils n’avaient cependant pas le pouvoir d’excellence dans la dispensation des sacrements. C’est pourquoi il faut dire que les apôtres utilisaient une forme, bien qu’elle ne soit pas écrite. En effet, les apôtres observaient bien des choses dans la dispensation des sacrements, qu’ils ne voulaient pas divulguer afin d’éviter la dérision des païens, comme cela ressort clairement chez l’Apôtre qui dit, en 1 Co 11, 34 : Pour le reste, j’en disposerai lorsque je viendrai, alors qu’il parle de la célébration de l’eucharistie. C’est aussi ce que dit Denys, à la fin de la Hiérarchie ecclésiastique : «Il n’est pas juste que ceux qui interprètent les Écritures révèlent à tous les paroles qui accomplissent – c’est-à-dire les paroles par lesquelles sont réalisés les sacrements –, ni leur sens mystique, ni les puissances issues de Dieu qui agissent en eux; mais, comme notre tradition le comporte, qu’ils les enseignent sans pompe, etc.» – c’est-à-dire, de manière cachée. Nous pouvons tirer trois conclusions de ces paroles. Premièrement, les apôtres utilisaient une forme déterminée de paroles pour les sacrements, car il dit lui-même ailleurs dans le même livre qu’il communique le rite des sacrements tel que les apôtres l’ont enseigné. Deuxièmement, ils transmettaient de manière occulte ce qui concernait les sacrements dans l’Église primitive. Troisièmement, il y a une certaine puissance dans ces mêmes paroles, ce que nient certains.

[14598] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod variatio formae in his quae non sunt de essentia formae, potest tolerari secundum diversas Ecclesiarum consuetudines, dummodo substantia formae apud omnes servetur. Hoc autem quod a quibusdam dicitur, chrismate salutis, vel sanctificationis, quasi in unum redit; et ideo per hoc non removetur quin hoc sacramentum habeat determinatam formam.

3. La variation de la forme pour ce qui ne fait pas partie de l’essence de la forme peut être tolérée selon les diverses coutumes des églises, pourvu que la substance de la forme soit respectée par toutes. Or, ce qui est dit par certains : «… par la chrême du salut» ou «… par le chrême de la sanctification» revient à la même chose. C’est pourquoi n’est pas enlevé par cela le fait que ce sacrement ait une forme déterminée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14599] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut definitio debet indicare totum esse rei, si sit perfecta; ita per formam sacramenti debet innotescere totum quod ad sacramentum pertinet. Sacramentum autem et est ad aliquem finem ordinatum, et ab aliqua causa principali efficaciam habet. Et ideo tria ponuntur in forma hujus sacramenti; quorum primum pertinet ad finem ad quem institutum est hoc sacramentum, qui est confessio fidei Christianae, cujus tota summa consistit in passione Christi; unde apostolus 1 Corinth. 2, 2: non enim judicavi me aliquid scire inter vos, nisi Jesum crucifixum; et ita hujus articuli confessio majorem habet difficultatem: quia, sicut dicitur in eadem epistola, 1 Corinth. 1, 23, nos autem praedicamus Christum crucifixum, Judaeis quidem scandalum, gentibus autem stultitiam; et ad hoc pertinet cum dicitur: consigno te signo sanctae crucis, ut crucis verbum non erubescat, sed publice confiteatur. Secundo ponitur ipse sacramentalis actus cum sua materia et effectu, ut sic tangatur et id quod est sacramentum tantum, in hoc quod dicitur, chrismate; et id quod est res et sacramentum, in hoc quod dicit, confirmo, idest sacramentum confirmationis praebeo; et id quod est res et non sacramentum, in hoc quod dicit, salutis. Sed causa agens principalis, unde sacramentum effectum habet, tangitur in hoc quod dicit: in nomine patris et filii et spiritus sancti.

De même que la définition doit indiquer tout ce qu’est une chose, si elle est parfaite, de même, par la forme du sacrement, doit être manifesté tout ce qui se rapporte au sacrement. Or, le sacrement est ordonné à une certaine fin et il tient aussi son efficacité d’une cause principale. C’est pourquoi trois choses sont indiquées dans la forme de ce sacrement. La première se rapporte à la fin pour laquelle ce sacrement a été institué, qui est la confession de la foi chrétienne, dont toute la somme se trouve dans la passion du Christ. Aussi l’Apôtre dit-il en 1 Co 2, 2 : En effet, je n’ai jugé bon de connaître rien d’autre parmi vous que Jésus crucifié. Or, la confession de cet article comporte une plus grande difficulté, car, comme il est dit dans la même épître, 1 Co 1, 23 : Nous, nous prêchons le Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. C’est à cela que se rapporte ce qui est dit : «Je te marque du signe de la sainte croix», afin qu’on ne rougisse pas de la parole de la croix, mais qu’on la confesse publiquement. Deuxièmement, l’acte sacramentel lui-même est indiqué, avec sa matière et son effet, de sorte qu’est ainsi abordé ce qui est le sacrement seulement, en disant : «par le chrême» ; ce qui est la réalité et le sacrement, en disant : «Je te confirme», c’est-à-dire : «Je te donne le sacrement de la confirmation» ; et ce qui est la réalité sans être le sacrement, en disant : «… du salut». Mais la cause agissante principale, dont le sacrement tient son effet, est abordée lorsqu’on dit : «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.»

[14600] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus est sacramentum necessitatis; et ideo intentio baptizantis magis est arctanda ad actum sacramenti. Vel dicendum quod baptizare potest quilibet, confirmare autem solus ille qui est in summo gradu Ecclesiae, de quo praesumitur quod minus possit in dispensatione sacramenti deficere; et ideo non requiritur tanta arctatio intentionis per verba in forma apposita.

1. Le baptême est un sacrement nécessaire. C’est pourquoi l’intention de celui qui baptise doit se restreindre davantage à l’acte du sacrement. Ou bien il faut dire que tous peuvent baptiser, mais que seul celui qui a le rang le plus élevé dans l’Église peut confirmer, dont on présume qu’il peut moins errer dans la dispensation du sacrement. C’est pourquoi n’est pas requise une telle restriction d’intention dans les paroles de la forme utilisée.

[14601] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consignatio quae ponitur in forma, non pertinet ad consignationem characteris, sed ad consignationem crucis, quae fit in fronte linitione chrismatis propter confessionem fidei crucis; et talis signatio non fit in Baptismo, quia baptizatus non consecratur ad aliquid speciale, sed universaliter ad spiritualem vitam; consignatio autem importat quamdam ascriptionem, vel aliquid speciale, quod est in sacramento confirmationis.

2. Le fait de marquer qui est mentionné dans la forme ne se rapporte pas à la marque du caractère, mais à la marque de la croix, qui est faite sur le front par une onction de chrême en vue de la confession de la foi en la croix. Une telle marque n’est pas faite dans le baptême parce que le baptisé n’est pas consacré à quelque chose de spécial, mais d’une manière universelle à la vie spirituelle. Mais la marque comporte une certaine affectation ou quelque chose de spécial, qui se trouve dans le sacrement de confirmation.

[14602] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, configuratur passioni Christi per fidem ejus, quam habere in corde debet; et ideo non exigitur aliqua consignatio exterior, sed sufficit consignatio interior quae est per characterem, et consignatio ad passionem Christi in consepelitione aquae. Sed confirmatio est sacramentum confessionis passionis Christi, sicut Baptismus sacramentum fidei; et ideo exterius in manifesto imprimitur crucis signaculum, et in forma exprimitur.

3. Celui qui est baptisé est configuré à la passion du Christ par la foi en lui, qu’il doit avoir dans son cœur. C’est pourquoi n’est pas exigée une marque extérieure, mais suffit la marque intérieure qui est réalisée par le caractère et l’assimilation à la passion du Christ par l’ensevelissement dans l’eau. Mais la confirmation est le sacrement de la confession de la passion du Christ, comme le baptême est le sacrement de la foi. C’est pourquoi le signe de la croix est imprimé ouvertement de manière extérieure et est exprimé dans la forme.

[14603] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in ipso actu baptizationis intelligitur determinata materia Baptismi: non autem materia confirmationis intelligitur in ipso actu confirmandi; et ideo oportet quod materia addatur.

4. La matière déterminée du baptême est comprise dans l’acte même du baptême, mais non pas la matière de la confirmation dans l’acte même de la confirmation. C’est pourquoi il faut que la matière soit ajoutée.

[14604] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in actu ablutionis magis expresse significatur res sacramenti in Baptismo quam in linitione chrismatis; et ideo non oportet quod addatur effectus salutis ad majorem expressionem.

5. Par l’acte de laver, la réalité du sacrement est davantage exprimée dans le baptême que par l’onction avec le chrême. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que soit ajouté l’effet du salut pour l’expliciter davantage.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14605] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod formae sacramentorum sunt ad perficiendum sacramenta; unde Dionysius vocat eas consummativas invocationes, ut dictum est; et ideo in illo sacramento quod totum consistit in illa re sensibili sanctificata, et non in usu illius rei, forma sacramenti dicitur illud quo materia sanctificatur, non autem illa verba quae in materiae usu proferuntur, sicut patet in Eucharistia. In illis autem sacramentis quae perficiuntur in usu materiae, sicut Baptismus in ipsa tinctione vel ablutione, forma sacramenti est quae dicitur in usu materiae, non quae dicitur in sanctificatione materiae, quia illa sacramentale quoddam est. Et ideo cum sacramentum confirmationis, ut dictum est, perficiatur in usu materiae, constat quod illa verba quae dicit episcopus confirmans, sunt forma sacramenti, et habent efficaciam sicut et aliae formae sacramentorum.

Le but des formes des sacrements est l’accomplissement des sacrements. C’est pourquoi Denys les appelle «des paroles qui accomplissent», comme on l’a dit. Ainsi, dans le sacrement qui consiste entièrement dans une chose sensible sanctifiée, et non dans l’usage de cette chose, on appelle forme du sacrement ce par quoi la matière est sanctifiée, et non les paroles qui sont exprimées lors de l’usage de la matière, comme cela est clair pour l’eucharistie. Mais, dans les sacrements qui se réalisent par l’usage de la matière, comme le baptême par l’aspersion ou l’ablution, la forme du sacrement est celle qui est dite lors de l’usage de la matière, et non celle qui est dite lors de la sanctification de la matière, car celle-là est un sacramental. C’est pourquoi lorsque le sacrement de confirmation, ainsi qu’on l’a dit, s’accomplit par l’usage de la matière, il est clair que les paroles que l’évêque dit en confirmant sont la forme du sacrement et qu’elles ont une efficacité comme les autres formes des sacrements.

[14606] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est sanctificatio sacramenti, ut dictum est. Ex prima ergo sanctificatione quae fit in benedictione materiae, non habet ut actu conferat gratiam, sed ex secunda.

1. La sanctification d’un sacrement est double, comme on l’a dit. Il ne peut donc conférer la grâce en acte en vertu de la première sanctification qui est faite par la bénédiction de la matière, mais en vertu de la seconde.

[14607] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliter est in sacramento Eucharistiae quam in aliis sacramentis: quia ibi totum sacramentum consistit in ipsa hostia consecrata, eo quod ibi Christus realiter continetur, et non virtute tantum, sicut in aliis sacramentis; et ideo forma sacramenti illius sunt verba prolata in sanctificatione hostiae.

2. Il en va autrement du sacrement de l’eucharistie et des autres sacrements. Là, le sacrement consiste entièrement dans l’hostie consacrée du fait que le Christ y est réellement contenu, et non par sa puissance seulement, comme dans les autres sacrements. C’est pourquoi la forme de ce sacrement consiste dans les paroles exprimées lors de la sanctification de l’hostie.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’effet de la confirmation]

 

Prooemium

Prologue

[14608] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de effectu confirmationis; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de effectu qui est res et sacramentum, scilicet character; 2 de effectu qui est res tantum, scilicet gratia.

Ensuite, on s’interroge sur l’effet de la confirmation. À ce sujet, on pose deux questions : 1 – à propos de l’effet qui est réalité et sacrement, à savoir, le caractère ; 2 – à propos de l’effet qui est réalité seulement, à savoir, la grâce.

 

 

Articulus 1 [14609] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 tit. Utrum in sacramento confirmationis character imprimatur

Article 1 – Un caractère est-il imprimé par la confirmation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un caractère est-il imprimé par la confirmation ?]

[14610] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in confirmatione character non imprimatur. Character enim, ut supra, dist. 4, quaest. 1 art. 1 in corp., dictum est, est signum distinctivum. Sed pugna spiritualis omnibus indicitur. Cum ergo confirmationis sacramentum detur ad roborandum in pugna spirituali, videtur quod in ipsa non fiat aliqua distinctio alicujus ab altero per impressionem characteris.

1. Il semble qu’un caractère ne soit pas imprimé par la confirmation. En effet, comme on l’a dit plus haut, d. 4, q. 1, a. 1, c., le caractère est un signe distinctif. Or, le combat spirituel s’impose à tous. Puisque la confirmation est donnée en vue de renforcer en vue du combat spirituel, il semble donc que l’un ne soit pas distingué de l’autre par l’impression d’un caractère.

[14611] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in veteri lege erat necessaria pugna spiritualis, sicut et in nova. Sed in lege veteri non erat aliquod sacramentum characterem imprimens, ut supra dictum est. Ergo nec confirmatio characterem imprimit.

2. Sous la loi ancienne, le combat spirituel était nécessaire, comme sous la nouvelle. Or, sous la loi ancienne, il n’existait pas de sacrement imprimant un caractère, comme on l’a dit. La confirmation n’imprime donc pas de caractère.

[14612] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, supra dictum est, quod character est spiritualis potestas. Sed spiritualis potestas, scilicet percipiendi sacramenta alia, sufficienter traditur in Baptismo; potestas autem activa, scilicet dispensandi sacramenta, ad ordinem pertinet. Cum ergo confirmatus non constituatur in gradu alicujus ordinis vel dignitatis, videtur quod in confirmatione character non imprimatur.

3. Le caractère est un pouvoir spirituel. Or, le pouvoir spirituel de recevoir les autres sacrements est suffisamment communiqué par le baptême ; quant au pouvoir actif de dispenser les sacrements, il relève de l’ordre. Puisque le confirmé n’est pas établi dans un degré d’ordre ou de dignité, il semble donc qu’un caractère ne soit pas imprimé par la confirmation.

[14613] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, character est signum conformans nos Trinitati. Sed sicut oportet nos conformari in sapientia et potentia, ita et in bonitate. Cum ergo in Baptismo imprimatur character fidei, conformans nos divinae sapientiae, et in ordine character potestatis, conformans nos divinae potentiae; videtur quod in confirmatione imprimatur character plenitudinis spiritus sancti, conformans nos divinae bonitati.

Cependant, [1] le caractère est un signe qui nous rend conformes à la Trinité. Or, de même qu’il est nécessaire que nous soyons rendus conformes à sa sagesse et à sa puissance, de même est-il nécessaire que nous le soyons aussi à sa bonté. Puisque, par le baptême, le caractère de la foi est imprimé, qui nous rend conformes à la sagesse divine, et que, par l’ordre, est imprimé un caractère [qui nous rend conformes] à sa puissance, il semble donc que, par la confirmation, le caractère de la plénitude de l’Esprit Saint soit imprimé, qui nous rend conformes à la bonté divine.

[14614] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per characterem quasi ascribimur ad familiam Jesu Christi. Sed Christus sicut est pater noster et sacerdos, ita est et rex noster. Cum ergo per characterem baptismalem ascribamur ei quasi patri filii regenerati per Baptismum, et per characterem ordinis quasi ministri sacerdoti summo, videtur quod simili ratione in confirmatione debeat imprimi character, quo conformemur ei quasi minister regi.

[2] Par le caractère, nous nous joignons pour ainsi dire à la famille de Jésus, le Christ. Or, de même qu’il est notre père et notre prêtre, de même le Christ est-il notre roi. Puisque, par le caractère baptismal, nous nous joignons au père comme des fils régénérés par le baptême, et par le caractère de l’ordre, comme des ministres au grand prêtre, il semble que, pour une raison semblable, un caractère doive être imprimé par la confirmation, par lequel nous lui soyons rendus conformes comme un ministre l’est au roi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le caractère de la confirmation est-il essentiellement le même que celui du baptême ?]

[14615] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod idem sit character confirmationis per essentiam, et Baptismi. Quia ad eamdem formam seu speciem non potest esse nisi una assimilatio. Sed in Trinitate, ut Hilarius dicit, est species indifferens. Ergo cum character sit signum assimilans Trinitati, videtur quod character confirmationis non possit esse alius a charactere Baptismi.

1. Il semble que le caractère de la confirmation soit essentiellement le même que celui du baptême, car il ne peut y avoir qu’une seule assimilation à la même forme ou espèce. Or, dans la Trinité, comme le dit Hilaire, l’espèce ne fait pas de différence. Puisque le caractère est un signe qui assimile à la Trinité, il semble donc que le caractère de la confirmation ne puisse être différent du caractère du baptême.

[14616] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in corporibus ita est quod duo characteres non possunt esse in eadem parte. Sed characteris subjectum est una pars animae, ut supra dictum est. Ergo post primum characterem non potest alius character superaddi.

2. Dans les corps, il se fait que deux caractères ne peuvent se trouver sur la même partie. Or, le sujet du caractère est une seule partie de l’âme, comme on l’a dit plus haut. Après le premier caractère, un autre caractère ne peut donc pas être ajouté.

[14617] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad ea quae se necessario consequuntur, aliquis eodem charactere ascribitur; sicut idem character est in sacerdote ad confitendum et ad absolvendum. Sed confessio fidei, cujus sacramentum est confirmatio, consequitur de necessitate ad fidem, cujus sacramentum est Baptismus; quia corde creditur ad justitiam, ore confessio fit ad salutem; Rom. 10, 10. Ergo idem character est in Baptismo et in confirmatione.

3. Pour les choses qui découlent [l’une de l’autre] nécessairement, on est marqué d’un même caractère, comme le même caractère se trouve chez le prêtre pour confesser et pour absoudre. Or, la confession de la foi, dont le sacrement est la confirmation, découle nécessairement de la foi, dont le sacrement est le baptême, car on croit par le cœur en vue de la justice, et l’on confesse de bouche en vue du salut, Rm 10, 10. Le caractère est donc le même dans le baptême et dans la confirmation.

[14618] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, character est proprius effectus sacramenti et immediatus. Sed diversarum causarum proprii effectus sunt diversi. Cum ergo Baptismus et confirmatio sint diversa sacramenta, et characteres impressi erunt diversi.

Cependant, [1] le caractère est l’effet propre et immédiat du sacrement. Or, les effets propres de causes différentes sont différents. Puisque le baptême et la confirmation sont des sacremenmts différents, les caractères imprimés [par eux] seront donc différents.

[14619] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ideo Baptismus iterari non potest, quia character est indelebilis. Si ergo idem esset character Baptismi et confirmationis, post Baptismum confirmatio non adderetur.

[2] Le baptême ne peut pas être répété, car [son] caractère est indélébile. Si donc le caractère du baptême et celui de la confirmation étaient le même, la confirmation ne serait pas ajoutée au baptême.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le caractère de la confirmation suppose-t-il le caractère baptismal ?]

[14620] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod character confirmationis non praesupponat characterem baptismalem. Character enim confirmationis ad hoc datur quod homo fortiter Christum confiteatur. Sed aliqui ante Baptismum fortiter Christum confessi sunt, ad martyrii palmam pervenientes. Ergo ante Baptismum potest aliquis accipere characterem confirmationis.

1. Il semble que le caractère de la confirmation ne présuppose pas le caractère baptismal. En effet, le caractère de la confirmation est donné pour que l’homme confesse le Christ avec force. Or, certains ont confessé le Christ avec force, en parvenant à la palme du martyre, avant le baptême. On peut donc recevoir le caractère de la confirmation avant le baptême.

[14621] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, character confirmationis est sacramentum et res. Sed homo etiam non baptizatus potest percipere id quod est sacramentum et res in Eucharistia, scilicet corpus domini verum; quamvis rem sacramenti non consequatur, inordinate accipiens; nisi forte credat se baptizatum. Ergo et similiter characterem confirmationis consequi potest non baptizatus.

2. Le caractère de la confirmation est sacrement et réalité. Or, un homme, même s’il n’est pas baptisé, peut recevoir ce qui est sacrement et réalité dans l’eucharistie, à savoir, le corps véritable du Christ – bien qu’il ne reçoive pas la réalité du sacrement, s’il le reçoit de manière inappropriée –, sauf peut-être s’il se croit baptisé. De la même manière, un non-baptisé peut donc recevoir le caractère de la confirmation.

[14622] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut Baptismus naturaliter praecedit confirmationem, ita unus ordo naturaliter praecedit alium. Si autem aliquis accipit ordinis consequentis characterem qui non accepit characterem praecedentis, tamen non reordinatur, sed quod defuerat suppletur. Ergo et characterem confirmationis potest homo accipere sine charactere baptismali.

3. De même que le baptême précède naturellement la confirmation, de même un ordre en précède-t-il naturellement un autre. Or, si quelqu’un reçoit le caractère de l’ordre qui suit, sans avoir reçu le caractère de l’ordre précédent, il n’est cependant pas ordonné de nouveau, mais ce qui manquait est suppléé. Un homme peut donc recevoir le caractère de la confirmation sans le caractère baptismal.

[14623] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit, quod nihil divinitus traditorum operari potest qui non est regeneratus per Baptismum. Sed character confirmationis est hujusmodi; ergo non potest aliquis characterem confirmationis percipere qui non est baptizatus.

Cependant, [1] Denys dit que celui qui n’est pas régénéré par le baptême ne peut rien faire de ce qui est divinement communiqué. Or, le caractère de la confirmation est de cette sorte. On ne peut donc recevoir le caractère de la confirmation sans être baptisé.

[14624] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Baptismus dicitur esse principium spiritualis vitae, secundum Dionysium, et Damascenum. Sed remoto principio aufertur quod est post principium. Ergo qui non est baptizatus, non potest characterem confirmationis accipere.

[2] Le baptême est appelé le principe de la vie spirituelle, selon Denys et [Jean] Damascène. Or, si on enlève le principe, ce qui vient après le principe est enlevé. Celui qui n’est pas baptisé ne peut donc recevoir le caractère de la confirmation.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14625] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod character est distinctivum signum, quo quis ab aliis distinguitur ad aliquid spirituale deputatus. Sed ad spirituale potest aliquis tripliciter deputari. Uno modo ut aliquis in se spiritualia participet; et ad hoc quis deputatur in Baptismo, quia jam baptizatus potest esse particeps omnis spiritualis receptionis; unde character baptismalis, ut supra dictum est, est quasi quaedam spiritualis potentia passiva. Alio modo ut spiritualia quis in notitiam ducat per eorum fortem confessionem; et ad hoc quis deputatur in confirmatione; unde etiam tempore persecutionis eligebantur aliqui qui deberent in loco persecutionis remanere ad publice nomen Christi confitendum, aliis occulte credentibus, sicut patet in legenda beati Sebastiani. Tertio modo ut etiam spiritualia credentibus tradat; et ad hoc deputatur aliquis per sacramentum ordinis. Et ideo sicut in Baptismo confertur character et in ordine, ita et in confirmatione.

Le caractère est un signe distinctif, par lequel quelqu’un est distingué des autres pour être affecté à quelque chose de spirituel. Or, on peut être affecté à quelque chose de spirituel de trois manières. D’une manière, en participant en soi-même à des réalités spirituelles. On est affecté à cela par le baptême, car celui qui est déjà baptisé peut participer à tout ce qui est reçu spirituellement. Aussi le caractère baptismal, comme on l’a dit plus haut, est-il comme une puissance spirituelle passive. D’une autre manière, lorsque quelqu’un fait connaître les réalités spirituelles en les confessant avec force. On est affecté à cela par la confirmation. Ainsi, en temps de persécution, certains étaient-ils choisis pour demeurer là où avait lieu la persécution afin de confesser publiquement le nom du Christ, alors que les autres croyaient de manière occulte, comme cela ressort clairement de la légende du bienheureux Sébastien. Troisièmement, afin de communiquer les réalités spirituelles aux croyants. On est affecté à cela par le sacrement de l’ordre. C’est pourquoi, de même qu’est conféré un caractère dans le baptême et l’ordre, de même en est-il dans la confirmation.

[14626] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pugna spiritualis qua quis pugnat contra impedientes salutem sui ipsius, omnibus indicitur; sed ad hoc non datur sacramentum confirmationis, sed ad persistendum fortiter in pugna qua quis nomen Christi impugnat, et ut invictus confessor Christi permaneat; et huic pugnae non omnes exponuntur, sed solum confirmati.

1. Le combat spirituel par lequel on combat contre ceux qui empêchent son salut est imposé à tous ; mais le sacrement de confirmation n’est pas donné pour cela, mais pour que l’on persiste avec force dans le combat où le nom du Christ est attaqué et pour que le confesseur du Christ demeure invaincu. À ce combat, tous ne sont pas exposés, mais seulement ceux qui ont été confirmés.

[14627] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in veteri lege non erat tempus per stultitiam praedicationis propagandi cultum Dei, sed magis per generationem carnalem; et ideo tunc talis pugna de confessione fidei non multum erat necessaria. Nihilominus tamen erat distinctio hujus characteris in veteri lege figurata, sicuti et aliorum. In distinctione enim filiorum Israel ab Aegyptiis, significabatur character baptismalis; in distinctione timidorum a fortibus in bellis, character confirmationis; in distinctione Levitarum a fratribus suis, character ordinis.

2. Sous la loi ancienne, ce n’était pas le temps de propager le culte de Dieu par la folie des prédicateurs, mais plutôt par la génération charnelle. C’est pourquoi un tel combat pour la confession de la foi n’était pas tellement nécessaire. Toutefois, le fait que ce caractère est distinct était figuré sous l’ancienne loi, de même que celui des autres. En effet, par la distinction entre les fils d’Israël et les Égyptiens, le caractère baptismal était signifié ; par la distinction entre les timides et les forts dans les batailles, le caractère de la confirmation ; par la distinction entre les lévites et leurs frères, le caractère de l’ordre.

[14628] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas characteris hujus est potestas activa, non ad conferendum spiritualia, quod est ordinis, sed magis ad confitendum publice; et ideo confirmatus non constituitur in gradu alicujus ordinis, quia nullus ei subjicitur in receptione divinorum ab ipso.

3. Le pouvoir de ce caractère est un pouvoir actif, non pas pour conférer les réalités spirituelles, ce qui relève [du caractère] de l’ordre, mais plutôt pour confesser publiquement. C’est pourquoi celui qui est confirmé n’est pas établi dans un degré de l’ordre, car personne ne lui est soumis pour recevoir de lui des réalités divines.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14629] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quaelibet potentia de sui ratione importat ordinem ad aliquid; et ideo oportet potentiam proportionatam esse actui ad quem est: quia proprius actus non fit nisi in propria materia, secundum philosophum in 2 de anima; et ideo oportet quod potentiae distinguantur per distinctionem actuum ad quos ordinantur, sive sint potentiae activae, sive passivae; et quia character, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, in corp., est potentia spiritualis, ideo cum character baptismalis non ad idem ordinetur cum charactere confirmationis, ut ex dictis patet, planum est quod non est idem uterque character.

Toute puissance comporte par sa raison même un ordre à quelque chose. C’est pourquoi il est nécessaire qu’une puissance soit proportionnée à l’être en acte auquel elle se rapporte, car l’acte propre n’est réalisé que dans la matière propre, selon le Philosophe, dans Sur l’âme, II. Aussi est-il nécessaire que les puissances se distinguent selon la distinction des actes auxquels elles sont ordonnées, qu’il s’agisse de puissances actives ou [de puissances] passives. Et parce que le caractère, comme on l’a dit, d. 4, q. 1, a. 1, c., est une puissance spirituelle, puisque le caractère baptismal n’est pas ordonné à la même chose que le caractère de la confirmation, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit, il est clair que les deux caractères ne sont pas la même chose.

[14630] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad unam speciem seu formam, quam aliquid perfecte repraesentat, non potest esse nisi una assimilatio; et ideo patris non est nisi una perfecta imago, scilicet filius. Sed si non sit perfecta repraesentatio, tunc possunt esse diversae assimilationes ad unum simplex; et ideo diversae creaturae diversimode secundum suum modum divinam similitudinem habent; et propter hoc non est inconveniens, si sint diversi characteres in anima, Trinitati secundum diversa conformantes.

1. Il ne peut y avoir qu’une seule assimilation à une seule espèce ou forme que quelque chose représente de manière parfaite. Aussi n’existe-t-il qu’une seule image parfaite du Père, à savoir, le Fils. Mais si la représentation n’est pas parfaite, alors il peut y avoir des assimilations différentes à une seule chose simple. C’est pourquoi des créatures différentes sont semblables à Dieu d’une manière différente selon leur mode. Pour cette raison, il n’est pas inapproprié qu’il y ait des caractères différents dans l’âme, qui rendent conformes à la Trinité de diverses manières.

[14631] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod character corporalis attenditur secundum figuram, quae consistit in terminatione figurati. Et quia impossibile est esse diversas terminationes unius rei, ideo impossibile est ut idem corpus secundum eamdem partem diversimode figuretur aut characterizetur. Sed character spiritualis attenditur secundum aliquam spiritualem proprietatem. Non est autem inconveniens diversas proprietates non oppositas eisdem inesse secundum eamdem partem; et ideo in eadem parte animae plures characteres esse possunt.

2. Le caractère corporel se prend de la figure, qui consiste dans la délimitation de ce qui est figuré. Et parce qu’il est impossible qu’il y ait des limites différentes d’une seule chose, il est donc impossible que le même corps soit figuré ou caractérisé de diverses manières selon la même partie. Mais le caractère spirituel se prend selon une propriété spirituelle. Or, il n’est pas inapproprié que des propriétés différentes non opposées se trouvent dans les mêmes choses selon la même partie. C’est pourquoi plusieurs caractères peuvent se trouver dans la même partie de l’âme.

[14632] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis cujuslibet baptizati et credentis sit confiteri, quando confessio ab eo expectatur; non tamen est cujuslibet se libere exponere, sed tantum confirmati. Et hoc etiam patet in apostolis, in quibus hoc sacramentum initium sumpsit: quia ante adventum spiritus sancti confirmantis eos erant clausae fores coenaculi propter metum Judaeorum; postea repleti spiritu sancto coeperunt loqui cum fiducia et publice verbum Dei, ut patet in actibus.

3. Bien qu’il relève de tout baptisé et de tout croyant de confesser, lorsqu’une confession est attendue de lui, toutefois il ne relève pas de tous de s’exposer librement, mais seulement de celui qui est confirmé. Cela ressort aussi clairement chez les apôtres, dont ce sacrement tire son origine, car, avant la venue de l’Esprit Saint les confirmant, les accès au cénacle étaient fermés par crainte des Juifs ; après qu’ils furent remplis de l’Esprit Saint, ils se mirent à annoncer avec confiance et publiquement la parole de Dieu, comme cela ressort clairement dans les Actes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14633] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nihil potest participare actionem vel proprietatem alicujus naturae nisi prius habeat subsistentiam in natura illa; unde cum per Baptismum, qui est spiritualis regeneratio, homo acquirat subsistentiam in vita spirituali Christianae religionis, non potest non baptizatus aliquid eorum quae ad hanc spiritualem vitam pertinent, participare; et ideo non potest percipere confirmationis characterem; et hanc rationem Dionysius assignat in 2 cap. Eccl. Hier.

Rien ne peut participer à l’action ou à une propriété d’une nature à moins de subsister au préalable dans cette nature. Ainsi, puisque, par le baptême, qui est une régénération spirituelle, l’homme acquiert une subsistance dans la vie spirituelle de la religion chrétienne, un non-baptisé ne peut-il participer à rien de ce qui relève de cette vie spirituelle. C’est pourquoi il ne peut recevoir le caractère de la confirmation. Denys donne aussi cette raison dans le deuxième chapitre de la Hiérarchie ecclésiastique.

[14634] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad ea quae sunt necessitatis, homo admittitur, etiam si hoc non competat ei ex officio; sicut patet quod etiam non habens ordinem in casu necessitatis baptizare potest licite, quamvis hoc non competat sibi ex officio. Similiter etiam quia confiteri nomen Christi, ubi confessio exquiritur, est necessitatis, ideo etiam non baptizatis hoc competit, quamvis hoc non habeant ex officio characteris in sacramento confirmationis suscepti.

1. L’homme est admis à ce qui est nécessaire, même si cela ne relève pas de lui en raison de sa fonction. Il est ainsi clair que même celui qui n’a pas l’ordre peut baptiser licitement en cas de nécessité, bien que cela ne relève pas de lui en raison de sa fonction. De la même manière, parce qu’il est nécessaire de confesser le nom du Christ, là où la confession est requise, cela relève même des non-baptisés, bien qu’ils n’aient pas à faire cela en fonction du caractère reçu dans le sacrement de confirmation.

[14635] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramento Eucharistiae illud quod est res et sacramentum, est extra suscipientem; et ideo indispositio illius non impedit quin sit illud quod est res et sacramentum, scilicet corpus Christi verum. Sed hoc quod est res et sacramentum in confirmatione est aliqua forma in suscipiente recepta; et ideo indispositio recipientis impedit impressionem characteris.

2. Dans le sacrement de l’eucharistie, ce qui est réalité et sacrement est extérieur à celui qui la reçoit. Aussi une indisposition de sa part n’empêche-t-elle pas l’existence de la réalité et du sacrement, à savoir, le corps véritable du Christ. Mais ce qui est réalité et sacrement dans la confirmation est une forme reçue par celui qui la reçoit. C’est pourquoi une indisposition de celui qui la reçoit empêche l’impression du caractère.

[14636] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordo potentiae passivae ad activam est ordo necessitatis: quia qui non habet potentiam passivam ad aliquid recipiendum, nihil recipit nisi miraculose: sed ordo potentiae inferioris activae ad superiorem est tantum ordo congruitatis; et ideo carens baptismali charactere, qui est potentia passiva recipiendi spiritualia, nihil potest recipere de aliis spiritualibus; carens autem charactere inferioris ordinis, qui est potentia activa, potest recipere characterem superioris ordinis.

3. L’ordre d’une puissance passive à [une puissance] active est un ordre nécessaire, car celui qui n’a pas de puissance passive pour recevoir quelque chose ne reçoit rien, si ce n’est par miracle. Mais l’ordre de la puissance active inférieure à [une puissance active] supérieure est seulement un ordre de convenance. C’est pourquoi celui qui n’a pas le caractère baptismal, qui est une puissance passive en vue de recevoir les réalités spirituelles, ne peut rien recevoir des autres réalités spirituelles ; mais celui qui n’a pas le caractère d’un ordre inférieur, qui est une puissance passive, peut recevoir le caractère d’un ordre supérieur.

 

 

Articulus 2 [14637] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 tit. Utrum in confirmatione conferatur gratia gratum faciens

Article 2 – La grâce sanctifiante est-elle conférée par la confirmation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La grâce sanctifiante est-elle conférée par la confirmation ?]

[14638] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod gratia gratum faciens, in confirmatione non conferatur. Gratia enim gratum faciens ordinatur contra culpam, et non contra poenam. Sed confirmatio ordinatur contra poenam, et non contra culpam; quia ille qui confirmatur jam non est impius, per Baptismum justificatus. Ergo non recipit gratiam gratum facientem.

1. Il semble que la grâce sanctifiante ne soit pas conférée par la confirmation. En effet, la grâce sanctifiante est ordonnée contre la faute, et non contre la peine. Or, la confirmation est ordonnée contre la peine, et non contre la faute, car celui qui est confirmé n’est déjà plus impie, justifié qu’il est par le baptême. Il ne reçoit donc pas la grâce sanctifiante.

[14639] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Baptismus non habet minus ordinem ad gratiam gratum facientem quam confirmatio. Sed ille qui prius habuit gratiam, per Baptismum non accipit gratiam gratum facientem. Ergo cum confirmatus jam habeat gratiam quam in Baptismo suscepit, sicut patet in pueris, videtur quod in confirmatione gratia gratum faciens non conferatur.

2. Le baptême n’est pas moins ordonné à la grâce sanctifiante que la confirmation. Or, celui avait antérieurement la grâce ne reçoit pas la grâce sanctifiante par le baptême. Puisque le confirmé à déjà la grâce qu’il a reçue au baptême, comme cela est clair pour les enfants, il semble que la grâce sanctifiante n’est pas conférée par la confirmation.

[14640] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad id quod potest fieri in mortali peccato non requiritur gratia gratum faciens. Sed aliqui in peccato mortali existentes possunt fortiter nomen Christi confiteri. Ergo cum confirmatio sit sacramentum confessionis Christi, videtur quod non detur ibi gratia gratum faciens.

3. La grâce sanctifiante n’est pas nécessaire pour ce qui est accompli en état de péché mortel. Or, certains qui sont état de péché mortel peuvent confesser avec force le nom du Christ. Puisque la confirmation est le sacrement de la confession du Christ, il semble donc que la grâce sanctifiante n’y soit pas conférée.

[14641] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sacramentum novae legis efficit quod figurat. Sed per unctionem chrismatis significatur unctio gratiae. Ergo in confirmatione gratia gratum faciens confertur.

Cependant, [1] le sacrement de la loi nouvelle réalise ce dont il est la figure. Or, par l’onction du chrême, est signifiée l’onction de la grâce. La grâce sanctifiante est donc conférée par la confirmation.

[14642] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod ibi datur spiritus sanctus. Sed in primo libro, dist. 16, qu. 1, art. 2, dictum est, quod missio spiritus sancti non est sine gratia gratum faciente. Ergo in confirmatione datur gratia gratum faciens.

[2] Il est dit dans le texte que l’Esprit Saint est donné [par la confirmation]. Or, dans le premier livre, d. 16, q. 1, a. 2, on disait que la mission de l’Esprit Saint ne se réalise pas sans la grâce sanctifiante. La grâce sanctifiante est donc donnée par la confirmation.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La grâce de la confirmation est-elle la même que la grâce baptismale ?]

[14643] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod sit eadem cum gratia baptismali. Duo enim accidentia ejusdem speciei non possunt esse in eodem simplici et indivisibili. Sed subjectum gratiae gratum facientis est essentia animae, quae est una et simplex. Ergo in ea non possunt esse diversae gratiae; et ideo cum gratia baptismalis sit ibi, gratia in confirmatione data erit penitus idem.

1. Il semble que [la grâce de la confirmation] soit la même que la grâce baptismale. En effet, deux accidents de la même espèce ne peuvent pas exister dans une même chose simple et indivisible. Or, le sujet de la grâce sanctifiante est l’essence de l’âme, qui est une et simple. Il ne peut donc y exister diverses grâces. Et ainsi, puisque la grâce baptismale s’y trouve, la grâce donnée par la confirmation sera exactement la même chose.

[14644] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, eadem est gratia quae est in virtutibus et donis. Sed per Baptismum confertur gratia cum omnibus virtutibus, ut supra dictum est, dist. 1, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 5; in confirmatione autem datur gratia cum septiformi plenitudine spiritus sancti, ut in littera dicitur, quod ad septem dona pertinet. Ergo eadem est gratia quae datur in confirmatione et in Baptismo.

2. C’est la même grâce qui existe dans les vertus et dans les dons. Or, par le baptême, la grâce est conférée avec toutes les vertus, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 4, qa 5. Or, par la confirmation, la grâce est donnée avec la plénitude septiforme de l’Esprit Saint, comme il est dit dans le texte, ce qui se rapporte aux sept dons. C’est donc la même grâce qui est donnée par la confirmation et par le baptême.

[14645] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, major est distinctio virtutum quam gratiae. Sed ad eamdem virtutem pertinet credere et confiteri, scilicet ad fidem. Ergo multo fortius pertinet ad eamdem gratiam; ergo gratia baptismalis quae perficit ad credendum et gratia confirmationis quae perficit ad confitendum, est eadem gratia.

3. Il existe une plus grande distinction entre les vertus que pour la grâce. Or, croire et confesser relèvent de la même vertu, à savoir, la foi. À bien plus forte raison, ils relèvent donc de la même grâce. La grâce baptismale, qui perfectionne en vue de croire, et la grâce de la confirmation, qui perfectionne en vue de confesser, sont donc la même grâce.

[14646] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, causae diversae inducunt diversos effectus. Sed aliud est sacramentum exterius in Baptismo quam in confirmatione, et alius character interior, ut dictum est, quae sunt causa gratiae. Ergo et alia est gratia utrobique.

Cependant, [1] des causes différentes entraînent des effets différents. Or, autre est le sacrement extérieur dans le baptême que dans la confirmation, et autre est le caractère intérieur, comme on l’a dit, qui sont la cause de la grâce. Il existe donc une grâce différente chez les deux.

[14647] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, contra diversos morbos datur diversa medicina. Sed contra alium morbum ordinatur confirmatio et Baptismus, ut supra, dist. 2, qu. 1, art. 1 in corp., dictum est. Ergo alia est gratia quae in medicinam morbi in sacramento utroque datur.

[2] Un médicament différent est donné contre des maladies différentes. Or, la confirmation et le baptême sont ordonnés contre des maladies différentes, comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 1, a. 1, c. La grâce qui est donnée comme médicament contre la maladie est donc différente dans les deux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La grâce de la confirmation perfectionne-t-elle la grâce baptismale ?]

[14648] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia confirmationis non perficiat gratiam baptismalem. Omnis enim perfectio quae confirmationi ascribitur, ad dona vel virtutes pertinet; sicut fortiter confiteri, et persistere, quod est fortitudinis virtutis vel doni. Sed in Baptismo, ubi confertur gratia, conferuntur et virtutes et dona, quae in gratia connexionem habent, ut dictum est supra, dist. 1, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 5. Ergo gratia confirmationis non perficit gratiam baptismalem.

1. Il semble que la grâce de la confirmation ne perfectionne pas la grâce baptismale. En effet, toute perfection qui est attribuée à la confirmation relève des dons ou des vertus, comme confesser avec force et y persister, ce qui est le propre de la vertu ou du don de force. Or, dans le baptême, là où la grâce est conférée, sont conférés les vertus et les dons, qui sont connexes dans la grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 4, qa 5. La grâce de la confirmation ne perfectionne donc pas la grâce baptismale.

[14649] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ex eodem habitus operatur et perficitur, ut dicitur in 2 Ethic. Sed gratia baptismalis per Baptismum acquiritur. Ergo non perficitur per confirmationem.

2. L’habitus agit et est perfectionné par la même chose, comme il est dit dans Éthique, II. Or, la grâce baptismale est acquise par le baptême. Elle n’est donc pas perfectionnée par la confirmation.

[14650] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in augmento fit idem ex eo quod auget et quod augetur. Sed gratia baptismalis differt a gratia confirmationis. Ergo gratia confirmationis non perficit gratiam baptismalem.

3. Dans ce qui est augmenté, la même chose est produite par ce qui augmente et ce qui est augmenté. Or, la grâce baptismale diffère de la grâce de la confirmation. La grâce de la confirmation ne perfectionne donc pas la grâce baptismale.

[14651] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, secundum Dionysium, Baptismus est illuminatio, chrisma autem perfectio. Sed perfectio consummat illuminationem sicut illuminatio purgationem. Ergo confirmatio chrismatis consummat gratiam baptismalem.

Cependant, [1] selon Denys, le baptême est une illumination, mais le chrême, une perfection. Or, la perfection complète l’illumination comme l’illumination, la purification. La confirmation par le chrême complète donc la grâce baptismale.

[14652] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in omnibus perfectionibus ordinatis ad invicem ita est quod secunda perficit primam. Sed confirmationis gratia superadditur ad gratiam baptismalem. Ergo gratia confirmationis perficit gratiam baptismalem.

[2] Dans toutes les perfections ordonnées entre elles, la seconde perfectionne la première. Or, la grâce de la confirmation s’ajoute à la grâce baptismale. La grâce de la confirmation perfectionne donc la grâce baptismale.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14653] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in quolibet sacramento est aliqua sanctificatio. Sed quaedam est sanctificatio in sacramento quae est communis omnibus sacramentis, scilicet emundatio a peccato vel a reliquiis peccati; et quaedam sanctificatio quae est specialis quibusdam sacramentis imprimentibus characterem, scilicet deputatio ad aliquid sacrum. Utraque autem sanctificatio gratiam gratum facientem requirit: quia illud quod directe contrariatur peccato, est gratia; contraria autem contrariis curantur. Unde idem remedium adhiberi non potest contra peccatum et sequelas ejus, nisi per gratiam gratum facientem. Et ideo in omni sacramento novae legis gratia gratum faciens confertur, ut dictum est supra, dist. 2, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 1 et 2. Similiter autem accessus ad sacra non est licitus immundis, nec aliquis ab immunditia liberari potest nisi per gratiam, nec effici idoneus ad sacra ministranda vel percipienda; et ideo oportet quod in sacramentis quae characterem imprimunt, gratia gratum faciens imprimatur. Cum ergo confirmatio sit sacramentum novae legis characterem imprimens, ex duplici parte necessarium est quod gratiam gratum facientem conferat.

Dans tout sacrement, il y a une sanctification. Or, il existe dans le sacrement une sanctification qui est commune à tous les sacrements, à savoir, la purification du péché ou des suites du péché, et une sanctification qui est particulière aux sacrements qui impriment un caractère, à savoir, l’affectation à quelque chose de sacré. Or, les deux sanctifications exigent la grâce sanctifiante, car le contraire du péché est la grâce, et les contraires sont guéris par les contraires. Aussi le même remède ne peut-il être donné contre le péché et ses suites que par la grâce sanctifiante. C’est pourquoi, dans tous les sacrements de la loi nouvelle, la grâce sanctifiante est conférée, comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 1, a. 1, qa 1 et 2. De même, l’accès aux choses sacrées n’est pas permis à ceux qui sont impurs et l’on ne peut être libéré de l’impureté ni rendu apte à administrer ou à recevoir les choses sacrées que par la grâce. Aussi est-il nécessaire que, par les sacrements qui impriment un caractère, soit imprimée la grâce sanctifiante. Puisque la confirmation est un sacrement de la loi nouvelle imprimant un caractère, il est donc nécessaire pour les deux raisons qu’elle confère la grâce sanctifiante.

[14654] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod confirmatio ordinatur contra poenam quae est ex culpa causata, et ad culpam inclinans; et ideo ex consequenti habet repugnantiam ad gratiam; et propter hoc contra ipsam oportet quod gratia gratum faciens detur; et ideo si invenit aliquam culpam quae fictum non faciat, delet illam, sicut patet de culpa veniali; quamvis non principaliter contra culpam ordinetur.

1. La confirmation est ordonnée contre la peine qui est causée par la faute et qui incline à la faute ; c’est pourquoi [cette peine] a, par mode de conséquence, une répugnance à la grâce. Pour cette raison, il est nécessaire que la grâce soit donnée pour s’y opposer. Ainsi, si elle rencontre une faute qui ne provoque pas la feinte, elle la détruit, comme cela est clair pour le péché véniel, bien qu’elle ne soit pas ordonnée principalement contre la faute.

[14655] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus est sacramentum necessitatis; et ideo gratia quae confertur in Baptismo, ordinatur in communem statum salutis, et non in aliquem specialem effectum; et propter hoc per Baptismum ei qui habuit gratiam gratum facientem, non additur alia gratia nova, sed illa quae prius inerat, augetur. Secus autem est de confirmatione, quae non est sacramentum necessitatis; unde ejus gratia ad aliquem specialem effectum ordinatur; et propter hoc gratia confirmationis potest addi ad gratiam quae perficit in communi statu vitae.

2. Le baptême est un sacrement nécessaire. C’est pourquoi la grâce qui est conférée par le baptême est ordonnée à l’état commun du salut, et non pas à un effet spécial. Pour cette raison, une autre grâce nouvelle n’est pas ajoutée par le baptême à celui qui avait la grâce sanctifiante, mais celle qui se trouvait d’abord chez lui est augmentée. Mais il en va autrement de la confirmation, qui n’est pas un sacrement nécessaire. Aussi sa grâce est-elle ordonnée à un effet spécial. Pour cette raison, la grâce de la confirmation peut être ajoutée à la grâce qui perfectionne dans l’état de vie commun.

[14656] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliquis possit constanter, etiam si sit in mortali peccato, fidem Christi confiteri, non tamen est idonea illa confessio, quia non est speciosa laus in ore peccatoris, Eccli. 15, 9, nec iterum est meritoria ad salutem. Sacramentum autem ordinatur non solum ad hoc quod aliquid fiat qualitercumque, sed ad hoc quod aliquid idonee fiat, nisi sit defectus ex parte recipientis sacramentum.

3. Bien que l’on puisse confesser le Christ avec constance, même si l’on est en état de péché mortel, cette confession n’est cependant pas adéquate, car la louange n’est pas agréable dans la bouche du pécheur, Si 15, 9, et elle n’est pas méritoire pour le salut. Or, le sacrement n’est pas ordonné seulement à ce que quelque chose soit accompli de n’importe quelle manière, mais à ce que quelque chose soit accompli adéquatement, à moins qu’il n’y ait une carence de la part de celui qui reçoit le sacrement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14657] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut supra dictum est, sacramentales gratiae ad invicem distinctae sunt secundum distinctionem eorum ad quae ordinantur, sicut et virtutes; quamvis earum distinctio non ita appareat sicut distinctio virtutum, quia earum effectus non sunt ita manifesti sicut effectus virtutum. Ita etiam videmus in virtutibus moralibus; quia ubi est specialis difficultas, requiritur specialis virtus; unde alia est virtus quae dirigit in magnis sumptibus secundum magnificentiam, ab ea quae in communibus donis et sumptibus perficit, scilicet liberalitate. Et quia gratia baptismalis datur ad perficiendum in his quae pertinent ad communem statum vitae Christianae, gratia autem confirmationis ad perficiendum in his quae sunt difficillima in isto statu, scilicet confiteri nomen Christi contra persecutores; ideo speciali gratia ad hoc indigetur; et propter hoc alia est gratia confirmationis a gratia Baptismi, et contra alium defectum datur. Gratia enim Baptismi datur contra defectum qui impedit omnem statum justitiae in vita Christiana, scilicet contra peccatum originale et actuale; gratia autem confirmationis contra defectum oppositum robori quod exigitur in confessoribus nominis Christi, scilicet contra infirmitatem.

Comme on l’a dit plus haut, les grâces sacramentelles se distinguent l’une de l’autre selon la distinction de ce à quoi elles sont ordonnées, comme c’est aussi le cas pour les vertus, bien que leur distinction ne soit pas aussi claire que la distinction entre les vertus, parce que leurs effets ne sont pas aussi manifestes que les effets des vertus. Nous voyons aussi la même chose dans les vertus morales, car partout où il y a une difficulté particulière, une vertu spéciale est nécessaire. Ainsi, autre est la vertu qui dirige pour les grandes dépenses conformément à la magnificence, de celle qui perfectionne pour les dépenses et les dons communs, à savoir, la libéralité. Et parce que la grâce baptismale est donnée en vue de perfectionner pour ce qui relève de l’état commun de la vie chrétienne, alors que la grâce de la confirmation [l’est] en vue de perfectionner pour ce qui est le plus difficile dans cet état, à savoir, confesser le nom du Christ contre les persécuteurs, une grâce spéciale est nécessaire pour cela. Pour cette raison, la grâce de la confirmation est différente de la grâce du baptême et elle est donnée contre une autre carence. En effet, la grâce du baptême est donnée contre la carence qui empêche tout état de justice dans la vie chrétienne, à savoir, contre le péché originel et actuel, mais la grâce de la confirmation [l’est] contre la carence opposée à la force qui est requise chez ceux qui confessent le nom du Christ, à savoir, contre la faiblesse.

[14658] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia confirmationis et Baptismi non sunt ejusdem speciei, ut dictum est, et ideo nihil prohibet quod in eodem indivisibili sint. Vel dicendum, quod gratia baptismalis ex essentia animae derivatur in intellectum, quod est ad recte et perfecte credendum; sed gratia confirmationis respicit magis irascibilem, ad quam pertinet fortitudo et robur.

1. La grâce de la confirmation et celle du baptême ne sont pas de la même espèce, comme on l’a dit. C’est pourquoi rien n’empêche qu’elles existent dans le même sujet indivisible. Ou bien il faut dire que la grâce baptismale est orientée par essence vers l’intelligence, c’est-à-dire à croire de manière droite et parfaite ; mais la grâce de la confirmation concerne plutôt l’irascible, duquel relèvent la force et la solidité.

[14659] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia sacramentalis, quae est principalis effectus sacramenti, quamvis habeat connexionem cum gratia quae est in virtutibus et donis, tamen est alia ab ea: quia gratia sacramentalis perficit removendo primo et principaliter defectum ex peccato consequentem; sed gratia virtutum et donorum perficit inclinando ad bonum virtutis et doni; sicut gratia confirmationis removendo infirmitatis morbum; fortitudinis autem donum vel virtus inclinando ad bonum quod est proprium virtuti vel dono. Et ideo quamvis in Baptismo dentur virtutes et dona, et similiter in confirmatione, non oportet quod sit eadem gratia sacramentalis utrobique.

2. La grâce sacramentelle, qui est l’effet principal du sacrement, bien qu’elle ait une connexion avec la grâce qui se trouve dans les vertus et les dons, en est cependant différente, car la grâce sacramentelle perfectionne en enlevant d’abord et principalement une carence qui découle du péché, mais la grâce des vertus et des dons perfectionne en inclinant au bien de la vertu et du don. Ainsi, la grâce de la confirmation [perfectionne] en enlevant la maladie de la faiblesse, mais le don ou la vertu de force, en inclinant au bien qui est propre à la vertu et au don. Aussi, bien que les vertus et les dons soient donnés par le baptême, de même que par la confirmation, il n’est pas nécessaire que ce soit la même grâce sacramentelle dans les deux cas.

[14660] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod confiteri ubi ex confessione imminet mortis periculum, non est tantum fidei, sed indiget auxilio alterius virtutis, scilicet fortitudinis; et similiter etiam indiget alia gratia sacramentali, quae removeat effectum oppositum fortitudini.

3. Confesser là où, en raison de la confession, un danger de mort est imminent, ne relève pas seulement de la foi, mais nécessite l’aide d’une autre vertu, la force. De même aussi, cela nécessite une autre grâce sacramentelle, qui écarte l’effet opposé à la force.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14661] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 1, quaest. 5, art. 4, quaestiunc. 5, sicut gratia gratum faciens, quae essentiam animae perficit, differt a virtutibus et donis quae ab ipsa fluunt, ita etiam differt a gratia quae est proprius effectus sacramentorum; tamen est ei connexa, sicut et connexionem habet ad virtutes et dona; unde in sacramentis principaliter datur gratia sacramentalis, quae differt in diversis sacramentis; et per consequens gratia virtutum et donorum, quae est communis in omnibus sacramentis. Secundum hoc ergo gratia baptismalis potest dici dupliciter. Uno modo illa quae est principalis et proprius effectus Baptismi, operans contra morbum: alio modo gratia quae est effectus Baptismi ex consequenti, et per quamdam connexionem: et similiter distinguendum est de gratia confirmationis. Accipiendo ergo gratiam baptismalem et confirmationis primo modo, sic sunt diversae gratiae; et ideo non perficit eam directe, quasi cedens in eamdem essentiam cum ipsa, sed directe perficit ipsum baptizatum ad aliquid altius; et per consequens etiam ipsa baptismalis gratia perfectius et nobilius esse habet, sicut et anima sensibilis est perfectior adjuncta rationali, et virtus adjuncta dono, et liberalitas adjuncta magnificentiae. Accipiendo autem gratiam baptismalem et confirmationis secundo modo, sic directe auget eam, cedens in eamdem essentiam cum ipsa, sicut Baptismus directe auget gratiam quam prius invenit.

Comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 5, a. 4, qa 5, de même que la grâce sanctifiante, qui perfectionne l’essence de l’âme, diffère des vertus et des dons qui en découlent, de même aussi elle diffère de la grâce qui est l’effet propre des sacrements. Toutefois, elle lui est connexe, de même qu’elle est connexe avec les vertus et les dons. Ainsi, par les sacrements, la grâce sacramentelle est principalement donnée, qui est différente selon les différents sacrements, et, par voie de conséquence, la grâce des vertus et des dons, qui est commune à tous les sacrements. Conformément à cela, on peut parler de la grâce baptismale de deux manières. D’une manière, de celle qui est l’effet principal et propre du baptême, qui agit contre la maladie ; d’une autre manière, de la grâce qui est l’effet du baptême par mode de conséquence et en raison d’une certaine connexion. De même faut-il faire une distinction pour la grâce de la confirmation. En considérant la grâce baptismale et de la confirmation de la première manière, elles sont alors des grâces différentes. Ainsi, [la grâce de la confirmation] ne perfectionne pas [la grâce du baptême] directement, comme si elle était de la même essence qu’elle, mais elle perfectionne directement le baptisé lui-même en vue de quelque chose de plus élevé. Par mode de conséquence, la grâce baptismale possède aussi un être plus parfait et plus noble, comme l’âme sensible est plus parfaite si l’on y ajoute la raison, la vertu si l’on y ajoute le don et la libéralité si l’on y ajoute la magnificence. Mais en prenant la grâce baptismale et celle de la confirmation de la seconde manière, alors celle-ci l’augmente directement, étant de la même essence qu’elle, comme le baptême augmente directement la grâce qu’il rencontre antérieurement.

[14662] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad utramque partem.

Ainsi les autres solutions sont données.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La célébration du sacrement de confirmation]

 

Prooemium

Prologue

[14663] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 pr. Deinde quaeritur de celebratione hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quis possit conferre hoc sacramentum; 2 quis debeat recipere; 3 de ritu et modo recipiendi.

Ensuite, on s’interroge sur la célébration de ce sacrement. À ce sujet, quatre questions sons posées : 1 – qui peut conférer le sacrement ? 2 – qui doit le recevoir ? 3 – Le rite et la manière de le recevoir.

 

 

Articulus 1 [14664] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 tit. Utrum quilibet non ordinatus possit alium confirmare

Article 1 – Celui qui n’est pas ordonné peut-il confirmer un autre ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Celui qui n’est pas ordonné peut-il confirmer un autre ?]

[14665] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod quilibet non ordinatus possit alium confirmare. Efficacia enim sacramentorum est a virtute verborum. Sed quilibet, etiam non ordinatus, potest verba proferre quae sunt forma hujus sacramenti. Ergo non ordinatus potest confirmare.

1. Il semble que quiconque n’est pas ordonné peut confirmer un autre. En effet, l’efficacité des sacrements vient de la puissance des paroles. Or, quiconque, même non ordonné, peut proférer les paroles qui sont la forme de ce sacrement. Celui qui n’est pas ordonné peut donc confirmer.

[14666] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, unumquodque potest agere secundum formam quam habet: quia unumquodque agit secundum quod est actu. Sed aliquis non ordinatus habet characterem confirmationis. Ergo potest confirmare.

2. Toute chose agit selon la forme qu’elle possède, car toute chose agit selon qu’elle est en acte. Or, celui qui n’est pas ordonné possède le caractère de la confirmation. Il peut donc confirmer.

[14667] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquod sacramentum est majoris necessitatis, tanto indiget majori discretione et attentione in ministrando. Sed Baptismus est sacramentum necessitatis. Ergo cum illud quod requirit majorem discretionem debeat majoribus committi, videtur quod ex quo non ordinatus potest baptizare, etiam possit confirmare.

3. Plus un sacrement est nécessaire, plus il faut avoir de discrétion et d’attention en l’administrant. Or, le baptême est un sacrement nécessaire. Puisque ce qui requiert une plus grande discrétion doit être confié aux plus grands, il semble donc que du fait qu’un non ordonné peut baptiser, il peut aussi confirmer.

[14668] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Hugo de s. Victore dicit, quod administratio Ecclesiae consistit in ordinibus ministrorum, et sacramentis. Ergo sicut sine sacramento non potest quis confirmari, ita nec sine ordine confirmantis.

Cependant, [1] Hugues de Saint-Victor dit que le ministère de l’Église consiste dans les ordres des ministres et les sacrements. De même que, sans le sacrement, quelqu’un ne peut pas être confirmé, de même ne le peut-il pas sans l’ordre de celui qui confirme.

[14669] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, unctio confirmationis est dignior quam extremae unctionis. Sed illa non potest fieri nisi ab ordinatis, ut patet Jacob. ult. Ergo nec ista.

[2] L’onction de la confirmation est plus digne que celle de l’extrême-onction. Or, celle-ci ne peut être faite que par ceux qui sont ordonnés, comme cela ressort clairement de Jc 5. Donc, celle-là non plus.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un simple prêtre peut-il confirmer ?]

[14670] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacerdos simplex, etiam si non sit episcopus, possit confirmare. Baptismus enim quantum ad aliquid est majoris efficaciae quam confirmatio. Sed sacerdos ex suo officio potest baptizare. Ergo et confirmare.

1. Il semble qu’un simple prêtre, même s’il n’est pas évêque, puisse confirmer. En effet, sous un aspect, le baptême a une plus grande efficacité que la confirmation. Or, le prêtre, en vertu de sa fonction, peut baptiser. Il peut donc aussi confirmer.

[14671] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut confirmationis sacramentum ad perfectionem pertinet, ita et Eucharistiae, secundum Dionysium. Sed sacerdos est proprius minister sacramenti Eucharistiae. Ergo ipse potest confirmare.

2. De même que le sacrement de confirmation relève de la perfection, de même en est-il de l’eucharistie, selon Denys. Or, le prêtre est le ministre propre du sacrement de l’eucharistie. Il peut donc confirmer.

 [14672] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in sacramentis ex parte conferentis requiritur ordo et intentio. Sed episcopus non habet aliquem ordinem vel characterem quem non habeat simplex sacerdos. Ergo sicut episcopus, ita et sacerdos potest confirmare, si intentionem confirmandi habeat.

3. Pour les sacrements, l’ordre et l’intention sont requis de la part de celui [les] confère. Or, l’évêque n’a pas un ordre ou un caractère que le simple prêtre n’a pas. Comme l’évêque, le prêtre peut donc confirmer, s’il a l’intention de confirmer.

[14673] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, soli episcopi in loco apostolorum succedunt. Sed soli apostoli in primitiva Ecclesia manus imponebant, quod erat confirmare. Ergo soli episcopi nunc possunt confirmare.

Cependant, [1] seuls les évêques succèdent aux apôtres. Or, seuls les apôtres imposaient les mains dans l’Église primitive, ce qui est confirmer. Seuls les évêques peuvent donc maintenant confirmer.

[14674] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in ordine ecclesiasticae hierarchiae, secundum Dionysium, soli episcopi sunt perfectores. Sed, secundum eumdem, sicut aliquis per exorcismum purgatur, et per Baptismum illuminatur, ita per confirmationem chrismatis perficitur. Ergo soli episcopi possunt confirmare.

[2] Dans l’ordre de la hiérarchie ecclésiastique, selon Denys, seuls les évêques sont ceux qui perfectionnent. Or, selon lui, de même que quelqu’un est purifié par l’exorcisme et est illuminé par le baptême, de même est-il perfectionné par la confirmation avec le chrême. Seuls les évêques peuvent donc confirmer.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un simple prêtre peut-il confirmer avec l’autorisation du pape ?]

[14675] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacerdos simplex ex commissione Papae non possit confirmare. Sicut enim se habet hoc quod est sacerdotis ad sacerdotem, ita quod est episcopi ad episcopum. Sed nullus non sacerdos potest propter Papae commissionem Eucharistiam conficere, quod est sacerdotum. Ergo similiter ex commissione Papae nullus potest non episcopus confirmare, quod est episcopi.

1. Il semble qu’un simple prêtre ne puisse pas confirmer par concession du pape. En effet, de même que ce qui relève du prêtre se rapporte au prêtre, de même ce qui relève de l’évêque se rapporte à l’évêque. Or, personne qui n’est pas prêtre ne peut, par concession du pape, accomplir l’eucharistie, qui relève des prêtres. De la même manière, personne qui n’est pas évêque ne peut, par concession du pape, confirmer, ce qui relève de l’évêque.

[14676] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut conferre sacerdotalem ordinem est episcopi, ita et confirmare. Sed nullus non episcopus ex mandato Papae posset aliquem in sacerdotem promovere. Ergo nullus ex Papae mandato, qui non sit episcopus, potest praebere confirmationis sacramentum.

2. De même qu’il relève de l’évêque de conférer l’ordre sacerdotal, de même en est-il pour la confirmation. Or, personne qui n’est pas évêque ne pourrait promouvoir quelqu’un comme prêtre sur ordre du pape. Personne qui n’est pas évêque ne peut donc, sur ordre du pape, conférer le sacrement de confirmation.

 [14678] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod Gregorius in casu permisit quod simplices sacerdotes possent confirmare.

Cependant, [1] le texte dit que Grégoire a permis dans un cas que de simples prêtres puissent confirmer.

[14679] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, majus est ordinem conferre quam confirmare. Sed ex mandato Papae aliqui non episcopi conferunt quosdam ordines; sicut sunt presbyteri cardinales, qui conferunt minores ordines. Ergo multo fortius ex mandato Papae potest aliquis simplex sacerdos confirmare.

[2] Il est plus grand de conférer un ordre que de confirmer. Or, sur ordre du pape, certains, qui ne sont pas évêques confèrent certains ordres, tels les prêtres cardinaux, qui confèrent les ordres mineurs. À bien plus forte raison, sur ordre du pape, un simple prêtre peut-il confirmer.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [14680] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod proprii dispensatores sacramentorum sunt ministri Ecclesiae per sacramentum ordinis consecrati, ut sint medii inter Deum et plebem, divina populo tradentes; et ideo solis eis competit ex officio sacramenta ministrare, nec per alium conferri possunt, excepto Baptismo propter necessitatem. Unde cum confirmatio non sit sacramentum necessitatis, non poterit nisi ab ordinatis conferri.

Les dispensateurs propres des sacrements sont les ministres de l’Église consacrés par le sacrement de l’ordre pour être les médiateurs entre Dieu et le peuple et communiquer les réalités divines au peuple. C’est pourquoi il relève d’eux seuls d’administrer les sacrements en vertu de leur fonction et ceux-ci ne peuvent pas être conférés par d’autres, à l’exception du baptême en raison d’une nécessité. Puisque la confirmation n’est pas un sacrement nécessaire, elle ne pourra donc être conférée que par des gens ordonnés.

[14681] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod efficacia sacramenti non tantum est ex verbis prolatis, sed etiam ex materia debita, et persona conveniente; et ideo, si sit defectus in persona ministri, verba prolata ab alio non possunt efficaciam sacramento praebere.

1. L’efficacité du sacrement ne vient pas seulement des paroles prononcées, mais aussi de la matière appropriée et de la personne qui convient. C’est pourquoi, s’il y a carence du côté de la personne du ministre, les paroles prononcées ne peuvent donner efficacité au sacrement.

[14682] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio personalis hujus vel illius nihil facit ad collationem sacramentorum: quod patet ex hoc quod sacramenta conferuntur a bonis ministris et malis; sed exigitur perfectio hujus inquantum est minister Ecclesiae, sicut in naturalibus ad hoc quod forma se in alteram materiam transfundat per sui similitudinem, requiritur qualitas activa. Et quia per confirmationis sacramentum non efficitur aliquis minister Ecclesiae, quamvis quamdam naturalem perfectionem consequatur, ideo non oportet quod quilibet confirmatus confirmare possit.

2. La perfection personnelle de tel ou tel ne contribue en rien au fait que les sacrements soient conférés. Cela ressort clairement du fait que les sacrements sont conférés par des bons et des mauvais ministres. Mais la perfection est exigée de lui en tant qu’il est ministre de l’Église, de même que, dans les choses naturelles, pour que la forme soit versée selon sa similitude dans une autre matière, une qualité active est requise. Et parce que, par le sacrement de confirmation, on ne devient pas ministre de l’Église, bien qu’on reçoive une certaine perfection naturelle, tout prêtre reçoit de conférer ces sacrements, mais non pas ceux par lesquels on est promu à un état de perfection.

[14683] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia sacramenta indigent aequaliter intentione; sed illa quae omnibus sunt conferenda, non indigent discretione, qua unus repellatur, et alius admittatur: quia a sacramentis necessitatis nullus debet excludi; et ideo cuilibet etiam sacerdoti committitur illa sacramenta conferre, non autem illa quibus aliquis ad statum perfectionis promovetur.

3. Tous les sacrements requièrent également une intention ; mais ceux qui doivent être conférés à tous ne requièrent pas un jugement selon lequel l’un est écarté alors qu’un autre est admis, car personne ne doit être écarté des sacrements nécessaires. C’est pourquoi il est confié à tout prêtre de conférer ces sacrements, mais non pas ceux par lesquels on est promu à un état de perfection.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14684] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in omnibus artibus et potentiis ordinatis, vel habitibus, ita est quod ultima perfectio reservatur inducenda per supremam artem in genere illo; sicut artes quae operantur circa materiam navis, reservant inductionem formae arti superiori, quae navim compaginat; et illa reservat ulterius finem, scilicet usum navis, arti superiori, scilicet gubernatoriae. Unde cum episcopi in ecclesiastica hierarchia teneant supremum locum, illud quod est ultimum in actionibus hierarchicis, eis reservandum fuit. Et quia perficere aliquem hoc modo quod sit supra communem statum aliorum, est supremum in actionibus hierarchicis, ideo sacramentum confirmationis et ordinis, quibus hoc efficitur, solis episcopis dispensanda reservantur.

Dans tous les arts, les puissances ou les habitus qui sont ordonnés, le fait est qu’il est réservé à l’art suprême dans ce genre de produire la perfection ultime : ainsi, les arts qui sont mis en œuvre à propos de la matière du navire réservent la production de la forme à l’art supérieur qui assemble le navire, et [cet art] réserve la fin, à savoir, l’usage du navire, à un art supérieur, l’art de gouverner. Puisque les évêques occupent la position suprême dans la hiérarchie ecclésiastique, ce qui constitue le point ultime dans les actions hiérarchiques devait donc leur être reservé. Et parce qu’accomplir d’une façon qui est supérieure à l’état commun des autres est pour quelqu’un ce qu’il y a de plus élevé dans les actions hiérarchiques, la dispensation du sacrement de confirmation et de l’ordre, par lesquels cela est réalisé, est donc réservée aux seuls évêques.

[14685] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Baptismus, cum sit sacramentum necessitatis, communiter omnibus competit; et ideo per ipsum non ponitur aliquis supra communem statum, sicut fit per confirmationem, ut prius etiam dictum est.

1. Le baptême, puisqu’il est un sacrement nécessaire, convient à tous d’une manière générale. C’est pourquoi on est n’est pas placé par lui au-dessus de l’état commun, comme c’est le cas pour la confirmation, ainsi qu’on l’a dit plus haut.

[14686] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Eucharistia, sicut confirmatio et ordo, est sacramentum perficiens; sed in hoc differt ab aliis, quia in ordine et confirmatione illud quod est ibi res et sacramentum, est aliquid in suscipiente acquisitum; et ideo suscipientem haec sacramenta promovent ad perfectionem quamdam ultra communem statum fidelium; sed Eucharistia habet illud quod est res et sacramentum, in se, non in suscipiente; et ideo per sumptionem Eucharistiae non acquirit aliquis perfectionem ultra communem statum, cum non imprimatur character; sed perficit unumquemque in suo statu; et ideo etiam secundum Dionysium cuilibet sacramento Eucharistiae perceptio adjungitur; et ideo non est simile de Eucharistia et de aliis

 

2. L’eucharistie, comme la confirmation et l’ordre, est un sacrement qui perfectionne. Mais elle diffère des autres parce que, dans l’ordre et la confirmation, ce qui s’y trouve comme réalité et sacrement est quelque chose d’acquis par celui qui les reçoit. C’est pourquoi ces sacrements amènent celui qui les reçoit à une perfection qui dépasse l’état commun des fidèles ; mais l’eucharistie possède en elle-même ce qui est réalité et sacrement, et non dans celui la reçoit. C’est pourquoi, en recevant l’eucharistie, on n’acquiert pas une perfection qui dépasse l’état commun, puisqu’un caractère n’est pas imprimé, mais elle perfectionne chacun dans son propre état. Ainsi, selon Denys, la réception de l’eucharistie est associée à tous les sacremements. Il n’en va donc pas de même de l’eucharistie et des autres [sacrements].

[14687] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis episcopus non habeat aliquem ordinem supra sacerdotem, secundum quod ordines distinguuntur per actus relatos ad corpus domini, verumtamen habet aliquem ordinem supra sacerdotem, secundum quod ordines distinguuntur per actus supra corpus mysticum. Unde Dionysius in Eccles. Hierarch., ponit episcopatum ordinem; unde et cum quadam consecratione dignitas episcopalis confertur; et ideo in promotione membrorum corporis mystici aliquid potest competere episcopo quod non competit simplici sacerdoti.

3. Bien que l’évêque ne possède pas un ordre plus élevé que le prêtre, selon que les ordres se distinguent par les actes qui se rapportent au corps du Seigneur, il possède néanmoins un ordre supérieur au prêtre selon que les actes se distinguent par leurs rapports au corps mystique. Aussi Denys, dans la Hiérarchie ecclésiastique, fait-il de l’épiscopat un ordre. Aussi la dignité épiscopale est-elle conférée par une certaine consécration. C’est pourquoi, pour ce qui est de l’avancement des membres du corps mystique, quelque chose peut relever de l’évêque, sans relever du simple prêtre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14688] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod presbyter simplex non possit ex mandato Papae confirmare; et quod dicitur de Gregorio ad Januarium scribente, exponunt quod illi presbyteri ex mandato Papae non conferebant sacramentum confirmationis, sed aliquod sacramentale simile illi sacramento, sicut alicui porrigitur panis benedictus loco Eucharistiae. Sed non videtur conveniens, ut talem simulationem in dispensatione sacramentorum induxisset Gregorius, vel sustinuisset: quia dispensatio sacramentorum pertinet ad veritatem doctrinae, quae non est propter scandalum dimittenda. Et ideo alii dicunt, quod auctoritas Papae tanta est quod ejus mandato quilibet potest conferre quod habet, ut confirmatus confirmare, sacerdos sacerdotium conferre, diaconus diaconatum; non autem mandato ipsius potest aliquis conferre quod non habet, ut diaconus ordinem sacerdotalem. Sed haec opinio videtur nimis ampla; et ideo media via secundum alios tenenda est. Et ideo sciendum est, quod cum episcopatus non addat aliquid supra sacerdotium per relationem ad corpus domini verum, sed solum per relationem ad corpus mysticum, Papa per hoc quod est episcoporum summus, non dicitur habere plenitudinem potestatis per relationem ad corpus domini verum, sed per relationem ad corpus mysticum. Et quia gratia sacramentalis descendit in corpus mysticum a capite, ideo omnis operatio in corpus mysticum sacramentalis, per quam gratia datur, dependet ab operatione sacramentali super corpus domini verum; et ideo solus sacerdos potest absolvere in foro poenitentiali, et baptizare ex officio. Et ideo dicendum, quod promovere ad illas perfectiones quae non respiciunt corpus domini verum, sed solum corpus mysticum, potest a Papa, qui habet plenitudinem pontificalis potestatis, committi sacerdoti, qui habet actum summum super corpus domini verum; non autem diacono, vel alicui inferiori, qui non habet perficere corpus domini verum, sicut nec absolvere in foro poenitentiali. Non autem potest simplici sacerdoti committere promovere ad perfectionem quae respicit aliquo modo corpus domini verum; et ideo simplex sacerdos ex mandato Papae non potest conferre ordinem sacerdotii: quia ordines sacri habent actum supra corpus domini verum, vel supra materiam ejus. Potest autem concedere simplici sacerdoti quod conferat minores ordines, quia isti nullum actum habent supra corpus domini verum, vel materiam ejus, nec etiam supra corpus mysticum habent actum per quem gratia conferatur; sed habent ex officio quosdam actus secundarios et praeparatorios; et similiter potest concedere alicui sacerdoti quod confirmet: quia confirmatio perficit eum in actu corporis mystici, non autem habet aliquam relationem ad corpus domini verum.

À ce sujet, il existe de multiples opinions. En effet, certains disent que le simple prêtre ne peut confirmer sur ordre du pape. Ce qui est dit de Grégoire qui écrivait à Janvier, ils l’expliquent par le fait que ces prêtres ne conféraient pas le sacrement de confirmation sur ordre du pape, mais un sacramental semblable â ce sacrement, comme lorsqu’un pain bénit est offert à la place de l’eucharistie. Mais cela ne semble pas convenir que Grégoire ait fait preuve d’un faux-semblant ou en ait supporté un dans la dispensation des sacrements, car la dispensation des sacrements se rapporte à la vérité de la doctrine, qui ne doit pas être écartée en raison du scandale. C’est pourquoi d’autres disent que l’autorité du pape est telle que n’importe qui peut, sur son ordre, conférer ce qu’il possède : le confirmé, conférer la confirmation ; le prêtre, conférer le sacerdoce ; le diacre, conférer le diaconat ; mais qu’il ne peut, sur son ordre, conférer ce qu’il n’a pas, comme le diacre, l’ordre sacerdotal. Mais cette opinion semble être trop générale. C’est pourquoi, selon d’autres, une voie moyenne doit être tenue. Il faut donc savoir que puisque l’épiscopat n’ajoute rien au sacerdoce par rapport au corps véritable du Seigneur, mais seulement par rapport au corps mystique, on ne dit pas du pape, du fait qu’il est le plus élevé des évêques, qu’il possède la plénitude du pouvoir par rapport au corps véritable du Seigneur, mais par rapport au corps mystique. Et parce que la grâce sacramentelle descend dans le corps mystique depuis la tête, toute opération sacramentelle par laquelle la grâce est donnée et qui vise le corps mystique dépend de l’opération sacramentelle sur le corps véritable du Seigneur. C’est pourquoi seul le prêtre peut absoudre au for pénitentiel et baptiser en vertu de sa fonction. Il faut donc dire que le pape, qui possède la plénitude du pouvoir pontifical, peut confier à un prêtre, dont l’acte propre porte sur le corps véritable du Seigneur, d’amener aux perfections qui ne concernent pas le corps véritable du Seigneur, mais seulement le corps mystique. Mais il ne peut [le confier] à un diacre ou à quelqu’un d’inférieur, qui n’a pas le pouvoir de réaliser le corps véritable du Seigneur, ni d’absoudre au for pénitentiel. Et il ne peut conférer à un simple prêtre d’amener à une perfection qui concerne d’une certaine façon le corps véritable du Seigneur ; aussi un simple prêtre ne peut-il conférer l’ordre du sacerdoce sur ordre du pape, car l’acte propre des ordres sacrés porte sur le corps véritable du Seigneur ou sur sa matière. Mais il peut concéder à un simple prêtre de conférer les ordres mineurs, car ceux-ci n’exercent aucun acte sur le corps véritable du Seigneur ou sur sa matière ; ils n’exercent pas non plus sur le corps mystique d’acte par lequel la grâce est conférée, mais ils exercent, en vertu de leur fonction, certains actes secondaires et préparatoires. De même peut-il concéder à un prêtre de confirmer, car la confirmation le perfectionne pour un acte du corps mystique, mais elle n’a pas de rapport avec le corps véritable du Seigneur.

[14689] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc de facili patet solutio ad objecta.

La solution des objections ressort ainsi clairement.

Articulus 2 [14690] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 tit. Utrum Christus debuerit sacramentum confirmationis accipere

Article 2 – Le Christ aurait-il dû recevoir le sacrement de confirmation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ aurait-il dû recevoir le sacrement de confirmation ?]

[14691] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus debuerit sacramentum confirmationis accipere. Sacramentum enim confirmationis confert majorem plenitudinem gratiae quam Baptismus. Sed Christus baptizari voluit, ut tactu mundissimae suae carnis efficaciam Baptismo praeberet. Ergo similiter debuit confirmationem accipere.

1. Il semble que le Christ aurait dî recevoir le sacrament de confirmation. En effet, le sacrement de confirmation confère une plus grande plénitude de grâce que le baptême. Or, le Christ a voulu être baptisé afin de donner efficacité au baptême par le contact de sa chair très pure. Il aurait donc dû recevoir la confirmation de la même manière.

[14692] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, confirmatio ad hoc datur ut homo in confessione veritatis usque ad mortem firmiter stet. Sed Christus dedit omnibus exemplum pro veritate moriendi. Ergo hoc sacramentum maxime debuit accipere.

2. La confirmation est donnée pour que l’homme demeure ferme jusqu’à la mort dans la confession de la vérité. Or, le Christ a donné à tous l’exemple de la mort pour la vérité. Il aurait donc dû recevoir ce sacrement par-dessus tout.

[14693] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, confirmatur quod infirmum est. Sed infirmitas spiritualis in Christo non fuit. Ergo nec confirmari debuit.

Cependant, [1] est confirmé ce qui est faible. Or, il n’y avait pas de faiblesse spirituelle dans le Christ. Il ne devait donc pas non plus être confirmé.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce sacrement doit-il être conféré aux enfants ?]

[14694] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum pueris non sit conferendum. Quia hoc sacramentum supra communem statum promovet, sicut et sacramentum ordinis. Sed illud sacramentum non confertur pueris. Ergo nec istud.

1. Il semble que ce sacrament ne doive pas être conféré aux enfants, car ce sacrement amène à un état supérieur à l’état commun, de même que le sacrement de l’ordre. Or, ce dernier sacrement n’est pas conféré aux enfants. Il en va donc de même de l’autre.

[14695] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum datur ad confitendum fidem, et ad pugnandum pro ipsa. Sed hoc non competit pueris. Ergo non debent hoc sacramentum suscipere.

2. Ce sacrement est donné en vue de confesser la foi et de combattre pour elle. Or, cela ne revient pas aux enfants. Ils ne doivent donc pas recevoir ce sacrement.

[14696] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, gratia baptismalis est immediata dispositio ad gratiam confirmationis. Sed Baptismus confertur pueris. Ergo confirmatio debet pueris dari.

Cependant, [1] la grâce baptismale est une disposition immédiate à la grâce de la confirmation. Or, le baptême est conféré aux enfants. La confirmation doit donc elle aussi être donnée aux enfants.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce sacrement doit-il être donné à tous les adultes ?]

[14697] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat dari omnibus adultis. Illud enim quod omnibus datur, non excedit communem statum, ut dictum est. Sed confirmatio ponit supra communem statum, ut supra dictum est. Ergo non debet omnibus dari.

1. Il semble qu’il ne doive pas être donné à tous les adultes. En effet, ce qui n’est pas donné à tous ne dépasse pas l’état commun, comme on l’a dit. Or, la confirmation place au-dessus de l’état commun, comme on l’a dit plus haut. Elle ne doit donc pas être donnée à tous.

[14698] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est ad robur in pugna spirituali. Sed pugnare non est mulierum propter imbecillitatem sexus. Ergo nec hoc sacramentum eis competit.

2. Ce sacrement donne la force pour le combat spiritual. Or, combattre ne revient pas aux femmes en raison de la faiblesse de leur sexe. Ce sacrement ne leur convient donc pas non plus.

[14699] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, confirmatio est sacramentum confessionis. Sed muti non possunt confiteri. Ergo non debet eis dari hoc sacramentum.

3. La confirmation est le sacrement de la confession. Or, les muets ne peuvent confesser. Ce sacrement ne doit donc pas leur être conféré.

[14700] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, morientes a pugna hujus vitae subtrahuntur. Sed ad robur in pugna hujus vitae datur confirmatio. Ergo non debet morientibus dari.

4. Les mourants sont soustraits au combat de cette vie. Or, la confirmation est donnée en vue de la force pour le combat de cette vie. Elle ne doit donc pas être donnée aux mourants.

[14701] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Hugo de s. Victore, quod omnino periculosum esset, si ab hac vita sine confirmatione migrare contingeret. Ergo omnibus dandum est hoc sacramentum.

Cependant, [1] Hugues de Saint-Victor dit qu’il serait très dangereux s’il arrivait qu’on quitte cette vie sans la confirmation. Ce sacrement doit donc être donné à tous.

[14702] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ad robur in hoc sacramento datur septiformis gratia spiritus sancti. Sed haec omnibus est necessaria. Ergo et sacramentum confirmationis omnibus dari competit.

[2] La grâce septiforme de l’Esprit Saint est donnée dans ce sacrement en vue de renforcer. Or, celle-ci est nécessaire à tous. Il convient donc que le sacrement de confirmation soit donné à tous.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14703] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod suscipere Baptismum est in praecepto, cum sit sacramentum necessitatis; et ideo dominus voluit baptizari, quamvis in Baptismo nihil susciperet, sed magis contulerit ut forma obediendi mandatis omnibus praeberetur per ipsum; et propter hoc dixit ad Baptismum veniens: sic decet nos implere omnem justitiam; Matth. 3, 15. Justitia enim consistit in obedientia legis, ut philosophus dicit in 5 Ethic. Sed sacramentum confirmationis non est necessitatis, sed utilitatis alicujus consequendae causa accipitur; et ideo cum dominus non acceperit aliquid a sacramentis, non debuit sacramentum confirmationis accipere, sicut nec sacramentum ordinis: quia potestas excellentiae in sacramentis, et plenitudo spiritus sancti in ipso a sui conceptione fuit, et sic non oportebat nisi quod in ipso erat innotescere; quod factum est per adventum columbae super ipsum.

Recevoir le baptême relève d’un précepte, puisqu’il s’agit d’un sacrement nécessaire. C’est pourquoi le Seigneur a voulu être baptisé, bien qu’il n’ait rien reçu par le baptême, mais qu’il ait ainsi plutôt donné à tous un modèle d’obéissance aux commandements. Aussi a-t-il dit en s’approchant du baptême : Ainsi convient-il que nous accomplissions toute justice, Mt 3, 15. En effet, la justice consiste dans l’obéissance à la loi, comme le dit le Philosophe, dans Éthique, V. Or, le sacrement de la confirmation n’est pas nécessaire, mais il est reçu en raison d’un certain avantage qu’on peut en tirer. C’est pourquoi, puisque le Seigneur n’a rien reçu des sacrements, il ne devait pas recevoir le sacrement de confirmation, pas davantage que le sacrement de l’ordre, car il possédait le pouvoir d’excellence sur les sacrements et la plénitude de l’Esprit Saint fut en lui dès sa conception. Aussi était-il seulement nécessaire que [ce sacrement] se fasse connaître en lui, ce qui se produisit par la venue de la colombe sur lui.

[14704] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14705] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod perfectio quae confertur in ordine et confirmatione, in hoc differunt, quod perfectio ordinis est ad aliquid dispensandum, perfectio autem confirmationis est ad standum fortiter in seipso. Ad hoc autem quod dispensatio alicujus rei detur alicui, requiritur idoneitas aliqua praeexistens in eo qui dispensationem recipit propter periculum quod potest imminere ex prava dispensatione; et ideo perfectio ordinis non confertur pueris. Sed perfectio qua quis in seipso perficitur, non praeexigit aliam perfectionem, sed ipsa perfectione quis idoneus redditur; nec ex hoc aliquod periculum imminere potest; et ideo confirmatio potest puero tradi, et convenienter traditur: quia infantilis aetas non patitur fictionem, qua effectus sacramenti in traditione impediatur; et ideo quamvis tunc non competat ei confiteri vel pugnare, certum tamen est quod effectum sacramenti plene recipit, per quem erit idoneus ad pugnam et confessionem ad perfectam aetatem veniens, nisi gratiam acceptam per peccatum amittat.

La perfection qui est conférée dans l’ordre et la confirmation diffèrent en ce que la perfection de l’ordre existe en vue de dispenser quelque chose, mais la perfection de la confirmation, pour résister avec force en soi-même. Or, pour que la dispensation de quelque chose soit donnée à quelqu’un, est nécessaire une certaine aptitude préexistant en celui qui reçoit la dispensation en raison d’un danger qui peut menacer à cause d’une mauvaise dispensation. Aussi la perfection de l’ordre n’est-elle pas conférée aux enfants. Mais la perfection par laquelle quelqu’un est perfectionné en lui-même n’exige pas au préalable une autre perfection, mais on est rendu apte par la perfection elle-même, et un danger ne peut menacer en raison d’elle. C’est pourquoi la confirmation peut être donnée à un enfant et il convient qu’elle [lui] soit donnée, car l’enfant ne souffre pas de la feinte par laquelle l’effet du sacrement serait empêché lorsqu’il est donné. Ainsi, bien qu’il ne lui convienne pas alors de confesser ou de combattre, il est cependant certain qu’il reçoit pleinement l’effet du sacrement, par lequelle il sera capable de combattre et de confesser lorsqu’il sera parvenu à l’âge adulte, à moins qu’il ne perde par le péché la grâce reçue.

[14706] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14707] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, perfectio in confirmatione collata non praeexigit aliam perfectionem, sed per eam quis in seipso perficitur, ut sit idoneus ad pugnam spiritualem. Et quia cuilibet est conveniens et bonum, ut in pugna spirituali fortitudinem habeat; ideo ab hoc sacramento nullus excludi debet qui sit baptizatus.

Comme on l’a dit, la perfection donnée par la confirmation n’exige pas au préalable une autre perfection, mais on est perfectionné par elle en soi-même afin d’être préparé au combat spirituel. Et parce qu’il convient et qu’il est bon pour tous d’être forts dans le combat spirituel, personne ne doit être écarté de ce sacrement, pourvu qu’il soit baptisé.

[14708] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non ponit supra communem statum quantum ad dispensationem alicujus sacramenti, sed quantum ad confessionem sacramentorum; et haec perfectio vel excellentia omnibus membris Ecclesiae competit per hoc sacramentum confirmationis collata.

1. [La confirmation] ne place pas au-dessus de l’état commun pour ce qui est de la dispensation d’un autre sacrement, mais pour ce qui est de la confession des sacrements. Et cette perfection ou excellence, conférée par ce sacrement de la confirmation, appartient à tous les membres de l’Église.

[14709] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam quaedam mulieres in pugna spirituali gloriosum reportaverunt ab hoste triumphum, sicut patet de beata Agnete, et beata Caecilia et aliis; unde ab hoc sacramento mulieres non sunt excludendae.

2. Même certaines femmes ont remporté un triomphe glorieux sur l’ennemi dans le combat spirituel, comme cela ressort clairement chez Agnès, la bienheureuse Cécile et d’autres. Les femmes ne doivent donc pas être écartées de ce sacrement.

[14710] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis muti non possint confiteri ore, possunt confiteri nutibus, et possunt habere voluntatem et propositum confitendi; et ideo eis non debet denegari hoc sacramentum.

3. Bien qu’ils ne puissent pas confesser de bouche, ils peuvent confesser par des gestes, et ils peuvent avoir la volonté et l’intention de confesser. C’est pourquoi ce sacrement ne doit pas leur être refusé.

[14711] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis morientes abstrahantur a pugna, tamen vadunt ad locum praemii, in quo secundum mensuram gratiae datur mensura gloriae; et ideo indigent plenitudine gratiae, quae in pugna perficit, propter finem pugnae consequendum.

4. Bien que les mourants se retirent du combat, ils vont cependant vers le lieu de la récompense, où la mesure de la gloire est donnée selon la mesure de la grâce. C’est pourquoi ils ont besoin de la plénitude de la grâce, qui perfectionne dans le combat en vue d’obtenir la fin qui est celle du combat.

 

 

Articulus 3 [14712] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 tit. Utrum exigatur quod aliquis teneat aliquem ad confirmationem

Article 3 – Est-il nécessaire que quelqu’un en présente un autre à la confirmation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que quelqu’un en présente un autre à la confirmation ?]

[14713] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non exigatur quod aliquis teneat aliquem ad confirmationem. Ille enim qui habet immediatam relationem ad principem, sicut liberi, non oportet quod mediantibus aliquibus coram principe compareat, sicut servi comparent mediantibus dominis et filiifamilias mediantibus patribus. Sed confirmandus jam habet immediatam relationem ad principem Ecclesiae, cum sit membrum Ecclesiae per Baptismum. Ergo quamvis baptizatus per alium debeat praesentari, tamen confirmandus nullo modo debet per alium ad confirmationem teneri, praecipue si sit adultus.

1. Il semble que quelqu’un ne soit pas tenu d’en présenter un autre à la confirmation. En effet, celui qui a un rapport immédiat avec le dirigeant, comme les hommes libres, n’est pas obligé de se présenter devant le dirigeant par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre, comme les serfs se présentent par l’intermédiaire des seigneurs et les fils par l’intermédiaire de leur père. Or, celui qui doit être confirmé possède déjà une relation immédiate au chef de l’Église, puisqu’il est membre de l’Église par le baptême. Bien que le baptisé doive être présenté par quelqu’un d’autre, celui qui doit être confirmé ne doit d’aucune façon être présenté par un autre à la confirmation, surtout s’il est adulte.

[14714] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fortitudo minus competit mulieribus quam viris. Prov. ultim. 10: mulierem fortem quis inveniet ? Sed confirmatio est sacramentum fortitudinis, quia in eo datur spiritus sanctus ad robur. Ergo ad minus mulier non debet tenere virum ad confirmationem.

2. La force est moins le fait des femmes que des hommes. Pr 31, 10 : Une femme forte, qui la trouvera ? Or, la confirmation est le sacrement de la force, car l’Esprit Saint est donné par lui en vue de la force. Encore moins une femme doit-elle donc présenter un homme à la confirmation.

[14715] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, videtur etiam quod non confirmatus possit tenere ad confirmationem. Quia majus est sacramentum conferre quam ad sacramentum suscipiendum aliquem tenere. Sed non confirmatus potest sacramentum Baptismi conferre. Ergo multo fortius potest ad confirmationem tenere.

Cependant, [1] il semble que même un non-confirmé puisse présenter [quelqu’un] à la confirmation. En effet, il est plus grand de conférer un sacrement que de présenter quelqu’un pour qu’il le reçoive. Or, un non-confirmé peut conférer le sacrement de baptême. À bien plus forte raison peut-il donc présenter à la confirmation.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Doit-on faire une onction de chrême sur le front seulement ?]

[14716] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat fieri linitio chrismatis tantum in fronte. Quia vertex est nobilior pars corporis quam frons, quia ibi est organum cogitativae, hic autem organum phantasiae. Sed sacerdos, qui est inferior quam episcopus, ungit baptizatos chrismate in vertice. Ergo episcopus non debet ungere chrismate confirmandos in fronte.

1. Il semble qu’il ne faille pas faire une onction de chrême sur le front seulement. En effet, le sommet de la tête est une partie plus noble que le front, car là se trouve l’organe de la cogitative, mais ici, l’organe de l’imagination. Or, le prêtre, qui est inférieur à l’évêque, oint les baptisés avec le chrême sur le sommet de la tête. L’évêque ne doit donc pas oindre avec le chrême sur le front ceux qui doivent être confirmés.

[14717] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, confirmatio est sacramentum confessionis. Sed confessio fit ore. Ergo unctio confirmationis magis deberet in ore fieri.

2. La confirmation est le sacrement de la confession. Or, la confession se fait par la bouche. L’onction de la confirmation devrait donc être plutôt faite sur la bouche.

[14718] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, frons est locus nudus et patens. Sed hic de facili sordes contrahit. Cum ergo chrisma sit servandum ab omni inquinamento, videtur quod non congrue fiat unctio in fronte.

3. Le front est un endroit nu et découvert. Or, celui-ci est facilement souillé. Puisque le chrême doit être préservé de toute saleté, il semble donc que l’onction n’est pas convenablement faite sur le front.

[14719] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in confirmatione datur spiritus sanctus ad robur. Sed robur in fronte significatur, ut patet Ezech. 3, 8: ecce dedi (...) frontem tuam duriorem frontibus eorum. Ergo in fronte debet fieri unctio confirmationis.

Cependant, [1] l’Esprit Saint est donné dans la confirmation en vue de la force. Or, la force est signifiée par le front, comme cela est clair dans Ez 3, 8 : Voici que je t’ai donné… un front plus dur que leurs fronts. L’onction de la confirmation doit donc être faite sur le front.

[14720] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Apocal. 7, 3, Angelus dicit: quoadusque signemus servos Dei vivi in frontibus eorum. Sed episcopi dicuntur Angeli, ut patet Apoc. 3. Ergo eorum est in fronte signare.

[2] Dans Ap 7, 3, l’ange dit : Jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs du Dieu vivant. Or, les évêques sont appelés des anges, comme cela ressort clairement d’Ap 3. Il leur revient donc de marquer au front.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La confirmation peut-elle être répétée ?]

[14721] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod confirmatio possit iterari. Sicut enim confirmatio datur ad robur fidei, ita Eucharistia ad robur caritatis. Sed Eucharistia iteratur. Ergo et confirmatio.

1. Il semble que la confirmation puisse être répétée. En effet, de même que la confirmation est donnée pour la force de la foi, de même l’eucharistie l’est-elle pour la force de la charité. Or, l’eucharistie est répétée. La confirmation [doit] donc l’être aussi.

[14722] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si morbus iteratur, et medicina iterari debet. Sed morbus contra quem datur hoc sacramentum, potest iterari, scilicet spiritualis infirmitas. Ergo et sacramentum debet iterari.

2. Si une maladie est répétée, le remède aussi doit être répété. Or, la maladie contre laquelle ce sacrement est donné peut être répétée, à savoir, la maladie spirituelle. Le sacrement doit donc être répété.

[14723] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut in Baptismo imprimitur character, ita et in confirmatione. Sed Baptismus non iteratur. Ergo nec confirmatio.

Cependant, [1] de même qu’un caractère est imprimé par le baptême, de même aussi l’est-il par la confirmation. Or, le baptême n’est pas répété. Donc, la confirmation non plus.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14724] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in sacramento confirmationis datur spiritus sanctus ad robur. Unde propter hoc aliquis ad confirmationem accedit, quia se habere robur standi non praesumit; et ideo institutum fuit ut ab altero teneatur, ad significandum quod per se stare non posset.

Par le sacrement de la confirmation, l’Esprit Saint est donné en vue de la force. Aussi s’approche-t-on de la confirmation parce qu’on ne présume pas posséder la force de résister. C’est pourquoi il a été établi qu’il doit être présenté par un autre pour signifier qu’il ne peut pas tenir debout par lui-même.

[14725] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui est mediator in hoc sacramento, non habet officium repraesentandi quasi extraneum, sicut est in Baptismo, neque suscipiendi quasi instruendum: sed solum tenendi quasi infirmum.

1. Celui qui est médiateur dans ce sacrement n’a pas la fonction de représenter pour ainsi dire un étranger, comme dans le baptême, ni de [l’]accueillir en vue de l’instruire, mais seulement en vue de le soutenir, comme quelqu’un de faible.

[14726] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fortitudo spiritualis est per Christum, in quo non est masculus et femina, ut dicitur ad Galat. 3; et ita non differt utrum vir mulierem, vel mulier virum teneat; quamvis quidam contrarium dicant, scilicet quod mulier virum tenere non potest.

2. La force spirituelle vient du Christ, en qui il n’y a ni homme ni femme, comme il est dit dans Ga 3. Aussi cela ne fait-il pas de différence qu’un homme soutienne une femme ou une femme, un homme, bien que certains disent le contraire, à savoir qu’une femme ne peut soutenir un homme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14727] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod homo potest impediri a libera et aperta confessione nominis Christi propter duo; scilicet propter timorem mortis, et propter confusionem, quae est timor ignominiae. Utriusque autem signum praecipue in facie manifestatur: quia pallescunt timentes, et rubent verecundati, ut dicitur in 4 Ethic., et praecipue in fronte quae est pars magis aperta, et imaginationi, ex qua procedunt passiones praedictae, vicina; et ideo cum confirmatio detur ad liberam confessionem nominis Christi, convenienter unguntur confirmati in fronte.

Un homme peut être empêché de la confession libre et ouverte du nom du Christ pour deux raisons : en raison de la crainte de la mort et en raison de la honte, qui est la crainte de l’ignominie. Or, le signe des deux se manifeste surtout sur le visage, car ceux qui craignent pâlissent et ceux qui ont honte rougissent, comme il est dit dans Éthique, IV, surtout sur le front, qui est la partie la plus ouverte et la plus proche de l’imagination, dont viennent les passions mentionnées. Puisque la confirmation est donnée en vue de la libre confession du nom du Christ, c’est pourquoi les confirmés sont convenablement oints sur le front.

[14728] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unctio quae datur in vertice a sacerdote, significat dignitatem regalem et sacerdotalem in baptizato, quia incipit esse de numero illorum quibus dicitur: vos estis gens sancta, regale sacerdotium, 1 Petr. 2, 9; et ideo in vertice fit ad signandum eminentiam dignitatis collatae. Sed unctio confirmationis datur ad fortiter defendendam dignitatem acceptam, quod amplius est; et ideo in loco publico dari debet.

1. L’onction qui est donnée sur le sommet de la tête par le prêtre signifie la dignité royale et sacerdotale chez le baptisé, car il commence à être compté parmi ceux à qui il est dit : Vous êtes une race sainte, un sacerdoce royal, 1 P 2, 9. C’est pourquoi elle est faite sur le sommet de la tête pour signifier l’éminence de la dignité conférée. Mais l’onction de la confirmation est donnée en vue de défendre la dignité reçue, ce qui est encore davantage. C’est pourquoi elle doit être donnée dans un endroit public.

[14729] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non datur hoc sacramentum ad confessionem simpliciter, sed ad libertatem confessionis; et ideo debet dari ubi apparent illae passiones quae liberam confessionem impedire possunt.

2. Ce sacrement n’est pas donné en vue de confesser seulement, mais en vue de la liberté de la confession. C’est pourquoi il doit être donné là où se manifestent les passions qui peuvent empêcher la libre confession.

[14730] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc non est periculum: quia ligatur frons confirmati quousque desiccetur locus; et postmodum etiam secundum Hugonem, debet esse sub quadam disciplina custodiendi chrisma, ne scilicet caput lavet usque ad septem dies propter septem dona spiritus sancti, sicut etiam Ecclesia septem diebus adventum spiritus sancti in discipulos celebrat.

3. Il n’y pas là de danger, car le front de celui qui a été confirmé est bandé jusqu’à ce que l’endroit soit asséché. Et par la suite, selon Hugues, il faut prendre garde de préserver le chrême en ne se lavant pas la tête pendant sept jours, en raison des sept dons de l’Esprit Saint, de même que l’Église célèbre pendant sept jours la venue de l’Esprit Saint sur les disciples.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14731] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sacramentum quod habet effectum semper permanentem, non potest iterari sine injuria sacramenti: et quia in confirmatione imprimitur character, qui est indelebilis, ideo non debet iterari.

Un sacrement qui possède un effet qui dure toujours ne peut être répété sans préjudice pour le sacrement. Et parce qu’un caractère indélébile est imprimé par la confirmation, celle-ci ne doit pas être répétée.

[14732] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Eucharistia non imprimit characterem; nec illud quod est res et sacramentum, est aliqua forma recepta in recipiente sacramentum, sicut est in confirmatione; et ideo non est similis ratio.

1. L’eucharistie n’imprime pas de caractère. Ce qui est réalité et sacrement n’est pas non plus quelque forme reçue par celui qui reçoit le sacrement, comme c’est le cas pour la confirmation. Aussi le raisonnement n’est-il pas le même.

[14733] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod confirmatio datur contra infirmitatem, prout est contracta per originale peccatum; et sic non redit, quamvis infirmitas actualis peccati redeat.

2. La confirmation est donnée contre la maladie contractée par le péché originel. Aussi ne revient-elle pas, bien que la maladie actuelle du péché revienne.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 7

[14734] Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 3 a. 3 qc. 3 expos. Donatio spiritus sancti ad robur. Contra. Panis cor hominis confirmat; Psalm. 103. Ergo magis pertinet ad Eucharistiam quam ad confirmationem. Et dicendum, quod per Eucharistiam roboratur caritas, per hoc autem sacramentum fides: in his enim duabus virtutibus tota virtus spiritualis aedificii consistit. Vel dicendum quod caritas perficit et roborat ad standum in seipso per modum cibi, sed confirmatio ad pugnam quam quis ab aliis patitur in confessione nominis Christi contra adversarios audaciam praebens. Hoc sacramentum tantum a jejunis accipi et jejunis tradi debet. Propter eminentiam spiritus sancti, qui cum sua plenitudine in hoc sacramento dat robur.

 

 

 

 

EUCHARISTIE

 

 

Distinctio 8

Distinction 8 – [Le sacrement de l’eucharistie]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’eucharistie est-elle un sacrement ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[14735] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de Baptismo et confirmatione, hic tertio determinat de Eucharistiae sacramento; et dividitur in partes duas: in prima determinat ea quae pertinent ad ipsum sacramentum; in secunda determinat de dispensantibus sacramentum, 13 dist., ibi: solet etiam quaeri, utrum pravi sacerdotes hoc sacramentum conficere queant. Prima in duas: in prima determinat ea quae requiruntur ad hoc sacramentum in generali; in secunda prosequitur de eis in speciali, dist. 10, ibi: sunt item alii praecedentium insaniam transcendentes. Prima iterum in duas: in prima determinat ea quae requiruntur ad hoc sacramentum; in secunda determinat usum sacramenti, 9 dist., ibi: et sicut duae sunt res illius sacramenti, ita et duo modi manducandi. Prima autem in tres: in prima determinat praecedentia Eucharistiam quibus hoc sacramentum figuratur; in secunda determinat concomitantia, quibus hoc sacramentum integratur, scilicet formam et institutionem, ibi: hic etiam ante alia consideranda occurrunt quatuor; in tertia determinat consequentia, quae in hoc sacramento efficiuntur vel significantur, ibi: nunc quid ibi sacramentum sit et quid res, videamus. Secunda pars dividitur in tres: in prima determinat institutionem; in secunda formam, ibi: forma vero est quam ipse ibidem edidit; in tertia movet quamdam quaestionem, et solvit, ibi: ubi consideratione dignum est quare illud sacramentum post coenam dedit discipulis. Nunc quid ibi sit sacramentum et quid res, videamus. Hic determinat de sacramento Eucharistiae per comparationem ad significatum vel causatum ejus: et circa hoc duo facit. Primo ostendit quid sit ibi res, et quid sacramentum. Secundo concludit eorum numerum et ordinem, ibi: sunt igitur, hic tria distinguenda et cetera. Hic est duplex quaestio. Prima de ipso Eucharistiae sacramento. Secunda de forma ipsius. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum Eucharistia sit sacramentum; 2 de significatione ejus; 3 de institutione; 4 de ordine sumendi hunc cibum respectu aliorum ciborum.

Après avoir déterminé à propos du baptême et de la confirmation, le Maître détermine ici en troisième lieu du sacrement de l’eucharistie. Il y a deux parties : dans la première, il précise ce qui appartient à ce sacrement ; dans la seconde, il précise ceux qui peuvent dispenser le sacrement, d. 13, à cet endroit : «On a l’habitude de demander si les mauvais prêtres peuvent accomplir ce sacrement.» La première partie se divise en deux : dans la première, il précise ce qui est nécessaire pour ce sacrement d’une manière générale ; dans la seconde, il poursuit sur le même sujet d’une manière particulière, d. 10, à cet endroit : «Il y en a d’autres qui dépassent la folie de ceux qui précèdent.» La première partie se divise de nouveau en deux : dans la première, il précise ce qui est nécessaire pour ce sacrement ; dans la seconde, il précise l’usage du sacrement, d. 9, à cet endroit : «Et comme il y a deux réalités dans ce sacrement, de même y a-t-il deux manières de le manger.» La première partie se divise en trois : dans la première, il précise ce qui précède l’eucharistie, par quoi le sacrement est figuré ; dans la deuxième, il précise ce qui l’accompagne, par quoi ce sacrement est accompli, à savoir, la forme et l’institution, à cet endroit : «Ici aussi, quatre choses doivent être considérées avant les autres» ; dans la troisième, il précise ce qui suit, qui est réalisé ou signifié par se sacrement, à cet endroit : «Maintenant, voyons ce qu’est le sacrement et ce qu’est la réalité.» La deuxième partie est divisée en trois : dans la première, il précise l’institution ; dans la deuxième, la forme, à cet endroit : «Mais la forme est ce que lui-même a formulé en cet endroit» ; dans la troisième, [le Maître] soulève une question et la résout, à cet endroit : «Il est ici convenable de se demander pourquoi il a donné ce sacrement aux disciples après la cène.» «Maintenant, voyons ce qu’est le sacrement et ce qu’est la réalité.» Ici, il détermine à propos du sacrement de l’eucharistie en rapport à ce qu’il signifie et à ce qu’il cause. À ce sujet, il fait deux choses. Premièrement, il montre ce qu’est ici la réalité et ce qu’est le sacrement. Deuxièmement, il conclut sur leur nombre et leur ordre, à cet endroit : «Il faut donc distinguer trois choses, etc.» Il y a ici une double question : la première, au sujet du sacrement de l’eucharistie ; la seconde, au sujet de sa forme. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – est-ce que l’eucharistie est un sacrement ? 2 – sa signification ; 3 – son institution ; 4 – la manière de prendre cette nourriture en regard des autres nourritures.

Articulus 1 [14736] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum Eucharistia sit sacramentum

Article 1 – Est-ce que l’eucharistie est un sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’eucharistie est-elle un sacrement ?]

[14737] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Eucharistia non sit sacramentum. Ad idem enim non debent diversa ordinari. Sed confirmatio est ad perficiendum, secundum Dionysium. Cum ergo secundum ipsum Eucharistia etiam sit perfectio, videtur quod superfluat hoc sacramentum.

1. Il semble que l’eucharistie ne soit pas un sacrement. En effet, des choses diverses ne doivent pas être ordonnées à une même chose. Or, la confirmation est donnée en vue de perfectionner, selon Denys. Puisque l’eucharistie est aussi selon lui une perfection, il semble donc que ce sacrement soit superflu.

[14738] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in omni sacramento novae legis idem quod figuratur, efficitur per signum figurans. Sed species panis et vini, quae figurant corpus Christi verum et mysticum, non efficiunt illud. Ergo Eucharistia non est sacramentum novae legis.

2. Dans tous les sacrements de la loi nouvelle, ce qui est représenté est la même chose que ce qui est réalisé par le signe qui représente. Or, les espèces du pain et du vin, qui représentent le corps véritable et mystique du Christ, ne le réalisent pas. L’eucharistie n’est donc pas un sacrement de la loi nouvelle.

[14739] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacramentum est elementum materiale, secundum Hugonem exterius oculis suppositum. Sed corpus Christi verum quod dicitur hic sacramentum et res similiter, non est oculis videntium suppositum. Ergo non est sacramentum.

3. Le sacrement est un élément matériel, placé extérieurement sous les yeux, selon Hugues. Or, le corps véritable du Christ, qui est ici appelé aussi bien le sacrement et la réalité, n’est pas placé sous les yeux de ceux qui voient. Ce n’est donc pas un sacrement.

[14740] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omne sacramentum in ipsa sui susceptione consecratur et perficitur, sicut patet de Baptismo, quod perficitur in ipsa ablutione. Sed Eucharistia consecratur ante sumptionem. Ergo non est sacramentum.

4. Tout sacrement est consacré et réalisé lorsqu’on le reçoit, comme cela ressort clairement pour le baptême, qui est réalisé par l’ablution elle-même. Or, l’eucharistie est consacrée avant d’être consommée. Ce n’est donc pas un sacrement.

[14741] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, in omni alio sacramento illud quod est res et sacramentum, est aliquid effectum in suscipiente, sicut character in Baptismo. Sed corpus Christi verum, quod ponitur hic res et sacramentum, non est aliquid in recipiente effectum. Ergo non est sacramentum ejusdem rationis cum aliis.

5. Dans tous les autres sacrements, ce qui est réalité et sacrement est quelque chose qui est réalisé dans celui qui le reçoit, comme le caractère dans le baptême. Or, le corps véritable du Christ, qui est présenté ici comme réalité et sacrement, n’est pas quelque chose qui est réalisé dans celui qui [le] reçoit. Ce n’est donc pas un sacrement au même sens que les autres.

[14742] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in collecta dicitur: praesta ut hoc tuum sacramentum non sit nobis reatus ad poenam.

Cependant, [1] il est dit dans la collecte : «Fais que nous ne méritions pas une peine pour ton sacrement.»

[14743] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis actio per ministros Ecclesiae dispensata, in qua ex ipso opere operato gratia confertur, est sacramentum. Sed Eucharistia est hujusmodi. Ergo est sacramentum.

[2] Toute action dispensée par les ministres de l’Église, dans laquelle la grâce est conférée en vertu de l’acte posé lui-même, est un sacrement. Or, l’eucharisite est de cette sorte. Elle est donc un sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’eucharistie est-elle un seul sacrement ou plusieurs ?]

[14744] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit unum sacramentum, sed multa. Primo per hoc quod in collecta dicitur: purificent nos, domine, haec sacramenta quae sumpsimus.

1. Il semble que ce ne soit pas un seul sacrement, mais plusieurs. En premier lieu, en raison de ce qui est dit dans la collecte : «Seigneur, que ces sacrements que nous avons pris nous purifient.»

[14745] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramentum est in genere signi. Sed ea quae sunt in genere signi, sicut nomina, plurificantur ad pluralitatem signantium, quamvis sit idem signatum; sicut Marcus et Tullius sunt duo nomina, quamvis sit eadem res significata. Ergo cum in Eucharistia sint plura signantia, sicut species panis et vini, videtur quod sint plura sacramenta.

2. Le sacrement fait partie du genre du signe. Or, ce qui fait partie du genre du signe, tels les noms, est mis au pluriel selon la pluralité de ce qui signifie, bien qu’il s’agisse d’un même signifié : ainsi, Marcus et Tullius sont deux noms, bien que la même chose soit signifiée. Puisque, dans l’eucharistie, plusieurs choses signifient, comme l’espèce du pain et du vin, il semble qu’il y ait plusieurs sacrements.

 [14746] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unitas rei est ex forma sua. Sed in Eucharistia sunt duae formae, una ad consecrationem panis, alia ad consecrationem sanguinis. Ergo sunt duo sacramenta. [14747] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ea quae nec in genere nec in specie conveniunt, sunt plura simpliciter. Sed corpus Christi verum cum speciebus panis et vini sunt differentia et specie et genere. Ergo sunt plura simpliciter. Cum ergo utrumque dicatur sacramentum in Eucharistia, videtur quod non sit unum sacramentum.

3. L’unité d’une chose vient de sa forme. Or, dans l’eucharistie, il y a deux formes : l’une pour la consécration du pain, l’autre pour la consécration du sang. Il y a donc deux sacrements. 4. Ce qui n’a rien de commun ni par le genre ni par l’espèce est une pluralité de choses tout simplement. Or, le corps véritable du Christ est différent des espèces du pain et du vin par l’espèce et par le genre. Ils sont donc des choses différentes tout simplement. Puisque les deux sont appelés sacrement dans l’eucharistie, il semble donc qu’il n’y ait pas un seul sacrement.

[14748] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, ex duobus perfectis non fit aliquid unum. Sed Christus perfecte est sub utraque specie, scilicet panis et vini. Ergo ex his duobus non fit unum sacramentum.

5. Une seule chose n’est pas réalisée à partir de deux choses parfaites. Or, le Christ existe parfaitement sous les deux espèces, à savoir, le pain et le vin. Un seul sacrement n’est donc pas réalisé à partir de ces deux choses.

[14749] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia si essent duo, tunc sacramenta novae legis non essent tantum septem.

Cependant, [1] s’il y avait deux sacrements, il n’y aurait pas seulement sept sacrements de la loi nouvelle.

[14750] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, quaecumque ordinantur ad idem efficiendum et significandum, pertinent ad unum sacramentum. Sed omnia quae in Eucharistia sunt, pertinent ad idem repraesentandum, scilicet mortem domini, et idem efficiendum, scilicet gratiam, per quam homo incorporatur corpori mystico. Ergo est unum tantum sacramentum.

[2] Tout ce qui est ordonné à réaliser et à signifier la même chose se rapporte à un seul sacrement. Or, tout ce qui se trouve dans l’eucharistie se rapporte à la représentation de la même chose, à savoir, la mort du Seigneur, et à réaliser la même chose, à savoir, la grâce, par laquelle l’homme est incorporé au corps mystique. Il n’y a donc qu’un seul sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’eucharistie porte-t-elle des noms appropriés ?]

[14751] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non convenientibus nominibus nominetur. Nomen enim proprium alicui debet imponi ex eo quod sit sibi proprium. Sed bonitas gratiae est communis omnibus sacramentis. Ergo ex hoc non debet imponi nomen proprium uni sacramento, ut dicatur Eucharistia.

1. Il semble qu’elle ne porte pas des noms appropriés. En effet, un nom propre doit être donné à une chose pour ce qui lui est propre. Or, la bonté de la grâce est commune à tous les sacrements. Un nom propre propre, l’eucharistie, ne doit donc pas être donné à un seul sacrement.

[14752] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur, hoc sacramentum ideo viaticum appellatur, quia in via nos reficiens, usque ad patriam deducit. Sed hoc est commune omnibus sacramentis, quae non nisi viatoribus dantur ad perveniendum ad gloriam patriae, quae est res non contenta, et significata in omnibus sacramentis. Ergo non convenienter viaticum appellatur.

2. Comme il est dit dans le texte, ce sacrement est aussi appelé «viatique», parce qu’en nous restaurant en cours de route, il nous conduit jusqu’à la patrie. Or, cela est commun à tous les sacrements, qui ne sont donnés qu’à ceux qui sont en route afin de parvenir à la gloire de la patrie, qui est la réalité non contenue et signifiée par tous les sacrements. Il n’est donc pas appelé «viatique» de manière appropriée.

[14753] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, causae per effectus denominari solent. Sed adducere ad communionem fidelium est effectus Baptismi, secundum Dionysium, ut ex praedictis patet. Ergo Baptismus magis debet dici communio vel synaxis, quam hoc sacramentum.

3. Les causes ont coutume d’être nommées à partir de leurs effets. Or, amener à la communion des fidèles est l’effet du baptême, selon Denys, tel que cela ressort clairement de ce qui a été dit. Le baptême doit donc être appelé «communion» ou «synaxe», plutôt que ce sacrement.

[14754] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, in quolibet sacramento fit aliquid sacrum. Sed hoc importat sacrificii nomen. Ergo sacrificium etiam non est nomen proprium hujus sacramenti.

4. Dans tout sacrement, est réalisé quelque chose de sacré. Or, le nom de «sacrifice» comporte cela. «Sacrifice» n’est donc pas le nom propre de ce sacrement.

[14755] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, hostia videtur idem quod sacrificium. Sed Dionysius confirmationem nominat chrismatis hostiam. Ergo neque hostia neque sacrificium est nomen proprium huic sacramento.

5. L’hostie semble être la même chose que le sacrifice. Or, Denys appelle la confirmation «l’hostie du chrême». Ni «hostie» ni «sacrifice» ne sont donc des noms propres pour ce sacrement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14756] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Eucharistia sacramentum quoddam est, alio tamen modo ab omnibus aliis sacramentis. Sacramentum enim secundum sui nominis proprietatem sanctitatem active importat; unde secundum hoc aliquid habet sacramenti rationem secundum quod habet rationem sanctificationis, qua sanctum aliquid fit. Dicitur autem aliquid sanctum dupliciter. Uno modo simpliciter et per se, sicut quod est subjectum sanctitatis, sicut dicitur homo sanctus. Alio modo secundario et secundum quid, ex eo quod habet ordinem ad hanc sanctitatem, vel sicut habens virtutem sanctificandi, sicut chrisma dicitur sanctum; vel quocumque alio modo ad aliquid sanctum deputetur, sicut altare sanctum. Et ideo ea quibus aliquid fit sanctum primo modo, dicuntur sacramenta simpliciter; illa autem quibus fit aliquid sanctum secundo modo, non dicuntur sacramenta, sed sacramentalia magis. In aliis ergo sacramentis fit aliquid sanctum primo modo, sicut homo suscipiens sacramentum; non autem elementum corporale sanctificans hominem, quia hoc est sacrum secundo modo; et ideo hoc quod pertinet ad sanctificationem materiae in omnibus sacramentis non est sacramentum, sed sacramentale; sed hoc quod pertinet ad usum materiae qua homo sanctificatur, est sacramentum. In hoc autem sacramento illud quod est sanctificans hominem, est sanctum primo modo, quasi subjectum sanctitatis, quia est ipse Christus; et ideo ista sanctificatio materiae est hoc sacramentum; sed sanctificatio hominis est effectus sacramenti. Et ideo hoc sacramentum in se consideratum, est dignius omnibus sacramentis, quia habet absolutam sanctitatem etiam praeter suscipientem; alia autem non habent nisi in ordine ad aliud; et ideo hoc sacramentum est perfectio aliorum sacramentorum; quia omne quod est per aliud, reducitur ad id quod est per se, sicut patet de accidente et substantia.

L’eucharistie est un sacrement, mais d’une autre manière que tous les autres sacrements. En effet, le sacrement, au sens propre du mot, comporte une sainteté d’une manière active ; aussi une chose a-t-elle raison de sacrement selon qu’elle possède la raison de sainteté par laquelle quelque chose est rendu saint. Or, on dit que quelque chose est saint de deux manières. D’une manière, simplement et par soi, comme quelque chose qui est le sujet de la sainteté : ainsi, un homme est-il appelé saint. D’une autre manière, de façon secondaire et relative, pour autant que cela est ordonné à cette sainteté ou que cela a la capacité de sanctifier – ainsi, le chrême est-il appelé saint –, ou selon que cela est assigné à quelque chose de saint, quelle qu’en soit la manière, comme un autel saint. C’est pourquoi les choses qui sont sanctifiées de la première manière sont appelées simplement des sacrements ; mais on n’appelle pas sacrements les choses par lesquelles quelque chose est rendu saint de la seconde manière, mais plutôt des sacramentaux. Dans les autres sacrements, quelque chose est donc rendu saint de la première manière, comme l’homme qui reçoit le sacrement, mais non l’élément corporel sanctifiant l’homme, car cela est saint de la seconde manière. C’est pourquoi ce qui se rapporte à la sanctification de la matière dans tous les sacrements n’est pas un sacrement, mais un sacramental ; mais ce qui se rapporte à l’usage de la matière par laquelle l’homme est sanctifié est un sacrement. Mais, dans le sacrement [de l’eucharistie], ce qui sanctifie l’homme est saint de la première manière, en tant que sujet de la sainteté, car c’est le Christ lui-même. Aussi la sanctification matérielle est-elle ce sacrement, mais la sanctification de l’homme est-elle l’effet du sacrement. Ainsi, considéré en lui-même, ce sacrement est plus digne que tous les autres sacrements, parce qu’il possède une sainteté absolue même en dehors de celui qui le reçoit, mais les autres [sacrements] ne la possèdent que par rapport à autre chose. Aussi ce sacrement est-il la perfection des autres sacrements, car tout ce qui existe par autre chose se ramène à ce qui existe par soi, comme cela ressort clairement pour l’accident et la substance.

[14757] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod perfectum unumquodque est, cum attingit propriam virtutem, ut dicitur in 7 Phys. Virtus autem est ultimum in re, ut dicitur in 1 Cael. et Mund.; et ideo perfectio rei consistit in hoc quod res ad sui ultimum perducatur. Est autem dupliciter ultimum rei; unum quod est in re, et aliud quod est extra rem; sicut in corporibus ultimum in corpore est superficies corporis contenti; ultimum extra est locus, qui est superficies corporis continentis. Ultimum autem cujuslibet rei in seipsa est ipsa rei operatio, propter quam res est: forma enim est finis generationis, non ipsius generati, ut dicit Commentator in 2 Phys. Unde res quae habet formam substantialem per quam est, esse non dicitur perfecta simpliciter, sed perfecta in esse, vel perfecta perfectione prima; et talem perfectionem quantum ad esse spirituale acquirit homo in Baptismo, in quo est regeneratio spiritualis; et ideo Dionysius non ponit Baptismum habentem vim perfectivam simpliciter, sed magis purgativam et illuminativam. Sed simpliciter perfectum dicitur quod habet operationem convenientem suae formae. In hoc enim consistit virtus rei, secundum philosophum in 2 Ethic., per cujus consecutionem aliquid dicitur perfectum, ut dictum est. Hominis autem operatio spiritualis est duplex. Una ipsius inquantum est persona privata; et quantum ad hoc perficit confirmatio, quae facit hominem non impeditum aliquo mundano timore in confessione fidei, et aliis quae ad Christianam religionem spectant. Alia, inquantum est persona publica, quasi membrum principale, et influens aliis membris; et quantum ad hoc perficit sacramentum ordinis. Ultimum autem cujuslibet rei extra seipsam, est principium a quo res habet esse: quia per conjunctionem ad ipsum res complentur et firmantur, et propter distantiam ab ipso deficiunt, sicut corruptibilia propter longe distare a primo, ut dicitur in 2 de Generat.; et ideo primum agens habet etiam rationem ultimi finis perficientis. Fons autem Christianae vitae est Christus; et ideo hoc modo Eucharistia perficit, Christo conjungens; et ideo hoc sacramentum est perfectio omnium perfectionum, ut Dionysius dicit; unde et omnes qui sacramenta alia accipiunt, hoc sacramento in fine confirmantur, ut ipse dicit.

1. Est parfait tout ce qui parvient à sa propre puissance, comme il est dit dans Physique, VII. Or, la puissance est ce qui vient en dernier lieu dans une chose, comme il est dit dans Sur le ciel et sur le monde, I. Ainsi, la perfection d’une chose consiste en ce qu’elle soit amenée à ce qui est ultime en elle. Or, deux réalités sont ultimes dans une chose : l’une qui existe dans la chose et une autre qui est extérieure à la chose. Ainsi, dans les corps, ce qu’il y a d’ultime dans un corps est la surface du corps qui y est contenu ; ce qu’il y a d’ultime à l’extérieur [du corps] est le lieu, qui est la surface du corps qui contient. Or, ce qu’il y a d’ultime dans une chose en elle-même est l’opération de la chose elle-même, en fonction de laquelle la chose existe : en effet, la forme est la fin de la génération, et non de ce qui est engendré, comme le dit le Commentateur à propos de Physique, II. Ainsi, on ne dit pas d’une chose qui possède une forme substantielle par laquelle elle existe qu’elle est parfaite simplement, mais qu’elle est parfaite pour ce qui est de son être ou qu’elle est parfaite selon la première perfection. Or, pour ce qui est de l’être spirituel, l’homme acquiert une telle perfection par le baptême, par lequel se réalise une régénération spirituelle. C’est pourquoi Denys n’affirme pas que celui qui a été baptisé possède une puissance perfective tout simplement, mais plutôt [une puissance] purificatrice et illuminatrice. Or, on appelle parfait tout simplement ce qui possède une opération qui convient à sa forme. En effet, selon le Philosophe dans Éthique, II, la puissance d’une chose consiste en ce par l’acquisition de quoi on dit que quelque chose est parfait, comme on l’a dit. Or, l’opération de l’homme est double. L’une, en tant qu’il est une personne privée : la confirmation perfectionne pour cela, faisant que l’homme ne soit pas empêché de confesser la foi et les autres choses qui concernent la religion chrétienne en raison d’une crainte mondaine. L’autre, en tant qu’il est une personne publique, comme un membre principal exerçant une influence sur les autres membres : le sacrement de l’ordre perfectionne pour cela. Mais la réalité ultime extérieure à une chose est le principe dont la chose reçoit l’être, car, par son union à cette réalité, les choses sont achevées et affermies et, en raison de la distance par rapport à celle-ci, elles défaillent, comme c’est le cas des choses corruptibles qui sont éloignées de ce qui est premier, ainsi qu’il est dit dans Sur la génération, II. C’est la raison pour laquelle le premier agent a aussi raison de fin ultime qui perfectionne. Or, la source de la vie chrétienne est le Christ ; ainsi, c’est de cette manière que l’eucharistie perfectionne, en unissant au Christ. Ce sacrement est la perfection de toutes les perfections, comme le dit Denys. C’est pourquoi tous ceux qui reçoivent les autres sacrements sont affermis à la fin par ce sacrement, comme il le dit.

[14758] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut ad species sensibiles aliorum sacramentorum se habet virtus quae interius inest, quae sanctificationem acquirit, ex qua sacramentum efficit, secundum Hugonem, ita in hoc sacramento se habet ipsum corpus Christi, quod per consecrationem sub speciebus illis fit. Unde sicut in aliis sacramentis materiale elementum non est causa virtutis quae in ipso est, neque alicujus spiritualis effectus in homine, nisi mediante virtute, secundum quod ex elemento et virtute quasi unum efficitur; ita in hoc sacramento species non sunt causa corporis Christi, neque alicujus effectus in anima spiritualis, nisi mediante corpore Christi vero, secundum quod ex speciebus et corpore Christi fit unum sacramentum. Utrum autem species illae secundum se habeant aliquem effectum corporalem, sicut aqua corporaliter abluit in Baptismo, etiam non mediante spirituali virtute, infra dicetur.

2. Tel est le rapport avec les espèces sensibles des autres sacrements et la puissance qui agit intérieurement pour donner la sanctification, par laquelle le sacrement est réalisé, selon Hugues, tel est dans [l’eucharistie] le rapport avec le corps même du Christ, qui est réalisé par la consécration sous ces espèces. Ainsi, de même que dans les autres sacrements l’élément matériel n’est pas la cause de la puissance qui se trouve en lui, pas davantage que de l’effet spirituel qui existe dans l’homme, si ce n’est par l’intermédiaire de cette puissance, selon qu’une seule chose est réalisée par l’élément et la puissance, de même, dans le sacrement [de l’eucharistie], les espèces ne sont-elles pas la cause du corps du Christ, pas davantage que d’un effet spirituel dans l’âme, si ce n’est par l’intermédiaire du corps véritable du Christ, selon qu’un seul sacrement est réalisé par les espèces et le corps du Christ. Que ces espèces aient par elles-mêmes un effet corporel, comme l’eau lave corporellement dans le baptême, même sans l’intermédiaire de la puissance spirituelle, il en sera question plus loin.

[14759] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omne sacramentum est visibile; non tamen oportet quod quidquid est in sacramento, sit visibile. Videtur enim species visibilis aquae in Baptismo, sed non videtur virtus spiritualis, quae secretius operatur salutem; et similiter hic videntur species, sed non videtur verum corpus Christi. Vel dicendum, quod est visibile non in se, sed in speciebus quae ipsum tegunt; sicut et substantia aliorum corporum videtur mediante colore.

3. Tout sacrement est visible. Toutefois, il n’est pas nécessaire que tout ce qui se trouve dans le sacrement soit visible. En effet, l’espèce visible de l’eau est vue dans le baptême, mais la puissance spirituelle, qui réalise secrètement le salut, n’est pas vue. De même ici, les espèces sont vues, mais le corps véritable du Christ n’est pas vu. Ou bien il faut dire qu’il est visible, non pas en lui-même, mais sous les espèces qui le recouvrent, comme la substance des autres corps est vue par l’intermédiaire de la couleur.

[14760] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sanctitas quae est in materiis aliorum sacramentorum, non est forma sanctitatis absolute, sed secundum ordinem ad aliud, ut in 1 dist. dictum est; et ideo non est simile de aliis sacramentis et de hoc, ut ex dictis patet.

4. La sainteté qui se trouve dans les matières des autres sacrements n’est pas la forme de la sainteté prise absolument, mais selon son rapport à autre chose, comme on l’a dit dans la d. 1. C’est pourquoi il n’en va pas de même des autres sacrements et de celui-ci, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

[14761] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso quod alia sacramenta perficiuntur in acceptione vel collatione, contingit quod illud quod est in eis sacramentum et res, est aliquid acquisitum in suscipiente; in hoc autem sacramento aliter est, ut ex dictis patet.

5. Du fait même que les autres sacrements sont accomplis par le fait de les recevoir ou de les donner, il se fait que ce qui est sacrement et réalité [dans ces sacrements] est quelque chose qui se réalise dans celui qui [les] reçoit. Mais dans le sacrement [de l’eucharistie], il en va autrement, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14762] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod per se unum simpliciter, et quod est numero unum, tribus modis dicitur. Uno modo sicut indivisibile est unum, ut punctum et unitas, quod neque est multa actu neque potentia. Alio modo quod est unum ex continuitate, quod tamen est multa potentia, sicut linea. Tertio modo quod est unum perfectione, sicut dicitur calceamentum unum, quia habet omnes partes quae requiruntur ad calceamentum; et haec unitas dicitur in omnibus illis ad quorum integritatem aliqua exiguntur, sicut unus homo, una domus. Et quia ad esse sacramenti multa concurrunt, sicut forma et materia, et hujusmodi; ideo ab hac unitate perfectionis dicitur sacramentum unum esse. Illa enim sunt de integritate alicujus instrumenti quae requiruntur ad operationem illam ad quam instrumentum deputatum est. Hoc autem sacramentum deputatum est ex divina institutione ad cibationem spiritualem, quae per cibationem corporalem significatur. Et quia cibatio corporalis duo requirit, scilicet aliquid per modum cibi, et aliquid per modum potus; ideo ad integritatem hujus sacramenti ex divina institutione est aliquid per modum cibi, scilicet corpus Christi; et aliquid per modum potus, scilicet sanguis.

Être un simplement et un selon le nombre se dit de trois manières. D’une manière, comme ce qui est indivisible est un, comme le point et l’unité, qui n’est multiple ni en acte ni en puissance. D’une autre manière, comme ce qui est un par la continuité, mais qui est cependant multiple en puissance, comme la ligne. D’une troisième manière, comme ce qui est un par sa perfection, comme on dit qu’un soulier est un parce qu’il possède toutes les parties nécessaires à un soulier. On parle de cette [dernière] unité pour tout ce dont l’intégrité exige certaines choses, comme pour un homme et une maison. Et parce que plusieurs choses concourent à l’existence d’un sacrement, comme la forme et la matière et les choses de ce genre, un sacrement est dit un en raison d’une unité de perfection. En effet, fait partie de l’intégrité d’un instrument ce qui est requis pour l’action à laquelle l’instrument est destiné. Or, le sacrement [de l’eucharistie] est destiné par institution divine à l’alimentation spirituelle, qui est signifiée par l’alimentation corporelle. Et parce que l’alimentation corporelle exige deux choses, à savoir, quelque chose sous forme de nourriture et quelque chose sous forme de boisson, fait partie de ce sacrement par institution divine quelque chose sous forme de nourriture, à savoir, le corps du Christ, et quelque chose sous forme de boisson, à savoir, le sang.

[14763] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicitur pluraliter sacramenta propter materialem diversitatem signorum.

1. On parle des sacrements au pluriel en raison de la diversité matérielle des signes.

[14764] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit quando utrumque signum habet integram significationem; sic autem non est hic: quia cibatio spiritualis non significatur perfecte neque per panis tantum neque per vini tantum sumptionem, sed per utrumque simul, sicut est in significatione nominum compositorum.

2. Cet argument vaut lorsque les deux signes ont une signification complète. Mais il n’en est pas de même ici, car l’alimentation spirituelle n’est parfaitement signifiée ni par le fait de prendre le pain seulement, ni par le fait de prendre le vin seulement, mais par le fait de prendre les deux en même temps, comme c’est le cas pour la signification des noms composés.

[14765] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si utraque forma responderet toti sacramento; sed hoc falsum est: quia una forma respondet uni, et alia alii eorum quae ad sacramentum exiguntur.

3. Cet argument vaudrait si les deux formes correspondaient à tout le sacrement. Mais cela est faux, car une forme correspond à une chose et l’autre forme correspond à une autre des choses qui sont requises pour le sacrement.

[14766] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis non sint unum in genere vel specie naturae, possunt tamen esse unum per relationem ad unam operationem, ex qua unitate sumitur unitas sacramenti.

4. Bien qu’ils ne soient pas une seule chose par le genre et par l’espèce naturelle, ils peuvent cependant être une seule chose par rapport à une seule opération, unité dont le sacrement tire son unité.

[14767] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis Christus perfectus sit sub utraque specie, non tamen quantum ad integrum usum sacramenti est sub utroque, sed quantum ad diversos usus.

5. Bien que le Christ soit parfait sous les deux espèces, il ne l’est cependant pas pour ce qui est de l’usage complet du sacrement sous les deux espèces, mais selon divers usages.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14768] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in quolibet sacramento est tria considerare; scilicet originem, perfectionem, et finem ad quem est. Origo autem omnium sacramentorum est passio Christi, de cujus latere in cruce pendentis sacramenta profluxerunt, ut sancti dicunt; perfectio autem sacramenti est in hoc quod continet gratiam; finis autem sacramenti est duplex; proximus, scilicet sanctificatio recipientis, et ultimus, scilicet vita aeterna. Haec autem per quamdam excellentiam in Eucharistia inveniuntur. Quia hoc sacramentum est specialiter in memoriam dominicae passionis; unde Matthaei 26: quotiescumque feceritis, in mei memoriam facietis; et ideo quantum ad originem vocatur sacrificium vel hostia. Similiter etiam gratiam non per modum intentionis continet sicut alia sacramenta, sed plenitudinem gratiae in suo fonte; et ideo antonomastice Eucharistia dicitur. Similiter etiam quia ipsa est consummatio omnium sanctificationum, ut Dionysius dicit, id quod est omnium, scilicet congregari ad unum, huic sacramento attribuitur; et dicitur communio vel synaxis, quod idem est, inquantum scilicet homo congregatur ad unum et ad seipsum et ad alios, ei quod est maxime unum conjunctus. Similiter etiam quantum ad ultimum finem consequendum maximam efficaciam habet, inquantum realiter continet hoc quo janua caeli nobis aperta est, scilicet sanguinem Christi; et ideo specialiter viaticum appellatur.

Dans tous les sacrements, il faut considérer trois choses : l’origine, la perfection et la fin pour laquelle il existe. Or, l’origine de tous les sacrements est la passion du Christ, du côté de qui les sacrements se sont écoulés alors qu’il était suspendu à la croix, comme le disent les saints. La perfection du sacrement consiste en ce qu’il contient la grâce. Mais la fin du sacrement est double : prochaine, à savoir, la sanctification de celui qui le reçoit ; ultime, à savoir, la vie éternelle. Or, ces choses se trouvent dans l’eucharistie selon une certaine excellence, car ce sacrement existe d’une manière spéciale en mémoire de la passion du Seigneur. Aussi est-il dit en Mt 26 : Chaque fois que vous ferez cela, vous le ferez en mémoire de moi. Aussi, pour ce qui est de son origine, est-il appelé «sacrifice» ou «hostie». De même encore, il ne contient pas la grâce par mode d’intention, comme les autres sacrements, mais la plénitude de la grâce en sa source. C’est pourquoi il est appelé par antonomase «eucharistie». De même aussi, parce qu’elle est la consommation de toutes les sanctifications, comme le dit Denys, ce qui appartient à tous, à savoir d’être rassemblés en un, est attribué à ce sacrement : il est alors appelé «communion» ou «synaxe», ce qui est la même chose, pour autant que l’homme est rassemblé en un, tant par rapport à lui-même que par rapport aux autres, en étant uni à ce qui est un au plus haut point. De même encore, [ce sacrement] a-t-il la plus grande efficacité pour obtenir la fin ultime pour autant qu’il contient réellement ce par quoi la porte du ciel nous a été ouverte, à savoir, le sang du Christ : c’est pourquoi il est appelé «viatique» d’une manière particulière.

[14769] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per haec patet solutio ad objecta: quia ab eo quod est commune, aliquid antonomastice denominari potest.

La solution des objections est ainsi claire, car quelque chose peut être nommé par antonomase à partir de ce qui est commun.

Articulus 2 [14770] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum huic sacramento figurae assignari debeant

Article 2 – Des figures doivent-elles être mises en rapport avec ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Des figures doivent-elles être mises en rapport avec ce sacrement ?]

[14771] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod huic sacramento figurae assignari non debeant. Nihil enim disponitur per aliquid sui generis; albedinis enim non est albedo, nec motus est motus. Sed sacramentum est signum. Ergo sacramento non debet aptari aliqua figura, quia in infinitum iretur.

1. Il semble qu’il ne faille pas mettre des figures en rapport avec ce sacrement. En effet, rien n’est disposé par quelque chose de son propre genre : il n’y a pas de blancheur de la blancheur, ni de mouvement du mouvement. Or, le sacrement est un signe. Il ne faut donc pas adapter une figure au sacrement, car on remonterait à l’infini.

[14772] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sacramenta veteris legis dicuntur sacramentis novae legis respondere, in quantum signant ipsa. Sacramentis autem novae legis quae sunt maximae perfectionis non respondebant aliqua sacramenta in veteri lege, ut quidam dicunt. Cum ergo hoc sacramentum sit maximae perfectionis, videtur quod non debeant ei aliquae figurae assignari.

2. On dit que les sacrements de la loi ancienne correspondent aux sacrements de la loi nouvelle pour autant qu’ils les font connaître. Or, des sacrements de la loi ancienne ne correspondaient pas aux sacrements de la loi nouvelle qui ont la plus grande perfection, comme le disent certains. Puisque ce sacrement a la plus grande perfection, il semble donc que des figures ne doivent pas être mises en rapport avec eux.

[14773] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut praefigurata Eucharistia est in agno paschali, ita et Baptismus in transitu maris rubri, ut dicitur 1 Corinth., 10. Cum ergo Magister non assignaverit aliquas figuras Baptismi, videtur quod nec Eucharistiae figuras assignare debeat.

3. De même que l’eucharistie est préfigurée par l’agneau pascal, de même l’est le baptême par le passage de la mer Rouge, comme il est dit dans 1 Co 10. Puisque le Maître n’a pas assigné de figures au baptême, il semble donc qu’il ne doive pas non plus assigner de figures à l’eucharistie.

[14774] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum memoriale passionis Christi est specialiter. Sed passionem Christi praecipue oportebat praefigurari, per quam nos redemit, ut fides antiquorum ad redemptorem ferretur. Ergo praecipue oportebat hoc sacramentum figurari.

Cependant, [1] ce sacrement est d’une manière particulière le mémorial de la passion du Christ. Or, il fallait surtout que la passion du Christ, par laquelle il nous a rachetés, soit préfigurée, afin que la foi des anciens soit portée vers le Rédempteur. Il fallait donc surtout que ce sacrement soit figuré.

[14775] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc sacramentum est dignissimum, et difficillimum ad credendum. Sed talia maxime consueverunt praefigurari. Ergo et cetera.

[2] Ce sacrement est le plus digne et le plus difficile à croire. Or, ce sont surtout ces choses qui ont coutume d’être préfigurées. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Maître assigne-t-il de manière appropriée les figures de ce sacrement ?]

[14776] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Magister inconvenienter assignet figuras hujus sacramenti. Hoc enim sacramentum post Baptismum datur. Sed agnus paschalis praecessit transitum maris rubri, in quo Baptismus est praefiguratus. Ergo non est congrua figura hujus sacramenti.

1. Il semble que le Maître assigne de manière inappropriée les figures de ce sacrement. En effet, ce sacrement est donné après le baptême. Or, l’agneau pascal a précédé le passage de la mer Rouge, par lequel le baptême est préfiguré. La figure de ce sacrement n’est donc pas appropriée.

[14777] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in hoc sacramento aliquid offertur Deo. Sed Melchisedech non legitur Deo obtulisse, sed homini, scilicet Abrahae, cui obtulit panem et vinum, ut dicitur Gen. 14. Ergo illa oblatio non est conveniens figura hujus sacramenti.

2. Quelque chose est offert à Dieu par ce sacrement. Or, on ne lit pas que Melchisédech ait offert quelque chose à Dieu, mais à un homme, à savoir, Abraham, à qui il offrit du vin et du vin, comme il est dit dans Gn 14. Cette offrande n’est donc pas une figure appropriée de ce sacrement.

[14778] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, idem non est signum sui ipsius. Sed sanguis qui consecratur in altari, est illemet quem Christus in cruce fudit pro nobis. Ergo ille non est signum vel figura istius.

3. Une chose n’est pas le signe d’elle-même. Or, le sang qui est consacré sur l’autel est celui-là même que le Christ a versé pour nous sur la croix. Il n’est donc pas le signe ou la figure de celui-ci.

[14779] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, manna habebat in se omnem saporis suavitatem, ut dicitur Sap. 16. Sed hoc sacramentum non habet in se omnem saporem spiritualem: quia sic haberet effectus omnium sacramentorum, et alia sacramenta superfluerent. Ergo manna non est figura hujus sacramenti.

4. La manne avait en elle-même une saveur très douce, comme il est dit dans Sg 16. Or, ce sacrement n’a pas en lui-même toute la saveur spirituelle, car il posséderait alors les effets de tous les sacrements et les autres sacrements seraient superflus. La manne n’est donc pas la figure de ce sacrement.

[14780] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, nobilioris rei nobilior debet esse figura. Sed Eucharistia est nobilius sacramentum quam Baptismus. Cum ergo Baptismus habuerit figuram quae praebebat remedium ex ipso opere operato contra originale, scilicet circumcisionem; supradictae autem figurae non fuerunt tales; videtur quod fuerunt incompetentes.

5. La figure d’une chose plus noble doit être plus noble. Or, l’eucharistie est un sacrement plus noble que le baptême. Puisque le baptême possédait une figure qui portait remède en vertu de l’acte posé [ex opere operato] contre [le péché] originel, à savoir, la circoncision, et que les figures mentionnées plus haut n’étaient pas telles, il semble donc qu’elles étaient inappropriées.

[14781] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, in canone Missae fit mentio de sacrificio Abrahae et Abel; et similiter omnia sacrificia legalia hujus veri sacrificii figura fuerunt. Ergo insufficienter posuit Magister figuras hujus sacramenti.

6. Dans le canon de la messe, il est fait mention du sacrifice d’Abraham et d’Abel ; de même, tous les sacrifices de la loi étaient une figure du sacrifice véritable. Le Maître a donc indiqué de manière insuffisante les figures de ce sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce sacrifice a-t-il été figuré plus explicitement dans la loi de Moïse que sous la loi naturelle ?]

[14782] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in lege Moysi expressius fuit figuratum hoc sacrificium quam in lege naturae. Quia, secundum Hugonem, quanto magis appropinquavit passio salvatoris, tanto signa fuerunt evidentiora. Sed ea quae fuerunt in lege Moysis, fuerunt propinquiora. Ergo expressiora.

1. Il semble que ce sacrifice n’ait pas été figuré de manière plus explicite dans la loi de Moïse que sous la loi naturelle. Selon Hugues, en effet, plus la passion du Sauveur approchait, plus les signes en étaient manifestes. Or, ceux qui existaient sous la loi de Moïse étaient plus rapprochés. Ils étaient donc plus explicites.

[14783] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in sacrificiis legis Moysi fiebat sanguinis effusio. Sed oblatio Melchisedech fuit sanguinis sine effusione. Ergo legalia sacrificia expressius figurabant sacramentum passionis Christi quam oblatio Melchisedech.

2. Dans les sacrifices de la loi de Moïse se produisait une effusion de sang. Or, l’offrande de Melchisédech s’est réalisée sans effusion de sang. Les sacrifices de la loi figuraient donc de manière plus explicite le sacrement de la passion du Christ que l’offrande de Melchisédech.

[14784] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus dicitur sacerdos secundum ordinem Melchisedech, non autem secundum sacerdotium legis Moysi, quod est sacerdotium leviticum, ut patet Hebr. 7. Ergo oblatio Melchisedech magis convenit cum sacrificio Christi quam sacrificium legis Moysi.

Cependant, [1] on dit que le Christ est prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et non selon le sacerdoce de la loi de Moïse, qui est le sacerdoce lévitique, comme cela ressort clairement de He 7. L’offrande de Melchisédech a donc plus en commun avec le sacrifice du Christ que le sacrifice sous la loi de Moïse.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14785] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacramenta novae legis tripliciter se habent ad veterem legem. Quaedam enim essentialiter fuerunt in veteri lege, quamvis non ut sunt sacramenta novae legis, sed magis secundum quod sunt in officium vel actum virtutis; sicut poenitentia, ordo, et matrimonium. Quaedam fuerunt secundum aliquid eis respondens non essentialiter, sicut Baptismus et Eucharistia. Quaedam autem nihil respondens habuerunt in veteri lege, sicut confirmatio et extrema unctio. Cujus ratio est, quia prima tria sacramenta non solum sunt sacramenta; sed poenitentia est actus virtutis; ordo autem pertinet ad officium dispensationis sacramentorum; matrimonium autem ad officium naturae; et ideo in qualibet lege requiruntur. Baptismus autem et Eucharistia sunt sacramenta tantum gratiam continentia; et ideo ante tempus gratiae esse non debuerunt. Sed quia sunt sacramenta necessitatis, Baptismus quidem quantum ad effectum, Eucharistia autem quantum ad fidem ejus quod repraesentatur per ipsam; ideo oportuit quod in lege Moysi haberent aliquid respondens: sed confirmatio et extrema unctio sunt sacramenta gratiam conferentia; et ideo in veteri lege esse non debuerunt. Et quia non sunt sacramenta necessitatis, sed cujusdam superabundantis perfectionis; ideo non oportebat quod haberent aliquid respondens, cum non esset tempus plenitudinis gratiae; et ideo haec duo non fuerunt praefiguranda aliquibus expressis figuris, similiter neque prima tria, sed tantum duo media, scilicet Eucharistia et Baptismus.

Les sacrements de la loi nouvelle ont un triple rapport avec la loi ancienne. En effet, certains existaient essentiellement sous la loi ancienne, non pas comme les sacrements de la loi nouvelle, mais plutôt selon qu’ils existent en vue d’une fonction ou d’un acte de vertu. C’est le cas de la pénitence, de l’ordre et du mariage. Certains existaient selon quelque chose qui leur correspondait de manière non essentielle, comme le baptême et l’eucharistie. Mais certains n’avaient rien qui leur correspondît dans la loi ancienne, comme la confirmation et l’extrême-onction. La raison en est que les trois premiers sacrements ne sont pas seulement des sacrements, mais que la pénitence est un acte de vertu, l’ordre se rapporte à la fonction de dispensation des sacrements et le mariage à une fonction naturelle. Aussi sont-ils exigés sous toute loi. Mais le baptême et l’eucharistie sont les seuls sacrements qui contiennent la grâce : c’est pourquoi ils ne devaient pas exister avant le temps de la grâce. Mais parce qu’ils sont des sacrements nécessaires – le baptême, pour ce qui est de son effet, l’eucharistie, pour ce qui est de la foi en ce qui est représenté par elle –, il était nécessaire qu’ils aient quelque chose qui leur correspondît dans la loi de Moïse. Mais la confirmation et l’extrême-onction sont des sacrements qui confèrent la grâce : c’est pourquoi ils ne devaient pas se trouver sous la loi ancienne. Et parce qu’ils ne sont pas des sacrements nécessaires, mais qui possèdent une perfection surabondante, il n’était pas nécessaire que quelque leur correspondît, puisque ce n’était pas le temps de la plénitude de la grâce. Aussi ces deux [sacrements] ne devaient-ils pas être préfigurés par des figures explicites, pas davantage que les trois premiers, mais seulement les deux [sacrements] intermédiaires, à savoir, l’eucharistie et le baptême.

[14786] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oppositae relationes possunt inesse eisdem respectu diversorum, eo quod esse relativi est ad aliquid se habere, non autem proprietates absolutae; et ideo in relativis contingit aliquid disponi per aliquid sui generis per accidens, et non per se; sicut filii est filius, non inquantum filius, sed inquantum pater; et similiter signi potest esse signatum. In absolutis autem non contingit hoc; unde qualitatis non est qualitas nec per se nec per accidens.

1. Des relations opposées peuvent exister dans les mêmes choses par rapport à des choses diverses, du fait que l’être de ce qui est relatif consiste dans le rapport à quelque chose d’autre, mais non les propriétés absolues. C’est pourquoi, dans les choses relatives, il arrive que quelque chose soit disposé par une chose de son genre par accident, et non par soi, comme on est le fils du fils, non pas en tant qu’il est fils, mais en tant qu’il est père. De même en est-il de ce qui est signifié par rapport au signe. Dans les choses absolues, cela ne se produit pas. Aussi n’y a-t-il pas de qualité de la qualité ni par soi, ni par accident.

[14787] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una perfectio dicitur alia minor dupliciter: aut simpliciter, aut secundum statum; sicut praemium essentiale quod aurea dicitur, est simpliciter majus quam praemium accidentale, quod dicitur aureola; sed aureola est major quantum ad statum habentis, quia non cuilibet datur, sed tantummodo illis qui sunt in statu perfectionis. Et similiter dico, quod perfectio Eucharistiae est simpliciter major quam perfectio confirmationis et extremae unctionis, sed illae sunt majores secundum statum: quia perfectio Eucharistiae, quae est per conjunctionem ad principium sanctitatis est omnibus de necessitate salutis; sed perfectio spiritus sancti ad robur quae est in confirmatione, vel perfectio purgationis a reliquiis peccati, quae est in extrema unctione, non sunt omnibus necessaria; et ideo perfectioni Eucharistiae debet aliquid respondere in qualibet lege, non autem perfectioni confirmationis et extremae unctionis nisi in lege in qua est status perfectionis, quae est lex gratiae.

2. On dit qu’une perfection est inférieure de deux manières : soit simplement, soit selon son état. Ainsi, la récompense essentielle, qu’on appelle la couronne d’or, est-elle plus grande que la récompense accidentelle, qu’on appelle l’auréole. Mais l’auréole est plus grande du point de vue de l’état de celui qui la possède, car elle n’est pas donnée à tous, mais seulement à ceux qui sont dans un état de perfection. De la même manière, je dis que la perfection de l’eucharistie est simplement plus grande que la perfection de la confirmation et de l’extrême-onction, mais que celles-ci sont plus grandes par l’état, car la perfection de l’eucharistie, qui vient de l’union au principe de la sainteté, est pour tous nécessaire au salut, mais la perfection de l’Esprit Saint en vue de renforcer, qui se trouve dans la confirmation, ou la perfection de la purification des restes du péché, qui se trouve dans l’extrême-onction, ne sont pas nécessaires à tous. C’est pourquoi quelque chose doit correspondre à la perfection de l’eucharistie sous toute loi, mais non à la perfection de la confirmation et de l’extrême-onction, sauf dans la loi sous laquelle existe l’état de perfection, qui est la loi de la grâce.

[14788] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praefiguratio Eucharistiae erat magis necessaria quam Baptismi, tum ratione dignitatis, tum ratione difficultatis, tum propter necessitatem fidei ejus quod figuratur in Eucharistia. Tamen Magister supra aliquas figuras Baptismi posuit, scilicet circumcisionem et Baptismum Joannis.

3. La préfiguration de l’eucharistie était plus nécessaire que celle du baptême, tant en raison de sa dignité, qu’en raison de sa difficulté et de la nécessité de la foi en ce qui est figuré par l’eucharistie. Toutefois, le Maître a indiqué plus haut certaines figures du baptême, à savoir, la circoncision et le baptême de Jean.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14789] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquid potest figurari dupliciter. Uno modo per id quod est signum et causa: et hoc modo effusio sanguinis et aquae ex latere Christi fuit figura hujus sacramenti. Alio modo per id quod est signum tantum; et sic quantum ad id quod est sacramentum tantum in Eucharistia, fuit figura ejus oblatio Melchisedech; quantum autem ad id quod est res et sacramentum, scilicet ipsum Christum passum, fuit figura agnus paschalis; quantum autem ad id quod est res tantum, scilicet gratiam, fuit signum manna, quod reficiebat, omnem saporem suavitatis habens.

Quelque chose peut être figuré de deux manières. D’une manière, par ce qui est signe et cause : de cette manière, l’écoulement de sang et d’eau du côté du Christ était la figure de ce sacrement. D’une autre manière, par ce qui est signe seulement : ainsi, pour ce qui est sacrement seulement dans l’eucharistie, l’offrande de Melchisédech en était-elle la figure. Mais pour ce qui est réalité et sacrement, à savoir, le Christ lui-même qui a souffert, l’agneau pascal en était-il la figure. Mais pour ce qui est réalité seulement, à savoir, la grâce, la manne en était-elle le signe, elle qui rassasiait et possédait un goût plein de douceur.

[14790] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa valeret, si Baptismi et Eucharistiae tantum esset una figura: sunt autem plures; et ideo non est inconveniens quod aliquam figuram Baptismi praecedat aliqua figura Eucharistiae, et ab aliqua praecedatur; sicut praecedit agnus paschalis transitum maris rubri, et sequitur circumcisionem.

1. Cet argument vaudrait s’il n’y avait qu’une seule figure du baptême et de l’eucharistie. Mais il en existe plusieurs. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié qu’une figure de l’eucharistie précède un figure du baptême et soit précédée par une autre, comme l’agneau pascal précède le passage de la mer Rouge et suit la circoncision.

[14791] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Eucharistia offertur Deo in sanctificatione hostiae, et offertur populo in ipsius sumptione; et hoc significatum fuit in oblatione Melchisedech, qui obtulit Abrahae panem et vinum, et benedixit Deo excelso.

2. L’eucharistie est offerte à Dieu par la sanctification de l’hostie et elle est offerte au peuple lorsqu’il la reçoit. Et cela fut signifié par l’offrande de Melchisédech, qui offrit à Abraham du pain et du vain et bénit le Dieu très-haut.

[14792] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil sub eadem specie manens est signum sui ipsius; sed aliquid secundum quod est in una specie, potest esse signum sui secundum quod est sub alia specie; et similiter est in proposito dicendum, quod aqua fluens de latere Christi figurabat populum, qui ejus sanguine redimendus et reficiendus erat; et ideo significabat aqua sanguini admixta hujus sacramenti usum.

3. Rien qui demeure sous la même espèce n’est le signe de soi-même ; mais une chose, selon qu’elle existe dans une seule espèce, peut être le signe d’elle-mêmes selon qu’elle existe sous une autre espèce. De même faut-il dire dans le cas en question que l’eau coulant du côté du Christ figurait le peuple, qui devait être racheté et rassasié par son sang. C’est ainsi que l’eau mêlée au sang signifiait l’usage de ce sacrement.

[14793] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sacramentum habet omnem suavitatem, inquantum continet fontem omnis gratiae, quamvis non ordinetur ejus usus ad omnes effectus sacramentalis gratiae. Vel dicendum, quod etiam quantum ad effectum habet omnem suavitatis effectum in reficiendo, quia hoc solum sacramentum per modum refectionis operatur. Vel dicendum, secundum Dionysium, quod omnium sacramentorum effectus huic sacramento possunt ascribi, inquantum perfectio est omnis sacramenti, habens quasi in capitulo et summa omnia quae alia sacramenta continent singillatim.

4. Le sacrement est rempli de douceur pour autant qu’il contient la source de toute grâce, bien que son usage ne soit pas ordonné à tous les effets de la grâce sacramentelle. Ou bien il faut dire que, par son effet aussi, il possède tout l’effet de douceur en rassasiant, parce que ce sacrement seul agit par mode de rassasiement. Ou bien il faut dire, selon Denys, que les effets de tous les sacrements peuvent être attribués à ce sacrement pour autant qu’il est la perfection de tout sacrement, possédant comme les chapitres dans une somme tout ce que les autres sacrements contiennent séparément.

[14794] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Baptismus est sacramentum necessitatis quantum ad effectum, quia delet peccatum originale, quo manente non est salus; et ideo oportebat quod in veteri lege responderet sibi aliqua figura, quae contra originale remedium praeberet, scilicet circumcisio. Sed Eucharistia est sacramentum necessitatis quantum ad fidem ejus quod repraesentat, scilicet opus nostrae redemptionis; et ideo non oportuit quod haberet figuras remedium praebentes, sed signantes tantum.

5. Le baptême est un sacrement nécessaire quant à son effet, parce qu’il détruit le péché originel, alors qu’il n’y a pas de salut si celui-ci demeure. Il fallait donc que lui correspondît dans la loi ancienne une figure qui apporterait un remède contre le [péché] originel, à savoir, la circoncision. Mais l’eucharistie est un sacrement nécessaire pour ce qui est de la foi en qu’il représente, à savoir, l’œuvre de notre rédemption. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’elle ait des figures apportant un remède, mais la représentant seulement.

[14795] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis in veteri lege fuerint figurae plures materialiter, tamen omnes ad has reducuntur: quia in omnibus sacrificiis et oblationibus antiquorum significabatur illud quod est res et sacramentum in Eucharistia, quod etiam significatur per agnum paschalem, scilicet ipse Christus qui obtulit se Deo patri pro nobis oblationem et hostiam. Vel dicendum, quod istae figurae repraesentant corpus Christi secundum quod est in usu fidelium per esum, quod patet de oblatione Melchisedech, qui panem et vinum edendum obtulit Abrahae; et similiter agnus paschalis edendus a populo occidebatur; et etiam manna ad esum populi a Deo providebatur: aqua etiam sanguini admixta in passione Christi populum significat Christi sanguine communicantem. Non autem ita est in aliis sacrificiis; et ideo quamvis sint figurae Christi passi, non tamen sunt propriae figurae hujus sacramenti. Fit autem in canone Missae mentio de oblatione Abrahae et Abel magis propter devotionem offerentium quam propter figuram rei oblatae.

6. Bien qu’aient existé sous la loi ancienne plusieurs figures matériellement considérées, elle se ramènent cependant toutes à celles-ci, car, par tous les sacrifices et les offrandes des anciens, était signifié ce qui est réalité et sacrement dans l’eucharistie, ce qui est aussi signifié par l’agneau pascal, à savoir, le Christ lui-même qui s’est offert pour nous à Dieu, le Père, comme offrande et comme hostie. Ou bien il faut dire que ces figures représentent le corps du Christ selon qu’il est utilisé par les fidèles comme nourriture, ce qui ressort clairement de l’offrande de Melchisédech, qui offrit à Abraham du pain et vin à consommer. De même, l’agneau pascal était tué pour être mangé par le peuple, et aussi la manne était-elle donnée par Dieu pour que le peuple la mange. De même, l’eau mêlée au sang dans la passion du Christ signifie-t-elle le peuple qui communie au sang du Christ. Mais il n’en est pas de même pour les autres sacrifices, Aussi, bien qu’ils soient des figures du Christ souffrant, ils ne sont cependant pas des figures propres de ce sacrement. Mais il est fait mention de l’offrande d’Abraham et d’Abel dans le canon de la messe plutôt en raison de la dévotion de ceux qui offraient qu’en raison d’une figure propre de la chose offerte.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14796] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantum ad id quod est signum tantum in hoc sacramento, expressior figura hujus sacramenti fuit oblatio Melchisedech quam figurae legis Moysi; sed quantum ad id quod est res et sacramentum; expressior fuit figura legis Mosaicae, qua expressius Christus passus significabatur. Et quia ritus sacramenti consistit in signis exterioribus; ideo sacerdotium Christi quantum ad ritum magis convenit cum sacerdotio Melchisedech quam cum sacerdotio levitico; et etiam quantum ad alias conditiones Melchisedech, quas apostolus plenius prosequitur.

Pour ce qui est signe seulement dans ce sacrement, la figure plus explicite de ce sacrement fut l’offrande de Melchisédech plutôt que les figures de la loi de Moïse. Mais pour ce qui est réalité et sacrement, la figure de la loi de Moïse était plus explicite, par laquelle le Christ souffrant était signifié. Et parce que le rite du sacrement consiste dans des signes extérieurs, le sacerdoce du Christ, pour ce qui est du rite, a plus en commun avec le sacerdoce de Melchisédech qu’avec le sacerdoce lévitique ; et aussi pour ce qui est des autres conditions affectant Melchisédech, que l’Apôtre développe davantage.

[14797] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 3 [14798] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum aliqua fuerit necessitas instituendi hoc sacramentum

Article 3 – Était-il nécessaire d’instituer ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Était-il nécessaire d’instituer ce sacrement ?]

[14799] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod nulla fuit necessitas instituendi hoc sacramentum. Veniente enim veritate debet cessare figura. Sed hoc sacramentum agitur in figuram dominicae passionis, quae jam realiter venit. Ergo non debuit hoc sacramentum institui.

1. Il semble qu’il n’y avait aucune nécessité d’instituer ce sacrement. En effet, une fois venue la vérité, la figure doit cesser. Or, ce sacrement est réalisé comme figure de la passion du Seigneur, qui est déjà venue. Ce sacrement ne devait donc pas être institué.

[14800] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, eadem in actione aliquid instituitur et a contraria dispositione removetur. Sed ad eamdem actionem non debet institui nisi unum sacramentum, sicut unum instrumentum est unius actionis. Cum ergo per Baptismum mundemur a malo, videtur quod non oportuit institui aliquod sacramentum per quod in bono confirmemur, scilicet Eucharistiam, ut in littera dicitur.

2. Quelque chose est institué par la même action qui l’éloigne d’une disposition contraire. Or, pour la même action, un seul sacrement doit être institué, de même qu’il n’y a qu’un seul instrument pour une seule action. Puisque nous sommes purifiés du mal par le baptême, il semble donc qu’il n’était pas nécessaire qu’un sacrement soit institué par lequel nous soyons affermis dans le bien, à savoir, l’eucharistie, comme le dit le texte.

[14801] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex eisdem ex quibus sumus, et nutrimur, ut in 2 de Generat. dicitur. Sed per Baptismum, qui est spiritualis regeneratio, acquirimus esse spirituale, ut Dionysius dicit. Ergo per gratiam reficimur baptismalem; et ita non oportet hoc sacramentum institui ad spiritualiter reficiendum, ut in littera dicitur.

3. Nous sommes alimentés par les mêmes choses qui nous font exister, comme le dit Sur la génération, II. Or, par le baptême, qui est une régénération spirituelle, nous acquérons l’existence spirituelle, comme le dit Denys. Nous sommes donc alimentés par la grâce baptismale. Et ainsi, il n’est pas nécessaire que ce sacrement soit institué pour alimenter spirituellement, comme le texte le dit.

[14802] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ad perfectionem corporis exigitur quod membra capiti conjungantur. Sed per hoc sacramentum membra Ecclesiae suo capiti conjunguntur; unde Joan. 6, 57, dicitur: qui manducat carnem meam, et bibit sanguinem meum, in me manet, et ego in eo. Ergo necessaria fuit hujus sacramenti institutio.

Cependant, [1] il est nécessaire à la perfection du corps que les membres soient unis à la tête. Or, par ce sacrement, les membres de l’Église sont unis à leur tête. Ainsi est-il dit en Jn 6, 57 : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. L’institution de ce sacrement était donc nécessaire.

[14803] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, caritas non est minus necessaria quam fides. Sed habemus unum sacramentum fidei, scilicet Baptismum. Cum ergo caritatis sacramentum sit Eucharistia, unde et communio dicitur; videtur quod ejus institutio fuerit necessaria.

[2] La charité n’est pas moins nécessaire que la foi. Or, nous avons un sacrement de la foi, à savoir, le baptême. Puisque l’eucharistie est le sacrement de la charité, ce pour quoi elle est appelée «communion», il semble donc que son institution était nécessaire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’eucharistie devait-elle être instituée avant la venue du Christ ?]

[14804] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ante adventum Christi debuerit institui. Christus enim est caput hominum justorum qui fuerunt a principio mundi, ut in 3 Lib., dist. 13, qu. 2, art. 2, quaest. 2 ad 4, dictum est. Si ergo per hoc sacramentum membra capitis mystico suo capiti conjungantur, videtur quod debuerit a principio mundi institui.

1. Il semble que [l’eucharistie] devait être instituée avant la venue du Christ. En effet, le Christ est la tête des hommes justes qui ont existé depuis le commencement du monde, comme on l’a dit dans le livre III, d. 13, q. 2, a. 2, qa 2, ad 4. Si donc, par ce sacrement, les membres sont unis à leur tête mystique, il semble qu’il devait être institué dès le commencement du monde.

[14805] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, populus Israel fuit populus Deo dilectissimus; unde dicitur Exod. 4, 22: filius meus primogenitus Israel. Sed hoc sacramentum est sacramentum caritatis, ut dictum est. Ergo debuit institui adhuc priore populo habente statum.

2. Le peuple d’Israël a été le peuple le plus aimé de Dieu. Aussi est-il dit, dans Ex 4, 22: Mon fils premier-né, Israël. Or, ce sacrement est le sacrement de la charité, comme on l’a dit. Il devait donc être institué même avant que le peuple préféré ait un état.

[14806] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum dicitur viaticum, quia tendentes ad patriam in via confortat, et quotidianos etiam lapsus reparat. Sed patres qui erant ante adventum Christi, ad patriam tendebant, hospites et peregrinos se vocantes super terram, ut dicitur Hebr. 11, et etiam quotidianis peccatis impediebantur. Ergo ante adventum Christi debuit hoc sacramentum institui.

3. On appelle ce sacrement un «viatique», parce qu’il réconforte en cours de route ceux qui tendent vers la patrie et répare aussi les manquements quotidiens. Or, les pères qui existaient avant la venue du Christ, tendaient vers la patrie, s’appelant eux-même des hôtes et des pèlerins, comme il est dit en He 11, et ils étaient aussi empêchés par des péchés quotidiens. Ce sacrement devait donc être institué avant la venue du Christ.

[14807] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum continet verbum incarnatum realiter. Ergo institui non potuit ante incarnationem verbi.

Cependant, [1] ce sacrement contient réellement le Verbe incarné. Il ne pouvait donc pas être institué avant l’incarnation du Verbe.

[14808] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc sacramentum continet gratiae plenitudinem; unde et Eucharistia dicitur. Sed tempus plenitudinis incepit ab incarnatione Christi. Ergo ante incarnationem hoc sacramentum institui non potuit.

[2] Ce sacrement contient la plénitude de la grâce ; aussi est-il appelé «eucharistie». Or, le temps de la plénitude a commencé avec l’incarnation du Christ. Ce sacrement ne pouvait donc pas être institué avant l’incarnation.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce sacrement devait-il être institué après la passion ?]

[14809] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod post passionem institui debuit. Quia hoc sacramentum est in memoriam dominicae passionis, ut patet 1 Corinth., 11. Sed memoria praeteritorum est. Ergo et praeterita passione Christi institui debuit.

1. Il semble qu’il devait être institué après la passion, car ce sacrement existe en mémoire de la passion du Seigneur, comme cela ressort clairement de 1 Co 11. Or, la mémoire porte sur les choses passées. Il devait donc être institué une fois passée la passion du Christ.

[14810] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Eucharistia non nisi baptizatis debet dari. Sed Baptismus fuit institutus post Christi passionem, quando dominus discipulis formam baptizandi dedit, Matth. ult. Ergo et post passionem institui debuit Eucharistia.

2. L’eucharistie ne doit être donnée qu’à ceux qui ont été baptisés. Or, le baptême a été institué après la passion du Christ, lorsque le Seigneur a donné aux disciples la forme pour baptiser, Mt 28. L’eucharistie devait donc être instituée après la passion.

[14811] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in his quae sibi invicem continue succedunt, ultimum primi debet conjungi primo secundi. Sed dominus voluit in coena ostendere terminationem veteris legis, et continuationem novae legis ad ipsam, ut ex littera habetur. Ergo debuit post coenam paschalem statim instituere primum sacramentum novae legis, et alia per ordinem; et sic post passionem Eucharistiam, quae est ultimum.

3. Dans les choses qui succèdent l’une à l’autre de manière continue, le point ultime de celle qui vient en premier doit être uni à ce qui vient en premier chez la seconde. Or, le Seigneur a voulu montrer dans la cène la fin de l’ancienne loi et comment la nouvelle loi la continuait, comme on le lit dans le texte. Après la cène pascale, il devait donc instituer le premier sacrement de la loi nouvelle, et les autres selon leur ordre. Et ainsi, [devait-il instituer] après la passion l’eucharistie, qui est le point ultime.

[14812] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod debuerit institui a principio praedicationis Christi. Quia quae primo capiuntur, arctius memoriae imprimuntur, ut patet de his quae homo a pueritia capit. Sed dominus voluit ut hoc sacramentum arctissime memoriae commendaretur. Ergo debuit a principio hoc instituere.

Cependant, il semble que [l’eucharistie] devait être instituée dès le début de la prédication du Christ, car ce qui est saisi en premier est plus fortement imprimé dans la mémoire, comme cela ressort clairement de ce que l’homme saisit dès l’enfance. Or, le Seigneur a voulu que ce sacrement soit confié à la mémoire de la manière la plus forte. Il devait donc l’instituter dès le départ.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14813] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in quolibet genere actionum in quo inveniuntur plures actiones ordinatae diversis agentibus ordinatis distributae, oportet quod principalis illarum actionum attribuatur principali agenti, cujus virtute secundarii agentes operantur secundarias actiones; sicut patet in artibus quae sub invicem continentur, ut militaris, equestris, et frenorum factrix. Et quia invenimus diversas actiones sacramentales diversis sacramentis distributas, quae in virtute verbi incarnati agunt, oportet ad perfectam actionem hujus generis esse aliquam sacramentalem actionem quae ipsimet principali agenti attribuatur, quod est verbum incarnatum; et ideo oportuit esse sacramentum Eucharistiae, quod ipsum verbum incarnatum contineret, ceteris sacramentis tamen in virtute ipsius agentibus; et ideo convenienter in figura cibi hoc sacramentum institutum est: quia inter alios sensus solus tactus est cui suum sensibile realiter conjungitur, similitudinibus tantum sensibilium ad alios sensus per medium pervenientibus: gustus autem tactus quidam est: et inter alia quae ad tactum pertinent, solus cibus est qui agit per conjunctionem sui ad cibatum, quia nutriens et nutritum fit unum; alia vero tangibilia agunt efficiendo aliquas impressiones in eo quod tangitur, sicut patet de calido et frigido, et hujusmodi. Et ideo cum omne sacramentum in figura alicujus rei sensibilis proponi debeat, convenienter sacramentum in quo ipsum verbum incarnatum nobis conjungendum continetur, proponitur nobis in figura cibi, non quidem convertendi in nos per suam conjunctionem ad nos, sed potius sua conjunctione nos in ipsum convertens, secundum quod Augustinus ex persona verbi incarnati dicit: non tu me mutabis in te, sicut cibum carnis tuae; sed tu mutaberis in me.

Dans tous les genres d’actions où l’on trouve plusieurs actions ordonnées réparties entre divers agents ordonnés, il est nécessaire que la principale de ces actions soit attribuée à l’agent principal, par la puissance duquel les agents secondaires posent les actions secondaires, comme cela ressort clairement dans les arts qui sont imbriqués les uns dans les autres, tels l’art militaire, l’art de l’équitation et l’art de fabriquer des mors. Et parce que nous trouvons diverses actions sacrementelles réparties entre divers sacrements, qui agisent par la puissance du Verbe incarné, il est nécessaire, pour une action parfaite de ce genre, qu’existe une action sacramentelle qui soit attribuée à l’agent principal lui-même, qui est le Verbe incarné. C’est pourquoi il était nécessaire qu’existe le sacrement de l’eucharistie, qui contiendrait le Verbe incarné lui-même, alors que les autres sacrements agiraient par sa puissance. C’est ainsi que ce sacrement a été institué sous la figure de la nourriture, car, parmi les autres sens, seul le toucher est celui auquel son objet sensible est réellement uni, alors que seulement des similitudes des choses sensibles parviennent aux autres sens par un intermédiaire. Or, le goût est une forme de toucher et, parmi les choses qui se rapportent au toucher, seule la nourriture agit par son union avec ce qui est nourri, car ce qui nourrit et ce qui est nourri deviennent une seule chose. Les autres réalités tangibles agissent en produisant des impressions chez celui qui est touché, comme cela ressort clairement de ce qui est chaud et froid, et des choses de ce genre. Puisque tout sacrement doit être proposé sous la figure d’une réalité sensible, le sacrement dans lequel le Verbe incarné lui-même est contenu en vue de nous être uni nous est donc proposé sous la figure de la nourriture, non pas pour qu’elle soit convertie en nous par son union à nous, mais plutôt en nous convertissant en elle par l’union à elle, selon ce que dit Augustin de la personne du Verbe incarné : «Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair, mais tu seras changé en moi.»

[14814] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Dionysium nostra hierarchia est media inter caelestem et eam quae in veteri lege erat. Tempore enim legis erat veritas promissa tantum; sed in statu novae legis est veritas inchoata per Jesum Christum; in patria autem erit veritas consummata. Et ideo in veteri lege figurae sine rebus proponebantur; in nova autem proponuntur figurae cum rebus; in patria autem res sine figuris. Et ideo orat Ecclesia ut quod nunc spe gerimus in via, rerum veritate capiamus in patria.

1. Selon Denys, notre hiérarchie occupe le milieu entre la hiérarchie céleste et celle qui existait sous la loi ancienne. En effet, au temps de la loi, la vérité n’était que promise; mais dans l’état de la loi nouvelle, la vérité a débuté dans le Christ Jésus, et la vérité sera consommée dans la patrie. C’est pourquoi, sous la loi ancienne, des figures étaient proposées sans les réalités; mais, sous la loi nouvelle, des figures sont proposées avec les réalités, alors que, dans la patrie, les réalités [le seront] sans les figures. C’est ainsi l’Église prie pour ce que nous accomplissons en espérance, alors que nous sommes en chemin, nous l’obtenions dans la patrie selon la vérité des choses.

[14815] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectio illa procedit de perfectione illa qua aliquid ad formam receptam perficitur, qualis perfectio fit per Baptismum; non autem de illa quae est per conjunctionem ad principium perfectionis, quae fit per Eucharistiam, ut supra dictum est.

2. Cette objection porte sur la perfection par laquelle quelque chose est perfectionné selon la forme reçue : cette perfection se réalise par le baptême. Mais [cette objection] ne porte pas sur ce qui existe par l’union au principe de la perfection, qui se réalise par l’eucharistie, comme on l’a dit plus haut.

[14816] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de nutrimento corporali verum est nos eisdem nutriri ex quibus sumus, quia oportet cibum carnis nostrae in nos transmutari, et ideo oportet quod nobiscum in materia conveniat; secus autem de cibo spirituali, qui nos in seipsum transmutat.

3. Il est vrai que, par la nourriture corporelle, nous sommes nourris de cela même que nous sommes, car il est nécessaire que la nourriture de notre chair soit transformée en nous. C’est pourquoi il est nécessaire qu’elle nous soit commune par la matière. Mais il en va autrement de la nourriture spirituelle, qui nous transforme en elle-même.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14817] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, in hoc sacramento ipse Christus, qui est sanctificationis principale agens, realiter nobis proponitur. In veteri autem lege non exhibebatur, sed promittebatur, incarnatione nondum facta; et ideo in veteri lege hujus sacramenti institutio esse non potuit. Unde sacramenta veteris legis habebant se ad modum sensibilium quae per medium cognoscuntur, quae quidem realiter sentienti non conjunguntur, sed suas similitudines ad sensus a longinquo transmittunt. Sacramenta vero alia novae legis, in quibus virtus Christi operatur, cum ipsum realiter non contineant, assimilantur sensibilibus jam dictis, quae quidem non incorporantur sentienti, sed secundum aliquam qualitatem immutant. Hoc autem sacramentum, ut dictum est, quasi majoris perfectionis, similatur illi sensibili quod incorporatur sentienti, scilicet cibo; unde magis distat a modo sacramentorum veteris legis quam sacramenta novae legis.

Comme on l’a dit, dans ce sacrement, le Christ lui-même, qui est l’agent principal de la sanctification, nous est réellement proposé. Sous la loi ancienne, il n’était pas montré, mais promis, alors que l’incarnation n’avait pas encore eu lieu. C’est pourquoi, sous la loi ancienne, il ne pouvait y avoir d’institution de l’eucharistie. Aussi les sacrements de la loi ancienne ressemblaient-ils aux réalités sensibles qui sont connues par un intermédiaire, qui ne sont pas réellement unies à celui qui éprouve une sensation, mais transmettent à distance leurs similitudes aux sens. Mais les sacrements de la loi nouvelle, dans lesquels la puissance du Christ agit, alors qu’ils ne le contiennent pas réellement, ressemblent aux réalités sensibles déjà mentionnées, qui ne sont pas incorporées à celui qui éprouve une sensation, mais qui le changent par une certaine qualité. Cependant, le sacrement [de l’eucharistie], parce qu’il possède une plus grande perfection, comme on l’a dit, ressemble à la réalité sensible qui est incorporée à celui qui éprouve une sensation, à savoir, la nourriture. Aussi est-il plus éloigné des sacrements de la loi ancienne que les [autres] sacrements de la loi nouvelle.

[14818] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus ab initio mundi erat caput sanctorum, non quasi habens actu conformitatem in natura cum membris Ecclesiae, incarnatione nondum facta, sed solum secundum fidem incarnationem expectantium; et ideo conjunctio corporis mystici ad suum caput pro tempore illo non poterat fieri per aliquod sacramentum realiter continens ipsum caput membris conforme, sed poterat per aliqua sacramenta figurari.

1. Le Christ était la tête des saints depuis le commencement du monde, non parce qu’il possédait la même nature que les membres de l’Église, puisque l’incarnation n’avait pas encore eu lieu, mais seulement par la foi de ceux qui attendaient l’incarnation. C’est pourquoi l’union du corps mystique à sa tête à cette époque ne pouvait être réalisée par un sacrement qui contenait réellement la tête elle-même semblable au corps, mais elle pouvait être figurée par certains sacrements.

[14819] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod populus Israel erat dilectissimus pro tempore illo comparatione aliorum populorum, qui idolis serviebant, non autem comparatione populi novi testamenti, de quo dicitur 1 Petr. 2, 9: vos estis gens sancta, populus acquisitionis. Vel dicendum, secundum apostolum Rom. 9: non qui sunt secundum carnem, sed qui ex promissione, hi computantur in semine. Unde populus novi testamenti non excluditur ab illo privilegio amoris ratione cujus Israel primogenitus Dei dicebatur.

2. Le peuple d’Israël était le plus aimé à cette époque par comparaison avec les autres peuples, qui servaient les idoles, mais non par comparaison avec le peuple de la Nouvelle Alliance, dont il est dit en 1 P 2, 9 : Vous êtes une race sainte, un peuple choisi. Ou bien il faut dire, selon l’Apôtre, en Rm 9, que sont comptés comme descendance, non pas ceux qui se comportent selon la chair, mais selon la promesse. Aussi le peuple de la Nouvelle Alliance n’est-il pas exclu de cet amour privilégié en raison duquel Israël était appelé le premier-né de Dieu.

[14820] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis antiqui patres in via essent, tendentes ad patriam, non tamen erant in statu perveniendi ante Christi incarnationem; et ideo non competebat pro tempore illo viaticum esse, quo statim ad patriam perducimur.

3. Bien que les pères anciens étaient en chemin et tendaient vers la patrie, ils n’étaient cependant pas en état d’y parvenir avant l’incarnation du Christ. C’est pourquoi il ne convenait pas qu’il y eût un viatique à cette époque, par lequel nous sommes aussitôt conduits à la patrie.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14821] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod propter quatuor rationes hoc sacramentum in coena institui debuit, et non ante. Prima apparet ex ipsa necessitate sacramenti assignata: quia ad perfectionem nostram exigebatur ut caput nostrum etiam nobis realiter conjungeretur; et ideo quamdiu sub propria specie cum hominibus conversatus est, non oportebat hoc sacramentum institui, sed quando ejus corporali praesentia destituenda erat Ecclesia; et haec ratio tangitur in littera ab Eusebio: quia, inquit, corpus assumptum ablaturus erat et cetera. Secunda sumitur ex ejus figura. Christus enim quamdiu in mundo conversatus est, figuras legis observare voluit, factus sub lege, ut eos qui sub lege erant redimeret. Et quia veniente veritate cessat figura, ideo non debuit hoc sacramentum institui nisi Christo ascendente per mortem, quando figurae veteris legis terminandae erant. Tertia ratio sumitur ab ipsa repraesentatione hujus sacramenti. Est enim repraesentativum dominicae passionis; et ideo congrue jam passione imminente instituitur. Quarta ratio sumitur ex ritu quo frequentandum est hoc sacramentum, ut ultimo traditum magis memoriae teneretur.

Ce sacrement devait être institué lors de la cène, et non avant, pour quatre raisons. La première ressort de la nécessité même attribuée au sacrement, car il était nécessaire pour notre perfection que notre tête nous soit aussi unie réellement. C’est pourquoi, aussi longtemps que [le Seigneur] vivait au milieu des hommes sous sa première espèce, il n’était pas nécessaire que ce sacrement soit institué, mais lorsque l’Église devait être privée de sa présence corporelle. Cette raison est abordée dans une lettre à Eusèbe : «Parce que le corps qu’il avait assumé devait être enlevé, etc.» La deuxième raison se prend de sa figure. En effet, le Christ, aussi longtemps qu’il a vécu dans le monde, né sous la loi, a voulu observer les figures de la loi afin de racheter ceux qui étaient sous la loi. Et parce que, à la venue de la vérité, la figure cesse, ce sacrement ne devait être institué que lorsque le Christ monta vers la mort, alors que les figures de la loi ancienne devaient se terminer. La troisième raison est prise de la représentation même de ce sacrement. En effet, il représente la passion du Seigneur. Aussi est-il institué de manière appropriée alors que la passion est imminente. La quatrième raison est prise du rite selon lequel ce sacrement doit être reproduit, afin que ce qui a été transmis à la fin soit davantage gardé en mémoire.

[14822] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod imminente passione corda discipulorum magis erant affecta ad passionem, quam passione jam peracta, quando jam erant immemores pressurae passionis propter gaudium resurrectionis; et ideo memoriale passionis magis erat eis proponendum ante quam post. Nec tunc erat memoriale, sed instituebatur ut in memoriam in posterum celebrandum.

1. À l’approche de la passion, les cœurs des disciples avaient été plus touchés par la passion que lorsque la passion avait déjà eu lieu, alors qu’ils ne se rappelaient pas les afflictions de la passion en raison de la joie de la résurrection. C’est pourquoi le mémorial de la passion devait leur être proposé avant plutôt qu’après. Et il n’était pas alors un mémorial, mais il fut institué pour qu’il soit célébré en mémoire par la suite.

[14823] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus etiam ante passionem institutus est quantum ad aliquid, ut supra dictum est; et praeterea non oportet quod sit idem ordo institutionis sacramentorum et perceptionis: quia ad finem qui nobis praestituitur, ultimo pervenimus. Sed Eucharistia est quodammodo finis Baptismi: quia per Baptismum aliquis consecratur ad Eucharistiae perceptionem, sicut per ordinem ad ejus consecrationem. Et ideo ratio non procedit.

2. Le baptême a été institué même avant la passion sous un aspect, comme on l’a dit. Au surplus, il n’est pas nécessaire que l’ordre de l’institution des sacrements soit le même que l’ordre de leur réception, car nous parvenons en dernier à la fin qui nous est fixée. Mais l’eucharistie est d’une certaine manière la fin du baptême, car, par le baptême, on est consacré en vue de la réception de l’eucharistie, comme on l’est par l’ordre en vue de la consécration de celle-ci. C’est pourquoi le raisonnement ne tient pas.

[14824] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis hoc sacramentum sit quasi ultimum in perceptione, est tamen primum in intentione. Institutio autem ordini intentionis respondet; et ideo terminatis sacramentis legalibus hoc primo instituendum fuit.

3. Bien que ce sacrement soit pour ainsi dire le dernier par sa réception, il est cependant le premier en intention. Or, l’institution correspond à l’ordre de l’intention. C’est pourquoi, une fois terminés les sacrements de la loi, c’est le premier qui devait être institué.

[14825] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de illis quae a principio quis capere potest. Apostoli autem a principio non tanti capaces erant mysterii; et ideo in fine hoc eis proponendum fuit. Et praeterea ratio illa procedit de illis quae memoriae imprimuntur propter seipsa; in illis autem quae memoriae imprimit affectio ad dicentem, secus est: quia tunc firmius imprimuntur quando affectionis motus ad dicentem major sentitur. Quanto autem aliquis ad amicum diutius conversatur, fit major dilectio; et quando ab amicis separatur, sentitur motus dilectionis ferventior propter dolorem separationis; et ideo verba amicorum a nobis recedentium finaliter dicta magis memoriae imprimuntur.

4. Cet argument vient de ce que l’on peut saisir au départ. Or, au départ, les apôtres n’étaient pas aussi aptes à un si grand mystère ; c’est pourquoi cela leur a été proposé à la fin. Au surplus, cet argument vient des choses qui sont imprimées dans la mémoire pour elles-mêmes ; mais, pour les choses que l’affection envers celui qui parle imprime dans la mémoire, il en va autrement, car elles sont alors plus fermement imprimées lorsqu’un plus grand mouvement d’affection envers celui qui parle est ressenti. Or, lorsque quelqu’un échange plus longtemps avec un ami, l’amour augmente, et lorsqu’il est séparé de ses amis, un mouvement plus ardent d’amour est ressenti en raison de la douleur de la séparation. C’est pourquoi les paroles qui sont prononcées en dernier par des amis qui s’éloignent de nous sont davantage imprimées dans notre mémoire.

Articulus 4 [14826] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 tit. Utrum hoc sacramentum a non jejunis licite sumi possit

Article 4 – Ce sacrement peut-il être reçu par ceux qui ne sont pas à jeun ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce sacrement peut-il être reçu par ceux qui ne sont pas à jeun ?]

[14827] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod hoc sacramentum a non jejunis licite sumi possit. Hoc enim sacramentum a domino in coena institutum est. Sed Ecclesia observat ea quae dominus servavit in sacramentorum traditione, sicut formam et materiam. Ergo et ritum deberet servare, ut jam pransis hoc sacramentum traderetur.

1. Il semble qu’il est permis à ceux qui ne sont pas à jeun de recevoir ce sacrement. En effet, ce sacrement a été institué par le Seigneur lors de la cène. Or, l’Église observe ce que le Seigneur a observé lorsque les sacrements ont été transmis, comme la forme et la matière. Elle doit donc aussi observer le rite, selon lequel ce sacrement devrait être donné à ceux qui ont déjà mangé.

[14828] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 11, 33, dicitur: dum convenitis ad manducandum, invicem expectate. Si quis autem esurit, domi manducet. Loquitur autem de manducatione corporis Christi. Ergo postquam aliquis domi manducaverit, potest in Ecclesia corpus Christi manducare licite.

2. Il est dit en 1 Co 11, 33 : Lorsque vous vous réunissez pour manger, attendez-vous les uns les autres. Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison. Or, il parle de la manducation du corps du Christ. Après que quelqu’un a mangé à la maison, il peut donc licitement manger le corps du Christ à l’église.

[14829] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, de consecratione, dist. 1 dicitur: sacramenta altaris non nisi a jejunis hominibus celebrantur, excepto uno die anniversario, quo coena domini celebratur. Ergo ad minus illo die potest aliquis post alios cibos corpus Christi sumere.

3. Dans «Sur la consécration», d. 1, il est dit : «Les sacrements de l’autel ne sont célébrés que par des hommes à jeun, sauf le jour de l’anniversaire où la cène du Seigneur est célébrée.» Au moins ce jour-là, on peut donc recevoir le corps du Christ après d’autres nourritures.

[14830] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur de Consecr., dist. 2: placuit spiritui sancto in honorem tanti sacramenti prius in os Christiani dominicum corpus intrare.

Cependant, [1] on dit, dans «Sur la consécration», d. 2 : «Il a plu à l’Esprit Saint qu’en honneur d’un si grand sacrement, le corps du Seigneur entre le premier dans la bouche du chrétien.»

[14831] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc sacramentum cum magna reverentia sumendum est. Sed post cibum non est aliquis ita sobrius et modestus sicut ante. Ergo non debet post cibum sumi.

[2] Ce sacrement doit être reçu avec une grande révérence. Or, on n’est pas aussi sobre et modeste après avoir mangé qu’avant. [Ce sacrement] ne doit donc pas être reçu après qu’on a mangé.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Toute prise de nourriture empêche-t-elle de recevoir ce sacrement ?]

[14832] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non quaelibet cibi sumptio perceptionem hujus sacramenti impediat. Quia sumptio cibi et potus in parva quantitate in nullo sobrietatem diminuit, immo magis auget naturam confortando. Sed ideo oportet a jejunis sumi, ut cum reverentia sumatur et sobrietate. Ergo non quaelibet sumptio cibi impedit perceptionem hujus sacramenti.

1. Il semble que ce ne soit pas toute prise de nourriture qui empêche de recevoir ce sacrement, car la prise de nourriture et de boisson en petite quantité ne diminue en rien la sobriété, bien plutôt, elle l’augmente en renforçant la nature. Or, il est nécessaire que [ce sacrement] soit reçu par ceux qui sont à jeun afin qu’il soit reçu avec révérence et sobriété. Ce n’est donc pas toute prise de nourriture qui empêche de recevoir ce sacrement.

[14833] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad perceptionem hujus sacramenti exigitur quod homo sit jejunus. Sed quaedam sunt quae non frangunt jejunium, sicut aqua, et medicinae quaedam. Ergo videtur quod post earum sumptionem homo possit hoc sacramentum percipere.

2. Pour recevoir ce sacrement, il est nécessaire qu’on soit à jeun. Mais il existe des choses qui ne rompent pas le jeûne, comme l’eau et certains remèdes. Il semble donc qu’après les avoir pris, on puisse recevoir ce sacrement.

[14834] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, corpus Christi sicut in os intrat, ita in ventrem trajicitur. Sed si aliquae cibi reliquiae in ore remaneant, et postmodum de mane in ventrem trajiciantur, non impeditur quis a sumptione corporis Christi: quia hoc posset sacerdoti accidere etiam dum est in ipsa celebratione sacramenti, quando non deberet a sumptione corporis Christi desistere. Ergo nec cibus in os missus debet perceptionem hujus sacramenti impedire, in parva quantitate sumptus.

3. De même que le corps du Christ entre par la bouche, de même passe-t-il par le ventre. Or, si des restes de nourriture demeurent dans la bouche et, par la suite, traversent le ventre au matin, on n’est pas empêché de recevoir le corps du Christ, car cela pourrait arriver à un prêtre pendant qu’il célèbre le sacrement, alors qu’il ne devrait pas s’abstenir de recevoir le corps du Christ. La nourriture qui est introduite dans la bouche ne doit donc pas empêcher ce sacrement, lorsqu’elle est prise en petite quantité.

[14835] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod ex hoc ipso sacramento reverentia exhibetur quod prius in os corpus domini sumitur a Christianis. Sed quicumque cibus praeponeretur, et in quacumque quantitate, non esset corpus domini prius acceptum. Ergo quaelibet sumptio cibi impedit a perceptione hujus sacramenti.

Cependant, [1] la révérence envers ce sacrement est manifestée par le fait que le corps du Seigneur est reçu en premier par la bouche par les chrétiens. Or, quelle que soit la nourriture prise d’abord et quelle qu’en soit la quantité, le corps du Seigneur ne serait pas reçu en premier. Toute prise de nourriture empêche donc de recevoir ce sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on manger aussitôt après avoir reçu le corps du Christ ?]

[14836] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod homo non statim debet comedere post corporis Christi sumptionem, per hoc quod dicitur de Consecr., dist. 2: si mane dominica portio editur, usque ad sextam ministri jejunent qui eum consumpserunt, et si in tertia vel quarta hora acceperint, jejunent usque ad vesperam.

1. Il semble qu’on ne doive pas manger aussitôt après avoir reçu le corps du Christ, selon ce qui est dit dans «Sur la consécration», d. 2 : «Si le repas du Seigneur est pris le matin, les ministres qui l’auront pris jeûneront jusqu’à la sixième heure, et s’ils l’ont reçu à la troisième ou à la quatrième heure, ils jeûneront jusqu’au soir.»

 

[14837] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non minor reverentia exhibenda est sacramento jam sumpto quam sumendo. Sed ante perceptionem non est aliquis cibus sumendus. Ergo nec post, quousque in ventre remaneat.

2. Il ne faut pas manifester moins de révérence au sacrement qui a été reçu qu’à celui qu’on doit recevoir. Or, avant de le recevoir, aucune nourriture ne doit être prise. Ni donc après, aussi longtemps qu’elle demeure dans le ventre.

[14838] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est contraria consuetudo totius Ecclesiae.

Cependant, la coutume de toute l’Église va en sens contraire.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14839] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod hoc sacramentum a jejunis tantum percipi debet, nisi propter necessitatem imminentis mortis, ne contingat sine viatico ex hac vita transire: quod oportet in reverentiam tanti sacramenti, praecipue propter tria institutum esse. Primo propter ipsam sanctitatem sacramenti; ut os Christiani, quo sumendum est, non sit alio cibo prius imbutum, sed quasi novum et purum ad perceptionem ejus reservetur. Secundo propter devotionem quae exigitur ex parte recipientis, et attentionem quae ex cibis acceptis impediri posset, fumis a stomacho ad caput ascendentibus. Tertio propter periculum vomitus, vel alicujus hujusmodi.

 

Ce sacrement doit être reçu seulement par ceux qui sont à jeun, sauf par nécessité, lorsque la mort est imminente, afin qu’il n’arrive pas qu’on quitte cette vie sans viatique. Il était nécessaire que cela soit institué par révérence pour un si grand sacrement pour trois raisons. Premièrement, en raison de la sainteté même du sacrement, afin que la bouche du chrétien, par laquelle il doit être reçu, ne soit pas remplie de nourriture auparavant, mais que, pour ainsi dire neuve et pure, elle soit réservée pour le recevoir. Deuxièmement, en raison de la dévotion qui est exigée de celui qui le reçoit et de l’attention qui pourrait être empêchée par la nourriture prise, alors que les vapeurs montent depuis l’estomac vers la tête. Troisièmement, en raison du danger de vomir ou de quelque chose de ce genre.

[14840] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma et materia sunt servata a domino instituente hoc sacramentum quasi essentialia sacramento; et ideo oportuit quod Ecclesia haec retineret. Sed ordinem sumendi servavit dominus quasi convenientem institutioni sacramenti; unde non oportet quod Ecclesia servet: quia non oportet quod illud quod convenit principio vel generationi alicujus rei competat ei quando jam est in esse perfecto; et similiter quod competit sacramento quantum ad sui institutionem, non oportet quod competat ei quantum ad suum usum.

1. La forme et la matière ont été respectées par le Seigneur, alors qu’il instituait ce sacrement, comme des choses essentielles au sacrement ; aussi était-il nécessaire que l’Église les retienne. Mais le Seigneur a respecté un ordre pour le recevoir parce qu’il convenait à l’institution du sacrement. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’Église le respecte, car il n’est pas nécessaire que ce qui convient au début ou lors la génération d’une chose lui convienne lorsqu’elle a déjà atteint un être parfait. Ainsi, ce qui convient au sacrement quant à son institution ne lui convient pas nécessairement pour ce qui est de son usage.

[14841] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod apostolus non intendit quod fideles post cibos sumptos domi in Ecclesia corpus Christi sumant; sed illos redarguit quia hunc cibum volebant aliis cibis commiscere, quos in Ecclesia sumebant.

2. L’intention de l’Apôtre n’est pas qu’après avoir pris de la nourriture dans leur maison, les fidèles reçoivent le corps du Christ à l’église, mais il leur reproche de vouloir mêler cette nourriture à d’autres nourritures qu’ils prenaient dans l’église.

[14842] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forte Ecclesia aliquo tempore sustinuit in die coenae sumi corpus Christi post alios cibos in repraesentationem dominicae coenae; sed nunc abrogatum est decretum illud per communem consuetudinem: vel loquitur quantum ad astantes qui non sumunt.

3. Peut-être l’Église a-t-elle enduré à un certain moment que le corps du Christ soit reçu après d’autres nourritures le jour de la cène, afin de représenter la cène du Seigneur. Mais maintenant, ce décret a été abrogé par une coutume commune. Ou bien l’on parle de ceux qui étaient présents sans recevoir [le corps du Christ].

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14843] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, in reverentiam sanctitatis hujus sacramenti institutum est quod os Christiani suscipientis corpus Christi quasi novum ad ipsum sumendum accedat. Quantalibet autem cibi assumptio hanc auferret novitatem; et ideo quaelibet cibi sumptio impedimentum praebet Eucharistiae sumptioni.

Comme on l’a dit, il a été établi que la bouche du chrétien qui reçoit le corps du Christ s’approche pour le recevoir en étant pour ainsi neuve. Or, n’importe quelle prise de nourriture enlèverait cette nouveauté. C’est pourquoi toute prise de nourriture présente un empêchement à la réception de l’eucharistie.

[14844] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod legis praecepta se habent ad ea quae agenda sunt sicut universalia ad singularia, ut dicitur in 5 Ethic. Quia enim legislator non potest ad omnes eventus attendere, oportet quod ad ea quae in pluribus accidunt attendens, universalem legem constituat, ut lex universalis sit. Et quia ut frequenter per cibum turbatur hominis discretio et sobrietas, quae praecipue in hoc sacramento exigitur, ideo universaliter prohibitum est post cibum corpus Christi sumi, quamvis aliqua cibi sumptio non impediat rationem; praecipue cum nihil periculi accidat, si post cibum sumptum abstineatur a perceptione hujus sacramenti, quia in articulo necessitatis licet sumere post alios cibos.

1. Les préceptes de la loi ont, avec les actions à poser, le rapport de l’universel au singulier, comme il est dit dans Éthique, V. En effet, comme le législateur ne peut porter attention à tout ce qui peut arriver, il est nécessaire qu’il établisse une loi universelle pour ce qui arrive le plus souvent, de sorte que la loi soit universelle. Et parce que le jugement et la sobriété de l’homme, qui sont surtout exigés dans ce sacrement, sont fréquemment troublés par la nourriture, il a été universellement interdit de prendre de la nourriture après [avoir reçu] le corps du Christ, bien qu’une certaine prise de nourriture n’empêche par la raison, surtout lorsqu’aucun danger ne survient si l’on s’abstient de recevoir ce sacrement après la prise de nourriture, car, en cas de nécessité, il est permis de le recevoir après d’autres nourritures.

[14845] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est jejunium; scilicet naturae et Ecclesiae. Jejunium naturae est quo quis jejunus dicitur ante cibum sumptum illa die, etiam si pluries postea comesturus sit: et quia hoc jejunium dicitur ex privatione cibi praeassumpti, ideo quaelibet cibi sumptio hoc jejunium tollit. Jejunium autem Ecclesiae est quo dicitur jejunans secundum modum ab Ecclesia institutum ad carnis afflictionem; et hoc jejunium manet etiam post unicam comestionem, nec solvitur nisi per secundam sumptionem illorum quae in cibum et refectionem de se consueverunt assumi; et ideo ea quae propter alios cibos accipi consueverunt, vel digerendos, sicut electuaria, vel deducendos per membra, sicut potus vini aut aquae, hujusmodi jejunium non solvunt quamvis etiam aliquo modo nutriant. Ad debitam ergo sumptionem dominici corporis non exigitur jejunium Ecclesiae, quia etiam praeter dies jejunii hoc sacramentum celebratur; sed requiritur jejunium naturae propter reverentiam sacramenti; et ideo secundum communem sententiam electuaria et vinum praeassumpta impediunt a perceptione Eucharistiae. Sed de aqua, diversa est opinio. Quidam enim dicunt, quod quia nullo modo nutrit, non solvit neque jejunium naturae neque jejunium Ecclesiae. Sed quamvis aqua in se non nutriat, tamen commixta nutrit. In stomacho autem oportet quod aliis humoribus admisceatur; et ideo in nutrimentum cedere potest; et propter hoc alii probabilius et securius dicunt quod etiam post aquae potum corpus Christi non sumendum est.

2. Le jeûne est double : le jeûne naturel et celui de l’Église. Le jeûne naturel est celui par lequel on dit que quelqu’un est à jeûn avant d’avoir pris de la nourriture ce jour-là, même s’il doit manger plusieurs fois par la suite. Et parce qu’on parle de ce jeûne en raison de la privation de nourriture prise antérieurement, toute prise de nourriture enlève donc ce jeûne. Mais le jeûne de l’Église est celui par lequel on dit que quelqu’un jeûne selon le mode établi par l’Église pour affliger la chair. Et ce jeûne demeure même après une seule prise de nourriture, et il n’est rompu que lorsqu’on prend pour la seconde fois comme nourriture et comme sustentation ce qu’on a l’habitude de prendre. C’est pourquoi les autres nourritures qu’on a coutume de prendre soit pour les digérer, comme les électuaires, soit pour les acheminer à travers les membres, comme un breuvage de vin ou d’eau, ne rompent pas ce genre de jeûne, bien qu’ils nourrissent d’une certaine manière. Pour recevoir de manière appropriée le corps du Seigneur, le jeûne de l’Église n’est donc pas requis, car ce sacrement est célébré même en dehors des jours de jeûne ; mais le jeûne naturel est requis par révérence pour le sacrement. C’est pourquoi, selon l’opinion commune, les électuaries et le vin pris antérieurement empêchent de recevoir l’eucharistie. Mais, à propos de l’eau, les opinions divergent. En effet, certains disent que parce qu’elle ne nourrit pas du tout, elle ne rompt pas le jeûne naturel ni le jeûne de l’Église. Mais bien que l’eau ne nourrisse pas par elle-même, elle nourrit cependant lorsqu’elle est mêlée [à autre chose]. Or, dans l’estomac, il faut qu’elle soit mêlée à d’autres liquides. C’est pourquoi elle peut devenir une nourriture. Pour cette raison, d’autres disent, avec plus de probabilité et plus sûrement, que le corps du Christ ne doit pas être reçu même après qu’on a pris de l’eau.

[14846] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jejunium naturae dicitur per privationem actus comestionis, secundum quod comestio etiam potionem includit. Comestio autem principalis dicitur a sumptione exterioris cibi, quamvis terminetur ad trajectionem cibi in ventrem, et ulterius ad nutritionem; et ideo quae interius geruntur sine exterioris cibi sumptione, non videntur solvere jejunium naturae, nec impedire Eucharistiae perceptionem, sicut deglutitio salivae; et similiter videtur de his quae intra dentes remanent, et etiam de eructationibus: tamen propter reverentiam, nisi necessitas incumbat, potest sine periculo abstineri.

3. On parle de jeûne naturel pour la privation de l’acte de manger selon que l’acte de manger inclut aussi l’acte de boire. Or, le principal acte de manger se dit de la prise de nourriture extérieure, bien qu’elle se termine par le passage de la nourriture dans le ventre et, plus loin, à la nutrition. C’est pourquoi ce qui est absorbé intérieurement sans prise de nourriture extérieure ne semble pas rompre le jeûne naturel, ni empêcher la réception de l’eucharistie, comme la déglutition de la salive. Il semble en aller de même de ce qui reste entre les dents et des éructations. Toutefois, par révérence, sauf si la nécessité s’impose, on peut s’en abstenir sans danger.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14847] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum consuetudinem Ecclesiae propter reverentiam tanti sacramenti, post ejus sumptionem homo debet in gratiarum actione persistere; unde etiam in Missa oratio gratiarum actionis post communionem dicitur, et sacerdotes post celebrationem suas speciales orationes habent ad gratiarum actionem; et ideo oportet esse aliquod intervallum inter sumptionem Eucharistiae et aliorum ciborum. Sed quia non requiritur magnum intervallum, et quod parum deest, nihil deesse videtur, ut dicitur in 2 Phys., ideo possemus sub hoc sensu concedere quod statim potest aliquis cibos alios sumere post Eucharistiae sumptionem.

Selon la coutume de l’Église, par révérence pour un si grand sacrement, l’on doit s’adonner à une action de grâce après avoir l’avoir reçu. Aussi, même dans la messe, une prière d’action de grâce est-elle dite après la communion et, après la célébration, les prêtres font leurs prières particulières en action de grâce. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait un certain intervalle entre la réception de l’eucharistie et la prise d’autres nourritures. Mais parce qu’un grand intervalle n’est pas nécessaire, si un court intervalle fait défaut, il ne semble pas qu’il y ait là un manquement, comme il est dit dans Physique, II. Aussi pourrions-nous concéder en ce sens que quelqu’un puisse prendre quelque nourriture immédiatement après avoir reçu l’eucharistie.

[14848] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud decretum loquitur secundum consuetudinem primitivae Ecclesiae, quando propter paucitatem ministrorum rarius Missarum solemnia celebrabantur, et cum majori praeparatione. Unde Dionysius narrat de Carpo in suis epistolis quod nunquam Missam celebrabat nisi aliqua divina revelatione prius percepta; et ideo nunc per contrariam consuetudinem abrogatum est.

1. Ce décret s’exprime selon la coutume de l’Église primitive, alors qu’en raison du petit nombre des ministres, les messes étaient plus rarement célébrées et avec une plus grande préparation. Ainsi Denys raconte-t-il dans ses lettres, à propos de Carpo, qu’il ne célébrait jamais la messe avant d’avoir d’abord reçu une révélation divine. C’est pourquoi cela a été abrogé maintenant par une coutume contraire.

[14849] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum post sui sumptionem, effectum proprium causat; et ideo oportet actualiter in ipsa sumptione cor hominis in devotione persistere: sed post perceptionem sufficit quod habitu devotio teneatur, quia non potest semper in actu esse; et ideo ea quae possunt actum impedire, prohibentur magis ante sumptionem sacramenti quam post.

2. Après avoir été reçu, le sacrement produit son propre effet. C’est pourquoi il est nécessaire que le cœur de l’homme persiste dans la dévotion lors de sa réception. Mais, après la réception, il suffit que la dévotion soit maintenue sous forme d’habitus, car elle ne peut pas être toujours en acte. Aussi, ce qui peut empêcher l’acte est-il interdit plutôt avant la réception du sacrement qu’après.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La forme du sacrement]

 

 

Prooemium

Prologue

[14850] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 pr. Deinde quaeritur de forma hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de forma qua corpus Christi consecratur; 2 de forma qua consecratur ipsius sanguis; 3 de virtute utriusque; 4 de comparatione unius ad aliam.

Ensuite, on s’interroge sur la forme du sacrement. À ce sujet, quatre questions sont posées : 1 – la forme selon laquelle le corps du Christ est consacré ; 2 – la forme selon laquelle son sang est consacré ; 3 – la puissance de chacun des deux ; 4 – la comparaison entre les deux.

Articulus 1 [14851] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 tit. Utrum haec sit forma sacramenti, scilicet hoc est corpus meum

Article 1 – Est-ce que «Ceci est mon corps» est la forme du sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que «Ceci est mon corps» est la forme de la consécration du pain ?]

[14852] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec non sit forma consecrationis panis: hoc est corpus meum. Sacramenta enim habent efficaciam ex institutione divina. Sed dominus instituens hoc sacramentum non consecravit his verbis, sed post consecrationem et fractionem haec verba protulit; unde dicitur Matth. 26, 26: coenantibus illis accepit Jesus panem, et benedixit, et fregit, deditque discipulis suis, et ait: accipite et comedite; hoc est corpus meum. Ergo in praedictis verbis non consistit forma consecrationis panis.

1. Il semble que «ceci est mon corps» ne soit pas la forme de la consécration du pain. En effet, les sacrements tiennent leur efficacité d’une institution divine. Or, le Seigneur, en instituant ce sacrement, n’a pas consacré par ces paroles, mais a prononcé ces paroles après la consécration et la fraction [du pain]. Aussi est-il dit en Mt 26, 26 : Alors qu’ils prenaient le repas du soir, Jésus prit du pain, il bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : «Prenez et mangez : ceci est mon corps.»

 

[14853] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, forma Baptismi consistit in verbis quae dicuntur in ipso usu Baptismi. Sed haec verba non dicuntur in usu Eucharistiae, sed magis in sanctificatione materiae. Ergo in his verbis non consistit forma hujus sacramenti.

2. La forme du baptême consiste dans les paroles qui sont prononcées lors de l’usage même du baptême. Or, ces paroles ne sont pas prononcées lors de l’usage de l’eucharistie, mais plutôt lors de la sanctification de la matière.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La forme consiste-t-elle dans ces seules paroles ?]

[14854] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non tantum in his verbis consistat forma: hoc est corpus meum. Sicut enim dicit Eusebius Emissenus, invisibilis sacerdos visibiles creaturas in suum corpus convertit dicens: accipite et comedite et cetera. Ergo haec etiam est forma: accipite et comedite.

1. Il semble que la forme ne consiste pas seulement dans ces paroles : «Ceci est mon corps.» En effet, comme le dit Eusèbe Émissène, «le prêtre invisible a converti des créatures en son corps en disant : «Prenez et mangez, etc.» Ces paroles : «Prenez et mangez» sont donc aussi la forme.

[14855] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod non est de substantia formae, non debet interponi inter substantialia formae, in hoc sacramento, sicut nec in aliis. Sed inter haec verba, in libris Romanis interposita invenitur haec conjunctio enim. Ergo hoc etiam est de forma, et non tantum verba praedicta.

2. Ce qui ne fait pas partie de la substance de la forme ne doit pas être introduit dans les éléments substantiels de la forme dans ce sacrement, pas plus que dans les autres. Or, dans les livres romains, la conjonction «en effet» se trouve parmi ces paroles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Cette forme est-elle appropriée ?]

[14856] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod forma haec non sit conveniens. In forma enim sacramenti debet exprimi hoc quod in sacramento geritur per actum convenientem materiae, sicut in forma Baptismi dicitur: ego te baptizo; et in forma confirmationis: confirmo te chrismate salutis. Sed non ponitur in verbis praemissis aliquid pertinens ad transubstantiationem, quae fit in hoc sacramento, panis scilicet in corpus Christi. Ergo non est conveniens forma.

1. Il semble que cette forme ne soit pas appropriée. En effet, dans la forme d’un sacrement, on doit exprimer ce qui est accompli dans le sacrement par un acte qui convient à la matière, comme on dit dans la forme du baptême : «Je te baptise», et dans la confirmation : «Je te confirme par le chrême du salut.» Or, dans les paroles mentionnées, ne se trouve rien qui se rapporte à la transsubstantiation qui est réalisée par ce sacrement. Ce n’est donc pas une forme appropriée.

[14857] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dispensatur hoc sacramentum per ministros Ecclesiae, sicut et alia sacramenta. Sed in formis aliorum sacramentorum ponitur aliquid pertinens ad ministrum. Ergo cum in hac forma non ponatur actus ministri, videtur quod sit incompetens.

2. Ce sacrement est dispensé par les ministres de l’Église, comme les autres sacrements. Or, dans les formes des autres sacrements, est exprimé quelque chose qui se rapporte au ministre. Comme l’acte du ministre n’est pas exprimé dans cette forme, il semble qu’elle ne convienne pas.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les parties de cette forme, prises une à une, sont-elles appropriées ?]

[14858] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod singulae partes inconvenienter ponantur. Hoc enim pronomen hoc demonstrativum est. Aut ergo importat demonstrationem ut conceptam, aut ut exercitam. Si ut conceptam, sic sumitur ut res quaedam, et non ut habens ordinem ad rem aliam, ut si diceretur: hoc pronomen hoc. Sed sanctificatio sacramenti non fit nisi per hoc quod verba formae ordinantur ad materiam ex intentione proferentis. Ergo secundum hoc non posset verbis praedictis fieri consecratio aliqua corporis Christi. Si autem importat demonstrationem ut exercitam; aut facit demonstrationem ad intellectum, aut ad sensum. Si ad intellectum, ut sit sensus: hoc, idest significatum per hoc, est corpus meum, tunc iterum significatio verborum non refertur ad hanc materiam panis. Sed sacramenta significando efficiunt; et de formis sacramentorum Augustinus dicit: accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum. Ergo adhuc per verba praedicta non fit transubstantiatio. Si autem facit demonstrationem ad sensum, ergo demonstrabit substantiam contentam sub illis speciebus sensibilibus. Sed illa substantia est panis, de quo non potest dici quod sit corpus Christi. Ergo non erit vera haec locutio: hoc est corpus meum.

1. Il semble que chacune des parties [de la forme] soit inappropriée. En effet, le pronom «Ceci» est un démonstratif. Il comporte donc la démonstration telle qu’elle est conçue, ou telle qu’elle est réalisée. S’il la comporte telle qu’elle est conçue, il est alors pris pour une chose, et non comme ayant un ordre à autre chose, comme si on disait : «Ce pronom “ceci”.» Or, la sanctification du sacrement ne se réalise que par le fait que les paroles de la forme sont ordonnées à la matière par l’intention de celui qui les prononce. De cette manière, la consécration du corps du Christ ne pourrait être réalisée par les paroles mentionnées. Mais si elle comporte la démonstration telle qu’elle est réalisée, ou bien elle réalise la démonstration pour l’intelligence, ou bien [elle la réalise] pour le sens. Si [elle la réalise] pour l’intelligence, le sens étant : «Ceci – ce qui est signifié par “ceci” – est mon corps», alors la signification des paroles ne se rapporte pas à la matière du pain. Or, les sacrements réalisent en significant, et Augustin dit à propos des formes des sacrements : «La parole est jointe à l’élément, et le sacrement est réalisé.» Une fois de plus, la transsubstantiation n’est donc pas réalisée par les paroles mentionnées. Mais si elle réalise la démonstration pour le sens, elle démontrera la substance contenue sous ces espèces sensibles. Or, cette substance est du pain, dont on ne peut dire qu’il est le corps du Christ. Cette formule : «Ceci est mon corps» ne sera donc pas vraie.

[14859] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quod transit in aliquid, non est illud: quia omnis motus et factio est ex incontingenti, ut dicit philosophus in 1 Phys. Sed verum est dicere quod haec substantia demonstrata fit corpus Christi vel transit in corpus Christi. Ergo non vere dicitur: hoc est corpus meum.

2. Ce qui est changé en autre chose n’est pas cette chose, car tout mouvement et changement se fait à partir de ce qui ne change pas, comme le dit le Philosophe dans Physique, I. Or, il est vrai de dire que la substance qui est démontrée devient le corps du Christ ou est changée en corps du Christ. Il n’est donc pas vrai de dire : «Ceci est mon corps.»

[14860] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, signatum debet respondere signo. Sed panis est corpus homogeneum. Ergo significatio ejus est respectu alicujus partis homogeneae corporis Christi. Non nisi carnis: quia de ipsa dicit dominus, Joan. 6, 55: caro mea vere est cibus. Ergo potius dici debuit: haec est caro mea, quam hoc est corpus meum.

3. Ce qui est signifié doit correspondre au signe. Or, le pain est un corps homogène. Sa signification porte donc sur une partie homogène du corps du Christ, et ce ne peut être que sa chair, car le Seigneur dit à son sujet, en Jn 6, 55 : Ma chair est vraiment une nourriture. Il devait donc dire : «Ceci est ma chair», plutôt que : «Ceci est mon corps.»

[14861] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, sicut dictum est, oportet quod hoc pronomen hoc faciat demonstrationem exercitam, ad hoc quod fiat consecratio corporis Christi ex hac materia. Sed non potest hoc esse, nisi quando demonstratio profertur ex persona loquentis: quia si proferretur a recitante verba alterius, non faceret demonstrationem ad istam materiam, sed quasi materialiter sumerentur. Ergo oportet quod verba praedicta proferantur quasi ex persona sacerdotis ea enuntiantis. Sed panis non convertitur in corpus Christi. Ergo deberet dicere: hoc est corpus Christi; et non: hoc est corpus meum: quia hoc posset esse erroris materia.

4. Comme on l’a dit, il est nécessaire que ce pronom montre quelque chose qui se réalise, pour que se réalise la consécration du corps du Christ à partir de cette matière. Or, cela ne peut être le cas que lorsque la démonstration est prononcée par la personne de celui qui parle, car, si elle était prononcée par quelqu’un qui rapporte les paroles d’un autre, elle n’indiquerait pas cette matière, mais on l’entendrait en quelque sorte matériellement. Il est donc nécessaire que les paroles rapportées soient prononcées comme venant de la personne du prêtre qui les énonce. Or, le pain n’est pas converti au corps du Christ. Il devrait donc dire : «Ceci est le corps du Christ», et non : «Ceci est mon corps», car cela pourrait être matière à erreur.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Les paroles qui accompagnent la forme sont-elles convenablement présentées ?]

[14862] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod verba quae circa formam dicuntur, non convenienter ponantur. Sicut enim Dionysius dicit in principio de Divin. Nom., non est audendum dicere aliquid de divinis praeter ea quae nobis ex sacris eloquiis sunt expressa. Sed in Evangeliis non legitur quod dominus instituens hoc sacramentum in coena, oculos ad caelum levaverit. Ergo inconvenienter praemittitur: sublevatis oculis in caelum.

1. Il semble que les paroles qui accompagnent la forme ne sont pas présentées convenablement. En effet, comme le dit Denys au début des Noms divins, «on ne doit pas avoir l’audace de dire quelque chose à propos des réalités divines en dehors de ce qui est exprimé par les paroles divines». Or, on ne lit pas dans l’évangile que le Seigneur, en instituant ce sacrement lors de la cène, a levé les yeux au ciel. C’est donc de manière inappropriée qu’on fait précéder [la forme] par : «levant les yeux au ciel».

[14863] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, in Baptismo non licet fieri mutationem verborum etiam per verba ejusdem significationis, ut si loco patris, genitoris poneretur. Sed in nullo Evangelio sunt haec verba: accipite et manducate; sed accipite et comedite. Ergo inconvenienter dicitur: manducate.

2. Dans le baptême, il n’est pas permis de changer des paroles, même pour des paroles ayant la même signification, comme si, à la la place du Père, on parlait du Géniteur. Or, ces paroles ne sont dites dans aucun évangile: «Prenez et mangez [manducate]», mais «Prenez et restaurez-vous [comedite]». «Mangez» est donc dit de manière inappropriée.

[14864] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, in nullo Evangelio ponitur omnes. Ergo videtur quod praesumptuosum fuit addere.

3. Dans aucun évangile ne se trouve «tous». Il semble donc qu’il était présomptueux de l’ajouter.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14865] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod per formam cujuslibet sacramenti oportet quod exprimatur hoc in quo substantia sacramenti consistit; sicut in forma Baptismi ablutio exprimitur, qua Baptismi perficitur sacramentum. Tota autem perfectio hujus sacramenti in ipsa materiae consecratione consistit, quae est per transubstantiationem panis in corpus Christi: et hanc transubstantiationem exprimunt verba haec: hoc est corpus meum; et ideo haec verba sunt forma hujus sacramenti.

Il est nécessaire que, par la forme de tout sacrement, soit exprimé ce en quoi consiste la substance du sacrement, comme, par la forme du baptême, est exprimée l’ablution, par laquelle le sacrement du baptême se réalise. Or, toute la perfection du sacrement [de l’eucharistie] consiste dans la consécration de la matière, qui se réalise par la transsubstantiation du pain en corps du Christ. Et ces paroles expriment cette transsubstantiation : «Ceci est mon corps.» C’est pourquoi ces paroles sont la forme de ce sacrement.

[14866] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circa hoc est quadruplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod Christus, qui habebat potestatem excellentiae in sacramentis, absque omni forma virtute divina confecit, et postea verba protulit, sub quibus alii deinceps consecrarent; et hanc opinionem tangit Innocentius, dicens: sane dici potest, quod Christus virtute divina confecit, et postea formam expressit sub qua posteri benedicerent. Sed hoc non videtur conveniens: quia in textu Evangelii dicitur: benedixit, quod aliquibus verbis factum est. Innocentius autem loquitur opinionem narrando, vel tangendo ordinem quo virtus consecrationis a Christo, in quo primo erat, ad verba derivata est. Et ideo alii dicunt, quod confecit quidem sub aliqua forma verborum, non autem sub his, sed sub aliis verbis ignotis. Sed hoc etiam videtur inconveniens: quia sacerdos his verbis conficiens ea profert ut tunc a Christo prolata; unde si tunc eis non fiebat confectio, nec modo fieret. Et ideo alii dicunt, quod confecit sub eisdem verbis, sed ea bis protulit: primo tacite, cum benedixit; secundo aperte, cum distribuit, ut formam consecrandi aliis traderet. Sed hoc etiam videtur inconveniens: quia non proferuntur a sacerdote consecrante in persona Christi, ut in occulto prolata: non enim benedixit dicens: hoc est corpus meum, sed dedit dicens: accipite et cetera. Et ideo alii dicunt, et melius, quod Christus ea semel tantum protulit, et eis semel prolatis consecravit, et formam consecrandi dedit. Hoc enim participium dicens non importat concomitantiam solum ad hoc verbum dedit, sed ad hoc cum aliis praedictis, ut sit sensus: dum benedixit et fregit, et dedit discipulis, haec verba protulit: accipite et cetera. Vel, secundum quosdam, Evangelista non observat ordinem verborum quo a domino fuerunt prolata; ordo enim fuit talis: accepit panem, et benedixit, dicens: accipite et cetera. Sed primum melius est.

1. À ce sujet, il existe quatre opinions. En effet, certains ont dit que le Christ, qui possédait un pouvoir d’excellence sur les sacrements, a réalisé [ce sacrement] par sa puissance divine, sans aucune forme, puis qu’il a ensuite prononcé les paroles par lesquelles d’autres consacreraient par la suite. Innocent aborde cette opiniion lorsqu’il dit : «On peut assurément dire que le Christ l’a réalisé par sa puissance divine et a exprimé ensuite la forme sous laquelle ceux qui allaient suivre béniraient.» Mais cela ne paraît pas approprié, car, dans le texte de l’évangile, il est dit : «Il bénit», ce qui a été réalisé par des paroles. Mais Innocent parle en rapportant une opinion ou en abordant l’ordre selon lequel la puissance de consacrer est parvenue aux paroles depuis le Christ, chez qui elle existait d’abord. C’est pourquoi d’autres ont dit qu’il a réalisé [le sacrement] sous forme de paroles, non selon ces paroles, mais selon d’autres paroles inconnues. Mais cela aussi semble inapproprié, car le prêtre qui réalise [le sacrement] par ces paroles les prononce comme elles ont été alors prononcées par le Christ. Si donc [le sacrement] ne se réalisait pas alors par ces paroles, il ne le ferait pas non plus maintenant. C’est pourquoi d’autres ont dit que [le Christ] l’a réalisé par ces mêmes paroles, mais qu’il les a prononcées deux fois : premièrement, de manière tacite, lorsqu’il a béni; deuxièmement, ouvertement, lorsqu’il distribua [le pain consacré], afin de transmettre à d’autres la forme de la consécration. Mais cela aussi semble inapproprié, car elles ne sont pas prononcées par le prêtre qui consacre au nom du Christ, en étant prononcées secrètement : en effet, il n’a pas béni en disant : «Ceci est mon corps, etc.», mais il a distribué en disant : «Recevez, etc.» C’est pourquoi d’autres disent, et de meilleure façon, que le Christ les a prononcées seulement une fois, et qu’en les prononçant une seule fois, il a consacré et a donné la forme de la consécration. En effet, ce participe : «en disant», n’implique pas seulement une concomitance avec le mot : «il donna», mais avec ce qui a été dit auparavant. Le sens est donc : en bénissant, en rompant et en donnant à ses disciples, il prononça ces paroles : «Recevez, etc.» Ou bien, selon certains, l’évangéliste ne respecte pas l’ordre des paroles selon lequel elles furent prononcées par le Seigneur. En effet, cet ordre était celui-ci : il prit du pain et il bénit, en disant : «Prenez, etc.» Mais l’opinion précédente est meilleure.

[14867] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio aliorum sacramentorum consistit in usu materiae, istius autem in materiae consecratione; et ideo forma etiam in aliis sacramentis est in verbis quae dicuntur in usu sacramenti; in hoc autem forma sacramenti est in verbis quae dicuntur in consecratione materiae consecratae.

2. La perfection des autres sacrements consiste dans l’usage de la matière, mais celle de celui-ci dans la consécration de la matière. C’est pourquoi, dans les autres sacrements, la forme consiste dans les paroles qui sont dites lors de l’usage du sacrement ; mais, dans celui-ci, la forme du sacrement consiste dans les paroles qui sont dites lors de la consécration de la matière consacrée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14868] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in hoc sacramento, sicut in aliis, duo sunt; scilicet consecratio materiae, et usus materiae consecratae; et haec duo per verba domini exprimuntur. In hoc enim quod dicitur. Accipite et manducate ex hoc omnes, praecipitur usus sacramenti; in hoc autem quod dicitur, hoc est corpus meum, traditur materiae consecratio. Et quia consecratio materiae est ad usum fidelium, ideo usus praemittitur in institutione sacramenti, quamvis sequatur in executione: quia finis est prior in intentione et cognitione, et ultimus in operatione. Sed quia, ut dictum est, usus materiae in hoc sacramento non est de essentia sacramenti, sicut in aliis; ideo illa verba quae ad usum pertinent, non sunt de forma, sed tantum illa quae ad consecrationem materiae pertinent, scilicet, hoc est corpus meum.

Dans ce sacrement, comme dans les autres, il y a deux choses : la consécration de la matière et l’usage de la matière consacrée. Et ces deux choses sont exprimées par les paroles du Seigneur. En effet, par ce qui est dit : «Prenez et mangez-en tous», l’usage du sacrement est prescrit ; mais par ce qui est dit : «Ceci est mon corps», la consécration de la matière est communiquée. Et parce que la consécration de la matière existe en vue de l’usage par les fidèles, c’est la raison pour laquelle l’usage est mis avant dans l’institution du sacrement, bien qu’elle suive lors de l’exécution, car la fin précède dans l’intention et la connaissance, mais elle est dernière dans la mise en œuvre. Mais parce que, comme on l’a dit, l’usage de la matière ne fait pas partie de l’essence du sacrement, comme dans les autres, les paroles qui se rapportent à l’usage ne font donc pas partie de la forme, mais seulement celles qui se rapportent à la consécration de la matière, à savoir : «Ceci est mon corps.»

[14869] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sacramenti usus non sit de essentia sacramenti, est tamen ad completum esse ipsius, inquantum pertingit ad hoc quod institutum est; et ideo quandoque dicuntur esse de forma non solum illa quae pertinent ad consecrationem, sed etiam illa quae pertinent ad usum; et sic loquitur Ambrosius et Eusebius et Magister in littera.

1. Bien que l’usage du sacrement ne fasse pas partie de l’essence du sacrement, il existe cependant pour qu’elle soit complète, pour autant qu’il se rapporte à ce qui a été institué. C’est pourquoi on dit parfois que fait partie de la forme, non seulement ce qui se rapporte à la consécration, mais aussi ce qui se rapporte à l’usage. C’est ainsi que s’expriment Ambroise, Eusèbe et le Maître dans le texte.

[14870] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haec conjunctio enim importat ordinem consecrationis ad usum materiae consecratae; et ideo sicut verba quae pertinent ad usum, non sunt de forma, ita nec praedicta conjunctio. Apponi autem debet secundum usum Romanae Ecclesiae, quae a beato Petro initium sumpsit. Nec est simile de hoc sacramento et de aliis. Verba enim formae hujus sacramenti proferuntur a ministro in persona Christi quasi recitative; et ideo oportet apponere continuationem ad recitationem praemissam, quam facit conjunctio enim. Aliorum autem sacramentorum formae ex persona ministri proferuntur; et ideo non oportet interponere aliquid quod non sit de forma ratione continuationis, cum absolute proferantur.

2. Cette conjonction «car» comporte un ordre de la consécration en vue de l’usage de la matière consacrée ; ainsi, de même que les paroles qui se rapportent à l’usage ne font pas partie de la forme, de même la conjonction mentionnée. Toutefois, elle doit être maintenue selon l’usage de l’Église romaine, qui est issue du bienheureux Pierre. Et il n’en va pas de même de ce sacrement et des autres. En effet, les paroles de la forme de ce sacrement sont prononcées par le ministre au nom du Christ sous forme de récit ; c’est pourquoi il faut maintenir la continuité par rapport au récit mentionné, ce que fait la conjonction «car». Mais les formes des autres sacrements sont prononcées au nom du ministre ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’introduire pour assurer la continuité quelque chose qui ne fait pas partie de la forme, puisqu’elles sont prononcées de manière absolue.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14871] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod minister in sacramentis dupliciter operatur. Uno modo ut verba pronuntians; alio modo actum aliquem exteriorem exercens, ut in Baptismo patet; et utrumque istorum est sacramentalis causa ejus quod divina virtute, quae in sacramentis latet, perficitur. Causa autem sacramentalis significando efficit; unde in illis sacramentis in quibus utroque modo minister operatur, oportet quod verba prolata significent actum exercitum, et actus exterior significet interiorem effectum, ut in Baptismo patet: quia ablutio exterior, quam verba formae exprimunt, significat interiorem ablutionem, quam divina virtus perficit in sacramento latens. Ubi ergo minister non operatur nisi verba pronuntians, oportet quod verborum significatio immediate ad hoc quod efficitur, referatur; in hoc autem sacramento, cujus perfectio in ipsa materiae consecratione consistit, non habet minister actum nisi pronuntiatione verborum, sicut nec in aliqua alia materiae sanctificatione. Unde oportet quod verba formae significent hoc quod virtus divina in secreto facit; hoc autem est esse corpus Christi sub speciebus illis; et ideo haec est conveniens forma in sacramento: hoc est corpus meum, quae hoc quod dictum est, significat.

Dans les sacrements, le ministre agit de deux manières : d’une manière, en prononçant les paroles ; d’une autre manière, en posant un acte extérieur, comme cela est clair dans le baptême. Ces deux choses sont la cause sacramentelle de ce qui est réalisé par la puissance divine, qui est cachée dans les sacrements. Or, la cause sacramentelle réalise en signifiant. Aussi, dans les sacrements où le ministre agit des deux manières, il est nécessaire que les paroles prononcées signifient l’acte accompli et que l’acte extérieur signifie l’effet intérieur, comme cela est clair dans le baptême, car l’ablution extérieure que les paroles de la forme expriment signifie l’ablution intérieure, que la puissance divine réalise en étant cachée dans le sacrement. Là donc où le ministre n’agit qu’en prononçant les paroles, il est nécessaire que la signification des paroles se rapporte de manière immédiate à ce qui est réalisé. Or, dans ce sacrement, dont la perfection consiste dans la consécration même de la matière, le ministre n’agit qu’en prononçant les paroles, sans autre sanctification de la matière. Il est donc nécessaire que les paroles de la forme signifient ce que la puissance divine réalise secrètement. Or, cela est que le Christ existe sous ces espèces. C’est pourquoi cette forme est appropriée pour le sacrement : «Ceci est mon corps», qui signifie ce qui a été dit.

[14872] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc sacramento non geritur aliquid a ministro quod sit de essentia sacramenti, sicut erat in Baptismo; unde oportet quod verba significent illud tantum quod divina virtute geritur. Omne autem faciens causat ipsam factionem in hoc quod factum est; nec oportet esse assimilationem factionis ad facientem, sed facti ad facientem, quia ad hoc est intentio facientis. Sicut autem in operibus artis et naturae requiritur inter faciens et factum similitudo secundum formam naturalem et artificialem; ita in causis sacramentalibus requiritur assimilatio vel repraesentatio per modum significationis; unde verba prolata in hoc sacramento non deberent signare ipsam factionem vel transubstantiationem ut in fieri, sed ut in factum esse; unde haec non esset conveniens forma hujus sacramenti: hoc fit corpus meum: quia per hoc non significatur aliquid esse vel non esse; et similiter nec haec: hoc mutetur, vel transubstantietur in corpus meum: quia non significatur esse vel non esse hoc, quod est principaliter intentum in hoc sacramento. Vel dicendum, quod alia verba signant agere et pati, et ita motum aliquem, et quia in transubstantiatione non est motus aliquis, cum non sit subjectum commune, nec mutatio, quia terminus transubstantiationis est praeexistens actu; ideo per nullum verbum congrue potuit tradi forma sacramenti hujus, nisi per verbum substantivum.

1. Dans ce sacrement, rien n’est accompli par le ministre qui fasse partie de l’essence du sacrement, comme c’était le cas pour le baptême. Aussi faut-il que les paroles signifient cela seul qui est accompli par la puissance divine. Or, tout agent réalise son action dans ce qui a été accompli, et il n’est pas nécessaire qu’il y ait assimilation entre l’action et l’agent, mais entre ce qui a été accompli et l’agent, car c’est cela que vise l’intention de l’agent. Or, de même que dans les œuvres de l’art et de la nature une similitude entre l’agent et ce qui est accompli est exigée selon la forme naturelle et artificielle, de même, dans les causes sacramentelles, est exigée une assimilation ou représentation par mode de signification. Aussi les paroles prononcées dans ce sacrement ne devraient-elles pas signifier l’action elle-même ou la transsubstantiation en devenir, mais alors qu’elle est accomplie. Ainsi, cette forme du sacrement ne serait pas appropriée : «Ceci devient mon corps», car il n’est pas ainsi signifié que quelque chose existe ou n’existe pas. De même, cette [forme] ne conviendrait pas : «Ceci sera changé ou transsubstantié en mon corps», car elle ne signifie pas que ceci existe ou n’existe pas, ce qui principalement visé dans ce sacrement. Ou bien il faut dire que les autres paroles signifient une action ou une passion, et ainsi un mouvement, et parce qu’il n’y a pas de mouvement dans la transsubstantiation, puisqu’il n’y a pas de sujet commun, ni de changement, parce que le terme de la transsubstantiation existe avant l’acte, la forme de ce sacrement ne pouvait être transmise de manière convenable que par un substantif.

[14873] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod minister non habet actum exteriorem in consecratione, in qua consistit essentia hujus sacramenti; quamvis habeat actum exteriorem in dispensatione, quae consequitur ad sacramentum; et ideo actus ministri in forma quae est de essentia sacramenti, poni non debuit.

2. Le ministre ne pose pas d’acte extérieur dans la consécration, en laquelle consiste l’essence de ce sacrement, bien qu’il pose un acte extérieur dans la dispensation, qui suit le sacrement. C’est pourquoi l’acte du ministre dans la forme qui fait partie de l’essence du sacrement ne devait pas être indiqué.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[14874] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, verba formae transubstantiationem in suo termino signare debent, non secundum quod consideratur ut in fieri. Esse autem est terminus transubstantiationis, cujus extrema vel termini sunt duae substantiae; et ideo in verbis formae signantur duo termini transubstantiationis, et ipsa transubstantiatio prout est in suo termino per verbum essendi. In termino autem transubstantiationis substantia quae erat terminus a quo, non manet quantum ad naturam speciei, sed solum quantum ad accidentia, quibus ejus individuatio cognoscebatur; sed substantia quae est terminus ad quem, in termino transubstantiationis continetur in sacramento integre, et quo ad naturam speciei, et quo ad accidentia propria; et ideo ex parte termini a quo, non ponitur illud quod significaret naturam speciei, sed pronomen demonstrativum, quod signat individuationem per accidentia, prout cadunt sub sensu: ex parte autem termini ad quem, ponitur nomen designans naturam speciei, et pronomen non demonstrativum hujus substantiae prout est sub sacramento, sed prout est Christi in propria specie visibilis, quia sic verba formae pronuntiavit. Unde patet quod congrue in his verbis quatuor forma consistit: hoc est corpus meum.

Comme on l’a dit, les paroles de la forme doivent signifier la transsubstantiation dans son terme, et non selon qu’elle est considérée en devenir. Or, le fait d’exister est le terme de la transsubstantiation, dont les extrêmes ou les termes sont deux substances. C’est pourquoi, dans les paroles de la forme, sont signifiés par le verbe «être» les deux termes de la transsubstantiation et la transsubstantiation elle-même en son terme. Or, dans le terme de la transsubstantiation, la substance qui était le terme a quo ne demeure pas quant à la nature de l’espèce, mais seulement quant aux accidents, par lesquels son individuation était connue ; mais la substance qui est le terme ad quem est intégralement contenue dans le sacrement dans le terme de la transsubstantiation, tant pour ce qui est de la nature de l’espèce que pour ce qui est de ses accidents propres. C’est pourquoi, du côté du terme a quo, n’est pas indiqué ce qui signifierait la nature de l’espèce, mais un pronom démonstratif, qui signifie l’individuation par les accidents, pour autant qu’ils tombent sous le sens. Mais du côté du terme ad quem, est indiqué un nom désignant la nature de l’espèce et un pronom non pas démonstratif de cette substance pour autant qu’elle existe sous ce sacrement, mais [démonstratif de cette substance] pour autant qu’elle est celle du Christ sous sa propre espèce visible, parce qu’il a ainsi prononcé les paroles de la forme. Il est donc clair que la forme consiste dans ces quatre paroles : «Ceci est mon corps.»

[14875] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod hoc pronomen hoc nullam demonstrationem facit, quia sumitur materialiter, cum verba illa recitative a sacerdote proferantur. Sed hoc non potest stare: quia secundum hoc verba illa nullum ordinem haberent ad materiam praesentem, et sic non fieret sacramentum. Augustinus enim dicit: accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum. Et praeterea eadem difficultas remanet de verbis istis secundum quod fuerunt ab ipso Christo prolata. Et ideo alii dicunt, quod facit demonstrationem ad intellectum, et est sensus: hoc est corpus meum; idest, per hunc panem vel per has species significatur corpus meum: vel, significatum per hoc, est corpus meum. Sed illud iterum stare non potest: quia cum in sacramentis non efficiatur nisi quod significatur virtute dictorum verborum, non fieret corpus Christi in altari secundum veritatem, sed secundum significationem tantum, quod est haereticum; vel verba praemissa non essent forma hujus sacramenti. Nec potest dici quod intentio proferentis verba facit ut his verbis consecretur virtute divinitus collata: quia virtus data sacramentis consequitur significationem; et intentio ministri non potest ad alium effectum sacramenta perducere, nisi qui eis significatur. Et ideo alii dicunt, quod ly hoc facit demonstrationem ad sensum, et demonstrat panem non simpliciter, sed secundum quod est transubstantiatus in corpus Christi. Sed contra hoc est, quia panis transubstantiatus jam non est panis. Sed dum profertur hoc pronomen hoc, nondum facta est transubstantiatio, quia jam alia verba non essent de essentia formae. Cum igitur non possit ad sensum demonstrari quod actu non subest sensui, non poterit praedicto modo demonstratio sumi; nisi dicatur, sicut alii dicunt, quia totus sensus locutionis et omnium partium ejus referendus est ad ultimum instans pronuntiationis verborum, quia pro illo instanti pro quo res est, habet locutio veritatem; et est simile cum dicitur, nunc taceo, nunc bibo, si statim tacere vel bibere incipiat. Sed hoc iterum non potest stare: quia secundum hoc significatio horum verborum praesupponeret transubstantiationem jam factam: ergo virtute verborum non fieret. Et praeterea secundum hoc sensus hujus locutionis erit: corpus meum est corpus meum: quod quidem virtute horum verborum non fit. Et ideo aliter dicendum, quod ea quae sunt in voce, proportionantur his quae sunt in anima. Conceptio autem animae duobus modis se habet. Uno modo ut repraesentatio rei tantum, sicut est in omnibus cognitionibus acceptis a rebus; et tunc veritas conceptionis praesupponit entitatem rei sicut propriam mensuram, ut dicitur in 10 Metaph.; et per modum hujusmodi conceptionum se habent locutiones, quae causa significationis tantum proferuntur. Alio modo conceptio animae non est repraesentativa rei, sed magis praesignativa, sicut exemplar factivum, sicut patet in scientia practica, quae est causa rei; et veritas hujus conceptionis non praesupponit entitatem rei, sed praecedit ipsam naturaliter quasi causa, etsi simul sint tempore: et ad hunc modum se habent verba praemissa, quia sunt significantia et factiva ejus quod significatur. Unde veritas et significatio hujus locutionis praecedit naturaliter entitatem rei quam signat, et non praesupponit ipsam, quamvis sit simul cum ipsa tempore, sicut causa propria cum proprio effectu. Sed quia significatio et veritas locutionis, quae est simul tempore cum transubstantiatione, consurgit ex consignificationibus partium successive prolatarum; ideo oportet quod dictio ultimo prolata compleat significationem locutionis, sicut differentia specifica; et simul cum significatione fiat entitas rei; et per consequens significationes primarum partium praecedant transubstantiationem, quae quidem non successive fit, sed in instanti ultimo per significationem locutionis jam perfectam. Sic ergo hoc pronomen hoc neque demonstrat terminum ad quem transubstantiationis determinate, quia jam significatio locutionis praesupponeret entitatem rei significatae, et non esset causa ejus; neque iterum demonstrat terminum a quo determinate, quia ejus significatio impediret veritatem significationis totius locutionis, cum terminus a quo non remaneat in ultimo instanti locutionis. Relinquitur ergo quod demonstret hoc quod est commune utrique termino indeterminate. Sicut autem in formalibus mutationibus commune utrique termino est subjectum vel materia; distinguuntur autem termini per formas accidentales vel substantiales; ita in transubstantiatione communia sunt accidentia sensibilia, quae remanent; diversitas autem est subjecti. Unde sensus est: hoc contentum sub his speciebus est corpus meum. Et haec est causa quare cum pronomine non ponitur aliquod nomen, ne demonstratio ad aliquam speciem substantiae determinetur. Sicut enim in locutione quae significat tantum alterationem, per se subjectum est subjectum commune alterationis, ut cum dicitur, hoc fit album; ita oportet quod in locutione quae facit transubstantiationem, subjectum sit hoc quod est commune in transubstantiatione.

1. À ce sujet, les opinions sont nombreuses. En effet, certains disent que ce pronom ne démontre d’aucune manière parce qu’il est utilisé matériellement, lorsque ces paroles sont prononcées par le prêtre sous forme de récit. Mais ceci ne peut être le cas, car, ainsi, ces paroles n’auraient aucun ordre à la matière présente, et ainsi le sacrement ne serait pas réalisé. En effet, Augustin dit : «Une parole est jointe à un élément, et le sacrement est réalisé.» De plus, la même difficulté demeure pour ces paroles telles qu’elles furent prononcées par le Christ lui-même. C’est pourquoi d’autres disent que [ce pronom] réalise une démonstration pour l’intelligence ; le sens est alors : «Ceci est mon corps», c’est-à-dire que, par ce pain ou par ces espèces, le corps du Christ est signifié, ou bien mon corps est signifié par cela. Mais, à nouveau, cela ne peut être le cas : puisque, dans les sacrements, n’est accompli que ce qui est signifié en vertu des paroles prononcées, le corps du Christ n’existerait pas véritablement sur l’autel, mais en tant que signifié seulement, ce qui est hérétique ; ou bien les paroles mentionnées ne seraient pas la forme de ce sacrement. On ne peut pas dire non plus que l’intention de celui qui prononce les paroles fait en sorte que, par ces paroles, il y a consécration par la puissance divine qui accompagne, car la puissance donnée aux sacrements découle de la signification, et l’intention du ministre ne peut conduire les sacrements à un autre effet qu’à celui qui est signifié par eux. C’est pourquoi d’autres disent que le mot «ceci» démontre pour le sens : il démontre le pain non pas simplement, mais selon qu’il est transsubstantié en corps du Christ. Mais s’oppose à cela que le pain transsubstantié n’est plus du pain, mais lorsque ce pronom «ceci» est prononcé, la transsubstantiation n’a pas encore été accomplie, car alors les autres paroles ne feraient pas partie de l’essence de la forme. Puisque ne peut pas être démontré au sens ce qui ne tombe pas sous le sens, la démonstraition ne pourra donc pas être entendue de la manière dite, à moins qu’on dise, comme d’autres le font, que tout le sens de la formule et de toutes ses parties doit être mis en rapport avec l’instant ultime où ces paroles sont prononcées, car la formule est vraie pour cet instant où la chose existe. Il en va de même lorsqu’on dit : «Maintenant je me tais», «Maintenant je bois», si l’on commence immédiatement à se taire ou à boire, car, en ce sens, la signification de ces paroles présupposerait que la transsubstantiation a déjà eu lieu ; elle ne serait donc pas réalisée par la puissance des paroles. De plus, le sens de cette formule serait donc : «Mon corps est mon corps», ce qui n’est pas accompli par la puissance de ces paroles. Il faut donc parler autrement. Ce qui est exprimé par la voix est proportionné à ce qui existe dans l’âme. Or, une conception de l’âme s’entend de deux manières. D’une première manière, comme la représentation d’une chose seulement, comme c’est le cas pour toutes les connaissances reçues des choses ; alors, la vérité de la conception présuppose l’entité de la chose comme sa propre mesure, comme il est dit dans Métaphysique, X, et les formulations verbales, qui sont exprimées en vue de signifier seulement, se rapportent aux conceptions de ce genre. D’une autre manière, la conception de l’âme ne représente pas une chose, mais est plutôt antérieure à sa signification, comme le modèle à réaliser, ainsi que cela ressort clairement dans la science pratique, qui est cause d’une chose. Et la vérité de cette conception ne présuppose par l’entité de la chose, mais la précède naturellement comme sa cause, même si elles existent simultanément dans le temps. Les paroles en question relèvent de cette manière, car elles signifient et réalisent ce qui est signifié. La vérité et la signification de cette formule précèdent donc naturellement l’entité de la chose qu’elle signifie et ne la présuppose pas, bien qu’elle existe en même temps qu’elle dans le temps, comme la cause propre avec son effet propre. Mais parce que la signification et la vérité de la formule, qui existe en même temps que la transsubstantiation dans le temps, ressort des significations des parties prononcées successivement, il est donc nécessaire que la parole prononcée en dernier lieu complète la signification de la formule comme une différence spécifique, que l’entité de la chose soit réalisée en même temps que la signification et, par conséquent, que les significations des premières parties précèdent la transsubstantiation, qui ne se réalise pas successivement, mais dans l’ultime instant par la signification achevée de la formule. Ainsi donc, ce pronom «ceci» ne démontre pas le terme ad quem de la transsubstantition d’une manière déterminée, car la signification de la formule présupposerait déjà l’entité de la chose signifiée et n’en serait pas la cause ; il ne démontre pas non plus le terme a quo d’une manière déterminée, car sa signification empêcherait la vérité de toute la formule, puisque le terme a quo ne subsiste pas dans l’instant ultime de la formule. Il reste donc qu’il démontre ce qui est commun aux deux termes de manière indéterminée. Or, de même que dans les permutations formelles, ce qui est commun aux deux termes est le sujet ou la matière et que les termes se distinguent par les formes accidentelles ou substantielles, de même, dans la transsubstantiation, les accidents sensibles qui demeurent sont communs, mais il y a diversité des sujets. Le sens est donc : «Ce qui est contenu sous ces espèces est mon corps.» Telle est la raison pour laquelle un nom n’est pas indiqué avec le pronom, afin que la démonstration de soit pas déterminée à une espèce de substance. En effet, de même que, dans une formule qui ne signifie que l’altération, le sujet par soi est le sujet commun de l’altération, comme lorsqu’on dit : «Ceci devient blanc», de même il est nécessaire que, dans la formule qui réalise la transsubstantiation, le sujet soit ce qui est commun dans la transsubstantiation.

[14876] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si demonstratio pronominis ferretur ad contentum sub speciebus, secundum quod est determinatum ad speciem panis: quia corpus Christi non potest praedicari de pane, nisi cum verbo importante transitum. Sed sic non intelligitur demonstratio pronominis, sed sicut dictum est.

2. Cet argument vaudrait si le caractère démonstratif du pronom portait sur ce qui est contenu sous les espèces selon qu’il est déterminé à l’espèce du pain, car le corps du Christ ne peut être attribué au pain que par une parole comportant un passage. Mais le caractère démonstratif du pronom ne s’entend pas ainsi, mais comme on l’a dit.

[14877] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dominus, Joan. 6, loquebatur de hoc sacramento tantum secundum quod est ad actum refectionis; et quia refectioni magis convenit caro quam corpus secundum similitudinem ad refectionem corporalem; ideo ibi potius dixit carnem quam corpus. Sed in forma sacramenti debet exprimi et essentia sacramenti et significatio ipsius; et ideo potius debet dici corpus quam caro: tum quia essentialiter in hoc sacramento continetur ex vi sacramenti non solum caro, sed totum corpus Christi: tum quia hoc sacramentum significat repraesentando Christi passionem, quae erat per totum corpus. Significat etiam, quasi rem ultimam, corpus mysticum, scilicet Ecclesiam, quae propter distinctionem officiorum habet similitudinem cum toto corpore ratione distinctionis membrorum. Panis autem non est figura rei contentae in sacramento secundum quod est corpus homogeneum, sed secundum quod ex diversis conficitur granis; unde sua significatio magis aptatur ad totum corpus quam ad carnem.

3. Le Seigneur, en Jn 6, parlait de ce sacrement selon qu’il est un acte de réfection seulement. Et parce que la chair convient mieux que le corps à la réfection par comparaison avec la réfection corporelle, il a parlé là plutôt de chair que de corps. Mais, dans la forme du sacrement, doivent être exprimées et l’essence du sacrement et sa signification. C’est pourquoi il faut plutôt dire «corps» que «chair», tant parce qu’est contenue selon l’essence dans ce sacrement, en vertu du sacrement, non seulement la chair, mais tout le corps du Christ, que parce que ce sacrement signifie en représentant la passion du Christ, qui s’étendait à tout son corps. Il signifie aussi, comme réalité ultime, le corps mystique, à savoir, l’Église, qui, en raison de la distinction des fonctions, possède une ressemblance avec tout le corps en raison de la distinction entre les membres. Or, le pain n’est pas la figure de la réalité contenue dans le sacrement selon qu’elle est un corps homogène, mais selon qu’elle est réalisée avec des grains différents. Sa signification s’applique donc mieux à tout le corps qu’à la chair.

[14878] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc sacramentum directe repraesentativum est dominicae passionis, qua Christus ut sacerdos et hostia Deo se obtulit in ara crucis. Hostia autem quam sacerdos offert, est una cum illa quam Christus obtulit secundum rem, quia Christum realiter continet; minister autem offerens non est idem realiter; unde oportet quod sit idem repraesentatione; et ideo sacerdos consecrans prout gerit personam Christi, profert verba consecrationis recitative ex persona Christi, ne hostia alia videatur. Et quia per ea quae gerit respectu exterioris materiae, Christi personam repraesentat; ideo verba illa simul et recitatione et significatione tenentur respectu praesentis materiae, quae est figura illius quam Christus praesentem habuit; et propter hoc dicitur convenientius: hoc est corpus meum, quam: hoc est corpus Christi. Vel etiam propter hoc quod sacerdos non habet actum exteriorem, qui sit sacramentaliter causa consecrationis; sed in solis verbis prolatis consistit virtus consecrationis; et ideo ex persona illius proferuntur cujus virtute fit transubstantiatio.

4. Ce sacrement représente directement la passion du Seigneur, par laquelle le Christ, comme prêtre et hostie, s’est offert à Dieu sur l’autel de la croix. Or, l’hostie que le prêtre offre est une avec celle que le Christ a offerte en réalité, car elle contient réellement le Christ. Mais le ministre qui offre n’est pas le même en réalité ; aussi faut-il qu’il soit le même par mode de représentation. C’est pourquoi le prêtre qui consacre en tant qu’il tient la place du Christ prononce les paroles de la consécration sous forme de récit en la personne du Christ, afin que l’hostie ne paraisse pas différente. Et parce que, par ce qu’il accomplit par rapport à la matière extérieure, il représente la personne du Christ, ces paroles s’adressent, tant par le récit que par leur signification, à la matière présente, qui est la figure de celle qui était présente dans le Christ. Pour cette raison, il est dit de manière appropriée : «Ceci est mon corps», plutôt que : «Ceci est le corps du Christ.» Ou bien, parce que le prêtre ne pose pas d’acte extérieur qui serait cause de la consécration, mais que la puissance de consacrer consiste seulement dans les paroles prononcées, celles-ci sont prononcées au nom de la personne par la puissance de laquelle la transsubstantiation est réalisée.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[14879] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod multa sunt a domino facta vel dicta quae Evangelistae non scripserunt, ut patet Joan. 21, quae tamen Ecclesia postea ab apostolis accepta fideliter observavit.

Le Seigneur a fait ou dit beaucoup de choses que les évangélistes n’ont pas écrites, comme cela ressort clairement de Jn 21. Cependant, par la suite, l’Église a fidèlement observé ce qui a été reçu des apôtres.

[14880] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 ad 1 Et secundum hoc dicendum ad primum, sicut Innocentius dicit, quod quamvis nusquam in sacra Scriptura legatur quod dominus ad caelum oculos sublevaverit in coena; tamen hoc Ecclesia ex traditione apostolorum recitat, et satis rationabiliter potest ex aliis locis Scripturae colligi. Legitur enim Joan. 11, quod in suscitatione Lazari oculos ad patrem elevaverit; et similiter Joan. 17, orationem ad patrem fundens. Hoc autem in arduis faciebat, gratias agens, et exemplum nobis ad Deum recurrendi praebens, secundum illud Psal. 122, 1: at te levavi oculos meos qui habitas in caelis. Et quia hoc sacramentum arduissimum est, ideo instituens hoc sacramentum probabiliter colligitur quod oculos ad patrem levaverit, gratias agens patri de reparatione humani generis, quae hoc sacramento figuratur, et nobis ostendens virtute divina hoc confici sacramentum.

1. Comme le dit Innocent, bien qu’on ne lise jamais dans l’Écriture que le Seigneur a levé les yeux au ciel lors de la cène, l’Église le récite selon la tradition des apôtres, et cela peut être raisonnablement tiré d’autres lieux de l’Écriture. En effet, on lit, en Jn 11, lors de la résurrection de Lazare, qu’il leva les yeux vers le Père. De même, en Jn 17, alors qu’il priait le Père. Or, il faisait cela pour les choses difficiles, en rendant grâce et en nous donnant l’exemple d’avoir recours à Dieu, selon ce que dit le Ps 122, 1 : J’ai levé les yeux vers toi qui habites les cieux. Et parce que ce sacrement est très difficile, on conclut avec probabilité qu’en instituant ce sacrement, il a levé les yeux vers le Père, en rendant grâce au Père pour la réparation du genre humain, qui est figurée par ce sacrement, et en nous montrant que ce sacrement est réalisé par la puissance divine.

[14881] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, haec verba: accipite et manducate ex hoc omnes, non sunt de substantia formae; et ideo non est tanta vis facienda, ut penitus eadem observentur. Et praeterea comedere et manducare, in nullo differentem habent significationem; et quamvis circa ista verba non ponatur in Evangeliis verbum manducandi, ponitur tamen parum ante, Luc. 22, 15: desiderio desideravi hoc Pascha manducare vobiscum antequam patiar.

2. Comme on l’a dit, ces paroles: «Prenez et mangez-en tous», ne font pas partie de la substance de la forme. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas autant insister pour qu’elles soient exactement observées. De plus, «se restaurer» [comedere] et «manger» [manducare] n’ont pas une signification différente. Et bien qu’en ce qui concerne ces mots, le verbe «manger» ne soit pas indiqué dans les évangiles, il est cependant indiqué peu auparavant, en Lc 22, 15 : J’ai beaucoup désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir.

[14882] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non exprimatur in Evangelio haec determinatio omnes, tamen intelligitur: quia sacramentalis manducatio est omnium, quamvis non spiritualis; ideo etiam exprimitur circa sumptionem sanguinis in Evangeliis praedicta dictio, quia sanguis in redemptionem effusus est; redemptio autem omnium est quantum ad sufficientiam, quamvis non quantum ad efficaciam. Vel quia ultimo traditur sumptio sanguinis, quod circa eam dicitur, circa sumptionem corporis similiter intelligendum est.

3. Bien que cette précision «tous» ne soit pas donnée dans l’évangile, elle est toutefois comprise, car la manducation sacramentelle est le fait de tous, bien qu’elle ne soit pas spirituelle [pour tous]. Le mot en question est aussi exprimé dans les évangiles à propos de la consommation du sang, car le sang a été répandu pour la rédemption. Or, la rédemption concerne tous pour ce qui de sa suffisance, sinon pour ce qui est de sa réalisation. Ou bien, parce que la consommation du sang est exprimée en dernier lieu, ce qui est dit d’elle doit s’entendre de la même façon pour la consommation du corps.

 

 

Articulus 2 [14883] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 tit. Utrum forma consecrationis sanguinis consistat in his tantum verbis, hic est calix sanguinis mei

Article 2 – La forme de la consécration du sang consiste-t-elle dans ces seules paroles : «Ceci est le calice de mon sang» ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La forme de la consécration du sang consiste-t-elle dans ces seules paroles : «Ceci est le calice de mon sang» ?]

[14884] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod forma consecrationis sanguinis consistat in his tantum verbis: hic est calix sanguinis mei; et hoc quod additur: novi et aeterni testamenti, mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum non sit de forma. Evangelistae enim convenire debent in his quae sunt de substantia formae hujus sacramenti: quia verba formae hujus sacramenti recitative dicuntur ex persona Christi. Sed non conveniunt in verbis illis appositis, quia in nullo Evangelistarum leguntur, nec ab apostolo, 1 Corinth. 11, haberi possunt. Ergo non sunt de forma hujus sacramenti.

1. Il semble que la forme de la consécration du sang consiste dans ces seules paroles : «Ceci est le calice de mon sang», et que ce qui est ajouté : «De l’alliance nouvelle et éternelle, mystère de la foi, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés», ne fasse pas partie de la forme. En effet, les évangélistes doivent être d’accord sur ce qui fait partie de la substance de la forme de ce sacrement, car les paroles de la forme de ce sacrement sont prononcées sous forme de récit en la personne du Christ. Or, ils ne sont pas d’accord à propos des paroles évoquées, car on ne les lit chez aucun des évangélistes, et on ne peut les tirer de l’Apôtre, 1 Co 11. Elles ne font donc pas partie de la forme de ce sacrement.

[14885] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut panis transubstantiatur in corpus Christi per consecrationem, ita vinum in Christi sanguinem. Sed consecratio quae fit his verbis, hoc est corpus meum, sufficit ad transubstantiationem panis in corpus Christi. Ergo et haec verba: hic est calix sanguinis mei, sufficiunt ad transubstantiationem vini in sanguinem Christi; ergo verba quae sequuntur non sunt de forma.

2. De même que le pain est transsubstantié en corps du Christ par la consécration, de même le vin l’est-il en sang du Christ. Or, la consécration qui est réalisée par ces paroles : «Ceci est mon corps», suffit pour la transsubstantiation du pain en corps du Christ. Ces paroles aussi : «Ceci est le calice de mon sang», suffisent pour la transsubstantiation du vin en sang du Christ. Les paroles qui suivent ne font donc pas partie de la forme [de ce sacrement].

[14886] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, proprietates naturaliter consequuntur substantiam rei. Sed illud quod sequitur substantiam, non potest esse factivum transubstantiationis. Ergo cum illa verba quae sequuntur designent aliquas proprietates sanguinis in quem fit transubstantiatio, videtur quod non sint de forma.

3. Les propriétés découlent naturellement de la substance d’une chose. Or, ce qui découle de la substance ne peut réaliser la transsubstantiation. Puisque les paroles qui suivent désignent des propriétés du sang dans lequel la transubstantiation est réalisée, il semble qu’elles ne fassent pas partie de la forme.

[14887] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quia Luc. 22, 20, interponuntur praedicta verba verbis formae; ita enim dicitur: hic est calix novi testamenti in meo sanguine.

Cependant, [1], en Lc 22, 20, les mots mentionnés sont intercalés dans les paroles de la forme. En effet, on dit : Ceci est le calice de la nouvelle alliance en mon sang.

[14888] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea hoc videtur ex ritu consecrationis: quia sacerdos non deponit calicem usque ad verba illa: haec quotiescumque feceritis, quae non sunt de forma, quamvis sint domini verba.

[2] De plus, cela semble faire partie du rite de la consécration, car le prêtre ne dépose pas le calice avant ces paroles : «Vous ferez cela chaque fois», qui ne pas font partie de la forme, bien qu’elles soient des paroles du Seigneur.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ces paroles sont-elles convenablement exprimées ?]

[14889] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec verba inconvenienter ponuntur: hic est calix sanguinis mei. Unius enim modi est transubstantiatio panis in corpus Christi, et vini in sanguinem. Sed in transubstantiatione panis in corpus Christi ponitur corpus Christi in recto. Ergo in consecratione vini poni debet sanguis Christi in recto, ut dicatur, sicut Magister dicit in littera: hic est sanguis meus; sicut etiam habetur Matth. 26.

1. Il semble que ces paroles ne sont pas exprimées de manière convenable : «Ceci est le calice de mon sang.». En effet, la transsubstantiation du pain en corps du Christ et celle du vin en sang [du Christ] relèvent du même mode. Or, pour la transsubstantiation du pain en corps du Christ, le corps du Christ est indiqué directement. Pour la consécration du vin, on doit donc indiquer le sang du Christ directement, de sorte qu’on dise, comme le Maître le dit dans le texte : «Ceci est mon sang», comme on le lit aussi en Mt 26.

[14890] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in forma transubstantiante ex parte praedicati poni debet terminus in quem fit transubstantiatio, ut ex dictis patet. Sed transubstantiatio non fit in calicem alicujus. Ergo non debet praedicari in forma transubstantiante.

2. Dans la forme de la transsubstantiation, le terme dans lequel se réalise la transsubstantiation doit être donné comme ce qui est attribut. Or, la transsubstantiation ne se réalise pas dans le calice de quelqu’un. Celui-ci ne doit donc pas être l’attribut dans la forme qui réalise la transsubstantiation.

[14891] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in forma sacramenti non debet poni aliquid quod non sit de substantia sacramenti. Sed calix non est de substantia sacramenti cum sit vas quoddam. Ergo non debet poni in forma sacramenti.

3. Dans la forme d’un sacrement, on ne doit pas indiquer quelque chose qui ne fait pas partie de la substance du sacrement. Or, le calice ne fait pas partie de la substance du sacrement, puisqu’il est un vase. Il ne doit pas être indiqué dans la forme du sacrement.

[14892] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Luc. 22, 20: hic calix novi testamenti in meo sanguine. Ad idem est etiam usus Ecclesiae.

Cependant, [1] il est dit en Lc 22, 20 : Ce calice de la nouvelle alliance en mon sang. L’usage de l’Église va aussi dans ce sens.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les paroles qui suivent sont-elles indiquées de manière appropriée ?]

[14893] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam verba quae sequuntur, inconvenienter ponantur. Testamentum enim videtur pertinere ad traditionem mandatorum; unde et tabulae continentes decem praecepta, dicuntur tabulae testamenti. Sed traditio sacramentorum est alia a traditione mandatorum. Ergo in sacramentis non debet fieri mentio de testamento.

1. Il semble que même les paroles qui suivent sont indiquées de manière inappropriée. En effet, l’alliance semble se rapporter à la communication des commandements ; ainsi les tables qui contiennent les dix commandements sont-elles appelées les tables de l’alliance. Or, la communication des sacrements est différente de la communication des commandements. On ne doit donc pas mentionner l’alliance dans les sacrements.

[14894] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit, nostra sacramenta antiquiora esse sacramentis Judaeorum. Sed sacramenta Judaeorum non pertinent ad novum testamentum, sed ad vetus. Ergo nec in sacramento isto, de quo Ambrosius loquitur, debet apponi: novi testamenti.

2. Ambroise dit que nos sacrements sont plus anciens que les sacrements des Juifs. Or, les sacrements des Juifs ne se rapportent pas à la nouvelle alliance, mais à l’ancienne. La nouvelle alliance ne doit donc pas non plus être indiquée dans ce sacrement, dont parle Ambroise.

[14895] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, novum et aeternum videntur ad invicem contrarietatem habere: quia aeternum est quod caret principio, novum autem est quod quantum ad sui principium est propinquum. Ergo est oppositio in adjecto.

3. «Nouveau» et «éternel» semblent être le contraire l’un de l’autre, car est éternel ce qui n’a pas de commencement, mais est nouveau ce qui est proche de son commencement. Il y a donc opposition dans ce qui est ajouté.

[14896] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod potest esse juvamentum erroris, non debet apponi in forma sacramenti. Sed, sicut dicit Innocentius III, quod dicitur: hoc mysterium, quibusdam est adjuvamentum erroris, qui dicunt corpus Christi verum in altari non contineri, sed per significationem tantum. Ergo inconvenienter ponitur in forma.

4. Ce qui peut aider l’erreur ne doit pas être mis dans la forme d’un sacrement. Or, comme le dit Innocent III, ce qui est dit : «ce mystère», est une aide pour l’erreur de certains qui disent que le corps véritable du Christ n’est pas contenu sur l’autel, mais par mode de signification seulement. [Ce mot] est donc mis dans la forme de manière inappropriée.

[14897] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, hoc sacramentum, ut prius dictum est, praecipue videtur esse sacramentum caritatis, sicut et Baptismus sacramentum fidei. Ergo inconvenienter dicitur: mysterium fidei; sed magis dicendum esset: mysterium caritatis.

5. Ce sacrement, comme on l’a dit plus haut, semble être principalement le sacrement de la charité, comme le baptême est le sacrement de la foi. C’est donc de manière inappropriée qu’on dit : «mystère de la foi» ; on doit plutôt dire : «mystère de la charité».

[14898] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 6 Praeterea, sicut sanguis Christi pro nobis est effusus, ita corpus Christi pro nobis est traditum, ut ex verbis etiam domini habetur, Luc. 22, 19: hoc est corpus meum, quod pro vobis tradetur. Cum ergo hoc non apponatur in forma corporis consecrandi, nec in consecratione sanguinis de effusione fieri mentio deberet.

6. De même que le sang du Christ a été versé pour nous, de même le corps du Christ a été livré pour nous, comme on le tient des paroles mêmes du Seigneur en Lc 22, 19 : Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous. Puisque cela n’est pas mis dans la forme de la consécration du corps, on ne devrait pas non plus mentionner l’effusion [du sang] dans la consécration du sang.

[14899] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 7 Praeterea, quod dicitur: pro vobis et pro multis effundetur, aut accipitur de effusione quantum ad sufficientiam, aut quantum ad efficaciam. Si quantum ad sufficientiam, sic pro omnibus effusus est, non solum pro multis; si autem quantum ad efficaciam, quam habet solum in electis, non videtur distinguendum fuisse inter apostolos et alios.

7. Ce qui est dit : «qui sera répandu pour vous et pour la multitude», s’entend de l’effusion quant à sa suffisance ou quant à son efficacité. Si c’est en raison de sa suffisance, [le sang] a alors été répandu pour tous, et non pour la multitude ; mais si c’est de son efficacité, qu’il n’a que chez les élus, il ne semble pas qu’il faille faire une distinction entre les apôtres et les autres.

[14900] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 8 Praeterea, Baptismus magis ordinatur contra amotionem mali quam Eucharistia, quae maxime ordinatur ad perfectionem in bono. Sed in forma Baptismi non fit mentio de remissione peccatorum. Ergo nec hic deberet dici: in remissionem peccatorum.

8. Le baptême est davantage ordonné à l’enlèvement du mal que l’eucharistie, qui est surtout ordonnée à la perfection dans le bien. Or, dans la forme du baptême, il n’est pas fait mention de la rémission des péchés. On ne devrait donc pas non plus dire ici : «pour la rémission des péchés».

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14901] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc aliqui diversimode dixerunt. Quidam enim dicunt, quod hoc est tantum de forma: hic est calix sanguinis mei, ut forma utriusque consecrationis sit consimilis. Sed quia conditiones appositae ad subjectum vel praedicatum sunt de integritate locutionis alicujus; ideo alii probabilius dicunt, quod totum quod sequitur, est de forma, cum totum hoc quod additur non sit locutio per se, sed sit determinatio praedicati.

À ce propos, certains se sont exprimés de diverses façons. En effet, certains disent que cela seulement fait partie de la forme : «Ceci est le calice de mon sang», de sorte que la forme des deux consécrations est semblable. Mais parce que les conditions jointes au sujet ou au prédicat font partie intégrante d’une formulation, d’autres disent donc, d’une manière plus probable, que tout ce qui suit fait partie de la forme, alors que tout ce qui est ajouté ne fait pas de soi de la formulation, mais est une détermination du prédicat.

[14902] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba supradicta ex magna parte possunt ex diversis locis sacrae Scripturae colligi, quamvis non inveniantur alicubi simul scripta. Quod enim dicitur: hic est calix, habetur Luc. 22, et 1 Corinth. 2. Quod autem dicitur: novi testamenti, ex tribus habetur, Matth. 26, et Marc. 14, et Luc. 22. Quod autem dicitur, aeterni, et iterum, mysterium fidei, ex traditione domini habetur, quae per apostolos ad Ecclesiam pervenit, secundum illud 1 Corinth. 11, 23: ego enim accepi a domino quod et tradidi vobis. Evangelistae enim non intendebant formas et ritus sacramentorum tradere, sed dicta et facta domini enarrare.

1. Les paroles en question peuvent être tirées pour une grande part de divers endroits de la Sainte Écriture, bien qu’elles ne soient pas écrites ensemble en un endroit. En effet, ce qui est dit : «ceci est le calice», se trouve en Lc 22 et 1 Co 2. Mais ce qui est dit : «de la nouvelle alliance», vient de trois endroits : Mt 26, Mc 14 et Lc 22. Ce qui est dit : «[de l’alliance] éternelle», et aussi : «mystère de la foi», vient de la tradition du Seigneur, qui est parvenue à l’Église à travers les apôtres, selon ce qui est dit en 1 Co 11, 23 : En effet, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis. En effet, les évangélistes n’entendaient pas transmettre les formes et les rites des sacrements, mais raconter ce que le Seigneur a dit et a fait.

[14903] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum Eucharistiae sacramentum sit memoriale dominicae passionis, in consecratione corporis Christi non repraesentatur nisi passionis substantia; sed in consecratione sanguinis repraesentatur passionis mysterium: non enim a corpore Christi sanguis ejus seorsum fuit nisi per passionem; et ideo conditiones dominicae passionis exprimuntur per verba sequentia magis in consecratione sanguinis quam in consecratione corporis.

2. Puisque le sacrement de l’eucharistie est le mémorial de la passion du Seigneur, seule la substance de la passion est représentée dans la consécration du corps du Christ. Mais, dans la consécration du vin, le mystère de la passion est représenté : en effet, son sang n’a été séparé du corps du Christ que par la passion. Aussi, les conditions de la passion du Seigneur sont-elles exprimées par les paroles qui suivent, dans la consécration du sang plutôt que dans la consécration du corps.

[14904] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis illa quae sequuntur sint ut proprietates consequentes Christi sanguinem inquantum hujusmodi, sunt tamen essentiales sanguini Christi inquantum est per passionem effusus. Non autem seorsum a corpore consecraretur sanguis Christi, sicut nec aliae partes ejus, nisi pro eo quod est in passione effusus; et ideo illa quae sequuntur, sunt essentialia sanguini, prout in hoc sacramento consecratur; et ideo oportet quod sint de substantia formae.

3. Bien que ce qui suit découle comme des propriétés découlant du sang du Christ en tant que tel, elles-ci sont cependant essentielles au sang du Christ en tant qu’il a été répandu par la passion. Le sang du Christ ne serait pas consacré à part de son corps, comme aucune autre de ses parties, s’il n’avait été versé dans la passion. Ainsi, ce qui suit est essentiel au sang en tant qu’il est consacré dans ce sacrement. Il faut donc que cela fasse partie de la substance de la forme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14905] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod haec locutio: hic est calix sanguinis mei, figurativa est, et potest intelligi dupliciter. Uno modo ut sit metonymica locutio, ut ponatur continens pro contento, secundum quod dicere consuevimus, bibe calicem vini, idest vinum contentum in calice. Ideo autem talis modus locutionis congruus est formae huic, quia sanguis de sui ratione non dicit aliquid potabile, immo magis aliquid quod natura abhorret in potum. Et quia in hoc sacramento sanguis Christi consecratur ut potus, ideo oportuit aliquid addi quod ad potum pertineret, scilicet calicem. Alio modo potest intelligi, ut sit metaphorica locutio, ut per calicem passio Christi designetur. Sicut enim calix vini inebriat, ita et passio sui amaritudine quasi hominem extra se ponit: Thren. 3, 15: replevit me amaritudinibus, inebriavit me absynthio; et hoc modo loquendi usus est dominus de sua passione loquens, ut patet Matth. 26, 39: transeat a me calix iste; et hic modus loquendi etiam est conveniens in hac forma: quia, ut dictum est, in consecratione sanguinis exprimitur directe mysterium passionis. Nec obstat quod solet objici, quod locutiones figurativae faciunt distrahere intellectum, et ita sunt causa evagationis: quia mens sacerdotis debet esse adeo fixa ad ea quae dicit, quod non qualibet levi occasione evagetur.

Cette formule : «Ceci est le calice de mon sang», est une figure et peut être comprise de deux manières. D’une manière, comme étant une formule métonymique, de sorte que le contenant est indiqué pour le contenu, comme nous avons coutume de dire : «Bois ce calice de vin», c’est-à-dire le vin contenu dans le calice. Une telle manière de parler est appropriée pour cette forme parce que le sang, considéré en lui-même, n’indique pas quelque chose qui peut être bu, mais bien plutôt quelque chose que la nature a horreur de boire. Et parce que, dans ce sacrement, le sang du Christ est consacré en tant que breuvage, il fallait donc que quelque chose soit ajouté qui se rapporterait au breuvage, à savoir, le calice. D’une autre manière, [cette formule] peut être comprise comme une formule métaphorique, de sorte que, par le calice, la passion du Christ soit désignée. En effet, de même qu’un calice de vin enivre, de même aussi la passion met un homme hors de lui-même par son amertume. Lm 3, 15 : Il m’a rempli d’amertume, il m’a enivré d’absinthe. Et le Seigneur a fait usage de cette manière de parler en parlant de sa passion, comme cela ressort clairement de Mt 26, 39 : Que ce calice s’éloigne de moi ! Et cette manière de parler est aussi appropriée pour cette forme, car, ainsi qu’on l’a dit, dans la consécration du sang, le mystère de la passion est directement exprimé. Et cela ne fait rien qu’on ait coutume d’objecter que les manières de parler en figures distraient l’intelligence et sont ainsi des causes d’errance ici et là, car l’esprit du prêtre doit être à ce point concentré sur ce qu’il dit qu’il ne puisse vagabonder pour une légère occasion.

[14906] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus de sui ratione non dicit aliquid repugnans cibo ex ipsa sui nominatione, sicut sanguis repugnat potui; et ideo non est similis ratio. Magister autem non posuit formam quantum ad verba, sed quantum ad sensum.

1. Le corps n’exprime par en soi quelque chose de répugnant comme nourriture par son nom même, comme le sang répugne à être bu. Le raisonnement n’est donc pas le même. Mais le Maître n’a pas présenté la forme quant aux paroles, mais quant au sens.

[14907] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod transubstantiatio vini in ipsum calicem non fit, sed in contentum, scilicet sanguinem Christi, prout potus est, et prout est per passionem fusus; et ideo objectio cessat.

2. La transsubstantiation du vin n’est pas réalisée pour le calice lui-même, mais pour son contenu, à savoir le sang du Christ, en tant qu’il est un breuvage et en tant qu’il a été répandu par la passion. L’objection tombe donc.

[14908] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis vas illud non sit de substantia sacramenti, tamen contentum et significatum est de substantia sacramenti; et secundum hoc intelligitur locutio.

3. Bien que ce vase ne fasse pas partie de la substance du sacrement, ce qui est contenu et signifié fait partie de la substance du sacrement. L’expression est comprise en ce sens.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14909] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, verba illa quae adduntur in consecratione sanguinis, exprimunt conditiones passionis, et praecipue secundum quod operatur in sacramentis. Sunt autem tria in passione consideranda, secundum quod in sacramentis operatur. Primo effectus quem inducit, qui est remissio peccatorum; et hoc tangitur in hoc quod dicit: qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum. Secundo medium quo iste effectus in alios traducitur, quod est fides, qua mediante habet effectum et in his qui praecesserunt et in his qui sequuntur; et quantum ad hoc dicit, mysterium fidei; quod quidem potest referri ad ipsam passionem, quae est mysterium fidei, ut occultum quoddam latens in fide omnium Christi fidelium, et praecipue antiquorum, apud quos erat in mysterio abscondite diversimode figurata; et ad ipsum sanguinem, prout in sacramento continetur, quod quidem latet sub speciebus, et maximam habet difficultatem ad credendum; unde antonomastice dicitur, mysterium fidei. Tertio finis ad quem perducit, qui est aeternorum perceptio, ad quem introducit Christus per sanguinem propriae passionis: in quo novum testamentum confirmatur, non quidem promittens temporalia, ut prius, sed aeterna; et quantum ad hoc dicit: novi et aeterni testamenti. Et quia finis prius est in intentione, ideo, fine praemisso, per medium ad effectum passionis ostendendum verba formae perducunt.

Les paroles qui sont ajoutées lors de la consécration du sang expriment les conditions de la passion, principalement selon qu’elle agit dans les sacrements. Or, trois choses doivent être considérées dans la passion, pour autant qu’elle agit dans les sacrements. Premièrement, l’effet qu’elle entraîne, qui est la rémission des péchés. Ceci est abordé lorsqu’il dit : «qui sera répandu pour vous et pour la multitude en rémission des péchés». Deuxièmement, le moyen par lequel cet effet est transmis à d’autres, à savoir, la foi, par l’intermédiaire de laquelle elle a un effet chez ceux qui ont précédé et chez ceux qui suivent. Sur ce point, il dit : «mystère de la foi», qui peut être mis en rapport avec la passion elle-même, qui est un mystère de la foi, comme quelque chose de caché dans la foi de tous les fidèles du Christ, et surtout des anciens, pour lesquels elle était figurée de diverses façons de manière cachée dans un mystère ; cela peut aussi être mis en rapport avec le sang, en tant qu’il est contenu dans la sacrement, qui est caché sous les espèces et présente la plus grande difficulté pour la foi. Aussi dit-on «mystère de la foi» par antonomase. Troisièmement, la fin à laquelle elle conduit, qui est la perception des réalités éternelles, à laquelle le Christ mène par le sang de sa propre passion. Par cela, une nouvelle alliance est confirmée, qui ne promet pas des réalités temporelles, comme la première, mais des réalités éternelles. À ce sujet, il dit : «de l’alliance nouvelle et éternelle». Et parce que la fin est première en intention, après avoir indiqué la fin, les paroles de la forme conduisent à montrer l’effet de la passion en passant par ce qui en est le moyen.

[14910] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod testamentum proprie est hereditatis percipiendae institutio filiis a patre; et ideo testamentum proprie pertinet ad promissionem bonorum, quae nobis a patre caelesti disponuntur; ad quod quidem testamentum praecepta se habent sicut via ad consequendum hereditatem promissam; et ita per posterius testamentum ad mandata pertinet.

1. Un testament est la disposition prise par un père pour que ses fils reçoivent leur héritage. À proprement parler, le testament se rapporte donc à la promesse des biens qui nous sont octroyés par notre Père céleste. Or, les commandements sont par rapport à ce testament comme le chemin pour obtenir l’héritage promis. Et ainsi, cela se rapporte au testament comme une conséquence.

[14911] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antiquitas illa intelligitur quantum ad similitudinem ritus. Dicitur autem hoc testamentum novum et ratione hujus sacramenti, quod in renovatione mundi institutum est tempore gratiae, et iterum ratione promissionis per sanguinem Christi confirmatae, quae vetus impedimentum consequendae hereditatis amovit; et sic quasi quaedam innovatio promissionis per mortem Christi facta est.

2. Cette ancienneté se comprend par rapport à la ressemblance du rite. Or, cette alliance est appelée nouvelle en raison de ce sacrement, qui a été institué pour la rénovation du monde au temps de la grâce, et en raison de la promesse confirmée par le sang du Christ, qui a enlevé l’empêchement à recevoir l’héritage. Et ainsi, c’est comme un renouvellement de la promesse qui a été fait par la mort du Christ.

[14912] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dicitur novum et aeternum diversis rationibus: novum quidem ratione jam dicta; aeternum, vel ratione bonorum aeternorum, de quibus est testamentum; vel ratione hujus sacramenti continentis Christum, qui est persona aeterna; vel ratione praedestinationis aeternae hanc gratiam praeparantis.

3. [L’alliance] est appelée nouvelle et éternelle pour diverses raisons. Nouvelle, pour la raison déjà dite ; éternelle, soit en raison des biens éternels, sur lesquels porte l’alliance, soit en raison de ce sacrement qui contient le Christ, qui est une personne éternelle, soit en raison de la prédestination éternelle qui prépare à cette grâce.

[14913] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nihil prohibet id quod est in aliquo occultatum et figuratum, secundum veritatem ibidem esse; et ideo frivolum juvamentum sui erroris accipiunt qui negant Christi sanguinem secundum veritatem in altari esse, propter hoc quod est ibi etiam secundum mysterium.

4. Rien n’empêche que ce qui est caché et figuré par quelque chose s’y trouve en réalité. C’est pourquoi ceux qui nient que le sang existe véritablement sur l’autel reçoivent une aide futile à leur erreur, du fait qu’il y existe aussi selon le mystère.

[14914] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Eucharistia dicitur sacramentum caritatis Christi expressivum, et nostrae factivum; sed fides supponitur ad effectum hujusmodi sacramenti, qua mediante aliquis effectum participet; et ideo potius ponit ut medium perducens ad effectum fidem quam caritatem.

5. On dit que l’eucharistie est le sacrement qui exprime la charité du Christ et qui réalise la nôtre. Mais la foi est supposée pour l’effet de ce sacrement, par l’intermédiaire de laquelle on participe à son effet. C’est pourquoi [la formule] indique plutôt le moyen conduisant à l’effet, la foi, que la charité.

[14915] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hujus solutio ex dictis patet: quia hoc accidit propter hoc quod in consecratione corporis non signatur passio, sicut in consecratione sanguinis.

6. La solution ressort de ce qui a été dit, car cela se produit du fait que, dans la consécration du corps, la passion n’est pas autant signifiée que dans la consécration du sang.

[14916] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sanguis Christi effusus est pro omnibus quo ad sufficientiam, sed pro electis tantum quo ad efficaciam; et ne putaretur effusus pro Judaeis tantum electis, quibus promissio facta fuerat, ideo dicit, vobis, qui ex Judaeis, et multis, scilicet multitudine gentium. Vel per apostolos sacerdotes designat, quibus mediantibus ad alios effectus passionis per dispensationem sacramentorum pervenit, qui etiam pro seipsis et pro aliis orant.

7. Le sang du Christ a été répandu pour tous du point de vue de ce qui suffit, mais pour les seuls élus du point de vue de l’effet. Et afin qu’on ne croie pas qu’il a été répandu pour les seuls Juifs élus, à qui la promesse avait été faite, il dit donc : «pour vous», qui êtes issus des Juifs, «et pour la multitude», c’est-à-dire pour la multitude des nations. Ou bien il désigne par les apôtres les prêtres, par l’intermédiaire desquels on atteint d’autres effets de la passion par la dispensation des sacrements, [prêtres] qui prient pour eux-mêmes et pour les autres.

[14917] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod remissio peccatorum non ponitur hic ut proprius effectus hujus sacramenti, sed ut effectus passionis, quae per consecrationem sanguinis exprimitur. De mutatione autem, additione et subtractione, idem dicendum hic quod supra positum est de forma Baptismi, distinct. 3, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, 3 et 4.

8. La rémission des péchés n’est pas mise là comme l’effet propre de ce sacrement, mais comme l’effet de la passion, qui est exprimée par la consécration du sang. À propos du changement, de l’ajout ou de la soustraction [de paroles], il faut dire ici la même chose qui a été dit à propos de la forme du baptême, d. 3, q. 1, a. 2, qa 2, 3 et 4.

 

 

Articulus 3 [14918] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 tit. Utrum verbis praedictis insit aliqua vis creata ad transubstantiationem faciendam

Article 3 – Existe dans les paroles en question une puissance créée en vue de réaliser la transsubstantiation ?

 

[14919] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verbis praedictis non insit aliqua vis creata ad transubstantiationem faciendam. Damascenus enim dicit, quod sola virtute spiritus sancti fit conversio panis in corpus Christi. Sed virtus spiritus sancti non est virtus creata. Ergo nulla virtus creata inest his verbis, per quam fiat transubstantiatio.

Objections

1. Il semble qu’il n’y ait pas dans les paroles mentionnées une puissance créée en vue de réaliser la transsubstantiation. En effet, [Jean] Damascène dit que la conversion du pain en corps du Christ est réalisée par la seule puissance de l’Esprit Saint. Or, la puissance de l’Esprit Saint n’est pas une puissance créée. Aucune puissance créée ne se trouve donc dans ces paroles, par laquelle est réalisée la transsubstantiation.

[14920] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, opus transubstantiationis videtur esse difficilius quam opus creationis; quia citius ratio consentit creationi quam huic conversioni; cum quidam etiam philosophi ratione naturali ducti creationem posuerint. Sed nulla virtus creata, secundum communem opinionem, potest Deo cooperari in opere creationis. Ergo multo minus in opere hujus conversionis.

2. L’acte de transsubstantiation semble être plus difficile que l’acte de création, car la raison consent plus rapidement à la création qu’à une telle conversion, puisque certains philosophes, conduits par la raison naturelle, ont affirmé la création. Or, aucune puissance créée, selon l’opinion commune, ne peut coopérer avec Dieu à l’acte de création. Encore bien moins, donc, à l’acte d’une telle conversion.

[14921] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, difficilius est convertere panem in substantiam corporis Christi, quam purissimos sanguines virginis: quia corpus Christi et sanguines virginis habent materiam communem, quae est subjectum conversionis; quod non potest esse in conversione panis in corpus Christi. Sed in formatione corporis Christi ex virgine non fuit aliqua virtus creata active operans transformationem, ut in 3 Lib., distinct. 3, quaest. 2, art. 2, dictum est. Ergo nec verbis praedictis inest aliqua virtus creata ad transubstantiandum.

3. Il est plus difficile de convertir le pain en substance du corps du Christ que le sang très pur de la Vierge, car le corps du Christ et le sang de la Vierge ont une matière commune, qui est le sujet de la conversion, ce qui ne peut pas être le cas dans la conversion du pain en corps du Christ. Or, pour la formation du corps du Christ à partir de la Vierge, il n’y a pas eu de puissance créée réalisant de manière active la transformation, comme on l’a dit dans le livre III, d. 3, q. 2, art. 2. Il n’y a donc pas de puissance créée dans les paroles mentionnées pour réaliser la transsubstantiation.

[14922] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, nulla virtus creata potest operari aliquid supra naturam. Sed conversio panis in corpus Christi est maxime supra naturam, cum non servetur modus mutationis naturalis: quia neque est subjectum commune, et terminus ad quem est praeexistens actu. Ergo non potest per virtutem creatam verbis formae collatam hujusmodi conversio fieri.

4. Aucune puissance créée ne peut réaliser quelque chose qui dépasse la nature. Or, la conversion du pain en corps du Christ dépasse la nature au plus haut point, puisque le mode naturel du changement n’est pas respecté, car il n’y a pas de sujet commun et le terme ad quem préexiste en acte. Cette conversion ne peut donc être réalisée par une puissance créée donnée à ces paroles.

[14923] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, virtus activa directe proportionatur ei ad quod actio terminatur: quia hoc est intentum ab agente, et ex eo denominatur actio. Sed corpus Christi ad quod terminatur conversio, est multo dignius qualibet pura creatura. Ergo cum agens debeat esse nobilius facto, non potest aliqua virtute creata aliquid in corpus Christi converti.

5. La puissance active est directement proportionnée à ce qui est le terme de l’action, car c’est ce dont l’agent a l’intention et ce à partir de quoi l’action est nommée. Or, le corps du Christ, qui est le terme de la conversion, est beaucoup plus digne que n’importe quelle simple créature. Puisque l’agent doit être plus noble que ce qu’il réalise, quelque chose ne peut pas être converti en corps du Christ par une puissance créée.

[14924] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, faciens et factum, causa et causatum, debent esse simul: quia quod non est, non potest aliquid facere, vel alicujus causa existere. Sed cum conversio praedicta fiat in instanti, et verba formae successive proferantur; quando fit conversio, verba illa non possunt simul esse, nisi secundum aliquid minimum sui. Ergo virtute aliqua quae insit verbis, non potest fieri hujusmodi conversio.

6. L’agent et ce qu’il réalise, la cause et ce qui est causé, doivent exister simultanément, car ce qui n’existe pas ne peut faire quelque chose ou être la cause de l’existence de quelque chose. Or, puisque la conversion en question se réalise dans l’instant et que les paroles de la forme sont prononcées successivement, lorsque la conversion se réalise, ces paroles ne peuvent exister simultanément, si ce n’est selon leur plus petite partie. Cette conversion ne peut donc être réalisée par une puissance qui existe dans les paroles.

[14925] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, verba ista non habent virtutem ex seipsis: hoc planum est. Si ergo habent aliquam hujusmodi virtutem, oportet quod eis sit divinitus data. Oportet autem hanc virtutem esse simplicem, cum ejus effectus sit in instanti. Simplex autem virtus non potest successive dari, et ejus subjectum oportet esse simplex. Cum ergo verba praedicta compositionem habeant et successionem, non potest ipsis talis virtus esse collata.

7. Ces paroles n’ont pas de puissance par elles-mêmes : cela est clair. Si donc elles possèdent une puissance, il faut qu’elle leur soit donnée par Dieu. Or, il faut que cette puissance soit simple, puisque son effet se réalise dans l’instant. Or, une puissance simple ne peut être donnée de manière successive et il faut que son sujet soit simple. Puisque les paroles mentionnées sont composées et successives, une telle puissance ne peut donc leur être donnée.

[14926] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, inconveniens videtur facere aliquid nobilissimum, quod statim desinat esse. Sed virtus transubstantians est nobilissima, quod patet ex nobilitate effectus. Ergo cum verba formae statim esse desinant, inconveniens videtur, si ei virtus transubstantiandi data est a Deo.

8. Il semble inapproprié de faire quelque chose de très noble, qui cesse aussitôt d’exister. Or, la puissance qui réalise la transsubstantiation est très noble, ce qui ressort clairement de la noblesse de son effet. Puisque les paroles de la forme cessent aussitôt d’exister, il semble donc inapproprié que la puissance de réaliser la transsubstantiation leur soit donnée par Dieu.

[14927] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 9 Praeterea, verba ista non faciunt conversionem praedictam, nisi a sacerdote dicta. Sed anima sacerdotis magis est capax virtutis alicujus divinae quam verba prolata ab ipso. Ergo magis dicendum est quod haec virtus in sacerdote sit quam in verbis; si tamen aliqua virtus creata ad transubstantiationem operetur.

9. Ces paroles ne réalisent pas la conversion indiquée, à moins qu’elles ne soient dites par un prêtre. Or, l’âme du prêtre est davantage capable d’une certaine puissance divine que les paroles qu’il prononce. Il faut donc dire que cette puissance réside dans le prêtre plutôt que dans les paroles, à condition toutefois qu’une puissance créée agisse en vue de la transsubstantiation.

[14928] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit in fine Eccl. Hier., in ipsis, scilicet consummativis invocationibus, idest formis sacramentorum, esse virtutes operativas ex Deo. Sed verba praedicta sunt forma dignissimi sacramenti. Ergo est in ipsis aliqua virtus ad transubstantiandum.

Cependant, [1] Denys dit, à la fin de la Hiérarchie ecclésiastique : «Il existe dans les invocations qui réalisent – c’est-à-dire dans les formes des sacrements – des puissances agissantes données par Dieu.» Or, les paroles mentionnées sont la forme du sacrement le plus digne. Il existe donc en elles une puissance en vue de réaliser la transsubstantiation.

[14929] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit, quod sermo Christi creaturas mutat, et sic ex pane fit corpus Christi consecratione caelestis verbi. Verbum autem Christi est forma praedicta a Christo instituta, et ex ejus persona recitata. Ergo virtute horum verborum fit transubstantiatio.

[2] Ambroise dit que la parole du Christ change les créatures, et qu’ainsi le corps du Christ est réalisé à partir du pain par la consécration de la parole céleste. Or, la parole du Christ est la forme instituée par le Christ et elle est récitée en son nom. La transsubstantiation est donc réalisée par la puissance de ces paroles.

[14930] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sacerdos non operatur ad transubstantiationem nisi proferendo verba. Si ergo verbis non inesset virtus ad transubstantiandum, tunc sacerdos non haberet aliquam potestatem spiritualem conficiendi; et sic non haberet ordinem, qui est quaedam potestas ad hoc principaliter.

[3] Le prêtre n’agit en vue de la transsubstantiation qu’en prononçant les paroles. Si donc une puissance existe dans les paroles en vue de réaliser la transsubstantiation, le prêtre n’aurait pas alors une puissance spirituelle pour la réaliser, et ainsi, il n’aurait pas l’ordre, qui est une puissance principalement destinée à cela.

[14931] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod nulla virtus creata inest his verbis, qua fiat transubstantiatio; sed quod dicitur aliquando virtute horum verborum transubstantiationem fieri, intelligendum est, quod divina institutione firmatum est ut ad prolationem horum verborum conversio praedicta fiat virtute divina tantum; et sic etiam dicunt in omnibus aliis sacramentis, ut supra, distinct. 1, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, dictum est. Sed haec opinio dignitati sacramentorum novae legis derogat, et dictis sanctorum obviare videtur. Et ideo dicendum est, quod in verbis praedictis, sicut et in aliis formis sacramentorum, est aliqua virtus ex Deo; sed haec virtus non est qualitas habens esse completum in natura, qualiter est virtus alicujus principalis agentis secundum formam suam, sed habet esse incompletum, sicut virtus quae est in instrumento ex intentione principalis agentis, et sicut similitudines colorum in aere, ut supra, dist. 1 dictum est.

Réponse

À ce propos, il existe deux opinions. En effet, certains disent qu’aucune puissance créée n’existe dans les paroles, par laquelle la transsubstantiation est réalisée. Qu’on dise parfois que la transsubstantiation est réalisée par ces paroles, cela doit être entendu au sens où, en vertu de l’institution divine, il a été établi que la conversion en cause est réalisée par la seule puissance divine, lorsque ces paroles sont prononcées. Et ils disent la même chose pour tous les sacrements, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 2, qa 2. Mais cette opinion diminue la dignité des sacrements de la loi nouvelle et semble s’opposer à ce que disent les saints. C’est pourquoi il faut dire que, dans les paroles en question, comme dans les autres formes des sacrements, il existe une puissance qui vient de Dieu; mais cette puissance n’est pas une qualité possédant une être complet par nature, comme c’est le cas de la puissance d’un agent principal agissant selon sa forme, mais elle possède un être incomplet, comme la puissance qui existe dans l’instrument selon l’intention de l’agent principal et comme les similitudes des couleurs dans l’air, comme on l’a dit plus haut, d. 1.

[14932] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dictio exclusiva adjuncta principali agenti non excludit agens instrumentale: non enim sequitur: solus hic faber facit cultellum; ergo martellus nihil ad hoc operatus est. Virtus enim instrumenti non est nisi quaedam redundantia virtutis agentis principalis; unde in toto actio non attribuitur instrumento, sed principali agenti, secundum philosophum; et propter hoc ex hoc quod dicitur, quod sola virtute spiritus sancti fit hujusmodi conversio, non excluditur virtus instrumentalis, quae est in verbis praemissis.

1. Une formulation inclusive ajoutée à l’agent principal n’exclut pas l’agent instrumental. En effet, on ne conclut pas de la proposition : «Seul cet artisan fait un couteau», que le marteau n’y a rien fait, car la puissance de l’instrument n’est qu’une retombée de la puissance de l’agent principal. Aussi l’action n’est-elle pas attribuée en totalité à l’instrument, mais à l’agent principal, selon le Philosophe. Pour cette raison, du fait qu’on dit que cette conversion est réalisée par la seule puissance de l’Esprit Saint, la puissance d’un agent instrumental n’est pas exclue dans les paroles en question.

[14933] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus creata praesupponit materiam in qua operetur; quod quidem contingit esse dupliciter. Uno modo ita quod sit mutationis subjectum, sicut accidit in conversionibus naturalibus. Alio modo ita quod subsit termino a quo, non autem mutationi, sicut accidit in dicta conversione. Sed creatio neutro modo materiam praesupponit; et ideo magis potest aliquid Deo instrumentaliter cooperari in hac conversione quam in opere creationis. Utrum autem majoris virtutis sit ista conversio, vel creatio, dicetur infra, distinct. 11, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 4.

2. La puissance créée présuppose une matière sur laquelle elle agit, ce qui se produit de deux manières. D’une manière, de sorte qu’elle soit le sujet du changement, comme cela se produit dans les conversions naturelles. D’une autre manière, de sorte qu’elle soit sous-jacente au terme a quo, mais non à la mutation, comme cela se produit dans la conversion mentionnée. Mais la création ne présuppe de matière d’aucune des deux manières. C’est pourquoi quelque chose peut plutôt coopérer de manière instrumentale avec Dieu à cette conversion qu’à l’acte de création. Cette conversion relève-t-elle d’une puissance plus grande que la création, on le dira plus loin, d. 11, q. 1, a. 3, qa 4.

[14934] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si in conceptione unio includatur, quae simul cum ipsa facta est, major difficultas fuit in conceptione quam in transubstantiatione: quia illa unio est terminata ad esse divinae personae: haec autem transubstantiatio ad corpus Christi, quia panis non convertitur nisi in corpus Christi. Si autem conceptionis opus includat tantum conversionem sanguinum purissimorum virginis in corpus Christi, sic major difficultas est in hac conversione quam in illa conceptione; unde potuit etiam alicui creaturae conferre quod in illa conceptione sibi cooperaretur; quamvis non fuisset conveniens propter dignitatem Christi servandam, quod tunc fiebat simpliciter, prius non existens: quod hic non accidit; et ideo nihil deperit dignitati corporis Christi, si aliqua creatura accipiat instrumentalem virtutem operandi in id quod in corpus Christi transubstantiatur.

3. Si l’on inclut l’union dans la conception, laquelle a été réalisée en même temps que celle-ci, la difficulté était plus grande pour la conception que pour la transsubstantiation, car cette union a comme terme l’existence d’une personne divine, alors que cette transsubstantiation a comme terme le corps du Christ, puisque le pain n’est converti qu’au corps du Christ. Mais si l’acte de la conception n’inclut que la conversion du sang très pur de la Vierge en corps du Christ, alors la difficulté est plus grande dans cette conversion que dans cette conception. [Dieu] pouvait donc donner à une créature de coopérer avec lui pour cette conception, bien que cela aurait été inapproprié pour sauvegarder la dignité du Christ – [la créature] était alors réalisée simplement, sans que rien n’existe antérieurement, ce qui n’est pas le cas ici. Qu’une créature reçoive la puissance instrumentale d’agir en vue de réaliser la transsubstantiation au corps du Christ ne déroge donc en rien à la dignité du corps du Christ.

[14935] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla creatura potest agere ea quae sunt supra naturam quasi principale agens; potest tamen agere quasi agens instrumentale a virtute increata motum: quia sicut creaturae inest obedientiae potentia, ut in ea fiat quidquid creator disposuerit, ita etiam ut ea mediante fiat, quod est ratio instrumenti.

4. Aucune créature ne peut réaliser ce qui dépasse la nature comme agent principal. Elle peut cependant agir comme agent instrumental mû par la puissance incréée, car, de même qu’il existe dans la créature une puissance obédientelle pour que le Créateur réalise en elle ce qu’il aura décidé, de même aussi pour que cela soit réalisé par son intermédiaire, ce qui est la raison de l’instrument.

[14936] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus agentis principalis respicit principaliter terminum ad quem; sed virtus causae instrumentalis non attingit ad terminum ad quem, sed habet operationem suam in his quae sunt circa terminum; sicut qualitates activae elementares non attingunt ad animae rationalis introductionem. Et similiter hic contingit: quia virtus illa instrumentalis quae inest verbis, habet operationem supra substantiam panis, quia verbum ad elementum accedit, secundum Augustinum, non est autem aliquo modo causa eorum quae in termino ad quem sunt, sicut quod sint accidentia sine subjecto, vel alicujus hujusmodi; et ideo objectio cessat.

5. La puissance de l’agent principal concerne principalement le terme ad quem; mais la puissance de la cause instrumentale ne va pas jusqu’au terme ad quem, mais elle possède une opération portant sur ce qui concerne le terme; ainsi, les qualités actives élémentaires ne vont-elles pas jusqu’à introduire l’âme rationnelle. Il en va de même ici, car cette puissance instrumentale qui existe dans les paroles possède une opération portant sur la substance du pain, puisque la parole est jointe à l’élément, selon Augustin; mais elle n’est d’aucune façon cause de ce qui existe dans le terme ad quem, comme le fait que des accidents existent sans sujet ou des choses de ce genre. Ainsi tombe l’objection.

[14937] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virtus haec conversiva quae est in his verbis, cum sit sacramentalis, sequitur significationem, ut dictum est; significatio autem existentis conversionis, cum importet ordinem unius ad alterum, non potest fieri per dictionem, sed oportet quod per orationem fiat; cujus partes quamvis successive proferantur, tamen significatio est tota simul, quod tunc complet ultima orationis particula ad modum differentiae ultimae in definitionibus; et hac significatione existente, in ultimo prolationis instanti fit transubstantiatio.

6. Cette puissance de conversion qui existe dans ces paroles, puisqu’elle est sacramentelle, découle de la signification, comme on l’a dit. Or, la signification de cette conversion, puisqu’elle comporte l’ordre d’une chose à une autre, ne peut être réalisée par une parole, mais il faut qu’elle soit réalisée par un discours, dont les parties sont prononcées de manière successive, mais dont la signification existe simultanément dans sa totalité, ce qu’achève de réaliser le dernier élément du discours à la manière de la différence ultime dans les définitions. Lorsque cette signification existe, la transsubstantiation est réalisée dans le dernier instant de la prononciation.

[14938] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod significatio orationis, quamvis relata ad partes quibus fit significatio, videatur composita, tamen relata ad rem significatam simplex est, inquantum significat unum, scilicet compositionem hujus cum hoc; sicut etiam philosophus dicit in 5 Metaph., quod substantia senaria non est bis tria, sed semel sex quam ibi qualitatem nominat. Unde sicut ad hanc qualitatem senarii se habent partes ejus ut dispositiones materiales, non ut qualitates partium, sicut partes unius qualitatis totius; ita significationes partium sunt dispositiones ad significationem totius orationis, quae consurgit ex significatione ultimae partis in ordine ad omnes praecedentes: quia virtus conversiva sequitur significationem, ut dictum est; et ideo in ipso complemento significationis datur illa virtus orationi toti, ita quod partes singulae se habent materialiter tantum ad illam virtutem.

7. La signification d’un discours, qui semble composée en regard des parties par lesquelles la signification est réalisée, est simple en regard de la chose signifiée, pour autant qu’il signifie une seule chose, à savoir, la composition entre telle et telle chose. Ainsi parle le Philosophe dans Métaphysique, V : la substance sextuple ne consiste pas en deux fois trois, mais en une fois six, ce qui désigne là une qualité. Ainsi, de même qu’il y a un rapport entre le nombre six et ses parties, en tant que dispositions matérielles, et non en tant que qualités des parties, comme les parties d’une qualité considérée dans sa totalité, de même les significations des parties sont-elles des dispositions en vue de signifier l’ensemble du discours, qui ressort de la signification de la dernière partie en regard de toutes les précédentes. En effet, la puissance de conversion découle de la signification, comme on l’a dit. C’est pourquoi, dans l’achèvement même de la signification, cette puissance est donnée au discours, de sorte que chacune des parties ne joue que le rôle de matière par rapport à cette puissance.

[14939] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod valde conveniens est quod omne quod est propter aliquid, esse desinat perfecto hoc propter quod erat; et quia virtus illa non erat ad perfectionem ejus cui dabatur, sed magis ad faciendum conversionem de qua loquimur, cum sit tantum instrumentalis virtus, ut dictum est; ideo non est inconveniens, si statim conversione facta, et verba et virtus verborum esse desinant.

8. Il est tout à fait approprié que tout ce qui existe en rapport avec autre chose cesse d’exister lorsqu’est complété ce pour quoi cela existait. Et parce que cette puissance n’existait pas pour la perfection de celui à qui elle était donnée, mais plutôt pour réaliser la conversion dont nous parlons, puisqu’elle n’est qu’une puissance instrumentale, comme on l’a dit, il n’est pas inapproprié que, dès l’achèvement de la conversion, les paroles et la puissance cessent d’exister.

[14940] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quando aliquod opus perficitur pluribus instrumentis, virtus instrumentalis non est complete in uno, sed incomplete in utroque, sicut manu et penna scribitur; et similiter contingit in proposito: quia virtus instrumentalis ad faciendam praedictam conversionem non tantum est in verbo vel in sacerdote, sed in utroque incomplete: quia nec sacerdos sine verbo, nec verbum sine sacerdote conficere potest. Et quia sacerdos est similior principali agenti quam verbum, quia gerit ejus figuram; ideo, simpliciter loquendo, sua virtus instrumentalis est major et dignior (unde etiam permanet, et ad multos hujusmodi effectus se habet): virtus autem verbi transit, et ad semel tantum est: sed secundum quid est potentior virtus verbi, inquantum effectui propinquior, quasi signum ipsius; sicut etiam penna est Scripturae propinquior, sed manus scribenti.

9. Lorsqu’une œuvre est réalisée par plusieurs instruments, la puissance instrumentale n’existe pas en totalité dans un seul, mais de manière incomplète dans les deux, comme on écrit avec la main et la plume. De même en est-il dans la question en cause, car la puissance instrumentale pour réaliser la conversion mentionnée n’existe pas seulement dans la parole ou chez le prêtre, mais dans les deux de manière incomplète, car ni le prêtre sans la parole, ni la parole sans le prêtre ne peuvent réaliser [cette conversion]. Et parce que le prêtre ressemble davantage que la parole à l’agent principal, puisqu’il en est la figure, à parler simplement, sa puissance instrumentale est plus grande et plus digne (aussi dure-t-elle et s’applique-t-elle à plusieurs effets de ce genre). Mais la puissance de la parole est passagère et n’est utilisée qu’une seule fois. Mais, de manière relative, la puissance de la parole est plus grande pour autant qu’elle se rapproche davantage de l’effet en en étant le signe, comme la plume est plus rapprochée de l’écriture, mais la main [est plus rapprochée] de celui qui écrit.

 

 

Articulus 4 [14941] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 tit. Utrum formae expectent se in operando

Article 4 – Les formes [de l’eucharistie] s’attendent-elles pour agir ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les formes s’attendent-elles pour agir ?]

[14942] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod formae expectent se in operando. Sicut enim se habet res ad rem, ita se habet forma ad formam. Sed res corporis non est sine re sanguinis: quia non consecratur corpus Christi sine sanguine. Ergo nec forma corporis operatur sine forma sanguinis.

1. Il semble que les formes s’attendent pour agir. En effet, tel est le rapport d’une chose à une autre, tel est le rapport d’une forme à l’autre. Or, la réalité du corps n’existe pas sans le sang, car le corps n’est pas consacré sans le sang. La forme du corps n’agit donc pas sans la forme du sang.

[14943] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est unum. Sed propter unitatem sacramenti species duae, scilicet panis et vini, se habent in ratione unius signi, ut dictum est. Ergo similiter duae formae se habent in ratione unius formae. Sed in una forma partes se expectant invicem ad agendum, ut dictum est. Ergo et forma corporis expectat formam sanguinis.

2. Ce sacrement est unique. Or, en raison de l’unité du sacrement, deux espèces, à savoir, celles du pain et du vin, se rejoignent dans un seul signe, comme on l’a dit. De la même façon, les deux formes se rejoignent donc en une seule forme. Or, dans une forme unique, les parties s’attendent pour agir, comme on l’a dit. La forme du corps attend donc la forme du sang.

[14944] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in Baptismo tres immersiones se expectant in agendo. Ergo et similiter hae duae prolationes verborum.

3. Dans le baptême, les trois immersions s’attendent pour agir. De la même façon, les deux prononciations de paroles [s’attendent-elles] donc.

[14945] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, si statim verbis prolatis, quando est orationis significatio, non esset ibi verum corpus Christi, haec esset falsa: hoc est corpus meum. Sed in sacramento veritatis non contingit aliquod esse falsum. Ergo forma prima non expectat secundam in operando.

Cependant, [1] si le corps véritable du Christ ne se trouvait pas là dès que les paroles sont prononcées, alors qu’existe la signification du discours, cette [proposition] : «Ceci est mon corps», serait fausse. Or, dans le sacrement de la vérité, il n’arrive pas que quelque chose soit faux. La première forme n’attend donc pas la seconde pour agir.

[14946] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hostia non est adoranda ante consecrationem. Sed secundum communem modum Ecclesiae, statim dictis primis verbis formae super panem, ante formam sanguinis elevatur hostia a populo adoranda. Ergo ante formam sanguinis hostia est consecrata.

[2] L’hostie ne doit pas être adorée avant la consécration. Or, selon l’usage commun de l’Église, dès que les premières paroles de la forme ont été dites sur le pain, avant la forme du sang, l’hostie est élevée pour être adorée par le peuple. L’hostie est donc consacrée avant la forme du sang.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [S’il y a défaillance du prêtre après la consécration du corps du Christ, un autre doit-il procéder à la consécration du sang ?]

[14947] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod deficiente sacerdote post corporis Christi consecrationem non debet alius procedere ad consecrationem sanguinis. Quia unius sacramenti unus debet esset minister. Sed consecratio utraque ad unum sacerdotem pertinet. Ergo ab uno ministro fieri debet.

1. Il semble que, s’il y a défaillance du prêtre après la consécration du corps du Christ, un autre ne doive pas procéder à la consécration du sang, car il ne doit y avoir qu’un seul ministre pour un seul sacrement. Or, les deux consécrations relèvent d’un seul prêtre. Elles doivent donc être accomplies par un seul ministre.

[14948] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacerdos consecrans gerit figuram Christi, ex cujus persona verba proferuntur. Sed Christus non est divisus, ut dicitur 1 Corinth. 1. Ergo nec verba dividi debent ut a diversis proferantur.

2. Le prêtre qui consacre est la figure du Christ, au nom de qui les paroles sont prononcées. Or, le Christ n’est pas divisé, comme il est dit en 1 Co 1. Les paroles non plus ne doivent donc pas être divisées en étant prononcées par plusieurs.

[14949] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ad perfectionem hujus sacramenti utraque consecratio requiritur. Si ergo consecrato corpore non consecratur sanguis, sacramentum remanet imperfectum, quod est inconveniens.

Cependant, [1] les deux consécrations sont nécessaires pour la perfection de ce sacrement. Si donc, une fois que le corps est consacré, le sang n’est pas consacré, le sacrement demeure imparfait, ce qui est inapproprié.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Sans les autres paroles qui sont dites dans le canon de la messe, ces paroles ont-elles la puissance de réaliser la conversion ?]

[14950] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec verba sine aliis quae in canone Missae dicuntur, non habeant vim conficiendi. Quia in hoc sacramento requiritur intentio faciendi quod facit Ecclesia; et sic intentio debet esse secundum statuta Ecclesiae regulata. Sed proferens haec verba tantum, non servat Ecclesiae statuta. Ergo non conficit.

1. Il semble que, sans les autres paroles qui dont dites dans le canon de la messe, ces paroles n’ont pas la puissance de réaliser [la conversion]. En effet, dans ce sacrement, l’intention de faire ce que fait l’Église est nécessaire, et ainsi l’intention doit être réglée par les décisions de l’Église. Or, celui qui ne prononce que ces paroles ne respecte pas les décisions de l’Église. Il ne réalise donc pas [la conversion].

[14951] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, verba quibus fit consecratio, per se prolata, ad personam dicentis referuntur. Sed conversio panis et vini non fit in corpus et sanguinem dicentis, sed in corpus et sanguinem Christi. Ergo sine verbis praemissis, quibus verba formae determinantur ad personam Christi, scilicet: qui pridie quam pateretur etc., non potest fieri conversio.

2. Les paroles par lesquelles la consécration est réalisée, prononcées par elle, se rapportent à la personne de celui qui les dit. Or, la conversion du pain et du vin ne devient pas le corps et le sang de celui qui parle, mais le corps et le sang du Christ. Sans les paroles mentionnées, par lesquelles les paroles de la forme sont déterminées à la personne du Christ, à savoir : «avant qu’il ne souffre, etc.», la conversion ne peut donc être réalisée.

[14952] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si verbis praedictis tantum posset fieri consecratio, tunc aliquis in periculo mortis existens, posset licite sine verbis praecedentibus conficere, sicut aliquis in necessitate potest baptizare omissis illis quae sunt ad decorem sacramenti. Sed hoc nunquam licet. Ergo sine verbis aliis ista non habent vim convertendi.

3. Si la consécration ne pouvait être réalisée que par les paroles mentionnées, alors quelqu’un qui est en danger de mort pourrait la réaliser licitement sans les paroles qui précèdent, comme quelqu’un peut baptiser en cas de nécessité en omettant ce qui contribue à rehausser le sacrement. Or, cela n’est jamais permis. Ces paroles n’ont donc pas la puissance de convertir sans les autres.

[14953] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Ambrosius dicit: sacramentum istud quod accipis, sermone domini conficitur; et loquitur de verbis praedictis. Ergo sine aliis ista prolata habent vim conficiendi.

Cependant, [1] Ambroise dit: «Ce sacrement que tu reçois est réalisé par la parole du Seigneur», et il parle des paroles mentionnées. Ces paroles prononcées ont donc la puissance de convertir sans les autres.

[14954] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, virtus conversiva sequitur significationem verborum, ut dictum est. Sed verba formae absque praecedentibus sufficienter significant hoc quod in sacramento hoc faciendum est. Ergo sine aliis habent vim conversivam.

[2] La puissance de convertir découle de la signification des paroles, comme on l’a dit. Or, les paroles de la forme signifient suffisamment ce qui doit être fait dans ce sacrement, sans les paroles qui précèdent. Elles possèdent donc la puissance de convertir, sans les autres.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14955] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt, quod prima forma non habet effectum suum nisi prolata forma secunda; nec secunda haberet effectum, nisi prima prius prolata: nec tamen periculose adoratur hostia ante consecrationem sanguinis, quia non adoratur quod est, sed quod erit. Sed illud non potest stare: quia forma materiae proportionari debet; unde sicut materiae distinctae sunt nec ad invicem commixtae, ita formae divisim operantur; quod patet ex hoc quod utraque per se completam significationem habet. Et ideo dicendum cum aliis, quod formae praedictae non expectant se mutuo in operando.

Certains ont dit que la première forme n’obtient son effet que lorsque la seconde forme est prononcée, et que la seconde n’aurait pas d’effet, à moins que la première n’ait d’abord été prononcée. Cependant, il n’y aurait pas de risque à adorer l’hostie avant la consécration du vin parce qu’on n’adore pas ce qui est, mais ce qui sera. Mais cela ne se peut pas, car la forme doit être proportionnée à la matière. Aussi, de même que les matières sont distinctes et qu’elles ne sont pas mêlées l’une à l’autre, de même les formes agissent-elles séparément, ce qui ressort du fait que les deux ont une signification complète en elles-mêmes. Ainsi, il faut dire avec d’autres que les formes mentionnées ne s’attedent pas l’une l’autre pour agir.

[14956] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc sacramento dupliciter aliquid continetur; scilicet ex vi sacramenti, et ex naturali concomitantia; et quia sacramentum est institutum in usum fidelium, ideo ex vi sacramenti continetur in hoc sacramento quod in usum fidelium venit. Et quia in pane consecrato non continetur sanguis Christi secundum quod est in usum potus fidelium, ideo non continetur ibi ex vi sacramenti, sed ex naturali concomitantia, qua convenit ut corpus Christi non sit sine sanguine; et e contrario est de vino consecrato. Unde panis non convertitur per vim primorum verborum in corpus et sanguinem, sed in corpus sine sanguine veniente in usum potus fidelium. Causa autem quare divisim sanguis a corpore consecratur, cum nunc non sit divisus, potest sumi ex usu ad quem est sacramentum, quia manducatio in cibo et potu consistit; et ex eo quod per sacramentum repraesentatur, quia in passione sanguis Christi a corpore divisus fuit.

1. Dans ce sacrement, quelque chose est contenu de deux manières : en vertu du sacrement et en vertu d’une concomitance naturelle. Et parce que le sacrement a été institué pour l’usage des fidèles, est contenu dans ce sacrement ce qui est destiné à l’usage des fidèles. Et parce que, dans le pain consacré, le sang du Christ n’est pas contenu selon qu’il destiné à l’usage des fidèles, il n’y est donc pas contenu en vertu du sacrement, mais en vertu d’une concomitance naturelle, par laquelle il convient que le corps du Christ n’existe pas sans le sang. Et c’est le contraire pour le vin consacré. Aussi le pain n’est-il pas converti en corps et en sang par la puissance des premières paroles, mais en corps sans le sang, destiné à être bu par les fidèles. La raison pour laquelle le sang est consacré séparément du sang, alors qu’il n’est pas maintenant divisé, peut être saisie à partir de l’usage auquel le sacrement est destiné, car la manducation consiste en nourriture et en breuvage, et aussi à partir de ce qui est représenté par le sacrement, car le sang du Christ a été divisé de son corps lors de la passion.

[14957] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duae formae in hoc sacramento non pertinent ad unum sacramentum quasi unam formam constituant, sicut ex diversis dictionibus constituitur una forma; sed pertinent ad unum sacramentum mediantibus diversis partibus hujus sacramenti; et ideo utraque habet seorsum effectum suum supra partem ad quam ordinatur.

2. Dans ce sacrement, les deux formes ne se rapportent pas à un seul sacrement comme si elles n’étaient qu’une seule forme, comme une seule forme est constituée de plusieurs paroles. Mais elles se rapportent à un seul sacrement par l’intermédiaire des diverses parties de ce sacrement. C’est pourquoi les deux agissent séparément sur la matière à laquelle elles sont ordonnées.

[14958] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tres immersiones referuntur ad unum characterem, qui est res et sacramentum in Baptismo; sed diversae formae referuntur ad diversa, quae sunt res et sacramentum hic; et ideo non est simile.

3. Les trois immersions se rapportent au caractère unique, qui est réalité et sacrement dans le baptême. Mais les diverses formes [dans l’eucharistie] se rapportent à des réalités diverses, qui sont ici réalité et sacrement. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14959] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum statutum Concilii Toletani, si sacerdos impeditur ut coeptum Missarum officium explere non possit, alius sacerdos debet explere quod ille inchoavit, ita quod incipiat sequens sacerdos ubi primus dimisit, si sciatur: si autem nesciatur, debet a capite incipere: non enim dicitur iteratum quod nescitur esse factum. Nec aliquid per hoc derogatur unitati sacramenti: quia omnes unum sumus in Christo propter fidei unitatem. Secundum tamen Innocentium tertium consultius est ut illa hostia jam consecrata seorsum posita, super aliam deinceps totum officium iteretur.

Selon la décision du concile de Tolède, si un prêtre est empêché de pouvoir terminer l’office de la messe qu’il a commencé, un autre prêtre doit terminer ce que celui-là a commencé, de sorte que le prêtre suivant commence là où le premier a abandonné, s’il le sait. Mais s’il ne le sait pas, il doit recommencer au début : en effet, on ne dit pas qu’est répété ce qu’on ne sait pas avoir été fait. Et l’on ne déroge pas ainsi à l’unité du sacrement, car nous sommes tous un dans le Christ en raison de l’unité de la foi. Toutefois, selon Innocent III, il est plus judicieux de mettre de côté l’hostie déjà consacrée, puis de recommencer ensuite tout l’office sur une autre.

[14960] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des objections ressort ainsi clairement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14961] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt quod verba ista, in quibus forma consistit, ut dictum est, si per se dicantur sine aliis, non faciunt conversionem, ad minus sine illis quae sunt in canone Missae. Sed hoc non videtur probabile: quia secundum Augustinum, accedit verbum ad elementum, et fit sacramentum. Verbum autem quo accedente ad elementum fit sacramentum, a sanctis dicitur esse verbum salvatoris; unde alia sunt de solemnitate sacramenti, non de necessitate. Et ideo cum aliis dicendum est quod in his verbis sine aliis potest confici corpus Christi, quamvis graviter peccaret qui hoc faceret. Et quod haec opinio sit verior, patet ex hoc quod non sit idem canon Missae apud omnes, et secundum diversa tempora, diversa sunt in canone Missae superaddita.

Certains ont dit que les paroles dans lesquelles consiste la forme, comme on l’a dit, si elles sont elles-mêmes dites sans les autres, ne réalisent pas la conversion, tout au moins sans celles qui se trouvent dans le canon de la messe. Mais cela ne semble pas probable, car, selon Augustin, «la parole est jointe à un élément, et le sacrement est réalisé». Or, les saints disent que la parole qui, jointe à un élément, réalise le sacrement est la parole du Sauveur. Les autres [paroles] font donc partie de la solennité du sacrement, et non de ce qui lui est nécessaire. Il faut donc dire avec d’autres que, par ces paroles et sans les autres, peut être réalisé le corps du Christ, bien que celui qui ferait cela pécherait gravement. Que cette opinion soit plus vraie, cela ressort de ce que le canon de la messe n’est pas le même pour tous et que, à divers moments, diverses choses ont été ajoutées au canon de la messe.

[14962] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad sacramentum requiritur intentio faciendi quod facit Ecclesia in essentialibus sacramento, non autem in his quae pertinent ad decorem vel solemnitatem sacramenti, sicut in Baptismo patet.

1. L’intention de faire ce que fait l’Église est nécessaire pour ce qui est essentiel au sacrement, mais non pour ce qui se rapporte au rehaussement ou à la solennité du sacrement, comme cela est clair pour le baptême.

[14963] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex ipsa intentione proferentis possunt verba formae ad personam Christi referri, etiam verbis aliis non praemissis, si sacerdos verba praedicta in persona Christi dicere intenderet.

2. Les paroles de la forme peuvent être mises en rapport avec la personne du Christ par l’intention même de celui qui les prononcent, même sans qu’il les fasse précéder des autres paroles, si le prêtre a eu l’intention de dire au nom du Christ les paroles mentionnées.

[14964] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus est sacramentum necessitatis; et ideo concessum est ut imminente necessitatis articulo possit aliquis baptizare sine solemnitate ab Ecclesia instituta. Secus autem est de hoc sacramento: quia alicui in necessitate constituto sufficeret spiritualiter manducare, si sacramentaliter manducare non posset; et ideo in nullo casu a peccato excusaretur.

3. Le baptême est un sacrement nécessaire. On a donc permis qu’en cas de nécessité urgente, quelqu’un puisse baptiser sans la solennité instituée par l’Église. Mais il en va autrement de ce sacrement, car il suffirait à quelqu’un qui se trouve dans un cas de nécessité de [le] manger spirituellement, s’il ne pouvait [le] manger sacramentellement. Ainsi, il ne serait excusé de péché dans aucun cas.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 8

[14965] Super Sent., lib. 4 d. 8 q. 2 a. 4 qc. 3 expos. Post sacramentum Baptismi et confirmationis sequitur Eucharistiae sacramentum. Videtur quod male ordinet. Quia quod est per essentiam, prius est quam id quod est per participationem. In hoc autem sacramento continetur Christus per essentiam, in aliis vero per participationem suae virtutis. Ergo hoc sacramentum ante omnia alia determinare debuit. Praeterea, Dionysius aliter ordinat. Prius enim de Baptismo, et postea de Eucharistia, et postea de chrismate determinat. Ergo videtur quod Magister hic ordinem pervertat. Et dicendum ad primum, quod sacramenta sunt ordinata ad usum fidelium; unde ordo sacramentorum non attenditur secundum contentorum ordinem sed secundum quod veniunt in usum fidelium; et ideo Baptismus ante Eucharistiam ab omnibus ponitur. Ad secundum dicendum, quod Dionysius determinat de sacramentis secundum quod sunt actiones hierarchicae, ut supra, dist. 2, qu. 1, art. 2 in corp., dictum est; et ideo ordinem sacramentorum attendit, secundum quod per ea distinguuntur personae, ut in hierarchia et ordine. Et quia Eucharistia non importat aliquam distinctionem supra Baptismum, cum ex hoc ipso quod baptizatur aliquis, ad Eucharistiae perceptionem deputetur; confirmatio autem addit; ideo praemittit Eucharistiam confirmationi, sicut commune ad proprium. Magister autem determinat de sacramentis secundum quod sacramenta sunt medicinae quaedam sanctificantes; et ideo secundum ordinem sanctificationum ordinat sacramenta; et quia amplioris sanctificationis est Eucharistia quam confirmatio; ideo postremo de ea determinat. Intelligi datur antiquiora esse sacramenta Christianorum quam Judaeorum. Videtur hoc esse falsum: quia hoc sacramentum quo ad rem non fuit ante adventum Christi; quo ad speciem autem et ritum fuerunt sacrificia, quae erant sacramenta Judaeorum, etiam ante Melchisedech. Et dicendum, quod loquitur quantum ad figuram hujus sacramenti per similitudinem speciei et ritus. Sacramenta autem quae in lege naturae fiebant, non erant figurae sacramentorum veteris legis, sed magis passionis Christi. Consecratio quibus fit verbis ? et cetera. Videtur falsum esse quod dicit: quia non dicitur: accipite et edite, sed manducate; et praeterea hoc non est de forma, ut dictum est supra, qu. 2, art. 2. Item non dicitur: hic est sanguis meus, sed: hic est calix sanguinis mei. Et dicendum, quod Magister non intendit hic definite ponere verba quibus fit consecratio, sed explanare quod verbis domini fit; non tamen in omnibus verbis quae ipse ponit, nec eisdem numero, sed eisdem quo ad sensum. Per reliqua autem omnia quae dicuntur, laus Deo defertur. Sciendum, quod eorum quae in officio Missae dicuntur, quaedam dicuntur per sacerdotem, quaedam per ministros, quaedam a toto choro. Ea quidem quibus populus immediate ordinatur ad Deum, per sacerdotes tantum dicuntur, qui sunt mediatores inter populum et Deum; quorum quaedam dicuntur publice, spectantia ad totum populum, in cujus persona ipse solus ea Deo proponit, sicut orationes et gratiarum actiones; quaedam privatim, quae ad officium ipsius tantum spectant, ut consecrationes, et hujusmodi orationes quas ipse pro populo facit; tamen in persona populi orans etiam in omnibus praemittit: dominus vobiscum, ut mens populi Deo conjungatur ad ipsum per intentionem erecti. Et quia populus in his quae ad Deum sunt, sacerdotem ducem habet, ideo in fine cujuslibet orationis populus consentit respondens: amen; unde et omnis sacerdotis oratio alte terminatur, etiam si privatim fiat. Ad ea vero quae per ministerium aliorum divinitus sunt tradita, per ministros altaris populus ordinatur. Ea vero quae ad dispositionem populi pertinent, chorus prosequitur: quorum quaedam a sacerdote inchoantur, quae ad ea pertinent quae rationem humanam excedunt, quasi divinitus accepta: quaedam chorus per seipsum, quibus illa declarantur quae rationi sunt consona. Item quaedam pertinent ad populum ut praeparatoria ad divina percipienda; et haec a choro praemittuntur his quae a ministris et sacerdote dicuntur; quaedam vero ex perceptione divinorum in populo causata; et haec sequuntur. His ergo visis, sciendum est, quod quia omnis nostra operatio a Deo inchoata, circulariter in ipsum terminari debet; ideo Missae officium incipit ab oratione, et terminatur in gratiarum actione. Unde tres habet partes principales; scilicet principium orationis quod durat usque ad epistolam; medium celebrationem ipsam quae durat usque ad postcommunionem; et finem gratiarum actionis exinde usque in finem. Prima pars duo continet; scilicet populi praeparationem ad orationem, et ipsam orationem. Praeparatur autem populus ad orationem tripliciter. Primo per devotionem, quae excitatur in introitu; unde et sumitur ex aliquo pertinente ad solemnitatem, in cujus devotionem populus congregatur, et etiam adjungitur Psalmus. Secundo humilitatem, quae fit per kyrie eleison, quia misericordiam petens miseriam profitetur; et dicitur novies propter novem choros Angelorum, vel propter fidem Trinitatis, secundum quod quaelibet persona in se consideratur et in ordine ad alias. Tertio per rectam intentionem, quae ad caelestem patriam et gloriam dirigenda est, quae omnem rationem humanam excedit; et hoc fit per gloria in excelsis, quod chorus prosequitur sacerdote inchoante; et ideo non dicitur nisi in solemnitatibus quae nobis caelestem solemnitatem repraesentant; in officiis vero luctus omnino intermittitur. Deinde sequitur oratio ad Deum pro populo fusa, quam sacerdos publice proponit praemisso dominus vobiscum, quod sumitur de Ruth 2. Pontifex autem dicit: pax vobis, gerens typum Christi qui his verbis discipulos post resurrectionem allocutus est, Joan. 20. Secunda autem pars principalis tres partes continet. Prima est populi instructio usque ad offertorium; secunda, materiae oblatio usque ad praefationem; tertia, sacramenti consummatio usque ad post communionem. Instructio autem populi fit per verbum Dei, quod quidem a Deo per ministros suos ad populum pervenit; et ideo ea quae ad instructionem plebis pertinent, non dicuntur a sacerdote, sed a ministris. Ministerium autem verbi Dei est triplex. Primum auctoritatis, quod competit Christo qui dicitur minister, Rom. 15, de quo dicitur Matth. 7, 29: erat autem in potestate docens. Secundum manifestae veritatis quae competit praedicatoribus novi testamenti, de quo dicitur 2 Corinth. 3, 6: qui et idoneos nos fecit ministros et cetera. Tertium figurationis, quod competit praedicatoribus veteris testamenti; et ideo doctrinam Christi proponit diaconus. Et quia Christus non solum est homo, sed Deus; ideo diaconus praemittit: dominus vobiscum, ut ad Christum quasi ad Deum homines attentos faciat. Doctrina vero praedicatorum novi testamenti proponitur per subdiaconos. Nec obstat quod aliquando ab eis legitur loco epistolae aliquid de veteri testamento, quia praedicatores novi testamenti etiam vetus praedicant. Doctrina vero praedicatorum veteris testamenti per inferiores ministros legitur non semper, sed illis diebus quibus praecipue configuratio novi et veteris testamenti designatur, ut in jejuniis quatuor temporum, et quando aliqua celebrantur quae in veteri lege figurata sunt, sicut passio, nativitas, Baptismus, et aliquod hujusmodi. Et quia utraque doctrina ordinat ad Christum, et eorum qui praeibant, et eorum qui sequebantur; ideo doctrina Christi postponitur quasi finis. Ex doctrina autem ordinante ad Christum duplex effectus populo provenit, quibus etiam homo praeparatur ad doctrinam Christi: scilicet profectus virtutum, qui per graduale insinuatur: dicitur enim a gradu quo ascenditur de virtute in virtutem, vel a gradibus altaris ante quos dicitur; et exultatio habita de aeternorum spe, quod insinuat alleluja; unde et replicatur propter stolam animae et corporis. In diebus vero et officiis luctus intermittitur, et loco ejus, tractus ponitur, qui asperitate vocum et prolixitate verborum praesentis miseriae incolatum insinuat. Tempore autem resurrectionis duplex alleluja dicitur propter gaudium resurrectionis capitis, et membrorum. Effectus autem evangelicae doctrinae est fidei confessio; quae quia supra rationem est, a sacerdote inchoatur symbolum fidei et chorus prosequitur, nec dicitur nisi in illis solemnitatibus de quibus fit mentio in symbolo, sicut de nativitate, resurrectione, de apostolis, qui fidei fundatores extiterunt, ut 1 Corinth. 3, 10: ut sapiens architectus fundamentum posui. Deinde sequitur secunda pars partis secundae principalis quae pertinet ad materiae consecrandae oblationem; et haec tria continet. Praemittitur enim offerentium exultatio, quasi praeparatoria, in offertorio, quia hilarem datorem diligit Deus, 2 Corinth. 9, 7: exprimitur ipsa oblatio dum dicitur: suscipe sancta Trinitas: petitur oblationis acceptatio per orationes secreto dictas, quia hoc sacerdotis tantum est Deum oblationibus placare: ad quam orationem sacerdos per humilitatem se praeparat dicens: in spiritu humilitatis et in animo contrito suscipiamur a te domine. Et quia haec tria praedicta exigunt mentis erectionem ad Deum, ideo omnibus tribus praemittitur: dominus vobiscum, loco cujus quando oratio secreta facienda est, dicitur: orate fratres. Tertia pars secundae principalis partis, quae ad sacramenti perceptionem pertinet, tria continet. Primo praeparationem; secundo sacramenti perfectionem, ibi: te igitur etc., tertio sacramenti susceptionem, ibi: oremus. Praeceptis salutaribus moniti, et divina institutione formati audemus dicere. Praeparatio autem populi et ministrorum et sacerdotis ad tantum sacramentum fit per devotam Dei laudem; unde in praefatione, in qua fit dicta praeparatio, tria continentur. Primo populi excitatio ad laudem, ubi sacerdos praemisso dominus vobiscum, quod ad totam hanc tertiam partem referendum est, inducit ad mentis erectionem, dicens: sursum corda, et ad gratiarum actionem, dicens: gratias agamus domino Deo nostro. Secundo Deum implorat ad laudem suscipiendum, ostendens laudis debitum, dicens: vere dignum, ratione dominii (unde subdit: domine sancte); justum ratione paternitatis (unde subdit: pater omnipotens); aequum, ratione deitatis (unde subdit: aeterne Deus); salutare, ratione redemptionis (unde subdit: per Christum dominum nostrum). Quandoque vero adjungitur aliqua alia laudis materia secundum congruentiam solemnitatis, sicut: et te in assumptione beatae Mariae semper virginis collaudare; etiam proponens laudis exemplum: per quem majestatem tuam laudant Angeli. Tertio populus laudes exsolvit divinitatis, assumens Angelorum verba: sanctus, sanctus, sanctus dominus Deus exercituum, Isa. 6, 3, et humanitatis Christi, assumens verba puerorum, Matth. 21, 10: benedictus qui venit in nomine domini. Illa autem pars quae perfectionem sacramenti continet, in tres dividitur, secundum tria quae sunt de integritate hujus sacramenti: scilicet aliquid quod est sacramentum tantum; aliquid quod est res et sacramentum; aliquid quod est res tantum. In prima igitur parte continetur benedictio oblatae materiae, quae est tantum sacramentum; in secunda corporis et sanguinis Christi consecratio, quod est res et sacramentum, ibi: quam oblationem; in tertia, effectus sacramenti postulatio quod est res tantum, ibi: supra quae propitio ac sereno vultu respicere digneris. Circa primum duo facit sacerdos: primo petit oblationis benedictionem, quae dicitur donum a Deo nobis datum, munus Deo a nobis oblatum, sacrificium ad nostram salutem a Deo sanctificatum; secundo petit offerentibus, sive pro quibus offertur, salutem, ibi: in primis quae tibi offerimus et cetera. Ubi tria facit: primo commemorat eos pro quorum utilitate offertur hostia tam quantum ad generalem statum Ecclesiae, quam quantum ad personas speciales, ibi: memento; secundo commemorat eos in quorum offertur reverentia, ibi: communicantes; et ponitur virgo quae Christum in templo obtulit, apostoli qui ritum offerendi nobis tradiderunt, et martyres qui seipsos Deo obtulerunt, non autem confessores, quia de iis antiquitus non solemnizabat Ecclesia, vel quia non sunt passi sicut Christus, cujus passionis memoriale est hoc sacramentum: tertio concluditur expresse quid per oblationem hostiae impetrandum petatur, ibi: hanc igitur oblationem et cetera. Quam oblationem et cetera. Haec pars ad consecrationem pertinet, quae tria continet: primo imploratur consecrantis virtus; secundo perficitur consecratio, ibi: qui pridie quam pateretur, accepit panem; tertio exponitur rei consecratae commemoratio, ibi: unde et memores et cetera. Verba autem illa quae ibi dicuntur: benedictam, adscriptam, ratam, rationabilem, acceptabilemque, possunt referri uno modo ad hoc quod est res contenta in hoc sacramento, scilicet Christum, qui est hostia benedicta ab omni macula peccati immunis; adscripta, idest praefigurata figuris veteris testamenti, et praedestinatione divina praeordinata; rata, quia non transitoria; rationabilis, propter congruitatem ad placandum; acceptabilis, propter efficaciam. Alio modo possunt referri ad ipsam hostiam, quae est sacramentum tantum; quam petit fieri benedictam, ut Deus eam consecret, et ut confirmet quantum ad memoriam; adscriptam, quantum ad propositum immobile; ratam, ut ante acceptet; rationabilem, quantum ad judicium rationis; acceptabilem, quantum ad beneplacitum voluntatis. Tertio modo possunt referri ad effectum; unde dicit, benedictam, per quam benedicimur; adscriptam, per quam in caelis ascribamur; ratam, per quam in membris Christi censeamur; rationabilem, per quam a bestiali sensu eruamur; acceptabilem, per quam Deo accepti simus. Supra quae propitio ac sereno vultu respicere digneris. Hic petit sacerdos sacramenti effectum; et primo effectum gratiae; secundo effectum gloriae, ibi: memento etiam domine famulorum famularumque tuarum. Circa primum duo facit: primo petit acceptari sacramentum, quod est gratiae causa; secundo petit dari gratiae donum, ibi: supplices te rogamus; cujus expositio infra, dist. 33, ponetur. Effectum autem gloriae primo petit jam mortuis, ibi, memento, secundo adhuc vivis, ibi: nobis quoque peccatoribus. Completur autem canon Missae more aliarum orationum in Christo, ibi: per Christum dominum nostrum, per quem hoc sacramentum originem habet et quantum ad substantiam; unde dicit, creas propter esse naturae; sanctificas, propter esse sacramenti: et quantum ad virtutem; unde dicit, vivificas, propter effectum gratiae, quae est vita animae; benedicis, propter gratiae augmentum; et quantum ad operationem, sive usum; unde dicit: et praestas nobis. Oremus. Praeceptis salutaribus moniti, et divina institutione formati audemus dicere. Hic ponitur sacramenti perceptio, ad quam praemittitur praeparatio communis et specialis. Communis triplex: primo enim ponitur sacramenti petitio in oratione dominica, in qua dicitur: panem nostrum quotidianum da nobis hodie; secundo percipientium expiatio per orationem sacerdotis: libera nos; tertio pacis adimpletio, ibi: pax domini. Hoc enim sacramentum est sanctitatis et pacis; et quia pax Christi exsuperat omnem sensum, ideo pacis petitio a sacerdote inchoatur, cum dicit pax domini, et a choro completur, cum dicitur, agnus Dei; et sic tria a sacerdote incepta prosequitur, scilicet, gloria in excelsis, quod pertinet ad spem; credo in unum Deum, quod pertinet ad fidem; pax domini, quod pertinet ad caritatem. Petit autem populus misericordiam quantum ad amotionem mali contra miseriam culpae et poenae, et pacem quantum ad consecutionem omnis boni; unde ter agnus Dei, dicitur. Praeparatio autem specialis sacerdotis sumentis fit per orationes quas privatim dicit, domine Jesu Christe, et si quae aliae sunt. Tertia pars principalis est gratiarum actionis; et continet duo: rememorationem accepti beneficii in cantu antiphonae post communionem, et gratiarum actionem in oratione, quam sacerdos prosequitur, ut conformiter finis Missae principio respondeat. Sciendum autem, quod in officio Missae, ubi passio repraesentatur, quaedam continentur verba Graeca, sicut, kyrie eleison, idest domine miserere: quaedam Hebraica, sicut alleluja, idest laudate Deum; Sabaoth, idest exercituum; hosanna, salva obsecro; amen, idest vere, vel fiat: quaedam Latina, quae patent: quia his tribus linguis scriptus est titulus crucis Christi, Joan. 19

 

 

 

Distinctio 9

Distinction 9 – [L’usage de l’eucharistie]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [L’usage de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[14966] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramento Eucharistiae secundum se, hic determinat de usu ipsius; et dividitur in partes tres: in prima distinguit duos modos manducandi corpus Christi; in secunda excludit ex determinatis quemdam errorem, ibi: haec verba et alia hujusmodi (...) quidam obtuso corde legentes, erroris caligine involuti sunt; in tertia manifestat quaedam dubia ex praedeterminatis, ibi: secundum hos duos modos sumendi intelligentia quorumdam verborum ambigue dictorum distinguenda est. Secunda dividitur in duas: in prima ponit errorem; in secunda excludit ipsum, ibi: sed indubitanter tenendum est, a bonis sumi non modo sacramentaliter, sed et spiritualiter. Hic quaeruntur quinque: 1 de manducatione corporis Christi; 2 qui possint manducare; 3 utrum peccatoribus liceat corpus Christi manducare; 4 utrum corporaliter pollutis; 5 utrum cuilibet sit dandum ad manducandum.

Après avoir déterminé à propos du sacrement de l’eucharistie en lui-même, le Maître détermine ici à propos de son usage. Il y a trois parties. Dans la première, il distingue deux manières de manger le corps du Christ; dans la deuxième, il écarte une erreur à partir de ce qui a été déterminé, à cet endroit: «En lisant ces paroles et d’autres semblables... avec un cœur obtus, ils ont été enveloppés par les ténèbres»; dans la troisième, il clarifie certains doutes issus de ce qui a été déterminé, à cet endroit: «Selon eux, il faut distinguer deux façons de comprendre certaines expressions ambiguës dans ce qui a été dit.» La deuxième partie est divisée en deux: dans la première, il présente l’erreur; dans la seconde, il l’écarte, à cet endroit: «Mais il faut indubitablement tenir que [l’eucharistie] est reçue par les bons, non seulement sacramentellement, mais aussi spirituellement.» Ici, cinq questions sont posées: 1 – À propos de la manducation du corps du Christ. 2 – Ceux qui peuvent le manger. 3 – Est-il permis aux pécheurs de manger le corps du Christ ? 4 – Est-ce que cela est permis à ceux qui ont éprouvé une pollution [nocturne] ? 5 – Faut-il le donner à manger à n’importe qui ?

 

 

Articulus 1 [14967] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 tit. Utrum corpus Christi debeat sumi per modum manducationis

Article 1 – Le corps du Christ doit-il être pris sous forme de manducation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le corps du Christ doit-il être pris sous forme de manducation ?]

 

[14968] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod corpus Christi non debeat sumi per modum manducationis. Quia quod manducatur, per os intrat. Omne autem quod per os intrat, in ventrem vadit, et per secessum emittitur, ut dicitur Matth. 15; quod dignitati corporis Christi non competit. Ergo non debet per modum manducationis sumi.

1. Il semble que le corps du Christ ne doive pas être pris sous forme de manducation, car ce qui est mangé entre par la bouche. Or, tout ce qui entre par la bouche va dans le ventre et en est rejeté, comme il est dit en Mt 15, ce qui ne convient pas au corps du Christ. Il ne doit donc pas être pris sous forme de maducation.

[14969] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod manducatur, ad manducantem trahitur. Sed, sicut dicit Dionysius, nos non trahimus Deum ad nos, sed magis nos in Deum. Ergo non debemus nos Deo conjungi per modum manducationis.

2. Ce qui est mangé est transformé en celui qui mange. Or, comme le dit Denys, nous ne transformons pas Dieu en nous, mais nous en Dieu. Nous ne devons donc pas être unis à Dieu par mode de manducation.

[14970] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum ordinatur ad refectionem mentis. Sed refectio mentis, quae erit in patria, erit per visionem. Ergo corpus Christi deberet dari videndum, non manducandum.

3. Ce sacrement est ordonné à la réfection de l’esprit. Or, la réfection de l’esprit, qui se réalisera dans la patrie, se fera par la vision. Le corps du Christ devrait donc être donné à voir, et non à manger.

[14971] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, est quod dicitur Joan. 6, 56: caro mea vere est cibus. Sed usus cibi non est ut videatur, sed ut manducetur. Ergo non debet videri tantum corpus Christi, sed manducari.

Cependant, [1] il est dit en Jn 6, 56 : Ma chair est vraiment une nourriture. Or, l’usage de la nourriture ne consiste pas en ce qu’elle soit regardée, mais en ce qu’elle soit mangée. Le corps du Christ ne doit pas seulement être vu, mais mangé.

[14972] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, oportet membra capiti realiter conjungi, ad hoc quod vivificentur. Sed per visum non conjungitur nobis aliquid realiter, sed secundum similitudinem tantum. Ergo non per visum, sed per manducationem corpus Christi sumi debet.

[2] Il est nécessaire que les membres soient réellement unis à la tête pour qu’ils soient vivifiés. Or, quelque chose ne nous est pas réellement uni par la vue, mais seulement selon une similitude. Le corps du Christ doit donc être pris, non pas par la vision, mais par la manducation.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La manducation du corps du Christ est-elle nécessaire au salut ?]

[14973] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod manducatio corporis Christi sit de necessitate salutis. Sicut enim dicitur de Baptismo, Joan. 3, 5: nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto, non potest intrare in regnum caelorum; ita dictum est Joan. 6, 54: nisi manducaveritis carnem filii hominis, et biberitis ejus sanguinem, non habebitis vitam in vobis. Sed propter verba praedicta dicitur Baptismus sacramentum necessitatis. Ergo eadem ratione manducatio corporis Christi est de necessitate salutis.

1. Il semble que la manducation du corps du Christ soit nécessaire au salut. En effet, de même qu’il est dit en Jn 3, 5, à propos du baptême : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, il ne peut entrer dans le royaume des cieux, de même est-il en Jn 6, 54 : Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Or, le baptême est appelé un sacrement nécessaire en raison de paroles memntionnées plus haut. Pour la même raison, la manducation du corps du Christ est-elle donc nécessaire au salut.

[14974] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Innocentius III dicit, quod manducandus est agnus, ut a vastante Angelo protegamur. Sed protegi a vastante Angelo est de necessitate salutis. Ergo et praedicta manducatio.

2. Innocent III dit que l’Agneau doit être mangé pour que nous soyons protégés de l’ange exterminateur. Or, il est nécessaire au salut d’être protégé de l’ange exterminateur. Il en va donc de même pour la manducation évoquée.

[14975] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per istam manducationem Christo incorporamur. Sed hoc est de necessitate salutis, sicut et a peccato mundari. Ergo praedicta manducatio est de necessitate salutis, sicut et poenitentia et Baptismus, quibus a peccatis mundamur.

3. Nous sommes incorporés au Christ par cette manducation. Or, cela est nécessaire au salut, comme d’être purifié du péché. La manducation évoquée est donc nécessaire au salut, comme le sont la pénitence et le baptême, par lesquels nous sommes purifiés des péchés.

[14976] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, pueri baptizati salutem consequuntur, cum gratia in Baptismo detur. Sed eis non datur corpus Christi manducandum. Ergo manducatio praedicta non est de necessitate salutis.

Cependant, [1] les enfants baptisés obtiennent le salut, puisque la grâce est donnée par le baptême. Or, on ne leur donne pas le corps du Christ à manger. La manducation évoquée n’est donc pas nécessaire au salut.

[14977] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea Baptismi ministerium propter hoc quod est de necessitate salutis, omnibus est concessum in casu necessitatis. Sed hoc sacramentum per solos sacerdotes perfici potest. Ergo non est sacramentum necessitatis.

[2] Le ministère du baptême a été concédé à tous en cas de nécessité parce que celui-ci est nécessaire au salut. Or, ce sacrement ne peut être réalisé que par les prêtres. Il n’est donc pas nécessaire au salut.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le texte distingue-t-il correctement deux manières de le manger ?]

[14978] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod male distinguantur duo modi manducationis in littera. Corpus enim Christi est cibus spiritualis. Sed cibi corporalis manducatio semper est corporalis. Ergo et hujus cibi manducatio semper est spiritualis; et ita non sunt duo modi manducationis.

1. Il semble que, dans le texte, on fasse une mauvaise distinction entre deux manières de manger [le corps du Christ]. En effet, le corps du Christ est une nourriture spirituelle. Or, la manducation du corps du Christ est toujours corporelle. La manducation de celui-ci est donc toujours spirituelle, et ainsi il n’y a pas deux manières de [le] manger.

[14979] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in aliis sacramentis non attenditur aliqua distinctio nisi ex parte recipientis tantum, sicut quod quidam accedunt ficti, quidam non. Sed haec distinctio videtur esse ex parte ipsius sacramenti. Ergo inconvenienter ponitur.

2. Dans les autres sacrements, on ne fait une distinction que du point de vue de celui qui reçoit; ainsi, certains s’en approchent par feinte, d’autres non. Or, la distinction présente semble être faite du point de vue du sacrement lui-même. [Une telle distinction] est donc présentée de manière inappropriée.

[14980] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ubi unum propter alterum, ibi unum tantum. Sed manducatio sacramentalis est propter spiritualem. Ergo una non debet contra aliam distingui.

3. Là où une chose existe pour une autre, il n’y a qu’une seule chose. Or, la manducation sacramentelle existe en vue de la manducation spirituelle. L’une ne doit donc pas être distinguée de l’autre.

[14981] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod sint plures modi. Quia usus hujus sacramenti dicitur manducatio. Sed in hoc sacramento sunt tria; scilicet id quod est sacramentum tantum, id quod est res et sacramentum, et id quod est res tantum. Ergo debent esse tres modi manducationis.

Cependant, [1] il semble y avoir plusieurs manières [de le manger], car l’usage de ce sacrement porte le nom de manducation. Or, dans ce sacrement, il y a trois choses : ce qui est sacrement seulement, ce qui est réalité et sacrement et ce qui est réalité seulement. Il doit donc y avoir trois manières de le manger.

[14982] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in Baptismo etiam fit trimembris divisio suscipientium: quidam enim suscipiunt rem et sacramentum; quidam sacramentum et non rem; quidam rem, et non sacramentum. Sed susceptio hujus sacramenti dicitur manducatio. Ergo hic etiam debet distingui triplex modus manducandi.

[2] De plus, dans le baptême, on répartit ceux qui le reçoivent en trois : certains reçoivent la réalité et le sacrement; certains [reçoivent] le sacrement, mais non la réalité; certains [reçoivent] la réalité, mais non le sacrement. Or, la réception de ce sacrement s’appelle une manducation. Il faut donc distinguer aussi ici un triple mode de manducation.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[14983] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dictum est, ad perfectionem sacramentorum novae legis exigitur quod sit sacramentum aliquod in quo Christus nobis realiter conjungatur et uniatur, non solum per participationem virtutis ejus, sicut est in aliis sacramentis; et quia sacramentum est sensibile signum, ideo oportet quod alicui sensui usus sacramenti approprietur. In sensibilibus autem est triplex differentia. Quaedam enim sentientibus neque conjunguntur neque uniuntur, sicut ea quae sentiuntur per medium extrinsecum, ut in visu praecipue accidit et auditu et olfactu, sed solum similitudines sensibilium ad sensum referuntur. Quaedam autem sensibilia conjunguntur quidem, sed non uniuntur realiter, sed secundum assimilationem qualitatis tantum, sicut accidit in tactu: quia qualitates tangibilium immutant tactum; nec tamen ex tangente et tacto fit unum nisi secundum quid. Quaedam autem et conjunguntur et uniuntur, sicut accidit in cibis et potibus. Et ideo sumptio hujus sacramenti congrue per modum manducationis fit. Alia vero sacramenta novae legis, quibus per virtutem eis inditam Christo assimilamur, fiunt in tangendo tantum, ut Baptismus. Figurae autem veteris testamenti quae solam similitudinem Christi venturi habebant, significabant per modum visionis. Competit etiam manducatio passioni Christi in hoc sacramento repraesentatae, per quam corpus Christi vulneratum fuit; convenit etiam effectui, qui est robur animae.

Comme on l’a dit, il est nécessaire à la perfection des sacrements de la loi nouvelle qu’il y ait un sacrement par lequel le Christ nous est réellement lié et uni, et non seulement par la participation à sa puissance, comme dans les autres sacrements. Et parce que le sacrement est un signe sensible, il faut donc que l’usage du sacrement soit approprié à un sens. Or, parmi les choses sensibles, il y a une triple différence. En effet, certaines ne sont ni liées ni unies à ceux qui sentent, comme ce qui est senti par un intermédiaire extérieur, ainsi que cela se produit principalement dans la vision, l’audition et l’odorat, mais seules des similitudes des choses sensibles sont mises en rapport avec le sens. Mais certaines choses sensibles sont liées, mais ne sont pas unies réellement : elles le sont seulement par l’assimilation d’une qualité, comme cela se produit dans le toucher, car les qualités des réalités tangibles modifient le sens ; cependant, celui qui touche et la chose tangible ne deviennent un que de manière relative. Mais certaines choses [sensibles] sont liées et unies, comme cela se produit pour la nourriture et le breuvage. C’est pourquoi la réception de ce sacrement se réalise de manière appropriée par la manducation. Mais les autres sacrements de la loi nouvelle, auxquels nous sommes assimilés par la puissance du Christ qui existe en eux, s’accomplissent seulement par le toucher, comme c’est le cas pour le baptême. Or, les figures de l’Ancien Testament, qui n’avaient qu’une ressemblance avec le Christ qui devait venir, signifiaient par mode de vision. La manducation convient aussi à la passion du Christ représentée dans ce sacrement, par laquelle le corps du Christ a été blessé. Elle convient aussi à son effet, qui est la force de l’âme.

[14984] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de cibo qui ordinatur ad refectionem corporis quem oportet digeri, et sic impuro separato in membra converti; sed cibus iste ordinatur ad refectionem mentis: et propter hoc ratio non sequitur.

1. Cet argument provient de la nourriture qui est ordonnée à la réfection du corps qui doit être digérée, et doit ainsi être convertie dans les membres, une fois séparé ce qui est impur. Mais la nourriture [qu’est l’eucharistie] est ordonnée à la réfection de l’esprit. Pour cette raison, le raisonnement ne tient pas.

[14985] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de ratione manducationis est quod aliquid per os introrsum sumatur; sed esse in aliter in spiritualibus, et aliter in corporalibus sumitur: quia in corporalibus quod est in, continetur sicut locatum in loco; in spiritualibus autem quod est in continet sicut anima corpus. Et ideo convenienter cibus corporis trahitur ad corpus, ut contentum ad continens: cibus autem mentis trahit ad se mentem, ut continens contentum: propter quod Augustinus dicit sibi dictum: non tu me mutabis in te, sicut cibum carnis tuae; sed tu mutaberis in me.

2. Il est de la nature de la manducation que quelque chose soit introduit à l’intérieur par la bouche. Mais on entend l’être d’une autre manière pour les réalités spirituelles et pour les réalités corporelles, car, pour les réalités corporelles, ce qui est à l’intérieur est contenu dans un lieu comme ce qui est localisé ; mais, pour les réalités spirituelles, ce qui est à l’intérieur contient, comme c’est le cas de l’âme pour le corps. C’est pourquoi la nourriture corporelle est attirée vers le corps, comme le contenu par le contenant ; mais la nourriture de l’esprit attire à soi l’esprit, en tant qu’elle contient ce qui est contenu. C’est pourquoi Augustin rappelle ce qui lui a été dit : «Tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair, mais tu seras changé en moi.»

[14986] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod res visa beatificans per essentiam suam videnti conjungetur in patria; quod quidem non accidit in visione corporali. Et quia oportebat hanc conjunctionem significari per aliquod sensibile signum, oportuit illud sensibile ad hoc assumi quod realiter conjungatur et uniatur. In patria autem signis sacramentalibus opus non erit; nihilominus propter similitudinem ad ea quae nunc geruntur, frequenter illa beata visio nobis per figuram manducationis in Scriptura exprimitur.

3. La réalité vue qui donnera la béatitude par son essence à celui qui voit sera unie dans la patrie, ce qui ne se produit pas dans la vision corporelle. Et parce qu’il était nécessaire que cette union soit signifiée par un signe sensible, il fallait que cette réalité sensible soit tirée ce qui est réellement lié et uni. Or, dans la patrie, on n’aura pas besoin de signes sacramentels. Néanmoins, en raison d’une ressemblance avec ce qui se réalise maintenant, cette vision bienheureuse est souvent exprimée pour nous dans l’Écriture par la figure de la manducation.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[14987] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod gratia est sufficiens causa gloriae; unde omne illud sine quo potest haberi gratia, non est de necessitate salutis. Hoc autem sacramentum gratiam praesupponit, quia praesupponit Baptismum, in quo gratia datur: nec debet peccato praeveniri, quod gratiam privet; et ideo quantum est de se, non est de necessitate salutis. Sed de ordinatione Ecclesiae homines obligantur secundum Ecclesiae statutum corpus Christi semel in anno sumere.

La grâce est une cause suffisante de la gloire. Aussi tout ce sans quoi la grâce peut être obtenue n’est pas nécessaire au salut. Or, ce sacrement présuppose la grâce, car il présuppose le baptême, par lequel la grâce est donnée, et il ne doit pas être précédé par le péché qui prive de la grâce. C’est pourquoi il n’est pas de soi nécessaire au salut. Mais, par une disposition de l’Église, les hommes sont obligés de recevoir le corps du Christ une fois l’an, conformément à une décision de l’Église.

[14988] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus loquitur de manducatione spirituali sine qua non potest esse salus.

1. Le Seigneur parle de la manducation spirituelle, sans laquelle il ne peut y avoir de salut.

[14989] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Innocentius loquitur quantum ad instructionem Ecclesiae, vel etiam quantum ad manducationem spiritualem.

2. Innocent parle selon l’enseignement de l’Église ou encore, selon la manducation spirituelle.

[14990] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod incorporatio spiritualis ad Christum potest esse sine manducatione sacramentali; et ideo non oportet quod sit sacramenti susceptio de necessitate salutis.

3. L’incorporation spirituelle au Christ peut exister sans la manducation sacramentelle. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la réception du sacrement soit nécessaire au salut.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[14991] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod divisio formalis alicujus sumitur penes id quod competit ei per se, et non per accidens. Usus autem alicujus rei per se et non per accidens, est quando utitur quis re aliqua ad hoc ad quod instituta est. Unde cum manducatio dicat usum hujus sacramenti, quod quidem ad hoc institutum est ut quis re sacramenti potiatur; distinguetur manducatio secundum duas res hujus sacramenti: ut manducatio sacramentalis respondeat ei quod est res et sacramentum; manducatio vero spiritualis ei quod est res tantum.

La division formelle d’une chose se fait selon ce qui lui convient par soi, et non par accident. Or, l’usage d’une chose par soi, et non par accident, survient lorsque quelqu’un utilise une chose selon la raison pour laquelle elle a été instituée. Ainsi, puisque la manducation exprime l’usage de ce sacrement, qui a été institué pour que l’on jouisse de la réalité du sacrement, la manducation sera distinguée selon les deux réalités de ce sacrement : selon que la manducation sacramentelle correspond à ce qui est réalité et sacrement, et selon que la manducation spirituelle correspond à ce qui est réalité seulement.

[14992] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod manducatio cibi corporalis non praesupponit aliam manducationem quae sit ejus causa sicut manducatio spiritualis praesupponit sacramentalem quasi causam. Unde in his qui sacramentaliter manducant, potest ex defectu manducantium impediri effectus sacramenti, qui est spiritualis manducatio; et ideo possunt haec manducationes ab invicem separari, et propter hoc oportet eas distinguere.

1. La manducation d’une nourriture corporelle ne présuppose pas une autre manducation qui serait sa cause, comme la manducation spirituelle présuppose la [manducation] spirituelle comme cause. Aussi chez ceux qui mangent sacramentellement, l’effet du sacrement, qui est la manducation spirituelle, peut-il être empêché par une carence de ceux qui mangent. C’est pourquoi ces manducations peuvent être séparées l’une de l’autre et il faut, pour cette raison, les distinguer.

 [14993] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio aliorum sacramentorum in ipso usu consistit; et ideo eorum distinctio non potest nisi ex parte recipientium sumi: sed perfectio hujus sacramenti in ipsa materiae consecratione consistit; et ideo potest esse hic distinctio ex parte ipsius sacramenti.

2. La perfection des autres sacrements consiste dans leur usage. C’est pourquoi leur distinction ne peut être prise que du point de vue de ceux qui les reçoivent. Mais la perfection du sacrement [de l’eucharistie] consiste dans la consécration même de la matière. C’est pourquoi il peut exister ici une distinction du point de vue du sacrement lui-même.

[14994] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum illud intelligitur in his quae hoc modo ad se invicem ordinantur quod ab invicem separari non possunt; sicut quando talis effectus nunquam potest esse sine tali causa, nec e converso; et tunc etiam non excluditur diversitas rerum inter causam et causatum, sed ponitur necessitas ordinis.

3. Cette parole s’entend des choses qui sont ordonnées les unes aux autres de telle manière qu’elles ne peuvent être séparées, comme lorsque tel effet ne peut jamais exister sans telle cause, ni inversement. Et alors, la diversité entre des choses selon la cause et ce qui est causé n’est pas exclue, mais la nécessité d’un ordre est affirmée.

[14995] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod est hic res et sacramentum, nunquam separatur ab eo quod est sacramentum tantum; et si separaretur usus ejus quod est sacramentum tantum, esset accidentalis usus; et ideo penes hoc non debet sumi aliquis modus manducationis specialis.

4. Ce qui est ici la réalité et le sacrement n’est jamais séparé de ce qui est le sacrement seulement. Et si son usage, qui est le sacrement seulement, était séparé, ce serait un usage accidentel. C’est pourquoi il ne faut pas considérer un mode spécial de manducation d’après cela.

[14996] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hic etiam posset fieri talis distinctio. In quibusdam enim conjunguntur duae manducationes, et hi suscipiunt rem et sacramentum; et in quibusdam separantur, et hi suscipiunt vel rem tantum, vel sacramentum tantum. Sed quia haec divisio magis se tenet ex parte suscipientium quam ex parte sacramenti; ideo non est propria huic sacramento sicut Baptismo.

5. Ici aussi, on peut faire une telle distinction. En effet, chez certains, les deux manducations sont liées, et ceux-ci reçoivent la réalité et le sacrement. Chez certains, elles sont séparées, et ceux-ci reçoivent soit la réalité seulement, soit le sacrement sulement. Mais parce que cette division est prise plutôt du point de vue de ceux qui reçoivent [le sacrement] que du point de vue du sacrement, elle n’est donc pas propre à ce sacrement, comme elle l’est pour le baptême.

 

 

Articulus 2 [14997] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 tit. Utrum peccator manducet corpus Christi sacramentaliter

Article 2 – Est-ce qu’un pécheur mange le corps du Christ sacramentellement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un pécheur mange-t-il le corps du Christ sacramentellement ?]

[14998] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccator non manducet corpus Christi sacramentaliter. Quia, ut dicitur Sap. 1, 4, in malevolam animam non introibit sapientia, nec habitabit in corpore subdito peccatis. Sed Christus, qui est res contenta in hoc sacramento, est Dei sapientia, ut habetur 1 Corinth. 1. Ergo a peccatore sumi non potest.

1. Il semble qu’un pécheur ne mange pas le corps du Christ sacramentellement, car, comme le dit Sg 1, 4 : La sagesse n’entrera pas dans une âme mal disposée, et elle n’habitera pas dans un corps soumis aux péchés. Or, le Christ, qui est la réalité contenue dans ce sacrement, est la Sagesse de Dieu, comme on le lit dans 1 Co 1. Il ne peut donc être pris par un pécheur.

[14999] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cibus iste non vadit in ventrem, sed in mentem. Non autem vadit in mentem peccatoris. Ergo nullo modo corpus Christi sumit.

2. Cette nourriture ne va pas dans le ventre, mais dans l’esprit. Or, elle ne va pas dans l’esprit du pécheur. Celui-ci ne prend donc d’aucune manière le corps du Christ.

[15000] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nihil indecens debet fieri a sapiente. Sed hoc est valde indecens quod corpus tam pretiosum in immundo corpore ponatur. Ergo cum corpus peccatoris sit immundum, non recipiet verum corpus Christi.

3. Rien d’inapproprié ne doit être fait par le sage. Or, il est très inconvenant qu’un corps si précieux soit placé dans un corps impur. Puisque le corps du pécheur est impur, il ne recevra donc pas le corps véritable du Christ.

[15001] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, majus videtur consecrare corpus Christi quam sumere. Sed peccator potest consecrare. Ergo et sumere.

Cependant, [1] il semble plus grand de consacrer le corps du Christ que de le recevoir. Or, un pécheur peut consacrer [le corps du Christ]. Il peut donc le recevoir.

[15002] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Christi corpus non est magis nobile sub sacramento quam in specie propria. Sed in specie propria permisit se a peccatoribus tractari. Ergo et sub specie sacramenti a peccatoribus manducari potest.

[2] Le corps du Christ n’est pas plus noble dans le sacrement que sous sa propre espèce. Or, sous sa propre espèce, il a permis que des pécheurs le touchent. Il peut donc être mangé par des pécheurs sous l’espèce du sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-ce que les infidèles mangent sacramentellement ?]

[15003] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod infideles sacramentaliter comedant. Quia, sicut dicit Hugo de s. Victore, quamdiu sensus corporalis afficitur, praesentia carnis non tollitur. Sed sensus corporalis infidelis afficitur. Ergo praesentiam corporalem carnis Christi non amittit.

1. Il semble que les infidèles mangent sacramentellement, car, comme le dit Hugues de Saint-Victor, aussi longtemps que le sens corporel est affecté, la présence de la chair n’est pas enlevée. Or, le sens corporel de l’infidèle est affecté. Il ne perd donc pas la présence corporelle de la chair du Christ.

[15004] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, infidelis potest recipere characterem, qui est res et sacramentum, in Baptismo. Sed fides operatur in Baptismo sicut in Eucharistia. Ergo et corpus Christi sacramentaliter potest manducare.

2. L’infidèle peut recevoir le caractère, qui est réalité et sacrement dans le baptême. Or, la foi agit dans le baptême comme dans l’eucharistie. [L’infidèle] peut donc manger sacramentellement le corps du Christ.

[15005] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, plus est conficere corpus Christi quam sumere. Sed haereticus habens ordinem potest conficere, ut infra dicetur. Ergo et potest sacramentaliter manducare.

3. Réaliser le corps du Christ est plus que de le recevoir. Or, un hérétique ordonné peut le réaliser, comme on le dira plus loin. Il peut donc le manger sacramentellement.

[15006] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in forma hujus sacramenti ponitur mysterium fidei. Ergo hi qui fide carent, sacramentaliter manducare non possunt.

Cependant, [1] on parle de «mystère de la foi» dans la forme de ce sacrement. Ceux qui n’ont pas la foi ne peuvent donc pas manger [le corps du Christ] sacramentellement.

[15007] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, de ratione sacramenti est quod significet et efficiat. Sed in eo qui non habet fidem non efficit aliquid, nec aliquid, ei signat. Ergo sacramentaliter non manducat.

[2] Il est de la raison du sacrement qu’il signifie et réalise. Or, chez celui qui n’a pas la foi, il ne réalise rien ni ne signifie rien pour lui. Il ne le mange donc pas sacramentellement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-ce que la créature sans raison reçoit de quelque manière le corps du Christ ?]

[15008] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod creatura irrationalis non sumat aliqualiter corpus Christi. Primo per hoc quod Magister infra dicit, quod hoc quod a brutis sumitur, non est corpus Christi.

1. Il semble que la créature sans raison ne reçoive d’aucune manière le corps du Christ, premièrement en raison de ce que le Maître dit plus loin, que ce qui est reçu par les animaux sans raison n’est pas le corps du Christ.

[15009] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est majoris perfectionis quam Baptismus. Sed quantumcumque animal brutum aqua abluatur, non dicitur Baptismi sacramentum percipere aliquo modo. Ergo neque sacramentum corporis Christi poterit aliquo modo percipere.

2. Ce sacrement est plus parfait que le baptême. Or, autant qu’un animal sans raison soit lavé, on ne dit pas qu’il reçoit de quelque manière le baptême. Il ne pourra donc recevoir d’aucune manière le sacrement du corps du Christ.

[15010] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, constat quod non percipit spiritualiter, quia non credit; neque sacramentaliter, quia sacramenta creaturae rationali sunt tradita. Si ergo aliquo modo sumat, erit tertius modus manducandi praeter duos in littera assignatos.

3. Il est clair que [l’animal sans raison] ne le reçoit pas spirituellement parce qu’il n’a pas la foi; ni sacramentellement, parce que les sacrements ne sont pas donnés à une créature sans raison. S’il le reçoit de quelque manière, il s’agira d’une troisième manière de le manger en dehors des deux indiquées dans le texte.

[15011] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Deus magis abominatur peccatorem quam creaturam irrationalem, in qua non est nisi quod Deus in ea fecit, qui solum culpam non fecit. Sed, sicut in littera determinatur, corpus Christi verum a peccatoribus sumitur. Ergo et a brutis.

Cependant, [1] Dieu a davantage en abomination le pécheur que la créature sans raison, chez laquelle il n’y a que ce que Dieu réalise en elle, qui seul n’a pas commis de faute. Or, comme on le précise dans le texte, le corps véritable du Christ est reçu par les pécheurs. Il l’est donc aussi par les animaux sans raison.

[15012] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, si corpus Christi per negligentiam vel quocumque modo in aliquem locum immundum projiciatur, non dicitur quod desinat esse sub speciebus corpus Christi. Ergo non oportet dici, quod sub speciebus a brutis comestis desinat esse corpus Christi. Sed species possunt a brutis manducari. Ergo et corpus Christi.

[2] Si le corps du Christ est jeté par négligence ou d’une quelconque manière dans un lieu impur, on ne dit pas que le corps du Christ cesse d’exister sous les espèces. Il n’est donc pas nécessaire de dire que le corps du Christ mangé par les animaux sans raison cesse d’exister sous les espèces. Or, les espèces peuvent être mangées par les animaux sans raison. Il en va donc de même du corps du Christ.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Celui qui ne mange pas le corps du Christ sacramentellement ne le mangera-t-il pas spirituellement ?]

[15013] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod qui non manducat sacramentaliter, non manducet spiritualiter. Sacramentalis enim manducatio est propter spiritualem. Si ergo spiritualis sine corporali haberi possit, frustra aliquis sacramentali uteretur.

1. Il semble que celui qui ne le mange pas sacramentellement ne le mangera pas spirituellement. En effet, la manducation sacramentelle existe en vue de la [manducation] spirituelle. Si donc la [manducation] spirituelle peut s’obtenir sans la corporelle, c’est en vain que quelqu’un utiliserait la [manducation] sacramentelle.

[15014] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, spiritualis manducatio est per fidem et caritatem, per quae aliquis Christo incorporatur. Sed antiqui patres fidem et caritatem habuerunt. Ergo si spiritualis manducatio esse posset sine sacramentali, ipsi spiritualiter manducassent; quod non potest esse, quia usus sacramenti non potest esse ante ejus institutionem.

2. La manducation spirituelle se réalise par la foi et la charité, par lesquelles on est incorporé au Christ. Or, les pères anciens ont eu la foi et la charité. Si la manducation spirituelle pouvait exister sans la [manducation] sacramentelle, ils auraient donc mangé spirituellement, ce qui ne peut être le cas, car l’usage du sacrement ne peut exister avant son institution.

[15015] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, aliquis potest percipere rem Baptismi sine sacramento, ut supra, dist. 4, dictum est. Sed Baptismi sacramentum est majoris necessitatis quam hoc. Ergo potest etiam spiritualiter manducare quis sine sacramenti manducatione.

Cependant, [1] on peut recevoir la réalité du baptême sans le sacrement, comme on l’a dit plus haut, d. 4. Or, le sacrement de baptême est plus nécessaire que [le sacrement de l’eucharistie]. On peut donc le manger aussi spirituellement sans manducation du sacrement.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Un ange peut-il manger spirituellement le corps du Christ ?]

[15016] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam Angelus corpus Christi possit manducare spiritualiter: quia super illud, Psalm. 72, panem Angelorum manducavit homo, dicit Glossa: idest corpus Christi, qui est vere cibus Angelorum.

1. Il semble que même un ange puisse manger le corps du Christ spirituellement, car, à propos de ce que dit le Ps 72 : L’homme a mangé le pain des anges, la Glose dit : «À savoir, le corps du Christ, qui est vraiment la nourriture des anges.»

[15017] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, quicumque potest manducare sacramentaliter, potest etiam manducare spiritualiter. Sed Angelus in carne assumpta potest manducare sacramentaliter. Ergo etiam sine corpore assumpto potest manducare spiritualiter.

2. Quiconque peut [le] manger sacramentellement peut aussi le manger spirituellement. Or, l’ange qui a assumé la chair peut [le] manger sacramentellement. Il peut donc aussi le manger spirituellement sans avoir assumé la chair.

[15018] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, manducare est usus sacramenti. Sed sacramenta non sunt data Angelis ad usum, sed hominibus. Ergo Angeli non possunt spiritualiter manducare.

Cependant, [1] manger, c’est faire usage du sacrement. Or, les sacrements n’ont pas été donnés aux anges pour qu’ils en fassent usage, mais aux hommes. Les anges ne peuvent donc pas [le] manger spirituellement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15019] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt corpus Christi secundum rei veritatem a peccatoribus non sumi: quia quam cito labiis peccatoris tangebatur, desinebat sub speciebus esse corpus Christi: intantum dignitati sacramenti deferentes quod derogabant veritati. Si enim vere corpus Christi sub speciebus erat per conversionem panis et vini in substantiam corporis Christi, speciebus remanentibus, non poterit esse quod desinat ibi esse corpus Christi, nisi per aliquam contrariam mutationem ejus quod prius convertebatur in corpus Christi. Et quia de illo non remanent nisi species solae, quae ad utramque substantiam communiter se habent, sicut subjectum in naturalibus mutationibus duabus formis; ideo quamdiu species non mutantur, nullo modo desinit ibi esse corpus Christi; sicut nec in mutationibus formalibus forma introducta desinit esse in subjecto, donec subjectum ad formam aliam transmutetur. Speciebus autem in aliquid transmutari non competit nisi secundum quod habent aliquam proprietatem substantiae in hoc quod sunt sine subjecto; unde nihil potest eas transmutare ad aliam substantiam, nisi quod transmutaret substantiam panis et vini, si ibi esset; quod solus tactus labiorum, vel divisio quae est per dentes, vel trajectio in ventrem non faceret, sed sola digestio, quae est a calore naturali convertente cibum. Unde patet quod veritati sacramenti derogat qui dicit, quod ad solum tactum labiorum desinit esse corpus Christi a peccatore sumptum. Et ideo hac opinione tamquam haeretica de medio sublata, ejus contrarium ab omnibus tenetur.

Certains ont dit que le corps du Christ n’est pas reçu par les pécheurs en sa vraie réalité, car aussitôt qu’il touche les lèvres des pécheurs, le corps du Christ cesse d’exister sous les espèces. Mais, en s’éloignant tellement de la dignité du sacrement, ils s’écartaient de la vérité. En effet, si le corps du Christ existait réellement par la conversion du pain et du vin en la substance du corps du Christ, alors que les espèces demeureraient, il ne pourrait pas arriver que le corps du Christ cesse d’y exister, sauf par une mutation contraire de ce qui aurait été converti antérieurement au corps du Christ. Et parce qu’il n’en demeure que les seules espèces, qui ont un égal rapport aux deux substances, comme le sujet aux deux formes dans les mutations naturelles, aussi longtemps que les espèces ne sont pas changées, le corps du Christ ne cesse d’aucune manière d’y exister, de même que, dans les mutations de forme, la forme introduite ne cesse pas d’exister dans le sujet, jusqu’à ce que le sujet ne passe à une autre forme. Or, il ne convient pas que les espèces soient changées dans quelque chose du fait qu’elles existent sans sujet, sinon du fait qu’elles ont une propriété de la substance. Aussi rien ne peut les changer en une autre substance, à moins de changer la substance du pain et du vin si elle s’y trouvait, ce que le seul contact des lèvres, la division réalisée par les dents ou le passage par le ventre ne feraient pas, mais seulement la digestion, qui se réalise par la chaleur naturelle qui convertit la nourriture. Il est donc clair qu’il s’écarte de la vérité celui qui dit qu’au seul contact des lèvres, le corps du Christ reçu par le pécheur cesse d’exister. C’est pourquoi cette opinion étant écartée comme hérétique, son contraire est tenu par tous.

[15020] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa loquitur de spirituali inhabitatione, et non de sacramentali vel corporali: quia Christus etiam peccatoribus corpus suum tractandum exhibuit.

1. Cette autorité parle de l’habitation spirituelle, et non de [l’habitation] sacramentelle ou corporelle, car le Christ a laissé les pécheurs manipuler son corps.

[15021] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, cibus iste non transit in ventrem, sed in mentem, haec praepositio in non denotat terminum motus localis, sed finem sumptionis: vadit enim quasi localiter quocumque species vadunt; sed non sumitur propter ventris repletionem, sicut corporales cibi, sed propter mentis refectionem, in qua ejus effectus recipitur, non in ipsa materia corporis, quia mentem inhabitare per essentiam sola divinitas potest.

2. Lorsqu’on dit : «Cette nourriture ne passe pas par le ventre mais par l’esprit», la préposition «par» n’indique pas le terme d’un mouvement local, mais la fin de la réception. En effet, il se déplace localement partout où vont les espèces ; mais il n’est pas reçu en vue de remplir le ventre, comme les nourritures corporelles, mais en vue de la réfection de l’esprit, dans lequel son effet est reçu, et non dans la matière même du corps, car seule la divinité peut habiter de l’intérieur par son essence.

[15022] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod corpus Christi sumitur a peccatoribus, nullo modo corpus Christi aliquam immunditiam contrahit: quia labia peccatoris non tangunt nisi species, sub quibus secundum veritatem est corpus Christi; et praeterea in hoc dat exemplum mansuetudinis et humilitatis.

3. Du fait que le corps du Christ est reçu par des pécheurs, le corps du Christ ne contracte d’aucune manière une impureté, car les lèvres du pécheur n’atteignent que les espèces, sous lesquelles le corps du Christ existe véritablement. De plus, [le Christ] donne en cela un exemple de douceur et d’humilité.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15023] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod manducatio est actus transiens a manducante in manducatum. Unde sacramentaliter manducare potest intelligi dupliciter. Uno modo ut adverbium determinet manducationem ex parte manducati; et sic quicumque sumit species, sacramentaliter manducat; idest, sumit hoc quod est sacramentum in Eucharistia, idest verum corpus Christi. Alio modo ut determinet manducationem ex parte manducantis; et sic solus ille sacramentaliter manducat qui utitur illo cibo visibili ut sacramento. Infidelis autem circa id quod est significatum in hoc sacramento, errans, non utitur speciebus illis ut sacramento, sive non credit in Christum secundum quod sub hoc sacramento continetur; unde talis non sacramentaliter manducat. Et quia actio est magis propinqua agenti quam patienti, ideo sensus secundus est magis proprius; et ideo secundum hunc sensum dicendum, quod infidelis non credens rem hujus sacramenti, non manducat sacramentaliter.

La manducation est un acte qui passe de celui qui mange à ce qui est mangé. Manger sacramentellement peut donc s’entendre de deux manières. D’une manière, de sorte que l’adverbe détermine la manducation du point de vue de ce qui est mangé ; ainsi, quiconque reçoit les espèces mange sacramentellement, c’est-à-dire qu’il reçoit ce qui est le sacrement dans l’eucharistie, à savoir, le corps véritable du Christ. D’une autre manière, [de sorte que l’adverbe] détermine la manducation du point de vue de celui qui mange ; ainsi, seul mange sacramentellement celui qui utilise cette nourriture comme un sacrement. Or, l’infidèle, qui erre sur ce qui est signifié par ce sacrement, n’utilise pas les espèces comme un sacrement ou ne croit pas au Christ contenu dans ce sacrement. Aussi ne mange-t-il pas sacramentellement. Et parce que l’action est plus rapprochée de l’agent que de ce qui la reçoit, le second sens est plus propre. En ce sens, il faut donc dire que l’infidèle qui ne croit pas à la réalité de ce sacrement ne [le] mange pas sacramentellement.

[15024] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa objectio procedit secundum primum sensum.

1. Cette objection vient du premier sens.

[15025] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod percipiens Baptismum se habet tantum ut patiens. Unde ad hoc quod aliquis recipiat sacramentaliter Baptismum, non exigitur nisi quod subjiciat se actioni Ecclesiae, ut scilicet intendat recipere quidquid illa facit, quamvis quandoque credat illa nihil facere; sed percipiens Eucharistiam non solum se habet ut recipiens, seu patiens, sed etiam ut agens, inquantum manducat; ideo ad hoc ut sacramentaliter manducet, oportet quod ipsemet utatur sacramento ut sacramento.

2. Celui qui reçoit le baptême est purement passif. Aussi, pour que quelqu’un reçoive le baptême sacramentellement, n’est-il pas requis qu’il se soumette à l’action de l’Église, c’est-à-dire qu’il ait l’intention de recevoir tout ce que fait celle-ci, bien qu’il croie parfois que celle-ci ne fait rien. Mais celui qui reçoit l’eucharistie ne fait pas que recevoir ou être passif, mais il est aussi actif pour autant qu’il mange. C’est pourquoi, pour qu’il mange sacramentellement, il est nécessaire qu’il utilise lui-même le sacrement comme sacrement.

[15026] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod consecrare Eucharistiam non est uti sacramento, sed quodammodo efficere ipsum; sed manducare est uti sacramento; actio autem utentis recipit modum ab eo quo quis utitur, sed actio efficientis non recipit modum ab eo quo quis efficit, sed a virtute activa: unde aliquis dicitur conficere sacramentum, et non conficere sacramentaliter; dicitur autem manducare et sacramentum, et sacramentaliter. Et ideo non est mirum, si aliquid requiritur ad hoc quod aliquis manducet sacramentaliter quod non requiritur ad hoc quod efficiat sacramentum.

3. Consacrer l’eucharistie n’est pas utiliser ce sacrement, mais le réaliser d’une certaine manière. Mais [le] manger, c’est utiliser le sacrement. Or, l’action de celui qui utilise reçoit son mode de ce qu’il utilise, mais l’action de celui qui réalise ne reçoit pas son mode de ce par quoi quelqu’un réalise, mais de la puissance active. Aussi dit-on que quelqu’un accomplit le sacrement, mais ne l’accomplit pas sacramentellement ; mais on dit qu’il mange le sacrement et le mange sacramentellement. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que quelque chose soit requis pour que quelqu’un mange sacramentellement, qui n’est pas requis pour qu’il accomplisse le sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15027] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod corpus Christi non manducatur a brutis ita quod in ventrem trajiciatur, eo quod corpus Christi non est sub speciebus illis nisi prout est ordinabile ad usum humanum. Ex quo autem in ventrem muris descendunt species, non possunt ordinari ad usum humanum; et ideo desinit esse corpus Christi. Sed haec ratio non valet propter duo. Primo, quia supponit falsum. Cum enim non statim species in ventrem trajectae esse desinant, vel in aliud convertantur, possunt adhuc de ventre animalis extrahi, et in usum venire. Secundo, quia quamvis aliquid ordinetur ad usum aliquem, non tamen oportet quod esse desinat, quando quis eo uti non potest. Et ideo secundum alios dicendum, quod verum corpus Christi manet adhuc sub speciebus a brutis ore acceptis, et in ventrem trajectis.

À ce sujet, il y a deux opinions. En effet, certains disent que le corps du Christ n’est pas mangé par les animaux sans raison en passant par le ventre, du fait que le corps du Christ n’existe sous ces espèces qu’en tant qu’il a un rapport avec l’utilisation par les hommes. Or, du fait que les espèces descendent dans le ventre d’une souris, elles ne peuvent être ordonnées à un usage humain. C’est pourquoi le corps du Christ cesse d’exister. Mais ce raisonnement n’est pas valable pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il suppose quelque chose de faux. En effet, puisque les espèces passées dans le ventre ne cessent pas d’exister ou ne sont pas converties en autre chose, elles peuvent encore être tirées du ventre de l’animal et être utilisées. Deuxièmement, parce que, bien que quelque chose soit ordonné à un usage, il n’est cependant pas nécessaire que cela cesse d’exister lorsque quelqu’un ne peut l’utiliser. C’est pourquoi il faut dire, selon d’autres, que le corps véritable du Christ continue de demeurer sous les espèces reçues par la bouche d’animaux sans raison et passées dans leur ventre.

[15028] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nulla ordinatio bruti est ad corpus Christi, secundum quam possit Christo incorporari; et ideo non sumunt corpus Christi nisi per accidens, inquantum sumunt illud sub quo est corpus Christi; et sic Magister intellexit quod non sumitur corpus Christi a brutis; vel loquitur secundum aliam opinionem.

1. Il n’existe aucun rapport de l’animal sans raison au corps du Christ, selon lequel il pourrait être incorporé au Christ. C’est pourquoi ils ne reçoivent le corps du Christ que par accident, pour autant qu’ils reçoivent ce sous quoi existe le corps du Christ. Ainsi le Maître a-t-il compris que le corps du Christ n’est pas reçu par les animaux sans raison ; ou bien il parle selon l’autre opinion.

[15029] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est sacramentum in Baptismo, est aliquis effectus inductus in recipiente, cujus creatura irrationalis capax esse non potest; et ideo sacramentum Baptismi creatura irrationalis neque per se neque per accidens recipit: sed sacramentum Eucharistiae consistit in ipsa materiae consecratione; et ideo potest creatura irrationalis ipsum accipere non per se, sed per accidens.

2. Ce qui est sacrement dans le baptême est un effet réalisé dans celui qui le reçoit, dont la créature non raisonnable ne peut être capable. C’est pourquoi la créature sans raison ne reçoit le sacrement de baptême ni en soi ni par accident. Mais le sacrement de l’eucharistie consiste dans la consécration de la matière elle-même. C’est pourquoi la créature sans raison peut le recevoir non en soi, mais par accident.

[15030] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura irrationalis nullo modo spiritualiter manducat, neque sacramentaliter: quia neque utitur manducato ut sacramento, neque manducat sacramentum secundum rationem sacramenti, sicut dicitur sacramentaliter manducare infidelis qui intendit recipere hoc quod recipit Ecclesia, quamvis hoc credat nihil esse. Et similiter etiam ille qui manducaret hostiam consecratam, nesciens eam consecratam esse, non manducaret sacramentaliter aliquo modo, quia non manducaret sacramentum nisi per accidens: nisi quod plus accederet ad sacramentalem manducationem, inquantum est aptus natus sacramentum ut sacramentum manducare, quod bruto non competit. Nec tamen oportet quod sit alius modus manducationis tertius a duobus praedictis; quia hoc quod est per accidens, in divisionem non cadit.

3. La créature sans raison ne mange spirituellement ni sacramentellement d’aucune manière parce qu’elle ne fait pas usage de ce qui est mangé en tant sacrement, ni ne mange le sacrement selon la raison de sacrement, comme on dit que l’infidèle qui a l’intention de recevoir ce que l’Église a reçu mange sacramentellement, bien qu’il croie que cela n’est rien. De même, celui qui mangerait l’hostie consacrée, en ne sachant pas que celle-ci a été consacrée, ne la mangerait sacramentellement d’aucune façon, parce qu’il ne mangerait le sacrement que par accident, sauf qu’il s’approcherait de la manducation sacramentelle pour autant qu’il est apte à manger le sacrement en tant que sacrement, ce qui ne convient pas à l’animal sans raison. Toutefois, il n’est pas nécessaire qu’il existe un mode de manducation différent des deux modes évoqués, car ce qui existe par accident n’intervient pas dans la division.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15031] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod Christus est spiritualis electorum cibus, non quidem in alios conversus, sed ad se convertens eos quos reficit; unde spiritualiter Christum manducare est Christo incorporari, quod per fidem et caritatem contingit. Et quia Christus in seipso est spiritualis cibus, ideo in sacramentali cibo significatur et continetur. Prius ergo naturaliter est Christum esse cibum spiritualem quam esse cibum spiritualem sub sacramento contentum: quia prius est aliquid naturaliter proprietatem aliquam habens, quam similitudinem proprietatis illius ei significatio aliqua adhibeat. Unde non quicumque manducat Christum spiritualiter, manducat hoc sacramentum spiritualiter; utroque tamen modo convenit spiritualiter manducare non manducantem sacramentaliter. Manducat enim spiritualiter Christum qui fidem et caritatem ad ipsum habet sine ordine ad hoc sacramentum; non tamen manducat talis spiritualiter hoc sacramentum, sed solum ille qui habet fidem et caritatem ad Christum cum devotione et proposito sumendi hoc sacramentum, etiam si sacramentaliter non manducet.

Le Christ est la nourriture spirituelle des élus, non pas en étant converti en d’autres, mais en convertissant en lui-même ceux qu’il nourrit. Aussi manger le Christ spirituellement est-ce être incorporé au Christ, ce qui se produit par la foi et la charité. Et parce que le Christ est par lui-même une nourriture spirituelle, il est donc signifié et contenu dans une nourriture sacramentelle. Le Christ est donc d’abord naturellement une nourriture spirituelle avant d’être une nourriture spirituelle contenue dans le sacrement, car une chose possède naturellement une propriété naturelle avant qu’une signification lui apporte la similitude de cette propriété. Aussi tous ceux qui mangent le Christ spirituellement ne mangent-ils pas ce sacrement spirituellement ; cependant, il convient que celui qui mange sacramentellement mange spirituellement des deux manières. En effet, celui qui a la foi et la charité en lui mange le Christ spirituellement, sans rapport avec ce sacrement ; cependant, il ne mange pas spirituellement ce sacrement, mais seulement celui qui a la foi et la charité au Christ, avec la dévotion et l’intention de recevoir ce sacrement, même s’il ne le mange pas sacramentellement.

[15032] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut baptizatus Baptismo flaminis emundationem consecutus est propter propositum Baptismi sacramentalis, et accipiens sacramentum ampliorem gratiam consequitur, ita etiam qui spiritualiter manducavit, in proposito et devotione habuit manducationem sacramentalem, ad quam accedens ex ipsa vi sacramenti majorem gratiam consequitur; unde non sequitur quod sacramentalis manducatio superfluat.

1. De même que celui qui a été baptisé par le feu a été purifié en raison de l’intention de recevoir le baptême sacramentel, et que celui qui reçoit le sacrement reçoit une grâce plus grande, de même aussi celui qui a mangé spirituellement a eu l’intention et la dévotion de la manducation sacramentelle ; lorsqu’il s’en approche, il reçoit en vertu du sacrement une grâce plus grande. Il n’en découle donc pas que la manducation sacramentelle est superflue.

[15033] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antiqui patres non manducaverunt spiritualiter hoc sacramentum quia nondum erat institutum, nec consecratio praecesserat; manducaverunt tamen spiritualiter Christum; et secundum hoc dicitur 1 Corinth. 10, quod omnes eamdem escam manducaverunt spiritualem.

2. Les pères anciens n’ont pas mangé spirituellement ce sacrement parce qu’il n’avait pas encore été institué et que la consécration n’avait pas précédé. Cependant, ils ont mangé spirituellement le Christ; il est ainsi dit en 1 Co 10, que tous ont mangé la même nourriture spirituelle.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15034] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod manducare hoc sacramentum spiritualiter non competit Angelis: quia eis Christus sub sacramento non proponitur, sed in nuda veritate. Christum tamen quodammodo spiritualiter manducant, et quodammodo non. Cum enim spiritualiter manducare sit Christo incorporari, secundum hoc aliquis Christum manducare potest secundum quod ejus membrum effici potest et Christus esse caput ejus. Est autem Christus caput Angelorum quodammodo, quia secundum rationem influentiae, et secundum conformitatem naturae in genere; et quodammodo non, quia non secundum conformitatem in specie, ut in 3 Lib., dist. 13, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 1, in corp., dictum est; et ideo uno modo spiritualiter manducant Christum, et alio modo non.

Manger spirituellement ce sacrement ne convient pas anges, car le Christ ne leur est pas proposé sous ce sacrement, mais comme la vérité sans voile. Cependant, ils mangent spirituellement le Christ d’une certaine manière, et d’une autre manière, non. En effet, puisque manger le Christ, c’est lui être incorporé, quelqu’un peut manger le Christ selon qu’il peut en être fait membre et que le Christ peut être sa tête. Or, le Christ est d’une certaine façon la tête des anges en raison de l’influence qu’il exerce sur eux et par une ressemblance naturelle générale ; mais il ne l’est pas d’une certaine manière parce qu’il n’a pas la même espèce, comme on l’a dit au livre III, d. 13, q. 1, a. 2, qa 1, c. Ainsi, ils mangent le Christ d’une certaine manière, et d’une autre manière, non.

[15035] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus dicitur esca Angelorum secundum divinitatem, inquantum Angelos reficit; et secundum humanitatem, secundum quod in ipsum desiderant Angeli prospicere, 1 Petr. 1; non tamen secundum conformitatem naturae in specie.

1. Le Christ est appelé nourriture des anges selon sa divinité, en tant qu’il donne force aux anges, et selon son humanité, selon que les anges désirent le regarder, 1 P 1 ; mais il ne l’est pas par une ressemblance de nature spécifique.

[15036] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Angelus assumpto corpore species masticaret, non tamen manducaret sacramentaliter: quia non manducaret sacramentum secundum rationem sacramenti, cum non habeat fidem, sed manifestam visionem; neque habet conformitatem naturae; et ideo non manducaret sacramentum nisi per accidens.

2. Si un ange, après avoir pris un corps, mastiquait, il ne mangerait cependant pas sacramentellement, car il ne mangerait pas le sacrement selon la raison de sacrement, puisqu’il n’a pas la foi, mais la vision directe. Il n’a pas non plus la même nature. C’est pourquoi il ne mangerait le sacrement que par accident.

 

 

Articulus 3 [15037] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 tit. Utrum peccet quis cum conscientia peccati mortalis corpus Christi manducans

Article 3 – Est-ce qu’on pèche en mangeant le corps du Christ avec la conscience d’un péché mortel ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce qu’on pèche en mangeant le corps du Christ avec la conscience d’un péché mortel ?]

 

[15038] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non peccet quis cum conscientia peccati mortalis corpus Christi manducans. Quia secundum Augustinum, maximis bonis nullus male utitur. Sed corpus Christi de maximis bonis est. Ergo nullus potest ipso utendo peccare.

1. Il semble qu’on ne pèche pas en mangeant le corps du Christ avec la conscience d’un péché mortel, car, selon Augustin, personne ne fait un mauvais usage des biens les plus grands. Or, le corps du Christ compte parmi les biens les plus grands. Personne ne peut donc pécher en en faisant usage.

[15039] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, infirmi non minus egent medicina quam medico. Sed Christus in propria specie veniens ut medicus, non refugit peccatorum consortium: quia, sicut ipse dicit, Luc. 5, 31, non egent qui sani sunt medico, sed qui male habent. Ergo cum Christus sub sacramento proponatur ut medicina, non debet peccatoribus subtrahi.

2. Les malades n’ont pas moins besoin de remède que d’un médecin. Or, le Christ, en venant comme médecin sous sa propre apparence, n’a pas fui la compagnie des pécheurs, car, comme il le dit lui-même, Lc 5, 31 : Ceux qui sont en santé n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal. Puisque le Christ est proposé comme remède dans le sacrement, il ne doit donc pas être enlevé aux pécheurs.

[15040] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nullus peccat faciendo id quod tenetur. Sed iste peccator tenetur ex praecepto Ecclesiae semel in anno corpus Christi sumere. Ergo quamvis sit in proposito peccandi, non peccat corpus Christi sumendo.

3. Personne ne pèche en faisant ce à quoi il est tenu. Or, ce pécheur est tenu selon un précepte de l’Église de recevoir le corps du Christ une fois par année. Bien qu’il ait l’intention de pécher, il ne pèche donc pas en recevant le corps du Christ.

[15041] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 11, 29: qui manducat indigne, judicium sibi manducat. Sed qui cum conscientia peccati mortalis manducat, indigne manducat. Ergo et cetera.

Cependant, [1] 1 Co 11, 29 dit : Celui qui mange indignement mange son propre jugement. Or, celui qui mange avec la conscience d’un péché mortel mange indignement. Donc, etc.

[15042] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus magis horret sordes spirituales, quae sunt peccata, quam sordes corporales. Sed peccaret qui corpus Christi in lutum projiceret. Ergo peccat qui Christum in corpus suum peccato infectum intromittit.

[2] Dieu a davantage en horreur les souillures spirituelles, que sont les péchés, que les souillures corporelles. Or, celui qui jetterait le corps du Christ dans la boue pécherait. Celui qui introduit le Christ dans son corps infecté par le péché pèche donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui n’a pas conscience d’un péché mortel, mais se trouve en état de péché mortel, pèche-t-il en recevant le corps du Christ ?]

[15043] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam ille qui non habet conscientiam peccati mortalis, in peccato mortali existens peccet corpus Christi sumendo. Peccatum enim facit hominem indigne accedere ad corpus Christi. Sed ignorantia peccati cui homo subjacet, non tollit peccatum, immo gravissime peccat qui ignorat, secundum Ambrosium. Ergo cum indigne accedens peccet mortaliter, videtur quod habens peccatum cujus non est conscius, accedens peccet.

1. Il semble que celui qui n’a pas conscience d’un péché mortel, mais se trouve en état de péché mortel, pèche en recevant le corps du Christ. En effet, le péché rend un homme indigne d’approcher le corps du Christ. Or, l’ignorance du péché à laquelle un homme est soumis n’enlève pas le péché ; bien plutôt, celui qui l’ignore pèche gravement, selon Ambroise. Puisque celui qui s’approche indignement [du corps du Christ] pèche mortellement, il semble que celui qui est en état de péché dont il n’est pas conscient pèche en s’en approchant.

[15044] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in meliori statu est justus habens conscientiam peccati mortalis, cui non subjacet, quam peccator subjacens peccato cujus non est conscius: quia hoc videtur esse praesumptionis, primum autem humilitatis: quia secundum Gregorium, bonarum mentium est ibi culpam agnoscere ubi culpa non est. Sed justus carens peccato peccat, si cum conscientia peccati mortalis accedat. Ergo multo fortius peccator, qui peccati sui sibi non est conscius.

2. Le juste qui a conscience d’un péché mortel est dans un meilleur état que le pécheur soumis à un péché dont il n’a pas conscience, car ceci semble relever de la présomption, mais le premier cas, de l’humilité. En effet, selon Grégoire, il relève d’esprits bons de reconnaître une faute là où il n’y a pas de faute. Or, le juste qui n’a pas péché pèche s’il s’approche [du corps du Christ] avec la conscience d’un péché mortel. À bien plus forte raison donc le pécheur, qui n’est pas conscient de son péché.

[15045] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ubicumque requiritur examinatio, ibi est necessaria rei veritas, et non opinio tantum. Sed ad hoc quod aliquis digne accedat ad corpus Christi, requiritur diligens examinatio sui ipsius, ut patet 1 Corinth. 11, 28: probet seipsum homo, et sic de pane illo edat. Ergo necessarium est quod sit puritas a peccato secundum veritatem, et non solum secundum aestimationem.

3. Partout où est requis un examen, la vérité d’une chose est nécessaire, et non pas seulement une opinion. Or, pour que quelqu’un s’approche dignement du corps du Christ, un examen attentif est nécessaire, comme cela ressort clairement de 1 Co 11, 28 : Que l’homme s’examine, et qu’il mange ce pain. Il est donc nécessaire d’être vraiment pur de péché, et non seulement de le croire.

[15046] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Eccl. 9, 1, dicitur: nemo scit utrum odio vel amore dignus sit. Si ergo habens peccatum cujus non est conscius, peccaret corpus Christi sumendo; quicumque sumit, exponeret se periculo peccati mortalis; et ita nullus sumere deberet.

Cependant, [1] il est dit dans Qo 9, 1: Personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour. Si donc celui qui est en état de péché sans en être conscient péchait en recevant le corps du Christ, tous ceux qui le reçoivent s’exposeraient au danger du péché mortel, et ainsi personne ne devrait le recevoir.

[15047] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ignorantia facti excusat. Sed ignorantia peccati est hujusmodi. Ergo excusat.

 [2] L’ignorance d’un fait excuse. Or, l’ignorance du péché est de cette sorte. Elle excuse donc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Celui qui mange indignement le corps du Christ pèche-t-il davantage que celui qui commet n’importe quel autre péché ?]

[15048] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod manducans indigne corpus Christi, magis peccet quam quodcumque aliud peccatum committens. Super illud Marc. 14: vae homini illi etc., dicit Glossa: vae homini illi qui ad mensam domini accedit indigne: iste enim in exemplum Judae filium hominis tradit; et in 1 Corinth. 11 dicitur, quod est reus sanguinis domini. Sed Judas et illi qui sanguinem domini fuderunt, gravissime peccaverunt. Ergo et hoc peccatum est ceteris gravius.

1. Il semble que celui qui mange indignement le corps du Christ pèche davantage que celui qui commet n’importe quel autre péché. À propos de Mc 14 : Malheur à l’homme, etc., la Glose dit : «Malheur à l’homme qui s’approche indignement de la table du Seigneur : en effet, à l’exemple de Judas, il trahit le Fils de l’homme.» Et il est dit, en 1 Co 11, qu’il est coupable du sang du Seigneur. Or, Judas et ceux qui ont versé le sang du Seigneur ont péché gravement. Ce péché est donc plus grave que les autres.

[15049] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, plus peccaret qui corpus Christi in lutum projiceret quam qui aliquod aliud peccatum committeret, puta fornicationem, vel aliud hujusmodi. Sed Deus plus horret sordes peccati quam sordes luti. Ergo peccator sumens corpus Christi gravius peccat quam quodlibet aliud peccatum committens.

2. Celui qui jetterait dans la boue le corps du Christ pécherait davantage que celui qui commettrait un autre péché, par exemple, la fornication ou un autre péché de ce genre. Or, Dieu a davantage en horreur la souillure du péché que la souillure de la boue. Le pécheur qui reçoit le corps du Christ pèche donc plus gravement que celui qui commet un autre péché.

[15050] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Sed contra, quod est per se malum, est majus malum quam quod est per accidens malum. Sed alia peccata sunt per se mala, ut fornicatio; sed manducare corpus Christi est per se bonum, et per accidens malum. Ergo est minus malum.

Cependant, ce qui est mauvais de soi est plus mauvais que ce qui est mauvais par accident. Or, les autres péchés sont mauvais de soi, comme la fornication; mais manger le corps du Christ est en soi bon, mais mauvais par accident. C’est donc un mal moindre.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’hérétique qui mange le corps du Christ pèche-t-il moins que le fidèle pécheur ?]

[15051] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod minus peccat haereticus manducans corpus Christi quam fidelis peccator. Quia pejus est contemnere Christum quam contemnere sacramentum Christi. Sed fidelis peccator manducans contemnit Christum, quem sub sacramento vere esse credit; infidelis autem contemnit sacramentum in hoc quod sub eo Christum esse non credit. Ergo infidelis minus peccat.

1. Il semble que l’hérétique qui mange le corps du Christ pèche moins que le pécheur fidèle, car il est pire de mépriser le Christ que de mépriser le sacrement du Christ. Or, le pécheur fidèle méprise le Christ, qu’il croit exister véritablement dans le sacrement ; mais l’infidèle méprise le sacrement en ne croyant pas que le Christ existe en lui. L’infidèle pèche donc moins.

[15052] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quanto aliquod peccatum est magis dissonum a ratione, tanto est gravius. Sed peccatum fidelis indigne sumentis est contra rationem naturalem manifeste: non autem illius qui non credit sub hoc sacramento Christum secundum veritatem esse: quia hoc supra rationem est, et supra sensum. Ergo infidelis minus peccat.

2. Plus un péché est discordant par rapport à la raison, plus il est grave. Or, le péché du fidèle qui reçoit indignement [le corps du Christ] est manifestement contraire à la raison naturelle, mais [le péché] de celui qui ne croit pas que le Christ existe véritablement dans ce sacrement ne l’est pas, car cela dépasse la raison et le sens. L’infidèle pèche donc moins.

[15053] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Sed contra, quanto aliquis magis elongatur a Christo realiter, tanto magis debet elongari sacramentaliter. Sed infidelis magis elongatur realiter: quia prima unio ad Christum est per fidem, qua ille caret. Ergo magis peccat accedendo ad Christum sacramentaliter.

Cependant, plus l’on s’éloigne réellement du Christ, plus l’on doit s’en éloigner sacramentellement. Or, l’infidèle s’éloigne davantage du Christ réellement, car la première union au Christ se réalise par la foi qui lui fait défaut. Il pèche donc davantage en s’approchant du Christ sacramentellement.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Celui qui est soumis à un péché de la chair pèche-t-il davantage en s’approchant de ce sacrement qu’en étant soumis à un péché spirituel ?]

[15054] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod subjacens peccato carnis, magis peccat accedens ad hoc sacramentum quam subjacens peccato spirituali. Quia peccatum manducantium corpus Christi in peccato carnis existentium comparatur peccato Judae; unde Hieronymus: quid tibi cum feminis qui ad altare cum Deo fabularis ? (...) Dic sacerdos, dic clerice, qualiter eisdem labiis filium Dei oscularis, quibus osculatus es filiam meretricis ? O Juda, osculo filium hominis tradis. Sed peccatum Judae fuit gravissimum. Ergo talis gravius peccat.

1. Il semble que celui qui est soumis à un péché de la chair pèche davantage en s’approchant de ce sacrement qu’en étant soumis à un péché spirituel, car le péché de ceux qui mangent le Christ alors qu’ils se trouvent dans le péché de la chair se compare au péché de Judas. Aussi Jérôme [écrit-il] : «Qu’as-tu à faire avec les femmes, toi qui prétends t’approcher de l’autel avec Dieu ?... Prêtre, clerc, dis-moi comment tu embrasses le Fils de Dieu avec les mêmes lèvres qui t’ont servi à embrasser la fille d’une dévoyée ? Ô Judas, tu trahis le Fils de l’homme par un baiser !» Celui-là pèche donc plus gravement.

[15055] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, in peccato carnis est immunditia mentis et corporis. Ergo magis facit contumeliam sacramento qui cum peccato carnis corpus Christi manducat, quam qui manducat cum peccato spirituali, ubi est immunditia mentis tantum.

2. Dans le péché de la chair, il y a impureté de l’esprit et du corps. Celui qui mange le corps du Christ avec un péché de la chair offense donc davantage le sacrement, que celui qui [le] mange avec un péché spirituel, dans lequel il n’y a qu’une impureté de l’esprit.

[15056] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, Gregorius dicit, quod peccata spiritualia sunt majoris culpae; cujus ratio est quia peccata carnis magis ex infirmitate accidunt. Sed ex hoc est aliquis indignus corporis et sanguinis domini quod culpae subjacet. Ergo minus peccat accedens cum peccato carnis quam cum peccato spirituali.

Cependant, [1] Grégoire dit que les péchés spirituels sont plus coupables. La raison en est que les péchés de la chair viennent de la faiblesse. Or, c'est parce que quelqu’un est coupable qu’il est indigne du corps et du sang du Seigneur. Celui qui s’en approche avec un péché de la chair pèche donc moins que [celui qui s’en approche] avec un péché spirituel.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Est-ce qu’un pécheur pèche en regardant le corps du Christ ?]

[15057] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod peccator peccat videndo corpus Christi. Quia corpus Christi est dignius quam arca testamenti. Sed Bethsamitae videntes arcam domini, quia peccatores erant, percussi sunt, ut dicitur 1 Reg. 6. Ergo multo fortius peccator videns corpus Christi peccat.

1. Il semble qu’un pécheur pèche en regardant le corps du Christ, car le corps du Christ est plus digne que l’arche de l’alliance. Or, les Bethsamites ont été frappés en regardant l’arche du Seigneur parce qu’ils étaient des pécheurs, comme il est dit en 1 R 6. À bien plus forte raison, le pécheur qui regarde le corps du Christ pèche-t-il.

[15058] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 2 Praeterea, publicanus laudatur, Luc. 18, de hoc quod oculos non levabat ad caelum. Sed corpus Christi est dignius caelo. Ergo debent peccatores ab aspectu corporis Christi abstinere.

2. Le publicain est loué, en Lc 18, parce qu’il ne levait pas les yeux au ciel. Or, le corps du Christ est plus digne que le ciel. Les pécheurs doivent donc s’abstenir de regarder le corps du Seigneur.

[15059] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 s. c. 1 Sed contra est consuetudo Ecclesiae, secundum quam elevatur corpus Christi ab omnibus aspiciendum sine aliqua discretione videntium. Ergo non peccat peccator videns.

Cependant, [1] la coutume de l’Église, selon laquelle le corps du Christ est élevé pour que tous le regardent sans distinction de ceux qui le voient, va en sens contraire. Celui qui voit [le corps du Christ] ne pèche donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15060] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quilibet cum conscientia peccati mortalis manducans corpus Christi, peccat mortaliter, quia abutitur sacramento: et quanto sacramentum est dignius, tanto abusus est periculosior. Ratio autem hujus ex tribus potest sumi. Primo ex eo quod est sacramentum tantum, ex quo apparet, quod hoc sacramentum in modum cibi proponitur; cibus autem non competit nisi viventi: unde si carens vita spirituali per peccatum mortale accipiat hoc sacramentum, abutitur ipso. Secundo ex eo quod est ibi res et sacramentum, quod est ipse Christus, qui est sanctus sanctorum; unde receptaculum ejus debet esse sanctum; et ideo si aliquis cum contrario sanctitatis corpus Christi sumat, sacramento abutitur. Tertio ex eo quod est res tantum, quod est corpus Christi mysticum; quia ex hoc ipso quod aliquis ad hoc sacramentum accedit, significat se ad unitatem corporis mystici tendere; unde si peccatum in conscientia teneat, per quod a corpore mystico separatur, fictionis culpam incurrit, et ita abutitur sacramento.

Quiconque ayant conscience d’un péché mortel mange le corps du Christ pèche mortellement, parce qu’il abuse du sacrement. Et plus un sacrement est digne, plus l’abus est dangereux. Il peut y avoir à cela trois raisons. Premièrement, du fait qu’il s’agit du sacrement seulement, par quoi il est clair que ce sacrement est proposé sous forme de nourriture. Or, la nourriture ne convient qu’à celui qui est vivant. Si donc celui à qui fait défaut la vie spirituelle à cause du péché mortel reçoit ce sacrement, il en abuse. Deuxièmement, du fait que s’y trouvent la réalité et le sacrement, qui est le Christ lui-même, qui est le saint des saints. Celui qui le reçoit doit donc être saint. C’est pourquoi celui qui reçoit le corps du Christ dans ce qui est contraire à la sainteté abuse du sacrement. Troisièmement, du fait que s’y trouve la réalité seulement, qui est le corps mystique du Christ, car par le fait que quelqu’un s’approche de ce sacrement, il signifie qu’il tend à l’unité du corps mystique. S’il a un péché sur la conscience, par lequel il est séparé du corps mystique, il est coupable d’une feinte, et ainsi il abuse du sacrement.

[15061] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini intelligendum est de eo quo utitur quis sicut eliciente actum usus: sic enim virtutibus, quas maxima bona dicit, nullus male utitur. Sed non est intelligendum de eo quo quis utitur quasi objecto usus: sic enim etiam virtutibus aliquis male utitur, qui de virtutibus gloriatur et superbit; et ita etiam aliquis potest corpore Christi male uti sicut objecto.

1. La parole d’Augustin doit s’entendre de celui qui en fait usage en choisissant l’acte qu’est l’usage. En effet, personne ne fait ainsi un mauvais usage des vertus, qu’il appelle les plus grands biens. Mais il ne faut pas l’entendre au sens où quelqu’un en fait usage comme de l’objet de l’usage. En effet, quelqu’un peut même faire un mauvais usage des vertus, en se glorifiant et en s’enorgueillissant des vertus. Ainsi, quelqu’un peut même faire un mauvais usage du corps du Christ comme objet.

[15062] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est medicina. Una est removens morbum; et talis infirmis debetur; et huic comparatur Baptismus et poenitentia. Alia est promovens in perfectam sanitatem; et talis non debetur infirmis, sed jam sanis; et huic comparatur haec medicina. Utraque autem medicina per medicum datur. Unde non sequitur, si medicus non fugit infirmi consortium, quod quaelibet ejus medicina infirmis dari debeat.

2. Il existe un double remède. L’un enlève la maladie : un tel remède est destiné aux malades, et le baptême et la pénitence s’y comparent. L’autre conduit à une santé parfaite : un tel remède n’est pas destiné aux malades, mais à ceux qui sont déjà en santé. Le remède [de l’eucharistie] se compare à celui-ci. Or, les deux remèdes sont donnés par le médecin. Il n’en découle donc pas que, si le médecin ne fuit pas la compagnie d’un malade, tous ses remèdes doivent être donnés aux malades.

[15063] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habens conscientiam mortalis quod dimittere non proponit, peccat accedens ad sumendum corpus Christi, quia indigne accedit. Peccat etiam non accedendo tempore ab Ecclesia constituto, quia inobediens est. Non tamen est perplexus, quia potest se ab hoc dubio eripere, peccati propositum dimittendo. Nihilominus tamen manente tali proposito minus peccat non sumendo quam sumendo; quia illud quod est malum secundum se, est majus malum quam illud quod est malum quia prohibitum; unde potius se debet dimittere excommunicari, quam cum proposito peccati corpus Christi sumat.

3. Celui qui a conscience d’un [péché] mortel qu’il n’a pas l’intention d’écarter pèche en s’approchant pour recevoir le corps du Christ, parce qu’il s’en approche indignement. Il pèche aussi en ne s’en approchant pas au moment déterminé par l’Église, parce qu’il est désobéissant. Il n’est cependant pas perplexe, car il peut s’arracher à ce doute en écartant l’intention de pécher. Néanmoins, si une telle intention persiste, il pèche moins en ne le recevant pas qu’en le recevant, car ce qui est mal en soi est un plus grand mal que ce qui est mal parce que cela est défendu. Aussi doit-il plutôt préferer être excommunié que recevoir le corps du Christ avec l’intention de pécher.

Quaestiuncula

[15la 2064] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ignorantia circumstantiae a peccato excusat, adhibita diligentia, praecipue quando est talis circumstantia, cujus certitudo plene haberi non potest. Quod autem homo sit omnino a peccato immunis, per certitudinem sciri non potest; 1 Corinth., 4, 4: nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus sum. Potest tamen de hoc haberi aliqua conjectura, praecipue per quatuor signa, sicut Bernardus dicit. Primo, cum quis devote verba Dei audit: quia qui est ex Deo, verba Dei audit; Joan. 8, 47. Secundo, cum quis se promptum ad bene operandum invenit: quia probatio dilectionis exhibitio est operis, ut dicit Gregorius. Tertio, cum quis a peccatis abstinendi in futurum propositum habet. Quarto, cum de praeteritis dolet: quia in his vera poenitentia, secundum Gregorium, consistit. Unde si aliquis per hujusmodi signa facta diligenti discussione suae conscientiae, quamvis forte non sufficienti, ad corpus Christi devote accedat, aliquo peccato mortali in ipso manente, quod ejus cognitionem praeterfugiat, non peccat, immo magis ex vi sacramenti peccati remissionem consequitur. Unde Augustinus dicit in quodam sermone, quod quando corpus Christi manducatur, vivificat mortuos.

L’ignorance d’une circonstance excuse d’un péché, si l’on prend garde, surtout lorsque la circonstance est telle qu’on ne peut avoir une certitude totale. Mais qu’un homme soit totalement exempt de péché, on ne peut le savoir avec certitude. 1 Co 4, 4 : Ma conscience ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. On peut cependant le conjecturer d’une certaine manière, surtout à partir de quatre signes, comme le dit Bernard. Premièrement, lorsqu’on écoute dévotement les paroles de Dieu, car celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu, Jn 8, 47. Deuxièmement, lorsqu’on se trouve empressé de bien agir, car la preuve de l’amour se trouve dans l’action, comme le dit Grégoire. Troisièmement, lorsque l’on a l’intention de s’abstenir de pécher à l’avenir. Quatrièmement, lorsqu’on déplore le passé, car la véritable pénitence consiste en cela, selon Grégoire. Si l’on s’approche dévotement du corps du Christ en se fiant à ces signes, après un examen attentif, bien que peut-être insuffisant, de sa conscience, alors que demeure un péché mortel qui échapperait à sa connaissance, on ne pèche pas ; bien plutôt, on obtient la rémission du péché par la puissance du sacrement. Aussi Augustin dit-il dans un sermon que lorsque le corps du Christ est mangé, il donne vie aux morts.

[15065] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est ignorantia peccati. Una qua ignoratur an aliquid peccatum sit; et haec quidem ignorantia si sit in sola cognitione consistens, quandoque excusat peccatum, sicut cum ignoratur circumstantia quae peccatum facit, sicut cum quis commiscetur alienae quam credit suam; et hic non habet locum auctoritas Ambrosii. Quandoque autem non excusat, sicut cum est ignorantia universalis juris; immo ipsa ignorantia grave peccatum est; et videtur in his quae per se mala sunt, ad infidelitatem pertinere; in his autem quae sunt mala quia prohibita, ad negligentiam; et hic habet aliquo modo locum verbum Ambrosii propter ignorantiae periculum; quia medicina non quaeritur cum morbus ignoratur; et etiam propter infidelitatem, quae est gravissimum peccatum. Si autem sit talis ignorantia in cognitione simul et affectione consistens, sicut ignorantia electionis, quando quis in illicitum improhibite fertur ac si esset licitum, sicut dicit philosophus de his qui ex habitu alicujus vitii operantur, ut intemperati, tunc gravissime peccat qui ignorat, quia haec ignorantia provenit ex contemptu. Alia ignorantia peccati est, qua id quod scitur esse peccatum, jam non creditur esse, sed sibi dimissum esse; et talis ignorantia non excusat nec aggravat illud peccatum, cujus ignorantia dicitur; sed potest excusare respectu sequentis peccati, respectu cujus peccatum praecedens, quod ignoratum est, se habet ut circumstantia, quae peccatum in actu sequenti induceret, si sciretur; et ita est in proposito. Unde quamvis sit indignus ratione praecedentis peccati, non tamen indigne accedit, quia ignorantia excusat a peccato illum accessum, ut dictum est.

1. Il y a une double ignorance du péché. L’une, par laquelle on ignore s’il existe un péché. Cette ignorance, si elle consiste dans la seule connaissance, excuse parfois le péché, comme lorsqu’on ignore une circonstance qui cause le péché, par exemple, si l’on a des rapports sexuels avec une autre femme que la sienne. L’autorité d’Ambroise ne s’applique pas à cela. Mais parfois, [l’ignorance] n’excuse pas, comme lorsqu’il s’agit de l’ignorance d’un droit universel ; bien plutôt, cette ignorance même est un péché grave, et elle semble être en rapport avec l’infidélité pour les choses qui sont mauvaises en soi. Mais pour les choses qui sont mauvaises parce que défendues, [elle semble être en rapport] avec la négligence. Ici s’applique d’une certaine manière la parole d’Ambroise en raison du danger de l’ignorance, car le remède n’est pas recherché lorsque la maladie est ignorée ; et cela, même en raison de l’infidélité, qui est le plus grave des péchés. Mais si une telle ignorance se trouve à la fois dans la connaissance et dans l’affectivité, comme l’ignorance du choix, lorsque quelqu’un est porté vers quelque chose de défendu sans que cela soit interdit, comme le Philosophe le dit à propos de ceux qui agissent par habitus d’un vice, tels ceux à qui fait défaut la tempérance, alors celui qui ignore pèche gravement, car cette ignorance provient du mépris. Il existe une autre ignorance du péché, par laquelle on ne croit pas qu’est un péché ce que l’on sait être péché, alors qu’on croit que cela a été pardonné. Une telle ignorance n’excuse pas mais aggrave ce péché, à propos duquel on parle d’ignorance. Mais elle peut excuser d’un péché subséquent, par rapport auquel le péché précédent, qui a été ignoré, se trouve être une circonstance, qui entraînerait un péché dans l’acte suivant, si on le savait. Et c’est ce dont il est ici question. Bien qu’on soit indigne en raison d’un péché précédent, on ne s’approche cependant pas indignement [du corps du Seigneur], car cette ignorance excuse de péché celui qui s’est approché, comme on l’a dit.

[15066] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut ignorantia circumstantiae quae excusat peccatum, excusat a peccato, ita error circumstantiae talis causat peccatum, ut patet in eo qui accedit ad suam, quam credit non esse suam. Et similiter est in proposito: quia justus credens se peccatorem, errat in hac circumstantia. Unde si tali opinione manente corpus Christi manducaret; constat quod eligeret se peccatorem corpus Christi manducare; et ita electio esset prava, et peccaret. Sed electio non est prava in eo qui peccatum habet quod nescit; et ideo quamvis justus sit simpliciter melius dispositus, tamen est pejus dispositus quantum ad hoc.

2. De même que l’ignorance d’une circonstance qui excuse le péché excuse du péché, de même l’erreur à propos d’une telle circonstance cause le péché, comme cela ressort clairement du cas de celui qui s’approche d’une autre femme, qu’il croit être la sienne. De même en est-il dans le cas présent, car le juste qui croit être pécheur se trompe à propos de cette circonstance. S’il mangeait le corps du Christ alors que demeurait une telle opinion, il est clair qu’il choisirait d’être pécheur en mangeant le corps du Christ. Ainsi, ce choix serait mauvais et il pécherait. Mais le choix n’est pas mauvais chez celui qui a un péché sans le savoir. C’est pourquoi sa disposition est pire sur ce point, bien que celui qui est simplement mieux disposé soit juste.

[15067] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod examinatio requiritur, ne ignorantia ex negligentia procedat; quia talis ignorantia non excusaret.

3. Un examen est nécessaire pour que l’ignorance ne vienne pas de la négligence, car une telle ignorance n’excuserait pas.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15068] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut meritum praecipue consistit penes caritatem, item demeritum praecipue consistit penes contemptum Dei; unde secundum quod aliquis Deum per actum peccati magis contemnit, secundum hoc majorem reatum incurrit; et ideo illa peccata quae in actuali contemptu consistunt, sunt graviora illis in quibus non est contemptus nisi ex consequenti, et quasi interpretatus; sicut accidit in fruitione creaturae, per quam aliquis delectationi intendit, ex cujus intentione a praeceptis Dei discedit, et sic per consequens percipientem contemnit. Peccatum autem blasphemiae in contemptu principaliter consistit; et similiter peccatum accedentis indigne ad corpus Christi, irreverentia quaedam et contemptus essentialiter est. Sciendum autem, quod contemptus ex duplici parte mensurari potest. Uno modo ex parte contemnentis; et sic non potest fieri comparatio unius generis peccati ad aliud genus, sed unius particularis peccati ad aliud: quia contingit in uno veniali peccato ex genere esse majorem contemptum actualem quam in uno gravissimo peccato mortali ex genere. Alio modo ex parte ejus quod contemnitur; et sic est talis ordo peccatorum, quod illud in quo ipse Deus in seipso etiam contemnitur, est peccatum gravissimum, sicut peccatum infidelitatis et blasphemiae; et post hoc illud peccatum in quo contemnitur Deus in sacramento, et inter alia praecipue in isto, in quo essentialiter Christus Deus et homo continetur (non tamen contemptus iste est circa Christum, ut est Deus et homo, sed prout est in sacramento); et post, peccatum illud in quo contemnitur Deus in membris suis; et post, peccatum in quo contemnitur Deus in praeceptis suis, quod commune est omni peccato mortali; et secundum hoc patet quod peccatum de quo nunc agitur, neque est omnium gravissimum, neque est omnium minimum; sed est medium inter peccata quae committuntur in Deum, et alia peccata quae committuntur in proximum, vel in seipsum; unde ad utraque argumenta oportet respondere.

De même que le mérite vient principalement de la charité, de même le démérite vient-il principalement du mépris de Dieu. Aussi, selon que quelqu’un méprise davantage Dieu par l’acte de pécher, encourt-il une plus grande culpabilité. C’est pourquoi les péchés qui consistent dans un acte de mépris sont plus graves que ceux où ne se trouve le mépris que comme une conséquence et comme une interprétation, comme il arrive dans la jouissance d’une créature, par laquelle quelqu’un recherche un plaisir et, en raison de cette recherche, il s’écarte des commandements de Dieu ; ainsi, par mode de conséquence, celui qui [le] reçoit le méprise [corr.]. Or, le péché de blasphème consiste principalement dans un mépris. De même, le péché de celui qui s’approche indignement du corps du Christ est-il essentiellement un certain manque de révérence et un mépris. Or, il faut savoir que le mépris peut se mesurer de deux points de vue. D’une manière, du point de vue de celui qui méprise. Ainsi, on ne peut comparer un genre de péché à un autre, mais un péché particulier à un autre, car il arrive que, dans un seul péché véniel, il y ait un acte de mépris plus grand que dans un péché mortel très grave par son genre. D’une autre manière, du point de vue de celui qui est méprisé. Ainsi, l’ordre entre les péchés est tel que ce par quoi Dieu même est méprisé en lui-même est le péché le plus grave, tels le péché d’infidélité et le blasphème. Suit le péché par lequel Dieu est méprisé dans un sacrement, et principalement dans celui-ci parmi les autres, dans lequel le Christ, Dieu et homme, est contenu par essence (toutefois, ce mépris ne porte pas sur le Christ en tant que Dieu et homme, mais en tant qu’il est dans le sacrement). Vient ensuite le péché par lequel Dieu est méprisé dans ses membres. Ensuite, le péché par lequel Dieu est méprisé dans ses commandements, ce qui est commun à tout péché mortel. Il ressort ainsi clairement que le péché dont il est maintenant question n’est ni le plus grave, ni le moindre de tous les péchés, mais qu’il occupe le milieu entre les péchés qui sont commis contre Dieu et les autres péchés qui sont commis contre le prochain ou contre soi-même. Aussi faut-il répondre aux deux arguments.

[15069] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum indigne corpus Christi manducantium comparatur peccato Christum occidentium, inquantum utrumque peccatum in ipsum Christum committitur; sed tamen peccatum Christum occidentium majus est: quia illud peccatum commissum est in ipsam Christi personam; hoc autem peccatum committitur in ipsum, secundum quod est sub sacramento.

1. Le péché de ceux qui mangent indignement le corps du Christ se compare au péché de ceux qui ont tué le Christ dans la mesure où les deux péchés sont commis contre le Christ lui-même. Cependant, le péché de ceux qui ont tué le Christ est plus grand, car ce péché a été commis contre la personne même du Christ ; mais ce péché est commis contre lui pour autant qu’il est dans le sacrement.

[15070] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille qui corpus Christi in lutum projiceret, magis peccaret quam manducans peccator: quia magis abutitur sacramento, secundum quod longius a debito usu sacramenti recedit, quod ab homine justo sumendum est.

2. Celui qui jetterait le corps du Christ dans la boue pècherait davantage que celui qui le mangerait en état de péché, car il abuse davantage du sacrement dans la mesure où il s’éloigne davantage de l’usage approprié du sacrement qui doit être reçu par un homme juste.

[15071] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis corpus Christi manducare non sit malum nisi per accidens, tamen manducare corpus Christi indigne est malum per se. Nullum enim peccatum dicitur malum per se nisi propter corruptionem alicujus circumstantiae.

3. Bien que manger le corps du Christ ne soit mal que par accident, cependant manger indignement le corps du Christ est mal en soi. En effet, aucun péché n’est appelé un mal en soi qu’en raison de la corruption d’une circonstance.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15072] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in indigne manducante est duo peccata considerare; scilicet peccatum quo indignus redditur ad manducandum, et peccatum quo indigne manducat. Quia ergo peccatum infidelitatis est gravius ceteris aliis peccatis, ideo infidelis manducans indignior est ad manducandum. Sed quia non credit illud quod sumitur esse tantae dignitatis quantae est, ideo non tantum peccat in abusu: quia ignorantia infidelitatis quamvis non excuset sequens peccatum a toto, excusat tamen a tanto, ut patet de peccato occidentium Christum: quia, si cognovissent, nunquam dominum gloriae crucifixissent, 1 Corinth. 2, 8; et per hanc ignorantiam eorum peccatum alleviatum est, ut dicit Anselmus; et similiter Paulus de seipso dicit, 1 Timoth. 1, 14: misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate mea. Et ideo infidelis indignior manducat, sed peccator fidelis magis indigne.

Deux péchés doivent être pris en compte chez celui qui mange indignement [le corps du Christ] : le péché par lequel il est rendu indigne de le manger, et le péché par lequel il le mange indignement. Parce que le péché d’infidélité est plus grave que les autres péchés, celui qui [le] mange en état d’infidélité est donc plus indigne de le manger. Mais parce qu’il ne croit pas que ce qui est reçu a une aussi grande dignité que cela possède, il ne pèche donc pas autant par abus, car l’ignorance de l’infidélité, bien qu’elle n’excuse pas entièrement un péché qui en découle, excuse cependant d’un si grand [péché], comme cela ressort clairement du péché de ceux qui ont tué le Christ, car s’ils l’avaient connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire, 1 Co 2, 8. Et en raison de cette ignorance, leur péché a été allégé, comme le dit Anselme. De même, Paul dit de lui-même, 1 Tm 1, 14 : J’ai obtenu miséricorde, car j’ai agi par ignorance alors que j’étais incroyant. C’est pourquoi l’infidèle est plus indigne de manger [le corps du Christ], mais le pécheur croyant est plus indigne.

[15073] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod infidelis quantum ad peccatum infidelitatis contemnit Christum in sua persona, quia ejus doctrinae repugnat; quantum autem ad manducationem contemnit quidem non expresse sed interpretative, inquantum illa ignorantia qua Christum sub sacramento esse non credit, non est invincibilis; unde quia potest facere ut credat, perinde reputatur ac si credat, in genere peccati; quamvis actualis et expressus contemptus aggravet quantitatem istius peccati; et sic quantum ad ipsam manducationem magis fidelis peccator peccat.

1. L’infidèle, pour ce qui est du péché d’infidélité, méprise le Christ dans sa propre personne parce qu’il s’oppose à son enseignement. Pour ce qui est de la manducation, il le méprise non pas de manière explicite, mais selon une interprétation, pour autant que l’ignorance en vertu de laquelle il ne croit pas que le Christ est dans le sacrement n’est pas invincible. Aussi, parce qu’il peut faire en sorte de croire, il est considéré comme s’il croyait, pour ce qui est du genre du péché, bien que l’acte de mépris et le mépris explicite aggravent la quantité de ce péché. Et ainsi, pour ce qui est de la manducation, le pécheur croyant pèche davantage.

[15074] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ea quae sunt fidei, et praecipue circa hoc sacramentum, non sint ita rationi humanae consona secundum se considerata, tamen ut dicta a Deo, et prodigiis approbata, sunt maxime rationi consona. Nihil enim est adeo rationi consonum, sicut quod Deo sit credendum in omnibus quae dicit et contestatur. Doctrina autem fidei cum accepisset principium enarrandi a domino, contestante Deo signis et prodigiis, et variis spiritus sancti distributionibus, per eos qui audierunt, in nos confirmata est, Hebr. 2, 3; et ideo peccatum infidelitatis est gravius quam peccatum indigne manducantis.

2. Bien que ce qui relève de la foi, principalement au sujet de ce sacrement, ne s’accorde pas autant avec la raison humaine considérée en elle-même, cependant, cela s’accorde au plus haut point avec la raison en tant que cela a été dit par Dieu et été démontré par des prodiges. En effet, rien ne s’accorde autant avec la raison que de devoir croire Dieu en tout ce qu’il dit et dont il rend témoignage. Or, l’enseignement de la foi, après avoir été énoncé d’abord par le Seigneur, alors que Dieu en rendait témoignage par des signes, des prodiges et par divers dons de l’Esprit Saint, a été affermi en nous par ceux qui l’ont entendu, He 2, 3. C’est pourquoi le péché d’infidélité est plus grave que le péché de celui qui mange indignement [le corps du Christ].

[15075] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Tertium autem argumentum concludit, quod infidelis indignior sit; et hoc concedendum est.

3. Le troisième argument conclut que l’infidèle est plus indigne. Cela doit être concédé.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15076] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquis digne corpus Christi manducet, duo requiruntur: scilicet ut sit in statu gratiae, per quam capiti Christo unitur; et quod in actu mens ejus feratur ad divina; unde et sacerdos monet populum sursum corda ad Deum habere. Peccatum autem quanto est gravius, tanto magis a gratia elongat; unde cum peccata spiritualia secundum genus sint graviora carnalibus, ut per Gregorium patet, quamvis aliquod carnale aliquo spirituali sit gravius loquendo in genere; per peccatum spirituale aliquis efficitur magis indignus manducationis corporis Christi quam per peccatum carnale quantum ad primum quod requirebatur ad digne manducandum. Sed quia per peccatum carnale, per luxuriam praecipue, mens humana deprimitur ut ad superna ferri non possit, quia etiam in actu matrimoniali spiritus sanctus corda prophetarum non tangit, ut Hieronymus dicit, et secundum philosophum in 7 Eth., impossibile est hominem aliquid intelligere in ipsa delectatione venereorum; per peccatum carnale homo magis indignus redditur quantum ad secundum quod exigebatur ad digne manducandum. Sed quia multo gravius est habitum gratiae tollere quam actum virtutis impedire, cum illud pertineat ad peccatum mortale semper, hoc autem interdum ad veniale; major indignitas relinquitur, ex defectu primi quam ex defectu secundi; et ideo, simpliciter loquendo, plus peccat qui peccato majori irretitus accedit, nisi per ignorantiam excusetur. Certius autem cognosci potest peccatum mortale in peccatis carnis, praecipue luxuria, quam in peccatis spiritualibus; et ideo quantum ad hoc per accidens peccat plus accedens cum carnali peccato; quamvis simpliciter et per se loquendo peccet plus accedens cum spirituali, si spirituale carnali sit gravius.

Pour que quelqu’un mange dignement le corps du Christ, deux choses sont nécessaires : qu’il soit en état de grâce, par laquelle il est uni au Christ tête ; et que son esprit soit porté en acte vers les réalités divines. Aussi le prêtre avertit-il le peuple d’élever leurs cœurs vers Dieu. Or, un péché est d’autant plus grave qu’il éloigne davantage de la grâce. Aussi, puisque les péchés spirituels sont plus graves que les péchés charnels par leur genre, comme cela ressort clairement chez Grégoire, bien qu’un péché charnel soit plus grave qu’un péché spirituel à parler de manière générale, on est rendu plus indigne de manger le corps du Christ par un péché spirituel que par un péché charnel, pour ce qui est exigé en premier pour [le] manger dignement. Mais parce que, par le péché charnel, surtout par la luxure, l’esprit humain est ravalé, de sorte qu’il ne puisse pas se porter vers les réalités supérieures (car dans l’acte conjugal même, l’Esprit Saint ne touche pas les cœurs des prophètes, comme le dit Jérôme, et, selon le Philosophe, Éthique, VII, il est impossible à l’homme d’user de son intelligence au cœur du plaisir sexuel), par le péché charnel, l’homme est rendu plus indigne [de manger le corps du Christ] pour la seconde raison qui était nécessaire. Mais parce qu’il est beaucoup plus grave d’enlever l’habitus de la grâce que d’empêcher l’acte de la vertu, puisque cela relève toujours du péché mortel, alors que ceci relève parfois du péché véniel, la première carence laisse toujours une plus grande indignité que la seconde. C’est pourquoi, à parler simplement, celui-là pèche davantage qui est pris au piège par un péché plus grand, à moins qu’il ne soit excusé par l’ignorance. Mais le péché mortel peut être connu de manière plus certaine dans les péchés de la chair, principalement dans la luxure, que dans les péchés spirituels. Aussi, de ce point de vue, celui qui s’approche [du corps du Christ] avec un péché charnel pèche davantage par accident, bien qu’à parler simplement et en soi, celui qui s’en approche avec un péché spirituel pèche davantage, si le péché spirituel est plus grave que le péché charnel.

[15077] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc idem quod de peccato luxuriae dicit Hieronymus, de quolibet peccato mortali dici potest: quia qui manducat indigne, reus est corporis et sanguinis domini aliquo modo, ut dictum est.

1. Ce que dit Jérôme du péché de luxure peut être dit de tout péché mortel, car celui qui mange indignement [le corps du Christ], est d’une certaine manière coupable du corps et du sang du Seigneur, comme on l’a dit.

[15078] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa immunditia corporis procedit ex immunditia mentis: quia non inquinatur corpus nisi de consensu mentis: ut dicit Lucia. Unde magis pensatur indignitas ex mente quam ex carne.

2. Cette impureté du corps provient de l’impureté du cœur, car le corps n’est souillé que par le consentement de l’esprit, comme il est dit à propos de Lucie. Aussi l’indignité se mesure-t-elle davantage selon l’esprit que selon la chair.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[15079] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod ea quae in sacramentis geruntur exterius, debent respondere his quae interius geruntur; unde secundum quod homo ad Christum accedit interius mente, ita ad ejus sacramentum debet accedere corpore. Quidam autem non accedunt neque fide neque caritate; unde tales arcendi sunt ab inspectione sacramenti et assumptione. Quidam autem accedunt fide sine caritate; et tales possunt videre, sed non sumere: quia per caritatem aliquis Christo incorporatur; sed per fidem accedens, adhuc longius stat.

Ce qui est accompli extérieurement dans les sacrements doit correspondre à ce qui est accompli intérieurement. Aussi l’homme doit-il s’approcher corporellement du sacrement comme il s’approche du Christ par l’esprit. Or, certains ne s’en approchent ni par la foi ni par la charité ; il est interdit à ceux-là de regarder et de recevoir le sacrement. Mais certains s’en approchent avec la foi mais sans la charité. Ceux-là peuvent le regarder, mais non le recevoir, car on est incorporé au Christ par la charité ; mais celui qui s’en approche avec la foi en est encore éloigné.

[15080] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc non erat propter dignitatem arcae, quod prohibita erat videri, sed propter figuram: omnia enim in figura contingebant illis, 1 Corinth. 10, 11: quia non licet nisi majoribus et perfectis secreta fidei, quae per arcam significantur, curiose scrutari: quia qui perscrutator est majestatis, opprimetur a gloria; Prov. 25, 27.

1. Ce n’est pas à cause de la dignité de l’arche qu’on était empêché de la voir, mais en raison de la figure : en effet, tout leur arrivait en figure, 1 Co 10, 11. Car les secrets de la foi, qui sont signifiés par l’arche, ne peuvent être scrutés avec curiosité que par les grands et les parfaits. En effet, celui qui scrute la majesté sera écrasé par sa gloire, Pr 25, 27.

[15081] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod humilitas alicujus commendatur in hoc etiam quod a licitis abstinet; et ideo non sequitur, si aliquis peccator abstinens ab hoc ad tempus laudatur, quod propter hoc non abstinens peccet.

2. L’humilité de quelqu’un est louée aussi parce qu’il s’abstient de choses permises. Aussi n’en découle-t-il pas que si un pécheur est loué parce qu’il s’en abstient pour un temps, celui qui ne s’en abstient pas pèche pour autant.

 

 

Articulus 4 [15082] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 tit. Utrum nocturna pollutio quae in somnis accidit sit peccatum

Article 4 – La pollution nocturne qui survient pendant le sommeil est-elle un péché ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pollution nocturne qui survient pendant le sommeil est-elle un péché ?]

[15083] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nocturna pollutio quae in somnis accidit, sit peccatum. Meritum enim et demeritum, cum sint contraria, nata sunt fieri circa idem. Sed homo in somnis mereri potest, sicut patet de Salomone, qui dormiens a domino sapientiae donum impetravit: 2 Paralip. 1. Ergo et potest aliquis demereri: ergo si in somnis in aliquod peccatum consentiat, peccatum est, quod in nocturna pollutione frequenter accidit.

1. Il semble que la pollution nocturne qui survient pendant le sommeil soit un péché. En effet, le mérite et le démérite, puisqu’ils sont des contraires, doivent porter sur la même chose. Or, l’homme peut mériter pendant le sommeil, comme cela ressort clairement pour Salomon, qui a demandé le don de sagesse au Seigneur pendant qu’il dormait, 2 Ch 1. [Pour la même raison], quelqu’un peut donc démériter. Par conséquent, s’il consent à un péché pendant qu’il dort, cela est un péché, ce qui arrive fréquemment pour la pollution nocturne.

[15084] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque non habet mentem ligatam, non excusatur a peccato, si aliquod turpe committere consentiat. Sed mens dormientis non videtur esse ligata, cum non sit actus corporis ex cujus passione somnus accidit; immo videtur quod debeat esse magis libera, quia immobilitatis exterioribus sensibus, interiores, a quibus immediate mens accipit, confortantur; et quaedam quandoque de futuris mente dormiens percipit quae vigilans percipere non potest. Ergo non excusatur a peccato, si in aliquod turpe consentiat; et sic idem quod prius.

2. Quiconque n’a pas l’esprit lié n’est pas excusé de péché s’il consent à commettre quelque chose de honteux. Or, l’esprit de celui qui dort ne semble pas lié, puisqu’il n’y a pas d’acte du corps par la passion duquel le sommeil survient ; bien plutôt, il semble qu’il doive être plus libre, car, alors que les sens extérieurs sont immobilisés, les [sens intérieurs], dont l’esprit reçoit de manière immédiate, sont renforcés, et parfois celui qui dort perçoit par l’esprit à propos du futur ce qu’il ne peut pas percevoir alors qu’il est en état de veille. Il n’est donc pas excusé de péché s’il consent à quelque chose de honteux. La conclusion est donc la même que précédemment.

[15085] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quicumque potest deliberare et ratiocinari, videtur usum liberi arbitrii habere, quod inquirendo eligit. Sed dormiens, ut experimento scitur, interdum argumentatur, et argumenta solvit. Ergo habet usum liberi arbitrii et sic idem quod prius.

3. Quiconque peut délibérer et raisonner semble avoir l’usage du libre arbitre, qui choisit en examinant. Or, celui qui dort, comme on le sait d’expérience, parfois raisonne et résout des raisonnements. Il a donc l’usage du libre arbitre, et ainsi c’est la même conclusion que précédemment.

[15086] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quicumque potest consentire et dissentire alicui turpi, reus esse videtur, si consentiat: quia talis videtur esse dominus sui actus. Sed dormiens aliquando dissentit turpitudini praesentatae, aliquando autem consentit. Ergo quando consentit, videtur esse reus peccati.

4. Quiconque peut consentir ou s’opposer à quelque chose de honteux semble être coupable, s’il consent, car celui-là semble être maître de son acte. Or, celui qui dort s’oppose parfois à l’acte honteux présenté, mais parfois y consent. Quand il y consent, il semble donc être coupable de péché.

[15087] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 5 Praeterea, actiones et motus ex terminis judicantur. Sed nocturna pollutio frequenter vigilia finitur quamvis in somno inchoetur. Ergo est judicanda ac si in vigilia fieret; et ita est peccatum.

5. Les actions et les mouvements sont jugés à partir de leurs termes. Or, la pollution nocturne s’achève souvent en état de veille, bien qu’elle ait commencé pendant le sommeil. Elle doit donc être jugée comme si elle survenait pendant l’état de veille. Elle est ainsi un péché.

[15088] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, est quod Augustinus dicit, 12 super Genes. ad litteram: ipsa phantasia quae fit in cogitatione sermocinantis, cum expressa fuerit in visione somniantis, ut inter illam et veram conjunctionem corporum non discernatur, continue movetur caro, et sequitur quod eum motum sequi solet; cum hoc tam sine peccato fiat, quam sine peccato a vigilantibus dicitur, quod ut diceretur sine dubio cogitatum est.

Cependant, [1] Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII : «L’imagination qui est à l’œuvre dans la pensée de celui qui parle, lorsqu’elle s’exprime dans une vision de celui qui dort, au point qu’on ne puisse distinguer entre elle et l’union véritable des corps, la chair est aussitôt mue ; il en découle ce qui suit d’habitude ce mouvement. De sorte que ce qui n’est pas appelé un péché par ceux qui sont en état de veille se réalise sans péché, lorsqu’on l’a pensé pour ainsi dire sans aucun doute.»

[15089] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 1 Ethic., quod secundum dimidium vitae, scilicet somnum, non differt felix a misero neque vitiosus a studioso. Sed secundum peccatum differunt. Ergo peccatum non potest in somnis accidere.

[2] Le Philosophe dit, dans Éthique, I, que, vers le milieu de la vie, à savoir, dans le sommeil, l’homme bienheureux n’est pas différent du misérable, ni celui qui est vicieux de l’homme appliqué. Or, ils diffèrent par le péché. Le péché ne peut donc pas survenir durant le sommeil.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir le corps du Christ ?]

[15090] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non impediat a sumptione corporis Christi. Veniale enim peccatum magis displicet Deo quam quaelibet immunditia corporalis quae fit sine peccato. Sed nocturna pollutio non est peccatum, ut ex auctoritate Augustini inducta patet. Ergo cum veniale peccatum non impediret a sumptione corporis Christi, multo minus nocturna pollutio impedit.

1. Il semble que [la pollution nocturne] n’empêche pas de recevoir le corps du hrist. En effet, le péché véniel déplaît à Dieu davantage que n’importe quelle impureté corporelle, qui survient sans péché. Or, la pollution nocturne n’est pas un péché, comme cela ressort clairement de l’autorité d’Augustin invoquée. Puisque le péché véniel n’empêche pas de recevoir le corps du Christ, encore bien moins la pollution nocturne n’empêche-t-elle pas de recevoir le corps du Christ.

[15091] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, non est dubium quin peccatum mortale plus impedit quam nocturna pollutio. Sed aliquis post peccatum mortale confessum, potest corpus Christi manducare. Ergo multo fortius qui pollutionem nocturnam confessus est, potest eadem die manducare corpus Christi.

2. Il ne fait pas de doute que le péché mortel empêche davantage [de recevoir le corps du Christ] que la pollution nocturne. Or, après avoir confessé un péché mortel, on peut manger le corps du Christ. À bien plus forte raison celui qui a confessé une pollution nocturne peut-il donc manger le même jour le corps du Christ.

[15092] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, homo debet impedire peccatum alterius mortale, quantumcumque potest. Sed si aliquis in peccato mortali existens celebret Missam, constat quod peccat mortaliter. Ergo si aliquis non habens conscientiam peccati mortalis possit hoc impedire celebrando loco ejus, videtur quod debeat celebrare, etiam si sit nocturna pollutione pollutus.

3. L’homme doit empêcher le péché mortel chez un autre, de toutes les manières dont il le peut. Or, si quelqu’un qui se trouve en état de péché mortel célèbre la messe, il est clair qu’il pèche mortellement. Si quelqu’un qui n’a pas conscience d’un péché mortel peut empêcher celui-ci en célébrant à sa place, il semble dont qu’il doive célébrer, même s’il a été souillé par une pollution nocturne.

[15093] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, turpis cogitatio aliquando sine peccato accidit, ut ex verbis Augustini inductis patet: crapulatio autem sine peccato accidere non potest. Sed secundum Gregorium, pollutio quae ex crapula accidit, a communione non impedit, si necessitas incumbat. Ergo nec illa quae ex turpi cogitatione praecedente in vigilia procedit, nec illa quae ex infirmitate naturae, ut Gregorius dicit. Ergo nulla pollutio impedit.

4. Une mauvaise pensée survient parfois sans péché, comme cela ressort des paroles d’Augustin invoquées; mais l’ivresse ne peut pas se produire sans péché. Or, selon Grégoire, la pollution qui provient de l’ivresse n’empêche pas de communier, s’il y a nécessité. Celle qui provient d’une mauvaise pensée qui a précédé alors qu’on était en état de veille [ne l’empêche pas non plus], ni celle qui vient de la faiblesse de la nature, comme le dit Grégoire. Aucune pollution ne l’empêche donc.

[15094] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Levit. 15, 16: vir a quo egreditur semen coitus (...) immundus erit usque ad vesperam. Sed immundis non licet sancta tangere. Ergo multo minus corpus Christi manducare.

Cependant, [1] il est dit, dans Lv 15, 16 : L’homme dont s’est épanchée la semence du coït… sera impur jusqu’au soir. Or, il n’est pas permis aux impurs de toucher les choses saintes. Il [leur] est donc encore bien moins [permis] de manger le corps du Christ.

[15095] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Isidorus dicit, et habetur in Decr. dist. 6: qui nocturna pollutione polluitur, quamvis extra memoriam turpium cogitationum se sentiat inquinatum, tamen hic ut tentaretur suae culpae tribuat, et suam immunditiam statim fletibus tergat. Sed ille qui purgatione indiget, debet a perceptione hujus sacramenti abstinere. Ergo pollutus nocturna pollutione impeditur a perceptione corporis Christi.

[2] Isidore dit, dans le Décret, d. 6 : «Celui qui est souillé par une pollution nocturne, bien qu’il se sente sali sans garder mémoire de mauvaises pensées, qu’il reconnaisse qu’il est coupable d’avoir été tenté et qu’il essuie aussitôt par ses pleurs son impureté.» Or, celui qui a besoin d’une purification doit s’abstenir de recevoir ce sacrement. Celui qui a éprouvé une pollution nocturne est donc empêché de recevoir le corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-on empêché de recevoir ce sacrement par une impureté purement corporelle ?]

[15096] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod propter immunditiam pure corporalem aliquis a perceptione hujus sacramenti impediatur. Deut. 23, 12: habebis locum extra castra, dicit Glossa: corporalem munditiam diligit Deus. Ergo corporalem immunditiam odit; et ita propter corporalem immunditiam debet homo ab hoc sacramento abstinere.

1. Il semble qu’on soit empêché de recevoir ce sacrement par une impureté purement corporelle. À propos de Dt 23, 12 : Tu resteras hors du camp, la Glose dit : «Dieu aime la pureté corporelle.» Il déteste donc l’impureté corporelle. Et ainsi, en raison de l’impureté corporelle, on doit s’abstenir de ce sacrement.

[15097] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, major est dignitas hujus sacramenti quam omnium sacramentorum veteris testamenti. Sed in veteri lege et mulieres post partum, et patientes fluxum menstrui, et seminiflui immundi reputabantur respectu sacramentorum veteris testamenti. Ergo multo fortius debent abstinere a perceptione hujus sacramenti.

2. La dignité de ce sacrement est plus grande que celle de tous les sacrements de la loi ancienne. Or, sous la loi ancienne, les femmes après l’accouchement, celles qui étaient menstruées et ceux qui avaient eu un épanchement séminal étaient tenus pour impurs en regard des sacrements de la loi ancienne. À bien plus forte raison, doivent-ils donc s’abstenir de recevoir ce sacrement.

[15098] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacerdoti leproso interdicitur facultas celebrandi, ut patet Extra. de clerico aegro vel debili: tua nos. Ergo eadem ratione propter lepram debet laicus a perceptione hujus sacramenti abstinere.

3. La permission de célébrer est refusée à un prêtre lépreux, comme cela ressort clairement de Extra, «À propos du prêtre malade ou invalide» : Tua nos. Pour la même raison, un laïc doit-il donc, en raison de la lèpre, s’abstenir de recevoir ce sacrement.

[15099] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, poena non debetur poenae, sed culpae: alioquin consurgeret duplex tribulatio, quod est contra id quod dicitur Nahum 1. Sed omnes praedictae immunditiae corporales poenae quaedam sunt. Ergo propter eas non debet aliquis a sacramento altaris impediri, quod est maxima poena.

Cependant, [1] une peine n’est pas due pour une peine, mais pour une faute, autrement une double tribulation apparaîtrait, ce qui va à l’encontre de ce qui est dit en dans Na 1. Or, toutes les impuretés corporelles mentionnées sont des peines. On ne doit donc pas, à cause d’elles, être écarté du sacrement de l’autel, ce qui est la plus grande peine.

[15100] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, naturalibus non meremur neque demeremur. Sed omnes praedictae immunditiae ex causis naturalibus accidunt. Ergo propter eas non meretur aliquis a participatione hujus sacramenti impediri.

[2] Nous ne méritons pas ni ne déméritons en raison de réalités naturelles. Or, toutes les impuretés mentionnées surviennent par des causes naturelles. On ne mérite donc pas d’être empêché de participer à ce sacrement à cause d’elles.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15101] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod omne peccatum, secundum Augustinum, est in voluntate: motus autem voluntatis praesupponit judicium rationis, eo quod est apparentis boni vel vere vel false; unde ubi non potest esse judicium rationis, non potest esse voluntatis motus. In somnis autem judicium rationis impeditur. Judicium enim perfectum haberi non potest de aliqua cognitione, nisi per resolutionem ad principium unde cognitio ortum habet; sicut patet quod cognitio conclusionum ortum habet a principiis; unde judicium rectum de conclusione haberi non potest nisi resolvendo ad principia indemonstrabilia. Cum ergo omnis cognitio intellectus nostri a sensu oriatur, non potest esse judicium rectum nisi reducatur ad sensum. Et ideo philosophus dicit in 6 Ethic., quod sicut principia indemonstrabilia, quorum est intellectus, sunt extrema, scilicet resolutionis, ita et singularia, quorum est sensus. In somno autem sensus ligati sunt; et ideo nullum judicium animae est liberum, neque rationis neque sensus communis; et ideo neque motus appetitivae partis est liber; et propter hoc non potest aliquis peccare in somno, neque mereri. Sed tamen potest in somno accidere signum peccati vel meriti, inquantum somnia habent causas imaginationis vigilantium; unde dicit philosophus in 1 Ethic., quod inquantum paulatim pertranseunt quidam motus, scilicet a vigilantibus ad dormientes, meliora sunt phantasmata studiosorum quam quorumlibet; et Augustinus, 12 super Genes., quod propter affectionem animae bonam etiam in somnis quaedam ejus merita clarent.

Selon Augustin, tout péché se situe dans la volonté. Or, le mouvement de la volonté présuppose le jugement de la raison, vu qu’il porte avec vérité ou fausseté sur ce qui paraît bien. Aussi, là où il ne peut y avoir de jugement de la raison, ne peut-il y avoir de mouvement de la volonté. Or, durant le sommeil, le jugement de la raison est empêché. En effet, il ne peut exister de jugement parfait à propos d’une connaissance qu’en remontant au principe dont la connaissance tire son origine, comme il est clair que la connaissance des conclusions tire son origine des principes. Aussi ne peut-on avoir un jugement droit sur une conclusion qu’en remontant à des principes indémontrables. Puisque toute connaissance de notre intellect provient du sens, il ne peut donc y avoir de jugement droit à moins qu’il ne soit ramené au sens. C’est pourquoi, dans Éthique, VI, le Philosophe dit que, de même que les principes indémontrables, sur lesquels porte l’intellect, sont les points ultimes d’une la solution, de même les réalités singulières sur lesquelles porte le sens. Or, durant le sommeil, les sens sont liés. C’est pourquoi, [durant le sommeil], aucun jugement de l’âme, de la raison ou du sens commun n’est libre. Pour cette raison, on ne peut ni pécher ni mériter durant le sommeil. Toutefois, un signe de péché ou de mérite peut survenir durant le sommeil, dans la mesure où les rêves ont leurs causes dans l’imagination lorsqu’on est en état de veille. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, I, que dans la mesure où passent peu à pau certains mouvements de ceux qui sont en état de veille à ceux qui dorment, les représentations imaginaires de ceux qui sont appliqués sont meilleures que celles de tous les autres. Et Augustin [dit], dans le commentaire de la Genèse, XII, que même durant le sommeil, certains mérites de l’âme brillent en raison de la disposition d’une âme bonne.

[15102] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum quod Augustinus ibidem dicit, Salomonis petitio in somnis facta placuisse Deo et remunerationem invenisse dicitur pro bono desiderio prius habito, quod in somnis per signum sanctae petitionis claruit; non quod tunc in somno meruerit.

1. Selon ce que dit Augustin au même endroit, on dit que la demande de Salomon faite en songe a plu à Dieu et a été récompensée en raison du bon désir qu’il avait eu auparavant, qui a brillé durant le sommeil par un signe de sa demande sainte, et non parce qu’il aurait alors mérité durant son sommeil.

[15103] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mens humana habet duos respectus: unum ad superiora, quibus illustratur: alium ad corpus a quo recipit, et quod regit. Ex parte illa qua anima a supernis accipit, per somnum non ligatur, immo magis libera redditur quanto fit a corporalibus curis magis absoluta; et ideo etiam ex influentia superni luminis aliqua de futuris percipere potest dormiens quae vigilans scire non posset. Ex parte autem illa qua a corpore recipit, oportet quod ligetur quantum ad ultimum judicium et completum, ligatis sensibus a quibus ejus cognitio initium sumit; quamvis etiam imaginatio ejus non ligetur, quae immediate ei species rerum subministrat.

2. L’esprit humain est tourné vers deux choses : vers les réalités d’en haut, par lesquelles il est éclairé ; vers le corps, dont il reçoit et qu’il dirige. Par là où l’âme reçoit des réalités d’en haut, il n’est pas lié par le sommeil ; bien plutôt, il est rendu plus libre dans la mesure où il est rendu plus détaché des préoccupations corporelles. C’est pourquoi celui qui dort peut percevoir quelque chose du futur sous l’influence de la lumière d’en haut, que celui qui est en état de veille ne pourrait pas [percevoir]. Mais, par là où [l’âme] reçoit du corps, il est nécessaire qu’elle soit liée pour un jugement ultime et complet, étant donné que les sens par où commence sa connaissance sont liés, bien que son imagination ne soit pas liée, qui lui présente les images des choses de manière immédiate.

[15104] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod liberi arbitrii est eligere, secundum quod patet ex Augustini definitione in 2 Lib., dist. 24, quaest. 1, art. 1, posita: electio autem est quasi conclusio consilii, ut dicitur in 3 Ethic.; unde ad judicium pertinet, vel judicium praesupponit; et ideo quamvis aliquem usum alicujus rationis homo dormiens habere possit, secundum quod sensus minus ligantur, tamen usum liberi arbitrii in eligendo habere non potest.

3. Il relève du libre arbitre de choisir, comme cela ressort clairement de la définition donnée par Augustin dans le livre II, d. 24, q. 1, a. 1. Or, le choix est comme la conclusion du conseil, comme il est dit dans Éthique, III. Il relève donc du jugement ou présuppose le jugement. C’est pourquoi, bien qu’on puisse avoir en dormant un certain usage de quelque chose de la raison, selon que les sens sont moins liés, on ne peut cependant avoir l’usage du libre arbitre pour choisir.

[15105] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum quod sensus magis vel minus ligatur a passione somni, hoc etiam judicium rationis magis vel minus impeditur. Unde quandoque homo dormiens considerat, haec quae apparent somnia esse. Sed quia in dormiendo nunquam sunt sensus soluti ex toto, ideo etiam rationis judicium non est ex toto liberum; unde semper cum aliqua falsitate judicium rationis est, etiam si quantum ad aliquid sit verum; et inde contingit quod aliquis in somno aliquando consentit turpitudini, aliquando non. Quia tamen judicium rationis non est omnino liberum, et per consequens nec liberi arbitrii usus; ideo nec talis consensus vel dissensus potest esse meritorius vel demeritorius in se.

4. Selon que le sens est plus ou moins lié par le sommeil qui l’affecte, ce jugement de la raison est plus ou moins empêché. Aussi examine-t-on parfois en dormant ce qui se présente en rêve. Mais parce que, dans le sommeil, les sens ne sont jamais entièrement déliés, c’est la raison pour laquelle le jugement de la raison n’est pas lui non plus entièrement libre. Aussi le jugement de la raison présente-t-il quelque fausseté, même s’il est vrai sur quelque point. De là vient que l’on consent parfois à une chose honteuse durant le sommeil, et parfois non. Cependant, parce que le jugement de la raison n’est pas entièrement libre et, par conséquent, ni l’usage du libre arbitre, un tel consentement ou rejet ne peut être en soi objet de mérite ou de démérite.

[15106] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod corporales motus non pertinent ad meritum vel demeritum, nisi secundum quod a voluntate quasi a principio causantur; et ideo nocturna pollutio magis judicatur quantum ad rationem meriti vel demeriti, secundum principium quod est in dormiendo, quam secundum terminum qui est in vigilando: quia ex quo in dormiendo excitatus est motus carnis, non subjacet voluntati vigilantis ulterius motus ille, nec reputatur evigilasse, quousque perfectum usum liberi arbitrii recuperavit. Potest tamen contingere quod in ipsa evigilatione peccatum oriatur, si quidem pollutio propter delectationem placeat: quod quidem erit veniale peccatum, si sit ex surreptione talis placentia; mortale autem, si sit cum deliberante consensu, et praecipue cum appetitu futuri. Ista autem placentia non facit praeteritam pollutionem peccatum, quia ipsius causa non est, sed ipsa in se peccatum est. Si autem placeat ut naturae exoneratio, vel alleviatio, peccatum non creditur.

5. Les mouvements corporels n’ont de rapport au mérite ou au démérite que s’ils sont causés par la volonté comme par leur principe. C’est pourquoi on juge de la pollution nocturne du point de vue du mérite ou du démérite selon le principe qui agit lorsqu’on dort plutôt que selon le terme qui existe à l’état de veille. En effet, du fait qu’un mouvement de la chair éveillé durant le sommeil n’est pas soumis à la volonté de celui qui n’est plus en état de veille, ce mouvement n’est pas non plus estimé avoir eu lieu à l’état de veille jusqu’à ce que [celui qui dort] ait retrouvé l’usage parfait du libre arbitre. Il peut cependant arriver qu’un péché ait pris naissance durant l’état de veille même, si la pollution plaît en raison du plaisir. Mais il s’agira d’un péché véniel, si un tel plaisir survient de manière subreptice, mais d’un [péché] mortel, s’il survient par consentement délibéré, et surtout si on le désire dans l’avenir. Mais ce plaisir ne fait pas de la pollution passée un péché, car il n’en est pas la cause; il est toutefois en lui-même un péché. Mais s’il y a plaisir en tant que [la pollution] est une décharge ou un allégement de la nature, on ne croit pas qu’il s’agisse d’un péché.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15107] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod homo digne ad sacramentum Eucharistiae accedat, tria requiruntur. Primo munditia conscientiae; quae non nisi per peccatum tollitur. Secundo erectio mentis ad Deum per actualem devotionem; et haec per mentis hebetudinem vel occupationem aut evagationem interdum sine peccato amittitur. Tertio munditia corporalis; unde et celebrantes, vel tractaturi aliquod sacramentum, propter reverentiam manus lavant. Unde primo et principaliter peccatum impedit; secundo indevotio sive hebetudo mentis; tertio corporalis immunditia; et haec tria quandoque concurrunt in aliqua pollutione nocturna, quandoque duo ex his, quandoque unum tantum; et secundum hoc homo magis vel minus impeditur; et ideo distinguendae sunt pollutionum differentiae. Distinguitur autem dupliciter pollutio nocturna. Primo quantum ad causam. Eorum enim quae in somnis apparent, triplex est causa. Una extrinseca spiritualis, sicut in his quae per spirituales substantias nobis revelantur. Alia intrinseca spiritualis, quando phantasmata quae apparent dormientibus, sunt reliquiae praecedentium cogitationum. Tertia est corporalis intrinseca, sicut quando phlegma dulce ad linguam decurrit, somniat homo comedere dulcia; unde medici ex somnis, corporis dispositionem conjiciunt. Pollutio ergo quandoque ex illusione accidit, quando phantasmata per causam extrinsecam spiritualem, scilicet Daemones, commoventur; quandoque ex reliquiis praeteritarum cogitationum, quod est causa spiritualis intrinseca; quandoque ex causa intrinseca naturali: quae quidem causa vel fuit voluntati subjecta, et est quando ex superfluitate cibi aut potus praecedente pollutio accidit; vel non fuit voluntati subjecta, sicut sive accidat ex debilitate naturae impotentis retinere semen, sive ex ejus virtute superflua expellentis, sive quocumque alio modo, quod in idem redit. Secundo distinguitur pollutio quantum ad modum: quia quandoque accidit sine imaginatione, quandoque cum imaginatione; et hoc dupliciter: quia quandoque in ipsa somni imaginatione homo turpitudini consentit, quandoque dissentit, et tamen pollutio accidit. Quando ergo sine imaginatione pollutio accidit, signum est quod pollutio ex causa sit corporali intrinseca. Sed quando cum imagine, potest sic vel sic esse. In omnibus igitur praedictis pollutionibus corporalis immunditia est communis; sed quaedam mentis hebetatio non est nisi in illis pollutionibus quae cum imaginatione accidunt: quia in illis quae sine imaginatione accidunt, anima nihil participare videtur. Nulla autem dictarum est peccatum, ut ex dictis patet, sed potest esse effectus peccati significans praecedens peccatum veniale vel mortale. Peccatum autem mortale ex necessitate praecepti a perceptione Eucharistiae impedit, quia mortaliter peccat qui cum conscientia peccati mortalis accedit. Hebetudo autem mentis et immunditia corporalis est quaedam indecentia honestatis: quia indevotio quaedam videtur sic accedere, nisi necessitas urgeat. Et ideo considerandum est, utrum in causa pollutionis possit inveniri peccatum praecedens: quia cogitatio turpium quandoque est sine peccato, sicut cum in cogitatione tantum manet, ut cum quis disputans de talibus, oportet quod loquens cogitet; aliquando etiam cum peccato veniali, quando ad affectionem cogitatio pertingens in sola delectatione finitur; quandoque etiam cum mortali, quando consensus adjungitur. Et quia cogitationi tali de propinquo est delectatio, et delectationi consensus, inde etiam in dubium potest verti, utrum sequens pollutio ex peccato acciderit, vel non, et aut veniali, aut mortali; satis tamen probabiliter potest conjici non praecessisse consensum, quando in ipsa somni imaginatione anima dissentit; non tamen oportet quod, si consentiat, consensus in vigilando praecesserit: quia hoc potest accidere propter ligamen judicii rationis, quod quandoque magis quandoque minus est liberum in somno. Unde in tali pollutione si ad causam recurrens dubitet de consensu, omnino abstinere debet. Si autem expresse inveniat consensum non praecessisse, et necessitas urgeat, aut aliqua causa potior reformet actum, potest accedere, aut etiam celebrare non obstante corporis immunditia, aut hebetatione mentis: alias si necessitas non incumbat, videtur non exhibere debitam reverentiam sacramento. Non tamen si celebrat, mortaliter peccat, sed venialiter, sicut cum quis quandoque mentis evagationem patitur. Quando autem ex illusione accidit, si illusionis causa in nobis praecessit, puta cum quis indevotus ad dormiendum accesserit; idem est judicium ac de pollutione quae ex cogitatione praecedenti causatur. Si autem in nobis causa non praecesserit, immo magis causa contraria, et hoc frequenter accidat, et praecipue in diebus quibus quis communicare debet; signum est quod Diabolus homini fructum Eucharistiae percipiendae auferre conatur. Unde in tali casu consultum fuit cuidam monacho, ut in collationibus patrum legitur, quod, communicaret; et sic Diabolus videns se non posse consequi intentum, ab illusione cessavit. Si autem ex cibo praecedenti aut potu acciderit, idem est judicium ac de pollutione quae ex turpi cogitatione processit; nisi intantum quod non ita de facili accidit peccare mortaliter in sumptione cibi sicut in cogitatione turpi. Et quia aliquando haec pollutio sine imaginatione accidit, illa vero nunquam; illa autem quae ex naturae dispositione accidit, non est signum alicujus peccati, sed potest hebetationem mentis inducere, si cum imaginatione contingat, immunditiam autem corporalem habet; ideo si necessitas immineat, vel devotio exposcat, talis non impeditur, et praecipue quando non cum imaginatione accidit. Tamen si propter reverentiam abstineat, laudandus est, quando infirmitas non est perpetua. Et quia non ita de facili potest percipi ex qua causa contingat, ideo tutius est abstinere, nisi necessitas incumbat. Debet autem abstinere, ut dicunt, usque ad vigintiquatuor horas: quia in tali spatio natura deordinata per corporalem immunditiam et mentis hebetationem, reordinatur.

Pour qu’un homme s’approche dignement de l’eucharistie, trois choses sont nécessaires. Premièrement, la pureté de la conscience, qui n’est enlevée que par le péché. Deuxièmement, l’élévation de l’esprit vers Dieu par une dévotion en acte : celle-ci est parfois enlevée sans péché par l’engourdissemeent de l’esprit, l’occupation ou la distraction. Troisièmement, la pureté corporelle : ainsi, les célébrants ou ceux qui qui doivent manipuler un sacrement se lavent-ils les mains par révérence. Le péché empêche donc [d’approcher du sacrement] premièrement et principalement ; deuxièmement, l’absence de dévotion ou l’engourdissement de l’esprit ; troisièmement, l’impureté corporelle. Et les trois choses concourent parfois à une pollution nocturne, parfois deux d’entre elles, parfois une seule. En conséquence, un homme est plus ou moins empêché ; aussi faut-il faire une distinction entre les pollutions. Or, il y a une double distinction pour la pollution nocturne. Premièrement, quant à sa cause. En effet, il existe une triple cause de ce qui apparaît durant le sommeil. L’une est spirituelle et extérieure, comme lorsque certaines choses nous sont révélées par des substances spirituelles. Une autre est spirituelle et intérieure, comme lorsque les représentations imaginaires qui apparaissent à ceux qui dorment sont les restes de pensées antérieures. Une troisième est corporelle et intérieure, comme lorsqu’un liquide doux parcourt la langue, on rêve qu’on mange des choses douces. Aussi les médecins conjecturent-ils la disposition du corps à partir des rêves. La pollution survient donc parfois en raison d’une illusion, lorsque les représentations imaginaires sont agitées par une cause spirituelle extérieure, à savoir, les démons ; parfois, en raison des restes de pensées passées, ce qui est une cause spirituelle intérieure ; parfois, en raison d’une cause qui a été soumise à la volonté – c’est le cas lorsqu’une pollution survient en raison d’un surplus de nourriture et de boisson qui a précédé –, ou qui n’a pas été soumise à la volonté, soit qu’elle se produise à cause de la faiblesse de la nature impuissante à retenir la semence, soit qu’elle provienne de la puissance superflue de celui qui l’émet, soit de n’importe quelle autre manière, ce qui revient au même. Deuxièmement, la pollution se distingue par le mode, car elle survient parfois sans représentation imaginaire, et parfois avec représentation imaginaire. Et cela, de deux manières. Parfois, l’homme consent à ce qui est honteux dans la représentation imaginaire même du sommeil, parfois il s’y oppose, mais la pollution survient quand même. Lorsque la pollution survient sans représentation imaginaire, c’est le signe que la pollution vient d’une cause corporelle intrinsèque. Mais quand elle se produit avec représentation imaginaire, ce peut être un cas ou l’autre. Dans toutes les pollutions mentionnées, l’impureté corporelle est donc un trait commun ; mais un certain affaiblissement de l’esprit n’est présent que dans les pollutions qui surviennent avec représentation imaginaire, car, dans celles qui surviennent sans représentation imaginaire, il semble que l’âme ne participe d’aucune manière. Or, aucune des [pollutions] mentionnées n’est un péché, comme on l’a dit, mais elle peut être l’effet d’un péché véniel ou mortel. Or, le péché mortel empêche de recevoir l’eucharistie selon l’obligation d’un commandement, car celui qui s’approche [de l’eucharistie] avec la conscience d’un péché mortel pèche mortellement. Or, l’engourdissement de l’esprit et l’impureté corporelle sont incompatibles avec l’honnêteté, car une certaine absence de dévotion semble ainsi se produire, à moins qu’il y ait nécessité urgente. Il faut donc examiner si un péché précédent peut avoir été la cause de la pollution, car la pensée de choses honteuses se produit parfois sans péché, comme lorsqu’elle demeure seulement dans la pensée – ainsi, lorsqu’on dispute de ces choses, il faut que celui qui parle [y] pense ; mais parfois, avec un péché véniel, lorsque la pensée qui atteint l’affectivité se termine dans l’affectivité ; mais parfois aussi, avec un péché mortel, lorsqu’un consentement s’y ajoute. Et parce que la délectation est proche de la pensée et le consentement proche de la délectation, on peut aussi douter que la pollution qui en découle vienne d’un péché ou non, et d’un péché véniel ou mortel. Cependant, on peut conjecturer avec probabilité qu’un consentement n’a pas précédé lorsque l’âme s’oppose à la représentation imaginaire du sommeil, car cela peut survenir parce que le jugement de la raison est immobilisé : il est alors plus ou moins libre pendant le sommeil. Si, lors d’une telle pollution, celui qui en cherche la cause a un doute sur son consentement, il doit s’abstenir complètement [de manger le corps du Christ]. Mais s’il trouve expressément que le consentement n’a pas précédé et qu’il y a nécessité urgente ou qu’une cause plus importante redonne sa forme à l’acte, il peut s’en approcher ou même célébrer, nonobstant l’impureté du corps ou l’engourdissement de l’esprit ; autrement, s’il n’y a pas nécessité, il semble ne pas manifester au sacrement la révérence appropriée. Toutefois, il ne pèche pas mortellement s’il célèbre, mais véniellement, comme lorsqu’on subit parfois un vagabondage de l’esprit. Mais parfois, [la pollution] provient d’une illusion, si la cause de l’illusion a précédé en nous, par exemple, lorsqu’on ira dormir alors la dévotion est absente ; le jugement est le même que pour la pollution qui est causée par une pensée antérieure. Mais si la cause n’a pas précédé en nous, mais bien plutôt une cause contraire, et que cela arrive fréquemment et surtout les jours où quelqu’un doit communier, c’est le signe que le Diable s’efforce d’enlever à l’homme le fruit de la réception de l’eucharistie. Dans un tel cas, il a été conseillé à un moine de communier, comme on le lit dans les Conférences des pères ; et si le Diable voit qu’il ne peut poursuivre son but, il cessera de provoquer l’illusion. Mais si cela survient en raison de la nourriture ou de la boisson qui auront précédé, le jugement est le même que pour la pollution qui est venue d’une pensée honteuse, sauf qu’il n’arrive pas aussi souvent que l’on pèche mortellement en prenant de la nourriture qu’en ayant une pensée obscène. Et parce qu’une telle pollution survient parfois sans représentation imaginaire, alors que ce n’est jamais le cas de celle-là, celle qui se produit en raison d’une disposition de la nature n’est pas le signe d’un péché, mais peut provoquer l’engourdissement de l’esprit, si une représentation imaginaire l’accompagne ; mais elle provoque une impureté corporelle. C’est pourquoi, s’il y a nécessité urgente ou si la dévotion le demande, celui-ci n’est pas empêché [de manger le corps du Christ ou de célébrer], surtout lorsqu’elle survient sans représentation imaginaire. Toutefois, s’il s’abstient par révérence, il doit être loué, lorsque la faiblesse n’est pas perpétuelle. Et parce qu’on ne peut pas facilement percevoir la raison pour laquelle [la pollution] survient, il est donc plus sûr de s’abstenir, à moins qu’une nécessité s’impose. Il doit s’abstenir, dit-on, pendant vingt-quatre heures, car, pendant cette période, la nature qui a été désordonnée par l’impureté corporelle et l’engourdissement de l’esprit se replace.

[15108] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis peccatum quodlibet veniale magis ad impuritatem pertineat mentis secundum se quam pollutio nocturna, et secundum hoc magis Deo displiceat; tamen peccatum veniale non ita hebetat animam et corpus inquinat, nec ita de facili est signum peccati mortalis, sicut pollutio; et ideo ratio non sequitur.

1. Bien que n’importe quel péché véniel provoque par lui-même davantage l’impureté de l’esprit que la pollution nocturne et, sous cet aspect, deplaise davantage à Dieu, le péché véniel n’engourdit cependant pas autant l’esprit et ne souille pas le corps, et il n’est pas aussi facilement le signe d’un péché mortel que la pollution. Aussi le raisonnement n’est-il pas juste.

[15109] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non esset consulendum alicui quod statim post peccatum mortale etiam contritus et confessus, ad Eucharistiam accederet; sed deberet, nisi magna necessitas urgeret, per aliquod tempus propter reverentiam abstinere; et praeterea confessio purgat maculam mentis, non autem immunditiam corporalem et hebetudinem, quae contingit in mente ex depressione ipsius ad carnem.

2. Il ne faudrait pas conseiller à quelqu’un qui, aussitôt après un péché mortel, s’est repenti et confessé, de s’approcher de l’eucharistie ; mais, à moins d’une nécessité urgente, il devrait s’en abstenir par révérence. Au surplus, la confession purifie la souillure de l’esprit, mais non l’impureté corporelle et l’engourdissement qui survient dans l’esprit en raison de son abaissement vers la chair.

[15110] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam dicunt quod homo debet peccare venialiter, ut alium a peccato mortali impediat. Sed hoc dictum contradictionem implicat: quia ex hoc ipso quod dicitur peccatum, ponitur indebitum fieri. Unde si aliquid fit quod nullo modo possit non esse peccatum, non debet fieri, nec etiam bonum est fieri, nec licitum, ut alius a peccato mortali liberetur; quamvis ad hoc ex quadam pietate animi etiam multi boni inclinentur. Sed potest hoc contingere ut aliquid quod alias est peccatum veniale, ex tali causa factum desineret esse peccatum; sicut dicere aliquod verbum jocosum quod non esset otiosum si diceretur causa piae utilitatis; unde si talis pollutio sit, quae in casu necessitatis non impediat, deberet pollutus in casu proposito celebrare; alias non.

3. Certains disent qu’un homme doit pécher véniellement afin d’empêcher un péché mortel chez un autre. Mais cela comporte une contradiction, car, par le fait même qu’on parle de péché, on affirme que quelque chose de défendu a été commis. Si quelque chose est fait qui d’aucune manière ne peut pas ne pas être un péché, cela ne doit pas être fait, et il n’est pas non plus bon ni permis de le faire pour qu’un autre soit libéré d’un péché mortel, bien que beaucoup d’hommes bons soient inclinés à cela par une certaine compassion. Mais il peut arriver que quelque chose qui, autrement, serait un péché véniel, cesserait d’être un péché pour une telle cause, comme le fait de dire quelque chose de drôle ne serait pas oiseux si on le disait par affection dans le but d’aider. S’il y a donc une pollution qui n’empêche pas [de célébrer] en cas de nécessité, celui qui a subi la pollution devrait célébrer dans le cas en cause ; autrement, non.

[15111] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod turpis cogitatio dicitur non solum quae de turpibus est (quia de eis non potest esse honesta cogitatio); sed quae turpitudinem habet propter delectationem vel consensum adjunctum; et haec quidem turpitudo magis horrenda est quam illa quae in cibo accidit: tum quia magis vitari potest, cum difficillimum sit in cibo modum tenere: tum quia est magis propinqua ad mortale peccatum.

4. On appelle pensée honteuse, non pas seulement celle qui porte sur des réalités honteuses (car il ne peut pas y avoir de pensée honnête sur ces réalités), mais celle qui est honteuse en raison du plaisir ou du consentement qui y sont joints. Et une telle obscénité doit être davantage prise en horreur que celle qui survient en raison de la nourriture, aussi bien parce qu’elle peut davantage être évitée, alors qu’il est très difficile de garder la mesure pour la nourriture, et parce qu’elle se rapproche davantage du péché mortel.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15112] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum iste cibus non sit corporis sed mentis cibus, magis in ejus sumptione consideranda est dispositio mentis quam corporis; et ideo distinguendum est in immunditia corporali tantum: quia aut est perpetua, sicut lepra, aut diuturna; vel est temporalis et cito purgabilis. Si quidem sit perpetua vel diuturna, tunc nullo modo propter hoc quis abstinere debet, ne propter immunditiam corporis perdatur fructus mentis, sicut accidit in leprosis patientibus fluxum sanguinis vel seminis. Si autem sit temporalis et facile expurgabilis, tunc si aliquis in mente sit bene dispositus, sumere non prohibetur; quamvis etiam possit ad tempus laudabiliter abstinere propter reverentiam tanti sacramenti.

Puisque cette nourriture relève davantage de l’esprit que du corps, il faut donc plutôt considérer la disposition de l’esprit que celle du corps lorsqu’on la reçoit. C’est pourquoi il faut faire une distinction à propos de l’impureté corporelle seulement, car soit elle est perpétuelle, comme la lèpre, ou dure longtemps ; soit elle est temporaire et rapidement purifiable. Si elle est perpétuelle ou dure longtemps, alors on ne doit d’aucune manière s’abstenir [de s’approcher du corps du Christ] à cause de cela, de crainte que le fruit de l’esprit ne soit perdu à cause de l’impureté du corps, comme cela arrive chez les lépreux qui souffrent d’un écoulement de sang ou de semence. Mais si elle est temporaire et facilement purifiable, si quelqu’un a alors l’esprit bien disposé, il n’est pas interdit de recevoir [le corps du Christ], bien qu’il puisse louablement s’en abstenir pour un temps par révérence pour un si grand sacrement.

[15113] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus diligit corporalem munditiam, et immunditiam odit, secundum quod pertinet ad reverentiam vel irreverentiam sacramenti; et ideo si ex devotione mentis, non propter irreverentiam, aliquis cum immunditia corporali accedat, Deus acceptat.

1. Dieu aime la pureté corporelle et déteste l’impureté, pour autant qu’elle relève de la révérence ou de l’irrévérence envers le sacrement. C’est pourquoi Dieu accepte que quelqu’un s’approche [du corps du Christ] avec une impureté corporelle s’il le fait avec révérence spirituelle, et non par irrévérence.

[15114] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prohibitio immundorum in lege a sanctis magis erat propter significationem quam propter ipsas res; et ideo non oportet quod similiter fiat in novo testamento, ubi veniente veritate figurae cessaverunt.

2. L’interdiction des choses saintes adressée aux impurs sous la loi venait davantage de leur signification que des choses elles-mêmes. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’agir de même sous la Nouvelle Alliance, où les figures ont cessé lorsque la vérité est apparue.

[15115] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod interdicitur sacerdoti leproso ne celebret publice coram populo propter horrorem; tamen secrete bene potest ex devotione celebrare, nisi sit adeo corruptus quod ministerium sine periculo explere non possit. Leprosus tamen ad sacerdotium promoveri non debet.

3. Il est interdit à un prêtre lépreux de célébrer publiquement devant le peuple en raison de l’horreur. Toutefois, il peut bien célébrer secrètement avec dévotion, à moins qu’il ne soit à ce point dégradé qu’il ne puisse accomplir son ministère sans danger. Cependant, un lépreux ne doit pas être promu au sacerdoce.

 

 

Articulus 5 [15116] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 tit. Utrum sacerdos debeat dare corpus Christi petenti si sciat ipsum esse peccatorem

Article 5 – Un prêtre doit-il donner le corps du Christ à celui qui le demande, s’il sait qu’il est un pécheur ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un prêtre doit-il donner le corps à celui qui le demande, s’il sait qu’il est un pécheur ?]

[15117] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sacerdos dare non debeat corpus Christi petenti, si sciat ipsum esse peccatorem. Medicus enim non debet dare infirmo medicinam quam scit ei esse mortiferam. Sed sacerdos scit peccatori corpus Christi esse mortiferam causam. Ergo non debet ei dare.

1. Il semble qu’un prêtre ne doive pas donner le corps du Christ à celui qui le demande, s’il sait qu’il est un pécheur. En effet, un médecin ne doit pas donner à un malade un remède qu’il sait être mortel. Or, le prêtre sait que le corps du Christ est cause de mort pour le pécheur. Il ne doit donc pas [le] lui donner.

[15118] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, contra veritatem vitae non est faciendum aliquid propter vitandum scandalum. Sed dare corpus Christi peccatori est contra veritatem vitae, cum sit contra praeceptum domini, Matth. 7, 6: nolite sanctum dare canibus. Ergo quantumcumque possit sequi scandalum, nullo modo est ei dandum: sicut nec pro aliquo scandalo vitando deberet dari cani, aut in lutum projici.

2. Pour éviter un scandale, il ne faut pas faire quelque chose qui aille contre la vérité de la vie. Or, donner le corps du Christ à un pécheur va contre la vérité de la vie, puisque cela va à l’encontre d’un commandement du Seigneur, Mt 7, 6 : Ne donnez pas aux chiens une chose sainte ! Quel que soit le scandale qui en découle, il ne faut donc pas lui donner [le corps du Christ], comme il ne faudrait pas le donner à un chien pour éviter un scandale, ou le jeter dans la boue.

[15119] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, de duobus malis minus malum eligendum est. Sed peccatori minus est malum si infametur, quam si corpus Christi manducet indigne. Ergo magis sacerdos debet ei negare in publico, etiamsi crimen ipsius in notitiam venire debeat, quam ei dare.

3. Il faut choisir le moindre de deux maux. Or, c’est un moindre mal pour le pécheur de subir l’infamie que de manger indignement le corps du Christ. Le prêtre doit donc plutôt le lui refuser en public, même si son crime devait être révélé, que le lui donner.

[15120] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si dat ei hostiam non consecratam, nullum scandalum erit. Ergo videtur quod hoc debet magis facere.

4. S’il lui donne une hostie non consacrée, il n’y aura pas de scandale. Il semble donc qu’il doive plutôt faire cela.

[15121] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis Christi actio nostra est instructio. Sed Christus dedit corpus suum in coena Judae, ut habetur Joan. 13, et Dionysius dicit, quamvis sciret eum peccatorem. Ergo et sacerdos peccatori petenti denegare non debet.

Cependant, [1] toute action du Christ est pour nous un enseignement. Or, le Christ a donné son corps à Judas lors de la cène, comme on le trouve en Jn 13. Et Denys dit [qu’il a fait cela], même s’il savait qu’il était un pécheur. Le prêtre ne doit donc pas le refuser à celui qui demande.

[15122] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: non prohibeat dispensator pingues terrae, idest peccatores, mensam domini manducare.

[2] Augustin dit : «Que le dispensateur n’interdise pas aux nantis de la terre – c’est-à-dire aux pécheurs – de manger à la table du Seigneur.»

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le prêtre doit-il donner le corps du Christ à ceux qui sont soupçonnés d’un crime ?]

[15123] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod suspectis de crimine etiam dari debeat. Suspicio enim dubitationem importat. Sed dubia in meliorem partem interpretanda sunt. Ergo videtur quod debeat ei dari ac si esset justus.

1. Il semble que le prêtre doive donner [le corps du Christ] à ceux qui sont soupçonnés d’un crime. En effet, le soupçon comporte un doute. Or, les choses douteuses doivent être interprétées en meilleure part. Il semble donc que [le prêtre] doive lui donner [le corps du Christ] comme s’il était un juste.

[15124] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, experimentum non sumitur de aliquo crimine, nisi de quo suspicio praecessit. Sed corpus Christi dandum est aliquando alicui ad experimentum de peccato sumendum sub his verbis: corpus domini sit tibi ad probationem hodie; ut dicitur in Decret. Caus. 2, qu. 4, cap. saepe contingit. Ergo dari debet suspectis.

2. La mise à l’épreuve d’un crime n’a pas lieu, à moins qu’on l’ait soupçonné auparavant. Or, le corps du Christ doit parfois être donné à quelqu’un pour mettre son péché à l’épreuve, en l’accompagnant de ces paroles : «Que le corps du Christ soit aujourd’hui pour toi une mise à l’épreuve !», comme on le dit dans le Décret, C. 2, q. 4, c. «Saepe contingit». [Le corps du Christ] doit donc être donné aux suspects.

[15125] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, si suspectis de crimine daretur corpus Christi, esset scandalum populo videnti et scienti. Sed scandalum vitandum est. Ergo non oportet eis dari corpus Christi.

Cependant, [1] si le corps du Christ était donné à ceux qui sont soupçonnés de crime, ce serait un scandale pour le peuple qui le voit et le sait. Or, il faut éviter le scandale. Il ne faut donc pas leur donner le corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Il semble que le corps du Christ ne doive pas être donné aux fous]

[15126] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod amentibus corpus Christi dari non debeat. Quia ad hoc quod aliquis corpus Christi sumat, requiritur diligens examinatio, ut patet 1 Corinth. 11, 28: probet autem seipsum homo, et sic de pane illo edat et de calice bibat. Sed hoc non potest in amente procedere. Ergo non potest ei dari Eucharistia.

1. Il semble que le corps du Christ ne doive pas être donné aux fous, car, pour que quelqu’un reçoive le corps du Christ, un examen attentif est nécessaire, comme cela ressort clairement de 1 Co 11, 28 : Que chacun s’éprouve lui-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de cette coupe. Or, cela ne peut se réaliser chez le fou. On ne peut donc pas lui donner l’eucharistie.

[15127] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, inter amentes etiam energumeni computantur, secundum Dionysium in Eccl. Hierarch.: energumeni etiam ab inspectione divinorum arcentur; unde statim post Evangelium in primitiva Ecclesia per vocem diaconi cum catechumenis excludebantur. Ergo non debet eis dari Eucharistia.

2. Les énergumènes sont comptés parmi les fous ; selon Denys, dans la Hiérarchie ecclésiastique, les énergumènes aussi sont empêchés de regarder les choses divines. Aussi, dans l’Église primitive, aussitôt après l’évangile, étaient-ils exclus par la voix du diacre, en même temps que les catéchumènes. Il ne faut donc pas leur donner l’eucharistie.

[15128] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra Cassianus dicit: eis qui ab incommodis vexantur spiritibus, communionem sacrosanctam a senioribus nostris nunquam meminimus interdictum. Ergo cum tales sint amentes, amentibus debet dari.

Cependant, [1] en sens contraire, Cassien dit : «Nous n’avons pas souvenir que la très sainte communion ait été interdite par nos anciens à ceux qui sont agités par des esprits importuns.» Puisque ceux-ci sont fous, [le corps du Christ] doit donc être donné aux fous.

[15129] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in Decret. Caus. 26, qu. 1, cap.: qui recedunt, dicitur: amentibus etiam quaecumque pietatis sunt, conferenda sunt; et loquitur de reconciliatione et sacra communione.

[2] Dans le Décret, C. 26, q. 1, c. «Qui recedunt», il est dit : «Il faut les donner aussi aux fous, quelle que soit leur piété.» Et il parle de la réconciliation et de la sainte communion.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le corps du Christ doit-il être donné aux enfants ?]

[15130] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam pueris dandum sit corpus Christi. Quia per Baptismum aliquis ascribitur ad corporis Christi sumptionem; unde et baptizato conferendum est, ut Dionysius dicit. Sed pueri baptizati sunt. Ergo et eis corpus Christi debet dari.

1. Il semble que le corps du Christ doive être donné aux enfants, car, par le baptême, on est inscrit en vue de recevoir le corps du Christ. Aussi doit-il être donné au baptisé, comme le dit Denys. Or, les enfants sont baptisés. Le corps du Christ doit donc leur être donné.

[15131] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, vita spiritualis sicut est per Baptismum, ita est per Eucharistiam: quia dicitur Joan. 6, 58: qui manducat me, vivit propter me. Sed pueris datur Baptismus ut habeant spiritualem vitam. Ergo et similiter debet dari eis Eucharistia.

2. De même que la vie spirituelle vient du baptême, de même vient-elle de l’eucharistie, car il est dit en Jn 6, 58 : Celui qui me mange, vit à cause de moi. Or, le baptême est donné aux enfants pour qu’ils aient la vie éternelle. De la même manière, l’eucharistie doit donc leur être donnée.

[15132] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod iste cibus est grandium, ut patet per Augustinum. Sed pueri nondum sunt grandes in fide. Ergo non debet eis dari.

3. Cependant, cette nourriture est destinée à ceux qui ont grandi, comme cela ressort clairement d’Augustin. Or, les enfants n’ont pas encore grandi dans la foi. [Cette nourriture] ne doit donc pas leur être donnée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15133] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod si sacerdos sciat peccatum alicujus qui Eucharistiam petit, per confessionem vel alio quolibet modo, distinguendum est: quia aut peccatum est occultum, aut manifestum. Si est occultum, aut exigit in occulto, aut in manifesto. Si in occulto, debet ei denegare, et monere ne in publico petat. Si autem in manifesto petit, debet ei dare. Primo, quia pro peccato occulto poenam inferens publicam, revelator est confessionis, aut proditor criminis. Secundo, quia quilibet Christianus habet jus in perceptione Eucharistiae, nisi illud per peccatum mortale amittat. Unde cum in facie Ecclesiae non constet istum amisisse jus suum, non oportet ei in facie Ecclesiae denegari: alias daretur facultas malis sacerdotibus pro suo libito punire maxima poena quos vellent. Tertio propter incertitudinem status sumentis: quia spiritus ubi vult, spirat, Joan. 3, 8, unde subito potuit esse compunctus, et divinitus a peccato purgatus, et divina inspiratione ad sacramentum accedere. Quarto, quia esset scandalum, si denegaretur. Si vero peccatum est manifestum, debet ei denegari sive in occulto sive in manifesto petat.

Si le prêtre connaît le péché de quelqu’un qui demande l’eucharistie par la confession ou de n’importe quelle autre manière, il faut faire une distinction : soit le péché est occulte, soit il est manifeste. S’il est occulte, soit que [le pécheur] demande [l’eucharistie] de manière occulte, soit de manière manifeste. S’il [la demande] de manière occulte, il doit la lui refuser et l’avertir de ne pas la demander en public. Mais s’il la demande en public, il doit la lui donner. Premièrement, parce que, en imposant une peine publique pour un péché occulte, il révélerait la confession ou trahirait une faute grave. Deuxièmement, parce que tout chrétien a le droit de recevoir l’eucharistie, à moins qu’il ne le perde par un péché mortel. Puisqu’il n’est pas évident à la face de l’Église qu’il a perdu son droit, il ne faut donc pas le lui refuser à la face de l’Église, autrement les mauvais prêtres recevraient le pouvoir de punir ceux qu’ils voudraient comme ils le voudraient par la plus grande peine. Troisièmement, en raison de l’incertitude de l’état de celui qui reçoit, car l’Esprit souffle où il veut, Jn 3, 8. [Le pécheur] a donc pu se repentir soudainement et, purifié par Dieu du péché, s’approcher du sacrement sous l’inspiration divine. Quatrièmement, parce qu’il y aurait scandale à le lui refuser. Mais si le péché est manifeste, [le prêtre] doit le lui refuser, qu’il le demande de manière occulte ou de manière manifeste.

[15134] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potius deberet eligere medicus medicinam esse mortiferam infirmo quam sibi, si alterutrum oporteret. Et similiter sacerdos potius deberet eligere quod peccator assumat ad perditionem suam, quam ipse deneget in perditionem propriam, scandalizando et peccatum occultum revelando. Et praeterea non est certum utrum sit ei mortifera, quia subito homo spiritu Dei mutatur. Et iterum in ipsa petitione peccavit mortaliter in mortale peccatum consentiens.

1. Le médecin devrait choisir qu’un remède apporte la mort à un malade plutôt qu’à lui-même, s’il lui fallait [choisir] entre les deux. De même, le prêtre devrait plutôt choisir qu’un pécheur reçoive [l’eucharistie] pour sa perte, que de la refuser lui-même pour sa propre perte, en scandalisant et en révélant un péché occulte. De plus, il n’est pas certain que cela cause la mort [du pécheur], car l’homme est mû soudainement par l’Esprit de Dieu. En plus, par la demande même, il a péché mortellement en consentant à un péché mortel.

[15135] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non dimittitur tantum propter scandalum, sed propter alias causas quae faciunt ne esset contra veritatem vitae, si negaret. Dominus ergo non prohibuit simpliciter dare, sed voluntatem dandi, dicens: nolite sanctum dare canibus. Sacerdos autem in casu proposito non dat propria sponte, sed magis coactus. Nec est similis ratio de animalibus brutis, et de projectione in lutum: quia causae praedictae non sunt ibi.

2. Il n’est pas écarté en raison du scandale seulement, mais pour d’autres raisons qui font en sorte qu’il n’agisse pas contre la vérité de la vie, s’il refusait. Le Seigneur n’a pas pas tout simplement interdit de [la] donner, mais la volonté de [la] donner en disant : Ne donnez pas aux chiens une chose sainte ! Or, le prêtre, dans le cas en question, ne [la] donne pas de sa propre initiative, mais plutôt parce qu’il est forcé. Et il n’en va pas de même pour les animaux sans raison et pour le fait de jeter dans la boue, car les causes évoquées ne sont pas ici présentes.

[15136] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Innocentium tertium, cum nemo debeat unum mortale committere ut proximus aliud non committat, eligendum est potius sacerdoti non prodere peccatorem, quam ut ille non peccet; sed peccator debet potius eligere ut abstinendo reddatur suspectus quam communicando manducet indignus.

3. Selon Innocent III, puisque personne ne doit commettre un seul péché mortel pour que le prochain n’en commette pas un autre, il faut plutôt que le prêtre choisisse de ne pas trahir un pécheur que faire en sorte que celui-ci ne pèche pas ; mais le pécheur doit plutôt choisir de devenir suspect en s’abstenant que de manger indignement [le corps du Christ] en communiant.

[15137] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nullo modo debet dari hostia non consecrata pro consecrata: tum quia in sacramento veritatis non debet esse aliqua fictio: tum quia cum manducans adoret quod manducat, ut dicit Augustinus, daret sacerdos ei occasionem idolatrandi. Unde decretalis dicit in casu consimili, quod falsa sunt abjicienda remedia quae sunt veris periculis graviora.

4. Une hostie non consacrée ne doit d’aucune manière être donnée à la place d’une hostie consacrée, tant parce qu’il ne doit pas y avoir de feinte dans le sacrement de la vérité, que parce que, lorsque celui qui mange adore ce qu’il mange, comme le dit Augustin, le prêtre lui fournirait une occasion d’idolâtrie. Aussi la lettre décrétale dit-elle que, dans un cas semblable, les faux remèdes doivent être écartés parce qu’ils sont plus graves que les vrais dangers.

[15138] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 1 ad s. c. Rationes quae sunt ad oppositum, procedunt solum quando peccator occultus publice petit.

Les arguments présentés en sens contraire n’ont cours que lorsque le pécheur occulte demande publiquement [l’eucharistie].

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15139] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod triplex est suspicio. Quaedam violenta, ad cujus contrarium non admittitur probatio; sicut si inveniatur solus cum sola nudus in lecto, loco secreto, et tempore apto ad commixtionem. Alia est probabilis, sicut si inveniatur solus cum sola colloquens in locis suspectis, et frequenter. Tertia est praesumptuosa, quae ex levi conjectura ortum habet. Haec autem ultima deponenda est; in secunda non debet denegari, quia poena non infligitur ubi culpa ignoratur; sed de prima est idem judicium quod de peccato. Unde si sit suspicio procedens ex fama publica, non debet ei dari neque in occulto neque in manifesto; si autem sit singularis ipsius sacerdotis, sic debet dari in publico, sed non in occulto.

Il existe un triple soupçon. L’un est forcé, contre lequel on ne peut admettre de preuve, comme lorsqu’un homme seul se trouve nu avec une femme seule dans un lit, dans un endroit secret, et à un moment propice à un rapport sexuel. L’autre est probable, comme si l’on trouve un homme seul en train de parler avec une femme seule dans un endroit suspect, et cela fréquemment. Un troisième est présomptueux, qui est issu d’une conjecture légère. Ce dernier doit être écarté. Dans le second cas, [l’eucharistie] ne doit pas être refusée, car la peine n’est pas infligée lorsqu’on ignore la faute. Mais il faut porter sur le premier cas le même jugement que sur le péché. Si le soupçon est de notoriété publique, [l’eucharistie] ne doit donc pas lui être donnée ni de manière occulte ni de manière manifeste ; mais s’il n’est le fait que du seul prêtre, [l’eucharistie] doit alors [lui] être donnée en public, mais non de manière occulte.

[15140] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non habeatur in prima suspicione certitudo sensibilis, vel per demonstrationem, tamen habetur talis certitudo quae sufficit ad probationem juris. Non enim in omnibus est similiter certitudo requirenda, ut dicitur 1 Ethic.

1. Bien qu’il n’y ait pas, dans le cas du premier soupçon, une certitude sensible ou par voie de démonstration, il existe cependant une certitude qui suffit à la preuve selon le droit. En effet, il ne faut chercher en tout la même certitude, comme il est dit dans Éthique, I.

[15141] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod decretum illud abrogatum est: quia facere tales probationes est tentare Deum. Vel dicendum, quod intentio illius decreti non est ut talis purgatio fiat, sed ut propter timorem talis purgationis a futuris abstineat.

2. Ce décret a été abrogé, car établir de telles preuves, c’est tenter Dieu. Ou bien, il faut dire que l’intention de ce décret n’est pas qu’une telle purification soit réalisée, mais qu’on s’abstienne à l’avenir par crainte d’une telle purification.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15142] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de amentibus distinguendum est. Quidam enim dicuntur large amentes, quia debilem mentem habent, sicut dicitur invisibile quod male videtur; et tamen sunt aliquo modo docibiles eorum quae ad fidem et devotionem sacramenti pertinent: et talibus non oportet corpus Christi denegari. Quidam vero sunt omnino carentes judicio rationis; et isti vel fuerunt tales a nativitate, et tunc eis non debet dari, quia non possunt ad devotionem induci quae requiritur ad hoc sacramentum (quamvis quidam contrarium dicant): vel inciderunt in amentiam post fidem et devotionem sacramenti, et tunc debet eis dari, nisi timeatur periculum vel de vomitu vel de exspuitione, aut aliquo hujusmodi. Et hoc patet per hoc quod habetur in decretis, 26, qu. 6: si is qui infirmitate poenitentiam petit et dum sacerdos invitatus ad eum venit, vertatur in phrenesim, accepto testimonio ab astantibus qui petitionem audierunt, et reconcilietur, et Eucharistia ejus ori infundatur.

À propos des fous, il faut faire une distinction. En effet, certains sont appelés fous au sens large, parce qu’ils ont un esprit faible, comme on dit qu’on voit mal ce qui est invisible. Toutefois, on peut les enseigner d’une certaine manière sur ce qui se rapporte à la foi et à la dévotion envers le sacrement. Il ne faut pas refuser à ceux-là le corps du Christ. Mais à certains, le jugement de la raison fait totalement défaut. Ceux-ci sont dans cet état depuis leur naissance : alors, [le corps du Christ] ne doit pas leur être donné, car ils ne peuvent être amenés à la dévotion qui est nécessaire pour ce sacrement (bien que certains disent le contraire). Ou bien ils sont tombés dans la folie après avoir eu la foi et la dévotion envers le sacrement : celui-ci doit leur être alors donné, à moins qu’on ne craigne un risque qu’ils le vomissent ou le crachent, ou quelque chose du genre. Et cela ressort clairement de ce qui est dit dans le Décret, d. 26, q. 6 : «Si un malade demande la pénitence et que, lorsque le prêtre invité s’approche de lui, il devient frénétique, après avoir reçu le témoignage de ceux qui sont présents et qui ont entendu la demande, qu’il soit réconcilié et que l’eucharistie soit introduite dans sa bouche.»

[15143] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in isto casu praecedens devotio computatur ei ad dignam manducationem.

1. Dans ce cas, la dévotion qui précède est valable pour une manducation digne.

[15144] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod daemoniacis non est deneganda communio, nisi forte certum sit quod pro aliquo crimine a Diabolo torqueantur; et de talibus loquitur Dionysius. Vel dicendum, et melius, quod ipse vocat energumenos illos in quibus adhuc viget virtus Daemonis propter peccatum originale nondum extirpatum, eo quod nondum Baptismi gratiam consecuti sunt, quibus adhibetur exorcismus post catechismum ante Baptismum; unde ipse ponit eos secundo loco post catechumenos.

2. La communion ne doit pas être refusée aux démoniaques, à moins qu’il ne soit certain qu’ils sont torturés par le Diable pour une faute grave. C’est d’eux que parle Denys. Ou bien il faut dire, et en mieux, qu’il appelle énergumènes ceux chez qui la puissance du démon est encore en vigueur en raison du péché originel qui n’a pas encore été extirpé parce qu’ils n’ont pas encore reçu la grâce du baptême, et auxquels est donné l’exorcisme après le catéchisme et avant le baptême. Aussi les place-t-il en second après les catéchumènes.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15145] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod pueris carentibus usu rationis, qui non possunt distinguere inter cibum spiritualem et corporalem, non debet Eucharistia dari; quamvis quidam Graeci contrarium teneant, irrationabiliter autem: quia ad Eucharistiae sumptionem exigitur actualis devotio, quam tales pueri habere non possunt. Pueris autem jam incipientibus habere discretionem, etiam ante perfectam aetatem, puta cum sint decem vel undecim annorum, aut circa hoc, potest dari, si in eis signa discretionis appareant et devotionis.

L’echaristie ne doit pas être donnée aux enfants à qui fait défaut l’usage de la raison, qui ne peuvent distinguer la nourriture spirituelle de la nourriture corporelle, bien que certains Grecs pensent le contraire, mais de manière déraisonnable. En effet, une dévotion en acte est nécessaire à la réception de l’eucharistie, [dévotion] que de tels enfants ne peuvent avoir. Mais [l’eucharistie] peut être donnée aux enfants qui commencent à avoir du jugement, par exemple, lorsqu’ils ont dix ou onze ans environ, si des signes du jugement et de dévotion se manifestent chez eux.

[15146] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pueri baptizati acquirunt jus percipiendi corpus Christi, non tamen statim, sed tempore competenti; sicut et jus percipiendae hereditatis habent, quamvis eam statim non possideant. Dionysius autem assignat ritum Baptismi quoad adultos, ut patet inspicienti verba ejus.

1. Les enfants baptisés acquièrent un droit de recevoir le corps du Christ, non pas immédiatement, mais au moment approprié, de même qu’ils ont un droit de recevoir l’héritage, bien qu’ils ne le possèdent pas immédiatement. Mais Denys présente le rite du baptême pour les adultes, comme cela est clair à qui examine ses paroles.

[15147] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per Baptismum datur primus actus vitae spiritualis, unde est de necessitate salutis; et ideo pueris Baptismus dandus est: sed per Eucharistiam datur complementum spiritualis vitae; et ideo illis qui perfectionis secundae, quae est per actualem devotionem, possunt esse capaces, debet dari, prout habetur de Consecr., distinct. 4, cap. in Ecclesia, ubi dicitur: non cogitetis vitam habere posse qui sunt expertes corporis et sanguinis domini; et loquitur de pueris. Intelligendum est autem quantum ad rem sacramenti, quae est unitas Ecclesiae, extra quam non est salus nec vita, et non quantum ad sacramentalem manducationem.

2. Par le baptême, le premier acte de la vie spirituelle est donné ; aussi est-il nécessaire au salut. C’est pourquoi il faut donner le baptême aux enfants. Mais, par l’eucharistie, un complément de la vie spirituelle est donné. C’est pourquoi il doit être donné à ceux qui peuvent être capables de cette perfection, qui se réalise par la dévotion en acte, comme on le lit dans «Sur la consécration», d. 4, c. «In Ecclesia», où il est dit : «Ne pensez pas qu’ils peuvent avoir la vie, ceux qui n’ont pas part au corps et au sang du Seigneur.» Et il parle des enfants. Mais il faut l’entendre de la réalité du sacrement, qui est l’unité de l’Église, en dehors de laquelle il n’y a pas de salut ni de vie, et non de la manducation sacramentelle.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 9

 [15148] Super Sent., lib. 4 d. 9 q. 1 a. 5 qc. 4 expos. Crede, et manducasti. Intelligendum est de manducatione spirituali, et fide formata. Ideo autem potius fidem commemorat, quia ipsa est quae maxime in sacramentis operatur. Nos corpus Christi sumus. Ergo spiritualiter manducamus nosipsos. Et dicendum, quod nos non sumus corpus ipsius nisi ratione unionis, quam manducando spiritualiter acquirimus. Ecce factum est malum. Contrarium dicit supra eodem capite: indigne quis sumens corpus Christi, non efficit ut malum sit quod accipit. Et dicendum, quod non sit malum in se, sed sit malum, idest nocivum, ei. Ita spiritualiter sumamus. Contra: quia in patria nullus usus sacramenti erit; ergo nec spiritualis sumptio. Et dicendum, quod dicitur sumptio consecutio rei sacramenti, quam sacramentum statim non efficit, sed tantum significat, scilicet fruitio divinitatis, quam etiam significat sacramentalis manducatio.

 

 

 

Distinctio 10

Distinction 10 – [Le corps véritable du Christ contenu dans le sacrement]

 

 

Prooemium

Prologue

[15149] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit quod in hoc sacramento tria inveniuntur, aliquid quod est sacramentum tantum, et aliquid quod est res et sacramentum, et aliquid quod est res tantum; et secundum hoc diversimode diversi manducant: in parte ista incipit prosequi de singulis dictorum trium in speciali; unde dividitur in partes tres: in prima determinat de ipso vero corpore Christi, quod est sacramentum, et res contenta in sacramento; in secunda de speciebus panis et vini, quae sunt in sacramentum tantum; 12 dist., ibi: si autem quaeritur de accidentibus quae remanent (...) in quo subjecto fundentur, potius mihi videtur fatendum existere sine subjecto quam esse in subjecto; in tertia determinat de effectu sacramenti, qui est res tantum, in fine dist., ibi: institutum est hoc sacramentum duabus de causis. Prima in duas: in prima ostendit verum corpus Christi in altari contineri sub sacramento; in secunda determinat de transubstantiatione, per quam fit ut ibi sit verum corpus Christi, dist. 11: si autem quaeritur, qualis sit illa conversio (...) definire non sufficit. Prima in tres: in prima ponit errorem quorumdam negantium veritatem quam asserere intendit, et probationes eorum; in secunda solvit probationes ipsorum, ibi: quae ex eadem ratione omnia accipienda sunt; in tertia inducit auctoritates ad veritatem probandam, ibi: haec et his similia objiciunt et cetera. Secunda pars dividitur in partes tres: in prima exponit auctoritates quas illi errantes pro se inducunt, et expositionem sanctorum praedictam confirmat; in secunda ostendit dubitationem esse de quadam auctoritate Augustini inducta pro se, ibi: deinde addit quod magis movet; in tertia exponit eam, ibi: attende his diligenter.

Après que le Maître a déterminé qu’il y a trois choses dans le sacrement : quelque chose qui est le sacrement seulement, quelque chose qui la réalité et le sacrement, et quelque chose qui est la réalité seulement, et que, conformément à cela, diverses personnes le mangent différemment, dans cette partie, il commence à traiter en particulier de chacun de trois aspects évoqués. Aussi y a-t-il une triple division. Dans la première, il détermine à propos du corps véritable du Christ lui-même, qui est le sacrement et la réalité contenue dans le sacrement. Dans la deuxième, [il détermine à propos] des espèces du pain et du vin, qui sont le sacrement seulement, à cet endroit, d. 12 : «Mais si on s’interroge sur les accidents qui demeurent…, sur quel sujet s’appuient-ils, il me semble qu’il faut dire qu’ils existent sans sujet plutôt que dans un sujet.» Dans la troisième partie, il détermine à propos de l’effet du sacrement, qui est la réalité seulement, à la fin de la distinction, à cet endroit : «Ce sacrement a été institué pour deux raisons.» La première partie est divisée en deux. Dans la première, il montre que le corps véritable du Christ est contenu sur l’autel dans ce sacrement ; dans la seconde, il détermine à propos de la transsubstantiation, par laquelle se réalise que le corps véritable du Christ est là, d. 11 : «Mais si on se demande quelle est cette conversion…, il ne suffit pas de la définir.» La première partie se divise en trois. Dans la première, il présente l’erreur de certains qui nient la vérité qu’il entend affirmer, ainsi que leurs arguments ; dans la deuxième, il résout leurs arguments, à cet endroit : «Tout cela doit être entendu selon le même raisonnement.» Dans la troisième, il invoque des autoités pour prouver la vérité, à cet endroit : «Ils objectent cela et d’autres choses semblables, etc.» La seconde partie se divise en trois parties. Dans la première, il explique les autorités invoquées par ceux qui sont ainsi dans l’erreur et il confirme l’explication des saints mentionnés ; dans la deuxième, il montre qu’il existe un doute à propos d’une autorité d’Augustin invoquée en sa faveur, à cet endroit : «Ensuite, il ajoute que cela va plutôt dans le sens…» ; dans la troisième, il l’explique, à cet endroit : «Examine cela avec soin.»

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Le corps véritable du Christ contenu dans l’eucharistie]

Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum verum corpus Christi contineatur in hoc sacramento; 2 utrum totus Christus contineatur in sacramento sub speciebus quae manent; 3 qualiter sit ibi; 4 quomodo possit agnosci corpus Christi secundum quod est sub sacramento.

Ici, il pose quatre questions : 1 – Le corps véritable du Christ est-il contenu dans le sacrement sous les espèces qui demeurent ? 2 – Le Christ est-il contenu en totalité sous les espèces qui demeurent ? 3 – Comment s’y trouve-t-il ? 4 – Comment peut-on reconnaître le corps du Christ selon qu’il existe dans le sacrement ?

 

 

Articulus 1 [15150] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 tit. Utrum in sacramento altaris contineatur verum corpus Christi

Article 1 – Le corps véritable du Christ est-il contenu dans le sacrement de l’autel ?

 

[15151] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in sacramento altaris non contineatur verum corpus Christi. In his enim quae ad pietatem et reverentiam pertinent divinam, nihil debet esse quod in crudelitatem vel irreverentiam sonet. Sed manducare carnes hominis sonat in quamdam bestialem crudelitatem manducantis, et irreverentiam manducati. Ergo et in sacramento pietatis, quod ad manducationis usum ordinatur, non debet esse verum corpus Christi quod manducatur. [15152] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sacramenta ordinantur ad utilitatem nostram. Sed Joan. 6, 64, dicitur: caro non prodest quidquam. Ergo corpus Christi, sive ejus caro, non debet esse in hoc sacramento, sed solum ejus spiritualis virtus.

Objections

1. Il semble que le corps véritable du Christ n’est pas contenu dans le sacrement de l’autel. En effet, dans ce qui se rapporte à la piété et à la révérence envers Dieu, rien ne doit exister qui évoque la cruauté ou à l’irrévérence. Or, manger la chair d’un homme évoque la cruauté bestiale de celui qui mange et le manque de respect envers celui qui est mangé. Dans le sacrement de la piété, qui est ordonné à être utilisé sous forme de manducation, ce ne doit pas être le corps véritable du Christ qui est mangé. 2. Les sacrements sont ordonnés à notre bien. Or, il est dit en Jn 6, 64 : La chair ne sert à rien. Le corps du Christ ou sa chair ne doit donc pas se trouver dans ce sacrement, mais seulement sa puissance spirituelle.

[15153] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit in Homil. de regulo: corporalem praesentiam domini quaerebat, qui per spiritum nusquam deerat. Minus itaque in illum credidit, quem non putabat posse salutem dare, nisi praesens esset in corpore. Sed non ponimus quod corpus Christi sit in altari, nisi ut nobis sit causa salutis. Ergo videtur quod ex infirmitate fidei procedat.

3. Grégoire dit, dans son homélie sur le fils du roi : «Il cherchait la présence corporelle du Seigneur, qui ne faisait jamais défaut par l’Esprit. Il a donc eu moins de foi en celui qu’il ne croyait pas pouvoir donner le salut, à moins qu’il ne soit corporellement présent.» Or, nous n’affirmons pas que le corps du Christ est sur l’autel, à moins qu’il n’y soit comme cause de notre salut. Il semble donc que cela vient de la faiblesse de [notre] foi.

[15154] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nihil potest esse nunc ubi prius non fuit, loco praeexistente, nisi ipsum mutetur. Sed corpus Christi ante consecrationem non erat in altari. Si ergo post consecrationem sit ibi secundum veritatem, oportet quod aliquo modo sit mutatum; quod non potest dici. Ergo non est verum ibi corpus Christi.

4. Rien ne peut être maintenant là où cela n’était pas d’abord, alors que le lieu préexistait, à moins que cela ne soit changé. Or, le corps du Christ n’était pas sur l’autel avant la consécration. S’il est véritablement là après la consécration, il faut qu’il ait été changé d’une certaine façon, ce qu’on ne peut affirmer. Le corps véritable du Christ n’est donc pas là.

[15155] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullum corpus potest esse simul in diversis locis. Sed corpus Christi est in caelo vere, quo ascendit. Ergo impossibile est quod sit in altari. Probatio primae. Nihil continetur extra suos terminos, si termini cujuslibet corporis locati sunt simul cum termino corporis locantis. Ergo nullum corpus locatum in uno loco, potest esse extra terminos illius loci; et ita non potest esse in duobus locis simul.

5. Aucun corps ne peut exister en même temps en divers lieux. Or, le corps du Christ est véritablement au ciel où il est monté. Il est donc impossible qu’il soit sur l’autel. Démonstration de la majeure : rien n’est contenu en dehors de ses limites, si les limites d’un corps localisé existent en même temps que la limite du corps de ce qui localise. Aucun corps localisé dans un seul lieu ne peut donc se trouver en dehors des limites de ce lieu. Ainsi, il ne peut se trouver dans deux lieux en même temps.

[15156] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, eadem ratione potest poni corpus Christi esse in diversis locis et esse ubique, sicut ponentes Angelum esse in diversis locis, dicunt quod est ubicumque velit. Sed ponere quod corpus Christi ubique possit esse, est haereticum: quia hoc solius divinitatis est. Ergo non potest esse in diversis locis simul.

6. C’est pour la même raison qu’on peut affirmer que le corps du Christ se trouve en divers lieux et qu’il est partout, comme ceux qui affirment que l’ange se trouve en divers lieux disent qu’il se trouve partout où il le veut. Or, affirmer que le corps du Christ peut se trouver partout est hérétique, car cela n’est propre qu’à la divinité. Il ne peut donc pas se trouver en divers lieux en même temps.

[15157] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, Angelus est simplicior quam corpus Christi. Sed Angelus non potest esse simul in pluribus locis. Ergo neque corpus Christi: et sic idem quod prius.

7. L’ange est plus simple que le corps du Christ. Or, l’ange ne peut se trouver en même temps en plusieurs lieux. Donc, pas davantage le corps du Christ. C’est donc la même conclusion que précédemment.

[15158] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, corpus Christi, inquantum corpus, non habet quod sit in pluribus locis, quia sic cuilibet corpori conveniret; neque inquantum gloriosum, quia multo fortius spiritui glorificato conveniret; neque inquantum divinitati unitum, quia unio non ponit ipsum extra limites corporis. Ergo nullo modo sibi competit.

8. Le corps du Christ, en tant que corps, ne peut pas se trouver dans plusieurs lieux, car alors cela conviendrait à n’importe quel corps. Il ne le peut pas non plus en tant que glorieux, car cela conviendrait à bien plus forte raison à l’esprit glorifié. Il ne le peut pas non plus [en tant que corps] uni à la divinité, car l’union ne le place pas hors des limites du corps. Cela ne lui convient donc d’aucune manière.

[15159] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 11, 19: qui manducat et bibit indigne, judicium sibi manducat et bibit, non dijudicans corpus domini. Sed si esset corpus Christi ibi secundum solam significationem, non oporteret dijudicare hunc cibum ab aliis: quia quilibet panis eadem ratione significat corpus Christi. Ergo oportet ponere quod sit ibi verum corpus Christi.

Cependant, 1 Co 11, 19 : Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, en ne discernant pas le corps du Seigneur. Or, si le corps du Christ ne se trouvait là que selon la signification, il ne serait pas nécessaire de discerner cette nourriture des autres, car n’importe quel pain signifie le corps du Christ pour la même raison. Il faut donc affirmer que le corps véritable du Christ est là.

[15160] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, veritas in novo testamento debet respondere figuris veteris testamenti. Sed in veteri testamento ipse agnus, qui figurabat Christum, sumebatur in cibum, ut patet Exod. 12: ergo in nova lege ipsum verum corpus Christi quod per agnum significatur, debet manducari.

2. La vérité de la Nouvelle Alliance doit correspondre aux figures de l’Ancienne Alliance. Or, sous l’Ancienne Alliance, l’agneau lui-même, qui était la figure du Christ, est pris comme nourriture, comme cela ressort clairement de Ex 12. Sous la Nouvelle Alliance, le corps véritable du Christ, qui est signifié par l’agneau, doit donc être mangé.

[15161] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Deuter. 32, 4 dicitur: Dei perfecta sunt opera. Sed non perfecte conjungeremur Deo per sacramenta quae nobis tradit, nisi sub aliquo eorum ipse vere contineretur. Ergo in hoc sacramento verum corpus Christi continetur: quia non est aliud assignare sacramentum in quo Christus realiter contineatur.

3. En Dt 32, 4, il est dit : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, nous ne serions pas parfaitement unis à Dieu par les sacrements qu’Il nous donne, s’il n’était pas contenu véritablement sous l’un d’eux. Dans ce sacrement, le corps véritable du Christ est donc contenu, car on ne peut indiquer aucun autre sacrement dans lequel le Christ est contenu réellement.

[15162] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 4 Ad hoc etiam sunt multae auctoritates in littera positae.

4. Plusieurs autorités allant dans ce sens sont aussi données dans le texte.

[15163] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sub sacramento altaris continetur verum corpus Christi, quod de virgine traxit: et contrarium dicere est haeresis, quia derogatur veritati Scripturae, qua dominus dicit: hoc est corpus meum. Ratio autem quare oportet quod in hoc sacramento ipse Christus contineatur, in principio hujus tractatus, dist. 8, dicta est: quia scilicet non ita perfecte nobis Christus conjungeretur, si sola sacramenta illa haberemus in quibus conjungitur nobis Christus per virtutem suam in sacramentis illis participatam; et ideo oportet esse aliquod sacramentum in quo Christus non participative, sed per suam essentiam contineatur, ut sit perfecta conjunctio capitis ad membra. Consequenter autem et aliae utilitates, sicut ostensio maximae caritatis in hoc quod seipsum dat nobis in cibum, sublevatio spei ex tam familiari conjunctione ad ipsum, et maximum meritum fidei in hoc quod creduntur multa in hoc sacramento quae non solum praeter rationem sunt, sed etiam contra sensum, ut videtur; et multae aliae utilitates, quae explicari sufficienter non possunt.

Réponse

Dans le sacrement, est contenu le corps véritable du Christ, qu’il a reçu de la Vierge ; dire le contraire est une hérésie, car cela s’écarte de la vérité de l’Écriture par laquelle le Seigneur dit : Ceci est mon corps. Or, la raison pour laquelle il faut que le Christ lui-même soit contenu a été donnée au début de ce traité, d. 8, à savoir que le Christ ne nous serait pas parfaitement uni si nous ne possédions que les sacrements par lesquels le Christ nous est uni par sa puissance présente dans ces sacrements sous forme de participation. Il faut donc qu’il y ait un sacrement dans lequel le Christ est contenu, non par mode de participation, mais par son essence, afin que soit réalisée l’union parfaite de la tête aux membres. Mais, par mode de conséquence, [il comporte] d’autres avantages, comme la manifestation de la plus grande charité, par le fait qu’il se donne à nous en nourriture ; le réconfort de l’espérance, par le fait d’une union à lui si intime ; et le plus grand mérite de la foi, par le fait qu’on croit à beaucoup de choses dans ce sacrement, qui non seulement dépassent la raison, mais vont contre le sens, semble-t-il. Et beaucoup d’autres avantages, qui ne peuvent être suffisamment explicitées.

[15164] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in crudelitatem saperet, et maximam irreverentiam, si corpus Christi ad modum cibi corporalis manducaretur, ut scilicet ipsum verum corpus Christi dilaniaretur et dentibus attereretur. Hoc autem non contingit in sacramentali manducatione: quia ipsum per manducationem non laceratur, sed manducantes integros facit, speciebus, sub quibus latet, divisis, ut infra dicetur, dist. 12. [15165] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prodesset caro Christi corporaliter manducata, ut dictum est; multum autem prodest sacramentaliter manducata. Unde Augustinus dicit: caro non prodest quidquam; sed quomodo illi intellexerunt: sic enim intellexerunt carnem quomodo in cadaver vertitur, aut in macello dilaniatur.

Solutions

1. Cela aurait un relent de cruauté et du plus grand irrespect, si le corps du Christ était mangé comme une nourriture corporelle, à savoir, si le corps véritable du Christ était déchiré et broyé par les dents. Mais cela ne se produit pas dans la manducation sacramentelle, car il n’est pas mis en pièces par la manducation, mais il rend parfaits ceux qui le mangent sous les espèces divisées, sous lesquelles il est caché, comme on le dira plus loin, d. 12.

2. La chair du Christ mangée corporellement ne servirait à rien, comme on l’a dit ; mais, mangée sacramentellement, elle est d’une grande utilité. Aussi Augustin dit-il : «La chair ne sert à rien. Mais comment ceux-ci l’ont-ils compris ? En effet, ils ont compris la chair telle qu’elle tourne en cadavre ou est découpée au marché.»

[15166] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicimus verum corpus Christi esse in altari, eo quod aliter non posset salutem conferre, sicut regulus credebat; sed quia iste est convenientissimus modus salvandi, sicut et convenientissimus modus reparationis humanae fuit per hoc quod verbum caro factum est, et habitavit in nobis: quamvis etiam alius modus reparationis fuit possibilis.

3. Nous ne disons pas que le corps véritable du Christ se trouve sur l’autel de telle sorte qu’il ne pourrait donner le salut autrement, comme le croyait le fils du roi, mais parce que c’est là la manière la plus convenable de sauver, comme la manière la plus convenable de rétablir l’homme était que le Verbe devînt chair et habitât parmi nous, bien qu’une autre manière de rétablir était possible.

[15167] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non oportet semper illud quod est nunc ubi prius non fuit localiter, mutatum esse: quia potest aliquid esse conversum in ipsum, sicut cum aer in ignem convertitur. Sed tamen ignis mutatur mutatione generationis; et hoc accidit, quia ignis in illa conversione non est terminus generationis, sed compositum ex subjecto generationis, scilicet materia, et termino, scilicet forma; unde forma ipsa quae est terminus, per se non generatur, ut in 7 Metaph. probatur: generatur autem per accidens, quia non est per se subsistens, sed in alio, quo mutato mutari dicitur. Corpus autem Christi est in altari cum prius non fuerit, quia panis conversus est in ipsum, ita quod ipsum totum corpus est terminus per se conversionis, sicut ibi erat forma: non tamen est ens in alio sicut forma, sed per se subsistens; et ita non oportet quod sit localiter motum, neque generatum per se, neque per accidens.

4. Il n’est pas nécessaire que ce qui se trouve maintenant là où cela n’était pas localement ait été changé, car quelque chose peut être converti en cela, comme lorsque l’air est converti en feu. Toutefois, le feu est changé par un changement selon la génération, et cela se produit parce que le feu, dans cette génération, n’est pas le terme de la génération, mais le composé du sujet de la génération, à savoir, la matière, et du terme, à savoir, la forme. Aussi la forme elle-même qui est le terme n’est-elle pas engendrée, comme cela est démontré dans Métaphysique, VII, mais elle est engendrée par accident parce qu’elle ne subsiste pas par elle-même, mais dans un autre ; lorsque celui-ci est changé, on dit qu’elle est changée. Or, le corps du Christ se trouve sur l’autel, alors qu’il n’y était pas auparavant, parce que le pain a été converti en lui, de telle sorte que le corps entier lui-même est le terme par soi de la conversion, comme l’était là la forme. Cependant, il n’est pas un être existant dans un autre, mais un être subsistant par lui-même. Et ainsi, il n’est pas nécessaire qu’il ait été localement mû, ni qu’il ait été engendré par soi ni par accident.

[15168] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullum corpus comparatur ad locum nisi mediantibus dimensionibus quantitatis; et ideo ibi corpus est aliquod ut in loco, ubi commensurantur dimensiones ejus dimensionibus loci; et secundum hoc corpus Christi non est nisi in uno loco tantum, scilicet in caelo. Sed quia conversa est in corpus Christi substantia panis, qui prius erat in hoc loco determinate mediantibus dimensionibus suis, quae manent transubstantiatione facta; ideo manet locus, non quidem immediate habens ordinem ad corpus Christi secundum proprias dimensiones, sed secundum dimensiones panis remanentes, sub quibus succedit corpus Christi substantiae panis; et ideo non est hic ut in loco, per se loquendo, sed ut in sacramento, non solum significante, sed continente ipsum ex vi conversionis factae. Et sic patet quod corpus Christi non est extra terminos loci sui secundum quod ei competit esse alicubi intus vel extra ex dimensionibus propriis, quod est per se alicubi esse intus vel extra; sed est extra terminos loci quasi per accidens, secundum quod competit ei esse alicubi ratione illarum dimensionum quae remanent ex illo corpore quod conversum est in corpus Christi.

5. Aucun corps n’est comparé au lieu que par l’intermédiaire des dimensions de la quantité. C’est pourquoi il y a un corps dans un lieu là où ses dimensions sont mesurées par les dimensions du lieu. Ainsi, le corps du Christ ne se trouve que dans un seul lieu, à savoir, le ciel. Mais parce que la substance du pain a été convertie en la substance du corps du Christ, [substance du pain] qui se trouvait d’abord précisément dans ce lieu par l’intermédiaire de ses dimensions, lesquelles demeurent une fois réalisée la transsubstantiation, le lieu demeure, non pas comme ayant un ordre immédiat au corps du Christ selon ses propres dimensions, mais selon les dimentions du pain qui demeurent, sous lesquelles le corps du Christ a succédé à la substance du pain. C’est pourquoi, à parler en soi, [le corps du Christ] ne se trouve pas là comme dans un lieu, mais comme dans le sacrement, non seulement en le signifiant, mais en le contenant en vertu de la conversion réalisée. Il est ainsi clair que le corps du Christ ne se trouve pas en dehors des limites de son lieu selon qu’il lui revient d’être quelque part à l’intérieur ou à l’extérieur de ses propres dimensions, mais en dehors des limites du lieu pour ainsi dire par accident, selon qu’il lui revient d’être quelque part en raison des dimensions qui demeurent du corps qui a été converti en corps du Christ.

[15169] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut ex dictis patet, corpus Christi non dicitur esse alicubi nisi ratione dimensionum propriarum, et illius corporis quod in ipsum conversum est. Non est autem possibile quod dimensiones ejus propriae sint ubique, neque quod corpus in ipsum convertendum ubique sit; et ideo quamvis corpus Christi sit in pluribus locis aliquo modo, non tamen potest esse ubique.

6. Comme cela ressort clairement de ce qui a été dit, on ne dit que le corps du Christ est quelque part qu’en raison de ses dimensions propres et de celles de ce corps qui a été converti en lui. Mais il n’est pas possible que ses dimensions propres soient partout, ni que le corps qui doit être converti en lui soit partout. C’est pourquoi, bien que le corps du Christ se trouve d’une certaine manière en plusieurs lieux, il ne peut cependant se trouver partout.

[15170] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ratio illa bene sequeretur, si ratione propriorum terminorum esset in pluribus locis, quod multo fortius Angelo conveniret; sed convenit ei inquantum aliquod corpus convertitur in corpus Christi, non autem in Angelum.

7. Cet argument serait concluant s’il était en plusieurs lieux en raison de ses limites propres, ce qui conviendrait encore bien davantage à l’ange. Mais cela lui convient en tant qu’un corps est converti en corps du Christ, et non en ange.

[15171] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc non competit corpori Christi neque inquantum est corpus, neque inquantum est glorificatum, neque inquantum divinitati unitum, sed inquantum est terminus conversionis; unde similiter accideret de corpore lapidis, si Deus simili modo panis substantiam in lapidem converteret, quod non est dubium eum posse.

8. Cela ne convient pas au corps du Christ, ni en tant qu’il est corps, ni en tant qu’il est glorifié, ni en tant qu’il est uni à la divinité, mais en tant qu’il est le terme d’une conversion. Il en irait donc de même du corps d’une pierre, si Dieu convertissait de la même manière la substance du pain en pierre, ce qu’il n’est pas douteux qu’il puisse faire.

Articulus 2 [15172] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus contineatur sub sacramento quantum ad animam

Article 2 – Le Christ est-il contenu dans le sacrement selon son âme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ est-il contenu dans le sacrement selon son âme ?]

[15173] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non contineatur sub sacramento quantum ad animam. Quia Christo non competit esse in altari, ut dictum est, nisi secundum quod panis in ipsum convertitur. Sed constat quod panis non convertitur in animam Christi. Ergo anima Christi non est ibi.

1. Il semble que le Christ ne soit pas contenu dans le sacrement selon son âme, car il ne revient au Christ de se trouver sur l’autel, comme on l’a dit, que pour autant que le pain est converti en lui. Or, il est clair que le pain n’est pas converti en l’âme du Christ. L’âme du Christ ne s’y trouve donc pas.

[15174] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus est in sacramento altaris, ut cibus fidelium. Sed non est cibus secundum animam, sed secundum corpus: quia dicit Joan. 6, 56: caro mea vere est cibus. Ergo non est ibi secundum animam.

2. Le Christ se trouve dans le sacrement de l’autel comme nourriture des fidèles. Or, il n’est pas nourriture par son âme, mais par son corps, car Jn 6, 56 dit : Ma chair est vraiment une nourriture. Il ne s’y trouve donc pas selon son âme.

[15175] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, forma sacramenti debet respondere sacramento. Sed in forma non fit mentio de anima, sed solum de corpore: quia dicitur: hoc est corpus meum. Ergo non est ibi secundum animam.

3. La forme du sacrement doit correspondre au sacrement. Or, dans la forme, il n’est pas fait mention de l’âme, mais seulement du corps, car il est dit : Ceci est mon corps. Il ne s’y trouve donc pas selon son âme.

[15176] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quaecumque non separantur secundum esse, ubicumque est unum, et aliud. Sed unum est esse animae Christi et corporis, sicut materiae et formae. Ergo cum corpus Christi sit in altari, erit ibi anima.

Cependant, [1] pour tout ce qui n’est pas séparé selon l’être, là où l’un se trouve, l’autre aussi [s’y trouve]. Or, il y a un seul être de l’âme et du corps du Christ, comme de la matière et de la forme. Puisque le corps du Christ se trouve sur l’autel, son âme y sera donc aussi.

[15177] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, corpus Christi non est in sacramento inanimatum. Sed corpus sine anima est inanimatum. Ergo Christus non est ibi secundum corpus tantum, sed etiam secundum animam.

[2] Le corps du Christ ne se trouve pas dans le sacrement en tant qu’inanimé. Or, le corps sans l’âme est inanimé. Le Christ ne s’y trouve donc pas selon son corps seulement, mais aussi selon son âme.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ est-il contenu sous l’espèce du pain en tant que chair animée ?]

[15178] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sub specie panis Christus non contineatur inquantum ad carnem animatam. Quia, ut dictum est, corpus Christi est ibi secundum quod cibus. Sed esse cibum non convenit nisi carni; unde Joan. 6, 56: caro mea vere est cibus. Ergo non est ibi aliqua pars corporis, nisi caro.

1. Il semble que le Christ n’est pas contenu sous l’espèce du pain en tant que chair animée, car, comme on l’a dit, le corps du Christ s’y trouve en tant que nourriture. Or, être nourriture ne convient qu’à la chair ; ainsi [est-il dit] en Jn 6, 56 : Ma chair est vraiment une nourriture. Il ne s’y trouve donc qu’une partie du corps, la chair.

[15179] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quod jam est, non oportet fieri. Si ergo in pane consecrato sunt omnes partes corporis Christi, erit ibi sanguis; ergo non oporteret quod per consecrationem vini iterum ibi fieret.

2. Ce qui existe déjà n’a pas besoin de devenir. Si donc, dans le pain consacré, se trouvent toutes les parties du corps du Christ, le sang s’y trouvera. Il ne serait donc pas nécessaire qu’il le devienne de nouveau par la consécration du vin.

[15180] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Deus in revelationibus veritatem ostendit: alias revelatio esset causa erroris, quod est inconveniens. Sed species panis ostensa est aliquando ut caro tantum, sicut legitur in vita beati Gregorii. Ergo non est sub specie panis aliquid de corpore Christi nisi caro, et non sanguis vel os, vel aliud hujusmodi.

3. Dieu montre la vérité par ses révélations, autrement, la révélation serait cause d’erreur, ce qui est inacceptable. Or, l’espèce du pain a été montrée parfois seulement comme chair, comme on le lit dans la vie du bienheureux Grégoire. Il n’y a donc sous l’espèce du pain que la chair qui soit quelque chose du corps du Christ, et non son sang ou sa bouche ou quelque chose d’autre de ce genre.

[15181] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut corpus Christi significatur in sacramento, ita continetur ibi. Sed significatur secundum quod est; alias significatio esset falsa. Ergo est ibi secundum quod est. Sed caro non est sine sanguine et aliis partibus corporis. Ergo est ibi non solum caro, sed etiam aliae partes corporis.

Cependant, [1] de même que le corps du Christ est signifié dans le sacrement, de même y est-il contenu. Or, il est signifié selon qu’il existe, autrement, la signification serait fausse. Il s’y trouve donc de la manière dont il existe. Or, la chair n’existe pas sans le sang et les autres parties du corps. Donc, non seulement la chair s’y trouve, mais aussi les autres parties du corps.

[15182] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in specie panis significatur totum id quod est res tantum sine sacramento, scilicet unitas corporis mystici, et similiter in vino, ut ex dictis, 8 dist., patet. Sed sicut significatur id quod est res tantum, ita significatur et continetur id quod est res et sacramentum. Ergo et totus Christus, qui est res et sacramentum, continetur sub utraque specie.

[2] Sous l’espèce du pain, est signifié tout ce qui est la réalité seulement sans le sacrement, à savoir, l’unité du corps mystique. De même en est-il pour le vin, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 8. Or, de même qu’est signifié ce qui est la réalité seulement, de même est signifié et contenu ce que sont la réalité et le sacrement. Le Christ, qui est la réalité et le sacrement, est donc contenu en entier sous les deux espèces.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le corps du Christ se trouve-t-il là selon sa quantité propre ?]

[15183] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit ibi corpus Christi secundum propriam qualitatem. Nihil enim quod manet convertitur in alterum. Sed quantitas panis manet. Ergo non convertitur in quantitatem corporis Christi. Sed corpus Christi non est in altari, ut dictum est, nisi ut est terminus conversionis. Ergo non est ibi secundum propriam quantitatem.

1. Il semble que le corps du Christ ne se trouve pas là selon sa quantité [corr.] propre. En effet, rien qui demeure n’est converti en quelque chose d’autre. Or, la quantité du pain demeure ; elle n’est donc pas convertie dans la quantité du corps du Christ. Or, le corps du Christ ne se trouve sur l’autel, comme on l’a dit, que pour autant qu’il est le terme de la conversion. Il ne s’y trouve donc pas selon sa quantité propre.

[15184] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 3 Phys., corpus naturale non potest esse simul cum dimensionibus separatis: quia tunc duae dimensiones essent simul. Sed dimensiones panis manent. Ergo sub eisdem dimensionibus non potest esse corpus Christi cum dimensionibus propriae quantitatis.

2. Selon le Philosophe, dans Physique, III, un corps naturel ne peut exister avec des dimensions séparées, car alors, deux dimensions existeraient en même temps. Or, les dimensions du pain demeurent. Le corps du Christ ne peut donc exister sous les mêmes dimensions, avec les dimensions de sa quantité propre.

[15185] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, accidens plus dependet a substantia quam substantia ab accidente. Sed ex parte ejus quod est sacramentum tantum, invenitur accidens sine substantia. Ergo multo magis potest poni ex parte ejus quod est res et sacramentum, quod sit substantia sine accidente; et ita corpus Christi sine quantitate.

3. L’accident dépend davantage de la substance que la substance de l’accident. Or, du côté de ce qui est sacrement seulement, on trouve l’accident sans substance. À bien plus forte raison, donc, peut-on affirmer, du côté de ce qui est la réalité et le sacrement, que la substance existe sans accident. Et ainsi, le corps du Christ existe-t-il sans quantité.

[15186] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, sicut dictum est supra, ubicumque est corpus aliquod secundum proprias dimensiones, est ibi ut in loco. Sed corpus Christi non est sub sacramento ut in loco, quia jam esset extra terminos loci proprii. Ergo impossibile est quod sit ibi secundum dimensiones proprias.

4. Comme on l’a dit plus haut, partout où se trouve un corps selon ses propres dimensions, il s’y trouve comme dans un lieu. Or, le corps du Christ ne se trouve pas dans le sacrement comme dans un lieu, car il se trouverait alors en dehors des limites de son lieu propre. Il est donc impossible qu’il s’y trouve selon ses dimensions propres.

[15187] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, subjectum nunquam separatur a propria passione. Sed substantiae corporalis propria passio est quantitas dimensiva. Ergo cum substantia corporis Christi sit sub sacramento, etiam quantitas ejus dimensiva erit.

Cependant, [1] un sujet n’est jamais séparé de ce qu’il supporte. Or, la substance corporelle supporte en propre la quantité dimensionnelle. Puisque la substance du corps du Christ se trouve dans le sacrement, sa quantité dimensionnelle [s’y trouve] donc aussi.

[15188] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, de ratione corporis vivi est organizatio, ut patet in 2 de anima. Sed organizatio requirit diversum situm partium; situs autem praesupponit quantitatem. Ergo oportet, cum corpus Christi sit vivum sub sacramento, quod sit ibi sub propria quantitate.

2. L’organisation fait partie du corps vivant, comme cela ressort de Sur l’âme, II. Or, l’organisation exige que les parties aient une position différente, et la position présuppose la quantité. Puisque le corps du Christ est vivant dans le sacrement, il faut donc qu’il s’y trouve sous sa quantité propre.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le corps du Christ se trouve-t-il dans le sacrement selon toute sa quantité ?]

[15189] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit ibi secundum totam quantitatem suam. Constat enim quod quantitas corporis Christi non invenitur extra corpus Christi, ut corpus Christi sit sine propria quantitate. Sed constat quod corpus Christi non est ultra dimensiones panis, neque aliqua pars dimensionis est in qua non sit corpus Christi. Ergo si est ibi quantitas tota corporis Christi, neque excedit dimensiones panis, neque exceditur. Sed communis animi conceptio est quod duae quantitates, quarum una alteri superposita neque excedit neque exceditur, sunt aequales, ut patet in principio Euclidis. Ergo quantitas corporis Christi tota aequatur quantitati panis: quod est falsum; quia contingit esse majorem et minorem.

1. Il semble que [le corps du Christ] ne se trouve pas [dans le sacrement] selon toute sa quantité. En effet, il est clair que la quantité du corps du Christ ne se trouve pas en dehors du corps du Christ, de sorte que le corps du Christ existe sans sa quantité propre. Or, il est certain que le corps du Christ ne dépasse pas les dimensions du pain, et qu’il n’existe pas de partie de la dimension dans laquelle le corps du Christ n’existe pas. Si donc la quantité totale du corps du Christ s’y trouve, elle ne dépasse donc pas les dimensions du pain et elle n’est pas dépassée [par elles]. Or, la conception commune de l’esprit veut que soient égales deux quantités, dont l’une, superposée sur l’autre, ne dépasse pas ni n’est dépassée, comme cela ressort clairement du principe d’Euclide. La quantité totale du corps du Christ est donc égale à la quantité du pain, ce qui est faux, car il se fait qu’elle est plus grande et plus petite.

[15190] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, nullum corpus secundum totam suam quantitatem potest contineri indifferenter magna et parva quantitate extrinseca. Sed corpus Christi continetur indifferenter sub parva parte vel magna panis consecrati. Ergo non est ibi secundum totam suam quantitatem.

2. Aucun corps, selon sa quantité totale, ne peut être contenu indifféremment d’une quantité extérieure, petite ou grande. Or, le corps du Christ est contenu indifféremment sous une quantité petite ou grande du pain consacré. [Le corps du Christ] ne s’y trouve donc pas selon sa quantité totale.

[15191] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, quandocumque sub aliqua quantitate extrinseca continetur corpus aliquod habens partes distinctas secundum suam intrinsecam quantitatem totam; contingit assignare sub qua parte illius quantitatis singulae partes contineantur. Sed corpus Christi, cum sit organicum, habet partes distinctas. Si ergo secundum totam suam quantitatem continetur sub dimensionibus, erit assignare ubi sit caput ejus et manus et pes; quod est impossibile: quia parvitas quantitatis non sufficit ad talem distantiam; et praecipue cum partes habeant distantias determinatas.

3. Parfois, un corps, comportant des parties distinctes selon une certaine quantité totale extrinsèque, est contenu sous une certaine quantité totale extrinsèque ; il faut déterminer sous quelle partie de cette quantité chacune des parties est contenue. Or, le corps du Christ, puisqu’il est organique, comporte des parties distinctes. Si donc, selon sa quantité totale, il est contenu sous des dimensions, il faudra déterminer où se trouvent sa tête, ses mains et ses pieds, ce qui est impossible, car une petite quantité ne suffit pas pour une telle distance, surtout lorsque les parties ont des distances déterminées.

[15192] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, formalitas corporis attenditur secundum totalitatem quantitatis ejus; quia secundum quantitatem dividitur et partes habet. Sed secundum Augustinum, Christus totus manducatur in sacramento. Ergo est ibi secundum totam suam quantitatem.

Cependant, [1] la disposition formelle du corps est considérée selon la totalité de sa quantité, car il se divise et possède des parties selon la quantité. Or, selon Augustin, le Christ entier est mangé dans le sacrement. Il s’y trouve donc selon toute sa quantité.

[15193] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, impossibile est aliquid esse alicubi secundum partem quantitatis et non secundum totam, nisi divisa quantitate ipsius. Sed quantitas corporis Christi non dividitur actu, quia corpus illud dividi est impossibile. Ergo cum in sacramento contineatur aliquid quantitatis corporis ejus, impossibile est dicere quod non contineatur in toto.

2. Il est impossible que quelque chose soit quelque part selon une partie de sa quantité et non selon [sa quantité] totale, à moins que sa quantité ne soit divise. Or, la quantité du corps du Christ n’est pas divisée en acte, car il est impossible que ce corps soit divisé. Puisque quelque chose de la quantité de son corps est contenu dans le sacrement, il est donc impossible de dire qu’il n’est pas contenu tout entier.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15194] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in sacramento altaris continetur aliquid dupliciter: uno modo ex vi sacramenti, alio modo ex naturali concomitantia. Ex vi quidem sacramenti continetur ibi illud ad quod conversio terminatur. Ad quid autem terminatur conversio, sciri potest ex tribus. Primo ex eo quod convertebatur: non enim convertitur materia sacramenti nisi in id ad quod habet similitudinem secundum proprietatem naturae suae, sicut vinum in sanguinem. Secundo ex significatione formae, cujus virtute fit conversio; unde in illud conversio terminatur quod est significatum per formam. Tertio ex usu sacramenti: quia quod pertinet ad cibum, continetur sub specie panis ex vi sacramenti; quod pertinet ad potum, sub specie vini. Ex naturali autem concomitantia, et quasi per accidens, continetur sub sacramento illud quod per se non est terminus conversionis, sed sine quo terminus conversionis esse non potest. Secundum hoc ergo patet quod cum anima Christi non habeat similitudinem cum substantia panis, nec in forma sacramenti de anima fiat mentio, nec anima conveniat ad usum sacramenti, qui est manducare et bibere; ad animam non terminatur conversio panis nec vini, sed ad corpus et sanguinem Christi, quae ab anima separata non sunt; et ideo anima non continetur ibi ex vi sacramenti, sed tamen continetur ibi ex naturali concomitantia ad corpus quod vivificat. Unde si fuisset facta conversio panis in corpus Christi quando erat mortuum, anima non fuisset sub sacramento. Et quod dictum est de anima, debet intelligi de divinitate; nisi quod divinitas ejus, etiam praeter sacramentum, est ubique.

Dans le sacrement de l’autel, quelque chose est contenu de deux manières : d’une manière, en vertu du sacrement ; d’une autre manière, en vertu d’une concomitance naturelle. En vertu du sacrement, y est contenu ce à quoi se termine la conversion. À quoi se termine la conversion, on peut le savoir à partir de trois choses. Premièrement, à partir de ce qui était converti : en effet, la matière du sacrement n’est convertie qu’en ce avec quoi elle a une ressemblance selon sa nature propre, comme le vin en sang. Deuxièmement, à partir de la signification de la forme, en vertu de laquelle la conversion est réalisée. Aussi la conversion a-t-elle comme terme ce qui est signifié par la forme. Troisièmement, à partir de l’usage du sacrement, car ce qui se rapporte à la nourriture est contenu sous l’espèce du pain en vertu du sacrement, et ce qui se rapporte à la boisson, sous l’espèce du vin. Mais est contenu dans le sacrement en vertu d’une concomitance naturelle et pour ainsi dire par accident ce qui n’est pas par soi le terme de la convnersion, mais sans quoi le terme de la conversion ne peut exister. Conformément à cela, il est clair que, puisque l’âme du Christ n’a pas de ressemblance avec la substance du pain, qu’il n’est pas fait mention de l’âme dans la forme du sacrement et que l’âme n’a rien en commun avec l’usage du sacrement, qui consiste à manger et à boire, la conversion du pain et du vin n’a pas comme terme l’âme, mais le corps et le sang du Christ, qui ne sont pas séparés de l’âme. C’est pourquoi l’âme n’y est pas contenue en vertu du sacrement ; elle y est cependant contenue en vertu de la concomitance naturelle avec le corps qu’elle vivifie. De sorte que si la conversion du pain au corps du Christ avait été réalisée alors qu’il était mort, l’âme n’aurait pas été contenue dans le sacrement. Et ce qui a été dit de l’âme doit s’entendre de la divinité, sauf que sa divinité, même en dehors du sacrement, se trouve partout.

[15195] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15196] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod duplex est usus sacramenti; scilicet manducare et bibere. Manducare autem est usus cibi sicci; sed bibere est usus cibi humidi, qui potus dicitur; et ideo sub specie panis, qui ad usum manducationis ordinatur, continetur ex vi sacramenti non solum caro Christi, sed os, et omnes hujusmodi partes; non autem sanguis, quia continetur ex vi sacramenti sub specie vini, qui ad usum potus ordinatur; quamvis ex naturali concomitantia et sanguis sit sub specie panis, et caro sub specie vini.

Il y a un double usage du sacrement : manger et boire. Manger est l’usage d’une nourriture sèche, mais boire est l’usage d’une nourriture humide, qu’on appelle boisson. Ainsi, sous l’espèce du pain, qui est ordonné à l’usage de la manducation, sont contenus en vertu du sacrement, non seulement la chair du Christ, mais sa bouche et toutes les parties de ce genre, mais non son sang, parce que, en vertu du sacrement, il est contenu sous l’espèce du vin, qui est ordonné à l’usage d’une boisson, bien qu’en vertu d’une concomitance naturelle, le sang se trouve aussi sous l’espèce du pain, et la chair, sous l’espèce du vin.

[15197] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ponitur ibi pars pro toto, scilicet caro pro toto corpore: et hanc partem specialiter posuit, ut per similitudinem manducationis corporalis, cui praecipue caro apta est, manuduceret ad sacramentalem, quamvis etiam ossa et aliae hujusmodi partes manducationi aliquo modo competant, cum secundum Avicennam quaedam animalia ipsis nutriantur.

1. La partie est mise là pour le tout, à savoir, la chair pour tout le corps. Et [le Seigneur] a mis là cette partie d’une manière particulière afin que, par la ressemblance avec la manducation corporelle de laquelle se rapproche surtout la chair, il conduise à la [manducation] sacramentelle, bien que les os et les autres parties de ce genre se rapportent aussi d’une certaine manière à la manducation, puisque, selon Avicenne, certains animaux s’en nourrissent.

[15198] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod jam est, non fit eo modo quo est, sed alio modo potest fieri; quia quod est potentia, fit actu; et ideo sanguis Christi, qui est sub sacramento hostia consecrata non ex vi sacramenti, fit ibi per consecrationem vini ex vi sacramenti existens; sicut etiam quod est in uno loco per accidens, fit ibi per se quandoque.

2. Ce qui existe déjà ne devient pas de la manière dont cela existe, mais cela peut devenir d’une autre manière, car ce qui est en puissance devient en acte. Ainsi, le sang du Christ, qui se trouve dans le sacrement l’hostie consacrée, mais non en vertu du sacrement, y apparaît par la consécration du vin, en tant qu’elle existe en vertu du sacrement. Comme aussi ce qui est dans un lieu par accident y apparaît parfois par soi.

[15199] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod visus corporalis, ut dicetur, non potest videre corpus Christi secundum quod est sub sacramento. Quid autem illud sit quod quandoque in hoc sacramento in specie carnis aut sanguinis apparet, infra dicetur, art. 4, quaestiunc. 2.

3. La vision corporelle, comme on le dira, ne peut voir le corps du Christ selon qu’il se trouve dans le sacrement. Mais ce qui apparaît parfois dans ce sacrement sous l’espèce de la chair et du sang, on le dira plus loin, a. 4, qa 2.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15200] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod substantia panis, quae convertitur in corpus Christi, non habet aliquam proportionem similitudinis ad quantitatem vel alia accidentia Christi, sed tantummodo ad substantiam ejus corporis: et ideo, cum nihil convertatur in corpus Christi de pane nisi substantia panis, quia accidentia manent, constat quod conversio illa terminatur directe ad substantiam, non autem ad accidentia, quia accidentia panis remanent; et ideo quantitas et alia accidentia propria corporis non sunt ibi ex vi sacramenti; sunt tamen ibi secundum rei veritatem ex naturali concomitantia accidentis ad subjectum, ut de anima dictum est.

La substance du pain, qui est convertie en corps du Christ, n’est pas proportionnellement semblable à la quantité ou aux autres accidents du Christ, mais seulement à la substance de son corps. C’est pourquoi, comme rien du pain n’est converti au corps du Christ que la substance du pain, puisque les accidents demeurent, il est clair que cette conversion a comme terme direct la substance, et non les accidents, puisque les accidents du pain demeurent. Ainsi, la quantité et les autres accidents propres du corps ne s’y trouvent pas en vertu du sacrement ; ils s’y trouvent cependant en réalité en vertu de la concomitance naturelle de l’accident avec le sujet, comme on l’a dit à propos de l’âme.

[15201] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa probat quod non sit ibi ex vi sacramenti; et hoc concedo.

1. Cet argument prouve qu’il ne s’y trouve pas en vertu du sacrement, et je concède cela.

[15202] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia dimensiones corporis Christi non sunt ibi ex vi sacramenti, sed solum ex eo quod concomitantur inseparabiliter substantiam, constat quod contrario ordine sunt ibi dimensiones propriae corporis Christi, et dimensiones locati corporis in loco. Corporis enim locati substantia non habet ordinem ad locum nisi mediantibus dimensionibus; et ideo, quia dimensiones corporis locati non possunt esse simul cum aliis dimensionibus, sequitur ex consequenti quod substantia corporis locati non possit esse simul cum aliis dimensionibus, neque separatis, neque in alio corpore existentibus. Sed hic e contrario substantia corporis Christi per se immediate ordinatur ad hoc quod sit sub sacramento; et dimensiones ejus propriae ex consequenti et per accidens. Substantia autem ex hoc quod est substantia non prohibetur esse simul cum dimensionibus quibuscumque, sive conjunctis sibi, sive separatis, aut existentibus in alio subjecto; sicut substantia Angeli potest esse simul ubi est aliud corpus; et ideo etiam corpus Christi sub propria quantitate potest esse sub dimensionibus panis.

2. Parce que les dimensions du corps du Christ ne s’y trouvent pas en vertu du sacrement, mais seulement du fait qu’ils sont inséparablement concomitants à la substance, il est clair que, selon un ordre contraire, s’y trouvent les dimensions propres du corps du Christ et les dimensions du corps situé dans un lieu. En effet, la substance du corps localisé n’a de rapport au lieu que par l’intermédiaire des dimensions. C’est pourquoi, puisque les dimensions d’un corps localisé ne peuvent exister simultanément avec d’autres dimensions, il en découle comme conséquence que la substance du corps localisé ne peut exister en même temps que d’autres dimensions, ni séparées, ni se trouvant dans un autre corps. Mais ici, en sens contraire, la substance du corps du Christ est ordonnée par soi immédiatement à ce qu’il existe dans le sacrement, et ses dimensions propres, par mode de conséquence et par accident. Or, la substance, du fait qu’elle est substance, n’est pas empêchée d’exister simultanément sous n’importe quelles dimensions, qu’elles lui sont unies ou en soient séparées, ou qu’elles existent dans un autre sujet. Ainsi, la substance d’un ange peut exister en même temps que là où se trouve un autre corps. C’est pourquoi le corps du Christ peut exister aussi sous sa propre quantité sous les dimensions du pain.

[15203] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest fieri sine mutatione panis, quod ejus accidentia sine substantia remaneant: et similiter non posset fieri quod substantia corporis Christi esset sine accidentibus sine sua mutatione. Posset autem Deus hoc facere ut sine accidentibus propriis esset, ad minus aliquibus, absque transubstantiatione intrinseca; et quia non est inconveniens panem mutari, esset autem inconveniens Christum mutari; ideo non est simile quod inducit ratio.

3. Il ne peut se produire que, sans changement du pain, ses accidents demeurent sans la substance ; de même, il ne peut se produire que la substance du corps du Christ existe sans [ses] accidents sans qu’elle soit changée. Mais Dieu pourrait faire qu’il existe sans ses accidents propres, du moins, sans certains, sans transsubstantiation intrinsèque. Et parce qu’il n’est pas inconvenant que le pain soit changé, mais qu’il serait inconvenant que le Christ soit changé, ce que l’argument conclut n’est pas la même chose.

[15204] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis corpus Christi cum quantitate propria sit sub sacramento, non est tamen ibi mediante sua quantitate; et ideo non est ibi ut in loco.

4. Bien que le corps du Christ existe avec sa quantité propre dans le sacrement, il n’y est cependant pas par l’intermédiaire de sa quantité. Il n’y est donc pas comme dans un lieu.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15205] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod qua ratione ponitur ibi pars quantitatis, eadem ratione ibi poni debet etiam tota quantitas: quia sicut corpus Christi non separatur a propria quantitate, ita una pars quantitatis non separatur ab alia: utrumque enim sine mutatione intrinseca corporis Christi non posset evenire.

La raison pour laquelle est mise là une partie de la quantité est la même pour laquelle on doit y mettre toute la quantité, car, de même que le corps du Christ n’est pas séparé de sa propre quantité, de même une partie de la quantité n’est-elle pas séparée d’une autre. En effet, les deux choses ne pourraient survenir sans une mutation intrinsèque du corps du Christ.

[15206] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in superpositione directe quantitas applicatur quantitati. Et quia quantitas Christi non directe applicatur quantitati panis, quia non mediante ipsa corpus Christi sub dimensione panis est; ideo non est ibi aliqua superpositio quantitatis ad quantitatem, nec aliqua commensuratio quantitatum; et ideo non sequitur quod sint aequales.

1. Dans une superposition, la quantité est appliquée directement sur une quantité. Et parce que la quantité du Christ n’est pas appliquée directement à la quantité du pain, puisque ce n’est pas par son intermédiaire que le corps du Christ existe sous la dimension du pain, il n’y a pas là superposition d’une quantité à une quantité, ni ajustement des quantités. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’elles sont égales.

[15207] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut illa quae non habent quantitatem, possunt esse indifferenter sub parva et magna quantitate, sicut patet de anima, quae est indifferenter in magno et parvo corpore; ita illud quod non ratione suae quantitatis continetur sub aliqua quantitate, potest esse indifferenter in magna et parva quantitate: et sic est in proposito.

2. De même que ce qui n’a pas de quantité peut exister indifféremment sous une petite ou une grande quantité, comme cela ressort clairement pour l’âme, qui se trouve indifféremment dans un corps grand ou petit, de même ce qui est contenu sous une quantité, mais non en raison de sa quantité, peut exister indifféremment dans une grande ou une petite quantité. Il en est ainsi dans le cas présent.

[15208] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod situs, sicut objectio tangit, quantitatem praesupponit; et quia quantitas Christi nullam similitudinem habet ad dimensiones panis, ideo etiam nec situs partium corporis Christi; et ideo quamvis corpus Christi, prout est sub sacramento, habeat partes distinctas, et situatas situ naturali, non est tamen assignare in partibus dimensionum panis, ubi singulae partes corporis Christi jaceant. Nec tamen sequitur quod dicamus corpus Christi confusum, quia ordinem habent partes in se; sed secundum ordinem illum non comparantur ad dimensiones exteriores.

3. Le site, comme l’objection l’aborde, présuppose la quantité. Et parce que la quantité du Christ n’a aucune ressemblance avec les dimensions du pain, il n’y a donc pas de site pour les parties du corps du Christ. C’est pourquoi, bien que le corps du Christ, en tant qu’il existe dans le sacrement, ait des parties distinctes et situées dans leur site naturel, on ne peut cependant indiquer dans les parties des dimensions du pain où chaque partie du corps du Christ se trouve. Il n’en découle cependant pas que nous disions que le corps du Christ est mélangé, car les parties ont en soi un ordre ; mais, elles ne se comparent pas aux dimensions extérieures selon cet ordre.

 

 

Articulus 3 [15209] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 tit. Utrum corpus Christi contineatur sub sacramento circumscriptive

Article 3 – Le corps du Christ est –il contenu de manière circonscrite dans le sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le corps du Christ est-il contenu de manière circonscrite dans le sacrement ?]

[15210] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corpus Christi contineatur sub sacramento circumscriptive. Omne enim corpus quod est in loco, circumscribitur. Sed corpus Christi est sub sacramento sicut in loco: quod patet, quia non est alium modum assignare de modis essendi in quos assignat philosophus in 4 Phys. Ergo corpus Christi est in loco circumscriptive.

1. Il semble que le corps du Christ soit contenu de manière circonscrite dans le sacrement. En effet, tout corps qui est dans un lieu est circonscrit. Or, le corps du Christ existe dans le sacrement comme dans un lieu, ce qui ressort clairement du fait qu’on ne peut lui assigner aucun autre des modes d’être qu’indique le Philosophe, dans Physique, IV. Le corps du Christ se trouve donc dans un lieu de manière circonscrite.

[15211] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in sex principiis dicitur, quod proprium est positionis primo loco substantiae inhaerere. Sed corporis Christi substantia non denudatur aliis proprietatibus, prout est sub sacramento. Ergo neque positione: ergo secundum quod est sub sacramento, est in loco: quia positio ordinem partium in loco dicit.

2. Dans Les six principes, il est dit que c’est le propre de la position d’adhérer en premier lieu à la substance. Or, la substance du corps du Christ n’est pas dépourvue des autres propriétés du fait qu’elle existe dans le sacrement. Elle ne l’est donc pas non plus de la position. Selon qu’elle existe dans le sacrement, elle est donc dans un lieu, car la position exprime l’ordre des parties dans un lieu.

[15212] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne corpus quod continetur superficie alterius corporis, ita quod non excedit neque exceditur, circumscribitur illa superficie sicut loco. Sed corpus Christi totum, ut dictum est, continetur sub ultima superficie dimensionum panis quae manent, et nec excedit nec exceditur. Ergo est sicut in loco circumscriptive.

3. Tout corps qui est entouré par la surface d’un autre corps, de telle sorte qu’il n’en dépasse pas et n’est pas dépassé [par lui], est circonscrit par cette surface comme par un lieu. Or, le corps entier du Christ, comme on l’a dit, est contenu dans l’ultime surface des dimensions du pain qui demeurent, et il n’en dépasse pas et n’est pas dépassé [par elle]. Il se trouve donc dans un lieu de manière circonscrite.

[15213] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod replet locum, circumscribitur loco. Sed corpus Christi replet locum dimensivum, alias esset vacuum. Ergo corpus Christi circumscribitur speciebus illis.

4. Tout ce qui remplit un lieu est circonscrit par ce lieu. Or, le corps du Christ remplit un lieu dimensionnel, autrement ce serait le vide. Le corps du Christ est donc circonscrit par ces espèces.

[15214] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne corpus quod circumscribitur loco, commensuratur loco circumscribenti: quia locus et locatum sunt aequalia, ut dicitur in 4 Phys. Sed corpus Christi non commensuratur quantitati dimensionum, ut dictum est, art. praec. Ergo non est ibi sicut in loco circumscriptive.

Cependant, [1] tout corps qui est circonscrit par un lieu a la même mesure que le lieu qui le circonscrit, car le lieu et ce qui est localisé sont égaux, comme il est dit dans Physique, IV. Or, le corps du Christ n’a pas la même mesure par la quantité des dimensions, comme on l’a dit à l’article précédent. Il ne se trouve donc pas dans un lieu de manière circonscrite.

[15215] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne corpus quod circumscribitur loco aliquo, partes ejus habent situm determinatum in loco illo. Sed hoc, ut dictum est, non convenit corpori Christi ratione dimensionum illarum. Ergo non continetur eis circumscriptive.

[2] Les parties de tout corps qui est circonscrit par un lieu ont un site déterminé par ce lieu. Or, comme on l’a dit, cela ne convient pas au corps du Christ en raison de ces dimensions. Il n’est donc pas contenu par elles de manière circonscrite.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il contenu en elles au moins de manière définie ?]

[15216] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contineatur sub eis saltem definitive. Quia plus distat a natura loci Angelus quam corpus Christi. Sed Angelus non potest esse in loco quin loco definiatur, ut communiter dicitur. Ergo multo fortius corpus Christi est definitive sub speciebus illis.

1. Il semble qu’il est contenu en elles au moins de manière définie, car l’ange est plus éloigné de la nature du lieu que le corps du Christ. Or, l’ange ne peut se trouver dans un lieu sans que le lieu soit défini, comme on dit communément. À bien plus forte raison, le corps du Christ est-il donc dans ces espèces de manière définie.

[15217] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne corporale individuum est determinatum ad hic et nunc. Sed corpus Christi est hujusmodi. Ergo determinatur ad hic et nunc. Ergo est definitive sub speciebus.

2. Tout individu corporel est déterminé à un lieu et à moment donnés. Or, le corps du Christ est de ce genre. Il est donc déterminé à un lieu et à un moment donnés. Il existe donc de manière définie sous les espèces.

[15218] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne finitum existens alicubi, definitive est ibi. Sed corpus Christi est hujusmodi. Ergo et cetera.

3. Tout être fini qui existe en un endroit s’y trouve de manière définie. Or, le corps du Christ est de ce genre. Donc, etc.

[15219] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne quod est definitive alicubi, ita est ibi quod non alibi. Sed corpus Christi non ita est sub speciebus quod non alibi. Ergo non est definitive sub eis.

Cependant, [1] tout ce qui se trouve en un endroit de manière définie s’y trouve de telle sorte qu’il ne soit pas ailleurs. Or, le corps du Christ n’existe pas sous les espèces de telle sorte qu’il ne soit pas ailleurs. Il n’existe pas sous elles de manière définie.

[15220] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod potest sine sui mutatione alibi esse quam hic, non est hic definitive: propter hoc enim ponimus Angelos moveri, quia loco definiuntur. Sed corpus Christi potest alibi esse quam sub speciebus illis sine omni mutatione vel sua vel specierum; puta, si alibi corpus Christi consecratur. Ergo non erat hic definitive.

[2] Tout ce qui peut être ailleurs qu’ici sans changer ne se trouve pas ici de manière définie : en effet, nous affirmons que les anges se meuvent parce qu’ils sont définis par un lieu. Or, le corps du Christ peut être ailleurs que sous ces espèces sans aucun changement de lui-même ou des espèces, par exemple, si le corps du Christ est consacré ailleurs. Il ne s’y trouvait donc pas de manière définie.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le corps du Christ peut-il se trouver en entier dans n’importe partie des espèces ?]

[15221] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpus Christi non possit esse totum sub qualibet parte specierum. Dimensiones enim panis remanentes possunt in infinitum dividi. Si ergo in qualibet parte dimensionum illarum esset corpus Christi totum, esset infinities sub eisdem dimensionibus; quod est impossibile.

1. Il semble que le corps du Christ ne puisse se trouver en entier dans n’importe quelle partie des espèces. En effet, les dimensions du pain qui demeurent peuvent être divisées à l’infini. Si donc le corps du Christ se trouvait dans n’importe quelle partie de ces dimensions, il se trouverait à l’infini sous ces mêmes dimensions, ce qui est impossible.

[15222] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt simul, sibi invicem sunt simul. Sed si in qualibet parte dimensionum est totum corpus Christi, ubicumque est pars corporis Christi, esset totum corpus Christi. Ergo ubi esset una pars, esset alia. Sed hoc repugnat distinctioni partium, quae requiritur in corpore organico. Ergo non est possibile quod totum corpus Christi sub qualibet parte specierum sit.

2. Toutes les choses qui existent simultanément par rapport à une seule et même chose existent simultanément les unes par rapport aux autres. Or, si le corps entier du Christ se trouve dans n’importe quelle partie des dimensions, partout où se trouve une partie du corps du Christ, le corps entier du Christ se trouverait. Or, cela s’oppose à la distinction entre les parties, qui est nécessaire à un corps organique. Il n’est donc pas possible que le corps entier du Christ se trouve dans n’importe quelle partie des espèces.

[15223] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod proprium est spiritus quod possit simul in diversis partibus totus esse. Sed corpus Christi non ponitur neque per unionem neque per gloriam extra limites corporis, ut possit percipere proprietatem spiritus. Ergo corpus Christi non est totum in qualibet parte specierum.

3. Augustin dit que c’est le propre de l’esprit de pouvoir se trouver en même temps en entier dans diverses parties. Or, le corps du Christ n’est placé ni par l’union ni par la gloire hors des limites du corps, de sorte qu’il puisse recevoir ce qui est propre à l’esprit. Le corps du Christ ne se trouve donc pas en entier dans n’importe quelle partie des espèces.

[15224] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Hilarius dicit de Cons., dist. 2, cap. ubi: ubi pars est corporis, et totum; et loquitur de corpore domini in sacramento. Sed in qualibet parte dimensionum est aliqua pars corporis domini. Ergo in qualibet parte dimensionum est totum.

Cependant, [1] Hilaire dit, dans Sur la conécration, d. 2, chap. «Ubi» : «Là où se trouve une partie du corps, là il se trouve en totalité», en parlant du corps du Seigneur dans le sacrement. Or, il y a une partie du corps du Seigneur dans n’importe quelle partie des dimensions. Il se trouve donc en entier dans n’importe quelle partie des dimensions.

[15225] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, panis consecratus est quoddam totum homogeneum, idest unius rationis in toto et in partibus. Sed sub toto est totum corpus. Ergo sub qualibet parte corporis est totum.

[2] Le pain consacré est un tout homogène, à savoir qu’il a une seule raison dans son tout et dans ses parties. Or, tout le corps du Christ se trouve dans le tout. Il se trouve donc en entier dans n’importe quelle partie du corps.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le corps du Christ est-il mû lorsque l’hostie est mue ?]

[15226] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpus Christi movetur ad motum hostiae. Omne enim quod desinit esse ubi prius erat, et incipit esse ubi prius non erat, movetur vel per se vel per accidens. Sed corpus Christi translata hostia desinit esse ubi prius erat, scilicet in altari; et incipit esse ubi prius non erat, scilicet in pixide, vel in ore. Ergo corpus Christi movetur ad motum hostiae, vel per se vel per accidens.

1. Il semble que le corps du Christ est mû lorsque l’hostie est mue. En effet, tout ce qui cesse d’être où il était d’abord et commence à être là où il n’était pas est mû par soi ou par accident. Or, le corps du Christ, lorsque l’hostie est déplacée, cesse d’être où il était, à savoir, sur l’autel, et il commence à être où il n’était pas auparavant, à savoir, dans la custode ou dans la bouche. Le corps du Christ est donc mû selon le mouvement de l’hostie, par lui-même ou par accident.

[15227] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 Topicor., moventibus nobis, moventur ea quae in nobis sunt. Sed corpus Christi vere continetur sub speciebus illis. Ergo speciebus translatis, et ipsum transfertur.

2. Selon le Philosophe, dans les Topiques, II, lorsque nous nous mouvons, ce qui est en nous est mû. Or, le corps du Christ est véritablement contenu sous ces espèces. Si les espèces sont déplacées, il est donc lui-même déplacé.

[15228] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, anima vel Angelus magis recedit a natura loci quam corpus Christi. Sed anima vel Angelus movetur per accidens, moto corpore unito vel assumpto. Ergo multo fortius corpus Christi.

3. L’âme ou l’ange sont plus éloignés de la nature du lieu que le corps du Christ. Or, l’âme ou l’ange sont mus par accident, lorsque le corps uni ou assumé est mû. À bien plus forte raison donc, le corps du Christ.

[15229] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, nullum quietum manens in eodem loco movetur per se vel per accidens. Sed corpus Christi est hujusmodi. Ergo et cetera.

Cependant, [1] rien de ce qui demeure tranquille dans le même lieu n’est mû par soi ou par accident. Or, le corps du Christ est de ce genre. Donc, etc.

[15230] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, quod movetur per accidens ad motum alterius, definitive est in illo; unde Deus non movetur ad motum alicujus, nec anima ad motum manus. Sed corpus Christi non est definitive sub speciebus illis. Ergo non movetur ad motum illarum.

[2] Ce qui est mû par accident selon le mouvement de quelque chose d’autre se trouve en lui de manière définie ; aussi Dieu n’est-il pas mû par le mouvement de quelqu’un d’autre, ni l’âme par le mouvement de la main. Or, le corps du Christ ne se trouve pas de manière définie sous ces espèces. Il n’est donc pas mû selon leur mouvement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15231] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod locus dicitur circumscribere locatum ex eo quod in circuitu describit figuram locati: quia loci proprii et locati oportet esse unam figuram; figura autem est qualitas circa quantitatem. Et quia corpus Christi non habet ordinem ad species sub quibus continetur mediante quantitate, sed e converso, ut dictum est; ideo neque figura corporis Christi respondet figurae specierum, sicut patet ad sensum. Et ideo patet quod non est sub speciebus circumscriptive, et per consequens nec est in eis sicut in loco: quia nihil per se, proprie loquendo, est in loco ut in loco, nisi quod loco circumscribitur.

On dit que le lieu circonscrit ce qui est localisé du fait qu’il décrit par son parcours la figure de ce qui est localisé, car il est nécessaire qu’il n’y ait qu’une seule figure du lieu propre et de ce qui est localisé. Or, la figure est une qualité qui tient à la quantité. Et parce que le corps du Christ n’a pas de rapport aux espèces sous lesquelles il est contenu par l’intermédiaire de la quantité, mais que c’est le contraire, comme on l’a dit, la figure du corps du Christ ne correspond pas non plus à la figure des espèces, comme cela tombe sous le sens. Il est donc clair qu’il ne se trouve pas sous les espèces de manière circonscrite et, par conséquent, il ne s’y trouve pas comme dans un lieu, car, par soi et à proprement parler, rien n’est dans un lieu en tant que tel que ce qui est circonscrit par le lieu.

[15232] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod comparatio corporis Christi ad species sub quibus est, non est similis alicui comparationi naturali; et ideo non potest reduci, proprie loquendo, ad aliquem modorum a philosopho assignatorum; tamen habet aliquam similitudinem cum illo modo quo aliquid dicitur esse in loco secundum quod esse in loco est esse in aliquo separato extra substantiam suam, quod non est ejus causa: et secundum hoc etiam Innocentius dicit corpus Christi esse in pluribus locis, quod continetur sub pluribus speciebus.

1. La comparaison entre le corps du Christ et les espèces sous lesquelles il existe ne ressemble pas à une comparaison naturelle. Aussi, à proprement parler, ne peut-elle être ramenée à l’un des modes indiqués par le Philosophe. Cependant, elle a une certaine ressemblance au mode selon lequel on dit que quelque chose se trouve dans un lieu selon qu’être dans un lieu consiste à se trouver dans quelque chose de séparé hors de sa substance, sans que cela en soit la cause. De cette manière, même Innocent dit que le corps du Christ se trouve dans plusieurs lieux, lorsqu’il est contenu sous plusieurs espèces.

[15233] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis corpus Christi non denudetur positione, neque aliqua suarum proprietatum, ex hoc quod est sub sacramento, non tamen sequitur quod secundum quod habet figuram et quantitatem et positionem, comparetur ad species sacramenti; sicut homo non comparatur ad locum ex hoc quod habet animam, vel mediante anima; quamvis hoc quod in loco est, anima non privetur.

2. Bien que le corps du Christ ne soit pas dépourvu de position ni d’aucune de ses propriétés par le fait d’être dans le sacrement, il n’en découle cependant pas qu’il se compare aux espèces du sacrement selon qu’il a figure, quantité et position. De même, un homme ne se compare pas à un lieu du fait qu’il a une âme ou par l’intermédiaire de l’âme, bien que, du fait qu’il se trouve dans un lieu, il ne soit pas dépourvu d’âme.

[15234] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad circumscriptionem plus exigitur, scilicet quod locatum configuretur loco, aut e converso: et hoc non est in proposito, ratione jam dicta.

3. Le fait d’être circonscrit exige davantage, à savoir que ce qui est localisé soit configuré selon le lieu ou l’inverse. Et cela n’est pas en cause pour la raison déjà dite.

[15235] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corpus naturale non habet quod repleat locum ex parte materiae, neque ex parte dimensionum; unde secundum philosophum in 4 Phys., et in 3 Metaph., dimensiones separatae si ponantur esse (vel corpus mathematicum, quod idem est), replent locum, et non possunt esse simul cum alio corpore. Nec obstat quod ipse in 4 Phys., cap. 6, de vacuo videtur uti dimensionibus separatis quasi vacuo: quia procedit ex suppositione illorum qui ponebant dimensiones separatas existentes inter terminos corporis continentis, esse locum. Unde sequitur quod quando illae dimensiones fuerunt sine corpore sensibili, dicatur vacuum; sic enim vacuum ponebant. Et ideo dicendum est in proposito, quod cum corpus Christi non comparetur ad locum istum in quo est sub sacramento, mediantibus propriis dimensionibus, non replet locum; neque tamen locus ille est vacuus, quia repletur dimensionibus separatis sacramenti corporis Christi.

4. Le corps naturel ne tient pas de sa matière ni de ses dimensions le fait de remplir un lieu. Aussi, selon le Philosophe, dans Physique, IV, et dans Métaphysique, III, les dimensions séparées, si on en affirme l’existence (ou un corps mathématique, ce qui est la même chose), remplissent-elles le lieu et ne peuvent-elles pas exister en même temps qu’un autre corps. À cela ne s’oppose pas que, dans Physique, VI, à propos du vice, il semble utiliser les dimensions séparées comme un vide, car il part de la supposition de ceux qui affirmaient que les dimensions séparées existant à l’intérieur des limites du corps qui contient sont le lieu. Il en découle donc que lorsque ces dimensions existaient sans un corps sensible, on l’appelle vide : en effet, c’est ainsi qu’ils parlaient du vide. C’est pourquoi il faut dire ici que, puisque le corps du Christ ne se compare pas au lieu où il existe dans le sacrement par l’intermédiaire de ses dimensions propres, il ne remplit pas le lieu ; cependant, ce lieu n’est pas vide, car il est rempli par les dimensions séparées du sacrement du corps du Christ.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15236] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquid sit in loco definitive, duo requiruntur. Primum est ut competat ibi esse ei, quia quod non est in aliquo loco, non potest loco illo definiri. Secundum est quod sit ibi sicut in loco commensurato aliquo modo suae quantitati vel virtuti. Corpus enim bicubitale non definitur loco unius cubiti, quamvis aliquo modo sit ibi; neque anima est definitive in manu, quia est in aliis partibus, eo quod non est in manu secundum totam virtutem suam. Et ideo omne quod habet quantitatem finitam, vel virtutem, oportet quod sit definitive in loco in quo est; et ideo Angeli definitive sunt in loco, non tamen Deus. Corpus autem Christi quamvis secundum veritatem sit sub speciebus, non tamen competit ei ratione sui: quia neque ratione suae quantitatis, ut dictum est, neque ratione suae virtutis, sed ratione illius quod in ipsum conversum est ibi praeexistens, cujus dimensiones adhuc manent, quibus ad locum illum determinabatur; et ideo non definitur loco illo, sed simili modo potest esse alibi, ubicumque fuerint panis dimensiones conversi in ipsum.

Pour que quelque chose soit dans un lieu de manière définie, deux choses sont nécessaires. La première est qu’il lui convienne d’y être, car ce qui ne se trouve pas dans un lieu ne peut être défini par ce lieu. La seconde est qu’il y soit comme dans un lieu ayant d’une certaine manière la même mesure que sa quantié ou sa puissance. En effet, un corps de deux coudées n’est pas défini par un lieu d’une coudée, bien qu’il s’y trouve d’une certaine manière. L’âme non plus n’existe pas de manière définie dans la main, car elle se trouve dans les autres parties, car elle ne se trouve pas dans la main selon toute sa puissance. C’est pourquoi tout ce qui a une quantité ou une puissance finie doit nécessairement se trouver de manière définie dans le lieu où il se trouve. Ainsi, les anges se trouvent de manière définie dans un lieu, mais non pas Dieu. Or, bien que le corps du Christ existe véritablement sous les espèces, cela ne lui convient pas par sa propre raison, car ce n’est ni en raison de sa quantité ni en raison de sa puissance, comme on l’a dit, mais en raison de ce qui préexistait dans cela même qui a été converti, dont les dimensions demeurent, par lesquelles il était déterminé par rapport à ce lieu. Ainsi, il n’est pas défini par ce lieu, mais il peut s’y trouver de la même manière que s’y trouvaient les dimensions du pain converti en lui.

[15237] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angelus est in loco quo definitur, non quia aliquid convertatur in ipsum, sed ratione suae operationis, virtutis, et essentiae; et ideo non potest esse nisi in uno loco, quia substantia rei non est nisi semel.

1. L’ange se trouve dans le lieu par lequel il est défini, non pas parce que quelque chose est converti en lui, mais en raison de son opération, de sa puissance et de son essence. C’est pourquoi il ne peut se trouver que dans un seul lieu parce que la substance d’une chose n’existe qu’une seule fois.

[15238] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corpus Christi, sicut et alia corpora, determinatur ad unum locum qui competit ei ratione suae quantitatis, quia ibi est ut in loco; sed non hoc modo sub speciebus est; et ideo ratio non sequitur.

2. Le corps du Christ, comme les autres corps, est déterminé à un seul lieu qui lui convient en raison de sa quantité, car il s’y trouve comme dans un lieu. Mais il ne se trouve pas sous les espèces de cette manière. C’est pourquoi l’argument n’est pas valable.

[15239] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finitum et infinitum sunt passiones quantitatis, secundum philosophum in 1 Phys.; unde cum corpus Christi non habeat ex ratione suae quantitatis quod sit ubi consecratur, sed magis ex conversione alterius in ipsum corpus Christi; sic esse in pluribus, et non definitive in uno, non pertinet ad ejus finitatem vel infinitatem, sed magis ad numerum eorum quae convertuntur in ipsum.

3. Le fini et l’infini sont des passions de la quantité, selon le Philosophe, dans Physique, I. Aussi, puisque le corps du Christ ne tient pas de la raison de sa quantité d’exister là où il est consacré, mais plutôt de la conversion d’autre chose au corps même du Christ, exister en plusieurs [lieux], et non pas dans un seul de manière définie, ne relève pas de sa finitude ou de son infinitude, mais plutôt du nombre de choses qui sont converties en lui.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15240] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio: quidam enim dicunt, quod hostia remanente integra, Christus totus est sub tota hostia, non tamen sub qualibet hostiae parte; sed hostia divisa, Christus totus remanet sub qualibet parte. Et ponunt exemplum de speculo; quia Augustinus dicit, quod sicut fracto speculo multiplicantur species vel imagines; sic post fractionem quot sunt partes, toties est ibi Christus: constat autem quod ante fractionem speculi non erat ibi nisi una imago. Istud autem non potest stare; quia hostia integra manente, aliquo modo est corpus Christi sub partibus hostiae. Si ergo non sit ibi secundum totum, erit secundum partem: sed omne quod est totum in toto, et pars ejus in parte, est ibi situaliter; et ita corpus Christi esset situaliter sub sacramento, et circumscriptive; quod est impossibile. Exemplum autem non est conveniens: quia imago speculi non est ibi ut forma absolute quiescens in subjecto, sed aggeneratur ex reverberatione; et ideo quamdiu est una superficies speculi, fit una reverberatio, et per consequens una imago resultat; fracto autem speculo sunt multae superficies, et per consequens multae reflexiones, et imagines multae resultantes. Si autem esset forma absolute quiescens in subjecto; aut esset consequens quantitatem, sicut albedo quae fundatur in superficie; aut praecedens quantitatem, sicut forma substantialis. Si primo modo, de necessitate esset tota in toto et pars in parte ante fractionem speculi et post; si autem esset praecedens quantitatem, esset ante et post, et tota in toto, et tota in partibus, sicut tota forma substantialis ligni est in qualibet parte ejus, quia totalitas formae substantialis non recipit quantitatis totalitatem, sicut est de totalitate formarum accidentalium, quae fundantur in quantitate, et praesupponunt ipsam. Corpus autem Christi continetur absolute sub speciebus; et hoc non convenit sibi mediante quantitate, ut dictum est, sed ratione substantiae, inquantum substantia panis est conversa; et ideo etiam ante fractionem est totum in toto, et totum in partibus: quia ubicumque erat tota natura panis, est tota natura corporis Christi, et per consequens etiam totum corpus, et tota quantitas ejus. Et haec est alia opinio quae magis vera videtur.

À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que, alors que l’hostie demeure entière, le Christ entier existe dans toute l’hostie, mais non dans chaque partie de l’hostie ; mais que lorsque l’hostie est divisée, le Christ entier demeure dans n’importe quelle partie. Et ils donnent l’exemple du miroir, car Augustin dit que, de même que lorsque le miroir est brisé, les espèces ou les images sont multipliées, de même, après la fraction [du pain], le Christ se trouve en autant de parties qu’il y en a. Or, il est clair qu’avant que le miroir soit brisé, il n’y a là qu’une seule image. Mais cela ne peut être le cas, car, alors que l’hostie demeure entière, le corps du Christ est présent d’une certaine manière dans les parties de l’hostie. Si donc il ne s’y trouve pas en entier, il y trouvera en partie. Or, tout ce qui existe en entier dans un tout, alors qu’une de ses parties existe dans une partie, s’y trouve comme dans un site. Et ainsi, le corps du Christ se trouverait dans le sacrement comme dans un site et de manière circonscrite, ce qui est impossible. Mais l’exemple n’est pas approprié, car l’image du miroir ne s’y trouve pas comme une forme qui repose dans un sujet de manière absolue, mais elle est engendrée par un reflet. Aussi longtemps qu’il existe une seule superficie du miroir, il ne se produit donc qu’un seul reflet et, par conséquent, il n’en résulte qu’une seule image. Mais si le miroir est brisé, il existe plusieurs surfaces et, par conséquent, plusieurs réflexions et plusieurs images qui en résultent. Mais si la forme reposait de manière absolue dans le sujet, ou bien elle suivrait la quantité, comme la blancheur qui repose sur une surface, ou bien elle précéderait la quantité, comme la forme substantielle. Si c’était le premier cas, elle se trouverait nécessairement tout entière dans le tout et dans une de ses parties avant que le miroir ne soit brisé et après. Mais si elle précédait la quantité, elle y serait avant et après, car la totalité de la forme substantielle ne reçoit pas la totalité de la quantité, comme c’est le cas pour les formes accidentelles, qui s’appuient sur la quantité et la présupposent. Or, le corps du Christ est contenu de manière absolue sous les espèces ; et cela ne lui convient pas par l’intermédiaire de la quantité, comme on l’a dit, mais en raison de la substance, pour autant que la substance du pain est convertie. C’est pourquoi même avant la fraction [du pain], il se trouve tout entier dans le tout et tout entier dans les parties, car partout où se trouvait la nature du pain, la nature entière du corps du Christ se trouve et, par conséquent, tout son corps aussi et toute sa quantité. Telle est l’autre opinion qui semble plus vraie.

[15241] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unitas rei consequitur esse ipsius: partes autem alicujus homogenei continui ante divisionem non habent esse actu, sed potentia tantum; et ideo nulla illarum habet unitatem propriam in actu; unde actu non est accipere ipsarum numerum, sed potentia tantum. Et propter hoc forma quae est tota in toto tali, et tota in partibus ejus, non dicitur ante divisionem continui esse ibi pluries actu, sed solum potentia: sed post divisionem multiplicatur secundum actum, sicut patet de anima in animalibus anulosis. Et similiter corpus Christi ante divisionem hostiae, quamvis sit totum sub qualibet parte hostiae, non est tamen pluries actu sub partibus illis, sed tantum potentia. Nec est inconveniens quod sit ibi infinities in potentia.

1. L’unité d’une chose est la conséquence de son être ; mais les parties d’une réalité homogène continue n’ont pas d’être en acte avant la division, mais en puissance seulement. C’est pourquoi aucune d’entre elles n’a d’unité propre en acte ; aussi ne peut-on en déterminer le nombre en acte, mais en puissance seulement. Pour cette raison, on ne dit pas que la forme qui se trouve tout entière dans un tel tout et tout entière dans ses parties s’y trouve plusieurs fois en acte avant la division, mais seulement en puissance. Mais, après la division, elle se multiplie en acte, comme cela est clair pour l’âme chez les animaux annelés. De même, le corps du Christ, avant la division de l’hostie, bien qu’il se trouve tout entier dans n’importe quelle partie de l’hostie, ne se trouve pas plusieurs fois en acte dans ces parties, mais seulement en puissance. Et il n’est pas inconvenant qu’il s’y trouve un nombre infini de fois en puissance.

[15242] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod confusio opponitur ordini partium qui pertinet ad rationem situs: et quia corpus Christi non est situaliter sub sacramento, ideo non sequitur ibi aliqua confusio partium ex hoc quod in quolibet signato hostiae est totum corpus Christi, et quaelibet pars ejus. Quamvis enim non sit accipere ordinem partium corporis Christi secundum comparationem ad partes hostiae, tamen est accipere ordinem ipsarum partium ad invicem in corpore Christi secundum propriam quantitatem.

2. La confusion s’oppose à l’ordre des parties qui est en rapport avec la notion de site. Et parce que le corps du Christ n’existe pas dans le sacrement comme dans un site, il n’en découle pas qu’il y ait là une confusion des parties parce que, dans n’importe quel élément de l’hostie, se trouvent le corps entier du Christ et chacune de ses parties. En effet, bien qu’on ne puisse déterminer l’ordre des parties du corps du Christ par comparaison aux parties de l’hostie, on peut cependant déterminer l’ordre des parties entre elles dans le corps du Christ selon sa propre quantité.

[15243] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spiritui competit esse totum in toto, et in qualibet parte: quia non habet quantitatem, nec a quantitate substantia ejus dependet. Corpus autem Christi quamvis in se consideratum non absolvatur a propria quantitate, tamen non comparatur ad hostiam sub qua est, secundum propriam quantitatem; et ideo non est spiritus, sed participat quantum ad aliquid proprietatem spiritus secundum comparationem ad species sub quibus continetur.

3. Il revient à l’esprit de se trouver tout entier dans un tout et dans chacune de ses parties parce qu’il n’a pas de quantité et que sa substance ne dépend pas de la quantité. Or, bien que le corps du Christ, considéré en lui-même, ne soit pas dépourvu de sa propre quantité, il ne se compare cependant pas selon sa propre quantité à l’hostie dans laquelle il existe. Aussi n’est-il pas un esprit, mais il participe pour une part à ce qui est propre à l’esprit par comparaison avec les espèces sous lesquelles il est contenu.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15244] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod moveri in loco includit esse in loco; unde ad hoc quod aliquid per se moveatur in loco, oportet quod per se sit in loco, et quod per se moveatur, non ad motum alterius. Sed per accidens aliquid movetur in loco dupliciter: uno modo quia per accidens est in loco, sicut formae moventur per accidens; alio modo quia per se est in loco, sed per accidens movetur in loco, sicut patet in his quae vehuntur; quia locus quem mutant, est per se eorum proprius locus, vel communis. Corpus autem Christi in loco quem species transmutant, non est per se neque sicut in loco proprio, neque sicut in loco communi, sicut ex dictis patere potest; et ideo per se in illo moveri non potest, neque per accidens, sicut corpora per accidens moventur; sed hoc modo quo aliquid et per accidens est in loco, et per accidens movetur. Nec differt, ut quidam dicunt differre, utrum species moveantur in eodem loco, aut transferantur de loco ad locum: quia quod in eodem loco secundum substantiam manens movetur, mutat locum non solum secundum partes, sed secundum totum, ut in 6 Physic. probatur.

Se mouvoir dans un lieu comporte d’être dans un lieu. Pour que quelque chose se meuve par soi dans un lieu, il est donc nécessaire qu’il soit par soi dans un lieu et qu’il se meuve par soi, et non selon le mouvement d’un autre. Mais, par accident, quelque chose est mû dans un lieu de deux manières. D’une manière, parce qu’il se trouve par accident dans un lieu, comme les formes sont mues par accident. D’une autre manière, parce qu’il se trouve par soi dans un lieu, mais qu’il est mû par accident dans le lieu, comme cela est clair pour les choses qui sont transportées, car le lieu dont elles changent est par soi leur lieu propre ou commun. Or, le corps du Christ dans le lieu que les espèces changent ne se trouve par soi ni comme dans son lieu propre, ni comme dans un lieu commun, comme on peut le voir clairement à partir de ce qui a été dit. C’est pourquoi il ne peut être mû par soi ni par accident dans ce [lieu], comme les corps sont mus par accident, mais de la manière dont quelque chose se trouve dans un lieu par accident et est mû par accident. Et cela ne fait pas de différence que certains disent qu’il y a une différence entre le fait que les espèces sont mues dans un lieu ou sont transférées d’un lieu à un autre, car ce qui est mû dans un même lieu en gardant sa substance change de lieu, non seulement selon ses parties, mais dans sa totalité, comme cela est démontré dans Physique, VI.

[15245] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 ad arg. Et secundum hoc patet solutio ad utramque partem, praeter ultimum.

La solution des [arguments des] deux parties ressort ainsi clairement, sauf pour le dernier argument.

[15246] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 3 qc. 4 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non definiatur hoc loco, tamen perfecte est ibi et quantum ad substantiam et quantum ad virtutem, tamen per accidens: non autem in manu perfecte est anima; unde non est simile.

[2] Bien qu’il ne soit pas défini par ce lieu, il s’y trouve cependant de manière parfaite tant pour ce qui est de sa substance que pour ce qui est de sa puissance, mais toutefois par accident. Mais l’âme ne se trouve pas dans la main d’une manière parfaite. Ce n’est donc pas la même chose.

 

 

Articulus 4 [15247] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 tit. Utrum oculus glorificatus possit videre ipsum verum corpus Christi sub speciebus existens

Article 4 – L’œil glorieux peut-il voir le corps véritable du Christ qui se trouve dans les espèces ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’œil glorieux peut-il voir le corps véritable du Christ qui se trouve dans les espèces ?]

[15248] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod oculus glorificatus possit videre ipsum verum corpus Christi sub speciebus existens. Ipse enim Christus sub speciebus existens, videt seipsum ibi corporali oculo. Sed corpora glorificata conformantur corpori ejus, ut dicitur Philipp. 3. Ergo et alius oculus glorificatus, puta virginis, potest hoc idem.

1. Il semble que l’œil glorieux puisse voir le corps véritable du Christ qui se trouve sous les espèces. En effet, le Christ lui-même, qui existe sous les espèces, s’y voit par son œil corporel. Or, les corps glorifiés sont rendus conformes à son corps, comme il est dit en Ph 3. Un autre œil glorieux, par exemple, celui de la Vierge, peut donc faire la même chose.

[15249] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ideo, ut infra dicetur, corpus Christi sub alia specie proponitur, ut fides habeat meritum. Sed illi qui sunt in gloria, non habent fidem. Ergo ipsi ad ipsam substantiam corporis ejus videndam pertingunt corporali oculo, etiam secundum quod est sub sacramento.

2. Comme on le dira plus loin, le corps du Christ est proposé sous une autre espèce afin que la foi soit méritoire. Or, ceux qui sont dans la gloire n’ont pas la foi. Ils parviennent donc à voir par leur œil corporel la substance même de son corps, même sous la forme où il existe dans le sacrement.

[15250] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, propter velamen specierum quibus verum corpus Christi velatur, decipitur sensus viatoris. Sed status gloriae non patitur deceptionem neque velamen. Ergo ipsam substantiam corporis Christi sub sacramento vident.

3. En raison du voile des espèces sous lesquelles le corps véritable du Christ est voilé, le sens de celui qui est en chemin est trompé. Or, l’état de la gloire ne comporte pas de tromperie ni de voile. Ils voient donc la substance même du corps du Christ dans le sacrement.

[15251] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, major magnitudo in aequali distantia visa, sub majori angulo videtur, ut perspectivi probant. Sed major est quantitas corporis Christi quam hostiae hujus, et distantia ad oculum est eadem. Ergo oculus videns corpus Christi et hostiam, videt corpus Christi sub majori angulo. Sed corpus Christi videtur sub specie hostiae. Ergo minor angulus continet majorem, quod est impossibile.

Cependant, [1] une grandeur plus importante, vue d’une distance égale, est vue selon un angle plus grand, comme le démontrent ceux qui étudient la perspective. Or, la quantité du corps du Christ est plus grande que l’hostie [qui le contient], et la distance par rapport à l’œil est la même. L’œil qui voit le corps du Christ et l’hostie voit donc le corps du Christ sous un angle plus grand. Or, le corps du Christ est vu sous l’espèce de l’hostie. Un angle plus petit contient donc [une quantité] plus grande, ce qui est impossible.

[15252] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, corpus non est natum movere visum nisi moto medio. Sed medium non movetur a colore corporis Christi, quia nos etiam videremus. Ergo impossibile est quod ab aliquo oculo videatur; nullus enim oculus videt, nisi motus a colore.

[2] Un corps ne peut mouvoir ce qui est vu que par le mouveu milieu. Or, le milieu n’est pas mû par la couleur du corps du Christ, car alors nous aussi, nous le verrions. Il est donc impossible qu’il soit vu par un œil. En effet, aucun œil ne voit que s’il est mû par la couleur.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le corps du Christ est-il vu sous sa propre espèce lorsqu’il apparaît sous l’espèce de la chair ou d’un enfant sur l’autel ?]

[15253] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod quando apparet in specie carnis vel pueri in altari, videatur in specie propria. Corpus enim Christi non est nisi sub specie propria, vel sub specie panis. Sed tunc desinunt ibi esse species panis. Ergo si non est species propria illa in qua videtur, nullo modo erit ibi.

1. Il semble que le corps du Christ soit vu sous sa propre espèce lorsqu’il apparaît sous l’espèce de la chair ou d’un enfant sur l’autel. En effet, le corps du Christ n’existe que sous sa propre espèce ou sous l’espèce du pain. Or, les espèces du pain cessent alors d’y exister. S’il n’est pas vu sous sa propre espèce, il ne s’y trouvera donc d’aucune manière.

[15254] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illa ostensio est ad aedificationem fidei. Sed non confirmaretur fides, si Christus in specie alterius carnis appareret. Ergo in specie propria ibi apparet.

2. Cette manifestation est faite pour l’édification de la foi. Or, la foi ne serait pas affermie si le Christ apparaissait sous l’espèce d’une autre chair. Il y apparaît donc sous sa propre espèce.

[15255] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil potest apparere in aliquo quod non est in eo. Sed in sacramento altaris non est nisi species panis quae est tantum sacramentum; et corpus Christi, quod est res contenta; illud autem quod ibi apparet, non est species panis. Ergo est species corporis Christi.

3. Rien ne peut apparaître de quelqu’un qui ne fait pas partie de lui. Or, dans le sacrement de l’autel, il n’y a que l’espèce du pain qui est le sacrement seulement, et le corps du Christ, qui est la réalité contenue. Or, ce qui apparaît là n’est pas l’espèce du pain. C’est donc l’espèce du corps du Christ.

[15256] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, cum in hoc sacramento non sit aliqua deceptio, ergo debet secundum veritatem ibi esse illud quod sensus percipit. Sed sensus percipit ibi quasdam parvas dimensiones quarum judicium ad ipsum pertinet. Ergo sunt ibi illae dimensiones. Sed illae non sunt dimensiones corporis Christi, cum sint multo minores. Ergo sunt ibi aliae dimensiones quam dimensiones corporis Christi, et super illas fundantur species quae ibi apparent. Cum ergo species corporis Christi non fundentur nisi super dimensiones proprias, non videtur ibi corpus Christi in propria specie.[

Cependant, [1] comme il n’y a pas de tromperie dans ce sacrement, il faut donc que s’y trouve ce que le sens y perçoit. Or, le sens y perçoit certaines petites dimensions dont le jugement relève de lui. Ces dimensions s’y trouvent donc. Or, ce ne sont pas les dimensions du corps du Christ, puisqu’elles sont beaucoup plus petites. Il y a donc là d’autres dimensions que les dimensions du corps du Christ, et les espèces qui y apparaissent s’appuient sur celles-ci. Puisque les espèces du corps du Christ n’ont leur fondement que dans ses propres dimensions, il ne semble donc pas que le corps du Christ se trouve là sous son espèce propre.

15257] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, superficies illius speciei quae ibi apparet, tangit aerem circumstantem. Ergo illud cujus est illa superficies, est ibi sicut in loco. Sed corpus Christi non est ibi sicut in loco, ut dictum est. Ergo illa species quae ibi apparet, non est species corporis Christi.

[2] La surface de l’espèce qui apparaît là touche l’air ambiant. Or, ce dont c’est la surface s’y trouve comme dans un lieu. Or, le corps du Christ ne s’y trouve pas comme dans un lieu, comme on l’a dit. L’espèce qui apparaît là n’est donc pas l’espèce du corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dans ce cas, doit-il être pris ?]

[15258] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in hoc casu debeat sumi. Quia in sumente exigitur devotio. Sed talis ostensio fit ad augmentandam devotionem. Ergo tunc magis debet sumi.

1. Il semble que, dans ce cas, il doive être pris, car la dévotion est requise chez celui qui [le] prend. Or, une telle présentation est faite en vue d’accroître la dévotion. Il doit donc être pris davantage.

[15259] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ille qui consecrat, secundum canones debet sumere: quod non posset nisi illud quod sub specie carnis apparet, sumeret. Ergo debet sumere.

2. Celui qui consacre doit le prendre, selon les canons, ce qu’il ne pourrait faire qu’en prenant ce qui apparaît sous l’espèce de la chair. Il doit donc [le] prendre.

[15260] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil horrendum est committendum in hoc sacramento. Sed horrendum est comedere carnem crudam. Ergo illud quod in substantia carnis crudae apparet, non est sumendum.

Cependant, [1] rien d’horrible ne doit être commis dans ce sacrement, Or, il serait horrible de manger de la chair sanglante. Ce qui apparaît sous la forme de la substance de la chair crue ne doit donc pas être pris.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’ange peut-il voir le corps du Christ dans le sacrement ?]

[15261] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec Angelus possit videre corpus Christi sub sacramento. Quia quidam sancti sunt majores quibusdam Angelis, ut habetur per Glossam 1 Corinth., 6, super illud: Angelos judicabimus. Sed oculus glorificatus hominis sancti non potest ipsum videre. Ergo nec Angelus.

1. Il semble que l’ange ne puisse pas voir le corps du Christ dans le sacrement, car certains saints sont plus grands que certains anges, comme le dit la Glose sur 1 Co 6 : Nous jugerons les anges. Or, l’œil glorifié de l’homme saint ne peut le voir. L’ange ne le peut donc pas non plus.

[15262] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quod est visibile, si ab aliquo non videatur, hoc est propter defectum videntis. Sed oculus glorificatus, qui non videt corpus Christi sub sacramento, ab omni defectu est immunis. Ergo corpus Christi non est de se visibile sub sacramento existens. Sed quod de se non est visibile, a nullo potest videri. Ergo nec Angelus corpus Christi videre potest sub sacramento.

2. C’est en raison d’une carence de celui qui voit que ce qui est visible n’est pas vu par lui. Or, l’œil glorifié, qui ne voit pas le corps du Christ dans le sacrement, est exempt de toute carence. Le corps du Christ n’est donc pas de soi visible alors qu’il se trouve dans le sacrement. Or, ce qui n’est pas de soi visible ne peut être vu par personne. L’ange non plus ne peut donc pas voir le corps du Christ dans le sacrement.

[15263] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Gregorius: quia est quod non videant qui videntem omnia vident ? Sed Angeli vident Deum videntem omnia, ut patet Matth. 18, 10: Angeli eorum semper vident faciem patris. Ergo vident corpus Christi sub sacramento.

Cependant, [1] Grégoire dit : «Pourquoi ne voient-ils pas, ceux qui voient celui qui voit tout ?» Or, les anges voient Dieu qui voit tout, comme cela ressort clairement de Mt 18, 10 : Leurs anges voient toujours la face du Père. Ils voient donc le corps du Christ dans le sacrement.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Peut-il être compris par l’intellect de celui qui est en chemin ?]

[15264] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod comprehendi possit intellectu viatoris. Quod enim est supra intellectum, est supra sermonem, ut patet in Lib. de causis. Sed nos loquimur de corpore Christi sub sacramento contento. Ergo non est omnino supra intellectum nostrum.

1. Il semble qu’il puisse être compris par l’intellect de celui qui est en chemin [viator]. En effet, ce qui dépasse l’intellect dépasse le discours, comme cela ressort clairement du Livre sur les causes. Or, nous parlons du corps du Christ contenu dans le sacrement. Il ne dépasse donc pas complètement notre intellect.

[15265] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 arg. 2 Praeterea, nullus tenetur ad impossibile. Sed quilibet tenetur concedere, et mente tenere, corpus Christi verum esse sub sacramento. Ergo mente capi potest.

2. Personne n’est tenu à l’impossible. Or, tous doivent concéder et accepter en esprit que le corps véritable du Christ se trouve dans le sacrement. Il peut donc être saisi par l’esprit.

[15266] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, intellectus noster ortum habet a sensu. Sed corpus Christi sub sacramento non cadit in sensum, ut probatum est. Ergo non cadit in intellectum nostrum.

Cependant, notre intellect prend naissance dans le sens. Or, le corps du Christ dans le sacrement ne tombe pas sous le sens, comme on l’a démontré. Il ne tombe donc pas sous notre intellect.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15267] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod nihil videtur corporali visu, nisi per hoc quod oculus movetur ab objecto secundum similitudinem coloris in ipso existentis: quae quidem similitudo primo fit in medio, et deinde in sensu. Corpus autem Christi non habet ordinem ad species, sub quibus est, ratione quantitatis suae; et ideo non potest aggenerari similitudo coloris ejus in aere contingente species, duplici ratione. Primo, quia omnis actio corporalis requirit contactum; tactus autem corporalium consequitur quantitatem, quia nihil aliud est quam conjunctio terminorum duarum quantitatum; et ideo corpus Christi non tangit aerem circumstantem; et propter hoc non potest in ipso aggenerare similitudinem coloris sui. Secundo, quia color consequitur quantitatem, cum immediatum subjectum ejus sit superficies: et quia corpus Christi non habet ordinem ad hunc locum ratione suae quantitatis, ideo nec ratione sui coloris; et ideo sicut non conjungitur aeri circumstanti secundum quantitatem, ita non assimilat sibi ipsum, aggenerando similitudinem coloris sui in eo.

Rien n’est vu par la vision corporelle que ce par quoi l’œil est mû par l’objet selon la similitude de la couleur qui existe en lui ; cette similitude se réalise d’abord dans le milieu et ensuite dans le sens. Or, le corps du Christ n’a pas de rapport par sa quantité aux espèces sous lesquelles il se trouve ; aussi une similitude de sa couleur ne peut-elle être engendrée dans l’air qui touche les espèces, et cela pour deux raisons. Premièrement, parce que toute action corporelle exige un contact. Or, le contact avec les choses corporelles découle de la quantité, car il n’est rien d’autre que la conjonction des termes de deux quantités. C’est pourquoi le corps du Christ ne touche pas l’air qui l’entoure. Pour cette raison, il ne peut engendrer en lui une similitude de sa couleur. Deuxièmement, parce que la couleur découle de la quantité, puisque son sujet immédiat est la surface. Et parce que le corps du Christ n’a pas de rapport à ce lieu en raison de sa quantité, [il n’en a pas] non plus en raison de sa couleur. C’est pourquoi, de même qu’il n’est pas en contact avec l’air ambiant selon la quantité, de même ne l’assimile-t-il pas à lui-même en engendrant une similitude de sa couleur en lui.

[15268] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si oculus Christi esset extra species sacramenti, non videret substantiam suam intra species contentam ex natura gloriae nisi miraculose; et ideo non oportet quod oculus glorificatus videat, nisi forte per miraculum.

1. Si l’œil du Christ se trouvait en dehors des espèces du sacrement, il ne verrait que miraculeusement, à l’intérieur des espèces, sa substance contenue selon la nature de la gloire. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que l’œil glorifié [la] voie, sauf peut-être en vertu d’un miracle.

[15269] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod comprehensores, quamvis non videant forte corporali visione corpus Christi sub sacramento, vident tamen visione intellectuali plena; et ideo non oportet quod habeant de eo fidem, sed perfectam cognitionem.

2. Les bienheureux [comprehensores], bien qu’ils ne voient peut-être pas par la vision corporelle le corps du Christ dans le sacrement, le voient cependant par une pleine vision intellectuelle. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’ils aient la foi à son sujet, mais une connaissance parfaite.

[15270] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sensus in hoc sacramento non decipitur: quia sensus non habet judicare de substantia, sed de formis sensibilibus; et ideo cum formae sensibiles sint ibi vere, in judicio sensus non est deceptio. Sed potest esse deceptio in judicio intellectus, nisi adsit fides, vel plena cognitio: et quamvis lateat visum corporalem beatorum, non tamen latet ipsos, quia intellectu conspiciunt; sicut etiam essentiam Dei non videt oculus corporis, sed oculus mentis ipsorum, ut Augustinus dicit in Lib. de videndo Deum.

3. Le sens n’eerre pas dans ce sacrement, car le sens n’a pas à juger de la substance, mais des formes sensibles. C’est pourquoi, puisque les formes sensibles s’y trouvent vraiment, il n’y a pas d’erreur dans le jugement du sens. Mais il peut y avoir erreur dans le jugement de l’intellect, à moins que la foi ne soit présente ou la pleine connaissance. Et bien qu’il soit caché à la vision corporelle des bienheureux, il ne leur est cependant pas caché puisqu’ils le voient par l’intellect, de la même manière que leur œil corporel ne voit pas l’essence de Dieu, mais que l’œil de leur esprit [le voit], comme le dit Augustin dans le livre sur La vision de Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15271] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod absque omni dubio dicendum est, illud quod ibi apparet, esse verum corpus Christi (alias non adoraretur), sicut et prius erat quando in specie panis videbatur. Sed utrum species illa quae ibi apparet, sit species corporis Christi, difficile est determinare. Quidam enim dicunt, quod species illa carnis vel pueri est tantum in oculo videntis: et hoc forte aliquando verum est, cum ab uno videatur in specie panis, et ab alio in specie carnis vel pueri; ab eodem etiam quandoque post modicum iterum sub specie panis videtur, quod prius sub specie carnis videbatur: et secundum hoc potest fieri divino miraculo ut similitudo corporis Christi fiat in oculo, sicut naturaliter fieret, si corpus Christi praesens esset. Nec est deceptio; quia non fit nisi ad instructionem fidei, et devotionem excitandam. Sed quia aliquando ab omnibus ita videtur, et quandoque ita diu servatur in tali specie; ideo alii dicunt, quod vera species corporis Christi extra visum immutat. Nec obstat quod videtur in minori quantitate, et non in specie gloriosa: quia in potestate corporis gloriosi est, ut se ostendat in toto vel in parte, et in specie gloriosa vel non gloriosa. Sed quia mutatio visus ab aliquo corpore per medium, fit per contactum ejus quod sentitur, ad medium quo sentitur, oportebit secundum hoc dicere quod corpus Christi secundum hoc tangit medium visionis, et per consequens quod sit ibi sicut in loco; et ita quod vel sit simul in pluribus locis, vel quia localiter motum sit de caelo descendens; quod tamen ei non est impossibile. Sed huic obviat quod Guitmundus dicit, quod de multorum episcoporum consilio sigillatum fuit hoc quod apparebat in specie corporis Christi, et positum in altari: corpus autem Christi, si ibi esset localiter, dispareret postquam apparuisset, sicut accidit discipulis euntibus in Emaus; nullo autem modo reservaretur inclusum. Et ideo securius videtur dicere, quod sicut quando videbatur corpus Christi in specie panis, erant quaedam dimensiones subsistentes, et in illis alia accidentia sensibilia fundabantur; ita illae eaedem dimensiones manent, et eis alia accidentia superducuntur divina virtute, quae speciem carnis praetendunt, sicut et accidentia quae prius erant, praetendebant speciem panis: et potest esse quod eadem virtute, illis accidentibus recedentibus, iterum accidentia panis reducantur, cum etiam naturali actione aliquod illorum accidentium quandoque immutari posset, dimensionibus manentibus, sicut odor vini vel sapor, si diu conservaretur.

Il faut sans aucun doute dire que ce qui apparaît là est le corps véritable du Christ (autrement il ne serait pas adoré), comme il s’y trouvait aussi antérieurement lorsqu’il était vu sous l’espèce du pain. Mais il est difficile de déterminer si l’espèce qui apparaît là est l’espèce du corps du Christ. En effet, certains disent que cette espèce de la chair ou d’un enfant ne se trouve que dans l’œil de celui qui voit. Cela est peut-être parfois vrai, puisqu’il est vu par l’un sous l’espèce du pain et par un autre sous l’espèce de la chair ou d’un enfant, et [qu’il est vu] aussi peu après par le même sous l’espèce du pain, alors qu’il était vu sous l’espèce de la chair. Et ainsi, il peut arriver par un miracle divin que la similitude du corps du Christ apparaisse dans l’œil, comme cela arriverait naturellement si le corps du Christ était présent. Et ce n’est pas une tromperie, car cela ne se produit qu’en vue d’instruire la foi et d’exciter la dévotion. Mais parce que parfois il est ainsi vu par tous, et que parfois il demeure longtemps sous cette espèce, d’autres disent que l’espèce véritable du corps du Christ change de l’extérieur la vision. Et il n’y a pas d’objection à ce qu’il soit vu sous une plus petite quantité, et non selon son espèce glorieuse, car il est au pouvoir du corps glorieux de se montrer en totalité ou en partie, et sous son espèce glorieuse ou non glorieuse. Mais parce que le changement de la vision par un corps par l’intermédiaire du milieu se réalise par le contact de ce qui est senti, selon le milieu par lequel il est senti, il sera alors nécessaire de dire que le corps du Christ est ainsi en contact avec le milieu de la vision et, par conséquent, qu’il est là comme dans un lieu. De la sorte, il serait en même temps dans plusieurs lieux, ou il a été mû localement en descendant du ciel, ce qui ne lui est toutefois pas impossible. Mais s’oppose à cela ce que Guimond dit, que, de l’avis d’un grand nombre d’évêques, ce qui apparaissait sous l’espèce du corps du Christ a été marqué et placé sur l’autel. Si le corps du Christ s’y trouvait localement, il disparaîtrait après être apparu, comme cela est arrivé pour les disciples qui se rendaient à Emmaüs ; il n’y demeurerait aucunement enfermé. C’est pourquoi il semble plus sûr de dire que, de la même manière que, lorsque le corps du Christ était vu sous l’espèce du pain, certaines dimensions subsistaient et que les autres accidents sensibles s’y appuyaient, de la même manière ces mêmes dimensions demeurent et d’autres accidents leur sont ajoutés par la puissance divine, [accidents] qui présentent l’espèce de la chair, comme les accidents antérieurs présentaient l’espèce du pain. Et il peut se faire que, par la même puissance, alors que ces accidents disparaissent, les accidents du pain reviennent de nouveau, puisque, même par l’action naturelle, l’un de ces accidents pourrait être parfois changé, alors que les dimensions demeurent, comme l’odeur du vin ou son goût, s’il était conservé longtemps.

[15272] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod adhuc species panis manent quantum ad dimensiones quae prius subsistebant, et principales erant in sacramento, quamvis color et alia hujusmodi non maneant, divina virtute hoc faciente; et ideo sub illis dimensionibus adhuc manet corpus Christi.

1. Les espèces du pain continuent de demeurer quant aux dimensions qui subsistaient antérieurement et étaient les principales dans le sacrement, bien que la couleur et les autres ne demeurent pas, par l’intervention de la puissance divine. C’est pourquoi le corps du Christ continue demeurer sous ces dimensions.

[15273] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aedificatur fides, et excitatur devotio: quia illa accidentia sunt similia omnino accidentibus carnis Christi verae, quod non erat de accidentibus panis; quamvis non sint ipsamet accidentia corporis Christi.

2. La foi est éclairée et la dévotion est strimulée parce que ces accidents sont en tout semblables aux accidents de la chair véritable du Christ, ce qui n’était pas le cas des accidents du pain. [Ces accidents] ne sont cependant pas ceux du corps du Christ.

[15274] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis illa accidentia carnis ibi prius non essent, tamen sunt superinducta ad fidei instructionem divina virtute.

3. Bien que ces accidents de la chair ne se trouvaient pas là antérieurement, ils y ont cependant été ajoutés par la puissance divine en vue d’éclairer la foi.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15275] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod usus sacramenti debet materiae sacramenti competere, sicut ablutio aquae in Baptismo. Et quia corpus Christi in hoc sacramento sub specie panis nobis proponitur, ideo usus sacramenti est per manducationem, ut supra dictum est. Cum ergo in specie propria, vel in specie carnis cruentatae apparens, vel in simili specie, non habeat rationem cibi, non debet assumi ab eo cui sic apparet, sed ab alio cui sub specie panis apparet. Si autem omnibus sub specie carnis appareret, tunc deberet cum reliquiis poni.

L’usage du sacrement doit convenir à la matière du sacrement, comme l’ablution par l’eau dans le baptême. Et parce que le corps du Christ nous est proposé dans ce sacrement sous l’espèce du pain, l’usage du sacrement se réalise donc par la manducation, comme on l’a dit plus haut. Puisque sous son espèce propre, ou en apparaissant sous l’espèce de la chair crue ou sous une espèce semblable, il n’a pas raison de nourriture, il ne doit pas être pris par celui à qui il apparaît ainsi, mais par un autre à qui il apparaît sous l’espèce du pain. Mais s’il apparaissait à tous sous l’espèce de la chair, il devrait alors être placé avec les restes.

[15276] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod devotio non excitatur hic ad manducandum, quia non in specie cibi proponitur, sed ad venerandum.

1. La dévotion n’est pas ici stimulée à [le] manger parce qu’il n’est pas proposé sous l’espèce de la nourriture, mais à le vénérer.

[15277] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tali casu sacerdos debet iterum celebrare, ut quidam dicunt, et corpus Christi sumere; et si secundo hoc accideret, iterum tertio. Quidam autem dicunt, quod in tali casu sufficit spiritualis manducatio, nec propter hoc efficitur transgressor constitutionis Ecclesiae: quia ad ea quae frequentius accidunt, leges aptantur.

2. Dans un tel cas, le prêtre doit célébrer de nouveau, comme certains le disent, et prendre le corps du Christ; et si cela arrivait une deuxième fois et, de nouveau, une troisième fois. Mais certains disent que, dans un tel cas, la manducation spirituelle suffit et qu’à cause de cela, il ne transgresse pas une constitution de l’Église, car les lois sont adaptées à ce qui se produit le plus souvent.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15278] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod Angelus nihil videt corporali visione; quia etsi corpus assumat, non tamen conceditur quod videat per corpus assumptum; unde relinquitur quod in ipso non est nisi intellectualis visus, qui quidem non est recipiendo a sensibilibus, ut in 2 Lib. dictum est, dist. 3, qu. 2, art. 1 ad 2, sed vel per species innatas, quantum ad ea quae naturali cognitione intelligunt, vel per verbum quod vident, quantum ad ea quae supra naturalem cognitionem ipsorum sunt. Et quia Angeli sunt beati, oportet quod habeant plenam visionem eorum omnium de quibus est fides quantum ad visionem gloriosam, quae fidei succedit; et ideo sicut fides credit corpus Christi esse sub sacramento, ita in visione beata Angeli vident. Credo autem quod omnia quae sunt fidei, sunt supra naturalem cognitionem Angelorum, sicut supra rationem naturalem hominum; et ideo mysteria fidei dicuntur esse abscondita a saeculis in Deo, ut dicitur Eph. 3; unde naturali cognitione non vident Angeli corpus Christi sub sacramento, sed solum beata. Daemones vero nullo modo vident plenarie, sed credunt, et contremiscunt.

L’ange ne voit rien par une vision corporelle, car, même s’il assume un corps, il ne lui est cependant pas permis de voir par le corps assumé. Ainsi reste-t-il qu’il n’existe en lui que la vision intellectuelle, qui ne se produit pas en recevant des sens, comme on l’a dit dans le livre II, d. 3, q. 2, aa. 1 et 2 ; [elle se produit] soit par des espèces innées, pour ce qu’ils comprennent par une connaissance naturelle, soit par le Verbe qu’ils voient, pour ce qui dépasse leur connaissance naturelle. Et parce que les anges sont bienheureux, il est nécessaire qu’ils aient par la vision glorieuse qui succède à la foi la pleine vision de tout ce sur quoi porte la foi. Puisque la foi croit que le corps du Christ se trouve dans le sacrement, de même les anges le voient-ils par la vision bienheureuse. Mais je crois que tout ce qui relève de la foi dépasse la connaissance naturelle des anges, comme cela dépasse la raison naturelle des hommes. Aussi Ep 3 dit-il que les mystères de la foi sont cachés en Dieu depuis les siècles. Les anges ne voient donc pas par connaissance naturelle le corps du Christ dans le sacrement, mais seulement par [la connaissance] bienheureuse. Mais les démons ne le voient pleinement d’aucune manière ; ils croient et ils tremblent.

[15279] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beati visione intellectuali gloriae vident corpus Christi sub sacramento, quamvis non corporali, in qua cum Angelis non communicant.

1. Les bienheureux voient le corps du Christ dans le sacrement par la vision intellectuelle de la gloire, mais non par [la vision] corporelle. Ils ont cela en commun avec les anges.

[15280] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de se secundum quod est sub sacramento, non est visibile corpus Christi visu corporali; est tamen visibile visu intellectuali.

2. De soi, selon qu’il se trouve dans le sacrement, le corps du Christ n’est pas visible par la vision corporelle. Il est cependant visible par la vision intellectuelle.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15281] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod sicut in 3 Lib. dictum est, dist. 34, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 1, illa tantum intellectus noster videre dicitur, proprie loquendo, quorum essentiae ei repraesentantur sive lumine naturali, sive lumine gratiae aut gloriae; et ideo per consequens videre dicitur illa a principio quae statim cognitis terminis, quasi visis essentiis terminorum, cognoscuntur, et per consequens tantum illa quae reducuntur in illa principia, sicut conclusiones scientiarum; quae vero nullo modo ordinem habent ad principia naturaliter cognita, nec ad sensus perceptionem, non potest in statu viae videre. Et quia corpus Christi esse sub sacramento nullum ordinem habet ad principia naturaliter cognita, quae sunt principia scientiarum, nec etiam sensu a nobis apprehendi potest; ideo intellectus viatoris nullo modo hoc videre potest, et multo minus comprehendere: quia aliquid videtur quod non comprehenditur, sicut essentia divina in patria: nisi videre largo modo dicto, secundum quod dicimur ea quae sunt fidei, videre in speculo et aenigmate, 1 Corinth. 13.

Comme on l’a dit dans le livre III, d. 34, q. 1, a. 2, qa 1, on dit que notre intellect ne voit, à proprement parler, que ce dont les essences lui sont représentées soit par la lumière naturelle, soit par la lumière de la grâce ou de la gloire. Par conséquent, on dit qu’il voit ce qui, au départ, est connu dès que les termes sont connus, comme si les essences des termes étaient vues ; et, par voie de conséquence, seulement ce qui se ramène à ces principes, comme les conclusions des sciences. Mais [notre intellect] ne peut voir, alors que nous sommes en chemin, ce qui n’a aucun rapport avec les principes naturellement connus ni avec la perception du sens. Et parce que le fait pour le Christ de se trouver dans le sacrement n’a aucun rapport avec les principes naturellement connus, qui sont les principes des sciences, et qu’il ne peut pas non plus être appréhendé par nous par les sens, c’est pourquoi l’intellect de celui qui est en chemin ne peut le voir d’aucune manière, ni encore moins le comprendre, car quelque chose est vu qui n’est pas compris, comme l’essence divine dans la patrie, à moins qu’on parle de voir au sens large, comme lorsque nous disons que nous voyons ce qui relève de la foi dans un miroir, en énigme, 1 Co 13, 12.

[15282] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut imperfecte videmus, ita etiam et deficienter loquimur.

1. De même que nous voyons imparfaitement, de même aussi parlons-nous de manière énigmatique.

[15283] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullus tenetur videre in praesenti, sed tenetur credere. Fides autem de non visis est, credere autem est possibile.

2. Personne n’est tenu de voir présentement, mais il est tenu de croire. Or, la foi porte sur des réalités non vues, mais il est possible de croire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 10

[15284] Super Sent., lib. 4 d. 10 q. 1 a. 4 qc. 5 expos. Non hoc corpus quod videtis, manducaturi estis. Intelligendum est per se, idest secundum quod videtur in forma sua. Ipsum quidem et non ipsum corpus. Videtur esse contradictio. Et dicendum, quod non est: quia ipsum corpus Christi in propria specie non manducatur; et hoc dicit visibiliter Augustinus, quia in propria specie corpus Christi videri potest; sed sub specie panis manducatur; et hoc dicit invisibiliter, quia in propria specie videri non potest. Sacrificium Ecclesiae duobus confici. Non quod ex eis fiat unum in essentia, sed quia ex eis fit unum sacramentum. Qualiter autem persona Christi dicatur composita ex duabus naturis, dictum est, in 3 Lib., dist. 6. Caro carnis, et sanguis sacramentum est sanguinis. Videtur hoc esse falsum: quia nihil est signum sui ipsius. Et dicendum, quod carnem quae significat, nominat ipsas species, quae sunt signum carnis; et hoc tropice, ut Magister dicit: et ipsae species cum carne contenta dicuntur caro invisibilis, quia sub specie illa caro Christi non videtur. Carnem autem significatam nominat ipsam carnem Christi, secundum quod sub propria forma videtur; unde et visibiliter dicitur. Quis audeat manducare dominum suum ? Ad primam harum rationum responsum est in primo articulo hujus distinctionis. Ad secundam patebit solutio ex his quae dicentur in 2 art. dist. sequentis. Si tantum valuit sermo Eliae ut ignem de caelo deponeret, non valebit tantum sermo Christi ut substantias mutet ? Locus est a minori; unde intelligendum est quod plus valeat sermo Christi, et in persona Christi prolatus: quia sermo Eliae in seipso non habebat virtutem aliquam, sed operabatur per modum intercessionis; sermo autem Christi sub forma hujus sacramenti habet virtutem intraneam, de qua supra, dist. 8, dictum est. Quid ergo hic quaeris naturae ordinem ? Ergo videtur quod non licet disputare per rationes de hoc sacramento. Et dicendum, quod loquitur contra illos qui nihil in hoc sacramento, et in aliis quae sunt fidei, volunt credere, nisi hoc quod per naturalem rationem probari potest; non autem contra illos qui ex principiis fidei disputant, et qui ex principiis naturalibus non volunt probare quae sunt fidei, sed sustinere: quia quae sunt fidei, quamvis sint supra rationem, non tamen sunt contra rationem: alias Deus esset sibi contrarius, si alia posuisset in ratione quam rei veritas habet. Si tanta vis est in sermone domini ut incipiant esse quae non erant, quanto magis operatorius est, ut sint quae erant, et in aliud commutentur ? Videtur quod haec probatio non valeat: quia sermo quo omnia facta sunt ex nihilo, est verbum increatum; nunc autem loqui debuit de verbo creato, scilicet forma sacramenti. Et dicendum, quod auctoritas hujus virtutis residet in verbo increato, sed in verbo creato est instrumentaliter, ut dictum est. Sicut per spiritum sanctum vera Christi caro sine coitu creatur, ita per eumdem ex substantia panis et vini idem corpus Christi et sanguis consecratur. Videtur quod ista transubstantiatio non debeatur spiritui sancto, sed magis filio. Et dicendum est, quod appropriatur filio sicut operanti, quia ipse est sacerdos et hostia; spiritui autem sancto sicut quo operatur: quia ipse est virtus de illo exiens ad sanandum, Luc. 6.

 

 

 

Distinctio 11

Distinction 11 :[La conversion du pain au corps du Christ]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

[15285] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de re contenta in hoc sacramento, ostendens quod verum corpus ibi continetur, hic intendit determinare de conversione panis in corpus Christi, ex qua contingit ut sub sacramento corpus Christi contineatur; et dividitur in partes duas: in prima determinat de praedicta conversione panis in corpus Christi; in secunda ostendit qualiter species remaneant substantiali conversione facta, ibi: sub alia autem specie tribus de causis carnem et sanguinem tradidit Christus. Circa primum tria facit: primo inquirit qualis sit praedicta conversio; secundo determinat hanc quaestionem quantum ad id in quo omnes conveniunt, ibi: formalem tamen non esse cognosco; tertio determinat eam quantum ad id in quo diversi diversa opinantur, ibi: quibusdam videtur esse substantialis. Et haec dividitur in partes tres secundum tres opiniones quas ponit; secunda pars incipit ibi: quidam vero sic dicunt etc.; tertia ibi: alii vero putaverunt et cetera. Circa primum tria facit: primo ponit opinionem; secundo objicit in contrarium, et solvit, ibi: sed huic sententiae sic opponitur ab aliis; tertio ostendit quae locutiones sint concedendae vel negandae secundum hanc opinionem, ibi: nec tamen concedunt quidam quod substantia panis aliquando sit caro Christi. Sub alia autem specie tribus de causis carnem et sanguinem tradidit Christus. Hic ostendit qualiter species remaneant substantiali conversione facta; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quare sub alia specie corpus Christi verum in sacramento exhibeatur; in secunda determinat de usu sive distributione dictarum specierum, ibi: colligitur etiam ex praedictis, quod Christus vinum aqua mixtum dedit discipulis, corpus vero tale dedit quale tunc habuit. Circa primum tria facit: primo ostendit quare sub alia specie corpus Christi proponatur in sacramento; secundo quare sub duplici, ibi: sed quare sub duplici specie sumitur ? Tertio de admixtione tertii elementi, scilicet aquae, ibi: aqua vero admiscenda est vino. Colligitur etiam ex praedictis, quod Christus vinum aqua mixtum dedit discipulis et cetera. Hic determinat de distributione specierum; et primo quomodo Christus distribuerit; secundo quomodo nunc distribuendum sit, ibi: Eucharistia quoque intincta non debet dari populo pro supplemento communionis. Hic est triplex quaestio. Prima de conversione panis in corpus Christi, et vini in sanguinem. Secunda de materia hujus sacramenti, cujus species post conversionem remanent. Tertia de usu sacramenti istius in prima sui institutione, qua Christus ipsum discipulis dedit.

Après que le Maître a déterminé de la réalité contenue dans ce sacrement, en montrant que le corps véritable [du Christ] y est contenu, il entend ici déterminer de la conversion du pain au corps du Christ, par laquelle il arrive que le corps du Christ soit contenu dans le sacrement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la conversion du pain au corps du Christ ; dans la seconde, il montre comment les espèces demeurent après la conversion substantielle, à cet endroit : «Le Christ a livré sa chair et son sang sous une autre espèce pour trois raisons.» À propos de la première [partie], il fait trois choses. Premièrement, il recherche quelle est la conversion mentionnée. Deuxièmement, il détermine de cette question pour ce sur quoi tous sont d’accord, à cet endroit : «Toutefois, je ne reconnais pas qu’elle n’est pas formelle.» Troisièmement, il en détermine pour ce sur quoi les opinions divergent, à cet endroit : « À certains, il semble qu’elle soit substantielle.» Et celle-ci se divise en trois selon les trois opinions qu’il présente. La deuxième partie commence à cet endroit : «Mais certains disent, etc.» La troisième [commence] à cet endroit : «Mais d’autres ont pensé, etc.» À propos de la première, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion. Deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire et la résout, à cet endroit : «Mais d’autres s’opposent ainsi à cette opinion.» Troisièmement, il montre quelles expressions doivent être acceptées ou rejetées selon cette opinion, à cet endroit : «Cependant, certains ne concèdent pas que la substance du pain soit la chair du Christ à un certain moment.» «Le Christ a livré sa chair et son sang sous une autre espèce pour trois raisons.» Il montre ici comment les espèces demeurent après la conversion substantielle. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre pourquoi le corps véritable du Christ est donné dans le sacrement ; dans la seconde, il détermine de l’usage ou de la distribution des dites espèces, à cet endroit : «On conclut de ce qui précède que le Christ a donné aux disciples du vin mêlé d’eau, mais qu’il a donné son corps tel qu’il le possédait.» À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre pourquoi le corps du Christ est proposé sous une autre espèce dans le sacrement. Deuxièmement, pourquoi [il est proposé] sous deux espèces, à cet endroit : «Mais pourquoi est-il pris sous deux espèces ?» Troisièment, [il traite] du mélange d’un troisième élément, à savoir, l’eau, à cet endroit : «Mais de l’eau doit être mêlée au vin. On conclut aussi de ce qui précède que le Christ donna à ses disciples du vin mêlé d’eau, etc.» Ici, il détermine de la distribution des espèces : premièrement, comment le Christ [les] a distribuées ; deuxièmement, comment il faut maintenant les distribuer, à cet endroit : «L’eucharistie trempée ne doit pas être donnée au peuple en plus de la communion.» Ici sont posées trois questions. La première, à propos de la conversion du pain au corps du Christ et du vin au sang. La deuxième, à propos de la matière de ce sacrement, dont les espèces demeurent après la conversion. La troisième, à propos de l’usage de ce sacrement lors de sa première institution, par laquelle le Christ le donna à ses disciples.

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La conversion du pain au corps du Christ]

Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum post consecrationem remaneat ibi panis; 2 utrum annihiletur; 3 utrum convertatur in corpus Christi; 4 de locutionibus quae in hac materia concedendae sunt.

À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Est-ce que le pain demeure après la conversion ? 2 – Est-ce qu’il est anéanti ? 3 – Est-il converti au corps du Christ ? 4 – À propos des expressions qui doivent être acceptées en cette matière.

 

Articulus 1 [15286] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum substantia panis remaneat post consecrationem

Article 1 – La substance du pain demeure-t-elle après la consécration ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La substance du pain demeure-t-elle après la consécration, comme le dit la troisième opinion ?]

[15287] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod substantia panis remaneat post consecrationem, ut dicit tertia opinio. Damascenus enim dicit: quia consuetudo est hominibus comedere panem et vinum, conjugavit eis divinitatem, et fecit ea corpus et sanguinem suum. Sed conjunctio requirit utrumque conjunctorum existere actu. Ergo panis remanet cum corpore Christi.

1. Il semble que la substance du pain demeure après la consécration, comme le dit la troisième opinion. En effet, [Jean] Damascène dit : «Parce que c’est la coutume pour les hommes de manger du pain et du vin, il leur a uni la divinité et en a fait son corps et son sang.» Or, l’union exige que les deux choses unies existent en acte. Le pain demeure donc en même temps que le corps du Christ.

[15288] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod de pane remanet in hoc sacramento post consecrationem, cum sit sacramentum tantum, debet verum corpus Christi, et etiam mysticum, significare. Sed significatio talis non competit pani nisi ratione substantiae suae secundum quam ex diversis granis conficitur, secundum quam etiam reficere et nutrire habet. Ergo oportet quod remaneat in substantia panis.

2. Ce qui demeure du pain dans ce sacrement après la consécration doit être le corps véritable du Christ et aussi signifier le [corps] mystique, puisqu’il s’agit du sacrement seulement. Or, une telle signification ne convient au pain qu’en raison de sa substance, selon laquelle il est fait de divers grains et selon laquelle il lui revient de restaurer et de nourrir. Il est donc nécessaire qu’il demeure dans la substance du pain.

[15289] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud ad quod pauciora difficilia sequuntur, est magis eligendum. Sed ad hanc positionem sequuntur pauciora difficilia, cum nihil aliud sequatur, nisi quod duo corpora sint in eodem loco; quod non est inconveniens de corpore glorioso ratione suae subtilitatis. Ergo haec opinio est alii praeeligenda.

3. Il faut plutôt choisir ce dont découlent moins de choses difficiles. Or, moins de choses difficiles découlent de cette position, puisque rien d’autre n’en découle que le fait que deux corps soient dans le même lieu, ce qui n’est pas incongru pour un corps glorieux en raison de sa subtilité. Il faut donc donner la préférence à cette opinion.

[15290] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, hoc pronomen hoc, cum sit demonstrativum ad sensum, demonstrat substantiam sub speciebus immediate latentem. Sed si substantia panis ibi remaneret, ipsa sola immediate accidentibus subesset, quia eis afficeretur. Ergo ad ipsam ferretur demonstratio hujus pronominis hoc, cum dicitur: hoc est corpus meum; et sic locutio esset falsa; quod est inconveniens et haereticum, quia est in doctrina religionis proposita. Ergo et praedicta positio est haeretica.

Cependant, [1] le pronom «ceci», puisqu’il a un sens démonstratif, démontre la substance qui est cachée de manière immédiate sous les espèces. Or, si la substance du pain y demeurait, elle seule s’y trouverait de manière immédiate selon les accidents, car elle en serait affectée. La démonstration faite par ce pronom «ceci» porterait donc sur elle, lorsqu’on dit : «Ceci est mon corps.» Et ainsi, la proposition serait fausse, ce qui est incongru et hérétique, car elle est proposée dans l’enseignement de la religion. La position qui précède est donc hérétique.

[15291] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, si substantia panis ibi remaneret, tunc sumens hoc sacramentum non solum sumeret spiritualem cibum, sed corporalem. Sed corporalis cibi sumptio impedit a sacramento ulterius eadem die percipiendo, ut supra, dist. 8, dictum est. Ergo qui semel sumpsisset corpus Christi, non posset iterato sumere; quod est contra ritum hujus sacramenti.

[2] Si la substance du pain y demeurait, celui qui reçoit ce sacrement ne recevrait pas seulement une nourriture spirituelle, mais aussi corporelle. Or, la prise de nourriture corporelle empêche de recevoir le même jour le sacrement, comme on l’a dit plus haut, d. 8. Celui qui aurait reçu le corps du Christ ne pourrait donc pas le recevoir à nouveau, ce qui va à l’encontre du rite de ce sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les espèces du pain doivent-elles demeurer ?]

[15292] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant species panis remanere. Quia in sacramento veritatis non debet esse aliqua deceptio. Sed cum accidentia ducant in cognitionem ejus quod quid est, secundum philosophum in 1 de anima, deceptio videtur, ostendere illius accidentia cujus substantia non manet. Ergo ex quo substantia panis non manet, non deberent accidentia ejus manere.

1. Il semble que les espèces du pain doivent demeurer, car, dans le sacrement de la vérité, il ne doit y avoir aucune tromperie. Or, puisque les accidents conduisent à la connaissance de l’essence, selon le Philosophe, dans Sur l’âme, I, il semble que ce soit une tromperie de montrer les accidents de ce dont la substance ne demeure pas. Du fait que la substance du pain ne demeure pas, ses accidents ne devraient donc pas demeurer.

[15293] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, causae in littera assignatae non videntur convenientes. Fides enim quamvis experimentum rationis effugiat, tamen rationis contradictionem non requirit: quia ea quae sunt fidei non sunt contra rationem, sed supra. Sed quod sub alia specie videatur, hoc non solum contra rationem, sed etiam contra sensum apparet. Ergo non deberet sub alia specie apparere propter meritum fidei.

2. Les raisons données dans le texte ne semblent pas convenir. En effet, la foi, bien qu’elle s’éloigne de la vérification de la raison, n’exige cependant pas la contradiction de la raison, car ce qui relève de la foi n’est pas contraire à la raison, mais au-dessus. Or, ce qui est vu sous une autre espèce n’est pas seulement contraire à la raison, mais aussi manifestement contraire au sens. Il ne devrait donc pas se montrer sous une autre espèce pour le mérite de la foi.

[15294] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, supposita fide hujus sacramenti, per quam corpus Christi sine sui detrimento manducari creditur, non esset horridum istud sumere in quacumque specie appareret. Sed fides necessaria est ad sumendum. Ergo secunda causa quam assignat, nulla est.

3. Si l’on suppose la foi à ce sacrement, selon laquelle on croit que le corps du Christ est mangé sans préjudice pour lui-même, il ne serait pas repoussant de le recevoir sous n’importe quelle espèce où il se montrerait. Or, la foi est nécessaire pour le recevoir. La deuxième raison que le [Maître] donne est donc nulle.

[15295] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod aliquando fit ad confirmationem fidei, si semper fieret, non esset irrisio, sed major confirmatio. Sed aliquando ad confirmationem fidei alicujus dubitantis de hoc sacramento, ostenditur corpus Christi sub specie carnis, sicut legitur in vita beati Gregorii et in vitis patrum. Ergo non esset ad irrisionem, si semper in specie propria ostenderetur.

4. Ce qui se produit parfois pour raffermir la foi ne tournerait pas à sa dérision mais à un plus grand raffermissement, si cela se produisait toujours. Or, parfois, pour raffermir la foi de quelqu’un qui doute de ce sacrement, le corps du Christ est montré sous l’espèce de la chair, comme on le lit dans la Vie du bienheureux Grégoire et dans les Vies des pères. Cela ne tournerait donc pas à la dérision, s’il était toujours montré sous sa propre espèce.

[15296] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sacramentum est sensibile signum, ut 1 distinct. dictum est. Sed panis est corporis Christi veri sacramentum. Ergo debet remanere quantum ad sensibilia accidentia.

Cependant, [1] le sacrement est un signe sensible, comme on l’a dit à la d. 1. Or, le pain est le sacrement du corps véritable du Christ. Ses espèces sensibles doivent donc demeurer.

[15297] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, usus sacramenti est manducatio, ut supra, dist. 9, dictum est. Sed manducatio requirit divisionem cibi, quae fit per masticationem. Ergo cum divisio non possit fieri in vero corpore Christi, quod est gloriosum, oportuit quod essent ibi species saltem aliae, quarum fractio esset.

[2] L’usage du sacrement est la manducation, comme on l’a dit plus haut, d. 9. Or, la manducation exige la division de la nourriture, qui se réalise par la mastication. Puisqu’une division ne peut pas se produire dans le corps véritable du Christ, qui est glorieux, il fallait donc que s’y trouvent à tout le moins des espèces différentes dont il y aurait fraction.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La forme substantielle du pain doit-elle demeurer ?]

[15298] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam forma substantialis panis debeat remanere. Operatio enim substantialis non potest fieri sine forma substantiali. Sed nutrire est operatio formae substantialis: quia nutrit inquantum quid cibus, ut dicitur in 2 de anima. Ergo cum species quae in sacramento remanent, etiam corporaliter nutriant, ut a quibusdam dicitur, videtur quod forma substantialis panis remaneat.

1. Il semble que la forme substantielle du pain doive aussi demeurer. En effet, une action substantielle ne peut être réalisée sans la forme substantielle. Or, nourrir est une opération de la forme substantielle, car la nourriture nourrit en tant que telle, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Puisque les espèces qui demeurent dans le sacrement nourrissent même corporellement, comme certains le disent, il semble donc que la forme substantielle du pain demeure.

[15299] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod non mutatur in aliquid corporis Christi, oportet quod post consecrationem maneat. Sed forma substantialis panis non convertitur in aliquid corporis Christi: quia si converteretur, oporteret quod converteretur in animam, quae est forma substantialis corporis Christi, in quam non convertitur aliquid, ut ex praecedenti dist. patet. Ergo forma substantialis panis manet sicut accidentia.

2. Ce qui n’est pas changé en quelque chose du corps du Christ doit nécessairement demeurer après la consécration. Or, la forme substantielle du pain n’est pas convertie en quelque chose du corps du Christ, car, si elle était convertie, il faudrait qu’elle soit convertie en l’âme [du Christ], qui est la forme substantielle du corps du Christ, en laquelle rien n’est converti, comme cela ressort clairement de la distinction précédente. La forme substantielle du pain demeure donc, tout comme les accidents.

[15300] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, panis est quoddam artificiale. Sed formae artificialium sunt accidentia, ut patet in 2 Physic. Cum ergo accidentia maneant, videtur quod forma panis secundum quam est panis, maneat.

3. Le pain est quelque chose qui résulte d’un art. Or, les formes des choses artificielles sont des accidents, comme cela ressort de Physique, II. Puisque les accidents demeurent, il semble donc que la forme du pain, selon laquelle il est pain, demeure.

[15301] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Averroem in Lib. de substantia orbis, et in 1 Physic., oportet in materia praeintelligere dimensiones ante formas substantiales aliquo modo in generabilibus et corruptibilibus, alias non possunt esse diversae formae in diversis partibus materiae, cum divisio non fiat nisi secundum quantitatem. Sed dimensiones manent. Ergo et forma substantialis manet.

4. Selon Averroès, dans le Livre sur la substance du monde et dans Physique, I, il faut d’une certaine manière comprendre dans la matière les dimensions avant les formes substantielles pour ce qui est sujet à la génération et corruptible, autrement il ne peut y avoir diverses formes dans les diverses parties de la matière, puisque la division ne se réalise que selon la quantité. Or, les dimensions demeurent. La forme substantielle aussi demeure donc.

[15302] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, remotis accidentibus et forma substantiali, nihil manet nisi subjectum commune. Sed illud quod est commune, non potest converti in aliquid. Ergo non posset intelligi aliqua conversio fieri si forma substantialis remaneret.

Cependant, [1] si on enlève les accidents et la forme substantielle, rien ne demeure qu’un sujet commun. Or, ce qui est commun ne peut être converti en quelque chose. On ne pourrait donc pas comprendre qu’une conversion est réalisée, si la forme substantielle demeure.

[15303] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, species panis et vini sensibiles sunt sacramentum tantum in Eucharistia. Ergo debent ducere in illud cujus sunt sacramentum, scilicet in corpus Christi. Sed si remaneret ibi forma substantialis panis, ducerent in ipsam magis quam in corpus Christi, quia sunt ei propinquiores secundum naturam. Ergo videtur quod non remaneat forma substantialis panis.

[2] Les espèces sensibles du pain et du vin sont le sacrement seulement dans l’eucharistie. Ils doivent donc conduire à ce dont elles sont le sacrement, à savoir, le corps du Christ. Mais si la forme substantielle du pain y demeurait, [les espèces sensibles] conduiraient à elle plutôt qu’au corps du Christ, parce qu’elles lui sont plus proches selon la nature. Il semble donc que la forme substantielle du pain ne demeure pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15304] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod haec positio, quae ponit substantiam panis ibi remanere post consecrationem simul cum vero corpore, incompetens est huic sacramento, et impossibilis, et haeretica. Incompetens quidem, quia impediret venerationem debitam huic sacramento: esset enim idolatriae occasio, si hostiae veneratio latriae exhiberetur, substantia panis ibi remanente. Esset etiam contra significationem sacramenti: quia species non ducerent in verum corpus Christi per modum signi, sed magis in substantiam panis. Esset etiam contra usum sacramenti: quia jam cibus iste non esset pure spiritualis sed etiam corporalis. Sed quod sit impossibilis, patet ex hoc quod impossibile est aliquid esse nunc cum prius non fuerit, nihil ipso mutato vel aliquo in ipsum: nec posset etiam per miraculum fieri, sicut quod esset animal rationale mortale, et non esset homo: aliter enim se habere nunc et prius est idem quod moveri vel transmutari. Si ergo corpus Christi verum esset sub sacramento nunc et non prius, oporteret aliquem motum vel mutationem intervenisse. Sed nulla mutatio est ex parte panis facta secundum hanc positionem. Ergo oportet quod corpus Christi sit mutatum saltem localiter, ut dicatur quod corpus Christi est hic, quia per motum localiter huc venit; quod omnino esse non potest: quia cum simul et semel in diversis locis corpus Christi consecretur, oporteret quod simul et semel ad diversa loca unum numero moveretur corpus, quod est impossibile: quia contingeret simul contrarios motus inesse eidem, vel saltem diversos ejusdem speciei. Quod autem sit haeretica, patet ex hoc quod contradicit veritati Scripturae; non enim esset verum dicere: hoc est corpus meum, sed: hic est corpus.

Cette position, qui affirme que la substance du pain demeure là après la consécration en même temps que le corps véritable [du Christ] est déplacée pour ce sacrement, en plus d’être impossible et hérétique. Déplacée, parce qu’elle empêcherait la vénération due à ce sacrement. En effet, ce serait une occasion d’idolatrie, si une vénération de latrie était manifestée à l’hostie, alors que la substance du pain y demeure. Elle irait aussi à l’encontre de la signification du sacrement, car les espèces ne conduiraient pas au corps véritable du Christ par mode de signe, mais plutôt à la substance du pain. Elle irait aussi à l’encontre de l’usage du sacrement, car cette nourriture ne serait plus purement spirituelle, mais aussi corporelle. Mais qu’elle soit impossible, cela ressort clairement du fait qu’il est impossible que quelque existe maintenant, alors que cela n’existait pas auparavant, sans que cela même soit changé ou que quelque chose y [soit changé]. Cela ne pourrait pas non plus être réalisé par un miracle, comme le fait que ce soit un animal raisonnable mortel, et que ce ne soit pas un homme. En effet, être différent maintenant et auparavant est la même chose qu’être mû ou changé. Si donc le corps véritable du Christ se trouvait dans le sacrement maintenant et non antérieurement, il faudrait qu’un mouvement ou un changement soit survenu. Or, aucun changement n’a eu lieu du côté du pain selon cette position. Il faut donc que le corps du Christ ait été changé au moins localement, de sorte qu’on dise que le corps du Christ est ici parce qu’il y est venu par un mouvement local, ce qui ne peut pas du tout être le cas, car, lorsque le corps du Christ est consacré en même temps et une seule fois en divers lieux, il faudrait qu’un seul corps en nombre soit mû en même temps et une seule fois en divers lieux, ce qui est impossible. En effet, il se produirait en même temps des mouvements contraires dans la même chose ou, tout au moins, des mouvements divers de la même espèce. Que cette [position] soit hérétique, cela ressort clairement du fait qu’elle est en contradiction avec la vérité de l’Écriture : en effet, il ne serait pas vrai de dire : «Ceci est mon corps», mais «Ici est le corps.»

 

[15305] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Damasceni intelligendum est quantum ad species quibus corpus Christi divinitati unitum modo ineffabili conjungitur.

1. La parole de [Jean] Damascène doit s’entendre des espèces par lesquelles le corps du Christ est uni à la divinité d’une manière ineffable.

[15306] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod species sic remanentes repraesentant aliquo modo substantiam quam prius afficiebant, et per consequens proprietates ejus; et ita habent rationem significandi per quamdam similitudinem corpus Christi verum et mysticum.

2. Les espèces qui demeurent ainsi représentent d’une certaine manière la substance qu’elles affectaient antérieurement et, par conséquent, ses propriétés. Elles ont ainsi la capacité de signifier le corps du Christ véritable et mystique en vertu d’une certaine similitude.

[15307] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hanc positionem sequitur gravius inconveniens quam quod contradictoria sint simul vera: quia ponit definitionem (scilicet aliter nunc quam prius), et non potest ponere definitum (scilicet motum), neque in corpore domini, neque in substantia panis.

3. Un inconvénient plus grave découle de cette position que le fait que des contradictoires soient vraies en même temps, car elle présente une définition (à savoir, être autrement maintenant qu’antérieurement) et ne peut présenter ce qui est défini (à savoir, ce qui est mû), ni dans le corps du Seigneur, ni dans la substance du pain.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15308] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod accidentia panis eadem numero remanent ibi. Quomodo autem ibi sint, utrum sine subjecto vel alio modo, in sequenti distinct., qu. 1, art. 1, dicetur. Sed ratio quare remaneant, assignatur in littera ex parte usus sacramenti, et quantum ad manducationem spiritualem, quae est per fidem, ut scilicet fides esset majoris meriti quantum ad manducationem sacramentalem, ne scilicet esset nobis horrori, si in propria specie sumeretur, et infidelibus irrisioni. Potest assignari et alia causa ex parte ipsius sacramenti: quia spiritualia in sacramentis per signa corporalia consueverunt ostendi: et quia corpus Christi verum non est cibus corporalis, sed spiritualis; ideo oportuit quod per similitudines sensibiles cibus corporalis significaretur, et eis contineretur.

Les accidents du pain demeurent là identiques en nombre. Comment y sont-ils : est-ce sans sujet ou d’une autre manière ? On le dira à la distinction suivante, q. 1, a. 1. Mais la raison pour laquelle ils demeurent est donnée dans le texte du point de vue de l’usage du sacrement et pour ce qui est de la manducation spirituelle, qui se réalise par la foi, afin que la foi ait un plus grand mérite dans la manducation sacramentelle, à savoir, que [cette manducation] ne soit pas repoussante pour nous, si elle était prise sous l’espèce propre, et ne soit pas sujet de dérision pour les infidèles. On peut donner aussi une autre raison du point de vue du sacrement lui-même, car les réalités spirituelles ont coutume d’être montrées dans les sacrements par des signes corporels. Et parce que le corps véritable du Christ n’est pas une nourriture corporelle mais spirituelle, il fallait que la nourriture corporelle soit signifiée par des similitudes sensibles et soit contenue en elles.

[15309] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc sacramento non est aliqua deceptio neque fictio. Non enim sensus decipitur, quia non habet judicare nisi de sensibilibus speciebus, quae quidem vere ibi sunt sicut et sensui ostenduntur; neque etiam intellectus, qui habet judicium de substantiis rerum per fidem juvatus.

1. Dans ce sacrement, il n’y a ni tromperie ni fiction. En effet, le sens n’est pas trompé, car il ne peut juger que des espèces sensibles, qui se trouvent vraiment là comme elles sont montrées au sens. L’intellect non plus n’est pas trompé, à qui il revient de juger des substances des choses avec l’aide de la foi.

[15310] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam patet ex dictis quod non est contra sensum, sed supra; quia sensus non potest pertingere ad illius substantiae cognitionem.

2. Il est déjà clair par ce qui a été dit que cela n’est pas contraire au sens mais lui est supérieur, car le sens ne peut atteindre à la connaissance de cette substance.

[15311] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposita fide, in sumptione corporis Christi in specie propria apparentis non esset horror ex abominatione proveniens, esset tamen horror ex devotione procedens; quia homo non solum refugit immunda tangere ex abominatione, sed etiam sancta ex devotione.

3. En supposant la foi, on ne serait pas rebuté par la répulsion en recevant le Christ sous son espèce propre; il y aurait cependant une répulsion issue de la dévotion, car l’homme ne fuit pas seulement le contact des choses impures par répulsion, mais aussi celui des choses saintes par dévotion.

[15312] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quantum ad ostensionem talis speciei fides potest aedificari; sed si in hac specie sumeretur, magis esset in fidei destructionem: quia corpus Christi quod est gloriosum, passibile ostenderetur, si masticationi subesset.

4. Par la manifestion d’une telle espèce, la foi peut être édifiée. Mais s’il était reçu sous une telle espèce, cela contribuerait plutôt à la destruction de la foi, car, s’il était soumis à la mastication, on montrerait que le corps du Christ, qui est glorieux, est passible.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15313] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod forma panis substantialis non remanet post consecrationem; et hoc propter tres rationes. Primo, quia in qualibet transmutatione vel conversione terminus a quo est ejusdem generis cum termino ad quem. Illud autem ad quod terminatur conversio, non est forma tantum neque materia tantum, sed substantia existens in actu; et hoc declarant verba substantiva, quae hoc faciunt quod significant. Unde cum in eis exprimatur per hoc pronomen hoc substantia in actu composita, oportet quod illud quod convertitur in corpus Christi, sit etiam substantia composita, non materia panis tantum; et ita forma panis non manet. Secundo, quia frustra remaneret. Accidentia enim manent ut sint signa, quia ad hoc sunt ut per ea de substantia subjacente cognitionem accipiamus, cum sint sensibilia, et ita ad cognitionem intelligibilium via. Sed forma substantialis non est quid sensibile, sed est ordinata ad esse substantiale. Unde cum substantia panis non remaneat, frustra forma substantialis ibi esset. Tertio, quia accidentia non immediate ducerent in corpus Christi, sed in formam substantialem panis remanentem; et ideo deperiret aliquid significationi sacramenti.

La forme substantielle du pain ne demeure pas après la consécration, et cela, pour trois raisons. Premièrement, parce qu’en toute transmutation ou conversion, le terme a quo est du même genre que le terme ad quem. Or, ce à quoi se termine la conversion n’est ni seulement la forme ni seulement la matière, mais la substance existant en acte. C’est ce que déclarent les substantifs, qui réalisent ce qu’ils signifient. Puisqu’est exprimée par eux dans ce pronom «ceci» une substance en acte composée, il faut donc que ce qui est converti au corps du Christ soit aussi une substance composée, et non pas seulement la matière du pain. Et ainsi, la forme du pain ne demeure pas. Deuxièmement, parce que [la substance du pain] demeurerait pour rien. En effet, les accidents demeurent afin d’être des signes, car ils existent pour que par eux nous recevions la connaissance de la substance sous-jacente, puisqu’ils sont sensibles, et pour être un chemin vers la connaissance des réalités intelligibles. Or, la forme substantielle n’est pas quelque chose de sensible, mais elle est ordonnée à l’être substantiel. Puisque la substance du pain ne demeure pas, sa forme substantielle y serait donc pour rien. Troisièmement, parce que les accidents ne conduiraient pas immédiatement au corps du Christ, mais à la forme substantielle du pain qui demeurerait. Quelque chose serait donc perdu de la signification du sacrement.

[15314] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec ratio movit quosdam ad ponendum formam substantialem remanere; sed patet quod ratione illa magis ponendum esset quod materia panis remaneat quam quod forma. Panis enim non nutrit, nec aliquis cibus, nisi secundum quod convertitur in illud quod nutritur: quod autem naturali conversione convertitur in alterum, non manet quantum ad formam, sed quantum ad materiam, unde forma substantialis panis, si remaneret, nutrire non posset magis quam accidentia. Utrum autem species illae possint nutrire, in sequenti dist. dicetur.

1. Cet argument en a conduit certains à affirmer que la forme substantielle demeure ; mais il est clair que, selon ce raisonnement, il faudrait plutôt affirmer que la matière du pain demeure plutôt que la forme. En effet, le pain ni une autre nourriture ne nourrit que selon qu’il est converti en ce qui est nourri. Or, ce qui est converti en autre chose par une conversion naturelle ne demeure pas quant à sa forme, mais quant à sa matière. Si la forme substantielle du pain demeurait, elle ne pourrait donc pas nourrir davantage que les accidents. Mais ces espèces peuvent-elles nourrir ? On le dira dans la distinction suivante.

[15315] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima non est forma quae perficiat uniformiter suum perfectibile in toto et in omnibus partibus; unde singulae partes ex anima consequuntur perfectionem eis proportionalem; unde quamvis in animam Christi secundum quod est perfectio totius, non convertatur aliquid, tamen transubstantiatur substantia panis tota, et quantum ad formam et quantum ad materiam in ipsum corpus Christi totum, secundum quod intelligitur accepisse congruentes perfectiones in singulis partibus, quia sic est organicum, et propria animae materia.

2. L’âme n’est pas une forme qui perfectionne de manière uniforme ce qu’elle perfectionne en totalité et dans toutes ses parties. Ainsi, chaque partie reçoit-elle de l’âme la perfection qui lui est proportionnée. Bien que rien ne soit converti en l’âme du Christ, en tant qu’elle est perfection du tout, la substance entière du pain est cependant transsubstantiée, pour la forme comme pour la matière, en corps entier du Christ, tel qu’il est compris avoir reçu les perfections appropriées pour chacune de ses parties, car il est ainsi organique et matière propre de l’âme.

[15316] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ars non possit introducere formam substantialem per seipsam, potest tamen introducere virtute naturae qua utitur in sua operatione sicut instrumento; sicut patet in hoc quod aquam in vaporem convertit, et aerem in ignem igne mediante. Et similiter cum occiditur animal, recedente anima, alia forma substantialis succedit, sicut generatio unius est corruptio alterius. Ita etiam per commixtionem farinae et aquae et ustionem ignis potest consequi forma aliqua substantialis quae sit forma substantialis per quam panis est panis. Si autem non esset forma substantialis quae est per artem inducta per quam panis est panis, substernitur forma substantialis accidentali, scilicet forma farinae; triticum enim jam a sua specie est corruptum; quia non manet ejus operatio ut possit sibi simile generare.

3. Bien que l’art ne puisse par lui-même introduire une forme substantielle, il peut cependant l’introduire à titre d’instrument en vertu de la nature qu’il utilise dans son opération, comme cela ressort clairement dans le fait qu’il convertit l’eau en vapeur et l’air en feu par le moyen du feu. De même, lorsqu’un animal est tué et que l’âme se retire, une autre forme substantielle lui succède, puisque la génération d’une chose est la corruption d’une autre. Et encore, une forme substantielle – qui est la forme substantielle par laquelle le pain est pain – peut venir du mélange de farine et d’eau, et la combustion, du feu. S’il n’y avait pas de forme substantielle qui soit induite par l’art et en vertu de laquelle le pain est pain, la forme substantielle serait soumise à [la forme] accidentelle, à savoir, à la forme de la farine. En effet, le froment a déjà perdu son espèce par corruption, car il ne conserve pas l’opération par laquelle il peut engendrer quelque chose de semblable à lui-même.

[15317] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dimensio quae praeintelligitur ante formam substantialem in materia, non habet esse completum, quia non est dimensio terminata; terminatio enim dimensionis est per formam. Sed dimensiones quae manent post consecrationem, sunt dimensiones terminatae quae habent certam mensuram et figuram.

4. La dimension qui est présupposée à la forme substantielle dans la matière n’a pas un être complet, car elle n’est pas une dimension délimitée : en effet, la délimitation de la dimension se réalise par la forme. Or, les dimensions qui demeurent après la consécration sont des dimensions délimitées qui ont une mesure et une figure déterminées.

 

 

Articulus 2 [15318] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum panis facta conversione annihiletur

Article 2 – Le pain est-il anéanti, une fois réalisée la conversion ?

 

[15319] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod panis facta conversione annihiletur. In qualibet enim mutatione quae est secundum aliquid intraneum rei, terminus a quo non manet nisi in potentia praejacenti; sicut quando nigrum fit album, nigredo non remanet nisi in potentia subjecti; et quando ex aere fit ignis, forma aeris, quae est terminus a quo, non manet nisi in potentia materiae communis, quae subjicitur mutationi. Sed in conversione de qua loquimur, est terminus a quo, tota substantia panis. Ergo cum non sit accipere aliquid praejacens ad totam substantiam panis, quia non est in subjecto sicut accidens, neque in materia sicut forma, videtur quod omnino annihiletur.

1. Il semble que le pain soit anéanti, une fois réalisée la conversion. En effet, dans tout changement qui se produit de l’intérieur d’une chose, le terme a quo ne demeure que dans la puissance qui était sous-jacente, comme lorsque quelque chose de noir devient blanc, le noir ne demeure que dans la puissance du sujet ; et lorsque le feu est produit à partir de l’air, la forme de l’air, qui est le terme a quo, ne demeure que dans la puissance de la matière commune, qui est soumise au changement. Mais, dans la conversion dont nous parlons, le terme a quo est toute la substance du pain. Puisqu’il n’y a rien qui précède toute la substance du pain, parce qu’elle ne se trouve pas dans un sujet comme un accident ni dans la matière comme une forme, il semble donc qu’elle soit complètement anéantie.

[15320] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, respectu ejusdem est aliquid natum esse terminus a quo et terminus ad quem; sicut ex albo fit nigrum, et ex nigro album. Sed mutationis, cujus terminus a quo est tota substantia rei, terminus ad quem est simpliciter nihil, sicut patet in creatione. Ergo similiter cum in conversione de qua loquimur, terminus a quo sit tota substantia panis, terminus ad quem erit simpliciter nihil. Ergo substantia panis annihilatur.

2. Le terme a quo et le terme ad quem concerne la même chose ; elle devient ainsi noire après avoir été blanche et blanche après avoir été noire. Or, le terme ad quem de la mutation, dont le terme a quo est toute la substance d’une chose, est simplement le néant, comme cela ressort clairement dans la création. De la même manière puisque, dans la conversion dont nous parlons, le terme a quo est toute la substance du pain, le terme ad quem sera donc simplement le néant. La substance du pain est dont anéantie.

[15321] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si unum contradictorium est falsum, reliquum de necessitate erit verum. Sed facta conversione, haec est falsa: panis est aliquid, vel: de pane est aliquid. Ergo haec est vera: nihil de pane est. Ergo panis est annihilatus.

3. Si l’une des contradictoires est fausse, l’autre sera nécessairement vraie. Or, une fois la conversion réalisée, cette [proposition] est fausse : «Le pain est quelque chose» ou «Quelque chose vient du pain.» Cette [proposition] est donc vraie : «Rien n’existe du pain.» Le pain est donc anéanti.

[15322] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud annihilari dicitur quod neque in se neque in alio manet. Sed panis substantia non manet in se, facta conversione, ut dictum est, neque manet in corpore Christi, quia sic corpus Christi augeretur. Ergo penitus annihilatur.

4. On dit qu’une chose est anéantie lorsqu’elle ne demeure ni en elle-même ni dans une autre. Or, une fois la conversion réalisée, la substance du pain ne demeure pas en elle-même, comme on l’a dit, et elle ne demeure pas non plus dans le corps du Christ, car le corps du Christ serait ainsi augmenté. Elle est donc totalement anéantie.

[15323] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, sicut se habet conversio formalis ad formam, ita substantialis ad substantiam. Sed in conversione formali annihilatur forma, sicut patet cum ex aere fit ignis. Ergo in conversione substantiali, qualis haec esse dicitur, annihilatur substantia panis.

5. Telle est la conversion formelle par rapport à la forme, telle est la [conversion] substantielle par rapport à la substance. Or, dans la conversion formelle, la forme est anéantie, comme cela est clair lorsque le feu vient de l’air. Dans la conversion substantielle, dont il est question ici, la substance du pain est donc anéantie.

[15324] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in Lib. 83 qq., quaest. 21: ille ad quem non esse non pertinet, non est causa tendendi ad non esse. Sed Deus est hujusmodi. Ergo ipse nihil in nihilum reducit. Sed conversio praedicta fit divina virtute. Ergo non reducitur substantia panis in nihil.

Cependant, [1] Augustin dit, dans le Livre sur les quatre-vingt-trois questions : «Celui de qui ne relève pas le fait de ne pas être n’est pas la cause par laquelle on tend au non-être.» Or, Dieu est ainsi. Il ne ramène donc rien au néant. Or, la conversion en question est réalisée par la puissance divine. La substance du pain n’est donc pas ramenée au néant.

[15325] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, illud quod in aliquid convertitur, non annihilatur. Sed panis in corpus Christi convertitur, ut per auctoritates in littera positas ostendi potest. Ergo non annihilatur.

[2] Ce qui est converti en quelque chose d’autre n’est pas anéanti. Or, le pain est converti au corps du Christ, comme on peut le montrer par les autorités citées dans le texte. Il n’est donc pas anéanti.

[15326] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, defectus perfectioni repugnat. Sed hoc sacramentum est maximae perfectionis, ut supra dictum est, dist. 8, qu. 1, art. 3, quaestiunc. 1. Ergo cum annihilatio sit via ad defectum, non competit huic sacramento.

[3] La carence s’oppose à la perfection. Or, ce sacrement est parfait au plus haut point, comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 1, a. 3, qa 1. Puisque l’anéantissement est le chemin vers la carence, il n’a donc pas de rapport avec ce sacrement.

[15327] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec opinio duo ponit sub disjunctione; scilicet quod substantia panis resolvitur in praejacentem materiam, vel quod annihilatur; et quantum ad utrumque est falsa. Si enim in praejacentem materiam resolveretur, hoc non potest intelligi nisi dupliciter. Uno modo quod esset in materia sine forma omni, quod quidem nec per miraculum esse potest, quia haec positio implicat in se contradictionem. Materia enim per essentiam suam est ens in potentia, et forma est actus ejus. Si ergo ponatur materia sine forma esse actu, ponetur actu materia esse et non esse. Alio modo potest intelligi ita quod resolvatur in materialia elementa; et hoc iterum non potest esse; quia illa materialia elementa aut remanerent in eodem loco, et oporteret quod sub illis speciebus esset aliud corpus quam corpus Christi, et quod illud materiale corpus esset simul cum dimensionibus panis, et multa hujusmodi inconvenientia sequerentur: vel non essent in eodem loco, et sic esset motus localis illius elementi materialis; quod non potest esse, quia sentiretur talis mutatio, si esset. Praeterea cum motus localis necessario sit successivus, oportet quod illud materiale elementum prius relinqueret unam partem hostiae quam aliam. Transubstantiatio autem fit in instanti, ut dicetur art. seq., quaestiunc. 2. Unde sequeretur alterum duorum: vel quod aliquando sub aliqua parte specierum non esset neque corpus Christi, neque substantia panis, neque materiale elementum, quod jam abscessit ab illa parte; vel quod aliquando sub eadem parte hostiae esset corpus Christi et materiale elementum, quod est impossibile; et ideo non potest dici quod resolvatur in praejacentem materiam. Similiter non potest dici quod annihiletur, eo quod omnis motus denominatur a termino ad quem, sicut motus qui est ad albedinem, dicitur dealbatio; unde illa transmutatio tantum posset dici annihilatio, cujus terminus ad quem esset nihil. Hoc autem non potest esse in illa conversione, quia oportet hanc conversionem terminari ad corpus Christi: quia nihil potest incipere hic esse cum prius non fuerit, nisi per motum aut mutationem propriam vel alterius terminatam aliquo modo ad ipsum. Unde si conversio praedicta ad corpus Christi non terminaretur, oporteret quod corpus Christi esset hic in altari facta consecratione, ubi prius non erat, per motum proprium; quod supra est improbatum. Unde patet quod opinio illa falsa est, quae ponebat substantiam panis annihilari.

Réponse

Cette opinion affirme deux choses en les séparant, à savoir que la substance du pain est ramenée à la matière sous-jacente ou qu’elle est anéantie. Elle est fausse sur les deux points. En effet, si elle était ramenée à la matière préexistante, cela ne peut se comprendre que de deux manières. D’une manière, elle existerait dans la matière sans aucune forme, ce qui ne peut se produire même par miracle, car cette position comporte une contradiction en elle-même. En effet, la matière est par son essence un être en puissance, et la forme est son acte. Si donc on affirme que la matière existe en acte sans forme, on affirmerait que la matière existe et n’existe pas en acte. D’une autre manière, on peut comprendre qu’elle est ramenée aux éléments matériels. Cela aussi ne peut être le cas, car ces éléments matériels demeureraient dans le même lieu, et il faudrait que, sous ces espèces, existe un autre corps que le corps du Christ et que ce corps matériel possède en même temps les dimensions du pain. Beaucoup d’incongruités de ce genre en découleraient. Ou bien [ces éléments matériels] ne seraient pas dans le même lieu, et ainsi il y aurait un mouvement local de cet élément matériel, ce qui ne peut pas être le cas, car on sentirait un tel mouvement s’il existait. De plus, comme le mouvement local est successif, il faudrait que cet élément matériel quitte une partie de l’hostie plutôt qu’une autre. Or, la transsubstantiation se réalise dans l’instant, comme on le dira à l’article suivant, qa 2. Une de deux choses en découlerait donc : ou bien, sous une partie des espèces, n’existerait à un certain moment ni le corps du Christ, ni la substance du pain ni l’élément matériel, qui a déjà quitté cette partie ; ou bien, à un certain moment, le corps du Christ et l’élément matériel [existeraient] dans la même partie de l’hostie, ce qui est impossible. On ne peut donc pas dire que [la substance du pain] est ramenée à la matière sous-jacente. De même, on ne peut pas dire qu’elle est anéantie du fait que tout mouvement tire son nom du terme ad quem, comme le mouvement qui tend vers la blancheur est appelé blanchiment. Aussi ne pourrait-on appeler anéantissement que la transformation dont le terme ad quem est le néant. Mais cela ne peut être le cas dans cette conversion, car cette conversion doit avoir comme terme le corps du Christ : en effet, rien ne peut commencer à exister ici, alors qu’il n’existait pas antérieurement, que par un mouvement ou un changement propre ou de quelque chose d’autre, qui ait d’une certaine manière comme terme [le corps] même [du Christ]. Si la conversion en question n’avait pas comme terme le corps du Christ, il faudrait donc qu’après la consécration, le corps du Christ se trouve ici sur l’autel où il n’était pas antérieurement par un mouvement propre, ce qui a été réfuté plus haut. Il est donc clair que cette opinion qui affirmait que la substance du pain est anéantie est fausse.

[15328] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in mutationibus naturalibus terminus a quo est forma aliqua, quae quidem non convertitur in terminum ad quem; et ideo non annihilatur, nisi quatenus manet in potentia in suo subjecto: sed illud quod convertitur ad terminum ad quem, est subjectum mutationis, non quidem ut sit illud, sed ut sit sub illo; unde subjectum annihilari non dicitur inquantum in aliud convertitur. Unde cum in hac conversione id quod est terminus a quo, scilicet substantia panis, convertatur secundum se totum in terminum ad quem, scilicet corpus Christi, non quidem ut sit sub ipso, sed ut sit ipsummet, patet quod non est annihilatio substantiae panis.

Solutions

1. Dans les changement naturels, le terme a quo est une certaine forme, mais elle n’est pas convertie au terme ad quem. C’est pourquoi elle n’est anéantie que pour autant qu’elle demeure en puissance dans son sujet. Mais ce qui est converti au terme ad quem est le sujet du changement, non pas qu’il le soit, mais qu’il y soit sous-jacent. Aussi ne dit-on pas que le sujet est anéanti pour autant qu’il est changé en autre chose. Puisque que, dans cette conversion, ce qui est le terme a quo, à savoir, la substance du pain, est converti en totalité au terme ad quem, à savoir, le corps du Christ, non pas qu’il lui soit sous-jacent, mais qu’il le soit lui-même, il est clair qu’il n’y a pas anéantissement du pain.

[15329] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit in mutationibus oppositis, quia illud quod est terminus a quo in una, est terminus ad quem in alia; non autem in mutationibus quarum una ordinatur ad aliam sicut perfectum ad imperfectum, sicut mutatio qua acquiritur perfectio secunda. Conversio autem panis in corpus Christi non est mutatio opposita creationi, sed quodam modo perficiens ipsam, inquantum panis nobilius esse per hanc conversionem consequitur; et ideo non oportet quod sit in hac conversione terminus ad quem, quod in creatione erat terminus a quo.

2. Cet argument vaut pour les changements opposés, car ce qui est le terme a quo dans l’un est le terme ad quem dans l’autre. Mais cela ne vaut pas pour les changements dont l’un est ordonné à un autre comme le parfait à l’imparfait, comme le changement par lequel est acquise une perfection seconde. Or, la conversion du pain au corps du Christ n’est pas un changement opposé à la création, mais elle la perfectionne d’une certaine manière, pour autant qu’un pain plus noble découle de cette conversion. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, dans cette conversion, le terme ad quem soit ce qui était dans la création le terme a quo.

[15330] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis panis non sit aliquid, tamen illud in quod conversus est panis, est aliquid, conversione facta; et ideo non sequitur quod panis sit annihilatus.

3. Bien que le pain ne soit pas quelque chose, cependant ce en quoi le pain a été converti est quelque chose après la conversion. Il n’en découle donc pas que le pain soit anéanti.

[15331] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis non maneat panis neque in se neque in alio; manet tamen corpus Christi, in quod conversus est panis; et ideo non sequitur quod sit annihilatus.

4. Bien que le pain ne demeure ni en lui-même ni dans autre chose, cependant le corps du Christ demeure, auquel le pain a été converti. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il ait été anéanti.

[15332] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum sicut ad primum.

5. La réponse est la même que pour la première objection.

 

 

Articulus 3 [15333] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 tit. Utrum panis possit converti in corpus Christi

Article 3 – Le pain peut-il être converti au corps du Christ ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le pain peut-il être converti au corps du Christ ?]

[15334] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod panis non possit converti in corpus Christi. Conversio enim mutatio quaedam est. Sed nulla specie transmutationis in corpus Christi panis convertitur; non enim est ibi generatio et corruptio, quia materia panis non manet; nec est alteratio, quia non manet aliqua substantia ejus actu; nec est augmentum, quia non additur aliquid ad corpus Christi, neque motus localis, non enim ipsum corpus Christi de coelo descendit, ut Damascenus dicit. Ergo videtur quod nullo modo panis in corpus Christi convertatur.

1. Il semble que le pain ne puisse être converti au corps du Christ. En effet, la conversion est un certain changement. Or, le pain n’est converti au corps du Christ selon aucune espèce de transformation. En effet, il n’y a pas là génération et corruption, car la matière du pain ne demeure pas ; il n’y a pas non plus altération, car une partie de sa substance ne demeure pas en acte ; il n’y a pas augmentation, car rien n’est pas ajouté au corps du Christ ; ni mouvement local, car le corps même du Christ ne descend pas du ciel, comme le dit [Jean] Damascène. Il semble donc que le pain ne soit d’aucune manière converti au corps du Christ.

[15335] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in omni conversione oportet esse aliquid quod mutetur. Mutatur autem quod dissimiliter se habet nunc et prius. Si ergo panis in corpus Christi convertatur, oportet aliquid esse idem numero quod prius fuerit de substantia corporis Christi; quod non ponitur. Ergo panis in corpus Christi non convertitur.

2. En toute conversion, il faut que quelque chose soit changé. Or, est changé ce qui est différent avant et après. Si donc le pain est converti au corps du Christ, il faut donc qu’il y ait d’abord quelque chose d’identique en nombre, qui faisait d’abord partie de la substance du corps du Christ, ce qu’on n’affirme pas. Le pain n’est donc pas converti au corps du Christ.

[15336] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, conversio accidens quodammodo est; omne autem accidens est in subjecto. Non autem potest dici quod subjectum ejus sit panis neque corpus Christi; quia non est idem subjectum mutationis et terminus a quo vel ad quem. Ergo panis nullo modo convertitur in corpus Christi.

3. La conversion est d’une certaine manière un accident. Or, tout accident se trouve dans un sujet. Or, on ne peut dire que son sujet soit le pain ou le corps du Christ, car le sujet du changement n’est pas le même que le terme a quo ou le terme ad quem. Le pain n’est donc d’aucune manière converti au corps du Christ.

[15337] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod fit aliquid, acquirit hoc quod fieri dicitur. Sed omne singulare est incommunicabile. Ergo impossibile est quod aliquod singulare fiat aliud singulare, quamvis possit ei adjungi, et sic esse ejus percipere sicut pars. Sed corpus Christi est quoddam singulare demonstratum. Ergo non potest esse quod aliquid convertatur in ipsum, ita quod fiat ipsummet; sed solum quod adjungatur ei.

4. Tout ce qui devient quelque chose acquiert ce qu’on dit qu’il devient. Or, toute réalité singulière est incommunicable. Il est donc impossible que quelque chose de singulier devienne une autre chose singulière, bien qu’il puisse lui être uni et ainsi recevoir son être comme une partie. Or, le corps du Christ est une réalité singulière connue. Il ne peut donc se faire que quelque chose soit converti en lui de telle sorte que cela devienne lui-même, mais seulement que cela lui soit ajouté.

[15338] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Damascenus dicit, ubi supra: fecit Christus panem et vinum corpus et sanguinem suum, non quoniam ipsum corpus Christi de caelo descendit, sed quoniam panis et vinum transit in corpus et sanguinem Christi.

Cependant, [1] [Jean] Damascène dit, à l’endroit indiqué plus haut : «Le Christ a fait du pain et du vin son corps et son sang, non pas parce que le corps même du Christ est descendu du ciel, mais parce que le pain et le pain devient le corps et le sang du Christ.»

[15339] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod nec in se manet nec annihilatur, oportet quod in aliud convertatur. Sed panis non manet in se, sicut in primo articulo dictum est, nec etiam annihilatur, ut ex secundo articulo patuit. Ergo oportet quod in aliud convertatur.

[2] Il faut que ce qui ne demeure pas en soi et n’est pas anéanti soit converti en autre chose. Or, le pain ne demeure pas en soi, comme on l’a dit dans le premier article, et il n’est pas anéanti, comme cela est clairement ressorti du deuxième article. Il est donc nécessaire qu’il soit changé en autre chose.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Cette conversion se réalise-t-il de manière successive ?]

[15340] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ista conversio fiat successive. Fit enim haec conversio virtute verborum. Sed verba non possunt aliquid facere nisi dum sunt. Ergo cum habeant esse in successione, videtur quod successive conversio praedicta fiat.

1. Il semble que cette conversion se réalise de manière successive. En effet, cette conversion se réalise par la puissance des paroles. Or, les paroles ne peuvent faire quelque chose que lorsqu’elles existent. Puisqu’elles existent par mode de succession, il semble donc que la conversion en cause se réalise de manière successive.

[15341] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, impossibile est in eodem instanti esse aliquid corpus Christi et panem. Ergo non est idem instans in quo est primo corpus Christi, et in quo ultimo est panis. Sed inter quaelibet duo instantia est tempus medium, ut probatur in 6 Phys. Ergo conversio panis in corpus Christi est successiva.

2. Il est impossible que quelque chose soit dans le même instant le corps du Christ et le pain. Ce n’est donc pas le même instant où le corps du Christ commence à exister et où le pain cesse d’être. Or, entre deux instants, il y a un temps intermédiaire, comme cela est démontré dans Physique, VI. La conversion du pain au corps du Christ est donc successive.

[15342] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in omni conversione requiritur ut sit aliquid aliter nunc et prius, cum conversio mutatio quaedam sit. Sed ubicumque est nunc et prius, successio est. Ergo in omni conversione et mutatione oportet esse successionem; et sic idem quod prius.

3. Dans toute conversion, il est nécessaire que quelque chose soit différent maintenant et auparavant, puisque la conversion est un certain changement. Or, partout où il y a maintenant et auparavant, il y a succession. Dans toute conversion et mutation, il faut donc qu’il y ait succession. La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

[15343] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, in omni factione est fieri et factum esse. Sed fieri et factum esse non sunt simul: quia quod fit, non est; quod autem factum est, jam est. Ergo est ibi prius et posterius; et sic idem quod prius.

4. Dans toute action de faire, il y a devenir et être fait. Or, devenir et être fait n’existent pas en même temps, car ce qui devient n’est pas, et ce qui est fait existe déjà. Il s’y trouve donc de l’avant et de l’après. La conclusion est ainsi la même qu’auparavant.

[15344] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia virtus infinita operatur subito. Sed haec conversio fit virtute divina, quae est infinita. Ergo fit subito.

Cependant, [1] une puissance infinie agit d’un coup. Or, cette conversion est réalisée par la puissance divine, qui est infinie. Elle se réalise donc d’un coup.

[15345] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in omni successiva mutatione prius aliquid est in medio quam in termino. Sed in hac conversione non est invenire aliquid medium inter substantiam panis et corpus Christi. Ergo non est ibi successiva conversio.

[2] Dans tout changement successif, quelque chose se trouve d’abord au milieu avant d’être au terme. Or, dans cette conversion, on ne trouve pas de milieu entre la substance du pain et le corps du Christ. Il n’y a donc pas conversion successive.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Cette conversion est-elle plus miraculeuse que tout autre changement ?]

[15346] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec conversio sit miraculosior omni alia mutatione. Quia quanto alicui magis de facili consentit ratio nostra, minus habet de miraculo. Sed non est aliqua miraculosa conversio cui ratio magis non consentiat quam huic; quia creationem etiam quidam philosophi posuerunt ratione naturali ducti, et etiam quod materia obedit substantiis separatis, et maxime Deo, ad omnem formationem. Ergo ista conversio est miraculosior omnibus mutationibus.

1. Il semble que cette conversion soit plus miraculeuse que tout autre changement. En effet, plus notre raison consent facilement à quelque chose, moins cela a un caractère miraculeux. Or, il n’y a pas de conversion miraculeuse à laquelle la raison ne consente pas davantage qu’à celle-ci, car certains philosophes, conduits par la raison, ont même affirmé la création, et aussi que la matière obéit aux substances séparées, et surtout à Dieu, en toute formation. Cette conversion est donc plus miraculeuse que tous les changements.

[15347] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ubi est plus de resistentia, ibi est major difficultas in convertendo, et per consequens majus miraculum. Sed in hac conversione est maxima resistentia, cum oporteat totum converti in totum. Ergo ista conversio est maximae difficultatis; ergo est maxime miraculosa.

2. Là où la résistance est plus grande, là est la plus grande difficulté dans une conversion et, par conséquent, un plus grand miracle. Or, la plus grande résistance se trouve dans cette conversion puisqu’il faut qu’un tout soit converti en un tout. Cette conversion comporte donc la plus grande difficulté. Elle est donc la plus miraculeuse.

[15348] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quanto minus est de potentia ex parte creaturae in qua fit miraculum, tanto est majus miraculum quod fit per potentiam divinam. Sed in hac conversione minimum est de potentia in creatura: quia in quibusdam conversionibus miraculosis est potentia naturalis, sicut quod aqua conversa fuit in vinum, in quibusdam autem potentia obedientiae tantum: sicut quando costa formata est in mulierem; in creatione autem etsi non praecedat aliqua potentia, tamen non est aliqua repugnantia. Ergo cum in hac conversione sit repugnantia, et nulla potentia ex parte creaturae, quia non potest esse aliquid in potentia respectu totius compositi; videtur quod haec conversio sit miraculosior omni alia mutatione.

3. Moins est grande la puissance de la créature dans laquelle se réalise un miracle, plus est grand le miracle qui est réalisé par la puissance divine. Or, c’est dans cette conversion qu’il y a le moins de puissance dans la créature, car, dans certaines conversions miraculeuses, existe la puissance naturelle, comme lorsque l’eau a été convertie en vin, mais dans d’autres, il n’existe que le pouvoir d’obéir, comme lorsque la côté prit la forme d’une femme ; dans la création, même si aucune puissance ne précède, il n’y a cependant pas d’incompatibilité. Puisqu’il y a une incompatibilité dans cette conversion et qu’il n’y a aucune puissance de la créature – car quelque chose ne peut pas être en acte par rapport à un tout composé –, il semble donc que cette conversion soit plus miraculeuse que tout autre changement.

[15349] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quanto aliqua sunt magis distantia, tanto difficilius in invicem mutantur. Sed magis distat non ens simpliciter ab ente, quam hoc ens ab hoc ente. Ergo difficilius est ex non ente simpliciter facere ens aliquod, quam ex ente hoc facere illud; et ideo creatio est majoris virtutis indicativa quam transubstantiatio.

Cependant, [1] plus il y a de distance entre certaines choses, plus il est difficile qu’elle soient changées l’une dans l’autre. Or, le non-être est simplement plus éloigné de l’être que tel être par rapport à tel être. Il est donc plus difficile de réaliser un être à partir de ce qui n’est pas que de faire quelque chose d’autre à partir d’un être. La création signale donc une plus grande puissance que la transsubstantiation.

[15350] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto terminus mutationis est altior, tanto mutatio est majoris virtutis; sicut majoris virtutis est facere hominem quam animal. Sed assumptio humanae naturae, quae est mutatio quaedam, terminatur ad personam filii Dei, quae est dignius quid quam corpus Christi, ad quod terminatur transubstantiatio. Ergo magis est miraculosa illa mutatio quam ista conversio.

[2] Plus le terme d’un changement est élevé, plus grande est la puissance dont relève le changement, comme il faut plus de puissance pour faire un homme qu’un animal. Or, le fait d’assumer la nature humaine, qui est un certain changement, a comme terme la personne du Fils de Dieu, ce qui est un terme plus digne que le corps du Christ qui est le terme de la transsubstantiation. Ce changement est donc plus miraculeux que cette conversion.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15351] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in mutationibus naturalibus invenitur mutatio secundum quam nihil variatur de eo quod est intraneum rei, sed solum hoc quod est extra, sicut patet in motu locali; aliqua vero mutatio in qua variatur illud quod inest rei accidentaliter, scilicet quantitas vel qualitas, ut patet in motu augmenti et alterationis; aliqua vero mutatio est quae pertingit usque ad formam substantialem, sicut generatio et corruptio. Sed naturalis mutatio non potest pertingere usque ad variationem materiae: quia operatur ex supposita materia, sicut quodlibet secundum agens operatur suppositis his quae data sunt sibi a primo agente; et haec principia oportet manere in operatione naturae, ut 1 Phys. dicitur. Sicut autem esse compositi, quod ex suppositione materiae natura producit, operationi naturae subjicitur; ita ipsa materia quam praesupponit natura, subjicitur actioni primi agentis, scilicet Dei, a quo hoc ipsum imperfectum esse (scilicet in potentia), quod habet, accepit; unde divina operatio pertingere potest ad variationem materiae, ut scilicet sicut natura facit hoc totum esse hoc totum, ut ex toto aere totam aquam; ita Deus faciat ex hac materia signata illam. Et quia materia signata est individuationis principium, ideo solius Dei operatione hoc fieri potest, ut hoc individuum demonstratum fiat illud individuum demonstratum; et talis modus conversionis est in hoc sacramento, quia ex hoc pane fit hoc corpus Christi. Ex quo patet quod ista conversio differt ab omnibus naturalibus conversionibus in quatuor. Primo in hoc quod usque ad materiam pertingit, quod in illis non invenitur. Et quia materia est primum subjectum, et ipsum non est aliud subjectum; ideo secundo differt in hoc quod haec conversio non habet subjectum sicut illae habent. Tertio, quod in naturalibus conversionibus convertitur totum in totum, non autem partes essentiales in partes; totus enim aer convertitur in aquam; sed materia aeris non convertitur in aliquid, quia est eadem: forma etiam non convertitur, quia abscedit illa, et alia introducitur. Sed hic et totum convertitur in totum, quia panis fit corpus Christi; et partes etiam convertuntur; quia materia panis fit materia corporis Christi, et forma substantialis similiter fit illa forma quae est corpus Christi. Quarto, quia in naturalibus conversionibus transmutatur et id quod convertitur, et id in quod convertitur. Illud quidem quod in alterum convertitur, semper transmutatur corruptione; sed illud in quod aliquid naturaliter convertitur (si quidem sit simplex conversio) transmutatur per generationem, sicut cum aqua generatur ex aere; si autem sit conversio cum additione ad alterum praeexistens, illud cui additur transmutatur secundum augmentum, vel saltem per restaurationem deperditi, sicut accidit in nutrimento. Sed hic, illud in quod fit conversio erat praeexistens, et non ei additur, quia, ut dictum est, illud quod convertitur, convertitur in ipsum, et secundum totum et secundum omnes partes ejus; unde hoc in quod terminatur conversio, nullo modo transmutatur, scilicet corpus Christi, sed solum panis qui convertitur.

Dans les changements naturels, on trouve un changement selon lequel rien n’est modifié à l’intérieur de la chose, mais seulement à l’extérieur, comme cela ressort clairement dans le mouvement local. Mais il y a un autre changement dans lequel est modifié ce qui est intérieur à une chose de manière accidentelle, à savoir, la quantité ou la qualité, comme cela est clair dans le mouvement d’accroissement et d’altération. Il y a par contre un autre changement qui atteint même la forme substantielle, comme la génération et la corruption. Mais le changement naturel ne peut aller jusqu’à modifier la matière, car il se réalise en supposant la matière, comme tout agent second agit en supposant ce qui est donné par le premier agent. Et ces principes doivent demeurer dans l’opération de la nature, comme il est dit dans Physique, I. Mais de même que l’être du composé, produit par la nature en supposant la matière, est soumis à l’opération de la nature, de même la matière elle-même que la nature suppose est-elle soumise à l’action du premier agent, à savoir, de Dieu, de qui elle a reçu cet être imparfait lui-même (à savoir, d’être en puissance). L’action divine peut donc aller jusqu’à modifier la matière, de sorte que de même que la nature fait que ce tout devient ce tout (comme l’air devient en entier de l’eau), de même Dieu transforme cette matière déterminée en une autre. Et parce que la matière déterminée est le principe d’individuation, c’est donc seulement par l’action de Dieu que peut être réalisé que cet individu soit changé en cet individu. Tel est le mode de conversion dans ce sacrement, car le corps du Christ est réalisé à partir de ce pain. Il ressort clairement de cela que cette conversion diffère de toutes les conversions naturelles sur quatre points. Premièrement, par le fait qu’elle atteint la matière elle-même, ce qu’on ne trouve dans celles-là. Et parce que la matière est le sujet premier et que celui-ci n’est pas un autre sujet, elle [en] diffère donc en deuxième lieu par le fait que cette conversion n’a pas de sujet, comme les autres en ont. Troisièmement, par le fait que, dans les conversions naturelles, un tout est converti en un tout, mais non les parties essentielles en parties. En effet, l’air est en entier converti en eau, mais la matière de l’air n’est pas convertie en quelque chose parce qu’elle est la même ; la forme non plus n’est pas convertie, car l’une disparaît et une autre est introduite. Mais ici, un tout est converti en un tout, car le pain devient le corps du Christ, et les parties aussi sont converties, car la matière du pain devient la matière du corps du Christ ; de même, la forme substantielle devient cette forme qu’est le corps du Christ. Quatrièmement, parce que, dans les conversions naturelles, sont transformés ce qui est converti et ce en quoi cela est converti. Or, ce qui est converti en autre chose est toujours transformé par une corruption ; mais ce qui ce en quoi quelque chose est converti (s’il s’agit d’une conversion simple) est transformé par une génération, comme lorsque l’eau est engendrée à partir de l’air. Mais s’il s’agit d’une conversion par ajout à quelque chose d’autre qui préexiste, ce à quoi quelque chose est ajouté est transformé par accroissement ou au moins par rétablissement de ce qui a été perdu, comme cela se produit pour la nourriture. Mais ici, ce vers quoi se réalise la conversion préexistait et n’y est pas ajouté, car, ainsi qu’on l’a dit, ce qui est converti est converti en lui en entier et selon toutes ses parties. Aussi ce en quoi la conversion trouve son terme n’est-il aucunement transformé, à savoir, le corps du Christ, mais seulement le pain qui est converti.

[15352] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod haec conversio sub nulla naturalium mutationum continetur, sed ab omnibus differt, ut ex dictis patet: habet tamen aliquam convenientiam cum transmutatione nutrimenti, inquantum utraque conversio fit in aliquid praeexistens; differt tamen ab ea, inquantum hic non fit aliqua additio sicut ibi.

1. Cette conversion ne fait partie d’aucun des changements naturels, mais diffère de tous, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. Cependant, elle a cependant quelque chose en commun avec la transformation de la nourriture, pour autant que les deux conversions aboutissent à quelque qui préexiste ; elle en diffère cependant pour autant qu’ici ne se réalise pas d’ajout comme dans l’autre cas.

[15353] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hac transmutatione, seu conversione, est aliquid quod transmutatur, scilicet panis, non quidem ad modum aliarum mutationum naturalium, ut aliquid ipsius maneat, sed secundum totum et omnes partes ejus, ut dictum est.

2. Dans cette transformation ou conversion, il y a quelque chose qui est transformé, à savoir, le pain, mais non à la manière des autres changements naturels, où quelque chose en demeure, mais selon sa totalité et toutes ses parties, comme on l’a dit.

[15354] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod transmutatio naturalis panis ponit actum imperfectum, ut patet in 5 Phys.; et quia idem est subjectum actus perfecti, et imperfecti; ideo oportet quod subjectum transmutationis naturalis sit id quod est subjectum postmodum actus perfecti, scilicet formae, ad quem tendit motus, et non ipsum jam perfectum. Sed transmutatio hujus conversionis non ponit aliquem actum imperfectum, sed solum successionem quamdam perfectorum non solum actuum, sed rerum subsistentium. Successio autem est in succedentibus sibi, sicut et ordo in ordinatis. Sed secundum regulam in 1 Lib., dist. 26, qu. 2, art. 3, ad 1 et 2, de relativis datam, erit ista relatio ordinis hujus successionis secundum rem quidem in ipso pane qui mutatur, non autem in corpore Christi vero, nisi secundum rationem, quia ipsum immutatum manet.

3. La transformation naturelle du pain implique un acte imparfait, comme cela ressort clairement de Physique, V. Et parce que le sujet d’un acte parfait et d’un acte imparfait est le même, il faut donc que le sujet de la transformation naturelle soit ce qui est par la suite le sujet de l’acte parfait, à savoir, de la forme, à laquelle tend le mouvement, et non pas [le sujet] parfait lui-même. Mais la transformation de cette conversion n’implique pas un acte imparfait, mais seulement une succession de choses parfaites, et non seulement d’actes, mais de choses subsistantes. Or, la succession se trouve dans les choses qui succèdent, comme l’ordre dans les choses ordonnées. Mais, selon la règle donnée à propos des réalités relatives dans le livre I, d. 26, q. 2, a. 3, ad 1 et 2, cette relation d’ordre dans la succession se trouvera en réalité dans le pain lui-même qui est changé, mais non dans le corps véritable du Christ, si ce n’est selon la raison, car celui-ci demeure inchangé.

[15355] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod communicatio importat quamdam collationem; et ideo exigit aliquid recipiens id quod confertur seu datur; unde non habet locum nisi in formalibus conversionibus in quibus mutatio non attingit nisi usque ad formam; et ideo cum in hac conversione nihil maneat cui possit aliquid conferri, non habet locum communicatio.

4. La communication suppose une certaine transmission. Elle exige donc qu’il y ait quelque chose qui reçoit ce qui est transmis ou donné. Elle n’a donc lieu que dans les conversions formelles, dans lesquelles le changement ne va pas au-delà de la forme. Comme il ne reste rien dans cette conversion à quoi quelque chose pourrait être transmis, il n’y a donc pas de communication.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15356] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod causa quare aliqua mutatio non est in instanti, est distantia ejus quod movetur a termino motus. Distantiam autem dico non solum secundum dimensionem loci aut quantitatis, sed secundum repugnantiam formae vel naturae; et ideo ubi nihil est repugnans formae introducendae, forma ibi recipitur in instanti, praesente agente; sicut patet de illuminatione diaphani, cum in eo non sit aliquid contrarium vel repugnans luci; et similiter in forma subito introducenda quando materia est necessitans, contrariis dispositionibus ab ea exclusis. Sicut autem aer subjacet soli ad recipiendum ab eo formam luminis non existente aliquo interposito; ita tota natura creata subditur divino nutui, ut statim fiat omne quod Deus vult; quia quidquid est in natura, est materiale, et non contrarium dispositioni divinae; et ideo ea quae per seipsum facit, potest, cum voluerit, facere in instanti. Quandoque autem successive facit, ut in nobis secundum modum nostrum operetur. Hoc tamen contingit quando hoc quod transmutatur, potest magis vel minus distare a termino transmutationis, quia secundum hoc fit successio in motu. Cum autem conversio de qua loquimur, ad ipsam materiae essentiam pertingat, ut dictum est, secundum quam separatis per intellectum formis et dispositionibus, una res non magis convenit cum una quam cum alia, non potest accipi major et minor distantia a termino: quia hoc singulare demonstratum, quantum ad hoc quod convertitur in corpus Christi, tantum distat ab alio singulari suae speciei quantum a singulari alterius speciei; et ideo conversio praedicta fit in instanti.

La cause pour laquelle un changement ne se réalise pas dans l’instant est la distance de ce qui est mû par rapport au terme du mouvement. Or, je parle de distance, non seulement selon la dimension du lieu ou de la quantité, mais selon l’incompatibilité de la forme ou de la nature. Là où il n’y a rien d’incompatible à l’introduction de la forme, la forme est donc reçue dans l’instant lorsque l’agent est présent, comme cela ressort clairement de l’illumination du [milieu] diaphane, puisqu’il n’y a en lui rien de contraire ou d’incompatible par rapport à la lumière ; et de même, pour l’introduction immédiate de la forme lorsque la matière en a besoin, après que les dispositions contraires en ont été écartées. Or, de même que l’air est soumis au soleil pour en recevoir la forme de la lumière sans que rien ne s’interpose, de même toute la nature créée est-elle soumise au bon vouloir de Dieu, de sorte que se réalise tout ce que Dieu veut, car tout ce qui existe dans la nature est matériel et non contraire à la disposition divine. Ainsi, ce qu’il réalise par lui-même, il peut le réaliser dans l’instant, lorsqu’il le veut. Mais parfois, il le réalise de manière successive afin d’agir en nous selon notre mouvement. Toutefois, cela arrive lorsque ce qui est transformé peut être plus ou moins distant de la transformation, car alors se réalise une succession dans le mouvement. Mais puisque la conversion dont nous parlons atteint jusqu’à l’essence de la matière, comme on l’a dit, selon laquelle, après que les formes et les dispositions ont été séparées par l’intellect, une chose n’a pas davantage en commun avec celle-ci qu’avec une autre, il ne peut y avoir de plus ou moins grande distance par rapport au terme. En effet, cet être singulier, pour ce qui est converti au corps du Christ, est aussi éloigné d’un autre être singulier de son espèce que d’un être singulier d’une autre espèce. La conversion en cause se réalise donc dans l’instant.

[15357] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba formae habent sacramentalem virtutem; unde non efficiunt nisi quod significant; et ideo, cum significatio illius formae non sit perfecta nisi in ultimo instanti, tunc habet efficaciam suam.

1. Les paroles de la forme ont une puissance sacramentelle. Elles ne réalisent donc que ce qu’elles signifient. C’est pourquoi, puisque la signification de cette forme n’est parfaite qu’au dernier instant, c’est alors qu’elle obtient son efficacité.

[15358] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc argumentum multipliciter respondetur a diversis. Quidam concedunt quod est signare ultimum instans in quo est panis sicut et primum in quo est corpus Christi, propter hoc quod in toto quodam tempore fuit panis, et ita in quolibet instanti illius temporis. Unde quidam istorum dicunt quod unum est instans secundum rem in quo est panis et corpus Christi, sed differt secundum rationem: quia inquantum illud instans est finis praeteriti temporis, est in eo panis; inquantum autem est principium futuri, est in eo corpus Christi. Sed hoc non potest stare: quia contradictoria simul esse secundum rem est impossibile; simul autem secundum rem maxime sunt quae sunt in eodem instanti secundum rem. Unde impossibile est duo contradictoria esse in instanti quod est unum secundum rem, quantumcumque sit differens ratione: quia ex illa ratione non habet ordinem ad mensuratum et ad tempus, cujus est terminus; sed ad animam. Et quia si ponamus simul esse corpus Christi et panem, sequuntur duo contradictoria simul esse; quia dum est panis non est corpus Christi; ideo impossibile est quod sit unum instans secundum rem in quo nunc ultimo est panis, et nunc primo corpus Christi. Ideo alii dicunt, quod istud nunc est quodammodo unum realiter, et quodammodo diversum; et ponunt exemplum de duabus lineis se tangentibus, de quibus constat quod habent duo puncta, et tamen illa puncta conjunguntur in uno puncto lineae continentis; contigua enim sunt quorum termini sunt simul. Et similiter dicunt quod esse panem et esse corpus Christi in altari, contiguantur; unde est unum instans extra mensurans, in quo primo est corpus Christi et ultimo panis; sed tamen sunt duo instantia si accipiamus ut duorum temporum quibus mensuratur esse panis in altari et esse corporis Christi: et sic inter duo instantia quasi contiguata non est necesse esse tempus medium, sicut nec inter duo puncta contiguata lineam. Sed illud non potest stare: quia cum punctum sit terminus lineae, quae potest esse mensura et intranea et extranea, possibile est puncta assignare et intrinseca et extrinseca; sed instans est terminus temporis quod nunquam est nisi mensura extrinseca; unde non est accipere instans nisi quod se habet per modum extra jacentis puncti. Et ideo haec positio redit in idem impossibile cum prima. Et ideo alii dicunt, quod sicut probatur 4 Phys., in toto tempore non est accipere nisi unum nunc secundum substantiam; et quod numerantur duo instantia, hoc est secundum ordinem temporis ad motum, et actionem quam mensurant; prout scilicet tempus excedens mensurat aliquam actionem; et ita principium et finis illius actionis est in tempore; et secundum hoc in tempore numerantur duo instantia; et ideo ordo et habitudo duorum instantium ad invicem est consideranda secundum actiones et motus qui mensurantur. Unde si accipiantur duo instantia respectu ejusdem motus, prout tempus mensurat principium et finem illius motus, sic oportet quod inter duo instantia sit tempus medium, sicut inter principium motus et finem est motus medius. Si autem accipiantur duo instantia per comparationem ad diversos motus secundum quod mensurant principium unius et finem alterius, sic inter duo instantia non est tempus medium, sicut nec motus est medius inter principium unius motus et finem alterius; et ideo cum quies mensuretur tempore, sicut et motus, duo instantia sunt se invicem consequentia, quorum unum mensurat finem quietis in quo erat panis, et alterum principium quietis in quo est corpus Christi. Sed hoc iterum non potest stare; quia instantia temporis distinguuntur per comparationem ad illum motum a quo tempus potest habere unitatem vel multitudinem, ad quam comparatur non solum sicut mensura ad mensuratum, sed sicut accidens ad subjectum; scilicet motum caeli, quia est continuus, et interruptionem non patitur secundum naturam; unde qualitercumque signes duo instantia in tempore, semper est accipere tempus medium, quia est accipere inter quaelibet momenta motus caeli motum medium; et ideo in aliis motibus non differret, sive comparentur diversa instantia ad eumdem motum, sive ad diversos. Patet etiam quod haec positio contradicit dicto philosophi in 8 Phys., ubi probat quod inter quoslibet motus contrarios est quies media; quod non oporteret, si duo instantia modo praedicto possent se invicem consequi. Et ideo alii dicunt, quod ista conversio, cum sit supra naturam, non habet ordinem ad motum caeli; unde non mensuratur tempore, sed instanti, quod est mensura motus caeli; et propter hoc non est inconveniens, si duo instantia succedunt sibi sine tempore medio, sicut in 1 Lib., dist. 37, qu. 4, art. 3, dictum est de motu Angeli. Sed hoc iterum stare non potest; quia ista conversio sequitur motum prolationis verborum, qui habet reduci ad mensuram motus caeli, sicut illuminatio sequitur ad motum localem, quo defertur illuminans; et ideo oportet quod instantia accipiantur in hac conversione secundum mensuram motus caeli. Et propter hoc alii dicunt, quod non est simul signare duo instantia in quorum uno primo sit corpus Christi, et in alio ultimo sit panis, quia sic de necessitate esset inter ea tempus medium; sed tamen utrumlibet eorum potest per se signari. Sed hoc iterum nihil est; quia designatio nostra nihil facit ad hoc quod tempus intersit vel non intersit; unde si sint duo instantia secundum rem, in quorum uno est panis ultimo, et in alio corpus Christi primo, sive signentur a nobis sive non, oportet esse tempus medium. Praeterea, ex quo instans illud est signabile, non videtur quod possit designatio ejus impediri per designationem alterius instantis, cum istae duae designationes non sint contrariae. Et ideo aliter dicendum, quod non est designare ultimum instans, sed ultimum tempus in quo est panis. Inter tempus autem et instans non cadit necessario tempus medium, sicut cadit medium inter duo instantia. Et veritas hujus quaestionis apparet ex hoc quod philosophus dicit in 8 Phys., quod quando ex albo fit nigrum, in toto tempore mensurante motum alterationis erat album, sed in ultimo instanti illius temporis est nigrum; unde, secundum ipsum, non est dandum quod in toto illo tempore sit album, sed in toto praeter ultimum nunc. Et quia ante ultimum nunc alicujus temporis non est accipere penultimum, sicut nec ante ultimum punctum lineae penultimum, ideo non est accipere ultimum instans in quo erat album, sed ultimum tempus; et similiter est de illis mutationibus quae sunt termini motus, sicut generatio est terminus alterationis; quia cum ex aere fit ignis, in toto tempore alterationis praecedentis erat aer, praeter ultimum instans, in quo est ignis; et similiter est in illuminatione respectu motus localis. Et ideo cum conversio sit terminus cujusdam motus, scilicet prolationis verborum, in toto tempore praecedenti erat panis, praeter ultimum instans, in quo est corpus Christi.

2. La réponse varie selon les différents [auteurs]. Certains concèdent qu’il faut retenir l’instant ultime où existe le pain et le premier où existe le corps du Christ parce que le pain a existé en totalité en un certain temps, et ainsi à tout instant de ce temps. Aussi certains d’entre eux disent-ils qu’il n’y a en réalité qu’un seul instant où le pain et le corps du Christ existent, mais qu’il diffère selon la raison, car, pour autant que cet instant est la fin du temps passé, le pain s’y trouve, mais, pour autant qu’il est le commencement du temps à venir, le corps du Christ s’y trouve. Mais cela n’est pas possible, car il est impossible que les contradictoires existent en même temps dans la réalité. Or, ce sont surtout les choses qui existent dans le même instant dans la réalité qui existent en même temps dans la réalité. Il est donc impossible que deux contradictoires existent dans l’instant qui est un selon la réalité, quelle qu’en soit la différence selon la raison, car il ne tire pas de cette raison son rapport à la mesure et au temps, dont il est le terme, mais [son rapport] à l’âme. Et parce que si nous affirmons qu’existent en même temps le corps du Christ et le pain, il en découle que deux contradictoires existent en même temps (en effet, alors que le pain existe, le corps du Christ n’existe pas), il est donc impossible que, selon la réalité, il y ait un instant où le pain existe maintenant en dernier lieu et où le corps du Christ existe en premier lieu. C’est pourquoi d’autres disent que cet instant est d’une certaine manière unique en réalité et d’une certaine manière différent. Et ils donnent l’exemple de deux lignes qui se croisent : il est clair qu’elles ont deux points, mais ces deux points sont cependant joints dans un seul point d’une ligne continue. En effet, les choses dont les termes existent en même temps sont contiguës. De la même manière, ils disent que le fait d’être le pain et le fait d’être le corps du Christ se touchent. Il n’y a donc qu’un seul instant qui mesure de l’extérieur, où le corps du Christ commence à exister et le pain cesse [d’exister]. Toutefois, il y a deux instants si nous les entendons comme ceux des deux temps par lesquels sont mesurés l’être du pain sur l’autel et l’être du corps du Christ. Et ainsi, entre deux instants pour ainsi dire contigus, un temps intermédiaire n’est pas nécessaire, pas davantage qu’une ligne entre les deux points. Mais cela n’est pas possible, car, le point étant le terme de la ligne, il est possible d’indiquer des points intrinsèques et extrinsèques. Mais l’instant est le terme du temps qui n’est jamais qu’une mesure extrinsèque. On ne peut donc concevoir l’instant que sous le mode d’un point extrinsèque. C’est pourquoi cette position revient à la même impossibilité que la première. C’est la raison pour laquelle d’autres disent qu’ainsi que le démontre Physique, IV, pour l’ensemble du temps, on ne peut concevoir qu’un seul instant selon la substance. Le fait qu’on compte deux instants vient du rapport du temps au mouvement et à l’action qu’ils mesurent, pour autant que le temps excédentaire mesure une certaine action. Ainsi, le commencement et la fin de cette action se trouvent dans le temps : c’est pour cela que deux instants sont comptés dans le temps. Aussi l’ordre et la relation des deux instants l’un par rapport à l’autre doivent-ils être considérés selon les actions et les mouvements qui sont mesurés. Si l’on conçoit deux instants par rapport au même mouvement, pour autant que le temps mesure le commencement et la fin de ce mouvement, il faut alors qu’entre les deux instants existe un temps intermédiaire, comme il existe un mouvement intermédiaire entre le commencement du mouvement et sa fin. Mais si l’on conçoit deux instants par rapport à divers mouvements selon qu’ils mesurent le commencement de l’un et la fin d’un autre, alors il n’existe pas de temps intermédiaire entre les deux instants, comme il n’y a pas de mouvement intermédiaire entre le commencement d’un mouvement et la fin d’un autre. Ainsi, comme la pause est mesurée par le temps, de la même manière que le mouvement, deux instants se suivent l’un l’autre, dont l’un mesure la fin de la pause où se trouvait le pain, et l’autre, le commencement de la pause où se trouve le corps du Christ. Mais cela non plus n’est pas possible, car les instants du temps se distinguent par comparaison au mouvement dont le temps peut tirer unité ou multitude, auxquelles il est comparé non seulement comme la mesure à ce qui est mesuré, mais comme un accident par rapport à son sujet, à savoir, le mouvement du ciel, car celui-ci est continu et ne supporte pas d’interruption par sa nature. Aussi, quelle que soit la manière dont tu indiques deux instants dans le temps, il faut toujours concevoir un temps intermédiaire, car il faut concevoir entre tous les moments du mouvement du ciel un mouvement intermédiaire. C’est pourquoi, dans les autres mouvements, cela ne ferait pas de différence de comparer divers instants au même mouvement ou à des mouvements différents. Il est aussi clair que cette position contredit l’affirmation du Philosophe, dans Physique, VIII, où il démontre qu’entre tous les mouvements contraires, il y a une pause intermédiaire, ce qui ne serait pas nécessaire si deux instants pouvaient se suivre l’un l’autre de la manière dite. Aussi d’autres disent-ils que cette conversion, parce qu’elle dépasse la nature, n’a pas de rapport au mouvement du ciel. Elle n’est donc pas mesurée par le temps, mais par l’instant, qui est la mesure du mouvement du ciel. Pour cette raison, il n’est pas incompatible que deux instants se succèdent sans temps intermédiaire, comme on l’a dit à propos du mouvement de l’ange, dans le livre I, d. 37, q. 4, a. 3. Mais cela non plus n’est pas possible, car cette conversion suit le mouvement de l’énonciation des paroles, qui doit être ramené à la mesure du mouvement du ciel, comme l’illumination suit le mouvement local, par lequel ce qui illumine est porté. Il faut donc que, dans cette conversion, les instants soient conçus selon la mesure du mouvement du ciel. Pour cette raison, d’autres disent qu’il ne faut pas indiquer en même temps deux instants où, dans le premier, existe le corps du Christ et, dans le dernier, existe le pain, car il y aurait ainsi nécessairement entre eux un temps intermédiaire. Cependant, chacun des deux peut êre indiqué par lui-même. Mais cela non plus n’est rien, car le fait que nous l’indiquions ne contribue en rien au fait qu’il y ait ou non un temps intermédiaire. S’il y a deux instants selon la réalité, dans l’un desquels existe le pain en dernier lieu, et dans l’autre, le corps du Christ en premier lieu, que [ces instants] soient indiqués par nous ou non, il faut qu’il y ait un temps intermédiaire. De plus, du fait que cet instant peut être indiqué, il ne semble pas que sa désignation puisse être empêchée par la désignation d’un autre instant, puisque ces deux désignations ne sont pas contraires. Il faut donc dire autre chose : il ne faut pas désigner un instant ultime, mais un temps ultime dans lequel existe le pain. Or, entre le temps et l’instant, n’intervient pas nécessairement un temps intermédiaire, comme [intervient] un temps intermédiaire entre deux instants. La vérité sur cette question est montrée par ce que dit le Philosophe, dans Physique, VIII : lorsque quelque chose devient noir après avoir été blanc, cela était blanc pendant tout le temps qui mesure le mouvement d’altération, mais, au dernier instant de ce temps, cela est noir. Selon lui, il ne faut pas reconnaître que, pendant tout ce temps, cela était blanc, mais pendant tout ce temps à l’exception du dernier instant. Et parce qu’on ne doit pas concevoir un avant-dernier [instant] avant le dernier instant d’un temps, pas davantage qu’un avant-dernier [point] avant le dernier point de la ligne, il ne faut donc pas concevoir un ultime instant où cela était blanc, mais un temps ultime. Et il en va de même des autres changements qui sont les termes d’un mouvement, comme la génération est le terme d’une altération. Car lorsque le feu est produit à partir de l’air, c’était de l’air pendant tout le temps de l’altération précédente, sauf au dernier instant, où cela est du feu. Et il en va de même pour l’illumination par rapport au mouvement local. Puisque la conversion [de l’eucharistie] est le terme d’un certain mouvement, à savoir, [celui] de l’énonciation des paroles, le pain existait donc pendant tout le temps précédent, sauf au dernier instant, où existe le corps du Christ.

[15359] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in qualibet mutatione oportet designari nunc et prius secundum duos terminos mutationis, qui sunt incontingentes, ut dicitur in 1 Phys.; idest, qui non possunt simul esse. Unde secundum diversitatem terminorum in diversis mutationibus, secundum hoc diversimode signatur ibi nunc et prius. Aliqua enim mutatio est inter cujus terminos potest accipi medium quod minus distat ab uno extremorum quam aliud; unde antequam perveniatur ad ultimum mutationis terminum, fit recessus ab uno termino et accessus ad alterum, in quo consistit mutationis ratio; et ideo utrumque ad illam mutationem pertinet; et nunc scilicet in quo terminatur accessus et recessus, et prius illud in quo incepit: et ideo talis mutatio non est in instanti, sed in tempore. Aliqua vero mutatio est, inter cujus terminos non potest accipi medium in eodem subjecto, nisi forte per accidens, sicut inter affirmationem et negationem: quia contradictio est oppositio, cujus non est medium secundum se, ut dicitur in 1 Poster. Per accidens autem potest accipi ibi medium ex parte negationis cui aliquid adjungatur, quod magis vel minus distat ab affirmatione, sive illud sit contrarium in eodem genere directe, sive dispositio contraria; sicut inter non album et album accipitur per accidens medium ex parte coloris cui conjungitur negatio albedinis, secundum quod magis vel minus distat ab albedine; et inter non ignem et ignem accipitur medium, secundum quod aliquid est magis vel minus frigidum aut humidum. Unde in omnibus mutationibus, in quibus sunt affirmatio et negatio tantum, seu privatio et forma tantum, per se loquendo, non potest esse recessus a termino vel accessus ad terminum ante perventionem ad ultimum terminum: et ideo illud principium non pertinet, per se loquendo, ad hanc mutationem, sed solum per accidens ratione illius adjuncti ad negationem, secundum quod per accidens negatio recipiebat magis et minus, et per consequens medium; unde, per se loquendo, pertinet ad motum praecedentem, sicut ad alterationem quae praecedit generationem, et ad motum localem qui praecedit illuminationem; et propter hoc istae mutationes dicuntur esse in instanti. Et quia, ut dictum est, inter substantiam panis et substantiam corporis Christi non est accipere medium quod magis sit propinquum corpori Christi quam substantia panis quantum ad hoc quod convertatur in ipsum divina virtute; ideo simile est judicium de ista conversione et de praedictis mutationibus; unde ad hanc conversionem non pertinet nisi illud nunc in quo desinit esse panis, et incipit esse corpus Christi; sed illud prius pertinet ad totum tempus praecedens quod mensurabat prolationem verborum, quae quodammodo efficit conversionem.

3. Dans tout changement, il faut parler de «maintenant» et d’«avant» selon les deux termes du changement, qui ne se touchent pas, comme il est dit dans Physique, I, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent exister en même temps. Selon la diversité des termes dans les divers changements, on parle donc diversement de «maintenant» et d’«avant». En effet, il existe un changement entre les termes duquel on peut concevoir un intermédiaire qui est moins éloigné d’un des extrêmes que de l’autre. Avant de parvenir au terme ultime du changement, il faut donc s’éloigner d’un terme et s’approcher de l’autre, ce en quoi consiste la raison de changement. C’est pourquoi les deux se rapportent a ce changement : «maintenant», dans lequel se terminent le rapprochement et l’éloignement, et «avant», où il a commencé. Aussi un tel changement ne se réalise-t-il pas dans l’instant, mais dans le temps. Mais il existe un changement entre les termes duquel on ne peut concevoir d’intermédiaire dans le même sujet, sauf par accident, comme entre l’affirmation et la négation, car la contradiction est une opposition dont il n’existe pas d’intermédiaire en soi, comme il est dit dans les Analytiques postérieurs, I. Mais, par accident, on peut y concevoir un intermédiaire du côté de la négation à laquelle quelque chose est ajouté qui est plus ou moins éloigné de l’affirmation, que cela soit directement contraire à l’intérieur du même genre ou que ce soit une disposition contraire. Ainsi, entre le blanc et le blanc, on conçoit par accident un intermédiaire du côté de la couleur à laquelle est ajoutée la négation de la blancheur, selon lequel il s’éloigne plus ou moins de la blancheur. Entre l’absence de feu et le feu, on conçoit aussi un intermédiaire selon que quelque chose est plus ou moins froid ou humide. Dans tous les changements où il n’y a qu’affirmation et négation, ou privation [d’une forme] et la forme, il ne peut donc par soi y avoir d’éloignement par rapport à un terme et de rapprochement par rapport à un [autre] terme, avant qu’on soit parvenu au terme ultime. C’est pourquoi, à proprement parler, ce commencement ne se rapporte par à ce changement, mais seulement par accident, en raison de ce qui a été ajouté à la négation, et selon que la négation recevait par accident plus ou moins, et par conséquent, quelque chose d’intermédiaire. À parler proprement, [ce commencement] se rapporte donc à un mouvement précédent, telle l’altération qui précède la génération, et au mouvement local qui précède l’illumination. Pour cette raison, on dit que ces changements se réalisent dans l’instant. Et parce que, ainsi qu’on l’a dit, entre la substance du pain et la substance du corps du Christ, il ne faut pas concevoir d’intermédiaire qui serait plus proche du corps du Christ que la substance du pain, pour autant qu’elle est convertie en lui par la puissance divine, il faut donc porter le même jugement sur cette conversion que sur les changements dont on a parlé. Ne se rapporte donc à cette conversion que l’instant où l’être du pain cesse et où commence l’être du corps du Christ. Mais ce qui était antérieur se rapporte à l’ensemble du temps qui précède, qui mesurait l’énonciation des paroles et qui, d’une certaine manière, réalise la conversion.

[15360] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mutatio, ut dictum est, in instanti est; sed motus praecedens est in tempore. Si ergo includitur in factione tam motus praecedens quam mutatio quae est terminus ejus, sicut generatio alterationis; tunc fieri pertinebit ad motum praecedentem, et factum esse ad terminum motus qui est ipsa generatio: et sic non simul fit et factum est. Si autem factio non extendit se ad mutationem illam, tunc utrumque est simul, et fieri et factum esse; et sic quod fit est (si dicatur fieri ratione ipsius mutationis quae tunc est); sed factum est ratione termini mutationis; sicut dicimus quod simul terminatur motus et terminatus est, simul illuminatur aer et illuminatus est: et similiter etiam est in conversione de qua loquimur.

4. Le changement, comme on l’a dit, se réalise dans l’instant, mais le mouvement qui précède se réalise dans le temps. Si donc on inclut dans la réalisation autant le mouvement précédent que le changement qui en est le terme, comme la génération l’est pour l’altération, alors le fait de devenir se rapportera au mouvement précédent et le fait d’être devenu, au terme du mouvement, qui est la génération elle-même. Et ainsi, le devenir et l’être devenu ne se réalisent pas en même temps. Mais si la réalisation ne s’étend pas à ce changement, alors les deux sont simultanés, le devenir et l’être devenu. Et ainsi, ce qui devient est (si l’on entend le devenir du changement qui se produit alors) ; mais ce qui a été fait vient du terme du changement, comme lorsque nous disons que le mouvement se termine et est terminé, que l’air est illuminé et a été illuminé. Et il en va de même pour la conversion dont nous parlons.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15361] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quanto aliquid est permanentius, tanto difficilius transmutatur. Et quia subjectum in qualibet mutatione manet, ideo in omnibus mutationibus materia est maxime manens, cum sit subjectum omnium mutationum; unde illa mutatio quae ad ipsam materiam attingit, est difficilior et majoris virtutis ostensiva quam quaecumque alia transmutatio ex parte ejus quod transmutatur. Et quia creatio et haec conversio pertingunt usque ad essentiam materiae, ut ex praedictis patet, constat has mutationes esse majoris virtutis ostensivas quibuscumque aliis, in quibus mutatur vel forma substantialis vel accidentalis, vel locus exterior. Sed inter has duas videtur creatio, simpliciter loquendo, praecellere, quia per ipsam materiae essentia producitur; ex quo consequitur ut a producente per hanc conversionem possit in alterum transmutari. Sed ex parte ejus ad quod est mutatio, mutatio quae est in unione humanae naturae ad divinam personam, praecellit has et omnes alias mutationes in difficultate; unde ipsa est miraculum miraculorum omnium.

Plus quelque chose est permanent, plus il est difficilement changé. Et parce que le sujet demeure en tout changement, la matière est ce qui est le plus stable dans tous les changements, puisqu’elle est le sujet de tous les changements. Aussi le changement qui atteint la matière elle-même est-il plus difficile et démontre-t-il une plus grande puissance que n’importe quel autre changement du côté de ce qui est transformé. Et parce que la création et cette conversion atteignent l’essence même de la matière, comme cela ressort de ce qui a été dit, il est clair que ces changements démontrent une plus grande puissance que n’importe quel autre, où sont changés la forme substantielle ou accidentelle ou le lieu extérieur. Mais, entre ces deux [changements], la création semble l’emporter à proprement parler, car l’essence de la matière est produite par elle, d’où il découle que, par cette conversion, elle peut être changée en autre chose par celui qui la produit. Mais, du point de vue de son terme ad quem, le changement qui consiste dans l’union de la nature humaine à une personne divine l’emporte par la difficulté sur ces [changements] et sur tous les autres changements. Aussi est-elle le miracle de tous les miracles.

[15362] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mutatio ista fit ex existente in existens praeter modum aliarum mutationum, quae fiunt etiam ex existentibus in existentia, ex quarum inspectione intellectus noster sibi suas conceptiones formavit: et ideo haec conversio videtur esse contra conceptiones intellectus; et propter hoc difficilius ei assentitur quam creationi, quae est ex omnino non existenti, cujusmodi mutationem non vidit.

1. Ce changement se réalise à partir de ce qui existe en quelque chose qui existe d’une manière qui dépasse les autres changements, qui se réalisent aussi à partir de choses qui existent en choses qui existent, à partir de l’examen desquels notre intellect a formé ses conceptions. C’est pourquoi cette conversion semble aller contre les conceptions de l’intellect. Pour cette raison, il lui donne plus difficilement son assentiment qu’à la création, qui est réalisée à partir de ce qui n’existe pas du tout, changement qu’il ne voit pas.

[15363] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aliqua actione potest esse resistentia dupliciter. Uno modo ex parte agentis, quando scilicet ex contrario agente virtus ipsius debilitatur; alio modo ex parte ipsius effectus, quando ex contraria dispositione impeditur effectus. In omni actione ubi agens non patitur, prima resistentia non habet locum, sed secunda solum; unde in operationibus divinis non attenditur difficultas secundum resistentiam ad agentem, sed secundum impedimentum effectus. Magis autem impeditur effectus per subtractionem potentiae recipientis quam per rationem contrariae dispositionis: quia contraria dispositio non impedit effectum nisi inquantum facit potentiam indispositam. Et ideo major difficultas est in creatione, ubi omnino materia non praeexistit, quam ubi in praeexistenti materia est aliquid quod effectui, contrariando, repugnat.

2. Il peut y avoir de la résistance dans une action de deux manières: d’une manière, du point de vue de l’agent, lorsque sa puissance est affaiblie par un agent contraire; d’une autre manière, du point de vue de l’effet, lorsque l’effet est empêché par une disposition contraire. Dans toute action où l’agent n’est pas passif, la première résistance n’a pas lieu, mais seulement le seconde. Aussi, dans les opérations divines, on n’envisage pas de difficulté selon la résistance à l’agent, mais selon l’empêchement de l’effet. Or, l’effet est davantage empêché par la soustraction de la puissance qui reçoit qu’en raison d’une disposition contraire, car la disposition contraire n’empêche l’effet que pour autant qu’elle rend la puissance indisposée. C’est pourquoi la difficulté est plus grande dans la création, où n’existe pas du tout de matière, que là où, dans la matière préexistante, il y a quelque chose qui s’oppose à l’effet en le contrariant.

[15364] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut se habet potentia naturalis ad mutationes naturales, ita se habet potentia obedientiae ad conversiones miraculosas; unde secundum modum miraculosae conversionis modus obedientialis potentiae in creatura in aliud convertenda. Sicut ergo in conversionibus formalibus inest potentia obedientiae ad recipiendum talem formam, ita in hac substantiali conversione inest potentia obedientiae ut haec substantia convertatur in illam; unde majoris virtutis ostensiva est creatio, in qua nulla potentia obedientiae praeexistit, quam haec conversio.

3. Le rapport entre la puissance naturelle et les changements naturels est le même qu’entre la puissance obédientielle et les conversions miraculeuses. Le mode de la puissance obédientielle dans la créature doit donc être converti en quelque chose d’autre selon le mode de la conversion miraculeuse. De même que, dans les conversions formelles, existe une puissance obédientielle à recevoir telle forme, de même existe-t-il donc dans cette conversion substantielle une puissance obédientielle en vertu de laquelle cette substance est changée en une autre. Aussi la création, où ne préexiste aucune puissance obédientielle, a-t-elle un plus grand pouvoir de manifestation que cette conversion.

 

 

Articulus 4 [15365] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 tit. Utrum praedicta conversio possit exprimi per verbum substantivum alterius temporis quam praesentis

Article 4 – Est-ce que la conversion mentionnée peut être exprimée par un autre temps de verbe que le présent ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La conversion en question peut-elle être exprimée par un autre temps de verbe que le présent ?]

[15366] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod praedicta conversio possit exprimi per verbum substantivum alterius temporis quam praesentis, ut dicatur: quod est panis, erit corpus Christi, vel: quod est corpus Christi, fuit panis. Ambrosius enim dicit in Lib. de sacramentis, quod erat panis ante consecrationem.

1. Il semble que la conversion en question puisse être exprimée par un autre temps de verbe que le présent, de sorte qu’on puisse dire : «Ce qui est du pain sera le corps du Christ», ou : «Ce qui est le corps du Christ était du pain.» En effet, Ambroise dit, dans le Livre sur les sacrements, qu’il y avait du pain avant la consécration.

[15367] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, major est convenientia, quanto perfectior est conversio. Sed haec conversio est perfectior omnibus aliis: quia in hac convertitur totum in totum et partes in partes, sicut ex praedictis patet. Cum ergo in aliis conversionibus utamur tali modo loquendi, scilicet, quod erat aqua est vinum: vel, quod erat aer est ignis: videtur multo fortius hic quod possit dici: quod est corpus Christi, erat panis.

2. Plus la conversion est parfaite, plus grande est la convenance. Or, cette conversion est plus parfaite que toutes les autres, car, en elle, un tout est converti en un tout et les parties en parties, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque, pour les autres conversions, nous utilisons une telle manière de parler, à savoir que ce qui était de l’eau est du vin, ou que ce qui était de l’air est du feu, il semble qu’on puisse dire à bien plus forte raison : «Ce qui est le corps du Christ était du pain.»

[15368] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quod est relativum suppositi ejusdem. Sed non est accipere aliquod suppositum quod sit quandoque panis, quandoque corpus Christi, ut ex praedictis patet. Ergo non est dicendum: quod est corpus Christi, fuit panis.

Cependant, [1] le relatif se rapporte au même sujet. Or, on ne conçoit aucun sujet qui, à un certain moment, est du pain et, à un autre moment, le corps du Christ, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il ne faut donc pas dire : «Ce qui est le corps du Christ était du pain.»

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Cette proposition est-elle vraie : «Le pain devient le corps du Christ ?»]

[15369] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec sit vera: panis fit corpus Christi. Ad omne enim facere sequitur fieri. Sed Christus fecit ea, scilicet panem et vinum, corpus et sanguinem suum, ut Damascenus dicit. Ergo panis fit corpus Christi.

1. Il semble que cette proposition soit vraie : «Le pain devient le corps du Christ.» En effet, de toute action découle un devenir. Or, le Christ a fait de ces choses, à savoir, le pain et le vin, son corps et son sang, comme le dit [Jean] Damascène. Le pain devient donc le corps du Christ.

[15370] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod convertitur in alterum, fit illud. Sed panis convertitur in corpus Christi. Ergo fit corpus Christi.

2. Tout ce qui est converti en quelque chose d’autre le devient. Or, le pain est converti au corps du Christ. Il devient donc le corps du Christ.

[15371] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne fieri terminatur ad factum esse. Sed haec nunquam erit vera: panis est factus corpus Christi: quia quod factum est, est; panis autem nunquam est corpus Christi. Ergo et haec est falsa: panis fit corpus Christi.

Cependant, tout devenir a comme terme ce qui a été fait. Or, cette proposition ne sera jamais vraie : «Le pain est devenu le corps du Christ», car ce qui a été fait est. Or, le pain n’est jamais le corps du Christ. Cette proposition aussi est donc fausse : «Le pain devient le corps du Christ.»

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle fausse : «Le corps du Christ est réalisé à partir du pain» ?]

[15372] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec sit falsa: de pane fit corpus Christi. Ex eodem enim fit aliquid et factum est. Sed haec est falsa: corpus Christi factum est de pane, vel ex pane. Ergo et haec, corpus Christi fit de pane.

1. Il semble que cette proposition soit fausse : «Le corps du Christ est réalisé à partir du pain.» En effet, quelque chose est réalisé et a été fait à partir de la même chose. Or, cette proposition est fausse : «Le corps du Christ est fait de pain ou à partir du pain.» Celle-ci aussi est donc fausse : «Le corps du Christ est réalisé à partir du pain.»

 

[15373] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, de notat consubstantialitatem, ut Magister dicit in 1, dist. 36. Sed nulla consubstantialitas est panis ad corpus Christi. Ergo non potest dici quod corpus Christi fit de pane vel ex pane.

2. Le mot «de» indique la consubstantialité, comme le dit le Maître dans le livre I, d. 36. Or, il n’existe aucune consubstantialité entre le pain et le corps du Christ. On ne peut donc pas dire que le corps du Christ est fait de pain ou à partir du pain.

[15374] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Ambrosius dicit: ubi accessit consecratio, de pane fit corpus Christi.

Cependant, Ambroise dit : «Là où advient la consécration, le corps du Christ est réalisé à partir du pain.»

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Cette proposition est-elle vraie : «Le pain peut être le corps du Christ» ?]

[15375] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec sit vera: panis potest esse corpus Christi. Motus enim est actus existentis in potentia. Sed panis mutatur in corpus Christi. Ergo panis est potentia corpus Christi: ergo potest esse corpus Christi.

1. Il semble que cette proposition soit vraie : «Le pain peut être le corps du Christ.» En effet, le mouvement est l’acte de ce qui existe en puissance. Or, le pain est changé en corps du Christ. Le pain est donc en puissance le corps du Christ. Il peut donc être le corps du Christ.

[15376] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit, quod panis potest esse corpus Christi consecratione, quae fit Christi sermone.

2. Ambroise dit que «le pain peut être le corps du Christ par la consécration qui est réalisée par la parole du Christ».

[15377] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, quod potest esse aliquid nihil prohibet si ponatur illud: quia possibili posito, secundum philosophum, non sequitur inconveniens. Sed inconveniens sequitur, si dicatur: panis est corpus Christi. Ergo haec est falsa: panis potest esse corpus Christi.

Cependant, ce qui peut être quelque chose, rien n’empêche qu’on l’affirme, car, une fois affirmé ce qui est possible, selon le Philosophe, il n’en découle pas d’incompatibilité. Or, une incompatibilité survient si l’on dit : «Le pain est le corps du Christ.» Cette proposition est donc fausse : «Le pain peut être le corps du Christ.»

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15378] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod haec conversio in hoc differt ab omnibus aliis mutationibus, quod in omnibus aliis mutationibus est aliquod subjectum commune: in hac autem non, sed solum est accipere duos terminos conversionis; et ideo omnes locutiones exprimentes mutationem per quam importatur ordo termini ad terminum, sunt concedendae in hac materia, sicut haec: panis convertitur in corpus Christi; locutiones vero quae exprimunt identitatem subjecti, non sunt concedendae, proprie loquendo. Sed quia in hac conversione est aliquid simile identitati subjecti, scilicet communitas specierum, quae manent hinc inde, quamvis illae species non sint mutationis subjectum; ideo etiam tales locutiones aliquando a sanctis positae inveniuntur, ut identitas importata non referatur ad subjectum sed ad species easdem. Unde tales locutiones non sunt extendendae, quia sunt impropriae; et haec locutio quae est: hoc fuit illud, vel: quod est hoc erit illud, expresse important identitatem subjecti mutationis propter naturam relationis; ideo non est simpliciter concedenda.

Cette conversion diffère de tous les autres changements par le fait que, dans tous les autres changements, il existe un sujet commun. Mais, dans celle-ci, il n’en existe pas : on conçoit seulement les deux termes de la conversion. C’est pourquoi toutes les formules exprimant un changement qui implique un ordre d’un terme à un autre doivent être admises en cette matière, comme celle-ci :«Le pain est converti au corps du Christ.» Mais les formules qui expriment une identité de sujet ne doivent pas être acceptées à proprement parler. Mais parce que, dans cette conversion, il y a quelque chose de semblable à l’identité du sujet, à savoir, le caractère commun des espèces, qui demeurent avant et après, bien que ces espèces ne soient pas le sujet du changement, on trouve parfois que de telles formules ont été exprimées par les saints, de telle manière cependant que l’identité impliquée ne se rapporte pas au sujet mais aux espèces elles-mêmes. Aussi de telles formules ne doivent-elles pas être élargies parce qu’elles sont impropres. Cette formule : «Cette chose était telle autre chose» ou cette autre : «Ce qui est cela sera autre chose» comportent expressément l’identité du sujet du changement en raison de la nature de la relation. Elle ne doit donc pas être simplement acceptée.

[15379] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Ambrosii est exponendum: quod erat panis est corpus Christi; idest, quod est sub speciebus panis, primo fuit panis, et postea corpus Christi.

1. L’expression d’Ambroise doit être interprétée : «Ce qui était du pain est le corps du Christ», c’est-à-dire que ce qui existe sous les espèces du pain a d’abord été du pain et, par la suite, le corps du Christ.

[15380] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum philosophum in 2 de anima, passum in principio est dissimile, sed in fine est simile; unde perfecta conversio requirit perfectam distantiam in principio, et perfectam unitatem in fine. Sed hoc nomen panis importat quod erat in principio, quia importat terminum a quo; ideo quanto perfectior est conversio, tanto minus potest corpus Christi de pane praedicari.

2. Selon le Philosope, dans Sur l’âme, II, ce qui subit est au départ dissemblable, mais, au terme, est semblable. Aussi une conversion parfaite exige-t-elle une distance parfaite au point de départ et une parfaite unité au terme. Or, ce mot «pain» indique ce qui existait au départ, car il indique le terme a quo. C’est pourquoi plus la conversion est parfaite, moins le corps du Christ peut être le prédicat du pain.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15381] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod cum dicitur: hoc fit illud, ex vi locutionis in ly hoc importatur subjectum factionis; unde haec est per se: homo fit albus; sed haec est per accidens: nigrum fit album. Subjectum autem factionis commune est utrique termino; unde patet quod praedicta locutio importat communitatem subjecti, et proprie non est concedenda.

Lorsqu’on dit : «Ceci devient cela», en vertu même de l’expression, «ceci» indique le sujet de l’action. Aussi cette proposition porte-t-elle sur ce qui existe par soi : «L’homme devient blanc», mais celle-ci porte-t-elle sur ce qui existe par accident : «Le noir devient blanc.» Or, le sujet de l’action est commun aux deux termes. Il est donc clair que la formule mentionnée comporte un sujet commun et que, à parler proprement, elle ne doit pas être acceptée.

[15382] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod exponendum est verbum Damasceni sicut expositum est verbum Ambrosii, ut relatio importata in ly ea designet unitatem specierum, et non subjecti unitatem.

1. La parole de [Jean] Damascène doit être interprétée comme a été expliquée la parole d’Ambroise, de sorte que le rapport indiqué par «ces» désigne l’unité des espèces, et non l’unité du sujet.

[15383] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hac locutione: panis convertitur in corpus Christi, importatur tantum ordo unius termini ad alterum; in hac autem: panis fit corpus Christi, importatur unitas subjecti; et ideo non est similis ratio de utraque.

2. Dans cette formule : «Le pain est converti au corps du Christ», seul l’ordre d’un terme à l’autre est indiqué. Mais, dans celle-ci : «Le pain devient le corps du Christ», l’unité de sujet est indiquée. Ce n’est donc pas le même raisonnement dans les deux cas.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15384] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut patet in 1 Physic., hoc fit hoc, dicimus in permanentibus per se, sed in non permanentibus per accidens; sed ex hoc fit hoc dicitur proprie in non permanentibus. Dicimus enim: ex non albo fit album. Et si aliquando dicatur aliquid fieri ex permanente, hoc est inquantum intelligitur cum permanente aliquid non permanens; sicut cum dicitur: ex aere fit statua, intelligitur ex aere infigurato. Et sic patet quod haec locutio: hoc fit hoc, exprimit identitatem subjecti; haec autem locutio: ex hoc fit hoc, principaliter exprimit ordinem terminorum ad invicem, et per consequens quandoque unitatem subjecti; unde quandoque importat tantum ordinem sine hoc quod importet subjectum, ut cum dicitur: ex mane fit meridies, idest post, ut dicitur in 2 Metaphys.; et secundum hoc erit incongrua: panis fit corpus Christi; sed haec erit concedenda: ex pane fit corpus Christi, si ly ex non denotet subjectum, et quasi causam materialem, sed tantum ordinem terminorum conversionis ad invicem. Sed haec: de pane fit corpus Christi, est minus propria: quia haec propositio de notat consubstantialitatem, ut Ambrosius tangit; tamen quandoque de ponitur pro ex, et sic potest concedi quod de pane fit corpus Christi sicut ex pane.

Comme cela ressort clairement de Physique, I, nous disons : «Ceci devient cela» pour les choses permanentes par elles-mêmes, mais par accident pour les choses qui ne sont pas permanentes. Mais : «Ceci est fait de cela» se dit à proprement parler des choses non permanentes. En effet, nous disons : «À partir de ce qui n’est pas blanc quelque chose devient blanc». Et si on dit parfois que quelque chose est fait à partir d’une chose permanente, c’est dans la mesure où l’on inclut avec ce qui est permanent quelque chose qui n’est pas permanent, comme lorsqu’on dit : «La statue est faite d’airain», on comprend qu’il s’agit d’airain qui n’a pas de figure. Il est ainsi clair que cette formulation : «Ceci devient cela» exprime l’identité de sujet ; mais cette formulation : «Ceci est fait à partir de cela» exprime principalement l’ordre entre les deux termes et parfois, par conséquent, l’unité de sujet. Aussi indique-t-elle parfois seulement l’ordre sans indiquer de sujet, comme lorsqu’on dit : «Le midi vient du matin», c’est-à-dire après [le matin], comme il est dit dans Métaphysique, II ; conformément à cela, [la formulation] : «Le pain devient le corps du Christ» sera inacceptable. Mais on devra accepter celle-ci : «Le corps du Christ est réalisé à partir du pain» si «à partir de» n’indique pas le sujet et, pour ainsi dire, la cause matérielle, mais seulement l’ordre entre les termes de la conversion. Mais cette formulation : «Le corps du Christ est fait de pain» est moins propre, car cette proposition indique la consubstantialité, comme le dit Ambroise. Cependant, «de» est parfois utilisé pour «à partir de», et ainsi on peut concéder que le corps du Christ est fait «de pain» comme «à partir du pain».

[15385] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: de pane factum est corpus Christi, ly de potest importare ordinem in essendo: quia quod significatur in factum esse, significatur jam esse; et sic non conceditur quod de pane sit factum corpus Christi: quia significaretur quod panis haberet ordinem ad corpus Christi in essendo, quod falsum est, quia non est materia ejus. Potest etiam importare ordinem in fieri, quod praecessit factum esse; et sic sicut conceditur haec: de pane fit corpus Christi; ita potest concedi ista: ex pane factum est corpus Christi.

1. Lorsqu’on dit : «Le corps du Christ a été fait de pain», le «de» peut comporter un ordre dans l’être, car ce qu’on signifie par «a été fait» est signifié comme existant déjà. Et ainsi, on ne concède pas que le corps du Christ est fait de pain, car on signifierait que le pain a un rapport au corps du Christ selon l’être, ce qui est faux, car [le pain] n’est pas sa matière. Cela peut aussi indiquer un ordre dans le devenir, qui a précédé le fait d’avoir été fait. Et ainsi, de même qu’est concédée cette [proposition] : «Le corps du Christ est fait de pain», de même on peut concéder celle-ci : «Le corps du Christ a été fait à partir du pain.»

[15386] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

2. La solution ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15387] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum potentia pertineat ad subjectum, non est dubium quod cum dicitur: panis potest esse corpus Christi, importatur unitas subjecti; et ideo non est concedenda, quia nihil panis unquam erit aliquid corporis Christi: sed sicut conceditur ista: panis convertitur in corpus Christi, ita potest concedi ista: panis potest converti: quia cujus est potentia, ejus est actus, ut dicitur in Lib. de somno et vigilia.

Puisque la puissance se rapporte au sujet, il n’est pas douteux que lorsqu’on dit : «Le pain peut être le corps du Christ», on implique l’unité de sujet. C’est pourquoi [cette proposition] ne doit pas être acceptée, car rien du pain ne sera jamais quelque chose du corps du Christ. Mais, de même qu’on accepte celle-ci :«Le pain est converti au corps du Christ», de même peut-on concéder celle-ci : «Le pain peut être converti», car l’acte se rapporte à ce qui est en puissance, comme il est dit dans le livre Sur le sommeil et l’état de veille.

[15388] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ista definitio non habet locum in ista conversione, ut ex praedictis patet.

1. Cette définition n’a pas sa place dans cette conversion, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[15389] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud verbum Ambrosii exponendum est, sicut prius dictum est.

2. Cette parole d’Ambroise doit être interprétée, comme on l’a dit plus haut.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La matière du sacrement de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15390] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 pr. Deinde quaeritur de materia hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum panis et vinum sint materia hujus sacramenti; 2 qualis panis; 3 quale vinum hujus sacramenti materia esse possit; 4 de aquae admixtione.

Ensuite, on s’interroge sur la matière de ce sacrement. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Est-ce que le pain et le vin sont la matière de ce sacrement ? 2 – Quel pain ? 3 – Quel vin peut être la matière de ce sacrement ? 4 – À propos du mélange avec de l’eau.

 

 

Articulus 1 [15391] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 tit. Utrum sit duplex materia hujus sacramenti

Article 1 – Y a-t-il une double matière de ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-il y avoir une double matière de ce sacrement ?]

[15392] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non debeat esse duplex materia hujus sacramenti. Quanto enim aliquid est simplicius, tanto nobilius; unde et simplicissima sunt nobilissima. Sed hoc sacramentum est nobilius aliis. Ergo debet esse simplicius. Cum ergo alia sacramenta unam tantum materiam habeant, sicut Baptismus aquam, confirmatio chrisma; videtur quod non debeat esse duplex materia hujus sacramenti.

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir une double matière de ce sacrement. En effet, plus quelque chose est simple, plus cela est noble ; aussi les réalités les plus simples sont-elles les plus nobles. Or, ce sacrement est plus noble que les autres. Il doit donc être plus simple. Puisque les autres sacrements n’ont qu’une seule matière, comme l’eau pour le baptême et le chrême pour la confirmation, il semble donc qu’il ne doive pas y avoir une double matière de ce sacrement.

[15393] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, materia sacramenti debet respondere ei quod est sacramentum et res in sacramento, quia est signum ejus. Sed totum illud quod est res et sacramentum, continetur sub specie panis, scilicet totus Christus. Ergo panis est tota materia hujus sacramenti; et sic idem quod prius.

2. La matière du sacrement doit correspondre à ce qui est sacrement et réalité dans le sacrement, parce qu’elle en est le signe. Or, la totalité de ce qui est réalité et sacrement est contenue sous l’espèce du pain, à savoir, le Christ entier. Le pain est donc toute la matière de ce sacrement. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[15394] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum ordinatur ad usum fidelium. Sed tantum sub una specie populo hoc sacramentum ministratur, scilicet sub specie panis. Ergo tantum una ejusdem debet esse materia.

3. Ce sacrement est destiné à l’usage des fidèles. Or, ce sacrement n’est administré au peuple que sous une seule espèce, à savoir, sous l’espèce du pain. Il ne doit donc avoir qu’une seule matière.

[15395] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, posset contingere quod in aliqua terra triticum haberetur et non vinum, vel e converso. Ergo in tali casu liceret et in una specie tantum conficere.

4. Il peut arriver que, dans un pays, il y ait du blé mais pas de vin, ou l’inverse. Dans un tel cas, il serait donc permis aussi de le réaliser sous une seule espèce.

[15396] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sacramentum Eucharistiae a Christo initium sumpsit. Sed Christus discipulis duo in coena dedit, scilicet panem et vinum. Ergo debent esse materia hujus sacramenti.

Cependant, [1] le sacrement de l’eucharistie tire son origine du Christ. Or, le Christ a donné à ses disciples deux choses au cours de la cène, à savoir, le pain et le vin. Ils doivent être la matière de ce sacrement.

[15397] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, materia sacramenti debet respondere usui sacramenti. Sed manducatio, quae est usus hujus sacramenti, ut supra, dist. 9, qu. 1, art. 1, dictum est, requirit cibum et potum. Ergo hujus sacramenti materia debet esse duplex, una quae competat in cibum, et alia quae competat in potum.

[2] La matière du sacrement doit correspondre à l’usage du sacrement. Or, la manducation, qui est l’usage du sacrement, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. 1, a. 1, exige nourriture et boisson. La matière de ce sacrement doit donc être double : l’une qui se rapporte à la nourriture, et l’autre qui se rapporte à la boisson.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le pain et le vin doivent-ils être la matière de ce sacrement ?]

[15398] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat esse materia hujus sacramenti panis et vinum. Sacramenta enim legis Mosaicae propinquiora fuerunt sacramentis legis novae quam sacramenta legis naturae. Sed in lege Mosaica secundum modum sacramenti manducabantur carnes animalium. Ergo hoc magis debet esse materia hujus sacramenti quam panis et vinum, quae sumebantur in lege naturae per modum sacramenti.

1. Il semble que le pain et le vin ne doivent être la matière de ce sacrement. En effet, les sacrements de la loi mosaïque étaient plus proches des sacrements de la loi nouvelle que les sacrements de la loi naturelle. Or, dans la loi mosaïque, la chair d’animaux était mangée sous forme de sacrement. Cela doit donc être plutôt la matière de ce sacrement que le pain et le vin, qui étaient pris par mode de sacrement sous la loi naturelle.

[15399] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, materia sacramenti debet competere usui sacramenti et significationi. Sed expressius significaret caro animalis alicujus carnem Christi quam panis: quia majorem habet convenientiam ad ipsam, et iterum magis reficit. Ergo magis debet caro esse materia hujus sacramenti quam panis.

2. La matière du sacrement doit convenir à l’usage et à la signification du sacrement. Or, la chair d’un animal signifierait plus explicitement la chair du Christ que le pain, car elle a davantage en commun avec celle-ci et aussi, elle restaure davantage. La chair doit donc être la matière de ce sacrement plutôt que le pain.

[15400] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sacramenta infirmis ministrari debent, quia medicinae sunt. Sed vinum non datur infirmis. Ergo non debet esse materia hujus sacramenti.

3. Les sacrements doivent être administrés aux malades parce qu’ils sont des remèdes. Or, on ne donne pas de vin aux malades. [Le vin] ne doit donc pas être la matière de ce sacrement.

[15401] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, illud sacramentum non solum praefiguratum fuit in oblatione Melchisedech, qui obtulit panem et vinum, ut dicitur Genes. 14, sed etiam in favo mellis, quem sumpsit Jonathas, ut dicitur 1 Reg. 14. Ergo etiam mel deberet esse materia hujus sacramenti, et praecipue propter suavitatem.

4. Ce sacrement n’a pas été seulement préfiguré par l’offrande de Melchisédech, qui a offert du pain et du vin, comme on le dit dans Gn 14, mais aussi par le rayon de miel qu’a pris Joanathas, comme on le dit dans 1 Sm 14. Le miel devrait donc aussi être la matière de ce sacrement, surtout en raison de sa douceur.

[15402] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, in hoc sacramento continetur Christus ut cibus parvulorum. Sed parvulis datur in cibum lac. Ergo lac deberet esse materia hujus sacramenti.

5. Le Christ est contenu dans ce sacrement comme nourriture pour les enfants. Or, c’est du lait qu’on donne aux enfants en nourriture. Le lait devrait donc être la matière de ce sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le pain et le vin peuvent-ils être la matière de ce sacrement selon une quantié déterminée ?]

[15403] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod panis et vinum non possint esse materia hujus sacramenti nisi sub determinata quantitate. In sacramentis enim intentio requiritur conformis intentioni Ecclesiae. Sed si aliquis vellet consecrare totum panem qui est in foro, et totum vinum quod est in cellario, intentio ejus non esset concors intentioni Ecclesiae, quae intendit consecrare ad usum fidelium: quod etiam verba instituentis ostendunt: accipite, inquit, et manducate. Ergo requiritur determinata quantitas panis.

1. Il semble que le pain et le vin ne puissent être la matière de ce sacrement que selon une quantité déterminée. En effet, pour le sacrement, une intention conforme à l’intention de l’Église est requise. Or, si quelqu’un voulait consacrer tout le pain qui est sur la place du marché et tout le vin qui se trouve dans le cellier, son intention ne serait pas conforme à l’intention de l’Église, qui veut consacrer pour l’usage des fidèles. D’ailleurs, les mots mêmes de celui qui l’a institué le montrent : Prenez, dit-il, et mangez. Une quantité déterminée de pain est donc requise.

[15404] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus data verbis et ministro, datur ad venerationem sacramenti, non ad irrisionem. Sed si immoderata quantitas panis et vini consecraretur, verteretur in irrisionem. Ergo non potest consecrari nisi sub determinata quantitate.

2. La puissance donnée aux paroles et au ministre est donnée en vue de la révérence à l’endroit du sacrement, et non en vue de la dérision. Or, si une quantité démesurée de pain et de vin était consacrée, cela tournerait à la dérision. Ils ne peuvent donc être consacrés que selon une quantié déterminée.

[15405] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si aliquis in mari hominem baptizet, illa tantum aqua verbo vitae sanctificatur quae ad usum ablutionis cedit, et non totum mare. Ergo a simili et hic, tantum de pane et vino consecrari potest, quantum potest venire in usum fidelium.

3. Si quelqu’un baptise un homme dans la mer, seule serait sanctifiée par la parole de vie l’eau qui sert à l’ablution, et non pas toute la mer. Selon un raisonnement semblable, seule la quantité de pain et de vin qui est destinée à l’usage des fidèles peut donc être consacrée.

[15406] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, secundum philosophum, omne determinatum est medium duorum extremorum determinatorum. Sed quantitas panis qui consecrari potest, non est medium duorum extremorum determinatorum: quia nunquam est ita parva quantitas quin possit consecrari. Ergo non est determinata quantitas etiam secundum magnitudinem.

Cependant, [1] selon le Philosophe, tout ce qui est déterminé se situe entre deux extrêmes déterminés. Or, la quantité de pain qui peut être consacrée ne se situe pas entre deux extrêmes déterminés, car il n’y a jamais une si petite quantité qu’elle ne puisse être consacrée. La quantité n’est donc pas déterminée même selon la grandeur.

[15407] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, constat quod sacerdos habens paucos parochianos potest tantum de pane consecrare, quantum habens multos, quamvis non debeat. Sed non potest accipi tanta quantitas panis quae non possit venire in usum multorum parochianorum, et praecipue cum unus homo possit et multum et parum in quantitate sumere. Ergo non potest esse tanta materia panis quin possit consecrari etiam a quocumque sacerdote.

[2] Il est clair que le prêtre qui a un petit nombre de paroissiens peut consacrer autant de pain que celui qui en a beaucoup, bien qu’il n’y soit pas obligé. Or, on ne peut concevoir une quantité de pain qui ne pourrait être destiné à l’usage d’un grand nombre de paroissiens, surtout qu’un seul homme peut en prendre une quantité grande ou petite. Il ne peut donc y avoir une si grande quantité de pain qu’elle ne puisse être consacrée par n’importe quel prêtre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15408] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod materia sacramenti debet competere et significationi sacramenti et usui; et utroque modo exigitur duplex materia in hoc sacramento. Usus enim hujus sacramenti est manducatio, quae ad sui integritatem et cibum et potum exigit; et ideo hujus sacramenti debet esse duplex materia; una quae in cibum sumitur, et alia quae in potum. Significatio autem sacramenti est duplex. Una secundum quod repraesentat praeteritum; et sic in hoc sacramento significatur passio Christi, in qua separatus fuit ejus sanguis a corpore; et ideo separatim in hoc sacramento offerri debet signum corporis et signum sanguinis, duplici materia existente. Alia significatio sacramenti est de effectu per sacramentum inducendo, quia sacramenta efficiunt quod figurant; et sic, cum hoc sacramentum ad salutem corporis et animae sumatur, oportet quod sub specie panis ad significandam salutem corporis, et sub specie vini ad significandam salutem animae hoc sacramentum perficiatur, ut in littera Magister dicit.

La matière du sacrement doit convenir à la signification et à l’usage du sacrement, et une double matière est requise pour ce sacrement sous les deux aspects. En effet, l’usage de ce sacrement est la manducation, qui exige nourriture et boisson pour son intégrité. C’est pourquoi une double matière est requise pour ce sacrement : l’une qui est prise comme nourriture, et l’autre qui [est prise] comme boisson. Mais la signification du sacrement est double. L’une selon qu’il représente le passé : de cette manière, la passion du Christ est signifiée par ce sacrement, alors que son sang a été séparé de son corps. Aussi faut-il que soient offerts séparément dans ce sacrement un signe du corps et un signe du sang par la présence d’une double matière. L’autre signification du sacrement porte sur l’effet qui doit être produit par le sacrement, car les sacrements réalisent ce qu’ils représentent. Et ainsi, puisque ce sacrement est pris pour le salut du corps et de l’âme, il est nécessaire qu’il soit accompli sous l’espèce du pain pour signifier le salut du corps et sous l’espèce du vin pour signifier le salut de l’âme, comme le dit le Maître dans le texte.

[15409] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod simplicitas per se non est causa nobilitatis; sed perfectio; unde ubi perfecta bonitas in uno simplici invenitur, simplex est nobilius quam compositum; quando autem e contrario simplex est imperfectum, compositum vero perfectum, tunc compositum est nobilius quam simplex, sicut homo est nobilior terra; et ideo hoc sacramentum quamvis sit magis compositum ratione materiae, est tamen nobilius, quia est magis perfectum. Quod autem ad perfectionem ejus haec compositio exigatur, patet ex dictis.

1. La simplicité n’est pas par elle-même cause de noblesse, mais la perfection. Là où l’on trouve une bonté parfaite dans une seule chose simple, ce qui est simple est plus noble qu’un composé. Mais lorsque, au contraire, ce qui est simple est imparfait, mais que le composé est parfait, le composé est alors plus noble que ce qui est simple, comme l’homme est plus noble que la terre. C’est pourquoi ce sacrement, bien qu’il soit davantage composé en raison de sa matière, est cependant plus noble parce qu’il est plus parfait. Que cette composition soit requise pour sa perfection, cela ressort de ce qui a été dit.

[15410] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis totus Christus sit sub specie panis secundum rei veritatem, non tamen est ibi ex vi sacramenti nisi corpus ejus, ut ex dictis patet, et secundum quod venit in usum fidelium.

2. Bien que tout le Christ se trouve véritablement sous l’espèce du pain, seul son corps s’y trouve en vertu du sacrement, comme cela ressort de ce qui a été dit, et selon qu’il est destiné à l’usage des fidèles.

[15411] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod populo non datur sanguis propter periculum: quia una gutta sanguinis citius laberetur quam aliqua particula corporis; unde ministris altaris secundum consuetudinem aliquorum datur participatio sanguinis, de quibus praesumitur quod in talibus magis sint cauti. In lege autem veteri de libaminibus nihil habebant offerentes, sed soli sacerdotes; per quae significabatur potus hujus sacramenti: de sacrificiis autem habebant, quibus significabatur cibus hujus sacramenti.

3. Le sang n’est pas donné au peuple en raison d’un danger, car une seule goutte du sang tomberait plus rapidement qu’une parcelle du corps. Aussi, selon la coutume de certains, la participation au sang est donnée aux ministres de l’autel, dont on présume qu’ils sont plus circonspects en la matière. Mais, sous la loi ancienne, ceux qui offraient ne recevaient rien des libations – qui signifiaient la boisson de ce sacrement –, mais seulement les prêtres. Ils avaient cependant part aux sacrifices, qui signifiaient la nourriture de ce sacrement.

[15412] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis consecratio panis non dependeat a consecratione vini, quod quidam posuerunt, ut supra, dist. 8, qu. 2, art. 4, quaestiunc. 1, dictum est, tamen potius deberet desistere qui non haberet utrumque quam conficere praeter morem Ecclesiae in una tantum specie; quamvis etiam si in una tantum specie consecraret, consecratum esset. Peccaret autem graviter: nisi post consecrationem corporis ante consecrationem sanguinis occideretur, vel alias praeter culpam suam impediretur.

4. Bien que la consécration du pain ne dépende pas de la consécration du vin, ce que certains ont affirmé, comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 2, a. 4, qa 1, celui qui n’aurait pas les deux devrait cependant plutôt cesser qu’accomplir [le sacrement] sous une seule espèce, contrairement à l’usage de l’Église, bien que s’il consacrait sous une seule espèce, il y aurait consécration. Mais il pécherait gravement, à moins qu’il ne soit tué après la consécration du corps et avant la consécration du sang ou qu’il n’en soit autrement empêché sans qu’il soit de sa faute.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15413] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod causa quare panis et vinum sunt materia hujus sacramenti inter alios cibos et potus, est institutio divina. Causa autem institutionis multipliciter potest assignari. Prima ex parte usus sacramenti: quia haec duo communius in cibum et potum veniunt; unde convenientius per haec in cibum et potum spiritualem manuducimur. Secunda ex effectu sacramenti: quia, ut dicitur in Glossa 1 Corinth. 11, panis prae ceteris cibis sustentat corpus, et vinum laetificat cor: et similiter hoc sacramentum sustentat magis et laetificat caritate inebriatos quam alia sacramenta. Tertia ex ritu celebrationis: quia mundius tractantur quam alia quae in cibum et potum veniunt. Quarta ex significatione duplicis rei hujus sacramenti: quia panis ex multis granis conficitur, et vinum ex multis acinis confluit; quod competit ad significandum corpus Christi verum et mysticum, ut supra, dist. 8, dictum est. Quinta ex repraesentatione ejus quod praecessit: nam grana in area conculcantur, et panis in fornace decoquitur, et vinum in torculari exprimitur; quae omnia competunt ad repraesentandum passionem Christi.

La cause en raison de laquelle le pain et le vin sont la matière de ce sacrement parmi les autres nourritures et boissons est l’institution divine. Or, la cause de l’institution peut être donnée de plusieurs manières. Premièrement, du point de vue du sacrement, car ces deux [choses] se présentent plus généralement comme nourriture et comme boisson. Aussi sommes-nous conduits par elles d’une manière plus convenable vers la nourriture et la boisson spirituelles. Deuxièmement, du point de vue de l’effet du sacrement, car, comme le dit la Glose sur 1 Co 11, le pain nourrit davantage le corps que les autres nourritures et le vin réjouit le cœur. De la même manière, ce sacrement, plus que les autres sacrements, nourrit et réjouit ceux qui sont enivrés par la charité. Troisièmement, du point de vue du rite de la célébration, car [ces choses] sont traitées avec plus de propreté que les autres qui se présentent comme nourriture et comme boisson. Quatrièmement, du point de vue de la signification de la double réalité de ce sacrement, car le pain est fait de nombreux grains et le vin s’écoule de nombreux raisins, ce qui convient pour signifier le corps véritable et [le corps] mystique du Christ, comme on l’a dit plus haut, d. 8. Cinquièmement, du point de vue de la représentation de ce qui a précédé, car les grains sont foulés aux pieds sur l’aire, le pain est cuit au four et le vin est extrait par le pressoir ; tout cela convient pour représenter la passion du Christ.

[15414] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc sacramentum non debuit in specie alicujus sacramenti legis Mosaicae institui, ut ostenderetur cessatio legalium, quorum sacerdotium est imperfectius sacerdotio Christi; et ideo convenienter ad illas species in novo testamento reducitur, quibus ostenditur sacerdotium novi testamenti sic praeeminere sacerdotio levitico scilicet ad oblationem Melchisedech, ut apostolus probat Hebr. 7.

1. Ce sacrement ne devait pas être institué sous la forme d’un sacrement de la loi mosaïque afin de montrer la cessation des [dispositions] de la loi, où le sacerdoce est plus imparfait que le sacerdoce du Christ. C’est pourquoi il est ramené à ces espèces sous la Nouvelle Alliance, par lesquelles il est montré que le sacerdoce de la Nouvelle Alliance l’emporte que le sacerdoce lévitique, c’est-à-dire sur l’offrande de Melchisédech, comme le démontre l’Apôtre dans He 7.

[15415] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caro de ratione sui non dicit aliquid ordinatum in cibum, sed quamdam rem naturae; et ideo non ita competenter significaret caro animalis carnem Christi, ut est cibus fidelium, secundum quod in hoc sacramento continetur sicut panis; quia ad hoc confectus est ut cibus sit.

2. De soi, la chair n’indique pas quelque chose qui est ordonné à la nourriture, mais une réalité de la nature. C’est pourquoi la chair d’un animal ne signifierait pas aussi convenablement la chair du Christ en tant qu’elle est nourriture des fidèles, selon qu’il est contenu dans ce sacrement sous forme de pain, car celui-ci a été réalisé pour être une nourriture.

[15416] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vinum quamvis non detur infirmis qui morbo febrili subjacent, datur tamen debilibus ut confortentur; et similiter hoc sacramentum non est dandum his qui sunt in febre peccati, sed ad confortationem debilium qui a peccato liberati sunt.

3. Bien que le vin ne soit pas donné aux malades qui souffrent d’une maladie comportant de la fièvre, il est cependant donné à ceux qui sont faibles pour les renforcer. De la même manière, ce sacrement ne doit pas être donné à ceux qui sont atteints de la fièvre du péché, mais pour renforcer les faibles qui ont été libérés du péché.

[15417] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mel quamvis habeat suavitatem, est tamen inflativum; et ideo magis congrue significat suavitatem temporalem quae inflat, quam caritatem quae aedificat; unde et in sacrificiis veteris legis apponi prohibebatur; et ideo etiam non competit huic sacramento.

4. Bien que le miel ait une douceur, il fait cependant enfler. C’est pourquoi il signifie plus convenablement la douceur temporelle qui fait enfler, que la charité qui édifie. Aussi était-il interdit dans les sacrifices de la loi ancienne. C’est encore pour cette raison qu’il ne convient pas à ce sacrement.

[15418] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis cibus iste sit parvulorum per humilitatem, est tamen grandium in fide. Unde Augustinus: cibus sum grandium; et ideo non convenit ut sub specie lactis sumatur.

5. Bien que cette nourriture soit celle des enfants par humilité, elle est cependant celle de ceux qui sont adultes par la foi. Aussi Augustin dit-il : «Je suis la nourriture des adultes.» C’est pourquoi il ne convient pas qu’elle soit prise sous l’espèce du lait.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15419] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod virtus non est data ministro et verbis ad consecrandum panem et vinum sub quacumque quantitate, sed sub tanta quantitate, quanta potest competere ad usum fidelium; sic enim conformabitur intentio consecrantis intentioni Ecclesiae. Sed hoc non videtur verum. Non enim potest dici, quod quantitas materiae sit determinata secundum usum qui in praesenti occurrit; quia sic sacerdos in deserto non posset conficere tot hostias, quot sacerdos alicujus civitatis habentis multos parochianos, quod falsum est; sed secundum usum qui nunquam occurrere potest. Tantum ergo de vino et pane consecrare potest, quantum est sumibile ab omnibus. Ad hoc autem non est quantitas determinata, praecipue cum unus homo possit sumere in magna quantitate et parva quantitate; unde quantitas parva vel magna ad hoc nihil facit.

Certains disent que la puissance n’a pas été donnée au ministre et aux paroles pour consacrer le pain et le vin en n’importe quelle quantité, mais en quantité aussi grande qu’elle peut convenir à l’usage des fidèles ; ainsi l’intention de celui qui consacre se conformera-t-elle à l’intention de l’Église. Mais cela ne semble pas vrai. En effet, on ne peut pas dire que la quantité de la matière est déterminée selon l’usage qui en est fait présentement, car ainsi le prêtre qui serait dans un désert ne pourrait réaliser autant d’hosties que le prêtre d’une ville qui comporte un grand nombre de paroissiens, ce qui est faux, mais selon un usage qui ne peut jamais se produire. Il peut donc consacrer autant de vin et de pain que tous peuvent en prendre. Or, une quantité n’est pas déterminée à cet effet, surtout qu’un homme peut en prendre en grande quantité et en petite quantité. Aussi la quantité petite ou grande n’a-t-elle pas d’importance.

[15420] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramenta ad aliquid ordinantur; unde in sacramentis est duplex intentio. Una quae ordinatur ad perfectionem sacramenti; et haec est essentialis sacramento; unde ea praetermissa non est sacramentum. Alia quae ordinatur ad finem sacramenti; et haec consequitur sacramentum, ut ea posita vel remota, nihilominus perficiatur sacramentum; sicut si aliquis intendat baptizare aliquem ut lucrum temporale consequatur, sacramentum Baptismi verum est, quia secundum primam intentionem conformatur intentioni Ecclesiae, quamvis non quantum ad secundam. Et similiter in hoc sacramento si aliquis sacerdos intenderet consecrare non ad sumendum, sed ut in veneficiis uteretur, verum corpus Christi esset. Unde etsi aliquis sacerdos intenderet consecrare magnam quantitatem panis et vini non ad usum fidelium, sed in irrisionem, esset consecratum. Non tamen dico quod posset consecrare totum panem qui est in civitate simul, vel qui est in foro; quia ipsa forma pronomine demonstrativo utens, ostendit quod materia consecranda debet esse coram sacerdote. Unde sacerdos existens in domo sua non posset consecrare panem qui est in altari: quod etiam non potest de toto pane qui est in foro, neque de toto vino quod est in cellario. Sed quantacumque sit quantitas panis et vini quae coram sacerdote proponitur, credo quod possit consecrari ab ipso.

1. Les sacrements sont ordonnés à quelque chose. Aussi y a-t-il dans les sacrements une double intention. L’une qui est ordonnée à l’accomplissement du sacrement : celle-ci est essentielle au sacrement ; si l’on omet celle-ci, il n’y a donc pas sacrement. L’autre qui est ordonnée à la fin du sacrement : celle-ci découle du sacrement, de sorte que le sacrement est néanmoins réalisé, que celle-ci soit présente ou omise. Par exemple, si on a l’intention de baptiser quelqu’un afin d’obtenir un profit temporel, le sacrement de baptême est vrai, car il est conforme à l’intention de l’Église selon la première intention, bien qu’il ne le soit pas selon la seconde. De même, dans ce sacrement, si un prêtre avait l’intention de [le] consacrer, non pas pour le prendre, mais pour l’utiliser comme un poison, ce serait le corps véritable du Christ. Même si un prêtre avait l’intention de consacrer une grande quantité de pain et de vin non pas pour l’usage des fidèles, mais par dérision, ils seraient consacrés. Je ne dis cependant pas qu’il pourrait consacrer en une seule fois tout le pain qui se trouve dans une ville ou sur la place du marché, car la forme même qui utilise un pronom démonstratif montre que la matière à consacrer doit se trouver devant le prêtre. Le prêtre qui se trouve dans sa maison ne pourrait donc pas consacrer le pain qui est dans le cellier. Mais quelle que soit la quantité de pain et de vin qui est placée devant le prêtre, je crois qu’elle peut être consacrée par lui.

[15421] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potestas omnis a Deo est, ut dicitur Rom. 13, et quantum est de intentione dantis potestatem, ad bonum est ordinata; nihil tamen prohibet quin potestate accepta abutatur. Unde sicut praelati Ecclesiae habent potestatem in aedificationem, et non in destructionem, tamen multa possunt facere quae sunt in destructionem; ita virtus consecrandi data est verbo et ministris ad Dei honorem; tamen potest aliquis abuti, ut ad irrisionem, vel ad lucrum, vel ad aliquid hujusmodi faciat.

2. Toute puissance vient de Dieu, comme il est dit dans Rm 13. Aussi grande soit-elle selon l’intention de celui qui donne la puissance, elle est ordonnée au bien ; cependant, rien n’empêche d’abuser de la puissance reçue. De même que les prélats de l’Église ont une puissance en vue d’édifier, et non de détruire, mais peuvent cependant faire beaucoup de choses qui mènent à la destruction, de même la puissance de consacrer a-t-elle été donnée à la parole et aux ministres pour l’honneur de Dieu ; toutefois, quelqu’un peut en abuser par dérision, pour un profit ou pour quelque chose de ce genre.

[15422] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio sacramenti in Baptismo consistit in ipso usu materiae; et ideo illud tantum aquae consecratur verbo vitae quod in usum venit. Sed perfectio hujus sacramenti consistit in ipsa materiae consecratione, et usus est consequens ad hoc sacramentum; unde perfectio hujus sacramenti non dependet ab usu, sicut est in Baptismo.

3. L’accomplissement du sacrement dans le baptême consiste dans l’usage même de la matière. C’est pourquoi seule la quantité d’eau nécessaire à l’usage est consacrée par la parole de vie. Mais l’accomplissement du sacrement [de l’eucharistie] consiste dans la consécration même de la matière et l’usage suit ce sacrement. Aussi l’accomplissement de ce sacrement ne dépend-il pas de son usage, comme pour le baptême.

Articulus 2 [15423] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 tit. Utrum oporteat quod sit panis triticeus

Article 2 – Faut que ce soit du pain de froment ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Faut-il que ce soit du pain de froment ?]

[15424] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non oportet quod sit panis triticeus. Hoc enim sacramentum est memoriale dominicae passionis. Sed magis competeret ad significandum passionem, panis hordei, quod est durum et hispidum, quam granum tritici, quod est delicatum. Ergo ex alio frumento panis confectus potest esse materia hujus sacramenti.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que ce soit du pain de froment. En effet, ce sacrement est le mémorial de la passion du Seigneur. Or, pous signifier la passion, conviendrait plutôt le pain d’orge, qui est dur et grossier, que le grain de froment, qui est délicat. Le pain fait à partir d’une autre céréale peut donc être la matière de ce sacrement.

[15425] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in omni aqua potest perfici sacramentum Baptismi, ut nullus propter defectum materiae a sacramenti perceptione fraudetur. Ergo et similiter omnis panis debet esse materia hujus sacramenti, ut nullum inopia excuset.

2. Le sacrement de baptême peut être accompli avec n’importe quelle eau, de sorte que personne ne soit privé de recevoir le sacrement en raison d’un manque de matière. Pour la même raison, tout pain doit être la matière de ce sacrement, de sorte que le manque n’excuse personne.

[15426] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, figura in naturalibus est signum speciei. Sed quaedam frumenta sunt quae habent similem figuram grano tritici, sicut de farre et spelta. Ergo sunt ejusdem speciei cum grano tritici; et ita panis ex illis frumentis poterit esse materia hujus sacramenti.

3. Dans les choses naturelles, la figure est le signe de l’espèce. Or, il existe des céréales qui ont la même figure que le grain de froment, comme le blé et l’épeautre. Ils sont donc de la même espèce que le grain de froment, et ainsi le pain fait à partir de ces céréales pourrait être la matière de ce sacrement.

[15427] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, panis, materia hujus sacramenti est, quia ex multis granis confectus unitatem corporis mystici designat, ut supra, dist. 8, dictum est. Sed hoc etiam invenitur in pane de aliis frumentis confecto. Ergo ille panis potest esse materia hujus sacramenti.

4. Le pain est la matière de ce sacrement parce que, fait de nombreux grains, il désigne l’unité du corps mystique, comme on l’a dit plus haut, d. 8. Mais cela se trouve aussi dans le pain qui est fait à partir d’autres céréales. Ce pain peut donc être la matière de ce sacrement.

[15428] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est usus Ecclesiae, et hoc quod dominus se grano frumenti comparavit Joan. 12, et non aliis leguminibus.

Cependant, il y a l’usage de l’Église et le fait que le Seigneur s’est comparé à un grain de froment, Jn 12, et non à d’autres plantes.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Si une autre céréale est mélangée au grain de froment, le pain ainsi réalisé peut-il être la matière du sacrement ?]

[15429] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod, si grano tritici admisceatur aliud frumentum, possit panis exinde confectus esse materia hujus sacramenti. Quia in siccis commixtio non tollit speciem. Sed granum tritici et alia hujusmodi sunt sicca. Ergo si commisceantur, adhuc manet species tritici, et ita potest inde confici corpus Christi.

1. Il semble que, si une autre céréale est mélangée au grain de froment, le pain ainsi réalisé peut être la matière du sacrement, car, pour les choses sèches, le mélange n’enlève pas l’espèce. Or, le grain de froment et les autres [céréales] de ce genre sont secs. S’ils sont mélangés, l’espèce du froment demeure donc, et ainsi on peut en faire le corps du Christ.

[15430] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vix invenitur farina ex solis granis tritici, nisi studiose fiat. Si ergo ex farina commixta ex diversis granis non posset confici panis qui sit materia hujus sacramenti, rarissime hoc sacramentum perficeretur; quod est absurdum.

2. On trouve difficilement la farine provenant des seuls grains de froment, à moins qu’elle ne soit faite avec application. Si donc on ne peut faire du pain, qui pourrait être la matière de ce sacrement, avec la farine mélangée de divers grains, c’est donc très rarememnt que ce sacrement serait accompli, ce qui est absurde.

[15431] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per corruptionem magis receditur a specie quam per mixtionem. Sed de pane corrupto potest fieri hoc sacramentum, cum videamus hostias diutissime a quibusdam conservari. Ergo multo magis de pane ex granis commixtis confecto potest perfici hoc sacramentum.

3. On s’éloigne davantage de l’espèce par la corruption que par le mélange. Or, ce sacrement peut être accompli avec du pain corrompu, puisque nous voyons que des hosties sont conservées par certains très longtemps. À bien plus forte raison donc ce sacrement peut-il être accompli à partir de grains mélangés.

[15432] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medium, neutrum extremorum est. Sed panis commixtus ex diversis granis, est medius inter panem tritici et aliorum granorum. Ergo non est panis triticeus; ergo de eo non potest perfici hoc sacramentum.

Cependant, [1] ce qui est intermédiaire n’est aucun des deux extrêmes. Or, le pain mélangé de divers grains est intermédiaire entre le pain de froment et celui d’autres grains. Il n’est donc pas du pain de froment. Ce sacrement ne donc être accompli avec lui.

[15433] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, de amido, ut quidam dicunt, non potest perfici hoc sacramentum. Sed amidum est farina triticea pura. Ergo multo minus potest perfici hoc sacramentum de pane alterius farinae.

[2] Certains disent que ce sacrement ne peut être accompli avec de l’amidon. Or, l’amidon est de la pure farine de froment. Encore bien moins ce sacrement ne peut-il donc être accompli avec du pain venant d’une autre farine.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Devons-nous l’accomplir avec du pain fermenté, et non avec du pain azyme ?]

[15434] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeamus conficere in azymo, sed in fermentato. Nos enim debemus conficere secundum quod Christus confecit. Sed Christus confecit in fermentato, non in azymo. Ergo nec nos debemus in azymo conficere. Probatio mediae. Ante Pascha Judaei azymis non utebantur. Sed coena domini, in qua hoc sacramentum inchoavit, fuit ante Pascha celebratum, ut patet Joan. 13, 1: ante diem festum Paschae et cetera. Ergo ipse in fermentato, non in azymis confecit.

1. Il semble que nous ne devions pas l’accomplir avec du pain azyme, mais avec du pain fermenté. En effet, nous devons l’accomplir comme le Christ l’a accompli. Or, le Christ l’a accompli avec du pain fermenté, et non avec du pain azyme. Nous ne devons donc pas l’accomplir avec du pain azyme. Démonstration de la mineure. Avant la Pâque, les Juifs n’utilisaient pas le pain azyme. Or, la cène du Seigneur, où il a amorcé se sacrement, a été célébrée avant la Pâque, comme cela ressort de Jn 13, 1 : Avant la fête de la Pâque, etc. Il l’a donc accompli avec du pain fermenté, et non avec du pain azyme.

[15435] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, veritas debet respondere figurae. Sed agnus typicus immolabatur luna decimaquarta, ut habetur Exod. 12. Ergo Christus immolatus fuit luna decimaquarta. Sed in die praecedenti corpus suum dedit discipulis manducandum. Ergo hoc fuit luna decimatertia. Sed Pascha incipiebat luna decimaquarta. Ergo ante Pascha fuit coena domini, et sic idem quod prius.

2. La vérité doit correspondre à la figure. Or, l’agneau de la figure était immolé à la quatorzième lune, comme on le trouve dans Ex 12. Le Christ fut donc immolé à la quatorzième lune. Mais, le jour précédent, il a donné son corps à manger aux disciples : c’était donc la treizième lune. Or, la Pâque commençait à la quatorzième lune. La cène du Seigneur eut donc lieu avant la Pâque, et ainsi, c’est la même conclusion que précédemment.

[15436] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Joan. 18, dicitur, quod in die passionis domini Judaei non intraverunt praetorium Pilati, ut non contaminarentur, sed ut manducarent Pascha. Ergo illa die a Judaeis manducabatur Pascha, et sic coena domini fuit ante Pascha; et sic idem quod prius.

3. Il est dit dans Jn 18 que, le jour de la passion du Seigneur, les Juifs n’entrèrent pas dans le prétoire de Pilate pour de ne pas être contaminés, afin de manger la Pâque. La Pâque était donc mangée par le Juifs ce jour-là, et ainsi la cène du Seigneur eut lieu avant la Pâque. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[15437] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Luc. 24, dicitur, quod mulieres viso monumento iverunt, et paraverunt aromata. Sed hoc non licuisset prima die de septem quibus azyma comedebant, quia dies illa erat eis celeberrima, quae quidem dies erat luna decimaquinta. Ergo Christus passus est luna decimaquarta; et sic idem quod prius.

4. Il est dit en Lc 24 que les femmes, après avoir vu le monument, s’en allèrent préparer les aromates. Or, cela n’aurait pas été permis le premier des sept jours où on mangeait du pain zayme, car ce jour-là était pour eux une très grande fête, puisque c’était la quatorzième lune. Le Christ a donc souffert lors de la quatorzième lune. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[15438] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Joan. 20, dicitur, quod dies sepulturae dominicae erat magnus dies sabbati. Sed in solemnitate azymorum sola prima dies erat celeberrima, et vocabatur magna. Ergo dies sabbati fuit prima dies solemnitatis, quod est luna decimaquinta; et sic dies Veneris fuit luna decimaquarta; et sic idem quod prius.

5. Il est dit en Jn 20 que le jour de la sépulture du Seigneur était le grand jour du sabbat. Or, lors de la solennité des azymes, seul le premier jour était une très grande fête et était appelé grand. Le jour du sabbat était donc le premier jour de la solennité, qui est la quatorzième lune. Et ainsi, la quatorzième lune tombait le vendredi. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[15439] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 6 Praeterea, artos secundum Graecos significat panem fermentatum. Sed hoc nomen invenitur apud Graecos, ubi nos habemus, accepit Jesus panem. Ergo de fermentato confecit; et sic idem quod prius.

6. Arthos, selon les Grecs, signifie le pain fermenté. Or, on trouve ce mot chez les Grecs, là où nous lisons : Jésus prit du pain. Il a donc accompli [le sacrement] avec du pain fermenté. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[15440] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 7 Praeterea, sacramenta veteris legis tempore revelatae gratiae observata ad litteram, sunt mortifera: quia littera occidit, 2 Cor. 3, 6. Sed hoc erat unum de legalibus, comedere in azymis. Ergo videtur esse mortiferum in azymis conficere.

7. Observés à la lettre au temps de la grâce révélée, les sacrements de la loi ancienne donnent la mort, car la lettre tue, 2 Co 3, 6. Or, manger avec du pain azyme était une des [dispositions] légales. Il semble donc qu’accomplir [le sacrement] avec du pain azyme apporte la mort.

[15441] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 8 Praeterea, hoc sacramentum est specialiter sacramentum caritatis. Sed fermentum caritatem significat, ut patet in Glossa Matth. 13, super illud: simile est regnum caelorum fermento et cetera. Ergo maxime debet confici de fermentato. [15442] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 9 Praeterea, sicut album et rubeum sunt accidentia vini; ita azymum et fermentatum sunt accidentia panis. Sed indifferenter conficitur de vino albo et rubeo. Ergo non magis debet attendi de pane an sit azymus vel fermentatus, quam de vino an sit album vel rubeum.

8. Ce sacrement est le sacrement de la charité d’une manière particulière. Or, le pain fermenté signifie la charité, comme cela ressort de la Glose sur Mt 13 : Le royaume des cieux est semblable à du ferment, etc. Il est donc de la plus haute importance que [le sacrement] soit accompli avec du pain fermenté. 9. Comme le blanc et le rouge sont des accidents du vin, être azyme et être fermenté sont des accidents du pain. Or, [ce sacrement] est accompli indifféremment avec du vin blanc et rouge. Il ne faut donc pas porter davantage attention au fait que le pain soit azyme ou fermenté, qu’au fait que le vin soit blanc ou rouge.

[15443] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, prima die azymorum nihil fermentatum esse debebat in domibus Judaeorum, ut patet Exod. 12. Sed dominus confecit prima die azymorum, ut patet Matth. 26, Marc. 14, Luc. 22. Ergo ipse confecit de azymo; ergo et nos debemus de azymo conficere.

Cependant, [1] le premier jour des azymes, rien ne devait être fermenté dans les maisons des Juifs, comme cela ressort de Ex 12. Or, le Seigneur a accompli [ce sacrement] le premier jour des azymes, comme cela ressort de Mt 26, Mc 14 et Lc 22. Il l’a donc accompli avec du pain azyme. Nous devons donc l’accomplir avec du pain azyme.

[15444] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus non venit legem solvere, sed implere, ut dicitur Matth. 5. Sed secundum legem agnus paschalis comedebatur cum azymis, ut patet Exod. 17. Ergo Christus agnum paschalem cum azymis comedit. Ergo de azymo confecit.

[2] Le Christ n’est pas venu détruire la loi, mais l’accomplir, comme il est dit en Mt 5. Or, selon la loi, l’agneau pascal était mangé avec du pain azyme, comme cela ressort de Ex 17. Le Christ a donc mangé l’agneau pascal avec du pain azyme. Il a donc accompli [ce sacrement] avec du pain azyme.

[15445] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, materia debet convenire sacramento. Sed panis azymus magis competit huic sacramento quam fermentatus propter puritatem. 1 Cor. 5, 8: epulemur non in fermento veteri, neque in fermento malitiae et nequitiae, sed in azymis sinceritatis et veritatis. Ergo debet de pane azymo fieri sacramentum.

[3] La matière doit convenir au sacrement. Or, le pain azyme a plus de rapport avec ce sacrement que le pain fermenté en raison de sa pureté. 1 Co 5, 8 : Nourrissons-nous non pas avec du vieux pain fermenté, ni avec le ferment de la malice et de la méchanceté, mais avec le pain azyme de la sincérité et de la vérité. Ce sacrement doit donc être accompli avec du pain azyme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15446] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod non potest confici nisi de pane triticeo; cujus causa est divina institutio, quia ipse hoc pane confecit. Ratio autem institutionis potest triplex assignari. Prima ex effectu; quia talis panis melius nutrimentum praestat; unde competit ad significandum excellentiam gratiae quae in hoc sacramento confertur. Secunda ex usu sacramenti: quia panis triticeus est qui communius in usum cibi venit, alii autem panes non fiunt nisi propter defectum tritici; unde et panis simpliciter intelligitur de tritico, sicut et oleum de olivis; unde competit huic sacramento, cujus usus est in manducando, ut supra, dist. 9, dictum est. Tertia ex re contenta, quae est Christus, qui se grano frumenti comparavit dicens, Joan. 12, 24: nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum manet.

[Ce sacrement] ne peut être accompli qu’avec du pain de froment. La raison en est l’institution divine, car [le Seigneur] lui-même l’a accompli avec ce pain. Or, on peut indiquer une triple raison pour l’institution. La première, en raison de son effet, car un tel pain donne une meilleure nourriture. Il convient donc pour signifier l’excellence de la grâce qui est donnée par ce sacrement. La deuxième, en raison de l’usage de ce sacrement, car c’est le pain de froment qui est plus généralement utilisé comme nourriture, et on ne fait d’autres pains qu’en raison de la pénurie de froment. On parle donc de pain simplement pour le [pain de] froment, comme d’huile pour [l’huile] d’olive. Il convient donc à ce sacrement dont l’usage consiste dans la manducation, comme on l’a dit plus haut, d. 9. La troisième, en raison de la réalité qui y est contenue, le Christ, qui s’est comparé à un grain de froment en disant, Jn 12, 24 : À moins que le grain de froment tombé à terre ne meure, il reste seul.

[15447] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in passione Christi non fuit aliqua duritia ex parte Christi qui patiebatur, sed summa benignitas; et quia hostia panis significat et continet ipsum Christum, ideo non ita competit huic sacramento panis hordeaceus, vel alterius modi, sicut panis triticeus, qui est delicatior et suavior.

1. Dans la passion du Christ, il n’y a pas eu de dureté de la part du Christ qui souffrait, mais une suprême douceur. Et parce que l’hostie de pain signifie et contient le Christ lui-même, le pain d’orge ou d’une autre sorte ne convient donc pas autant à ce sacrement que le pain de froment, qui est plus délicat et plus doux.

[15448] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis aqua omni aquae est eadem specie, secundum philosophum; et ideo non differt in quacumque aqua Baptismus fiat. Sed non omnia grana ex quibus panis consuevit confici, sunt ejusdem speciei; et ideo non est similis ratio utrobique. Et praeterea sacramentum istud non est tantae necessitatis sicut sacramentum Baptismi, ut prius dictum est, dist. 9, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 2.

2. Toute eau est de la même espèce que n’importe quelle eau, selon le Philosophe. Aussi n’y a-t-il pas de différence, quelle que soit l’eau dans laquelle le baptême est accompli. Mais tous les grains avec lesquels on a coutume de faire le pain ne sont pas de la même espèce. Aussi le raisonnement n’est-il pas le même. De plus, ce sacrement n’est pas aussi nécessaire que le sacrement de baptême, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q.1, a. 1, qa 2.

[15449] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam dicunt, quod de spelta potest confici corpus Christi propter similitudinem quam habet ad triticum. Sed, sicut patet intuenti, quantum ad figuram plus appropinquat hordeum ad similitudinem tritici quam spelta, remoto cortice ab utroque, quamvis in colore plus spelta conveniat; sed inter alia omnia hujusmodi plus convenit, maxime in figura, far cum tritico, et similiter in colore. Unde ex identitate figurae non potest haberi quod aliquod istorum sit ejusdem speciei cum grano tritici; sed identitatis speciei potest ex alio experimentum accipi. Generans enim et genitum conveniunt de necessitate in specie, sed non de necessitate in accidentibus, quinimmo accidentia variantur ex causis extrinsecis; unde cum ex grano tritici, ubicumque seminetur, nunquam nascatur spelta vel far aut hordeum, vel aliquid hujusmodi, constat quod omnino ista differunt specie a tritico.

3. Certains disent que le corps du Christ peut être réalisé avec de l’épeautre en raison de la ressemblance que celui-ci a avec le froment. Mais, comme cela est évident pour celui qui regarde, l’orge se rapproche davantage du froment que l’epeautre, pour ce qui est de la figure, une fois l’enveloppe des deux enlevée, bien qu’il ait plus en commun avec l’épeautre pour la couleur. Mais, parmi tous les autres [grains] de ce genre, surtout pour ce qui est de la figure, mais aussi pour la couleur, le blé a plus en commun avec le froment. À partir de l’identité de la figure, on ne peut donc conclure que l’un d’eux est de la même espèce que le grain de froment ; mais on peut constater l’identité d’espèce à partir d’autre chose. En effet, celui qui engendre et celui qui est engendré ont la même espèce en commun, mais non pas nécessairement les accidents ; bien plus, les accidents varient selon des causes extrinsèques. Puisque, à partir d’un grain de froment, partout où il est semé, ne naît jamais de l’épeautre, du blé, de l’orge ou quelque chose de ce genre, il ressort donc clairement qu’ils sont d’une espèce différente que le froment.

[15450] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod objectio tangit, est causa quare ex pane fit hoc sacramentum, non autem quare ex tali pane; sed hanc oportet superaddere sicut proprium ad commune.

4. Ce que l’objection aborde est la raison pour laquelle ce sacrement est fait avec du pain, mais non pour laquelle [il est fait] avec tel pain. Mais il faut ajouter celle-ci comme ce qui est propre à ce qui est commun.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15451] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod admixtio extranei duplex potest esse: uno modo ita quod extraneum adjunctum solvat speciem ejus cui adjungitur, vel trahendo ad speciem suam, sicut si amphorae aquae adderetur phiala vini; vel faciendo mediam speciem, sicut quando utraque aequaliter ponitur, ut aequalitas non accipiatur secundum quantitatem, sed secundum proportionem virtutis. Alio modo ita quod additum non solvat speciem, sed ipsum assumatur ad speciem ejus cui additur; sicut si gutta aquae amphorae vini apponatur. Si ergo fiat tanta admixtio extranei quod solvatur species panis triticei, non poterit confici ex pane illo; si autem adeo sit parva admixtio quod species panis triticei maneat, et illud quod additur, ad naturam tritici convertatur, potest exinde confici sacramentum. Hujusmodi autem signum potest accipi ex accidentibus, scilicet colore, sapore, et hujusmodi; quia accidentia maximam partem conferunt ad cognoscendum quod quid est, secundum philosophum in 1 de anima.

Le mélange avec quelque chose d’étranger peut être double. Dans un cas, ce qui est ajouté d’étranger fait disparaître l’espèce de ce à quoi il est ajouté, soit en l’attirant à son espèce, comme si l’on ajoutait une coupe de vin à une mesure d’eau, soit en réalisant une espèce intermédiaire, comme lorsque les deux sont à égalité, l’égalité étant entendue non pas selon la quantité, mais selon la proportion de la puissance. Dans l’autre cas, ce qui est ajouté ne fait pas disparaître l’espèce, mais est lui-même inclus dans l’espèce de ce à quoi il ajouté, comme lorsqu’une goutte d’eau est ajoutée à une mesure de vin. Si donc un tel mélange avec quelque chose d’étranger est fait, que l’espèce du pain de froment est abolie, on ne pourra accomplir [le sacrement] avec ce pain. Mais si le mélange est si faible que l’espèce du pain de froment demeure et que ce qui est ajouté est converti à la nature du froment, on pourra accomplir le sacrement avec cela. Le signe que tel est le cas peut être saisi dans les accidents, à savoir, la couleur, le goût et les choses de ce genre, car les accidents contribuent au plus haut point à la connaissance de ce qu’est une chose, selon le Philosophe, Sur l’âme, I.

[15452] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sicca, cum integra manent, non amittant speciem ex permixtione, tamen quando dividuntur et conficiuntur, sicut in pane accidit, possunt speciem amittere.

1. Bien que les choses sèches, lorsqu’elles demeurent entières, ne perdent pas leur espèce par le mélange, cependant, lorsqu’elles sont divisées et élaborées, comme cela se produit pour le pain, elles peuvent perdre leur espèce.

[15453] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet solutio ex distinctione praedicta.

2. La solution ressort clairement de la distinction qui a été faite.

[15454] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si sit tanta corruptio quod species panis non maneat, tunc non potest ex eo confici; si autem specie manente sit aliqua dispositio ad corruptionem, potest exinde confici; quamvis graviter peccet conficiens ex tali scienter propter irreverentiam sacramenti. Et quod species maneat, potest ex hoc cognosci, quod continuitas non est soluta, nec alia accidentia omnino ablata. Et quia amidum fit de farina triticea, quae quidem per attritionem et excolationem et vaporis admixtionem videtur speciem farinae amisisse, vel ad corruptionem omnino esse disposita; ideo ex ea non debet confici, nec potest, secundum quosdam. Quidam autem dicunt, quod amidum cum sit crudum, non potest esse materia hujus sacramenti, sicut nec pasta. Sed si coquatur, poterit exinde confici, quia amidum fit ex farina maxime depurata.

3. Si la corruption est telle que l’espèce du pain ne demeure pas, on ne peut alors accomplir [le sacrement] avec lui. Mais si, alors que l’espèce demeure, il existe une certaine disposition à la corruption, on peut accomplir [le sacrement] avec [ce pain], bien que celui qui l’accomplit pèche gravement [en l’accomplisant] sciemment avec un tel [pain], en raison du manque de révérence envers le sacrement. Que l’espèce demeure, on peut le connaître par le fait que la continuité [du pain] n’est pas rompue et que les autres accidents ne sont pas complètement enlevés. Et parce que l’amidon est fait de farine de froment, qui semble avoir perdu l’espèce de la farine en étant frottée, travaillée et mélangée à la vapeur, ou être entièrement disposée à la corruption, on ne doit pas pour cette raison accomplir [le sacrement] avec celle-ci et, selon certains, on ne le peut pas. Mais certains disent que l’amidon, lorsqu’il n’est pas cuit, ne peut être la matière de ce sacrement, pas davantage que la pâte. Mais, s’il est cuit, on pourra accomplir [le sacrement] avec lui, parce que l’amidon est fait d’une farine très purifiée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15455] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in hoc videtur esse diversitas inter Graecos et Latinos: Graeci enim de fermentato, Latini de azymo conficiunt. Causa autem hujusmodi diversitatis est, quia dominus in azymo confecit, ut ex tribus Evangelistis habetur manifeste, et ita in primitiva Ecclesia apostoli celebrabant; quem morem Romana Ecclesia ab apostolis, qui ipsam fundaverunt, accepit, ut Innocentius 3 dicit. Sed postea, ut dicit Leo Papa imminente haeresi Ebionitarum, qui dicebant simul cum Evangelio legalia observanda, sancti patres ne eis consentire viderentur, voluerunt ad tempus instinctu spiritus sancti ex fermentato confici sacramentum: postea cessante illa haeresi, Ecclesia Romana ad pristinum morem rediit; Graeci autem servare voluerunt morem ad tempus a patribus introductum, ulterius addentes non posse confici nisi de fermentato: et ad hoc probandum asserere voluerunt dominum in fermentato confecisse. Et quia tres Evangelistae concorditer dicunt, prima die azymorum dominum instituisse hoc sacramentum, in tantam infamiam quidam ex eis proruperunt, ut dicerent, Evangelistas illos falsum scripsisse, et a Joanne fuisse correctos qui ante diem Paschae dicit dominum coenasse cum discipulis. Sed quod hoc non contradicat, ostendetur. Supposito autem quod dominus decimatertia luna, ut dicunt, coenam celebrasset, adhuc evidenter ostenditur quod de azymo confecit; quia, sicut dicit Chrysostomus super Matth., apertissime dominus demonstravit, quia a principio circumcisionis suae usque ad diem Paschae extremum, non erat contrarius divinarum legum, in quibus praecipiebatur ut cum azymis paschalis agnus comederetur. Et ideo dicendum est, quod dominus in azymo confecit, et in azymo conficiendum est, quamvis etiam in fermentato confici possit; quamvis peccaret conficiens, Ecclesiae morem non servans.

Il semble y avoir sur ce point une différence entre les Grecs et les Latins. En effet, les Grecs accomplissent [le sacrement] avec du pain fermenté, les Latins, avec du pain azyme. La raison de cette différence est que le Seigneur l’a accompli avec du pain azyme, comme on l’apprend clairement par les évangiles, et qu’ainsi célébraient les apôtres dans l’Église primitive. L’Église romaine a reçu cet usage des apôtres, qui l’ont fondée, comme le dit Innocent III. Mais, par la suite, comme le dit le pape Léon, alors que menaçait l’hérésie des Ébionites, qui disaient que les prescriptions légales devaient être observées en même temps que l’évangile, les saints pères, pour ne pas sembler être de leur avis, voulurent, pour un temps et sous l’inspiration de l’Esprit Saint, accomplir le sacrement avec du pain fermenté. Par la suite, lorsque l’hérésie cessa, l’Église romaine revint à l’usage primitif, mais les Grecs voulurent conserver l’usage établi pour un temps par les pères, en ajoutant que [le sacrement] ne pouvait être accompli qu’avec du pain fermenté. Pour prouver cela, ils ont voulu affirmer que le Seigneur l’a accompli avec du pain fermenté. Et parce que trois évangélistes sont d’accord pour dire que le Seigneur a institué ce sacrement le premier jour des azymes, certains d’entre eux sont tombés dans une telle honte qu’ils ont affirmé que ces évangélistes ont écrit faussement et qu’ils ont été corrigés par Jean, qui dit que le Seigneur a célébré la cène avec ses disciples avant le jour de la Pâque. Qu’il n’y ait pas là contradiction, on le montrera. Mais, à supposer que le Seigneur ait célébré la cène à la quatorzième lune, comme ils le disent, il demeure clairement démontré qu’il l’a accomplie avec du pain azyme, comme le dit [Jean] Chrysostome en commentant Matthieu : «Le Seigneur a très clairement montré que, du début de sa circoncision jusqu’au dernier jour de la Pâque, il ne s’opposait pas aux lois divines, où il était ordonné de manger l’agneau pascal avec des azymes.» Il faut donc dire que le Seigneur a acompli [ce sacrement] avec du pain azyme et qu’il doit être accompli avec du pain azyme, bien qu’il puisse aussi être accompli avec du pain fermenté. Mais celui qui le ferait en ne respectant pas l’usage de l’Église pécherait gravement.

[15456] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Joannis, Graeci hoc modo intelligunt, sicut in objecto procedit. Sed hic intellectus stare non potest, quia est contrarius aliis Evangelistis, quod non est fas in sacra Scriptura dicere. Praeterea non invenitur in lege quod aliquo casu liceret anticipare lunam decimam quartam, sicut dicunt dominum fecisse praevidens passionem. Unde quidam dixerunt, quod coena qua dominus lavit discipulorum pedes, et qua corpus suum consecravit, non fuit eadem, sed una aliam praecessit; et de prima loquitur Joannes, de secunda alii Evangelistae. Sed hoc est contra usum Ecclesiae, quae die Jovis ablutionem pedum celebrat, et etiam contra textum Evangelii: quia sicut ex serie Evangelii Joannis apparet, eodem sero quo pedes lavit, a Juda post bucellam recedente traditus est. Et ideo dicendum est, quod dies festus Paschae vocabatur prima dies de septem quae erat celeberrima, et haec erat decimaquinta luna, et in vespere praecedenti immolabatur et comedebatur agnus, luna decimaquarta, cum azymis; et tunc dominus coenam fecit cum discipulis suis; et hanc diem dicunt alii Evangelistae primam diem azymorum, et Joannes ante diem festum Paschae.

1. Les Grecs entendent cette parole de Jean de la manière dite dans l’objection. Mais cette interprétation ne peut pas être maintenue parce qu’elle est contraire aux autres évangélistes, ce qu’il ne convient pas de dire à propos de la Sainte Écriture. De plus, on ne trouve pas dans la loi qu’il serait possible d’anticiper la quatorzième lune dans un cas particulier, comme ils disent que le Seigneur l’a fait en prévoyant sa passion. Certains ont donc dit que la cène lors de laquelle le Seigneur a lavé les pieds de ses disciples et lors de laquelle il a consacré son corps n’était pas la même, mais que l’une a précédé l’autre : Jean parle de la première, et les autres évangélistes, de la seconde. Mais cela est contraire à l’usage de l’Église qui célèbre le lavement des pieds le jeudi, et aussi contraire au texte de l’évangile, car, ainsi qu’il ressort du récit de l’évangile de Jean, le Seigneur a été trahi par Judas, qui se retira après avoir pris la bouchée, le même soir où [le Seigneur] lava les pieds. Il faut donc dire qu’on appelait fête de la Pâque le premier des sept jours où elle était célébrée; ce jour était la quinzième lune. Le soir précédent, l’agneau était immolé et mangé, la quatorzième lune, avec les azymes. Et alors, le Seigneur fit la cène avec ses disciples. C’est ce jour que les autres évangélistes appellent le premier jour des azymes, et Jean, avant le jour de la fête de Pâque.

[15457] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet quod veritas responderet figurae quantum ad omnia; alioquin oportebit nos dicere, quod dominus ad vesperam passus sit, quia tunc immolabatur agnus, quod est contra omnes Evangelistas; sed quantum ad aliquid veritas figurae respondet; quia quamvis ante Christi resurrectionem dies a mane in mane computaretur, sicut in 2 Lib., dist. 13, dictum est, tamen hoc erat speciale in solemnitatibus legis quod computabatur dies a vespera in vesperam. Unde vespera quartaedecimae diei computabatur quantum ad solemnitatem in numero dierum cum quintadecima, in qua dominus passus est; et etiam immolatio ejus vespere quartaedecimae diei quodammodo inchoavit; quia tunc traditus fuit, et tunc factus est sudor ejus sanguineus, ut dicitur Luc. 22.

2. Il n’est pas nécessaire que la vérité corresponde en tout à la figure, autrement, nous devrions dire que la passion du Seigneur a eu lieu le soir, parce qu’alors était immolé l’agneau, ce qui va à l’encontre des évangiles. Mais la vérité correspond en partie à la figure. En effet, bien que le jour ait été calculé du matin au matin avant la résurrection, comme on l’a dit dans le livre II, d. 13, il était cependant particulier aux solennités légales que le jour soit calculé du soir au soir. Aussi le soir du quatorzième jour était-il compté à l’intérieur du nombre de jours, pour ce qui est de la solennité, avec le quinzième où eut lieu la passion du Seigneur. Et même son immolation a-t-elle débuté d’une certaine manière le soir du quatorzième jour, car il fut alors livré, et sa sueur se changea alors en sang, comme il est dit dans Lc 22.

[15458] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pascha accipitur ibi pro cibis paschalibus, scilicet azymis, qui per omnes septem dies comedebantur. Chrysostomus tamen dicit super Joan., quod intelligitur de agno paschali, quem in alia die ab ea quam lex instituit, comederunt, et legem solverunt, ut animi sui adimplerent desiderium in morte Christi. Christus autem non praeteriit tempus Paschae, diem scilicet Jovis, sed in ipso Pascha comedit.

3. La Pâque s’entend ici des aliments pascaux, à savoir, les azymes, qui étaient mangés durant tous les sept jours. Cependant, [Jean] Chrysostome dit, en commentant Jean, qu’elle s’entend de l’agneau pascal, qu’ils ont mangé un autre jour que celui établi par la loi; ils ont donc accompli la loi afin que leurs esprits soient remplis de désir lors de la mort du Christ. Mais le Christ n’est pas passé outre au temps de la Pâque, à savoir, le jeudi, mais a mangé lors de la Pâque elle-même.

[15459] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nulla dies erat adeo celebris quantum ad vacationem ab operibus, sicut dies sabbati; unde in prima die solemnitatis licebat coquere cibos et alia hujusmodi facere quod non licebat facere sabbatis; et ideo mulieres feria sexta paraverunt aromata, videntes quod non sufficerent quae per Nicodemum parata erant; et sabbato secundum legem quieverunt; et transeunte sabbato emerunt aromata, idest empta paraverunt, vel etiam alia superemerunt, videntes non sufficere quae prius feria sexta paraverant, et venerunt ad monumentum. Vel secundum quosdam, opera misericordiae non reputantur inter opera servilia; unde in die solemni licebat aromata ad sepulturam praeparare, quia hoc erat opus misericordiae.

4. Aucun jour n’était célébré autant, pour ce qui était de cesser le travail, que le jour du sabbat. Aussi était-il permis de cuire des aliments et de faire d’autres choses du genre le premier jour de la solennité, ce qu’il n’était pas permis de faire les jours de sabbat. C’est pourquoi les femmes ont préparé les aromates le vendredi, en voyant que ceux qui avaient été préparés par Nicodème ne suffiraient pas. Le jour du sabbat, conformément à la loi, elles se reposèrent ou encore elles en achetèrent d’autres, en voyant que ceux qu’elles avaient préparés le vendredi ne suffiraient pas, puis elles se rendirent au monument. Ou bien, selon certains, les œuvres de miséricorde ne sont pas comptées parmi les œuvres serviles. Aussi était-il permis, un jour de fête, de préparer des aromates pour la sépulture, car c’était une œuvre de miséricorde.

[15460] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quocumque die de septem diebus azymorum sabbatum veniret, dicebatur magnus dies sabbati propter geminatam solemnitatem, scilicet sabbati et Paschae.

5. Lorsque le sabbat tombait n’importe quel des sept jours des azymes, on l’appelait le grand jour du sabbat en raison de la double solennité, à savoir, celle du sabbat et celle de la Pâque.

[15461] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod artos apud Graecos quandoque etiam pro azymo pane ponitur; et ideo Exod. 12, dicitur in Graecos artos ubi nos habemus panes azymos.

6. Arthos est parfois utilisé aussi chez les Grecs. C’est pourquoi, en Ex 12, là où nous avons «pains azymes», le grec dit: arthos.

[15462] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod facere aliquid quod in lege fiebat, ut dicit Anselmus, non est judaizare; alioquin judaizant conficientes ex fermentato, quia in lege praeceptum erat ut panes primitiarum fermentatos offerent. Sed facere aliquid hac intentione ut legalia observentur, est judaizare. Nos autem non ob hoc ex azymo conficimus ut legem servemus, sed ut Christo conformemur, servantes hoc quod huic competit sacramento ab eo instituto. Significatur enim in azymo puritas vitae, quae semper servanda est, sicut et in thurificatione devotio orationis; unde utrumque in lege nova retinetur.

7. Accomplir quelque chose qui était accompli sous la loi n’est pas judaïser, comme le dit Anselme; autrement, ceux qui accomplissent [le sacrement] avec du pain fermenté judaïsent, car il était prescrit dans la loi qu’on devait offrir les premiers pains fermentés. Mais accomplir quelque chose avec l’intention d’observer les prescriptions légales, c’est judaïser. Mais nous, nous n’accomplissons pas [le sacrement] afin d’observer la loi, mais afin d’être conformes au Christ, en observant ce qui convient à ce sacrement institué par lui. En effet, la pureté de la vie est signifiée par le pain azyme, laquelle doit toujours être observée, comme c’est le cas aussi de la dévotion dans la prière par l’encensement. Aussi les deux choses sont-elles retenues sous la loi nouvelle.

[15463] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in hoc sacramento continetur Christus ut hostia: et quia puritas praecipue in hostia, etiam secundum legem, exigebatur; ideo magis competit huic sacramento ut significetur Christi puritas per panem azymum, quam quod significetur fervor caritatis per fermentum.

8. Dans ce sacrement, le Christ est contenu en tant qu’hostie. Et parce que la pureté était exigée de l’hostie, même selon la loi, il convient donc à ce sacrement que la pureté du Christ soit plutôt signifiée par le pain azyme, plutôt que la ferveur de la charité soit signifiée par le ferment.

[15464] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod album et rubeum non ita faciunt differentiam in significatione sacramenti circa vinum, sicut azymum et fermentatum circa panem; et ideo non est similis ratio de utroque.

9. Le blanc et le rouge ne font pas autant de différence pour la signification du sacrement, en ce qui concerne le vin, que le pain azyme et le pain fermenté. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même dans les deux cas.

 

 

Articulus 3 [15465] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 tit. Utrum solum de vino vitis debeat sanguis Christi consecrari

Article 3 – Le sang du Christ doit-il être consacré seulement avec du vin de la vigne ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le sang du Christ doit-il être consacré seulement avec du vin de la vigne ?]

[15466] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non solum de vino vitis debeat sanguis Christi consecrari. Baptismus enim in qualibet aqua fieri potest. Sed vinum est materia hujus sacramenti, sicut aqua Baptismi. Ergo et de quolibet vino potest hoc sacramentum fieri, sicut de vino malorum granatorum vel mororum vel hujusmodi.

1. Il semble que le sang du Christ ne doive pas être consacré seulement avec du vin de la vigne. En effet, le baptême peut être accompli avec n’importe quelle eau. Or, le vin est la matière de ce sacrement, comme l’eau pour le baptême. Ce sacrement peut donc être accompli avec n’importe quel vin, par exemple, avec du vin de grenade, de mûre et d’autres choses de ce genre.

[15467] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in aliquibus terris non sunt vites, nec ad eas de facili vinum portari potest. Ergo debuit a divina sapientia provideri ut alius aliquis liquor loco vini de vite possit in sacramento assumi.

2. Dans certains pays, il n’y a pas de vignes et l’on ne peut pas y transporter facilement du vin. La divine sagesse devait donc voir à ce qu’un autre liquide puisse être pris à la place du vin.

[15468] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut dominus se comparavit grano frumenti, Joan. 12, ita comparavit se viti, Joan. 15. Ergo sicut non debet in hoc sacramento assumi nisi panis de tritico, ita nec vinum nisi de vite.

Cependant, de même que le Seigneur s’est comparé à un grain de froment, Jn 12, de même s’est-il comparé à une vigne, Jn 15. On ne doit donc pas prendre d’autre pain que le pain de froment dans ce sacrement, ni d’autre vin que [le vin] de la vigne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Peut-on accomplir ce sacrement avec du vinaigre ?]

[15469] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit etiam confici de aceto. Quia, secundum Isidorum, acetum est species vini. Sed cum vino vitis potest confici hoc sacramentum. Ergo et de aceto.

1. Il semble qu’on puisse accomplir [ce sacrement] avec du vinaigre, car, selon Isidore, le vinaigre est une espèce de vin. Or, ce sacrement peut être accompli avec le vin de la vigne. Il peut donc l’être avec du vinaigre.

[15470] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si vinum consecratum in acetum converteretur, non desineret ibi esse Christi sanguis. Ergo eadem ratione si ante consecrationem sit acetum, potest exinde sanguis Christi consecrari.

2. Si le vin consacré tournait au vinaigre, le sang du Christ ne cesserait pas d’y exister. Pour la même raison, s’il y a du vinaigre avant la consécration, le sang du Christ peut-il être être consacré à partir [du vinaigre].

[15471] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Innocentius dicit, quod vinum huic sacramento competit: quia cor bibentis et dilatat et exhilarat. Sed hoc non facit acetum. Ergo ex aceto non potest consecrari sanguis Christi.

Cependant, Innocent dit que «le vin convient à ce sacrement, car il dilate et réjouit le cœur de celui qui le boit». Or, le vinaigre n’a pas cet effet. Le corps du Christ ne peut donc être consacré à partir du vinaigre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le sang du Christ peut-il être consacré à partir du verjus ?]

[15472] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod de agresta possit sanguis Christi consecrari. Sicut enim agresta non habet speciem perfectam vini, ita nec mustum. Sed de musto dulci potest confici sanguis Christi; dicitur enim de Consecr., dist. 2: si necesse fuerit, botrus in calice prematur. Ergo et eadem ratione de agresta.

1. Il semble que le sang du Christ puisse être consacré à partir du verjus. En effet, de même que le verjus n’a pas l’espèce parfaite du vin, de même en est-il pour le moût. Or, le sang du Christ peut être réalisé à partir d’un moût doux. En effet, il est dit dans Sur la consécration, d. 2 : «Si cela est nécessaire, qu’on écrase dans le calice une grappe de raisin.» Il en va donc de même pour le verjus.

[15473] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, agresta non differt a vino nisi quia immatura est. Sed maturitas et immaturitas sunt accidentia. Ergo non differunt secundum speciem; et ita videtur quod ex agresta sicut ex vino indifferenter sanguis Christi consecrari possit.

2. Le verjus ne diffère du vin que parce qu’il n’est pas mûr. Or, la maturité et l’immaturité sont des accidents. [Le vin et le verjus] ne sont donc pas d’une espèce différente, et ainsi il semble que le sang du Christ puisse être indifféremment consacré à partir du verjus ou du vin.

[15474] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quod fit, non est, secundum philosophum. Sed agresta est in via generationis respectu vini. Ergo nondum est vinum; ergo ex ea non potest sanguis Christi consecrari.

Cependant, ce qui devient n’existe pas. Or, le verjus est en voie de génération par rapport au vin. Il n’est donc pas encore du vin. Le sang du Christ ne peut donc pas être consacré à partir de lui.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15475] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod non potest confici sanguis Christi nisi de vino vitis, quia hoc proprie vinum est. Alia vero dicuntur vina per similitudinem hujus vini. Hoc etiam vinum communius sumitur in potum, sicut et panis tritici in cibum; et habet proprietates magis convenientes ad effectum sacramenti, inquantum calefacit et laetificat; et ideo dominus de vino vitis confecit, ut patet per hoc quod dicitur Matth. 26, 29: amodo non bibam de hoc genimine vitis.

Le sang du Christ ne peut être consacré qu’avec du vin de la vigne, car celui-ci est du vin à proprement parler. Mais les autres sont appelés vins par ressemblance à ce vin. Ce vin est aussi plus communément pris comme boisson, comme le pain de froment comme nourriture, et il a des propriétés qui sont plus en accord avec l’effet du sacrement, pour autant qu’il réchauffe et réjouit. C’est pourquoi le Seigneur a accompli [ce sacrement] avec du vin de la vigne, comme cela ressort de ce qui est dit en Mt 26, 29 : Je ne boirai plus du fruit de la vigne.

[15476] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnis aqua est ejusdem speciei; sed non sic est de vino.

1. Toute eau a la même espèce, mais il n’en va pas de même du vin.

[15477] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est aliqua terra ad quam non possit tantum de vino portari quantum sufficeret ad celebrandum; unde illa ratio non cogit.

2. Il n’existe pas de pays où l’on ne puisse pas apporter une quantité de vin suffisante pour célébrer. Ce raisonnement n’est donc pas contraignant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15478] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum, in 8 Metaph., hoc modo fit ex vino acetum, quo ex vivo fit mortuum; unde sicut animal vivum et mortuum non sunt ejusdem speciei, ita nec vinum et acetum; et hoc ostendunt contrariae proprietates: quia vinum est calidum, acetum autem frigidum; et non fit reditus de aceto in vinum, sicut nec de mortuo ad vivum. Et ideo dicendum, quod si vinum sit omnino acetum, de eo non potest confici; sed si sit acidum quasi in via acescendi, est idem judicium quod de pane qui in via est ad corruptionem; unde sicut de pane illo potest confici, peccat tamen conficiens propter irreverentiam, ita et hic.

Selon le Philosophe, dans Métaphysique, VIII, le vinaigre vient du vin comme un mort vient d’un vivant. Comme un animal vivant et un animal mort ne sont pas de la même espèce, de même le vin et le vinaigre ne le sont-ils pas non plus. Les propriétés contraires le montrent, car le vin est chaud, et le vinaigre, froid, et l’on ne peut repasser du vinaigre au vin, comme on ne peut le faire d’un mort à un vivant. Il faut donc dire que si le vin est entièrement du vinaigre, on ne peut accomplir [ce sacrement] à partir de lui. Mais s’il est acide, comme en voie de devenir du vinaigre, le jugement est le même que celui qui concerne le pain en voie de corruption. De même qu’on peut accomplir [le sacrement] avec ce pain, mais que celui qui l’accomplit pèche, de même en est-il ici.

[15479] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ipse largo modo accipit vinum pro omni liquore qui ex uvis ortum habet.

1. Il entend le vin au sens large de tout liquide qui provient des raisins.

[15480] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si vinum consecratum reservatum omnino acetum fieret, esset idem judicium quod de pane omnino corrupto; unde sicut non remanet ibi corpus Christi, ita nec hic sanguis. Secus autem est de pane qui est in via ad corruptionem, et de vino quod est in via ad acescendum.

2. Si le vin consacré placé en réserve tournait complètement au vinaigre, on en jugerait comme du pain entièrement corrompu. De même que le corps du Christ n’y demeure pas, de même aussi le sang [ne demeure-t-il pas] ici. Mais il en va autrement du pain qui est en voie de corruption, et du vin qui est en voie de tourner au vinaigre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15481] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nihil recipit speciem nisi in termino generationis: agresta autem adhuc est in via generationis ad vinum, sicut sanguis quando coagulari incipit, est in via generationis ad animal; unde sicut ille sanguis non est animal, ita agresta non est vinum; et propter hoc de ipsa non potest confici sanguis Christi.

Rien ne reçoit l’espèce qu’au terme de la génération. Or, le verjus est encore en voie de génération par rapport au vin, comme le sang, lorsqu’il commence à coaguler, est en voie de génération par rapport à l’animal. De même que ce sang n’est pas un animal, de même aussi le verjus n’est-il pas du vin. Pour cette raison, le sang du Christ ne peut être réalisé à partir de lui.

[15482] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mustum jam ad completam speciem vini venit: dulcedo enim ipsius attestatur maturationem quae est digestionis species; digestio autem est completio a naturali calore, ut patet in 4 Meteor.; et ideo ex musto confici potest, sed non decet, propter impuritatem ipsius, ut ex ipso conficiatur, nisi necessitas emergat.

1. Le moût a déjà atteint l’espèce complète du vin. En effet, sa douceur témoigne de la maturation, qui est une espèce de digestion. Or, la digestion est l’aboutissement de la chaleur naturelle, comme cela ressort des les Météores, IV. C’est pourquoi on peut accomplir [ce sacrement] avec du moût, mais cela ne convient pas de l’accomplir en raison de son impureté, à moins qu’une nécessité ne se présente.

[15483] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod maturatio est naturalis digestio, per quam digestum ad ultimam perfectionem naturalem perducitur, ut etiam possit alterum generare sibi simile, ut dicitur in 4 Meteor.; unde maturum et acerbum differunt sicut completum et incompletum: quae quidem differentia non est tantum accidentalis.

2. La maturation est une digestion naturelle, par laquelle ce qui est digéré est conduit à sa perfection naturelle afin qu’il puisse en engendrer un autre semblable à lui, comme il est dit dans les Météores, IV. Il y a donc, entre ce qui est mûr et ce qui est prématuré, la différence qui existe entre ce qui est complet et ce qui est incomplet, différence qui n’est pas seulement accidentelle.

 

 

Articulus 4 [15484] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 tit. Utrum aqua vino admiscenda sit

Article 4 – Est-ce que de l’eau doit être mélangée au vin ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que de l’eau doit être mélangée avec le vin ?]

[15485] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod aqua vino admiscenda non sit. De latere enim domini in cruce pendentis effluxit sanguis et aqua, ut dicitur Joan. 19; per quae duo, sacramenta praecipue intelliguntur, ut dicit Innocentius. Sed aqua competit sacramento regenerationis, scilicet Baptismo. Ergo sanguis tantum competit sacramento redemptionis Eucharistiae; et ita vinum sine aqua.

1. Il semble qu’il ne faille pas mélanger d’eau avec le vin. En effet, du sang et de l’eau se sont écoulés du côté du Seigneur suspendu à la croix, comme il est dit dans Jn 19 ; par ces deux choses, on entend principalement les sacrements, comme le dit Innocent. Or, l’eau convient au sacrement de la régénération, à savoir, le baptême. Le sang convient donc seulement au sacrement de la rédemption, l’eucharistie, et ainsi, le vin sans eau.

[15486] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vinum et aqua sunt alterius speciei. Si ergo aqua admiscetur vino, erit triplex materia hujus sacramenti, et non solum duplex, ut dictum est.

2. Le vin et l’eau sont d’une espèce différente. Si donc de l’eau est mêlée au vin, il y aura une triple matière de ce sacrement, et non seulement une [matière] double, comme on l’a dit.

[15487] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum sub specie panis et vini celebratur, ut in littera dicitur. Sed ad speciem panis nihil additur. Ergo nec vino aliquid addi debet.

3. Ce sacrement est célébré sous l’espèce du pain et du vin, comme on le dit dans le texte. Or, rien n’est ajouté à l’espèce du pain. Rien ne doit donc non plus être ajouté au vin.

[15488] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Alexander Papa: in sacramentorum oblationibus panis tantum et vinum aqua permixtum offerantur. Ergo debet admisceri aqua.

Cependant, [1] le pape Alexandre dit : «Dans les offrandes des sacrements, que ne soient offerts que du pain et du vin mêlé d’eau.» Il faut donc que de l’eau soit mélangée [avec le vin].

[15489] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, materia sacramenti debet competere rei significatae. Sed populus significatur per aquam, qui ad corpus misticum pertinet, quod est res ultima hujus sacramenti. Ergo aqua debet apponi.

[2] La matière du sacrement doit convenir à la réalité signifiée. Or, le peuple est signifié par l’eau : celui-ci est en rapport avec le corps mystique, qui est la réalité ultime de ce sacrement. Il faut donc ajouter de l’eau.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Sans eau, le sang peut-il être consacré ?]

[15490] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod absque ea non possit sanguis consecrari. Cyprianus enim dicit: calix domini non potest esse aqua sola et vinum solum nisi utrumque misceatur, quoniam nec corpus domini farina esse potest, nisi utrumque, scilicet farina et aqua, adunatum fuerit. Sed constat quod ex farina sine aqua nullo modo potest corpus Christi consecrari. Ergo nec ex vino sine aqua.

1. Il semble que, sans [eau], le sang ne puisse être consacré. En effet, Cyprien dit : «La coupe du Seigneur ne peut contenir seulement de l’eau et seulement du vin, sans que les deux ne soient mélangés, car la farine ne peut être le corps du Seigneur à moins que les deux, à savoir, la farine et l’eau, ne soient réunies.» Or, il est clair que le corps du Christ ne peut aucunement être consacré à partir de farine sans eau. Il ne peut donc pas l’être on plus à partir de vin sans eau.

[15491] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, significatio est de essentia sacramenti. Sed aqua significat aliquid quod est principale in sacramento, scilicet unionem corporis mystici ad caput. Ergo aqua est de necessitate hujus sacramenti, ut sine ea confici non possit.

2. La signification fait partie de l’essence du sacrement. Or, l’eau signifie quelque chose de fondamental dans le sacrement : l’union du corps mystique à sa tête. L’eau fait donc nécessairement partie de ce sacrement, de sorte que, sans elle, il peut être accompli.

[15492] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum est memoriale dominicae passionis. Sed ex latere domini patientis non solum fluxit sanguis sed aqua. Ergo ex vino sine aqua sacramentum hoc confici non potest.

3. Ce sacrement est le mémorial de la passion du Seigneur. Or, du côté du Seigneur souffrant, ne s’est pas écoulé seulement du sang, mais de l’eau. Ce sacrement ne peut donc être accompli à partir de vin sans eau.

[15493] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Graeci non apponunt aquam, ut Magister dicit; sed tamen conficiunt. Ergo sine aquae admixtione confici potest sacramentum.

Cependant, [1] les Grecs n’ajoutent pas d’eau, comme le dit le Maître ; cependant, ils accomplissent [le sacrement]. Le sacrement peut donc être accompli sans mélange d’eau.

[15494] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nihil est de substantia sacramenti quod non manet in sacramento. Sed aqua non manet in propria specie in sacramento. Ergo non est de substantia sacramenti.

[2] Rien ne fait partie de la substance du sacrement qui ne demeure dans le sacrement. Or, l’eau ne demeure pas dans l’espèce propre du sacrement. Elle ne fait donc pas partie de la substance du sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-ce que de l’eau résultant d’un art doit être ajoutée ?]

[15495] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debeat aqua artificialis apponi. Quia sacramentum dicitur esse uniforme. Sed ex parte corporis est aliquid artificiale, scilicet panis. Ergo ex parte sanguinis debet esse aqua artificialis.

1. Il semble que de l’eau résultant d’un art ne doive pas être ajoutée, car on dit que le sacrement n’a qu’une seule forme. Or, pour ce qui est du corps, il y a quelque chose qui résulte d’un art, à savoir, le pain.

[15496] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si panis ex aqua artificiali, ut rosacea, conficeretur, posset ex eo corpus Christi consecrari. Ergo similiter potest apponi in vino aqua artificialis.

2. Si le pain était fait avec de l’eau qui résulte d’un art, comme l’eau de rose, le corps du Christ pourrait être consacré à partir de lui. De la même manière, on peut donc ajouter dans le vin de l’eau qui résulte d’un art.

[15497] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Baptismus est sacramentum majoris necessitatis quam Eucharistia. Sed in Baptismo non potest accipi nisi aqua naturalis, ut supra dictum est. Ergo nec in Eucharistia.

Cependant, le baptême est un sacrement plus nécessaire que l’eucharistie. Or, pour le baptême, on ne peut utiliser que de l’eau naturelle, comme on l’a dit plus haut. C’est donc aussi le cas pour l’eucharistie.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Faut-il ajouter de l’eau en grande quantité ?]

[15498] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debeat in magna quantitate apponi. Quia quod non est, non potest aliquid significare. Sed quod corruptum est, non est. Cum ergo aqua ponatur ad significandum, ut dicitur, videtur quod debeat tantum apponi quod non corrumpatur; et ita tantum quantum de vino vel plus, quia vinum est magis activum.

1. Il semble qu’il faille ajouter de l’eau en grande quantité, car ce qui n’existe pas ne peut signifier quelque chose. Or, ce qui est corrompu n’existe pas. Puisque l’eau est ajoutée en vue de signifier, comme on dit, il semble qu’on doive en ajouter suffisamment pour qu’elle ne soit pas corrompue. Ainsi, [il faut en ajouter] autant ou plus que le vin, car le vin est plus actif.

[15499] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, de latere Christi sicut sanguis, ita et aqua sensibiliter fluxit. Sed si parum de aqua poneretur, non posset sentiri. Ergo debet in majori quantitate apponi.

2. De même que du sang s’est perceptiblement écoulé du côté du Christ, de même de l’eau. Or, si l’on ajoutait peu d’eau, elle ne pourrait être perçue. Elle doit donc être en plus grande quantité.

[15500] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, si sufficit in parva quantitate aquam apponi, eadem ratione sufficeret ad sacramentum, si gutta aquae in totum dolium projiceretur. Sed hoc videtur ridiculum. Ergo non sufficit quod parva quantitas ponatur.

3. S’il suffit d’ajouter de l’eau en petite quantité, pour la même raison, il suffirait qu’une goutte d’eau soit jetée dans tout un tonneau. Or, cela paraît ridicule. Il ne suffit donc pas qu’une petite quantité soit ajoutée.

[15501] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 4 Praeterea, quorumdam consuetudo esse dicitur in terris ubi non crescit vinum, quod pannum vino rubeo intinctum et siccatum aqua lavent; de qua cum ruborem vini acceperit, sanguinem Christi conficiunt. Ergo videtur quod aqua in magna quantitate possit apponi.

4. On dit que c’est la coutume, dans les pays où le vin n’est pas cultivé, de laver à l’eau une étoffe tachée de vin rouge et séchée ; avec cette eau qui a pris la couleur rouge du vin, on réalise le sang du Christ. Il semble donc que de l’eau puisse être ajoutée en grande quantité.

[15502] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, illud quod est ex duobus, neutrum illorum est, ut Damascenus dicit. Sed si magna quantitas aquae apponeretur, esset quaedam mixtio. Ergo non esset vinum; et ita non posset inde sanguis Christi confici.

Cependant, [1] ce qui vient de deux choses n’est aucune des deux, comme le dit [Jean] Damascène. Or, si une grande quantité d’eau était ajoutée, ce serait un mélange. Ce ne serait donc pas du vin, et ainsi le sang du Christ ne pourrait pas être réalisé avec cela.

[15503] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, oportet quod aqua consumatur a vino ad hoc quod ex parte sanguinis sit tantum una species, sicut ex parte corporis. Sed non posset consumi, si aqua in magna quantitate poneretur. Ergo non debet in magna quantitate poni.

[2] Il faut que l’eau soit absorbée par le vin pour qu’il n’y ait qu’une seule espèce du côté du vin, comme du côté du corps. Or, elle ne pourrait être absorbée si elle était ajoutée en grande quantité. Il ne faut donc pas ajouter une grande quantité [d’eau].

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15504] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod aqua debet apponi vino propter institutionem: quia dominus apposuisse probabiliter creditur ex more illius patriae: quia vinum ibi sine aqua nunquam bibitur propter vini fortitudinem: quamvis de aqua in Evangelio mentio non fiat, quia non est principalis materia in hoc sacramento; sed ejus appositio competit huic sacramento et quantum ad significationem rei hujus sacramenti, quae est corpus mysticum per aquam significatum, quia aquae multae populi multi, Apocal. 17, 15; et sic appositio aquae ad vinum significat unionem membrorum ad caput ratione ipsius conjunctionis; et amorem capitis patientis pro membris, ad ipsa, ex hoc quod ex duobus conjunctis unum efficitur; et processum redemptionis a capite ad membra, ex ipsa transformatione aquae in vinum. Unde dicit Glossa Marc. 14 super illud: accepit Jesus panem etc.: neque aqua solum neque vinum solum cuilibet licet offerre, ne videatur caput a membris secernere, vel Christum sine nostrae redemptionis amore pati potuisse, vel nos sine illius passione salvari.

De l’eau doit être ajoutée au vin en raison de l’institution, car on croit que le Seigneur en a probablement ajouté selon la coutume de son pays, car le vin n’y est jamais bu sans eau en raison de sa force – bien qu’il ne soit pas fait mention de l’eau dans l’évangile, parce qu’elle n’est pas la matière principale de ce sacrement. Mais l’ajout [d’eau] convient à ce sacrement parce qu’elle signifie la réalité de ce sacrement, qui est le corps mystique signifié par l’eau, car les eaux abondantes sont des peuples nombreux, Ap 17, 15. Et ainsi, l’ajout d’eau au vin signifie l’union des membres à la tête en raison de l’unité réalisée. [Il signifie] aussi l’amour de la tête qui souffre pour ses membres, par le fait que les deux réalités unies deviennent une seule. [Il signifie encore] le déroulement de la rédemption depuis la tête vers les membres, en raison de la transformation même de l’eau en vin. Aussi la Glose dit-elle, à propos de Mc 14 : Jésus prit du pain, etc. : «Il n’est permis à personne d’offrir seulement du vin ou de l’eau, de sorte qu’il ne paraisse pas séparer la tête des membres, que le Christ ait pu souffrir sans amour pour notre rédemption ou que nous puissions être sauvés sans sa passion.»

 

[15505] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Gregorius in Moral., quia natura uniuscujusque ex diversitate componitur, in sacro eloquio per rem quamlibet recte diversa significantur. Aqua ergo secundum quod habet vim abluendi, significatio ejus competit Baptismo; secundum autem quod continue in terram decurrit, habet significare populum: 2 Reg., 14, 14: omnes morimur, et quasi aqua dilabimur; et sic ejus significatio competit huic sacramento.

1. Comme Grégoire le dit dans les Morales, «parce que la nature de toute chose est composée d’une diversité, diverses choses sont correctement signifiées par n’importe quelle chose dans la Sainte Écriture». La signification de l’eau convient donc au baptême pour autant qu’elle a la capacité de laver. Mais selon qu’elle coule de manière continue sur la terre, elle est destinée à signifier le peuple. 2 Sm 14, 14 : Nous mourons tous et, comme l’eau, nous nous évanouissons. C’est selon cette signification qu’elle convient à ce sacrement.

[15506] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de aqua apposita est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod aqua manet in sua natura, et solum vinum transubstantiatur; unde aqua non apponitur ibi nisi ad significationem. Alii vero dicunt, quod aqua apposita in vinum convertitur, et sic totum in sanguinem Christi transubstantiatur. Quaecumque autem harum opinionum sit vera, aqua non erit materia hujus sacramenti: quia secundum primam non convertitur in corpus vel sanguinem Christi; secundum secundam non manet in propria specie sed vini. Secunda tamen verior apparet, et secundum rationem naturalem; quia modica aqua vino admixta, quod est magis activum, a vino corrumpitur et in speciem vini transit: et quantum ad ritum sacramenti: quia si aqua in propria natura remaneret, sic calix consecratus non esset tantum potus spiritualis sed etiam corporalis; et ita non liceret post primam sumptionem sanguinis iterum sumere.

2. À propos de l’eau ajoutée, il existe une double opinion. En effet, certains disent que l’eau conserve sa nature et que seul le vin est transsubstantié ; aussi l’eau n’est-elle ajoutée là que pour la signification. Mais d’autres disent que l’eau ajoutée est convertie en vin et qu’ainsi le tout est transsubstantié en sang du Christ. Quelle que soit celle de ces deux opinions qui soit vraie, l’eau ne sera pas la matière de ce sacrement, car, selon la première, elle n’est pas convertie au corps ou au sang du Christ ; selon la seconde, elle ne demeure pas selon sa propre espèce, mais selon celle du vin. Toutefois, la seconde semble plus vraie selon la raison naturelle, car un peu d’eau mêlée au vin, qui est plus actif, est corrompu par le vin et passe à l’espèce du vin. [Elle semble aussi plus vraie] pour ce qui est du rite du sacrement, car si l’eau conservait sa propre nature, ainsi la coupe consacrée ne serait pas seulement une boisson spirituelle mais aussi corporelle. Et ainsi, après en avoir pris une première fois, il ne serait pas permis d’en prendre de nouveau.

[15507] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aqua apponitur pani in ipsa sua confectione; et ideo non est necesse ut postea apponatur. Vel dicendum, quod effectus redemptionis a capite pervenit ad membra per sanguinis effusionem; et ideo magis apponitur aliquid ad significandum populi unionem ad sanguinem quam ad corpus.

3. L’eau est ajoutée au pain lors de sa confection même ; il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit ajoutée par la suite. Ou bien il faut dire que l’effet de la rédemption parvient aux membres depuis la tête par l’effusion du sang. C’est pourquoi on ajoute plutôt au sang qu’au corps quelque chose pour signifier l’union du peuple.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15508] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod materia proportionatur sacramento; unde secundum aliquid est de essentia sacramenti. Dictum est autem supra, quod perfectio hujus sacramenti consistit in ipsa consecratione corporis et sanguinis Christi, et non in usu materiae consecratae, sicut est in Baptismo et confirmatione; et ideo ex parte materiae illud tantum est de necessitate sacramenti, quod significat corpus et sanguinem Christi, scilicet panis et vinum; illud autem quod significat usum et effectum hujus sacramenti, scilicet aqua, non est de necessitate hujus sacramenti; unde vinum sine aqua potest consecrari, sed consecrans peccat.

La matière est proportionnée au sacrement ; elle fait donc partie du sacrement sous un aspect. Or, on a dit plus haut que l’accomplissement de ce sacrement consiste dans la consécration même du corps et du sang du Christ, et non dans l’usage de la matière consacrée, comme c’est le cas pour le baptême et la confirmation. C’est pourquoi, du point de vue de la matière, seul est nécessaire au sacrement ce qui signifie le corps et le sang du Christ, à savoir, le pain et le vin. Mais ce qui signifie l’usage et l’effet de ce sacrement, à savoir, l’eau, n’est pas nécessaire à ce sacrement. Aussi le vin peut-il être consacré sans l’eau, mais celui qui consacre pèche.

[15509] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod exponendum est verbum Cypriani: non potest, idest non debet; quia illud possumus quod de jure possumus: et ideo quantum ad id quod debet fieri, est simile ex parte corporis et sanguinis; non autem quantum ad id quod fieri potest: quia aqua est de substantia panis, non autem de substantia vini.

1. Il faut interpréter la parole de Cyprien : «ne peut», c’est-à-dire, «ne doit». Car nous pouvons ce que nous pouvons en droit. C’est pourquoi, quant à ce qui doit être fait, c’est la même chose pour le corps et pour le sang ; mais non quant à ce qui peut être fait, car l’eau fait partie de la substance du pain, mais non de la substance du vin.

[15510] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non significat aqua aliquid quod sit de substantia hujus sacramenti, ut dictum est, sed effectum vel usum consequentem.

2. L’eau ne signifie pas quelque chose qui ferait partie de la substance de ce sacrement, comme on l’a dit, mais l’effet ou l’usage qui en découle.

[15511] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod effusio sanguinis in passione Christi directe pertinebat ad effectum ablutionis a peccatis.

3. L’effusion du sang dans la passion du Christ avait un rapport direct avec l’effet de l’ablution des péchés.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15512] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum sine aqua possit sanguis consecrari, quantum ad id quod fieri potest non refert quaecumque aqua apponatur, dummodo sit talis aqua quae in vinum converti possit; sed quantum ad id quod fieri debet, non debet apponi nisi aqua naturalis: quia illae aquae non sunt ejusdem speciei, et dicuntur aquae aequivoce, sicut etiam de vino et de pane dictum est.

Puisque le sang peut être consacré sans eau, la quantité d’eau qui est ajoutée n’a pas d’importance quant à ce qui peut être fait, pourvu que cette eau puisse être convertie en vin. Mais, quant à ce qui doit être fait, on ne doit ajouter que de l’eau naturelle, car ces eaux ne sont pas de la même espèce et elles sont appelées «eau» de manière équivoque, comme on l’a dit pour le vin et pour le pain.

[15513] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod panis artificialiter factus est ejusdem speciei cum illo pane de quo confecit Christus; non autem aqua artificialis cum aqua quae effluxit cum sanguine de corpore Christi, est eadem specie; et ideo non est similis ratio.

1. Le pain qui résulte d’un art a la même espèce que le pain avec lequel le Christ a accompli [le sacrement], mais l’eau qui résulte d’un art n’a pas la même espèce que l’eau qui s’est écoulée du corps du Christ avec le sang. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[15514] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt, quod similiter est ex parte panis, quod de pane confecto ex aqua rosacea potest confici corpus Christi, quamvis peccaret scienter ex tali pane conficiens. Sed probabiliter videtur quod possit confici: quia panis est principalis materia hujus sacramenti, de cujus substantia et compositione est aqua; et ideo diversificatio aquae secundum speciem, facit diversitatem speciei in materia sacramenti. Sed aqua non est de substantia vini, quae est principalis materia in hoc sacramento.

2. Certains disent que c’est la même chose pour le pain : le corps du Christ peut être réalisé à partir du pain confectionné avec de l’eau de rose, bien que celui qui le réaliserait sciemment avec ce pain pécherait. Mais il semble probable qu’il puisse être réalisé, car le pain est la matière principale de ce sacrement, dont l’eau fait partie de la substance et de la composition. C’est pourquoi la diversité de l’eau selon l’espèce entraîne la diversité de l’espèce pour la matière du sacrement. Mais l’eau ne fait pas partie de la substance du vin, qui est la matière principale de ce sacrement.

[15515] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 3 ad s. c. 1 Patet etiam responsio ad id quod in oppositum objicitur: quia aqua in Baptismo est principalis materia; et ideo si aqua alterius speciei apponatur, non servatur debita materia, et propter hoc non est sacramentum; sed hic est aliter, ut dictum est.

[1] Réponse à ce qui est objecté en sens contraire : parce que l’eau dans le baptême est la matière principale. Si donc on ajoute de l’eau d’une autre espèce, la matière appropriée n’est pas respectée et, pour cette raison, il n’y a pas sacrement. Mais il en va autrement ici, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15516] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, aqua apposita vino in vinum convertitur, et sic totum convertitur in sanguinem; unde non tantum de aqua debet apponi quod vinum in aquam convertatur, vel in aliquod medium per mixtionem; et ideo semper tutius est apponere parum: quia quantumcumque apponatur parum, significatio servatur.

Comme on l’a dit, l’eau ajoutée au vin est convertie en vin, et ainsi l’ensemble est converti en sang. On ne doit pas ajouter tellement d’eau que le vin soit converti en eau ou en quelque chose d’intermédiaire par le mélange. C’est pourquoi il est toujours plus sûr d’en ajouter peu, car aussi peu qu’on en ajoute, la signification est sauvegardée.

[15517] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc ipso quod in vinum convertitur aqua, habet suam significationem: quia nos in Christum mutamur, non ipse in nos.

1. Par le fait même que l’eau est convertie en vin, elle a sa signification, car nous sommes changés dans le Christ, et non lui en nous.

[15518] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc sacramentum repraesentat Christi passionem quantum ad redemptionem, quae facta est per effusionem sanguinis; sed Baptismus quantum ad ablutionem; et ideo in Baptismo oportet quod sensibiliter aqua maneat, sicut et vinum hoc quod sanguini respondet; aqua autem haec apposita a vino absorbetur, sicut nostra mortalitas per virtutem passionis Christi.

2. Ce sacrement représente la passion du Christ pour ce qui est de la rédemption, qui a été réalisée par effusion de sang. Mais le baptême [la représente] pour ce qui est de l’ablution. C’est pourquoi, dans le baptême, il faut que l’eau demeure de manière sensible, comme c’est le cas du vin qui correspond au sang. Mais l’eau ajoutée est absorbée par le vin, comme notre mortalité l’est par la puissance de la passion du Christ.

[15519] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si apponeretur aqua in dolio, non significaret aliquid; et ideo hoc non sufficeret; sed oportet ut imminente oblatione apponatur ad sacramentum perficiendum.

3. Si de l’eau était ajoutée dans un tonneau, elle ne signifierait rien. C’est pourquoi cela ne suffirait pas, mais il faut qu’à l’approche de l’offrande, elle soit ajoutée au sacrement qui va être accompli.

[15520] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum illud sit magis aqua rubea quam vinum, non potest exinde sanguis Christi consecrari; unde illa consuetudo damnatur in canone de Consec., dist. 2, cap. cum omne.

4. Puisque cela est plutôt de l’eau rougie que du vin, le sang du Christ ne peut pas être consacré à partir d’elle. Aussi cette coutume est-elle condamnée dans le canon Sur la consécration, d. 2, «Cum omne».

 

 

Quaestio 3

Question 3 - [Comment le Christ a-t-il usé de ce sacrement lors de sa première institution ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[15521] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 pr. Deinde quaeritur quomodo Christus hoc sacramento usus sit in ipsa prima sui institutione; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum ipse corpus suum manducaverit; 2 utrum Judae dederit; 3 utrum dederit corpus suum passibile, vel impassibile; 4 utrum si in pixide reservatum fuisset corpus Christi, ibi moreretur; sub qua autem forma consecravit, supra, dist. 8, dictum est.

Ensuite, on s’interroge sur l’usage que le Christ a fait de ce sacrement lors de sa première institution. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – A-t-il mangé lui-même son corps ? 2 – L’a-t-il donné à Judas ? 3 – A-t-il donné son corps passible ou impassible ? 4 – Si le corps du Christ avait été conservé dans une pyxide, y serait-il mort [corr.] ? On a dit plus haut par quelle forme il a consacré, d. 8.

 

 

 

Articulus 1 [15522] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 tit. Utrum Christus manducaverit

Article 1 – Le Christ a-t-il mangé son corps ?

 

[15523] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ipse Christus non manducaverit. Quia de his quae dominus fecit, non sunt alia asserenda, nisi quae nobis in Evangelio narrantur. Sed in Evangelio continetur quod Christus accepit panem in manibus, et dedit discipulis suis manducandum. Ergo non debemus asserere quod ipse manducaverit.

Objections

1. Il semble que le Christ ne [l’]ait pas mangé, car, à propos de ce que le Seigneur a fait, il ne faut pas affirmer autre chose que ce qui nous est raconté dans l’évangile. Or, dans l’évangile, on trouve que le Christ a pris du pain dans ses mains et l’a donné à manger à ses disciples. Nous ne devons donc pas affirmer qu’il l’a lui-même mangé.

[15524] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod manducatur, in cibum assumitur. Sed assumens non est assumptum, ut in 3 Lib., dist. 5, dictum est. Ergo Christus corpus suum manducare non potuit.

2. Tout ce qui est mangé est pris comme nourriture. Or, celui qui prend ne doit pas être pris, comme on l’a dit dans le livre III, d. 5. Le Christ n’a donc pas pu manger son propre corps.

[15525] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum ordinatur ad spiritualem refectionem. Sed ipse spirituali refectione non indigebat. Ergo hoc sacramentum non sumpsit, quia in vanum accepisset.

3. Ce sacrement est destiné à la réfection spirituelle. Or, [le Christ] n’avait pas besoin de réfection spirituelle. Il n’a donc pas pris ce sacrement, car il l’aurait reçu en vain.

[15526] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, ut supra, dist. 9, dictum est, duplex est modus manducandi; scilicet spiritualis, et sacramentalis. Sed Christo non competebat sacramentaliter manducare, cum esset verus comprehensor, et sine velamine figurarum ad rem sacramenti pertingeret; nec iterum spiritualiter, quia in ipso gratia non augebatur. Ergo ipse non manducavit.

4. Comme on l’a dit plus haut, d. 9, il existe une double manière de manger : spirituelle et sacramentelle. Or, il ne convenait pas que le Christ mange sacramentellement, puisqu’il avait la vision béatifique [comprehensor] et atteignait sans le voile des figures la réalité du sacrement; [il ne convenait] pas davantage [qu’il le mange] spirituellement, car la grâce n’était pas augmentée en lui. Il ne l’a donc pas lui-même mangé.

[15527] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hieronymus dicit et habetur de Consec., dist. 2: dominus Jesus ipse cum apostolis conviva et convivium; ipse comedens, et qui comeditur. Ergo ipse corpus suum manducavit.

Cependant, [1] Jérôme dit, et on trouve cela dans Sur la consécration, d. 2 : «Le Seigneur Jésus a été avec ses apôtres à la fois convive et repas : lui-même a mangé et il a été mangé.» Lui-même a donc mangé son propre corps.

[15528] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut Christus instituit Baptismum, ita et hoc sacramentum. Sed ipse baptizatus fuit. Ergo similiter debuit hoc sacramentum assumere.

[2] De même que le Christ a institué le baptême, de même [a-t-il institué] ce sacrement. Or, il a été lui-même baptisé. De la même manière, a-t-il dû prendre ce sacrement.

[15529] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod Christus corpus suum in coena non manducavit, sed tantum manibus accepit; et nituntur solvere auctoritates sanctorum qui contrarium dicunt, quod ipse manducavit et bibit in coena ante consecrationem, sed non corpus suum. Sed expresse habetur Luc. 22, in Glossa super illud: desiderio desideravi etc., quod Christus comedit et bibit in coena, cum corporis et sanguinis sui sacramentum discipulis tradidit; unde quia pueri communicaverunt carni et sanguini, et ipse participavit eisdem; et propter hoc communius tenetur quod manducaverit, secundum quod sancti expresse dicere videntur; unde et ab antiquis versus est factus: rex sedet in caena, turba cinctus duodena: se tenet in manibus, se cibat ipse cibus. Non autem manducavit ut aliquem effectum consequeretur a sacramento, sed ut aliis manducandi exemplum daret.

Réponse

Il existe à ce sujet deux opinions. En effet, certains disent que le Christ n’a pas mangé son propre corps lors de la cène, mais l’a seulement pris dans ses mains. Et ils tentent de répondre aux autorités des saints qui disent le contraire en disant qu’il a lui-même mangé et bu lors de la cène avant la consécration. Mais on lit expressément en Lc 22, dans la glose sur : J’ai désiré d’un grand désir, etc., que le Christ a mangé et bu lors de la cène, alors qu’il donna à ses disciples le sacrement de son corps et de son sang. Aussi, puisque les enfants ont communié au sang et à la chair, y a-t-il lui-même pris part (He 2, 14). Aussi pense-t-on plus généralement qu’il a mangé [son propre corps], comme les saints semblent le dire expressément. Pour cette raison, les anciens ont écrit ce vers : «Le roi prend part au repas, entouré des douze. Il se prend lui-même entre ses mains ; il se nourrit, lui-même étant la nourriture.» Cependant, il n’a pas mangé pour obtenir du sacrement un effet, mais pour donner aux autres l’exemple qu’ils devaient manger.

[15530] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in acceptione panis potest utrumque intelligi, scilicet et acceptio in manibus et manducatio. [15531] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus sub specie propria quodammodo distat a seipso sub specie sacramenti; unde nunc in specie propria est in caelo, sed sub specie sacramenti est in altari; et secundum hunc modum non est inconveniens quod seipsum assumat.

Solutions

1. Le fait de prendre le pain peut s’entendre de deux manières : le fait de prendre dans ses mains et la manducation. 2. Le Christ sous sa propre espèce est d’une certaine manière éloigné de lui-même en tant qu’il est sous l’espèce du sacrement. Aussi existe-t-il maintenant sous son espèce propre au ciel, mais il existe sous l’espèce du sacrement sur l’autel. De cette manière, il n’est pas incompatible qu’il se prenne lui-même.

[15532] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa manducatio non efficiebat in ipso spiritualem refectionem, sed significabat: nullus enim adeo perfecte in ipso reficitur, sicut ipsemet.

3. Cette manducation ne réalisait pas en lui une réfection spirituelle, mais [la] signifiait. En effet, personne d’autre que lui-même ne répare aussi parfaitement ses forces en lui-même.

[15533] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus manducavit, ut dicitur, et sacramentaliter et spiritualiter. Sacramentaliter quidem, quia verum corpus suum sub sacramento sumpsit. Poterat enim in sacramento rem sacramenti inspicere non ex sacramento, ut etiam Deus videt in effectibus causas, sed non ex effectibus. Spiritualiter autem, inquantum in re sacramenti spiritualiter delectaretur. Non tamen haec spiritualis refectio ex sacramento causabatur, nec augmentabatur; unde nec spiritualis manducatio erat in eo sicut in aliis, nec sacramentalis. Et ideo quidam dixerunt, quod neque sacramentaliter neque spiritualiter manducavit. Quidam quod sacramentaliter, sed non spiritualiter.

4. Comme on le dit, le Christ a mangé à la fois sacramentellement et spirituellement. Sacramentellement, car il a pris son corps véritable dans le sacrement. En effet, il pouvait voir dans le sacrement la réalité du sacrement, non pas à partir du sacrement, comme Dieu voit les causes dans les effets, sans partir des effets. Spirituellement, pour autant qu’il jouissait spirituellement de la réalité du sacrement. Toutefois, cette réfection spirituelle n’était pas causée par le sacrement, mais elle en était accrue. Aussi ni la manducation spirituelle ni la manducation sacramentelle n’étaient-elles chez lui comme chez les autres. C’est pourquoi certains ont dit qu’il n’a mangé ni sacramentellement, ni spirituellement, mais certains, [qu’il a mangé] sacramentellement, mais non spirituellement.

Articulus 2 [15534] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 tit. Utrum Christus corpus suum Judae dederit

Article 2 – Le Christ a-t-il donné son propre corps à Judas ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il donné son propre corps à Judas ?]

[15535] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus corpus suum Judae non dederit. Ipse enim implevit quod mandavit. Sed mandaverat sanctum non esse canibus dandum, Matth. 7. Ergo ipse non dedit Judae corpus suum sanctissimum.

1. Il semble que le Christ n’ait pas donné son propre corps à Judas. En effet, il a lui-même accompli ce qu’il avait ordonné. Or, il avait ordonné de ne pas donner une chose sainte aux chiens, Mt 7. Il n’a donc pas lui-même donné à Judas son corps très saint.

[15536] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Deus non est causa alicui quod deterior fiat. Sed si Judas corpus Christi sumpsisset, ex hoc factus fuisset deterior, quia sumendo peccasset. Ergo Christus corpus suum ei manducandum non dedit.

2. Selon Augustin, Dieu n’est pas cause que quelqu’un devienne pire. Or, si Judas avait pris le corps du Christ, il aurait été pire par le fait même, car il aurait péché en le prenant. Le Christ ne lui a donc pas donné son propre corps à manger.

[15537] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut supra, dist. 9 quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 1, dictum est, ideo sacerdos debet peccatori dare, quia non est dominus, sed dispensator, et reddit quod suum est exigenti. Sed Christus erat dominus sacramenti, nec Judas ibi jus habere poterat, nisi quod Christus sibi daret. Ergo non debuit Judae corpus tradere.

3. Comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. 1, a. 1, qa 1, le prêtre doit [le] donner au pécheur parce qu’il n’est pas le Seigneur, mais le dispensateur, et il rend à celui qui l’exige ce qui lui appartient. Or, le Christ était le Seigneur du sacrement et Judas ne pouvait y avoir aucun droit, à moins que le Christ ne le lui donne. Le Christ ne devait donc pas donner son corps à Judas.

[15538] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, dominus dixit, quod discipuli bibentes bibituri essent secum illud novum in regno patris sui, et quod erat eis in remissionem peccatorum. Sed neutrum Judae competit. Ergo ipse non sumpsit; et haec est ratio Hilarii.

4. Le Seigneur a dit qu’en buvant, les disciples devaient boire de nouveau avec lui dans le royaume de son Père, et que cela était pour la rémission de leurs péchés. Or, aucune des deux choses ne revient à Judas. Il ne l’a donc pas pris. C’est là le raisonnement d’Hilaire.

[15539] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Dionysius dicit: symbolorum conditor partitur sanctissima non unimode ei sacra concoenanti, scilicet Judae. Sanctissima autem dicit corpus et sanguinem suum, ut ibidem patet. Ergo Judae dedit corpus suum.

Cependant, [1] Denys dit: «Celui qui a fait les symboles a diversement distribué les réalités très saintes à celui qui mangeait avec lui», à savoir, à Judas. Or, il appelle «très saints» son corps et son sang, comme cela ressort clairement à cet endroit. Il a donc donné son propre corps à Judas.

[15540] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sine exceptione dicitur Matth. 26, 26: accipite omnes, et comedite. Ergo etiam Judae dedit.

[2] En Mt 26, 26, [le Seigneur] dit sans exception: Prenez et mangez-en tous. Il l’a donc donné aussi à Judas.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il donné son corps dans la bouchée ?]

[15541] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sub bucella corpus suum ei dedit. Dicit enim Augustinus de Consec.: non mala erat bucella quae data est Judae a domino. Salutem medicus dedit; sed ille, quia indignus erat, accepit ad perniciem. Non autem fuisset indignus, si bucella illa tantum panis fuisset. Ergo illa bucella erat corpus Christi.

1. Il semble que [le Christ] ait donné son corps dans la bouchée. En effet, Augustin dit, dans Sur la consécration : «La bouchée que le Seigneur a donnée à Judas n’était pas mauvaise. Le médecin a donné la santé, mais celui-ci, parce qu’il était indigne, l’a reçue pour sa perte.» Or, il n’aurait pas été indigne si cette bouchée n’avait été que du pain. Cette bouchée était donc le corps du Christ.

[15542] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Diabolum intrare in hominem est effectus peccati. Sed Joan. 13, dicitur, quod post bucellam introivit in eum Satanas. Ergo accipiendo bucellam, peccavit: ergo bucella erat corpus Christi.

2. L’entrée du Diable dans l’homme est l’effet du péché. Or, il est dit, en Jn 13, qu’après la bouchée, Satan entra dans [Judas]. En prenant la bouchée, il a donc péché. La bouchée était donc le corps du Christ.

[15543] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod habetur in Glossa Joan. 14, super illud: cui intinctum panem porrexero et cetera.

Cependant, il y a [ce qu’on lit] dans la Glose sur Jn 14 : Celui à qui je donnerai du pain trempé, etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15544] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum Augustinum, Christus corpus suum in coena cum aliis discipulis Judae dedit, ut nobis exemplum daret quod peccatoribus occultis non essent sacramenta deneganda, et ut omnem occasionem ei auferret male faciendi, quam assumere potuisset, si in aliquo ab aliis discipulis ante apertam malitiam fuisset discretus. Hilarius tamen contrarium dicere videtur. Sed primum communius tenetur.

Selon Augustin, le Christ, lors de la cène, a donné son propre corps à Judas, de même qu’aux autres disciples, afin de nous donner l’exemple que les sacrements ne devaient pas être refusés aux pécheurs occultes et de lui enlever toute occasion de mal agir, qu’il aurait pu saisir, s’il avait été jugé à cause de cela par les autres disciples avant sa méchanceté manifeste. Toutefois, Hilaire semble dire le contraire. Mais la première opinion est plus généralement partagée.

[15545] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Judas in rei veritate canis esset, tamen non in manifesto; et ideo noluit eum detegere coram aliis discipulis, ne desperationem incurreret, et sic liberius peccaret.

1. Bien que Judas ait été en réalité un chien, il ne l’était cependant pas ouvertement. Aussi [le Seigneur] n’a-t-il pas voulu le mettre à découvert devant les autres disciples afin qu’il ne tombe pas dans le désespoir et pèche ainsi plus librement.

[15546] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus non dedit causam nec occasionem Judae peccandi, sed peccatum evitandi ex mansuetudinis suae ostensione ad ipsum; sed ipse ex vitali medicina sumpsit periculum mortis.

2. Le Christ n’a donné à Judas ni une raison ni une occasion de pécher, mais [une occasion] d’éviter le péché en montrant sa douceur à son endroit. Mais [Judas] a tiré un danger de mort du remède de vie.

[15547] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa non est sola causa, sed etiam ne peccatorem occultum prodat.

3. Ce n’est pas la seule raison ; c’était aussi pour ne pas trahir un pécheur occulte.

[15548] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Judas bibit cum aliis sacramentaliter, sed non spiritualiter; unde nec remissionem peccatorum consecutus est, nec in regno patris secum bibit: quia potus ille tantum spiritualiter bibentibus debetur.

4. Judas a bu avec les autres sacramentellement, mais non spirituellement. Aussi n’a-t-il pas obtenu la rémission de ses péchés et ne boit-il pas avec [le Christ] dans le royaume de son Père, car cette boisson n’est donnée qu’à ceux qui boivent spirituellement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15549] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Christus primo Judae dedit corpus suum cum aliis discipulis; sed postea bucella intincta in ostensionem proditionis ejus ei porrecta, purus panis fuit, sicut patet ex Glossa inducta.

Le Christ a d’abord donné son propre corps à Judas, ainsi qu’aux autres disciples. Mais, par la suite, la bouchée trempée qui lui a été présentée pour montrer sa trahison n’était que du pain, comme il ressort de la glose invoquée.

[15550] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur non de bucella intincta, sed de eo quod prius cum aliis discipulis acceperat. Vel dicendum, quod dicitur ad perniciem assumpsisse, quia quod Christus ad salutem suam fecerat porrigendo bucellam, ut videns se deprehensum, ab iniquo proposito desisteret, ille ex hoc magis exasperatus fuit.

1. Augustin parle, non pas de la bouchée trempée, mais de ce qu’il avait d’abord reçu de lui avec les autres disciples. Ou bien il faut dire qu’on dit qu’il l’a reçue pour sa perte, parce que ce que le Christ avait fait pour son salut en lui présentant la bouchée, de sorte que se voyant pris, [Judas] se détourne de son intention mauvaise, il en a été davantage exaspéré.

[15551] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in comestione bucellae intinctae, peccatum Judae augmentatum fuit vel ex hoc quod exasperatus est magis, vel propter praesumptionem qua cum magistro in catinum manum mittebat, ut audacia bonam conscientiam mentiretur, ut dicitur Matth. 26, super illud: qui intingit manum mecum etc., et ratione hujus augmenti dicitur Diabolus post bucellam in eum intrasse; jam praemissum erat enim in Evangelio, quod Diabolus immiserat in cor Judae Simonis Scarioth, ut traderet eum.

2. Par le fait de manger la bouchée trempée, le péché de Judas a été augmenté, soit parce qu’il en a été davantage exaspéré, soit par la présomption avec laquelle il a mis la main dans le plat avec le Maître, de sorte que son audace a démenti sa bonne conscience, comme il est dit à propos de Mt 26 : Celui qui trempera sa main avec moi, etc. C’est en raison de cette augmentation qu’on dit que le Diable est entré en lui après qu’il a pris la bouchée. En effet, il avait déjà été dit dans l’évangile que le Diable avait mis dans le cœur de Judas Iscariote de trahir [le Christ].

Articulus 3 [15552] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 tit. Utrum Christus in coena discipulis suis corpus impassibile dedit

Article 3 – Lors de la cène, le Christ a-t-il donné à ses disciples son corps impassible ?

Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus in coena discipulis suis corpus impassibile dedit. Quia super illud Matth. 17: transfiguratus est ante eos, dicit Glossa: illud corpus quod habuit per naturam, dedit discipulis in coena, non mortale et corruptibile.

Objections

1. Il semble que, lors de la cène, le Christ ait donné à ses disciples son corps impassible, car, à propos de Mt 17 : Il fut transfiguré sous leurs yeux, la Glose dit : «Ce corps qu’il avait par nature, il le donna à ses disciples lors de la cène, non pas [son corps] mortel et corruptible.»

[15554] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, Lev. 2, super illud: si oblatio tua fuerit de sartagine etc., dicit Glossa: crux super omnia fortis carnem Christi, quae ante passionem non videbatur esui apta, post aptam fecit. Sed Christus in coena dedit carnem suam ut aptam ad manducandum. Ergo dedit eam talem qualis fuit post passionem. Sed post passionem suam fuit impassibilis. Ergo dedit corpus suum impassibile.

2. À propos de Lv 2: Si ton offrande vient du plat, etc., la Glose dit : «La croix est plus forte que tout : la chair du Christ, qui ne semblait pas susceptible d’être mangée avant la passion, elle la rendit telle après.» Or, lors de la cène, le Christ a donné sa chair en tant qu’elle était susceptible d’être mangée. Il l’a donc donnée telle qu’elle était après la passion. Or, après sa passion, elle était impassible. Il a donc donné son corps impassible.

[15555] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, passibile trahitur ad naturam agentis. Sed Christus in coena dedit corpus suum in cibum, non qui in alios mutaretur, sed qui alios in se mutaret. Ergo non dedit corpus suum passibile.

3. Ce qui est passible est attiré vers la nature de l’agent. Or, lors de la cène, le Christ a donné son corps en nourriture, non pas pour être changé en d’autres, mais pour que les autres soient changés en lui. Il n’a donc pas donné son corps passible.

[15556] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne corpus passibile ex contactu patitur. Sed corpus Christi a discipulis manducatum non laedebatur. Ergo non erat passibile.

4. Tout corps passible est soumis au toucher. Or, le corps du Christ mangé par les disciples n’était pas affecté. Il n’était donc pas passible.

[15557] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Innocentius dicit: tale corpus tunc dedit quale habuit, scilicet passibile.

Cependant, [1] Innocent dit : «Il donna le corps qu’il avait», à savoir, [son corps] passible.

[15558] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, constat quod Christus discipulis verum corpus suum tradidit. Corpus autem suum verum erat passibile. Si ergo corpus datum erat impassibile, idem erat passibile et impassibile; quod non est possibile.

[2] Il est certain que le Christ a donné aux disciples son corps véritable. Or, son corps véritable était passible. S’il avait donné son corps impassible, le même était donc passible et impassible, ce qui n’est pas possible.

[15559] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc duplex fuit opinio. Hugo enim de s. Victore dicere voluit, quod Christus adhuc existens in carne mortali quandoque unam dotem, quandoque aliam legitur accepisse; sicut claritatem in transfiguratione, subtilitatem in nativitate, agilitatem quando super mare ambulavit; et similiter impassibilitatem quando corpus suum in coena dedit. Non quidem nec tunc simpliciter erat impassibile; sed erat impassibile secundum quod in sacramento dabatur, quia masticatione non laedebatur; sicut etiam in se erat visibile; sed secundum quod in sacramento dabatur, erat invisibile. Sed istud non potest stare; quia substantia corporis Christi eadem est in sacramento et in specie propria; sed comparatio ejus ad exteriora non est eadem; quia in specie propria comparatur ad exteriora secundum situm propriarum dimensionum; sed in sacramento secundum situm dimensionum panis; unde illae proprietates quae insunt absolute corpori Christi, oportet quod eodem modo insint sibi secundum quod est in sacramento, et secundum quod est in specie propria; sed illae quae conveniunt ei ex comparatione ad aliud corpus extra, non eodem modo, sicut patet de visione. Sed passibilitas est proprietas absolute ipsius corporis; unde cum in propria specie esset passibile, et in sacramento passibile erat, ut alii dicunt, quamvis ibi non pateretur.

Réponse

Il y a deux opinions à ce sujet. En effet, Hugues de Saint-Victor disait qu’on lit que le Christ, alors qu’il se trouvait encore dans la chair mortelle, revêtait parfois une dot et parfois une autre, tels le resplendissement lors de la transfiguration, la subtilité lors de sa naissance, l’agileté lorsqu’il a marché sur la mer. De la même manière, [a-t-il revêtu] l’impassibilité lorsqu’il a donné son corps lors de la cène. Non pas qu’il ait été alors simplement impassible, mais il était impassible selon qu’il était donné dans le sacrement, car il n’était pas affecté par la mastication, de même qu’il était visible en lui-même, mais qu’il était invisible selon qu’il était donné dans le sacrement. Mais cela ne peut pas être le cas, car la substance du corps du Christ est la même dans le sacrement et sous sa propre espèce ; cependant, la comparaison avec les choses extérieures n’est pas la même : en effet, sous son espèce propre, il est comparé aux choses extérieures selon le site de ses propres dimensions ; mais, dans le sacrement, selon le site des dimensions du pain. Il faut donc que les propriétés qui font partie du corps du Christ de manière absolue soient présentes en lui selon qu’il existe dans le sacrement et selon qu’il existe sous son espèce propre, mais que celles qui lui conviennent par comparaison à un autre corps extérieur [n’y soient] pas de la même manière, comme cela est clair pour la vision. Or, la passibilité est une propriété de son propre corps d’une manière absolue. Puisqu’il était passible sous sa propre espèce, il était donc aussi passible dans le sacrement, comme d’autres le disent, bien qu’il n’y souffrît pas.

[15560] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicitur corpus Christi in sacramento non mortale, non passibile, quia per sacramentalem sumptionem non patiebatur neque moriebatur.

Solutions

1. On dit que le corps du Christ dans le sacrement n’était pas mortel ni passible parce que, par la réception sacramentelle, il ne souffrait pas ni ne mourait.

[15561] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caro Christi non est apta esui nisi prout est sub sacramento; et quia sacramentum hoc est repraesentativum passionis Christi, ideo dicitur quod crux fecit eam esui aptam.

2. La chair du Christ n’est susceptible d’être mangée que pour autant qu’elle existe dans le sacrement. Et parce que ce sacrement représente la passion du Christ, c’est la raison pour laquelle on dit que la croix l’a rendue susceptible d’être mangée.

[15562] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non ratione passibilitatis, sed virtute divinitatis unitae, habebat corpus Christi quod alios in se converteret.

3. Ce n’est pas en raison de sa passibilité, mais par la puissance divine qui lui était unie que le corps du Christ pouvait en convertir d’autres en lui-même.

[15563] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod masticatio importat respectum corporis Christi ad aliud extra; et ideo quantum ad hoc non comparatur ad manducantem secundum dimensiones proprias, sed secundum dimensiones panis; et inde est quod nunc non laeditur per masticationem, nisi ratione impassibilitatis, quae in ipso corpore nunc est.

4. La mastication comporte un rapport du corps du Christ à quelque chose d’extérieur. C’est pourquoi, sous cet aspect, elle n’est pas comparée à celui qui mange selon ses dimensions propres, mais selon les dimensions du pain. De là vient que, maintenant, il n’est pas affecté par la mastication, si ce n’est en raison de l’impassibilité qui existe maintenant dans son propre corps.

 

 

Articulus 4 [15564] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 tit. Utrum corpus Christi, si fuisset in pixide servatum, non ibi moreretur

Article 4 – Si le corps du Christ avait été conservé dans une pyxide, y serait-il mort ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Si le corps du Christ avait été conservé dans une pyxide, y serait-il mort ?]

[15565] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod corpus Christi, si fuisset in pixide servatum, non ibi moreretur. Corpus enim Christi non est mortuum nisi crucifixione. Sed ibi non crucifigebatur. Ergo et ibi non moriebatur.

1. Il semble que le corps du Christ, s’il avait été conservé dans une pyxide, n’y serait pas mort. En effet, le corps du Christ n’est mort que par la crucifixion. Or, il n’était pas crucifié [dans la pyxide]. Il n’y mourait donc pas.

[15566] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, actio Judaeorum erat causa mortis Christi, et sanguinis effusio. Sed ibi non effudisset sanguinem, nec actio Judaeorum ibi fuisset. Ergo non fuisset ibi mortuum.

2. L’action des Juifs était la cause de la mort du Christ et l’effusion de son sang. Or, il n’y aurait pas répandu son sang et n’y aurait pas eu d’action des Juifs. Il n’y serait donc pas mort.

[15567] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, unum et idem corpus fuisset tunc in pixide et in cruce. Sed in cruce moriebatur. Ergo et in pixide.

Cependant, il n’y aurait eu qu’un seul et même corps dans la pyxide et sur la croix. Or, il mourait sur la croix. Donc, dans la pyxide aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Si un des apôtres avait accompli ce sacrement après la mort du Christ, l’âme du Christ s’y serait-elle trouvée ?]

[15568] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si post mortem Christi aliquis apostolorum confecisset hoc sacramentum, fuisset ibi anima Christi; fuisset enim aliter imperfectum sacramentum. Sed de perfectione sacramenti est non solum corpus, sed etiam anima; quia totus Christus in sacramento continetur. Ergo ibi fuisset anima.

1. Il semble que si un des apôtres avait accompli ce sacrement après la mort du Christ, l’âme du Christ s’y serait trouvée : en effet, ce serait autrement un sacrement imparfait. Or, non seulement le corps, mais aussi l’âme concourt-elle à la perfection du sacrement, car le Christ en entier est contenu dans le sacrement. L’âme s’y serait donc trouvée.

[15569] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, verba formae non fuissent tunc minoris virtutis quam modo. Sed modo ex vi formae conficitur corpus cum anima. Ergo et cetera.

2. Les paroles de la forme n’auraient pas alors moins de puissance que maintenant. Mais, maintenant, le corps avec l’âme est réalisé en vertu de la forme. Donc, etc.

[15570] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, corpus Christi non est perfectius sub specie sacramenti quam sub specie propria. Sed tunc corpus Christi erat exanime. Ergo et sub sacramento.

Cependant, le corps du Christ n’existe pas plus parfaitement sous l’espèce du sacrement que sous son espèce propre. Or, le corps du Christ était alors inanimé. Il l’était donc aussi dans le sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dieu pouvait-il faire en sorte que l’âme du Christ soit alors unie au corps du Christ existant dans le sacrement ?]

[15571] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Deus facere potuerit quod tunc anima esset corpori Christi in sacramento existenti unita. Anima enim Christi majorem convenientiam habebat ad corpus proprium quam ad Infernum. Sed anima separata a corpore Christi jacente in sepulcro fuit in Inferno. Ergo similiter potuisset esse in loco illo ubi corpus Christi sub sacramento conservabatur.

1. Il semble que Dieu pouvait faire en sorte que l’âme du Christ soit alors unie au corps du Christ existant dans le sacrement. En effet, l’âme du Christ avait plus en commun avec son propre corps qu’avec l’enfer. Or, l’âme séparée du corps du Christ gisant dans le sépulcre se trouvait en enfer. Elle aurait donc pu se trouver aussi dans le lieu où le corps du Christ était conservé dans le sacrement.

[15572] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, corpus Christi, quia est divinitati adjunctum, potest esse in sacramento, et in specie propria. Ergo et anima, cum sit divinitati unita, poterat esse simul in Inferno, et in corpore Christi sub sacramento.

2. Le corps du Christ, parce qu’il est uni à la divinité, peut exister dans le sacrement et sous son espèce propre. Donc, l’âme aussi, puisqu’elle est unie à la divnité, pouvait-elle se trouver en même temps en enfer et dans le corps du Christ dans le sacrement.

[15573] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ex hoc sequeretur quod contradictoria essent simul vera, si corpus Christi esset simul animatum et inanimatum. Sed hoc Deus facere non potest, ut Augustinus dicit contra Faustum. Ergo nec primum.

Cependant, il en découlerait que des contradictoires peuvent exister en même temps, si le corps du Christ était en même temps animé et inanimé. Or, Dieu ne peut pas faire cela, comme le dit Augustin contre Faustus. Donc, ni le premier point.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15574] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod omnia verba quae significant passionem ab extrinseco illatam, non possunt attribui corpori Christi prout est sub sacramento; cujus ratio ex dictis apparet; unde non potest dici, quod in pixide crucifigeretur vel verberaretur, vel aliquid hujusmodi. Nec ex hoc sequitur quod duo contradictoria sint simul vera; quia non secundum idem comparatur ad extra corpus Christi hic et ibi. Omnia autem verba quae significant passionem innatam, conveniunt ei, ut dolet, patitur, et cetera hujusmodi; et similiter potest dici, quod in altari moritur; unde versus: pixide servato poteris copulare dolorem innatum; sed non illatus convenit illi.

Toutes les paroles qui signifient la passion infligée de l’extérieur ne peuvent être attribuées au corps du Christ en tant qu’il existe dans le sacrement. La raison en ressort de ce qui a été dit. On ne peut donc dire qu’il aurait été crucifié ou frappé dans la pyxide, ou quelque chose du genre. Il n’en découle cependant pas que deux contradictoires sont vraies en même temps, car le corps du Christ n’est pas comparé à la même chose selon qu’il existe ici et là. Or, toutes les paroles qui signifient la passion innée lui conviennent, comme éprouver de la douleur, souffrir, et les autres choses de ce genre. De même peut-on dire qu’il est mort sur l’autel. De là vient le vers : «Conservé dans la pyxide, tu pourras t’unir à la douleur innée ; mais la douleur qui est causée en lui ne lui convient pas.»

[15575] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passiones extrinsecae pertingunt ad substantiam corporis Christi mediantibus dimensionibus propriis; et ideo propter impressiones extrinsecas quae ad species panis pertinent, nulla passio intrinseca corpori Christi attribuitur; sed propter impressiones extrinsecas ad dimensiones proprias pertinentes attribuuntur passiones corpori Christi, et extrinsecae sub specie propria tantum, et intrinsecae etiam sub specie aliena; et ideo propter crucifixionem in Calvariae loco factam, corpus Christi verum servatum moriebatur sub specie propria, et sub sacramento.

1. Les passions extrinsèques atteignent la substance du corps du Christ par l’intermédiaire de ses propres dimensions. C’est pourquoi aucune passion intrinsèque n’est attribuée au corps du Christ en raison des impressions extrinsèques qui sont en rapport avec l’espèce du pain. Mais des passions sont attribuées au corps du Christ en raison des impressions extrinsèques se rapportant à ses dimensions propres, des [passions] extrinsèques sous son espèce propre seulement et intrinsèques sous une autre espèce aussi. C’est pourquoi, en raison de la crucifixion réalisée au lieu du Calvaire, le corps véritable du Christ conservé mourait sous son espèce propre et dans le sacrement.

[15576] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum; quia actio Judaeorum extrinseca erat; fluxus etiam sanguinis ad motum localem pertinet, et sic importat ordinem ad aliquid extra.

2. La solution du deuxième argument est ainsi claire, car l’action des Juifs était extrinsèque. L’écoulement du sang est aussi en rapport avec un mouvement local, et ainsi comporte un ordre à quelque chose d’extérieur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15577] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod cum animatio sit proprietas intrinseca, constat quod sicut corpus Christi in specie propria erat exanime, ita sub sacramento. Unde si corpus Christi fuisset ab ullo discipulorum consecratum, non fuisset ibi anima. Quidam autem dicunt, quod forma fuit suspensa in illo triduo; et quod si primo consecratum, fuisset reservatum, desineret ibi esse Christo mortuo. Sed haec frivola sunt; quia nec ratione nec auctoritate confirmantur.

Puisque le fait d’être animé est une propriété intrinsèque, il est certain que, de même que le corps du Christ sous son espèce propre était inanimé, de même l’était-il dans le sacrement. Si le corps du Christ avait été consacré par l’un des disciples, l’âme n’y aurait pas été. Mais certains disent que la forme fut suspendue pendant ce triduum, et que si, après l’avoir consacré, on l’avait mis en réserve, il aurait cessé d’exister après la mort du Christ. Mais cela est futile, car cela n’est confirmé ni par la raison ni par une autorité.

[15578] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 10, anima non est ibi ex vi sacramenti, sed propter concomitantiam ad corpus; et ideo corpore sine anima existente, nihil deperit perfectioni sacramenti, si anima ibi non contineatur.

1. Comme on l’a dit à la d. 10, l’âme ne se trouve pas là en vertu du sacrement, mais en raison de sa concomitance avec le corps. C’est pourquoi, alors que le corps se trouve sans âme, rien n’est enlevé à la perfection du sacrement par le fait que l’âme n’y est pas contenue.

[15579] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc non est propter defectum virtutis verborum, sed propter diversam dispositionem corporis Christi.

2. Cela ne vient pas d’une carence de la puissance des paroles, mais d’une disposition différente du corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15580] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Deus bene poterat facere quod anima Christi a corpore separata jacente in sepulcro, esset in loco ubi erat corpus sub sacramento, quia hoc importat respectum ad extra; sed non quod esset ei unita sub sacramento sicut forma, quia hoc pertinet ad dispositionem interiorem; unde inevitabiliter sequeretur duo contradictoria esse simul.

Dieu pouvait bien faire que l’âme du Christ séparée du corps gisant dans le sépulcre se trouve dans le lieu où le corps existait dans le sacrement, car cela comporte une relation avec l’extérieur, mais [il ne pouvait pas faire] qu’elle lui soit unie comme forme dans le sacrement, car cela concerne une disposition intérieure. Il en découlerait donc inévitablement que deux contradictoires existent simultanément.

[15581] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa non concludit, nisi quod esset ibi sicut in loco; et hoc Deus bene potuit facere.

1. Cet argument n’est pas concluant, à moins qu’il ne s’y trouve comme dans un lieu. Et Dieu peut bien faire cela.

[15582] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Et similiter etiam dicendum ad secundum. Tamen non est haec causa quare corpus Christi potest esse aliquo modo in diversis locis, quia est divinitati unitum; sed ratione conversionis alterius corporis in ipsum factae, quae non fit in animam.

2. Il faut dire la même chose pour le second argument. Cependant, le fait que le corps du Christ soit uni à la divinité n’est pas la cause pour laquelle le corps du Christ peut exister d’une certaine manière dans divers lieux : la raison en est la conversion d’un autre corps en lui, laquelle ne se réalise pas pour l’âme.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 11

[15583] Super Sent., lib. 4 d. 11 q. 3 a. 4 qc. 3 expos. De materia de qua in conceptione non fuit factum. Patet quod ex aequivocatione hujus praepositionis de procedunt: quia cum dicitur: de pane fit corpus Christi, ly de non denotat habitudinem causae materialis, sed solum ordinem mutationis terminorum. Investigari salubriter non potest, scilicet ut aliquis comprehendere nitatur: quia praesumptuosum est et periculosum, dum aliquis non vult plus credere quam ratione videri potest; sed investigare pro defensione fidei, utile est. Quis fidelium habere dubium possit in ipsa immolationis hora ad sacerdotis vocem caelos aperiri ? et cetera. Dicuntur caeli aperiri in ipsa immolationis hora propter efficaciam divinae virtutis, quae operatur in sacramento; summa imis sociari, quia ex speciebus et corpore Christi fit unum sacramentum; et iterum membra capiti uniuntur; et iterum in caelum rapitur corpus Christi, inquantum fidelium devotio non sistit in specie sacramenti, sed fertur usque ad Christum, secundum quod est in caelo sub specie propria, per desiderium. Vinum operatur sanguinem, in quo est sedes animae. Hoc potest intelligi tripliciter. Uno modo ut sedes animae dicatur conservatio vitae, quae est per sanguinem. Alio modo quia sanguis est potentia totum, quia per actum virtutis nutritivae in membra convertitur. Tertio modo quia per sanguinem in corde generatum vitalis operatio in omnia membra diffunditur, ut philosophus in Lib. de animalibus dicit. Caro pro corpore vestro offertur, hoc intelligendum est per quamdam adaptationem de salute corporis, quae erit per gloriam resurrectionis, ad quam hoc sacramentum operatur. Nec debet iterari sacramentum, quantum ad id quod est principale in hoc sacramento, scilicet consecratio materiae, quamvis iteretur quantum ad usum. Ut mixtio illa non possit separari. Sed contra. Alchimistae dicunt, quod per immissionem junci decorticati potest separari. Et dicendum, quod a vino aufertur substantia aquae quae ibi est, propter similitudinem junci, quod etiam porosum est; non tamen illa aqua quae fuit apposita, separatur, quia jam facta est vinum. Nobis vero non potest ignosci, idest, peccatum nostrum non haberet in se causam veniae, cum non ex ignorantia procederet. Aqua vero nullatenus sine vino potest offerri in sacrificium. Si autem per errorem contingat ut aqua loco vini ponatur, si ante consecrationem vini percipiat, debet aquam effundere, et vinum imponere. Si autem post, debet incipere consecrationem vini, alio vino super infuso, contritione de negligentia praehabita; vel etiam a capite canonem inchoare super alia hostia, hostia prius consecrata posita seorsum, ut Innocentius dicit.

 

 

 

Distinctio 12

Distinction 12 :[Le sacrement et la réalité dans l’eucharistie]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le sacrement seul et la réalité seule dans le sacrement de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15584] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de uno trium, in quibus consistit integritas hujus sacramenti, scilicet de eo quod est res et sacramentum; in parte ista intendit determinare de aliis duobus, scilicet de eo quod est sacramentum tantum, et de eo quod est res tantum; unde dividitur in partes duas: in prima determinat de eo quod est res tantum, ibi: institutum est hoc sacramentum duabus de causis. Prima in duas: in prima determinat de accidentibus, quae sunt sacramenta, idest signa utriusque corporis Christi, scilicet veri et mystici; in secunda determinat de actu sacerdotis, qui est sacramentum sive signum passionis Christi, ibi: post haec quaeritur, si quod gerit sacerdos, proprie dicatur sacrificium. Circa primum duo facit: primo determinat de ipsis accidentibus; secundo de fractione, quae in eis fundatur, ibi: solet etiam quaeri de fractione et partitione. Circa hoc duo facit: primo determinat de ipsa fractione; secundo de partium significatione, ibi: quid autem partes illae significent, Sergius Papa tradit. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: ideo quibusdam placet, quod non sit ibi fractio, sicut videtur. Circa quod quatuor opiniones ponit; secunda incipit ibi: alii vero dicunt etc.; tertia ibi: alii tradunt corpus Christi essentialiter frangi; quarta, ibi: sed quia corpus Christi incorruptibile est, sane dici potest fractio illa et partitio non in substantia corporis, sed in ipsa forma panis sacramentaliter fieri. Et circa hoc duo facit: primo ponit opinionem quartam; secundo confirmat eam, quia prae ceteris vera est, ibi: ne autem mireris vel insultes, si accidentia videantur frangi. Institutum est hoc sacramentum duabus de causis. Hic ponit effectum hujus sacramenti; et quia ex effectu rei accipitur usus ejus, ideo circa hoc duo facit: primo ponit effectum; secundo determinat utendi modum, ibi: si autem quaeritur, utrum quotidie communicandum sit; audi quid inde tradit Augustinus. Hic est triplex quaestio: prima de accidentibus. Secunda de effectibus hujus sacramenti. Tertia de frequentatione ipsius. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum accidentia sint hic sine subjecto; 2 de operatione illorum accidentium; 3 de fractione quae in eis fundatur.

Après avoir déterminé de l’une des trois choses en lesquelles consiste l’intégrité de ce sacrement, à savoir, de ce qui est réalité et sacrement, dans cette partie, le Maître détermine des deux autres, à savoir, de ce qui est sacrement seulement et de ce qui est réalité seulement. Elle se divise donc en deux parties. Dans la première, il détermine de ce qui est la réalité seulement, à cet endroit : «Ce sacrement a été institué pour deux raisons.» La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine des accidents, qui sont des sacrements, c’est-à-dire des signes des deux corps du Christ, à savoir, [son corps] véritable et [son corps] mystique. Dans la seconde, il détermine de l’acte du prêtre, qui est un sacrement ou un signe de la passion du Christ, à cet endroit : «Après cela, on demande si ce que fait le prêtre s’appelle à proprement parler un sacrifice.» À propos du premier point, il fait deux choses. Premièrement, il détermine des accidents eux-mêmes ; deuxièmement, de la fraction qui s’appuie sur eux, à cet endroit : «On a aussi coutume de s’interroger sur la fraction et la division.» À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : «Ainsi, certains pensent qu’il n’y a pas là fraction, comme il semble.» À ce propos, il présente quatre opinions. La deuxième commence à cet endroit : «Mais d’autres disent, etc.» ; la troisième, à cet endroit : «D’autres enseignent que le corps du Christ est rompu selon son essence.» ; la quatrième, à cet endroit : «Mais parce que le corps du Christ est incorruptible, on peut assurément dire que cette fraction et cette division se réalisent, non pas dans la substance du corps, mais de manière sacramentelle dans la forme du pain.» À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente la quatrième opinion ; deuxièmement, il la confirme, parce qu’elle est plus vraie que les autres : «Ne t’étonne pas et ne sois pas outragé si les accidents paraissent être fractionnés.» «Ce sacrement a été instituté pour deux raisons.» Ici, il présente l’effet de ce sacrement. Et parce que l’usage d’une chose se prend de son effet, il fait donc deux choses à ce sujet : premièrement, il présente l’effet ; deuxièmement, il détermine la manière d’en faire usage, à cet endroit : «Est-ce qu’il faut le donner chaque jour ? Écoute ce qu’en dit Augustin.» Ici, il y a trois questions. La première porte sur les accidents. La deuxième, sur les effets de ce sacrement. La troisième, sur sa fréquentation. À propos du premier point, trois questionnées sont posées : 1 – Les accidents existent-ils ici sans sujet ? 2 – À propos de l’action de ces accidents. 3 – À propos de la fraction qui s’appuie sur eux.

 

 

Articulus 1 [15585] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 tit. Utrum accidentia sine subjecto esse Deus facere possit

Article 1 – Dieu peut-il faire que les accidents existent sans sujet ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Dieu peut-il faire que les accidents existent sans sujet ?]

[15586] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod accidentia sine subjecto esse, Deus facere non possit. Si enim esse rei separaretur ab ente, ens esset non ens. Sed hoc Deus non potest facere: quia non potest facere quod duo contradictoria sint simul vera. Ergo non potest separare esse rei ab ente. Sed accidentis esse est inesse, secundum philosophum. Ergo Deus non potest facere quin accidens insit.

1. Il semble que Dieu ne puisse faire que les accidents existent sans sujet. En effet, si l’être d’une chose était séparé de ce qui existe, ce qui existe serait quelque chose qui n’existe pas. Or, Dieu ne peut pas faire cela, car il ne peut faire que deux choses contradictoires soient vraies en même temps. Il ne peut donc séparer l’être d’une chose de ce qui existe. Or, l’être d’un accident consiste à exister dans [quelque chose], selon le Philosophe. Dieu ne peut donc faire qu’un accident n’existe pas dans [quelque chose].

[15587] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque separat definitionem a definito, ponit duo contradictoria esse simul vera: quia hoc ipsum quod est homo, est animal rationale mortale; et ita si ponatur esse homo et non esse animal rationale mortale, ponitur esse homo et non esse. Sed definitio accidentis est quod inest substantiae; unde etiam in definitione singulorum accidentium oportet quod ponatur substantia. Ergo cum Deus non possit facere contradictoria simul esse vera, neque facere poterit quod accidens sit sine substantia.

2. Quiconque sépare la définition de ce qui est défini affirme que deux contradictoires sont vraies simultanément, car cela même qu’est l’homme est un animal raisonnable mortel. Et ainsi, si l’on affirme qu’un homme existe mais qu’il n’existe pas d’animal raisonnable mortel, on affirme qu’un homme existe et qu’il n’existe pas. Or, la définition de l’accident est qu’il existe à l’intérieur de la substance ; aussi, dans la définition de chacun des accidents, faut-il que soit indiquée la substance. Puisque Dieu ne peut faire que des contradictoires soient vraies en même temps, il ne pourra donc faire qu’un accident existe sans substance.

[15588] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Deus non potest facere quod definitio insit alicui, et definitum non insit eidem, nec quod inter affirmationem et negationem sit medium. Sed si ponamus accidentia esse sine substantia, oportet alterum dictorum sequi. Ergo Deus non potest hoc facere. Probatio mediae. Non esse enim in subjecto, sed per se existere, est definitio substantiae, et opponitur contradictorie ei quod est esse in subjecto. Sed si ponamus aliquod accidens non esse in subjecto; vel ponemus quod aliquid sit medium inter esse in subjecto et non esse, vel ponemus quod aliquid sit non ens in subjecto, et non sit substantia: quia si est substantia, non est accidens. Ergo si ponamus accidens esse simul subjecto, sequitur alterum duorum: vel quod inter contradictoria sit medium; vel quod definitio separetur a definito, quod iterum implicat contradictoria esse simul vera.

3. Dieu ne peut faire qu’une définition existe pour quelque chose et que ce qui est défini n’existe pas dans la même chose, ni qu’il y ait un intermédiaire entre une affirmation et une négation. Or, si nous affirmons que les accidents existent sans la substance, il faut que l’une des deux choses qui ont été dites en découle. Dieu ne peut donc pas faire cela. Démonstration de la mineure. En effet, ne pas exister dans un sujet, mais exister par soi est la définition de la substance, et cela s’oppose de manière contradictoire à exister dans un sujet. Or, si nous affirmons qu’un accident n’existe pas dans un sujet, ou bien nous affirmerons qu’il y a quelque chose d’intermédiaire entre exister dans un sujet et n’y pas exister ; ou bien nous affirmerons que quelque chose n’est pas un être dans un sujet et n’est pas une substance. Si donc nous affirmons qu’un accident existe en même temps que le sujet, il en découle l’une de deux choses : ou bien qu’il existe un intermédiaire entre des contradictoires ; ou bien que la définition est séparée de ce qui est défini, ce qui à nouveau implique que des contradictoires sont vraies simultanément.

[15589] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Lucae 1, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum.

Cependant, [1] Lc 1, 37 dit : Aucune parole n’est impossible pour Dieu.

[15590] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, potest Deus plura facere quam homo possit intelligere vel imaginari. Sed aliqui philosophi posuerunt dimensiones esse sine subjecto, sicut qui posuerunt mathematica separata. Ergo Deus potest hoc facere.

[2] Dieu peut faire plus de choses que l’homme ne peut en comprendre ou imaginer. Or, certains philosophes ont affirmé que les dimensions existent sans sujet, comme ceux qui ont affirmé des objets mathématiques séparés. Dieu peut donc faire cela.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Convient-il à ce sacrement que les accidents existent sans substance ?]

[15591] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit congruum huic sacramento quod accidentia sint sine substantia. In sacramento enim perfectissimo non congruit esse aliquid quod divinae ordinationi repugnet. Sed divina ordinatio est quod accidens sit in subjecto. Ergo in hoc sacramento non competit quod sit sine subjecto.

1. Il semble qu’il ne convienne pas à ce sacrement que les accidents existent sans substance. En effet, dans le sacrement le plus parfait, il ne convient pas qu’il y ait quelque chose qui s’oppose à l’ordre divin. Or, l’ordre divin veut que l’accident existe dans un sujet. Il ne convient donc pas à ce sacrement que [l’accident] existe sans sujet.

[15592] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramentum veritatis non decet aliqua fallacia. Sed hoc sacramentum est maximae veritatis, quia continet illum qui dixit, Joan. 14, 6: ego sum veritas. Cum ergo existentibus accidentibus sine subjecto sequatur fallacia; quia accidentia, quantum est in se, significant substantiam propriam subesse: videtur quod non competat huic sacramento accidentia esse sine subjecto.

2. Une supercherie n’est pas digne du sacrement de la vérité. Or, ce sacrement est celui de la plus grande vérité, car il contient celui qui a dit, Jn 14, 6 : Je suis la vérité. Puisqu’une supercherie découle du fait que les accidents existent sans sujet – car les accidents, par eux-mêmes, signifient qu’il existe une substance sous-jacente –, il semble donc qu’il ne convienne pas à ce sacrement que les accidents existent sans sujet.

[15593] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, materia debet esse formae proportionata. Sed ex parte formae sacramenti non competeret quod esset accidens verbi sine essentia verbi. Ergo nec ex parte materiae competit quod sit accidens elementi sine elemento.

3. La matière doit être proportionnée à la forme. Or, du point de vue de la forme du sacrement, il ne conviendrait pas qu’existe un accident de la parole sans l’essence de la parole. Du point de vue de la matière non plus, il ne convient donc pas qu’existe un accident d’un élément sans l’élément.

[15594] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, accidens subjecto respondet. Sed substantia panis, qui prius erat subjectum priorum accidentium, mutata est in alterum statum per hoc quod conversa est in corpus Christi. Ergo et accidentia congruit in alterum statum mutari, ut scilicet sint sine subjecto.

Cependant, [1] l’accident correspond au sujet. Or, la substance du pain, qui était d’abord le sujet des premiers accidents, a été changée en un autre état du fait qu’elle a été convertie au corps du Christ. Il convient donc aux accidents d’être changés en un autre état, à savoir qu’ils existent sans sujet.

[15595] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc sacramentum dicitur mysterium fidei. Sed fides non solum est supra intellectum, sed etiam supra sensum. Ergo in hoc sacramento non solum debet aliquid esse supra intellectum, sicut quod corpus Christi sub tam parvis panis dimensionibus contineatur; sed etiam supra sensum, scilicet quod accidentibus quae sensui subjacent, substantia propria non subsit.

[2] Ce sacrement est appelé «le mystère de la foi». Or, la foi ne dépasse pas seulement l’intellect, mais aussi le sens. Dans ce sacrement, il ne doit donc pas seulement y avoir quelque chose qui dépasse l’intellect, comme le fait que le corps du Christ soit contenu dans des dimensions du pain si petites, mais aussi [quelque chose] qui dépasse le sens, à savoir que la substance propre ne soit pas sous-jacente aux accidents qui tombent sous le sens.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les accidents existent-ils dans ce sacrement sans la substance ?]

[15596] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod accidentia non sint in hoc sacramento sine substantia. Esse enim in substantia aequaliter convenit omnibus accidentibus. Sed albedo non est hic sine subjecto: quod patet ex hoc quod dividitur per accidens, quod non competit nisi existenti in subjecto. Ergo nec quantitas aut aliquod accidens est hic sine subjecto. [15597] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod sensus percipit in hoc sacramento, est ibi secundum veritatem; alias esset fictio in hoc sacramento. Sed sensus non tantum percipit ibi quantitatem aut albedinem, sed etiam quantum et album. Ergo non est ibi accidens sine subjecto. [15598] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, accidens non individuatur nisi ex subjecto, sicut nec forma nisi ex materia. Sed accidentia sunt ibi individuata; alias non essent sensibilia. Ergo non sunt sine subjecto.

1. Il semble que les accidents n’existent pas dans ce sacrement sans la substance. En effet, exister dans la substance convient également à tous les accidents. Or, la blancheur n’existe pas ici sans sujet, ce qui ressort du fait qu’elle est divisée par accident, ce qui ne convient qu’à ce qui existe dans un sujet. Ni la quantité ni un autre accident n’existent donc pas sans sujet. 2. Ce que perçoit le sens dans ce sacrement s’y trouve en vérité, autrement il y aurait fiction dans ce sacrement. Or, le sens n’y perçoit pas seulement la quantité ou la blancheur, mais aussi ce qui a une quantité et ce qui est blanc. Il n’y a donc pas là un accident sans sujet. 3. L’accident n’est individué qu’en raison du sujet, comme la forme en raison de la matière. Or, les accidents sont individués [dans le sacrement], autrement ils ne seraient pas sensibles. Ils n’existent donc pas sans sujet.

[15599] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omnis forma separata a materia est intellectus in actu, ut a philosophis probatur. Sed si accidentia sunt hic sine subjecto, erunt quaedam formae sine materia: non enim habent materiam partem sui. Ergo erunt intellectus in actu, quod falsum apparet.

4. Toute forme séparée de la matière est l’intellect en acte, comme le démontrent les philosophes. Or, si les accidents existent ici sans matière, ils seront des formes sans matière: en effet, ils n’ont pas de matière par eux-mêmes. Ils seront donc des intellects en acte, ce qui est manifestement faux.

[15600] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, quanto aliquid appropinquat ad divinam simplicitatem, tanto est simplicius. Sed si sunt haec accidentia sine substantia, magis appropinquant ad divinam simplicitatem quam Angeli: quia in Angelis est compositio, ad minus ex quo est et quod est; quae in his accidentibus inveniri non potest. Ergo erunt nobiliora Angelis; quod falsum est.

5. Plus quelque chose se rapproche de la simplicité divine, plus cela est simple. Or, si ces accidents existent sans substance, ils se rapprochent davantage de la simplicité divine que les anges, car, chez les anges, il y a composition, du moins de ce par quoi l’on est et de ce qui est, ce qui ne peut se trouver dans ces accidents. Ils seront donc plus nobles que les anges, ce qui est faux.

[15601] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, impossibile est densitatem esse sine materia, neque raritatem: quia haec est definitio densi, quod multum de materia contineatur sub parvis dimensionibus; et contraria est definitio rari. Sed tactus percipit in hoc sacramento densitatem. Ergo est ibi materia sub dimensionibus; ergo dimensiones non per se existunt, et ita nec alia accidentia.

6. Il est impossible que la densité ou la rareté existent sans matière, car la définition de ce qui est dense est que cela contient beaucoup de matière sous de petites dimensions ; et la définition de ce qui est rare est le contraire. Or, le toucher perçoit la densité dans ce sacrement. Il existe donc là une de la matière sous des dimensions. Les dimensions n’existent donc pas par elles-mêmes, et pas davantage les autres accidents.

[15602] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra: sicut, in praecedenti dist., dictum est, ibi non est alia substantia quam corporis Christi. Sed non sunt accidentia quae apparent, in corpore Christi sicut in subjecto, quia non determinant ipsum. Ergo non sunt in subjecto aliquo.

Cependant, [1] comme on l’a dit dans la distinction précédente, il n’y a pas là d’autre substance que le corps du Christ. Or, ce ne sont pas les accidents qui apparaissent dans le corps du Christ comme dans leur sujet, car ils ne le déterminent pas. Ils n’existent donc pas dans un sujet.

[15603] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, species ad hoc remanent in sacramento, ut ducant per significationem in corpus Christi. Sed si essent in aliquo sicut in subjecto, non ducerent in corpus Christi, sed magis in cognitionem sui subjecti. Ergo sunt hic accidentia sine subjecto.

[2] Les espèces demeurent dans le sacrement afin de conduire par leur signification au corps du Christ. Or, si elles existaient dans autre chose comme dans leur sujet, elles ne conduiraient pas au corps du Christ, mais plutôt à la connaissance de leur sujet. Les accidents existent donc ici sans sujet.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15604] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicitur prima propositione libri de causis, causa prima est vehementioris impressionis supra causatum causae secundae quam ipsa causa secunda. Unde quando causa secunda removet influentiam suam a causato, adhuc potest remanere influentia causae primae in causatum illud; sicut remoto rationali, remanet vivum, quo remoto remanet esse. Cum ergo causa prima accidentium et omnium existentium Deus sit; causa autem secunda accidentium sit substantia, quia accidentia ex principiis substantiae causantur; poterit Deus accidentia in esse conservare, remota etiam causa secunda, scilicet substantia. Et ideo absque omni dubitatione dicendum est, quod Deus potest facere accidens sine subjecto.

Comme on le dit dans la première proposition du livre Sur les causes, la cause première agit plus fortement sur ce qui est causé par la cause seconde, que la cause seconde elle-même. Lorsque la cause seconde retire son influence sur ce qui est causé, l’influence de la cause première sur ce qui est ainsi causé peut donc encore demeurer ; comme lorsque ce qui est raisonnable est enlevé, demeure ce qui est vivant, et ceci enlevé, demeure l’être. Étant donné que la cause première des accidents et de ce qui existe est Dieu, alors que la cause seconde des accidents est la substance, puisque les accidents sont causés par les principes de la substance, Dieu pourra donc maintenir les accidents dans l’existence, même si leur cause seconde est enlevée, telle la substance. C’est pourquoi il faut dire sans aucun doute que Dieu peut faire un accident sans sujet.

[15605] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inesse non dicit esse accidentis absolute, sed magis modum essendi qui sibi competit ex ordine ad causam proximam sui esse. Et quia remoto ordine accidentis ad causam proximam, adhuc potest remanere ordo ipsius ad causam primam, secundum quem modus ipsius essendi non est inesse, sed ab alio esse; ideo potest Deus facere quod sit accidens, et non insit: nec tamen esse accidentis ab accidente removebitur, sed modus essendi.

1. Exister dans quelque chose n’indique pas l’être de l’accident de manière absolue, mais plutôt le mode d’être qui lui revient en regard de la cause prochaine de son existence. Et parce que, une fois enlevé le rapport de l’accident à sa cause prochaine, son rapport à la cause première peut encore demeurer, selon lequel son mode d’être n’est pas d’exister dans quelque chose, mais d’exister par autre chose, Dieu peut donc faire qu’un accident existe, sans qu’il existe dans [un sujet]. Cependant, l’être de l’accident ne sera pas enlevé, mais son mode d’être.

[15606] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut probat Avicenna in sua Metaph., per se existere non est definitio substantiae: quia per hoc non demonstratur quidditas ejus, sed ejus esse; et sua quidditas non est suum esse; alias non posset esse genus: quia esse non potest esse commune per modum generis, cum singula contenta in genere differant secundum esse; sed definitio, vel quasi definitio, substantiae est res habens quidditatem, cui acquiritur esse, vel debetur, ut non in alio; et similiter esse in subjecto non est definitio accidentis, sed e contrario res cui debetur esse in alio; et hoc nunquam separatur ab aliquo accidente, nec separari potest: quia illi rei quae est accidens, secundum rationem suae quidditatis semper debetur esse in alio. Sed potest esse quod illud quod debetur alicui secundum rationem suae quidditatis, ei virtute divina agente non conveniat; et sic patet quod facere accidens esse sine substantia, non est separare definitionem a definito; et si aliquando hoc dicatur definitio accidentis, praedicto modo intelligenda est definitio dicta: quia aliquando ab auctoribus definitiones ponuntur causa brevitatis non secundum debitum ordinem, sed tanguntur illa ex quibus potest accipi definitio.

2. Comme le démontre Avicenne dans sa Métaphysique, exister par soi n’est pas la définition de la substance, car sa quiddité ne sera pas ainsi démontrée, mais son existence. Et sa quiddité n’est pas son existence, autrement il ne pourrait y avoir de genre, car exister ne peut être commun par mode de genre, puisque tout ce qui y est contenu diffère en genre selon l’existence. Mais la définition ou la quasi définition de la substance est le fait pour une chose d’avoir une quiddité à qui l’être est donné ou dû, mais sans que ce soit dans une autre chose. De même, exister dans un sujet n’est pas la définition de l’accident, mais, au contraire, le fait qu’une chose doive exister dans autre chose. Et cela n’est jamais séparé d’un accident et ne peut en être séparé, car, en raison de sa quiddité, il est toujours dû à la chose qui est un accident d’exister dans autre chose. Mais il peut arriver que ce qui est dû à quelque chose en raison de sa quiddité ne lui soit pas donné par l’action de la puissance divine. Il ressort ainsi clairement que faire qu’un accident existe sans substance, ce n’est pas séparer la définition de ce qui est défini. Et si parfois on appelle cela la définition de l’accident, la définition rappelée doit s’entendre de la manière dite, car parfois, pour faire bref, les auteurs donnent des définitions, non selon l’ordre approprié, mais ils signalent ce à partir de quoi on peut saisir une définition.

[15607] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ab accidentibus in hoc sacramento removetur esse in subjecto, ita convenit eis non esse in subjecto; unde non ponitur aliquid medium inter affirmationem et negationem. Nec tamen sequitur quod definitio alicui conveniat cui non convenit definitum; quia non esse in substantia non est definitio substantiae, ut dictum est, sed habere quidditatem cui tale esse competat; et hoc non convenit eis ex ratione suae quidditatis, sed divina virtute.

3. De même que, dans ce sacrement, il est écarté des accidents d’exister dans un sujet, de même leur convient-il de ne pas exister dans un sujet. Aussi n’affirme-t-on pas quelque chose d’intermédiaire entre l’affirmation et la négation. Toutefois, il n’en découle pas que la définition convienne à quelque chose à quoi ne convient pas ce qui est défini, car ne pas exister dans une substance n’est pas la définition, comme on l’a dit, mais le fait d’avoir une quiddité à laquelle une telle existence convienne. Et cela ne leur convient pas en raison de leur quiddité, mais par la puissance divine.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15608] Super Sent a 2., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod accidentia remanere in hoc sacramento qualiter congruat, supra dictum est, dist. praec. Sed accidentia esse sine subjecto congruit huic sacramento multipliciter. Primo quantum ad significationem; quia species sine substantia existentes expressius ducunt in corpus Christi, quod sub eis continetur, et immediatius; si enim subjectum haberent, ducerent immediate in subjectum illud. Secundo propter effectum, qui est unio membrorum ad caput, in quo sunt per fidem; et ideo in hoc sacramento oportet aliquid esse supra naturam, per quod intellectus noster assuescat ad ea quae sunt fidei credenda. Tertio quantum ad usum, quia est cibus spiritualis; et ideo competit quod nullum accidentibus subjectum subsit, quod cibus corporalis esse possit. Quarto quantum ad perfectionem; quia enim hoc sacramentum est perfectissimum, ideo omnia quae sunt in hoc sacramento, altissimum statum accipiunt, sicut quod substantia panis in corpus gloriosum divinitati unitum convertitur; et propter hoc etiam accidentibus datur in hoc sacramento sine subjecto esse.

Comment il est possible que les accidents demeurent dans ce sacrement, on l’a dit plus haut dans la distinction précédente. Mais le fait pour les accidents d’exister sans sujet convient à ce sacrement de plusieurs manières. Premièrement, pour ce qui est de la signification, car les espèces qui existent sans substance conduisent plus explicitement et de manière plus immédiate au corps du Christ qui est contenu en elles. En effet, si elles avaient un sujet, elles conduiraient immédiatement à ce sujet. Deuxièmement, en raison de l’effet qu’ils obtiennent par la foi : l’union des membres à leur tête. C’est pourquoi il faut qu’il y ait dans ce sacrement quelque chose qui dépasse la nature, par quoi notre intelligence s’habitue à croire ce qui relève de la foi. Troisièmement, par rapport à l’usage, car c’est une nourriture spirituelle. C’est pourquoi il convient qu’il n’y ait pour les accidents aucun sujet qui pourrait être une nourriture corporelle. Quatrièmement, pour ce qui est de la perfection. En effet, ce sacrement est le plus parfait. Aussi tout ce qui ce fait partie de ce sacrement reçoit-il l’état le plus élevé, comme le fait pour la substance du pain d’être convertie au corps glorieux uni à la divinité. Pour cette raison aussi, il est donné aux accidents dans ce sacrement d’exister sans sujet.

[15609] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divina dispositio quae aliquid ordinat secundum legem communem, etiam sibi aliqua reservat praeter legem communem facienda ad aliquod privilegium gratiae communicandum; nec ex hoc sequitur aliqua inordinatio, quia divina dispositio unicuique rei ordinem imponit.

1. La disposition divine qui ordonne quelque chose selon la loi commune se réserve aussi de faire certaines choses au-delà de la loi commune en vue de communiquer un privilège de la grâce. Mais il n’en découle pas un désordre, car la disposition divine impose un ordre à chaque chose.

[15610] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de substantia rei judicare non pertinet ad sensum, sed ad intellectum, cujus objectum est quod quid est, ut dicitur in 3 de anima; et ideo non accidit ibi aliqua deceptio; quia accidentia sunt ibi de quibus sensus judicat; sed de substantia verum judicium habet intellectus fide juvatus. Nec est inconveniens quod intellectus absque fide erret in hoc sacramento, sicut et in aliis quae sunt fidei.

2. Il ne revient pas au sens de juger de la substance d’une chose, mais à l’intelligence, dont l’objet est ce qu’est quelque chose, comme il est dit dans Sur l’âme, III. Aussi ne se produit-il pas là une supercherie, car les accidents dont juge le sens se trouvent là ; mais l’intelligence aidée par la foi porte un jugement vrai sur la substance. Et il n’est pas inapproprié que l’intelligence sans la foi erre pour ce sacrement, comme pour les autres choses qui relèvent de la foi.

[15611] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbo inest virtus transubstantiandi; et ideo ad hoc quod sit vera transubstantiatio, oportet quod sit verum verbum; sed materia est ibi ad significandum; et ideo sufficit quod accidentia remaneant, quibus mediantibus significatio completur.

3. La puissance de transsubstantier existe dans la parole. Pour qu’il y ait une transsubstantiation véritable, il faut donc que la parole soit vraie. Mais la matière se trouve là en vue de signifier. C’est pourquoi il suffit que les accidents demeurent, par l’intermédiaire desquels la signification est réalisée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15612] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod vera substantia panis simul remaneat sub sacramento cum corpore Christi; et secundum hoc accidentia non essent in hoc sacramento sine subjecto. Sed haec opinio in praecedenti dist. improbata est. Alia opinio est quod remanet ibi forma substantialis, et in ea fundantur omnia accidentia quae apparent. Sed non minus difficile est materialem formam substantialem a materia separare quam accidentia a substantiis. Et praeterea quantitas non respicit formam nisi ratione materiae; unde formae immateriales dimensionibus carent; et ideo, cum alia accidentia mediante quantitate referantur ad substantiam, non poterit forma existens sine materia, accidentium sensibilium subjectum esse. Boetius etiam dicit in Lib. de Trin. quod forma simplex subjectum esse non potest. Et ideo alii dixerunt, quod accidentia illa fundantur in aere sicut in subjecto. Sed haec opinio stare non potest. Constat enim quod ante transubstantiationem sub dimensionibus panis non erat aer. Ergo si conversione facta sit ibi aer, oportet quod aer subintraverit per motum localem dimensiones illas; et iste motus non percipitur. Et praeterea inconveniens est quod subjectum moveatur motu locali ad accidens, et quod accidens transeat de subjecto in subjectum. Probatum est etiam a philosophis, quod corpus naturale et corpus mathematicum non possunt esse simul; unde cum illae dimensiones quae fuerunt, sint quoddam corpus non naturale, sed mathematicum, non poterit aer cum illis dimensionibus simul esse, nec poterit esse subjectum eorum, quia habet dimensiones proprias aer. Cum ergo omnes dimensiones sint ejusdem speciei, in quacumque materia sint, quia materia non intrat in definitionem earum; si dimensiones panis iterum sint sicut in subjecto in aere, sequitur quod duo accidentia speciei ejusdem sunt in eodem subjecto; quod est contradictoria esse simul; quia accidentium ejusdem speciei numeratio non est nisi ex subjecto; unde si subjectum sit unum, sequitur illa accidentia esse plura et non plura. Constat etiam quod aer non est susceptivus talium accidentium, scilicet duritiei, figurae determinatae, et aliarum hujusmodi quae ibi apparent. Et ideo dicendum est, quod accidentia sunt ibi sine subjecto; non enim potest dici, quod sint in corpore Christi sicut in subjecto. Sciendum autem, quod substantia corporalis habet quod sit subjectum accidentium ex materia sua, cui primo inest subjici alteri. Prima autem dispositio materiae est quantitas; quia secundum ipsam attenditur divisio ejus et indivisio, et ita unitas et multitudo, quae sunt prima consequentia ens; et propter hoc sunt dispositiones totius materiae, non hujus aut illius tantum. Unde omnia alia accidentia mediante quantitate in substantia fundantur, et quantitas est prior eis naturaliter; et ideo non claudit materiam sensibilem in ratione sua, quamvis claudat materiam intelligibilem, ut dicitur in 7 Metaph. Unde ex hoc quidam decepti fuerunt, ut crederent dimensiones esse substantiam rerum sensibilium; quia remotis qualitatibus nihil sensibile remanere videbant nisi quantitatem, quae tamen secundum esse suum dependet a substantia, sicut et alia accidentia. Virtute autem divina confertur dimensionibus quae fuerunt panis, ut sine subjecto subsistant in hoc sacramento, quod est prima proprietas substantiae; et per consequens datur eis ut sustineant alia accidentia, sicut et sustinebant quando substantia eis suberat; et sic alia accidentia sunt in dimensionibus sicut in subjecto, ipsae vero dimensiones non sunt in subjecto.

Certains ont dit que la substance véritable du pain demeure dans le sacrement en même temps que le corps du Christ ; ainsi, les accidents n’existeraient pas sans sujet dans ce sacrement. Mais cette opinion a été réfutée dans la distinction précédente. Une autre opinion veut qu’y demeure la forme substantielle et que tous les accidents qui apparaissent se fondent sur elle. Mais il n’est pas moins difficile de séparer de la matière la forme substantielle matérielle, que les accidents des substances. De plus, la quantité n’a de rapport avec la forme qu’en raison de la matière. Aussi les formes immatérielles n’ont-elles pas de dimensions. Puisque les autres accidents se rapportent à la substance par l’intermédiaire de la quantité, la forme existant sans matière ne peut donc pas être le sujet des accidents sensibles. Boèce dit aussi, dans le livre Sur la Trinité, qu’une forme simple ne peut être un sujet. C’est pourquoi d’autres disent que ces accidents s’appuient sur l’air comme sur leur sujet. Mais cette opinion n’est pas valable. En effet, il est clair qu’avant la transsubstantiation, il n’y avait pas d’air sous les dimensions du pain. Une fois réalisée la conversion, s’il y a de l’air, il faut donc que l’air se soit infiltré dans ces dimensions par un mouvement local. Mais ce mouvement n’est pas perçu. De plus, il est incongru qu’un sujet soit mû vers un accident par un mouvement local et qu’un accident passe d’un sujet à un autre. Il a aussi été démontré par les philosophes qu’un corps naturel et un corps mathématique ne peuvent exister en même temps. Puisque les dimensions qui existaient sont un corps non pas naturel mais mathématique, l’air ne pourra donc pas exister en même temps que ces dimensions et ne pourra pas être leur sujet, car l’air a ses propres dimensions. Puisque toutes les dimensions font partie de la même espèce, en quelque matière qu’elles existent, car la matière n’entre pas dans leur définition, si les dimensions du pain existent de nouveau dans l’air comme dans leur sujet, il en découle que deux accidents de la même espèce existent dans le même sujet. Des contradictoires existeraient alors en même temps, car le dénombrement des accidents de la même espèce ne se fait que par leur sujet. S’il y a un sujet unique, il en découle donc qu’il y a et qu’il n’y a pas plusieurs accidents. Il est sûr aussi que l’air n’est pas capable de recevoir de tels accidents, à savoir, la dureté, une figure déterminée et d’autres choses de ce genre qui s’y manifestent. C’est pourquoi il faut dire que les accidents existent là sans sujet. En effet, on ne peut pas dire qu’ils existent dans le corps du Christ comme dans leur sujet. Mais il faut savoir qu’il revient à une substance corporelle d’être le sujet d’accidents en raison de sa matière, à qui il appartient d’abord d’être soumise à quelque chose d’autre. Or, la première disposition de la matière est la quantité, car c’est selon elle que sont relevées sa division et son indivision, et ainsi, l’unité et la multiplicité, qui sont les premières choses qui découlent d’un être. Pour cette raison, elles sont les dispositions de toute la matière, et non pas de celle-ci ou de celle-là seulement. Ainsi, tous les autres accidents s’enracinent dans la substance par l’intermédiaire de la quantité et la quantité les précède naturellement. C’est pourquoi elle n’inclut pas la matière sensible dans sa raison même, bien qu’elle inclue la matière intelligible, comme il est dit dans Métaphysique, VII. Aussi certains ont-ils été trompés par cela : ils ont cru que les dimensions étaient la substance des choses sensibles, car, une fois les qualités enlevées, il ne semblait rester rien de sensible que la quantité, qui cependant dépend de la substance pour son existence, comme les autres accidents. Mais, par la puissance divine, il est donné aux dimensions qui étaient celles du pain de subsister sans sujet dans ce sacrement, ce qui est la première propriété de la substance. Par voie de conséquence, il leur est donné de soutenir les autres accidents, comme elles les soutenaient lorsque la substance leur était sous-jacente. Et ainsi, les autres accidents existent dans les dimensions comme dans un sujet, mais les dimensions elles-mêmes n’existent pas dans un sujet.

[15613] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod prima accidentia consequentia substantiam sunt quantitas et qualitas; et haec duo proportionantur duobus principiis essentialibus substantiae, scilicet formae et materiae (unde magnum et parvum Plato posuit differentias materiae); sed qualitas ex parte formae. Et quia materia est subjectum primum quod non est in alio, forma autem est in alio, scilicet materia; ideo magis appropinquat ad hoc quod est non esse in alio, quantitas quam qualitas, et per consequens quam alia accidentia.

1. Les premiers accidents qui découlent de la substance sont la quantité et la qualité ; ces deux choses sont proportionnées aux deux principes essentiels de la substance, à savoir, de la forme et de la matière : c’est la raison pour laquelle Platon a affirmé qu’être grande et petite sont des différences de la matière, mais que la qualité se prend du point de vue de la forme. Et parce que la matière est le sujet premier qui n’existe pas dans autre chose, alors que la forme existe dans autre chose, à savoir, la matière, c’est la raison pour laquelle la quantité, plutôt que la qualité et, par conséquent, les autres accidents, se rapproche de ce qui consiste à ne pas exister dans autre chose.

[15614] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas dimensiva secundum suam rationem non dependet a materia sensibili, quamvis dependeat secundum suum esse; ideo in praedicando et subjiciendo accipit modum substantiae et accidentis; unde lineam dicimus et quantitatem et quantam, et magnitudinem et magnam; et ideo cum sint ibi dimensiones sine substantia, non tantum videt sensus quantitatem, sed etiam quantum. De aliis autem accidentibus planum est quod est ibi aliquid album, quia albedo est ibi in subjecto.

2. La quantité dimensionnelle, selon sa raison propre, ne dépend pas de la matière sensible, bien qu’elle en dépende pour son existence. C’est pourquoi elle joue le rôle de substance et d’accident comme attribut et comme sujet. Ainsi disons-nous que la ligne est une quantité et a une quantité, qu’elle a une certaine grandeur et qu’elle est grande. Comme existent [dans le sacrement] des dimensions sans substance, c’est pourquoi le sens ne voit pas seulement la quantité, mais aussi ce qui a une quantité. Pour ce qui est des autres accidents, il est clair qu’il s’y trouve quelque chose de blanc, puisque la blancheur d’y trouve comme dans un sujet.

[15615] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de ratione individui duo sunt: scilicet quod sit ens actu vel in se vel in alio; et quod sit divisum ab aliis quae sunt vel possunt esse in eadem specie, in se indivisum existens; et ideo primum individuationis principium est materia, qua acquiritur esse in actu cuilibet tali formae sive substantiali sive accidentali; et secundarium principium individuationis est dimensio, quia ex ipsa habet materia quod dividatur; unde in carentibus dimensione impossibile est aliquam esse distinctionem nisi per formam, quae facit diversitatem speciei; et propter hoc in Angelis sunt tot species quot individua; quia cum sint formae sive quidditates subsistentes ex seipsis, habent esse in actu et distinctionem; et ideo non indigent ad sui individuationem neque materia neque dimensione. Si ergo quantitas sine materia haberet esse actu, per se haberet individuationem, quia per se haberet divisionem illam secundum quam dividitur materia; et sic una pars differret ab alia non specie, sed numero, secundum ordinem qui attenditur in situ partium; et similiter una linea ab alia differret numero, dummodo acciperetur in diverso situ. Quia ergo in hoc sacramento ponimus dimensiones per se subsistere, constat quod ex seipsis individuantur, et per ea alia accidentia quae in eis fundantur.

3. Deux choses font partie d’un individu : le fait qu’il est un être en acte, soit en lui-même, soit dans un autre ; et le fait qu’il est divisé des autres qui existent ou peuvent exister dans la même espèce, en demeurant indivis en lui-même. Le premier principe d’individuation est ainsi la matière, par laquelle l’acte d’exister est reçu pour n’importe quelle forme, substantielle ou accidentelle. Le principe secondaire de l’individuation est la dimension, car c’est d’elle que la matière tient la possibilité d’être divisée. Aussi les choses auxquelles la dimension fait défaut ne peuvent-elles se distinguer que par la forme, qui réalise la diversité de l’espèce. Pour cette raison, il existe chez les anges autant d’espèces que d’individus et, parce qu’ils sont des formes ou quiddités qui subsistent par elles-elles, ils possèdent d’exister en acte et d’être distincts. Ils n’ont donc pas besoin pour être individués ni de la matière ni de la dimension. Si donc une quantité sans matière possédait d’exister en acte, elle serait individuée par elle-même, car elle posséderait par elle-même la division selon laquelle la matière est divisée. Et ainsi, une partie différerait d’une autre, non pas selon l’espèce, mais selon le nombre, selon l’ordre relevé dans le site des parties. De la même manière, une ligne différerait d’une autre en nombre pourvu qu’on la conçoive dans un site différent. Parce que, dans ce sacrement, nous affirmons que les dimensions subsistent par elles-mêmes, il appert donc qu’elles sont individuées par elles-mêmes et, par elles, les autres accidents qui s’enracinent en elles.

[15616] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod est intellectus vel intellectum in actu, secundum philosophos, oportet esse separatum non solum a materia, sed etiam a conditionibus materiae individuantibus; et hoc non est in proposito, ut ex dictis patet.

4. Selon les philosophes, ce qu’est l’intellect ou ce qui est intelligé en acte doit être non seulement séparé de la matière, mais aussi des conditions individuantes de la matière. Cela n’est pas ici en cause, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[15617] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum ista accidentia habeant esse et essentias proprias, et eorum essentia non sit eorum esse, constat quod aliud est in eis esse et quod est; et ita habent compositionem illam quae in Angelis invenitur, et ulterius compositionem ex partibus quantitatis, quae in Angelis non invenitur; et sic magis recedunt a divina simplicitate.

5. Puisque ces accidents ont une existence et des essences propres, et que leur essence n’est pas leur existence, il est clair que leur existence et ce qu’ils sont est différent chez eux. Ils ont ainsi la composition qu’on trouve chez les anges et, en plus, la composition venant des parties de la quantité, qu’on ne trouve pas chez les anges. Ils s’éloignent ainsi davantage de la simplicité divine.

[15618] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut subjectum quod ponitur in definitione aliorum accidentium, non est de essentia accidentis; ita etiam materia, quae ponitur in definitione raritatis et densitatis, non est de essentia eorum; non enim est densitas materia multa existens sub parvis dimensionibus, sed proprietas quaedam consequens ex hoc quod materia sic se habet; unde talem proprietatem Deus potest facere, etiam si materia non esset.

6. De même que le sujet qui est mis dans la définition des autres accidents ne fait pas partie de l’essence de l’accident, de même aussi la matière, qui est mise dans la définition de la rareté et de la densité, ne fait-elle pas partie de leur essence. En effet, la densité n’est pas une grande quantité existant sous de petites dimensions, mais une certaine propriété découlant de ce que la matière se trouve ainsi. Dieu peut donc faire une telle propriété, même s’il n’y avait pas de matière.

Articulus 2 [15619] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum accidentia, quae remanent in hoc sacramento, possint immutare aliquid extrinsecum

Article 2 – Les accidents qui demeurent dans ce sacrement peuvent-ils changer quelque chose d’extrinsèque ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les accidents qui demeurent dans ce sacrement peuvent-ils changer quelque chose d’extrinsèque ?]

[15620] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod accidentia quae remanent in hoc sacramento, non possunt immutare aliquid extrinsecum. Illa enim agunt et patiuntur ad invicem quae communicant in materia, ut dicitur in 1 de Generat. Sed accidentia illa non communicant in materia cum corporibus exterioribus. Ergo non possunt ea immutare.

1. Il semble que les accidents qui demeurent dans ce sacrement ne puissent changer quelque chose d’extrinsèque. En effet, agissent et subissent réciproquement les choses qui ont une matière en commun, comme il est dit dans Sur la génération, I. Or, ces accidents n’ont pas une matière en commun avec les corps extérieurs. Ils ne peuvent donc pas les changer.

[15621] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, actio naturalis requirit contactum naturalem, ut patet in 1 de Generat. Sed mathematicis, idest dimensionibus separatis, non convenit tactus physicus, sed mathematicus tantum, sicut et locus, ut ibidem dicitur. Ergo cum in hoc sacramento sint dimensiones separatae, in quibus alia accidentia fundantur, ut dictum est, videtur quod non possint agere in aliquid extrinsecum.

2. L’action naturelle exige un contact naturel, comme cela ressort de Sur la génération, I. Or, le contact physique ne convient pas aux réalités mathématiques, c’est-à-dire aux dimensions séparées, mais au mathématicien seulement, de même que le lieu, comme on le dit au même endroit. Puisque qu’il existe des dimensions séparées dans ce sacrement, sur lesquelles les autres accidents se fondent, comme on l’a dit, il semble donc qu’elles ne puissent agir sur quelque chose d’extrinsèque.

[15622] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, passum, quamvis in principio sit contrarium, tamen in fine est simile. Sed si corpora exteriora immutarentur, ipsa jam immutata non essent formae tantum, sed formae in materia. Ergo non possunt immutari a dimensionibus quae sunt formae tantum.

3. Ce qui subit, bien qu’il soit contraire au départ, est cependant semblable à la fin. Or, si les corps extérieurs étaient changés, les choses changées ne seraient pas des des formes seulement, mais des formes dans la matière. Ils ne peuvent donc pas être changés par les dimensions qui ne sont que des formes.

[15623] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil sentitur nisi quod immutat sensum. Sed hujusmodi accidentia sentiuntur. Ergo immutant.

Cependant, [1] rien n’est senti que ce qui change le sens. Or, ces accidents sont sentis. Ils produisent donc un changement.

[15624] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod habet esse, habet agere aliquo modo: quia nulla res destituitur propria operatione. Sed hujusmodi accidentia habent esse. Ergo possunt agere.

[2] Tout ce qui a l’existence possède d’agir d’une certaine manière, car aucune chose n’est privée de son opération propre. Or, les accidents de ce genre ont l’existence. Ils peuvent donc agir.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ces accidents peuvent-ils changer quelque chose substantiellement ?]

[15625] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint aliquid extrinsecum immutare substantialiter. Generans enim debet esse simile generato. Sed omne generatum est compositum ex materia et forma. Cum ergo accidentia illa sint formae tantum, non possunt immutare generatum aliquid extra se. Et hac ratione utitur philosophus in 7 Metaph. contra Platonem, qui ponebat formas separatas esse causas generationis sensibilium.

1. Il semble que [ces accidents] ne puissent changer quelque chose substantiellement. En effet, ce qui engendre doit être semblable à ce qui est engendré. Or, tout ce qui est engendré est composé de matière et de forme. Puisque ces accidents ne sont que des formes, ils ne peuvent donc changer quelque chose d’engendré à l’extérieur d’eux-mêmes. Dans Métaphysique, VII, le Philosophe emploie ce raisonnement contre Platon qui affirmait que les formes séparées étaient les causes de la génération des réalités sensibles.

[15626] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem, sed citra quandoque: quia effectus non est nobilior causa. Sed substantia est nobilior omni accidente. Ergo illa accidentia non possunt aliquam substantiam generare.

2. Rien n’agit au-delà de son espèce, mais parfois en-deça, car l’effet n’est pas plus noble que la cause. Or, la substance est plus noble que tout accident. Ces accidents ne peuvent donc engendrer une substance.

[15627] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, species istae habent eamdem virtutem quam habebant ante transubstantiationem: quia nihil est eis ablatum, sed additum. Sed ante transubstantiationem poterant aliquid substantialiter immutare. Ergo et post.

Cepedant, [1] ces espèces ont la même puissance qu’elles avaient avant la transsubstantiation, car rien ne leur a été enlevé, mais il leur a été ajouté. Or, avant la transsubstantiation, ils pouvaient changer quelque chose substantiellement. Ils le pouvaient donc après.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ces accidents peuvent-ils être corrompus d’une certaine manière ?]

[15628] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ista accidentia nullo modo possint corrumpi. Quia ista accidentia sunt formae tantum. Sed forma est invariabili essentia consistens, ut dicitur in Lib. sex principiorum. Ergo hujusmodi species non corrumpuntur.

1. Il semble que ces accidents ne peuvent aucunement être corrompus, car ces accidents ne sont que des formes. Or, la forme consiste en une essence invariable, comme il est dit dans le livre Sur les six principes. Les espèces de ce genre ne sont donc pas corrompues.

[15629] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis res per se subsistens sine materia, est incorruptibilis: quia materia est corruptionis principium, sicut patet in Angelis et animabus. Sed hujusmodi species sunt formae sine materia subsistentes. Ergo sunt incorruptibiles.

2. Toute chose qui subsiste par soi sans matière est incorruptible, car la matière est le principe de la corruption, comme cela ressort chez les anges et les animaux [corr.]. Or, les espèces de ce genre sont des formes qui subsistent sans matière. Elles sont donc incorruptibles.

[15630] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si corrumpuntur, aut corruptio ista est naturalis, aut miraculosa. Naturalis non: quia sicut nihil generatur naturaliter nisi compositum, ita nihil corrumpitur nisi compositum naturaliter. Similiter neque miraculosa: quia sic sola Dei virtute fieret: Deus autem, secundum Augustinum, non est causa tendendi in non esse. Ergo nullo modo corrumpitur.

3. Si [ces accidents], sont corrompus, ou bien cette corruption est naturelle, ou elle est miraculeuse. Elle n’est pas naturelle, car, de même que rien n’est engendré naturellement que ce qui est composé, de même rien n’est corrompu que ce qui est naturellement composé. Elle n’est pas non plus miraculeuse, car elle se produirait ainsi par la seule puissance de Dieu. Or, Dieu, selon Augustin, n’est pas la cause par laquelle on tend vers le non-être. Cela n’est donc corrompu d’aucune manière.

[15631] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quamdiu sunt accidentia sensibilia sentiri possunt. Sed quandoque desinunt sentiri posse hujusmodi accidentia. Ergo desinunt esse.

Cependant, [1] aussi longtemps que durent les accidents sensibles, ils peuvent être sentis. Or, parfois, ces accidents cessent de pouvoir être sentis. Ils cessent donc d’exister.

[15632] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quamdiu species manent, et corpus Christi manet sub sacramento. Sed corpus Christi quandoque desinit esse sub sacramento. Ergo quandoque desinunt esse species illae.

[2] Aussi longtemps que demeurent les espèces, le corps du Christ demeure dans ce sacrement. Or, le corps du Christ cesse parfois d’exister dans ce sacrement. Ces espèces cessent donc parfois d’exister.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Quelque chose peut-il être engendré à partir de ces accidents ?]

[15633] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ex eis non possit aliquid generari. Corruptio enim generationi vel factioni opponitur. Sed omne quod non habet materiam partem sui, si fit, oportet quod ex nihilo fiat. Ergo si corrumpitur, oportet quod in nihilum tendat, et nihil ex eo fiat.

1. Il semble que quelque chose ne puisse être engendré à partir de ces accidents. En effet, la corruption s’oppose à la génération ou à la production. Or, tout ce qui n’a pas de matière comme partie de soi, s’il est fait, doit être fait à partir du néant. Si cela est corrompu, il est donc nécessaire que cela tende vers le néant et que rien ne soit fait à partir de lui.

[15634] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, substantia et accidens magis differunt quam corpus et spiritus. Sed ex corpore non potest fieri spiritus, ut patet in Lib. de duabus naturis. Ergo ex speciebus illis quae sunt accidentia tantum, non potest substantia aliqua generari.

2. La substance et l’accident diffèrent davantage que le corps et l’esprit. Or, l’esprit ne peut être produit à partir du corps, comme cela ressort du livre Sur les deux natures. Une substance ne peut donc être engendrée à partir de ces espèces qui ne sont que des accidents.

[15635] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, impossibile est ex uno simul et semel multa fieri. Sed si aliquid generatur, in illo est invenire substantiam et accidens. Ergo non potest generari ex accidente tantum.

3. Il est impossible que plusieurs choses soient produites en même temps et d’un coup à partir d’une seule chose. Or, si quelque chose est engendré, on doit y trouver substance et accident. Cela ne peut donc être engendré à partir d’un accident seulement.

[15636] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, si aliquid generatur, aut illa generatio est naturalis, aut miraculosa. Naturalis non: quia generatum et id ex quo generatur naturaliter conveniunt in materia, ut patet in omnibus generationibus naturalibus; quod hic non potest inveniri. Similiter nec miraculosa: quia quod vermes aliquando inde generentur, vel in cinerem resolvantur, hoc est in irreverentiam tanti sacramenti; quod a Deo non est. Ergo nullo modo aliquid ex hujusmodi speciebus generari potest.

4. Si quelque chose est engendré, ou bien cette génération est naturelle, ou bien elle est miraculeuse. Elle n’est pas naturelle, car ce qui est engendré et ce à partir de quoi cela est engendré ont naturellement en commun une matière, comme cela se manifeste dans toutes les générations naturelles, alors qu’on ne trouve pas ici. De même n’est-elle pas miraculeuse, car le fait que des vers y sont parfois engendrés ou qu’elles soient réduites en cendre est de l’irrespect envers un si grand sacrement, ce qui ne vient pas de Dieu. Rien ne peut donc être engendré à partir de ces espèces.

[15637] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est, quod sensibiliter apparet, si diu reserventur, paulatim in aliud mutari.

Cependant, [1] on constate de manière sensible que si elles sont conservées longtemps, elles se transforment peu à peu en autre chose.

[15638] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, Innocentius dicit: in quo similitudo deficeret, in eo sacramentum non esset, sed ibi se proderet, et locum fidei auferret. Ergo oportet esse omnimodam similitudinem specierum ad substantiam panis. Sed ex substantia panis poterat aliquid generari. Ergo et ex speciebus ibi remanentibus.

[2] Innocent dit : «Là où la ressemblance ferait défaut, il n’y aurait pas sacrement, mais il s’y trahirait et il enlèverait l’occasion d’y croire.» Il est donc nécessaire qu’une ressemblance complète existe entre les espèces et la substance du pain. Or, quelque chose pouvait être engendré à partir de la substance du pain. Donc aussi à partir des espèces qui demeurent.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Ces accidents peuvent-ils nourrir ?]

[15639] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint nutrire. Quia omnis cibus qui nutrit, in corpus transit, et superfluitates ex eo resolvuntur. Sed cibus iste non vadit in corpus, ut Ambrosius in littera dicit. Ergo non nutrit.

1. Il semble que [ces accidents] ne puissent pas nourrir, car toute nourriture qui nourrit passe dans le corps et ce qui est superflu est éliminé. Or, cette nourriture ne va pas dans le corps, comme le dit Ambroise dans le texte. Elle ne nourrit donc pas.

[15640] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, ex eisdem nutrimur ex quibus sumus, ut dicitur in 2 de generatione. Sed non sumus ex accidentibus. Ergo ex eis non nutrimur. [15641] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, omne quod nutrit quocumque modo, solvit jejunium. Si ergo species istae nutriunt, solvunt jejunium; et sic post sumptionem corporis Christi non posset aliquis communicare; quod falsum est.

2. Nous nous nourrissons des mêmes choses dont nous sommes faits, comme il est dit dans Sur la génération, II. Or, nous ne sommes pas des accidents. Nous ne nous en nourrissons donc pas. 3. Tout ce qui nourrit, quelle qu’en soit la manière, rompt le jeûne. Si donc ces espèces nourrissent, elles rompent le jeûne. Ainsi, après avoir reçu le corps du Christ, on ne pourrait pas communier, ce qui est faux.

[15642] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa, 1 Corinth. 11, super illud: alius quidem esurit, alius autem ebrius est, quod aliqui sunt inebriati ex usu specierum hujus sacramenti.

Cependant, [1] il est dit dans le Glose, à propos de 1 Co 11 : L’un a faim pendant que l’autre est ivre, que certains s’enivrent en faisant usage des espèces de ce sacrement.

[15643] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, nihil aufert sitim vel famem, nisi quod nutrit. Sed sensibiliter reperiri potest quod ex potu illo sitis tollitur, praecipue si in multa quantitate sumatur. Ergo nutriunt species illae.

[2] Rien n’enlève la soif ou la faim que ce qui nourrit. Or, on peut constater de manière sensible que la soif est enlevée par cette boisson, surtout si elle est prise en grande quantité. Ces espèces nourrissent donc.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Peut-on mélanger un liquide avec ces espèces ?]

[15644] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullus liquor possit speciebus illis permisceri. Quia, ut in 1 de generatione, probat philosophus, accidens non permiscetur substantiae. Sed quilibet liquor substantia quaedam est. Cum ergo illae species sint tantum accidentia, videtur quod nihil possit eis permisceri.

1. Il semble qu’aucun liquide ne puisse être mélangé avec ces espèces, car, comme le démontre le Philosophe dans Sur la génération, I, l’accident ne se mélange pas avec la substance. Or, tout liquide est une certaine substance. Puisque ces espèces ne sont que des accidents, il semble donc que rien ne puisse y être mélangé.

[15645] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, sicut hoc sacramentum sub certa forma verborum consecratur, ita et aqua benedicta. Sed si aqua permiscetur aquae benedictae, totum fit benedictum. Si ergo aliquis liquorum permisceri posset vino consecrato, esset totum consecratum; et sic liquor ille transiret in sanguinem Christi sine forma verborum, quod falsum est.

2. De même que ce sacrement est consacré par une forme déterminée de paroles, de même l’eau est-elle bénite. Or, si de l’eau est mélangée à l’eau bénite, l’ensemble est bénit. Si donc un liquide pouvait être mélangé avec le vin consacré, l’ensemble serait consacré, et ainsi ce liquide deviendrait le sang du Christ sans la forme des paroles, ce qui est faux.

[15646] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 3 Praeterea, humidorum permixtorum efficitur superficies una. Si ergo illis speciebus aliquis liquor admisceatur, efficitur una superficies liquoris advenientis et specierum praeexistentium. Sed superficies liquoris est in subjecto, superficies autem specierum non est in subjecto. Ergo eadem superficies erit in subjecto et non in subjecto; quod est impossibile.

3. Une seule surface résulte du mélange de choses humides. Si donc un liquide est mêlé à ces espèces, une seule surface résulte du liquide ajouté et des espèces préexistantes. Or, la surface d’un liquide existe dans un sujet, mais la surface des espèces n’existe pas dans un sujet. La même surface existera donc dans un sujet et n’y existera pas, ce qui est impossible.

[15647] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 4 Praeterea, corpus Christi non est sub sacramento ex quo sub speciebus illis est alia substantia. Sed si aliquis liquor subtilis, puta vinum vel aqua, admisceatur illis speciebus, cum non contineatur propriis terminis, oportet quod diffluat ad terminos dimensionum sub quibus erat corpus Christi. Ergo desinunt ibi esse species: ergo corrumpuntur et non permiscentur.

4. Le corps du Christ n’existe pas dans le sacrement du fait que, sous ces espèces, existe une autre substance. Or, si un liquide subtil, par exemple, du vin ou de l’eau, est mélangé à ces espèces, puisqu’il n’est pas contenu à l’intérieur de ses propres limites, il est nécessaire qu’il se répande jusqu’aux limites des dimensions sous lesquelles se trouvait le corps du Christ. Les espèces cessent donc d’y exister ; elles dont donc corrompues et ne sont pas mélangées.

[15648] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 5 Praeterea, sicut album et nigrum sunt differentiae coloris; ita magnum et parvum sunt differentiae quantitatis, vel circa quantitatem. Sed idem color non est albus et niger. Ergo neque eaedem dimensiones sunt magnae et parvae. Sed addito aliquo liquore dimensiones illae efficiuntur magnae. Ergo non sunt eaedem quae prius; ergo non permiscentur.

5. De même que le blanc et le noir sont des différences de la couleur, de même grand et petit sont des différences de la quantité ou concernant la quantité. Or, le blanc et le noir ne sont pas la même couleur. Les mêmes dimensions ne deviennent donc pas non plus grandes et petites. Or, par l’ajout d’un liquide, ces dimensions deviennent grandes. Elles ne sont donc pas les mêmes que précédemment. Elles ne sont donc pas mélangées.

[15649] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, secundum philosophum in 1 de generatione, ea quae sunt divisibilia in minima, sunt bene permiscibilia. Sed ita est de speciebus illis. Ergo et cetera.

Cependant, [1] selon le Philosophe, dans Sur la génération, I, les choses qui sont divisibles en choses plus petites se mélangent bien. Or, il en est ainsi de ces espèces. Donc, etc.

[15650] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, majus est corrumpi quam permisceri. Sed species possunt corrumpi. Ergo possunt permisceri.

[2] Être corrompu est plus grand qu’être mélangé. Or, ces espèces peuvent être corrompues. Elles peuvent donc être mélangées.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15651] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod agere non est nisi rei per se subsistentis; et ideo neque materia agit neque forma, sed compositum; quod tamen non agit ratione materiae, sed ratione formae, quae est actus, et actionis principium. Et quia quantitas se tenet ex parte materiae, et qualitas ex parte formae; ideo quantitas non agit nisi mediante qualitate, quae est per se actionis principium; unde qualitates sunt sensibiles primo, quantitates secundo. Quia ergo in sacramento quantitates retinent eumdem modum essendi quem habebant substantia panis existente, ideo habent eumdem modum agendi, ut immutent et agant naturaliter sicut prius. Quantitatis enim, quae alium modum essendi habet, quia non est in subjecto, non est agere nisi mediante qualitate.

Agir n’est le fait que d’une chose qui subsiste par elle-même. C’est pourquoi ni la matière ni la forme n’agissent, mais le composé, qui cependant n’agit pas en raison de la matière, mais en raison de la forme, qui est un acte et un principe d’action. Et parce que la quantité se range du côté de la matière et la qualité du côté de la forme, c’est la raison pour laquelle la quantité n’agit que par l’intermédiaire de la qualité, qui est par soi principe d’action. Aussi les qualités sont-elles sensibles en premier, et les quantités en second. Puisque, dans le sacrement, les quantités gardent le même mode d’existence qu’elles avaient alors qu’existait la substance du pain, elles ont donc le même mode d’agir, de sorte qu’elles changent et agissent naturellement comme antérieurement. En effet, la quantité, qui possède un autre mode d’être parce qu’elle n’existe pas dans un sujet, ne peut agir que par l’intermédiaire de la qualité.

[15652] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materia accidentis est proximum subjectum ejus; proximum autem subjectum qualitatis corporalis est quantitas, ut superficies coloris; et ideo qualitas quae est actionis principium, communicat quodammodo in materia cum his quae sunt extra, quia quantitas hinc inde subesse invenitur.

1. La matière de l’accident est son sujet rapproché ; mais le sujet rapproché de la qualité corporelle est la quantité, comme la surface de la couleur. C’est pourquoi, d’une certaine manière, la qualité, qui est principe d’action, a en commun avec les choses extérieures la matière, parce qu’on constate que la quantité est sous-jacente aux deux.

[15653] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mathematici non solum abstrahunt a materia, sed a sensibilibus accidentibus. Et quia dimensiones in hoc sacramento non sunt separatae ab accidentibus sensibilibus; ideo non solum habent tactum mathematicum sicut mathematica, sed etiam physicum: quia ratione illorum accidentium possunt immutare et immutari.

2. Les mathématiciens non seulement font abstraction de la matière, mais des accidents sensibles. Et parce que, dans ce sacrement, les dimensions ne sont pas séparées des accidents sensibles, elles ont non seulement un contact mathématique, comme en mathématique, mais aussi physique, car c’est en raison de ces accidents qu’elles peuvent changer et être changées.

[15654] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad immutationem accidentalem satis simile invenitur hinc inde: quia sicut in sacramento non est albedo separata, sed album quod agit; ita exterius per immutationem non fit albedo, sed aliquod album; et ita, inquantum hujusmodi, passum in fine est simile.

3. Pour ce qui est du changement accidentel, on trouve de part et d’autre quelque chose d’assez semblable, car, de même que n’existe pas dans le sacrement une blancheur séparée, mais quelque chose de blanc qui agit, de même, à l’extérieur, la blancheur n’est-elle pas produite par un changement, mais quelque chose de blanc. Et ainsi, en tant que tel, ce qui subit est finalement semblable.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15655] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in actionibus naturalibus formae substantiales non sunt immediatum actionis principium, sed agunt mediantibus qualitatibus activis et passivis, sicut propriis instrumentis; ut dicitur in 2 de anima, quod calor naturalis est quo anima agit; et ideo qualitates non solum agunt in virtute propria, sed etiam in virtute formae substantialis. Unde actio earum non solum terminatur ad formam accidentalem, sed etiam ad formam substantialem; et propter hoc generatio est terminus alterationis. Hujusmodi autem virtutem instrumentalem recipiunt eo ipso quo a principiis essentialibus causantur. Unde sicut remotis substantiis remanet accidentibus idem esse secundum speciem virtute divina, ita etiam remanet eis eadem virtus quae et prius; et ideo, sicut ante poterant immutare ad formam substantialem, ita et nunc.

Dans les actions naturelles, les formes substantielles ne sont pas le principe immédiat de l’action, mais elles agissent par l’intermédiaire des qualités actives et passives comme par leurs instruments propres. Ainsi, il est dit dans Sur l’âme, II, que c’est par la chaleur naturelle que l’âme agit. C’est pourquoi les qualités non seulement agissent par leur puissance propre, mais aussi par la puissance de la forme substantielle. Aussi leur action n’a pas comme terme la seule forme accidentelle, mais aussi la forme substantielle. Pour cette raison, la génération est le terme de l’altération. Mais [les qualités] reçoivent cette puissance instrumentale par le fait qu’elles sont causées par les principes essentiels. De sorte que, de même qu’une fois les substances enlevées, les accidents conservent le même être selon l’espèce par la puissance divine, de même aussi demeure en elles la même puissance qu’antérieurement. Comme elles pouvaient réaliser un changement en vue de la forme substantielle, elles [le peuvent] donc aussi maintenant.

[15656] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nos non ponimus omnino hujusmodi qualitates separatas, sicut Plato ponebat formas naturales, cum ponamus pro subjecto id quod erat proximum subjectum eorum primo; et ideo non est similis ratio hinc inde. Tamen hic etiam generans non est omnino simile generato: quia generatum est substantia, generans autem non. Sed hoc ideo contingit, quia, ut dictum est, hujusmodi qualitates habent instrumentalem virtutem generandi. Generatum autem non oportet quod assimiletur instrumento, sed principali generanti, ut dicit Commentator in 11 Metaph.: quia instrumentum non agit virtute sua sed alterius, et illi assimilat, non sibi; unde generatio hic assimilatur substantiae quae prius erat. Plato autem formas separatas non ponebat instrumentalia generantia, sed primas causas generationis et principales.

1. Nous n’affirmons pas que ces qualités sont complètement séparées, comme Platon l’affirmait des formes naturelles, puisque nous donnons comme sujet ce qui était d’abord leur sujet rapproché. Le raisonnement n’est donc pas le même ici et là. Toutefois, ce qui engendre ici n’est pas entièrement semblable à ce qui est engendré, car ce qui est engendré est une substance, mais ce qui engendre n’en est pas une. Or, cela se produit parce que, ainsi qu’on l’a dit, ces qualités ont la puissance instrumentale d’engendrer. Or, il n’est pas nécessaire que ce qui est engendré soit assimilé à l’instrument, mais à ce qui engendre de manière principale, comme le dit le Commentateur, dans Métaphysique, XI, car l’instrument n’agit pas par sa propre puissance, mais par celle d’un autre, et il assimile à celui-ci, et non à celui-là. Aussi la génération est-elle ici assimilée à une substance qui existait antérieurement. Mais Platon n’affirmait pas que les formes séparées sont ce qui engendre de manière instrumentale, mais qu’elles sont les causes premières et principales de la génération.

[15657] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propria virtute nihil agit ultra suam speciem: sed virtute alterius, cujus est instrumentum, potest agere ultra speciem suam, sicut serra agit ad formam scamni.

2. Rien n’agit par sa propre vertu au-delà de sa propre espèce, mais, par la puissance d’un autre, dont il est l’instrument, il peut agir au-delà de sa propre espèce, comme la scie agit en vue de la forme de l’escabeau.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15658] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod unaquaeque res habet proprium esse suae speciei. Non enim esse in omnibus est unius speciei, sicut nec animalitas est unius speciei in omnibus animalibus, nec humanitas eadem numero in omnibus hominibus, sicut et unaquaeque res habet propriam actionem. Unde sicut in qualitatibus quae remanent in sacramento, remanet actio conformis actioni substantiae prius existentis; ita etiam esse subsistens quod convenit dimensionibus remanentibus, est conforme illi esse quod prius substantia panis habebat. Unde sicut qualitas facit eamdem actionem quam prius faciebat, substantia panis et vini existente; ita esse, in quo dimensiones subsistunt, tollitur eisdem passionibus quibus antea tolleretur, eadem substantia existente; et propter hoc eodem modo corrumpuntur accidentia remanentia, sicut et prius corrumpi poterant. Prius autem corrumpi poterant dupliciter. Uno modo manente substantia subjecti, per aliquam accidentalem mutationem: sicut ex parte qualitatum secundum aliquam alterationem vinum saporem vel colorem mutare poterat; et ita color qui prius erat, aut sapor, corrumpebatur; sed quantitas praedicto modo non poterat corrumpi per motum in quantitate, scilicet augmentum, quia vinum et panis non sunt corpora animata, quae possunt esse subjectum augmenti et diminutionis, sed per additionem vel divisionem: quia secundum philosophum in 3 Metaph., in additione quantitatis ad quantitatem una quantitas esse incipit duabus esse desinentibus, et e contrario est in divisione. Alio modo per corruptionem substantiae: quae quidem contingit ex transmutatione accidentium, et ex parte qualitatum: quia sicut generatio, ita et corruptio est terminus alterationis; et ex parte quantitatis: quia cum unaquaeque res naturalis habeat quantitatem determinatam, intantum poterit divisio fieri quod species non remanebit. Unde etiam in hoc sacramento aliquando aliqua alteratione facta in qualitatibus, adhuc manet esse illud dimensionum conforme substantiae praecedenti; et tunc ratione ipsius corruptionis accidentium non desinit esse corpus Christi sub sacramento. Aliquando autem alteratio ad terminum venit, et tunc esse praedictum tollitur, et sic desinit esse sacramentum. Et similiter ex parte quantitatis: quia si fiat divisio in partes tantae quantitatis quae sufficiat ad speciem panis vel vini; sunt quidem aliae dimensiones, quia partes continui, quae erant potentia, fiunt actu; sed esse conforme substantiae praeexistenti manet, et ideo adhuc est sacramentum. Si autem quantitas partium ad hoc non sufficiat, utrumque esse desinet, et dimensio et esse praedictum; et ideo corpus Christi desinit esse sub sacramento.

Chaque chose a l’être propre de son espèce. En effet, l’être ne relève pas en toutes choses d’une seule espèce, comme l’animalité relève d’une seule espèce chez tous les animaux, ni l’humanité n’est-elle la même en nombre chez tous les hommes, comme chaque chose possède son action propre. De même donc que, dans les qualités qui demeurent dans le sacrement, l’action conforme à l’action de la substance qui existait d’abord demeure, de même aussi l’être subsistant qui convient aux dimensions qui demeurent est-il conforme à l’être que possédait antérieurement la substance du pain. De même donc que la qualité produit la même action qu’elle produisait d’abord, de même l’être, dans lequel les dimensions demeurent, est-il enlevé par les mêmes passions par lesquelles il était enlevé auparavant, alors que la même substance demeurait. Pour cette raison, les accidents qui demeurent sont corrompus de la même manière dont ils pouvaient être corrompus antérieurement. Or, ils pouvaient antérieurement être corrompus de deux manières. D’une manière, alors que la substance du sujet demeurait, par un changement accidentel, comme, dans le cas des qualités, lorsque le vin pouvait changer de saveur ou de couleur par une certaine altération ; mais la quantité ne pouvait être corrompue de la manière dite par un mouvement à l’intérieur de la quantité, à savoir, par une augmentation, car le vin et le pain ne sont pas des corps animés, qui peuvent être le sujet d’une augmentation et d’une diminution, mais par addition ou division. En effet, selon le Philosophe, dans Métaphysique, III, par l’additon d’une quantité à une quantité, une quantité commence à exister, alors que deux [quantités] cessent, et c’est le contraire pour la division. D’une autre manière, par la corruption de la substance, ce qui se produit par la transformation des accidents et du côté des qualités. En effet, de même que la génération, la corruption aussi est le terme d’une altération. Dans le cas aussi de la quantité : puisque toutes les choses naturelles ont une quantité déterminée, on pourra pratiquer une division jusqu’à ce que l’espèce ne demeure plus. Aussi, même dans ce sacrement, à la suite d’une altération des qualités, demeure l’être des dimensions conforme à la substance précédente ; et alors, en raison de la corruption même des accidents, le corps du Christ ne cesse pas d’exister dans le sacrement. Mais parfois, l’altération va jusqu’au terme, et alors l’être en question est enlevé ; le sacrement cesse alors d’exister. Et il en va de même du côté de la quantité, car si on pratique une division en parties qui ont une quantité suffisante pour l’espèce du pain et du vin, ce sont à la vérité d’autres dimensions, car les parties d’un continu, qui existaient en puissance, deviennent en acte. Mais l’être conforme à la substance préexistante demeure. C’est pourquoi il y a encore sacrement. Mais si la quantité des parties n’y suffit pas, les deux cessent d’exister : la dimension et l’être dont il a été question. C’est pourquoi le corps du Christ cesse d’exister dans le sacrement.

[15659] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma dicitur esse invariabilis, quia non est variationis subjectum; tamen per variationem tollitur, sicut patet in alteratione et augmento; et ita largo modo dicuntur corrumpi, prout omne quod esse desinit, dicitur corrumpi.

1. La forme est dite invariable parce qu’elle n’est pas le sujet de la variation. Toutefois, elle est enlevée par la variation, comme cela ressort clairement dans l’altération et l’augmentation. On dit ainsi au sens large qu’elle est corrompue pour autant qu’on appelle corrompu tout ce qui cesse d’être.

[15660] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dimensiones, quae sunt proximae dispositiones materiae, retinent in hoc sacramento vicem materiae; et ideo se habent ad esse in quo subsistunt sicut materia ad formam substantialem, et ipsae subsunt sicut subjectum accidentibus; et hoc modo corruptionis principium esse possunt, sicut et materia esset. Ipsae etiam partes dimensionum, cum sint in potentia, habent quamdam rationem materiae ratione totius dimensionis; et ideo ex parte earum accidit corruptio aliqua in tota dimensione per divisionem.

2. Les dimensions, qui sont les dispositions rapprochées de la matière, jouent le rôle de matière dans ce sacrement. C’est pourquoi elles ont par rapport à l’être où elles subsistent le rôle de la matière par rapport à la forme substantielle, et elles lui sont soumises comme le sujet par rapport aux accidents. Elles peuvent ainsi être le principe de la corruption, comme le serait la matière. Et les parties mêmes des dimensions, puisqu’elles sont en puissance, ont une certaine raison de matière en regard de la dimension totale. C’est pourquoi une corruption survient de leur côté dans la dimension totale par la division.

[15661] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod species sic remanere miraculosum est; sed quod sic remanentes corrumpantur, est naturale; sicut miraculosum est quod caecus visum recipiat; sed quod jam visu recepto videat, est naturale. Remanet enim quidam compositionis modus in accidentibus istis, dum quantitas retinet rationem materiae, et qualitas rationem formae, ut dictum est.

3. Le fait que les espèces demeurent de cette manière est miraculeux, mais que les espèces qui demeurent soient corrompues est naturel, comme est miraculeux le fait que l’aveugle reçoive la vision, mais est naturel le fait qu’il voie après avoir reçu la vision. En effet, un certain mode de composition demeure dans ces accidents, alors que la quantité garde la raison de matière et la qualité, la raison de forme, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15662] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod quamvis illae species possint corrumpi et putrefieri, tamen ex tali putrefactione vel corruptione non generantur vermes, vel aliquid hujusmodi. Sed hoc nihil est. Constat enim quod accidentia quando corrumpuntur, non hoc modo desinunt ut dispareant omnino, ac si totaliter annihilarentur; sed succedit illis accidentibus aliquid sensibile; et hoc oportet esse de novo generatum. Nec est differentia, quidquid sit illud, utrum sit vermis, vel cinis, vel aliquid hujusmodi; quia similis difficultas est de omnibus. Et ideo alii dixerunt, quod substantia panis ibi remanet, ex qua materialiter aliqua generari possunt. Sed haec opinio supra improbata est. Et ideo alii dixerunt, quod ex mutua actione accidentium sacramenti ad corpora circumstantia generantur vermes ex aere continente. Sed hoc non videtur esse verum; quia accidentia illa non habent ibi aliam actionem quam haberent si substantia remansisset; sed quando substantia erat, non poterant vermes ex aere generari, vel cinis, per talem actionem; unde nec modo. Et praeterea, sensibiliter apparet quod in illo loco ubi fuit corpus Christi, est illud quod generatur; et ibidem alteratio praecedens apparet. Aer autem ante ultimum instans corruptionis specierum non erat in loco illo; quia sic subintrasset dimensiones sub quibus erat corpus Christi; quod est impossibile. Nec etiam movebatur ad locum illum, quia quietus forte manebat. Unde sequitur quod totus motus aeris, et alteratio ipsius et corruptio, et generatio vermium aut cineris, sit in eodem instanti; quod est impossibile. Et praeterea idem accideret, si corpus Christi conservaretur inter aliqua corpora solida quae non subintraret aer, et non appareret aliqua mutatio facta in corporibus solidis circumstantibus. Et praeterea, si corpus Christi in magna quantitate consecratum esset, idem posset accidere; et tanta inspissatio aeris non posset de facili accidere sine sensibili ipsius immutatione. Et ideo alii dicunt, quod peracto sacramento, redit substantia panis sub speciebus quae prius suberat, et ex illa generantur vermes, vel aliquid hujusmodi. Sed hoc non potest esse. Quamdiu enim est ibi corpus Christi, non redit substantia panis; quia sic esset corpus Christi sub speciebus cum substantia panis; quod est tertia opinio, quae non sustinetur. Quamdiu autem sunt ibi species, manet sub speciebus corpus Christi; unde quamdiu manent species, substantia panis non redit; remotis autem speciebus illis, jam non est ibi substantia panis, sed vermium vel cineris, vel alicujus hujusmodi. Nunquam enim est substantia panis sine speciebus panis; unde substantia panis non redit. Nisi forte dicatur redire quo ad materiam tantum, quia illa eadem materia quae prius erat sub forma panis, postmodum fit sub forma cineris, vel alicujus hujusmodi; et hoc posset stare cum secunda opinione prius tacta quantum ad hoc quod ponebat substantiam panis in praejacentem materiam resolvi; quod stare non potest, ut supra probatum est. Sed quantum ad aliam partem, quae ponebat quod annihilaretur, non potest stare; quia quod in nihilum redactum est, non potest iterum idem numero sumi. Sed quantum ad primam opinionem, quae communiter sustinetur, omnino stare non potest; quia quod conversum est in alterum, non potest redire, nisi alterum in ipsum convertatur; substantia autem panis conversa est in corpus Christi; et haec substantia, scilicet panis, facta est illa, scilicet corporis Christi, ut ex praedictis patet; unde non potest esse quod substantia panis redeat neque quantum ad totum neque quantum ad partem, nisi corpus Christi e converso convertatur in substantiam panis, quod est impossibile. Et ideo impossibile est dicere quod substantia panis redeat neque secundum totum neque secundum partem; si redire proprie sumatur, ut sit idem numero quod redit. Si autem materia panis redire dicatur, non quia eadem numero redeat, sed alia ejusdem rationis; tunc oportebit dicere, quod illa alia materia de novo creatur. Et forte hoc intellexerunt qui dixerunt substantiam panis redire; unde satis probabiliter per hunc modum opinio sustineri potest, ut dicatur, quod ad hoc Deus materiam creat, ne sacramentum deprehendatur, et sic fides meritum perdat. Nec tamen materia corporalis in principio creata augetur; quia quantum de materia conversum fuit in substantiam corporis Christi, tantum de materia creatur nunc de novo. Potest tamen et aliter dici, quod illae species sicut habent ex hoc quod subsistunt, quod possunt agere quidquid poterant substantiis panis et vini existentibus; ita habent ut possint converti in quidquid converti poterant substantiae praeexistentes, quod sic intelligi potest. Sicut enim Commentator dicit in 1 Phys., et in Lib. de substantia orbis, in materia generabilium et corruptibilium oportet intelligere dimensiones interminatas ante adventum formae substantialis; alias non posset intelligi divisio materiae, ut in diversis partibus materiae diversae formae substantiales essent. Hujusmodi autem dimensiones post adventum formae substantialis accipiunt esse terminatum et completum. Quidquid autem intelligitur in materia ante adventum formae substantialis, hoc manet idem numero in generato et in eo ex quo generat; quia remoto posteriori oportet remanere prius; dimensiones autem illae interminatae se habent ad genus quantitatis sicut materia ad genus substantiae. Unde sicut in quolibet completo in genere substantiae est accipere materiam, quae est ens incompletum in genere illo; ita in dimensionibus completis, quae sunt in hoc sacramento, est accipere dimensiones incompletas; et his mediantibus materia panis formam reciperet ejus quod ex pane generaretur, pane non converso in corpus Christi; unde sicut dimensionibus illis est datum ut substent et subsint et illi esse quod est conforme esse priori substantiae, et terminationi quantitatis, et omnibus aliis accidentibus; ita etiam datur eis ut possint subesse alteri formae naturali, et aliis accidentibus; quia de natura sua non habent ut subsint tantum accidenti, sed etiam formae substantiali, ut dictum est; et tunc vel ex consequenti adveniet etiam materia propter concomitantiam naturalem formae ad materiam, sicut propter concomitantiam naturalem animae Christi ad corpus, erat anima sub sacramento; et hoc quodammodo redit in primum dictum, ut scilicet materia de novo fiat; vel ipsi dimensioni virtute divina dabitur natura materiae propter propinquitatem ad ipsam, ut sic illud generatum sit compositum ex materia et forma.

Certains disent que, bien que ces espèces puissent être corrompues et putréfiées, des vers et quelque chose de ce genre ne sont pas engendrés par une telle putréfaction ou corruption. Mais cela n’est rien. En effet, il est sûr que les accidents, lorsqu’ils sont corrompus, ne cessent pas au point de disparaître complètement, comme s’ils étaient totalement anéantis, mais que leur succède quelque chose de sensible ; et il est nécessaire que cela soit nouvellement engendré. Et ce que cela est : vers, cendre ou quelque chose de ce genre, ne fait pas de différence, car la difficulté est la même pour tous. C’est pourquoi d’autres ont dit que la substance du pain y demeure, à partir de laquelle certaines choses peuvent être engendrées. Mais cette opinion a été réfutée plus haut. C’est pourquoi d’autres ont dit que, par l’action réciproque des accidents du sacrement sur les corps qui l’entourent, des vers sont engendrés à partir de l’air qui les contient. Mais cela ne paraît pas être vrai, car ces accidents n’y ont pas l’action qu’ils auraient si la substance était demeurée. Or, lorsque la substance existait, des vers ou de la cendre ne pouvaient pas être engendrés à partir de l’air par une telle action. [Cela ne se peut donc] pas non plus maintenant. De plus, il est sensiblement manifeste que là où existait le corps du Christ, se trouve ce qui est engendré, et qu’au même endroit, apparaît l’altération précédente. Or, l’air ne se trouvait pas dans ce lieu avant l’ultime instant de la corruption des espèces, car, alors, il se serait infiltré sous les dimensions sous lesquelles existait le corps du Christ, ce qui est impossible. Il n’était pas non plus déplacé vers ce lieu, car il demeurait peut-être calme. Il en découle donc que tout le mouvement de l’air, l’altération et la corruption de celui-ci et la génération de vers et de cendre se produisent dans le même instant, ce qui est impossible. De plus, la même chose se produirait si le corps du Christ était conservé parmi des corps solides qui ne s’infiltrent pas dans l’air, et qu’aucun changement dans les corps solides environnants n’apparaissait. De plus, si le corps du Christ avait été consacré en grande quantité, la même chose pourrait se produire, et un si grand apport d’air ne pourrait pas facilement se produire sans un changement sensible de celui-ci. C’est pourquoi d’autres disent qu’une fois le sacrement accompli, la substance du pain retourne sous les espèces qu’il avait précédemment et que les vers et les choses de ce genre sont engendrés à partir d’elle. Mais cela n’est pas possible. En effet, aussi longtemps qu’existe là le corps du Christ, la substance du pain ne revient pas, car alors le corps du Christ existerait sous les espèces en même temps que la substance du pain, ce qui est la troisième opinion qui n’est pas acceptée. Mais, aussi longtemps que les espèces existent, le corps du Christ demeure sous les espèces ; par conséquent, aussi longtemps que demeurent les espèces, la substance du pain ne revient pas ; mais, une fois ces espèces enlevées, il n’y a pas là la substance du pain, mais celle des vers ou de la cendre ou de quelque chose de ce genre. À moins peut-être que l’on parle de «revenir» pour ce qui est de la matière seulement, car cette même matière qui existait précédemment sous la forme du pain passe par la suite à la forme de la cendre ou de quelque chose du genre. Et cela pourrait être acceptable selon la deuxième opinion abordée plus haut, dans la mesure où elle affirmait que la substance du pain était ramenée à la matière antérieurement sous-jacente, ce qui ne peut être le cas, comme on l’a démontré plus haut. Mais, de l’autre point de vue, qui affirmait que cela serait annihilé, cela est insoutenable, car la même chose en nombre qui a été ramenée au néant ne peut être de nouveau reçue. Mais, en ce qui concerne la première opinion qui est généralement acceptée, elle ne peut pas du tout être acceptée, car, ce qui a été converti en autre chose ne peut revenir, à moins que l’autre ne soit converti en lui. Or, la substance du pain a été convertie au corps du Christ, et cette substance du pain est devenue celle-ci, à savoir, le corps du Christ, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut. Aussi est-il impossible que la substance du pain revienne ni en totalité ni en partie, à moins que le corps du Christ ne soit converti en sens contraire en la substance du pain, ce qui est impossible. C’est pourquoi il est impossible de dire que la substance du pain revient ni en totalité ni en partie, si l’on entend «revenir» au sens propre, à savoir que ce soit la même chose numériquement qui revient. Mais si l’on dit que la matière du pain revient, non pas parce qu’elle revient identique en nombre, mais parce qu’il s’agit d’une autre de même nature, alors il faudra dire que cette autre matière est créée de nouveau. Peut-être est-ce cela qu’ont compris ceux qui ont dit que la substance du pain revient. Aussi est-il assez probable que cette opinion puisse être soutenue de cette manière : on dit alors que Dieu crée une matière pour que le sacrement ne soit pas reçu, et ainsi la foi perd son mérite. Cependant, la matière corporelle créée à l’origine ne serait pas augmentée, car la même quantité de matière qui a été convertie en la substance du corps du Christ est créée de nouveau. Toutefois, on peut parler autrement : de même que ces espèces, du fait qu’elles subsistent, peuvent faire tout ce qu’elles pouvaient faire alors que les substances du pain et du vin existaient, de même peuvent-elles être converties en tout ce en quoi elles pouvaient être converties alors que les substances préexistaient, ce qui peut ainsi se comprendre. En effet, comme le dit le Commentateur dans Physique, I et dans le Livre sur la substance du monde, il faut comprendre que les dimensions ne sont pas limitées avant l’arrivée de la forme substantielle, autrement on ne pourrait comprendre la division de la matière selon laquelle diverses formes substantielles se trouveraient dans diverses parties de la matière. Or, les dimensions de cette sorte reçoivent, après l’arrivée de la forme substantielle, un être précis et complet. Or, tout ce qu’on inclut dans la matière avant l’arrivée de la forme substantielle demeure identique en nombre dans ce qui est engendré et dans ce à partir de quoi il engendre. En effet, si l’on enlève ce qui suit, il faut que ce qui précède demeure. Or, ces dimensions sans limites ont avec le genre de la quantité le même rapport que la matière avec le genre de la substance. Par conséquent, de même que, dans tout ce qui est complet dans le genre de la substance, il faut inclure la matière, qui est un être incomplet dans ce genre, de même, pour les dimensions incomplètes, qui existent dans ce sacrement, faut-il inclure les dimensions incomplètes. Et, par l’intermédiaire de celles-ci, la matière du pain recevrait la forme de ce qui est engendré à partir du pain, alors que le pain n’est pas converti en corps du Christ. De même donc qu’il a été donné à ces dimensions d’être sous-jacentes et de subsister, et à cet être, ainsi qu’à la détermination de la quantité et à tous les autres accidents, d’avoir la même forme antérieure de la substance, de même aussi leur est-il donné, ainsi qu’aux autres accidents, de pouvoir être sous-jacentes à une autre forme naturelle. En effet, par leur nature même, elles ne peuvent être sous-jacentes à un accident seulement, mais aussi à la forme substantielle, comme on l’a dit. Et alors, il en découlerait que la matière aussi, en raison de la concomitance naturelle de la forme avec la matière, comme en raison de la concomitance naturelle de l’âme du Christ avec son corps, était l’âme dans ce sacrement. D’une certaine manière, cela revient à ce qui a été dit en premier lieu, à savoir que la matière est créée de nouveau ; ou bien, la nature de la matière sera donnée à la dimension elle-même par la puissance divine en raison de sa proximité par rapport à celle-ci, de sorte que ce qui est engendré soit composé de matière et de forme.

[15663] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum penultimam opinionem species illae penitus cedunt in nihil; sed substantia praedicto modo redeunte generatur illud quod succedit. Nec dicitur generari ex speciebus secundum quod ly ex dicit causam materialem, sed solum secundum quod dicit ordinem, ut ex mane fit meridies, idest post. Sed secundum aliam opinionem illud totum demonstratum sensibile in sacramento habebat aliquid (scilicet partem sui) simile materiae, scilicet dimensiones interminatas; et illud non cedit in nihil, sed remanet sicut et remaneret, si substantia panis esset.

1. Selon l’avant-dernière opinion, ces espèces tombent entièrement dans le néant, mais, alors que la substance revient de la manière dite, ce qui succède est engendré. On ne dit pas que cela est engendré à partir des espèces selon que «à partir de» indique la cause matérielle, mais seulement que cela indique un ordre; ainsi, le midi vient du matin, c’est-à-dire après le matin. Mais, selon une autre opinion, ce tout sensible montré dans le sacrement possédait quelque chose (c’est-à-dire une partie de lui-même) semblable à la matière, à savoir, des dimensions sans limites, et cela ne tombe pas dans le néant, mais demeure, comme cela demeurerait s’il s’agissait de la substance du pain.

[15664] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc non est remotum quin Deus possit mutare corpus in spiritum; et tamen quantum ad aliquid dimensiones interminatae magis sunt propinquae materiae corporali quam corpus spiritui.

2. Il n’est pas exclu que Dieu puisse changer le corps en esprit. Toutefois, sous un aspect, les dimensions sans limites sont plus proches de la matière corporelle que le corps de l’esprit.

[15665] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut quando aer convertitur in ignem, non dicitur quod materia aeris fiat duo, scilicet materia ignis et forma ignis; sed unum tantum, quod fit ignis; ita etiam dimensiones illae non dicuntur fieri duo, sed unum tantum, scilicet materia sic dimensionata; et hoc fit divina virtute.

3. Lorsque l’air est converti en feu, on ne dit pas que la matière de l’air devient deux choses, à savoir, la matière du feu et la forme du feu, mais une seule chose, qui devient le feu. De la même manière, on ne dit pas que ces dimensions deviennent deux choses, mais une seule chose seulement, à savoir, la matière ainsi dimensionnée. Et cela est réalisé par la puissance divine.

[15666] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum quamlibet positionem oportet ponere aliquid in hac generatione esse miraculosum, et aliquid naturale; reditus enim substantiae, vel creatio materiae, vel conversio dimensionum in materia, est miraculosum; sed quod materia jam existens recipiat talem formam, cujus dispositiones praecesserunt in dimensionibus, hoc est naturale.

4. Selon toutes les positions, il faut affirmer que quelque chose est miraculeux et quelque chose est naturel dans cette génération. En effet, le retour de la substance [du pain], la création de la matière, la conversion des dimensions en matière sont miraculeux. Mais le fait que la matière déjà existante reçoive une telle forme, dont des dispositions ont précédé dans les dimensions, cela est naturel.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15667] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt quod species illae non nutriunt, sed reficiunt et inebriant ex sola immutatione accidentali, sicut aliqui inebriantur odore vini, et reficiuntur et famem amittunt ex sapore et odore. Sed hoc non potest esse; quia talis immutatio quamvis ad horam reficiat, tamen sustentare non potest; quod tamen facerent species illae, si in magna quantitate sumerentur. Et ideo alii dixerunt, quod remanet forma substantialis panis, et illa habet eamdem operationem quam habebat panis, et ideo nutrit sicut panis nutriret. Sed hoc non potest esse; quia operatio formae non est pati, sed agere; nutrimentum autem non nutrit, nisi ex hoc quod convertitur in substantiam nutriti; et ideo nutrit secundum quod ex eo aliquid generatur; quod non potest dici de forma. Et ideo dicendum est, quod cum generari aliquid ex illis speciebus possit per modum praedictum, eodem modo et nutrire possunt.

Certains ont dit que ces espèces ne nourrissent pas, mais restaurent et enivrent par un changement accidentel seulement, comme certains sont enivrés par l’odeur du vin et sont restaurés et perdent la faim par la saveur et par l’odeur. Mais cela est impossible, car un tel changement, bien qu’il restaure sur le coup, ne peut cependant sustenter, ce que feraient ces espèces si elles étaient prises en grande quantité. C’est pourquoi d’autres ont dit que la forme de la substance du pain demeure et que celle-ci possède la même action que le pain avait ; c’est pourquoi elle nourrit comme le pain nourrirait. Mais cela est impossible, car l’opération de la forme n’est pas de subir, mais d’agir. Or, la nourriture ne nourrit que par le fait qu’elle est convertie en la substance de celui qui est nourri. C’est pourquoi elle nourrit du fait que quelque chose est engendré à partir d’elle, ce qu’on ne peut dire de la forme. Il faut donc dire que, puisque quelque chose peut être engendré à partir de ces espèces de la manière qu’on a dite plus haut, elles peuvent aussi nourrir de la même manière.

[15668] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicitur, quod cibus iste non transit in corpus, intelligendum est quantum ad rem contentam sub sacramento, scilicet verum corpus Christi, quod non mutatur in manducantem, sed ipsum in se mutat spiritualiter. Sed species in corpus comedentis convertuntur, sicut et in aliquod aliud corpus converti possunt, ut dictum est.

1. Ce qu’on dit, à savoir que la cette nourriture ne passe pas par le corps, doit s’entendre de la réalité contenue dans le sacrement, à savoir, le corps véritable du Christ, qui n’est pas changé en celui qui [le] mange, mais qui change celui-ci en lui-même spirituellement. Mais les espèces sont converties au corps de celui qui [les] mangent, comme elles peuvent être converties en un autre corps, ainsi qu’on l’a dit.

[15669] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidentia manentia in suo esse accidentali non nutriunt, sed eo modo quo in aliud convertuntur, vel aliud sub eis creatur vel redit.

2. Les accidents qui demeurent selon leur être accidentel ne nourrissent pas, mais selon la manière dont ils sont convertis en autre chose ou selon que quelque chose d’autre est créé ou revient en eux.

[15670] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa nutritio non est omnino secundum ordinem naturae, ut dictum est; et ideo talis manducatio jejunium non solvit.

3. Cette nutrition n’est pas en tout conforme à l’ordre de la nature, comme on l’a dit. C’est pourquoi une telle manducation ne rompt pas le jeûne.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[15671] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod quicumque liquor addatur speciebus vini in quantacumque quantitate, statim desinit ibi esse corpus Christi; quia dimensiones illae non manent eaedem, et iterum liquor additus per totum diffunditur. Unde cum corpus Christi non sit sub speciebus cum alio corpore, oportet quod in toto desinat esse corpus Christi. Sed haec positio non potest stare. Constat enim quod corpus Christi manet quamdiu illa accidentia manent; illa autem accidentia non corrumpuntur aliter quam ut corrumperetur substantia panis et vini. Constat autem quod ex parvo liquore addito non destrueretur vinum, et ideo nec species vini remanentes. Rationes enim praedictae non cogunt. Primo, quia non quaelibet dimensionum distinctio tollit sacramentum; sicut enim additio, ita et divisio facit aliam dimensionem, ut ex dictis patet per philosophum. Divisio autem non tollit veritatem sacramenti, ut patet in pane qui frangitur; unde nec additio; quia illa varietas dimensionum quam facit talis additio et divisio, est quantum ad determinationem ipsarum, non quantum ad indeterminatum esse earum, secundum quod competit eis subsistere; neque quantum ad esse quo subsistunt conformes substantiae praecedenti. Similiter etiam parvus liquor constat quod non potest diffundi per omnes dimensiones; nisi rarefieret et transmutaretur in aliam speciem. Unde non oportet quod occupet omnes dimensiones. Et ideo aliter dicendum, quod hoc modo admiscetur liquor quicumque speciebus illis, sicut admisceretur substantiae vini. Liquor autem additus si esset aequalis quantitatis vel majoris, pertingeret ad omnes dimensiones vini; et sic si esset alterius speciei, faceret aliam speciem liquoris mediam; si autem esset ejusdem speciei, vinum faceret aliud vinum secundum numerum, maxime quantum ad accidentia. Si autem liquor additus esset minoris quantitatis, non posset pertingere ad omnes dimensiones totius vini, sed ad aliquas, et illas immutaret altero dictorum modorum; et forte immutaretur secundum speciem, si esset alterius speciei. Constat autem quod in hoc sacramento non manet corpus Christi nisi quamdiu illae species manent eaedem numero; et ideo si apponatur parvus liquor, corrumpet partem specierum, et sub illa parte desinit esse corpus Christi; non enim est probabile quod una gutta aquae per totum scyphum diffundatur. Si autem addatur in magna quantitate, sic corrumpet species secundum totum; et ita totaliter desinit ibi esse corpus Christi.

Certains disent que, quel que soit le liquide ajouté aux espèces du vin, en quelque quantité que ce soit, le corps du Christ cesse de s’y trouver, car ces dimensions ne demeurent pas les mêmes et le liquide ajouté se répand dans le tout. Puisque le corps du Christ ne se trouve pas sous les espèces avec un autre corps, il faut donc que le corps du Christ cesse complètement d’exister. Mais cela ne peut pas être le cas. En effet, il est certain que le corps du Christ demeure aussi longtemps que ces accidents demeurent. Or, ces accidents ne sont pas corrompus autrement que par la corruption de la substance du pain et du vin. Or, il est certain que le vin ne serait pas détruit par une petite addition de liquide, et donc ni les espèces du vin qui demeurent. En effet, les raisons données plus haut ne sont pas contraignantes. Premièrement, parce que ce n’est pas n’importe quelle distinction des dimensions qui enlève le sacrement, car, de même que l’addition, de même la division produit une autre dimension, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe. Or, la division n’enlève pas la vérité du sacrement, comme cela ressort clairement pour le pain qui est rompu. Donc, pas davantage l’addition, car cette différence des dimensions que produisent l’addition et la division porte sur leur détermination, et non sur leur être indéterminé, selon lequel il leur revient de subsister. [Elles ne portent] pas non plus sur l’être par lequel elles subsistent avec la même forme que la substance précédente. De même, il est certain qu’un peu de liquide ne peut se répandre dans toutes les dimensions, à moins de devenir rare et d’être transformé en une autre espèce. Il n’est donc pas nécessaire qu’il occupe toutes les dimensions. C’est pourquoi il faut parler autrement : tout liquide sera mélangé à ces espèces comme il serait mélangé à la substance du vin. Or, le liquide ajouté, s’il était de quantité égale ou plus grande, atteindrait toutes les dimensions du vin : ainsi, s’il était d’une autre espèce, il produirait une autre espèce de liquide intermédiaire ; mais s’il était de la même espèce, il produirait un autre vin en nombre, surtout pour ce qui est des accidents. Mais si le liquide était de moindre quantité, il ne pourrait atteindre toutes les dimensions de tout le vin, mais certaines, et il changerait celles-ci selon un des modes mentionnés ; et peut-être le changerait-il selon l’espèce, s’il était d’une autre espèce. Or, il est certain que, dans ce sacrement, le corps du Christ ne demeure qu’aussi longtemps que ces espèces demeurent les mêmes en nombre. C’est pourquoi, si l’on ajoute un peu de liquide, il corrompra une partie des espèces, et le corps du Christ cesse d’exister dans cette partie : en effet, il n’est pas probable qu’une seule goutte d’eau se répande dans toute une coupe. Mais si on l’ajoute en grande quantité, il corrompra l’ensemble des espèces, et ainsi le corps du Christ cesse complètement d’exister.

[15672] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus intelligit de accidente cujus subjectum est substantia, quod ei non permiscetur; sic autem non est in proposito.

1. Le Philosophe parle de l’accident dont le sujet est la substance : il ne sera pas mêlé à elle. Ce n’est pas ce qui est visé ici.

[15673] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aqua benedicta non fit aliqua mutatio substantialis ipsius aquae, sicut est in hoc sacramento, sed acquiritur ei virtus aliqua ex benedictione; ideo illa virtus potest pervenire ad aquam additam. Sed in hoc sacramento vinum convertitur substantialiter in aliud virtute verborum; et ideo non oportet quod vinum additum substantialiter etiam convertatur in sacramentum; sed potest esse quod convertatur in vinum virtute accidentium vini quae remanent, ut dictum est.

2. Dans l’eau bénite, un changement substantiel de l’eau même n’est pas réalisé, comme c’est le cas pour ce sacrement, mais elle acquiert une certaine puissance en vertu de la bénédiction. C’est pourquoi cette puissance peut atteindre l’eau bénite. Mais, dans ce sacrement, le vin est converti substantiellement en autre chose par la puissance des paroles. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que le vin ajouté soit aussi substantiellement converti au sacrement, mais il peut arriver qu’il soit converti en vin en vertu des accidents du vin qui demeurent, comme on l’a dit.

[15674] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens unam dimensionem secundum unam partem sui esse in hoc sacramento sine subjecto; quia plures partes dimensionis quamvis sint una dimensio in actu, sunt tamen plures in potentia.

3. Il n’est pas incompatible qu’une dimension selon une de ses parties existe dans ce sacrement sans sujet, car plusieurs parties de la dimension, bien qu’elles soient une seule dimension en acte, sont cependant plusieurs [parties] en puissance.

[15675] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 4 Ad quartum patet solutio ex dictis.

4. La solution ressort clairement de ce qui a été dit.

[15676] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod magnum et parvum consequuntur quantitatem secundum quod ad certam mensuram determinatur. In sacramento autem altaris non oportet remanere dimensiones easdem secundum terminationem eamdem; quia sic divisis speciebus non remanerent eaedem dimensiones, nec per consequens idem sacramentum; sed sufficit ad subsistentiam sacramenti quod remaneant dimensiones eaedem secundum quod interminatae intelliguntur.

5. Ce qui est grand ou petit découle de la quantité selon qu’elle est déterminée à une mesure donnée. Or, dans le sacrement de l’autel, il n’est pas nécessaire que les mêmes dimensions demeurent selon la même délimitation, car, une fois les espèces ainsi divisées, les mêmes dimensions ne demeureraient pas ni, par conséquent, le même sacrement. Mais il suffit pour que le sacrement subsiste que les dimensions demeurent les mêmes selon qu’elles sont saisies sans délimitation.

 

 

Articulus 3 [15677] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 tit. Utrum ipsum verum corpus Christi frangatur in sacramento

Article 3 – Le corps véritable du Christ est-il rompu dans le sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le corps véritable du Christ est-il rompu dans le sacrement ?]

[15678] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ipsum verum corpus Christi frangatur in sacramento. Omne enim quod manducatur, masticatur et frangitur. Sed verum corpus Christi manducatur: Joan. 6, 57: qui manducat carnem meam et cetera. Ergo et frangitur.

1. Il semble que le corps véritable du Christ soit rompu dans le sacrement. En effet, tout ce qui est mangé est mastiqué et rompu. Or, le corps véritable du Christ est mangé. Jn 6, 57 : Celui qui mange ma chair, etc. Il est donc rompu.

[15679] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est memoriale dominicae passionis. Sed in passione ipsum corpus Christi est perforatum clavis et lancea. Ergo in sacramento ipsum corpus Christi frangitur. [15680] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut corpus Christi est totum in qualibet parte specierum, ita forma substantialis. Sed forma substantialis materialis dividitur per accidens per divisionem specierum. Ergo et corpus Christi.

2. Ce sacrement est le mémorial de la passion du Seigneur. Or, dans la passion, le corps même du Christ a été perforé par des clous et par la lance. Le corps du Christ est donc rompu dans le sacrement. 3. De même que le corps du Christ existe dans chaque partie des espèces, de même la forme substantielle. Or, une forme substantielle matérielle est divisée par accident par la division des espèces. Donc, le corps du Christ aussi.

[15681] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quod frangitur, non manet integrum. Sed corpus Christi manet integrum, ut in littera dicitur. Ergo non frangitur.

Cependant, [1] ce qui est rompu ne demeure pas entier. Or, le corps du Christ demeure entier, comme il est dit dans le texte. Il n’est donc pas rompu.

[15682] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne corpus frangibile est passibile. Sed corpus Christi est impassibile, cum sit gloriosum. Ergo non frangitur.

[2] Tout corps qui peut être rompu est passible. Or, le corps du Christ est impassible puisqu’il est glorieux. Il n’est donc pas rompu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les espèces aussi sont-elles rompues ?]

[15683] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam species frangantur. Signum enim debet respondere signato. Sed species sunt signum corporis Christi. Cum ergo verum corpus Christi non frangatur, nec ipsae species frangentur.

1. Il semble que les espèces aussi ne sont pas rompues. En effet, le signe doit correspondre à ce qui est signifié. Or, les espèces sont le signe du corps du Christ. Puisque le corps véritable du Christ n’est pas rompu, les espèces elles-mêmes ne seront donc pas rompues.

[15684] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 4 Meteor., corporea dicuntur frangibilia et comminuibilia secundum determinatam dispositionem pororum. Sed species illae non habent poros: quia sub omnibus partibus specierum est aequaliter corpus Christi, et sub nulla aliquid aliud. Ergo species illae neque frangi neque comminui possunt.

2. Selon le Philosophe, dans les Météores, IV, on dit que des corps peuvent être rompus et réduits selon leur disposition poreuse. Or, ces espèces n’ont pas de pores, car, dans toutes les parties des espèces, le corps du Christ existe également et dans aucune, quelque chose d’autre. Ces espèces ne peuvent dont être ni rompues ni réduites.

[15685] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in omni fractione, ea perfecta, aliud est quod continetur sub diversis partibus. Sed omnino est idem quod continetur sub diversis partibus specierum, qualitercumque disponantur. Ergo non proprie dicuntur frangi.

3. Dans toute fraction, une fois celle-ci réalisée, ce qui est contenu dans les diverses parties est différent. Or, ce qui est contenu dans les diverses parties des espèces est la même chose, quelle que soit la manière dont elles sont disposées. On ne dit donc pas à proprement parler qu’elles sont rompues.

[15686] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Matth. 26, dicitur, quod dominus benedixit et fregit. Sed verba Evangelii non possunt esse falsa. Ergo fuit ibi fractio vera. Sed non in corpore Christi, ut probatum est. Ergo in speciebus fuit.

Cependant, [1] il est dit en Mt 26, que le Seigneur bénit et rompit. Or, les paroles de l’évangile ne peuvent être fausses. Il y a donc eu là une fraction véritable, mais non pas dans le corps du Christ, comme on l’a démontré. Elle a donc été réalisée dans les espèces.

[15687] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, magis competit quantitati dividi quam corrumpi, vel in aliud converti. Sed hoc contingit dimensionibus ibi remanentibus, ut ex dictis patet. Ergo et frangi, sive dividi.

[2] Il convient davantage à la quantité d’être divisée que d’être corrompue ou d’être convertie en autre chose. Or, cela se produit pour les dimensions qui demeurent là, comme cela ressort de ce qui a été dit. Donc, elles sont aussi rompues ou divisées.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La signification de la fraction des parties est-elle convenablement assignée dans le texte ?]

[15688] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter assignetur in littera significatio partium fractionis. Quia partes fractionis fractioni respondent. Sed fractio significat passionem Christi, ut in littera dicitur. Ergo partes fractionis debent significare partes veri corporis Christi, in quas per passionem divisum est corpus ejus.

1. Il semble que la signification de la fraction des parties ne soit pas convenablement assignée dans le texte, car les parties d’une fraction correspondent à la fraction. Or, la fraction signifie la passion du Christ, comme il est dit dans le texte. Les parties de la fraction doivent donc signifier les parties du corps véritable du Christ, en lesquelles son corps a été divisé par la passion.

[15689] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est maxime sacramentum unionis. Sed distinctio partium unioni opponitur. Ergo non competit in hoc sacramento significari partes distinctas corporis mystici.

2. Ce sacrement est au plus haut point le sacrement de l’union. Or, la distinction des parties s’oppose à l’union. Il ne relève donc pas de ce sacrement que soient signifiées les parties distinctes du corps mystique.

[15690] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, hoc non videtur servari secundum communem morem Ecclesiae quod aliqua pars usque in finem Missae reservetur. Ergo secundum hoc non debet accipi significatio alicujus partis.

3. Il ne semble pas être conforme à l’usage commun de l’Église qu’une partie en soit réservée jusqu’à la fin de la messe. Il ne faut donc pas concevoir la signification d’une partie d’après cela.

[15691] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Innocentius, et Hugo de s. Victore, dicunt, quod pars extra calicem servata significat beatos; et ita videtur male dicere, quod significat illos qui sunt in sepulcris.

4. Innocent et Hugues de Saint-Victor disent que la partie conservée en dehors du calice signifie les bienheureux. C’est donc à tort qu’on dit qu’elle signifie ceux qui sont dans les tombes.

[15692] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 5 Praeterea, beati remedio non indigent. Sed sacramenta Ecclesiae in remedium ordinantur. Ergo non debet esse aliqua pars quae beatos significet.

5. Les bienheureux n’ont pas besoin de remède. Or, les sacrements de l’Église existent comme des remèdes. Il ne doit donc y en avoir aucune partie qui signifie les bienheureux.

[15693] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 6 Praeterea, sicut est diversitas inter mortuos, ita etiam inter vivos. Sed pro mortuis ponuntur duae partes. Ergo et pro vivis duae poni debent ad minus.

6. De même qu’il existe une diversité entre les morts, de même en existe-t-il une entre les vivants. Or, il y a deux parties pour les morts. Il doit donc y avoir deux parties pour les vivants.

[15694] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 7 Praeterea, sicut membra distinguuntur ab invicem, ita caput distinguitur a membris. Ergo cum sint tres partes ad significandum diversitatem membrorum corporis mystici, deberet addi et quarta ad significandum ipsum caput.

7. De même que les membres sont distingués les uns des autres, de même la tête est-elle distincte des membres. Puisqu’il y a trois parties pour signifier la diversité des membres du corps mystique, il faudrait donc en ajouter une quatrième pour signifier la tête elle-même.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15695] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut supra dictum est, corpus Christi non comparatur ad species sub quibus continetur, mediantibus suis dimensionibus; immo dimensiones ejus sunt ibi quasi ex consequenti; ideo quidquid convenit corpori Christi mediantibus dimensionibus suis, hoc non convenit ei secundum quod est sub sacramento. Cum ergo divisio quantitativa ei convenire non possit nisi mediante dimensione propria, constat quod fractione specierum ipsum corpus ejus non dividitur neque frangitur, etiam si passibile esset, sicut in coena fuit.

Comme on l’a dit plus haut, le corps du Christ n’est pas comparé aux espèces sous lesquelles il est contenu par l’intermédiaire de ses dimensions. Bien plutôt, ses dimensions se trouvent là comme par mode de conséquence. C’est pourquoi tout ce qui convient au corps du Christ par l’intermédiaire de ses dimensions ne lui convient pas selon qu’il existe dans le sacrement. Puisque la division quantitative ne peut lui convenir que par l’intermédiire de sa dimension propre, il est clair que, par la fraction des espèces, son corps lui-même n’est pas divisé ni rompu, même s’il était passible, comme c’était le cas lors de la cène.

[15696] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in manducatione sunt multa; et fractio sive masticatio, et trajectio in ventrem sive nutritio. Primum autem convenit ipsis speciebus tantum; sed secundum et speciebus continentibus et corpori contento: quia ubi sunt species, est verum corpus Christi. Sed tertium, si loquamur spiritualiter, convenit corpori Christi, si autem corporaliter, speciebus, ut dictum est. Et ideo manducatio aliquo modo competit corpori Christi, sed non fractio, sive divisio.

1. Il y a plusieurs choses dans la manducation : la fraction ou la mastication, et le passage par le ventre ou la nutrition. Or, la première chose convient aux espèces seulement ; mais la deuxième, aux espèces qui contiennent et au corps qui est contenu, car là où sont les espèces, là se trouve le corps véritable du Christ. Mais la troisième, si nous parlons de manière spirituelle, convient au corps du Christ ; mais si nous parlons de manière corporelle, [elle convient] aux espèces, comme on l’a dit. Ainsi, la manducation convient d’une certaine manière au corps du Christ, mais non la fraction ou la division.

[15697] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia hoc sacramentum est signum passionis Christi, et non ipsa passio; ideo oportet quod passio quam significat fractio, non sit in corpore Christi, sed in speciebus, quae sunt signum ejus.

2. Parce que ce sacrement est le signe de la passion du Christ, et non la passion elle-même, il faut que la passion que signifie la fraction ne se réalise pas dans le corps du Christ, mais dans les espèces, qui en sont le signe.

[15698] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma substantialis materialis aliquo modo habet ordinem ad dimensiones, cum dimensiones interminatae praeintelligantur in materia ante formam substantialem, ut dictum est; sed corpus Christi nequaquam; et ideo non est simile de corpore Christi et illis formis.

3. La forme substantielle corporelle a un certain rapport aux dimensions, puisque les dimensions non délimitées sont saisies dans la matière avant la forme substantielle, comme on l’a dit. Mais d’aucune manière le corps du Christ. C’est pourquoi il n’en va pas de même du corps du Christ et de ces formes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15699] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod fractio secundum rei veritatem non erat in hoc sacramento. Sed hoc non potest esse: quia fractio importat passionem, sive motum quemdam, et multitudinem ad quam terminatur motus; et utrumque horum est sensibile per se. Sunt enim sensibilia communia, quae contra sensibilia per accidens dividuntur in 2 de anima; et ita judicium de his pertinet ad sensitivam partem; unde cum sensus judicet fractionem, si non esset fractio, esset falsum judicium; quod non competit in sacramento veritatis. Et ideo alii dixerunt, quod est ibi fractio sine subjecto. Sed hoc non potest dici; quia fractio cum sit quidam motus, secundum rationem suae speciei, requirit terminum a quo et in quem; et ideo oportet ibi esse unum quod in multa dividitur, et hoc est subjectum fractionis. Et praeterea actio vel passio habet magis debile esse quam qualitas; unde cum qualitates in hoc sacramento ponamus in subjecto, multo fortius passionem. Et ideo, cum fractio non possit esse in corpore Christi sicut in subjecto, ut dictum est, oportet quod sit in speciebus.

Certains ont dit qu’il n’y avait pas vraiment de fraction dans ce sacrement. Mais cela n’est pas possible, car la fraction comporte passion ou mouvement, et une multiplicité qui est le terme du mouvement, et ces deux choses sont sensibles par elles-mêmes. En effet, il existe des sensibles communs, qui sont distingués des sensibles par accident dans Sur l’âme, II. Ainsi, le jugement sur eux relève de la partie sensitive. Aussi, lorsque le sens juge qu’il y a fraction, alors qu’il n’y aurait pas fraction, ce serait un jugement faux, ce qui est incompatible avec le sacrement de la vérité. C’est pourquoi d’autres ont dit qu’il y a fraction sans sujet. Mais on ne pas dire cela, car la fraction, puisqu’elle est un mouvement, requiert en raison de son espèce un terme a quo et un terme ad quem. Il faut donc qu’il y ait là une chose qui est divisée en plusieurs : c’est là le sujet de la fraction. De plus, l’action ou la passion sont plus faibles que la qualité. Puisque nous attribuons des qualités à ce sacrement, à bien plus forte raison [devons-nous lui attribuer] une passion. Aussi, puisque la fraction ne peut se réaliser dans le corps du Christ comme dans son sujet, il faut qu’elle se réalise dans les espèces.

[15700] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod signum respondet signato quantum ad id quod est: est enim hoc sacramentum signum rememorativum respectu dominicae passionis.

1. Le signe correspond à ce qui est signifié quant ce qu’il est : en effet, ce sacrement est un signe qui remémore la passion du Seigneur.

[15701] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut densitas manet in hoc sacramento, ita durities, quae est ejus effectus; et propter hoc etiam species illae sonum facere natae sunt, et sic etiam est ibi porositatem invenire.

2. De même que la densité demeure dans ce sacrement, de même aussi la dureté, qui en est l’effet. Pour cette raison, même ces espèces sont capables de produire un son. On peut ainsi y trouver une porosité.

[15702] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud de speciebus quod est in una portione, non est in alia: quia species sunt quae franguntur: corpus autem Christi non frangitur, quia totum remanet sub qualibet parte; et ratio hujus dicta est supra, dist. 10.

3. Ce qui se trouve des espèces dans une partie ne se trouve pas dans une autre, car ce sont les espèces qui sont rompues, mais le corps du Christ n’est pas rompu, puisqu’il demeure tout entier dans toutes les parties. La raison en a été donnée plus haut, d. 10.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15703] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut in hoc sacramento est duplex res sacramenti, scilicet corpus Christi verum et mysticum; ita etiam fractio duo significat, scilicet ipsam divisionem corporis veri, quae facta est in passione, et haec significatio tangitur in littera, et distributionem virtutis redemptionis Christi per diversa membra Ecclesiae; et hanc significationem tangit Dionysius in 3 cap. Eccl. Hierar. Et secundum hoc accipitur significatio partium secundum diversum membrorum statum. Quia quidam sunt adhuc vivi, et hi significantur per partem quae comeditur: quia ipsi atteruntur diversis poenalitatibus, et sunt in ipso motu, ut incorporentur Christo. Quidam autem sunt mortui: et hi sunt in duplici statu. Quia quidam in plena participatione beatitudinis; et hoc est corpus Christi quod jam surrexit, sicut ipse Christus, et beata virgo; et hi significantur per partem in calice missam, quia illi inebriantur ab ubertate domus Dei. Quidam autem sunt in expectatione plenae beatitudinis, qui vel stolam animae tantum habent, vel neutram, ut hi qui sunt in Purgatorio; et hi significantur per tertiam partem quae reservatur usque in finem: quia hi perfectam gloriam consequuntur in fine mundi, et interim in speciebus quiescunt.

De même que, dans ce sacrement, il existe une double réalité du sacrement, à savoir, le corps véritable du Christ et son corps mystique, de même aussi la fraction signifie-t-elle deux choses, à savoir, la division du corps véritable, qui s’est réalisée dans la passion (cette signification est abordée dans le texte) et la distribution de la puissance de la rédemption du Christ aux divers membres de l’Église – Denys aborde cette signification dans la Hiérarchie ecclésiastique, III. Conformément à cela, la signification des parties se prend des divers états des membres. Certains sont encore vivants : ceux-ci sont signifiés par la partie qui est mangée, car ils sont broyés par diverses peines et en voie d’être incorporés au Christ. Mais certains sont morts. Ceux-ci sont dans un double état. Certains participent pleinement à la béatitude : c’est là le corps du Christ qui est déjà ressuscité, comme le Christ lui-même et la bienheureuse Vierge. Ils sont signifiés par la partie mise dans le calice, car ils sont enivrés par l’abondance de la maison de Dieu. Mais certains sont en attente de la pleine béatitude : ils portent la tunique de l’âme seulement ou aucune des deux, comme c’est le cas de ceux qui sont au purgatoire. Ceux-là sont signifiés par la troisième partie qui est réservée jusqu’à la fin, car ils obtiennent la gloire parfaite à la fin du monde et, dans l’intervalle, ils reposent dans les espèces.

[15704] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ipsum corpus Christi verum significat corpus Christi mysticum; unde partes corporis veri significant partes corporis mystici.

1. Le corps véritable du Christ lui-même signifie le corps mystique du Christ. Aussi les parties du corps véritable signifient-elles les parties du corps mystique.

[15705] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ista unio facta est per passionem Christi; et ideo oportet quod sit in hoc sacramento fractio, quae passionem significet.

2. Cette union a été réalisée par la passion du Christ. C’est pourquoi il faut qu’il y ait fraction dans ce sacrement, laquelle signifie la passion.

[15706] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod talis mos fuit in primitiva Ecclesia, qui tamen modo cessavit propter periculum; nihilominus remanet eadem significatio partium.

3. Un tel usage existait dans l’Église primitive ; il a cependant cessé en raison du danger. Néanmoins, la même signification des parties demeure.

[15707] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est inconveniens per idem diversa significari secundum suas proprietates diversas; unde et calix passionem significat inquantum inebriat; et sic procedit significatio quam ponit Innocentius: quia pars extra calicem significat eos qui sunt extra passionem praesentis miseriae, et pars in calice missa eos qui praedictis passionibus opprimuntur. Sed inquantum potus calicis delectat, significat gaudium aeternitatis; et ita procedit significatio in littera posita, quae continetur sub his versibus: hostia dividitur in partes. Tincta beatos plene: sicca notat vivos, servata sepultos.

4. Il n’est pas incompatible que diverses choses soient signifiées par une même chose selon ses diverses propriétés. Aussi la coupe signifie-t-elle la passion en tant qu’elle enivre. C’est là la signification que propose Innocent, car la partie hors de la coupe signifie ceux qui sont hors de la passion de la misère présente, et la partie mise dans le calise, ceux qui sont écrasés par les passions mentionnées. Mais pour autant que la boisson de la coupe réjouit, il signifie la joie de l’éternité. C’est là la signification indiquée dans le texte, qui est contenue dans ces vers : «L’hostie est divisée en parties : la partie trempée indique parfaitement les bienheureux ; la partie sèche, les vivants ; la partie conservée, ceux qui ont été ensevelis.»

[15708] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc sacramentum non solum est in remedium, sed etiam in gratiarum actionem; et ideo, quamvis beati non consequantur aliquod remedium in isto sacramento, quia tamen est in gratiarum actionem pro eorum gloria, conveniens fuit ut et ipsi in hoc sacramento significarentur.

5. Ce sacrement n’existe pas seulement comme remède, mais aussi en action de grâce. Bien que les bienheureux n’obtiennent pas de remède par ce sacrement, parce qu’ils sont en action de grâce pour leur gloire, il convenait qu’ils soient aussi signifiés par ce sacrement.

[15709] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omnes vivi indigent hoc sacramento ad remedium, sed non omnes mortui; et ideo pro mortuis ponuntur duae partes, sed pro vivis una tantum. Vel dicendum, quod duae ponuntur pro vivis in hoc saeculo, et alia pro vivis in gloria, qui resurrexerunt; et pro omnibus qui adhuc non resurrexerunt, una tantum.

6. Tous les vivants ont besoin de ce sacrement comme remède, mais non pas tous les morts. C’est pourquoi il y a deux parties sont déposées pour les morts, mais une seulement pour les vivants. Ou bien il faut dire qu’il y en a deux qui sont déposées pour ceux qui vivent en ce siècle, et une autre pour ceux qui vivent dans la gloire et qui sont ressuscités ; pour tous ceux qui ne sont pas encore ressuscités, il y en a une seule.

[15710] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod resurrectio membrorum est conformis resurrectioni capitis; quia reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae; Philip. 3, 20: et ideo eadem parte significatur et caput et membra ei perfecte configurata.

7. La résurrection des membres se conforme à la résurrection de la tête, car il transfigurera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire, Ph 3, 20. C’est pourquoi la tête et les membres qui lui sont parfaitement configurés sont signifiés par la même partie.

 

 

Quaestio 2

 

Question 2 – [L’effet de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15711] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 pr. Deinde quaeritur de effectu hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de effectu ejus quantum ad consecutionem boni; 2 de effectu ejus quantum ad remotionem mali.

Ensuite, on s’interroge sur l’effet de ce sacrement. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – son effet pour l’obtention du bien ; 2 – son effet pour l’éloignement du mal.

 

 

Articulus 1 [15712] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 tit. Utrum per hoc sacramentum augeantur virtutes

Article 1 – Les vertus sont-elles augmentées par ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles augmentées par ce sacrement ?]

[15713] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per hoc sacramentum non augeantur virtutes. Quia diversarum causarum diversi sunt effectus. Sed augmentum virtutis est effectus Baptismi, et etiam confirmationis, ut supra dictum est. Ergo non est effectus Eucharistiae.

1. Il semble que les vertus ne soient pas augmentées par ce sacrement, car des effets différents proviennent de causes différentes. Or, l’augmentation de la vertu est l’effet du baptême et aussi de la confirmation, comme on l’a dit plus haut. Elle n’est donc pas l’effet de l’eucharistie.

[15714] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, per augmentum caritatis ad perfectionem caritatis venitur. Si ergo per hoc sacramentum caritas et aliae virtutes augerentur, toties posset sumi quod homo in hac vita ad perfectam caritatem veniret, et ad summum gradum ipsius; quod non est nisi in patria, ut Augustinus dicit.

2. On parvient à la perfection de la charité par l’augmentation de la charité. Si donc la charité et les autres vertus étaient augmentées par ce sacrement, on pourrait le recevoir assez souvent pour que l’homme parvienne en cette vie à la perfection de la charité et à son degré le plus élevé, ce qui ne peut arriver que dans la patrie, comme le dit Augustin.

[15715] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnes virtutes simul augentur. Si ergo augmentum virtutum esset effectus hujus sacramenti, non magis deberet poni effectus augmentum caritatis quam aliarum virtutum.

3. Toutes les vertus sont augmentées en même temps. Si donc l’augmentation des vertus était l’effet de ce sacrement, on ne devrait pas indiquer comme effet l’augmentation de la charité plutôt que celle des autres vertus.

[15716] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil spiritualiter perficitur nisi per augmentum virtutum. Sed secundum Dionysium, Eucharistia habet virtutem perfectivam. Ergo effectus ejus est virtutis augmentum.

Cependant, [1] rien n’est achevé spirituellement que par l’augmentation des vertus. Or, selon Denys, l’eucharistie possède une puissance qui perfectionne. Son effet est donc l’augmentation de la vertu.

[15717] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, effectus hujus sacramenti est plenitudo gratiae, ut patet in oratione canonis: quotquot ex hac altaris participatione sumpserimus, omni benedictione caelesti et gratia repleamur. Sed ad plenitudinem gratiae per augmentum virtutis pervenitur. Ergo idem quod prius.

[2] L’effet de ce sacrement est la plénitude la grâce, comme cela ressort clairement de la prière du canon : «Chaque fois que nous prenons part à cet autel, que nous soyons remplis de la bénédiction céleste et de la grâce.» Or, l’on parvient à la plénitude de la grâce par l’augmentation de la vertu. La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce sacrement profite-t-il aux bienheureux eux-mêmes pour l’augmentation de la gloire ?]

[15718] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum prosit etiam beatis ad augmentum gloriae. In collecta enim beati Leonis Papae, ut Innocentius dicit, ita dicitur: annue nobis domine, ut animae famuli tui Leonis haec prosit oblatio. Sed constat beatum Leonem in gloria esse. Ergo prodest beatis ad gloriae augmentum.

1. Il semble que ce sacrement profite aux bienheureux eux-mêmes pour l’augmentation de la gloire. En effet, dans la collecte pour le bienheureux pape Léon, comme le dit Innocent, on dit : «Seigneur, fais que cette offrande soit profitable à l’âme de ton serviteur Léon.» Or, il est certain que le bienheureux Léon est dans la gloire. [Ce sacrement] est donc profitable aux bienheureux pour l’augmentation de la gloire.

[15719] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum offertur etiam pro parvulis decedentibus in innocentia baptismali. Sed constat quod tales ad gloriam transeunt. Ergo prodest etiam hoc sacramentum ad augmentum gloriae.

2. Ce sacrement est offert même pour les enfants qui meurent avec l’innocence baptismale. Or, il est certain qu’ils passent à la gloire. Ce sacrement profite donc aussi à l’augmentation de la gloire.

[15720] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sacramenta Ecclesiae non prosunt alicui qui non sit in statu proficiendi. Sed sancti in patria existentes non sunt in statu proficiendi, cum sint in termino profectus. Ergo eis Eucharistia non prodest.

Cependant, les sacrements de l’Église ne profitent pas à celui qui n’est pas en état de progresser. Or, les saints qui se trouvent dans la patrie ne sont pas en état de progresser, puisqu’ils ont atteint le terme du progrès. L’eucharistie ne leur profite donc pas.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’effet de ce sacrement ne peut-il être empêché que par le péché mortel ?]

[15721] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod effectus hujus sacramenti non possit impediri nisi per peccatum mortale. Quia, sicut Ambrosius in littera dicit, spiritualiter manducat qui innocentiam ad altare portat. Sed quicumque sine peccato mortali accedit, portat innocentiam ad altare; quia venialia peccata innocentiam non tollunt. Cum ergo spiritualiter manducans effectum sacramenti percipiat, videtur quod effectus sacramenti non possit impediri nisi per peccatum mortale.

1. Il semble que l’effet de ce sacrement ne puisse être empêché que par le péché mortel, car, ainsi que le dit Ambroise dans le texte, «celui-là mange spirituellement qui apporte son innocence à l’autel». Or, tous ceux qui s’en approchent sans péché mortel apportent leur innocence à l’autel, car les péchés véniels n’enlèvent pas l’innocence. Puisque celui qui [le] mange spirituellement reçoit l’effet du sacrement, il semble donc que l’effet du sacrement ne puisse être empêché que par le péché mortel.

[15722] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Baptismus non est nobilius sacramentum quam istud. Sed nihil impedit effectum Baptismi nisi peccatum mortale. Ergo nec effectum hujus sacramenti.

2. Le baptême n’est pas un sacrement plus noble que celui-ci. Or, rien n’empêche l’effet du baptême, si ce n’est le péché mortel. Rien [n’empêche] donc non plus l’effet de ce sacrement [que le péché mortel].

[15723] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, peccatum veniale non facit fictum. Sed sola fictio impedit sacramentorum effectum. Ergo solum peccatum mortale impedit sacramenti effectum.

3. Le péché véniel n’équivaut pas à une feinte. Or, seule la feinte empêche l’effet des sacrements. Seul le péché mortel empêche donc l’effet du sacrement.

[15724] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus percipit effectum hujus sacramenti nisi qui accedit sicut accedendum est. Sed aliquis debet accedere ad hoc sacramentum cum diligenti conscientiae suae examinatione, ut patet 1 Corinth. 11. Cum ergo sine peccato mortali possit hoc praetermitti, videtur quod sine peccato mortali possit effectus hujus sacramenti impediri.

Cependant, [1] personne ne reçoit l’effet de ce sacrement que celui qui s’en approche comme il doit être approché. Or, l’on doit s’approcher de ce sacrement après un examen attentif de sa conscience, comme cela ressort de 1 Co 11. Puisque cela peut être omis sans péché mortel, il semble donc que l’effet de ce sacrement puisse être empêché sans un péché mortel.

[15725] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ad hoc quod aliquis adultus gratiam recipiat, oportet quod se ad gratiam habendam praeparaverit. Sed hanc praeparationem contingit sine peccato mortali impediri. Ergo sine peccato mortali contingit impediri effectum hujus sacramenti.

[2] Pour qu’un adulte reçoive la grâce, il faut qu’il se soit préparé à avoir la grâce. Or, il arrive que cette préparation soit empêchée sans péché mortel. Il arrive donc que l’effet de ce sacrement soit empêché sans péché mortel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15726] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod proprius effectus cujuslibet sacramenti debet assumi ex similitudine ad materiam illius sacramenti; sicut expurgatio veteris vitae est effectus Baptismi per ablutionem aquae significata. Et ideo cum materiale in hoc sacramento sit cibus, oportet quod effectus proprius hujus sacramenti accipiatur secundum similitudinem ad effectum cibi. Cibus autem corporalis primo in cibatum convertitur, et ex tali conversione, deperdita restaurat, et quantitatem auget; sed spiritualis cibus non convertitur in manducantem, sed eum ad se convertit. Unde proprius effectus hujus sacramenti est conversio hominis in Christum, ut dicat cum apostolo, Galat. 2, 20: vivo ego, jam non ego; vivit vero in me Christus; et ad hoc sequuntur duo effectus: augmentum spiritualis quantitatis in augmento virtutum, et restauratio deperditorum in remissione venialium vel reparatione cujuscumque defectus praecedentis.

L’effet propre de tout sacrement doit être saisi à partir de la ressemblance avec la matière de ce sacrement ; ainsi la purification de l’ancienne vie, signifiée par l’ablution d’eau, est l’effet du baptême. Puisque la matière du sacrement [de l’eucharistie] est une nourriture, il faut donc que l’effet propre de ce sacrement soit saisi selon la ressemblance avec l’effet de la nourriture. Or, la nourriture corporelle est d’abord convertie en celui qui est nourri afin que, par une telle conversion, elle rétablisse ce qui a été perdu et en augmente la quantité. Or, la nourriture spirituelle n’est pas convertie en celui qui mange, mais le convertit en elle. L’effet propre de ce sacrement est donc la conversion de l’homme en Christ, afin que [l’homme] dise avec l’Apôtre, Ga 2, 20 : Je vis, mais non pas moi ; c’est plutôt le Christ qui vit en moi. De là découlent deux effets : l’augmentation de la quantité spirituelle par l’augmentation des vertus ; le rétablissement de ce qui a été perdu grâce à la rémission des fautes vénielles ou à la réparation de toute carence antérieure.

[15727] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod augmentum dicitur dupliciter. Uno modo communiter, prout invenitur in viventibus et non viventibus, secundum quod quaelibet additio augmentum facit; et hoc modo virtutes augentur per omnia sacramenta quae gratiam inveniunt in subjecto, ex eo quod ipsa de se nata sunt gratiam causare. Alio modo augmentum dicitur proprie, prout est in viventibus ex conjunctione nutrimenti; et talis modus augmenti virtutum est proprius huic sacramento.

1. On parle d’augmentation de deux manières. D’une manière, en termes généraux, selon qu’elle se trouve chez les vivants et les non-vivants : tout ajout réalise ainsi une augmentation. De cette manière, les vertus sont augmentées par tous les sacrements qui rencontrent la grâce dans le sujet du fait qu’ils sont eux-mêmes aptes à causer la grâce. D’une autre manière, on parle d’augmentation en propres termes pour autant qu’elle se produit chez les vivants par l’union avec un aliment. Et ce mode d’augmentation des vertus est propre à ce sacrement.

[15728] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est perfectio caritatis; scilicet viae, et patriae; et quamvis non possit hoc sacramentum existentes in via perducere ad perfectionem patriae propter diversum statum, potest tamen perducere ad perfectionem viae. Per augmentum enim caritatis ad perfectionem patriae in via pervenire non possumus.

2. La perfection de la charité est double : celle du chemin et celle de la patrie. Bien que ce sacrement ne puisse pas conduire à la perfection de la patrie ceux qui sont en chemin en raison d’une différence d’état, il peut cependant conduire à la perfection du cheminement. En effet, par l’augmentation de la charité, nous ne pouvons pas parvenir en chemin à la perfection de la patrie.

[15729] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritatis proprium est transformare amantem in amatum, quia ipsa est quae extasim facit, ut Dionysius dicit. Et quia augmentum virtutum in hoc sacramento fit per conversionem manducantis in spiritualem cibum, ideo magis attribuitur huic sacramento caritatis augmentum quam aliarum virtutum.

3. Le propre de la charité est de transformer celui qui aime en celui qui est aimé, car c’est elle qui réalise l’extase, comme le dit Denys. Et parce que l’augmentation des vertus par ce sacrement se réalise par la conversion de celui qui mange en la nourriture spirituelle, l’augmentation de la charité plutôt que des autres vertus est surtout attribuée à ce sacrement

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15730] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod gloria comprehendit sanctorum praemium; quod quidem est duplex; scilicet essentiale gaudium quod de divinitate habent; et accidentale, idest gaudium quod habent de quocumque bono creato. Quantum autem ad praemium essentiale, secundum probabiliorem opinionem, eorum gloria augeri non potest; sed quantum ad praemium accidentale usque ad diem judicii augeri potest; alioquin tunc non augeretur gaudium de gloria corporis; unde de omnibus benefactis eis gloria accrescit; quia gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente; Luc. 15, 10; et ita etiam de omnibus quae in Dei honorem fiunt, gaudent, et maxime de his in quibus de eorum gloria Deo gratias agimus. Unde simpliciter loquendo, hoc est quantum ad essentiam gloriae, hoc sacramentum non auget in beatis gloriam; sed secundum quid, scilicet quantum ad accidentale praemium, auget.

La gloire embrasse la récompense des saints, qui est double : la joie essentielle qu’ils reçoivent de la divinité ; la gloire accidentelle, c’est-à-dire la joie qu’ils tirent de tous les biens créés. Pour ce qui est de la récompense essentielle, selon une opinion plus probable, leur gloire ne peut être augmentée. Mais, pour ce qui est de la récompense accidentelle, elle peut être augmentée jusqu’au jour du jugement, autrement elle ne serait pas augmentée par la gloire du corps. Leur gloire est donc augmentée de tout le bien qui leur est fait, car les anges de Dieu se réjouissent pour un seul pécheur qui fait pénitence, Lc 15, 10. Et ainsi, ils se réjouissent aussi de tout ce qui est accompli pour l’honneur de Dieu, et surtout de ce par quoi nous rendons grâce à Dieu pour leur gloire. À parler simplement, c’est-à-dire pour ce qui de l’essence de la gloire, ce sacrement n’augmente donc pas la gloire chez les bienheureux ; mais, de manière relative, c’est-à-dire pour ce qui est de la récompense accidentelle, il l’augmente.

[15731] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Innocentius solvit, ubicumque talis loquendi modus invenitur, ita debet intelligi, ut ad hoc prosit ut a fidelibus magis ac magis glorificetur in terris.

1. Comme le tranche Innocent, partout où une telle manière de parler se rencontre, elle doit être comprise en ce sens qu’il est profitable aux fidèles qu’il soit de plus en plus glorifié sur terre.

[15732] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pro pueris baptizatis Missarum solemnia celebrantur, non quia eis juventur quantum ad remissionem alicujus culpae, vel quantum ad augmentum gloriae, sed propter alias rationes: tum propter solatium vivorum; tum ad ostendendum parvulos ad unitatem corporis mystici pertinere, dum idem modus exequiarum servatur in ipsis et in aliis; tum ad commendandum redemptionis mysterium, quod in hoc sacramento commemoratur, per quod parvuli sine proprio merito salutem consequuntur aeternam.

2. La messe est célébrée pour les enfants baptisés, non parce qu’elle leur vient en aide pour la rémission de quelque faute ou pour l’augmentation de la gloire, mais pour d’autres raisons : pour le réconfort des vivants ; pour montrer que les enfants appartiennent à l’unité du corps mystique, puisque la même forme de funérailles est respectée pour eux et pour les autres ; pour mettre en valeur le mystère de la rédemption, qui est commémoré dans ce sacrement, en vertu duquel les enfants obtiennent le salut éternel sans mérite de leur part.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15733] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omnis perfectio acquirenda impeditur per remotionem propriae dispositionis. Sicut autem dispositiones materiales se habent ad perfectionem formae, ita actus se habent ad perfectionem finis; unde cum hoc sacramentum perficiat conjungendo fini, ut supra dictum est; ad hoc quod effectum suum plene habeat in sumente, oportet quod adsit actualis devotio. Et quia interdum absque mortali peccato actualis devotio impediri potest, cum distractiones variae ipsam impediant, et peccata venialia virtutum actum tollant; absque peccato mortali potest effectus hujus sacramenti impediri, ita quod aliquis augmentum gratiae non consequatur; nec tamen reatum peccati mortalis incurret, sed forte reatum venialis peccati, ex hoc quod imparatus accedit.

Toute perfection à acquérir est empêchée par l’enlèvement de la disposition propre. Or, tel est le rapport des dispositions matérielles à la perfection de la forme, tel est le rapport des actes à la perfection de la fin. Aussi, puisque ce sacrement perfectionne en unissant à la fin, comme on l’a dit, pour qu’il obtienne son plein effet chez celui qui le reçoit, il faut qu’il y ait une dévotion actuelle. Et parce que parfois la dévotion actuelle peut être empêchée sans péché mortel, alors que diverses distractions l’empêchent et que les péchés véniels annulent l’acte des vertus, l’effet de ce sacrement peut être empêché sans péché mortel, de telle sorte qu’on ne reçoive pas d’augmentation de la grâce. Toutefois, on ne sera pas coupable d’un péché mortel, mais peut-être d’un péché véniel en s’en approchant sans préparation.

[15734] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod innocentiam portans spiritualiter manducat habitu, sed non semper actu; et ad hoc quod effectum sacramenti percipiat, oportet quod actu spiritualiter manducet.

1. Celui qui est revêtu d’innocence mange spirituellement selon l’habitus, mais pas toujours en acte. Pour qu’il reçoive l’effet du sacrement, il faut qu’il mange spirituellement en acte.

[15735] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Baptismo datur primum esse spirituale; et ideo effectus ejus non impeditur nisi per propositum peccati mortalis committendi, quod directe vitae spirituali opponitur. Sed in hoc sacramento fit conjunctio ad finem, quae debet esse per debitam operationem; et ideo defectus talis operationis impedit effectum hujus sacramenti.

2. L’être spirituel est donné pour la première fois par le baptême; c’est pourquoi son effet n’est empêché que par l’intention de commettre un péché mortel, qui s’oppose directement à la vie spirituelle. Mais, par le sacrement [de l’eucharistie], se réalise l’union à la fin, qui doit se réaliser par une opération appropriée. C’est pourquoi la carence d’une telle opération empêche l’effet de ce sacrement.

[15736] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis peccatum veniale non faciat fictum simpliciter, facit tamen fictum quo ad aliquid. Nec tamen dicendum quod omne peccatum veniale impediat effectum hujus sacramenti, sed solum illud quod tollit actualem devotionem quae exigitur in hoc sacramento.

3. Bien que le péché véniel ne soit pas une feinte simplement, il l’est cependant de manière relative. Toutefois, il ne faut pas dire que tout péché véniel empêche l’effet de ce sacrement, mais seulement celui qui enlève la dévotion actuelle qui est nécessaire pour ce sacrement.

Articulus 2 [15737] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 tit. Utrum virtute hujus sacramenti venialia peccata dimittantur

Article 2 – Les péchés véniels sont-ils remis par la puissance de ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les péchés véniels sont-ils remis par la puissance de ce sacrement ?]

[15738] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod virtute hujus sacramenti venialia peccata non dimittantur. Qua enim ratione dimittitur unum, et aliud. Sed omnia non dimittuntur; quia sic aliquis esset frequenter absque omni veniali peccato; quod est contra illud quod dicitur 1 Joan. 1, 8: si dixerimus quod peccatum non habemus, nosipsos seducimus. Ergo non delet aliquod peccatum veniale.

1. Il semble que les péchés véniels ne soient pas remis par la puissance de ce sacrement : en effet, la raison pour laquelle l’un est remis vaut pour un autre. Or, tous ne sont pas remis, car ainsi quelqu’un pourrait être souvent sans aucun péché véniel, ce qui est contraire à ce qui est dit en 1 Jn 1, 8 : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons. Il ne détruit donc pas un péché véniel.

[15739] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, peccatum non deletur nisi per id quod habet oppositionem ad ipsum. Sed veniale peccatum non habet oppositionem ad gratiam, quam hoc sacramentum confert. Ergo virtute hujus sacramenti venialia non dimittuntur.

2. Un péché n’est détruit que par ce qui s’y oppose. Or, le péché véniel n’est pas opposé à la grâce que confère ce sacrement. Les péchés véniels ne sont donc pas remis en vertu de ce sacrement.

[15740] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Baptismus, quia dimittit omnia peccata mortalia et venialia, non requirit luctum exteriorem. Si ergo in hoc sacramento venialia peccata dimittantur, non requiritur quod post sumptionem hujus sacramenti aliquis faceret poenitentiam de peccatis venialibus; quod falsum est.

3. Parce qu’il remet tous les péchés mortels et véniels, le baptême n’exige pas d’affliction extérieure. Si donc les péchés véniels sont remis par ce sacrement, il n’est pas nécessaire qu’après avoir reçu ce sacrement, on se repente des péchés véniels, ce qui est faux.

[15741] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Innocentius dicit, quod hoc sacramentum venialia delet, et cavet mortalia.

Cependant, [1] Innocent dit que ce sacrement détruit les péchés véniels et préserve des péchés mortels.

[15742] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ut ex verbis Ambrosii in littera positis accipi potest, hoc sacramentum datur in remedium quotidianae infirmitatis. Sed quotidiana peccata dicuntur venialia. Ergo hoc sacramentum tollit venialia.

[2] Comme on peut le comprendre par ce que dit Ambroise dans le texte, ce sacrement est donné comme remède contre la faiblesse quotidienne. Or, on appelle péchés quotidiens les péchés véniels. Ce sacrement enlève donc les péchés véniels.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les péchés mortels sont-ils aussi remis en vertu de ce sacrement ?]

[15743] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam virtute hujus sacramenti dimittantur mortalia. Dicitur enim in collecta illa: purificent nos, quaesumus domine, sacramenta quae sumpsimus; et mox: praesta ut hoc tuum sacramentum sit ablutio scelerum. Sed scelera dicuntur mortalia peccata. Ergo delet peccata mortalia.

1. Il semble que les péchés mortels soient aussi remis en vertu de ce sacrement. En effet, on dit dans cette collecte : «Seigneur, que les sacrements que nous avons reçus nous purifient», puis peu après : «Fais en sorte que ton sacrement nous lave de nos crimes.» Or, on appelle crimes les péchés mortels. Il détruit donc les péchés mortels.

[15744] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum expressius passionem Christi repraesentat quam Baptismus. Sed Baptismus virtute passionis in eo operantis delet peccata mortalia. Ergo et hoc sacramentum.

2. Ce sacrement représente plus expressément la passion du Christ que le baptême. Or, le baptême détruit les péchés mortels par la puissance de la passion qui agit en lui. Donc, ce sacrement aussi.

[15745] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, minima gratia sufficit ad delendum omnia mortalia. Sed hoc sacramentum gratiam confert. Ergo mortalia delet.

3. La plus petite grâce suffit pour détruire tous les péchés mortels. Or, ce sacrement confère la grâce. Il détruit donc les péchés mortels.

[15746] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, hoc sacramentum magis operatur in sumente quam in alio; alias frustra quis assumeret. Sed offertur sacrificium Ecclesiae pro aliquibus impiis ut convertantur, et non frustra. Ergo et in ipso qui sumit, mortalia peccata delet.

4. Ce sacrement agit davantage chez celui qui le reçoit que chez un autre, autrement on le recevrait en vain. Or, le sacrifice de l’Église est offert pour les impies afin qu’ils se convertissent, et il n’est pas offert en vain. Il détruit donc les péchés mortels aussi chez celui qui le reçoit.

[15747] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus ad renatum: quis offerat corpus Christi nisi pro his qui sunt membra Christi ? Sed illi qui sunt membra Christi, non habent peccatum mortale. Ergo virtute hujus sacramenti non delentur mortalia.

Cependant, [1] Augustin dit à celui qui est né de nouveau : «Qui offre le corps du Christ, si ce n’est pour ceux qui sont les membres du Christ ?» Or, ceux qui sont membres du Christ n’ont pas de péché mortel. Les péchés mortels ne sont donc pas détruits en vertu de ce sacrement.

[15748] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc sacramentum non habet aliquem effectum in indigne accedentibus. Sed quicumque accedit cum mortali, indigne accedit. Ergo non percipit effectum hujus sacramenti; et ita non delet mortalia.

[2] Ce sacrement n’a pas d’effet chez ceux qui s’en approchent indignement. Or, quiconque s’en approche avec un péché mortel s’en approche indignement. Il ne reçoit donc pas l’effet de ce sacrement, et ainsi [ce sacrement] ne détruit pas les péchés mortels.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce sacrement remet-il la peine du péché mortel ?]

[15749] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod remittat poenam peccati mortalis. Deus enim pronior est ad miserendum quam ad puniendum, ut dicit Glossa in principio Hier. Sed indigne accedens incurrit reatum poenae mortalis peccati. Ergo digne accedens ab eo absolvitur.

1. Il semble qu’il remette la peine du péché mortel. En effet, Dieu est plus prompt à prendre en pitié qu’à punir, comme le dit la glose dans l’introduction de Jérôme. Or, celui qui s’en approche indignement encourt la peine du péché mortel. Celui qui s’en approche dignement en est donc absous.

[15750] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum non minus valet vivis quam mortuis. Sed mortuis valet ad remissionem poenae, quia ad hoc pro eis offertur. Ergo multo magis vivis.

2. Ce sacrement n’a pas moins de valeur pour les vivants que pour les morts. Or, [ce sacrement] vaut aux morts la rémission de la peine, car c’est pour cela qu’il est offert pour eux. Donc, encore bien davantage pour les vivants.

[15751] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, veritas est majoris efficaciae quam figura. Sed sacrificia veteris testamenti in satisfactionem pro peccatis mortalibus offerebantur. Ergo multo fortius et hoc, cujus sunt illa figura; et sic remittit mortalium poenam.

3. La vérité est plus efficace que la figure. Or, les sacrifices de l’Ancienne Alliance étaient offerts en satisfaction pour les péchés mortels. À bien plus forte raison celui-ci l’est-il, dont cela était la figure. Il remet ainsi la peine des péchés mortels.

[15752] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra: quicumque non est debitor poenae, statim moriens evolat. Si ergo hoc sacramento poena mortalis peccati dimitteretur, quilibet munitus hoc sacramento ex hac vita discedens evolaret; quod falsum est.

Cependant, [1] tous ceux qui ne sont pas débiteurs d’une peine s’envolent dès qu’ils meurent. Si donc la peine du péché mortel était remise par ce sacrement, tous ceux qui sont pourvus de ce sacrement s’envoleraient en quittant cette vie, ce qui est faux.

[15753] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, satisfactio non exigitur nisi ad dimissionem poenae. Si ergo hoc sacramento dimitteretur poena, omnis alia satisfactio tolleretur; quod est inconveniens.

[2] Une satisfaction n’est exigée que pour la remise de la peine. Si donc la peine était remise par ce sacrement, toute autre satisfaction serait écartée, ce qui n’est pas acceptable.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15754] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod virtute hujus sacramenti fit quaedam transformatio hominis ad Christum per amorem, ut dictum est, et hoc est proprius ejus effectus. Et quia ex fervore caritatis peccata venialia dimittuntur, propter hoc quod dicto fervori contrariantur, ideo ex consequenti, virtute hujus sacramenti, venialia delentur.

Par la puissance de ce sacrement, s’accomplit une certaine conformation de l’homme au Christ par l’amour, comme on l’a dit, et cela est son effet propre. Et parce que les péchés véniels sont remis par la ferveur de la charité, puisque la ferveur en question s’y oppose, par voie de conséquence, les péchés véniels sont donc détruits par la puissance de ce sacrement.

[15755] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tantus potest esse devotionis fervor, quod omnia venialia peccata deleat. Neque est inconveniens quod aliqua hora homo sit absque omni peccato veniali; quamvis hoc diu durare non possit propter difficultatem vitandi peccata venialia. Nec tamen oportet quod semper omnia peccata venialia deleat, sed secundum mensuram devotionis: quia non est proximus effectus ejus deletio venialium, sed ex consequenti, ut ex dictis patet.

1. La ferveur de la dévotion peut être si grande qu’elle détruise tous les péchés véniels. Et il n’est pas inacceptable qu’à un certain moment, un homme soit sans aucun péché véniel, bien que cela ne puisse durer longtemps en raison de la difficulté d’éviter les péchés véniels. Toutefois, il n’est pas nécessaire que tous les péchés véniels soient toujours détruits, mais dans la mesure de la dévotion, car son effet immédiat n’est pas la destruction des péchés véniels, mais cela en est une conséquence, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[15756] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc sacramento non solum confertur gratia habitualis, sed excitatur fervor actualis devotionis; et ideo gratiae hujus sacramenti non solum mortalia, sed etiam venialia opponuntur.

2. Par ce sacrement, non seulement la grâce habituelle est-elle conférée, mais la ferveur de la dévotion actuelle est-elle stimulée. C’est pourquoi les grâces de ce sacrement ne s’opposent pas seulement aux péchés mortels, mais aussi aux péchés véniels.

[15757] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus habet pro principali effectu delere peccatum; et ideo quando non impeditur, delet omnia; sed non est ita in hoc sacramento; et ideo ratio non sequitur.

3. Le baptême a comme effet principal la destruction du péché. C’est pourquoi, lorsqu’il n’est pas empêché, il détruit tous les péchés. Mais il n’en va pas de même de ce sacrement. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15758] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod effectus sacramenti, ut dictum est, respondet his quae exterius in sacramento geruntur. Exterius autem usus hujus sacramenti est per manducationem, quae non debetur nisi rei viventi; et ideo effectus hujus sacramenti praesupponit vitam in sumente. Et quia peccatum mortale vitam spiritualem tollit, ideo hoc sacramentum non est ad abluenda peccata mortalia in sumentibus, sed illos solum defectus qui cum vita esse possunt.

L’effet du sacrement, comme on l’a dit, correspond à ce qui est accompli extérieurement dans le sacrement. Or, l’usage de ce sacrement se fait à l’extérieur par la manducation, qui n’est le fait que d’une chose vivante. C’est pourquoi l’effet de ce sacrement présuppose la vie chez celui qui le reçoit. Et parce que le péché mortel enlève la vie spirituelle, ce sacrement n’est donc pas destiné à laver les péchés mortels chez celui qui le reçoit, mais seulement les carences qui peuvent coexister avec la vie.

[15759] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Innocentius dicit, hujusmodi locutiones sunt impropriae. Dicitur enim hoc sacramentum scelera vel crimina abluere vel tollere, inquantum ea impedit, contra ipsa robur ministrando. Vel dicendum, quod in aliquo potest esse peccatum mortale, qui ejus conscientiam non habet; et talis si devote accedit, veniam consequitur, ut supra, dist. 9, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 2, dictum est.

1. Comme le dit Innocent, ces manières de parler sont impropres. En effet, on dit que ce sacrement lave ou enlève les crimes pour autant qu’il les empêche en donnant de la force contre eux. Ou bien il faut dire qu’il peut exister un péché mortel chez quelqu’un sans qu’il en ait conscience. Si celui-là s’approche [du sacrement] avec dévotion, il obtient le pardon, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. 1, a. 3, qa 2.

[15760] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus non solum exprimit passionem Christi, sed etiam facit baptizatum Christo commori. Et quia corruptio unius est generatio alterius, generatio autem est motus in vitam, et non praesupponit vitam, sed privationem ejus; ideo per Baptismum possunt peccata mortalia dimitti virtute passionis, non autem per Eucharistiam, per cujus sumptionem homo non significatur commori Christo, sed fructu mortis Christi refici, quod vitam praesupponit.

2. Le baptême n’exprime pas seulement la passion du Christ, mais fait que le baptisé meurt avec le Christ. Et parce que la corruption d’une chose est la génération d’une autre, et que la génération est un mouvement vers la vie et ne présuppose pas la vie, mais sa privation, les péchés mortels peuvent être remis par le baptême en vertu de la passion, mais non par l’eucharistie : par sa réception, il n’est pas signifié que l’homme meurt avec le Christ, mais qu’il est restauré par le fruit de la mort du Christ, ce qui présuppose la vie.

[15761] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia quam Eucharistia confert, quantum est de se, habet virtutem mortalia delendi. Sed ratione ordinis quem habet ad vitam quam praesupponit, mortalia invenire non potest, et ideo nec ea delere. Si autem inveniat in subjecto, non in conscientia, nihilominus ea delet.

3. En elle-même, la grâce que confère l’eucharistie a la capacité de détruire les péchés mortels. Mais, en raison du rapport qu’elle a avec la vie qu’elle présuppose, elle ne peut trouver les péchés ni donc les détruire. Mais si elle en trouve chez le sujet, et non dans sa conscience, elle les détruit néanmoins.

[15762] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Eucharistia non solum est sacramentum, sed etiam est sacrificium. Inquantum autem est sacramentum, habet effectum in omni vivente, in quo requirit vitam praeexistere. Sed inquantum est sacrificium, habet effectum etiam in aliis, pro quibus offertur, in quibus non praeexigit vitam spiritualem in actu, sed in potentia tantum; et ideo, si eos dispositos inveniat, eis gratiam obtinet virtute illius veri sacrificii a quo omnis gratia in nos influxit; et per consequens peccata mortalia in eis delet, non sicut causa proxima, sed inquantum gratiam contritionis eis impetrat. Et quod in contrarium dicitur, quod non offertur nisi pro membris Christi, intelligendum est pro membris Christi offerri, quando offertur pro aliquibus ut sint membra.

4. L’eucharistie n’est pas seulement un sacrement, mais aussi un sacrifice. En tant que sacrement, elle a un effet chez tout vivant, chez qui elle exige que la vie préexiste. Mais en tant que sacrifice, elle a un effet pour les autres aussi pour qui elle est offerte, chez qui elle n’exige pas au préalable une vie spirituelle en acte, mais en puissance seulement. Si elle les trouve [bien] disposés, elle obtient donc pour eux la grâce en vertu de ce sacrifice par lequel toute grâce s’écoule en nous et, par conséquent, détruit chez eux les péchés mortels, non pas comme cause prochaine, mais parce qu’elle obtient pour eux la grâce de la contrition. Ce qui est dit en sens contraire, qu’elle n’est offerte que pour les membres du Christ, doit s’entendre au sens où elle est offerte pour les membres du Christ lorsqu’elle est offerte pour certains afin qu’ils soient membres.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15763] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Eucharistia, inquantum est sacramentum, ut dictum est, pro principali effectu habet unionem hominis ad Christum; et ideo per modum sacramenti non aufert nisi ea quae in habente vitam huic unioni opposita invenit. Poena autem peccato mortali debita, quod jam deletum est, non est hujusmodi: ideo inquantum est sacramentum, non habet effectum poenae mortalis dimissionem; sed inquantum est sacrificium, accipit rationem satisfactionis; et secundum hoc in parte vel in toto poenam tollit, sicut et aliae satisfactiones secundum mensuram poenae debitae pro peccato et devotionis qua sacramentum offertur. Nec tamen semper virtute hujus sacramenti tota poena tollitur.

En tant que sacrement, l’eucharistie, comme on l’a dit, a comme effet principal l’union de l’homme au Christ. C’est pourquoi elle n’enlève par mode de sacrement que ce qu’elle trouve opposé à cette vie chez un vivant. Or, la peine due pour un péché mortel qui a déjà été détruit n’est pas de cette sorte. En tant que sacrement, [l’eucharistie] n’a donc pas comme effet la remise de la peine éternelle ; mais, en tant que sacrifice, elle a raison de satisfaction. De cette manière, elle enlève la peine en tout ou en partie, comme les autres satisfactions, selon la mesure de la peine due pour le péché et de la dévotion avec laquelle le sacrement est offert. Toutefois, la peine n’est pas toujours entièrement enlevée en vertu de ce sacrement.

[15764] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod indigne accedens cum conscientia mortalis peccati, mortaliter peccat; et ideo reatum poenae debitae mortali peccato incurrit. Digne autem accedens meretur vitam aeternam, ad quam meritum ordinatur, sicut mortale peccatum ad poenam. Non autem ordinatur meritum directe principaliter ad remissionem poenae; et ideo ratio non procedit.

1. Celui qui s’approche indignement [de ce sacrement] avec la conscience d’un péché mortel pèche mortellement. C’est pourquoi il encourt l’inculpation de la peine due pour un péché mortel. Mais celui qui s’en approche dignement mérite la vie éternelle à laquelle le mérite est ordonné, comme le péché mortel l’est à la peine. Mais le mérite n’est pas ordonné principalement à la rémission de la peine. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[15765] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non totaliter semper aufertur poena per hoc sacrificium illis qui sunt in Purgatorio, nec auferebatur in veteri lege per antiqua sacrificia.

2. La peine n’est pas toujours enlevée par ce sacrement chez ceux qui sont au purgatoire ; elle ne l’était pas non plus sous la loi ancienne par les anciens sacrifices.

[15766] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. La solution de la troisième objection ressort ainsi clairement.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La fréquentation du sacrement de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15767] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 pr. Deinde quaeritur de frequentatione hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de frequentatione; 2 de cessatione.

On s’interroge ensuite sur la fréquence de la réception de ce sacrement. À ce sujet, deux questions se posent : 1 – sur la réception fréquente ; 2 – sur la cessation.

 

 

Articulus 1 [15768] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 tit. Utrum debeat homo frequentare hoc sacramentum, vel semel tantum in vita sua sumere

Article 1 – Doit-on recevoir fréquemment ce sacrement ou ne le recevoir qu’une seule fois dans sa vie ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on recevoir fréquemment ce sacrement ou ne le recevoir qu’une seule fois dans sa vie ?]

[15769] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non debeat homo frequentare hoc sacramentum, sed semel tantum in vita sua sumere. Injuriam enim facit sacramento qui sacramentum iterat. Sed rei digniori minus facienda est injuria. Cum ergo hoc sacramentum sit dignius aliis quibusdam quae non iterantur, videtur quod non nisi semel accipi debeat.

1. Il semble qu’on ne doive pas recevoir fréquemment ce sacrement, mais ne le recevoir qu’une seule fois dans sa vie. En effet, celui qui répète un sacrement porte préjudice au sacrement. Or, on doit d’autant moins lui porter préjudice qu’une chose est plus digne. Puisque ce sacrement est plus digne que certains autres qui ne sont pas répétés, il semble qu’on ne doive le recevoir qu’une seule fois.

[15770] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, apostolus probat, Hebr. 10, ex unitate hostiae vel passionis Christi, unitatem Baptismi. Sed hoc sacramentum magis convenit cum passione Christi, inquantum est hostia, quam Baptismus. Ergo cum Baptismus semel tantum percipiatur, et hoc sacramentum semel tantum debet percipi.

2. En He 10, l’Apôtre démontre l’unicité du baptême à partir de l’unicité de l’hostie ou de la passion du Christ. Or, ce sacrement a davantage en commun avec la passion du Christ que le baptême, puisqu’il est un sacrifice. Puisque le baptême n’est reçu qu’une seule fois, ce sacrement aussi ne doit donc être reçu qu’une seule fois.

[15771] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, cum frequentatione mysterii crescit nostrae salutis effectus, ut in collecta dicitur. Sed ad hoc debemus niti ut effectus salutis in nobis crescat. Ergo debemus frequenter sumere.

Cependant, «par la fréquentation du mystère, l’effet de notre salut s’accroît», comme le dit une collecte. Or, nous devons nous efforcer à ce que l’effet du salut s’accroisse en nous. Nous devons donc le recevoir fréquemment.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Faut-il le recevoir quotidiennement ?]

[15772] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod qualibet die. Ambrosius enim dicit: iste panis quotidianus est; accipe quotidie quod quotidie tibi prosit.

1. Il semble qu’il faille le recevoir quotidiennement. En effet, Ambroise dit : «Ce pain est quotidien. Reçois quotidiennement ce qui t’est quotidiennement profitable.»

 

[15773] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, isto sacramento excitatur fervor caritatis, qua homo Christo unitur. Sed hoc expedit ut quotidie fiat. Ergo quotidie communicandum est.

2. La ferveur de la charité est stimulée par ce sacrement par lequel l’homme est uni au Christ. Or, il convient que cela ait lieu quotidiennement. Il faut donc communier quotidiennement.

[15774] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in Lib. de Eccl. Dogmat.: quotidie Eucharistiam sumere nec laudo nec vitupero. Ergo non est quotidie communicandum.

Cependant, Augustin dit, dans le livre Sur les enseignements de l’Église : «Je ne loue ni ne blâme le fait de recevoir quotidiennement l’eucharistie.» Il ne faut donc pas communier quotidiennement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Faut-il communier une fois par année ?]

[15775] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit semel in anno communicandum tantum. Quia agnus paschalis signum fuit hujus sacramenti. Sed sumebatur tantum semel in anno. Ergo et hoc sacramentum debet semel in anno tantum percipi.

1. Il semble qu’il faille communier une fois par année, car l’agneau pascal était le signe de ce sacrement. Or, il n’était pris qu’une fois par année. Ce sacrement aussi doit donc être reçu une seule fois par année.

[15776] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est memoriale dominicae passionis. Sed passionem domini commemorat Ecclesia semel in anno. Ergo tunc tantum debet esse tempus communicandi.

2. Ce sacrement est le mémorial de la passion du Seigneur. Or, l’Église commémore la passion du Seigneur une seule fois par année. Il ne faut donc communier qu’à ce moment.

[15777] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Fabianus Papa: et si non pluries, ter saltem in anno communicent homines, scilicet in Pascha, Pentecoste, et natali domini.

Cependant, le pape Fabien dit : «Sinon plusieurs fois, qu’on communie au moins trois fois par année, à savoir, à Pâques, à la Pentecôté et le jour de la naissance du Seigneur.»

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Peut-on communier plusieurs fois par jour ?]

[15778] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod homo possit una die pluries communicare. Quia majus est celebrare quam communicare. Sed sacerdos potest una die celebrare pluries, si necesse sit. Ergo et alius fidelis potest pluries communicare.

1. Il semble qu’on puisse communier plusieurs fois par jour, car il est plus grand de célébrer que de communier. Or, le prêtre peut célébrer plusieurs fois par jour, si cela est nécessaire. Un autre fidèle peut donc communier plusieurs fois.

[15779] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quotiescumque aegritudo corporalis iteratur, extrema unctio potest iterari. Sed Eucharistia ordinatur contra aegritudinem peccatorum venialium, quae uno die pluries iterantur. Ergo una die potest homo pluries communicare.

2. Aussi souvent qu’une maladie corporelle est répétée, l’extrême-onction peut être répétée. Or, l’eucharistie est ordonnée contre la maladie des péchés véniels, qui se répètent plusieurs fois par jour. On peut donc communier plusieurs fois par jour.

[15780] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur de Consecr., dist. 1: sufficit sacerdoti semel in die Missam celebrare; quia Christus semel passus est, et totum mundum redemit. Ergo etiam semel tantum in die debet quis communicare.

Cependant, il est dit dans «Sur la consécration», d. 1 : «Il suffit que le prêtre dise la messe une seule fois par jour, car le Christ a souffert une seule fois et a racheté le monde entier.»

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15781] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ea quae in hoc sacramento geruntur, habent similitudinem cum his quae accidunt in corporali nutrimento. Quia enim fit quasi continua deperditio naturalis humiditatis per actionem caloris naturalis et exercitium laboris, ideo oportet frequenter corporalem cibum assumere ad restaurationem deperditi, ne perditio continua mortem inducat. Similiter etiam ex concupiscentia innata et occupatione circa exteriora fit deperditio devotionis et fervoris, secundum quae homo in Deum colligitur; unde oportet quod pluries deperdita restaurentur, ne homo totaliter alienetur a Deo.

Ce qui est accompli dans ce sacrement a une ressemblance avec ce qui se produit pour la nourriture corporelle. En effet, parce qu’il y a une déperdition continuelle de l’humidité naturelle par l’action de la chaleur naturelle et par l’effort du travail, il faut donc prendre fréquemment de la nourriture corporelle pour rétablir ce qui a été perdu, de sorte que la déperdition continuelle ne conduise pas à la mort. De même aussi, à cause de la concupiscence innée et de l’occupation aux choses extérieures, il se produit une déperdition de dévotion et de ferveur par lesquelles l’homme est réuni avec Dieu. Il faut donc que ce qui a été perdu à plusieurs reprises soit rétabli, de crainte que l’homme ne devienne complètement étranger à Dieu.

[15782] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod perfectio hujus sacramenti, ut dictum est, dist. 8, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 1, consistit in consecratione materiae, non in usu ipsius; et ideo consecratio non repetitur super eamdem materiam propter reverentiam sacramenti, sed usus potest repeti.

1. Comme on l’a dit dans la d. 8, q. 1, a. 1, qa 1, l’accomplissement de ce sacrement consiste dans la consécration de la matière, et non dans son usage. C’est pourquoi la consécration n’est pas répétée sur la même matière par révérence pour le sacrement, mais son usage peut être répété.

[15783] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus repraesentat illam hostiam, secundum quod facit in nobis spiritualem vitam; et quia generatio uniuscujusque non est nisi semel, ideo Baptismus non repetitur. Sed Eucharistia repraesentat illam hostiam secundum quod reficit; et ideo oportet quod frequenter sumatur.

2. Le baptême représente ce sacrifice en tant qu’il réalise en nous la vie spirituelle. Et parce que la génération de tous ne se réalise qu’une fois, le baptême n’est donc pas répété. Mais l’eucharisite représente ce sacrifice selon qu’il restaure. C’est pourquoi il faut qu’il soit pris fréquemment.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15784] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in hoc sacramento duo requiruntur ex parte recipientis; scilicet desiderium conjunctionis ad Christum, quod facit amor; et reverentia sacramenti, quae ad donum timoris pertinet. Primum autem incitat ad frequentationem hujus sacramenti quotidianam, sed secundum retrahit. Unde si aliquis experimentaliter cognosceret ex quotidiana sumptione fervorem amoris augeri, et reverentiam non minui, talis deberet quotidie communicare; si autem sentiret per quotidianam frequentationem reverentiam minui, et fervorem non multum augeri, talis deberet interdum abstinere, ut cum majori reverentia et devotione postmodum accederet. Unde quantum ad hoc unusquisque relinquendus est judicio suo; et hoc est quod Augustinus dicit: si dixerit quispiam, non quotidie accipiendam esse Eucharistiam, alius affirmet quotidie sumendam; faciat unusquisque quod secundum fidem suam pie credit esse faciendum; et probat per exemplum Zachaei et centurionis; quorum unus recipit dominum gaudens, Luc. 19, alius dicit Matth. 8, 8: non sum dignus ut intres sub tectum meum; et uterque misericordiam consecutus est.

Dans ce sacrement, deux choses sont requises de la part de celui qui le reçoit : le désir de l’union au Christ, ce que réalise l’amour ; et la révérence envers le sacrement, qui relève du don de crainte. Or, le premier incite à la fréquentation quotidienne de ce sacrement, mais la seconde en éloigne. Si donc quelqu’un connaissait d’expérience que la ferveur de l’amour est augmentée par la réception quotidienne et que la révérence n’est pas diminuée, il devrait communier quotidiennement. Mais s’il éprouvait que la révérence est diminuée par la réception quotidienne et que la ferveur n’est pas beaucoup augmentée, il devrait pour un temps s’en abstenir, afin de s’en approcher par la suite avec une plus grande ferveur et dévotion. Aussi chacun doit-il être laissé à son propre jugement sur ce point. C’est ce qu’Augustin dit : «Si quelqu’un dit que l’eucharistie ne doit pas être reçue quotidiennement et un autre affirme qu’elle doit être reçue quotidiennement, que chacun fasse ce qu’il croit devoir faire selon sa foi.» Et il le montre par l’exemple de Zachée et du centurion : l’un reçoit le Seigneur dans la joie, Lc 19 ; l’autre dit en Mt 8, 8 : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Et les deux ont obtenu miséricorde.

[15785] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution des objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15786] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum diversos status fidei diversus mos de hoc inolevit. Nam in primitiva Ecclesia, quando vigebat devotio major ex propinquitate passionis Christi, et erat major impugnatio ab infidelibus, quia haec mensa adversus tribulationes Ecclesiae praeparatur, quotidie communicandum fidelibus indicebatur; unde Callistus Papa dicit: peracta consecratione omnes communicent, qui nolunt ecclesiasticis carere liminibus. Sic enim apostoli statuerunt. Postmodum indictum fuit ut saltem ter in anno communicarent, ut dictum est, propter solemnitatem illorum dierum. Sed postmodum arctatum est, ut saltem semel in anno, scilicet in Pascha, communicent; et ad hoc etiam multi idonei non inveniuntur. Et quamvis statutum Ecclesiae non liceat praeterire, tamen licet pluries communicare. Unde Augustinus laudat omnibus diebus dominicis communicandum esse; et ita pluries in anno potest communicare quis.

Diverses coutumes ont eu cours à ce sujet selon les divers états de la foi. Car, dans l’Église primitive, alors qu’une dévotion plus grande se manifestait en raison de la proximité de la passion du Christ et que les attaques des infidèles étaient plus grandes – car cette table est préparée pour faire face aux tribulations de l’Église –, il était indiqué pour les fidèles de communier quotidiennement. Aussi le pape Calliste dit-il : «Une fois la consécration réalisée, que tous ceux qui ne veulent pas manquer l’accès à l’Église communient. Ainsi en ont décidé les apôtres.» Par la suite, il a été décidé qu’ils communieraient au moins trois fois par année, comme on l’a dit, en raison de la solennité de ces jours. Mais, par après, cela a été restreint, de sorte qu’on devait communier une seule fois par année, à savoir, à Pâques. Et même à cela, beaucoup se trouvent inaptes. Et bien qu’il ne soit pas permis d’aller au-delà d’une décision de l’Église, il est cependant permis de communier plusieurs fois. Aussi Augustin loue-t-il le fait que tous doivent communier les dimanches. Ainsi peut-on communier plusieurs fois par année.

[15787] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod agnus paschalis fuit figura hujus sacramenti ratione passionis Christi, quae semel tantum facta est; et ideo semel tantum in anno sumebatur: sed manna, quod fuit figura hujus sacramenti, inquantum hoc sacramentum est cibus fidelium, quolibet die sumebatur.

1. L’agneau pascal était la figure de ce sacrement en raison de la passion du Christ, qui n’a eu lieu qu’une seule fois. C’est pourquoi il était pris une seule fois par année. Mais la manne, qui était la figure de ce sacrement en tant que ce sacrement est la nourriture des fidèles, était prise chaque jour.

[15788] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Ecclesia tempore passionis recolit ipsam passionem secundum se, et ideo semel in anno tantum recolit, sed in hoc sacramento recolitur passio secundum quod per ipsam reficimur; et quia tali refectione pluries indigemus, ideo pluries hoc modo recolitur dominica passio.

2. Au temps de la passion, l’Église rappelle la passion en elle-même. C’est pourquoi elle ne la rappelle qu’une seule fois par année. Mais, par ce sacrement, la passion est rappelée selon que nous sommes restaurés par elle. Et parce que nous avons souvent besoin d’une telle restauration, c’est la raison pour laquelle la passion du Seigneur est rappelée plusieurs fois de cette manière.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15789] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod homo non debet pluries in una die communicare, ut saltem quantum ad unam diem repraesentetur unitas dominicae passionis, et ut quantum ad aliquid reverentia sacramento exhibeatur semel sumendo.

On ne doit pas communier plusieurs fois au cours d’une seule journée afin que soit représentée l’unicité de la passion du Seigneur au moins par une seule journée, de sorte que, sur un point, la révérence envers ce sacrement soit manifestée en ne le recevant qu’une seule fois.

[15790] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacerdos est quasi persona publica, et ideo oportet quod non solum pro se, sed etiam pro aliis celebret; et ideo necessitate cogente potest pluries celebrare in die. Sed non est eadem ratio de illis qui non sumunt nisi ratione sui.

1. Le prêtre est pour ainsi dire un personnage public. Il faut donc qu’il célèbre non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres. C’est pourquoi il peut célébrer plusieurs fois en une journée si la nécessité l’y oblige. Mais il n’en va pas de même pour ceux qui ne le reçoivent qu’en raison d’eux-mêmes.

[15791] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sunt alia remedia quibus peccatum veniale expiari potest; unde non oportet ut ad ea expianda homo pluries in die communicet.

2. Il existe d’autres remèdes par lesquels le péché véniel peut être expié. Aussi n’est-il pas nécessaire que, pour les expier, on communie plusieurs fois par jour.

 

 

Articulus 2 [15792] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 tit. Utrum liceat omnino a communione cessare

Article 2 – Est-il permis de cesser complètement de communier ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il permis de cesser complètement de communier ?]

[15793] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod liceat omnino a communione cessare. Quia nullus tenetur nisi ad ea quae sunt necessitatis. Sed hoc sacramentum, ut supra, dist. 9, qu. 1, art. 1, quaest. 2, dictum est, non est necessitatis. Ergo aliquis potest omnino a sacramenti sumptione cessare.

1. Il semble qu’il soit permis de cesser complètement de communier, car personne n’est obligé qu’à ce qui est nécessaire. Or, comme on l’a dit plus haut, d. 9, q. 1. a. 1, qa 2, ce sacrement n’est pas nécessaire. On peut donc cesser complètement de recevoir ce sacrement.

[15794] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod fit ad reverentiam Dei, non est peccatum. Sed aliquis potest ex reverentia sacramenti omnino cessare. Ergo si omnino cesset, non est peccatum.

2. Ce qui est fait par révérence envers Dieu n’est pas un péché. Or, on peut par révérence pour le sacrement cesser complètement [de le recevoir]. Si on cesse complètement, ce n’est donc pas un péché.

[15795] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod de sumptione hujus sacramenti debet quilibet facere quod pie credit faciendum esse. Ergo non peccat, si omnino cesset, et putat hoc esse faciendum.

3. Augustin dit, à propos de la réception de ce sacrement, que chacun doit faire ce qu’il croit devoir faire par piété. On ne pèche donc pas si l’on cesse complètement [de le recevoir] et pense qu’on doit le faire.

[15796] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Innocentius dicit: cavendum est ne si nimium hujus sacramenti sumptio differatur, mortis periculum incurratur. Ergo si omnino cessatur, est mortiferum.

Cependant, [1] Innocent dit : «Qu’on évite d’encourir un danger de mort en différant trop longtemps la réception de ce sacrement.» Si l’on cesse complètement, cela est donc mortel.

[15797] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, statutum est Ecclesiae, ut saltem semel in anno fideles communicent. Ergo qui omnino cessat, peccat.

[2] Une décision de l’Église veut que les fidèles communinent au moins une fois par année. Celui qui cesse complètement pèche donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui consacre peut-il cesser de communier ?]

[15798] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ille qui consecrat, possit a communione cessare. Quia ubi est major necessitas, ibi secundum ordinem debitum caritatis est magis subveniendum. Sed potest contingere quod postquam sacerdos consecraverit, aliquis infirmetur ad mortem, et instanter petat corpus Christi in ultima necessitate constitutus. Ergo cum sit hoc sacramentum caritatis, debet sacerdos ipse a communione desistere, et infirmo dare.

1. Il semble que celui qui consacre peut cesser de communier, car là où la nécesité est plus grande, là faut-il porter secours selon l’ordre approprié de la charité. Or, il peut arriver qu’après qu’un prêtre a consacré, quelqu’un tombe mortellement malade et, par nécessité urgente, demande immédiatement le corps du Christ. Puisque ce [sacrement] est le sacrement de la charité, le prêtre doit donc lui-même renoncer à communier et donner [la communion] au malade.

[15799] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, gravius est peccatum peccato superaddere quam unum simplex peccatum committere. Sed habens conscientiam peccati mortalis peccat consecrando, peccat etiam communicando. Ergo ex quo consecravit, debet saltem a sumptione cessare.

2. Il est plus grave d’ajouter le péché au péché plutôt que de commettre simplement un péché. Or, celui qui a conscience d’un péché mortel pèche en consacrant, et il pèche aussi en communiant. Après avoir consacré, il doit donc au moins cesser de recevoir [le sacrement].

[15800] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, communicatio corporis domini et sanguinis aequaliter debetur omnibus membris Christi. Sed aliis datur corpus Christi sine sanguine. Ergo sacerdos saltem a sumptione sanguinis abstinere potest.

3. La communion au corps et au sang du Seigneur est également due à tous les membres du Christ. Or, le corps du Christ est donné aux autres sans le sang. Le prêtre doit donc au moins s’abstenir de prendre le sang.

[15801] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur de Consecr., dist. 2, cap. relatum, ubi reprobatur eorum error qui volebant consecrare corpus Christi, et non sumere.

Cependant, [1] va en sens contraire ce qui est dit dans «Sur la consécration», d. 2, chapître «Relatum», où est réfutée l’erreur de ceux qui voulaient consacrer le corps du Christ et ne pas le recevoir.

[15802] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem videtur ex verbis domini, quibus dixit hoc sacramentum instituens: accipite, et comedite; Matth. 26, 26.

[2] La même chose semble pouvoir être tirée des paroles du Seigneur, qui a dit [à ses disciples] en instituant ce sacrement : Prenez et mangez, Mt, 26, 26.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-il plus louable de s’abstenir de ce sacrement que de s’en approcher ?]

[15803] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod laudabilius sit abstinere ab hoc sacramento quam accedere. Quia ad Deum maxime per humilitatem appropinquamus. Sed quod homo ex reverentia sacramenti a communione desistit, humilitatis est. Ergo hoc videtur magis meritorium et fructuosum, quam etiam sumere.

1. Il semble qu’il soit plus louable de s’abstenir de ce sacrement que de s’en approcher, car nous nous approchons de Dieu surtout par l’humilité. Or, le fait qu’on cesse de communier par révérence pour ce sacrement relève de l’humilité. Cela semble donc plus méritoire et fructueux que de le recevoir.

[15804] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, caritatis verae est magis Dei gloriam quam commodum proprium quaerere. Sed iste qui abstinet, videtur propter gloriam Dei facere quam reveretur; qui autem sumit, propter proprium commodum facere, quia fructum sacrum quaerit. Ergo illud est perfectioris caritatis, et ita magis meritorium.

2. Il relève d’une plus grande charité de rechercher plutôt la gloire de Dieu que son propre avantage. Or, celui qui s’abstient semble agir pour la gloire de Dieu qu’il révère ; mais celui qui [le] reçoit [semble] le faire pour son propre avantage, car il recherche un fruit saint. Cela relève donc d’une plus grande charité et est ainsi plus méritoire.

[15805] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Sed contra, in aliis sacramentis ei cui licet sacramentum accipere, melius est accipere quam desistere. Sed hoc sacramentum dignius est aliis. Ergo multo melius est homini parato accipere quam ex reverentia desistere.

Cependant, dans les autres sacrements, il est meilleur de [les] recevoir que d’y renoncer pour celui à qui il est permis de recevoir le sacrement. Or, ce sacrement est plus digne que les autres. Il est donc bien meilleur, pour celui qui est bien disposé, de le recevoir plutôt que d’y renoncer par révérence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15806] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nulli licet omnino a communione cessare: quia Ecclesia statuit tempus in quo fideles communicare debeant; unde qui omnino desistunt, efficiuntur rei transgressionis praecepti. Institutio autem Ecclesiae fuit necessaria: quia enim in quotidiana pugna sumus, vita spiritualis in nobis evanesceret, nisi aliquando cibum vitae sumeremus.

Il n’est permis à personne de cesser complètement de communier, car l’Église a déterminé un temps où les fidèles doivent communier. Ceux qui y renoncent totalement deviennent donc coupables de la transgression d’un précepte. Or, ce qui a été établi par l’Église était nécessaire : en effet, parce que nous sommes dans un combat quotidien, la vie spirituelle disparaîtrait en nous si nous ne prenions parfois l’aliment de vie.

[15807] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc sacramentum de sui institutione prima, quamvis non sit de necessitate salutis, tamen ex institutione Ecclesiae necessarium efficitur; et sine hoc etiam necessarium esset non simpliciter, ut sine quo non esset salus, sed ex suppositione finis; si scilicet homo in vita spirituali firmus persistere vellet.

1. Bien que, en vertu de sa première institution, ce sacrement ne soit pas nécessaire au salut, il est cependant rendu nécessaire en vertu d’une décision de l’Église. Sans celle-ci, il serait aussi nécessaire non pas simplement, de sorte que sans lui il n’y aurait pas de salut, mais en supposant la fin, à savoir, si on veut demeurer ferme dans la vie spirituelle.

[15808] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reverentia debita Deo in hoc exhibetur quod homo non se nimis divinis ingerat supra suum modum; sed quod homo omnino se subtrahat, hoc est contemptus, et pusillanimitatis.

2. La révérence due à Dieu se manifeste par le fait que l’homme ne s’immisce pas dans les choses divines plus qu’il ne lui convient. Mais qu’on se soustraie complètement [aux choses divines], cela relève du mépris et même de la pusillanimité.

[15809] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum Augustini referendum est ad hoc quod quotidie sumatur, vel non; non autem ad hoc quod omnino quis desistat.

3. La parole d’Augustin doit être mise en rapport avec le fait de recevoir quotidiennement ou non [le sacrement], mais non avec le fait qu’on y renonce complètement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15810] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod semper ille qui consecrat, debet sumere corpus et sanguinem Christi, nisi impediatur vel per violentiam, vel per mortem, vel per infirmitatem, vel aliquid hujusmodi: cujus ratio potest sumi ex parte ipsius sacramenti, quod in ipsa sumptione complementum suae significationis accipit: quia, ut dicit Augustinus, dum sanguis in ore fidelium de calice funditur, sanguinis effusio de latere Christi designatur: et etiam complementum suae efficaciae, quia ultimum effectum proprium habet in hoc quod sumitur. Ut ergo sacramentum sit perfectum, oportet illum qui sacramentum celebravit, communicare. Potest etiam sumi ratio ex parte ipsius consecrantis: quia cum ipse sit aliis dispensator divinorum, debet primo in participatione divinorum fieri, ut Dionysius dicit in 3 cap. Eccles. Hierar.

Celui qui consacre doit toujours prendre le corps et le sang du Christ, à moins d’en être empêché par la violence, la mort, la maladie ou quelque chose du genre. La raison peut en être saisie du côté du sacrement lui-même, qui reçoit sa signification achevée par le fait même qu’il est pris. En effet, comme le dit Augustin, lorsque le sang coule du calice dans la bouche des fidèles, l’écoulement du sang du côté du Christ est désigné. [Le sacrement] reçoit aussi sa pleine efficacité, car il a son ultime effet propre par le fait qu’il est pris. Pour que le sacrement soit parfait, il faut donc que celui qui a célébré le sacrement communie. La raison peut aussi en être saisie du côté de celui-là même qui consacre, car, puisqu’il est le dispensateur des réalités divines pour les autres, il doit être le premier à participer aux réalités divines, comme le dit Denys dans la Hiérarchie ecclésiastique, III.

[15811] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in tali casu non oportet quod sacerdos communionem intermittat; sed potest dare infirmo petenti partem hostiae consecratae.

1. Dans un tel cas, il ne faut pas que le prêtre reporte la communion, mais il peut donner au malade qui le demande une partie de l’hostie consacrée.

[15812] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod magis peccaret non sumendo, quia sacrilegium committeret pervertens ritum sacramentorum. Nec tamen est perplexus; quia potest ad Deum converti, et conteri: et tunc sine periculo in tali articulo sumet.

2. Il pécherait davantage en ne le recevant pas, car il commettrait un sacrilège en bouleversant le rite des sacrements. Il n’est cependant pas perplexe, car il peut se convertir à Dieu et se repentir. Alors, il pourra le recevoir sans danger dans une telle situation.

[15813] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio sacramenti hujus in utroque consistit, ut ex supra dictis patet; et ideo sacerdos celebrans qui alterum tantum sumeret, imperfecte sacramentum perageret; unde reus sacrilegii secundum canones judicatur, de Consec., dist. 2, cap. comperimus. Secus est autem de aliis qui non perficiunt sacramentum: quia eis subtrahitur sanguis propter effusionis periculum; unde et sacerdos in parasceve, quando non consecrat, corpus sine sanguine sumit.

3. La perfection de ce sacrement consiste dans les deux choses, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. C’est pourquoi le prêtre célébrant qui prendrait [le corps] seulement accomplirait imparfaitement le sacrement. Il est donc jugé coupable de sacrilège selon les canons, «Sur la consécration», d. 2, chapitre «Comperimus». Il en va autrement des autres qui n’accomplissent pas le sacrement, car le sang leur est refusé en raison du danger de le répandre. Aussi, le prêtre, lorsqu’il ne consacre pas le Vendredi saint, prend-il le corps sans le sang.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15814] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in his quae sunt ex genere suo bona, peccatum non accidit, nisi ex aliquo accidente, dum inordinate explentur; et ideo ea perficere per se bonum est; sed abstinere ab eis non est bonum nisi ratione accidentis alicujus. Unde cum Eucharistiam accipere sit bonum ex genere, assumere eam est bonum per se, abstinere est bonum per accidens, inquantum scilicet timetur ne inordinate sumatur. Et quia quod est per se, praejudicat ei quod est per accidens; ideo simpliciter loquendo, melius est Eucharistiam sumere quam ab ea abstinere; sed in casu aliquo nihil prohibet esse melius abstinere, quando aliquis probabiliter praesumit ex sumptione reverentiam minui. Si autem haec duo ad invicem comparemus, adhuc invenitur praevalere sumptio sacramenti abstinentiae a sacramento, tum ratione effectus sacramenti, tum ratione praeparationis, quantulacumque sit; tum etiam ratione virtutis elicientis actum: quia sumere videtur esse caritatis, in qua radix meriti consistit; abstinere autem timoris: amor autem timori praevalet.

Il ne survient pas de péché dans les choses qui sont bonnes par leur genre même, si ce n’est par accident, lorsqu’elles sont accomplies de manière désordonnée. C’est pourquoi les accomplir est bon en soi, mais s’en abstenir n’est bon qu’en raison d’un accident. Puisque recevoir l’eucharistie est bon par son genre, la recevoir est donc bon en soi et s’en abstenir est bon par accident, pour autant qu’on craint de la recevoir de manière désordonnée. Et parce que ce qui existe par soi l’emporte sur ce qui existe par accident, à parler simplement, il est donc meilleur de recevoir l’eucharistie que de s’en abstenir. Mais, dans un cas particulier, rien n’empêche qu’il soit mieux de s’en abstenir, lorsque quelqu’un présume de manière probable que la révérence [envers le sacrement] sera diminuée par le fait de le recevoir. Mais si nous comparons ces deux choses entre elles, le fait de recevoir le sacrement l’emporte sur le fait de s’abstenir du sacrement en raison de l’effet du sacrement, en raison de la préparation, aussi brève soit-elle, et aussi en raison de la puissance qui est à la source de l’acte, car recevoir [le sacrement] relève de la charité dans laquelle s’enracine le mérite, mais s’en abstenir [relève de] la crainte. Or, l’amour l’emporte sur la crainte.

[15815] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est quae Deo directe nos conjungit; sed humilitas ad hanc unionem disponit, inquantum hominem Deo subdit; unde meritum magis consistit in caritate quam in humilitate.

1. C'est la charité qui nous unit directement à Dieu, mais l’humilité dispose à cette union pour autant qu’elle soumet l’homme à Dieu. Aussi le mérite consiste-t-il davantage dans la charité que dans l’humilité.

[15816] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc maxime est gloria Dei et bonitas, quod se creaturis pro captu earum communicat; unde magis videtur ad Dei gloriam pertinere quod aliquis ad communionem accedat quam quod abstineat.

2. La gloire et la bonté de Dieu consistent surtout dans le fait qu’Il se communique aux créatures pour qu’elles s’en saisissent. Il semble donc relever davantage de la gloire de Dieu que l’on s’approche de la communion plutôt que l’on s’en abstienne.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 12

[15817] Super Sent., lib. 4 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 3 expos. Sicut et Christus se ostendit et cetera. Contra, veritatem non decet aliqua fictio. Ergo non debuit eis aliud ostendere quam quod in ipso erat. Et ideo dicendum, quod Christus eis speciem suam naturalem ostendit, et sensus exterior per eam movebatur; sed propter dubitationem resurrectionis, sensus interioris judicium impediebatur; unde eum talem inspiciebant exterius, ut Gregorius dicit qualis erat apud eos interius; et ita non erat aliqua deceptio ex parte Christi, sicut non est aliqua deceptio in sacra Scriptura ex hoc quod finguntur figurae Angelis et ipsi Deo; non enim ad hoc fit ut in eis intellectus remaneat, sed ut ex his in significata eorum surgat; et ita etiam per speciem illam in qua eis apparuit, voluit eis dominus interiorem eorum dispositionem significare. Qui confessus est coram Nicolao Papa et cetera. Videtur ex hoc quod haec opinio omnino sit tenenda, quia in principio confessionis hujus dicitur: consentio Romanae Ecclesiae, et apostolicae sedi. Ergo nulli licet aliter tenere. Et dicendum, quod quia Berengarius negaverat verum corpus Christi in altari esse, coactus fuit hanc confessionem facere; unde non intendit dicere, quod ipsum corpus Christi frangatur, sed quod sub speciebus, in quibus est fractio, verum corpus Christi sit; et in hoc se dicit consentire apostolicae sedi, a contrario errore reversus. Manet integer in corde tuo. Et intelligendum est quantum ad effectum; non quod corpus ejus menti illabatur, quia hoc solius Dei est. Non est pars corporis et cetera. De hoc dictum est supra, dist. 10, qu. unic., art. 3, quaestiunc. 3. Indignus est qui aliter celebrat. Aliter celebrare dicitur qui non servat materiam vel formam aut ritum debitum ab Ecclesia institutum; et debet talis, si ex contemptu faciat, gradus sui periculo subjacere. Etsi Christus quotidie immoletur, vel semel tantum immolatus sit. Sciendum est, quod omnia illa verba quae important comparationem Judaeorum ad Christum et poenam Christi, non dicuntur quotidie fieri. Non enim dicimus quod Christus quotidie crucifigatur et occidatur; quia actus Judaeorum et poena Christi transit. Illa autem quae important comparationem Christi ad Deum patrem, dicuntur quotidie fieri, sicut offerre, sacrificare, et hujusmodi, eo quod hostia illa perpetua est; et hoc modo est semel oblata per Christum, quod quotidie etiam per membra ipsius offerri possit. In sacramento recordatio illius fit quod factum est semel. Sacerdos enim non solum verbis, sed etiam factis, Christi passionem repraesentat. Unde et in principio canonis tres cruces facit super illud: haec dona, haec munera, haec sancta sacrificia illibata, ad significandum trinam traditionem Christi, scilicet a Deo, Juda, et Judaeis. Secundo autem super illud: benedictam, adscriptam, ratam etc. facit tres communiter super utrumque, ad ostendendum quod tribus Christus est venditus, scilicet sacerdotibus, Scribis, et Pharisaeis. Duas autem facit divisim super corpus et sanguinem, ad ostendendum venditorem et venditum. Tertio facit duas super illud: benedixit et fregit: unam super corpus, aliam super sanguinem, ad ostendendum quod hoc sacramentum valet ad salutem corporis et animae. Et quia dominus hoc sacramentum in mortis suae memoriam exercendum mandavit, ideo statim post consecrationem brachiorum extensione crucis effigiem repraesentat. Unde etiam, ut Innocentius dicit, verba consecrationis, quae in fine ponenda essent quasi complementum totius, in medio ponuntur ad historiae ordinem observandum; quia verba canonis ad Eucharistiam consecrandam principaliter pertinent, sed signa ad historiam recolendam. Quarto facit quinque cruces super illud: hostiam puram etc. ad repraesentandum quinque plagas. Quinto facit duas super illud: sacrosanctum filii tui corpus etc. ad signandum vincula et flagella Christi. Et additur tertia, qua sacerdos seipsum signat super illud: omni benedictione; quia Christi vulnera, nostra sunt medicamenta. Vel per has tres cruces significatur triplex oratio, qua Christus orasse legitur Matth. 26, passione imminente. Sexto facit tres super illud: sanctificas, vivificas, benedicis etc. ad repraesentandum, quod Judaei ter dixerunt: crucifige, verbo crucifigentes Christum, quod fuit tertia hora. Septimo iterum facit tres super illud: per ipsum, et in ipso, et cum ipso, ad repraesentandum secundam crucifixionem, qua a militibus hora sexta post trium horarum spatium crucifixus est; vel ad repraesentandum tres ejus cruciatus, scilicet passionis, propassionis, compassionis. Deinde facit duas extra calicem super illud: est tibi Deo patri omnipotenti in unitate spiritus sancti omnis honor et gloria, ad repraesentandum separationem animae a corpore, quae facta est hora nona; vel propter sanguinem et aquam, quae de latere Christi profluxerunt. Inclinationes etiam factae a sacerdote, signant Christi obedientiam ad patrem, ex qua mortem sustinuit. Tacita etiam locutio exprimit consilium Judaeorum mortem Christi machinantium, vel discipulorum, qui palam Christum confiteri non audebant. Quid autem fractio significet, dictum est. Quia autem commixtio corporis et sanguinis unionem animae et corporis significat; ideo illa crucis signatio quae fit super illa verba: pax domini sit semper vobiscum, magis pertinet ad resurrectionem, quae virtute Trinitatis et tertia die facta est. Quod autem quinquies se sacerdos ad populum convertit, significat quod dominus die resurrectionis quinquies se manifestavit: primo Mariae Magdalenae, Joan. ult. secundo Petro, Luc. ult. tertio mulieribus, Matth. ult. quarto discipulis in Emaus, Lucae ultim. quinto discipulis in unum, Joan. ult. Salutat autem populum septies ad septiformem gratiam spiritus sancti ostendendam sine quibus mortalis vita duci non potest; quia etsi possumus vitare singula, non tamen omnia.

 

 

 

Distinctio 13

 

Distinction 13 – [Les ministres de l’eucharistie]

 

 

Quaestio 1

 

Question 1 – [Les ministres de l’eucharistie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15818] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramento Eucharistiae, hic determinat de ministris hujus sacramenti; et dividitur in partes duas: in prima determinat propositum; in secunda epilogat, ibi: de hoc caelesti mysterio aliqua perstrinximus, a Catholicis fideliter tenenda. Prima in duas: in prima ostendit quis possit consecrare et dispensare hujusmodi sacramentum; in secunda quis possit sumere, ibi: illud etiam sane dici potest. Prima in duas: in prima inquirit, utrum potestas consecrandi, per peccatum a ministro tollatur; in secunda ostendit quae requiruntur in ministro ad hoc quod sacramentum consecrare possit, ibi: in hujus autem mysterii expletione sicut formam servare, ita ordinem haberi, scilicet ut sit sacerdos, et intentionem adhiberi oportet. Prima in duas: in prima inquirit, utrum malus sacerdos possit consecrare; in secunda, utrum ab Ecclesia praecisi, ibi: illi vero qui excommunicati sunt, vel de haeresi manifeste notati, non videntur hoc sacramentum posse conficere. De hoc caelesti mysterio aliqua perstrinximus a Catholicis fideliter tenenda. Hic epilogat; et circa hoc duo facit: primo ponit epilogum; secundo ex incidenti determinat quid faciat haereticum, ibi: ne autem ignores quid faciat haereticum, vel quid sit haereticus, audi breviter quae inde sancti doctores tradant. Hic est duplex quaestio. Prima de ministro consecrante. Secunda de haeresi. Circa primum quaeruntur tria: 1 quis possit consecrare; 2 de ritu consecrandi; 3 de dispensatione sacramenti

Après avoir déterminé du sacrement de l’eucharisite, le Maître détermine ici des ministres de ce sacrement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ce qui est en cause ; dans la seconde, il conclut, à cet endroit : «À propos de ce mystère céleste, nous avons à peine effleuré ce qui doit être tenu par les catholiques.» La première [partie] se divise en deux : dans la première, il montre qui peut peut consacrer et dispenser ce sacrement ; dans la seconde, qui peut le recevoir, à cet endroit : «On peut aussi dire assurément.» La première [partie] se divise en deux : dans la première, il se demande si le pouvoir de consacrer est enlevé à un ministre par le péché ; dans la seconde, il montre ce qui est requis chez le ministre pour qu’il puisse consacrer ce sacrement, à cet endroit : «Pour accomplir ce mystère, de même qu’il est nécessaire d’observer la forme, est-il nécessaire qu’il y ait ordre, à savoir qu’on soit prêtre, et qu’on ait l’intention.» La première [partie] se divise en deux : dans la première, il se demande si un mauvais prêtre peut consacrer ; dans la seconde, s’il peut être écarté par l’Église, à cet endroit : «Mais ceux qui ont été excommuniés ou qui sont manifestement reconnus comme hérétiques ne semblent pas pouvoir accomplir ce sacrement.» «À propos de ce mystère céleste, nous avons à peine effleuré ce qui doit être tenu par les catholiques.» Ici, il conclut et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente la conclusion ; deuxièmement, il détermine ce qui rend hérétique en raison de l’incidente, à cet endroit : «Afin que tu n’ignores pas ce qui rend hérétique ou ce qu’est un hérétique, écoute brièvement ce que les saints docteurs en ont dit.» Ici, il y a deux questions. La première porte sur le ministre qui consacre. La seconde, sur l’hérésie. Sur le premier point, il y a trois questions : 1 – Qui peut consacrer ? 2 – Sur le rite de la consécration. 3 – Sur la dispensation du sacrement.

 

 

Articulus 1 [15819] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 tit. Utrum etiam laicus possit consecrare

Article 1 – Un laïc peut-il aussi consacrer ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un laïc peut-il aussi consacrer ?]

[15820] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod etiam laicus possit consecrare. Consecrare enim sacerdotis est. Sed omnis laicus, si sit bonus, sacerdos est; quia, ut dicit Chrysostomus, omnis sanctus, sacerdos est; et omnibus fidelibus dictum est, 1 Petr. 2, 9: vos estis genus electum, regale sacerdotium. Ergo bonus laicus potest consecrare.

1. Il semble qu’un laïc peut aussi consacrer. En effet, consacrer relève du prêtre. Or, tout laïc, s’il est bon, est prêtre, car, comme le dit Chrysostome, tout saint est prêtre. Et il a été dit à tous les fidèles, 1 P 2, 9 : Vous êtes une nation sainte, un sacerdoce royal. Un laïc bon peut donc consacrer.

[15821] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, homo non potest consecrare virtute propria, sed virtute Dei. Sed bonus laicus magis est particeps divinae virtutis quam malus sacerdos. Ergo magis potest bonus laicus consecrare quam malus sacerdos.

2. Un homme ne peut pas consacrer par sa propre puissance, mais par la puissance de Dieu. Or, un laïc bon participe davantage à la puissance divine qu’un mauvais prêtre. Un laïc bon peut donc davantage consacrer qu’un prêtre mauvais.

[15822] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, magis est sumere sacramentum quam conficere; quia hoc ad illud ordinatur. Sed bonus laicus potest sumere sacramentum. Ergo et consecrare.

3. Il est mieux de recevoir le sacrement que de l’accomplir, car ceci est ordonné à cela. Or, un laïc bon peut recevoir le sacrement. Il peut donc aussi consacrer.

[15823] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum offertur ad reconciliandum nos Deo, quod est officium mediatoris. Cum ergo sacerdotis tantum sit medium esse inter Deum et populum, soli sacerdotes hoc sacramentum conficere possunt.

Cependant, [1] ce sacrement est offert pour nous réconcilier avec Dieu, ce qui est la fonction du médiateur. Puisqu’il appartient au seul prêtre d’être un intermédiaire entre Dieu et le peuple, seuls les prêtres peuvent donc accomplir ce sacrement.

[15824] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, bonitas virtutis non est manifesta, quia nemo scit utrum sit dignus odio vel amore, Eccle. 9, et praecipue alteri nota esse non potest. Si ergo potestas consecrandi sequatur bonitatem personae, non poterit esse notum quando consecratum sit vere, et quando non; et ita erit deceptio in sacramentis.

[2] La bonté de la vertu n’est pas manifeste, car personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour, Si 9. Et surtout, elle ne peut pas être connue d’un autre. Si donc le pouvoir de consacrer découle de la bonté d’une personne, on ne pourra savoir quand il y a consécration ou non. Il y aura ainsi tromperie dans les sacrements.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’évêque seul peut-il consacrer ?]

[15825] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod solus episcopus possit consecrare. Quia in qualibet republica principi debetur actus nobilissimus, sicut etiam Commentator dicit in 11 Metaphysic. Sed summus in nostra hierarchia est episcopus, ut dicit Dionysius. Ergo cum consecrare sit summus actus nostrae hierarchiae, hic actus sibi soli debetur.

1. Il semble que seul l’évêque puisse consacrer, car, dans chaque communauté, l’acte le plus noble revient au dirigeant, comme le dit aussi le Commentateur dans Métaphysique, XI. Or, l’évêque est le plus grand dans notre hiérarchie, comme le dit Denys. Puisque consacrer est l’acte le plus élevé de notre hiérarchie, cet acte revient donc à lui seul.

[15826] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Dionysium, loco cit., perficere est tantum episcopi. Sed secundum ipsum, Eucharistia est perfectivam habens virtutem. Ergo solus episcopus potest consecrare.

2. Selon Denys, à l’endroit cité, perfectionner relève seulement de l’évêque. Or, selon lui, l’eucharistie possède une puissance pour perfectionner. Seul l’évêque peut donc consacrer.

[15827] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, majus est consecrare corpus Christi quam consecrare altare, vel benedicere virgines. Sed illa reservantur solis episcopis. Ergo multo fortius consecratio corporis domini.

3. Il est plus grand de consacrer le corps du Christ que de consacrer un autel ou de bénir des vierges. Or, ces choses sont réservées aux seuls évêques. À bien plus forte raison donc, la consécration du corps du Seigneur.

[15828] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est communis usus Ecclesiae, et canonum institutio, qui docent potestatem consecrandi et baptizandi episcopis et sacerdotibus esse communem.

Cependant, l’usage commun de l’Église va en sens contraire ainsi que les décisions des canons, qui enseignent que le pouvoir de consacrer et de baptiser est commun aux évêques et aux prêtres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les hérétiques et les schismatiques peuvent-ils consacrer ?]

[15829] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haeretici et schismatici et excommunicati consecrare non possint. Quia, sicut dicit canon 24, qu. 1, cap. audivimus, quicumque fuerit ab unitate Ecclesiae alienus, exercere potest, consecrare non valet. Augustinus etiam dicit, quod extra Ecclesiam non est locus veri sacrificii. Sed omnes praedicti sunt extra Ecclesiam. Ergo non possunt consecrare.

1. Il semble que les hérétiques et les schismatiques ne puissent pas consacrer, car, comme le dit le canon 24, q. 1, c. «Audivimus» : «Quiconque a été séparé de l’unité de l’Église peut faire les gestes, mais il ne peut consacrer.» Augustin dit aussi qu’en dehors de l’Église, il n’y a pas de lieu pour le sacrifice véritable. Or, tous ceux dont il a été question sont hors de l’Église. Ils ne peuvent donc pas consacrer.

[15830] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum pollui non potest. Sed secundum Hieronymum, haeretici panem pollutum comedunt. Ergo verum sacrificium non habent; ergo non consecrant.

2. Ce sacrement ne peut être souillé. Or, selon Jérôme, les hérétiques mangent du pain souillé. Ils n’ont donc pas de sacrifice véritable. Ils ne consacrent donc pas.

[15831] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, hoc sacramentum est unionis Ecclesiae; unde et communio dicitur. Sed omnes praedicti hac unione carent. Ergo consecrare non possunt.

3. Ce sacrement est [le sacrement] de l’union de l’Église ; aussi est-il appelé communion. Or, tous ceux dont il a été question sont privés de cette union. Ils ne peuvent donc pas consacrer.

[15832] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sacerdos habet potestatem consecrandi ex ipso charactere; sed character manet in ipso haeretico, schismatico, et excommunicato. Ergo possunt consecrare.

Cependant, [1] le prêtre a le pouvoir de consacrer en vertu du caractère lui-même. Or, le caractère demeure chez l’hérétique, le schismatique et l’excommunié. Ils peuvent donc consacrer.

 [15833] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, qualitas personae non exigitur nisi ad actum proprium personae. Sed consecratio non est actus personalis ipsius sacerdotis, sed Dei cujus verbis consecrat. Ergo non impeditur propter propriam qualitatem.

[2] La qualité de la personne n’est resquise que pour l’acte propre de la personne. Or, consacrer n’est pas un acte personnel du prêtre lui-même, mais de Dieu par les paroles de qui il consacre. Il n’en est donc pas empêché par sa qualité propre.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Celui qui a perdu son grade peut-il consacrer ?]

[15834] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod degradatus non possit consecrare. Nullus enim consecrare potest qui non habet potestatem consecrandi. Sed degradatus non habet potestatem consecrandi, quamvis habeat potestatem baptizandi, ut dicit canon. Ergo non potest consecrare.

1. Il semble que celui qui a perdu son grade ne puisse consacrer. En effet, personne qui n’a pas le pouvoir de consacrer ne peut consacrer. Or, celui qui a perdu son grade n’a pas le pouvoir de consacrer, bien qu’il aie le pouvoir de baptiser, comme le dit le canon. Il ne peut donc pas consacrer.

[15835] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ex eisdem fit res et corrumpitur, secundum philosophum in 2 Ethic. Sed aliquis ex potestate episcopi accipit posse consecrare. Ergo quando ab ipso degradatur, videtur quod hoc posse amittat.

2. Une chose est faite et se corrompt à partir des mêmes choses, selon le Philosophe, dans Éthique, II. Or, quelqu’un peut recevoir de l’évêque le pouvoir de consacrer. Lorsqu’il lui enlève son grade, il semble donc que celui-ci perde ce pouvoir.

[15836] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, habens ordinem sacerdotalem non relinquitur puniendus judicio saeculari. Sed degradatus relinquitur. Ergo non habet ordinem; ergo non potest consecrare.

3. Celui qui possède l’ordre sacerdotal ne doit pas être lassé au juge séculier pour être puni. Or, celui qui a perdu son grade est laissé [au juge séculier]. Il ne possède donc pas l’ordre. Il ne peut donc pas consacrer.

[15837] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, si degradatus reconciliatur, non iterum ordinatur. Ergo ordinem non amisit; ergo consecrare potuit.

Cependant, [1] si celui qui a ^perdu son grade est réconcilié, il n’est pas ordonné de nouveau. Il n’a donc pas perdu l’ordre. Il pouvait donc consacrer.

[15838] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, hoc idem probatur per indelebilitatem characteris, ut supra. Utrum autem malus sacerdos, vel Angelus, possit consecrare, eadem ratio est quae et de baptizatione; et ideo quaeruntur supra, dist. 5.

[2] La même chose est démontrée par l’indélébilité du caractère, comme ci-dessus. Mais qu’un mauvais prêtre ou un ange puisse consacrer, on raisonne à ce sujet comme pour l’acte de baptiser. Cela est donc examiné plus haut, d. 5.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La messe d’un mauvais prêtre a-t-elle moins de valeur que celle d’un bon ?]

[15839] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Missa mali sacerdotis non minus valeat quam boni. Quia, sicut dicit Augustinus in Lib. de corpore Christi, in mysterio corporis et sanguinis domini nihil a bono majus, nihil a malo minus perficitur sacerdote.

1. Il semble que la messe d’un mauvais prêtre n’ait pas moins de valeur que celle d’un bon, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur le corps du Christ, «dans le mystère du corps et du sang du Seigneur, rien de plus n’est accompli par un bon prêtre, rien de moins n’est accompli par un mauvais.»

[15840] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, Baptismus datus a bono ministro nihil melius valet quam datus a malo. Ergo nec Missa a bono sacerdote vel malo dicta.

2. Le baptême donné par un ministre bon n’a pas plus de valeur que celui qui est donné par un mauvais. Donc, la messe non plus, dite par un bon ou un mauvais prêtre.

[15841] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, melius est quod est fructuosius. Sed Missa boni sacerdotis est fructuosior, quia ejus oratio magis exauditur. Ergo est melior.

Cependant, est meilleur ce qui porte plus de fruit. Or, la messe d’un prêtre bon porte plus de fruit, parce que sa prière est davantage exaucée. Elle est donc meilleure.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15842] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ordo Ecclesiae derivatus est ab ordine caelestis hierarchiae; unde sicut in Angelis diversis ordinibus diversi actus debentur, ita et in Ecclesia militante ad diversos actus diversi ordines applicantur, sicut etiam et in corpore diversa membra diversa habent officia, cui corpus mysticum similatur, ut patet 1 Corinth. 11. Ordines autem Ecclesiae distingui non possunt per diversitatem interioris bonitatis, quia ignota est, et indeterminati sunt gradus ejus. Et quia bonitas vel virtus alicujus non ordinatur ad hoc quod aliquis aliquid possit, sed ad hoc quod bene faciat illud quod potest; habitus enim virtutum non sunt potentia, sicut philosophus probat; ideo quod unus possit actum quem alius non potest, non contingit ex diversitate bonitatis vel malitiae, sed ex potestate suscepta, quam habet unus, et non alius; et ideo, quia laicus potestatem consecrandi non accipit, sua bonitas quantacumque sit, non juvat eum ad hoc quod consecrare possit.

L’ordre de l’Église est tiré de l’ordre de la hiérarchie céleste. De même que, chez les anges, divers actes reviennent à divers ordres, de même donc, dans l’Église militante, les divers ordres sont appliqués à divers actes, ainsi que, dans le corps, auquel le corps mystique est assimilé, comme cela ressort de 1 Co 11, les divers membres ont des fonctions diverses. Or, les ordres de l’Église ne peuvent être distingués selon la diversité de la bonté intérieure, car elle est ignorée et ses degrés sont indéterminés. Et parce que la bonté ou la vertu de quelqu’un n’est pas ordonnée à ce qu’il puisse faire quelque chose, mais à ce qu’il fasse bien ce qu’il peut faire – en effet, les habitus des vertus ne sont pas une puissance, comme le démontre le Philosophe –, que quelqu’un puisse poser un acte qu’un autre ne peut pas [poser] ne vient pas de la différence entre la bonté et la malice, mais de la puissance reçue, que l’un a et l’autre, non. Puisqu’un laïc ne reçoit pas le pouvoir de consacrer, quelle que soit sa bonté, celle-ci ne fait donc pas en sorte qu’il puisse consacrer.

[15843] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnis bonus homo dicitur esse sacerdos mystice, quia scilicet mysticum sacrificium Deo offert seipsum, scilicet hostiam viventem Deo, Rom. 12.

1. Tout homme bon est appelé prêtre d’une manière mystique, parce qu’il s’offre lui-même à Dieu en sacrifice mystique, à savoir, en sacrifice vivant pour Dieu, Rm 12.

[15844] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod laicus bonus fit particeps dominicae virtutis ad bene agendum hoc quod poterat prius aliquo modo facere, non autem ad hoc quod possit hoc per virtutem quod prius non poterat.

2. La laïc bon participe à la puissance du Seigneur en vue de bien faire ce qu’il pouvait faire antérieurement d’une certaine manière, mais non pas en vue de pouvoir par [cette] puissance ce qu’il ne pouvait pas faire auparavant.

[15845] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamvis acceptio sacramenti sit major in fructu, tamen consecratio est major in potestate; unde non oportet quod qui potest accipere, possit consecrare.

3. Bien que la réception du sacrement soit plus grande par le fruit, la consécration est cependant plus grande par le pouvoir. Il n’est donc pas nécessaire que celui qui le reçoit puisse consacrer.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15846] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod potestas consecrandi non solum episcopis, sed etiam sacerdotibus collata est; quia ordo sacerdotis est medius inter episcopum et populum. Unde sicut in angelica hierarchia illuminationes ad inferiorem ordinem mediante superiore perveniunt, ita omnia sacramenta quae communiter toti populo dispensantur, per sacerdotes conferuntur; et hujusmodi sunt omnia quae non collocant in aliquo statu vel gradu super alios. Et quia Eucharistia est hujusmodi, ideo non solum per episcopos, sed etiam per sacerdotes dispensatur et consecratur. Est etiam alia ratio, ut sit frequentior memoria dominicae passionis, et magis subveniatur vivis et mortuis ex majori frequentia sacramenti.

Le pouvoir de consacrer n’a pas été donné aux seuls évêques, mais aussi aux prêtres, car l’ordre du prêtre est un intermédiaire entre l’évêque et le peuple. De même que, dans la hiérarchie angélique, les illuminations parviennent à un ordre inférieur par l’intermédiaire d’un [ordre] supérieur, de même aussi tous les sacrements qui sont dispensés d’une manière générale à l’ensemble du peuple sont-ils conférés par les prêtres : ce sont tous ceux qui ne placent pas dans un état ou un degré supérieur à d’autres. Et parce que l’eucharistie est de ce genre, elle n’est donc pas dispensée et consacrée seulement par les évêques, mais aussi par les prêtres. Il y a aussi une autre raison : que la mémoire de la passion du Seigneur soit plus fréquente et qu’elle vienne davantage au secours des vivants et des morts par une plus grande fréquence du sacrement.

[15847] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, licet iste actus sit maximus in se, tamen non est maximus quantum ad constituendum in ordine Ecclesiae; quia per sumptionem hujus sacramenti non constituitur aliquis in gradu vel statu altiori inter membra Ecclesiae, sicut fit per ordinem; et ideo non oportet quod ille actus solis episcopis reservetur.

1. Bien que cet acte soit le plus grand en soi, il n'est cependant pas le plus grand pour établir dans un ordre de l’Église, car, par la réception de ce sacrement, on n’est pas établi dans un degré ou dans un ordre plus élevé parmi les membres de l’Église, comme c’est le cas pour l’ordre. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cet acte soit réservé aux seuls évêques.

[15848] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus ordinatis, ita est quod semper inferior participat aliquid de perfectione superioris, ut Dionysius dicit; et hoc modo est in connexione caelestis hierarchiae, ut in 2 Lib., dist. 9, qu. 1, art. 6 dictum est. Et ideo, quia ordo sacerdotis continuus est ordini episcopi, participat etiam aliquid de perfectiva virtute quantum ad illam perfectionem qua quis in seipso perficitur; non autem quantum ad perfectionem qua aliquis in eminentiori gradu constituitur, sicut est in ordine; vel altiori officio, sicut est in confirmatione; et ideo sacerdos participat ab episcopo potestatem consecrandi, non autem confirmandi vel ordinandi. Et quod ipsam habeat participative, Dionysius dicit, quod patet ex hoc quod sacerdos consecrat super altare ab episcopo consecrato, et in vasis consecratis per episcopum, ipse etiam consecratus per episcopum.

2. Dans les réalités ordonnées, l’inférieur participe toujours à quelque chose de la perfection de ce qui est supérieur, comme le dit Denys. Il en va ainsi dans les rapports de la hiérarchie céleste, comme on l’a dit dans le livre II, d. 9, q. 1, a. 6. Comme l’ordre du prêtre est adossé à celui de l’évêque, il participe ainsi en quelque chose à la puissance de perfectionnement par laquelle on est soi-même perfectionné, mais non à la perfection par laquelle on est établi dans un degré supérieur, comme c’est le cas pour l’ordre, ou dans une fonction plus élevée, comme c’est le cas pour la confirmation. C’est pourquoi le prêtre participe au pouvoir de consacrer de l’évêque, mais non à son pouvoir de confirmer ou d’ordonner. Qu’il le possède par participation, Denys le dit, et cela ressort du fait que le prêtre consacre sur un autel qui a été consacré par l’évêque et dans des vases consacrés par l’évêque, lui-même étant consacré par l’évêque.

[15849] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illae benedictiones non veniunt in usum totius populi, sed aliquarum excellentium personarum; et ideo solis episcopis reservantur.

3. Ces bénédictions ne sont pas utilisées par l’ensemble du peuple, mais par certaines personnes de haut rang. C’est pourquoi elles sont réservées aux seuls évêques.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15850] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod haeretici ab Ecclesia praecisi, et similiter excommunicati et schismatici, quia sunt extra unitatem Ecclesiae, non possunt consecrare: et hujus opinionis videtur fuisse Magister in littera. Sed quia omne illud quod per consecrationem datur, est perpetuum; ideo, sicut Baptismus, qui per consecrationem datur, nunquam amittitur, quantumcumque aliquis in haeresim labatur vel schisma vel excommunicationem; ita nec sacerdotalis ordo aliquo modo amitti potest, ut Augustinus dicit ad Parmenianum. Et quia potestas consecrandi ordinem sacerdotalem consequitur, ut dictum est, ideo haeretici et schismatici et excommunicati consecrant, quamvis ad suam perniciem, dummodo servetur debita forma et materia et intentio, quae etiam in infidelibus esse possunt, ut supra, dist. 5 de Baptismo, dictum est.

Certains ont dit que les hérétiques écartés de l’Église, ainsi que les excommuniés et les schismatiques, parce qu’ils sont à l’extérieur de l’unité de l’Église, ne peuvent consacrer. Telle semble avoir été l’opinion du Maître dans le texte. Mais parce que tout ce qui est donné par consécration est perpétuel, de même que le baptême qui est donné par une consécration n’est jamais perdu par le fait que quelqu’un tombe dans l’hérésie, le schisme ou l’excommunication, de même l’ordre sacerdotal ne peut-il d’aucune manière être perdu, comme le dit Augustin contre Parménianus. Et parce que le pouvoir de consacrer découle de l’ordre sacerdotal, comme on l’a dit, les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés consacrent donc, bien que pour leur perte, pourvu que la forme, la matière et l’intention appropriées soient respectées, qui peuvent se trouver aussi chez des infidèles, comme on l’a dit plus haut, d. 5, à propos du baptême.

[15851] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum canonis intelligendum est quantum ad illos qui debitam formam non servant, vel quantum ad executionem quam amittunt; non enim jus consecrandi habent; et hoc solum posse dicimur in jure, quod juste possumus. Vel loquitur de consecratione qua ordines conferuntur; quia ad damnationem potius quam ad sanctificationem recipientium cedit. Et similiter quod Augustinus dicit, quod extra Ecclesiam non est locus veri sacrificii, intelligendum est quantum ad effectum; vel extra Ecclesiam, idest extra formam Ecclesiae.

1. La parole du canon doit s’entendre de ceux qui ne respectent pas la forme appropriée ou du pouvoir d’exécution qu’ils perdent : en effet, ils ont le droit de consacrer. Et nous disons que nous n’avons en droit le pouvoir que de ce que nous possédons justement. Ou bien il parle de la consécration qui est conférée par les ordres, car elle tourne à la condamnation plutôt qu’à la sanctification de ceux qui la reçoivent. De même, ce qu’Augustin dit, qu’il n’y a pas de lieu pour le véritable sacrifice hors de l’Église, doit s’entendre de l’effet. Ou bien «hors de l’Église» veut dire en dehors de la forme de l’Église.

[15852] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicitur panis pollutus non in se, sed quia ipsi et seipsos polluunt consecrando et sumendo, et alios qui ab eis sacramenta scienter accipiunt.

2. On dit que le pain est souillé, non pas en lui-même, mais parce qu’ils se souillent eux-mêmes en consacrant et en recevant [l’eucharistie], ainsi que les autres qui reçoivent d’eux les sacrements en connaissance de cause.

[15853] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inquantum ordinem habet, ad unitatem Ecclesiae pertinet, quamvis quantum ad aliquid possit ab Ecclesia esse praecisus.

3. Dans la mesure où il a l’ordre, il se rattache à l’unité de l’Église, bien qu’il puisse être exclu de l’Église sous un aspect.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15854] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod degradatus, quia ordinem non amittit, potestatem consecrandi retinet; sed jus consecrandi sibi aufertur; et ideo si consecrat, peccat: tamen consecratum est.

Celui qui a perdu son grade, parce qu’il ne perd pas l’ordre, garde le pouvoir de consacrer. Mais le droit de consacrer lui est enlevé. S’il consacre, il pèche donc ; cependant, la consécration a été réalisée.

[15855] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille canon non loquitur asserendo, sed quasi opponendo, ut ex circumstantia litterae apparet.

1. Ce canon ne s’exprime pas par mode d’affirmation, mais par mode d’opposition, comme cela ressort du contexte.

[15856] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod episcopus non dedit ordinem, sed Deus per ministerium episcopi; et Deus posset auferre, non episcopus; quia non est constitutus minister auferendi ordinem, sicut conferendi; quia propter efficaciam consecrationis debet esse ordo perpetuus.

2. L’évêque n’a pas donné l’ordre, mais Dieu par le ministère de l’évêque. Et Dieu pourrait l’enlever, non l’évêque, car il n’a pas été établi comme ministre pour enlever l’ordre comme pour le conférer. En effet, en raison de l’efficacité de la consécration, l’ordre doit être perpétuel.

[15857] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est essentiale ordini sacerdotali, quod judicio saeculari relinqui non possit, sed ex privilegio indultum; et ideo manente ordine degradatus sua culpa hoc privilegium amittit.

3. Il n’est pas essentiel à l’ordre sacerdotal de ne pas pouvoir être abandonné au jugement séculier, mais cela vient d’un privilège. C’est pourquoi, bien que l’ordre demeure, celui qui a perdu son ordre perd ce privilège par sa faute.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15858] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod de Missa possumus loqui dupliciter: aut quantum ad id quod est essentiale in ea, scilicet corpus Christi; et sic a quocumque dicatur, aequaliter bonum est et virtuosum: vel quantum ad id quod est annexum sacramento, et quasi secundarium; et sic Missa boni sacerdotis melior est, quia non solum habet efficaciam ex opere operato, sed ex opere operante: et ideo ceteris paribus melius est audire Missam boni sacerdotis quam mali.

On peut parler de la messe de deux manières : selon ce qui est essentiel en elle, à savoir le corps du Christ, et ainsi quel que soit celui qui la dise, cela est également bon et vertueux ; ou bien selon ce qui est joint au sacrement et pour ainsi dire secondaire. Et ainsi, la messe du prêtre bon est meilleure, parce qu’elle n’a pas seulement une efficacité en vertu de l’action accomplie, mais en vertu de l’action de celui qui l’accomplit. C’est pourquoi, toutes choses étant égales, il est meilleur d’entendre la messe d’un prêtre bon que d’un prêtre mauvais.

[15859] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 1 qc. 5 ad arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem.

Ainsi ressort la solution des arguments pour et contre.

Articulus 2 [15860] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum liceat sacerdoti omnino a consecratione abstinere

Article 2 – Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de la consécration ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il permis à un prêtre de s’abstenir totalement de la consécration ?]

[15861] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod liceat sacerdoti omnino a consecratione abstinere. Quia de beato Marco narrat Hieronymus quod sibi pollicem amputaverit, ut sacerdotio reprobus haberetur. Nec hoc fecit nisi indignum se reputans tali sacramento. Ergo videtur quod si omnino a celebratione abstineat ex reverentia dominici corporis et propriae infirmitatis consideratione aliquis sacerdos, non peccat.

1. Il semble qu’il soit permis à un prêtre de s’abstenir totalement de la consécration, car Jérôme raconte, à propos du bienheureux Marc, qu’il s’était amputé le pouce afin d’être écarté du sacerdoce. Et il n’a fait cela que parce qu’il s’estimait indigne d’un tel sacrement. Il semble donc que si un prêtre s’abstient totalement de célébrer par révérence envers le corps du Seigneur et en considérant sa propre infirmité, il ne pèche pas.

[15862] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut sacerdotis officium est consecrare, ita et ligare et solvere. Sed non exigitur ut liget et solvat, nisi habeat curam animarum. Ergo etiam a sacerdote qui non habet populum cui teneatur, non exigitur quod consecret; et ita non peccat omnino abstinendo.

2. De même que la fonction du prêtre est de consacrer, de même l’est-elle de lier et d’absoudre. Or on n’exige pas qu’il lie et absolve, à moins qu’il n’ait charge d’âmes. Il n’est donc pas non plus exigé de consacrer d’un prêtre qui n’a pas de peuple. Et ainsi, il ne pèche pas en s’abstenant totalement.

[15863] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Ambrosius dicit: grave est quod ad mensam tuam mundo corde et manibus innocentibus non venimus; sed gravius est, si dum peccatum metuimus, etiam sacrificium non reddamus. Sed primum est peccatum mortale. Ergo et secundum.

Cependant, Augustin dit : «Il est grave que nous ne venions pas à ta table avec un cœur pur et des mains innocentes ; mais il est plus grave que nous n’offrions pas le sacrifice, alors que nous avons commis un péché.» Or, le premier péché est un péché mortel. Donc, aussi le second.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Plusieurs prêtres peuvent-ils consacrer en même temps la même hostie ?]

[15864] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint plures simul eamdem hostiam consecrare. Quia plurium agentium sunt plures actiones, maxime quando unusquisque sufficit ad agendum. Sed unus sacerdos tantum potest consecrare. Ergo si plures simul consecrent, sunt plures consecrationes super eamdem hostiam; et ita fit injuria sacramento.

1. Il semble que plusieurs [prêtres] ne puissent pas consacrer en même temps la même hostie, car il y a plusieurs actions là où il a plusieurs agents, surtout lorsque chacun est capable de poser cette action. Or, un seul prêtre seulement peut consacrer. Si plusieurs consacrent en même temps, il y a donc plusieurs consécrations de la même hostie, et ainsi un préjudice est causé au sacrement.

[15865] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, unus dicens verba, virtute verborum consecrat. Sed quod factum est, fieri non potest; quia quod est, non fit. Ergo alii nihil faciunt; ergo superfluum est quod dicunt.

2. Un seul [prêtre], en disant les paroles, consacre par la puissance des paroles. Or, ce qui a été fait ne peut pas devenir, car ce qui est ne devient pas. Les autres ne font donc rien. Il est donc superflu qu’ils disent [les paroles].

[15866] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est consuetudo quarumdam Ecclesiarum, in quibus novi sacerdotes simul episcopo concelebrant.

Cependant, c’est la coutume de certaines églises, où les nouveaux prêtres concélèbrent avec l’évêque.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La messe doit-elle être célébrée quotidiennement dans l’Église ?]

[15867] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat quotidie Missa in Ecclesia celebrari. Quia in Missa recolitur dominica passio. Sed Ecclesia celebrat memoriam dominicae passionis semel in anno. Ergo non pluries debet in Ecclesia Missa dici.

1. Il semble que la messe ne doive pas être célébrée quotidiennement dans l’Église, car la passion du Seigneur est rappelée par la messe. Or, l’Église célèbre la mémoire de la passion du Seigneur une seule fois au cours de l’année. La messe ne doit donc pas être dite plusieurs fois dans l’Église.

[15868] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in die parasceves agitur memoria dominicae passionis, nec tamen tunc consecratio fit. Ergo multo minus deberet fieri in aliis diebus.

2. Mémoire de la passion du Seigneur est rappelée le Vendredi saint ; pourtant, il n’y a pas alors de consécration. À bien moins forte raison, devrait-elle donc avoir lieu les autres jours.

[15869] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, aliquibus diebus celebratur hoc sacramentum pluries una die solemniter in Ecclesia, sicut patet in festo nativitatis, et multis aliis diebus. Ergo videtur quod aliquando deberet praetermitti.

3. Certains jours, ce sacrement est célébré solennellement plusieurs fois dans l’Église, comme cela ressort pour la fête de la Nativité et plusieurs autres jours. Il semble donc qu’elle devrait parfois être omise.

[15870] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sacramentum Ecclesiae deberet magis assiduari quam sacramentum veteris legis. Sed quotidie in veteri lege offerebatur sacrificium. Ergo multo fortius debet in nova lege fieri.

Cependant, [1] un sacrement de l’Église devrait être plus fréquent qu’un sacrement de l’ancienne loi. Or, on offrait le sacrifice quotidiennement sous la loi. À bien plus forte raison doit-on donc l’accomplir sous la nouvelle loi.

[15871] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, panis hujus sacramenti dicitur quotidianus. Sed non nisi quia quotidie consecratur. Ergo quotidie consecrari debet.

[2] Le pain de ce sacrement est appelé le «pain quotidien». Or, ce n’est le cas que parce qu’il est consacré quotidiennement.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La messe doit-elle être célébrée le soir ?]

[15872] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hora vespertina deberet Missa celebrari. Quia Christi actio nostra est instructio. Sed ipse Christus hoc sacramentum fecit in coena hora serotina. Ergo et tali hora deberet fieri.

1. Il semble que la messe devrait être célébrée le soir, car l’action du Christ est pour nous un enseignement. Or, le Christ lui-même a accompli ce sacrement le soir, lors de la cène. Elle devrait donc être accomplie à cette heure-là.

[15873] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, secundum canones ordines sunt celebrandi circa vespertinam horam. Sed ordines sacri non celebrantur sine Missarum solemniis. Ergo debet Missa vespertina hora celebrari.

2. Selon les canons, les ordres doivent être célébrés le soir. Or, les ordres sacrés ne sont pas célébrés sans messe solennelle. La messe doit donc être célébrée le soir.

[15874] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Item, videtur quod post mediam noctem; quia tunc dies secundum Ecclesiae computum incipit.

3. Il semble que [la messe doit être célébrée] après le milieu de la nuit, car, selon le comput de l’Église, le jour commence à ce moment.

[15875] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Item videtur quod tantum in hora sexta, quia illa hora dominus passus est; cujus passionis hoc sacramentum est memoriale.

4. Il semble que [la messe ne devrait être célébrée] qu’à la sixième heure, car c’est à cette heure que le Seigneur a souffert, et ce sacrement est le mémorial de sa passion.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La messe doit-elle être célébrée dans un lieu sacré ?]

[15876] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat in loco sacro celebrari. Quia sicut hoc sacramentum non est necessitatis, ita nec confirmatio. Sed confirmatio potest conferri in loco non sacro. Ergo et hoc sacramentum non oportet quod in loco sacro conficiatur.

1. Il semble que [la messe] ne doive pas être célébrée dans un lieu sacré, car ce sacrement n’est pas nécessaire, pas plus que la confirmation. Or, la confirmation peut être conférée dans un lieu qui n’est pas sacré. Il n’est donc pas nécessaire que ce sacrement soit accompli dans un lieu sacré.

[15877] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Item, videtur quod non oporteat esse altare de lapide. Quia sacrificia veteris legis fuerunt sacrificii hujus figura. Sed ad veteris legis sacrificia altare fiebat de lignis sethim, ut patet Exod. 25, et iterum de auro, ut patet 3 Reg. 7, et iterum de terra, ut patet Exod. 26. Ergo et in nova lege non solum de lapide oportet quod fiat.

2. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que l’autel soit en pierre, car les sacrifices de la loi ancienne étaient la figure de ce sacrifice. Or, l’autel pour es sacrifices de la loi ancienne était fait de bois d’acacia, comme cela ressort d’Ex 25, d’or, comme cela ressort de 1 R 7, et aussi de terre, comme cela ressort de Ex 26. Il n’est donc pas nécessaire que [le sacrifice de] la loi nouvelle soit accompli seulement sur une pierre.

[15878] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Item, videtur quod in pannis sericis debeat consecrari. Quia panni illi sunt pretiosiores. Ergo ad reverentiam sacramenti magis eis debemus uti.

3. Il semble qu’il doive être consacré dans des tissus de soie, car ces tissus sont plus précieux. Par révérence pour le sacrement, nous devons donc plutôt les utiliser.

[15879] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 4 Item, videtur quod in calice de petra possit celebrari. Quia calix significat sepulcrum Christi. Sed illud sepulcrum fuit de petra. Ergo et calix de petra debet fieri. De indumentis autem sacerdotalibus dicetur in tractatu de ordine, dist. 24, qu. 1, art. 3.

4. Il semble qu’on puisse célébrer avec une coupe de pierre, car la coupe signifie le sépulcre du Christ. Or, ce sépulcre était en pierre. La coupe doit donc être faite de pierre. Par ailleurs, on parlera des vêtements sacerdotaux dans le traité sur l’ordre, d. 24, q. 1, a. 3.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Si un des éléments mentionnés est omis, y a-t-il consécration ?]

[15880] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquo praedictorum omisso non sit consecratio. Quia, sicut dicit Dionysius, operationes hierarchicae ordinantur secundum divinas leges. Sed ille qui praetermittit ritum ab Ecclesia institutum, non sequitur divinas leges, quae per partes nobis positae sunt. Ergo talis non consecrat, cum consecrare sit actus hierarchicus, quia est actus ordinis.

1. Il semble que si un des éléments mentionnés est omis, la consécration n’a pas lieu, car, comme le dit Denys, les opérations hiérarchiques sont ordonnées selon les lois divines. Or, celui qui omet un rite établi par l’Église ne suit pas les lois divines, qui nous ont été divulguées partiellement. Celui-là donc ne consacre pas puisque consacrer est un acte hiérarchique, étant un acte de l’ordre.

[15881] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, totus ritus sacramenti suam habet significationem. Sed significatio est de essentia sacramenti. Ergo et ritus consecrandi; et ita, si praetermittatur, non erit vera consecratio.

2. L’ensemble du rite du sacrement a sa signification. Or, la signification fait partie de l’essence du sacrement. Donc, le rite de la consécration. Et ainsi, s’il est omis, il n’y aura pas de consécration véritable.

[15882] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 3 Praeterea, actiones spirituales magis sunt ordinatae quam saeculares. Sed si aliqua actio in rebus saecularibus, puta venditio vel emptio vel aliquid hujusmodi, contra statuta principum fiat, pro nulla haberetur. Ergo et si aliquis consecraret contra statutum Ecclesiae, consecratio nulla est.

3. Les actions spirituelles sont plus ordonnées que les actions séculières. Or, si une action en matière séculière, par exemple, une vente, un achat ou quelque chose du genre, est faite à l’encontre des décisions des dirigeants, elle serait considérée comme nulle. Si quelqu’un consacrait à l’encontre de la décision de l’Église, la consécration est donc nulle.

[15883] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, ea quae sunt de essentia sacramenti, sunt eadem apud omnes. Sed ritus sacramenti non est idem apud omnes, nec secundum omne tempus. Ergo non est de essentia sacramenti; ergo sine hoc potest fieri consecratio.

Cependant, [1] ce qui fait partie de l’essence du sacrement est identique chez tous. Or, le rite du sacrement n’est pas le même chez tous ni en tout temps. Il ne fait donc pas partie de l’essence du sacrement. La consécration peut donc être réalisée sans lui.

[15884] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, in Baptismo sunt quaedam quae si omittantur, non reputatur sacramentum irritum, quia sunt ad solemnitatem sacramenti. Ergo et hic si omittantur illa quae pertinent ad solemnitatem consecrationis, vere consecratio erit.

[2] Dans le baptême, il y a certaines choses qui, si elles sont omises, ne rendent pas le sacrement inopérant, parce qu’elles relèvent de la solennité du sacrement. Ici aussi, si on omet ce qui appartient à la solennité de la consécration, il y aura donc consécration véritable.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15885] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum quosdam non peccat qui dimittit celebrationem, nisi populum habeat commissum, vel ex obedientia teneatur celebrare. Sed quia secundum Gregorium, cum crescunt dona, rationes crescunt donorum; cum sacerdoti sit data potestas nobilissima, reus negligentiae erit, nisi illa utatur ad honorem Dei et salutem suam, et aliorum vivorum et mortuorum, secundum illud 1 Petr. 4, 10: unusquisque gratiam quam accepit, in alterutrum illam administrantes. Nisi forte aliquis ex familiari spiritus sancti instinctu dimittat, sicut legitur de quodam sancto patre in vitis patrum, qui ordinatus nunquam postea celebravit.

Selon certains, celui qui écarte la célébration ne pèche pas, à moins qu’un peuple lui ait été confié ou qu’il ne soit obligé de célébrer en vertu de l’obéissance. Mais parce que, selon Grégoire, «lorsque les dons s’accroissent, les comptes à rendre pour les dons s’accroissent», puisque le pouvoir le plus noble a été donné au prêtre, il sera coupable de négligence s’il ne l’utilise pas pour l’honneur de Dieu et pour son propre salut et celui des vivants et des morts, selon ce que dit 1 P 4, 10 : Chacun, selon la grâce reçue, se mettant au service les uns des autres. À moins peut-être que quelqu’un ne l’écarte par une inspiration particulière de l’Esprit Saint, comme on le lit à propos d’un saint père dans les Vies des pères, qui n’a jamais célébré après avoir été ordonné.

[15886] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui non habet ordinem, potest ordinem refugere. Sed ille qui habet, tenetur ipsum exequi.

1. Celui qui n’a pas l’ordre peut s’en écarter. Mais celui qui l’a est tenu de le mettre en œuvre.

[15887] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum omnes, alios actus ordinum debet homo non soli Deo, sed etiam proximis; quia actus inferiorum sunt ad ministerium sacerdotis. Alii autem actus sacerdotis, ut ligare et solvere, respiciunt corpus mysticum; similiter etiam docere et baptizare; et ideo qui non tenetur aliis vel subjectione vel praelatione, potest ab illis actibus sine peccato cessare. Sed consecratio est actus dignior, et ordinatus ad corpus Christi verum, nec respicit corpus Christi mysticum nisi ex consequenti; et ideo etiam si nulli homini teneatur, tamen tenetur Deo, ut reddat ei sacrificium acceptum; sacerdotibus enim praeceptum est: hoc facite in meam commemorationem.

2. Selon tous, l’homme doit les autres actes des ordres non pas à Dieu seul, mais aussi au prochain, car les actes des [ordres] inférieurs existent en vue du ministère du prêtre. Mais les autres actes du prêtre, comme lier et absoudre, concernent le corps mystique, de même qu’enseigner et baptiser. C’est pourquoi celui qui n’est pas obligé envers les autres par une sujétion ou une supériorité peut cesser les autres actes sans péché. Mais la consécration est un acte plus digne, ordonné au corps véritable du Christ, et elle ne concerne le corps mystique que par mode de conséquence. C’est pourquoi, même s’il n’est obligé envers aucun homme, il est cependant obligé envers Dieu de lui rendre un sacrifice agréable. En effet, il a été ordonné aux prêtres : Faites cela en mémoire de moi.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15888] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum morem quarumdam Ecclesiarum plures sacerdotes episcopo concelebrant, quando ordinantur; ad repraesentandum, quod quando dominus hoc sacramentum instituit, et potestatem consecrandi discipulis dedit, eis concoenavit, sicut episcopus simul cum ordinatis presbyteris celebrat.

Selon l’usage de certaines églises, plusieurs prêtres concélèbrent avec l’évêque lorsqu’ils sont ordonnés, pour représenter que lorsque le Seigneur a institué ce sacrement et a donné aux disciples le pouvoir de consacrer, il a fait la cène avec eux, comme l’évêque célèbre avec les prêtres ordonnés.

[15889] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia intentio requiritur ad perfectionem sacramentorum, ideo, cum omnes habeant intentionem unam consecrationem faciendi, non est ibi nisi una tantum consecratio.

1. Parce que l’intention est requise pour l’accomplissement des sacrements, puisque tous ont une seule intention d’accomplir la consécration, il n’y a là qu’une seule consécration seulement.

[15890] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Innocentius dicit, omnes celebrantes debent intentionem referre ad illud instans in quo episcopus verba profert; et sic episcopi intentio non defraudatur, nec aliquis ibi facit quod factum est.

2. Comme le dit Innocent, tous les célébrants doivent faire porter leur intention sur l’instant où l’évêque prononce les paroles. Et ainsi, l’intention de l’évêque n’est pas détournée et personne ne fait ce qui a déjà été fait.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15891] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum Innocentium, quinque de causis quotidie Missa in Ecclesia celebratur. Primo, quia oportet semper esse paratam medicinam contra quotidiana peccata. Secundo, ut lignum vitae semper sit in medio Paradisi. Tertio, ut nobis quotidie Christus uniatur sacramentaliter, et nos ei spiritualiter. Quarto, ut sit apud nos vigil memoria passionis. Quinto, ut vero agno loco typici quotidie utamur ad vesperam; quoniam Judaei ad vesperam convertendi esurient, secundum illud Psalm. 58, 15: convertentur ad vesperam, et famem patientur ut canes.

Selon Innocent, la messe est célébrée quotidiennement dans l’Église pour cinq raisons. Premièrement, parce qu’il doit toujours y avoir un remède préparé contre les péchés quotidiens. Deuxièmement, pour que le bois de vie soit toujours au milieu du Paradis. Troisièmement, pour que le Christ nous soit chaque jour uni sacramentellement, et nous à lui spirituellement. Quatrièmement, afin que nous ayons toujours à l’esprit la mémoire de la passion. Cinquièmement, pour que nous fassions quotidiennement usage le soir de l’agneau véritable, au lieu de l’agneau qui était une figure, puisque les Juifs seront affamés au soir de leur conversion, selon ce que dit le Ps 58, 15 : Ils se convertiront le soir, et ils souffriront de la faim comme des chiens.

[15892] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio Christi prout in capite contingit, semel tantum in anno repraesentatur in Ecclesia; sed prout in nos ejus effectus provenit, quotidie debet repraesentari, quia ejus effectus in nobis continuus est, et sic repraesentatur in hoc sacramento.

1. La passion du Christ, en tant qu’elle se produit dans la tête, n’est représentée qu’une fois par année dans l’Église. Mais en tant que son effet parvient jusqu’à nous, elle doit être représentée quotidiennement, car son effet en nous est continu. Ainsi est-elle représentée dans ce sacrement.

[15893] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Ecclesia volens populum Christianum circa ipsam dominicam passionem prout in capite nostro fuit, mente occupari, statuit ut illa die non consecraretur corpus Christi. Ne tamen Ecclesia omnino sine corpore Christi esset, corpus Christi praecedenti die consecratum et reservatum sumitur; sanguis autem non reservatur propter effusionis periculum. Nec est verum quod quidam dicunt, quod vinum ex immissione partis hostiae in calicem consecratur: quia transubstantiatio non fit sine debita forma verborum; unde post potum illum non liceret eadem die communicare.

2. L’Église, voulant que le peuple chrétien ait l’esprit occupé par la passion même du Christ, telle qu’elle a eu lieu dans notre tête, a décidé que, ce jour-là, le corps du Christ ne serait pas consacré. Cependant, pour que l’Église ne soit pas totalement privée du corps du Christ, le corps du Christ consacré le jour précédent et mis en réserve est pris. Mais le sang n’est pas mis en réserve à cause du danger de le renverser. Et ce que certains disent n’est pas vrai, à savoir que le vin est consacré par le fait de mettre une partie de l’hostie dans le calice, car la transsubstantiation n’est pas réalisée sans la forme appropriée des paroles. Aussi, après ce breuvage, il ne serait pas permis de communier le même jour.

[15894] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnis nostra actio per Christum perfici debet; et ideo, quando in una die occurrunt vel diversa Dei beneficia commemoranda, de quibus sunt gratiae Deo reddendae, vel etiam plura a Deo impetranda pro salute vivorum et mortuorum; oportet quod pluries Missa in Ecclesia celebretur, si adsit facultas; nec ex hoc sequitur quod aliquando debeat intermitti.

3. Toute notre action doit être parachevée par le Christ. C’est pourquoi, lorsque plusieurs bienfaits de Dieu, pour lesquels il faut rendre grâce, doivent être commémorés le même jour, ou encore que plusieurs choses sont demandées à Dieu pour le salut des vivants et des morts, il est nécessaire que la messe soit célébrée plusieurs fois dans l’Église, si cela est possible. Et il n’en découle pas qu’elle doive parfois être reportée.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[15895] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod communiter loquendo Missa debet dici in die, et non in nocte; quia hoc sacramentum ad tempus gratiae pertinet, quod per diem significatur. Rom. 13, 12: nox praecessit, dies autem appropinquavit. Dies autem judicatur non solum ab ortu solis, sed ex quo incipiunt orituri solis signa manifestari per aliquam aeris illustrationem. Tamen in duabus noctibus Missa decantatur propter privilegium illarum noctium, scilicet in nocte nativitatis, quando Christus natus est, et in nocte resurrectionis circa principium, ut patet ex oratione Deus qui hanc sacratissimam noctem gloria dominicae resurrectionis illustras etc., quamvis hoc non oporteat semper observari. Solemnis autem Missae celebratio tribus horis instituta est fieri; scilicet in tertia diebus festis, in sexta diebus profestis, in nona diebus jejuniorum; quia in Missa recolitur mors Christi, qui quidem hora tertia crucifixus est linguis Judaeorum, hora sexta manibus militum, hora nona expiravit. Sed quando fiunt ordines, Missa potest cantari etiam post nonam, et praecipue in sabbato sancto, quia ordines pertinent ad diem dominicam; vel etiam ut diligentior fiat praeparatio, differtur quantum differri potest ante prandium; et ideo quando non est dies jejunii, celebratur inter tertiam et sextam, qua hora comeditur communiter; sed in diebus jejunii in nona. Privatae autem Missae possunt dici a mane usque ad tertiam, vel etiam usque ad nonam in diebus jejuniorum.

À parler d’une manière générale, la messe doit être dite le jour, et non la nuit, car ce sacrement est en rapport avec le temps de la grâce, qui est signifié par le jour, Rm 13, 12 : La nuit est finie, le jour se lève. Or, on juge du jour non seulement par le lever du soleil, mais par le fait que les signes que le soleil commence à se lever sont manifestés par une certaine illumination de l’air. Toutefois, la messe est chantée lors de deux nuits en raison du caractère privilégié de ces nuits : la nuit de la Nativité, alors que le Christ est né, et au début de la nuit de la résurrection, comme cela ressort de la prière : «Dieu qui éclaire cette nuit très sainte de la gloire de la résurrection du Seigneur, etc.», bien qu’il ne soit pas nécessaire que cela soit toujours observé. Mais il a été décidé de célébrer la messe lors de trois heures : à la troisième, les jours de fêtes ; à la sixième, les jours précédant une fête ; à la neuvième, les jours de jeûne, car, par la messe, la mort du Christ est rappelée, lui qui a été crucifié à la troisième heure par les langues des Juifs, à la sixième par les mains des soldats, et qui a expiré à la neuvième. Mais lorsque les ordres sont célébrés, la messe peut être chantée même après la neuvième heure, surtout le Samedi saint, parce que les ordres sont en rapport avec le jour du Seigneur, ou encore, pour qu’une préparation plus attentive soit faite, elle est reportée autant qu’elle peut être reportée avec le repas. C’est pourquoi, lorsque ce n’est pas jour de jeûne, [la messe] est célébrée entre tierce et sexte, heure à laquelle on mange d’une manière générale. Mais, les jours de jeûne, [elle est célébrée] à la neuvième heure. Cependant, les messes privées peuvent être dites le matin jusqu’à tierce, ou encore jusqu’à none, les jours de jeûne.

[15896] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eadem ratio est quare Christus hora vespertina consecravit, et quare post coenam; unde sicut non oportet quod imitemur eum in secundo, ita nec in primo.

1. C’est la même raison pour laquelle le Christ a consacré le soir et après la cène. Comme il n’est pas nécessaire que nous l’imitions sur le second point, de même en est-il pour le premier.

[15897] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc singulariter est in diebus ordinum ratione jam dicta.

2. Cela se produit uniquement les jours des ordres pour la raison déjà dite.

[15898] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in medio noctis secundum Ecclesiam incipit dies naturalis, non autem dies artificialis, in qua solum licet celebrare.

3. Le jour naturel débute au milieu de la nuit selon l’Église, mais non le jour artificiel, où seulement il est permis de célébrer.

[15899] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus hora sexta fuerit in cruce positus, tamen sacramentum passionis suae peractum est in aliis horis; et ideo non oportet quod tunc tantum Missa celebretur.

4. Bien que le Christ ait été mis en croix à la sixième heure, le sacrement de sa passion a cependant été accompli aux autres heures. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la messe soit célébrée à ce moment.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[15900] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod in hoc sacramento continetur ille qui est totius sanctitatis causa; et ideo omnia quae ad consecrationem hujus sacramenti pertinent, etiam consecrata sunt; sicut ipsi sacerdotes consecrantes, et ministri, et vestes, et vasa, et omnia hujusmodi; et ideo etiam debet in altari et in domo consecrata celebrari hoc sacramentum. Si autem necessitas adsit, vel propter destructionem Ecclesiarum in aliqua terra, vel in itinere constitutis, licet etiam in locis non consecratis celebrare; dummodo habeant altare portatile consecratum, et alia hujusmodi, quae ad consecrationem hujus mysterii requiruntur; alias non licet, nisi episcopo concedente.

Celui qui est la cause de toute sainteté est contenu dans ce sacrement. C’est pourquoi tout ce qui se rapporte à ce sacrement est aussi consacré, tels les prêtres mêmes qui consacrent, les ministres, les vêtements, les vases et toutes les choses de ce genre. C’est pourquoi aussi [ce sacrement] doit être consacré sur un autel et dans une demeure consacrés. Mais s’il y a nécessité, soit en raison en raison de la destruction des églises dans un pays, soit pour ceux qui sont en chemin, il est permis de célébrer dans des lieux non consacrés, pourvu qu’on ait un autel portatif consacré et d’autres choses de ce genre, qui sont requis pour la consécration de ce mystère. Autrement, cela n’est pas permis, à moins d’une autorisation de l’évêque.

[15901] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod confirmationis sacramentum non continet ipsum Christum; et ideo non requiritur loci sanctificatio, sicut in hoc sacramento.

1. Le sacrement de confirmation ne contient pas le Christ lui-même. C’est pourquoi la sanctification du lieu n’est pas requise, comme c’est le cas pour ce sacrement.

[15902] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beatus Silvester instituit quod altare de cetero non nisi lapideum esset. Quia enim altare consecrari debet, oportet esse aliquam rem fortem et non fragilem, sicut est lignum vel terra, de qua fiat altare. Item quia debet esse in Ecclesia copia altarium, ut frequentetur hoc mysterium, ideo debet esse materia communis, non autem aurum vel argentum, vel aliquid hujusmodi, quod non de facili possit haberi. In veteri autem lege erat tantum unum altare ad unum tantum effectum deputatum; et ideo nihil oberat, si de auro fieret. Competit etiam lapis ad significationem altaris, quod Christum significat, qui etiam per petram significatur; 1 Corinth. 10, 4: petra autem erat Christus. Sed ante tempus Silvestri, propter persecutionem non erat fidelibus certus locus ad manendum; et ideo habebant altare ligneum, quod facile transferretur.

2. Le bienheureux Silvestre a décidé que l’autel serait désormais en pierre. En effet, puisque l’autel doit être consacré, il faut que ce dont l’autel est fait soit une chose solide, et non pas fragile, comme le bois ou la terre. De même, parce qu’il doit y avoir beaucoup d’autels dans l’église afin que ce mystère soit souvent célébré, ce doit être une matière commune, et non pas de l’or ou de l’argent ou quelque chose de ce genre, qui ne peut être facilement obtenu. Mais, sous l’ancienne loi, il n’y avait qu’un seul autel réservé à une seule action ; aussi n’y avait-il pas d’objection à ce qu’il soit en or. La pierre se rapporte aussi à la signification de l’autel, qui signifie le Christ, qui est aussi signifié par la pierre. 1 Co 10, 4 : Mais la pierre était le Christ. Mais, avant l’époque de Silvestre, en raison de la persécution, il n’y avait pas d’endroit déterminé où demeuraient les fidèles. C’est pourquoi on avait un autel en bois, qui se transportait facilement.

[15903] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod panni in quibus corpus Christi consecratur, repraesentant sindonem mundam qua corpus Christi involutum est; et ideo sicut illa linea fuit, ita non licet nisi in pannis lineis corpus Christi consecrare. Linum etiam competit huic sacramento et propter puritatem, quia ex eo panni candidissimi et facile mundabiles fiunt; et propter multiplicem tunsionem lini qua paratur ad hoc ut ex eo fiat pannus candidus, quae competit ad significandum passionem Christi; unde non deceret de pannis sericis corporale et pallas altaris esse, quamvis sint pretiosiores: neque de panno lineo tincto, quamvis sit pulchrior.

3. Les tissus sur lesquels le corps du Christ est consacré représentent le linceul vierge dans lequel le corps du Christ a été enveloppé. C’est la raison pour laquelle, de même que ceux-ci étaient en lin, il n’est permis de consacrer le corps du Christ que sur des tissus de lin. Le lin convient aussi à ce sacrement en raison de sa pureté, car des tissus très blancs et facilement lavables peuvent en être faits, et aussi en raison des multiples battages par lesquels il est préparé pour qu’on en tire un tissu blanc, qui convient pour signifier la passion du Christ. Aussi ne conviendrait-il pas que le corporal et les palles de l’autel soient en soie, bien que ceux-ci soient plus précieux ; [cela ne conviendrait pas] non plus s’ils étaient en lin teint, bien que celui-ci soit plus beau.

[15904] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum statum Ecclesiae calix debet esse tantum de auro vel argento vel stanno; non autem de aere vel aurichalco, quia ex fortitudine vini rubiginem generaret, et nauseam provocaret; neque ex vitro vel ex crystallo propter fragilitatem; neque ex ligno propter porositatem, quia imbibit liquorem immissum; neque ex lapide, propter ineptitudinem; non enim oportet quod quantum ad omnia, signa signatis respondeant.

4. Selon la décision de l’Église, le calice doit être en or, en argent ou en étain seulement, et non en airain ou en laiton, car, en raison de la force du vin, cela engendrerait de la rouille et provoquerait la nausée. [Il ne doit] pas non plus être en verre ou en cristal en raison de leur fragilité, ni en bois en raison sa porosité, car celui-ci boit le liquide qu’on y a versé. Ni en pierre, parce qu’elle ne s’y prête pas. En effet, il n’est pas nécessaire que les signes correspondent en tout à ce qui est signifié.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[15905] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod remotis his quae non sunt de essentia rei, nihilominus res manet; unde cum hujusmodi ritus quantum ad determinationem horae vel loci vel indumentorum, non sint de essentia sacramenti, sed de solemnitate, si omittantur, nihilominus consecratum est sacrificium, dummodo adsint ea quae sunt de essentia sacramenti, scilicet ordo et intentio ex parte consecrantis, et materia et forma ex parte consecrati. Tamen graviter peccat qui aliter facit, et degradandus esset.

Une fois enlevé ce qui ne fait pas partie de l’essence d’une chose, la chose demeure néanmoins. Puisque la détermination de l’heure, du lieu ou des vêtements de ce rite ne fait pas partie de l’essence du sacrement mais de sa solennité, s’ils sont omis, le sacrifice est néanmoins consacré, pourvu qu’y soit présent ce qui fait partie de l’essence du sacrement, à savoir, l’ordre et l’intention du côté de celui qui consacre, et la matière et la forme du côté de ce qui est consacré. Toutefois, celui qui agit autrement pèche gravement et doit perdre son grade.

[15906] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod leges divinae quae pertinent ad essentialem institutionem sacramenti, si mutentur, nihil fit, ut si alia materia esset vel forma; secus autem est de legibus quae pertinent ad solemnitatem sacramenti.

1. Rien n’est accompli si les lois divines qui se rapportent à l’institution essentielle du sacrement sont changées, comme si la matière ou la forme étaient différentes. Mais il en va autrement de ce qui se rapporte à la solennité du sacrement.

[15907] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod significatio rei sacramentalis est de essentia sacramenti; et hoc sufficienter habetur per materiam; et ideo significatio quae superadditur in aliquo ritu, est de solemnitate, non de essentia sacramenti.

2. La signification de la réalité sacramentelle fait partie de l’essence du sacrement, et elle est suffisamment présente par la matière. Aussi une signification qui est ajoutée dans un autre rite fait-elle partie de la solennité, et non de l’essence du sacrement.

[15908] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacramenta originem habent ex institutione divina; et ideo omissio alicujus quod sit ab Ecclesia institutum, non potest impedire quin verum sacramentum fiat. Impediret autem, si sacramenta ex institutione Ecclesiae efficaciam haberent, sicut actiones saeculares ex statutis principum ratificantur.

3. Les sacrements tirent leur origine d’une institution divine. C’est pourquoi l’omission de quelque chose qui a été institué par l’Église ne peut empêcher qu’il y ait un vrai sacrement. Mais cela l’empêcherait si les sacrements tiraient leur efficacité de l’institution de l’Église, comme les actions séculières tirent leur validité des décisions des dirigeants.

 

 

Articulus 3 [15909] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 tit. Utrum laicus possit dispensare corpus Christi

Article 3 – Un laïc peut-il dispenser le corps du Christ ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un laïc peut-il dispenser le corps du Christ ?]

[15910] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod laicus potest dispensare corpus Christi. Perfectio enim hujus sacramenti in materiae consecratione consistit, ut supra dictum est, non in usu sacramenti. Sed ordinati, sunt ministri sacramentorum. Ergo etsi consecratio materiae ad solos sacerdotes pertineat, tamen dispensatio debet ad omnes pertinere.

1. Il semble qu’un laïc puisse dispenser le corps du Christ. En effet, l’accomplissement de ce sacrement consiste dans la consécration de la matière, comme on l’a dit plus haut, et non dans l’usage du sacrement. Or, les ministres des sacrements sont ceux qui ont été ordonnés. Même si la consécration de la matière relève des seuls prêtres, leur dispensation doit cependant relever de tous.

[15911] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ab illis debet dispensari sacramentum qui cum reverentia ipsum tractant. Sed quidam laici sunt majoris reverentiae ad sacramentum quam etiam sacerdotes; et etiam mulieres interdum. Ergo per eos potest hoc sacramentum dispensari.

2. Un sacrement doit être dispensé par ceux qui les traitent avec révérence. Or, certains laïcs ont une plus grande révérence envers le sacrement que des prêtres, et même parfois des femmes. Le sacrement peut donc être dispensé par eux.

[15912] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut sacerdotis est dispensare corpus Christi, ita et tangere. Sed in aliquo casu licet tangere laico corpus Christi; puta, si videret ipsum in terra jacere, et non esset sacerdos qui tolleret. Ergo et in aliquo casu liceret ei dispensare.

3. De même qu’il appartient au prêtre de dispenser le corps du Christ, de même [lui appartient-il] de le toucher. Or, dans certains cas, il est permis à un laïc de toucher le corps du Christ, par exemple, s’il le voyait à terre et s’il n’y avait pas de prêtre pour le ramasser. Dans un cas, il lui serait donc permis de le dispenser.

[15913] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur de Consecr., dist. 2, cap. pervenit, ubi inhibetur ne etiam infirmis per laicos sacerdotes hoc sacramentum transmittant.

Cependant, [1] s’oppose à cela ce qui est dit dans «Sur la consécration», d. 2, c. «Pervenit», où il est interdit que les prêtres doivent faire parvenir ce sacrement aux malades par l’entremise de laïcs.

[15914] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad eosdem pertinet esse ministros Ecclesiae, et dispensatores mysteriorum Dei, 1 Cor. 4: sic nos existimet homo ut ministros Christi, et dispensatores mysteriorum Dei. Sed laici non sunt ministri Ecclesiae. Ergo non debent esse dispensatores sacramentorum.

[2] Il appartient aux mêmes d’être les ministres de l’Église et les dispensateurs des mystères de Dieu, 1 Co 4 : Que l’on nous considère donc comme des ministres du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu. Or, les laïcs ne sont pas des ministres de l’Église. Ils ne doivent donc pas être des dispensateurs des sacrements.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un diacre peut-il dispenser le corps du Christ ?]

[15915] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diaconus possit dispensare. Quia beatus Laurentius diaconus fuit. Sibi autem commissa fuit dispensatio dominici sanguinis, ut patet in legenda sua. Ergo diaconus potest dispensare.

1. Il semble que le diacre puisse dispenser [le corps du Christ], car le bienheureux Laurent était diacre. Or, la dispensation du sang du Christ lui avait été confiée, comme cela ressort de sa légende. Le diacre peut donc dispenser [le corps du Christ].

[15916] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, dispensatio hujus sacramenti ad populi curationem pertinet. Sed diaconus potest habere curam animarum. Ergo et ipse est dispensator hujus sacramenti.

2. La dispensation de ce sacrement relève de la charge d’un peuple. Or, le diacre peut avoir charge d’âmes. Il peut donc être aussi dispensateur de ce sacrement.

[15917] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit canon dist. 93: non oportet diaconum panem dare, idest corpus Christi.

Cependant, s’oppose à cela ce que dit le canon, d. 93 : «Le diacre ne doit pas donner le pain», c’est-à-dire le corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on recevoir licitement la dispensation de ce sacrement de la part d’un prêtre fornicateur, excommunié ou hérétique ?]

[15918] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis possit licite recipere dispensationem sacramenti a fornicario vel excommunicato vel haeretico sacerdote. Augustinus enim dicit: neque in homine bono, neque in homine malo aliquis sacramenta Dei fugiat. Ergo potest a quolibet sacerdote hoc sacramentum recipere.

1. Il semble que l’on puisse recevoir licitement la dispensation de ce sacrement de la part d’un prêtre fornicateur, excommunié ou hérétique. En effet, Augustin dit : «Qu’on ne s’éloigne pas des sacrements de Dieu à cause d’un homme bon ou d’un homme mauvais.» On peut donc recevoir ce sacrement de n’importe quel prêtre.

[15919] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus divina praevalet malitiae humanae. Sed sacramentum divina virtute continet gratiam, et causat. Ergo quantumcumque sit malus ille qui dederit, vel haereticus, consequitur gratiam qui ab eo sacramentum recipit.

2. La puissance divine l’emporte sur la méchanceté humaine. Or, le sacrement contient et cause la grâce par la puissance divine. Aussi méchant ou hérétique que soit celui qui l’aura donné, celui qui le reçoit de lui obtient donc la grâce.

[15920] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, iniquitas sacerdotis non potest ipsum corpus Christi inquinare. Sed hoc sacramentum ex ipso opere operato, quod est corpus Christi, gratiam confert. Ergo etiam si aliquis sit excommunicatus vel haereticus, sacramentum ab eo perceptum gratiam confert.

3. L’iniquité du prêtre ne peut souiller le corps même du Christ. Or, ce sacrement confère la grâce en vertu de cela même qui est réalisé, qui est le corps du Christ. Même si quelqu’un est excommunié ou hérétique, le sacrement reçu de lui confère donc la grâce.

[15921] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit canon: nullus Missam audiat sacerdotis quem scit concubinam indubitanter habere. Ergo peccat qui recipit sacramentum a concubinario sacerdote.

Cependant, [1] s’oppose à cela ce que dit le canon : «Que personne n’entende la messe d’un prêtre qu’il sait de manière certaine avoir une concubine.» Celui qui reçoit le sacrement d’un prêtre concubin pèche donc.

[15922] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus debet recipere sacramentum praeter institutionem Ecclesiae; quia indignus accederet. Sed aliqui secundum institutionem Ecclesiae sunt suspensi. Ergo non licet ab eis sacramenta recipere.

[2] Personne ne doit recevoir le sacrement sans respecter une décision de l’Église, car il s’en approcherait alors qu’il en est indigne. Or, certains [prêtres] sont suspens selon une décision de l’Église. Il n’est donc pas permis de recevoir d’eux les sacrements.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[15923] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in corpore naturali sunt quaedam membra principalia, per quae virtutes et operationes vitae a principio vitae ad cetera membra decurrunt; ita et in Ecclesia sacerdotes et alii ministri sunt quasi membra principalia quibus mediantibus sacramenta vitae populo dispensari debent; et ideo laicis, quantumcumque sanctis, sicut nec consecratio, ita nec dispensatio hujus sacramenti competit.

De même qu’il y a des membres principaux dans le corps naturel, par lesquels les puissances et les opérations de la vie parviennent aux autres membres depuis le principe de la vie, de même, dans l’Église, les prêtres et les autres ministres sont comme des membres principaux par l’intermédiaire desquels les sacrements de la vie doivent être dispensés au peuple. C’est pourquoi, de même que la consécration, la dispensation de ce sacrement ne relève-t-elle pas des laïcs, aussi saints soient-ils.

[15924] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in essentia sua sacramentum sit perfectum sine usu sacramenti, tamen perfectionem quantum ad effectum sine usu non habet; et ideo etiam usus sacramenti hujus ad dispensationem ministrorum Ecclesiae pertinet.

1. Bien que le sacrement soit accompli dans son essence sans l’usage du sacrement, cependant son effet n’est pas accompli sans l’usage du sacrement. C’est pourquoi l’usage même de ce sacrement relève d’une dispensation par les ministres de l’Église.

[15925] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc sacramento ad reverentiam ipsius non solum exigitur sanctificatio morum, sed etiam sacramentalis sanctificatio: quia et ipse calix in quo sanctitas morum esse non potest, consecratur propter reverentiam sacramenti; et similiter in dispensante hoc sacramentum debet esse utraque sanctificatio; unde et manus sacerdotis unctione sanctificantur, sicut et calix. Et quia laicus hanc sanctitatem non habet, ideo non potest hoc sacramentum dispensare.

2. Pour ce sacrement, non seulement la sanctification du comportement est nécessaire pour la révérence envers lui, mais aussi une sanctification sacramentelle, car le calice lui-même, pour lequel il ne peut y avoir de sainteté du comportement, est consacré par révérence pour le sacrement. De même, chez celui qui dispense ce sacrement, doit-il exister une double sanctification. Aussi la main du prêtre est-elle sanctifiée par une onction, comme le calice. Et parce que le laïc n’a pas cette sainteté, il ne peut donc pas dispenser ce sacrement.

[15926] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut Baptismum conferre competit sacerdoti ex officio, tamen laicus in casu necessitatis non peccat baptizans; ita tangere corpus Christi ex officio soli sacerdoti competit; sed in casu necessitatis potest et debet laicus corpus Christi tangere, etiam si sit peccator, ut si in aliquo loco immundo jaceret. Sed non est simile de dispensatione sacramenti: quia receptio hujus sacramenti non est necessitatis; unde ei qui non potest sacramentaliter manducare, dicendum est: crede et manducasti.

3. De même qu’il appartient au prêtre de conférer le baptême en vertu de sa fonction, mais qu’un laïc ne pèche cependant pas en baptisant en cas de nécessité, de même, toucher le corps du Christ relève-t-il seulement du prêtre en vertu de sa fonction, mais, en cas de nécessité, un laïc peut-il et doit-il toucher le corps du Christ, même s’il est pécheur, comme lorsqu’il est tombé dans un endroit impur. Mais il n’en va pas de même de la dispensation du sacrement, car la réception de ce sacrement n’est pas nécessaire. Aussi faut-il dire à celui qui ne peut manger sacramentellement : «Crois, et tu as mangé.»

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[15927] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod dispensatio hujus sacramenti proprie ad sacerdotem pertinet, eo quod ipse repraesentat Christum, qui fuit mediator Dei et hominum; unde cum hoc sacramentum sit ad reconciliandum nos Deo, oportet per sacerdotem, qui est mediator inter Deum et populum, dispensari. Sed sicut sacerdos, ut dictum est, participat aliquid de virtute perfectiva, quae est episcopi, ita diaconus participat aliquid de dispensatione hujus sacramenti: competit enim ei ex officio sanguinem domini dispensare, sed non corpus: quia dispensator corporis oportet quod ipsum corpus tangat, non autem dispensator sanguinis: diacono autem non licet corpus Christi tangere, cum non habeat manus sacratas; et ideo non debet corpus dispensare nisi de mandato presbyteri vel episcopi, vel presbytero longe posito in casu necessitatis. Vel ideo dispensat sanguinem et non corpus, quia per sanguinem significatur redemptionis mysterium, quod a capite Christi in membra diffunditur officio ministrorum; unde et sanguini aqua, quae populum significat, admiscetur; sed incarnatio, quam corpus Christi significat, non est humano ministerio facta.

La dispensation de ce sacrement appartient en propre au prêtre du fait qu’il représente le Christ, qui a été le médiateur entre Dieu et les hommes. Puisque ce sacrement vise à nous réconcilier avec Dieu, il faut donc qu’il soit dispensé par le prêtre, qui est médiateur entre Dieu et le peuple. Mais, comme on l’a dit, de même que le prêtre possède par participation quelque chose de la puissance de perfectionnement qui appartient à l’évêque, de même le diacre possède-t-il par participation quelque chose de la dispensation de ce sacrement. En effet, il lui revient de dispenser le sang du Christ en vertu de sa fonction, mais non le corps, car le dispensateur du corps doit toucher le corps lui-même, mais non le dispensateur du sang. Or, il n’est pas permis au diacre de toucher le corps du Christ puisqu’il n’a pas les mains consacrées. Il ne doit donc pas dispenser le corps, si ce n’est sur l’ordre du prêtre ou de l’évêque, ou, en cas de nécessité, si le prêtre est loin. Ou bien il dispense le sang, mais non le corps, parce que le mystère de la rédemption est signifié par le sang, [mystère] qui se répand dans les membres depuis la tête qu’est le Christ par la fonction des ministres. Aussi l’eau, qui signifie le peuple, est-elle mélangée au sang ; mais l’incarnation, que signifie le corps du Christ, n’est pas réalisée par un ministère humain.

[15928] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis fuerit dispensator sanguinis, non tamen legitur fuisse dispensator corporis; unde et adhuc hodie in quibusdam Ecclesiis sanguis per diaconum ministris altaris dispensatur.

1. Bien qu’il ait été dispensateur du sang, on ne lit pas qu’il ait été dispensateur du corps. Aussi, encore aujourd’hui, le sang est-il dispensé aux ministres de l’autel par le diacre.

[15929] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diaconus potest habere curam animarum quantum ad ea quae jurisdictionis sunt, sed non quantum ad ea quae sunt ordinis: dispensatio autem sacramentorum ad ordinem pertinet.

2. Le diacre peut avoir charge d’âmes pour ce qui relève de la juridiction, mais non pour ce qui relève de l’ordre. Or, la dispensation des sacrements relève de l’ordre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[15930] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod si aliquis cum peccato ad hoc sacramentum accedit, magis cedit ei in nocumentum quam in profectum. Quicumque autem contra ordinationem Ecclesiae accedit, per inobedientiam peccat. Simoniaci autem et schismatici et excommunicati ex statuto Ecclesiae a dispensatione hujus sacramenti sunt suspensi: quia sunt extra unitatem Ecclesiae, in qua sacramenta conferuntur; et similiter interdictum est concubinariis sacerdotibus propter spiritualitatem maximam quae in hoc sacramento requiritur. Unde si aliquis ab aliquo praedictorum sacramentum suscipiat, peccat, et sic gratiam non consequitur. Tamen differt de fornicariis et aliis praedictis: quia aliis non debet homo communicare in divinis scienter, quantumcumque sint occulti; sed concubinarii sacerdotes non sunt vitandi, nisi sint notorii. Et dicuntur notorii tribus modis: vel propter sententiam, quia convicti sunt; vel per confessionem in jure factam; vel per rei evidentiam, sicut quando est ita manifestum quod nulla potest tergiversatione celari. Ab aliis autem peccatoribus licet sacramenta recipere.

Si quelqu’un s’approche de ce sacrement avec un péché, [le sacrement] lui nuira plutôt qu’il ne lui profitera. Or, quiconque s’en approche à l’encontre d’une disposition de l’Église pèche par désobéissance. Ainsi, les simoniaques, les schismatiques et les excommuniés par décision de l’Église sont suspens de ce sacrement, parce qu’ils sont en dehors de l’unité de l’Église, dans laquelle les sacrements sont conférés. De même cela a-t-il été interdit aux prêtres concubins en raison de la très haute spiritualité requise par ce sacrement. Si quelqu’un reçoit un sacrement de l’un de ceux qui ont été mentionnés, il pèche donc et ainsi n’obtient pas la grâce. Toutefois, il y a une différence entre les fornicateurs et les autres qui ont été mentionnés, car on ne doit pas communier par les sacrements avec les autres, aussi occultes soient-ils, mais les prêtres concubins ne doivent être évités que s’ils sont notoires. Et l’on dit qu’ils sont notoires de trois façons : en raison d’une sentence, parce qu’ils ont été condamnés ; en raison d’une confession faite selon le droit ; en raison de l’évidence de la chose, comme lorsque cela est si manifeste que cela ne peut être caché sans aucune hésitation. Mais il est permis de recevoir les sacrements des autres pécheurs.

[15931] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inquantum est malus, non fugitur, sed propter Ecclesiae prohibitionem. Vel dicendum, quod Augustinus dicit quod sacramenta non sunt fugienda, quia cognoscendum est etiam ab eis verum perfici sacramentum.

1. On ne le fuit pas parce qu’il est mauvais, mais en raison d’une interdiction de l’Église. Ou bien il faut dire qu’Augustin dit que les sacrements qu’on ne doit pas fuir les sacrements, parce qu’il faut aussi savoir qu’un vrai sacrement est accompli par eux.

[15932] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sacramentum virtutem suam non amittat, tamen in eo qui indigne accedit contra obedientiam Ecclesiae faciens, effectum non habet.

2. Bien que le sacrement ne perde pas sa puissance, il n’a cependant pas son effet chez celui qui s’en approche indignement en agissant à l’encontre de l’obéissance à l’Église.

[15933] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [À propos de l’hérésie]

 

 

Prooemium

Prologue

[15934] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 pr. Deinde quaeritur de haeresi; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quid faciat haereticum; 2 utrum haeresis sit majus peccatum aliis; 3 utrum haeretici sint tolerandi.

On s’interroge ensuite sur l’hérésie. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce qui rend hérétique ? 2 – Est-ce que l’hérésie est un péché plus grand que les autres ? 3 – Est-ce que les hérétiques doivent être tolérés ?

Articulus 1 [15935] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 tit. Utrum haeresis dicat perversitatem fidei

Article 1 – Est-ce que l’hérésie indique une déviation de la foi ?

 

Ad primum sic proceditur. Videtur quod haeresis non dicat perversitatem fidei. Haeresis enim, ut dicit Isidorus, idem est quod divisio. Divisio autem unioni opponitur; unio autem fit per caritatem, quia amor est unitiva virtus, ut dicit Dionysius. Ergo haeresis non pertinet ad perversitatem fidei, sed magis ad perversitatem odii.

Objections

1. Il semble que l’hérésie n’indique pas une déviation de la foi. En effet, comme le dit Isidore, l’hérésie est la même chose que la division. Or, la division s’oppose à l’union, et l’union est réalisée par la charité, car l’amour est une vertu qui unit, comme le dit Denys. L’hérésie ne concerne donc pas une déviation de la foi, mais la déviation de la haine.

[15937] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, schisma divisionem importat; et ita videntur schismatici haeretici esse. Sed schismatici non semper habent fidei perversitatem. Ergo haeresis non consistit in perversitate fidei.

2. Le schisme comporte une division ; ainsi, les schismatiques paraissent être hérétiques. Or, les schismatiques ne dévient pas toujours de la foi. L’hérésie ne consiste donc pas dans une déviation de la foi.

[15938] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, simoniaci non errant in fide. Sed tamen simoniaci sunt haeretici: quia, ut dicit Gregorius in registro: qui per pecuniam ordinatur, haereticus promovetur. Ergo haeresis non importat errorem in fide.

3. Les simoniaques n’errent pas par rapport à la foi. Or, les simoniaques sont cependant des hérétiques, car, comme le dit Grégoire dans le Registre : «Celui qui est ordonné pour de l’argent est promu alors qu’il est hérétique.» L’hérésie ne comporte donc pas une erreur par rapport à la foi.

[15939] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, superstitio religioni opponitur, non fidei. Sed haeresis superstitio dicitur. Ergo non pertinet ad fidei perversitatem, sed magis ad perversitatem religionis.

4. La superstition s’oppose à la religion, et non à la foi. Or, l’hérésie est appelée une superstition. Elle ne concerne donc pas une déviation par rapport à la foi, mais plutôt une déviation par rapport à la religion.

[15940] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Hieronymus dicit, quod ex verbis inordinate prolatis incurritur haeresis. Sed fides non consistit in verbis oris, sed in assensu cordis. Ergo haeresis non dicit perversitatem fidei.

5. Jérôme dit qu’on encourt l’hérésie par des paroles proférées de manière désordonnée. Or, la foi ne consiste pas dans des paroles de la bouche, mais dans l’assentiment du cœur. L’hérésie n’indique donc pas une déviation par rapport à la foi.

[15941] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, multa sunt de his quae ad fidem pertinent, in quibus sunt contrariae opiniones; et sic oportet alteram earum esse falsam; nec tamen aliqua judicatur haeretica. Ergo tota ratio haeresis non consistit in perversitate fidei.

6. Il existe beaucoup de choses se rapportant à la foi à propos desquelles il existe des opinions contraires ; ainsi, il faut que l’une d’elles soit fausse, sans que l’une [d’elles] soit cependant jugée hérétique. L’essence de l’hérésie ne consiste donc pas entièrement dans une déviation par rapport à la foi.

[15942] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, Judaei habent perversam fidem, nec tamen haeretici dicuntur. Ergo omnis haeresis non consistit in perversitate fidei.

7. Les Juifs ont une foi détournée ; ils ne sont cependant pas appelés hérétiques. Toute hérésie ne consiste donc pas dans une déviation par rapport à la foi.

[15943] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 8 Praeterea, multi habent perversam fidem qui non habent novam opinionem, sicut Manichaei. Sed habere novam opinionem est de essentia haeresis, sicut patet per definitionem Augustini. Ergo et cetera.

8. Plusieurs ont une foi déviante, qui n’ont pas une opinion nouvelle, comme les manichéens. Or, avoir une opinion nouvelle fait partie de l’essence de l’hérésie, comme cela ressort de la définition d’Augustin. Donc, etc.

[15944] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, multi habent perversam opinionem in iis quae sunt fidei, qui ex hoc nullum commodum temporale sperant. Sed hoc est de essentia haeresis, ut patet per Augustinum. Ergo et cetera.

9. Plusieurs ont une opinion déviante en matière de foi, qui n’en espèrent aucun avantage temporel. Or, cela fait partie de l’essence de l’hérésie, comme cela ressort de ce que dit Augustin. Donc, etc.

[15945] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, haeresis est peccatum. Ergo alicui virtuti opponitur. Sed nulla cognitio inter virtutes computatur nisi fides. Ergo cum haeresis ad cognitionem pertineat, ut ex definitione Augustini patet; ubi supra, videtur quod haeresis sit perversitas fidei.

Cependant, [1] l’hérésie est un péché. Elle s’oppose donc à une vertu. Or, aucune connaissance n’est comptée parmi les vertus, si ce n’est la foi. Puisque l’hérésie se rapporte à la connaissance, comme cela ressort de la définition d’Augustin, à l’endroit indiqué plus haut, il semble donc que l’hérésie soit une déviation par rapport à la foi.

[15946] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc patet ex communi usu loquendi.

[2] Cela ressort clairement de la manière générale de parler.

 [15947] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomen haeresis Graecum est, et electionem importat secundum Isidorum; unde et haeretica divisiva dicuntur. Et quia in electione fit divisio unius ab altero, electio prohaeresis dicitur, ut patet 9 Metaphys. Divisio autem contingit alicui parti per recessum a toto. Prima autem congregatio quae est in hominibus, est per viam cognitionis, quia ex hac omnes aliae oriuntur; unde et haeresis consistit in singulari opinione praeter communem opinionem. Unde et philosophi qui quasdam positiones habebant praeter communem sententiam aliorum, sectas vel haereses proprias constituebant. Sed quia nullus denominatur ab eo quod inest sibi imperfecte, sed solum quando confirmatur in illo (sicut non dicitur iracundus cui inest passio irae, sed qui passibilis est de facili ab ea; neque qui habet dispositionem dicitur sanus), ideo neque haereticus nominatur nisi qui in singulari opinione firmam habet stabilitatem; unde etiam competit ei nomen haeresis, secundum quod in electionem sonat: quia quod in electione fit, quasi ex habitu firmato procedit. Competit ei etiam nomen haeresis, secundum quod Latinum est, ab haerendo dictum: quia suae opinioni vehementer inhaeret. Et quia congregatio corporis mystici per unitatem verae fidei primo constituitur, ideo haereticus secundum nos dicitur qui a communi fide, quae Catholica dicitur, discedit, contrariae opinioni vehementer inhaerens per electionem.

Réponse

Le mot «hérésie» est grec et, selon Isidore, il comporte un choix. Aussi les hérésies provoquent-elles des divisions. Et parce que, par le choix, on sépare une chose d’une autre, le choix est appelé «prohérésie», comme cela ressort de Métaphysique, IX. Or, la division survient dans quelque chose lorsqu’elle s’éloigne du tout. Or, le premier rassemblement qui existe parmi les hommes se réalise par la voie de la connaissance, car tous les autres viennent de celui-ci. Aussi l’hérésie consiste-t-elle dans une opinion particulière hors de l’opinion commune. Ainsi, les philosophes qui avaient des positions hors de la position commune des autres constituaient-ils des sectes ou des hérésies propres. Mais parce que personne n’est désigné selon ce qui existe chez lui d’une manière imparfaite, mais seulement lorsqu’il y est confirmé (ainsi, on n’appelle pas coléreux celui chez qui existe la passion de la colère, mais celui qui en est facilement affectée ou celui qui y est disposé), on n’appelle non plus hérétique que celui qui est solidement établi dans son opinion particulière. De sorte que le mot «hérésie» lui convient au sens où celle-ci comporte un choix, car ce qui est fait par choix vient pour ainsi dire d’un habitus solidement implanté. Le mot «hérésie» lui convient aussi selon qu’il vient du latin «adhérer», car il adhère avec véhémence à son opinion. Et parce que le rassemblement du corps mystique est d’abord constitué par l’unité de la vraie foi, nous appelons donc hérétique celui qui se sépare de la foi commune, appelée catholique, en adhérant par choix avec véhémence à une opinion contraire.

[15948] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod amor facit completam unionem; sed principium unionis est ex cognitione; et ideo divisio quae est in fide, haeresim constituit.

Solutions

1. L’amour réalise l’union complète. Mais le principe de l’union vient de la connaissance. C’est pourquoi la division portant sur la foi constitue l’hérésie.

[15949] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod schisma importat divisionem oppositam caritatis unioni: dicuntur enim schismatici qui concordiam non servant in Ecclesiae observantiis, ut Ecclesiae praelatis obediant, volentes per se Ecclesiam constituere singularem: et isti in principio perversum dogma non habent, sed ab Ecclesiae fundamento recedentes in vaniloquium vertuntur, et perversum aliquod confingunt, et sic in fine in haeresim labuntur; unde Hieronymus dicit, quod haeresis et schisma differunt sicut genus et species.

2. Le schisme comporte une division opposée à l’union de la charité. En effet, on appelle schismatiques ceux qui n’observent pas la concorde dans les observances de l’Église, de sorte qu’ils obéissent aux prélats qui veulent constituer par eux-mêmes une église particulière. Au départ, ceux-ci n’ont pas une position déviante, mais, en s’éloignant du fondement de l’Église, ils se tournent vers des paroles futiles et inventent quelque chose de déviant, de sorte que, à la fin, ils tombent dans l’hérésie. Aussi Jérôme dit-il que l’hérésie et le schisme diffèrent comme le genre et l’espèce.

[15950] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod simoniaci quandoque dicuntur per similitudinem haeretici: quia sicut haereticus contra fidem sentit, ita simoniacus operatur ac si contra fidem sentiret, dum pretio sacra vult adipisci vel dare, ac si aestimaret donum spiritus sancti pecunia possideri.

3. On parle parfois de simoniaques par ressemblance avec les hérétiques, car, de même que l’hérétique pense contrairement à la foi, de même le simoniaque agit comme s’il pensait contrairement à la foi, alors qu’il veut obtenir ou donner des choses sacrées à prix d’argent, comme s’il estimait qu’un don de l’Esprit Saint est possédé par de l’argent.

[15951] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides est primum eorum quae ad religionem requiruntur: quia omnis religio, sive cultus Dei, est quaedam fidei protestatio; et ideo veritas fidei dicitur veritas quae secundum pietatem est, Tit. 1; ideo etiam ea quae haeresis sunt, ad superstitionem pertinent.

4. La foi est la première des choses qui sont nécessaires à la religion, car toute religion ou culte de Dieu est une certaine attestation de la foi. C’est pourquoi la vérité de la foi est appelée la vérité conforme à la piété, Tt 1. Ainsi, tout ce qui relève de l’hérésie relève de la superstition.

[15952] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fides principaliter consistit in corde et primo, sed secundario in ore: quia corde creditur ad justitiam, ore confessio fit ad salutem; Rom. 10, 10; et similiter haeresis principaliter consistit in corde, secundum quod Hilarius dicit: intellective sensus in animo est, sed secundario in ore. Unde Hieronymus dicit, quod ex verbis inordinate prolatis incurritur haeresis, non quia haeresis per se in his consistat, sed quia sunt occasio et causa erroris.

5. La foi se situe en premier lieu et principalement dans le cœur, mais de manière secondaire dans la bouche, car c’est par le cœur qu’on croit en vue de la justice, et par la bouche qu’on confesse en vue du salut, Rm 10, 10. De la même manière, l’hérésie se situe dans le cœur, selon ce que dit Hilaire : «La compréhension intellectuelle se trouve dans l’esprit, mais, de manière secondaire, dans la bouche.» Aussi Jérôme dit-il qu’on encourt l’hérésie par des paroles proférées de manière désordonnée, non pas parce que l’hérésie consiste par soi dans celles-ci, mais parce qu’elles sont occasion et cause d’erreur.

[15953] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in fide sunt aliqua ad quae explicite cognoscenda omnis homo tenetur; unde si in his aliquis errat, infidelis reputatur, et haereticus, si pertinaciam adjungat. Si autem sunt aliqua ad quae explicite credenda homo non tenetur, non efficietur haereticus in his errans; ut si aliquis simplex credat, Jacob patrem fuisse Abrahae, quod est contra veritatem Scripturae quam fides profitetur, quousque hoc sibi innotescat, quod fides Ecclesiae contrarium habet: quia non discedit per se loquendo a fide Ecclesiae nisi ille qui scit hoc a quo recedit, de fide Ecclesiae esse. Et quia quaedam sunt quae in fide Ecclesiae implicite continentur, ut conclusiones in principiis; ideo in his diversae opiniones sustinentur, quousque per Ecclesiam determinatur quod aliquid eorum contra fidem Ecclesiae est, quia ex eo sequitur aliquid contrarium fidei directe.

6. Dans la foi, il y a certaines choses que tous sont tenus de connaître. Si quelqu’un erre pour celles-ci, il est considéré comme infidèle, et hérétique s’il y joint l’entêtement. S’il y a des choses auxquelles on n’est pas tenu de croire explicitement, on ne deviendra pas hérétique en s’y trompant. Par exemple, si un homme sans instruction croit que Jacob a été le père d’Abraham, ce qui est contraire à la vérité de l’Écriture que professe la foi, jusqu’à ce qu’il soit porté à sa connaissance que la foi de l’Église tient le contraire. Car, à proprement parler, ne se sépare de la foi de l’Église que celui qui sait que ce dont il s’écarte fait partie de la foi de l’Église. Et parce que certaines choses sont implicitement contenues dans la foi de l’Église, comme des conclusions dans les principes, diverses opinions sont soutenues dans ces matières, jusqu’à ce qu’il soit déterminé par l’Église que l’une d’elles est contraire à la foi de l’Église, car il en découle que quelque chose est directement contraire à la foi.

[15954] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod dividi non convenit nisi parti; et ideo illi qui nunquam fuerunt de fide Ecclesiae, non reputantur haeretici, si perversam fidem habeant, ut Judaei vel Pagani: quia nunquam fuerunt partes hujus totius quod est Ecclesia.

7. Être divisée ne convient qu’à une partie. C’est pourquoi ceux qui n’ont jamais appartenu à la foi de l’Église ne sont pas estimés hérétiques s’ils ont une foi déviante, tels les Juifs et les païens, car ils n’ont jamais fait partie de ce tout qu’est l’Église.

[15955] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnis opinio quae non habet initium a doctrina Christi, quae est fundamentum, nova reputatur, quantumcumque secundum tempus sit antiqua. Vel dicendum, quod Augustinus loquitur quantum ad primos haeresum inventores.

8. Toute opinion qui ne tire pas son origine de l’enseignement du Christ, qui est le fondement, est estimée nouvelle, aussi ancienne soit-elle dans le temps. Ou bien il faut dire qu’Augustin parle des premiers inventeurs d’hérésies.

[15956] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod illi qui haeresim confingunt de novo, constat quod aliquod expectant commodum, saltem principatum: volunt enim habere sequaces. Hoc etiam in omnibus ex superbia procedit, quae est amor propriae excellentiae, quod a communi via discedunt animi levitate aut perversitate.

9. Il est certain que ceux qui inventent une nouvelle hérésie en attendent un avantage, tout au moins un premier rang : en effet, ils veulent avoir des partisans. Cela vient aussi chez tous de l’orgueil, qui est l’amour de sa propre excellence, qu’ils s’écartent de la voie commune par légèreté d’esprit ou par déviance.

 

 

Articulus 2 [15957] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 tit. Utrum haeresis sit maximum peccatum

Article 2 – L’hérésie est-elle le plus grand péché ?

 

[15958] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haeresis non sit maximum peccatum. Maxima enim peccata videntur esse principalia peccata: quia illud est maximum in unoquoque genere quod est principale. Sed haeresis non est principale vitium. Ergo non est maximum.

Objections

1. Il semble que l’hérésie ne soit pas le plus grand péché. En effet, les plus grands péchés semblent être les péchés principaux, car c’est ce qui est principal qui appartient le plus à chaque genre. Or, l’hérésie n’est pas le vice principal. Elle n’est donc pas le plus grand.

[15959] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 8 Ethic., pessimum opponitur optimo. Sed fides cui opponitur haeresis, non est optima virtutum. Ergo nec haeresis est maximum peccatum.

2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, le pire est opposé au meilleur. Or, la foi à laquelle s’oppose l’hérésie n’est pas la plus grande des vertus. L’hérésie n’est donc pas le plus grand péché.

[15960] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod excusat, non est maximum peccatorum. Sed haeresis vel infidelitas excusat; 1 Tim., 1, 13: sed misericordiam consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate mea. Ergo haeresis non est maximum peccatum.

3. Ce qui excuse n’est pas le plus grand des péchés. Or, l’hérésie ou l’infidélité excuse. 1 Tm 1, 13 : Mais j’ai obtenu miséricorde, car c’est par ignorance que j’ai agi alors que je n’avais pas la foi. L’hérésie n’est donc pas le plus grand péché.

[15961] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum mensuram peccati est mensura poenae. Sed secundum Hieronymum, peccatum schismatis est magis punitum quam aliquod aliud peccatum: quia absorpti sunt a terra; ut patet Numer. 16. Ergo haeresis non est maximum peccatum.

4. Le mesure de la peine correspond à la mesure du péché. Or, selon Jérôme, le péché de schisme est davantage puni qu’un autre péché, car [les schismatiques] sont avalés par la terre, comme cela ressort de Nb 16. L’hérésie n’est donc pas le plus grand péché.

[15962] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, peccatum in spiritum sanctum est gravius ceteris peccatis. Sed haeresis non est hujusmodi. Ergo non est gravissimum.

5. Le péché contre l’Esprit Saint est plus grave que les autres péchés. Or, l’hérésie n’est pas de cette sorte. [Le péché] d’hérésie n’est donc pas le plus grave.

[15963] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, in epistola Clementis dicitur, quod primum locum in poenis habent qui aberrant a Deo. Sed tales sunt haeretici. Ergo et cetera.

Cependant, [1] dans la lettre de Clément, il est dit que ceux qui s’éloignent de Dieu ont la première place pour les peines. Or, tels sont les hérétiques. Donc, etc.

[15964] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: gravissime peccas, si ignoras. Sed haeretici ignorantiam Dei habent. Ergo gravissime peccant.

[2] Ambroise dit : «Ton péché est le plus grave si tu ignores.» Or, les hérétiques ignorent Dieu. Ils commettent donc le péché le plus grave.

[15965] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Dionysius dicit, quod ille qui habet participationem quamdam sacratissimarum consummationum, non est aequalis universaliter indocto, et non participanti aliquam divinarum teletarum, idest consecrationum. Sed tales sunt haeretici. Ergo alii peccatores non sunt eis aequandi in malo.

[3] Denys dit que celui qui participe à l’une des fonctions les plus sacrées n’est pas l’égal de celui qui est en tout ignorant et qui ne participe pas à l’une des consécrations divines. Or, telles sont les hérétiques. Les autres pécheurs ne doivent donc pas leur être égalés dans le mal.

[15966] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod unumquodque dicitur malum quia nocet. Unde cum haeresis plus noceat quam aliquod aliud peccatum, quia subvertit fundamentum omnium bonorum, sine quo nihil boni remanet; ideo haeresis est ex genere suo maximum peccatorum, quamvis ex accidenti aliquod peccatum possit esse gravius; sicut si multum cresceret contemptus Dei in aliquo quod etiam ex genere suo esset veniale. Sed de eo quod est secundum accidens, non est curandum in arte, ut philosophus dicit in 5 Ethic.

Réponse

On dit que quelque chose est mal parce que cela est nuisible. Comme l’hérésie nuit davantage qu’un autre péché, puisqu’elle bouleverse le fondement de tous les biens sans lequel il ne reste rien de bon, l’hérésie est donc par son genre même le plus grand des péchés, bien que par accident un péché puisse être plus grave ; ainsi, si le mépris de Dieu était de beaucoup accru dans quelque chose qui de soi est véniel. Mais, lorsqu’il s’agit d’art, il ne faut pas s’occuper de ce qui existe par accident, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V.

 [15967] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut secundum philosophum in 7 Ethic., bestialitas ponitur extra numerum aliarum humanarum malitiarum, quia humanum modum transcendit; ita a sanctis ponitur haeresis extra numerum peccatorum, quae in fidelibus inveniuntur, quasi gravius eis; et ideo non computatur inter vitia capitalia, nec inter eorum filias: quia vitia capitalia, secundum Isidorum in Glossa Deuteronom. 7, signantur per septem populos, qui in terra promissionis non remanserunt. Tamen si ad aliquod de septem capitalibus reduci debeat, poterit ad superbiam reduci, ut per definitionem Augustini in littera positam patet.

Solutions

1. De même que, selon le Philosophe dans Éthique, VII, la bestialité n’est pas comptée parmi les autres méchancetés humaines, parce qu’elle déborde le mode humain, de même l’hérésie est placée par les saints hors du nombre des péchés qui se trouvent chez les fidèles, parce qu’elle est plus grave qu’eux. Elle n’est donc pas comptée parmi les vices capitaux. Selon Isidore, dans la glose sur Dt 7, ils sont signifiés par les sept peuples qui ne sont pas restés dans la terre promise. Toutefois, si elle devait être ramenée à l’un des sept [vices] capitaux, elle pourrait être ramenée à l’orgueil, comme cela ressort de la définition d’Augustin donnée dans le texte.

[15968] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum philosophi intelligendum est in his quae non sunt ordinata ad invicem, in quibus destructo uno alterum non destruitur. Sed in ordinatis ad invicem destructio prioris semper est pejor, sive illud sit melius, sive non; quia eo remoto consequentia removentur; sicut aegritudo est pejor quam sanitas.

2. La parole du Philosophe doit s’entendre des choses qui ne sont pas ordonnées les unes aux autres, où l’une n’est pas détruite lorsqu’une autre est détruite. Mais, dans les choses qui sont ordonnées les unes aux autres, la destruction de la première est toujours pire, qu’elle soit meilleure ou non, car, celle-ci enlevée, celles qui suivent sont enlevées, comme la maladie est pire que la santé.

[15969] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut fides habet aliquid in affectu, ita et haeresis; et quamvis ex illa parte qua habet ignorantiam in intellectu, aliquo modo excusare possit; tamen secundum quod habet duritiam in affectu ad non obediendum primae veritati, nihil prohibet eam esse maximum peccatorum.

3. De même que la foi comporte un aspect affectif, de même aussi l’hérésie. Bien que, sous l’aspect où elle comporte une ignorance de l’intellect, elle puisse excuser d’une certaine manière, cependant, en tant qu’elle comporte une résistance affective à obéir à la Vérité première, rien n’empêche qu’elle soit le plus grand des péchés.

[15970] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis schisma fuerit gravius punitum quantum ad novitatem poenae (quod expediebat ut praelati Ecclesiae non contemnerentur), tamen infidelitas est magis punita quantum ad multitudinem punitorum, ut patet Exod. 20.

4. Bien que le schisme ait été plus gravement puni en raison du caractère extraordinaire de la peine (ce qui convenait pour que les prélats de l’Église ne soient pas méprisés), l’infidélité est cependant davantage punie pour ce qui est du grand nombre de ceux qui sont punis, comme cela ressort de Ex 20.

[15971] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod haeresis, secundum quod pertinaciam importat, species est peccati in spiritum sanctum, quia est impugnatio veritatis agnitae.

5. Pour autant qu’elle comporte l’entêtement, l’hérésie est une espèce du péché contre l’Esprit Saint, car elle est une attaque contre une vérité connue.

 

 

Articulus 3 [15972] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 tit. Utrum haeretici sint sustinendi

Article 3 – Les hérétiques doivent-ils être endurés ?

 

Ad tertium sic proceditur. Videtur quod haeretici sint sustinendi. Nihil enim debet impugnari, nisi quod est contra amicitiam. Sed diversitas opinionum non est contra concordiam amicitiae, ut philosophus in 1 Ethic., cap. 6, innuit. Ergo non sunt impugnandi.

Objections

1. Il semble que les hérétiques doivent être endurés. En effet, on ne doit s’en prendre qu’à ce qui est contraire à l’amitié. Or, la diversité des opinions n’est pas contraire à la concorde de l’amitié, comme l’insinue le Philosophe dans Éthique, VI. Il ne faut donc pas les combattre.

[15974] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, quod est necessarium, non est impediendum. Sed haeresis est necessaria Ecclesiae: 1 Corinth. 11, 19: necesse est haereses esse, ut qui probati sunt, manifesti fiant. Ergo non sunt impugnandi.

2. Ce qui est nécessaire ne doit pas être empêché. Or, l’hérésie est nécessaire à l’Église, 1 Co 11, 19 : Il est nécessaire qu’il y ait des hérésies afin que ceux qui ont été mis à l’épreuve soient mis en évidence. Il ne faut donc pas les combattre.

[15975] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, Matth. 13, dominus praecipit ut zizania permitterentur crescere usque ad messem. Messis autem est finis saeculi. Cum ergo haeretici sint zizania, videtur quod debeant permitti crescere usque ad finem mundi.

3. En Mt 13, le Seigneur a ordonné de laisser croître l’ivraie jusqu’à la moisson. Or, la moisson est la fin des temps. Puisque les hérétiques sont l’ivraie, il semble donc qu’on doive les laisser croître jusqu’à la fin du monde.

[15976] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, nullus sapiens debet niti ad hoc quod consequi non potest. Sed, sicut dicit quaedam Glossa Isai. 7, quamdiu stabit mundus, sapiens, saecularis, et haereticus sermo dominabuntur. Ergo non debet Ecclesia niti ad haeresum impugnationem.

4. Aucun sage ne doit consacrer ses efforts à ce qui ne peut être obtenu. Or, comme le dit une glose du Is 7, aussi longtemps que durera le monde, le sage selon le siècle et le discours hérétique l’emporteront. L’Église ne doit donc pas s’efforcer de combattre les hérésies.

[15977] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, nullus credit non volens, ut dicit Augustinus. Sed haeretici in fide errant. Ergo non sunt cogendi.

5. Personne n’a la foi sans le vouloir, comme le dit Augustin. Or, les hérétiques se trompent en matière de foi. Il ne faut donc pas les forcer.

[15978] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 5, apostolus praecepit esse extirpandum vetus fermentum, quia totam massam corrumpit. Sed haeretici Ecclesiam maxime corrumpunt. Ergo sunt ab Ecclesia extirpandi.

Cependant, [1] en 1 Co 5, l’Apôtre a ordonné d’extirper le vieux levain parce qu’il corrompt toute la masse. Or, les hérétiques corrompent l’Église au plus haut point. Ils doivent donc être extirpés par l’Église.

[15979] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, lupi sunt ab ovibus arcendi pastorum officio, ut patet Joan. 2. Sed haeretici sunt lupi, ut patet Act. 20. Ergo debent extirpari.

[2] Les loups doivent être écartés des brebis par la fonction des pasteurs, comme cela ressort de Jn 2. Or, les hérétiques sont des loups, comme cela ressort de Ac 20. Ils doivent donc être extirpés.

[15980] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, vita spiritualis est melior quam corporalis. Sed homicidae extirpantur, quia auferunt hominibus vitam corporalem. Ergo multo amplius haeretici, qui auferunt hominibus vitam spiritualem.

[3] La vie spirituelle est meilleure que la vie corporelle. Or, les homicides doivent être extirpés parce qu’ils enlèvent la vie corporelle aux hommes. À bien plus forte raison donc, les hérétiques, qui enlèvent aux hommes la vie spirituelle.

[15981] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod haeresis est infectivum vitium; unde 2 Timoth. 2, 16, dicitur, quod multum proficiunt ad impietatem, et sermo eorum ut cancer serpit; et ideo Ecclesia eos a consortio fidelium excludit, et praecipue illos qui alios corrumpunt; ut simplices, qui de facili corrumpi possunt, ab eis sint segregati non solum mente, sed etiam corporaliter; unde per Ecclesiam carcerantur et expelluntur. Si autem alios non corrumperent, possent etiam celari. Sed illi qui sunt firmi in fide, possunt cum eis corpore conversari, ut eos convertant; non tamen in divinis, quia excommunicati sunt. Sed judicio saeculari possunt licite occidi, et bonis suis spoliari, etsi alios non corrumpant; quia sunt blasphemi in Deum, et fidem falsam observant; unde magis possunt puniri isti quam illi qui sunt rei criminis laesae majestatis, et illi qui falsam monetam cudunt.

Réponse

L’hérésie est un vice infectieux. Aussi est-il dit, en 2 Tm 2, 16, qu’ils contribuent beaucoup à l’impiété et que leur discours se répand comme un cancer. C’est pourquoi l’Église les exclut de la communion des fidèles, surtout ceux qui en corrompent d’autres, afin que les gens ordinaires, qui peuvent être facilement corrompus, soient séparés d’eux non seulement par l’esprit, mais aussi corporellement. Ils sont ainsi emprisonnés et exilés par l’Église. Mais s’ils n’en corrompaient pas d’autres, ils pourraient aussi être mis au secret. Toutefois, ceux qui sont fermes dans la foi peuvent communiquer avec eux corporellement pour les convertir, mais non pas pour les sacrements, car ils ont été excommuniés. Mais ils peuvent légitimement être tués par le juge séculier et être dépouillés de leurs biens, même s’ils n’en corrompent pas d’autres, parce qu’ils blasphèment contre Dieu et observent une foi fausse. Aussi peuvent-ils être davantage punis que ceux qui sont coupables du crime de lèse-majesté et ceux qui frappent de la fausse monnaie.

[15982] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de opinionibus speculativis tantum. Sed consensus in unitate fidei est principium communionis in caritate; et ideo dissensus in fide excludit amicitiam familiaritatis.

Solutions

1. Le Philosophe parle seulement des opinions spéculatives. Mais le consensus dans l’unité dans la foi est le principe de la communion dans la charité. C’est pourquoi la dissidence dans la foi exclut une amitié étroite.

[15983] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haeresis dicitur necessaria non per se loquendo, sed per accidens, inquantum ex quolibet malo Deus elicit aliquod bonum; quia secundum Augustinum, Ecclesia utitur haereticis ad probationem doctrinae suae, dum scilicet eorum falsa dogmata impugnat.

2. On ne dit pas que l’hérésie est nécessaire à parler en soi, mais par accident, pour autant que Dieu tire un bien de n’importe quel mal, car, selon Augustin, l’Église fait usage des hérétiques pour démontrer son enseignement lorsqu’elle combat les positions fausses.

[15984] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dominus ideo praecepit ut zizania non eradicarentur, ne forte simul cum ipsis eradicaretur et triticum; et ideo hoc locum habet in illis de quibus non constat utrum sint haeretici, vel non.

3. Le Seigneur a ordonné que l’ivraie ne soit pas arrachée de crainte que le froment ne soit arraché en même temps qu’elle. C’est pourquoi cela a sa place pour ceux dont il n’est pas certain qu’ils soient ou non des hérétiques.

[15985] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Ecclesia non possit facere quin sint aliqui haeretici, tamen potest singulariter hunc vel illum coercere; sicut etiam omnia peccata venialia vitare non possumus, tamen singula vitare nitimur.

4. Bien que l’Église ne puisse faire qu’il n’y ait pas d’hérétiques, elle peut cependant contraindre tel ou tel, de même que nous ne pouvons pas éviter tous les péchés véniels, mais que nous nous efforçons d’éviter chacun.

[15986] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Ecclesia non persequitur eos ut per violentiam inducantur ad credendum, sed ne alios corrumpant, et ne tantum peccatum inultum remaneat.

5. L’Église ne les poursuit pas pour qu’ils soient amenés à croire de force, mais afin qu’ils n’en corrompent pas d’autres et qu’un si grand péché ne demeure pas impuni.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 13

[15987] Super Sent., lib. 4 d. 13 q. 2 a. 3 expos. Qui intus sunt nomine et sacramento, etsi non vita. Hoc dicit propter schismaticos et haereticos, qui secundum ipsum non possunt consecrare. Et quid majus corpore et sanguine ? Videtur corpus mysticum; quia significatur per ipsum. Et dicendum, quod in his quae sunt tantum ad significandum, verum est quod signatum praevalet signo, non autem in aliis quae ex consequenti significant. Et ideo dicendum, quod corpus Christi mysticum, si accipiatur cum ipso capite, est melius quam corpus Christi verum, si tamen corpus Christi verum accipiatur sine divinitate cui est unitum; alias non; quia Deus et omnes creaturae non sunt aliquid melius quam Deus tantum. Si autem accipiatur corpus Christi mysticum absque capite, sic corpus Christi verum est nobilius. Illi vero qui excommunicati sunt, vel de haeresi manifeste notati, non videntur hoc sacramentum posse conficere. Sciendum, quod in hoc opinio Magistri discordat a communi opinione; et ideo contrariae opinioni adhaerendum est. Missa enim dicitur, eo quod caelestis missus ad consecrandum vivificum corpus adveniat. Praeter hanc rationem nominis assignat Hugo tres alias rationes. Primo, quia Missa dicitur quasi transmissa, eo quod populus fidelis per ministerium sacerdotis, qui mediatoris vice fungitur inter Deum et hominem, preces, vota et oblationes Deo transmittit. Secundo ipsa hostia sacra Missa vocari potest; quia transmissa est prius a patre nobis, ut scilicet nobiscum esset, postea a nobis patri, ut apud patrem pro nobis esset. Tertio Missa ab emittendo dicitur, ut quidam dicunt; quia ut sacerdos hostiam consecrare incipit, per manum diaconi et ostiarii catechumenos et non communicantes foras Ecclesiam mittit. Quarta causa ponitur in littera. Jube ergo haec perferri per manus sancti Angeli tui in sublime altare tuum. Angelus sacris mysteriis interesse credendus est, non ut consecret, quia hujusmodi potestatem non habet, sed ut orationes sacerdotis et populi Deo repraesentet, secundum illud Apoc. 8, 4: ascendit fumus aromatum in conspectu domini de manu Angeli, quae sunt orationes sanctorum. Petit ergo sacerdos ut haec, idest significata per haec, scilicet corpus mysticum, per manus Angeli, idest ministerio Angelorum, perferantur in altare sublime, idest in Ecclesiam triumphantem, vel in participationem divinitatis plenam; quia Deus ipse altare sublime dicitur; Exod. 20, 26: non ascendes ad altare meum per gradus; idest, in Trinitate non facies gradus. Vel per Angelum ipse Christus intelligitur, qui est magni consilii Angelus, Isai. 9, 6, juxta 70, qui corpus suum mysticum Deo patri conjungit, et Ecclesiae triumphanti. Oblationem ejus consecrare, idest consecratam Deo repraesentare, ut accepta sit in conspectu Dei quantum ad illos qui offerunt; quia quantum ad id quod continetur, semper est Deo accepta. Maledicam benedictionibus vestris. Hostiae benedictio non est principaliter a sacerdote, sed a Deo; unde haec auctoritas non est ad propositum. Et intentionem adhiberi oportet. De intentione idem dicendum est quod supra de Baptismo, dist. 6, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 1. Illud etiam sane dici potest, quod a brutis animalibus corpus Christi non sumitur; etsi videatur. Quomodo hoc sit verum, supra, dist. 10, dictum est. Debet autem ille cujus negligentia hoc accidit quod mus species comedat, secundum canones, quadraginta diebus poenitere; et mus si capi potest, comburi debet, et cinis in sacrarium projici. Si autem amissa fuerit hostia, vel pars ejus, ut inveniri non possit, debet viginti duobus diebus poenitere. Si autem per negligentiam aliquid de sanguine stillaverit in tabulam quae terrae adhaeret, lingua lambetur, et tabula radetur. Si vero non fuerit tabula, terra radetur, et igni comburetur, et cinis in altari condetur; et sacerdos quadraginta diebus poeniteat. Si autem super altare calix stillaverit, sorbeat minister stillam, et tribus diebus poeniteat. Si super linteum altaris, et ad aliud stilla pervenerit, quatuor diebus poeniteat. Si usque ad tertium linteum, octo diebus poeniteat. Si usque ad quartum, viginti diebus poeniteat, et linteamina quae stilla tetigit, tribus vicibus lavet minister calice subtus posito; et aqua ablutionis sumatur, et juxta altare condatur. Tutum est etiam ut pars illa lintei abscindatur et comburatur, et cinis in altari condatur. Si autem aliquis per ebrietatem vel voracitatem Eucharistiam vomuerit, quadraginta diebus poeniteat; clerici, vel monachi, sexaginta; episcopus nonaginta. Si autem infirmitatis causa vomuerit, septem diebus poeniteat. Dicunt autem quidam, quod poena irrogata fuit ad cautelam, ut negligentia magis caveretur; et ideo circumstantiis pensatis potest minui vel addi ad poenam praedictam. Sed tutius est ut praedictam peragat. Debet autem secundum quosdam illis diebus jejunare, et a communione cessare. Alii vero dicunt, quod his diebus injungenda est poenitentia arbitraria pensatis conditionibus personae et negotii; et hoc probabilius videtur. Et haec de Eucharistia dicta sufficiant.

 

 

 

 

 

PÉNITENCE

 

 

Distinctio 14

Distinction 14 – [Le sacrement de pénitence]

Question 1

 

Question 1 – [Qu’est-ce que la pénitence ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[15988] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de confirmatione et Eucharistia, quae sunt sacramenta procedentium, ordinata ad perfectionem in bono ; hic incipit determinare de poenitentia, quae ordinatur ad amotionem mali, quod per actum procedentium in vita ista provenit ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de his quae pertinent ad essentiam sacramenti ; in secunda determinat quaedam accidentia sacramenti hujus, sicut tempus, et hujusmodi ; 20 dist., ibi : sciendum est etiam, quod tempus poenitentiae est usque ad extremum articulum vitae. Prima in duas : in prima determinat de sacramento poenitentiae ; in secunda de ministro hujus sacramenti, 18 dist., ibi : hic quaeri solet, si peccatum omnino dimissum est a Deo per cordis contritionem, ex quo poenitens votum habuit confitendi. Prima in duas : in prima determinat de poenitentia communiter ; in secunda descendendo ad partes ejus, 16 dist., ibi : in perfectione autem poenitentiae tria observanda sunt. Prima in duas : in prima determinat quid sit de ratione poenitentiae, et excludit errorem quorumdam addentium ad rationem verae poenitentiae quod non est de ratione ipsius ; in secunda determinat de integritate ipsius, dist. 15, ibi : et sicut praedictis auctoritatibus illorum error convincitur qui poenitentiam saepius agendam non putant (...) ita iisdem eorum oppositio eliditur qui pluribus irretitum peccatis asserunt de uno vere poenitere (...) sine alterius poenitentia. Prima in duas : in prima ostendit quid sit de ratione poenitentiae secundum veritatem ; in secunda excludit errorem, ibi : his verbis quidam vehementius inhaerentes contendunt, vere poenitentem ultra non posse peccare damnabiliter. Circa primum duo facit : primo ostendit necessitatem poenitentiae ; secundo inquirit quid sit poenitentia, ibi : Baptismus tantum est sacramentum ; sed poenitentia dicitur et sacramentum, et virtus mentis. Circa quod duo facit : primo ponit ea ex quibus poenitentia definiri potest ; secundo ponit definitionem, ibi : poenitentia est, ut ait Ambrosius, mala praeterita plangere, et plangenda iterum non committere. Circa primum duo facit : primo ponit genus ; secundo tangit actum, ibi : poenitentia dicitur a puniendo. Circa primum duo facit : primo ponit poenitentiam in genere virtutis, et sacramenti ; secundo, quia virtus indiget doctrina hortante, et sacramentum doctrina instruente, ponit doctrinam de poenitentia, ibi : a poenitentia coepit Joannis praedicatio. Poenitentia dicitur a puniendo. Hic tangit poenitentiae actum ; et circa hoc duo facit : primo accipit actum ex nominis interpretatione ; secundo ostendit actus originem, ibi : poenitentiae virtus timore concipitur. His verbis quidam vehementius inhaerentes contendunt, vere poenitentem ultra non posse peccare damnabiliter. Hic excludit errorem addentium ad rationem poenitentiae perseverantiam usque in finem ; et dividitur in partes duas : in prima ponit errorem ; in secunda excludit ipsum, ibi : sed Ambrosius dicit : haec vera poenitentia est cessare a peccato. Circa primum duo facit : primo ponit errorem dictum habere occasionem ex praedicta definitione ; secundo ostendit confirmationem ipsius secundum alias auctoritates, ibi : quod etiam aliis muniunt testimoniis. Et ponit quatuor auctoritates : prima est Isidori ; secunda Augustini, ibi : item Augustinus ; tertia Gregorii, ibi : item Gregorius ; quarta Ambrosii, ibi : item Ambrosius. Sed Ambrosius dicit et cetera. Hic excludit praedictum errorem ; et circa hoc duo facit : primo excludit errorem per Augustinum ; secundo solvit auctoritates positas, ibi : unde illa verba praemissa (...) recte sic accipi possunt. Et hic circa hoc quatuor facit : primo solvit ad definitionem primo positam, ex qua praedictus error sequi videbatur ; secundo ad auctoritatem Isidori, ibi : ille autem irrisor est, et non poenitens ; tertio ad auctoritatem Augustini, ibi : item illud, inanis est poenitentia quam sequens culpa coinquinat, sic intelligendum est ; quarto ad auctoritatem Ambrosii, ibi : illud autem quod Ambrosius ait. Auctoritas autem Gregorii habet similem solutionem aliis. Circa tertium horum tria facit : primo solvit auctoritatem Augustini prius inductam ; secundo inducit aliam ad idem, ibi : ita etiam intelligendum est illud quod idem Augustinus alibi ait ; tertio solvit eam, ibi : de poenitentia perfectorum, vel ad salutem sufficienti, intelligendum est quod supra dixit. Circa quartum duo facit : primo solvit auctoritatem Ambrosii ; secundo probat auctoritate et exemplis, quod poenitentia possit iterari ; cujus contrarium auctoritas Ambrosii dicere videbatur ; ibi : quod autem poenitentia non semel tantum agatur (...) pluribus sanctorum testimoniis probatur. Hic est duplex quaestio. Prima de ipsa poenitentia. Secunda de effectu ipsius. Circa primum quaeruntur quinque : 1 quid sit poenitentia ; 2 de comparatione ipsius ad alia ; 3 de subjecto ipsius ; 4 de continuatione ; 5 de solemnitate ejus.

Après avoir déterminé de la confirmation et de l’eucharistie, qui sont les sacrements de ceux qui avancent, ordonnés à la perfection dans le bien, le Maître commence ici à déterminer de la pénitence, qui est ordonnée à l’enlèvement du mal qui survient dans cette vie par l’action de ceux qui avancent. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ce qui se rapporte à l’essence du sacrement ; dans la seconde, il détermine de certains accidents de ce sacrement, tels le temps et les choses de ce genre, à la d. 20, à cet endroit : « Il faut savoir que le temps de la pénitence va jusqu’au dernier moment de la vie. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il détermine du sacrement de pénitence ; dans la seconde, du ministre de ce sacrement, d. 18, à cet endroit : «Ici, on a coutume de se demander si le péché est entièrement enlevé par Dieu par la contrition du cœur, lorsque le pénitent a eu l’intention de se confesser. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il détermine de ce qui fait partie de l’essence de la pénitence, et il écarte l’erreur de certains qui ajoutent à l’essence de la pénitence véritable ce qui ne fait pas partie de son essence; dans la seconde, il détermine de son intégrité, d. 15, à cet endroit : « De même que, par les autorités invoquées, ceux qui ne pensent pas que la pénitence doive être accomplie fréquemment sont convaincus d’erreur…, de même, l’opposition de ceux qui affirment que celui qui est chargé de nombreux péchés accomplit une pénitence véritable pour un seul péché, sans se repentir d’un autre. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il montre ce qu’il en est vraiment de l’essence de la pénitence ; dans la seconde, il écarte une erreur, à cet endroit :  « Par ces paroles, certains soutiennent avec force que celui qui fait vraiment pénitence ne peut plus pécher d’une manière condamnable. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre la nécessité de la pénitence ; deuxièmement, il recherche ce qu’est la pénitence, à cet endroit : « Le baptême est un sacrement seulement ; mais la pénitence désigne aussi un sacrement et une vertu de l’esprit. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente ce par quoi la pénitence peut être définie ; deuxièmement, il [en] présente la définition, à cet endroit : « Comme le dit Ambroise, la pénitence consiste à pleurer les fautes passées et à ne plus commettre ce qui doit être pleuré. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il [en] présente le genre ; deuxièmement, il [en] aborde l’acte, à cet endroit : « La pénitence tire son nom de “punir”. » Ici, il aborde l’acte de la pénitence et, à ce propos, il fait deux choses : premièrement, il explique l’acte à partir de l’interprétation du mot ; deuxièmement, il montre l’origine de l’acte, à cet endroit : « La vertu de pénitence est engendrée par la crainte. » « Par ces paroles, certains soutiennent avec force que celui qui se repent vraiment ne peut plus pécher d’une manière condamnable. » Il écarte ici l’erreur de ceux qui ajoutent à l’essence de la pénitence la persévérance jusqu’à la fin, et cela se divise en deux parties : dans la première, il présente l’erreur ; dans la seconde, il l’écarte, à cet endroit : « Mais cesser de pécher…» À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il dit que la définition rappelée plus haut est l’occasion de l’erreur mentionnée ; deuxièmement, il la confirme par d’autres autorités, à cet endroit : «…Qu’ils renforcent aussi par d’autres témoignages. » Et il présente quatre autorités : la première est celle d’Isidore ; la deuxième, celle d’Augustin, à cet endroit : « De même, Augustin…» ; la troisième, celle de Grégoire, à cet endroit : « De même, Grégoire…» ; la quatrième, celle d’Ambroise, à cet endroit : « De même, Ambroise…» « Mais Ambroise dit, etc. » Ici, il écarte l’erreur rappelée, et à son sujet, il fait deux choses : premièrement, il écarte l’erreur en recourant à Augustin ; deuxièmement, il répond aux autorités invoquées, à cet endroit : « Ainsi, les paroles rappelées… peuvent-elles être correctement interprétées. » Et ici, à ce propos, il fait quatre choses. Premièrement, il répond à propos de la définition donnée en premier lieu, dont l’erreur en question semblait découler. Deuxièmement, [il répond] à l’autorité d’Isidore, à cet endroit : « Mais celui-là est un railleur, et non un pénitent. » Troisièmement, à l’autorité d’Augustin, à cet endroit : « De même, il faut comprendre ainsi que la pénitence qu’une faute subséquente entache est vaine. » Quatrièmement, à l’autorité d’Ambroise, à cet endroit : « Mais ce que dit Ambroise. » Mais la réponse à l’autorité de Grégoire ressemble aux autres. À propos du troisième point, il fait trois choses. Premièrement, il répond à l’autorité d’Augustin invoquée en premier lieu. Deuxièmement, il en invoque une autre sur le même sujet, à cet endroit : « Il faut aussi comprendre de cette façon ce que le même Augustin dit ailleurs. » Troisièmement, il y répond, à cet endroit : « Il faut comprendre ce qu’il a dit plus haut de la pénitence des parfaits ou de celle qui suffit au salut. » À propos du quatrième point, il fait deux choses : premièrement, il répond à l’autorité d’Augustin ; deuxièmement, il démontre par une autorité et par des exemples que la pénitence peut être répétée, ce dont l’autorité d’Ambroise semblait dire le contraire, à cet endroit : « Mais que la pénitence ne soit pas accomplie une seule fois…, cela est démontré par de nombreux témoignages des saints. » Ici, il y a deux questions. La première [porte] sur la pénitence elle-même. La seconde, sur son effet. À propos de la première, il y a cinq questions : 1 – Qu’est-ce que la pénitence. 2 – Sa comparaison avec d’autres choses. 3 – Sa continuation. 4 – Sa solennité.

 

 

 

Articulus 1 [15989] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum poenitentia sit sacramentum

Article 1 – La pénitence est-elle un sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pénitence est-elle un sacrement ?]

 [15990] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod poenitentia non sit sacramentum. In omni enim sacramento novae legis est aliquod materiale, quod est causa gratiae, ut patet ex definitione Hugonis de sacramento, supra, dist. 1, art. 5, quaestiunc. 5, posita. Sed nihil tale est in poenitentia. Ergo non est sacramentum novae legis.

1. Il semble que la pénitence ne soit pas un sacrement. En effet, dans tout sacrement de la loi nouvelle, existe quelque chose de matériel, qui est cause de la grâce, comme cela ressort de la définition du sacrement donnée plus haut par Hugues, d. 1, a. 5, qa 5. Or, il n’y a rien de tel dans la pénitence. Elle n’est donc pas un sacrement de la loi nouvelle.

[15991] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut Magister dixit, in 1 dist., omnia sacramenta novae legis consistunt in rebus et verbis. Sed in poenitentia non sunt aliqua verba determinata, quae sint de essentia sacramenti. Ergo non est sacramentum.

2. Comme l’a dit le Maître, livre IV, d. 14, q. 1, a. 1, qa 1, arg. 2, tous les sacrements de la loi nouvelle consistent dans des choses et des paroles. Or, dans la pénitence, il n’y a pas de paroles déterminées qui fassent partie de l’essence du sacrement. Elle n’est donc pas un sacrement.

 [15992] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne sacramentum a ministris Ecclesiae exhibetur. Poenitentia autem non : immo ab intrinseco oritur, quia timore concipitur, ut in littera habetur. Ergo non est sacramentum.

3. Tout sacrement est donné par des ministres de l’Église. Or, la pénitence ne l’est pas : elle vient plutôt de l’intérieur, car elle est engendrée par la crainte, comme on le lit dans le texte. Elle n’est donc pas un sacrement.

[15993] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omnia sacramenta nostra sunt actiones quaedam hierarchicae. Sed Dionysius, non determinat de poenitentia inter alias hierarchicas actiones. Ergo non est sacramentum.

4. Tous nos sacrements sont des actions hiérarchiques. Or, Denys ne détermine pas de la pénitence parmi les autres actions hiérarchiques. Elle n’est donc pas un sacrement.

[15994] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia septem sunt sacramenta novae legis, ut praedictum est, quod non esset, poenitentia amota. Ergo poenitentia est sacramentum.

Cependant, [1] il existe sept sacrements de la loi nouvelle, comme on l’a dit plus haut, ce qui ne serait pas le cas si on enlevait la pénitence. La pénitence est donc un sacrement.

[15995] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sacramenta, secundum Hugonem, sunt quaedam medicinae, quae peccatorum vulneribus adhibentur. Sed peccatum praecipue poenitentia sanatur. Ergo poenitentia est sacramentum.

[2] Selon Hugues, les sacrements sont des remèdes qui sont appliqués sur les blessures des pécheurs. Or, le péché est principalement guéri par la pénitence. La pénitence est donc un sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence est-elle une vertu ?]

[15996] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentia non sit virtus. Quia gratiae sacramentales differunt a virtutibus, ut supra, dist. 1, dictum est ; unde nec Baptismus nec aliquod aliorum sacramentorum ponitur virtus. Sed poenitentia est sacramentum. Ergo non est virtus.

1. Il semble que la pénitence ne soit pas une vertu, car les grâces sacramentelles diffèrent des vertus, comme on l’a dit plus haut, d. 1. Aussi ni le baptême, ni aucun des autres sacrements n’est-il présenté comme une vertu. Or, la pénitence est un sacrement. Elle n’est donc pas une vertu.

[15997] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ut in 2 Lib., dist. 26, quaest. 1, art. 4, dictum est, gratia et virtus differunt per essentiam. Sed poenitentia est gratia, ut ex littera habetur. Ergo non est virtus.

2. Comme on l’a dit dans le livre II, d. 26, q. 1, a. 4, la grâce et la vertu diffèrent selon leur essence. Or, la pénitence est une grâce, comme on le lit dans le texte. Elle n’est donc pas une vertu.

[15998] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nulla passio est virtus, neque virtus cum passione est, ut quidam philosophus dicit. Sed poenitentia est passio, quia est dolor. Ergo non est virtus.

3. Aucune passion n’est une vertu et il n’y a pas de vertu dans la passion, comme le dit un philosophe. Or, la pénitence est une passion, car elle est une douleur. Elle n’est donc pas une vertu.

[15999] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, omnis virtus est per ordinem ad bonum. Sed poenitentia dicitur per ordinem ad malum. Ergo non est virtus.

4. Toute vertu se réalise selon un ordre au bien. Or, on parle de pénitence selon l’ordre au mal. Elle n’est donc pas une vertu.

[16000] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, omnis virtus est dispositio perfecti, ut patet in 7 Phys. Sed poenitentia non est dispositio perfecti, sed imperfecti, sicut et verecundia : quia utraque praesupponit malum in eo cui insunt. Ergo poenitentia non est virtus, sicut nec verecundia, ut dicit philosophus in 4 Ethic.

5. Toute vertu est une disposition de ce qui est parfait, comme cela ressort de Physique, VII. Or, la pénitence n’est pas une disposition de ce qui est parfait, mais de ce qui est imparfait, comme la honte, car les deux présupposent un mal chez celui où elles se trouvent. La pénitence n’est donc pas une vertu, pas davantage que la honte, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV.

[16001] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, legis praecepta non debent esse nisi de actibus virtutum : quia hoc intendit legislator ut dicitur in 2 Ethic. Sed poenitere cadit sub praecepto legis, ut patet in littera. Ergo poenitentia est virtus.

Cependant, [1] les préceptes de la loi ne peuvent porter que sur les actes des vertus, car c’est là l’intention du législateur, comme il est dit dans Éthique, II. Or, se repentir tombe sous un précepte de la loi, comme cela ressort dans le texte. La pénitence est donc une vertu.

[16002] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, non meremur nisi actibus virtutum. Sed poenitere est meritorium, ut per se patet. Ergo poenitentia est virtus.

[2] De plus, nous ne méritons que par les actes des vertus. Or, se repentir est méritoire, comme cela est de soi évident. La pénitence est donc une vertu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La pénitence est-elle une vertu générale ?]

[16003] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus generalis. Contrarium enim non expellitur nisi a suo contrario. Sed poenitentia expellit omne peccatum. Ergo contrariatur omni peccato ; ergo est generalis virtus.

1. Il semble qu’elle soit une vertu générale. En effet, un contraire n’est expulsé que par son contraire. Or, la pénitence expulse tout péché. Elle est donc le contraire de tout péché. Elle est donc une vertu générale.

[16004] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis virtus specialis habet speciale objectum. Sed poenitentia non habet : quia operatur in materia omnium virtutum et vitiorum. Ergo non est virtus specialis.

2. Toute vertu spéciale a un objet spécial. Or, la pénitence n’en a pas, car elle est à l’œuvre dans la matière de toutes les vertus et de tous les vices. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

[16005] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, poenitere de malis peractis consequitur ex hoc quod homo habet rectam electionem ; unde incontinens est poenitibilis, non autem intemperatus, quia habet malam electionem. Sed quaelibet virtus facit rectam electionem, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo poenitere est actus virtutis cujuslibet : ergo poenitentia non est specialis virtus.

3. Se repentir d’avoir mal agi découle du fait qu’un homme possède un choix bien ordonné ; aussi l’incontinent est-il sujet à la pénitence, mais non celui à qui fait défaut la tempérance, car il a un mauvais choix. Or, toute vertu réalise un choix bien ordonné, comme il est dit dans Éthique, III. Se repentir est donc l’acte de n’importe quelle vertu. La pénitence n’est donc pas une vertu spéciale.

 [16006] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omnis virtus specialis vel est cardinalis, vel pars ejus, si sit moralis. Sed poenitentia, si sit virtus, non potest esse nisi moralis, quia habet passionem annexam. Non autem est cardinalis, neque continetur inter partes alicujus cardinalis virtutis a philosophis enumeratas : quia de virtute poenitentiae nullam mentionem fecerunt. Ergo non est specialis virtus.

4. Toute vertu est soit spéciale, soit cardinale, ou une partie de celle-ci, si elle est [une vertu] morale. Or, la pénitence, si elle est une vertu, ne peut être qu’[une vertu] morale, car elle est associée à une passion. Or, elle n’est pas cardinale et elle n’est pas non plus comptée parmi les parties d’une vertu cardinale énumérées par les philosophes, car ils n’ont fait aucune mention de la vertu de pénitence. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

[16007] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut habitus distinguitur ex objectis, ita et passiones. Sed poenitentia passio est distincta ab aliis passionibus. Ergo poenitentia virtus est distincta ab aliis virtutibus.

Cependant, [1] de même que les habitus se distinguent par leurs objects, de même aussi les passions. Or, la pénitence est une passion distincte des autres passions. La pénitence est donc une vertu distincte des autres vertus.

[16008] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, omne quod perficit liberum arbitrium ad actum determinatum, est virtus specialis. Sed detestari peccatum spe veniae, ad quod perficit poenitentia, est actus specialis reducibilis ad aliam virtutem. Ergo poenitentia est specialis virtus.

[2] Tout ce qui perfectionne le libre arbitre en vue d’un acte déterminé est une vertu spéciale. Or, détester le péché en espérant le pardon, en vue duquel la pénitence perfectionne, est un acte spécial qui peut se ramener à une autre vertu. La pénitence est donc une vertu spéciale.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La pénitence est-elle une vertu théologale ?]

[16009] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus theologica. Omnis enim virtus quae habet Deum pro objecto, est virtus theologica. Sed poenitentia est hujusmodi, quia Deo reconciliat. Ergo est virtus theologica.

1. Il semble qu’elle soit une vertu théologale. En effet, toute vertu qui a Dieu pour objet est une vertu théologale. Or, la pénitence est de cette sorte, car elle réconcilie avec Dieu. Elle est donc une vertu théologale.

[16010] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, contrariorum contrariae sunt causae. Sed concupiscentia, quae opponitur caritati, est radix omnium malorum. Ergo caritas est causa destructionis peccatorum, quod est poenitentiae. Ergo poenitentia est caritas.

2. Les causes des contraires sont des contraires. Or, la concupiscence, qui s’oppose à la charité, est la racine de tous les maux. La charité est donc la cause de la destruction des péchés, ce qui est le fait de la pénitence. La pénitence est donc charité.

[16011] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, justificari est fidei, ut patet Rom. 3. Sed justificatio est effectus poenitentiae. Ergo est idem quod fides ; et sic idem quod prius.

3. La justification est réalisée par la foi, comme cela ressort de Rm 3. Or, la justification est l’effet de la pénitence. Elle est donc la même chose que la foi. La conclusion est donc la même que précédemment.

[16012] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, omnis virtus moralis consistit in medio circa suam materiam. Sed poenitentia non consistit in medio suae materiae : quia omne peccatum commissum detestatur. Ergo non est moralis virtus : ergo est theologica.

4. Toute vertu morale consiste dans un milieu à propos de sa matière. Or, la pénitence ne consiste pas dans un milieu de sa matière, car tout péché commis est détesté. Elle n’est donc pas une vertu morale. Elle est donc une vertu théologale.

[16013] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra : objectum virtutis theologicae est Deus. Non autem poenitentiae ; sed magis peccatum commissum. Ergo et cetera.

Cependant, [1] l’objet d’une vertu théologale est Dieu. Or, ce n’est pas le cas de la pénitence, qui [a plutôt comme objet] le péché commis. Donc, etc.

[16014] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, poenitentia habet passionem adjunctam. Non autem virtus theologica. Ergo et cetera.

[2] La pénitence est associée à une passion, mais non la vertu théologale. Donc, etc.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La pénitence se ramène-t-elle à la justice ?]

[16015] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non reducatur ad justitiam. Quia justitia est aequalitas quaedam, secundum philosophum. Sed poenitens non potest aequalem recompensationem reddere pro offensa Dei. Ergo non est justitia.

1. Il semble qu’elle ne se ramène pas à la justice, car la justice est une certaine égalité, selon le Philosophe. Or, celui qui se repent ne peut rendre une compensation égale pour l’offense faite à Dieu. Elle n’est donc pas la justice.

[16016] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, Luc. 6, super illud : beati qui nunc fletis, dicit Glossa : ecce prudentia, qua ostenditur, quam haec terrena sint misera, et quam beata caelestia. Sed lugere est actus poenitentiae ut in littera dicitur. Ergo poenitentia est prudentia ; non ergo justitia.

2. À propos de Lc 6 : Bienheureux, vous qui pleurez, la Glose dit : « Voilà la prudence, par laquelle il est montré à quel point les réalités terrestres sont misérables et les réalités célestes bienheureuses. » Or, pleurer est un acte de la pénitence, comme on le dit dans le texte. La pénitence est donc la prudence. Elle n’est donc pas la justice.

[16017] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, Isidorus dicit : illa est perfecta compunctio quae omnes carnalium desideriorum affectus repellit. Compunctio autem est pars poenitentiae, ut dicetur infra, dist. 16. Cum ergo reprimere carnalia desideria sit temperantiae, videtur quod poenitentia ad temperantiam debeat reduci, non ad justitiam.

3. Isidore dit : « La componction parfaite est celle qui répousse tous les attraits des désirs charnels. » Or, la componction est une partie de la pénitence, comme on le dira plus loin, d. 16. Puisque la répression des désirs charnels relève de la tempérance, il semble donc que la pénitence doive être ramenée à la tempérance, et non à la justice.

[16018] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 4 Praeterea, virtutes distinguuntur penes objecta. Sed idem est objectum poenitentiae et verecundiae, scilicet peccatum. Ergo sunt idem. Cum ergo verecundia ad temperantiam reducatur, videtur quod similiter poenitentia, et non ad justitiam.

4. Les vertus se distinguent par leurs objets. Or, l’objet de la pénitence est le même que celui de la honte, à savoir, le péché. Ils sont donc la même chose. Puisque la honte se ramène à la tempérance, il semble donc que ce soit aussi le cas pour la pénitence, et [qu’elle ne se ramène] pas à la justice.

[16019] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 5 Praeterea, Chrysostomus dicit quod poenitentia cogit poenitentem omnia sustinere libenter. Sed hoc est actus patientiae. Cum ergo patientia ad fortitudinem reducatur, videtur quod similiter poenitentia, et non ad justitiam.

5. [Jean] Chrysostome dit que la pénitence pousse le pénitent à supporter tout volontiers. Or, c’est là un acte de patience. Puisque la patience se ramène à la force, il semble donc que ce soit aussi le cas pour la pénitence, et [qu’elle ne se ramène] pas à la justice.

[16020] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit quod poenitentia est quaedam vindicta. Sed vindicatio per Tullium ponitur pars justitiae. Ergo poenitentia virtus ad justitiam reducetur.

Cependant, [1] Augustin dit que la pénitence est un certain châtiment. Or, le châtiment est présenté par Tullius [Cicéron] comme une partie de la justice. La vertu de pénitence se ramène donc à la justice.

[16021] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, Isidorus dicit : tunc judicium quilibet de se sumit, quando per dignam poenitentiam sua prava facta condemnat. Sed judicium ad justitiam pertinet. Ergo et poenitentia.

[2] Isidore dit : « Chacun porte sur lui un jugement lorsqu’il condamne ses mauvaises actions par une juste pénitence. » Or, le jugement relève de la justice. Donc, la pénitence aussi.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [La définition de la pénitence donnée par Grégoire et Ambroise est-elle exacte ?]

[16022] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit incompetens definitio poenitentiae, quam Gregorius et Ambrosius ponunt : poenitentia est mala praeterita plangere, et plangenda iterum non committere. Virtutes enim non sunt actus, sed habitus, ut in 2 Lib., dist. 27, dictum est. Sed plangere est actus. Ergo non debet poni ut genus poenitentiae, quod est virtus.

1. Il semble que la définition de la pénitence donnée par Grégoire et Ambroise soit inexacte : « La pénitence consiste à déplorer les fautes passées et à ne plus commettre ce qui doit être déploré. » En effet, les vertus ne sont pas des actes, mais des habitus, comme on l’a dit dans le livre II, d. 27. Or, déplorer est un acte. Il ne doit donc pas être mis dans le genre de la pénitence, qui est une vertu.

[16023] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 2 Praeterea, quod pertinet ad corporalem immutationem non est de essentia virtutis ; unde philosophus dicit in 4 Ethic., quod verecundia non est virtus, quia verecundati rubescunt. Sed plangere dicit corporalem immutationem. Ergo non est de essentia poenitentiae, quae est virtus ; et ita non debet poni in definitione ejus.

2. Ce qui se rapporte à un changement corporel ne fait pas partie de l’essence de la vertu. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, IV, que la honte n’est pas une vertu, car ceux qui ont honte rougissent. Or, pleurer exprime un changement corporel. Cela ne fait donc pas partie de l’essence de la pénitence, qui est une vertu. Cela ne doit donc pas être mis dans sa définition.

[16024] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 3 Praeterea, stultum est dolere de eo quod non potest non esse. Sed praeteritum non potest non esse. Ergo stultum est dolere vel plangere de peccatis praeteritis. Sed nullus virtuosus est stultus, ut patet in 4 Ethic. Ergo plangere praeterita non debet poni in definitione virtutis.

3. Il est stupide de pleur sur ce qui ne peut pas ne pas exister. Or, le passé ne peut pas ne pas exister. Il est donc stupide de pleurer ou de se plaindre à propos des péchés passés. Or, aucun homme vertueux n’est stupide, comme cela ressort d’Éthique, IV. Pleurer sur le passé ne doit donc pas être mis dans la définition de la vertu.

[16025] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 4 Praeterea, in definitione non debet poni aliquid quod non pertineat ad rationem definiti. Sed poenitentia secundum rationem propriam respicit praeteritum. Ergo non debet poni in definitione ejus : plangenda non committere, quod ad futurum pertinet.

4. On ne doit pas mettre dans une définition ce qui n’appartient pas à l’essence de ce qui est défini. Or, la pénitence, selon son essence propre, concerne le passé. On ne doit donc pas mettre dans sa définition : « Ne pas commettre ce qui doit être pleuré », qui se rapporte au futur.

[16026] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 5 Praeterea, in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus, definitur poenitentia sic : poenitentia vera est poenitenda non admittere, et admissa deflere. Ergo videtur quod in praemissa definitione male ordinantur partes definitionis.

5. Dans le livre Sur les enseignements de l’Église, la pénitence est définie ainsi : « La pénitence consiste à ne pas accepter ce dont il faut se repentir et à pleurer ce qui a été commis. » Il semble donc que, dans la définition rappelée, les parties de la définition soient mal ordonnées.

[16027] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 arg. 6 Praeterea, quaeritur de aliis definitionibus, quomodo poenitentiae conveniant, cum unius una debet esse definitio.

6. On se pose encore des questions à propos d’autres définitions pour savoir comment elles conviennent à la pénitence, puisqu’il ne doit y avoir qu’une seule définition.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16028] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra, dist. 1, dictum est, sacramentum impOrtat sanctitatem active per modum qui nobis sanctificandis competit, ut scilicet adjungatur significatio sanctificationis invisibilis per visibilia signa, prout nunc de sacramentis loquimur. Unde ubicumque fit aliqua sanctificatio significata aliquibus sensibilibus signis, ibi est sacramentum ; et ideo, cum hoc sit in poenitentia, constat quod poenitentia est sacramentum.

Comme on l’a dit plus haut, le sacrement comporte une sainteté d’une manière active, qui convient à la manière dont nous devons être sanctifiés, à savoir qu’y soit associée la signification d’une sainteté invisible par des signes visibles, tel que nous parlons maintenant des sacrements. Aussi, partout où se réalise une sanctification signifiée par des signes sensibles, existe un sacrement. Comme cela existe dans la pénitence, il est donc certain que la pénitence est un sacrement.

[16029] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in corporalibus medicinis quaedam sunt quae consistunt in sola passione vel receptione curati, ut sectio vulneris, vel appositio emplastri ; quaedam vero quae consistunt in actu laborantis, sicut exercitationes et hujusmodi ; ita etiam in sacramentis quaedam non requirunt actum ejus qui sanctificatur quantum ad substantiam sacramenti, nisi per accidens, sicut removens prohibens, sicut patet in Baptismo et confirmatione et hujusmodi ; quaedam autem requirunt essentialiter et per se actum ejus qui sacramentum recipit, ad essentiam sacramenti, sicut patet in poenitentia et matrimonio. In illis ergo sacramentis quae sine actu nostro complentur, est materia quae causat et significat, quasi medicina exterius apposita. In illis autem sacramentis quae actum nostrum requirunt, non est talis materia ; sed ipsi actus exterius apparentes hoc idem faciunt quod materia in aliis sacramentis. Quomodo autem ea quae exterius geruntur, sint causa sanctificationis in poenitentia, ex sequentibus apparebit. Verum in definitione hac oportet quod materiale elementum accipiatur communiter pro causa sensibili, sive sit materia aliqua corporalis, sive sit actus aliquis sensibilis.

1. De même que, parmi les remèdes corporels, il y en a certains qui consistent seulement dans ce que subissent ou reçoivent ceux qui sont soignés, comme l’amputation de la blessure ou la mise d’un emplâtre, mais qu’il y en a certains qui consistent dans un acte de celui qui souffre, comme des exercices et des choses de ce genre, de même aussi, parmi les sacrements, il y en a certains qui n’exigent pas d’acte de celui qui est sanctifié pour ce qui est de la substance du sacrement, sauf par accident, pour enlever un empêchement, comme cela apparaît clairement dans le baptême, la confirmation et [les sacrements] de ce genre ; mais il y en a certains qui exigent de manière essentielle et de soi pour l’essence du sacrement un acte de celui qui reçoit le sacrement, comme cela apparaît clairement dans la pénitence et le mariage. Dans les sacrements qui sont accomplis sans un acte de notre part, il y a donc une matière qui cause et signifie, à la manière d’un remède apporté de l’extérieur. Mais dans les sacrements qui exigent notre acte, la matière n’est pas de cette sorte, mais les actes eux-mêmes qui apparaissent à l’extérieur font la même chose que la matière dans les autres sacrements. Comment ce qui est accompli extérieurement est cause de sanctification dans la pénitence, cela apparaîtra dans ce qui suit. Mais il faut assurément que, d’une manière générale, cet élément matériel soit inclus comme cause sensible dans cette définition, qu’il s’agisse d’une matière corporelle ou d’un acte sensible.

[16030] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc sacramento sunt aliquae res, scilicet ipsi exteriores actus, et aliqua verba, scilicet sacerdotis absolventis, quae sunt forma hujus sacramenti, quibus exprimitur absolutionis actus. Sed non requiritur tanta verborum determinatio sicut in Baptismo et Eucharistia ; quia non est hic aliqua materia sanctificanda verbo vitae, sicut in illis sacramentis.

2. Dans ce sacrement, il y a des choses, à savoir, les actes extérieurs eux-mêmes, et des paroles, à savoir, celles du prêtre qui absout, qui sont la forme de ce sacrement et par lesquelles est exprimé l’acte de l’absolution. Mais une détermination des paroles aussi grande que dans le baptême et l’eucharistie n’est pas exigée parce qu’il n’y a pas ici une matière à sanctifier par la parole de vie, comme dans les autres sacrements.

[16031] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam poenitentiae sacramentum a ministris Ecclesiae exhibetur ; quia sacerdotes absolvunt confitentes, et satisfactionem injungunt. Sed quod habeant aliquod principium in nobis, hoc est ex parte illa qua in hoc sacramento exigitur actus noster, ut dictum est.

3. Le sacrement de pénitence est aussi donné par des ministres de l’Église, car les prêtres absolvent ceux qui se confessent et imposent une satisfaction. Mais qu’il ait [corr.] en nous son commencement, cela vient du fait que, dans ce sacrement, notre acte est exigé, comme on l’a dit.

[16032] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intentio Dionysii non fuit in ecclesiastica hierarchia tradere notitiam sacramentorum ; unde quaedam determinat quae non sunt sacramenta, sicut consummationes monasticas, et exequias mortuorum ; sed monstrare quod exteriores ritus signant spirituales actus. Et quia in poenitentia et matrimonio non est aliquis determinatus ritus, eo quod non habeant materiam, sicut alia sacramenta, ut dictum est ; ideo de his duobus non determinavit ; nec sequitur quod non sint sacramenta.

4. L’intention de Denys n’était pas de communiquer la connaissance des sacrements dans la Hiérarchie ecclésiastique ; aussi indique-t-il certaines choses qui ne sont pas des sacrements, comme les professions monastiques et les obsèques pour les morts. Mais [son intention était] de montrer que les rites extérieurs sont les signes d’actes spirituels. Et parce que, dans la pénitence et le mariage, il n’y a pas de rite déterminé du fait qu’ils n’ont pas de matière comme les autres sacrements, comme on l’a dit, il n’a pas donné de précision pour ces deux-là. Mais il n’en découle pas qu’ils ne soient pas des sacrements.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [16033] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in poenitentia se habet homo et ut recipiens et ut agens. Recipit quidem a Deo veniam et reconciliationem per Ecclesiae ministros ; et secundum hoc habet rationem sacramenti. Sed ex parte actus sunt de ipsa diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod est actus tantum virtutis, et non est virtus. Sed hoc non potest esse ; quia cum actus virtutum non sint in dormiente, dormiens non posset dici poenitens ; quod falsum est : et ideo aliqui dixerunt, quod ex parte ista poenitentia est virtus ; sed non proprie loquendo, sed communiter, prout omnia laudabilia virtutes dicuntur, etiam si sint passiones. Sed hoc non est verum ; quia secundum philosophum in 6 Ethic., principale in virtute mOrali est electio ; unde omnis habitus qui facit rectam electionem, potest dici proprie loquendo virtus. Unde cum actus poenitentiae non causetur tantum ex passione, sed magis ex electione, etiam si nulla sit passio ; constat quod poenitentia proprie loquendo est virtus, et non improprie, sicut verecundia, et alia hujusmodi.

Dans la pénitence, l’homme reçoit et agit tout à la fois. En effet, il reçoit de Dieu le pardon et la réconciliation par l’intermédiaire des ministres de l’Église ; sous cet aspect, [la pénitence] a raison de sacrement. Mais, à propos de l’acte [de l’homme], il existe diverses opinions. En effet, certains disent qu’il s’agit seulement de l’acte d’une vertu et que cela n’est pas la vertu. Mais cela est impossible : en effet, puisque les actes des vertus n’existent pas chez celui qui dort, celui qui dort ne pourrait pas être appelé un pénitent, ce qui est faux. C’est pourquoi certains ont dit que, sous cet aspect, la pénitence est une vertu, non pas à proprement parler, mais d’une manière générale, pour autant que tout ce qui est louable est appelé vertu, même s’il s’agit de passions. Mais cela n’est pas vrai, car, selon le Philosophe, Éthique, VI, le choix est ce qu’il y a de principal dans la vertu morale. Tout habitus qui rend le choix bien ordonné peut donc être appelé vertu au sens propre. Puisque que l’acte de la pénitence n’est pas causé seulement par une passion, mais plutôt par un choix, même s’il n’y a aucune passion, il est donc certain que la pénitence est une vertu au sens propre, et non au sens impropre, comme la honte et les autres choses de ce genre.

[16034] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non secundum idem poenitentia est virtus et sacramentum ; sed inquantum per poenitentiam recipit gratiam curantem peccati vulnus, poenitentia potest esse sacramentum ; inquantum autem per habitum infusum ordinatur ad actum rectum, sic est virtus. Et quia aliquis actus rectus non est de essentia Baptismi, ideo Baptismus nullo modo dicitur virtus, nec etiam confirmatio eadem ratione.

1. La pénitence n’est pas une vertu et un sacrement selon la même chose. Pour autant que, par la pénitence, on reçoit la grâce qui guérit la blessure du péché, la pénitence peut être un sacrement ; mais pour autant qu’elle est ordonné à un acte bien ordonné par un habitus infus, elle est ainsi une vertu. Et parce qu’un acte bien ordonné ne fait pas partie de l’essence du baptême, le baptême n’est donc d’aucune manière appelé une vertu, ni la confirmation pour la même raison.

[16035] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia non est idem quod gratia per essentiam ; sed dicitur gratia, quia convenit cum gratia in proprio effectu. Effectus enim proprius gratiae est justificare, et Deo gratum reddere ; et hoc etiam est effectus poenitentiae, ut infra dicetur.

2. La pénitence n’est pas la même chose que la grâce par son essence, mais elle est appelée grâce parce qu’elle a quelque chose en commun avec la grâce par son effet propre. En effet, l’effet propre de la grâce est de justifier et de rendre agréable à Dieu ; cela est aussi l’effet de la pénitence, comme on le dira plus loin.

[16036] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia passio non est virtus, nec actus virtutis ; sed potest esse virtuti annexum ; quia virtutes non sunt quietes vel immobilitates, ut quidam dixerunt, ut dicit philosophus in 2 Ethic. ; sed habent et gaudium et tristitiam adjunctam, prout sunt passiones quaedam. Actus enim poenitentiae, prout est virtus, non est ex passione proveniens, sed ex debita electione.

3. La pénitence en tant que passion n’est pas une vertu, mais un acte de vertu. Mais elle peut être associée à une vertu, parce que les vertus ne sont pas repos et immobilité, comme certains l’ont dit, ainsi que le rapporte le Philosophe dans Éthique, II, mais  joie et tristesse, en tant qu’elles sont des passions, leur sont associées. En effet, l’acte de la pénitence, en tant qu’elle est une vertu, ne provient pas d’une passion, mais d’un choix approprié.

[16037] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum illud ad quod virtus ordinat immediate, est actus perfectus ipsius ; et ideo aliquae virtutes sunt quae principalem actum habent in retrahendo ab aliquo, sicut dictum est, in 3 Lib., dist. 23, de temperantia et modestia et hujusmodi ; et similiter actus perfectus poenitentiae est in retrahendo ab aliquo malo ; nec propter hoc sequitur quod non sit virtus.

4. Le bien auquel la vertu ordonne de manière immédiate est son acte parfait. C’est pourquoi certaines vertus ont comme acte principal le retrait par rapport à quelque chose, comme on l’a dit dans le livre III, d. 23, à propos de la tempérance, de la modestie et des choses de ce genre. De la même manière, l’acte parfait de la pénitence consiste-t-il à s’éloigner d’un certain mal, et il n’en découle pas qu’elle ne soit pas une vertu.

[16038] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verecundia est timor de turpi ; timor autem futuri est ; futurum autem non timetur nisi secundum quod habet propinquam dispositionem in causa ; et ideo verecundia ponit propinquam dispositionem in eo qui verecundatur ad turpe committendum, prout philosophus de verecundia loquitur ; et ideo de necessitate ponit imperfectionem in eo cui inest ; sed poenitentia respicit turpe in praeterito, cui potest succedere perfectio in praesenti ; et ideo non est actus imperfecti de necessitate.

5. La honte est la crainte de ce qui est déshonorant. Or, la crainte porte sur le futur, et le futur n’est craint que dans la mesure où il possède une disposition rapprochée dans la cause. C’est pourquoi la honte présente une disposition rapprochée à commettre ce qui est déshonorant chez celui qui a honte, comme le Philosophe parle de la honte. C’est pourquoi il attribue une imperfection à celui chez qui elle se trouve. Mais la pénitence est tournée vers ce qui est déshonorant dans le passé, à quoi peut succéder une perfection dans le présent. Ainsi, elle n’est pas nécessairement l’acte de quelqu’un d’imparfait.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16039] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod poenitere non est actus alicujus specialis virtutis, sed omnis virtutis communiter. Sed hoc non potest esse ; quia aliud est de ratione poenitentiae, prout nunc de ipsa loquimur, quod non est de ratione virtutis communiter, scilicet de peccato commisso satisfacere. Et ideo alii dicunt, quod poenitentia est specialis virtus, et specificatur ex hoc quod detestatur peccatum commissum a se. Sed hoc non potest specificare virtutem ; quia cum virtus sit peccato contrarium, maxime repugnat ei prout est in eodem subjecto ; unde hoc est omni virtuti commune quod vitium repellit a subjecto suo. Et ideo alii dicunt, quod specificatur ex hoc quod detestatur peccatum a se commissum sub spe veniae. Sed hoc non potest esse ; quia nulla virtus recipit speciem ex hoc quod imperatur ab alia virtute. Quod autem dicitur : ex spe veniae, nihil aliud dicit quam imperium spei. Unde ex hoc non haberet quod esset specialis virtus ; sicut nec actus castitatis, propter hoc quod a caritate imperatur, speciem recipit virtutis specialis. Et ideo aliter dicendum, quod poenitentia accipit specialem rationem objecti ex hoc quod respicit peccatum a se commissum ut expiabile per poenitentis actum ; et ita actus poenitentiae non est detestari peccatum absolute, quia hoc est cujuslibet virtutis ; sed detestari aliquid expiabile per actionem ejus et quantum ad culpam et quantum ad reatum ; hoc enim nulla alia virtus facit.

Certains ont dit que se repentir n’est pas l’acte d’une vertu spéciale, mais celui de toute vertu d’une manière générale. Mais cela est impossible, car il y a quelque chose d’autre qui appartient à l’essence de la pénitence, comme nous en parlons maintenant, qui n’appartient pas à l’essence de la vertu d’une manière générale, à savoir, satisfaire pour le péché commis. C’est pourquoi d’autres disent que la pénitence est une vertu spéciale et qu’elle reçoit son espèce du fait qu’on déteste le péché qu’on a commis. Mais cela ne peut donner l’espèce d’une vertu : en effet, puisque la vertu est contraire au péché, elle lui est opposée au plus haut point en tant  qu’elle existe dans le même sujet. Aussi est-il commun à toute vertu qu’elle repousse le vice de son sujet. C’est pourquoi d’autres disent qu’elle reçoit son espèce du fait qu’elle déteste le péché qu’on a commis, avec l’espérance du pardon. Mais cela est impossible, car aucune vertu ne reçoit son espèce du fait qu’elle est commandée par une autre vertu. Or, ce qu’on dit : « avec l’espérance du pardon », n’est rien d’autre que le fait qu’elle soit commandée par une autre vertu. Aussi ne tiendrait-elle pas de cela d’être une vertu spéciale ; ainsi l’acte de chasteté ne reçoit-il pas l’espèce d’une vertu spéciale par le fait qu’il est commandé par la charité. Il faut donc parler autrement. La pénitence reçoit son objet spécial du fait qu’elle concerne le péché qu’on a commis,  en tant qu’il peut être expié par un acte de celui qui se repent. Et ainsi, l’acte de la pénitence ne consiste pas à détester le péché de manière absolue, car c’est là le fait de n’importe quelle vertu, mais à détester quelque chose qui peut être expié par son action, pour la faute comme pour la culpabilité. En effet, aucune autre vertu ne fait cela.

[16040] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnis virtus expellit peccatum oppositum formaliter quantum ad suum actum primum, qui est informare subjectum ; sed actus secundus in aliis virtutibus, qui est operatio, non ordinatur principaliter ad repellendum peccatum, sicut est in poenitentia ; et ideo poenitentia non formaliter, sed quasi effective peccatum expellit ; habet enim peccatum expellendum pro materia, et operatur contra ipsum ut expellatur ; unde non opponitur omni peccato formaliter, sed alicui tantum, quod est impoenitentia ; et propter hoc non oportet quod sit generalis virtus.

1. Toute vertu chasse par mode de forme le péché opposé, par son acte premier qui consiste à donner une forme au sujet ; mais l’acte second des autres vertus, qui est l’opération, n’est pas ordonné principalement à chasser le péché, comme c’est le cas pour la pénitence. C’est pourquoi la pénitence chasse le péché, non pas par mode de forme, mais par mode d’efficience. En effet, elle a pour matière le péché qui doit être chassé et elle agit contre lui pour le chasser. Elle n’est pas opposée à tout péché par mode de forme, mais à un certain [péché] seulement, qui est l’impénitence. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire qu’elle soit une vertu générale.

[16041] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 c. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis poenitentia habeat actum suum circa materiam omnium vitiorum, et per consequens omnium virtutum, tamen considerat specialem rationem objecti in materia circa quam operatur, ut dictum est ; sicut etiam magnanimitas habet quodammodo pro objecto et materia, actus omnium aliarum virtutum in ratione magni ; quia operatur magna in omnibus virtutibus, ut dicitur in 4 Ethic., cap. 9 ; et ideo, sicut magnanimitas est specialis virtus, ita et poenitentia.

2. Bien que l’acte de la pénitence porte sur la matière de tous les vices et, par conséquent, de toutes les vertus, elle porte cependant sur un objet de manière spéciale pour la matière sur laquelle elle agit, comme on l’a dit, comme la magnanimité a d’une certaine manière comme objet et matière les actes de toutes les autres vertus sous l’aspect de la grandeur, car elle accomplit de grandes choses dans toutes les vertus, comme on le dit dans Éthique, IV, 9. C’est pourquoi, de même que la magnanimité est une vertu spéciale, ainsi en est-il de la pénitence.

[16042] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 c 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis detestari absolute mala peracta consequatur omnem virtutem, secundum quod habet electionem rectam ; tamen ad expiationem detestari, est proprium specialis virtutis.

3. Bien que détester de manière absolue les actions mauvaises découle de toutes les vertus, pour autant qu’elles comportent un choix bien ordonné, détester en vue d’expier est le propre d’une vertu spéciale.

[16043] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec virtus reducitur ad aliquam cardinalium virtutum, ut dicetur. Tamen philosophi de hac virtute ideo mentionem non fecerunt, quia remissio peccati, sive expiatio, pertinet ad providentiam Dei de humanis actibus, inquantum culpa offenditur, et poenitentia placatur. Philosophi autem non consideraverunt virtutes dirigentes in actibus humanis prout ordinantur ad Dei providentiam, sed prout ordinantur ad bonum humanum ; et ideo de poenitentia mentionem non fecerunt ; sed ex similitudine aliarum quas determinaverunt, possumus nos istam accipere. Sicut enim est alicujus virtutis, ut homo placet eum quem peccando offendit ; ita etiam est alicujus virtutis, ut homo Deum placet, quem peccando offendit.

4. Cette vertu se ramène à l’une des vertus cardinales, comme on le dira. Cependant, les philosophes n’ont pas mentionné cette vertu parce que la rémission du péché ou l’expiation relève de la providence de Dieu par rapport aux actes humains, pour autant qu’il est offensé par la faute et est apaisé par la pénitence. Or, les philosophes n’ont pas examiné les vertus qui dirigent les actes humains en tant qu’ils sont ordonnés à la providence de Dieu, mais en tant qu’ils sont ordonnés au bien humain. C’est pourquoi ils n’ont pas mentionné la pénitence. Mais nous, nous pouvons comprendre celle-ci à partir de sa similitude avec d’autres vertus dont ils ont parlé. En effet, de même qu’il relève d’une vertu qu’on cherche à plaire à celui qu’on a offensé en péchant, de même existe-t-il une vertu par laquelle on cherche à plaire à Dieu qu’on a offensé en péchant.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

 [16044] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod virtus theologica habet idem pro objecto et pro fine. Hoc autem non est in poenitentia : quia objectum ejus est peccatum commissum, quod intendit expiare ; finis autem est Deus, cui intendit reconciliari ; et ideo non est virtus theologica, sed inter morales virtutes numeranda est.

La vertu théologale a comme objet et comme fin la même chose. Mais tel n’est pas le cas pour la pénitence, car son objet est le péché commis qu’elle entend expier, mais sa fin est Dieu, avec qui elle cherche à se réconcilier. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu théologale, mais elle est comptée parmi les vertus morales.

 

[16045] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc quod dicit, quod poenitentia reconciliat Deo, non tangitur relatio poenitentiae ad objectum suum, sed magis ad finem ; sed ordo ejus ad objectum tangitur in hoc quod dicitur peccata commissa flere ; et ideo ratio non sequitur.

1. Lorsqu’on dit que la pénitence réconcilie avec Dieu, ce n’est pas le rapport de la pénitence à son objet qui est abordé, mais plutôt [le rapport] à sa fin. Mais son rapport avec son objet est abordé lorsqu’on dit « pleurer les péchés commis ». Le raisonnement ne tient donc pas.

[16046] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes infusae tripliciter se habent ad Deum. Quaedam enim habent Deum pro objecto et fine, sicut theologicae. Quaedam non pro objecto in quod transeat earum actus, sed pro fine proximo : sicut patet de latria, quae aliquas servitutis protestationes quasi materiam habet, quas immediate ordinat in Deum quasi in finem ; et tales virtutes propinquissimae sunt theologicis : unde et actus harum virtutum attribuuntur virtutibus theologicis, sicut proximis imperantibus. Unde dicitur in Augustino, quod fide, spe et caritate colitur Deus. Quaedam autem non habent Deum pro objecto, neque pro fine proximo, sed ultimo ; sicut temperantia quae habet passiones pro materia, et quietem animi pro fine proximo ; sed hanc ulterius ordinat ad Deum. Poenitentia autem quamvis non habeat Deum pro objecto, habet tamen Deum pro fine proximo : quia ad hoc in peccata commissa destruenda movetur ut Deo reconcilietur ; et ideo actus ejus, scilicet peccatum expellere, vel justificare, quandoque fidei, quandoque caritati ascribitur.

2. Les vertus infuses ont un triple rapport avec Dieu. En effet, certaines ont Dieu comme objet et comme fin, comme les [vertus] théologales. Certaines l’ont, non pas comme l’objet dans lequel passent leurs actes, mais comme fin prochaine, comme cela est clair pour la latrie, qui a comme matière certains témoignages de culte, qu’elle ordonne de manière immédiate à Dieu comme à sa fin. Ces vertus sont les plus rapprochées des [vertus] théologales ; aussi les actes de ces vertus sont-ils attribués aux vertus théologales en tant que celles-ci les commandent de manière prochaine. Aussi Augustin dit-il qu’un culte est rendu à Dieu par la foi, l’espérance et la charité. Mais certaines [vertus infuses] n’ont Dieu ni comme objet ni comme fin rapprochée, mais comme fin ultime, comme la tempérance qui a comme matière les passions et le repos de l’âme comme fin rapprochée ; mais, au-delà, elle ordonne celui-ci à Dieu. Mais la pénitence, bien qu’elle n’ait pas Dieu comme objet, a cependant Dieu comme fin rapprochée, car elle est mue à détruire les péchés commis afin d’être réconciliée avec Dieu. C’est pourquoi son acte, à savoir, chasser le péché ou justifier, est attribué parfois à la foi, parfois à la charité.

[16047] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. La solution du troisième argument est ainsi claire.

[16048] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod medium in justitia non eodem modo accipitur, et in aliis virtutibus moralibus, ut in 3 Lib., dist. 33, dictum est. Accipitur enim justitiae medium per adaequationem rei ad rem. Haec autem adaequatio fit in justitia commutativa, quando ab eo qui plus habuit, aliquid subtrahitur ; et ei qui minus habuit, additur. Ille autem qui alterum offendit vel laesit, plus habuit ; et qui laesus est, habuit minus ; inquantum huic subtractum est quod ei debebatur, et ille usus est propria voluntate in hoc quod non debuit ; et ideo vindicativa justitia ab eo qui offensam fecit, quantum habuit plus debito, tantum subtrahit ei, et dat illi qui est laesus, dum ad honorem et in satisfactionem ejus alium punit. Sic ergo vindicativa justitia constituit medium in offensis, quae sunt ejus materia, non quidem tenendo medium in offensis, ut quasdam retineat et quasdam abjiciat (sicut temperantia ponit medium in delectationibus) ; sed omni offensae proportionando poenam debitam. Et similiter poenitentia pro quolibet peccato commisso poenam infert sibi ipsi debitam ; non autem ita quod dimittat aliquod peccatum, et aliquod retineat.

4. Le milieu n’est pas envisagé de la même manière dans la justice et dans les autres vertus morales, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33. En effet, le milieu de la justice est envisagé selon l’égalité d’une chose avec une autre. Or, cette égalité se réalise par la justice commutative, lorsque quelque chose est enlevé à celui qui possédait trop, et est ajouté à celui qui avait moins. Or, celui qui en offense ou en blesse un autre a davantage possédé, et celui qui est blessé a moins possédé, pour autant que quelque chose qui lui était dû est enlevé à celui-ci et que celui-là a fait usage de sa propre volonté là où il ne le devait pas. C’est pourquoi la justice punitive enlève à celui qui a accompli l’offense en proportion de ce qu’il avait en trop, et le donne à celui qui a été lésé, lorsqu’elle en punit un autre pour l’honneur et la satisfaction de celui-ci. La justice punitive établit donc ainsi un milieu dans les offenses, qui sont sa matière, non pas en suivant un milieu dans les offenses, de sorte qu’elle en retienne certaines et en rejette d’autres (comme la tempérance établit un milieu dans les plaisirs), mais en établissant une proportion entre la peine due pour toute offense. De même, la pénitence pour tous les péchés commis impose la peine due, mais non en rejetant tel péché et en retenant tel autre.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

 [16049] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod quia justitia aequalitas quaedam est, ideo non potest esse vera adaequatio ubi non est perfecta ratio justitiae, sed aliquis justitiae modus ; sicut dicit philosophus in 5 Ethic., quod domini ad servum non est simpliciter justum, sed dominativum justum. Cum ergo inter hominem et Deum sit maxima distantia, non poterit ibi esse dicta proprie justitia hominis ad Deum, sed aliquis justitiae modus quasi per similitudinem. Homo autem efficitur debitor alteri homini dupliciter. Uno modo per hoc quod ab eo sibi est datum, sicut in voluntariis communicationibus, puta in emptionibus et venditionibus. Alio modo per hoc quod ei subtraxit, sicut est in voluntariis communicationibus, ut est furtum, percussio, et hujusmodi. Et similiter aliquis efficitur Deo debitor per hoc quod ab eo aliquid recipit ; et hac ratione Deo reddit debitum honorem latria, sive religio. Alio modo ex hoc quod contra Deum peccavit ; et sic reddit Deo debitum poenitentia. Unde sicut religio ponitur pars justitiae a Tullio, non quidem quasi species, sed quasi pars potentialis, inquantum aliquem modum justitiae participat ; ita etiam poenitentia pars justitiae debet poni.

Parce que la justice est une certaine égalité, il ne peut pas y avoir de véritable égalité là où une parfaite raison de justice n’existe pas, mais une certaine mesure de justice. Ainsi, le Philosophe dit, dans Éthique, V, que ce qui est juste pour le maître par rapport à son esclave n’est pas simplement la justice, mais une justice de maître. Puisque la distance la plus grande existe entre l’homme et Dieu, il ne pourra donc exister une justice au sens propre entre l’homme et Dieu, mais une certaine mesure de justice par mode de ressemblance. Or, l’homme devient débiteur d’un autre homme de deux manières. D’une manière, par le fait que quelque chose lui a été donné par lui, comme dans les échanges volontaires, comme le sont les achats et les ventes. D’une autre manière, par le fait qu’il lui a enlevé quelque chose, comme cela arrive dans les échanges volontaires : tel est  le cas d’un vol, d’un coup et de choses du genre. D’une manière semblable, quelqu’un devient le débiteur de Dieu par le fait qu’il reçoit quelque chose de lui ; pour cette raison, il rend à Dieu l’honneur qui lui est dû par la latrie ou religion. D’une autre manière, par le fait qu’il a péché ; et ainsi, la pénitence rend à Dieu ce qui lui est dû. De même que la religion est présentée comme une partie de la justice par Tullius [Cicéron], non pas comme une espèce, mais comme une partie potentielle, pour autant qu’elle participe à une certaine mesure de justice, de même la pénitence doit-elle être aussi présentée comme une partie de la justice.

[16050] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit philosophus in Ethicis, ut habetur ex Lib. 5, cap. 8, virtus non requirit semper aequale, sed sufficit quod possibile est, ut in honoribus ad parentes et deos ; unde sicut latria est pars justitiae, quamvis non reddat aequalem honorem beneficiis acceptis ; ita et poenitentia, quamvis non possit aliquid aequale reddere offensae praecedenti.

1. Comme le dit le Philosophe dans l’Éthique, V, 8, la vertu n’exige pas toujours l’égalité, mais ce qui est possible suffit, comme pour les honneurs envers les parents et les dieux. De même que la latrie est une partie de la justice, bien qu’elle ne rende pas un honneur égal aux bienfaits reçus, de même aussi la pénitence, bien qu’elle ne puisse pas rendre quelque chose d’égal à l’offense précédente.

[16051] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut actus prudentiae conjungitur actibus aliarum virtutum moralium, ita etiam conjungitur actui poenitentiae ; et secundum hoc procedit objectio. Vel dicendum, quod Glossa non loquitur de luctu poenitentiae, sed de luctu quo spretis terrenis ad caelestia suspiramus.

2. De même que l’acte de la prudence est associé aux actes des autres vertus morales, de même aussi est-il joint à l’acte de la pénitence. C’est de là que vient l’objection. Ou bien il faut dire que la Glose ne parle pas de la douleur de la pénitence, mais de la douleur selon laquelle nous aspirons aux réalités célestes après avoir foulé aux pieds les réalités terrestres.

[16052] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia utitur temperantia ad finem suum ; et secundum hoc intelligenda est auctoritas Isidori ; non quod repellere carnalia desideria sit actus elicitus a poenitentia.

3. La pénitence utilise la tempérance pour sa fin. L’autorité d’Isidore doit être comprise de cette manière, et non que le fait de repousser les désirs charnels soit un acte causé par la pénitence.

[16053] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verecundia est in alio genere quam poenitentia : quia verecundia est timor ut dicit philosophus : sed poenitentia est dolor ; et ideo non sunt idem, quamvis objectum utriusque sit turpe factum.

4. La honte fait partie d’un autre genre que la pénitence, car la honte est une crainte, comme le dit le Philosophe, mais la pénitence est une douleur. C’est pourquoi elles ne sont pas la même chose, bien que l’objet des deux soit un acte déshonorant.

[16054] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod poenitentiae est sufferre difficilia voluntarie assumpta ; sed patientia est proprie in sustinendo difficilia ab aliis illata ; et ideo non sunt idem.

5. Il relève de la pénitence de supporter des choses difficiles volontairement assumées ; mais la patience consiste au sens propre à supporter les choses difficiles infligées par d’autres. Elles ne sont donc pas la même chose.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

 [16055] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod poenitentia et vindicativa justitia circa idem aliquo modo sunt, scilicet circa punitionem offensae ; sed differunt in duobus. Primo, quia vindicativa proprie inest in judice poenam infligente, quam reus quandoque invite sustinet ; sed poenitentia est in ipso reo, qui voluntarius poenam sustinet pro culpa commissa. Secundo, quia vindicativa respicit offensam communiter ; sed poenitentiae virtus respicit offensam Dei ; unde oportet quod poenitentia consistat in emendatione offensae voluntarie assumpta, et talis qualis Deo competit. Sicut autem hominibus, qui vident ea quae foris parent, fit offensae recompensatio per aliqua exteriora ; ita Deo, qui intuetur cor oportet quod incipiat recompensatio fieri in ipso cordis affectu. Fit autem bene recompensatio praecedentis offensae exterius in duobus. Primo in hoc quod aliquis exterius poenam subit pro offensa quam fecit ; secundo in hoc quod cavet in futurum ne similis offensa ab eo fiat ; et haec duo oportet quod homo in corde exhibeat per poenitentiam : primo dolorem cordis pro malis quae fecit ; secundo propositum de cetero talia non committendi ; et haec duo praedicta definitio comprehendit, quamvis non in forma definitionis proponatur. Unde Magister ad formam debitam eam reducens, tria ponit ; scilicet genus, in hoc quod dicit quod est virtus ; dolorem de praeteritis, in hoc quod dicit : qua commissa mala plangimus ; et propositum de futura emendatione, in hoc quod dicit : cum emendationis proposito. Alia vero quae dicuntur, ad idem pertinent, ut in expositione litterae patebit.

D’une certaine manière, la pénitence et la justice punitive portent sur la même chose, à savoir, la punition d’une offense. Mais elles diffèrent sur deux points. Premièrement, la justice punitive se trouve au sens propre chez le juge qui inflige une peine, que le coupable supporte parfois malgré lui ; mais la pénitence se trouve chez le coupable lui-même, qui supporte volontairement une peine pour la faute commise. Deuxièmement, parce que la justice punitive concerne l’offense d’une manière générale ; mais la vertu de pénitence concerne l’offense faite à Dieu. Aussi faut-il que la pénitence consiste dans la correction volontairement assumée de l’offense et telle qu’elle convient pour Dieu. Or, de même que la compensation pour une offense faite aux hommes, qui voient ce qui paraît à l’extérieur, se réalise par certaines choses extérieures, de même faut-il que la compensation faite à Dieu, qui voit le cœur, commence par le sentiment même du cœur. Or, la compensation pour une offense précédente se réalise extérieurement de deux manières. Premièrement, par le fait qu’on subit extérieurement une peine pour l’offense qu’on a faite ; deuxièmement, par le fait qu’on évite à l’avenir qu’une telle offense ne soit commise par soi. Et il faut que l’homme montre par la pénitence que ces deux choses existent dans son cœur : premièrement, la douleur de son cœur en raison du mal qu’il a fait ; deuxièmement, le propos de ne plus commettre de telles choses à l’avenir. La définition qui précède comporte ces deux choses, bien qu’elle ne soit proposée sous la forme d’une définition. Aussi, en la ramenant à la forme appropriée, le Maître présente-t-il trois choses : le genre, lorsqu’il dit qu’« elle est une vertu » ; la douleur à propos du passé, lorsqu’il dit : « par laquelle nous pleurons sur les fautes commises » ; le propos de la correction à venir, lorsqu’il dit : « accompagnée du propos de se corriger ». Les autres choses qui sont dites reviennent à la même chose, comme il ressortira de l’explication du texte.

[16056] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia habitus per actus cognoscuntur, ideo consuetum est apud auctores ut habitus per actus definiant, ponentes actus loco habituum ; sicut etiam differentiae accidentales interdum in definitionibus ponuntur pro essentialibus propter earum latentiam, ut dicit philosophus.

1. Parce que les habitus sont connus par leurs actes, les auteurs ont l’habitude de définir les habitus par leurs actes, en présentant les actes à la place des habitus. Ainsi les différences accidentelles sont-elles parfois aussi présentées dans les définitions à la place des [différences] essentielles en raison du caractère caché de celles-ci, comme le dit le Philosophe.

[16057] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod pertinet ad corporalem immutationem, non pertinet ad virtutem quasi essentialis actus ejus ; sed potest pertinere ad virtutem sicut materiale circa quod operatur virtus, quia etiam passiones corporales sunt materia virtutum ; et secundum hoc dicendum, quod ipsius virtutis poenitentiae sensibilis dolor vel corporalis fletus potest esse quoddam materiale, inquantum haec Deo reddit poenitens quasi debitum pro offensa commissa ; et ideo si per planctum significatur actus poenitentiae, tunc nihil aliud dicit quam detestationem ; si autem dicat materiale poenitentiae, sic potest etiam sensibilem vel corporalem fletum dicere.

 

[16058] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis peccatum sit praeteritum quantum ad actum, manet tamen quantum ad effectum vel reatus vel maculae vel offensae divinae ; et sic potest aliquis de peccato dolere inquantum est praesens ; dolor enim de praesenti est. Vel dicendum, et melius, quod quamvis voluntas completa non sit de impossibili, est tamen de ipso velleitas quaedam, idest voluntas conditionata : vellemus enim, si esset possibile, quod hoc non fuisset. Et secundum hoc etiam accipiunt ex conditione praedicta quamdam rationem praesentis, ut de iis possit esse dolor qui non est nisi de praesentibus.

2. Ce qui se rapporte au changement corporel ne relève pas de la vertu comme son acte essentiel, mais cela peut se rapporter à la vertu comme une matière sur laquelle la vertu s’exerce, car même les passions corporelles sont la matière de vertus. De cette manière, il faut dire que la douleur sensible de la vertu de pénitence ou les pleurs corporels peuvent être une certaine matière, dans la mesure où le pénitent les rend à Dieu comme une dette pour l’offense commise. C’est pourquoi, si un acte de pénitence est signifié par un gémissement, il n’exprime alors rien d’autre que la détestation [de la faute] ; mais s’il exprime une matière de la pénitence, il peut ainsi exprimer une plainte sensible ou corporelle.

 

3. Bien que le péché soit passé quant à l’acte, il demeure cependant quant à son effet, à la culpabilité, à la souillure ou à l’offense à Dieu. Ainsi peut-on pleurer sur le péché en tant qu’il est présent. En effet, la douleur porte sur le présent. Ou bien il faut dire, et mieux, que bien que la volonté complète ne porte pas sur quelque chose d’impossible, il existe cependant une certaine velléité, c’est-à-dire une volonté conditionnelle : si cela était possible, nous voudrions que cela n’ait pas été. De cette manière aussi, [les péchés] reçoivent de la condition mentionnée un certain caractère de présent, de sorte qu’on peut avoir de la douleur à leur sujet, [douleur] qui ne porte que sur des choses présentes.

[16059] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad poenitentiam, inquantum est poenitentia, non pertineat respectus ad futurum ; tamen inquantum est emendatoria offensae commissae in Deum, exigit respectum in futurum, scilicet propositum de cetero cavendi ; et hoc propositum intelligitur in hoc quod dicit : flenda iterum non committere ; idest, habere propositum non committendi. Vel intelligitur quantum ad perfectam poenitentiam, ut quod additur, non sit de essentia poenitentiae, sed de perfectione, quia sine hoc non consequitur ultimum fructum suum ; vel ut referatur ad idem tempus, ut Magister dicit.

4. Bien que la considération de l’avenir ne concerne pas la pénitence en tant que pénitence, elle exige cependant la considération de l’avenir, à savoir, le propos d’éviter [le péché] à l’avenir, en tant qu’elle corrige l’offense commise envers Dieu. C’est ce propos qui est indiqué par ce qu’il dit : « de ne plus commettre ce qu’on pleure », c’est-à-dire d’avoir le propos de ne plus le commettre. Ou bien cela s’entend de la pénitence parfaite, de sorte que ce qui est ajouté ne fait pas partie de l’essence de la pénitence, mais de sa perfection, car, sans cela, elle n’obtient pas son fruit ultime. Ou bien on peut le ramener au même temps, comme le dit le Maître.

[16060] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Ambrosius ordinat partes definitionis secundum ordinem ad poenitentiam ; quia illud quod est magis essentiale poenitentiae, primo ponit. Sed Augustinus ordinat per ordinem ad poenitentem ; quia hoc prius occurrit ut a proposito peccandi desistat, quasi removens poenitentiae impedimentum.

5. Ambroise ordonne les parties de la définition selon l’ordre de la pénitence, car il met en premier ce qui est plus essentiel à la pénitence. Mais Augustin [les] ordonne selon un ordre qui se rapporte au pénitent, car se présente en premier l’abandon du propos de pécher, en tant qu’il enlève un empêchement de la pénitence.

[16061] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est inconveniens de eodem dari diversas definitiones secundum diversa quae in rebus inveniuntur. Definitio igitur praemissa Gregorii et Ambrosii, quam Magister ad formam definitionis reducit, completissima est, quia tangit et genus et actum et objectum, et utrumque illorum quae ad emendationem Deo exhibendam requiruntur. Et in idem redit definitio Augustini posita in littera, scilicet : poenitentia est quaedam vindicta dolentis etc. : nisi quod magis exprimit proximum genus ipsius ; quia ponit ipsam non solum in genere virtutis, sed in genere justitiae, in hoc quod dicit eam vindictam ; et differentias etiam magis proximas ad propriam speciem ponit, in hoc quod addit rationem punitionis ad dolorem. Et in idem redit definitio Ambrosii alia, quam ponit, quod poenitentia est dolor cordis et amaritudo animae pro malis quae quisque commisit ; nisi quod non ponit unum eorum quae continent praedictae definitiones, scilicet detestationem peccati commissi. Alia autem notificatio, qua dicitur, quod poenitentia est res optima quae omnes defectus revocat ad perfectum, datur per effectum poenitentiae, et dicitur esse optima res non simpliciter, sed in genere declinationis a malo post peccatum commissum. Et similiter etiam illa Damasceni definitio : poenitentia est remotio ab eo quod est contra naturam, in id quod est secundum naturam datur per effectum ; et quasi in idem redeunt : quia peccatum quod in prima descriptione dicitur defectus, in secunda dicitur contra naturam esse ; status autem gratiae vel virtutis, quae in prima definitione dicitur perfectio, in secunda dicitur secundum naturam esse, quia ad hoc natura est ordinata.

6. Il n’est pas inapproprié de donner plusieurs définitions de la même chose selon les divers aspects qu’on trouve dans les choses. Les définitions données plus haut par Grégoire et Ambroise, que le Maître ramène à la forme d’une définition, sont donc les plus complètes, parce qu’elles indiquent le genre, l’acte et l’objet, et les deux parmi ces éléments qui sont exigés pour manifester à Dieu la correction. Et la définition donnée par Augustin présentée dans le texte revient au même : « La pénitence est un châtiment exercé par celui qui pleure, etc. », sauf qu’elle exprime davantage le genre rapproché [de la pénitence], car elle la place non seulement dans le genre de la vertu, mais dans le genre de la justice, en l’appelant un châtiment ; [il indique] aussi des différences plus rapprochées de son espèce propre lorsqu’il ajoute le caractère punitif de la douleur. Et l’autre définition d’Ambroise revient au même, lorsqu’il dit que « la pénitence est une douleur du cœur et une amertume de l’âme pour les fautes que chacun a commises », sauf qu’il n’indique pas un des éléments que les définitions précédentes contiennent, à savoir, la détestation du péché commis. L’autre description, selon laquelle on dit que la pénitence est « la chose la meilleure qui ramène toutes les carences à ce qui est parfait », est donnée à partir de l’effet de la pénitence, et on dit qu’elle est la meilleure chose non pas simplement, mais dans le genre du détournement du mal après qu’un péché a été commis. De même, cette définition de [Jean] Damascène : « La pénitence est le détournement de ce qui est contre nature vers ce qui est conforme à la nature », est donnée à partir de l’effet [de la pénitence]. [Ces définitions] reviennent au même, car le péché qui, dans la première définition, est appelé une carence, est appelé contre nature dans la deuxième ; l’état de grâce ou de vertu qui, dans la première définition, est appelé perfection, est appelé conforme à la nature dans la deuxième, car la nature est ordonnée à cela.

 

 

Articulus 2 [16062] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum virtus poenitentiae timore concipiatur

Article 2 – La vertu de pénitence vient-elle de la crainte ?

 

Quaestiuncula 1

 

[16063] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod virtus poenitentiae timore non concipiatur. Quod enim est ex infusione, non habet causam in subjecto. Sed poenitentia, cum sit virtus, de qua Augustinus dicit, quod Deus eam in nobis sine nobis facit, est ex infusione. Ergo non habet causam in suo subjecto ; et ita timore non concipitur.

Sous-question 1 – [La vertu de pénitence vient-elle de la crainte ?]

1. Il semble que la vertu de pénitence vienne de la crainte. En effet, ce qui vient d’une infusion n’a pas sa cause dans le sujet. Or, la pénitence, puisqu’elle est une vertu, dont Augustin dit que Dieu la réalise en nous sans nous, vient d’une infusion. Elle n’a donc pas sa cause dans son sujet, et ainsi elle n’est pas engendrée par la crainte.

 

[16064] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod in esse perfectum prodit, non tantum concipitur, sed etiam perfecte generatur. Sed poenitentia in esse perfectum prodit, quia etiam defectus ad perfectum revocat. Ergo ejus generatio non debet timore concipi.

2. Ce qui aboutit à un être parfait n’est pas seulement conçu, mais est engendré de manière parfaite. Or, la pénitence aboutit à un être parfait, car elle ramène même ce qui est déficient à quelque chose de parfait. Sa génération ne doit donc pas être conçue par  la crainte.

[16065] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, plus provocatur homo ad poenitentiam ex expectatione gloriae quam ex comminatione poenae ; unde Joannes poenitentiam praedicans dixit : poenitentiam agite ; appropinquabit enim regnum caelorum ; Matth. 3. Sed expectatio gloriae pertinet ad spem, vel caritatem, quam excitat ; poenae autem comminatio ad timorem. Ergo magis dicendum fuit, quod oriatur ex spe vel amore, quam ex timore.

3. L’homme est davantage excité à la pénitence par l’attente de la gloire que par la menace d’un châtiment. Aussi Jean, en prêchant la pénitence, disait-il : Faites pénitence, car le royaume des cieux approche  ! Mt 3. Or l’attente de la gloire relève de l’espérance ou de la charité qu’elle stimule, mais la menace du châtiment, de la crainte. Il aurait donc plutôt fallu dire qu’elle relève de l’espérance ou de l’amour que de la crainte.

[16066] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si concipiatur timore ; aut timore initiali, aut servili, aut mundano, aut casto. Non mundano, quia ille magis ad peccatum trahit ; similiter etiam nec servili, quia ille non est simul cum poenitentia ; generans autem et generatum, sive concipiens et conceptum, oportet esse simul ; similiter nec initialis, aut castus, aut filialis, quia isti non praecedunt poenitentiam ; oportet autem quod concipiens praecedat conceptum. Ergo nullo modo poenitentiae virtus timore concipitur.

4. Si [la pénitence] est conçue par la crainte, elle vient soit de la crainte initiale, [de la crainte] servile, [de la crainte] du monde ou [de la crainte] chaste. Elle ne vient pas de [la crainte] du monde, car celui-ci attire plutôt vers le péché. Elle ne vient pas non plus de [la crainte] servile, car celle-ci n’existe pas en même temps que la pénitence ; or, ce qui engendre et ce qui est engendré, ce qui conçoit et ce qui est conçu, doivent exister en même temps. Elle ne vient pas non plus de [de la crainte] initiale, chaste ou filiale, car celles-ci ne précèdent pas la pénitence ; or, il faut que ce qui conçoit précède ce qui est conçu. La vertu de pénitence n’est donc d’aucune manière conçue par la crainte.

[16067] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum, timor introducit ad caritatem. Sed introductio caritatis et aliarum virtutum est per poenitentiam. Ergo poenitentia a timore initium sumit.

Cependant, [1] selon Augustin, la crainte introduit à la charité. Or, l’introduction à la charité et aux autres vertus se réalise par la pénitence. La pénitence commence donc par la crainte.

[16068] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, contrariorum contraria sunt principia. Sed delectatio peccati ad peccatum attraxit. Ergo et acerbitas poenae a peccato revocat. Revocatio autem fit per poenitentiam. Ergo timor qui poenam respicit, est poenitentiae principium.

[2] Des contraires sont les principes des contraires. Or, le plaisir du péché attire au péché. L’âpreté du châtiment fait donc revenir du péché. Or, le retour se réalise par la pénitence. La crainte, qui concerne le châtiment, est donc le principe de la pénitence.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence est-elle la première des vertus ?]

[16069] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentia sit prima virtutum. Matth. 3, super illud : poenitentiam agite, dicit Glossa : prima virtus est per poenitentiam perimere veterem hominem, et vitia odire.

1. Il semble que la pénitence soit la première des vertus. À propos de Mt 3 : Faites pénitence  ! la Glose dit : « La première vertu consiste à anéantir le vieil homme par la pénitence et à haïr les vices. »

[16070] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, causa praecedit effectum. Sed poenitentia est causa justificationis, in qua omnes virtutes infunduntur. Ergo est prior aliis virtutibus.

2. La cause précède l’effet. Or, la pénitence est la cause de la justification par laquelle toutes les vertus sont infusées. Elle précède donc les autres vertus.

[16071] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in quolibet motu prius est recedere a termino quam ad terminum pervenire. Sed poenitentia ordinatur ad recessum a malo, omnes autem aliae virtutes ad consecutionem boni. Ergo poenitentia praecedit omnes alias virtutes.

3. Dans tout mouvement, s’éloigner d’un terme précède le fait de parvenir à un terme. Or, la pénitence est ordonnée à l’éloignement du mal, mais toutes les autres vertus, à la poursuite du bien. La pénitence précède donc toutes les autres vertus.

[16072] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Sed contra, fides est causa timoris. Sed timor praecedit poenitentiam sicut causa ejus. Ergo et fides ; non ergo poenitentia est prima virtus.

Cependant, [4] La foi est la cause de la crainte. Or, la crainte précède la pénitence en tant qu’elle est sa cause. La foi [la précède] donc aussi. La pénitence n’est donc pas la première vertu.

[16073] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, poenitentia ex recta electione procedit, ut supra dictum est. Sed recta electio procedit ex qualibet virtute. Ergo poenitentia est posterior omnibus virtutibus.

[5] La pénitence vient d’un choix bien ordonné, comme on l’a dit plus haut. Or, le choix bien ordonné provient de n’importe quelle vertu. La pénitence vient donc après toutes les vertus.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La pénitence est-elle le fondement ?]

[16074] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentia non sit fundamentum. Illud enim quod sequitur ad fundamentum, non debet dici fundamentum, sed superaedificatio. Sed fides, quae est fundamentum, ut habetur Hebr. 11, praecedit poenitentiam, ut dictum est. Ergo poenitentia non est fundamentum aliarum virtutum.

1. Il semble que la pénitence ne soit pas le fondement. En effet, ce qui découle du fondement ne doit pas être appelé fondement, mais élévation sur le fondement. Or, la foi, qui est le fondement, comme on le lit dans He 11, précède la pénitence, comme on l’a dit. La pénitence n’est donc pas le fondement des autres vertus.

 

[16075] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Eccl. 25, super illud : quam magnus est qui invenit sapientiam etc., dicit Glossa : timor domini sanctus permanet in saeculum ; ipse est fidei fundamentum, et caritatis origo. Sed poenitentia sequitur timorem. Ergo ipsa non est fundamentum aliarum virtutum.

2. À propos de Si 25 : Grand est celui qui trouve la sagesse, etc., la Glose dit : « La sainte crainte du Seigneur demeure en ce temps : elle est le fondement de la foi et l’origine de la charité. » Or, la pénitence suit la crainte. Elle n’est donc pas le fondement des autres vertus.

[16076] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, fundamenti non est fundamentum : quia sic iretur in infinitum. Sed quaedam aliae virtutes sunt fundamentum, sicut fortitudo, ut dicit Glossa, Luc. 12, super illud : ne terreamini ab his qui occidunt corpus ; et iterum, ut dicit Bernardus in Lib. de Consider., humilitas est quoddam fundamentum stabile virtutum. Ergo poenitentia non est fundamentum aliarum virtutum.

3. Il n’y a pas de fondement du fondement, car on remonterait alors à l’infini. Or, certaines autres vertus sont le fondement, comme la force, ainsi que le dit la Glose sur Lc 12 : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps ; et aussi, comme le dit Bernard, dans le livre Sur la considération, l’humilité est un fondement solide pour les autres vertus. La pénitence n’est donc pas le fondement des autres vertus.

[16077] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Hebr. 6, 1 : non rursus jacientes fundamentum poenitentiae ab operibus mortuis.

Cependant, [1] il est dit en He 6, 1 : Sans poser à nouveau le fondement de la pénitence pour les œuvres mortes.

[16078] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, fundamentum est prima pars aedificii. Sed primum quod est in aedificatione spirituali, est aedificium Satanae destruere ; quod poenitentia facit. Ergo poenitentia est fundamentum.

[2] Le fondement est la première partie d’un édifice. Or, ce qui vient en premier dans la construction spirituelle, c’est de détruire ce que Satan a édifié, ce que fait la pénitence. La pénitence est donc un fondement.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Existe-t-il une seconde planche ?]

[16079] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit secunda tabula. Secundum enim non dicitur nisi respectu primi. Sed prima tabula in littera dicitur Baptismus, respectu cujus poenitentia non est secunda, quia non est secundum sacramentum, sed quarto loco Magister ipsum determinat. Ergo poenitentia non est secunda tabula.

1. Il semble qu’il n’existe pas de seconde planche. En effet, on ne parle de second que par rapport à ce qui est premier. Or, dans le texte, on appelle première planche le baptême, en regard duquel la pénitence n’est pas seconde, parce qu’elle n’est pas le deuxième sacrement, mais elle est placée en quatrième lieu par le Maître. La pénitence n’est donc pas une seconde planche.

[16080] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Act. 2, 38, dicit Petrus : poenitentiam agite, et baptizetur unusquisque vestrum. Ergo poenitentia non est secunda tabula post Baptismum, sed e converso.

2. En Ac 2, 38, Pierre dit  : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé ! La pénitence n’est donc pas une seconde planche après le baptême, mais c’est le contraire.

[16081] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Isai. 3, super illud : peccatum suum quasi Sodoma praedicaverunt, dicit Glossa : secunda tabula post naufragium poenitentia est ; et consolatio miseriarum impietatem suam abscondere ; et est Glossa Hieronymi. Sed poenitentia non abscondit peccata, sed magis revelat. Ergo non est secunda tabula.

3. À propos de Is 3 : Ils ont annoncé son péché comme celui de Sodome, la Glose dit : « La pénitence est une seconde planche après le naufrage, et la consolation des malheurs cache son impiété. » Il s’agit d’une glose de Jérôme. Or, la pénitence ne cache pas les péchés, mais les révèle plutôt. Elle n’est donc pas une seconde planche.

[16082] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Hieronymus dicit in littera : prima tabula propter liberationem a primo naufragio. Sed Baptismus liberat a peccato originali, quod est primum naufragium ; poenitentia ab actuali, quod est secundum. Ergo Baptismus est prima tabula ; et poenitentia, secunda.

Cependant, Jérôme dit dans le texte : « Une première planche, en raison de la libération du premier naufrage. » Or, le baptême libère du péché originel, qui est le premier naufrage ; mais la pénitence, du péché actuel, qui est le second. Le baptême est donc la première planche, et la pénitence, la seconde.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16083] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod virtutem poenitentiae Deus nobis infundit ; sed dispositio aliqua ex parte nostra procedit, et secundum hoc habet aliquam originem in nobis. Sed quia humani actus non procedunt ex necessitate, sed ex libero arbitrio ; ideo non potest assignari causa ex parte nostra alicujus actus nostri, ex quo semper procedat, sed ex quo ut in pluribus contingit propter dispositionem existentem in nobis ad hoc, quae tamen non necessario inclinat ; unde omnes sermones morales sunt tales, ut philosophus in 1 Ethic. dicit, quod ut in pluribus oportet eos intelligere. Cum autem poenitentia sit revocatio a peccato, ut Damascenus dicit, oportet originem ejus in nobis accipi secundum dispositionem existentis in peccato. Ille autem qui in peccato est, non habet gustum sanum, ut ex dulcedine divinae bonitatis a peccato revocetur ; sed habet affectum infectum amore sui inordinato ; et ideo per poenas quae naturae suae contrariantur et voluntati, a peccato revocatur, ut philosophus in 10 Ethic., dicit de talibus, quod proprias delectationes prosequuntur, et fugiunt oppositas tristitias ; boni autem, et vere delectabilis neque intellectum habent, neque gustativi existunt ; et ideo in eis ut in pluribus ex timore poenitentia initium sumit ; quamvis etiam in aliquibus ex amore poenitentia inchoetur.

Dieu a infusé en nous la vertu de pénitence, mais une certaine disposition vient de nous, et ainsi, [la pénitence] a pour une part son origine en nous. Mais parce que les actes humains ne viennent pas de la nécessité mais du libre arbitre, on ne peut indiquer de notre côté la cause d’un de nos actes dont il est toujours issu, mais dont il est issu dans la plupart des cas en raison d’une disposition existant en nous à cette fin, qui n’incline cependant pas d’une manière nécessaire. Aussi, comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, toutes les considérations morales sont de telle nature, qu’il faut les entendre pour la plupart des cas. Or, puisque la pénitence est un détournement du mal, comme le dit [Jean] Damascène, il faut concevoir son origine en nous selon la disposition qui existe dans le péché. Or, celui qui se trouve dans le péché n’a pas un goût sain, de sorte qu’il soit ramené du péché par la douceur de la bonté divine, mais il a une disposition affective infectée par un amour désordonné de lui-même. C’est pourquoi il est ramené du péché par des peines qui contrarient sa nature et sa volonté, comme le dit à leur sujet le Philosophe dans Éthique, X : « Ils recherchent leurs propres plaisirs et fuient les tristesses contraires ; mais ils ne comprennent ni ne sont capables de goûter ce qui est bien et vraiment délectable. » C’est pourquoi, dans la plupart des cas, la pénitence commence par la crainte, bien que, chez certains, la pénitence commence par l’amour.

[16084] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non habeat causam in subjecto, habet tamen dispositionem in ipso ; et secundum hoc origo poenitentiae hic assignatur.

1. Bien qu’elle n’ait sa cause dans le sujet, elle trouve cependant une disposition en lui. L’origine de la pénitence est indiquée ici de cette manière.

[16085] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod conceptio proprie dicitur generatio alicujus intra uterum. Et quia primum esse poenitentiae est in corde, postea autem prodit exterius per confessionem et satisfactionem ; ideo, ut primam ejus originem designaret, dicit, quod concipitur timore.

2. On parle de conception à proprement parler pour la génération de quelque chose à l’intérieur du sein. Et parce que la pénitence existe d’abord dans le cœur et s’exprime ensuite extérieurement par la confession et la satisfaction, il dit qu’elle « est conçue par la crainte », afin de désigner son origine première.

[16086] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonitas Dei et gloria, quantum est de se, magis nata sunt revocare a peccato ; sed non quantum est ex parte eorum qui in peccato sunt, qui praedictorum gustum non habent.

3. La bonté et la gloire de Dieu sont en elles-mêmes davantage susceptibles de ramener du péché, mais non du point de vue de ceux qui sont dans le péché, qui n’ont pas le goût des choses mentionnées plus haut.

[16087] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod poenitentia timore servili concipitur, qui poenam respicit. Nec oportet quod timor servilis et poenitentia sint simul : quia timor servilis non est causa esse ipsius poenitentiae, sed generationis ejus ; sicut etiam sumptio medicinae est causa sanitatis, non tamen sunt simul.

4. La pénitence est conçue par la crainte servile, qui concerne la peine. Et il n’est pas nécessaire que la crainte servile et la pénitence existent en même temps, car la crainte servile n’est pas la cause de l’existence de la pénitence elle-même, mais de sa génération, de la même manière que la prise d’un remède est cause de la santé, mais qu’ils n’existent pas en même temps.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16088] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutes omnes simul infunduntur quantum ad habitus ; sed quod una dicatur prior altera, est quantum ad ordinem consideratum in earum actibus. Cum autem per virtutum actus homo tendat in Deum, oportet ordinem actuum considerari secundum ordinem eorum quae in motu sunt. Motum autem voluntatis, cujusmodi est motus virtutum moralium, praecedit motus cognitionis : quia appetibile imaginatum vel intellectum movet appetitum, ut dicitur in 3 de anima ; et iterum aestimatio possibilitatis : quia electio, quae est principalis motus virtutis, non fit de impossibili aestimato. Motus autem appetitus in duobus consistit ; scilicet in fuga mali, et in prosecutione boni : et haec duo diversimode ordinantur. Quandoque enim aliquis fugit malum propter desiderium boni, quandoque autem e converso ; et hic motus est ut frequentius in reversione peccatoris ad Deum per poenitentiam, ut dictum est ; et ideo motum poenitentiae praecedit motus fidei : quia accedentem ad Deum oportet credere ; Hebr. 11, 6 ; et iterum motus spei conjunctus motui timoris, per quem fit aestimatio de possibilitate veniae consequendae ; et ideo dicit Gregorius, quod poenitens movetur inter spem et timorem. Deinde ut in pluribus sequitur motus poenitentiae, et deinde motus caritatis et aliarum virtutum per ordinem. Quandoque etiam motus amoris motum poenitentiae praecedit, ut dictum est ; sed ille amor non est caritatis, quia caritas amissa non recuperatur nisi per contritionem de peccatis praecedentibus, quae est motus poenitentiae virtutis. Et secundum hoc dicendum, quod poenitentia est prior quibusdam, scilicet caritate, et sequentibus ipsam ; et posterior aliis, scilicet fide et spe.

Toutes les vertus sont infuses selon l’habitus ; mais c’est selon l’ordre de leurs actes que l’une est dite antérieure à une autre. Puisque par la vertu l’homme tend vers Dieu, il faut donc considérer l’ordre des actes selon l’ordre de ce qui existe dans le mouvement. Or, le mouvement de la connaissance précède le mouvement de la volonté, de laquelle relèvent les mouvements des vertus morales, car ce qui est imaginé et saisi comme désirable meut l’appétit, comme il est dit dans Sur l’âme, III ; et aussi ce qui est estimé possible, car le choix, qui est le mouvement principal de la vertu, ne porte pas sur ce qui est estimé impossible. Or, le mouvement de l’appétit consiste en deux choses : la fuite du mal et la poursuite du bien, et ces deux choses sont ordonnées de manière différente. En effet, on fuit parfois le mal par désir du bien, mais parfois c’est le contraire. Et ce mouvement se rencontre plus fréquemment dans le retour du pécheur à Dieu par la pénitence, comme on l’a dit. C’est pourquoi le mouvement de la foi précède le mouvement de la pénitence, car il est nécessaire que celui qui s’approche de Dieu ait la foi, He 11, 6 ; [précède] aussi le mouvement de l’espérance associé au mouvement de la crainte, par lequel se réalise l’estimation de la possibilité d’obtenir le pardon. C’est pourquoi Grégoire dit que le pénitent est ballotté entre l’espérance et la crainte. Ensuite, dans la plupart des cas, suit le mouvement de la pénitence, et ensuite le mouvement de la charité et des autres vertus selon leur ordre. Parfois aussi le mouvement de l’amour précède le mouvement de la pénitence, comme on l’a dit ; mais cet amour n’est pas un amour de charité, car la charité perdue n’est retrouvée que par la contrition des péchés précédents, qui est un mouvement de la vertu de pénitence. Il faut ainsi dire que la pénitence est antérieure à certaines [vertus], à savoir, à la charité et à celles qui la suivent, et qu’elle est postérieure à d’autres, à savoir, la foi et l’espérance.

[16089] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides et spes non habent rationem perfectae virtutis, nisi secundum quod sunt informatae caritate ; et secundum hoc poenitentiam sequuntur ; et sic aliquo modo verum est quod est prima inter omnes virtutes.

1. La foi et l’espérance n’ont le caractère de vertus parfaites que si elles reçoivent forme de la charité ; elles suivent ainsi la pénitence. Il est ainsi vrai de dire que, d’une certaine manière, elle est la première de toutes les vertus.

[16090] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides informis et spes etiam sine gratia habentur ; et ideo eas in justificatione non oportet superaddi ; et sic poenitentia earum causa non est.

2. La foi et l’espérance informes existent aussi sans la grâce. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elles soient ajoutées dans la justification. De cette manière, la pénitence n’est pas leur cause.

[16091] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis qui est prior in intentione, est ultimus in executione ; et ideo, quamvis in motu corporali prius recedatur a termino quam ad terminum perveniatur, tamen in motu voluntatis est e contrario ; quia propter bonum aliquod consequendum voluntas recedit a contrario, vel ab impedimento ejus.

3. La fin, qui est première par l’intention, est dernière dans l’exécution. C’est pourquoi, bien que, dans un mouvement corporel, on s’éloigne d’abord d’un terme avant de parvenir à un [autre] terme, dans le mouvement de la volonté, c’est le contraire, car c’est afin de poursuivre un bien que la volonté s’éloigne de son contraire et de ce qui en est l’empêchement.

[16092] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Quartum concedimus, secundum hoc tamen quod fides non est virtus.

4. Nous concédons le quatrième argument, pour autant toutefois que la foi n’est pas une vertu.

[16093] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod poenitentia de malo commisso, quamvis ex electione boni possit provenire, tamen etiam ex alia causa quandoque contingit, scilicet ex fuga mali poenae, ut dictum est ; et quando etiam ex electione boni contingit, primus poenitentiae motus non provenit ex electione boni formata per aliquem habitum alterius virtutis, sed per naturalem quemdam appetitum, vel etiam ex ipso habitu poenitentiae virtutis bono ; et ideo primus motus poenitentiae praecedit motus aliarum virtutum. Sed non est inconveniens ut motus aliarum virtutum quandoque causent aliquos motus poenitentiae ; sicut aliquis ex amore temperantiae, de luxuria praecedente motum poenitentiae habet : quia etiam interdum ex virtute sequente motus praecedentis virtutis oritur ; sicut quis movetur in amorem Dei, qui castitatem praecipit, ex hoc quod castitas ei placet.

5. La pénitence à propos du mal commis, bien qu’elle puisse provenir du choix du bien, peut cependant parfois se produire pour une autre cause, à savoir, pour fuir le mal de la peine, comme on l’a dit. Et même lorsqu’elle se produit par le choix du bien, le premier mouvement de la pénitence ne provient pas d’un choix du bien qui a reçu sa forme de l’habitus d’une autre vertu, mais par un certain désir naturel ou même par l’habitus bon de la vertu de pénitence. C’est pourquoi le premier mouvement de la pénitence précède le mouvement des autres vertus. Mais il n’est pas inapproprié que les mouvements des autres vertus causent parfois certains mouvements de pénitence, comme lorsque quelqu’un, par amour de la tempérance, a un mouvement de pénitence à propos de la luxure qui a précédé, car parfois même le mouvement de la vertu qui précède vient d’une vertu qui suit, comme lorsque quelqu’un est mû à l’amour de Dieu, qui ordonne la chasteté, parce que la chasteté plaît à celui-ci.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16094] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fundamentum dicitur in spiritualibus ad similitudinem corporalis fundamenti ; quod duas habet proprietates. Prima est quod ipsum est prima pars aedificii ; alia est quod fundamento totum aedificium sustentatur ; et ideo in spiritualibus fundamentum dicitur aliquid vel ratione prioritatis, vel ratione conservationis et sustentationis aliorum, aut etiam ratione utriusque. Prioritas autem attenditur dupliciter. Uno modo quantum ad disciplinam spiritualium ; et sic illa quae primo occurrunt edocenda in Christiana religione, fundamentum dicuntur, Hebr. 6. Alio modo quantum ad vitam spiritualem ; et sic fides dicitur simpliciter fundamentum primum ; sed timor et poenitentia in genere eorum quae ad affectum pertinent quantum ad fugam mali ; caritas autem quantum ad prosecutionem boni, prout dicitur Ephes. 3, 17 ; in caritate radicati et fundati. Sed ratione sustentationis, in prosperis dicitur humilitas fundamentum, in adversis autem fortitudo. Poenitentia autem et timor in recedendo a malo, diversimode sunt fundamenta : quia timor est primum in isto toto genere quod est recedere a malo ; sed poenitentia quantum ad hanc speciem quae est recedere a malo commisso ; et ideo etiam timor praecedit poenitentiam ; sicut principia generis praecedunt principia speciei.

 

On parle de fondement pour les réalités spirituelles par ressemblance avec un fondement corporel, qui a deux propriétés. La première est qu’il est la première partie d’un édifice ; l’autre est que tout l’édifice est soutenu par le fondement. C’est pourquoi, en matière spirituelle, on parle d’un fondement soit en raison d’une priorité, soit en raison de la conservation et du support d’autres réalités, soit en raison des deux. Or, la priorité est envisagée de deux manières. D’une manière, quant à l’apprentissage des réalités spirituelles. Ainsi, ce qui doit être enseigné en premier dans la religion chrétienne est appelé un fondement, He 6. D’une autre manière, quant à la vie spirituelle. Ainsi, la foi est appelée simplement le premier fondement ; mais la crainte et la pénitence [sont appelées] des fondements pour ce qui concerne l’affectivité en regard de la fuite du mal ; mais la charité, pour ce qui concerne la poursuite du bien, comme il est dit en Ep 3, 17 : Enracinés, fondés dans la charité. Mais en raison du support, l’humilité est appelée fondement dans la prospérité, et la force dans l’adversité. Mais la pénitence et la crainte sont des fondements de manière différente pour s’éloigner du mal, car la crainte est première dans le genre qui consiste à s’éloigner du mal, mais la pénitence, dans l’espèce qui consiste à s’éloigner du mal commis. C’est pourquoi même la crainte précède la pénitence, comme les principes d’un genre précèdent les principes d’une espèce.

[16095] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

3. La solution des objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16096] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod locutio Hieronymi est metaphorica. Illi enim qui prospero itinere mare navigant, prima tabula sustentantur, scilicet ipsa navi integra ; sed naufragium passi, alicujus tabulae navis fractae auxilio ad portum salutis ducuntur ; et haec est secunda tabula quae est post naufragium : non quod sit secunda post naufragium ; sed quia existens post naufragium, est secunda a prima quae erat ante naufragium. Unde consuetudo sua est, ut patet ejus dicta legenti, ut omne illud quod praestat remedium post aliquod periculum eveniens, secundam tabulam post naufragium vocet. Gratia autem baptismalis, per quam in Ecclesia collocamur, cujus figura fuit arca Noe, dicitur prima tabula ante naufragium. Sed quia per peccatum mortale naufragium passis et a gratia innocentiae cadentibus non restat aliquod remedium nisi poenitentia, ideo poenitentia secunda tabula dicitur.

La manière de parler de Jérôme est métaphorique. En effet, ceux qui naviguent avec bonheur sur la mer sont soutenus par la première planche, à savoir, l’ensemble du navire ; mais ceux qui ont subi un naufrage sont conduits au port du salut à l’aide d’une planche arrachée au navire. Telle est la seconde planche qui existe après le naufrage : non pas qu’elle soit seconde après le naufrage, mais, parce qu’elle existe après le naufrage, elle est seconde par rapport à la première qui existait avant le naufrage. Aussi est-ce l’habitude [de Jérôme], comme cela ressort clairement pour celui qui lit ce qui a été dit, d’appeler seconde planche tout ce qui apporte un remède après un danger. Or, la grâce baptismale, par laquelle nous sommes placés dans l’Église, dont l’arche de Noé était la figure, est appelée la première planche avant le naufrage. Mais parce qu’il ne reste que la pénitence comme remède pour ceux qui ont subi un naufrage par le péché mortel et qui ont perdu la grâce de l’innocence, la pénitence est appelée une seconde planche.

[16097] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alia sacramenta non subveniunt naufragium passis per peccatum mortale sine poenitentia ; et ideo non possunt dici secunda tabula, sicut poenitentia, quae post lapsum subvenit ; unde quamvis non sit secundum sacramentum, est tamen secunda tabula.

1. Les autres sacrements ne viennent pas au secours de ceux qui ont subi un naufrage par le péché mortel sans la pénitence. C’est pourquoi ils ne peuvent pas être appelés des secondes planches, comme la pénitence, qui secourt après une chute. Bien qu’elle ne soit pas le deuxième sacrement, elle est donc néanmoins une seconde planche.

[16098] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Petrus non loquitur ibi de poenitentiae sacramento, sed de poenitentia quae requiritur in Baptismo, quae ad primam tabulam pertinet.

2. Pierre ne parle pas du sacrement de pénitence, mais de la pénitence qui est requise pour le baptême, qui est en rapport avec la première planche.

[16099] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa absconsio peccati de qua Hieronymus ibi loquitur, non contrariatur illi manifestationi quae fit in poenitentia, sed illi quam faciunt illi qui effrontes in peccatis existentes gloriantur cum male fecerint, et se de peccatis jactant ; et haec absconsio ad verecundiam pertinet ; et secundum eamdem similitudinem dicitur secunda tabula : quia prima tabula prosperae navigationis est ut homo peccatum non committat ; secunda, ut de peccato commisso erubescat. Sed per hanc tabulam non datur sufficiens remedium, nisi quatenus ad emendationem peccati et poenitentiam ducit ; et ita non proprie dicitur secunda tabula sicut poenitentia ; tamen secunda tabula dici potest : quia tabula secunda in naufragio corporali non semper a periculo liberat, etsi periculum, quantum est de se, aliquo modo impediat.

3. Cette dissimulation du péché dont parle Jérôme à cet endroit ne s’oppose pas à la manifestation qui est réalisée dans la pénitence, mais à celle que font ceux qui, se trouvant impudemment dans le péché, se glorifient d’avoir fait le mal et se vantent de leurs péchés. Une telle dissimulation relève de la honte et, selon la même comparaison, est appelée seconde planche, car la première planche de ceux qui naviguent avec bonheur consiste en ce que l’homme ne commette pas de péché, mais la seconde, en ce qu’il rougisse du péché commis. Mais, par cette planche, un remède suffisant n’est pas donné, à moins qu’il ne conduise à la correction du péché et à la pénitence. Ainsi, on ne parle pas de seconde planche à proprement parler, comme pour la pénitence. Toutefois, on peut parler de seconde planche, car, dans le naufrage corporel, la seconde planche ne libère pas toujours du danger, même si, d’une certaine manière, elle est empêche quant à elle le danger.

 

 

Articulus 3 [16100] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 tit. Utrum poenitentia sit in qualibet vi

Article 3 – La pénitence existe-t-elle dans toutes les puissances  ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pénitence existe-t-elle dans toutes les puissances  ?]

[16101] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod poenitentia sit in qualibet vi. Nihil enim agit ubi non est. Sed poenitentia expellit peccatum a qualibet vi. Ergo est in qualibet vi.

1. Il semble que la pénitence existe dans  toutes les puissances. En effet, rien n’agit où cela n’existe pas. Or, la pénitence expulse le péché dans toutes les puissances. Elle existe donc dans toute puissance.

[16102] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Item, videtur quod sit in concupiscibili. Quia poenitentia est dolor. Sed dolor est in concupiscibili, sicut et gaudium. Ergo poenitentia est in concupiscibili.

2. Il semble qu’elle existe dans le concupiscible, car la pénitence est une douleur. Or, la douleur se trouve dans le concupiscible, comme la joie. La pénitence se trouve donc dans le concupiscible.

[16103] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Item, videtur quod sit in irascibili. Quia poenitentia est quaedam vindicta dolentis. Sed vindicta pertinet ad irascibilem, quia ira est appetitus vindictae. Ergo poenitentia est in irascibili.

3. Il semble qu’elle existe dans l’irascible, car la pénitence est une vengeance de celui qui déplore. Or, la vengeance se rapporte à l’irascible, car la colère est un appétit de vengeance. La pénitence se trouve donc dans l’irascible.

[16104] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit in memoria. Quia sicut timor est de futuro, et gaudium de praesenti, ita memoria de praeterito. Sed poenitentia est de malo commisso, quod est praeteritum. Ergo est in memoria.

4. Il semble qu’elle existe dans la mémoire, car de même que la crainte porte sur le futur et la joie sur le présent, la mémoire porte sur le passé. Or, la pénitence porte sur le mal commis, qui est passé. Elle existe donc dans la mémoire.

[16105] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit in ratione. Quia poenitentia est pars justitiae. Sed justitia est in ratione. Ergo et poenitentia.

5. Il semble qu’elle existe dans la raison, car la pénitence est une partie de la justice. Or, la justice existe dans la raison. Donc, la pénitence aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence peut-elle exister chez les innocents  ?]

[16106] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in innocentibus poenitentia esse non possit. Quia poenitere est commissa mala plangere. Sed innocentes nullum malum commiserunt. Ergo in eis poenitentia non est.

1. Il semble que la pénitence ne puisse exister chez les innocents, car la pénitence consiste à déplorer le mal commis. Or, les innocents n’ont commis aucun mal. La pénitence n’existe donc pas en eux.

[16107] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poenitentia ex suo nomine importat poenam. Sed innocentibus non debetur poena. Ergo non est in eis poenitentia.

2. La pénitence implique par son nom même une peine. Or, aucune peine n’est due aux innocents. La pénitence n’existe donc pas en eux.

[16108] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, poenitentia in idem coincidit cum vindicativa justitia, ut supra dictum est. Sed omnibus existentibus innocentibus, vindicativa justitia locum non haberet. Ergo nec poenitentia ; et ita non est in innocentibus.

3. La pénitence coïncide sur la même chose avec la justice punitive, comme on l’a dit plus haut. Or, si tous étaient innocents, la justice punitive n’aurait pas sa place. Donc, la pénitence non plus. Et ainsi, elle existe chez les innocents.

[16109] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omnes virtutes simul infunduntur. Sed poenitentia est virtus. Cum ergo innocentibus in Baptismo infundantur aliae virtutes ; infunditur etiam poenitentia.

Cependant, [1] toutes les vertus sont infusées en même temps. Or, la pénitence est une vertu. Puisque les autres vertus sont infusées chez les innocents par le baptême, la pénitence aussi est donc infusée.

[16110] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ille qui nunquam fuit infirmus corporaliter, dicitur sanabilis. Ergo et similiter qui nunquam fuit infirmus spiritualiter. Sed sicut sanatio in actu a vulnere peccati non est nisi per actum poenitentiae, ita nec sanabilitas nisi per habitum. Ergo ille qui nunquam habuit infirmitatem peccati, habet habitum poenitentiae.

[2] On dit que celui qui n’a jamais été corporellement malade est guérissable. On parle donc de la même manière de celui qui est spirituellement malade. Or, de même que la guérison en acte de la blessure du péché n’existe que par un acte de pénitence, de même la capacité de guérir n’existe-t-elle que par un habitus. Celui qui n’a jamais eu la maladie du péché possède donc l’habitus de la pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les saints qui sont dans la gloire possèdent-ils la pénitence  ?]

[16111] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sancti homines qui sunt in gloria, non habeant poenitentiam. Quia, sicut dicit Gregorius in moralibus, beati peccatorum recordantur, sicut nos sani sine dolore dolorum memoramur. Sed poenitentia est dolor cordis, ut dictum est. Ergo sancti in patria non habent poenitentiam.

1. Il semble que les saints qui sont dans la gloire ne possèdent pas la pénitence, car, ainsi que le dit Grégoire dans les Morales, les bienheureux se rappellent leurs péchés, comme nous qui sommes en santé, nous nous rappelons nos douleurs sans douleur. Or, la pénitence est une douleur du cœur, comme on l’a dit. Les saints dans la patrie ne possèdent donc pas la pénitence.

[16112] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sancti in patria sunt Christo conformes. Sed in Christo non fuit poenitentia, nec fides, quae est principium poenitentiae. Ergo nec in sanctis in patria erit poenitentia.

2. Les saints dans la patrie sont conformes au Christ. Or, dans le Christ, il n’y avait pas de pénitence ni de foi, qui est le principe de la pénitence. Il n’y aura donc pas de pénitence chez les saints dans la patrie.

[16113] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, frustra est habitus qui ad actum non reducitur. Sed sancti in patria non poenitebunt actu ; quia sic esset eis aliquid contra votum. Ergo non erit in eis habitus poenitentiae.

3. L’habitus qui n’est pas amené à l’acte est inutile. Or, les saints dans la patrie ne se repentiront pas en acte, car ce serait quelque chose qui irait contre ce qu’ils souhaitent. Il n’y aura donc pas en eux d’habitus de pénitence.

[16114] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 4 Sed contra, poenitentia est pars justitiae. Sed justitia est immortalis et perpetua, et in patria remanebit. Ergo et poenitentia.

Cependant, [4] la pénitence est une partie de la justice. Or, la justice est immortelle et perpétuelle, et elle demeurera dans la patrie. Il en sera donc de même de la pénitence.

[16115] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in vitis patrum legitur a quodam patre dictum, quod etiam Abraham poenitebit de hoc quod non plura bona fecit. Sed magis debet aliquis poenitere de malo commisso quam de bono omisso, ad quod non tenebatur ; quia de tali bono loquitur. Ergo erit ibi poenitentia de malis commissis.

[5] Dans les Vies des pères, on lit qu’un père disait que même Abraham se repentira de ce qu’il n’a pas fait grand bien. Or, on doit davantage se repentir du mal commis que du bien omis, auquel on n’était pas tenu, car c’est d’un tel bien qu’il parle. Il existera donc là une pénitence pour le mal commis.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’ange bon ou mauvais peut-il être le sujet de la pénitence  ?]

[16116] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam Angelus, bonus seu malus, sit susceptivus poenitentiae. Quia timor est initium poenitentiae. Sed in eis est timor ; Jac. 2, 19 : Daemones credunt et contremiscunt. Ergo in eis potest esse poenitentia.

1. Il semble que même l’ange bon ou mauvais puisse être le sujet de la pénitence, car la crainte est le commencement de la pénitence. Or la crainte existe en eux, Jc 2, 19 : Les démons croient et tremblent. La pénitence peut donc exister en eux.

[16117] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit in 9 Ethic., quod poenitudine replentur mali, et haec est maxima poena eis. Sed Daemones maxime sunt pravi, nec aliqua poena eis deest. Ergo Daemones possunt poenitere.

2. Le Philosophe dit dans Éthique, IX, que les méchants sont remplis d’amertume et que c’est là pour eux la plus grande peine. Or, les démons sont mauvais au plus haut point, et aucune peine ne leur fait défaut. Les démons peuvent donc se repentir.

[16118] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, facilius movetur aliquid in id quod est secundum naturam quam in id quod est contra naturam ; sicut aqua quae per violentiam est calefacta, etiam per seipsam ad naturalem proprietatem redit. Sed Angelus potest mutari in peccatum, quod est contra omnem naturam eorum. Ergo multo fortius potest revocari in id quod est secundum naturam. Et hoc facit poenitentia. Ergo sunt susceptibiles poenitentiae.

3. Quelque chose est plus facilement mû vers ce qui conforme à sa nature que vers ce qui est contraire à sa nature, comme l’eau qui a été réchauffée par une certaine violence revient par elle-même à sa propriété naturelle. Or, l’ange peut être changé pour le péché, ce qui est contraire à sa [corr.] nature. À bien plus forte raison donc, peut-il être ramené à ce qui est conforme à sa nature. Et c’est cela que fait la pénitence. Ils peuvent donc être sujets à la pénitence.

[16119] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, idem judicium est secundum Damascenum, de Angelis et de animabus separatis. Sed in animabus separatis potest esse poenitentia, ut quidam dicunt, sicut in animabus beatis quae sunt in patria. Ergo et in Angelis potest esse poenitentia.

4. [Jean] Damascène porte le même jugement sur les anges et sur les âmes séparées. Or, chez les âmes séparées, la pénitence peut exister, ainsi que certains le disent, comme dans les âmes des saints qui sont dans la patrie. La pénitence peut donc aussi exister chez les anges.

[16120] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, per poenitentiam homo reparatur ad vitam, peccato dimisso. Sed hoc est impossibile in Angelis, ut in 2 Lib., dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. Ergo non sunt susceptibiles poenitentiae.

Cependant, [1] Par la pénitence, l’homme revient à la vie, après que le péché a été enlevé. Or, cela est impossible chez les anges, comme on l’a dit dans le livre II, d. 7, q. 1, a. 2. Ils ne peuvent donc pas être sujets à la pénitence.

[16121] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, Damascenus, dicit quod homo fungitur poenitentia propter corporis infirmitatem. Sed Angeli sunt incorporei. Ergo in eis non potest esse poenitentia.

[2] [Jean] Damascène dit que l’homme subit la pénitence en raison de la faiblesse de son corps. Or, les anges sont incorporels. Il ne peut donc pas exister de pénitence chez eux.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16122] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dicunt, subjectum omnis virtutis esse liberum arbitrium. Sed hoc non potest esse ; quia omnis actus humanus ordinatus elicitive procedit ab aliqua virtute humana ; quaelibet autem potentia humana habet aliquem actum ordinatum (et dico potentiam humanam rationem, vel quae rationi obediat) ; et ideo in omni tali potentia potest esse virtus, quae eliciat ordinatum actum illius potentiae ; et de hoc in 3 Lib., dist. 33, qu. 2, art. 4, quaestiunc. 1, plura dicta sunt. Et ideo quidam dicunt, quod poenitentia est in omnibus viribus. Sed hoc non potest esse ; quia unus habitus non potest esse nisi unius potentiae, sicut una forma nisi unius materiae, et unum accidens non nisi unius subjecti. Et ideo alii dicunt, quod est in irascibili ; quia, ut dicit Augustinus, est vindicta quaedam quam appetit ira. Sed hoc non potest esse ; quia vindictam expetere de altero, quod arduitatem habet, ad irascibilem pertinet ; sed vindictam pati non videtur esse irascibilis. Et ideo quidam dicunt, quod poenitentia est dolor et propter hoc est in concupiscibili. Sed hoc etiam non valet ; quia ille dolor qui est in concupiscibili, est passio ; dolor autem qui est actus poenitentiae, non est passio. Et ideo dicendum cum aliis, quod poenitentia est pars justitiae ; et ideo, cum justitia sit in ratione, non quidem quantum ad partem cognitivam, sed quantum ad affectivam ; et poenitentia in ratione est, inquantum est virtus ; sed poenitentia quae est passio, est in concupiscibili sicut in subjecto, quia est dolor quidam. Sed haec passio est quasi materiale in poenitentia virtute, quia poenitentia virtus hunc dolorem recompensat pro peccatis commissis ; sicut et poena quam patitur reus, est materiale in vindicativa justitia.

Certains disent que le sujet de toute vertu est le libre arbitre. Mais cela est impossible, car tout acte humain volontairement ordonné provient d’une certaine vertu humaine. Or, toutes les puissances humaines possèdent un acte ordonné (et j’appelle puissance humaine la raison humaine ou celle qui obéit à la raison). C’est pourquoi, en toute puissance de ce genre, une vertu peut exister, qui décide de l’acte ordonné de cette puissance. On en a beaucoup parlé dans le livre III, d. 33, q. 2, a. 4, qa 1. C’est pourquoi certains disent que la pénitence se trouve dans toutes les puissances. Mais cela est impossible, car un seul habitus ne peut exister que dans une seule puissance, de même qu’il n’existe qu’une seule forme d’une seule matière, et un seul accident d’un seul sujet. C’est pourquoi d’autres disent que [la pénitence] existe dans l’irascible, car, ainsi que le dit Augustin, elle est une certaine vengeance que désire la colère. Mais cela est impossible, car réclamer vengeance d’un autre, ce qui comporte une difficulté, relève de l’irascible, mais subir la vengeance ne semble pas relever de l’irascible. C’est pourquoi certains disent que la pénitence est une douleur et que, à cause de cela, elle se trouve dans le concupiscible. Mais cela aussi n’est pas valable, car cette douleur qui se trouve dans le concupiscible est une passion ; mais la douleur qui est un acte de la pénitence n’est pas une passion. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres que la pénitence est une partie de la justice. Aussi, puisque la justice existe dans la raison, non sous son aspect cognitif, mais sous son aspect affectif, la pénitence aussi existe dans la raison pour autant qu’elle est une vertu. Mais la pénitence qui est une passion existe dans le concupiscible comme dans son sujet, car elle est une certaine douleur. Mais cette passion est comme une matière pour la vertu de pénitence, car, par la pénitence, la vertu donne cette douleur en compensation des péchés commis, de la même façon dont la peine que subit un coupable est la matière de la justice punitive.

[16123] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenitentia non expellit omne peccatum formaliter, sed quasi active ; unde non oportet quod sit ut in subjecto in qualibet vi ubi potest esse peccatum ; sed quod ea quae sunt in illis virtutibus, subjiciantur ei quasi materialia ; et hoc poenitentia habet, inquantum est in ratione, cui omnes aliae vires subduntur quasi ab ipsa motae et regulatae.

1. La pénitence n’écarte pas tout péché à la manière d’une forme, mais de manière active. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle existe comme dans un sujet dans toutes les puissances où il peut y avoir péché, mais que ce qui fait partie de ces vertus lui soit soumis comme une matière. Et cela, la pénitence le possède pour autant qu’elle existe dans la raison, à laquelle toutes les autres puissances sont soumises en tant qu’elles sont mues et dirigées par elle.

[16124] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dolor qui est in concupiscibili, non est actus poenitentiae virtutis, sed materiale, ut dictum est ; sed dolor qui est detestatio culpae commissae, est actus ejus ; et hoc est voluntatis, in qua est justitia, cujus actus est detestari inaequalitatem praeexistentem, et eam ad aequalitatem reducere.

2. La douleur qui existe dans le concupiscible n’est pas un acte de la vertu de pénitence, mais sa matière, comme on l’a dit. Mais la douleur qui est la détestation de la faute commise est son acte. Et cela relève de la volonté où existe la justice, dont l’acte consiste à détester l’inégalité antérieure et à la ramener à l’égalité.

[16125] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod exhibitio vindictae est materialis in poenitentia, sicut etiam in justitia vindicativa ; non enim exhibet vindictam ex appetitu vindictae, sed ad aequalitatem restituendam.

3. La manifestation de la vengeance est la matière de la pénitence, comme dans la justice punitive. En effet, elle ne montre pas de châtiment par appétit de vengeance, mais pour rétablir l’égalité.

[16126] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis poenitentia sit de praeterito, sicut memoria, tamen respicit affectum ; memoria autem est potentia pure cognoscitiva ; et ideo in ea non potest esse poenitentia.

4. Bien que la pénitence porte sur le passé, comme la mémoire, elle concerne cependant l’affectivité, alors que la mémoire est une puissance purement cognitive. Il ne peut donc exister de pénitence en elle.

[16127] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Quintum concedimus.

5. Nous concédons le cinquième argument.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16128] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod habitus medius est inter potentiam et actum. Et quia remoto priori, removetur posterius, non autem e converso ; ideo remota potentia ad actum, removetur habitus, non autem remoto actu. Et quia subtractio materiae tollit actum, propter hoc quod actus non potest esse sine materia in quam transit ; ideo habitus alicujus virtutis competit alicui cui non suppetit materia, propter hoc quod suppetere potest, et ita in actum exire ; sicut pauper homo potest habere habitum magnificentiae, sed non actum, quia non habet magnitudinem divitiarum, quae sunt materia magnificentiae, sed potest habere : et ideo cum innocentes in statu innocentiae non habeant peccata commissa, quae sunt materia poenitentiae, sed possint habere ; actus poenitentiae in eis esse non potest ; sed habitus potest ; et hoc, si gratiam habeant, cum qua omnes virtutes infunduntur.

L’habitus est un état intermédiaire entre la puissance et l’acte. Et parce que, une fois enlevé ce qui est premier, ce qui suit est aussi enlevé – mais il n’en va pas de même en sens contraire –, une fois enlevée la puissance à l’acte, l’habitus est enlevé, mais non lorsque l’acte est enlevé. Parce que la soustraction de la matière supprime l’acte, car l’acte ne peut exister sans la matière où il passe, l’habitus d’une vertu convient à une [autre vertu] à laquelle ne correspond pas la matière, parce qu’elle peut y suffire, et ainsi passer à l’acte. Ainsi, un homme pauvre peut avoir l’habitus de la magnificence, mais non l’acte, parce qu’il n’a pas de grandes richesses, mais il peut les avoir. Ainsi, puisque les innocents dans l’état d’innocence n’ont pas de péchés commis, qui sont la matière de la pénitence, mais peuvent en avoir, l’acte de la pénitence ne peut exister chez eux, mais l’habitus le peut, s’ils ont la grâce, avec laquelle toutes les vertus sont infusées.

[16129] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non commiserint, possunt tamen committere ; et ideo eis habitum poenitentiae habere competit. Sed tamen habitus iste nunquam in actum exire potest, nisi forte respectu venialium peccatorum, quia peccata mortalia tollunt ipsum. Nec tamen est frustra, quia est perfectio potentiae naturalis.

1. Bien qu’ils n’en aient pas commis, ils peuvent cependant en commettre ; c’est pourquoi il convient qu’existe chez eux l’habitus de la pénitence. Cependant, cet habitus ne peut jamais passer à l’acte, si ce n’est par rapport à des péchés véniels, car les péchés mortels enlèvent [cet habitus]. Il n’existe cependant pas pour rien, car il est une perfection de la puissance naturelle.

[16130] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non sit eis debita poena in actu, tamen in eis est possibile esse aliquid pro quo eis poena debeatur.

2. Bien qu’il n’y ait pas pour eux de peine due en acte, il est cependant possible qu’il existe quelque chose pour quoi une peine leur serait due.

[16131] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod remanente potentia ad peccandum, adhuc haberet locum vindicativa justitia secundum habitum, quamvis non secundum actum, si peccata actu non essent.

3. La puissance de pécher demeurant, la justice punitive aurait encore sa place selon l’habitus, mais non selon l’acte, s’il n’existe pas de péchés en acte.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16132] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtutes cardinales in patria remanebunt ; sed secundum actus quos habent in fine suo, ut in 3 Lib., dist. 33, qu. 1, art. 4, in corp., dictum est ; et ideo cum poenitentia virtus, sit pars justitiae, quae est habitus cardinalis, quicumque habet habitum poenitentiae in hac vita, habebit in futura ; sed non habebit eumdem actum quem nunc habet, sed alium, scilicet gratias agere Deo pro misericordia relaxante peccata.

Les vertus cardinales demeureront dans la patrie, mais selon les actes qu’elles possèdent à leur terme, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 1, a. 4, c. Puisque la pénitence est une partie de la justice, qui est un habitus cardinal, tous ceux qui possèdent l’habitus de pénitence dans cette vie l’auront dans la vie future, mais ils n’auront pas le même acte qu’ils ont maintenant, mais un autre, à savoir, rendre grâce à Dieu pour sa miséricorde qui délivre des péchés.

[16133] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa auctoritas probat quod non habent eumdem actum quem hic habet poenitentia ; et hoc concedimus.

1. Cette autorité démontre qu’ils n’ont pas le même acte que possède maintenant la pénitence. Nous concédons cela.

 [16134] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus non potuit peccare, ut in 3 Lib., dist. 12, qu. 2, art. 1, dictum est, et ideo materia hujus virtutis non competit sibi nec actu nec potentia ; et propter hoc non est simile de ipso et de aliis.

2. Le Christ ne pouvait pas pécher, comme on l’a dit dans le livre III, d. 12, q. 2, a. 1. C’est pourquoi la matière de cette vertu ne lui convient ni en acte ni en puissance. Pour cette raison, il n’en va de même de lui et des autres.

[16135] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitere, proprie loquendo, prout dicit actum poenitentiae qui nunc est, non erit in patria ; nec tamen habitus frustra erit, quia alium actum habebit.

3. À proprement parler, se repentir, en tant que cela désigne un acte de la pénitence qui existe maintenant, n’existera pas dans la patrie. Cependant, l’habitus ne sera pas inutile, car il aura un autre acte.

[16136] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 4 Quartum concedimus.

4. Nous concédons le quatrième argument.

[16137] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 5 Sed quia quinta ratio probat quod etiam idem actus poenitentiae erit in patria qui modo est ; ideo dicendum ad quintum, quod voluntas nostra in patria erit omnino conformis voluntati Dei ; unde sicut Deus voluntate antecedente vult omnia esse bona et per consequens nihil esse mali, non autem voluntate consequente ; ita etiam est de beatis ; et talis voluntas improprie dicitur ab illo sancto patre poenitentia.

5. Le cinquième argument démontre que le même acte de la pénitence qui existe maintenant existera dans la patrie. Il faut donc répondre au cinquième argument que notre volonté dans la patrie sera entièrement conforme à la volonté de Dieu. De même que Dieu veut d’une volonté antécédente que tout soit bon et, par conséquent, qu’il n’y ait rien de mal, [ce n’est cependant] pas le cas selon sa volonté conséquente. Il en est de même pour les bienheureux. Une telle volonté est improprement appelée pénitence par ce saint père.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16138] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod poenitentia in nobis dupliciter accipitur. Uno modo secundum quod est passio ; sic enim nihil aliud est quam dolor vel tristitia de malo commisso. Et quamvis secundum quod est passio, non sit nisi in concupiscibili, tamen aliquis voluntatis actus similitudinarie poenitentia dicitur, quo quidem detestatur quod facit ; sicut etiam timor et aliae passiones dantur in intellectivo appetitu, ut in 3 Lib., dist. 26, qu. 1, art. 5 dictum est. Alio modo accipitur secundum quod est virtus ; et hoc modo detestari malum commissum cum emendationis proposito et intentione expiandi, vel Deum placandi de offensa commissa, est actus ejus. Detestatio autem mali competit alicui secundum quod habet ordinem naturalem ad bonum. Et quia in nulla creatura talis inclinatio totaliter tollitur ; ideo etiam in damnatis talis detestatio manet, et per consequens poenitentia passio, vel similis ei, ut dicitur Sap. 5, 3 : intra se gementes, et poenitentiam agentes. Et haec quidem poenitentia, cum non sit habitus, sed passio vel actus, nullo modo in beatis Angelis esse potest, in quibus peccata commissa non praecesserunt ; sed in malis Angelis est, cum sit eadem ratio de ipsis et de animabus damnatorum ; quia secundum Damascenum, quod est homini mors, hoc est Angelis casus. Sed peccatum Angeli est irremissibile, ut in 2 Lib., dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. Et quia peccatum, ut est remissibile vel expiabile, est propria materia istius virtutis quae poenitentia dicitur ; ideo cum materia non possit eis competere, non adest eis potentia exeundi in actu ; et ideo nec habitus eis convenit ; et ideo Angeli susceptivi poenitentiae virtutis esse non possunt.

La pénitence est envisagée chez nous de deux manières. D’une manière, selon qu’elle est une passion. En effet, elle n’est ainsi rien d’autre qu’une douleur ou une tristesse pour le mal commis. Et bien que, selon qu’elle est une passion, elle n’existe que dans le concupiscible, un acte de la volonté peut cependant être appelé pénitence par mode de ressemblance, par lequel quelqu’un déteste ce qu’il fait, de la même manière que la crainte et d’autres passions sont attribuées à l’appétit intellectuel, comme on l’a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 5. D’une autre manière, elle est envisagée selon qu’elle est une vertu. De cette manière, son acte consiste à détester le mal commis, avec le propos de se corriger et l’intention d’expier ou d’apaiser Dieu pour l’offense commise. Or, la détestation du mal convient à quelqu’un selon l’ordre naturel qu’il a par rapport au bien. Et parce que, dans aucune créature, une telle inclination n’est totalement enlevée, une telle détestation demeure même chez les damnés et, par conséquent, la pénitence comme passion ou semblable à celle-ci, comme il est dit dans Sg 5, 3 : Se lamentant par devers eux et faisant pénitence. Cette pénitence, puisqu’elle n’est pas un habitus, mais une passion ou un acte, ne peut d’aucune manière exister chez les anges bienheureux, chez qui des péchés commis n’ont pas précédé ; mais elle existe chez les anges mauvais, puisqu’il en va de même pour eux et pour les âmes des damnés. Selon [Jean] Damascène, en effet, ce qu’est la mort pour l’homme, la chute l’est pour les anges. Or, le péché de l’ange est irrémissible, comme on l’a dit dans le livre II, d. 7, q. 1, a. 2. Et parce que le péché, en tant qu’il est rémissible ou expiable, est la matière propre de cette vertu qu’on appelle pénitence, puisque la matière ne peut pas convenir, il n’y a pas chez eux de puissance pour passer à l’acte. C’est pourquoi l’habitus non plus ne leur convient pas, et c’est la raison pour laquelle les anges ne peuvent pas être des sujets de la vertu de pénitence.

[16139] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex timore in eis generatur aliquis poenitentiae motus, sed non quae sit virtus.

1. Par la crainte, un certain mouvement de pénitence est engendré chez eux, mais non celle qui est une vertu.

[16140] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[16141] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidquid in eis est naturale, totum est bonum, et ad bonum inclinans ; sed liberum arbitrium in eis est in malitia obstinatum. Et quia motus virtutis et vitii non consequitur inclinationem naturae, sed magis motum liberi arbitrii ; ideo non oportet quod quamvis naturaliter inclinetur ad bonum, motus virtutis in eis sit, vel esse possit.

3. Tout ce qui est naturel en eux est entièrement bon et incline au bien ; mais le libre arbitre est chez eux fixé dans la malice. Et parce que le mouvement de la vertu ou du vice ne suit pas une inclination de la nature, mais plutôt un mouvement du libre arbitre, il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait en eux un mouvement de la vertu ou qu’il puisse y en avoir, bien qu’il soit naturellement incliné au bien.

[16142] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est eadem ratio de Angelis sanctis et animabus sanctis ; quia in animabus sanctis praecessit vel praecedere potuit peccatum remissibile, non autem in Angelis ; et ita, quamvis sint similes quantum ad statum praesentem, non tamen quantum ad statum praeteritum, quem poenitentia respicit directe.

4. Il n’en va pas de même des anges saints et des âmes saintes, car, dans les âmes des saints, le péché rémissible a précédé ou pouvait précéder, mais non chez les anges. Ainsi, bien qu’ils soient semblables pour ce qui est de leur état présent, ils ne l’étaient cependant pas pour ce qui est de leur état passé, que la pénitence concerne directement.

 

 

Articulus 4 [16143] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 tit. Utrum de ratione verae poenitentiae sit quod usque in finem vitae continuetur

Article 4 – Fait-il partie de la notion de vraie pénitence qu’elle se poursuive jusqu’à la fin de la vie  ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Fait-il partie de la notion de vraie pénitence qu’elle se poursuive  jusqu’à la fin de la vie  ?]

[16144] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod de ratione verae poenitentiae sit quod usque in finem vitae continuetur. Poenitentia enim est quasi quaedam recompensatio Deo facta pro offensa commissa. Sed offensa fuit infinita ; unde aeterna poena debetur pro peccato mortali. Ergo et poenitentia delens hanc culpam, ad hoc quod sit vera, oportet quod usque in finem duret.

1. Il semble qu’il fasse partie de la notion de vraie pénitence qu’elle se poursuive jusqu’à la fin de la vie. En effet, la pénitence est une certaine compensation faite à Dieu pour l’offense commise. Or, l’offense était infinie ; aussi une peine éternelle est-elle due pour le péché mortel. La pénitence qui détruit cette faute doit donc durer jusqu’à la fin pour être vraie.

[16145] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil destruitur nisi a fortiori se. Sed poenitentia est fortius quam peccatum, quia expellit ipsum. Cum ergo vera poenitentia non possit discontinuari nisi per peccatum, videtur quod si fuerit vera, nullo modo a statu poenitentiae quis cadere possit.

2. Rien n’est détruit que par un plus fort. Or, la pénitence est plus forte que le péché, puisqu’elle le chasse. Puisque la vraie pénitence ne peut être discontinuée que par le péché, il semble donc que, si elle est vraie, elle ne puisse déchoir de l’état de pénitence.

[16146] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, facilius est peccatum impedire ne fiat, quam peccatum factum destruere. Sed poenitentia destruit peccatum factum. Ergo multo fortius impedit ne aliquod peccatum committatur ; et sic idem quod prius.

3. Il est plus facile d’empêcher qu’un péché ne soit commis que de détruire le péché commis. Or, la pénitence détruit le péché qui a eu lieu. À bien plus forte raison empêche-t-elle qu’un péché soit commis. La conclusion est donc la même que précédemment.

[16147] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Baptismus est efficacius sacramentum quam poenitentia, qui etiam totaliter poenam tollit. Sed gratia baptismalis tollitur per peccatum sequens. Ergo multo fortius poenitentia.

Cependant, [1] le baptême est un sacrement plus efficace que la pénitence, lui qui enlève entièrement la peine. Or, la grâce baptismale est enlevée par un péché subséquent. À bien plus forte raison donc, la pénitence.

[16148] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla virtus potest remanere sine caritate ; et ea habita, omnes habentur. Sed caritatem semel habitam contingit amitti, ut in 3 Lib., dist. 33, qu. 1, art. 1, dictum est. Ergo et poenitentiam.

[2] Aucune vertu ne peut demeurer sans la charité et, si celle-ci est possédée, [toutes les vertus] sont possédées. Or, il arrive qu’on perde la charité après qu’on l’a eue, comme on le dit dans le livre III, d. 33, q. 1, a. 1.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il nécessaire que la douleur de la pénitence soit interrompue par la joie  ?]

[16149] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod necesse sit dolorem poenitentiae per gaudium interrumpi. Gaudium enim et dolor sunt affectivitates contrariae. Sed contraria non sunt nata esse in eodem. Ergo, cum oporteat poenitentem aliquando de sua poenitentia gaudere, ut in littera dicitur, oportet quod dolor per illud gaudium interrumpatur.

1. Il semble qu’il soit nécessaire que la douleur du péché soit interrompue par la joie. En effet, la joie et la douleur sont des affections contraires. Or, les contraires ne sont pas destinés à exister dans la même chose. Puisqu’il est nécessaire que le pénitent se réjouisse parfois de sa pénitence, comme on le dit dans le texte, il faut donc que la douleur soit interrompue par [la joie].

 

[16150] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut mali dolent de suo gaudio, ita boni gaudent de suo dolore. Sed philosophus in 9 Ethic. dicit, quod mali de hoc quod delectati sunt, postmodum dolent ; quod non potest esse simul dum delectantur. Ergo nec boni simul cum dolent, possunt gaudere de hoc quod dolent.

2. De même que les méchants pleurent sur leur joie, de même les bons se réjouissent de leur douleur. Or, le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que les méchants pleurent par la suite ce dont ils se sont réjouis, ce qui ne peut se produire en même temps qu’ils se réjouissent. Les bons non plus ne peuvent donc pas se réjouir du fait qu’ils pleurent en même temps qu’ils pleurent.

[16151] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si dicatur quod dolor est causa gaudii, et sic possunt esse simul ; contra. Contrarium non est causa sui contrarii. Sed dolor est contrarium gaudio. Ergo non potest esse causa ipsius.

3. Si on dit que la douleur est cause de joie et qu’elles peuvent ainsi exister simultanément, on objectera que le contraire n’est pas la cause de son contraire. Or, la douleur est le contraire de la joie. Elle ne peut donc pas être sa cause.

[16152] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Galat. 5, super illud : fructus autem spiritus, dicit Glossa interlinealis quod virtutes fructus dicuntur, quia suos possessores sancta delectatione delectant. Sed poenitentia est virtus. Ergo in suo actu, qui est dolere, habet delectationem.

Cependant, [1] à propos de Ga 5 : Les fruits de l’Esprit, la glose interlinéaire dit que les vertus sont appelées des fruits, parce que ceux qui les possèdent se délectent d’une sainte délectation. Or, la pénitence est une vertu. Elle possède donc une délectation dans son acte, qui consiste à pleurer.

[16153] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 Ethic., signum generati habitus oportet accipere fientem in opere delectationem. Sed poenitentia est habitus quidam. Ergo actus ejus habet delectationem ; ergo non interrumpitur per gaudium.

[2] Selon le Philosophe, dans Éthique, II, le signe de l’habitus engendré doit être que celui qui l’exerce trouve une délectation dans son acte. Or, la pénitence est un habitus. Son acte possède donc une délectation. Il n’est donc pas interrompu par la joie.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La pénitence peut-elle être renouvelée  ?]

[16154] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentia iterari non possit. Sicut enim Baptismus habet efficaciam a passione Christi, ita poenitentia, et omnia alia sacramenta. Sed quia passio Christi est una, ideo Baptismus iterari non potest. Ergo nec poenitentia potest iterari.

1. Il semble que la pénitence puisse être renouvelée. En effet, de même que le baptême tient son efficacité de la passion du Christ, de même la pénitence et tous les autres sacrements. Or, parce que la passion du Christ est unique, le baptême ne peut être répété. La pénitence non plus ne peut donc pas être répétée.

[16155] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Gregorius, facilitas veniae incentivum praebet delinquendi. Sed Deus non debet alicui dare peccandi occasionem. Ergo non debet dare locum poenitentiam iterandi.

2. Comme le dit Grégoire, la facilité du pardon est une incitation à pécher. Or, Dieu ne doit pas donner à quelqu’un une occasion de pécher. Il ne doit donc pas laisser place à la répétition de la pénitence.

[16156] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, spiritualis curatio, quae per poenitentiam fit, signatur per corporales curationes, quas dominus miraculose fecit. Sed in illis curationibus non legitur quod aliquem bis sanaverit. Ergo nec per poenitentiam aliquis bis potest spiritualiter curari.

3. La guérison spirituelle, qui se réalise par la pénitence, est signifiée par les guérisons corporelles que le Seigneur a faites de manière miraculeuse. Or, dans ces guérisons, on ne lit pas qu’il ait guéri quelqu’un deux fois. On ne peut donc pas être guéri spirituellement deux fois par la pénitence.

[16157] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Eccli. 2, 23 : secundum magnitudinem ejus, sic et misericordia illius cum eo est. Ergo et misericordia ; non ergo coarctatur per unam poenitentiam, ut postmodum ad se conversis non parcat.

Cependant, il est dit dans Si 2, 23 : Sa miséricorde est à la mesure de sa grandeur. Donc, sa miséricorde aussi. Elle ne se limite donc pas à une seule pénitence, de sorte qu’il n’épargne pas par la suite ceux qui se sont convertis à lui.

[16158] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Matth. 12, dicitur : qui peccat in patrem vel filium, remittetur ei. Sed contingit quod post peractam poenitentiam aliquis peccet per infirmitatem, quod est in patrem peccare ; et per ignOrantiam, quod est in filium peccare. Ergo tale peccatum remittetur ; ergo poenitentia potest iterari.

[2] En Mt 12, il est dit : Il sera pardonné à celui qui pèche contre son père ou son fils. Or, il arrive qu’après avoir fait pénitence, on pèche par faiblesse, ce qui est pécher contre son père; et par ignorance, ce qui est pécher contre son fils. Un tel péché sera donc remis. La pénitence peut donc être répétée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16159] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem quod opinio ista quae posuit quod nullus homo a vera poenitentia possit excidere, est erronea, et conformis illi quae in 3 Lib. posita est, dist. 26, qu. 1, art. 1, quod caritas semel habita non possit amitti. Sed tamen de caritate videbantur magis moveri, considerantes efficaciam ejus, ex qua apparebat quod non posset per aliquod peccatum vinci. Sed de poenitentia videbantur moveri, quia ad integritatem poenitentiae requiritur continuatio usque in finem vitae. Sed utrumque frivolum est. Primo, quia quantumcumque aliqua virtus efficaciam habeat, flexibilitatem a libero arbitrio non tollit, dum est in statu viae. Similiter illud quod futurum est, non potest esse de substantia vel de integritate alicujus virtutis, nisi secundum quod est praesens in apprehensione vel in voluntate ; quia virtus quantum ad habitum non expectat aliquid in futurum ; habitus enim virtutis est de rebus permanentibus, non de successivis ; unde totam perfectionem suam habet simul in instanti ; quae tota simul in unum actum potest effluere, quia actus sunt similes habitibus, ut dicitur in 3 Ethic. Et sic quod futurum est, non est de integritate vel essentia ipsius. Unde cum poenitentia sit virtus, et secundum quod est sacramentum, non se extendat ultra actum virtutis ; non est de integritate poenitentiae essentiali futuri continuatio, nisi ut sit in proposito ; et ideo potest esse vera poenitentia, et tamen ab ea postmodum aliquis excidet.

La position qui affirmait qu’aucun homme ne peut s’écarter de la vraie pénitence est erronée et conforme à ce qui a été présenté dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 1, à savoir que la charité une fois possédée ne peut être enlevée. Or, on semblait cependant être surtout influencé par la considération de son efficacité, en raison de laquelle il semblait qu’elle ne pouvait pas être vaincue par un péché. Mais, à propos de la pénitence, on semblait être influencé par le fait que la continuation jusqu’à la fin de la vie était exigée pour l’intégrité de la pénitence. Or, les deux choses sont futiles. Premièrement, parce que, quelle soit l’efficacité d’une puissance, elle n’enlève pas la flexibilité du libre arbitre, alors qu’il est dans l’état du cheminement. De même, ce qui est à venir ne peut faire partie de la substance ou de l’intégrité d’une vertu, si ce n’est selon qu’il est présent dans l’intelligence ou dans la volonté. En effet, la vertu, pour ce qui est de l’habitus, n’attend pas quelque chose dans l’avenir, car l’habitus de la vertu porte sur des choses permanentes, et non pas successives. Elle possède donc toute sa perfection d’un coup dans l’instant, laquelle [perfection] peut se répandre en même temps d’un seul coup, car les actes sont semblables aux habitus, comme il est dit dans Éthique, III. Ainsi, ce qui est à venir ne fait pas partie de son intégrité ou de son essence. Puisque la pénitence est une vertu et selon qu’elle est un sacrement, sa continuation dans l’avenir ne fait donc pas partie de l’intégrité essentielle de la pénitence. Une véritable pénitence peut donc exister, et cependant, quelqu’un s’en écarter.

[16160] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut offensa habuit infinitatem, ita etiam et unus contritionis actus habet quamdam infinitatem, tum ex virtute gratiae quae dat operibus infinitum valorem, ut scilicet per ea homo infinitum bonum mereatur ; tum ex merito Christi, quod operatur in omnibus sacramentis, et in omnibus meritis.

1. De même que l’offense était infinie, de même aussi un seul acte de contrition possède-t-il une certaine infinité, tant en vertu de la grâce qui donne aux actes une valeur infinie, à savoir que, par eux, l’homme mérite un bien infini, que par le mérite du Christ, qui agit dans tous les sacrements et dans tous les mérites.

[16161] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nec poenitentia nec aliqua virtus agit de necessitate, sed ex libertate arbitrii ; et ideo quamvis poenitentia sit fortior quam peccatum, et per hoc possit peccatum expellere ; tamen homo poenitentiae virtutem habens, potest sponte se peccato subjicere.

2. Ni la pénitence ni une autre vertu n’agit par nécessité, mais selon la liberté de l’arbitre. Bien que la pénitence soit plus forte que le péché et puisse ainsi expulser le péché, l’homme qui possède la vertu de pénitence peut cependant se soumettre au péché de son plein gré.

[16162] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquando homo vincitur a debiliori, qui fortiorem vincit, quia non tantam curam adhibet ; et similiter poenitens propter negligentiam a peccato nondum commisso vincitur, qui per poenitentiam a peccato commisso liberatus fuit.

3. Parfois, un homme est vaincu par un plus faible, qui l’emporte sur un plus fort parce que celui-ci ne prend pas un aussi grand soin. De même, le pénitent est parfois vaincu par un péché non encore commis en raison de sa négligence, alors qu’il avait été libéré par la pénitence d’un péché commis.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16163] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod gaudium et tristitia secundum genus sunt contraria ; non tamen quodlibet gaudium cuilibet tristitiae opponitur, sed ei quae est de eodem. Si autem de contrariis sunt vel de diversis, unum potest esse causa alterius, vel materiale ad ipsum ; qui enim de praesentia gaudet, eo ipso sequitur quod de absentia tristatur. Similiter etiam quando de aliquo tristari est nobis utile vel decens, tristitia potest esse materia gaudii. Si ergo gaudium et tristitia directe contraria accipiantur, sic non possunt simul esse in eodem secundum idem ; si autem sint de diversis vel contrariis, sic quidem quantum ad causam suam possunt simul esse, quia potest esse voluntas de uno et voluntas de altero ; et similiter si unum sit ratio alterius. Sed quantum ad sensum qui requiritur in utroque, quia gaudium non est sine perceptione convenientis, neque tristitia sine perceptione nocivi, impossibile est quod utrumque simul intense insit : quia anima quando intense occupatur circa unum, retrahitur ab altero ; sed imperfecte possunt esse simul ; ita tamen quod unum nunc sit perfectius, et aliud postmodum. Dolor autem qui est in poenitentia, est de peccato commisso ; unde simul cum hoc non potest esse gaudium de eodem ; sed potest esse gaudium de spe veniae, quam per dolorem concipit ; vel etiam hoc ipso quod in exhibendo dolorem pro peccatis commissis, facit quod debet ; et ideo detestatio peccati commissi, quae est causa doloris, et voluntas detestandi, quae est causa gaudii, sunt simul ; volens enim detestatur. Et quia unum est ratio alterius, ideo anima ad utrumque converti potest simul, inquantum ex eis quodammodo fit unum. Quando autem ex aliquibus duobus fit unum, unum est ut materiale, et alterum ut formale ; et ideo anima ad unum illorum convertitur per prius, et ad alterum per posterius ; et propter hoc non potest inesse utrumque secundum sui completam rationem, sed quandoque unum, quandoque alterum. Quando enim plene convertitur ad spem veniae vel ad decentiam doloris, tunc gaudium est principaliter, et dolor de peccato ex consequenti : quando autem principaliter convertitur ad peccatum commissum, tunc est e contrario.

La joie et la tristesse sont contraires selon leur genre ; cependant, toute joie n’est pas opposée à toute tristesse, mais à celle qui porte sur la même chose. Mais si elles portent sur des choses contraires ou diverses, l’une peut être cause de l’autre ou sa matière. En effet, celui qui se réjouit de la présence est par le fait même attristé par l’absence. De la même manière encore, lorsqu’il nous est utile ou convenable d’être attristés de quelque chose, la tristesse peut être matière à la joie. Si donc la joie et la tristesse sont considérées comme directement contraires, elles ne peuvent donc pas ainsi exister simultanément chez le même à propos de la même chose ; mais si elles portent sur des choses différentes ou contraires, elles peuvent ainsi exister simultanément pour ce qui est de leur cause, car la volonté peut porter sur l’une et l’autre chose. Mais pour ce qui est du sens qui est nécessaire dans les deux, parce que la joie n’existe pas sans la perception de ce qui convient ni la tristesse sans la perception de ce qui est nuisible, il est impossible que les deux existent simultanément de manière intensive, car l’âme, lorsqu’elle est intensément occupée à une chose, est éloignée d’une autre. Mais elles peuvent exister simultanément de manière imparfaite, de telle sorte cependant que l’une soit maintenant plus parfaite et l’autre par la suite. Or, la douleur qui existe dans la pénitence porte sur le péché commis ; aussi la joie ne peut-elle exister en même temps à propos de cette même chose. Mais la joie peut exister à propos de l’espérance du pardon, qu’elle conçoit par la douleur ; ou encore, du fait qu’en manifestant une douleur pour les péchés commis, elle fait ce qu’elle doit. C’est pourquoi la détestation du péché commis, qui est cause de la douleur, et la volonté de [le] détester, qui est cause de joie, existent simultanément : en effet, celui qui veut déteste. Et parce qu’une chose est la raison de l’autre, l’âme peut donc se tourner en même temps vers les deux, pour autant qu’une seule chose vient des [deux]. Or, lorsqu’une seule chose vient de deux choses, l’une a le caractère de matière et l’autre, le caractère de forme. C’est pourquoi l’âme se tourne en premier vers l’une d’elles, et vers l’autre par la suite. Pour cette raison, les deux choses ne peuvent exister en même temps [dans l’âme] selon leur raison complète, mais parfois l’une, parfois l’autre. En effet, lorsque [l’âme] se tourne pleinement vers l’espérance du pardon ou vers la convenance de la douleur, alors la joie existe principalement, et la douleur du péché par voie de conséquence ; mais lorsqu’elle se tourne principalement vers le péché commis, c’est alors le contraire.

[16164] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dolor de peccato et gaudium de dolore non sunt affectivitates contrariae, ut dictum est.

1. La douleur à propos du péché et la joie à propos de la douleur ne sont pas des affections contraires, comme on l’a dit.

[16165] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum gaudii est aliquid conveniens ; sed objectum tristitiae est contrarium nocivum ; unde dolor de quo quis gaudet, non est contrarius gaudenti, sed conveniens ; sed gaudium de quo quis dolet, est contrarium dolenti ; et ideo simul cum quis gaudet, non potest esse dolor de gaudio secundum idem ; sed simul cum quis dolet, potest esse gaudium de illo.

2. L’objet de la joie est quelque chose qui convient; mais l’objet de la tristesse est un contraire nuisible. Aussi la douleur dont quelqu’un se réjouit n’est-elle pas contraire mais convenable pour celui qui se réjouit. Mais la joie sur laquelle quelqu’un pleure est contraire à celui qui pleure. C’est pourquoi,  il ne peut y avoir de douleur à propos de la joie à propos de la même chose, lorsque quelqu’un se réjouit; mais il peut y avoir de la joie à ce propos, lorsque quelqu’un pleure.

[16166] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum.

3. La réponse au troisième argument est la même que pour le premier.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16167] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod erroneum est dicere quod poenitentia non possit iterari, et misericordiae divinae contrarium. Causa autem quare iteratur, cum Baptismus non iteretur, est quadruplex. Prima est, quia poenitentia non imprimit characterem sicut Baptismus : character enim indelebilis est. Secunda, quia Baptisma est contra morbum non iterabilem, scilicet originale peccatum ; poenitentia autem contra actuale peccatum, quod iteratur. Tertia causa est, quia Baptismus habet totam efficaciam a passione Christi sine actu nostro ; et ideo, quia passio est una tantum, et Baptismus unus ; sed poenitentia etiam requirit actum nostrum, ut prius dictum est, et ideo ratione ejus iterationem suscipit. Quarta, quia Baptismus est generatio spiritualis, sed poenitentia est quaedam sanatio spiritualis : semel autem aliquid generatur, sed pluries curari sive sanari potest, quamdiu in hac vita vivit.

Il est erroné de dire que la pénitence ne peut pas être renouvelée, et cela est contraire à la miséricorde divine. Il y a quatre raisons pour lesquelles elle est répétée, alors que le baptême n’est pas répété. La première est que la pénitence n’imprime pas de caractère comme le baptême : en effet, le caractère est indélébile. La deuxième est que le baptême agit contre une maladie qui ne peut se répéter, à savoir, le péché originel, mais la pénitence, contre le péché actuel, qui se répète. La troisième raison est que le baptême tire toute son efficacité de la passion du Christ sans un acte de notre part ; ainsi, parce que la passion est unique, le baptême est-il unique. Mais la pénitence exige aussi un acte de notre part, comme on l’a dit antérieurement, et, pour cette raison, elle est répétée. La quatrième raison est que le baptême est une génération spirituelle, mais la pénitence est une certaine guérison spirituelle. Or, quelque chose n’est engendré qu’une seule fois, mais peut être soigné ou guéri plusieurs fois, aussi longtemps qu’il s’agit de la vie présente.

[16168] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Et sic patet solutio ad primum.

1. La solution du premier argument est ainsi claire.

[16169] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut justus dominus summe justitiam diligit, ita summe peccatum odit ; et ita, quantum ex ipso est, paratus est ipsum destruere semper, dummodo ex parte hominis non remaneat, qui poenitentiam negligit vel contemnit. Nec obstat quod quidam ex hoc sumunt occasionem delinquendi : quia ex contrario sumerent occasionem desperandi, quod esset gravius.

2. De même que le Seigneur juste aime par-dessus tout la justice, de même hait-il par-dessus tout le péché. Et ainsi, pour ce qui est de lui, il est prêt à toujours le détruire, pourvu qu’il ne demeure pas du côté de l’homme par négligence ou mépris de la pénitence. Et cela ne fait rien que certains tirent de cela une occasion de pécher, car ils tireraient du contraire une occasion de désespérer, qui serait plus grave.

[16170] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit scriptum quod idem infirmus frequentius a domino sit curatus, tamen nec etiam factum negatur ; et praeterea hoc occulta fide videmus, quod frequenter homines infirmantur, et divina virtute, quae omnia restaurat, curantur.

3. Bien qu’il ne soit pas écrit que le même malade ait été guéri à plusieurs reprises par le Seigneur, le fait n’est cependant pas non plus nié. De plus, nous voyons par une foi secrète que des hommes sont fréquemment malades et qu’ils sont guéris par la puissance divine qui rétablit tout.

 

 

Articulus 5

[16171] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 tit. Utrum debeat aliqua poenitentia publicari vel solemnizari

Article 5 – Une pénitence doit-elle être publique et solennelle  ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une pénitence doit-elle être publique et solennelle  ?]

[16172] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non debeat aliqua poenitentia publicari vel solemnizari. Quia non licet sacerdoti, etiam metu, peccatum alicujus confiteri, quantumcumque publicum. Sed per poenitentiam solemnem publicatur peccatum. Ergo non debet solemnizari.

1. Il semble qu’une pénitence ne doive pas être publique et solennelle, car il n’est pas permis à un prêtre, même en raison de la crainte, de révéler le péché de quelqu’un, aussi public soit-il. Or, par une pénitence solennelle, le péché est rendu public. Une pénitence ne doit donc pas être solennelle.

 

[16173] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, judicium debet esse secundum conditionem fori. Sed poenitentia est quoddam judicium quod in foro occulto agitur. Ergo non debet publicari, sive solemnizari.

2. Le jugement doit convenir à la condition du for. Or, la pénitence est un jugement qui est rendu au for secret. Elle ne doit donc pas être publique ou solennelle.

[16174] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, poenitentia omnes defectus revocat ad perfectum, ut Ambrosius dicit. Sed solemnizatio facit contrarium, quia poenitentem in multis defectibus innectit : non enim laicus potest post solemnem poenitentiam ad clericatum promoveri, nec clericus ad superiorem ordinem. Ergo poenitentia non est solemnizanda.

3. La pénitence ramène toutes les carences à la perfection, comme le dit Ambroise. Or, la solennisation fait le contraire, car elle enchaîne le pénitent à de nombreuses carences : en effet, un laïc ne peut être promu à la cléricature après une pénitence solennelle, ni un clerc à un ordre supérieur. La pénitence ne doit donc pas être solennisée.

[16175] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, poenitentia est quoddam sacramentum. Sed in quolibet sacramento quaedam solemnitas adhibetur. Ergo et in poenitentia adhiberi debet.

Cependant, [1] la pénitence est un sacrement. Or, en tout sacrement, une certaine solennité est manifestée. Elle doit donc exister aussi pour la pénitence.

[16176] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, medicina debet respondere morbo. Sed peccatum quandoque est publicum, quod multos ad exemplum peccandi trahit. Ergo et poenitentia, quae est medicina ejus, esse debet solemnis et publica, qua multi aedificentur.

[2] Le remède doit correspondre à la maladie. Or, un péché est parfois public et en entraîne plusieurs à pécher par l’exemple. La pénitence, qui est son remède, doit donc être solennelle et publique, par laquelle beaucoup sont édifiés.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence solennelle peut-elle être répétée  ?]

[16177] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod solemnis poenitentia iterari possit. Sacramenta enim quae characterem non imprimunt, cum sua solemnitate iterantur, sicut Eucharistia, et extrema unctio, et hujusmodi. Sed poenitentia non imprimit characterem. Ergo cum sua solemnitate debet iterari.

1. Il semble que la pénitence solennelle ne puisse pas être répétée. En effet, les sacrements qui n’impriment pas de caractère sont répétés sous leur forme solennelle, telles l’eucharistie, l’extrême-onction et ceux de ce genre. Or, la pénitence n’imprime pas de caractère. Elle doit donc être répétée sous sa forme solennelle.

 

[16178] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poenitentia solemnizatur propter gravitatem et manifestationem peccati. Sed post peractam poenitentiam contingit similia peccata committere, vel etiam graviora. Ergo solemnis poenitentia iterum debet adhiberi.

2. La pénitence prend un caractère solennel en raison de la gravité et du caractère manifeste du péché. Or, après l’accomplissement de la pénitence, il arrive qu’on commette des péchés semblables ou même plus graves. La pénitence solennelle doit donc être de nouveau accomplie.

 [16179] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, poenitentia solemnis significat ejectionem primi hominis de Paradiso. Sed haec tantum semel est facta. Ergo et poenitentia solemnis tantum semel debet fieri.

Cependant, [1] la pénitence solennelle signifie l’expulsion du premier homme du Paradis. Or, celle-ci n’a eu lieu qu’une seule fois. La pénitence solennelle ne doit donc être accomplie qu’une seule fois.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Questions à propos du rite de la pénitence solennelle]

 

[16180] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de ritu solemnis poenitentiae ; et videtur quod mulieribus non sit imponenda. Quia vir, cui imponitur solemnis poenitentia, debet comam abjicere, sed hoc non competit mulieri, ut patet 1 Corinth. 11. Ergo non debet agere solemnem poenitentiam.

1. Il semble que [la pénitence solennelle] ne doive pas être imposée aux femmes, car l’homme à qui est imposé une pénitence solennelle doit renoncer à sa chevelure, mais cela ne convient pas à la femme, comme cela ressort de 1 Co 11. Elle ne doit donc pas accomplir de pénitence solennelle.

[16181] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Item, videtur quod clericis sit imponenda. Quia imponitur propter gravitatem delicti. Sed idem peccatum gravius est in clerico quam in laico. Ergo magis debet imponi clerico quam laico.

2. Il semble qu’elle doive être imposée aux clercs, car elle est imposée en raison de la gravité du délit. Or, le même péché est plus grave chez le clerc que chez le laïc. Elle doit donc être davantage imposée au clerc qu’au laïc.

[16182] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod a quolibet sacerdote possit imponi. Quia absolvere in foro poenitentiali est ejus qui habet claves. Sed simplex sacerdos habet claves. Ergo potest esse minister hujus poenitentiae.

3. Il semble qu’elle puisse être imposée par n’importe quel prêtre, car absoudre au for sacramentel relève de celui qui possède les clés. Or, le simple prêtre possède les clés. Il peut donc être le ministre de cette pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16183] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod aliqua poenitentia debet esse publica et solemnis propter quatuor. Primo, ut peccatum publicum publicam habeat medicinam. Secundo, quia maxima confusione in hoc mundo etiam est dignus qui gravissimum scelus commisit. Tertio, ut sit aliis ad terrorem. Quarto, ut sit ad exemplum poenitendi, ne desperent qui in gravibus peccatis detinentur.

Une pénitence doit être publique et solennelle pour quatre raisons. Premièrement, afin que le péché public reçoive un remède public. Deuxièmement, parce que celui qui a commis un crime très grave est digne de la plus grande humiliation. Troisièmement, afin de terroriser les autres. Quatrièmement, pour qu’elle serve d’exemple de pénitence, afin que ceux qui sont retenus par des péchés graves ne désespèrent pas.

[16184] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacerdos non revelat confessionem, talem poenitentiam injungendo, quamvis suspicio oriatur illum aliquod enorme peccatum commisisse : non enim culpa pro certo scitur ex poena : quia quandoque aliquis poenitentiam pro alio facit, sicut legitur in vitis patrum de quodam, qui ut socium suum ad poenitentiam provocaret, ipse cum eo poenitentiam egit. Si autem sit peccatum publicum, ipse poenitens exequendo poenitentiam, confessionem a se factam manifestat.

1. Le prêtre ne révèle pas une confession en imposant une telle pénitence, bien que naisse un soupçon que celui-là a commis un péché énorme. En effet, la faute n’est pas connue de manière certaine par la peine, car, parfois, quelqu’un accomplit une pénitence pour un autre, comme on lit, dans les Vies des pères, que, pour inciter son compagnon à la pénitence, quelqu’un faisait pénitence avec lui. Mais s’il s’agit d’un péché public, le pénitent lui-même, en accomplissant la pénitence, révèle la confession qu’il a faite.

[16185] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia solemnis, quantum ad injunctionem exigit forum occultum : quia sicut occulte quis confitetur, ita occulta ei poenitentia injungitur : sed executio non exigit forum occultum ; et hoc non est inconveniens.

2. Pour ce qui est de son imposition, la pénitence solennelle exige un for secret, car, de même que quelqu’un s’est confessé dans le secret, de même une pénitence secrète lui est-elle imposée. Mais l’accomplissement [de la pénitence] n’exige pas un for secret, et cela n’est pas inapproprié.

[16186] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia quamvis revocet omnes defectus, restituendo in pristinam gratiam, non tamen restituit in pristinam dignitatem ; et ideo etiam mulieres post peractam poenitentiam de fornicatione, non velantur, quia dignitatem virginitatis non recuperant ; et similiter post publicam poenitentiam peccator non redit ad hanc dignitatem ut possit ad clericatum assumi ; et episcopus talem ordinans, potestate ordinandi privari debet ; nisi forte necessitas Ecclesiae exposcat, aut consuetudo : tunc enim dispensative recipitur ad minores ordines, non autem ad sacros ordines. Primo propter dignitatem ordinum istorum. Secundo propter timorem recidivi. Tertio propter scandalum vitandum, quod posset in populo oriri ex memoria praecedentium peccatorum. Quarto, quia non haberet frontem alios corrigendi, cum peccatum ejus fuerit publicum.

3. Bien qu’elle abolisse toutes les carences en rétablissant la grâce antérieure, la pénitence ne rétablit cependant pas dans la dignité antérieure. C’est pourquoi même les femmes, après avoir fait pénitence pour la fornication, ne sont pas voilées, parce qu’elles ne retrouvent pas la dignité de la virginité. De même, après une pénitence publique, le pécheur ne retourne-t-il pas à cette dignité, de sorte qu’il puisse être retenu comme prêtre. Et l’évêque qui l’ordonne doit être privé du pouvoir d’ordonner, à moins que ne le requière une nécessité de l’Église ou une coutume. En effet, il est alors reçu par dispense aux ordres mineurs, mais non aux saints ordres. Premièrement, en raison de la dignité de ces ordres. Deuxièmement, en raison de la crainte de récidive. Troisièmement, pour éviter un scandale, qui pourrait surgir dans le peuple en raison du souvenir de péchés précédents. Quatrièmement, parce qu’il n’aurait pas le front d’en corriger d’autres, alors que son péché a été public.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16187] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod solemnis poenitentia iterari non debet, propter tria. Primo ne ex iteratione vilescat. Secundo propter significationem : quia est figura expulsionis hominis de Paradiso, quae est semel tantum facta. Tertio, quia solemnizatio est quasi quaedam professio perpetuo poenitentiam conservandi : et ideo iteratio solemnitati resistit. Si tamen postmodum peccaverit, non clauditur ei locus poenitentiae ; sed poenitentia solemnis iterum ei injungenda non est.

La pénitence solennelle ne doit pas être répétée pour trois raisons. Premièrement, afin de ne pas être avilie par la répétition. Deuxièmement, en raison de sa signification, car elle est la figure de l’expulsion de l’homme du Paradis, qui n’est survenue qu’une seule fois. Troisièmement, parce que la solennisation est pour ainsi dire une profession de faire pénitence de manière perpétuelle. Aussi la répétition s’oppose-t-elle à la solennité. Toutefois, s’il péchait par la suite, le lieu de la pénitence ne lui est pas fermé, mais une pénitence solennelle ne doit pas lui être imposée.

[16188] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis sacramentis in quibus solemnitas iteratur, iteratio solemnitati non repugnat, ut est in proposito : et ideo non est simile.

1. Dans les sacrements où la solennité est répétée, la répétition de la solennité n’est pas inappropriée, comme c’est le cas ici. Ce n’est donc pas la même chose.

[16189] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ratione criminis deberetur sibi eadem poenitentia, tamen solemnitatis iteratio non competit propter praedictas causas.

2. Bien qu’en raison du crime, la même pénitence devrait lui serait due, la répétition de la solennité ne convient cependant pas pour les raisons déjà données.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16190] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omnis solemnis poenitentia est publica, sed non convertitur. Poenitentia enim solemnis hoc modo fit. In capite Quadragesimae tales poenitentes praesentant se cum presbyteris suis episcopo civitatis ante fores Ecclesiae, sacco induti, nudis pedibus, vultibus demissis, coma deposita ; et eis in Ecclesia introductis episcopus cum omni clero septem Psalmos poenitentiales dicit, et postmodum eis manum imponit, aquam benedictam spargit, et cinerem capitibus imponit, Cilicio colla eorum operit, et denuntiat eis lacrymabiliter, quod sicut Adam ejectus est a Paradiso, ita ipsi de Ecclesia ejiciuntur ; et jubet ministris ut eos ab Ecclesia pellant, clero eos sequente cum hoc responsorio : in sudore vultus tui vesceris pane tuo et cetera. In coena autem domini quolibet anno a suis presbyteris in Ecclesiam reducuntur, et erunt ibi usque ad octavas Paschae ; ita tamen quod non communicabunt, nec pacem accipient ; et sic fiat quolibet anno quousque aditus Ecclesiae est eis interdictus. Ultima autem reconciliatio episcopo reservatur, ad quem solum spectat solemnis poenitentiae impositio. Potest autem imponi viris et mulieribus, sed non clericis propter scandalum. Non autem talis poenitentia debet imponi nisi pro peccato quod totam commoverit urbem. Publica autem est et non solemnis, quae in facie Ecclesiae fit, sed non cum solemnitate praedicta, sicut peregrinatio per mundum cum baculo cubitali ; et haec potest iterari, et a simplici sacerdote injungi ; et potest etiam clerico imponi. Quandoque tamen solemnis ponitur pro publica ; et secundum hoc auctoritates quaedam varie loquuntur de solemni.

Toute pénitence solennelle est publique, mais on ne peut pas dire l’inverse. En effet, la pénitence solennelle s’accomplit de cette manière. Au début du carême, ces pénitents se présentent avec leurs prêtres à l’évêque de la cité, devant les portes de l’église, revêtus d’un sac, pieds nus, le visage tourné vers le bas, après s’être coupé les cheveux. Une fois entrés dans l’église, l’évêque et tout le clergé récite les sept psaumes de la pénitence et leur impose ensuite la main, les asperge d’eau bénite et dépose de la centre sur leur tête, recouvre leurs épaules du cilice et leur déclare avec des larmes que, de même que Adam a été chassé du Paradis, de même sont-ils chassés de l’Église. Et il ordonne aux ministres de les faire sortir de l’église, suivis du clergé qui récite ce répons : Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, etc. Chaque année, le Jeudi saint, ils sont ramenés dans l’église par leurs prêtres et ils y demeureront jusqu’à l’octave de Pâques, de telle sorte cependant qu’ils ne communient pas et ne reçoivent pas la paix. Et l’on agit ainsi aussi longtemps que l’accès de l’église leur est interdit. L’ultime réconciliation est réservée à l’évêque, de qui seulement relève l’imposition d’une pénitence solennelle. Elle peut toutefois être imposée à des hommes et à des femmes, mais non pas à des clercs par crainte du scandale. Mais une telle pénitence ne doit être imposée que pour un péché qui a bouleversé toute la ville. Une [pénitence] est publique, mais non solennelle, lorsqu’elle est accomplie au su de toute l’Église, mais non pas avec la solennité indiquée plus haut, tel un pèlerinage de par le monde avec un bâton d’une coudée, et celle-ci peut être répétée et imposée par un simple prêtre ; elle peut aussi être imposée à un clerc. Cependant, on parle parfois de [pénitence] solennelle pour une [pénitence] publique. En ce sens, certaines autorités parlent de la [pénitence] solennelle de manière différente.

[16191] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mulier habet comam in signum subjectionis, non autem vir ; et ideo non competit ut in poenitentia mulieri coma deponatur, sicut viro.

1. La femme porte une chevelure en signe de soumission, mais non l’homme. C’est pourquoi il ne convient pas que sa chevelure soit enlevée à une femme pour une pénitence, comme c’est le cas pour un homme.

[16192] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet in eodem genere peccati clericus plus peccet quam laicus, tamen non injungitur ei poenitentia solemnis, ne ordo veniat in contemptum ; unde non defertur personae, sed ordini.

2. Bien qu’un clerc pèche davantage qu’un laïc à l’intérieur du même genre de péché, une pénitence solennelle ne lui est cependant pas imposée de crainte que l’ordre ne vienne à être méprisé. Aussi l’ordre a-t-il préséance sur la personne.

[16193] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magna peccata indigent majori cautela ad sui curationem ; et ideo injunctio poenitentiae solemnis, quae non nisi pro gravissimis peccatis fit, soli episcopo reservatur.

3. Les grands péchés demandent un plus grand soin pour leur guérison. C’est pourquoi l’imposition d’une pénitence solennelle, qui n’est accomplie que pour les péchés les plus graves, est réservée au seul évêque.

Quaestio 2

Question 2 – [L’effet de la pénitence]

 

 

Prooemium

Prologue

[16194] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 pr. Deinde quaeritur de effectu poenitentiae ; et circa hoc quaeruntur quinque : 1 utrum poenitentia peccata tollat ; 2 utrum virtutes restituat ; 3 utrum opera praecedentia vivificet ; 4 utrum praedicti effectus sint poenitentiae inquantum est virtus, vel inquantum est sacramentum ; 5 utrum sine poenitentia possit pervenire aliquis peccator ad salutem.

Ensuite, on s’interroge sur l’effet de la pénitence. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – La pénitence enlève-t-elle les péchés  ? 2 – Redonne-t-elle les vertus  ? 3 – Donnent-elle vie aux actes précédents  ? 4 – Les effets indiqués plus haut sont-ils ceux de la pénitence comme vertu ou [de la pénitence] comme sacrement  ? 5 – Un pécheur peut-il parvenir au salut sans la pénitence  ?

 

 

Articulus 1 [16195] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 tit. Utrum per poenitentiam semper peccata tollantur

Article 1 – Les péchés sont-ils toujours enlevés par la pénitence ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les péchés sont-ils toujours enlevés par la pénitence ?]

[16196] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per poenitentiam non semper peccata tollantur. Hebr. 10, 26 : voluntarie enim peccantibus nobis post acceptam notitiam veritatis, jam non relinquitur hostia pro peccato. Sed in poenitentia homo se offert hostiam Deo. Psalm. 50, 19 : sacrificium Deo spiritus contribulatus. Ergo poenitentia peccata eorum qui prolapsi sunt post notitiam veritatis, non delet.

1. Il semble que les péchés ne soient pas toujours enlevés par la pénitence. He 10, 26 : Car si nous péchons volontairement, après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n’y a plus de sacrifices pour les péchés. Or, par la pénitence, l’homme s’offre à Dieu comme sacrifice. Ps 50, 19 : Le sacrifice pour Dieu est un esprit brisé. La pénitence ne détruit donc pas les péchés de ceux qui sont tombés après avoir connu la vérité.

[16197] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Hebr. 12, super illud : non invenit poenitentiae locum, inquit Glossa interlineali : idest, veniae locum et benedictionis per poenitentiam. Ergo poenitentia non semper tollit praeterita peccata.

2. À propos de He 12 : Il n’a pas trouvé de lieu de pénitence, la glose interlinéaire dit : « C’est-à-dire, de lieu de pardon et de bénédiction par la pénitence. » La pénitence n’enlève donc pas toujours les péchés passés.

[16198] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, 2 Machab. 9, 13, dicitur de Antiocho : Orabat scelestus Deum, a quo non esset misericordiam consecuturus. Ergo cum ipse poeniteret de malis commissis, videtur quod non semper poenitentia peccata praecedentia deleat.

3. En 2 M 9, 13, il est dit, à propos d’Antiochus : Le scélérat priait Dieu, dont il ne devait pas obtenir miséricorde. Puisqu’il se repentait de péchés commis, il semble que la pénitence ne détuit pas toujours les péchés précédents.

[16199] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, peccatum commissum est quodammodo infinitum, inquantum est offensa Dei. Sed actus nostri sunt finiti. Cum ergo finitum non possit in infinitum, videtur quod poenitentia non possit delere peccatum commissum.

4. Le péché commis est d’une certaine manière infini, pour autant qu’il est une offense à Dieu. Or, nos actes sont finis. Puisque ce qui est fini ne peut accomplir quelque chose d’infini, il semble donc que la pénitence ne puisse détruire le péché commis.

 

[16200] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Lucae 5, 32 : non veni vocare justos, sed peccatores ad poenitentiam. Sed inutilis esset ista vocatio poenitentibus, nisi veniam de peccato largiretur. Ergo poenitentia peccata delet.

Cependant, [1] Lc 5, 32 : Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs. Or, cet appel serait inutile pour les pénitents, s’il n’accordait pas le pardon du péché. La pénitence détruit donc les péchés.

[16201] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, major est misericordia Dei quam iniquitas hominis ; unde reprehenditur ille qui dixit : major est iniquitas mea quam ut veniam merear. Sed poenitentia misericordiae Dei innititur. Ergo omnia peccata, quantacumque sint, delet.

[2] La miséricorde de Dieu est plus grande que l’iniquité de l’homme. Aussi est-il repris celui qui dit : Ma faute est trop grande pour que je mérite le pardon (Gn 4, 13). Or, la pénitence s’appuie sur la miséricorde de Dieu. Elle détruit donc tous les péchés, aussi grands soient-ils.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence détruit-elle totalement la culpabilité ?]

[16202] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam totaliter reatum tollat. Bonum enim est efficacius ad agendum quam malum, quia malum non agit nisi in virtute boni, ut Dionysius dicit. Sed per unum actum peccati homo et culpam et reatum incurrit. Ergo et per actum contritionis et a culpa et a reatu absolvitur.

1. Il semble qu’elle ne détruise pas totalement la faute. En effet, le bien est plus efficace pour agir que le mal, car le mal n’agit qu’en vertu du bien, comme le dit Denys. Or, par un seul acte de péché, l’homme encourt une faute et la culpabilité. Par un acte de contrition, il est donc absous de la faute et de la culpabilité.

[16203] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Deus non plus exigit in poena quam erat in culpa. Sed major dolor est in contritione de peccato quam fuerit in peccando delectatio : quia quantitas doloris de peccato est secundum quantitatem amoris Dei, qui est major quam omnis cupiditas rei temporalis, ut dicit Glossa super illud Psalm. 118 : dilexi mandata tua super aurum et topazion. Ergo non exigit pro peccato aliam poenam quam illam quae est in contritione ; et sic poenitentia a toto reatu absolvit.

2. Dieu n’exige pas une peine plus grande que la faute. Or, la douleur de la contrition pour le péché qui a eu lieu est plus grande que le plaisir du péché, car la quantité de la douleur pour le péché est proportionnelle à l’amour de Dieu, [amour] qui est plus grand que tout désir d’une chose temporelle, comme le dit la Glose à propos de Ps 118 : J’ai aimé tes commandements plus que l’or et la pierre précieuse. [Dieu] n’exige donc pas pour le péché une autre peine que celle qui existe dans la contrition ; ainsi, la pénitence remet-elle toute la culpabilité.

[16204] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, magis valet ad removendum peccatum poena propria adjuncta alienae, quam aliena poena tantum. Sed in Baptismo non est aliqua poena propria, sed tantum virtute poenae Christi omnia peccata delet et quantum ad culpam et quantum ad reatum. Ergo et poenitentia, in qua cum poena Christi adjungitur poena propria, totus reatus auferri debet.

3. Une peine personnelle ajoutée à celle d’un autre contribue davantage à l’enlèvement du péché que la peine d’un autre seulement. Or, dans le baptême, il n’y a pas de peine personnelle, mais il détruit tous les péchés pour la faute comme pour la culpabilité en vertu de la seule peine du Christ. La pénitence aussi, dans laquelle une peine personnelle est associée à la peine du Christ, doit donc enlever complètement la culpabilité.

[16205] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, poena non injungitur nisi ei qui est debitor poenae. Sed poenitenti injungitur poena aliqua satisfactoria. Ergo adhuc est debitor poenae ; et sic non est a toto reatu per poenitentiam liberatus.

Cependant, [1] la peine n’est associée qu’à celui qui est débiteur de la peine. Or, une peine satisfactoire est imposée au pénitent. Il est donc encore débiteur d’une peine. Il n’est donc pas ainsi libéré par la pénitence de toute sa culpabilité.

[16206] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per poenitentiam non aufertur illud quod est expedimentum ad profectum. Sed poena remanens satisfactoria est ad profectum virtutum. Ergo per poenitentiam non tollitur.

[2] N’est pas enlevé par la pénitence ce qui contribue au progrès. Or, la peine satisfactoire qui demeure existe en vue du progrès des vertus. Elle n’est donc pas enlevée par la pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les restes du péché actuel sont-ils enlevés par la pénitence ?]

[16207] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per poenitentiam etiam reliquiae peccati actualis tollantur, sicut pronitas ad malum, habitudo, et hujusmodi. Quia in generatione naturali non solum tollitur forma contraria, sed etiam dispositiones ad formam illam. Sed gratia quae per poenitentiam datur, est potentior quam forma naturalis. Ergo non solum tollit culpam, sed etiam hujusmodi reliquias, quae sunt dispositio ad culpam.

1. Il semble que les restes du péché actuel soient enlevés par la pénitence, telles l’inclination au mal, l’habitude et les choses de ce genre, car, dans la génération naturelle, non seulement la forme contraire est-elle enlevée, mais aussi les dispositions à cette forme. Or, la grâce qui est donnée par la pénitence est plus puissante qu’une forme naturelle. Elle n’enlève donc pas seulement la faute, mais aussi les restes [du péché actuel], qui sont une disposition à la faute.

[16208] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut gratia est in essentia animae, ita virtus in potentia. Sed poenitentia restituit gratiam et virtutes, ut dicitur. Ergo sicut per gratiam aufert culpam ab anima ipsa, ita et per virtutes aufert reliquias a potentiis.

2. De même que la grâce existe dans l’essence de l’âme, de même la vertu [existe-t-elle] dans une puissance. Or, la pénitence a rendu la grâce et les vertus, comme on dit. De même qu’elle enlève la faute de l’âme elle-même, de même aussi enlève-t-elle donc les restes [du péché] dans les puissances.

[16209] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Baptismus est efficacior ad removendum peccatum quam poenitentia. Sed Baptismus non removet peccati reliquias. Ergo nec poenitentia.

Cependant, le baptême est plus efficace que la pénitence pour enlever le péché. Or, le baptême n’enlève pas les restes du péché. Donc, ni la pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16210] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poenitentia potest considerari inquantum est sacramentum, et inquantum est virtus ; et utroque modo ad remissionem peccatorum aliquo modo operatur. Secundum enim quod est novae legis sacramentum, gratia in ea datur ad defectum illum sanandum contra quem inducta est, scilicet ad dimissionem culpae actualis. Operatur etiam ad dimissionem peccati, inquantum est virtus, speciali modo prae aliis virtutibus. Quia secundum omnem virtutem formatam ex parte habitus peccata dimittuntur ratione gratiae, quae cum ea infunditur ; sed hoc est formaliter remittere : sed poenitentia ex ratione sui actus habet quod per eam peccata dimittantur, secundum quod peccata commissa sunt materia actus ejus. Cum enim peccatum ex hoc remitti dicatur vel retineri, quod habet rationem offensae ; illud quod offensam aufert, peccatum tollit. Cum autem offensa, inquantum hujusmodi, sit inaequalitas quaedam, qua unus alii subtraxit quod debitum erat, actu illius virtutis peccatum remittitur quae inaequalitatem praedictam ad aequalitatem reducit. Hoc autem facit poenitentia, ut ex dictis patet, quae in recompensatione divinae offensae spiritum Deo contribulatum offert ; et ideo poenitentiae etiam ex parte actus sui competit peccatum tollere ; et hoc est efficienter, et non solum formaliter, per poenitentiam peccata dimitti.

La pénitence peut être envisagée comme un sacrement ou comme une vertu, et elle agit d’une certaine manière des deux façons pour la rémission des péchés. En effet, selon qu’elle est un sacrement de la loi nouvelle, la grâce est donnée par elle pour guérir la carence pour laquelle il a été introduit, à savoir, pour remettre la faute actuelle. [La pénitence] agit aussi pour remettre le péché en tant qu’elle est une vertu, d’une manière particulière plus que d’autres vertus. En effet, pour toute vertu formée du point de vue de l’habitus, les péchés sont remis en raison de la grâce qui est infusée avec elle ; c’est là remettre de manière formelle. Mais la pénitence, en raison de son acte, a ceci de particulier que les péchés sont remis par elle selon que les péchés commis sont la matière de son acte. En effet, puisqu’on dit que le péché est remis ou retenu du fait qu’il a raison d’offense, ce qui enlève l’offense enlève le péché. Or, psuique l’offense, en tant que telle, est une certaine inégalité, par laquelle quelqu’un enlève à un autre ce qui lui est dû, le péché est remis par l’acte de cette vertu qui ramène l’inégalité en question à l’égalité. Or, c’est cela que fait la pénitence, comme cela ressort de ce qui a été dit : en compensation pour l’offense faite à Dieu, elle offre à Dieu un esprit brisé. C’est pourquoi il revient aussi à la pénitence d’enlever le péché du point de vue de son acte. C’est là enlever les péchés par la pénitence de manière efficiente, et non seulement formelle.

[16211] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus loquitur ibi de hostia quae universaliter pro peccatis totius mundi oblata est, scilicet Christo, quae est unica et singularis ; nec iterum pro peccatis delendis offertur, sed unica sua oblatione valet ad hoc quod per poenitentiam, et alia sacramenta omnia peccata possint dimitti.

1. L’Apôtre parle là du sacrifice qui a été universellement offert pour les péchés du monde entier par le Christ, [sacrifice] qui est unique et singulier. Il n’est pas offert de nouveau pour détruire les péchés, mais, par sa seule offrande, il fait en sorte que, par la pénitence et tous les autres sacrements, les péchés peuvent être remis.

[16212] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ideo Esau, de quo apostolus loquitur, locum veniae non invenit, quia non vere poenituit, etsi lacrymas exterius emiserit : quod patet ex hoc quod dixit : venient dies luctus patris mei, et occidam Jacob fratrem meum.

2. Esaü, dont parle l’Apôtre, n’a pas trouvé un lieu de pardon parce qu’il ne s’était pas vraiment repenti, même s’il avait pleuré extérieurement. Cela ressort du fait qu’il disait : Des jours de deuil atteindront mon père, et je tuerai Jacob, mon frère.

[16213] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Et similiter dicendum, ad tertium de Antiocho, qui vere non poenituit interius, quamvis exterius verba poenitentiae proferret magis propter infirmitatem corporis quam propter offensam Dei vitandam.

3. Il faut dire la même chose à propos d’Antiochus, qui n’avait pas de vrai repentir intérieur, bien qu’il ait exprimé extérieurement des paroles de pénitence pour éviter la la maladie corporelle plutôt que l’offense envers Dieu.

[16214] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod offensa infinita est ex parte aversionis, sed non ex parte conversionis ; et similiter etiam actus poenitentiae habet infinitatem ex parte gratiae, quae est Dei similitudo, et in virtute divinae misericordiae operans, quae infinita est, quamvis ex parte actus nostri sit finita. Habet etiam efficaciam ex virtute passionis Christi, quae infiniti valoris quodammodo est, inquantum fuit passio Dei et hominis.

4. L’offense infinie se prend du point de l’aversion, mais non du point de vue de la conversion ; de même, l’acte de pénitence possède-t-il une infinité du point de vue de la grâce, qui est une similitude de Dieu, et il agit avec la puissance de la miséricorde divine, qui est infinie, bien que, du côté de notre acte, il soit fini. Il possède aussi une efficacité en vertu de la passion du Christ, qui a, d’une certaine manière, une valeur infinie en tant qu’elle a été la passion d’un  Dieu et homme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16215] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 5 Ethic., tam justitia quam amicitia in aequalitate quadam consistit. Qui ergo aliquem offendit, contra aequalitatem amicitiae peccat, inquantum affectum debitum non impendit ; et contra aequalitatem justitiae, inquantum rem debitam subtrahit. Et sicut haec duo in offensa quandoque dividuntur, ita etiam in recompensatione separantur ; sicut quando poena per violentiam offendenti infertur, fit recompensatio quantum ad justitiam, sed non quantum ad amicitiam. Similiter quando offendens offensum verbis placat, nondum re subtracta restituta, fit recompensatio amicitiae, sed non justitiae. Peccator ergo per effectum peccati amicitiam Dei violavit, et per inobedientiam divinae legis honorem debitum Deo subtraxit ; et ex primo amittit gratiam et incurrit offensam ; ex secundo meretur poenam, ut ab eo qui per inobedientiam subtraxit, subtrahatur per poenam ; et hoc poenae meritum reatus dicitur ; et ideo per poenitentiam, qua homo se Deo supponit, peccata praeterita detestando cum emendationis proposito, remittitur quidem peccatum quantum ad offensam, sed non oportet quod remittatur quantum ad totum reatum nisi poena jam soluta ; et sic per poenitentiam non simul cum culpae dimissione totus etiam reatus dimittitur.

Selon le Philosophe, dans Éthique, V, tant la justice que l’amitié consistent dans une certaine égalité. Celui donc qui offense quelqu’un pèche contre l’égalité de l’amitié pour autant qu’il ne manifeste pas l’affection qui est due ; et [il pèche] contre la justice pour autant qu’il enlève quelque chose qui est dû. De même que ces deux choses sont parfois divisées dans l’offense, de même aussi sont-elles séparées dans la compensation, comme lorsqu’une peine est portée contre celui qui offense de manière violente, compensation est faite pour ce qui concerne la justice, mais non pour ce qui est de l’amitié. De la même manière, lorsque celui qui offense apaise par des paroles celui qui est offensé, sans avoir restitué la chose enlevée, compensation est faite selon l’amitié, mais non selon la justice. Le pécheur a donc violé l’amitié de Dieu par l’effet du péché et a enlevé l’honneur dû à Dieu en désobéissant à la loi divine : en vertu du premier point, il perd la grâce et encourt l’offense ; en vertu du second, il mérite une peine, en vertu de laquelle ce qu’il a enlevé en désobéissant lui est enlevé par une peine. C’est ce mérite d’une peine qu’on appelle la dette [reatus]. Ainsi, par la pénitence par laquelle l’homme s’est soumis à Dieu, le péché est remis pour ce qui est de l’offense par la détestation des péchés passés et le propos de se corriger, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit entièrement remis quant à la dette, à moins que la peine n’ait été accomplie. Et ainsi, par la pénitence, la dette n’est pas entièrement remise en même temps que la faute.

[16216] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut quod est perfectum, est efficacius ad agendum quam imperfectum ; ita quod est perfectum, est difficilius ad fiendum ; unde sicut bonum est efficacius ad agendum quam malum, ita difficilius est ad constituendum quam malum. In hoc ergo efficacior apparet actio boni quam actio mali, quod actio mali nunquam terminatur ad malum quod non habet admixtum bonum ; sed actio boni terminatur ad bonum quandoque cui non admiscetur malum. Non tamen oportet quod, si aliquod malum per unum actum malum incurritur, per unum actum bonum opposita bona reparentur.

1. De même que ce qui est parfait est plus efficace pour agir que ce qui est imparfait, de même ce qui est parfait est-il plus difficile à réaliser. De même que le bien est plus efficace pour agir que le mal, de même est-il donc plus difficile à réaliser que le mal. L’action du bien se montre donc plus efficace en ceci que l’action du mal n’a jamais son terme dans un mal qui ne soit pas mélangé de bien ; mais l’action du bien a parfois son terme dans un bien auquel n’est pas mélangé de mal. Il n’est cependant pas nécessaire que si un mal est encouru par un seul acte mauvais, les biens opposés soient rétablis par un seul acte bon.

[16217] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum philosophum in 5 Ethic., in recompensatione injuriae justitia commutativa non semper aequalem quantitatem absolute in poena infert ei qui in culpa fuit ; non enim si aliquis percussit principem, oportet ipsum solum repercuti, sed etiam gravius puniri. Infert tamen aequalem poenam habita prius comparatione ad personam in quam culpa commissa fuit. Et ideo, cum per poenitentiam homo de seipso justitiam Deo faciat, non sufficit tantus dolor in poenitentia quanta fuit delectatio in culpa ; quia illa delectatio in injuriam Dei fuit, inquantum Deo praetermisso homo delectationi se subdidit ad peccandum.

2. Selon le Philosophe, dans Éthique, V, la justice commutative n’impose pas toujours à celui qui est en faute, comme compensation du préjudice, une peine de quantité absolument égale. En effet, si quelqu’un a frappé un dirigeant, il ne faut pas qu’il soit seulement frappé en retour, mais qu’il soit aussi plus gravememnt puni. Toutefois, on inflige une peine égale, compte tenu de la personne envers laquelle l’offense a été commise. Ainsi, puisque, par la pénitence, l’homme rend de lui-même justice à Dieu, une douleur équivalente au plaisir de la faute ne suffit pas, car ce plaisir a eu lieu au préjudice de Dieu, pour autant que, mettant Dieu de côté, l’homme s’est soumis au plaisir en péchant.

[16218] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus est spiritualis regeneratio ; et quia non potest esse generatio unius nisi per corruptionem alterius, ideo oportet quod in Baptismo quidquid ad praecedentem vitam pertinebat, totum aboleatur, scilicet et culpa et reatus, nisi sit defectus ex parte recipientis. Sed poenitentia non est regeneratio, sed magis reparatio vitae prius habitae ; et ideo non est similis ratio.

3. Le baptême est une regénération spirituelle. Et parce qu’il ne peut y avoir de génération de l’un sans corruption d’un autre, il faut donc que, dans le baptême, tout ce qui se rapportait à la vie précédente soit totalement aboli, à savoir, la faute et la dette, à moins qu’il n’y ait une carence du point de vue de celui qui le reçoit. Mais la pénitence n’est pas une regénération, mais plutôt un rétablissement de la vie possédée précédemment. Le raisonnement n’est donc pas le même.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16219] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut poenitentia non tollit totaliter reatum per quemlibet actum primum, sed tunc tollit quando ad perfectum perducitur secundum omnes poenitentiae partes ; ita etiam non oportet quod per primum poenitentiae actum omnes defectus ex peccato actuali consecuti, qui dicuntur reliquiae, reparentur ; sed poenitentia jam perfecta quantum ad omnes sui partes, reliquiae etiam tolluntur peccati actualis.

De même que la pénitence n’enlève pas totalement la dette par n’importe quel acte fait en premier, mais l’enlève lorsqu’elle est achevée selon toutes les parties de la pénitence, de même aussi n’est-il pas nécessaire que toutes les carences encourues par le péché actuel, qu’on appelle les restes [du péché], soient réparées par le premier acte de la pénitence. Mais, une fois achevée la pénitence en toutes ses parties, les restes du péché actuel sont aussi enlevés.

[16220] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenitentia non comparatur generationi, sed magis sanationi ; quia per poenitentiam homini non datur nova vita, sed in pristinam vitam reparatur. In sanatione autem hoc videmus accidere, quod sanitate restituta adhuc reliquiae aliquae morbi manent ante perfectae sanitatis restitutionem ; ita etiam ante completam poenitentiam reliquiae actualis peccati manent.

1. La pénitence ne se compare pas à la génération, mais plutôt à une guérison, car, par la pénitence, n’est pas donnée à l’homme une nouvelle vie, mais il est rétabli dans la vie antérieure. Or, dans la guérison, nous voyons qu’il arrive que, une fois la santé revenue, certains restes de la maladie demeurent avant le rétablissement parfait de la santé. De même aussi, avant l’achèvement de la pénitence, des restes du péché actuel demeurent.

[16221] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum per actum potentiarum commissum est ; et ideo in ipsis potentiis praeter privationem virtutum alii etiam defectus ex peccato causantur, sed non in essentia animae, praeter defectum gratiae ; et ideo non oportet quod si per adventum gratiae ad essentiam animae, macula, quae nihil aliud erat quam gratiae privatio, tollitur, etiam a potentiis omnes alii defectus tollantur.

2. Le péché a été commis par un acte des puissances. C’est pourquoi, d’autres carences sont aussi causées dans les puissances elles-mêmes en plus de la privation des vertus, mais non dans l’essence de l’âme, en plus de la carence de la grâce. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que si la souillure, qui n’était rien d’autre que la privation de la grâce, est enlevée par l’arrivée de la grâce dans l’essence de l’âme, toutes les carences soient aussi enlevées des puissances.

 

 

Articulus 2 [16222] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 tit. Utrum per poenitentiam virtutes restituantur

Article 2 – Les vertus sont-elles rendues par la pénitence  ?

 

[16223] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per poenitentiam virtutes non restituantur. Virtutes enim de quibus loquimur, non causantur ex actibus nostris ; quia secundum Augustinum, Deus eas in nobis sine nobis operatur. Sed poenitentia in actu nostro consistit. Ergo per poenitentiam virtutes non restituuntur.

Objections – [Les vertus sont-elles rendues par la pénitence  ?]

1. Il semble que les vertus ne soient pas rendues par la pénitence. En effet, les vertus dont nous parlons ne sont pas causées par nos actes, car, selon Augustin, Dieu les réalise en nous sans nous. Or, la pénitence consiste dans un acte de notre part. Les vertus ne sont donc pas rendues par la pénitence.

[16224] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, nihil restituit virtutem nisi quod est causa virtutis, sicut restituentia sanitatem sunt causa sanitatis. Sed poenitentia non est causa omnium aliarum virtutum ; alias esset nobilior aliis virtutibus, quia causa praeeminet effectui. Ergo poenitentia non restituit virtutes.

2. Rien ne rend la vertu que ce qui est cause de la vertu, comme ce qui rend la santé est cause de la santé. Or, la pénitence n’est pas cause de toutes les autres vertus, autrement elle serait plus noble que les autres vertus, puisque la cause l’emporte sur l’effet. La pénitence ne rend donc pas les vertus.

[16225] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, quod non est, non potest aliquid restituere ; et quod habetur, non potest restitui, sicut neque quod est, fieri. Sed poenitentia non prius quam omnes virtutes habetur, quia omnes virtutes simul infunduntur. Ergo non potest poenitentia virtutes restituere.

3. Ce qui n’existe pas ne peut rendre quelque chose et ce qui est possédé ne peut être rendu, pas davantage que ce qui n’est pas peut devenir. Or, la pénitence n’est pas possédée avant toutes les vertus, car toutes les vertus sont infusées en même temps. La pénitence ne peut donc pas rendre les vertus.

[16226] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, habitus virtutis non manet cum habitu vitii ; quia contraria non sunt simul in eodem. Sed post contritionem adhuc manet habitus vitii, quod patet ex inclinatione ad pristinos actus. Ergo poenitentia non statim omnes virtutes restituit.

4. L’habitus d’une vertu ne demeure pas en même temps que l’habitus d’un vice, car les contraires n’existent pas en même temps chez le même. Or, après la contrition, l’habitus du vice demeure, ce qui ressort de l’inclination aux actes antérieurs. La pénitence ne rend donc pas immédiatement toutes les vertus.

[16227] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, nullus habet virtutem nisi qui sine difficultate et cum delectatione operatur ea quae sunt virtutis. Sed post primam contritionem etiamsi sit vera, adhuc remanet difficultas ad opera virtutis agenda. Ergo virtutes per primum actum poenitentiae non restituuntur.

5. Personne ne possède une vertu que celui qui accomplit ce qui relève de cette vertu sans difficulté et avec plaisir. Or, après la première contrition, même si elle est véritable, demeure encore une difficulté à accomplir les actes d’une vertu. Les vertus ne sont donc pas rendues par le premier acte de la pénitence.

[16228] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Ambrosius dicit, quod poenitentia res optima est, quae omnes defectus revocat ad perfectum. Sed hoc non esset, nisi virtutes amissas restitueret. Ergo per poenitentiam virtutes restituuntur.

Cependant, [1] Ambroise dit que la pénitence est la plus grande chose, qui ramène toutes les carences à la perfection. Or, ce ne serait pas le cas si elle ne rendait pas les vertus perdues. Les vertus sont donc rendues par la pénitence.

[16229] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, effectus poenitentiae est justificatio, ut infra dicetur. Sed justitia generalis, ex qua aliquis justificari dicitur, omnes virtutes includit, ut dicit Glossa super illud Psalm. 118 : feci judicium et justitiam. Ergo omnes virtutes per poenitentiam restaurantur.

[2] L’effet de la pénitence est la justification, comme on le dira plus loin. Or, la justice générale, par laquelle on dit que quelqu’un est justifié, inclut toutes les vertus, comme le dit la Glose sur le Ps 118 : J’ai rendu le jugement et la justice. Toutes les vertus sont donc rétablies par la pénitence.

[16230] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, non remittitur peccatum sine gratia. Sed per poenitentiam peccatum dimittitur. Ergo gratia restituitur. Sed simul cum gratia omnes virtutes infunduntur. Ergo poenitentia omnes virtutes restituit.

[3] Le péché n’est pas remis sans la grâce. Or, le péché est remis par la pénitence. La grâce est donc rendue. Or, toutes les vertus sont infusées en même temps que la grâce. La pénitence rend donc toutes les vertus.

[16231] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod gratia et virtutes in anima causantur ex influentia divini luminis ; quae quidem influentia impeditur per peccatum, quod animam a Deo avertit, sicut nubes interposita inter nos et solem, radium ejus a nobis prohibet. Unde dicitur Isaiae 59, 2 : peccata nostra diviserunt inter nos et Deum nostrum. Et quia per poenitentiam peccata dimittuntur, ut dictum est, in primo poenitentiae actu quantum ad offensam ; ideo sicut ventus auferens nubem, nobis lumen solis restituit, ita poenitentia tamquam removens prohibens, gratiam gratum facientem et omnes virtutes nobis restituit.

Réponse

La grâce et les vertus sont causées dans l’âme par l’influence de la lumière divine, influence qui est empêchée par le péché qui détourne l’âme de Dieu, comme le nuage qui s’interpose entre nous et le soleil nous empêche de recevoir son rayonnement. Aussi est-il dit en Is 59, 2 : Nos péchés ont mis une division entre nous et notre Dieu. Et, comme on l’a dit, par la pénitence, les péchés sont remis par le premier acte de pénitence pour ce qui est de l’offense. De même donc que le vent, en enlevant le nuage, nous rend la lumière du soleil, de même la pénitence nous rend-elle la grâce sanctifiante [gratiam gratum facientem] et toutes les vertus en enlevant un obstacle.

[16232] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod solus Deus est per se causa gratiae et virtutum infusarum in nobis ; sed nihil prohibet etiam actus nostros esse causas per accidens, sicut removens prohibens, sicut sunt causae etiam gratiae baptismalis, inquantum prohibent fictionem ; et hoc modo per poenitentiam virtutes restituuntur.

Solutions

1. Dieu seul est par lui-même cause de la grâce et des vertus infuses en nous ; mais rien n’empêche que nos actes soient aussi causes par accident, en enlevant un obstacle, comme ils sont aussi causes de la grâce baptismale, pour autant qu’ils empêchent la feinte. De cette manière, les vertus sont rendues par la pénitence.

[16233] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod causa per accidens non oportet quod sit nobilior effectu, sed solum causa per se. Poenitentiam autem causam per accidens posuimus virtutum, per hoc quod est removens prohibens, scilicet peccata.

2. Il n’est pas nécessaire qu’une cause par accident soit plus noble que l’effet, mais seulement la cause par soi. Or, nous avons affirmé que la pénitence est cause par accident du fait qu’elle enlève un obstacle, à savoir, les péchés.

[16234] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in eodem instanti in quo obstaculum luminis primo remotum est, lumen consequitur, et tamen remotio obstaculi est causa illuminationis ; ita in eodem instanti in quo est actus poenitentiae, peccatum aufertur, et virtus restituitur ; et tamen nihil prohibet per poenitentiam virtutes restitui.

3. De même que, dans le même instant où l’obstacle à la lumière a été d’abord enlevé, la lumière a suivi, et que l’enlèvement de l’obstacle est pourtant cause de la clarté, de même, dans le même instant où existe un acte de pénitence, le péché est enlevé et la vertu est rétablie. Cependant, rien n’empêche que les vertus soient rétablies par la pénitence.

[16235] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut in 3 Lib., dist. 33, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 4, dictum est, virtus infusa et acquisita non sunt ejusdem speciei : unde cum habitus ex frequentia operum peccati generatus virtuti acquisitae contrarius sit, non contrariatur directe virtuti infusae, quae habet oppositionem ad peccatum ex parte illa qua est offensa Dei ; unde non oportet quod statim virtutibus infusis restitutis, habitus vitiOrum totaliter tollantur, quamvis impediantur, et etiam diminuantur.

4. On a dit, dans le livre III, d. 33, q. 1, a. 2, qa 4, que la vertu infuse et [la vertu] acquise ne sont pas de la même espèce. Puisque l’habitus engendré par la fréquence des actes de péché est contraire à la vertu acquise, il ne s’oppose pas directement à la vertu infuse, qui s’oppose au péché sous son aspect d’offense à Dieu. Il n’est donc pas nécessaire que, dès que les vertus infuses sont rétablies, les habitus des vices soient entièrement enlevés, bien qu’ils soient empêchés et aussi diminués.

[16236] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod facilitas operandi opera virtutum potest esse ex duobus ; scilicet ex consuetudine praecedente ; et hanc facilitatem non tribuit virtus infusa statim in sui principio : et iterum ex forti inhaesione ad objectum virtutis ; et hanc est invenire in virtute infusa statim in sui principio.

5. La facilité d’accomplir les actes des vertus vient de deux choses  : de la coutume qui précède, et la vertu infuse ne donne pas cette facilité dès le début ; et aussi d’un fort attachement à l’objet de la vertu, et celui-ci se trouve dans la vertu infuse dès le début.

 

 

Articulus 3 [16237] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 tit. Utrum per poenitentiam etiam bona opera in statu peccati mortalis facta ad vitam reputentur

Article 3 – Les actes bons posés en état de péché mortel sont-ils aussi comptés pour la vie  ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les actes bons d’abord posés en état de péché mortel sont-ils aussi comptés pour de la vie  ?]

[16238] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per poenitentiam etiam bona opera prius in statu peccati mortalis facta ad vitam reputentur. Dicit enim Adamantius, supra Josue : sunt in Ecclesia credentes quidam, et acquiescentes divinis praeceptis, erga servos Dei religiosi et officiosi, et ad ornatum Ecclesiae vel ministerium satis prompti ; sed in conversatione propria obscoenis vitiis involuti, nec omnino deponentes veterem hominem cum actibus suis, nihil adhibent emendationis morum et innovationis. In istis ergo Christus salutem concedit ; sed quamdam insaniae notam non evadent. Sed magis videtur quod eis qui per poenitentiam emendationem adhibent, illa opera bona valeant ad salutem. Ergo poenitentia opera sine caritate facta vivificat ad salutem.

1. Il semble que les actes bons d’abord posés en état de péché mortel soient comptés pour la vie. En effet, Adamantius dit, à propos de Josué : « Il y a dans l’Église certains croyants, qui acceptent les commandements divins, se montrent diligents et serviables envers les serviteurs de Dieu et assez empressés pour l’embellissement ou le service de l’Église, mais qui, impliqués par leur conduite dans des vices affreux et ne dépouillant pas le vieil homme dans leurs actes, ne montrent aucune correction ni renouvellement de leur comportement. Le Christ leur a donc concédé le salut, mais ils n’échapperont pas à une trace de folie. » Or, il semble plutôt que ces actes bons favorisent le salut chez ceux qui paraissent se corriger par la pénitence. La pénitence vivifie donc en vue du salut les actes accomplis sans la charité.

[16239] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, plus appropinquat caritati et gratiae bonum ex genere et bonum virtutis moralis, quam bonum naturale. Sed gratia sequens per poenitentiam restituta, naturalia perficit, et secundum quosdam ipsa naturalia gratuita fiunt. Ergo multo fortius bona ex genere, vel ex circumstantia, aut etiam actus virtutis acquisitae, sine caritate facta, per poenitentiam vivificantur, ut prosint ad vitam.

2. Ce qui est bon par son genre et le bien de la vertu se rapprochent davantage de la charité et de la grâce que le bien naturel. Or, la grâce subséquente rendue par la pénitence perfectionne ce qui est naturel et, selon certains, ce qui est naturel devient lui-même objet de grâce. À bien plus forte raison, ce qui est bien par son genre, par une circonstance, ou même l’acte d’une vertu acquise, accompli sans la charité, est-il rendu à la vie par la pénitence afin d’être utile pour la vie.

[16240] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, remota causa, removetur effectus. Sed causa quare illa opera non valeant ad vitam erat caritatis defectus et gratiae. Ergo cum poenitentia caritatem et gratiam et omnes virtutes restituat, etiam opera bona sine caritate facta vivificabit.

3. Une fois la cause enlevée, les effets sont enlevés. Or, la cause pour laquelle ces actes n’ont pas de valeur pour la vie était le défaut de charité et de grâce. Puisque la pénitence rend la charité et la grâce, ainsi que toutes les vertus, elle vivifiera donc même les actes bons accomplis sans charité.

[16241] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ante vivum non generatur aliquid vivum, vel habens potentiam ad vitam. Sed homo sine caritate non vivit spirituali vita. Ergo non potest aliquod opus facere spiritualiter vivum ; sed est mortuum, non habens potentiam ad vitam ; et ita non est vivificabile.

Cependant, [1] avant ce qui est vivant, quelque chose de vivant ou qui est en puissance à la vie n’est pas engendré. Or, l’homme sans la charité ne vit pas d’une vie spirituelle. Il ne peut donc accomplir un acte spirituellement vivant, mais celui-ci est mort et n’a pas de puissance pour la vie. Il ne peut donc pas être rendu vivant.

[16242] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnia vivificabilia sunt aliquo modo meritoria, quia ad minus in potentia. Si ergo opera extra caritatem facta possent aliquo modo vivificari, aliquis sine caritate posset aliquo modo mereri vitam aeternam ; quod falsum est.

[2] Tout ce qui peut être rendu vivant est d’une certaine manière méritoire, car cela est au moins en puissance. Si donc les actes accomplis en dehors de la charité pouvaient être rendus à la vie d’une certaine manière, quelqu’un pourrait mériter d’une certaine manière la vie éternelle sans la charité, ce qui est faux.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les actes accomplis dans la charité peuvent-ils mourir à cause d’un péché subséquent  ?]

[16243] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod opera in caritate facta per peccatum sequens mortificari non possint. Quia quod non est, non potest mortificari. Sed opera quae in caritate facta fuerant, transeunt, et post peccatum sequens non sunt. Ergo non possunt mortificari.

1. Il semble que les actes accomplis dans la charité ne puissent mourir à cause d’un péché subséquent, car, ce qui n’existe pas ne peut pas mourir. Or, les actes qui avaient été accomplis dans la charité passent et, après un péché subséquent, ils n’existent pas. Ils ne peuvent donc pas mourir.

 

[16244] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poena non debet excedere culpam. Sed in aliquo qui multa bona facit ex maxima caritate, poena culpam excederet, si per unum peccatum mortale parvum, forte ex surreptione factum, omnia bona praecedentia perderet. Ergo peccatum sequens non mortificat omnia bona prius in caritate facta.

2. La peine ne doit pas dépasser la faute. Or, chez quelqu’un qui accomplit beaucoup de bien par une très grande charité, la peine dépasserait la faute si, par un seul petit péché mortel, accompli peut-être par surprise, il perdait tout le bien précédent. Le péché subséquent ne fait donc pas mourir tout le bien accompli antérieurement dans la charité.

[16245] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est mortuum, non potest actum vitae habere respectu alicujus. Sed opera in caritate facta etiam post peccatum facientis, actum vitae habent in aliis sanctis ; unde dicitur Apocal. 2, unus alterius coronam accipere. Ergo peccatum sequens bona praecedentia non mOrtificat.

3. Ce qui est mort ne peut exercer un acte de vie par rapport à quelque chose. Or, les actes accomplis dans la charité de celui qui les accomplit, même après un péché, exercent un acte de vie sur les autres qui sont saints. Ainsi est-il dit dans Ap 2, que l’un reçoit la couronne de l’autre. Le péché subséquent ne tue donc pas le bien précédent.

[16246] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ezech. 18, 24 : si averterit se justus a justitia sua, omnium quae operatus est, non recordabor amplius.

Cependant, [1] il est dit dans Ez 18, 24 : Si le juste se détourne de sa justice, je ne me souviendrai plus de tout le bien qu’il a fait.

[16247] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, vita operum ex vita operantis dependet. Sed per peccatum mortale ille qui prius opera fecerat in caritate, mortificatur. Ergo et opera ab ipso facta mortificantur.

[2] La vie des actes dépend de la vie de celui qui agit. Or, par le péché mortel, celui qui avait accompli antérieurement des actes dans la charité meurt. Les actes accomplis par lui meurent donc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les actes morts par le péché sont-ils rendus à la vie par la pénitence  ?]

[16248] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod opera mortificata per peccatum, per poenitentiam non vivificentur. Hugo de sancto Victore dicit, quod nemo debet in spe correctionis peccare ; quia quod semel amittitur, ipsum amplius non recuperatur. Sed opera in caritate facta, sunt per peccatum amissa, ut dictum est. Ergo non possunt amplius per poenitentiam recuperari.

1. Il semble que les actes morts par le péché ne soient pas rendus à la vie par la pénitence. Hugues de Saint-Victor dit que personne ne doit pécher avec l’espoir de se corriger, car ce qui est perdu une fois n’est plus récupéré. Or, les actes accomplis dans la charité sont perdus par le péché, comme on l’a dit. Ils ne peuvent donc plus être récupérés par la pénitence.

 

[16249] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nihil vivificatur nisi quod natum est habere vitam. Sed vita non est operum, sed opera facientis. Ergo opera non possunt vivificari per poenitentiam.

2. Rien n’est vivifié que ce qui est apte à posséder la vie. Or, la vie n’est pas le fait des actes, mais les actes sont le fait de celui qui les pose. Les actes ne peuvent donc être rendus à la vie par la pénitence.

[16250] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quod non est, non potest vivificari. Sed opera mortificata, non sunt. Ergo non possunt vivificari per poenitentiam.

3. Ce qui n’existe pas ne peut pas être vivifié. Or, les actes morts n’existent pas. Ils ne peuvent donc pas être rendus à la vie par la pénitence.

[16251] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod moritur, non solum cadit a vita, sed etiam a potentia vitae ; quia principia vitae corrumpuntur, sine quibus non est potentia ad vitam. Sed opera praecedentia in caritate facta, sunt per peccatum sequens mortificata. Ergo non manet in eis potentia ad vitam ; et sic non possunt iterum vivificari.

4. Ce qui meurt ne perd pas seulement la vie, mais aussi la puissance de vie, car les principes de la vie sont corrompus, sans lesquels il n’y a pas de puissance de vie. Or, les actes précédents posés dans la charité sont devenus morts par le péché subséquent. Il ne reste donc pas en eux de puissance de vie, et ainsi ils ne peuvent être rendus à la vie.

[16252] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Joel. 2, super illud : reddam vobis, dicit Glossa : non patiar perire ubertatem quam cum perturbationibus animi amisistis. Sed ubertas illa fuit multitudo bonorum operum. Ergo illa per poenitentiam restituuntur.

Cependant, [1] à propos de Jl 2,  : Je vous rendrai, la Glose dit : « Je n’endurerai pas que vous perdiez l’abondance que vous avez perdue par les bouleversements de votre esprit. » Or, cette abondance était la multitude des actes bons. Ils sont donc rendus par la pénitence.

[16253] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, poenitentia revocat omnes defectus ad perfectum, ut dictum est, art. praec. Sed hoc non esset, nisi opera mortificata restitueret ad vitam. Ergo per poenitentiam vivificantur.

[2] La pénitence ramène toutes les carences à la perfection, comme on l’a dit à l’article précédent. Or, cela ne serait pas le cas, si elle ne ramenait pas à la vie les actes morts. Ils sont donc rendus à la vie par la pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16254] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poenitentia de ratione sui ordinatur ad remotionem mali. Unde quod aliqua bona per poenitentiam restituuntur, hoc non est nisi per accidens, inquantum removet prohibens, ut dictum est. Causa autem quae est removens prohibens, exigit causam per se aliquam respectu effectus, cujus ipsa est causa per accidens. Vivificationis autem operum extra caritatem factorum non potest poni aliqua causa per se ; quia vita operum ex vita operantis dependet ; et ideo a gratia vel caritate habent opera quod vivant. Gratia autem vel caritas quam poenitentia restituit, non potest operibus praecedentibus vitam conferre ; quia habitus non format actum nisi qui ab eo procedit ; et ita patet quod per poenitentiam opera extra caritatem facta vivificari non possunt.

La pénitence, par son essence même, est ordonnée à l’enlèvement du mal. Que certains biens soient rendus par la pénitence, cela n’est donc que par accident, pour autant qu’elle enlève un obstacle, comme on l’a dit. Or, la cause qui enlève un obstacle exige une cause par soi en regard de l’effet dont elle est la cause par accident. Mais une cause par soi du retour à la vie des actes posés sans la charité ne peut être établie, car la vie des actes dépend de la vie de celui qui les pose. Ainsi, c’est par la grâce ou la charité que les actes peuvent vivre. Or, la grâce ou la charité que rend la pénitence ne peut donner la vie à des actes précédents, car l’habitus ne donne forme à un acte que s’il le précède. Ainsi, il est clair que, par la pénitence, les actes posés sans charité ne peuvent être rendus à la vie.

[16255] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Isidorus verba Adamantii ibidem exponere videtur, per salutem intelligitur signum salutis, quod etiam peccatores in sacramentis suscipiunt. Vel dicendum, quod concedit eis salutem in spe, sed non in re.

1. Tel qu’Isidore semble expliquer les paroles d’Adamantius au même endroit, on entend par salut le signe du salut, que même les pécheurs reçoivent dans les sacrements. Ou bien il faut dire qu’il leur accorde le salut en espérance, mais non en réalité.

[16256] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentiae naturales sunt magis propinquae caritati et gratiae quantum ad rem, quam actus virtutum acquisitarum, inquantum sunt subjectum gratiae et caritatis ; sed quantum ad similitudinem speciei manifestum est quod est e contrario. Et praeterea, potentiae naturales manent, non autem actus virtutum acquisitarum. Unde illi qui dicebant naturalia fieri gratuita, non intelligebant quantum ad actus qui transeunt, sed quo ad potentias et habitus, qui manent.

2. Les puissances naturelles sont en réalité plus proches de la charité que les actes des vertus acquises, en tant qu’elles sont le sujet de la grâce et de la charité. Mais, pour ce qui est la similitude de l’espèce, il est clair que c’est le contraire. De plus, les puissances naturelles demeurent, mais non les actes des vertus acquises. Ceux qui disaient que les [réalités] naturelles devenaient grâces ne l’entendaient donc pas des actes qui passent, mais des puissances et des habitus qui demeurent.

[16257] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod causa quare opera illa sunt mortua, est, quia non sunt a caritate elicita ; et ideo causa mortis ab eis non tollitur per poenitentiam, ut dictum est.

3. La raison pour laquelle ces actes sont morts est qu’ils ne sont pas issus de la charité. C’est pourquoi la cause de la mort ne leur est pas enlevée par la pénitence, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16258] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod illud proprie vivere apparet quod ex se aliquem motum habet ; et inde vitae nomen proprie ad illa omnia trahitur quae ex se habent operationem aliquam sine aliquo principio extra, sicut quae intelligunt et sentiunt, vel moventur vel appetunt vel nutriuntur. Et inde est quod nomen vitae transumitur ad omnia illa quae habent debitam operationem vel effectum ; et illa quae privantur hac, dicuntur mortua ; sicut dicimus aquam vivam quae est in impetu surgendi. Proprius autem effectus humanorum operum est quod per ea homo ad ultimum finem humanae vitae perveniat, scilicet beatitudinem ; et ideo illa opera hominis proprie viva dicuntur quae hominem ad vitam aeternam perducere possunt ; illa autem mortua, quae hoc faciendi potestatem amiserunt, cum prius eam habuerint. Et ideo opera bona ex caritate facta, in eo qui gratiam habet, viva sunt ; in eo autem qui gratia caret, opera non ex caritate facta mortua sunt. opera autem prius ex caritate facta, in eo qui gratiam dimittit, per peccatum mortificata sunt ; quia peccatum sequens impedit quod homo per illa opera non possit ad vitam introduci.

Paraît vivre ce qui a un certain mouvement par soi. Aussi ce mot de «vie» s’applique-t-il à tout ce qui possède par soi une certaine opération sans aucun principe extérieur, comme ce qui comprend et sent, ou se meut, désire ou se nourrit. De là vient que le mot de «vie» est étendu à tout ce qui possède une opération ou un effet appropriés, et ce qui en est privé est appelé «mort», comme nous appelons «vive» l’eau qui est prête à surgir. Or, l’effet propre des actes humains est que, par eux, l’homme parvienne à la fin ultime de la vie humaine, à savoir, la béatitude. C’est pourquoi on appelle «vivants» au sens propre les actes qui peuvent mener l’homme à la vie éternelle, et «morts», ceux qui ont perdu cette capacité, alors qu’ils l’avaient possédée antérieurement. Aussi les actes bons posés par charité sont-ils vivants chez celui qui possède la grâce ; mais chez celui qui est privé de la grâce, les actes posés sans la charité sont-ils morts. Or, les actes antérieurement posés par charité chez celui qui a perdu la grâce sont devenus morts par la péché, car le péché subséquent empêche que l’homme ne puisse être introduit dans la vie éternelle par ces actes.

[16259] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut opera peccati transeunt actu, sed manent reatu ; ita opera bona in caritate facta, quamvis actu transeant, tamen manent in merendo ; et secundum hoc possunt mortificari.

1. De même que les actes du péché passent selon l’acte, mais demeurent par la dette, de même, les actes bons posés dans la charité, bien qu’ils passent selon l’acte, demeurent cependant pour le mérite. De cette manière, ils peuvent perdre la vie.

[16260] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per ingratitudinem meretur homo accepta beneficia amittere ; et ideo per quantumcumque parvum peccatum mortale, quo homo Deo ingratus de beneficiis perceptis fit, omnia bona praecedentia perdit, quantumcumque fuerint ad fructum vitae aeternae ; nec propter hoc poena culpam excedit.

2. L’homme mérite de perdre les bienfaits reçus par son ingratitude. C’est pourquoi, par un péché mortel, aussi petit soit-il, par lequel l’homme devient ingrat en regard des bienfaits reçus, l’homme perd les bienfaits antérieurs, autant de fruit qu’ils aient porté pour la vie éternelle. Et la peine ne dépasse pas la faute à cause de cela.

[16261] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est in se mortuum, non potest respectu alterius actum vitae habere. Sed accipiendo vivum metaphorice, ut dictum est, nihil prohibet quod in se vivum est, respectu unius esse vivum, et respectu alterius esse mortuum ; quia respectu unius habet effectum suum, sed respectu alterius non habet, propter indispositionem ipsius ; sicut oculis aegris odiosa est lux, quae pueris est amabilis.

3. Ce qui est mort par soi ne peut exercer un acte de vie par rapport à un autre. Or, en entendant «vivant» au sens métaphorique, comme on l’a dit, rien n’empêche que ce qui est vivant par soi soit vivant par rapport à l’un et mort par rapport à un autre, car, par rapport à l’un, il atteint son effet, mais par rapport à l’autre, il ne l’atteint pas en raison de son indisposition, comme la lumière est déplaisante aux yeux malades, mais aimable pour les enfants.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16262] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod opera in caritate facta, ut dictum est, etsi transeant actu, manent tamen quantum ad meritum in Dei acceptatione ; et secundum quod sic manent, habent efficaciam, quantum in ipsis est, inducendi facientem ad vitam aeternam ; et sic dicuntur viva manere. Sed quod hunc effectum in peccatore non habeant, est per accidens, propter peccatum quod facit peccatorem indispositum ad percipiendum effectum praecedentium meritorum, non autem quod ab ipsis operibus aliquid dematur, cum in suo fieri efficaciam praedictam obtinuerint hoc ipso quod ex caritate sunt elicita, quod eis sequens peccatum auferre non potest ; et ideo remota indispositione a peccatore per poenitentiam, opera illa praecedentia effectum suum in ipso iterum habere incipiunt ; et secundum hoc vivificari dicuntur. Quidam autem dicunt quod non vivificantur per poenitentiam sequentem, quia non manent, ut vivificari possint. Sed eadem ratione posset dici quod nec eis qui in justitia perseverant, ad vitam praecedentia opera valeant ; quia quod non est, non potest aliquid valere.

Comme on l’a dit, les actes posés dans la charité, même s’ils passent selon l’acte, demeurent cependant pour ce qui est du mérite au regard de Dieu. Selon qu’ils demeurent ainsi, ils ont par eux-mêmes la capacité de conduire à la vie éternelle celui qui les pose. De cette manière, on dit que les actes vivants demeurent. Mais qu’ils n’aient pas cet effet chez le pécheur, cela est par accident, à cause du péché qui rend le pécheur indisposé à la recevoir l’effet des mérites antérieurs, mais non parce qu’on enlève quelque chose aux actes eux-mêmes, puisque, par leur exercice, ils auraient l’efficacité indiquée par le fait même qu’ils sont issus de la charité, ce que le péché subséquent ne peut enlever. Ainsi, si l’indisposition est enlevée par le pécheur, ces actes antérieurs commencent à avoir de nouveau leur effet ; de cette manière, on dit qu’ils reviennent à la vie. Mais certains disent qu’ils ne reviennent pas à la vie par la pénitence subséquente parce qu’ils ne demeurent pas, de sorte qu’ils puissent revenir à la vie. Mais, pour la même raison, on pourrait dire que les actes antérieurs n’ont pas de valeur non plus pour la vie chez ceux qui persévèrent dans la justice, car ce qui n’existe pas ne peut pas avoir de valeur.

 

[16263] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Hugonis est intelligendum quantum ad bona amissa, quae nunquam recuperantur, quia tempus amissum non recuperatur ; et ideo ejus jactura est gravissima, ut Seneca dicit ; non autem loquitur de bonis mortificatis.

1. La parole de Hugues doit s’entendre des actes bons perdus qui ne sont jamais récupérés, car le temps perdu n’est pas récupéré. C’est pourquoi sa perte est très grave, comme le dit Sénèque. Mais [Hugues] ne parle pas des actes bons qui sont morts.

[16264] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opus dicitur vivum metaphorice, inquantum habet effectum debitum, ut dictum est.

2. Un acte est appelé vivant de manière métaphorique pour autant qu’il atteint l’effet approprié, comme on l’a dit.

[16265] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non maneant actu, manent tamen merito in divina acceptatione ; sicut peccata transeunt actu, et manent reatu.

3. Bien qu’ils ne demeurent pas selon l’acte, ils demeurent cependant par le mérite au regard de Dieu, comme les péchés passent selon l’acte, mais demeurent par la dette.

[16266] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dictum est, opera prius viva non moriuntur in se, sed moriuntur per accidens quo ad justum : et ideo remoto illo accidente vivificari dicuntur.

4. Comme on l’a dit, les actes antérieurement vivants ne meurent pas par soi, mais meurent par accident par rapport au juste. C’est pourquoi on dit qu’ils sont rendus à la vie, une fois cet accident enlevé.

 

 

Articulus 4 [16267] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 tit. Utrum praedicti effectus sint poenitentiae inquantum est virtus

Article 4 – Les effets mentionnés sont-ils ceux de la pénitence comme vertu  ?

 

[16268] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod praedicti effectus non sint poenitentiae inquantum est virtus. Diversorum enim diversi sunt effectus. Sed virtus et gratia differunt, ut in 2 Lib., dist. 26, quaest. 1, art. 2, dictum est. Ergo cum remittere peccatum, et alia praedicta, quae poenitentiae attribuuntur, sit effectus gratiae, non erunt effectus poenitentiae inquantum est virtus.

Objections

1. Il semble que les effets mentionnés ne soient pas ceux de la pénitence comme vertu. En effet, les effets de choses différentes sont différents. Or, la vertu et la grâce sont différentes, comme on l’a dit dans le livre II, d. 26, q. 1 et 2. Puisque la rémission des péchés et les autres choses mentionnées, qui sont attribuées à la pénitence, sont les effets de la grâce, elles ne seront donc pas les effets de la pénitence comme vertu.

[16269] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, quod convenit poenitentiae inquantum est virtus, convenit cuilibet virtuti. Sed remittere peccatum non convenit cuilibet virtuti : quia ad minus virtutibus acquisitis non convenit. Ergo nec poenitentiae convenit inquantum est virtus.

2. Ce qui convient à la pénitence comme vertu convient à n’importe quel vertu. Or, la rémission des péchés ne convient pas à n’importe quelle vertu, car elle ne convient pas à tout le moins aux vertus acquises. Elle ne convient donc pas à la pénitence comme vertu.

[16270] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, poenitentia, secundum quod est virtus, contra fidem dividitur. Sed remissio peccatorum est per virtutem fidei : Act. 15, 9 : fide purificans corda eorum. Ergo non est per poenitentiam inquantum est virtus.

3. La pénitence comme vertu se distingue de la foi. Or, la rémission des péchés est réalisée par la foi, Ac 15, 9 : En purifiant leurs cœurs par la foi. Elle n’est donc pas réalisée par la pénitence comme vertu.

[16271] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, poenitentia alia et alia ratione est virtus, et sacramentum. Sed remittere peccatum convenit ei inquantum est sacramentum ; quia sic est medicina contra morbum peccati ordinata. Ergo non competit ei secundum quod est virtus.

4. La pénitence est une vertu et un sacrement pour des raisons différentes. Or, la rémission des péchés lui convient pour autant qu’elle est un sacrement, car elle est ainsi un remède prévu contre la maladie du péché. Elle ne lui convient donc pas en tant qu’elle est une vertu.

[16272] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, poenitentia, inquantum delet peccatum, dicitur vel est secunda tabula respectu Baptismi. Sed Baptismus liberat a peccato inquantum est sacramentum. Ergo et poenitentia inquantum est sacramentum, non inquantum est virtus.

5. La pénitence, pour autant qu’elle détruit le péché, est appelée un seconde planche par rapport au baptême. Or, le baptême libère du péché pour autant qu’il est un sacrememnt. Donc, la pénitence aussi en tant qu’elle est un sacrement, et non en tant qu’elle est une vertu.

[16273] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, poenitentia ex actu proprio habet quod a peccato liberet, ut dictum est. Sed ad actum proprium comparatur inquantum est virtus. Ergo inquantum est virtus, peccatum remittit.

Cependant, [1] la pénitence tient de son acte propre de libérer du péché, comme on l’a dit. Or, elle se compare à son acte propre en tant qu’elle est une vertu. Elle remet donc les péchés en tant qu’elle est une vertu.

[16274] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, oppositum tollitur per suum oppositum. Sed inquantum est virtus, opponitur peccato. Ergo inquantum est virtus, tollit peccatum.

[2] L’opposé est enlevé par ce qui s’y oppose. Or, en tant qu’elle est une vertu, [la pénitence] s’oppose au péché. Elle enlève donc le péché en tant qu’elle est une vertu.

[16275] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, omne peccatum ex voluntate committitur ; quia nisi sit voluntarium, non est peccatum, ut Augustinus dicit. Sed ex eisdem causis aliquid generatur et corrumpitur, ut in 2 Ethic. dicitur. Ergo oportet quod per voluntatem remittatur. Sed poenitentia habet rationem voluntatis inquantum est virtus. Ergo per eam, inquantum est virtus, peccata remittuntur.

[3] Tout péché est commis volontairement, car s’il n’est pas volontaire, il n’est pas un péché, comme le dit Augustin. Or, une chose est engendrée et corrompue par les mêmes causes, comme il est dit dans Éthique, II. Il faut donc qu’il soit remis par la volonté. Or, la pénitence a un caractère volontaire en tant qu’elle est une vertu. Les péchés sont donc remis par elle en tant qu’elle est une vertu.

[16276] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in peccato duo possunt considerari ; scilicet ipsa inordinatio quae in actu est, et macula quae ex actu inordinato consequitur in anima ; et secundum hoc peccatum dupliciter remittitur. Quia enim ex ipsa actus inordinatione homo, quantum in se erat, injuriam Deo faciebat ; ideo ex parte illa peccatum remittitur, secundum quod inaequalitas praedicta injuriae ad aequalitatem justitiae reducitur ; quod facit poenitentia, inquantum est virtus quaedam, per suum actum, ut prius dictum est. Sed ex parte maculae peccatum remittitur per gratiam, quae formaliter maculam tollit, sicut albedo nigredinem ; et per consequens per alias virtutes gratia formatas. Et quia poenitentia est talis virtus, ideo etiam ipsa formaliter peccatum remittit ex parte habitus ; et hoc est quod quidam dicunt, quod remittit peccatum inquantum est gratia. Non enim potest dici gratia nisi inquantum est gratia informata, vel propter similitudinem effectus, ut prius dictum est. Sed ut est sacramentum, etiam ex parte ista effective peccatum tollit ; quia gratiam tribuit, sicut inducens albedinem aufert nigredinem ; et secundum hoc poenitentia, inquantum est sacramentum novae legis, est causa instrumentalis gratiae, ut in 1 dist., qu. 1, art. 4, quaestiunc. 1, dictum est. Deus autem remittit sicut causa gratiae efficiens, et Christus homo sicut causa meritoria gratiae, et sacerdos sicut minister Dei et sacramentorum dispensator. Et quia omnes alii effectus consequuntur ex poenitentia inquantum peccata remittit, ut dictum est, ideo similis est ratio de omnibus illis effectibus poenitentiae.

Réponse à l’article 4

Dans le péché, on peut envisager deux choses : le désordre même qui se trouve dans l’acte, et la souillure qui survient dans l’âme par l’acte désordonné. Ainsi, le péché est remis de deux manières. En effet, parce que, par le désordre même de l’acte, l’homme, pour ce qui le concernait, offensait Dieu, de ce point de vue, le péché est remis selon que l’inégalité de l’injure mentionnée est ramenée à l’égalité, ce que fait par son acte la pénitence, en tant qu’elle est une vertu, comme on l’a dit antérieurement. Mais, du point de vue de la souillure, le péché est remis par la grâce qui enlève la souillure à la manière d’une forme, comme le blanc [enlève] le noir ; il est par conséquent enlevé par les autres vertus qui ont la forme de la grâce. Et parce que la pénitence est une telle vertu, elle remet donc elle-même le péché à la manière d’une forme du point de vue de l’habitus : c’est ce que certains disent, qu’elle remet le péché en tant qu’elle est une grâce. En effet, on ne peut l’appeler grâce que pour autant qu’elle a la forme de la grâce, ou en raison de la similitude de l’effet, comme on l’a dit plus haut. Mais, en tant qu’elle est sacrement, elle enlève aussi de ce point de vue le péché de manière efficiente, car elle donne la grâce, comme ce qui apporte la blancheur enlève le noir. Ainsi, la pénitence, en tant qu’elle est un sacrement de la loi nouvelle, est cause instrumentale de la grâce, comme on l’a dit à la d. 1, q. 1, a. 4, qa 1. Mais Dieu remet en tant que cause efficiente de la grâce, le Christ homme, en tant que cause méritoire de la grâce, et le prêtre, en tant que ministre de Dieu et dispensateur des sacrements. Et parce que tous les autres effets découlent de la pénitence en tant qu’elle remet les péchés, comme on l’a dit, le raisonnement est donc le même pour tous ces effets de la pénitence.

[16277] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non eodem modo est effectus gratiae et virtutis, ut dictum est.

1. Elle n’est pas l’effet de la grâce et de la vertu de la même manière, comme on l’a dit.

[16278] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet virtus est gratia informata, nec quaelibet virtus habet actum ordinatum ad praedictam aequalitatem inter Deum et hominem restituendam, ut dictum est ; et ideo non oportet quod quaelibet virtus peccata remittat. Hoc enim poenitentiae convenit non inquantum est virtus simpliciter, sed inquantum est virtus quaedam.

2. Toutes les vertus n’ont pas la forme de la grâce, et toutes les vertus n’ont pas non plus un acte ordonné au rétablissement de  l’égalité en question entre Dieu et l’homme, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que toutes les vertus remettent les péchés. En effet, cela ne convient pas à la pénitence en tant qu’elle est simplement une vertu, mais en tant qu’elle est une certaine vertu.

[16279] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fides dicitur purificare cor eo quod primus motus ad justificationem est fidei, et est etiam poenitentiae principium ; unde quod est poenitentiae, etiam fidei attribui potest.

3. On dit que la foi purifie le cœur parce que le premier mouvement vers la justification est celui de la foi et qu’il est aussi le principe de la pénitence. Aussi ce qui relève de la pénitence peut-il être aussi attribué à la foi.

[16280] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut alia ratione poenitentia est virtus et sacramentum ; ita et praedictus effectus alio modo competit sibi inquantum est sacramentum, et inquantum est virtus, ut dictum est.

4. De même que la pénitence est une vertu et un sacrement pour une autre raison, de même l’effet en question lui revient-il d’une autrefaçon selon qu’elle est un sacrement et selon  qu’elle est une vertu

[16281] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Baptismus remittit peccatum tantum uno modo, quia est tantum sacramentum ; sed poenitentia pluribus, quia est virtus et sacramentum.

5. Le baptême ne remet le péché que d’une seule manière, car il n’est qu’un sacrement ; mais la pénitence [le remet] de plusieurs manières, car elle est une vertu et un sacrement.

 

 

Articulus 5

[16282] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 tit. Utrum sine poenitentia peccatorum remissionem quis consequi possit et cetera

Article 5 – Peut-on obtenir la rémission des péchés sans la pénitence  ?

 

[16283] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sine poenitentia peccatorum remissionem quis consequi possit, et praedictos effectus omnes ; et ita non erit necessaria ad salutem. Super illud Psalm. 125 : qui seminant in lacrymis, dicit Glossa interlinealis : noli esse tristis, si adsit tibi bona voluntas, unde metitur pax. Sed aliquis potest habere bonam voluntatem sine dolore poenitentiae, vel sine actuali consideratione peccatorum suorum praeteritorum. Ergo poenitentia non est peccatOri necessaria ad salutem.

1. Il semble qu’on puisse obtenir sans la pénitence la rémission des péchés et tous les effets mentionnés ; ainsi, elle ne serait pas nécessaire au salut. À propos de Ps 125 : Ceux qui sèment dans les larmes, la glose interlinéraire dit : « Ne sois pas triste, si tu as une volonté bonne dont tu récoltes la paix. » Or, on peut avoir une volonté bonne sans la douleur de la pénitence ou sans la considération actuelle de ses péchés passés. La pénitence n’est donc pas nécessaire au salut.

[16284] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, Luc. 7, super illud : dimissa sunt ei peccata multa, dicit Glossa Gregorii : ardOr caritatis rubiginem peccatOrum in ea consumpsit. Sed aliquis potest converti in Deum ardenter per caritatem sine hoc quod convertatur ad peccata praeterita per poenitentiam. Ergo sine poenitentia potest salutem consequi post peccatum.

2. À propos de Lc 7 : Ses nombreux péchés lui ont été remis, une glose de Grégoire dit : « L’ardeur de la charité a consumé en elle la rouille des péchés. » Or, on peut se tourner avec ardeur vers Dieu par la charité sans se tourner vers ses péchés passés par la pénitence. On peut donc obtenir le salut par la pénitence après le péché.

[16285] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut se habet aversio a Deo ad damnationem, ita conversio ad Deum ad salutem. Sed aversio a Deo sine omni delectatione potest esse causa damnationis. Ergo conversio ad Deum sine omni dolore poenitentiae potest esse causa salutis ; et sic idem quod prius.

3. De même que l’aversion de Dieu conduit à la damnation, de même la conversion à Dieu [conduit-elle] au salut. Or, l’aversion de Dieu sans aucune délectation peut être cause de la damnation. La conversion à Dieu sans aucune douleur de la pénitence peut donc être cause du salut. La conclusion est donc la même que précédemment.

[16286] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, motus fidei, qui praecedit poenitentiam, posset intantum intendi quod sufficienter disponeret ad gratiam habendam. Sed gratia sufficit etiam ad salutem sine operibus. Ergo sine opere poenitentiae peccator posset salutem consequi.

4. Le mouvement de foi qui précède la pénitence pourrait avoir une telle intensité qu’il disposerait suffisamment à l’obtention de la grâce. Or, la grâce sans les œuvres suffit aussi pour le salut. Le pécheur pourrait donc obtenir le salut sans acte de pénitence.

[16287] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, in ultimo instanti vitae posset infundi gratia. Sed post ultimum instans non remaneret aliquod instans vitae praesentis, in quo tantum poenitentia potest esse fructifera. Ergo sine omni actu poenitentiae potest homo salutem per gratiam consequi.

5. La grâce pourrait être infusée dans l’ultime instant de la vie. Or, après l’ultime instant, il ne resterait aucun instant de la vie présente, au cours duquel la pénitence seule pourrait porter fruit., L’homme peut donc obtenir le salut sans aucun acte de pénitence.

[16288] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit : nemo suae voluntatis arbiter constitutus potest inchoare novam vitam, nisi poeniteat eum veteris vitae. Sed nullus potest consequi salutem nisi in novitate vitae inveniatur. Ergo sine poenitentia nullus salutem consequi potest.

Cependant, [1] Augustin dit : « Personne qui possède le libre arbitre ne peut commencer une vie nouvelle sans se repentir de son ancienne vie. » Or, personne ne peut obtenir le salut qu’en se trouvant dans une vie nouvelle. Personne ne peut donc obtenir le salut sans pénitence.

[16289] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, sicut Baptismus ordinatur contra originale peccatum, ita poenitentia contra actuale. Sed nemo potest ab originali mundari nisi per Baptismum vel susceptum actu, vel proposito saltem. Ergo nec ab actuali sine poenitentia.

[2] De même que le baptême est ordonné contre le péché originel, de même la pénitence l’est-elle contre le [péché] actuel. Or, personne ne peut être purifié du [péché] originel que par le baptême reçu en acte ou au moins par le propos. Il ne peut donc pas non plus l’être du [péché] actuel sans la pénitence.

[16290] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea ab omnibus dicitur quod poenitentia est sacramentum necessitatis. Sed hoc non esset, si sine ea posset esse salus. Ergo et cetera.

[3] Tous disent que la pénitence est un sacrement nécessaire. Or, ce ne serait pas le cas si le salut pouvait exister sans elle. Donc, etc.

[16291] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod manente causa, manet effectus. Causa autem quare aliquis privatur gratia per peccatum, est inaequalitas peccatoris, qua Deum offendit ; unde quamdiu ista inaequalitas ad aequalitatem non reducitur, non potest privatio gratiae cessare. Hoc autem facit poenitentia per suum actum, ut dictum est supra ; unde sine actu poenitentiae peccatori salus esse non potest.

Réponse à l’article 5

 

L’effet demeure lorsque la cause demeure. Or, la cause pour laquelle on est privé de la grâce par le péché est l’inégalité du pécheur, par laquelle il offense Dieu. Aussi longtemps que cette inégalité n’est pas ramenée à l’égalité, la privation de la grâce ne peut donc pas cesser. Or, c’est ce que fait la pénitence par son acte, comme on l’a dit plus haut. Il ne peut donc pas y avoir de salut pour le pécheur sans acte de pénitence.

[16292] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod bona voluntas, quae ad pacem merendam sufficiat, sine poenitentia esse non potest, quia non est ad aequalitatem reducta ; et ideo ratio ex falsis procedit.

[1] Une volonté bonne, qui suffise à mériter la paix, ne peut exister sans la pénitence, parce qu’elle n’est pas ramenée à l’égalité. C’est pourquoi le raisonnement s’appuie sur des faussetés.

[16293] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut inter homines non restituitur amicitia post offensam nisi per aliquem de offensa dolorem ; ita nec caritas post peccatum, nisi per poenitentiam.

[2] De même que, parmi les hommes, l’amitié n’est rendue après une offense que par la douleur à propos de l’offense, de même en va-t-il pour la charité après une offense, [qui n’est rendue] que par la pénitence.

[16294] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aversione a Deo semper est conversio ad bonum commutabile ; et illa quamvis non habeat delectationem sensibilem, semper tamen habet quamdam placentiam voluntatis ; et similiter oportet quod conversioni ad Deum adjungatur displicentia ; et hic dolor poenitentia dicitur.

[3] Dans l’aversion de Dieu, existe toujours une conversion à un bien changeant, et bien que celle-ci ne comporte pas de délectation sensible, elle comporte cependant toujours un certain plaisir de la volonté. De même est-il nécessaire que soit associé à la conversion à Dieu un dégoût, et celui-ci s’appelle pénitence.

[16295] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus fidei nunquam potest tantum intendi quod gratiae continuetur, nisi poenitentia mediante.

[4] Le mouvement de foi ne peut jamais être assez intense pour être en continuité avec la grâce, si ce n’est pas l’intermédiaire de la pénitence.

[16296] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod forte non est accipere ultimum instans vitae, sed est accipere primum instans mortis ; alias inter primum instans vitae et primum instans mortis, cum sit aliud et aliud instans, esset medium tempus. Sed supposito quod sit ultimum instans vitae, tunc in illo eodem instanti et gratia infundetur, et motum poenitentiae homo habebit ; et talis poenitentia sufficit ad salutem, ut dicit Augustinus in Lib. de ecclesiasticis dogmatibus, cap. 80.

[5] Peut-il ne faut-il pas parler d’instant ultime de la vie, mais faut-il parler d’instant premier de la mort, autrement, il existerait un temps intermédiaire entre le premier instant de la vie et le premier instant de la mort. Or, à supposer qu’il y ait un instant ultime de la vie, l’homme aura un mouvement de pénitence et la grâce sera infusée dans le même instant. Et une telle pénitence suffit pour le salut, comme le dit Augustin dans le livre Sur les enseignements ecclésiastiques, c. 80.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 14

[16297] Super Sent., lib. 4 d. 14 q. 2 a. 5 expos. Post haec de poenitentia agendum est. Videtur quod de poenitentia ante confirmationem et Eucharistiam debuerit tractari ; quia prius est recedere a malo, quod pertinet ad poenitentiam, quam perfici in bono, quod pertinet ad illa duo sacramenta. Et dicendum, quod confirmatio et Eucharistia sunt de prima intentione sanctificationis ; sed poenitentia est de secunda intentione ; quia si homo nunquam a gratia baptismali caderet, non indigeret poenitentia ; indigeret tamen confirmatione, et Eucharistia. Est enim poenitentia interior et est exterior. Secundum hoc etiam videtur quod Baptismus sit virtus ; quia etiam est Baptismus interior scilicet Baptismus flaminis. Et dicendum, quod interior Baptismus non dicitur Baptismus nisi metaphorice ; sed interior poenitentia dicitur poenitentia vere. Et praeterea interior actus non est de necessitate Baptismi, alias pueri non possent baptizari ; sed interior actus est de necessitate poenitentiae. Nihil prosunt lamenta, si replicantur peccata. Hoc intelligendum est de illis qui voluntate habituali replicant. Vel intelligendum, quod nihil prosint ad vitam consequendam : quia qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit ; Matth. 24, 13. Baptismus tamen ratione characteris quem imprimit, aliquid valet, etiam si homo fictus accedat. Poenae graviori se subjicit. Hoc intelligendum est de illis qui exterius per poenitentiam hypocrisim praetendunt ; quia simulata aequitas est duplex iniquitas, ut Augustinus dicit. Vel hoc dicitur, quia tollitur excusatio de ignorantia vel surreptione in eo quod peccatum advertit, de eo poenitens. Vera poenitentia est cessare a peccato. Sciendum, quod cessare a peccato non dicit simplicem negationem peccati ; quia qui intermittit actum peccati, non dicitur a peccato cessare ; sed cessare a peccato proprie dicitur, cui peccatum displicet, et peccatum dimittere intendit ; et haec est vera poenitentia. Cum emendationis proposito. Sed contra, unius habitus unus est actus ; hic autem ponuntur quatuor actus poenitentiae, scilicet propositum emendationis, plangere peccata praeterita, et odire, et iterum nolle ulterius committere. Et dicendum, quod ista quatuor se consequuntur in poenitentia, et ideo quasi pro uno actu computantur ; quia sicut amor delectationem parit in consideratione amati, ita odium peccati tristitiam de ipso parit, et tristitia ad destructionem ipsius movet ; et ideo inter quatuor praedicta primum est odire peccata ; secundum ea plangere, tertium ea destruere, quantum ad praeterita cum proposito emendationis, et quantum ad futurum per hoc quod homo plangenda committere nolit, quod est quartum. Semper puniens in se, habitu vel proposito, sed non semper actu ; quia quandoque etiam motibus aliarum virtutum debet commoveri. De poenitentia perfectorum, vel ad salutem sufficienti, intelligendum est quod supra dixit. Perfectos hic vocat qui in poenitentia sunt perfecti, eam usque ad finem vitae continuantes. Si nos aliqua culpa mortalis invenerit quae non in crimine mortali vel in morum vitio consistat, haec culpa semper reparari potest. Sciendum, quod culpa mortalis est quae gratiam tollit, per quam est vita animae ; et sic omnis culpa mortalis est contra gratiam ; sed quaedam est contra rationem, ut perjurium ; quaedam etiam contra naturam, ut sodomia ; quaedam autem est crimen, quae est digna accusatione in judicio ; quaedam autem est blasphemia, quae est impositio alicujus falsi in Deum, vel ei subtrahendo quod inest, vel attribuendo quod non inest. Quod tamen in quibusdam Ecclesiis non servatur. Hoc intelligitur de poenitentia publica ; sed solemnis, ut quidam dicunt, nunquam iteratur. Nec minus tribuit quam ante tribuerat, largissima munera vitae et salutis, videlicet quantum in ipso est, dummodo aequaliter se homo ad gratiam habendam praeparet. Non tamen oportet quod semper in aequali caritate resurgat, ut in 3 Lib., dist. 31, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 3, dictum est. Etiam si ad summum perveniat malorum. Hoc intelligendum est quantum ad actum, non quantum ad potentiam ; quia aliquis est ita malus quod nullus alius est pejor non autem ita quod nullus alius possit esse pejor. Et tamen graviter postea deliquit. Sed contra : Moyses etiam numeravit, nec tamen dicitur peccasse. Et dicendum, quod Moyses numeravit ex praecepto domini, sed David ut in populo gloriaretur. Ideo autem eo peccante populus percussus est propter ostendendam habitudinem populi ad principem, sicut Augustinus dicit in quaestionibus utriusque testamenti, de Acham. Ostenditur enim in ipsa poena Acham quantum sit bonum in populo ipsa unitas, ut non in seipsis singula, sed in toto partes aestimentur. Vel sicut Gregorius dicit, super illud Job 34 : qui regnare facit hypocritam etc., pro qualitatibus subditorum disponuntur acta regentium, ut saepe propter demerita gregis, etiam vere boni delinquat vita pastoris ; et David populum numerando peccavit, et tamen vindictam populus de peccato suscepit. Vel dicendum, quod quia de populi elatione peccavit, ideo in populi occisione punitus fuit, sicut aliquis dominus in amissione possessionis. Nec tamen populus injuste passus est, quia hoc meruerat, Absalon sequendo.

 

 

 

Distinctio 15

Distinction 15 – [La pénitence véritable]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que la satisfaction ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[16298] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de poenitentia quantum ad sui veritatem, ostendens quid sit poenitentia secundum sui veram rationem, et removens errorem quorumdam qui ad rationem poenitentiae addere volebant futuram perseverantiam, hic intendit determinare de poenitentia quantum ad sui integritatem, quorumdam errorem removens, qui falso opinabantur posse de uno peccato poenitentiam agi, et non de alio : quod est contra integritatem poenitentiae. Et dividitur in partes duas : in prima ponit rationes quae sunt causa erroris ; in secunda improbat ipsum errorem, ibi : satis arbitror illis esse responsum. Prima in duas, secundum quod error praedictus duos habuit modos positionis : in prima enim parte reprobat rationes eorum qui dicebant, quod de uno peccato sine alio poterat poenitentia agi, et fructuose quantum ad praesens ; in secunda illorum qui ponebant quod hoc non erat fructuosum quantum ad praesens, sed quantum ad futurum, quando de peccatis aliis poenitentiam aget, ibi : quibusdam tamen videtur fuisse satisfactio, sed infructuosa. Prima in duas : in prima excludit probationem eorum, quae ex auctoritatibus canonis procedebat ; in secunda probationes ex auctoritatibus sanctorum et ratione sumptas, ibi : alias quoque auctoritates inducunt. Circa primum tria facit : primo ponit objectionem ; secundo solvit eam, ibi : sed de his oportet illud tantum intelligi qui praesentibus suppliciis commutantur in bonum ; tertio excludit quamdam dubitationem ex praecedenti solutione ortam, ibi : attende lector his verbis. Alias quoque auctoritates inducunt. Circa hanc partem duo facit : primo ponit probationes illorum, quorum prima est ex auctoritate Gregorii ; secunda ex auctoritate Ambrosii ; tertia ex ratione sumpta, ut per se patet ; secundo solvit eas ; et primo ad auctoritatem Gregorii, ibi : hic responderi potest etc. ; secundo ad auctoritatem Ambrosii, ibi : illud autem quod Ambrosius ait etc. ; tertio ad rationem, ibi : ad hoc autem quod objicitur et cetera. Quibusdam tamen videtur fuisse satisfactio, sed infructuosa. Hic destruit probationes alterius positionis ; et circa hoc duo facit : primo ponit eas ; secundo solvit, ibi : sed haec dicta intelligimus de illo qui in caritate quodam tempore bona facit, et bonus est, alio vero tempore malus est. Et ponit duas solutiones, quarum secunda incipit ibi : potest etiam accipi de operibus bonis quae ab aliquo fiunt dum malus est. Et circa hoc duo facit ; primo ostendit quod bona extra caritatem facta, etsi valeant ad tolerabilius judicium sustinendum, non tamen valent ad vitam consequendam ; secundo ostendit idem de operibus in caritate factis, quae postea per peccatum mortificantur, ibi : illa etiam quae in caritate quis facit, si postea prolapsus fuerit, nec exsurrexerit, non esse in memoria Dei Ezechiel dicit. Satis arbitror illis esse responsum. Hic improbat ipsum errorem ; et circa hoc duo facit : primo improbat errorem ; secundo concludit veritatem, scilicet quae sit vera et sufficiens poenitentia, ibi : ex praemissis perspicua fit notitia verae poenitentiae. Hic est quaerendum de satisfactione et de partibus ejus ; unde quatuor hic quaeruntur. Primo de ipsa satisfactione. Secundo de eleemosyna. Tertio de jejunio. Quarto de oratione. His enim tribus homo satisfacit. Circa hoc quaeruntur quinque : 1 quid sit satisfactio ; 2 utrum possibile sit a nobis Deo satisfieri ; 3 qualiter homo satisfacere possit ; 4 per quae ; 5 utrum restitutio sit pars satisfactionis.

Après avoir déterminé de la véritable pénitence, en montrant ce qu’est la pénitence selon sa vraie nature et en écartant l’erreur de certains qui voulaient ajouter à la notion de pénitence la persévérance future, ici il entend déterminer de la pénitence du point de vue de son intégrité, en écartant l’erreur de certains qui pensaient faussement qu’on pouvait faire pénitence d’un péché et non d’un autre, ce qui va à l’encontre de l’intégrité de la pénitence. Il y a trois parties. Dans la première, il présente les raisons qui causent l’erreur ; dans la deuxième, il repousse l’erreur elle-même, à cet endroit : « J’estime qu’on leur a suffisamment répondu. » La première partie se divise en deux, selon que l’erreur mentionnée se présente de deux manières. En effet, dans la première, il repousse les arguments de ceux qui disaient qu’on pouvait faire pénitence pour un péché, et non pour un autre, et de manière fructueuse dans le présent ; dans la seconde, [l’erreur] de ceux qui affirmaient que cela ne portait pas fruit dans le présent, mais dans l’avenir, lorsqu’on fera pénitence des autres péchés, à cet endroit : « Cela paraissait à certains être une satisfaction, mais qui ne porte pas fruit. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il écarte leur démonstration, qui s’appuyait sur des canons ; dans la seconde, les démonstrations tirées des autorités des saints et de la raison, à cet endroit : « Ils invoquent aussi d’autres autorités. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente une objection ; deuxièmement, il en donne la solution, à cet endroit : « Mais il faut l’entendre seulement de ceux qui par les supplices actuels changent pour le bien » ; troisièmement, il écarte un doute issu de la réponse précédente, à cet endroit : « Lecteur, porte attention à ces paroles. » « Ils invoquent aussi d’autres autorités. » Dans cette partie, il fait deux choses. Premièrement, il présente leurs démonstrations, dont la première est tirée d’une autorité de Grégoire, la deuxième, d’une autorité d’Ambroise, la troisième s’appuie sur un raisonnement, comme cela est clair. Deuxièmement, [leurs démonstrations] qui font appel à l’autorité d’Ambroise, à cet endroit : « Ce que dit Ambroise, etc. » Troisièmement, qui font appel à la raison, à cet endroit : « À ce qui est objecté, etc. » « À certains, cela semble avoir été une satisfaction, mais qui ne portait pas de fruit. » Ici, il détruit la démonstration de l’autre position. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il les présente ; deuxièmement, il y répond, à cet endroit : « Mais nous entendons ce qui a été dit de celui qui, se trouvent dans la charité à un certain moment, fait le bien, mais est mauvais à un autre moment. » Il présente deux réponses, dont la seconde commence à cet endroit : « On peut aussi l’entendre des actes bons qui sont posés par quelqu’un alors qu’il est mauvais. » À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre que le bien fait sans la charité, même s’il contribue à supporter le jugement d’une manière plus tolérable, n’a pas de valeur pour l’obtention de la vie. Deuxièmement, il montre la même chose au sujet des actes posés avec la charité, qui par la suite deviennent morts par la péché, à cet endroit : « Cela aussi qui est fait par quelqu’un avec la charité, s’il tombe par la suite, ne se relèvera pas, et Ézéchiel dit que Dieu ne s’en souviendra pas. » « J’estime qu’on leur a suffisamment répondu. » Ici, il repousse l’erreur elle-même. À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il repousse l’erreur ; deuxièmement, il conclut par la vérité, à savoir, quelle est la pénitence véritable et suffisante, à cet endroit : « De ce qui a été dit, la connaissance de la pénitence véritable ressort clairement. » Ici, il faut s’interroger sur la satisfation et ses parties ; aussi quatre questions sont-elles ici posées. Premièrement, à propos de la satisfaction ; deuxièmement, à propos de l’aumône ; troisièmement, à propos du jeûne ;  quatrièmement, à propos de la prière. En effet, l’homme satisfait par ces trois choses. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la satisfaction ? 2 – Est-ce que nous pouvons donner satisfaction à Dieu ? 3 – Comment l’homme peut-il satisfaire ? 4 – Par quoi ? 5 – La restitution est-il une partie de la satisfaction ?

 

 

Articulus 1 [16299] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum satisfactio sit virtus, aut virtutis actus

Article 1 – La satisfaction est-elle une vertu ou l’acte d’une vertu ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La satisfaction est-elle une vertu ou l’acte d’une vertu ?]

[16300] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod satisfactio non sit neque virtus neque virtutis actus. Omnis enim virtutis actus est meritorius. Sed satisfactio non est meritoria, ut videtur ; quia meritum gratuitum est ; sed satisfactio debitum attendit. Ergo satisfactio non est actus virtutis.

1. Il semble que la satisfaction ne soit ni une vertu ni l’acte d’une vertu. En effet, tout acte d’une vertu est méritoire. Or, la satisfaction n’est pas méritoire, car le mérite est gratuit, alors que la satisfaction porte sur une dette. La satisfaction n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[16301] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis actus virtutis est voluntarius. Sed aliquando fit alicui satisfactio de aliquo, eo invito ; ut quando aliquis pro offensa in alterum commissa a judice punitur. Ergo satisfactio non est virtutis actus.

2. Tout acte d’une vertu est volontaire. Or, satisfaction est parfois rendue à quelqu’un malgré soi, comme lorsqu’on est puni par un juge pour une offense commise contre un autre. La satisfaction n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[16302] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, in virtute moris principale est electio. Sed satisfactio non fit per electionem, sed respicit principaliter exteriora opera. Ergo non est virtutis actus.

3. Selon le Philosophe, le choix est ce qu’il y a de principal dans une vertu morale. Or, la satisfaction n’est pas accomplie par un choix, mais elle concerne principalement des actes extérieurs. Elle n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[16303] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, satisfactio ad poenitentiam pertinet. Sed poenitentia est virtus, ut prius dictum est. Ergo satisfactio est actus virtutis.

Cependant, [1] la satisfaction relève de la penitence. Or, la pénitence est une vertu, comme on l’a dit plus haut. La satisfaction est donc l’acte d’une vertu.

[16304] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus actus operatur ad deletionem peccati, nisi sit actus virtutis : quia contrarium destruitur per suum contrarium. Sed per satisfactionem peccatum totaliter annihilatur. Ergo satisfactio est virtutis actus.

[2] Aucun acte n’est accompli en vue de détruire le péché s’il n’est pas l’acte d’une vertu, car le contraire est détruit par son contraire. Or, par la satisfaction, le péché est entièrement annihilé. La satisfaction est donc l’acte d’une vertu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La satisfaction est-elle un acte de justice ?]

[16305] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit actus justitiae. Quia satisfactio fit ad hoc quod reconcilietur ei quem offendit. Sed reconciliatio, cum sit amoris, ad caritatem pertinet. Ergo satisfactio est actus caritatis, et non justitiae.

1. Il semble qu’elle ne soit pas un acte de justice, car la satisfaction est accomplie en vue de la réconciliation avec celui qu’on a affensé. Or, la réconciliation, puisqu’elle est le fait de l’amour, relève de la charité. La satisfaction est donc un acte de charité, et non de justice.

[16306] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, causae peccatorum in nobis sunt passiones animae, quibus ad malum incitamur. Sed justitia, secundum philosophum, non est circa passiones, sed circa operationes. Cum ergo ad satisfactionem pertineat peccatorum causas excidere, ut in littera dicitur, videtur quod non sit actus justitiae.

2. Les causes des péchés en nous sont les passions de l’âme par lesquelles nous sommes incités au mal. Or, la justice, selon le Philosophe, ne porte pas sur les passions, mais sur les opérations. Puisque qu’il relève de la satisfaction de retrancher les causes des péchés, comme on le dit dans le texte, il semble donc qu’elle ne soit pas d’un acte de justice.

[16307] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, cavere in futurum non est actus justitiae, sed magis prudentiae, cujus pars ponitur cautela, ut in 3 Lib., dist. 33, quaest. 3, art. 1, quaestiunc. 2, dictum est. Sed hoc pertinet ad satisfactionem : quia ipsius est suggestionibus peccatorum aditum non indulgere. Ergo satisfactio non est actus justitiae.

3. Éviter à l’avenir n’est pas un acte de justice, mais plutôt de prudence, dont une partie est la prévoyance, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 1, qa 1. Or, cela relève de la satisfaction, car il lui revient de ne pas permettre l’accès aux suggestions des péchés. La satisfaction n’est donc pas un acte de justice.

[16308] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nulla virtus attendit rationem debiti nisi justitia. Sed satisfactio honorem debitum Deo impendit, ut Anselmus dicit. Ergo satisfactio est justitiae actus.

Cependant, [1] aucune vertu ne porte sur ce qui a caractère de dette, sinon la justice. Or, la satisfaction rend l’honneur dû à Dieu, comme le dit Anselme. La satisfaction est donc un acte de justice.

 

[16309] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nulla virtus habet rerum exteriorum adaequationem perficere nisi justitia. Sed hoc fit per satisfactionem : quia constituitur aequalitas emendae ad offensam praecedentem. Ergo satisfactio est justitiae actus.

[2] Aucune vertu n’a pour tâche de réaliser une égalité extérieure, sinon la justice. Or, cela se réalise par la satisfaction, car  l’égalité pour une offense précédente est rétablie. La satisfaction est donc un acte de justice.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La définition de la satisfaction donnée par Augustin est-elle appropriée ?]

[16310] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod definitio satisfactionis in littera inconvenienter ponatur ab Augustino. Dicit enim quod satisfactio est peccatorum causas excidere, et eorum suggestionibus aditum non indulgere. Causa enim actualis peccati fomes est. Sed in hac vita non possumus fomitem excidere. Ergo satisfacere non est causas peccatorum excidere.

1. Il semble que la définition donnée par Augustin dans le texte soit présentée de manière inappropriée. En effet, il dit que la satisfaction consiste à retrancher les causes des péchés et à ne pas permettre l’accès lorsqu’ils sont suggérés. En effet, la cause du péché actuel est le désir désordonné. Or, dans cette vie, nous ne pouvons retrancher le désir désordonné. Satisfaire ne consiste donc pas à retrancher les causes des péchés.

[16311] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, causa peccati est fortior quam peccatum. Sed homo per se non potest peccatum excidere. Ergo multo minus causas peccati ; et sic idem quod prius.

2. La cause du péché est plus forte que le péché. Or, l’homme ne peut retrancher par lui-même le péché. Il peut donc encore bien moins [retrancher] les causes du péché. La conclusion est donc la même que précédemment.

[16312] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, satisfactio, cum sit pars poenitentiae, praeteritum respicit, non futurum. Sed non indulgere aditum suggestionibus peccatorum respicit futurum. Ergo non debet poni in definitione satisfactionis.

3. Puisqu’elle est une partie de la pénitence, la satisfaction concerne le passé, et non l’avenir. Or, ne pas permettre l’accès aux suggestions des péchés concerne l’avenir. Cela ne doit donc pas être mis dans la définition de la satisfaction.

[16313] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, satisfactio dicitur respectu offensae praeteritae. Sed de offensa praecedenti nulla fit mentio. Ergo inconvenienter assignatur definitio satisfactionis.

4. On parle de satisfaction par rapport à une offense passée. Or, il n’est pas fait mention de l’offense passée. La définition de la satisfaction est donc donnée de manière inappropriée.

[16314] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Anselmus ponit aliam definitionem in Lib. 1, cur Deus homo, ubi Sup., scilicet : satisfactio est honorem debitum Deo impendere ; in qua nulla fit mentio horum quae Augustinus hic ponit. Ergo altera earum videtur esse incompetens.

5. Anselme donne une autre definition dans le livre I de Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? Il dit : « La satisfaction consiste à rendre l’honneur dû à Dieu », où aucune mention n’est faite de ce que présente Augustin. L’une des deux [définitions] semble donc inappropriée.

[16315] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, honorem debitum Deo potest innocens impendere. Sed satisfacere non competit innocenti. Ergo definitio Anselmi est male assignata.

6. Un innocent peut render l’honneur dû à Dieu. Or, satisfaire ne convient pas à celui qui est innocent. La définition d’Anselme est donc mal formulée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16316] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod aliquis actus dicitur esse actus virtutis dupliciter. Uno modo materialiter ; et sic quilibet actus qui non habet malitiam implicitam vel defectum debitae circumstantiae, actus virtutis dici potest : quia quolibet tali actu potest uti virtus in suum finem, sicut est ambulare, loqui, et hujusmodi. Alio modo dicitur aliquis actus esse actus virtutis formaliter : quia in suo nomine formam et rationem virtutis implicitam habet ; sicut fortiter sustinere, dicitur actus fortitudinis. Formale autem cujuslibet virtutis moralis est ratio medii ; unde omnis actus qui rationem medii importat, actus virtutis formaliter est. Et quia aequalitas medium est, quod suo nomine satisfactio importat (non enim dicitur aliquid satisfactum nisi secundum proportionem aequalitatis ad aliquid), constat quod satisfactio etiam formaliter est actus virtutis.

Un acte est appelé l’acte d’une vertu de deux façons. D’une façon, à titre de matière : ainsi, n’importe quel acte qui ne comporte pas de malice implicite ou de carence d’une circonstance appropriée peut être appelé un acte de vertu, car une vertu peut utiliser un tel acte pour sa fin, ainsi marcher, parler et les choses de ce genre. D’une autre façon, un acte est l’acte d’une vertu de manière formelle, car son nom même comporte implicitement la forme et le caractère de vertu, comme le fait de supporter avec force est appelé un acte de force. Or, ce qui est formel en toute vertu morale est le caractère de milieu. Aussi toute vertu qui comporte le caractère de milieu est un acte de vertu au sens formel. Et parce que l’égalité est un milieu, qu’implique la satisfaction par son nom même (en effet, on ne parle de satisfaction que selon une proportion d’égalité par rapport à quelque chose), il est clair que la satisfaction est aussi un acte de vertu de manière formelle.

[16317] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis satisfacere in se sit debitum, tamen inquantum satisfaciens voluntarie hoc opus exequitur, rationem gratuiti accipit ex parte operantis ; et sic operans facit de necessitate virtutem : ex hoc enim debitum diminuere habet meritum, quod necessitatem importat, quae voluntati contrariatur ; unde si voluntas necessitate consentiat, ratio meriti non tolletur.

1. Bien que satisfaire soit en soi une dette, toutefois, dans la mesure où celui qui satisfait accomplit volontairement cet acte, il prend un caractère gratuit du point de vue de celui qui agit. Celui qui agit ainsi fait de nécessité vertu. En effet, la diminution de la dette, qui implique une nécessité contraire à la volonté, est ainsi méritoire. Si la volonté consent à ce qui est nécessaire, le caractère de mérite ne sera donc pas enlevé.

[16318] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus virtutis non requirit voluntarium in eo qui facit, quia illius actus est ; et ideo, cum ille in quem judex vindictam exercet, se habeat ut patiens ad satisfactionem, non ut agens ; non oportet quod in eo voluntaria sit satisfactio, sed in judice faciente.

2. L’acte vertueux n’exige pas quelque chose de volontaire chez celui qui l’accomplit, car c’est son acte. Puisque celui contre lequel un juge exerce le châtiment exerce le rôle de sujet par rapport à la satisfaction, et non celui d’agent, il n’est donc pas nécessaire que la satisfaction soit volontaire chez lui, mais chez le juge qui la réalise.

[16319] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principale in virtute potest accipi dupliciter. Uno modo principale in ipsa, inquantum est virtus ; et sic ea quae ad rationem pertinent, vel magis ei propinqua sunt, principaliora sunt in virtute ; et sic electio et interiores actus in virtute, inquantum virtus est, principaliores sunt. Alio modo potest accipi principale in virtute, inquantum est talis virtus ; et sic principalius in ipsa est ex quo determinationem recipit. Actus autem interiores in aliquibus virtutibus determinantur per exteriores : quia electio, quae est communis omnibus virtutibus, ex hoc quod est electio talis actus, efficitur propria hujus virtutis ; et sic actus exteriores in aliquibus virtutibus sunt principaliores ; et ita etiam est in satisfactione.

3. Ce qu’il y a de principal dans la vertu peut s’entendre de deux manières. D’une manière, ce qu’il y a de principal en elle, en tant qu’elle est une vertu : ainsi, ce qui se rapporte à la raison ou en est plus rapproché est plus important dans la vertu et, de cette manière, le choix et les actes intérieurs de la vertu sont plus importants dans la vertu en tant qu’elle est une vertu. D’une autre manière, on peut entendre ce qui est principal dans une vertu, en tant qu’elle est telle vertu : ainsi, est plus important en elle ce qui lui donne sa détermination. Or, les actes intérieurs de certaines vertus sont déterminés par des actes extérieurs, car le choix, qui est commun à toutes les vertus, du fait qu’il est le choix de telle vertu, devient propre à cette vertu. Ainsi, les actes extérieurs de certaines vertus sont-ils plus importants. Et il en est de même pour la satisfaction.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16320] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 5 Ethic., medium justitiae accipitur secundum adaequationem rei ad rem in proportionalitate aliqua. Unde cum talem adaequationem ipsum nomen satisfactionis importet, quia hoc adverbium satis aequalitatem proportionis designat ; constat quod satisfactio formaliter justitiae actus est. Sed justitiae actus, secundum philosophum, est vel sui ad alterum, ut quando aliquis reddit alteri quod ei debet ; vel alterius ad alterum, sicut quando judex facit justitiam inter duos. Quando autem actus justitiae est sui ad alterum, aequalitas in ipso faciente constituitur ; quando autem alterius ad alterum, aequalitas constituitur in justum passo. Et quia satisfactio aequalitatem in ipso faciente exprimit, dicit actum justitiae qui est sui ad alterum proprie loquendo. Sed sui ad alterum potest aliquis facere justitiam vel in actionibus et passionibus, vel in rebus exterioribus ; sicut etiam injuria fit alteri vel subtrahendo res, vel sub aliquam actionem laedendo. Et quia usus rerum exteriorum est dare ; ideo actus justitiae, secundum quod aequalitatem in rebus exterioribus constituit, proprie dicitur hoc quod est reddere. Sed satisfacere, aequalitatem in actionibus demonstrat, quamvis quandoque unum pro altero ponatur. Et quia adaequatio non est nisi inaequalium, ideo satisfactio inaequalitatem actionum praesupponit ; quae quidem offensam constituit ; et ideo habet respectum ad offensam praecedentem. Nulla autem pars justitiae respicit offensam praecedentem, nisi vindicativa justitia, quae aequalitatem constituit in eo qui justum patitur indifferenter ; sive sit patiens idem quod agens, ut quando aliquis sibi ipsi poenam infert ; sive non sit idem, ut quando judex alium punit ; ad utrumque vindicativa justitia se habente. Similiter et poenitentia, quae aequalitatem tantum in faciente importat, quia ipsemet poenam tenet ; ut sic quodammodo poenitentia vindicativae justitiae species fit. Et propter hoc constat quod satisfactio, quae aequalitatem respectu offensae praecedentis in faciente importat, opus justitiae est quantum ad illam partem quae poenitentia dicitur.

Selon le Philosophe, dans Éthique, V, le milieu de la justice se prend selon la réalisation de l’égalité entre une chose et une autre selon une certaine proportionnalité. Puisque le mot même de satisfaction implique une telle réalisation de l’égalité, parce que l’adverbe « assez » [satis] désigne une égalité proportionnelle, il est clair que la satisfaction est de manière formelle un acte de justice. Or, selon le Philosophe, l’acte de justice est ou bien le fait de soi envers un autre, comme lorsque quelqu’un rend à un autre ce qu’il lui doit, ou bien le fait d’un autre envers un autre, comme lorsqu’un juge rend justice entre deux personnes. Or, lorsque l’acte de la justice est le fait de soi envers un autre, l’égalité est établie chez celui-là même qui l’accomplit ; mais lorsqu’il est le fait d’un autre envers un autre, l’égalité est établie chez celui qui est le sujet de ce qui est juste. Et parce que la satisfaction exprime l’égalité chez celui qui l’accomplit, elle exprime à proprement parler un acte de justice qui est le fait de soi envers un autre. Or, on peut accomplir la justice envers un autre dans des actions et des passions ou dans des choses extérieures, de même qu’un tort est fait à un autre soit en lui enlevant des choses, soit en le blessant par une action. Et parce que l’usage des choses extérieures consiste à donner, l’acte de justice, selon qu’il établit une égalité dans les choses extérieures, consiste à proprement parler à rendre. Mais la satisfaction manifeste une égalité dans les actions, bien que parfois une chose soit dite pour l’autre. Et parce que le rétablissement de l’égalité ne concerne que les choses inégales, la satisfaction présuppose donc une inégalité des actions, qui constitue l’offense ; elle est donc en rapport avec une offense antérieure. Or ,aucune partie de la justice ne concerne une offense antérieure, si ce n’est la justice punitive, qui établit indifféremment une égalité celui qui est le sujet de ce qui est juste, soit que le sujet soit le même que celui qui agit, comme lorsque quelqu’un s’impose une peine à lui-même, soit qu’il ne soit pas le même, comme lorsqu’un juge en punit un autre : la justice punitive s’applique aux deux. Il en va de même de la pénitence, qui comporte l’égalité seulement chez celui qui agit, car lui-même reçoit la peine, de sorte que, parfois, la pénitence devient une espèce de la justice punitive. Pour cette raison, il est clair que la satisfaction, qui comporte une égalité par rapport à une offense antérieure, est un acte de justice pour cette partie qui est appelée pénitence.

[16321] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod satisfactio, ut ex dictis patet, est quaedam injuriae illatae recompensatio. Unde sicut injuria illata immediate ad inaequalitatem justitiae pertingebat, et per consequens ad inaequalitatem amicitiae oppositam ; ita et satisfactio directe ad aequalitatem justitiae perducit, et ad aequalitatem amicitiae ex consequenti. Et quia actus aliquis elicitive ab illo habitu procedit ad cujus finem immediate ordinatur, imperative autem ab illo ad cujus finem ulterius tendit ; ideo satisfactio elicitive est a justitia, sed imperative a caritate.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, la satisfaction est une certaine compensation pour un prejudice causé. De même que le préjudice causé concernait immédiatement l’inégalité de la justice et, par conséquent, l’inégalité opposée à l’amitié, de même la satisfaction conduit-elle directement à l’égalité de la justice et, par mode de conséquence, à l’égalité de l’amitié. Et parce qu’un acte est issu par choix de l’habitus immédiatement ordonné à la fin de celui-ci, mais, par mode de commandement, de celui dont il vise ultérieurement la fin, la satisfaction vient donc d’un choix de la justice, mais de la charité par mode de commandement.

[16322] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis justitia sit principaliter circa operationes, tamen etiam ex consequenti est circa passiones, inquantum sunt operationum causae. Sed sicut justitia cohibet iram ne alteri laesionem injuste inferat, et concupiscentiam ne ad aliorum torum accedat ; sic etiam satisfactio potest peccatorum causas excidere.

2. Bien que la justice porte principalement sur les actions, elle porte toutefois par mode de conséquence sur les passions, en tant qu’elles sont les causes des actions. Mais de même que la justice retient la colère, pour qu’elle n’en blesse pas injustement un autre, et la concupiscence, pour qu’elle n’accède pas au lit d’un autre, de même la satisfaction peut-elle retrancher des causes de péchés.

[16323] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quaelibet virtus moralis participat actus prudentiae, eo quod formaliter ipsa complet in eis rationem virtutis, cum secundum eam medium accipiatur in singulis virtutibus moralibus, ut patet per definitionem virtutis positam in 2 Ethic.

3. Toute vertu morale participle aux actes de la prudence, du fait que celle-ci achève en elles le caractère vertueux, puisque le milieu est pris selon elle dans chacune des vertus morales, comme cela ressort clairement de la définition de la vertu donnée dans Éthique, II.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16324] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod justitia non ad hoc tantum tendit ut inaequalitatem praecedentem auferat puniendo culpam praeteritam, sed ut in futurum aequalitatem custodiat : quia secundum philosophum in 2 Ethic., poenae medicinae sunt ; unde et satisfactio, quae est justitiae actus poenam inferentis, est medicina, curans peccata praeterita, et praeservans a futuris ; et ideo quando homo homini satisfacit, et praeterita recompensat et de futuris cavet. Et secundum hoc dupliciter potest satisfactio definiri. Uno modo respectu culpae praeteritae, quam recompensando curat ; et sic dicitur, quod satisfactio est injuriae illatae recompensatio secundum justitiae aequalitatem ; et in idem dicitur redire definitio Anselmi, qui dicit, quod satisfacere est Deo debitum honorem impendere, ut consideretur debitum ratione culpae commissae. Alio modo potest definiri secundum quod praeservat a culpa futura ; et sic definit eam hic Augustinus. Praeservatio autem a morbo corporali fit per ablationem causarum ex quibus morbus consequi potest : eis enim ablatis non potest morbus sequi. Sed in morbo spirituali non est ita : quia liberum arbitrium non cogitur ; unde causis praecedentibus potest vitari, quamvis difficulter causis amotis potest incurri. Et ideo in satisfactionis definitione duo ponit : scilicet abscissionem causarum quantum ad primum, et abstinentiam liberi arbitrii a peccato quantum ad secundum.

La justice ne vise pas seulement à enlever l’inégalité antérieure en punissant une faute passée, mais à maintenir l’égalité à l’avenir, car, selon le Philosophe, dans Éthique, II, les peines sont des remèdes. Aussi la satisfaction, qui est un acte de la justice imposant une peine, est-elle un remède qui guérit les péchés passés et préserve des [péchés] futurs. C’est pourquoi, lorsqu’un homme satisfait, il compense pour les [péchés] passés et évite les [péchés] futurs. La satisfaction peut ainsi être définie de deux manières. D’une manière, par rapport à la faute passée, qu’elle guérit en la compensant : ainsi dit-on que la satisfaction est une compensation pour le préjudice porté, selon l’égalité de la justice. La définition d’Anselme revient à la même chose : il dit que satisfaire consiste à rendre l’honneur dû à Dieu, en prenant en compte la dette en raison d’une faute commise. D’une autre manière, elle peut être définie selon qu’elle préserve d’une faute future : ainsi la définit ici Augustin. Or, la préservation de la la maladie corporelle se réalise par l’enlèvement des causes dont peut découler une maladie : en effet, une fois celles-ci enlevées, il ne peut en découler de maladie. Mais, dans la maladie spirituelle, il n’en va pas de même, car le libre arbitre n’est pas contraint ; aussi [le péché] peut-il être évité selon les causes antérieures, bien qu’il puisse être difficilement encouru selon les causes enlevées. C’est pourquoi, il présente deux choses dans la définition de la satisfaction : le retranchement des causes, pour le premier point, et l’abstention du péché du libre arbitre, pour le second.

[16325] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accipiendae sunt causae proximae peccati actualis, quae dicuntur duo : scilicet libido ex consuetudine vel actu peccati relicta, et aliquae reliquiae peccati praeteriti ; et exteriores occasiones ad peccandum, ut locus, societas mala, et hujusmodi ; et tales causae in hac vita per satisfactionem tolluntur ; quamvis fomes, qui est causa remota peccati actualis, non tollatur totaliter in hac vita per satisfactionem, etsi debilitetur.

1. Il faut prendre en compte les causes prochaines du péché actuel, qui sont doubles : le désir intense laissé par l’habitude ou par l’acte du péché, et certains restes du péché passé ; les occasions extérieures de pécher, tels le lieu, les mauvaises fréquentations et les choses de ce genre. Ces causes sont enlevées en ce monde par la satisfaction, bien que le désir désordonné, qui est la cause éloignée du péché actuel, ne soit pas entièrement enlevé en cette vie par la satisfaction, même s’il est affaibli.

[16326] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia causa mali vel privationis, eo modo quo causam habet, non est nisi bonum deficiens ; bonum autem facilius tollitur quam construatur ; ideo facilius est causas privationis et mali abscindere, quam ipsum malum removere, quod non removetur nisi per constructionem boni ; quod patet in caecitate et causis ejus. Et tamen causae peccati praedictae non sunt causae sufficientes, cum ex eis non de necessitate sequatur peccatum, sed sunt actiones quaedam. Nec iterum satisfactio sine Dei auxilio fit, quia sine caritate esse non potest, ut dicetur.

2. Parce que la cause du mal ou d’une privation, autant que cela ait une cause, n’est qu’un bien déficient, mais que le bien est plus facilement enlevé qu’il n’est édifié, il est donc plus facile de retrancher les causes de la privation et du mal que d’enlever le mal lui-même, qui n’est enlevé que par l’édification du bien, ce qui ressort clairement dans la cécité et dans ses causes. Toutefois, les causes du péché dont il a été question ne sont pas des causes efficientes, puisque le péché ne découle pas d’elles nécessairement, mais elles sont des actions. De plus, la satisfaction n’est pas accomplie sans l’aide de Dieu, car, sans la charité, elle ne peut exister, comme on le dira.

[16327] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis poenitentia ex prima sui intentione respiciat praeteritum, tamen etiam ex consequenti futurum respicit, inquantum est medicina praeservans ; et sic etiam satisfactio.

3. Bien que la pénitence vise en premier lieu le passé, elle vise toutefois aussi l’avenir, pour autant qu’elle soit un remède qui préserve. Ainsi en est-il aussi de la satisfaction.

[16328] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Augustinus definit satisfactionem secundum quod fit Deo, cui secundum rei veritatem nihil subtrahi potest, quamvis peccator quantum in se est, aliquid subtrahat ; et ideo in satisfactione tali principalius requiritur emendatio in futurum quam recompensatio praeteritorum ; et propter hoc ex parte ista Augustinus satisfactionem definivit. Nihilominus tamen ex cautela futurorum cognosci potest recompensatio praeteritorum, quia fit circa eadem converso modo. In praeterita enim respicientes, causas peccatorum propter peccata detestamur, a peccatis incipientes detestationis motum ; sed in cautela a causis incipimus, ut causis subtractis facilius peccata vitemus.

4. Augustin définit la satisfaction selon qu’elle s’adresse à Dieu, à qui, à la vérité, rien ne peut être enlevé, bien que le pécheur enlève quelque chose de son côté. C’est pourquoi, dans une telle satisfaction, est surtout requise la correction à l’avenir plutôt que la compensation pour le passé. C’est pourquoi Augustin a défini la satisfaction de ce point de vue. Néanmoins, on peut connaître la compensation du passé par le soin apporté à l’avenir, car elle porte sur les mêmes choses de manière inverse. En effet, en considérant le passé, nous détestons les causes des péchés en raison des péchés, en amorçant le mouvement de détestation à partir des péchés ; mais nous commençons par le soin apporté aux causes afin d’éviter plus facilement les péchés en enlevant les causes.

[16329] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est inconveniens quod de eodem dentur diversae assignationes secundum diversa quae in ipso inveniuntur ; et sic est in proposito, ut ex dictis patet.

5. Il n’est pas inapproprié de donner diverses attributions pour la même chose selon les divers aspects qu’on y trouve. Ainsi en est-il pour ce qui est en cause, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[16330] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod intelligitur debitum quod debemus Deo ratione culpae commissae : quia debitum poenitentia respicit, ut prius dictum est.

6. On entend la dette que nous devons à Dieu en raison de la faute commise, car la pénitence porte sur la dette, comme on l’a dit plus haut.

 

 

Articulus 2 [16331] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 tit. Utrum homo possit Deo satisfacere

Article 2 – L’homme peut-il rendre satisfaction à Dieu ?

 

[16332] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod homo non possit Deo satisfacere. Satisfactio enim debet aequari offensae, ut ex dictis patet. Sed offensa in Deum commissa, est infinita, quia quantitatem recipit ab eo in quem committitur ; cum plus offendat qui principem percutit quam alium quemcumque. Cum ergo actio hominis non possit esse infinita, videtur quod homo Deo satisfacere non possit.

1. Il semble que l’homme ne puisse rendre satisfaction à Dieu. En effet, la satisfaction doit être égale à l’offense, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, l’offense commise envers Dieu est infinie, car elle reçoit sa quantité de celui envers qui elle est commise, puisque l’offense de celui qui frappe un dirigeant est plus grande que pour n’importe quel autre. Puisque l’action de l’homme ne peut être infinie, il semble donc que l’homme ne puisse rendre satisfaction à Dieu.

[16333] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, servus, quia totum quod habet, domini est, non potest aliquid domino recompensare. Sed nos servi Dei sumus ; et quidquid nos boni habemus, ab ipso habemus. Cum ergo satisfactio sit recompensatio offensae praeteritae, videtur quod Deo satisfacere non possimus.

2. Parce que tout ce qu’il possède appartient au maître, le serviteur ne peut rendre une compensation au maître. Or, nous sommes les serviteurs de Dieu et tout ce que nous avons de bien, nous le tenons de lui. Puisque la satisfaction est une compensation pour une offense passée, il semble donc que nous ne puissions pas rendre satisfaction à Dieu.

[16334] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ille cujus totum quod habet non sufficit ad unum debitum exsolvendum, non potest alii debito satisfacere. Sed quidquid homo est et potest et habet, non sufficit ad solvendum debitum pro beneficio conditionis ; unde Isaiae cap. 40, dicitur, quod Libanus ad succendendum, et animalia ejus non sufficient ad holocaustum. Ergo nullo modo potest satisfacere pro debito offensae commissae.

3. Celui dont tout ce qu’il possède ne suffit pas à rembourser une dette ne peut satisfaire pour une autre dette. Or, tout ce que l’homme est, peut et possède ne suffit pas à rembourser sa dette pour le bienfait de sa condition. Aussi Is 40 dit-il que le Liban ne suffira pas entretenir le feu et ses animaux ne suffiront pas pour l’holocauste. Il ne peut donc d’aucune manière rendre satisfaction pour la dette de l’offense commise.

[16335] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, homo totum tempus suum in Dei servitium debet expendere. Sed tempus amissum non potest recuperari : propter quod est gravis jactura temporis, ut Seneca dicit. Ergo non potest homo recompensationem Deo facere ; et sic idem quod prius.

4. L’homme doit passer tout son temps au service de Dieu. Or, le temps perdu ne peut être retrouvé, raison pour laquelle c’est une grande perte que celle du temps, comme le dit Sénèque. L’homme ne peut donc compenser Dieu. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[16336] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, peccatum actuale mortale est gravius quam originale. Sed pro originali nullus satisfacere potuit, nisi esset Deus et homo. Ergo neque pro actuali.

5. Le péché mortel actuel est plus grave que le péché originel. Or, personne ne pouvait satisfaire pour le péché originel, à moins d’être Dieu et homme. Il ne le peut donc pas non plus pour le péché actuel.

[16337] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut Hieronymus dicit, qui dicit Deum aliquid impossibile homini praecepisse, anathema sit. Sed satisfactio est in praecepto : Luc. 3, 8 : facite dignos fructus poenitentiae. Ergo possibile est Deo satisfacere.

Cependant, [1] comme le dit Jérôme, « celui qui dit que Dieu a ordonné quelque chose d’impossible, qu’il soit anathème ». Or, la satisfaction est l’objet d’un commandement, Lc 3, 8 : Produisez de dignes fruits de pénitence. Il est donc possible de rendre satisfaction à Dieu.

[16338] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus est magis misericors quam aliquis homo. Sed homini possibile est satisfacere. Ergo et Deo.

[2] Dieu est plus miséricordieux qu’un homme. Or, il est possible de rendre satisfaction à un homme. Cela est donc aussi [possible] envers Dieu.

[16339] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, debita satisfactio est cum poena culpae aequatur : quia justitia est idem quod contrapassum, ut Pythagorici dixerunt. Sed contingit aequalem poenam sumere delectationi, quae fuit in peccando. Ergo contingit Deo satisfacere.

[3] La satisfaction due est égale à la peine pour la faute, car la justice est la même chose qu’un contrepoids, comme le disaient les pythagoriciens. Or, il arrive qu’on prenne à la peine un plaisir égal à celui qui existait à pécher. Il arrive donc qu’on rende satisfaction à Dieu.

[16340] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dupliciter homo Deo debitor efficitur. Uno modo ratione beneficii accepti ; alio modo ratione peccati commissi. Et sicut gratiarum actio vel latria, vel si quid est hujusmodi, respicit debitum accepti beneficii, ita satisfactio respicit debitum peccati commissi. In his autem honoribus qui sunt ad parentes et deos, etiam secundum philosophum, impossibile est aequivalens reddere secundum quantitatem ; sed sufficit ut homo reddat quod potest : quia amicitia non exigit aequivalens nisi secundum quod possibile est ; et hoc etiam aequale est aliqualiter, scilicet secundum proportionalitatem : quia sicut se habet quod Deo est debitum ad ipsum Deum, ita hoc quod iste potest reddere, ad eum ; et sic aliquo modo forma justitiae conservatur ; et similiter est ex parte satisfactionis. Unde non potest homo satisfacere, si ly satis aequalitatem quantitatis importet. Contingit autem, si importet aequalitatem proportionis, ut dictum est, et hoc sicut sufficit ad rationem justitiae, ita sufficit ad rationem satisfactionis.

Réponse à l’article 2

Comme on l’a dit plus haut, l’homme devient débiteur de Dieu de deux manières. D’une manière, en raison d’un bienfait reçu ; d’une autre manière, en raison d’un péché commis. De même que l’action de grâce ou latrie, ou quelque chose de ce genre, concerne la dette pour un bienfait reçu, de même la satisfaction concerne la dette pour le péché commis. Or, pour les honneurs qui s’adressent aux parents et aux dieux, même selon le Philosophe, il est impossible de rendre ce qui a une valeur égale en quantité, mais il suffit que l’homme rendre ce qu’il peut, car l’amitié n’exige d’équivalent que selon ce qui est possible. Et même ce qui est ainsi égal ne l’est que d’une certaine manière, à savoir, de manière proportionnelle, car le rapport à Dieu de ce qui est dû à Dieu lui-même ressemble à ce que [l’homme] peut lui rendre. De cette manière, la forme de la justice est ainsi respectée. De même en est-il pour la satisfaction. L’homme ne peut donc pas satisfaire si satis [assez] implique une égalité selon la quantité. Mais cela se produit s’il comporte une égalité proportionnelle, comme on l’a dit ; et de même que cela correspond suffisamment à la justice, de même cela correspond-il suffisamment à la satisfaction.

[16341] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut offensa habuit quamdam infinitatem ex infinitate divinae majestatis, ita et satisfactio accipit quamdam infinitatem ex infinitate divinae misericordiae, prout est gratia informata, per quam acceptum redditur quod homo reddere potest. Quidam tamen dicunt, quod habet infinitatem ex parte aversionis, et sic gratis dimittitur ; sed ex parte conversionis finita est, et sic pro ea satisfieri potest. Sed hoc nihil est ; quia satisfactio non respondet peccato nisi secundum quod est offensa Dei : quod non habet ex parte conversionis, sed solum ex parte aversionis. Alii vero dicunt, quod etiam quantum ad aversionem pro peccato satisfieri potest virtute meriti Christi, quod quodammodo infinitum fuit, ut in 3 Lib., dist. 18, qu. 1, art. 6, quaestiunc. 1, dictum est ; et hoc in idem redit quod prius dictum est ; quia per fidem mediatoris gratia data est credentibus. Si tamen alio modo gratiam daret, sufficeret satisfactio per modum praedictum.

1. De même que l’offense comportait une certaine infinité en raison de l’infinité de la majesté divine, de même aussi la satisfaction reçoit-elle une certaine infinité en raison de l’infinité de la miséricorde divine, pour autant qu’elle reçoit la forme de la grâce, par laquelle ce que l’homme peut rendre est rendu agréable [à Dieu]. Cependant, certains disent qu’elle possède une infinité du fait qu’on s’est détourné [de Dieu] et qu’ainsi, elle est gratuitement remise, mais que, du point de vue de la conversion, elle est finie et qu’ainsi, il est possible de satisfaire. Mais cela est futile, car la satisfaction ne correspond au péché que selon qu’il est une offense à Dieu, ce qui ne vient pas de la conversion, mais seulement du fait qu’on s’est détourné [de Dieu]. Mais d’autres disent que, même s’il l’on s’est détourné [de Dieu], on peut satisfaire pour un péché en vertu du mérite du Christ, qui était d’une certaine manière infini, comme on l’a dit dans le livre III, d. 18, q. 1, a. 6, qa 1. Cela revient à la même chose qui a été dite précédemment, car c’est par la foi au médiateur que la grâce a été donnée. Cependant, s’il donnait la grâce d’une autre manière, la satisfaction serait suffisante de la manière indiquée plus haut.

[16342] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo, qui ad imaginem Dei factus est, aliquid libertatis participat, inquantum est dominus suorum actuum per liberum arbitrium ; et ideo ex hoc quod per liberum arbitrium agit, Deo satisfacere potest ; quia quamvis Dei sit, prout a Deo est sibi concessum, libere tamen traditum est, ut ejus dominus sit ; quod servo non competit.

2. L’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, participe à quelque chose de la liberté, pour autant qu’il est maître de ses actes par le libre arbitre. C’est pourquoi, du fait qu’il agit par son libre arbitre, il peut rendre satisfaction à Dieu, car, bien qu’il appartienne à Dieu, il lui a cependant été donné librement d’être maître de lui-même, selon que Dieu le lui a accordé. Cela n’appartient pas au serviteur.

[16343] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa concludit, quod Deo aequivalens satisfactio fieri non possit ; non autem quod non possit sibi sufficiens fieri. Quamvis enim homo totum suum posse Deo debeat, non tamen ab eo exigitur de necessitate ut totum quod possit, faciat ; quia hoc est impossibile secundum statum praesentis vitae, ut totum posse suum ad aliquid unum expendat, cum oporteat eum circa multa solicitum esse ; sed est quaedam mensura homini adhibita, quae ab eo requiritur, scilicet impletio mandatorum Dei ; et super ea potest aliquid erogare, ut satisfaciat.

3. Ce raisonnement conclut qu’une satisfaction équivalente ne peut pas être rendue à Dieu, mais non qu’elle ne peut être suffisante pour lui. En effet, bien que l’homme doive à Dieu tout ce qu’il peut, il n’est cependant pas nécessairement exigé de lui qu’il fasse tout ce qu’il peut, car cela est impossible, dans l’état de la vie présente, qu’il consacre tout ce qu’il peut à une seule chose, puisqu’il doit s’occuper de beaucoup de choses. Mais une certaine mesure a été donnée à l’homme, qui est exigée de lui, à savoir, l’accomplissement des commandements de Dieu. Sur ce point, il peut payer afin de satisfaire.

[16344] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis homo non possit tempus praeteritum recuperare, potest tamen in futuro recompensare illud quod in praeterito facere debuisset ; quia non debuit debito praecepti totum quod potuit, ut dictum est.

4. Bien que l’homme ne puisse retrouver le temps perdu, il peut cependant compenser à l’avenir pour ce qu’il aurait dû faire dans le passé, car il ne devait pas tout ce qu’il pouvait selon ce qui était dû en vertu d’un commandement, ainsi qu’on l’a dit.

[16345] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod originale peccatum, etsi minus habeat de ratione peccati quam actuale, tamen est gravius, quia est ipsius humanae naturae infectio ; ideo per unius hominis puri satisfactionem expiari non potuit, sicut actuale.

5. Le péché originel, même s’il a moins le caractère de péché que le [péché] actuel, est cependant plus grave, car il est une infection de la nature humaine elle-même. C’est pourquoi il ne pouvait être expié par la satisfaction d’un seul homme en tant que tel, comme le [péché] actuel.

 

 

Articulus 3 [16346] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 tit. Utrum homo possit de uno peccato sine alio satisfacere

Article 3 – L’homme peut-il satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’homme peut-il satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre ?]

[16347] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod homo possit de uno peccato sine alio satisfacere. Eorum enim quae non habent connexionem ad invicem, unum potest auferri sine alio. Sed peccata non habent ad invicem connexionem ; alias qui haberet unum, haberet omnia. Ergo unum potest expiari sine alio per satisfactionem.

1. Il semble que l’homme puisse satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre. En effet, une chose peut être enlevée sans une autre lorsqu’elles n’ont pas de connexion entre elles. Or, les péchés n’ont pas de connexion entre eux, autrement, celui qui en aurait un les aurait tous. Une chose peut donc être expiée sans une autre par la satisfaction.

 

[16348] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Deus est magis misericors quam homo. Sed homo recipit solutionem unius debiti sine alio. Ergo et Deus satisfactionem unius peccati sine alio.

2. Dieu est plus miséricordieux que l’homme. Or, l’homme reçoit l’acquittement d’une dette sans celui d’une autre. Dieu peut donc [recevoir] satisfaction pour un péché sans la recevoir pour un autre.

[16349] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, satisfactio, ut in littera dicitur, est peccatorum causas excidere, nec suggestionibus aditum indulgere. Sed contingit hoc fieri de uno peccato sine alio, ut scilicet luxuriam refrenet, et avaritiae insistat. Ergo de uno peccato potest fieri satisfactio sine alio.

3. Comme il est dit dans le texte, la satisfaction consiste à retrancher les causes des péchés et à ne plus laisser d’accès aux suggestions. Or, il arrive que cela se produise pour un péché et non pour un autre, comme de réfréner la luxure et de demeurer dans l’avarice. On peut donc rendre satisfaction pour un péché sans le faire pour un autre.

[16350] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isaiae 58, dicitur, quod jejunium eorum qui ad contentiones et lites jejunabant, Deo acceptum non erat ; licet jejunium sit satisfactionis opus. Sed non potest fieri satisfactio nisi per opus Deo acceptum. Ergo non potest, qui habet aliquod peccatum, Deo satisfacere.

Cependant, [1] il est dit dans Is 58, que le jeûne de ceux qui jeûnaient pour se livrer aux querelles et aux disputes, n’était pas agréable à Dieu, bien que le jeûne soit un acte de satisfaction. Or, satisfaction ne peut être rendue que par un acte agréable à Dieu. Celui qui a un péché ne peut donc pas rendre satisfaction à Dieu.

[16351] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, satisfactio est medicina curans peccata praeterita, et praeservans a futuris, ut dictum est. Sed peccata non possunt sine gratia curari. Ergo, cum quodlibet peccatum gratiam auferat, non potest de uno peccato fieri satisfactio sine alio.

[2] La satisfaction est un remède qui guérit les péchés passés et préserve des péchés futurs, comme on l’a dit. Or, les péchés ne peuvent pas être guéris sans la grâce. Puisque tout péché enlève la grâce, on ne peut donc pas satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui tombe dans le péché, après avoir été contrit de tous ses péchés, peut-il satisfaire sans la charité pour les péchés qui lui avaient été remis par la contrition ?]

[16352] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod qui de peccatis omnibus contritus fuerit prius, et postea in peccatum incidit, de aliis peccatis quae sibi per contritionem dimissa fuerant, satisfacere possit extra caritatem existens. Dixit enim Daniel, Nabuchodonosori : peccata tua eleemosynis redime. Sed ipse adhuc peccator erat, quod sequens poena demonstrat. Ergo potest existens in peccato satisfacere.

1. Il semble que celui qui tombe dans le péché, après avoir été contrit de tous ses péchés, puisse satisfaire sans la charité pour les péchés qui lui avaient été remis par la contrition. En effet, Daniel dit à Nabuchodonosor : Rachète tes péchés par des aumônes. Or, celui-ci était encore pécheur, ce que montre la peine qui a suivi. Celui qui est dans le péché peut donc satisfaire.

[16353] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nemo scit an sit dignus odio, vel amore ; Eccle. 6. Si ergo non posset fieri satisfactio nisi ab eo qui est in caritate, nullus sciret se satisfacere ; et hoc est inconveniens.

2. Personne ne sait s’il est digne de haine ou d’amour, Qo 6. Si satisfaction ne pouvait être rendue que par celui qui a la charité, personne ne saurait s’il a satisfait. Mais cela est inacceptable.

[16354] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ex intentione quam homo habet in principio actus, totus actus informatur. Sed poenitens quando poenitentiam inchoavit, in caritate erat. Ergo tota satisfactio sequens ex illa caritate intentionem ejus informante efficaciam habebit.

3. Tout l’acte reçoit sa forme de l’intention qu’a l’homme au début de son acte. Or, le pénitent, lorsqu’il a commencé sa pénitence, avait la charité. Toute la satisfaction découlant de cette charité qui donne forme à son intention aura donc une efficacité.

[16355] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, satisfactio consistit in quadam adaequatione poenae ad culpam. Sed talis adaequatio potest fieri in eo qui caritatem non habet. Ergo et cetera.

4. La satisfaction consiste dans un certain rétablissement de l’égalité entre la peine et la faute. Or, un tel rétablissement peut être réalisé chez celui qui n’a pas la charité. Donc, etc.

[16356] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Proverb. 10, 12 : universa delicta operit caritas. Sed satisfactionis virtus est delere delicta. Ergo sine caritate non habet suam virtutem.

Cependant, [1] Pr 10, 12 : La charité recouvre toutes les fautes. Or, la puissance de la satisfaction consiste à détruire les fautes. Elle n’a donc pas d’efficacité sans la charité.

[16357] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, praecipuum opus in satisfaciendo est eleemosyna. Sed eleemosyna extra caritatem facta non valet, ut patet 1 Corinth. 13, 3 : si distribuero in cibos pauperum omnes facultates meas (...) caritatem autem non habuero, nihil mihi prodest. Ergo nec satisfactio aliqua est.

[2] Le principal acte de satisfaction est l’aumône. Or, l’aumône faite sans la charité n’a pas de valeur, comme cela ressort de 1 Co 13, 3 : Si je distribue tous mes biens pour nourrir les pauvres…, et si je n’ai pas la charité, cela ne me sert à rien. Ce n’est donc pas non plus une satisfaction.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La satisfaction antérieure acquiert-elle une valeur après qu’on a retrouvé la charité ?]

[16358] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod postquam homo caritatem habuerit, valere incipiat satisfactio praecedens. Super illud Levit. 25 : si attenuatus fuerit frater tuus, dicit Glossa, quod fructus bonae conversationis debent computari ex eo tempore quo peccavit. Sed non computarentur, nisi aliquam efficaciam acciperent ex caritate sequente. Ergo post caritatem recuperatam valere incipiunt.

1. Il semble que la satisfaction antérieure acquière une valeur après qu’on a retrouvé la charité. À propos de Lv 25 : Si ton frère est exténué, la Glose dit que les fruits d’un bon comportement doivent être comptés à partir du moment où l’on a péché. Or, ils ne seraient pas comptés, à moins de recevoir une efficacité de la charité subséquente. Ils commencent donc à avoir de la valeur après qu’on a retrouvé la charité.

[16359] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut efficacia satisfactionis impeditur per peccatum, ita efficacia Baptismi impeditur per fictionem. Sed Baptismus incipit valere recedente fictione. Ergo et satisfactio recedente peccato.

2. De même que l’efficacité de la satisfaction est empêchée par le péché, de même l’efficacité du baptême est-elle empêchée par la feinte. Or, le baptême commence à avoir de la valeur lorsque la feinte s’éloigne. Il en va donc de même de la satisfaction, lorsque le péché s’éloigne.

[16360] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, si alicui pro peccatis commissis injuncta fuerint multa jejunia, et in peccatum cadens ea perfecerit, non injungitur, cum iterum confitetur, ut jejunia illa iteret. Injungeretur autem, si per ea satisfactio non impleretur. Ergo per poenitentiam sequentem opera praecedentia satisfaciendi efficaciam accipiunt.

3. Si l’on avait imposé à quelqu’un de nombreux jeûnes et s’il les avait accomplis en tombant dans le péché, on ne lui impose pas, lorsqu’il se confesse de nouveau, de répéter ces jeûnes. Or, ils lui seraient imposés si la satisfaction n’était pas accomplie par eux. Les actes précédents reçoivent donc une efficacité pour satisfaire par une pénitence subséquente.

[16361] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, opera extra caritatem facta ideo non erant satisfactoria, quia fuerunt mortua. Sed per poenitentiam non vivificantur. Ergo nec incipiunt esse satisfactoria.

Cependant, [1] les actes accomplis sans la charité n’étaient pas satisfactoires parce qu’ils étaient morts. Or, ils ne reviennent pas à la vie par la pénitence. Ils ne commencent donc pas à être satisfactoires.

[16362] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, caritas non informat actum nisi qui ab ipsa aliqualiter procedit. Sed opera non possunt esse Deo accepta, ac per hoc nec satisfactoria, nisi sint caritate informata. Ergo cum opera facta extra caritatem nullo modo ex caritate processerint, vel de cetero procedere possint, nullo modo poterunt in satisfactionem computari.

[2] La charité ne donne pas forme à un acte à moins qu’il ne procède d’elle de quelque façon. Or, les actes ne peuvent être agréables à Dieu et ne sont donc pas ainsi satisfactoires, à moins qu’ils ne reçoivent forme de la charité. Puisque les actes accomplis sans la charité ne procèdent d’aucune manière de la charité ou ne peuvent par ailleurs en procéder, ils ne peuvent donc pas être comptés comme satisfaction.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les actes accomplis sans la charité méritent-ils un certain bien, tout au moins temporel ?]

[16363] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod opera extra caritatem facta sint alicujus boni meritoria, saltem temporalis. Quia sicut se habet poena ad malum actum, ita se habet praemium ad bonum. Sed nullum factum apud Deum justum judicem est impunitum. Ergo nec aliquod bonum irremuneratum ; et sic per illud bonum aliquid meretur.

1. Il semble que les actes accomplis sans la charité méritent un certain bien, tout au moins temporel, car le rapport entre la peine et le mal accompli est le même qu’entre le bien et la récompense. Or, aucun acte ne reste impuni de la part de Dieu, le juste juge. Aucun bien non plus ne demeure donc sans récompense et ainsi, par ce bien, quelque chose est mérité.

[16364] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, merces non datur nisi merito. Sed operibus extra caritatem factis datur merces, ut dicitur Matth. 5, de illis qui propter gloriam humanam opera bona faciunt, quod receperunt mercedem suam. Ergo opera illa fuerunt alicujus boni meritoria.

2. La récompense n’est accordée qu’au mérite. Or, une récompense est donnée pour ce qui est accompli sans la charité, comme il est dit en Mt 5, à propos de ceux qui accomplissent des actes bons pour une gloire humaine, qu’ils ont reçu leur récompense. Ces actes ont donc été méritoires d’un certain bien.

[16365] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, duo existentes in peccato, quorum unus multa bona facit ex genere et circumstantia, alius autem nulla, non aequaliter propinque se habent ad accipiendum bona a Deo ; alias non esset ei consulendum ut aliquid boni faceret. Sed qui magis appropinquat Deo, magis de bonis percipit. Ergo iste per bona opera quae facit, aliquid boni a Deo meretur.

3. Deux hommes se trouvant dans le péché, dont l’un accomplit beaucoup d’actes bons selon leur genre et leurs circonstances, et l’autre, aucun, ne se rapprochent donc pas également des biens à recevoir de Dieu, autrement, on ne devrait pas lui conseiller de faire le bien. Or, celui qui s’approche de Dieu reçoit davantage de biens. Celui qui accomplit des actes bons mérite donc quelque chose de la part de Dieu.

[16366] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, quod peccator non est dignus pane quo vescitur. Ergo non potest aliquid a Deo mereri.

Cependant, [1] Augustin dit que le pécheur n’est pas digne du pain dont il se nourrit. Il ne peut donc rient mériter de Dieu.

[16367] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, qui nihil est, non potest mereri. Sed peccator non habens caritatem nihil est secundum esse spirituale, ut patet 1 Corinth. 13. Ergo non potest aliquid mereri.

[2] Ce qui n’est rien ne peut mériter. Or, le pécheur qui n’a pas la charité n’est rien selon l’être spirituel, comme cela ressort de 1 Co 13. Il ne peut donc rien mériter.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Les actes en question peuvent-ils avoir une valeur pour adoucir la peine en enfer ?]

[16368] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod opera praedicta non valeant ad poenae infernalis mitigationem. Quia secundum quantitatem culpae, erit quantitas poenae in Inferno. Sed opera extra caritatem facta non minuunt quantitatem peccati. Ergo nec infernalis poenae.

1. Il semble que les actes en question n’aient pas de valeur pour adoucir la peine de l’enfer, car la quantité de la peine en enfer sera en proportion de la quantité de la faute. Or, les actes accomplis sans la charité ne diminuent pas la quantité du péché. [Ils ne diminuent donc pas non plus] la peine de l’enfer.

[16369] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, poena infernalis, quamvis sit duratione infinita, tamen intensione finita est. Sed quodlibet finitum consumitur aliqua finita subtractione facta. Si ergo opera extra caritatem facta, aliquid subtraherent de poena debita pro peccatis, contingeret tantum multiplicari illa opera quod totaliter tolleretur poena Inferni : quod falsum est.

2. La peine de l’enfer, bien qu’elle soit d’une durée infinie, a cependant une intensité finie. Or, tout ce qui est fini disparaît lorsqu’on y fait une soustraction finie. Si donc les actes accomplis sans la charité enlevaient quelque chose à la peine due pour les péchés, il arriverait qu’on multiplie tellement ces actes que la peine de l’enfer serait enlevée, ce qui est faux.

[16370] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 3 Praeterea, suffragia Ecclesiae sunt magis efficacia quam opera extra caritatem facta. Sed, sicut Augustinus in Enchir. dicit, damnatis in Inferno non prosunt suffragia Ecclesiae. Ergo multo minus opera extra caritatem facta.

3. Les suffrages de l’Église sont plus efficaces que les actes accomplis sans la charité. Or, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion, les suffrages de l’Église ne sont pas utiles aux damnés. Encore bien moins, donc, les actes accomplis sans la charité.

[16371] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 4 Sed contra est quod Augustinus dicit in Enchir. : ad hoc prosunt ut sit plena remissio, vel ut tolerabilior fiat damnatio.

4. Cependant, Augustin dit, dans l’Enchiridion : « Ils servent à la pleine rémission ou à rendre plus supportable la damnation. »

[16372] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 5 Praeterea, majus est facere bonum quam dimittere malum. Sed dimittere malum semper vitat poenam, etiam in eo qui caritate caret. Ergo multo fortius facere bonum.

5. Il est plus grand de faire le bien que d’écarter le mal. Or, écarter le mal évite toujours la peine, même chez celui qui n’a pas la charité. À bien plus forte raison, donc, faire le bien.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16373] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt quod potest de uno peccato satisfieri sine alio, ut Magister in littera dicit ; sed hoc non potest esse. Cum enim per satisfactionem tolli debeat offensa praecedens, oportet quod talis sit modus satisfactionis qui competat ad tollendam offensam. Offensae autem ablatio est amicitiae restitutio ; et ideo si aliquid sit quod amicitiae restitutionem impediat, etiam apud homines satisfactio esse non potest. Ergo cum quodlibet peccatum amicitiam caritatis impediat, quae est hominis ad Deum, impossibile est ut homo de uno peccato satisfaciat alio retento ; sicut nec homo satisfaceret, qui pro alapa sibi data, se ei prosterneret, et aliam sibi daret.

Certains ont dit qu’on peut satisfaire pour un péché sans le faire pour un autre, comme le dit le Maître dans le texte. Mais cela n’est pas possible. En effet, puisqu’une offense précédente doit être enlevée par la satisfaction, il faut que le mode de la satisfaction soit tel qu’il soit en mesure d’enlever l’offense. Or, l’enlèvement de l’offense est le rétablissement de l’amitié. S’il existe quelque chose qui empêche le rétablissement de l’amitié, il ne peut donc y avoir de satisfaction, même chez les hommes. Puisque tout péché empêche l’amitié de la charité entre l’homme et Dieu, il est donc impossible que l’homme satisfasse pour un péché, alors qu’un autre demeure, pas davantage qu’un  homme, après avoir reçu un soufflet, se prosternerait devant quelqu’un et lui en donnerait un autre.

[16374] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia peccata non habent connexionem ad invicem in aliquo uno, unum potest quis incurrere sine alio : sed unum et idem est secundum quod omnia peccata remittuntur ; et ideo remissiones diversorum peccatorum connexae sunt, et de uno sine alio satisfactio fieri non potest.

1. Parce que les péchés n’ont pas de connexion dans un seul d’entre eux, on peut en commettre un sans en commettre un autre. Mais c’est selon une seule et même chose que tous les péchés sont remis. C’est pourquoi les rémissions des divers péchés sont connexes et on ne peut satisfaire pour l’un sans le faire pour un autre.

[16375] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in obligatione debiti non est nisi inaequalitas justitiae opposita, quia unus rem alterius habet ; et ideo ad restitutionem non exigitur nisi quod restituatur aequalitas justitiae : quod quidem potest fieri de uno debito, non de alio. Sed ubi est offensa, ibi est inaequalitas non tantum justitiae opposita, sed etiam amicitiae ; et ideo ad hoc quod per satisfactionem offensa tollatur, non solum oportet quod aequalitas justitiae restituatur per recompensationem aequalis poenae, sed etiam quod restituatur amicitiae aequalitas ; quod non potest fieri, dum aliquid est quod amicitiam impediat.

2. Dans l’obligation de la dette, n’existe que l’inégalité opposée à la justice, car on a ce qui appartient à un autre. C’est pourquoi  n’est requis pour la restitution que le rétablissement de la justice, ce qui peut être fait pour une dette, et non pour une autre. Mais là où il y a offense, là existe une inégalité opposée non seulement à la justice, mais à l’amitié. Pour que l’offense soit enlevée par la satisfaction, il ne faut donc pas seulement que l’égalité de la justice soit rétablie par la compensation d’une peine égale, mais aussi que l’égalité de l’amitié soit rétablie, ce qui ne peut se faire aussi longtemps que quelque chose empêche l’amitié.

[16376] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unum peccatum suo pondere ad aliud trahit, ut Gregorius dicit ; et ideo qui unum peccatum retinet, non sufficienter causas alterius peccati excidit.

3. Un seul péché en entrâine un autre par son propre poids, comme le dit Grégoire. C’est pourquoi celui qui retient un seul péché ne retranche pas suffisamment les causes d’un autre péché.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16377] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod postquam omnia peccata per poenitentiam et contritionem remissa sunt, si aliquis ante satisfactionem peractam in peccatum decidat, et in peccato existens satisfaciat, satisfactio ei valeat ; ita quod si in peccato illo moreretur, in Inferno de illis peccatis non puniretur. Sed hoc non potest esse : quia in satisfactione oportet quod, amicitia restituta, justitiae aequalitas restituatur, cujus contrarium amicitiam solvit, ut philosophus in 8 Ethic. dicit. Aequalitas autem in satisfactione ad Deum non est secundum aequivalentiam, sed magis secundum acceptationem ipsius, ut est dictum ; et ideo oportet quod et si jam offensa sit dimissa per praecedentem contritionem, opera satisfactoria sint Deo accepta, quod dat eis caritas ; et ideo sine caritate opera facta non sunt satisfactoria.

Certains ont dit qu’après que tous les péchés ont été remis par la pénitence et la contrition, si quelqu’un tombe dans un péché avant d’avoir accompli la satisfaction et satisfait alors qu’il est dans le péché, la satisfaction a pour lui de la valeur, au point où si quelqu’un mourait dans ce péché, il ne serait pas puni en enfer pour ce péché. Mais cela est impossible, car, pour la satisfaction, il est nécessaire qu’une fois l’amitié rétablie, l’égalité de la justice soit rétablie, dont le contraire rompt l’amitié, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. Or, l’égalité de la satisfaction par rapport à Dieu ne se réalise pas par une équivalence, mais plutôt selon ce qui lui est agréable, comme on l’a dit. C’est pourquoi il est nécessaire que même si l’offense a déjà été remise par la contrition antérieure, les actes de satisfaction soient agréés par Dieu, ce que leur donne la charité. Sans charité, les actes accomplis ne sont donc pas satisfactoires.

[16378] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod consilium Danielis intelligitur quod a peccato cessaret et poeniteret, et sic per eleemosynas satisfaceret.

1. Le conseil donné par Daniel veut dire de cesser de péché et de faire pénitence, et ainsi de satisfaire par des aumônes.

 [16379] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut homo nescit pro certo utrum caritatem habuerit in satisfaciendo, vel habeat, ita etiam nescit pro certo utrum satisfecerit ; et ideo dicit Ecclesiasticus : de propitiatu peccatorum noli esse sine metu. Non tamen exigitur quod propter hunc metum homo satisfactionem expletam iteret, si conscientiam peccati mortalis non habet. Quamvis enim poenam non expiet per hujusmodi satisfactionem, tamen non incurrit reatum omissionis ex satisfactione neglecta ; sicut nec ille qui accedit ad Eucharistiam sine conscientia peccati mortalis, cui subjacet, reatum indignae sumptionis incurrit.

2. Comme l’homme ne sait pas avec certitude s’il avait ou s’il a la charité pour satisfaire, il ne sait pas non plus avec certitude s’il a satisfait. C’est pourquoi Si dit : Ne sois pas sans crainte à propos de la satisfaction pour tes péchés. Cependant, il n’est pas exigé, en raison de cette crainte, que l’homme répète une satisfaction accomplie, s’il n’a pas conscience d’un péché. En effet, bien qu’il n’expie pas la peine par une telle satisfaction, il n’encourt cependant pas une faute d’omission en raison de la satisfaction négligée, pas plus que celui qui s’approche de l’eucharistie sans la conscience d’être soumis à un péché mortel, n’encourt la faute de la recevoir indignement.

[16380] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa intentio interrupta est per peccatum sequens, et ideo non dat operibus vim aliquam post peccatum factis.

3. Cette intention a été interrompue par un péché subséquent ; c’est pourquoi elle ne donne aucune force aux actes accomplis après le péché.

[16381] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non potest fieri adaequatio sufficiens nec secundum divinam acceptationem nec secundum aequivalentiam ; et ideo ratio non sequitur.

4. Une égalité suffisante ni selon ce qui est agréable [à Dieu], ni par équivalence, ne peut être réalisée. Le raisonnement n’est donc pas valable.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16382] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod opera in caritate facta, quae viva dicuntur, sunt meritoria vitae aeternae, et satisfactoria respectu poenae dimittendae ; et quod opera extra caritatem facta, vivificantur per caritatem quantum ad hoc quod sunt meritoria vitae aeternae. Sed hoc non potest esse : quia utrumque habent ex eadem ratione opera ex caritate facta, scilicet ex hoc quod sunt Deo grata ; unde sicut caritas adveniens non potest ea gratificare quantum ad unum, ita nec quantum ad aliud.

Certains ont dit que les actes commis avec charité, qu’on appelle vivants, sont méritoires pour la vie éternelle et satisfactoires pour la rémission de la peine, et que les actes accomplis sans charité sont rendus vivants par la charité en tant qu’ils sont méritoires de la vie éternelle. Mais cela est impossible, car les actes accomplis avec charité ont les deux choses de la même raison, à savoir par le fait qu’ils sont agréables à Dieu. De même que la charité qui survient ne peut les rendre agréables sur un point, de même ne le peut-elle pas sur l’autre.

[16383] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non debet intelligi quod fructus computetur a tempore quo primo in peccato fuit ; sed a tempore in quo peccare cessavit, quo scilicet ultimo in peccato fuit. Vel intelligitur, quando statim post peccatum contritus fuit, et fecit multa bona antequam confiteretur. Vel dicendum, quod quanto est major contritio, tanto magis diminuit de poena ; et quanto aliquis plura bona facit in peccato existens, magis se ad gratiam contritionis disponit ; et ideo probabile est quod minoris poenae sit debitor ; et propter hoc debet a sacerdote discrete computari, ut ei minorem poenam injungat, inquantum invenit eum melius dispositum.

1. Il ne faut pas comprendre que le fruit est compté à partir du moment où on a d’abord été dans le péché, mais à partir du moment où l’on a cessé de pécher, alors qu’on a été pour la dernière fois dans le péché. Ou bien on l’entend du moment où on s’est repenti aussitôt après le péché et a accompli de nombreux actes bons avant de se confesser. Ou bien il faut dire que plus la contrition est grande, plus la peine est diminuée, et que plus l’on accomplit d’actes bons alors qu’on se trouve dans le péché, plus on se dispose à la grâce de la contrition. C’est pourquoi il est probable qu’on est débiteur d’une peine moindre. Pour cette raison, le prêtre doit lui imposer une peine moindre, dans la mesure où il le trouve mieux disposé.

[16384] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus imprimit characterem in animam, non autem satisfactio ; et ideo adveniens caritas, quae fictionem tollit et peccatum, facit quod Baptismus effectum suum habeat ; non autem facit hoc de satisfactione. Et praeterea Baptismus ex ipso opere operato justificat, quod non est hominis, sed Dei ; et ideo non eodem modo mortificatur sicut satisfactio, quae est opus hominis.

2. Le baptême imprime un caractère dans l’âme, mais non la satisfaction. C’est pourquoi, la venue de la charité, qui enlève la feinte, fait que le baptême obtient son effet, mais cela n’est pas le cas de la satisfaction. De plus, le baptême justifie en vertu de l’acte accompli, ce qui n’est pas le fait de l’homme mais de Dieu. C’est pourquoi il n’est pas mort comme la satisfaction, qui est l’œuvre de l’homme.

[16385] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquae satisfactiones sunt ex quibus manet aliquis effectus in satisfacientibus, etiam postquam actus satisfactionis transit ; sicut ex jejunio manet corporis debilitatio, ex eleemosynis largitis diminutio substantiae, et sic de similibus ; et tales satisfactiones in peccatis factae non oportet quod iterentur ; quia quantum ad id quod de eis manet, per poenitentiam Deo acceptae sunt. Satisfactiones autem quae non relinquunt aliquem effectum in satisfaciente, postquam actus transit, oportet quod iterentur, sicut est de oratione et similibus. Actus autem interior quia totaliter transit, nullo modo vivificatur ; sed oportet quod iteretur.

3. Il existe certaines satisfactions dont un effet demeure chez ceux qui satisfont, même après que l’acte de satisfaction est terminé, comme une faiblesse demeure dans le corps à la suite du jeûne, une diminution des biens après la distribution d’aumônes, et ainsi de suite pour les choses semblables. Il n’est pas nécessaire que de telles satisfactions accomplies pour les péchés soient répétées, car, en raison de ce qui en reste, elles sont agréables à Dieu par la pénitence. Mais les satisfactions qui ne laissent aucun effet chez celui qui satisfait après la fin de l’acte doivent être répétées, comme c’est le cas de la prière et des autres choses semblables.Or, l’acte intérieur, qui s’efface totalement, ne peut d’aucune manière être rendu vivant, mais il faut qu’il soit répété.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16386] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut in 3 dist. 18, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 1, dictum est, meritum proprie dicitur actio qua efficitur ut ei qui agit sit justum aliquid dari. Sed justitia dupliciter dicitur. Uno modo proprie, quae scilicet respicit debitum ex parte recipientis ; alio modo quasi similitudinarie, quae respicit debitum ex parte dantis. Aliquid enim decet dantem dare, quod tamen non habet recipiens debitum recipiendi ; et sic justitia est de essentia divinae bonitatis, sicut Anselmus dicit, quod Deus justus est cum peccatoribus parcit, quia eum decet. Et secundum hoc etiam meritum dicitur dupliciter. Uno modo actus per quem efficitur ut ipse agens habeat debitum recipiendi ; et hoc vocatur meritum condigni. Alio modo, per quem efficitur ut sit debitum dandi in dante secundum decentiam ipsius ; et ideo hoc meritum dicitur meritum congrui. Cum autem in omnibus illis quae gratis dantur, prima ratio dandi sit amor ; impossibile est quod aliquis tale sibi debitum faciat, qui amicitia caret ; et ideo cum omnia bona et temporalia et aeterna ex divina liberalitate nobis donentur, nullus acquirere potest debitum recipiendi aliquod illorum, nisi per caritatem ad Deum ; et ideo opera extra caritatem facta, non sunt meritoria ex condigno neque aeterni neque temporalis alicujus boni apud Deum. Sed quia divinam bonitatem decet ut ubicumque dispositionem invenit, perfectionem adjiciat ; ideo ex merito congrui dicitur aliquis mereri aliquod bonum per opera extra caritatem facta. Et secundum hoc opera ista valent ad triplex bonum : scilicet ad temporalium consecutionem, ad dispositionem ad gratiam, et ad assuetudinem bonorum operum. Quia tamen hoc meritum non proprie meritum dicitur, ideo magis concedendum est quod hujusmodi opera non sint alicujus meritoria, quam quod sint.

Comme on l’a dit dans le livre III, d. 18, q. 1, a. 4, qa 1, le mérite est, au sens propre, une action par laquelle il se fait qu’il est juste de donner quelque chose à celui qui agit. Or, on parle de justice de deux manières : d’une manière, elle concerne la dette du point de vue de celui qui reçoit ; d’une autre manière, comme par mode de comparaison, elle concerne la dette du point de vue de celui qui donne. En effet, il est convenable que celui qui donne donne ce que celui qui reçoit n’est pas en droit de recevoir : ainsi, la justice fait partie de l’essence de la bonté divine, comme Anselme dit que Dieu est juste lorsqu’il épargne les pécheurs parce que cela lui convient. De cette manière, on parle aussi du mérite de deux manières. D’une manière, selon l’acte par lequel il se fait que l’agent a droit de recevoir : cela s’appelle le mérite de réciprocité [meritum condigni]. D’une autre manière, par lequel il se fait que le devoir de donner se trouve chez celui qui donne selon une certaine convenance de sa part : ce mérite s’appelle le mérite de convenance [meritum congrui]. Puisque dans tout ce qui est donné gratuitement, la première raison de donner est l’amour, il est donc impossible que celui n’a pas d’amitié se crée une telle dette. Comme tous les biens, aussi bien temporels qu’éternels, nous sont donnés par la libéralité divine, personne ne peut donc se créer une dette afin de recevoir l’un d’eux, si ce n’est en raison de sa charité envers Dieu. C’est pourquoi les actes accomplis sans la charité ne sont méritoires, par réciprocité auprès de Dieu, ni d’un bien temporel ni d’un bien éternel. Mais parce qu’il revient à la bonté divine que, partout où elle trouve une disposition, elle lui ajoute l’achèvement, on dit que quelqu’un mérite par convenance un bien par les actes accomplis sans la charité. De cette manière, ces actes valent pour un triple bien : pour l’obtention de biens temporels, pour l’obtention de la grâce et pour l’accoutumance aux actes bons. Toutefois, comme ce mérite n’est pas appelé un mérite au sens propre, il faut plutôt concéder que les actes de cette sorte ne sont pas méritoires d’autre chose que de ce qu’ils sont.

[16387] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut philosophus dicit in 9 Ethic., quia filius per omnia quae facere potest, nihil aequale patri reddere potest his quae a patre recipit, ideo nunquam pater debitor filii efficitur ; et multo minus homo potest propter aequivalentiam operis Deum sibi constituere debitorem ; et ideo nullum opus nostrum ex quantitate suae bonitatis habet quod aliquid mereatur ; sed ex vi caritatis, quae facit ea quae sunt amicorum, esse communia. Unde quantumcumque sit opus bonum extra caritatem factum, non facit, proprie loquendo, quod aliquid recipiendi a Deo faciens debitum habeat ; sed opus malum ex quantitate suae malitiae secundum aequivalentiam poenam meretur : quia ex parte Dei non sunt nobis aliqua mala facta sicut bona ; et ideo quamvis opus malum mereatur ex condigno poenam, non tamen opus bonum sine caritate meretur ex condigno praemium.

1. Comme le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que le fils, par tout ce qu’il peut faire, ne peut rendre à son père rien d’égal à ce qu’il a reçu de son père, le père ne devient donc jamais le débiteur de son fils. Encore bien moins l’homme peut-il faire de Dieu son débiteur par l’équivalence de son acte ! C’est pourquoi aucun de nos actes ne peut mériter quelque chose par la quantité de sa bonté, mais, par la puissance de la charité, qui réalise ce qui appartient à des amis, il peut faire que cela soit partagé. Aussi grande que soit un acte bon accompli sans la charité, il ne fait donc pas en sorte qu’il doive recevoir quelque chose de Dieu. Mais l’acte mauvais mérite une peine à la mesure de la quantité de sa malice, car, du point de Dieu, les maux ne nous sont pas causés comme des biens. C’est pourquoi, bien qu’un acte mauvais mérite par réciprocité une peine, l’acte bon accompli sans la charité ne mérite cependant pas par réciprocité une récompense.

[16388] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum et tertium dicendum, quod procedunt de merito congrui. Aliae autem rationes procedunt de merito condigni.

2-3. Ces arguments se fondent sur le mérite de réciprocité. Mais les autres arguments se fondent sur le mérite de convenance.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[16389] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod diminuere poenam infernalem potest intelligi dupliciter. Uno modo ita quod quis liberetur a poena quam jam meruit ; et sic, cum nullus liberetur a poena nisi sit absolutus a culpa, quia effectus non diminuuntur neque tolluntur nisi diminuta vel ablata causa ; per opera extra caritatem facta, quae neque culpam tollere neque diminuere possunt, poena Inferni mitigari non potest. Alio modo ita quod meritum poenae impediatur ; et sic hujusmodi opera diminuunt poenam Inferni. Primo, quia homo reatum omissionis evadit, dum hujusmodi opera perficit. Secundo, quia hujusmodi opera aliquo modo ad bonum disponunt, ut homo ex minori contemptu etiam peccata faciat, ut etiam a multis peccatis per hujusmodi opera retrahatur. Sed diminutionem vel dilationem temporalis poenae merentur hujusmodi opera, sicut dicitur de Achab, 3 regum 21, eodem modo sicut et bonorum temporalium consecutionem. Quidam autem dicunt, quod minuunt poenam Inferni, non subtrahendo aliquid de ipsa quantum ad substantiam, sed fortificando subjectum, ut melius sustinere possit. Sed hoc non potest esse : quia fortificatio non est nisi ex ablatione passibilitatis ; passibilitas autem est secundum mensuram culpae ; et ideo si culpa non diminuitur, nec subjectum fortificari potest. Quidam etiam dicunt, quod diminuitur poena quantum ad vermem conscientiae, licet non quantum ad ignem. Sed hoc etiam nihil est : quia sicut poena ignis aequatur culpae, ita et poena remorsionis conscientiae ; unde similis ratio est de utroque.

Atténuer la peine de l’enfer peut s’entendre de deux manières. D’une manière, de sorte que quelqu’un soit libéré d’une peine qu’il a déjà mérité ; ainsi, puisque personne n’est libéré de la peine sans être absous de la faute (car les effets ne sont ni diminués ni enlevés que si la cause est diminuée ou enlevée), les actes accomplis sans la charité, qui ne peuvent ni enlever ni diminuer la faute, ne peuvent changer la peine de l’enfer. D’une autre manière, de sorte que le mérite de la peine soit empêché ; ainsi, ces actes diminuent la peine de l’enfer. Premièrement, parce que l’homme échappe à une faute d’omission lorsqu’il accomplit les actes de ce genre. Deuxièmement, parce que ces actes disposent d’une certaine manière au bien, de sorte que l’homme accomplisse des péchés avec un mépris moindre, de sorte aussi qu’il soit éloigné de nombreux péchés par ces actes. Mais ces actes méritent une diminution ou un report de la peine temporelle du péché, comme il est dit d’Achab, 1 R 21, de la même manière que l’obtention de biens temporels. Or, certains disent qu’ils diminuent la peine de l’enfer, non pas en lui enlevant quelque chose pour ce qui est de sa substance, mais en renforçant celui qui y est soumis afin qu’il puisse mieux la supporter. Mais cela est impossible, car le renforcement ne vient que de l’enlèvement de la capacité de subir. Or, la capacité de subir est à la mesure de la faute. Ainsi, si la faute n’est pas diminuée, celui qui y est soumis ne peut pas non plus être renforcé. Certains disent aussi que la peine est diminuée pour ce qui est du ver de la conscience, mais non pour le feu. Mais cela aussi est futile, car de même que la peine du feu est égale à la faute, de même en est-il du remords de la conscience. Le raisonnement est donc le même pour les deux choses.

[16390] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 3 qc. 5 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La solution aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 4 [16391] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 tit. Utrum satisfactionem opOrteat fieri per opera poenalia

Article 4 – Doit-on satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Il semble qu’il ne faille pas satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines ?]

[16392] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod satisfactionem non oporteat fieri per opera poenalia. Quia per satisfactionem oportet fieri recompensationem ad divinam offensam. Sed nulla recompensatio videtur fieri per opera poenalia ; quia Deus non delectatur in poenis nostris. Ergo non oportet satisfactionem per opera poenalia fieri.

1. Il semble qu’il ne faille pas satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines, car, par la satisfaction, il faut compenser l’offense faite à Dieu. Or, aucune compensation ne semble être faite par des actes pénibles, car Dieu ne se complaît pas dans nos peines. Il n’est donc pas nécessaire de satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines.

[16393] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quanto aliquod opus ex majori caritate procedit, tanto minus est poenale ; quia caritas poenam non habet ; 1 Joan. 4. Si ergo oportet opera satisfactoria esse poenalia ; quanto magis sunt ex caritate facta, minus erunt satisfactoria ; quod falsum est.

2. Plus un acte procède de la charité, moins il a le caractère de peine, car la charité ne comporte pas de peine, 1 Jn 4. Si donc il est nécessaire que les actes satisfactoires aient le caractère de peines, plus ils seront accomplis par charité, moins ils seront satisfactoires, ce qui est faux.

[16394] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, satisfacere est, ut dicit Anselmus, honorem debitum Deo impendere. Sed hoc etiam aliis quam operibus poenalibus fieri potest. Ergo satisfactionem non opOrtet poenalibus operibus fieri.

3. Comme le dit Anselme, satisfaire consiste à render l’honneur dû à Dieu. Or, cela peut se réaliser par d’autres actes que des actes qui ont le caractère de peines. Il n’est donc pas nécessaire de satisfaire par des actes qui ont le caractère de peines.

[16395] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit : justum est ut peccator tanto majora sibi inferat lamenta per poenitentiam, quanto majora intulit damna per culpam.

Cependant, [1] Grégoire dit : « Il est juste que le pécheur s’impose par la pénitence des souffrances aussi grandes que les maux qu’il a encourus par sa faute. »

[16396] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per satisfactionem oportet sanari vulnus peccati perfecte. Sed peccatorum medicinae sunt poenae, ut philosophus dicit in 2 Ethic. Ergo oportet quod per poenalia opera satisfactio fiat.

[2] Il faut que la blessure du péché soit guérie par la satisfaction. Or, les peines sont des remèdes pour les péchés, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Il faut donc que donc la satisfaction soit accomplie par des actes qui ont le caractère de peines.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les épreuves par lesquels Dieu nous punit en cette vie peuvent-elles être méritoires ?]

[16397] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod flagella quibus a Deo in hac vita punimur, non possint satisfactoria esse. Nihil enim potest esse satisfactorium nisi quod est meritorium, ut ex dictis patet. Sed non meremur nisi per ea quae in nobis sunt. Cum ergo flagella quibus a Deo punimur, non sint in nobis, videtur quod satisfactoria esse non possint.

1. Il semble que les épreuves par lesquelles Dieu nous punit en cette vie ne puissent être satisfactoires. En effet, rien ne peut être satisfactoire que ce qui est méritoire, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, nous ne méritons que par ce qui est en notre pouvoir. Puisque les épreuves par lesquelles Dieu nous punit ne sont pas en notre pouvoir, il semble qu’elles ne puissent être méritoires.

[16398] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, satisfactio tantum bonorum est. Sed hujusmodi flagella in malis inducuntur, et praecipue eis debentur. Ergo non possunt esse satisfactoria.

2. La satisfaction n’est le fait que des bons. Or, ces épreuves sont données aux méchants et sont dues surtout à eux. Elles ne peuvent donc pas être satisfactoires.

[16399] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, satisfactio respicit peccata praeterita. Sed aliquando ista flagella infliguntur illis qui peccata non habent, sicut de Job patet. Ergo videtur quod non sint satisfactoria.

3. La satisfaction porte sur les péchés passés. Or, parfois, ces épreuves sont infligées à ceux qui n’ont pas de péchés, comme cela est clair pour Job. Il semble donc qu’elles ne soient pas satisfactoires.

[16400] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Rom. 5, 3 : tribulatio patientiam operatur ; patientia autem probationem et a peccato purgationem, ut Glossa ibidem dicit. Ergo flagella peccata purgant, et sic sunt satisfactoria.

Cependant, [1] il est dit en Rm 5, 3 : La tribulation exerce la patience ; la patience, la mise à l’épreuve et la purification du péché, comme le dit la Glose au même endroit. Les épreuves purifient donc les péchés et sont ainsi satisfactoires.

[16401] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit : etsi fides, idest peccati conscientia, desit, poena satisfacit. Ergo hujusmodi flagella sunt satisfactoria.

[2] Ambroise dit : « Même si la foi – c’est-à-dire la conscience du péché – fait défaut, la peine satisfait. » Ces épreuves sont donc satisfactoires.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’énumération des actes satisfactoires est-elle appropriée ?]

[16402] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter enumerentur opera satisfactoria, cum dicitur quod sunt tria ; eleemosyna, jejunium, et oratio. Quia opus satisfactorium debet esse poenale. Sed oratio poenam non habet, cum sit contra poenae tristitiam medicina, sed delectationem ; unde dicitur Jacob. 5, 13 : tristatur aliquis in vobis  ? Oret, et psallat. Ergo non debet computari inter opera satisfactOria.

1. Il semble que les actes satisfactoires ne soient pas convenablement énumérés lorsqu’on dit qu’ils sont au nombre de trois : l’aumône, le jeûne et la prière, car l’acte satisfactoire doit avoir le caractère de peine. Or, la prière ne comporte pas de peine, puisqu’elle est un remède contre la tristesse, mais elle comporte une délectation. Aussi Jc 5, 13 dit-il : Quelqu’un parmi vous est-il triste ? Qu’il prie et chante des psaumes. La prière ne doit donc pas être comptée parmi les actes satisfactoires.

[16403] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omne peccatum vel est carnale vel spirituale. Sed, sicut dicit Hieronymus, jejunio sanantur pestes corporis, oratione pestes mentis. Ergo non debet esse aliquod aliud opus satisfactorium.

2. Tout péché est soit charnel, soit spiritual. Or, comme le dit Jérôme, la contagion du corps est guérie par le jeûne, et la contagion de l’esprit par la prière. Il ne doit donc pas y avoir d’autre acte satisfactoire.

[16404] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, satisfactio necessaria est ad emundationem peccatorum. Sed eleemosyna ab omnibus peccatis emundat ; Luc. 11, 41 : date eleemosynam, et omnia munda sunt vobis. Ergo alia duo sunt superflua.

3. La satisfaction est nécessaire à la purification des péchés. Or, l’aumône purifie de tous les péchés, Lc 11, 41 : Faites l’aumône, et tout est pur pour vous. Les deux autres [actes] sont donc superflus.

[16405] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plura. Quia contraria contrariis curantur. Sed multo plura sunt peccatorum genera quam tria. Ergo debent plura satisfactionis opera computari.

4. Cependant, [1] il semble qu’il doit en exister plusieurs, car les contraires sont guéris par les contraires. Or, il existe beaucoup plus que trois genres de péchés. Il faut donc compter un plus grand nombre d’actes de satisfaction.

[16406] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 5 Praeterea, peregrinationes etiam injunguntur pro satisfactione, et disciplinae, sive flagellationes ; quae non computantur sub aliquo horum. Ergo insufficienter numerantur.

[2] Des pèlerinages sont aussi imposés comme satisfaction, ainsi que des disciplines ou flagellations, qui ne sont pas comptées parmi ces actes. Leur énumération est donc insuffisante.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16407] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod satisfactio, ut dictum est, respectum habet ad praeteritam offensam pro qua recompensatio fit per satisfactionem, et etiam ad futuram culpam, a qua per eam praeservamur ; et quantum ad utrumque exigitur quod satisfactio per opera poenalia fiat. Recompensatio enim offensae importat adaequationem, quam oportet esse ejus qui offendit ad eum in quem offensa commissa est. Adaequatio autem in humana justitia attenditur per subtractionem ab uno qui plus habuit justo, et additionem ad alterum cui subtractum est aliquid. Deo autem quamvis quantum ex parte sui est, nihil subtrahi possit ; tamen peccator quantum in ipso est, aliquid ei subtraxit peccando, ut dictum est ; unde oportet ad hoc quod recompensatio fiat, quod aliquid subtrahatur a peccante per satisfactionem, quod in honorem Dei cedat. Opus autem bonum, ex hoc quod est hujusmodi, non subtrahit aliquid, sed magis perficit ipsum ; unde subtractio non potest fieri per opus bonum, nisi poenale sit. Et ideo ad hoc quod aliquod opus sit satisfactorium, opOrtet quod sit bonum, ut in honorem Dei sit ; et poenale, ut aliquid peccatori subtrahatur. Similiter etiam poena a culpa futura praeservat ; quia non facile homo ad peccata redit, ex quo poenam expertus est ; unde secundum philosophum, poenae medicinae sunt.

Comme on l’a dit, la satisfaction concerne une offense passée pour laquelle une compensation est faite par la satisfaction ; [elle concerne] aussi une faute future, dont nous sommes préservés par elle. Sur les deux points, il est nécessaire que la satisfaction soit accomplie par des actes qui ont le caractère de peines. En effet, la compensation de l’offense comporte un retour à l’égalité, que doit réaliser celui qui a offensé envers celui contre qui l’offense a été commise. Or, le retour à l’égalité dans la justice humaine est envisagé selon qu’on soustrait à l’un, qui a reçu plus qu’il n’était juste, et qu’on ajoute à un autre, à qui quelque a été enlevé. Or, bien qu’on ne puisse rien enlever à Dieu pour ce qui le concerne, le pécheur, pour ce qui le concerne, lui a enlevé quelque chose en péchant, comme on l’a dit. Il est donc nécessaire, pour que la compensation se réalise, que quelque chose qui tourne à l’honneur de Dieu soit enlevé au pécheur par la satisfaction. Or, l’acte bon, du fait qu’il est tel, n’enlève rien, mais perfectionne celui qui l’accomplit ; aussi la soustraction ne peut-elle être réalisée par un acte bon, à moins qu’il n’ait le caractère de peine. C’est pourquoi, pour qu’il soit satisfactoire, il est nécessaire qu’il soit bon, de sorte qu’il soit à l’honneur de Dieu ; et qu’il ait le caractère de peine, de sorte qu’il soustraie quelque chose au pécheur. De la même manière, la peine préserve de la faute future, car l’homme ne retourne pas facilement aux péchés pour lesquels il a fait l’expérience de la peine. Aussi les peines sont-elles des remèdes, selon le Philosophe.

[16408] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Deus non delectetur in poenis ut sunt poenae, delectatur tamen in eis ut sunt justae, et sic satisfactoriae esse possunt.

1. Bien que Dieu ne se délecte pas des peines en tant qu’elles sont des peines, il se délecte cependant d’elles en tant qu’elles sont justes et peuvent ainsi être satisfactoires.

[16409] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in satisfactione consideratur poenalitas, ita in merito consideratur difficultas. Diminutio autem difficultatis ex parte ipsius actus diminuit meritum ceteris paribus ; sed diminutio difficultatis ex promptitudine voluntatis non diminuit meritum, sed auget. Et similiter diminutio poenalitatis ex promptitudine voluntatis, quod facit caritas, non diminuit efficaciam satisfactionis, sed auget.

2. De même que, pour la satisfaction, on prend en compte le caractère de peine, de même la difficulté est-elle prise en compte pour le mérite. Or, la diminution de la difficulté du point de vue de l’acte lui-même diminue le mérite, toutes choses étant égales ; mais la diminution de la difficulté du point de vue de l’empressement de la volonté ne diminue pas le mérite, mais l’augmente. De la même manière, du point de vue de l’empressement de la volonté causé par la charité, le caractère de peine ne diminue-t-il pas l’efficacité de la satisfaction, mais l’augmente.

[16410] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod debitum pro peccato est recompensatio offensae, quae sine poena peccantis non fit ; et de tali debito Anselmus intelligit.

3. La dette pour le péché est la compensation de l’offense, qui ne se réalise pas sans peine pour le pécheur. C’est à une telle dette que pense Anselme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16411] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod recompensatio offensae praeteritae potest fieri et ab eo qui offendit, et ab alio. Quando autem fit ab alio, talis recompensatio vindicationis magis quam satisfactionis rationem habet. Quando autem fit ab ipso qui offendit, etiam rationem satisfactionis habet. Unde si flagella quae pro peccatis a Deo infliguntur, fiant aliquo modo ipsius patientis, rationem satisfactionis accipiunt. Fiunt autem ipsius, inquantum ea acceptat ad purgationem peccatorum, eis utens patienter. Si autem ratio eis per impatientiam dissentiat, tunc non efficiuntur aliquo modo ipsius ; et ideo non habent rationem satisfactionis, sed vindicationis tantum.

La compensation de l’offense passée peut être faite par celui qui a offensé et par un autre. Lorsqu’elle est faite par un autre, une telle compensation a plutôt le caractère de punition que le caractère de satisfaction. Lorsqu’elle est faite par celui-là même qui a offensé, elle a aussi le caractère de satisfaction. Si les épreuves qui sont infligées par Dieu deviennent d’une certaine manière celles de celui qui les supportent, elles reçoivent donc le caractère de satisfaction. Or, elles deviennent siennes dans la mesure où il les accepte pour purifier ses péchés, en en faisant usage avec patience. Mais s’il s’y oppose par impatience, elles ne deviennent alors nullement siennes. C’est pourquoi elles n’ont pas le caractère de satisfaction, mais de punition seulement.

[16412] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illa flagella non sint omnino in potestate nostra, tamen quantum ad aliquid sunt, cum scilicet eis patienter utimur ; et sic homo facit de necessitate virtutem ; unde et meritoria et satisfactoria esse possunt.

1. Bien que ces épreuves ne soient pas entièrement en notre pouvoir, elles le sont cependant partiellement lorsque nous en faisons patiemment usage. Ainsi, l’homme fait de nécessité vertu. Elles peuvent donc être à la fois méritoires et satisfactoires.

[16413] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut ex eodem igne, ut Gregorius dicit, aurum rutilat, et palea fumat ; ita eisdem flagellis et boni purgantur, et mali magis inficiuntur per impatientiam ; et ideo quamvis flagella sint communia, tamen satisfactio est tantum bonorum.

2. Comme le dit Grégoire, de même que l’or brille et la paille brûle par le même feu, de même, par les mêmes épreuves, les bons sont-ils purifiés et les méchants sont-ils davantage plongés dans l’impatience. C’est pourquoi, bien que les épreuves soient communes, la satisfaction est le fait des bons seulement.

[16414] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod flagella respectum habent ad culpam praeteritam semper, sed non semper ad culpam personae, sed ad culpam naturae. Si enim in natura humana nulla culpa praecessisset, nulla poena fuisset. Sed quia culpa in natura praecessit, personae alicui divinitus poena infertur sine culpa personae, ad meritum virtutis et cautelam peccati sequentis : et haec duo etiam necessaria sunt in satisfactione. Oportet enim esse opus meritorium, ut honor Deo exhibeatur ; et oportet esse virtutum custodiam, ut a futuris peccatis praeservemur.

3. Les épreuves ont toujours un rapport avec la faute passée, pas toujours cependant avec la faute personnelle, mais avec la faute de nature. En effet, si aucune faute n’avait précédé dans la nature humaine, il n’y aurait eu aucune peine. Mais parce que la faute a précédé dans la nature, une peine est infligée à une personne sans faute de la part de cette  personne, pour le mérite de la vertu et en prévention du péché qui suit, et ces deux choses sont nécessaires dans la satisfaction. En effet, il est nécessaire qu’elle soit un acte méritoire afin qu’honneur soit rendu à Dieu ; et il est nécessaire qu’elle protège les vertus, afin que nous soyons préservés des péchés futurs.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16415] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod satisfactio, ut dictum est, debet esse talis per quam aliquid nobis subtrahamus ad honorem Dei. Nos autem non habemus nisi tria bona ; scilicet bona animae, bona corporis, et bona fortunae, scilicet exteriora. Ex bonis quidem fortunae subtrahimus aliquid nobis per eleemosynam ; sed ex bonis corporalibus per jejunium ; ex bonis autem animae non oportet quod aliquid subtrahamus nobis quantum ad essentiam vel quantum ad diminutionem ipsorum, quia per ea efficimur Deo accepti sed per hoc quod ea submittimus Deo totaliter ; et hoc fit per orationem. Competit etiam iste numerus ex parte illa qua satisfactio peccatorum causas excidit ; quia radices peccatorum tres ponuntur 1 Joan. 2 : concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum, et superbia vitae. Et contra concupiscentiam carnis ordinatur jejunium ; contra concupiscentiam oculorum, eleemosyna ; contra superbiam vitae, oratio ut Augustinus dicit super Matth. Competit etiam quantum ad hoc quod satisfactionis est, peccatorum suggestionibus aditum non indulgere ; quia omne peccatum vel in Deum committimus, et contra hoc ordinatur oratio ; vel in proximum, et contra hoc eleemosyna ; vel in nos ipsos, et contra hoc ordinatur jejunium.

Comme on l’a dit, la satisfaction doit faire en sorte que quelque chose soit soustrait pour honorer Dieu. Or, nous ne possédons que trois biens : les biens de l’âme, les biens du corps et les biens de la fortune, c’est-à-dire les biens extérieurs. Nous enlevons quelque chose aux biens de la fortune par l’aumône, et aux biens corporels, par le jeûne. Mais il n’est pas nécessaire que nous nous enlevions quelque chose des biens de l’âme pour ce qui est de leur essence ou de leur diminution, parce que nous devenons être par eux agréables à Dieu, mais [il est nécessaire] que nous les soumettions entièrement à Dieu : cela se réalise par la prière. Ce nombre est aussi approprié selon que la satisfaction supprime les causes des péchés, car 1 Jn 2 présente trois causes pour les péchés : la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueuil de la vie. Le jeûne vise la concupiscence de la chair, l’aumône, la concupiscence des yeux, la prière, l’orgueuil de la vie, comme le dit Augustin en commentant Matthieu. [Ce nombre] est aussi approprié du fait qu’il appartient à la satisfaction de ne pas donner accès aux suggestions de péchés, car nous commettons tout péché soit contre Dieu, et la prière est s’oppose à cela ; soit contre le prochain, et l’aumône s’oppose à cela ; soit contre nous-mêmes, et le jeûne s’oppose à cela.

[16416] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum quosdam duplex est oratio : quaedam quae est contemplativorum, quorum conversatio in caelis est ; et talis, quia totaliter est delectabilis, non est satisfactoria : alia est quae pro peccatis gemitus fundit ; et talis habet poenam, et est satisfactionis pars. Vel dicendum est melius, quod quaelibet oratio habet rationem satisfactionis : quia quamvis habeat suavitatem spiritus, tamen habet afflictionem carnis : quia, ut dicit Gregorius super Ezech., dum crescit in nobis fortitudo amoris intimi, infirmatur proculdubio fortitudo carnis ; unde et nervus femoris Jacob ex lucta Angeli emarcuisse legitur in Genesi cap. 32.

1. Selon certains, la prière est double. L’une qui est celle des contemplatifs, dont la vie est tournée vers le ciel : celle-ci, parce qu’elle est entièrement délectable, n’est pas satisfactoire. L’autre est celle qui verse des larmes pour les péchés : celle-ci comporte une peine et est une partie de la satisfaction. Ou bien il faut dire, et mieux, que toute prière a un caractère satisfactoire, car, bien qu’elle soit douce pour l’esprit, elle comporte cependant une affliction pour la chair, car, comme le dit Grégoire en commentant Ézéchiel, « lorsque croît en nous la force de l’amour intérieur, la force de la chair est sans aucun doute affaiblie ». Aussi lit-on, dans Gn 32, que le nerf de la hanche de Jacob fut meurtri au cours de sa lutte avec l’ange.

[16417] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum carnale dicitur dupliciter. Uno modo quod in ipsa delectatione carnis completur, ut gula et luxuria ; alio modo quod completur in his quae ad carnem ordinantur, quamvis non in delectatione carnis, sed in delectatione animae magis, ut avaritia ; unde talia peccata sunt quasi media inter spiritualia et carnalia ; et ideo oportet quod eis etiam respondeat aliqua satisfactio propria, scilicet eleemosyna.

2. On parle de péché charnel de deux manières. D’une manière, celui qui se réalise par la délectation même de la chair, comme le gourmandise et la luxure ; d’une autre manière, celui qui se réalise par ce qui est ordonné à la chair, bien que non pour la délectation de la chair, mais plutôt pour la délectation de l’âme, comme l’avarice. De tels péchés sont comme intermédiaires entre les péchés spirituels et les péchés charnels. C’est pourquoi il est nécessaire que leur réponde une satisfaction propre, à savoir, l’aumône.

[16418] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis singula istorum per quamdam convenientiam singulis peccatis approprientur, quia congruum est ut in quo quis peccavit, in hoc puniatur, et quod peccati commissi per satisfactionem radix abscindatur ; tamen quodlibet horum pro quolibet peccato satisfacere potest. Unde ei qui non potest unum ex eis perficere, injungatur aliud ; et praecipue eleemosyna aliorum vices supplere potest, inquantum alia satisfactionis opera per eleemosynam sibi quisque mercatur quodammodo in illis quibus eleemosynam tribuit ; unde non oportet quod si eleemosyna omnia mundat peccata, propter hoc aliae satisfactiones superfluant.

3. Bien que chacune de ces choses se rattache à des péchés particuliers par un certain caractère commun, puisqu’il est approprié que la racine de ce en quoi quelqu’un a péché soit coupée par la satisfaction pour le péché commis, n’importe quelle d’entre elles peut cependant satisfaire pour n’importe quel péché. Aussi en impose-t-on une autre à celui qui ne peut accomplir l’une d’entre elles. L’aumône surtout peut remplacer les autres, dans la mesure où, par l’aumône, chacun négocie d’une certaine façon pour lui-même les autres actes de satisfaction avec ceux à qui il fait l’aumône. Il n’est donc pas nécessaire que, si l’aumône purifie de tous les péchés, les autres satisfactions soient superflues.

[16419] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis sint multa peccata in specie, tamen omnia ad illas tres radices, vel ad illa tria peccatorum genera quibus diximus dictas satisfactiones respondere, reducuntur.

4. Bien qu’il existe plusieurs espèces de péchés, tous se ramènent à ces trois racines ou à ces trois genres de péchés auxquels nous avons dit que les satisfactions mentionnées correspondent.

[16420] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidquid ad afflictionem corporis pertinet, totum ad jejunium refertur ; et quidquid ad proximi utilitatem expenditur, totum elemosynae rationem habet ; et similiter quaecumque latria exhibeatur Deo, orationis accipit rationem ; et ideo etiam unum opus potest habere plures rationes satisfaciendi.

5. Tout ce qui se rapporte à l’affliction du corps se ramène entièrement au jeûne. Tout ce qui est dépensé au service du prochain a en totalité le caractère d’aumône. De même, toute latrie manifestée à Dieu a le caractère de prière. C’est pourquoi un seul acte peut être satisfactoire à divers titres.

 

 

Articulus 5

[16421] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 tit. Utrum restitutio sit satisfactionis pars

Article 5 – La restitution est-elle une partie de la satisfaction ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La restitution est-elle une partie de la satisfaction ?]

[16422] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod restitutio sit satisfactionis pars. Quia satisfactio reconciliat Deo et proximo. Sed per restitutionem homo reconciliatur proximo. Ergo restitutio est satisfactionis pars.

1. Il semble que la restitution soit une partie de la satisfaction, car la satisfaction réconcilie avec Dieu et avec le prochain. Or, par la restitution, l’homme est réconcilié avec le prochain. La restitution est donc une partie de la satisfaction.

[16423] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, satisfactio fit per contrarium peccati, sicut per jejunium satisfacimus de gula. Sed contrarium peccati malae ablationis est restitutio. Ergo restitutio est quaedam satisfactionis pars.

2. La satisfaction s’accomplit par le contraire du péché ; ainsi, par le jeûne, nous satisfaisons pour la gourmandise. Or, le contraire du péché par lequel on prend à mal est la restitution. La restitution est donc une partie de la satisfaction.

[16424] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Ambrosius dicit, quod vera poenitentia est a peccato cessare. Sed qui restituit, a peccato cessat : quia quamdiu quis alienum eo invito detinet, peccat. Ergo restitutio est pars poenitentiae. Sed non nisi ratione satisfactionis. Ergo est pars satisfactionis.

3. Ambroise dit que la pénitence véritable consiste à cesser de pécher. Or, celui qui restitue cesse de pécher, car, aussi longtemps que l’on détient malgré lui quelque chose qui appartient à un autre, on pèche. La restitution est donc une partie de la pénitence, mais seulement en raison de la satisfaction. Elle est donc une partie de la satisfaction.

[16425] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, satisfactio fit Deo, ut patet per definitionem Anselmi supra positam. Sed restitutio fit proximo. Ergo satisfactionis non est restitutio pars.

Cependant, [1] la satisfaction est rendue à Dieu, comme cela resort de la définition d’Anselme présentée plus haut. Or, la restitution est faite au prochain. La restitution n’est donc pas une partie de la satisfaction.

[16426] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, satisfactio ponitur in arbitrio sacerdotis poenitentiam injungentis ; non autem restitutio. Ergo restitutio non est satisfactionis pars.

[2] La satisfaction est laissée au jugement du prêtre qui impose la pénitence, mais non la restitution. La restitution n’est donc pas une partie de la satisfaction.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce qui a été enlevé doit-il toujours être restitué ?]

[16427] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ablatum non semper debet restitui. Fama enim restitui non potest. Sed fama aufertur. Ergo non de omni ablato potest fieri restitutio.

1. Il semble que ce qui a été enlevé ne doive pas toujours être restitué. En effet, la bonne renommée ne peut être restituée. Or, la bonne renommée est enlevée. On ne peut donc pas restituer tout ce qui a été enlevé.

[16428] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, damna in personam illata, sunt maxima. Sed hujusmodi damna non possunt restitui, ut ablatio virginitatis, abscissio membri alicujus. Ergo non omne ablatum potest restitui.

2. Les torts faits à la personne sont les plus grands. Or, ces torts ne peuvent être restitués, telles la perte de la virginité et l’amputation d’un membre. Tout ce qui a été enlevé ne peut donc pas être restitué.

[16429] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, qui impedit aliquem a consecutione alicujus, videtur hoc sibi auferre. Sed hoc non debet ei restituere vel recompensare, sicut si quis impedit aliquem ne praebendam consequatur. Ergo videtur quod non omne ablatum debeat restitui.

3. Celui qui empêche quelqu’un d’obtenir quelque chose semble le lui enlever. Or, il ne doit pas le lui restituer ou l’en compenser, comme lorsque quelqu’un en empêche un autre d’obtenir une prébende. Il semble donc que tout ce qui a été enlevé ne doive pas être restitué.

[16430] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 4 Praeterea, qui occasionem damni dat, damnum dedisse videtur. Sed ille qui subvertit semina in campo projecta, dat occasionem damni de toto fructu qui inde sequi posset ; et similiter de illo qui detinet pecuniam creditoris ultra terminum praefixum, ex qua ille poterat lucrari, de toto lucro quod accidere potuisset : nec tamen videtur quod teneatur ad restitutionem totius lucri quod accidere potuisset, vel fructus qui percipiendus esset. Ergo non oportet quod semper fiat ablatorum restitutio.

4. Celui qui occasionne un tort semble avoir causé un tort. Or, celui qui bouleverse les semences lancées dans un champ occasionne un tort pour toute la moisson qui pourrait en provenir ; de même, celui qui garde l’argent d’un créancier au-delà du terme fixé, à partir duquel celui-ci pourrait en gagner, [cause un tort] pour tout le gain qui aurait pu se produire. Cependant, il ne semble pas qu’il soit tenu à la restitution de tout le gain qui aurait pu se produire ou de toute la moisson qui devait être perçu. Il n’est donc pas toujours nécessaire que restitution soit faite de ce qui a été enlevé.

[16431] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 5 Sed contra, videtur quod homo debet plus restituere quam abstulerit. Quia praeceptum legis veteris est, ut patet Exod. 22, quod ovis reddatur in quadruplum, et bos in quintuplum ; et hoc praeceptum, cum sit de moribus, videtur esse morale. Ergo adhuc manet : ergo tenetur homo in quintuplum vel quadruplum restituere.

5. Cependant, il semble qu’un homme doive restituer plus qu’il n’a enlevé, car un commandement de la loi ancienne, Ex 22, dit que la brebis doit être rendue au quadruple, et le bœuf au quintuple ; et ce commandement, puisqu’il porte sur le comportement, semble avoir un caractère moral. Il demeure donc en vigueur. Un homme est donc tenu de restituer au quadruple ou au quintuple.

[16432] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 6 Praeterea, ea quae in Scriptura ponuntur, nobis in exemplum dantur. Sed Luc. 10 dicitur, quod Zachaeus se obtulit ad restitutionem in quadruplum eorum quae acceperat per fraudem. Ergo et talis debet esse apud nos restitutionis modus.

6. Ce qui se trouve dans l’Écriture nous est donné en exemple. Or, il est dit en Lc 10 que Zachée s’offrit à restituer le quadruple de ce qu’il avait reçu par fraude. Telle doit donc être pour nous la mesure de la restitution.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Celui-là seul qui a reçu est-il tenu à la restitution ?]

[16433] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod solus ille qui accipit, ad restitutionem teneatur. Quia non exigitur plus in restitutione quam illatum est in damno. Si ergo unus solus damnum intulit, ille solus ad restitutionem tenetur : alias multo plura reciperet damnificatus quam ea quae amisit, si a quolibet consentiente deberet sibi in solidum restitutio fieri.

1. Il semble que seul celui qui a reçu soit tenu à la restitution, car on n’est pas tenu à restituer davantage que le dommage causé. Si donc un seul a causé un dommage, celui-là seul est tenu à la restitution, autrement celui à qui un dommage a été causé recevrait beaucoup plus que ce qu’il a perdu, si restitution devait lui être faite par tous ceux qui étaient ensemble consentants.

 

[16434] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nulli debetur restitutio nisi ei qui damnum passus est. Sed contingit quod aliquis praecipiat damnificari aliquem, vel consulat, aut consentiat ; et tamen ille non damnificatur. Ergo tales non semper ad restitutionem tenentur.

2. Une restitution n’est due qu’à celui qui a subi un dommage. Or, il arrive qu’on ordonne de causer un dommage à quelqu’un, qu’on le conseille ou y consente ; cependant, celui-ci ne subit pas de dommage. Ceux-là ne sont donc pas toujours tenus à la restitution.

[16435] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus debet incurrere damnum personae pro evitando damno pecuniae alterius : quia caritas debet esse ordinata. Sed quandoque si aliquis raptorem manifestaret, incurreret personae suae periculum. Ergo non est verum quod teneatur ille qui non manifestat, ad restitutionem, ut quidam dicunt.

3. Personne ne doit encourir de dommage à sa personne pour éviter un dommage monétaire à un autre, car la charité doit être ordonnée. Or, parfois, si quelqu’un dénonçait un ravisseur, il encourrait un danger pour sa personne. Il n’est donc pas vrai que celui qui ne le dénonce pas soit tenu à la restitution, comme certains le disent.

[16436] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, multi etiam boni viri non reprehendunt eos quos vident injuste accipere aliena ; unde durum esset dicere, quod tenerentur ad restitutionem omnium. Ergo etiam ille qui non reprehendit, non tenetur, ut a quibusdam dicitur, restituere. Similiter etiam potest objici de illis qui non obstant, et tamen obstare possunt.

4. Beaucoup d’hommes bons ne reprennent pas ceux qu’ils voient prendre injustement les biens d’autrui ; il serait donc dur de dire qu’ils seraient tenus à restituer tout. Même celui qui ne reprend pas n’est donc pas tenu de restituer, comme certains le disent. De même aussi, on peut soulever une objection à propos de ceux qui ne s’opposent pas, mais qui peuvent cependant s’opposer.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Faut-il toujours restituer à celui qui a subi un dommage ?]

[16437] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit semper restitutio facienda ei qui damnum passus est. Nullus enim potest restituere ei quem non cognoscit. Sed quandoque fur nescit cujus sit res quam furto accepit. Ergo videtur quod non teneatur ei restituere.

1. Il semble qu’il ne faille pas toujours restituer à celui qui a subi un dommage. En effet, personne ne peut restituer à quelqu’un qu’il ne connaît pas. Or, parfois, le voleur ne connaît pas à qui appartient la chose qu’il a volée. Il semble donc qu’il ne soit pas tenu de la lui restituer.

 

[16438] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ille qui accepit, non tenetur nisi ad restitutionem. Sed aliquando ad eum cui debet fieri restitutio, non posset pervenire sine magno damno ; forte etiam cum majori quam sit pretium rei restituendae. Ergo videtur quod in tali casu non teneatur ei restituere.

2. Celui qui a pris n’est tenu qu’à la restitution. Or, parfois, la restitution ne pourrait être faite sans un grand dommage pour celui à qui elle doit être faite, plus grand, peut-être, que la valeur de ce qui doit être restitué. Il semble donc que, dans un tel cas, il ne soit pas tenu de restituer.

[16439] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 3 Praeterea, aliquis in depraedatione civitatum injuste accipit aliqua. Sed non potest ei cujus fuit, restituere : quia vel nescit eum, vel mortuus est. Ergo videtur quod non teneatur restituere.

3. Lors du pillage des villes, on prend injustement certaines choses. Or, on ne peut les restituer à celui à qui elles appartenaient, car on ne le connaît pas ou il est mort. Il semble donc qu’on ne soit pas tenu de [lui] restituer.

[16440] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 4 Praeterea, aliquis praelatus Ecclesiae injuste aliquas res Ecclesiae concedit alicui. Sed iste non tenetur reddere Ecclesiae, ut videtur, quia venirent ad manus illius praelati, qui non est dignus ea recipere. Ergo videtur quod non semper ei qui damnum passus est, sit restitutio facienda.

4. Un prélat de l’Église concède injustement certains biens de l’Église à quelqu’un. Or, il semble que celui-ci ne soit pas tenu de les rendre à l’Église, car ils tomberaient aux mains de ce prélat qui est indigne de les recevoir. Il semble donc qu’il ne faille pas toujours restituer à celui qui a subi un tort.

[16441] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est, quia per restitutionem integratur aequalitas justitiae. Sed aequalitas justitiae est ut quod aufertur a lucro, apponatur ad damnum, ut dicitur in 5 Ethic. Ergo videtur quod restitutio sit semper facienda ei qui damnum passus est.

Cependant, par la restitution, l’égalité de la justice est rétablie. Or, l’égalité de la justice consiste en ce que ce qui est enlevé par appétit du gain soit enlevé par châtiment, comme on le dit dans Éthique, V. Il semble donc qu’il faille toujours restituer à celui qui a subi un tort.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16442] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod inaequalitas justitiae opposita duobus modis contingit. Uno modo in rebus exterioribus, ut quando unus rem alienam detinet ; alio modo in actionibus et passionibus, sicut cum quis alium per violentiam reverberat ; et haec duo aliquando separata sunt, ut per se patet ; aliquando autem conjunguntur, ut cum quis per violentiam accepit, in quo ei a quo accepit, injuriam et contumeliam infert ; et secundum hoc reparatio aequalitatis justitiae dupliciter significatur. Reparatio enim inaequalitatis existentis in rebus, restitutio dicitur ; reparatio autem inaequalitatis existentis in actionibus et passionibus, satisfactio nominatur ; et ideo quandoque est satisfactio sine restitutione aliqua, ut cum quis se proximo humiliat de aliquibus contumeliis ei dictis ; aliquando autem restitutio sine satisfactione, ut cum quis mutuum reddit ; aliquando autem utrumque exigitur ; ut cum quis alicui per violentiam rem suam subtraxit : et sic loquimur hic de restitutione rei male ablatae, in quo homo proximum et Deum offendit. Quidam ergo dicunt, quod talis restitutio non est pars satisfactionis, quia non debetur Deo tantum ; nec est ad arbitrium sacerdotis, sed est ad satisfactionem praeambulum. Sed hoc nihil est : quia omne peccatum quod in proximum committitur, etiam in Deum commissum est ; sicut et in dilectione proximi dilectio Dei includitur ; unde et satisfactio proximi conjunctam habet satisfactionem Dei. Nec obstat quod non est ad arbitrium sacerdotis : quia sacerdos non est ibi vicarius proximi, sicut est vicarius Dei ; et ideo satisfactio quae est Deo facienda, dependet ex arbitrio ejus ; sed satisfactio quae est proximo et Deo simul facienda, non. Et ideo alii dicunt, quod est satisfactionis pars. Sed hoc verum non est : quia satisfactio offensam removet, et a poena liberat. Nullus autem ex hoc ipso quod offendere desistit, consequitur hoc quod de offensa praecedenti reconciliationem inveniat, vel poenam pro illa debitam evadat ; sed hoc solum consequitur, quod majorem offensam et poenam non cumulat ; et sic cessare ab offensa nulla pars satisfactionis est, sed est praeambulum ad satisfactionem. Et ideo, cum restitutio nihil aliud sit quam ab offensa cessare, quia ex hoc ipso quod rem alienam detinet eo invito, offendit ; constat quod non est pars satisfactionis proprie acceptae, sed est praeambulum ad satisfactionem ; non tamen propter rationem prius assignatam : quia bene concedimus quod satisfactio proximo facta, est pars satisfactionis Deo factae ; sed restitutio non est pars satisfactionis neque Deo neque proximo factae.

L’inégalité opposée à la justice se produit de deux manières. D’une manière, dans les choses extérieures, comme lorsque quelqu’un détient la chose d’un autre ; d’une autre manière, dans les actions et passions, comme lorsque quelqu’un en frappe un autre avec violence. Parfois, ces deux choses sont séparées, comme cela est évident ; mais parfois, elles sont associées, comme lorsque quelqu’un prend par la violence, à l’occasion de quoi il cause un tort et une injure à celui à qui il a pris. Le rétablissement de l’égalité de la justice a ainsi un double sens. En effet, la réparation de l’inégalité pour ce qui existe dans les choses est appelée restitution ; mais la réparation de l’inégalité de ce qui existe dans les actions et les passions est appelée satisfaction. C’est pourquoi il existe parfois une satisfaction sans restitution, comme lorsque quelqu’un s’humilie devant le prochain pour les injures qu’il lui a dites ; mais parfois, il existe une restitution sans satisfaction, comme lorsque quelqu’un rend un prêt ; parfois, les deux sont exigées, comme lorsque quelqu’un a pris la chose d’un autre avec violence : ici, c’est ainsi que nous parlons de la restitution d’une chose prise à tort, ce par quoi l’homme offense le prochain et Dieu. Certains disent donc qu’une telle restitution n’est pas une partie de la satisfaction, car elle n’est pas due à Dieu seulement, et elle n’est pas laissée au jugement du prêtre, mais est un préambule à la satisfaction. Mais cela ne tient pas, car tout péché qui est commis contre le prochain est aussi commis contre Dieu : ainsi, dans l’amour du prochain, est inclus l’amour de Dieu. Aussi la satisfaction rendue à Dieu est-elle associée à la satisfaction rendue au prochain. Et le fait qu’elle ne relève pas du jugement du prêtre ne s’y oppose pas, car le prêtre n’est pas là comme vicaire du prochain, comme il est vicaire de Dieu. C’est pourquoi la satisfaction qui doit être rendue à Dieu dépend de son jugement ; mais la satisfaction qui doit être rendue au prochain et à Dieu n’en dépend pas. C’est ainsi que  d’autres disent qu’elle est une partie de la satisfaction. Mais cela n’est pas vrai, car la satisfaction enlève la faute et libère de la peine. Or, personne, du seul fait qu’il cesse d’offenser, n’obtient de trouver la réconciliation pour une faute antérieure et d’échapper à la peine qui lui est due, mais il obtient seulement de ne pas cumuler une plus grande offense et une plus grande peine. Ainsi, cesser d’offenser n’est en aucune manière une partie de la satisfaction, mais cela est un préambule à la satisfaction. Puisque la restitution n’est rien d’autre que de cesser d’offenser (en effet, le seul fait de détenir le bien d’un autre contre son gré offense), il est clair qu’elle n’est pas une partie de la satisfaction entendue au sens propre, mais un préambule à la satisfaction, non pas cependant pour la raison qui a été donnée (car nous concédons volontiers que la satisfaction rendue au prochain est une partie de la satisfaction rendue à Dieu) ; mais la restitution n’est pas une partie de la satisfaction rendue à Dieu ou au prochain.

[16443] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de offensa homo proximo non reconciliatur per hoc quod sua ei restituit, sed per hoc quod supra hoc aliquid humilitatis ei exhibet ; et ita non sequitur quod restitutio sit satisfactionis pars.

1. Un homme n’est pas réconcilié à propos d’une offense faite au prochain par le fait qu’il lui restitue ce qui lui appartient, mais par le fait qu’il lui manifeste en plus quelque chose qui fait partie de l’humilité. Il n’en découle donc pas que la restitution soit une satisfaction.

[16444] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod restitutio non est contrarium ad acceptionem vel detentionem injustam ; sed magis est negatio vel privatio ipsius ; et ideo non oportet quod hoc sufficiat ad satisfactionem, sicut nec est satisfactOrium pro gula ut quis non immoderate comedat, sed ut etiam a moderatis abstineat.

2. La restitution n’est pas le contraire d’une prise ou d’une possession injuste, mais elle en est plutôt la négation ou la privation. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cela suffise à la satisfaction, de même qu’il n’est pas satisfactoire pour la gourmandise que quelqu’un ne mange pas de manière immodérée, mais qu’il s’abstienne de [manger] modérément.

[16445] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cessare a peccato dicitur esse pars poenitentiae, non quidem desistendo a peccato praeterito sicut praeambulum ad poenitentiam, sed praecidendo causas futurorum peccatorum, ut dictum est prius.

3. On dit que cesser de pécher est une partie de la pénitence, non pas en s’abstenant d’un péché passé comme préambule à la pénitence, mais en écartant les causes de péchés futurs, comme on l’a dit antérieurement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16446] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod per satisfactionem oportet quod homo sicut Deo, ita proximo reconcilietur. Reconciliatio autem nihil aliud est quam amicitiae reparatio. Manente autem causa dissolutionis amicitiae, amicitia reparari non potest ; quae quidem causa fuit inaequalitas ex injusta acceptione vel detentione causata ; et ideo ille satisfacere non potest, nec Deo reconciliari, qui rem male ablatam, vel detentam male, non restituit. Sed sciendum, quod amicitia, ut philosophus dicit in 8 Ethic., non requirit semper aequale, sed quod possibile ; et ideo si aliqua sunt ablata quae omnino restitui non possunt, sufficit voluntas restituendi cum tanta restitutione quanta possibilis est secundum conditionem utriusque ad arbitrium bonorum.

Il est nécessaire que, par la satisfaction, l’homme soit réconcilié avec son prochain comme avec Dieu. Or, la réconciliation n’est rien d’autre que le rétablissement de l’amitié. Or, aussi longtemps que demeure la cause de la rupture de l’amitié, l’amitié ne peut pas être réparée, cause qu’a été l’inégalité causée par une réception ou une détention injuste. C’est pourquoi celui qui ne restitue pas la chose enlevée ou détenue à mal ne peut satisfaire ni être réconcilié avec Dieu. Mais il faut savoir que l’amitié, comme le Philosophe le dit dans Éthique, VIII, n’exige pas toujours ce qui est égal mais ce qui est possible. Si des choses ont été enlevées qui ne peuvent être rendues d’aucune façon, la volonté de restituer suffit donc, accompagnée d’une restitution aussi grande que possible selon la condition des deux quant au partage des biens.

[16447] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui malitiam alicujus manifestat et qui habet corrigere, vel etiam, si sit incorrigibilis, in conspectu Ecclesiae, ut confusus a peccato desistat, vel saltem ut alii ab ejus consortio corruptivo discedant, servato ordine caritatis fraternae, non injuste famam aufert ; unde non tenetur ad famae restitutionem. Si autem intentione diffamandi hoc fecerit, injuste aufert, etiam si verum sit quod dicit ; et tunc tenetur ad famae restitutionem vel dicendo se falsum dixisse, si falsum dixit ; vel quocumque alio modo, non mentiendo, si verum dixit, sine hoc tamen quod se verum dixisse dicat ; quia non debet alterius famam cum mendacio restituere.

1. Celui qui révèle la malice de quelqu’un et qui doit le corriger ou, s’il est incorrigible, le présente à l’Église, en respectant l’ordre de la charité fraternelle, pour qu’il cesse de pécher à cause de la honte ou, tout au moins, pour que d’autres s’éloignent de fréquenter une source de corruption, ne lui enlève pas injustement sa bonne renommée. Il n’est donc pas tenu à la restitution de sa bonne renommée. Mais s’il a fait cela avec l’intention de le diffamer, il la lui enlève injustement, même si ce qu’il dit est vrai. Il est alors tenu à la restitution de sa bonne renommée, soit en disant qu’il a dit des faussetés, s’il a dit des faussetés, soit d’une autre manière, sans mentir, s’il a dit vrai, sans dire cependant que ce qu’il a dit était vrai, car il ne doit pas restituer la bonne renommée d’un autre par un mensonge.

[16448] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod restitutio principaliter inventa est in damnis quae inferuntur in rebus fortunae, quae restitui possunt : in his autem quae objectio tangit, quae non possunt ad simile bonum restitui, debet fieri restitutio qualis possibilis est, scilicet ad arbitrium bonorum.

2. La restitution s’est surtout rencontrée pour les dommages qui sont faits dans les choses de la fortune, qui peuvent être restituées. Mais pour les choses qu’aborde l’objection, qui ne peuvent être restituées par un bien similaire, une restitution doit être faite autant que possible, selon un partage des biens.

[16449] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui impedit aliquem ne praebendam consequatur, si hoc faciat quia indignus est, vel ut de alio melius provideatur, non injuste facit ; unde non tenetur ad restitutionem ; si autem animo laedendi ipsum, tenetur ad restitutionem, non quidem tanti quantum valebat praebenda, quia ipse eam non bene erat consecutus ; sed pensatis conditionibus utriusque secundum arbitrium bonorum.

3. Celui qui empêche quelqu’un de recevoir une prébende, s’il le fait parce que celui-ci est indigne ou afin qu’il soit mieux pourvu par une autre, n’agit pas injustement. Il n’est donc pas tenu à la restitution. Mais s’il le fait avec l’intention de lui faire tort, il est tenu à la restitution, mais non selon la valeur de la prébende, puisqu’il ne l’avait pas obtenue correctement, mais en évaluant les conditions des deux en vue d’un partage des biens.

[16450] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui subfodit semina, non tenetur ad tantum quantum agri fructus valituri erant, sed quantum ager sic seminatus valere consuevit ; quia multis de causis potest impediri agrorum fructus. Et similiter dicendum est de eo cui debitum non restituitur suo tempore ; quia non tenetur restituere tantum quantum lucrari potuisset ; sed secundum aestimationem lucri quod accidere consuevit, pensato labore, et infortuniis etiam, quae in lucro accidere alias possent ; quia lucrum non causatur tantum ex pecunia, sed ex industria et labore.

4. Celui qui déterre des semences n’est pas tenu à tout ce que la récolte aurait pu valoir, mais à ce que le champ ainsi ensemencé a coutume de valoir, car la moisson peut être empêchée par plusieurs causes. Il faut dire la même chose de celui qui ne restitue pas à temps, car il n’est pas tenu de restituer autant qu’on aurait pu gagner, mais selon l’estimation du gain qui a coutume de se produire, en évaluant l’effort et les aussi les revers qui pourraient se produire autrement pour le profit, car le profit n’est pas causé seulement par l’argent, mais par l’application et le travail.

[16451] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud praeceptum legis quamvis sit de moribus, non tamen est morale, sed judiciale. Talia enim praecepta pro loco et tempore populo illi dabantur ; unde tunc non obligant nisi de novo statuerentur ab aliquo qui statuendi haberet potestatem. Nihilominus tamen inquantum habebant aliquid significationis per Christum, impleta sunt hujusmodi praecepta, sicut et caeremonialia.

5. Ce commandement de la loi, bien qu’il porte sur le comportement, n’est cependant pas un précepte moral, mais judiciaire. En effet, de tels commandements étaient donnés au peuple en fonction du temps et du lieu. Ils n’obligent donc pas, à moins qu’ils ne soient de nouveau donnés par quelqu’un qui a le pouvoir de les donner. Néanmoins, dans le mesure où ils comportaient un élément de signification à travers le Christ, ces commandements ont été accomplis, de même que les commandements cérémoniels.

[16452] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Zachaeus non dixit hoc quasi necessarium, sed ex abundanti.

6. Zacharie n’a pas exprimé cela comme quelque chose de nécessaire, mais par effusion.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

 

[16453] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam versus dantur de illis qui tenentur ad restitutionem, tales : jussio, consilium, consensus, palpo, recursus, participans, mutus, non obstans, non manifestans. Sed tantum quinque istorum sunt quae ad restitutionem semper obligant ; quorum primum est jussio, quando aliquis jubet aliquem depraedari : alias tyranni non tenerentur ad restitutionem. Secundus est consensus ad rapinam perpetrandam in eo sine quo rapina fieri non poterat. Tertium est recursus, quando scilicet aliquis receptator latronum est, et eis patrocinium praestat. Quartum est participatio, quando aliquis latroni se sociat ad spoliandum, et partem spoliorum accipit. Quintum est non obstans, cum scilicet ex officio obstare tenetur, ut principes terrae, qui justitiam servare debent, si non obstant cum obstare possint, ad restitutionem tenentur. In aliis autem causis enumeratis non obligatur semper quis ad restitutionem, nisi in certis casibus, quando probabiliter credit quod consilium suum fuit efficax, et quod alias injusta ablatio commissa non fuisset. Similiter etiam non omnis palpo, idest adulator ad restitutionem tenetur ; sed ille qui adulando ad auferendum incitat, dicens hoc signum strenuitatis esse. Similiter etiam mutus dicitur qui ex officio reclamare tenetur et non reclamat ; nec tunc semper tenetur ad restitutionem, nisi operetur ut fiat injusta ablatio ; sed debet inducere eum qui abstulit, ut reddat. Similiter etiam non omnis qui non manifestat, tenetur ad restitutionem ; sed ille qui pro latrocinio celat, et particeps est lucri. In omnibus autem his, si principalis restituit, alii deobligantur a debito restitutionis.

Des vers sont formulés à propos de ceux qui sont tenus de restituer : « Ordre, conseil, consentement, flatterie, recel, participant, muet, qui ne s’oppose pas, qui ne s’exprime pas. » Mais il n’y a que cinq de ces choses qui obligent toujours à une restitution. La première est le commandement, lorsque quelqu’un ordonne qu’un autre soit pillé, autrement les tyrans ne seraient pas tenus de restituer. La deuxième est le consentement à la perpétration d’un vol dans le cas où cela ne pouvait être fait sans un vol. La troisième est le recel, lorsque quelqu’un est le receleur de voleurs et leur accorde son soutien. La quatrième est la participation, lorsque quelqu’un s’associe à un voleur pour dépouiller et reçoit une partie du butin. La cinquième est le fait de celui qui ne s’oppose pas, alors qu’il est tenu de s’opposer en vertu de sa fonction, comme les dirigeants du pays, qui doivent observer la justice, s’ils ne s’opposent pas alors qu’ils peuvent s’opposer, sont tenus à la restitution. Parmi les autres causes énumérées, quelqu’un n’est pas toujours obligé de restituer, sauf dans certains cas, lorsqu’il croit de manière probable que son conseil était efficace et qu’un vol n’aurait pas été commis autrement. De même aussi, ce n’est pas toute flatterie, tout flatteur, qui est obligé de restituer, mais celui qui, en flattant, incite à voler, lorsqu’il dit que cela est un signe de courage. De même aussi, on appelle muet celui qui, en vertu de sa fonction, est tenu de protester et ne proteste pas ; mais il n’est pas toujours obligé de restituer, à moins qu’il ait agi pour qu’on prenne injustement ; mais il doit inciter celui qui a pris à rendre. De même encore, ce ne sont pas tous ceux qui ne révèlent pas qui sont tenus de restituer, mais celui qui cache en vue d’un vol et participe au gain. Dans tout cela, si celui qui agit à titre principal restitue, les autres sont dégagés de l’obligation de restituer.

[16454] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux arguments ressort ainsi clairement.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16455] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod restituere est iterato statuere aliquem in suae rei possessione ; et ideo patet quod illi qui privatus est re sua, debet fieri restitutio.

Restituer, c’est rétablir quelqu’un dans la possession de son bien. Il est donc clair que la restitution doit être faite à celui qui a été privé de son bien.

[16456] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando incertus est dominus rerum ablatarum, pauperes sunt heredes ; et ideo non deobligatur a debito restitutionis, nisi det pauperibus pro anima illius cui restitutio debebatur, adhibita tamen prius diligentia debita.

1. Lorsque le maître des choses enlevées est incertain, les pauvres en sont les héritiers. Ainsi, on n’est dégagé de l’obligation de restituer que si on les donne aux pauvres pour l’âme de celui à qui la restitution était due, après y avoir cependant mis d’abord le soin nécessaire.

[16457] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si sit res magni valoris, debet sibi transmittere, si potest commode ; nec obstat si damnum de remissione patitur, quia ipse sibi causa fuit injuste auferendo. Si autem transmittere non possit, vel res sit non magni valoris, potest eam dare propinquis illius si habet, vel alicui coenobio, si non habet propinquos, cum protestatione tali quod ei reddere teneantur, si requisiverit, vel unquam comparuerit.

2. S’il s’agit d’une chose de grande valeur, il doit la lui transmettre, s’il le peut commodément ; et cela n’a pas d’importance s’il subit un tort en la rapportant, car il en a été lui-même la cause en la prenant. Mais s’il ne peut la transmettre ou si la chose a peu de valeur, il peut la donner aux proches de celui-ci ou à un monastère, s’il n’a pas de proches, avec l'engagement qu’on sera tenu de la lui rendre, s’il la demande ou si jamais il comparaît.

[16458] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui illo modo accipit, debet pauperibus illius villae restituere, vel in alios usus communitatis illius civitatis expendere secundum arbitrium episcopi, vel illorum ad quos pertinet cura illius civitatis.

3. Celui qui a reçu de cette manière doit restituer aux pauvres de ce domaine ou le dépenser pour d’autres usages de cette ville, selon le jugement de l’évêque ou de ceux de qui relève la charge de cette ville.

[16459] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod debet fieri restitutio Ecclesiae, ut res illae deveniant ad successorem illius praelati ; quia quamvis ipse eas recipere non mereatur, Ecclesia tamen perdere eas non debet.

4. Restitution doit être faite à l’Église afin que ces biens parviennent au successeur de ce prélat, car, bien que celui-ci ne mérite pas de les recevoir, l’Église ne doit cependant pas les perdre.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’aumône]

 

 

Prooemium

Prologue

[16460] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 pr. Deinde quaeritur de eleemosyna ; et circa hoc quaeruntur sex : 1 quid sit ; 2 de effectu sive fructu ejus ; 3 de partibus ejus ; 4 de quo sit danda eleemosyna ; 5 quis possit eam dare ; 6 cui debeat dari.

Ensuite, on s’interroge sur l’aumône. À ce propos, six questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que l’aumône ? 2 – À propos de son effet ou de son fruit. 3 – À propos de ses parties. 4 – De quoi faut-il faire l’aumône ? 5 – Qui peut la faire ? 6 – À qui doit-elle être faite ?

 

 

Articulus 1 [16461] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio eleemosynae sit convenienter assignata

Article 1 – La définition de l'aumône est-elle formulée de manière appropriée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La définition que certains donnent de l'aumône est-elle formulée de manière appropriée ?]

[16462] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod definitio eleemosynae, quam quidam assignant, scilicet : eleemosyna est opus in quo datur aliquid indigenti ex compassione propter Deum, sit inconvenienter assignata. Visitare enim infirmos species eleemosynae est. Sed in hoc opere non datur aliquid. Ergo datio non debet poni in definitione eleemosynae.

[16463] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ipsum datum eleemosyna dicitur, quia dicimur eleemosynam dare. Sed ipsum datum non est opus, sed res quaedam. Ergo eleemosyna non est opus.

[16464] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in eleemosynis aliquid quandoque datur clericis praebendatis, qui tamen non indigent, sed divites sunt. Ergo non est de ratione eleemosynae quod indigenti detur.

[16465] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, opus quod fit ex electione, est magis laudabile quam opus quod fit ex passione ; quia est Deo conformius, qui nihil ex passione operatur. Sed compassio est passio quaedam ; quia nullus compatitur nisi patiatur. Ergo non est ex necessitate eleemosynae quod ex compassione detur.

[16466] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, actus non respicit speciem a fine ultimo, sed a proximo ; alias omnes actus virtutum essent unius speciei. Sed ultimum quod ponitur in definitione debet esse differentia specifica. Cum ergo Deus sit ultimus finis omnium actionum nostrarum, videtur quod non debeat poni in definitione eleemosynae quasi finalis differentia.

1. Il semble que soit formulée de manière inappropriée la définition de l’aumône donnée par certains : « L’aumône est l’acte par lequel quelque chose est donné par compassion à un indigent à cause de Dieu. » En effet, visiter les malades est une espèce d’aumône. Or, par cet acte, on ne donne rien. Le don ne doit donc pas être mis dans la définition de l’aumône.

 

2. Le don lui-même est appelé aumône, car on nous disons que nous donnons une aumône. Or, le don lui-même n’est pas un acte, mais une chose. L’aumône n’est donc pas un acte.

 

 

3. Quelque chose est parfois donné à des clercs beneficiers de prébendes sous forme d’aumônes, alors qu’ils ne sont pas indigents mais riches. Il ne fait donc pas partie de l’essence de l’aumône qu’elle soit donnée à un indigent.

 

4. Un acte qui est fait par choix est plus louable qu’un acte fait par passion, car il est plus conforme à Dieu, qui ne fait rien par passion. Or, la compassion est une passion, car personne ne compatit s’il ne souffre pas. Il n’est donc pas nécessaire que l’aumône soit donnée par compassion.

 

 

5. L’acte ne tire pas son espèce de la fin ultime, mais de la fin prochaine, autrement, tous les actes des vertus seraient d’une même espèce. Or, ce qui est mis en dernier lieu dans une définition doit être la différence spécifique. Puisque Dieu est la fin ultime de toutes nos actions, il semble donc qu’on ne doive pas le mettre comme différence finale dans la définition de l’aumône.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’aumône est-elle une partie de la satisfaction ?]

[16467] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eleemosyna non sit satisfactionis pars. Non enim est necessarium satisfacere nisi ei qui peccavit. Sed si nunquam homo peccasset, necesse haberet eleemosynas dare. Ergo non est satisfactionis pars.

1. Il semble que l’aumône ne soit pas une partie de la satisfaction. En effet, il n’est nécessaire de satisfaire que pour celui qui a péché. Or, si on n’avait jamais péché, il serait [encore] nécessaire qu’il fasse l’aumône. Elle n’est donc pas une partie de la satisfaction.

 

[16468] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, totum non potest esse perfectum, si pars ei subtrahatur. Sed potest aliquis perfecte satisfacere de aliquo peccato, etiam si nullam eleemosynam det. Ergo satisfactionis pars non est eleemosyna.

2. Un tout ne peut être parfait si une partie en est enlevé. Or, on peut parfaitement satisfaire pour un péché, même sans faire aucune aumône. L’aumône n’est donc pas une partie de la satisfaction.

[16469] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil potest esse pars totius nisi differat ab aliis ejus partibus. Sed eleemosyna non differt a jejunio et oratione secundum quod ad poenitentiam pertinet, quia hoc eis omnibus competit inquantum sunt poenalia, ut ex dictis patet. Ergo eleemosyna non est satisfactionis pars.

3. Rien ne peut être partie d’un tout, à moins d’être différent de ses autres parties. Or, l’aumône ne diffère pas du jeûne et de la prière, selon qu’elle relève de la pénitence, car cela leur convient à tous en tant qu’ils ont le caractère de peines, comme cela ressort de ce qui a été dit. L’aumône n’est donc pas une partie de la satisfaction.

[16470] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, in sacramentis necessitatis, ut in Baptismo, adhibetur remedium quod nulli possit deesse, sicut aqua. Sed poenitentia est sacramentum necessitatis, ut ex praemissis patet. Ergo, cum dare eleemosynam non possit cuilibet competere qui peccare potest, quia non est nisi possidentium aliquid ; videtur quod non debeat poni poenitentiae et satisfactionis pars.

4. Dans les sacrements nécessaires, comme dans le baptême, un remède est donné qui ne peut faire défaut à personne, telle l’eau. Or, la pénitence est un sacrement nécessaire, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. Puisque donner l’aumône ne peut convenir à tous ceux qui peuvent pécher, car ce ne peut être le fait que de ceux qui ont des biens, il semble donc qu’elle ne doive pas être mise comme partie de la pénitence et de la satisfaction.

[16471] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Luc. 3, super illud : facite fructus dignos poenitentiae, dicit Glossa Bedae quod dare eleemosynam sit pars poenitentiae. Sed non nisi ratione satisfactionis. Ergo est pars satisfactionis.

Cependant, [1] à propos de Lc 3 : Faites de dignes fruits de pénitence, une glose de Bède dit que faire l’aumône est une partie de la pénitence. Or, ce n’est qu’en raison de la satisfaction. Elle est donc une partie de la satisfaction.

[16472] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in foro saeculari non solum punitur aliquis per corporis laesionem, sed etiam per bonorum subtractionem. Sed satisfactio in foro poenitentiae fit per opera poenalia. Ergo debet non solum jejunium, quo affligitur corpus, sed etiam eleemosyna, in qua subtrahuntur res temporales, pars poenitentiae esse.

[2] Au for séculier, non seulement on est puni par une blessure corporelle, mais aussi par l’enlèvement de ses biens. Or, la satisfaction au for de la pénitence est accomplie par des actes qui ont le caractère de peines. Donc, non seulement le jeûne, par lequel le corps est affligé, mais aussi l’aumône, par laquelle des biens temporels sont soustraits, doit-elle être une partie de la pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’aumône est-elle l’acte d’une vertu ?]

[16473] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eleemosyna non sit actus virtutis. Quia 1 Timoth. 4, ubi dicitur quod pietas ad omnia valet, exponitur pro eleemosynarum largitione. Sed pietas non est virtus, sed donum. Ergo eleemosyna non est actus virtutis.

1. Il semble que l’aumône ne soit pas l’acte d’une vertu, car, en 1 Tm 4, où il est dit que la piété sert à tout, on l’explique par le don d’aumônes. Or, la piété n’est pas une vertu, mais un don. L’aumône n’est donc pas l’acte d’une vertu.

 

[16474] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nulla passio est virtus, ut philosophus probat in 2 Ethic. Sed eleemosyna ex misericordia procedit, quae passio est, ut patet per Glossam super illud Psal. 36 : tota die miseretur : eleemosyna a misericordia incipit. Ergo non est actus virtutis.

2. Aucune passion n’est une vertu, comme le montre le Philosophe dans Éthique, II. Or, l’aumône vient de la miséricorde, qui est une passion, comme cela ressort de la Glose, à propos de Ps 36 : Tout le jour, il compatit : « L’aumône commence par la compassion» Elle n’est donc pas l’acte d’une vertu.

 [16475] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nihil est in genere quod non sit in aliqua ejus specie. Sed non potest reduci, ut videtur, ad aliquam speciem virtutis : quia tantum tres virtutes inveniuntur circa exteriora bona operari, in quibus non est eleemosyna : scilicet justitia, liberalitas, magnificentia. Eleemosyna autem non est actus justitiae, quia non reddit alienum, sed dat suum : similiter nec actus liberalitatis, quia liberalitas non attendit indigentiam, quam attendit eleemosyna : similiter nec magnificentiae, quia potest esse in parvis et in magnis. Ergo non est actus virtutis.

3. Rien ne se trouve dans un genre, qui ne se trouve dans une de ses espèces. Or, il semble que [l’aumône] ne puisse être ramenée à aucune espèce de vertu, car il n’y a que trois vertus qui portent sur les biens extérieurs, parmi lesquelles ne se trouve pas l’aumône : la justice, la libéralité, la magnificence. Or, l’aumône n’est pas un acte de justice parce qu’elle ne rend pas le bien d’un autre, mais donne le sien ; elle n’est pas non plus un acte de libéralité, car la libéralité ne porte pas attention à l’indigence, à laquelle l’aumône porte attention ; de même, elle n’est pas un acte de la magnificence, car elle peut s’exercer dans les petites et dans les grandes choses. Elle n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[16476] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra est. Subvenire miseris est actus justitiae, ut patet per Augustinum, et habitum est in 3 Lib., dist. 33, quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 3. Sed subvenire miseris pertinet ad eleemosynam. Ergo eleemosyna est actus justitiae, et sic actus virtutis.

4. Venir au secours des miséreux est un acte de justice, comme cela ressort d’Augustin, et comme on l’a vu dans le livre III, d. 33, q. 2, a. 2, qa 3. Or, venir au secours des miséreux relève de l’aumône. L’aumône est donc un acte de la justice, et ainsi un acte de vertu.

[16477] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, nihil est meritorium nisi actus virtutis : quia felicitas est virtutis praemium, ut etiam philosophus dicit. Sed eleemosyna est maxime meritoria. Ergo est actus virtutis.

5. Rien n’est méritoire qui ne soit un acte de vertu, car la félicité est la récompense de la vertu, comme même le Philosophe le dit. Or, l’aumône est méritoire au plus haut point. Elle est donc un acte de vertu.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’aumône est-elle soumise à un commandement ?]

[16478] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eleemosyna non cadat in praecepto, Luc. 3, super illud : interrogaverunt eum turbae, dicit Glossa interlinealis : ex verbis Joannis terrore perculsi consilium quaerunt. Sed Joannes respondit quod intenderent eleemosynis. Ergo dare eleemosynas est consilium, et non praeceptum.

1. Il semble que l’aumône ne soit pas soumise à un commandement. À propos de Lc 3 : Les foules l’interrogeaient, la glose interlinéaire dit : « Frappés de terreur par les paroles de Jean, ils cherchent conseil. » Or, Jean ré-pondait qu’ils devaient s’adonner aux aumônes. Faire l’aumône est donc un conseil, et non un précepte.

 

[16479] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quilibet potest licite sua retinere. Sed retinendo sua non dat aliquis eleemosynam. Ergo dare eleemosynam non est in praecepto.

2. Tous peuvent garder leurs biens. Or, en gardant ses biens, on ne fait pas l’aumône. Faire l’aumône n’est donc pas l’objet d’un précepte.

[16480] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, si cadit eleemosyna sub praecepto, non cadit nisi sub praecepto negativo : quia Ambrosius dicit : pasce fame morientem : si non pavisti, occidisti. Non occidere autem est praeceptum negativum. Sed non cadit sub praecepto negativo ; alioquin homo teneretur semper eleemosynam dare : quia praecepta negativa obligant semper, et ad semper. Ergo dare eleemosynam non cadit sub aliquo praecepto.

3. Si l’aumône est soumise à un précepte, elle n’est soumise qu’à un précepte négatif, car Ambroise dit : « Nourris celui qui meurt de faim ; si tu ne l’as pas nourri, tu l’as tué. » Or, ne pas tuer est un précepte négatif. Or, [l’aumône] n’est pas soumise à un précepte négatif, autrement l’homme serait toujours obligé de faire l’aumône, car les préceptes négatifs obligent toujours et en toute occasion. Faire l’aumône n’est donc pas soumis à un précepte.

[16481] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, omne quod cadit sub praecepto, aliquo tempore obligat transgressores ad peccatom mortale. Sed hoc non est de eleemosyna : quia semper potest probabilis opinio alicui remanere, quod si ipse non subvenit, alius subvenire possit ; non enim unus posset omnibus subvenire. Ergo dare eleemosynam non cadit sub praecepto.

4. Tout ce qui est soumis à un précepte oblige parfois les transgresseurs à un péché mortel. Or, tel n’est pas le cas de l’aumône, car quelqu’un peut toujours maintenir l’opinion probable que, s’il ne secourt pas, un autre peut secourir : en effet, un seul ne pourrait secourir tous. Faire l’aumône n’est donc pas soumis à un précepte.

[16482] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Glossa Matth. 6 : te autem faciente eleemosynam : conscientiae facienti eleemosynam pro praecepto adimplendo miscet se laudis appetitus. Ergo dare eleemosynam cadit sub praecepto.

Cependant, à propos de Mt 6 : Lorsque tu fais l’aumône, la Glose dit : « Le désir de louange se mêle toujours à la conscience chez celui qui fait l’aumône pour accomplir un précepte. » Faire l’aumône est donc soumis à un précepte.

[16483] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, illud sine quo caritas esse non potest, cadit sub praecepto. Sed sine eleemosynarum largitione in aliquo casu caritas esse non potest, ut patet 1 Joan. 3, 17 : qui habuerit substantiam hujus mundi, et viderit fratrem suum necessitatem patientem, et clauserit viscera sua ab eo, quomodo caritas patris manet in ipso  ? Quasi dicat, nullo modo. Ergo dare eleemosynam cadit sub praecepto.

[2] Ce sans quoi la charité ne peut exister est soumis à un précepte. Or, sans faire l’aumône dans un cas, la charité ne peut exister, comme cela ressort de 1 Jn 3, 17 : Celui qui possède des biens de ce monde, voit son frère qui est dans le besoin et lui ferme son cœur, comment la charité du Père demeure-t-elle en lui ? Comme s’il disait : « D’aucune façon. » Faire l’aumône est donc soumis à un précepte.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16484] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod eleemosyna nomen Graecum est, eleemosyni, munus quod inopi datur ; et dicitur ab eleos, quod est miseratio, seu misericordia, quae miseriam alienam suam facit. Unde sicut homo miseriam a se expellit quantum potest, ita misericors miseriam alienam expellit ei subveniendo : quae quidem subventio fit per hoc quod ei sua bona communicat ; unde ipsa communicatio bonorum propriorum ad miserum, nomen eleemosynae accepit. Haec autem communicatio non potest esse meritoria et virtuosa, nisi quando propter Deum fit ; et ideo in definitione praedicta tanguntur omnia quae ad perfectionem eleemosynae concurrunt, secundum quod est meritoria. Ipsa enim miseria aliena, quae est misericordiae principium, tangitur in hoc quod dicit, indigenti ; misericordia autem, quae ex miseria aliena nascitur in nobis, tangitur in hoc quod dicit, ex compassione ; sed misericordiae effectus in relevando alienam miseriam quasi suam, tangitur in hoc quod dicitur, opus in quo aliquid datur : hoc enim est essentiale ipsi eleemosynae ; sed intentio directa in Deum, quae dat ei rationem merendi, tangitur in hoc quod dicitur, propter Deum.

Eleemosyna est un mot grec ; eleemosynè, est le don qui est fait à un indigent. Le mot vient d’eleos, qui veut dire compassion ou miséricorde, qui fait sienne la misère d’un autre. De même qu’un homme éloigne de lui-même la misère autant qu’il le peut, de même le miséricordieux éloigne-t-il d’un autre la misère en venant à son secours. Il apporte ce secours en lui faisant partager ses biens. Aussi le partage même de ses biens propres avec un miséreux a-t-il reçu le nom d’aumône. Or, ce partage ne peut être méritoire et vertueux que lorsqu’il est fait pour Dieu. C’est pourquoi, dans la définition précédente, est abordé tout ce qui concourt à la perfection de l’aumône et par quoi elle est méritoire. En effet, la misère d’un autre elle-même, qui est le principe de la miséricorde, est abordée lorsqu’on dit : « À l’indigent. » Mais la miséricorde, qui naît en nous à partir de la misère d’un autre, est abordée lorsqu’on dit : « Par compassion. » L’effet de la miséricorde pour secourir la misère de l’autre comme si elle était sienne est abordé lorsqu’on dit : « L’acte par lequel quelque chose est donné » : en effet, cela est essentiel à l’aumône elle-même. Mais l’intention orientée vers Dieu, qui lui donne un caractère méritoire, est proche lorsqu’on dit : « À cause de Dieu. »

 

[16485] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, secundum philosophum in 5 Ethic., quod omnia illa quorum pretium numismate potest comparari vel consuevit, potest in ratione dati et accepti venire ; et ideo illi actus qui in subventione alienae miseriae exhibentur, etiam quasi dona accipiuntur, cum sine pretio impenduntur.

1. Selon le Philosophe, dans Éthique, V, tout ce dont le prix peut être comparé à de l’argent ou qu’on a coutume d’y comparer peut être donné et reçu. Ainsi en va-t-il des actes qui viennent au secours de la misère d’un autre, même s’ils sont reçus comme des dons, puisqu’ils sont faits gratuitement.

[16486] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia habitus distinguuntur ex actibus, et actus ex objectis ; ideo quandoque nomina aequivocantur ad habitus, actus et objecta ; sicut patet de fide, quae potest significare vel habitum fidei vel actum ejus, aut ipsam rem creditam ; et similiter eleemosynae nomen aliquando significat ipsam rem datam, et sic non definitur hic ; aliquando ipsam dationem, et sic accipitur praedicta definitio.

2. Parce que les habitus se distinguent par les actes et les actes par les objets, lorsqu’un mot désigne de manière équivoque des habitus, des actes et des objets, comme cela est clair pour la foi, qui peut signifier soit l’habitus de foi, soit son acte, soit la réalité crue elle-même, pour la même raison le mot « aumône » signifie parfois la chose donnée elle-même, et ce n’est pas ce qui est défini ici ; et parfois, il désigne le don lui-même, et ainsi doit être comprise la définition donnée plus haut.

[16487] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod clericis, etiam si ipsi non indigeant, eleemosynae dantur, ut ministris pauperum, et dispensatoribus eleemosynarum ; et ideo, quod eis in eleemosynam datur, per eos pauperibus transmittitur.

3. Des aumônes sont données aux clercs, même s’ils ne sont pas dans le besoin, en tant qu’ils sont serviteurs des pauvres et dispensateurs des aumônes. C’est pourquoi ce qui est leur est donné comme aumône est transmis aux pauvres par eux.

[16488] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in 3, dist. 26, quaest. 1, art. 5, in corp., dictum est, nomina passionum sensibilium aliquando per quamdam similitudinem transferuntur ad actus voluntatis, qui sine passione sunt ; et sic compassio, quae proprie importat passionem tristitiae de aliena miseria, dicitur quandoque de ipso actu voluntatis, quo alicui displicet aliena miseria ; et sine tali compassione nunquam eleemosyna danda est : quia non subveniret aliquis miseriae alienae, nisi vellet eum non esse miserum ; et talis compassio etiam in Deo est, quia ei mala nostra ex voluntate antecedente displicent, et quandoque etiam ex consequente. Sed in nobis etiam quandoque adjungitur compassio proprie dicta, quia appetitus superior natus est appetitum inferiorem movere ; unde si sit fortis impressio in superiori, erit etiam in inferiori, nisi aliquid repugnet ; et secundum hoc misericordia et verecundia et quaedam aliae passiones laudabiles sunt, inquantum ex debita electione boni procedunt.

4. Comme on l’a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 5, c., les noms des passions sensibles sont reportées, selon une certaine ressemblance, sur les actes de la volonté, qui existent sans passion. Ainsi, la compassion, qui comporte au sens propre la passion de tristesse à propos de la misère d’un autre, désigne aussi un acte de la volonté, selon lequel la misère d’un autre déplaît à quelqu’un. L’aumône ne doit jamais être faite sans une telle compassion, car on ne viendrait pas au secours de la misère d’un autre si on ne voulait pas qu’il ne soit pas dans la misère. Une telle compassion existe aussi en Dieu, car nos maux lui dépaisent selon une volonté antécédente et parfois aussi, subséquente. Mais, chez nous, s’ajoute aussi parfois la compassion au sens propre, car il revient à l’appétit supérieur de mouvoir l’appétit inférieur. S’il existe une forte impression dans l’appétit supérieur, il y en aura aussi une dans l’appétit inférieur, à moins que quelque chose s’y oppose. Sous cet aspect, la miséricorde, la honte et certaines autres passions sont louables, pour autant qu’elles viennent du choix du bien.

[16489] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis esse propter Deum non det speciem eleemosynae quantum ad esse suum primum, tamen dat sibi ultimum complementum, secundum quod est misericordia ; et ideo ultimo in definitione ipsius ponitur.

5. Bien que le fait d’être faite à cause de Dieu ne donne pas son espèce à l’aumône pour ce qui est de son être premier, il lui donne cependant son complément ultime selon qu’elle est miséricorde. C’est pourquoi cela est mis en dernier lieu dans sa définition.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16490] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod a peccato desistere non est de essentia satisfactionis, ut ex praedictis patet, sed est ad satisfactionem praeambulum, sicut fundamentum ipsius. Unde cum aliquis peccet hoc ipso quod non facit hoc quod facere tenetur, constat quod id quod quis alias facere tenetur, non est de essentia satisfactionis, sed praeambulum ad ipsam. Unde cum ad eleemosynarum largitionem quandoque aliquis teneatur, quandoque non, ut postea patebit ; constat quod illarum eleemosynarum largitio ad quam quis tenetur, non est pars satisfactionis, sed praeambulum ad ipsam. Illae vero eleemosynae ad quas quis alias non tenetur, possunt satisfactoriae esse, cum sint opera bona et poenalia, quod exigebatur ad opus satisfactorium : punitur enim quis non solum afflictione corporis facta, sed ex subtractione rerum.

S’éloigner du péché ne fait pas partie de l’essence de la satisfaction, comme cela ressort de ce qui a été dit, mais cela est un préambule à la satisfation, comme son fondement. Aussi, lorsqu’on pèche par le fait même de ne pas faire ce qu’on est obligé de faire, il est clair que ce qu’on est obligé de faire par ailleurs ne fait pas partie de l’essence de la satisfaction, mais en est le préambule. Puisqu’on est parfois obligé de faire l’aumône et parfois non, comme cela ressortira clairement plus loin, il est donc clair que la distribution des aumônes à laquelle on est obligé n’est pas partie de la satisfaction, mais son préambule. Mais les aumônes auxquelles on n’est pas tenu peuvent être satisfactoires, puisqu’elles sont des actes bons et ont le caractère de peines, ce qui était exigé pour un acte satisfactoire : en effet, on est puni non seulement par l'affliction de son corps, mais par la soustraction de ses biens.

[16491] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. Quidam tamen dicunt, quod etiam primae satisfactoriae sunt ex largitione divinae misericordiae.

1. La solution du premier argument est claire. Cependant, certains disent que même les premières sont satisfactoires en vertu de la libéralité de la miséricorde divine.

[16492] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de parte integrali. Eleemosyna autem non est talis pars satisfactionis, sed magis subjectiva ; et ideo etiam sine ipsa satisfactio suam completam rationem habet in qualibet suarum partium per se, sicut animal in qualibet suarum specierum.

2. Ce raisonnement s’appuie sur la partie intégrale. Mais l’aumône n’est pas une telle partie de la satisfaction, mais plutôt une partie subjective. C’est pourquoi, même sans elle, la satisfaction a par elle-même son caractère propre dans chacune de ses parties, comme l’animal dans chacune de ses espèces.

[16493] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena dicitur malum inquantum subtrahit aliquod bonum, quia sic naturae nocet. Unde sicut est diversa ratio boni in divitiis, quas appetit concupiscentia carnis, et honoribus, in quos tendit superbia vitae ; ita est diversa ratio poenae in eleemosyna quae subtrahit divitias, et in jejunio quod subtrahit delicias, et in oratione, quae altitudinem superbi spiritus deprimit per humilitatem ; et propter hoc sunt diversae partes satisfactionis. Nec differt de praedictis bonis utrum sint simpliciter bona, vel aestimata bona, quantum ad rationem poenae, sicut neque quantum ad rationem appetitus ; poena enim voluntati contrariatur, ut Anselmus dicit.

3. On dit que la peine est mauvaise pour autant qu’elle soustrait un certain bien, car elle nuit ainsi à la nature. De même que la raison de bien est différente dans les richesses, que la concupiscence de la chair désire, et dans les honneurs, vers lesquels tend l’orgueuil de la vie, de même la raison de peine est différente dans l’aumône, qui soustrait des richesses, dans le jeûne, qui soustrait des plaisirs, et dans la prière, qui abaisse l’élévation d’esprit de l’orgueuilleux par l’humilité. Pour cette raison, ce sont des parties différentes de la satisfaction. Et cela ne fait pas de différence pour la raison de bien, dans le cas des biens en question, s’il s’agit de biens réels ou estimés, comme cela n’en fait pas pour la raison d’appétit : en effet, la peine s’oppose à la volonté, comme le dit Anselme.

[16494] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eleemosyna non tantum consistit in collatione pecuniae, sed etiam in aliis obsequiis propter Deum proximis factis, ut dictum est ; unde etsi alicui pecunia desit, non tamen facultas dandi eleemosynam deest ; et si deesset omnino facultas respectu eleemosynarum corporalium propter penuriam rerum et corporis debilitatem, non tamen deesset facultas respectu eleemosynarum spiritualium, quia posset alteri vel consulere, vel orare saltem ; et si etiam facultas omnino deesset, voluntas completa sufficeret.

4. L’aumône ne consiste pas seulement à donner de l’argent, mais aussi dans tous les autres secours rendus au prochain à cause de Dieu, comme on l’a dit. Aussi, si l’argent fait défaut à quelqu’un, la capacité de faire l’aumône ne lui fait cependant pas défaut. Et si manquait totalement la capacité pour les aumônes corporelles en raison de la pénurie de biens et de la faiblesse du corps, la capacité ne manquerait pas pour les aumônes spirituelles, car on pourrait conseiller quelqu’un ou même prier pour lui. Et même si la capacité manquait totalement, une volonté entière suffirait.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16495] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum virtus sit habitus quo dirigimur ad bene operandum, oportet quod omnis actus quod de se rectitudinem importat, ad aliquam virtutem reducatur, quamvis etiam in sui ratione non exprimat omne illud quod ad perfectionem virtutis requiritur ; sicut dare quando dandum est, dicitur esse actus liberalitatis, quamvis in hoc non exprimatur omnis debita circumstantia quae ad actum liberalitatis exigitur. Cum ergo eleemosyna, secundum quod dictum est, importet quamdam rectitudinem, quia significat dationem ordinatam ad subventionem miseriae, quod ipsum nomen declarat, cum eleemosyna ab eleos quod est miseratio, seu misericordia, dicatur, patet quod eleemosyna de se dicit virtutis actum, quamvis non exprimat omnes conditiones quae ad actum virtutis requiruntur. Dationes autem et acceptiones ordinat liberalitas ; unde oportet quod eleemosyna sit aliquo modo actus liberalitatis, cujus misericordia pars ponitur a quibusdam, ut in 3 dictum est, dist. 33, quaest. 3, art. 4 ; eo quod liberalitas conjectat bonum communiter in dationibus ; sed misericordia conjectat in eis aliquod speciale bonum, quod est relevatio miseriae aliorum ; unde eleemosyna est actus misericordiae, et per consequens liberalitatis.

Puisque la vertu est un habitus par lequel nous sommes dirigés vers le bien à accomplir, il est nécessaire que tout acte qui comporte de soi une rectitude soit ramené à une vertu, même si ne s’exprime pas dans sa raison tout ce qui requis pour la perfection de la vertu. Ainsi, donner lorsqu’il faut donner est appelé un acte de libéralité, bien que ne s’y exprime pas toutes les circonstances appropriées qui sont exigées pour un acte de libéralité. Puisque l’aumône, comme on l’a dit, comporte une certaine rectitude, par laquelle elle indique un don ordonné à secourir la misère, bien que le mot même l’exprime puisqu’on emploie eleemosyna, qui vient de eleos et signifie compassion ou miséricorde, il est clair que l’aumône exprime de soi un acte de vertu, bien qu’elle n’exprime pas toutes les conditions qui sont exigées d’un acte de vertu. Or, la libéralité ordonne les dons et les manières de recevoir, et la miséricorde est donnée par certains comme une de ses parties, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 4, du fait que la libéralité porte sur le bien d’une manière générale pour les dons. Mais la miséricorde porte sur un bien spécial parmi eux : le soulagement de la misère des autres. L’aumône est donc un acte de miséricorde et, par conséquent, de libéralité.

[16496] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pietas, secundum Augustinum, 10 de Civit. Dei, more vulgi dicitur ipsa misericordia ; et sic ad pietatem pertinere dicitur eleemosyna, et non secundum quod est donum. Qualiter autem pietas donum a misericordia differat, in Lib. 3, dist. 33, quaest. 3, art. 4, quaestiunc. 6, dictum est.

1. La miséricorde elle-même, selon Augustin, dans La cite de Dieu, X, est communément appelée la piété. Ainsi dit-on que l’aumône relève de la piété, et non selon que celle-ci  est un don. Mais on a déjà dit comment le don de piété diffère de la miséricorde dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 4, qa 6.

[16497] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod misericordia secundum quod importat compassionem tantum ad miseriam alterius, non est virtus, sed passio ; secundum autem quod importat electionem compatientis, secundum hoc virtus est.

2. La miséricorde, selon qu’elle comporte seulement la compassion envers la misère d’un autre, n’est pas une vertu, mais une passion. Mais selon qu’elle comporte un choix de celui qui compatit, elle est une vertu.

[16498] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut patet, eleemosyna reducitur ad aliquam virtutem etiam a philosophis assignatam ; quia ad misericordiam immediate, et ad liberalitatem mediate. Quamvis enim liberalitas communiter non attendat indigentiam, nihil tamen prohibet aliquam liberalitatis speciem indigentiam attendere.

3. Comme cela est clair, l’aumône se ramène à un vertu qui est aussi désignée par les philosophes, car elle se ramène immédiatement à la miséricorde et, de manière médiate, à la libéralité. En effet, bien que la libéralité ne porte pas généralement sur l’indigence, rien n’empêche cependant qu’une espèce de la libéralité porte sur l’indigence.

[16499] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod subvenire miseris, ut ibidem dictum est, non est actus justitiae ratione sui, sed ratione suae partis, secundum quod liberalitas etiam ad justitiam reducitur sicut pars.

4. Secourir les miséreux, comme on le dit à cet endroit, n’est pas un acte de justice par sa nature même, mais en raison de sa partie, selon que la libéralité se ramène aussi à la justice comme une partie.

[16500] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Quintum concedimus.

5. Nous concédons le cinquième argument.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16501] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum eleemosyna sit actus virtutis, opOrtet quod aliquo modo cadat sub praecepto, quia praecepta legislatoris ad virtutem ducere intendunt, ut dicitur 2 Ethic. Reducitur autem ad hoc praeceptum : honora parentes ; honor enim ille, secundum Augustinum, ad reverentiam et subventionem in necessariis pertinet ; et nomine parentum omnis proximus intelligitur. Sed praecepta affirmativa non obligant ad semper, quamvis semper obligent ; sed obligant pro loco et tempore, et secundum alias determinatas conditiones. Cum autem usus divitiarum sit ordinatus ad subveniendum necessitatibus praesentis vitae, quae quidem subventio debet esse ordinata ; patet quod qui divitiis non utitur, ad subveniendum praesentis vitae necessitatibus, vel inordinate utitur, a virtute recedit. Ordo autem subventionis talis debet attendi quantum ad duo. Primo ex parte eorum quibus subvenitur, ut primo sibi, postea sibi conjunctis subveniat, et deinde extraneis. Secundo ex parte necessitatis talis debet esse ordo, ut prius absolutae necessitati subveniatur quam alicui necessitati conditionatae, quae est cum quis indiget aliquo ad sui status decentem conservationem ; et ideo praeceptum legis ad hoc obligat, ut illud quod superest alicui post subventionem sibi factam et sibi conjunctis (puta familiae, quam gubernare debet) respectu utriusque necessitatis, in eleemosynas expendat ad subveniendum aliis respectu utriusque dictarum necessitatum ; sicut etiam natura illud quod sibi de alimento superfluit ab actu nutritivae, in quo attenditur quasi necessitas absoluta, et actu augmentativae, in quo attenditur quasi necessitas conditionata, praeparat ad conservationem speciei, generativae virtuti subministrans. Et similiter praeceptum legis obligat, quod etiam necessitati extraneorum absolutae primo subveniatur quam necessitati propriae vel propinquorum conditionatae ; et ideo dicitur communiter, quod dare eleemosynam de superfluo, cadit in praecepto ; et sic dare eleemosynam ei qui est in extrema necessitate ; dare autem de eo quod est necessarium necessitate secunda, non autem de eo quod est necessarium necessitate prima, quia hoc esset contra ordinem caritatis.

Puisque l’aumône est l’acte d’une vertu, il est nécessaire qu’elle soit d’une certaine manière soumise à un précepte, car les préceptes du législateur ont comme but de mener à la vertu, comme il est dit dans Éthique, II. Or, elle se ramène à ce précepte : Honore tes parents. En effet, selon Augustin, cet honneur consiste dans le respect et dans le secours pour les choses nécessaires, et par le mot de parents, on entend tous ceux qui sont proches. Mais les préceptes affirmatifs n’obligent pas dans tous les cas, bien qu’ils obligent toujours : ils obligent selon le lieu et le temps, et selon d’autres conditions déterminées. Mais puisque l’usage des richesses est ordonné à pourvoir aux nécessités de la vie présente et que pourvoir ainsi doit se faire de manière ordonnée, il est clair que celui qui n’utilise pas les richesses afin de pourvoir aux nécessités de la vie présente ou les utilise de manière désordonnée, s’éloigne de la vertu. Or, l’ordre dans la manière d’ainsi pourvoir doit être envisagé selon deux choses. Premièrement, du point de vue de ceux à qui l’on pourvoit, de sorte qu’on le fasse d’abord pour nous-mêmes, ensuite pour ceux qui nous sont unis, puis pour les étrangers. Deuxièmement, il doit y avoir un ordre dans cette nécessité, de sorte qu’on pourvoie plutôt au besoin absolu qu’à un besoin conditionnel, qui existe lorsque quelqu’un a besoin de quelque chose pour maintenir décemment son état. C’est pourquoi le précepte de la loi obligr à ce que ce qui reste après avoir pourvu pour nous-mêmes et pour ceux qui nous sont unis (par exemple, la famille que nous devons diriger) pour ce double besoin, on le donne en aumônes afin de subvenir aux autres pour les deux besoins indiqués. Ainsi, la nature prépare en vue de la conservation de l’espèce en pourvoyant à la puissance générative par ce qui est superflu pour elle dans les aliments utilisés par l’acte de la puissance nutritive, par lequel elle pourvoit pour ainsi dire à un besoin absolu, et par l’acte de la puissance de croissance, par lequel elle pourvoit à un besoin conditionnel. De la même manière, le précepte de la loi oblige de pourvoir d’abord au besoin absolu des étrangers, avant de pourvoir à notre propre besoin conditionnel ou à celui de nos proches. Aussi dit-on généralement que faire l’aumône de son superflu est soumis à un précepte, et ainsi faire l’aumône à celui qui se trouve dans un besoin extrême ; mais la faire à même ce qui est nécessaire de la seconde manière, et non à même ce qui est nécessaire de la première manière, car cela irait contre l’ordre de la charité.

[16502] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod facere aliquid boni, ad quod ex legis praecepto non tenemur, ad supererogationem pertinet, de qua consilia dantur ; et ideo, cum dare aliquid de superfluo respectu primae necessitatis, sed necessario secunda necessitate, ad subveniendum majori necessitati, etsi non sit necessitas absoluta, sit bonum, ad quod ex praecepto non obligamur ; ideo est supererogationis, et propter hoc de hoc est consilium ; et sic intelligitur Glossa illa.

1. Faire quelque chose de bien auquel nous ne sommes pas obligés par la loi est facultatif ; c’est pour cela que des conseils ont été donnés. C’est pourquoi, puisqu’il est bon, même si ce n’est pas absolument nécessaire, de donner quelque chose de son superflu selon la première nécessité, mais de ce qui fait partie du nécessaire selon la seconde nécessité, afin de pourvoir à un plus grand besoin, nous n’y sommes pas obligés selon un précepte. C’est pourquoi cela est facultatif et, pour cette raison, il s’agit d’un conseil. Ainsi se comprend cette glose.

[16503] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut est accipere superfluum et diminutum in datione, ita in retentione et acceptione, ut philosophus dicit in 5 Ethic. ; et ideo aliquis, retinendo sua, contra virtutem facit quandoque, et per consequens contra legem Dei, quae ad omnem virtutis actum sufficienter ordinat, quamvis non faciat contra legem saecularis fori, quae non potest perfecte ad omnes virtutes ordinare. Et praeterea, quando alius est in statu extremae necessitatis, efficiuntur sibi omnia communia ; unde etsi per violentiam vel furtum acciperet, non peccaret.

2. Le superflu et l’insuffisance dans l’acte de donner se mesurent de la même manière dans l’acte de conserver et de recevoir, comme le dit le Philosophe, dans Éthique, V. C’est pourquoi, en conservant ses biens, on agit parfois contre la vertu et, par conséquent, contre la loi de Dieu, qui ordonne d’une manière suffisant à tous les actes vertueux, bien qu’on n’agisse pas contre la loi du for séculier, qui ne peut ordonner parfaitement à toutes les vertus. De plus, lorsqu’un autre est dans un état d’extrême nécessité, toutes choses deviennent communes pour lui. S’il en prenait par la violance ou par le vol, il ne pécherait donc pas.

[16504] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eleemosyna, sicut dictum est, reducitur ad praeceptum affirmativum quod est, honora parentes. Sed cum omne praeceptum affirmativum pro tempore ad quod obligat, peccatum omissionis inducat, omne autem peccatum sub prohibitione cadat, praecepta affirmativa habent prohibitiones, sicut praecepta negativa, annexas pro illo tempore ad quod obligant ; sicut etiam quaelibet affirmatio habet negationem conjunctam ; et secundum quod illud peccatum omissionis potest esse causa vel occasio alterius peccati, secundum hoc intelligitur quod Ambrosius dicit : pasce ; si non paveris, occidisti.

3. Comme on l’a dit, l’aumône se ramène au précepte affirmatif : Honore tes parents. Mais puisque tout précepte affirmatif, pendant la période où il oblige, entraîne un péché mortel d’omission, et que tout péché est soumis à une interdiction, les préceptes affirmatifs comportent des interdictions, comme les préceptes négatifs, qui y sont jointes pour la période pendant laquelle ils obligent, de la même manière qu’une négation est associée à une affirmation. Selon que ce péché d’omission peut être la cause ou l’occasion d’un autre péché, il faut entendre ainsi ce que dit Ambroise : « Nourris. Si tu n’as pas nourri, tu as tué. »

[16505] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 1 qcm. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus ad quod obligat praeceptum de eleemosynis faciendis, accipitur ex parte accipientis, et ex parte dantis. Ex parte autem accipientis, quando apparent signa probabilia extremae necessitatis futurae, nisi ei subveniatur ; ut cum aliquis videt alios impotentes vel pigros ad subveniendum, et pauperem indigentem cibo et potu, et aliis vitae necessariis, nec sibi satisfacere posse ; non enim expectanda est ultima necessitas, quia tunc forte non posset juvari natura jam fame vel siti consumpta. Dicit enim Chrysostomus super Joannem : non oportet pauperem ululantem deceptorem vocare. Quid dicis, o homo  ? Propter unum panem deceptionem quis complicat  ? Utique, dicis. Quocirca maxime misericordiam consequatur, ut maximae necessitati eripiatur. Ex parte autem dantis, quando habet homo multa quibus non indiget neque ad sustentationem vitae sui et suorum, neque ad decentem status sui conservationem ; etsi pauperes extremae necessitatis non compareant. Neque oportet occasionem futurae necessitatis praetendere ultra probabilia signa futurae necessitatis ; quia haec est superflua solicitudo, quam dominus prohibet Matth. 6, 31 : nolite soliciti esse, dicentes : quid manducabimus, aut quid bibemus, aut quo operiemur  ? et cetera.

4. La période pendant laquelle le précepte oblige à faire l’aumône se prend du point de vue de celui qui reçoit et du point de vue de celui qui donne. Du point de vue de celui qui reçoit, lorsque des signes probables d’une extrême nécessité à venir apparaissent, si l’on ne vient pas à son secours, comme lorsque quelqu’un voit des gens impuissants ou paresseux pour secourir, et un pauvre à qui manquent la nourriture, la boisson et les autres choses nécessaires à la vie, et qu’il ne peut se suffire à lui-même. En effet, il ne faut pas attendre l’ultime nécessité, car alors la nature ne pourrait être aidée, déjà consumée qu’elle est par la faim ou la soif. Car [Jean] Chrysostome dit en commentant Jean : « Il ne faut pas dire que le pauvre qui hurle cherche à tromper. Homme, que dis-tu ? Qui s’engage dans une supercherie pour un seul pain ? Tu dis que oui. Qu’on manifeste donc la plus grande miséricorde afin qu’il soit arraché à un besoin plus grand. » Du point de vue de celui qui donne, lorsqu’on a beaucoup de biens dont on n’a besoin ni pour assurer sa vie et celle des siens, ni pour maintenir décemment son état, même si des pauvres dans l’extrême nécessité ne se présentent pas. Et il ne faut pas prétexter le cas d’un besoin à venir au-delà des signes probables de nécessité à venir, car cela est une préoccupation superflue qu’interdit le Seigneur dans Mt 6, 31 : Ne vous préoccupez pas en disant : « Qu’allons-nous manger ? » ou : « Qu’allons-nous boire ? » ou : « De quoi nous vêtirons-nous ? », etc.

 

 

Articulus 2 [16506] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 tit. Utrum eleemosyna decedentem in peccato mortali a poena infernali liberet

Article 2 – L’aumône libère-t-elle de la peine de l’enfer celui meurt dans le péché ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’aumône libère-t-elle de la peine de l’enfer celui meurt dans le péché mortel ?]

[16507] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod eleemosyna decedentem in peccato mortali a poena infernali liberet. Tobiae 4, 2 dicitur : eleemosyna ab omni peccato et a morte liberat, et non patietur animas ire in tenebras. Sed in hoc nulla esset eleemosynae commendatio, si illos a tenebris eriperet qui tenebrarum debitores non erant. Ergo et decedentes in peccato mortali, qui tenebrarum debitores sunt, a tenebris Inferni liberat.

1. Il semble que l’aumône libère de la peine de l’enfer celui qui meurt dans le péché mortel. Il est dit dans Tb 4, 2 : L’aumône libère de tout péché et de la mort, et elle ne supportera pas que les âmes s’en aillent dans les ténèbres. Or, on ne louerait pas l’aumône si elle arrachait aux ténèbres ceux qui ne devaient pas aller dans les ténèbres. Elle libère donc des ténèbres de l’enfer ceux qui meurent dans le péché mortel, qui doivent s’en aller dans les ténèbres.

 

[16508] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit, 1 Timoth. 4, super illud : pietas ad omnia valet : pietatem autem sequens, si lubricum carnis patiatur, vapulabit quidem, sed non peribit. Non autem potest intelligi de lubrico veniali, de quo quis poenitet : quia etiam sine eleemosynis per illud non periret. Ergo in peccato mortali decedentes, per eleemosynam liberantur a perditione Inferni.

2. Ambroise dit à propos de 1 Tm 4 : « La piété compte pour tout. Celui qui suit la piété, s’il est sur la pente glissante de la chair, sera atteint, mais il ne périra pas. » Or, on ne peut l’entendre de la pente glissante du péché véniel, dont on se repent, car il ne périrait pas même sans aumônes. Ceux qui meurent dans le péché mortel sont donc libérés de la perdition de l’enfer.

[16509] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nullus liberatur a poena Inferni nisi per gratiam Dei : gratia enim Dei vita aeterna est : Roman. 6. Sed ille qui decedit in peccato mortali, caret gratia. Ergo nec per eleemosynas a poena Inferni liberari potest.

Cependant, personne n’est libéré de la peine de l’enfer que par la grâce de Dieu. En effet, la vie éternelle vient de la grâce de Dieu, Rm 6. Or, la grâce fait défaut à celui qui meurt dans la péché mortel. Il ne peut donc être libéré de la peine de l’enfer, même par les aumônes.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’aumône a-t-elle une moindre valeur satisfactoire que les autres actes de satisfaction ?]

[16510] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eleemosyna sit minus satisfactoria quam alia opera satisfactionis ; Matth. 17, 20, dicitur : hoc genus Daemoniorum in nullo ejicitur nisi in jejunio et oratione ; nec fit aliqua mentio de eleemosyna. Ergo jejunium et oratio sunt efficaciora ad delendum peccatum quam eleemosyna.

1. Il semble que l’aumône ait une moindre valeur satisfactoire que les autres actes de satisfaction. Il est dit dans Mt 17, 20 : Ce genre de démons n’est chassé que par le jeûne et la prière, et il n’est fait aucune mention de l’aumône. Le jeûne et la prière sont donc plus efficaces que l’aumône pour détruire le péché.

 

[16511] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, satisfactionis opus oportet esse poenale et Deo acceptum. Sed jejunium est magis poenale quam eleemosyna, et oratio est opus magis Deo acceptum quam eleemosyna, inquantum majorem familiaritatem cum Deo conquirit. Ergo eleemosyna est minus satisfactoria quam jejunium et oratio.

2. Il faut qu’un acte de satisfaction ait le caractère de peine et soit agréable à Dieu. Or, le jeûne a davantage le caractère de peine que l’aumône, et la prière est un acte plus agréable à Dieu que l’aumône, dans la mesure où elle recherche une plus grande familiarité avec Dieu. L’aumône est donc moins satisfactoire que le jeûne et la prière.

[16512] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Glossa dicit, 1 Timoth., 4, super illud : pietas ad omnia valet : omnis summa disciplinae Christianae est in misericordia et pietate. Sed in illo consistit summa rei quod est in re praecipuum. Ergo praecipuum inter alia satisfactionis opera est eleemosyna.

Cependant, la Glose dit, à propos de 1 Tm 4 : La piété compte pour tout  : « La somme de la discipline chrétienne se ramène tout entière à la miséricorde et à la piété. » Or, la somme d’une chose est ce qui est principal en elle. L’aumône est donc principale parmi les autres actes satisfactoires.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La puissance de l’aumône consiste-t-elle davantage dans le don extérieur que dans le sentiment intérieur ?]

[16513] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtus eleemosynae magis consistat in dato exteriori quam in affectu interiori. Ut enim dicitur communiter in suffragiis mortuorum, citius liberantur pro quibus dantur plura, etiam si pro alio bona voluntas impendatur. Ergo efficacia eleemosynae magis consistit in dato quam in affectu.

1. Il semble que la puissance de l’aumône consiste davantage dans le don extérieur que dans le sentiment intérieur. En effet, comme on le dit communément lors des suffrages pour les morts, ceux pour lesquels davantage est donné sont libérés plus rapidement, même si la volonté bonne est mise en œuvre pour un autre. L’efficacité de l’aumône consiste donc davantage dans le don que dans le sentiment.

[16514] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, efficacia eleemosynae est in expiando peccatum. Sed ubi est majus datum, majus peccatum expiatur : quia pro majori peccato major summa pecuniae in eleemosynis dandae injungitur. Ergo efficacia eleemosynae praecipue consistit in dato.

2. L’efficacité de l’aumône consiste à expier le péché. Or, plus le don est grand, plus grand est le péché expié, car, pour un péché plus grand, on impose de donner une plus grande somme d’argent en aumône. L’efficacité de l’aumône consite donc principalement dans le don.

[16515] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, super illud Psalm. 75 : qui seminant in lacrymis etc., dicit Glossa : magna voluntas multum dedit, multum seminavit : in hac voluntate illa vidua quae duo minuta misit, non parum seminavit. Ergo efficacia eleemosynae magis pensatur ex magnitudine voluntatis quam ex magnitudine dati.

Cependant, à propos de Ps 75 : Celui qui sème dans les larmes, etc., la Glose dit : « Une grande volonté a donné beaucoup, a beaucoup semé : par une telle volonté, cette veuve, qui a donné deux petites choses, n’a pas peu semé. » L’efficacité de l’aumône est donc davantage évaluée selon la grandeur de la volonté que selon la grandeur du don.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16516] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod causa poenae infernalis est culpa mortalis. Manente autem causa, manet effectus. Unde, cum ab eo qui in peccato mortali moritur, non possit ulterius culpa mortalis tolli, sicut nec a Daemonibus ; quia, ut dicit Damascenus, quod est hominibus mors, est Daemonibus casus ; patet quod neque eleemosyna ab eo prius facta, neque post mortem ejus facta ab alio, potest eum qui in peccato mortali decedit, a poena Inferni liberare.

La cause de la peine de l’enfer est la faute mortelle. Or, aussi longtemps que demeure la cause, l’effet demeure. Puisque qu’une faute mortelle ne peut plus être enlevée de celui qui meurt dans le péché mortel, comme elle ne le peut pas des démons (car, ainsi que le dit [Jean]Damascèene, « ce qu’est la mort pour les hommes, la chute l’est pour les démons »), il est clair que ni l’aumône faite par lui antérieurement, ni celle faite par un autre après sa mort ne peuvent libérer de la peine de l’enfer celui qui est mort dans le péché mortel.

 

 

[16517] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eo modo quo aliquis liberatur a peccato mortali per eleemosynam, liberatur ab infernalibus tenebris. Liberat autem eleemosyna a peccato mortali hominem adhuc in statu viae existentem, dupliciter : vel impediendo futurum peccatum, sicut et alia opera meritoria, quae hominem in gratia confirmant ; vel a praeterito liberando, inquantum disponit eum qui in peccatum incidit, ad gratiam recuperandam, sicut et alia opera de genere bonorum recta intentione facta.

1. On est délivré des ténèbres de l’enfer de la même manière dont on est délivré du péché mortel. Or, l’aumône délivre l’homme du péché mortel, alors qu’il se trouve encore en route, de deux manières : soit en empêchant un péché futur, comme les autres actes méritoires qui confirment l’homme dans la grâce ; soit en le délivrant d’un péché passé, pour autant qu’elle dispose celui qui est tombé dans le péché à retrouver la grâce, comme les autres actes qui se trouvent dans le genre des [actions] bonnes accomplies avec une intention droite.

[16518] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intelligitur de lubrico mortali. Quod autem dicitur : non peribit, non est secundum necessitatem intelligendum, sed secundum quamdam dispositionem ; quia per hoc quod operibus pietatis aliquis vacat in peccato mortali existens, disponit se ad gratiam, ut non facile permittatur in perditionem ire. Vel si intelligatur de veniali, efficacia eleemosynae in hoc ostenditur, quod poena vapulationis diminuitur per eam ; vel per ipsam veniale impeditur, ne in mortale trahere possit.

2. Cela s’entend d’un penchant mortel. Lorsqu’on dit : Il ne périra pas, il ne faut pas l’entendre nécessairement, mais selon une certaine disposition, car, par le fait que quelqu’un s’adonne à des actes de piété, alors qu’il se trouve dans le péché mortel, il se dispose à la grâce, de sorte qu’il ne lui soit pas permis d’aller facilement à la perdition. Ou bien, si on l’entend du péché véniel, l’efficacité de l’aumône est montrée par le fait que la peine du châtiment est diminuée par elle, ou le péché véniel est empêché par elle, de sorte qu’il ne soit pas attiré vers le péché mortel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16519] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod efficacia satisfactionis invenitur in tribus satisfactionis partibus, sicut virtus totius potentialis in partibus ejus, quae quidem complete in una invenitur, et in aliis diminute : sicut tota virtus animae invenitur in rationali ; sed in sensibili anima invenitur diminute, et adhuc magis diminute in vegetabili : quia anima sensibilis includit in se virtutem animae vegetabilis, et non convertitur. Eleemosyna enim includit in se virtutem orationis et jejunii duplici ratione. Primo, quia eleemosyna eum constituit cui datur debitorem ad orandum et jejunandum, et alia bona quae potest faciendum pro eo qui dedit. Secundo, quia eleemosyna propter Deum data, est quasi quaedam oblatio Deo facta ; unde philosophus etiam dicit in 1 Ethic., quod bona opera habent aliquid simile Deo sacratis ; oblatio autem ipsi Deo facta vim orationis habet. Et similiter inquantum bona exteriora ad corporis conservationem ordinantur, subtractio exteriorum bonorum per eleemosynam quasi virtute continet jejunium, quo maceratur corpus. Similiter etiam oratio virtute continet jejunium, quia extensio intellectus ad Deum debilitatem corporis parit, ut dictum est. Unde eleemosyna completius habet vim satisfactionis quam oratio, et oratio quam jejunium ; et ideo dicitur 1 Timoth. 4, 8 : corporalis exercitatio ad modicum utilis est. Et propter hoc eleemosyna magis indicitur ut universalis medicina peccati, quam oratio, sicut Luc. 11, 41 : date eleemosynam, et omnia munda sunt vobis ; et Dan. 4, 24 : peccata tua eleemosynis redime ; et Tobiae 4, 2 : eleemosyna ab omni peccato liberat ; et 1 Timoth. 4, 8 : pietas ad omnia valet.

L’efficacité de la satisfaction se trouve dans les trois parties de la satisfaction, comme la puissance d’un tout potentiel se trouve dans ses parties, laquelle se trouve entièrement dans l’une et de manière réduite dans les autres. Ainsi, toute la puissance de l’âme se trouve dans la partie raisonnable, mais de manière réduite dans l’âme sensible et de manière encore plus réduite dans la partie végétative, car l’âme sensible renferme en elle-même la puissance de l’âme végétative, mais non l’inverse. En effet, l’aumône renferme en elle-même la puissance de la prière et du jeûne pour une double raison. Premièrement, parce que l’aumône fait de celui à qui elle est faite un débiteur pour la prière, le jeûne et les autres actes bons qu’il peut faire pour celui qui l’a faite. Deuxièmement, parce que l’aumône faite à cause de Dieu est pour ainsi dire une offrande faite à Dieu. Aussi, même le Philosophe dit, dans Éthique, I, que les actes bons ressemblent de quelque manière à ce qui est consacré à Dieu. Or, l’offrande faite à Dieu a la puissance de la prière. De même aussi, pour autant que les biens extérieurs sont ordonnés à la conservation du corps, une soustraction de par l’aumône contient en puissance le jeûne, par lequel le corps est affaibli. De même encore, la prière contient en puissance le jeûne, car le fait de tendre vers Dieu par l’intelligence engendre la faiblesse du corps, comme on l’a dit. Aussi l’aumône a-t-elle une plus grande puissance satisfactoire que la prière, et la prière que le jeûne. C’est pourquoi il est dit en 1 Tm 4, 8 : Les exercices corporels sont de peu d’utilité. Pour cette raison, l’aumône est davantage indiquée que la prière comme remède universel pour le péché, comme le disent Lc 11, 41 : Faites l’aumône, et tout sera pur pour vous ; Dn 4, 24 : Rachète tes péchés par des aumônes ; et 1 Tm 4, 8 : La piété a une valeur universelle.

[16520] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod satisfactio est medicina et praeservans a peccato futuro, et expians a praeterito. Et quamvis eleemosyna habeat vim expiandi quodcumque peccatum praeteritum, non tamen habet omnem vim praeservandi a futuro peccato : quia oatio et jejunium praeservant a quibusdam peccatis non solum per modum meriti, quod etiam eleemosyna facit, sed per modum contrariae assuetudinis ; et sic ibidem dicit Glossa quod jejunio sanantur corporis pestes, sed oratione pestes mentis ; et secundum hoc intelligitur quod aliqua peccata tantum jejunio vel oratione sanantur.

1. La satisfaction est un remède qui préserve du péché futur et qui expie le péché passé. Bien que l’aumône ait la capacité d’expier tous les péchés passés, elle n’a cependant pas la capacité de préserver du péché futur, car la prière et le jeûne préservent de certains péchés non seulement par mode de mérite, ce que fait aussi l’aumône, mais par mode d’habitude contraire. Ainsi, la Glose dit-elle au même endroit que, par le jeûne, la contagion du corps est guérie, mais par la prière, la contagion de l’âme. Ainsi entend-on que certains péchés ne sont guéris que par le jeûne ou la prière.

[16521] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis poena in satisfactione requiratur, tamen principalius est in ea bonitas actus quam poenalitas. Et quia eleemosyna plus habet de ratione boni quam jejunium, inquantum immediatius se ad caritatem habet, et inquantum non est singulare bonum facientis, sed commune facienti et patienti ; eleemosyna plus erit satisfactoria quam jejunium, similiter et quam oratio ; quamvis hominem magis familiarem Deo reddat quam eleemosyna, sicut contemplativa plus quam activa ; tamen intercessorum per eleemosynam multiplicatio plus valet ad impetrandum peccatorum remissionem quam singularis unius hominis oratio.

2. Bien qu’une peine soit exigée pour la satisfaction, ce qu’il y a de principal en elle est la bonté de l’acte plus que le caractère de peine. Et parce que l’aumône a davantage le caractère de bien que le jeûne, dans la mesure où elle a un rapport plus étroit avec la charité et où elle ne se limite pas à celui qui fait le bien, mais est commune à celui qui le fait et à celui qui en bénéficie, l’aumône sera plus satisfactoire que le jeûne, de la même manière que la prière, bien que celle-ci rapproche davantage l’homme de Dieu que l’aumône, comme la vie contemplative le fait davantage que la vie active. Cependant, la multiplication des intercesseurs par l’aumône a plus de valeur pour obtenir la rémission des péchés que la prière d’un seul homme en particulier.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16522] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod eleemosyna, ut ex dictis patet, habet efficaciam et ex ipso faciente, inquantum est quoddam opus meritorium, et ex recipiente, inquantum obligatur ad orandum pro illo qui eleemosynam dedit. Si ergo consideratur eleemosynae efficacia ex parte recipientis, sic major efficacia in majori dato consistit, inquantum per hoc plures et magis debitores efficiuntur ; ex parte autem dantis et respectu praemii essentialis, efficacia eleemosynae magis pensatur ex affectu quam ex dato ; sed respectu praemii accidentalis, ut puta remissionis poenae, vel alicujus hujusmodi, magnificatur efficacia eleemosynae ex magnitudine dati, nisi ex parte altera intentio voluntatis magnitudini exterioris dati praeponderet. Potest enim tam intensa esse voluntas quod etiam omnem poenam absorbeat et reatum, sicut de contritione dicitur.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’aumône tire son efficacité de celui qui la fait, pour autant qu’elle est un acte méritoire, et de celui qui la reçoit, pour autant qu’il est obligé de prier pour celui qui a fait l’aumône. Si donc on envisage l’efficacité de l’aumône du point de vue de celui qui la reçoit, l’efficacité est d’autant plus grande que le don est grand, dans la mesure où les débiteurs deviennent ainsi plus nombreux et doivent davantage. Mais, du point de vue de celui qui donne et par rapport à la récompense essentielle, l’efficacité de l’aumône se mesure davantage au sentiment plutôt qu’au don ; mais, par rapport à la récompense accidentelle, par exemple, pour la rémission d’une peine ou quelque chose du genre, l’efficacité de l’aumône s’accroît à la mesure de la grandeur du don, à moins que, d’un autre côté, l’intention de la volonté ne l’emporte sur la grandeur du don extérieur. En effet, la volonté peut être tellement intense qu’elle absorbe toute peine et toute faute, comme on le dit de la contrition.

 

[16523] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 3 [16524] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 tit. Utrum superflue assignentur eleemosynae corporales septem

Article 3 – Les sept aumônes corporelles sont-elles énumérées de manière superflue ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les sept aumônes corporelles sont-elles énumérées de manière superflue ?]

[16525] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod superflue assignentur eleemosynae corporales septem, quae hoc versu continentur : visito, poto, cibo, redimo, tego, colligo, condo. Visito, scilicet infirmum ; poto, scilicet sitientem ; cibo, scilicet esurientem ; redimo, scilicet incarceratum ; tego, idest vestio nudum ; colligo, idest recolligo hospitem ; condo, idest sepelio mortuum. Omnis enim eleemosyna ad utilitatem ejus cui datur, debet ordinari. Sed sepultura non est ad utilitatem mortui, ut Seneca dicit. Ergo non fit eleemosyna in hoc quod mortuus sepeliatur.

1. Il semble que les sept aumônes corporelles soient énumérées de manière superflue ; elles sont contenues dans ce vers : « Je visite, je donne à boire, je donne à manger, je rachète, je vêts, je recueille, j’ensevelis. » Je visite celui qui est malade ; je donne à boire à celui qui a soif ; je donne à manger à celui qui a faim ; je vêts celui qui est nu ; je rachète celui qui est en prison ; je recueille l’hôte ; j’ensevelis celui qui est mort. En effet, toute aumône doit être ordonnée au bien de celui à qui elle est faite. Or, la sépulture n’existe pas pour l’utilité de celui qui est mort, comme le dit Sénèque. L’aumône n’est donc pas faite pour qu’un mort soit enseveli.

 

[16526] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, dominus, Matth. 25, maxime opera commemorat quibus homo a damnatione liberatur, et regnum meretur. Sed ibi non computatur mortui sepultura. Ergo non est aliqua eleemosyna.

2. En Mt 25, le Seigneur rappelle surtout les actes par lesquels l’homme est délivré de la damnation et mérite le royaume. Or, à cet endroit, la sépulture des morts n’est pas mentionnée. Elle n’est donc pas une aumône.

[16527] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, eleemosyna datur ad subveniendum necessitatibus aliorum. Sed quaedam vestes non sunt ad necessitatem, sed ornatum ; et quidam cibi et potus non sunt ad necessitatem, sed ad delectationem. Ergo non videtur quod semper vestire nudum et cibare esurientem sit pars eleemosynae.

3. L’aumône est faite pour les besoins des autres. Or, certains vêtements n’ont pas comme fin un besoin, mais la parure ; et certaines nourritures et boissons n’ont pas comme fin un besoin, mais un plaisir. Il ne semble donc pas que vêtir celui qui est nu et nourrir celui qui a faim fassent toujours partie de l’aumône.

[16528] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Sed contra, multae aliae sunt necessitates humanae vitae quam praedictae, sicut caecus indiget ductione, claudus vectione. Cum ergo eleemosyna ad omnes necessitates ordinetur, videtur quod insufficienter eleemosynae praedictae numerentur.

4. Il existe beaucoup d’autres besoins de la vie humaine que ceux qui ont été mentionnés, comme l’aveugle a besoin d’être guidé, le boiteux, d’être porté. Puisque l’aumône est ordonnée à tous les besoins, il semble donc que les aumônes mentionnées sont énumérées de manière insuffisante.

[16529] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, inter omnes necessitates principalis est paupertas. Sed de hac non fit aliqua mentio. Ergo insufficienter eleemosynae praedictae numerantur.

5. Parmi tous les besoins, la pauvreté est le principal. Or, il n’est pas fait mention d’elle. Les aumônes mentionnées sont donc énumérées de manière insuffisante.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les aumônes spirituelles sont-elles énumérées de manière appropriée ?]

[16530] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam eleemosynae spirituales inconvenienter numerentur, quae hoc versu continentur : consule, castiga, solare, remitte, fer, ora. Consule, idest doce ignorantem, et dirige dubitantem ; intelligitur enim in hoc duplex eleemosyna, spiritualis scilicet doctrina, et consilium ; castiga delinquentem ; solare, idest consolare tristem ; remitte delinquentibus in te ; fer, idest porta infirmitates aliorum, et gravamina ; ora pro omnibus. Eleemosyna cadit sub praecepto, et obligat ad tempus determinatum, ut praedictum est. Sed non est tempus docendi nisi quando aliquis ignorans occurrit. Si ergo eleemosynae pars sit doctrina, videtur quod quandocumque homo videat aliquem ignorantem, debeat eum docere.

1. Il semble que les aumônes spirituelles aussi sont énumérées de manière inappropriée. Elles sont contenues dans ce vers : « Conseille, corrige, console, remets, porte, prie. » Conseille : enseigne à celui qui est ignorant et oriente celui qui doute ; en effet, on entend ainsi une double aumône : l’enseignement et le conseil spirituels. Corrige celui qui est en faute. Console celui qui est triste. Remets à ceux qui sont en faute contre toi. Porte : supporte les faiblesses et les griefs des autres. Prie pour tous. L’aumône est soumise à un précepte et oblige pour un temps déterminé, comme on l’a dit plus haut. Or, ce n’est le moment d’enseigner que lorsque quelqu’un est ignorant. Si donc l’enseignement est une partie de l’aumône, il semble que chaque fois que l’on voit un ignorant, on doive lui enseigner.

[16531] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque determinat aliquam quaestionem, docet quaerentem. Sed ille qui dat consilium, quaestionem determinat ; quia consilium quaestio est, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo non debet alia eleemosyna poni consilium quam doctrina.

2. Quiconque détermine d’une question enseigne à celui qui pose une question. Or, celui qui donne un conseil détermine d’une question, car le conseil est une question, comme il est dit dans Éthique, III. On ne doit donc pas présenter le conseil comme une autre aumône que l’enseignement.

[16532] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, eleemosyna ad liberalitatem reducitur, ut dictum est. Sed severitas contra liberalitatem dividitur, ut in 3 Lib., dist. 33, qu. 3, art. 4, dictum est de partibus justitiae. Ergo cum castigare delinquentem pertineat ad severitatem, non videtur quod debeat inter eleemosynas poni.

3. L’aumône se ramène à la libéralité, comme on l’a dit. Or, la sévérité s’oppose à la libéralité, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 4, à propos des parties de la justice. Puisque corriger celui qui est en faute relève de la justice, il ne semble donc pas que cela doive être mis parmi les aumônes.

[16533] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, eleemosyna non computatur inter partes caritatis, sed inter partes justitiae, cum sit opus satisfactorium. Cum ergo remittere delinquenti et ferre molestias aliorum sit caritatis perfectae, videtur quod non sint partes eleemosynae, quae est actus misericordiae.

4. L’aumône n’est pas énumérée parmi les parties de la charité, mais parmi les parties de la justice, puisqu’elle est un acte satisfactoire. Puisque remettre à celui qui est en faute et supporter les désagréments des autres relèvent d’une charité parfaite, il semble donc que ce ne soient pas des parties de l’aumône, qui est un acte de miséricorde.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les aumônes corporelles l’emportent-elles sur les aumônes spirituelles ?]

[16534] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod eleemosynae corporales praeemineant spiritualibus. Eleemosyna enim ordinatur ad subveniendum indigentiae. Sed magis indiget corpus quam spiritus. Ergo potior est eleemosyna corporalis quam spiritualis.

1. Il semble que les aumônes corporelles l’emportent sur les aumônes spirituelles. En effet, l’aumône est ordonnée à secourir l’indigence. Or, le corps est plus indigent que l’esprit. L’aumône corporelle l’emporte donc sur l’aumône spirituelle.

[16535] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto minus recompensatur eleemosyna danti, tanto eleemosyna est acceptior ; unde dicitur Matth. 5, 5, quia receperunt mercedem suam qui laudem suam per eleemosynas quaerunt. Sed in corporalibus eleemosynis minor fit recompensatio, quia bona spiritualia aliis communicata in possidente crescunt. Ergo eleemosynae corporales sunt potiores.

2. Moins celui qui fait l’aumône est récompensé, plus l’aumône est agréable [à Dieu]. Aussi est-il dit en Mt 5, 5, que ceux qui cherchent à être louangés pour leurs aumônes ont reçu leur récompense. Or, la récompense pour les aumônes corporelles est moindre, car les biens spirituels communiqués à d’autres augmentent chez celui qui les possèdent. Les aumônes corporelles l’emportent donc sur les aumônes corporelles.

[16536] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quanto eleemosyna magis satisfacit desiderio pauperis, tanto gratior est. Sed magis satisfit desiderio recipientis per eleemosynas corporales quam spirituales ; quia defectus corporales magis sentiuntur. Ergo eleemosyna corporalis potior est.

3. Plus une aumône répond au désir d’un pauvre, mieux elle est acceptée. Or, on répond davantage au désir de celui qui reçoit par des aumônes corporelles que par des aumônes spirituelles, car les carences corporelles sont davantage ressenties. L’aumône corporelle est donc meilleure.

[16537] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia per eleemosynas spirituales subvenitur spiritui, per corporales autem corpori. Sed spiritus praeeminet corpori. Ergo et eleemosyna spiritualis corporali.

Cependant, [1] on vient au secours de l’esprit par les aumônes spirituelles, mais du corps par les aumônes corporelles. Or, l’esprit l’emporte sur le corps. L’aumône spirituelle l’emporte donc sur l’aumône corporelle.

[16538] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto est nobilius datum, tanto est nobilior eleemosyna, sicut etiam in eleemosynis corporalibus patet. Sed bonum spirituale, quod in eleemosynis spiritualibus datur, est melius quam corporale, quod datur in corporibus. Ergo eleemosynae spirituales sunt potiores corporalibus.

[2] Plus le don est noble, plus noble est l’aumône, comme cela ressort aussi clairement dans les aumônes corporelles. Or, le bien spirituel, qui est donné par les aumônes spirituelles, est meilleur que le bien corporel, qui est donné par les aumônes corporelles. 

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16539] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod eleemosyna corporalis ordinatur ad subveniendum necessitati corporis ; quae quidem est duplex ; scilicet communis, et specialis ratione alicujus accidentis. Communis quidem necessitas corporis est duplex ; una ex hoc quod jam mortem incurrit, et ad hoc ordinatur sepultura mortui ; alia secundum quod est nobis necessarium aliquid praeservans a morte, ne eam aliquis incurrat ; et hoc dupliciter. Uno modo prohibens corruptivum interius, quod est defectio nutrimenti ; et contra hoc ordinatur cibatio esurientis, et potatio sitientis, secundum quod his duobus indigetur ad nutrimentum. Alio modo prohibens corruptivum exterius ; et ad hoc etiam ordinatur duplex eleemosyna, scilicet tegere nudum, et colligere hospitem in domo ; quia his duobus contra aeris intemperiem indigemus, scilicet veste, et domo. Similiter etiam necessitas specialis potest esse duplex ; vel ex causa intrinseca, sicut infirmitas ; et contra hanc ordinatur visitatio infirmorum ; vel ex causa extrinseca, sicut detentio incarceratorum ; et contra hoc ordinatur redemptio captivorum.

L’aumône corporelle est ordonnée à subvenir aux besoins du corps, qui sont doubles : communs et particuliers, en raison d’un accident. Les besoins communs du corps sont aussi doubles : l’un vient du fait qu’il a déjà encouru la mort : la sépulture d’un mort est ordonné à cela ; l’autre, parce que quelque chose qui préserve de la mort nous est nécessaire, afin qu’on ne l’encoure pas. D’une manière, en empêchant ce qui corrompt [le corps] de l’intérieur, le manque de nourriture : contre cela est ordonné le fait de nourrir celui qui a faim et de donner à boire à celui qui a soif, selon que ces deux choses sont nécessaires pour se nourrir. D’une autre manière, en empêchant ce qui corrompt de l’extérieur. À cela, une double aumône est ordonnée : vêtir celui qui est nu et recueillir l’hôte dans sa maison, car nous avons besoin de ces deux choses contre les intempéries : le vêtement et une demeure. De même, le besoin particulier peut être double. Il vient soit d’une cause intrinsèque, comme la maladie : la visite des malades est ordonnée contre celle-ci ; soit d’une cause extrinsèeque, comme la détention de ceux qui sont en prison : le rachat des captifs est ordonné contre cela.

[16540] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sepultura non prosit mortuo secundum se corporaliter, prodest tamen ei secundum quod in memoriis hominum remanet ; tum quia in confusionem mortui reputatur quod insepultus jacet ; tum quia ex ipso tumulo magis in memoria manet, et aliqui ad orandum pro ipso excitantur ; unde monumentum dicitur a memoria, ut Augustinus dicit in littera de cura pro mortuis agenda.

1. Bien que la sépulture ne soit pas utile corporellement au mort lui-même, elle lui est cependant utile selon qu’il demeure dans les mémoires des hommes, aussi bien parce que le fait de demeurer sans sépulture est considéré comme une honte pour celui qui est mort, que parce que, par son tombeau, il reste davantage dans la mémoire et que certains sont incités à prier pour lui. Aussi « monument » vient-il de « mémoire », comme le dit Augustin dans sa lettre sur le soin qu’il faut pendre des morts.

[16541] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus enumeravit illas eleemosynas in quibus major indigentia apparet, ut evidentior appareat justitia judicantis, dum hos pro eleemosynis remunerat, et illos pro omissione condemnat ; et tamen in aliis Scripturae locis talis eleemosyna commendatur, sicut patet de Tobia et de Simone Machabaeo, qui parentibus et fratribus suis sepulcra solemnia aedificaverunt, et etiam Joseph qui corpus domini sepelivit, et ex hoc laudatur ; Matth. 27.

2. Le Seigneur a énuméré les aumônes dans lesquelles une plus grande indigence apparaît, afin qu’apparaisse plus clairement la justice de celui qui juge lorsqu’il en récompense certains pour leurs aumônes et en condamne d’autres pour les avoir omises. Cependant, dans d’autres endroits de l’Écriture, une telle aumône est louangée, comme cela ressort clairement pour Tobie et pour Simon Macchabée, qui ont édifié pour leurs parents et leurs frères des sépulcres grandioses, et aussi pour Joseph, qui a enseveli le corps du Seigneur, ce pour quoi il est louangé en Mt 27.

[16542] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquando illud quod est ad delectationem vel ornatum, in necessitatem vertitur ; et hoc dupliciter ; vel propter infirmitatem, quia infirmi sunt sustentandi delicatis cibis et vestibus mollioribus, ne natura gravetur ; vel propter pristinam consuetudinem, aut etiam dignitatis statum, in quo aliquis, etiam pauper, sine confusione non potest aliis uti ; et ideo etiam Augustinus in regula his duobus generibus hominum praecipit uberius subveniendum.

3. Parfois, ce qui est destiné au plaisir ou à la parure tourne à la nécessité, et cela, de deux manières : soit en raison de la maladie, car les malades doivent être sustentés de nourritures délicates et de vêtements plus doux, de crainte que la nature ne soit accablée ; soit en raison d’une habitude antérieure ou même d’un état élevé, dans lequel, même pauvre, on ne peut sans honte utiliser d’autres choses. C’est pourquoi aussi Augustin, dans sa règle, ordonne d’accorder davantage à ces deux genres d’hommes.

[16543] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnes aliae necessitates ad aliquam istarum reducuntur. Quidquid enim ad subventionem morbi pertinet, hoc totum sub visitatione infirmi continetur.

4. Tous les autres besoins se ramèenent à l’un de ceux-ci. En effet, tout ce qui se rapporte aux soins pour la maladie est entièrement inclus dans la visite des malades.

[16544] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut nummus, eo quod est mensura quaedam, ut philosophus dicit 5 Ethic., continet omnia necessaria vitae virtute ; ita etiam paupertas continet omnes necessitates ; et ideo subvenire pauperi non est specialis eleemosyna ab aliis distincta, sed generalis, quae omnes includit.

5. De même que l’argent, qui est une certaine mesure, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V, contient en puissance tout ce qui est nécessaire à la vie, de même aussi la pauvreté contient tous les besoins. C’est pourquoi venir au secours des pauvres n’est pas une aumône particulière distincte des autres, mais une aumône générale qui les inclut toutes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16545] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum quod eleemosynae spirituales dicuntur quibus defectibus proximi in spiritualibus subvenitur : quod quidem fit dupliciter. Uno modo quando aliquis impetrat proximo subventionem a Deo, et hoc facit oratio ; alio modo quando aliquis subvenit proximo per seipsum, et hoc vel contra defectum poenae, vel contra defectum culpae. Si primo modo, hoc est dupliciter ; quia poena spiritualis vel est in intellectu secundum ignorantiam, et contra hunc defectum est doctrina respectu intellectus speculativi, et consilium respectu intellectus practici ; vel est in affectu, scilicet tristitia, et contra hunc defectum est consolatio. Si autem secundo modo, scilicet contra defectum culpae ; hoc dupliciter. Uno modo ex parte ipsius peccantis, cujus inordinationi subvenit castigatio ; alio modo ex parte alterius qui ex culpa peccantis laeditur ; et sic contra culpam est duplex remedium : scilicet remissio ex parte ejus in quem directe culpa committitur, et supportatio ex parte ejus cui peccantis societas est onerosa. Vel aliter. Defectus cui subvenitur per eleemosynas spirituales, aut est defectus poenae in intellectu practico, vel speculativo ; et sic est doctrina et consilium, ut dictum est, vel in affectu ; et sic est consolatio ; aut est defectus culpae, et sic vel in seipsum cum spe emendationis, et sic est castigatio ; aut sine spe emendationis, et sic non restat nisi per orationem divinum subsidium implorare ; vel in proximum, et sic quantum ad culpam indiget remissione ; quantum ad poenam quam infert, supportatione.

On parle d’aumônes spirituelles pour celles qui portent secours au prochain en matière spirituelle. Cela se produit de deux manières. D’une manière, lorsqu’on obtient un secours de Dieu pour le prochain : c’est ce que fait la prière. D’une autre manière, lorsqu’on vient au secours du prochain par soi-même, soit contre la carence causée par la peine, soit contre la carence causée par la faute. S’il s’agit du premier cas, cela se produit de deux manières, car la peine spirituelle se trouve soit dans l’intelligence par l’ignorance : contre cette carence existent l’enseignement pour l’intellect spéculatif et le conseil pour l’intellect pratique ; soit dans l’affectivité, à savoir, la tristesse, et contre cette carence existe la consolation. Mais s’il s’agit du second cas, à savoir, contre la carence de la faute, cela se produit de deux manières. D’une manière, du point de vue de celui-là même qui pèche, au désordre duquel la correction vient au secours ; d’une autre manière, du point de vue de l’autre qui est blessé par la faute de celui qui pèche. Ainsi, il existe un double remède contre la faute : la rémission, du point de vue de celui contre qui la faute est directement commise ; et le fait de supporter, du point de vue de celui pour qui la compagnie du pécheur est pénible. On peut aussi [aborder la question] autrement. La carence à laquelle on porte secours par des aumônes spirituelles est soit une carence due à la peine dans l’intellect pratique ou spéculatif : on a ainsi l’enseignement et le conseil, comme on l’a dit ; ou dans l’affectivité : on a ainsi la consolation. Ou bien, il s’agit d’une carence due à la faute. [L’aumône est alors faite] à soi-même avec l’espoir d’une correction : on a ainsi la punition ; ou sans espoir de correction : il ne reste alors qu’à implorer l’aide de Dieu par la prière. Ou bien, l’aumône est faite à un autre : il a ainsi besoin de la rémission pour la faute, ou d’être enduré pour la peine qu’il cause.

[16546] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dare eleemosynam corporalem non cadit sub praecepto obligante nisi ad tempus necessitatis, et ut alicui in necessariis vitae subveniatur ; ita ad doctrinam alterius non obligatur homo propter debitum officium nisi in his quae sunt de necessitate salutis, et quando non esset qui instrueret, vel quando aliquis alium errantem videret ; nisi esset alius qui ex officio id facere teneretur ; alias autem docere est consilium, et supererogatio quaedam, sicut et de eleemosynis corporalibus dictum est.

1. De même que faire l’aumône corporelle n’est soumis qu’à un précepte qui oblige à venir au secours de quelqu’un en temps de nécessité pour ce qui est nécessaire à la vie, de même, on n’est obligé à enseigner à quelqu’un en raison d’une fonction dédiée que pour ce qui est nécessaire au salut, lorsqu’il n’y a personne pour enseigner ou lorsqu’on voit quelqu’un se tromper, à moins qu’il n’y en ait un autre qui soit tenu de le faire en raison de sa fonction. Autrement, enseigner est un conseil et facultatif, comme on l’a dit pour les aumônes corporelles.

 [16547] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnis quaestio est consilium, sed quaestio quae est de rebus agendis a nobis. Et quia dubitatio sive ignorantia talis habet rationem specialem defectus, inquantum deficit scientia, quae debet esse regitiva in opere ; ideo specialis eleemosyna ponitur consilium praeter doctrinam.

2. Toute question n’est pas un conseil, mais la question qui porte sur ce que nous devons faire. Et parce qu’un tel doute ou une telle ignorance ont particulièrement le caractère d’une carence, dans la mesure où la science qui doit guider l’acte fait défaut, le conseil est présenté comme une aumône particulière en plus de l’enseignement.

[16548] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenam castigando infligere contingit dupliciter ; aut inquantum est afflictiva illius cui infertur ; et sic ad severitatem pertinet, quae aequalitatem justitiae servat, secundum quod poenam culpae recompensat ; aut secundum quod cedit in bonum ejus in quem poena infertur ; et sic largo modo ad liberalitatem reducitur, prout omne beneficium impensum quodammodo liberalitas est.

3. Infliger une peine en punissant se produit de deux manières. Soit elle est affecte celui à qui elle est infligée : elle relève ainsi de la sévérité, qui garde l’égalité de la justice en compensant la faute par la peine. Soit elle tourne au bien de celui à qui la peine est infligée : elle se ramène ainsi à la libéralité au sens large pour autant que tout bienfait accordé est d’une certaine manière libéralité.

[16549] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas est mater omnium virtutum ; et ideo non est inconveniens, si actus qui sunt aliarum virtutum quasi elicientium, sint etiam caritatis quasi imperantis.

4. La charité est la mère de toutes les vertus. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que les actes qui sont issus des autres vertus soient aussi issus de la charité en tant qu’elle [les] commande.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16550] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod eleemosyna habet efficaciam, ut dictum est, et ex parte dantis, et ex parte recipientis. Ex parte autem dantis efficacia eleemosynae pensatur per conditionem ipsius actus quo subsidium proximo confertur ; et sic, simpliciter loquendo, eleemosyna spiritualis dignior est, quia actus spirituales digniores sunt corporalibus donis. Ex parte autem recipientis potest mensurari eleemosyna dupliciter ; vel ratione boni quod confertur, et sic adhuc eleemosyna spiritualis praeeminet : vel ratione necessarii, et sic quaedam spirituales sunt quibusdam corporalibus potiores, scilicet quae contra culpam ordinantur, quibuscumque eleemosynis corporalibus : quia homo magis debet vitare culpam quam aliquem defectum corporalem, etiam mortem. Quaedam vero corporales, quae scilicet sunt ad sustentationem vitae, quibusdam eleemosynis spiritualibus magis sunt necessariae, scilicet quae sunt ad bene esse ; sed illae quae sunt ad bene esse spirituale, sunt magis necessariae illis quae sunt ad bene esse corporale. Sic ergo patet quod omnibus corporalibus eleemosynis aliquae spirituales potiores sunt, et similiter in genere loquendo de utrisque.

Comme on l’a dit, l’aumône tire son efficacité du point de vue de celui qui donne et du point de vue de celui qui reçoit. Du point de vue de celui qui donne, l’efficacité de l’aumône se mesure à la condition de l’acte même par lequel on porte secours au prochain : ainsi, à parler simplement, l’aumône spirituelle est plus digne, car les actes spirituels sont plus dignes que les dons corporels. Mais, du point de vue de celui qui reçoit, l’aumône peut se mesurer de deux manières : en raison du bien qui est donné, et ainsi, l’aumône spirituelle l’emporte encore ; en raison de ce qui est nécessaire, et ainsi, certaines aumônes spirituelles sont meilleures que certaines aumônes corporelles : celles qui sont ordonnées contre la faute l’emportent sur toutes les aumônes corporelles, car on doit davantage éviter une faute qu’une carence corporelle, même la mort. Mais certaines aumônes corporelles, celles qui visent à garder en vie, sont plus nécessaires que certaines aumônes spirituelles, celles qui visent le bien vivre ; mais celles qui visent le bien vivre spirituel sont plus nécessaires que celles qui visent le bien vivre corporel. Il est donc clair que certaines aumônes spirituelles sont meilleures que toutes les aumônes corporelles ; il en va de même pour les deux, si l’on parle d’une manière générale.

[16551] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis corpus habeat plures indigentias quam spiritus, tamen indigentiae spiritus sunt magis fugiendae quam indigentiae corporis, sicut eligibiliores sunt spirituales quam corporales divitiae.

1. Bien que les indigences du corps soient plus nombreuses que celles de l’âme, on doit cependant fuir davantage les indigences de l’esprit que les indigences du corps, de la même manière que les richesses spirituelles sont préférables aux richesses corporelles.

[16552] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod recompensatio non diminuit efficaciam eleemosynae, sed intentio recompensationis ; unde quamvis aliquis docendo ipse etiam addiscat, non tamen quandoque propter hoc facit, sed solum ut alteri subveniat. Et praeterea intentio acquirendi aliquod spirituale bonum non minuit rationem meriti : quia per ipsum Deo conjungimur, ut frequenter contingit.

2. La récompense ne diminue pas l’efficacité de l’aumône, mais l’intention d’être récompensé. Ainsi, même si on apprend aussi en enseignant, on ne le fait pas parfois dans ce but, mais seulement pour venir au secours d’un autre. De plus, l’intention d’obtenir un bien spirituel ne diminue pas le caractère méritoire, car nous sommes par lui unis à Dieu, comme cela arrive fréquemment.

[16553] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 3 qcm. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etsi minus sentiat aliquis defectus spirituales, hoc est propter defectum ejus. Non autem mensuratur eleemosyna per hoc quod acceptat qui recipit, sed secundum quod acceptare debet : alias meritum dantis ex recipientis penderet arbitrio ; quod falsum est.

3. Même si quelqu’un ressent moins les carences spirituelles, cela vient de sa propre carence. Or, on ne mesure pas l’aumône par le fait que celui qui reçoit l’accepte, mais selon qu’il doit l’accepter ; autrement, le mérite de celui qui donne dépendrait du jugement de celui qui reçoit, ce qui est faux.

 

 

Articulus 4 [16554] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 tit. Utrum de necessario sit danda eleemosyna

Article 4 – Est-il nécessaire de faire l’aumône ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il nécessaire de faire l’aumône ?]

[16555] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod de necessario non sit danda eleemosyna. Quia, ut dicit Augustinus, peccat qui praepostere agit. Sed ordo caritatis hoc exigit ut homo magis sibi quam alteri subveniat. Ergo peccat subtrahendo sibi necessarium, ut alteri conferat.

[16556] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit in 4 Ethic., quod qui dissipat substantiam suam, idest divitias, destruit seipsum ; et hoc praecipue verum est quantum ad necessaria. Sed peccat qui seipsum occidit. Ergo etiam peccat qui de necessariis sibi eleemosynam facit.

[16557] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Sed contra est quod qui omnia dat, nihil sibi retinet de necessariis. Sed dominus consulit Matth. 19, 21 : vende omnia quae habes, et da pauperibus. Ergo sine peccato potest homo de necessariis sibi eleemosynam facere.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de faire l’aumône, car, comme le dit Augustin, celui qui agit en inversant l’ordre pèche. Or, l’ordre de la charité exige qu’un homme secourt davantage lui-même qu’un autre. Il pèche donc en enlevant ce qui lui est nécessaire pour le donner à un autre.

 

 

2. Dans Éthique, IV, le Philosophe dit que celui qui disperse son propre bien, c’est-à-dire ses richesses, se détruit lui-même, et cela est surtout vrai lorsqu’il s’agit du nécessaire. Or, celui qui se tue pèche. Celui qui fait l’aumône de ce qui lui est nécessaire pèche donc.

 

3. Cependant, celui qui donne tout ne garde rien de ce qui lui est nécessaire. Or, en Mt 19, 21, le Seigneur donne un conseil : Vends tout ce qui tu possèdes, et donne-le aux pauvres. Un homme peut donc faire l’aumône de ce qui lui est nécessaire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Peut-on faire l’aumône de ce qui est mal acquis ou possédé ?]

[16558] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam de malo acquisito et possesso possit eleemosyna fieri. Luc. 16, super illud : facite vobis amicos de mammona iniquitatis, dicit Glossa : iniquitas bene dispensata in justitiam vertitur. Ergo videtur quod liceat de inique possessis eleemosynam facere.

1. Il semble qu’on puisse faire l’aumône même de ce qui est mal acquis ou possédé. À propos de Lc 16 : Faites-vous des amis avec le mauvais argent, la Glose dit : « L’iniquité bien distribuée tourne à la justice. » Il semble donc qu’il soit permis de faire l’aumône de ce qu’on possède injustement.

[16559] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ei qui est in ultima necessitate constitutus, omnibus modis subveniendum est. Sed contingit aliquem qui nihil habet nisi de injusto acquisito et detento, alium in extrema necessitate videre. Ergo debet ei eleemosynam facere ; et sic de malo acquisito et detento potest eleemosyna fieri.

2. Il faut de toutes les manières secourir celui qui est dans une nécessité extrême. Or, il arrive que quelqu’un qui ne possède rien d’autre que ce qu’il a acquis ou détenu injustement en voie un autre dans une nécessité extrême. Il doit donc lui faire l’aumône et ainsi, on peut donc faire l’aumône d’un bien mal acquis ou détenu.

[16560] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit : non est computanda eleemosyna, si pauperibus dispensetur quod ex illicitis rebus acquiritur.

Cependant, Grégoire dit : « Il ne faut pas compter comme aumône ce qui serait donné aux pauvres à partir de biens injustement acquis. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on faire l’aumône d’un gain honteusement acquis ?]

[16561] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod de turpi lucro non possit fieri eleemosyna, sicut de meretricio, et aleato, et quod per simoniam acquiritur. Quia secundum philosophum, dona habent aliquid simile Deo sacratis. Sed ex hujusmodi non licet sacrificium vel oblationem Deo offerre ; Deuter. 23, 18 : non offeres mercedem prostibuli nec pretium canis in domum Dei tui. Ergo nec eleemosynae ex hujusmodi fieri debent.

1. Il semble qu’on ne puisse pas faire l’aumône d’un bien honteusement acquis, comme celui qui est acquis par la prostitution, le jeu ou la simonie, car, selon le Philosophe, les dons ont quelque chose de semblable à ce qui est consacré à Dieu. Or, il n’est pas permis d’offrir de telles choses à Dieu en sacrifice ou en oblation, Dt 23, 19 : Tu n’offriras pas dans la maison de ton Dieu le salaire de la prostitution ni le prix d’un chien. On ne doit donc pas faire l’aumône avec ces choses.

[16562] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, aleatorum lucrum est turpe lucrum. Acceptiones enim eorum illiberales sunt, ut philosophus dicit in 4 Ethic. Sed ex aleato non potest fieri eleemosyna, ut videtur : quia tenetur ad restitutionem ejus. Ergo non potest fieri eleemosyna de turpi lucro.

2. Le gain des paris est un gain honteux : en effet, le fait de les prendre va contre la liberté, comme le dit le Philosophe en Éthique, IV. Or, on ne peut faire l’aumône d’un pari, semble-t-il, car on est tenu de le restituer. On ne peut donc pas faire l’aumône avec un gain honteux.

[16563] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit : qui habetis aliquid de malo, facite inde bonum. Ergo qui acquisivit aliquid de turpi lucro, potest illud in bonum usum eleemosynae expendere.

3. Cependant, Augustin dit : « Vous qui possédez quelque chose de mauvais, faites-en du bien. » Celui qui a acquis quelque chose par un gain honteux peut donc le dépenser pour le bon usage de l’aumône.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16564] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de rebus exterioribus dicitur nobis aliquid necessarium dupliciter. Uno modo, sine quo non potest aliquis esse et vivere. Alio modo dicitur nobis necessarium quo indigemus ad honeste vivendum, vel decenter secundum statum nostrum. Sed talis decentia non consistit in aliquo indivisibili : quia multis additis homo non excedit status sui conditionem ; multis etiam subtractis conditio sui status decenter conservatur : sed tantum posset addi, quod esset ultra conditionem status sui ; et tantum diminui, quod non servaretur honestas, vel sui status decentia ; et hoc quidem sermone determinari non potest, quia de singularibus non est judicium ; sed statur in hoc prudentiae arbitrio, et discretionis, quae docet de omnibus. Utroque autem dictorum modorum potest aliquid esse alicui necessarium dupliciter : vel ratione sui ipsius, et hoc dicitur a quibusdam necessarium individui ; vel ratione eorum quorum curam gerere debet, et hoc dicitur necessarium personae, inquantum persona ad dignitatem pertinet secundum quam alicui competit aliorum curam gerere. Illud ergo sine quo non potest esse vel vivere aliquis, vel ipse, vel illi quorum curam habet, non debet in eleemosynas expendi : hoc enim dicitur necessarium simpliciter quasi necessitate absoluta, nisi forte posset, antequam talis necessitas incumbat, per alium modum resarciri ; quia jam excideret ab hujusmodi necessitatis ratione. Similiter etiam illud quo subtracto non potest servari decentia status aliquo modo sui vel suorum, non debet aliquis in eleemosynas expendere, nisi de facile resarciri possit, aut nisi aliquis statum mutare vellet ; quia nullus debet indecenter in aliquo statu manere ; vel nisi necessitas alia praeponderet, vel alicujus personae specialis in necessitate ultima existentis, vel Ecclesiae, vel reipublicae : quia bonum gentis est divinius quam bonum unius. Illud autem quo posito vel subtracto nihilominus decentia status manet, potest in eleemosynam dari ; et de hoc est consilium, non praeceptum. Illud autem quod necessarium reputatur ad aliquid quod est ultra decentiam status, debet in eleemosynam dispensari ; et hoc cadit sub praecepto.

On dit que, parmi les choses extérieures, quelque chose nous est nécessaire de deux manières : d’une manière, sans quoi on ne peut exister et vivre ; d’une autre manière, on dit que nous est nécessaire ce dont nous avons besoin pour vivre décemment ou d’une manière qui convienne à notre état. Or, une telle convenance ne consiste pas en quelque chose d’indivisible, car on ne dépasse pas la condition de son état en ajoutant beaucoup de choses, et la condition de son état est préservée en soustrayant aussi beaucoup de choses. Mais on pourrait tant en ajouter que cela irait au-delà de la condition de son état, et tant en soustraire que la décence ou ce qui convient à son état ne serait pas préservé. Or, cela ne peut être déterminé par le discours, car le jugement ne porte pas sur les choses particulières, mais on décide en cette matière par le jugement de la prudence et de la discrétion, qui enseigne sur toutes choses. Or, quelque chose peut être nécessaire de deux manières à quelqu’un selon les deux modes dont on a parlé : soit en raison de lui-même, et cela est appelé par certains ce qui est nécessaire à un individu ; soit en raison de ceux dont il doit assurer la charge, et cela est appelé ce qui est nécessaire à un personnage, dans la mesure le personnage est en rapport avec la dignité selon laquelle il revient à quelqu’un de prendre soin des autres. Ce sans quoi quelqu’un ne peut exister ou vivre, qu’il s’agisse se soi-même ou de ceux dont on a la charge, ne doit pas être donné en aumône. En effet, cela est appelé nécessaire tout simplement comme par une nécessité absolue, à moins que, avant qu’une telle nécessité n’incombe, cela puisse être compensé d’une autre façon, car il se serait déjà séparé d’une telle nécessaité. De la même manière, ce dont la soustraction ne permettrait pas de préserver d’une certaine manière ce qui convient à son état ou à ceui des siens ne doit pas être donné en aumône, à moins que cela puisse être facilement compensé ou que quelqu’un ne veuille changer d’état, car personne ne doit demeurer dans un état d’une manière qui ne soit pas convenable, à moins qu’une autre nécessité ne l’emporte, qu’il s’agisse de celle d’une personne particulière qui se trouve dans une nécessité extrême, de l’Église ou de la communauté civile, car le bien du peuple est plus divin que le bien d’un individu. Lorsque ce qui convient à son état est assuré, ce qui y a été ajouté ou retranché peut être donné en aumône : cela est l’objet d’un conseil, et non d’un commandement. Mais ce qui est considéré comme nécessaire pour ce qui dépasse ce qui convient à son état doit être donné en aumône, et cela est soumis à un commandement.

[16565] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si aliquis necessarium, sine quo nullo modo esse vel decenter vivere possit, sibi subtraheret, et alii daret, ordinem caritatis perverteret in beneficiis observandis ; non autem si de aliis, sine quibus praedicta esse possunt, plus alteri quam sibi tribuat : quia virtuosi est de talibus bonis corporalibus plus aliis quam sibi tribuere, ut philosophus in 9 Ethic., dicit.

1. Si quelqu’un s’enlevait, pour le donner à un autre, le nécessaire sans lequel il ne peut d’aucune manière exister ou vivre décemment, il bouleverserait l’ordre de la charité pour ce qui est des bienfaits à respecter. Mais tel ne serait pas le cas s’il donne plus à un autre qu’à lui-même des autres choses sans lesquelles ce qui a été dit plus haut peut exister, car il appartient à celui qui est vertueux de donner plus de biens corporels aux autres qu’à lui-même, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX.

[16566] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod est necessarium secundum primum modum.

2. Ce raisonnement porte sur ce qui est nécessaire de la première manière.

[16567] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui omnia dimittunt propter Deum, statum vivendi mutant ; cujus status decentia potest conservari per ea quae a fidelibus et devotis vel quotidie ministrantur, vel jam ministrata sunt in possessionibus et reditibus.

3. Ceux qui abandonnent tout pour Dieu changent leur état de vie. Ce qui convient à leur état peut être maintenu par ce qui est donné quotidiennement par les fidèles et par ceux qui leur sont attachés, ou par ce qui leur a déjà été donné sous forme de propriétés et de revenus.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16568] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod illud dicitur licitum, quod nulla lege prohibetur ; unde illicite acquisitum dicitur quod contra prohibitionem legis acquiritur. Sed hoc potest esse dupliciter : quia aut lex prohibuit ipsum lucrum, vel causam lucri tantum. Si ipsum lucrum est prohibitum, tunc impossibile est quod juste detineatur. Ex hoc enim ipso efficitur aliquis injusti tituli et malae fidei possessor quod contra legem aliquid habet. Sed in talibus distinguendum est. Quia aut non transfertur dominium, sicut in rapina et furto, et tunc omnino restituere tenetur ; et ideo ex hoc non potest eleemosyna fieri : aut transfertur dominium ; et tunc vel competit repetitio ei a quo quis lucratus est secundum aliquod jus, sicut in usura accidit, in qua, ut quidam dicunt, dominium transfertur ; et tunc de hoc etiam non potest eleemosyna fieri ; aut non competit repetitio secundum turpitudinem sceleris ex parte dantis, sicut in simonia accidit ; et tunc tale acquisitum non potest juste retineri, sed debet in eleemosynas erogari. Si autem lex prohibuit actum ex quo quis lucratur, sed non lucrum supposito actu, tunc quamvis acquirendo tali actu contra legem fecerit, tamen tenendo non facit contra legem : sicut cum quis de lenocinio vel meretricio lucratur ; et ideo haec retineri possunt, et de eis eleemosyna fieri potest..

On dit qu’est permis ce qui n’est interdit par aucune loi. Aussi dit-on que quelque chose est mal acquis lorsque cela est acquis à l’encontre d’une interdiction de la loi. Mais cela peut se produire de deux manières, car soit la loi interdit le gain lui-même, soit elle interdit la cause du gain seulement. Si le gain lui-même est interdit, il est alors interdit que cela soit possédé justement. En effet, du fait même que quelqu’un est un possesseur de manière injustifiée et de mauvaise foi, il le possède à l’encontre de la loi. Mais, dans ces choses, il faut faire une distinction. Ou bien le droit de posséder n’est pas transféré, comme dans l’exaction et le vol, et alors on est tenu de restituer ; ou bien le droit de posséder est transféré, et alors la réclamation revient à celui de qui on l’a acquis selon un certain droit, comme cela se produit pour l’usure, dans laquelle, comme certains le disent, un droit de posséder est transféré. Et alors, on ne peut faire l’aumône de cela. Ou bien la réclamation ne convient pas en raison du caractère honteux du méfait de la part de celui qui donne, comme cela se produit dans la simonie : alors, ce qui a été ainsi acquis ne peut être conservé justement, mais doit être distribué en aumônes. Mais si la loi interdit l’acte par lequel quelqu’un a fait un gain, bien qu’en l’acquérant on ait agi contre la loi, on n’agit cependant pas contre la loi en le gardant, comme lorsqu’on a fait un gain par le métier d’entremetteur ou la prostitution. C’est pourquoi on peut garder ces choses et on peut en faire l’aumône.

[16569] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud intelligendum est de illis quae per illicitum actum acquisita sunt, et tamen juste possidentur. Vel aliter dicendum, quod mammona iniquitatis dicuntur divitiae etiam licite acquisitae et possessae, vel inquantum eas sola iniquitas divitias esse reputat, ut Augustinus exponit 21 de civitate Dei ; vel inquantum sunt iniquitatis occasio ; vel iniquitatis, idest inaequalitatis ; quia non aequaliter sunt hominibus distributae, bono aliquando egente, et malo superabundante.

1. Il faut l’entendre de ce qui a été acquis par un acte défendu, mais qui est cependant possédé de manière légitime. Ou il faut dire autre chose : on appelle argent inique même les richesses acquises et possédées légitimement, ou celles que seule l’iniquité considère comme richesses, comme Augustin l’explique dans La cité de Dieu, XXI. Ou bien parce qu’elles sont une occasion d’injustice. Ou bien, on parle d’iniquité, c’est-à-dire d’inégalité, car elles ne sont pas également réparties entre les hommes, alors que le bon est dans le besoin et le méchant dans la surabondance.

[16570] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tali casu, si sine periculo pauperis esse potest, debet ille qui alienum habet, significare ei cui debet ; et sive ille licentiam dederit, sive non, debet pauperi in ultima necessitate existenti providere. Nec providet sibi de alieno, quia necessitas talis omnia facit communia. Unde non tenetur ad restitutionem, nisi ille cui debet, in simili necessitate esset : quia etiam tunc teneretur sibi providere, si nihil habuisset ab eo.

2. Dans un tel cas, si cela peut se faire sans danger pour le pauvre, celui qui possède ce qui appartient à un autre doit le lui signifier. Qu’on lui en donne la permission ou non, il doit secourir celui qui se trouve dans une nécéssité extrême. Et il ne lui donne pas ce qui appartient à un autre, car une telle nécessité rend toutes choses communes. Il n’est donc pas obligé de restituer, à moins que celui envers qui il est débiteur ne soit dans une semblable nécessité, car il serait alors tenu de le secourir lui aussi, même s’il ne possédait rien qui lui appartînt.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16571] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quando lucrum ipsum est lege prohibitum, ut rapina, usura et simonia, non solum dicitur turpe lucrum, sed iniquum ; et de hoc dictum est qualiter eleemosyna fieri possit vel non possit. Sed quando actus quo quis lucratus est, lege prohibitus est, non autem ipsum lucrum, tunc vocatur turpe lucrum, sicut est in meretricio, vel in similibus ; et tunc de tali eleemosyna fieri potest, quia non tenetur ad restitutionem.

Lorsque le gain lui-même est interdit par la loi, comme dans l’exaction, l’usure et la simonie, on ne parle pas seulement d’un gain honteux, mais injuste. On a déjà dit à ce sujet comment l’aumône peut ou non en être faite. Mais lorsque l’acte par lequel on a fait un gain était interdit par la loi, mais non le gain lui-même, on parle alors de gain honteux, comme pour la prostitution et les choses semblables. Alors, on peut en faire l’aumône, car on n’est pas tenu de restituer.

 

[16572] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de tali lucro non debet fieri oblatio ad altare, praecipue manifeste, propter scandalum et reverentiam sacrorum, vel sceleris abominationem ; sed hae causae non prohibent quin ex tali eleemosyna fieri posset.

1. On ne doit pas faire d’offrande à l’autel avec un tel gain, surtout de manière manifeste, en raison du scandale et du respect pour les choses sacrées ou du caractère abominable du méfait. Mais ces raisons n’empêchent pas qu’on puisse en faire l’aumône.

[16573] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsum lucrum aleatorum est lege prohibitum. Sed in hoc distinguendum est ; quia aliquid circa ludum justum est prohibitum lege naturali aut divina, ut quod aliquis lucretur ab his qui rem suam alienare non possunt, sicut sunt minores, et furiosi, et similes ; et iterum quod aliquis alterum trahat ex cupiditate lucrandi ; sed secundum jus positivum, omne tale lucrum est interdictum. Quia autem jus positivum per dissuetudinem abrogatur, non autem jus divinum ; ideo dicendum videtur, quod si lucratus est ab eo qui non habuit potestatem alienandi, tenetur ad restitutionem ei, et sic non potest facere eleemosynam inde. Si autem lusit cum eo qui habet potestatem alienandi quae sua sunt, si tractus lusit et amisit, potest repetere ; si lucratus est, non tenetur restituere ; quia ille qui amisit, non est dignus recipere, nec potest licite retinere ; nisi jus positivum per contrariam consuetudinem esset alicubi abrogatum. Si autem alium traxerit, si amisit, non competit ei repetitio ; si autem lucratus est, tenetur ad restituendum illi a quo lucratus est, et non potest inde facere eleemosynam.

2. Le gain des paris est interdit par la loi. Mais il faut faire ici une distinction, car, à propos d’un jeu juste, quelque chose est interdite par la loi naturelle ou divine, de sorte qu’on ne puisse faire de gain de la part de ceux qui ne peuvent aliéner leurs biens, tels les mineurs, les fous et ceux qui leur ressemblent ; on ne peut aussi y entraîner un autre par la cupidité du gain, mais, selon le droit positif, tout gain de ce genre est interdit. Mais parce que le droit positif est abrogé par la désuétude, mais non le droit divin, il semble qu’on doive dire que si on a gagné de quelqu’un qui n’avait pas le pouvoir d’aliéner [ses biens], on est tenu de lui restituer ; on ne peut donc en faire l’aumône. Mais si on a joué avec quelqu’un qui a le pouvoir d’aliéner ses biens, si celui qui y a été entraîné a joué et a perdu, il peut le réclamer ; mais s’il a gagné, il n’est pas tenu de restituer, car celui qui a perdu n’est pas digne de le recevoir et il ne peut le garder légitimement, à moins que le droit positif n’ait été abrogé par une coutume contraire. Mais s’il y a entraîné un autre et s’il a perdu, la réclamation ne lui revient pas ; mais s’il a gagné, il est obligé de restituer à celui de qui il a gagné, et il ne peut en faire l’aumône.

 

 

Articulus 5

[16574] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 tit. Utrum uxOr possit de rebus mariti facere eleemosynam

Article 5 – Une épouse peut-elle faire l’aumône avec les biens de son mari ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une épouse peut-elle faire l’aumône avec les biens de son mari ?]

[16575] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod uxor possit de rebus mariti facere eleemosynam. Quia, sicut dicit Augustinus, uxor in societatem matrimonii assumitur, propter quod non de capite neque de pedibus femina formata est, sed de latere. Si ergo vir potest facere eleemosynas de rebus domus, quae sunt ei communes ratione praedictae societatis, et uxor poterit facere.

1. Il semble qu’une épouse puisse faire l’aumône avec les biens de son mari, car, comme le dit Augustin, l’épouse est entrée dans la société du mariage ; pour cette raison, la femme n’a pas été formée à partir de la tête ni des pieds, mais à partir du côté [d’Adam]. Si donc l’homme peut faire l’aumône avec les biens de sa maison, qui sont communs en raison de la société en question, l’épouse aussi pourra la faire.

 

[16576] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, de Lucia legitur, quod dabat eleemosynas ignorante sponso ; nec ex hoc reprehenditur, sed laudatur. Ergo uxor potest sine consilio mariti eleemosynas dare.

2. À propos de Lucie, on lit qu’elle faisait des aumônes à l’insu de son mari, et elle n’est pas réprimandée mais louangée à cause de cela. L’épouse peut donc faire l’aumône sans le conseil de son mari.

[16577] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 11, 3 : vir caput est mulieris. Sed membrum non potest aliquid sine capite facere. Ergo nec uxor potest sine viro eleemosynas dare.

Cependant, 1 Co 11, 3 dit : L’homme est la tête de la femme. Or, un membre ne peut faire quelque choses sans la tête. L’épouse ne peut donc pas faire l’aumône sans son mari.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le fils de la famille peut-il aussi faire l’aumône ?]

[16578] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod filius familias possit etiam dare. Quia quilibet quod suum est, potest alteri dare. Sed res paternae sunt filii familias, quia ipse est heres. Ergo potest de his eleemosynam facere.

1. Il semble que le fils de la famille puisse aussi faire l’aumône, car chacun peut donner à un autre ce qui lui appartient. Or, les biens du père appartiennent au fils de la famille, car il en est l’héritier. Il peut donc en faire l’aumône.

[16579] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, usus divitiarum laudabilior est, si ad bonum spirituale quis magis eis utatur quam ad bonum corporale. Sed ad usum corporis sui potest filius familias rebus patrimonii sui uti. Ergo multo fortius ad bonum spirituale, quod est per eleemosynas.

2. L’usage des richesses est plus louable si quelqu’un les emploie pour un bien spirituel que pour un bien corporel. Or, un fils de famille peut utiliser pour son corps les biens de son patrimoine. À bien plus forte raison peut-il le faire pour un bien spirituel, ce qui se réalise par l’aumône.

[16580] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullus potest aliquid dare quod non est in potestate ejus. Sed patrimonium non est in potestate filiifamilias. Ergo non potest de eo dare eleemosynam.

Cependant, personne ne peut donner ce qui n’est pas en son pouvoir. Or, le patrimoine n’est pas au pouvoir du fils de la famille. Il ne peut donc pas le donner en aumône.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un serviteur ou une servante peuvent-ils faire l’aumône avec les biens de leurs maîtres ?]

[16581] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod servus vel ancilla possunt facere eleemosynam de rebus dominorum. Quia de quolibet praesumendum est bonum, nisi probetur contrarium. Sed facere eleemosynam est bonum. Ergo debet praesumi quod domino suo placeat ; et ita sub spe ratihabitionis poterit eleemosynam facere.

1. Il semble qu’un serviteur ou une servante puissent faire l’aumône avec les biens de leurs maîtres, car on doit présumer le bien pour quelqu’un, à moins que le contraire ne soit démontré. Or, faire l’aumône est bon. On doit donc présumer que cela plaît à son maître. Ainsi, [le serviteur ou la servante] pourront faire l’aumône, en espérant que cela sera ratifié.

 

[16582] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, eleemosynae etiam a famulis factae valere ad salutem dominorum possunt, sicut patet in mortuorum suffragiis. Sed servus debet procurare bonum domini sui non solum corporale, sed spirituale magis. Ergo potest de rebus domini eleemosynas facere.

2. Les aumônes, même faites par des serviteurs, peuvent compter pour le salut, comme cela ressort clairement dans les suffrages pour les morts. Or, un serviteur doit assurer non seulement le bien corporel de son maître, mais davantage son bien spirituel. Il peut donc faire l’aumône avec les biens de son maître.

[16583] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus debet eleemosynam facere in alieno. Sed res dominorum non sunt servorum. Ergo servi de eis eleemosynas facere non debent.

Cependant, personne ne doit faire l’aumône avec le bien d’autrui. Or, les biens des maîtres n’appartiennent pas aux serviteurs. Les serviteurs ne peuvent donc pas en faire l’aumône.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les moines peuvent-ils faire l’aumône sans la permission de l’abbé ?]

[16584] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod monachi possint eleemosynas facere sine licentia abbatis. Unum enim bonum non praejudicat alteri. Sed religio est bonum quoddam. Ergo non praejudicat eleemosynae, quae etiam bonum quoddam est, quin eam dare possit.

1. Il semble que les moines puissent faire l’aumône sans la permission de l’abbé. En effet, un bien ne cause pas de préjudice à un autre. Or, la religion est un bien. Elle ne cause donc pas de préjudice à l’aumône, qui est aussi un bien, au point où on ne puisse la faire.

[16585] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, eleemosynae maxime in Scriptura commendantur. Si ergo monachi non possunt eleemosynas dare, tunc sunt pejoris conditionis quam alii.

2. Les aumônes sont louangées au plus haut point par l’Écriture. Si donc les moines ne peuvent faire l’aumône, ils sont donc dans une condition pire que les autres.

[16586] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, eleemosyna non est danda nisi de proprio. Sed monachus non habet proprium, prohibente paupertatis voto. Ergo monachus non potest eleemosynam dare.

Cependant, on ne doit faire l’aumône que de son bien propre. Or, le moine ne possède rien en propre puisque le vœu de pauvreté l’interdit. Le moine ne peut donc pas faire l’aumône.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16587] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in extrema necessitate existenti, quae facit omnia communia, quilibet praedictorum potest eleemosynam facere ; quia debet praesumere quod suo superiori placeat, cum ipse dare teneretur, si praesens esset ; et si etiam prohiberetur, idem dicendum videtur sicut de illicito lucro dictum est prius, ad cujus restitutionem aliquis tenetur. Alias autem de uxore distinguendum est ; quia si habet alias res praeter dotem, vel est lucrosa, tunc potest tales eleemosynas dare quae virum non depauperent, etiam non requisito assensu viri, dummodo non prohibeat ; et si etiam prohiberet verbo, posset probabiliter credere quod eam non intenderet simpliciter ab eleemosynis coercere, sed a superfluitate eleemosynarum, nisi aperte pateret ei contrarium. Si autem praedicta duo defuerint, non debet dare eleemosynas sine consensu viri, nisi aliquas eleemosynas communes et modicas, de quibus satis ei constare potest quod viro placeret, si necessitatem pauperis inspiceret.

En cas de nécessité extrême, qui rend tous les biens communs, tous ceux qui ont été mentionnés peuvent faire l’aumône, car on doit présumer qu’elle plaît à son supérieur, puisque lui-même serait tenu de la faire, s’il était présent. Et même s’il l’interdisait, il faudrait dire la même chose, comme on l’a dit plus haut à propos du gain illégitime, à la restitution duquel on est tenu. Mais, à propos de l’épouse, on doit faire une distinction, car, si elle possède des biens en plus de sa dot ou si elle a fait des gains, elle peut faire des aumônes qui n’appauvriraient pas son mari, à condition qu’il ne l’interdise pas. Et même s’il l’interdit en paroles, elle pourrait raisonnablement croire qu’il n’aurait pas l’intention de l’empêcher tout simplement, mais [de l’empêcher] de faire trop d’aumônes, à moins que le contraire ne soit évident. Si les deux conditions précédentes sont absentes, elle ne doit pas faire d’aumônes sans le consentement de son mari, si ce n’est de petites aumônes communes, par lesquelles il est assez clair qu’elle peut plaire à son mari, si elle constatait le besoin d’un pauvre.

[16588] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis uxor ad societatem assumatur, et in ipso actu matrimonii sit aequalis ; tamen in his quae ad dispositionem domus pertinent, vir caput est mulieris ; et ideo non est similis ratio de utroque.

1. Bien que l’épouse entre en société [avec son mari] et qu’elle lui soit égale dans l’acte même du mariage, pour ce qui concerne l’administration du ménage, le mari est la tête de la femme. C’est pourquoi on ne raisonne pas de la même manière pour les deux.

[16589] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beata Lucia erat adhuc sponsa tantum, nec erat matrimonium consummatum, aut ratificatum ; et ideo de consensu matris, sub cujus cura erat, poterat eleemosynam facere.

2. La bienheureuse Lucie était seulement promise en mariage et le mariage n’était pas encore consommé ou ratifié. C’est pourquoi, avec le consentement de sa mère, à la charge de laquelle elle était, elle pouvait faire l’aumône.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16590] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod filius familias non potest dare eleemosynam sine consensu parentum, nisi panem et hujusmodi, quae non inferunt sensibile damnum ; de quibus satis constare potest quod parentibus placeat.

Le fils de la famille ne peut faire l’aumône sans le consentement de ses parents, sauf s’il s’agit de pain et de choses de ce genre, qui n’entraînent pas de dommage sensible. Il est assez clair que cela plairait à ses parents.

[16591] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis filius familias sit heres, non tamen adhuc est dominus rerum ; et ideo dare non potest.

1. Bien que le fils de la famille soit l’héritier, il n’est cependant pas encore maître des biens. Il ne peut donc les donner.

[16592] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad victum corporalem tenentur ei parentes, nisi ex culpa sua remaneat ; ideo potest uti rebus parentum ad necessitatem suam, non autem aliis dare.

2. Ses parents sont obligés de lui fournir ce qui est nécessaire pour la vie de son corps, à moins qu’il ne soit de sa faute. C’est pourquoi il peut utiliser les biens de ses parents pour ses besoins, mais il ne peut les donner.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16593] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum est de servis et ancillis, et etiam de famulis, quamvis sint liberae conditionis, quod non possunt eleemosynas dare de rebus dominorum sine eorum consensu, nisi panem et hujusmodi, quae, ut dictum est, non inferunt sensibile nocumentum ; quia etsi sit dispensator rerum, non tamen ponitur dispensator quasi potestatem aliquam in re domini habens, sed quasi tractans eam ad utilitatem domini. De pretio autem sui servitii constat quod posset eleemosynam dare.

À propos des serviteurs et des servantes, et même du personnel domestique, bien qu’ils soient de condition libre, il faut dire qu’ils ne peuvent faire l’aumône des biens de leurs maîtres sans leur consentement, sauf pour le pain et les choses de ce genre, qui, comme on l’a dit, n’entraînent pas de dommage sensible, car même s’il est l’intendant des biens, il n’est cependant pas établi comme intendant pour posséder un pouvoir sur les biens de son maître, mais afin les administrer pour le bien de son maître. Mais il est clair qu’il pourrait faire l’aumône à même le salaire de son service.

[16594] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod praesumamus de quolibet quodlibet bonum, sed illud ad quod tenetur, quo praetermisso peccat ; quia nullum debemus credere malum, nisi constet nobis de malitia ejus ; et ideo non oportet quod famulus credat quod domino placeat, nisi in illa necessitate pauperis in qua dominus de necessitate tenetur.

1. Il ne faut pas présumer que tous agiront toujours bien, sauf pour le bien auquel ils sont tenus, à propos duquel ils pèchent s’ils l’omettent, car nous ne devons croire que personne n’est mauvais, à moins d’avoir la preuve de sa méchanceté. C’est pourquoi il ne faut pas que le serviteur croie qu’il plaira à son maître, sauf pour le besoin d’un pauvre envers qui son maître est nécessairement obligé.

[16595] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suffragia non prosunt mortuis per alios facta, nisi inquantum meruerunt ut eis prodessent, dum adhuc viverent, ut Augustinus dicit ; et ideo sunt aliquo modo eorum illae eleemosynae quae pro eis fiunt. Et similiter oportet quod eleemosynae quae pro viventibus fiunt, si debeant eis prodesse, debeant esse eorum : quod non potest esse, si eis displiceat ; et ideo non debet facere eleemosynam pro domino famulus de rebus domini, nisi constet sibi quod ei placeat.

2. Les suffrages faits par les autres ne servent aux morts que dans la mesure où ils ont mérité qu’ils leur seront utiles, alors qu’ils étaient encore vivants, comme le dit Augustin. C’est pourquoi les aumônes qui sont faites pour eux sont en quelque sorte les leurs. De même, il est nécessaire que les aumônes qui sont faites pour les vivants soient les leurs pour qu’elles leur soient utiles, ce qui ne peut être le cas si cela leur déplaît. C’est pourquoi le serviteur ne doit pas faire l’aumône pour son maître à même les biens de son maître, à moins qu’il ne soit évident que cela lui plairait.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16596] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod monachus, si habet dispensationem rerum monasterii, potest et debet facere eleemosynam de superfluis nomine capituli. Si autem non habet dispensationem, tunc in monasterio existens non debet dare sine licentia, nisi in extrema necessitate vel absente abbate aliquid modicum sub spe ratihabitionis ; extra monasterium vero existens, puta in studio, potest eleemosynam facere ; quia cum dantur ei expensae, committitur ei earum dispensatio.

S’il exerce l’administration des biens du monastère, le moine peut et doit faire l’aumône du superflu au nom du chapitre. Mais s’il n’en exerce pas l’administration, celui qui se trouve dans un monastère ne doit pas donner sans permission, sauf quelque chose de minime, en cas de nécessité extrême ou en l’absence de l’abbé, avec l’espoir que cela sera approuvé. Mais celui qui se trouve en dehors du monastère, par exemple, dans une maison d’études, peut faire l’aumône, car, lorsque des dépenses lui sont accordées, l’administration lui en est aussi confiée.

[16597] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens bonum perfectum bono imperfecto repugnare ; non quidem propter contrarietatem ad ipsum, quia bonum, inquantum est bonum, non est bono contrarium ; sed propter contrarietatem ad ejus imperfectionem.

1. Il n’est pas inapproprié qu’un bien parfait s’oppose à un bien imparfait, non pas parce qu’il lui est contraire, car un bien, en tant que bien, n’est pas contraire au bien, mais parce qu’il est contraire à son imperfection.

[16598] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod monachus non est factus ex hoc pejoris conditionis : quia multo magis est accepta Deo universalis rerum abdicatio quam particularis distributio, quae fit per eleemosynas.

2. Le moine n’a pas pour autant une condition pire, car l’abandon universel des biens est davantage agréable à Dieu que leur distribution à la pièce, qui est réalisée par les aumônes.

 

 

Articulus 6

[16599] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 tit. Utrum aliquis possit sibi eleemosynam facere

Article 6 – Peut-on se faire l’aumône ?

 

[16600] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod aliquis non possit sibi eleemosynam facere. Eleemosyna enim est actus liberalitatis vel justitiae. Sed hae virtutes propter hoc quod in communione consistunt, non sunt nisi ad alterum, ut de justitia dicitur in 5 Ethic. Ergo eleemosyna non potest esse ad seipsum.

Sous-question 1 – [Peut-on se faire l’aumône ?]

1. Il semble qu’on ne puisse pas se faire l’aumône. En effet, l’aumône est un acte de libéralité ou de justice. Or, ces vertus, parce qu’elles consistent dans le partage, ne concernent que l’autre, comme on le dit de la justice dans Éthique, V. L’aumône ne peut donc pas concerner celui qui la fait.

[16601] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus dat nisi quod habet ; nec aliquis recipit nisi id quod non habet. Sed nullus potest aliquid simul habere et non habere. Ergo non potest sibi dare eleemosynam.

2. Personne ne donne que ce qu’il possèede, et personne ne reçoit que ce qu’il ne possède pas. Or. personne ne peut posséder et ne pas posséder en même temps. On ne peut donc se faire l’aumône.

[16602] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, homo debet diligere proximum sicut seipsum. Sed proximum ita debet diligere affectu, quod etiam affectu ei benefaciat. Ergo et sibi debet benefacere, et eleemosynas dare.

Cependant, l’homme doit aimer son prochain comme lui-même. Or, il doit aimer son prochain avec un tel attachement qu’il lui fasse du bien. Il doit donc se faire du bien et se faire l’aumône.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Faut-il faire l’aumône aux méchants ?]

[16603] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod malis non sit eleemosyna danda, per id quod dicitur Eccli. 12, 4 : da misericordi, et non suscipias peccatorem ; et iterum : benefac humili, et non des impio.

1. Il semble qu’il ne faille pas faire l’aumône aux méchants, selon ce qui est dit dans Si 12, 4 : Donne au miséricordieux et n’accueille pas le pécheur. Et aussi : Fais du bien à celui qui est humble et ne donne pas à l’impie.

[16604] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 arg. 2 Praeterea, proditor domini sui reputaretur qui de rebus a domino sibi concessis hostes domini sui nutriret. Sed omnis peccator est hostis domini. Ergo non debet ei eleemosyna de rebus a Deo nobis concessis dari.

2. Celui qui entretiendrait les ennemis de son maître avec les biens qui lui ont été confiés est réputé avoir trahi son maître. Or, tout pécheur est l’ennemi de son maître. Il ne doit donc pas lui faire l’aumône des choses que Dieu nous a données.

[16605] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Matth. 5, 44 : estote filii patris vestri qui in caelis est, qui solem suum facit oriri super bonos et malos. Sed hoc non dicitur nisi propter imitationem. Ergo debemus et bonis et malis dare.

Cependant, Mt 5, 44 dit : Soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Or, cela n’est dit qu’en raison de l’imitation. Nous devons donc donner aux bons et aux méchants.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Faut-il toujours secourir plutôt le meilleur ?]

[16606] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod meliori sit magis subveniendum semper. Quia eleemosyna datur propter Deum, ut ex ipsius definitione patet. Sed bonus est Deo propinquior quam malus. Ergo meliori semper magis eleemosyna est danda.

1. Il semble qu’il faille toujours secourir plutôt le meilleur, car l’aumône est faite à cause de Dieu, comme cela ressort de sa définition. Or, le bon est plus proche de Dieu que le méchant. L’aumône doit donc toujours être faite plutôt au meilleur.

 

[16607] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 arg. 2 Praeterea, eleemosyna habet efficaciam ex parte etiam recipientis, qui obligatur ad orandum pro eleemosynam dante. Sed opus boni est efficax ad merendum magis. Ergo magis semper debet dari eleemosyna magis bono.

2. L’aumône a une efficacité du point de vue de celui qui la reçoit, obligé qu’il est de prier pour celui qui fait l’aumône. Or, l’acte de celui qui est bon est efficace pour mériter davantage. L’aumône doit donc toujours être faite plutôt à celui qui est bon.

[16608] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 arg. 3 Sed contra, eleemosyna, cum sit actus misericordiae, miseriam intuetur. Sed malus est magis miser quam bonus. Ergo magis est eleemosyna malis danda quam bonis.

3. Puisqu’elle est un acte de miséricorde, l’aumône portera sur la misère. Or, le méchant est plus misérable que le bon. L’aumône doit donc être faite plutôt aux méchants qu’aux bons.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16609] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod eleemosyna potest dupliciter fieri, ut ex praedictis patet : scilicet per collationem alicujus rei temporalis, et hoc modo nullus sibi ipsi eleemosynam facere potest ; vel per exercitium alicujus actus spiritualis, vel corporalis. Et quia homo ratione diversarum partium in seipsum agere potest ; sicut anima movet corpus, et una pars animae aliam, et una pars corporis aliam : ideo talem eleemosynam aliquis potest facere sibi. Sed ad subveniendum sibi in corporalibus natura satis inclinat ; et ideo de hoc non oportuit dari praeceptum, sed solum de subveniendo animae, ad quam non ita multi inclinantur ; unde dicitur Eccli. 30, 44 : miserere animae tuae, placens Deo.

L’aumône peut être faite de deux manières, comme cela ressort de ce qui a été dit. Par le fait de donner une chose temporelle : de cette manière, personne ne peut se faire l’aumône. Ou par l’exercice d’un acte spirituel ou corporel. Et parce que l’homme, en raison de ses diverses parties, peut agir sur lui-même, comme l’âme meut le corps, une partie de l’âme en meut une autre et une partie du corps en meut une autre, on peut ainsi se faire à soi-même une telle aumône. Mais la nature incline suffisamment à se subvenir à soi-même en matière corporelle. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire qu’un commandement soit donné à ce sujet, mais seulement pour ce qui concerne le soin de l’âme, auquel beaucoup ne sont pas aussi inclinés. Aussi est-il dit dans Si 30, 44 : Aie pitié de ton âme en plaisant à Dieu.

[16610] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod liberalitas, secundum quod consistit in dationibus, non potest esse ad seipsum ; sed secundum quod consistit in sumptionibus, potest esse ad seipsum, sicut et illiberalitas. Sunt enim aliqui illiberales ad seipsos, qui propter cupiditatem rerum sibi necessaria subtrahunt. Sed justitia nullo modo potest esse ad seipsum, quia habet rationem aequalitatis, quae semper ad alterum esse debet.

1. La libéralité, selon qu’elle concerne les dons, ne peut s’exercer envers soi-même. Mais, selon qu’elle concerne la prise [de choses], elle peut s’exercer envers soi-même, comme son contraire. En effet, certains agissent contre la libéralité envers eux-mêmes en s’enlevant le nécessaire en raison de la cupidité envers les choses. Mais la justice ne peut d’aucune façon s’exercer envers soi-même, car elle a le caractère d’égalité, qui doit toujours concerner l’autre.

[16611] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 1 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

2. La réponse au second argument ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16612] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum Augustinum, sic diligendi sunt homines, ut eorum non diligantur errores. Et quia exhibitio beneficii dilectioni correspondet, ideo peccatori ad sustentationem naturae debemus eleemosynam facere, si indigeat, cum praecipiatur nobis benefacere amicis et inimicis ; sed ad fovendum eorum malitiam non debemus eis aliquid dare. Vel si constaret quod de eo quod eis datur, in peccatum abuterentur, non deberet eis dari aliquid, nisi necessitas extrema exposceret ; et hoc modo intelligenda est auctoritas inducta.

Selon Augustin, les hommes doivent être aimés de telle manière que leurs erreurs ne soient pas aimées. Et parce que la manifestation d’un bienfait correspond à l’amour, nous devons faire l’aumône au pécheur pour secourir sa nature, puisqu’il nous est enjoint de faire du bien aux amis et aux ennemis. Mais nous ne devons pas leur donner ce qui entretiendrait leur malice. Ou s’il était clair qu’ils abuseraient de ce qui leur est donné en vue du péché, on ne devrait rien leur donner, sauf si une extrême nécessité l’exigeait. Ainsi s’entend l’autorité invoquée.

[16613] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 ad 1 Unde patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[16614] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccator etsi sit inimicus Dei quantum ad culpam, non tamen quantum ad naturam : quia Deus nihil odit eorum quae fecit ; Sap. 11.

2. Le pécheur, même s’il est l’ennemi de Dieu par le péché, ne l’est cependant pas par sa nature, car Dieu ne hait rien de ce qu’il a fait, Sg 11.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16615] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cui magis benefaciendum sit, ut dicit philosophus 9 Ethic., non est facile determinare propter multas diversitates boni et necessarii. Tamen hoc est tenendum, quod semper magis reddendum est debitum quam beneficium impendendum, ut ipse ibidem dicit, nisi ex parte altera adsit major bonitas vel necessitas ; et ideo parentibus et propinquis et benefactoribus, et eis a quibus spiritualia accipit, magis debet eleemosynam facere, si indigeant, et ceteris paribus, melioribus magis, et magis etiam indigentibus magis ; et sic secundum has tres conditiones debet gradus in eleemosynis constitui, scilicet secundum honestum et necessarium et debitum. Assignare autem in singulis quando unum alteri eorum praeferatur, est impossibile : quia singulares eorum conditiones, quae attendendae sunt, sunt infinitae, et non cadunt sub arte. De his autem ratio docet, et prudentiae consilium.

Comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, il n’est pas facile de déterminer à qui il faut faire du bien, en raison de la grande diversité de ce qui est bien et de ce qui est nécessaire. Cependant, il faut retenir qu’une dette doit toujours être rendue avant d’accorder un bienfait, comme il le dit lui-même au même endroit, à moins que, d’un autre côté, il n’existe une plus grande bonté ou nécessité. C’est pourquoi on doit plutôt faire l’aumône à ses parents, à ses proches, à ses bienfaiteurs et à ceux dont on a reçu des biens spirituels, s’ils sont dans le besoin, et, toutes choses étant égales, plutôt aux meilleurs et davantage à ceux qui sont davantage dans le besoin. Ainsi, selon ces trois conditions, on doit établir un ordre dans les aumônes, à savoir, selon ce qui est honorable, nécessaire et dû. Mais il est impossible de déterminer dans tous les cas lequel est préférable à l’autre, car leurs conditions singulières sont infinies et ne relèvent pas d’un art. La raison enseigne à leur sujet, ainsi que le conseil de la prudence.

[16616] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Deo propinquior sit semper melior non tamen semper debet ei magis dari : quia eleemosynarum largitio ad necessitatem proximi sublevandam divinitus instituta est ; unde si indigentia ex parte altera nimis excedat, magis servabitur intentio instituentis eleemosynam quam si meliori daretur.

1. Bien que le meilleur soit toujours plus proche de Dieu, il ne faut pas toujours plutôt donner à lui, car la distribution d’aumônes a été établie par Dieu en vue de venir au secours des besoins du prochain. Si donc l’indigence est trop grande par ailleurs, on respectera davantage l’intention de celui qui a établi l’aumône, plutôt que de donner à celui qui est meilleur.

[16617] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod principalius consideratur efficacia eleemosynae ex parte dantis quam ex parte recipientis ; et ideo ex parte dantis debet esse ordinata datio, quae eleemosynae efficaciam auget.

2. L’efficacité de l’aumône se prend davantage du point de vue de celui qui donne que du point de vue de celui qui reçoit. C’est pourquoi, de la part de celui qui donne, le don doit être ordonné, par quoi l’efficacité de l’aumône est augmentée.

[16618] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 2 a. 6 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis peccator sit magis miser in spiritualibus, non tamen in corporalibus ; et ideo non est sibi semper magis providendum per corporales eleemosynas.

3. Bien que le pécheur soit plus miséreux en matière spirituelle, il ne l’est cependant pas en matière corporelle. C’est pourquoi il ne faut pas toujours lui venir en aide par des aumônes corporelles.

Quaestio 3

Question 3 – [Le jeûne]

 

 

Prooemium

Prologue

[16619] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 pr. Deinde quaeritur de jejunio ; et circa hoc quaeruntur quatuor : 1 quid sit jejunium ; 2 quis teneatur ad jejunium ; 3 de tempOre jejunii ; 4 de solventibus ipsum.

On s’interroge ensuite sur le jeûne. Quatre questions sont posées à ce sujet : 1 – Qu’est-ce que le jeûne ? 2 – Qui est obligé de jeûner ? 3 – Sur le temps du jeûne. 4 – Sur ceux qui le rompent.

 

 

Articulus 1 [16620] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 tit. Utrum Isidorus convenienter jejunium definiat

Article 1 – Isidore définit-il le jeûne de manière appropriée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Isidore définit-il le jeûne de manière appropriée ?]

[16621] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Isidorus inconvenienter definiat jejunium, dicens : jejunium est parsimonia victus, abstinentiaque ciborum. Parsimonia enim a parsi praeterito hujus verbi parco venit. Est enim parcere, inter alia quae habet significata, idem quod abstinere. Ergo idem videtur esse parsimonia victus et abstinentia ciborum ; et sic alterum superfluit.

1. Il semble qu’Isidore définisse le jeûne de manière inappropriée lorsqu’il dit : « Le jeûne consiste dans la parcimonie des aliments et dans l’abstention de nourriture. » En effet, parcimonie vient de parsi, passé du verbe parco [éviter, user avec réserve]. En effet, parcere, parmi ses autres significations, signifie la même chose que s’abstenir. La parcimonie d’aliments et l’abstinence de nourriture semblent donc être la même chose. La deuxième expression est donc superflue.

[16622] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Matth. 17, super illud : hoc genus Daemoniorum etc., dicit Hieronymus : jejunium est non solum ab escis, sed a cunctis illecebris abstinere. Cum ergo Isidorus definiat jejunium tantum per abstinentiam ab escis, videtur quod incompetens sit assignatio.

2. À propos de Mt 17 : Ce genre de démons, etc., Jérôme dit : « Le jeûne ne consiste pas seulement à s’abstenir de nourriture, mais de toutes les séductions. » Puisque Isidore définit le jeûne seulement par l’abstinence de nourriture, il semble donc que sa définition soit inexacte.

[16623] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad observationem jejunii videtur non solum pertinere abstinere a cibis, sed etiam lugere, et unguento non uti, ut patet Dan. 10, 2 : in diebus illis lugebam ego Daniel trium hebdomadarum diebus. Sed de his non fit mentio in praedicta assignatione. Ergo insufficiens est.

3. Il semble que, non seulement l’abstention de nourriture, mais aussi les pleurs et le fait de pas faire usage d’huile parfumée relèvent de l’observance du jeûne, comme cela ressort de Dn 10, 2 : En ces jours, moi, Daniel, j’ai pleuré tous les jours pendant trois semaines. Or, il n’est pas fait mention de cela dans la définition en question. Elle est donc insuffisante.

[16624] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, multi servant parsimoniam in victu et abstinentiam in cibis, qui tamen pluries in die manducant. Sed tales non dicuntur jejunantes. Ergo definitio praedicta non convertitur cum jejunio.

4. Beaucoup pratiquent la parcimonie dans les aliments et l’abstinence de nourriture, qui mangent cependant plusieurs fois par jour. Or, on ne dit pas que ceux-là jeûnent. La définition mentionnée n’est donc pas convertible avec celle du jeûne.

[16625] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, nullus est jejunus nisi jejunio, sicut nec albus nisi albedine. Sed aliquis etiam immoderate cibis utens, est quandoque jejunus antequam comedat. Ergo tali non competit definitio assignata jejunii ; ergo est incompetens.

5. Personne n’est à jeun que par le jeûne, comme personne n’est blanc que par la blancheur. Or, même quelqu’un qui fait un usage immodéré de la nourriture est parfois à jeun avant de manger. La définition donnée pour le jeûne ne lui convient donc pas. Elle est donc inexacte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le jeûne est-il l’acte d’une vertu ?]

[16626] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod jejunium non sit actus virtutis. Virtus enim sicut abundanti, ita et diminuto cOrrumpitur. Sed jejunium importat diminutionem a cibo, in quo conservari potest medium virtutis. Ergo jejunium non est virtutis actus.

1. Il semble que le jeûne ne soit pas l’acte d’une vertu. En effet, de même que la vertu est corrompue par l’abondance, de même l’est-elle par la diminution. Or, le jeûne comporte une diminution de nourriture, alors que le milieu de la vertu peut y être respecté. Le jeûne n’est donc pas un acte vertueux.

 

[16627] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis virtutis actus est in aliquid operando. Sed jejunium dicit cessationem ab actu. Ergo non est virtutis actus.

2. Tout acte vertueux consiste à faire quelque chose. Or, le jeûne consiste dans la cessation d’un acte. Il n’est donc pas un acte vertueux.

[16628] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, jejunium consistit non solum in abstinendo a superfluis cibis, quia hoc est de necessitate virtutis, sed etiam a necessariis. Sed qui subtrahit necessarium cibum, dat sibi occasionem mortis ; non autem, ut Hieronymus dicit, differt utrum magno vel parvo tempore te interimas. Ergo cum nulli liceat seipsum occidere, videtur quod nulli liceat jejunare ; et sic jejunium non erit actus virtutis.

3. Le jeûne consiste non seulement à s’abstenir de la nourriture superflue, car cela est nécessaire pour la vertu, mais aussi de la nourriture nécessaire. Or, celui qui supprime la nourriture nécesssaire se donne une occasion de mort ; comme le dit Jérôme, « cela ne fait pas de différence que tu te tues sur une longue ou une courte période ». Puisqu’il n’est permis à personne de se tuer, il semble donc qu’il ne soit permis à personne de jeûner. Ainsi, le jeûne ne sera pas un acte vertueux.

[16629] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Augustinus in 10 Confess., alimentum sic sumi debet ut famis medicamentum. Sed magis infirmo minus est medicina subtrahenda. Cum ergo in primo statu Adam peccasset si cibo abstinuisset donec praeoccuparetur fame, ut in 2 Lib., dist. 19, quaest. 1, art. 2 ad 3, dictum est, videtur quod etiam nunc jejunando peccat homo, cum natura humana sit infirmior ; et sic jejunium non erit virtutis actus.

4. Comme le dit Augustin dans Confessions, X, « la nourriture doit être prise comme une remède contre la faim ». Or, c’est au malade que le remède doit être le moins enlevé. Puisque, dans son premier état, Adam aurait péché s’il s’était abstenu de nourriture jusqu’à ce qu’il soit envahi par la faim, comme on l’a dit dans le livre II, d. 19, q. 1, a. 2, ad 3, il semble donc que l’homme pèche même en jeûnant, puisque la nature humaine est plus faible. Ainsi, le jeûne ne sera pas un acte vertueux.

[16630] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Hieronymus dicit : jejunium non est perfecta virtus, sed ceterarum virtutum fundamentum.

Cependant, [1] Jérôme dit : « Le jeûne n’est pas une vertu parfaite, mais il est le fondement des autres vertus. »

[16631] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Isidorus dicit, jejunium esse abstinentiam, ut ex definitione praemissa apparet. Sed abstinentia est virtus. Ergo jejunium est actus virtutis.

[2] Isidore dit que le jeûne est uune abstinence, comme cela ressort de la définition donnée plus haut. Or, l’abstinence est une vertu. Le jeûne est donc un acte vertueux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le jeûne est-il un acte de tempérance ?]

[16632] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod jejunium non sit actus temperantiae. Quia canon dicit de Consecr., dist. 5 : jejunium quadragesimale est decima totius anni. Sed dare decimam est actus justitiae. Ergo et jejunare ; non igitur temperantiae.

1. Il semble que le jeûne ne soit pas un acte de tempérance, car le canon dit, dans Sur la consécration, d. 5 : « Le jeûne du carême est le dixième de toute l’année. » Or, donner la dîme est un acte de justice. Donc aussi, jeûner. Il n’est donc pas un acte de tempérance.

[16633] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad fortitudinem pertinet molestias perferre. Sed hoc accidit in jejunio. Ergo jejunium est actus fortitudinis ; non ergo temperantiae.

2. Il relève de la force de supporter les désagréments. Or, cela arrive dans le jeûne. Le jeûne est donc un acte de force. Il n’est donc pas un acte de tempérance.

[16634] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, prudentiae pars est cautela, ut in 3 Lib., dist. 33, qu. 3, art. 1, quaestiunc. 3, dictum est. Sed jejunium ad cautelam peccatorum carnis inductum est. Ergo est actus prudentiae.

3. La prévoyance est une partie de la prudence, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 1, qa 3. Or, le jeûne a été introduit en prévoyance des péchés de la chair. Il est donc un acte de prudence.

[16635] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, materia propria temperantiae sunt delectabilia tactus, ut dicitur in 3 Ethic. Sed circa hujusmodi est jejunium, quia est circa cibos. Ergo jejunium est actus temperantiae.

Cependant, [1] ce qui est délectable au toucher est la matière propre de la tempérance, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le jeûne est de cette sorte, car il concerne la nourriture. Le jeûne est donc un acte de tempérance.

[16636] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, abstinentia est species temperantiae. Sed jejunium est abstinentia. Ergo est temperantiae actus.

[2] L’abstinence est une espèce de la tempérance. Or, le jeûne est une abstinence. Il est donc un acte de la tempérance.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le jeûne est-il soumis à un précepte ?]

[16637] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod jejunium non cadat in praecepto. Nam super illud Psalm. 44 : omnis gloria ejus filiae regis ab intus, dicit Glossa Augustini, quod gloria Ecclesiae in interioribus virtutibus consistit, sicut fides, spes, caritas. Sed omne praeceptum Ecclesiae ad gloriam Ecclesiae ordinatur. Ergo de jejunio exteriori non potest esse praeceptum.

1. Il semble que le jeûne ne soit pas soumis à un précepte, car, à propos de Ps 44 : Toute la gloire de la fille du roi vient de l’intérieur, une glose d’Augustin dit que « la gloire de l’Église consiste dans les vertus intérieures, telles que la foi, l’espérance et la charité » . Or, tout précepte de l’Église est ordonné à la gloire de l’Église. Il ne peut donc pas y avoir de précepte sur le jeûne extérieur.

[16638] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt supererogationis, ad consilium pertinent, ad quod nullus obligatur nisi ex voto. Sed jejunium est hujusmodi. Ergo non obligatur ad ipsum aliquis ex praecepto.

2. Ce qui s’ajoute relève d’un conseil, auquel personne n’est tenu, sauf par un vœu. Or, le jeûne est de cette sorte. On n’y est donc pas obligé en vertu d’un précepte.

[16639] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, quicumque transgreditur praeceptum, peccat mortaliter. Si ergo jejunium institutum ab Ecclesia cadit sub praecepto, tunc si aliquis unum diem tantum frangeret Quadragesimae, mortaliter peccaret ; quod videtur grave dicere.

3. Quiconque transgresse un précepte pèche mortellement. Si donc le jeûne institué par l’Église est soumis à un précepte et si quelqu’un rompait le jeûne du carême une seule journée, il pécherait mortellement. Il est grave de dire cela.

[16640] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 co. 1 Sed contra, statutum Ecclesiae obligat per modum praecepti, sicut praeceptum Dei ; quia dominus discipulis suis dixit, Luc. 10, 16 : qui vos audit, me audit. Sed ad illud jejunium obligamur ex statuto Ecclesiae. Ergo cadit sub praecepto.

Cependant, [1] une décision de l’Église oblige par mode de précepte, comme un commandement de Dieu, car le Seigneur a dit à ses disciples, Lc 10, 16 : Qui vous écoute m’écoute. Or, nous sommes obligés à un tel jeûne en vertu d’une décision de l’Église. Il est donc soumis à un précepte.

[16641] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 co. 2 Praeterea, majoris perfectionis est lex nova quam vetus, et magis a carnalibus desideriis abstrahens. Sed in lege veteri erat jejunium in praecepto. Ergo multo fortius in lege nova.

[2] La loi nouvelle est plus parfaite que la loi ancienne, et elle détache davantage des désirs charnels. Or, sous la loi ancienne, le jeûne était soumis à un précepte. À bien plus forte raison donc, dans la loi nouvelle.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Le jeûne est-il satisfactoire ?]

[16642] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod jejunium non sit satisfactorium. Quia satisfactio est justitiae actus, ut prius dictum est. Sed jejunium est actus temperantiae. Ergo non est satisfactorium.

1. Il semble que le jeûne ne soit pas satisfactoire, car la satisfaction est un acte de justice, comme on l’a dit plus haut. Or, le jeûne est un acte de tempérance. Il n’est donc pas satisfactoire.

[16643] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, illud ad quod ex praecepto astringimur, non est satisfactorium, sed satisfactionem praecedit, sicut de eleemosyna dictum est. Sed quoddam jejunium cadit sub praecepto, ut dictum est. Ergo ad minus illud non est satisfactorium.

2. Ce à quoi nous sommes astreints par un précepte n’est pas satisfactoire, mais précède la satisfaction, comme on l’a dit de l’aumône. Or, un certain jeûne est soumis à un précepte, comme on l’a dit. Au moins celui-là est donc satisfactoire.

[16644] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, satisfactio debet fieri ab eo qui peccavit. Sed anima est quae peccat ; jejunium autem non est animae, sed corporis. Ergo non est satisfactorium pro peccato.

3. La satisfaction doit être accomplie par celui qui a péché. Or, c’est l’âme qui pèche, et le jeûne ne relève pas de l’âme mais du corps. Il n’est donc pas satisfactoire pour le péché.

[16645] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 4 Praeterea, sicut contingit peccare ex superfluitate cibi, ita ex subtractione. Sed contra subtractionem cibi non datur, ut satisfactio, cibi abundantia. Ergo nec contra abundantiam dari debet, ut satisfactorium, cibi subtractio per jejunium.

4. De même qu’il arrive qu’on pèche par la nourriture superflue, de même par la soustaction [de celle-ci]. Or, contre la soustraction de nourriture, on ne donne pas comme satisfaction l’abondance de nourriture. Contre l’abondance, on ne doit donc pas non plus donner comme satisfaction la soustraction de nourriture par le jeûne.

[16646] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 5 Praeterea, 1 Timoth., 4, 8 : corporalis exercitatio ad modicum utilis est. Sed jejunium est hujusmodi. Ergo non est satisfactorium pro peccato.

5. 1 Tm 4, 8 dit : Les exercices corporels sont de peu d’utilité. Or, le jeûne est de ce genre. Il n’est donc pas satisfactoire pour le péché.

[16647] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, opera satisfactoria oportet esse poenalia. Sed jejunium habet magis rationem poenae quam eleemosyna. Cum ergo eleemosyna sit satisfactoria, ut ex dictis patet, et jejunium debet esse satisfactorium.

Cependant, [1] il est nécessaire que les actes satisfactoires aient le caractère de peines. Or, le jeûne a davantage le caractère de peine que l’aumône. Puisque l’aumône est satisfactoire, comme cela ressort de ce qui a été dit, le jeûne aussi doit donc être satisfactoire.

[16648] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, satisfacere est peccatorum causas excidere. Sed jejunio aliquis abscindit peccatorum causas ; quia maxime jejunio reprimitur caro, quae ad peccata incitat. Ergo et cetera.

[2] Satisfaire consiste à supprimer les causes des péchés. Or, par le jeûne, on supprime les causes des péchés, car la chair qui incite aux péchés est réprimée par le jeûne au plus haut point. Donc, etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16649] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod jejunium dupliciter dicitur ; scilicet jejunium naturae, et jejunium Ecclesiae. A primo jejunio dicitur aliquis quolibet die jejunus antequam cibum sumat ; a secundo autem dicitur jejunans, quasi ordinatam ab Ecclesia propter peccatorum satisfactionem abstinentiam servans. In satisfactionem autem peccatorum non solum oportet quod ab illis homo abstineat quae lex virtutis prohibet, sed etiam ab illis quibus salva virtute uti possemus ; quia qui illicita commisit, oportet etiam a licitis abstinere, ut Augustinus dicit. Unde jejunium ab Ecclesia institutum supponit abstinentiam illam quae ad virtutem exigitur, et addit abstinentiam quamdam ab illis quae medium virtutis non corrumpunt. Et ideo Isidorus haec duo in praedicta definitione jejunii comprehendit ; scilicet abstinentiam ab illis quae virtutem corrumpunt, in hoc quod dicit, parsimonia victus ; et ab illis quibus salva virtute alias uti liceret, in hoc quod dicit, abstinentiaque ciborum.

On parle de jeûne de deux manières : le jeûne naturel et le jeûne de l’Église. Par le premier jeûne, on dit que quelqu’un est à jeun avant de prendre de la nourriture ; par le second, on dit que jeûne celui qui observe l’abstinence telle qu’elle est ordonnée par l’Église comme satisfaction pour les péchés. Or, pour la satisfaction pour les péchés, il n’est pas seulement nécessaire que l’on s’abstienne de ce que la loi de la vertu interdit, mais aussi de ce dont nous pourrions faire usage tout en sauvegardant la vertu, car « celui qui a commis des choses défendues doit s’abstenir même de choses permises », comme le dit Augustin. Le jeûne établi par l’Église suppose donc l’abstinence qui est exigée pour la vertu et ajoute une abstinence de ce qui ne corrompt pas le milieu de la vertu. C’est pourquoi Isidore inclut ces deux choses dans la définition rappelée : l’abstinence de ce qui corrompt la vertu, lorsqu’il dit : « la parcimonie des aliments » ; et [l’abstinence] de ce dont il serait permis de faire usage en sauvegardant la vertu, lorsqu’il dit : « et l’abstience de nourriture ».

[16650] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo patet ex dictis solutio.

1. La réponse au premier argument est évidente d’après ce qu’on a dit.

[16651] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod definitio illa Hieronymi intelligitur de jejunio spirituali, et non de jejunio corporali.

2. Cette définition de Jérôme s’entend du jeûne spirituel, et non du jeûne corporel.

[16652] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jejunium ex suo nomine directe importat abstinentiam in cibis ; unde illae observationes quae a jejunantibus patribus observatae leguntur, non sunt de essentia jejunii, sed ad modum jejunandi pertinent ; et propter hoc non oportet quod in definitione jejunii mentio de eis fieret.

3. Par son nom même, le jeûne comporte l’abstinence en matière de nourriture. Ces observances, dont on lit que les pères qui jeûnaient les observaient, ne font pas partie de l’essence du jeûne, mais concernent la manière de jeûner. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire qu’il en soit fait mention dans la définition du jeûne.

[16653] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intelligenda est in praedicta definitione talis abstinentia a cibis, alias licitis, qualem Ecclesia jejunantibus determinat ; et sic objectio cessat.

4. Par la définition précédente, il faut entendre l’abstinence de nourriture, qui serait autrement permise, que l’Église précise pour ceux qui jeûnent. Ainsi cesse l’objection.

[16654] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod praedicta definitio non datur de jejunio quo aliquis dicitur jejunus, sed de jejunio Ecclesiae, ut dictum est.

5. La définition précédente n’est pas donnée pour le jeûne par lequel on dit qu’on est à jeun, mais pour le jeûne de l’Église, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16655] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut supra dictum est, omnis actus qui in sua ratione includit aliquid quod ad modum virtutis pertineat, actus virtutis dici potest, quantum est de se ; quamvis possit et bene et male fieri ob hoc quod forte non includit in sui ratione omne illud quod ad virtutem exigitur. Quia autem virtus infirmitati naturae subvenit, quae ad malum de facili inclinatur ; ideo omnium virtutum circa delectationes corporales existentium, ex quarum superabundantia praecipue peccatum contingit propter connaturalitatem nostri ad eas, modus est in retrahendo ab eis, sicut patet in temperantia, et in omnibus partibus ei assignatis. Quia ergo nomine jejunii actus nobis quidam exprimitur quo quis a delectationibus tactus, scilicet cibis, se abstrahit, constat quod in ratione sua modum virtutis importat ; et ideo actus virtutis dici debet.

Comme on l’a dit plus haut, tout acte qui comporte dans sa raison quelque chose qui se rapporte au mode de la vertu, peut être appelé un acte vertueux, pour ce qui le concerne en lui-même, bien qu’on puisse bien ou mal agir du fait qu’il n’inclut pas dans sa raison tout ce qui est exigé pour la vertu. Puisque la vertu vient au secours de la faiblesse de la nature, qui est facilement inclinée au mal, le mode de toutes les vertus portant sur les plaisirs corporels, dont l’abondance est la source principale de péchés en raison de la connaturalité que nous avons avec eux, consiste à s’en éloigner, comme cela est clair pour la tempérance et pour les parties qui lui sont attribuées. Parce que, par le nom de jeûne, un acte nous est précisé par lequel nous nous abstenons des plaisirs du toucher, à savoir, de la nourriture, il est clair qu’il comporte dans sa raison le mode de la vertu et qu’on doit donc l’appeler un acte vertueux.

[16656] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod medium virtutis non est medium secundum aequidistantiam ab extremis, sed accipitur secundum rationem rectam ; et ideo contingit id quod est parum uni, esse satis alteri ; sicut quod est parum sano in cibis, esse satis infirmo qui per abstinentiam curari debet. Curatio autem spiritualis morbi affinior est virtuti quam curatio morbi corporalis ; unde et illud quod alias esset modicum, vel minus debito, tamen volenti vulnus peccati curare, satis est ; et sic jejunium medium virtutis non corrumpit. Tamen sciendum, quod medium virtutis non consistit in indivisibili, sed habet aliquam latitudinem in qua virtus salvatur, quamvis termini illius latitudinis, quos praetergredi salva virtute non licet, non possunt sermone determinari ; et ideo qui dimittit aliquid quo licite posset uti, non oportet quod statim a medio virtutis discedat.

1. Le milieu de la vertu n’est pas un milieu selon une distance égale par rapport aux extrêmes, mais il est conçu selon la raison droite. C’est pourquoi il arrive que ce qui est peu pour l’un est suffisant pour un autre. Ainsi, ce qui est peu comme nourriture pour celui qui est en santé, est suffisant pour le malade qui doit être guéri par l’abstinence. Or, le traitement de la maladie spirituelle a plus d’affinité avec la vertu que le traitement de la maladie corporelle. Aussi ce qui serait autrement peu de chose ou moins que ce qui est dû est cependant suffisant pour celui qui veut traiter la blessure du péché. De cette manière, le jeûne ne corrompt pas le milieu de la vertu. Toutefois, il faut savoir que le milieu de la vertu ne consiste pas en quelque chose d’indivisible, mais possède une certaine amplitude à l’intérieur de laquelle la vertu est sauvegardée, bien que les termes de cette amplitude, qu’il n’est pas permis de dépasser en sauvegardant la vertu, ne puissent être déterminés par la parole. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que s’éloigne immédiatement de la vertu celui qui écarte ce dont il lui serait permis de faire usage.

[16657] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jejunium a quo quis jejunus dicitur, non nominat aliquem actum, sed privationem praecedentis cibi ; et ideo secundum ipsum non dicitur aliquis jejunare. Sed jejunium Ecclesiae nominat actum quemdam, secundum quem in cibis sumendis se regulat aliquis secundum Ecclesiae statutum ; et secundum hoc jejunium dicitur aliquis jejunare ; et ideo hoc jejunium potest esse actus virtutis.

2. Le jeûne par lequel on dit que quelqu’un est à jeun ne désigne pas un acte, mais la privation d’une nourriture antérieure ; c’est pourquoi on ne dit pas que quelqu’un jeûne selon ce jeûne. Mais le jeûne de l’Église désigne un acte, selon lequel on se conforme à la décision de l’Église en matière de nourriture ; c’est de cette manière qu’on dit de quelqu’un qu’il jeûne. C’est pourquoi ce jeûne peut être un acte vertueux.

[16658] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessarium dupliciter accipitur in cibis. Primo ad conservationem vitae ; et tale necessarium non licet subtrahere per jejunium, sicut nec interimere seipsum. Sed hoc necessarium est valde modicum, quia modicis natura contenta est. Alio modo dicitur necessarium ad conservandam valetudinem corporis : quae quidem accipitur in duplici statu. Primo secundum sufficientiam habito respectu ad ea quae incumbunt ex officio, vel ex societate eorum ad quos convivit, necessario agenda ; et tale etiam necessarium subtrahi non debet ; hoc enim esset de rapina jejunii offerre, si aliquis propter jejunium impediretur ab aliis operibus ad quae alias obligatur. Unde Hieronymus dicit : de rapina holocaustum offert qui vel ciborum nimia egestate, vel manducandi vel somni penuria immoderate corpus affligit. Si etiam sit tanta abstinentia quod homo ab operibus utilioribus impediatur, quamvis ad ea de necessitate non teneatur, indiscretum est jejunium, etsi non sit illicitum. Unde Hieronymus dicit ubi supra : rationalis homo dignitatem amittit, qui jejunium caritati, vel vigilias sensus integritati praefert. Secundo accipitur valetudo corporis secundum optimam corporis dispositionem ; et quia caro in suo robore consistens, difficilius spiritui subditur, ideo necessarium ad valetudinem sic acceptam etsi licite accipi possit, tamen laudabiliter subtrahi potest ; et talis subtractio non multum mortem accelerat, cum corpus humanum inveniatur frequentius ex superfluitate quam ex defectu mortales aegritudines incurrere ; unde etiam Galenus dicit quod summa medicina est abstinentia. Inveniuntur etiam ad sensum, abstinentes ut frequenter diutius vivere ; et ideo praedicta subtractio non potest dici mortis occasio, cum se habeat ad utrumque, scilicet ad prolongandum et breviandum vitam. Subtractio autem ejus quod non est necessarium, nec hoc nec illo modo est de necessitate virtutis temperantiae.

3. En matière de nourriture, on parle de nécessaire de deux manières. Premièrement, pour la conservation de la vie ; il n’est pas permis de soustraire un tel nécessaire par le jeûne, pas davantage que de se tuer. Mais ce nécessaire est très peu de chose, car la nature se contente de peu. D’une autre manière, on parle de nécessaire pour la conservation de la santé du corps, qui est envisagée selon un double état. Premièrement, selon ce qui suffit en regard de ce qui incombe à sa fonction ou de ce qu’il faut faire pour les rapports avec ceux avec qui l’on vit. Un tel nécessaire ne doit pas non plus être soustrait : en effet, ce serait là offrir un jeûne volé si, en raison du jeûne, on était empêché de faire d’autres actes auxquels on est obligé. Aussi Jérôme dit-il : « Celui-là offre un holocauste volé qui, soit par manque de nourriture, soit faute de se nourrir ou de dormir, accable son corps de manière immodérée. » De plus, si l’abstinence est si grande que l’on est empêché de poser des actes plus utiles, bien qu’on n’y soit pas tenu, le jeûne manque de prudence, même s’il n’est pas défendu. Aussi Jérôme dit à l’endroit indiqué plus haut : « L’homme raisonnable qui préfère le jeûne à la charité ou les veilles à l’intégrité de ses sens perd sa dignité. » Deuxièmement, la santé du corps est envisagée selon la meilleure disposition du corps. Parce que la chair en pleine vigueur est plus difficilement soumise à l’esprit, ce qui est nécessaire à la santé, même s’il peut être pris légitimement, peut cependant être soustrait de manière louable. Une telle soustraction ne rapproche pas beaucoup de la mort, puisqu’on constate que le corps humain encourt plus fréquemment des maladies mortelles par excès plutôt que par manque [de nourriture]. Galien lui-même dit ainsi que le meilleur remède est l’abstinence. On constate aussi sensiblement que les abstinents vivent souvent plus longtemps. C’est pourquoi la soustraction dont il a été question ne peut être appelée une occasion de mort, puisqu’elle va dans les deux sens : la prolongation et l’abrègement de la vie. Mais la soustraction de ce qui n’est pas nécessaire ne relève nécessairement de la vertu de tempérance d’aucune des deux manières.

[16659] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis homo post statum peccati magis infirmetur quantum ad passibilitatem corporis, ex qua fames causatur, cui per alimentum subvenitur ; tamen ex altera parte est gravior infirmitas et periculosior cui jejunium subvenit ; scilicet concupiscentiae morbus, qui in statu innocentiae non erat ; et ideo ad hunc morbum extirpandum magis intendere oportet, sicut etiam medici periculosiori morbo sollicitius subveniunt.

4. Bien que l’homme, après l’état de péché, soit davantage affaibli pour ce qui est de son corps passible, d’où vient la faim à laquelle répond la nourriture, il existe cependant une faiblesse plus grave et plus dangereuse à laquelle répond le jeûne, à savoir, la maladie de la concupiscence, qui n’existait pas dans l’état d’innocence. C’est pourquoi il faut porter une plus grande attention à l’extirpation de cette maladie, de la même façon que les médecins s’occupent avec plus de soin d’une maladie plus dangereuse.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16660] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quamvis aliquis actus a pluribus virtutibus possit procedere, sicut ab imperantibus ipsum vel dirigentibus ad eum, vel quocumque modo ad ipsum juvantibus ; tamen illius virtutis proprie actus dicitur quae elicit ipsum, a qua scilicet procedit formaliter quasi in similitudinem speciei, sicut calefactio a calore. Sed tam virtutes quam actus virtutum penes objecta distinguuntur ; et ideo actus ab illa virtute elicitur quae secum convenit in propria ratione objecti. Et quia jejunium in objecto cum temperantia convenit quantum ad illam temperantiae partem quae abstinentia dicitur ; ideo ejus actus proprie jejunium est, quamvis ab aliis virtutibus procedere per dictos modos etiam possit.

Bien qu’un acte puisse venir de plusieurs vertus, comme lorsqu’elles le commandent ou le dirigent, ou qu’elles l’aident de quelque façon, on dit cependant qu’il est l’acte de la vertu qui l’émet, dont il procède par sa forme pour ainsi dire selon une similitude spécifique, comme l’action de chauffer [procède] de la chaleur. Or, les vertus comme les actes des vertus se distinguent par leurs objets. C’est pourquoi un acte est émis par la vertu qui a en commun avec lui sa propre raison d’objet. Et parce que le jeûne a un objet commun avec la tempérance pour cette partie de la tempérance qu’on appelle abstinence, son acte propre est le jeûne, bien qu’il puisse aussi procéder d’autres vertus selon les manières indiquées.

[16661] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus justitiae est reddere debitum. Non autem est debitum facere decimam de tempore, sed de rebus possessis aliquo modo. Dicitur autem jejunium decima totius anni per quamdam adaptationem ; et ideo non oportet quod sit actus justitiae.

1. L’acte de la justice consiste à rendre ce qui est dû. Or, donner le dixième de son temps n’est pas une dette, mais [donner] de ce qu’on possède d’une certaine façon. Mais le jeûne est appelé dîme de toute l’année par une certaine adaptation. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit un acte de justice.

[16662] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fortitudinis est perferre molestias ab exteriori illatas : hoc autem non est in jejunio.

2. Il relève de la force de supporter les désagréments venus de l’extérieur. Mais tel n’est pas le cas pour le jeûne.

[16663] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus virtutibus moralibus actus dirigitur prudentia, ut in 3 Lib., dist. 38, quaest. 2, art. 5, dictum est ; et sic actus aliarum virtutum sunt etiam prudentiae.

3. Dans toutes les vertus morales, l’acte est dirigé par la prudence, comme on l’a dit dans le livre III, d. 38, q. 2, a. 5. Ainsi, les actes des autres vertus sont aussi des actes de prudence.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16664] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod duplex est praeceptum, scilicet juris naturalis et juris positivi. Praecepto juris naturalis prohibentur ea quae sunt secundum se mala ; sed praeceptis juris positivi prohibentur ea quae possunt esse occasiones malorum ; vel praecipiuntur aliqua ordinantia ad virtutem, quam legis positor inducere intendit ; et propter hoc, jus positivum, ut dicit Tullius, est a naturali derivatum ; unde ad legem positivam pertinet, ut dicit philosophus in 10 Ethic., ordinare nutritiones juvenum et adinventiones virorum, idest opera et studia, ut arceantur a malis, et perducantur ad bona. In jejunio ergo est aliquid quod ad praeceptum juris naturalis pertinet, scilicet tantam abstinentiam carni adhibere ne spiritui rebellet. Temperantia enim, ut dicit philosophus in 3 Ethic., mensuram accipit ex conservatione salutis corporalis ; unde multo magis ex conservatione salutis spiritualis. Medium autem temperantiae non excedere, ad jus naturale pertinet ; sed determinatio talis abstinentiae secundum determinatum tempus et determinata cibaria, ad jus positivum pertinet, quod moderatur hominum actus ; et hoc modo jejunium sub praecepto Ecclesiae cadit.

Il existe un double précepte : celui du droit naturel et celui du droit positif. Par le précepte du droit naturel, est interdit ce qui est mal en soi ; mais, par les préceptes du droit positif, est interdit ce qui peut être occasion de maux, ou sont ordonnées certaines choses qui orientent vers la vertu que le législateur a en vue. Pour cette raison, comme le dit Tullius [Cicéron], le droit positif est dérivé du droit naturel. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, X, il appartient donc à la loi positive d’ordonner l’éducation des jeunes et les entreprises des hommes adultes, à savoir, leurs actes et leurs entreprises, de telle sorte qu’ils évitent ce qui est mal et soient conduits à ce qui est bien. Dans le jeûne, il y a donc quelque chose qui relève d’un précepte de la loi naturelle, à savoir, imposer une telle abstinence à la chair qu’elle ne se rebelle pas contre l’esprit. En effet, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, la tempérance reçoit sa mesure de la conservation de la santé du corps ; à bien plus forte raison, donc, de la conservation de la santé spirituelle. Or, il relève du droit naturel de ne pas dépasser le milieu de la tempérance ; mais la détermination de telle abstinence selon un moment déterminé et une nourriture déterminée relève du droit positif, qui fixe la mesure des actes des hommes. C’est de cette manière que le jeûne est soumis à un précepte de l’Église.

[16665] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod decor Ecclesiae principaliter in interioribus consistit ; sed etiam exteriores actus ad eumdem decorem pertinent, inquantum ab interiori progrediuntur, et inquantum interiorem decorem conservant ; et sic jejunium ad decorem Ecclesiae ordinatur.

1. La beauté de l’Église consiste principalement dans les réalités intérieures. Mais les actes extérieurs ont aussi un rapport avec la même beauté pour autant qu’ils viennent d’un acte intérieur et qu’ils préservent la beauté intérieure. Le jeûne est ainsi ordonné à la beauté de l’Église.

[16666] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est genus supererogationis. Quoddam quod totaliter excedit necessitatem salutis ; et hoc non potest cadere sub praecepto, sed sub consilio ; 1 Corinth. 7, 25 : de virginibus autem praeceptum domini non habeo, consilium autem do. Aliud genus supererogationis est quod aliquo modo ad necessitatem salutis pertinet, quamvis non secundum hunc vel illum modum, sicut de jejunio ex dictis patet, et ideo determinatio modi in talibus potest cadere sub praecepto Ecclesiae vel cujuscumque legislatoris.

2. Il existe un double genre de facultatif. L’un dépasse totalement ce qui est nécessaire au salut. Celui-ci ne peut pas être soumis à un précepte, mais à un conseil. 1 Co 7, 25 : À propos des vierges, je n’ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil. L’autre genre de facultatif est celui qui a un certain rapport avec ce qui est nécessaire au salut, bien que non selon tel ou tel mode, comme cela ressort de ce qui a été dit pour le jeûne. Ainsi, la détermination du mode dans de telles choses peut être soumise à un précepte de l’Église ou de n’importe quel législateur.

[16667] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praecepta juris positivi magis obligant ex intentione legislatoris quam ex ipsis verbis ; et ideo transgressor talis praecepti magis est reputandus qui obviat intentioni legislatoris quam qui deviat in aliquo a legis ordinatione. Intentioni autem legislatoris obviat qui ex contemptu vel sine aliqua rationabili causa ordinationem non servat. Si autem in aliquo casu non servat in quo probabiliter credi potest, si legislator adesset, eum obligare non velle, talis non est reputandus praecepti transgressor. Et ideo non est necessarium quod quicumque aliquem diem ab Ecclesia institutum jejunare omittit, mortaliter peccet : potest enim hoc aliquando omnino sine peccato contingere, aliquando sine mortali cum veniali, aliquando etiam cum mortali ; et hoc secundum diversas occasiones quibus homo inducitur ad jejunium frangendum.

3. Le caractère obligatoire des préceptes du droit positif vient davantage de l’intention du législateur que des paroles elles-mêmes. C’est pourquoi doit être considéré comme transgresseur d’un tel précepte celui qui s’oppose à l’intention du législateur plutôt que celui qui s’écarte sur quelque point de la disposition de la loi. Or, s’oppose à l’intention de la loi celui qui, par mépris ou sans cause raisonnable, ne respecte pas cette disposition. Mais s’il ne la respecte pas dans un cas dont on peut raisonnablement penser que, si le législateur était présent, il ne voudrait pas l’obliger, celui-là ne doit pas être considéré comme transgresseur du précepte. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que pèche mortellement quiconque omet de jeûner un jour établi par l’Église : en effet, cela peut se produire parfois sans aucun péché, parfois sans péché mortel mais avec un péché véniel, parfois aussi avec un péché mortel, et cela, selon les diverses occasions par lesquelles on est amené à rompre le jeûne.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[16668] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod jejunium actus satisfactorius est : quia et pro libidine peccati praeteriti subtractionem delectationis recompensat, afflictionem etiam addens ; et futura peccata impedit, concupiscentiam debilitans.

Le jeûne est un acte satisfactoire, car il compense pour le désir désordonné d’un péché passé par la soustraction d’un plaisir, et il empêche des péchés futurs en affaiblissant la concupiscence.

[16669] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod jejunium quamvis elicitive sit actus temperantiae, tamen a justitia imperari potest, et sic erit satisfactorium ; sicut etiam adulterium intemperantiam admixtam injustitiae habet.

1. Bien que le jeûne soit issu de la tempérance, il peut cependant être ordonné par la justice, et il sera ainsi satisfactoire, de même que l’adultère comporte un mélange d’intempérance et d’injustice.

[16670] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praeceptum legis naturae non est nisi de eo quod est necessarium ad salutem ; et ideo quod sub tali praecepto cadit, non est satisfactorium, sed ad satisfactionem exigitur ; et sic est de eleemosyna, secundum quod cadit sub praecepto. Sed praeceptum Ecclesiae potest ad idem ordinari ad quod ordinatur satisfactio ; et ideo jejunium quod sub praecepto Ecclesiae cadit, satisfactorium esse potest.

2. Le précepte de la loi naturelle ne porte que sur ce qui est nécessaire au salut. Aussi ce qui est soumis à un tel précepte n’est-il pas satisfactoire, mais est-il requis pour la satisfaction. Ainsi en est-il de l’aumône, selon qu’elle est soumise à un précepte. Mais le précepte de l’Église peut être ordonné à la même chose que la satisfaction. C’est pourquoi le jeûne qui est soumis à un précepte de l’Église peut être satisfactoire.

[16671] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod neque corpus peccat neque anima, proprie loquendo, sed homo ; et ideo ipse qui peccat, punitur, sive sit poena corporalis, sive spiritualis. Tamen etiam poena corporalis in animam redundat, quae ipsam sentit, sicut et per corpus delectatione illicita fruebatur in peccato.

3. À proprement parler, ni le corps ni l’âme ne pèchent, mais l’homme. C’est pourquoi celui qui pèche est puni, qu’il s’agisse d’une peine corporelle ou d’une peine spirituelle. Cependant, même la peine corporelle retombe sur l’âme qui la ressent, de même que, dans le péché, elle jouissait d’un plaisir défendu par l’intermédiaire du corps.

[16672] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod superabundantia cibi non habet poenam, et est inordinata ; et ideo non potest esse satisfactoria, sicut jejunium.

4. La surabondance de nourriture ne comporte pas de peine et est désordonnée. C’est pourquoi elle ne peut être satisfactoire comme le jeûne.

[16673] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intelligitur ad modicum valere corporalis exercitatio in comparatione ad pietatem : vel quia ad unum tantum valet, scilicet ad concupiscentiam domandam.

5. On comprend que les exercices corporels ont peu de valeur par comparaison avec la piété. Ou bien, parce qu’ils n’ont de valeur que pour une seule chose : dompter la concupiscence.

 

 

Articulus 2 [16674] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 tit. Utrum ad jejunium ab Ecclesia institutum omnes teneantur absque dispensatione

Article 2 – Tous sont-ils tenus sans dispense au jeûne établi par l’Église ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous sont-ils tenus sans dispense au jeûne établi par l’Église  ?]

[16675] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ad jejunium ab Ecclesia institutum omnes teneantur absque dispensatione. Praecepta enim Ecclesiae obligant sicut praecepta Dei ; unde apostolis dicitur Luc. 10, 16 : qui vos audit, me audit. Sed ad praecepta Dei omnes tenentur absque dispensatione. Ergo et ad praecepta Ecclesiae.

1. Il semble que tous soient tenus sans dispense au jeûne établi par l’Église. En effet, les commandements de l’Église obligent comme les commandements de Dieu. Aussi est-il dit aux apôtres en Lc 10, 16 : Qui vous écoute m’écoute. Or, tous sont obligés par les commandements de Dieu sans dispense. Il en est donc de même pour les commandements de l’Église.

[16676] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod utiliter statutum est, non potest sine nocumento relaxari. Sed non sine utilitate statutum est Ecclesiae jejunium. Ergo non potest per dispensationem sine nocumento relaxari.

2. Ce qui a été établi de manière utile ne peut être assoupli sans préjudice. Or, le jeûne a été établi par l’Église non sans utilité. Il ne peut donc pas être assoupli sans préjudice par une dispense.

[16677] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Bernardum in Lib. de dispensatione et praecepto, in praecepto superioris non potest inferior dispensare. Sed quaelibet singularis persona est inferior quam Ecclesia, quae jejunium sub praecepto statuit, nisi forte ille qui est caput totius Ecclesiae, vel loco capitis, scilicet Papa. Ergo nullus alius potest in jejunio dispensare nisi Papa.

3. Selon Bernard, dans son livre Sur la dispense et le commandement, un inférieur ne peut pas se dispenser de l’ordre d’un supérieur. Or, toute personne particulière est inférieure à l’Église (sauf peut-être celui qui est la tête de toute l’Église ou qui occupe la place de la tête, le pape), qui a fait du jeûne un commandement. Personne d’autre que le pape ne peut donc dispenser du jeûne.

[16678] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Innocentius III in quadam decretali, loquens de materia ista, dicit, quod non subjacet legi necessitas. Ergo necessitate imminente potest aliquis sine peccato jejunium ab Ecclesia institutum praetermittere per dispensationem.

Cependant, [1] dans une décrétale, Innocent III, parlant de cette question, dit que la nécessité n’est pas soumise à la loi. Pour une nécessité imminente, on peut donc omettre par dispense le jeûne établi par l’Église.

[16679] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, praecepta legis naturalis non possunt per aliquod statutum immutari. Sed praeceptum legis naturalis est ut homo ad necessitatem cibum sumat. Ergo si necessitas exposceret, posset jejunii abstinentiam non servare.

[2] Les commandements de la loi naturelle ne peuvent être changés par une décision. Or, un commandement de la loi naturelle veut qu’un homme prenne de la nourriture en cas de nécessité. Si la nécessité l’exige, il pourrait donc ne pas observer l’abstinence du jeûne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les justes sont-ils obligés au jeûne de l’Église  ?]

[16680] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justi non teneantur ad jejunium Ecclesiae, 2 Corinth. 3, 17 : ubi spiritus domini, ibi libertas. Sed justi spiritu Dei sunt imbuti. Ergo liberi sunt ab onere statutorum Ecclesiae ; et sic non obligantur ad jejunium ab Ecclesia institutum.

1. Il semble que les justes ne soient pas obligés au jeûne de l’Église. 2 Co 3, 17 : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Or, les justes sont imprégnés de l’Esprit de Dieu. Ils sont donc libérés du poids des décisions de l’Église. Ainsi, ils ne sont pas obligés au jeûne établi par l’Église.

[16681] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Matth. 9, 15, dominus dicit : non possunt filii, quamdiu cum eis est sponsus, lugere. Jejunium autem ad luctum pertinet. Sed cum justis sponsus Ecclesiae Christus spiritualiter est ; Eph. 3, 17 : habitare Christum per fidem in cordibus vestris. Ergo cum spiritualis praesentia corporali praeemineat, videtur quod non teneantur ad jejunium.

2. En Mt 9, 15, le Seigneur dit : Les fils ne peuvent pas être en deuil aussi longtemps que l’époux est avec eux. Or, le jeûne a un rapport avec le deuil. Or, l’époux de l’Église, le Christ, est spirituellement avec les justes, Ep 3, 17 : Que le Christ habite dans vos cœurs par la foi ! Puisque la présence spirituelle l’emporte sur la présence corporelle, il semble donc qu’ils ne soient pas tenus au jeûne.

[16682] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus tenetur satisfacere qui non peccavit. Sed jejunium est quaedam satisfactionis pars. Ergo si sunt aliqui justi qui nunquam peccaverunt, videtur quod tales ad jejunium non tenentur.

3. Personne qui n’a pas péché n’est obligé de satisfaire. Or, le jeûne est une partie de la satisfaction. S’il existe des justes qui n’ont jamais péché, il semble donc qu’ils ne soient pas tenus de jeûner.

[16683] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, apostolus perfecte justus fuit. Sed ipse corpus suum castigavit per jejunia et alia corporalia exercitia, ut dicitur 1 Corinth. 9, 27 : ne forte reprobus efficiar. Ergo et alii justi debent jejunare.

Cependant, [1] l’Apôtre a été parfaitement juste. Or, lui-même a châtié son corps par les jeûnes et les autres exercices corporels, comme il est dit en 1 Co 9, 27 : De sorte que je ne sois pas rejeté. Les autres justes aussi doivent donc jeûner.

[16684] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, justitia hominis ordinem Ecclesiae non subvertit, sed perficit. Sed quamdiu manet ordo, manet obedientia inferioris ad superiorem praecepta : quia hoc eis est debitum. Ergo per justitiam homo non absolvitur quin teneatur jejunare, et alia praecepta Ecclesiae Dei debeat servare.

[2] La justice de l’homme ne bouleverse pas l’ordre de l’Église, mais le perfectionne. Or, aussi longtemps que l’ordre demeure, demeure l’obéissance de l’inférieur aux commandements du supérieur, car cela est dû à celui-ci. Par la justice, un homme n’est donc pas délié de l’obligation de jeûner et d’observer les autres commandements de l’Église de Dieu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les enfants sont-ils obligés de jeûner  ?]

[16685] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam pueri teneantur ad jejunium. Joel. 2, 15, dicitur : sanctificate jejunium ; et postea sequitur : congregate parvulos, et sugentes ubera. Ergo parvuli ad jejunium tenentur.

1. Il semble que même les enfants soient tenus de jeûner. Il est dit en Jl 2, 15 : Sanctifiez le jeûne  ! Et ensuite : Rassemblez les enfants, même ceux qui sont à la mamelle. Les enfants sont donc obligés de jeûner.

[16686] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, magis propinquus est praecepto puer quam bestia. Sed Jonae 2, 7, dicitur : homines et jumenta (...) non gustent quidquam, nec aquam bibant. Ergo multo magis pueri ad jejunium tenentur.

2. L’enfant est plus proche du commandement que les bêtes sans raison. Or, il est dit dans Jon 2, 7 : Que ni les hommes ni les bêtes… ne goûtent quoi que ce soit et ne boivent pas d’eau ! À bien plus forte raison, les enfants sont-ils donc obligés au jeûne.

 [16687] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, pueri plus possunt jejunare quam (ut videtur) provecti, quia habent plus de humido. Sed qui plus habet, magis tenetur. Ergo pueri magis tenentur ad jejunium quam provecti.

3. Les enfants peuvent davantage jeûner que ceux qui sont avancés [en âge], semble-t-il, car ils ont plus d’humidité. Or, celui qui possède davantage est obligé à davantage. Les enfants sont donc davantage obligés au jeûne que ceux qui sont avancés en âge.

[16688] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, praeceptum Ecclesiae necessitatem cibi subtrahere non debet. Sed pueri indigent frequenti cibo : quia non possunt semel tantum sine laesione alimentum accipere quod eis ad totam diem sufficiat, propter debilitatem naturae. Ergo ad jejunium non tenentur.

Cependant, [1] le commandement de l’Église ne doit pas soustraire la nourriture nécessaire. Or, les enfants ont besoin de manger souvent, car ils ne peuvent, en raison de la faiblesse de leur nature, prendre en une seule fois sans se faire de tort la nourriture qui leur suffirait pour toute la journée. Ils ne sont donc pas obligés de jeûner.

[16689] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, jejunium est ordinatum ad satisfaciendum, et concupiscentiam comprimendum. Sed satisfactio pro peccatis praeteritis non competit pueris ; quia innocenti vita degunt, et a puritate pueri dicuntur ; similiter nec est in eis concupiscentia impugnans, etsi habitus eis insit, ut Augustinus dicit. Ergo non tenentur ad jejunium.

[2] Le jeûne est ordonné à la satisfaction et à la répression de la concupiscence. Satisfaire pour les péchés passés ne revient pas aux enfants, car ils mènent une vie innocente, et pueri [enfants] vient de puritas [pureté] ; de même, il n’existe pas chez eux une concupiscence combative, même si l’habitus existe en eux, comme le dit Augustin. Ils ne sont donc pas obligés de jeûner.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les gens en déplacement et en santé sont-ils excusés du jeûne pour cause de pèlerinage ?]

[16690] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod provecti et sani non excusentur a jejunio propter peregrinationem. Est enim dimittendum illud quod non est necessitatis, ut servetur id quod est necessitatis. Sed peregrinatio non est necessitatis. Cum ergo jejunium ab Ecclesia institutum sit necessitatis, quia cadit sub praecepto ; videtur quod non debeat propter peregrinationem aut iter, jejunium intermitti.

1. Il semble que les gens en déplacement et en santé ne soient pas exemptés du jeûne pour cause de pèlerinage. En effet, il faut écarter ce qui n’est pas nécessaire, afin de garder ce qui est nécessaire. Or, un pèlerinage n’est pas nécessaire. Puisque le jeûne établi par l’Église est nécessaire, car il est soumis à un commandement, il semble donc qu’on ne doive pas reporter le jeûne pour cause de pèlerinage ou de voyage.

[16691] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, videtur quod nec ratione paupertatis. Quia paupertas de se inducit ad jejunandum. Ergo non est causa quare aliquis jejunare non debeat.

2. Il semble que [le jeûne ne doive pas être reporté] non plus en raison de la pauvreté, car la pauvreté conduit de soi à devoir jeûner. Elle n’est donc pas une raison pour laquelle on ne doive pas jeûner.

[16692] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, videtur quod nec ratione operis alicujus servilis quis a jejunio excusetur. Quia lucrum spirituale debet praeponderare lucro corporali. Sed hujusmodi opera ad lucrum corporale ordinantur, jejunium autem ad spirituale. Ergo non est jejunium propter hujusmodi opera intermittendum.

3. Il semble qu’on ne soit pas non plus exempté de jeûner en raison d’un travail servile, car le profit spirituel doit l’emporter sur le profit corporel. Or, les travaux de ce genre sont ordonnés à un un profit corporel, mais le jeûne à un profit spirituel. Le jeûne ne doit donc pas être reporté pour des travaux de ce genre.

[16693] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, afflictio non est addenda afflicto. Sed omnia praedicta habent de se afflictionem. Ergo aliquo modo excusantur ab afflictione jejunii.

Cependant, on ne doit pas ajouter d’affliction à celui qui est affligé. Or, tout ce qui a été dit plus haut comporte de soi une affliction. Ils sont donc d’une certaine façon exemptés de l’affliction du jeûne.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16694] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod per praecepta juris positivi, ut dictum est, removentur aliqua quae non sunt de se mala et semper ; unde in aliquo casu possunt esse bona et necessaria quae talibus prohibentur praeceptis ; et ideo non fuit intentio legislatoris ut semper observaretur praeceptum suum, nisi in illis casibus in quibus bonum virtutis potest conservari. Et ideo dicendum ad primam quaestionem de jure naturali et positivo, quod jus positivum a jure naturali procedere dicitur, inquantum per jus positivum modus observandi jus naturale determinatur ; quia intentio cujuslibet legislatoris est inducere homines ad virtutes, ut dicitur in 2 Ethic., quae pertinent ad jus naturale. Modus autem observandi ea quae sunt de lege naturali, non potest esse uniformis in omnibus propter diversitates quae in singularibus contingunt, sicut nec idem modus curationis potest adhiberi omnibus laborantibus eadem aegritudine ; et ideo legislator non potest aliquod praeceptum ponere quod non oporteat in casu aliquo praetermitti. Tamen considerans quod frequentius accidit, legem ponit, in illis casibus in quibus modus determinatus per legem non competit judicium reservans aliquibus qui hoc habeant definire ; et haec est dispensatio praelatis commissa in jejunio ab Ecclesia instituto, et in aliis hujusmodi Ecclesiae praeceptis.

Comme on l’a dit, par les préceptes du droit positif, on écarte certaines choses qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes et toujours. Aussi ce qui est interdit par ces préceptes peut-il être bon et nécessaire dans un cas. L’intention du législateur n’a donc pas été que son précepte soit toujours observé, sauf  dans les cas où le bien de la vertu peut être sauvegardé. C’est pourquoi il faut répondre, à propos de la première question sur le droit naturel et positif, qu’on dit que le droit positif vient du droit naturel pour autant que, par le droit positif, la manière d’observer le droit naturel est déterminée, car l’intention de tout législateur est de conduire les hommes aux vertus, comme on le dit dans Éthique, II, lesquelles relèvent du droit naturel. Or, la manière d’observer ce qui appartient à la loi naturelle ne peut être uniforme en toutes choses en raison des diversités qui se présentent dans les choses particulières, de même que la même manière de traiter ne peut être appliquée à tous ceux qui souffrent de la même maladie. C’est pourquoi le législateur ne peut établir un précepte qu’il ne faudrait pas laisser de côté dans un cas. Cependant, en prenant en compte ce qui se produit le plus fréquemment, il établit une loi, en réservant le jugement à certains qui ont pour tâche de définir, dans les cas où une manière déterminée [de l’observer] ne revient pas à la loi. C’est là la dispense confiée aux supérieurs pour le jeûne établi par l’Église, et pour les autres préceptes semblables de l’Église.

[16695] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praecepta Dei sunt de eo quod est de necessitate salutis secundum se ; et ideo in quolibet casu observare illa oportet ; sed praecepta Ecclesiae quamvis vim obligandi habeant ex actu praecipientium, non tamen semper obligant propter materiam in qua proponuntur.

1. Les commandements de Dieu portent sur ce qui est nécessaire au salut en lui-même ; il faut donc les observer dans tous les cas. Mais les commandements de l’Église, bien qu’ils aient le pouvoir d’obliger en vertu de l’acte de ceux qui les ordonnent, n’obligent cependant pas toujours en raison de la matière sur laquelle ils portent.

[16696] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum utilitatem quae ut frequentius accidit, utiliter hujusmodi praecepta instituta sunt ; sed propter necessitatem in aliquo casu emergentem etiam utiliter dimittuntur.

2. Selon l’utilité qui se produit le plus souvent, ces préceptes ont été utilement établis ; mais ils sont utilement écartés pour une nécessité qui apparaît dans un cas.

[16697] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inferior potest dispensare in praecepto superioris quando dispensatio sibi a superiori relinquitur.

3. L’inférieur peut dispenser d’un précepte du supérieur lorsque la dispense lui a été confiée par le supérieur.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16698] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod praeceptum a legislatore positum, tunc solum ad observandum non obligat, quando observatio intentionem legislatoris evacuat vel impedit, qua intendit homines inducere ad virtutem, vel bonum statum eorum quibus legem proponit. Cum autem justitia profectum jejunii quem legislator intendit, non impediat, sed augeat, quia efficitur magis meritorium ex hoc quod aliquis est justus, non absolvitur a jejuniorum observatione.

Le précepte établi par le législateur n’oblige pas seulement le cas où l’observance annulle ou empêché l’intention du législateur, par laquelle celui-ci vise à mener les hommes à la vertu ou le bon état de ceux à qui il propose la loi. Puisque la justice n’empêche pas le profit du jeûne, car il devient plus méritoire du fait que quelqu’un est juste, il n’est donc pas délié de l’observance des jeûnes.

[16699] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod libertas quam spiritus Dei inducit, est libertas justitiae, quae opponitur servituti peccati, sed conjungitur servituti Dei ; et ita ad obedientiam mandatorum ejus, et eorum qui vicem Dei gerunt in terris obligatur.

1. La liberté que l’Esprit de Dieu apporte est la liberté de la justice, qui s’oppose à la liberté du péché, mais est associée au service de Dieu. Ainsi, on est-on obligé d’obéir à ses commandements et à ceux de ceux qui le représentent sur terre.

 [16700] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est jejunium ; luctus, et exultationis ; et dicitur jejunium luctus, quod quidem cum amaritudine peccatorum vel praesentis miseriae geritur ; jejunium vero exultationis, cum ex spirituali jucunditate a carnalibus se abstrahit ; quia gustato spiritu, desipit omnis caro justis. Ergo semper habitu spiritualiter sponsus praesens est, sed non est semper actu ; immo quandoque est eis praesens ut judex, cum sua peccata recogitant, vel quae fecerunt, vel in quae cadere possunt, nisi carnem cohibeant ; et tunc eis competit jejunium moeroris. Aliquando autem est eis praesens actu, ut sponsus, quando ejus dulcedine perfruuntur : et tunc competit eis exultationis jejunium, et non maerOris.

2. Il existe un double jeûne : celui du deuil et celui de l’exultation. Le jeûne du deuil est celui qui est accompli avec l’amertume des péchés ou de la misère présente. Mais le jeûne d’exultation est accompli lorsqu’on s’arrache aux réalités charnelles en raison de la joie spirituelle, car, après qu’ils ont goûté à l’Esprit, toute chair est insipide pour les justes. L’Époux est donc toujours présent spirituellement selon l’habitus, mais non selon l’acte ; bien plus, il est parfois présent pour eux en tant que juge, lorsqu’ils repensent à leurs péchés, soit à ceux qu’ils ont faits, soit à ceux dans lesquels ils peuvent tomber, s’ils ne contraignent pas la chair. Alors leur convient un jeûne d’affliction. Mais parfois, il est présent pour eux en acte en tant qu’Époux, lorsqu’ils jouissent de sa douceur ; alors, un jeûne d’exultation leur convient, et non [un jeûne] d’affliction.

[16701] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jejunium non tantum inducitur pro peccatis praeteritis, sed etiam ad praeservandum a futuris ; et ideo in his quae non peccaverunt, competit ut medicina praeservans. Tamen praesens vita sine peccato omnino agi non potest, quamvis a criminibus aliquis abstineat, ut Augustinus in Lib. de poenitentia dicit ; et ideo sicut omnibus in hac vita existentibus competit poenitentia, ita et jejunium.

3. Le jeûne n’est pas encouragé seulement pour les péchés passés, mais aussi pour préserver des péchés futurs. C’est pourquoi, chez ceux qui n’ont pas péché, il convient comme remède qui préserve. Toutefois, on ne peut mener la vie présente sans aucun péché, bien qu’on s’y abstienne de fautes graves, comme le dit Augustin dans le Livre sur la pénitence. C’est pourquoi, de même que la pénitence convient à tous ceux qui se trouvent dans cette vie, de même aussi le jeûne.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16702] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod pueri indigent multo cibo, eo quod cibus in eis non solum exigitur ad actum nutritivae, sed etiam ad actum augmentativae virtutis, quia de residuo nutrimenti fit augmentum. Et quia virtus naturae in eis nondum convaluit, non possunt simul multum de cibo assumere, quia naturalis virtus illud convertere non posset ; et ideo indigent frequenti cibi sumptione ; et propter hoc eis non competit jejunium, dum sunt in augmento. Tempus enim augmenti, secundum philosophum, est usque ad finem tertii septennii ut in pluribus, quia res naturales non currunt semper eodem modo, sed ut frequenter ; et ideo ante hoc tempus non arctantur pueri ad omnia jejunia Ecclesiae servanda. Sed quia quanto ad terminum praedictum appropinquant, tanto virtus naturae magis roboratur, et augmentum tardius procedit, cum in primis quinque annis perveniat puer ad medietatem totius augmenti, ut philosophus dicit ; ideo secundum quod magis appropinquant ad praedictum terminum, sunt eis jejunia magis commensuranda.

Les enfants ont besoin de beaucoup de nourriture, du fait que, chez eux, la nourriture n’est pas seulement requise pour l’acte de la puissance nutritive, mais aussi pour l’acte de la puissance de croissance, car la croissance vient de ce qui reste de la nourriture. Et parce que la puissance de la nature n’a pas encore atteint chez eux sa pleine mesure, ils ne peuvent pas prendre d’un coup beaucoup de nourriture, car la puissance naturelle ne pourrait pas la convertir. C’est pourquoi ils ont besoin de prendre souvent de la nourriture ; pour cette raison, le jeûne ne leur convient pas, aussi longtemps qu’ils sont en croissance. En effet, selon le Philosophe, le temps de la croissance va jusqu’à la vingt-et-unième année accomplie dans la plupart des cas, car les choses naturelles n’évoluent pas toujours de la même manière, mais [évoluent d’une certaine manière] dans la plupart des cas. C’est pourquoi, avant ce moment, les enfants ne sont pas forcés d’observer tous les jeûnes de l’Église. Mais parce que, lorsqu’ils approchent de l’échéance indiquée, la puissance de la nature est tellement renforcée et la croissance se réalise plus lentement (alors qu’au cours des cinq premièeres années, un enfant réalise la moitié de sa croissance totale), les jeûnes doivent leur être adaptés à mesure qu’ils approchent de l’échéance indiquée.

[16703] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur in casu quando magna tribulatione imminente major afflictio ad placandum Deum superaddenda est.

1. On parle du cas où, à l’approche d’une grande tribulation, une plus grande affliction doit s’ajouter pour apaiser Dieu.

[16704] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[16705] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis pueri plus habeant de humido quam provecti ; quia tamen illud est minus inspissatum, citius potest a calore consumi ; et ideo frequentiori refectione indigent.

3. Bien que les enfants aient plus d’humidité que les gens âgés, parce qu’elle plus dense, elle peut être plus rapidement consumée par la chaleur. Ils ont donc besoin de manger plus souvent.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16706] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, intentio legislatoris est conservare homines et inducere ad bonum statum virtutis ; qui quidem consistit in conservatione vitae, et valetudine sufficienti ad opera quae quis facere debet ; nec tamen suo praecepto exigit ab homine totum quod potest, cum non intendat ordinare statum hominis quantum ad unum diem vel ad parvum tempus, sed ad totam vitam ; a quo deficeret, si semel homo totum quod posset, faceret ; et ideo sive aegritudine imminente, sive labore viae, sive quocumque alio, cum quo simul et jejunio praedictus status conservari non potest, non tenetur ex praecepto jejunare ; sed secundum dispensationem superioris, ut supra dictum est, jejunium solvere potest.

Comme on l’a dit, l’intention du législateur est de maintenir et d’amener les hommes au bon état de la vertu, qui consiste dans la conservation de la vie et dans une santé suffisante pour accomplir les actes que l’on doit accomplir. Cependant, il n’exige pas de l’homme par son précepte tout ce que celui-ci peut accomplir, puisqu’il ne vise pas à ordonner l’état de l’homme pour une seule journée ou un court laps de temps, mais pour toute la vie ; ce ne serait pas le cas si l’homme accomplissait tout ce qu’il pouvait d’un seul coup. Ainsi, on n’est pas obligé de jeûner en vertu du précepte en raison d’une maladie qui menace, de la difficulté du voyage ou de n’importe quoi d’autre, avec quoi l’état dont on a parlé ne peut être simultanément maintenu ; mais on peut rompre le jeûne selon la dispense d’un supérieur, comme on l’a dit.

[16707] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si sit talis peregrinatio quae possit sine incommodo differri, debet peregrinationem differre, si simul cum ea jejunare non potest. Si autem peregrinatio commode differri non potest, vel quia tempus jejunii hominem in via praeoccupat, vel quia dies festus alicui imminet, ad quem ex devotione homo pergere cupit, vel quia mora in poenitentia periculum habet vel spirituale vel corporale, potest cum dispensatione sui superioris omnia praedicta pensantis peregrinari, et jejunium solvere. Hoc tamen intelligitur de his qui labore itineris adeo affliguntur, quod simul cum jejunio itinerari non possunt. Nec obstat quod praeceptum debet praeponi consilio ; quia intentio praeceptum hujusmodi dantis non est alias pias et magis necessarias causas excludere. Secus autem est de praeceptis legis naturae, quae hoc prohibent quod secundum se et semper malum est.

1. S’il s’agit d’un pèlerinage qui peut être reporté sans préjudice, on doit reporter le pèlerinage, si on ne peut jeûner en même temps que lui. Mais si le pèlerinage ne peut être reporté sans préjudice, soit parce que le temps du jeûne en cours de route préoccupe un homme, soit parce qu’une fête est proche, à laquelle un homme désire se rendre par dévotion, soit parce que la durée de la pénitence comporte un danger spirituel ou corporel, on peut, par dispense de son supérieur qui prend tout cela en compte, partir en pèlerinage et rompre le jeûne. Cependant, cela s’entend de ceux qui sont à ce point affectés par la difficulté de la route qu’ils ne peuvent jeûner et faire route en même temps. Cela ne fait pas de différence que le précepte doive l’emporter sur le conseil, car l’intention de celui qui donne un tel précepte n’est pas d’écarter d’autres causes pieuses et plus nécessaires. Mais il en va autrement des préceptes de la loi naturelle, qui interdisent ce qui est mal de soi et toujours.

[16708] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod paupertas non semper excusat a jejunio, sed in illo casu quando simul habere non potest tantum hora comestionis quod ad victum totius diei sufficiat, sicut frequenter egenis contingit, qui frustatim eleemosynas quaerunt ; vel etiam quando ex praecedenti inedia tantum debilitati sunt quod jejunium sufferre non possunt.

2. La pauvreté n’exempte pas toujours du jeûne, mais seulement dans le cas où, lorsqu’on ne peut avoir suffisamment, à l’heure de manger, pour suffire à l’alimentation de toute la journée, comme cela arrive fréquemment chez les pauvres qui demandent en vain l’aumône ; ou encore, lorsque, parce qu’ils n’ont pas mangé suffisamment auparavant, ils sont si faibles qu’ils ne peuvent supporter un jeûne.

[16709] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de operariis distinguendum videtur : quia si jejunando possunt competenter victum pro persona sua habere, et pro familia cujus cura eis incumbit (sive quia alias divites sunt, sive quia de eo quod minori labore fit, qui secum jejunium compatiatur, lucrari sufficientia possunt), a jejunio non excusantur. Si autem alias non possunt tantum laborare quod victum sufficientem acquirant, nisi jejunium frangendo ; possunt secundum dispensationem sacerdotis sui jejunium solvere, et laborare. Ex quo patet quod intentio majoris lucri non necessarii eos a peccato non excusat, si jejunium frangant : nec iterum illi a peccato immunes sunt qui operarios conducere nolunt nisi tali pacto ut jejunium solvant, nisi forte sit causa necessaria, quae festinationem operis pro quo laboratur, exposcat.

3. À propos des ouvriers, il faut faire une distinction, car si, en jeûnant, ils peuvent avoir suffisamment à manger pour eux-mêmes et pour la famille dont ils ont la charge (soit parce qu’ils sont riches par ailleurs, soit parce qu’ils peuvent gagner suffisamment par un travail moindre qui est compatible avec le jeûne), ils ne sont pas exemptés de jeûner. Mais s’ils ne peuvent par ailleurs travailler suffisamment pour obtenir une subsistance suffisante qu’en rompant le jeûne, ils peuvent rompre le jeûne, avec la dispense de leur prêtre, et travailler. Il ressort de cela que l’intention d’un gain plus grand qui n’est pas nécessaire ne les excuse pas de péché, s’ils rompent le jeûne ; et ceux qui ne veulent pas engager d’ouvriers sans entente pour qu’ils rompent le jeûne ne sont pas non plus exempts de péché, à moins que n’existe une cause nécessaire qui exige l’accélération du travail auquel on s’adonne.

 

 

Articulus 3 [16710] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 tit. Utrum hujusmodi tempora debeant esse ad jejunium determinata, sicut Ecclesia instituit

Article 3 – Doit-il exister des temps déterminés pour le jeûne, comme l’Église l’a établi ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-il exister des temps déterminés pour le jeûne, comme l’Église en a établi  ?]

[16711] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod hujusmodi tempora non debeant esse ad jejunium determinata, sicut Ecclesia instituit. Quia sicut jejunium est satisfactionis pars, ita eleemosyna. Sed eleemosynarum tempus non est determinatum. Ergo nec jejunii.

1. Il semble qu’il ne doive pas exister de moments déterminés pour le jeûne, comme l’Église en a établi, car, de même que le jeûne est une partie de la satisfaction, de même en est-il de l’aumône. Or, le temps des aumônes n’est pas déterminé. Donc, celui du jeûne non plus.

[16712] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut legislator novi testamenti, scilicet Christus, Quadragesimam jejunavit ; ita et legis veteris lator scilicet Moyses. Sed populo veteris testamenti non indicebatur quadragesimale jejunium. Ergo nec populo novi testamenti indici debet.

2. De même que le législateur de la Nouvelle Alliance, le Christ, a jeûne pendant quarante jours, de même, le législateur de l’Alliance ancienne. Or, un jeûne de quarante jours n’a pas été imposé au peuple de l’Ancienne Alliance. Il ne doit pas non plus être imposé au peuple de la Nouvelle Alliance.

[16713] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus statim post Baptismum legitur, Matth. 4, jejunium in deserto inchoasse. Si ergo nos in actibus nostris Christo conformari debemus, statim post Epiphaniam, quando Baptismus Christi celebratur, debemus quadragesimale jejunium inchoare.

3. On lit en Mt 4 que le Christ, aussitôt après son baptême, entreprit un jeûne au désert. Si donc nous devons être conformes au Christ par nos actes, aussitôt après l’Épiphanie, alors que le baptême du Christ est célébré, nous devons entreprendre un jeûne de quarante jours.

[16714] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in veteri testamento habebant jejunium quarti mensis, et quinti, et septimi et decimi, quae non erant distincta per quatuor anni tempora. Ergo videtur quod nec nos per quatuor anni tempora nostra jejunia distinguere debeamus.

4. Dans l’Ancien Testament, on avait un jeûne du quatrième, du cinquième, du septième et du dixième mois, qui ne se différenciaient pas selon les quatre temps de l’année. Il semble donc que nous non plus ne devons pas faire de distinction entre nos jeûnes selon quatre temps de l’année.

[16715] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, temporibus laetitiae jejunium non competit ; unde et tempore paschali intermittitur jejunium vigiliae apostolorum Philippi et Jacobi, et tempore nativitatis, jejunium vigiliae beati Joannis Evangelistae. Sed infra octavas Pentecostes adhuc durat gaudium paschalis festivitatis. Ergo tunc jejunium non erit observandum.

5. Le jeûne ne convient pas aux temps de joie. Aussi, au temps pascal, le jeûne de la vigile des apôtres Philippe et Jacques est-il suspendu, et au temps de la Nativitié, le jeûne du bienheureux Jean l’évangéliste. Or, pendant l’octave de la Pentecôte, la joie de la fête de Pâques dure encore. Il ne faut donc pas alors observer de jeûne.

[16716] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, in sanctOrum solemniis eorum gloriam recolimus, ad quam translati sunt. Sed jejunium statui gloriae non competit : quia non esurient neque sitient amplius. Ergo in vigiliis solemnitatum jejunium non competit.

6. Lors des fêtes des saints, nous rappelons la gloire qu’ils ont obtenue. Or, le jeûne ne convient pas à l’état de gloire, car ils n’auront plus ni faim ni soif. Le jeûne ne convient donc pas aux vigiles des fêtes.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le jeûne est-il interdit à certains moments  ?]

[16717] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in aliquo tempore jejunium sit interdictum, secundum quod GregOrius in 2 dialogorum, cap. 1, narrat quemdam sacerdotem divinitus missum beato Benedicto dixisse : dies resurrectionis est : non licet tibi hodie abstinere. Ergo videtur quod in solemnitatibus illicitum est jejunare.

1. Il semble que le jeûne soit interdit à certains moments, selon ce que raconte Grégoire dans les Dialogues, II, c. 1, qu’un prêtre envoyé par Dieu dit au bienheureux Benoît : « C’est le jour de la Résurrection : il ne t’est pas permis de jeûner aujourd’hui. » Il semble donc qu’il soit interdit de jeûner lors des fêtes.

[16718] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in Esdra dicitur : sanctus dies domini est, nolite contristari ; et additur : comedite pinguia et cetera. Ergo videtur quod in diebus solemnibus non liceat jejunare.

2. Il est dit dans Esd : C’est le saint jour du Seigneur ! Ne soyez pas affligés ! Et on ajoute : Mangez des aliments gras, etc. Il semble donc qu’il ne soit pas permis de jeûner les jours de fête.

[16719] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Honorius tertius in quadam decretali dicit, quod die natalis sexta feria venienti non sunt prohibendi qui propter devotionem voluerint jejunare.

Cependant, dans une décrétale, Honorius III dit que, lorsque le jour de Noël tombe un vendredi, il ne faut pas défendre de jeûner à ceux qui le veulent par dévotion.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La neuvième heure est-elle un temps déterminé pour manger, les jours de jeûne ?]

[16720] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hora nona non debeat esse tempus determinatum ad manducandum in diebus jejunii. Quia circumstantiae secundum conditionem personarum sunt determinandae. Sed non sunt ejusdem conditionis quantum ad potentiam abstinendi omnes quibus jejunium indicitur. Ergo non esset eis omnibus una hora determinanda.

1. Il semble que la neuvième heure ne soit pas un temps déterminé pour manger, les jours de jeûne, car les circonstances doivent être déterminées selon la condition des personnes. Or, tous ceux à qui le jeûne est imposé ne sont pas dans la même condition quant à leur capacité d’abstinence. On n’aurait donc pas dû leur préciser une seule heure.

[16721] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, status novi testamenti est perfectior quam status veteris. Sed in veteri testamento jejunabant usque ad vesperam. Ergo et usque ad vesperam homo debet comestionem nunc differre in diebus jejunii.

2. L’état de la Nouvelle Alliance est plus parfait que l’état de l’Ancienne. Or, sous l’Ancienne Alliance, on jeûnait jusqu’au soir. Les jours de jeûne, on doit donc maintenant reporter de manger jusqu’au soir,.

[16722] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est consuetudo.

Cependant, la coutume va en sens contraire.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16723] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ad legislatorem pertinent ea quae sunt ad vitam humanam necessaria, lege ordinare qualiter congruentius fieri possunt ; et ideo cum aliquod tempus sit alio magis jejunio congruum, convenienter ab Ecclesia determinatum tempus est ad jejunia institutum.

Il appartient au législateur d’ordonner ce qui  est nécessaire à la vie humaine de la manière dont cela convient le mieux. C’est pourquoi, puisqu’un moment est plus convenable qu’un autre pour jeûner, un temps déterminé a été établi par l’Église pour les jeûnes.

[16724] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eleemosynae ordinantur ad subveniendum defectibus aliorum ; et ideo non potest eleemosynis tempus determinari, sicut nec defectibus quibus subvenire oportet. Sed jejunium est institutum ad comprimendum concupiscentiam carnis, et satisfaciendum pro peccatis praeteritis ; et quia jejunium concupiscentiam comprimit, etiam postquam factum est, secundum quod ejus effectus manet in jejunante, ideo potest jejunio tempus praefigi.

1. Les aumônes sont destinées à venir au secours des besoins des autres. C’est pourquoi un temps ne peut être déterminé pour les aumônes, pas davatage que les carences auxquelles il faut subvenir. Or, le jeûne a été ordonné pour réprimer la concupiscence et satisfaire pour les péchés passés. Et parce que le jeûne réprime la concupiscence, même après avoir été accompli, puisque son effet demeure chez celui qui jeûne, on peut donc déterminer à l’avance un temps pour le jeûne.

[16725] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Moyses fuit legislator non tamquam dominus legis, sed tamquam famulus ; Christus autem tamquam dominus ; et ideo non inducebat lex vetus ad conformitatem Moysi, sicut nova lex inducit ad conformitatem Christi : quia etiam Angelorum intentio, quia non sunt domini, sed servi, non est ut alios in seipsos reducant, sed in Deum, ut Dionysius dicit.

2. Moïse a été un législateur, non pas comme maître de la loi, mais comme serviteur. Mais le Christ l’a été en tant que Seigneur. C’est pourquoi la loi ancienne n’incitait pas à l’imitation de Moïse, comme la loi nouvelle incite à la conformité au Christ, car même l’intention des anges, qui ne sont pas seigneurs mais serviteurs, n’est pas d’en ramener d’autres à eux, mais à Dieu, comme le dit Denys.

[16726] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus non jejunavit quasi ipse jejunio indigeret, sed ut ad gratiam ejus suscipiendam exemplo sui jejunii nos praepararet ; et ideo post Baptismum suum, in quo plenitudo gratiae ipsius declarata est testimonio patris et spiritus sancti, et etiam Joannis, decebat ut exemplum jejunii sui nobis proponeret. Nobis autem competit jejunium, ut praeparemur ad suscipiendam gratiam ipsius ; unde, quia sacramenta gratiae ejus praecipue proponuntur circa festum Paschae, ideo immediate ante solemnitatem paschalem quadragesimale jejunium impletur ; et etiam quia tempus veris, quod tunc incipit, maxime est concupiscentiae aptum ; et quia significatur quod ad gloriam resurrectionis per tribulationes praesentis vitae pervenimus, sicut et Christus per passionem.

3. Le Christ n’a pas jeûné parce qu’il avait lui-même besoin du jeûne, mais afin de nous préparer à recevoir sa grâce par l’exemple de son jeûne. C’est pourquoi, après son baptême, dans lequel la plénitude de sa grâce a été manifestée par le témoignage du Père, de l’Esprit Saint et même de Jean, il convenait qu’il nous propose l’exemple de son jeûne. Mais le jeûne nous convient afin que nous soyons préparés à recevoir sa grâce. Parce que les sacrements de sa grâce sont surtout proposés autour de la fête de Pâques, le jeûne du carême est donc accompli immédiatement avant la solennité pascale ; aussi, parce que le temps du printemps, qui commence alors, est le plus propice à la concupiscence, et parce qu’il est signifié que nous parvenons à la gloire de la résurrection en passant par les tribulations de la vie présente, comme le Christ lui-même par la passion.

[16727] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Hieronymum, Judaei habebant speciales causas quare illa jejunia observabant. In Julio enim, qui est quartus mensis ab Aprili, quem ipsi primum habent, jejunabant : quia illo mense septima die mensis Moyses descendens de monte legis tabulas confregit propter peccatum vituli conflatilis, et eodem mense muri Hierusalem a Nabuchodonosor destructi sunt. In quinto autem mense, idest in Augusto, propter peccatum murmuris ex verbis exploratorum orti : illo etiam mense templum incensum est a Nabuchodonosor et postea etiam a Tito. In septimo autem mense propter interfectionem Godoliae, sub quo reliquiae populi conservabantur, ut patet Hieremiae 41. In decimo autem mense in memoriam mortuorum quos dominus in deserto percusserat. Nos autem praeter jejunium quadragesimale, in quo omnium dierum quasi decimam solvimus, in singulis quadris anni, tres dies jejunii instituti sunt, qui quasi in primitias computentur, et ad expiandum peccata singularum quartarum.

4. Selon Jérôme, les Juifs avaient des raisons particulières d’observer ces jeûnes. En effet, en juillet, qui est le quatrième mois à partir d’avril, qu’eux-mêmes considéraient comme le premier, ils jeûnaient, car, le septième jour de ce mois-là, Moïse brisa les tables de la loi en descendant de la montagne en raison du veau coulé, et, le même mois, les murs de Jérusalem ont été détruits par Nabuchodonosor. Au cinquième mois, c’est-à-dire en août, en raison du péché de murmure issu des paroles de ceux qui avaient exploré ; aussi, ce mois-là, le temple fut incendié par Nabuchodonosor et, par la suite, de nouveau par Titus. Au septième mois, en raison de l’assassinat de Godolias, sous lequel les restes du peuple furent préservés, comme cela ressort de Jr 41. Au dixième mois, en mémoire de leurs morts que le Seigneur avait frappés dans le désert. Quant à nous, en dehors du jeûne du carême, par lequel nous acquittons pour ainsi dire la dîme de tous les jours, trois jours de jeûne ont été établis pour chaque trimestre de l'année, qui sont pour ainsi dire considérés comme des prémices pour expier les péchés de chaque trimestre.

[16728] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicit Leo Papa : post sanctae laetitiae dies, quos in honorem domini resurgentis et in caelum ascendentis exegimus, et post acceptum spiritus sancti donum, salubriter et necessario consuetudo ordinata est jejunii, ut si quis forte inter ipsa festivitatis gaudia negligens libertate et licentia immoderata aliqua praesumpsit, hoc abstinentiae censura castiget. Tamen etiam est jejunium exultationis, quod illis qui spiritum sanctum acceperunt, competit : cum gaudio enim spirituali etiam afflictio corporalis se compatitur ; unde non fit genuflexio, et alleluja cantatur ; quod in aliis jejuniis non observatur.

5. Comme le dit le pape Léon : « Après les jours de sainte joie que nous avons vécus en l’honneur du Seigneur ressuscité et monté au ciel, et après avoir reçu le don du Saint-Esprit, la coutume d’un jeûne a été établie salutairement et par nécessité, de sorte que si quelqu’un a par hasard osé se montrer négligent par une liberté et des abus immodérés pendant les célébrations de la fête, la rigueur de l’abstinence l’en corrige. » Cependant, c’est aussi un jeûne d’exultation, qui convient à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint : en effet, on supporte même l’affliction corporelle avec une joie spirituelle. Aussi ne fait-on pas de génuflexion et on chante l’alleluia, ce qui n’est pas observé lors les autres jeûnes.

[16729] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in solemnitatibus praecipuis vigilias jejunamus, ut paratiores ad devotionem festi simus, et ut gaudium aeternum, quod per solemnitates temporales significatur, ad tribulationes praesentis vitae, quas sancti passi sunt, subsequi demonstretur.

6. Nous jeûnons lors des vigiles des principales solennités afin d’être mieux préparés à la dévotion de la fête et afin de montrer que la joie éternelle, qui est signifiée par les solennités temporelles, suit les tribulations de la vie présente.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16730] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod jejunium, quantum est de se, nullo tempore est prohibitum. Unde, sicut dicit Isidorus, sancti patres in deserto tempore paschali jejunabant, excepto die dominicae resurrectionis, in quo non videtur conveniens jejunare, eo quod tota Ecclesia laetitiae festum agit. Unde non est conveniens quod aliquis illo die operibus afflictionis intendat, quia turpis est omnis pars quae suo toti non congruit, ut dicit Augustinus in Lib. 3 Confess. Sed per accidens potest esse jejunium alicujus in die festo illicitum, si adeo pertinaciter jejunium teneret, quod non crederet per devotionem festi utilitatem jejunii compensari posse.

En lui-même, le jeûne n’est interdit à aucun moment. Comme le dit Isidore, les saints pères jeûnaient donc au désert pendant le temps pascal, sauf le jour de la résurrection, où il ne semblait pas convenable de jeûner, du fait que toute l’Église célébrait dans la joie. Il ne convient donc pas que l’on s’applique en ce jour à des actes d’affliction, car toute partie qui ne s’ajuste pas à son tout est gênante, comme le dit Augustin dans les Confessions, III. Mais le jeûne de quelqu’un peut être défendu un jour de fête s’il tient à jeûner avec tant d’entêtement qu’il ne croie pas pouvoir compenser l’utilité du jeûne par la dévotion de la fête.

[16731] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dies resurrectionis, ut dictum est, totus est laetitiae ; unde et cantatur : haec dies quam fecit dominus, exultemus et laetemur in ea ; et ideo in illa prae aliis non congruit tristitiae signa ostendere : et quia in singulis dominicis memoria resurrectionis agitur, ideo in diebus dominicis secundum communem consuetudinem Ecclesiae jejunia intermittuntur.

1. Comme on l’a dit, le jour de la résurrection est tout de joie. Aussi chante-t-on : « En ce jour qu’a fait le Seigneur, exultons et réjouissons-nous ! » Plus qu’en tous les autres, il ne convient donc pas de montrer des signes de tristesse. Et parce que, chaque dimanche, le souvenir de la résurrection est rappelé, les jeûnes sont donc suspendus les dimanches, selon la coutume de l’Église.

[16732] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia illi in magna tristitia demersi erant propter tribulationes undique imminentes, ideo ab his quae tristitiam ingerere possunt, abstrahebantur, ut in spe divini auxilii gauderent.

2. Parce qu’ils avaient été plongés dans une grande tristesse en raison des tribulations qui se rapprochaient de partout, ils s’arrachaient à ce qui peut provoquer de la tristesse, pour se réjouir dans l’espérance du secours divin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16733] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod competens hora comedendi in diebus jejunii est hora nona ; et haec est ab Ecclesia instituta, et communiter observata : quia secundum communem cursum comedendi est hora sexta ; quia cibus non debet apponi quousque natura circa cibum praecedentem occupata est. Occupatur autem in cibo assumpto dupliciter. Primo digerendo ipsum ; et quoniam digestio fit per calorem, ideo illud tempus digestioni est congruum in quo calor naturalis ad interiora revocatur, scilicet propter subtractionem radiorum solis, et propter somnum, in quo intenduntur virtutes naturales. Secundo cibum jam decoctum deducendo per membra, quibus debet assimilari ; et ad hoc requiritur quod calor nutrimentum deducens usque ad extremas partes corporis evocetur : calor autem solis calorem naturalem ad exteriora evocat ; et ideo quando completur solis ascensus (quod fit hora sexta, quia tunc est circa medium), tunc ejus opus completum est ; et ideo tunc est tempus communiter sumendi cibum. Et quia jejunium Ecclesiae debet esse poenale et satisfactorium, ideo supra hoc aliquid additur ; non autem tantum quod penitus humor cibi assumpti exsiccetur, aut virtus naturalis debilitetur ; unde partito residuo tempore, hora nona occurrit, in qua cibus secundum Ecclesiae statutum in diebus jejunii sumendus est.

La neuvième heure est une heure appropriée pour manger, les jours de jeûne. Aussi a-t-elle été établie par l’Église et est-elle généralement observée. En effet, c’est à la sixième heure qu’on mange selon le rythme habituel des repas, car on ne doit pas ajouter de nourriture aussi longtemps que la nature est occupée à une nourriture antérieure. Or, elle est occupée à la nourriture de deux manières. Premièrement, en la digérant ; parce que la digestion se réalise par la chaleur, le temps approprié pour la digestion est celui où la chaleur est ramenée à l’intérieur, en raison de la disparition des rayons du soleil et du sommeil, pendant lequel les forces naturelles se concentrent. Deuxièmement, en amenant la nourriture déjà cuite aux membres qui doivent l’assimiler. Pour cela, il est nécessaire que la chaleur qui amène la nourriture jusqu’aux dernières parties du corps soit dégagée . Or, la chaleur du soleil dégage la chaleur naturelle vers l’extérieur. Aussi, lorsque l’ascension du soleil s’achève (ce qui se réalise à la sixième heure, car il est alors autour de midi), son travail est alors accompli. C’est pourquoi il est alors temps de prendre de la nourriture. Et parce que le jeûne de l’Église doit avoir un caractère de peine et être satisfactoire, quelque chose y est ajouté, mais non au point où l’humidité de la nourriture prise soit complètement asséchée ou la puissance naturelle affaiblie. Ainsi, en divisant le temps qui reste, se présente la neuvième heure, où la nourriture doit être prise les jours de jeûne, selon la décision de l’Église.

[16734] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod legislator ponens legem communem, attendit ea quae in pluribus accidunt : sed adaptationem ad singulos relinquit illis qui constituuntur legis dispensatores.

1. Le législateur, en établissant une loi générale, vise ce qui se produit dans la plupart des cas. Mais il laisse l’adaptation pour chacun à ceux qui sont établis comme administrateurs de la loi.

[16735] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nos nostro jejunio conformamur novo homini, qui per passionem suam nos a vetustate et tenebris revocavit ; et ideo illo tempore jejunium primum solvimus, quando Christus passionem suam finivit, scilicet hora nona. Sed ante hanc renovationem competebat vespertinum tempus jejunantium comestioni, ad significandum quod per cibum veteris hominis in tenebras peccati et mortis dejecti erant, a quibus non eruebantur, etiam post tribulationes praesentis vitae ; quia in morte ad Limbum descendebant, qui erat tenebrosus locus.

2. Par notre jeûne, nous devenons conformes à l’homme nouveau, qui nous a rappelés du temps passé et des ténèbres par sa passion. Aussi avons-nous rompu le premier jeûne au moment où le Christ a achevé sa passion, à savoir, à la neuvièeme heure. Mais, avant ce renouvellement, le soir convenait à l’alimentation de ceux qui jeûnaient pour signifier que, par l’alimentation du vieil homme, ils avaient été jetés dans les ténèbres du péché et de la mort, auxquelles ils n’étaient pas soustraits, même après les tribulations de la vie présente, car, en mourant, ils descendaient dans les limbes, qui étaient un endroit ténébreux.

Articulus 4 [16736] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 tit. Utrum per binam comestionem jejunium solvatur

Article 4 – Le jeûne est-il rompu par une double alimentation ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le jeûne est-il rompu par une double alimentation  ?]

[16737] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod per binam comestionem jejunium non solvatur. Quia jejunium est determinatum ad subtractionem nutrimenti. Sed non solum nutrimur cibo, sed etiam potu. Cum ergo potus assumptus praeter comestionem statutum ab Ecclesia jejunium non solvat, videtur quod nec etiam cibi bina assumptio.

1. Il semble que le jeûne ne soit pas rompu par une double alimentation, car le jeûne est déterminé en vue d’une diminution de la nourriture. Or, nous ne nous alimentons pas seulement par la nourriture, mais aussi par la boisson. Puisqu’une boisson prise en plus de la nourriture ne rompt pas le jeûne établi par l’Église, il semble donc qu’une double prise nourriture ne le rompe pas non plus.

[16738] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, aqua potata impedit sumptionem Eucharistiae, sicut et sumptio alterius cibi : quia solvit jejunium naturae, quod requiritur in Eucharistiam sumentibus, sicut et alii cibi. Si ergo aqua potata non solvit jejunium Ecclesiae, videtur quod nec alius cibus assumptus.

2. Le fait de boire de l’eau empêche de recevoir l’eucharistie, comme la prise d’un autre aliment, car il rompt le jeûne naturel qui est exigé de ceux qui reçoivent l’eucharistie, comme les autres aliments. Si donc le fait de boire de l’eau ne rompt pas le jeûne de l’Église, il semble que ce soit aussi le cas pour une autre nourriture.

[16739] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, electuaria etiam cibi quidam sunt. Sed eorum assumptio jejunium non solvit ; quod patet ex communi consuetudine multorum, qui etiam diebus jejunii absque conscientia fractionis jejunii electuaria in magna quantitate manducant. Ergo nec ciborum aliorum iterata assumptio jejunium solvit.

3. Les électuaires sont aussi des aliments. Or, le fait de les prendre ne rompt pas le jeûne ; cela ressort de la coutume générale d’un grand nombre qui, même les jours de jeûne, prennent des électuaires en grande quantité, sans avoir conscience de rompre le jeûne. La prise répétée d’autres aliments ne rompt donc pas le jeûne.

[16740] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, odor jejunium non solvit. Sed odore aliqui reficiuntur, sicut et cibo. Ergo nec cibus.

4. L’odeur ne rompt pas le jeûne . Or, certains sont nourris par l’odeur, comme aussi par la nourriture. La nourriture [ne rompt donc pas non plus le jeûne].

[16741] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia in hoc distinguuntur jejunantes a non jejunantibus, quia semel manducant. Si ergo bina comestio jejunium non solveret, non esset differentia inter jejunantes et non jejunantes.

Cependant, on distingue ceux qui jeûnent de ceux qui ne jeûnent pas par le fait qu’ils mangent une seule fois. Donc, si une double alimentation ne rompait pas le jeûne, il n’y aurait pas de différence entre ceux qui jeûnent et ceux qui ne jeûnent pas.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Manger de la viande rompt-il le jeûne  ?]

[16742] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod esus carnium jejunium non solvat. Quia jejunium est institutum ad comprimendum concupiscentiam. Sed vinum magis inflammat concupiscentiam quam carnes. Cum ergo potus vini non solvat jejunium, nec esus carnium solvet.

1. Il semble que manger de la viande ne rompe pas le jeûne, car le jeûne a été établi pour réprimer la concupiscence. Or, le vin emflamme davantage la concupiscence que la viande. Puisque boire du vin ne rompt pas le jeûne, manger de la viande ne le rompra donc pas non plus.

[16743] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, legumina inflativa sunt, et sic ad luxuriam provocant. Sed esus eorum non solvit jejunium. Ergo nec esus carnium.

2. Les légumineuses font gonfler et poussent ainsi à la luxure. Or, en manger ne rompt pas le jeûne. Ni donc manger de la viande.

[16744] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, pisces aliqui ita delectabiliter comeduntur sicut carnes aliorum animalium. Sed nulla caro piscium comesta jejunium solvit. Ergo nec carnes avium aut quadrupedum.

3. Certains poissons sont mangés avec autant de plaisir que la chair d’autres animaux. Or, aucune chair de poisson que l’on mange ne rompt le jeûne. Ni donc la chair des oiseaux ou des quadrupèdes.

[16745] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in diebus quadragesimalibus abstinetur a carnibus, ita ab ovis et lacticiniis. Sed in diebus jejunii quidam lacticiniis et ovis utuntur. Ergo et carnibus uti possunt sine hoc quod jejunium solvatur.

4. De même qu’on s’abstient de viande les jours de carême, de même [s’abstient-on] d’œufs et de produits laitiers. Or, les jours de jeûne, certains font usage de produits laitiers et d’œufs. Ils peuvent donc aussi faire usage de viande sans que le jeûne en soit rompu.

[16746] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est generalis consuetudo Ecclesiae, quae jejunantibus usum carnium interdicit.

Cependant, la coutume générale de l’Église s’y oppose, qui interdit à ceux qui jeûnent de manger de la viande.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le fait d’anticiper dans le temps rompt-il le jeûne ?]

[16747] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anticipatio temporis jejunium non solvat. Sicut enim non servat tempus ab Ecclesia institutum qui tardat comestionem, ita nec ille qui anticipat. Sed ille qui tardat, non solvit jejunium ab Ecclesia institutum. Ergo nec ille qui anticipat.

1. Il semble que le fait d’anticiper dans le temps ne rompe pas le jeûne. En effet, de même que celui qui retarde de manger n’observe pas le temps établi par l’Église, de même non plus celui qui anticipe. Or, celui qui retarde ne rompt pas le jeûne établi par l’Église. Pas davantage, donc, celui qui anticipe.

[16748] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, jejunium est actus abstinentiae. Sed abstinentia impeditur non solum per anticipationem horae comestionis, sed etiam per alias conditiones, quae hoc versu continentur : praepropere, laute, nimis, ardenter, studiose. Ergo cum nimis comedere quantum ad quantitatem non solvat jejunium, nec ardenter quantum ad aviditatem comedendi, nec laute, quantum ad pretiosa quae in cibum quaeruntur, nec studiose, quantum ad exquisitum modum cibaria praeparandi (alias mortaliter peccarent qui in diebus jejuniorum hoc facerent, quasi transgressores praecepti Ecclesiae ; quod durum est dicere) : videtur quod nec praepropere comedere, quod est tempus anticipare, jejunium solvat.

2. Le jeûne est un acte d’abstinence. Or, l’abstinence est empêchée non seulement par l’anticipation de l’heure de manger, mais aussi par d’autres conditions, qui sont incluses dans ce vers : « Trop rapidement, magnifiquement, trop, avec empressement, avec application. » Puisque trop manger ne rompt pas le jeûne pour ce qui est de la quantité, ni avec empressement, pour ce qui est de l’avidité en mangeant, ni magnifiquement, pour ce qui est des choses rares qu’on recherche dans la nourriture, ni avec application, pour ce qui est de la manière exquise de préparer les aliments (autrement, ceux qui agiraient ainsi pécheraient mortellement les jours de jeûne en transgressant le précepte de l’Église, ce qu’il est dur de dire), il semble donc que manger trop rapidement, qui consiste à en anticiper le moment, ne rompe pas non plus le jeûne.

[16749] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Concilium Cabilonense : in Quadragesima nullatenus credendi sunt jejunare qui ante manducaverunt quam vespertinum celebretur officium. Ergo anticipatio temporis solvit jejunium.

Cependant, le concile de Châlons dit : « Pendant le carême, on ne doit pas croire que jeûnent ceux qui ont mangé avant que ne soit célébré l’office du soir. » L’anticipation dans le temps rompt donc le jeûne.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16750] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod jejunium dupliciter solvitur. Uno modo quantum ad meritum, ita quod homo vel non meretur, vel minus meretur ; et de hac solutione jejunii non intendimus ad praesens : quia conditiones quae meritum alicujus actus augent vel minuunt, indeterminatae sunt, eo quod quandoque accidentaliter se habent ad actum meritorium. Alio modo solvitur jejunium, secundum quod est ab Ecclesia institutum ; ex qua solutione homo efficitur transgressor statuti Ecclesiae de jejunio servando, vel saltem non observator nisi ex dispensatione vel causa legitima dimittat ; et de hac solutione jejunii nunc quaerimus. Ad hoc autem praecipue valet considerare intentiones statuentis. Intendit autem Ecclesia certum modum statuere manducandi, ut scilicet semel in die jejunans manducet ; et ideo si aliquorum sumptio, secundum quae manducatio solet compleri, iteretur, jejunium praedicto modo acceptum solvitur. Si autem aliqua sumantur quae ad manducandum de se ordinata non sunt, sed ad alium usum, qui usus communiter manducatio non vocatur ; talis cibi vel potus sumptio praeter manducationem unam ante vel post, non facit esse binam manducationem ; et ideo talis sumptio jejunium non solvit.

Le jeûne est rompu de deux manières. D’une manière, pour ce qui est du mérite, de sorte qu’on ne mérite pas ou qu’on mérite moins. Nous ne parlons pas de cette rupture du jeûne pour le moment, car les conditions qui accroissent ou diminuent le mérite d’un acte sont indéterminées, du fait qu’elles ont le caractère d’accidents par rapport à l’acte méritoire. D’une autre manière, le jeûne est rompu selon qu’il a été établi par l’Église. Par cette rupture, on transgresse , ou tout au moins, on n’observe pas une décision de l’Église concernant l’observance du jeûne, à moins de l’écarter par dispense ou pour une cause légitime. C’est de cette rupture du jeûne sur laquelle nous nous interrogeons ici. Sur ce point, il faut surtout prendre en compte les intentions de celui qui a décidé. Or, l’Église veut déterminer une certaine manière de manger, à savoir, qu’on ne mange qu’une fois par jour lorsqu’on jeûne. Si l’on répète la prise de certaines choses par lesquelles on accomplit habituellement l’action de manger, le jeûne, entendu dans le sens mentionné, est rompu. Mais si l’on prend certaines choses qui ne sont pas destinées par elles-mêmes à l’action de manger, mais à un autre usage, usage qui n’est pas généralement appelé action de manger, une telle prise de nourriture ou de boisson avant ou après en plus d’une seule action de manger ne donne pas une double action de manger. Une telle prise [de nourriture] ne rompt donc pas le jeûne.

[16751] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis aliquis potus aliquo modo nutriat, tamen de se non ordinatur ad nutriendum, sed magis ad dispositionem bonam eorum quae nutriunt, ut scilicet per membra deducantur, et in stomacho non comburantur ; unde sumptio potus manducatio non dicitur : et ideo ille qui potat extra horam unicae comestionis, non dicitur bis manducare ; et propter hoc nec statutum Ecclesiae frangit, nisi fraudem faciat : quia legem violat qui in fraudem legis aliquid facit.

1. Bien qu’une boisson nourrisse d’une certaine manière, elle n’est cependant pas destinée par elle-même à nourrir, mais plutôt à une bonne disposition de ce qui nourrit, à savoir, que ce soit amené dans les membres et que ce ne soit pas consumé dans l’estomac. Aussi la prise d’une boisson n’est-elle pas appelée une action de manger. C’est pourquoi on ne dit pas que celui qui boit en dehors de l’heure de l’unique repas mange deux fois. Pour cette raison, il n’enfreint pas non plus la décision de l’Église, à moins que ce ne soit une fourberie, car celui qui commet une fourberie contre la loi viole la loi.

[16752] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aqua etsi solvat jejunium naturae, quia aliquo modo nutrit ; non tamen solvit jejunium Ecclesiae ; quia Ecclesia non attendit in statuendo id quod quocumque modo nutrire potest, sed id quod principaliter ad nutriendum ordinatum est.

2. Même si l’eau rompt le jeûne naturel, parce qu’elle nourrit d’une certaine manière, elle ne rompt cependant pas le jeûne de l’Église, car l’Église ne vise pas par sa décision ce qui peut nourrir de quelque manière que ce soit, mais ce qui est principalement destiné à nourrir.

[16753] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam dicunt, quod si electuaria comedantur ad delectationem, solvunt jejunium ; si autem causa medicinae sumantur, non solvitur jejunium. Sed statutum positivae legis non attendit intentionem observantis, sed ipsum actum ; eo quod modus virtutis non cadit in praecepto, sed est finis praecepti ; sed ex intentione potest aliquis mereri vel demereri. Et ideo dicendum, quod electuaria etsi aliquo modo nutriant, non tamen hic est principalis usus eorum ; unde nec loco manducationis sumi consueverunt ; et ideo talis sumptio jejunium Ecclesiae non solvit, quamvis homo possit totaliter vel in parte ex hoc meritum jejunii perdere ; vel etiam mortaliter peccare, si sit immoderata libido. Non tamen est transgressor praecepti Ecclesiae nisi in fraudem sumeret, aut si eis quasi aliis cibis uteretur ad famem extinguendam.

3. Certains disent que si des électuaires sont pris pour le plaisir, ils rompent le jeûne ; mais s’ils sont pris comme des remèdes, le jeûne n’est pas rompu. Mais une décision de la loi positive ne tient pas compte de l’intention de celui qui l’observe, mais de l’acte lui-même, parce que le mode de la vertu n’est pas soumis au précepte, mais est la fin du précepte. Or, par son intention, on peut mériter ou démériter. Aussi faut-il dire même si les électuaires nourrissent d’une certaine manière, ce n’est pas là leur usage principal. On n’a donc pas coutume de les prendre pour remplacer l’action de manger. Ainsi une telle prise ne rompt pas le jeûne de l’Église, bien qu’on puisse perdre en totalité ou en partie à cause de cela le mérite du jeûne ; on peut aussi pécher mortellement, s’il s’agit d’un désir immodéré. On ne transgresse cependant le précepte de l’Église que si on les prend par tromperie ou si on en fait usage comme d’autres aliments pour amortir la faim.

[16754] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod odor non nutrit, ut patet per philosophum in libro de sensu et sensato, sed aliquo modo confortat ; unde non solvit neque jejunium naturae neque jejunium Ecclesiae.

4. L’odeur ne nourrit pas, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans le livre Sur le sens et ce qui est senti, mais renforce d’une certaine manière. Aussi ne rompt-elle ni le jeûne naturel ni le jeûne de l’Église.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16755] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ille dicitur jejunium Ecclesiae solvere qui modum abstinendi statutum ab Ecclesia non servat. Cum autem jejunium Ecclesia instituerit ad satisfaciendum, et concupiscentiam reprimendum, sicut determinavit ad abstinentiam jejunii quantum ad numerum, ut scilicet semel tantum jejunans comederet ad afflictionem carnis propter satisfactionem ; ita taxavit ut a carnibus abstineretur, quia hoc genere cibi praecipue concupiscentia fovetur et roboratur ; unde comestio carnium jejunium solvit ab Ecclesia institutum.

On dit que quelqu’un rompt le jeûne de l’Église lorsqu’il n’observe pas la manière de jeûner établie par l’Église. Puisque l’Église a établi le jeûne en vue de la satisfaction et pour réprimer la concupiscence, de même qu’elle a déterminé de l’abstinence du jeûne quant au nombre, à savoir que celui qui jeûne ne mange qu’une fois seulement pour affliger la chair en vue de satisfaire, de même a-t-elle décidé qu’on s’abstiendrait de viande, parce que la concupiscence est entretenue et renforcée surtout par ce genre de nourriture. La consommation de viande rompt donc le jeûne établi par l’Église.

[16756] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vinum concupiscentiam incitat inflammando per modum alterantis ; et quia tales alterationes non diu manent, ideo potus vini non adeo efficaciter operatur ad concupiscentiae fomentum, sicut esus carnium, quo praecipue materia concupiscentiae ministratur, et calor naturalis confortatur radicitus magis ; et ex alia parte subtractio vini nimis debilitaret naturam propter digestionis impedimentum.

1. Le vin excite la concupiscence en l’enflammant comme quelque chose qui modifie. Et parce que ces modifications ne durent pas longtemps, la consommation de vin n’entretient pas autant la concupiscence que la consommation de viande, par laquelle la matière de la concupiscence est surtout fournie, et la chaleur naturelle est davantage renforcée dans sa source même. D’un autre côté, la soustraction du vin affaiblirait trop la nature en raison d’un empêchement à la digestion.

[16757] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum de inflatione leguminum, quod est accidentalis causa concupiscentiam provocans, et cito transit.

2. Il faut dire la même chose pour le gonflement produit par les légumineuses, qui est une cause accidentelle provoquant la concupiscence et qui passe rapidement.

[16758] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pisces frigidiores sunt naturaliter quam carnes, nec alimentum ita conveniens corpori praestant sicut aliae carnes ; unde non fuit tanta necessitas prohibendi pisces, sicut carnes.

3. Les poissons sont naturellement plus froids que la viande et ils n’apportent pas au corps une nourriture aussi convenable que les autres chairs. Il n’était donc pas aussi nécessaire d’interdire les poissons, comme c’était le cas pour la viande.

[16759] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quadragesimale jejunium arctius observatur quam alia jejunia, quia eo Christi jejunium secundum modum nostrum imitamur ; et ideo, quamvis usus casei et ovorum in Quadragesima sit generaliter interdictus, tamen in aliis jejuniis apud diversos in his est diversus abstinentiae modus.

4. Le jeûne du carême est observé plus rigoureusement que les autres jeûnes, parce que nous imitons par lui, à notre manière, le jeûne du Christ. C’est pourquoi, bien que l’usage du fromage et des œufs soit interdit d’une manière générale pendant le carême, cependant, pour les autres jeûnes, les formes d’abstinence varient selon la diversité des personnes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16760] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, ille jejunium solvit qui Ecclesiae determinationem non servat. Unde cum Ecclesia instituit certum tempus comedendi jejunantibus ; qui nimis notabiliter anticipat, jejunium solvit. Non enim Ecclesia arctare intendit ad subtilem temporis inspectionem ; nec oportet astrolabium accipere ad horam comestionis cognoscendam. Unde sufficit si circa horam illam quam Ecclesia instituit, jejunans sumat cibum, etiam si aliquantulum propter aliquam necessitatem anticipet.

Comme on l’a dit, celui qui n’observe pas ce qui a été déterminé par l’Église rompt le jeûne. Puisque l’Église a établi pour ceux qui jeûnent un certain temps pour manger, celui qui anticipe de manière notable rompt le jeûne. En effet, l’Église n’a pas l’intention de se concentrer sur un examen subtil du temps, et il n’est pas nécessaire de prendre un astrolabe pour connaître l’heure du repas. Il suffit donc que celui qui jeûne prenne de la nourriture aux environs de l’heure établie par l’Église, même si on anticipe un peu par nécessité.

[16761] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omittere praeceptum Ecclesiae non licet, sed supererogare licet ; et ideo cum tardatio horae ad poenalitatem jejunii faciat, licet tardare per horam, sed non anticipare.

1. Il n’est permis d’omettre un précepte de l’Église, mais il est permis d’en faire plus. Puisque le retard de l’heure ajoute au caractère de peine du jeûne, il est donc permis d’en retarder l’heure, mais non de l’anticiper.

[16762] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea in quibus non potest accipi certa mensura, non cadunt sub determinatione legislatoris. Et quia non potest accipi certa mensura in quantitate cibi vel aliis conditionibus numeratis, sicut in tempore accipi potest ; ideo conditiones aliae quatuor non cadunt sub determinatione praecepti Ecclesiae ; et ideo quamvis per inordinationem circa illas circumstantias peccet, et meritum jejunii amittat vel in toto vel in parte, non tamen Ecclesiae statutum transgreditur ; et ideo jejunium non solvit.

2. Ce dont on ne peut prendre une mesure exacte n’est pas soumis à la détermination du législateur. Et parce qu’on ne peut prendre une mesure exacte pour la quantité de nourriture et pour les autres conditions chiffrées, comme on peut le faire pour le temps, les quatre autres conditions ne sont pas soumises à la détermination du précepte de l’Église. Bien qu’on pèche par un désordre concernant ces circonstances et qu’on perde le mérite du jeûne en totalité ou en partie, la décision de l’Église n’est cependant pas transgressée. On ne rompt donc pas le jeûne.

Quaestio 4

Question 4 – [La prière]

 

 

Prooemium

Prologue

[16763] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 pr. Deinde quaeritur de oratione ; et circa hoc quaeruntur septem : 1 quid sit oratio ; 2 de modo orandi ; 3 de speciebus orationis ; 4 quid sit in oratione petendum ; 5 quis possit orare ; 6 cui competit orare ; 7 de efficacia orationis.

 

On s’interroge ensuite sur la prière. Sept questions sont posées à ce sujet : 1 – Qu’est-ce que la prière ? 2 – Sur la manière de prier. 3 – Sur les espèces de prière. 4 – Que faut-il demander dans la prière ? 5 – Qui peut prier ? 6 – À qui revient-il de prier ? 7 – Sur l’efficacité de la prière.

 

 

Articulus 1 [16764] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 tit. Utrum oratio sit quidam actus affectivae partis

Article 1 – La prière est-elle un acte de la partie affective ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La prière est-elle un acte de la partie affective ?]

[16765] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod oratio sit quidam affectivae partis actus. Primo per Augustinum, qui sic definit orationem : Oratio est purus affectus mentis in Deum directus.

1. Il semble que la prière soit un acte de la partie affective. Premièrement, parce qu’Augustin définit ainsi la prière : « La prière est un pur sentiment de l’esprit dirigé vers Dieu. »

[16766] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit quod oratio est devotio quaedam ex compunctione procedens. Sed devotio ad affectum pertinet. Ergo et oratio.

2. Hugues de Saint-Victor dit que la prière est une dévotion qui est issue de la componction. Or, la dévotion se rapporte à l’affectivité. Donc, la prière aussi.

[16767] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, imperium et oratio non differunt nisi secundum relationem ad superiorem et ad inferiorem, secundum quod imperatur inferiori, sed oratur superior. Sed voluntas est quae imperat aliis viribus. Ergo ipsa etiam est cujus est orare et petere.

3. Le commandement et la prière ne diffèrent de la prière que selon le rapport au supérieur et à l’inférieur : on commande à un inférieur, mais on prie un supérieur. Or, c’est la volonté qui commande aux autres puissances. C’est donc à elle qu’il appartient de prier et de demander.

[16768] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, oratio exterior interius desiderium insinuat orantis. Sed oratio interior est quae per exteriorem innotescit. Ergo oratio interior nihil aliud est quam interius desiderium ; et sic ad affectivam pertinet.

4. La prière extérieure suggère le désir intérieur de celui qui prie. Or, la prière intérieure est celle qui est connue par la [prière] extérieure. La prière intérieure n’est donc rien d’autre qu’un désir intérieur et ainsi, elle relève de l'affectivité.

[16769] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, super illud Psalm. 63 : exaudi Deus orationem meam etc. dicit Glossa, quod oratio est quando vota nostra Deo pandimus. Sed pandere, sive demonstrare, est actus rationis. Ergo et orare.

Cependant, [1] à propos de Ps 63 : Entends ma prière, Seigneur, etc., la Glose dit que la prière consiste à exprimer nos désirs à Dieu. Or, exprimer ou montrer est un acte de la raison. Donc aussi, prier.

[16770] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum Damascenum, oratio est petitio decentium a Deo. Sed decentia importat ordinem alicujus ad alterum. Cum ergo ordinare sit rationis, et oratio rationis erit.

[2] Selon [Jean] Damascèene, « la prière consiste à demander à Dieu ce qui convient. » Or, la convenance comporte l’ordre d’une chose par rapport à une autre. Puisqu’il appartient à la raison d’ordonner, la prière relèvera donc de la raison.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La prière est-elle l’acte d’un don, et non celui d’une vertu ?]

[16771] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit actus doni, et non virtutis. Quia, secundum Hugonem de s. Victore, ubi supra, oratio est contemplationis pars. Sed contemplatio ad sapientiam pertinet ; quia ea perficitur superior pars rationis, quae contemplandis aeternis inhaeret, ut Augustinus dicit. Ergo oratio est actus sapientiae.

1. Il semble que [la prière] soit l’acte d’un don, et non celui d’une vertu, car, selon Hugues de Saint-Victor, à l’endroit indiqué plus haut, la prière est une partie de la contemplation. Or, la contemplation relève de la sagesse, car la partie supérieure de la raison, qui s’adonne à la contemplation des réalités éternelles, est perfectionnée par elle, comme le dit Augustin. La prière est donc un acte de la sagesse.

[16772] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit Damascenus, oratio est ascensus intellectus in Deum. Sed ascendere ad donum intellectus pertinet ; unde sexta beatitudo, qua dicitur : beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt ; intellectus dono attribuitur, ut patet in Glossa, Matth. 5. Ergo oratio est actus intellectus doni.

2. Comme le dit [Jean] Damascène, la prière est l’élévation de l’intellect vers Dieu. Or, l’élévation relève du don d’intelligence ; de là la sixième béatitude où il est dit : Bienheureux ceux qui ont un cœur pur, car ils verront Dieu ; l’intelligence est attribuée à un don, comme cela ressort de la Glose sur Mt 5. La prière est donc un acte du don d’intelligence.

[16773] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit : Orare est amaros gemitus in compunctione resonare. Sed gemere est actus scientiae doni ; quia tertia beatitudo, qua dicitur : beati qui lugent, ad donum scientiae reducitur : Matth. 5, in Glossa, et ab Augustino, 2 Lib. de Doctr. Christ. Ergo oratio est actus doni.

3. Grégoire dit : « Prier, c’est faire entendre les plaintes amères de la componction. » Or, gémir est un acte du don de science, car la troisième béatitude qui dit : Bienheureux ceux qui pleurent, est ramenée au don de science par la Glose sur Mt 5, et par Augustin, Sur la doctrine chrétienne, II. La prière est donc l’acte d’un don.

[16774] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, videtur quod sit actus virtutis. Jac. 1, 6 : postulet autem in fide nihil haesitans. Sed fides est virtus. Ergo oratio quae est postulatio, est actus virtutis.

Cependant, [1] il semble qu’elle soit l’acte d’une vertu. Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi sans aucune hésitation. Or, la foi est une vertu. La prière, qui est une demande, est donc l’acte d’une vertu.

[16775] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit : fides credit, spes et caritas orant, et orando impetrant. Sed spes et caritas sunt virtutes. Ergo oratio est actus virtutis.

[2] Augustin dit : « La foi croit, l’espérance et la charité prient et obtiennent en priant. » Or, l’espérance et la charité sont des vertus. La prière est donc l’acte d’une vertu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La prière est-elle un acte soumis à un précepte ?]

[16776] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oratio non sit actus cadens in praecepto. Quod enim voluntatis est, non est necessitatis. Sed oratio maxime est voluntatis, quia est quaedam volitorum petitio. Ergo non necessitatis ; et ita non cadit sub praecepto.

1. Il semble que la prière ne soit pas un acte soumis à un précepte. En effet, ce qui relève de la volonté n’est pas nécessaire. Or, la prière relève au plus haut point de la volonté, car elle est une demande de ce qu’on veut. Elle n’est donc pas nécessaire. Ainsi, elle n’est pas soumise à un précepte.

[16777] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, petitio non videtur aliquid aliud esse, nisi ut nostrum desiderium alteri innotescat. Sed superfluum est alicui exponere quod ipse scit. Ergo cum Christiana religio non contineat aliqua superflua praecepta, alias superstitio esset ; videtur quod non cadat sub praecepto orare Deum, cui omnia desideria nostra sunt nota.

2. Une demande ne semble consister en rien d’autre que faire connaître notre désir à un autre. Or, il est superflu d’exposer à quelqu’un ce qu’il connaît. Puisque la religion chrétienne ne contient aucun précepte superflu, autrement elle serait une superstition, il semble donc que prier Dieu, de qui tous nos désirs sont connus, ne soit pas soumis à un précepte.

[16778] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Deus liberalissime sua bona dat. Sed liberalius datur quod sine precibus datur ; quia, sicut Seneca dicit, nulla res carius emitur quam quae precibus empta est. Ergo non debet per praeceptum exigere preces de eo quod vult dare ; nec iterum de eo quod non vult dare ; quia quod Deus non vult, nos non debemus velle, ut sic sit conformitas nostrae voluntatis ad Deum ; et quod non debemus velle, non debemus petere. Ergo nullo modo oratio cadit sub praecepto.

3. Dieu donne ses biens avec la plus grande libéralité. Or, ce qui est donné sans prières est donné de manière plus libérale, car, comme le dit Sénèque, « rien n’est acheté plus cher que ce qui a été acheté par des prières ». Il ne doit donc pas exiger par un précepte des prières portant sur ce qu’il veut donner, ni sur ce qu’il ne veut pas donner, car ce que Dieu ne veut pas, nous ne devons pas le vouloir, afin qu’il y ait conformité entre notre volonté et Dieu ; et ce que nous ne devons pas vouloir, nous ne devons pas le demander. La prière n’est donc d’aucune manière soumise à un précepte.

[16779] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, super illud Luc. 18 : oportet semper orare etc. dicit Chrysostomus : dum dicit : oportet, necessitatem dicit. Sed necessitas talis non potest esse nisi ex praecepto. Ergo oratio cadit sub praecepto.

Cependant, à propos de Lc 18 : Il faut toujours prier, etc., Chrysostome dit : « Lorsqu’il dit : ‘Il faut’, il indique quelque chose de nécessaire. » Or, une telle nécessité ne peut venir que d’un précepte. La prière est donc soumise à un précepte.

[16780] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, oratio contra jejunium et eleemosynam dividitur. Sed utraque illarum est in praecepto. Ergo et oratio.

Cependant, la prière est placée à côté du jeûne et de l’aumône. Or, ces deux choses sont soumises à un précepte. Donc, la prière aussi.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16781] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicit Cassiodorus in Psalm. 85, oratio dicitur quasi oris ratio. Unde ex suo nomine oratio significat expressionem alicujus actus rationis per effectum oris. Habet autem ratio duos actus, etiam secundum quod est speculativa. Primus est componere et dividere ; et iste actus rationis exprimitur ore per orationem, quam philosophus in 1 Periherm. describit. Secundus actus rationis est discurrere de uno in aliud innotescendi causa ; et secundum hoc syllogismus oratio quaedam dicitur. Et quia sermones rhetorici, qui conciones dicuntur, continent argumentationes ad persuadendum accommodatas, inde est quod etiam orationes dicuntur, et rhetores oratores. Et quia orationes istae, praecipue quantum ad genus causarum quod judiciale dicitur, ordinantur ad hoc quod aliquid a judice petamus ; unde et in jure advocationes postulationes dicuntur ; ideo translatum est ulterius hoc nomen ad significandum petitionem quam Deo aliquis facit velut judici, qui habet curam nostrorum actuum ; et sic definit Damascenus orationem : Oratio est petitio decentium a Deo ; sic enim loquitur hic de oratione ; et ideo cujus actus est petitio, ejus actus est oratio. Sciendum est ergo, quod homo ab aliis animalibus differt quantum ad virtutem et motivam partem, in duobus. Primo quantum ad volitum vel concupitum ; quod quidem aliis animalibus ex natura determinatum est, homini autem non. Secundo quantum ad prosecutionem voliti sive concupiti ; quia alia animalia habent determinatas vias et instrumenta, quibus sua desideria expleant ; et ideo quam cito in eis fit desiderii motus, tam cito membra ad actum applicant, nisi sit aliquid prohibens per violentiam : homo autem non habet vias et instrumenta determinata ; et ideo ratio hujusmodi subvenit in his duobus ; quia et inquirit proprium et determinatum bonum quod desiderari oporteat, et instrumenta ad opus determinat in prosecutione desiderati ; et ideo in nobis actus rationis praecedit et sequitur actus voluntatis. Praecedit quidem, inveniens per consilium quid per voluntatem eligi oporteat ; sequitur autem per imperium, ordinando unicuique instrumento quod ei oporteat facere ; et hunc rationis actum imperativus modus exprimit in verbis. Instrumenta autem quae ratio applicat per imperium ad prosecutionem vel consecutionem desiderati, non solum sunt vires animae et membra corporis, sed etiam exteriores homines ; quia quae per amicos fiunt, aliqualiter per nos fiunt, ut philosophus dicit in 3 Ethic. Sed etiam exteriores amici non sunt in potestate nostra, sicut sunt membra corporis et vires animae ; et ideo applicatio praedicta eorum qui extra nos sunt, ad consecutionem desiderati, quandoque dicitur imperium vel praeceptum, quando scilicet illi sunt in potestate nostra : quandoque autem dicitur petitio, quando non sunt in potestate nostra quasi nobis subjecti ; vel etiam deprecatio, si supra nos sunt ; unde sicut imperium est actus rationis, ita petitio et deprecatio ; et hoc patet per philosophum in 1 Ethic., qui dicit, quod ratio ad optima deprecatur. Unde et per consequens oratio rationis est actus, applicantis desiderium voluntatis ad eum qui non est sub potestate nostra, sed supra nos, scilicet Deum. Unde definitio Damasceni : Oratio est petitio decentium a Deo, verissime essentiam orationis declarat.

Comme le dit Cassiodore à propos du Ps 85, Oratio [prière] signifie oris ratio [litt. : raison de la bouche]. Par son nom même, la prière signifie donc l’expression d’un acte de la raison au moyen de la bouche. Or, la raison possède deux actes, même en tant qu’elle est spéculative. Le premier consiste à composer et à diviser : cet acte de la raison est exprimé au moyen de la bouche par le discours [per orationem], que le Philosophe décrit dans Perihermeneias, I. Le second acte de la raison consiste à passer d’une chose à une autre en vue de la faire connaître : on dit ainsi que le syllogisme est un discours [oratio]. Et parce que les discours rhétoriques, appelés harangues, contiennent des argumentations conçues pour persuader, de là vient qu’ils sont appelés des orationes et les rhéteurs, des orateurs. Et parce que ces discours, surtout dans le genre de causes qu’on appelle judiciaires, ont en vue de demander quelque chose à un juge, on appelle en droit les représentations par les avocats des demandes [postulationes]. Aussi ce mot a-t-il été étendu pour signifier une demande [petitio] que l’on fait à Dieu comme à un juge qui s’occupe de nos actes. Ainsi [Jean] Damascène définit-il la prière : « La prière est la demande à Dieu de ce qui convient. » C’est en ce sens que nous parlons ici de la prière. Ainsi, la prière est l’acte de celui qui fait une demande. Il faut donc savoir que l’homme diffère de deux manières des autres animaux pour ce qui est de la puissance et de la partie qui meut. Premièrement, par ce qui est voulu ou désiré, qui a été déterminé par la nature pour les autres animaux, mais non pour l’homme. Deuxièmement, pour ce qui est de la poursuite de ce qui est voulu ou désiré, car les autres animaux ont des moyens et des instruments déterminés par lesquels ils réalisent leurs désirs ; aussi, dès qu’apparaît chez eux un mouvement du désir, ils appliquent immédiatement leurs membres à l’acte, à moins qu’il y ait quelque chose qui les en empêche par la violence. Mais l’homme n’a pas de moyens et d’instruments déterminés. C’est pourquoi la raison y supplée de deux manières : elle recherche le bien propre et déterminé qu’il faut désirer, et elle détermine les instruments de l’acte en vue de la poursuite de ce qui est désiré. Aussi, chez nous, l’acte de la raison précède-t-il et l’acte de la volonté suit-il. [L’acte de la raison] précède en trouvant par la délibération ce qui doit être choisi par la volonté ; [l’acte de la volonté] suit par le commandement, en ordonnant à chaque instrument ce qu’il lui faut faire. Et le mode impératif exprime sous forme de paroles cet acte de la raison. Mais les instruments que la raison applique par son commandement à la poursuite ou à l’obtention de ce qui est désiré ne sont pas seulement les puissances de l’âme et les membres du corps, mais aussi les hommes extérieurs, car ce qui est accompli par des amis est accompli d’une certaine manière par nous-mêmes, comme le Philosophe le dit dans Éthique, III. Or, même les amis extérieurs ne sont pas en notre pouvoir, comme le sont les membres de notre corps et les puissances de notre âme. C’est pourquoi cette application de ceux qui nous sont extérieurs à la poursuite de ce qui est désiré est appelée parfois commandement ou précepte, lorsqu’ils sont en notre pouvoir ; mais parfois elle est appelée demande, lorsqu’ils ne sont pas en notre pouvoir en tant que sujets, ou encore supplique, s’ils nous sont supérieurs. De même que le commandement est un acte de la raison, de même la demande et la supplique le sont-ils. Cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, I, que la raison demande ce qui est le meilleur. Par conséquent, la prière est un acte de la raison, qui applique le désir de notre volonté à celui qui n’est pas en notre pouvoir, mais nous est supérieur, à savoir, Dieu. Ainsi la définition de [Jean] Damascène : « La prière est la demande à Dieu de ce qui convient » met-elle en évidence l’essence de la prière de la manière la plus vraie.

[16782] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dirigere affectum mentis in Deum contingit dupliciter. Uno modo sicut in objectum ; et hoc modo affectus in Deum directus, est amor Dei ; et sic non loquitur hic Augustinus. Alio modo affectus in Deum dirigitur, ut in illum quo affectus mentis desiderantis explendus est ; et hanc directionem affectus in Deum facit ratio praedicto modo, applicando ad ipsum illud quod desiderat affectus ; et ipsa directio affectus in Deum oratio est ; unde definitio illa materialis est, secundum quod per rem directam significatur ipsa directio ; sicut etiam quandoque per fidem significatur res credita ; et similis modus loquendi est cum dicitur, quod ratio est desiderium boni, in Glossa 1 Thess. 5, quia ipsum desiderium est res orata expleri.

1. Orienter le sentiment de l’esprit vers Dieu se réalise de deux manières. D’une manière, [vers Dieu] en tant qu’objet : de cette manière, le sentiment orienté vers Dieu est l’amour de Dieu. Ce n’est pas ce dont veut parler Augustin. D’une autre manière, le sentiment est orienté vers Dieu comme vers celui par qui le sentiment de l’esprit qui désire doit être accompli : c’est cette orientation du sentiment vers Dieu que réalise la raison de la manière indiquée, en lui appliquant ce que le sentiment désire. Cette orientation du sentiment vers Dieu est la prière. Cette définition est donc faite du point de vue de la matière, selon que, par la chose orientée, l’orientation est signifiée, de la même façon qu’on signifie par la foi la réalité crue. On parle de la même manière lorsqu’on dit que la raison est le désir du bien, dans la Glose sur 1 Th 5, car le désir lui-même est que la réalité demandée se réalise.

[16783] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in petitione exteriori dicitur aliquid esse petitio dupliciter ; scilicet secundum veritatem, ut cum dicimus, da mihi hoc ; et secundum interpretationem quamdam, ut cum aliquis manum porrigit, vel necessitatem exponit : ita etiam interior oratio quae fit ad Deum, est quidem secundum rei veritatem actus rationis, ut dictum est, quodammodo Deum pulsantis ; sed recogitatio necessitatum propriarum et erectio spei ad Deum sunt quaedam orationes per quamdam interpretationem ; et sic etiam devotio oratio dicitur ab Hugone de s. Victore, ubi supra.

2. De même que, pour la demande extérieure, on parle de demande de deux manières, en vérité, comme lorsque nous disons : « Donne-moi cela », et selon une certaine interprétation, comme lorsque quelqu’un tend la main ou présente son besoin, de même la prière intérieure qui est adressée à Dieu est en vérité, comme on l’a dit, un acte de la raison frappant pour ainsi dire chez Dieu. Mais le retour sur nos besoins propres et l’élévation de l’espérance vers Dieu sont des prières selon une certaine interprétation. Ainsi la dévotion est-elle aussi appelée une prière par Hugues de Saint-Victor à l’endroit indiqué plus haut.

[16784] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui petit aut imperat aut deprecatur, advocat aliquid ad consecutionem finis vel prosecutionem intenti. Hoc autem non est voluntatis, quia ipsa simpliciter et absolute fertur in suum objectum, quod est finis ; sed est rationis, cujus est ordinare unum ad aliud ; et ideo proprie accipiendo imperium, non est voluntatis. Sed dupliciter dicitur voluntas imperare. Uno modo per quamdam interpretationem, sive aequivalentiam ; quia enim imperans per imperium suum movet, ideo actus animae ad quem motus statim sequitur, imperium dicitur, et quia ad actum appetitivae, si sit completus, statim sequitur motus in corporalibus organis, ideo appetitivae virtutes dicuntur imperantes motum. Alio modo inquantum principium imperii in voluntate est. Advocare enim aliquem ad finem suum, quod ad imperium pertinet, praesupponit appetitum finis, et est quaedam prosecutio illius ; et propter hoc potentiae, vel artes operativae seu habitus qui sunt circa finem, dicuntur imperare istis quae sunt circa ea quae sunt ad finem ; et secundum hoc voluntas, quae habet finem pro objecto, dicitur imperare, inquantum imperium, quod est actus rationis, in voluntate incipit, ad quam pertinet desiderium finis.

3. Celui qui demande, commande ou supplie se fait l’avocat d’une chose en vue de la poursuite d’une fin ou de l’obtention de ce vers quoi il tend. Or, cela n’est pas le fait de la volonté, car elle est simplement et absolument portée vers son objet, qui est la fin ; mais cela relève de la raison, à qui il revient d’ordonner une chose à une autre. À proprement parler, le commandement ne relève donc pas de la volonté. Mais on dit que la volonté commande de deux manières. D’une manière, selon une certaine interprétation ou équivalence, parce que, en effet, celui qui commande meut par son commandement. C’est pourquoi l’acte de l’âme que suit aussitôt le mouvement est appelé commandement, et parce que le mouvement suit aussitôt l’acte de la puissance appétitive dans les organes corporels, s’il est complet, on dit donc que les puissances appétitives commandent le mouvement. D’une autre manière, en tant que le principe du commandement se situe dans la volonté. En effet, se faire l’avocat d’une chose en vue de sa fin, ce qui relève du commandement, présuppose le désir de la fin et est une certaine poursuite de celle-ci. Pour cette raison, on dit que les puissances ou les arts opératoires ou les habitus qui portent sur la fin commandent à ceux qui se rapportent à la fin. De ce point de vue, on dit que la volonté, qui a la fin comme objet, commande, pour autant que le commandement, qui est un acte de la raison, commence dans la volonté, dont relève le désir de la fin.

[16785] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum exterius prolatum est signum alicujus dupliciter. Uno modo immediate, illius scilicet ad quod significandum principaliter institutum est ; sicut hoc nomen ignis, significat elementum quoddam. Alio modo mediate, scilicet quando ipsa res quae primo significatur, accipitur ut signum alterius rei ; sicut ignis significat caritatem propter aptitudinem quam habet illa res ad significandam caritatem ex similitudine quadam. oratio igitur exterior vocalis significat immediate actum rationis deprecantis, si etiam oratio exterior per modum rationis proponatur, ut cum dicitur, Sap. 9, 4 : da mihi sedium tuarum assistricem sapientiam. Sed mediata significatione ipsum desiderium exprimit, sicut principium a quo procedit, ut ex dictis patet ; et secundum hoc intelligenda est praemissa descriptio orationis, quod oratio est quando vota nostra Deo pandimus.

4. La parole proférée à l’extérieur est le signe de quelque chose de deux manières. D’une manière, elle est de façon immédiate le signe de ce qu’elle a été destinée à signifier, comme le mot « feu » signifie un certain élément. D’une autre manière, elle l’est de façon médiate, lorsque la chose elle-même qui est signifiée en premier lieu est considérée comme le signe d’une autre chose, comme le feu signifie la charité en raison de la capacité qu’a cette chose à signifier la charité selon une certaine ressemblance. La prière extérieure vocale signifie donc immédiatement l’acte de la raison qui prie, si la prière extérieure est mise de l’avant par mode de raison, comme lorsqu’on dit, en Sg 9, 4 : Donne-moi la sagesse qui entoure ton trône. Mais elle exprime selon une signification médiate le désir lui-même, en tant qu’il est le principe dont elle procède, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est de cette manière qu’il faut comprendre la description de la prière rappelée : « La prière consiste à exposer nos désirs à Dieu. »

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16786] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod oratio actus quidam est. Dicimus autem actum aliquem esse virtutis actum, si in sui ratione aliquid claudat quod ad ordinem virtutis pertineat, etiam si non omnia quae ad virtutem requiruntur, in sui ratione contineat ; et ideo oportet quod illius virtutis actus ponatur ad quam pertinet illa conditio quae sibi ordinem virtutis tribuit. oratio autem non importat aliquam rationem virtutis ex genere actus ; quod genus est petitio ; sed absolute actum potentiae demonstrat, nulla circumstantia vel in bonum vel malum, vestitum. Adduntur autem a Damasceno ubi Sup. duae differentiae, quae ordinem virtutis demonstrant, scilicet decentium et a Deo ; quod est petere quod oportet, et a quo oportet. Sed prima conditio non complet rationem orationis, quia si ab homine decentia petamus, talis petitio oratio non dicitur ; nec etiam est de essentia orationis, quia si etiam quis indecentia petat a Deo, orat quidem, sed carnaliter orat ; unde illa conditio magis pertinet ad bene esse orationis quam ad rationem suae speciei. Relinquitur ergo quod ex hoc oratio speciem trahit et ad rationem virtutis trahitur, quod est a Deo petitio. Cum autem petitio, sive deprecatio quae ad superiorem fit, reverentiam habeat adjunctam ex qua impetrare nititur quod intendit ; constat quod oratio ex hoc efficaciam habet ad impetrandum illud pro quo oratur, quod Deo reverentiam exhibet ; unde cum Deo reverentiam exhibere sit actus latriae, ut in 3 Lib., dist. 9, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 1 ad 3, dictum est, oratio actus latriae erit elicitive. Nec obstat quod latria in voluntate est, non in ratione, cujus actus est oratio ; quia justitia, cujus pars est latria, materialiter utitur actibus omnium virium, ut ex eis reddat cuilibet quod suum est ; unde cohibet actum concupiscibilis, ne aliquis moechetur ; et actum irascibilis, ne quis occidat ; et similiter utitur actu rationis, ut ex eo Deo reverentiam exhibeat. Et quia latria est virtus, et non donum, ut dictum est in 3 Lib., dist. 34, qu. 1, art. 1, ideo oratio erit actus virtutis, et non doni.

La prière est un acte. Mais nous disons qu’un acte est l’acte d’une vertu s’il inclut dans sa définition quelque chose qui relève de l’ordre de la vertu, même s’il n’inclut pas dans sa définition tout ce qui exigé pour la vertu. C’est pourquoi il est nécessaire que soit indiqué l’acte de la vertu de laquelle relève la condition qui lui confère l’ordre de la vertu. Or, la prière ne comporte pas la raison de vertu par le genre de l’acte, qui est une  demande, mais elle manifeste de manière absolue l’acte d’une puissance, qui n’est revêtu d’aucune circonstance en bien ou en mal. Or, deux différences sont ajoutées par [Jean] Damascène à l’endroit indiqué, qui montrent l’ordre de la vertu : « ce qui convient » et « [demander] à Dieu », ce qui est demander ce qu’il faut et à qui il le faut. Mais la première condition ne complète pas la définition de la prière, car si nous demandions ce qui convient à un homme, une telle demande ne serait pas appelée une prière ; elle ne fait pas non plus partie de l’essence de la prière, car si l’on demande à Dieu même des choses qui ne conviennent pas, on prie néanmoins, mais on prie charnellement. Cette condition appartient donc plutôt à la bonté de la prière qu’à l’essence de son espèce. Il reste donc que la prière tire son espèce et est tirée dans le sens de la raison de vertu par le fait qu’elle est une demande adressée à Dieu. Or, comme est jointe à la demande ou à la supplique qui est adressée à un supérieur une révérence par laquelle elle s’efforce d’obtenir ce qu’elle a en vue, il est clair que la prière tire de la révérence qu’elle manifeste son efficacité pour obtenir ce pour quoi l’on prie. Puisque manifester de la révérence à Dieu est un acte de latrie, comme on l’a dit dans le livre III, d. 9, q. 1, a. 1, qa 1, ad 3, la prière est donc un acte issu de la latrie. Et cela ne fait pas de différence que la latrie se trouve dans la volonté, et non dans la raison, dont la prière est un acte, car la justice, dont la latrie est une partie, utilise comme matière les actes de toutes les vertus, afin de rendre par eux à chacun ce qui lui est dû. Elle retient donc l’acte du concupiscible pour qu’on ne fornique pas ; et l’acte de l’irascible pour qu’on ne tue pas. Elle utilise de la même manière l’acte de la raison afin de manifester de la révérence envers Dieu. Et parce que la latrie est une vertu, et non un don, comme on l’a dit dans le livre III, d. 34, a. 1, a. 1, la prière sera donc l’acte d’une vertu, et non d’un don.

[16787] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contemplatio aliquando capitur stricte pro actu intellectus divina meditantis ; et sic contemplatio est sapientiae actus. Alio modo communiter pro omni actu quo quis a negotiis exterioribus sequestratus soli Deo vacat : quod quidem contingit dupliciter ; vel inquantum homo Deum loquentem in Scripturis audit, quod fit per lectionem ; vel inquantum Deo loquitur, quod fit per orationem. Meditatio autem ad utrumque se habet quasi medium inter ea ; quia ex hoc quod nobis loquitur in Scripturis, ei per meditationem intellectu et affectu praesentamur ; et sic praesentati ei, vel praesentem eum habentes, ei loqui possumus per orationem ; et ideo posuit Hugo, ubi Sup., tres contemplationis partes ; primam lectionem, secundam meditationem, tertiam orationem. Nec tamen oportet quod sit oratio sapientiae actus ab ea elicitus, quamvis sapientia per meditationem viam orationi praeparet.

1. La contemplation est entendue parfois au sens strict pour l’acte de l’intellect qui médite les réalités divines ; la contemplation est ainsi un acte de la sagesse. D’une autre manière, elle est entendue d’une manière générale de tout acte par lequel, isolé des occupations extérieures, on vaque à Dieu seul. Cela se produit de deux manières : du fait que l’homme écoute Dieu qui parle dans les Écritures, ce qui se réalise par la lecture ; du fait qu’il parle à Dieu, ce qui se réalise par la prière. Mais la méditation a un rapport avec les deux : elle occupe une place intermédiaire entre les deux, car, du fait que Dieu nous parle dans les Écritures, nous lui sommes présents par l’intelligence et l’affectivité dans la méditation ; ainsi présents à lui ou en l’ayant présent, nous pouvons lui parler par la prière. C’est pourquoi Hugues a présenté trois parties de la contemplation, à l’endroit indiqué : la première, la lecture ; la deuxième, la méditation ; la troisième, la prière. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la prière soit un acte issu de la sagesse, bien que la sagesse prépare la voie à la prière par la méditation.

[16788] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ascensus intellectus in Deum est duplex. Unus quo ascendit in ipsum cognoscendum ; et talis ascensus pertinet ad donum intellectus ; sed de hoc non loquitur Damascenus. Alius est ascensus in Deum ut in quo auxilium quaerit, ut in Psalm. 122, 1, dicitur : ad te levavi oculos meos qui habitas in caelis ; et talis ascensus est oratio. Unde non sequitur quod sit actus doni intellectus ; sed potest ipsum praesupponere, sicut secundus ascensus praesupponit primum.

2. L’élévation de l’intelligence vers Dieu est double. L’une par laquelle elle s’élève vers lui pour le connaître : une telle élévation relève du don d’intelligence, mais [Jean] Damascène ne parle pas de cela. Une autre est l’élévation vers Dieu comme vers celui auprès de qui on cherche secours, comme il est dit dans le Ps 122, 1 : J’ai levé les yeux vers toi qui demeures dans les cieux. La prière est une telle élévation. Il n’en découle donc pas qu’elle soit un acte du don d’intelligence, mais elle peut le présupposer, comme la seconde élévation présuppose la première.

[16789] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gemitus sive fletus non est oratio per essentiam, sed est quasi fundamentum orationis. Superflua enim videtur petitio, ubi necessitas deest ; et ideo recognitio suae miseriae, qua indigentem se aliquis videt, et sibi subvenire non potest, quae gemitum in affectu facit, quasi oratio reputatur a Deo ; et propter hoc Augustinus dicit, quia orationis negotium plus gemitibus quam verbis agitur, et plus fletu quam affatu.

3. Les gémissements et les pleurs ne sont pas la prière selon son essence, mais comme un fondement de la prière. En effet, la demande paraît superflue là où il n’y pas de besoin. C’est pourquoi la reconnaissance de sa misère, par laquelle on voit qu’on est indigent et qu’on ne peut se secourir, qui cause le gémissement dans l’affectivité, est considérée comme une prière par Dieu. Pour cette raison, Augustin dit que « la prière consite davantage dans les gémissements que dans les paroles, et dans les larmes plus que dans les paroles ».

[16790] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 2 ad s. c. Ad ea quae in contrarium objiciuntur, dicendum, quod fides, spes, et caritas praesupponuntur ad latriam, ut in 3 Lib., dist. 9, dictum est, et sic actus orationis eis attribuitur. Tamen etiam ad orationem secundum propriae speciei rationem habent aliquam convenientiam, et praeexiguntur ad eam. Petitio enim frustra ad aliquem dirigitur, nisi credatur quod petitum praestare possit, et speretur quod velit ; et est praesumptuosa petitio, nisi ei fiat qui aliquo modo petenti unitus sit ; unionem autem caritas facit.

Aux objections en sens contraire, il faut répondre que la foi, l’espérance et la charité sont présupposées à la latrie, comme on l’a dit dans le livre III, d. 9, et ainsi l’acte de prière leur est-il attribué. Cependant, elles ont aussi quelque chose en commun avec la prière selon son espèce propre et elles en sont des exigences antécédentes. En effet, on adresse en vain une demande à quelqu’un, si l’on ne croit pas qu’il peut accorder ce qui est demandé et si l’on n’espère pas qu’il le veuille. Et c’est une demande présomptueuse, si elle n’est pas adressée à quelqu’un qui est d’une certaine manière uni à celui qui demande. Or, la charité réalise l’union.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16791] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod oratio cadit sub praecepto et determinate et indeterminate. Determinate quidem ad aliquas orationes ex praecepto tenentur illi qui ex officio sunt medii inter Deum et populum constituti, sicut ministri Ecclesiae ; unde ex officio eis incumbit preces ad Deum in persona totius Ecclesiae fundere ; et ideo ex statuto Ecclesiae tenentur ad horas canonicas dicendas. Sed indeterminate ad orationem quilibet tenetur ex hoc ipso quod tenetur ad bona spiritualia sibi procuranda, quae non nisi divinitus dantur ; unde alio modo procurari non possunt, nisi ut ab ipso petantur ; et etiam ex hoc ipso quod caritatis praecepto tenetur proximum sicut seipsum diligere, tenetur ei in necessitate beneficus esse non solum per corporales eleemosynas, sed etiam per spirituales ; quarum una est oratio, ut prius dictum est. Sed omnibus etiam qui Ecclesiae ministerio non funguntur, videtur ab Ecclesia determinatum tempus orandi statutum esse, cum ex canonum statuto teneantur diebus festis divinis officiis interesse, ut ministris pro populo orantibus suam intentionem conforment.

La prière est soumise à un précepte de manière à la fois déterminée et indéterminée. De manière déterminée, sont tenus à certaines prières ceux qui, par leur fonction, sont des médiateurs entre Dieu et le peuple, tels les ministres de l’Église. Par leur fonction, il leur incombe donc de faire des prières à Dieu au nom de toute l’Église. C’est pourquoi ils sont obligés de dire les heures canoniques par un précepte de l’Église. Mais, de manière indéterminée, tous sont tenus à la prière par le fait même qu’ils sont obligés de se procurer des biens spirituels, qui ne peuvent être donnés que par Dieu. Aussi ne peuvent-ils se les procurer qu’en les lui demandant. Par le fait qu’ils sont obligés par le commandement de la charité d’aimer leur prochain comme eux-mêmes, ils sont aussi obligés de leur faire du bien, non seulement par des aumônes corporelles, mais aussi par des [aumônes] spirituelles, dont l’une est la prière, comme on l’a dit plus haut. Mais pour tous, même pour ceux qui ne s’acquittent pas d’un ministàre de l’Église, il apparaît qu’un temps déterminé a été établi pour prier, puisque, par décision du droit canonique, ils sont obligés d’être présents aux offices divins les jours de fête, afin de conformer leur intention aux ministres qui prient pour le peuple.

[16792] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc ipso quod aliquid est voluntatis, excluditur necessitas absoluta etiam coactionis, non autem necessitas ex suppositione finis ; quia amor qui maxime voluntarius est, necessarius est, si quis velit ad salutis finem pervenire ; et hoc modo etiam oratio necessaria est, et sub praecepto cadens respectu eorum quorum voluntas sub necessitate praedicta cadit.

1. Du fait même que quelque chose relève de la volonté, la nécessité absolue est écartée, même celle due à la contrainte, mais non la nécessité dépendant d’une fin projetée, car l’amour, qui est ce qu’il y a de plus volontaire, est nécessaire, si l’on veut parvenir à la fin du salut. La prière est aussi nécessaire de cette manière et est soumise à un précepte en regard de ce à quoi la volonté est soumise selon la nécessité indiquée.

[16793] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per orationem praecipimur vota nostra Deo pandere, non ut eum doceamus quid desideremus, sed ut affectum et intellectum nostrum dirigamus in illum.

2. Il nous est enjoint de présenter nos désirs à Dieu, non pas pour l’informer de ce que nous désirons, mais pour que nous orientions vers lui notre intelligence et notre affectivité.

[16794] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus orationem acceptat, et de eo quod dare vult, et interdum de eo quod dare non vult. De eo quidem quod dare vult, ut idonei simus ab ipso accipere ; quod non esset, si ab eo non speraremus quod desideramus. Nec esse durum homini debet, se Deo per orationem subjicere, sicut homini per preces : quia in hoc totum bonum nostrum consistit quod Deo subditi simus ; non autem in hoc quod homini subdamur. De eo autem quod dare non vult ; quia ipse vult nos pie velle quod ipse juste non vult, sicut in fine primi libri dictum est.

3. Dieu agrée la prière portant sur ce qu’il veut donner et parfois sur ce qu’il ne veut pas donner. Sur ce qu’il veut donner, afin que nous soyons capables de le recevoir de lui, ce qui ne serait pas le cas si nous n’espérions pas ce que nous désirons. Et il n’est pas nécessaire que cela soit difficile pour l’homme de se soumettre à Dieu par la prière, comme ce l’est envers un homme, car tout notre bien consiste dans la soumission à Dieu, et non dans la soumission à un homme. Sur ce qu’il ne veut pas donner, car il veut que nous voulions saintement ce qu’il ne veut pas justement, comme on l’a dit à la fin du premier livre.

 

 

Articulus 2 [16795] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 tit. Utrum Oratio debeat esse vocalis, an mentalis tantum

Article 2 – La prière doit-elle être vocale ou seulement mentale  ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La prière doit-elle vocale ou seulement mentale  ?]

[16796] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod oratio non debeat esse vocalis, sed mentalis tantum. oratio enim debet esse occulta, et ad Deum tantum ; quia est petitio decentium a Deo ; unde dicitur Matth. 6, 6 : tu autem, cum oraveris, intra cubiculum, et clauso ostio, ora patrem tuum. Sed oratio vocalis non est occulta, nec ad Deum tantum esse videtur ; quia Deus ad cor respicit, non ad voces. Ergo oratio sine voce esse debet.

1. Il semble que la prière ne doive pas être vocale, mais seulement mentale. En effet, la prière doit être cachée et s’adresser à Dieu seulement, car « elle est la demande à Dieu de ce qui convient ». Aussi est-il dit en Mt 6, 6 : Mais toi, lorsque tu pries, va dans ta chambre et, après avoir fermé la porte, prie ton Père. Or, la prière vocale n’est pas cachée et elle ne semble pas s’adresser à Dieu seulement, car Dieu regarde le cœur, et non les paroles. La prière ne doit donc pas être vocale.

[16797] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, oratio est pars contemplationis. Sed contemplatio non existit in aliquo exteriori actu, sed tantum in interiori. Ergo oratio non debet voce exteriori fieri.

2. La prière est une partie de la contemplation. Or, la contemplation ne consiste pas dans un acte extérieur, mais seulement dans un acte intérieur. La prière ne doit donc pas être faite par la parole extérieure.

[16798] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per orationem debet intellectus in Deum ascendere, secundum Damascenum, et affectus in Deum dirigi, secundum Augustinum. Sed occupatio animae oirca corporales actus retrahit ascensum intellectus et affectus ad divina ; quia anima non potest intense circa diversa occupari. Ergo oratio debet esse sine voce tantum in corde.

3. Par la prière, l’intelligence doit s’élever vers Dieu, selon [Jean] Damascène, et l’affectivité doit être orientée vers Dieu, selon Augustin. Or, l’occupation de l’âme à des actes corporels retient l’élévation de l’intelligence et de l’affectivité vers les réalités divines, car l’âme ne peut pas être occupée avec intensité à des choses différentes. La prière doit donc exister seulement dans le cœur, sans paroles.

[16799] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psal. 141, 1 : voce mea ad dominum clamavi.

Cependant, [1] il est dit dans Ps 141, 1 : J’ai crié à pleine voix vers le Seigneur.

[16800] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, oratio est actus latriae, ut dictum est. Sed actus latriae non solum in interioribus actibus, sed etiam in exterioribus consistit. Ergo oratio non solum debet esse in corde, sed etiam in voce.

[2] La prière est un acte de latrie, comme on l’a dit. Or, l’acte de latrie ne consiste pas seulement dans des actes intérieurs, mais aussi dans des actes extérieurs. La prière ne doit donc pas se trouver seulement dans le cœur, mais aussi dans la voix.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La prière doit-elle être longue ?]

[16801] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oratio non debet esse diuturna. Matth. 6, 7 : Orantes autem nolite multum loqui. Sed qui diu vocaliter orat, multum loquitur. Ergo oratio vocalis ad minus non debet esse diuturna.

1. Il semble que la prière ne doive pas être longue. Mt 6, 7 : Lorsque vous priez, ne multipliez pas les paroles. Or, celui qui prie en paroles parle beaucoup. La prière vocale tout au moins doit donc être longue.

[16802] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, divinum praeceptum non est praetergrediendum. Sed dominus praecepit orantes sic orare : pater noster et cetera. Ergo videtur quod non oportet alias orationes addere.

2. Le commandement divin ne doit pas être transgressé. Or, le Seigneur a ordonné que ceux prient prient ainsi : Notre Père, etc. Il semble donc qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter d’autres prières.

[16803] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, oratio ad Deum fusa, debet esse cum fiducia, Jacob. 1, 6 : postulet autem in fide nihil haesitans. Sed prolixitas petitionis est signum diffidentiae in petitionibus quae ad homines diriguntur ; unde verba multiplicantur ad hoc quod animus ejus ad quem petitio dirigitur, flectatur. Ergo oratio ad Deum non debet esse diuturna.

3. La prière présentée à Dieu doit être faite avec confiance, Jc 1, 6 : Qu’on demande avec foi, sans hésiter. Or, la prolixité d’une demande est un signe du manque de confiance dans les demandes qui sont adressées aux hommes ; les paroles sont ainsi multipliées pour que l’esprit de celui à qui s’adresse la demande soit fléchi. La prière adressée à Dieu ne doit donc pas être longue.

[16804] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, 1 Timoth. 5, 5 : quae vere vidua est et desolata (...) vacet orationibus die ac nocte. Ergo oratio debet esse diuturna.

Cependant, [1] En sens contraire, 1 Tm 5, 5 dit : Celle qui est vraiment veuve et éplorée…, qu’elle se consacre aux prières de jour comme de nuit. La prière doit donc être longue.

[16805] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis Christi actio nostra est instructio. Sed Christus legitur diutius orasse, ut patet Lucae 22. Ergo oratio nostra debet esse diuturna.

[2] Toute action du Christ est un enseignement pour nous. Or, on lit que le Christ a prié longuement, comme cela ressort de Lc 22. Notre prière doit donc être longue.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-on jamais cesser de prier ?]

[16806] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nunquam debeat aliquis ab oratione cessare. Lucae 18, 1 : dicebat autem ad illos similitudinem, quoniam oportet semper orare, et nunquam deficere.

1. Il semble qu’on ne doive jamais cesser de prier. Lc 18, 1 : Il leur disait une parabole, à l’effet qu’il fallait toujours prier et ne jamais cesser.

[16807] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, 1 Thessal., ult. : sine intermissione orate.

2. 1 Th 5 dit : Priez sans cesse.

[16808] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, oratio est quaedam annuntiatio desiderii ad eum per quem explendum expectatur. Sed homo semper debet desiderare ea quae oranda sunt, scilicet bona spiritualia. Ergo oratio debet esse semper.

3. La prière est une manifestation de son désir à celui dont on en attend la réalisation. Or, l’homme doit toujours désirer ce pour quoi il doit prier, les biens spirituels. La prière doit donc toujours durer.

[16809] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quando homo orat, non potest operibus misericordiae vacare. Sed quandoque tenetur eis vacare. Ergo homo non semper debet orare.

Cependant, [1] lorsque l’homme prie, il ne peut vaquer aux œuvres de miséricorde. Or, il est parfois tenu d’y vaquer. L’homme ne doit pas prier sans cesse.

[16810] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, oratio, secundum Hugonem, est pars contemplationis. Sed homo non semper debet vacare contemplationi, sed quandoque ad actionem se extendere. Ergo non debet semper orare.

[2] Selon Hugues, la prière est une partie de la contemplation. Or, l’homme ne doit pas toujours vaquer à la contemplation, mais parfois aller jusqu’à l’action. Il ne doit donc pas toujours prier.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’attention actuelle est-elle nécessaire à la prière  ?]

[16811] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod actualis attentio sit de necessitate orationis. Quia, sicut dicit GregOrius, illam orationem Deus non audit cui ille qui orat, non intendit. Sed ad hoc fit oratio ut a Deo exaudiatur. Ergo supervacua est oratio, si sit sine attentione.

1. Il semble que l’attention actuelle soit nécessaire à la prière, car, ainsi que le dit Grégoire, « Dieu n’écoute pas celui qui prie sans porter attention à celui qu’il prie ». Or, la prière est faite afin qu’on soit exaucé par Dieu. La prière qui est faite sans attention est donc superflue.

 

[16812] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit : si cum orationem fundimus, aliud quodlibet in corde versamus, etiam si illud bonum sit, a culpa liberi non sumus. Sed oratio quae habet culpam adjunctam, non habet suam efficaciam. Ergo requiritur ad orationem actualis attentio.

2. Hugues de Saint-Victor dit : « Lorsque nous prions, si notre cœur est tourné vers quelque chose d’autre, même si cela est bon, nous ne sommes pas exempts de faute. » Or, la prière à laquelle une faute est associée n’a pas d’efficacité. L’attention actuelle est donc nécessaire à la prière.

 [16813] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, oratio est ascensus intellectus ad Deum, secundum Damascenum, ut supra. Sed quando deest attentio, intellectus non ascendit in Deum. Ergo non est oratio.

3. La prière est une élévation de l’intelligence vers Dieu, selon [Jean] Damascène, comme on l’a dit dit plus haut. Or, lorsque l’attention fait défaut, notre intelligence ne s’élève pas vers Dieu. Ce n’est donc pas une prière.

[16814] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, omne opus virtutis debet ex electione procedere. Sed oratio est opus virtutis. Ergo debet esse cum attentione, sine qua non est electio.

4. Tout acte de vertu doit procéder d’un choix. Or, la prière est un acte de vertu. Elle doit donc être faite avec l’attention sans laquelle il n’y a pas de choix.

[16815] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod nullus tenetur ad impossibile. Sed impossibile est mentem diu attentam teneri ad aliquid quin ad alia subito rapiatur. Ergo non est de necessitate orationis quod semper comitetur ipsam attentio.

Cependant, [1] personne n’est tenu à l’impossible. Or, il est impossible que l’esprit  soit longtemps retenu par une chose sans être tout à coup détourné vers autre chose. Il n’est donc pas nécessaire à la prière que l’attention l’accompagne toujours.

[16816] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, in aliis operibus meritoriis non requiritur quod semper adsit actualis attentio ; sicut non oportet quod ille qui peregrinatur, semper de peregrinatione sua cogitet. Ergo videtur quod nec in oratione sit necessarium.

[2] Pour les autres actes méritoires, il n’est pas nécessaire qu’existe toujours une attention actuelle ; ainsi, il n’est pas nécessaire que celui qui fait un pèlerinage pense toujours à son pèlerinage. Il semble donc que cela ne soit pas non plus nécessaire lorsqu’on prie.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [L’attention nuit-elle à la prière ?]

[16817] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod attentio orationi noceat. Quia, ut dicit Hugo de sancto Victore, pura est oratio, quando ex abundantia devotionis mens ita accenditur ut cum se postulatura ad Deum converterit, etiam suae petitionis obliviscatur. Sed qui obliviscitur suae petitionis, non videtur attendere orationi. Ergo cum oratio maxime debeat esse pura, videtur quod impediatur oratio per attentionem.

1. Il semble que l’attention nuise à la prière, car, ainsi que le dit Hugues de Saint-Victor, « la prière est pure lorsque, en raison de l’abondance de la dévotion, l’esprit est à ce point enflammé qu’en se tournant vers Dieu pour lui adresser ses demandes, il oublie même ses demandes ». Or, celui qui oublie ses demandes ne semble pas porter attention à sa prière. Puisque la prière doit être pure au plus haut point, il semble donc que l’attention soit un obstacle à la prière. 

[16818] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, sicut intentio orationem dirigit, ita etiam alios exteriores actus. Sed in aliis exterioribus actibus plurimum noceret, si actualis intentio semper adesset ; quia optimus citharaedus pessimus redderetur, ut Avicenna dicit. Ergo nocet attentio, si continue adsit orationi.

2. De même que l’attention oriente la prière, de même oriente-t-elle les autres actes extérieurs. Or, dans les autres actes extérieurs, ce serait une très grande nuisance si l’attention actuelle était toujours présente, car le meilleur joueur de cithare deviendrait le pire, comme le dit Avicenne. L’attention est donc nuisible si elle est présente dans la prière de manière continue.

[16819] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, non potest mens humana ad plura simul intenta esse. Sed aliquando oportet orantem esse attentum ad finem quem intendit, vel ad cogitandum de Deo, cui orationem fundit : quod omittere orationi nocet. Ergo nocivum est oranti, si semper ad orationem quam facit, attentionem habeat.

3. L’esprit humain ne peut porter attention à plusieurs choses en même temps. Or, parfois, il faut que celui qui prie porte attention à la fin qu’il vise ou penser à Dieu à qui il adresse sa prière ; l’omettre nuit à la prière. Il est donc nuisible pour celui qui prie de toujours porter attention à la prière qu’il fait.

[16820] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in regula : Psalmis et hymnis cum oratis Deum, hoc versetur in corde quod profertur in ore.

Cependant, [1] Augustin dit dans sa Règle : « Lorsque vous priez Dieu par des psaumes et des hymnes, que vous cœur se tourne vers ce que dit votre bouche. »

[16821] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, Joan. 4, 24 : spiritus est Deus : et eos qui adorant eum, oportet in spiritu et veritate adorare. Ergo attentio quae facit spiritu orare, orationi non nocet.

[2] Jn 4, 24 dit : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et vérité. L’attention qui fait prier en esprit ne nuit donc pas à la prière.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16822] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est oratio : scilicet privata, quam quisque pro se facit ; et publica, quae facienda incumbit ministris Ecclesiae, ut dictum est. Et quia haec publica oratio non fit ab orante solum pro se, sed pro aliis ; ideo non debet solum esse mentalis, sed vocalis etiam, ut per orationem voce expressam etiam alii ad devotionem excitentur, et ad continuandum intentionem suam orantibus ; et propter hoc etiam cantus ab Ecclesia instituti sunt. Unde Augustinus dicit de seipso, quod flebat uberrime in hymnis et canticis suave cantantis Ecclesiae, et quod voces illae influebant auribus ejus, et eliquabatur veritas in cor ejus. Oratio autem privata est quam quis pro seipso facit ; et haec quidem potest et voce et sine voce fieri, secundum quod magis orantis animo suppetit. Sed tamen vox orationi adjungitur propter quatuor. Primo ut homo excitet seipsum verbis ad devote orandum. Secundo ut intentionem custodiat ne evagetur ; magis enim tenetur ad unum, si verba etiam orantis affectui conjunguntur. Tertio ex vehementia devotionis in orante vox sequitur ; quia motus superiorum virium, si sit fortis, etiam ad inferiores redundat ; unde et cum mens orantis per devotionem accenditur, in fletus et suspiria et jubilos et voces inconsiderate prorumpit. Quarto propter debitum justitiae ; quia Deo, cui reverentia exhibetur, non solum mente, sed etiam corpore serviendum est.

Il existe une double prière : la prière privée, que chacun fait pour soi ; la prière publique, qu’il incombe aux ministres de l’Église de faire, comme on l’a dit. Parce que cette prière publique n’est pas faite par celui qui prie seulement pour lui-même, mais pour les autres, elle ne doit donc pas être seulement mentale, mais aussi vocale, afin que, par la prière formulée oralement, les autres aussi soient incités à la dévotion et à joindre leur intention à ceux qui prient. C’est aussi pour cette raison que le chant a été établi par l’Église. Ainsi Augustin dit-il à propos de lui-même qu’il pleurait abondamment lorsque que l’Église chantait des hymnes et des cantiques, que ces paroles coulaient dans ses oreilles et que la vérité se répandait dans son cœur. Mais la prière privée est celle que chacun fait pour soi : celle-ci peut être faite de manière orale ou non, selon qu’elle répond davantage à l’esprit de celui qui prie. Toutefois, la parole est associée à la prière pour quatre raisons. Premièrement, afin que l’homme s’incite par des paroles à prier dévotement. Deuxièmement, afin qu’il maintienne son attention, de sorte qu’elle ne s’égare pas : en effet, elle se concentre davantage sur une chose si les paroles de celui qui prie sont associées à son sentiment. Troisièmement, la parole découle de l’ardeur de la dévotion chez celui qui prie, car le mouvement des puissances supérieures, s’il est fort, se répercute aussi dans les puissances inférieures ; ainsi, lorsque l’esprit de celui qui prie est enflammé par la dévotion, il déborde en pleurs, en soupirs, en cris de joie et en paroles.  Quatrièmement, en raison de ce qui est dû en justice, car il faut servir Dieu, à qui est dû le respect, non seulement par son esprit, mais aussi par son corps.

[16823] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Gregorius, bonum opus sic debet agi in publico, ad aedificationem scilicet, ut semper intentio maneat in occulto ; unde ille qui publice orat, si exterius non gloriam hominum, sed solius Dei quaerit, in occulto manet intentio, et soli Deo orat per intentionem ; etsi etiam proximo innotescat oratio ad aedificationem.

1. Comme le dit Grégoire, l’acte bon doit être fait en public de telle manière, en vue de l’édification, que l’intention en demeure toujours cachée. L’intention de celui qui prie publiquement, s’il cherche non pas la gloire des hommes à l’extérieur, mais celle de Dieu seul, demeure toujours cachée, et il prie seulement Dieu en intention, même si sa prière est connue du prochain pour son édification.

[16824] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus immediate ad Deum directi, etiamsi exteriores sint, ad vitam contemplativam pertinent, et sunt contemplationis partes, secundum quod large accipitur ; quamvis non sint, secundum quod stricte sumitur pro ipsa meditatione sapientiae, ut dictum est. Unde etiam lectio, quae immediate ad meditationem divinorum ordinatur, pars contemplationis ponitur, quae fit voce quandoque.

2. Les actes directement orientés vers Dieu, même s’ils sont extérieurs, relèvent de la vie contemplative et sont des parties de la contemplation conçue au sens large, bien qu’ils n’en soient pas, si on la conçoit au sens strict de méditation de la sagesse, comme on l’a dit. La lecture elle-même, qui est immédiatement ordonnée à la méditation des réalités divines et qui se fait parfois oralement, est donc présentée comme une partie de la contemplation.

[16825] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando duae vires ordinatae sunt ad idem, una non impedit aliam in suo actu, sed magis juvat, sicut sensus imaginationem, quando ad idem ordinantur ; sic intentio expressa per vocem non impedit ascensum intellectus ad Deum, nisi nimia cura in verbis proferendis fiat, sicut illi qui verba composita in oratione proferre nituntur.

3. Lorsque deux puissances sont ordonnées à la même chose, l’une n’empêche pas l’autre dans son acte, mais plutôt l’aide, comme les sens aident l’imagination, lorsqu’ils sont ordonnés à la même chose. Ainsi, l’attention exprimée par la parole n’empêche pas l’élévation de l’intelligence vers Dieu, à moins qu’elle ne porte trop d’attention à prononcer des paroles, comme ceux qui s’efforcent d’utiliser des verbes composés en priant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16826] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in oratione praecipue attenditur orantis devotio ; et ideo tantum debet oratio protendi, quantum devotio orantis conservari potest ; et ideo si diu possit devotio conservari, debet oratio esse diuturna et prolixa ; si autem prolixitas fastidium vel taedium pariat, oratio non est diutius protrahenda. Unde Augustinus in Lib. de orando Deum : dicuntur fratres in Aegypto crebras quidem habere orationes, sed eas tamen brevissimas et raptim quodammodo jaculatas, ne illa vigilanter erecta, quae oranti plurimum necessaria est, per diuturniores moras evanescat atque hebetetur intentio ; ac per hoc ipsi satis ostendunt hanc intentionem sicut non esse obtundendam si durare non potest, ita si perduraverit, non esse rumpendam.

Dans la prière, on retient surtout la dévotion de celui qui prie. Ainsi, la prière doit se prolonger aussi longtemps que la dévotion de celui qui prie peut être maintenue. Si la dévotion peut être maintenue longtemps, la prière doit donc être longue et prolixe ; mais si la prolixité engendre l’ennui ou le dégoût, la prière ne doit pas être prolongée davantage. Aussi Augustin dit-il dans le livre Sur la prière adressée à Dieu : « On dit que les frères d’Égypte faisaient des prières fréquentes, mais très brèves et formulées pour ainsi dire à la hâte, de crainte que l’attention qui avait été dressée avec soin et qui est au plus haut point nécessaire à celui qui prie, ne disparaisse au cours de périodes plus prolongées, et que l’attention ne s’engourdisse. Ils montrent ainsi suffisamment que cette attention ne doit pas être émoussée si elle ne peut durer, et qu’elle ne doit pas être interrompue si elle peut être prolongée. »

[16827] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum ibidem, absit ab oratione multa locutio, sed non desit multa precatio, si fervens perseveret intentio ; nam multum loqui est in orando rem necessariam verbis superfluis agere ; multum autem precari est ad eum quem precamur, diuturna et pia cordis exercitatione pulsare.

1. Selon Augustin, au même endroit, « la multiplicité des paroles doit être bannie de la prière, mais une prière abondante ne doit pas faire défaut, pourvu que dure une attention fervente, car parler beaucoup en priant, c’est faire une chose nécessaire avec beaucoup de paroles superflues, mais prier beaucoup, c’est frapper chez celui que nous prions par un mouvement du cœur durable et pieux ».

[16828] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Augustinus in eodem Lib. dicit, liberum est aliis atque aliis verbis, scilicet ab his quae in oratione dominica petuntur, eadem tamen secundum rem in orando dicere ; sed non debet esse liberum alia secundum rem in orando dicere. Et ideo praecepto dominico non obligamur ad verba illa, sed solum ad res illas petendas a Deo ; quia, ut in eodem Lib. dicit, quaelibet alia verba dicamus, quae affectus orantis vel praecedendo format ut clareat, vel consequendo accendit ut crescat, nihil aliud dicimus quam quod in oratione dominica positum est, si recte et congruenter oramus.

2. Comme le dit Augustin dans le même livre, « on est libre de dire en réalité les mêmes choses en priant par d’autres paroles », à savoir, que celles qui sont demandées dans la prière du Seigneur ; « mais on n’est pas libre de dire en réalité d’autres choses en priant ». C’est pourquoi nous ne sommes pas obligés à ces paroles par un commandement du Seigneur, mais seulement à demander ces choses, car, comme il le dit dans le même livre, « toutes les autres paroles que nous pouvons dire, que l’amour de celui qui prie formule antérieurement pour être clair ou suscite par la suite afin de grandir, nous disons qu’elles ne sont rien d’autre que ce qui a été présenté dans la prière du Seigneur, si nous prions correctement et de la manière qui convient ».

[16829] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod petitio fit homini ad hoc quod desiderium petentis ei innotescat ad flectendum ipsum verbis ; sed orationem ad Deum fundimus, ut desiderium nostrum exerceamus ; et ideo utile est diu orare, si diuturna exercitatione desiderium crescat.

3. Une demande est adressée à un homme pour que le désir de celui qui demande lui soit manifesté afin de le fléchir par des paroles. Mais nous adressons la prière à Dieu afin d’exercer notre désir. C’est pourquoi il est utile de prier longuement, si le désir augmente par l’entraînement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16830] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquis actus dicitur durare dupliciter : aut secundum essentiam ; aut secundum virtutem, sive effectum suum : sicut motio ejus qui lapidem projicit, durat per essentiam actus dum manum lapidi movendo apponit ; sed virtus motionis manet dum lapis ex vi impulsionis primae movetur. Similiter etiam dico, quod orationis duratio dupliciter potest considerari : vel secundum essentiam actus ; et sic non debet aliquis continue orare, vel semper, quia oportet etiam interdum circa alia occupari : vel secundum virtutem ; et sic ejus virtus praecipue quantum ad sui initium manet in omnibus operibus aliis quae facimus ordinate, quia omnia ad vitam aeternam habendam ordinare debemus ; et ideo desiderium vitae aeternae, quod est orationis principium, manet in omnibus operibus bonis secundum virtutem : et propter hoc dicitur in Glossa 1 Thessal. : non cessat orare qui non cessat bene agere. Et sicut virtus motionis primae continue debilitatur, ut quandoque lapis impulsus quiescat, vel contrario modo moveatur, nisi iterum impellatur ; ita, ut dicit Augustinus, curis vitae desiderium quodammodo tepescit ; et ideo certis horis ad negotium orandi mentem revocamus, ne desiderium quod tepescere inceperat, omnino frigescat.

On dit qu’un acte dure de deux manières : selon son essence ou selon sa puissance ou son effet, comme le mouvement de celui qui lance une pierre dure par son essence aussi longtemps qu’il applique la main à la pierre pour la mouvoir, mais la puissance du mouvement demeure aussi longtemps que la pierre est mue par la puissance de la première impulsion. De même, je dis que la durée de la prière peut être envisagée de deux manière. Selon l’essence de l’acte : ainsi, on ne doit pas prier de manière continue ou toujours, car il faut entre-temps s’occuper d’autres choses. Selon la puissance [de l’acte de prière] : ainsi, sa puissance demeure surtout à son début dans toutes les autres actions que nous faisons de manière ordonnée, car nous devons tout ordonner à la vie éternelle. C’est pourquoi le désir de la vie éternelle, qui est le principe de la prière, demeure dans tous les actes bons selon la vertu. Pour cette raison, on dit dans la Glose à propos de 1 Th : « Celui qui agit bien ne cesse pas de prier. » Et de même que la puissance du premier mouvement s’affaiblit continuellement, au point où le lancement de la pierre s’arrête à un certain moment ou qu’elle est mue en sens contraire, si elle n’est pas de nouveau lancée, de même, comme le dit Augustin, « le désir s’attiédit d’une certaine façon par les soucis de la vie ; c’est pourquoi nous ramenons l’esprit vers la prière à des heures déterminées, de crainte que le désir qui avait commencé à s’attiédir ne se refroidisse complètement ».

 

[16831] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus per hoc quod dixit, quod oportet semper orare, non intendit quod orationis actus nunquam interrumpatur, sed quod non interrumpatur quasi nunquam resumendus ; quod quidem faciunt qui si statim non exaudiuntur, ab oratione cessant ; quia orationis diuturnitate impetratur quod petitur, sicut per exemplum dominus probat.

1. En disant qu’il faut toujours prier, le Seigneur n’entendait pas que l’acte de prière ne soit jamais interrompu, mais qu’il ne soit pas interrompu comme s’il ne devait jamais être repris. C’est ce que font ceux qui, dès qu’ils ne sont pas exaucés, cessent de prier, car c’est par la durée de la prière qu’on obtient ce que l’on demande, comme le Seigneur le montre par un exemple.

[16832] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Augustinus dicit, sine intermissione orare, nihil aliud est quam beatam vitam sine intermissione desiderare. Vel dicendum, quod sine intermissione orare ibi accipit apostolus, ut ab oratione statutis horis non desistamus ; vel ut per beneficia pauperibus exhibita, eorum orationes nostras faciamus, etiam quando nos ab oratione desistimus, ut in vitis patrum quidam sanctus exponit.

2. Comme le dit Augustin, prier sans discontinuer n’est rien d’autre que de désirer sans discontinuer la vie bienheureuse. Ou bien il faut dire que l’Apôtre entend prier sans discontinuer en cet endroit au sens où nous ne devons pas manquer de prier aux heures établies, ou que, par les bienfaits montrés aux pauvres, nous fassions nôtres leurs prières, même lorsque nous cessons de prier, comme l’explique un saint dans les Vies des pères.

[16833] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La solution du troisième argument ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[16834] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod attentio actualis requiritur ad orationem aliquo modo, vel ad vitandum transgressionem, quae est in illa oratione quae est in praecepto, vel ad meritum in illa quae non est in praecepto ; sed non omnibus modis. Sicut enim dictum est, aliquis actus manet per essentiam et virtutem quandoque ; sed quandoque transit actu et manet virtute, sicut in exemplo de projectione lapidis patuit ; et sic manere actum in virtute est quidam medius modus inter ipsum esse et in habitu et in actu ; quia quod in habitu est, neque virtute neque per essentiam actus est. Secundum hoc ergo dico, quod attentio in oratione manere debet semper secundum virtutem, sed non requiritur quod semper maneat per essentiam actus. Manet autem secundum virtutem, quando aliquis ad orationem accedit cum intentione aliquid impetrandi, vel Deo debitum obsequium reddendi, etiam si in prosecutione orationis mens ad alia rapiatur ; nisi tanta fiat evagatio, quod omnino depereat vis primae intentionis ; et ideo oportet quod frequenter homo cor revocet ad seipsum.

L’attention actuelle dans la prière est requise d’une certaine manière, soit pour évtier une transgression dans la prière qui est soumise à un précepte, soit pour le mérite de celle qui n’est pas soumise à un précepte. Mais ce n’est pas le cas de toutes les manières. En effet, comme on l’a dit, un acte demeure parfois par son essence et par sa puissance ; mais parfois, l’acte passe et la puissance demeure, comme cela était clair dans l’exemple du lancement de la pierre. Ainsi, pour l’acte, demeurer en puissance est un état intermédiaire entre exister par habitus et exister en acte, car ce qui existe par habitus n’existe ni par sa puissance ni par son essence. Je dis donc que, dans la prière, l’attention doit toujours demeurer par la puissance de l’acte, mais qu’il n’est pas exigé qu’elle demeure toujours par son essence. Or, elle demeure lorsque quelqu’un commence à prier avec l’intention d’obtenir quelque chose ou de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, même si, dans la poursuite de la prière, l’esprit est entraîné vers d’autres choses, à moins que ne se produise un tel égarement que la puissance de la première intention ne disparaisse complètement. C’est pourquoi il faut que le cœur de l’homme revienne fréquemment en lui-même.

[16835] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Gregorii intelligendum est, quando attentio nullo modo conjungitur orationi.

1. Il faut entendre la parole de Grégoire du cas où l’attention n’est d’aucune manière associée à la prière.

[16836] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Hugonis intelligendum est quando aliquis ex proposito mentem ad alia distrahit in orando ; tunc enim sine culpa non est, praecipue si in aliis sponte se occupat quae mentem distrahunt, sicut sunt exteriora opera ; et si ad contrarium mens evagetur, etiam culpa mortalis erit. Si autem sine hoc quod percipiamus, mens ad alia evagetur ; vel culpa caret, vel parvissima culpa est ; nisi praecedens cogitatio, ex qua contingit evagatio talis, in culpa esse dicatur.

2. La parole d’Hugues doit s’entendre du cas où quelqu’un détourne intentionnellement son esprit dans la prière. En effet, il n’est pas alors sans faute, surtout s’il s’occupe de son plein gré d’autres choses qui distraient l’esprit, comme le font les actes extérieurs ; et si l’esprit s’égare vers des choses contraires [à la prière], ce sera même une faute mortelle. Mais si. sans que nous nous en apercevions, l’esprit s’égare vers d’autres choses, ou bien il n’y aura pas de faute, ou bien ce sera une faute très petite, à moins qu’on dise qu’une pensée précédente, qui a provoqué un tel égarement, est peccamineuse.

[16837] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ascendit intellectus in Deum, quando orationem ad Deum ordinavit, et virtus illius ascensus in tota oratione manet.

3. On dit que l’intelligence s’élève vers Dieu lorsqu’il oriente la prière vers Dieu et que sa puissance de cette élévation dure pendant toute la prière.

[16838] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in operibus virtutis non oportet quod semper actualis electio adsit, sicut non oportet quod ille qui eleemosynam dat, semper de eleemosyna cogitet ; sed sufficit semel cogitasse, dum eleemosynam dare disposuit ; nisi contraria cogitatione praecedens intentio interrumpatur.

4. Dans les actes de vertu, il n’est pas nécessaire qu’il y ait toujours un choix actuel, de même qu’il n’est pas nécessaire que celui qui fait l’aumône pense toujours à l’aumône, mais il suffit qu’il y ait pensé une fois, lorsqu’il a décidé de faire l’aumône, à moins que, par une pensée contraire, l’intention précédente ne soit interrompue.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[16839] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod attentio in oratione potest esse duplex : primo enim est attentio ad verba quibus petimus ; deinde ad petitionem ipsam ; et ad ea quae petitionem ipsam circumstant, sicut est necessitas pro qua petitur, Deus qui rogatur, et alia hujusmodi ; et quaecumque harum attentionum adsit, non est reputanda inattenta oratio. Unde etiam illi qui non intelligunt petitionis verba, ad orationem attenti esse possunt. Sed tamen ultima attentio est laudabilior quam secunda, et secunda quam prima. Et quia anima non potest vehementer attenta esse ad diversa, ideo prima attentio potest nocere, ut minor sit orationis fructus, si secundam evacuat ; vel secunda, si tertiam omnino tollat ; sed non e contrario. Tamen attentio, communiter accipiendo, non nocet, sed multum prodest, ut ex verbis Augustini inductis apparet.

L’attention dans la prière peut être double : en effet, il y a, en premier lieu, l’attention aux paroles par lesquelles nous demandons ; ensuite, à la demande elle-même et à ce qui entoure la demande elle-même, comme c’est le cas du besoin pour lequel on fait une demande, de Dieu à qui on le demande et des autres choses de ce genre. Quelle que soit celle de ces attentions qui est présente, la prière ne doit pas être considérée comme dépourvue d’attention. De sorte que même ceux qui ne comprennent pas les paroles de la demande peuvent être attentifs à la prière. Cependant, la dernière attention est plus louable que la deuxième, et la deuxième que la première. Et parce que l’âme ne peut porter une attention intense à diverses choses, la première attention peut nuire, de sorte que le fruit de la prière soit moindre, si elle enlève complètement la deuxième ; ou c’est le cas de la deuxième, si elle enlève complètement la troisième. Mais le contraire n’est pas vrai. Toutefois, entendue d’une manière générale, l’attention ne nuit pas, mais elle est très utile, comme cela ressort des paroles d’Augustin invoquées.

[16840] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando mens per dilectionem in Deum ita rapitur, ut petitionis suae immemor sit, attentio orationi adest, ut dictum est, quamvis non secunda vel prima, sed tertia.

1. Lorsque l’esprit est à ce point saisi par Dieu qu’il ne se rappelle plus sa prière, l’attention est présente dans la prière, comme on l’a dit, bien qu’il ne s’agisse pas de la deuxième ou de la première [attention], mais de la troisième.

[16841] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de prima attentione, quae, si sit nimia, ineptam interruptionem faciet, scilicet si in singulis verbis homo cogitare velit qualiter formanda sunt ; quandoque etiam faciet errorem, quia sic cogitanti minus verba occurrent. Talis autem attentio sufficit ut sit tanta quanta sufficit ad integram verborum pronuntiationem.

2. Cet argument s’appuie sur la première attention qui, si elle est trop grande, provoquera une interruption déplacée, alors qu’on veut penser à la manière dont chaque parole doit être prononcée ; parfois aussi, elle provoquera une erreur, car les paroles viendront moins facilement à celui qui pense ainsi. Mais l’attention est suffisante si elle est telle qu’elle suffit pour la prononciation complète des paroles.

[16842] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae habent ordinationem ad invicem, possunt simul intelligi inquantum hujusmodi ; quia inquantum ad invicem ordinata accipiuntur, sic intellectus eorum ordinem comprehendendo, ea unum facit ; et ideo simul potest intellectus ferri et ad orationem et ad orationis finem. Tamen in quodcumque feratur, orationi debita attentio non deest.

3. Les choses qui sont ordonnées l’une à l’autre peuvent être comprises simultanément en tant que telles, car, pour autant qu’elles sont conçues comme ordonnées l’une à l’autre, l’intelligence, en comprenant leur ordre, en fait une seule chose. C’est pourquoi l’intelligence peut être portée vers la prière et vers la fin de la prière. Toutefois, qu’elle porte sur n’importe laquelle, une attention appropriée ne fait pas défaut à la prière.

 

 

Articulus 3 [16843] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 tit. Utrum convenienter species Orationis distinguantur

Article 3 – Les espèces de la prière sont-elles bien distinguées ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les espèces de la prière sont-elles distinguées de manière adéquate ?]

[16844] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod inconvenienter species orationis distinguantur, 1 Tim. 2, 1 : obsecro igitur primo omnium obsecrationes fieri, orationes, postulationes, gratiarum actiones. Obsecrationes enim sunt adjurationes pro rebus difficilibus, ut dicit Glossa, ibidem ; adjuratio autem quasi quamdam coactionem importat ; et sic reverentiam minuit, quae orationi debetur. Ergo obsecratio non est orationis species.

1. Il semble que les espèces de la prière soient distinguées de manière adéquate. 1 Tm 2, 1 : Je recommande donc qu’on fasse des supplications, des prières, des demandes, des actions de grâce. En effet, les supplications sont des prières instantes pour des choses difficiles, comme le dit la Glose au même endroit. Or, une prière instante comporte une certaine coercition ; elle diminue ainsi le respect qui fait partie de la prière. La supplication n’est donc pas une espèce de la prière.

[16845] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, non potest esse idem totum et pars. Sed oratio est cui hae partes assignantur. Ergo non debet oratio etiam inter has partes assignari.

2. Le tout et la partie ne peuvent pas être la même chose. Or, c’est à la prière que ces parties sont attribuées. La prière ne doit donc pas être comptée parmi ces parties.

[16846] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, postulatio est idem quod petitio. Petitio autem est orationis genus, ut dictum est. Ergo postulatio non debet poni orationis pars.

3. La sollicitation est la même chose que la demande. Or, la demande est un genre de la prière, comme on l’a dit. La sollicitation ne doit donc pas être présentée comme une partie de la prière.

[16847] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, omnis oratio est petitio decentium a Deo, secundum Damascenum. Sed gratiarum actio non est petitio, quia est de jam acceptis. Ergo non est orationis species.

4. Toute prière est une demande de ce qui convient adressée à Dieu, selon [Jean] Damscène. Or, l’action de grâce n’est pas une demande, car elle porte sur des choses déjà reçues. Elle n’est donc pas une espèce de la prière.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La distinction entre les parties de la prière faite par Ambroise est-elle adéquate ?]

[16848] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam distinctio partium orationis quam ponit Ambrosius, sit incompetens. Dicit enim, orationem dividi in Dei laudem, supplicationem, et postulationem, et gratiarum actionem. Non enim laudatur nisi aliquid quod ad alterum ordinatur, ut patet in 1 Ethic. Sed Deus non est ad aliquid ordinandus, sed ad ipsum omnia alia. Ergo non est laudandus, sed magis honorandus ; et ita laus Dei non est pars orationis.

1. Il semble aussi que la distinction entre les parties de la prière faite par Ambroise soit inadéquate. En effet, il dit que la prière se divise en louange de Dieu, en supplication, en demande et en action de grâce. En effet, on ne louange que ce qui est ordonné à autre chose, comme cela ressort d’Éthique, I. Or, Dieu ne doit pas être ordonné à autre chose, mais toutes les autres choses doivent lui être ordonnées. Ainsi, la louange de Dieu n’est pas une partie de la prière.

[16849] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, laus, proprie, enuntiando aliquid de aliquo fit. Oratio autem non per modum indicativum, quo enuntiatio completur, habet fieri, sed magis per modum imperativum. Ergo laus non est orationis pars.

2. Au sens propre, la louange se réalise en disant quelque chose à propos de quelqu’un. Or, la prière ne se fait pas au mode indicatif, par lequel se réalise une énonciation, mais plutôt au mode impératif. La louange n’est donc pas une partie de la prière.

[16850] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, supplicatio omnis est postulatio quaedam. Ergo non debet unum contra alterum dividi.

3. Toute supplication est une demande. On ne doit donc pas les distinguer l’une de l’autre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les parties de la prière attribuées par Hugues de Saint-Victor sont-elles présentées de manière adéquate ?]

[16851] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam partes quas Hugo de sancto Victore assignat, sint inconvenienter positae. Dicit enim quod orationis partes sunt tres, scilicet supplicatio, postulatio, insinuatio. Insinuatio enim, ut dicit Tullius est quidam modus exordii. Sed ad Deum accedentes non indigemus exordio ; quia non est verbis flectendus. Ergo non est orationis pars.

1. Il semble aussi que les parties [de la prière] attribuées par Hugues de Saint-Victor ne soient pas présentées de manière adéquate. En effet, il dit qu’il y a trois parties de la prière : l’adjuration, la demande et l’insinuation. En effet, l’insinuation, comme le dit Tullius [Cicéron], est une forme d’exorde. Or, ceux qui s’approchent de Dieu n’ont pas besoin d’entrée en matière, car il ne doit pas être fléchi par des paroles. Elle n’est donc pas une partie de la prière.

[16852] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, exordium praecedit omnes alias partes orationis rhetoricae. Si ergo orationi ad Deum partes assignantur per similitudinem ad illam, videtur quod insinuatio sit prima pars orationis, et non ultima.

2. L’exorde précède toutes les autres parties du discours rhétorique. Si donc on attribue à la prière adressée à Dieu des parties par comparaison avec le discours rhétorique, il semble que l’insinaution soit la première partie de la prière, et non la dernière.

[16853] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, supplicatio addere videtur supra postulationem modum quemdam humilitatis in postulando. Sed quod se habet ex additione ad aliud, est posterius. Ergo post postulationem supplicationem ponere debuit.

3. La supplication semble ajouter à la demande une forme d’humilité dans la demande. Or, ce qui s’ajoute à quelque chose le suit. Il devait donc placer la supplication après la demande.

[16854] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Matth. 7, 7, dominus videtur tres orationis partes ponere, dicens : petite et accipietis, quaerite et invenietis, pulsate et aperietur. Cum ergo hae partes in omnibus praedictis divisionibus omittantur, videtur quod omnes sint insufficientes.

4. En Mt 7, 7, le Seigneur semble présenter trois parties de la prière, lorsqu’il dit : Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira. Puisque ces parties sont omises dans toutes les divisions mentionnées, il semble qu’elles soient toutes insuffisantes.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16855] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod partes orationis dupliciter accipi possunt ; scilicet per modum partium integralium, et per modum partium subjectivarum. Partes autem integrales orationis distinguuntur per ea quae ad completam orationem requiruntur ; partes autem subjectivae distinguuntur vel secundum diversitatem eorum quae petuntur, vel secundum diversum modum petendi. Partes ergo orationis quas apostolus assignat, utramque distinctionem habent adjunctam. Quia enim ea quae a Deo petimus, non ex nostris meritis impetrare praesumimus, et viam impetrationis claudit qui non de acceptis gratiam agit ; ideo ad complementum orationis primo requiritur sacrorum commemoratio, quorum virtute difficilia quaecumque impetrantur ; et hoc fit per obsecrationem ; unde dicit Glossa, quod de difficilibus est, sicut de conversione impii. Secundo ipsa petitio, quae est vel de his quae ad id quod principaliter petimus, ordinantur ; et sic est oratio, quae dicitur respectu bonorum viae : vel de his quae principaliter petimus, sicut sunt bona patriae ; et respectu horum sunt postulationes. Sequitur autem gratiarum actio, in qua oratio consummatur, ut sequenti orationi aditus pateat. Et secundum hoc etiam, ut Glossa ibidem dicit, partes Missae distinguuntur : quia ea quae ante consecrationem dicuntur, sunt quasi quaedam obsecrationes ; eo quod fit commemoratio Christi et doctrinae ipsius et sanctorum ejus : ea autem quae in consecratione dicuntur, orationes, quia sacramentum, quod illis verbis conficitur, in via nos adjuvat ; unde et viaticum dicitur : quae vero postea adduntur, sunt postulationes, quia bona aeterna postulantur et mortuis et vivis : quae autem post communionem dicuntur, gratiarum actiones sunt.

Les parties de la prière peuvent être envisagées de deux manières : sous forme de parties intégrales et sous forme de parties subjectives. Les parties intégrales de la prière se distinguent par ce qui est nécessaire pour une prière complète ; mais les parties subjectives se distinguent soit par la diversité de ce qui est demandé, soit par la manière de le demander. Les deux distinctions sont donc attribuées par l’Apôtre aux parties de la prière. En effet, ce que nous demandons à Dieu, nous présumons l’obtenir non par nos propres mérites, et celui qui ne rend pas grâce pour ce qu’il a reçu ferme la voie à l’obtention. C’est pourquoi est d’abord nécessaire à l’accomplissement de la prière le rappel des réalités saintes par la puissance desquelles tout ce qui est difficile est obtenu. Cela se réalise par la supplication. Aussi la Glose dit-elle qu’elle porte sur des choses difficiles, comme la conversion du méchant. Deuxièmement, [est nécessaire] la demande elle-même, qui porte soit sur ce qui est ordonné à ce que nous demandons principalement, comme la prière qui porte sur des biens pour la route ; soit sur ce que nous demandons principalement, comme le sont les biens de la patrie. Les demandes portent sur ceux-ci. Mais l’action de grâce suit, par laquelle la prière s’achève, de sorte que s’ouvre l’accès à la prière suivante. Comme le dit la Glose au même endroit, les parties de la messe se distinguent aussi de cette façon, car les choses qui sont dites avant la consécration sont des adjurations, du fait qu’on rappelle le Christ et son enseignement, et ses saints ; mais les choses qui sont dites lors de la consécration sont des prières, car le sacrement, qui est réalisé par ces paroles, nous aide pour la route. Aussi est-il appelé viatique. Mais les choses qui sont ajoutées ensuite sont des demandes, car les biens éternels sont demandés pour les morts et pour les vivants. Les choses qui sont dites après la communion sont des actions de grâces.

[16856] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in juramento assumitur divina veritas quasi firmior in testimonium veritatis a nobis dictae ; ita in adjuratione semper assumitur potentior virtus ad impetrandum quod nos ex nostra infirmitate non possumus impetrare ; unde semper adjurans in se defectum profitetur. Sed quandoque illud quod adjuramus, assumitur ad inclinandum per violentiam ; sicut cum sancti Daemones adjurant, ut de obsessis corporibus exeant ; quandoque autem assumitur ad inclinandum per benevolentiam, et sic Deum adjuramus per filium suum, vel per sanctos suos, qui ei accepti supra nos fuerunt ; et ideo reverentia per obsecrationem non minuitur.

1. De même que, dans le serment, la vérité divine est considérée comme plus solide pour le témoignage à la vérité que nous avons dite, de même, dans l’adjuration, une puissance plus grande est invoquée pour obtenir ce que nous ne pouvons obtenir en raison de notre faiblesse. Aussi celui qui adjure confesse-t-il toujours une carence en lui-même. Cependant, ce que nous adjurons est pris parfois comme une façon de faire plier par la violence, comme lorsque les saints adjurent les démons de sortir des corps possédés ; et parfois, cela est envisagé pour faire incliner par bienveillance : ainsi adjurons-nous Dieu par son Fils ou par ses saints, qui lui ont été plus agréables que nous. C’est pourquoi le respect n’est pas amoindri par l’adjuration.

[16857] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consuetum est quod nomen commune ad illam speciem trahatur quae nihil addit dignitatis, vel minus quam aliae species, supra commune ; sicut nomen Angeli, quod omnibus ordinibus commune est, infimo ordini attribuitur ; et similiter nomen orationis ad illam speciem trahitur secundum quamdam appropriationem, quae habet minus de dignitate, scilicet qua petitur viae bonum.

2. Habituellement, le nom commun est attiré par l’espèce qui n’ajoute aucune dignité ou en ajoute une moindre que les autres espèces en plus de ce qui est commun. Ainsi, le nom d’ange, qui est commun à tous les ordres est-il attribué à l’ordre inférieur. De même, le nom de prière est-il attiré par appropriation vers l’espèce qui a le moins de dignité, à savoir, celle par laquelle on adresse une demande alors qu’on est en route.

[16858] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod postulatio importat quamdam protensionem desiderii in id quod petitur : et quia illud quod principaliter et per se desideratur, est finis ; ideo postulatio proprie addit supra petitionem communiter dictam determinatum petitum, scilicet finem.

3. La supplication comporte une certaine projection du désir vers ce qui est demandé. Parce que ce qui est désiré principalement et par soi est la fin, la supplication ajoute à proprement parler à la demande entendue au sens commun un objet déterminé, à savoir, la fin.

[16859] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod gratiarum actio non ponitur pars orationis quasi species ejus ; et ideo non oportet quod definitio orationis ei conveniat.

4. L’action de grâce n’est pas présentée comme partie de la prière comme si elle en était une espèce. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la définition de la prière lui convienne.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16860] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut oratio rhetorica habet exordium partem sui, ita et oratio ad Deum fusa ; unde et introitus in Missa cantatur. Sed hoc interest, quia in oratione rhetorica exordium ponitur propter illos ad quos oratio fit, ut benevoli, dociles, vel attenti reddantur ; sed in oratione de qua loquimur, exordium requiritur quandoque ad excitandum orantis desiderium ad devote petendum. In exordio autem quod ad benevolentiam captandam inducitur, quatuor modis secundum Tullium proceditur. Quia vel captatur benevolentia ex persona judicis, dum laudatur ; vel ex negotio, dum ejus dignitas ostenditur ; vel ex persona petentis, sicut dum ostendit meritum ejus in eos quos alloquitur ; vel ex persona adversariorum, dum contra eos audientium animos concitantur. In oratione autem quam ad Deum fundimus, pro nobis tantum intercedimus, non ut alii offensam incurrant. Negotium etiam pro quo oramus, ipse Deus est, ad quem sunt omnia desideria nostra ordinanda. Unde dupliciter orantis affectus ad devotionem quasi quodam exordio excitatur ; scilicet ex parte Dei, dum ipsum laudamus ; et ex parte nostra, dum nostram infirmitatem recogitamus ; et quantum ad primum ponit Ambrosius laudem Dei orationis partem ; quantum autem ad secundum supplicationem, quae est humilis et devota precatio ; in qua etiam potest includi negotium pro quo oramus, inquantum ex necessitate quae nos impellit ad orandum, spiritus noster humiliatur. Postulatio autem ad progressum orationis pertinet ; sed gratiarum actio ad terminum, ut prius dictum est.

De même que le discours rhétorique comporte un exorde comme une de ses parties, de même la prière adressée à Dieu ; c’est ainsi que l’introït est chanté à la messe. Mais il y a une différence : dans le discours rhétorique, l’exorde existe pour ceux à qui le discours s’adresse, afin qu’ils soient rendus bienveillants, dociles ou attentifs ; mais, dans la prière dont nous parlons, l’exorde est parfois nécessaire pour stimuler le désir de celui qui prie afin qu’il demande avec dévotion. Or, dans l’exorde qui est amené pour capter la bienveillance, on procède de quatre manières, selon Tullius [Cicéron] : la bienveillance du juge en raison de sa personne est captée lorsqu’il est loué ; en raison de la chose en question, lorsqu’on montre sa dignité ; en raison de la personne de celui qui demande, comme lorsqu’on en montre le mérite à ceux à qui on s’adresse ; en raison de la personne des adversaires, lorsqu’on excite l’esprit des auditeurs contre eux. Mais, dans la prière que nous adressons à Dieu, nous intercédons seulement pour nous, et non pour ne pas encourir l’offense de quelqu’un d’autre. La chose en question pour laquelle nous prions est Dieu lui-même, vers qui tous nos désirs doivent être ordonnés. Aussi le sentiment de celui qui prie est-il excité de deux manières à la dévotion comme par un exorde : du point de vue de Dieu, lorsque nous le louons ; de notre point de vue, lorsque nous nous rappelons notre faiblesse. Pour ce qui est du premier point, Ambroise présente la louange de Dieu comme une partie de la prière ; pour ce qui est du second point, il présente la supplication, qui est une prière humble et dévote. On peut aussi y inclure la chose pour laquelle nous prions, dans la mesure où notre esprit est humilié par la nécessité qui nous pousse à prier. La demande se rapporte au déroulement de la prière ; l’action de grâces, à son terme, comme on l’a dit plus antérieurement. 

[16861] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod laus largo modo accipitur secundum quod se habet communiter ad laudem et honorem. Vel dicendum, quod quamvis Deus non ordinetur ad aliquid, tamen ipse omnia directe in se ordinat ; et per hoc sibi laudis ratio competit.

1. Au sens large, la louange recouvre la louange et l’honneur. Ou bien il faut dire que, bien que Dieu ne soit pas ordonné à quelque chose, il ordonne cependant toutes choses vers lui-même. Pour cette raison, la raison de louange lui convient.

[16862] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod laus non ponitur pars subjectiva, sed integralis, et quasi ad complementum esse orationis pertinet.

2. La louange n’est pas présentée comme une partie subjective, mais comme une partie intégrale, et elle est comme un complément de la prière.

[16863] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supplicatio non ponitur hic quantum ad hoc quod includit postulationem vel petitionem, sed quantum ad modum petendi quem importat. Potest etiam dici, quod partes Ambrosii reducuntur ad partes apostoli, ut laus Dei dicatur adjuratio, quia per ea quae ad laudem ipsius pertinent, ipsum adjuramus ; supplicatio autem idem est quod oratio, quia utrumque quamdam reverentiam importat ; alia autem etiam secundum nomen sunt idem.

3. La suppliccation n’est pas présentée ici comme incluant une requête ou une demande, mais pour la manière de demander qu’elle comporte. On peut aussi dire que les parties [de la prière] selon Ambroise se ramènent à ses parties selon l’Apôtre, de sorte que la louange de Dieu est appelée adjuration, car nous l’adjurons par ce qui se rapporte à sa louange. Mais la supplication est la même chose que la prière, car les deux comportent une certaine révérence. Les autres choses reviennent au même, même pour le nom.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16864] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod partes ab Hugone positae sunt partes subjectivae, et distinguuntur secundum diversos modos ; quia omnis petitio per narrationem determinatur, et ipsa narratio est quaedam interpretativa oratio. Sic ergo utrumque concurrere potest ad orationem, et sic dicitur postulatio ; unde ipse dicit, quod postulatio est determinatae petitioni inserta narratio : vel alterum tantum ; et sic vel petitio indeterminata sine narratione ; et sic est supplicatio ; unde ipse dicit, quod supplicatio est sine determinatione petitionis, humilis et devota precatio ; aut narratio sine petitione, et sic est insinuatio quae secundum ipsum est sine petitione per solam narrationem, voluntatis facta significatio.

Les parties données par Hugues sont des parties subjectives et elles se distinguent de diverses manières, car toute demande est déterminée par un récit et le récit lui-même est un discours interprétatif. Ainsi, les deux peuvent concourir à la prière : on l’appelle ainsi une requête. Aussi dit-il lui-même que « la requête est un récit ajouté à une demande déterminée ». Ou bien cela peut désigner une seule des deux choses. On a ainsi une demande indéterminée sans récit : il s’agit alors de la supplication. Aussi dit-il lui-même que « la supplication ne comporte pas de détermination de la demande ; elle est une requête humble et dévote ». Ou bien cela peut désigner un récit sans demande : il s’agit alors d’une insinuation qui, par elle-même, est « l’indication de ce que l’on veut sans demande, par le seul récit ».

[16865] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo patet solutio ex dictis in secunda quaestione.

1. La solution ressort clairement de ce qui a été dit dans la deuxième question.

 [16866] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod insinuatio per Tullium, ubi Sup., in hoc differt ab exordio, quod exordium expresse benevolentiam captat, vel docilitatem, vel attentionem facit ; sed insinuatio facit idem occulte, et per quosdam circuitus ; et ideo insinuatio est proprie quando aliud dicitur, et aliud intenditur ; et ideo Hugo istum orationis modum quo narratio proponitur, et petitio intenditur, insinuationem nominavit ; et ideo non ponitur pro exordio, sed pro illo modo petitionis qui cum quodam exordii genere similitudinem habet.

2. L’insinuation selon Tullius [Cicéron], à l’endroit indiqué plus haut, diffère de l’exorde en ce que l’exorde capte expressément la bienveillance, ou suscite la docilité ou l’attention, alors que l'insinuation réalise la même chose de manière cachée et comme par des détours. Ainsi, l’insinuation existe à proprement parler lorsqu’on dit une chose, alors qu’on en vise une autre. C’est pourquoi Hugues a appelé la manière de prier par laquelle on présente un récit, alors qu’on vise une demande, une insinuation. Aussi n’est-elle pas présentée comme un exorde, mais comme une façon de demander qui a quelque chose en commun avec le genre de l’exorde.

[16867] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut ex dictis patet, postulatio medium est inter insinuationem et supplicationem ; et ideo media secundum ordinem ab ipso ponitur.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, la requête occupe le milieu entre l’insinuation et la supplique. C’est pourquoi elle est placée par lui en deuxième lieu.

[16868] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Augustinum illa tria distinguuntur secundum ea quae sunt necessaria viatori. Primo ut adsit virtus ad ambulandum per sanitatem ; et quantum ad hoc dicitur : petite et accipietis. Secundo ut adsit scientia ad dirigendum, ne via ignoretur ; et quantum ad hoc dicitur : quaerite et invenietis. Tertio ut adsit facultas ad perveniendum ; et quantum ad hoc dicitur : pulsate et aperietur vobis. Et sic patet quod hic distinguuntur orationis subjectivae partes diversae secundum diversitatem eorum quae petuntur ; et ideo oratio quae in distinctione apostoli est posita, includit petitionem et quaestionem ; sed postulatio pulsationem : gratiarum autem actio et obsecratio non sunt hoc modo subjectivae partes secundum diversitatem petitorum distinctae.

4. Selon Augustin, ces trois choses se distinguent par ce qui est nécessaire à celui qui est en route. Premièrement, il doit avoir la capacité de marcher par la santé ; de ce point de vue, il est dit : Demandez et vous recevrez ! Deuxièmement, il doit avoir la science pour se diriger, de sorte qu’il n’ignore pas la route ; de ce point de vue, il est dit : Cherchez et vous trouverez ! Troisièmèment, il doit avoir la capacité d’aller jusqu’au bout ; de ce point de vue, il est dit : Frappez et l’on vous ouvrira ! Il est ainsi clair que sont distinguées ici les diverses parties subjectives de la prière en fonction de la diversité de ce qui est demandé. C’est pourquoi la prière qui est présentée dans la distinction de l’Apôtre inclut la demande et la question ; mais la requête inclut le fait de frapper à la porte. L’action de grâces et l’adjuration ne sont pas de cette manière des parties subjectives qui se différencient par la diversité de ce qui est demandé.

 

 

Articulus 4 [16869] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 tit. Utrum homo debeat aliquid determinate petere in oratione

Article 4 – Doit-on demander quelque chose de déterminé par la prière ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 : [Doit-on demander quelque chose de manière déterminée en priant ?]

[16870] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod homo non debeat aliquid determinate petere in oratione. Quia periculosum est petere quod petere non oportet. Sed quid oremus, sicut oportet, nescimus ; Rom. 8, 26. Ergo non debemus aliquid determinate petere.

1. Il semble qu’on ne doive pas demander quelque chose de manière déterminée en priant, car il est dangereux de demander ce qu’il ne faut pas demander. Or, comment prier comme il faut, nous ne le savons pas, Rm 8, 26. Nous ne devons donc pas demander quelque chose de manière déterminée.

[16871] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in oratione homo debet spem suam jactare in Deum, sicut dicitur in Psal. 54, 23 : jacta super dominum curam tuam, et ipse te enutriet. Sed ille qui aliquid in oratione determinat, non videtur super dominum curam suam jactare totaliter. Ergo talis oratio est reprehensibilis.

2. En priant, l’homme doit reporter son espérance sur Dieu, comme il est dit dans Ps 54, 23 : Reporte tes soucis sur le Seigneur, et il te nourrira. Or, celui qui détermine quelque chose en priant ne semble pas reporter entièrement ses soucis sur le Seigneur. Une telle prière est donc répréhensible.

[16872] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, determinatio petitionis non fit nisi ad innotescendum desideratum. Sed Deus, quem oramus, melius scit desideria nostra quam nos ipsi. Ergo non debemus in oratione aliquid determinate petere.

3. La détermination de la prière n’est faite que pour faire connaître son désir. Or, Dieu, que nous prions, connaît mieux nos désirs que nous-mêmes. Nous ne devons donc pas demander quelque chose de façon déterminée en priant.

[16873] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, dominus congruam formam orandi tribuit. Sed in oratione dominica determinatae petitiones continentur. Ergo oportet aliquid determinate petere.

Cependant, [1] le Seigneur a transmis la manière convenable de prier. Or, dans la prière du Seigneur, des demandes déterminées sont comprises. Il faut donc demander quelque chose de manière déterminée.

[16874] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, postulatio est orationis pars. Sed habet determinatam petitionem, ut Hugo dicit, ubi Sup. Ergo determinate aliquid petendum est.

[2] La requête est une partie de la prière. Or, elle comporte une demande déterminée, comme le dit Hugues, à l’endroit indiqué plus haut. Il faut donc demander quelque chose de manière déterminée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Faut-il demander des choses temporelles dans la prière ?]

[16875] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in oratione non sint temporalia petenda. Matth. 6 super illud : primum quaerite regnum Dei, et haec omnia adjicientur vobis, dicit Glossa ordinaria : intelligendum est non quod post regnum illa quaerantur. Ergo nullo modo licet temporalia orando petere.

1. Il semble qu’il ne faille pas demander de choses temporelles dans la prière. À propos de Mt 6 : Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout cela vous sera donné de surcroît, la Glose Ordinaire dit : « Il faut comprendre que cela ne doit pas être demandé après le royaume. » Il n’est donc pas permis de demander des choses temporelles dans la prière.

[16876] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque orat pro aliquo, solicitus est pro illo. Sed pro temporalibus etiam necessariis soliciti esse non debemus, ut patet Matth. 6, 25 : nolite soliciti esse quid manducetis. Ergo temporalia non sunt petenda in oratione.

2. Quiconque prie pour quelqu’un s’inquiète de lui. Or, nous ne devons pas être préoccupés même pour les choses temporelles nécessaires, comme cela ressort de Mt 6, 25 : Ne vous préoccupez pas de ce que vous mangerez. Il ne faut donc pas demander des choses temporelles dans la prière.

[16877] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, non debemus orando petere nisi quod est bonum nostrum. Sed temporalia non sunt bona nostra, ut patet per Augustinum in Glossa super illud Matth. 6 : primum quaerite regnum Dei. Ergo temporalia non sunt in oratione petenda.

3. Nous ne devons demander dans la prière que ce qui est notre bien. Or, les choses temporelles ne sont pas nos biens, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans une glose sur Mt 6 : Cherche d’abord le royaume de Dieu. Les choses temporelles ne doivent donc pas être demandées dans la prière.

[16878] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in oratione dominica continetur : panem nostrum quotidianum da nobis hodie : in qua non solum spiritualis, sed etiam corporalis panis petitur, ut patet per Glossam Lucae 11. Ergo licet pro temporalibus orare.

Cependant, [1] on lit dans la prière du Seigneur : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, par quoi non seulement le pain spirituel, mais aussi le pain corporel est demandé, comme cela ressort de la Glose à propos de Lc 11. Il est donc permis de prier pour des choses temporelles.

[16879] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Bernardus dicit : petenda sunt temporalia quantum necessitas petit.

[2] Bernard dit : « Il faut demander des choses temporelles dans la mesure où la nécessité le demande. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-on prier pour le bien d’un autre ?]

[16880] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod homo non debeat pro alieno bono orare. Primo per hoc quod dicitur Hierem. 7, 16 : tu ergo noli orare pro populo hoc.

1. Il semble qu’on ne doive pas prier pour le bien d’un autre. D’abord, en raison de ce qui est dit dans Jr 7, 16 : Toi, donc, ne prie pas pour ce peuple.

[16881] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, praesumptuosum est ut homo se ad ea quae supra se sunt, ingerat. Sed redundantia gratiae ex uno in alium pertinet ad excellentiam plenitudinis quae fuit in Christo secundum quod est caput nostrum. Ergo non debet sibi aliquis usurpare ut pro alio oret.

2. Il est présomptueux pour l’homme de se mêler de ce qui lui est supérieur. Or, les retombées de la grâce de l’un sur l’autre relèvent de l’excellence de la plénitude qui a existé dans le Christ selon qu’il est notre tête. On ne doit donc pas prendre sur soi de prier pour un autre.

[16882] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 5, 44 : Orate pro persequentibus et calumniantibus vos.

Cependant, il est dit dans Mt 5, 44 : Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16883] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod determinatio ejus quod in oratione petendum est, ad tria valet. Primo ad hoc quod attentio orantis determinetur ad aliquid, quae plurimum est in oratione necessaria. Secundo ut nobis innotescat desiderium nostrum, et quantum in ipso profecerimus. Tertio ut ferventius petamus : quia bona quanto particularius inspiciuntur, tanto ferventius concupiscuntur sicut de delectabilibus corporalibus philosophus dicit 3 Ethic. Unde Augustinus in Lib. de Orando Deum, dicit : ideo per certa intervalla ipsum etiam verbis determinatis oramus Deum, ut illis rerum signis nos ipsos admoneamus, quantum ad primum ; et quantum in ipso desiderio profecerimus, nobis innotescamus, quantum ad secundum ; et ad hoc agendum nos ipsos acrius excitemus, quantum ad tertium.

La détermination de ce qu’il faut demander dans la prière est valable pour trois raisons. Premièrement, pour que l’attention de celui qui prie soit déterminée à quelque chose, alors qu’elle est nécessaire au plus haut point dans la prière. Deuxièmement, pour que nous soit connu notre désir et dans quelle mesure nous y aurons progressé. Troisièmement, pour que nous demandions avec plus de ferveur, car lorsque les biens sont examinés avec plus de précision, ils sont désirés avec plus de ferveur, comme le dit le Philosophe à propos des plaisirs corporels, dans Éthique, III. Aussi Augustin dit-il dans le livre Sur la prière, à propos du premier point : « Nous prions Dieu à intervalles déterminés et même avec des paroles déterminées afin que nous nous avertissions nous-mêmes par ces signes des choses » ; à propos du deuxième point : « Et que nous apprenions jusqu’où nous aurons progressé dans le désir même » ; et à propos du troisième point : « Et pour que nous soyons poussés à agir avec plus d’empressement. »

[16884] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Augustinus ibidem solvit, apostolus hoc dicit propter tribulationes temporales, quae ad profectum nostrum plerumque immittuntur, et tamen ab eis omnibus liberari petimus, quia in se malae sunt, quamvis secundum quid sint bonae : sed de quibusdam bene scimus quod ea petere oportet, sicut et quod desiderare.

1. Comme Augustin répond au même endroit, l’Apôtre dit cela en raison des tribulatons temporelles qui, la plupart du temps, interviennent dans notre progrès spirituel. Toutefois, nous demandons d’en être entièrement libérés parce qu’elles sont mauvaises en elles-mêmes, bien qu’elles soient bonnes sous un aspect. Mais nous savons bien que nous devons en demander certaines, comme nous devons les désirer.

[16885] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in dubiis debet homo quantum ad hoc curam suam jactare in Deum, ut si aliter expediat quam petatur, divino arbitrio relinquatur : quam formam orandi dominus exemplo suo tradidit, cum dixit, Matth. 26, 39 : non sicut ego volo, sed sicut tu. Sed in illis quae Deus nos vult velle, oportet quantum ad hoc curam nostram in ipsum projicere ut eorum impetrationem ejus auxilio expectemus.

2. Dans le doute, l’homme doit reporter sur Dieu ses soucis de telle manière que, si quelque chose d’autre que ce qu’il a demandé convient, cela soit laissé au jugement de Dieu. Cette cette manière de prier que le Seigneur a donné en exemple, lorsqu’il a dit, en Mt 26, 39 : Non pas comme je le veux, mais comme tu le veux. Mais pour ce que Dieu veut que nous voulions, il faut sur ce point reporter sur lui nos soucis afin de l’obtenir par son aide.

[16886] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La réponse à la troisième objection ressort clairement de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16887] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod oratio est quaedam desiderii executio ; et ideo illud quod licet desiderare, licet orando petere eo modo quo licet illud desiderare. Sed in illis quae desiderantur, est duplex distinctio attendenda : prima est quia quaedam desiderantur propter seipsa, quaedam propter aliud : secunda est, quia quaedam non habent superfluitatem desiderii, sicut virtutes ; quaedam autem habent, sicut voluptates, divitiae, et hujusmodi. Bona autem temporalia et propter aliud desideranda sunt, et cum quadam mensura, scilicet secundum quod sunt necessaria ad vitam praesentem agendam ; et ideo hoc etiam modo orari pro eis potest.

La prière est une mise en œuvre du désir. Ce qu’il est permis de désirer, il est donc permis de le demander en priant de la manière dont il est permis de le désirer. Mais, dans ce qui est désiré, une double distinction doit être prise en compte. La première est que certains choses sont désirées pour elles-mêmes, et certains pour autre choses ; la seconde est que certaines choses ne peuvent pas être trop désirées, comme les vertus, mais certaines peuvent l’être trop, comme les plaisirs, les richesses et les choses de ce genre. Or, les biens temporels doivent être désirés à la fois pour autre chose et avec une certaine mesure, à savoir, pour autant qu’ils sont nécessaires pour mener la vie présente. C’est pourquoi on peut aussi prier pour eux de cette manière.

[16888] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nec primo nec secundo debent quaeri temporalia, quasi principaliter intenta ; possunt autem quaeri ut propter aliud desiderata : quod quidem desiderium est electionis, non voluntatis proprie, quia voluntas est finis.

1. Les biens temporels ne doivent être principalement être recherchés ni de la première ni de la seconde manière. Mais ils peuvent être désirés en tant qu’ils sont désirés pour autre chose. Ce désir relève du choix, et non de la volonté à proprement parler, car la volonté porte sur la fin.

[16889] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod superflua solicitudo prohibetur illis verbis, non autem necessaria.

2. Une préoccupation excessive est interdite par ces paroles, mais non la préoccupation nécessaire.

[16890] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod temporalia non sunt bona nostra secundum se, sed secundum quod Ordinantur ad alia ; et sic accipiunt rationem boni utilis ; et sic pro eis orari potest, ut philosophus dicit in 5 Ethic. : oportet non haec, scilicet temporalia bona, orare, sed quod homo eis bene utatur.

3. Les biens temporels ne sont pas nos biens en eux-mêmes, mais selon qu’ils sont ordonnés à d’autres biens. Ils ont ainsi le caractère de biens utiles. C’est ainsi qu’on peut prier pour eux, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V : « L’homme ne doit pas les demander – à savoir, les biens temporels –, mais demander d’en faire bon usage. »

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16891] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum praecepto caritatis homo debeat proximum sicut seipsum diligere, eadem ei debet optare quae sibi ; et ideo etiam eadem pro eis potest orare quae et pro se orat.

Puisque l’on doit aimer son prochain comme soi-même, selon le commandement de la charité, on doit donc lui souhaiter les mêmes choses qu’à soi-même. C’est pourquoi on peut aussi prier pour eux pour les mêmes choses pour lesquelles on prie pour soi.

[16892] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus loquitur quantum ad hoc quod in illo populo erant impedimenta, quare oratio prophetae exaudiri non poterat, scilicet incorrectus error illorum, et finalis impoenitentia, ut Glossa ordinaria, ibidem, dicit.

1. Le Seigneur parle des empêchements qui se trouvaient chez ce peuple, en raison desquels la prière du prophète ne pouvait être exaucée : leur erreur non corrigée et leur impénitence finale, comme le dit la Glose ordinaire au même endroit.

[16893] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille qui orat, non propria virtute nititur obtinere quod petit, sed virtute ejus quem orat ; et ideo quando aliquis pro alio orat, non sibi usurpat gratiam plenitudinis, sed ei attribuit quem orat, a quo gratiam proximo dandam petit.

2. Celui qui prie ne s’efforce pas d’obtenir ce qu’il demande par sa propre puissance, mais par la puissance de celui qu’il prie. C’est pourquoi lorsque quelqu’un prie pour un autre, il ne s’accapare pas la grâce de plénitude, mais l’attribue à celui qu’il prie, à qui il demande de donner la grâce à son prochain.

 

 

Articulus 5

[16894] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 tit. Utrum solus Deus debeat orari per definitionem orationis

Article 5 – Doit-on prier Dieu seulement, conformément à la définition de la prière ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on prier Dieu seulement, conformément à la définition de la prière ?]

[16895] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod solus Deus debeat orari, per definitionem orationis : quia Damascenus dicit, quod oratio est ascensus intellectus in Deum.

1. Il semble qu’on doive prier Dieu seulement, conformément à la définition de la prière, car [Jean] Damascène dit que « la prière est l’élévation de l’intelligence vers Dieu ».

[16896] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, oratio est actus latriae, ut dictum est. Sed latria soli Deo debetur. Ergo et oratio.

2. La prière est un acte de latrie, comme on l’a dit. Or, la latrie n’est due qu’à Dieu. Donc, la prière aussi.

[16897] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtus orationis plus in affectu consistit quam in voce : quia hoc negotium, ut Augustinus dicit, plus gemitibus quam vocibus agitur. Sed solius Dei est cogitationes cordium et affectivitates percipere. Ergo ei soli fit oratio.

3. La puissance de la prière tient davantage au sentiment qu’à la parole, car « on s’y adonne davantage par les gémissements que par des paroles », comme le dit Augustin. Or, il revient à Dieu seul de connaître les pensées et les désirs des cœurs. La prière ne s’adresse donc qu’à lui.

[16898] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 4 Sed contra est quod dicitur Job 5, 1 : voca si est qui tibi respondeat, et ad aliquem sanctorum convertere. Ergo oratio potest fieri ad sanctos Dei, non solum ad Deum.

4. Cependant, il est dit en Jb 5, 1 : Appelle, s’il y a quelqu’un pour t’entendre, et tourne-toi vers l’un des saints. La prière peut donc être adressée aux saints de Dieu, et non pas seulement à Dieu.

[16899] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 5 Praeterea, orationis species est supplicatio. Sed supplicatio homini fieri potest. Ergo et oratio.

5. La supplication est une espèce de la prière. Or, la supplication peut être adressée à un homme. Donc, la prière aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –[La prière peut-elle être adressée à des saints qui ne se trouvent pas dans la patrie ?]

[16900] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit oratio dirigi etiam ad sanctos non in patria existentes. Non enim ad sanctos orationem fundimus, nisi inquantum sunt Deo viciniores nobis : quia Deus per ea quae sunt sibi magis propinqua, in distantia radios suae bonitatis emittit, ut Dionysius dicit. Sed sancti etiam in hoc mundo existentes sunt nobis superiores. Ergo debemus eos orare.

1. Il semble que la prière ne puisse pas être adressée à des saints qui ne se trouvent pas dans la patrie. En effet, nous n’adressons des prières aux saints que dans la mesure où ils sont plus proches de Dieu que nous, car il envoie les rayons de sa bonté à ce qui est plus lointain par l’intermédiaire de ce qui est plus proche, comme le dit Denys. Or, les saints, même s’ils se trouvent dans ce monde, nous sont supérieurs. Nous devons donc les prier.

[16901] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illi qui sunt in Purgatorio, sunt certi de sua salute. Ergo sunt in meliori statu quam nos sumus. Ergo possumus eos orare.

2. Ceux qui sont dans le purgatoire sont assurés de leur salut. Ils sont donc dans un meilleur état que nous ne le sommes. Nous pouvons donc les prier.

[16902] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in dialogis legitur quod Paschasius, qui etiam post mortem miraculum fecit, revelatus est beato germano Capuano episcopo in Purgatorio esse. Ergo videtur quod ad eos qui non sunt in patria, possit oratio dirigi.

3. Dans les Dialogues, on lit que Paschase, qui a fait un miracle même après sa mort, a révélé à son frère, l’évêque Capuanus, qu’il était au purgatoire. Il semble donc qu’on puisse adresser une prière à ceux qui ne sont pas dans la patrie.

[16903] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quia non est ejusdem orari, et quod pro eo oretur. Sed pro omnibus sanctis qui sunt in mundo, vel Purgatorio, oratur. Ergo non debent ipsi orari.

Cependant, il n’appartient pas au même d’être prié et d’être l’objet de la prière. Or, on prie pour tous les saints qui sont dans le monde ou dans le purgatoire. Ils ne doivent pas être eux-mêmes priés.

[16904] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sancti non orantur nisi inquantum sunt in plena divinitatis participatione. Sed non participant plene divinitatem nisi inquantum participant beatitudinem, ut Boetius probat in 2 de consolatione. Ergo sancti qui sunt in beatitudine, tantum orandi sunt.

[2] On ne prie les saints que dans le mesure où ils participent pleinement à la divinité.  Or, ils ne participent pleinement à la divinité que pour autant qu’ils participent à la béatitude, comme le montre Boèce dans Sur la consolation, II. Seuls les saints qui sont dans la béatitude doivent donc être priés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La prière est-elle adressée à Dieu en raison de la personne plutôt qu’en raison de l’essence ?]

[16905] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oratio non fiat ad Deum ratione essentiae, sed magis ratione personae. Quia hoc modo debemus orare, sicut Christus nos docuit. Sed ipse docuit nos ad personam patris orationem dirigere ; Joan. 16, 23 : si quid petieritis patrem in nomine meo, dabit vobis. Ergo oratio fit ad Deum ratione personae.

1. Il semble que la prière soit adressée à Dieu en raison de la personne plutôt qu’en raison de l’essence, car nous devons prier comme le Christ nous l’a enseigné. Or, il nous a enseigné d’adresser notre prière à la personne du Père, Jn 16, 23 : Si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera. La prière est donc adressée à Dieu en raison de la personne.

[16906] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod attribuitur Deo ratione divinae naturae, toti Trinitati competit, et singulis personis. Sed Ecclesia non dirigit aliquam orationem ad spiritum sanctum. Ergo non oratur Deus ratione naturae, sed ratione personae.

2. Ce qui est attribué à Dieu en raison de la nature divine convient à toute la Trinité et à chacune des personnes. Or, l’Église n’adresse pas de prière au Saint-Esprit. On ne prie donc pas Dieu en raison de la nature, mais en raison de la personne.

[16907] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, secundum hoc aliquis oratur quod bona sua communicare potest. Sed communicare seipsum competit Deo inquantum est bonus. Cum ergo bonitas sit attributum essentiale, videtur quod Oratio dirigatur ad Deum ratione naturae.

Cependant, on prie quelqu’un selon qu’il peut communiquer ses biens. Or, se communiquer lui-même appartient à Dieu en tant qu’il est bon. Puisque la bonté est un attribut essentiel, il semble donc que la prière soit adressée à Dieu en raison de sa nature.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16908] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illud quod orando petimus, est beata vita, ut Augustinus dicit : quia omnia alia quae petimus, non petimus nisi secundum quod ad hanc ordinantur. Beatam autem vitam dat directe solus Deus. Sed tamen etiam sancti cooperantur nobis ad hoc quod beatam vitam obtineamus ; et ideo oratio directe et proprie fit ad Deum, sicut a quo expectamus quod orando petimus ; sed tamen orantis intentio ad sanctos convertitur, ut quorum auxilio a Deo impetrat quod expectat ; et ideo dicit Cassianus collatione 9, quod oratio proprie fit ad Deum, sed deprecatio ad sanctos.

Ce que nous demandons en priant est la vie bienheureuse, comme le dit Augustin, car toutes les autres choses que nous demandons, nous ne les demandons que dans la mesure où elles sont ordonnées à celle-ci. Or, Dieu seul donne la vie bienheureuse. Mais les saints coopèrent avec nous pour que nous obtenions la vie bienheureuse. C’est pourquoi la prière est adressée à Dieu directement et en propre, comme à celui de qui nous attendons ce que nous demandons en priant ; cependant, l’attention de celui qui prie se tourne vers les saints pour obtenir ce qu’elle attend de Dieu avec leur aide. C’est pourquoi Cassien dit, dans sa neuvième conférence, que la prière est adressée directement à Dieu, mais l’intercession aux saints.

[16909] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in definitione debent poni ea quae per se sunt. Quamvis autem aliquo modo ad sanctos oratio fieri possit, sicut ad intercessores pro nobis, tamen proprie et per se oratio in Deum fertur.

1. Il faut mettre dans une définition ce qui est par soi. Bien que la prière puisse être adressée aux saints d’une certaine manière, comme à ceux qui intercèdent pour nous, la prière se porte cependant vers Dieu en propre et par soi.

[16910] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod oratio est actus latriae ; nec tamen cum sancti orantur, eis latria exhibetur ; sed illi a quo petitio orantis explenda speratur.

2. La prière est un acte de latrie. Toutefois, lorsque les saints sont priés, on ne leur manifeste pas de la latrie, mais à celui de qui l’on espère qu’il comblera la demande de celui qui prie.

[16911] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sancti agnoscunt in verbo omnia quae ad eorum gloriam pertinent. Et quia ad magnam eorum gloriam est quod alios juvare possunt, quasi Dei cooperatores existentes ; ideo statim in verbo vident vota eorum qui eos interpellant.

3. Les saints connaissent dans le Verbe tout ce qui peut se rapporter à leur gloire. Parce que c’est pour eux une grande gloire de pouvoir en aider d’autres en tant que coopérateurs de Dieu, ils voient donc immédiatement dans le Verbe les vœux de ceux qui font appel à eux.

[16912] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad aliquem sanctorum nos convertendos esse docet, ut ad mediatorem orationis, non ad quem principaliter oratio dirigatur.

4. Il enseigne que nous devons nous tourner vers l’un des saints comme vers un médiateur de la prière, et non vers celui à qui la prière est principalement adressée.

[16913] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod oratio hic accipitur ad similitudinem rhetoricae orationis, ut ex dictis patet, et ideo sicut illa soli judici fit, quamvis etiam aliis superioribus supplicationes fieri possent, vel aliquae petitiones ; ita etiam oratio ad solum Deum directe dirigitur ; sed supplicatio etiam directe ad alios dirigi potest.

5. La prière est envisagée ici par similitude avec le discours rhétorique, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi, puisque celui-ci est adressé au seul juge, bien que des supplications ou des demandes puissent être aussi adressées à d’autres supérieurs, la prière aussi s’adresse directement à Dieu seul, mais la supplication peut être aussi directement adressée à d’autres.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 

[16914] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod nihil petitur ab aliquo qui non habet ; unde cum beata vita sit quae in orando petitur, ad illos solos dirigi potest qui jam beatam vitam habent, non autem ad illos qui in mundo sunt, neque ad illos qui in Purgatorio sunt : quamvis illis qui in mundo sunt supplicatio vel petitio aliqua fieri possit.

On ne demande rien à celui qui ne possède pas. Puisque c’est la vie bienheureuse qu’on demande, la prière ne peut s’adresser qu’à ceux-là seuls qui ont déjà la vie bienheureuse, et non à ceux qui sont dans le monde, ni à ceux qui sont dans le purgatoire, bien qu’une supplication ou une demande puisse être faite à ceux qui sont dans le monde.

[16915] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sancti in mundo existentes sint nobis superiores, et possint pro nobis orare ; non tamen adhuc ad illum gradum superiorem pervenerunt, ut scilicet beatitudinem, quam nos non habemus, illi habeant.

1. Bien que les saints qui se trouvent dans le monde nous soient supérieurs et puissent prier pour nous, ils ne sont cependant pas parvenus au degré supérieur où ils auraient la béatitude que nous n’avons pas.

[16916] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illi qui sunt in Purgatorio, sint in majori securitate quam nos, tamen sunt in majori afflictione ; et iterum non sunt in statu merendi : et ideo magis indigent quod pro eis oretur, quam quod ipsi orent.

2. Bien que ceux qui sont au purgatoire aient une sécurité plus grande que nous, ils sont cependant plus affligés ; de plus, ils ne sont pas en état de pouvoir mériter. Ils ont donc davantage besoin qu’on prie pour eux que de prier [pour nous].

[16917] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in miraculis praecipue attenditur fides et devotio orantis ; unde etiam dominus mulieri quam sanavit, dixit, Matth. 9, 22 : fides tua te salvam fecit. Et quia ille propter excellentiam meritOrum credebatur in patria esse, ideo orabatur ; et talis oratio propter fidem orantium exaudiebatur tunc, ut vita illius approbaretur, non quod ille pro aliis in Purgatorio existens oraret.

3. Pour ce qui est des miracles, on prend principalement en compte la foi et la dévotion de celui qui prie. Aussi le Seigneur a-t-il dit à la femme qu’il avait guérie, Mt 9, 22 : Ta foi t’a sauvée. Et parce qu’en raison de l’excellence de ses mérites, on croyait que celui-là était dans la patrie, on le priait donc, et une telle prière était exaucée en raison de la foi de ceux qui priaient, afin que sa vie soit reconnue, et non parce qu’il priait pour les autres alors qu’il se trouvait au purgatoire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16918] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Deus praecipue oratur, inquantum est beatus, et aliis beatitudinem largiens ; et quia hoc convenit ei ratione essentiae, ideo ratione essentialium attributorum oratur.

On prie Dieu principalement pour autant qu’il est bienheureux et qu’il accorde généreusement la béatitude à d’autres. Parce que cela lui convient en raison de son essence, on le prie donc en raison des ses attributs essentiels.

[16919] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ea quae sunt essentiae, a patre sunt in aliis personis ; et ideo fit quaedam reductio ab aliis personis in patrem, ut patet per Hilarium ; et propter hoc etiam dicitur pater principium totius deitatis ; et sic nos in patrem, sicut in principium non de principio, reducens Christus, nos ad patrem orationem dirigere per filium docuit.

1. Ce qui appartient à l’essence [divine] existe dans les autres personnes à partir du Père ; une sorte de retour au Père se réalise donc par les autres personnes. Pour cette raison, on dit aussi que le Père est le principe de toute la divinité. Le Christ retournant [au Père] comme vers le principe qui ne vient d’aucun principe, nous a ainsi enseigné d’adresser notre prière au Père.

[16920] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spiritus sanctus ex personali proprietate habet quod sit donum ; et ideo magis competit quod ipse petatur quam quod ab eo aliquid petatur : quamvis etiam ad spiritum sanctum Ecclesia orationes aliquas dirigat, et hymnos, qui loco orationum in Ecclesia recitantur ; sicut patet : nunc sancte nobis spiritus, et veni creator spiritus, et hujusmodi.

2. L’Esprit Saint tient d’une propriété personnelle d’être don. C’est pourquoi il convient davantage qu’on le demande, plutôt qu’on lui demande quelque chose, bien que l’Église adresse aussi des prières à l’Esprit Saint, ainsi que des hymnes qui sont récités dans l’Église à la place de prières, comme cela ressort clairement : « Maintenant, Esprit Saint… » et « Viens, Esprit créateur ».

 

 

Articulus 6

[16921] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 tit. Utrum divinae personae sit Orare

Article 6 – Est-ce qu’il revient à une personne divine de prier ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce qu’il revient à une personne divine de prier ?]

[16922] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod divinae personae sit orare. Ejus enim est orare cujus est accipere. Sed personae Dei est accipere ab alio, sicut filii et spiritus sancti. Ergo ejus est orare.

1. Il semble qu’il appartienne à une personne divine de prier. En effet, il appartient de prier à qui il appartient de recevoir. Or, il appartient à une personne de Dieu de recevoir d’une autre, comme c’est le cas du Fils et du Saint-Esprit. Il lui appartient donc de prier.

[16923] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Joan. 14, 16 : ego rogabo patrem, et alium Paraclytum dabit vobis ; et sunt filii verba. Ergo filii est orare.

2. Il est dit en Jn 14, 16 : Je demanderai au Père, et un autre Paraclet vous sera donné. Or, ce sont les paroles du Fils. Il appartient donc au Fils de prier.

[16924] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Rom. 7, 26, dicitur : spiritus postulat (...) gemitibus inenarrabilibus. Sed spiritus sanctus est tertia in Trinitate persona. Ergo personae divinae est orare.

3. Il est dit en Rm 7, 26 : L’Esprit demande… et fait entendre des gémissements inénarrables. Or, l’Esprit Saint est la troisième personne de la Trinité. Il appartient donc à une personne divine de prier.

[16925] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, orare importat defectum virtutis in orante. Sed hoc divinae personae non competit. Ergo oratio non est divinae personae.

Cependant, [1] prier comporte une carence chez celui qui prie. Or, cela ne convient pas à une personne divine. La prière ne convient donc pas à une personne divine.

[16926] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, oratio est actus latriae, quae est servitus Dei. Sed servire non competit divinae personae. Ergo nec orare.

[2] La prière est un acte de latrie, qui est le service de Dieu. Or, il ne convient pas à une personne divine de servir. Donc, non plus de prier.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 [Convient-il aux saints qui sont dans la patrie de prier ?]

[16927] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec sanctis qui sunt in patria, competat orare. Quia sancti qui sunt in patria, sunt Christo conformes, inquantum est homo. Sed Christo, inquantum est homo, non competit Orare ; alias diceremus : Christe ora pro nobis. Ergo nec aliis sanctis competit orare.

1. Il semble qu’il ne convienne pas non plus aux saints qui sont dans la patrie de prier, car les saints qui sont dans la patrie sont conformes au Christ en tant qu’il est homme. Or, il ne convient pas au Christ en tant qu’homme de prier, autrement nous dirions : «Christ, prie pour nous. » Il ne convient donc pas non plus aux autres saints de prier.

[16928] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sancti in patria aequales sunt Angelis Dei, Matth. 22. Sed Angelis non competit orare : quia oratio, ut dictum est, est actus rationis, qui in Angelis non est, cum in umbra intelligentiae oriatur, ut Isaac dicit. Ergo nec aliis sanctis qui sunt in patria, oratio competit.

2. Les saints dans la patrie sont égaux aux anges, Mt 22. Or, il ne convient pas aux anges de prier, car la prière, ainsi qu’on l’a dit, est un acte de la raison, qui n’existe pas chez l’ange, puisqu’elle apparaît dans l’ombre de l’intelligence, comme le dit Isaac. La prière ne convient donc pas non plus aux autres saints qui sont dans la patrie.

[16929] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque orat pro alio, alteri meretur. Sed sancti qui sunt in patria, non sunt in statu merendi. Ergo nec in statu orandi.

3. Quiconque prie pour un autre mérite pour un autre. Or, les saints qui sont dans la patrie ne sont pas en état de mériter. Ils ne sont donc pas non plus en état de prier.

[16930] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicimus : sancte Petre, ora pro nobis.

Cependant, [1] nous disons : « Saint Pierre, prie pour nous. »

[16931] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sancti in patria magis fervent caritate quam in via. Sed caritas facit ut sancti in via pro aliis orent. Ergo multo magis in patria pro nobis orant.

[2] Les saints dans la patrie ont une charité plus fervente que lorsqu’ils étaient en route. Or, la charité fait que les saints qui sont en route prient pour les autres. À bien plus forte raison, donc, prient-ils pour nous dans la patrie.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Appartient-il aussi aux animaux sans raison de prier ?]

[16932] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam brutorum animalium sit Orare. Quia in Psal. 146, 9, dicitur : qui dat jumentis escam ipsorum, et pullis corvorum invocantibus eum. Sed invocare Deum est ipsum orare. Ergo etiam animalia orant.

1. Il semble qu’il appartienne aussi aux animaux sans raison de prier, car, dans le Ps 146, 9, il est dit : Celui qui donne aux bêtes leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent. Or, invoquer Dieu, c’est le prier. Donc, même les animaux prient.

[16933] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 arg. 2 Praeterea, oratio est denuntiativus appetitus. Sed animalia bruta appetunt bonum divinum suo modo. Ergo orant.

2. La prière exprime le désir. Or, les animaux sans raison désirent le bien divin à leur manière. Ils prient donc.

[16934] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, oratio non fit nisi ad Deum. Sed Deus non potest cognosci nisi intellectu, quo bruta carent. Ergo orare non competit eis.

Cependant, la prière ne s’adresse qu’à Dieu. Or, on ne peut connaître Dieu que par l’intelligence, qui fait défaut aux animaux sans raison. Prier ne leur convient donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16935] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod oratio requirit distinctionem orantis ad eum qui oratur : quia nullus a seipso aliquid petit. Oratio autem fit ad Deum ratione attributorum essentialium, in quibus personae non distinguuntur ; et ideo uni personae non competit aliam orare.

La prière exige que celui qui prie soit distinct de celui à qui s’adresse la prière, car personne ne se demande quelque chose. Or, la prière est adressée à Dieu en raison de ses attributs essentiels, par lesquels les personnes ne se différencient pas. C’est pourquoi il ne convient pas qu’une personne en prie une autre.

[16936] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod acceptio illa qua una persona accipit ab alia, est per naturalem fecunditatem, et non per gratuitam collationem, pro qua impetranda oratio funditur.

1. Cette réception, selon laquelle une personne en reçoit d’une autre, se réalise par une fécondité naturelle, et non par un don gratuit, pour lequel on adresse la prière.

[16937] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc filius dicit de seipso, non ratione personae, sed ratione naturae assumptae.

2. Le Fils dit cela de lui-même, non pas en raison de sa personne, mais en raison de la nature assumée.

[16938] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spiritus dicitur postulare, inquantum nos postulare facit.

3. On dit que l’Esprit demande pour autant qu’il nous fait demander.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16939] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam haeretici dixerunt, quod sancti non possunt juvare orando pro nobis, quia unusquisque recipit secundum ea quae gerit ; sed hoc est contra articulum fidei, qui est sanctorum communio, quae per caritatem fit ; et ideo cum etiam in sanctis qui sunt in patria, sit perfectissima caritas, competit eis pro nobis orare ; non autem pro se, quia omnia eis ad votum succedunt.

Certains hérétiques ont dit que les saints ne peuvent aider en priant pour nous, parce que chacun reçoit selon ce qu’il a en lui-même. Mais cela est contraire à un article de foi, qui est la communion des saints qui se réalise par la charité. Puisqu’une charité très parfaite existe chez les saints qui sont dans la patrie, il leur convient donc de prier pour nous, mais non pour eux-mêmes, parce que tout leur arrive comme ils le désirent.

[16940] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus, inquantum homo, orat pro nobis ; sed ideo non dicimus Christe ora pro nobis, quia Christus supponit suppositum aeternum, cujus non est orare, sed adjuvare ; et ideo dicimus, Christe audi nos, vel miserere nostri : et in hoc etiam evitamus haeresim Arii et Nestorii.

1. Le Christ en tant qu’homme prie pour nous. Mais nous ne disons pas : « Christ, prie pour nous », parce que le Christ suppose un suppôt éternel à qui il ne convient pas de prier, mais d’aider. C’est pourquoi nous disons : « Christ, exauce-nous », ou : « Aie pitié de nous. » Par là, nous évitons l’hérésie d’Arius et de Nestorius.

[16941] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est rationis, est etiam multo nobilius in intellectu : quia quod potest virtus inferior potest superior ; et ideo Angeli orare possunt, in quibus intellectus est.

2. Ce qui relève de la raison appartient de manière beaucoup plus noble à l’intellect, car une puissance supérieure peut ce que peut une puissance inférieure. C’est pourquoi les anges peuvent prier, chez qui existe l’intellect.

[16942] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam dicit, quod non sunt in statu merendi quantum ad praemium essentiale, sed quantum ad praemium accidentale ; et ideo etiam aliis mereri possunt. Sed quia meritum tantum viatorum est ; ideo dicendum, quod aliud est impetrare, et aliud mereri, ut dicetur, et ideo sancti si non possint mereri, possunt tamen nobis suis orationibus aliquid impetrare.

3. Quelqu’un dit qu’ils ne sont pas en état de mériter pour ce qui est de la récompense essentielle, mais [qu’ils le sont] pour ce qui est de la récompense accidentelle. C’est pourquoi ils peuvent aussi mériter pour d’autres. Mais parce que le mérite appartient seulement à ceux qui sont en route, il faut dire qu’une chose est d’obtenir, une autre de mériter. On dira donc que les saints, s’ils ne peuvent mériter, peuvent cependant nous obtenir quelque chose par leurs prières.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16943] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod brutis nullo modo competit orare : tum quia non sunt participes beatae vitae, quae principaliter in oratione petitur : tum quia etiam Deum, cui oratio offertur, non apprehendunt : tum etiam quia petere est actus rationis, cum importet ordinationem quamdam, ut ex dictis patet.

Il ne convient d’aucune manière que les animaux sans raison prient, tant parce qu’ils ne participent pas à la vie bienheureuse, qui est l’objet principal de la demande dans la prière, que parce qu’ils ne saisissent pas Dieu, à qui la prière est offerte, et parce que demander est un acte de la raison, puisqu’il comporte une certaine mise en ordre, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[16944] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut animalia bruta, secundum Augustinum, 10 super Gen. ad litteram, dicuntur jussis Dei obedire non quasi percipientes mandatum, sed inquantum naturali instinctu ab ipso moventur ; ita etiam dicuntur Deum invocare improprie, inquantum aliquid naturali desiderio, desiderant, quod a Deo obtinent.

1. De même qu’on dit que les animaux sans raison obéissent aux ordres de Dieu, comme le dit Augustin dans son commentaire littéral de la Genèse, X, non pas comme s’ils recevaient un commandement, mais pour autant que, par un instinct naturel, ils sont mus par lui, de même aussi dit-on qu’ils invoquent Dieu, pour autant qu’ils désirent quelque chose par un désir naturel qu’ils reçoivent de Dieu.

[16945] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 6 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod appetitus, ut dictum est, importat simplicem motum in appetibile : sed oratio, sive petitio, ordinem quemdam, qui est rationis ; et ideo appetitus potest brutis competere, non autem petitio, vel oratio.

2. Comme on l’a dit, le désir comporte un mouvement simple vers ce qui est désirable, mais la prière ou la demande comporte une certaine mise en ordre, qui relève de la raison. C’est pourquoi le désir peut convenir aux animaux sans raison, mais non la demande ou la prière.

 

 

Articulus 7

 

[16946] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 tit. Utrum oratio sit satisfactoria

Article 7 – La prière est-elle satisfactoire ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La prière est-elle satisfactoire ?]

[16947] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod oratio non sit satisfactoria. Quia omnis oratio vel est vocalis, vel mentalis. Sed mentalis non est satisfactoria, quia non habet poenam, sed jucunditatem : nec iterum vocalis, quia, sicut Isidorus dicit, reconciliat Deo non sonus vocis, sed pura et simplex mentis intentio. Ergo oratio non est satisfactionis pars.

1. Il semble que la prière ne soit pas satisfactoire, car toute prière est soit vocale, soit mentale. Or, la prière mentale n’est pas satisfactoire, car elle ne comporte pas de peine, mais plutôt de la joie ; la prière vocale non plus, car, ainsi que le dit Isidore, « ce n’est pas le son de la voix qui réconcilie avec Dieu, mais l’orientation pure et simple de l’esprit ». La prière n’est donc pas une partie de la satisfaction.

[16948] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 arg. 2 Praeterea, latria, ut in praecedenti dist. quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 5, in corp., dictum est, contra poenitentiae virtutem dividitur. Sed satisfactio est actus poenitentiae virtutis, oratio autem latriae. Ergo oratio non est satisfactoria.

2. Comme on l’a dit à la distinction précédente, q. 1, a. 1, qa 5, c., la latrie se distingue de la vertu de pénitence. Or, la satisfaction est un acte de la vertu de pénitence, mais la prière, un acte de latrie. La prière n’est donc pas satisfactoire.

[16949] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 arg. 3 Praeterea, satisfactio fit ad reconciliandum eum qui offensus est. Sed oratio reconciliationem sequitur : quia praesumptuosum esse videtur petere ab eo quem offendimus. Ergo oratio non est satisfactoria.

3. La satisfaction a pour but de se concilier celui a été offensé. Or, la prière suit la réconciliation, car il paraît présomptueux d’adresser une demande à celui que nous avons offensé. La prière n’est donc pas satisfactoire.

[16950] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Hieronymus dicit : Oratione sanantur pestes mentis, sicut et jejunio pestes corporis. Sed jejunium est satisfactorium. Ergo et oratio.

Cependant, [1] Jérôme dit : « Par la prière, sont guéries les infections de l’esprit, comme le sont celles du corps par le jeûne. » Or, le jeûne est satisfactoire. Donc, la prière aussi.

[16951] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, oratione petimus nobis debita relaxari, nec frustra, cum hoc a domino sit institutum. Sed relaxatio debitorum per poenitentiam fit. Ergo oratio ad aliquam partem poenitentiae pertinet : non nisi ad satisfactionem : ergo oratio est satisfactOria.

[2] Par la prière, nous demandons que nos dettes soient remises, et non pas en vain, puisque cela a été établi par le Seigneur. Or, la remise des dettes se réalise par la pénitence. La prière relève donc d’une partie de la pénitence, et de rien d’autre que de la satisfaction. La prière est donc satisfactoire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La prière est-elle méritoire ?]

[16952] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oratio non sit meritoria. Opus enim meritorium solum in Deum intentionem dirigit : quia mercenaria intentio virtutem meriti evacuat. Sed orans non solum ad Deum habet oculum, sed ad proprias indigentias, quibus petit subveniri. Ergo non est opus meritorium.

1. Il semble que la prière ne soit pas méritoire. En effet, l’acte méritoire n’est orienté que vers Dieu, car une intention vénale fait disparaître la puissance du mérite. Or, celui qui prie ne porte pas le regard vers Dieu seulement, mais vers ses propres besoins, pour lesquels il demande d’être secouru. Elle n’est donc pas un acte méritoire.

[16953] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si est meritoria, nullius magis quam ejus quod postulat. Sed ejus quod postulat, non est meritoria : quia quandoque non exauditur, etiam si ab eo qui in caritate est, offeratur. Ergo oratio non est meritoria.

2. Si elle est méritoire, elle ne l’est pas davantage que de ce qu’elle demande. Or, elle n’est pas méritoire de ce qu’elle demande, car parfois elle n’est pas exaucée, même si elle est offerte par quelqu’un qui a la charité. La prière n’est donc pas méritoire.

[16954] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 arg. 3 Praeterea, natura non facit per duo quod potest facere per unum : quia non invenitur aliquid vanum in operibus naturae, et multo minus in operibus gratiae. Sed ad merendum sufficienter ordinantur opera. Ergo videtur quod oratio non sit meritoria.

3. La nature ne réalise pas par deux choses ce qu’elle peut réaliser par une seule, car on ne trouve rien d’inutile dans les actes de la nature, et encore bien moins dans les actes de la grâce. Or, les actes sont suffisamment ordonnés au mérite. Il semble donc que la prière ne soit pas méritoire.

[16955] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne opus virtutis potest esse meritorium. Sed oratio est opus virtutis, ut dictum est. Ergo est meritoria.

Cependant,  [1] tout acte de vertu peut être méritoire. Or, la prière est un acte de vertu, comme on l’a dit. Elle est donc méritoire.

[16956] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in Psalm. 34, 13, dicitur : Oratio mea in sinu meo convertetur. Ergo ex oratione aliquid oranti accrescit ; et ita illius videtur esse meritoria.

[2] Dans le Ps 34, 13, il est dit : Ma prière retournera dans mon cœur. Par la prière, celui qui prie gagne donc quelque chose. Elle semble donc être méritoire de cela.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les conditions qui rendent la prière efficace sont-elles correctement décrites ?]

[16957] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter assignentur conditiones quae praestant efficaciam orationi. Dicitur enim in Glossa Lucae 11, super illam parabolam : quis vestrum habebit amicum  ? etc., quod quatuor conditiones exiguntur ad hoc quod oratio sit efficax : scilicet ut petatur pie, et pro se, et perseveranter, et ad salutem. Qui enim est in peccato, pietatis virtutem non habet. Sed peccatorum oratio aliquando exauditur : quia etiam per peccatores mirabilia fieri possunt. Ergo non oportet quod pie petatur, ad hoc quod oratio sit efficax.

1. Il semble que les conditions qui rendent la prière effiace ne soient pas correctement décrites. En effet, il est dit dans la Glose sur Lc 1, à propos de cette parabole : Qui parmi vous a un ami, etc. ? que quatre conditions sont requises pour que la prière soit efficace : qu’on demande avec piété, pour soi-même, avec persévérance et en vue du salut. En effet, celui qui est dans le péché ne possède pas la vertu de piété. Or, la prière des pécheurs est parfois exaucée, car des choses étonnantes peuvent être réalisées même par des pécheurs. Il n’est donc pas nécessaire de demander avec piété pour que la prière soit efficace.

[16958] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 2 Praeterea, oratio quae ex caritate fit, semper efficaciam habet ; Joan. 15, 7 : si manseritis in me, et verba mea in vobis manserint ; quodcumque volueritis, petetis, et fiet vobis. In Deo autem manere facit caritas, ut patet 1 Joan. 4. Omnis autem oratio quae fit pie, ex caritate procedit. Ergo habet efficaciam : non ergo oportet addere alias conditiones.

2. La prière qui vient de la charité est toujours efficace. Jn 15, 7 : Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera donné. Or, la charité fait demeurer en Dieu, comme cela ressort de 1 Jn 4. Or la prière qui est faite avec piété vient de la charité. Elle est donc efficace. Les autres conditions ne sont donc pas nécessaires.

[16959] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quanto caritas est amplior tanto majorem habet efficaciam merendi. Sed caritas tanto est amplior quanto ad plures se extendit. Ergo videtur quod magis sit efficax oratio ex caritate procedens, quae fit pro aliis, quam illa quae fit pro ipso orante ; et ita non requiritur pro se fieri.

3. Plus la charité est grande, plus grande est son efficacité pour mériter. Or, la charité est d’autant plus grande qu’elle s’étend à un plus grand nombre. Il semble donc que la prière qui vient de la charité est plus efficace lorsq’elle est faite pour d’autres, que lorsqu’elle est faite pour celui-là même qui prie. Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’elle soit faite pour soi.

[16960] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 4 Praeterea, ab eodem habet oratio efficaciam merendi, et opus, scilicet a caritate. Sed opus ex caritate procedens est meritorium, etiam si non perseveranter fiat. Ergo ad orationis efficaciam non requiritur quod perseveranter fiat.

4. La prière reçoit son efficacité pour mériter de la même chose que l’acte, à savoir, de la charité. Or, l’acte qui vient de la charité est méritoire, même s’il n’est pas accompli avec persévérance. Il n’est donc pas nécessaire pour l’efficacité de la prière qu’elle soit accomplie avec persévérance.

[16961] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 5 Praeterea, ea quae ad salutem pertinent, desiderata, vel petita, iram Dei non provocant. Sed aliquando Deus orantibus concedit aliqua, de quorum petitione irascitur : sicut filiis Israel regem petentibus, quibus in indignatione regem dedit. Ergo non oportet ad hoc quod oratio sit efficax, quod petantur ea quae sunt ad salutem.

5. Ce qui est désiré ou demandé en rapport avec le salut ne soulève pas la colère de Dieu. Or, Dieu accorde parfois à ceux qui prient certaines choses qui soulèvent sa colère, comme il a accordé dans sa colère un roi aux fils d’Israël qui lui demandaient un roi. Il n’est donc pas nécessaire, pour que la prière soit efficace, de demander ce qui se rapporte au salut.

[16962] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 arg. 6 Praeterea, videtur quod multae aliae conditiones requirantur : videlicet quod fideliter et confidenter petatur ; Jac. 1, 6 : postulet autem in fide nihil haesitans ; et quod oratio sit humilis ; Psal. 101, 18 : respexit in orationem humilium, et non sprevit preces eorum. Paupertas etiam petentis ad efficaciam orationis facit ; Psal. 9, 38 : desiderium pauperum exaudivit dominus. Fervor etiam devotionis ; unde etiam Augustinus dicit de orando Deum ad Probam, cap. 9 : dignior sequitur effectus, quando ferventior procedit affectus. Ergo insufficienter illae quatuor conditiones enumerantur.

6. Il semble que plusieurs autres conditions soient nécessaires : que la prière soit faite avec foi et confiance, Jc 1, 6 : Qu’il demande avec foi sans hésiter ; que la prière soit humble, Ps 101, 18 : Il accueille la prière des humbles et ne méprise pas leurs prières. La pauvreté de celui qui demande contribue aussi à l’efficacité de la prière, Ps 9, 38 : Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres. Aussi la ferveur de la dévotion. Augustin dit ainsi dans Sur la prière, adressé à Proba, c. 9 : « L’effet est d’autant plus grand que le désir est plus fervent. » Ces quatre conditions sont donc insuffisamment énumérées.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[16963] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod satisfactio respicit et culpam praeteritam, pro cujus offensa recompensationem facit, et culpam futuram, contra quam est medicina salvans ; et haec duo operationi competunt. Initium enim peccati et radix est superbia ; et ideo per quod homo spiritum suum humiliter Deo subdit in oratione, et pro superbia praecedentis offensae recompensationem facit, et aditum futurae culpae aufert, radicem ei amputans ; et ideo oratio plene habet satisfaciendi rationem.

La satisfaction porte sur la faute passée, dont elle compense l’offense, et sur la faute future, contre laquelle elle est un remède salutaire. Ces deux choses conviennent à l’acte. En effet, le commencement et la racine du péché est l’orgueuil. Par le fait que l’homme soumet humblement son esprit à Dieu par la prière, il compense pour l’orgueuil de l’offense antérieure et coupe l’accès à la faute future en en coupant la racine. C’est pourquoi la prière a pleinement le caractère de satisfaction.

[16964] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oratio mentalis et vocalis satisfactoria est, si in caritate fiat. Vocalis quidem, quia habet exteriorem laborem, et sic poenam quemdam ; et inquantum in ea manet virtus praecedentis intentionis, habet etiam rationem boni meritorii, quae duo ad opus satisfactorium requiruntur. Et sic patet quomodo respondendum sit ad auctoritatem Isidori ; quia sonus vocis non reconciliat Deo inquantum hujusmodi, sed inquantum manet in ipsa purae intentionis efficacia. Similiter etiam oratio mentalis satisfactoria est : quia quamvis habeat jucunditatem, habet tamen et poenam admixtam : quia dicit Gregorius : Orare est amaros gemitus in compunctione resonare, vel pro peccatis, vel pro dilatione patriae ; et praeterea ipsa mentis elevatio est carnis afflictio, ut supra dictum est ; et afflictio carnis redundat in mentem, inquantum ei unita est, et etiam in superbientem spiritum, cujus vulnus oratio sanat ; et idcirco sine poena oratio humilis esse non potest.

1. La prière mentale et vocale est satisfactoire si elle est faite avec la charité. La prière vocale, parce qu’elle comporte un effort extérieur, et ainsi une certaine peine ; et dans la mesure où demeure en elle la puissance de l’intention antérieure, elle a aussi le caractère de bien méritoire, les deux choses qui sont nécessaires pour un acte satisfactoire. Il ressort ainsi clairement comment il faut répondre à l’autorité d’Isidore : le son de la voix ne réconcilie pas avec Dieu en tant que tel, mais en tant que demeure en elle l’efficacité d’une intention pure. De même aussi, la prière mentale est-elle satisfactoire, car, bien qu’il y ait de la joie, une peine lui est cependant associée, car Grégoire dit : « Prier, c’est faire entendre des gémissements par componction », soit pour les péchés, soit pour le délai de la patrie. De plus, l’élévation même de l’esprit est une affliction pour la chair, comme on l’a dit plus haut, et l’affliction de la chair retombe sur l’esprit parce qu’elle lui est unie, et même sur l’esprit orgueuilleux, dont la prière guérit la blessure. Ainsi, une prière humble ne peut exister sans peine.

[16965] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens actum unius virtutis imperari a virtute quae contra ipsum dividitur, sicut actum temperantiae interdum fortitudo imperat ; et sic etiam actum latriae potest poenitentia imperare, et sic erit satisfactorius ; sicut etiam sacrificia pro peccatis in veteri lege fiebant, et nunc fiunt.

2. Il n’est pas inapproprié que l’acte d’une vertu soit commandé par une vertu qui est distincte d’elle, comme la force commande parfois un acte de tempérance. De la même manière, la pénitence peut commander un acte de latrie : il sera ainsi satisfactoire, comme aussi les sacrifices pour les péchés étaient accomplis dans l’ancienne loi et sont accomplis maintenant.

[16966] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc ipso quod aliquis ab homine veniam petit humiliter, animum offensi hominis placat, et multo fortius misericordis Dei.

3. Par le fait même que quelqu’un demande pardon à un homme, il apaise l’esprit de l’homme offensé et, à bien plus forte raison, celui de Dieu miséricordieux.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[16967] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ratio meriti in omnibus actibus nostris est ex caritate ; unde, cum contingat aliquando ex caritate orationem fieri, constat quod potest esse meritoria eadem ratione qua et alia opera ex caritate facta meritoria sunt.

Le caractère méritoire de tous nos actes vient de la charité. Puisqu’il arrive parfois que la prière soit faite par charité, il est clair qu’elle peut être méritoire pour la même raison que les autres actes faits par charité sont méritoires.

[16968] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habere oculum ad aliud quam ad Deum, sicut ad principalem finem, evacuat rationem meriti ; non autem si respiciat aliud sicut quo ad Deum cito perveniendum ; et hoc modo oratio relevationem propriarum indigentiarum respicit.

 

[16969] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod meritum in actibus aliarum virtutum est ex vi caritatis. Et quia caritas habet pro objecto quod aliae habent pro fine ; ideo meritum in actibus aliarum virtutum non est solum objectum illius actus, sed finis orantis. Hoc autem quod petitur, non est finis orantis, sed objectum actus ; et ideo non oportet quod meritum attendatur ratione illius.

 

[16970] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod opera nostra non sunt sufficientia a seipsis ad obtinendum omne illud quo indigemus ; et ideo oportet quod illud quod nobis deest, ex divina misericordia suppleatur ; et hanc oratio pulsat ; et ideo orationis meritum exigitur ad supplendum defectus omnium aliorum nostrorum meritorum. Unde Gregorius in moralibus dicit : multum utique apud Deum haec summe sibi necessario congruunt, ut et ooratione operatio, et operatione fulciatur oratio.

1. Tourner le regard vers un autre que Dieu comme vers la fin principale enlève le caractère méritoire, mais non si on considère quelque chose comme ce qui peut faire parvenir plus rapidement à Dieu. C’est de cette manière que la prière considère le rappel de nos propres besoins.

 

 

2. Dans les actes des autres vertus, le mérite vient de la puissance de la charité. Et parce que la charité a comme objet ce que les autres vertus ont comme fin, le mérite des actes des autres vertus n’est pas seulement l’objet de cet acte, mais la fin de celui qui prie. Mais ce qui est demandé n’est pas la fin de celui qui prie, mais l’objet de son acte. Il n’est donc pas nécessaire qu’on considère le mérite de son point de vue.

 

3. Nos actes ne suffisent pas par eux-mêmes pour obtenir tout ce dont nous avons besoin. C’est pourquoi il est nécessaire que ce dont nous avons besoin soit ajouté par la miséricorde divine. C’est ce sur quoi la prière insiste. C’est pourquoi le mérite de la prière est nécessaire pour combler le manque de tous nos autres mérites. Aussi Grégoire dit-il dans les Morales : « Aux yeux de Dieu, ces choses s’accordent parfaitement à ce qui nous est nécessaire : que l’action soit soutenue par la prière, et la prière par l’action. »

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[16971] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod oratio ad duo ordinatur ; scilicet ad objectum proprium, et ad finem : et secundum hoc habet duplicem efficaciam : scilicet efficaciam merendi ratione finis, qui est vita aeterna, ad quam omnia merita ordinantur ; et efficaciam impetrandi ejus quod petitum est, quod est orationis objectum. Et inter haec duo differentia est : quod meritum importat ordinem justitiae ad praemium, quia ad justitiam pertinet retribuentis ut merenti praemium reddat : sed impetratio importat ordinem misericordiae vel liberalitatis ex parte donantis ; et ideo meritum ex seipso habet unde perveniatur ad praemium ; sed oratio impetrare volentis non habet ex seipsa unde impetret, sed ex proposito vel liberalitate dantis. Unde patet quod oratio ex caritate semper habet efficaciam merendi, sed non habet semper efficaciam impetrandi : quia aliquid est quod repugnat impetrationi in providentia Dei, ad quem oratur. Et ad haec impedimenta tollenda ponuntur quatuor conditiones praemissae, quibus positis semper habet oratio efficaciam impetrandi. Potest ergo impedimentum orationis esse vel ex parte orantis. Si orationem inordinate emittat ; et quantum ad hoc removendum dicitur pie, in quo importatur modus latriae, quae alio nomine pietas dicitur, secundum quam oratio modificari debet : vel ex eo quod petitur, quia quandoque etiam petenti non expedit, et sic dicitur quod sit ad salutem : vel ex parte ejus pro quo petitur ; et hoc impedimentum vel est tunc quando oratio fit ; quod non potest esse quando oratio fit ab aliquo pro seipso, si pie petat, sed quando fit pro alio ; et ideo additur alia conditio, quod fiat pro se : vel potest esse post intermedium inter orationem et consecutionem petiti ; et hoc excluditur per hoc quod dicit perseveranter.

La prière est ordonnée à deux choses : à son objet propre et à sa fin. Elle possède ainsi une double efficacité : une efficacité pour mériter en raison de sa fin, qui est la vie éternelle, à laquelle tous les mérites sont ordonnés ; et une efficacité pour obtenir ce qui a été demandé, qui est l’objet de la prière. Entre les deux, la différence est que le mérite comporte l’ordre de la justice à la récompense, car il relève de la justice de celui qui récompense de donner la récompense à celui qui la mérite ; mais l’obtention comporte un ordre de la miséricorde ou de la libéralité du point de vue de celui qui donne. C’est pourquoi le mérite possède par lui-même de parvenir à la récompense, mais la prière de celui qui veut obtenir ne possède par par elle-même la capacité d’obtenir, mais elle la tient de l’intention ou de la libéralité de celui qui donne. Il est donc clair que la prière tient toujours de la charité une efficacité pour mériter, mais elle n’a pas toujours une efficacité pour obtenir, car il existe quelque chose qui s’oppose à l’obtention dans la providence du Dieu que l’on prie. C’est pour enlever ces obstacles que les quatre conditions mentionnées sont indiquées ; lorsqu’elles sont réalisées, la prière a toujours une efficacité pour obtenir. L’empêchement peut donc venir de la prière ou de la part de celui qui prie. La prière peut être formulée de manière désordonnée : pour écarter cela, on dit qu’elle doit être faite avec piété, par quoi on indique le mode de la latrie, qui est autrement appelée piété, de laquelle la prière doit recevoir son mode. Cela peut venir de ce qui est demandé, car parfois cela ne convient pas même à celui qui le demande : on dit ainsi qu’elle doit être faite en vue du salut. Cela peut aussi venir de celui pour qui l’on prie, ce qui ne peut être le cas lorsque l’on prie pour soi-même, si on demande avec piété, mais lorsqu’on prie pour un autre ; on ajoute ainsi une autre condition : qu’elle soit faite pour soi. Ou bien il peut y avoir un intervalle entre la prière et l’obtention de ce qu’on demande : cela est écarté lorsqu’on dit qu’elle doit être faite avec persévérance.

[16972] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod istae conditiones non hoc modo requiruntur ad efficaciam impetrandi, quasi nihil impetretur si aliqua desit ; quia etiam quandoque aliquis pro alio orans auditur : sed quia his positis semper oratio efficaciam habet impetrandi, quia impetrationis virtus magis est ex proposito ejus cui oratur, quam ex orantis merito ; et ideo quandoque peccatores audiuntur, quando eorum oratio divino proposito concordat. Tamen sciendum est, quia quandoque aliquis pie petit, qui pietatis virtutem non habet ; sicut aliquis aliquando justa facit qui justitiae habitum non habet ; et sic etiam peccatores aliquando possunt pie Orare.

1. Ces conditions ne sont pas exigées pour obtenir efficacement comme si rien ne pouvait être obtenu si l’une d’elles fait défaut, car l’on est parfois exaucé même lorsqu’on prie pour un autre, mais parce que, une fois qu’elles sont en place, la prière a toujours une efficacité pour obtenir, car la capacité d’obtenir vient davantage de l’intention de celui que l’on prie que du mérite de celui qui prie. C’est pourquoi les pécheurs sont parfois exaucés lorsque leur prière s’accorde avec l’intention de Dieu. Il faut cependant savoir que quelqu’un prie parfois avec piété, sans avoir la vertu de piété, comme lorsque quelqu’un accomplit des actes justes, alors qu’il n’a pas l’habitus de la justice. Ainsi, même les pécheurs peuvent parfois prier avec piété.

 [16973] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas magis est de fine quam de illo quod propter finem petitur ; et ideo quando Deus videt non concordare quod petitur, cum fine pro quo pie orans petit, magis audit ejus desiderium non faciens quod petitur, quam si faceret ; et ideo finaliter accipiendum est hoc quod dicit : quodcumque volueritis, petetis, et cetera. Finis autem petitionis est salus nostra, et Dei gloria : hoc autem esset contra Dei gloriam, si peccatorem impoenitentem salvaret ; et esset contra salutem petentis, si aliquid contrarium suae saluti sibi daretur ; et ita exauditur desiderium, et tamen petitum non impetratur, quando aliquis imperseveranter, vel pro alio petit, vel contraria saluti.

2. La volonté porte plutôt sur la fin que sur ce qui est demandé en vue de la fin. C’est pourquoi, lorsque Dieu voit que ce qui est demandé ne s’accorde pas avec la fin pour laquelle celui qui prie le demande, il exauce plutôt son désir en ne faisant pas ce qui est demandé qu’en le faisant. Ainsi, ce que [le Seigneur] dit : Demandez ce que vous voulez, etc., doit s’entendre au sens final. Or, la fin de la demande est notre salut et la gloire de Dieu. Mais cela serait contraire à la gloire de Dieu s’il sauvait un pécheur impénitent ; et cela serait contraire au salut de celui qui demande s’il lui était donné quelque chose de contraire à son salut. Ainsi, le désir est exaucé, mais ce qui est demandé n’est cependant pas obtenu, lorsque quelqu’un demande sans persévérance, ou pour un autre, ou des choses contraires au salut.

[16974] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oratio quae fit ex caritate pro alio, semper habet efficaciam merendi ei qui orat ; sed nunc loquimur de efficacia impetrandi.

3. La prière qui est faite par charité pour un autre a toujours une efficacité méritoire pour celui qui prie ; mais nous parlons maintenant de l’efficacité pour obtenir.

[16975] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod impetratio importat consecutionem ejus quod petitur ; sed meritum non importat consecutionem, sed ordinem justitiae ad consecutionem ; et ideo impedimentum interveniens per instabilitatem, tollit rationem impetrationis, quia tollit consecutionem ; sed non tollit ordinem ad consecutionem, et ideo non tollit meritum ; unde meretur etiam qui non perseveraverit ; sed non impetrat nisi perseverans.

4. L’exaucement comporte le fait de recevoir ce qui est demandé, mais le mérite ne comporte pas de recevoir, mais l’ordre de la justice par rapport au fait de recevoir. C’est pourquoi l’empêchement qui survient en raison d’une instabilité enlève le caractère impétratoire parce qu’il enlève le fait de recevoir ; mais il n’enlève pas l’ordre par rapport à l’obtention : c’est pourquoi il n’enlève pas le mérite. Aussi celui qui n’aura pas persévéré mérite-t-il, mais il n’obtient qu’en persévérant.

[16976] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnes homines habent beatitudinem sui desiderii finem, quem maxime desiderant ; et ideo magis audit illos quibus non dat quod petunt, si sit impediens a beatitudine, quam eos quibus dat ; unde talis impletio orationis quae fit cum Dei indignatione, non dicitur impetratio, proprie loquendo.

5. Tous les hommes ont, comme fin de leur désir, la béatitude, qu’ils désirent par-dessus tout. C’est pourquoi [Dieu] écoute plutôt ceux à qui il ne donne pas ce qu’ils demandent, si cela est un obstacle pour la béatitude, que ceux à qui il donne. Aussi, à parler propement, l’accomplissement de la prière qui est réalisé par l’indignation de Dieu n’est-il pas appelé exaucement.

[16977] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omnes illae conditiones quae requiruntur ex parte orantis inquantum est orans, includuntur in hoc quod dicit pie, quod includit omnes circumstantias virtutis, quibus ordinantur actus ex parte agentis.

6. Toutes les conditions qui sont exigées du point de vue de celui qui prie en tant qu’il prie sont comprises lorsqu’il dit : « avec piété », car cela inclut toutes les circonstances de la vertu, par lesquelles les actes sont ordonnés du point de l’agent.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 15

[16978] Super Sent., lib. 4 d. 15 q. 4 a. 7 qc. 3 expos. Non consurget duplex tribulatio. Contra. Hierem. 17, 18 : duplici contritione contere eos. Et dicendum, quod tribulatio, si accipiatur commensurata peccato, duplex non consurgit, quia Deus non punit ultra condignum ; sed si accipiatur pro poena absolute, tunc duplex poena debetur, vel secundum duas partes peccantis, poena corporis et animae ; vel secundum duo quae sunt in peccato, scilicet aversio et conversio, poena sensus et damni ; vel secundum duas radices peccati, quae sunt amor et timor ignis et frigus ; vel secundum duos status, praesens poena et futura ; utraque enim est citra condignum ; et praecipue si accipiantur divisim. Tamen praesens poena et futura in eo qui non corrigitur, unam poenam constituunt ; unde Gregorius in Moralib. dicit : eorum percussio hic coepta, illic perficitur, ut incorrectis unum flagellum sit quod hic temporaliter incipit, sed in aeternis suppliciis consummatur. Quinque enim modis flagella contingunt. Sed contra Hieronymus dicit : quidquid patimur, peccata nostra meruerunt. Ergo omnia sunt ad punitionem. Praeterea, Augustinus dicit : quidquid permiserit Deus pati, scias esse flagellum correctionis. Ergo omnes alii modi superfluunt. Praeterea, impium videtur alteri nocere, ut cessans a nocumento aliquis gloriam habeat, et Daemonum operibus simile, ut patet ex vita b. Bartholomaei. Praeterea, ad multa alia, flagella ordinari in Scriptura leguntur, sicut ad probationem, ad exemplum justi judicii Dei, et hujusmodi. Et dicendum, quod isti quinque modi distinguuntur penes bona quae ex poenis a Deo inflictis in praesenti consequuntur, quae sunt a Deo intenta. Hoc autem bonum aut est in altero, et sic est quartus modus : aut in eo qui punitur, et sic est ordo justitiae, qui semper divino flagello adjunctus est, quia omnis poena justa ; et hoc cum praecisione aliorum est in quinto modo : aut est utilitas quam ipse flagellatus consequitur ; quae quidem potest esse vel quantum ad recessum a malo, et sic est modus tertius ; vel in ordine ad bonum conservandum, et sic est secundus modus ; aut augendum, et sic est primus. Ad primum ergo dicendum, quod poenam semper praecedit peccatum in natura, sed non semper in persona puniti. Ad secundum dicendum, quod flagellum quantum est de se, semper est corrigens ; sed ex defectu recipientis quandoque ad hunc effectum non pervenit. Ad tertium dicendum, quod impium esset, si poena justa non esset. Nec tamen Deus tunc vult gloriam suam divulgari propter suam utilitatem, sed nostram. Ad quartum dicendum, quod omnia alia possunt ad ista reduci : quia probatio est ad augmentum meriti, et exemplum justi judicii Dei ad gloriam Dei, et sic de aliis. Non praevenit sententiam judicis : quia etsi sententia hominis praecedit non concordans sententiae Dei, adhuc sententia Dei restat ; si autem concordat, est sententia Dei. Levis enim culpa levi supplicio compensatur. Supplicium enim mortis praesentis leve dicitur in comparatione ad futurum supplicium : culpae etiam praenominatae leves dicuntur in comparatione ad culpas majores, quae quandoque minoribus poenis temporalibus puniuntur. Ex fonte gratiae Dei id cordi instillatur, ut vel sic paulatim ad poenitentiam veniat, vel eo minus a Deo puniatur. Non loquitur hic de gratia gratum faciente : quia haec non datur ante perfectam poenitentiam ; sed de gratuitis bonis, sicut fides informis, et timor servilis, et hujusmodi. Si enim propter misericordiam qua quis proximo suo non miseretur, et quae dimissa sunt replicantur ad poenam ; multo magis quae nondum sunt dimissa, propter odium fraternum ad poenam reservari probantur. Hic dicit secundum quamdam opinionem, de qua infra habetur, dist. 21, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 1. Qui diligit iniquitatem, odit animam suam, non affectu, sed effectu. Immundis nihil est mundum : quia ipsi ex his quae in se munda sunt, sicut sacramenta, munditiam non consequuntur. Nihil prodest jejunare et orare, et alia bona agere, nisi mens revocetur a peccato ; scilicet ad vitam aeternam consequendam. Nunquam aliquem sanavit. Contra, Joan. 9, dicit Glossa : quaeritur quomodo sine fide aliquem illuminaverit Christus. Ergo ille fidem non habuit, et sic non totum curavit. Et dicendum, quod Christus quemcumque curavit, totaliter curavit, et mente et corpore quantum ad omnes infirmitates corporales ; et ille totus fidem recepit primo, sed indistinctam. Glossa tamen aliter solvit, quod scilicet hoc intelligitur de illis qui pro peccato morbum incurrunt. Quaedam impietas infidelitatis est ab illo qui justus et justitia est, dimidiam sperare veniam : quia sequeretur quod vel Deus non sciret omnia peccata, vel non omnia horreret, vel non omnia remittere posset. Ad Baptismi puritatem : quantum ad remotionem omnium culparum. Abluat lacrymis mentis, idest interiori dolore, quem lacrymae exteriores significant ; et est locutio metaphorica. Sciat, se culpabiliter durum ; si scilicet contingat exteriorum lacrymarum defectus ex defectu doloris, ut homo minus doleat de peccato quam de damno temporali. Sed quandoque abundantia doloris lacrymas exsiccat propter dolorem concitatum ; quandoque autem homo se continet, ut coram solo Deo doleat ; quandoque etiam ex duritia complexionis est quod homo non potest flere corporaliter pro peccatis, etsi fleat pro morte amici, quia dolor ille est magis sensibilis, et ideo magis vicinus ad resolvendum corpus in lacrymas. Emundare nequiverit, scilicet in statu tali manens ; alias non esset ei imputandum.

 

 

 

Distinctio 16

Distinction 16 – [Les parties de la pénitence]

Quaestio 1

Question 1 – [Les parties de la pénitence]

 

 

Prooemium

Prologue

[16979] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de poenitentia generaliter, hic ad partes poenitentiae descendit ; et dividitur in partes duas : in prima distinguit poenitentiae partes ; in secunda movet quasdam quaestiones circa comparationem partium poenitentiae ad invicem, 17 dist., ibi : hic oritur quaestio multiplex. Prima in duas : in prima distinguit partes quasi poenitentiam integrantes, scilicet contritionem, confessionem, et satisfactionem ; in secunda distinguit partes quasi subjectivas, ibi : praedictis vero adjiciendum est et cetera. Prima in duas : in prima distinguit poenitentiae partes ; in secunda docet poenitendi modum secundum partes illas, ibi : ideo discretio poenitenti necessaria est. Circa primum duo facit : primo ostendit numerum partium ; secundo singulas partes prosequitur, ibi : compunctio nobis commendatur. Ideo discretio poenitenti valde necessaria est. Hic ostendit modum poenitendi ; et circa hoc duo facit : primo ostendit modum dignae poenitentiae ; secundo modum falsae, ibi : et sicut sunt digni fructus poenitentiae, ac vera satisfactio ; ita et indigni fructus. Circa primum tria facit : primo assignat ex verbis Augustini modum poenitendi quantum ad contritionem cordis ; secundo quantum ad confessionem oris, ibi : caveat ne ductus verecundia dividat apud se confessionem ; tertio quantum ad satisfactionem operis in abstinendo a sacris et ab illicitis, ibi : caveat etiam ne prius ad dominicum corpus accedat quam confortetur bona conscientia. Praedictis vero adjiciendum videtur et cetera. Hic assignat alias poenitentiae partes quasi subjectivas ; et circa hoc duo facit : primo distinguit eas ; secundo prosequitur de altera earum, et scilicet poenitentia venialium, quae habet specialem dubitationem, ibi : quae autem pro venialibus sit satisfactio sufficiens, Augustinus insinuat. Hic quaeruntur quatuor. Primo de partibus poenitentiae. Secundo de remissione venialium in hac vita, quae ad unam partem poenitentiae pertinet. Tertio de circumstantiis peccati, secundum quas formari debet poenitentiae modus. Quarto de impedimentis verae poenitentiae. Circa primum quaeruntur duo : 1 de partibus poenitentiae quasi integralibus ; 2 de partibus secundo assignatis.

 

Après avoir déterminé de la pénitence d’une manière générale, le Maître descend maintenant vers les parties de la pénitence. Il y a deux parties : dans la première, il établit une distinction entre les parties de la pénittence ; dans la seconde, il soulève des questions à propos de la comparaison des parties de la pénitence entre elles, d. 17, à cet endroit : « Ici sont soulevées plusieurs questions. » La première partie se divise en deux : dans la première, il fait une distinction entre les parties pour ainsi dire intégrales de la pénitence, la contrition, la confession et la satisfaction ; dans la seconde, il fait une distinction entre les parties pour ainsi dire subjectives, à cet endroit : « Il faut ajouter à ce qui a été dit, etc. ». La première partie se divise en deux : dans la première, il fait une distinction entre les parties de la pénitence ; dans la seconde, il enseigne la manière de se repentir selon ces parties, à cet endroit : « La discrétion est donc nécessaire au pénitent. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre le nombre des parties ; deuxièmement, il traite de chacune des parties, à cet endroit : « La componction nous est recommandée. » « Ainsi, la discrétion est très nécessaire au pénitent. » Ici, il montre la manière de se repentir. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il expose la manière de faire dignement pénitence ; deuxièmement, il expose la manière de faire faussement pénitence, à cet endroit : « Et de même qu’il existe de dignes fruits de la pénitence et une véritable satisfaction, de même il en existe d’indignes. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il indique, à partir de paroles d’Augustin, la manière de faire pénitence pour ce qui est de la contrition du cœur ; deuxièmement, pour ce qui est de la confession du cœur, à cet endroit : « Qu’il évite, conduit par la honte, de minimiser en lui-même la confession » ; troisièmement, pour ce qui est de la satisfaction de l’acte, en s’abstenant des choses saintes et des choses défendues, à cet endroit : « Qu’il évite de s’approcher du corps du Seigneur avant que sa bonne conscience n’ait été renforcée. » « Mais il faut ajouter à ce qui a été dit, etc. ». Ici, il indique les autres parties pour ainsi dire subjectives de la pénitence. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il fait une distinction entre elles ; deuxièmement, il traite de l’une d’elles, la pénitence pour les péchés véniels, sur laquelle existe un doute particulier, à cet endroit : « Ce qu’est une satisfaction suffisante pour les péchés véniels, Augustin le suggère. » Ici, quatre questions sont posées. Premièrement, sur les parties de la pénitence. Deuxièmement, sur la rémission des péchés véniels durant cette vie, qui relève d’une partie de la pénitence. Troisièmement, sur les circonstances du péché, selon lesquelles la manière de faire pénitence doit recevoir sa forme. Quatrièmement, sur les empêchements à une pénitence véritable. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Sur les parties pour ainsi dire intégrales de la pénitence ; 2 – Sur les parties indiquées en second lieu.

 

 

Articulus 1 [16980] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum poenitentia habeat partes

Article 1 – La pénitence a-t-elle des parties ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pénitence a-t-elle des parties ?]

[16981] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod poenitentia partes non habeat. Nullum enim simplex habet partem. Sed secundum Ambrosium omne sacramentum est simplex. Ergo poenitentia, cum sit sacramentum, non habet partes.

1. Il semble que la pénitence n’ait pas de parties. En effet, rien de ce qui est simple n’a de parties. Or, selon Ambroise, tout sacrement est simple. Puisqu’elle est un sacrement, la pénitence n’a donc pas de parties.

[16982] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Baptismus multiplicior est virtute quam poenitentia : quia originale et actuale quantum ad culpam et poenam totaliter tollit ; quod de poenitentia non est verum. Ergo cum Baptismo non assignentur partes, nec poenitentiae partes assignari debent.

2. La baptême possède une puissance plus diversifiée que la pénitence, car il enlève entièrement le péché originele et actuel, tant pour ce qui est de la faute que pour ce qui est de la peine. Puisqu’on n’attribue pas de parties au baptême, on ne doit donc pas attribuer de parties à la pénitence.

 [16983] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, medicina debet proportionari morbo. Sed peccatum, quod est morbus spiritualis, cujus est medicina poenitentia, non habet hujusmodi partes. Ergo nec poenitentiae partes assignandae sunt.

3. Le remède doit être proportionné à la maladie. Or, le péché, qui est une maladie spirituelle dont la pénitence est le remède, ne comporte pas de telles parties. Il ne faut donc pas attribuer de parties à la pénitence.

[16984] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, poenitens poenam sibi infert pro peccato debitam. Sed pro peccato in Deum commisso non solum debetur poena interior sed exterior ut patet in Inferno. Ergo ad perfectionem poenitentiae utraque poena requiritur. Ergo poenitentia habet partes.

Cependant, [1] le pénitent s’inflige à lui-même la peine due pour son péché. Or, pour un péché commis contre Dieu, non seulement une peine intérieure, mais une peine extérieure est due, comme cela est clair dans l’enfer. Pour la perfection de la pénitence, les deux peines sont donc requises. La pénitene comporte donc des parties.

[16985] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, morbus spiritualis majori diligentia est curandus quam corporalis. Sed curatio quae fit contra morbum corporalem secundum aliquas partes distinguitur, quia primo tollitur morbus, et postea morbi reliquiae. Ergo et poenitentia, quae est spiritualis morbi curatio, partes habere debet.

[2] La maladie spirituelle doit être traitée avec plus soin que la maladie corporelle. Or, le traitement de la maladie corporelle se différencie selon certaines parties, car la maladie est d’abord enlevée, et ensuite les restes de la maladie. La pénitence, qui est le traitement de la maladie spirituelle, comporte donc elle aussi des parties.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les parties de la pénitence sont-elles attribuées de manière appropriée : la contrition, la confession et la satisfaction ?]

[16986] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter assignentur ei hae tres partes ; scilicet contritio, confessio, et satisfactio. Sacramentum enim a ministris Ecclesiae confertur secundum omnem sui partem. Sed contritionem non confert poenitenti aliquis Ecclesiae minister. Ergo non est pars poenitentiae sacramenti.

1. Il semble que ces trois parties de la pénitence lui sont incorrectement attribuées : la contrition, la confession et la satisfaction. En effet, le sacrement est conféré par les ministres de l’Église dans son ensemble. Or, aucun ministre de l’Église ne confère la contrition au pénitent. Elle n’est donc pas une partie du sacrement de pénitence.

[16987] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per poenitentiae sacramentum peccatum dimittitur. Sed ante confessionem peccatum quandoque dimittitur, ut infra, dist. seq., Magister ostendit. Ergo non est pars poenitentiae.

2. Le péché est remis par le sacrement de pénitence. Or, le péché est parfois remis avant la confession, comme le Maître le montre à la distinction suivante. Elle n’est donc pas une partie de la pénitence.

[16988] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in sacramento novae legis gratia suscipienti confertur. Sed in satisfactione non confertur aliqua gratia. Ergo non est sacramenti pars.

3. La grâce est conférée par le sacrement de la loi nouvelle. Or, aucune grâce n’est conférée par la satisfaction. Elle n’est donc pas une partie du sacrement.

[16989] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, non est idem fructus rei et pars. Sed satisfactio dicitur in littera poenitentiae fructus. Ergo satisfactio non est pars poenitentiae.

4. Le fruit d’une chose et sa partie ne sont pas la même chose. Or, on dit dans le texte que la satisfaction est le fruit de la pénitence. La satisfaction n’est donc pas une partie de la pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La pénitence a-t-elle des parties subjectives ?]

[16990] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sint partes subjectivae. Quia istae partes poenitentiae, ut in littera patet, sumuntur secundum peccatum cordis, oris, et operis. Sed hae sunt partes subjectivae peccati. Ergo et partes poenitentiae assignatae, sunt partes subjectivae ipsius.

1. Il semble que [la pénitence] ait des parties subjectives, car les parties de la pénitence, telles qu’elles apparaissent dans le texte, s’entendent du péché du cœur, de la bouche et en acte. Or, celles-ci sont des parties subjectives du péché. Les parties de la pénitence évoquées sont donc ses parties subjectives.

[16991] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, totum integrale non sequitur ad suam partem : non enim sequitur : si paries est, domus est. Sed poenitentia sequitur ad quamlibet partium assignatarum : sequitur enim : conteritur, ergo poenitet ; et similiter de aliis. Ergo non sunt partes integrales, sed subjectivae.

2. Un tout intégral ne découle pas de sa partie : en effet, s’il existe un mur, il ne s’ensuit pas qu’il y ait une maison. Or, la pénitence découle de chacune des parties indiquées : en effet, on est contrit, donc on se repent, et ainsi de suite pour les autres. Elles ne sont donc pas des parties intégrales, mais subjectives.

[16992] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, partes integrales alicujus totius quod habet esse permanens, sunt simul. Sed poenitentia habet esse permanens, sicut et alia sacramenta. Ergo, cum poenitentiae partes non sint simul, non erunt partes integrales, sed subjectivae.

3. Les parties intégrales d’un tout qui existe de manière permanente existent en même temps. Or, la pénitence existe de manière permanente, comme les autres sacrements. Puisque les parties de la pénitence n’existent pas en même temps, elles n’en sont donc pas les parties intégrales, mais subjectives.

[16993] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, partes subjectivae non requiruntur ad perfectionem totius universalis : quia in qualibet parte perfecta ratio totius invenitur, sicut perfecta ratio animalis in homine. Sed partes poenitentiae assignatae, ad ejus perfectionem requiruntur, ut in littera dicitur. Ergo non sunt partes subjectivae.

Cependant, [1] les parties subjectives ne sont pas nécessaires pour la perfection d’un tout universel, car, dans toute partie parfaite, se trouve la raison dut tout, comme la raison parfaite d’animal se trouve dans l’homme. Or, les parties attibuées à la pénitence sont nécessaires pour sa perfection, comme on le dit dans le texte. Elles n’en sont donc pas les parties subjectives.

[16994] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nihil unum aliquid habet partes subjectivas, sicut unum animal non habet partes subjectivas. Sed unius poenitentiae partes sunt assignatae partes : quod patet ex hoc quod de uno peccato non agitur nisi una poenitentia, inquantum praedicta tria inveniuntur. Ergo non sunt partes subjectivae.

[2] Rien de ce qui est unique n’a de parties subjectives, comme un seul animal n’a pas de parties subjectives. Or, les parties attribuées sont les parties d’une seule pénitence, ce qui ressort du fait qu’une seule pénitence porte sur un seul péché, pour autant que les trois choses dites plus haut s’y trouvent. Elles n’en sont donc pas des parties subjectives.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [S’agit-il aussi de parties de la vertu de pénitence ?]

[16995] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sint partes etiam poenitentiae virtutis. Sicut enim dicitur in 10 Ethic., ad perfectionem virtutis moralis requiritur actus interior et exterior. Sed poenitentia est virtus moralis, cum sit pars justitiae. Ergo de perfectione ejus est contritio interior et confessio, et satisfactio exterior ; et sic sunt partes ejus sicut poenitentiae sacramenti.

1. Il semble qu’il s’agisse aussi de parties de la vertu de pénitence. En effet, comme on le dit dans Éthique, X, un acte intérieur et extérieur est nécessaire à la perfection de la vertu morale. Or, la pénitence est une vertu morale, puisqu’elle est une partie de la justice. La contrition intérieure, la confession et la satisfaction extérieure font donc partie de sa perfection ; elles en sont ainsi les parties, comme du sacrement de pénitence.

[16996] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, satisfactio est actus alicujus virtutis, nec alterius quam poenitentiae ; et similiter de aliis. Ergo sunt partes poenitentiae virtutis, non solum sacramenti.

2. La satisfaction est l’acte d’une vertu, et pas d’une autre que de [la vertu] de pénitence. Il en va ainsi des autres actes. Ils sont donc des parties de la vertu de pénitence, et non seulement du sacrement.

[16997] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, justitia exigit ut per quae quis peccat, per haec puniatur. Sed haec tria quae assignantur poenitentiae partes, sunt quaedam poenae respondentes illis quibus peccamus. Ergo ad perfectionem justitiae exiguntur. Sed nonnisi quantum ad partem illam quae poenitentia dicitur. Ergo sunt partes poenitentiae virtutis.

3. La justice exige que l’on soit puni par ce par quoi l’on a péché. Or, ces trois parties attibuées à la pénitence sont des peines correspondant à ce par quoi nous péchons. Elles ont donc requises pour la perfection de la justice. Or, ce ne peut être le cas que pour cette partie qui est appelée pénitence. Elles sont donc des parties de la vertu de pénitence.

[16998] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, actus non est pars habitus. Sed poenitentia virtus est habitus ; haec autem tria sunt actus quidam. Ergo non sunt partes poenitentiae virtutis.

Cependant, [1] l’acte n’est pas une partie de l’habitus. Or, la pénitence comme vertu est un habitus, mais ces trois choses sont des actes. Ils ne sont donc pas des parties de la vertu de pénitence.

[16999] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, subjectum virtutis est mens, secundum Augustinum ; sed confessio non est in mente sicut in subjecto, similiter nec satisfactio. Ergo non sunt poenitentiae virtutis partes.

[2] Le sujet de la vertu est l’esprit, selon Augustin. Or, la confession ne se trouve pas dans l’esprit comme dans son sujet ; il en va de même pour la satisfaction. Elles ne sont donc pas des parties de la vertu de pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17000] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in poenitentia non est pro materia aliqua exterior res, sicut in Baptismo aqua ; sed ipse actus humanus loco materiae in hoc sacramento se habet, qui per quamdam recompensationem offensam culpae praecedentis tollit. In actibus autem humanis est gradus quidam ad perfectionem pertingendi propter diversas partes hominis, quarum una aliam movet ; et ideo oportet quod diversa secundum ordinem ad perfectionem poenitentiae considerentur ; et haec dicuntur poenitentiae partes.

Dans la pénitence, une chose extérieure ne joue pas le rôle de matière, comme l’eau dans le baptême, mais un acte humain joue le rôle de matière dans ce sacrement : par une certaine compensation, il enlève l’offense de la faute précédente. Or, dans les actes humains, il existe des degrés pour atteindre la perfection en raison des diverses parties de l’homme, dont l’une meut l’autre. C’est pourquoi il est nécessaire que considérées considérées différentes choses selon un ordre en vue de la perfection de la pénitence. Celles-ci sont appelées les parties de la pénitence.

[17001] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dubitatur de illa auctoritate, utrum sit Ambrosii. Si tamen concedatur, intelligendum, quod sacramentum est simplex ratione effectus principalis, et virtutis simplicis quam operatur ; sed materiale in sacramento potest esse compositum, sicut patet in confirmatione et Eucharistia ; et sic etiam ex parte actus nostri, qui est quasi materialis in poenitentia, partes ei assignantur.

1. On doute que cette autorité soit d’Ambroise. Cependant, si on l’admet, il faut comprendre que le sacrement est simple en raison de son effet principal et de la puissance simple qu’il met en œuvre. Mais ce qui est matériel dans le sacrement peut être composé, comme cela ressort clairement pour la confirmation et l’eucharistie. Ainsi, du point de vue de notre acte, qui est pour ainsi dire l’élément matériel dans la pénitence, des parties lui sont attribuées.

[17002] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod partes non assignantur poenitentiae ex parte virtutis sacramentalis, sed ex parte ejus quod est materiale in ipsa. In Baptismo autem est materiale res exterior in qua non est accipere nisi unum esse ; et ideo Baptismo partes non assignantur : quia etsi sit aliquis actus noster in Baptismo, ille non est de essentia Baptismi, sed dispositio ad Baptismum.

2. Des parties ne sont pas attribuées à la pénitence du point de vue de la puissance sacramentelle, mais du point de ce qui matériel en elle. Or, dans le baptême, c’est une chose extérieure qui joue le role de matière, pour laquelle on ne peut concevoir qu’un seul être. C’est pourquoi on n’attribue pas de parties au baptême, car, même s’il y a un acte de notre part dans le baptême, celui-ci ne fait pas partie de l’essence du baptême, mais il est une disposition au baptême.

[17003] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod bonum, secundum Dionysium, causatur ex una integra causa ; sed ex singulis defectibus consurgit malum ; et ideo ad integritatem peccati sufficit in quocumque gradu humani actus defectus inveniatur ; et propter hoc peccato partes quasi integrales non assignantur, sicut poenitentiae, quae bonitatem amissam reparat.

3. Selon Denys, le bien est causé par une seule cause entière, mais le mal surgit de chacune des carences. C’est pourquoi il suffit à l’intégrtié d’un péché qu’une carence se rencontre à n’importe quel stade de l’acte humain. Pour cette raison, on n’attribue pas de parties pour ainsi dire intégrales au péché, comme c’est le cas pour la pénitence, qui rétablit la bonté perdue.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17004] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, poenitentia offensam culpae praecedentis abolet per modum recompensationis cujusdam. Haec autem recompensatio differt a recompensatione vindicativae justitiae in duobus. Primo quia in vindicativa justitia ille qui peccavit, se habet ad recompensationem ut patiens tantum, inquantum poena per quam fit culpae recompensatio, est ab alio inflicta ; et ideo non praesupponitur ad recompensationem dolor de peccato, sed ex poena recompensante dolor infligitur. In poenitentia autem ille qui peccavit, se habet ad recompensationem etiam ut agens ; quia ipse sponte sua ad poenam recompensantem accedit ; et ideo displicentia culpae praeexigitur. Secundo differt, quia in vindicativa justitia taxatur poena recompensans secundum arbitrium judicis, non ejus in quem commissum est peccatum. Sed in poenitentia oportet quod poena recompensans taxetur secundum arbitrium ejus in quem peccatum commissum est ; quia talis recompensatio fit ad reconciliandum animum offensi ; quae reconciliatio esse non potest, nisi poena recompensantis voluntati ejus sufficiat ; et ideo oportet in poenitentia quod modus poenae satisfactoriae secundum arbitrium sacerdotis, qui vicem Dei obtinet, servetur. Utrique ergo recompensationi hoc commune est quod non fiat recompensatio secundum arbitrium ejus qui peccavit, sed alterius hominis. Arbitrium autem rectum requirit cognitionem culpae : quae quidem si ei qui debet poenam taxare, per eum qui peccavit fiat, confessio dicitur ; si autem alias, dicitur contritio. Et quia in poenitentia, qui peccavit, ad recompensationem faciendam sponte accedit, requiritur satisfactio. Et sic recompensatio tribus gradibus perficitur. Quorum primus est displicentia culpae praeteritae ; alias non sponte ad recompensationem accederet ; et hic per contritionem perficitur. Secundus est ut culpam suam notificet Deo per sacerdotem ; alias non se ad recompensationem secundum arbitrium ejus in quem peccavit, offerret ; et quantum ad hoc est confessio. Tertius est ut compenset secundum arbitrium sacerdotis ; et quantum ad hoc est satisfactio.

Comme on l’a dit, la pénitence efface l’offense d’une faute précédente à la manière d’une compensation. Or, cette compensation diffère de la compensation de la justice punitive sur deux points. Premièrement, dans la justice punitive, celui qui a péché est dans la situation de celui qui subit seulement, pour autant que la peine par laquelle se réalise la compensation de la faute est infligée par un autre. C’est pourquoi la douleur pour le péché n’est pas présupposée à la compensation. Mais, dans la pénitence, celui qui a péché se trouve dans la situation d’un agent par rapport à la compensation, car il s’approche de son plein gré de la peine compensatoire. C’est pourquoi le dégoût de la faute est préexigé. Deuxièmement, elle en diffère parce que, dans la justice punitive, la peine compensatoire est établie selon le jugement du juge, et non de celui contre qui un péché a été commis. Mais, dans la pénitence, il est nécessaire que la peine compensatoire soit établie selon le jugement de celui contre qui le péché a été commis, car une telle compensation a pour but de se concilier le cœur de celui qui a été offensé. Une telle réconciliation ne peut exister que si la peine compensatoire suffit à sa volonté. C’est pourquoi, dans la pénitence, il est nécessaire que soit respecté le mode de la peine satisfactoire selon le jugement du prêtre, qui tient la place de Dieu. Les deux compensations ont donc en commun que la compensation n’est pas faite selon le jugement de celui qui a péché, mais d’un autre homme. Or, un jugement droit exige la connaissance de la faute : si elle est portée par celui qui a péché à la connaissance de celui qui doit établir la peine, elle s’appelle confession ; s’il en va autrement, elle s’appelle contrition. Et parce que, dans la pénitence, celui qui a péché s’approche de son plein gré pour compenser, la satisfaction est accomplie. Ainsi, la compensation se réalise selon trois degrés. Le premier est le dégoût de la faute passée, autrement, on n’approcherait pas de son plein gré de la compensation : celui-ci s’accomplit par la contrition. Le deuxième consiste à faire connaître sa faute à Dieu par l’intermédiaire du prêtre, autrement, on ne s’offrirait pas à compenser selon le jugement de celui contre qui on a péché : la confession est en rapport avec cela. Le troisième consiste à compenser selon le jugement du prêtre : la satisfaction est en rapport avec cela.

[17005] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in sacramentis quae habent pro materia aliquam rem corporalem, est duplex actus ministri Ecclesiae ; scilicet sanctificatio materiae per verbum Dei, et applicatio materiae ad eum qui sacramentum suscipit. Sed in hoc sacramento, quod habet pro materia ipsum humanum actum, non potest ex ministerio sacerdotis materia applicari ad eum qui sacramentum suscipit, quia actus non sunt ab exteriori ; et ideo ad ministerium ipsius pertinet ipsorum actuum consummatio secundum absolutionem et poenae injunctionem ; quod est quasi quaedam sanctificatio.

1. Dans les sacrements qui ont comme matière une chose corporelle, il y a un double acte du ministre de l’Église : la sanctification de la matière par la parole de Dieu, et l’application de la matière à celui qui reçoit le sacrement. Or, dans ce sacrement, qui a pour matière l’acte humain lui-même, la matiere ne peut pas être appliquée à celui qui reçoit le sacrement, car les actes ne sont pas faits que de l’extérieur. C’est pourquoi la consommation de ces actes par l’absolution et l’imposition d’une peine, qui sont comme une sanctification, relève de son ministère.

[17006] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis peccatum dimittatur ante actualem confessionem, nunquam tamen dimittitur ante confessionem in proposito existentem ; sicut etiam ante Baptismum actualiter susceptum aliquis rem Baptismi consequitur ex proposito suscipiendi Baptismum.

2. Bien que le péché soit remis avant la confession actuelle, il n’est cependant jamais remis avant qu’on ait l’intention de se confesser, de même que l’on reçoit la réalité du baptême avant d’avoir reçu effectivement le baptême en vertu de l’intention de recevoir le baptême.

[17007] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex proposito satisfaciendi gratia confertur, quamvis satisfactio actualis gratiam praesupponat. Vel dicendum, quod per satisfactionem consequitur poenitens perfectum effectum gratiae peccatum abolentis, quia liberatur totaliter a reatu peccati.

3. La grâce est reçue en vertu de l’intention de satisfaire, bien que la satisfaction actuelle présuppose la grâce. Ou bien il faut dire que, par la satisfaction, le pénitent obtient l’effet parfait de la grâce qui efface le péché, parce qu’il est entièrement libéré de la culpabilité du péché.

[17008] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ultimum in quo consummatur res, dicitur finis rei, sicut forma habet rationem finis ; et quia satisfactio est ultima pars in qua poenitentia consummatur, ideo dicitur fructus, qui in rationem finis sonat.

4. Le point ultime dans lequel s’achève une chose est appelé la fin d’une chose ; ainsi, la forme a raison de fin. Parce que la satisfaction est la partie ultime dans laquelle s’achève la pénitence, elle est donc appelée son fruit, qui a raison de fin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17009] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod sunt partes subjectivae uno modo poenitentiam considerando secundum quod habet tantum rationem poenae : quia quaelibet harum partium est punitio quaedam. Sed hoc non potest esse : quia totum universale non praedicatur in singulari de suis partibus pluralibus simul acceptis, sive sit genus, sive species : tres enim homines non sunt animal, sed animalia. Unde cum tres partes poenitentiae non sint tres poenitentiae, sed una, non potest esse quod sint partes subjectivae. Praeterea, poena quam poenitens patitur, tota in rationem satisfactionis cadit : non enim sola exteriori poena homo satisfacit, sed etiam interiori ; alias oratio mentalis non esset satisfactoria. Unde et poena quae est in contritione, et quae est in confessione, in partem satisfactionis cadit ; et quia satisfactio est ultima pars, totum sacramentum a poena denominatur, sicut res denominatur ab ultimo sui. Et ideo alii dicunt, quod sunt partes potentiales. Sed hoc iterum non potest esse : quia in partibus potentialibus totum adest secundum essentiae suae rationem cuilibet parti completae, sicut essentia animae cuilibet potentiae ; sed tota ratio poenitentiae secundum speciem non est in quolibet horum. Praeterea unum eorum non includit in se vim omnium aliorum, quod requiritur in partibus potentialibus ; sed unumquodque ad suum officium servit. Ideo dicendum est cum aliis, quod sunt partes integrales. Sed sciendum, quod partes integrales sunt duplices. Quaedam sunt partes quantitatis ; quae sunt quandoque unius rationis, ut in totis homogeneis ; quandoque vero diversarum rationum, ut in totis heterogeneis. Quaedam vero sunt partes essentiae, sicut materia et forma, non quantitatis ; et hae semper sunt diversarum rationum, et habent ordinem naturae ad invicem, et quandoque etiam ordinem temporis in his quorum esse non est simul ; et hujusmodi partes sunt hae de quibus loquimur : quia poenitentiae sacramentum secundum rationem speciei suae ex his tribus integratur ; et una est prior altera secundum naturam, et quandoque etiam secundum tempus ; eo quod actuum humanorum, qui sunt in poenitentia materiales, non est totum esse simul, sed succedunt sibi invicem : sed quandoque plures eorum, quorum unus est altero prior per naturam, sunt simul tempore.

Certains disent qu’elles en sont les parties subjectives en prenant en compte ce par quoi elle a seulement le caractère de peine, car chacune de ces parties est une certaine punition. Mais cela est impossible, car un tout universel n’est pas attribué à chacune de ses multiples parties considérées simultanément, qu’il s’agisse du genre ou de l’espèce : en effet, trois hommes ne sont pas un animal, mais des animaux. Puisque les trois parties de la pénitence ne sont pas trois pénitences, mais une seule, il est donc impossible qu’elles soient des parties subjectives. De plus, la peine que le pénitent endure a entièrement le caractère de satisfaction. En effet, on ne satisfait pas seulement par une peine extérieure, mais aussi par [une peine] intérieure, autrement, la prière mentale ne serait pas satisfactoire. Aussi la peine qui se trouve dans la contrition et celle qui se trouve dans la confession tournent-elles à la satisfaction. Et parce que la satisfaction est la dernière partie, tout le sacrement tire son nom de « peine », comme une chose est nommée par ce qu’il y a d’ultime en elle. C’est pourquoi d’autres disent qu’elles en sont les parties potentielles. Mais cela aussi est impossible, car dans les parties potentielles, le tout est présent selon la raison de son essence dans chaque partie complète, comme l’essence de l’âme [est présente] à chaque puissance. Or, toute la raison de pénitence n’est pas présente selon son espèce dans chacune de ces choses. De plus, l’une ne comprend pas elle-même la puissance de toutes les autres, ce qui est nécessaire pour les parties potentielles, mais chacune exerce sa fonction. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres qu’elles en sont les parties intégrales. Mais il faut savoir que les parties intégrales sont de deux sortes. Certaines sont des parties de la quantité : elles ont la même raison, comme dans les touts homogènes. Mais certaines sont des parties de l’essence, comme la matière et la forme, et non de la quantité : celles-ci ont toujours une raison différente et ont un rappOrt naturel entre elles, et parfois même un Ordre dans le temps, chez celles dont l’être n’existe pas simultanément. C’est de telles parties dont nous parlons, car le sacrement de pénitence, selon la raison de son espèce, est composé de ces trois choses, et l’une est antérieure à l’autre par nature et parfois même, dans le temps, du fait que les actes humains, qui jouent le rôle de matière dans la pénitence, n’existent pas tout entiers en même temps, mais se succèdent l’un à l’autre ; mais parfois, plusieurs d’entre eux, dont l’un est antérieur à l’autre par nature, sont simultanés dans le temps.

[17010] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod partes poenitentiae non respondent illis peccati partibus singula singulis secundum veritatem : quia pro quolibet illorum peccatorum oportet esse poenitentiae tres partes : sed per adaptationem quamdam, considerata similitudine medicinae ad morbum quantum ad idem instrumentum. Quidam enim dicunt, quod in quolibet peccato est invenire illa tria : quia est os interius et exterius ; et actus interior et exterior ; et sic etiam ista tria erunt partes subjectivae peccati. Sed patet hoc non esse secundum intentionem litterae, quae de ore exteriori et opere loquitur.

1. À la vérité, les parties de la pénitence ne correspondent pas exactement à ces parties du péché, car, pour chacun de ces péchés, les trois parties de la pénitence sont nécessaires. Mais [elles leur correspondent] par une certaine adaptation, en prenant en compte la ressemblance du remède à la maladie pour ce qui est du même instrument. En effet, certains disent que, dans chaque péché, on trouve ces trois choses, car il y a une bouche intérieure et extérieure, et l’acte est intérieur et extérieur. Ainsi, ces trois choses sont des parties du péché. Mais il est clair que cela n’est pas conforme à l’intention du texte, qui parle de la bouche et de l’acte extérieurs.

[17011] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in partibus successivorum ex qualibet parte potest concludi totum ; sicut : hora tertia est, ergo dies ; non tamen totum de una parte praedicatur : non enim dicimus, quod hora sit dies : sed tamen de omnibus partibus simul acceptis aliquo modo invenitur praedicari totum, licet improprie ; et sic etiam de qualibet parte poenitentiae poenitentia concluditur, eo quod poenitentia non habet totum esse suum simul ; non tamen totum de partibus praedicatur neque divisim neque conjunctim, proprie loquendo.

2. Dans les parties de ce qui se suit, on peut conclure le tout à partir de chaque partie. Ainsi, c’est la troisième heure ; donc, c’est le jour. Cependant, on n’attribue pas le tout à chacune des parties. En effet, nous ne disons pas que l’heure est le jour. Toutefois, à partir de toutes les parties considérées simultanément, il arrive qu’on attribue le tout, bien que de manière impropre. De la même manière aussi, on conclut à la pénitence à partir de chaque partie de la pénitence, du fait que la pénitence ne possède pas son être tout entier simultanément ; cependant, à proprement parler, le tout n’est pas attribué aux parties, ni séparément ni conjointement,

[17012] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est materiale in poenitentia, est actus nostri ; et quia actus non habent esse permanens, ideo nec poenitentia ; et sic objectio ex falso procedit.

3. Ce qui joue le rôle de matière dans la pénitence, ce sont nos actes. Et parce que les actes ne possèdent pas d’existence permanente, la pénitence non plus. L’objection vient donc de quelque chose de faux.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17013] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ab eo quod sequitur rem, non accidit aliqua compositio in re, quia componentia sunt priora compositis ; unde cum actus nostri sint posteriores virtutibus a quibus eliciuntur ; diversi actus, qui secundum ordinem a virtute aliqua progrediuntur, non faciunt compositionem aliquam in virtute : et ideo praedicta tria non sunt partes poenitentiae virtutis, sed poenitentiae sacramenti : quia ipsi actus sunt quasi materia sacramenti, et penes divisionem materiae partes rei sumuntur quandoque.

Une composition dans une chose ne se produit pas à partir de ce qui suit la chose, car les composantes sont antérieures aux composés. Puisque nos actes sont postérieurs aux vertus dont elles sont issues, les divers actes qui viennent d’une vertu de manière ordonnée ne produisent donc pas une composition dans la vertu. C’est pourquoi ces trois choses ne sont pas des parties de la vertu de pénitence, mais du sacrement de pénitence, car les actes mêmes sont comme la matière du sacrement, et les parties d’une chose sont parfois considérées selon la division de la matière.

[17014] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus exteriOres requiruntur ad perfectionem secundam virtutum mOralium ; partes autem integrales opOrtet quod sint de perfectione prima.

1. Les actes extérieurs sont nécessaires à la perfection pour les vertus mOrales, mais les parties intégrales doivent être parfaites selon la première perfection.

[17015] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis tria praedicta sint actus poenitentiae virtutis, non tamen sequitur quod sint partes ejus : quia in quolibet dictorum actuum inveniuntur omnes circumstantiae quibus integratur medium virtutis.

2. Bien que les trois choses mentionnées soient des actes de la vertu de pénitence, il n’en découle cependant pas qu’elles en sont les parties, car, dans chacun des actes mentionnés, on trouve toutes les circonstances par lesquelles se constitue le milieu de la vertu.

[17016] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad poenitentiam virtutem requiruntur ista tria, sed non ut actus, ut dictum est.

3. Ces trois choses sont nécessaires pour la vertu de pénitence, mais non comme des actes, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 2 [17017] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum poenitentia ante Baptismum debeat poni pars poenitentiae

Article 2 – La pénitence antérieure au baptême doit-elle être considérée comme une partie de la pénitence ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pénitence antérieure au baptême doit-elle être considérée comme une partie de la pénitence ?]

[17018] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod poenitentia ante Baptismum non debeat poni pars poenitentiae. Baptismus enim janua sacramentorum est, et poenitentia dicitur secunda tabula respectu Baptismi. Sed secundum non est ante primum. Ergo poenitentia non est aliqua ante Baptismum.

1. Il semble que la pénitence antérieure au baptême ne doive pas être considérée comme une partie de la pénitence. En effet, le baptême est la porte des sacrements, et on dit que la pénitence est une seconde planche par rapport au baptême. Or, ce qui est second n’est pas antérieur à ce qui est premier. Il n’y a donc pas de pénitence avant le baptême.

[17019] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ei qui non est generatus in aliqua natura, non competit actio illius naturae. Sed Baptismus est quaedam generatio in spiritualem vitam. Ergo ei qui non est baptizatus, non convenit aliqua actio spiritualis vitae. Sed poenitentia est hujusmodi, cum sit quoddam sacramentum. Ergo non potest alicui competere ante Baptismum.

2. L’action d’une nature ne convient pas à ce qui n’a pas été engendré selon cette nature. Or, le baptême est une génération en vue de la vie spirituelle. Une action de la vie spirituelle ne convient donc pas à celui qui n’a pas été baptisé. Or, la pénitence est de cette sorte, puisqu’elle est un sacrement. Elle ne peut donc pas convenir à quelqu’un avant le baptême.

[17020] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, poenitentia non ordinatur nisi contra culpam actualem. Sed culpa actualis sufficienter in Baptismo deletur. Ergo non oportet quod poenitentia Baptismum praecedat.

3. La pénitence n’est ordonnée que contre la faute actuelle. Or, la faute actuelle est suffisamment détruite par le baptême. Il n’est donc pas nécessaire que la pénitence précède le baptême.

[17021] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Matth. 3, super illud : tunc exibant ad eum etc., dicit Glossa : jam tunc exemplum baptizandis dabatur confitendi peccata, et promittendi meliOra. Sed hoc pertinet ad poenitentiam. Ergo ante Baptismum debet esse poenitentia.

Cependant, [1] à propos de Mt 3 : Alors, ils allaient le trouver, etc., la Glose dit : « L’exemple de la confession de leurs péchés et de la promesse de s’améliorer était alors donné à ceux qui doivent être baptisés. » Or cela relève de la pénitence. Il doit donc y avoir pénitence avant le baptême.

[17022] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, super illud Psal. 4 : in cubilibus vestris compungimini, dicit Glossa : ut extincto veteri homine per poenitentiam, sacrificium justitiae per regenerationem novi hominis offeramus Deo. Sed regeneratio ad Baptismum pertinet. Ergo poenitentia aliqua est ante Baptismum.

[2] À propos de Ps 4 : Repentez-vous sur votre couche, la Glose dit : « Afin d’offrir à Dieu un sacrifice de justice par la régénération de l’homme nouveau, après la mort du vieil homme par la pénitence. » Or, la régénération relève du baptême. Il existe donc une pénitence avant le baptême.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence antérieure au baptême concerne-t-elle seulement le péché actuel ou aussi le péché originel ?]

[17023] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentia ante Baptismum non solum sit de actuali, sed et de originali peccato. Nam Augustinus Lib. de poenitentia, dicit loquens de poenitentia ante Baptismum : exceptis parvulis, nullus ad Christum transit, nisi incipiat esse quod non erat, nisi poeniteat eum fuisse quod erat. Sed erat infectus non solum actuali, sed etiam originali peccato : nisi enim de hac infectione loqueretur, parvulos non exciperet, qui aliam infectionem non habent. Ergo de peccato originali debet esse poenitentia ante Baptismum.

1. Il semble que la pénitence antérieure au baptême ne concerne pas seulement le péché actuel, mais aussi le péché originel, car Augustin, dans le livre Sur la pénitence, dit en parlant de la pénitence antérieure au baptême : « À l’exception des enfants, personne ne passe au Christ s’il ne commence pas à être ce qu’il n’était pas, et s’il ne se repent pas d’avoir été ce qu’il était. » Or, il était infecté non seulement par le péché actuel, mais aussi par le péché originel. En effet, s’il ne parlait pas d’une telle infection, il ne ferait pas d’exception pour les enfants, qui n’ont pas d’autre infection. Il doit donc y avoir pénitence pour le péché originel avant le baptême.

 

[17024] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poenitens infert sibi poenam, ut evadat illam quae a Deo sibi infligenda erat. Sed pro peccato originali poena a Deo infligitur. Ergo pro eo debet hanc poenitentiam agere.

2. Celui qui se repent s’inflige une peine à lui-même afin d’échapper à celle qui devait lui être infligée par Dieu. Or, une peine est infligée par Dieu pour le péché originel. Il doit donc accomplir cette pénitence pour ce péché.

[17025] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum hoc de peccato actuali poenitentiam agimus quod nobis ipsum displicet. Ergo de eo debemus poenitentiam agere.

3. Nous faisons pénitence pour le péché actuel parce qu’il nous déplaît. Nous devons donc faire pénitence pour lui.

[17026] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, poenitentia est respectu voliti. Sed peccatum originale contrahimus nolentes. Ergo de ipso non est poenitentia.

Cependant, [1] la pénitence porte sur quelque chose de volontaire. Or, nous contractons le péché originel sans le vouloir. Il n’y a donc pas de pénitence à son sujet.

[17027] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, medicina debet respondere morbo. Sed peccatum originale non contrahitur per aliquam delectationem ejus qui ipsum contrahit. Ergo videtur quod non sit ejus curatio per aliquam poenam ; et ita non per poenitentiam, quae suo nomine poenam exprimit.

[2] Le remède doit correspondre à la maladie. Or, le péché originel n’est pas contracté par un plaisir de celui qui le contracte. Il ne semble donc pas que son traitement soit une peine. Ainsi, [il ne sera pas traité] par la pénitence qui, par son nom même, exprime une peine.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Faut-il distinguer une pénitence pour les péchés véniels après le baptême ?]

[17028] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat post Baptismum aliqua poenitentia venialium distingui. Quia superfluum est facere per multa quod per unum potest fieri. Sed veniale peccatum curatur per Eucharistiam. Ergo superfluum est quod ad ipsum curandum poenitentia ordinetur.

1. Il semble qu’il ne faille pas distinguer une pénitence pour les péchés véniels après le baptême, car il est superflu de réaliser par plusieurs choses ce qui peut être accompli par une seule. Or, le péché véniel est guéri par l’eucharistie. Il est donc superflu que la pénitence soit ordonnée à le traiter.

 

[17029] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, de eo quod non est in potestate nostra, non requiritur poenitentia. Sed peccata venialia vitare non est in potestate nostra : quia nullus potest omnia peccata venialia vitare. Ergo de venialibus non est poenitentia.

2. La pénitence n’est pas exigée pour ce qui n’est pas en notre pouvoir. Or, il n’est pas en notre pouvoir d’éviter les péchés véniels, car personne ne peut éviter tous les péchés véniels. La pénitence ne porte donc pas sur les péchés véniels.

[17030] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, diversorum morborum diversae sunt medicinae : quia secundum Hieronymum, non sanat oculum quod sanat calcaneum. Sed poenitentia est remedium contra mortale. Cum ergo veniale a mortali in infinitum differat, ut poena ostendit, videtur quod contra veniale poenitentia non ordinetur, sed contra mortale.

3. Les remèdes diffèrent selon les diverses maladies, car, selon Jérôme, ce qui soigne le talon ne soigne pas l’oeil. Or, la pénitence est un remède contre le péché mortel. Puisque le péché véniel diffère d’une manière infinie du péché mortel, comme le montre la peine, il semble donc que la pénitence ne soit pas ordonnée contre le péché véniel, mais contre le péché mortel.

[17031] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quod potest majus, potest et minus. Sed poenitentia destruit mortale, quod est difficilius. Ergo et veniale.

Cependant, [1] ce qui peut le plus peut le moins. Or, la pénitence détruit le péché mortel, ce qui est plus difficile. Elle [détruit] donc aussi le péché véniel.

[17032] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, secundum Augustinum, poenitentia est vindicta puniens in se quod dolet commisisse. Sed aliquis debet dolere de hoc quod commisit veniale, et hoc in se punire. Ergo poenitentia quaedam est de venialibus.

[2] Selon Augustin, la pénitence est une vengeance qui punit en soi-même ce qu’on regrette d’avoir commis. Or, on doit regretter le péché véniel qu’on a commis et le punir en soi-même. Une certaine pénitence porte donc sur les péchés véniels.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Sommes-nous obligés à la pénitence pour les péchés véniels ?]

[17033] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod teneamur ad poenitentiam venialium. Quia sicut tenetur homo tendere ad gloriam, ita tenetur impedimentum gloriae removere. Sed homo non potest ad gloriam pervenire nisi dimissis venialibus peccatis. Ergo cum non remittantur sine poenitentia, videtur quod ad poenitentiam agendam de venialibus homo teneatur.

1. Il semble que nous soyons obligés à la pénitence pour les péchés véniels, car, de même que l’homme est tenu de tendre à la gloire, de même est-il tenu d’enlever les obstacles à la gloire. Or, on ne peut parvenir à la gloire qu’en enlevant les péchés véniels. Puisqu’ils ne sont pas remis sans pénitence, il semble donc qu’on soit tenu de faire pénitence pour les péchés véniels.

[17034] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quoddam veniale peccatum per consensum fit mortale : quia consensus in delectationem mortalis peccati est mortale peccatum. Sed homo tenetur vitare mortale peccatum. Ergo tenetur dissentire a veniali peccato aliquando. Sed dissensus a peccato est poenitentia. Ergo tenetur homo de peccato veniali aliquando poenitere.

2. Un péché véniel, si l’on y consent, devient mortel, car le consentement au plaisir du péché mortel est un péché mortel. Or, l’homme est tenu d’éviter le péché mortel. Il est donc tenu de s’opposer parfois au péché véniel. Or, l’opposition au péché est la pénitence. L’homme est donc tenu parfois de faire pénitence pour un péché véniel.

[17035] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, nullus tenetur abolere jam factum, quod non tenetur vitare antequam fiat. Sed homo non tenetur vitare veniale peccatum antequam faciat ; alias peccaret mortaliter faciens ipsum. Ergo multo minus tenetur poenitere de eo.

Cependant, [1] personne n’est tenu d’effacer ce qui a déjà été fait, s’il n’est pas tenu de l’éviter avant que cela soit fait. Or, l’homme n’est pas tenu d’éviter le péché véniel avant qu’il n’existe, autrement il pécherait mortellement en le commettant. Encore bien moins est-il donc tenu de s’en repentir.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Est-ce que ces trois parties sont suffisantes ?]

[17036] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod partes istae tres non sint sufficientes. Quia sicut post Baptismum peccatur venialiter et mortaliter ; ita ante Baptismum. Sed post Baptismum distinguitur poenitentia venialis et mortalis peccati. Ergo et ante Baptismum ; et sic sunt quatuor.

1. Il semble que ces trois parties soient suffisantes. En effet, de même qu’après le baptême, on pèche véniellement et mortellement, de même avant le baptême. Or, après le baptême, on distingue la pénitence pour le péché véniel et pour le péché mortel. Donc, avant le baptême aussi. Ainsi, il y a quatre parties.

[17037] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, plus distat poena a culpa quam veniale a mortali. Sed de poenis praesentis miseriae oportet poenitere, ut Augustinus dicit in Lib. de poenitentia. Ergo cum distinguatur poenitentia venialium a poenitentia mortalium, debet etiam distingui poenitentia qua nos poenitet de poenis hujus peregrinationis, a poenitentia venialium.

2. Il y a une plus grande distance entre la peine et la faute qu’entre le péché véniel et le péché mortel. Or, il faut se repentir des peines de la misère présente, comme le dit Augustin dans le livre Sur la pénitence. Puisque qu’on distingue la pénitence pour les péchés véniels de la pénitence pour les péchés mortels, on doit aussi distinguer la pénitence par laquelle on se repent des peines du pèlerinage actuel, de la pénience pour les péchés véniels.

[17038] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, poenitentia solemnis est quidam poenitentiae modus, ut supra dictum est, dist. 14, qu. 1, art. 5. Ergo cum de ipsa mentionem non faciat, videtur insufficienter partes ponere.

3. La pénitence solennelle est une forme de la pénitence, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q, 1, a. 5. Puisqu’on ne fait pas mention de celle-ci, il semble qu’on en présente de manière insuffisante les parties [de la pénitence].

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17039] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poenitentia potest accipi dupliciter ; scilicet ut est virtus, et ut est sacramentum. Secundum autem quod est virtus, importat detestationem peccati cum proposito abolendi ipsum secundum conditionem status peccantis. Et quia quicumque non detestatur peccatum, adhuc voluntatem in peccato fixam habet, cum voluntas semel ad aliquid fixa, ab illo non divellatur quin actu vel habitu in eo maneat, nisi per actualem dissensum ab illo, vel in speciali, vel saltem in genere ; voluntas autem in peccato fixa manens, non est susceptiva gratiae baptismalis ; ideo requiritur ante Baptismum, quasi removens prohibens, peccati commissi detestatio, et destructionis ejus propositum. Et ideo patet quod ante Baptismum requiritur poenitentia secundum quod est virtutis actus, vel quae sit prior Baptismo tempore vel saltem natura. Sed poenitentia, secundum quod est sacramentum, consistit in dispensatione ministrorum Ecclesiae. Et quia Ecclesiae sacramenta non dispensantur nisi illis qui sunt de Ecclesia, ideo ante Baptismum sacramentum poenitentiae non competit, cum per Baptismum homo de Ecclesia fiat.

La pénitence peut être considérée de deux manières : comme une vertu et comme un sacrement. Selon qu’elle est une vertu, elle comporte la détestation du péché, accompagnée de l’intention de l’effacer selon la condition de l’état de celui qui a péché. Parce que quiconque ne déteste pas le péché garde une volonté établie dans le péché, puisque la volonté, une fois établie dans quelque chose, n’est empêchée d’y rester en acte ou par habitus qu’en s’y opposant par un acte, soit en particulier, soit au moins de manière générale, la volonté qui demeure affermie dans le péché n’est pas capable de recevoir la grâce baptismale. Aussi la détestation du péché commis et l’intention de le détruire sont-elles nécessaires avant le baptême comme ce qui enlève un obstacle. C’est pourquoi il est certain que la pénitence est nécessaire avant le baptême en tant qu’acte de la vertu, qu’elle soit antérieure au baptême dans le temps ou tout au moins par nature. Or, la pénitence comme sacrement consiste dans une administration par des ministres de l’Église. Et parce que les sacrements de l’Église ne sont administrés qu’à ceux qui font partie de l’Église, le sacrement de pénitence ne convient donc pas avant le baptême, puisqu’on commence à faire partie de l’Église par le baptême.

[17040] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Et per hoc patet solutio ad objecta praeter tertium.

1. La solution aux objections est ainsi claire, sauf pour la troisième.

[17041] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia non requiritur ante Baptismum propter Baptismi insufficientiam, sed propter impedimentum removendum gratiae baptismalis, ut Baptismus suum effectum habere possit.

3. La pénitence n’est pas nécessaire avant le baptême en raison de l’insuffisance du baptême, mais pour enlever un empêchement à la grâce baptismale, afin que le baptême puisse avoir son effet.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17042] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poenitentia potest sumi large et proprie. Proprie quidem poenitentia importat dolorem de peccato commisso in praeterito ; et sic nullo modo potest esse poenitentia de originali peccato, quia non est commissum. Large autem potest dici poenitentia omnis displicentia mali praeteriti ; et sic in eo qui liberum arbitrium habet, debet esse poenitentia de originali : quia ex hoc ipso quod alicui placet aliquid, displicet ei quod ad illud impedimentum praestitit. Peccatum autem originale impedimentum gloriae fuit, ad quam quilibet desiderio tendere debet. Non tamen de eo debet esse confessio, quae non est nisi factorum ; nec satisfactio ; quia pro peccato originali non debetur nisi poena damni, poenitentia autem importat poenam sensus.

La pénitence peut être entendue au sens large et au sens prope. Au sens propre, la pénitence comporte la douleur pour le péché commis dans le passé ; en ce sens, la pénitence ne peut aucunement porter sur le péché originel, parce qu’il n’a pas été commis. Au sens large, on peut parler de pénitence pour tout dégoût du mal passé ; en ce sens, chez celui qui a le libre arbitre, la pénitence pour le péché originel doit exister, car du fait même que quelque chose plaît à quelqu’un, lui déplaît ce qui y fait obstacle. Or, le péché originel a été un empêchement à la gloire vers laquelle on doit tendre de tout son désir. Cependant, il ne doit pas y avoir de confession à son sujet, car celle-ci ne porte que sur ce qui a été fait ; ni de satisfaction, car seule la peine du dam est due pour le péché originel, alors que la pénitence comporte la peine du sens.

[17043] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17044] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod veniale peccatum ex nostro actu incurrimus, et ei poena sensibilis debetur ; et ideo ad peccati venialis dimissionem poenitentia operatur quantum ad contritionem, confessionem et satisfactionem ; non solum poenitentia secundum quod est virtus, sed etiam secundum quod est sacramentum : quia post Baptismum aliquis venialiter peccat, quando est susceptivus sacramentorum Ecclesiae.

Nous encourons le péché véniel par notre acte, et une peine sensible lui est due. C’est pourquoi la pénitence agit pour l’enlèvement du péché véniel par la contrition, la confession et la satisfaction, et non seulement la pénitence comme vertu, mais aussi comme sacrement, car, après le baptême, on pèche véniellement, alors qu’on est capable de recevoir les sacrements de l’Église.

[17045] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad eumdem effectum principaliter inducendum, superfluum est plura inducere, si quodlibet sit sufficiens ; sed nullum sacramentum inducitur ad peccati venialis dimissionem, sicut ad principalem effectum, ut supra in 2 dist., quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 4, dictum est ; et ideo non est inconveniens, si ex multis sacramentis peccati venialis dimissio consequitur.

1. Pour obtenir principalement le même effet, il est superflu de faire appel à plusieurs choses, si n’importe laquelle est suffisante. Mais aucun sacrement ne s’applique à l’enlèvement du péché véniel comme à son effet premier, comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 1, a. 1, qa 4. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que l’enlèvement du péché véniel soit obtenu par plusieurs sacrements.

[17046] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non sit in potestate nostra vitare omnia venialia, est tamen in potestate nostra vitare singula.

2. Bien qu’il ne soit pas en notre pouvoir d’éviter tous les péchés véniels, il est cependant en notre pouvoir d’éviter chacun.

[17047] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veniale et mortale quamvis sint diversi morbi, tamen conveniunt in una ratione actualis peccati ; et ideo contra utrumque poenitentia medicina est.

3. Bien qu’ils soient des maladies différentes, le péché véniel et le péché mortel ont le caractère commun de péché actuel. C’est pourquoi la pénitence est un remède contre les deux.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17048] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum dicitur aliquis ad aliquid teneri, quaedam necessitas importatur ad illud. Necessitas autem est duplex. Una est absoluta ; et secundum hanc homo tenetur facere illa sine quibus non est salus ; et sic non tenetur ad peccati venialis poenitentiam, quia mortem ex hoc non incurrit ; nisi forte de contemptu dimittat. Alia est ex suppositione alicujus finis ; sicut dicitur aliquid esse necessarium sine quo non possumus finem intentum consequi ; et hoc modo necessarium est quod homo de venialibus poeniteat, si ei remitti debeant in hac vita. Sed secundum hoc non proprie dicitur teneri aliquis ad aliquid ; et ideo dicendum, quod homo non tenetur ad poenitentiam venialium, nisi large sumendo.

Lorsqu’on dit que quelqu’un est obligé à quelque chose, une certaine nécessité est attachée à cela. Or, la nécessité est double. L’une est absolue : selon celle-ci, l’homme est obligé de faire ce sans quoi il n’y a pas de salut. De cette manière, il n’est pas obligé à la pénitence pour le péché véniel, car il n’encourt pas la mort par lui, sauf peut-être s’il l’écarte par mépris. L’autre [nécessité] vient de la supposition d’une fin : on dit ainsi que quelque chose est nécessaire, sans quoi nous ne pouvons atteindre la fin visée. De cette manière, il est nécessaire que l’homme se repente des péchés véniels pour qu’ils lui soient remis en cette vie. Mais on ne dit pas ainsi à proprement parler que quelqu’un est obligé à quelque chose. C’est pourquoi il faut dire qu’on n’est pas obligé à la pénitence pour les péchés véniels, si ce n’est au sens large.

[17049] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si nunquam de venialibus poeniteat, potest ad vitam pervenire : quia etiam post hanc vitam venialia remittuntur, ut infra dicetur.

1. Si on ne se repent jamais des péchés véniels, on peut parvenir à la vie, car, même après cette vie, les péchés véniels sont remis, comme on le dira plus loin.

[17050] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dissensus dicit poenitentiam ad peccatum futurum ; sed poenitentia dicit displicentiam peccati praeteriti ; et ideo non oportet quod dissensus ad poenitentiam pertineat.

2. L’opposition exprime une pénitence par rapport au péché futur ; mais on parle de pénitence pour le dégoût du péché passé. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que l’opposition relève de la pénitence.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17051] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod istae partes poenitentiae distinguuntur secundum diversos modos quibus poenitentia agitur ; unde sunt partes subjectivae poenitentiae virtutis, non poenitentiae sacramenti : quia una pars non pertinet ad poenitentiae sacramentum, quamvis aliae duae ad poenitentiam, secundum quod est sacramentum, pertinere possint. Et accipiuntur isti modi secundum diversum statum poenitentis : quia aut est extra Ecclesiam etiam numero, et sic est prima poenitentia quae est ante Baptismum ; aut est extra merito, sed non numero ; et sic est secunda, quae est de mortalibus ; aut omnino est intra Ecclesiam ; et sic competit ei tertia, quae est de venialibus.

Ces parties de la pénitence se différencient selon les diverses manières de faire pénitence. Elles sont donc des parties subjectives de la vertu de pénitence, et non du sacrement de pénitence, car une partie ne relève pas du sacrement de pénitence, bien que les deux autres puissent relever de la pénitence comme sacrement. Et ces manières s’entendent selon les divers états du pénitent, car il est soit hors de l’Église nommément : il s’agit alors de la première pénitence qui a lieu avant le baptême ; soit hors de l’Église par le mérite, mais non nommément : il s’agit alors de la deuxième pénitence, qui porte sur les péchés mortels ; soit entièrement à l’intérieur de l’Église : lui convient alors la troisième pénitence, qui porte sur les péchés véniels.

[17052] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod status hominis ante Baptismum non diversificantur per veniale et mortale quantum ad hoc quod est esse de Ecclesia vel non esse ; sed diversificantur per veniale et mortale post, quia per mortale post Baptismum commissum efficitur aliquis extra Ecclesiam merito, sed non per veniale ; et ideo non est similis ratio.

1. Les états de l’homme avant le baptême ne se différencient pas par le péché véniel et le péché mortel pour ce qui est d’être de l’Église ou de ne pas en être, mais ils se différencient par le péché véniel et le péché mortel après, car, par le péché mortel commis après le baptême, on est placé hors de l’Église pour le mérite, mais non par le péché véniel. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[17053] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de poenis dicitur esse poenitentia ab Augustino, secundum quod inclinant ad culpam, large etiam poenitentiam pro displicentia sumendo.

2. Augustin parle de la pénitence pour les peines, pour autant qu’elles inclinent à la faute, en prenant la pénitence au sens large pour le dégoût [de la faute].

[17054] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia solemnis non diversificat statum poenitentis quantum ad id quod dictum est ; et ideo de ea non fit hic mentio.

3. La pénitence solennelle ne distingue pas l’état du pénitent pour ce qui a été dit. C’est pourquoi il n’en pas fait mention ici.

Quaestio 2

Question 2 – [La rémission des péchés véniels]

 

 

Prooemium

Prologue

[17055] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 pr. Deinde quaeritur de remissione venialium ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 de modo remissionis ; 2 de causa remissionis.

Ensuite, on s’interroge sur la rémission des péchés véniels. À ce propos, on pose deux questions : 1 – Sur le mode de la rémission ; 2 – Sur la cause de la rémission.

 

 

Articulus 1 [17056] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 tit. Utrum peccatum veniale possit dimitti voluntate manente ad illud

Article 1 – Le péché véniel peut-il être remis, alors que la volonté continue d’être tournée vers lui ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le péché véniel peut-il être remis, alors que la volonté continue d’être tournée vers lui ?]

[17057] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccatum veniale possit dimitti voluntate manente ad illud. Voluntas enim peccati venialis gratiam non excludit. Sed nullum peccatum veniale est quod gratia remitti non possit, cum remittatur per virtutem gratiae mortale, quod multo difficilius est. Ergo veniale dimitti potest adhuc manente voluntate ad illud.

1. Il semble que le péché puisse être remis, alors que la volonté continue d’être tournée vers lui. En effet, la volonté du péché véniel n’exclut pas la grâce. Or, il n’existe aucun péché véniel qui ne puisse être remis par la grâce, puisque le péché mortel est remis par la puissance de la grâce, ce qui est beaucoup plus difficile. Le péché véniel peut donc être remis, alors que la volonté continue d’être tournée vers lui.

[17058] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut peccatum mortale caritati opponitur, ita veniale fervori caritatis. Sed illud quod secum compatitur caritas, non impedit dimissionem peccati mortalis. Ergo cum voluntatem permanentem in peccato veniali compatiatur fervor caritatis, videtur quod veniale remitti possit in eo qui adhuc habet voluntatem adhaerentem veniali.

2. De même que le péché mortel s’oppose à la charité, de même le péché véniel [s’oppose-t-il] à la ferveur de la charité. Or, ce qui est compatible avec la charité n’empêche pas la rémission du péché mortel. Puisque la ferveur de la charité est compatible avec une volonté qui demeure dans le péché véniel, il semble que le péché véniel puisse être remis à celui dont la volonté est encore attachée au péché véniel.

[17059] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dictum est, ad hoc quod voluntas removeatur ab eo in quo semel fuit fixa, requiritur actualis displicentia. Sed aliquando veniale peccatum dimittitur ei qui non habet displicentiam de veniali peccato, sicut patet in martyribus, qui statim evolant, quamvis forte de peccatis venialibus non cogitent, nec actualem displicentiam habeant. Ergo videtur quod peccatum veniale dimitti possit adhuc manenti in illo.

3. Comme on l’a dit, pour que la volonté soit détournée de ce à quoi elle s’est une fois attachée, un dégoût actuel est nécessaire. Or, le péché véniel est parfois remis à celui qui n’a pas de dégoût pour le péché véniel, comme cela ressort clairement chez les martyrs, qui s’envolent aussitôt, bien qu’ils ne pensent peut-être pas aux péchés véniels et n’ont pas non plus de dégoût actuel. Il semble donc que le péché véniel puisse être remis à celui qui demeure encore en lui.

[17060] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, manente causa non potest tolli effectus. Sed adhaerentia voluntatis inordinata ad aliquid erit causa venialis peccati. Ergo manente voluntate fixa in illo, non potest remitti ipsum peccatum.

Cependant, [1] si la cause demeure, l’effet ne peut pas être enlevé. Or, l’adhésion désordonnée de la volonté à quelque chose sera cause d’un péché véniel. Si la volonté lui demeure attachée, le péché lui-même ne peut donc pas être remis.

[17061] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, affectus ad opus habet rationem peccati, sicut et ipsum opus peccati. Sed ipsum opus venialis peccati, dum manet, non permittit peccatum veniale dimitti. Ergo nec affectus ad ipsum manens.

[2] L’attachement à un acte a le caractère de péché, comme l’acte même du péché. Or, l’acte même du péché véniel, aussi lontemps qu’il demeure, ne permet pas que le péché véniel soit enlevé. Donc, ni l’attachement à lui qui demeure.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un péché véniel peut-il être remis sans un autre ?]

[17062] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod unum peccatum veniale non possit dimitti sine alio. Quia, sicut in praecedenti dist. dictum est, dominus nullum sanavit quem non omnino liberaret. Sed non potest alicui veniale peccatum dimitti, nisi domino ipsum sanante. Ergo si absolvitur ab uno veniali, absolvitur ab omnibus.

1.Il semble qu’un péché véniel ne puisse être remis sans un autre, car, ainsi qu’on l’a dit à la distinction précédente, le Seigneur n’a guéri personne qu’il n’ait complètement libéré. Or, un péché véniel ne peut être remis à quelqu’un, à moins que le Seigneur ne le guérisse. Si donc il est absous d’un péché véniel, il est absous de tous.

[17063] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, peccatum veniale est majoris adhaerentiae quam mortale ; unde remisso mortali adhuc manet veniale. Sed unum mortale non potest remitti nisi omnia alia dimittantur. Ergo nec unum veniale nisi aliis remissis.

2. Le péché véniel adhère plus fortement que le péché mortel ; aussi, une fois remis le péché mortel, le péché véniel demeure encore. Or, un seul péché mortel ne peut être remis à moins que tous les autres ne soient remis. Il en va donc de même pour un seul péché véniel, à moins que les autres ne soient remis.

[17064] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ei qui displicet Deo, peccatum non remittitur. Sed veniale displicet Deo. Ergo quamdiu manet unum, aliud non remittitur.

3. Le péché n’est pas remis à celui qui déplaît à Dieu. Or, le péché véniel déplaît à Dieu. Aussi longtemps qu’un seul demeure, un autre n’est donc pas remis.

[17065] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, majoris gratiae est remissio mortalis peccati quam venialis. Sed unum peccatum veniale manens fixum in corde, non impedit remissionem mortalis peccati. Ergo multo minus impedit remissionem alterius venialis.

Cependant, [1] la rémission d’un péché mortel relève d’une grâce plus grande que celle d’un péché véniel. Or, un seul péché véniel qui demeure établi dans l’âme n’empêche pas la rémission d’un péché mortel. Encore bien moins empêche-t-il donc la rémission d’un autre péché véniel.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un péché véniel peut-il être remis sans que le soit un péché mortel ?]

[17066] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod veniale peccatum possit remitti sine mortali. Joan. 8, super illud : qui sine peccato est vestrum etc., dicit Augustinus, quod omnes illi erant in peccato mortali : venialia enim eis dimittebantur per caeremonias. Ergo veniale potest dimitti non dimisso mortali.

1. Il semble qu’un péché véniel puisse être remis sans que le soit un péché mortel. À propos de Jn 8 : Que celui qui est sans péché, etc., Augustin dit que tous ceux-là étaient dans le péché mortel : en effet, les péchés véniels leur étaient remis par les cérémonies. Le péché véniel peut donc être remis sans que le soit un péché mortel.

[17067] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, mortale et veniale contrarie dividuntur. Sed mortale potest dimitti sine veniali. Ergo veniale potest dimitti sine mortali.

2. Le péché véniel et le péché mortel se différencient comme des contraires. Or, le péché mortel peut être remis sans que le péché véniel le soit. Le péché véniel peut donc être remis sans que le soit le péché mortel.

[17068] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, peccato quod sufficienter punitum est, non debetur alia poena : quia non vindicat bis Deus in idipsum. Sed peccatum veniale potest aliquis, in mortali existens, sufficienter in seipso punire, cum debeatur ei poena finita. Ergo non reservabitur ulterius ad poenam. Sed nunquam aliquis absolvitur a reatu poenae, nisi prius absolvatur a culpa ; alias culpa inordinata remaneret sine poena. Ergo manente peccato mortali, potest veniale remitti.

3. Une autre peine n’est pas due pour un péché qui a été suffisamment puni, car Dieu ne se venge pas deux fois pour la même chose. Or, l’on peut punir suffisamment en soi-même le péché véniel, alors qu’on est dans le péché mortel, puisqu’une peine finie est due pour [le péché véniel]. Une autre peine ne lui sera donc plus réservée. Or, personne n’est jamais absous de la culpabilité de la peine, à moins d’être auparavant absous de la faute, autrement la faute resterait désordonnée sans la peine. Le péché véniel peut donc être remis, alors que demeure le péché véniel.

[17069] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Gregorius dicit, quod veniale peccatum obscurat mentem, sed mortale obtenebrat. Sed obscuritas non removetur nisi per lucem ; lux autem spiritualis est gratia, quae etiam mortale delet. Ergo non potest dimitti veniale sine dimissione mortalis.

Cependant, [1] Grégoire dit que le péché véniel obscurcit l’esprit, mais que le péché mortel le couvre de ténèbres. Or, l’obscurité n’est enlevée que par la lumière, mais la lumière spirituelle est la grâce, qui détruit même le péché mortel. Le péché véniel ne peut donc être enlevé sans que le péché mortel le soit.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17070] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod peccatum quodlibet debet remitti quantum ad duo : scilicet quantum ad culpam, et quantum ad reatum : et non potest esse secunda remissio sine prima ; quia quamdiu manet culpa, manet debitum poenae. Culpa autem in deordinatione voluntatis consistit ; unde non potest culpa tolli nisi reordinetur voluntas ; quod esse non potest quamdiu in ipsa deo rdinatione manet, alias essent duo opposita simul vera ; et ideo nullo modo veniale dimitti potest, quamdiu voluntas ad illud manet.

Tout péché doit être enlevé sous deux aspects : en tant que faute et en tant que dette, et la seconde ne peut être enlevée sans la première, car aussi longtemps que demeure la faute, demeure la peine due. Or, la faute consiste dans un désordre de la volonté. La faute ne peut donc être enlevée que par une remise en ordre de la volonté, ce qui ne peut être réalisée aussi longtemps qu’elle démeure dans le désordre même, autrement deux choses opposées seraient vraies en même temps. C’est pourquoi le péché véniel ne peut aucunement être enlevé, aussi longtemps que la volonté reste tournée vers lui.

[17071] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est ex defectu gratiae quin illud veniale in quo adhuc voluntas manet, remitti non possit ; sed ex defectu ejus cui remittendum est, in quo impedimentum remissionis invenitur.

1. Ce n’est pas à cause d’une carence de la grâce que le péché véniel ne peut être remis à celui qui continue d’en avoir la volonté, mais à cause d’une carence de celui à qui il doit être remis, chez qui se trouve un empêchement à la rémission.

[17072] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quodlibet peccatum mortale opponitur cuilibet quantumcumque parvae caritati ; non autem quodlibet veniale opponitur cuicumque fervori caritatis. Dicitur enim fervor caritatis per similitudinem, secundum quod ad exteriora quodammodo ebulliendo refunditur. Ex illa autem parte qua veniale committitur, caritatis fervor non apparet, sed aliquid praeter caritatem. Unde quamvis sit fervor caritatis quantum ad aliqua, potest tamen esse tepiditas quantum ad alia ; et sic non quilibet fervor opponitur cuilibet veniali ; unde non est similis comparatio peccati mortalis ad caritatem, et venialis ad fervOrem caritatis.

2.Tout péché mortel s’oppose à toute charité, aussi petite soit-elle ; mais tout péché véniel ne s’oppose pas à toute ferveur de la charité. En effet, on parle de ferveur de la charité par comparaison, selon qu’elle se déverse d’une certaine façon à l’extérieur par ébullition. Du point de vue où le péché véniel est commis, la ferveur de la charité ne se manifeste pas, mais quelque chose qui s’éloigne de la charité. Bien qu’existe une ferveur de la charité pour certaines choses, une tiédeur peut cependant exister pour d’autres choses. Ainsi, ce n’est pas n’importe quelle ferveur qui s’oppose à n’importe quel péché véniel. La comparaison entre le péché mortel et la charité n’est donc pas la même que celle du péché véniel avec la ferveur de la charité.

[17073] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas quae fuit fixa in aliquo, non removetur inde nisi per actualem dissensum, si illud memoriae occurrat, alias sufficit habitualis ; sicut etiam de mortalibus contingit quod oblita remittuntur.

3. La volonté qui s’est attachée à quelque chose n’en est écartée que par une opposition actuelle, si cela revient à la mémoire, autrement, une [opposition] habituelle suffit, comme c’est le cas pour les péchés mortels oubliés qui sont remis.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17074] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ea quae non habent connexionem ad invicem, unum potest auferri sine altero ; sed quae habent aliquo modo connexionem, unum non potest sine alio auferri. Peccata autem mortalia, quamvis non habeant connexionem ex parte conversionis, habent tamen connexionem ex parte aversionis, quia ab uno incommutabili bono avertunt : et ideo unum sine alio remitti non potest, cum remissio culpae magis respiciat per oppositum aversionem quam conversionem ; quia culpa remittitur secundum restitutionem ad illud a quo culpa separavit. Venialia autem non habent connexionem neque quantum ad conversionem neque quantum ad aversionem, quia in eis nulla est aversio a fine, etsi sit aliquis defectus in actu eorum quae expediunt ad finem ; et ideo potest unum veniale sine alio dimitti.

Pour les choses qui n’ont pas de connexion entre elles, l’une peut être enlevée sans l’autre ; mais pour les choses qui ont une certaine connexion, l’une ne peut être enlevée sans l’autre. Or, les péchés mortels, bien qu’ils n’aient pas de connexion du point de vue de la conversion, ont cependant une connexion du point de vue de l’aversion, car ils détournent du seul bien immuable. C’est pourquoi l’un ne peut être remis sans l’autre, puisque la rémission d’une faute concerne davantage l’aversion que la conversion par mode d’opposition, car la faute est remise le par retour à ce dont la faute a séparé. Mais les péchés véniels n’ont pas de connexion, ni pour ce qui est de la conversion, ni pour ce qui est de l’aversion, car il n’y a pas en eux d’aversion par rapport à la fin, même s’il existe une certaine carence dans l’acte de ce qui convient à la fin. Ainsi, un péché véniel peut être remis sans un autre.

[17075] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod remissio venialis non comparatur, proprie loquendo, sanationi : quia infirmitas, quae per sanationem curatur, destitutionem virtutis importat ; non autem est aliqua destitutio vel debilitatio virtutis spiritualis in culpa veniali, sed solum dispositio ad virtutis destitutionem ; et ideo ratio illa non est ad propositum.

1. À proprement parler, la rémission du péché véniel ne se compare pas à une guérison, car la maladie, qui disparaît par une guérison, comporte la perte de la vertu. Mais il n’y a pas d’affaiblissement de la vertu spirituelle dans la faute vénielle, mais seulement une disposition à la perte de la vertu. C’est pourquoi ce raisonnement ne porte pas sur la question en cause.

[17076] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum veniale non dicitur esse majoris adhaerentiae quam mortale quasi ex parte sua firmius in anima maneat ; sed ex parte nostra, quia peccata venialia non ita facile devitamus sicut mortalia, ad quae dimittenda ex necessitate obligamur.

2. On ne dit pas que le péché véniel adhère davantage que le péché mortel comme s’il demeurait plus fermement dans l’âme, mais, de notre point de vue, parce que nous n’évitons pas aussi facilement les péchés véniels que les péchés mortels, que nous sommes obligés d’écarter.

[17077] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum mortale ita Deo displicet, quod etiam facit ipsum peccantem Deo displicentem, inquantum pulchritudinem gratiae, quam Deus in ipso amat, aufert. Sed peccatum veniale quamvis Deo displiceat, quia inordinatum est, non tamen facit peccantem Deo displicentem : quia non aufertur claritas gratiae, sed quodammodo obnubilatur, inquantum ejus processus ad exteriora impeditur ; et ideo Gregorius dicit, quod peccatum veniale obscurat, sed mortale obtenebrat : et propter hoc, unum peccatum veniale non impedit quin aliud remitti possit, quamvis mortale unum impediat dimissionem alterius.

3. Le péché mortel déplaît à ce point à Dieu qu’il rend celui qui pèche dégoûtant pour Dieu, pour autant qu’il enlève la beauté de la grâce que Dieu aime en lui. Mais, bien qu’il déplaise à Dieu parce qu’il est désordonné, le péché véniel ne rend cependant pas le pécheur dégoûtant pour Dieu, car il n’enlève pas l’éclat de la grâce, mais il l’obscurcit d’une certaine manière, pour autant que sa manifestation extérieure est empêchée. C’est pourquoi Grégoire dit que le péché véniel obscurcit, mais le péché mortel couvre de ténèbres. Pour cette raison, un péché véniel n’empêche pas qu’un autre puisse être remis, bien qu’un péché mortel empêche la rémission d’un autre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17078] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod remoto priori removetur posterius, nec posterius restituitur nisi priori restituto : fervor autem caritatis, cui veniale opponitur, est posterior ipsa caritate ; unde quamdiu caritas non restituitur, nec fervor caritatis reparari potest ; in qua reparatione consistit venialis peccati dimissio, sicut etiam in reparatione caritatis dimissio mortalis ; et ideo non potest veniale dimitti ei cui mortale non dimittitur. Potest etiam ex parte remittentis ratio assignari : quia a Deo, qui solus peccata dimittit, peccatum mortale separat ; et ideo effectum ejus in remissione peccati venialis habens peccatum mortale non percipit ; sicut assignata est ratio ex parte ejus quo fit remissio, scilicet caritatis, quae universa delicta operit, Prov. 10, quam peccatum mortale tollit.

Une fois enlevé ce qui précède est enlevé ce qui suit, et ce qui suit n’est pas rétabli si ce qui précède n’est pas rétabli. Or, la ferveur de la charité, à laquelle s’oppose le péché véniel, suit la charité elle-même. Aussi longtemps que la charité n’est pas rétablie, la ferveur de la charité ne peut donc pas être restaurée, restauration dans laquelle consiste la rémission du péché véniel, comme la rémission du péché mortel consiste dans la restauration de la charité. C’est pourquoi le péché véniel ne peut être remis à celui à qui un péché mortel n’est pas remis. On peut aussi en donner la raison du point de vue de celui qui remet, car le péché mortel sépare de Dieu, qui seul remet les péchés. Ainsi, celui qui a un péché mortel ne reçoit pas son effet dans la rémission du péché véniel, de même qu’a été donnée la raison du point de vue de celui à qui a été accordée la restauration de la charité, qui couvre toutes les fautes, Pr 10, et que le péché mortel a enlevée.

[17079] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus nominat ibi venialia irregularitates quas secundum legem contrahebant.

1. Augustin appelle là des péchés véniels les irrégularités qu’ils encouraient selon la loi.

[17080] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veniale non avertit a Deo, neque caritatem tollit, sicut mortale ; et ideo non impedit dimissionem mortalis, sicut e contrario.

2. Le péché véniel ne détourne pas de Dieu et n’enlève pas la charité, comme le péché mortel. Aussi n’empêche-t-il pas la rémission du péché mortel, comme dans le cas contraire.

[17081] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena, etiam omnis, offensam non tollit, nisi ab eo in quem peccatum commissum est, acceptetur ; nec acceptari potest quamdiu inimicitia ad ipsum manet ; et ideo manente inimicitia hominis ad Deum per peccatum mortale, poena quantacumque veniale non purgat ; unde Isaiae 38, dominus dicit, non esse accepta jejunia eorum qui ad lites et contentionem jejunabant.

3. La peine, toute peine, n’enlève pas l’offense, à moins qu’elle ne soit acceptée par celui envers qui le péché a été commis, et elle ne peut être acceptée aussi longtemps que l'inimitié envers lui demeure. Si l’inimitié envers Dieu demeure par un péché mortel, la peine, aussi grande soit-elle, ne purifie donc pas du péché véniel. Aussi le Seigneur dit-il, en Is 38, que les jeûnes de ceux qui jeûnaient par rivalités et conflits ne sont pas agréés.

 

 

Articulus 2 [17082] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 tit. Utrum peccatum veniale possit dimitti sine infusione novae gratiae

Article 2 – Le péché véniel peut-il être remis sans l’infusion d’une nouvelle grâce ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le péché véniel peut-il être remis sans l’infusion d’une nouvelle grâce ?]

[17083] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod peccatum veniale non possit dimitti sine gratiae novae infusione. Peccatum enim veniale transiens actu, in anima manet reatu. Sed reatus fundatur super macula. Cum ergo macula non possit ab anima abstergi nisi per gratiam, sicut nec tenebra nisi per lucem, videtur quod veniale dimitti non possit sine gratiae infusione.

1. Il semble que le péché véniel ne puisse pas être remis sans l’infusion d’une nouvelle grâce. En effet, le péché véniel, transitoire par l’acte, demeure dans l’âme par la dette. Or, la culpabilité se fonde sur la souillure. Puisque l’âme ne peut être lavée de la souillure que par la grâce, pas plus que les ténèbres que par la lumière, il semble donc que le péché véniel ne puisse être remis sans infusion de la grâce.

[17084] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, veniale peccatum consistit in hoc quod minus amatur Deus quam debet. Sed minoratio ista non potest tolli nisi caritate augmentata, secundum cujus augmentum nova missio spiritus sancti attenditur, ut in 1 Lib., dist. 15, quaest. 5, art. 1, quaestiunc. 2, in corp., dictum est, et per consequens nova gratia. Ergo peccatum veniale sine gratiae infusione remitti non potest.

2. Le péché véniel consiste dans le fait que Dieu est moins aimé qu’il ne le doit. Or, cette diminution ne peut être enlevée que par une charité accrue, accroissement selon lequel une nouvelle mission de l’Esprit Saint est envisagée, comme on l’a dit dans le livre I, d. 15,q. 5, a. 1, qa 2, c., et, par conséquent, une nouvelle grâce. Le péché véniel ne peut donc être remis sans infusion de la grâce.

[17085] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, novae gratiae additio gratiam praeexistentem auget, si eam inveniat. Sed cum peccatum veniale gratiam non auferat ; si sine gratiae infusione dimitti non posset, oporteret quod quandocumque dimittitur veniale, gratiae gratia adderetur. Ergo semper homo post veniale rediret in majorem gratiam ; quod falsum est : quia tunc frequens iteratio venialium non disponeret ad mortale.

Cependant, l’ajout d’une nouvelle grâce accroît la grâce qui existe déjà, s’il en trouve.  Or, puisque le péché véniel n’enlève pas la grâce, s’il ne pouvait être remis sans infusion de la grâce, il faudrait que chaque fois qu’un péché véniel est remis, une grâce s’ajoute à la grâce. On reviendrait donc toujours à une grâce plus grande après le péché véniel, ce qui est faux, car alors la répétition fréquente de péchés véniels ne disposerait pas au péché mortel.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La grâce sans la contrition peut-elle remettre le péché véniel ?]

[17086] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia sine contritione possit peccatum veniale remittere. Quia, sicut dicit Gregorius, quod est aqua ad caminum, hoc est veniale ad fervorem caritatis. Sed fervor caritatis potest esse sine contritione : potest enim aliquis in Deum ferventer converti, et tamen de peccato non dolere, quod est conteri. Ergo peccatum veniale potest dimitti sine contritione.

1. Il semble que la grâce sans la contrition puisse remettre le péché véniel, car, ainsi que le dit Grégoire, « ce qu’est l’eau pour l’âtre, le péché l’est pour la ferveur de la charité ». Or, la ferveur de la charité peut exister sans la contrition : en effet, on peut se tourner vers  Dieu avec ferveur sans pour autant être attristé pour un péché, ce qu’est la contrition. Le péché véniel peut donc être remis sans la contrition.

 

[17087] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, contritio non solum importat dolorem de praeterito peccato, sed etiam propositum non peccandi de cetero. Sed alicui dimittitur veniale peccatum, qui non habet tale propositum : quia scit se sine peccato veniali praesentem vitam agere non posse. Ergo sine contritione peccatum veniale dimitti potest.

2. La contrition ne comporte pas seulement la douleur pour le péché passé, mais aussi le propos de ne plus pécher. Or, un péché véniel est remis à celui qui n’a pas une telle intention, car il sait qu’il ne peut traverser la vie présente sans péchés véniels. Le péché véniel peut donc être remis sans la contrition.

[17088] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, aliquis in peccato veniali existens, potest dormiens mori, et taliter quod statim evolet ; puta si propter fidem prius confessam constanter occidatur. Sed dum dormit, conteri non potest. Ergo cum ei peccatum veniale dimittatur, videtur quod possit sine contritione peccatum veniale dimitti.

3. Celui qui se trouve dans le péché véniel peut mourir dans son sommeil, et de telle sorte qu’il s’envole aussitòt, par exemple, s’il est tué pour avoir confessé antérieurement la foi avec fermeté. Or, pendant qu’il dort, il ne peut être contrit. Puisque le péché véniel lui est remis, il semble donc que le péché véniel puisse être remis sans la contrition.

[17089] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, si gratia sine aliquo adjuncto peccatum veniale remittere posset, gratia secum veniale non compateretur. Sed compatitur secum veniale. Ergo oportet aliquem motum contritionis advenire ad peccati venialis dimissionem.

Cependant, si la grâce pouvait remettre le péché véniel sans y rien ajouter, la grâce ne serait pas compatible avec le péché véniel. Or, la grâce est compatible avec le péché véniel. Il faut donc qu’un mouvement de contrition survienne pour la rémission du péché véniel.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-on obligé de confesser un péché véniel ?]

[17090] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod de peccato veniali teneatur homo etiam confiteri. Jacob. 5, 16 : confitemini alterutrum peccata vestra ; in quo praeceptum confessionis datur, ut in littera dicitur. Sed secundum Glossam loquitur de confessione venialium et mortalium ; quia dicit quod majora solis sacerdotibus, sed leviora sociis confiteri possumus. Ergo tenemur confiteri venialia.

1. Il semble qu’on soit obligé de se confesser d’un péché véniel. Jc 5, 16 : Confessez-vous les uns aux autres vos péchés : le commandement de se confesser est ainsi donné, comme le dit le texte. Or, selon la Glose, on parle de la confession des péchés véniels et mortels, car il dit que nous pouvons confesser nos plus grands [péchés] aux seuls prêtres, mais les plus légers, à nos compagnons. Nous sommes donc obligés de confesser les péchés véniels.

[17091] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, de venialibus tenetur homo satisfacere : quia satisfacere est actus justitiae : ad justitiae autem actum tenemur. Sed satisfactio debet esse secundum arbitrium sacerdotis, qui vicem Dei obtinet ; quod esse non potest nisi confessione praecedente. Ergo de venialibus homo confiteri tenetur.

2. On est obligé de satisfaire pour les péchés véniels, car satisfaire est un acte de justice, et nous sommes obligés à un acte de justice. Or, la satisfaction doit être accomplie selon le jugement du prêtre, qui tient la place de Dieu, ce qui ne peut être le cas sans une confession qui précède. On est donc obligé de confesser les péchés véniels.

[17092] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, praeceptum Ecclesiae est ut homo semel in anno saltem confiteatur. Sed aliquis est qui non habet nisi venialia. Ergo tenetur illa confiteri.

3. Un commandement de l’Église veut qu’on se confesse au moins une fois par année. Or, il y en a qui n’ont que des péchés véniels. On est donc tenu de les confesser.

[17093] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus tenetur ad impossibile. Sed confiteri omnia venialia est impossibile, cum cognitionem nostram effugiant. Ergo non tenemur illa confiteri.

Cependant, personne n’est tenu à l’impossible. Or, confesser tous ses péchés véniels est impossible, puisqu’ils échappent à notre connaissance. Nous ne sommes donc pas obligés de les confesser.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le péché véniel peut-il être remis par la bénédiction épiscopale, l’eau bénite et les choses de ce genre ?]

[17094] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per benedictionem episcopalem, aquam benedictam, et hujusmodi, peccatum veniale remitti non possit. Quia ex eisdem causis aliquid fit et corrumpitur, ut dicitur in 2 Ethic. Sed peccatum veniale causatur ex actu nostro. Ergo oportet quod aliquid in nobis sit per quod dimittatur ; et ita, cum ista sint extra, per ea peccatum veniale dimitti non potest.

1. Il semble que le péché véniel ne puisse être remis par la bénédiction épiscopale, l’eau bénite et les choses de ce genre, car quelque chose est fait et se corrompt pour les mêmes causes, comme on le dit dans Éthique, II. Or, le péché véniel est causé par notre acte. Il faut donc qu’existe en nous quelque chose par quoi il est enlevé, et ainsi, puisque ces choses sont extérieures, le péché véniel ne peut être enlevé par elles.

[17095] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, peccatum veniale, ut dictum est, non dimittitur sine contritione. Sed ipsa contritio per se sufficit ad dimissionem. Ergo praedicta nihil operantur ad dimissionem.

2. Comme on l’a dit, le péché véniel n’est pas remis sans la contrition. Or, la contrition elle-même suffit pour la rémission. Les choses mentionnées ne font donc rien pour la rémission.

[17096] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, praedicta omnia aequalem habent habitudinem ad omnia peccata venialia. Si ergo per ea aliquod veniale dimittitur, omnia dimittuntur ; et sic frequentissime homo esset sine veniali ; quod non videtur verum.

3. Toutes les choses mentionnées ont un rapport égal avec tous les péchés véniels. Si donc un péché véniel est remis par elles, tous seront remis, et ainsi on serait très souvent sans péché véniel, ce qui ne semble pas être vrai.

[17097] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod communiter dicitur, quod multa sunt remedia contra venialia peccata ; scilicet tunsio pectoris, aspersio aquae benedictae, unctio extrema, et omnis sacramentalis unctio ; benedictio episcopi, panis benedictus, generalis confessio, compassio alieni delicti, dimissio, Eucharistia, oratio dominica, et alia quaecumque levis poenitentia.

Cependant, on dit généralement qu’il existe de nombreux remèdes contre les péchés véniels : se frapper la poitrine, l’aspersion d’eau bénite, l’extrême-onction et toute onction sacramentelle, la bénédiction épiscopale, le pain bénit, une confession générale, la compassion pour une faute d’autrui, la remise [des péchés], l’eucharistie, la prière du Seigneur et toute autre pénitence légère.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17098] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod homo in peccato mortali a Deo avertitur, sibi alium finem constituens : et ideo lumen gratiae amittit, sicut et lumen solis qui visum a sole avertit ; et propter hoc non potest peccatum mortale remitti nisi per gratiae infusionem. Sed homo per peccatum veniale non adhaeret commutabili bono quasi fini ; et ideo non avertitur a fine, quod est incommutabile bonum ; unde per veniale homo gratiam non amittit ; et ideo non oportet quod ad hoc quod remittatur veniale, gratia aliqua infundatur de novo ; sed sufficit quod gratia quae jam habetur, in actum prodeat : quia ipsum veniale non tollebat habitum, sed solummodo impediebat virtutis actum.

L’homme en état de péché mortel s’est détourné de Dieu en se donnant une autre fin. Il perd ainsi la lumière de la grâce, comme celui qui se détourne du soleil après avoir vu la lumière du soleil. Pour cette raison, le péché mortel ne peut être remis que par une infusion de la grâce. Or, par le péché véniel, l’homme n’adhère pas à un bien changeant comme à sa fin ; c’est pourquoi il ne se détourne pas de sa fin, qui est le bien immuable. Aussi, par le péché véniel, l’homme ne perd-il pas la grâce ; il n’est donc pas nécessaire qu’une grâce soit infusée de nouveau pour que le péché véniel soit remis, mais il suffit que la grâce qu’il a déjà passe à l’acte, car le péché véniel n’enlevait pas l’habitus lui-même, mais empêchait seulement l’acte de vertu.

[17099] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod macula potest esse dupliciter. Uno modo per privationem pulchritudinis : et sic in veniali non manet aliqua macula, quia gratiam non tollit, quae est animae decor. Alio modo per hoc quod pulchritudo quae est gratiae, impeditur ne exterius appareat, sicut per pulverem pulchritudo faciei foedatur ; et talis macula est in veniali, quia impeditur decor gratiae ne in actibus exterius ostendatur : unde non oportet quod talis macula per infusionem gratiae tollatur, sed per actum qui gratiae impedimentum tollat.

1. La souillure peut exister de deux manières. D’une manière, par la privation de la beauté : une souillure ne demeure pas de cette manière en raison du péché véniel, car il n’enlève pas la grâce, qui est la beauté de l’âme. D’une autre manière, par le fait que la beauté qu’est la grâce est empêchée de paraître à l’extérieur, comme la beauté du visage est salie par la poussière. Une telle souillure existe dans le péché véniel, car la beauté de la grâce est empêchée de se manifester dans les actes extérieurs. Il n’est donc pas nécessaire qu’une telle souillure soit enlevée par l’infusion de la grâce, mais par un acte qui enlève l’empêchement à la grâce.

[17100] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veniale peccatum non consistit in hoc quod homo minus amet Deum in habitu : quia veniale non diminuit caritatem ; alias eam quandoque totaliter tolleret : sed in hoc quod amor Dei non ostenditur in omnibus actibus hominis, aliqua deordinatione in eis existente.

2. Le péché véniel ne consiste pas dans le fait pour l’homme de moins aimer Dieu par habitus, car le péché véniel de diminue pas la charité ; autrement, il l’enlèverait totalement ; mais il consiste dans le fait que l’amour de Dieu n’est pas manifesté dans tous les actes de l’homme par un certain désordre qui se trouve en eux.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17101] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod peccatum veniale non dimittitur, ut dictum est, quamdiu voluntas manet in illo. Ipsam autem recedere voluntatem ab eo quod quis prius volebat, est displicere ei quod voluit. Talis autem displicentia dolor contritionis dicitur, quando est gratia informata ; et ideo peccatum veniale sine contritione non dimittitur. Sed sciendum, quod contritio potest accipi tripliciter : vel actu, vel habitu, vel medio modo. Habitu quidem contritio existens non sufficit ad peccati venialis dimissionem : quia tunc quicumque haberet poenitentiae virtutis habitum, cujus actus est quaelibet contritio, consecutus esset peccati venialis dimissionem ; et sic peccatum veniale cum gratia esse non posset. Nec iterum requiritur quod semper sit actualis contritio ; quia sequeretur quod peccatum quod quis in memoria vel in cognitione non habet, remitti non posset. Et ideo dicendum, quod requiritur contritio medio modo, quia scilicet etsi actu peccatum non displiceat explicite, displicet tamen implicite : quia ex virtute actus quem agit, sequeretur displicentia explicita peccati venialis, si cogitatio ad illud ferretur.

Comme on l’a dit, le péché véniel n’est pas enlevé aussi longtemps que la volonté y demeure. Or, détourner sa volonté de ce qu’on voulait antérieurement, c’est trouver un déplaisir à ce qu’on a voulu. On appelle un tel déplaisir la douleur de la contrition, lorsqu’elle reçoit forme de la grâce. C’est pourquoi le péché véniel n’est pas remis sans la contrition. Mais il faut savoir qu’on peut parler de contrition de trois manières : en acte, en habitus et sous une forme intermédiaire. La contrition qui existe en habitus ne suffit pas à écarter le péché véniel, car alors tous ceux qui auraient l’habitus de la vertu de pénitence, dont la contrition est un acte, auraient obtenu la rémission du péché véniel ; ainsi, le péché véniel ne pourrait exister avec la grâce. Il n’est pas non plus nécessaire qu’existe toujours un contrition en acte, car il en découlerait que le péché dont on n’a pas souvenir ou connaissance ne pourrait être remis. C’est pourquoi il faut dire que la contrition est nécessaire d’une manière intermédiaire, car même si le péché ne déplaît pas en acte d’une manière explicite, il déplaît cependant de manière implicite. En effet, en vertu de l’acte qu’il pose, il en découlerait un déplaisir explicite du péché véniel, si la pensée se portait sur lui.

[17102] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis fervor caritatis possit esse dum homo in Deum fertur motu caritatis, sine hoc quod actu de peccato veniali cogitet explicite ; tamen in illo motu implicite continetur displicentia venialis peccati, vel unius, vel omnium ; quia si ferventer in Deum fertur, displicet ei omne quod a Deo retardat ; unde potest esse tam fervens motus caritatis in Deum quod omnia peccata venialia consumat etiam sine actuali cognitione ipsorum.

1. Bien que la ferveur de la charité puisse exister alors que l’homme est porté vers Dieu par un mouvement de charité, sans qu’il pense en acte de manière explicite au péché véniel, le déplaisir du péché véniel y est cependant contenu implicitement, qu’il s’agisse d’un ou de plusieurs [péchés], car s’il est porté vers Dieu avec ferveur, tout ce qui éloigne de Dieu lui déplaît. Il peut donc exister un mouvement si intense de charité envers Dieu que, sans les connaître de manière actuelle, il consume tous les péchés véniels.

[17103] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccata mortalia sunt in potestate nostra, ut vitentur non solum singula, sed etiam omnia ; venialia autem, etsi singula vitari possint, non tamen omnia ; quod ex infirmitate naturae contingit : et ideo in contritione de venialibus non exigitur propositum non peccandi venialiter, sicut in contritione de mortali exigebatur ; sed quod displiceat ei et peccatum praeteritum, et infirmitas qua ad peccatum veniale inclinatur, quamvis ab eo omnino immunis esse non possit.

2. Il est en notre pouvoir d’éviter les péchés mortels, non seulement pris un à un, mais aussi tous ensemble. Mais tous les péchés véniels ne peuvent pas être évités, même si chacun peut être évité, ce qui vient de la faiblesse de la nature. C’est pourquoi, dans la contrition pour les péchés véniels, l’intention de ne plus pécher de manière vénielle n’est pas exigée, comme elle était exigée pour la contrition pour le péché mortel, mais [il est exigé] que lui déplaisent le péché passé et la faiblesse par laquelle il est incliné au péché véniel, bien qu’il ne puisse en être totalement exempt.

[17104] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod passio pro Christo suscepta vim Baptismi obtinet, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 3, art. 3, quaestiunc. 3 ; et ideo purgat ab omni veniali et mortali, nisi actualiter voluntatem renitentem invenerit : et propter hoc illud peccatum veniale quod forte etiam post confessionem frequenter incurrit, non tardat ipsum quin evolet, et praecipue cum ipsa poena martyrii habeat vim purgandi. De aliis autem qui moriuntur dormientes, dicendum, quod dimittitur eis illud veniale etiam quantum ad culpam post mortem.

3. La passion subie à cause du Christ a la puissance du baptême, comme on l’a dit plus haut, d. 4, q. 3, a. 3, qa 3. Elle purifie donc de tout péché véniel et mortel, à moins qu’elle ne rencontre une volonté qui s’y oppose. Pour cette raison, le péché véniel, éventuellement encouru de manière fréquente après la confession, ne le retient pas de prendre son envol, surtout que la peine même du martyre a la capacité de purifier. Quant à ceux qui meurent pendant leur sommeil, il faut dire que, pour ce qui est de la faute, ce péché mortel leur est aussi remis après la mort.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17105] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod confessio ad hoc necessaria est ut poenitens satisfactionem accipiat secundum modum delicti. Peccato autem veniali non debetur poena satisfactoria taxata, quia poena illa esset proportionata poenae peccati mortalis, a qua peccatum veniale in infinitum distat ; unde per solam contritionem interiorem peccatum veniale remitti potest. Et quod aliqua satisfactio exterius injungitur, hoc est magis ad devotionem excitandum vel contritionem, quam ad satisfaciendum ; et ideo ad confessionem venialium non tenemur neque necessitate absoluta : quia sic nec de eis poenitere, nec ea vitare tenemur : nec etiam necessitate quae est ex suppositione finis, scilicet remissionis eorum : quia etiam sine confessione vel actu, vel proposito existente possunt venialia remitti ; tamen perfectionis est ea confiteri.

La confession est nécessaire pour que le pénitent reçoive une satisfaction à la mesure de sa faute. Or, pour le péché véniel, une peine satisfactoire déterminée n’est pas due, car cette peine serait proportionnée à la peine pour le péché mortel, dont le péché véniel est infiniment éloigné. Le péché véniel peut donc être remis par la seule contrition intérieure. Si une satisfaction extérieure est imposée, c’est davantage pour stimuler la dévotion ou la contrition que pour satisfaire. Ainsi, nous ne sommes pas tenus à la confession des péchés véniels ni par une nécessité absolue (parce que nous ne sommes tenus ainsi ni de nous en repentir ni de les éviter), ni par une nécessité venant de la supposition d’une fin, à savoir, leur rémission (car les péchés véniels peuvent être remis aussi sans confession ou sans qu’on pose un acte ou qu’on ait l’intention [de ne plus les commettre]). Il relève cependant de la perfection de les confesser.

[17106] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Jacobi quantum ad peccata mortalia est praeceptum ; sed quantum ad venialia est consilium.

1. Cette parole de Jacques est un commandement concernant les péchés mortels, mais elle est un conseil pour les péchés véniels.

[17107] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit ex falsa suppositione, ut ex dictis patet.

2. Ce raisonnement vient d’une fausse supposition, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[17108] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in casu illo, propter praeceptum Ecclesiae, dicunt aliqui quod tenetur homo venialia confiteri. Alii vero dicunt, quod sufficit quod se repraesentet sacerdoti, et se immunem a peccato mortali ostendat, ut ad communionem admitti possit. Praeceptum enim Ecclesiae est ad obligandum illos qui habent aliqua quae confiteri debeant : cadit enim sub praecepto magis taxatio temporis quam ipse confessionis actus ; unde si alicui per gratiam collatum esset ut a peccato veniali immunis esset, sicut beatae virgini est collatum, non teneretur ad illud praeceptum.

3. Dans ce cas, en raison d’un commandement de l’Église, certains disent qu’on est tenu de confesser les péchés véniels. Mais d’autres disent qu’il suffit de se présenter au prêtre et de se montrer exempt de péché mortel afin de pouvoir être admis à la communion. En effet, le commandement de l’Église vise à obliger ceux qui ont certaines choses qu’ils doivent confesser, car la détermination du temps est davantage soumis au commandement que l’acte même de la confession. Si donc il avait été donné par grâce à quelqu,un d’être exempt de péché véniel, comme cela a été donné à la bienheureuse Vierge, il ne serait pas obligé par ce commandement.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17109] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut dictum est, veniale peccatum dimittitur per fervorem caritatis, qui explicite vel implicite contritionem contineat ; et ideo illa quae nata sunt de se excitare fervorem caritatis, peccata venialia dimittere dicuntur : hujusmodi autem sunt quae gratiam conferunt, sicut omnia sacramenta, et quibus impedimenta fervoris et gratiae auferuntur, sicut aqua benedicta, quae virtutem inimici reprimit, et episcopalis benedictio, vel etiam exercitium humilitatis ex parte nostra ; sicut tunsio pectoris, et oratio dominicalis, et hujusmodi.

Comme on l’a dit, le péché véniel est remis par la ferveur de la charité, qui contient explicitement ou implicitement la contrition. C’est pourquoi on dit que ce qui, par sa nature, est destiné à stimuler la ferveur de la charité remet les péchés véniels. En font partie ce qui confère la grâce, comme tous les sacrements, et ce par quoi les obstacles à la ferveur et à la grâce sont enlevés, comme l’eau bénite, qui repousse la puissance de l’Ennemi, la bénédiction épiscopale, ou même la pratique de l’humilité de notre part, comme le fait de se frapper la poitrine, la prière du Seigneur et les choses de ce genre.

[17110] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus noster requiritur ad dimissionem venialis ; sed ista dicuntur peccatum veniale remittere, inquantum in actum, nostrum fervorem excitant.

1. Un acte de notre part est nécessaire pour la rémission du péché véniel. Mais on dit que ces choses remettent le péché véniel pour autant qu’elles stimulent notre ferveur en vue d’un acte.

[17111] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ista sine contritione non delent peccatum veniale ; sed dicuntur delere, inquantum contritionem causant.

2. Ces choses ne détruisent pas le péché véniel sans la contrition, mais on dit qu’elles le détruisent pour autant qu’elles causent la contrition.

[17112] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quantitatem fervoris est quantitas remissionis ; et ideo secundum quod per ista major vel minor concitatur, qui de pluribus vel paucioribus, implicite ad minus, contritionem contineat, secundum hoc plura vel pauciora venialia dimittuntur, et non omnia semper.

3. L’étendue de la rémission est proportionnelle à l’étendue de la ferveur. Selon que, par ces choses, une plus ou moins grande [ferveur] est stimulée, qui contient au moins implicitement la contrition pour un nombre plus ou moins grand [de péchés], un nombre plus ou moins grand de péchés véniels est remis, et non pas toujours tous.

Quaestio 3

Question 3 – [Les circonstances du péché]

 

 

Prooemium

Prologue

[17113] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 pr. Deinde quaeritur de circumstantiis peccati : et circa hoc quaeruntur duo : 1 de ipsis circumstantiis secundum se ; 2 qualiter se habeant ad peccatum.

 

On s’interroge ensuite sur les circonstances du péché. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Sur les circonstances en elles-mêmes ; 2 – Sur leur rapport avec le péché.

 

 

Articulus 1 [17114] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 tit. Utrum circumstantia sit proprietas moralis actus sive ejus conditio

Article 1 – La circonstance est-elle une propriété ou une condition de l’acte moral ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La circonstance est-elle une propriété ou une condition de l’acte moral ?]

[17115] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod circumstantia non sit proprietas moralis actus, sive ejus conditio. Dicit enim Boetius in 4 Topicor., quod circumstantiae sunt quae convenientes substantiam rhetoricae quaestionis efficiunt. Sed quaestio rhetorica non pertinet ad genus morale, sed magis ad genus philosophiae rationalis. Ergo circumstantia non est conditio moralis actus.

1. Il semble que la circonstance ne soit pas une propriété ou une condition de l’acte moral. En effet, dans les Topiques, IV, Boèce dit que les circonstances sont celles qui conviennent à la substance d’une question rhétorique. Or, une question rhétorique ne se rapporte pas au genre moral, mais plutôt au genre de la philosophie rationnelle. La circonstance n’est donc pas une condition de l’acte moral.

 

 

[17117] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ipsi actus morales sunt circumstantiae quaedam, a quibus confirmatur oratio rhetoris : est enim circumstantia, secundum Tullium, per quam recipit argumentatio fidem et auctoritatem, et firmamentum adjungit oratio. Sed circumstantiae non est circumstantia, sicut nec accidentis accidens ; alias in infinitum iretur. Ergo circumstantia non est conditio vel proprietas moralis actus.

2. Les actes moraux eux-mêmes sont des circonstances par lesquelles le discours du rhéteur est confirmé. En effet, selon Tullius [Cicéron], c’est par la circonstance que l’argumentation reçoit crédibilité et autorité et que le discours y ajoute un appui. Or, il n’y a pas de circonstance d’une circonstance, comme il n’y a pas d’accident d’un accident, autrement on irait à l’infini. La circonstance n’est donc pas une condition ou une propriété de l’acte moral.

[17118] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ignorantia circumstantiae excusat moralem actum a peccato. Sed hoc non esset, nisi essent moralis actus conditiones. Ergo sunt conditiones vel proprietates moralis actus.

Cependant, [1] l’ignorance d’une circonstance excuse un acte moral d’être un péché. Or, ce ne serait pas le cas si elles étaient des conditions de l’acte moral. Elles sont donc des conditions ou des propriétés de l’acte moral.

[17119] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, medium virtutis ad morale genus pertinet. Sed medium in virtutibus moralibus accipitur secundum circumstantiarum debitam limitationem, ut quando oportet, et ubi, et quomodo, sicut philosophus 3 Ethic. docet. Ergo sunt conditiones morales.

[2] Le milieu de la vertu a un rapport au genre moral. Or, le milieu dans les vertus morales se conçoit selon la limite appropriée de circonstances, à savoir, quand, où, comment, comme l’enseigne le Philosophe dans Éthique, III. Elles sont donc des condition morales.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les circonstances sont-elles énumérées correctement dans ce vers : « Qui, quoi, où, avec l’aide de qui, pourquoi, comment, quand ? »]

[17120] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter enumerentur circumstantiae in hoc versu : quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando. Illud enim quod est causa rei, non potest esse circumstantia ejus, cum causa sit prior circumstantia posterior quasi proprietas. Sed persona agens quae notatur cum dicitur quis, est causa moralis actus. Ergo non debet poni circumstantia.

1. Il semble que les circonstances ne soient pas énumérées correctement dans ce vers : « Qui, quoi, où, avec l’aide de qui, pourquoi, comment, quand ?» En effet, ce qui est cause d’une chose ne peut en être une circonstance, puisque la cause est antérieure et la circons_tance, postérieure en tant que propriété. Or, la personne qui agit, ce qui est désigné par « qui ?», est la cause de l’acte moral. Elle ne doit donc pas être donnée comme une circonstance.

[17121] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, non potest idem esse circumstantia sui ipsius. Sed quid importat substantiam actus moralis, cujus circumstantiae quaeruntur. Ergo non debet inter circumstantias computari.

2. Une même chose ne peut pas être une circonstance d’elle-même. Or, « quoi ?» comporte la substance de l’acte moral dont les circonstances sont recherchées. Il ne doit pas être mis parmi les circonstances.

[17122] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, non est idem circumstantia rei et quod dat rei speciem, quia illud est rei intraneum. Sed moralia recipiunt speciem a fine ; unde Ambrosius : intentio operi tuo nomen imponit. Ergo cur, quod finem importat, non debet dici circumstantia.

3. Une circonstance d’une chose et ce qui donne à la chose son espèce ne sont pas la même chose, car ceci est intrinsèque à la chose. Or, les réalités morales reçoivent leur espèce de la fin ; aussi Ambroise dit-il : « L’intention donne son nom à ton acte. » « Pourquoi ?», qui indique la fin, ne doit donc pas être appelé une circonstance.

[17123] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod continet alia, non debet aliis connumerari. Sed in modo comprehenduntur omnes aliae circumstantiae. Ergo non debet poni quomodo inter alias circumstantias.

4. Ce qui contient d’autres choes ne doit pas être compté avec les autres choses. Or, toutes les autres circonstances sont somprises dans le mode. « Comment ?» ne doit donc pas être compté parmi les autres circonstances.

[17124] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 5 Sed contra, videtur quod sint plures circumstantiae. Philosophus enim in 3 Ethic., ponit circa quid, et quo instrumento. Haec autem hoc versu non continentur. Ergo videtur quod insufficienter enumeratae sint.

5. Il semble qu’il existe d’autres circonstances. En effet, dans Éthique, III, le Philosophe indique « à propos de quoi ?»  et « par quel instrument ?». Or, celles-ci ne sont pas contenues dans ce vers. Il semble donc qu’elles aient été énumérées de manière insuffisante.

[17125] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 6 Praeterea, circumstantiae propter hoc vocantur, quia secundum eas variatur medium virtutis. Sed secundum quantum et quoties, variatur medium virtutis. Ergo sunt circumstantiae. Cum ergo non contineantur praedicto versu, videtur quod insufficienter enumerentur.

6. On parle de circonstances parce que le milieu de la vertu varie selon elles. Or, le milieu de la vertu varie selon le nombre et la répétition. Ce sont donc des circonstances. Puisqu’elles ne sont pas contenues dans le vers rappelé, il semble donc qu’elles aient été énumérées de manière insuffisante.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les circonstances indiquées par Augustin dans le texte sont-elles présentées correctement ?]

[17126] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circumstantiae quae in littera ab Augustino dicuntur, inconvenienter ponantur. Circumstantia enim, ut dictum est, est conditio moralis actus. Sed quod diu aliquis in peccato perseveret, magis respicit peccantis statum quam actum. Ergo non debet circumstantia dici.

1. Il semble que les circonstances qui sont indiquées par Augustin dans le texte y soient mises de manière incorrecte. En effet, comme on l’a dit, la circonstance est une condition de l’acte moral. Or, le fait que quelqu’un persévère longtemps dans le péché concerne davantage l’état de celui qui pèche que l’acte. On ne doit donc pas l’appeler une circonstance.

[17127] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, impugnatio vel tentatio praecedens quandoque non est in potestate nostra, quando scilicet tentatio est ab hoste. Sed circumstantiae, cum sint conditiones moralis actus, sunt in potestate nostra, ut videtur. Ergo non debet inter circumstantias poni, quanta tentatione aliquis ceciderit.

2. Parfois, l’assaut ou la tentation n’est pas en notre pouvoir, lorsqu’elle est une tentation par l’Ennemi. Or, puisqu’elles sont des conditions de l’acte moral, les circonstances sont en notre pouvoir, semble-t-il. On ne doit donc pas considérer comme une circonstance la force de la tentation par laquelle quelqu’un est tombé.

[17128] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, poena consequens peccatum non est circumstantia peccati. Sed amissio virtutum est poena damni ex peccato consequentis. Ergo non debet poni inter circumstantias.

3. La peine qui découle du péché n’est pas une circonstance du péché. Or, la perte des vertus est la peine du dam découlant du péché. Elle ne doit donc pas être placée parmi les circonstances.

[17129] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, unum peccatum non est circumstantia alterius. Sed ingratitudo est per se peccatum. Ergo non debet poni ut circumstantia peccati.

4. Un péché n’est pas la circonstance d’un autre. Or, l’ingratitude est en soi un péché. Elle ne doit donc pas être mise comme circonstance d’un péché.

[17130] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, illae circumstantiae nec a philosopho ponuntur in 3 Ethic., nec a Tullio in Rhet., nec a Boetio in 4 Topic. Ergo videtur quod inconvenienter ponantur ab Augustino.

5. Ces circonstances ne sont indiquées ni par le Philosophe dans Éthique, III, ni par Tullius [Cicéron] dans la Rhétorique, ni par Boèce dans les Topiques, IV. Il semble donc qu’elles soient données de manière incorrecte par Augustin.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17131] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod actus nostri dicuntur morales secundum quod a ratione ordinantur in finem voluntatis ; ex hoc enim habent rationem boni vel mali. Omne autem quod ordinatur ad finem, oportet esse proportionatum fini ; et ideo ratio quae actum nostrum in finem ordinat, attendit proportionem actus ad ea quae ad actum concurrere possunt ; et ista commensuratio circumstantia dicitur. Et quia in qualibet proportione oportet esse ad minus duos terminos (nihil enim sibi ipsi proportionatur, sed alteri) ; ideo circumstantia moralis actus dupliciter accipi consuevit : quia potest dici circumstantia, vel illud quod est ad actum concurrens ad quem proportionatur, sicut locus aut tempus ; vel ipsa conceptio quae ex illis relinquitur, ut quando vel ubi. Sic ergo ultimo modo accipiendo circumstantiam, erit conditio vel proprietas actus ; sed primo modo accipiendo, quaedam circumstantia est proprietas actus, ut modus agendi, et quaedam extra, ut locus et tempus.

Nos actes sont appelés moraux selon qu’ils sont ordonnés par la raison vers la fin de la volonté : en effet, de là leur vient le caractère de bien ou de mal. Or, tout ce qui est ordonné à une fin doit être proportionné à cette fin. C’est pourquoi la raison qui ordonne notre acte à la fin considère la proportion entre l’acte et ce qui peut concourir à l’acte. Cette évaluation est appelée « circonstance ». Et parce qu’en toute proportion doivent exister au moins deux termes (en effet, rien n’est proportionné par rapport à soi-même, mais par rapport à autre chose), on a coutume de concevoir la circonstance de l’acte moral de deux manières. En effet, on peut appeler circonstance soit ce qui concourt à l’acte auquel cela est proportionné, comme le lieu ou le temps, soit la conception elle-même qui en vient, comme [ce qui répond] aux questions « quand ?» ou « où ?. En prenant la circonstance dans le dernier sens, elle sera une condition ou une propriété de l’acte ; mais, en la prenant dans le premier sens, une certaine circonstance est une propriété de l’acte, comme la manière d’agir, et une autre est extérieure [à] l’acte, comme le lieu et le temps.

[17132] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaestio rhetoris secundum quodlibet genus causae attendit bonum et malum : quia in judiciali praemium vel poena expectatur, quae actui bono vel malo debentur ; in demonstrativo autem laus personae vel vituperium quaeritur, quae bonis actibus vel malis debentur ; in deliberativo autem quaeritur quid sit utile ad agendum ; in quo et rationem boni et mali attendere oportet ; et ideo ex eisdem ex quibus actus morales boni et mali redduntur, rhetores argumenta sumunt ad persuadendum.

1. La question du rhéteur, selon tous les genres de causes, concerne le bien et le mal, car, en matière judiciaire, on attend une récompense ou une peine dues pour un acte bon ou mauvais. Mais, en matière démonstrative, on recherche la louange ou le blâme d’une personne, qui sont dus pour des actes bons ou mauvais. En matière délibérative, on recherche ce qu’on peut faire d’utile, en quoi il faut rechercher le caractère de bien et de mal. C’est pourquoi les rhéteurs tirent des arguments pour persuader des mêmes choses par lesquelles les actes moraux sont rendus bons ou mauvais.

[17133] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa aliquid dicitur stare omne illud quod non est de essentia rei, sive insit, sicut albedo corpori, sive non insit, sicut locus locato ; et ideo conditiones vel proprietates circumstantiae actus dici possunt, et praecipue ratione habitudinis ad exterius.

2. On dit que tout ce qui ne fait pas partie de l’essence d’une chose, que cela lui soit intrinsèque, comme la blancheur pour un corps, ou que cela ne lui soit pas intrinsèque, comme le lieu pour ce qui est dans un lieu, entoure cette chose [circa aliquid]. C’est pourquoi on peut parler des conditions ou des propriétés d’un acte, surtout en raison du rapport avec ce qui est extérieur.

[17134] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentis non est accidens, quasi ipsum sit per seipsum accidentis subjectum ; sed accidentis potest esse accidens inquantum unum accidens adhaeret substantiae mediante alio, sicut color corpori mediante superficie ; et sic etiam ipsius actus circumstantia, vel proprietas aliqua, quamvis ipse sit conditio personae agentis.

3. Il n’y a pas d’accident d’un accident pour autant que celui-ci est par lui-même sujet d’un accident ; mais il peut y avoir un accident d’un accident pour autant qu’un accident adhère à la substance par l’intermédiaire de quelque chose d’autre, comme la couleur adhère au corps par l’intermédiaire de la surface. [Ce peut être ainsi le cas pour] une circonstance ou une propriété d’un acte, bien que ce soit une condition de la personne qui agit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17135] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod versus ille distinguit circumstantias secundum assignationem Tullii et Boetii, secundum quod a rhetore considerantur, qui ex eis argumenta sumit ad excusandum vel accusandum. Sumitur enim argumentum rhetoricum vel ex eo quod est attributum personae ; et sic est quis : vel ex eo quod est attributum negotio de quo agitur ; et hoc vel continetur cum ipso negotio, et sic est quid quantum ad substantiam facti exterius, cur quantum ad intentionem facientis interius : vel in ipsa prosecutione negotii continetur ; et sic sunt quatuor ; scilicet quomodo quantum ad qualitatem actus, ubi et quando quantum ad mensuram, quibus auxiliis quantum ad instrumenta. Secundum autem quod ad moralem pertinent, potest aliter earum numerus accipi. Proportio enim actus ad finem potest accipi vel secundum id quod est in ipso actu, vel secundum id quod extra. Si primo modo : aut quantum ad speciem actus, et sic est quid ; aut quantum ad modum ipsius ; et sic est quomodo. Si autem per comparationem ad extra ; vel per comparationem ad causam, vel per comparationem ad mensuram. Si primo modo : vel ad causam finalem, et sic est cur ; vel ad causam efficientem vel instrumentalem, et sic est quibus auxiliis ; vel principalem, et sic est quis. Si autem per comparationem ad mensuram ; aut ad locum, et sic est ubi ; aut ad tempus, et sic est quando.

Ce vers différencie les circonstances selon la répartition de Tullius [Cicéron] et de Boèce ; il s’agit du point de vue du rhéteur, qui en tire des arguments pour excuser ou accuser. En effet, on tire un argument rhétorique soit de ce qui est un attribut d’une personne : il s’agit alors de « qui ?» [est cette personne] ; soit de ce qui lui est attribué en raison de l’action en question. Cela est ou bien compris dans l’action elle-même : [la question] « quoi ?» correspond alors à la substance d’un acte extérieur, et « combien ?», à l’intention intérieure de celui qui agit. Ou bien cela est compris dans le cours même de l’action. Il existe alors quatre conditions : « comment ?», pour ce qui est de la qualité de l’acte, « où ?» et « quand ?», pour ce qui est de la mesure, « au moyen de quoi ?», pour ce qui est des instruments. Selon que ces conditions concernent un acte moral, leur nombre peut être conçu d’une autre manière. En effet, la proportion entre l’acte et la fin peut être conçue soit du point de vue de ce qui lui est intrinsèque, soit du point de vue de ce qui lui est extrinsèque. Si [on la considère] de la première façon, c’est ou bien par rapport à l’espèce de l’acte : « quoi ?» correspond à cela ; ou bien par rapport à sa manière : « comment ?» correspond à cela. Mais si on l’envisage par rapport à ce qui lui est extrinsèque, c’est soit en regard de sa cause, soit en regard de sa mesure. Si c’est le premier cas, c’est soit en regard de sa cause finale : « pourquoi ?» correspond à cela ; soit en regard de sa cause efficiente ou instrumentale : on a alors « au moyen de quoi ?» ; soit en regard de sa cause principale : on a alors « qui ?». Mais si on l’envisage en regard de sa mesure, c’est ou bien en fonction du lieu : on a alors « où ?» ; ou bien en fonction du temps : et on a alors « quand ? ».

[17136] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod circumstantia illa quae sumitur ex parte agentis, magis respicit conditiones personae quantum ad proprietates ipsius, quam illam substantiam personae. Ex hujusmodi enim conditionibus variatur substantia actus, quia aliquid competit uni quod non competit alii. Praeterea, quamvis persona agens sit prior tamen conditio quae relinquitur in actu ex agente, circumstat ipsum actum.

1. La circonstance qui est considérée du point de vue de celui qui agit concerne davantage les conditions de la personne pour ce qui est de ses propriétés, plutôt que la substance de la personne. En effet, la substance de l’acte varie selon ces circonstances, car quelque chose convient à l’un qui ne convient pas à un autre. De plus, bien que la personne qui agit soit antérieure, la condition qui est laissée dans l’acte par la personne qui agit entoure [circumstat] cet acte.

[17137] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqui actus ex suo genere sunt mali vel boni, et ideo ex ipso genere actus potest sumi circumstantia actus moralis. Hoc autem ex quo actus reperitur in tali genere, quamvis sit de substantia ejus inquantum est ex genere moris, tamen est extra substantiam ipsius secundum quod consideratur ipsa substantia actus absolute ; unde aliqui actus sunt idem in specie naturae qui differunt in specie moris ; sicut fornicatio et actus matrimonialis.

2. Certains actes sont mauvais ou bons par leur genre ; c’est pourquoi une circonstance de l’acte moral peut venir du genre même de l’acte. Mais ce qui fait qu’un acte soit de tel genre, bien que cela fasse partie de sa substance, pour autant qu’il tombe dans le genre moral, est cependant extrinsèque à sa substance, pour autant qu’on envisage la substance même de l’acte de manière absolue. C’est pourquoi certains actes sont les mêmes selon leur espèce naturelle, alors qu’ils diffèrent par leur espèce morale, comme la fornication et l’acte conjugal.

[17138] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod est duplex finis, scilicet ultimus et propinquus. Ultimus quidem non potest poni circumstantia, quia omnes circumstantiae sumuntur in proportione ad ipsum. Propinquus etiam est duplex. Quidam qui est finis operis, secundum quod philosophus dicit in 2 Eth., quod quaedam conjuncta sunt malo fini ; et iste finis dat speciem actui ; unde vel non est circumstantia, si consideretur tantum genus moris ; vel referendo ad ipsam substantiam actus, includitur in hac circumstantia quid. Alius vero est finis agentis, qui quandoque ex malo actu bonum intendit, vel e converso ; et hic finis dicitur haec circumstantia cur. Ab hoc autem actus non recipit speciem propriam, sed quasi communem, secundum quod actus imperati induunt speciem virtutis vel vitii imperantis supra speciem quam habent ex habitu eliciente.

3. Il existe une double fin : ultime et prochaine. La fin ultime ultime ne peut être présentée comme une circonstance, parce que toutes les circonstances sont prises de la proportion par rapport à elle. La fin prochaine est, elle aussi, double. L’une est la fin de l’acte : comme le dit le Philosophe dans Éthique, II, « certaines choses sont associées à une fin mauvaise ». Cette fin donne à l’acte son espèce. Ainsi, ou bien elle n’est pas une circonstance, si on envisage seulement le genre moral ; ou bien, si elle est mise en rapport avec la substance de l’acte, elle est comprise dans la circonstance « qu’est-ce qui ?». L’autre n’est pas la fin de celui qui agit, qui vise parfois un bien par un acte mauvais ou l’inverse : on dit que cette fin est la circonstance « pourquoi ?». Mais l’acte ne reçoit pas son espèce propre de cette fin, mais son espèce pour ainsi dire commune, pour autant que les actes commandés revêtent l’espèce de la vertu ou du vice qui commande au-delà de l’espèce qu’ils tirent de l’habitus dont ils émanent.

[17139] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod modus rei est in ipsa re consequens substantiam ejus. Et quia quaedam circumstantiae sumuntur ab eo quod est extra rem, quaedam vero ab ipsa specie actus (quae duo ad modum non pertinent) ; ideo in modo non includitur omnis alia circumstantia, si modus proprie accipiatur.

4. Le mode d’une chose existe dans la chose elle-même en découlant de sa substance. Et parce que certaines circonstances sont prises de ce qui est extrinsèque à la chose, mais certaines, de l’espèce même de l’acte (deux choses qui ne relèvent pas du mode), toutes les autres circonstances ne sont donc pas comprises dans le mode, si on prend le mode au sens propre.

[17140] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod philosophus in 3 Eth., assignat etiam septem circumstantias ; sed differt a praedicta assignatione sua assignatio in duobus. Primo, quia philosophus ponit duas circumstantias, quid, et circa quid, quae in praedicta assignatione Tullii in una includuntur ; eo quod objectum quod dicitur circa quid, dat rationem actui quod dicitur quid ; sed philosophus distinguit eas, quia praeter universalem rationem objecti, quae dat speciem actui, possunt in objecto considerari speciales conditiones, quae diversificant actum in bonitate et malitia in illis actibus qui ex se malitiam non implicant, in quibus etiam malitiae quantitatem diversificant. Secundo, quia philosophus pro una circumstantia ponit quando et ubi, propter hoc quod utrumque sumitur a mensura extrinseca ; sed in praedicta assignatione distinguuntur propter diversam rationem mensurae. Quod autem philosophus dicit : quo instrumento, idem est ei quod Tullius dicit, quibus auxiliis : quia omnia auxilia sunt quasi instrumenta actionis, quibus agens utitur ad suum finem.

5. Dans Éthique, III, le Philosophe relève aussi sept circonstances, mais son énumération diffère de l’énumération précédente sur deux points. Premièrement, parce que le Philosophe indique deux circonstances, « quoi ?» et « à propos de quoi ?», qui, dans l’énumération précédente de Tullius [Cicéron], sont comprises dans une seule, du fait que l’objet à propos du duquel on parle de « à propos de quoi ?» donne à l’acte sa raison, qui est désignée par « quoi ?». Mais le Philosophe les distingue parce que, en plus de la raison universelle de l’objet, qui donne son espèce à l’acte, on peut envisager dans l’objet des conditions spéciales, qui différencient l’acte en bien ou en mal dans les actes qui ne comportent pas de malice par eux-mêmes, chez lesquels elles apportent aussi une différence pour ce qui est de l’étendue de la malice de l’acte. Deuxièmement, parce que le Philosophe donne « quand ?» et « où ?» comme une seule circonstance, puisque les deux sont tirées d’une mesure extrinsèque ; mais, dans l’énumération précédente, ils sont distingués en raison du caractère différent de la mesure. Mais ce que le Philosophe dit : « avec quel instrument ?», est la même chose que ce que Tullius [Cicéron] dit : « au moyen de quoi ?», car tous les moyens sont comme des instruments de l’action.

[17141] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum modus mensuram importet, omnia quae ad mensuram pertinent vel per modum quantitatis continuae vel discretae, importantur in quomodo. Vel dicendum, quod quantitas actus ex tribus pensari potest. Primo ex ipsa intensione actus, et sic idem est quod quomodo ; secundo ex quantitate objecti, et sic includitur in quid ; tertio ex tempore ; et sic includitur in quando : quoties autem semper reducitur ad modum.

6. Comme le mode comporte une mesure, tout ce qui se rapporte à la mesure, par mode de quantité continue ou discrète, est reporté sur « comment ?». Ou bien il faut dire que la quantité d’un acte peut être évaluée à partir de trois choses. Premièrement, à partir de l’intensité de l’acte : c’est alors la même chose que « comment ?» ; deuxièmement, à partir de la quantité de l’objet : cela est alors compris dans « quoi ?» ; troisièmement, à partir du temps : cela est alors compris dans « quand ?». Mais « combien de fois ?» se ramène toujours au mode.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17142] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Augustinus numerat hic circumstantias secundum quod a poenitente considerandae sunt, qui de peccatis dolere debet ; et ideo numerat illas quae praecipue ad dolorem de peccato inducere possunt. Hae autem sunt duae ; scilicet privatio boni, et quantum ad hoc dicit quod debet dolere, quia se virtute privavit ; et positio mali, quod quidem aggravatur vel per accidens inquantum tollitur excusationis occasio ; et sic debet dolere, si nulla tentatione vel modica praeventus peccavit : vel per se ex aliqua circumstantia addente deformitatem ad actum, et sic quantum ad personam agentis considerare docet statum peccantis, et beneficium prius a Deo susceptum ; quantum ad omnes docet considerare quo tempore et quando peccavit ; docet etiam considerare circa quid, in hoc quod dicit : secundum modum meretricis ; item quomodo, in hoc quod dicit, et modum sui operis ; et locum, in hoc quod dicit : si in loco sacrato.

Augustin énumère ici les circonstances selon qu’elles doivent être envisagées par le pénitent qui doit déplorer ses péchés. C’est pourquoi il énumère surtout celles qui peuvent provoquer la douleur pour le péché. Or, il y en a deux : la privation du bien, et sur ce point, il dit qu’il doit déplorer [ses péchés] parce qu’il s’est privé de vertu ; l’implan-tation du mal, qui est aggravé, soit par accident, dans la mesure où est enlevée une occasion d’excuse : il doit ainsi déplorer de n’avoir été devancé par aucune tentation ou par une petite [tentation] ; soit par soi, en raison d’une circonstance qui ajoute à la difformité de l’acte : il enseigne ainsi à envisager l’état de celui qui pèche et le bienfait d’abord reçu de Dieu, pour ce qui est de la personne de celui qui agit ; et pour ce qui est de tous, il enseigne à envisager à quel moment et quand il a péché. Il enseigne aussi à envisager à propos de quoi, lorsqu’il dit : « À la manière d’une prostituée » ; comment, lorsqu’il dit : « Et le mode de son action » ; et le lieu, lorsqu,il dit : « Et si c’est dans un lieu sacré. »

[17143] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliquis diu in peccato permansit, respicit conditionem actus, vel transgressionis, si frequenter peccatum iteravit vel continuavit ; vel omissionis, si poenitere distulit de peccato etiam semel commisso.

1. Le fait que quelqu’un soit demeuré longtemps dans le péché concerne la condition de l’acte, soit de la transgression, s’il a répété ou continué souvent le péché, soit de l’omission, s’il a reporté de se repentir du péché, même commis une seule fois.

 [17144] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis tentatio non sit in potestate nostra ; tamen resistere vel non resistere est in potestate nostra ; et ideo secundum hoc ex tentatione praecedenti circumstantia peccati sumi potest.

2. Bien que la tentation ne soit pas en notre pouvoir, il est cependant en notre pouvoir d’y résister ou non. C’est pourquoi la circonstance du péché peut ainsi être prise de la tentation précédente.

[17145] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amissio virtutum, quamvis consequatur peccatum secundum naturae ordinem, tamen concomitatur secundum tempus ; et ideo circumstantia potest poni. Et praeterea, etiam quaedam circumstantiae, secundum Tullium, sumuntur ab eo quod sequitur substantiam facti, secundum quod ex comparatione ad ipsam actus in bonitate vel malitia variatur.

3. La perte des vertus, bien qu’elle suive le péché selon un ordre de nature, est cependant concomitante dans le temps. Elle peut donc ête présentée comme une circonstance. De plus, selon Tullius [Cicéron], même certaines circonstances viennent du fait qu’elles découlent de la substance d’un fait, selon que, en regard de celle-ci, un acte peut varier en bien ou en mal.

[17146] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ingratitudo uno modo speciale est peccatum ; alio modo circumstantia peccati ; et qualiter hoc sit, dicetur infra, dist. 22, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 1.

4. D’une manière, l’ingratitude est un péché particulier ; d’une autre manière, la circonstance du péché. On dira plus loin, d. 22, q. 1, a. 2, qa 1, comment cela se fait.

[17147] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnes istae circumstantiae possunt reduci ad septem superius enumeratas : quia ingratitudo reducitur ad conditionem personae, ut ex dictis patet ; tentatio autem praecedens reducitur ad cur, quia tentatio praecipue consistit in appetitu alicujus propter quod homo ad peccatum incitatur : privatio autem virtutum reducitur ad quid ; quia ipsum peccatum secundum speciem suam habet quod virtutem tollat. De aliis autem facile est videre.

5. Toutes ces circonstances peuvent être ramenées aux sept énumérées plus haut : l’ingratitude se ramène à la condition de la personne, comme cela ressort de ce qui a été dit ; la tentation précédente se ramène au « pourquoi ?», car la tentation survient principalement dans l'appétit de quelqu’un, en raison de quoi un homme est incité au péché ; mais la privation des vertus se ramène au « quoi ?», parce que le péché comporte par lui-même d’enlever les vertus. Pour les autres, il est facile de voir.

 

 

Articulus 2 [17148] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 tit. Utrum circumstantiae peccatum aggravent

Article 2 – Les circonstances aggravent-elles le péché ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les circonstances aggravent-elles le péché ?]

[17149] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod circumstantiae peccatum non aggravent. Nihil enim augetur nisi ex suo simili ; unde intensio qualitatis quantitatem non auget corporalem, sed additio alterius corporis. Sed circumstantiae non sunt peccata, sed sunt quaedam peccati accidentia. Ergo peccatum non aggravant.

1. Il semble que les circonstances n’aggravent pas le péché. En effet, rien n’est augmenté que par ce qui lui est semblable ; ainsi, l’intensité d’une qualité n’augmente pas la quantité corporelle, mais l’ajout d’une autre corps. Or, les circonstances ne sont pas des péchés, mais sont des accidents du péché. Elles n’aggravent donc pas le péché.

[17150] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, tota ratio mali in peccato est ex parte aversionis, non autem ex parte conversionis. Sed omnes circumstantiae sequuntur peccatum ex parte conversionis. Ergo non aggravant malitiam peccati.

2. Tout le caractère de mal dans le péché vient de l’aversion, et non de la conversion. Or, toutes les circonstances découlent du péché du point de vue de la conversion. Elles n’aggravent donc pas la malice du péché.

[17151] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, privationes non intenduntur neque remittuntur. Sed malum privatio quaedam est boni, ut Augustinus dicit Lib. 3 Confess., cap. 7, et in Enchirid. Ergo malitia peccati per circumstantias intendi non potest.

3. Les privations ne sont pas intensifiées ni réduites. Or, le mal est une certaine privation de bien, comme le dit Augustin dans les Confessions, VII, et dans l’Enchiridion. La malice du péché ne peut donc être intensifiée par les circonstances.

[17152] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ex quibus causatur unumquodque, ex eisdem augeri potest. Sed ex circumstantiis inordinatis fit peccatum, inquantum per defectum circumstantiae modus virtutis corrumpitur. Ergo circumstantiae aggravant peccatum.

Cependant, [1] tout est augmenté par les mêmes choses qui le causent. Or, le péché vient de circonstances désordonnées, dans la mesure où, par la carence d’une circonstances, le mode de la vertu est corrompu. Les circonstances aggravent donc le péché.

 [17153] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, rhetores ex circumstantiis trahunt argumenta ad accusandum vel excusandum, laudandum vel vituperandum, ut dictum est. Sed accusatio vel excusatio, laus et vituperium fiunt de bono vel malo, aut minus bono aut minus malo. Ergo circumstantiae augent actus bonitatem et malitiam.

[2] Les rhéteurs tirent des arguments des circonstances pour accuser ou disculper, louanger ou blâmer, comme on l’a dit. Or, l’accusation ou la disculpation, la louange ou le blâme portent sur le bien ou le mal, ou sur ce qui est moins bon ou moins mal. Les circonstances augmentent donc la bonté et la malice d’un acte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Parmi toutes les circonstances, le lieu et le temps sont-ils plus aggravants ?]

[17154] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod inter omnes circumstantias magis aggravent locus et tempus. Quia, sicut dicit philosophus in 3 Ethic., principalia sunt in quibus est actus, de hujusmodi circumstantiis loquens. Sed in quo signat ipsum tempus et locum. Cum ergo principales circumstantiae magis aggravent, videtur quod tempus et locus maxime aggravant.

1. Il semble que, parmi toutes les circonstances, le lieu et le temps soient plus aggravants, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, III, en parlant des circonstances, « ce sont les choses qui comptent le plus dans l’acte ». Or, il indique par là le temps et le lieu. Puisque les principales circonstances aggravent davantage, il semble donc que le temps et le lieu aggravent au plus haut point.

[17155] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, videtur, quod quis. Quia ex voluntate principaliter oritur peccatum. Sed voluntas se tenet ex parte agentis. Ergo conditio personae magis aggravat.

2. Il semble que [ce soit la circonstance] « qui ?», car le péché prend naissance surtout dans la volonté. Or, la volonté se tient du côté de celui qui agit. La condition de la personne aggrave donc davantage.

[17156] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, videtur quod ingratitudo in Deum. Quia peccatum accipit rationem mali ex aversione. Sed ingratitudo directe pertinet ad aversionem. Ergo ex hoc magis gravitas peccati consideratur.

3. Il semble que l’ingratitude envers Dieu [aggrave davantage], car le péché tire son caractère de mal de l'aversion. Or, l’ingratitude est en rapport direct avec l’aversion. La gravité du péché est donc plutôt envisagée de ce point de vue.

[17157] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, videtur quod tentatio praecedens. Quia per illas circumstantias maxime aggravatur peccatum, per quas redditur venia dignum vel indignum. Sed peccatum quod ex infirmitate agitur veniale dicitur, quasi venia dignum, quod est cum aliquis gravi tentatione praevenitur : peccatum autem quod ex malitia agitur, dicitur irremissibile, quia non habet in se aliquid venia dignum ; quod contingit cum aliquis ex electione tentationem praeveniens, malum operatur. Ergo haec circumstantia maxime aggravat.

4. Il semble que la tentation antérieure [aggrave davantage], car le péché est au plus haut point aggravé par les circonstances par lesquelles il est rendu digne ou indigne de pardon. Or, on appelle véniel le péché qui est fait par faiblesse, comme s’il était digne de pardon [venia], ce qui est le cas lorsqu’une grave tentation le précède ; mais on dit que le péché qui vient de la malice est irrémissible, parce qu’il n’y a rien en lui qui soit digne de pardon, ce qui est le cas lorsque quelqu’un, avant la tentation, fait le mal par choix. Cette circonstance aggrave donc au plus haut point.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une circonstance peut-elle modifier l’espèce ou le genre d’un péché ?]

[17158] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circumstantia non possit trahere in aliam speciem vel in aliud genus peccati. Quia accidentia non variant speciem. Sed circumstantiae sunt accidentia actus, ut dictum est. Ergo ex eis species peccati non variantur.

1. Il semble qu’une circonstance ne puisse pas modifier l’espèce ou le genre d’un péché, car les accidents ne modifient pas l’espèce. Or, les circonstances sont des accidents de l’acte, comme on l’a dit. Les espèces du péché ne sont donc pas modifiées par elles.

[17159] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, actus habet speciem ex objecto. Sed diversae circumstantiae non mutant objectum actus. Ergo non trahunt in aliud genus peccati.

2. Les actes reçoivent leur espèce de leur objet. Or, les diverses circonstances ne changent pas l’objet d’un acte. Elles ne l’attirent donc pas à un autre genre de péché.

[17160] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut circumstantiae concurrunt ad actum peccati, ita ad actum virtutis. Sed non variatur actus virtutis secundum speciem. Ergo nec actus peccati.

3. De même que les circonstances concourent à l’acte d’un péché, de même concourent-elles à l’acte d’une vertu. Or, l’acte d’une vertu ne varie pas selon l’espèce. Donc, l’acte d’un péché non plus.

[17161] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, illud quod est causa alicujus, potest variare illud secundum speciem. Quia ex diversis causis diversi sequuntur effectus. Sed circumstantiae deficientes sunt causa peccatorum ; unde secundum Dionysium, malum contingit ex particularibus defectibus. Ergo diversitas circumstantiarum potest speciem variare.

Cependant, [1] ce qui est cause d’une chose peut varier selon l’espèce, car divers effets découlent de causes diverses. Or, les circonstances inadéquates sont la cause de péchés ; selon Denys, le mal vient donc de carences particulières. La diversité des circonstances peut donc faire varier l’espèce.

[17162] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, praepropere, laute, nimis, ardenter, studiose, sunt diversae species gulae. Sed sumuntur secundum diversas circumstantias, ut per se patet. Ergo circumstantiae variant speciem peccati.

[2] « Précipitamment, magnifiquement, trop, avec passion, avec application » indiquent des espèces différentes de gourmandise. Or, elles viennent de circonstances diverses, comme cela ressort de soi. Les circonstances font donc varier l’espèce du péché.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Une circonstance aggrave-t-elle le péché à l’infini ?]

[17163] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circumstantia aggravet in infinitum. Quia una circumstantia corrumpit virtutem. Sed virtus non corrumpitur nisi per peccatum mortale, quod habet quantitatem infinitam. Ergo circumstantia aggravat in infinitum.

1. Il semble qu’une circonstance aggrave [un péché] à l’infini, car une circonstance corrompt la vertu. Or, la vertu n’est corrompue que par le péché mortel, qui a une quantité infinie. Une circonstance aggrave donc [un péché] à l’infini.

[17164] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum nullum est adeo veniale, quin fiat mortale dum placet. Sed placentia est quaedam circumstantia, et reducitur ad quomodo. Ergo circumstantia facit de veniali mortale ; et sic aggravat in infinitum.

2. Selon Augustin, rien n’est si véniel que cela ne puisse devenir mortel lorsqu’on y prend plaisir. Or, prendre plaisir est une circonstance et se ramène au « comment ?». Une circonstance rend donc mortel un péché véniel, et ainsi elle aggrave [un péché] à l’infini.

[17165] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, plus distat actus virtutis ab actu peccati mortalis, quam actus venialis peccati a mortali. Sed una circumstantia mutata facit de actu virtutis actum peccati mortalis, sicut cognoscere suam ut non suam. Ergo multo magis facit de veniali mortale ; et sic idem quod prius.

3. La distance est plus grande entre l’acte d’une vertu et l’acte du péché mortel qu’entre l’acte du péché véniel et le péché mortel. Or, un changement de circonstance fait de l’acte d’une vertu un péché mortel, comme le fait de connaître son épouse alors qu’elle n’est pas la sienne. À bien plus forte raison rend-elle donc mortel un péché véniel. La conclusion est ainsi la même qu’antérieurement.

[17166] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 4 Sed contra, quantitas accidentalis non excedit quantitatem substantialem. Sed quantitas ex circumstantia peccati proveniens est ei accidentalis. Cum ergo quantitas venialis peccati sit finita, quantitas ex circumstantia non erit infinita ; et ita non aggravat in infinitum.

4. La quantité accidentelle ne dépasse pas la quantité substantielle. Or, la quantité qui vient d’une circonstance d’un péché lui est accidentelle. Puisque la quantité d’un péché véniel est finie, la quantité qui vient d’une circonstance ne serait donc pas infinie. Ainsi, elle n’aggrave pas [un péché] à l’infini.

[17167] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 arg. 5 Praeterea, ea quae in infinitum differunt, non conveniunt in genere. Sed eorum quae non conveniunt in genere, unum non potest in aliud transmutari, sicut linea in colorem. Ergo non potest per circumstantiam actus peccati trahi ad infinitam quantitatem.

5. Ce qui diffère à l’infini ne se retrouve pas dans le même genre. Or, une des choses qui n’ont pas le même genre ne peut être transformée en une autre, comme une ligne en couleur. L’acte d’un péché ne peut donc pas être entraîné à une quantité infinie par une circonstance.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Toutes les circonstances doivent-elles être confessées ?]

[17168] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnis circumstantia sit confitenda. Genes. 19, praecipitur Loth de Sodomis exeunti, ne moraretur in omni loco circa regionem. Sed poenitens de Sodomis, idest de peccato, per confessionem exit. Ergo non solum peccatum, sed omnes circumstantias peccati confiteri debet.

1. Il semble que toutes les circonstances doivent être confessées. En Gn 19, il est ordonné à Loth qui sort de Sodome de ne demeurer dans aucun endroit de la région environnante. Or, par la confession, le pénitent sort de Sodome, à savoir, du péché. Il doit donc confesser non seulement un péché, mais toutes les circonstances du péché.

[17169] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, poenitens debet peccatum suum sacerdoti confiteri, ut ab eo modum satisfactionis accipiat. Sed pro graviori peccato major injungitur satisfactio. Ergo debet sacerdoti circumstantias notificare, quibus qualitas peccati consideratur.

2. Le pénitent doit confesser son péché à son prêtre afin de recevoir de lui la manière d’y satisfaire.Or, une satisfaction plus grande est imposée pour un péché plus grave. Il doit donc faire connaître au prêtre les circonstances selon lesquelles la qualité du péché est envisagée.

[17170] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, confessio debet contritioni respondere. Sed homo debet de singulis circumstantiis conteri, ut in littera Augustinus dicit. Ergo videtur quod omnes debeat confiteri.

3. La confession doit correspondre à la contrition. Or, on doit être contrit de chaque circonstance, comme le dit Augustin dans le texte. Il semble donc qu’on doive les confesser toutes.

[17171] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 arg. 4 Sed contra, secundum philosophum in 3 Ethic., delectabile carnis quanto magis in particulari consideratur, tanto magis appetitum movet. Sed homo debet fugere appetitum talis delectabilis per consilium apostoli 1 Corinth. 6. Ergo videtur quod peccatorum carnalium ad minus non debeat aliquis omnes singulares circumstantias confiteri.

4. Selon le Philosophe dans Éthique, III, un plaisir charnel meut d’autant plus l’appétit qu’il est envisagé d’une manière particulière. Or, on doit fuir le désir de ce plaisir, selon le conseil de l’Apôtre en 1 Co 6. Il semble donc qu’on ne doive pas confesser toutes les circonstances particulières, du moins celles des péchés de la chair.

[17172] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 arg. 5 Praeterea, ex circumstantiis recitatis aliquando alicujus personae peccatum innotescit. Sed homo in confessione debet se accusare, non alterum infamare. Ergo videtur quod non debeamus circumstantias confiteri.

5. Par les circonstances racontées, le péché d’une personne est parfois connu. Or, par la confession, on doit s’accuser, et non diffamer un autre. Il semble donc que nous ne devions pas confesser les circonstances.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17173] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, sicut dicit Augustinus in 6 de Trin. In his quae non mole magna sunt, idem est esse majus quod est esse melius in bonis, sicut et similiter in malis idem est esse majus quod est esse pejus. Malitia autem in actu peccati ex hoc est quod deficit a debita proportione ad finem, ad quem proportionatus redditur per debitam commensurationem circumstantiarum, ut dictum est ; et ideo defectus debitae circumstantiae malitiam in actu causat. Et quia per unam circumstantiam deficientem vel oppositam magis elongatur terminus a debita proportione ad finem ; ideo circumstantia facit actum magis malum vel minus ; et secundum hoc dicitur aggravare peccatum.

Comme le dit Augustin dans La Trinité, VI, pour les choses qui ne sont pas difficiles,  cela revient au même d’être grand et d’être meilleur pour ce qui est bon, de même que c’est la même chose d’être plus grand et d’être pire pour ce qui est mal. Or, la malice d’un acte de péché vient de ce que la proportion appropriée à la fin lui fait défaut, fin à laquelle il est rendu proportionné par l’évaluation appropriée des circonstances, comme on l’a dit. C’est pourquoi l’absence d’une circonstance appropriée cause le mal dans un acte. Et parce que l’absence ou l’opposition d’une seule circonstance éloigne davantage le terme de la proportion appropriée à la fin, une circonstance rend un acte plus ou moins mauvais. On dit ainsi qu’elle aggrave le péché.

[17174] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit in illis in quibus est augmentum per additionem ; in illis enim in quibus est augmentum per intensionem non oportet additionem similis in specie fieri, sicut non oportet quod albedo albedini addatur ad hoc quod fiat magis album, ut dicitur in 4 Phys. : et similiter non oportet quod peccatum peccato addatur ad hoc quod fiat magis peccatum.

1. Ce raisonnement vaut pour ce qui est augmenté par addition : en effet, dans ce qui est augmenté par l’intensité, il n’est pas nécessaire qu’il y ait addition d’un semblable selon l’espèce, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’une blancheur soit ajoutée à la blancheur pour qu’elle devienne plus blanche, comme on le dit dans Physique, IV. De même, il n’est pas nécessaire qu’un péché soit ajouté au péché pour qu’il devienne un péché plus grand.

[17175] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex inordinata conversione ad commutabile bonum redditur actus improportionatus ad conversionem ad finem ; et ideo fundamentum aversionis est conversio in peccato ; et propter hoc circumstantiae quae ex parte conversionis se tenent, possunt peccati malitiam augere.

2. Par une conversion désordonnée à un bien changeant, un acte devient disproportionné par rapport à la conversion à la fin. C’est pourquoi, dans le péché, le fondement de l’aversion est la conversion. Pour cette raison, les circonstances qui se situent du côté de la conversion peuvent accroître la malice du péché.

[17176] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis privationes non intendantur ex seipsis, tamen intendi ex causis suis quandoque dicuntur, sicut caecitas per elongationem ab actu videndi ; et similiter ex inordinata conversione malitia in actu intenditur.

3. Bien qu’on ne considère pas les privations par elles-mêmes, on dit cependant qu’elles sont parfois recherchées dans leurs causes, comme la cécité par l’éloignement de l’acte de voir. De même la malice est-elle recherchée par une conversion désordonnée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17177] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod bonum dicitur secundum ordinem ad finem, ut in 3 Metaph. dicitur. Cum ergo malum sit privatio boni, dupliciter potest contingere malum ; vel secundum ipsam relationem in finem, vel secundum aptitudinem relationis in finem ; et ideo peccatum dupliciter contingit : vel ex eo quod actus non est proportionatus fini, sicut in his quae ex se mala sunt ; vel quia inordinate refertur in finem, sicut patet in his quae mala intentione fiunt, etiamsi ex se bonum sit quod fit. Et quia propter quod unumquodque, et illud magis ; ideo quantitas malitiae peccati magis consideratur secundum relationem inordinatam in finem, quam etiam secundum improportionem ad finem. Ad ordinem autem ad finem pertinet cujus gratia ; et ideo super omnes alias consideranda est in judicando de gravitate peccati. Ad hoc autem quod actus sit improportionatus fini, pertinet haec circumstantia quid, per quam importatur ratio mali in actu ; et ideo omnia quae possunt peccato speciem tribuere, in hac circumstantia inducuntur ; et haec sunt in quibus consistit actus moralis quantum ad bonitatem vel malitiam ; et ideo haec est secunda circumstantia in aggravando ; et propter hoc philosophus dicit in 3 Ethic., quod principalissima in actu sunt in quibus consistit actus, et cujus gratia. Aliae autem circumstantiae magis et minus aggravant, secundum quod his magis vel minus propinquae sunt ; et ideo tempus et locus minus aggravare nata sunt, quia sunt omnino extrinseca. Sed inter ea conditio personae magis : quia agens directius respondet fini ; et post hoc modus qui respondet actui, et post hoc instrumentum quod pertinet ad modum agendi. Et hoc quidem ut in pluribus accipiendum est ita esse ; tamen nihil prohibet in aliquo aliter se habere : quia sermones qui sunt in moribus, nihil determinatum habent, ut dicitur in 2 Ethic.

On parle de bien selon l’ordre à la fin, comme on le dit dans Métaphysique, III. Puisque le mal est la privation d’un bien, le mal peut donc se produire de deux manières : soit selon la relation même à la fin ou selon la convenance de la relation à la fin. C’est pourquoi le péché arrive de deux manières : ou bien parce que l’acte n’est pas proportionné à la fin, comme dans ce qui est mal par soi ; ou bien parce qu’il se rapporte à la fin d’une manière désordonnée, comme dans ce qui est accompli avec une mauvaise intention, même si ce qui est fait est bon par soi. Et parce que la raison d’être d’une chose est la même que la raison pour laquelle elle est davantage, la quantité de malice d’un péché est envisagée davantage selon la relation désordonnée à la fin que selon le manque de proportion à la fin. Or, « ce pour quoi » se rapporte à l’ordre à la fin. Aussi [cette circonstance] doit-elle être prise en compte plus que toutes les autres pour juger de la gravité d’un péché. Mais la circonstance « ce que », par laquelle le caractère de mal vient à l’acte se rapporte au fait que l’acte est disproportionné par rapport à la fin. C’est pourquoi tout ce qui peut donner son espèce au péché se ramène à cette circonstance. C’est en cela que consiste l’acte moral pour ce qui est de sa bonté ou de sa malice. C’est donc là la deuxième circonstance aggravante. Pour cette raison, le Philosophe dit dans Éthique. III, que « les élément principaux d’un acte sont ce en quoi consiste l’acte et son intention ». Mais les autres circonstances aggravent plus ou moins selon qu’elles se rapprochent plus ou moins de celles-ci. En soi, le temps et le lieu aggravent donc moins, car ils sont totalement extrinsèques. Mais, parmi les circonstances, la condition de la personne [aggrave] davantage, car celui qui agit correspond plus directement à la fin ; et, après cela, le mode qui correspond à l’acte, et ensuite, l’instrument, qui se rapporte à la manière d’agir. Il faut comprendre qu’il en est ainsi dans la plupart des cas ; rien n’empêche cependant qu’il en soit autrement dans un cas, car ce qu’on dit en matière de comportement n’a rien de déterminé, comme on le dit dans Éthique, II.

[17178] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus non intendit principalissima esse illa in quibus est actus sicut in mensurantibus ipsum, sed sicut in complentibus rationem ipsius.

1. Le Philosophe ne veut pas dire que ce qu’il y a de plus important est ce qui mesure l’acte, mais ce qui réalise sa raison.

[17179] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas quamvis sit agentis sicut subjecti, tamen est finis sicut objecti ; et ideo trahit rationem magis a fine quam a conditione agentis, et ad finem magis reducitur : quia potentiae et habitus distinguuntur penes objecta.

2. La volonté, bien qu’elle se rapporte à celui qui agit comme sujet, a cependant la fin comme objet. C’est pourquoi elle tient davantage sa raison de la fin que de la condition de celui qui agit et se ramène davantage à la fin, car les puissances et les habitus se distinguent par leurs objets.

[17180] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ingratitudo secundum quod est circumstantia, non ponit actualem contemptum, sed quasi interpretatum ; et ideo non oportet quod magis aggravet quam perversa intentio, quae actualem aversionem a fine debito causat.

3. En tant que circonstance, l’ingratitude ne présente pas un mépris actuel mais pour ainsi dite interprété. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle aggrave davantage que l’intention perverse, qui cause une aversion actuelle par rapport à la fin appropriée.

[17181] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod venia dignum dicitur peccatum quod est veniale ex causa, secundum quod privat voluntarium, vel diminuit vel per ignorantiam vel per impotentiam ; et ideo tota illa diversitas ad cujus gratia reducitur : quia voluntarium intentionem finis respicit.

4. On dit que le péché véniel est davantage digne de pardon en raison de sa cause, pour autant qu’il prive de ce qui est volontaire ou le diminue par l’ignorance ou l’impuissance. C’est pourquoi toute cette diversité se ramène à « ce pour quoi », car ce qui est volontaire concerne l’intention de la fin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17182] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquando circumstantiam trahere in aliam speciem peccati manifestum est ; sed quomodo possit esse, est dubium. Quidam enim dicunt, quod hoc accidit inquantum illae circumstantiae accipiuntur ut fines voluntatis, quia a fine actus moralis accipit speciem. Sed hoc non videtur sufficienter dictum : quia aliquando variatur species peccati sine hoc quod intentio feratur ad circumstantiam illam ; sicut fur ita libenter acciperet vas aureum non sacratum sicut sacratum ; et tamen in aliam speciem peccatum mutatur, scilicet de furto simplici in sacrilegium ; et praeterea secundum hoc sola illa circumstantia quae dicitur cujus gratia, speciem peccati mutare posset ; quod falsum est. Et ideo aliter dicendum, quod omnis circumstantia potest speciem peccati mutare, sed non semper mutat. Cum enim privationes et negationes differant specie secundum differentiam habituum et positionum oppositarum, et malum sit privatio boni ; oportet quod ubi diversum bonum ad virtutem necessarium aufertur, ibi sit diversa species peccati. Una autem sola circumstantia peccati rectitudinem virtutis aufert : unde si aliae circumstantiae nullam aliam obliquitatem peccato tribuant, nisi ex suppositione praecedentis, non mutabunt speciem peccati, sed forte aggravabunt quantitatem peccati illius. Quandoque etiam neque quantitatem peccati aggravabunt : quia etiam ex suppositione praecedentis nullam inOrdinationem addunt. Quandoque etiam peccatum diminuit, si aliqua circumstantia rationem peccati subtrahat ; sicut accipere rem alienam habet rationem peccati ex circumstantia quid, inquantum res aliena est. Quod autem manu dextera vel sinistra accipiat, aut de mane aut de sero, nihil ad rationem mali pertinet ; et ideo istae circumstantiae non excusant nec aggravant, nec speciem mutant. Quod autem accipiat multum vel parum, ex se deformitatem aliquando non importat, nisi ex suppositione primi : quia multum de alieno recipere est ab aequalitate magis discedere ; unde talis circumstantia aggravat, sed peccatum non mutat. Quod autem rem alienam consecratam accipiat, aliam deformitatem importat : quia quaecumque irreverentia circa res sacras adhibita, specialem rationem peccati habet ; et ideo talis circumstantia dicitur speciem mutare. Si autem coactus accipiat, talis circumstantia peccatum excusat in parte : quia causa peccati, scilicet voluntarium, minuitur.

Il est parfois évident qu’une circonstance entraîne un péché vers une autre espèce, mais il existe un doute sur la façon dont cela est possible. En effet, certains disent que cela se produit parce que ces circonstances sont prises comme des fins de la volonté, car l’acte moral reçoit son espèce de la fin. Mais cela ne semble pas suffisant, car l’espèce d’un péché varie parfois sans que l’intention se porte sur cette circonstance, comme lorsqu’un voleur s’emparerait volontiers d’un vase d’or non consacré comme s’il était sacré ; cependant, le péché est changé en une autre espèce, à savoir, d’un simple vol en sacrilège. De plus, cette seule circonstance qu’on appelle « ce pour quoi » pourrait changer l’espèce du péché, ce qui est faux. Il faut donc dire autre chose : toute circonstance peut changer l’espèce d’un péché, mais elle ne la change pas toujours. En effet, puisque les privations et les négations ont des espèces différentes selon la différence des habitus et des affirmations opposées, et que le mal est la privation de bien, il est nécessaire que, là où est enlevé un bien différent nécessaire pour la vertu, là existe une espèce différente de péché. Or, une seule circonstance du péché enlève la rectitude de la vertu ; en conséquence, si les autres circonstances n’apportent aucun autre travers au péché, sauf en raison d’un péché précédent, elles ne changeront pas l’espèce du péché, mais aggraveront peut-être la quantité de ce péché. Parfois aussi elles n’aggraveront pas non plus la quantité du péché, car, même si l’on suppose un péché précédent, elles n’ajoutent aucun désordre. Parfois encore le péché diminue si une circonstance enlève le caractère de péché, comme le fait de prendre le bien d’un autre a le caractère de péché en raison de la circonstance « ce que », en tant que c’est le bien d’un autre. Mais qu’on le prenne de la main droite ou de la main gauche, le matin ou le soir, n’a aucun rapport avec le caractère de mal. C’est pourquoi ces circonstances n’excusent pas ni n’aggravent ; elles ne changent pas non plus l’espèce. Mais qu’on en prenne beaucoup ou peu parfois ne comporte pas de soi une difformité, sauf si l’on suppose la première chose, car prendre beaucoup du bien d’autrui, c’est s’éloigner davantage de l’égalité. Une telle circonstance aggrave donc, mais elle ne change pas le péché.  Mais qu’on prenne un bien d’autrui consacré comporte une autre difformité, car tout irrespect manifesté envers des choses sacrées a un caractère particulier de péché. On dit donc qu’une telle circonstance change l’espèce [du péché]. Mais si on le prend sous la contrainte, une telle circonstance excuse en partie, car la cause du péché, à savoir, le volontaire, est diminuée.

[17183] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaecumque circumstantia aliquam speciem peccati in actu causat, ad speciem actus, inquantum est moralis, pertinet ; unde non habet jam rationem circumstantiae peccati, quamvis circumstet substantiam actus, ut prius dictum est.

1. Toute circonstance qui cause une autre espèce de péché dans un acte concerne l’espèce de l’acte en tant que celui-ci est moral. Aussi n’a-t-elle pas déjà le caractère de circonstance du péché, bien qu’elle entoure [circumstet] la substance de l’acte, comme on l’a dit auparavant.

[17184] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis actus secundum suam substantiam habet speciem ab objecto ; sed secundum rationem malitiae habet speciem a defectu ; et ideo secundum diversa quae deficere possunt, diversae species causantur malitiae ; et secundum hoc distinguuntur species peccati, non solum ex objecto. In actibus autem virtutum secus est : quia non constituitur ex qualibet singulari circumstantia, sicut actus peccati ex quolibet singulari defectu rationem peccati habet.

2. Tout acte considéré du point de vue de sa substance tire son espèce de son objet. Mais, considéré du point de vue de sa malice, il tire son espèce d’une carence. C’est pourquoi diverses espèces de malice sont causées selon les diverses choses qui peuvent faire défaut, et les espèces du péché se différencient ainsi, et non seulement par l’objet. Mais il en va autrement dans les actes des vertus, car [l’acte de vertu] n’est pas constitué de chaque circonstance particulière, comme l’acte de péché a le caractère de péché en raison de chacune des carences particulières.

[17185] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse à la troisième objection ressort ainsi clairement.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17186] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod circumstantia, ut ex dictis patet, quandoque aggravat peccatum et speciem mutat ; quandoque autem aggravat, sed speciem non mutat. Quando autem speciem non mutat, sed aggravat ; adhuc manet in ratione circumstantiae, et non potest in infinitum quantitatem peccati augere, ut ex veniali mortale fiat : quia, ut dictum est, circumstantia taliter aggravans ex suppositione praecedentis deformitatis habet rationem majoris deformitatis ex ejus virtute ; unde si etiam illa sit infinita, non potest infinitam deformitatem addere. Si autem speciem mutet, tunc potest in infinitum aggravare ; sed non semper hoc facit : quia quando ex deformitate speciali, quam circumstantia addit, habet directe oppositionem ad caritatem, quod ostenditur ex hoc quod est directe contra praeceptum legis, cujus finis est caritas ; tunc in infinitum gravitatem addit, scilicet peccati mortalis. Quando autem illa deformitas non directe habet oppositionem ad legem, ut sit contra eam, sed praeter eam, tunc non aggravat in infinitum, sive sit peccatum veniale cui additur, sive mortale ; sicut ad actum gulae qui est praepropere, addit haec circumstantia laute, specialem deformitatem, quae etiam ex se peccatum faceret ; sed non est directe contra legem ; et ideo non aggravat in infinitum. Et quia circumstantia quae speciem mutat, non est jam ut circumstantia computanda, ut dictum est, ideo dicitur a magistris, quod circumstantia non aggravat in infinitum.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, une circonstance aggrave parfois un péché et elle en change l’espèce ; mais parfois elle l’aggrave mais n’en change pas l’espèce. Mais lorsqu’elle ne change pas l’espèce mais aggrave [le péché], elle garde le caractère de circonstance et elle ne peut pas augmenter la quantité du péché à l’infini, de sorte qu’un péché véniel se transformerait en péché mortel, car, ainsi qu’on l’a dit, une circonstance ainsi aggravante en raison d’une difformité précédente a un caractère de plus grande difformité par sa puissance. Aussi, même si celle-ci est infinie, elle ne peut ajouter une difformité infinie. Mais si elle change l’espèce, elle peut alors aggraver [le péché] à l’infini ; mais elle ne fait pas toujours cela, car lorsque, en raison d’une difformité particulière qu’ajoute la circonstance, elle est en opposition directe avec la charité, ce qui apparaît dans le fait qu’elle va directement contre un commandement de la loi, dont la fin est la charité, alors elle ajoute une gravité infinie, celle du péché mortel. Mais lorsque cette difformité n’est pas en opposition directe avec la loi au point de lui être contraire, mais qu’elle l'est par négligence, elle n’aggrave pas à l’infini, qu’elle s’ajoute à un péché véniel ou à un péché mortel. Ainsi, au fait d’agir avec précipitation dans l’acte de gourmandise, la circonstance « magnifiquement » ajoute une difformité particulière, qui causerait par soi un péché ; mais cela ne va directement contre la loi. C’est pourquoi cela n’aggrave pas [le péché] à l’infini. Et parce que la circonstance qui change l’espèce ne doit plus être considérée comme circonstance, comme on l’a dit, les maîtres disent que la circonstance n’aggrave pas à l’infini.

[17187] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis virtus secundum habitum non corrumpatur nisi per peccatum mortale ; tamen actus ejus corrumpitur et impeditur etiam per peccatum veniale.

1. Bien que la vertu, en tant qu’habitus, ne soit corrompue que par le péché mortel, son acte est cependant corrompu et empêché par le péché véniel.

[17188] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod placentia nunquam de veniali facit mortale, nisi intantum crescat quod adhaereatur ei ut fini, et per consequens supra Deum diligatur ; et ita in contemptum Dei talis placentia adducitur, quae habet de se specialem rationem peccati, et propter hoc est circumstantia trahens in aliam speciem.

2. Le plaisir ne fait jamais d’un péché véniel un péché mortel, à moins qu’il n’augmente au point qu’on s’y attache comme à la fin et que, par conséquent, on l’aime davantage que Dieu. Ainsi, un tel plaisir mène au mépris de Dieu et il a par soi un caractère particulier de péché. Pour cette raison, il s’agit d’une circonstance qui attire [le péché] vers une autre espèce.

[17189] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de circumstantia quae trahit in aliam speciem, quae jam rationem circumstantiae respectu actus moralis, inquantum hujusmodi, amittit.

3. Ce raisonnement vient d’une circonstance qui attire [un péché] vers une autre espèce, qui, comme tel, perd le caractère de circonstance par rapport à un acte moral.

[17190] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 4 Et quia aliae rationes videntur concludere quod nullo modo circumstantia aggravet in infinitum : ideo dicendum ad quartum, quod quantitas ex circumstantia proveniens, quae in novam speciem traxit, non est quantitas accidentalis, sed essentialis.

4. Parce que les autres raisonnements semblent conclure qu’une circonstance n’aggrave aucunement à l’infini, il faut donc dire, à propos de la quatrième objection, que la quantité qui vient d’une circonstance qui attire vers une nouvelle espèce n’est pas une quantité accidentelle mais essentielle.

[17191] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod peccatum veniale et mortale differunt in infinitum ex parte aversionis, sed non ex parte conversionis, quia utrobique est placentia finita : peccata autem speciem sortiuntur ex parte conversionis, quia ex parte aversionis non differunt.

5. Le péché véniel et le péché mortel diffèrent à l’infini du point de vue de l’aversion ; mais non du point de vue de la conversion, car, dans les deux cas, le plaisir est fini. Mais les péchés tirent leur espèce du point de vue de la conversion, car ils ne diffèrent pas du point de vue de l’aversion.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17192] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod omnes circumstantias confiteri est impossibile ; quasdam autem confiteri est necessitatis : sed in hoc est differentia opinionis. Quidam enim dicunt, quod omnes circumstantiae quae aliquam notabilem quantitatem peccato addunt, confiteri necessitatis est, si memoriae occurrunt. Alii vero dicunt, quod non sint de necessitate confitendae nisi circumstantiae quae ad aliud genus peccati trahunt ; et hoc probabilius est ; sed addendum est, quae ad aliam speciem mortalis trahunt : cujus ratio est, quod venialia non sunt de necessitate confessionis, sed solum mortalia, quae quantitatem infinitam quodammodo habent ; et quia circumstantiae aggravantes quae aliam speciem peccato non tribuunt, vel quae tribuunt quidem, sed non mortalis peccati, non sunt de necessitate confessionis. Tamen eadem confiteri perfectionis est, sicut et de venialibus dictum est.

 

[17193] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis de Sodomis, idest de peccato mortali, non possit homo exire, nisi per confessionem ad minus in proposito existentem ; tamen de illis quae circa sunt, idest de venialibus, et circumstantiis quae venialibus aequivalent, potest homo sine confessione exire.

[17194] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod determinata quantitas peccati non potest sacerdoti innotescere, quia nec ipse peccator scit : unde sufficit quod cognoscat quantitatem quae ex specie peccati consurgit.

Il est impossible de confesser toutes les circonstances, mais il est nécessaire d’en confesser certaines. Mais, sur ce point, les opinions divergent. En effet, certains disent qu’il est nécessaire de confesser toutes les circonstances qui ajoutent une quantité notable au péché, si elles viennent à la mémoire. Mais d’autres disent qu’il n’est nécessaire de confesser que les circonstances qui attirent vers un autre genre de péché. Cela est plus probable. Mais il faut ajouter : qui attirent vers un autre genre de péché mortel. La raison en est qu’il n’est pas nécessaire de confesser les péchés véniels, mais seulement les péchés mortels, qui ont d’une certaine manière une quantité infinie. Et parce que les circonstances aggravantes qui ne donnent pas au péché une autre espèce ou qui lui en donnent, mais non pas une espèce de péché mortel, il n’est pas nécessaire de les confesser. Cependant, les confesser relève de la perfection, comme on l’a dit pour les péchés véniels.

 

1. Bien qu’on ne puisse sortir de Sodome, c’est-à-dire du péché mortel, que par une confession qui existe au moins en intention, on peut cependant sortir sans confession de ce qui l’entoure, c’est-à-dire des péchés véniels et des circonstances qui équivalent à des péchés véniels.

 

 

2. La quantité du péché ne peut être connue du prêtre, car le pécheur lui-même ne la connaît pas. Il suffit donc qu’il connaisse la quantité qui vient de l’espèce du péché.

[17195] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nec in contritione oportet quod de singulis circumstantiis doleat poenitens, quantum est de necessitate salutis ; sed oportet quod de singulis peccatis ad minus in prima contritione doleat, et de circumstantiis quae peccati speciem mutant. Hoc autem quod Augustinus dicit, pertinet ad perfectionem contritionis.

3. Il n’est pas non plus nécessaire que le pénitent déplore chaque circonstance, pour ce qui est nécessaire au salut, mais il est nécessaire qu’il se repente de chaque péché, au moins lors de sa première contrition, et de chaque circonstance qui change l’espèce du péché. Mais ce que dit Augustin se rapporte à la perfection de la contrition

[17196] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 ad 4 Sed quia aliae rationes videntur concludere quod circumstantiae nullo modo sint confitendae ; ideo dicendum ad quartum, quod circumstantiae particulares peccati carnalis, quae in aliam speciem peccati mortalis trahunt, semper sunt confitendae : quia gratia quae in sacramento poenitentiae datur, restaurat, si qua inclinatio ad peccatum ex talium cogitatione proveniat vel in confitente vel in sacerdote. Unde dicit Gregorius in pastorali : fit plerumque ut dum rectoris animus aliena tentamenta cognoscit, auditis tentationibus etiam ipse pulsetur. Sed haec nequaquam pastori timenda sunt : quia tanto facilius a sua eripitur, quanto misericordius ex aliena tentatione fatigatur. Si tamen sacerdotem lascivum et ad hujusmodi peccata pronum viderit, debet accipere licentiam confitendi alteri sacerdoti : et si non dederit, ad superiorem recurrere. Si autem circumstantiae non aggravant in infinitum, novam speciem peccati mortalis conferendo, quandoque laudabiliter reticentur adhibita debita discretione secundum considerationem turpitudinis circumstantiae, et pronitatem inclinationis ad peccatum ex ejus confessione in ipso confitente vel in sacerdote.

4. Les autres arguments semblent conclure que les circonstances ne doivent être confessées d’aucune manière. C’est pourquoi il faut dire, en réponse au quatrième argument, que les circonstances particulières du péché de la chair, qui l’attirent vers une autre espèce de péché mortel, doivent toujours être confessées, car la grâce qui est donnée dans le sacrement de pénitence guérit celui qui se confesse et le prêtre de l’inclination au péché qui peut venir de telles pensées. Aussi Grégoire dit-il dans le Pastoral : « Il arrive souvent que l’esprit du prêtre, en prenant connaissance des tentations d’autrui, soit lui-même atteint par les tentations entendues. Mais le pasteur ne doit jamais craindre cela, car il est d’autant plus facilement délivré de ses tentations qu’il a manifesté plus de miséricorde à la tentation d’autrui. » Cependant, si [le pénitent] voit que le prêtre est débauché et porté vers ces péchés, il doit recevoir la permission de se confesser à un autre prêtre ; si [le prêtre] ne la lui donne pas, [le pénitent] doit recourir à un supérieur. Mais si les circonstances n’augmentent pas la gravité à l’infini en donnant une nouvelle espèce de péché mortel, il est parfois louable de les taire, compte tenu de la discrétion appropriée au vu du caractère honteux d’une circonstance et de l’inclination prononcée au péché chez celui qui se confesse ou chez le prêtre provoquée par sa confession.

[17197] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 3 a. 2 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod homo in confessione debet famam alterius custodire quantum potest, sed suam conscientiam magis purgare debet : et ideo si circumstantia quae ducit in cognitionem personae, sit de necessitate confessionis, secundum regulam datam, tunc debet confiteri occultando personam quantum potest. Si autem non sit de necessitate confessionis, debet dimittere, ne peccatum alterius prodat.

5. On doit préserver autant que possible la réputation d’un autre en se confessant, mais on doit encore davantage purifier sa conscience. Si une circonstance qui mène à la connaissance d’une personne est nécessaire pour la confession, conformément la règle indiquée, on doit alors s’en confesser en dissimulant la personne autant que possible. Mais si elle n’est pas nécessaire, on doit l’omettre, de crainte qu’elle ne trahisse le péché d’un autre.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Les empêchements à une pénitence véritable]

 

 

Prooemium

Prologue

[17198] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 pr. Deinde quaeritur de impedimentis verae poenitentiae ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 de hypocrisi, quae impedit interius ; 2 de exteriOribus impedimentis.

 

On s’interroge ensuite sur les empêchements à une pénitence véritable. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Sur l’hypocrisie, qui l’empêche à l’intérieur ; 2 – Sur les empêchements extérieurs.

 

 

Articulus 1 [17199] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 tit. Utrum hypocrisis sit peccatum

Article 1 – L’hypocrisie est-elle un péché ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’hypocrisie est-elle un pécé ?]

[17200] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod hypocrisis non sit peccatum. Quia peccatum non dicitur secunda tabula post naufragium. Sed secundum Hieronymum, secunda tabula post naufragium est peccatum abscondere, quod ad hypocrisim pertinet. Ergo non est peccatum.

1. Il semble que l’hypocrisie ne soit pas un péché, car on n’appelle pas un péché la seconde planche après le naufrage. Or, selon Jérôme, la seconde planche après le naufrage consiste à cacher un péché, ce qui est en rapport avec l’hypocrisie. Elle n’est donc pas un péché.

[17201] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vitare scandalum proximorum et famam propriam custodire quilibet debet. Sed haec fiunt per hypocrisim. Ergo non est peccatum.

2. Chacun doit éviter le scandale des proches et préserver sa bonne réputation.. Or, cela se réalise par l’hypocrisie. Ce n’est donc pas un péché.

[17202] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Matth. 6, super illud : nolite fieri sicut hypocritae tristes, dicit Glossa : hypocrita est qui simulat quod non est, repraesentator alterius personae. Sed simulare quod non est, semper est peccatum, sicut et mendacium. Ergo hypocrisis semper est peccatum.

Cependant, à propos de Mt 6 : Ne devenez pas tristes comme les hypocrites, la Glose dit : « L’hypocrite est celui qui simule ce qu’il n’est pas, en présentant un autre personnage.» Or, simuler ce qu’on n’est pas est toujours un péché, comme l’est le mensonge. L’hypocrisie est donc toujours un péché.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’hypocrisie est-elle un péché particulier ?]

[17203] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit speciale peccatum. Quia peccatum simulationis dividitur contra peccatum apertae malitiae. Sed aperta malitia non est speciale peccatum. Ergo nec hypocrisis.

1. Il semble que l’hypocrisie ne soit pas un péché particulier, car le péché de simulation s’oppose au péché de la méchanceté déclarée. Or, la méchanceté déclarée n’est pas un péché particulier. Donc, l’hypocrisie non plus.

[17204] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne peccatum speciale in aliquibus actibus consistit specialiter. Sed hypocrisis in omnibus actibus virtutum consistit, et praecipue in oratione, jejunio, et eleemosyna, ut patet in Evangelio Matth. Ergo hypocrisis non est speciale peccatum.

2. Tout péché particulier consiste de manière particulière dans certains actes. Or, l’hypocrisie se retrouve dans tous les actes des vertus, et surtout dans la prière, le jeûne et l’aumône, comme cela ressort clairement de l’évangile. L’hypocrisie n’est donc pas un péché particulier.

[17205] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, peccatum simulationis virtuti opponitur quae dicitur veritas. Sed veritas est specialis virtus, ut patet in 4 Ethic. Ergo et simulatio, sive hypocrisis, est speciale peccatum.

Cependant, le péché de simulation s’oppose à la vertu qu'on appelle véracité. Or, la véracité est une vertu particulière, comme cela ressort d’Éthique, IV. La simulation ou l’hypocrisie est donc un péché particulier.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’hypocrisie est-elle toujours un péché mortel ?]

[17206] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod semper sit mortale peccatum. Quia peccatum veniale non impedit veniam de peccatis mortalibus. Sed hypocrisis impedit, ut in littera patet. Ergo est mortale peccatum.

1. Il semble que l’hypocrisie soit toujours un péché mortel, car le péché véniel n’empêche pas le pardon des péchés mortels. Or, l’hypocrisie l’empêche, comme cela ressort clairement dans le texte. Elle est donc un péché mortel.

 

[17207] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod in comparatione duorum malorum levius est aperte peccare quam sanctitatem simulare. Sed aperte peccare est peccatum mortale. Ergo et sanctitatem simulare semper.

2. Jérôme dit que, si l’on compare les deux maux, pécher ouvertement est plus léger que simuler la sainteté. Or, pécher ouvertement est un péché mortel. Donc, simuler la sainteté dans tous les cas.

[17208] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit, quod illi qui amicitiam simulant, magis sunt accusandi quam illi qui numisma violant, quanto contra melius fraudem committunt. Sed qui numisma violant, semper mortaliter peccant. Ergo et hypocritae.

3. Le Philosophe dit que ceux qui simulent l’amitié doivent être davantage accusés que ceux qui violent la monnaie, dans la mesure où ils commettent une fraude contre quelque chose de meilleur. Or, ceux qui violent la monnaie pèchent toujours mortellement. Donc, les hypocrites aussi.

[17209] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod excluditur a visione Dei est peccatum mortale. Sed hypocrisis est hujusmodi, ut patet Job 13, 16 : in conspectu ejus non veniet omnis hypocrita. Ergo semper est mortale peccatum.

4. Tout ce qui est exclu de la vision de Dieu est péché mortel. Or, l’hypocrisie est de cette sorte, comme cela ressort de Jb 13, 16 : Aucun hypocrite ne paraîtra devant lui. Elle est donc toujours un péché mortel.

[17210] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, veritatis virtus corrumpitur tam per mendacium oris, quam per simulationem operis. Sed mendacium non est semper mortale. Ergo nec simulatio.

Cependant, la vertu de véracité est corrompue autant par le mensonge de la bouche que par la simulation d’un acte. Or, le mensonge n’est pas toujours un péché mortel. Donc, la simulation non plus.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’hypocrisie doit-elle être présentée plus que les autres vices comme un empêchement à la pénitence ?]

[17211] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hypocrisis non debeat poni impedimentum poenitentiae prae aliis vitiis. Quia quanto aliquod peccatum est gravius, tanto magis poenitentiam impedit. Sed alia interiora peccata quaedam sunt majora quam hypocrisis. Ergo illa magis debent poni impedimentum poenitentiae.

1. Il semble que l’hypocrisie ne doive pas être présentée plus que les autres vices comme un empêchement à la pénitence, car plus un péché est grave, plus il empêche la pénitence. Or, certains autres péchés intérieurs sont plus grands que l’hypocrisie. Ceux-ci doivent donc plutôt être présentés comme un empêchement à la pénitence.

[17212] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, hypocrisis, secundum Gregorium, est filia inanis gloriae. Sed causa magis operatur ad aliquid quam effectus. Ergo magis debet poni inanis gloria impedimentum poenitentiae quam hypocrisis.

2. Selon Grégoire, l’hypocrisie est la fille de la vaine gloire. Or, la cause agit davantage que l’effet en vue de quelque chose. La vaine gloire doit donc être présentée comme un empêchement à la pénitence davantage que l’hypocrisie.

[17213] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contrarium in littera apparet.

Cependant, le contraire ressort du texte.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17214] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod hypocrita proprie dicitur qui personam alterius repraesentat, quasi submissus, vel suppositus loco alterius ; unde in theatris illi qui personam aliorum gerebant repraesentantes, dicebantur hypocritae ; et sic accipit hypocritas philosophus in 3 Ethic. : et ideo ille qui cum non sit virtuosus, personam virtuosi ostentat, hypocrita dicitur : hypocritis enim Graece, Latine dicitur simulator. Et quia ostentare de se melius quam sit, est vitium jactantiae, sive verbis, sive factis fiat, ut dicitur in 4 Ethic. ; ideo hypocrisis semper est peccatum.

On appelle hypocrite au sens propre celui qui représente le personnage d’un autre, comme s’il était soumis à un autre ou en occupait la place. Ainsi, au théâtre, ceux qui jouaient le personnage des autres en les représentant étaient-ils appelés des hypo-crites. C’est ainsi que le Philosophe considère les hypocrites dans Éthique. III. C’est pourquoi celui qui montre le personnage d’un vertueux, alors qu’il n’est pas vertueux, est appelé hypocrite. En effet, on dit « hypocrite » en grec et « simulateur » en latin. Et parce que se montrer meilleur qu’on est est le vice de jactance, que ce soit en paroles ou en actes, l’hypocrisie est donc toujours un péché.

[17215] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliud est peccatum occultum non propalare, quod discretionis est, et secunda tabula dicitur eo modo quo supra, dist. 14, qu. 1, art. 2, qu. 3, dictum est ; et aliud virtutem ostentare, cum aliquis peccato subjacet, quod hypocrisis est.

1. C’est une chose de ne pas divulguer un péché occulte, ce qui relève de la discrétion et on parle de seconde planche comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 2, qa 3 ; c’en est une autre de faire étalage de sa vertu, alors qu’on est soumis au péché, ce qu’est l’hypocrisie.

[17216] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum occultare sufficit ad vitandum scandalum ; sed peccatum sub specie virtutis palliare hypocrisis est, et malum semper ; et per hoc quis famam non conservat, sed furatur.

2. Cacher un péché suffit pour éviter le scandale. Or, cacher le péché sous l’apparence de la vertu est de l’hypocrisie et toujours mal : par cela, on ne préserve pas sa réputation, mais la vole.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17217] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod privationes specificantur per habitus oppositos ; et ideo illud peccatum est generale quod aufert aliquam conditionem quae requiritur in qualibet virtute, sicut inobedientia, prout est generale peccatum. Hypocrisis autem aufert conformitatem signi ostendentis conditionem personae ad rem significatam ; quae quidem conformitas ad unam virtutem specialiter pertinet, scilicet veritatem ; et ideo est speciale peccatum.

Les privations reçoivent leur espèce des habitus opposés. C’est pourquoi un péché général est celui qui enlève une condition requise dans toutes les vertus, comme la désobéissance, en tant qu’elle est un péché général. Mais l’hypocrisie enlève la conformité d’un signe montrant la condition d’une personne à la chose signifiée, conformité qui relève en particulier d’une seule vertu, à savoir, la véracité. C’est pourquoi [l’hypocrisie] est un péché particulier.

[17218] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apertum, non importat aliquam specialem rationem peccati ; et ideo aperta malitia non nominat peccatum speciale, sicut simulatio, quae specialem rationem peccati importat.

1. Le fait qu’il soit déclaré ne comporte pas un caractère particulier de péché. C’est pourquoi la méchanceté déclarée ne désigne pas un péché particulier, comme la simulation, qui comporte un caractère particulier de péché.

[17219] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens quod aliquod speciale peccatum vel specialis virtus utatur actibus aliarum virtutum vel vitiorum materialiter, sicut magnanimitas utitur omnibus aliis actibus virtutum, ut in eis magna operetur, ut dicitur in 4 Ethic. : et similiter cum hypocrisis sit quaedam species jactantiae, quia non jactat quodlibet, sed sanctitatem, utitur omnibus actibus quae sanctitatem ostendere possunt, et praecipue illis in quibus magis sanctitas ostenditur, sicut est oratio jejunium, et eleemosyna.

2. Il n’est pas inapproprié qu’un péché particulier ou une vertu particulière fasse usage des actes d’autres vertus ou vices à titre de matière, comme la magnanimité fait usage de tous les autres actes des vertus afin d’y accomplir de grandes choses, comme il est dit dans Éthique, IV. De la même manière, puisque l’hypocrisie est une espèce de la jactance, parce qu’elle ne fait pas jactance de n’importe quoi mais de la sainteté, elle fait usage de tous les actes qui peuvent manifester la sainteté, et surtout de ceux par lesquels la sainteté est davantage manifestée, comme la prière, le jeûne et l’aumône.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17220] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod hypocrisis habet eamdem rationem peccati, sicut et mendacium : mendacium autem non semper est peccatum mortale, sed quando est perniciosum ; et similiter hypocrisis non semper est peccatum mortale, sed quando est perniciosa, cedens in nocumentum alterius personae, dum propter creditam sanctitatem alium defraudat re quam habet, vel habere debet ; aut in nocumentum fidei et Ecclesiae, dum propter sanctitatem creditam de ipso, ei contra fidem et Ecclesiam creditur.

L’hypocrisie a le même caractère de péché que le mensonge. Or, le mensonge n’est pas toujours un péché mortel, mais lorsqu’il est pernicieux. De même, l’hypocrisie n’est pas toujours un péché mortel, mais lorsqu’elle est pernicieuse en tournant au détriment d’une autre personne, alors que, en raison de la sainteté qu’on lui reconnaît, elle prive frauduleusement quelqu’un de ce qu’il a ou doit avoir ; ou bien en tournant au détriment de la foi et de l’Église, alors que, en raison de la sainteté qu’on lui reconnaît, on le croit à l’encontre de la foi et de l’Église.

[17221] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum veniale quod poenitentiam non impedit, non impedit remissionem peccati mortalis, quae per poenitentiam fit ; sed per aliquod peccatum veniale potest impediri poenitentiae opus ne sit poenitentiae ; quia peccatum veniale impedit actum virtutis, quamvis non tollat habitum ; et sic impedire potest veniam peccati.

1. Le péché véniel qui n’empêche pas la pénitence n’empêche pas la rémission du péché mortel qui est réalisée par la pénitence. Mais, par un péché véniel, un acte de pénitence peut être empêché d’être un acte de pénitence, car le péché véniel empêche l’acte d’une vertu, bien qu’il n’enlève pas l’habitus. Il peut ainsi empêcher le pardon d’un péché.

[17222] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Hieronymi intelligendum est secundum quid, et non simpliciter : quia quantum ad unam circumstantiam unum peccatum potest esse gravius illo quod est gravius simpliciter. Vel dicendum, quod etiam aperte peccare non semper est mOrtale, sed quandoque veniale.

2. La parole de Jérôme doit s’entendre de manière relative, et non tout simplement, car, en raison d’une circonstance, un péché peut être plus grave que celui qui est simplement plus grave. Ou bien il faut dire que même pécher ouvertement n’est pas toujours mortel, mais parfois véniel.

[17223] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus loquitur, quando simulatio amicitiae in nocumentum personae redundat.

3. Le Philosophe parle du cas où la simulation de l’amitié tourne au détriment d’une personne.

[17224] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod loquitur de hypocrita qui totum bonum quod agit, ad ostentationem ordinat. Vel dicendum, quod loquitur quantum ad hoc quod opera bona ex hypocrisi facta ad conspectum Dei non perducunt.

4. On parle de l’hypocrite qui ordonne tout le bien qu’il fait à l’ostentation. Ou bien il faut dire qu’on parle du fait que les actes bons accomplis par hypocrisie ne mènent pas à la vision de Dieu.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17225] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod opera poenitentiae, exteriora praecipue, nata sunt sanctitatem ostendere ; et ideo eis utitur hypocrisis intentionem poenitentiae rectae excludens ; et propter hoc directius impedit poenitentiae effectum quam alia vitia etiam graviora.

Les actes de pénitence, surtout les actes extérieurs, sont destinés à manifester la sainteté. C’est pourquoi l’hypocrisie en fait usage en écartant l’intention d’une droite pénitence. Pour cette raison, elle empêche plus directement l’effet de la pénitence que les autres vices plus graves.

[17226] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement.

[17227] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inanis gloria surgit quandoque ex operibus etiam recta intentione factis ; sed hypocrisis semper intentionem factorum pervertit, et ideo magis impedit poenitentiae fructum.

2. La vaine gloire vient parfois d’actes même lorsqu’ils sont accomplis avec une intention droite. Mais l’hypocrisie pervertit toujours l’intention des actes. C’est pourquoi elle empêche davantage le résultat de la pénitence.

 

 

Articulus 2 [17228] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 tit. Utrum ludi poenitentiam exterius impediant

Article 2 – Les jeux empêchent-ils la pénitence de l’extérieur ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les jeux empêchent-ils la pénitence de l’extérieur ?]

[17229] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ludi poenitentiam exterius impediant. Illud enim in quo potest consistere virtus, poenitentiam non impedit. Sed in ludis consistit virtus eutrapeliae, ut in 4 Ethic. patet. Ergo ludus poenitentiam non impedit.

1. Il semble que les jeux empêchent la pénitence de l’extérieur. En effet, ce en quoi peut consister la vertu n’empêche pas la pénitence. Or, la vertu d’eutrapélie consiste dans les jeux, comme cela ressort d’Éthique, IV. Le jeu n’empêche donc pas la pénitence.

[17230] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, oportet operibus laboriosis requiem interponere, eo quod impossibile est semper agere. Sed ludus est requies quaedam. Ergo oportet inter opera poenitentiae aliquando ludere ; ergo ludus poenitentiam non impedit.

2. Il est nécessaire d’intercaler le repos dans les actes qui demandent un effort, puisqu’il est impossible de toujours agir. Or, le jeu est un certain repos. Il est donc parfois nécessaire de jouer au sein des actes de pénitence. Le jeu n’empêche donc pas la pénitence.

[17231] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Eccle. 3, tempus ridendi aliud describitur a tempore flendi. Sed tempus poenitentiae est tempus flendi : quia poenitentia est commissa flere. Ergo non est tempus ludendi.

Cependant, dans Qo 3, le temps de rire est décrit comme différent du temps de pleurer. Or, le temps de la pénitence est le temps de pleurer, car la pénitence consiste à pleurer les [péchés] commis. Ce n’est donc pas le temps de jouer.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les spectacles empêchent-ils la pénitence ?]

[17232] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod spectacula non impediant poenitentiam. Spectacula enim ad utilitatem hominum sunt instituta. Sed poenitentia non resecat utilia, sed superflua. Ergo poenitentia per spectacula non impeditur.

1. Il semble que les spectacles n’empêchent pas la pénitence. En effet, les spectacles ont été établis pour le bien de l’homme. Or, la pénitence ne coupe pas les choses utiles, mais les choses superflues. La pénitence n'est donc pas empêchée par les spectacles.

[17233] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in spectando aliud non potest esse nisi peccatum curiositatis. Sed aliae curiositates, ut scientiarum, non ponuntur impedimenta poenitentiae. Ergo nec spectaculum impedimentum poenitentiae dici debet.

2. Dans un spectacle, il ne peut y avoir rien d’autre qu’un péché de curiosité. Or, les autres curiosités, comme celles des sciences, ne sont pas présentées comme des empêchements à la pénitence. On ne doit donc pas non plus dire qu’un spectacle est un empêchement à la pénitence.

[17234] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, alia sunt multo graviora peccata quam spectacula et ludi. Ergo illa multo magis debent poni impedimenta poenitentiae quam ista.

3. D’autres choses sont des péchés beaucoup plus graves que les spectacles et les jeux. Elles doivent donc bien davantage que celles-ci être présentées comme des empêchements à la pénitence.

[17235] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud ex quo homo peccator constituitur, non competit poenitenti. Sed inspectores talium adulteros et inverecundos ipsa spectacula constituunt, ut Chrysostomus dicit. Ergo non competunt poenitenti.

Cependant, ce qui fait de l’homme un pécheur ne convient pas à la pénitence. Or, ces spectacles font de ceux qui les observent des adultères et des effrontés, comme le dit [Jean] Chrysostome. Ils ne conviennent donc pas à la pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’exercice du métier de soldat et de commerçant empêche-t-il la pénitence ?]

[17236] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod exercitium militiae vel negotiationis poenitentiam non impediat. Quia illa sine quibus non potest respublica conservari, non sunt vitia, sed magis ad virtutem ordinata. Sed non potest conservari sine militia, per quam hostes comprimuntur, et sine negotiatione, per quam necessaria populo procurantur. Ergo talia officia sine peccato possunt exerceri ; ergo non impediunt poenitentiam.

1. Il semble que l’exercice du métier de soldat et de commerçant n’empêche pas la pénitence, car les choses sans lesquelles la communauté ne peut pas être préservée ne sont pas des vices, mais elles sont ordonnées à la vertu. Or, [la communauté] ne peut pas être préservée sans le métier de soldat, par lequel les ennemis sont répoussés, ni sans le commerce, par lequel le peuple se procure le nécessaire. De telles fonctions peuvent donc être exercées sans péché. Elles n’empêchent donc pas la pénitence.

[17237] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Joannes poenitentiam docebat, ut patet Matth. 3. Sed ipse non prohibebat homines a militia, neque publicanos ab officio suo, ut patet Lucae 3. Ergo videtur quod talia officia non impediant.

2. Jean enseignait la pénitence, comme cela ressort de Mt 3. Or, lui-même n’interdisait pas aux hommes le métier de soldat, ni aux publicains l’exercice de leur fonction, comme cela ressort de Lc 3. Il semble donc que de telles fonctions n’empêchent pas [la pénitence].

[17238] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius in littera dicit.

Cependant, Grégoire dit le contraire dans le texte.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17239] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ludorum est triplex differentia. Quidam enim ludi sunt qui ex se ipsis turpitudinem habent ; et tales ludi ab omnibus vitandi sunt, et praecipue a poenitentibus, qui per fletum peccata corrigere debent, sicut ludi qui in theatris agebantur ad luxuriam provocantes. Alii ludi sunt qui ex gaudio devotionis procedunt, sicut David dixit : ludam, et vilior fiam coram domino : 2 regum 6, 21 et 23 ; et tales ludi non sunt vitandi, sed laudandi et aemulandi. Quidam autem ludi sunt nullam turpitudinem habentes, quos philosophus liberales vocat ; et hi sunt materia virtutis, scilicet eutrapeliae ; et ideo servatis debitis circumstantiis, possunt laudabiliter fieri ad quietem propriam, et aliis delectabiliter convivendum. Sed contingit in eis esse peccatum, eo quod debitae circumstantiae non servantur ; unde in talibus ludis aliquid decet unum quod non decet alium ; et in his etiam ludis poenitens se debet habere aliter quam alii, inquantum poenitentia fletum requirit. Tamen eis moderate uti potest, secundum quod ad recreationem animi pertinent, aut ad societatem eorum cum quibus homo convivit ; unde Seneca dicit : sic te gere sapienter, ut nullus te habeat tamquam asperum, nec contemnat quasi vilem.

Il existe trois sortes de jeux. En effet, certains jeux comportent par eux-mêmes une turpitude : ces jeux doivent être évités par tous, et surtout par ceux qui font pénitence et doivent corriger leurs péchés dans les pleurs. C’est le cas des jeux qui se pratiquaient dans les théâtres en suscitant la luxure. D’autres jeux viennent de la joie de la dévotion, comme le disait David : Je jouerai et je m’abaisserai encore davantage devant le Seigneur, 2 R 6, 21 et 23. Ces jeux ne doivent pas être évités, mais louangés et imiter. Mais certains jeux ne comportent aucune turpitude : le Philosophe les appelle libéraux. Ceux-ci sont la matière d’une vertu, l’eutrapélie. C’est pourquoi, en sauvegardant les circonstances appropriées, ils peuvent être louablement pratiqués pour son propre repos et pour vivre avec les autres de manière agréable. Mais il arrive que se produise en eux un péché lorsque les circonstances appropriées ne sont pas sauvegardées. Aussi, dans de tels jeux, quelque chose convient à l’un qui ne convient pas à un autre. Dans ces jeux, le pénitent doit se comporter autrement que les autres, pour autant que la pénitence exige de pleurer. Il peut cependant en faire usage de manière modérée pour autant qu’ils se rapportent au soulagement de l’âme ou à la société de ceux avec qui l’homme vit. Aussi Sénèque dit-il : « Comporte-toi sagement, de sorte que personne ne te considère comme intraitable, ni ne te méprise comme vulgaire.»

[17240] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections sont ainsi claires.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17241] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod hujusmodi spectacula si sunt rerum turpium, ad peccatum provocantium, studiosa eorum inspectio peccatum est, et quandoque etiam mortale, tanta potest libido adhiberi ; unde a tali inspectione omnes se arcere debent, et praecipue poenitentes. Quaedam vero spectacula sunt de rebus utilibus et ad vitam necessariis, sicut sunt venationes, et cetera hujusmodi ; et talia spectacula distrahunt animum ; unde quamvis possit sine peccato eis intendi, servata discretione debita quantum ad conditiones personae, et aliarum circumstantiarum ; tamen poenitenti sunt vitanda propter hoc quod debet cor ad Deum collectum habere, nisi quantum necessitas exposcit.

L’assistance appliquée à de tels spectacles, s’ils portent sur des choses honteuses provoquant au péché, est un péché, et parfois un péché mortel, tant peut être grand le désir qu’on y met. Aussi tous doivent-ils s’écarter d’une telle assistance, et surtout ceux qui font pénitence. Mais certains spectacles portent sur des choses utiles et nécessaires à la vie, comme les chasses et les autres choses de ce genre. De tels spectacles distraient l’âme. Bien qu’on puisse s’y adonner sans péché, en sauvegardant la discrétion nécessaire pour ce qui est des circonstances personnelles et des autres circonstances, ils doivent cependant être évités par celui qui fait pénitence parce que son cœur doit se concentrer sur Dieu, à moins qu’une nécessité ne l’exige.

[17242] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenitentia etiam quaedam utilia resecat, inquantum poenam infert pro culpa praeterita : unde in littera dicitur, quod aliquid sufficit ei qui non peccavit, quod non sufficit ei qui de peccatis poenitentiam agit.

1. La pénitence coupe même certaines choses utiles dans la mesure où elle impose une peine pour une faute passée. Aussi dit-on dans le texte que quelque chose est suffisant pour celui qui n’a pas péché, qui n’est pas suffisant pour celui qui fait pénitence pour ses péchés.

[17243] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hujusmodi spectacula sensibilia magis animus ad vanitates distrahitur quam per intelligibilia : et ideo ista magis sunt cavenda ; quamvis peccatum curiositatis in omnibus cavendum sit.

2. Par ces spectacles sensibles, l’âme est davantage entraînée vers des futilités que par les réalités intelligibles. Ils doivent donc être davantage évités, bien que le péché de curiosité doive être évité en toutes choses.

[17244] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ista peccata specialiter ex inepta laetitia procedere videntur ; et quia poenitentia tristitiam habet adjunctam, ideo specialem oppositionem ad poenitentiam ista peccata habent.

3. Ces péchés semblent venir d’une joie déplacée. Parce qu’une tristesse est associée à la pénitence, ces péchés sont donc opposés d’une manière particulière à la pénitence.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17245] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod officium militiae et negotiationis, et publicanorum, qui vectigalia publica exigunt, ex propinquo habent peccatum annexum, quamvis sine peccato quandoque exerceri possunt. Et quia poenitens debet occasionem peccati vitare satisfaciendo, etiam talia officia laudabile est si evitet ; non est tamen de necessitate poenitentiae : quia poenitens non potest omnes peccati occasiones vitare, dum in mundo isto vivit ; et ideo sufficit, si peccatum in istis officiis vitet ; ut quod miles secundum consilium Joannis, neminem concutiat, et stipendiis justis contentus sit, et non utatur officio militari ad ostentationem, sed ad utilitatem Ecclesiae et reipublicae, et ad exercitium virium ; et quod negotiator non habeat conditionem in se, quae ipsum ab officio hoc prohibeat ; sicut clericis et monachis non licet negotiari, quamvis liceat propria vendere ; et quod tempore debito mercationes faciant, non diebus festivis, et tempore quod caristiam inducere possit, tale officium exerceatur ; et modus debitus, ut sine fraude fiat, et secundum licitum contractum. In publicanis autem, ut de auctoritate principis, et causa communis utilitatis, scilicet ad defensionem terrae, et non immoderata recipiantur telonea. Quod autem Gregorius dicit in littera, intelligendum est non quia non possit sine peccato fieri, sed quia frequenter ad peccatum implicat.

Le péché est associé de près aux métiers de soldat, de commerçant et des publicains, qui lèvent les impôts publics, bien qu’ils puissent parfois être exercés sans péché. Parce que le pénitent doit éviter l’occasion de péché par la satisfaction, il est aussi louable qu’il évite ces fonctions, mais cela n’est pas nécessaire à la pénitence, car un pénitent ne peut éviter toutes les occasions de péché, aussi longtemps qu’il vit dans ce monde. Il suffit donc qu’il évite le péché dans ces fonctions. Ainsi, le soldat ne doit frapper personne, selon le conseil de Jean, se contenter de son salaire et ne pas faire usage de sa fonction militaire pour parader, mais pour le bien de l’Église et de la communauté et pour s’entraîner. Le commerçant ne doit pas être affecté par une condition qui l’empêche d’exercer cette fonction : ainsi, il n’est pas permis aux clercs et aux moines de faire du commerce, bien qu’il leur soit permis de vendre leurs propres biens ; les échanges commerciaux doivent être faits au moment approprié, et non les jours de fêtes, et une telle fonction ne doit pas être exercée à un moment qui peut entraîner des ripailles ; le mode approprié [doit aussi être respecté], de sorte qu’[une telle fonction] soit exercée sans fourberie et conformément au contrat autorisé. Quant aux publicains, qu’ils perçoivent les impôts selon l’autorité du dirigeant et pour le bien commun, à savoir, pour la défense du pays, et non pas des [impôts] immodérés. Mais ce que dit Grégoire dans le texte ne doit pas être entendu au sens où cela ne peut être fait sans péché, mais où cela implique souvent un péché.

[17246] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 16

[17247] Super Sent., lib. 4 d. 16 q. 4 a. 2 qc. 3 expos. Cogit peccatorem omnia libenter ferre. Intelligendum est de illis quae sunt necessaria ad peccati remissionem ; et sic est accommodata distributio. Sunt enim tres differentiae peccati et cetera. Contra. Omittit peccatum oris. Praeterea, Gregorius, addit super illud Job 3 : quare non in vulva mortuus sum  ? Quartum, scilicet fomentum adulationis. Et dicendum quod haec distinctio peccatorum differt a prima : quia prima est secundum diversitatem instrumentorum, haec autem secundum progressum peccati, quod primo de intus, secundo ad extra procedit, tertio confirmatur per consuetudinem ; et adaptatur partibus poenitentiae : quia contritio in corde latet, confessio ad exteriora poenitentiam manifestat, sed satisfactio boni operis consuetudinem adjungit. Non tamen hoc ita est intelligendum, quasi singulae poenitentiae partes singulis conditionibus peccati respondeant, sed per adaptationem, sicut et de aliis dictum est. Ad primum ergo dicendum, quod verbum habet eumdem gradum quantum ad manifestationem cum ipso facto ; et ideo in facto includitur. Ad secundum dicendum, quod illud quod Gregorius addit, non est in ipso peccante, sed in alio ; et ideo Augustinus illud omittit. Satisfactio praecipitur a Joanne etc., non quod Joannes fuerit auctor praecepti, sed denuntiator ; Christus autem sacramenti institutor et partium ejus. Ponat se omnino in judicio. Ergo videtur quod si sacerdos injungat alicui quod intret religionem, teneatur facere ; et praecipue quia quidam canones videntur istam poenitentiam taxare ; et similiter quod quantumcumque magnam poenitentiam pro parvo peccato injungat, poenitens facere teneatur. Et dicendum, quod intelligendum est de his quae sacerdos, inquantum habet clavem scientiae et auctoritatis per divinum judicium, et non secundum humanum errorem, injungit. Introitus autem in religionem cum sit voluntatis, non potest alicui injungi ; et si aliqui canones injungere inveniantur, magis est consilium quam praeceptum : qualibet enim poenitentia taxata, levissima religio est major satisfactio, inquantum homo abdicat propriam voluntatem, qua nihil est homini carius. Caveat ne ductus verecundia dividat apud se confessionem. De hoc inquiretur, cum de confessione quaestio erit. Caveat etiam ne prius ad dominicum corpus accedat quam confortetur bona conscientia. Bona conscientia confortatur, quando certis signis conjicere potest peccatum sibi dimissum ; et hoc quando facit quod in se est ; et ideo qui habet copiam sacerdotis, et necessitate non urgetur ad communicandum, sicut urgentur sacerdotes parochiales, non debet accedere ante confessionem ; sed etiam post contritionem et confessionem gravium peccatorum, consilium videtur esse Augustini, quod non statim accedat propter reverentiam sacramenti, et ut magis seipsum probet. Quae non secundum auctoritatem sanctorum imponuntur. Non tamen oportet quod semper ad litteram serventur poenitentiae in canone injunctae ; sed consideratis conditionibus peccati et peccatoris poenitentiae sunt moderandae. Quae fit pro illis peccatis quae legis Decalogus continet, sicut directe contra Decalogi praecepta existentia, ut mortalia ; non autem sicut praeter praecepta, sicut sunt peccata venialia. Sic veraciter dicitur : sicut et nos dimittimus debitoribus nostris. Videtur quod ille qui non habet peccatum aliquod, peccet in dicendo : pater noster : quia confitetur debita se habere quae non habet. Praeterea, videtur idem de illo qui debita non dimittit, quod peccet dicendo, pater noster. Et dicendum ad primum, quod hoc non est alicui certum quod omnino a peccato, saltem veniali, vel quantum ad aliquem reatum, immunis sit. Si tamen per revelationem sciat, non peccat dicens in persona Ecclesiae. Et similiter dicendum de secundo, quod in persona Ecclesiae dicit se debita dimittere ; unde non peccat hoc dicendo ; sed remissionem non consequitur, nisi dimittat.

 

 

 

Distinctio 17

Distinction 17 – [Les parties de la pénitence]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La justification]

 

 

Prooemium

Prologue

[17248] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 pr. Postquam distinxit Magister poenitentiae partes, hic movet quasdam quaestiones de partibus illis ; et dividitur in partes duas : in prima movet quaestiones ; in secunda prosequitur eas, ibi : dicunt enim quidam sine confessione oris et satisfactione operis neminem a peccato mundari. Et haec pars dividitur in duas : in prima prosequitur unam quaestionem de comparatione contritionis ad confessionem, utrum scilicet per solam contritionem aut confessionem peccatum dimittatur ; in secunda prosequitur quaestiones de ipsa confessione, ibi : jam secundum quaestionis articulum inspiciamus. Circa primum tria facit : primo ponit rationes ad partem affirmativam ; secundo ad negativam, ibi : quod qui negant, eas determinare laborant ; tertio determinat veritatem, ibi : quid igitur super his sentiendum sit, quid tenendum  ? Jam secundum quaestionis articulum inspiciamus. Hic prosequitur quaestiones de ipsa confessione secundum se ; et dividitur in partes duas : in prima prosequitur quaestiones superius motas de confessione ex parte ejus cui facienda est confessio ; in secunda concludit ex dictis responsionem ad quamdam quaestionem de necessitate confessionis, ibi : si ergo quaeritur ad quid confessio sit necessaria (...) dicimus, quia punitio peccati est. Prima in tres : in prima prosequitur secundam quaestionem superius motam, scilicet utrum oporteat homini confiteri, et an sufficiat confessio Deo facta, ponendo rationes ad veritatem, et contra veritatem ; in secunda prosequitur tertiam quaestionem, scilicet an oporteat sacerdoti confiteri, vel possit fieri cuicumque, ibi : nunc priusquam praemissis auctoritatibus (...) respondeamus, tertiam quaestionem intueamur ; in tertia respondet ad objectiones secundae quaestionis contra veritatem factas, ibi : cum igitur ex his aliisque pluribus testimoniis perspicuum fiat (...) peccata primum Deo, deinde sacerdoti esse confitenda (...) illud Joannis Chrysostomi non est ita intelligendum et cetera. Prima in duas : in prima objicit contra veritatem ; in secunda pro ipsa, ibi : sed quod sacerdotibus confiteri oporteat, non solum illa auctoritate Jacobi (...) sed etiam aliorum pluribus testimoniis comprobatur. Nunc prius quam praemissis auctoritatibus (...) respondeamus, tertiam quaestionem intueamur. Hic duo facit : primo ostendit quod quando facultas adest, confessio facienda est sacerdoti ; secundo distinguit in hoc de confessione venialium vel mortalium, secundum Bedam, ibi : Beda vero inter confessionem venialium et mOrtalium distinguit. Hic est triplex quaestio. Prima de justificatione impii. Secunda de contritione. Tertia de confessione. De satisfactione autem in 15 dist. dictum est. Circa primum quaeruntur quinque : 1 quid sit justificatio impii ; 2 quae praeexiguntur ad ipsam ; 3 quae concurrunt ad ipsam ; 4 de ordine ipsorum ; 5 qualis sit.

 

Après avoir distingué les parties de la pénitence, le Maître soulève ici des questions sur ces parties. Cela se divise en deux questions : dans la première, il soulève les questions ; dans la seconde, il en poursuit l’examen, à cet endroit : « On dit que personne n’est purifié du péché par la confession de la bouche et par un acte de  satisfaction. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il poursuit l’examen d’une question sur la comparaison de la contrition à la confession, à savoir, si le péché est remis par la seule contrition ou la seule confession ; dans la seconde, il poursuit l’examen de questions sur la confession elle-même, à cet endroit : « Maintenant, examinons le second membre de la question. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente les arguments en faveur de l’affirmative ; deuxièmement, en faveur de la négative, à cet endroit : « Ceux qui le nient ont de la difficulté à en déterminer. » ; troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Que devons-nous donc en penser, quelle position devons-nous tenir ? » « Maintenant, examinons le second membre de la question.» Ici, il poursuit l’examen des questions sur la confession en elle-même. [Cette partie] se divise en deux parties : dans la première, il poursuit l’examen des questions soulevées antérieurement sur la confession concernant celui à qui la confession doit être faite ; dans la seconde, il tire de ce qui a été dit la réponse à une question sur la nécessité de la confession, à cet endroit : « Si donc on cherche pourquoi la confession est nécessaire…, nous disons que c’est parce qu’elle est une punition pour le péché. » La première partie se divise en trois : dans la première, il poursuit l’examen de la deuxième question soulevée plus haut, à savoir, s’il est nécessaire de se confesser à un homme et si la confession faite à Dieu suffit, en présentant les arguments pour et contre la vérité ; dans la deuxième, il poursuit l’examen de la troisième question, à savoir s’il faut se confesser à un prêtre ou si on peut le faire à n’importe qui, à cet endroit : « Maintenant, avant de répondre… aux autorités invoquées, examinons la troisième question » ; dans la troisième, il répond aux objections de la seconde question soulevées contre la vérité, à cet endroit : « Puisqu’il ressort clairement de ces témoignages et d’autres… qu’il faut d’abord confesser ses péchés à Dieu, ensuite à un prêtre…, ce que dit [Jean] Chrysostome ne doit pas être entendu, etc. ». La première partie se divise en deux : dans la première, il soulève des objections contre la vérité ; dans la seconde, des arguments en sa faveur, à cet endroit : « Mais qu’il faille se confesser aux prêtres, cela est démontré non seulement par cette autorité de Jacques…, mais aussi par de nombreux témoignages d’autres personnes. « Maintenant, avant de répondre… aux autorités invoquées, examinons la troisième question. » Ici, il fait deux choses : premièrement, il montre que, lorsque cela est possible, la confession doit être faite à un prêtre ; deuxièmement, il fait une distinction sur ce point entre la confession des péchés véniels et des péchés mortels, selon Bède, à cet endroit : « Mais Bède fait une distinction entre la confession des péchés véniels et celle des péchés mortels. » Ici, trois questions sont soulevées. La première porte sur la justification de l’impie ; la deuxième, sur la contrition ; la troisième, sur la confession. Mais on a déjà parlé de la satisfaction dans la d. 15. Cinq questions sont soulevées à propos de la première question : 1 – Qu’est-ce que la justification de l’impie ? 2 – Quelles en sont les exigences préalables ? 3 – Qu’est-ce qui y concourt ? 4 – Sur l’ordre entre ces éléments ; 5 – Quelle en est la qualité ?

 

 

Articulus 1 [17249] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum assignatio justificationis quae ponitur Rom. 8, sit competens

Article 1 – La description de la justification donnée à propos de Rm 8 est-elle correcte ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La description de la justification donnée à propos de Rm 8 est-elle correcte ?]

[17250] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec assignatio quae ponitur Rom. 8, in Glossa interlineali sit incompetens, scilicet : justificatio est remissio peccatorum, et consummatio bonorum operum. Peccata enim inficiunt omnes potentias. Sed justificatio est in sola voluntate ; quia secundum Anselmum, justitia est rectitudo voluntatis pro se servata. Ergo cum justificatio nihil aliud sit quam justitiae adeptio, videtur quod non sit remissio omnium peccatorum.

1. Il semble que la description donnée dans la glose interlinéaire à propos de Rm 8 soit incorrecte : « La justification est la rémission des péchés et l’accomplissement d’actes bons. » En effet, les péchés affectent toutes les puissances. Or, la justification ne se trouve que dans la volonté, car, selon Anselme, « la justification est la rectitude de la volonté conservée pour elle-même ». Puisque la justification n’est rien d’autre que l’obtention de la justice, il semble donc qu’elle ne soit pas la rémission de tous les péchés.

 

[17251] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit, quod justificatio est revelatio divini consilii. Sed divinum consilium revelatur aliquando eis quibus non dimittitur peccatum, sicut patet de Nabuchodonosor Dan. 2. Ergo justificatio non est peccatorum remissio.

2. Bernard dit que la justification est la révélation du dessein de Dieu. Or, le dessein de Dieu est parfois révélé à ceux à qui le péché n’est pas remis, comme cela ressort clairement pour Nabuchodonosor en Dn 2. La justification n’est donc pas la rémission des péchés.

[17252] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, justificatio, ut quidam dicunt, est effectus justitiae generalis, in qua de impio fit pius. Remissio autem peccatorum non est effectus justitiae, sed gratiae. Ergo justificatio non est remissio peccatorum.

3. Comme certains le disent, la justification est l’effet de la justice générale, par laquelle un impie devient saint. Or, la rémission des péchés n’est pas l’effet de la justice, mais de la grâce. La justification n’est donc pas la rémission des péchés.

[17253] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, consummatio bonorum operum in poenitente fit per satisfactionem. Sed homo justificatur per solam contritionem ante satisfactionem, ut ex littera habetur. Ergo justificatio non est consummatio bonorum operum.

4. L’accomplissement d’actes bons par le pénitent se réalise dans la satisfaction. Or, l’homme est justifié par la seule contrition avant la satisfaction, comme on le trouve dans le texte. La justification n’est donc pas l’accomplissement d’actes bons.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La justification est-elle différente de l’appel ?]

[17254] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justificatio sit aliud quam vocatio. Quia, Rom. 8, quatuor per ordinem recitantur : scilicet praedestinatio, vocatio, justificatio, magnificatio. Sed secundum horum distat a primo. Ergo et tertium differt a secundo.

1. Il semble que la justification soit différente de l’appel, car, en Rm 8, quatre choses sont indiquées selon un ordre : la prédestination, l’appel, la justification et la glorification. Or, la deuxième est différente de la première. La troisième diffère donc aussi de la deuxième.

[17255] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc.

 

2 arg. 2 Praeterea, vocatio etiam est in peccato existentium. Prov. 1, 24 : vocavi et renuistis. Sed justificatio non, cum sit peccatorum remissio. Ergo justificatio non est vocatio.

2. L’appel existe pour ceux qui se trouvent dans le péché. Pr 1, 24 : J’ai appelé, et vous avez résisté. Or, tel n’est pas le cas de la justification, puisqu’elle est la rémission des péchés. La justification n’est donc pas l’appel.

[17256] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, vocatio importat distantiam in eo qui vocatur. Sed justificatio importat approximationem ad Deum in eo qui justificatur. Ergo justificatio non est vocatio.

3. L’appel comporte une distance chez celui qui est appelé. Or, la justification comporte un rapprochement de Dieu chez celui qui est justifié. La justification n’est donc pas l’appel.

[17257] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Glossa, Rom. 8, dicit, quod vocare est cognitionem de fide adjuvare. Sed istud adjutorium non est per gratiam gratis datam ; quia sic esset etiam malorum ; quod est contra intentionem Glossae, ibidem. Ergo est per gratiam gratum facientem. Sed infusio gratiae gratum facientis est justificatio. Ergo vocatio est idem quod justificatio.

Cependant, [1] à propos de Rm 8, la Glose dit qu’appeler, c’est aider à la connaissance de la foi. Or, cette aide ne se réalise pas par la grâce sanctifiante [gratiam gratis datam], car elle serait aussi alors le fait des méchants, ce qui est contraire à l’intention de la Glose au même endroit. Or, l’infusion de la grâce sanctifiante est justification. L’appel et donc la même chose que la justification.

[17258] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, idem per essentiam est motus a termino et ad terminum oppositum, sicut de albedine ad nigredinem. Sed vocatio dicit motum a termino, scilicet a peccato ; justificatio dicit accessum ad terminum, scilicet justitiam. Ergo justificatio et vocatio sunt idem.

[2] Le mouvement depuis le point de départ jusqu’au point d’arrivée opposé est le même, comme c’est le cas du passage du blanc au noir. Or, l’appel exprime le mouvement depuis le point de départ, à savoir, le péché ; la justification exprime l’arrivée au terme, à savoir, la justice. La justification et la vocation sont donc la même chose.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La justification est-elle la même chose que le renouvellement et la guérison de l’esprit ?]

[17259] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justificatio non sit idem quod renovatio mentis, et sanatio. Quia justificari potest aliquis in hac vita, non autem renovari vel sanari. Ergo justificatio neutrum illorum est. Probatio mediae quantum ad justificationem est ex hoc quod dicitur Roman. 3, 24 : justificati gratis per gratiam ipsius. Quantum ad sanationem patet per id quod dicitur in Glossa interlineali ex Augustino super illud Psalm. 102, 3 : qui sanat omnes infirmitates tuas, quod in fine sanabit languores, quando corruptibile hoc induet incorruptionem ; quod non erit in hac vita. Quantum ad renovationem autem ex hoc quod dicitur in Glossa super illud Rom. 6 : in novitate vitae ambulemus ; quod in futuro in immortalitate perficietur.

1. Il semble que la justification ne soit pas la même chose que le renouvellement et la guérison de l’esprit, car on peut être justifié en cette vie sans être renouvelé ou guéri. La justification n’est donc aucune de ces deux choses. La démonstration de la mineure, pour ce qui est de la justification, vient de ce qui est dit en Rm 3, 24 : Justifiés gratuitement par sa grâce. Pour ce qui est de la guérison, cela ressort clairement de ce qui est dit dans la glose interlinéaire tirée d’Augustin sur Ps 102, 3 : Lui qui guérit toutes tes maladies : à la fin, il guérira nos maladies lorsque ce qui est corruptible revêtira l’incorruptibilité, ce qui ne s’accomplira pas en cette vie. Pour ce qui est du renouvellement, cela est démontré par ce qui est dit dans la Glose, à propos de Rm 6 : Marchons dans la nouveauté de la vie.

[17260] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quorum opposita differunt, ipsa etiam differunt. Sed opposita horum sunt diversa et nomine et ratione ; quia justificationi opponitur impietas, renovationi vetustas, sanationi infirmitas. Ergo non sunt idem.

2. Les choses qui diffèrent de choses opposées diffèrent aussi entre elles. Or, les choses opposées à celles-ci sont différentes tant par le nom que par leur nature, car l’impiété est opposée à la justification, la vétusté au renouvellement, la maladie à la guérison. Elles ne sont donc pas la même chose.

[17261] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, renovatio mentis et sanatio fit per peccatorum dimissionem. Sed justificatio nihil aliud est quam peccatorum remissio. Ergo videtur quod justificatio sit idem quod renovatio vel sanatio mentis.

Cependant, le renouvellement et la guérison de l’esprit se réalisent par la rémission des péchés. Or, la justification n’est rien d’autre que la rémission des péchés. Il semble donc que la justification soit la même chose que le renouvellement ou la guérison de l’esprit.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La justification se ramène-t-elle à l’attribut de la miséricorde ?]

[17262] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justificatio non reducatur ad attributum misericordiae. Quia secundum Augustinum, majus est de impio facere pium quam creare caelum et terram. Sed creatio caeli et terrae, propter hoc quod infinitam potentiam ostendit, reducitur ad attributum potentiae. Ergo et justificatio impii ; et non ad misericordiam.

1. Il semble que la justification se ramène à l’attribut de la miséricorde, car, selon Augustin, il est plus grand de rendre saint un impie que créer le ciel et la terre. Or, parce qu’elle manifeste une puissance infinie, la création du ciel et de la terre se ramène à l'attribut de la puissance. Donc, la justification de l’impie aussi, et non à la miséricorde.

[17263] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Deus, inquantum est bonus, facit omnia bona. Ergo inquantum est justus, facit homines justos. Sed justificare nihil aliud est quam justum facere. Ergo justificatio reducitur ad attributum justitiae magis quam misericordiae.

2. Dieu, en tant qu’il est bon, fait que toutes les choses sont bonnes. Donc, en tant qu’il est juste, il fait que tous les hommes sont justes. Or, justifier n’est rien d’autre que de rendre juste. La justification se ramène donc à l’attribut de la justice plutôt qu’à celui de la miséricorde.

[17264] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Ambrosius dicit, quod praecedit quiddam in peccatoribus quo digni sunt justificatione. Sed ad justitiam pertinet reddere alicui hoc quo dignus est. Ergo justificatio reducitur ad attributum justitiae.

3. Ambroise dit que quelque chose précède chez les pécheurs, par quoi ils sont dignes de la justification. Or, il appartient à la justice de rendre à quelqu’un ce dont il est digne. La justification se ramène donc à l’attribut de la justice.

[17265] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, miseria hominis in peccato principaliter consistit ; miseros enim facit populos peccatum ipsum. Sed miseriam removere ad misericordiam pertinet. Ergo cum justificatio sit peccatorum remissio, videtur quod ad attributum misericordiae reducatur.

Cependant, [1] la misère de l’homme consiste principalement dans le péché : en effet, c’est le péché qui rend les peuples misérables. Or, enlever la misère relève de la miséricorde. Puisque la justification est la rémission des péchés, ils semble donc qu’elle se ramène à l'attribut de la miséricorde.

[17266] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, justificatio fit per gratiam. Sed gratia est effectus misericordiae, ut patet per illud quod apostolus inducit Rom. 9, 15 : miserebor cujus miserebor et misericordiam praestabo, cujus miserebor. Ergo pertinet ad misericordiam.

[2] La justification est réalisée par la grâce. Or, la grâce est l'effet de la miséricorde, comme cela ressort de ce que l’Apôtre invoque en Rm 9, 15 : J’aurai pitié de qui j’aurai pitié, et j’accorderai ma miséricorde à celui dont j’aurai pitié. Elle relève donc de la miséricorde.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17267] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod justificatio de sui ratione importat motum ad justitiam. Justitia autem, secundum philosophum in 5 Ethic., tribus modis dicitur. Uno enim modo est specialis virtus aequalitatem constituens in commutationibus et distributionibus communicabilium bonorum, quae sunt necessaria in vita. Alio modo est nomen generale ad omnes virtutes, secundum quod actus earum ad bonum commune ordinat secundum directionem legis. Tertio modo importat quemdam statum rectitudinis in homine quantum ad partes ipsius, prout scilicet aliqua pars animae suo superiori subditur, sive alii parti, sive ipsi Deo ; et hanc justitiam nominat philosophus metaphoricam, eo quod diversae partes hominis computantur quasi diversae personae. Haec autem rectitudo per quodlibet peccatum tollitur, et per gratiam reparatur : unde haec justitia generalis etiam dicitur, inquantum omnes virtutes includit, non quidem per modum totius universalis, sicut praecedens justitia ; sed generalis dicitur per modum totius integralis : et ad hanc justitiam motus justificatio dicitur. In quolibet autem motu est recessus a termino, et hoc in praedicta assignatione tangitur in hoc quod dicitur : remissio peccatorum, et accessus ad terminum, qui tangitur in hoc quod dicitur : et consummatio bonorum operum.

Par sa notion même, la justification comporte un mouvement vers la justice. Or, selon le Philosophe dans Éthique, V, on parle de justice de trois manières. D’une manière, en effet, elle est une vertu parti-culière qui établit une égalité dans les échanges et les distributions des biens qui peuvent être partagés, qui sont nécessaires à la vie. D’une autre manière, elle est le nom général pour toutes les vertus, selon qu’elle ordonne leurs actes au bien commun conformément aux indications de la loi. D’une troisième manière, elle comporte un état de rectitude chez l’homme pour ce qui est de ses parties, pour autant qu’une partie de l’âme obéit à ce qui lui est supérieur, soit une autre partie, soit Dieu lui-même. Le Philosophe appelle cette justice métaphorique, du fait que les diverses parties de l’homme sont considérées comme diverses personnes. Or, cette rectitude est enlevée par tout péché et est rétablie par la grâce. Aussi dit-on que cette justice est générale, non pas comme dans le cas d’un tout universel, comme la justice précédente, mais elle est appelée générale comme dans le cas d’un tout intégral. Et le mouvement vers cette justice est appelé justification. Or, dans tout mouvement, se produit un éloignement d’un terme : cela est abordé dans la description mentionnée lorsqu’on dit : « la rémission des péchés » ; et le rapprochement par rapport à un terme, qui est abordé lorsqu’on dit : « l’accomplissement d’actes bons ».

[17268] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tota ista rectitudo a voluntate originaliter est, quae est principium merendi et demerendi ; sed etiam est in aliis partibus animae quasi rectificatis, sicut in subjecto.

1. Toute cette rectitude tire son origine de la volonté, qui est le principe du mérite et du démérite. Mais elle existe aussi comme dans un sujet dans les autres parties de l’âme en tant qu’elles sont rectifiées.

[17269] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revelatio sumitur ibi materialiter, pro eo scilicet in quo consilium revelatur. Consilium autem divinae praedestinationis fuit de justificatione ; unde hoc consilium revelatur per ipsam justificationem, sicut effectus per causam ; et sic objectio cessat.

2. La révélation est considérée là du point de vue de sa matière, comme ce qui en quoi le dessein est révélé. Or, le dessein de la prédestination divine portait sur la justification. Aussi ce dessein est-il révélé par la justification elle-même, comme l’effet par la cause. Ainsi tombe l’objection.

[17270] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod justificatio potest sumi dupliciter : vel secundum quod respondet ad justificari ; et sic dicit motum ad justitiam praedictam : vel secundum quod sumitur ad justificatum esse ; et sic est effectus formalis justitiae praedictae, quia ea aliquid formaliter justificatum est, sicut albedine albatum. Sicut autem ab essentia animae potentiae fluunt, ita rectitudo potentiarum a gratia, quae est essentiae perfectio ; et inter ipsas potentias voluntas quae alias movet, et eis rectitudinem quodammodo largitur ; et ideo praedictae justitiae causa prima est gratia, et consequenter caritas, quae voluntatem ad finem perficit, a quo est rectitudo praedicta ; et propter hoc ipsa justificatio et peccatorum remissio est effectus justitiae generalis sicut causae formalis proximae ; sed caritatis et gratiae sicut causarum causae proximae ; sicut aliquis aequatus dicitur et aequalitate, et quantitate quae est aequalitatis causa. Et quia a proximis causis vel terminis aliquid denominari debet ; ideo praedictus motus vel terminatio motus magis denominatur a justitia quam a caritate vel gratia.

3. On peut considérer la justification de deux manières : selon qu’elle correspond à la justification en devenir, et ainsi elle exprime le mouvement vers la justice déjà mentionné ; ou selon qu’elle est considérée par rapport à ce qui a été justifié, et elle est ainsi l’effet formel de la justice en cause, parce que par elle quelque chose a été justifié comme par une forme, comme ce qui est blanc par la blancheur. Puisque les puissances découlent de l’essence de l’âme, de même la rectitude des puissances découle-t-elle de la grâce, qui est est une perfection de l’essence. Et parmi les puissances elles-mêmes, la volonté meut les autres et leur assure d’une certaine manière la rectitude. C’est pourquoi la cause première de la justice en cause est la grâce et, par mode de conséquence, la charité, qui perfectionne la volonté en vue de la fin. Pour cette raison, la justification et la rémission des péchés sont l'effet de la justice générale en tant qu’elle une cause formelle prochaine ; mais elle est l’effet de la charité et de la grâce en tant que cause première des causes, comme on dit que quelqu’un est égal par l’égalité et par la quantité qui est la cause de l’égalité. Et parce qu’on doit désigner quelque chose à partir des causes ou termes prochains, le mouvement en question ou l’achèvement du mouvement sont désignés à partir de la justice plutôt que de la charité ou de la grâce.

[17271] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod consummatio bonorum operum potest accipi vel in executione ipsorum, et sic procedit objectio, et sic non accipitur hic ; vel in infusione habituum, a quibus opera bona perfectionem habent ; et sic dicitur hic consummatio bonorum operum justificatio.

4. L’accomplissement d’actes bons peut être considéré soit en fonction de leur exécution : de là vient l’objection, et ce n’est pas ainsi qu’on l’entend ici. Ou il peut être considéré en fonction de l’infusion des habitus par lesquels les actes bons ont leur perfection : ainsi appelle-t-on ici justification l’accomplissement d’actes bons.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17272] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod vocatio est duplex : quaedam exterior ut quae fit per praedicatorem ; et haec non est justificatio, sed disponit ad eam : quaedam vero interior : et haec quandoque quidem non pertingit ad finem suum ex vocati defectu ; et haec vocatio nihil aliud est quam aliquis instinctus, vel motus ad bonum, a Deo immissus ; et haec etiam vocatio non est idem quod justificatio, sed via ad illam : quandoque autem pertingit ad finem, quando scilicet aliquis audit vocantem, et venit ad Christum, ut dicitur Joan. 6, 45 : omnis qui audivit a patre et didicit, venit ad me : et haec vocatio idem est quod justificatio secundum substantiam, sed differt ratione : quia vocatio dicitur secundum quod per infusionem gratiae et auxilium homo a peccato retrahitur ; sed justificatio respicit terminum ad quem, scilicet praedictae rectitudinis statum ; et sic vocatio sumitur Rom. 8, ut patet per Glossam. Auxilium enim quod fidei, nos vocando, Deus praestat, est gratia, quae facit fidem per dilectionem operari ; unde illorum quatuor quae ibi ponuntur, praedestinatio est causa justificationis in justificante, vocatio autem est idem justificationi, ratione differens, ut dictum est ; sed magnificatio est justificationis complementum, sive referatur ad perfectionem gratiae, sive ad perfectionem gloriae.

L’appel est double : l’un extérieur, comme celui qui est fait par la prédication, et celui-ci n’est pas la justification mais y dispose ; l’autre intérieur, et celui-ci parfois n’atteint pas sa fin en raison d’une carence de celui qui est appelé. Cet appel n’est rien d’autre qu’un instinct ou un mouvement vers le bien inspiré par Dieu. Cet appel n’est pas non plus la même chose que la justification, mais un chemin vers celle-ci : parfois il atteint sa fin, lorsqu’on écoute celui qui appelle et qu’on vient vers le Christ, comme il est dit en Jn 6, 45 : Tous ceux qui ont entendu le Père et l’ont écouté viennent vers moi. Et cet appel est la même chose que la justification du point de vue de sa substance, mais elle en diffère selon la raison, car on parle d’appel selon que, par l’infusion et l’aide de la grâce, l’homme s’éloigne du péché ; mais la justification concerne le terme d’arrivée, l’état de la justice mentionnée. C’est en ce sens qu’est entendu l’appel en Rm 8, comme cela ressort de la Glose. En effet, l’aide que Dieu accorde à la foi en nous appelant est la grâce, qui fait agir la foi par l’amour. Aussi, parmi les quatre choses qui sont présentées là, la prédestination est la cause de la justification chez celui qui justifie, l’appel est la même chose que la justification, mais en diffère selon la raison, comme on l’a dit ; mais la glorification est le complément de la justification, soit qu’elle soit mise en rapport avec la perfection de la grâce, soit avec la perfection de la gloire.

[17273] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vocatio ibi praeponitur justificationi : quia prius est recessus a termino quam accessus ad terminum.

1. L’appel est placé là avant la justification parce qu’on s’éloigne d’abord d’un terme avant de s’approcher d’un [autre] terme.

[17274] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectio procedit de primis duabus justificationibus, non de tertia.

2. L’objection découle des deux premières justifications, non de la troisième.

[17275] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille non justificat quantum ad terminum a quo erat distans, sed quantum ad terminum ad quem est prope ; et hoc competit ei quod dictum est.

3. Celui-là ne justife par rapport au terme dont il était éloigné, mais par rapport au terme dont il est proche. Cela revient à celui dont on a parlé.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17276] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod praedicta justitiae rectitudo metaphorice sanitas animae dicitur et novitas ipsius, eo quod sanitas commensurationem debitam in partibus corporis importat ; novitas autem integritatem et virtutem et decorem habet ; et per haec omnia patet quod rectitudo potentiarum animae, quae justitia dicitur, continet haec omnia per similitudinem. Sed quia res aliqua non est ita similis uni quin possit etiam alteri assimilari ; inde est quod ea quae metaphorice dicuntur, non ita conveniunt uni quin et aliis convenire possint, sicut leo metaphorice et Deus et Diabolus dicitur ; unde sanitas et novitas per similitudinem integritatem gratiae significare possunt, quae per culpam tollitur ; unde culpa etiam similitudinarie dicitur vetustas et languor animae ; et etiam possunt significare integritatem naturae, quam tollit poena, quae etiam vetustas et languor dicitur. Sed quia culpa est causa poenae, ideo vetustas in vetustate et languor in languore includitur, sicut effectus in causa. Patet ergo quod ipsa justificatio, per quam gratia acquiritur et culpa tollitur, renovatio et sanatio dici potest ; quamvis etiam ablatio poenae renovatio et sanatio dici possit.

La rectitude de la justice en cause est appelée métaphoriquement la santé et la nouveautéé de l’âme, du fait que la santé comporte une mesure appropriée entre les parties du corps, mais que la nouveauté possède l’intégrité, la puissance et la beauté. Par tout cela, il ressort clairement que la rectitude des puissances de l’âme, qu’on appelle la justice, contient tout cela par ressemblance. Mais parce qu’une chose ne peut être à ce point semblable à une chose qu’elle ne puisse aussi être assimilée à une autre, de là vient que ce qui est dit métaphoriquement ne convient pas à ce point à une chose que cela ne puisse convenir à d’autres, comme on appelle métaphoriquement lion Dieu et le Diable. Aussi la santé et la nouveauté peuvent-elles signifier métaphoriquement l’intégrité de la grâce, qui est enlevée par la faute ; de là vient aussi qu’on parle de vétusté et d’abattement de l’âme par mode de comparaison ; et elles peuvent aussi signifier l’intégrité de la nature qu’enlève la peine, qui est aussi appelée vétusté et abattement. Mais parce que la faute est la cause de la peine, la vétusté est incluse dans la vétusté et l’abattement dans l’abattement, comme l’effet dans sa cause. Il ressort donc clairement que la justification elle-même, par laquelle la grâce est acquise et la faute enlevée, peut être appelée renouvellement et guérison, bien que l’enlèvement de la peine puisse aussi être appelé renouvellement et guérison.

[17277] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum ad culpam potest fieri renovatio in hac vita, sed non quantum ad poenam omnino ; et similiter est de sanatione ; et sic loquuntur auctoritates illae.

1. Un renouvellement peut être réalisé en cette vie pour ce qui est de la faute, mais non pas complètement pour ce qui est de la peine. Il en va de même de la guérison. C’est ainsi que parlent ces autorités.

[17278] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa etiam per similitudinem signant idem quod impietas, ut ex dictis patet.

2. Par mode de comparaison, cela signifie la même chose que l’impiété, comme il ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17279] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in omni actione quam Deus in creatura facit omnia attributa concurrunt (alias ejus actio non esset perfecta), sed tamen aliqua ipsius actio vel effectus actionis uni attributo appropriatur magis quam alteri, inquantum illud attributum magis manifestatur per talem actionem vel effectum quam per aliud ; sicut per revelationem futurorum manifestatur plenitudo divinae sapientiae ; et ideo sapientiae appropriatur. Et quia in justificatione impii maxime divina misericordia manifestatur, ideo ad hoc attributum reducitur.

En toute action que Dieu accomplit dans la créature, tous ses attributs concourent (autrement son action ne serait pas parfaite) ; cependant, une de ses actions ou un effet de son action est approprié à un attribut plutôt qu’à un autre pour autant que cet attribut est davantage manifesté par telle action ou effet que par un autre ; ainsi, par la révélation de choses à venir, est manifestée la plénitude de la sagesse divine ; aussi est-elle appropriée à la sagesse. Et parce que, dans la justification de l’impie, la miséricorde est manifestée au plus haut point, elle est attribuée à cet attribut.

[17280] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod difficultas quae est in justificatione impii, maxime est ex incongruentia impii ad justificationis effectum suscipiendum ; et ideo quando talis effectus in ipsum inducitur, magis indicat misericordiam quam potentiam. Sed effectus creationis difficultatem habet propter magnitudinem facti, vel propter modum faciendi, quia ex nihilo fit aliquid ; et ideo manifestat maxime potentiam.

1. La difficulté qui se rencontre dans la justification de l’impie vient surtout de l’incompatibilité de l’impie à recevoir l’effet de la justification. C’est pourquoi, lorsqu’un tel effet est réalisé en lui, il indique plutôt la miséricorde que la puissance. Mais l’effet de la création comporte une difficulté en raison de la grandeur du fait ou en raison de la manière de l’accomplir, car il est réalisé à partir de rien. C’est pourquoi il manifeste surtout la puissance.

[17281] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justificatio manifestat justitiam divinam sicut causam exemplarem, sed misericordiam sicut causam efficientem : effectus autem proprie causae efficienti respondet. Sed bonitas creaturae manifestat bonitatem divinam utroque modo : quia bonitas movet ipsum ad communicandum similem bonitatem. Sed misericordia magis movet ad justificandum quam justitia.

2. La justification manifeste la justice divine en tant que cause exemplaire, mais la miséricorde en tant que cause efficiente. Or. l’effet correspond à proprement parler à la cause efficiente. Mais la bonté de la créature manifeste la bonté divine des deux façons, car la bonté meut [Dieu] à communiquer une bonté semblable. Mais la miséricorde meut davantage à justifier que la justice.

[17282] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud non est intelligendum, quod aliquis ante justificationem sit sufficienter dignus ; alias gratia non esset gratia ; sed quia est in ipso aliqua dispositio ad justificationem, qua est minus indignus quam alii ; unde talis dignitas ad justitiam non sufficit.

3. On ne doit pas entendre cela au sens où quelqu’un est suffisamment digne avant la justification, mais parce qu’il existe en lui une disposition à la justification par laquelle il est moins indigne qu’un autre. Une telle dignité ne suffit donc pas pour la justice.

 

 

Articulus 2 [17283] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum praeparatio, per quam aliquis facit quod in se est, ad justificationem praeexigatur

Article 2 – Une préparation par laquelle on fait ce qui est en son pouvoir est-elle requise pour la justification ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une préparation par laquelle on fait ce qui est en son pouvoir est-elle requise au préalable pour la justification]

[17284] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod praeparatio, per quam aliquis facit quod in se est, ad justificationem non praeexigatur. Ille enim qui ad peccandum nititur, non praeparat se ad faciendum quod in se est. Sed aliquando aliquis justificatur qui ad peccatum tendit, sicut de Paulo patet actuum 9. Ergo praedicta praeparatio ad justificationem non praeexigitur.

1. Il semble qu’une préparation par laquelle on fait ce qui est en son pouvoir soit requise au préalable pour la justification. En effet, celui qui s’efforce de pécher ne se prépare pas à faire ce qui est en son pouvoir. Or, quelqu’un qui s’oriente vers le péché est parfois justifié, comme cela ressort du cas de Paul dans Ac 9. La préparation mentionnée n’est donc pas requise au préalable pour la justification.

[17285] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, major est caritas in Deo quam illa quam homini praecipit. Sed homini praecipit ut benefaciat inimicis, Matth. 5. Ergo ipse multo fortius benefacit justificando his qui peccando inimicitias contra ipsum exercent ; et sic idem quod prius.

2. La charité qui existe en Dieu est plus grande que celle qu’il ordonne à l’homme. Or. il ordonne à l’homme de faire du bien aux ennemis, Mt 5. À bien plus forte raison, en les justifiant, fait-il du bien à ceux qui font preuve d’inimité envers lui en péchant. La conclusion est ainsi la même qu’auparavant.

[17286] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Dei bonitate nihil majus cogitari potest. Sed bonum est diffusivum sui, secundum Dionysium. Cum ergo major diffusio bonitatis esset, si etiam renitentibus daretur gratia, videtur quod gratiae infusio, per quam fit justificatio, praeparationem non praeexigat.

3. On ne peut rien penser de plus grand que la bonté de Dieu. Or, le bien se diffuse lui-même, selon Denys. Puisque ce serait une plus grande diffusion du bien si la grâce était donnée même à ceux qui y résistent, il semble donc que l’infusion de la grâce, par laquelle se réalise la justification, n’exige pas de préparation préalable.

[17287] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ille qui clausum habet oculum materialem, non potest lumen materiale suscipere. Sed ille qui se non praeparat faciendo quod in se est, non aperit oculum spiritualem, quem peccando clausit. Ergo non potest lumen gratiae spiritualis recipere ; et sic non potest justificari.

Cependant, [1] celui qui a les yeux matériels fermés ne peut voir la lumière matérielle. Or, celui qui ne se prépare pas en faisant ce qui est en son pouvoir n’ouvre pas son œil spirituel, qu’il ferme en péchant. Il ne peut donc pas recevoir la lumière de la grâce spirituelle. Ainsi, il ne peut pas être justifié.

[17288] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit : qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. Ergo praeexigitur praeparatio ex parte nostra.

[2] Augustin dit : « Celui qui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans toi. » Une préparation préalable est donc exigée de notre part.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’homme peut-il faire quelque chose pour se préparer à la grâce ?]

[17289] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nihil sit in homine quod facere possit ut ad gratiam habendam se praeparet. Quia super illud Exod. 7, induravit cor ejus etc., dicit Glossa, quod ita induratum est cor ejus, quod nihil poterat facere acceptabile Deo. Sed nihil ad gratiam habendam praeparat nisi opus acceptabile Deo. Ergo non erat in eo facere aliquid per quod se praepararet ; et eadem ratio est de aliis.

1. Il semble qu’il n’y ait rien que l’homme puisse faire pour se préparer à recevoir la grâce, car, à propos d’Ex 7 : Il a endurci son cœur, etc., la Glose dit que « son cœur a été tellement endurci qu’il ne pouvait rien faire d’agréable à Dieu ». Or, rien ne prépare à recevoir la grâce qu’un acte agréable à Dieu. Il ne pouvait donc rien faire pour se préparer, et le même raisonnement vaut pour les autres.

[17290] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod cum fides justificationem impetrat, voluntas concomitatur gratiam, non ducit ; est pedissequa, non praevia. Sed si homo posset se ad gratiam nondum habitam praeparare, voluntas ejus esset praevia gratiae. Ergo non potest homo aliquid facere per quod se ad gratiam praeparet.

2. Augustin dit que lorsque la foi obtient la justification, la volonté est accompagnée par la grâce et elle ne conduit pas : elle suit, mais elle ne précède pas. Or, si l’homme pouvait se préparer à la grâce qu’il ne possède pas encore, sa volonté précéderait la grâce. L’homme ne peut donc rien faire pour se préparer à la grâce.

[17291] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus potest se ad gratiam praeparare nisi recte agendo. Sed secundum Augustinum in Lib. Retract., a mortalibus recte non vivitur nisi prius liberum arbitrium a peccati pravitate liberetur ; quod fit per gratiam. Ergo ante gratiam habitam non potest se ad gratiam praeparare.

3. Personne ne peut se préparer à la grâce si ce n’est en agissant bien. Or, selon Augustin, dans les Rétractations, les mortels ne vivent bien que si leur libre arbitre a d’abord été libéré de la dépravation du péché, ce qui se réalise par la grâce. Avant d’avoir obtenu la grâce, on ne peut donc pas se préparer à la grâce.

[17292] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, fides intentionem dirigit. Sed operatio quae sine recta intentione fit, non potest ad gratiam praeparare. Ergo oportet quod fides praecedat praeparationem ; et ita cum fides ad gratiam pertineat, ut Augustinus ex verbis apostoli probat ; ante gratiam praeparatio ad gratiam esse non potest.

4. La foi oriente l’intention. Or, l’opération qui est faite sans intention droite ne peut préparer à la grâce. Il faut donc que la foi précède la préparation, et ainsi, puisque la foi relève de la grâce, comme le montre Augustin à partir des paroles de l’Apôtre, il ne peut y avoir de préparation à la grâce avant la grâce.

[17293] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Deus non praecipit homini impossibile. Sed praecipit ei quod se ad gratiam aliquid faciendo praeparet, ut patet Jac. 4, 8 : appropinquate Deo, et appropinquabit vobis. Ergo possibile est homini facere quod se ad gratiam praeparet.

Cependant, Dieu n’ordonne pas l’impossible à l’homme. Or, il lui ordonne de se préparer à la grâce en faisant quelque chose, comme cela ressort de Jc 4, 8 : Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous. Il est donc possible à l’homme de faire en sorte de se préparer à la grâce.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Celui qui fait ce qui est en son pouvoir est-il nécessairement justifié ?]

[17294] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit necessarium eum qui facit quod in se est, justificari. Illud enim quod fit gratis, fit ex liberalitate, non ex necessitate. Sed justificamur gratis, ut patet Rom. 3. Ergo non est necessarium quod justificemur, quantumcumque simus praeparati.

1. Il semble que celui qui fait ce qui est en son pouvoir ne soit pas nécessairement justifié. En effet, ce qui fait gratuitement est accompli par libéralité, et non par nécessité. Or, nous sommes justifiés gratuitement, comme cela ressort de Rm 3. Nous ne sommes donc pas nécessairement justifiés, aussi grande que soit notre préparation. 

[17295] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Deus comparatur ad nos sicut figulus ad lutum, ut patet Isai. 64, et Hierem. 18, et Rom. 9. Sed quantumcumque lutum sit praeparatum, non est necessarium quod ex eo formetur vas. Ergo quantumcumque homo sit praeparatus, non est necessarium quod ei gratia infundatur.

2. Dieu se compare à nous comme le potier à l’argile, comme cela ressort de Is 64, de Jr 18 et de Rm 9. Or, aussi grande soit la préparation de l’argile, un vase n’en est pas nécessairement formé. Aussi grande que soit la préparation de l’homme, il n’est donc pas nécessaire que la grâce lui soit infusée.

[17296] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quo posito necesse est alterum esse, videtur sufficienter ad illud ordinari. Sed actus noster, qui sufficienter ad aliquid ordinatur, dicitur esse meritorius illius. Ergo aliquis merebitur justificationem secundum opera quibus se praeparavit, si necessario ad praeparationem illam sequitur justificatio.

3. Ce qui, une fois établi, entraîne nécessairement l’existence d’autre chose semble être suffisamment ordonné à cela. Or, notre acte qui est suffisamment ordonné à quelque chose est appelé mérite. Quelqu’un méritera donc la justification en fonction des actes par lesquels il s’est préparé, si la justification découle nécessairement de cette préparation.

[17297] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, impossibile est summam veritatem mentiri. Sed ipsa veritas promisit se gratiam daturum ei qui quod in se est, facit. Zach. 1, 3 : convertimini ad me, et ego convertar ad vos ; et Apoc. 3, 20 : si quis aperuerit mihi, intrabo ad eum. Ergo necesse est eum qui facit quod in se est, justificari.

Cependant, [1] il est impossible que la Vérité suprême mente. Or, la Vérité elle-même a promis de donner la grâce à celui qui fait ce qui est en son pouvoir. Za 1, 3 : Tournez-vous vers moi, et je me tournerai vers vous ; et Ap 3, 30 : Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez lui. Il est donc nécessaire que celui qui fait ce qui en son pouvoir soit justifié.

[17298] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Rom. 5, super illud : justificati ex fide, dicit Augustinus in Glossa : Deus recipit confugientes ad se ; aliter in eo esset iniquitas. Sed impossibile est in Deo esse iniquitatem. Ergo necessarium est quod justificet illos qui faciunt quod in se est.

[2] À propos de Rm 5 : Justifiés par la foi, Augustin dit dans la Glose : « Dieu a accueilli ceux qui se sont réfugiés vers lui ; autrement, il y aurait de l’injustice en lui. » Or, il est impossible qu’il y ait de l'injustice en Dieu. Il est donc nécessaire qu’il justifie ceux qui font ce qui est en leur pouvoir.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17299] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod voluntas, quae est susceptiva perfectionis justitiae, non potest huic perfectioni subjici ab extrinseco agente cui nil conferat ; quia hoc esset per violentiam agens, quae in voluntatem non cadit, cum cogi non possit ; et ideo oportet quod ipsa cooperetur ad suam perfectionem ; et haec cooperatio dicitur praeparatio ad gratiam, quae facit quod in se est. Sed non semper oportet quod talis praeparatio tempore justificationem praecedat, sicut oportet in mutationibus naturalibus quod alteratio tempore semper praecedat generationem ; quia cum actus voluntatis sit in sua potestate, a principio potest esse tantum intensus, quantum sufficit ad praeparationem ; sed dispositio naturalis ad formam successive ad hanc intentionem procedit. In illis autem qui non per propriam voluntatem culpam incurrunt, et usum voluntatis non habent, non exigitur ex parte eorum aliqua praeparatio, sicut de pueris patet in Baptismo.

La volonté, qui reçoit la perfection de la justice, ne peut pas être soumise à cette perfection par un agent extérieur auquel elle n’apporterait rien, car ce serait un agent qui agirait par violence, ce qui ne convient pas à la volonté, puisqu’elle ne peut être forcée. C’est pourquoi il faut qu’elle coopère à sa perfection. Cette coopération s’appelle la préparation à la grâce, qui fait ce qui est en son pouvoir. Mais il n’est pas toujours nécessaire qu’une telle préparation précède la justification dans le temps, comme il est nécessaire, dans les changements naturels, que l’altération précède toujours dans le temps la génération. En effet, puisque l’acte de la volonté est en son pouvoir, il peut dès le départ être si intense qu’il suffit à la préparation. Or, la disposition naturelle à la forme s’approche de cette intention de manière successive. Mais chez ceux qui n’encourent pas de faute par leur volonté propre et n’ont pas l’usage de leur volonté, aucune préparation n’est exigée de leur part, comme cela ressort clairement dans le baptême des enfants

[17300] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod justificatio, de qua nunc loquimur, semper est cum cooperatione voluntatis, quae praeparatio dicitur. Sed haec cooperatio, ut dictum est, quandoque diu ante incipit quam gratia infundatur ; quandoque autem, quia perfecta est, statim justificationem adjunctam habet ; unde potest contingere quod aliquis dum est in proposito et intentione peccandi, subito ejus voluntas convertatur ad Deum, vel ex aliquo exteriori occasionem accipiens, sicut fuit in Paulo ; vel etiam ex aliquo interiori instinctu, quo cor hominis movetur a Deo. Unde non sequitur quod talis gratiam habeat non faciens quod in se est.

1. La justification dont nous parlons se réalise toujours avec la coopération de la volonté, qui est appelée préparation. Mais cette coopération, comme on l’a dit, commence parfois longtemps avant que la grâce ne soit infusée ; mais parfois, parce qu’elle est parfaite, la justification lui est immédiatement associée. Il peut donc arriver que quelqu’un, alors qu’il a le propos et l’intention de pécher, voie sa volonté subitement convertie à Dieu, soit en accueillant une occasion venue de quelque chose d’extérieur, comme ce fut le cas de Paul, soit par un instinct intérieur, par lequel le cœur de l’homme est mû par Dieu. Il n’en découle donc pas que cette personne obtienne la grâce en ne faisant pas ce qui est en son pouvoir.

[17301] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homini non praecipitur quod illa bona faciat inimicis suis quorum capaces non sunt, sed illa quae suscipere possunt ; et hoc Deus maxime implet, quia bona quibus capaces sunt, scilicet naturalia, eis largitur qui contra ipsum peccando inimicitias exercent. Boni tamen gratiae capaces non sunt nisi voluntate consentiente ; et sic quod ipse paratus est dare, illi recipere nolunt.

2. Il n’est pas ordonné à l’homme de faire à ses ennemis le bien dont ils ne sont pas capables, mais celui qu’ils peuvent recevoir. Dieu réalise cela au plus haut point, car il accorde généreusement les biens dont ils sont capables, à savoir, les biens naturels, à ceux qui montrent une inimité à son égard en péchant contre lui. Cependant, les bons ne sont capables de la grâce qu’avec le consentement de leur volonté. Ainsi, ce que [Dieu] est prêt à donner, ceux-là ne veulent pas le recevoir.

[17302] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod talis diffusio boni non potest intelligi nisi aliquis perfectionem illam suscipiat, cui renitens non est capax ; et ideo ratio illa procedit ex falso.

3. Une telle diffusion du bien ne peut se comprendre que si on accueille cette perfection, dont il on n’est pas capable si on lui résiste. Ce raisonnement s’appuie donc sur quelque chose de faux.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17303] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod praeparatio quae exigitur in materia ad hoc quod formam suscipiat, duo includit ; scilicet quod sit in debita proportione ad formam et ad agens quod debet formam inducere ; quia nihil se educit de potentia in actum. Debita autem proportio ad suscipiendum actum agentis attenditur secundum debitam approximationem ad agens. In spiritualibus autem non est intelligenda localis approximatio, sed spiritualis, quae est dupliciter. Primo per similitudinem naturae, secundum quod res corruptibiles dicuntur magis a primo distare quam incorruptibiles in 2 de Gener., et propter hoc debilius esse recipiunt ; et similiter spiritualia propinquiora esse Deo quam corporalia : et propter hoc Angeli, secundum Dionysium, abundantius de divina bonitate recipiunt. Secundo secundum affectum ; quia, secundum Augustinum, Deo non loco, sed affectu propinquamus. Sed debita proportio materiae ad formam est dupliciter ; scilicet per ordinem naturalem materiae ad formam, et per remotionem impedimenti. Ad hoc ergo quod voluntas se ad gratiam justificantem praeparet, oportet quod se in debita proportione ad Deum qui dat et ad gratiam quae datur, ponat. Sed proportio ad Deum per naturae similitudinem non est in potestate voluntatis ; similiter nec proportio capacitatis gratiae, quia haec ei praeexistunt a creatione ; unde relinquitur quod in ipsa voluntate sit appropinquare Deo per affectum et desiderium, et ordinari ad gratiam per remotionem impedimenti, quod quidem impedimentum est peccatum ; et ideo per displicentiam peccati et affectum ad Deum se aliquis ad gratiam praeparat ; et quando haec duo efficaciter facit, dicitur facere quod in se est ; et gratiam recipit. De primo horum dicitur Jac. 4, 8 : appropinquate Deo, et appropinquabit vobis ; de secundo Apoc. 3, 20 : si quis aperuerit mihi, intrabo ad eum.

La préparation qui est exigée dans la matière pour qu’elle reçoive la forme comporte deux choses : qu’elle ait une proportion appropriée à la forme et à l’agent qui doit induire la forme, car rien ne se fait passer soi-même de la puissance à l’acte. Or, la proportion pour recevoir l’acte de l’agent vient d’un rapprochement par rapport à l’agent. Mais, pour les réalités spirituelles, il ne faut pas l’entendre d’un rapprochement local, mais spirituel, qui se réalise de deux manières. Premièrement, par une similitude de nature, dont on dit, dans Sur la génération, II, que les choses corruptibles sont plus éloignées du premier [agent] que les choses incorruptibles et, pour cette raison, reçoivent un être plus faible. De même, on dit que les réalités spirituelles sont plus proches de Dieu que les [réalités] corporelles. Pour cette raison, selon Denys, les anges reçoivent davantage de la bonté divine. Deuxièmement, [un rapprochement spirituel] par l’affectivité, car, selon Augustin, « nous nous approchons de Dieu, non pas par le lieu, mais par l’affectivité ». Or, la proportion appropriée de la matière par rappport à la forme est double : selon l’ordre naturel de la matière à la forme et selon l'enlèvement d’un empêchement. Ainsi donc, pour que la volonté se prépare à la grâce qui justifie, il faut qu’elle s’établisse dans une proportion appropriée par rapport à Dieu qui donne et à la grâce qui est donnée. Or, la proportion par rapport à Dieu par une similitude de nature n’est pas au pouvoir de la volonté ; de même en est-il pour la proportion selon la capacité à la grâce, car celle-ci préexiste [dans la volonté] depuis sa création. Il reste donc qu’il relève de la volonté de s’approcher de Dieu par l’affectivité et le désir, et d’être ordonnée à la grâce par l’enlèvement d’un empêchement, empêchement qu’est le péché. Et lorsqu’elle réalise efficacement ces deux choses, on dit qu’elle fait ce qui est en son pouvoir, et elle reçoit la grâce. À propos du premier point, il est dit en Jc 4, 8 : Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous ; à propos du second, en Ap 3, 20 : Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez lui.

[17304] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si opus Deo acceptabile dicatur opus meritorium, tunc planum est quod nec Pharao nec aliquis in peccato mortali existens, potest facere opus Deo acceptum. Si autem omne opus quod est bonum ex genere, et bona intentione factum, dicatur opus acceptabile Deo ; tunc dicitur Pharao non potuisse, non quia omnino non potuerit, sed propter fixionem obstinatae voluntatis ad malum, in quam inciderat divina gratia desertus.

1. Si on appelle un acte agréable à Dieu un acte méritoire, il est alors clair que ni Pharaon ni celui qui se trouve dans le péché mortel ne peuvent poser un acte agréable à Dieu. Mais si tout acte qui est bon par son genre et accompli avec une bonne intention est dit agréable à Dieu, alors on dit que Pharaon ne pouvait pas [en poser], non pas parce qu’il ne le pouvait pas du tout, mais en raison de sa volonté obstinée établie dans le mal, où il était tombé après que la grâce divine l’eut abandonné.

[17305] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas nostra est omnino pedissequa respectu divinae gratiae, et nullo modo praevia ; quia ipsa voluntas bona, quae gratiam gratum facientem praecedit, ex Deo nobis provenit, qui gratuita sua voluntate nos ad hoc provocat vel flagellis, vel aliquo auxilio interiori aut exteriori. Nec tamen voluntas haec est praevia, sed pedissequa respectu gratiae gratum facientis ; quia non est causa ipsius, sed aliqualiter ad ipsam viam parat.

2. Notre volonté vient entièrement dans la foulée de la grâce divine et elle ne la précède d’aucune manière, car la volonté bonne, qui précède la grâce sanctificante, nous vient de Dieu, qui, par volonté gratuite, nous y incite soit par des châtiments, soit par une aide intérieure ou extérieure. Cependant, cette volonté ne précède pas, mais suit la grâce sanctifiante, car elle n’en est pas la cause, mais elle lui prépare en quelque sorte la voie.

[17306] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sine gratia gratum faciente non potest recte a mortalibus vita duci, secundum quod ly recte importat rectitudinem ad finem ultimum pertingentem ; potest tamen etiam sine ea recte aliquid agi rectitudine quam habet actus ex materia et circumstantiis et fine debito, sed non sine gratia quae dicitur gratuita Dei voluntas.

3. Sans la grâce sanctifiante, la vie ne peut pas être correctement menée par des mortels, au sens où correctement implique une rectitude qui atteint la fin ultime. On peut cependant faire quelque chose  correctement selon la rectitude qu’un acte possède par sa matière, ses circonstances et sa fin appropriée, mais non pas sans la grâce qu’on appelle la volonté gratuite de Dieu.

[17307] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod recta intentio ad finem ultimum determinate perducens, non potest esse sine fide ; sed tamen finis ultimus, scilicet Deus, potest esse in intentione ejus etiam qui finem non habet, per generalem vel naturalem cognitionem quam de Deo habet ; unde etiam ille qui fidem non habet, potest se ad fidem habendam praeparare et ad gratiam, si secundum suam cognitionem peccatum sibi displiceat, et in Deum affectus ejus feratur.

4. L’intention droite qui conduit à la fin ultime de manière déterminée ne peut exister sans la foi. Cependant, celui qui n’a pas la foi [corr.] peut aussi avoir l’intention de la fin ultime, à savoir, Dieu, par la connaissance générale ou naturelle qu’il a de Dieu. Même celui qui n’a pas la foi peut donc se préparer à recevoir la foi et à la grâce, si le péché lui déplaît et si son affectivité est portée vers Dieu selon sa connaissance.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17308] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod duplex est necessitas ; scilicet necessitas absoluta, et necessitas ex suppositione. De prima quidem necessitate loquendo, non est necessarium eum gratiam recipere qui se sufficienter ad gratiam parat ; quia neque per se necessitas, secundum quam Deum necesse est esse, neque necessitas coactionis vel prohibitionis, in his quae divina voluntate fiunt, cadere potest. Loquendo autem de necessitate quae est ex suppositione divini propositi, quo propter benevolentiam suae bonitatis voluit unicuique eam communicare secundum suam capacitatem, necessarium est quod cuilibet materiae praeparatae forma infundatur. Non tamen eodem modo est in omnibus formis ; quia formae quae mediantibus secundis agentibus in materia producuntur, necessario in materia disposita recipiuntur necessitate conditionata in comparatione ad Deum, cujus virtute cetera agentia agunt ; sed necessitate absoluta per comparationem ad agentia proxima, quae necessitate naturae agunt propter ordinem divinitus eis impositum, quem praeterire non possunt. Formae autem quae immediate a Deo inducuntur, non habent necessitatem absolutam ex parte agentis, sed quaedam ex parte recipientis, sicut in perfectionibus quae sunt de esse naturae, ut est anima rationalis. Formae autem quae non debentur naturae, sicut gratia et virtutes, immediate a Deo productae, nihil habent de necessitate absoluta, sed solum de necessitate ex suppositione divini ordinis, ut dictum est.

Il existe une double nécessité : une nécessité absolue et une nécessité qui vient d’une supposition. Pour parler de la première nécessité, il n’est pas nécessaire que celui qui se prépare suffisamment à la grâce reçoive la grâce, car il ne peut y avoir de nécessité au sens où il est nécessaire que Dieu existe, ni de nécessité de contrainte ou d’interdiction dans ce qui est accompli par la volonté divine. Mais, pour parler de la nécessité qui vient de la supposition d’un dessein divin, par lequel, en raison de la bienveillance de sa bonté, il a voulu que tous soient en communion avec lui selon leur capacité, il est nécessaire que la forme soit infusée dans toute matière préparée. Cependant, pas de la même manière pour toutes les formes, car les formes qui sont produites dans la matière par l’intermédiaire d’agents seconds sont nécessairement reçues dans la matière disposée selon une nécessité conditionnelle par rapport à Dieu, par la puissance de qui les autres agents agissent, mais selon une nécessité absolue par rapport aux agents rapprochés, qui agissent par nécessité de nature en raison de l’ordre divin qui leur a été imposé et auquel ils ne peuvent pas passer outre. Mais les formes qui sont induites par Dieu de manière immédiate n’ont pas de nécessité absolue du point de vue de l’agent, mais en ont une du point de vue de celui qui reçoit, comme dans les perfections qui font partie de l’être de nature, telle l’âme rationnelle. Mais les formes qui ne sont pas dues à la nature, comme la grâce et les vertus, immédiatement produites par Dieu, n’ont aucune nécessité absolue, mais [ne sont nécessaires] que selon une nécessité fondée sur la supposition d’un dessein divin, comme on l’a dit.

[17309] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta ; quia primae rationes procedunt de necessitate (absoluta : nos autem loquimur de necessitate) ex suppositione divini propositi.

La réponse aux objections est ainsi claire, car les premiers arguments se fondent sur la nécessité (absolue ; mais nous parlons de la nécessité) qui vient de la supposition d’une dessein divin.

 

 

Articulus 3 [17310] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum gratiae infusio requiratur ad justificationem

Article 3 – L’infusion de la grâce est-elle nécessaire pour la justification ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’infusion de la grâce est-elle nécessaire pour la justification ?]

[17311] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod gratiae infusio non requiratur ad justificationem. Non enim minus est justificare quam creare. Sed Deus creat sine medio. Ergo et justificat sine gratia media.

1. Il semble que l’infusion de la grâce ne soit pas nécessaire pour la justification. En effet, justifier n’est pas moindre que créer. Or, Dieu crée sans intermédiaire. Il justifie donc sans l’intermédiaire de la grâce.

[17312] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in contrariis mediatis unum potest removeri sine hoc quod alterum ponatur. Sed inter statum gratiae et culpae est medium innocentiae status. Ergo potest removeri culpa per justificationem sine hoc quod gratia infundatur.

2. Dans les contraires intermédiaires, l’un peut être enlevé sans que l’autre soit affirmé. Or, entre l’état de grâce et la faute, l’état d’innocence est intermédiaire. La faute peut donc être enlevée par la justification sans que la grâce soit infusée.

[17313] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nulli dimittitur peccatum, nisi ratione caritatis ; quia caritas est quae universa delicta operit ; Proverb. 10. Sed caritas non potest esse sine gratia, quia nunquam est informis. Ergo nec remissio peccatorum potest fieri sine gratiae infusione.

Cependant, le péché n’est remis à personne qu’en raison de la charité, car c’est la charité qui recouvre tous les péchés, Pr 10. Or, la charité ne peut exister sans la grâce, car elle n’existe jamais sans forme. La rémission des péchés ne peut donc pas non plus être réalisée sans infusion de la grâce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un mouvement du libre arbitre vers Dieu est-il nécessaire dans la justification ?]

[17314] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit necessarius ad justificationem motus liberi arbitrii in Deum. Ille enim qui trahitur, non movetur libero arbitrio. Sed ille qui venit ad Deum per justificationem, trahitur. Joan. 6, 44 : nemo venit ad me, nisi pater meus traxerit illum. Ergo in justificatione non est necessarius motus liberi arbitrii.

1. Il semble qu’un mouvement du libre arbitre vers Dieu ne soit pas nécessaire dans la justification. En effet, celui qui est attiré n’est pas mû par son libre arbitre. Or, celui qui vient à Dieu par la justification est attiré, Jn 6, 44 : Personne ne vient à moi si mon Père ne l’a pas attiré. Un mouvement du libre arbitre n’est donc pas nécessaire dans la justification.

[17315] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut gratia est a Deo, ita et sapientia. Sed ad hoc quod aliquis accipiat sapientiam a Deo, non exigitur motus liberi arbitrii ; unde dormienti datur, ut patet 3 Reg. 3, de Salomone ; et Job 33, 15, dicitur : in somno (...) tunc aperit aures virorum. Ergo et ad gratiam justificantem suscipiendam non requiritur motus liberi arbitrii.

2. La sagesse vient de Dieu comme la grâce. Or, pour que quelqu’un reçoive de Dieu al sagesse, un mouvement du libre arbitre n’est pas nécessaire. Aussi est-elle donnée à celui qui dort, comme cela ressort de 2 R 3 dans le cas de Salomon ; et il est dit dans Jb 33, 15 : Pendant le sommeil…, il ouvre les oreilles des hommes. Un mouvement du libre arbitre n’est donc pas nécessaire pour recevoir la grâce qui justifie.

[17316] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per Baptismum aliquis justificatur. Sed in Baptismo non requiritur motus liberi arbitrii ad effectum ejus suscipiendum ; quia pueri et dormientes ejus effectum suscipere possunt, ut dicit decretalis Innocentii III. Ergo ad justificationem non requiritur motus liberi arbitrii in Deum.

3. On est justifié par le baptême. Or, dans le baptême, un mouvement du libre arbitre n’est pas nécessaire pour recevoir son effet, car les enfants et ceux qui dorment peuvent recevoir son effet, comme le dit une décrétale d’Innocent III. Un mouvement du libre arbitre vers Dieu n’est donc pas nécessaire pour la justification.

[17317] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit : qui creavit te sine te, non justificabit te sine te. Ergo requiritur motus liberi arbitrii in Deum ad justificationem.

Cependant, [1] Augustin dit : « Il t’a créé sans toi, mais il ne te justifiera pas sans toi. » Un mouvement du libre arbitre vers Dieu est donc nécessaire pour la justification.

[17318] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Bernardus dicit, quod donum gratiae tam absque consensu recipientis esse non potest, quam absque gratia dantis. Sed consensus non est sine motu liberi arbitrii. Ergo motus liberi arbitrii ad justificationem requiritur.

[2] Bernard dit que « le don de la grâce ne peut pas plus exister sans le consentement de celui qui le reçoit, que sans la grâce de celui qui le donne ». Or, le consentement n’existe pas sans un mouvement du libre arbitre. Un mouvement du libre arbitre est donc nécessaire pour la justification.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce mouvement du libre arbitre vers Dieu est-il la foi ?]

[17319] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod iste motus liberi arbitrii in Deum non sit motus fidei. Quia ad hoc quod Deus appropinquet nobis per justificationem, oportet quod nos appropinquemus ei per affectum. Sed per affectum facit nos appropinquare Deo caritas. Ergo iste motus liberi arbitrii in Deum, non est fidei, sed caritatis.

1. Il semble que ce mouvement du libre arbitre vers Dieu ne soit pas un mouvemenmt de la foi, car, pour que Dieu s’approche de nous par la justification, il est nécessaire que nous nous approchions de lui par l'affectivité. Or, c’est la charité qui nous fait approcher de Dieu par l’affectivité. Ce mouvement du libre arbitre vers Dieu ne vient donc pas de la foi mais de la charité.

[17320] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Isa. 26, 18, dicitur : a timore tuo, domine, concepimus spiritum salutis. Ergo cum ista conceptio in justificatione fiat, videtur quod sit motus timoris, non fidei.

2. En Is 26, 18, il est dit : Par ta crainte, Seigneur, nous avons conçu un esprit de salut. Puisque cette conception se réalise par la justification, il semble donc que ce soit un mouvement de crainte, et non de foi.

[17321] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, dispositio et perfectio debent esse in eodem. Sed motus fidei est in intellectu, justificatio autem specialiter in affectu. Ergo non est motus fidei.

3. La disposition et la perfection doivent exister dans la même chose. Or, le mouvement de la foi existe dans l’intelligence, mais la justification existe d’une manière particulière dans l’affectivité. Ce n’est donc pas un movuement de la foi.

[17322] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Rom. 5, 1 : justificati per fidem ; et Act. 15, 9 : fide purificans corda eorum.

Cependant, [il est dit] en Rm 5, 1 : Justifiés par la foi ; et en Ac 15, 9 : Purifiant leur cœur par la foi.

[17323] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, justificatio est opus gratiae praevenientis. Sed gratia praeveniens est fides, ut dixit Magister in 2 Lib., dist. 27. Ergo motus fidei requiritur in justificatione.

[2] La justification est un acte de la grâce prévenante. Or, la grâce prévenante est la foi, comme l’a dit le Maître dans le livre II, d. 27. Un mouvement de foi est donc nécessaire à la justification.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Un mouvement du libre arbitre, la contrition, est-il nécessaire contre le péché ?]

[17324] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non requiratur motus liberi arbitrii in peccatum, sive contritio. Luc. 7, 47 : dimissa sunt ei peccata multa, quoniam dilexit multum ; dicit Glossa, quod ardor caritatis rubiginem peccatorum in ea consumpsit. Sed ardor caritatis potest esse sine motu in peccatum. Ergo ad justificationem non requiritur motus in peccatum.

1. Il semble qu’ un mouvement du libre arbitre, la contrition, soit nécessaire contre le péché. Lc 7, 47 : Beaucoup de péchés lui ont été remis parce qu’elle a beaucoup aimé. La Glose dit que l’ardeur de la charité a consumé en elle la rouille des péchés. Or, l’ardeur de la charité peut exister sans mouvement contre le péché. Un mouvement contre le péché n’est donc pas nécessaire pour la justification. 

[17325] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, conversio ad Deum potentior est ad bonum quam conversio ad rem temporalem ad malum. Sed conversio ad bonum commutabile sufficienter induxit culpam. Ergo et conversio ad Deum sufficienter justificat ; et sic non requiritur motus in peccatum.

2. La conversion vers Dieu est plus puissante pour le bien que la conversion vers une chose temporelle pour le mal. Or, la conversion vers le bien changeant entraîne la faute d’une manière suffisante. La conversion vers Dieu aussi justifie donc de manière suffisante. Ainsi, un mouvement contre le péché n’est pas nécessaire.

[17326] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Glossa in Psal. 50, super illum locum : sacrificium Deo spiritus contribulatus etc. : spiritus contribulatus et contritus est sacrificium in quo peccata solvuntur.

Cependant, à propos de Ps 50 : L’esprit brisé est un sacrifice pour Dieu, etc., la Glose dit : « Un esprit brisé et contrit est un sacrifice par lequel les péchés sont remis. »

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Faut-il ajouter une quatrième chose : la rémission des péchés ?]

[17327] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat addi quartum, scilicet peccatorum remissio. Quia effectus non connumeratur causae. Sed gratiae infusio et contritio sunt causae remissionis peccati. Ergo non debet connumerari eis.

1. Il semble qu’on ne doive pas ajouter une quatrième chose : la rémission des péchés, car l’effet n’est pas compté avec la cause. Or, l’infusion de la grâce et la contrition sont des causes de la rémission du péché. Il ne faut donc pas la compter avec les autres.

[17328] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, remotio privationis nihil aliud est quam positio habitus. Sed culpa est privatio gratiae. Ergo idem est remotio culpae et infusio gratiae ; et ita non debent ad invicem connumerari.

2. L’enlèvement d’une privation n’est rien d’autre que la mise en place d’un habitus. Or, la faute est une privation de la grâce. L’enlèvement de la faute et l’infusion de la grâce sont donc une même chose. Ainsi, ils ne doivent pas être ajoutés l’un à l’autre.

[17329] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, generatio unius est corruptio alterius ; et tamen generatio corruptioni connumeratur. Ergo cum infusio gratiae sit remissio culpae, debet unum alteri connumerari.

Cependant, la génération d’une chose est la corruption d’une autre, et cependant, la génération est comptée avec la corruption. Puisque l’infusion de la grâce est la rémission de la faute, elles doivent donc être comptées l’une avec l’autre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17330] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod necessitas ponendi virtutum habitus in anima infusos, est ex hoc quod actus illi qui homini necessarii sunt ad vitam aeternam consequendam, sunt supra humanae naturae facultatem : quia propriae vires non sufficiunt ad merendum infinitum bonum. Sicut autem beatitudo futura infinitatem habet ex objecto, et per consequens facit actus suos meritorios aliquo modo infinitae virtutis, ut sint tali fini proportionati ; ita offensa in Deum commissa habet quamdam infinitatem ex eo in quem commissa est ; et ideo ad culpae remissionem non sufficit humana natura ; et propter hoc oportet quod ad ejus remissionem, sicut ad merendum vitam aeternam, gratia infundatur.

La nécessité de placer des habitus de vertus dans l’âme vient de ce que les actes qui sont nécessaires à l’homme pour qu’il obtienne la vie éternelle dépassent la capacité de la nature humaine, puisque ses propres forces ne suffisent pas pour mériter un bien infini. Or, de même que la béatitude future est infinie par son objet et, par conséquent, donne une puissance en quelque sorte infinie à ses actes méritoires pour qu’ils soient proportionnés à une telle fin, de même l’offense commise envers Dieu est en quelque sorte infinie du fait de celui envers qui elle est commise. C’est pourquoi la nature humaine ne suffit pas pour la rémission des péchés. Il est donc nécessaire que, pour que [l’offense] soit remise, comme pour mériter la vie éternelle, la grâce soit infusée.

[17331] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia in remissione culpae non se habet sicut agens medium, sed sicut causa formalis, qua peccatum remittitur ; sicut ignis frigus aufert, calorem in subjecto causando, non sicut instrumentum, sed sicut forma contraria ; et in creatione etiam est forma naturalis, qua res creata esse formaliter accipit, vel etiam ipsum quo est, quidquid sit illud.

1. Dans la rémission de la faute, la grâce ne joue pas le rôle d’intermédiaire, mais de cause formelle par laquelle le péché est remis, comme le feu enlève le froid en causant la chaleur dans un sujet, non pas comme un instrument, mais comme une forme contraire. Et dans la création aussi existe une forme naturelle par laquelle une chose reçoit l’être comme forme ou ce par quoi elle existe, quoi que cela soit.

[17332] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis secundum consecutionem argumenti non sequatur positio gratiae ad remotionem, idest negationem, culpae ; tamen destructio culpae prius existentis non potest fieri nisi per gratiam : quia illa innocentiae bonitas, quae inter utrumque media videtur, non sufficeret ad hoc quod dignum redderet ab immunitate personae, vel ab infinita offensa commissa prius, quamvis sufficeret ut immunem redderet illum in quo peccatum non praecessit. In eo enim qui peccavit, requiritur non solum quod peccatum absit actu, sed etiam quod peccatum prius commissum expietur, et quodammodo tegatur ; quod fieri non potest, nisi aliquo habente infinitam virtutem.

2. Bien que, en poursuivant le raisonnement, n’en découle pas l’affirmation de la grâce pour l’enlèvement, c’est-à-dire pour la négation de la faute, la destruction d’une faute antérieure ne peut cependant être réalisée que par la grâce, car cette bonté de l’innocence, qui semble intermédiaire entre les deux, ne suffirait pas à la rendre digne de l’immunité personnelle ou d’une offense infinie commise antérieurement, bien qu’elle suffirait à rendre l’immunité à celui chez qui un péché n’a pas précédé. En effet, chez celui qui a péché, il est exigé non seulement que le péché disparaisse en acte, mais aussi que le péché antérieurement commis soit expié et en quelque sorte recouvert, ce qui ne peut être réalisé que par quelqu’un qui a une puissance infinie.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17333] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod gratia quae datur ad recte vivendum et peccatorum remissionem, per prius respicit voluntatem quam alias potentias : per eam enim peccatur et recte vivitur ; et ideo oportet quod infusio gratiae justificantis sit secundum talem modum qui voluntati competat ; et propter hoc oportet quod a tali infusione omnis ratio violentiae excludatur, quia violentiae capax non est. Ad hoc autem quod violentia ab actione tollatur, oportet quod patiens cooperetur agenti secundum modum suum ; unde in illis quae nata sunt agere, requiritur quod active cooperentur ; in illis autem quae sunt nata recipere tantum, sicut materia prima, sufficit ad violentiam tollendam naturalis inclinatio ad formam ; et ex hoc dicitur generatio naturalis. Sed quantum est ibi de contrarietate, tantum est ibi de violentia ; unde quando voluntas non habet actum contrarium, sicut est in pueris, sine violentia voluntatis potest infundi gratia per sacramentum, sicut pueris baptizatis ; et sine sacramento, sicut patet in sanctificatis in utero. Sed quando voluntas habet suum actum, sicut est in adultis, requiritur actus voluntatis ad gratiam suscipiendam, animam ad datorem ordinans ; et ideo ad justificationem, quae per infusionem gratiae fit, requiritur motus liberi arbitrii in Deum.

La grâce qui est donnée pour vivre correctement et pour la rémission des péchés concerne en premier la volonté plutôt que les autres puissances. En effet, c’est par elle qu’on pèche et qu’on vit correctement. Il faut donc que l’infusion de la grâce justifiante existe sous un mode qui convient à la volonté. Pour cette raison, il est nécessaire que tout caractère de violence soit exclu d’une telle infusion, car [la volonté] n’est pas susceptible de violence. Or, pour que la violence soit écartée d’une action, il est nécessaire que celui qui en est le sujet coopère avec l’agent selon son propre mode. Aussi, chez les choses qui sont destinées à agir, est-il exigé qu’elles coopèrent activement ; mais, chez celles qui ne sont destinées qu’à recevoir, comme la matière première, l’inclination naturelle à la forme suffit à écarter la violence. C’est pour cette raison qu’on parle de génération naturelle. Mais autant y existe une contrariété, autant il y existe de violence. Aussi, lorsque la volonté ne pose pas d’acte contraire, comme chez les enfants, la grâce peut-elle être infusée par le sacrement sans faire violence à la volonté, comme chez les enfants baptisés, de même que chez ceux qui ont été sanctifiés dès le sein. Mais lorsque la volonté exerce son acte, comme chez les adultes, est exigé pour recevoir la grâce un acte de la volonté, qui ordonne l’âme à Dieu. C’est pourquoi un mouvement du libre arbitre vers Dieu est nécessaire pour la justification qui est réalisée par l’infusion de la grâce.

[17334] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tractio illa de qua dominus loquitur, non importat coactionem, sed inductionem, vel adjutorium ad bene operandum.

1. Cet attrait dont parle le Seigneur ne comporte pas de coercition, mais une incitation intérieure ou une aide en vue de bien agir.

[17335] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia magis respicit intellectum quam voluntatem, sed gratia magis voluntatem, ut dictum est ; et quia intellectus cogi potest, non autem voluntas ; ideo ad sapientiam percipiendam, et alias intellectus perfectiones, non requiritur consensus suscipientis, sicut ad perfectionem gratiae ; unde in somno fiunt revelationes eorum quae ad sapientiam pertinent, ut patet Num. 2 : non autem gratiae infusio.

2. La sagesse concerne davantage l’intelligence que la volonté, mais la grâce, davantage la volonté, comme on l’a dit. Et parce que l’intelligence peut être forcée, mais non la volonté, le consentement de celui qui reçoit n’est donc pas nécessaire pour recevoir la sagesse et les autres perfections intellectuelles, comme c’est le cas pour la perfection de la grâce. Aussi des révélations sur ce qui se rapporte à la sagesse sont-elles faites en songe, comme cela ressort de Nb 2, mais non l’infusion de la grâce.

[17336] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per Baptismum etiam adulti gratiam suscipere possunt in dormiendo : quia quamvis non adsit actualis dispositio ex actuali motu voluntatis, adest tamen habitualis dispositio ex motu liberi arbitrii praecedente : qui quidem quandoque ad gratiam percipiendam sufficienter disponit, et tunc gratia infunditur statim, ut dictum est ; quandoque autem insufficienter, et tunc talis insufficientia non potest suppleri nisi per alium actum liberi arbitrii, vel per sacramentum, quod ad gratiam dispositive operatur, ut supra, dist. 1, dictum est ; et propter hoc sine sacramento nullus adultus justificari potest, nisi actualiter motu liberi arbitrii existente ; sed per sacramentum potest, si tamen praecessit motus liberi arbitrii prohibens fictionem.

3. Par le baptême, même les adultes peuvent recevoir la grâce en dormant : bien qu’il n’y ait pas de disposition actuelle par un mouvement actuel de la volonté, est cependant présente une disposition habituelle en vertu d’un mouvement antérieur du libre arbitre, qui dispose parfois suffisamment à recevoir la grâce. Alors, la grâce est immédiatement infusée, comme on l’a dit. Mais parfois, [elle dispose] de manière insuffisante : alors, une telle insuffisance ne peut être suppléée que par un autre acte du libre arbitre ou par le sacrement, qui agit pour disposer à la grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 1. Pour cette raison, aucun adulte ne peut être justifié sans le sacrement, à moins que n’existe de manière actuelle un mouvement du libre arbitre ; mais il le peut par le sacrement, si un mouvement du libre arbitre s’opposant à une feinte a précédé.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17337] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omne quod natum est ex pluribus sequi, attribuitur ei quod primum est ; sicut vita attribuitur animae nutritivae, quia ipsa est prior inter principia vitae in viventibus corporaliter. Similiter dicitur animal esse animal per sensum primum, qui est tactus, ut patet in 3 de anima. Unde si justificatio sequitur ad motum liberi arbitrii in Deum, oportet quod attribuatur illi motui qui naturaliter prior in justificatione apparet. Movetur autem mens in Deum et per intellectum et per affectum, et hi duo motus mentis simul esse possunt, quamvis non simul cogitari possint : quia unus est regula alterius, et per actum intellectus praesentatur suum objectum voluntati, quia objectum ejus est bonum imaginatum vel intellectum, ut philosophus dicit in 3 de anima. Sed naturaliter motus intellectus praecedit, sicut objectum naturaliter praecedit actum potentiae ; unde cum motus intellectus in Deum sit per fidem, justificatio motum fidei requirit.

Tout ce qui est destiné à découler de plusieurs choses est attribué à ce qui est premier, comme la vie est attribuée à l’âme nutritive, parce que celle-ci est première parmi les principes de vie dans ce qui vit corporellement. De la même manière, on dit qu’un animal est un animal en raison du premier sens, qui est le toucher, comme cela ressort de Sur l’âme, III. Si la justification découle d’un mouvement du libre arbitre vers Dieu, il faut donc qu’elle soit attribuée au mouvement qui se manifeste comme le premier dans la justification. Or, l’esprit est mû vers Dieu par l’intelligence et par l’affectivité, et ces deux mouvements de l’esprit peuvent exister simultanément, bien qu’on ne puisse les penser en même temps, car l’un est la règle de l’autre, et son objet est présenté à la volonté par un acte de l’intelligence, car son objet est le bien imaginé ou saisi, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. Mais le mouvement de l’intelligence précède naturellement, comme l’objet précède naturellement l’acte d’une puissance. Puisque le mouvement de l’intelligecne vers Dieu se réalise par la foi, la justification requiert donc un mouvement de la foi.

[17338] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motum liberi arbitrii, cum quo gratia infunditur, oportet accipi in sua ultima perfectione. Actus autem fidei perfectus non est, nisi actu affectus perfecto existente : nullus enim credit nisi qui vult, ut Augustinus dicit ; et ideo cum actu fidei in justificatione semper adjungitur actus caritatis ; et his duobus anima Deo appropinquat. Non enim potest esse dubium quin actui caritatis semper actus fidei conjungatur, ex quo objectum per fidem caritati praesentatur : sicut etiam intelligere nostrum nunquam est in actu nisi per imaginationem in actu existentem.

1. Il faut considérer le mouvement du libre arbitre, avec lequel la grâce est infusée, selon sa perfection ultime. Or, l’acte de la foi n’est pas parfait si n’existe pas un acte parfait de l’affectivité : en effet, « personne ne croit que celui qui le veut », comme le dit Augustin. C’est pourquoi un acte de charité est toujours associé à l’acte de foi dans la justification et l’âme s’approche de Dieu par ces deux choses. En effet, il n’y a pas de doute qu’est toujours associé à un acte de charité un acte de foi, par lequel son objet est présenté à la charité, de la même manière dont nous ne posons jamais un acte d’intelligence que par l’imagination qui est en acte.

[17339] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor est remota dispositio ad gratiam : nunquam enim ad gratiam attingit, nisi amor adjungatur. Nos autem loquimur hic de dispositione ultima ad gratiam, cum qua gratia datur.

2. La crainte est une disposition éloignée à la grâce : en effet, elle ne parvient jamais à la grâce, à moins que l’amour ne lui soit associé. Mais nous parlons ici de la disposition ultime à la grâce, avec laquelle la grâce est donnée.

[17340] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non oportet in eodem esse dispositionem et perfectionem in rebus ad invicem ordinatis : quia dispositio facta in priori ordinat ad perfectionem factam in posteriori, sicut motus imaginationis est dispositio ad perfectionem intellectus ; et similiter motus in intellectu factus potest esse dispositio ad motum affectus.

3. Il n’est pas nécessaire qu’existent la disposition et la perfection dans les choses qui sont ordonnées l’une à l’autre, car la disposition réalisée dans la première ordonne à la perfection réalisée dans la suivante, comme le mouvement de l’imagination est une disposition à la perfection de l’intelligence. De la même manière, le mouvement réalisé dans l’intelligence peut être une disposition au mouvement de l’affectivité.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17341] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut in generationibus naturalibus, in quibus una forma expellitur et altera introducitur, propter hoc quod generatio unius est corruptio alterius, oportet esse disponens ad utrumque ; ita in justificatione, qua gratia confertur et culpa expellitur, oportet esse dispositionem voluntatis secundum proprium actum ad utrumque. Et ideo sicut per motum liberi arbitrii in Deum disponitur ille qui justificatur, ad gratiam obtinendam ; ita per motum liberi arbitrii in peccatum, oportet quod ad culpae expulsionem disponatur ; et ideo in justificatione qua innocens justificatur, oportet esse dispositionem solum ad gratiam inducendam ; sed in justificatione qua justificatur impius, oportet dispositionem esse duplicem ; unam ad introducendum gratiam, scilicet motum liberi arbitrii in Deum ; alteram ad expellendam culpam, scilicet motum liberi arbitrii in peccatum.

De même que, dans les générations naturelles, dans lesquelles une forme est chassée et une autre introduite parce que la génération d’une chose est la corruption d’une autre, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui dispose aux deux, de même, dans la justification, par laquelle la grâce est conférée et la faute chassée, est-il nécessaire qu’existe une disposition de la volonté aux deux, selon son acte propre. C’est pourquoi, de même que celui qui est justifié est disposé par un mouvement du libre arbitre vers Dieu afin d’obtenir la grâce, de même est-il nécessaire qu’il soit disposé à l’expulsion de la faute par un mouvement de son libre arbitre contre le péché. C’est pourquoi, dans la justification par laquelle un innocent est justifié, il est seulement nécessaire qu’existe une disposition à l’induction de la grâce ; mais, dans la justification par laquelle l’impie est justifié, une double disposition est nécessaire : l’une pour introduire la grâce, à savoir, un mouvement du libre arbitre vers Dieu ; l’autre pour chasser la faute, à savoir, un mouvement du libre arbitre contre le péché.

[17342] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fervor dilectionis de necessitate secum conjunctum habet odium contrarii ; et ideo fervor dilectionis ad dimissionem culpae non operatur sine peccati detestatione, quae directe dimissioni culpae respondeat.

1. La ferveur de l’amour comporte nécessairement, associée à elle, la haine de son contraire. C’est pourquoi la ferveur de l’amour n’agit pas pour remettre la faute sans la détestation du péché, qui correspond directement à la rémission de la faute.

[17343] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod conversio ad Deum sufficit ad gratiam obtinendam quantum in se est, sicut conversio ad bonum commutabile sufficit ad culpam ; sed requiritur conversio ad peccatum quasi removens impedimentum. Vel dicendum, quod etiam in peccato conversio non facit culpam sine aversione ; et similiter oportet duo esse in justificatione.

2. La conversion vers Dieu suffit en elle-même pour obtenir la grâce, comme la conversion à un bien changeant suffit pour la faute ; mais une conversion en direction du péché est nécessaire comme ce qui enlève un empêchement. Ou bien il faut dire que, même dans le péché, la conversion ne cause pas la faute sans l’aversion. De même est-il nécessaire que les deux choses existent dans la justification.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17344] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod illa quae per accidens se habent ad aliquid, non includuntur ab illo. Remissio autem culpae se habet accidentaliter ad gratiae infusionem, quia accidit ex subjecto in quo culpam invenit : posset enim esse infusio gratiae sine hoc quod culpa remitteretur, sicut in statu innocentiae fuit, et in Christo homine quantum ad primum instans suae conceptionis ; et ideo infusio gratiae non includit culpae remissionem. Unde cum ad justificationem impii, de qua loquimur, sit necessaria culpae remissio, oportet quod connumeretur gratiae infusioni ; et sic sunt quatuor quae requiruntur in ipsa justificatione : scilicet gratiae infusio, culpae remissio, motus liberi arbitrii in Deum, et motus liberi arbitrii in peccatum.

Ce qui a un rapport accidentel avec une chose n’en fait pas partie. Or, la rémission de la faute a un rapport accidentel avec l’infusion de la grâce, car elle survient dans le sujet où se trouve la faute. En effet, il pourrait exister une infusion de la grâce sans que la faute soit remise, comme c’était le cas dans l’état d’innocence et chez le Christ homme dès le premier instant de sa conception. C’est pourquoi l’infusion de la grâce n’englobe pas la rémission de la faute. Puisque, pour la justificcation de l’impie dont nous parlons, la rémission de la faute est nécessaire, il est donc nécessaire qu’elle s’ajoute à l’infusion de la grâce. Il y a ainsi quatre choses qui sont nécessaires dans la justification même : l’infusion de la grâce, la rémission de la faute, le mouvement du libre arbitre vers Dieu et le mouvement du libre arbitre contre le péché.

[17345] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de effectu proportionato causae qui includitur in ipsa causa ; non est autem ita de peccati remissione, ut dictum est.

1. Cette objection vient de l’effet proportionné à une cause, qui est inclus dans la cause elle-même. Mais il n’en est pas ainsi pour la rémission du péché, comme on l’a dit.

[17346] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum et gratia non se habent sicut affirmatio et negatio, vel sicut privatio et habitus : quia aliquis potest esse gratia destitutus, et tamen non habebit peccatum, sicut patet de Adam secundum illos qui dicunt eum non fuisse in gratia creatum, quia peccatum aliquid ponit vel esse vel fuisse in peccante. Transeunte enim actu peccati, adhuc peccatum praecedens manet aliquo modo in ipso peccante, secundum quod ex eo reus apud Deum efficitur, sicut etiam actus meritorii manent, ut supra, dist. 14, dictum est ; et ideo ratio non procedit.

2. Le péché et la grâce n’ont pas le même rapport que l’affirmation et la négation, ou que la privation et l’habitus, car quelqu’un peut avoir perdu la grâce sans cependant avoir de péché, comme cela est clair pour Adam, selon ceux qui disent qu’il n’a pas été créé dans la grâce, parce que le péché fait que quelque chose existe ou a existé dans le pécheur. En effet, après que l’acte de péché est passé, le péché antérieur demeure encore d’une certaine façon dans le pécheur lui-même, selon qu’il encourt une dette envers Dieu, de la même manière que les actes méritoires demeurent, comme on l’a dit plus haut, d. 14. Le raisonnement ne vaut donc pas.

 

 

Articulus 4 [17347] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum culpae remotio naturaliter praecedat gratiae infusionem

Article 4 – L’enlèvement de la faute précède-t-il naturellement l’infusion de la grâce ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’enlèvement de la faute précède-t-il naturellement l’infusion de la grâce ?]

[17348] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod culpae remotio naturaliter praecedat gratiae infusionem. In Psalm. 62, ubi super illud : sic in sancto apparui tibi, dicit Glossa : nisi quis prius sitiat in isto deserto (idest malo) in quo est, nunquam perveniet ad bonum. Ergo remissio mali culpae est prior quam perventio ad bonum gratiae.

1. Il semble que l’enlèvement de la faute précède naturellement l’infusion de la grâce. À propos de Ps 62 : Ainsi te suis-je apparu dans le saint [des saints], la Glose dit : « À moins que quelqu’un n’ait ressenti la soif dans le désert ( c’est-à-dire le mal) où il est, il ne parviendra jamais au bien. » La rémission du mal de la faute est donc antérieure à l’atteinte du bien de la grâce.

[17349] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, remissio culpae et infusio gratiae se habent sicut illuminatio et purgatio. Sed purgatio praecedit illuminationem, secundum Dionysium. Ergo et remissio culpae praecedit gratiae infusionem.

2. La rémission de la faute et l’infusion de la grâce ont le même rapport que l’illumination et la purification. Or, la purification précède l’illumination, selon Denys. La rémission de la faute précède donc l’infusion de la grâce.

[17350] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in quolibet motu recessus a termino a quo, praecedit accessum ad terminum ad quem : vel tempore, si sit motus successivus ; vel saltem natura, si sit mutatio subita. Sed justificationis terminus a quo est culpa ; terminus ad quem est gratia. Ergo remissio culpae praecedit infusionem gratiae.

3. En tout mouvement, l’éloignement du terme de départ précède l’accession au terme d’arrivée : dans le temps, si le mouvement est successif ; ou au moins par nature, s’il s’agit d’un changement subit. Or, le terme de départ de la justification est la faute, et son terme d’arrivée est la grâce. La rémission de la faute précède donc l’infusion de la grâce.

[17351] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia causa naturaliter praecedit effectum. Sed infusio gratiae est causa remissionis culpae, quia infundendo gratiam Deus peccata remittit. Ergo infusio gratiae praecedit.

Cependant, [1] la cause précède naturellement l’effet. Or, l’infusion de la grâce est la cause de la rémission de la faute, car Dieu remet les péchés en infusant la grâce. L’infusion de la grâce précède donc.

[17352] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit, quod perfecta virtus in animam intrans, iniquitatem tollit. Sed prius est unumquodque naturaliter quam agat. Ergo prius est virtus et gratia, quam peccatum tollat.

[2] Ambroise dit que la vertu parfaite enlève l’iniquité en entrant dans l’âme. Or, tout existe avant d’agir. La vertu et la grâce existent donc avant qu’elles n’enlèvent le péché.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le mouvement du libre arbitre précède-t-il l’infusion de la grâce ?]

[17353] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod motus liberi arbitrii praecedat gratiae infusionem. Quia dispositio praecedit naturaliter perfectionem. Sed motus liberi arbitrii est dispositio ad gratiam. Ergo naturaliter praecedit gratiae infusionem.

1. Il semble que le mouvement du libre arbitre précède l’infusion de la grâce, car la disposition précède naturellement la perfection. Or, le mouvement du libre arbitre est une disposition à la grâce. Il précède donc naturellement l’infusion de la grâce.

[17354] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, gratiae infusio et culpae remissio se concomitantur. Sed motus contritionis, qui est motus liberi arbitrii in peccatum, causat culpae remissionem. Ergo est prior quam gratiae infusio.

2. L’infusion de la grâce et la rémission de la faute sont concomitantes. Or, le mouvement de contrition, qui est le mouvement du libre arbitre contre le péché, cause la rémission de la faute. Il est donc antérieur à l’infusion de la grâce.

[17355] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, justificatio impii, ut ex dictis patet, est culpae remissio. Ergo illud quod sequitur ad culpae remissionem, sequitur ad justificationem. Sed motus liberi arbitrii non sequitur ad justificationem, sed est de essentia. Ergo non sequitur peccati remissionem ; et sic idem quod prius.

3. La justification de l’impie, comme cela ressort de ce qui a été dit, est la rémission de la faute. Ce qui suit de la rémission de la faute suit donc la justification. Or, le mouvement du libre arbitre ne suit pas la justification, mais fait partie de son essence. Il ne suit donc pas la rémission du péché. La conclusion est donc la même que précédemment.

[17356] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, motus liberi arbitrii, scilicet contritio, est meritorius. Ergo est informatus gratia. Sed gratia informans actum est prior eo, cum sit causa ejus. Ergo gratiae infusio et culpae remissio praecedunt motum liberi arbitrii.

Cependant, [1] le mouvement du libre arbitre, la contrition, est méritoire. Il possède donc la forme de la grâce. Or, la grâce qui donne sa forme à l’acte lui est antérieure, puisqu’elle en est la cause. L’infusion de la grâce et la rémission de la faute précèdent donc le mouvement du libre arbitre.

[17357] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, actus primus praecedit actum secundum. Sed gratiae infusio et culpae remissio pertinent ad actum primum, qui est forma ; motus autem liberi arbitrii sive in Deum sive in peccatum, pertinent ad actum secundum, qui est operatio. Ergo prior est eis gratiae infusio.

[2] L’acte premier précède le deuxième acte. Or, l’infusion de la grâce et la rémission de la faute relèvent de l’acte premier, qui est la forme ; mais les mouvements du libre arbitre vers Dieu ou contre le péché relèvent du deuxième acte, qui est l’opération. L’infusion de la grâce leur est donc antérieure.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le mouvement du libre arbitre contre le péché précède-t-il le mouvement du libre arbitre vers Dieu ?]

[17358] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod motus liberi arbitrii in peccatum praecedat motum liberi arbitrii in Deum. Quia motus liberi arbitrii in peccatum maxime videtur ad timorem pertinere. Sed timor praecedit caritatem, ut Augustinus dicit. Ergo et motus liberi arbitrii in peccatum praecedit motum liberi arbitrii in Deum, qui est caritatis.

1. Il semble que le mouvement du libre arbitre contre le péché précède le mouvement du libre arbitre vers Dieu, car le mouvement du libre arbitre contre le péché semble relever surtout de la crainte. Or, la crainte précède la charité, comme le dit Augustin. Le mouvement du libre arbitre contre le péché précède donc aussi le mouvement du libre arbitre vers Dieu, qui est la charité.

[17359] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, motus liberi arbitrii in peccatum est quasi removens prohibens. Sed non sequitur motus ad terminum debitum nisi remoto prohibente, sicut patet in motu locali. Ergo motus liberi arbitrii in peccatum praecedit motum liberi arbitrii in Deum quasi in finem debitum.

2. Le mouvement du libre arbitre contre le péché est comme l’enlèvement d’un empêchement. Or, le mouvement vers un terme approprié ne suit qu’après l'enlèvement d’un empêchement, comme cela ressort clairement dans le mouvement local. Le mouvement du libre arbitre contre le péché précède donc le mouvement du libre vers Dieu comme fin appropriée.

[17360] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Sed contra, motus liberi arbitrii in Deum est motus fidei ; motus autem liberi arbitrii in peccatum est motus poenitentiae. Sed fides praecedit poenitentiae virtutem, sicut supra dictum est. Ergo videtur quod motus liberi arbitrii in Deum sit prior quam motus liberi arbitrii in peccatum.

3. Cependant, le mouvement du libre arbitre vers Dieu est un movuement de la foi ; mais le mouvement du libre arbitre contre le péché est un mouvement de la pénitence. Or, la foi précède la vertu de pénitence, comme on l’a dit plus haut. Il semble donc que le mouvement du libre arbitre vers Dieu soit antérieur au mouvement du libre arbitre contre le péché.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17361] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod omnis prioritas secundum ordinem naturae aliquo modo reducitur ad ordinem causae et causati : quia principium et causa sunt idem. In causis autem contingit quod idem est causa et causatum, secundum diversum genus causae, ut patet in 2 Physic., et in 5 Metaph. : sicut ambulatio est causa efficiens sanationis, et sanatio est causa finalis ambulationis ; et similiter de habitudine quae est inter materiam et formam : quia secundum genus causae materialis materia est causa formae quasi sustentans ipsam, et forma est causa materiae quasi faciens eam esse actu secundum genus causae formalis. Ex parte autem causae materialis se tenet secundum quemdam reductionem omne illud per quod materia efficitur propria hujus formae, sicut dispositiones et remotiones impedimentorum ; et ideo in generatione naturali quando corruptio unius est generatio alterius per hoc quod forma una inducitur et alia expellitur, remotio formae praeexistentis se tenet ex parte causae materialis ; et ideo secundum ordinem causae materialis praecedit naturaliter introductionem alterius formae ; sed secundum ordinem causae formalis est e contrario. Et quia forma et finis et agens incidunt in idem numero vel specie, ideo etiam in ordine causae efficientis introductio formae prior est : quia forma prior introducta, est similitudo formae agentis, per quam agens agit ; et similiter in ordine causae finalis : quia natura principaliter intendit introductionem formae, et ad hanc ordinat expulsionem omnis ejus cum quo non potest stare formae introductio. Unde cum gratiae infusio et remissio culpae, ut ex dictis patet, se habeat sicut introductio unius formae et expulsio alterius, constat quod secundum ordinem causae materialis remissio culpae praecedit infusionem gratiae ; sed secundum ordinem causae formalis, efficientis et finalis, infusio gratiae natura prior est ; et propter hoc etiam utrumque invenitur dici causa alterius. Infusio enim gratiae est causa remissionis culpae per modum causae formalis ; sed extirpatio vitiorum dicitur operari virtutum ingressum per modum causae materialis.

Toute priorité selon un ordre de nature se ramène d’une certaine manière à l’ordre entre une cause et ce qui est causé, car le commencement et la cause sont la même chose. Or, parmi les causes, il arrive que la même chose soit à la fois cause et ce qui est causé, selon un genre différent de cause, comme cela ressort de Physique, II, et de Métaphysique, V ; ainsi la marche est cause efficiente de la guérison, et la guérison est cause finale de la marche. Il en va de même du rapport qui existe entre la matière et la forme, car, selon le genre de la cause matérielle, la matière est la cause de la forme en tant qu’elle la soutient, et la forme est la cause de la matière en la rendant en acte, selon le genre de la cause formelle. Or, du point de vue de la cause matérielle, tout ce par quoi la matière devient propre à telle forme s’y ramène, comme c’est le cas de ce qui dispose et enlève les empêchements. C’est pourquoi, dans la génération naturelle, lorsqu’une forme est introduite et une autre écartée, l’enlèvement de la forem préexistante se ramène à la cause matérielle. Ainsi, selon l’ordre de la cause matérielle, elle précède naturellement l’introduction de l’autre forme. Mais, selon l’ordre de la cause formelle, c’est l’inverse. Et parce que la forme, la fin et l’agent sont les mêmes en nombre ou par l’espèce, même dans l’ordre de la cause efficiente, l’introduction de la forme est antérieure, car la forme introduite antérieurement est une similitude de la forme de l’agent, par laquelle l’agent agit. De même en est-il dans l’ordre de la cause finale, car la nature a comme fin principale l’introduction de la forme et elle ordonne à celle-ci l’expulsion de tout ce qui n’est pas compatible avec l’itnroduction de la forme. Puisque l’infusion de la grâce et la rémission de la faute, comme cela ressort de ce qui a été dit, sont comme l’introduction d’une forme et l’expulsion d’une autre, il est donc clair que, selon l’ordre de la cause matérielle, la rémission de la faute précède l’infusion de la grâce ; mais, selon l’ordre de la cause formelle, efficiente et finale, l’infusion de la grâce est antérieure. Pour cette raison aussi, il se trouve qu’on dit des deux qu’elles sont la cause de l’autre. En effet, l’infusion de la grâce est la cause de rémission de la faute par mode de cause formelle ; mais on dit que l’extirpation des vices réalise l’arrivée des vertus par mode de cause matérielle.

[17362] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17363] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod de ordine illorum motuum liberi arbitrii ad gratiae infusionem et remissionem culpae, est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod motus praedicti praecedunt ; et concedunt quod motus liberi arbitrii in Deum est motus fidei non formatae, sed informis ; et motus liberi arbitrii in peccatum est motus attritionis, non contritionis : quia omne quod praecedit gratiam, non potest esse per gratiam formatum. Sed hoc non potest esse : quia in ipso motu contritionis justificatur poenitens, sicut in ipso actu ablutionis baptismalis justificatur puer baptizatus. Tunc autem aliquis justificatur quando gratiam recipit ; unde simul cum gratiae infusione et justificatione est motus contritionis ; sed motus attritionis praecedit quasi praeparatorius. Nos autem nunc non loquimur de praeparatoriis ad justificationem, sed de his quae intrant substantiam ipsius. Et ideo quidam dicunt, quod gratiae infusio praecedit motus liberi arbitrii in Deum et in peccatum, ut possit eos informare ; sed culpae remissio sequitur ad utrumque. Sed hoc non potest esse : quia inter gratiae infusionem et culpae remissionem non cadit medium, quia hoc est ejus effectus primus et principalis. Et praeterea, sicut ad contritionis motum requiritur quod adsit gratia ; ita quod absit culpa ; quia cum ea esse non potest. Et ideo alii dicunt, quod gratiae infusio et culpae remissio praecedunt motus praedictos simpliciter. Sed hoc etiam non videtur usquequaque verum : quia illi motus non requirerentur ad justificationem, nisi aliquam causalitatem haberent respectu illius. Et ideo dicendum est, quod aliquo modo gratiae infusio et culpae remissio praecedunt ; aliquo autem modo praedicti motus : quod patet ex simili in generatione naturali, quae est terminus alterationis. In eodem enim instanti terminatur alteratio ad dispositionem quae est necessitas, et generatio ad formam ; et tamen secundum ordinem naturae utrumque est prius altero aliquo modo : quia dispositio quae est necessitas, praecedit formam secundum ordinem causae materialis ; sed forma est prior secundum ordinem causae formalis ; et secundum hunc modum illa qualitas consummata est etiam formalis effectus formae substantialis, secundum quod forma substantialis est causa accidentalium ; et ideo cum isti motus, qui sunt in ipsa justificatione impii, sint quasi dispositio ultima ad gratiae susceptionem suo modo, praecedunt quidem in via causae materialis, sed sequuntur in via causae formalis ; et ideo nihil prohibet eos esse formatos, quia hoc ad rationem et perfectionem esse formalis pertinet ; sicut qualitates quae introducuntur simul cum forma substantiali, quodammodo formantur per formam substantialem : et sicut qualitas praedicta ante sui consummationem et formae introductionem non erat formata, sed informis ; ita etiam est de motu liberi arbitrii, si tamen continuatus in fine perficiatur per gratiae infusionem. Nec est inconveniens : quia etsi sit aliquo modo idem secundum genus naturae, non tamen est idem secundum genus moris. Contingit enim unum motum secundum genus naturae esse virtutis et vitii secundum genus moris, sicut patet de illo qui eundo ad Ecclesiam mutat intentionem de malo in bonum.

À propos de l’ordre entre les mouvements du libre arbitre, l’infusion de la grâce et la rémission de la faute, il existe plusieurs opinions. En effet, certains disent que ces mouvements précèdent : ils concèdent que le mouvement du libre arbitre vers Dieu est un mouvement de foi non formée mais informe, et que le mouvement du libre arbitre contre le péché est un mouvement d’attrition, et non de contrition, car tout ce qui précède la grâce ne peut être formé par la grâce. Mais cela est impossible, car le pénitent est justifié par le mouvement même de contrition, comme l’enfant baptisé est justifié par l’acte même du baptême. Or, on est justifié lorsqu’on reçoit la grâce ; aussi le mouvement de la contrition est-il concomitant à l’infusion de la grâce et à la justification. Mais le mouvement d’attrition précède en tant qu’il est préparatoire. Mais nous ne parlons pas maintenant des actes préparatoires à la justification, mais de ce qui fait partie de sa substance. C’est pourquoi certains disent que l’infusion de la grâce précède le mouvement du libre arbitre vers Dieu et contre le péché afin qu’elle puisse leur donner forme, mais que la rémission de la faute suit les deux. Mais cela est impossible, car, entre l’infusion de la grâce et la rémission de la faute, il n’y a pas d’intermédiaire, puisque cela est son effet premier et principal. De plus, de même que la présence de la grâce est nécessaire pour un mouvement de contrition, de même est-elle nécessaire qu’il n’y ait pas de faute, car il ne saurait exister en même temps qu’elle. C’est pourquoi d’autres disent que l’infusion de la grâce et la rémission de la faute précèdent tout simplement les mouvements en cause. Mais cela ne semble pas tout à fait vrai, car ces mouvements ne seraient pas nécessaires pour la justification s’ils n’avaient pas une certaine causalité par rapport à elle. C’est pourquoi il faut dire que, d’une certaine manière, l’infusion de la grâce et la rémission de la faute précèdent, mais que, d’une certaine manière, ce sont les mouvements en cause [qui précèdent]. Cela ressort de ce qui est semblable dans la génération natuelle, qui est le terme d’une altération. En effet, c’est au même instant que se terminent l’altération en vue d’une disposition qui est nécessaire, et la génération en vue de la forme ; cependant, selon un ordre de nature, chacune est antérieure à l’autre d’une certaine manière, car la disposition qui est nécessaire précède la forme selon l’ordre de la cause matérielle, mais la forme est antérieure selon l’ordre de la cause formelle. De cette manière, cette qualité a été achevée comme l’effet formel de la forme substantielle, selon que la forme substantielle est la cause des accidents. Comme ces mouvements qui existent dans la justification de l’impie sont, à leur manière, comme une disposition ultime à la grâce, ils précèdent donc sur la route de la cause matérielle, mais ils suivent sur la route de la cause formelle. C’est pourquoi rien n’empêche qu’ils soient formés, car cela relève du caractère et de la perfection de l’être formel, comme les qualités qui sont introduites en même temps que la forme substantielle sont d’une certaine manière formées par la forme substantielle. Et comme cette qualité, avant son achèvement et l’introduction de la forme n’était pas formée mais informe, de même en est-il du mouvement du libre arbitre, à condition que, poursuivi jusqu’à la fin, il soit perfectionné par l’infusion de la grâce. Et cela n’est pas inapproprié, car si cela est d’une certaine manière la même chose selon le genre naturel, ce n’est cependant pas la même chose dans le genre moral. En effet, il arrive qu’un seul mouvement par son genre naturel relève cependant d’une vertu ou d’un vice selon le genre moral, comme cela est clair de celui qui, en se rendant à l’église, change son intention du mal au bien.

[17364] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17365] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod motus liberi arbitrii in Deum, ut ex dictis patet, directe respondet gratiae infusioni ; motus autem liberi arbitrii in peccatum directe respondet remissioni culpae ; unde eadem ratio est de ordine istorum ad invicem, et de ordine remissionis culpae ad infusionem gratiae.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, le mouvement du libre arbitre vers Dieu répond directement à l’infusion de la grâce ; mais le mouvement du libre arbitre contre le péché répond directement à la rémission de la faute. L’ordre réciproque entre ces deux choses est donc le même que l’ordre entre la rémission de la faute et l’infusion de la grâce.

[17366] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de timore servili, cujus actus non est motus liberi arbitrii qui est simul cum justificatione : quia timor servilis non est simul cum gratia, qua iste motus informatur ; et ideo ratio non est ad propositum.

1. Augustin parle de la crainte servile, dont l’acte n’est pas un mouvement du libre arbitre concomitant à la justification, car la crainte servile n’existe pas simultanément avec la grâce, puisque ce mouvement a une forme. Le raisonnement porte donc à faux.

[17367] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit, quod sit prior in via causae materialis, ad quam reducitur remotio impedimenti.

2. Ce raisonnement vient de ce qui antérieur sur la route de la cause matérielle, à laquelle l’enlèvement d’un empêchement se ramène.

[17368] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordo qui attenditur inter virtutes, est secundum quod eliciunt actus suos, quod per modum causae formalis faciunt ; et ideo ratio illa procedit secundum viam causae formalis.

3. L’ordre qu’on observe entre les vertus est celui selon lequel leurs actes sont issus d’elles, ce qu’elles réalisent selon le mode de la cause formelle. Ainsi, ce raisonnement suit la route de la cause formelle.

 

 

Articulus 5

[17369] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 tit. Utrum justificatio impii sit miraculosa

Article 5 – La justification de l’impie est-elle miraculeuse ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La justification de l’impie est-elle miraculeuse ?]

[17370] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod justificatio impii sit miraculosa. Quia, sicut dicit Augustinus, majus est de impio facere pium quam creare caelum et terram. Sed creatio caeli et terrae est miraculosa. Ergo et justificatio impii.

1. Il semble que la justification de l’impie soit miraculeuse, car, comme le dit Augustin, « il est plus grand de faire d’un impie un juste que de créer le ciel et la terre. » Or, la création du ciel et de la terre est miraculeuse. Donc, la justification de l’impie aussi.

[17371] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quanto est major resistentia, tanto difficilior actio. Sed in creatione non est aliqua resistentia : quia quod non est, non potest resistere ; in justificatione autem impii est contrarietas resistens, scilicet impietas inventa in eo. Ergo est difficilior ; et sic idem quod prius.

2. Plus la résistance est grande, plus une action est difficile. Or, dans la création, il n’y a aucune résistance, car ce qui n’existe pas ne peut résister ; mais, dans la justification de l'impie, il existe quelque chose de contraire qui résiste, l’impiété qui se trouve en lui : elle est donc plus difficile. Ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

[17372] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis actio divina, quae fit praeter ordinem illius rei in quam operatur, est actio miraculosa ; sicut praeter ordinem cadaveris est quod ad vitam reparetur ; et ideo resuscitatio mortui divina virtute facta, est miraculosa. Sed quod voluntas ad aliquid trahatur, contra ordinem ipsius est, inquantum est libera. Cum ergo in justificatione impii trahatur a Deo ad bonum, videtur quod justificatio sit miraculosa.

3. Toute action divine qui dépasse l’ordre de la chose sur laquelle elle agit est une action miraculeuse, comme cela dépasse l’ordre d’un cadavre qu’il soit ramené à la vie. C’est pourquoi la résurrection d’un mort réalisée réalisée par la puissance divine est miraculeuse. Or, que la volonté soit entraînée à quelque chose est contraire à son ordre, étant donné qu’elle est libre. Puisque, dans la justification de l’impie, celui-ci est entraîné au bien par Dieu, il semble donc que la justification soit miraculeuse.

[17373] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, justificatio non est praeter spem proveniens. Sed hoc est de ratione miraculi. Ergo justificatio non est miraculosa.

Cependant, [1] la justification ne survient pas contre toute espérance. Or, cela fait partie de la raison du miracle. La justification n’est donc pas miraculeuse.

[17374] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, miracula dicuntur quae raro accidunt. Sed frequenter aliqui justificantur. Ergo non est miraculosa actio.

[2] On appelle miracles des choses qui arrivent rarement. Or, il arrive fréquemment que certains soient justifiés. Ce n’est donc pas une action miraculeuse.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’infusion de la grâce et la rémission de la faute se réalisent-elles dans le même instant ?]

[17375] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod infusio gratiae et remissio culpae non sint in eodem instanti. Gratia enim non datur nisi digno. Sed nullus est dignus in quo culpa est. Ergo gratia datur ei a quo culpa jam remota est ; et sic non sunt simul.

1. Il semble que l’infusion de la grâce et la rémission de la faute se réalisent dans le même instant. En effet, la grâce n’est donnée qu’à celui qui en est digne. Or, personne qui a une faute n’est digne. La grâce est donc donnée à celui dont la faute a été enlevée. Elle ne sont donc pas simultanées.

[17376] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, gratia adveniens expellit culpam. Sed nihil agit nisi postquam est. Gratia autem non prius est quam insit. Ergo oportet quod gratia prius sit in subjecto quam culpam expellat ; et ita non sunt simul tempore gratiae infusio et culpae remissio.

2. La grâce qui survient chasse la faute. Or, rien n’agit que s’il existe. Or, la grâce n’existe pas avant de se trouver à l’intérieur [de celui qui la reçoit]. Il n’est donc pas nécessaire que la grâce existe chez un sujet avant qu’elle n’expulse la faute. L’infusion de la grâce et la rémission de la faute n’existent donc pas simultanément dans le temps.

[17377] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, culpa et gratia non sunt in eodem instanti in anima : quia contraria non sunt simul in eodem. Ergo instans in quo ultimo est culpa in anima, est aliud ab illo instanti in quo primo est gratia in ipsa. Sed inter quaelibet duo instantia est tempus medium. Ergo prius tempore expellitur culpa ab anima quam gratia infundatur.

3. La faute et la grâce n’existent pas chez le même au même instant, car les contraires n’existent pas en même temps chez le même. L’instant où la faute existe en dernier dans l’âme est donc différent de l’instant où la grâce existe en premier en elle. Or, entre deux instants, il existe toujours un temps intermédiaire. La faute est donc d’abord expulsée de l’âme dans le temps avant que la grâce ne soit infusée.

[17378] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, inter prius et posterius temporis cadit tempus medium. Sed postquam culpa est expulsa ab anima, non est in ipsa, nec gratia inest antequam infundatur. Ergo si prius tempore culpa expellatur quam gratia infundatur, erit aliquod tempus in quo anima gratia et culpa carebit ; quod est impossibile : quia dato quod in illo tempore moreretur, neque iret ad Infernum neque ad Paradisum finaliter ; quod est impossibile.

Cependant, [1] entre l’avant et l’après dans le temps, survient toujours un temps intermédiaire. Or, après que la faute a été expulsée de l’âme, elle n’existe pas en elle, pas plus que la grâce n’existe avant d’avoir été infusée. Si donc la faute est expulsée avant que la grâce ne soit infusée, il y aura un temps où lui feront défaut la grâce et la faute, ce qui est impossible, car, à supposer qu’elle mourrait pendant ce temps, elle n’irait définitivement ni en enfer ni au Paradis, ce qui est impossible.

[17379] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, remissio culpae et infusio gratiae se habent in justificatione sicut introductio unius formae et expulsio alterius in generatione naturali. Sed illa duo sunt in eodem instanti. Ergo et haec duo. Probatio mediae. Quia terminus cujuslibet motus est in instanti. Sed utrumque praedictorum est terminus alterationis, ut in 6 Physic. dicit Commentator. Ergo sunt in eodem instanti.

[2] La rémission de la faute et l’infusion de la grâce sont, dans la justification, comme l’introduction d’une forme et l’expulsion d’une autre dans la génération naturelle. Or, ces deux dernières choses existent dans le même instant. Donc aussi les deux autres. Démonstration de la mineure : le terme de tout mouvement existe dans l’instant. Or, ces deux choses sont les termes d’une altération, comme le dit le Commentateur dans Physique, VI. Elles existent donc dans le même isntant.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La justification est-elle successive ?]

[17380] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit successiva. Quia nullus motus est in instanti. Sed in ipsa justificatione est motus liberi arbitrii. Ergo non est in instanti, sed successiva.

1. Il semble qu’elle soit successive, car aucun mouvement ne se produit dans l’instant. Or, dans la justification, il existe un mouvement du libre arbitre. Elle ne se réalise donc pas dans l’instant, mais elle est successive.

[17381] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut intellectus est simplex, ita et liberum arbitrium est simplex. Sed propter simplicitatem intellectus impossibile est simul plura intelligere. Ergo propter simplicitatem liberi arbitrii impossibile est liberum arbitrium simul ferri ad diversa. Ergo cum in justificatione impii sit motus liberi arbitrii in Deum, et in peccatum, non erit justificatio impii in instanti, sed successiva.

2. De même que l’intellect est simple, de même le libre arbitre est-il simple. Or, en raison de la simplicité de l’intellect, il est impossible qu’il puisse intelliger en même temps plusieurs choses. Donc, en raison de la simplicité du libre arbitre, il est impossible que le libre arbitre soit porté en même temps sur des choses diverses. Puisque, dans la justification de l’impie, existe un mouvement du libre arbitre vers Dieu et contre le péché, la justification de l’impie ne se réalisera donc pas dans l’instant, mais elle sera successive.

[17382] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, impossibile est idem simul esse et non esse. Sed quod fit, non est in permanentibus ; quod autem est factum, est in eisdem. Ergo impossibile est simul fieri et factum esse. Sed justificatio est quoddam fieri. Ergo impossibile est simul justificari et justificatum esse : ergo justificatio est successiva : quia inter quodlibet prius et posterius instans temporis, cadit tempus medium, ut dictum est.

3. Il est impossible que quelque chose soit et ne soit pas en même temps. Or, ce qui devient n’existe pas dans les choses permanentes ; mais ce qui est devenu existe chez celles-ci. Devenir et être devenu sont donc impossibles simultanément. Il est donc impossible d’être en même temps justifié et d’avoir été justifié. La justification est donc successive, car, entre tout instant du temps antérieur et postérieur, il y a un temps intermédiaire, comme on l’a dit.

[17383] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, formae quae suscipiunt magis et minus, non inducuntur subito in subjectum. Sed gratia suscipit magis et minus. Ergo successive infunditur in subjecto ; et sic justificatio est successiva.

4. Les formes qui reçoivent du plus ou du moins ne sont pas induites subitement dans un sujet. Or, lagrâce est susceptible de plus et de moins. Elle est donc infusée dans le sujet de manière successive. La justification est donc successive.

[17384] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, efficacior est virtus divina ad agendum quam virtus naturae. Sed virtute naturae generatio, qua fit ignis, est in instanti. Ergo multo fortius aliquis fit justus virtute divina in instanti.

Cependant, la puissance divine est plus efficace que la puissance de la nature. Or, la génération en vertu de la nature par laquelle le feu est réalisée s’exerce dans l'isntant. À bien plus forte raison donc, quelqu’un devient-il juste dans l’instant par la puissance divine.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17385] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de ratione miraculi secundum se sumpti tria sunt : quorum primum est, quod illud quod fit per miraculum, fit supra virtutem naturae creatae agentis ; secundum, ut in natura recipiente non sit ordo naturalis ad illius susceptionem, sed solum potentia obedientiae ad Deum ; tertium, ut praeter modum consuetum tali effectui ipse effectus inducatur. Exemplum primi est de gloria corporum in resurrectione, ad quam natura non attingit : exemplum secundi est de illuminatione caeci, in quo non est potentia naturalis ad suscipiendum visum : exemplum tertii est de conversione aquae in vinum praeter cursum naturae. Et haec tria aliquo modo semper concurrunt ad actum miraculosum : quia etsi visiva potentia non excedat vires naturae absolute loquendo, quia eam per generationem inducit ; excedit tamen vires naturae considerata impotentia recipientis ; et si adsit potentia absolute aliquando, sicut in conversione aquae in vinum, tamen per comparationem ad modum fiendi, neutrum adest ; et ideo in definitione miraculi ponitur arduum quantum ad primum ; praeter spem, scilicet naturae, quantum ad secundum ; insolitum quantum ad tertium ; et ideo ille effectus qui immediate est a Deo tantum, et tamen inest recipienti ordo naturalis ad recipiendum illum effectum non per alium modum quam per istum, non erit miraculosus ; sicut patet de infusione animae rationalis. Et similiter est de justificatione impii : quia ordo naturalis inest animae ad justitiae rectitudinem consequendam : nec alio modo eam consequi potest quam a Deo immediate ; et ideo justificatio impii de se non est miraculosa ; sed potest habere aliquid miraculosum adjunctum, quod justificationi viam parat.

La raison du miracle, considéré en lui-même, comporte trois choses : la première est que ce qui est accompli par un miracle dépasse la puissance de la nature créée qui agit ; la deuxième, qu’il n’existe pas dans la nature qui reçoit un ordre naturel à le recevoir, mais seulement la capacité d’obéir à Dieu ; la troisième, que le mode de réalisation de l’effet en question dépasse le mode habituel d’un tel effet. Un exemple de la première est la gloire des corps ressuscités, à laquelle la nature ne parvient pas ; un exemple de la deuxième est le fait de voir pour un aveugle, chez qui il n’existe pas de capacité naturelle de recevoir ce qui est vu ; un exemple de la troisième est la conversion de l’eau en vin d’une manière qui dépasse la nature. Et ces trois choses concourent toujours d’une certaine manière à l’acte miraculeux, car même si la capacité de voir ne dépasse pas les forces de la nature à parler absolument, puisque [la nature] la donne par la génération, elle dépasse cependant les capacités de la nature, si l’on prend en compte l’incapacité de celui qui la reçoit. Et si la puissance existe à parler de manière absolue, comme dans la conversion de l’eau en vin, aucune des deux n’existe par comparaison avec la manière de faire. C’est pourquoi, dans la définition du miracle, on dit : « difficle », quant au premier point ; « contre toute espérance », à savoir, de la nature, quant au deuxième point ; « insolite », quant au troisième. Ainsi, ne sera pas miraculeux l’effet qui ne vient que de Dieu de manière immédiate, alors qu’existe chez celui qui le reçoit un ordre naturel à recevoir cet effet, mais non pas d’une autre manière que celle-là. Il en va ainsi de la justification de l’impie, car un ordre naturel existe dans l’âme en vue d’obtenir la rectitude de la justice, et on ne peut l’obtenir que de Dieu de manière immédiate. C’est pourquoi la justification n’est pas en soi miraculeuse, mais quelque chose de miraculeux peut lui être associé, qui prépare la voie à la justification.

[17386] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini intelligendum est quantum ad id quod fit : quia in creatione fit res secundum esse naturae, quod est minus quam esse gratiae, quod datur in justificatione : sed quantum ad modum faciendi difficilior est creationis actus, qui potentiam non praesupponit ; et tamen de creatione quidam dicunt quod non est miraculosa, eo quod est alius modus producendi illas res in esse.

1. La parole d’Augustin doit s’entendre de ce qui devient, car, dans la création, une chose devient selon son être naturel, qui est inférieur à l’être de la grâce, qui est donné par la justification. Mais l’acte de création est plus difficile du point de vue de la manière de faire, car il ne présuppose pas de puissance. Cependant, certains disent que la création n’est pas miraculeuse du fait qu’il existe une autre manière d’amener ces choses à l’existence.

[17387] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contrarium inventum in subjecto resistit actioni dupliciter. Uno modo inquantum agit in ipsum agentem, quod patet in mutuo agentibus et patientibus ; alio modo impedimentum praestando in ipso susceptibili ad receptionem formae. Primo modo non potest esse aliqua resistentia ad divinam actionem ; quia ipse est agens nullo modo patiens ; et ideo resistentia in actione ejus non est nisi ex parte effectus recipientis ; contrarium autem impedit ne suum contrarium in subjectum recipiatur formaliter, non active, inquantum scilicet facit potentiam non esse propriam illi formae. Unde patet quod plus resistit isto modo illud quod omnino subtrahit potentiam, quam quod posita potentia facit eam non esse propriam ; et ideo difficilius est aliquid facere ex nihilo quam ex contrario. Hoc autem potest natura, primum autem non potest.

2. Le contraire qui se trouve dans un sujet résiste à l’action de deux manières. D’une manière, pour autant qu’il agit sur l'agent lui-même, ce qui est clair pour les agents et les sujets qui agissent l’un sur l’autre ; d’une autre manière, en mettant un empêchement dans cela même qui qui est capable de recevoir la forme. Il ne peut exister de résistance de la première manière par rapport à l’action divine, car elle est un agent et d’aucune manière un sujet. C’est pourquoi il ne peut exister de résistance à son action que du point de vue de ce qui reçoit. Or, le contraire empêche que son contraire ne soit reçu comme forme dans le sujet, et non pas activement, à savoir, pour autant qu’il qu’il fait en sorte que la puissance ne soit pas propre à cette forme. Il est donc clair que, de cette manière, ce qui enlève totalement la puissance résiste davantage que ce qui, une fois donnée la puissance, fait qu’elle n’est pas propre. C’est pourquoi il est plus difficile de faire quelque chose à partir de rien que d’un contraire. Ceci, la nature le peut, mais non la première chose.

[17388] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas non trahitur in justificationem per modum coactionis ; sed ut libere velit illud ad quod Deus eam movet.

3. La volonté n’est pas entraînée à la justification par mode de coercition, mais de sorte qu’elle veuille ce vers quoi Dieu la meut.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17389] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod expulsio formae dicit terminum motus illius qui est ad corruptionem ordinatus ; et introductio formae dicit similiter terminum motus illius qui praecedit generationem ; quia tam generatio quam corruptio sunt termini motus. Omne autem quod movetur, quando est in termino motus, disponitur secundum illud ad quod motus ordinatur ; et ideo, cum motus corruptionis tendat in non esse, generationis vero ad esse ; quando forma introducitur, forma est ; quando autem expellitur, non est. Et quia introduci dicitur forma quando primo est ; expelli autem, quando primo non est ; non potest esse materia sine forma hac vel illa ; et ideo simul est ibi expulsio unius formae et introductio alterius. Cum ergo similiter anima non possit esse sine culpa vel gratia ; simul est infusio gratiae et remissio culpae.

L’expulsion d’une forme constitue le terme du mouvement de ce qui est ordonné à la corruption ; de même, l’introduction de la forme constitue le terme du mouvement qui précède la génération, car tant la génération que la corruption sont des termes du mouvement. Or, tout ce qui est mû, lorsqu’il se trouve au terme du mouvement, est disposé selon ce à quoi est ordonné le mouvement. C’est pourquoi, comme le mouvement de la corruption tend au non-être, alors que le mouvement de la génération tend à l’être, lorsque la forme est introduite, il y a une forme ; mais lorsqu’elle est chassée, il n’y en a pas. Et parce qu’on dit d’une forme qu’elle est introduite lorsqu’elle existe pour la première fois, et qu’elle est expulsée lorsqu’elle n’existe pas pour la première fois, il ne peut exister de matière sans une forme ou l’autre. C’est pourquoi il y a alors expulsion d’une forme et introduction d’une autre. De la même manière, puisque l’âme ne peut être sans faute ou sans grâce, l’infusion de la grâce et la rémission de la faute sont simultanées.

[17390] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut albedo nunquam est in non albo, quia sua praesentia facit album ; ita gratia nunquam est in indigno, quia sua praesentia facit dignum ; et propter hoc non oportet quod prius sit dignus quam gratiam habeat.

1. De même que la blancheur n’existe pas dans ce qui n’est pas blanc, parce que sa présence rend blanc, de même la grâce n’existe jamais chez celui qui n’en est pas digne, parce que sa présence rend digne. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’être digne avant d’avoir la grâce.

[17391] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia non agit ad destructionem culpae per modum causae efficientis, sed per modum causae formalis, quae simul est cum suo effectu formali, qui est esse hoc, et non esse contrarium.

2. La grâce n’agit pas pour détruire la faute par mode de cause efficiente, mais par mode de cause formelle, qui existe en même temps que sont effet formel, qui consiste â être ceci, et à ne pas être le contraire.

[17392] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis anima secundum se sit supra tempus, ut dicitur in Lib. de causis ; tamen actus ejus per accidens mensuratur tempore quod est mensura primi motus, inquantum scilicet motus animae intellectivae habent connexionem cum motibus animae sensitivae, qui exercentur corporalibus organis, et dependent quodammodo ex eis. Unde non videtur dicendum quod ejus alterationes secundum vitam quam nunc agit, alio tempore mensurentur quam illo quod mensurat motum caeli, sicut dicebatur in 1 Lib. de motu Angeli : et propter hoc inter quodlibet instans sui temporis et aliud instans est accipere tempus medium. Et ideo dicendum est, quod non est assignare ultimum instans in quo est culpa, sed primum in quo non est ; sed est assignare primum instans in quod est gratia ; et quomodo hoc sit verum, patet ex his quae dicta sunt supra, dist. 11, qu. 1, art. 3, qu. 2, de transubstantiatione panis in corpus Christi.

3. Bien que l’âme soit par elle-même supérieure au temps, comme on le dit dans le Livre sur les causes, son acte est cependant mesuré par accident par le temps qui est la mesure du premier mouvement, pour autant que le mouvement de l’âme intellective a un lien avec les mouvements de l’âme sensitive, qui s’exercent pas les organes corporels, et qu’ils en dépendent d’une certaine manière. Il ne semble donc pas qu’il faille dire que ses altérations, selon la vie qu’elle mène présentement, sont mesurées par un autre temps que celui qui mesure le mouvement du ciel, comme on le disait du mouvement de l’ange dans le livre I. Pour cette raison, entre tout instant de son temps et un autre instant, il faut concevoir un temps intermédiaire. Il faut donc dire qu’il ne faut pas déterminer un instant ultime où la faute existe, mais un premier instant où elle n’existe pas. Mais il faut déterminer un premier instant où la grâce existe. Comment cela est vrai, cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 11, q. 1, a. 3, qa 2, à propos de la transsubstantiation du pain au corps du Christ.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17393] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod duplex est modus formarum. Quaedam enim formae sunt quae recipiunt magis et minus secundum elongationem a contrario, et secundum accessum ad causam propriam, sicut albedo ; et ideo talis forma etiam successive in subjecto recipitur ; et postquam recepta est, intenditur et remittitur. Quaedam autem forma est quae non recipit magis nec minus, neque sic neque sic : quia introductio ejus est in indivisibili ; sicut forma substantialis ; et talis forma neque recipitur successive in subjecto, neque intenditur neque remittitur postquam suscepta fuerit. Quaedam autem forma medio modo se habet ; quia non recipit magis aut minus secundum elongationem a contrario, eo quod nullo modo suo contrario commiscibilis est, et in hoc convenit cum forma substantiali ; sed tamen suscipit magis et minus secundum accessum ad suam causam ; sicut patet de luce ; et ideo talis forma non recipitur successive in subjecto, sicut nec forma substantialis ; sed tamen postquam inest, potest intendi et remitti, sicut forma accidentalis contrarium habens ; et talis forma est gratia, quia nullam commixtionem patitur cum suo opposito, eo quod suum oppositum magis habet naturam privationis quam alicujus positionis, sicut et tenebra ; et ideo oportet quod recipiatur subito in subjecto ; et tamen potest intendi et remitti secundum accessum ad causam gratiae ; et ideo sicut in instanti est introductio formae substantialis in materiam, et in eodem instanti expulsio alterius formae, et in eodem instanti completa dispositio, quae est necessitas ad formam, et per se terminus alterationis ; ita infusio gratiae est in instanti, et in eodem instanti est remissio culpae, et motus liberi arbitrii, qui est quasi dispositio completa ad suscipiendam gratiam ; et sic totum quod ad justificationem requiritur, est in instanti ; unde justificatio non est successiva, sed subita.

Il existe un double mode des formes. En effet, certaines formes reçoivent plus ou moins selon leur éloignement par rapport à un contraire et selon le rapprochement par rapport à leur cause propre, comme la blancheur. C’est pourquoi une telle forme est reçue de manière successive dans le sujet et, après qu’elle a été reçue, elle gagne en intensité et elle diminue. Mais une autre forme ne reçoit pas plus ou moins, ni de telle ou telle manière, car son introduction se réalise dans l’indivisible, comme la forme substantielle. Une telle forme n’est pas reçue de manière successive ; elle ne gagne pas non plus en intensité et n’est pas diminuée après qu’elle a été reçue. Mais une certaine forme occupe le milieu, car elle ne reçoit pas plus ou moins selon l’éloignement de son contraire, du fait qu’elle ne peut d’aucune manière être mêlée à son contraire : en cela, elle rejoint la forme substantielle. Cependant, elle reçoit plus ou moins selon le rapprochement par rapport à sa cause, comme cela est clair pour la lumière. C’est pourquoi une telle forme  n’est pas reçue de manière successive par un sujet, pas plus que la forme substantielle ; cependant, après qu’elle se trouve dans le sujet, elle peut gagner en intensité et diminuer, comme une forme accidentelle qui a un contraire. La grâce est une telle forme, car elle ne souffre aucun mélange avec son contraire, du fait que son contraire a plutôt le caractère d’une privation que de quelque chose de positif, comme c’est le cas des ténèbres. C’est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit reçue d’un coup par le sujet. Cependant, elle peut s’intensifier ou diminuer selon le rapprochement par rapport à la cause de la grâce. De même donc que se produisent dans l’instant l’introduction de la forme substantielle dans la matière, dans le même instant l’expulsion de l’autre forme, et dans le même instant la disposition complète, qui est nécessaire pour la forme et est par soi le terme de l’altération, de même l’infusion de la grâce se réalise-t-elle dans l’instant, et dans le même instant la rémission de la faute et le mouvement du libre arbitre, qui est pour ainsi dire une disposition complète à recevoir la grâce. Ainsi, tout ce qui requis pour la justification se réalise dans l’instant. La justification n’est donc pas successive, mais instantanée.

[17394] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motus dupliciter dicitur, ut patet in 3 de anima. Est enim quidam motus qui est actus imperfecti, qui est exitus de potentia in actum ; et talis oportet quod sit successivus, quia semper expectat aliquid in futurum ad perfectionem suae speciei, eo quod pars motus est alterius speciei a toto motu, ut dicitur in 10 Ethic. ; sicut patet in alteratione de motu qui est ad albedinem, cujus pars est motus ad medium colorem specie differens, si divisim accipiatur. Alius motus est actus perfecti, qui magis operatio dicitur, qui non expectat aliquid in futurum ad complementum suae speciei, sicut sentire ; et talis motus non est successivus, sed subitus ; et si contingat quod talis motus sit in tempore, hoc erit per accidens, quia mensuratur in quolibet instanti illius temporis in quo dicitur esse ; sicut esse hominem, in tempore est et in instanti ; et talis motus est motus liberi arbitrii, de quo loquimur ; et ideo est in instanti. Secus autem esset, si esset motus collativus ; quia tunc non posset esse in instanti, propter discursum de uno in aliud..

1. On parle de mouvement de deux manières, comme cela ressort de Sur l’âme, III. En effet, il existe un mouvement qui est l’acte de quelque chose d’imparfait, qui est le passage de la puissance à l’acte : un tel mouvement doit être successif, car il est en attente de quelque chose de futur pour la perfection de son espèce, du fait qu’il est une partie du mouvement total d’une autre espèce, comme on le dit dans Éthique, X. On le voit clairement dans l’altération par le mouvement qui conduit à la blancheur, dont une partie est un mouvement d’espèce différente vers une couleur intermédiaire. L’autre mouvement est l’acte de ce qui est parfait, qu’on appelle plutôt opération, qui n’attend rien dans le futur comme complément de son espèce, comme c’est le cas de la sensation. Un tel mouvement n’est pas successif mais instantané. Et s’il arrive qu’un tel mouvement se produise dans le temps, cela sera par accident, car il est mesuré à chaque instant du temps où on dit qu’il se produit. Ainsi, l’être un homme se réalise dans le temps et dans l’instant. Le mouvement du libre arbitre dont nous parlons est un tel mouvement : il se produit donc dans l’instant. Il en irait autrement s’il s’agissait d’un mouvement qui apporterait quelque chose, car alors il ne pourrait se produire dans l’instant en raison du passage d’une chose à une autre.

[17395] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intellectus quando intelligit aliquid in ordine ad aliud, intelligit utrumque. Non tamen sequitur quod plura intelligat, quia intelligit ea ut unum, sicut intelligit relationem unius ad alterum. Similiter etiam liberum arbitrium potest simul moveri in diversa, ita quod in unum per ordinem ad aliud ; et propter hoc motus virtutis imperatae est simul cum motu virtutis imperantis, quia motus virtutis imperatae ordinatur ad finem virtutis imperantis : sicut qui vult sustinere mortem propter Deum, simul movetur liberum arbitrium ejus motu fortitudinis, et motu caritatis, qui actum fortitudinis imperat. Unde cum motus liberi arbitrii in peccatum elicitus a poenitentia, imperatus a caritate sit, quia propter Deum detestatur quis peccatum quod commisit ; simul uterque motus esse potest.

2. Lorsque l’intellect saisit quelque chose selon un ordre à autre chose, il saisit les deux. Il n’en découle cependant pas qu’il saisisse plusieurs choses, car il les saisit comme une seule chose, en saisissant le rapport de l’une à l’autre. De même aussi, le libre arbitre peut être mû vers diverses choses, de telle sorte qu’il soit mû vers une chose selon un ordre à autre chose. Pour cette raison, le mouvement de la vertu commandée se réalise en même temps que le mouvement de la vertu qui commande, car le mouvement de la vertu commandée est ordonné à la fin de la vertu qui commande. Ainsi en est-il dans le cas de celui qui veut supporter la mort pour Dieu : son libre arbitre est mû en même temps par un mouvement de la force et par un mouvement de la charité, qui commande l’acte de la force. Puisque le mouvement du libre arbitre contre le péché, issu de la pénitence, est commandé par la charité, car on déteste à cause de Dieu le péché qu’on a commis, les deux mouvements peuvent donc être simultanés.

[17396] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in mutationibus quae sunt termini motus, idem secundum rem est fieri et factum esse, sicut terminari et terminatum esse ; sed diversimode significatur in fieri, scilicet secundum respectum ad motum praecedentem, cujus est terminus in facto esse secundum se ; et ideo non sequitur quod simul sit et non sit, sed quod habeat esse post non esse.

3. Dans les changements qui sont les termes du mouvement, devenir et être sont en réalité la même chose, comme le fait d’atteindre un terme et d’avoir atteint le terme. Mais on l’exprime différemment dans le cas du devenir par rapport au mouvement qui précède, dont le terme se trouve dans le fait d’être par soi. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il existe et n’existe pas en même temps, mais qu’il est après n’avoir pas été.

[17397] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 4 Ad quartum patet solutio ex praedictis

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La contrition]

 

 

Prooemium

Prologue

[17398] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 pr. Deinde quaeritur de contritione ; et circa hoc quaeruntur quinque : 1 quid sit ; 2 de quo esse debeat ; 3 quanta esse debeat ; 4 de duratione ipsius ; 5 de effectu ejus.

 

On s’interroge ensuite sur la contrition. À ce propos, on pose cinq questions : 1 – Qu’est-ce que la contrition ? 2 – Sur quoi porte-t-elle ? 3 – Quelle doit être son étendue ? 4 – Quelle soit être sa durée ? 5 – Quel est son effet ?

 

 

Articulus 1 [17399] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum contritio sit dolor pro peccatis assumptus cum proposito confitendi et satisfaciendi

Article 1 – La contrition est-elle une douleur assumée pour les péchés, accompagnée du propos de les confesser et de satisfaire ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La contrition est-elle une douleur assumée pour les péchés, accompagnée du propos de les confesser et de satisfaire ?]

[17400] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod contritio non sit dolor pro peccatis assumptus cum proposito confitendi et satisfaciendi, ut quidam definiunt. Dolor enim in hoc a timore differt, quod dolor est de malo praesenti, timor de malo futuro. Sed peccata de quibus homo conteritur, non sunt quando est contritio, ut ex dictis patet. Ergo de eis non potest esse dolor.

1. Il semble que la contrition ne soit pas « une douleur assumée pour les péchés, accompagnée du propos de les confesser et de satisfaire », comme certains la définissent. En effet, la douleur diffère de la crainte par le fait que la douleur porte sur un mal présent, mais la crainte sur un mal à venir. Or, les péchés dont l’homme a la contrition ne sont pas commis au moment de la contrition, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il ne peut donc y avoir de douleur à leur sujet.

[17401] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, in Lib. de Civ. Dei, dolor est de his quae nobis nolentibus accidunt. Sed peccata non sunt hujusmodi. Ergo et cetera.

2. Selon Augustin, dans La cité de Dieu, la douleur porte sur ce qui nous arrive sans que nous le voulions. Or, les péchés ne sont pas de cette sorte. Donc, etc.

[17402] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si dolet de peccatis praeteritis ; aut vult ea non esse, aut non fuisse. Si vult ea non esse, et jam non sunt ; ergo habet quod vult ; ergo magis gaudium est quam dolor. Si autem vult ea non fuisse, hoc autem est impossibile, quia quod factum est non potest non fuisse ; ergo voluntas sua stulta est ; quod non est dicendum de contrito ; quia nullus qui secundum virtutem operatur, est stultus, ut dicitur in 4 Ethic. ; ergo contritio nullo modo est dolor.

3. Si on souffre des péchés passés, ou bien on veut qu’ils n’existent pas, ou bien qu’ils n’aient pas été. Mais si on veut qu’ils n’existent pas, alors qu’ils n’existent pas encore, on a donc ce qu’on veut. C’est donc plutôt une joie qu’une douleur. Mais si on veut qu’ils n’aient pas été, cela est impossible, car qui a été accompli ne peut pas ne pas avoir été accompli. Sa volonté est donc stupide, ce qu’on ne doit pas dire de la contrition, car personne qui agit selon la vertu n’est stupide, comme il est dit dans Éthique, IV. La contrition n’est donc d’aucune façon une douleur.

[17403] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut in contritione requiritur dolor ita et pudor et etiam gaudium. Ergo non magis debet dici dolor quam gaudium, vel pudor.

4. De même que la contrition exige une douleur, de même exige-t-elle de la honte et aussi de la joie. On ne doit donc pas l’appeler plutôt une douleur qu’une joie ou une honte.

[17404] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, contritio omnia peccata sanat. Sed contraria contrariis sanantur. Ergo contritio debet esse contraria omnibus peccatis. Sed quaedam peccata sunt dolores, sicut invidia et accidia. Ergo contritio non est dolor.

5. La contrition guérit tous les péchés. Or, les contraires sont guéris par les contraires. La contrition doit donc être contraire à tous les péchés. Or, certains péchés sont des douleurs, comme l’envie et l’acédie. La contrition n’est donc pas une douleur.

[17405] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 6 Praeterea, contritio nobis a Deo datur. Sed quod datur, non assumitur. Ergo contritio non est dolor assumptus.

6. La contrition nous est donnée par Dieu. Or, ce qui est donné n’est pas assumé. La contrition n’est pas une douleur assumée.

[17406] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 7 Praeterea, quandoque contritio sequitur confessionem. Sed ille qui nunc est confessus de peccato uno, non tenetur iterum confiteri, ut infra dicetur, dist. 22, qu. 1, art. 4. Ergo non oportet in contritione esse propositum confitendi.

7. Parfois la contrition suit la confession. Or, celui qui s’est confessé d’un péché n’est pas tenu de le confesser de nouveau, comme on le dira plus loin, d. 22, q. 1, a. 4. Il n’est donc pas nécessaire qu’existe dans la contrition le propos de se confesser.

[17407] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 8 Praeterea, satisfactio et confessio sunt necessaria ad hoc quod poena remittatur, quae in contritione remissa non fuit. Sed quandoque tota in contritione remittitur. Ergo non est necessarium semper quod contritus habeat propositum confitendi et satisfaciendi.

8. La satisfaction et la confession sont nécessaires pour que la peine qui n’a pas été remise par la contrition soit remise. Or, elle est parfois tout entière remise par la contrition. Il n’est donc pas toujours nécessaire que celui qui est contrit ait le propos de se confesser et de satisfaire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La contrition est-elle un acte vertueux ?]

[17408] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contritio non sit actus virtutis. Passiones enim non sunt actus virtutum ; quia eis non laudamur neque vituperamur, sicut dicitur in 2 Ethic. Sed dolor est passio. Cum ergo contritio sit dolor videtur quod non sit actus virtutis.

1. Il semble que la contrition ne soit pas un acte vertueux. En effet, les passions ne sont pas des actes vertueux, car nous ne sommes ni louangés ni blâmés pour elles, comme il et dit dans Éthique, II. Or, la douleur est une passion. Puisque la contrition est une douleur, il semble donc qu’elle ne soit pas un acte vertueux.

[17409] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis actus virtutis est ab eo qui habet virtutem. Sed contritio non significatur ut procedens a contrito, sed magis ut in ipsum ab alio effectu procedit ; et similiter compunctio, secundum quod alio nomine dicitur. Ergo contritio non est actus virtutis.

2. Tout acte vertueux vient de celui qui possède la vertu. Or, on ne veut pas dire que la contrition vient de celui qui est contrit, mais plutôt qu’elle lui vient d’un autre effet ; de même en est-il de la componction, qui en est un autre nom. La contrition n’est donc pas un acte vertueux.

 [17410] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut contritio dicitur a terendo, ita et attritio. Sed attritio non est actus virtutis, ut ab omnibus dicitur. Ergo nec contritio.

3. De même que « contrition»  vient de triturer [terendo], de même aussi « attrition » . Or, l’attrition n’est pas un acte vertueux, comme tous le disent. Donc, la contrition non plus.

[17411] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, actus virtutum sunt secundum omne tempus eodem modo, eo quod sunt de lege naturali : sed contritio non videtur quod semper sit eodem modo in veteri et nova lege ; quia nec confessio, nec satisfactio, contra quae dividitur. Ergo contritio non est actus virtutis.

4. Les actes des vertueux s’exercent de la même manière à toutes les époques, puisqu’ils relèvent de la loi naturelle. Or, il ne semble pas que la contrition s’exerce de la même manière sous la loi ancienne et sous la loi nouvelle, car ce n’est pas non plus le cas pour la confession et la satisfaction, dont elle se distingue. La contrition n’est donc pas un acte vertueux.

[17412] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nihil est meritorium nisi actus virtutis. Sed contritio est actus quidam meritorius. Ergo est actus virtutis.

Cependant, [1] rien n’est méritoire qui ne soit un acte vertueux. Or, la contrition est un acte méritoire. Elle est donc un acte vertueux.

[17413] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut ad virtutem pertinet facere bonum, ita declinare a malo, eo quod utrumque est justitiae generalis pars, quae est omnis virtus. Sed declinamus a malo per contritionem. Ergo contritio est actus virtutis, sicut actus quibus aliquid boni facimus.

[2] De même qu’il relève de la vertu d’accomplir ce qui est bien, de même de s’écarter du mal, du fait que les deux sont des parties de la justice générale, qui est toute vertu. Or, nous nous écartons du mal par la contrition. La contrition est donc un acte vertueux, comme les actes par lesquels nous accomplissons quelque chose de bien.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’attrition peut-elle devenir contrition ?]

[17414] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod attritio possit fieri contritio. Differt enim contritio ab attritione, sicut formatum ab informi. Sed fides informis fit formata. Ergo attritio potest fieri contritio.

1. Il semble que l’attrition puisse devenir contrition. En effet, la contrition diffère de l’attrition comme ce qui a une forme et ce qui n’en a pas. Or, la foi sans forme peut recevoir une forme. L’attrition peut donc devenir contrition.

[17415] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, materia recipit perfectionem remota privatione. Sed dolor se habet ad gratiam, sicut materia ad formam ; quia gratia informat dolorem. Ergo dolor qui prius erat informis, culpa existente, quae est privatio gratiae ; remota culpa recipiet perfectionem informationis a gratia ; et sic idem quod prius.

2. La matière reçoit sa perfection par l’enlèvement de la privation. Or, la douleur a avec la grâce le même rapport que la matière avec la forme, car la grâce donne sa forme à la douleur. La douleur qui était d’abord sans forme, alors qu’existait la faute qui est privation de la grâce, recevra donc la perfection de la forme venue de la grâce, lorsque la faute aura été enlevée. La conclusion est donc la même que précédemment.

[17416] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod totum esse suae speciei habet in instanti, manet idem in diversis instantibus temporis, sicut esse hominem est idem in primo instanti generationis, et in omnibus sequentibus. Sed motus liberi arbitrii est hujusmodi, ut supra dictum est. Ergo potest manere idem in diversis instantibus temporis ; ergo est idem numero cum gratia et sine gratia ; et sic videtur quod ille motus liberi arbitrii qui prius erat informis, postea possit esse formatus ; et sic attritio fiet contritio.

3. Ce qui reçoit instantanément tout l’être de son espèce demeure la même chose à tous les instants du temps, comme le fait d’être homme est la même chose au premier moment de la génération et à tous ceux qui suivent. Or, le mouvement du libre arbitre est de cette sorte, comme on l’a dit plus haut. Il peut donc demeurer le même aux divers instants du temps. Il est donc le même en nombre avec la grâce et sans la grâce. Il semble ainsi que ce mouvement du libre arbitre, qui était d’abord sans forme, puisse recevoir une forme par la suite. Ainsi, l’attrition peut devenir contrition.

[17417] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quorum principia sunt diversa omnino, eorum non potest fieri unum id quod est alterum. Sed attritionis principium est timor servilis, contritionis autem timor initialis. Ergo attritio non potest fieri contritio.

Cependant, [1] ce dont les principes diffèrent du tout au tout ne peut devenir une seule chose avec ce qui est différent. Or, le principe de l’attrition est la crainte servile, mais celui de la contrition est la crainte initiale. L’attrition ne peut donc pas devenir contrition.

[17418] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, naturalia non fiunt gratuita secundum communiorem opinionem. Sed naturale dicitur quod est ante gratiam ; et sic attritio inter naturalia computabitur. Ergo non potest fieri contritio, cum sit gratuitum bonum.

[2] Les réalités naturelles ne deviennent pas des réalités gratuites [relevant de la grâce], selon l’opinion la plus commune. Or, on appelle naturel ce qui existe avant la grâce : ainsi, l’attrition est-elle comptée parmi les réalités naturelles. Elle ne peut donc pas devenir contrition, puisque celle-ci est un bien gratuit.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17419] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod initium omnis peccati est superbia, per quam homo sensui suo inhaerens, a mandatis divinis recedit ; et ideo oportet quod illud quod destruit peccatum, hominem a sensu suo discedere faciat. Ille autem qui in sensu suo perseverat, rigidus et durus per similitudinem vocatur ; unde et frangi aliquis dicitur, quando a sensu suo divellitur. Sed inter fractionem et comminutionem, sive contritionem, in rebus materialibus, unde haec nomina ad spiritualia transferuntur, hoc interest, ut dicitur in 4 Meteor., quod frangi dicuntur aliqua quando in magnas partes dividuntur ; sed comminui vel conteri, quando ad partes minimas reducitur hoc quod in se solidum erat. Et quia ad dimissionem peccati requiritur quod homo totaliter affectum peccati dimittat, per quem quamdam continuitatem et soliditatem in sensu suo habebat ; ideo actus ille quo peccatum remittitur, contritio dicitur per similitudinem. In qua quidem contritione plura possunt considerari ; scilicet ipsa substantia actus, modus agendi, principium et effectus ; et secundum hoc de contritione inveniuntur diversae definitiones traditae. Quantum enim ad ipsam substantiam actus datur praedicta definitio. Et quia actus contritionis est actus virtutis, et est pars poenitentiae sacramenti ; ideo manifestatur in praedicta definitione inquantum est actus virtutis, per hoc quod ponitur genus ipsius, scilicet dolor et objectum in hoc quod dicit, pro peccatis ; et electio quae requiritur ad actum virtutis, in hoc quod dicit, assumptus ; sed inquantum est pars sacramenti, per hoc quod tangitur ordo ipsius ad alias partes, cum dicit, cum proposito confitendi et cetera. Alia etiam definitio invenitur, quae definit contritionem secundum quod est actus virtutis tantum ; sed additur ad praedictam definitionem differentia contrahens ipsum ad specialem virtutem, scilicet poenitentiam : dicit enim, quod poenitentia est dolor voluntarius, semper pro peccato puniens quod dolet commisisse. In hoc enim quod additur punitio, ad specialem virtutem contrahitur ; et de virtute hujus supra, dist. 14, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 3, dictum est ; quia ibi est posita quasi similis definitio de poenitentia, cui praecipue competit ratione contritionis. Alia autem definitio invenitur Isidori, quae talis est : contritio est compunctio et humilitas mentis cum lacrymis, veniens de recordatione peccati et timore judicii ; et haec quidem tangit rationem nominis in hoc quod dicit : humilitas mentis ; quia sicut per superbiam aliquis in sensu suo rigidus dicitur, ita per hoc quod a sensu suo contritus recedit, humiliatur. Tangit etiam modum exteriorem in hoc quod dicit : cum lacrymis ; et principium contritionis in hoc quod dicit : veniens de recordatione peccati et timore judicii. Alia sumitur ex verbis Augustini, quae tangit effectum contritionis, scilicet : contritio est dolor remittens peccatum. Alia sumitur ex verbis Gregorii, quae talis est : contritio est humilitas spiritus annihilans peccatum, inter spem et timorem ; et haec tangit rationem nominis in hoc quod dicit, quod contritio est humilitas spiritus ; et effectus ejus, in hoc quod dicit, annihilans peccatum ; et originem in hoc quod dicit, inter spem et timorem ; nec solum ponit causam principalem, quae est timor sed etiam secundariam quae est spes, sine qua timor desperationem facere posset.

Le commencement de tout péché est l’orgueuil par lequel l’homme, s’attachant à son jugement, s’éloigne des commandements divins. C’est pourquoi il est nécessaire que ce qui détruit le péché fasse en sorte que l’homme s’éloigne de son jugement. Or, celui qui persévère dans son jugement est appelé rigide et dur par ressemblance ; aussi dit-on que quelqu’un est brisé lorsqu’il séparé de force de son jugement. Mais, comme il est dit dans Météores, IV, il y a cette différence entre la rupture et la réduction en miettes, dans les choses matérielles (dont les noms ont été transférés aux réalités spirituelles), qu’on appelle rompues les choses qui sont divisées en grands morceaux, mais qu’on dit réduite en miettes ou triturée [conteri] la chose solide qui a été réduite en ses plus petites parties. Et parce que, pour la rémission du péché, l’homme doit s’écarter totalement de l’attachement au péché, par lequel il était comme soudé et solidement uni à son jugement, l’acte par lequel le péché est remis est appelé contrition par comparaison. Mais, dans la contrition, on peut envisager plusieurs choses : la substance même de l’acte, la manière d’agir, le principe et l’effet. C’est en fonction de cela que diverses définitions de la contrition ont été données. En effet, pour ce qui est de la substance de l’acte, la définition rappelée est donnée. Et parce que l’acte de la contrition est un acte vertueux et fait partie du sacrement de pénitence, il est mis en évidence, dans la définition rappelée, pour autant qu’il est un acte vertueux, du fait qu’est indiqué son genre, « une douleur », et son objet, lorsqu’on dit « assumée » ; mais, pour autant qu’il est une partie du sacrement, par le fait qu’est abordé son ordre par rapport aux autres parties, lorsqu’on dit : « avec le propos de se confesser, etc.» On rencontre aussi une autre définition, qui définit la contrition seulement selon qu’elle est un acte vertueux ; mais on ajoute à la définition précédente une différence qui la restreint à une vertu particulière, à savoir, la pénitence. En effet, [cette deuxième définition] dit que la pénitence est « une douleur volontaire, qui punit toujours pour un péché commis, qu’elle regrette d’avoir commis ». En effet, par le fait que la punition y est ajoutée, [la contrition] est restreinte à une vertu particulière : on a parlé plus haut de cette vertu, d. 14, q, 1, a. 1, qa 3, car on a donné là une définition similaire pour la pénitence, qui lui convient surtout en raison de la contrition. Mais on trouve aussi une autre définition chez Isidore : « La contrition est la componction et l’humilité de l’esprit, accompagnées de larmes, provenant du souvenir du péché et de la crainte du jugement. » Cette définition aborde le sens du mot lorsqu’elle dit « humilité de l’esprit », car, de même qu’on dit de quelqu’un qu’il est rigide, de même dit-on qu’il est humilié du fait que, contrit, il s’écarte de son jugement. Elle aborde aussi le mode extérieur lorsqu’elle dit : « accompagnée de larmes », et le principe de la contrition lorsqu’elle dit : « provenant du souvenir du péché et de la crainte du jugement ». Une autre définition est tirée des paroles d’Augustin, qui aborde les effets de la contrition : « La contrition est une douleur qui remet les péchés. » Une autre est tirée des paroles de Grégoire : « La contrition est une humilité de l’esprit qui annihile le péché ; elle est à mi-chemin entre l’espérance et la crainte. » Cette définition aborde la raison du mot lorsqu’elle dit : « La contrition est une humilité de l’esprit » ; son effet, lorsqu’elle dit : « qui annihile le péché » ; son origine lorsqu’elle dit : « à mi-chemin entre l’espérance et la crainte ». Et elle n’aborde pas seulement la cause principale, qui est la crainte, mais aussi la cause secondaire, qui est l’espérance, sans laquelle la crainte pourrait tourner au désespoir.

[17420] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dolor non est nisi de eo quod aliquo modo praesens est. Peccatum autem praeteritum, etsi non sit praesens, est tamen praesens quantum ad aliquem effectum ejus, vel dispositionem ad peccandum, vel reatum aut maculam, vel etiam damnum temporis, quod aliquo modo non potest recuperari etiam poenitentia peracta ; vel etiam amissionem dignitatis innocentiae, ad quam nunquam redire potest, per quam dicere potuisset : non reprehendit me cor meum in omni vita mea ; Job 27, 6. Vel dicendum, quod peccatum praeteritum dolorem excitat, inquantum praesentialiter in memoria manet ; sicut etiam memorando praeterita tristia, sic eis afficimur ac si praesentia essent. Potest etiam dici, quod sicut memoria quae est in intellectiva parte, non est tantum praeteritorum, sed etiam praesentium, ut in 1 Lib., dist. 3, qu. 1, art. 4, dictum est, quamvis memoria quae est sensitivae partis, sit tantum praeteritorum ; ita dolor qui est in appetitu intellectivae partis, potest esse et praeteritorum et praesentium, quamvis dolor sensitivae partis tantum sit praesentium, eo quod intellectus abstrahit a qualibet temporis differentia, sicut et ab aliis conditionibus materialibus quas sensus concernit.

1. La douleur ne porte que sur ce qui est présent d’une certaine manière. Or, le péché passé, même s’il n’est pas présent, est cependant présent par un de ses effets, : la disposition à pécher, la dette ou la souillure, et aussi par la perte du temps, qui, d’une certaine manière, ne peut pas être récupéré, même après que la pénitence a été accomplie. [Il est aussi présent] par la perte de la dignité de l’innocence, à laquelle on ne peut jamais retourner, pour laquelle on aurait pu dire : Mon cœur ne me fait pas de reproche pour toute ma vie, Jb 27, 6. Ou bien il faut dire que le péché passé stimule la douleur dans la mesure où il demeure dans la mémoire comme s’il était présent, de même que, lorsque nous nous rappelons des choses tristes, nous en sommes affectés comme si elles étaient présentes. On peut aussi dire que, de même que la mémoire se trouve dans la partie intellective, mais qu’elle ne porte pas seulement sur le passé mais aussi sur le présent, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3, q. 1, a. 4, bien que la mémoire qui se trouve dans la partie sensible ne porte que sur le passé, de même la douleur qui se trouve dans l’appétit de la partie intellective peut porter à la fois sur le passé et le présent, bien que la douleur de la partie sensible ne porte que sur le présent, du fait que l’intellect abstrait de toute différence de temps, ainsi que des autres conditions matérielles sur lesquelles porte le sens.

[17421] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis peccata, quando acciderunt, voluntaria fuerunt, tamen quando de eis conterimur voluntaria non sunt ; et ideo nobis nolentibus acciderunt, non quidem secundum voluntatem quam habuimus cum ea volebamus, sed secundum illam quam nunc habemus, qua vellemus ut nunquam fuissent.

2. Bien que les péchés, lorsqu’ils sont arrivés, aient été volontaires, ils ne sont cependant pas volontaires lorsque nous en sommes contrits. C’est pourquoi ils se sont produits sans que nous le voulions, non pas selon la volonté que nous avions lorsque nous les voulions, mais selon celle que nous avons maintenant, par laquelle nous voudrions qu’ils n’aient jamais eu lieu.

[17422] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas completa non possit esse alicujus sapientis de impossibili ; tamen voluntas conditionata, quae et velleitas dicitur, esse potest de impossibilibus ; qua etiam sapiens vellet quod impossibile est, si possibile foret : et ista voluntas sufficit ad dolorem causandum ; et praecipue quando impossibilitas obtinendi quod volumus, ex nobis provenit ; et sic est in proposito.

3. Bien que, chez celui qui est sage, la volonté achevée ne puisse pas porter sur l’impossible, la volonté conditionnelle, qu’on appelle aussi velléité, peut cependant porter sur l’impossible ; par elle, même celui qui est sage voudrait ce qui est impossible, si cela devait devenir possible. Une telle volonté suffit pour causer de la douleur, surtout lorsque l’impossibilité d’obtenir ce que nous voulons vient de nous. C’est ce qui est ici en cause.

[17423] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis sit in contritione gaudium et pudor tamen gaudium non respicit directe peccatum, sed magis gratiam recuperatam, vel etiam ipsum dolorem, per quem gratia recuperatur. Similiter pudor respicit effectum peccati, qui est ingloriatio, quia verecundia secundum philosophum est timor ingloriationis ; sed dolor directe ipsum peccatum respicit ; et ideo contritio, quae ad deletionem peccati ordinatur, magis dicitur dolor quam aliquid supra dictorum.

4. Bien qu’il y ait dans la contrition de la joie et de la honte, la joie ne porte cependant pas directement sur le péché, mais plutôt sur la grâce retrouvée, ou encore sur la douleur elle-même par laquelle la grâce est retrouvée. De même, la honte porte sur l’effet du péché, qui est l’humiliation, car la honte, selon le Philosophe, est la crainte de l’humiliation. Mais la douleur concerne directement le péché. C’est pourquoi la contrition, qui est ordonnée à la destruction du péché, est plutôt appelée douleur qu’une des autres choses mentionnées antérieurement.

[17424] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dolor non solum opponitur gaudio secundum genus, sed etiam opponitur specialiter dolor de bono, dolori de malo, sicut gaudium de bono, gaudio de malo ; unde etiam aliquando aliquis dolet se prius doluisse ; et secundum hoc contritio, quamvis sit dolor potest sanare peccata quae in dolore consistunt. Vel dicendum, quod quamvis aliqua peccata in dolore consistant, tamen illius doloris causa est delectatio, vel amor illicitus ; et secundum hoc dolore, quasi contrario, sanari possunt.

5. La douleur ne s’oppose pas seulement à la joie par le genre. Mais la douleur qui porte sur le bien s’oppose aussi de manière particulière à la douleur qui porte sur le mal, comme la joie à propos du bien à la joie à propos du mal. Aussi arrive-t-il parfois que l’on s’afflige de s’être affligé antérieurement. De cette manière, la contrition, bien quelle soit une douleur, peut guérir les péchés qui consistent dans une douleur. Ou bien il faut dire que, bien que certains péchés consistent dans une douleur, la cause de cette douleur est cependant un plaisir ou un amour interdit. Selon cette douleur, ils peuvent être guéris comme par un contraire.

[17425] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod contritio est a Deo solo quantum ad formam qua informatur ; sed quantum ad substantiam actus est ex libero arbitrio, et a Deo, qui operatur in omnibus operibus et naturae et voluntatis.

6. La contrition vient de Dieu seul pour ce qui est de la forme par laquelle elle reçoit sa forme ; mais, pour ce qui est de la substance de l’acte, elle vient du libre arbitre et de Dieu, qui agit dans tous les actes de la nature et de la volonté.

[17426] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod contritio naturaliter praecedit confessionem ; sed quod aliquando sequatur, est per accidens ex defectu poenitentis ; et tamen tunc etiam debet habere propositum confitendi, si aliquid memoriae occurrat quod confessus non sit.

7. La contrition précède naturellement la confession. Qu’elle la suive parfois, cela existe par accident en raison d’une carence de celui qui se repent. Cependant, il doit alors avoir le propos de se confesser, s’il lui revient à la mémoire quelque chose qu’il n’a pas confessé.

[17427] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis tota poena possit per contritionem dimitti, tamen adhuc necessaria est confessio et satisfactio : tum quia homo non potest esse certus de sua contritione, quod fuerit ad totum tollendum sufficiens ; tum quia confessio et satisfactio sunt in praecepto ; unde transgressor constitueretur, si non confiteretur et satisfaceret.

8. Bien que toute la peine puisse être remise par la contrition, la confession et la satisfaction sont encore nécessaires, tant parce que l’homme ne peut être certain que sa contrition était suffisante pour l’enlever totalement, que parce que la confession et la satisfaction relèvent d’un commandement. Il deviendrait donc un transgresseur s’il ne se confessait pas et ne satisfaisait pas.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17428] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod contritio secundum proprietatem sui nominis non significat actum virtutis, sed magis quamdam corporalem passionem. Sed hic non quaeritur sic de contritione, sed de eo ad quod significandum hoc nomen per similitudinem adaptatur. Sicut enim inflatio propriae voluntatis ad malum faciendum importat, quantum est de se, malum ex genere ; ita illius voluntatis annihilatio et comminutio quaedam de se importat bonum ex genere ; quia hoc est detestari propriam voluntatem, qua peccatum commissum est ; et ideo contritio, quae hoc significat, importat aliquam rectitudinem voluntatis ; et propter hoc est actus virtutis illius cujus est peccatum praeteritum detestari et destruere, scilicet poenitentiae, ut patet ex his quae in 14 dist., qu. 1, art. 1, quaestiunc. 3, dicta sunt.

Selon le sens propre du mot, la contrition ne signifie pas un acte vertueux, mais plutôt une passion corporelle. Mais ici, on ne s’interroge de cette manière sur la contrition, mais sur le sens du mot adapté par comparaison. En effet, de même que l’enflure de sa volonté propre pour faire le mal comporte en soi un mal par son genre même, de même une annihilation et une réduction en miettes de cette volonté comportent-elles en soi un bien par leur genre même, car c’est là détester sa propre volonté par laquelle le péché a été commis. C’est pourquoi la contrition, qui signifie cela, comporte une certaine rectitude de la volonté. Pour cette raison, elle est un acte de la vertu dont relève la détestation et la destruction du péché passé, à savoir, la pénitence, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 1, qa 3.

[17429] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in contritione est duplex dolor de peccato. Unus in parte sensitiva, qui passio est ; et hic non est essentialiter contritio, prout est actus virtutis, sed magis effectus ipsius. Sicut enim poenitentiae virtus exteriorem poenam suo corpori infligit ad recompensandum offensam quae in Deum commissa est officio membrorum ; ita etiam et ipsi concupiscibili poenam infert doloris praedicti, quia ipsa etiam ad peccatum cooperabatur. Sed tamen hic dolor potest pertinere ad contritionem, inquantum est pars sacramenti ; quia sacramenta non solum in interioribus actibus, sed etiam in exteriOribus, et in rebus sensibilibus, nata sunt esse. Alius dolor est in voluntate, qui nihil aliud est quam displicentia alicujus mali, secundum quod affectus voluntatis nominatur per nomina passionum, ut in 3 Lib., dist. 26, qu. 1, art. 5, in corp., dictum est ; et sic contritio est dolor per essentiam, et est actus virtutis poenitentiae.

1. Dans la contrition, existe une double douleur à propos du péché. L’une dans la partie sensible, qui est une passion : celle-ci n’est pas essentiellement la contrition, en tant que celle-ci est un acte vertueux, mais plutôt son effet. En effet, de même que la vertu de pénitence inflige à son corps une peine extérieure pour compenser l’offense qui a été commise envers Dieu par l’usage des membres, de même aussi inflige-t-elle au concupiscible la peine de cette douleur parce qu’il coopérait lui aussi au péché. Cependant, cette douleur peut être en rapport avec la contrition comme partie du sacrement, car les sacrements sont destinés à s’accomplir non seulement par des actes intérieurs, mais aussi par des actes extérieurs et par des choses sensibles. Une autre douleur existe dans la volonté : elle n’est rien d’autre qu’un dégoût du mal, selon que le sentiment de la volonté est désigné par les noms des passions, comme on l'a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 5, c. C’est ainsi que la contrition est une douleur par essence et qu’elle est un acte de la vertu de pénitence.

[17430] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contritio passive accepta, de ratione sui dicit passionem alicui corpori inhaerentem ; sed quod ab alio sit inflicta, hoc non dicit ex ratione sui nominis, sed ex consequenti, scilicet ex natura patientis, quod non est natum in seipsum agere ; et ideo quando transfertur ad actum voluntatis, quae seipsam nata est movere, salvatur ibi similitudo et actionis et passionis in ipsa voluntate. Inquantum enim ille rigor quo propriam voluntatem quis secutus est, dissolvitur, sic ipsius voluntatis quasi quaedam passio est contritio ; inquantum autem non alio cogente, sed sua sponte hoc accidit, seipsam conterere dicitur.

2. La contrition, envisagée au sens passif, comporte en elle-même une passion rattachée à un corps. Mais qu’elle soit infligée par un autre, cela ne fait pas partie de sa définition, mais découle de la nature de ce qui la subit, qui n’est pas fait pour agir sur soi. C’est pourquoi, lorsqu’elle est reportée sur l’acte de la volonté, qui est destinée à se mouvoir elle-même, la ressemblance tant de l’action que de la passion dans la volonté elle-même y est sauvegardée. En effet, dans la mesure où la rigidité par laquelle quelqu’un a suivi sa volonté est effritée, la contrition est ainsi comme une passion de la volonté ; mais dans la mesure où cela se produit non pas parce qu’on y est forcé par un autre, mais de son propre gré, on dit qu’elle se broye [conterere] elle-même.

[17431] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod attritio non dicit accessum ad perfectam contritionem ; unde in corporalibus dicuntur attrita quae aliquo modo sunt comminuta, sed non perfecte ; sed contritio dicitur quando omnes partes tritae sunt simul per divisionem ad minima : et ideo significat attritio in spiritualibus quamdam displicentiam de peccatis commissis, sed non perfectam ; contritio autem perfectam.

3. L’attrition ne signifie pas une approche de la contrition parfaite. Aussi, pour les choses corporelles, dit-on que sont broyées [attrita] celles qui sont réduites en miettes, mais non pas parfaitement. Mais on parle de contrition lorsque toutes les parties ont été broyées par division jusqu’à leurs plus petits éléments. C’est pourquoi l’attrition signifie, pour les réalités spirituelles, un certain dégoût des péchés commis, mais non pas total, alors que la contrition signifie un dégoût total.

[17432] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contritio, secundum quod in se consideratur, fuit semper eodem modo in qualibet lege. Sicut enim futurum peccatum semper oportet vitare, ita semper et de commisso dolere. Sed secundum quod importat ordinem ad alias poenitentiae partes, non semper fuit eodem modo, eo quod aliae partes eodem modo non semper fuerunt ; unde non oportet quod semper eodem modo fuerit propositum confitendi et satisfaciendi, quod in definitione contritionis ponitur.

4. Considérée en elle-même, la contrition a toujours existé de la même manière dans chacune des deux lois. En effet, de même qu’il faut toujours éviter le péché futur, de même faut-il toujours déplorer le péché commis. Mais la contrition n’a pas toujours existé de la même manière selon qu’elle comporte un ordre aux autres parties de la pénitence, du fait que les autres parties n’ont pas toujours existé de la même manière. Il n’est donc pas nécessaire qu’on ait toujours eu le propos de se confesser et de satisfaire de la même manière qu’on le trouve dans la définition de la contrition.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17433] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod super hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod attritio fit contritio, sicut fides informis fit formata. Sed hoc, ut videtur, non potest esse ; quia quamvis habitus fidei informis fiat formatus, nunquam tamen actus fidei informis fit actus fidei formatae ; quia actus ille informis transit, et non manet veniente caritate. Attritio autem et contritio non dicunt habitum, sed actum tantum ; habitus enim virtutum infusarum, qui voluntatem respiciunt, non possunt esse informes, cum caritatem consequantur, ut in 3 Lib., dist. 23, qu. 3, art. 1, quaestiunc. 1, dictum est. Unde antequam gratia infundatur, non est habitus, a quo actus contritionis postea elicitur ; et sic nullo modo attritio potest fieri contritio ; et hoc alia opinio dicit.

À ce propos, il existe deux opinions. En effet, certains disent que l’attrition devient contrition, comme la foi informe devient formée. Mais il semble que cela soit impossible, car, bien que l’habitus de la foi informe devienne formé, jamais cependant un acte de la foi informe ne devient un acte de la foi formée, puisque cette acte informe passe et ne demeure pas, lorsque vient la charité. Or, l’attrition et la contrition ne signifient pas un habitus, mais un acte seulement. En effet, les habitus des vertus infuses, qui concernent la volonté, ne peuvent pas être informes, puisqu’ils découlent de la charité, comme on l’a dit dans le livre III, d. 23, q. 3, a. 1, qa 1. Avant que la grâce ne soit infusée, il ne s’agit donc pas d’un habitus, dont un acte de contrition est ensuite issu. Ainsi, l’attrition ne peut d’aucune manière devenir contrition. C’est ce que dit l’autre opinion.

[17434] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de fide et contritione, ut dictum est.

1. Il n’en va pas de même que la foi et de la contrition, comme on l’a dit.

[17435] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod remota privatione a materia quae manet perfectione adveniente, formatur materia illa ; sed dolor ille qui erat informis, non manet caritate adveniente ; et ideo formari non potest. Vel dicendum, quod materiae essentia non habet originem a forma, sicut actus habet originem ab habitu quo formatur ; unde non est inconveniens materiam informari aliqua forma de novo, qua prius non informabatur ; sed hoc de actu est impossibile, sicut impossibile est quod aliquid idem numero oriatur a principio a quo prius non oriebatur ; quia res semel tantum in esse procedit.

2. Une fois enlevée la privation de la matière qui demeure lorsque la perfection survient, cette matière est formée. Mais cette douleur qui était informe ne demeure pas lorsque survient la charité. C’est pourquoi elle ne peut être formée. Ou bien il faut dire que l’essence de la matière ne tire pas son origine de la forme, comme l’acte tire son origine de l’habitus par lequel il est formé. Il n’est donc pas inapproprié que la matière reçoive de nouveau sa forme par une forme dont elle ne recevait pas sa forme antérieurement. Mais cela est impossible pour l’acte, de même qu’il est impossible que quelque chose qui est identique en nombre vienne d’un principe dont cela n’était pas issu antérieurement, car une chose ne vient qu’une seule fois à l’existence.

[17436] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis motus intellectus et voluntatis habeat totam suam speciem in uno instanti, sicut res permanens ; tamen secundum accidens mensuratur tempore, secundum quod causae suae variabiles sunt per tempus. Sic enim esse hominem, quod est in instanti, tempore mensuratur ; et quamdiu causae esse hominis manent eaedem, et ipsum esse manet ; sed mutatis causis, mutatur illud esse, priori destructo : quia generatio unius est corruptio alterius. Et similiter ipsa dispositio voluntatis quae talem actum causabat, mutatur et transit, et actus ille idem non manet, nec semel transiens potest iterum resumi.

3. Bien que le mouvement de l’intelligence et celui de la volonté aient toute leur espèce en un seul instant, comme une chose permanente, ils sont cependant accidentellement mesurés par le temps, pour autant que leurs causes sont variables dans le temps. En effet, être homme, ce qui se réalise dans l’instant, est mesuré par le temps ; aussi longtemps que les causes d’être homme demeurent les mêmes, l’être même demeure ; mais si les causes sont changées, cet être est changé, alors que le premier est détruit, car la génération d’une chose est la corruption d’une autre. De même, la disposition de la volonté, qui causait un tel acte, est changée et passe, et cet acte ne demeure pas le même et il ne peut être repris de nouveau après être passé.

 

 

Articulus 2 [17437] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum homo debeat conteri de poenis, non solum de culpis

Article 2 – Doit-on être contrit pour les peines, et non seulement pour les fautes ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on être contrit pour les peines, et non seulement pour les fautes ?]

[17438] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod homo debeat conteri de poenis, non solum de culpis. Augustinus enim in Lib. de poenitentia dicit : nemo vitam aeternam desiderat, nisi eum hujus vitae mortalis poeniteat. Sed mortalitas vitae quaedam poena est. Ergo debet poenitens etiam de poenis conteri.

1. Il semble qu’on doive être contrit pour les peines, et non seulement pour les fautes. En effet, Augustin dit, dans le Livre sur la pénitence : « Personne ne désire la vie éternelle s’il ne se repent de cette vie mortelle. » Or, la vie mortelle est une peine. Celui qui se repent doit donc aussi se repentir des peines.

[17439] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, supra habitum est ex verbis Augustini, quod poenitens debet dolere ex hoc quod virtute se privavit. Sed privatio virtutis quaedam poena est. Ergo contritio est dolor etiam de poenis.

2. On a lu plus haut, dans les paroles d’Augustin, que celui qui se repent doit déplorer s’être privé de la vertu. Or, la privation de la vertu est une peine. La contrition est donc une douleur qui porte sur les peines.

[17440] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nullus tenet id de quo dolet. Sed poenitens, secundum suum nomen, poenam tenet. Ergo non dolet de poena ; et sic contritio, quae est dolor poenitentialis, non est de poena.

Cependant, personne ne possède ce qu’il déplore. Or, celui qui se repent, selon le mot même, a une peine. Il ne déplore donc pas une peine. Ainsi, la contrition, qui est une douleur à caractère pénitentiel, ne porte pas sur la peine.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La contrition doit-elle porter sur le péché originel ?]

[17441] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contritio esse debeat de originali. De peccato enim actuali conteri debemus, non ratione actus inquantum est ens quoddam, sed ratione deformitatis, quia actus secundum suam substantiam bonum quoddam est a Deo. Sed peccatum originale habet deformitatem, sicut et actuale. Ergo etiam de eo conteri debemus.

1. Il semble que la contrition doive porter sur le péché originel. En effet, nous devons être contrits du péché actuel, non pas en raison de l’acte en tant qu’il est un être, mais en raison de la difformité, car, dans sa substance, l’acte est un bien qui vient de Dieu. Or, le péché originel comporte une difformité, comme le péché actuel. Nous devons donc en être aussi contrits.

[17442] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per peccatum originale homo fuit a Deo aversus, quia poena ejus erat carentia divinae visionis. Sed cuilibet debet displicere se fuisse a Deo aversum. Ergo homo debet habere displicentiam peccati originalis, et sic debet de ipso conteri.

2. L’homme s’est détourné de Dieu par le péché originel, car sa peine fut la privation de la vision divine. Or, s’être détourné de Dieu doit déplaire à tous. L’homme doit donc avoir être dégoûté du péché originel ; il doit ainsi en être contrit.

[17443] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medicina debet esse proportionata morbo. Sed peccatum originale sine nostra voluntate contractum est. Ergo non requiritur quod per actum voluntatis, qui est contritio, ab ipso purgemur.

Cependant, le remède doit être proportionné à la maladie. Or, le péché originel a été contracté sans notre volonté. Il n’est donc pas nécessaire que nous en soyons purifiés par un acte de volonté, qui est la contrition.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Devons-nous être contrits pour tous les péchés actuels ?]

[17444] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non de omni actuali peccato commisso a nobis debeamus conteri. Quia contraria contrariis curantur. Sed quaedam peccata per tristitiam committuntur, sicut acedia et invidia. Ergo medicina eorum non debet esse tristitia, quae est contritio, sed gaudium.

1. Il semble que nous ne devions pas être contrits pour tous les péchés actuels, car les contraires sont guéris par les contraires. Or, certains péchés sont commis par une tristesse, comme l’acédie et l’envie. Leur remède ne doit donc pas être une tristesse, ce qu’est la contrition, mais une joie.

[17445] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, contritio est actus voluntatis, qui non potest esse de eo quod cognitioni non subjacet. Sed quaedam peccata sunt quae in cognitione non habemus, sicut oblita. Ergo de eis non potest esse contritio.

 

[17446] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, per voluntariam contritionem delentur illa quae per voluntatem committuntur. Sed ignorantia voluntarium tollit, ut patet per philosophum in 3 Ethic. Ergo de eis quae per ignorantiam accidunt, non debet esse contritio.

2. La contrition est un acte de la volonté, qui ne peut porter sur ce qui n’est pas soumis à la connaissance. Or, il existe certains péchés dont nous n’avons pas connaissance, tels ceux qui ont été oubliés. Il ne peut donc pas y avoir de contrition à leur sujet.

 

3. Par la contrition volontaire, sont détruits [les péchés] qui ont été commis par la volonté. Or, l’ignorance enlève le volontaire, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, III. Il ne doit donc pas exister de contrition de ce qui arrive par ignorance.

[17447] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, de illo peccato non debet esse contritio quod per contritionem non tollitur. Sed quaedam peccata sunt quae non tolluntur per contritionem, scilicet venialia, quae adhuc post contritionis gratiam manent. Ergo non de omnibus peccatis praeteritis debet esse contritio.

4. Il ne doit pas exister de contrition pour le péché qui n’est pas enlevé par la contrition. Or, il existe certains péchés qui ne sont pas enlevés par la contrition, à savoir, les péchés véniels, qui demeurent même après la grâce de la contrition. Il ne doit pas exister de contrition pour tous les péchés.

[17448] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, poenitentia est medicina contra omnia peccata actualia. Sed poenitentia non est aliquorum quorum non sit contritio, quae est prima pars ejus. Ergo et de omnibus peccatis debet esse contritio.

Cependant, [1] la pénitence est un remède pour tous les péchés actuels. Or, la pénitence ne porte pas sur ce qui n’est pas objet de la contrition, qui en est la première partie. La contrition doit donc exister pour tous les péchés.

[17449] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum peccatum remittitur, nisi quis justificetur. Sed ad justificationem requiritur contritio, ut prius dictum est. Ergo de quolibet peccato conteri oportet.

[2] Aucun péché n’est remis sans que l’on soit justifié. Or, la contrition est nécessaire pour la justification, comme on l’a dit précédemment. Il faut donc être contrit de tous les péchés.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Doit-on se repentir aussi pour les péchés futurs ?]

[17450] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam de peccatis futuris aliquis debeat conteri. Contritio enim est actus liberi arbitrii. Sed liberum arbitrium magis se extendit ad futura quam ad praeterita ; quia electio, quae est actus liberi arbitrii, est de contingentibus futuris, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo contritio est magis de peccatis futuris quam de praeteritis.

1. Il semble qu’on doive se repentir aussi pour les péchés futurs. En effet, la contrition est un acte du libre arbitre. Or, le libre arbitre porte davantage sur le futur que sur le passé, car le choix, qui est un acte du libre arbitre, porte sur les futurs contingents, comme on le dit dans Éthique, III. La contrition porte donc davantage que les péchés futurs que sur les péchés passés.

[17451] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, peccatum aggravatur ex consequenti effectu. Unde Hieronymus dicit, quod poena Arii nondum est determinata, quia adhuc est possibile aliquos per ejus haeresim corruere, quibus corruentibus semper ejus poena augetur ; et similiter est de illo qui judicatur homicida, si letaliter percussit, etiam antequam percussus moriatur. Sed in illo intermedio debet peccator conteri de peccato. Ergo non solum secundum quod habet quantitatem ex praeterito actu, sed etiam secundum quod habet quantitatem ex futuro : et sic contritio respicit futurum.

2. Le péché est aggravé par l’effet qui en découle. Aussi Jérôme dit-il que la peine d’Arius n’est pas encore fixée, car il est encore possible que certains tombent à cause de son hérésie, et sa peine sera toujours augmentée en raison de leur chute. Il en est de même de celui qui est jugé comme homicide, s’il a donné un coup mortel, avant même que celui qui a été frappé ne meure. Or, pendant l’intervalle, le pécheur doit être contrit de son péché. [Il doit donc être contrit] non seulement pour la quantité [de son péché] en raison de l’acte posé antérieurement, mais aussi pour la quantité que [le péché] a en raison du futur. Ainsi, la contrition concerne le futur.

[17452] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, contritio est pars poenitentiae. Sed poenitentia semper respicit praeteritum. Ergo et contritio ; et sic non est de peccato futuro.

Cependant, la contrition est une partie de la pénitence. Or, la pénitence concerne toujours le passé. Donc, la contrition aussi. Elle ne porte donc pas sur un péché futur.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Doit-on être contrit pour le péché d’un autre ?]

[17453] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod homo debeat conteri de peccato alieno. Non enim petit aliquis indulgentiam nisi de peccato de quo contritus est. Sed de peccatis alienis indulgentia petitur in Psal. 18, 13 : ab alienis parce servo tuo. Ergo debet homo conteri de peccatis alienis.

1. Il semble qu’on doive être contrit pour le péché d’un autre. En effet, on ne demande l’indulgence que pour le péché dont on est contrit. Or, on demande l’indulgence pour les péchés des autres dans Ps 18, 13 : Épargne ton serviteur pour les fautes des autres. On doit donc être contrit pour les péchés des autres.

[17454] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, homo ex caritate tenetur diligere proximum sicut seipsum. Sed propter dilectionem sui et de malis suis dolet, et bona desiderat. Ergo cum teneamur proximo desiderare bona gratiae sicut et nobis, videtur quod debeamus de culpa ejus dolere, sicut et de nostris. Sed contritio nihil aliud est quam dolOr de peccatis. Ergo homo debet conteri de peccatis alienis.

2. On est obligé d’aimer son prochain comme soi-même. Or, on déplore ce qu’on a fait de mal et on désire le bien par amour de soi. Puisque nous sommes tenus de désirer les biens de la grâce pour le prochain comme pour nous-mêmes, il semble donc que nous devions déplorer sa faute comme les nôtres. Or, la contrition n’est rien d’autre qu’une douleur à propos des péchés. On doit donc être contrit pour les péchés des autres.

[17455] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, contritio actus poenitentiae virtutis est. Sed nullus poenitet nisi de his quae ipse fecit. Ergo nullus conteritur de peccatis alienis.

Cependant, la contrition est un acte de la vertu de pénitence. Or, personne ne se repent que de ce qu’il a lui-même fait. Personne n’est donc contrit pour les péchés des autres.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [La contrition doit-elle porter sur chaque péché mortel ?]

[17456] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non requiratur de singulis peccatis mortalibus contritio. Est enim motus contritionis in justificatione in instanti. Sed in instanti non potest homo recogitare singula peccata. Ergo non oportet quod sit contritio de singulis.

1. Il semble que la contrition ne doive pas porter sur chaque péché mortel. En effet, dans la justification, le mouvement de la contrition se réalise dans l’instant. Or, on ne peut pas se rappeler dans l’instant tous ses péchés. Il n’est donc pas nécessaire que la contrition porte sur chaque péché.

[17457] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, contritio debet esse de peccatis secundum quod avertunt a Deo ; quia conversio ad creaturam sine aversione a Deo contritionem non requirit. Sed omnia peccata mortalia conveniunt in aversione. Ergo contra omnia sufficit una contritio.

2. La contrition doit porter sur les péchés pour autant qu’ils détournent de Dieu, car la conversion à la créature sans détournement de Dieu ne requiert pas la contrition. Or, tous les péchés mortels ont le détournement en commun. Une seule contrition suffit donc pour tous.

[17458] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 3 Praeterea, plus conveniunt peccata mortalia actualia ad invicem, quam actualia et originale. Sed unus Baptismus delet omnia actualia, et originale. Ergo una contritio generalis delet omnia peccata mortalia.

3. Les péchés mortels actuels ont plus en commun entre eux que les péchés actuels et le péché originel. Or, un seul baptême détruit tous les péchés actuels et le péché originel. Une seule contrition générale détruit donc tous les péchés mortels.

[17459] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, diversorum morborum diversae sunt medicinae : quia non sanat oculum quod sanat calcaneum, ut Hieronymus dicit. Sed contritio est medicina singularis contra unum tantum mortale. Ergo non sufficit una communis de omnibus.

Cependant, [1] il existe divers remèdes pour les diverses maladies, car « ce qui guérit le talon ne guérit pas l’oeil », comme le dit Jérôme. Or, la contrition est un remède unique contre un seul péché mortel uniquement. Une seule [contrition] commune de suffit donc pas pour tous [les péchés mortels].

[17460] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, contritio per confessionem explicatur. Sed oportet singula peccata mortalia confiteri. Ergo et de singulis conteri.

[2] La contrition est explicitée par la confession. Or, il est nécessaire que tous les péchés mortels soient confessés. Il est donc nécessaire d’être contrit pour chacun.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17461] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod contritio importat, ut dictum est, alicujus et duri et integri comminutionem. Haec autem integritas et duritia invenitur in malo culpae ; quia voluntas, quae est ipsius causa, in eo qui male agit, in suis terminis stat, nec praecepto legis cedit ; et ideo hujus mali displicentia contritio per similitudinem dicitur. Haec autem similitudo non potest adaptari ad malum poenae, quia poena simpliciter diminutionem dicit ; et ideo de malis poenae potest esse dolor sed non contritio.

Comme on l’a dit, la contrition comporte la réduction en miettes de quelque chose de dur et d’entier. Or, cette dureté et ce caractère entier ne se rencontrent pas dans le mal de la faute, car la volonté, qui en est la cause chez celui qui agit mal, s’en tient à ses termes et ne se plie pas au commandement de la loi. C’est pourquoi on parle par comparaison de contrition pour ce mal. Mais cette comparaison ne peut s’appliquer au mal de la peine, car la peine exprime simplement une diminution. C’est pourquoi il peut y avoir douleur à propos des maux de la peine, mais non pas contrition.

[17462] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenitentia, secundum Augustinum, debet esse de hac vita mortali, non ratione ipsius mortalitatis, nisi poenitentia large dicatur omnis dolor ; sed ratione peccatorum ad quae ex infirmitate hujus vitae deducimur.

1. Selon Augustin, la pénitence doit porter sur cette vie, non pas en raison de la mortalité elle-même, à moins qu’on appelle toute douleur contrition au sens large, mais en raison des péchés auxquels nous sommes conduits par la faiblesse de cette vie.

[17463] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille dolor quo quis dolet de amissione virtutis per peccatum, non est essentialiter ipsa contritio, sed est principium ejus ; sicut cum aliquis movetur ad dolendum de aliquo propter malum quod inde consecutum est.

2. Cette douleur par laquelle on déplore la perte de la vertu par le péché n’est pas essentiellement la contrition elle-même, mais son principe, comme lorsque quelqu’un est mû à déplorer quelque chose en raison du mal qui en a découlé.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17464] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod contritio, ut dictum est, est dolor respiciens, et quodammodo comminuens voluntatis duritiem ; et ideo de illis solis peccatis esse potest quae ex duritia nostrae voluntatis in nos proveniunt. Et quia peccatum originale non nostra voluntate inductum est, sed ex vitiatae naturae origine contractum ; ideo de ipso non potest esse contritio, proprie loquendo ; sed displicentia potest esse de eo, vel dolor.

Comme on l’a dit, la contrition est une douleur qui concerne et, d’une certaine manière, met en pièces la dureté de la volonté. C’est pourquoi elle ne peut porter que sur les seuls péchés qui nous viennent de la dureté de notre volonté. Parce que le péché originel n’a pas été amené par notre volonté, mais a été contracté par l’origine d’une nature viciée, à proprement parler, il ne peut donc pas y avoir de contrition à son sujet, mais il peut en exister un dégoût ou une douleur.

[17465] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contritio non est de peccato ratione substantiae actus tantum, quia ex hoc non habet rationem mali : neque iterum ratione deformitatis tantum, quia deformitas de se non dicit rationem culpae, sed quandoque importat poenam. Debet autem de peccato esse contritio, inquantum importat utramque deformitatem ex actu voluntatis provenientem ; et hoc non est in peccato originali ; et ideo de eo non est contritio.

1. La contrition ne porte pas sur le péché en raison de la substance de l’acte seulement, car il ne tire pas de là son caractère de mal, ni non plus en raison de la seule difformité, car la difformité n’exprime pas par elle-même le caractère de faute, mais elle comporte parfois une peine. Or, la contrition doit comporter les deux difformités qui viennent de l’acte de la volonté. Cela n’est pas le cas dans le péché originel. C’est pourquoi il n’existe pas de contrition à son sujet.

[17466] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Similiter dicendum ad secundum ; quia aversio voluntatis est illa cui debetur contritio.

2. Il faut répondre de la même manière au second argument, car l’aversion de la volonté est la raison pour laquelle la contrition est due.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17467] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omnis actualis culpa ex hoc contingit quod voluntas nostra legi Dei non cedit, vel eam transgrediendo, vel omittendo, vel praeter eam agendo. Et quia durum est quod habet potentiam ut non facile patiatur ; ideo in omni actuali peccato duritia quaedam est voluntatis ; et propter hoc si debeat peccatum curari, oportet quod per contritionem comminuentem remittatur.

Toute faute actuelle vient du fait que notre volonté ne se plie pas au commandement de Dieu, soit en le transgressant, soit en l’omettant, soit en agissant sans en tenir compte. Et parce qu’est dur ce qui a le pouvoir de ne pas subir facilement, il existe donc une certaine dureté de la volonté dans tout péché actuel. Pour cette raison, il est nécessaire, pour que le péché soit guéri, que [la faute] soit remise par une contrition qui met en miettes.

[17468] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ex dictis patet, contritio opponitur peccato ex parte illa qua ex electione voluntatis procedit non sequentis imperium divinae legis ; non autem ex parte ejus quod est in peccato materiale ; et hoc est super quod cadit electio. Cadit autem voluntatis electio non solum super actus aliarum virium, quibus voluntas ad suum finem utitur, sed etiam super actum proprium ipsius. Voluntas enim vult se velle aliquid ; et sic electio voluntatis cadit supra dolorem illum seu tristitiam quae invenitur in peccato invidiae et hujusmodi, sive ille dolor sit in sensu, sive in ipsa voluntate ; et ideo illius peccatis dolor contritionis opponitur.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, la contrition s’oppose au péché du point de vue où il vient d’un choix de la volonté qui ne suit pas le commandement de la loi divine, et du point de vue de ce qui a le caractère de matière dans le péché, et cela est ce sur quoi porte le choix. Or, le choix de la volonté ne porte pas seulement sur les actes des autres puissances, dont la volonté fait usage pour sa propre fin, mais aussi sur son propre acte. En effet, la volonté veut qu’elle-même veuille quelque chose. Le choix de la volonté porte donc sur la douleur ou la tristesse qu’on trouve dans le péché d’envie et ceux de ce genre, que cette douleur se trouve dans le sens ou qu’elle se trouve dans la volonté. C’est pourquoi cette douleur de la contrition s’oppose aux péchés de celle-ci.

[17469] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod oblivio de aliquo potest esse dupliciter : aut ita quod totaliter a memoria exciderit ; et tunc non potest aliquis inquirere illud ; aut ita quod partim a memoria exciderit, et partim maneat ; sicut cum recolo me aliquid audivisse in generali, sed nescio quid in speciali ; et tunc requiro in memoriam ad recognoscendum. Et secundum hoc etiam aliquod peccatum potest esse oblitum dupliciter : aut ita quod in generali memoria maneat, sed non in speciali ; et tunc debet homo recogitare ad inveniendum peccatum, quia de quolibet mortali peccato homo tenetur specialiter conteri. Si autem invenire non possit, sufficit de eo conteri secundum quod in notitia tenetur ; et debet homo non solum de peccato, sed de oblivione ejus dolere, quae ex negligentia contingit. Si autem peccatum omnino a memoria excidit, tunc ex impotentia faciendi excusatur a debito, et sufficit generalis contritio de omni eo in quo Deum offendit. Sed quando impotentia tollitur, sicut cum ad memoriam peccatum revocatur, tunc tenetur homo specialiter conteri ; sicut etiam pauper qui non potest solvere quod debet, excusatur ; et tamen tenetur cum primo potuerit.

2. L’oubli de quelque chose peut être double : ou bien cela sera totalement sorti de la mémoire, et alors on ne peut se mettre à sa recherche ; ou bien cela aura partiellement échappé à la mémoire et y demeurera partiellement, comme lorsque je me rappelle avoir entendu quelque chose d’une manière générale, mais ne sais pas quoi d’une manière particulière ; alors, je cherche dans ma mémoire à le faire revenir à la connaissance. Conformément à cela, un péché peut être oublié de deux manières : ou bien il l’est de manière à demeurer dans la mémoire d’une manière générale, et alors on doit réfléchir pour retrouver le péché, car on est tenu à la contrition pour chaque péché mortel. Mais si on ne peut le trouver, il suffit d’en être contrit pour autant qu’il reste connu. Et l’on doit déplorer non seulement le péché, mais son oubli, qui vient de la négligence. Mais si le péché échappe complètement à la mémoire, on est alors exempté de la dette en raison de l’incapacité de la rendre, et une contrition générale suffit pour tout ce par quoi on a offensé Dieu. Mais lorsque l’incapacité est enlevée, comme lorsque le péché revient à la mémoire, on est alors tenu d’en être contrit d’une manière particulière, comme lorsqu’un pauvre qui ne peut pas acquitter ce qu’il doit en est exempté ; cependant il y est tenu dès qu’il le pourra.

[17470] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si ignorantia omnino tolleret voluntatem male agendi, excusaret, et non esset peccatum ; sed quandoque non totaliter tollit voluntatem, et tunc a toto non excusat, sed a tanto ; et ideo de peccato per ignorantiam commisso debet homo conteri.

3. Si l’ignorance enlevait complètement la volonté de mal agir, elle excuserait et il ne s’agirait pas d’un péché. Mais, parfois, elle n’enlève pas complètement la volonté, et alors elle n’excuse pas entièrement, mais en proportion. C’est pourquoi on doit avoir la contrition pour le péché commis par ignorance.

[17471] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod post contritionem de mortali potest remanere veniale, sed non post contritionem de veniali ; et ideo de venialibus etiam debet esse contritio, eo modo quo et poenitentia, sicut supra, dist. praeced., dictum est.

4. Après la contrition pour un péché mortel, un péché véniel peut demeurer, mais non après la contrition pour le péché véniel. C’est pourquoi on doit aussi avoir la contrition pour les péchés véniels, de la même manière que la pénitence, comme on l’a dit plus haut, à la distinction précédente.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17472] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in omnibus motoribus et mobilibus ordinatis ita est quod motor inferior habet motum proprium, et praeter hoc sequitur in aliquo motum superioris motoris ; sicut patet in motu planetarum, qui praeter motus proprios sequuntur motum primi orbis. Omnibus autem virtutibus moralibus motor est ipsa prudentia, quae dicitur auriga virtutum ; et ideo quaelibet virtus moralis cum motu proprio habet aliquid de motu prudentiae ; et ideo, cum poenitentia sit quaedam virtus moralis, quia est pars justitiae, cum actu proprio consequitur prudentiae motum. Proprius autem actus ejus est in objectum proprium, quod est peccatum commissum ; et ideo ejus actus principalis, scilicet contritio, secundum suam speciem respicit tantum peccatum praeteritum ; sed ex consequenti respicit futurum, secundum quod habet aliquid de actu prudentiae adjunctum, et non tantum in illud futurum ratione propriae speciei movetur ; et propter hoc ille qui conteritur, dolet de peccato praeterito, et cavet futurum : sed non dicitur esse contritio de peccato futuro, sed magis cautio, quae est pars prudentiae contritioni adjuncta.

Pour tous les moteurs et les mobiles ordonnés, la situation est telle que le moteur inférieur a son propre mouvement et, en plus, il suit d’une certaine manière le mouvement du moteur supérieur, comme cela ressort clairement dans le mouvement des planètes, qui, en plus de leur mouvement propre, suivent le mouvement de la première sphère. Or, le moteur de toutes les vertus morales est la prudence elle-même, qui est appelée le cocher des vertus. C’est pourquoi le mouvement propre de toutes les vertus morales possède quelque chose du mouvement de la prudence. Ainsi, puisque la pénitence est une vertu morale, car elle est une partie de la justice, elle se conforme au mouvement de la prudence dans son acte. Or, son acte propre porte sur son objet propre, qui est le péché commis. C’est pourquoi son acte principal, à savoir, la contrition, porte par essence seulement sur le péché passé ; mais, par voie de conséquence, il porte sur le futur, pour autant que quelque chose de l’acte de la prudence lui est associé, et il n’est pas mû seulement vers ce futur en raison de son espèce. Pour cette raison, celui qui a la contrition déplore le péché passé et évite le péché futur ; mais on ne dit pas qu’on a la contrition du péché futur, mais plutôt qu’on s’en garde, ce qui est une partie de la prudence associée à la contrition.

[17473] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod liberum arbitrium dicitur esse de contingentibus futuris, secundum quod est de actibus, sed non secundum quod est de objectis actuum ; quia homo potest cogitare ex libero arbitrio de rebus praeteritis et necessariis ; sed tamen ipse actus cogitationis, secundum quod sub libero arbitrio cadit, contingens futurum est ; et sic etiam actus contritionis contingens futurum est, secundum quod sub libero arbitrio cadit ; sed objectum ejus potest esse praeteritum.

1. On dit que le libre arbitre porte sur les futurs contingents pour autant qu’il porte sur les actes, mais non pour autant qu’il porte sur les objets des actes, car on peut penser par le libre arbitre à des choses passées et à des choses nécessaires. Cependant, l’acte même de la pensée, pour autant qu’il relève du libre arbitre, est un futur contingent. De cette manière, l’acte de la contrition est aussi un futur contingent, pour autant qu’il relève du libre arbitre ; mais son objet peut être passé.

[17474] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille effectus consequens qui peccatum aggravat, jam in actu praecessit velut in causa ; et ideo, quando commissum est, totam suam quantitatem habuit, et ex effectu consequenti non accrescit aliquid quo ad culpae rationem, etsi accrescit quo ad poenam accidentalem, secundum quod plures habebit rationes dolendi in Inferno de pluribus malis consecutis ex suo peccato ; et sic loquitur Hieronymus ; unde non oportet quod contritio sit nisi de peccatis praeteritis.

2. L’effet qui découle d’un péché et qui l’aggrave était déjà présent dans l’acte comme dans sa cause. C’est pourquoi, lorsqu’il a été commis, il avait toute sa quantité et celle-ci n’est pas augmentée par l’effet qui en découle pour ce qui est de son caractère de faute, même si elle est augmentée pour ce qui est d’une peine accidentelle, selon qu’on aura plus de raisons de déplorer en enfer plus de maux qui ont découlé de son péché. C’est ainsi que s’exprime Jérôme. Il n’est donc pas nécessaire que la contrition ne porte que sur les péchés passés.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17475] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod illud idem conteritur quod prius durum et integrum fuit ; unde patet quod contritio pro peccato sit in eodem in quo peccati duritia praecessit ; et sic de alienis peccatis non est contritio.

C’est la même chose qui est mise en miettes, qui était auparavant dure et entière. Il est donc clair que la contrition pour le péché porte sur la même chose sur laquelle a porté antérieurement la dureté du péché. Il n’y a donc pas de contrition pour les péchés d’autrui.

[17476] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ab alienis peccatis sibi parci propheta precatur, inquantum ex consortio peccatorum aliquis per consensum aliquam immunditiam contrahit, sicut scriptum est, Psalm. 17, 22 : cum perverso perverteris.

1. Le prophète supplie d’être épargné des péchés des autres pour autant que, par la fréquentation des autres, on contracte une impureté par le consentement, comme il est écrit dans Ps 17, 22 : Tu seras abattu avec le méchant.

[17477] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de peccatis aliorum dolere debemus ; non tamen oportet quod de eis conteramur, quia non omnis dolor de peccato praeterito est contritio, ut ex dictis patet.

2. Nous devons déplorer les péchés des autres ; mais il n’est pas nécessaire que nous en soyons contrits, car toute douleur pour le péché passé n’est pas contrition, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[17478] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod contritio potest dupliciter considerari ; scilicet quantum ad sui principium, et quantum ad terminum. Et dico principium contritionis cogitationem qua quis cogitat de peccato et dolet, etsi non dolore contritionis, saltem dolore attritionis ; terminus autem contritionis est, quando dolor ille jam gratia informatur. Quantum ergo ad principium contritionis, oportet quod sit de singulis peccatis quae quis in memoria habet ; sed quantum ad terminum sufficit quod sit una communis de omnibus ; tunc enim ille motus agit in vi omnium dispositionum praecedentium.

La contrition peut être envisagée de deux manières : par rapport à son principe et par rapport à son terme. Je dis que le principe de la contrition est la pensée par laquelle on pense au péché et on le déplore, même si ce n’est pas avec la douleur de la contrition, tout au moins avec la douleur de l’attrition. Mais le terme de la contrition est atteint lorsque cette douleur reçoit déjà la forme de la grâce. Pour ce qui est du principe de la contrition, il est nécessaire qu’il porte sur chaque péché qu’on a en mémoire. Mais pour ce qui est du terme, il suffit qu’il n’y ait qu’une contrition générale pour tous : en effet, ce mouvement agit avec la force de toutes les dispositions précédentes.

[17479] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[17480] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnia peccata mortalia conveniant in aversione, tamen differunt in causa et modo aversionis, et quantitate elongationis a Deo ; et hoc est secundum diversitatem conversionis.

2. Bien que tous les péchés mortels aient en commun l’aversion, ils diffèrent cependant par la cause et par le mode du détournement, et par l’ampleur de l’éloignement de Dieu. Et cela se réalise selon la diversité de la conversion.

[17481] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus agit in virtute meriti Christi, quod habuit infinitam virtutem ad delendum omnia peccata ; et propter hoc unus sufficit contra omnia. Sed in contritione requiritur cum merito Christi actus noster ; et ideo oportet quod singulis peccatis respondeat singillatim, cum non habeat infinitam virtutem. Vel dicendum, quod Baptismus est spiritualis generatio ; sed poenitentia quantum ad contritionem et alias sui partes est spiritualis quaedam sanatio per modum cujusdam alterationis. Patet autem in generatione corporali alicujus quae est cum corruptione alterius, quod una generatione removentur omnia accidentia contraria rei generatae, quae erant accidentia rei corruptae ; sed in alteratione removetur tantum unum accidens contrarium accidenti, ad quod terminatur alteratio. Et similiter unus Baptismus simul delet omnia peccata novam vitam inducendo ; sed poenitentia non delet omnia peccata nisi ad singula feratur ; et ideo oportet de singulis conteri et confiteri.

3. Le baptême agit par la puissance du mérite du Christ, qui possédait une puissance infinie pour détruire les péchés. Pour cette raison, un seul [baptême] suffit contre tous [les péchés]. Mais, pour la contrition, un acte de notre part est nécessaire avec le mérite du Christ. C’est pourquoi il doit correspondre à chaque péché considéré un à un, puisqu’il n’a pas une puissance infinie. Ou bien il faut dire que le baptême est une génération spirituelle, mais que la pénitence, pour ce qui est de la contrition et de ses autres parties, est une certaine guérison spirituelle qui se réalise par mode d’altération. Or, il est clair que, dans la génération corporelle de quelque chose qui se réalise avec la corruption d’une autre chose, tous les accidents contraires à la chose engendrée, qui étaient des accidents de la chose corrompue, sont enlevés par une seule génération. Mais, dans une altération, est enlevé un seul accident contraire à l’accident auquel se termine l’altération. De même, un seul baptême détruit d’un coup tous les péchés en induisant une vie nouvelle ; mais la pénitence ne détruit tous les péchés que si elle porte sur chacun. C’est pourquoi il est nécessaire d’être contrit et de se confesser de chacun.

 

 

Articulus 3 [17482] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 tit. Utrum contritio sit major dolor qui esse possit in natura

Article 3 – La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse exister dans la nature ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La contrition est-elle la plus grande douleur qui puisse exister dans la nature ?]

[17483] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod contritio non sit major dolor qui esse possit in natura. Dolor enim est sensus laesionis. Sed aliquae laesiones magis sentiuntur quam laesio peccati, sicut laesio vulneris. Ergo non est maximus dolor contritio.

1. Il semble que la contrition ne soit pas la plus grande douleur qui se puisse trouver dans la nature. En effet, la douleur est la sensation d’une blessure. Or, certaines blessures sont davantage ressenties que la blessure du péché, comme la blessure d’une plaie. La contrition n’est donc pas la plus grande douleur.

[17484] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ex effectu sumimus judicium de causa. Sed effectus doloris sunt lacrymae. Cum ergo aliquando contritus non emittat lacrymas corporales de peccatis, quas tamen emittit de morte amici, vel de percussione, vel de aliquo hujusmodi ; videtur quod contritio non sit dolor maximus.

2. Nous jugeons de la cause par l’effet. Or, les larmes sont l’effet de la douleur. Puisque parfois celui qui est contrit ne verse pas de larmes corporelles pour ses péchés, alors qu’il en verse pour la mort d’un ami, à la suite d’un coup ou de quelque chose du genre, il semble donc que la contrition ne soit pas la plus grande douleur.

 [17485] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid plus habet de permixtione contrarii, tanto est minus intensum. Sed contritionis dolor habet multum de gaudio admixtum : quia contritus gaudet de liberatione, spe veniae, et de multis hujusmodi. Ergo dolor suus est minimus.

3. Plus un contraire est mêlé à quelque chose, moins cette chose est intense. Or, beaucoup de joie se mêle à la douleur de la contrition, car celui qui est contrit se réjouit de sa libération dans l’espérance du pardon, et de beaucoup d’autres choses de ce genre. Sa douleur est donc la plus petite.

[17486] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, dolor contritionis displicentia quaedam est. Sed multa sunt quae magis displicent contrito quam peccata sua praeterita ; non enim vellet poenam Inferni sustinere potius quam peccare, nec iterum sustinuisse omnes poenas temporales, aut etiam sustinere ; alias pauci invenirentur contriti. Ergo dolor contritionis non est maximus.

4. La douleur de la contrition est un certain dégoût. Or, beaucoup de choses que ses péchés passés déplaisent davantage à celui qui est contrit : en effet, il ne voudrait pas supporter la peine de l’enfer plutôt que de pécher, ni avoir subi de nouveau ni même subir toutes les peines temporelles ; autrement, peu seraient contrits. La douleur de la contrition n’est donc pas la plus grande.

[17487] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum, omnis dolor in amore fundatur. Sed amor caritatis, in quo fundatur dolor contritionis, est maximus. Ergo dolor contritionis est maximus.

Cependant, [1] selon Augustin, toute douleur est fondée sur l’amour. Or, l’amour de charité, sur lequel se fonde l’amour de contrition, est le plus grand. La douleur de la contrition est donc la plus grande.

[17488] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, dolor est de malo. Ergo de magis malo debet esse magis dolor. Sed culpa est magis malum quam poena. Ergo dolor de culpa, qui est contritio, excedit omnem alium dolorem.

[2] La douleur porte sur le mal. Une plus grande douleur doit donc porter sur un plus grand mal. Or, la faute est un mal plus grand que la peine. La douleur qui porte sur la faute, la contrition, dépasse donc toute autre douleur.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –[La douleur de la contrition peut-elle être trop grande ?]

[17489] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possit esse nimis magnus contritionis dolor. Nullus enim dolor potest esse immoderatior quam ille qui proprium subjectum destruit. Sed dolor contritionis, si est tantus quod mortem vel corruptionem corporis inducat, est laudabilis. Dicit enim Anselmus : utinam sic impinguentur viscera animae meae, ut medullae corporis mei exsiccentur ; et Augustinus de contritione cordis, cap. 10, dicit se esse dignum oculos caecare plorando. Ergo dolor contritionis non potest esse nimius.

1. Il semble que la douleur de la contrition ne puisse pas être trop grande. En effet, aucune douleur ne peut être plus demesurée que celle qui détruit son propre sujet. Or, la douleur de la contrition, si elle est si grande qu’elle entraîne la mort ou la corruption du corps, est louable. En effet, Anselme dit : « Que les entrailles de mon âme engraissent au point de dessécher la moëlle de mon corps !» Et dans Sur la contrition, X, Augustin dit qu’il mérite de perdre la vue à force de pleurer. La douleur de la contrition ne peut donc être trop grande.

[17490] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, dolor contritionis ex caritatis amore procedit. Sed amor caritatis non potest esse nimius. Ergo nec dolor contritionis.

2. La douleur de la contrition vient de l’amour de charité. Or, l’amour de charité ne peut être trop grand. Donc, ni la douleur de la contrition.

[17491] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omnis virtus moralis corrumpitur per superabundantiam et defectum. Sed contritio est actus virtutis moralis, scilicet poenitentiae, cum sit pars justitiae. Ergo potest esse superfluus dolor de peccatis.

Cependant, toute vertu morale est corrompue par l’excès ou le manque. Or, la contrition est l’acte d’une vertu morale, la pénitence, puisqu’elle est une partie de la justice. La douleur pour les péchés peut donc être excessive.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-il y avoir une douleur plus grande pour un péché que pour un autre ?]

[17492] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat esse major dolor de uno peccato quam de alio. Hieronymus enim collaudat Paulam de hoc quod minima peccata plangebat sicut magna. Ergo non magis est dolendum de uno quam de alio.

1. Il semble qu’il ne puisse y avoir de douleur plus grande pour un péché que pour un autre. En effet, Jérôme louange Paula pour le fait qu’elle pleurait le moindre péché comme un grand péché. Il ne faut donc pas pleurer davantage pour un péché que pour un autre.

[17493] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, motus contritionis est subitus. Sed non potest unus motus esse intensior simul et remissior. Ergo contritio non debet esse major de uno peccato quam de alio.

2. Le mouvement de la contrition est subit. Or, un seul mouvement ne peut être en même temps plus intense et plus relâché. La contrition ne doit donc pas être plus grande pour un péché que pour un autre.

 [17494] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, de peccato praecipue est contritio, secundum quod a Deo avertit. Sed in aversione omnia mortalia peccata conveniunt ; quia omnia tollunt gratiam, qua anima Deo conjungitur. Ergo de omnibus peccatis mortalibus aequalis debet esse contritio.

3. La contrition porte principalement sur le péché selon qu’il détourne de Dieu. Or, tous les péchés mortels ont en commun l’aversion [de Dieu], parce que tous enlèvent la grâce par laquelle l’âme est unie à Dieu. On doit donc avoir une égale contrition pour tous les péchés mortels.

[17495] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Deut. 25, 2, dicitur : secundum mensuram peccati erit et plagarum modus. Sed contritioni de peccatis plagae commensurantur ; quia contritio habet propositum satisfaciendi annexum. Ergo contritio magis debet esse de uno peccato quam de alio.

Cependant, [1] il est dit dans Dt 25, 2 : L’ampleur des fléaux sera à la mesure du péché. Or, les fléaux sont à la mesure de la contrition pour les péchés, car un propos de satisfaire est associé à la contrition. La contrition doit donc être plus grande pour un péché que pour un autre.

[17496] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, de hoc debet homo conteri quod debuit vitare. Sed homo magis debet vitare unum peccatum quam aliud, quia gravius est, si necessitas alterum faciendi incumberet. Ergo et similiter de uno, scilicet graviori, magis quam de alio dolere.

[2] On doit être contrit de ce qu’on devait éviter. Or, on doit davantage éviter un péché qu’un autre parce qu’il est plus grave, s’il était nécessaire d’en commettre un autre. De même doit-on déplorer un péché plus grave plutôt qu’un autre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17497] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra dictum est, in contritione est duplex dolor. Unus in ipsa voluntate, qui est essentialiter ipsa contritio, quae nihil aliud est quam displicentia praeteriti peccati ; et dolor talis in contritione excedit alios dolores ; quia quantum aliquid placet, tantum contrarium ejus displicet : finis autem super omnia placet, cum omnia propter ipsum desiderentur ; et ideo peccatum quod a fine ultimo avertit, super omnia displicere debet. Alius dolor est in parte sensitiva, qui causatur ex primo dolore, vel ex necessitate naturae, secundum quod vires inferiores sequuntur motum superiorum ; vel ex electione, secundum quod homo poenitens in seipso voluntarie excitatur ut de peccatis doleat ; et neutro modo oportet quod sit maximus dolorum : quia vires inferiores vehementius moventur ab objectis propriis, quam ex redundantia superiorum virium ; et ideo quanto operatio superiorum virium est propinquior objectis inferiorum, tanto magis sequuntur earum motum ; et ideo major dolor est in sensitiva parte ex laesione sensibili quam sit ille qui in ipsa redundat ex ratione ; et similiter major qui redundat ex ratione de corporalibus deliberante quam qui redundat ex ratione considerante spiritualia. Unde dolor in sensitiva parte ex displicentia rationis proveniens de peccato, non est major aliis doloribus qui in ipsa sunt ; et similiter nec dolor qui est voluntarie assumptus ; tum quia non obedit affectus inferior superiori ad nutum, ut passio tanta sequatur in inferiori appetitu, qualem ordinat superior ; tum etiam quia passiones a ratione assumuntur in actibus virtutum secundum mensuram quamdam, quam quandoque dolor qui est sine virtute, non servat, sed excedit.

Comme on l’a dit plus haut, il existe une double douleur dans la contrition. L’une dans la volonté, qui est essentiellement la contrition elle-même, qui n’est rien d’autre que le dégoût du péché passé. Une telle douleur de la contrition dépasse les autres douleurs, car, plus quelque chose plaît, plus son contraire déplaît. Or, la fin plaît plus que tout, puisque tout est désiré à cause d’elle. C’est pourquoi le péché qui détourne de la fin ultime doit déplaire par-dessus tout. L’autre douleur se trouve dans la partie sensible : elle est causée par la première douleur, soit selon une nécessité naturelle, puisque les puissances inférieures suivent le mouvement des puissances supérieures, soit selon un choix, puisque le pénitent s’incite volontairement en lui-même à pleurer ses péchés. Dans les deux cas, il n’est pas nécessaire que [la contrition] soit la plus grande douleur, car les puissances inférieures sont mues plus violemment par leurs objets propres que par le débordement des puissances supérieures. C’est pourquoi plus l’opération des puissances supérieures est proche des objets des puissances inférieures, plus celles-ci suivent leur mouvement. Ainsi, une plus grande douleur existe dans la partie sensible suite à une blessure sensible que celle qui déborde sur elle à partir de la raison ; de même, la douleur qui déborde depuis la raison qui délibère de choses corporelles est plus grande que celle qui déborde depuis la raison qui envisage des réalités spirituelles. Aussi la douleur de la partie sensible issue d’un dégoût de la raison venant du péché n’est-elle pas plus grande que les autres douleurs qui se trouvent en elle. De même non plus, la douleur qui est volontairement assumée, parce que l’appétit inférieur n’obéit pas à la moindre instigation de l’appétit supérieur, de sorte qu’une passion aussi grande que l’ordonne l’appétit supérieur découle dans l’appétit inférieur ; et aussi parce que les passions sont engagées par la raison dans les actes des vertus dans une certaine mesure, que parfois la douleur qui existe sans vertu ne respecte pas mais dépasse.

[17498] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dolor sensibilis est de sensu laesionis, ita dolor interior est de cognitione alicujus nocivi ; et ideo quamvis laesio peccati secundum sensum exteriorem non percipiatur, tamen percipitur esse maxima secundum sensum interiorem rationis.

1. De même que la douleur sensible vient de la sensation d’une blessure, de même la douleur intérieure vient-elle de la connaissance de quelque chose de nuisible. C’est pourquoi, même si la blessure du péché n’est pas perçue par le sens extérieur, elle est cependant perçue comme la plus grande par le sens intérieur de la raison.

[17499] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corporales immutationes immediate consequuntur ad passiones sensitivae partis, et eis mediantibus ad affectivitées appetitivae superioris ; et inde est quod ex dolore sensibili, vel etiam sensibili nocivo citius superfluunt lacrymae corporales quam de dolore spirituali contritionis.

2. Des changements corporels découlent immédiatement des passions de la partie sensible et, par leur intermédiaire, vers les sentiments de l’affectivité supérieure. De là vient que des larmes corporelles coulent plus rapidement à la suite d’une douleur sensible ou même d’un désagrément sensible, que de la douleur spirituelle de la contrition.

[17500] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gaudium illud quod de dolore poenitens habet, non minuit displicentiam, quia ei non contrariatur, sed auget secundum quod omnis operatio augetur per propriam delectationem, ut dicitur in 10 Ethic. : sicut qui delectatur in addiscendo aliquam scientiam, melius addiscit ; et similiter qui gaudet de displicentia, vehementius displicentiam habet. Sed bene potest esse quod illud gaudium temperet dolorem ex ratione in partem sensitivam resultante.

3. Cette joie que le pénitent tire de la douleur ne diminue pas son dégoût, car elle ne le contredit pas, mais l’augmente à la manière dont toute opération est augmentée par sa propre délectation, comme il est dit dans Éthique, X. Ainsi, celui qui prend plaisir à apprendre une science apprend mieux ; de même, celui qui se réjouit de son dégoût a un dégoût plus intense. Mais il peut bien arriver que cette joie tempère la douleur qui découle de la raison dans la partie sensible.

[17501] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quantitas displicentiae de aliqua re debet esse secundum quantitatem malitiae ipsius. Malitia autem in culpa mortali mensuratur ex eo in quem peccatur, inquantum est ei indigna ; et ex eo qui peccat, inquantum est ei nociva. Et quia homo debet plus Deum quam se diligere, ideo plus debet odire culpam inquantum est offensa Dei, quam inquantum est nociva sibi. Est autem nociva sibi principaliter, inquantum separat ipsum a Deo ; et ex hac parte ipsa separatio a Deo, quae poena quaedam est, magis debet displicere quam ipsa culpa, inquantum hoc nocumentum inducit (quia quod propter alterum oditur, minus oditur) ; sed minus quam culpa inquantum est offensa in Deum. Inter omnes autem poenas attenditur ordo malitiae secundum quantitatem nocumenti ; et ideo, cum hoc sit maximum nocumentum quo maximum bonum privatur, erit inter poenas maxima, separatio a Deo. Est etiam alia quantitas mali accidentalis, quam oportet in displicentia attendere secundum rationem praesentis et praeteriti : quia quod praeteritum est, jam non est ; unde habet minus de ratione et malitiae et bonitatis ; et inde est quod plus refugit homo sustinere aliquid mali in praesenti vel in futuro, quam horreat de praeterito ; unde nec aliqua passio animae directe respondet praeterito ; sicut dolor respondet praesenti malo, et timor futuro ; et propter hoc de duobus malis praeteritis illud magis abhorret animus cujus major effectus in praesenti remanet, vel in futurum timetur, etiam si in praeterito minus fuerit. Et quia effectus praecedentis culpae non ita percipitur quandoque sicut effectus praeteritae poenae, tum quia culpa perfectius sanatur quam quaedam poena ; tum quia defectus corporalis magis est manifestus quam spiritualis ; ideo homo etiam bene dispositus quandoque magis percipit in se horrorem praecedentis poenae quam praecedentis culpae ; quamvis magis esset paratus pati eamdem poenam quam committere eamdem culpam. Est etiam considerandum in comparatione culpae et poenae, quod quaedam poenae inseparabiliter habent conjunctam Dei offensam, sicut separatio a Deo ; quaedam etiam addunt perpetuitatem, sicut poena Inferni. Poena ergo illa quae offensam annexam habet, eodem modo vitanda est sicut et culpa ; sed illa quae perpetuitatem addit, est magis quam culpa simpliciter fugienda. Si tamen ab eis separetur ratio offensae, et consideretur tantum ratio poenae, minus habet de malitia quam culpa, inquantum est offensa Dei, et propter hoc minus deberet displicere. Sciendum est etiam, quod quamvis talis debeat esse contriti dispositio, non tamen de his tentandus est ; quia homo affectus suos non de facili mensurare potest ; et quandoque illud quod minus displicet, videtur magis displicere ; quia est propinquius sensibili nocumento, quod magis est nobis notum.

4. L’importance du dégoût d’une chose doit être proportionnée à sa malice. Or, la malice d’une faute mortelle se mesure en fonction de celui contre qui l’on pèche, en tant qu’elle est indigne de lui, et en fonction de celui qui pèche, en tant qu’elle lui cause un préjudice. Et parce que l’homme doit aimer Dieu plus que lui-même, il doit donc haïr davantage la faute en tant qu’elle est une offense à Dieu qu’en tant qu’elle lui est nuisible. Or, elle lui est surtout nuisible parce qu’elle le sépare de Dieu. De ce point de vue, la séparation même de Dieu, qui est une peine, doit déplaire davantage que la faute elle-même en tant qu’elle entraîne un préjudice (car ce qui est détesté pour autre chose est moins détesté), mais moins que la faute en tant qu’elle est une offense à Dieu. Or, parmi toutes les peines, l’ordre de la malice est envisagé selon la quantité du préjudice. C’est pourquoi la séparation de Dieu sera la plus grande des peines puisque c’est le plus grand préjudice d’être privé du plus grand bien. Il existe aussi une autre quantité accidentelle du mal, qu’il faut envisager pour ce qui est du déplaisir, selon qu’il est passé ou présent, car ce qui est passé n’existe plus : cela a donc un caractère de malice ou de bonté moindre. De là vient qu’on évite davantage de supporter quelque chose de mal dans le présent ou dans le futur que d’avoir horreur du passé. Aussi aucune passion de l’âme ne correspond-elle directement au passé, comme la douleur correspond à un mal présent et la crainte à un mal futur. Pour cette raison, entre deux maux passés, l’âme a davantage en horreur celui dont l’effet demeure davantage dans le présent ou est craint dans l’avenir, même s’il aura été moindre dans le passé. Et parce que parfois l’effet d’une faute antérieure n’est pas perçu comme l’effet d’une peine passée, soit que la faute soit mieux guérie qu’une peine, soit parce que la carence corporelle est plus évidente que la carence spirituelle, même l’homme bien disposé perçoit davantage en lui-même l’horreur d’une peine antérieure que celle d’une faute antérieure, bien qu’il serait davantage préparé à supporter la même peine qu’à commettre la même faute. En comparant la faute et la peine, il faut aussi considérer que certaines peines comportent inséparablement une offense à Dieu, comme la séparation de Dieu ; certaines aussi ajoutent un caractère perpétuel, comme la peine de l’enfer. La peine à laquelle une offense est associée doit donc être évitée comme la faute ; mais celle qui ajoute le caractère perpétuel doit être davantage fuie que la faute. Cependant, si on en sépare le caractère d’offense et en envisage seulement le caractère de peine, elle est moins malice que faute en tant qu’elle est une offense à Dieu : pour cette raison, elle devrait moins déplaire. Il faut aussi savoir que, bien que la disposition de celui qui est contrit doive être telle, il ne doit cependant pas être tenté, car l’homme ne peut facilement mesurer ses propres sentiments : parfois ce qui déplaît moins semble davantage déplaire parce que cela est plus rapproché d’un préjudice sensible qui nous est plus connu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17502] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod contritio ex parte doloris qui est in ratione, scilicet displicentiae, quo peccatum displicet inquantum est offensa Dei, non potest esse nimia, sicut nec amor caritatis, quo intenso talis displicentia intenditur, potest esse nimius ; sed quantum ad dolorem sensibilem potest esse nimia, sicut etiam exterior corporis afflictio potest esse nimia, ut supra, dist. 15, in quaestione de jejunio, ex verbis Hieronymi patuit. In his enim omnibus debet accipi pro mensura conservatio subjecti et bonae habitudinis sufficientis ad ea quae agenda incumbunt ; et propter hoc dicitur Rom. 12, 1 : rationabile obsequium vestrum.

Du point de vue de la douleur qui se trouve dans la raison, à savoir, le dégoût par lequel le péché déplaît en tant qu’il est une offense à Dieu, la contrition ne peut être trop grande, de même que l’amour de charité, selon l’intensité de laquelle un tel dégoût est envisagé, ne peut être trop grand. Mais elle peut être trop grande pour ce qui est de la douleur sensible, de même que l’affliction extérieure du corps peut être trop grande, comme cela ressortait des paroles de Jérôme dans la question sur le jeûne, d. 15. En effet, dans tout cela, on doit prendre comme mesure la conservation du sujet et d’un bon rapport à ce qui est suffisant pour ce qu’on doit faire. Pour cette raison, il est dit en Rm 12, 1 : Que votre culte soit raisonnable.

[17503] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Anselmus desiderabat ex pinguedine devotionis medullas corporales exsiccari non quantum ad humorem naturalem, sed quantum ad desideria et concupiscentias corporales. Augustinus autem quamvis dignus se cognosceret amissione exteriorum oculorum propter peccatum, quia quilibet peccator non solum aeterna, sed temporali morte dignus est ; non tamen volebat sibi oculos caecare.

1. Anselme désirait que la moëlle corporelle soit desséchée par l’intensité de la dévotion non pas pour ce qui est de l’humeur naturelle, mais pour ce qui est des désirs et des concupiscences corporels. Mais Augustin, même s’il se savait digne de perdre les yeux extérieurs à cause du péché, puisque tout pécheur est digne non seulement de la mort éternelle mais aussi de la mort temporelle, ne voulait cependant pas perdre la vue.

[17504] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de dolore qui est in ratione ; tertia autem procedit de dolore sensitivae partis.

2-3. Ce raisonnement vient de la douleur qui se trouve dans la raison. Le troisième vient de la douleur de la partie sensible.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17505] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de contritione dupliciter possumus loqui. Uno modo secundum quod singillatim singulis peccatis respondet : et sic quantum ad dolorem superioris affectus requiritur quod de majori peccato quis doleat magis ; quia ratio doloris est major in uno quam in alio, scilicet offensa Dei ; ex magis enim inordinato actu Deus magis offenditur. Similiter etiam cum majori culpae major poena debeatur, etiam dolor sensitivae partis, secundum quod pro peccato ex electione assumitur quasi poena peccati, debet esse major de majori peccato : secundum autem quod ex impressione superioris appetitus innascitur, in inferiori attenditur quantitas doloris secundum dispositionem partis ad recipiendam impressionem a superiori, et non secundum quantitatem peccati. Alio modo potest accipi contritio secundum quod est simul de omnibus, sicut in actu justificationis ; et haec quidem contritio vel ex singulorum consideratione peccatorum procedit ; et sic quamvis sit actus unus, tamen distinctio peccatorum manet virtute in ipso ; vel ad minus habet propositum de singulis cogitandi annexum ; et sic etiam habitualiter est magis de uno quam de alio.

Nous pouvons parler de la contrition de deux manières. D’une manière, selonn qu’elle correspond à chaque péché pris un à un. Ainsi, pour ce qui est de la douleur de l’appétit supérieur, il est nécessaire que l’on déplore davantage un péché plus grand, car la raison de la douleur, l’offense à Dieu, est plus grande pour l’un que pour l’autre : en effet, Dieu est davantage offensé par un acte plus désordonné. De même aussi, puisqu’une peine plus grande est due pour une faute plus grande, même la douleur de la partie sensible, selon qu’elle est assumée par choix pour le péché comme peine pour le péché, doit être plus grande pour un péché plus grand. Mais, selon qu’elle provient d’une impression de l’appétit supérieur, la quantité de la douleur dans l’appétit inférieur est envisagée selon la disposition de la partie à recevoir l’impression de la partie supérieure, et non selon la quantité du péché. D’une autre manière, la contrition peut être envisagée selon qu’elle porte simultanément sur tous les péchés, comme dans l’acte de la justification. Cette contrition vient soit de la considération de chaque péché : bien qu’elle soit ainsi un seul acte, la distinction entre les péchés demeure cependant virtuellement en elle ; soit lui est au moins associé le propos de penser à chacun : elle porte ainsi de manière habituelle plutôt sur l’un que sur l’autre.

[17506] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Paula non laudatur de hoc quod de omnibus peccatis doleret aequaliter ; sed quia de parvis peccatis tantum dolebat ac si essent magna, per comparationem ad alios qui de peccatis dolent ; sed ipsa multo amplius de majoribus doluisset.

1. Paula n’est pas louangée parce qu’elle déplorait également tous ses péchés, mais parce qu’elle pleurait ses petits péchés comme s’ils en étaient des grands, par comparaison avec les autres qui pleuraient leurs péchés. Mais elle aurait bien davantage pleuré de plus grands péchés.

[17507] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illo contritionis motu subitaneo, quamvis non actualiter distinctio intentionis respondens diversis peccatis inveniri possit, tamen invenitur ibi eo modo, ut dictum est, et etiam alio modo, secundum quod singula peccata ordinem habent ad illud de quo in illa contritione generali contrito dolendum occurrit, scilicet offensa Dei. Qui enim aliquod totum appetit vel diligit, etiam diligit partes ejus, quamvis non actu : et hoc modo, secundum quod habent ordinem ad totum, quasdam plus, quasdam minus ; sicut qui aliquam communitatem diligit, virtute singulos diligit plus et minus secundum eorum ordinem in bono communi ; et similiter qui dolet de hoc quod Deum offendat de diversis, implicite dolet diversimode secundum quod plus vel minus per ea Deum offendit.

2. Dans ce mouvement subit de contrition, bien qu’on ne puisse trouver de distinction actuelle de l’intention correspondant aux divers péchés, on la trouve cependant de la manière qui a été dite et aussi d’une autre manière : selon que chaque péché a un ordre par rapport à ce qu’on en vient à déplorer dans cette contrition générale, à savoir, l’offense à Dieu. En effet, celui qui désire ou aime un tout aime aussi ses parties, bien que ce ne soit pas en acte. De cette manière, selon qu’elles ont un ordre au tout, certaines davantage, certaines moins, comme celui qui aime une communauté aime virtuellement plus ou moins chacun [de ses membres] selon leur ordre au bien commun ; de même, celui qui déplore d’offenser Dieu par diverses choses, déplore implicitement de manière différente d’offenser Dieu plus ou moins par elles.

[17508] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis quodlibet peccatum mortale a Deo avertat, et gratiam tollat ; tamen quoddam plus elongat quam aliud, inquantum habet majorem dissonantiam ex sua inordinatione ad ordinem divinae bonitatis quam aliud.

3. Bien que tout péché mortel détourne de Dieu et enlève la grâce, l’un en éloigne plus qu’un autre, pour autant qu’il détonne davantage qu’un autre par son désordre par rapport à la bonté divine.

 

 

Articulus 4 [17509] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 tit. Utrum tota haec vita sit contritionis tempus

Article 4 – Toute la vie présente est-elle un temps de contrition ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Toute la vie présente est-elle un temps de contrition]

[17510] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non tota haec vita sit contritionis tempus. Sicut enim de peccato commisso debet esse dolor ita et pudor. Sed non per totam vitam durat pudor de peccato, et, sicut dicit Ambrosius, nihil habet quod erubescat cui peccatum dimissum est. Ergo videtur quod nec contritio, quae est dolor de peccato.

1. Il semble que toute la vie présente ne soit pas un temps de contrition. En effet, de même qu’il faut avoir de la douleur pour le péché commis, de même aussi de la honte. Or, la honte pour le péché ne dure pas toute la vie et, comme le dit Ambroise, « il n’a à rougir de rien celui à qui le péché a été remis ». Il semble donc que la contrition non plus, qui est une douleur pour le péché.

[17511] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, 1 Joan. 4, 18, dicitur, quod perfecta caritas foras mittit timorem, quia timor poenam habet. Sed dolor etiam poenam habet. Ergo in statu perfectae caritatis non potest dolor contritionis manere.

2. Il est dit en 1 Jn 4, 18 : La charité parfaite chasse la crainte, car la crainte comporte une peine. Or, la douleur comporte aussi une peine. Dans l’état de charité parfaite, la douleur de la contrition ne peut donc pas demeurer.

[17512] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, de praeterito non potest esse dolor qui proprie est de malo praesenti, nisi secundum quod aliquid de praeterito in praesenti manet. Sed quandoque pervenitur ad aliquem statum in hac vita in quo nihil de praeterito peccato manet, neque dispositio, neque culpa, neque reatus aliquis. Ergo non oportet ulterius de illo peccato dolere.

3. On ne peut avoir de douleur pour le passé (celle-ci porte à proprement parler sur le mal présent), si ce n’est que quelque chose du passé demeure dans le présent. Or, on parvient parfois à un état dans cette vie où rien ne demeure du péché passé, ni une disposition, ni une faute, ni une dette. Il n’est donc pas nécessaire que déplorer plus longtemps ce péché.

[17513] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, Rom. 8, 28 dicitur, quod diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, etiam peccata, ut dicit Glossa ibidem. Ergo non oportet post remissionem peccati quod de peccato doleat.

4. Il est dit dans Rm 8, 28 : Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, même les péchés, comme le dit la Glose au même endroit. Il n’est donc pas nécessaire de déplorer un péché après la rémission du péché.

[17514] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 5 Praeterea, contritio est pars poenitentiae contra satisfactionem divisa. Sed non oportet semper satisfacere. Ergo nec oportet semper conteri de peccato.

5. La contrition est une partie de la pénitence distincte de la satisfaction. Or, il n’est pas nécessaire de toujours satisfaire. Il n’est donc pas nécessaire d’être toujours contrit pour un péché.

[17515] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de vera et falsa Poenit. : ubi dolor finitur, deficit poenitentia ; ubi deficit poenitentia, nihil relinquitur de venia. Ergo videtur, cum oporteat veniam concessam non perdere, quod oporteat semper dolere de peccato.

Cependant, [1] Augustin dit, dans le livre Sur la vraie et la fausse pénitence : « Là où la douleur prend fin, la pénitence fait défaut ; là où la pénitence fait défaut, il ne reste rien du pardon. » Il semble donc qu’il faille toujours déplorer un péché, puisqu’il est nécessaire de ne pas perdre le pardon accordé.

[17516] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Eccli. 5, 5, dicitur : de propitiatu peccatorum noli esse sine metu. Ergo semper debet homo dolere ad peccatorum propitiationem habendam.

[2] Il est dit en Si 5, 5 : Ne sois pas sans crainte au sujet du pardon des péchés. L’homme doit donc toujours déplorer de manière à obtenir le pardon de ses péchés.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Convient-il de déplorer continuellement un péché ?]

[17517] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non expediat continue de peccato dolere. Expedit enim quandoque gaudere, ut patet Philip. 4, super illud : gaudete in domino semper ; ubi dicit Glossa, quod necessarium est gaudere. Sed non est possibile simul gaudere et dolere. Ergo non expedit continue de peccato dolere.

1. Il semble qu’il ne convienne pas de déplorer continuellement un péché. En effet, il convient parfois de se réjouir, comme cela ressort de Ph 4 : Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, à propos de quoi la Glose dit qu’il est nécessaire de se réjouir. Or, il n’est pas possible de se réjouir et de pleurer en même temps. Il ne convient donc pas de pleurer continuellement un péché.

[17518] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est de se malum et fugiendum, non est assumendum, nisi quatenus est necessarium ut medicina ad aliquid, sicut patet de ustione et sectione vulneris. Sed tristitia de se mala est ; unde dicitur Eccli. 30, 24 : tristitiam longe expelle a te ; et subditur causa : multos enim occidit tristitia, et non est utilitas in illa. Hoc etiam philosophus dicit expresse in 7 et 10 Ethic. Ergo non debet amplius dolere de peccato, nisi quatenus sufficit ad peccatum delendum. Sed statim post primam tristitiam contritionis peccatum deletum est. Ergo non expedit ulterius dolere.

2. Ce qui est en soi mauvais et doit être fui ne doit pas être pris, sauf si cela est nécessaire comme remède à quelque chose, comme cela est clair pour la cautérisation et l’amputation d’une blessure. Or, la tristesse est en soi mauvaise. Aussi est-il dit en Si 30, 24 : Chasse la tristesse loin de toi ; et la raison en est donnée plus loin : La tristesse en tue un grand nombre et elle n’a aucune utilité. Le Philosophe aussi dit cela explicitement dans Éthique, VII et X. On ne doit donc pas déplorer un péché plus que ce qui est suffisant pour détruire le péché. Or, le péché a été détruit aussitôt après la première tristesse. Il ne convient donc pas de déplorer plus longtemps.

[17519] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Bernardus Serm. 11 dicit : dolor pro peccatis necessarius est, etsi non sit continuus ; mel enim absynthio admiscendum est. Ergo videtur quod non expedit continue dolere.

3. Dans son sermon 11, Bernard dit : « La douleur pour le péché est nécessaire, même si elle n’est pas continue : en effet, on doit mêler du miel à l’absinthe. » Il semble donc qu’il ne convienne pas d’être continuellement affligé.

[17520] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit : semper doleat poenitens, et de dolore gaudeat.

Cependant, [1] Augustin dit : « Que le pénitent se repente sans cesse, et qu’il se réjouisse de sa douleur. »

[17521] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, actus in quibus consistit beatitudo, expedit semper continuare, quantum possibile est. Sed hujusmodi est dolor de peccato, quod patet Matth. 5, 5 : beati qui lugent. Ergo expedit dolorem continuare quantum est possibile.

[2] Il importe de toujours poursuivre les actes dans lequels consiste la béatitude, autant que cela est possible. Or, la douleur pour le péché est de cette sorte, ce qui ressort de Mt 5, 5 : Bienheureux ceux qui pleurent ! Il convient donc de continuer la douleur aussi longtemps que possible.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les âmes sont-elles contrites pour leurs péchés même après cette vie ?]

[17522] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam post hanc vitam animae de peccatis conterantur. Amor enim caritatis displicentiam de peccato causat. Sed post hanc vitam manet in aliquibus caritas et quantum ad actum, et quantum ad habitum ; quia caritas nunquam excidit, ut patet 1 Corinth., 13. Ergo manet displicentia de peccato commisso, quae essentialiter est contritio.

1. Il semble que, même après cette vie, les âmes doivent être contrites pour leurs péchés. En effet, l’amour de charité cause un dégoût du péché. Or, après cette vie, la charité demeure chez certains en acte comme en habitus, car la charité ne cesse jamais, comme cela ressort de 1 Co 13. Le dégoût du péché commis, qui est essentiellement la contrition, demeure donc.

[17523] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, magis dolendum est de culpa quam de poena. Sed animae in Purgatorio dolent de poena sensibili, et de dilatione gloriae. Ergo multo magis dolent de culpa ab eis commissa.

2. Il faut déplorer la faute davantage que la peine. Or, les âmes au purgatoire déplorent la peine sensible et le retard de la gloire. Elles déplorent donc davantage la faute commise par elles.

[17524] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, poena Purgatorii est satisfactoria de peccato. Sed satisfactio habet efficaciam ex vi contritionis. Ergo contritio manet post hanc vitam.

3. La peine du purgatoire est satisfactoire pour le péché. Or, la satisfaction tire son efficacité de la puissance de la contrition. La contrition demeure donc après cette vie.

[17525] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, contritio est pars poenitentiae sacramenti. Sed sacramenta non manent post hanc vitam. Ergo nec contritio.

Cependant, [1] la contrition est une partie du sacrement de pénitence. Or, les sacrements ne demeurent pas après cette vie. Donc, ni la contrition.

[17526] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, contritio potest esse tanta quod deleat et culpam et poenam. Si ergo animae in Purgatorio conteri possent, posset vi contritionis eorum reatus poenae eis dimitti, et omnino a poena sensibili liberari ; quod falsum est.

[2] La contrition peut être si grande qu’elle détruise la faute et la peine. Si donc les âmes au purgatoire pouvaient être contrites, la culpabilité de la peine pourrait donc leur être remise par la force de la contrition et elles pourraient être entièrement libérées de la peine sensible, ce qui est faux.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17527] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in contritione, ut dictum est, est duplex dolor. Unus rationis, qui est detestatio peccati a se commissi ; alius sensitivae partis, qui ex isto consequitur ; et quantum ad utrumque, contritionis tempus est totus praesentis vitae status. Quamdiu enim aliquis est in statu viae, detestatur incommoda quibus a perventione ad terminum viae impeditur vel retardatur. Unde, cum per peccatum praeteritum viae nostrae cursus in Deum retardetur, quia tempus illud quod erat deputatum ad currendum, recuperari non potest, ut supra dictum est ; oportet quod semper in vitae hujus tempore status contritionis maneat quantum ad peccati detestationem ; similiter etiam quantum ad sensibilem dolorem, qui ut poena a voluntate assumitur ; quia enim homo peccando poenam aeternam meruit, et contra aeternum Deum peccavit, debet, poena aeterna in temporalem mutata, saltem dolor in aeterno hominis, idest in statu hujus vitae remanere ; et propter hoc dicit Hugo de sancto Victore, quod Deus absolvens hominem a culpa et poena aeterna, ligat eum vinculo perpetuae detestationis peccati.

Comme on l’a dit, il existe une double douleur dans la contrition. L’une est celle de la raison, qui est la détestation du péché commis par soi ; l’autre est celle de la partie sensible, qui en découle. Dans les deux cas, le temps de la contrition est l’ensemble de l’état de la vie présente. En effet, aussi longtemps qu’on est dans l’état de cheminement, on déteste les contrariétés par lesquelles on est empêché ou retardé de parvenir au terme de la route. Puisque que le cours de notre cheminement vers Dieu a été retardé par le péché passé, car le temps qui était accordé pour courir ne peut être récupéré, comme on l’a dit plus haut, il est donc nécessaire que demeure toujours, pendant le temps de cette vie, l’état de contrition pour ce qui est de la détestation du péché. De même aussi, pour ce qui est de la douleur sensible, qui est assumée par la volonté à titre de peine, parce que, en péchant, l’homme qui a mérité une peine éternelle et a péché contre le Dieu éternel, une fois la peine éternelle commuée en peine temporelle, la douleur doit au moins demeurer pendant l’éternité de l’homme, c’est-à-dire dans l’état de la vie présente. Pour cette raison, Hugues de Saint-Victor dit que « Dieu, en absolvant l’homme de la faute et de la peine éternelle, le lie par le lien d’une perpétuelle détestation du péché ».

[17528] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod erubescentia respicit peccatum solum inquantum habet turpitudinem ; et ideo postquam peccatum quantum ad culpam remissum est, non manet pudori locus ; manet autem dolori, qui non solum de culpa est, inquantum habet turpitudinem, sed etiam inquantum habet nocumentum annexum.

1. La honte concerne le péché seulement dans la mesure où il comporte un caractère honteux. C’est pourquoi, après que le péché a été remis pour ce qui est de la faute, la honte n’a plus sa place. Mais il demeure une place pour la douleur, qui porte non seulement sur la faute en tant qu’elle comporte une honte, mais aussi en tant qu’un préjudice y est associé.

[17529] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor servilis quem caritas foras mittit, oppositionem habet ad caritatem ratione suae servitutis, qua poenam respicit ; sed dolor contritionis ex caritate causatur, ut dictum est ; et ideo non est simile.

2. La crainte servile que chasse la charité s’oppose à la charité en raison de son caractère servile, par lequel elle concerne une peine ; mais la douleur de la contrition est causée par la charité, comme on l’a dit. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose.

 [17530] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis per poenitentiam peccator redeat ad gratiam pristinam et immunitatem a reatu poenae, nunquam tamen redit ad pristinam dignitatem innocentiae ; et ideo semper ex peccato praeterito aliquid in ipso manet.

3. Bien que, par la pénitence, le pécheur revienne à la grâce et à l’immunité par rapport à la culpabilité de la peine, il ne revient cependant jamais à la dignité première de l’innocence. C’est pourquoi demeure toujours en lui quelque chose qui vient du péché passé.

[17531] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut homo non debet facere mala ut veniant bona ; ita non debet gaudere de malis : quia ex eis proveniunt occasionaliter bona, divina providentia agente ; quia illorum bonorum peccata causa non fuerunt, sed magis impedimenta ; sed divina providentia ea causavit ; et de ea debet homo gaudere, de peccatis autem dolere.

4. De même que l’on ne doive pas faire le mal pour qu’en sorte le bien, de même ne doit-on pas se réjouir du mal parce que, à l’occasion, des biens en proviennent par l’action de la providence divine, car les péchés n’ont pas été la cause de ces biens, mais plutôt des empêchements. Mais la divine providence a causé [ces biens]. De cela, on doit se réjouir, mais pleurer sur ses péchés.

[17532] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod satisfactio attenditur secundum poenam taxatam, quae pro peccatis injungi debet ; et ideo potest terminari, ut non oporteat ulterius satisfacere ; haec enim poena praecipue proportionatur culpae ex parte conversionis, ex qua finitatem habet. Sed dolor contritionis respondet culpae ex parte aversionis, ex qua habet quamdam infinitatem ; et ita vera contritio debet semper permanere. Nec est inconveniens, si remoto posteriori, maneat prius.

5. La satisfaction est envisagée selon une peine établie qui doit être imposée pour les péchés. C’est pourquoi on peut y mettre un terme, de sorte qu’il ne soit pas nécessaire de satisfaire plus longtemps. En effet, cette peine est principalement proportionnée à la faute du point de vue de la conversion, d’où elle tire son caractère fini. Mais la douleur de la contrition correspond à la faute du point de vue de l’aversion, d’où elle tire une certaine infinité. Ainsi, la véritable contrition doit toujours demeurer. Et cela n’est pas inapproprié qu’une fois enlevé ce qui vient après, demeure ce qui vient avant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17533] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod haec est conditio in actibus virtutum inventa, quod non potest in eis accipi superfluum et diminutum, ut in 2 Ethic. probatur. Unde, cum contritio quantum ad id quod est displicentia quaedam in appetitu rationis, sit actus poenitentiae virtutis, nunquam ibi potest esse superfluum, sicut nec quantum ad intentionem, ita nec quantum ad durationem, nisi secundum quod actus unius virtutis impedit actum alterius virtutis magis necessarium pro tempore illo. Unde quanto magis homo continue in actu hujus displicentiae esse potest, tanto melius est, dummodo actibus aliarum virtutum vacet suo tempore, secundum quod oportet. Sed passiones possunt habere superfluum et diminutum et quantum ad intensionem et quantum ad durationem ; et ideo, sicut passio doloris quam voluntas assumit, debet esse moderate intensa, ita debet moderate durare ; ne, si nimis duret, homo in desperationem et pusillanimitatem, hujusmodi vitio, labatur.

La condition des actes vertueux est qu’on ne puisse y trouver d’excès ni de manque, comme cela est démontré dans Éthique, II. Puisque la contrition, en tant qu’elle est un dégoût existant dans l’appétit de la raison, est un acte de la vertu de pénitence, il ne peut donc jamais y avoir d’excès, ni quant à l’intensité ni quant à la durée, sauf lorsque l’acte d’une vertu empêche l’acte d’une autre plus nécessaire à ce moment-là. Aussi il est donc mieux que l’homme ait continuellement cet acte de dégoût, pourvu qu’il s’adonne aux actes des autres vertus en leur temps, selon qu’il le faut. Mais les passions peuvent être excessives ou insuffisantes tant par leur intensité que par leur durée. Puisque la passion de la douleur qu’assume la volonté doit être d’une intensité mesurée, elle doit donc aussi être d’une durée mesurée, de crainte que, si elle dure trop, l’homme ne tombe dans le désespoir et la pusillanimité par un vice de ce genre.

[17534] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gaudium saeculi impeditur per dolorem contritionis, non autem gaudium quod de Deo est, quia habet ipsum dolorem pro materia.

1. La joie du siècle est empêchée par la douleur de la contrition, mais non la joie qui vient de Dieu, car elle a comme matière la douleur elle-même.

[17535] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Ecclesiasticus loquitur de tristitia saeculi, et philosophus loquitur de tristitia quae est passio, qua moderate utendum est, secundum quod expedit, ad finem ad quem assumitur.

2. L’Ecclésiastique parle de la tristesse du siècle et le Philosophe parle de la tristesse qui est une passion, dont il faut faire un usage modéré, selon qu’il convient, en vue de la fin pour laquelle elle est assumée.

[17536] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Bernardus loquitur de dolore qui est passio.

3. Bernard parle de la douleur qui est une passion.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17537] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in contritione tria consideranda sunt. Primum est contritionis genus, quod est dolor. Secundum est contritionis forma, quia est actus virtutis gratia informatus. Tertium est contritionis efficacia, quia est meritorius, et sacramentalis, et quodammodo satisfactorius. Animae ergo post hanc vitam, quae in patria sunt, contritionem habere non possunt, quia carent dolore propter gaudii plenitudinem. Illae vero quae sunt in Inferno, carent contritione ; quia si dolorem habeant, deficit tamen eis gratia dolorem informans. Sed illi qui in Purgatorio sunt, habent dolorem de peccatis gratia informatum, sed non meritorium, quia non sunt in statu merendi. In hac autem vita omnia tria praedicta inveniri possunt.

Dans la contrition, il faut considérer trois choses. La première est le genre de la contrition, qui est une douleur. La deuxième est la forme de la contrition, car elle est un acte de vertu ayant reçu sa forme de la grâce. La troisième est l’efficacité de la contrition, car elle est méritoire, sacramentelle et, d’une certaine manière, satisfactoire. Donc, après cette vie, les âmes qui sont dans la patrie ne peuvent pas avoir de contrition, car la douleur leur fait défaut en raison de la plénitude de la joie. Mais la contrition fait défaut à celles qui sont en enfer, car si elles ont la douleur, il leur manque cependant la grâce qui donne forme à la douleur. Mais ceux qui sont au purgatoire éprouvent une douleur pour leurs péchés formée par la grâce, mais qui n’est pas méritoire, parce qu’ils ne sont pas en état de mériter. Mais, dans la vie présente, les trois choses mentionnées peuvent se trouver.

[17538] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas non causat istum dolorem nisi in illis qui doloris capaces sunt ; sed plenitudo gaudii a beatis omnem capacitatem doloris excludit ; et ideo, quamvis caritatem habeant, tamen contritione carent.

1. La charité ne cause pas cette douleur, si ce n’est chez ceux qui sont capables de douleur. Mais la plénitude de la joie écarte des bienheureux toute capacité de douleur. C’est pourquoi, bien qu’ils aient la charité, la contrition leur fait cependant défaut.

[17539] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod animae in Purgatorio dolent de peccatis, sed ille dolor non est contritio, quia deest ei contritionis efficacia.

2. Les âmes au purgatoire déplorent leurs péchés, mais cette douleur n’est pas la contrition, car il lui manque l’efficacité de la contrition.

[17540] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena illa quam animae in Purgatorio sustinent, non potest proprie dici satisfactio, quia satisfactio opus meritorium requirit ; sed largo modo dicitur satisfactio poenae debitae solutio.

3. Cette peine que les âmes au purgatoire supportent ne peut pas être appelée satisfaction au sens propre, car la satisfaction exige un acte méritoire. Mais, au sens large, l’acquittement de la peine due est appelé satisfaction.

 

 

Articulus 5

[17541] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 tit. Utrum peccati remissio sit contritionis effectus

Article 5 – La rémission des péchés est-elle un effet de la contrition ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La rémission des péchés est-elle un effet de la contrition ?]

[17542] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod peccati remissio non sit contritionis effectus. Solus enim Deus peccata remittit. Sed contritionis nos sumus aliqualiter causa, quia actus noster est. Ergo contritio non est causa remissionis culpae.

1. Il semble que la rémission des péchés ne soit pas un effet de la contrition. En effet, seul Dieu remet les péchés. Or, nous sommes dans une certaine mesure causes de la contrition, car elle est notre acte. La contrition n’est donc pas cause de la rémission de la faute.

[17543] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, contritio est actus virtutis. Sed virtus sequitur culpae remissionem ; quia culpa et virtus non sunt simul in anima. Ergo contritio non est causa remissionis culpae.

2. La contrition est l’acte d’une vertu. Or, la vertu suit la rémission de la faute, car la faute et la vertu n’existent pas en même temps dans l’âme. La contrition n’est donc pas cause de la rémission de la faute.

[17544] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nihil impedit a perceptione Eucharistiae nisi culpa. Sed contritus ante confessionem non debet accedere ad Eucharistiam. Ergo nondum est consecutus remissionem culpae.

3. Rien n’empêche de recevoir l’eucharistie si ce n’est une faute. Or, celui qui est contrit ne doit pas s’approcher de l’eucharistie avant la confession. Il n’a donc pas encore obtenu la rémission de sa faute.

[17545] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa super illud Psalm. 50 : sacrificium Deo spiritus contribulatus : contritio cordis est sacrificium, in quo peccata solvuntur.

Cependant, [1] il est dit dans la Glose, à propos du Ps 50 : Un esprit contrit est un sacrifice pour Dieu : « La contrition du cœur est un sacrifice par lequel les péchés sont remis. »

[17546] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, virtus et vitium eisdem causis corrumpuntur et generantur, ut dicitur in 2 Ethic. Sed per inordinatum amorem cordis peccatum committitur. Ergo per dolorem ex amore caritatis ordinato causatum solvitur ; et sic peccatum contritio delet.

[2] La vertu et le vice sont corrompus et engendrés par les mêmes causes, comme on le dit dans Éthique, II. Or, le péché est commis par un amour désordonné du cœur. Le péché commis est donc remis par un [amour] ordonné par la douleur issue de l’amour de charité. Et ainsi, la contrition détruit le péché.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La contrition peut-elle enlever totalement la dette de la peine ?]

[17547] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contritio non possit totaliter tollere reatum poenae. Quia satisfactio et confessio ordinantur ad liberationem a reatu poenae. Sed nullus ita perfecte conteritur, quin oporteat eum confiteri et satisfacere. Ergo contritio nunquam est tanta quod deleat reatum totum.

1. Il semble que la contrition ne puisse enlever totalement la dette de la peine, car la satisfaction et la contrition sont ordonnées à la libération de la dette de la peine. Or, personne n’a une contrition si parfaite qu’il ne doive se confesser et satisfaire. La contrition n’est donc jamais si grande qu’elle détruise totalement la totalité de la dette.

[17548] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in poenitentia debet esse quaedam recompensatio poenae ad culpam. Sed aliqua culpa per membra corporis exercetur. Ergo cum oporteat ad debitam poenae recompensationem ut per quae peccat quis per haec torqueatur ; videtur quod nunquam possit poena talis peccati per contritionem exsolvi.

2. Dans la pénitence, il doit y avoir une certaine compensation de la faute par la peine. Or, une certaine faute est mise en œuvre par des membres du corps. Puisque, comme peine due, il est nécessaire qu’on soit tourmenté par ce qui a servi au péché, il semble donc que la peine pour un tel péché ne puisse jamais être acquittée par la contrition.

[17549] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, dolor contritionis est finitus. Sed pro aliquo peccato, scilicet mortali, debetur poena infinita. Ergo nunquam potest esse tanta contritio quod totam poenam deleat.

3. La douleur de la contrition est finie. Or, pour un péché, le péché mortel, une peine infinie est due. Il ne peut donc jamais exister une peine assez grande pour détruire toute la peine.

[17550] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod Deus plus acceptat cordis affectum quam etiam exteriorem actum. Sed per exteriores actus absolvitur homo a poena et a culpa. Ergo et similiter per cordis affectum, qui est contritio.

Cependant, [1] Dieu accepte davantage un sentiment du cœur que l’acte extérieur. Or, l’homme est acquitté de la peine et de la faute par des actes extérieurs. De la même manière il l’est donc par le sentiment du cœur qu’est la contrition.

[17551] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, exemplum hujus de latrone habetur cui dictum est : hodie mecum eris in Paradiso ; propter unicum poenitentiae actum. Utrum autem totus reatus per contritionem semper tollatur, supra, dist. 14, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 2, quaesitum est, ubi de poenitentia hoc ipsum quaerebatur.

[2] On voit un exemple de cela chez le larron à qui il a été dit : Aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis, en raison d’un unique acte de pénitence. Que la totalité de la dette soit toujours enlevée par la contrition, cela a été examiné plus haut, d, 14, q. 2, a. 1, qa 2, où l’on posait précisément cette question.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une petite contrition suffit-elle à la destruction de grands péchés ?]

[17552] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contritio parva non sufficiat ad deletionem magnorum peccatorum. Quia contritio est medicina peccati. Sed corporalis medicina quae sanat morbum corporalem minorem, non sufficit ad sanandum majorem. Ergo minima contritio non sufficit ad delendum maxima peccata.

1. Il semble qu’une petite contrition suffise à la destruction de grands péchés, car la contrition est un remède pour le péché. Or, le remède corporel qui guérit une petite maladie corporelle ne suffit pas pour en guérir une grande. La plus petite contrition ne suffit donc pas pour détruire les plus grands péchés.

[17553] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, supra dictum est, quod oportet de majoribus peccatis magis conteri. Sed contritio non delet peccatum, nisi sit secundum quod oportet. Ergo minima contritio non delet omnia peccata.

2. On a dit plus haut qu’il est nécessaire d’être davantage contrit pour de plus grands péchés. Or, la contrition ne détruit le péché que si elle est appropriée. La plus petite contrition ne détruit donc pas tous les péchés.

[17554] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quaelibet gratia gratum faciens delet omnem culpam mortalem, quia simul cum ea stare non potest. Sed quaelibet contritio est gratia gratum faciente informata. Ergo quantumcumque sit parva, delet omnem culpam.

Cependant, toute grâce sanctifiante [gratia gratum faciens] détruit toute faute mortelle, car elle ne peut exister en même temps qu’elle. Or, toute contrition a reçu la forme de la grâce sanctifiante. Aussi petite soit-elle, elle détruit donc toute faute.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17555] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod contritio potest dupliciter considerari ; vel inquantum est pars sacramenti, vel inquantum est actus virtutis ; et utroque modo est causa remissionis peccati, sed diversimode : quia inquantum est pars sacramenti, primo operatur ad remissionem peccati instrumentaliter, sicut et de aliis sacramentis, in 1 dist., quaest. 1, art. 4 quaestiunc. 1, patuit : inquantum autem est actus virtutis, sic est quasi causa materialis remissionis peccati, eo quod dispositio est quasi necessitas ad justificationem, ut supra dictum est. Dispositio autem reducitur ad causam materialem, si accipiatur dispositio quae disponit materiam ad recipiendum ; secus autem est de dispositione agentis ad agendum, quia illa reducitur ad genus causae efficientis.

La contrition peut être envisagée de deux manières : comme partie du sacrement ou comme acte d’une vertu. Dans les deux cas, elle est la cause de la rémission du péché, mais différemment, car, en tant qu’elle est partie d’un sacrement, elle agit d’abord pour la rémission du péché à titre instrumental, comme cela est ressorti pour les autres sacrements dans la d. 1, q. 1, a.4, qa 1. Mais en tant qu’acte d’une vertu, elle est comme la cause matérielle de la rémission du péché, du fait qu’une disposition est nécessaire pour la justification, comme on l’a dit plus haut. Or, la disposition se ramène à la cause matérielle, si on entend la disposition qui dispose la matière à recevoir. Mais il en va autrement de la disposition de l’agent à agir, car celle-ci se ramène au genre de la cause efficiente.

[17556] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod solus Deus est causa efficiens principalis remissionis peccati ; sed causa dispositiva potest etiam esse ex nobis ; et similiter causa sacramentalis : quia formae sacramentorum sunt verba a nobis prolata, quae habent virtutem instrumentalem gratiam inducendi, qua peccata remittuntur.

1. Seul Dieu est la cause efficiente principale de la rémission du péché. Mais la cause qui dispose peut venir aussi de nous. De même en est-il de la cause sacramentelle, car les formes des sacrements sont des paroles prononcées par nous, qui ont la puissance instrumentale de causer la grâce par laquelle les péchés sont remis.

[17557] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccati remissio uno modo praecedit virtutem et gratiae infusionem, et alio modo sequitur : et secundum hoc quod sequitur, actus a virtute elicitus potest esse causa aliqua remissionis culpae.

2. La rémission du péché précède d’une manière la vertu et l’infusion de la grâce, et elle la suit d’une autre manière. Selon qu’elle les suit, l’acte issu de la vertu peut être une cause de la rémission de la faute.

[17558] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dispensatio Eucharistiae pertinet ad ministros Ecclesiae ; et ideo ante remissionem peccati per ministros Ecclesiae non debet aliquis ad Eucharistiam accedere, quamvis sit sibi culpa quo ad Deum remissa.

3. La dispensation de l’eucharistie appartient aux ministres de l’Église. C’est pourquoi, avant la rémission du péché par les ministres de l’Église, quelqu’un ne doit pas s’approcher de l’eucharistie, bien que la faute lui ait été remise par Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17559] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod intensio contritionis potest attendi dupliciter. Uno modo ex parte caritatis, quae displicentiam causat ; et sic contingit tantum intendi caritatem in actu, quod contritio inde sequens merebitur non solum culpae amotionem, sed etiam absolutionem ab omni poena. Alio modo ex parte doloris sensibilis quem voluntas in contritione excitat ; et quia illa poena etiam quaedam est, tantum potest intendi, quod sufficiat ad deletionem poenae et culpae.

L’intensité de la contrition peut être envisagée de deux manières. D’une manière, du point de vue de la charité qui cause un dégoût [du péché] ; il arrive ainsi que la charité soit si intense en acte, que la contrition qui en découle méritera non seulement l’enlèvement de la faute, mais aussi l’absolution de toute peine. D’une autre manière, du point de vue de la douleur sensible que la volonté stimule par la contrition, parce que cette peine en est une, elle peut avoir une intensité suffisante pour détruire la peine et la faute.

[17560] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquis non potest esse certus quod contritio sua sit sufficiens ad deletionem poenae et culpae ; et ideo tenetur confiteri et satisfacere ; maxime cum contritio vera non fuerit, nisi propositum confitendi habuisset annexum ; quod debet ad effectum deduci etiam propter praeceptum quod est de confessione datum.

1. On ne peut être certain que sa contrition est suffisante pour détruire la peine et la faute. C’est pourquoi on est tenu de se confesser et de satisfaire, surtout que la contrition n’aura été vraie que si le propos de se confesser lui était associé, ce qu’il faut mettre en acte en raison du précepte donné à propos de la confession.

[17561] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut gaudium interius redundat etiam ad exteriores corporis partes, ita etiam et dolor interior ad exteriora membra derivatur ; unde dicitur Prov. 17, 22 : spiritus tristis exsiccat ossa.

2. De même que la joie intérieure rejaillit sur les parties extérieures du corps, de même aussi la douleur intérieure est-elle s’écoule-t-elle dans les membres extérieurs. Aussi Pr 17, 22 dit-il : Un esprit triste dessèche les os.

[17562] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dolor contritionis, quamvis sit finitus quantum ad intensionem, sicut etiam et poena peccato mortali debita finita est ; habet tamen infinitam virtutem ex caritate qua informatur ; et secundum hoc potest valere ad deletionem culpae et poenae.

3. La douleur de la contrition, bien qu’elle soit finie en intensité, comme la peine due pour le péché mortel est aussi finie, possède cependant une puissance infinie en vertu de la charité par laquelle elle reçoit sa forme. De cette manière, elle peut avoir la capacité de détruire la faute et la peine.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17563] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod contritio, ut saepe dictum est, habet duplicem dolorem. Unum rationis, qui est displicentia peccati commissi ; et hic potest esse adeo parvus quod non sufficiet ad rationem contritionis, ut si minus displiceret ei peccatum quam debeat displicere separatio a fine ; sicut etiam amor potest esse ita remissus, quod non sufficiat ad rationem caritatis. Alium dolorem habet in sensu ; et parvitas hujus non impedit rationem contritionis : quia non se habet essentialiter ad contritionem, sed quasi ex accidenti ei adjungitur ; et iterum non est in potestate nostra. Sic ergo dicendum, quod quantumcumque parvus sit dolor dummodo ad contritionis rationem sufficiat, omnem culpam delet.

La contrition, comme on l’a souvent dit, comporte une double douleur. L’une, celle de la raison, qui est un dégoût pour le péché commis : celle-ci peut être si petite qu’elle ne suffira pas à la raison de contrition, si le péché lui a moins déplu que ne devait lui déplaire la séparation de la fin, de même aussi que l’amour peut être si relâché qu’il ne suffise pas à la raison de charité. La contrition comporte une autre douleur dans les sens : la faiblesse de celle-ci n’empêche pas la raison de contrition, car elle n’est pas une partie essentielle de la contrition, mais comme un accident qui lui est ajouté ; de plus, elle n’est pas en notre pouvoir. Il faut donc dire qu’aussi petite que soit la douleur, pourvu qu’elle suffise pour la raison de contrition, elle détruit toute faute.

[17564] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod medicinae spirituales habent efficaciam infinitam ex virtute infinita quae in eis operatur ; et ideo illa medicina quae sufficit ad curationem parvi peccati, sufficit etiam ad curationem magni ; sicut patet de Baptismo, quo et magna et parva peccata solvuntur ; et similiter est de contritione, dummodo ad rationem contritionis pertingat.

1. Les remèdes spirituels ont une efficacité infinie par la puissance infinie qui agit en eux. C’est pourquoi le remède qui suffit pour guérir un petit péché suffit aussi pour en guérir un grand. Cela ressort clairement dans le baptême, par lequel les grands et les petits péchés sont remis. De même en est-il pour la contrition, pourvu qu’elle atteigne la raison de contrition.

[17565] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc sequitur ex necessitate, quod unus homo plus doleat de peccato majori quam de minori, secundum quod magis repugnat amori qui dolorem causat. Sed tamen si unus alius haberet tantum de dolore pro majori quantum ipse habet pro minori, sufficeret ad remissionem culpae.

2. Cela découle nécessairement du fait qu’on déplore davantage un péché plus grand qu’un petit, parce qu’il s’oppose davantage à l’amour qui cause la douleur. Cependant, si un autre avait une telle douleur pour un péché plus grand que celle qu’il a pour un plus petit, cela suffirait pour la rémission de la faute.

Quaestio 3

Question 3 – [La confession]

 

 

Prooemium

Prologue

[17566] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 pr. Deinde quaeritur de confessione ; et circa hoc quaeruntur quinque : 1 de necessitate confessionis ; 2 quid sit confessio ; 3 cui sit facienda ; 4 qualis esse debeat ; 5 de effectu confessionis.

On s’interroge ensuite sur la confession. À ce propos, on pose cinq questions : 1 – Sur la nécessité de la confession ; 2 – Qu’est-ce que la confession ? 3 – À qui la confession doit-elle être faite ? 4 – Quelle doit en être la qualité ? 5 – Sur l’effet de la confession.

 

 

Articulus 1 [17567] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 tit. Utrum confessio sit necessaria ad salutem

Article 1 – La confession est-elle nécessaire au salut ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La confession est-elle nécessaire au salut ?]

[17568] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod confessio non sit necessaria ad salutem. Sacramentum enim poenitentiae contra remissionem culpae ordinatum est. Sed culpa per gratiae infusionem sufficienter remittitur. Ergo ad poenitentiam de peccato agendam non est necessaria confessio.

1. Il semble que la confession ne soit pas nécessaire au salut. En effet, le sacrement de pénitence a été ordonné pour la rémission de la faute. Or, la faute est suffisamment remise par l’infusion de la grâce. La confession n’est donc pas nécessaire pour se repentir du péché.

[17569] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, aliquibus est peccatum remissum sine hoc quod confessi legantur, sicut patet de Petro, et de Magdalena, et etiam de Paulo. Sed non est minoris efficaciae gratia remittens peccatum nunc quam tunc fuit. Ergo nec nunc de necessitate salutis est quod homo confiteatur.

2. Le péché a été remis à certains sans qu’on lise qu’ils se soient confessés, comme cela est clair pour Pierre, Madeleine et aussi Paul. Or, la grâce qui remet maintenant le péché n’est pas moins efficace maintenant qu’alors. Il n’est donc pas non plus maintenant nécessaire au salut que l’on se confesse.

[17570] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, peccatum quod ex alio contractum est, ex alio debet habere medicinam. Ergo peccatum actuale, quod ex proprio motu quilibet commisit, debet ex seipso tantum habere medicinam. Sed contra tale peccatum ordinatur poenitentia. Ergo confessio non est de necessitate poenitentiae.

3. Un péché qui a été contracté d’un autre doit recevoir son remède d’un autre. Le péché actuel, que chacun a commis de sa propre initiative, doit donc recevoir un remède seulement de soi-même. Or, la pénitence est ordonnée contre un tel péché. La confession n’est donc pas nécessaire pour la pénitence.

[17571] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, confessio ad hoc desideratur in judicio, ut secundum quantitatem culpae poena infligatur. Sed homo potest sibi ipsi poenam infligere majorem quam etiam ab alio sibi infligatur. Ergo videtur quod non sit confessio de necessitate salutis.

4. La confession est souhaitée dans un procès pour que la peine soit infligée selon la quantité de la faute. Or, l’on peut s’infliger à soi-même une peine plus grande que celle infligée par un autre. Il semble donc que la confession ne soit pas nécessaire au salut.

[17572] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Boetius in Lib. de Consolat. : si medicinam expectas, oportet quod morbum detegas. Sed de necessitate salutis est quod homo de peccatis medicinam accipiat. Ergo et de necessitate salutis est quod morbum per confessionem detegat.

Cependant, [1] dans le livre Sur la consolation, Boèce dit : « Si tu espères un remède, il faut que tu dévoiles ta maladie.» Or, il est nécessaire au salut qu’on reçoive un remède pour ses péchés. Il est donc nécessaire au salut qu’on dévoile sa maladie par la confession.

[17573] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in judicio saeculari non est idem judex et reus. Sed judicium spirituale est ordinarius. Ergo peccator qui est reus, non habet esse sui ipsius judex, sed ab alio judicari ; et ita oportet quod ei confiteatur.

[2] Dans un jugement séculier, le juge n’est pas le même que le coupable. Or, dans le jugement spirituel, c’est l’ordinaire [qui est juge]. Le pécheur qui est coupable ne doit donc pas être son propre juge, mais être jugé par un autre. Il est donc nécessaire qu’il se confesse  à lui.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La confession relève-t-elle du droit naturel ?]

[17574] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit de jure naturali. Adam enim et Cain non tenebantur nisi ad praecepta legis naturae. Sed reprehenduntur de hoc quod peccatum suum non sunt confessi. Ergo confessio peccati est de lege naturali.

1. Il semble que [la confession] relève du droit naturel. En effet, Adam et Caïn n’étaient obligés qu’aux commandements de la loi naturelle. Or, on leur reproche de ne pas avoir confessé leur péché. La confession du péché relève donc de la loi naturelle.

[17575] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, praecepta illa quae manent in lege veteri et nova, sunt de jure naturali. Sed confessio fuit in lege veteri ; unde dicitur Isai. 43, 26 : narra, si quid habes, ut justificeris. Ergo est de lege naturali.

2. Les commandements qui demeurent dans la loi ancienne et dans la loi nouvelle relèvent du droit naturel. Or, la confession existait sous la loi ancienne. Ainsi est-il dit en Is 43, 26 : Raconte s’il y a quelque chose dont tu doives être justifié. [La confession] relève donc de la loi naturelle.

[17576] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Job non erat subjectus nisi legi naturali. Sed ipse peccata confitebatur, ut patet per hoc quod ipse de se dicit : si abscondi ut homo peccatum meum. Ergo est de lege naturali.

3. Job n’était soumis qu’à la loi naturelle. Or, il confessait ses péchés, comme cela ressort de ce qu’il dit lui-même : Si j’ai caché comme homme mon péché. [La confession] relève donc de la loi naturelle.

[17577] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Isidorus dicit, quod jus naturale est idem apud omnes. Sed confessio non est eodem modo apud omnes. Ergo non est de jure naturali.

Cependant, [1] Isidore dit que le droit naturel est le même pour tous. Or, la confession n’existe pas de la même manière pour tous. Elle ne relève donc pas du droit naturel.

[17578] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, confessio fit ei qui habet claves. Sed claves Ecclesiae non sunt de naturalis juris institutione. Ergo nec confessio.

[2] La confession est faite à celui qui possède les clés. Or, les clés de l’Église ne relèvent pas d’une instituion du droit naturel. Donc, la confession non plus.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tous sont-ils obligés de se confesser ?]

[17579] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnes ad confessionem teneantur. Quia, sicut dicit Hieronymus, poenitentia est secunda tabula post naufragium. Sed aliqui post Baptismum naufragium non sunt passi. Ergo eis non competit poenitentia ; et sic nec confessio, quae est poenitentiae pars.

1. Il semble que tous soient obligés de se confesser, car, comme le dit Jérôme, « la pénitence est une seconde planche après le naufrage ». Or, certains n’ont pas fait naufrage après le baptême. La confession ne leur convient donc pas, et ainsi, ni la confession, qui est une partie de la pénitence.

[17580] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, confessio facienda est judici in quolibet foro. Sed aliqui sunt qui non habent hominem judicem supra se. Ergo non tenentur ad confessionem.

2. La confession doit être faite au juge dans n’importe quel for. Or, certains n’ont pas d’homme comme juge au-dessus d’eux. Ils ne sont donc pas obligés de se confesser.

[17581] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, aliquis est qui non habet peccata, nisi venialia. Sed de illis non tenetur homo confiteri. Ergo non quilibet tenetur ad confessionem.

3. Quelqu’un n’a que des péchés véniels. Or, il n’est pas tenu de se confesser de ceux-ci. Tous ne sont donc pas obligés de se confesser.

[17582] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia confessio contra satisfactionem et contritionem dividitur. Sed omnes tenentur ad contritionem et satisfactionem. Ergo et omnes tenentur ad confessionem.

Cependant, [1] la confession est distincte de la satisfaction et de la contrition. Or, tous sont obligés à la contrition et à la satisfaction. Tous sont donc obligés de se confesser.

[17583] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, hoc patet ex decretali de poenitentiis et remissionibus, ubi dicitur quod omnis utriusque sexus, cum ad annos discretionis venerit, debet peccata confiteri.

[2] Cela ressort d’une décrétale sur les pénitences et les rémissions. Il y est dit que tous, des deux sexes, lorsqu’ils seront parvenus à l’âge de discrétion, doivent confesser leurs péchés.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Est-on obligé de se confesser immédiatement ?]

[17584] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod statim teneatur confiteri. Dicit enim Hugo de sancto Victore : si necessitas non est quae praetendatur, contemptus non excusatur. Sed quilibet tenetur vitare contemptum. Ergo quilibet tenetur statim confiteri cum potest.

1. Il semble qu’on soit obligé de se confesser immédiatement. En effet, Hugues de Saint-Victor dit : « S’il n’y a pas de nécessité de reporter, le mépris n’est pas excusé. » Or, tous sont tenus d’éviter le mépris. Tous sont donc obligés de se confesser aussitôt qu’ils le peuvent.

[17585] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, quilibet tenetur plus facere ad evadendum a morbo spirituali quam ad evadendum a morbo corporali. Sed aliquis infirmus corporaliter non sine detrimento salutis medicum requirere tardat. Ergo videtur quod non possit esse sine detrimento salutis quod aliquis sacerdoti, cujus copiam habet, de peccato confiteatur.

2. Tous sont obligés de faire davantage pour échapper à la maladie spirituelle qu’à la maladie corporelle. Or, celui qui est malade corporellement ne tarde pas à demander le médecin, sans préjudice pour sa santé. Il semble donc que ce ne puisse être sans préjudice pour son salut que quelqu’un confesse son péché à un prêtre, alors qu’il y en a beaucoup.

[17586] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod sine termino debetur, statim debetur. Sed sine termino debet homo confessionem Deo. Ergo tenetur ad statim.

3. Ce qui est dû sans délai est toujours dû. Or, l’homme doit se confesser à Dieu sans délai. Il y est donc immédiatement obligé.

[17587] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, in decretali simul datur tempus determinatum de confessione et de Eucharistiae perceptione. Sed aliquis non peccat si non percipiat Eucharistiam ante tempus a jure determinatum. Ergo non peccat, si non ante tempus illud confiteatur.

Cependant, [1] dans une décrétale, un même temps déterminé est indiqué pour la confession et la réception de l’eucharitie. Or, on ne pèche pas si on ne reçoit pas l’eucharistie avant le temps déterminé par le droit. On ne pèche donc pas si on ne se confesse pas avant ce temps.

[17588] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, quicumque omittit illud ad quod ex praecepto tenetur, peccat mortaliter. Si ergo aliquis non statim confitetur quando habet copiam sacerdotis, si ad confitendum statim tenetur, peccaret mortaliter ; et eadem ratione in alio tempore, et sic deinceps ; et ita multa mortalia peccata homo incurreret pro una poenitentiae dilatione, quod videtur inconveniens.

[2] Quiconque omet ce à quoi il est obligé par précepte pèche mortellement. Si donc on ne se confesse pas aussitôt, alors qu’il y un grand nombre de prêtres et qu’on était obligé de se confesser immédiatement, on pécherait mortellement ; et ce serait la même chose à un autre moment, et ainsi de suite. Ainsi, on encourrait plusieurs péchés mortels pour un seul retard de la pénitence, ce qui semble inapproprié.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Peut-on être dispensé de se confesser à un homme ?]

[17589] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit cum aliquo dispensari ne confiteatur homini. Praecepta enim quae sunt de jure positivo, subjacent dispensationi praelatorum Ecclesiae. Sed confessio est hujusmodi, ut ex dictis patet. Ergo potest dispensari cum aliquo ut non confiteatur.

1. Il semble qu’on puisse être dispensé de se confesser à un homme. En effet, les préceptes qui relèvent du droit positif sont soumis à la dispense des prélats de l’Église. Or, la confession est de cette sorte, comme cela ressort de ce qui a été dit. On peut donc être dispensé de se confesser.

[17590] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, illud quod ab homine institutum est, potest etiam ab homine dispensationem recipere. Sed confessio non legitur a Deo instituta, sed ab homine. Jacob. 5, 16 : confitemini alterutrum peccata vestra. Habet autem Papa potestatem dispensandi in his quae per apostolos instituta sunt, sicut patet de bigamis. Ergo etiam potest cum aliquo dispensare, ne confiteatur.

2. Ce qui a été établi par un homme peut être aussi l’objet d’une dispense par un homme. Or, on ne lit pas que la confession ait été instituée par Dieu, mais par l’homme. Jc 5, 16 : Confessez-vous les uns aux autres vos péchés. Or, le pape a le pouvoir de dispenser de ce qui a été institué par les apôtres, comme cela est clair pour les bigames. Il peut donc aussi dispenser quelqu’un de se confesser.

[17591] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, poenitentia, cujus pars est confessio, est sacramentum necessitatis, sicut et Baptismus. Cum ergo in Baptismo nullus dispensare possit, nec in confessione aliquis dispensare poterit.

Cependant, la pénitence, dont la confession est une partie, est un sacrement nécessaire, comme le baptême. Puisque personne ne peut dispenser du baptême, personne ne pourra donc non plus dispenser de la confession.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17592] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod passio Christi, sine cujus virtute nec actuale nec originale peccatum dimittitur, in nobis operatur per sacramentorum susceptionem, quae ex ipsa efficaciam habent : ideo ad culpae remissionem et actualis et originalis requiritur sacramentum Ecclesiae, vel actu susceptum, vel saltem voto, quando articulus necessitatis, non contemptus, sacramentum excludit ; et per consequens illa sacramenta quae ordinantur contra culpam cum qua salus esse non potest, sunt de necessitate salutis ; et ideo sicut Baptismus, quo deletur originale, est de necessitate salutis ; ita et poenitentiae sacramentum. Sicut autem aliquis per hoc quod Baptismum petit, se ministris Ecclesiae subjicit, ad quos pertinet dispensatio sacramenti ; ita etiam per hoc quod fatetur peccatum suum, se ministro Ecclesiae subjicit, ut per sacramentum poenitentiae ab eo dispensatum remissionem consequatur ; qui congruum remedium adhibere non potest, nisi peccatum cognoscat, quod fit per confessionem peccantis ; et ideo confessio est de necessitate salutis ejus qui in peccatum actuale mortale cecidit.

La passion du Christ, sans la vertu de laquelle ni le péché actuel ni le péché originel n’est remis, agit en nous par le réception des sacrements, qui ont une efficacité par eux-mêmes. C’est pourquoi un sacrement de l’Église est nécessaire pour la rémission de la faute du péché actuel comme du péché originel, qu’on le reçoive en acte ou, tout au moins, par le désir, lorsqu’une nécessité, et non le mépris, empêche de recevoir le sacrement. Par conséquent, les sacrements qui sont ordonnés contre la faute, avec laquelle il ne peut y avoir de salut, sont donc nécessaires au salut. C’est pourquoi, de même que le baptême, par lequel le péché originel est détruit, est nécessaire au salut, de même aussi le sacrement de pénitence. Or, de même que, lorsque quelqu’un demande le baptême, il se soumet aux ministres de l’Église, de qui relève la dispensation du sacrement, de même aussi, lorsqu’il manifeste son péché, il se soumet au ministre de l’Église, afin d’obtenir la rémission par le sacrement de pénitence dispensé par lui, qui ne peut donner le remède approprié s’il ne connaît pas le péché, ce qui se réalise par la confession du pécheur. C’est pourquoi la confession est nécessaire au salut de celui qui est tombé dans le péché mortel actuel.

[17593] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratiae infusio sufficit ad culpae remissionem : sed post culpam remissam adhuc est peccator debitor poenae temporalis. Sed ad gratiae infusionem consequendam ordinata sunt gratiae sacramenta, ante quorum susceptionem vel actu vel proposito aliquis gratiam non consequitur, sicut in Baptismo patet ; et similiter est de confessione ; et ulterius per confessionem, erubescentiam, et vim clavium, quibus se confitens subjicit, et satisfactionem injunctam quam sacerdos moderatur secundum qualitatem criminum sibi per confessionem innotescentium, poena temporalis expiatur. Sed tamen ex hoc quod operatur confessio ad poenae remissionem, non habet quod sit de necessitate salutis : quia poena ista est temporalis, ad quam post culpae remissionem aliquis ligatus remanet ; unde sine hoc quod in praesenti vita expiatur, esset via salutis ; sed habet quod sit de necessitate salutis ex hoc quod ad remissionem culpae modo praedicto operatur.

1. L’infusion de la grâce suffit pour la rémission de la faute ; mais, après la rémission de la faute, le pécheur doit encore une peine temporelle. Or, les sacrements de la grâce ont été ordonnés à l’obtention de l’infusion de la grâce ; avant de les recevoir en acte ou en désir, on n’obtient pas la grâce, comme cela ressort pour le baptême. De même en est-il pour la confession. De plus, par la confession, la honte et la puissance des clés, auxquelles celui qui se confesse se soumet, et par la satisfaction imposée, que le prêtre mesure selon la qualité des crimes qui viennent à sa connaissance par la confession, la peine temporelle est expiée. Toutefois, du fait que la confession agit en vue de la rémission de la peine, elle n’est pas pour autant nécessaire au salut, car cette peine est temporelle et l’on demeure lié par elle après la rémission de la faute ; si elle n’est pas expiée dans la vie présente, il y aurait donc une voie vers le salut. Mais elle tient d’être nécessaire au salut du fait qu’elle agit de la manière dite pour la rémission de la faute.

[17594] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etsi non legatur illorum confessio, potuit tamen fieri. Multa enim sunt facta quae non sunt scripta ; et praeterea Christus habet potestatem excellentiae in sacramentis ; unde sine his quae ad sacramentum pertinent, potest rem sacramenti conferre.

2. Même si on ne lit pas qu’ils se soient confessés, ils ont cependant pu le faire. En effet, il existe beaucoup de faits qui ne sont pas écrits. De plus, le Christ possède un pouvoir d’excellence sur les sacrements. Aussi peut-il conférer la réalité du sacrement sans ce qui se rapporte au sacrement.

[17595] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum quod ex altero contractum est, scilicet originale, potest omnino ab extrinseco remedium habere, ut in parvulis patet ; sed peccatum actuale, quod ex seipso quisque commisit, non potest expiari nisi aliquid cooperetur ille qui peccavit. Sed tamen non sufficit ad peccatum expiandum ex seipso, sicut sufficienter peccatum commisit : eo quod peccatum ex parte conversionis est finitum, ex qua parte peccator in ipsum inducitur ; sed ex parte aversionis habet infinitatem, ex qua parte oportet quod peccati remissio incipiat : quia quod est ultimum in generatione, est primum in resolutione, ut dicitur in 3 Ethic. ; et ideo oportet quod etiam peccatum actuale ex alio medicinam habeat.

3. On peut remédier entièrement de l'extérieur au péché contracté d’un autre, le péché originel, comme cela est clair pour les enfants. Mais le péché actuel que l’on a commis par soi-même ne peut être expié que si celui qui a péché coopère dans une certaine mesure. Cependant, il ne suffit pas, pour expier soi-même le péché, d’agir comme on a agi de manière suffisante en commettant le péché, du fait que le péché est fini du point de vue de la conversion, par laquelle le pécheur y est conduit ; mais, du point de vue du détournement, il a une infinité, par où il est nécessaire que la rémission du péché commence, car ce qui est dernier dans la génération est premier dans l’intention, comme il est dit dans Éthique, III. C’est pourquoi il est nécessaire que même le péché actuel reçoive d’un autre son remède.

[17596] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod satisfactio non sufficeret ad expiandum poenam peccati ex quantitate poenae quae in satisfactione imponitur : sed sufficit inquantum est pars sacramenti, virtutem sacramentalem habens ; et ideo oportet quod per dispensatores sacramentorum imponatur ; et ideo necessaria est confessio.

4. La satisfaction ne suffirait pas à expier la peine du péché par la quantité de la peine qui est imposée comme satisfaction. Mais elle suffit en tant qu’elle est une partie du sacrement, qui possède la puissance sacramentelle. C’est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit imposée par les dispensateurs des sacrements. C’est pourquoi aussi la confession est nécessaire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17597] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut in 1 dist., quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 3, in corp., dictum est, sacramenta sunt quaedam fidei protestationes ; unde oportet ea fidei esse proportionata. Fides autem est supra cognitionem rationis naturalis ; unde etiam sacramenta sunt supra rationis naturalis dictamina. Et quia jus naturale est quod non opinio genuit, sed innata quaedam vis inseruit, ut Tullius dicit ; ideo sacramenta non sunt de jure naturali, sed de jure divino, quod est supranaturale ; et quandoque etiam naturale dicitur, secundum quod cuilibet rei illud est naturale quod ei a suo creatore imponitur : tamen proprie naturalia dicuntur quae ex principiis naturae causantur ; supra naturam autem quae ipse Deus sibi reservat sine naturae ministerio operanda, sive in operationibus miraculorum, sive in revelationibus mysteriorum, sive in institutionibus sacramentorum ; et sic confessio quae sacramentalem necessitatem habet, non est de jure naturali, sed divino.

Comme on l’a dit dans la d. 1, q. 1, a. 2, qa 3, c., les sacrements sont des professions de foi ; il faut donc qu’ils soient proportionnés à la foi. Or, la foi dépasse la connaissance de la raison naturelle. Les sacrements dépassent donc aussi les injonctions de la raison naturelle. Et parce que l’opinion n’a pas engendré le droit naturel, mais qu’une certaine puissance innée l’a implanté, comme le dit Tullius [Cicéron], les sacrements ne relèvent pas du droit naturel mais du droit divin, qui est surnaturel. Parfois aussi, on appelle naturel ce qui est naturel à chaque chose et qui lui a été imposé par son créateur. Toutefois, on appelle naturel au sens propre ce qui est causé par les principes de la nature ; on dit que dépasse la nature ce que Dieu lui-même s’est réservé d’accomplir sans l’intervention de la nature, soit par des opérations miraculeuses, soit par les révélations de mystères, soit par l’institution des sacrements. Et ainsi, la confession, qui comporte une nécessité sacramentelle, ne relève pas du droit naturel, mais du droit divin.

[17598] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Adam vituperatur de hoc quod peccatum suum coram Deo non recognovit. Confessio enim quae fit Deo per recognitionem peccati, est de jure naturali. Nunc autem loquimur de confessione quae fit homini. Vel dicendum, quod confiteri peccatum in casu est de jure naturali, scilicet cum quis in judicio constitutus a judice interrogatur : tunc enim non debet mentiri peccatum excusando vel negando ; de quo Adam et Cain vituperantur ; sed confessio quae fit homini sponte ad remissionem peccatorum consequendam a Deo non est de jure naturali.

1. Adam est blâmé pour n’avoir pas reconnu son péché devant Dieu. En effet, la confession qui est faite à Dieu par la reconnaissance du péché relève du droit naturel. Mais nous parlons maintenant de la confession qui est faite à un homme. Ou bien il faut dire que la confession du péché relève du droit naturel dans un cas, à savoir, lorsque quelqu’un est interrogé par un juge lors d’un jugement. En effet, on ne doit pas alors mentir en excusant ou en niant son péché. C’est pour cela qu’Adam et Caïn sont blâmés. Mais la confession qui est faite spontanément à un homme pour obtenir de Dieu la rémission des péchés ne relève pas du droit naturel.

[17599] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praecepta legis naturae manent eodem modo in lege Moysi et in lege nova. Sed confessio quamvis aliqualiter esset in lege Moysi, non tamen eodem modo sicut in lege nova, nec sicut in lege naturae. In lege enim naturae sufficiebat interior recognitio peccati apud Deum ; sed in lege Moysi opOrtebat aliquo signo exteriori peccatum protestari, sicut per oblationem hostiae pro peccato, ex quo etiam homini innotescere poterat eum peccasse : non autem oportebat quod speciale peccatum a se commissum manifestaret, aut peccati circumstantias, sicut in nova lege oportet.

2. Les préceptes de la loi naturelle demeurent de la même manière sous la loi de Moïse et sous la loi nouvelle. Mais la confession, bien qu’elle puisse relever d’une certaine manière de la loi de Moïse, n’en relève cependant pas de la même manière [qu’elle relève] de la loi nouvelle ni de la loi naturelle. En effet, sous la loi de la nature, la reconnaissance intérieure du péché devant Dieu suffisait. Mais, sous la loi de Moïse, il était nécessaire que le péché soit confessé par un signe extérieur, comme par l’offrande d’une victime pour le péché, par quoi on pouvait aussi reconnaître qu’on avait péché. Mais il n’était pas nécessaire de mettre en lumière un péché particulier qu’on avait commis, comme cela est nécesaire sous la loi nouvelle.

[17600] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Job loquitur de illa absconsione peccati quam facit in judicio deprehensus peccatum negando aut excusando, ut ex Glossa ibidem haberi potest.

3. Job parle de celui qui, soumis à un jugement, cache un péché en niant ou en s’excusant, comme on peut le voir au même endroit dans la Glose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17601] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad confessionem dupliciter obligamur. Uno modo ex jure divino, ex hoc ipso quod est medicina ; et secundum hoc non omnes tenentur ad confessionem, sed illi tantum qui peccatum mortale incurrunt post Baptismum. Alio modo, ex praecepto juris positivi ; et sic tenentur omnes ex institutione Ecclesiae edita in Concilio generali sub Innocentio III : tum ut quilibet se peccatorem recognosceret, quia omnes peccaverunt, et egent gratia Dei : tum ut cum majori reverentia ad Eucharistiam accedat : tum ut Ecclesiarum rectoribus sui subditi innotescant, ne lupus inter gregem lateat.

Nous sommes obligés à la confession de deux manières. Premièrement, selon le droit divin, du fait qu’elle est un remède : de ce point de vue, tous ne sont pas obligés à la confession, mais seulement ceux qui encourent un péché mortel après le baptême. Deuxièmement, selon un précepte du droit positif : ainsi tous y sont obligés en vertu d’une décision de l’Église formulée par un concile général sous Innocent III, afin que tous se reconnaissent pécheurs, car tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu ; afin aussi qu’on s’approche de l’eucharistie avec une plus grande révérence, et afin que ceux qui leur sont soumis soient connus des dirigeants des églises, de sorte qu’un loup ne se cache pas dans la bergerie.

[17602] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis homo in hac vita post Baptismum naufragium evadere possit, quod est per peccatum mortale ; non tamen potest evadere venialia, quibus ad naufragium disponitur, contra quae etiam poenitentia ordinatur ; et ideo manet poenitentiae locus etiam in illis qui non mortaliter peccant, et per consequens confessionis.

1. Bien qu’on puisse échapper au naufrage, après le baptême, à la suite d’un péché mortel, on ne peut cependant échapper aux péchés véniels, par lesquels on est disposé au naufrage, et contre lesquels la pénitence est ordonné. C’est pourquoi la pénitence a encore sa place, même pour ceux qui ne pèchent pas mortellement, et par conséquent, la confession.

[17603] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullus est qui non habeat judicem Christum, cui per suum vicarium confiteri debet ; qui quamvis eo inferior sit inquantum ipse praelatus est, tamen eo est superior inquantum peccator est ipse, et ille Christi minister.

2. Il n’y a personne qui n’ait le Christ comme juge, à qui il doit se confesser par l’intermédiaire de son vicaire. Bien qu’il lui soit inférieur en tant que prélat, il lui est cependant supérieur en tant qu’il est lui-même pécheur et qu’il est le ministre du Christ.

[17604] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex vi sacramenti non tenetur aliquis venialia confiteri, sed ex institutione Ecclesiae, quando non habet alia quae confiteatur. Vel potest dici, secundum quosdam, quod ex decretali praedicta non obligantur nisi illi qui habent peccata mortalia ; quod patet ex hoc quod dicit, quod debet omnia peccata confiteri ; quod de venialibus intelligi non potest, quia nullus omnia confiteri potest ; et secundum hoc etiam ille qui non habet mortalia, non tenetur ad confessionem venialium, sed sufficit ad praeceptum Ecclesiae implendum ut se sacerdoti repraesentet, et se ostendat absque conscientia mortalis esse ; et hoc ei pro confessione reputatur.

3. On n’est pas obligé de se confesser en vertu du sacrement, mais en vertu d’une décision de l’Église, lorsqu’on n’a rien d’autre à confesser. Ou bien on peut dire, selon certains, qu’en vertu de la décrétale mentionnée, ne sont obligés que ceux qui ont des péchés mortels, ce qui ressort de ce qu’elle dit, qu’on doit confesser tous ses péchés. Cela ne peut s’entendre des péchés véniels, car personne ne peut les confesser tous. Ainsi, même celui qui n’a pas de péchés mortels, n’est pas tenu de confesser ses pchés véniels, mais il suffit qu’il se présente à un prêtre pour accomplir le précepte de l’Église et de montrer qu’il n’a pas conscience d’un péché mortel. Et cela lui est compté comme confession.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17605] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod cum propositum confitendi sit annexum contritioni, tunc tenetur aliquis ad hoc propositum, quando ad contritionem tenetur ; scilicet quando peccata memoriae occurrunt, cum praecipue in periculo mortis existit, aut in aliquo articulo, in quo sine peccati remissione peccatum oporteat eum incurrere ; sicut cum teneatur ad celebrandum, si desit copia sacerdotis, saltem conteri tenetur, et habere propositum confitendi. Sed ad confessionem actualiter faciendam obligatur aliquis dupliciter. Uno modo per accidens, scilicet quando ad aliquid tenetur quod non potest sine peccato facere nisi confessus : tunc enim confiteri tenetur, sicut si debeat Eucharistiam percipere, ad quam nullus post peccatum mortale, nisi confessus, accedere debet, copia sacerdotis oblata, et necessitate non urgente ; et inde venit obligatio qua Ecclesia omnes obligat ad semel in anno confitendum : quia instituit ut semel in anno, scilicet in Paschate, omnes sacram communionem accipiant ; et ideo ante tempus illud confiteri tenentur. Alio modo obligatur aliquis ad confessionem per se ; et sic videtur eadem ratio esse de confessione et de Baptismo differendo : quia utrumque est sacramentum necessitatis. Ad Baptismum autem percipiendum non tenetur aliquis statim postquam habet propositum Baptismi, ita quod peccet mortaliter, nisi statim baptizetur : nec est aliquod tempus determinatum, ultra quod si Baptismum differat, peccatum mortale incurrat. Sed potest contingere quod in dilatione Baptismi erit peccatum mortale vel non erit ; et hoc pensandum est ex causa dilationis : quia, sicut dicit philosophus in 8 Phys., voluntas non retardat facere opus volitum, nisi propter aliquam causam rationalem. Unde si causa dilationis Baptismi peccatum mortale annexum habeat, utpote si propter contemptum, vel aliquid hujusmodi, Baptismum differat, dilatio erit peccatum mortale ; alias non. Et ideo idem videtur esse de confessione, quae non est majoris necessitatis quam Baptismus. Et quia ea quae sunt de necessitate salutis, tenetur homo in hac vita implere ; ideo si periculum mortis immineat, etiam per se loquendo, obligatur aliquis ad confessionem faciendam tunc, vel Baptismum suscipiendum ; et propter hoc etiam Jacobus simul praeceptum edidit de confessione facienda, et extrema unctione suscipienda ; et ideo videtur probabilis eorum opinio qui dicunt, quod non tenetur homo ad statim confitendum, quamvis periculosum sit differre. Alii autem dicunt, quod tenetur contritus ad statim confitendum debita opportunitate oblata secundum rectam rationem. Nec obstat quod decretalis terminum praefigat, ut semel in anno confiteatur : quia Ecclesia non indulget dilationem, sed prohibet negligentiam in majori dilatione. Unde per decretalem illam non excusatur a culpa dilationis quantum ad forum conscientiae, sed excusatur a poena quantum ad forum Ecclesiae, ut non privetur debita sepultura, si morte praeventus fuerit ante tempus illud. Sed hoc videtur nimis durum : quia praecepta affirmativa non obligant ad statim, sed ad tempus determinatum, non quidem ex hoc quod tunc commode impleri possunt (quia sic si non daret aliquis eleemosynam de superfluo quandocumque pauper offerretur, peccaret mortaliter, quod falsum est) : sed ex hoc quod tempus necessitatem urgentem adducit : et ideo non oportet quod si statim oblata opportunitate non confiteatur, etiamsi major opportunitas non expectetur, aliquis peccet mortaliter ; sed quando ex articulo temporis necessitas confessionis inducitur. Nec hoc est ex indulgentia Ecclesiae, quod non teneatur ad statim, sed ex natura praecepti affirmativi ; unde ante Ecclesiae statutum etiam minus debebatur. Quidam vero dicunt, quod saeculares non tenentur ante quadragesimale tempus confiteri, quod est eis poenitentiae tempus ; sed religiosi tenentur ad statim, quia totum tempus est eis poenitentiae tempus. Sed hoc nihil est : quia religiosi non tenentur ad alia quam alii homines, nisi ad quae se ex voto obligaverunt.

Puisque le propos de se confesser est associé à la contrition, on est alors obligé par ce propos lorsqu’on est obligé à la contrition, à savoir, lorsque les péchés reviennent à la mémoire, surtout lorsqu’on est en danger de mort ou dans une situation où l’on encourt nécessairement un péché sans la rémission du péché, comme lorsqu’on est tenu de célébrer, s’il y a manque de prêtre, on est obligé à la contrition et à avoir le propos de se confesser. Mais on est obligé à la confession de manière actuelle de deux manières. Premièrement, par accident, lorsqu’on est obligé de faire quelque chose qu’on ne peut faire qu’après s’être confessé : en effet, on est alors obligé de se confesser, par exemple si l’on doit recevoir l’eucharistie, dont personne ne doit s’approcher qu’après s’être confessé à la suite d’un péché mortel, si on a facilement accès à un prêtre et s’il n’y a pas de nécessité urgente. De là vient l’obligation par laquelle l’Église oblige tous à se confesser une fois par année, car elle a établi qu’ils doivent recevoir l’eucharistie une fois par année, à Pâques. Ils sont donc tenus de se confesser avant ce temps. D’une autre manière, on est obligé de se confesser par soi. Il semble ainsi que la même raison vaille pour différer la confession et la baptême, car les deux sacrements sont nécessaires. Or, on n’est pas tenu de recevoir le baptême aussitôt après avoir eu le propos du baptême, de sorte qu’on pécherait mortellement si on ne recevait pas le baptême immédiatement ; il n’y a pas non plus de temps déterminé au-delà duquel, si l’on diffère le baptême, on encourt un péché mortel. Mais il peut arriver qu’en raison du retard du baptême, il y aura ou non un péché mortel : cela doit être évalué d’après la cause du retard, car, comme le dit le Philosophe dans Physique, VIII, la volonté ne retarde l’accomplissement de l’acte voulu que pour une cause raisonnable. Si à la cause du retard du baptême est associé un péché mortel, comme si l’on diffère le baptême par mépris ou par quelque chose du genre, le retard sera un péché mortel ; autrement, non. Il semble ainsi que ce soit la même chose pour la confession, qui n’est pas plus nécessaire que le baptême. Et parce qu’on est obligé d’accomplir en cette vie ce qui est nécessaire au salut, si un danger de mort est imminent, même à proprement parler, on est alors obligé de se confesser ou de recevoir le baptême. Pour cette raison aussi, Jacques a formulé le précepte de se confesser et de recevoir en même temps l’extrême onction. C’est pourquoi l’opinion de ceux qui disent qu’on n’est pas tenu de se confesser immédiatement, bien qu’il soit dangereux de le différer, semble probable. Mais d’autres disent que celui qui a la contrition est obligé de se confesser aussitôt, lorsque l’occasion se présente selon la raison droite. Et le fait qu’une décrétale fixe le terme de se confesser au cours de l’année ne s’oppose pas à cela, car l’Église n’accorde pas un retard, mais interdit la négligence d’un plus grand retard. Aussi n’est-on pas exempt de la faute d’un retard au for de la conscience, mais, au for de l’Église, on est exempt de la peine d’être privé de la sépulture appropriée, si la mort survient avant ce moment. Mais cela semble trop rigoureux, car les préceptes affirmatifs n’obligent à leur application immédiate, mais à un moment déterminé, non pas parce qu’ils peuvent alors être accomplis facilement (car si l’on ne faisait pas l’aumône de son superflu chaque fois qu’un pauvre se présente, on pécherait ainsi mortellement, ce qui est faux), mais parce que le temps entraîne une nécessité urgente. Ainsi, on ne pèche pas nécessairement mortellement si l’on ne se confesse pas dès que la possibilité en est offerte, mais lorsque la nécessité de la confession s’impose en raison du temps. Cela ne vient pas non plus de l’indulgence de l’Église qu’on n’y soit pas obligé immédiatement, mais de la nature du précepte affirmatif ; aussi, avant la décision de l’Église, le devait-on encore moins. Mais certains disent que les séculiers ne sont pas obligés de se confesser avant le carême, qui est pour eux le temps de la pénitence, mais que les religieux y sont obligés immédiatement, car tout leur temps est un temps de pénitence. Mais cela n’a pas de valeur, car les religieux ne sont pas obligés à autre chose que tous les autres hommes, sauf ce à quoi ils se sont obligés en vertu d’un vœu.

[17606] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hugo loquitur de illis qui sine sacramento decedunt.

1. Hugues parle de ceux qui meurent sans sacrement.

[17607] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est de necessitate salutis corporalis quod statim medicum quaerat, nisi quando necessitas curationis incumbit ; et similiter est de morbo spirituali.

2. Il n’est pas nécessaire pour la santé corporelle de chercher aussitôt un médecin, sauf si la nécessité de la guérison s’impose. De même en est-il pour la maladie spirituelle.

[17608] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod retentio rei alienae invito domino contrariatur praecepto negativo, quod obligat semper et ad semper ; et ideo tenetur statim ad reddendum. Secus autem est de impletione praecepti affirmativi, quod obligat semper, sed non ad semper ; unde non tenetur aliquis ad statim implendum.

3. Détenir le bien d’autrui malgré son propriétaire est contraire à un précepte négatif, qui oblige toujours et tout le temps. On est donc obligé de le rendre immédiatement. Mais il en va autrement de l’accomplissement d’un précepte affirmatif, qui oblige toujours, mais non pas en tout temps. On n’est donc pas obligé de l’accomplir immédiatement.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17609] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod ministri Ecclesiae instituuntur in Ecclesia divinitus fundata ; et ideo institutio Ecclesiae praesupponitur ad operationem ministrorum, sicut opus creationis praesupponitur ad opus naturae. Et quia Ecclesia fundatur in fide et sacramentis ; ideo ad ministros Ecclesiae nec novos articulos fidei edere, aut editos removere, aut nova sacramenta instituere, aut instituta removere, pertinet ; sed hoc est potestatis excellentiae, quae soli debetur Christo, qui est Ecclesiae fundamentum. Et ideo, sicut Papa non potest dispensare ut aliquis sine Baptismo salvetur ; ita nec quod salvetur sine confessione, secundum quod obligat ex ipsa vi sacramenti ; sed potest dispensare in confessione secundum quod obligat de praecepto Ecclesiae, ut possit aliquis diutius confessionem differre quam ab Ecclesia institutum sit.

Les ministres de l’Église ont été établis dans une Église divinement fondée. C’est pourquoi l’institution de l’Église est présupposée à l’opération des ministres, comme l’action de la création est présupposée à l’action de la nature. Et parce que l’Église est fondée sur la foi et les sacrements, il ne relève des ministres de l’Église ni de formuler de nouveaux articles de foi ou d’écarter ceux qui ont été formulés, ni d’instituer de nouveaux sacrements, ni d’écarter ceux qui ont été institués ; mais cela relève d’un pouvoir d’excellence qui n’appartient qu’au seul Christ, qui est le fondement de l’Église. Ainsi, de même que le pape ne peut dispenser que quelqu’un soit sauvé sans le baptême, de même [ne peut-il pas dispenser] qu’il soit sauvé sans la confession, selon qu’elle oblige en vertu même du sacrement ; mais il peut dispenser pour la confession selon qu’elle oblige en vertu d’un précepte de l’Église, de sorte que quelqu’un puisse différer davantage sa confession que ce qui a été établi par l’Église.

[17610] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praecepta juris divini non minus obligant quam praecepta juris naturalis ; unde sicut non potest dispensari in jure naturali, ita nec in jure positivo divino.

1. Les préceptes de droit divin n’obligent pas moins que les préceptes du droit naturel. Ainsi, de même qu’il ne peut dispenser du droit naturel, de même ne peut-il dispenser du droit divin positif.

[17611] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praeceptum de confessione non est ab homine puro institutum, quamvis sit a Jacobo promulgatum ; sed a Deo institutionem habuit, quamvis expressa institutio ipsius non legatur : tamen quaedam praefiguratio ipsius invenitur et in hoc quod Joanni confitebantur peccata, qui Baptismo ipsius ad gratiam Christi praeparabantur ; et in hoc etiam quod dominus sacerdotibus leprosos transmisit : qui quamvis non essent novi testamenti sacerdotes, tamen in eis novi testamenti sacerdotium significabatur.

2. Le précepte de la confession n’a pas été établi par un simple homme, bien qu’il ait été promulgué par Jacques, mais il a été institué par Dieu, bien qu’on ne lise pas explicitement qu’il ait été institué. On en trouve cependant une préfiguration dans le fait que ceux qui se préparaient à la grâce du Christ par son baptême confessaient leurs péchés à Jean, et dans le fait aussi que le Seigneur a envoyé des lépreux aux prêtres, qui, tout en n’étant pas des prêtres du Nouveau Testament, représentaient cependant le sacerdoce du Nouveau Testament.

 

 

Articulus 2 [17612] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 tit. Utrum Augustinus convenienter confessionem definiat

Article 2 – Augustin définit-il la confession de manière appropriée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Augustin définit-il la confession de manière appropriée ?]

[17613] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Augustinus inconvenienter confessionem definiat, dicens : confessio est per quam morbus latens spe veniae aperitur. Morbus enim contra quam confessio ordinatur peccatum est. Sed peccatum aliquando est apertum. Ergo non debuit dicere morbum latentem esse, cujus confessio est medicina.

1. Il semble qu’Augustin ne définisse pas la confession de manière appropriée lorsqu’il dit : « La confession est ce par quoi une maladie cachée est révélée avec l’espérance du pardon. » En effet, la maladie contre laquelle la confession est ordonnée est le péché. Or, le péché est parfois manifeste. Il ne devait donc pas dire que la confession est le remède pour une « maladie cachée ».

[17614] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, principium poenitentiae est timor ut in 14 dist., quaest. 1, art. 2 dictum est. Sed confessio est pars poenitentiae. Ergo non debuit pro causa confessionis ponere spem, sed magis timorem.

2. Le principe de la pénitence est la crainte, comme on l’a dit dans la d. 14, q. 1, a. 2. Or, la confession est une partie de la pénitence. On ne devait donc pas donner l’espérance comme cause de la confession, mais plutôt la crainte.

[17615] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod sub sigillo ponitur, non aperitur ; sed clauditur magis. Sed peccatum quod quis confitetur, sub sigillo confessionis ponitur. Ergo non aperitur in confessione peccatum, sed magis clauditur.

3. Ce qui est scellé n’est pas révélé, mais plutôt fermé. Or, le péché qui est confessé est placé sous le sceau de la confession. Le péché n’est donc pas révélé par la confession, mais plutôt enfermé.

[17616] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, inveniuntur quaedam aliae definitiones ab ista differentes. Gregorius enim dicit, quod confessio est peccatorum detestatio, et ruptio vulneris. Quidam vero dicunt, quod confessio est legitima coram sacerdote peccatorum declaratio. Quidam autem sic : confessio est sacramentalis delinquentis accusatio ex erubescentia, et per claves Ecclesiae satisfactoria, obligans ad peragendam poenitentiam injunctam. Ergo videtur quod praeassignata causa non omnia contineat quae in his continentur, et ita quod insufficiens sit.

4. On trouve des définitions différentes de celle-ci. En effet, Grégoire dit que la confession « est une détestation des péchés et un débridement de la blessure ». Mais certains disent que la confession « est une déclaration légitime de ses péchés à un prêtre ». Et certains disent ceci : « La confession est l’accusation sacramentelle portée avec honte par celui qui est en faute, satisfactoire en vertu des clés de l’Église, et obligeant à accomplit la pénitence imposée. » Il semble donc que la définition [corr.] donnée auparavant ne contienne pas tout et qu’elle soit donc insuffisante.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La confession est-elle un acte d’une vertu ?]

[17617] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod confessio non sit actus virtutis. Omnis enim actus virtutis est de jure naturali : quia ad virtutes apti sumus a natura, ut philosophus dicit in 2 Ethicorum. Sed confessio non est de jure naturali. Ergo non est actus virtutis.

1. Il semble que la confession ne soit pas un acte d’une vertu. En effet, tout acte de vertu relève du droit naturel, car nous sommes aptes aux vertus par nature, comme le Philosophe le dit dans Éthique, II. Or, la confession ne relève pas du droit naturel. Elle n’est donc pas un acte de vertu.

[17618] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, actus virtutis magis potest convenire innocenti quam ei qui peccavit. Sed confessio peccati de qua loquimur, non potest innocenti convenire. Ergo non est actus virtutis.

2. L’acte d’une vertu peut convenir davantage à un innocent qu’à celui qui a péché. Or, la confession du péché dont nous parlons ne peut convenir à un innocent. Elle n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[17619] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, gratia quae est in sacramentis, aliquo modo differt a gratia quae est in virtutibus et donis, ut in prima distinctione dictum est. Sed confessio est sacramenti pars. Ergo non est actus virtutis.

3. La grâce qui existe dans les sacrements diffère d’une certaine manière de la grâce qui existe dans les vertus et les dons, comme on l’a dit dans première distinction. Or, la confession est une partie d’un sacrement. Elle n’est donc pas l’acte d’une vertu.

[17620] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, non meremur nisi actibus virtutum. Sed confessio est meritoria, quia aperit caelum, ut in littera Magister dicit. Ergo videtur quod sit actus virtutis.

Cependant, nous ne méritons que par des actes vertueux. Or, la confession est méritoire, car elle ouvre le ciel, comme le dit le Maître dans le texte. Il semble donc qu’elle soit un acte vertueux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La confession est-elle un acte de la vertu de pénitence ?]

[17621] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod confessio non sit actus poenitentiae virtutis. Quia actus illius virtutis est quae est causa ejus. Sed causa confessionis est spes veniae, ut ex definitione inducta apparet. Ergo videtur quod sit actus spei, et non poenitentiae.

1. Il semble que la confession ne soit pas un acte de la vertu de pénitence, car c’est l’acte de la vertu qui en est la cause. Or, la cause de la confession est l’espérance du pardon, comme cela ressort de la définition invoquée. Il semble donc qu’elle soit un acte de l’espérance, et non de la pénitence.

[17622] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, verecundia est pars temperantiae, ut in 3 Lib., dist. 33, dictum est. Sed confessio ex erubescentia operatur, ut ex praeassignata definitione apparet. Ergo est actus temperantiae, non poenitentiae.

2. La honte est une partie de la tempérance, comme on l’a dit dans le livre III, d. 33. Or, la confession vient de la honte, comme cela ressort de la définition indiquée plus haut. Elle est donc un acte de tempérance, et non de pénitence.

 [17623] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, actus poenitentiae innititur divinae misericordiae. Sed confessio magis innititur sapientiae propter veritatem, quae in ipsa esse debet. Ergo non est actus poenitentiae.

3. L’acte de pénitence s’appuie sur la miséricorde divine. Or, la confession s’appuie plutôt sur la sagesse en raison de la vérité qui doit se trouver en elle. Il n’est donc pas un acte de la pénitence.

[17624] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, ad poenitentiam movet articulus de judicio propter timorem, qui poenitentiae origo est. Sed ad confessionem movet articulus de vita aeterna, quia est propter spem veniae. Ergo non est actus poenitentiae.

4. L’article [du symbole] sur le jugement pousse à la pénitence en raison de la crainte, qui est l’origine de la pénitence. Or, l’article sur la vie éternelle pousse à la confession, car elle se fonde sur l’espérance du pardon. Elle n’est donc pas un acte de la pénitence.

[17625] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, ad virtutem veritatis pertinet ut ostendat se quis talem qualis est. Sed hoc facit confitens. Ergo est actus virtutis quae dicitur veritas, et non poenitentiae.

5. Il relève de la vertu de véracité que l’on se montre tel qu’on est. Or, c’est ce que fait celui qui se confesse. Elle est donc un acte de la vertu appelée véracité, et non de la pénitence.

[17626] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, poenitentia ordinatur ad destructionem peccati. Sed ad hoc idem confessio ordinatur. Ergo est actus poenitentiae.

Cependant, la pénitence est ordonnée à la destruction du péché. Or, la confession est ordonnée à la même chose. Elle est donc un acte de la pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17627] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in actu confessionis plura consideranda occurrunt. Primo ipsa substantia actus, sive genus ejus, quod est manifestatio quaedam. Secundo de quo fit, scilicet peccatum. Tertio cui fiat, scilicet sacerdos. Quarto causa cujus, scilicet spes veniae. Quinto effectus ejus, scilicet absolutio a parte poenae, et obligatio ad aliam partem exsolvendam. In prima ergo definitione Augustini tangitur et substantia actus in apertione, et de quo fit confessio cum dicitur morbus latens, et causa in spe veniae ; et in aliis definitionibus tanguntur aliqua de illis quinque assignatis, ut cuilibet inspicienti patet.

Dans l’acte de la confession, il faut considérer plusieurs choses. Premièrement, la substance même de l’acte ou son genre, qui est une certaine manifestation. Deuxièmement, son objet, le péché. Troisièmement, celui à qui elle est faite, le prêtre. Quatrièmement, sa cause, l’espérance du pardon. Cinquièmement, son effet, l’absolution, du côté de la peine, et l’obligation d’acquitter l’autre partie. Dans la première définition, Augustin aborde donc la substance de l’acte lorsqu’il parle de manifestation, l’objet de la confession, lorsqu’il dit : « une maladie cachée », et sa cause, l’espérance du pardon. Dans les autres définitions, sont abordés certains éléments parmi les cinq indiqués, comme cela ressort clairement pour celui qui les examine.

[17628] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sacerdos aliquando sciat ejus peccatum ut homo, non tamen scit ut Christi vicarius ; sicut etiam judex aliquando scit aliquid ut homo, quod nescit ut judex ; et quantum ad hoc per confessionem aperitur. Vel dicendum, quod quamvis actus peccati exterior in aperto sit, actus interior qui tamen principalior est, in occulto est ; et ideo oportet quod per confessionem aperiatur.

1. Bien que le prêtre connaisse parfois son péché en tant qu’homme, il ne le connaît cependant pas comme vicaire du Christ, de même qu’un juge sait parfois quelque chose comme homme, alors qu’il ne le sait pas comme juge. De ce point de vue, cela est manifesté par la confession. Ou bien il faut dire que, bien que l’acte extérieur du péché soit manifeste, l’acte intérieur, qui est cependant le principal, est caché. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il soit manifesté par la confession.

[17629] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod confessio praesupponit caritatem, qua jam vivus aliquis efficitur, ut in littera dicitur ; contritio autem est in qua datur caritas ; timor autem servilis, qui est sine spe, est praevius ad caritatem. Sed habens caritatem magis movetur ex spe quam ex timore ; et ideo causa confessionis potius ponitur spes quam timor.

2. La confession présuppose la charité par laquelle on est devenu vivant, comme le dit le texte ; mais la contrition est ce par quoi la charité est donnée. La crainte servile, qui existe sans l’espérance, précède la charité. Mais celui qui a la charité est mû davantage par l’espérance que par la crainte. C’est pourquoi la cause indiquée pour la confession est plutôt l’espérance que la crainte.

[17630] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum in confessione aperitur sacerdoti, et clauditur aliis confessionis sigillo.

3. Dans la confession, le péché est manifesté au prêtre et il est caché aux autres par le secret de la confession.

[17631] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non oportet in qualibet definitione omnia tangere quae ad rem definitam concurrunt ; et ideo inveniuntur quaedam definitiones, sive assignationes, datae penes unam causam, quaedam penes aliam.

4. Il n’est pas nécessaire que toutes les définitions abordent tout ce qui se rencontre dans la chose définie. C’est pourquoi on trouve certaines définitions ou descriptions, qui sont données selon une cause, et certaines selon une autre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17632] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquis dicatur actus virtutis, ut prius dictum est, sufficit quod in sui ratione aliquam conditionem implicet quae ad virtutem pertineat. Quamvis autem non omnia quae ad virtutem requiruntur, importet confessio ; tamen importat ex suo nomine manifestationem alicujus quod in conscientia tenet aliquis ; sic enim simul in unum os et cor conveniunt. Si enim quis aliquid proferat ore quod corde non teneat, non confessio, sed fictio dicitur. Haec autem conditio ad virtutem pertinet, ut aliquis ore confiteatur quod corde tenet ; et ideo confessio est bonum ex genere, et est actus virtutis ; sed tamen potest male fieri, nisi aliis debitis circumstantiis vestiatur.

Pour qu’un acte soit appelé vertueux, comme on l’a dit plus haut, il suffit qu’il comporte dans sa raison une condition qui se rapporte à la vertu. Or, bien que la confession ne comporte pas tout ce qui est exigé pour la vertu, elle comporte par son nom même la manifestation de quelque chose qu’on garde dans sa conscience. C’est ainsi, en effet, que la bouche et le cœur s’accordent. En effet, si quelqu’un dit par sa bouche quelque chose qu’il ne garde pas dans son cœur, ce n’est pas une confession, mais une invention. Or, que l’on confesse de bouche ce que l’on garde de cœur est une condition qui relève de la vertu. C’est pourquoi la confession est un bien par son genre et elle est un acte vertueux. Mais elle peut cependant être mal accomplie, si elle n’est pas revêtue des autres conditions appropriées.

[17633] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad confessionem veri debito modo faciendam ubi oportet et cui oportet, in generali inclinat ratio naturalis ; et secundum hoc confessio est de jure naturali. Sed determinatio circumstantiarum, quando et quomodo et quid confiteri oporteat, et cui, hoc est ex institutione juris divini in confessione, de qua loquimur. Et sic patet quod jus naturale inclinat ad confessionem mediante jure divino, quo circumstantiae determinantur, sicut pene est in omnibus quae sunt de jure positivo.

1. La raison naturelle incline d’une manière générale à faire la confession de ce qui est vrai là où il le faut et à qui il le faut : de ce point de vue, la confession relève du droit naturel. Mais la détermination des circonstances : quand, comment, ce qu’il faut confesser et à qui, relève de l’institution du droit divin dans la confession dont nous parlons. Ainsi, il ressort clairement que le droit naturel incline à la confession par l’intermédiaire du droit divin, par lequel les circonstances sont déterminées, comme dans presque tout ce qui relève du droit positif.

[17634] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illius virtutis cujus objectum est peccatum commissum, quamvis habitum possit innocens habere, tamen actum non habet innocentia permanente, ut supra de poenitentia dictum est ; et ideo etiam confessio peccatorum, de qua nunc loquimur, non competit innocenti, quamvis sit actus virtutis.

2. Bien que celui qui est innocent puisse avoir l’habitus de ce qui est l’objet du péché commis, il n’en possède cependant pas l’acte, tout en demeurant innocent, comme on l’a dit plus haut de la pénitence. C’est pourquoi aussi la confession des péchés dont nous parlons maintenant ne revient pas à l’innocent, bien qu’elle soit un acte vertueux.

[17635] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis gratia sacramentorum et gratia virtutum sit alia et alia ; non tamen sunt contrariae, sed disparatae ; et ideo non est inconveniens ut idem sit actus virtutis secundum quod ex libero arbitrio gratia informato procedit, et sit sacramentum vel pars sacramenti secundum quod est medicina in remedium peccati ordinata.

3. Bien que la grâce des sacrements et la grâce des vertus soient différentes, elles ne sont cependant pas contraires mais disparates. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que ce soit le même acte de vertu qui vienne du libre arbitre ayant reçu la forme de la grâce, et qui soit une partie d’un sacrement, selon qu’il est un médicament ordonné à rémédier au péché.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17636] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in virtutibus hoc considerandum est, quod quando supra objectum virtutis additur specialis ratio boni et difficilis, requiritur specialis virtus ; sicut magni sumptus ad magnificentiam pertinent, quamvis communiter sumptus mediocres et donationes pertineant ad liberalitatem, ut patet in 2 et 4 Ethic. ; et similiter est in confessione veri, quae quamvis ad veritatis virtutem pertineat absolute, tamen secundum quod aliqua ratio boni additur, ad aliam virtutem pertinere incipit ; et ideo dicit philosophus in 4 Ethic., quod confessio quae fit in judiciis, non pertinet ad veritatis virtutem, sed magis ad justitiam. Et similiter confessio beneficiorum Dei in laudem divinam non pertinet ad virtutem veritatis, sed ad virtutem latriae ; et ita etiam confessio peccatorum ad remissionem eorum consequendam non pertinet elicitive ad virtutem veritatis, ut quidam dicunt, sed ad virtutem poenitentiae ; imperative autem ad multas virtutes pertinere potest, secundum quod in finem multarum virtutum trahi potest confessionis actus.

Il faut considérer dans les vertus que lorsqu’une raison particulière de bien et de difficile est ajoutée à l’objet de la vertu, une vertu particulière est nécessaire, comme les grandes dépenses relèvent de la magnificence, bien que les dépenses ordinaires et les dons relèvent de la libéralité, comme cela ressort d’Éthique, II et IV. De même en est-il pour la confession de ce qui est vrai, qui, tout en relevant de la vertu de véracité d’une manière absolue, se met à relever d’une autre vertu selon qu’une certaine raison de bien lui est ajoutée. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, IV, que la confession qui est faite dans les jugements ne relève pas de la vertu de véracité, mais plutôt de la justice. De même, la confession des bienfaits de Dieu dans la louange divine ne relève pas de la vertu de véracité, mais de la vertu de latrie. De même aussi, la confession des péchés pour en obtenir la rémission ne relève de la vertu de véracité comme source, comme certains le disent, mais de la vertu de pénitence. Mais, par mode de commandement, elle peut se rapporter à plusieurs vertus, selon que l’acte de la confesion peut être entraîné vers la fin de plusieurs vertus.

[17637] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes est causa confessionis non sicut eliciens, sed sicut imperans.

1. L’espérance est la cause de la confession, non pas comme sa source, mais comme [la vertu] qui la commande.

[17638] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod erubescentia in illa definitione non ponitur quasi causa confessionis, cum magis nata sit impedire confessionis actum, sed quasi concausa ad liberandum a poena, inquantum ipsa erubescentia poena quaedam est ; et sic etiam claves Ecclesiae concausae confessionis ad hoc sunt.

2. Dans cette définition, la honte n’est pas donnée comme la cause de la confession, puisqu’elle tend plutôt à empêcher l’acte de la confession, mais comme une cause associée en vue de libérer de la peine, pour autant que la honte elle-même est une peine. Telle est encore la fin des clés de l’Église, qui sont aussi des causes de la confession.

[17639] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quamdam adaptationem partes poenitentiae tribus attributis personarum adaptari possunt ; ut contritio misericordiae vel bonitati respondeat propter dolorem de malo ; confessio sapientiae propter veritatis manifestationem ; satisfactio potentiae propter satisfaciendi laborem : et quia contritio est prima poenitentiae pars efficaciam aliis partibus praebens, ideo eodem modo judicatur de tota poenitentia sicut de contritione.

3. Selon une certaine adaptation, les parties de la pénitence peuvent être adaptées aux attributs des personnes [divine] : la contrition correspondra à la miséricorde ou à la bonté en raison de la douleur causée par le mal ; la confession, à la sagesse en raison de la manifestation de la vérité ; la satisfaction, à la puissance en raison de l’effort pour satisfaire. Et parce que la contrition est la première partie de la pénitence, qui donne aux autres parties leur efficacité, c’est la raison pour laquelle on juge de la pénitence comme de la contrition.

[17640] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia confessio magis ex spe procedit quam ex timore, ut dictum est, ideo magis innititur articulo de vita aeterna, quem respicit spes, quam articulo de judicio, quem respicit timor ; quamvis poenitentia ratione contritionis e converso se habeat.

4. Parce que la confession vient davantage de l’espérance que de la crainte, comme on l’a dit, elle s’appuie donc davantage sur l’article portant sur la vie éternelle, sur lequel porte l’espérance, que sur l’article sur le jugement, sur lequel porte la crainte, bien que ce soit le contraire pour la pénitence en raison de la contrition.

[17641] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum patet solutio ex dictis.

5. La réponse au cinquième argument ressort clairement de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 3 [17642] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 tit. Utrum sit necessarium sacerdoti confiteri

Article 3 – Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il nécessaire de se confesser à un prêtre ?]

[17643] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non sit necessarium sacerdoti confiteri. Ad confessionem enim non obligamur nisi ex divina institutione. Sed divina institutio nobis proponitur Jacob. 5 : confitemini alterutrum peccata vestra ; ubi non fit mentio de sacerdote. Ergo non oportet confiteri sacerdoti.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de se confesser à un prêtre. En effet, nous ne sommes obligés à la confession qu’en vertu d’une institution divine. Or, l’institution divine nous est proposée en Jc 5 : Confessez vos péchés les uns aux autres, où il n’est pas fait mention d’un prêtre. Il n’est donc pas nécessaire de se confesser à un prêtre.

[17644] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, poenitentia est sacramentum necessitatis, sicut et Baptismus. Sed in Baptismo propter sacramenti necessitatem est minister quilibet homo. Ergo et in poenitentia ; ergo sufficit cuilibet confiteri.

2. La pénitence est un sacrement nécessaire, comme le baptême. Or, pour le baptême, le ministre est n’importe quel homme en raison de la nécessité du sacrement. Donc aussi pour la pénitence. Il suffit donc de se confesser à n’importe qui.

[17645] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, confessio ad hoc est necessaria, ut taxetur poenitenti satisfactionis modus. Sed aliquando aliquis non sacerdos discretius posset poenitenti dare satisfactionis modum quam multi sacerdotes. Ergo non est necessarium quod confessio fiat sacerdoti.

3. La confession est nécessaire pour que soit déterminé le mode de la satisfaction. Or, parfois, un non-prêtre pourrait indiquer au pénitent avec un meilleur jugement que beaucoup de prêtres un mode de satisfaction. Il n’est donc pas nécessaire que la confession soit faite à un prêtre.

[17646] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, confessio ad hoc est ordinata in Ecclesia, ut rectores pecorum suorum vultum cognoscant. Sed quandoque rector sive praelatus, non est sacerdos. Ergo confessio non semper facienda est sacerdoti.

4. La confession est ordonnée dans l’Élgise pour que les pasteurs connaissent le visage de leur brebis. Or, parfois, le pasteur ou le prélat n’est pas un prêtre. La confession ne doit donc pas toujours être faite à un prêtre.

[17647] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, absolutio poenitentis, propter quam fit confessio, non pertinet nisi ad sacerdotes, quibus claves Ecclesiae commissae sunt. Ergo confessio debet fieri sacerdoti.

Cependant, [1] l’absolution du pénitent, en vue laquelle est faite la confession, ne relève que des prêtres, à qui les clés de l’Église ont été confiées. La confession doit donc être faite à un prêtre.

[17648] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, confessio praefiguratur in Lazari mortui vivificatione. Sed dominus solis discipulis praecepit ut Lazarum solverent, ut patet Joan. 11. Ergo sacerdotibus facienda est confessio.

[2] La confession est préfigurée dans le retour de Lazare à la vie. Or, le Seigneur a ordonné à ses seuls disciples de délier Lazare, comme cela ressort de Jn 11. La confession doit donc être faite aux prêtres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il permis de se confesser à d’autres qu’à des prêtres ?]

[17649] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in nullo casu liceat aliis quam sacerdotibus confiteri. Quia confessio sacramentalis accusatio est, ut ex supra posita definitione habetur. Sed dispensatio sacramenti ad illum tantum pertinet qui est sacramenti minister. Cum ergo minister sacramenti poenitentiae sit sacerdos, videtur quod nulli alii sit confessio facienda.

1. Il semble qu’il ne soit permis dans aucun cas de se confesser à d’autres qu’à des prêtres, car « la confession sacramentelle est une accusation », comme on le lit dans la définition donnée plus haut. Or, la dispensation du sacrement ne relève que de celui-là seulement qui est ministre du sacrement. Puisque le ministre du sacrement de pénitence est le prêtre, il semble qu’il ne faille se confesser à personne d’autre.

[17650] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, confessio in quolibet judicio ad sententiam ordinatur. Sed sententia in foro contentioso non a suo judice lata, nulla est ; et ideo nec facienda est confessio nisi judici. Sed judex in foro conscientiae non est nisi sacerdos, qui habet potestatem ligandi et solvendi. Ergo non est alii confessio facienda.

2. En tout jugement, la confession est ordonnée à la sentence. Or, la sentence qui n’est pas portée par le juge au for des litiges est nulle ; c’est pourquoi une confession ne doit être faite qu’au juge. Or, seul le prêtre est juge au for de la conscience : c’est lui qui a le pouvoir de lier et de délier. La confession ne doit donc pas être faite à un autre.

[17651] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in Baptismo, quia quilibet baptizare potest, si baptizat laicus sine necessitate, non debet a sacerdote Baptismus iterari. Sed si aliquis confitetur laico in casu necessitatis, iterum debet sacerdoti confiteri, si articulum necessitatis evadat. Ergo confessio sacerdotis non potest fieri laico in casu necessitatis.

3. Dans le cas du baptême, parce que n’importe qui peut baptiser, si un laïc baptise hors d’un cas de nécessité, le baptême ne doit pas être répété. Or, si quelqu’un se confesse à un laïc en cas de nécessité, il doit se confesser de nouveau à un prêtre, si la situation urgente disparaît. La confession à un prêtre ne peut donc être faite à un laîc en cas de nécessité.

[17652] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in littera determinatur.

Cependant, il y a ce qui est précisé dans le texte.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un non-prêtre peut-il entendre la confession de péchés véniels en dehors d’un cas de nécessité ?]

[17653] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod extra casum necessitatis non posset aliquis non sacerdos confessionem venialium audire. Quia sacramentum aliquod committitur dispensandum laico ratione necessitatis. Sed confessio venialium non est de necessitate salutis, ut supra dictum est. Ergo non committitur laico.

1. Il semble qu’un non-prêtre ne pourrait entendre la confession de péchés véniels en dehors d’un cas de nécessité, car la dispensation d’un sacrement n’est confiée à un laïc qu’en raison d’une nécessité. Or, la confession des péchés véniels n’est pas nécessaire au salut, comme on l’a dit plus haut. Elle n’est donc pas confiée à un laîc.

[17654] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, contra venialia ordinatur extrema unctio, sicut et poenitentia. Sed illa non potest dari a laico, ut patet Jac. ult. Ergo nec confessio venialium potest ei fieri.

2. L’extrême-onction est ordonnée contre les péchés véniels, comme aussi la pénitence. Or, elle ne peut être donnée par un laïc, comme cela ressort du dernier chapitre de Jacques. Ni la confession des péchés véniels ne peut donc être faite [à un laïc].

[17655] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Beda in littera.

Cependant, il y a ce que dit Bède dans le texte.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Est-il nécessaire de se confesser à son propre prêtre ?]

[17656] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit necessarium quod homo confiteatur proprio sacerdoti. Gregorius enim dicit : apostolico moderamine et pietatis officio a nobis constitutum est quod sacerdotibus monachis apostolorum figuram tenentibus, liceat praedicare, baptizare, communionem dare, pro peccatoribus orare, poenitentiam imponere, atque peccata solvere. Sed monachi non sunt proprii sacerdotes aliquorum, cum non habeant curam animarum. Ergo cum confessio fiat propter absolutionem, sufficit quod fiat cuicumque sacerdoti.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de se confesser à son propre prêtre. En effet, Grégoire dit : « Selon le pouvoir apostolique et le ministère de la piété, nous avons décidé qu’il est permis aux prêtres moines, qui représentent les apôtres, de prêcher, de baptiser, de donner la communion, de prier pour les pécheurs, d’imposer une pénitence et d’absoudre les péchés. » Or, les moines ne sont les prêtres propres de personne, puisqu’ils n’ont pas charge d’âmes. Puisque la confession est faite en vue de l’absolution, il suffit donc qu’elle soit faite à n’importe quel prêtre.

[17657] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut sacerdos est hujus sacramenti minister, ita et Eucharistiae. Sed quilibet sacerdos potest conficere. Ergo quilibet sacerdos potest sacramentum poenitentiae ministrare. Ergo non oportet quod fiat proprio sacerdoti.

2. De même que le prêtre est le ministre de ce sacrement, de même l’est-il de l’eucharisite. Or, n’importe quel prêtre peut accomplir [l’eucharistie]. N’importe quel prêtre peut donc administrer le sacrement de pénitence. Il n’est donc pas nécessaire qu’il soit accompli par le prêtre propre.

[17658] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, illud ad quod determinate tenemur, non est in nostra electione constitutum. Sed sacerdos cui confiteri debemus, est in nostra electione constitutus, ut patet per Augustinum in littera ; dicit enim : qui vult confiteri peccatum, ut inveniat gratiam, quaerat sacerdotem qui sciat ligare et solvere. Ergo videtur quod non sit necessarium quod sacerdoti proprio aliquis confiteatur.

3. Ce à quoi nous sommes obligés de manière déterminée n’est pas laissé à notre choix. Or, le prêtre à qui nous devons nous confesser est laissé à notre choix, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le texte. Il dit en effet : « Celui qui veut confesser un péché afin de trouver grâce, qu’il chercher un prêtre qui sache lier et délier. » Il semble donc qu’il ne soit pas nécessaire de se confesser à son propre prêtre.

[17659] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, quidam sunt, sicut praelati, qui non videntur habere proprium sacerdotem, cum non habeant superiorem. Sed isti tenentur ad confessionem. Ergo non semper tenetur homo confiteri proprio sacerdoti.

4. Il y en a qui ne semblent pas avoir de prêtre propre, comme les prélats, puisqu’ils n’ont pas de supérieur. Or, ceux-là sont obligés de se confesser. On n’est donc pas toujours obligé de se confesser à son propre prêtre.

[17660] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 5 Praeterea, illud quod est institutum pro caritate, contra caritatem non militat, ut Bernardus dicit. Sed confessio, quae pro caritate instituta est, contra caritatem militaret, si homo ad confitendum uni sacerdoti esset obligatus ; ut puta, si peccator sciat sacerdotem suum haereticum, vel solicitatorem ad malum, aut fragilem, qui ad peccatum quod quis ei confitetur, sit pronus ; vel si revelator esse confessionis probabiliter existimatur ; vel si peccatum contra ipsum commissum sit, de quo quis confiteri debet. Ergo videtur quod non semper oporteat confiteri proprio sacerdoti.

5. « Ce qui a été établi par charité ne doit pas aller contre la charité », comme le dit Bernard. Or, la confession irait contre la charité si on était obligé de se confesser à son propre prêtre, par exemple, si un pécheur sait que son prêtre est un hérétique ou sollicite au mal, ou est fragile, enclin qu’il est au péché qu’on lui confesse, ou si l’on estime de manière probable qu’il révèle une confession, ou si le péché dont on doit se confesser a été commis contre lui. Il semble donc qu’il ne faille pas toujours se confesser à son propre prêtre.

[17661] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 6 Praeterea, in eo quod est necessarium ad salutem, non sunt homines arctandi, ne impediantur a via salutis. Sed magna arctatio videtur, si oporteat uni homini confiteri de necessitate : et per hoc multi possunt a confessione retrahi vel timore vel verecundia, vel aliquo hujusmodi. Ergo cum confessio sit de necessitate salutis, non debent homines ad hoc arctari, ut videtur, quod proprio sacerdoti confiteantur.

6. Lorsqu’il s’agit de ce qui est nécessaire au salut, on ne doit pas restreindre les hommes, de crainte qu’ils ne soient empêchés de prendre le chemin du salut. Or, cela semble être une grande restriction de devoir nécessairement se confesser à un seul prêtre, et, par là, beaucoup peuvent être retenus de se confesser, soit par crainte, soit par honte, ou par quelque chose de ce genre. Puisque la confession est nécessaire au salut, les hommes ne doivent pas paraître limités à se confesser à leur propre prêtre.

[17662] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est decretalis Innocentii qui instituit quod omnes utriusque sexus semel in anno proprio sacerdoti confiteantur.

Cependant, [1] une décrétale d’Innocent III a établi que toutes les personnes des deux sexes doivent se confesser une fois par année à leur propre prêtre.

[17663] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet episcopus ad dioecesim suam, ita sacerdos ad suam parochiam. Sed non licet uni episcopo in dioecesi alterius episcopale officium exercere, secundum statuta canonum. Ergo nec licet uni sacerdoti parochianum alterius audire.

[2] Le rapport entre l’évêque et son diocèse est le même que celui qui existe entre le prêtre et sa paroisse. Or, il n’est pas permis à un évêque d’exercer sa fonction épiscopale dans le diocèse d’un autre, selon les décisions des canons. Il n’est donc pas permis à un prêtre d’entendre le paroissien d’un autre.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Peut-on se confesser à un autre que son propre prêtre, même par privilège ou sur l’ordre d’un supérieur ?]

[17664] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possit aliquis alteri quam proprio sacerdoti confiteri, etiam ex privilegio, vel mandato superioris. Quia non potest aliquod privilegium indulgeri in praejudicium alterius. Sed hoc est in praejudicium alterius sacerdotis, si alius confessionem subditi audiat. Ergo non potest per privilegium vel licentiam seu mandatum superioris obtineri.

1. Il semble qu’on ne puisse se confesser à un autre que son propre prêtre, même par privilège ou sur l’ordre d’un supérieur, car un privilège ne peut être accordé au préjudice d’une autre personne. Or, c’est un préjudice pour un prêtre si un autre entend la confession de son sujet. Cela ne peut donc être obtenu en vertu d’un privilège, ou par permission ou sur l’ordre d’un supérieur.

[17665] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, illud per quod impeditur divinum mandatum, non potest per mandatum, vel privilegium, alicujus hominis concedi. Sed mandatum divinum est ad rectores Ecclesiarum ut diligenter vultum pecoris sui agnoscant, Proverb. 23 : quod impeditur, si alius quam ipse confessionem ejus audiat. Ergo hoc non potest per alicujus hominis privilegium vel mandatum ordinari.

2. Ce qui fait obstacle à un commandement divin ne peut être accordé sur l’ordre ou par le privilège d’un homme. Or, le commandement divin veut que les dirigeants des églises connaissent bien le visage de leur troupeau, Pr 23, ce qui est empêché si un autre que lui entend la confession. Cela ne peut donc être ordonné par privilège ou sur l’ordre de l’ordinaire.

[17666] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 arg. 3 Praeterea, ille qui audit confessionem alicujus, est proprius judex ejus : alias non posset eum ligare et solvere. Sed unius hominis non possunt esse plures proprii judices, vel proprii sacerdotes ; quia tunc teneretur pluribus obedire ; quod esset impossibile, si contraria praeciperent vel incompossibilia. Ergo non potest alicui aliquis confiteri nisi proprio sacerdoti, etiam ex superioris licentia.

3. Celui qui entend la confession de quelqu’un est le propre juge de celui-ci, autrement, il ne pourrait le lier et le délier. Or, un homme ne peut avoir plusieurs juges propres ou plusieurs prêtres propres, car alors il serait obligé d’obéir à plusieurs, ce qui serait impossible s’ils ordonnaient des choses contraires ou incompatibles. On ne peut donc se confesser qu’à son propre prêtre, même par permission d’un supérieur.

[17667] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 arg. 4 Praeterea, injuriam facit sacramento qui sacramentum iterat super eamdem materiam : vel ad minus inutiliter facit. Sed qui confessus est alii sacerdoti, tenetur iterum confiteri proprio sacerdoti, si petat : quia non est absolutus ab obedientia qua ei tenetur ad hoc. Ergo non potest licite fieri quod alii quam proprio sacerdoti confiteatur.

4. Celui qui répète le sacrement à propos de la même matière porte préjudice au sacrement et, à tout le moins, l’accomplit inutilement. Or, celui qui s’est confessé à un autre prêtre est obligé de se confesser de nouveau à son propre prêtre, si celui-ci le demande, car il n’est pas délié de l’obéissance en vertu de laquelle il y est obligé. Il ne peut donc faire en sorte de se confesser à un autre qu’à son propre prêtre.

[17668] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae sunt ordinis, possunt habenti similem ordinem committi ab eo qui illa facere potest. Sed superior ut episcopus, potest audire confessionem illius qui est de parochia alicujus presbyteri : quia etiam aliquando aliqua sibi reservat, cum sit principalis rector. Ergo et potest committere alicui sacerdoti alteri quod ipse audiat.

Cependant, [1] ce qui relève de l’ordre peut être confié à celui qui possède un ordre semblable par celui qui peut l’accomplir. Or, un supérieur comme l’évêque peut entendre la confession de celui qui fait partie de la paroisse d’un autre prêtre, car il se réserve même parfois certaines choses, puisqu’il est le dirigeant principal. Il peut donc confier à un autre d’entendre lui-même [la confession].

[17669] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, quidquid potest inferior potest superior. Sed ipse sacerdos potest dare licentiam suo parochiano quod alteri confiteatur. Ergo multo fortius hoc ejus superior potest.

[2] Tout ce que peut l’inférieur, le supérieur le peut. Or, le prêtre lui-même peut permettre à son paroissien de se confesser à un autre. À bien plus forte raison, son supérieur le peut-il donc.

[17670] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 s. c. 3 Praeterea, potestatem quam habet sacerdos in populo, habet episcopus. Sed ex illa potestate potest confessionem audire. Ergo et eadem ratione alius, cui episcopus potestatem concedit.

[3] L’évêque possède le pouvoir que le prêtre possède sur le peuple. Or, c’est en vertu de ce pouvoir qu’il peut entendre la confession. Pour la même raison, un autre [le pourra], à qui l’évêque en a accordé le pouvoir.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17671] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod gratia quae in sacramentis datur, a capite in membra descendit ; et ideo ille solus est minister sacramentorum, in quibus gratia datur, qui habet ministerium super corpus Christi verum ; quod solius sacerdotis est, qui consecrare Eucharistiam potest ; et ideo, cum in sacramento poenitentiae gratia conferatur, solus sacerdos est minister hujus sacramenti, et ideo ei soli facienda est sacramentalis confessio, quae ministro Ecclesiae debet fieri.

La grâce qui est donné dans les sacrements descend depuis la tête vers les membres. C’est pourquoi celui-là seul qui a un ministère sur le corps véritable du Christ est ministre des sacrements, ce qui n’appartient qu’au seul prêtre, qui peut consacrer l’eucharistie. Ainsi, puisque la grâce est conférée dans le sacrement de pénitence, seul le prêtre est le ministre de ce sacrement. C’est donc à lui seul que la confession doit être faite, qui doit être faite à au ministre de l’Église.

[17672] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Jacobus loquitur ex praesuppositione divinae institutionis ; et quia divinitus institutio praecesserat de confessione sacerdotibus facienda per hoc quod eis potestatem remittendi peccata in apostolis dedit, ut patet Joan. 20 ; ideo intelligendum est quod Jacobus sacerdotibus confessionem esse faciendam monuit.

1. Jacques parle en supposant l’institution divine. Parce que l’institution divine voulant que la confession soit faite aux prêtres avait précédé, par laquelle celle-ci donnait aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, comme cela ressort de Jn 20, il faut comprendre que Jacques donnait l’avertissement que la confession devait être faite aux prêtres.

[17673] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus est magis sacramentum necessitatis quam poenitentiae sacramentum, quo ad confessionem, et absolutionem : quia quandoque Baptismus praetermitti non posset sine periculo salutis aeternae, ut patet in pueris, qui nondum habent usum rationis. Sed non est ita de confessione et absolutione, quae tantum ad adultos pertinet, in quibus contritio cum proposito confitendi et desiderio absolutionis sufficit ad liberandum a morte aeterna ; et ideo non est simile de Baptismo et confessione.

2. Le baptême est un sacrement d’une plus grande nécessité que le sacrement de pénitence, pour ce qui est de la confession et de l’absolution, car parfois le baptême ne peut être reporté sans danger pour le salut éternel, comme cela est clair pour les enfants, qui n’ont pas encore l’usage de la raison. Mais il n’en va pas de même pour la confession et l’absolution, qui ne concernent que les adultes, chez qui la contrition, accompagnée du propos de se confesser et du désir de l’absolution, suffit pour libérer de la mort éternelle. Il n’en va donc pas de même du baptême et de la confession.

[17674] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dictum est dist. 15, quaest. 1, art. 2, in satisfactione non solum est attendenda quantitas poenae, sed etiam virtus ejus secundum quod est pars sacramenti ; et sic requirit sacramentorum dispensatorem, quamvis etiam ab alio quam a sacerdote quantitas poenae taxari possit.

3. Comme on l’a dit à la d. 15, q. 1, a. 2, dans la satisfaction, il ne faut pas prendre seulement en compte la quantité de la peine, mais aussi sa puissance en tant que partie du sacrement. Elle exige donc un dispensateur des sacrements, bien que la quantité de la peine puisse être établie par un autre que le prêtre.

[17675] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere vultum pecoris ad duo necessarium est. Primo ad hoc quod coordinentur gregi Christi ; et sic cognoscere vultum pecoris pertinet ad curam et sollicitudinem pastoralem, quae incumbit quandoque illis qui non sunt sacerdotes. Secundo ad hoc quod provideatur ei conveniens medicamentum salutis ; et sic cognoscere vultum pecoris pertinet ad eum cujus est medicamentum salutis, scilicet sacramentum Eucharistiae et alia praebere, scilicet ad sacerdotem ; et ad talem cognitionem pecoris confessio ordinatur.

4. Connaître le visage de ses brebis est nécessaire pour deux raisons. Premièrement, pour qu’elles soient intégrées au troupeau du Christ. Connaître le visage des brebis relève ainsi de la charge et de la sollicitude pastorales, qui incombent parfois à ceux qui ne sont pas prêtres. Deuxièmement, pour que leur soit donné un remède approprié au salut. Connaître le visage des brebis relève ainsi de celui à qui il appartient de donner le remède du salut, le sacrement de l’eucharistie et les autres, à savoir, au prêtre. La confession est ordonnée à une telle connaissance des brebis.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17676] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut Baptismus est sacramentum necessitatis, ita et poenitentia. Baptismus autem, qui est sacramentum necessitatis, habet duplicem ministrum : unum cui ex officio baptizare incumbit, scilicet sacerdotem ; alium cui ratione necessitatis dispensatio Baptismi committitur. Et ita etiam minister poenitentiae, cui confessio est facienda ex officio, est sacerdos ; sed in necessitate etiam laicus vicem sacerdotis supplet, ut ei confessio fieri possit.

De même que le baptême est un sacrement nécessaire, de même en est-il de la pénitence. Or, le baptême, qui est un sacrement nécessaire, a un double ministre : l’un à qui il incombe de baptiser en vertu de sa fonction, le prêtre ; un autre à qui la dispensation du baptême est confiée en raison d’une nécessité. Ainsi, le prêtre est le ministre à qui la confession doit être faite en vertu de sa fonction ; mais, par nécessité, un laïc tient aussi la place d’un prêtre, de sorte que la confession peut lui être faite.

[17677] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in sacramento poenitentiae non solum est aliquid ex parte ministri, scilicet absolutio et satisfactionis injunctio, sed etiam aliquid ex parte ipsius qui suscipit sacramentum, quod est etiam de essentia sacramenti, sicut contritio et confessio. Satisfactio autem jam incipit esse a ministro inquantum eam injungit, et a poenitente inquantum eam implet ; et ad plenitudinem sacramenti utrumque debet concurrere quando possibile est ; sed quando necessitas imminet, debet facere poenitens quod ex parte sua est, scilicet conteri, et confiteri cui potest : qui quamvis sacramentum perficere non possit, ut faciat id quod est ex parte sacerdotis, absolutionem scilicet, tamen defectum sacerdotis summus sacerdos supplet. Nihilominus confessio laico ex desiderio sacerdotis facta, sacramentalis est quodammodo, quamvis non sit sacramentum perfectum, quia deest ei id quod est ex parte sacerdotis.

1. Dans le sacrement de pénitence, il n’y pas seulement quelque chose du point de vue du ministre, l’absolution et l’imposition d’une satisfaction, mais aussi quelque chose du point de vue de celui qui reçoit le sacrement, comme la contrition et la confession. Or, la satisfaction commence à exister du point de vue du prêtre lorsqu’il l’impose, et du point de vue du pénitent lorsqu’il l’accomplit ; les deux choses doivent concourir à la plénitude du sacrement, lorsque cela est possible. Mais, lorsqu’il y a une nécessité, le pénitent doit faire ce qui relève de lui : avoir la contrition et se confesser à qui il peut. Bien que celui-ci ne puisse accomplir le sacrement en faisant ce qui relève du prêtre, à savoir, l’absolution, le Souverain Prêtre supplée à la carence du prêtre. Néanmoins, la confession faite à un laïc avec le désir d’un prêtre est d’une certaine manière sacramentelle, bien qu’elle ne soit pas un sacrement parfait, parce qu’il lui manque ce qui relève du prêtre.

[17678] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis laicus non sit judex ejus qui ei confitetur absolute, tamen ratione necessitatis accipit judicium super eum, scilicet secundum quod confitens ex desiderio sacerdotis se ei subdit.

2. Bien que, de manière absolue, le laïc ne soit pas le juge de celui qui se confesse à lui, en raison de la nécessité, il en est le juge, en tant que celui qui se confesse se soumet à lui avec le désir d’un prêtre.

[17679] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per sacramenta homo non solum Deo, sed etiam Ecclesiae oportet quod reconcilietur. Ecclesiae autem reconciliari non potest nisi sanctificatio Ecclesiae ad eum perveniat. In Baptismo autem sanctificatio Ecclesiae ad hominem pervenit per ipsum elementum exterius adhibitum, quod verbo vitae sanctificatur secundum formam Ecclesiae a quocumque ; et ideo ex quo semel baptizatus est a quocumque, non oportet quod iterum baptizetur. Sed in poenitentia Ecclesiae sanctificatio non pervenit ad hominem nisi per ministrum : quia non est ibi aliquod elementum corporale exterius adhibitum, quod ex sanctificatione invisibilem gratiam conferat ; et ideo quamvis ille qui laico confessus est in articulo necessitatis, consecutus sit veniam a Deo, eo quod propositum confitendi secundum mandatum Dei, quod concepit, sicut potuit, implevit ; non tamen adhuc Ecclesiae reconciliatus est, ut ad sacramenta Ecclesiae admitti debeat, nisi prius a sacerdote absolvatur ; sicut ille qui Baptismo flaminis baptizatus est, ad Eucharistiam non admittitur ; et ideo oportet quod iterum confiteatur sacerdoti, cum copiam habere potuerit ; et praecipue quia, ut dictum est, sacramentum poenitentiae perfectum non fuit ; unde oportet quod perficiatur, ut ex ipsa perceptione sacramenti pleniorem effectum consequatur, et ut mandatum de poenitentiae sacramento recipiendo impleat.

3. Il est nécessaire que, par les sacrements, l’on soit réconcilié non seulement avec Dieu, mais aussi avec l’Église. Or, quelqu’un ne peut être réconcilié avec l’Église que si la sanctification de l’Église lui parvient. Dans le baptême, la sanctification de l’Église parvient à l’homme par l’élément même qui lui est conféré extérieurement, qui est sanctifié par n’importe qui par la parole de vie selon la forme de l’Église. C’est pourquoi, du fait qu’on a été une fois baptisé par n’importe qui, il n’est pas nécessaire d’être baptisé de nouveau. Mais, dans la pénitence de l’Église, la sanctification ne parvient à l’homme que par son ministre, car il n’y a pas d’élément corporel donné extérieurement, qui confère par la sanctification la grâce invisible. C’est pourquoi, bien que celui qui s’est confessé à un laïc dans un cas de nécessité ait obtenu le pardon de Dieu, du fait qu’il a accompli comme il l’a pu le propos de se confesser selon le commandement de Dieu qu’il a conçu, il n’est cependant pas encore réconcilié avec l’Église, de sorte qu’il doive être admis aux sacrements de l’Église, à moins qu’il ne soit d’abord absous par un prêtre, comme celui qui a été baptisé du baptême du feu n’est pas admis à l’eucharistie. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il se confesse de nouveau à un prêtre, lorsqu’il pourra le faire facilement, surtout que le sacrement de pénitence n’a pas été parfaitement accompli, comme on l’a dit. Il faut donc qu’il atteigne sa perfection, de sorte que, par la réception même du sacrement, il en obtienne un effet plus complet et accomplisse le commandement de recevoir le sacrement de pénitence.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17680] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod per peccatum veniale homo nec a Deo nec a sacramentis Ecclesiae separatur ; et ideo non indiget novae gratiae collatione ad ejus dimissionem, nec indiget reconciliatione ad Ecclesiam ; et propter hoc non oportet quod venialia aliquis sacerdoti confiteatur : quia ipsa confessio laico facta, sacramentale quoddam est, quamvis non sit sacramentum perfectum, et ex caritate procedens ; et talibus natum est veniale remitti, sicut per tunsionem pectoris, et per aquam benedictam.

Par le péché véniel, l’homme n’est séparé ni de Dieu ni des sacrements de l’Église. C’est pourquoi il n’a pas besoin d’un nouvel apport de grâce pour s’en défaire et il n’a pas besoin d’une réconciliation avec l’Église. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire de confesser ses péchés véniels à un prêtre, car la confession elle-même faite à un laïc est quelque chose de sacramentel, puisqu’elle vient de la charité, bien qu’elle ne soit pas un sacrement parfait. De telles choses ont la capacité de remettre le péché véniel, comme le fait de se frapper la poitrine et l’eau bénite.

[17681] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum ; quia venialia non indigent sacramenti perceptione ad dimissionem sui, sed sufficit ibi aliquod sacramentale, ut aqua benedicta, vel aliquid hujusmodi.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire, car il n’est pas nécessaire de recevoir le sacrement pour que les péchés véniels soient remis, mais un sacramental suffit, comme l’eau bénite ou quelque chose de ce genre.

[17682] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod extrema unctio non datur directe contra veniale, nec aliquod sacramentum, ut supra, dist. 2, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 4, dictum est.

2. L’extrême-onction n’est pas donnée directement contre le péché véniel, ni aucun sacrement, comme on l’a dit à la d. 2, q. 1, a. 1, qa 4.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17683] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod alia sacramenta non consistunt in hoc quod ad sacramentum accedens aliquid agat, sed solum ut recipiat, sicut patet in Baptismo, et hujusmodi ; sed actus recipientis requiritur ad percipiendum utilitatem sacramenti in eo qui est suae voluntatis arbiter constitutus, quasi removens prohibens, scilicet fictionem. Sed in poenitentia actus accedentis ad sacramentum est de substantia sacramenti, eo quod contritio, confessio, satisfactio sunt poenitentiae partes, quae sunt actus poenitentis. Actus autem nostri, cum in nobis principium habeant, non possunt nobis ab alio dispensari nisi per imperium ; unde oportet quod ille qui dispensator hujus sacramenti constituitur, sit talis qui possit imperare aliquid agendum. Imperium autem non competit alicui in alium, nisi qui habet super eum jurisdictionem ; et ideo de necessitate hujus sacramenti est non solum ut minister habeat ordinem, sicut in aliis sacramentis, sed etiam quod habeat jurisdictionem ; et ideo sicut ille qui non est sacerdos, non potest hoc sacramentum conferre, ita nec ille qui non habet jurisdictionem ; et propter hoc oportet sicut sacerdoti, ita proprio sacerdoti confessionem fieri. Cum enim sacerdos non absolvat nisi ligando ad aliquid faciendum, ille solus potest absolvere qui potest per imperium ad aliquid faciendum ligare.

Les autres sacrements ne consistent pas dans le fait que celui qui s’approche du sacrement fasse quelque chose, mais seulement qu’il les reçoive, comme cela est clair pour le baptême et poour [les sacrements] de ce genre. Mais l’acte de celui qui reçoit est nécessaire pour recevoir ce pour quoi le sacrement est utile, chez celui qui est en condition d’être arbitre de sa volonté, pour enlever ce qui l’empêche, la fiction. Or, dans la pénitence, l’acte de celui qui s’approche du sacrement fait partie de la substance du sacrement, du fait que la contrition, la confession et la satisfaction, qui sont des actes du pénitent, sont des parties de la pénitence. Or, nos actes, puisqu’ils ont en nous-mêmes leur principe, ne peuvent nous être dispensés par un autre que sur un ordre. Aussi est-il nécessaire que celui qui est établi comme dispensateur de ce sacrement soit tel qu’il puisse ordonner de faire quelque chose. Or, le commandement sur un autre n’appartient à quelqu’un que s’il a juridiction sur lui. C’est pourquoi il est nécessaire à ce sacrement que le ministre ait non seulement l’ordre, comme pour les autres sacrements, mais qu’il ait aussi la juridiction. Ainsi, de même que celui qui n’est pas prêtre ne peut conférer ce sacrement, de même celui qui n’a pas la juridiction. C’est pourquoi, de même que la confession doit être faite à un prêtre, de même doit-elle être faite à son propre prêtre. En effet, puisque le prêtre n’absout qu’en obligeant à faire quelque chose, celui-là seul peut absoudre qui peut obliger par commandement à faire quelque chose.

[17684] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius loquitur de illis monachis qui jurisdictionem habent, utpote quibus alicujus parochiae cura est commissa ; de quibus aliqui dicebant, quod hoc ipso quod monachi erant, non poterant absolvere, et poenitentias injungere ; quod falsum est.

1. Grégoire parle des moines qui ont juridiction, comme ceux à qui la charge d’une paroisse a été confiée. Certains disaient que, parce qu’ils étaient moines, ils ne pouvaient absoudre et imposer des pénitences, ce qui est faux.

[17685] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum Eucharistiae non requirit imperium in aliquem hominem ; secus autem est in hoc sacramento, ut dictum est, et ideo ratio non sequitur ; et tamen non licet Eucharistiam ab alio quam a proprio sacerdote accipere, quamvis sit verum sacramentum quod ab eo percipitur.

2. Le sacrement de l’eucharistie n’exige pas de commandement donné à un homme ; mais il en va autrement pour ce sacrement, comme on l’a dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant. Cependant, il n’est pas permis de recevoir l’eucharistie d’un autre que de son propre prêtre, bien que ce soit le sacrement véritable que l’on reçoive.

[17686] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod electio discreti sacerdotis non est nobis commissa, ut nostro arbitrio facienda, sed de licentia superioris ; si forte proprius sacerdos esset minus idoneus ad apponendum peccato salutare remedium.

3. Le choix d’un prêtre de bon jugement ne nous a pas été confié pour qu’il soit fait à notre guise, mais avec la permission du supérieur, s’il arrivait que le propre prêtre était moins apte à appliquer un remède salutaire au péché.

[17687] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia praelatis incumbit sacramenta dispensare, quae non nisi mundi tractare debent, ideo concessum est eis a jure quod possunt sibi eligere proprios confessores, qui quantum ad hoc sunt eis superiores ; sicut etiam unus medicus ab alio curatur, non inquantum est medicus, sed inquantum est infirmus.

4. Parce qu’il incombe aux supérieurs de dispenser les sacrements, que seuls ceux qui sont purs doivent toucher, il leur a été concédé par le droit de pouvoir choisir leurs propres confesseurs, qui, sur ce point, sont leurs supérieurs, de même qu’un médecin est soigné par un autre, non pas en tant qu’il est médecin, mais en tant qu’il est malade.

[17688] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in casibus illis in quibus probabiliter timet poenitens periculum sibi vel sacerdoti ex confessione ei facta, debet recurrere ad superiorem, vel ab eodem petere licentiam alteri confitendi. Quod si licentiam habere non possit, idem est judicium quod de illo qui non habet copiam sacerdotis ; unde magis debet eligere laico confiteri. Nec in hoc transgreditur aliquis praeceptum Ecclesiae ; quia praecepta juris positivi non se extendunt ultra intentionem praecipientis, quae est finis praecepti. Haec autem est caritas secundum apostolum. Nec iterum fit aliqua injuria sacerdoti ; quia privilegium meretur amittere qui concessa sibi abutitur potestate.

5. Dans les cas où un pénitent craint un danger pour lui-même ou pour le prêtre en raison de la confession faite, il doit recourir au supérieur ou lui demander la permission de se confesser à un autre. S’il ne peut obtenir la permission, le jugement est le même que pour celui qui ne bénéficie pas d’un grand nombre de prêtres. Il doit donc plutôt choisir de se confesser à un laïc. Et l’on ne transgresse par ainsi le précepte de l’Église, car les préceptes du droit positif ne s’étendent pas au-delà de l’intention de celui qui ordonne, qui est la fin du précepte. Telle est la charité selon l’Apôtre. Aucun préjudice n’est non plus causé au prêtre, car celui qui abuse d’un pouvoir mérite d’en perdre le privilège.

[17689] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in hoc quod oportet proprio sacerdoti confiteri, non arctatur via salutis, sed sufficiens ad salutem via statuitur. Peccaret autem sacerdos, si non esset facilis ad praebendam licentiam confitendi alteri ; quia multi sunt adeo infirmi quod potius sine confessione morerentur quam tali sacerdoti confiterentur ; unde illi qui sunt nimis soliciti ut conscientias subditorum per confessionem sciant, multis laqueum damnationis injiciunt, et per consequens sibi ipsis.

6. Le fait qu’on doive se confesser à son propre prêtre ne rétrécit pas le chemin du salut, mais un chemin suffisant vers le salut est établi. Mais le prêtre pécherait s’il ne donnait pas facilement la permission de se confesser à un autre, car il y en a beaucooup qui mourraient plutôt sans confession que de se confesser à un tel prêtre. Ceux qui sont trop inquiets de connaître la conscience de leur sujets tendent à beaucoup des pièges de damnation et, par conséquent, à eux-mêmes.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[17690] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod sacerdos aliquis potest dupliciter impediri ne alicujus confessionem audiat. Uno modo propter defectum jurisdictionis : alio modo propter impedimentum executionis ordinis, sicut excommunicati, et degradati, et hujusmodi. Quicumque autem habet jurisdictionem, potest ea quae sunt jurisdictionis committere ; et ideo si aliquis impediatur quod alterius confessionem audire non possit per jurisdictionis defectum, potest sibi per quemcumque jurisdictionem habentem immediatam in illos committi quod confessionem audiat et absolvat, sive per ipsum sacerdotem, sive per episcopum, sive per Papam. Si autem propter executionis ordinis impedimentum audire non possit, potest sibi concedi quod confessionem audiat per eum qui impedimentum amovere potest.

Un prêtre pêut être empêché d’entendre une confession de deux manières : d’une manière, en raison d’une carence de juridiction ; d’une autre manière, en raison d’un empêchement de mettre en œuvre l’ordre, comme c’est le cas de l’excommunié, de celui qui est déchu, et dans d’autres cas de ce genre. Mais tous ceux qui ont la juridiction peuvent confier ce qui relève de cette juridiction. Si quelqu’un est empêché de pouvoir entendre la confession d’un autre en raison d’une carence de juridiction, il peut lui être concédé par tous ceux qui possèdent une juridiction immédiate sur eux, par le prêtre lui-même, ou par l’évêque, ou par le pape. d’entendre la confession et d’absoudre. Mais s’il ne entendre [la confession] en raison d’un empêchement à la mise en œuvre de l’ordre, il peut lui être concédé d’entendre la confession par celui qui peut enlever l’empêchement.

[17691] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praejudicium non fit alicui nisi subtrahatur quod est in favorem ipsius indultum. Jurisdictionis autem potestas non est commissa alicui homini in favorem suum, sed in utilitatem plebis, et ad honorem Dei ; et ideo si superioribus praelatis expedire videatur ad salutem plebis et ad honorem Dei promovendum, quod aliis quae sunt jurisdictionis committant, in nullo fit praejudicium inferioribus praelatis, nisi illis qui quaerunt quae sua sunt, non quae Jesu Christi, et qui gregi praesunt, non ut eas pascant, sed ut ab eis pascantur.

1. Un préjudice n’est causé à quelqu’un que si lui est enlevé ce qui lui a été accordé en sa propre faveur. Or, le pouvoir de juridiction n’a été confié à aucun homme en sa propre faveur, mais pour l’utilité du peuple et l’honneur de Dieu. C’est pourquoi, s’il paraît convenir aux prélats supérieurs, pour promouvoir le salut du peuple et l’honneur de Dieu, de confier à d’autres ce qui relève de la juridiction, aucun préjudice n’est commis envers les prélats inférieurs, sauf envers ceux qui recherchent leur propre bien, et non celui de Jésus le Christ, et qui sont à la tête du troupeau, non pas pour le paître, mais pour être entretenus par lui.

 [17692] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rector Ecclesiae debet vultum pecoris sui agnoscere dupliciter. Uno modo per solicitam exterioris conversationis considerationem, qua invigilare debet super gregem sibi commissum ; et in hac cognitione non oportet quod credat subdito ; sed certitudinem facti, inquantum potest, inquirat. Alio modo per confessionis manifestationem ; et quantum ad hanc cognitionem non potest majorem certitudinem accipere quam ut subdito credat, quia hoc est ad subveniendum conscientiae ipsius ; unde in foro confessionis creditur homini et pro se et contra se, non autem in foro exterioris judicii ; et ideo ad hanc cognitionem sufficit quod credat subdito dicenti, se alteri absolvere valenti confessum fuisse ; et sic patet quod talis cognitio pecoris per privilegium alicui indultum de confessione audienda non impeditur.

2. Un dirigeant de l’Église doit connaître son troupeau de deux manières. D’une manière, par l’examen attentif de son comportement extérieur, par lequel il doit veiller sur le troupeau qui lui a été confié. Pour une telle connaissance, il n’est pas nécessaire qu’il accorde foi à un sujet, mais qu’il recherche la certitude du fait autant qu’il le peut. D’une autre manière, par la manifestation de la confession. Pour une telle connaissance, il ne peut acquérir une plus grande certitude que de croire à son sujet, car cela est fait pour venir en aide à la conscience [du sujet]. Aussi, au for de la confession, on croit un homme pour ce qui lui est favorable et défavorable, mais non au for d’un jugement extérieur. C’est pourquoi il suffit à une telle connaissance de croire le sujet qui dit qu’il s’est confessé à quelqu’un qui pouvait l’absoudre. Il ressort ainsi clairement qu’une telle connaissance du troupeau n’est pas empêchée par un privilège accordé à quelqu’un d’entendre la confession.

[17693] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inconveniens esset, si duo aequaliter super eamdem plebem constituerentur ; sed quod duo, quorum unus alio principalior est, super eamdem plebem constituantur, non est inconveniens ; et secundum hoc super eamdem plebem immediate sunt et sacerdos parochialis et episcopus et Papa ; et quilibet eorum potest ea quae sunt jurisdictionis ad ipsum pertinentia, alteri committere. Sed si superior committat, qui et principalior est, dupliciter potest committere. Aut ita quod eum vice sui constituat, sicut Papa et episcopus suos poenitentiarios constituunt ; et tunc talis est principalior quam inferior praelatus, sicut poenitentiarius Papae quam episcopus, et poenitentiarius episcopi quam sacerdos parochialis ; et magis tenetur ei confitens obedire. Alio modo ut eum coadjutorem illius sacerdotis constituat ; et quia coadjutor ordinatur ad eum cui coadjutor datur, ideo adjutor est minus principalis ; et ideo poenitens non tantum obedire tenetur ei quantum proprio sacerdoti.

3. Il serait inapproprié que deux [prêtres] soient placés de manière égale au-dessus du même peuple. Mais que deux soient placés au-dessus du même peuple, dont l’un est plus important que l’autre, cela n’est pas inapproprié. De cette manière, sont placés de manière immédiate au-dessus du même peuple le prêtre paroissial, l’évêque et le pape, et chacun d’eux peut confier à un autre ce qui concerne sa juridiction. Mais si c’est un supérieur plus éminent qui la confie, il peut la confier de deux manières. Ou bien il établit quelqu’un pour le remplacer, comme le pape et l’évêque établissent leurs pénitenciers : alors, celui-ci est plus éminent qu’un prélat inférieur, comme le pénitencier du pape l’est par rapport à un évêque, et le pénitencier de l’évêque par rapport à un prêtre paroissial. Et celui qui se confesse est davantage obligé de leur obéir. D’une autre manière, quelqu’un est constitué coadjuteur de ce prêtre. Et parce qu’un coadjuteur est ordonné à celui dont il est le coadjuteur, l’adjuteur est moins éminent. C’est pourquoi le pénitent n’est pas autant obligé de lui obéir qu’à son propre prêtre.

[17694] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 3 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nullus tenetur confiteri peccata quae non habet ; et ideo si aliquis poenitentiario episcopi, vel alteri ab episcopo commissionem habenti, confessus fuerit, cum sint sibi dimissa peccata et quo ad Deum et quo ad Ecclesiam, non tenetur ea confiteri proprio sacerdoti, quantumcumque petat. Sed propter statutum Ecclesiae de confessione facienda proprio sacerdoti semel in anno, eodem modo se debet habere sicut ille qui habet solum venialia ; talis enim debet solum venialia confiteri, ut quidam dicunt ; vel etiam profiteri se a peccato mortali immunem ; et sacerdos in foro conscientiae ei credere tenetur. Si tamen iterum confiteri teneretur, non frustra primo confessus fuisset ; quia quanto pluribus sacerdotibus confitetur quis, tanto plus de poena ei remittetur, tum ex erubescentia confessionis, quae in poenam satisfactoriam computatur, tum ex vi clavium. Unde toties posset aliquis confiteri quod ab omni poena liberaretur ; nec reiteratio injuriam facit sacramento, nisi illi in quo sanctificatio adhibetur vel per caracteris impressionem, vel per materiae consecrationem ; quorum neutrum est in poenitentia ; unde bonum est quod ille qui auctoritate episcopi confessionem audit, inducat confitentem quod confiteatur proprio sacerdoti. Quod si noluerit, nihilominus eum absolvere debet.

4. Personne n’est obligé de confesser des péchés qu’il n’a pas. C’est pourquoi, si quelqu’un s’est confessé à un pénitencier de l’évêque ou à quelqu’un d’autre nommé par l’évêque, puisque ses péchés lui ont été rémis au regard de Dieu et de l’Église, il n’est pas obligé de les confesser à son propre prêtre, autant que celui-ci lui en fasse la demande. Mais, en raison de la décision de l’Église au sujet de la confession qui doit être faite au prêtre propre une fois par année, il doit se comporter de la même manière que celui qui n’a que des péchés véniels. En effet, celui-ci ne doit confesser que ses péchés véniels, comme certains le disent, ou encore affirmer qu’il est exempt de péché mortel ; au for de la conscience, le prêtre est obligé de le croire. Cependant, s’il était tenu de se confesser de nouveau, il ne se serait pas confessé en vain la première fois, car une partie plus importante de la peine est remise si l’on se confesse à un plus grand nombre de prêtres, tant en raison de la honte de la confession, qui est comptée comme satisfactoire, qu’en raison du pouvoir des clés. Aussi pourrait-on se confesser si souvent qu’on serait libéré de toute peine. La répétition ne cause pas non plus de préjudice au sacrement, si ce n’est à celui où une sanctification est donnée soit par l’impression d’un caractère, soit par la consécration de la matière : ces deux choses ne se retrouvent pas dans la pénitence. Il est donc bon que celui qui entend la confession en vertu de l’autorité de l’évêque incite celui qui se confesse à se confesser à son propre prêtre. S’il ne le veut pas, il doit néanmoins l’absoudre.

 

 

Articulus 4 [17695] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 tit. Utrum confessio esse possit informis

Article 4 – La confession peut-elle exister sans forme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La confession peut-elle exister sans forme ?]

[17696] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod confessio esse non possit informis. Eccli. enim 17, 26, dicitur : a mortuo, velut qui non est, perit confessio. Sed ille qui non habet caritatem, est mortuus ; quia ipsa est animae vita. Ergo absque caritate non potest esse confessio.

1. Il semble que la confession puisse exister sans forme. En effet, il est dit en Si 17, 26 : La confession d’un mort disparaît comme s’il n’existait pas. Or, celui qui n’a pas la charité est un mort, car elle est la vie de l’âme. Il ne peut donc pas y avoir de confession sans charité.

[17697] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, confessio dividitur contra contritionem et satisfactionem. Sed contritio et satisfactio nunquam possunt extra caritatem fieri. Ergo nec confessio.

2. La confession se distingue de la contrition et de la satisfaction. Or, la contrition et la satisfaction ne peuvent jamais être accomplies en dehors de la charité. Donc, la confession non plus.

[17698] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in confessione oportet quod os cordi concordet ; quia hoc ipsum nomen confessionis requirit. Sed ille qui adhuc manet in affectu peccati quod confitetur, non habet cor ori conforme ; quia corde peccatum tenet quod ore damnat. Ergo talis non confitetur.

3. Dans la confession, il est nécessaire que la bouche soit en accord avec le cœur, car le nom même de confession l’exige. Or, celui qui est encore attaché au péché mortel qu’il confesse n’a pas un cœur en accord avec sa bouche, car il soutient de cœur le péché qu'il condamne par sa bouche. Celui-là ne se confesse donc pas.

[17699] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quilibet tenetur ad confessionem mortalium. Sed si aliquis semel confessus est etiam in mortali existens, non tenetur ulterius ad confitendum eadem peccata ; quia cum nullus sciat se caritatem habere, nullus sciret se confessum fuisse. Ergo non est de necessitate confessionis quod sit caritate formata.

Cependant, tous sont obligés de confesser leurs péchés mortels. Or, si quelqu’un qui s’est déjà confessé se retrouve dans le péché mortel, il n’est pas obligé de confesser de nouveau les mêmes péchés, car personne ne saurait s’il s’est confessé, puisque personne ne sait s’il a la charité. Il n’est donc pas nécessaire que la charité ait la forme de la charité.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La confession doit-elle être complète ?]

[17700] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat confessionem esse integram, ut scilicet omnia peccata uni sacerdoti confiteatur aliquis. Quia erubescentia facit ad diminutionem poenae. Sed quanto pluribus sacerdotibus quis confitetur ; tanto majorem erubescentiam patitur. Ergo fructuosior erit confessio, si pluribus sacerdotibus dividat.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que la confession soit complète, c’est-à-dire qu’on confesse tous ses péchés à un seul prêtre, car la honte contribue à la diminution de la peine. Or, si l’on se confesse à plusieurs prêtres, on supportera une honte d’autant plus grande. La confession sera donc plus fructueuse si elle est répartie entre plusieurs prêtres.

[17701] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, confessio ad hoc necessaria est in poenitentia, ut poena secundum arbitrium sacerdotis, peccato taxetur. Sed sufficiens poena potest imponi a sacerdotibus de diversis peccatis. Ergo non oportet uni sacerdoti omnia peccata confiteri.

2. La confession est nécessaire dans la pénitence pour que la peine soit établie selon le jugement du prêtre en fonction du péché. Or, une peine suffisante peut être imposée par des prêtres pour divers péchés. Il n’est donc pas nécessaire de confesser tous ses péchés à un seul prêtre.

[17702] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, potest contingere quod post confessionem factam et satisfactionem perfectam recordetur quis alicujus peccati mortalis, quod dum confitebatur, in memoria non habebat ; et tunc copiam proprii sacerdotis, cui primo confessus fuerit, habere non poterit. Ergo poterit illud solum peccatum alteri confiteri ; et sic diversa peccata diversis sacerdotibus confitebitur.

3. Il peut arriver qu’après s’être confessé et avoir accompli la satisfaction, on se rappelle un péché mortel qu’on n’avait pas en mémoire lorsqu’on se confessait, et qu’alors on n’ait pas facilement accès à son propre prêtre, à qui on s’était d’abord confessé. On pourra donc confesser ce seul péché à un autre, et ainsi on confessera des péchés divers à différents prêtres.

[17703] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sacerdoti non debet fieri confessio de peccatis nisi propter absolutionem. Sed quandoque sacerdos qui confessionem audit, potest de quibusdam peccatis absolvere, non de omnibus. Ergo ad minus in tali casu non oportet quod confessio sit integra.

4. On ne doit confesser ses péchés à un prêtre qu’en vue de l’absolution. Or, parfois, le prêtre qui entend la confession peut absoudre certains péchés, mais non pas tous. Au moins dans ce cas, il n’est donc pas nécessaire que la confession soit complète.

[17704] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, hypocrisis est impedimentum poenitentiae, ut in praecedenti dist. dictum est. Sed dividere confessionem, ad hypocrisim pertinet, ut Augustinus dicit. Ergo confessio debet esset integra.

Cependant, [1] l’hyporisie est un empêchement à la pénitence, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Or, diviser la confession relève de l’hypocrisie, comme le dit Augustin. La confession doit donc être complète.

[17705] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, confessio est poenitentiae pars. Sed poenitentia debet esse integra, ut in 20 dist. Magister ostendit. Ergo et confessio.

[2] La confession est une partie de la pénitence. Or, la pénitence doit être complète, comme le montre le Maître dans la d. 20. Donc, la confession aussi.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on se confesser par l’intermédiaire d’un autre ou par écrit ?]

[17706] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit per alium quis confiteri, vel per scriptum. Quia confessio ad hoc necessaria est, ut per eam conscientia poenitentis sacerdoti pandatur. Sed homo potest etiam per alium, vel per scriptum, suam conscientiam sacerdoti manifestare. Ergo non sufficit per scriptum, vel per alium, confiteri.

1. Il semble qu’on puisse se confesser par l’intermédiaire d’un autre ou par écrit, car la confession est nécessaire afin que la conscience de celui qui se confesse soit dévoilée au prêtre. Or, on peut aussi dévoiler sa conscience au prêtre par l’intermédiaire d’un autre ou par écrit. Il suffit [corr.] donc de se confesser par écrit ou par l’intermédiaire d’un autre.

[17707] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quidam non intelliguntur a propriis sacerdotibus propter linguae diversitatem ; et tales non possunt nisi per alios confiteri. Ergo non est de necessitate sacramenti quod per seipsum quis confiteatur ; et ita videtur quod si per alium quis confessus fuerit qualitercumque, quod sufficiat ei ad salutem.

2. Certains ne peuvent être compris par leurs propres prêtres en raison de la diversité de la langue : ceux-là ne peuvent se confesser que par l’intermédiaire d’autres. Il n’est donc pas nécessaire pour le sacrement de se confesser par soi-même. Ainsi, il semble que, si l’on s’est confessé par l’intermédiaire d’un autre de quelque façon, cela suffise à son salut.

[17708] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, de necessitate sacramenti est quod homo proprio sacerdoti confiteatur, ut ex dictis patet. Sed aliquando proprius sacerdos est absens, cui non potest poenitens propria voce loqui ; posset autem per scriptum, suam conscientiam ei manifestare. Ergo videtur quod per scriptum ei suam conscientiam transmittere debeat.

3. Il est nécessaire pour le sacrement que l’on se confesse à son propre prêtre, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, parfois, son propre prêtre est absent, auquel un pénitent ne peut parler de sa propre voix ; mais il pourrait lui manifester sa conscience par écrit. Il semble donc qu’il doive lui faire part de sa conscience par écrit.

[17709] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, homo tenetur ad confessionem peccatorum, sicut ad confessionem fidei. Sed confessio fidei est ore facienda, ut patet Rom. 10. Ergo et confessio peccatOrum.

Cependant, [1] on est tenu de confesser ses péchés comme de confesser sa foi. Or, la confession de la foi doit être faite de vive voix, comme cela ressort de Rm 10. Donc, la confession des péchés aussi.

[17710] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, qui per seipsum peccavit, per seipsum debet poenitere. Sed confessio est poenitentiae pars. Ergo poenitens debet confiteri propria voce.

[2] Celui qui a péché par lui-même doit faire pénitence par lui-même. Or, la confession est une partie de la pénitence. Le pénitent doit donc se confesser de vive voix.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les seize conditions indiquées par les maîtres sont-elles nécessaires pour la confession ?]

[17711] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illae conditiones sexdecim quae a magistris assignantur, his versibus contentae, non requirantur ad confessionem : sit simplex, humilis confessio, pura, fidelis, atque frequens, nuda, discreta, libens, verecunda, integra, secreta, lacrymabilis, accelerata, fortis et accusans, et sit parere parata. Fides enim et simplicitas et fortitudo sunt per se virtutes. Ergo non debent poni conditiones confessionis.

1. Il semble que les seize conditions indiquées par les maîtres, et contenues dans ces vers, ne soient pas nécessaires pour la confession : « Elle doit être simple, humble, pure, fidèle, fréquente, dépouillée, discrète, volontaire, réservée, complète, secrète, pitoyable, rapide, forte et accusatoire, et disposée à obéir. » En effet, la foi, la simplicité et la force sont en elles-mêmes des vertus. On ne doit donc pas indiquer de conditions pour la pénitence.

[17712] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, purum est quod non habet permixtionem : similiter simplex compositionem et mixtionem aufert. Ergo superflue utrumque ponitur.

2. Est pur ce qui ne comporte aucun mélange ; de même, ce qui est simple écarte la composition et le mélange. Les deux sont donc utilisées de manière superflue.

[17713] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, peccatum semel commissum nullus tenetur confiteri nisi semel. Ergo si homo peccatum non iterat, non oportet quod sit poenitentia frequens.

3. On est obligé de confesser une seule fois le péché commis une seule fois. Si donc on ne répète pas le péché, il n’est pas nécessaire que la pénitence soit fréquente.

[17714] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 4 Praeterea, confessio ordinatur ad satisfactionem. Sed satisfactio quandoque est publica. Ergo et confessio non semper debet esse secreta.

4. La confession est ordonnée à la satisfaction. Or, la satisfaction est parfois publique. La confession ne doit donc pas toujours être secrète.

[17715] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 5 Praeterea, illud quod non est in potestate nostra, non requiritur a nobis. Sed lacrymas emittere non est in potestate nostra. Ergo non requiritur a confitente.

5. Ce qui n’est pas en notre pouvoir n’est pas exigé de nous. Or, verser des larmes n’est pas en notre pouvoir. Cela n’est donc pas exigé de celui qui se confesse.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17716] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod confessio est actus virtutis, et pars sacramenti. Secundum autem quod est actus virtutis, est actus meritorius proprie ; et sic confessio non valet sine caritate, quae est principium merendi. Sed secundum quod est pars sacramenti, sic ordinat confitentem ad sacerdotem, qui habet claves Ecclesiae, qui per confessionem conscientiam confitentis cognoscit ; et secundum hoc confessio etiam potest esse in eo qui non est contritus, quia potest peccata sua sacerdoti innotescere, et clavibus Ecclesiae se subjicere. Et quamvis tunc non percipiat absolutionis fructum, tamen recedente fictione percipere incipiet, sicut etiam est in aliis sacramentis ; unde non tenetur iterare confessionem qui fictus accedit, sed tenetur postmodum fictionem suam confiteri.

La confession est un acte d’une vertu et une partie d’un sacrement. Selon qu’elle est un acte d’une vertu, elle est un acte méritoire à proprement parler ; la confession n’a donc pas ainsi de valeur sans la charité, qui est le principe du mérite. Mais selon qu’elle une partie d’un sacrement, elle ordonne celui qui se confesse au prêtre qui a les clés de l’Église, qui connaît de la conscience de celui qui se confesse par la confession. La confession peut ainsi exister de la part de celui qui n’a pas la contrition, car elle peut faire connaître ses péchés au prêtre et se soumettre aux clés de l’Église. Bien qu’il ne reçoive pas alors le fruit de l’absolution, il commencera à le recevoir lorsque la feinte sera écartée, comme dans les autres sacrements. Celui qui s’en approche par feinte n’est donc pas obligé de répéter sa confession, mais il est obligé de confesser sa feinte par la suite.

[17717] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa intelligenda est quantum ad fructum confessionis percipiendum, quem nullus extra caritatem existens percipit.

1. Cette autorité doit s’entendre de l’obtention du fruit de la confession, que personne ne peut recevoir sans la charité.

[17718] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contritio et satisfactio fiunt Deo ; sed confessio fit homini ; et ideo de ratione contritionis et satisfactionis est quod homo sit Deo per caritatem unitus, non autem de ratione confessionis.

2. La contrition et la satisfaction s’adressent à Dieu ; mais la confession est faite à un homme. C’est pourquoi il est de l’essence de la contrition et de la satisfaction qu’on soit uni à Dieu par la charité, mais non de l’essence de la confession.

[17719] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui peccata quae habet, narrat, vere loquitur, et sic cor concordat verbis quantum ad substantiam confessionis, quamvis cor discordet a confessionis fine.

3. Celui qui raconte les péchés qu’il a parle avec vérité, et ainsi son cœur est en accord avec ses paroles pour ce qui est la substance de la confession, bien que son cœur soit en désaccord avec la fin de la confession.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17720] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in medicina corporali oportet quod medicus non solum unum morbum, contra quem medicinam dare debet, cognoscat ; sed etiam universaliter totam habitudinem ipsius infirmi, eo quod unus morbus ex adjunctione alterius aggravatur ; et medicina quae uni morbo competeret, alteri nocumentum praestaret ; et similiter est in peccatis : quia unum aggravatur ex adjunctione alterius ; et illud quod uni peccato esset conveniens medicina, alteri incentivum praestaret, cum quandoque aliquis contrariis peccatis infectus sit, ut Gregorius in pastorali docet ; et ideo de necessitate confessionis est quod homo omnia peccata confiteatur quae in memoia habet : quod si non facit, non est confessio, sed confessionis simulatio.

Pour le remède corporel, il est nécessaire que le médecin connaisse non seulement une maladie contre laquelle il doit donner un remède, mais aussi l’ensemble de la condition du malade, du fait qu’une maladie est aggravée si elle est associée à une autre, et qu’un remède qui conviendrait pour une maladie provoquerait un préjudice pour une autre. De même en est-il pour les péchés, car l’un est aggravé par le fait qu’un autre lui est ajouté, et ce qui serait un remède approprié pour un péché serait un stimulant pour un autre, puisque l’on est parfois infecté de péchés contraires, comme l’enseigne Grégoire dans le Pastoral. C’est pourquoi il est nécessaire pour la confession que tous les péchés qu’on a en mémoire soient confessés ; si on ne le fait pas, ce n’est pas une confession, mais un simulacre de confession.

[17721] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etsi erubescentia sit multiplicior quando dividit diversa peccata diversis, tamen omnes simul non sunt ita magnae sicut illa una qua quis omnia peccata sua simul confitetur : quia unum peccatum per se consideratum non ita demonstrat malam dispositionem peccantis, sicut quando cum pluribus aliis consideratur : quia in unum peccatum aliquis quandoque ex ignorantia vel infirmitate labitur ; sed multitudo peccatorum demonstrat malitiam peccantis, vel magnam corruptionem ejusdem.

1. Même si la honte est plus grande lorsqu’on divise ses péchés entre plusieurs [prêtres], toutes ces hontes ne sont cependant pas aussi grandes que celle qu’on a lorsqu’on confesse en même temps tous ses péchés, car un seul péché, considéré en lui-même, ne montre pas autant la mauvaise disposition de celui qui a péché que lorsqu’il est examiné en même temps que plusieurs autres. En effet, on tombe parfois dans un péché par ignorance ou par faiblesse ; mais une multitude de péchés montre la malice de celui qui pèche ou une grande corruption chez lui.

[17722] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena a diversis sacerdotibus imposita non esset sufficiens : quia quilibet consideraret tantum unum peccatum per se, et non gravitatem ipsius quam habet ex adjunctione alterius ; et quandoque poena quae contra unum peccatum daretur, esset promotiva alterius peccati. Praeterea sacerdos confessionem audiens vicem Dei gerit ; et ideo debet ei hoc modo fieri confessio sicut fit Deo in contritione ; unde sicut non esset contritio, nisi quis de omnibus contereretur ; ita non esset confessio, nisi quis de omnibus quae memoriae occurrunt, confiteatur.

2. La peine imposée par divers prêtres ne serait pas suffisante, car chacun n’envisagerait de lui-même qu’un seul péché, et non la gravité qu’il a lorsqu’il est associé à un autre. Parfois aussi la peine qui serait donnée pour un péché en provoquerait un autre. De plus, le prêtre qui entend la confession tient la place de Dieu. C’est pourquoi la confession doit lui être faite comme elle est faite à Dieu dans la contrition. De même qu’il n’y aurait pas de contrition si l’on ne n’était pas contrit de tous ses péchés, de même n’y aurait-il pas de confession, si l’on ne confessait pas tous ceux qui viennent à la mémoire.

[17723] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam dicunt, quod quando aliquis recordatur eorum quae prius oblitus fuit, debet iterum etiam ea quae confessus fuerat, confiteri ; et praecipue si non potest eumdem habere, cui ante confessus fuerat, qui omnia cognoscit, ut totius culpae quantitas uni sacerdoti innotescat. Sed hoc non videtur necessarium : quia peccatum habet quantitatem et ex seipso, et ex adjunctione alterius. Peccatorum autem de quibus confessus est, manifestavit quantitatem quam ex seipsis habent. Ad hoc autem quod sacerdos utramque quantitatem hujus peccati cujus fuerat oblitus, cognoscat, sufficit quod hoc peccatum confitens dicat explicite, et alia in generali, dicendo, quod cum alia multa confiteretur, hujusmodi oblitus fuit.

3. Certains disent que lorsqu’on se rappelle ce qu’on avait d’abord oublié, on doit de nouveau confesser aussi ce qu’on avait confessé, surtout si on ne peut avoir le même [prêtre] à qui on s’était confessé pour connaître de tous, afin que la quantité de toute la faute soit connue par un seul prêtre. Mais cela ne semble pas nécessaire, car un péché a une quantité en lui-même et par son association avec un autre. Or, on a manifesté la quantité des péchés qu’on a confessés pour ce qui est d’eux-mêmes. Mais pour que le prêtre connaisse les deux quantités de ce péché qu’on avait oublié, il suffit qu’en confessant ce péché, on dise explicitement ce péché et les autres d’une manière générale, en disant que, lorsqu’on en a confessé plusieurs, on a oublié ceux-là.

[17724] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiamsi sacerdos non possit de omnibus absolvere, tenetur sibi omnia confiteri, ut quantitatem totius culpae cognoscat, et de illis de quibus non potest absolvere, ad superiorem remittat.

4. Même si le prêtre ne peut les absoudre tous, on est tenu de les lui confesser tous, afin qu’il connaisse la quantité de toute la faute et qu’il renvoie à un supérieur ceux qu’il ne peut pas absoudre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17725] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod confessio non solum est actus virtutis, sed etiam pars sacramenti. Quamvis autem ad eam secundum quod est actus virtutis, sufficeret qualitercumque fieret, etsi non esset tanta difficultas in uno modo sicut in alio ; tamen secundum quod est pars sacramenti, habet determinatum actum, sicut et alia sacramenta habent determinatam materiam. Et sicut in Baptismo ad significandam interiorem ablutionem assumitur illud elementum cujus est maximus usus in abluendo ; ita in actu sacramentali ad manifestandum ordinate assumitur ille actus quo maxime consuevimus manifestare, scilicet per proprium verbum : alii enim modi sunt inducti in supplementum istius.

La confession n’est pas seulement un acte d’une vertu, mais aussi une partie d’un sacrement. Bien que, selon qu’elle est un acte d’une vertu, il suffirait qu’elle soit accomplie de n’importe quelle manière, même si une manière n’était pas aussi difficile qu’une autre, selon qu’elle est une partie d’un sacrement, elle possède un acte déterminé, comme les autres sacrements ont une matière déterminée. Comme, dans le baptême, on recourt à l’élément qui est le plus utilisé pour se laver afin de signifier l’ablution intérieure, de même, dans l’acte sacramentel [de la pénitence], recourt-on à l’acte par lequel nous avons coutume de dévoiler, à savoir, notre propre parole, afin de manifester d’une manière ordonnée. En effet, on fait appel aux autres manières pour remplacer celle-ci.

[17726] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in Baptismo non sufficit qualitercumque abluere, sed per elementum determinatum ; ita nec in poenitentia sufficit qualitercumque peccata manifestare, sed oportet quod per actum determinatum manifestentur.

1. De même que, pour le baptême, il ne suffit pas de laver n’importe comment, mais avec un élément déterminé, de même non plus, pour la pénitence, ne suffit-il pas de manifester ses péchés de n’importe quelle manière, mais il est nécessaire qu’ils soient manifestés par un acte déterminé.

[17727] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eo qui usum linguae non habet, sicut mutus, vel qui est alterius linguae, sufficit quod per scriptum aut nutum aut interpretem confiteatur : quia non exigitur ab homine plus quam possit : quamvis homo non debeat Baptismum accipere nisi in aqua, quia aqua est omnino ab exteriori, et nobis ab alio exhibetur. Sed actus confessionis est a nobis ; et ideo, quando non possumus uno modo, debemus secundum quod possumus confiteri.

2. Pour celui qui n’a pas l’usage de la parole, comme chez un muet ou chez celui qui parle une autre langue, il suffit qu’il se confesse par écrit, par signes ou par l’intermédiaire d’un interprète, car on n’exige pas d’un homme plus qu’il ne peut, bien qu’on ne doive recevoir le baptême qu’avec de l’eau, car l’eau vient totalement de l’extérieur et nous est donnée par un autre. Mais l’acte de la confession vient de nous. C’est pourquoi, lorsque nous ne pouvons pas le faire d’une manière, nous devons nous confesser comme nous le pouvons.

[17728] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in absentia proprii sacerdotis potest etiam laico fieri confessio ; et ideo non oportet quod per scriptum fiat : quia plus pertinet ad necessitatem confessionis actus quam ille cui fit confessio.

3. En l’absence du prêtre propre, la confession peut être faite même à un laïc. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle soit faite par écrit, car l’acte a un rapport plus étroit avec la nécessité de la confession que celui à qui la confession est faite.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17729] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod dictarum conditionum quaedam sunt de necessitate confessionis, quaedam de bene esse ipsius. Ea autem quae sunt de necessitate confessionis ; vel competunt ei secundum quod est actus virtutis, vel secundum quod est pars sacramenti. Si primo modo ; aut ratione virtutis in genere, aut ratione specialis virtutis, cujus est actus. Ex ipsa autem ratione actus virtutis in genere sunt quatuor conditiones, ut in 2 Ethic. dicitur. Prima est ut aliquis sit sciens ; et quantum ad hoc confessio dicitur esse discreta, secundum quod in actu omnis virtutis prudentia requiritur ; est autem haec discretio ut majora cum majori pondere confiteatur. Secunda conditio est ut sit eligens, quia actus virtutum debent esse voluntarii ; et quantum ad hoc dicit libens. Tertia conditio est ut propter debitum finem operetur ; et quantum ad hoc dicit, quod debet esse poenitentia pura, ut scilicet recta sit intentio. Quarta est ut immobiliter operetur ; et quantum ad hoc dicit quod debet esse fortis, ut scilicet propter verecundiam non dimittat. Est autem confessio actus poenitentiae virtutis ; quae quidem primo initium sumit in horrore turpitudinis peccati ; et quantum ad hoc confessio debet esse verecunda, ut scilicet non se jactet de peccatis propter aliquam saeculi vanitatem admixtam. Secundo progreditur ad dolorem de peccato commisso ; et quantum ad hoc debet esse lacrymabilis. Tertio in abjectione sui terminatur ; et quantum ad hoc debet esse humilis, ut se miserum confiteatur et infirmum. Sed ex propria ratione hujus actus qui est confessio, habet quod sit manifestativa : quae quidem manifestatio per quatuor impediri potest. Primo per falsitatem ; et quantum ad hoc dicit fidelis, idest vera. Secundo per obscuritatem ; et contra hoc dicit nuda, ut non involvatur obscuritate verborum. Tertio per multiplicationem verborum ; et contra hoc dicit, quod sit simplex, ut non recitet in confessione nisi quod ad quantitatem peccati pertinet. Quarto ut non subtrahatur aliquid de his quae manifestanda sunt ; et contra hoc dicit integra. Secundum autem quod confessio est pars sacramenti, sic concernit judicium sacerdotis, qui est minister sacramenti ; unde oportet quod sit accusans ex parte confitentis ; parere parata per comparationem ad sacerdotem ; secreta quantum ad conditionem fori, in quo de occultis conscientiae agitur. Sed de bene esse confessionis est quod sit frequens, et quod sit accelerata.

Parmi les conditions mentionnées, certains sont nécessaires à la confession, d’autres relèvent de la manière de la bien faire. Celles qui sont nécessaires à la confession lui appartiennent soit selon qu’elle est un acte d’une vertu, soit selon qu’elle est une partie d’un sacrement. S’il s’agit du premier cas, c’est soit en raison de la vertu en général, soit en raison de la vertu particulière dont elle est l’acte. Or, quatre conditions font partie de l’essence de l’acte de vertu d’une manière générale, comme on le dit dans Éthique, II. La première est qu’on ait la connaissance : ainsi, on dit que la confession est discrète, selon que la prudence est nécessaire à tout acte de vertu. Cette discrétion consiste en ce qu’on confesse les péchés plus grands en insistant davantage sur eux. La deuxième condition est qu’on soit capable de choix, car les actes des vertus doivent être volontaires : de ce point de vue, on dit qu’elle doit être volontaire. La troisième condition est qu’on agisse pour la fin appropriée : de ce point de vue, on dit que la pénitence doit être pure, à savoir, que l’intention soit droite. La quatrième condition est qu’on agisse de manière inébranlable : de ce point de vue, on dit qu’elle doit être forte, c’est-à-dire qu’on ne l’écarte pas à cause de la gêne. Mais la confession est un acte de la [vertu particulière de] pénitence, qui commence d’abord par l’horreur de l’ignominie du péché : de ce point de vue, la confession doit être honteuse, à savoir qu’elle ne doit pas se vanter des péchés en raison d’une certaine vanité du siècle qui leur est associée. Deuxièmement, elle va vers la douleur pour le péché commis : sur ce point, elle doit être en mesure de verser des larmes. Troisièmement, elle se termine dans l’abjection de soi : sur ce point, elle doit être humble, de sorte qu’on confesse être misérable et malade. Mais, selon l’essence propre de cet acte qu’est la confession, elle doit manifester, manifestation qui peut être empêchée par quatre choses. Premièrement, par la fausseté : sur ce point, elle doit être fidèle, c’est-à-dire vraie. Deuxièmement, par l’obscurité : contre cela, on dit qu’elle est dépouillée, de sorte qu’elle ne soit pas compliquée par l’obscurité des paroles. Troisièmement, par la multiplication des paroles : contre cela, on dit qu’elle doit être simple, de sorte qu’on ne raconte en confession que ce qui se rapporte à la quantité du péché. Quatrièmement, que ne soit rien soustrait de ce qui doit être rendu manifeste : contre cela, on dit qu’elle doit être complète. Mais selon que la confession est une partie d’un sacrement, elle concerne le jugement du prêtre, qui est le ministre du sacrement. Aussi faut-il que la confession soit accusatoire du côté de celui qui se confesse ; qu’elle se prépare à obéir en regard du prêtre ; qu’elle soit secrète, pour ce qui est de la condition du for où il s’agit des fautes cachées de la conscience. Mais qu’elle soit fréquente et rapide se rapporte à la bonne condition de la confession.

[17730] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens quod conditio unius virtutis in actu alterius inveniatur, qui ab ipsa imperatur ; vel quia medium quod est unius virtutis principaliter, etiam aliae virtutes per participationem habent.

1. Il n’est pas inapproprié que la condition d’une vertu se trouve dans l’acte d’une autre qui est commandé par elle ; ou que le milieu relève principalement d’une vertu, mais que d’autres vertus l’aient par participation.

[17731] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haec conditio, pura, intentionis excludit perversitatem, a qua homo mundatur ; sed simplex, alieni admixtionem.

2. Cette condition, qu’elle soit pure, écarte la perversité de l’intention, dont on est purifié ; mais qu’elle soit simple [écarte] le mélange de quelque chose d’étranger.

[17732] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc non est de necessitate confessionis, sed ad bene esse.

3. Cela ne relève pas de ce qui est nécessaire à la confession, mais à sa bonne condition.

[17733] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod propter scandalum aliorum, qui possunt ex peccatis auditis ad malum inclinari, non debet confessio fieri in publico, sed in occulto. Ex poena autem satisfactoria non scandalizatur ita aliquis ; quia quandoque pro parvo vel nullo peccato similia opera satisfactoria fiunt.

4. En raison du scandale des autres, qui peuvent être inclinés au mal par les péchés entendus, la confession ne doit pas être faite en public mais en secret. Mais l’on n’est pas autant scandalisé par une peine satisfactoire, car, parfois, des actes satisfactoires semblables sont accomplis pour un péché petit ou un grand péché.

[17734] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intelligendum est de lacrymis mentis.

5. Il faut l’entendre des larmes de l’esprit.

 

 

Articulus 5

[17735] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 tit. Utrum confessio liberet a morte peccati

Article 5 – La confession libère-t-elle de la mort du péché ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La confession libère-t-elle de la mort du péché ?]

[17736] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod confessio non liberet a morte peccati. Confessio enim contritionem sequitur. Sed contritio sufficienter delet culpam. Ergo confessio non liberat a morte peccati.

1. Il semble que la confession ne libère pas de la mort du péché. En effet, la confession suit la contrition. Or, la contrition détruit suffisamment la faute. La confession ne libère donc pas de la mort du péché.

[17737] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut mortale est culpa, ita etiam veniale. Sed per confessionem fit veniale quod prius erat mortale, ut in littera dicitur. Ergo per confessionem non remittitur culpa, sed culpa in culpam mutatur.

2. De même que le péché mortel est une faute, de même en est-il du péché véniel. Or, par la confession, ce qui était auparavant mortel devient véniel, comme on le dit dans le texte. Par la confession, la faute n’est donc pas remise, mais une faute est changée en une autre faute.

[17738] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, confessio est pars sacramenti poenitentiae. Sed poenitentia a culpa liberat. Ergo et confessio.

Cependant, la confession est une partie du sacrement de la pénitence. Or, la pénitence libère de la faute. Donc, la confession aussi.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La confession libère-t-elle en quelque façon de la peine ?]

[17739] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod confessio non liberet aliquo modo a poena. Quia peccato non debetur nisi poena aeterna, vel temporalis. Sed poena aeterna per contritionem dimittitur, poena autem temporalis per satisfactionem. Ergo per confessionem nihil dimittitur de poena.

1. Il semble que la confession ne libère pas en quelque façon de la peine, car seule une peine éternelle ou une peine temporelle est due pour le péché. Or, la peine éternelle est remise par la contrition, mais la peine temporelle, par la satisfaction. Rien n’est donc remis de la peine par la confession.

[17740] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, voluntas pro facto reputatur, ut in littera dicitur. Sed ille qui confessus est, habuit propositum confitendi. Ergo tantum valuit sibi sicut si fuisset confessus ; et ita per confessionem quam postea facit, nihil de poena dimittitur.

2. La volonté est considérée comme un fait, comme on le dit dans le texte. Or, celui qui s’est confessé a eu le propos de se confesser. Cela lui a donc valu autant que s’il s’était confessé. Ainsi, par la confession qu’il fait par la suite, rien de la peine ne lui est remis.

[17741] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, confessio poenam habet. Sed per alia opera poenalia expiatur pena peccato debita. Ergo et per confessionem.

Cependant, la confession comporte une peine. Or, par les autres actes qui ont le caractère de peine, la peine due pour le péché est expiée. Donc, par la confession aussi.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La confession ouvre-t-elle le Paradis ?]

[17742] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non aperiat Paradisum. Quia diversorum diversi sunt effectus. Sed apertio Paradisi est effectus Baptismi. Ergo non est effectus confessionis.

1. Il semble que la confession n’ouvre pas le Paradis, car les effets de choses diverses sont divers. Or, l’ouverture du Paradis est l’effet du baptême. Elle n’est donc pas l’effet de la confession.

[17743] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in id quod clausum est, ante apertionem intrari non potest. Sed ante confessionem moriens Paradisum intrare potest. Ergo confessio non aperit Paradisum.

2. On ne peut entrer dans ce qui est fermé avant que ce ne soit ouvert. Or, avant la confession, celui qui meurt peut entrer au Paradis. La confession n’ouvre donc pas le Paradis.

[17744] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, confessio facit hominem subjici clavibus Ecclesiae. Sed per eas aperitur Paradisus. Ergo et per confessionem.

Cependant, la confession fait que l’homme se soumette aux clés de l’Église. Or, le Paradis est ouvert par elles. Donc, par la confession aussi.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La confession donne-t-elle l’espérance du salut ?]

[17745] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod confessionis effectus poni non debeat quod tribuat spem salutis ; quia spes ex omnibus meritoriis actibus provenit ; et sic non videtur esse proprius effectus confessionis.

1. Il semble qu’on ne doive pas indiquer comme effet de la confession qu’elle donne l’espérance du salut, car l’espérance vient de tous les actes méritoires. Ainsi, il ne semble pas qu’elle soit l’effet propre de la confession.

[17746] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, per tribulationem ad spem pervenimus, ut patet Rom. 5. Sed tribulationem homo praecipue in satisfactione sustinet. Ergo tribuere spem salutis magis est satisfactionis quam confessionis.

2. Nous parvenons à l’espérance à travers les tribulations, comme cela ressort de Rm 5. Or, on supporte des tribulations surtout par la satisfaction. Donner l’espérance du salut relève donc davantage de la satisfaction que de la confession.

[17747] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, per confessionem homo fit humilior et mitior sicut in littera Magister dicit. Sed per hoc homo accipit spem salutis. Ergo confessionis effectus est tribuere spem salutis.

Cependant, par la confession, on devient plus humble et plus doux, comme le dit le Maître dans le texte. Or, on reçoit ainsi l’espérance du salut. L’effet de la confession est donc de donner l’espérance du salut.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17748] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poenitentia inquantum est sacramentum, praecipue in confessione perficitur ; quia per eam homo ministris Ecclesiae se subdit, qui sunt sacramentorum dispensatores. Contritio enim votum confessionis annexum habet ; et satisfactio pro judicio sacerdotis cui fit confessio, taxatur. Et quia in sacramento poenitentiae gratia infunditur, per quam fit remissio peccatorum, sicut in Baptismo ; ideo eodem modo confessio ex vi absolutionis conjunctae remittit culpam sicut Baptismus. Liberat enim Baptismus a morte peccati non solum secundum quod actu recipitur, sed etiam secundum quod in voto habetur, sicut patet in illis qui jam sanctificati ad Baptismum accedunt ; et si aliquis impedimentum non praestaret, ex ipsa collatione Baptismi gratiam consequeretur remittentem peccata, si prius sibi remissa non fuissent. Et similiter dicendum est de confessione, adjuncta absolutione ; quod, secundum quod in voto poenitentis praecessit, a culpa liberavit ; postmodum autem in actu confessionis et absolutionis gratia augetur : et etiam remissio peccatorum daretur, si praecedens dolor de peccatis non sufficiens ad contritionem fuisset, et ipse tunc obicem gratiae non praeberet. Et ideo sicut de Baptismo dicitur quod liberat a morte, ita et de confessione dici potest.

La pénitence, en tant que sacrement, est surtout accomplie par la confession, car on se soumet par elle aux ministres de l’Église, qui sont les dispensateurs des sacrements. En effet, le désir de la confession est associé à la contrition, et la satisfaction est fixée par le jugement du prêtre à qui est faite la confession. Et parce que la grâce par laquelle la rémission des péchés se réalise est infusée par le sacrement, comme dans le baptême, la confession remet la faute comme le baptême en vertu de l’absolution qui y est associée. En effet, le baptême libère du péché, non seulement lorsqu’il est reçu en acte, mais aussi selon qu’on en a le désir, comme cela ressort chez ceux qui s’approchent du baptême alors qu’ils sont déjà sanctifiés. Et si on ne lui posait pas d’obstacle, on obtiendrait la grâce qui remet les péchés par l’acte même du baptême conféré, s’il n’y avait pas eu de péchés remis antérieurement. Il faut dire la même chose pour la confession, si l’absolution lui est associée : selon qu’elle a précédé par le désir du pénitent, elle l’a libéré de la faute ; par la suite, la grâce est augmentée par l’acte de la confession et l’absolution. Et même la rémission des péchés serait donnée, si la douleur pour les péchés n’avait pas été suffisante pour la contrition et s’il ne posait pas d’obstacle à la grâce. C’est pourquoi, de même qu’on dit du baptême qu’il libère de la mort, de même peut-on le dire aussi de la confession.

[17749] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contritio habet votum confessionis adjunctum ; et ideo eo modo liberat a culpa poenitentes sicut desiderium Baptismi baptizandos.

1. La contrition comporte un désir de la confession qui lui est associé. C’est pourquoi elle libère les pénitents de la faute comme le désir du baptême chez ceux qui doivent être baptisés.

[17750] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veniale non sumitur pro culpa, sed pro poena de facili expiabili ; unde non sequitur quod culpa in culpam convertat, sed penitus annihilat. Dicitur enim veniale tripliciter. Uno modo ex genere, sicut verbum otiosum. Alio modo ex causa, idest veniae causam in se habens, sicut peccatum ex infirmitate. Alio modo ex eventu, sicut hic accipitur ; quia per confessionem hoc evenit quod de culpa praeterita homo veniam consequatur.

2. Le péché véniel n’est pas considéré comme une faute, mais comme une peine facilement expiable ; aussi n’en découle-t-il pas qu’une faute est convertie en une autre, mais qu’elle est complètement anéantie. En effet, on parle de péché véniel de trois manières. D’une manière, par son genre, comme une parole oiseuse. D’une autre manière, par sa cause, c’est-à-dire qu’il comporte en lui-même la cause du pardon, comme le péché fait par faiblesse. D’une autre manière, par un événement, car, par la confession, il arrive qu’on obtienne le pardon d’une faute passée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17751] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod confessio simul cum absolutione habet vim liberandi a poena dupliciter. Uno modo ex ipsa vi absolutionis ; et sic quidem liberat in voto existens a poena aeterna, sicut et a culpa ; quae quidem poena est poena condemnans, et ex toto exterminans, a qua homo liberatus, manet adhuc obligatus ad poenam temporalem, secundum quod poena est medicina purgans, et promovens ; et haec poena restat in Purgatorio patienda etiam his qui a poena Inferni liberati sunt ; quae quidem poena est improportionata viribus poenitentis in hoc mundo viventis ; sed per vim clavium intantum diminuitur quod proportionata viribus poenitentis remanet ; ita quod satisfaciendo se in hac vita purgare potest. Alio modo diminuit poenam ex ipsa natura actus confitentis, qui habet poenam erubescentiae annexam ; et ideo quanto aliquis pluries de eisdem peccatis confitetur, tanto magis poena diminuitur.

La confession, associée à l’absolution, a la puissance de libérer de la peine de deux manières. D’une manière, par la puissance même de l’absolution. Ainsi, elle libère celui qui en a le désir de la peine éternelle, comme elle le fait de la faute. Cette peine est une peine qui condamne et qui extermine complètement ; une fois que l’homme en est libéré, il demeure obligé à une peine temporelle, selon que la peine est un remède qui purifie et fait progresser. Il reste à supporter cette peine au purgatoire pour ceux qui ont été libérés de la peine de l’enfer. Cette peine est disproportionnée par rapport aux forces du pénitent qui vit dans ce monde, mais, par la puissance des clés, elle est à ce point diminuée qu’elle demeure proportionnée par rapport aux forces du pénitent, de sorte qu’il peut s’en purifier dans cette vie par la satisfaction. D’une autre manière, [la confession] diminue la peine en vertu de la nature même de l’acte de celui qui se confesse, auquel est associée la peine de la honte. C’est pourquoi la peine est d’autant diminuée qu’on se confesse plus souvent des mêmes péchés.

[17752] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La solution du premier argument est ainsi claire.

[17753] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas pro facto non reputatur in his quae sunt ab alio, sicut est de Baptismo ; non enim valet voluntas suscipiendi Baptismum sicut ipsius susceptio ; sed reputatur voluntas pro facto in his quae sunt omnino ab homine ; et iterum quantum ad praemium essentiale, non autem quantum ad poenae remotionem, et hujusmodi, respectu quorum attenditur meritum accidentaliter et secundario ; et ideo confessus et absolutus minus in PurgatOrio punietur quam contritus tantum.

2. La volonté n’est pas considérée comme le fait pour ce qui vient d’un autre, comme c’est le cas du baptême : en effet, la volonté de recevoir le baptème n’a pas la même valeur que sa réception. Mais la volonté est considérée le fait pour ce qui vient entièrement de l’homme ; pour le répéter, quant à  la récompense essentielle, mais non quant à l’enlèvement de la peine et aux choses de ce genre, par rapport auxquelles le mérite n’est considéré que d’une manière accidentelle et secondaire. C’est pourquoi celui qui s’est confessé et a été absous sera moins puni au purgatoire que celui qui a eu seulement la contrition.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17754] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod a Paradisi introitu prohibetur aliquis per culpam, et reatum poenae ; et quia haec impedimenta confessio amovet, ut ex dictis patet, ideo dicitur Paradisum aperire.

On est empêché d’entrer au Paradis par la faute et la dette de la peine. Parce que la confession enlève ces empêchements, comme cela ressort de ce qui a été dit, on dit qu’elle ouvre le Paradis.

[17755] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Baptismus et poenitentia sint diversa sacramenta, tamen agunt in vi unius passionis Christi, per quam Paradisi aditus est apertus.

1. Bien que le baptême et la pénitence soient des sacrements différents, ils agissent cependant par la puissance de l’unique passion du Christ, par laquelle l’accès au Paradis a été ouvert.

[17756] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ante votum confessionis Paradisus clausus erat peccanti mortaliter ; quamvis postea per contritionem votum confessionis importantem, apertus sit, etiam ante confessionem actualiter factam : non tamen obstaculum reatus est totaliter remotum ante confessionem et satisfactionem.

2. Avant le désir de la confession, le Paradis était fermé à celui qui avait péché mortellement, bien que, par la suite, par la contrition qui comporte le désir de la confession, il soit ouvert, même avant que la confession n’ait été faite en acte. Cependant, l’obstacle de la dette n’a pas été entièrement enlevé avant la confession et la satisfaction.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17757] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod spes remissionis peccatorum non est nobis nisi per Christum ; et quia homo per confessionem se subjicit clavibus Ecclesiae ex passione Christi virtutem habentibus, ideo dicitur quod confessio spem salutis tribuit.

Il n’y a pour nous d’espérance de la rémission des péchés que par le Christ. Parce que, par la confession, on se soumet aux clés de l’Église qui tiennent leur puissance de la passion du Christ, on dit donc que la confession donne une espérance de salut.

[17758] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex actibus non potest esse spes salutis principaliter, sed ex gratia redemptoris ; et quia confessio gratiae redemptoris innititur, ideo spem salutis tribuit non solum ut actus meritorius, sed ut sacramenti pars.

1. Il n’y a pas d’espérance de salut par nos actes à titre principal, mais par la grâce du Rédempteur. Parce que la confession s’appuie sur la grâce du Rédempteur, elle donne l’espérance du salut non seulement en tant qu’elle est un acte méritoire, mais en tant qu’elle est une partie d’un sacrement.

[17759] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tribulatio spem salutis tribuit per experimentum propriae virtutis et purgationem a poena ; sed confessio etiam modo praedicto.

2. La tribulation donne l’espérance du salut par l’expérience de sa propre vertu et la purification de la peine. Mais la confession le fait aussi de la manière qui a été dite.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 17

[17760] Super Sent., lib. 4 d. 17 q. 3 a. 5 qc. 4 expos. Dicunt enim quidam, sine confessione oris et satisfactione operis neminem a peccato mundari. Tertia opinio est quam Magister non tangit, quod dimittatur culpa per contritionem sub conditione, scilicet si confiteatur. Sed haec opinio minus habet de ratione quam aliae : quia status salutis non dependet ex futuro : quia, sicut dicitur Eccle. 11, 3 : lignum ubi ceciderit, ibi erit. Unde nihil est dictu quod homo ad statum salutis per dimissionem peccati reducatur sub conditione confessionis simpliciter. Votum pro operatione judicatur. Hoc intelligendum est tam in bonis quam in malis, quando est votum plenum, ita quod nihil ab executione retardat nisi impotentia. Si autem operatio adjuncta addat aliquid ad voluntatem, sicut in illis operibus quae habent in ipso actu delectationem voluntatem provocantem, tunc operatio addit etiam quantum ad meritum vel demeritum substantiale ; alias non, sed superaddit operatio quantum ad aliquid adjunctum, quod est utilitas consequens actum in bonis ut effectus ejus, vel nocumentum in malis. Non dicitur : si ore confessus fuerit ; sed, conversus ingemuerit. Ergo videtur quod non requiratur oris confessio. Et dicendum, quod ipse gemitus habet votum vocalis confessionis adjunctum. Nemo potest confiteri, scilicet confessione efficaci ad salutem. Quae ut est vita corporis, ita ejus vita Deus est. Non oportet quod sit similitudo quantum ad omnia, sed solum quantum ad hoc quod sicut anima corpori sensum et motum praebet per hoc quod est in corpore, ita Deus animae spiritualiter quam inhabitat per gratiam. Non potest quisquam gratiam Dei accipere, nisi purgatus ab omni peccato per poenitentiae confessionem et per Baptismum. Haec tria purgantia sic distinguuntur : quia Baptismus purgat a culpa originali et actuali ; sed poenitentia quantum ad contritionem a culpa actuali tantum ; confessio autem actu exercita directe a poena. Nemo dicat occulte, ita scilicet quod sacerdoti non manifestet. Si erubui in conspectu populi peccata mea confiteri ; Job 31, 33. Ergo videtur quod liceat publice confiteri. Et dicendum, quod nostra littera, quae verior est, habet : si abscondi ut homo peccatum meum ; in quo negatur absconsio contra mandatum Dei facta. Sustinendo autem litteram quae hic ponitur ; dicendum, quod non licet publice confiteri, nisi forte sit peccatum manifestum : quia talis humilitas proximo praejudicaret, qui ex peccato manifestato posset scandalizari. Sed satisfactio in manifesto facta quodammodo peccatum in conspectu populi confitetur. Nullus debitae gravioris poenae accipit veniam, nisi qualemcumque (...) solverit poenam. Haec auctoritas et sequens ostendunt quod sine satisfactione peccatum non dimittitur ; quod etiam haec opinio dicebat. Quibusdam visum est sufficere, si soli Deo fiat confessio. Hoc quod ponitur hic pro opinione, haeresis est, non quod explicite sit contra aliquem articulum, vel praecedens vel sequens ad ipsum ; sed implicite aliquid contrarium fidei continet : quia sequitur quod claves Ecclesiae non sint necessariae ad salutem ; et in talibus antequam determinetur per Ecclesiam quod ex eis sequatur aliquid contrarium fidei, non judicatur haeresis esse ; et sic Magister et Gratianus hoc pro opinione ponunt. Sed nunc post determinationem Ecclesiae sub Innocentio III factam, haeresis reputanda est. Revela viam tuam ante dominum. Hic non loquitur de revelatione sacramentali, sed de revelatione quae fit in supplicatione orationis. Non dico ut confitearis ea conservo tuo, ut tibi exprobret. Dicito Deo, qui curat ea. Qui enim confitetur sacerdoti etc. non confitetur ei ut conservo, sed ut Deo. In se voluntariae excommunicationis ferunt sententiam : non quod aliquis seipsum excommunicare possit, sed excommunicatio hic large ponitur pro voluntaria cohibitione, qua aliquis se subtrahit a sacris ex humilitate. Justitia enim sola damnat. Haec loquitur Augustinus ex hypothesi, idest si Deus tantum justitia uteretur contra nos sine misericordia : quia ad gratiam ipsius post peccatum sine misericordia redire non possemus. Quanto pluribus confitetur : non dividens peccata, sed integre omnibus. Consequitur autem majorem veniam saltem propter erubescentiam et sacerdotis intercessionem ; vel etiam ex vi clavium, ut quidam dicunt. Sed de hoc in propinqua dist. dicetur. Qui sciat ligare et solvere. Haec scientia, etsi non sit major tamen tanta debet esse ut sciat distinguere inter peccatum et non peccatum, et peccatum mortale et veniale ; et si in aliquo esset dubitatio, posset ad discretiores recurrere. Ponuntur autem multae conditiones aliae, quae ad confessorem requiruntur, ut confitentes alliciat, quae his versibus continentur : confessor dulcis, affabilis, atque suavis. Prudens, discretus, mitis, plus, atque benignus. Non petat sacerdotes per aliquam culpam ab Ecclesiae unitate divisos : quia tales executionem ordinis non habent, et jurisdictione carent ; et loquitur de divisione per haeresim, aut schisma, aut excommunicationem.

 

 

 

Distinctio 18

Distinction 18 – [Le pouvoir des ministres du sacrement de pénitence]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le pouvoir des clés]

 

 

Prooemium

Prologue

[17761] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de poenitentia quantum ad totum et partes ejus, hic incipit determinare de potestate ministrorum, quibus hujus sacramenti dispensatio est commissa; et dividitur in partes duas: in prima determinat de ipsa potestate, quae claves Ecclesiae dicuntur; in secunda determinat de habentibus claves, 19 dist., ibi: postquam ostensum est quae sint claves apostolicae, et quis eorum usus, superest investigare quando istae claves dentur, et quibus. Prima in duas: in prima movet quaestionem ex praedictis de potestate ministrorum; in secunda determinat eam, ostendens quae dicantur claves Ecclesiae, et ad quid se extendant, ibi: claves istae non sunt corporales, sed spirituales. Et haec pars in duas: in prima determinat de clavibus Ecclesiae ordinatis ad peccatorum remissionem; in secunda determinat de quibusdam circa peccatum existentibus, per quorum ablationem peccatum remitti dicitur, ibi: hic quaeritur, quae sit illa macula, et quae sint illae tenebrae interiores, a quibus Deus interius animam purgat. Prima in duas: in prima determinat de clavibus, in secunda de effectu earum, ibi: sed quaeritur, utrum a peccato solvere valeat sacerdos. Circa primum duo facit: primo ostendit quid sint claves; secundo ostendit quid sit usus earum, ibi: usus vero harum clavium multiplex est. Sed quaeritur, utrum a peccato solvere valeat sacerdos. Hic inquirit de effectu clavium; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quod potestas clavium non se extendit ad remissionem culpae; quia hoc solius Dei est. In secunda ostendit per quem modum sacerdotes dicuntur peccata remittere, ibi: nec ideo tamen negamus sacerdotibus concessam potestatem dimittendi et retinendi peccata. Circa primum tria facit: primo ponit opinionem quorumdam qui dicebant, quod potestas clavium se extendat ad remissionem poenae aeternae, quamvis non se extendat ad remissionem culpae; secundo ponit aliam, quae dicit, quod ad neutrum horum se extendit, ibi: alii vero dicunt, solum Deum, non sacerdotem, debitum aeternae mortis dimittere. Tertio confirmat hanc secundam opinionem, cui consentit per rationes et auctoritates, ibi: cui sententiae ratio suffragatur, et auctoritates attestantur. Nec ideo tamen negamus, sacerdotibus concessam potestatem dimittendi et retinendi peccata. Hic inquirit modum quo sacerdotes dicantur peccata remittere; et circa hoc tria facit: primo ostendit per auctoritates, quod sacerdotes aliquo modo peccata remittunt; secundo ostendit quod sacerdotes aliter quam Deus peccata remittant, ibi: hoc sane dicere ac sentire possumus; tertio movet quamdam dubitationem ex modis assignatis, ibi: secundum hos ligandi et solvendi modos quomodo verum est quod dicitur ? et cetera. Circa secundum tria facit: primo ostendit quomodo se habeat sacerdos in ligando et solvendo quantum ad culpam; secundo quomodo se habeat quantum ad poenam in foro conscientiae injungendam, ibi: ligant quoque sacerdotes, dum satisfactionem poenitentiae confitentibus imponunt; tertio quantum ad poenam excommunicationis, quae infligitur in foro contentioso, ibi: est et alius modus ligandi et solvendi. Hic est duplex quaestio. Prima de clavibus. Secunda de excommunicatione. Circa primum quaeruntur tria: 1 de clavibus secundum se; 2 de remissione peccatorum, ad quam ordinantur claves; 3 de effectu clavium.

Après avoir déterminé de l’ensemble et des parties de la pénitence, le Maître commence ici à déterminer du pouvoir des ministres à qui la dispensation de ce sacrement a été confiée. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du pouvoir lui-même, qu’on appelle les clés de l’Église ; dans la seconde, il détermine de ceux qui possèdent les clés, à la d. 19, à cet endroit : « Après voir montré ce que sont les clés apostoliques et quel en est l’usage, il reste à chercher quand et à qui ces clés sont données. » La première partie se divise en deux : dans la première, il soulève la question du pouvoir des ministres à partir de ce qui a été dit ; dans la seconde, il en détermine, en montrant ce que sont les clés de l’Église et à qui elles s’adressent, à cet endroit : « Ces clés ne sont pas corporelles, mais spirituelles. » Et cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine des clés de l’Église destinées à la rémission des péchés ; dans la seconde, il détermine de certaines choses qui entourent le péché, par l’enlèvement desquelles on dit que le péché est remis, à cet endroit : « Ici, on se demande quelle est cette souillure et quelles sont ces ténèbres intérieures dont Dieu purifie l’âme. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des clés ; dans la seconde, de leur effet, à cet endroit : « Mais on se demande si le prêtre peut délier du péché. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre ce que sont les clés ; deuxièmement, il montre quel en est l’usage, à cet endroit : « L’usage de ces clés est multiple. » « Mais on se demande si le prêtre peut délier du péché. » Ici, il s’interroge sur l’effet des clés. Il y a deux parties : dans la première, il montre que le pouvoir des clés ne va pas jusqu’à la rémission de la faute, car cela relève de Dieu seul ; dans la seconde, il montre de quelle manière on dit que les prêtres remettent les péchés, à cet endroit : « Nous ne nions pas pour autant que le pouvoir de remettre et de retenir les péchés ait été confié aux prêtres. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion de certains qui disaient que le pouvoir des clés va jusqu’à la rémission de la peine éternelle, bien qu’il n’aille pas jusqu’à la rémission de la faute. Deuxièmement, il présente une autre [opinion], qui dit qu’il ne s’étend à aucune de ces deux choses, à cet endroit : « Mais d’autres disent que Dieu seul, et non le prêtre, remet la dette de la mort éternelle. » Troisièmement, il confirme cette seconde opinion, à laquelle il donne son accord par des arguments et des autorités, à cet endroit : « La raison supporte cette position et des autorités leur accordent leur témoignage. » « Nous ne nions pas pour autant que le pouvoir de remettre et de retenir les péchés ait été confié aux prêtres. » Ici, il s’intrroge sur la manière dont on dit que les prêtres remettent les péchés. À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre par des autorités que les prêtres remettent les péchés d’une certaine manière. Deuxièmement, il montre que les prêtres remettent les péchés autrement que Dieu, à cet endroit : « Nous pouvons assurément affirmer et penser cela. » Troisièmement, il soulève un doute sur les manières indiquées, à cet endroit : « Comment ce qu’on dit est vrai selon les manières indiquées, etc. » À propos du deuxième point, il fait trois choses. Premièrement, il montre ce que fait le prêtre quant à l’imposition d’une peine au for de la conscience, à cet endroit : « Les prêtres lient aussi lorsqu’ils imposent une satisfaction pénitentielle à ceux qui se confessent. » Troisièmement, quant à la peine d’excommunication qui est infligée au for judiciaire, à cet endroit : « Il existe une autre manière de lier et de délier. » Ici, il y a deux questions. La première porte sur les clés ; la seconde, sur l’excommunication. À propos de la première, trois questions sont posées : 1 – Sur les clés en elles-mêmes. 2 – Sur la rémission des péchés. 3 – Sur l’effet des clés.

 

 

Articulus 1 [17762] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum claves in Ecclesia esse debeant

Article 1 – Doit-il exister des clés dans l’Église ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-il exister des clés dans l’Église ?]

[17763] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod claves in Ecclesia esse non debeant. Non enim requiruntur claves ad intrandum domum, cujus ostium est apertum. Sed Apoc. 4, 1, dicitur: vidi, et ecce in caelo ostium apertum; quod Christus est, qui de seipso dicit Joan. 10, 7: ego sum ostium. Ergo ad introducendum in caelum Ecclesia clavibus non indiget.

1. Il semble qu’il ne doive pas exister de clés dans l’Église. En effet, on n’a pas besoin de clés pour entrer dans la maison dont la porte est ouverte. Or, il est dit dans Ap 4, 1 : J’ai vu : voici que la porte est ouverte dans le ciel. Il s’agit du Christ, qui dit de lui-même en Jn 10, 7 : Je suis la porte. L’Église n’a donc pas besoin des clés pour faire entrer au ciel.

[17764] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, clavis est ad aperiendum et claudendum. Sed hoc solius Christi est, qui aperit, et nemo claudit; claudit, et nemo aperit; Apoc. 3, 7. Ergo Ecclesia in ministris suis claves non habet.

2. La clé est faite pour ouvrir et fermer. Or, cela relève du Christ seul, qui ouvre, et personne ne ferme, qui ferme, et personne n’ouvre, Ap 3, 7. L’Église ne détient donc pas de clés par ses ministres.

[17765] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, cuicumque clauditur caelum, aperitur Infernus, et e contrario. Ergo quicumque habet claves caeli, habet claves Inferni. Sed Ecclesia non dicitur habere claves Inferni. Ergo nec claves caeli habet.

3. À quiconque le ciel est fermé, l’enfer est ouvert, et aussi l’inverse. Quiconque détient les clés du ciel possède donc les clés de l’enfer. Or, on ne dit pas que l’Église détient les clés de l’enfer. Elle ne détient donc pas non plus les clés du ciel.

[17766] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 16, 19: tibi dabo claves regni caelorum.

Cependant, [1] il est dit en Mt 16, 19 : Je te donnerai les clés du royaume des cieux.

[17767] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis dispensator debet habere claves eorum quae dispensat. Sed ministri Ecclesiae sunt dispensatores divinorum mysteriorum, ut patet 1 Cor. 4. Ergo debent habere claves.

[2] Tout dispensateur doit détenir les clés de ce qu’il dispense. Or, les ministres de l’Église sont les dispensateurs des mystères divins, comme cela ressort de 1 Co 4. Ils doivent donc détenir les clés.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La clé est-elle un pouvoir de lier et de délier ?]

[17768] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod clavis non sit potestas ligandi et solvendi, qua ecclesiasticus judex dignos recipere, indignos excludere debet a regno, ut ex littera habetur, et ex Glossa Hieronymi Matth. 16. Potestas enim spiritualis in sacramento collata, est idem quod character, ut supra, dist. 4, dictum est. Sed clavis et character non videntur idem esse; quia per characterem homo Deo comparatur, per claves autem ad subditos. Ergo clavis non est potestas.

1. Il semble que la clé ne soit pas un pouvoir de lier et de délier, par lequel un juge ecclésiastique doit accueillir dans le royaume ceux qui en sont dignes et exclure ceux qui en sont indignes, comme on le lit dans le texte et le voir dans une glose de Jérôme sur Mt 16. En effet, le pouvoir spirituel conféré par unu sacrement est la même chose que le caractère, comme on l’a dit plus haut, d. 4. Or, la clé et le caractère ne semblent pas être la même chose, car, par le caractère, l’homme est comparé à Dieu, mais par les clés, aux sujets. La clé n’est donc pas un pouvoir.

[17769] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ecclesiasticus judex non dicitur nisi ille qui habet jurisdictionem, quae simul cum ordine non datur. Sed claves in ordinis susceptione conferuntur. Ergo non debuit de ecclesiastico judice in definitione clavium mentio fieri.

2. On n’appelle juge ecclésiastique que celui qui possède une juridiction, qui est donnée en même temps que l’ordre. Or, les clés sont données lorsqu’on reçoit l’ordre. On ne devait donc pas mentionner le juge ecclésiastique dans la définition des clés.

[17770] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad id quod aliquis habet ex seipso, non indiget aliqua potestate activa, per quam inducatur ad actum. Sed eo ipso quod aliquis est dignus, ad regnum admittitur. Ergo non pertinet ad potestatem clavium dignos ad regnum admittere.

3. Pour ce que quelqu’un possède par lui-même, il n’a nul besoin d’un pouvoir actif par lequel il est amené à l’acte. Or, quelqu’un est admis dans le royaume par le fait qu’il est digne. Il ne relève donc pas du pouvoir des clés d’admettre ceux qui en sont dignes dans le royaume.

[17771] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, peccatores indigni sunt regno. Sed Ecclesia pro peccatoribus orat, ut ad regnum perveniant. Ergo non excludit indignos, sed magis admittit, quantum in se est.

4. Les pécheurs sont indignes du royaume. Or, l’Église prie pour les pécheurs afin qu’ils parviennent au royaume. Elle n’exclut donc pas ceux qui sont indignes, mais les admet plutôt, pour ce qui est d’elle-même.

[17772] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, in omnibus agentibus ordinatis ultimus finis pertinet ad principale agens; non ad agens instrumentale. Sed principale agens ad salutem hominis est Deus. Ergo ad Deum pertinet ad regnum admittere, quod est ultimus finis, et non ad habentem claves, qui est sicut instrumentum vel minister.

5. Chez tous les agents ordonnés, la fin ultime relève de l’agent principal, et non de l’agent instrumental. Or, l’agent principal du salut de l’homme est Dieu. Il appartient donc à Dieu d’admettre dans le royaume, qui est la fin ultime, et non à celui qui détient les clés, qui est comme un instrument ou un ministre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Existe-t-il deux clés ou une seule ?]

[17773] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sint duae claves, sed tantum una. Ad unam enim seram non requiritur nisi una clavis. Sed sera ad quam amovendam ordinantur Ecclesiae claves, est peccatum. Ergo contra unum peccatum non indiget Ecclesia duabus clavibus.

1. Il semble qu’il n’existe pas deux clés, mais une seule. En effet, pour une serrure, une seule clé est nécessaire. Or, la serrure que les clés de l’Église sont destinées à déplacer est le péché. L’Église n’a donc pas besoin de deux clés contre un seul péché.

[17774] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, claves in collatione ordinis conferuntur. Sed scientia non est ex infusione semper, sed quandoque ex acquisitione; nec ab omnibus ordinatis habetur, et a quibusdam non ordinatis habetur. Ergo scientia non est clavis; et sic est tantum una clavis, scilicet potestas judicandi.

2. Les clés sont données lorsque l’ordre est conféré. Or, la science n’est pas toujours infuse, mais parfois elle est acquise, et elle n’est pas possédée par tous ceux qui sont ordonnés, alors qu’elle est possédée par certains qui ne sont pas ordonnés. La science n’est donc pas une clé. Ainsi, il n’existe qu’une seule clé : le pouvoir de juger.

[17775] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, potestas quam habet sacerdos super corpus mysticum, dependet ex potestate quam habet super corpus Christi verum. Sed potestas confitendi corpus Christi verum est una tantum. Ergo clavis, quae est potestas respiciens corpus Christi mysticum, est una tantum.

3. Le pouvoir que possède le prêtre sur le corps mystique dépend du pouvoir qu’il possèede sur le corps véritable du Christ. Or, le pouvoir de réaliser [corr. : confitendi/conficiendi] le corps véritable du Christ est unique. La clé qui est le pouvoir concernant le corps mystique du Christ est donc unique.

[17776] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod sint plures quam duae. Quia sicut ad actum hominis requiritur potentia et scientia, ita et voluntas. Sed scientia discernendi ponitur clavis, et similiter potentia judicandi. Ergo et voluntas absolvendi deberet dici clavis.

4. Il semble qu’il y ait plus de deux [clés], car, de même que la capacité et la science sont nécessaires pour l’acte de l’homme, ce même aussi la volonté. Or, la science pour discerner est donnée comme un clé ; de même, le pouvoir de juger. La volonté d’absoudre devrait donc être appelée une clé.

[17777] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, tota Trinitas peccata remittit. Sed sacerdos per claves est minister remissionis peccatorum. Ergo debet habere tres claves, ut Trinitati configuretur.

5. Toute la Trinité remet les péchés. Or, par les clés, le prêtre est ministre de la rémission des péchés. Il doit donc posséder trois clés afin de ressembler à la Trinité.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17778] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in corporalibus dicitur clavis instrumentum quo ostium aperitur. Regni autem ostium nobis clauditur per peccatum et quantum ad maculam, et quantum ad reatum poenae; et ideo potestas qua tale obstaculum regni removetur, dicitur clavis. Haec autem potestas est quidem in sanctissima Trinitate per auctoritatem; et ideo dicitur a quibusdam quod habet clavem auctoritatis; sed in Christo homine fuit haec potestas ad removendum praedictum obstaculum per meritum passionis, quae etiam dicitur januam aperire; et ideo dicitur habere secundum quosdam claves excellentiae. Sed quia ex latere dormientis in cruce sacramenta fluxerunt, quibus Ecclesia fabricatur; ideo in sacramentis Ecclesiae efficacia passionis manet; et propter hoc etiam in ministris Ecclesiae, qui sunt dispensatores sacramentorum, potestas aliqua manet ad praedictum obstaculum removendum, non propria virtute, sed virtute divina, et passionis Christi; et haec potestas metaphorice clavis Ecclesiae dicitur; quae est clavis ministerii.

Dans les choses corporelles, on appelle clé un instrument par lequel une porte est ouverte. Or, la porte du royaume nous est fermée par le péché quant à la souillure et quant à la dette de la peine. C’est pourquoi le pouvoir par lequel un tel obstacle au royaume est enlevé est appelé une clé. Mais ce pouvoir existe dans la très sainte Trinité selon l’autorité : aussi certains disent-ils qu’elle possède la clé de l’autorité. En revanche, ce pouvoir existait dans le Christ homme pour enlever l’obstacle mentionné selon le mérite de la passion, dont on dit aussi qu’elle ouvre la porte : c’est pourquoi on dit qu’il le possède selon les clés de l’excellence. Mais parce que les sacrements, par lesquels l’Église est construite, se sont écoulés du côté du [Christ] endormi sur la croix, l’efficacité de la passion du Christ demeure dans les sacrements de l’Église : pour cette raison aussi, un pouvoir demeure dans les ministres de l’Église, qui sont les dispensateurs des sacrements, en vue d’enlever l’obstacle mentionné, non pas par leur propre puissance, mais par celle de la passion du Christ. C’est cette puissance qu’on appelle métaphoriquement la clé de l’Église, qui est la clé du ministère.

[17779] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ostium caeli, quantum est de se, semper est apertum; sed alicui clausum dicitur propter impedimentum intrandi in caelum, quod in ipso est. Impedimentum autem totius humanae naturae ex peccato primi hominis consecutum, per passionem Christi amotum est; et ideo Joannes post passionem vidit in caelo ostium apertum; sed adhuc quotidie alicui manet clausum per peccatum originale quod contrahit, vel actuale quod committit; et propter hoc indigemus sacramentis, et clavibus Ecclesiae.

1. La porte du ciel est toujours ouverte par elle-même ; mais on dit qu’elle est fermée pour quelqu’un en raison d’un empêchement d’entrer au ciel qui se trouve en lui-même. Or, l’empêchement pour toute la nature humaine découlant du péché du premier homme a été enlevé par la passion du Christ. C’est pourquoi, après la passion, Jean a vu une porte ouverte dans le ciel. Mais, encore aujourd’hui, [la porte] demeure chaque jour fermée pour quelqu’un par le péché originel qu’il a contracté ou par le péché actuel qu’il commet. Pour cette raison, nous avons besoin des sacrements et des clés de l’Église.

[17780] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc intelligitur de clausione qua Limbum clausit, ne aliquis ultra in illud descendat; et de apertione qua Paradisum aperuit, remoto impedimento naturae per suam passionem.

2. Cela s’entend de la fermeture par laquelle il a fermé les limbes pour que personne n’y descende plus, et de l’ouverture par laquelle il a ouvert le Paradis, en enlevant l’empêchement de nature par sa passion.

[17781] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod clavis Inferni qua aperitur et clauditur, est potestas gratiam conferendi; per quam homini aperitur Infernus, ut de peccato educatur, quod est Inferni porta, et clauditur, ne homo ultra in peccatum labatur gratia sustentatus. Gratiam autem conferre solius Dei est; et ideo clavem Inferni solus retinuit. Sed clavis regni est potestas etiam dimittendi reatum poenae, per quem homo a regno prohibetur; et ideo magis potest dari homini clavis regni quam clavis Inferni: non enim idem sunt, ut ex dictis patet. Aliquis enim ex Inferno educitur per remissionem aeternae poenae, qui non instanti in regnum introducitur propter reatum temporalis poenae quae manet. Vel dicendum, ut quidam dicunt, quod idem est clavis Inferni et caeli; quia ex hoc ipso quod alicui aperitur unum, clauditur alterum; sed denominatur a digniori.

3. La clé par laquelle l’enfer est ouvert et fermé est le pouvoir de donner la grâce, par laquelle l’enfer est ouvert à l’homme pour qu’il soit ramené du péché, qui est la porte de l’enfer, et il est fermé pour que l’homme ne tombe plus dans le péché en étant soutenu par la grâce. Or, donner la grâce appartient à Dieu seul ; c’est pourquoi il a gardé pour lui seul la clé de l’enfer. Mais la clé du royaume est le pouvoir de remettre aussi la dette de la peine, par laquelle l’homme est empêché [d’entrer] dans le royaume. C’est pourquoi la clé du royaume peut davantage être donnée à l’homme que la clé de l’enfer. En effet, elles ne sont pas la même chose, comme cela ressort de ce qui a été dit, car quelqu’un est ramené de l’enfer par la rémission de la peine éternelle, sans être instantanément introduit dans le royaume en raison de la dette de la peine temporelle qui demeure. Ou bien il faut dire, comme le disent certains, que la clé de l’enfer et celle du ciel sont la même chose, car par le fait même que l’un est ouvert à quelqu’un, l’autre lui est fermé ; mais elle tire son nom de ce qui est plus digne.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17782] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 2 de anima, potentiae per actus definiuntur. Unde cum clavis sit potestas quaedam, ut dictum est, oportet quod per actum sive usum suum definiatur; et quod in actu objectum exprimatur a quo speciem recipit actus; et modus agendi, ex quo apparet potentia ordinata. Actus autem potestatis spiritualis non est ut caelum aperiat absolute, quia jam apertum est, ut dictum est; sed ut quantum ad hunc aperiat; quod quidem ordinate fieri non potest, nisi idoneitate ejus cui aperiendum est caelum pensata; et ideo in praedicta definitione clavis, ponitur genus, scilicet potestas, et subjectum potestatis, scilicet judex ecclesiasticus, et actus, scilicet excludere et recipere secundum duos actus materialis clavis, aperire et claudere; cujus objectum tangit in hoc quod dicit: a regno; modus autem in hoc quod dignitas et indignitas in illis in quos actus exercetur, pensatur.

Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, II, les puissances sont définies par les actes. Puisque la clé est une certaine puissance, comme on l’a dit, il faut qu’elle soit définie par son acte ou son usage, et que, dans l’acte,  soit exprimé l’objet dont l’acte reçoit son espèce, ainsi que le mode d’agir selon lequel l’acte apparaît ordonné. Or, l’acte d’une puissance spirituelle ne consiste pas à ouvrir le ciel de manière absolue, car il a déjà été ouvert, comme on l’a dit, mais l’ouvrir pour un tel, ce qui ne peut se faire de manière ordonnée que si l’aptitude de celui à qui le ciel doit être ouvert est évaluée. C’est pourquoi, dans la définition donnée de la clé, le genre est indiqué : « un pouvoir» ; le sujet du pouvoir : « un juge ecclésiastique » ; et l’acte : « exclure et accueillir », selon les deux actes de la clé matérielle, ouvrir et fermer ; la définition indique l’objet en disant : « du royaume » ; et la manière, selon que « la dignité ou l’indignité » de ceux sur qui l’acte est exercé sont évaluées.

[17783] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad duo quorum unum est causa alterius, una potestas ordinatur; sicut in igne calor ad calefaciendum et dissolvendum. Et quia omnis gratia et remissio in corpore mystico ex capite suo provenit; ideo eadem potestas esse videtur per essentiam, qua sacerdos conficere potest, et qua potest ligare et solvere, si jurisdictio adsit; nec differt nisi ratione secundum quod ad diversos effectus comparatur; sicut etiam ignis dicitur secundum aliam rationem calefactivus et liquefactivus. Et quia nihil est aliud character ordinis sacerdotalis quam potestas exercendi illud ad quod principaliter ordo sacerdotii ordinatur, sustinendo quod sit idem quod spiritualis potestas; ideo character, et potestas confitendi, et potestas clavium, est unum et idem per essentiam, sed differt ratione.

1. Une seule puissance est ordonnée à deux choses dont l’une est la cause de l’autre, comme la chaleur du feu à réchauffer ou a dissoudre. Et parce que toute grâce et toute rémission dans le corps mystique viennent de sa tête, il semble que ce soit essentiellement le même pouvoir par lequel le prêtre peut réaliser [le corps véritable du Christ] et par lequel il peut lier et délier, si la juridiction est présente ; il ne diffère que par la raison, selon qu’on le compare à des effets différents, comme on dit que le feu réchauffe sous un aspect et liquéfie sous un autre. Et parce que le caractère de l’ordre sacerdotal n’est rien d’autre que le pouvoir d’accomplir ce à quoi l’ordre du sacerdoce est principalement ordonné, en supposant qu’il soit la même chose qu’un pouvoir spirituel, le caractère, le pouvoir de réaliser [le corps véritable du Christ] et le pouvoir des clés sont une seule et même chose par essence, mais ils diffèrent par la raison.

[17784] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis potestas spiritualis datur cum aliqua consecratione; et ideo clavis cum ordine datur; sed executio clavis indiget materia debita, quae est plebs subjecta per jurisdictionem; et ideo antequam jurisdictionem habeat, habet claves, sed non habet actum clavium: et quia clavis per actum definitur, ideo in definitione clavis ponitur aliquid ad jurisdictionem pertinens.

[17785] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquis potest esse dignus aliquo dupliciter: aut ita quod ipsum habendi jus habeat, et sic quilibet dignus jam habet caelum apertum: aut ita quod insit ei aliqua congruitas ad hoc quod ei detur; et sic dignos, quibus nondum totaliter apertum est caelum, potestas clavium recipit.

2. Tout pouvoir spirituel est donné par une consécration. C’est pourquoi la clé est donnée par l’ordre, mais la mise en œuvre de la clé nécessite une matière appropriée, qui est le peuple qui en est le sujet par la juridiction. C’est pourquoi [celui qui est ordonné], avant d’avoir la juridiction, détient les clés, mais il n’a pas l’acte des clés. Et parce que la clé est définie par l’acte, quelque chose qui se rapporte à la juridiction est mis dans la définition de la clé.

 

3. Quelqu’un peut être digne de quelque chose de deux manières : soit qu’il ait le droit même de posséder, et ainsi le ciel est ouvert pour tous ceux qui en sont dignes ; soit qu’existe en lui une certaine convenance par rapport à ce qui lui est donné, et ainsi le pouvoir des clés accueille ceux qui en sont dignes, mais à qui le ciel n’a pas été entièrement ouvert.

[17786] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut Deus non obdurat impartiendo malitiam, sed non conferendo gratiam; ita sacerdos dicitur excludere, non quod impedimentum ad intrandum ponat, sed quia impedimentum positum non amovet: quia ipse amovere non potest, nisi prius Deus amoverit; et ideo rogatur Deus, ut ipse absolvat, ut sic sacerdotis absolutio locum habeat.

4. De même que Dieu n’endurcit pas en donnant la malice mais en ne donnant pas la grâce, de même on dit que le prêtre exclut, non pas en mettant un empêchement à l’entrée, mais parce qu’il n’enlève pas un empêchement qui a été mis, car lui-même ne peut l’enlever, à moins que Dieu ne l’ait d’abord enlevé. C’est pourquoi on demande à Dieu lui-même d’absoudre afin que l’absolution du prêtre ait lieu.

[17787] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus sacerdotis non est immediate super regnum, sed super sacramenta, quibus homo ad regnum pervenit.

5. L’acte du prêtre ne porte pas immédiatement sur le royaume, mais sur les sacrements, par lesquels l’homme parvient au royaume.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17788] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in omni actu qui requirit idoneitatem ex parte recipientis, duo sunt necessaria ei qui debet actum illum exercere; scilicet judicium de idoneitate recipientis, et expletio actus; et ideo etiam in actu justitiae, per quem redditur alicui hoc quo dignus est, oportet esse judicium quo discernatur an fit dignus, et ipsa redditio; et ad utrumque horum auctoritas quaedam, sive potestas, exigitur. Non enim dare possumus nisi quod in potestate habemus: nec judicium dici potest, nisi vim coactivam habeat, eo quod judicium jam ad unum determinatur: quae quidem determinatio in speculativis fit per virtutem primorum principiorum quibus resisti non potest: et in rebus practicis per vim imperativam in judicante existentem. Et quia actus clavis requirit idoneitatem in eo in quem exercetur, quia recipit per clavem judex ecclesiasticus dignos, et excludit indignos, ut ex dicta definitione patet; ideo indiget judicio discretionis, quo idoneitatem judicat, et ipso receptionis actu; et ad utrumque horum potestas quaedam, sive auctoritas, requiritur; et secundum hoc duae claves distinguuntur, quarum una pertinet ad judicium de idoneitate ejus qui absolvendus est, et alia ad ipsam absolutionem; et hae duae claves non distinguuntur in essentia auctoritatis, qua utrumque ex officio sibi competit, sed ex comparatione ad actus, quorum unus alium praesupponit.

En tout acte qui exige une aptitude de la part de celui qui reçoit, deux choses sont nécessaires chez celui qui doit accomplir cet acte : le jugement sur l'aptitude de celui qui reçoit et l’accomplissement de l’acte. Ainsi, même dans un acte de justice, par lequel est rendu à quelqu’un ce dont il est digne, il faut un jugement par lequel est évalué s’il en devient digne, et l’acte même de rendre. Et pour les deux, une certaine autorité ou un pouvoir sont requis. En effet, nous ne pouvons donner que ce qui est en notre pouvoir, et on ne peut parler de jugement si celui-ci ne possède pas une force coercitive, du fait que le jugement est déjà déterminé à une seule chose. En matière spéculative, une telle détermination se réalise par la puissance des premiers principes auxquels on ne peut résister ; en matière pratique, elle se réalise par le pouvoir de commander qui existe chez celui qui juge. Parce que l’acte de la clé exige une aptitude chez celui sur qui il s’exerce, puisque le juge ecclésiastique accueille ceux qui sont dignes et exclut ceux qui sont indignes, comme cela ressort de la définition donnée, il requiert donc un jugement déterminant par lequel il juge de l’aptitude, et l’acte même d’accueillir. Pour chacune de ces deux choses, un certain pouvoir ou une certaine autorité est nécessaire. Deux clés sont ainsi distinguées, dont l’une porte sur le jugement concernant l’aptitude de celui qui doit être absous, et l’autre sur l’absolution elle-même. Ces deux clés ne se distinguent pas par l’essence de l’autorité, en vertu de laquelle les deux choses leur reviennent d’office, mais par comparaison aux actes, dont l’un présuppose l’autre.

[17789] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad unam seram aperiendam una clavis immediate ordinatur; sed non est inconveniens quod una ad actum alterius ordinetur; et hoc est in proposito. Secunda enim clavis, quae dicitur potestas ligandi et solvendi, est quae immediate seram aperit peccati; sed clavis quae dicitur scientia, ostendit cui aperienda sit clavis illa.

1. Une seule clé est destinée à ouvrir une seule serrure, mais il n’est pas inapproprié qu’une seule soit ordonnée à l’acte d’une autre. C’est ce qui est ici en cause. En effet, la seconde clé, qu’on appelle le pouvoir de lier et de délier, est celle qui ouvre la serrure du péché de manière immédiate ; mais la clé qu’on appelle la science montre à qui cette clé doit ouvrir.

[17790] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa clavem scientiae duplex fuit opinio. Quidam enim dixerunt, quod scientia, secundum quod est habitus acquisitus vel infusus, dicitur haec clavis; et quod non est principalis clavis, sed in ordine ad aliam clavem clavis dicitur; et ideo quando est sine alia clavi, clavis non dicitur, sicut in viro litterato qui non est sacerdos. Et similiter etiam quandoque hac clavi aliqui sacerdotes carent, quia non habent scientiam neque acquisitam, neque infusam, qua absolvere et ligare possint; sed quandoque industria naturali ad hoc utuntur, quae secundum eos claviola dicitur; et sic clavis scientiae quamvis cum ordine non tradatur, traditur tamen cum ordine quod sit clavis, quod prius non erat; et haec videtur opinio Magistri fuisse. Sed haec non videtur verbis Evangelii concordare, quae claves Petro dandas promittunt; et ita non solum una, sed duae in ordine dantur. Et propter hoc alia opinio est, quod scientia quae est habitus, non est clavis, sed auctoritas actum scientiae exercendi, quae quandoque sine scientia est, quandoque autem scientia sine ipsa, sicut patet etiam in judiciis saecularibus. Aliquis enim est judex habens auctoritatem judicandi qui non habet juris scientiam; et aliquis e converso habet scientiam juris qui non habet auctoritatem. Et quia actus judicii ad quem quis ex auctoritate suscepta obligatur, non autem ex scientia habita, sine utroque bene fieri non potest; ideo auctoritas judicandi, quae clavis est, sine scientia non potest sine peccato accipi; sed scientia sine auctoritate sine peccato haberi potest.

2. Il y a eu une double opinion à propos de la clé de la science. En effet, certains ont dit qu’on appelle la science une clé selon qu’elle est un habitus acquis ou infus, et qu’elle n’est pas la clé principale, mais qu’elle est appelée une clé par rapport à l’autre clé. C’est pourquoi, lorsqu’elle existe sans l’autre clé, elle n’est pas appelée une clé, comme chez l’homme instruit qui n’est pas prêtre. De même aussi, cette clé fait défaut à certains prêtres, car ils n’ont pas la science acquise ni infuse, par laquelle ils puissent absoudre, mais ils recourent parfois à une ingéniosité naturelle qui, selon eux, s’appelle une petite clé. Bien que la science ne soit pas transmise avec l’ordre, est cependant transmis avec l’ordre le fait qu’elle soit une clé, ce qu’elle n’était pas auparavant. Telle semble avoir été l’opinion du Maître. Mais cela ne semble pas s’accorder avec les paroles de l’évangile, qui promettent que les clés seront données à Pierre, et ainsi non seulement une, mais deux selon l’ordre. Pour cette raison, l’autre opinion est que la science qui est un habitus n’est pas une clé, mais l’autorité d’exercer l’acte de la science, qui parfois existe sans la science, alors que parfois la science existe sans [cette autorité], comme cela ressort aussi dans les jugements séculiers. En effet, un juge peut détenir l’autorité de juger sans avoir la science du droit et, en sens inverse, quelqu’un peut avoir la science du droit sans avoir l’autorité. Et parce que, alors que la science n’est pas possédée, l’acte de juger auquel quelqu’un est obligé en vertu de l’autorité reçue ne peut être bien accompli, l’autorité de juger, qui est une clé, sans la science, ne peut être reçue sans péché, mais la science sans l’autorité peut être possédée sans péché.

[17791] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas conficiendi est ad unum tantum actum alterius generis; et ideo non connumeratur clavibus, nec multiplicatur sicut potestas clavium, quae est ad diversos actus, quamvis secundum auctoritatis essentiam sit una, ut dictum est.

3. Le pouvoir de réaliser [le corps véritable du Christ] est ordonné à un seul acte d’un autre genre. C’est pourquoi il n’est pas compté parmi les clés et il n’est pas multiplié comme le pouvoir des clés, qui est ordonné à divers actes, bien qu’il soit unique selon son essence, comme on l’a dit.

[17792] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod velle unicuique est liberum; et ideo ad volendum non exigitur auctoritas; et propter hoc voluntas non ponitur clavis.

4. Vouloir est libre pour tous. C’est pourquoi l’autorité n’est pas requise pour vouloir. Pour cette raison, la volonté n’est pas indiquée comme une clé.

[17793] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Trinitas tota eodem modo remittit peccata sicut una persona; et ideo non oportet quod sacerdos, qui minister est Trinitatis, claves habeat tres: et praecipue cum voluntas, quae spiritui sancto appropriatur, clavem non requirat, ut dictum est.

5. La Trinité entière remet de la même manière les péchés, de même qu’une seule personne. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que le prêtre, qui est ministre de la Trinité, possède trois clés, surtout que la volonté, qui est appropriée à l’Esprit Saint, ne requiert pas de clé, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 2 [17794] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 tit. Utrum macula aliquid positive in anima sit

Article 2 – La souillure existe-t-elle de manière positive dans l’âme ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La souillure existe-t-elle de manière positive dans l’âme ?]

[17795] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod macula aliquid positive in anima sit. Si enim est privatio tantum, non erit privatio nisi ejus quod per peccatum aufertur. Sed haec est gratia. Ergo cum omne peccatum gratiam auferat, omnium peccatorum erit una macula; et sic secundum peccatum nullam maculam animae adjiciet praeter maculam primi peccati.

1. Il semble que la souillure existe de manière positive dans l’âme. En effet, si elle n’est qu’une privation, elle ne sera que la privation de ce qui est enlevé par le péché. Or, telle est la grâce. Puisque tout péché enlève la grâce, il n’y aura donc qu’une seule souillure pour tous les péchés, et ainsi, un deuxième péché n’ajoutera aucune souillure à l’âme en plus de la souillure du premier péché.

[17796] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, privatio quae ex peccato in anima relinquitur, dicitur caecitas, vel tenebra, quae ad intellectum pertinet. Sed haec macula non est hujusmodi, cum ad effectum pertinere videatur. Ergo macula non est privatio tantum, sed aliquid ponit.

2. La privation qui demeure dans l’âme à la suite du péché est appelée « cécité » ou « ténèbre », ce qui se rapporte à l’intelligence. Or, cette souillure n’est pas de ce genre, puisqu’elle semble relever de l’effet. La souillure n’est donc pas seulement une privation, mais elle produit quelque chose.

[17797] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, macula quam quis et tactu alicujus immundi contrahit, quae et contagio dicitur, aliquid positive est. Sed macula peccati etiam contagio dicitur. Ergo est aliquid positive.

3. La souillure que l’on contracte aussi par le contact avec quelque chose d’impur et qu’on appelle contagion, est quelque chose de manière positive. Or, la souillure du péché est aussi appelée une contagion. Elle est donc quelque chose de manière positive.

[17798] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, privatio quaedam poena est. Sed in peccato macula contra poenam vel reatum dividitur. Ergo macula non est privatio tantum gratiae; et sic idem quod prius.

4. La privation est une certaine peine. Or, dans le péché, la souillure se distingue de la peine ou de la dette. La souillure n’est donc pas seulement une privation de la grâce. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[17799] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ex peccato non remanet positive aliquid in anima nisi dispositio, vel habitus, quae consequuntur peccatum ex parte actus, ex quo aliquid ponit. Sed macula non est dispositio ex actu causata, nec habitus: quod patet ex hoc quod dispositio et habitus possunt sine gratia destrui per contrariam consuetudinem, quae forte habitum contrarii vitii inducit expellentem contrarium habitum et dispositionem; macula autem sine gratia non aufertur. Ergo macula non ponit aliquid positive in anima.

Cependant, il ne reste du péché de manière positive dans l’âme qu’une disposition ou un habitus, qui découlent du péché du point de vue de l’acte, par quoi quelque chose est produit. Or, la souillure n’est pas une disposition causée par un acte, ni un habitus, ce qui ressort du fait qu’une disposition et un habitus peuvent être détruits sans la grâce par une habitude contraire, qui entraîne peut-être un habitus qui éjecte un habitus et une disposition contraires. Or, la souillure n'est pas enlevée sans la grâce. La souillure ne produit donc pas quelque chose dans l’âme de manière positive.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le péché peut-il être remis quant à la souillure ?]

[17800] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod peccatum nunquam possit remitti quo ad maculam. Quia ex hoc ipso quod aliquis peccavit, pulchritudinem innocentiae amisit. Sed non potest hanc pulchritudinem recuperare, nisi contingeret ipsum non peccasse. Ergo cum hoc sit omnino impossibile, impossibile est quod alicui peccatum remittatur quo ad maculam.

1. Il semble que le péché ne puisse jamais être remis quant à la souillure, car, par le fait même que quelqu’un a péché, il a perdu la beauté de l’innocence. Or, il ne peut retrouver cette beauté que s’il retrouvait le fait même de ne pas avoir péché. Puisque cela est tout à fait impossible, il est donc impossible que le péché soit remis à quelqu’un quant à la souillure.

[17801] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ex hoc ipso homo turpitudinem quamdam habet, quod tempus debitum servitio creatoris, in peccatum expendit. Sed tempus illud quod jam effluxit recuperari non potest. Ergo nec macula mundari.

2. L’homme encourt une souillure par le fait même qu’il a passé dans le péché le temps dû au service du Créateur. Or, ce temps qui s’est écoulé ne peut jamais être retrouvé. La souillure ne peut donc pas non plus être purifiée.

[17802] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ephes. 6, quod Christus conjunxit sibi Ecclesiam non habentem maculam neque rugam. Sed aliqui sunt membra Ecclesiae, qui quandoque maculati fuerunt. Ergo peccatum quo ad maculam remitti potest.

Cependant, il est dit en Ep 6, 2, que le Christ s’est uni une Église sans souillure ni rides. Or, certains sont membres de l’Église, qui ont été souillés à un certain moment. Le péché peut donc être remis quant à la souillure.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le péché, remis quant à  la souillure, est-il remis quant à toute la peine ?]

[17803] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si remittatur peccatum quo ad maculam, remittatur quo ad omnem poenam. Quia remota causa removetur effectus. Sed causa quare aliquis erat reus poenae, est macula culpae. Ergo remota macula, removetur poena.

1. Il semble que le péché, remis quant à la souillure, soit remis quant à toute la peine, car une fois la cause enlevée, l’effet est enlevé. Or, la cause pour la quelle on était digne d’une peine est la souillure du péché. Une fois la souillure enlevée, la peine est donc enlevée.

[17804] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quicumque absque culpa existens punitur, injuste punitur. Sed ille cui remissum est peccatum quo ad maculam, est absque culpa. Ergo injuste puniretur; et ita videtur quod non sit aliqua poena dignus, et sit sibi reatus poenae remissus.

2. Quiconque est puni sans avoir péché est injustement puni. Or, celui à qui le péché a été remis quant à la souillure est sans faute. Il serait donc injustement puni. Ainsi, il semble qu’il ne mérite pas de peine et que la dette de la peine lui ait été remise.

[17805] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, peccatum non punitur per hoc quod remittitur quo ad maculam. Sed omni peccato debetur poena secundum divinam justitiam. Ergo etiam post dimissionem culpae aliquis poenae reatus remanere potest.

Cependant, le péché n’est pas puni du fait qu’il est remis quant à la souillure. Or, selon la justice divine, une peine est due pour tout péché. Même après la remise de la faute, une dette de la peine peut donc demeurer.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17806] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ex hoc aliquid maculatum dicitur, quia debitae pulchritudinis patitur detrimentum. Unde macula, secundum quod hujusmodi, non habet quod aliquid ponat; sed per comparationem ad illud quod pulchritudinis detrimentum causat, aliquid quandoque ponere dicitur: ut aliquid in faciem inductum quod candorem faciei tegit aut privat. Pulchritudo autem animae consistit in assimilatione ipsius ad Deum, ad quem formari debet per claritatem gratiae ab eo susceptam. Sicut autem perceptio claritatis corporalis a sole prohibetur a nobis per aliquod obstaculum interpositum; ita etiam claritas gratiae prohibetur ab anima per peccatum commissum, quod dividit inter nos et Deum, ut dicitur Isa. 59; unde ipsa macula, quantum in se est, non ponit de essentia sua nisi privationem gratiae, sed ponit ut causam obstaculum peccati, quod obstat ad gratiae receptionem; et propter hoc etiam macula tenebra dicitur ratione praedictae similitudinis.

On dit que quelqu’un est souillé parce qu’il a perdu la beauté qui lui est due. De cette manière, la souillure ne peut rien produire, mais, par comparaison avec ce qui cause la perte de la beauté, on dit parfois qu’elle produit quelque chose, comme quelque chose qui, mis sur le visage, couvre l’éclat du visage ou l’en prive. Or, la beauté de l’âme consiste dans sa ressemblance avec Dieu, dont elle doit recevoir la forme par l’éclat de la grâce reçue de lui. De même que la réception de l’éclat corporel provenant du soleil est empêchée par l’interposition d’un obstacle, de même aussi l’éclat de la grâce est-il empêché dans l’âme par le péché commis, qui nous sépare de Dieu, comme il est dit en Is 59. En elle-même, la souillure ne produit donc, par son essence, qu’une privation de la grâce, mais elle pose l’obstacle du péché qui est cause d’une opposition à la réception de la grâce. Pour cette raison, la souillure est aussi appelée « ténèbre » en raison de la ressemblance mentionnée.

[17807] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis quantum ad ipsam privationem gratiae non differant maculae peccatorum, differunt tamen quantum ad causam, ex qua macula consequitur; et secundum hoc etiam quodlibet peccatum unam maculam addit, inquantum novum obstaculum gratiae ponit.

1. Bien que, par la privation même de la grâce, les souillures des péchés ne diffèrent pas, elles diffèrent cependant quant à la cause dont découle la souillure. De cette manière, chaque péché ajoute une souillure, pour autant qu’il met un nouvel obstacle à la grâce.

[17808] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia est in essentia animae, ex qua vires cognitivae et affectivae procedunt; et ideo gratiae lumen et intellectum dirigit, et affectum movet; sed peccatum in utroque defectum inducit; in intellectu quidem, quia omne peccatum ex errore est, secundum Ambrosium, et secundum philosophum omnis malus ignorans; et principaliter in affectu, quia omne peccatum in voluntate est; et ideo macula, et quantum ad ipsam privationem, et quantum ad causam, scilicet peccatum, et intellectum et affectum respicit, sed principalius affectum. Unde non est inconveniens, si macula, et caecitas et tenebra dicatur.

2. La grâce se trouve dans l’essence de l’âme, dont procèdent les puissances cognitives et affectives. C’est pourquoi la lumière de la grâce dirige l’intelligence et meut l’affectivité. Or, le péché entraîne une carence dans les deux : dans l’intelligence, parce que tout péché vient d’une erreur, selon Ambroise, et que, selon le Philosophe, tout méchant est un ignorant ; et principalement dans l’affectivité, parce que tout péché se trouve dans la volonté. C’est pourquoi la souillure concerne l’intelligence et l’affectivité quant à la privation et quant à sa cause, le péché, mais principalement l’affectivité. Il n’est donc pas inapproprié que la souillure soit appelée « cécité » et « ténèbre ».

[17809] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod macula dicitur contagio, non quantum ad privationem ipsam, sed quantum ad causam privationis; quia ex hoc ipso quod peccatum affectum quodammodo tangit, privatio dicta in ipso consequitur.

3. La souillure est appelée contagion, non pas pour ce qui est la privation elle-même, mais quant à la cause de la privation, car, par le fait même que le péché atteint d’une certaine manière l’affectivité, la privation en question résulte en elle.

[17810] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod macula quantum ad causam dividitur ab omni poena; sed quantum ad privationem ipsa dividitur a poena inflicta, non autem a poena quae peccatum concomitatur.

4. Quant à sa cause, la souillure est distincte de toute peine; mais, quant à la privation, elle est distincte de la peine infligée, mais non de la peine qui est concomitante au péché.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17811] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod macula obscuritatis ex interpositione causata non potest auferri, nisi obstaculum interpositum amoveatur. Peccatum autem, quod erat obstaculum interpositum, prohibens gratiae claritatem, non potest removeri ut factum non sit, sed ut effectum avertendi Deum a nobis non habeat, qui propter aversionem qua ab eo aversi propter peccatum fuimus, a nobis aversus manebat; et ideo secundum hoc quod se ad nos sua benignitate convertit, dicitur peccatum nostrum remittere; sicut nos offensam alicui remittimus, cum ad eum propter offensam praeteritam ulterius malevolentiam non servamus; quae quidem in Deum secundum effectum accipienda sunt, ut in 3 Lib. dist. 32, dictum est; et propter hoc etiam Deus remittendo peccatum dicitur ipsum tegere, quasi non aspiciens ad praeteritum peccatum, ut ratione ejus gratiam nobis deneget.

La souillure de l’obscurité causée par l’interposition ne peut être enlevée que si l’obstacle interposé est enlevé. Or, le péché, qui était l’obstacle interposé empêchant l’éclat de la grâce, ne peut être enlevé en faisant qu’il n’ait pas existé, mais qu’il n’ait pas comme effet de nous détourner de Dieu, qui, en raison du détournement par lequel nous avions été détournés par le péché, demeurait détourné de nous. C’est pourquoi, selon qu’Il se tourne vers nous par sa bienveillance, on dit qu’Il remet notre péché, comme nous remettons une offense à quelqu’un lorsque nous ne gardons plus de malveillance envers lui. En Dieu, cela doit s’entendre selon l’effet, comme on dit dans le livre III, d. 32. Pour cette raison aussi, on dit que Dieu recouvre le péché en le remettant, comme s’il ne nous refuse pas sa grâce à cause du péché passé dont il détourne le regard.

[17812] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non reparetur pulchritudo animae quantum ad aliquod accidens, quod erat dignitas innocentiae; reparatur tamen quantum ad decorem gratiae quae restituitur.

1. Bien que la beauté de l’âme ne soit pas rétablie quant à un accident, qui était la dignité de l’innocence, elle est cependant rétablie quant à la beauté de la grâce qui est restituée.

[17813] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum: quia non semper homo recuperat omnia damna quae passus est vel temporis, vel aliorum; sed recuperat amissam pulchritudinem quantum ad essentiam decoris spectat.

2. L’homme ne recouvre pas toujours tous les dommages qu’il a encourus soit par le temps, soit de la part des autres, mais il retrouve la beauté perdue pour ce qui concerne l’essence de cette beauté.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17814] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in peccato duo sunt, scilicet conversio ad commutabile bonum, et aversio ab incommutabili bono; et secundum hoc duo sunt effectus peccati. Unus est indignatio Dei ad nos, aversioni peccati respondens: alius est poena inordinatam conversionem ordinans. Et quia primo in peccato ex parte nostra est conversio; et quod est prius in generatione, est posterius in destructione; ideo ex parte Dei primo est reconciliatio ipsius ad nos, et secundum hoc est liberatio a debito poenae. Sed poena est duplex; scilicet exterminans hostes, et talis poena ex reconciliatione ipsa removetur; alia poena est quae corrigit civem, et filium, vel amicum; et debitum ejus potest remanere reconciliatione jam facta; et ideo simul cum peccatum remittitur quo ad maculam, remittitur quo ad poenam aeternam, quae est exterminans, sed non quo ad poenam temporalem, quae est corrigens.

Il y a deux choses dans le péché : la conversion à un bien changeant, et l’aversion du bien immuable. Il y a ainsi deux effets du péché. Le premier est l’indignation de Dieu à notre endroit, qui répond à l’aversion du péché ; l’autre est la peine qui remet en ordre une conversion désordonnée. Et parce que la conversion de notre part vient en premier lieu, et que ce vient en premier dans la génération vient en dernier dans la destruction, du point de vue de Dieu, la réconciliation de Dieu avec nous vient en premier : c’est ainsi que se réalise la libération de la peine due. Mais la peine est double. Elle extermine les ennemis : une telle peine est enlevée par la réconciliation elle-même. L’autre peine est celle qui corrige le citoyen, le fils ou l’ami : sa dette peut demeurer après la réconciliation. C’est pourquoi, en même temps que le péché est remis quant à la souillure, il est remis quant à la peine éternelle, qui est exterminatrice, mais non quant à la peine temporelle, qui est correctrice.

[17815] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut actus praeexistens fuit causa maculae, et tamen transeunte actu non transit macula; ita actus mediante macula fuit causa debiti; et ideo non oportet quod cessante macula debitum poenae cesset, quia cessante primo effectu non oportet quod cesset secundus.

1. Comme l’acte préexistant a été la cause de la souillure et que, l’acte terminé, la souillure demeure, de même l’acte, par l’intermédiaire de la souillure, a été la cause de la dette. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, la souillure cessant, cesse la dette de la peine, car, le premier effet cessant, il n’est pas nécessaire que cesse le second.

[17816] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod iste cui remissa est culpa quantum ad maculam, adhuc dignus est propter actum quem commisit, poenam sustinere; quamvis non sit dignus a Deo alienus esse.

2. Celui à qui la faute a été remise quant à la souillure, mérite encore de supporter une peine pour l’acte qu’il a commis, bien qu’il ne mérite pas d’être séparé à Dieu.

 

 

Articulus 3[17817] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum potestas clavium se extendat ad remissionem culpae

Article 3 – Le pouvoir des clés va-t-il jusqu’à la rémission de la faute ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le pouvoir des clés va-t-il jusqu’à la rémission de la faute ?]

[17818] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod potestas clavium se extendat ad remissionem culpae. Joan. 20, 25, dicitur discipulis: quorum remiseritis peccata, remittuntur eis. Sed hoc non dicitur quantum ad manifestationem tantum, ut Magister in littera dicit, quia sic sacerdos novi testamenti non haberet majorem potestatem quam sacerdos veteris testamenti. Ergo exercet potestatem in culpae remissione.

1. Il semble que le pouvoir des clés aille jusqu’à la rémission de la faute. En Jn  20, 25, il est dit aux disciples : Ceux à qui vous aurez remis les péchés, ils leur sont remis. Or, cela n’est pas dit seulement seulement pour mettre en évidence, comme le dit le Maître dans le texte, car ainsi le prêtre de la nouvelle alliance n’aurait pas un pouvoir plus grand que le prêtre de l’ancienne alliance. Il exerce donc un pouvoir pour la rémission de la faute.

[17819] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in poenitentia datur gratia ad remissionem peccati. Sed hujus sacramenti dispensator est sacerdos ex vi clavium. Ergo cum gratia non opponatur peccato ex parte poenae, sed ex parte culpae, videtur quod sacerdos ad remissionem culpae operetur ex vi clavium.

2. Par la pénitence, la grâce est donnée en vue de la rémission du péché. Or, le dispensateur de ce sacrement est le prêtre en vertu du pouvoir des clés. Puisque la grâce ne s’oppose pas au péché du point de vue de la peine, mais du point de vue de la faute, il semble donc que le prêtre agit en vertu du pouvoir des clés en vue de la rémission de la faute

[17820] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, majorem virtutem recipit sacerdos ex sua consecratione quam aqua Baptismi ex sua sanctificatione. Sed aqua Baptismi hanc vim accipit, ut corpus tangat, et cor abluat, secundum Augustinum. Ergo multo fortius sacerdos in sui consecratione hanc potestatem accipit, ut cor a culpae macula abluere possit.

3. Le prêtre reçoit un plus grand pouvoir par sa consécration que l’eau du baptême par sa sanctification. Or, « l’eau du baptême reçoit le pouvoir de toucher le corps et de laver le cœur », selon Augustin. À bien plus forte raison, le prêtre reçoit-il donc par sa consécration le pouvoir de laver le cœur de la souillure de la faute.

[17821] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, supra Magister dixit, dist. 5, quod Deus hanc potestatem non contulit ministro quod ad interiorem mundationem cooperaretur ei. Sed si peccata quo ad culpam remitteret, cooperaretur ei in mundatione interiori. Ergo potestas clavium non se extendit ad culpae dimissionem.

Cependant, [1] le Maître a dit plus haut, d. 5, que Dieu n’a pas conféré au ministre de coopérer avec lui à la purification intérieure. Or, si [le ministre] remettait les péchés quant à la faute, il coopérerait avec lui à la purification intérieure. Le pouvoir des clés ne va donc pas jusqu’à l’enlèvement de la faute.

[17822] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, peccatum non dimittitur nisi per spiritum sanctum. Sed dare spiritum sanctum non est alicujus hominis, ut in 1 Lib. Magister dixit, dist. 14. Ergo nec peccata remittere quo ad culpam.

2. Le péché n’est enlevé que par l’Esprit Saint. Or, il n’appartient pas à un homme de donner l’Esprit Saint, comme le Maître l’a dit dans le livre I, d. 14. Il ne lui appartient donc pas non plus de remettre les péchés quant à la faute.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le prêtre peut-il remettre le péché quant à la peine ?]

[17823] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possit remittere peccatum quo ad poenam. Peccato enim debetur poena aeterna et temporalis. Sed adhuc post absolutionem sacerdotis manet poenitens obligatus ad poenam temporalem in Purgatorio vel in hoc mundo faciendam. Ergo non dimittit aliquo modo poenam.

1. Il semble qu’il ne puisse remettre le péché quant à la peine. En effet, une peine éternelle et une peine temporelle sont dues pour le péché. Or, même après l’absolution du prêtre, le pénitent demeure obligé à une peine temporelle à accomplir au purgatoire ou en ce monde. [Le prêtre] ne remet donc la peine d’aucune manière.

[17824] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacerdos non potest praejudicare divinae justitiae. Sed ex divina justitia taxata est poena poenitenti quam debet subire. Ergo sacerdos de ea non potest aliquid remittere.

2. Le prêtre ne peut préjuger de la justice divine. Or, la peine que le pénitent doit subir a été imposée au pénitent selon la justice divine. Le prêtre ne peut donc rien en remettre.

[17825] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ille qui parvum peccatum commisit, non est minus susceptivus effectus clavium quam ille qui commisit majus peccatum. Sed aliquid de poena per officium sacerdotis de majori peccato dimittitur. Possibile est ergo esse aliquod parvum peccatum, cui non debeatur plus de poena quam illud quod de majori peccato dimissum est. Ergo poterit totam poenam illius parvi peccati dimittere; quod falsum est.

3. Celui qui a commis un petit péché n’est pas moins susceptible de recevoir l’effet des clés que celui qui a commis un plus grand péché. Or, une partie de la peine d’un plus grand péché est remise par la fonction du prêtre. Il est donc possible qu’il existe un petit péché pour lequel ne soit pas due une plus grande peine que ce qui a été remis pour un plus grand péché. Il pourra donc remettre toute la peine de ce petit péché, ce qui est faux.

[17826] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, tota poena temporalis peccato debita est unius rationis. Si ergo per primam absolutionem dimittatur aliquid de poena, et per secundam ab eodem peccato absolutionem poterit aliquid remitti; et sic tantum poterit multiplicari absolutio, quod vi clavium tota poena tollatur, cum secunda absolutio non sit minoris efficaciae quam prima; et sic peccatum remanebit omnino impunitum; quod est inconveniens.

4. Toute la peine temporelle due pour un péché est de la même nature. Si donc une partie de la peine est remise par une pemière absolution, une partie pourra en être remise aussi par une seconde absolution pour le même péché. Ainsi, l’absolution pourra être multipliée au point que toute la peine soit enlevée, puisque la deuxième absolution n’est pas moins efficace que la première. Et ainsi, le péché demeurera totalement impuni, ce qui est inapproprié.

[17827] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, clavis potestas est ad ligandum et solvendum. Sed potest sacerdos adjungere poenam temporalem. Ergo et potest absolvere a poena.

Cependant, [1] le pouvoir de la clé existe en vue de lier et de délier. Or, le prêtre peut ajouter une peine temporelle. Il peut donc absoudre de la peine.

[17828] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sacerdos non potest dimittere peccatum quantum ad culpam, ut in littera dicitur, nec quantum ad poenam aeternam pari ratione. Si ergo non potest remittere quantum ad poenam temporalem, nullo modo remittere poterit; quod est omnino contrarium dictis Evangelii.

[2] Le prêtre ne peut pas remettre le péché quant à la faute, comme on le dit dans le texte, ni quant à la peine éternelle, pour la même raison. Si donc il ne peut remettre quant à la peine éternelle, il ne pourra remettre d’aucune manière, ce qui est tout à fait contraire à ce que dit l’évangile.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le prêtre peut-il lier en vertu du pouvoir des clés ?]

[17829] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacerdos per potestatem clavium ligare non possit. Virtutes enim sacramentales ordinantur contra peccatum ut medicina. Sed ligare non est medicina peccati, sed magis aggravatio morbi, ut videtur. Ergo sacerdos per vim clavium, quae est vis sacramentalis, non potest ligare.

1. Il semble que le prêtre ne puisse lier en vertu du pouvoir des clés. En effet, les pouvoirs sacramentels sont ordonnés contre le péché comme un remède. Or, lier n’est pas un remède contre le péché, mais plutôt une aggravation de la maladie, semble-t-il. Le prêtre ne peut donc pas lier par la puissance des clés qui est une puissance sacramentelle.

[17830] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut absolvere vel aperire est amovere obstaculum, ita ligare est obstaculum ponere. Sed obstaculum regni peccatum est, quod nobis ex alio imponi non potest, quia non nisi voluntate peccatur. Ergo sacerdos ligare non potest.

2. De même qu’absoudre ou ouvrir consiste à enlever un obstacle, de même lier consiste à mettre un obstacle. Or, l’obstacle au royaume est le péché, qui ne peut nous être imposé par un autre, car on ne pèche que par sa volonté. Le prêtre ne peut donc pas lier.

[17831] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, claves ex passione Christi efficaciam habent. Sed ligare non est effectus passionis. Ergo ex clavium potestate non potest sacerdos ligare.

3. Les clés tirent leur efficacité de la passion du Christ. Or, lier n’est pas un effet de la passion. Le prêtre ne peut donc pas lier en vertu du pouvoir des clés.

[17832] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 16, 19: quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in caelis.

Cependant, [1] il est dit en Mt 16, 19 : Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aussi dans le ciel.

[17833] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, potestates rationales sunt ad opposita. Sed potestas clavium est potestas rationalis, cum habeat discretionem adjunctam. Ergo habet se ad opposita. Ergo si potest solvere, potest et ligare.

[2] Les pouvoirs sacramentels portent sur des choses contraires. Or, le pouvoir des clés est une puissance rationnelle, puisque que le discernement y est joint. Il porte donc sur des choses contraires. S’il peut délier, il peut donc aussi lier.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le prêtre peut-il lier et délier selon son propre jugement ?]

[17834] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod possit ligare et solvere secundum proprium arbitrium. Hieronymus enim dicit: mensuram temporis in agendo poenitentiam non satis aperte praefigunt canones pro unoquoque crimine, ut de singulis dicant qualiter unumquodque sit emendandum; sed magis arbitrio sacerdotis intelligentis relinquendum statuunt. Ergo videtur quod ipse secundum suum arbitrium possit ligare et solvere.

1. Il semble qu’il puisse lier et délier selon son propre jugement. En effet, Jérôme dit : « Les canons n’indiquent pas assez précisément la durée du temps de la pénitence pour chaque forfait, de sorte qu’on puisse dire comment chacun doit être corrigé, mais ils établissent qu’il faut plutôt la laisser au jugement d’un prêtre qui comprend. » Il semble donc qu’il puisse donc lier et délier selon son propre jugement.

[17835] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, dominus laudavit villicum iniquitatis, quod prudenter fecisset, quia debitoribus domini sui remisisset largiter. Sed Deus magis pronus est ad miserendum quam aliquis dominus temporalis. Ergo videtur quod laudabilior sit quantum plus de poena dimiserit.

2. Le Seigneur a louangé l’intendant inique d’avoir agi avec sagesse en remettant généreusement aux débiteurs de son maître. Or, Dieu est plus empressé de faire miséricorde qu’un maître temporel. Il semble donc que [le prêtre] doit être d’autant plus louangé qu’il remet davantage de la peine.

[17836] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, omnis Christi actio, nostra est instructio. Sed ipse quibusdam peccantibus nullam poenam imposuit, sed solum emendationem vitae, ut patet de adultera, Joan. 8. Ergo videtur quod ad arbitrium suum possit etiam sacerdos, qui est vicarius Christi, poenam totam dimittere, vel partem.

3. Toute action du Christ est pour nous un enseignement. Or, lui-même n’a imposé aucune peine à certains pécheurs, mais seulement la correction de leur vie, comme cela ressort pour la femme adultère, Jn 8. Il semble donc que le prêtre, qui est vicaire du Christ, puisse donc aussi, selon son propre jugement, remettre la peine en totalité ou en partie.

[17837] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Gregorius dicit: falsam poenitentiam dicimus quae non secundum auctoritatem sanctorum patrum pro qualitate criminis imponitur. Ergo videtur quod non omnino sit in arbitrio sacerdotis.

Cependant, [1] Grégoire dit : « Nous appelons une fausse pénitence celle qui n’est pas imposée en fonction de la qualité de la faute, selon l’autorité des saints pères. » Il semble donc que cela ne relève pas entièrement du jugement du prêtre.

[17838] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ad actum clavium requiritur discretio. Sed si esset omnino in voluntate sacerdotis dimittere, et imponere de poena quantum vellet, non esset ibi necessaria discretio: quia nunquam ibi indiscretio posset accidere. Ergo non est omnino in arbitrio sacerdotis.

[2] Un jugement est nécessaire pour exercer l’acte des clés. Or, s’il était entièrement au pouvoir du prêtre de remettre et d’imposer une peine comme il le voudrait, un jugement ne serait pas là nécessaire, puisque jamais un manque de jugement ne pourrait y survenir. Il ne relève donc pas entièrement du jugement du prêtre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17839] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacramenta, secundum Hugonem, ex sanctificatione invisibilem gratiam continent. Sed haec sanctificatio quandoque ad necessitatem sacramenti requiritur tam in materia quam in ministro, sicut patet in confirmatione; et tunc vis sacramentalis est in utroque conjunctim. Quandoque autem ex necessitate sacramenti non requiritur nisi sanctificatio materiae, sicut est in Baptismo, quia non habet ministrum determinatum quantum ad sui necessitatem; et tunc tota vis sacramentalis consistit in materia. Quandoque vero de necessitate sacramenti requiritur consecratio vel sanctificatio ministri, sine aliqua sanctificatione materiae: et tunc tota vis sacramentalis consistit in ministro, sicut est in poenitentia. Unde eodem modo se habet potestas clavium quae est in sacerdote, ad effectum sacramenti poenitentiae, sicut se habet virtus quae est in aqua Baptismi, ad effectum Baptismi. Baptismus autem et sacramentum poenitentiae conveniunt quodammodo in effectu, quia utrumque contra culpam ordinatur directe, quod non est de aliis sacramentis; sed in hoc differunt, quia sacramentum poenitentiae, eo quod habet actus suscipientis quasi materiales, non potest dari nisi adultis, in quibus requiritur praeparatio ad suscipiendum effectum sacramentorum; sed Baptismus quandoque datur adultis, et quandoque pueris, et aliis carentibus usu rationis; et ideo per Baptismum datur gratia et remissio peccatorum pueris sine aliqua sui praeparatione praecedente; non autem adultis, in quibus praeexigitur praeparatio removens fictionem: quae quidem praeparatio quandoque praecedit, sufficiens ad gratiae susceptionem, antequam Baptismus actu percipiatur, sed non ante votum Baptismi, post tempus propalatae veritatis. Quandoque autem talis praeparatio tempore non praecedit, sed est simul cum Baptismi susceptione; et tunc per Baptismi susceptionem gratia remissionis culpae confertur. Sed per poenitentiae sacramentum nunquam datur gratia nisi praeparatio adsit, vel prius fuerit; unde virtus clavium operatur ad culpae remissionem vel in voto existens, vel etiam in actu se exercens, sicut et aqua Baptismi. Sed sicut Baptismus non agit ut principale agens; sed ut instrumentum, non quidem pertingens ad ipsam gratiae susceptionem causandam etiam instrumentaliter, sed disponens ad gratiam, per quam fit remissio culpae; ita est de potestate clavium. Unde solus Deus remittit per se culpam, et in virtute ejus agit instrumentaliter et Baptismus ut instrumentum inanimatum, et sacerdos ut instrumentum animatum, quod dicitur servus secundum philosophum in 8 Ethic.; et ideo sacerdos agit ut minister. Et sic patet quod potestas clavium ordinatur aliquo modo ad remissionem culpae, non sicut causans, sed sicut disponens ad eam. Unde si ante absolutionem aliquis non fuisset perfecte dispositus ad gratiam suscipiendam, in ipsa confessione, et absolutione sacramentali gratiam consequeretur, si obicem non poneret. Si enim clavis nullo modo ad culpae remissionem ordinaretur, sed ad dimissionem poenae tantum, ut quidam dicunt, non exigeretur votum suscipiendi effectum clavium ad culpae remissionem, sicut non exigitur votum suscipiendi alia sacramenta quae non ordinantur ad culpam, sed contra poenam. Sed hoc facit videri quod non ordinantur ad culpae dimissionem: quia semper usus clavium ad hoc quod effectum habeat, requirit praeparationem ex parte recipientis sacramentum; et similiter videretur de Baptismo, si nunquam daretur nisi adultis.

 

Selon Hugues, les sacrements contiennent la grâce invisible en raison d’une sanctification invisible. Or, parfois, cette sanctification est requise de manière nécessaire pour le sacrement tant pour la matière que pour le ministre, comme cela ressort pour la confirmation ; alors, la puissance sacramentelle existe conjointement dans les deux. Mais, parfois, n’est requise pour ce qui est nécessaire pour le sacrement que la sanctification de la matière, comme dans le baptême, car il n’a pas de ministre déterminé pour ce qui lui est nécessaire ; alors, toute la puissance sacramentelle se trouve dans la matière. Parfois, cependant, une consécration ou une sanctification du ministre est requise pour ce qui est nécessaire au sacrement, sans aucune sanctification de la matière ; alors, toute la puissance sacramentelle se trouve dans le ministre, comme c’est le cas pour la pénitence. Aussi le pouvoir des clés qui se trouve chez le prêtre a-t-il le même rapport avec l’effet du sacrement de pénitence, que la puissance qui se trouve dans l’eau du baptême par rapport à l’effet du baptême. Or, le baptême et le sacrement de pénitence ont d’une certaine manière un effet commun, car les deux sont ordonnés directement contre la faute, ce qui n’est pas le cas des autres sacrements. Mais ils diffèrent en ce que le sacrement de pénitence, du fait qu’il a comme matière des actes de celui qui le reçoit, ne peut être donné qu’aux adultes, chez qui une préparation est nécessaire pour recevoir l’effet des sacrements, alors que le baptême est donné parfois à des adultes et parfois à des enfants, et à d’autres à qui l’usage de la raison fait défaut. C’est pourquoi, par le baptême, la grâce et la rémission des péchés sont données aux enfants sans préparation antérieure de leur part, mais non aux adultes, chez qui une préparation enlevant la feinte est requise auparavant. Cette préparation parfois précède et suffit pour recevoir la grâce, avant que le baptême ne soit reçu en acte, mais non pas avant le propos du baptême, après le moment où la vérité a été annoncée. Mais, parfois, une telle préparation ne précède pas dans le temps, mais coïncide avec la réception du baptême ; alors, la grâce de la rémission de la faute est donnée par la réception du baptême. Mais, par la sacrement de pénitence, jamais la grâce n’est donnée si une préparation n’est pas présente ou n’a pas précédé. Ainsi agit la puissance des clés, selon qu’on en a le propos ou selon qu’elle s’exerce en acte, comme l’eau dans le baptême. Mais, de même que le baptême n’agit pas comme agent principal mais comme un instrument, n’allant pas jusqu’à causer la réception de la réception de la grâce, mais disposant à la grâce par laquelle est réalisée la rémission de la faute, de même en est-il du pouvoir des clés. Aussi seul Dieu remet-il par lui-même la faute, et le baptême agit-il comme un instrument inanimé, alors que le prêtre agit comme un instrument animé, que le Philosophe appelle asservi, dans Éthique, VIII. C’est pourquoi le prêtre agit comme ministre. Il ressort donc ainsi que le pouvoir des clés est ordonné d’une certaine manière à la rémission de la faute, non pas en la causant, mais comme en y disposant. Si donc quelqu’un n’était pas parfaitement disposé à recevoir la grâce avant l’absolution, il recevrait la grâce par la confession elle-même et par l’absolution sacramentelle, s’il n’y met pas d’obstacle. En effet, si la clé n’était d’aucune manière ordonnée à la rémission de la faute, mais seulement à la rémission de la peine, comme certains le disent, le propos de recevoir l’effet des clés en vue de la rémission de la faute ne serait pas exigé, comme n’est pas exigé le propos de recevoir les autres sacrements qui ne sont pas destinés à la faute, mais contre la peine. Mais, qu’ils ne soient pas ordonnés à l’enlèvement de la faute, on le voit par le fait que l’usage des clés, pour obtenir son effet, exige une préparation de la part de celui qui reçoit le sacrement. Et on le verrait aussi dans le baptême, s’il n’était donné qu’aux adultes.

[17840] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Magister dicit in littera, sacerdotibus commissa est potestas remittendi peccata, non ut propria virtute remittant, quia hoc Dei est; sed ut operationem Dei remittentis ostendant tamquam ministri. Sed hoc contingit tribus modis. Uno modo ut ostendant eam non praesentem, sed promittant futuram sine hoc quod aliquid operentur ad ipsam; et sic sacramenta veteris legis operationem Dei significabant; unde et sacerdos veteris legis ostendebat tantum, et nihil operabatur. Alio modo ut significent praesentem, et nihil operentur ad eam; et sic quidam dicunt quod sacramenta novae legis significant collationem gratiae, quam Deus in ipsa sacramentorum collatione dat, sine hoc quod in sacramentis sit aliqua virtus operans ad gratiam; et secundum hanc opinionem quae in 1 dist. tacta est, etiam potestas clavium esset tantum ostendens divinam operationem in remissione culpae in ipsa sacramenti collatione facta. Tertio modo ut significent divinam operationem in remissionem culpae praesentem, et ad ipsam aliquid dispositive et instrumentaliter operentur; et sic secundum aliam opinionem, quae sustinetur communius, sacramenta novae legis emundationem ostendunt divinitus factam; et hoc modo etiam sacerdos novi testamenti ostendit absolutos a culpa: quia proportionaliter oportet loqui de sacramentis et potestate ministrorum. Nec obstat quin claves Ecclesiae ad remissionem culpae disponant, quia culpa jam remissa est; sicut nec quod Baptismus disponat, quantum in se est, in eo qui jam sanctificatus est.

1. Comme le Maître le dit dans le texte, le pouvoir de remettre les péchés a été donné aux prêtres, non pas pour qu’ils les remettent par leur propre puissance, car cela appartient à Dieu, mais afin qu’ils manifestent comme ministres l’action de Dieu qui remet. Mais cela se produit de trois manières. D’une manière, pour montrer qu’il n’est pas présent, mais pour promettre qu’il sera là sans qu’ils aient à rien faire pour lui : ainsi, les sacrements de la loi ancienne signifiaient l’action de Dieu ; aussi le prêtre de la loi ancienne montrait-il seulement, sans rien réaliser. D’une autre manière, pour signifier que [l’action de Dieu] est présente et qu’ils ne font rien pour elle : ainsi, certains disent que les sacrements de la loi nouvelle signifient que la grâce est donnée, que Dieu donne par l’administration même des sacrements, sans qu’il y ait dans les sacrements une puissance agissant en vue de la grâce ; selon cette opinion, qui a été abordée dans la d. 1, le pouvoir des clés aussi montrerait seulement l’action divine dans la rémission de la faute réalisée par l’administration même du sacrement. D’une troisième manière, pour signifier que l’action divine est présente dans la rémission de la faute et qu’ils font quelque chose pour elle par mode de disposition et d’instrument : ainsi, selon une autre opinion, qui est plus généralement soutenue, les sacrements de la loi nouvelle montrent la purification réalisée par Dieu ; de cette manière aussi, le prêtre de la nouvelle alliance montre ceux qui sont déliés de la faute, car il est nécessaire de parler d’une manière proportionnelle des sacrement et du pouvoir des ministres. À cela ne s’oppose pas le fait que les clés de l’Église disposent à la rémission de la faute, car la faute a déjà été remise, comme cela ne fait non plus rien que le baptême dispose, pour ce qui le concerne, chez celui qui a déjà été sanctifié.

[17841] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod neque sacramentum poenitentiae neque sacramentum Baptismi operando pertingit directe ad gratiam, nec ad culpae remissionem, sed dispositive.

2. Ni le sacrement de pénitence ni le sacrement de baptême n’atteignent directement la grâce par leur action, mais ils y disposent.

[17842] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Unde etiam patet responsio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument ressort aussi clairement.

[17843] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 1 ad s. c. Aliae rationes ostendunt quod ad remissionem culpae directe clavium potestas non operetur; quod est concedendum.

Les autres arguments montrent que le pouvoir des clés n’agit pas directement pour la rémission de la faute, ce qu’il faut concéder.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17844] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod idem judicium est de effectu quem potestas clavium actualiter exercita complet in eo in quo contritio tempore praecessit, et de effectu Baptismi qui jam habenti gratiam datur. Aliquis enim per fidem et contritionem praecedentem Baptismum, gratiam remissionis peccatorum quantum ad culpam consecutus est; sed quando actualiter postea Baptismum suscipit, gratia augetur, et a reatu poenae totaliter absolvitur, eo quod fit particeps passionis Christi. Et similiter ille qui per contritionem consecutus est remissionem peccatorum quantum ad culpam, et per consequens quantum ad reatum poenae aeternae, quae simul cum culpa dimittitur, ex vi clavium ex passione Christi efficaciam habentium augetur gratia, et poena remittitur temporalis, cujus reatus adhuc remanserat post culpae remissionem; non tamen totus, sicut in Baptismo, sed pars ejus: eo quod in Baptismo homo regeneratur configuratus passioni Christi, totaliter efficaciam passionis Christi, quae sufficit ad omnem poenam delendam, in se suscipiens; ut nihil de prioris peccati actualis poena remaneat: quia non debet alicui imputari ad poenam, nisi quod ipsemet fecit. In Baptismo autem homo novam vitam accipiens fit per gratiam baptismalem novus homo; et ideo nullus reatus poenae remanet in eo pro praecedenti peccato. Sed in poenitentia homo non mutatur in aliam vitam, quia non est regeneratio, sed sanatio quaedam; ideo ex vi clavium, quae operatur in sacramento poenitentiae, non tota poena remittitur, sed aliquid de poena temporali, cujus reatus post absolutionem a poena aeterna remanere potuit, ut dictum est; nec solum a poena illa quam habet, vel suscipit ab ea poenitens in confitendo, ut quidam dicunt: quia sic confessio et sacerdotalis absolutio non essent nisi in onus, quod non competit sacramentis novae legis: sed etiam de illa poena quae in Purgatorio debetur, aliquid remittitur, ut minus in Purgatorio puniatur absolutus ante satisfactionem decedens, quam si ante absolutionem decederet.

Il faut porter le même jugement sur l’effet que le pouvoir des clés réalise, lorsqu’il est exercé en acte sur celui chez qui la contrition a précédé dans le temps, que sur l’effet du baptême qui est donné à celui qui a déjà la grâce. En effet, on a obtenu la rémission des péchés quant à la faute par la foi et la contrition qui précèdent le baptême ; mais lorsque, par la suite, on reçoit effectivement le baptême, la grâce est augmentée et l’on est entièrement absous de la dette de la peine, en participant à la passion du Christ. De même, chez celui qui, par la contrition, a obtenu la rémission des péchés quant à la faute et, par conséquent, quant à la dette de la peine éternelle, qui est enlevée en même temps que la faute, la grâce est augmentée par la puissance des clés qui tiennent leur efficacité de la passion du Christ, et la peine temporelle est remise, dont la dette demeurait même après la rémission de la faute, non pas en totalité, comme dans le baptême, mais partiellement. Par le baptême, en effet, l’homme est régénéré en étant rendu conforme à la passion du Christ et en recevant en lui toute l’efficacité de la passion du Christ, qui suffit à détruire toute peine, de sorte que rien du péché actuel antérieur ne demeure, puisque qu’on ne doit imputer à titre de peine que ce que lui-même a fait. Or, par le baptême, en recevant une vie nouvelle, l’homme devient un homme nouveau par la grâce baptismale ; c’est pourquoi aucune dette de peine ne demeure en lui pour le péché antérieur. Mais, par la pénitence, l’homme n’est pas changé en vue d’une autre vie, car elle n’est pas une régénération, mais une guérison ; c’est pourquoi, par la puissance des clés qui agit dans le sacrement de pénitence, toute la peine n’est pas remise, mais une partie de la peine temporelle, dont la dette pouvait demeurer après l’absolution de la peine éternelle, comme on l’a dit ; et quelque chose est remis, non seulement de la peine que le pénitent a ou reçoit en se confessant, comme le disent certains, car alors la confession et l’absolution sacerdotale ne seraient qu’un poids, ce qui ne convient pas aux sacrements de la loi nouvelle, mais aussi de la peine due au purgatoire, afin que celui qui est absous et meurt sans avoir satisfait soit moins puni au purgatoire que s’il était mort avant l’absolution.

[17845] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non remittit poenam totam temporalem, sed partem; et ideo adhuc manet obligatus ad poenam satisfactoriam.

1. [Le sacrement de pénitence] ne remet pas la peine temporelle en totalité, mais en partie. C’est pourquoi on demeure obligé à une peine satisfactoire.

[17846] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod passio Christi sufficienter satisfecit pro peccatis totius mundi; et ideo sine praejudicio divinae justitiae aliquid de poena sibi debita remitti potest, secundum quod effectus passionis ad ipsum per sacramenta Ecclesiae pertingit.

2. La passion du Christ a suffisamment satisfait pour les péchés du monde entier. C’est pourquoi quelque chose de la peine qui est due pour lui peut être remis sans préjudice pour la justice divine, selon que l’effet de la passion l’atteint par les sacrements de l’Église.

[17847] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pro quolibet peccato oportet aliquam poenam satisfactoriam remanere, per quam medicina contra peccatum praestetur; et ideo, quamvis virtute absolutionis dimittatur aliqua quantitas poenae debitae pro aliquo magno peccato, non oportet quod tanta quantitas poenae dimittatur respectu cujuslibet peccati, quia aliquod peccatum secundum hoc remaneret omnino sine poena; sed virtute clavium de poenis singulorum peccatorum proportionaliter dimittitur.

3. Pour tout péché, il est nécessaire que demeure une peine satisfactoire, par laquelle un remède contre le péché est administré. C’est pourquoi, même si par la puissance de l’absolution une certaine quantité de la peine due pour un grand péché est remise, il n’est pas nécessaire qu’une quantité aussi grande soit remise pour tous les péchés, car un péché demeurerait ainsi sans peine ; mais, par la puissance des clés, les peines pour chacun des péchés sont remises de manière proportionnelle.

[17848] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod in prima absolutione tantum dimittitur vi clavium, quantum dimitti potest; sed tamen valet iterata confessio tum propter instructionem, tum propter majorem certitudinem, tum propter intercessionem confessoris, tum propter verecundiae meritum. Sed hoc non videtur verum: quia etsi haec esset ratio confessionem iterandi, non tamen esset ratio iterandi absolutionem, praecipue in eo qui non habet aliquam causam dubitationis de praecedenti absolutione (ita enim poterit dubitare post secundam absolutionem, sicut post primam): sicut videmus quod sacramentum extremae unctionis non iteratur super eumdem morbum, eo quod totum quod per sacramentum fieri potuit, semel factum est. Et praeterea in secunda confessione non requireretur quod haberet claves ille cui fit confessio, si nihil ibi vis clavium operatur. Et ideo dicunt, quod etiam in secunda absolutione vi clavium de poena remittitur, quia in secunda absolutione gratiae confertur augmentum; et quanto major gratia recipitur, minus de impuritate peccati praecedentis manet; et ideo minor poena purgans debetur. Unde etiam in prima absolutione alicui plus et minus de poena dimittitur vi clavium, secundum quod plus se ad gratiam disponit; et potest esse tanta dispositio, quod etiam ex vi contritionis tota poena tollatur, ut praedictum est, dist. 17, quaest. 3, art. 3 quaestiunc. 2, in corp. Unde etiam non est inconveniens, si per frequentem confessionem etiam tota poena tollatur, ut peccatum omnino remaneat impunitum, pro quo poena Christi satisfecit.

4. Certains disent que, lors de la première absolution, la remise par la puissance des clés est aussi grande qu’elle peut l’être ; cependant, la confession répétée a de la valeur en raison de l’instruction, d’une plus grande certitude, de l’intercession du confesseur et du mérite de la honte. Mais cela ne semble pas vrai, car, même si c’était là la raison de répéter la confession, ce ne serait pas la raison de répéter l’absolution, surtout pour celui qui n’a aucun doute sur l’absolution précédente (en effet, il pourrait ainsi douter après la seconde absolution, comme après la première), comme nous voyons que le sacrement de l’extrême-onction n’est pas répété pour la même maladie, du fait que tout ce que pouvait faire le sacrement, il l’a fait d’un seul coup. De plus, lors de la seconde confession, il ne serait pas nécessaire que celui à qui la confession est faite possède les clés, si la puissance des clés n’agit là en rien. C’est pourquoi ils disent que, même dans la seconde absolution, une partie de la peine est remise par la puissance des clés, car, dans la seconde absolution, une augmentation de la grâce est donnée, et plus grande est la grâce reçue, moins il demeure de l’impureté du péché précédent. Ainsi, une moindre peine purificatrice est due. Aussi, même dans la première absolution, une partie plus ou moins grande de la peine est remise par la puissance des clés, selon qu’elle dispose davantage à la grâce ; et la disposition peut être si grande que, même par la puissance de la contrition, toute la peine soit enlevée, comme on l’a dit plus haut, d. 17, q. 3, qa 2, c. Il n’est donc pas inapproprié que, par une confession fréquente, toute la peine soit aussi enlevée, de sorte qu’un péché pour lequel la peine du Christ a satisfait demeure totalement impuni.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17849] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod operatio sacerdotis in usu clavium est conformis Dei operationi, cujus minister est. Deus autem habet operationem et in culpam et in poenam; sed in culpam ad solvendum quidem directe, ad ligandum autem indirecte, inquantum obdurare dicitur dum gratiam non largitur; sed in poenam habet operationem directe quantum ad utrumque, quia et poenam parcit, et poenam infligit. Similiter ergo sacerdos, etsi in absolvendo ex vi clavium habeat aliquam operationem ordinatam ad culpae dimissionem modo jam dicto, non tamen in ligando aliquam operationem habet in culpam; nisi ligare dicatur inquantum non absolvit, sed ligatos ostendit. Sed in poenam habet potestatem et ligandi et solvendi; solvit enim a poena quam dimittit, sed ligat ad poenam quae remanet. Sed ad hanc ligare dupliciter dicitur. Uno modo considerando ipsam quantitatem poenae in communi; et sic non ligat nisi inquantum non solvit, sed ligatum ostendit. Alio modo, considerando poenam hanc vel illam determinate; et sic ligat ad poenam, imponendo eam.

L’action du prêtre dans l’usage des clés est conforme à l’action de Dieu, dont il est le ministre. Or, Dieu exerce son action sur la faute et sur la peine, mais sur la faute pour absoudre directement et pour lier indirectement, pour autant qu’on dit qu’il endurcit [le cœur] lorsqu’il ne donne pas la grâce ; mais sur la peine, il exerce son action directement sous les deux aspects, car il épargne la peine et inflige la peine. De la même manière, le prêtre, même si, par la puissance des clés, il a une action ordonnée à la rémission de la faute de la manière dite, il n’exerce pas d’action sur la faute en liant, à moins qu’on ne parle de lier que pour autant qu’il ne l’absout pas, mais montre ceux qui sont liés. Mais il possède un pouvoir de lier et de délier pour la peine. En effet, il délie de la peine qu’il remet, mais il lie pour la peine qui demeure. Mais on parle de lier pour celle-ci de deux manières. D’une manière, en prenant en compte la quantité même de la peine d’une manière générale : et ainsi, il ne lie que pour autant qu’il ne délie pas, mais montre celui qui est lié. D’une autre manière, en prenant en compte telle ou telle peine d’une manière détermnée : et ainsi, il lie quant à la peine en l’imposant.

[17850] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud residuum poenae ad quod obligat, est medicina purgans peccati impuritatem.

1. Ce reste de peine auquel il oblige est un remède qui purifie l’impureté du péché.

 [17851] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obstaculum regni non solum peccatum est, sed etiam poena; quam qualiter sacerdos imponat, dictum est.

2. L’obstacle au royaume n’est pas seulement le péché mais aussi la peine ; on a dit comment le prêtre l’impose.

[17852] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam passio Christi obligat nos ad poenam aliquam, per quam ei conformemur.

3. Même la passion du Christ nous oblige à une certaine peine par laquelle nous lui sommes rendus conformes.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17853] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sacerdos operatur in usu clavium sicut instrumentum et minister Dei. Nullum autem instrumentum habet efficacem actum nisi secundum quod movetur a principali agente; et ideo dicit Dionysius in Eccl. Hierar., quod sacerdotibus utendum est virtutibus hierarchicis, quando divinitas eos moverit; in cujus signum, Matth. 16, ante potestatem clavium Petro traditam, fit mentio de revelatione ei facta divinitatis; et Joan. 20, praemittitur potestati remissionis apostolis datae spiritus sancti donum, quo filii Dei aguntur. Unde si quis praeter istum motum divinum uti sua potestate praesumpserit, non consequeretur effectum, ut Dionysius dicit; et propter hoc a divino ordine averteretur; et sic culpam incurreret. Et quia poenae satisfactoriae infligendae ut medicinae sunt; sicut medicinae in arte determinatae, non omnibus competunt, sed variandae sunt secundum arbitrium medici, non propriam voluntatem sequentis, sed medicinae scientiam; ita poenae satisfactoriae in canone determinatae non competunt omnibus, sed variandae sunt secundum arbitrium sacerdotis divino instinctu regulatum. Sicut autem medicus aliquando prudenter non dat medicinam ita efficacem quae ad morbi curationem sufficiat, ne propter debilitatem naturae majus periculum oriatur; ita sacerdos divino instinctu motus non semper totam poenam quae uni peccato debetur, injungit, ne infirmus aliquis ex magnitudine poenae desperet, et a poenitentia totaliter recedat.

Par l’usage des clés, le prêtre agit comme instrument et ministre de Dieu. Or, un instrument n’a un acte efficace que selon qu’il est mû par l’agent principal. C’est pourquoi Denys dit, dans la Hiérarchie ecclésiastique, que les prêtres doivent user des pouvoirs hiérarchiques lorsque la divinité les meut. Le signe en est, en Mt 16, qu’avant que le pouvoir des clés ne soit transmis à Pierre, il est fait mention de la révélation qui lui a été faite de la divinité ; et en Jn 20, le don de l’Esprit Saint, par lequel ils deviennent fils de Dieu, précède le pouvoir de rémission donné aux apôtres. Si donc quelqu’un prétendait user de ce mouvement divin en vertu de son propre pouvoir, il n’obtiendrait pas l’effet, comme Denys le dit, et, pour cette raison, il se détournerait de l’ordre divin et encourrait une faute. Et parce que les peines satisfactoires doivent être infligées comme des remèdes, de même que des remèdes déterminés selon l’art ne conviennent pas à tous, mais qu’ils doivent être diversifiés selon le jugement du médecin, non pas en suivant sa propre volonté, mais la science de la médecine, de même les peines satisfactoires déterminées dans le canon ne conviennent pas à tous, mais doivent être diversifiées selon le jugement du prêtre dirigé par l’inspiration divine. De même que le médecin parfois ne donne pas par prudence une remède assez efficace pour suffire à la guérison de la maladie, de crainte qu’en raison de la faiblesse de la nature un plus grand danger n’en provienne, de même le prêtre, mû par l’inspiration divine, n’impose pas toujours toute la peine due pour un seul péché, de crainte que le malade ne désespère en raison de l’ampleur de la peine et ne s’éloigne totalement de la pénitence.

[17854] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod arbitrium illud debet esse divino instinctu regulatum.

1. Ce jugement doit être dirigé par une inspiration divine.

[17855] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam de hoc laudatur villicus, quod prudenter fecit; et ideo in remissione poenae debitae discretio adhibenda est.

2. L’intendant est aussi louangé parce qu’il a agi sagement. C’est pourquoi il faut montrer du discernement pour la rémission de la peine due.

[17856] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus habuit potestatem excellentiae in sacramentis; unde ipse ex auctoritate poenam totam vel partem poterat dimittere sicut volebat; nec est simile de his qui operantur tantum ut ministri.

3. Le Christ possédait un pouvoir d’excellence sur les sacrements. Il pouvait donc remettre la peine en totalité ou en partie comme il le voulait. Mais il n’en va pas de même de ceux qui agissent seulement comme ministres.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’excommunication]

 

 

Prooemium

Prologue

[17857] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 pr. Deinde quaeritur de excommunicatione; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 de ipsa excommunicatione; 2 quis possit excommunicare; 3 de modo excommunicationis; 4 de communicatione cum excommunicatis; 5 de absolutione ab excommunicatione.

On s’interroge ensuite sur l’excommunication. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Sur l’excommunication elle-même ; 2 – Qui peut excommunier ? 3 – Sur le mode de l’excommunication ; 4 – Sur les échanges avec les excommuniés ; 5 – Sur l’absolution de l’excommunication.

 

 

Articulus 1 [17858] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 tit. Utrum competens sit definitio excommunicationis a quibusdam posita

Article 1 – La définition de l’excommunication donnée par certains est-elle correcte ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La définition de l’excommunication donnée par certains est-elle correcte ?]

[17859] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod incompetens sit haec definitio excommunicationis a quibusdam posita: excommunicatio est separatio a communione Ecclesiae quo ad fructum, et suffragia generalia. Suffragia enim Ecclesiae valent eis pro quibus fiunt. Sed Ecclesia orat pro eis qui extra Ecclesiam sunt, sicut pro haereticis et Paganis. Ergo etiam pro excommunicatis, qui extra Ecclesiam sunt; et sic eis suffragia Ecclesiae valent.

1. Il semble que la définition de l’excommunication donnée par certains soit incorrecte : « L’excommunication est la séparation de la communion de l’Église pour les fruits et les prières générales. » En effet, les prières de l’Église ont de la valeur pour ceux pour qui elles sont faites. Or, l’Église prie pour ceux qui sont en dehors de l’Église, comme pour les hérétiques et les païens. Aussi donc, pour ceux qui sont hors de l’Église. Et ainsi, les prières de l’Église ont de la valeur pour eux.

[17860] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus amittit suffragia Ecclesiae nisi per culpam. Sed excommunicatio non est culpa, sed poena. Ergo per excommunicationem non separatur aliquis a suffragiis Ecclesiae communibus.

2. Personne ne perd les suffrages de l’Église que par une faute. Or, l’excommunication n’est pas une faute, mais une peine. Quelqu’un n’est donc pas séparé des suffrages de l’Église par l’excommunication.

[17861] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fructus Ecclesiae non videtur aliud esse quam suffragia; non enim potest intelligi de fructu bonorum temporalium, quia haec excommunicatis non auferuntur. Ergo inconvenienter utrumque ponitur.

3. Les fruits de l’Église ne semblent pas être autre chose que les suffrages : en effet, on ne peut l’entendre des fruits des biens temporels, car ceux-ci ne sont pas enlevés aux excommuniés. Les deux choses sont donc présentées de manière inappropriée.

[17862] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, excommunicatio minor, quaedam excommunicatio est. Sed per eam homo non perdit suffragia Ecclesiae. Ergo definitio non est communis.

4. L’excommunication mineure est une excommunication. Or, on ne perd pas par elle les suffrages de l’Église. La définition n’est donc pas générale.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’Église doit-elle excommunier quelqu’un ?]

[17863] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Ecclesia nullum debeat excommunicare. Quia excommunicatio maledictio quaedam est. Sed Rom. 12, prohibemur maledicere. Ergo Ecclesia excommunicare non debet.

1. Il semble que l’Église ne doive excommunier personne, car l’excommunication est une malédiction. Or, en Rm 12, il nous est interdit de maudire. L’Église ne doit donc pas excommunier.

[17864] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Ecclesia militans debet imitari triumphantem. Sed, ut in epistola Judae legitur, Michael cum altercaretur de corpore Moysi cum Diabolo, non est ausus judicium blasphemiae inferre, sed ait: imperet tibi Deus. Ergo nec Ecclesia militans debet alicui judicium maledictionis vel excommunicationis inferre.

2. L’Église militante doit imiter l’Église triomphante. Or, on lit dans l’épître de Jude: Alors qu’il se disputait avec le Diable à propos du corps de Moïse, Michel n’osa pas porter un jugement de crainte de blasphémer, mais il dit: «Que Dieu t’ordonne! » L’Église militante non plus ne doit donc pas porter sur quelqu’un un jugement de malédiction ou d’excommunication.

[17865] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus est in manum hostis tradendus, nisi omnino desperatus. Sed per excommunicationem traditur aliquis in manum Satanae, ut patet 2 Corinth. 5. Cum ergo de nemine sit desperandum in vita ista, Ecclesia nullum debet excommunicare.

3. Personne ne doit être livré aux mains de l’ennemi que s’il est désespéré. Or, par l’excommunication, on est livré aux mains de Satan, comme cela ressort de 2 Co 5. Puisqu’il ne faut désespérer de personne en cette vie, l’Église ne doit donc excommunier personne.

[17866] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus 1 Corinth., 5, mandat quemdam excommunicari.

Cependant, [1] l’Apôtre enjoint d’excommunier quelqu’un en 1 Co 5.

[17867] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 18, 17, dicitur de illo qui Ecclesiam audire contemnit: sit tibi sicut ethnicus et publicanus. Sed ethnici sunt extra Ecclesiam. Ergo et illi qui Ecclesiam audire contemnunt, per excommunicationem extra Ecclesiam sunt ponendi.

[2] En Mt 18, 17, il est dit de celui qui refuse d’écouter l’Église : Qu’il soit pour toi comme un étranger et un publicain ! Or, les étrangers sont hors de l’Église. Ceux qui refusent d’écouter l’Église doivent donc être placés hors de l’Église par l’excommunication.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-on excommunier quelqu’un pour un préjudice temporel ?]

[17868] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullus pro aliquo temporali damno debeat excommunicari. Quia poena non debet excedere culpam. Sed poena excommunicationis est privatio alicujus boni spiritualis, quod omnibus bonis temporalibus praeeminet. Ergo pro temporalibus nullus est excommunicandus.

1. Il semble que personne ne doive être excommunié pour un préjudice temporel, car car la peine ne doit pas dépasser la faute. Or, la peine de l’excommunication est la privation d’un bien spirituel qui l’emporte sur tous les biens temporels. Personne ne doit donc être excommunié pour des biens temporels.

[17869] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nulli malum pro malo reddere debemus, secundum apostoli praeceptum. Sed hoc esset malum pro malo reddere, si pro tali damno quis excommunicaretur. Ergo nullo modo hoc debet fieri.

2. Nous ne devons pas rendre le mal pour le mal, selon le commandement de l’Apôtre. Or, cela serait rendre le mal pour le mal, que quelqu’un soit excommunié pour un tel préjudice. Cela ne doit donc d’aucune manière être fait.

[17870] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Petrus Ananiam et Saphiram pro defraudatione pretii agri sententia mortis damnavit. Ergo et Ecclesiae licet pro temporalibus damnis excommunicare.

Cependant, Pierre a condamné à mort Ananie et Saphire pour une fraude à propos du prix d’un champ. Il est donc permis aussi à l’Église d’excommunier pour des préjudices temporels.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’excommunication injustement portée a-t-elle un effet ?]

[17871] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod excommunicatio injuste lata nullo modo effectum habeat. Quia per excommunicationem protectio et gratia Dei subtrahitur, quae non injuste subtrahi potest. Ergo excommunicatio injuste lata non habet effectum.

1. Il semble que l’excommunication injustement portée n’ait aucun effet, car, par l’excommunication, la protection et la grâce de Dieu sont soustraites, alors qu’elles ne peuvent être soustraites injustement. L’excommunication injustement portée n’a donc pas d’effet.

[17872] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod hoc est de supercilio Pharisaeorum aestimare esse ligatum vel solutum qui ligatur vel solvitur injuste. Sed eorum supercilium erat superbum et erroneum. Ergo excommunicatio injusta nullum habet effectum.

2. Jérôme dit que c’est par arrogance que les Pharisiens estiment que celui qui est lié ou délié injustement est lié ou délié. Or, leur arrogance était orgueilleuse et erronée. L’excommunication injuste n’a donc aucun effet.

[17873] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, secundum Gregorium, praecepta pastoris, sive justa sive injusta, timenda sunt. Non autem essent timenda, nisi aliquid nocerent etiam injusta. Ergo et cetera.

Cependant, selon Grégoire, les ordres du pasteur, justes ou injustes, doivent être craints. Or, ils ne devraient pas être craints, à moins que même les ordres injustes ne soient nuisibles de quelque manière. Donc,etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17874] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ille qui per Baptismum in Ecclesia ponitur, ad duo ascribitur; scilicet ad coetum fidelium, et ad sacramentorum participationem; et hoc secundum praesupponit primum, quia in sacramentis participandis etiam fideles communicant; et ideo aliquis potest extra Ecclesiam fieri per excommunicationem, dupliciter. Uno modo ita quod separetur tantum a participatione sacramentorum; et haec erit excommunicatio minor. Alio modo ita quod excludatur ab utroque; et sic erit excommunicatio major; quae hic definitur. Non autem potest esse tertium; scilicet quod excludatur a communione fidelium, et non a participatione sacramentorum, ratione jam dicta, quia scilicet fideles in sacramentis communicant. Sed communicatio fidelium est duplex. Quaedam in spiritualibus; sicut sunt mutuae orationes, et conventus ad sacra percipienda; quaedam in corporalibus actibus legitimis; qui quidem legitimi actus et licita communio his versibus continentur: si pro delictis, anathema quis efficiatur; os, orare, vale, communio, mensa negatur. Os, scilicet ne detur osculum; orare, ne cum excommunicatis oremus; vale, ne salutentur; communio, ne scilicet in sacramentis cum ipsis aliquis communicet; mensa negatur, ne aliquis cum eis comedat. Praemissa ergo definitio importat separationem a sacramentis in hoc quod dicit, quantum ad fructum; et a communione fidelium, quantum ad spiritualia, in hoc quod dicit: et suffragia Ecclesiae communia. Alia autem definitio invenitur quae datur secundum separationem ab utrisque actibus, quae talis est: excommunicatio est a qualibet licita communione ac legitimo actu separatio.

Celui qui est placé dans l’Église par le baptême est assigné à deux choses : à la communauté des fidèles et à la participation aux sacrements, et ce second point suppose le premier, car les fidèles se retrouvent dans la participation aux sacrements. C’est pourquoi quelqu’un peut être placé hors de l’Église par l’excommunication de deux manières. D’une manière, de telle sorte qu’il soit seulement séparé de la participation aux sacrements : ce sera l’excommunication mineure. D’une autre manière, de telle sorte qu’il soit exclu des deux : ce sera l’excommunication majeure, qui est définie ici. Mais il ne peut y en avoir une troisième, à savoir, qu’il soit exclu de la communion des fidèles, et non de la participation aux sacrements, pour la raison déjà donnée que les fidèles se retrouvent dans les sacrements. Mais les échanges entre les fidèles sont de deux sortes. Certains se font en matière spirituelle, comme les prières réciproques et les réunions pour recevoir les choses sacrées ; certains se font en matière corporelle légitime, actes légitimes et communion permise qui sont contenus dans ces vers : « Si quelqu’un est fait anathème pour ses fautes, la bouche, la prière, le salut, la communion et la table lui sont déniés. » « La bouche » : le baiser ne doit pas lui être pas donné ; « le salut » : ils ne doivent pas être salués ; « la communion » : personne ne doit se retrouver avec eux pour les sacrements ; « la table est déniée » : personne ne doit manger avec eux. La définition donnée comporte donc la séparation des sacrements, lorsqu’elle dit : « quant aux fruits », et [la séparation] de la communion des fidèles en matière spirituelle, lorsqu’elle dit : « et des suffrages communs de l’Église ». Mais on trouve une autre définition qui est faite à partir de la séparation des deux actes. La voici : « L’excommunication est une séparation de toute communion permise et de tout acte légitime. »

[17875] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pro infidelibus oratur; sed ipsi fructum orationis non percipiunt, nisi ad fidem convertantur. Similiter et pro excommunicatis orari potest, quamvis non inter orationes quae pro membris Ecclesiae fiunt; et tamen fructum non participant, quamdiu in excommunicatione manent: sed oratur ut detur eis spiritus poenitentiae, ut ab excommunicatione solvantur.

1. On prie pour les infidèles, mais ceux-ci ne reçoivent le fruit de la prière que s’ils se convertissent à la foi. De même peut-on prier pour les excommuniés, bien que non par les prières qui sont faites pour les membres de l’Église. Cependant, ils ne reçoivent pas le fruit de la prière aussi longtemps qu’ils demeurent dans l’excommunication ; mais on prie pour que leur soit donné l’esprit de pénitence, afin qu’ils soient déliés de l’excommunication.

[17876] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suffragia alicujus valent alicui secundum quod ei continuantur. Potest autem actio unius alteri continuari dupliciter. Uno modo ex vi caritatis, quae omnes fideles connectit, ut sint unum in Deo, sicut dicitur Psalm. 118, 63: particeps ego sum omnium timentium te; et hanc continuationem excommunicatio non intercipit: quia juste excommunicari quis non potest nisi pro culpa mortali, per quam jam a caritate divisus est, etiamsi non excommunicetur. Injusta autem excommunicatio caritatem alicui auferre non potest, cum sit de maximis bonis, quae non possunt alicui invito auferri. Alio modo per intentionem suffragia facientis, quae in aliquem fertur pro quo fiunt; et hanc continuationem excommunicatio intercipit: quia Ecclesia per excommunicationis sententiam separat excommunicatos ab universitate fidelium, pro quibus suffragia facit. Unde suffragia Ecclesiae ei non prosunt quae pro tota Ecclesia fiunt; nec ex persona Ecclesiae oratio pro eis inter membra Ecclesiae fieri potest; quamvis aliqua persona privata possit ad ejus conversionem aliquod suffragium per intentionem dirigere.

2. Les suffrages de quelqu’un ont une valeur pour un autre pour autant qu’ils sont en contact avec lui. Or, l’action de quelqu’un peut être en contact avec un autre de deux manières. D’une manière, par la puissance de la charité qui unit tous les fidèles, comme il est dit dans le Ps 118, 63 : Je suis de tous ceux qui te craignent. Ce contact, l’excommunication ne l’interrompt pas, car quelqu’un ne peut être excommunié que pour une faute mortelle, par laquelle il est déjà séparé de la charité, même s’il n’est pas excommunié. Mais une excommunication injuste ne peut enlever la charité à quelqu’un, puisqu’elle porte sur les plus grands biens, qui ne peuvent être enlevés à quelqu’un malgré lui. D’une autre manière, [l’action de quelqu’un peut être en contact avec un autre] par l’intention de celui qui accomplit les suffrages, qui sont portés vers celui pour qui ils sont accomplis. Ce contact, l’excommunication l’interrompt, car l’Église, par la sentence d’excommunication, sépare les excommuniés de tout le collège des fidèles [ab universitate fidelium] pour lesquels elle accomplit des suffrages. Les suffrages de l’Église qui sont accomplis pour toute l’Église ne lui profitent donc pas et la prière ne peut être faite pour eux au nom de l’Église, parmi celles qui sont faites pour les membres de l’Église, bien qu’une personne privée puisse orienter par l’intention sa prière vers sa conversion.

[17877] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fructus spiritualis Ecclesiae non solum est ex suffragiis, sed etiam ex perceptione sacramentorum et ex convictu fidelium.

3. Le fruit spirituel de l’Église ne tient pas seulement à ses suffrages, mais aussi à la réception des sacrements et aux échanges entre les fidèles.

[17878] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod minor excommunicatio non habet perfectam rationem excommunicationis, sed aliquid ipsius participat; et ideo non oportet quod ei totaliter excommunicationis definitio conveniat, sed solum quo ad aliquid.

4. L’excommunication mineure n’a pas le caractère parfait d’excommunication, mais y participe de quelque façon. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la définition de l’excommunication lui convienne entièrement, mais seulement partiellement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17879] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod judicium Ecclesiae conforme debet esse judicio Dei. Deus autem multipliciter peccatores punit, ut eos ad bonum trahat. Uno modo flagellis castigando; alio modo hominem sibi relinquendo, ut auxiliis subtractis, quibus a malo praepediebatur, suam infirmitatem cognoscat, et humilis ad Deum redeat, a quo superbus abscessit; et quantum ad utrumque Ecclesia in excommunicationis sententia divinum judicium imitatur: inquantum enim eum a communione fidelium separat ut erubescat, imitatur divinum judicium quo per flagella castigat; inquantum autem a suffragiis et aliis spiritualibus separat, imitatur divinum judicium quo hominem sibi relinquit, ut per humilitatem seipsum cognoscens ad Deum redeat.

Le jugement de l’Église doit être conforme au jugement de Dieu. Or, Dieu punit les pécheurs de multiples façons afin de les attirer vers le bien. D’une manière, en les châtiant par des coups ; d’une autre manière, en abandonnant l’homme à lui-même afin que, une fois enlevées les aides par lesquelles il est empêché de faire le mal, il connaissance sa faiblesse et revienne à Dieu dans l’humilité, après s’en être éloigné par orgueuil. Sous ces deux aspects, l’Église, par sa sentence d’excommunication, imite le jugement divin. En effet, en le séparant de la communion des fidèles pour sa honte, elle imite le jugement divin par lequel il corrige par des coups ; mais, en le séparant des suffrages et des autres réalités spirituelles, elle imite le jugement divin par lequel il laisse l’homme à lui-même, afin que, se connaissant lui-même par l’humilité, il revienne à Dieu.

[17880] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod maledictio potest esse dupliciter. Uno modo ita quod in malo quod irrogat vel dicit, per intentionem sistat; et sic maledictio omnibus modis prohibita est. Alio modo ita quod malum quod quidem maledicendo imprecatur, ad bonum illius ordinet qui maledicitur; et sic maledictio quandoque est licita et salutifera: sicut et medicus aliquod nocumentum infert infirmo, ut sectionem, per quam ab infirmitate liberetur.

1. La malédiction peut exister de deux manières. D’une manière, de telle sorte que par le mal qu’elle invoque ou exprime, elle soit voulue comme une mesure durable : de cette manière, la malédiction est interdite sous toutes les formes. D’une autre manière, de telle sorte qu’elle ordonne au bien de celui qui est maudit le mal qu’elle exprime en maudissant : de cete manière, la malédiction est parfois permise et salutaire, comme le médecin cause un préjudice au malade, par exemple, une amputation, par laquelle il sera libéré de la maladie.

[17881] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Diabolus incorrigibilis est; et ideo non est susceptibilis alicujus boni per excommunicationis poenam.

2. Le diable est incorrigible. C’est pourquoi il ne peut lui être fait du bien par la peine de l’excommunication.

[17882] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc ipso quod aliquis suffragiis Ecclesiae privatur, triplex incommodum incurrit per oppositum ad tria quae quis ex suffragiis Ecclesiae consequitur. Valent enim ad augmentum gratiae eis qui habent, vel ad merendum eis qui non habent; et quantum ad hoc Magister in littera dicit, quod gratia Dei per excommunicationem subtrahitur. Valent etiam ad custodiam virtutis; et quantum ad hoc dicit, quod protectio subtrahitur; non quod omnino a Dei providentia excludatur, sed quod ab illa protectione qua filios Ecclesiae speciali modo custodit. Valent ad defendendum ab hoste; et quantum ad hoc dicit, quod Diabolo major potestas saeviendi in ipsum datur et spiritualiter et corporaliter. Unde in primitiva Ecclesia quando oportebat per signa ad fidem homines invitare, sicut spiritus sancti donum visibili signo manifestabatur, ita et excommunicatio corporali vexatione a Diabolo innotescebat. Nec est inconveniens, si ille qui non est desperatus, hosti datur: quia non datur ei quasi damnandus, sed quasi corrigendus; cum in potestate Ecclesiae sit ex ejus manu ipsum eripere cum voluerit.

3. Du fait que quelqu’un est privé des suffrages de l’Église, il encourt un triple préjudice par opposition aux trois choses qu’on obtient par les suffrages de l’Église. En effet, [les suffrages] contribuent à accroître la grâce chez ceux qui l’ont ou le mérite chez ceux qui ne l’ont pas : à ce propos, le Maître dit dans le texte que la grâce de Dieu est soustraite par l’excommunication. Ils contribuent aussi à préserver la vertu : à ce propos, il dit que la protection est soutraite, non pas que [l’excommunié] soit entièrement soustrait à la providence de Dieu, mais à cette protection par laquelle elle garde d’une manière spéciale les fils de l’Église. Ils contribuent à défendre contre l’ennemi : à ce propos, il dit qu’un plus grand pouvoir de sévir spirituellement et corporellement contre lui est donné au diable. Aussi, dans l’Église primitive, alors qu’il était nécessaire d’inviter les hommes à la foi par des signes, de même que le don du Saint-Esprit était manifesté par un signe visible, de même l’excommunication était-elle connue par un mauvais traitement corporel de la part du diable. Et cela n’est pas inapproprié que quelqu’un qui n’est pas désespéré soit livré à l’ennemi, car il ne lui est pas livré pour être damné, mais pour être corrigé, puisqu’il est au pouvoir de l’Église de l’arracher de sa main lorsqu’elle le voudra.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17883] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod per excommunicationem judex ecclesiasticus excommunicatos excludit a regno quodammodo. Unde cum non debeat excludere nisi indignos, ut ex definitione clavis patuit; nec aliquis reddatur indignus nisi per peccatum mortale amiserit caritatem, quae est via ducens ad regnum; ideo nullus excommunicari debet nisi pro peccato mortali. Et quia in damnificando aliquem corporaliter, vel in rebus temporalibus, aliquis mortaliter peccat, et contra caritatem facit; ideo pro damno temporali illato Ecclesia aliquem excommunicare potest. Sed quia excommunicatio est gravissima poenarum; poenae autem medicinae sunt, secundum philosophum in 2 Ethic.; sapientis autem medici est a levioribus medicinis incipere, et minus periculosis; ideo excommunicatio infligi non debet etiam pro peccato mortali, nisi contumax fuerit; vel non veniendo ad judicium, vel ante terminationem judicii sine licentia recedendo, vel determinationi non parendo: tunc enim postquam monitus fuerit, si obedire contempserit; contumax reputatur, et excommunicari debet a judice jam non habente quid contra ipsum faciat amplius.

Par l’excommunication, un juge ecclésiastique exclut d’une certaine manière du royaume ceux qui sont excommuniés. Puisqu’il ne doit exclure que ceux qui sont indignes, comme cela ressort de la définition de la clé, et que quelqu’un n’est rendu indigne que s’il a, par le péché mortel, perdu la charité qui conduit au royaume, personne ne doit être excommunié que pour un péché mortel. Et parce que l’on pèche et agit contre la charité en condamnant quelqu’un corporellement ou dans ses biens temporels, l'Église peut donc excommunier quelqu’un pour un dommage temporel fait à l’Église. Mais parce que l’excommunication est une peine très grave et que les peines sont des remèdes, selon le Philosophe, Éthique, II, et qu’il revient à un médecin sage de commencer par des remèdes plus légers et moins dangereux, l’excommunication ne doit non plus être infligée que pour un péché mortel, à moins que [le pécheur] ne soit récalcitrant, soit en ne se présentant pas lors du jugement, soit en se retirant avant la fin du jugement, soit en n’obéissant pas au jugement. En effet, s’il refuse alors d’obéir après avoir été averti, il est jugé contumace et doit être excommunié par le juge , qui n’a rien d’autre à faire contre lui.

[17884] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod culpae quantitas non mensuratur ex nocumento quod quis facit, sed ex voluntate qua facit, contra caritatem agens; et ideo, quamvis poena excommunicationis excedat nocumentum, non tamen excedit quantitatem culpae.

2. La quantité d’une faute ne se mesure pas par le dommage que quelqu’un fait, mais par la volonté par laquelle il le fait, en agissant contre la charité. C’est pourquoi, bien que la peine d’excommunication dépasse le dommage, elle ne dépasse cependant pas la quantité de la faute.

[17885] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum aliquis per poenam aliquam corrigitur, non redditur ei malum, sed bonum: quia poenae medicinae sunt, ut dictum est.

2. Lorsque quelqu’un est corrigé par une peine, on ne lui rend pas le mal, mais le bien, car les peines sont des remèdes, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[17886] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod excommunicatio potest dici injusta dupliciter. Uno modo ex parte excommunicantis; sicut cum ex odio vel ira excommunicat; et tunc excommunicatio nihilominus habet effectum suum, quamvis ille qui excommunicat peccet: quia iste juste patitur quamvis ille injuste faciat. Alio modo ex parte ipsius excommunicationis: vel quia causa excommunicationis est indebita, vel quia infertur sententia, juris ordine praetermisso; et tunc, si sit talis error ex parte sententiae qui sententiam nullam faciat esse, non habet effectum, quia non est excommunicatio; si autem sententiam non annullet, habet effectum suum, et debet excommunicatus humiliter obedire, et erit ad meritum, vel absolutionem petere ab excommunicante, vel ad superiorem judicem recurrere. Si autem contemneret, eo ipso mortaliter peccaret. Contingit autem quandoque quod est debita causa ex parte excommunicationis, quae non est debita ex parte excommunicati; sicut cum aliquis pro falso crimine in judicio probato excommunicatur; et tunc si humiliter sustinet, humilitatis merito recompensat excommunicationis damnum.

On peut dire que l’excommunication est injuste de deux manières. D’une manière, du point de vue de celui qui excommunie, comme lorsqu’il excommunie par haine ou par colère : alors, l’excommunication garde néanmoins son effet, bien que celui qui excommunie pèche, car c’est à juste titre qu’on souffre, bien que celui-ci agisse injustement. D’une autre manière, du point de vue de l’excommunication elle-même, soit parce que la cause de l’excommunication est injuste, soit parce que la sentence est portée en négligeant l’ordre du droit. Si, du point de vue de la sentence, l’erreur est telle qu’elle rende la sentence nulle, elle n’a pas alors d’effet, car elle n’est pas une excommunication. Mais si [l’erreur] n’annulle pas [la sentence], celle-ci garde son effet et l’excommunié doit obéir humblement – celui lui sera méritoire –, ou il doit demander l’absolution de celui qui excommunie, ou il doit faire appel à un juge supérieur. Mais s’il méprisait [la sentence], il pécherait mortellement par le fait même. Mais il arrive parfois qu’il y ait une raison appropriée du point de vue de l’excommunication, [raison] qui n’est pas appropriée du point de vue de celui qui est excommunié, comme lorsque quelqu’un est excommunié pour un faux délit dans un jugement confirmé. Alors, si [l’excommunié] le supporte humblement, il compense par le mérite de l’humilité le préjudice de l’excommunication.

[17887] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis homo gratiam Dei injuste amittere non possit, potest tamen injuste amittere illa quae ex parte nostra sunt, quae ad gratiam Dei disponunt; sicut patet, si subtrahatur alicui doctrinae verbum quod ei debetur; et hoc modo excommunicatio gratiam Dei subtrahere dicitur, ut ex praedictis patet.

1. Bien que l’homme ne puisse perdre injustement la grâce de Dieu, il peut cependant perdre ce qui dispose de notre point de vue à la grâce de Dieu, comme cela ressort si l’on enlève à quelqu’un la parole de l’enseignement qui lui est due. On dit de cette manière que l’excommunication enlève la grâce de Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[17888] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Hieronymus loquitur quantum ad culpas, et non quantum ad poenas, quae possunt etiam injuste infligi a rectoribus Ecclesiarum.

2. Jérôme parle des fautes, et non des peines, qui peuvent être injustement infligées par des dirigeants des églises.

 

 

Articulus 2 [17889] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 tit. Utrum quilibet sacerdos possit excommunicare

Article 2 – Tous les prêtres peuvent-ils excommunier ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous les prêtres peuvent-ils excommunier ?]

[17890] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod quilibet sacerdos possit excommunicare. Excommunicatio enim est actus clavium. Sed quilibet sacerdos habet claves. Ergo quilibet potest excommunicare.

1. Il semble que tous les prêtres puissent excommunier. En effet, l’excommunication est un acte des clés. Or, tous les prêtres détiennent les clés. Tous les prêtres peuvent donc excommunier.

[17891] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, majus est absolvere et ligare in foro poenitentiae quam in foro judicii. Sed quilibet sacerdos potest sibi subditos in foro poenitentiali absolvere et ligare. Ergo etiam potest sibi subditos quilibet sacerdos excommunicare.

2. Il est plus grand de délier et de lier au for de la conscience qu’au for judiciaire. Or, tous les prêtres peuvent délier et lier au for pénitentiel. Tous les prêtres peuvent donc excommunier ceux qui leur sont soumis.

[17892] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ea in quibus imminet periculum, sunt majoribus reservanda. Sed poena excommunicationis est valde periculosa, nisi cum moderamine fiat. Ergo non debet cuilibet committi sacerdoti.

Cependant, ce qui comporte un danger doit être réservé aux autorités. Or, la peine d’excommunication est très dangereuse, si elle n’est pas pratiquée avec retenue. Elle ne doit donc pas être confiée à tous les prêtres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ceux qui ne sont pas prêtres peuvent-ils excommunier ?]

[17893] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sacerdotes excommunicare non possint. Quia excommunicatio est actus clavium, ut in littera dicitur. Sed non sacerdotes non habent claves. Ergo non possunt excommunicare.

1. Il semble que ceux qui ne sont pas prêtres ne puissent pas excommunier, car l’excommunication est un acte des clés, comme on le dit dans le texte. Or, ceux qui ne sont pas prêtres ne détiennent pas les clés. Ils ne peuvent donc pas excommunier.

[17894] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, plus requiritur ad excommunicationem quam ad absolutionem in foro poenitentiae. Sed non sacerdos in foro poenitentiae absolvere non potest. Ergo nec excommunicationem inferre.

2. Il est exigé davantage pour l’excommunication que pour l’absolution au for de la pénitence. Or, un non-prêtre ne peut absoudre au for de la pénitence. Il ne peut donc pas non plus porter une excommunication.

[17895] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod archidiaconi, legati et clerici excommunicant, qui quandoque non sunt sacerdotes. Ergo non solum sacerdotes excommunicare possunt.

Cependant, des archidiacres, des légats et des clercs excommunient, alors que, parfois, ils ne sont pas prêtres. Les prêtres ne sont donc pas les seuls à pouvoir excommunier.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un excommunié ou un suspens peut-il excommunier ?]

[17896] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod excommunicatus vel suspensus excommunicare possit. Ille enim qui est excommunicatus vel suspensus, neque ordinem neque jurisdictionem amittit; quia neque reordinatur cum absolvitur, neque cura ei iterum committitur. Sed excommunicatio non requirit nisi ordinem vel jurisdictionem. Ergo etiam excommunicatus et suspensus excommunicare possunt.

1. Il semble qu’un excommunié ou un suspens puisse excommunier. En effet, celui qui est excommunié ou suspens ne perd ni l’ordre ni la juridiction, car il n’est pas réordonné lorsqu’il est absous et une charge d’âmes ne lui est pas nouveau confiée. Or, l’excommunication ne requiert que l’ordre et la juridiction. Même l'excommunié et le suspens peuvent donc excommunier.

[17897] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, majus est conficere corpus Christi quam excommunicare. Sed excommunicati conficere possunt, ut supra, dist. 13, dictum est. Ergo possunt excommunicare.

2. Il est plus grand de réaliser le corps du Christ que d’excommunier. Or, les excommuniés peuvent réaliser [le corps du Christ], comme on l’a dit plus haut, d. 13. Ils peuvent donc excommunier.

[17898] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ligatus corporaliter non potest alium ligare. Sed vinculum spirituale est fortius quam corporale. Ergo excommunicatus non potest excommunicare, cum excommunicatio sit vinculum spirituale.

Cependant, celui qui est lié corporellement ne peut en lier un autre. Or, le lien spirituel est plus fort que le lien corporel. L’excommunié ne peut donc pas excommunier, puisque l’excommunication est un lien spirituel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17899] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in foro conscientiae causa agitur inter hominem et Deum; in foro autem exterioris judicii causa agitur hominis ad hominem; et ideo absolutio vel ligatio quae unum hominem obligat quo ad Deum tantum, pertinet ad forum poenitentiae; sed illa quae hominem obligat in comparatione ad alios homines, ad forum publicum exterioris judicii pertinet. Et quia per excommunicationem homo a communione fidelium separatur; ideo excommunicatio ad forum exterius pertinet, et illi soli possunt excommunicare qui habent jurisdictionem in foro judiciali; et propter hoc soli episcopi propria auctoritate, et majores praelati, secundum communiorem opinionem, possunt excommunicare; sed presbyteri parochiales non, nisi ex commissione eis facta, vel in certis casibus, sicut in furto et rapina, et hujusmodi, in quibus est eis a jure concessum quod excommunicare possint. Alii autem dixerunt, quod etiam sacerdotes parochiales possunt excommunicare. Sed praedicta opinio est rationabilior.

Au for de la conscience, une cause est soulevée entre l’homme et Dieu ; mais au for du jugement extérieur, une cause est soulevée entre un homme et un autre homme. C’est pourquoi l’absolution ou la ligature, qui oblige un seul homme par rapport à Dieu seulement, relève du for de la pénitence ; mais celle qui oblige l’homme par rapport à d’autres hommes relève du for public du jugement extérieur. Et parce qu’un homme est séparé de la communion des fidèles par l'excommunication, l’excommunication relève du for extérieur et ceux-là seuls peuvent excommunier qui ont juridiction au for judiciaire. Pour cette raison, selon l’opinion commune, seuls les évêques, de leur propre autorité, et les prélats majeurs peuvent excommunier. Mais les prêtres paroissiaux ne le peuvent pas, à moins d’un mandat qui leur a été donné, ou dans certains cas, comme le vol, la rapine et les choses de ce genre, pour lesquels il leur a été concédé par le droit de pouvoir excommunier. D’autres ont dit que même les prêtres paroissiaux peuvent excommunier. Mais l’opinion précédente est plus raisonnable.

[17900] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod excommunicatio non est actus clavis directe, sed magis respectu exterioris judicii; sed sententia excommunicationis, quamvis in exteriori judicio promulgetur, quia tamen aliquo modo pertinet ad aditum regni, secundum quod Ecclesia militans est via ad triumphantem; ideo etiam talis jurisdictio, per quam homo excommunicare potest, clavis potest dici; et secundum hoc a quibusdam distinguitur, quod est clavis ordinis, quam omnes sacerdotes habent; et clavis jurisdictionis in foro judiciali, quam habent soli judices exterioris fori; utramque tamen Deus Petro contulit, Matth. 16; et ab ipso in alios descendit qui utramque habent.

1. L’excommunication n’est pas directement l’acte d’une clé, mais plutôt par rapport au jugement extérieur. Mais la sentence d’excommunication, bien qu’elle soit promulguée par un jugement extérieur, parce qu’elle se rapporte de quelque manière à l’entrée dans le royaume, pour autant que l’Église militante est le chemin vers l’Église triomphante, [relève] d’une juridiction par laquelle un homme peut excommunier et qui est appelée une clé. De cette manière, certains font une distinction entre la clé de l’ordre, que tous les prêtres détiennent, et la clé de la juridiction au for judiciaire, que seuls les juges au for extérieur détiennent. Toutefois, Dieu a conféré les deux à Pierre, Mt 16, et elles passent de lui aux autres qui détiennent les deux.

[17901] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacerdotes parochiales habent quidem jurisdictionem in subditos suos quantum ad forum conscientiae, sed non quantum ad forum judiciale; quia non possunt coram eis conveniri in causis contentiosis; et ideo excommunicare non possunt, sed absolvere possunt in foro poenitentiali; et quamvis forum poenitentiale sit dignius, tamen in foro judiciali major solemnitas requiritur; quia in eo oportet quod non solum Deo, sed etiam homini satisfiat.

2. Les prêtres paroissiaux ont juridiction sur ceux qui leur sont soumis au for de la conscience, mais non au for judiciaire, car ils ne peuvent les convoquer devant eux pour les causes conflictuelles. C’est pourquoi ils ne peuvent excommunier, mais ils peuvent absoudre au for pénitentiel. Et bien que le for pénitentiel soit plus digne, une plus grande solennité est cependant requise au for judiciaire, car, dans celui-ci, il est nécessaire de rendre satisfaction non seulement à Dieu, mais aussi à l’homme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17902] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sacramenta, in quibus gratia confertur, dispensare ad solos sacerdotes pertinet; et ideo ipsi soli possunt absolvere et ligare in foro poenitentiali; sed excommunicatio non directe respicit gratiam, sed ex consequenti, inquantum homo suffragiis Ecclesiae privatur, quae ad gratiam disponunt, vel in gratia conservant; et ideo etiam non sacerdotes, dummodo jurisdictionem habeant in foro contentioso, possunt excommunicare.

Il relève des seuls prêtres de dispenser les sacrements, par lesquels la grâce est donnée. C’est pourquoi eux seuls peuvent délier et lier au for pénitentiel. Mais l’excommunication ne concerne pas la grâce directement, mais par mode de conséquence, pour autant qu’un homme est privé des suffrages de l’Église, qui disposent à la grâce ou gardent dans la grâce. C’est pourquoi même ceux qui ne sont pas prêtres peuvent excommunier, pourvu qu’ils aient la juridiction au for contentieux.

[17903] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non habeant clavem ordinis, habent tamen clavem jurisdictionis.

1. Bien qu’ils n’aient pas la clé de l’ordre, ils ont cependant la clé de la juridiction.

[17904] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ista duo se habent sicut excedentia et excessa; et ideo alicui competit unum cui non competit aliud.

2. Ces deux choses se comportent comme ce qui excède et ce qui est dépassé. C’est pourquoi l’une relève d’une chose de qui l’autre ne relève pas.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17905] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod usus jurisdictionis est in comparatione ad alium hominem; et ideo, cum omnis excommunicatus a communione fidelium separetur, quilibet excommunicatus usu jurisdictionis privatur. Et quia excommunicatio est jurisdictionis privatio, ideo excommunicatus excommunicare non potest; et eadem ratio est de suspenso a jurisdictione. Si enim sit suspensus ab ordine tantum, tunc non potest ea quae sunt ordinis, sed potest ea quae sunt jurisdictionis; et e converso, si sit suspensus a jurisdictione, et non ab ordine; si autem ab utroque, tunc neutrum potest.

L’usage de la juridiction se rapporte à un autre homme. Puisque tout excommunié est séparé de la communion des fidèles, tout excommunié est donc privé de l’usage de la juridiction. Parce que l’excommunication est une privation de la juridiction, l’excommunié ne peut donc excommunier. Le même raisonnement vaut pour celui qui est suspens par rapport à la juridiction. En effet, s’il est suspens par rapport à l’ordre seulement, il ne peut alors accomplir ce qui relève de l’ordre, mais il peut accomplir ce qui relève de la juridiction ; et l’inverse est vrai : s’il est suspens par rapport à la juridiction, et non par rapport à l’ordre. Mais s’il est suspens par rapport aux deux, il ne peut accomplir aucune des deux choses.

[17906] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non amittat jurisdictionem, amittit tamen jurisdictionis usum.

1. Bien qu’il ne perde pas la juridiction, il perd cependant l’usage de la juridiction.

[17907] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod conficere sequitur potestatem characteris qui indelebilis est; et ideo homo, ex quo characterem ordinis habet, semper potest conficere, licet non semper ei liceat. Secus autem est de excommunicatione quae jurisdictionem sequitur, quae auferri potest et ligari.

2. Réaliser [le corps du Christ] découle du pouvoir du caractère qui est indélébile. C’est pourquoi un homme, du fait qu’il a le caractère de l’ordre, peut toujours réaliser [le corps du Christ], bien que cela ne lui soit pas toujours permis. Mais il en va autrement de l’excommunication qui découle de la juridiction, qui peut être enlevée et liée.

 

 

Articulus 3 [17908] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 tit. Utrum aliquis possit seipsum, vel aequalem, vel superiorem, excommunicare

Article 3 – Peut-on s’excommunier soi-même, un égal ou un supérieur ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Peut-on s’excommunier soi-même, un égal ou un supérieur ?]

[17909] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquis possit seipsum, vel aequalem vel superiorem, excommunicare. Quia Angelus Dei major erat Paulo. Matth. 11, 2: qui minor est in regno caelorum, major est illo, quo nemo inter natos mulierum major. Sed Paulus excommunicavit Angelum de caelo, ut patet Gal. 1. Ergo homo potest superiorem excommunicare.

1. Il semble qu’on puisse s’excommunier luii-même, un égal ou un supérieur, car l’ange de Dieu est plus grand que Paul. Mt 11, 2 : Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui, alors que personne parmi les enfants des femmes n’est plus grand. Or, Paul a excommunié un ange du ciel, comme cela ressort de Ga 1. Un homme peut donc excommunier un supérieur.

[17910] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sacerdos aliquando excommunicat in generali pro furto, vel pro aliquo hujusmodi. Sed potest contingere quod ipsemet fecit, vel superior, vel aequalis. Ergo aliquis potest se, vel aequalem vel superiorem, excommunicare.

2. Le prêtre excommunie parfois d’une manière générale pour un vol ou quelque chose du genre. Or, il peut arriver que lui-même, un supérieur ou un égal l’ait commis. Quelqu’un peut donc s’excommunier lui-même, un égal ou un supérieur.

[17911] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, aliquis potest superiorem absolvere in foro poenitentiali, vel aequalem, sicut cum episcopi suis subditis confitentur, et cum unus sacerdos alteri venialia confitetur. Ergo videtur quod etiam excommunicare aliquis superiorem vel aequalem possit.

3. Quelqu’un peut absoudre un supérieur ou un égal au for pénitentiel, comme lorsque les évêques se confessent à leurs sujets, et lorsqu’un prêtre confessent ses péchés véniels à un autre prêtre. Il semble donc que quelqu’un puisse excommunier un supérieur ou un égal.

[17912] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, excommunicatio est actus jurisdictionis. Sed aliquis non habet in se jurisdictionem, quia in eadem causa non potest quis esse reus et judex; nec iterum in superiorem aut aequalem. Ergo non potest aliquis superiorem vel aequalem, aut se, excommunicare.

Cependant, l’excommunication est un acte de juridiction. Or, quelqu’un n’a pas juridiction sur lui-même, car il ne peut être en même temps coupable et juge pour la même cause ; il n’a pas non plus [juridiction] sur son supérieur ou son égal. Quelqu’un ne peut donc pas s’excommunier lui-même, un supérieur ou un égal.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une sentence d’excommunication peut-elle être portée contre un collège ?]

[17913] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in aliquam universitatem sententia excommunicationis ferri possit. Contingit enim quod aliqua universitas sibi in malitia colligatur. Sed pro malitia in qua aliquis contumax extiterit, debet excommunicatio ferri. Ergo potest in aliquam universitatem ferri excommunicatio.

1. Il semble qu’une sentence d’excommunication peut être portée contre un collège. En effet, il arrive qu’un collège soit solidaire dans le mal. Or, une excommunication doit être portée contre la malice dans laquelle quelqu’un se montre récalcitrant. Une excommunication peut donc être portée contre un collège.

[17914] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est gravissimum in excommunicatione, est separatio a sacramentis Ecclesiae. Sed aliquando tota civitas interdicitur a divinis. Ergo excommunicari aliqua universitas potest.

2. Le plus grave dans l’excommunication est la séparation des sacrements de l’Église. Or, parfois, toute une ville est interdite de sacrements. Un collège peut donc être excommunié.

[17915] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est Glossa Augustini Matth. 13, quae dicit, quod princeps et multitudo non est excommunicanda.

Cependant, une glose d’Augustin à propos de Mt 13 dit que « le dirigeant et le peuple ne doivent pas être excommuniés ».

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Celui qui a été excommunié une fois peut-il être de nouveau excommunié ?]

[17916] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ille qui semel est excommunicatus, ulterius excommunicari non possit. 1 Corinth. 5, 12 dicit apostolus: quid mihi est, de his qui foris sunt judicare ? Sed excommunicati jam sunt extra Ecclesiam. Ergo super eos Ecclesia judicium non habet, ut possit eos iterum excommunicare.

1. Il semble que celui qui a été excommunié une fois ne puisse être de nouveau excommunié. L’Apôtre dit en 1 Co 5, 12 : En quoi me revient-il de juger de ce qui est extérieur ? Or, les excommuniés sont déjà hors de l’Église. L’Église n’exerce donc pas de jugement contre eux, de sorte qu’elle puisse les excommunier de nouveau.

[17917] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, excommunicatio est separatio quaedam a divinis, et a communione fidelium. Sed postquam est aliquis privatus aliquo, non potest iterum illo privari. Ergo unus excommunicatus non debet iterum excommunicari.

2. L’excommunication est une séparation des sacrements et de la communion des fidèles. Or, après que quelqu’un a été privé d’une chose, il ne peut de nouveau en être privé. Un excommunié ne doit donc pas être excommunié de nouveau.

[17918] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, excommunicatio quaedam poena est, et medicinale remedium. Sed poenae et medicinae iterantur, cum causa exigit. Ergo et excommunicatio iterari potest.

Cependant, l’excommunication est une peine et un remède. Or, les peines et les remèdes sont répétés lorsqu’une raison l’exige. L’excommunication peut donc étre répétée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17919] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum per jurisdictionem aliquis constituatur in gradu superioritatis respectu ejus in quem habet jurisdictionem, quia est judex ejus; ideo nullus habet in seipsum, vel superiorem vel aequalem jurisdictionem, et per consequens nullus potest seipsum excommunicare, vel superiorem vel aequalem.

Étant donné que, par la juridiction, on est établi dans un degré de supériorité par rapport à celui sur lequel on a juridiction, puisqu’on en est le juge, personne n’a donc juridiction sur lui-même, ni sur un supérieur ou un égal et, par conséquent, personne ne peut s’excommunier lui-même, un supérieur ou un égal.

[17920] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus loquitur sub hypothesi, idest si poneretur Angelus peccare; sic enim non esset apostolo superior, sed inferior. Nec est inconveniens quod in conditionalibus quarum antecedentia impossibilia sunt, et consequentia impossibilia sint.

1. L’Apôtre parle en faisant l’hypothèse que si on affirmait qu’un ange péchait, alors il ne serait pas supérieur à l’Apôtre, mais inférieur. Il n’est pas inapproprié que, dans les propositions dont les préalables sont impossibles, les conséquences soient aussi impossibles.

[17921] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tali casu nullus excommunicatur; quia par in parem nullum habet imperium.

2. Dans un tel cas, personne n’est excommunié, car l’égal n’a pas de pouvoir sur un égal.

[17922] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod absolutio et ligatio in foro confessionis est quo ad Deum tantum, apud quem aliquis alio inferior redditur pro peccato. Sed excommunicatio est in judicio exteriori, in quo aliquis non amittit superioritatem ex hoc ipso quod peccat. Unde non est similis ratio de utroque foro. Et tamen in foro confessionis aliquis non potest seipsum absolvere, nec superiorem nec aequalem, de mortali, nisi ex commissione sibi facta; de venialibus autem potest, quia venialia ex quibuslibet sacramentis gratiam conferentibus remittuntur; unde remissio venialium sequitur potestatem ordinis.

3. Le fait de délier et de lier au for de la confession n’existe que par rapport à Dieu, auquel on est rendu inférieur par le péché. Or, l’excommunication s’exerce par un jugement extérieur, pour lequel on ne perd pas sa supériorité du fait qu’on pèche. Le même raisonnement ne vaut donc pas pour les deux fors. Toutefois, au for de la confession, quelqu’un ne peut s’absoudre lui-même, ni un supérieur, ni un égal, d’un péché mortel, à moins que cela lui ait été confié. Mais il le peut pour les péchés véniels, car les péchés véniels sont remis par tous les sacrements qui confèrent la grâce. La rémission des péchés véniels découle donc du pouvoir d’ordre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17923] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod excommunicari non debet aliquis nisi pro peccato mortali; peccatum autem in actu consistit; actus autem non est communitatis sed singularium personarum ut frequenter; et ideo singuli de communitate excommunicari possunt, non autem ipsa communitas; et si etiam quandoque actus sit totius alicujus multitudinis, ut quando multi navim trahunt, quam nullus trahere posset; non tamen est probabile quod aliqua communitas ita tota ad malum consentiat quin aliqui sint dissentientes. Et quia non est Dei, qui judicat omnem terram, ut condemnet justum cum impio, ut dicitur Gen. 18; ideo Ecclesia, quae judicium Dei imitari debet, satis provide statuit ut tota communitas non excommunicetur, ne collectis zizaniis simul eradicetur et triticum.

Quelqu’un ne doit être excommunié que pour un péché mortel. Or, le péché consiste dans un acte et, fréquemment, l’acte n’est pas le fait d’une communauté mais de chacune des personnes. C’est pourquoi chacun de membres d’une communauté peut être excommunié, mais non la communauté. Et même si l’acte est parfois le fait de toute une multitude, comme lorsque plusieurs tirent un bateau que personne ne pourrait tirer, il n’est cependant pas probable que toute une communauté consente à ce point au mal que certains ne soient pas en désaccord. Et parce qu’il ne relève pas de Dieu, qui juge toute la terre, de condamner le juste en même temps que l’injuste, comme il est dit dans Gn 18, l’Église, qui doit imiter le jugement de Dieu, a donc sagement décidé que toute une communauté ne devait pas être excommuniée, afin que le bon grain ne soit pas arraché en même temps qu’on ramasse l’ivraie.

[17924] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo patet solutio ex dictis.

1. La solution ressort de ce qui a été dit.

[17925] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suspensio non tanta poena est quanta excommunicatio, quia suspensi non fraudantur Ecclesiae suffragiis sicut excommunicati; unde etiam aliquis sine peccato proprio suspenditur, sicut et totum regnum supponitur interdicto pro peccatis regis; et ideo non est simile de excommunicatione et suspensione.

2. La suspension n’est pas une peine aussi grande que l’excommunication, car les suspens ne sont pas privés des suffrages de l’Église comme les excommuniés. Aussi quelqu’un est-il suspendu sans avoir lui-même péché, comme tout un royaume est placé sous un interdit pour les péchés du roi. C’est pourquoi il n’en va pas de même de l’excommunication et de la suspension.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17926] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ille qui excommunicatus est una excommunicatione, potest iterum excommunicari per ejusdem excommunicationis iterationem ad majorem sui confusionem, ut vel sic a peccato resiliat, vel propter alias causas; et tunc tot sunt principales excommunicationes, quot causae pro quibus aliquis excommunicatur.

Celui qui a été excommunié par une première excommunication peut de nouveau être excommunié par la répétition de la même excommunication pour sa plus grande confusion, afin qu’il s’éloigne du péché ou pour d’autres raisons. Alors, il y a autant d’excommunications principales qu’il y a de raisons pour lesquelles il est excommunié.

[17927] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus loquitur de Paganis et aliis infidelibus, qui non habent characterem, per quem annumerati sint in populo Dei. Sed quia character baptismalis, quo quis populo Dei annumeratur, est indelebilis, ideo semper remanet aliquo modo de Ecclesia baptizatus; et sic semper Ecclesia de ipso judicare potest.

1. L’Apôtre parle des païens et des autres infidèles, qui n’ont pas le caractère par lequel ils sont comptés parmi le peuple de Dieu. Mais parce que le caractère baptismal, par lequel quelqu’un est compté parmi le peuple de Dieu, est indélébile, le baptisé fait toujours partie de l’Église d’une certaine manière, et ainsi l’Église peut-elle toujours le juger.

[17928] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod privatio, quamvis non recipiat magis et minus secundum se, recipit tamen magis et minus secundum causam suam; et secundum hoc excommunicatio potest iterari; et magis est elongatus a suffragiis Ecclesiae qui pluries est excommunicatus quam qui semel tantum.

2. La privation, bien qu’elle ne puisse recevoir du plus et du moins en elle-même, reçoit cependant du plus et du moins selon sa cause. De cette manière, l’excommunication peut être répétée, et celui qui est excommunié plusieurs fois est davantage éloigné des suffrages de l’Église que celui qui ne l’est qu’une seule fois.

 

 

Articulus 4 [17929] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 tit. Utrum liceat excommunicato communicare in pure corporalibus

Article 4 – Est-il permis d’échanger avec un excommunié en matière purement corporelle ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il permis d’échanger avec un excommunié en matière purement corporelle ?]

[17930] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod liceat excommunicato communicare in pure corporalibus. Excommunicatio enim est actus clavium. Sed potestas clavium se extendit ad spiritualia tantum. Ergo per excommunicationem non prohibetur quin unus alii in corporalibus communicare possit.

1. Il semble qu’il soit permis d’échanger avec un excommunié en matière purement corporelle. En effet, l’excommunication est un acte des clés. Or, le pouvoir des clés ne porte que sur les réalités spirituelles. Il n’est donc pas interdit en raison de l’excommunication que quelqu’un puisse échanger avec un autre en matière corporelle.

[17931] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod est institutum pro caritate, contra caritatem non militat. Sed praecepto caritatis tenemur inimicis subvenire; quod sine aliqua communicatione fieri non potest. Ergo licet alicui excommunicato in corporalibus communicare.

2. Ce qui a été établi en vue de la charité ne doit pas aller contre la charité. Or, par le commandement de la charité, nous sommes tenus de secourir nos ennemis, ce qui ne peut se réaliser que par un certain échange. Il est donc permis à quelqu’un d’échanger avec un excommunié en matière corporelle.

[17932] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth., 5, 11: cum ejusmodi nec cibum sumere.

Cependant, il est dit en 1 Co 5, 11: Ne prenez pas de nourriture avec quelqu’un de cette sorte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui est associé à un excommunié est-il excommunié ?]

[17933] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod participans excommunicato non sit excommunicatus. Plus est enim separatus ab Ecclesia gentilis quam excommunicatus. Sed ille qui participat gentili, aut Judaeo, non est excommunicatus. Ergo nec ille qui participat Christiano excommunicato.

1. Il semble que celui qui est associé à un excommunié ne soit pas excommunié. En effet, un gentil est davantage séparé de l’Église qu’un excommunié. Or, celui qui est associé à un gentil ou un juif n’est pas excommunié. Donc, celui-là non plus qui est associé à un chrétien excommunié.

[17934] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si ille qui participat alicui excommunicato, est excommunicatus; eadem ratione qui participat participanti, erit excommunicatus; et sic in infinitum procedet: quod videtur absurdum. Ergo non est excommunicatus qui excommunicato participat.

2. Si celui qui est associé à un excommunié est excommunié, pour la même raison, celui qui est associé à celui qui est associé sera-t-il excommunié ; on irait ainsi à l’infini, ce qui paraît absurde. Celui qui est associé à un excommunié n’est donc pas excommunié.

[17935] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod excommunicatus positus est extra communionem. Ergo qui ei communicat, a communione Ecclesiae recedit; et sic videtur quod sit excommunicatus.

Cependant, l’excommunié est placé en dehors de la communion. Celui qui échange avec lui s’éloigne donc de la communion de l’Église. Il semble donc qu’il soit ainsi excommunié.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Être associé à un excommunié dans les cas qui ne sont pas permis est-il toujours un péché mortel ?]

[17936] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod participare cum excommunicato in casibus non concessis, semper sit peccatum mortale. Quia decretalis quaedam respondet, quod propter timorem mortis non debet aliquis excommunicato communicare: quia aliquis debet prius subire mortem quam mortaliter peccet. Sed haec ratio nulla esset nisi participare excommunicato esset peccatum mortale. Ergo et cetera.

1. Il semble que ce soit toujours un péché mortel d’être associé à un excommunié dans les cas qui ne sont pas permis, car une décrétale répond que, par crainte de la mort, on ne doit pas échanger avec un excommunié, car on doit plutôt subir la mort que pécher mortellement. Or, cette raison serait nulle si échanger avec un excommunié n’était pas un péché mortel. Donc, etc.

[17937] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, facere contra praeceptum Ecclesiae, est peccatum mortale. Sed Ecclesia praecepit quod excommunicato nullus communicet. Ergo participare cum excommunicato est peccatum mortale.

2. Agir à l’encontre d’un commandement de l’Église est un péché mortel. Or, l’Église a ordonné que personne n’échange avec un excommunié. Fréquenter un excommunié est donc un péché mortel.

[17938] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus arcetur a perceptione Eucharistiae pro peccato veniali. Sed ille qui participat excommunicato in casibus non concessis, arcetur a perceptione Eucharistiae: quia incurrit minorem excommunicationem. Ergo participans excommunicato in casibus non concessis peccat mortaliter.

3. Personne n’est empêché de recevoir l’eucharistie en raison d’un péché véniel. Or, celui qui est associé à un excommunié dans les cas qui ne sont pas permis est empêché de recevoir l’eucharistie, car il encourt une excommunication mineure. Celui qui est associé à un excommunié dans les cas qui ne sont pas permis pèche donc mortellement.

[17939] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, nullus debet excommunicari majori excommunicatione, nisi pro peccato mortali. Sed aliquis potest secundum jura excommunicari majori excommunicatione propter hoc quod excommunicato participat. Ergo participare excommunicato est peccatum mortale.

4. Personne ne doit être excommunié d’une excommunication majeure qu’en raison d’un péché mortel. Or, selon le droit, quelqu’un peut être excommunié d’une excommunication majeure parce qu’il est associé à un excommunié. Être associé à un excommunié est donc un péché mortel.

[17940] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, a peccato mortali nullus potest absolvere nisi habeat super eum jurisdictionem. Sed potest absolvere a participatione excommunicationis quilibet sacerdos. Ergo non est peccatum mortale.

Cependant, [1] personne ne peut absoudre d’un péché mortel à moins d’avoir juridiction sur lui. Or, tous les prêtres peuvent absoudre d’avoir participé à l’excommunication. Ce n’est donc pas un péché mortel.

[17941] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, pro mensura peccati debet esse poenitentiae modus. Sed pro participatione excommunicationis, secundum communem consuetudinem non ponitur poena debita peccato mortali, sed magis debita veniali. Ergo est peccatum veniale.

[2] Le mode de la pénitence doit être mesuré selon le péché. Or, pour l’association avec l’excommunication, on ne donne pas, selon la coutume commune, une peine due pour un péché mortel, mais plutôt celle qui est due pour un péché véniel. C’est donc un péché véniel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17942] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut praedictum est, duplex est excommunicatio. Una est minor, quae separat tantum a participatione sacramentorum, sed non a communione fidelium; et ideo tali excommunicato licet communicare, sed non licet ei sacramenta conferre. Alia est major excommunicatio; et haec separat hominem a sacramentis Ecclesiae, et a communione fidelium; et ideo excommunicato tali excommunicatione communicare non licet. Sed quia Ecclesia excommunicationem ad medelam, et non ad interitum, inducit; excipiuntur ab hac generalitate quaedam in quibus communicare licet; scilicet in his quae pertinent ad salutem: quia de talibus homo licite cum excommunicato loqui potest; et etiam alia verba interserere, ut facilius salutis verba ex familiaritate recipiantur. Excipiuntur etiam quaedam personae, ad quas specialiter pertinet provisio excommunicati, scilicet uxor, servus, filius, rusticus, et serviens. Sed hoc intelligendum est de filiis non emancipatis; alias tenerentur vitare patrem; de aliis autem intelligitur quod licet excommunicato communicare, si ante excommunicationem se ei subdiderunt; non autem si post. Quidam autem intelligunt e converso; scilicet quod superiores possunt licite communicare inferioribus. Alii vero contra dicunt. Sed ad minus in his eis communicare debent in quibus eis sunt obligati: quia sicut inferiores obligantur ad obsequium superiorum, ita superiores ad providentiam inferiorum. Sunt etiam quidam casus excepti; sicut quando ignoratur excommunicatio; et quando aliqui sunt peregrini et viatores in terra excommunicatorum; qui licite possunt ab eis emere, vel etiam accipere eleemosynam; et similiter si aliquis videat excommunicatum in necessitate: quia tunc ex praecepto caritatis tenetur ei providere. Et haec hoc versu continentur: utile, lex, humile, res ignorata, necesse; ut utile referatur ad verba salutis, lex ad matrimonium, humile ad subjectionem; cetera patent.

 

Comme on l’a dit plus haut, il existe une double excommunication. L’une est mineure : elle sépare seulement de la participation aux sacrements, mais non de la communion des fidèles. C’est pourquoi il est permis d’échanger avec un tel excommunié, mais il n’est pas permis de lui donner les sacrements. L’autre excommunication est majeure : elle sépare un homme des sacrements de l’Église et de la communion des fidèles. C’est pourquoi il n’est pas permis d’échanger avec un tel excommunié. Mais parce que l’Église porte l’excommunication en vue de la guérison, et non en vue de la mort, des exceptions sont faites à ce caractère général, en raison desquelles il est permis d’échanger pour ce qui concerne le salut, car il est permis de parler de ces choses avec un excommunié et même, de semer d’autres paroles afin que les paroles du salut soient plus facilement acceptées en raison des liens familiaux. Il existe aussi des exceptions pour certaines personnes, à qui il revient de s’occuper d’une manière particulière de l’excommunié : son épouse, son serf, son fils, celui qui s’occupe de ses champs et le sert. Mais cela doit s’entendre des fils non émancipés, autrement, ils seraient obligés d’éviter leur père ; pour les autres, on comprend qu’il est permis d’échanger avec l’excommunié s’ils lui étaient soumis avant l’excommunication, mais non après. Mais certains comprennent le contraire, à savoir qu’il est permis aux supérieurs d’échanger avec leurs inférieurs ; cependant, d’autres s’y opposent. Toutefois, ils doivent au moins échanger pour ce à quoi ils sont obligés, car, de même que les inférieurs sont obligés d’obéir aux supérieurs, de même les supérieurs sont-ils obligés de s’occuper des inférieurs. Certains cas sont aussi l’objet d’une exception, comme lorsqu’on ignore l’excommunication et lorsque certains sont en pèlerinage ou en voyage sur la terre d’excommuniés : il leur est permis d’acheter d’eux ou même de recevoir l’aumône. De même, si quelqu’un voit un excommunié dans le besoin, car alors il est tenu par le commandement de la charité de s’en occuper. Ces choses sont contenues dans ce vers : « Utile, loi, humble, chose ignorée, nécessaire » : « utile » renvoie aux paroles du salut ; « loi » au mariage ; « humble » à la sujétion. Les autres choses sont claires.

[17943] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corporalia ad spiritualia ordinantur; et ideo potestas quae se extendit ad spiritualia, etiam ad corporalia potest se extendere; sicut ars quae est de fine, imperat de his quae sunt ad finem.

1. Les réalités corporelles sont ordonnées aux réalités spirituelles. C’est pourquoi le pouvoir qui porte sur les réalités spirituelles peut aussi porter sur les réalités corporelles, comme l’art qui porte sur une fin commande pour ce qui se rapporte à la fin.

[17944] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illo casu in quo aliquis ex praecepto caritatis communicare tenetur, non prohibetur communio, ut ex dictis patet.

2. Dans le cas où quelqu’un est obligé d’échanger en raison du commandement de la charité, la communion n’est pas interdite, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17945] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod excommunicatio potest inferri in aliquem dupliciter. Aut ita quod ipse sit excommunicatus cum omnibus ei participantibus; et tunc non est dubium quod quicumque participat ei, est excommunicatus majori excommunicatione. Aut est excommunicatus simpliciter; et tunc aut participat aliquis ei in crimine, praebendo ei consilium et auxilium et favorem, et sic iterum est excommunicatus majori excommunicatione: aut participat in aliis, sicut in verbo vel osculo vel mensa; et sic est excommunicatus minori excommunicatione.

L’excommunication peut être portée contre quelqu’un de deux manières. Soit il a été lui-même excommunié avec tous ceux qui lui sont associés : alors, il n’y a pas de doute que tous ceux qui lui sont associés sont excommuniés d’une excommunication majeure. Soit il est simplement excommunié : alors, quelqu’un lui est associé pour un crime, en le conseillant, en l’aidant et en lui étant favorable, et de nouveau, il est excommunié d’une excommunication majeure. Soit il lui est associé pour d’autres choses, par la parole, le baiser ou la table, et ainsi il est excommunié d’une excommunication mineure.

[17946] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ecclesia non ita intendit corrigere infideles sicut fideles, quorum cura sibi incumbit; et ideo non arcet a communione infidelium sicut a communione fidelium illorum quos excommunicat, super quos habet aliquam potestatem.

1. L’Église n’entend pas corriger les infidèles comme les fidèles, dont la charge lui incombe. C’est pourquoi elle ne restreint pas la communion avec les infidèles comme la communion avec les fidèles qu’elle excommunie, sur lesquels elle a un pouvoir.

[17947] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod excommunicato minori excommunicatione licet communicare; et sic excommunicatio non transit in tertiam personam.

2. Il est permis d’échanger avec un excommunié mineur. Ainsi, l’excommunication ne passe pas à un tiers.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17948] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt quod quandocumque aliquis participat excommunicato, vel verbo, vel quocumque dictorum modorum secundum quos ei communicare non licet; peccat mortaliter, nisi in casibus exceptis a jure. Sed quia hoc videtur valde grave, quod homo pro uno verbo levi quo excommunicatum alloquitur, mortaliter peccet; et multis excommunicantes laqueum damnationis iniicerent, quod in eos retorqueretur; ideo aliis probabilius videtur quod non semper peccat mortaliter, sed solum quando in crimine sibi participat, vel in divinis, vel in contemptum Ecclesiae.

Certains disent que chaque fois que quelqu’un est associé à un excommunié, par la la parole ou par n’importe quelle des manières selon lesquelles il ne lui est par permis d’échanger avec lui, il pèche mortellement, sauf dans les cas d’exception prévus par le droit. Mais parce que cela semble très lourd qu’un homme pèche mortellement par une légère parole adressée à un excommunié, et que ceux qui excommunient tendraient à un grand nombre un piège de damnation qui leur serait reproché, il semble à d’autres de manière plus probable qu’il ne pèche pas mortellement, mais seulement lorsqu’il prend part à son crime, soit contre les réalités divines, soit par mépris de l’Église.

[17949] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod decretalis illa loquitur de participatione in divinis. Vel dicendum, quod similis ratio est de peccato mortali et de veniali quantum ad hoc: quia sicut peccatum mortale non potest bene fieri, ita nec veniale; et sicut homo debet prius sustinere mortem quam peccet mortaliter; ita etiam quam quod peccet venialiter illo modo debiti quo debet veniale vitare.

1. Cette décrétale parle de la participation aux sacrements. Ou bien il faut dire que, sur ce point, le même raisonnement vaut pour le péché mortel et le péché véniel, car de même qu’un péché mortel ne peut pas être bien accompli, de même non plus un péché véniel. Et de même que l’homme doit plutôt supporter la mort que pécher mortellement, de même aussi [plutôt] que pécher véniellement selon le genre de dette pour laquelle il doit éviter le péché véniel.

[17950] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praeceptum Ecclesiae directe respicit spiritualia, et ex consequenti legitimos actus; et ideo, qui communicat ei in divinis, facit contra praeceptum, et peccat mortaliter: qui autem participat ei in aliis, facit praeter praeceptum, et peccat venialiter.

2. Le commandement de l’Église concerne directement les réalités spirituelles et, par mode de conséquence, les actes légitimes. C’est pourquoi celui qui échange avec lui en matière sacramentelle le fait à l’encontre [contra] du commandement et pèche mortellement ; mais celui qui échange avec lui en d’autres matières agit sans tennir compte [praeter] du commandement et pèche véniellement.

[17951] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam aliquis sine culpa quandoque ab Eucharistia arcetur, sicut patet in suspensis vel interdictis: quia tales poenae quandoque alicui pro culpa alterius, qui in eis punitur, inferuntur.

3. Quelqu’un est parfois aussi écarté de l’eucharistie sans faute, comme cela ressort de ceux qui sont suspendus ou interdits, car de telles peines sont parfois portées contre quelqu’un pour la faute d’un autre, qui est punie en eux.

[17952] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis participare excommunicato sit peccatum veniale, tamen participare ei pertinaciter est peccatum mortale; et per hoc potest aliquis excommunicari secundum jura.

4. Bien qu’échanger avec un excommunié soit un péché véniel, s’associer à lui avec entêtement est un péché mortel. À cause de cela, quelqu’un peut être excommunié selon le droit.

 

 

Articulus 5 [17953] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 tit. Utrum quilibet sacerdos possit subditum suum ab excommunicatione absolvere

Article 5 – Tous les prêtres peuvent-ils absoudre leurs sujets d’une excommunication ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous les prêtres peuvent-ils absoudre leurs sujets d’une excommunication ?]

[17954] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod quilibet sacerdos possit subditum suum ab excommunicatione absolvere. Majus enim est vinculum peccati quam excommunicationis. Sed quilibet sacerdos potest subditum suum a peccato absolvere. Ergo multo fortius ab excommunicatione.

1. Il semble que tous les prêtres puissent absoudre leurs sujets d’une excommunication. En effet, le lien du péché est plus grand que celui de l’excommunication. Or, tous les prêtres peuvent absoudre leur sujet d’un péché. À bien plus forte raison, le peuvent-ils donc d’une excommunication.

[17955] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, remota causa removetur effectus. Sed excommunicationis causa est peccatum mortale. Ergo cum possit quilibet sacerdos a peccato illo mortali absolvere, poterit ab excommunicatione similiter.

2. Une fois la cause enlevée, l’effet est enlevé. Or, la cause de l’excommunication est un péché mortel. Puisque tous les prêtres peuvent absoudre de ce péché mortel, ils pourront de la même manière absoudre d’une excommunication.

[17956] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ejusdem potestatis est excommunicare, et excommunicatum absolvere. Sed sacerdotes inferiores non possunt suos subditos excommunicare. Ergo nec absolvere.

Cependant, le pouvoir d’excommunier et celui d’absoudre un excommunié relèvent du même. Or, les prêtres inférieurs ne peuvent pas excommunier leurs sujets. Ils ne peuvent donc pas non plus les absoudre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Quelqu’un peut-il être absous malgré lui ?]

[17957] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullus possit absolvi invitus. Spiritualia enim non conferuntur invito alicui. Sed absolutio ab excommunicatione est beneficium spirituale. Ergo non potest praestari invito.

1. Il semble que personne ne puisse être absous malgré lui. En effet, les biens spirituels ne sont pas donnés à quelqu’un malgré lui. Or, l’absolution de l’excommunication est un bienfait spirituel. Elle ne peut donc pas être donnée à celui qui n’en veut pas.

[17958] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, excommunicationis causa est contumacia. Sed quando aliquis non vult absolvi, excommunicationem contemnens, tunc est maxime contumax. Ergo non potest absolvi.

2. La cause de l’excommunication est la contumace. Or, lorsque quelqu’un ne veut pas être absous par mépris de l’excommunication, il est contumace au plus haut point. Il ne donc pas être absous.

[17959] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, excommunicatio contra voluntatem alicui potest inferri. Sed quae contra voluntatem eveniunt, etiam contra voluntatem amoveri possunt, sicut patet de bonis fortunae. Ergo excommunicatio potest tolli ab aliquo invito.

Cependant, une excommunication peut être portée contre quelqu’un à l’encontre de sa volonté. Or, ce qui arrive contre sa volonté peut aussi être enlevé contre sa volonté, comme cela ressort clairement pour les biens de la fortune. L’excommunication peut donc être enlevée à quelqu’un malgré lui.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on être absous d’une excommunication sans être absous de toutes ?]

[17960] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis non possit absolvi ab una excommunicatione, nisi absolvatur ab omnibus. Effectus enim debet proportionari suae causae. Sed causa excommunicationis est peccatum. Cum ergo aliquis non possit absolvi ab uno peccato nisi ab omnibus absolvatur, nec in excommunicatione hoc esse poterit.

1. Il semble qu’on puisse être absous d’une excommunication sans être absous de toutes. En effet, l’effet doit être proportionné à sa cause. Or, la cause de l’excommunication est le péché. Puisque qu’on ne peut être absous d’un péché sans être absous de tous, ce ne sera donc pas possible non plus pour l’excommunication

[17961] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea excommunicationis absolutio in Ecclesia fit. Sed ille qui una excommunicatione est irretitus, est extra Ecclesiam. Ergo quamdiu una manet, ab alia absolvi non potest.

2. L’absolution d’une excommunication se fait dans l’Église. Or, celui qui est retenu par une excommunication se trouve hors de l’Église. Aussi longtemps qu’il en demeure une, il ne peut donc être absous d’une autre.

[17962] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, excommunicatio quaedam poena est. Sed ab una poena aliquis liberatur alia remanente. Ergo ab una excommunicatione, alia remanente, quis absolvi potest.

Cependant, l’excommunication est une peine. Or, quelqu’un peut être libéré d’une peine alors qu’une autre demeure. Quelqu’un peut donc être absous d’une excommunication alors qu’une autre demeure.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17963] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod a minori excommunicatione quilibet potest absolvere qui potest absolvere a peccato participationis. Si autem est major: aut est lata a judice; et sic ille qui tulit, vel ejus superior, potest absolvere: vel lata a jure; et tunc episcopus, vel etiam sacerdos, potest absolvere, exceptis sex casibus, quos sibi juris conditor, scilicet Papa, reservavit. Primus est, cum aliquis injicit manus in clericum vel religiosum. Secundus est de illo qui incendit Ecclesiam, et est denuntiatus. Tertius est de illo qui frangit Ecclesiam, et denuntiatus est. Quartus est de illo qui in divinis scienter communicat excommunicatis nominaliter a Papa. Quintus de illo qui falsat litteras apostolicae sedis. Sextus de illo qui excommunicatis in crimine communicat; non enim debet absolvi nisi ab eo qui excommunicavit, etiamsi non sit ejus subditus, nisi propter difficultatem accedendi ad ipsum absolveretur ab episcopo, vel a proprio sacerdote, praestita juratoria cautione, quod pareret mandato illius judicis qui sententiam tulit. A primo autem casu octo excipiuntur. Primus est in articulo mortis, in quo a qualibet excommunicatione potest quis a quolibet sacerdote absolvi. Secundus, si sit ostiarius alicujus potentis, et non ex odio vel proposito percussit. Tertius, si percutiens sit mulier. Quartus, si sit servus, et dominus laederetur de ejus absentia, qui non est in culpa. Quintus, si regularis regularem, nisi sit enormis excessus. Sextus, si sit pauper. Septimus, si sit impubes, vel senex, vel valetudinarius. Octavus, si habeat inimicitias capitales. Sunt autem alii casus septem, in quibus percutiens clericum excommunicationem non incurrit. Primus, si causa disciplinae, ut magister vel praefectus, percusserit. Secundus, si jocosa levitate. Tertius, si invenerit eum turpiter agentem cum uxore vel matre vel sorore vel filia. Quartus, si statim vim repellat. Quintus, si ignoret eum esse clericum. Sextus, si inveniat eum in apostasia post trinam admonitionem. Septimus, si transfert se clericus ad actum penitus contrarium, ut fiat miles, vel ad bigamiam transeat.

Tous ceux qui peuvent absoudre du péché d’association [avec un excommunié] peuvent absoudre d’une excommunication mineure. Mais s’il s’agit d’une [excommunication] majeure, soit elle est portée par un juge : et ainsi, celui qui l’a portée ou son supérieur peut en absoudre ; soit elle est portée en vertu du droit : et alors, l’évêque ou même le prêtre peut en absoudre, sauf dans six cas que le législateur, à savoir, le pape, s’est réservé. Le premier, lorsque quelqu’un porte la main contre un clerc ou un religieux. Le deuxième, lorsque quelqu’un incendie une église et est dénoncé. Le troisième, lorsque quelqu’un commet une infraction contre une église et est dénoncé. Le quatrième, lorsque quelqu’un échange sciemment en matière sacramentelle avec ceux qui ont été nommémment excommuniés par le pape. Le cinquième, lorsque quelqu’un falsifie des lettres du Siège apostolique. Le sixième, lorsque quelqu’un participe au crime de ceux qui sont excommuniés : en effet, il ne doit être absous que par celui qui a excommunié, même s’il n’est pas son sujet, sauf s’il est absous par l’évêque en raison de la difficulté de se rendre auprès de lui, ou par son propre prêtre, après avoir donné par serment la garantie qu’il se soumettrait au commandement du juge qui a porté la sentence [d’excommunication]. Pour le premier cas, il y a huit exceptions. La première est d’être à l’article de la mort, alors que quelqu’un peut être absous de n’importe quelle excommunication par n’importe quel prêtre. La deuxième, s’il s’agit du portier d’un puissant et qu’il n’a pas frappé par haine ou de propos délibéré. La troisième, si la personne qui frappe est une femme. La quatrième, si elle est un serviteur et que le seigneur serait lésé par son absence, alors qu’il n’est pas en faute. La cinquième, si un régulier [a frappé] un régulier, à moins que l’excès ne soit énorme. La sixième, s’il est pauvre. La septième, s’il est impubère, âgé ou malade. La huitième, s’il a des ennemis mortels. Mais il existe sept autres cas où celui qui frappe un clerc n’encourt pas d’excommunication. Le premier, si c’est en raison d’une correction que le maître ou le préfet a frappé. Le deuxième, si cela a été fait pour s’amuser. Le troisième, s’il l’a trouvé en train de se comporter honteusement avec son épouse, sa mère, sa sœur ou sa fille. Le quatrième, s’il retient aussitôt sa force. Le cinquième, s’il ignore qu’il s’agit d’un clerc. Le sixième, s’il constate l’apostasie après un triple avertissement. Le septième, si un clerc s’adonne à un acte tout à fait contraire [à sa condition], comme devenir soldat ou s’adonner à la bigamie.

[17964] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis vinculum peccati sit majus simpliciter quam excommunicationis; tamen quo ad aliquid vinculum excommunicationis est majus, inquantum non solum obligat quo ad Deum, sed etiam in facie Ecclesiae; et ideo in absolvendo ab excommunicatione requiritur jurisdictio in exteriori foro, non autem in absolutione a peccato; nec exigitur cautio juramenti, sicut exigitur in absolutione ab excommunicatione. Per juramentum enim controversiae quae sunt inter homines, terminantur, secundum apostolum.

1. Bien que le lien du péché soit plus grand que celui de l’excommunication à parler simplement, cependant, le lien de l’excommunication est plus grand sur un point, pour autant qu’il ne lie pas seulement par rapport à Dieu, mais aussi à la face de l’Église. C’est pourquoi la juridiction au for extérieur est nécessaire pour absoudre d’une excommunication, mais non pour l’absolution d’un péché, et la garantie par serment n’est pas requise, comme elle est requise pour l’absolution d’une excommunication. En effet, les controverses qui existent entre les hommes sont terminées par un serment, selon l’Apôtre.

[17965] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum excommunicatus non sit particeps sacramentorum Ecclesiae; sacerdos non potest absolvere excommunicatum a culpa, nisi sit prius absolutus ab excommunicatione.

2. Puisque l’excommunié ne participe pas aux sacrements de l’Église, le prêtre ne peut pas absoudre un excommunié d’une faute, à moins qu’il n’ait d’abord été absous de l’excommunication.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17966] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod malum culpae et poenae differunt in hoc, quod culpae principium in nobis est; quia omne peccatum voluntarium est; poenae autem principium quandoque est extra nos. Non autem requiritur ad poenam quod sit voluntaria; immo magis de ratione poenae est contra voluntatem esse; et ideo, sicut peccata non committuntur nisi voluntate, ita non remittuntur alicui invito; sed excommunicatio sicut in aliquem invitum ferri potest, ita et invitus ab ea absolvi poterit.

Le mal de la faute et le mal de la peine diffèrent en ceci que le principe de la faute se trouve en nous, puisque tout péché est volontaire, mais que le principe de la peine nous est parfois extérieur. Or, il n’est pas nécessaire que la peine soit volontaire, bien plus, il fait davantage partie de la nature de la peine qu’elle soit contraire à notre volonté. C’est pourquoi les péchés ne sont pas non plus remis à quelqu’un malgré lui, puisqu’ils ne sont commis que par la volonté. Mais de même que l’excommunication peut être portée contre quelqu’un malgré lui, de même peut-il en être absous malgré lui.

[17967] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propositio habet veritatem de illis bonis spiritualibus quae in voluntate nostra consistunt; sicut sunt virtutes, quia non possunt a nolentibus perdi; scientia enim, quamvis sit spirituale bonum, tamen etiam potest a nolente per infirmitatem amitti; et ideo ratio non est ad propositum.

1. La proposition est vraie pour les biens spirituels qui existent dans notre volonté, comme les vertus, parce qu’ils ne peuvent être perdus par ceux qui ne le voudraient pas. En effet, la science, bien qu’elle soit un bien spirituel, peut cependant être perdue en raison d’une maladie par celui qui ne le veut pas. Le raisonnement ne porte donc pas sur la question en cause.

[17968] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam manente contumacia potest aliquis discrete excommunicationem juste latam remittere, si videat saluti illius expedire in cujus medicinam excommunicatio lata est.

2. Même si la contumace persiste, quelqu’un peut sagement remettre une excommunication portée justement, s’il voit que cela convient au salut de celui contre qui l’excommunication a été portée comme une remède.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17969] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod excommunicationes non habent connexionem in aliquo; et ideo possibile est quod aliquis ab una absolvatur, et in altera remaneat. Sed circa hoc sciendum est, quod aliquis quandoque est excommunicatus pluribus excommunicationibus ab uno judice; et tunc, quando absolvitur ab una, intelligitur ab omnibus absolvi, nisi contrarium exprimatur; vel nisi in casu quo quis absolutionem impetrat de una tantum causa excommunicationis, cum pro pluribus excommunicatus sit. Quandoque autem est excommunicatus a diversis judicibus; et tunc absolutus ab una excommunicatione, non propter hoc est absolutus ab altera, nisi omnes alii ad petitionem ejus excommunicationem suam confirmaverint, vel nisi omnes uni demandent absolutionem.

Les excommunications n’ont aucune connexion. Il est donc ainsi possible que quelqu’un soit absous de l’une, alors qu’il demeure sous le coup d’une autre. Mais il faut savoir, à ce propos, que quelqu’un est parfois excommunié selon plusieurs excommunications par un seul juge, et alors, lorsqu’il est absous d’une, on comprend qu’il est absous de toutes, à moins que le contraire ne soit exprimé, ou bien à moins que quelqu’un ne demande l’absolution d’une seule excommunication, alors qu’il a été excommnié selon plusieurs. Mais, parfois, il a été excommunié par plusieurs juges ; alors, celui qui est absous d’une excommunication n’est pas pour autant absous d’une autre, à moins que tous les autres n’aient confirmé son excommunication sur demande ou à moins que tous n’exigent une absolution pour une seule.

[17970] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnia peccata habent connexionem in aversione voluntatis a Deo, cum quo non potest esse peccatorum remissio; et ideo unum peccatum sine altero remitti non potest. Sed excommunicationes non habent aliquam talem connexionem; nec iterum absolutio ab excommunicatione impeditur propter voluntatis contrarietatem, ut dictum est; et ideo ratio non sequitur.

1. Tous les péchés sont connectés entre eux par l’aversion de la volonté à l’égard de Dieu, avec laquelle il ne peut y avoir de rémission des péchés. C’est pourquoi un péché ne peut pas être remis sans un autre. Mais les excommunications n’ont pas une telle connexion ; l’absolution d’une excommunication n’est pas non plus empêchée en raison de l’opposition de la volonté, comme on l’a dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[17971] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut pluribus de causis erat aliquis extra Ecclesiam, ita possibile est quod ista separatio removeatur quantum ad unam causam, et remaneat quantum ad alteram.

2. De même que quelqu’un était hors de l’Église pour plusieurs raisons, de même est-il possible que cette séparation soit enlevée pour une seule cause, mais demeure pour une autre.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 18

[17972] Super Sent., lib. 4 d. 18 q. 2 a. 5 qc. 3 expos. Haeresis utrumque non habet; quia etsi habeant ordinem, amittunt tamen jurisdictionem ab Ecclesia praecisi. Verbum Dei peccata dimittit, scilicet auctoritate; sed sacerdos, inquantum sacramentum praebet ministerio; inquantum autem poenam imponit, sic idem ipse judex dicitur. Nullius potestatis jura exercet, ut scilicet actio ejus ad interiores maculas mundandas pertingat. Ecclesiae caritas peccata dimittit. Videtur non esse ad propositum; quia hic non agitur de dimissione per modum meriti, sed de dimissione per modum sacramenti. Et dicendum, quod meritum Ecclesiae est sub dispensatione clavium; et ideo tam ex merito Christi, quam aliorum qui sunt de Ecclesia, Ecclesiae claves efficaciam habent. Peccatum dicitur tenebra, quia intellectus obtunditur. Contra, multi peccatores inveniuntur qui habent optimum intellectum ad capiendum. Et dicendum, quod loquitur de obtusione intellectus practici, secundum quod omnis malus est ignorans; et non de obtusione intellectus speculativi.

 

 

 

Distinctio 19

Distinction 19 – [Les détenteurs des clés]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les détenteurs des clés]

 

 

Prooemium

Prologue

[17973] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de clavibus secundum se, incipit determinare quorum sit habere claves; et dividitur in partes duas: in prima ostendit quod sacerdotum sit claves habere; in secunda movet quasdam dubitationes contra haec, ibi: sed non videtur quod omnes vel soli sacerdotes has claves habeant. Et haec pars dividitur in duas: in prima movet dubitationem de clave scientiae; in secunda de clave potestatis, ibi: cumque jam constet non omnes sacerdotes illas duas claves habere (...) quaeritur, utrum omnes sacerdotes eam habeant. Et haec pars dividitur in duas secundum duas opiniones quas in hac dubitatione tangit; secunda incipit ibi: aliis autem videtur (...) cunctis sacerdotibus hanc clavem dari. Et haec dividitur in tres: in prima ponit opinionem; in secunda confirmat eam, ibi: quod vero hanc potestatem habeant omnes sacerdotes, Hieronymus testatur. In tertia removet quaedam quae huic opinioni videntur esse contraria, ibi: huic autem Augustini sententiae videtur obviare quod ait Hesychius. Et circa hoc duo facit: primo ponit objectionem, qua videtur ostendi quod non solis sacerdotibus usus clavium competit; secundo quod malis sacerdotibus non competit; quorum utrumque est contra secundam opinionem, quae vera est, ibi: praemissae vero sententiae (...) videtur obviare quod dominus per Malachiam prophetam malis sacerdotibus comminatur. Et circa hoc tria facit: primo ponit objectionem; secundo aliorum solutionem ponit, ibi: sed illud capitulum, maledicam etc. quidam referunt ad haereticos. Tertio solutionem propriam ex dictis prius colligit, ibi: illud autem Malachiae, scilicet maledicam benedictionibus vestris, sive super haereticos tantum et excommunicatos, sive super omnes sacerdotes qui vita, et scientia carentes, benedicere praesumunt, dictum accipiatur. Circa secundum duo facit: primo ponit solutionem ad auctoritatem prophetae inductam, quam quidam ponunt; secundo, ex incidenti, qualis esse debeat qui recte debet potestate clavium uti, ibi: qualem autem oporteat esse qui aliorum judex constituitur, Augustinus describit. Hic est duplex quaestio. Prima de habentibus claves. Secunda de correctione fraterna. Circa primum tria quaeruntur: 1 quorum sit habere claves; 2 qui possunt clavibus uti; 3 in quem possit sacerdos clavibus uti.

Après avoir déterminé des clés en elles-mêmes, le Maître commence à déterminer des détenteurs des clés. Il y a deux parties : dans la première, il montre qu’il appartient aux prêtres de déternir les clés ; dans la seconde, il soulève un doute contre cela, à cet endroit : « Mais il ne semble pas que tous les prêtres et seulement eux détiennent ces clés. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il soulève un doute à propos de la clé de la science ; dans la seconde, à propos de la clé du pouvoir, à cet endroit : « Puisqu’il est clair que tous les prêtres ne possèdent pas ces deux clés…, on se demande si tous les prêtres l’ont. » Cette partie se divise en deux selon les deux opinions que [le Maître] aborde à propos de ce doute ; la seconde commence à cet endroit : « Il semble à d’autres… que cette clé a été donnée à tous les prêtres. » Cette partie se divise en trois. Dans la première, il présente l’opinion. Dans la deuxième, il la confirme, à cet endroit : « Que tous les prêtres aient ce pouvoir, Jérôme l’atteste. » Dans la troisième, il écarte certaines choses qui paraissent contraires à cette opinion, à cet endroit : « À cette position d’Augustin semble s’opposer ce que dit Hésychius. » À ce propos, [le Maître] fait deux choses. Premièrement, il présente l’objection par laquelle on semble montrer que l’usage des clés n’appartient pas seulement aux prêtres. Deuxièmement, qu’il ne convient pas aux mauvais prêtres. Les deux choses vont contre la seconde opinion, qui est vraie, à cet endroit : « À la position précédente…, semble s’opposer que le Seigneur menace les mauvais prêtres par le prophète Malachie. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’objection. Deuxièmement, il présente la solution des autres, à cet endroit : « Mais d’autres appliquent aux hérétiques ce chapitre : "Que je maudisse, etc." » Troisièmement, il formule sa propre solution à partir de ce qui a été dit antérieurement, à cet endroit : « On doit considérer que ce passage de Malachie : "Que je maudisse vos bénédictions", a été exprimé soit contre les seuls hérétiques et schismatiques, soit contre tous les prêtres qui osent bénir, alors qu’ils sont insuffisants par leur vie et leur science. » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il présente la réponse à l’autorité tirée du prophète que certains donnent ; deuxièmement, par mode d’incidente, [il présente] qui doit être celui doit user correctement du pouvoir des clés, à cet endroit : « Qui doit être celui qui est établi comme juge des autres, Augustin le décrit. » Il y a ici deux questions : la première, sur ceux qui détiennent les clés ; la seconde, sur la correction fraternelle. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – De qui relèvent les clés ? 2 – Qui peut faire usage des clés ? 3 – Pour qui le prêtre peut-il faire usage des clés ?

 

 

Articulus 1 [17974] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum sacerdos legis claves habuerit

Article 1 – Le prêtre de la loi détenait-il les clés ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le prêtre de la loi détenait-il les clés ?]

[17975] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sacerdos legis claves habuerit. Clavis enim est sequela ordinis. Sed ipsi habuerunt ordinem, ex quo sacerdotes dicebantur. Ergo habuerunt claves sacerdotes legales.

1. Il semble que le prêtre de la loi détenait les clés. En effet, la clé découle de l’ordre. Or, ils avaient l’ordre, ce pour quoi ils étaient appelés des prêtres. Les prêtres de la loi détenaient donc les clés.

[17976] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut supra Magister dixit, claves sunt duae; scilicet scientia discernendi, et potentia judicandi. Sed ad utramque auctoritatem sacerdotes legales habebant. Ergo habebant claves.

2. Comme le Maître l’a dit plus haut, il y a deux clés : la science pour discerner, et le pouvoir pour juger. Or, les prêtres de la loi avaient cette double autorité. Ils détenaient donc les clés.

[17977] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacerdos legalis habebat aliquam potestatem super reliquum populum. Non temporalem; quia sic potestas regia non fuisset distincta a sacerdotali. Ergo spiritualem: et haec est clavis; ergo habuerunt clavem.

3. Le prêtre de la loi avait un certain pouvoir sur le reste du peuple, mais non un pouvoir temporel, car alors le pouvoir royal n’aurait pas été distinct du pouvoir sacerdotal. Il avait donc un [pouvoir] spirituel. Or, celui-ci est la clé. Ils détenaient donc la clé.

[17978] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, claves ordinantur ad aperiendum regnum caelorum, quod aperiri non potuit ante Christi passionem. Ergo sacerdos legalis clavem non habuit.

Cependant, [1] les clés sont destinées à ouvrir le royaume des cieux, qui ne pouvait être ouvert avant la passion du Christ. Le prêtre de la loi ne détenait donc pas la clé

[17979] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sacramenta veteris legis gratiam non conferebant. Sed aditus regni caelestis aperiri non potest nisi per gratiam. Ergo per illa sacramenta non poterat aperiri; et sic etiam sacerdos, qui minister eorum erat, claves regni caelestis non habebat.

[2] Les sacrements de la loi ancienne ne donnaient pas la grâce. Or, l’entrée dans le royaume céleste ne peut être ouverte que par la grâce. Elle ne pouvait donc pas être ouverte par ces sacrements, et ainsi le prêtre qui en était le ministre, ne détenait donc pas les clés du royaume céleste.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Christ possédait-il les clés ?]

[17980] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non habuerit claves. Clavis enim characterem ordinis consequitur, ut prius dictum est, dist. praec., qu. 1, art. 1, quaestiunc. 2 ad 1. Sed Christus non habuit characterem, ut supra, dist. 4, qu. 1, art. 3, quaestiunc. 5, dictum est. Ergo non habuit clavem.

1. Il semble que le Christ ne possédait pas les clés. En effet, la clé découle du caractère de l’ordre, comme on l’a dit plus haut, à la distinction précédente, q. 1, a. 1, qa 2, ad 1. Or, le Christ ne possédait pas le caractère, comme on l’a dit plus haut, d. 4, q. 1, a. 3, qa 5. Il ne possédait donc pas la clé.

[17981] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Christus habuit in sacramentis potestatem excellentiae, ut effectum sacramenti sine sacramentalibus posset conferre. Sed clavis est quoddam sacramentale. Ergo non indigebat clavi; et sic frustra eam habuisset.

2. Le Christ possédait un pouvoir d’excellence sur les sacrements, de sorte qu’il pouvait donner l’effet du sacrement sans ce qui est sacramentel. Or, la clé est quelque chose de sacramentel. Il n’avait donc pas besoin de clé, et ainsi il l’aurait possédé inutilement.

[17982] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Apoc. 3, 7, dicitur: qui habet clavem David et cetera.

Cependant, il est dit dans Ap 3, 7 : Celui qui possède la clé de David, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les prêtres seuls détiennent-ils les clés ?]

[17983] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non soli sacerdotes claves habeant. Dicit enim Isidorus, quod ostiarii inter bonos et malos habent judicium; dignos recipiunt, et indignos rejiciunt. Sed haec est definitio clavium, ut ex dictis patet. Ergo non solum sacerdotes, sed etiam ostiarii, claves habent.

1. Il semble que les prêtres seuls ne détiennent pas les clés. En effet, Isidore dit qu’« il appartient aux portiers de juger entre les bons et les méchants, d’accueillir ceux qui sont dignes et de rejeter les indignes ». Or, telle est la définition des clés, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les prêtres seuls ne détiennent donc pas les clés, mais aussi les portiers.

[17984] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, claves sacerdotibus dantur, dum per unctionem potestatem divinitus accipiunt. Sed reges etiam potestatem in populum fidelem divinitus habent, et unctione sanctificantur. Ergo non soli sacerdotes habent claves.

2. Les clés sont données aux prêtres lorsqu’ils reçoivent de Dieu le pouvoir par l’onction. Or, les rois aussi ont un pouvoir sur le peuple fidèle et sont sanctifiés par une onction. Les seuls prêtres ne détiennent donc pas les clés.

[17985] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacerdotium est ordo uni singulari personae conveniens. Sed clavem aliquando videtur habere tota una congregatio; quia quaedam capitula excommunicationem ferre possunt, quod ad potestatem clavium pertinet. Ergo non soli sacerdotes clavem habent.

3. Le sacerdoce est un ordre qui convient à une seule personne. Or, il semble parfois que toute une communauté possède la clé, car certains chapitres peuvent porter une excommunication, ce qui relève du pouvoir des clés. Les seuls prêtres ne détiennent donc pas les clés.

[17986] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, mulier non est sacerdotalis ordinis susceptiva; quia ei docere non competit, secundum apostolum 1 Corinth. 14. Sed aliquae mulieres videntur habere clavem, sicut abbatissae, quae habent spiritualem potestatem in subditas. Ergo non solum sacerdotes clavem habent.

4. Une femme ne peut pas recevoir l’ordre sacerdotal, car il ne lui convient pas d’enseigner, selon l’Apôtre, 1 Co 14. Or, certaines femmes semblent posséder la clé, comme les abbesses, qui ont un pouvoir spirituel sur celles qui leur sont soumises. Les seuls prêtres ne détiennent donc pas la clé.

[17987] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Ambrosius dicit: hoc jus, scilicet ligandi et solvendi, solis sacerdotibus concessum est.

Cependant, [1] Ambroise dit : « Ce droit – à savoir, celui de lier et de délier – a été donné aux seuls prêtres. »

[17988] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, per potestatem clavium efficitur aliquis medius inter populum et Deum. Sed hoc tantum competit sacerdotibus, qui constituuntur in his quae sunt ad Deum, ut offerant dona et sacrificia pro peccatis, ut dicitur Hebr. 5. Ergo soli sacerdotes clavem habent.

[2] Par le pouvoir des clés, quelqu’un devient un intermédiaire entre le peuple et Dieu. Or, cela ne convient qu’aux prêtres, qui « sont établis pour ce qui se rapporte à Dieu, afin d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés », comme il est dit dans He 5. Seuls les prêtres détiennent donc les clés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[17989] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt, quod in veteri lege erant claves apud sacerdotes, quia eis erat commissum imponere poenam pro delicto, ut dicitur Levitici 5; quod ad claves pertinere videtur; sed fuerunt tunc incompletae, nunc autem per Christum in sacerdotibus novae legis perfectae sunt. Sed hoc videtur esse contra intentionem apostoli in epistola ad Hebraeos 9: ibi enim sacerdotium Christi praefertur sacerdotio legali per hoc quod Christus assistit pontifex futurorum bonorum, ad tabernaculum caeleste introducens per proprium sanguinem, non manufactum, in quod introducebat sacerdotium veteris legis per sanguinem hircorum et taurorum. Unde patet quod potestas illius sacerdotii non se extendebat ad caelestia, sed ad figuras caelestium. Et ideo secundum alios dicendum, quod non habebant claves, sed in eis figura clavium praecessit.

Certains ont dit que, sous la loi ancienne, les clés se trouvaient chez les prêtres, car il leur avait été confié d’imposer une peine pour un délit, comme il est dit dans Lv 5, ce qui semble se rapporter aux clés. Mais elles étaient alors incomplètes, alors qu’elles ont été portées à leur perfection par le Christ chez les prêtres de la loi nouvelle. Or, cela semble aller contre l’intention de l’Apôtre dans la lettre aux Hébreux, 9. En effet, à cet endroit, le sacerdoce du Christ est placé au dessus du sacerdoce de la loi du fait que le Christ siège comme pontife des biens à venir, en introduisant par son propre sang dans la tente céleste qui n’est pas faite de main d’homme, alors qu’y introduisait le sacerdoce de la loi ancienne par le sang des boucs et des taureaux. Il est donc clair que le pouvoir de ce sacerdoce ne s’étendait pas jusqu’aux réalités célestes, mais aux figures des réalités célestes. C’est pourquoi il faut dire, selon d’autres, que [les prêtres de la loi ancienne] ne possédaient pas les clés, mais que la figure des clés était anticipée chez eux.

[17990] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod clavis regni caelestis consequitur ad sacerdotium, quo homo in caelestia introducitur; non autem talis erat ordo sacerdotii levitici; et ideo claves caeli non habuerunt, sed claves terreni tabernaculi.

1. La clé du royaume céleste, par laquelle l’homme est introduit dans les réalités célestes, découle du sacerdoce ; mais l’ordre du sacerdoce lévitique n’était pas de cette nature. C’est pourquoi les [prêtres lévitiques] ne possédaient pas les clés du ciel, mais les clés de la tente terrestre.

[17991] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacerdotes veteris legis habebant auctoritatem discernendi et judicandi; sed non ut admitteretur homo ab eis judicatus in caelestia, sed in figuras caelestium.

2. Les prêtres de la loi ancienne avaient l’autorité pour discerner et pour juger, mais non pour que l’homme jugé par eux soit admis aux réalités célestes, mais aux figures des réalités célestes.

[17992] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habebant spiritualem potestatem, qua per sacramentalia legalia non a culpis, sed ab irregularitatibus homines purgabant, ut ad manufactum tabernaculum aditus purgato per eos pateret.

3. Il possédaient un pouvoir spirituel, par lequel ils purifiaient les hommes par les sacrements de la loi, non pas de leurs fautes, mais de leurs irrégularités, afin que l’accès à la tente faite de main d’homme soit ouvert à celui qui était purifié.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[17993] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtus aliquid agendi est in instrumento et in per se agente, non eodem modo; sed in per se agente perfectius. Potestas autem clavium quam nos habemus, et aliorum sacramentorum virtus, est instrumentalis; sed in Christo est sicut in per se agente ad salutem nostram; per auctoritatem quidem, inquantum est Deus, sed per meritum, inquantum est homo. Clavis autem de ratione sua exprimit potestatem aperiendi et claudendi, sive aliquis aperiat quasi principale agens, sive quasi minister; et ideo in Christo oportet ponere clavem, sed altero modo quam sit in ejus ministris; et ideo dicitur, quod habet clavem excellentiae.

La puissance de réaliser quelque chose se trouve dans l’instrument et dans ce qui agit par soi, mais non de la même manière : dans ce qui agit par soi, elle se trouve de manière plus parfaite. Or, le pouvoir des clés, que nous avons, et la puissance des autres sacrements sont instrumentaux. Mais, dans le Christ, [le pouvoir des clés] existe comme dans celui qui agit par lui-même pour notre salut, par autorité en tant qu’il est Dieu, mais par mode de mérite en tant qu’il est homme. Or, la clé, par sa nature même, exprime le pouvoir d’ouvrir et de fermer, que quelqu’un ouvre en tant qu’agent principal ou en tant que ministre. C’est pourquoi, il faut reconnaître la clé dans le Christ, mais sous un autre mode qu’elle existe dans ses ministres. C’est pourquoi on dit qu’il possède une clé d’excellence.

[17994] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod character de sua ratione dicit aliquid ab aliquo derivatum; et ideo potestas clavium, quae est in nobis a Christo derivata, sequitur characterem quo Christo conformamur; sed in Christo non sequitur characterem, sed principalem formam.

1. Par sa nature même, le caractère exprime une chose qui découle de quelque chose. C’est pourquoi le pouvoir des clés, qui est en nous dérivé du Christ, découle du caractère par lequel nous sommes rendus conformes au Christ; mais, dans le Christ, il ne découle pas du caractère, mais de la forme principale.

[17995] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod clavis illa quam Christus habuit, non erat sacramentalis, sed sacramentalis clavis principium.

2. La clé que le Christ possédait n’était pas sacramentelle, mais le principe de la clé sacramentelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[17996] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod clavis est duplex. Una quae se extendit ad ipsum caelum immediate, removendo impedimenta introitus in caelum per dimissionem peccati; et haec vocatur clavis ordinis; et hanc soli sacerdotes habent, quia ipsi soli ordinantur populo in his quae directe sunt ad Deum. Alia clavis est quae non directe se extendit ad ipsum caelum, sed mediante militante Ecclesia, per quam aliquis ad caelum vadit, dum per eam aliquis excluditur vel admittitur ad consortium Ecclesiae militantis per excommunicationem et absolutionem; et haec vocatur clavis jurisdictionis in foro causarum; et ideo hanc etiam non sacerdotes habere possunt, sicut archidiaconi vel clerici, et alii qui excommunicare possunt, ut supra dictum est, dist. praec., quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 2; sed non proprie dicitur clavis caeli, sed quaedam dispositio ad ipsam.

Il existe une double clé. L’une qui atteint le ciel de manière immédiate, en enlevant les obstacles à l’entrée au ciel par la rémission du péché : celle-ci est appelée la clé de l’ordre, et seuls les prêtres la possèdent, car eux seuls ont été ordonnés pour le peuple pour ce qui se rapporte directement à Dieu. L’autre clé est celle qui n’atteint pas le ciel lui-même, mais [l’atteint] par l’intermédiaire de l’Église militante, par laquelle quelqu’un va au ciel, alors qu’il est exclu ou admis à participer à l’Église militante par l’excommunication et l’absolution : celle-ci est appelée la clé de la juridiction au for judiciaire. C’est pourquoi des non-prêtres peuvent aussi la détenir, tels les archidiacres ou les clercs, et les autres qui peuvent excommunier, comme on l’a dit plus haut, distinction précédente, q. 2, a. 2, qa 2. Mais elle n’est pas appelée au sens propre une clé du ciel, mais une certaine disposition à celle-ci.

[17997] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ostiarii habent clavem custodiendi ea quae in templo materiali continentur, et habent judicium a tali templo excludendi et admittendi, non quidem sua auctoritate judicantes qui sint digni vel indigni, sed judicium sacerdotis exequentes; ut sic quodammodo executores potestatis sacerdotalis videantur.

1. Les portiers détiennent une clé pour garder ce qui se trouve dans le temple matériel, et ils détiennent le jugement pour exclure et admettre dans un tel temple, non pas en jugeant de leur propre autorité ceux qui sont dignes ou indignes, mais en exécutant le jugement du prêtre, de sorte qu’ils paraissent être d’une certaine manière les exécutants du pouvoir sacerdotal.

[17998] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reges non habent aliquam potestatem in spiritualibus; et ideo clavem regni caelestis non accipiunt; sed solum in temporalibus, quae etiam nisi a Deo esse non potest, ut patet Rom. 13; nec per unctionem in aliquo sacro ordine consecrantur, sed excellentia potestatis ipsorum a Christo descendere significatur, ut et ipsi sub Christo in populo Christiano regnent.

2. Les rois n’ont aucun pouvoir en matière spirituelle ; c’est pourquoi ils ne reçoivent pas la clé du royaume céleste. Mais [ils n’ont pouvoir] qu’en matière temporelle, ce qui ne peut exister que par Dieu, comme cela ressort de Rm 13. Ils ne sont pas non plus consacrés en vue d’un ordre sacré, mais il est signifié [par leur onction] que l’excellence de leur pouvoir vient du Christ, afin que, soumis au Christ, ils règnent sur le peuple chrétien.

[17999] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in politicis quandoque judex habet potestatem totam, sicut rex in regno; quandoque autem multi in diversis officiis constituti, vel etiam ex aequo; ut patet in 8 Ethic.; ita etiam spiritualis jurisdictio potest haberi ab uno solo, sicut ab episcopo, et a pluribus simul, sicut a capitulo; et sic habent clavem jurisdictionis, non tamen clavem ordinis omnes simul.

 

3. De même que, dans le domaine politique, un juge possède parfois un pouvoir total, comme le roi sur le royaume, mais que, parfois, plusieurs [le possèdent], alors qu’ls sont établis dans diverses fonctions ou sont même à égalité, comme cela ressort d’Éthique, VIII, de même aussi la juridiction spirituelle peut être possédée par un seul, comme par l’évêque, et par plusieurs simultanément, comme par un chapitre. Ils ont ainsi la clé de la juridiction ; ils n’ont  cependant pas tous en même temps la clé de l’ordre.

[18000] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mulier, secundum apostolum, est in statu subjectionis; et ideo ipsa non potest habere aliquam jurisdictionem spiritualem; quia, etiam secundum philosophum in 8 Ethic., corruptio urbanitatis est, quando ad mulierem pervenit dominium; unde mulier non habet neque clavem ordinis, nec clavem jurisdictionis. Sed mulieri committitur aliquis usus clavium, sicut habere correptionem in subditas mulieres, propter periculum quod imminere posset, si viri mulieribus cohabitarent.

4. Selon l’Apôtre, la femme est dans un état de soumission. C’est pourquoi elle ne peut posséder de juridiction spirituelle, car, même selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, « le bon goût [urbanitas] est corrompu lorsque le pouvoir vient aux femmes ». La femme ne détient donc ni la clé de l’ordre, ni la clé de la juridiction. Mais certains usages des clés sont confiés aux femmes, comme celui d’exercer la correction sur les femmes qui leur sont soumises, en raison du danger qui pourrait survenir si des hommes cohabitaient avec des femmes.

 

 

Articulus 2 [18001] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum etiam sancti homines non sacerdotes usum clavium habeant

Article 2 – Les saints qui ne sont pas prêtres détiennent-ils les clés ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les saints qui ne sont pas prêtres détiennent-ils les clés ?]

[18002] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod etiam sancti homines non sacerdotes usum clavium habeant. Absolutio enim et ligatio quae fit per claves, efficaciam habet ex merito passionis Christi. Sed illi maxime passioni Christi conformantur qui per patientiam et alias virtutes Christum passum sequuntur. Ergo videtur quod etiam si non habeant sacerdotalem ordinem, possint ligare et solvere.

1. Il semble que même les saints qui ne sont pas prêtres aient l’usage des clés. En effet, le fait de délier et de lier, qui se réalise par les clés, possède son efficacité en vertu du mérite de la passion du Christ. Or, ceux-là surtout qui suivent le Christ par la patience et les autres vertus sont rendus conformes au Christ qui a souffert. Il semble donc que, même s’ils n’ont pas l’ordre sacerdotal, ils puissent lier et délier.

[18003] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Hebr. 7, 7, dicitur: sine ulla contradictione, quod minus est, a majori benedicitur. Sed in spiritualibus, secundum Augustinum, hoc est majus esse quod melius esse. Ergo meliores, qui scilicet habent plus de caritate, possunt alios benedicere absolvendo; et sic idem quod prius.

2. Il est dit en He 7, 7 : Sans sucun doute, c’est l’inférieur qui est béni par celui qui est supérieur. Or, en matière spirituelle, selon Augustin, c’est être plus grand que d’être meilleur. Les meilleurs, c’est-à-dire ceux qui ont plus de charité, peuvent donc bénir les autres en absolvant. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[18004] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, cujus est potentia, ejus est actio, secundum philosophum. Sed clavis, quae est potestas spiritualis, est tantum sacerdotum. Ergo et usus ejus non nisi sacerdotibus convenire potest.

Cependant, l’action relève de ce qui en a la puissance, selon le Philosophe. Or, la clé, qui est une puissance spirituelle, appartient seulement aux prêtres. Son usage ne peut donc convenir qu’aux prêtres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 [Les mauvais prêtres ont-ils l’usage des clés ?]

[18005] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod mali sacerdotes usum clavium non habeant. Joan. 20, ubi usus clavium apostolis traditur, spiritus sancti donum praemittitur. Sed mali non habent spiritum sanctum. Ergo non habent usum clavium.

1. Il semble que les mauvais prêtres aient l’usage des clés. En Jn 20, le don du Saint-Esprit vient avant que l’usage des clés ait été donné aux apôtres. Or, les méchants n’ont pas le Saint-Esprit. Ils n’ont donc pas l’usage des clés.

[18006] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullus sapiens rex dispensationem sui thesauri suo inimico committit. Sed usus clavium in dispensatione consistit thesauri caelestis regis, qui est ipsa sapientia. Ergo mali, qui per peccatum sunt ejus hostes, non habent usum clavium.

2. Aucun roi sage ne confie l’administration de son trésor à son ennemi. Or, l’usage des clés consiste dans l’administration du trésor du roi céleste, qui est la sagesse elle-même. Les méchants, qui sont ses ennemis par le péché, n’ont donc pas l’usage des clés.

[18007] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea Augustinus dicit, quod sacramentum gratiae dat Deus etiam per malos; ipsam vero gratiam non nisi per seipsum, vel per sanctos suos; et ideo remissionem peccatorum per seipsum facit, vel per ipsius columbae membra. Sed remissio peccatorum est usus clavium. Ergo peccatores, qui non sunt columbae membra, usum clavium non habent.

3. Augustin dit que Dieu donne le sacrement de la grâce même par l’intermédiaire des méchants, mais la grâce, seulement par lui-même ou par ses saints. C’est pourquoi il réalise par lui-même ou par les membres de la colombe la rémission des péchés. Or, la rémission des péchés est l’usage des clés. Les pécheurs, qui ne sont pas des membres de la colombe, n’ont donc pas l’usage des clés.

[18008] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, intercessio mali sacerdotis non habet aliquam efficaciam ad reconciliandum; quia secundum Gregorium, cum is qui displicet, ad intercedendum mittitur, irati animus ad deteriora provocatur. Sed usus clavium fit per quamdam intercessionem, ut patet in forma absolutionis, sicut infra, dist. 22, quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 3, dicetur. Ergo non habent efficacem usum clavium.

4. L’intercession d’un mauvais prêtre n’est pas efficace pour la réconciliation, car, selon Grégoire, « lorsque celui qui déplaît est envoyé pour intercéder, l’esprit de celui qui est irrité est provoqué à faire encore pire ». Or, l’usage des clés se réalise par une intercession, comme cela ressort de la forme de l’absolution, comme on le dira plus loin, d. 22, q. 2, a. 2, qa 3. Ils n’ont donc pas un usage efficace des clés.

[18009] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullus potest scire de alio an sit in statu salutis. Si ergo nullus posset uti clavibus in absolvendo, nisi existens in statu salutis; nullus sciret se esse absolutum; quod est valde inconveniens.

Cependant, [1] personne ne peut savoir si un autre est en état de salut. Si donc personne d’autre que celui qui se trouve en état de salut ne peut faire usage des clés en absolvant, personne ne saura s’il est absous, ce qui est un inconvénient très grave.

[18010] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, iniquitas ministri non potest auferre liberalitatem domini. Sed sacerdos est solum minister. Ergo non potest sua malitia donum a Deo transmissum per eum nobis auferre.

[2] L’iniquité du ministre ne peut enlever la libéralité du Seigneur. Or, le prêtre n’est que ministre. Il ne peut donc pas par sa malice enlever le don qui nous est fait par Dieu à travers lui.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les schismatiques, les hérétiques, les excommuniés, les suspens et les dégradés ont-ils l’usage des clés ?]

[18011] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod schismatici et haeretici, excommunicati et suspensi et degradati, usum clavium habeant. Sicut enim potestas clavium dependet ab ordine, ita et potestas conficiendi. Sed non possunt amittere usum potestatis conficiendi; quia si conficiunt, confectum est; quamvis peccent conficientes, ut supra, dist. 13, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, et 4, dictum est. Ergo etiam non possunt amittere usum clavium.

1. Il semble que les schismatiques, les hérétiques, les excommuniés, les suspens et les dégradés aient l’usage des clés. En effet, de même que le pouvoir des clés dépend de l’ordre, de même le pouvoir de réaliser [le corps du Christ]. Or, ils ne peuvent perdre l’usage du pouvoir de réaliser [le corps du Christ], car, s’ils le réalisent, il est réalisé, bien qu’ils pèchent en le réalisant, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 1, a. 1, qa 3 et 4. Ils ne peuvent donc pas non plus perdre l’usage des clés.

[18012] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis potestas spiritualis activa in eo qui habet usum liberi arbitrii, exit in actum quando vult. Sed potestas clavium adhuc manet in praedictis; quia cum non detur nisi in ordine, oporteret reordinari eos, quando ad Ecclesiam redeunt. Ergo cum sit potentia activa, possunt in actum ejus exire cum voluerit.

2. Tout pouvoir spirituel actif, chez celui qui a l’usage du libre arbitre, passe à l'acte lorsqu’il le veut. Or, le pouvoir des clés demeure toujours chez ceux qui ont été mentionnés, car, puisqu’il n’est donné que par l’ordre, il faudrait qu’ils soient réordonnés lorsqu’ils reviennent à l’Église. Puisque [le pouvoir des clés] est un pouvoir actif, il peut donc le mettre en acte quand il le voudra.

[18013] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, spiritualis gratia magis impeditur per culpam quam per poenam. Sed excommunicatio et suspensio et degradatio sunt poenae quaedam. Cum ergo propter culpam non amittat aliquis usum clavium, videtur quod nec propter ista.

3. La grâce spirituelle est davantage empêchée par la faute que par la peine. Or, l’excommunication, la suspension et la dégradation sont des peines. Puisque quelqu’un ne perd pas l’usage des clés par une faute, il semble donc qu’il ne le perde pas non plus à cause de ces choses.

[18014] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod Ecclesiae caritas peccata dimittit. Caritas autem est quae facit Ecclesiae unionem. Cum ergo praedicti sint ab Ecclesiae unione divisi, videtur quod usum clavium non habeant in remittendis peccatis.

Cependant, [1] Augustin dit que la charité de l’Église remet les péchés. Or, la charité est ce qui réalise l’union de l’Église. Puisque ceux qui ont été mentionnés sont séparés de l’union de l’Église, il semble donc qu’ils n’aient pas l’usage des clés pour remettre les péchés.

[18015] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus absolvitur a peccato secundum hoc quod peccat. Sed aliquis a praedictis absolutionem peccatorum petens, peccat contra praeceptum Ecclesiae faciens. Ergo per eos a peccato absolvi non potest; et sic idem quod prius.

[2] Personne n’est absous d’un péché par le fait de pécher. Or, celui qui demande l’absolution de ses péchés à ceux qui ont été mentionnés pèche contre un commandement de l’Église en le faisant. Il ne peut donc pas être absous d’un péché par eux. Ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18016] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod agens per se et agens instrumentale in hoc differunt, quod agens instrumentale non inducit in effectu similitudinem suam, sed similitudinem principalis agentis. Principale autem agens inducit similitudinem suam; et ideo ex hoc aliquid constituitur principale agens, quod habet aliquam formam, quam in alterum transfundere potest; non autem ex hoc constituitur agens instrumentale, sed ex hoc quod est applicatum a principali agente ad effectum aliquem inducendum. Cum ergo in actu clavium principale agens sit Christus ut Deus per auctoritatem, et ut homo per meritum; ex ipsa plenitudine divinae bonitatis in eo, et ex perfectione gratiae consequitur quod possit in actum clavium. Sed homo alius non potest in actum clavium sicut per se agens; quia nec ipse alteri gratiam, qua remittuntur peccata, dare potest; nec sufficienter mereri: et ideo non est nisi sicut agens instrumentale. Unde et ille qui effectum clavium consequitur, non assimilatur utenti clavibus, sed Christo; et propter hoc quantumcumque aliquis habeat de gratia, non potest pertingere ad effectum clavium, nisi applicetur ad hoc ut minister per ordinis susceptionem.

Celui qui agit par lui-même et l’agent instrumental diffèrent en cela que l’agent instrumental ne fait pas passer dans l’effet sa ressemblance, mais la ressemblance de l’agent principal. Mais l’agent principal fait passer sa ressemblance. C’est pourquoi quelque chose est établi comme agent principal par le fait de posséder une certaine forme, qu’il peut faire passer dans un autre ; mais il n’est pas par ce fait établi comme agent instrumental, mais par le fait qu’il est appliqué par l’agent principal à la réalisation d’un certain effet. Puisque, dans l’acte des clés, l’agent principal est le Christ en tant que Dieu par mode d’autorité, et en tant qu’homme par mode de mérite, il en découle qu’il peut agir dans l’acte des clés en vertu de la plénitude de la bonté divine et de la plénitude de la grâce en lui. Or, un autre homme ne peut agir dans l’acte des clés en tant qu’agent principal, car il ne peut pas donner à un autre la grâce par laquelle les péchés sont remis, et il ne peut mériter suffisamment. C’est pourquoi il ne peut être qu’un agent instrumental. Celui qui obtient l’effet des clés n’est donc pas assimilé à celui qui fait usage des clés, mais au Christ. Pour cette raison, autant que quelqu’un ait la grâce, il ne peut parvenir à l’effet des clés à moins d’y être appliqué en tant que ministre par la réception de l’ordre.

[18017] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut inter instrumentum et effectum non exigitur similitudo secundum convenientiam in forma, sed secundum proportionem instrumenti ad effectum; ita etiam nec inter instrumentum et principale agens. Talis autem similitudo est in sanctis hominibus ad Christum passum, et talis similitudo eis usum clavium non confert.

1. De même qu’une ressemblance entre l’instrument et l’effet n’est pas exigée selon une forme commune, mais selon la proportion de l’instrument par rapport à l’effet, de même aussi n’est-elle pas exigée entre l’instrument et l’agent principal. Or, une telle ressemblance au Christ souffrant existe chez les saints, et une telle ressemblance ne leur confère pas l’usage des clés.

[18018] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis purus homo non possit alteri ex condigno gratiam mereri; tamen unius meritum potest cooperari ad salutem alterius; et ideo duplex est benedictio. Una quae est ab ipso homine puro, sicut merente per proprium actum; et talis potest fieri a quolibet sancto, in quo Christus habitat per gratiam; et haec requirit majoritatem bonitatis, ad minus inquantum meretur hujusmodi. Alia est benedictio qua homo benedicit, ut benedictionem quae est ex merito Christi, instrumentaliter alicui applicans; et quantum ad hanc requiritur majoritas ordinis, et non virtutis.

2. Bien qu’un pur homme ne puisse au sens strict mériter la grâce pour un autre, le mérite de l’un peut cependant coopérer au salut d’un autre. C’est pourquoi il existe une double bénédiction. L’une qui est le fait d’un pur homme, en tant qu’il mérite par son acte propre : celle-ci peut être le fait de tous les saints chez qui le Christ habite par la grâce, et elle requiert une bonté supérieure, du moins pour autant qu’elle mérite de cette manière. L’autre est la bénédiction par laquelle un homme bénit, en tant qu’il applique instrumentalement à quelqu’un la bénédiction qui vient du mérite du Christ. Pour celle-ci, la supériorité de l’ordre, et non celle de la vertu, est nécessaire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18019] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut participatio formae quae est inducenda in effectu, non facit instrumentum; ita nec subtractio talis formae tollit usum instrumenti; et ideo, cum homo sit tantum instrumentaliter agens in usu clavium; quantumcumque per peccatum sit gratia privatus, per quam fit remissio peccatorum, nullo tamen modo privatur usu clavium.

De même que la participation à la forme qui doit passer dans l’effet ne fait pas l’instrument, de même l’enlèvement d’une telle forme n’enlève-t-elle pas non plus l’usage d’un instrument. C’est pourquoi, puisque l’homme n’est qu’un agent instrumental dans l’usage des clés, autant qu’il est par le péché privé de la grâce, par laquelle la rémission des péchés est réalisée, il n’est cependant aucunement privé de l’usage des clés.

[18020] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod donum spiritus sancti exigitur ad usum clavium, non ut sine quo fieri non possit, sed quia sine eo incongrue fit ex parte utentis; quamvis subjiciens se clavibus effectum clavium consequatur.

1. Le don de l’Esprit Saint est nécessaire pour l’usage des clés, non pas parce qu’il ne peut se réaliser sans lui, mais parce que sans lui il est réalisé de manière inconvenante de la part de celui qui en fait usage, bien que celui qui se soumet aux clés obtienne l’effet des clés.

[18021] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rex terrenus in thesauro suo defraudari et decipi potest; et ideo hosti dispensationem ejus non committit. Sed rex caelestis defraudari non potest, quia totum ad ipsius honorem cedit, etiam quod aliqui clavibus male utantur: quia novit ex malis bona elicere, et per malos etiam multa bona facere; et ideo non est simile.

2. Le roi terrestre peut être privé et trompé par rapport à son trésor : c’est pourquoi il n’en confie pas l’administration à son ennemi. Mais le roi céleste ne peut être en être privé, car tout contribue à son honneur, même le fait que certains font un mauvais usage des clés, car il sait tirer le bien du mal et faire le bien même par l’intermédiaire des méchants. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose.

[18022] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus loquitur de remissione peccatorum, secundum quod sancti homines cooperantur ad ipsam non ex vi clavium, sed ex merito congrui; et ideo dicit, quod etiam per malos sacramenta ministrat: et inter alia sacramenta etiam absolutio, quae est usus clavium, computari debet: sed per membra columbae, idest per sanctos homines, facit remissionem peccatorum, inquantum eorum intercessionibus peccata remittit. Vel potest dici, quod membra columbae nominat omnes ab Ecclesia non praecisos. Qui enim ab eis sacramenta recipiunt, gratiam consequuntur; non autem qui recipiunt ab illis qui sunt ab Ecclesia praecisi, quia hoc ipso peccant, excepto Baptismo, quem in casu necessitatis licet etiam ab excommunicato recipere.

3. Augustin parle de la rémission des péchés, selon que les saints y coopèrent, non pas en vertu des clés, mais en vertu d’un mérite au sens strict. C’est pourquoi il dit qu’il administre aussi les sacrements par l’intermédiaire des méchants, et l’absolution elle-même, qui est l’usage des clés, doit être comptée parmi les autres sacrements. Mais, par les membres de la colombe, c’est-à-dire par les saints, il réalise la rémission des péchés en tant qu’il remet les péchés par leur intercession. Ou bien on peut dire que les membres de la colombe désignent tous ceux qui ne sont pas séparés de l’Église. En effet, ceux qui reçoivent d’eux les sacrements obtiennent la grâce, mais non ceux qui les reçoivent de ceux qui sont séparés de l’Église, car ils pèchent par le fait même, sauf dans le cas du baptême, qu’il est permis de recevoir même d’un excommunié en cas de nécessité.

[18023] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intercessio quam sacerdos malus ex propria persona facit, non habet efficaciam; sed illa quam facit ut minister Ecclesiae, habet efficaciam ex merito Christi. Utroque tamen modo debet intercessio sacerdotis populo subjecto prodesse.

1. L’intercession que le mauvais prêtre fait en son propre nom n’a pas d’efficacité ; mais celle que fait le ministre de l’Église a une efficacité en vertu du mérite du Christ. Toutefois, l’intercession du prêtre pour le peuple qui lui est soumis doit lui être utile des deux manières.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18024] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in omnibus praedictis manet clavium potestas quantum ad essentiam; sed usus impeditur ex defectu materiae. Cum enim usus clavium praelationem in utente requirat respectu ejus in quem utitur, ut supra dictum est, propria materia in quam exercetur usus clavium, est homo subditus: et quia per ordinationem Ecclesiae unus subditur alteri, ideo etiam per Ecclesiae praelatos potest subtrahi alicui ille qui erat ei subditus. Unde cum Ecclesia haereticos et schismaticos et alios hujusmodi privet, subtrahendo subditos vel simpliciter vel quantum ad aliquid; quantum ad hoc quo privati sunt, non possunt usum clavium habere.

Chez tous ceux qui ont été mentionnés plus haut, le pouvoir des clés demeure quant à son essence, mais l’usage en est empêché par une carence de la matière. En effet, puisque l’usage des clés exige chez celui qui l’exerce une supériorité par rapport à celui sur lequel il est exercé, comme on l’a dit plus haut ; et puisque la matière propre sur laquelle sera exercé le pouvoir des clés est l’homme qui est soumis ; et parce que, par l’ordination, quelqu’un est soumis à un autre, celui qui lui avait été soumis peut donc être soustrait à quelqu’un par les prélats de l’Église. Ainsi, puisque l’Église prive les hérétiques, les schismatiques et les autres de ce genre, en leur soustrayant ceux qui leur sont soumis, soit simplement, soit partiellement, ils ne peuvent avoir l’usage des clés sur ce dont ils ont été privés.

[18025] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materia sacramenti Eucharistiae, in quam suam potestatem exercet sacerdos, non est homo, sed panis triticeus, et in Baptismo homo simpliciter: unde sicut si subtraheretur haeretico panis triticeus, conficere non posset; ita nec si subtrahatur praelatio, absolvere poterit: potest tamen baptizare et conficere, quamvis ad sui damnationem.

1. La matière du sacrement de l’eucharistie, sur laquelle le prêtre exerce son pouvoir, n’est pas l’homme, mais du pain de froment et, dans le baptême, l’homme tout simplement. De même que, si l’on soustrayait à un hérétique le pain de froment, il ne pourrait réaliser [le corps du Christ], de même il ne pourra donc pas absoudre, si on lui enlève la supériorité. Toutefois, il peut baptiser et réaliser [le corps du Christ], bien que pour sa condamnation.

[18026] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propositio habet veritatem, quando non deest materia, sicut est in proposito.

2. La proposition comporte une part de vérité, lorsque la matière ne fait pas défaut, comme c’est le cas en question.

[18027] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex ipsa culpa non subtrahitur materia, sicut per aliquam poenam; unde poena non impedit per contrarietatem ad effectum inducendum, sed ratione dicta.

3. La matière n’est pas soustraite par la faute elle-même, comme par une peine. Aussi la peine n’empêche-t-elle pas la réalisation de l’effet par mode de contrariété, mais pour la raison qui a été dite.

 

 

Articulus 3 [18028] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 tit. Utrum sacerdos possit uti clave quam habet, in quemlibet hominem

Article 3 – Le prêtre peut-il faire usage de la clé qu’il possède sur n’importe quel homme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le prêtre peut-il faire usage de la clé qu’il possède sur n’importe quel homme ?]

[18029] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacerdos possit uti clave quam habet, in quemlibet hominem. Potestas enim clavium in sacerdotes descendit ex illa domini auctoritate quae dicit: accipite spiritum sanctum: quorum remiseritis peccata, remittuntur eis. Sed illud indeterminate dixit de omnibus. Ergo habens clavem indeterminate potest ea uti in quoslibet.

1. Il semble que le prêtre puisse faire usage de la clé qu’il possède sur n’importe quel  homme. En effet, le pouvoir des clés parvient aux prêtres en vertu de l’autorité du Seigneur qui dit : Recevez l’Esprit Saint ; ceux à qui vous aurez remis les péchés, ils leur sont remis. Or, il a dit cela de manière indéterminée pour tous [les hommes]. Celui qui possède les clés peut donc l’utiliser de manière indéterminée sur tous [les hommes].

[18030] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, clavis corporalis quae aperit unam seram, aperit omnes alias ejusdem modi. Sed omne peccatum cujuslibet hominis est ejusdem rationis obstaculum respectu introitus caeli. Ergo si potest unum hominem sacerdos per clavem quam habet, absolvere, poterit et quoslibet alios.

2. La clé corporelle, qui ouvre une seule serrure, ouvre toutes les autres du même genre. Or, tout péché chez tous les hommes est un obstacle de même nature par rapport à l’entrée au ciel. Si le prêtre peut absoudre un seul homme par la clé qu’il possède, il pourra donc [absoudre] aussi tous les autres.

[18031] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacerdotium testamenti novi est perfectius quam veteris. Sed sacerdos veteris testamenti poterat uti sua potestate quam habebat, discernendi inter lepram et lepram, indifferenter in omnes. Ergo multo fortius sacerdos evangelicus potest uti sua potestate in omnes.

3. Le sacerdoce de la nouvelle alliance est plus parfait que celui de l’ancienne. Or, le prêtre de l’ancienne alliance pouvait utiliser indifféremment sur tous le pouvoir qu’il avait de faire la différence entre lèpre et lèpre. À bien plus forte raison, le prêtre évangélique peut-il donc utiliser son pouvoir sur tous.

[18032] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 16, quaest. 3: nulli sacerdotum licet parochianum alterius absolvere aut ligare. Ergo non quilibet potest quemlibet absolvere.

Cependant, [1] il est dit à la d. 16, q. 3 : « Il n’est permis à aucun prêtre de délier ou de lier le paroissien d’un autre. » Il ne peut donc pas absoudre n’importe qui.

[18033] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, judicium spirituale debet esse ordinatius quam temporale. Sed in judicio temporali non debet quilibet judex quemlibet judicare. Ergo cum usus clavium sit judicium quoddam, non potest sacerdos quilibet sua clavi in quemlibet uti.

[2] Le jugement spirituel doit être plus ordonné que le pouvoir temporel. Or, dans le jugement temporel, n’importe quel juge ne peut pas juger n’importe qui. Puisque l’usage des clés est un certain jugement, le prêtre ne peut donc pas utiliser sa clé sur n’importe qui.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le prêtre peut-il toujours absoudre celui qui lui est soumis ?]

[18034] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sacerdos non possit semper suum subditum absolvere. Sicut enim Augustinus in littera dicit, nullus officio sacerdotis uti debet, nisi immunis ab illis sit quae in aliis judicat. Sed quandoque contingit quod sacerdos est particeps criminis quod subditus suus commisit; sicut cum mulierem subditam cognovit. Ergo videtur quod non possit semper in suos subditos potestate clavium uti.

1. Il semble que le prêtre puisse toujours absoudre celui qui lui est soumis. En effet, comme le dit Augustin dans le texte, « personne ne doit faire usage de la fonction de prêtre que s’il est exempt de ce qu’il juge chez les autres ». Or, il arrive parfois que le prêtre participe à un crime qu’a commis quelqu’un qui lui est soumis, comme lorsqu’il a connu une femme qui est son sujet. Il semble donc qu’il ne puisse pas toujours faire usage des clés sur ses sujets.

[18035] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per potestatem clavium homo ab omnibus defectibus curatur. Sed quandoque alicui peccato annexus est irregularitatis defectus, vel excommunicationis sententia, a qua simplex sacerdos liberare non potest. Ergo videtur quod non possit uti clavium potestate in illos qui talibus irretiti sunt.

2. L’homme est guéri de ses carences par le pouvoir des clés. Or, une carence d’irrégularité est parfois associée à un péché, ou une sentence d’excommunication, dont un simple prêtre ne peut pas libérer. Il semble donc qu’il ne puisse pas faire usage du pouvoir des clés sur ceux qui ont été liés de cette manière.

[18036] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sacerdotii nostri judicium et potestas per judicium veteris sacerdotii figuratum est. Sed minoribus judicibus secundum legem non omnia competebat discutere, sed ad superiores recurrebant, ut dicitur Exod. 24, 14: si quid ortum fuerit inter vos quaestionis, referetis ad eos. Ergo videtur quod nec sacerdos de gravibus peccatis possit subditum suum absolvere, sed debeat ad superiorem remittere.

3. Le jugement et le pouvoir de notre sacerdoce ont été figurés par le jugement du sacerdoce ancien. Or, selon la loi, il n’appartenait pas aux juges inférieurs de discuter de tout, mais ils en référaient aux juges supérieurs, comme il est dit dans Ex 24, 14 : S’il existe une question entre vous, référez-en à eux. Il semble donc que le prêtre ne puisse pas non plus absoudre son sujet des péchés graves, mais qu’il doive en référer à son supérieur.

[18037] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, cuicumque committitur principale, committitur et accessorium. Sed sacerdotibus committitur quod subditis suis Eucharistiam dispensent, ad quam ordinatur absolutio a peccatis quibuscumque. Ergo sacerdos ab omnibus peccatis potest subditum suum absolvere, quantum est de clavium potestate.

Cependant, [1] à quiconque le principal est confié, l’accessoire est aussi confié. Or, il est confié aux prêtres de dispenser à leurs sujets l’eucharistie, à laquelle est ordonnée l’absolution de tous les péchés. Le prêtre peut donc absoudre son sujet de tous ses péchés, pour autant que cela relève du pouvoir des clés.

[18038] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, gratia omne peccatum tollit, quantumcumque sit parva. Sed sacerdos sacramenta dispensat, quibus gratia datur. Ergo, quantum est de potestate clavium, de omnibus peccatis absolvere potest.

[2] La grâce enlève tout péché, aussi petite soit-elle. Or, le prêtre dispense les sacrements par lesquels la grâce est donnée. Pour autant que cela relève du pouvoir des clés, il peut donc absoudre de tous les péchés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un prêtre peut-il faire usage des clés pour son supérieur ?]

[18039] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis non possit uti clavibus in suum superiorem. Actus enim sacramentalis quilibet requirit propriam materiam. Sed propria materia usus clavium, ut dictum est, est persona subjecta. Ergo in eo qui non est subditus, non potest clavibus sacerdos uti.

1. Il semble qu’[un prêtre] ne puisse faire usage des clés pour son supérieur. En effet, tout acte sacramentel exige sa propre matière. Or, la matière propre de l’usage des clés, comme on l’a dit, est la personne soumise. Le prêtre ne peut donc pas faire usage des clés sur celui qui ne lui est pas soumis.

[18040] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ecclesia militans imitatur triumphantem. Sed in caelesti Ecclesia inferior Angelus nunquam purgat aut illuminat aut perficit superiorem. Ergo nec aliquis sacerdos inferior potest uti actione hierarchica, quae est per absolutionem, in superiorem.

2. L’Église militante imite l’Église triomphante. Or, dans l’Église céleste, l’ange inférieur ne purifie, n’illumine et ne perfectionne jamais un ange supérieur. Un prêtre inférieur ne peut donc pas faire usage d’une action hiérarchique sur son supérieur, comme c’est le cas de l’absolution.

[18041] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, judicium conscientiae debet esse ordinatius quam judicium exterioris fori. Sed in exteriori foro inferior non potest excommunicare aut absolvere superiorem. Ergo videtur quod nec in foro poenitentiali.

3. Le jugement de la conscience doit être plus ordonné que le jugement du for extérieur. Or, au for extérieur, l’inférieur ne peut excommunier ni absoudre un supérieur. Il semble donc qu’il ne le puisse pas non plus au for pénitentiel.

[18042] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, superior praelatus etiam circumdatus est infirmitate, et contingit ipsum peccare. Sed remedium contra peccatum est potestas clavium. Ergo, cum ipse non possit in seipsum uti clave, quia non potest esse simul judex et reus; videtur quod possit inferior in ipsum clavis potestate uti.

Cependant, [1] un prélat supérieur est entouré par la faiblesse et il lui arrive de pécher. Or, le remède contre le péché est le pouvoir des clés. Puisqu’il ne peut utiliser la clé pour lui-même, parce qu’il ne peut être en même temps juge et coupable, il semble donc qu’un inférieur puisse utiliser la clé pour lui.

[18043] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, absolutio quae fit per virtutem clavium, ordinatur ad perceptionem Eucharistiae. Sed inferior potest superiori Eucharistiam dispensare, si petat. Ergo et clavium potestate in ipsum uti, si se ei subjecerit.

[2] L’absolution qui est réalisée par le pouvoir des clés est ordonnée à la réception de l’eucharistie. Or, un inférieur peut dispenser l’eucharistie à son supérieur, si celui-ci la demande. Il peut donc aussi utiliser pour lui le pouvoir des clés, si celui-ci s’est soumis à lui.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18044] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod ea quae circa singularia operari oportet, non eodem modo omnibus competunt: unde, sicut post generalia medicinae praecepta oportet adhiberi medicos, quibus praecepta universalia medicinae singulis infirmis, secundum quod debent, aptentur; ita in quolibet principatu praeter illum qui universaliter praecepta legis tradit, oportet esse aliquos qui ea singulis, secundum quod debent, adaptent; et propter hoc etiam in caelesti hierarchia sub potestatibus, qui indistincte praesunt, ponuntur principatus, qui singulis provinciis distribuuntur; et sub his Angeli qui singulis hominibus in custodiam deputantur, ut patet ex his quae dist. 20 dicta sunt in 2 Lib. Unde et ita debuit esse in praelatione Ecclesiae militantis, ut apud aliquem esset praelatio indistincte in omnes, et sub hoc essent alii qui super diversos distinctam potestatem acciperent. Et quia usus clavium requirit aliquam praelationis potestatem, per quam ille in quem usus clavium communicatur, efficitur materia propria illius actus; ideo ille qui habet distinctam potestatem super omnes, potest uti clavibus in quemlibet. Illi autem qui sub eodem distinctas potestates acceperunt; non in quoslibet possunt uti clavibus, sed in eos tantum qui eis in sortem venerunt, nisi in necessitatis articulo, ubi nemini sacramenta sunt deneganda.

Ce qui doit être accompli pour des choses particulières ne relève pas de tous de la même manière. Ainsi, de même qu’après les préceptes généraux de la médecine, il faut faire venir des médecins, par qui les préceptes universels de la médecine sont appliqués à chaque malade comme ils le doivent, de même, dans tout gouvernement, en plus de celui qui donne les préceptes généraux de la loi, est-il nécessaire qu’il y en ait qui les adaptent à chacun comme ils doivent l’être. Pour cette raison aussi, dans la hiérarchie, sous les puissances, qui dirigent de manière générale, sont placées les principautés, qui sont réparties dans chaque région, et sous celles-ci, les anges, qui sont donnés à chaque homme pour sa protection, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, livre II, d. 20. Aussi devait-il en être de même dans l’Église militante, de sorte que se trouve dans une personne une supériorité  générale à l’endroit de tous, et qu’il y en ait d’autres qui recevraient un pouvoir particulier sur divers individus. Et parce que l’usage des clés exige le pouvoir d’une certaine supériorité, par laquelle celui qui est affecté par l’usagre des clés devient la matière propre de cet acte, celui qui possède un pouvoir distinct sur tous peut faire usage des clés pour tous. Mais ceux qui sont soumis et qui ont reçu des pouvoirs particuliers ne peuvent faire usage des clés pour tous, mais pour ceux-là seulement qui sont devenus leur part, sauf en cas de nécessité, alors que les sacrements ne doivent être refusés à personne.

[18045] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad absolutionem a peccato requiritur duplex potestas; scilicet potestas ordinis, et potestas jurisdictionis. Prima quidem potestas est aequaliter in omnibus sacerdotibus, non autem secunda; et ideo ubi dominus, Joan. 20, dedit omnibus apostolis communiter potestatem remittendi peccata, intelligitur de potestate quae consequitur ordinem; unde et sacerdotibus, quando ordinantur, illa verba dicuntur. Sed Petro dedit singulariter potestatem remittendi peccata, Matth. 16, ut intelligatur quod ipse prae aliis habet potestatem jurisdictionis. Potestas autem ordinis, quantum est de se, se extendit ad omnes absolvendos; et ideo indeterminate dominus dixit: quorum remiseritis peccata; intelligens tamen quod usus illius potestatis esse deberet, praesupposita potestate Petro collata, secundum ipsius ordinationem.

1. Pour l’absolution du péché, un double pouvoir est requis : le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction. Le premier pouvoir existe également chez tous les prêtres, mais non le second. Ainsi, là où le Seigneur a donné à tous les apôtres en Jn 20 le pouvoir de remettre les péchés, on l’entend du pouvoir qui découle de l’ordre. C’est pourquoi ces paroles sont dites aux prêtres lorsqu’ils sont ordonnés. Mais [le Seigneur] a donné à Pierre d’une manière unique le pouvoir de remettre les péchés en Mt 16, de sorte qu’on comprenne qu’il possède le pouvoir de juridiction plus que les autres. Cependant, le pouvoir d’ordre, considéré en lui-même, s’étend à tous ceux qui doivent être absous. Aussi le Seigneur a-t-il dit de manière indéterminée : Ceux à qui vous aurez remis les péchés, en comprenant qu’en présupposant le pouvoir conféré à Pierre, l’usage de ce pouvoir devrait être fait selon qu’il en aura disposé.

[18046] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam clavis materialis non potest aperire nisi seram propriam, nec aliqua virtus activa potest agere nisi in materiam propriam. Materia autem propria potestatis ordinis efficitur aliquis per jurisdictionem; et ideo non potest aliquis clave uti ad eum in quem jurisdictio non datur.

2. Même une clé matérielle ne peut ouvrir que sa propre serrure, et une puissance active ne peut agir que sur sa matière propre. Or, quelqu’un devient la matière propre du pouvoir d’ordre par la juridiction. C’est pourquoi quelqu’un ne peut pas faire usage de la clé pour celui sur qui la juridiction ne lui est pas donnée.

[18047] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod populus Israel unus populus erat, et unum tantum templum habebat; unde non oportebat sacerdotum jurisdictiones distingui, sicut in Ecclesia, in qua congregantur diversi populi et nationes.

3. Le peuple d’Israël était un seul peuple et n’avait qu’un seul temple. Il n’était donc pas nécessaire que les juridictions des prêtres soient différenciées, comme dans l’Église, dans laquelle différents peuples et nations sont rassemblés.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18048] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod potestas ordinis, quantum est de se, extendit se ad omnia peccata remittenda; sed quia ad usum hujus potestatis, ut dictum est, requiritur jurisdictio, quae a majoribus in inferiores descendit, ideo potest superior aliqua sibi reservare, in quibus judicium inferiori non committat: alias de quolibet peccato potest simplex sacerdos jurisdictionem habens absolvere. Sunt autem quinque casus, in quibus oportet quod simplex sacerdos ad superiorem poenitentem remittat. Primus est, quando est solemnis imponenda poenitentia, quia ejus minister proprius episcopus est, ut supra, distinc. 14, qu. 1, art. 5, quaestiunc. 3 ad 3, dictum est. Secundus est de excommunicatis, quando inferior sacerdos non potest absolvere. Tertius, quando invenit irregularitatem contractam, pro cujus dispensatione debet ad superiorem remittere. Quartus de incendiariis. Quintus, quando est consuetudo in aliquo episcopatu quod enormia crimina ad terrorem episcopo reservantur: quia consuetudo dat vel aufert in talibus potestatem.

En lui-même, le pouvoir d’ordre s’étend à tous les péchés qui doivent être remis. Mais parce que, comme on l’a dit, la juridiction, qui descend des supérieurs vers les inférieurs, est nécessaire pour l’usage de ce pouvoir, un supérieur peut donc se réserver certaines choses, dont il ne confie pas le jugement à un inférieur ; autrement, n’importe quel simple prêtre possédant la juridiction peut absoudre de n’importe quel péché. Mais il existe cinq cas dans lesquels il est nécessaire qu’un simple prêtre réfère un pénitent à un supérieur. Le premier est lorsqu’une pénitence solennelle doit être imposée, car son ministre propre est l'évêque, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 5, qa 3, ad 3. Le deuxième porte sur les excommuniés, lorsqu’un prêtre inférieur ne peut les absoudre. Le troisième, lorsqu’il trouve qu’une irrégularité a été contractée, dont il ne peut dispenser qu’en recourant à un supérieur. La quatrième, à propos des incendiaires. La cinquième, lorsque c’est la coutume dans un diocèse que la dissuasion des très grands crimes soit réservée à l’évêque, car la coutume donne ou enlève le pouvoir dans ces cas.

[18049] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in tali casu nec sacerdos deberet audire confessionem mulieris cum qua peccavit, de illo peccato, sed deberet ad alium remittere; nec illa deberet ei confiteri, sed deberet licentiam petere ad alium eundi, vel ad superiorem recurrere, si ille licentiam denegaret, tum propter periculum, tum quia est minor verecundia. Si tamen absolveret, absolutum esset. Quod enim Augustinus dicit, quod non debet esse in eodem crimine, intelligendum est secundum congruitatem, non secundum necessitatem sacramenti.

1. Dans un tel cas, le prêtre ne devrait pas entendre, à propos de ce péché, la confession d’une femme avec laquelle il a péché, mais il devrait la référer à un autre ; et cette femme ne devrait pas se confesser à lui, mais elle devrait demander la permission d’aller vers un autre ou de recourir à un supérieur, s’il lui refuse la permission, aussi bien en raison du danger que parce que la honte est moindre. Toutefois, s’il absout, [le péché] est absous. En effet, ce qu’Augustin dit, qu’il ne doit pas avoir partie liée au même crime, doit s’entendre de la convenance, mais non de ce qui est nécessaire pour le sacrement.

[18050] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia ab omnibus defectibus culpae liberat, non autem ab omnibus defectibus poenae: quia adhuc post peractam poenitentiam de homicidio aliquis remanet irregularis. Unde sacerdos potest de crimine absolvere, et pro poena amovenda ad superiorem remittere, nisi in excommunicatione, quia absolutio ab ipsa debet praecedere absolutionem a peccato: quia quamdiu aliquis est excommunicatus, non potest recipere aliquod Ecclesiae sacramentum.

2. La pénitence libère de toutes les carences de la faute, mais non de toutes les carences de la peine, car, même après l’accomplissement de la pénitence suite à un homicide, une irrégularité demeure. Le prêtre peut donc absoudre du crime et en référer à un supérieur pour l’enlèvement de la peine, sauf en cas d’excommunication, car l’absolution de celle-ci doit précéder l’absolution du péché : en effet, aussi longtemps que quelqu’un est excommunié, il ne peut recevoir un sacrement de l’Église.

[18051] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad ea in quibus sibi superiores potestates jurisdictionem reservant.

3. Cet argument vient de ce sur quoi les pouvoirs supérieurs se réservent la juridiction.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18052] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod potestas clavium, quantum est de se, extendit se ad omnes, ut dictum est; sed quod in aliquem sacerdos non possit potestate clavium uti, contingit ex hoc quod ejus potestas est ad aliquos specialiter limitata. Unde ille qui limitavit, potest extendere in quem voluerit: et propter hoc etiam potest sibi dare potestatem in seipsum, quamvis ipse in seipsum uti clavium potestate non possit: quia potestas clavium requirit pro materia aliquod subjectum, et ita alium: sibi ipsi enim aliquis subjectus esse non potest.

En lui-même, le pouvoir des clés s’étend à tous, comme on l’a dit ; mais que le prêtre ne puisse pas faire usage du pouvoir des clés pour quelqu’un, cela vient du fait que son pouvoir est limité à certains d’une manière particulière. Celui qui l’a limité peut donc l’étendre à qui il veut. Pour cette raison, il peut même se donner le pouvoir sur lui-même, bien qu’il ne puisse faire usage du pouvoir des clés pour lui-même, car le pouvoir des clés exige comme matière un sujet, et ainsi quelqu’un d’autre : en effet, quelqu’un ne peut pas être soumis à soi-même.

[18053] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis episcopus, quem simplex sacerdos absolvit, sit superior eo simpliciter, tamen est inferior eo, inquantum se ei ut peccatorem sacerdoti subjecit.

1. Bien que l’évêque que le simple prêtre absout soit à parler simplement son supérieur, il lui est cependant inférieur dans la mesure où il s’est soumis à lui comme prêtre en tant qu’il est pécheur.

[18054] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Angelis non potest accidere aliquis defectus, ratione cujus inferioribus suis superiores subdantur, sicut accidit in hominibus; et ideo non est simile.

2. Chez les anges, une carence ne peut pas survenir en raison de laquelle les supérieurs sont soumis aux inférieurs, comme cela se produit chez les hommes. Ce n’est donc pas la même chose.

[18055] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod judicium exterius est secundum homines: sed judicium confessionis est quo ad Deum, apud quem redditur aliquis minor ex hoc quod peccat, non autem apud hominum praelationes; et ideo in exteriori judicio sicut nullus in seipsum sententiam dare potest excommunicationis, ita nec alteri committere, nec se excommunicare; sed in foro conscientiae potest alteri committere suam absolutionem, qua ipse uti non possit. Vel dicendum, quod absolutio in foro confessionis est principaliter potestas clavium, et ex consequenti respicit jurisdictionem; sed excommunicatio respicit totaliter jurisdictionem. Quantum autem ad potestatem ordinis omnes sunt aequales, non autem quantum ad jurisdictionem; et ideo non est simile.

3. Le jugement extérieur se fait selon les hommes; mais le jugement de la confession se fait selon Dieu, aux yeux de qui quelqu’un devient inférieur du fait qu’il pèche, mais non aux yeux des supériorités humaines. C’est pourquoi, dans le jugement extérieur, de même que personne ne peut porter contre lui-même une sentence d’excommunication, de même ne peut-il la confier à un autre ni s’excommunier lui-même. Mais, au for de la conscience, il peut confier à un autre de l’absoudre, ce dont il ne peut pas faire usage. Ou bien il faut dire que l’absolution au for de la confession est principalement le pouvoir des clés et, par voie de conséquence, concerne la juridiction, mais que l’excommunication concerne entièrement la juridiction. Mais, pour le pouvoir d’ordre, tous sont égaux, mais non pour ce qui est de la juridiction. Ainsi, il ne s’agit pas de la même chose.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La correction fraternelle]

 

 

Prooemium

Prologue

[18056] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 pr. Deinde quaeritur de correptione fraterna; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quid sit; 2 cujus sit; 3 de modo et ordine ipsius.

Ensuite, on s’interroge sur la correction fraternelle. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que [la correction fraternelle] ? 2 – De qui relève-t-elle ? 3 – Sur son mode et son ordre.

 

 

Articulus 1 [18057] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 tit. Utrum male assignetur quaedam definitio de correptione fraterna

Article 1 – La définition de la correction fraternelle est-elle incorrectement donnée ?

Ad primum sic proceditur. Videtur quod male assignetur quaedam definitio de correptione fraterna: correptio fraterna est admonitio fratris de emendatione delictorum fraterna caritate. Admonere enim videtur esse idem quod ad mentem reducere; et sic non est nisi oblitorum. Sed correptio fraterna non est tantum de peccatis oblitis. Ergo male ponitur in definitione ejus admonitio.

Objections

1. Il semble qu’une certaine définition de la correction fraternelle soit mal formulée : « La correction fraternelle est l’avertissement donné par charité fraternelle à un frère de se corriger de ses fautes. » En effet, avertir semble être la même chose que ramener à l’esprit ; cela ne porte donc que sur ce qui a été oublié. Or, la correction fraternelle ne porte pas seulement sur les péchés oubliés. L’« avertissement » est donc mal placé dans la définition.

[18059] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, correptio quamdam violentiam sonat; quia idem videtur esse corripere quod simul rapere. Ergo cum admonitio in quamdam lenitatem sonet, videtur quod correptio non sit admonitio.

2. La correction signale une certaine violence, car corriger semble être la même chose que s’emporter. Puisque l’avertissement signale une certaine douceur, il semble donc que la correction ne soit pas un avertissement.

[18060] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ejus videtur esse correptio cujus est corrigere. Sed hoc est solius Dei; cum corrigere dicatur simul regere, quod solius Dei est, ut patet Prov. 16, 1 et 9: hominis est praeparare animam (...) et Dei est dirigere gressus suos. Ergo non debuit dicere, quod sit fratris.

3. La correction semble relever de celui à qui il appartient de corriger. Or, cela n’appartient qu’à Dieu, puisque corriger équivaut à diriger, ce qui n’appartient qu’à Dieu, comme cela ressort de Pr 16, 1 et 9: Il appartient à l’homme de préparer son âme…, et à Dieu de diriger ses pas.

[18061] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, admonitio videtur pertinere ad aliquid faciendum vel evitandum. Sed emendatio delictorum pertinet ad aliquid factum jam, vel omissum. Ergo videtur quod correptio non possit esse de emendatione admonitio.

4. L’avertissement semble porter sur quelque chose qui doit être fait ou évité. Or, la correction des fautes concerne quelque chose qui a déjà été fait ou omis. Il semble donc que la correction ne puisse être « un avertissement de se corriger ».

[18062] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, quae graviora sunt, magis indigent emendatione. Sed transgressiones sunt graviores omissionibus, in genere loquendo. Cum ergo nomine delicti importetur omissio, nomine autem peccati transgressio, ut in 2 Lib., distin. 42, dictum est, videtur quod magis debeat dici de emendatione peccatorum quam delictorum.

5. Ce qui est plus grave a davantage besoin d’être corrigé. Or, à parler d’une manière générale, les transgressions sont plus graves que les omissions. Puisque le mot de faute comporte une omission, mais le mot de péché, une transgression, comme on l’a dit dans le livre II, d. 42, il semble donc qu’on doive parler [de correction] pour la correction des péchés plutôt que pour celle des fautes.

[18063] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, fraterna correptio videtur esse opus justitiae, ut patet secundum Glossam Rabani Matth. 18, super illud: si peccaverit in te etc.: dicit enim: peccantem zelo justitiae corrigamus, et poenitenti viscera misericordiae pandamus. Ergo deberet dicere: ex justitia procedens, magis quam ex caritate.

6. La correction fraternelle semble être une œuvre de justice, comme cela ressort d’une glose de Raban sur Mt 18 : S’il a péché contre toi, etc. En effet, il dit : « Corrigeons celui qui pèche avec le zèle de la justice, et manifestions à celui qui se repent les entrailles de la miséricorde. » On devrait donc dire : « venant de la justice », plutôt que « venant de la charité ».

[18064] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum: ad hoc quod homo recte gradiatur in via salutis, tria sunt ei impendenda ab eo qui ipsius curam gerit. Primo ut in finem rectum ordinetur; et quantum ad hoc dicitur superior inferiorem sibi commissum dirigere. Secundo ut ei cautelam adhibeat, ne a via ad finem ducente discedat; et quantum ad hoc dicitur eum regere. Tertio ut si contingat eum discedere, quod ad viam rectam reducat; et quantum ad hoc dicitur ipsum corrigere: quandoque quidem ut rectitudo justitiae fiat ab eo, quando scilicet ille qui deliquerat, emendatur, ex cura sibi impensa; quandoque autem ut rectitudo justitiae de eo fiat per poenas inflictas, etiam si ille non corrigatur ex parte sua. Sed aliquis a via rectitudinis discedens, dupliciter potest ad viam rectitudinis reduci, secundum philosophum in 10 Eth. Uno modo per timorem turpis, aut odium ipsius; ut cum quis turpitudinem peccati abominatur, et confusionem exinde consequentem. Alio modo per timorem et odium tristis; sicut cum quis propter poenas illatas pro peccatis, vel quas timet inferri, resilit a peccato. Et quia iste secundus modus est cum quadam violentia, ideo correctio dicitur, quasi usque ad rectitudinem perducens. Sed primus modus proprie dicitur correptio. Illa enim rapi dicuntur quae subito auferuntur; unde etiam syllaba corripi dicitur, quae raptim et quasi subito pronuntiatur. Et propter hoc quando homo ex hoc solum quod ei turpitudo peccati ostenditur, et ad meliora quis eum hortatur, ipse per se ad viam rectitudinis revertitur, corrigi dicitur. Ex quo patet quod secundus modus solis praelatis competit, quorum verba vim coactivam habent per inflictionem poenarum; sed primus modus praelationis ordinem non requirit: quamvis etiam praelationis ordo ipsum requirat: quia secundus modus adhiberi non debet, nisi ubi primus locum non habet, etiam a praelatis. Et ideo correptio, quando praeter ordinem praelationis fit, vocatur fraterna, quae in praedicta assignatione notificatur per tria, quae ibi ponuntur: scilicet actus ipse, cum dicit: admonitio fratris: finis cum dicit: de emendatione delictorum: principium cum dicit: fraterna caritate procedens.

Réponse

Pour que l’homme marche correctement sur le chemin du salut, trois choses doivent lui être fournies par celui qui en a le soin. Premièrement, il doit être ordonné vers la fin correcte : sous cet aspect, on dit que le supérieur dirige l’inférieur qui lui a été confié. Deuxièmement, il doit lui manifester du soin, de crainte qu’il ne s’écarte du chemin conduisant à la fin : sous cet aspect,  on dit que [le supérieur] le gouverne. Troisièmement, il doit le ramener sur le droit chemin, s’il lui arriver de s’en écarter : sous cet aspect, on dit qu’il le corrige, parfois pour qu’il accomplisse la rectitude de la justice, lorsque celui qui avait fauté est corrigé par les soins qui lui sont manifestés; parfois pour que la rectitude de la justice soit accomplie par lui en raison des peines infligées, même s’il n’est pas corrigé de son côté. Or, celui qui s’écarte du chemin de la rectitude peut être ramené sur le chemin de la rectitude de deux manières, selon le Philosophe, dans Éthique, X : soit par la crainte de ce qui est honteux ou par sa détestation, comme lorsque quelqu’un a en abomination l’avilissement du péché et la honte qui en découle; soit par la crainte et la haine de ce qui est triste, comme lorsque quelqu’un s’éloigne du péché en raison des peines infligées pour le péché ou qu’il craint craint de se voir infliger. Et parce que cette seconde manière est accompagnée d’une certaine violence, elle est donc appelée « correction » [correctio], parce qu’elle conduit à la rectitude. Mais la première manière est appelée « reproche » [correptio]. En effet, on dit qu’est « ravi » [rapi] ce qui est enlevé d’un coup. Aussi dit-on qu’un syllabe est escamotée [corripi] lorsqu’elle est prononcée à la hâte et comme d’un coup. Ainsi dit-on qu’un homme est corrigé lorsqu’il revient sur le chemin de la rectitude du seul fait que la honte du péché lui est montrée et qu’on l’exhorte à ce qui est meilleur. Il ressort de cela que la seconde manière ne relève que des supérieurs, dont les paroles ont une puissance coercitive par l’infliction de peines; mais la première manière n’exige pas un rapport de supériorité, bien que le rapport de supériorité exige aussi [la première manière], car la seconde manière ne doit être appliquée, même par les supérieurs, que là où la première n’a pas sa place. C’est pourquoi le reproche [correptio], lorsqu’il est fait en dehors d’un rapport de supériorité, est appelé fraternel. Aussi, dans la définition précédente, [la correction fraternelle] est-elle  caractérisée par trois choses qui y sont mises : l’acte lui-même, lorsqu’elle dit : « avertissement par un frère »; la fin, lorsqu’elle dit : « en vue de la correction de ses fautes »; son principe, lorsqu’elle dit : « venant de la charité fraternelle ».

[18065] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquis potest reduci ad mentem suam dupliciter. Uno modo quantum ad cognitionem speculativam; alio modo quantum ad cognitionem practicam, quae per ignorantiam electionis intercipitur: et sic dupliciter aliquis ad mentem reducitur. Uno modo cum coactione quadam: vel factis, sicut cum quis punitur; vel verbis habentibus vim coactivam, sicut cum aliquid alicui praecipitur: et hoc ad corrigendum pertinet. Alio modo per verba tantum quae vim coactivam non habent; et talia verba admonitoria dicuntur; et ideo, cum hic modus ad corripientem pertineat, correptio nihil est aliud quam admonitio; et ejusdem potentiae actus est admonitio cujus est imperium.

 

Solutions

1. Quelqu’un peut faire retour sur son esprit de deux manières : soit pour la connaissance spéculative; soit pour la connaissance pratique, qui est surprise par l’ignorance du choix. Ainsi, quelqu’un fait retour sur son esprit de deux manières. D’une manière, en vertu d’une certaine coercition : par des actes, comme lorsque quelqu’un est puni; par des paroles qui ont une puissance coercitive, comme lorsque quelque chose est commandé à quelqu’un, et cela en rapport avec ce qui doit être corrigé. D’une autre manière, par des paroles seulement, qui n’ont pas de puissance coercitive. De telles paroles sont appelées des avertissements. Puisque cette manière ne convient qu’à celui qui fait des reproches [corripientem], la correction [correptio] n’est rien d’autre qu’un avertissement, et l’avertissement est un acte de la même puissance dont relève le commandement.

[18066] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corripere dicitur a rapiendo quantum ad hoc quod statim et subito rapina exercetur; non autem inquantum rapina habet aliquam violentiam, nisi quantum ad hoc quod corripiens a sua voluntate qua peccavit, avertere peccantem nititur; et sic aliquid est ibi simile violentiae, secundum quod id quod est contrarium voluntati, violentum dicitur.

2. « Reprocher » [corripere] vient de « ravir » [rapiendo], sous l’aspect où quelque chose est subtilisé rapidement et subitement, mais non en tant que cela est accompli avec violence, si ce n’est que celui qui corrige s’efforce de détourner celui qui pèche de la volonté par laquelle il a péché. Il y a là quelque chose qui ressemble à la violence, pour autant que ce qui est contraire à la volonté est appelé violent.

[18067] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jam ex dictis patet quod alicujus potest esse corripere cujus non est corrigere; sed omnis cujus est corrigere, etiam est dirigere, si quidem dirigere importet solum ordinationem alicujus in finem; si autem importet perductionem ad finem, sic solius Dei est; quia ejus solius est impedimenta auferre, ut aliquis ad finem non impeditus perveniat.

 

3. Il ressort déjà de ce qui a été dit qu’il peut revenir à quelqu’un de« reprocher » [corripere] à qui il ne revient pas de « corriger » [corrigere]. Mais il appartient aussi de diriger à quiconque il appartient de de corriger, si diriger comporte seulement l’orientation de quelqu’un vers sa fin ; mais si cela comporte l’acheminement vers la fin, cela ne relève que de Dieu, car il appartient à lui seul d’enlever les obstacles afin que quelqu’un parvienne à la fin sans empêchement.

[18068] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod de peccato praeterito potest esse aliquis actus praesens vel futurus : et ideo quamvis emendatio sit de peccato praeterito, non tamen ipsa admonitio aliquando potest esse facienda ad hoc; et ideo de ipsa emendatione potest esse admonitio, ut dicatur emendatio reversio peccatoris ad statum rectae operationis, quae est correptionis finis.

4. Il peut exister un acte acte présent ou futur portant sur un péché passé. C’est pourquoi, bien que la correction porte sur le péché passé, l’avertissement lui-même ne doit cependant pas être fait à ce propos. Ainsi, il peut exister un avertissement à propos de la correction elle-même, de sorte que la correction soit appelée le retour du pécheur à l’état d’une action droite, qui est la fin de l’avertissement.

[18069] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus movetur ex odio vel timore turpis, nisi ille cui jam inest aliqualiter voluntas pulchri et boni; et ideo, cum correptio procedat ex hac via, ut dictum est, proprie illi competit ut corripiatur qui habet propositum boni, a quo tamen vel propter ignorantiam vel propter aliquam desidiam avertitur; et ideo magis proprie respicit omissionem, quae etiam in ipsa transgressione considerari potest, quam transgressionis perversitatem; et propter hoc convenientius dicitur delictorum quam peccatorum.

5. Personne n’est mû par la haine ou la crainte de ce qui est honteux, que celui chez qui existe déjà d’une certaine manière la volonté de ce qui est beau et de ce qui est bien. C’est pourquoi, lorsque l’avertissement emprunte cette voie, comme on l’a dit, être repris relève de celui qui a le propos du bien, dont il s’est détourné par ignorance ou par indolence. Il concerne ainsi davantage l’omission, qui peut être envisagée dans la transgression elle-même, que la perversité de la transgression. Pour cette raison, on en parle plutôt à propos des délits que des péchés.

[18070] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in hoc quod aliquis peccat, laeditur justitia, et laeditur peccans; et, secundum hoc, ille qui peccantem arguit, ad duo potest attendere; scilicet ad laesionem justitiae (sed hoc proprie est ejus cui commissa est custodia justitiae, quae est commune bonum, scilicet praelati, qui est persona publica); et iterum ad laesionem peccantis; et hoc est proprie ejus cui competit defectibus ejus subvenire. Et quia hoc est proprium amicitiae, quae, secundum philosophum in 9 Ethic., magis subvenire facit amico in damnis virtutum quam in damnis exteriorum rerum; ideo directe pertinet ad caritatem: unde quamvis correctio sit actus justitiae, tamen correptio est actus caritatis, sive misericordiae. Quia tamen bonum privatum debet ad bonum publicum ordinari sicut ad finem, ideo etiam corripiens ex caritate ad laesionem justitiae aliquo modo respicit; et secundum hoc intelligenda est Glossa inducta.

6. Par le fait que quelqu’un pèche, la justice est blessée et le pécheur est blessé. Ainsi, celui qui reprend un pécheur peut porter attention à deux choses : à la blessure faite à la justice (mais cela relève au sens propre de celui à qui la garde de la justice, le bien commun, a été confiée, c’est-à-dire du supérieur, qui est un personnage public); et à la blessure faite au pécheur (et cela relève au sens propre de celui à qui il revient de rémédier à ses carences). Et parce que cela est le propre de l’amitié, qui, selon le Philosophe, dans Éthique, IX, fait davantage rémédier aux carences des vertus qu’aux dommages dans les choses extérieures, cela relève directement de la charité. Et bien que la correction [correctio] soit un acte de justice, le reproche [correptio] est un acte de charité ou de miséricorde. Cependant, puisque le bien privé doit être ordonné au bien public comme à sa fin, celui qui reproche par charité tient aussi compte d’une certaine manière de la blessure faite à la justice. C.est ainsi qu’il faut comprendre la glose invoquée.

 

 

Articulus 2 [18071] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 tit. Utrum quilibet ex praecepto ad correptionem fraternam teneatur

Article 2 – Tous sont-ils obligés en vertu d’un commandement à la correction fraternelle ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous sont-ils obligés en vertu d’un commandement à la correction fraternelle ?]

[18072] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non quilibet ex praecepto ad correptionem fraternam teneatur. Dicit enim Hieronymus: sacerdotes studeant illud evangelicum implere: si peccaverit in te frater tuus et cetera. Ergo videtur quod soli sacerdotes ad hoc teneantur.

1. Il semble que tous ne soient pas obligés en vertu d’un commandement à la correction fraternelle. En efffet, Jérôme dit : « Que les prêtres s’efforcent d’accomplir ce que dit l’évangile : “Si ton frère pèche contre toi, etc.” » Il semble donc que seuls les prêtres y soient obligés.

[18073] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque aliquem corripit, curam illius gerit. Sed soli praelati tenentur ex praecepto curam de subditis habere. Ergo soli ipsi tenentur ex praecepto ad corripiendum.

2. Quiconque avertit quelqu’un en prend soin. Or, seuls les supérieurs sont obligés en vertu d’un commandement de prendre soin de leurs sujets. Seuls ils sont donc obligés d’avertir en vertu d’un commandement.

[18074] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad praecepta obligatur aliquis semper; ad consilia autem, non nisi in aliquo casu speciali. Sed ad corripiendum non obligatur aliquis nisi in casu necessitatis; alias oporteret hominem omnia negotia sua dimittere, et correptioni insistere, cum quotidie corripiendi occurrant. Ergo correptio fraterna non cadit sub praecepto, sed sub consilio.

3. On est toujours obligé aux commandements, mais seulement dans un cas particulier aux conseils. Or, on n’est tenu d’avertir qu’en cas de nécessité, autrement il faudrait qu’on abandonne toutes ses occupations et s’adonne à la correction, puisqu’il s’en présente chaque jour qui doivent être corrigés. La correction fraternelle n’est donc pas l’objet d’un commandement, mais d’un conseil.

[18075] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, homo propter votum religionis non absolvitur a praeceptis Dei. Si ergo homo quilibet ex praecepto teneretur fratrem corripere, videtur quod religiosi deberent de claustro suo exire ad corripiendum saeculares delinquentes; quod falsum est, quia sic religionis observantia periret.

4. On n’est pas délié des commandements de Dieu par un vœu de religion. Si donc chacun était tenu en vertu d’un commandement de corriger son frère, il semble que les religieux devraient sortir de leur cloître pour avertir les séculiers fautifs, ce qui est faux, car ainsi l’observance religieuse disparaîtrait.

[18076] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, homo non debet excitare sibi odium proximi; quia Gregorius dicit: non est timendum ne is qui arguitur contumelias inferat; sed timendum ne tractus ad odium deterior fiat. Sed frequenter ex correptione odium generatur, quia veritas odium parit. Ergo non tenetur homo ad corripiendum.

5. On ne doit pas susciter la haine du prochain contre soi-même, car Grégoire dit : « Il ne faut pas craindre que celui à qui on adresse des reproches injurie, mais il faut craindre que celui qui est poussé à la haine ne devienne pire. » Or, la haine est fréquemment engendrée par la correction, car la vérité engendre la haine. On n’est donc pas tenu d’avertir.

[18077] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, ibi debet homo corripere ubi habet arbitrium; sicut dicit Glossa, super illud: si peccaverit in te etc.: si enim in Deum peccavit, non est nostri arbitrii. Cum ergo omne peccatum sit in Deum, non possumus de peccato corripere.

6. On doit avertir là où on peut juger, comme le dit la Glose à ce propos : S’il a péché contre toi, etc. : « En effet, s’il a péché contre Dieu, cela ne relève pas de notre jugement. » Puisque tout péché est contraire à Dieu, nous ne pouvons donc pas avertir au sujet du péché.

[18078] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, super illud Matth. 18: si peccaverit in te etc., dicit Glossa: ita peccat qui fratrem suum peccare videt, et tacet, sicut qui poenitenti non indulget. Sed ad indulgendum peccanti omnes ex praecepto caritatis tenentur. Ergo et ad corripiendum delinquentes.

Cependant, [1] à propos de Mt 18 : S’il a péché contre toi, etc., la Glose dit : « Celui qui voit son frère pécher et se tait pèche comme que celui qui ne se montre pas indulgent envers un pénitent. » Or, en vertu du commandement de la charité, tous sont obligés de se montrer indulgents envers le pécheur. Donc aussi, pour l'avertissement de ceux qui sont en faute.

[18079] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, eleemosynae spirituales sunt magis necessariae quam corporales. Sed eleemosyna corporalis est sub praecepto; ut supra, dist. 15, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 4, dictum est. Ergo et correptio peccantium, cum sit spiritualis eleemosyna, ut ibi dictum est.

[2] Les aumônes spirituelles sont plus nécessaire que les aumônes corporelles. Or, l’aumône corporelle est l’objet d’un commandement, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 1, a. 1, qa 4. Donc aussi la correctrion des pécheurs, puisqu’elle est une aumône spirituelle, comme on l’a dit à cet endroit.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le pécheur qui corrige pèche-t-il ?]

[18080] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod peccator corripiens non peccet. 1 Joan. 1, 8: si dixerimus quod peccatum non habemus, nos ipsos seducimus. Si ergo peccatoris non est corripere, nullus poterit alterum corripere.

1. Il semble que le pécheur qui corrige pèche. 1 Jn 1, 8 : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes. Si donc il ne relève pas du pécheur de reprendre, personne ne pourra en reprendre un autre.

[18081] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullus propter peccatum excusatur ab observatione praecepti. Ergo peccator tenetur ad corripiendum, cum sit in praecepto; et si non corripiat, peccat. Si ergo peccando corriperet, esset perplexus; quod est inconveniens.

2. Personne n’est exempté de l’observance d’un commandement en raison du péché. Le pécheur est donc obligé de reprendre, puisque cela est un commandement ; s’il ne reprend pas, il pèche. Si donc il corrigeait tout en péchant, il serait perplexe, ce qui ne convient pas.

[18082] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, eleemosyna corporalis est minus necessaria quam spiritualis. Sed peccator dans eleemosynam corporalem, non peccat. Ergo nec corripiendo; cum correptio sit spiritualis eleemosyna, ut dictum est.

3. L’aumône corporelle est moins nécessaire que l’aumône spirituelle. Or, le pécheur qui donne une aumône corporelle ne pèche pas. Non plus, donc, en reprenant, puisque reprendre est une aumône spirituelle, comme on l’a dit.

[18083] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, majus est docere sacram Scripturam quam aliquem singulariter admonere; quia hoc cujuslibet est, sed non illud. Sed, ut quidam dicunt, docens sacram Scripturam non peccat, quamvis in peccato existat. Ergo multo minus corripiens ex caritate fratrem, peccat, quamvis ipse in peccato existat.

Il est plus grand d’enseigner la Sainte Écriture que de reprendre quelqu’un en particulier, car cela relève de tous, mais non pas [l’enseignement]. Or, comme certains le disent, celui qui enseigne la Sainte Écriture ne pèche pas, bien qu’il se trouve dans le péché. Encore bien moins celui qui reprend par charité fraternelle pèche-t-il, bien qu’il se trouve dans le péché.

[18084] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Sed contra, quicumque aliquem corripit, quodammodo ipsum judicat. Sed qui judicat in altero quod commisit, seipsum condemnat, ut patet Rom. 2. Ergo peccator corripiendo alterum peccat.

5. Quiconque en reprend un autre se juge lui-même d’une certaine manière. Or, celui qui juge ce qu’un autre a commis se condamne lui-même, comme cela ressort de Rm 2. Le pécheur pèche donc en en reprenant un autre.

[18085] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in 10 Ethic., quod sermones qui sunt de moribus, cum dissonant his quae videntur secundum sensum in eo qui eos dicit, contemnuntur, et veritatem interimunt. Sed in peccatore qui corripit alterum de peccato, ea quae videntur de ipso ad sensum, dissonant sermonibus. Ergo interimit, inquantum in se est, veritatem. Sed hoc est peccatum. Ergo talis corripiendo peccat.

6. Dans Éthique, X, le Philosophe dit que les paroles qui portent sur le comportement, lorsqu’elles sont en désaccord pour le sens avec celui qui les prononce, sont méprisées et tuent la vérité. Or, chez le pécheur qui en reprend un autre de son péché, ce qui apparaît de lui pour le sens est en désaccord avec les paroles. Par lui-même, il tue donc la vérité. Or, cela est un péché. Celui-là pèche donc en reprenant.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-on obligé de reprendre son supérieur ?]

[18086] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis non teneatur corripere praelatum suum. Galat. 2, super illud: in faciem ejus restitit, dicit Glossa, tamquam par. Ergo si par non fuisset, non potuisset eum corripere; et ita videtur quod fraterna correptio non se extendat ad praelatos.

1. Il semble qu’on ne soit pas obligé de reprendre son supérieur. À propos de Ga 2 : Il a résisté en face, la Glose dit : « Comme un égal. » S’il n’avait pas été un égal, il n’aurait donc pas pu le reprendre, et il semble ainsi que la correction fraternelle ne va pas jusqu’aux prélats.

[18087] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Dionysius in epistolis suis, arguit Demophilum monachum de hoc quod sacerdotem corripuerat, quia erat eo superior. Ergo fraterna correptio non se extendit ad superiores.

2. Dans ses lettres, Denys reproche au moine Démophile d’avoir repris un prêtre, parce qu’il était son supérieur. Le fait de reprendre fraternellement ne va donc pas jusqu’aux supérieurs.

[18088] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, 2 regum 6, Oza legitur percussus a domino, quia arcam tetigit. Sed per arcam significatur praelatus, per Ozam subditus. Ergo peccat subditus corripiendo praelatum.

3. Dans 2 Ch 6, on lit qu’Ozas a été frappé par le Seigneur parce qu’il avait touché l’arche. Or, par l’arche, le supérieur est signifié, et par Ozas, l’inférieur. L’inférieur pèche donc en reprenant son supérieur.

[18089] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Gregorius dicit in pastorali: admonendi sunt subditi, ne praepositorum suorum vitam temere judicent, si quid eos fortasse agere reprehensibile vident. Ergo videtur quod sit temeritatis praelatum arguere delinquentem.

4. Grégoire dit dans la Pastoral : « Les inférieurs doivent être avertis de ne pas juger témérairement la vie de leur supérieurs, s’ils voient qu’ils font peut-être quelque chose de répréhensible. » Il semble donc qu’il relève de la témérité de faire des reproches à un supérieur en faute.

[18090] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Gregorius dicit: sanctorum vitam corrigere quis non praesumat, nisi de se meliora sentiat. Sed hoc videtur esse praesumptuosum quod homo de se sentiat meliora quam de praelato suo. Ergo non sunt corripiendi.

5. Grégoire dit : « Que personne n’ose corriger la vie des saints, à moins d’avoir une meilleure opinion de lui-même. » Or, il semble présomptueux d’avoir une meilleure opinion de soi que de son supérieur. [Les supérieurs] Ils ne doivent donc pas être repris.

[18091] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, correptio fraterna, cum sit spiritualis eleemosyna, opus misericordiae est. Sed misericordia maxime praelato debetur, qui in maximo periculo constitutus est; unde Augustinus dicit in regula: non solum autem vestri, sed etiam ipsius, scilicet praelati, miseremini, qui inter vos quanto in loco superiori, tanto in periculo majori versatur. Ergo correptio fraterna se extendit etiam ad praelatos.

Cependant, [1] reprendre fraternellement, puisque cela est une aumône spirituelle, est une œuvre de miséricorde. Or, la miséricorde est due surtout au supérieur, qui se trouve dans un plus grand danger. Aussi Augustin dit-il dans la Règle : « Ayez donc pitié non seulement de vous, mais aussi de lui – c’est-à-dire du supérieur –, qui, en occupant parmi vous un poste supérieur, se trouve pour autant dans un danger plus grand. » Reprendre fraternellement va donc jusqu’aux supérieurs.

[18092] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Eccl. 17, 12, dicitur, quia Deus mandavit unicuique de proximo suo. Sed praelatus noster proximus est. Ergo eum corripere debemus si delinquat.

[2] En Si 17, 12, il est dit : Dieu a donné à chacun des commandements au sujet de son prochain. Or, notre supérieur est le prochain. Nous devons donc le reprendre s’il est en faute.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18093] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod per legis divinae praecepta homines sufficienter in hac vita ordinantur. Sicut autem in exercitu, ut philosophus dicit in 11 Metaph., est duplex ordo; unus quo totus exercitus ad ducem ordinatur; alius quo singuli de exercitu ordinantur ad invicem: ita et in conversatione hujus vitae, omnium qui in aliqua communitate congregantur, est duplex ordo; unus ad praelatum, alius singulorum ad invicem. Unde uterque ordo debet praecepto divinae legis institui. Ordo autem praelati ad subditum consistit in hoc ut omnes subditi ad bonum commune, quod praelatus intendere debet, intendant, et quod praelatus eos ad hoc dirigat. Ordo autem singulorum ad invicem est ut unusquisque alteri auxilium praebeat ad bonum suum consequendum; unde sicut praelatis ex praecepto incumbit ut subditorum curam gerant, et subditis ut praelatis obediant; ita et coaequalibus ad invicem, ut sibi invicem auxilium ferant non solum in corporalibus, sed etiam in spiritualibus magis; et ideo cum maximum auxilium homini per correptionem in spiritualibus adhibeatur, praeceptum divinae legis ad hoc se extendere debet.

 

Les hommes sont suffisamment ordonnés en cette vie par les commandements de la loi divine. De même que, dans l’armée, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, XI, il existe un double ordre : l’un, par lequel toute l’armée est ordonnée à son chef, l’autre, par lequel tous les membres de l’armée sont ordonnés les uns par rapport aux autres, de même, dans le comportement de la vie présente, existe-t-il un double ordre pour tous ceux qui sont rassemblés dans une communauté : l’un, par rapport au supérieur ; l’autre, entre tous les membres les uns par rapport aux autres. Aussi un double ordre doit-il être établi par le commandement de la loi divine. Or, l’ordre du supérieur par rapport à l’inférieur consiste en ce que tous les inférieurs tendent vers le bien commun que le supérieur doit viser, et que le supérieur les dirige vers ce bien. Mais l’ordre réciproque entre tous consiste en ce que chacun aide l’autre à obtenir son bien. Ainsi, de même qu’il incombe par commandement aux supérieurs de prendre soin des inférieurs et aux inférieurs d’obéir aux supérieurs, de même incombe-t-il à ceux qui sont égaux entre eux de s’aider les uns les autres, non seulement en matière corporelle, mais davantage encore en matière spirituelle. Puisque la plus grande aide est apportée à l’homme en le reprenant  en matière spirituelle, le commandement de la loi divine doit donc porter aussi sur cela.

[18094] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hieronymus loquitur de correptione cui adjungitur correctio, quod patet ex hoc quod subjungit: quae est enim misericordia parcere uni, et omnes in discrimen adducere ? Et talis correptio solum praelatis competit.

1. Jérôme parle du fait de reprendre quelqu’un en y joignant une correction, ce qui ressort de ce qui suit : « Pourquoi en épargner un par miséricorde, et mettre tous en péril ? » Reprendre ainsi ne convient qu’aux supérieurs.

[18095] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod curam alicujus aliquis simpliciter habere potest, et secundum quid. Simpliciter quidem curam alicujus habet, cujus dispositioni totum regimen vitae ipsius subditur; quia providentia et cura respiciunt ordinem ad finem, ad quem homo per totam vitam suam intendit; et sic curam alterius non habet aliquis nisi praelatus, qui habet propter hoc super subditum imperium. Sed secundum quid quantum ad aliquid; ut ad subveniendum in aliquo particulari casu, quilibet habet curam alterius; quia unicuique mandavit Deus de proximo suo; Eccl. 17, 12; et secundum apostolum 1 Cor. 12, 12, pro se invicem solicita sunt membra.

2. On peut avoir la charge de quelqu’un de manière absolue et de manière relative. Quelqu’un a la charge d’un autre de manière absolue lorsque toute la conduite de la vie de celui-ci relève de lui, car la prévoyance et le soin concernent l’ordre par rapport à la fin vers laquelle l’homme tend durant toute sa vie. De cette manière, seul le supérieur a la charge d’un autre ; c’est pour cette raison qu’il a par rapport à l’inférieur le pouvoir de commander. Mais [quelqu’un a la charge d’un autre] de manière relative dans un cas particulier, de sorte que tous ont la charge d’un autre pour lui venir en aide dans un cas particulier, car Dieu a donné à chacun des commandements au sujet de son prochain, Si 17, 12, et, selon l’Apôtre, 1 Co 12, 12, les membres se préoccupent les uns des autres.

[18096] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam praecepta affirmativa non obligant ad semper, quamvis semper obligent; et ideo ad illud ad quod in aliquo casu implendum obligamur, et non in alio, non est consilium, sed praeceptum; quia consilium nunquam obligat, nisi per hoc quod in praeceptum transit ex aliquo accidenti. Tempus autem ad quod obligat, est cum delinquens occurrit ipsi corripienti, et corripi potest commode, et speratur emendatio, et non est alius cui ex officio incumbat corripere; vel si ille cui incumbit, negligens appareat in corrigendo. Si enim non speraretur emendatio, sed magis deterioratio propter impatientiam corrigendi, excusaretur a praecepto; similiter si praelatus diligens appareret ad corrigendum subditum suum.

3. Même les préceptes affirmatifs n’obligent pas en tout temps, bien qu’ils obligent toujours. Aussi ce que nous sommes obligés d’accomplir dans un cas particulier, et non dans un autre, n’est pas un conseil, mais un commandement, car le conseil n’oblige jamais, sauf s’il devient un commandement en raison d’un accident. Mais le moment où [le commandement affirmatif] oblige, c’est lorsque que quelqu’un qui est en faute se présente à celui qui reprend et qu’il peut être aisément repris, qu’on peut espérer qu’il s’amende et qu’il n’y a personne d’autre à qui il revient de reprendre en vertu de sa fonction, ou si celui à qui cela incombe semble négliger de corriger. En effet, si on n’espérait pas que [le fautif] s’amende, mais plutôt qu’il empire à cause de l’impatience provoquée par la correction, on serait exempté du commandement. De même, s’il se présentait un supérieur consciencieux pour corriger celui qui lui est soumis.

[18097] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod monachus non debet exire claustrum ut corripiat delinquentes, quia vacat operi meliori, scilicet contemplationi. Sed hoc non videtur verum; quia etiam aliquis a contemplatione abstrahitur, ut saluti proximorum subveniat. Et ideo dicendum, quod si monacho opportunitas corripiendi advenerit, ipse etiam corripere tenetur; sed non tenetur quaerere delinquentem exiens claustrum, aut ordinis sui statuta frangere, ne ipse in periculum incidat, a quo alium liberare tenetur.

4. Certains disent que le moine ne doit pas sortir du cloître pour reprendre ceux qui sont en faute, car il s’adonne à une œuvre meilleure, la contemplation. Mais cela ne semble pas vrai, car on est aussi distrait de la contemplation pour s’occuper du salut du prochain. C’est pourquoi il faut dire que si une occasion de reprendre se présente au moine, il est lui aussi obligé de reprendre ; mais il n’est pas tenu de rechercher celui qui est en faute en sortant du cloître, ni de rompre les statuts de son ordre, de crainte de tomber lui-même dans le danger dont il est obligé de libérer l’autre.

[18098] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod semper vitandum est ne ex correctione sequatur odium nostra culpa, scilicet ex indiscreta correptione. Si autem ad odium provocetur ex quo deberet ad dilectionem incitari, non est curandum, praecipue quando ejus peccatum in damnum aliorum vergit, vel etiam damnum sequens, vel peccatum ipsum est gravius odio quod in nos excitamus; vel quando speramus quod odium paulatim tepescet, et tandem correctio sequetur; quia, sicut dicit Chrysostomus, melius est odium propter Deum quam amicitia quae est propter ipsum. Cum enim propter ipsum amamur, debitores Dei sumus; cum odio propter ipsum habemur, debitorem eum nobis facimus.

 

5. Il faut toujours éviter que la haine ne découle d’une correction par notre faute, à savoir, en reprenant de manière indiscrète. Mais si quelqu’un est provoqué à la haine alors qu’il devrait être incité à l’amour, il ne faut pas s’en occuper, surtout lorsque son péché représente un préjudice pour d’autres, qu’un préjudice en découle ou que le péché lui-même est plus grave que la haine que nous suscitons contre nous; ou lorsque nous espérons que la haine s’amenuisera peu à peu et que la correction en découlera finalement. Car, comme le dit Chrysostome, « la haine à cause de Dieu est meilleure que l’amitié à cause de soi-même. En effet, lorsque nous sommes aimés à cause de lui, nous sommes les débiteurs de Dieu ; lorsqu’on nous prend en haine à cause de lui, nous en faisons notre débiteur ».

[18099] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Glossa intelligenda est, quando peccatur in Deum, idest solo Deo sciente; vel loquitur non quantum ad correptionem, sed quantum ad remissionem quae sequitur; quia illud quod est ex parte nostra, possumus remittere, sed non quod est ex parte Dei.

6. La glose doit s’entendre du cas où, lorsqu’on pèche contre Dieu, seul Dieu le sait. Ou bien elle ne parle pas du fait de reprendre, mais de la rémission qui en découle, car ce qui nous concerne, nous pouvons le remettre, mais non ce qui relève de Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18100] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod ille qui est in simili peccato, vel majori, non potest alium corripere, sive illud notorium sit sive occultum; propter hoc quod alterum judicans, contra seipsum sententiam profert. Alii autem dicunt, quod si sit peccatum occultum, absque peccato potest corripere; non autem si sit notorium. Utraque autem opinio quantum ad aliquid vera est. Dupliciter enim aliquis corripere potest. Uno modo ex officio, sicut praelati corripiunt; et sic videtur prima opinio habere veritatem; quia quandocumque aliquis indigne utitur officio suo, peccat; ille autem qui est in mortali peccato, etiam occulto, indigne utitur officio praelationis; unde peccat corripiendo, vel quidquid aliud proprii officii exequatur. Alio modo aliquis corripit ex zelo caritatis, non ut Ecclesiae minister: et tunc in correptione non potest esse peccatum, nisi ratione scandali, quod non consurgit nisi de peccato notorio; et secundum hoc secunda opinio habet veritatem. Unde sive praelatus, sive subditus etiam in peccato notorio existens, aliquem peccare viderit, potest eum admonere non per modum corripientis, sed per modum rogantis, ut exemplo suo non incitetur ad malum.

À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que celui qui est dans un péché semblable ou dans un plus grand ne peut en reprendre un autre, que ce péché soit notoire ou occulte, parce qu’en jugeant un autre, il porte une sentence contre lui-même. Mais d’autres disent que si le péché est occulte, il peut reprendre sans péché, mais non s’il est notoire. Or, les deux opinions ont quelque chose de vrai. En effet, on peut reprendre de deux manières. D’une manière, en raison de sa fonction, comme les supérieurs reprennent : sous cet aspect, la première opinion semble comporter une part de vérité, car chaque fois que quelqu’un fait un usage indigne de sa fonction, il pèche. Or, celui qui est dans le péché mortel, même occulte, fait un usage indigne de sa fonction de supérieur. Il pèche donc en reprenant ou en accomplissant n’importe quoi d’autre qui relève de sa propre fonction. D’une autre manière, on reprend en vertu de l’empressement de la charité, et non en tant que ministre de l’Église. Alors, il ne peut y avoir de péché à reprendre, sauf en raison du scandale, qui n’apparaît que pour un péché notoire. Sous cet aspect, la seconde opinion comporte une part de vérité. Ainsi, si le supérieur ou l’inférieur qui se trouvent dans un péché notoire voient quelqu’un pécher, ils peuvent l’avertir, non pas en le reprenant, mais sous forme de demande, afin qu’on ne soit pas incité au mal par son exemple.

[18101] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum veniale non reddit aliquem indignum executione officii sacri, sicut peccatum mortale; nec ita natum est scandalizare, quia ab eis nullus invenitur immunis; et ideo existens in peccato veniali non peccat, etiam si de eodem corripiat, nisi probabiliter ex correptione scandalum sequi videatur: et de hoc peccato, scilicet veniali, loquitur auctoritas inducta.

1. Le péché véniel ne rend pas quelqu’un indigne d’exercer sa fonction sacrée, comme le péché mortel. Il n’est pas non plus autant de nature à scandaliser, car personne n’en est exempt. Aussi celui qui se trouve dans le péché véniel ne pèche-t-il pas, même en reprenant à propos du même péché, sauf s’il semble qu’un scandale découlera probablement du fait de reprendre. L’autorité invoquée parle de ce péché, à savoir, le péché véniel.

[18102] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccator non est perplexus; nec tamen absolvitur a praecepto corripiendi. Potest enim peccatum dimittere, vel officium resignare, aut etiam humiliter peccatum suum recognoscens alium admonere rogando; et tunc non peccat.

2. Le pécheur n’est pas perplexe ; cependant, il n’est pas exempté du commadement de reprendre. En effet, il peut écarter le péché ou démissionner de sa fonction, ou même, en reconnaisant humblement son péché, en avertir un autre en lui adressant une demande. Alors, il ne pèche pas.

[18103] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eleemosyna corporali non invenitur aliquis dissensus ad vitam, qua in peccato vivitur, sicut de correptione dictum est; et ideo peccator eleemosynam dans, non scandalizat, sicut corripiendo scandalum generat.

3. Dans l’aumône corporelle, il n’existe pas de désaccord sur la vie par laquelle on vit dans le péché, comme on l’a dit à propos du fait de reprendre. C’est pourquoi, en faisant l’aumône, le pécheur ne scandalise pas, comme il suscite le scandale en reprenant.

[18104] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod docere sacram Scripturam dupliciter contingit. Uno modo ex officio praelationis, sicut qui praedicat, docet; non enim licet alicui praedicare, nisi officium praelationis habeat, vel ex auctoritate alicujus praelationem habentis; Rom. 10, 15: quomodo praedicabunt, nisi mittantur ? Alio modo ex officio magisterii, sicut magistri theologiae docent. Dicunt ergo quidam, quod ille qui primo modo docet, peccat mortaliter, si sit in peccato mortali notorio; non autem ille qui secundo modo docet. Sed hoc est falsum; quia eorum qui docent sacram Scripturam est idem finis et eorum qui sacram Scripturam ediderunt; unde, cum ad hoc ordinetur Scripturae editio, ut ad vitam aeternam homo perveniat, ut patet Joan. 10; quicumque impedit finem doctrinae, docendo peccat. Impedit autem qui sacram Scripturam in peccato docet, quia ore se profitetur nosse Deum, factis autem negat. Et dicendum, quod ille qui est in peccato notorio, peccat sive sic, sive sic doceat; sed ille qui est in peccato occulto, peccat si primo modo doceat, non autem si secundo.

 

4. L’enseignement de la Sainte Écriture se présente de deux manières. D’une manière, en vertu de la fonction de supérieur, comme celui qui prêche enseigne. En effet, il n’est permis à personne de prêcher à moins de détenir une fonction de supérieur ou en vertu de l’autorité de celui qui est dans la condition de supérieur. Rm 10, 15 : Comment prêcheront-ils s’ils ne sont pas envoyés ? D’une autre manière, en vertu de la fonction de maître, comme enseignent les maîtres en théologie. Certains disent donc que celui qui enseigne de la première manière pèche mortellement s’il se trouve dans un péché mortel notoire, mais non celui qui enseigne de la seconde manière. Mais cela est faux, car la fin de ceux qui enseignent la Sainte Écriture est la même que celle de ceux qui l’ont publiée. Puisque l’édition de l’Écriture est ordonnée à ce que l’homme parvienne à la vie éternelle, comme cela ressort de Jn 10, quiconque empêche la fin de l’enseignement pèche donc en enseignant. Or, celui-là empêche qui enseigne la Sainte Écriture alors qu’il est dans le péché, parce qu’il prétend de bouche connaître Dieu, mais il le nie par ses actes. Il faut donc dire que celui qui se trouve dans un péché notoire pèche, quelle que soit la manière dont il enseigne ; mais celui qui se trouve dans un péché occulte pèche s’il enseigne de la première manière, mais non s’il le fait de la seconde manière.

[18105] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Et quia aliae rationes videntur concludere quod nullo modo corripere liceat ei qui est in peccato; ideo dicendum ad quintum, quod ex hoc ipso quod aliquis alium corripiendo judicat, si in eodem peccato sit, seipsum condemnat, idest condemnabilem seipsum ostendit, non tamen novam causam damnationis superadjicit.

5. Parce que les autres arguments semblent conclure qu’il n’est d’aucune façon permis de reprendre à celui qui est dans le péché, il faut répondre au cinquième argument que, par le fait que quelqu’un en juge un autre en le reprenant, s’il s’agit du même péché, il se condamne lui-même, c’est-à-dire qu’il se montre condamnable, mais il n’ajoute pas cependant une nouvelle raison d’être condamné.

[18106] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa procedit de peccato manifesto.

6. Cet argument découle du péché manifeste.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18107] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod correptio fraterna non se extendit ad praelatos; tum quia non debet homo os ponere in caelum; tum quia de facili scandalizari possunt praelati, si a subditis corripiantur. Sed hoc nihil est; quia praelati, inquantum peccant, non sunt caelum, et secundum hoc eis correptio debetur; nec iterum qui eos caritative corripit, in eos os ponit, idest contra eos, sed pro eis, quia ad utilitatem eorum eos admonet; nec iterum praesumere debet quis de praelato quod injuste scandalizetur, nisi contrarium constet, quia ipsi sunt in statu perfectionis; scandalum autem passivum non convenit perfectis, sed pusillis. Et ideo dicendum est, quod praelatus ex hoc quod est persona publica, et vicem Dei super subditos gerens, non amittit ea quae sunt propria illius singularis personae; et ideo omnia illa quae debentur alicui ex affectu fraterno, qui ad omnes homines habendus est, etiam praelato debentur, sicut etiam ipse aliis debet ea quae affectus caritatis expostulat; nec ab his ratione praelationis excusatur. Et ideo, secundum alios, praeceptum de fraterna correptione etiam ad praelatos se extendit, ut corripiantur a subditis; et sicut ea quae sunt caritatis ad subditos praelatus taliter gerere debet, ut nullum auctoritati praejudicium generetur; ne dum nimium servatur humilitas, regendi frangatur auctoritas, ut Augustinus dicit; ita correptio ad praelatos taliter debet fieri, ne aliquid reverentiae subtrahatur; et ideo dicitur 1 Timoth. 5, 1: seniorem ne increpaveris, sed obsecra ut patrem.

 

Certains disent que reprendre fraternellement ne s’étend pas aux supérieurs, parce que l’homme ne doit pas tourner sa bouche vers le ciel et parce que les supérieurs peuvent être facilement scandalisés, s’ils sont repris par des inférieurs. Mais cela est futile, car les supérieurs, pour autant qu’ils pèchent, ne sont pas le ciel, et ils doivent donc être  repris; et encore une fois, celui qui les reprend de manière charitable ne tourne pas sa bouche contre eux, mais en leur faveur, car il les avertit pour leur bien. De plus, on ne doit pas présumer qu’un supérieur est scandalisé, à moins que le contraire ne soit évident, car ils sont dans un état de perfection. Or, le scandale passif ne convient pas aux parfaits, mais aux plus petits. Il faut donc dire que le prélat, du fait qu’il est un personnage public et occupe la place de Dieu en regard de ses subordonnés, ne perd pas ce qui est propre à cette personne singulière. C’est pourquoi tout ce qui est dû à quelqu’un en vertu de l’affection fraternelle et qui doit être reçu par tous les hommes, est aussi dû au supérieur, comme lui-même doit aux autres ce qu’exige l’affection de la charité, et il n’en est pas exempté en raison de sa supériorité. De sorte que, selon d’autres, le précepte de reprendre fraternellement s’étend aussi aux supérieurs pour qu’ils soient repris par leurs subordonnés. Et de même que le supérieur doit manifester à ses subordonnés ce qui relève de la charité de telle manière qu’aucun préjudice ne soit engendré pour l’autorité, de crainte qu’en observant une trop trande humilité, l’autorité pour diriger ne soit brisée, comme le dit Augustin, de même les supérieurs doivent-ils être repris de telle manière que ne leur soit rien enlevé du respect. C’est pourquoi il est dit en 1 Tm 5, 1 : Ne fais pas de reproche à un ancien, mais exhorte-le comme un père.

[18108] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Paulus in faciem Petro coram omnibus restitit, sicut ibidem dicitur. Hoc autem excedit modum fraternae correptionis, quae praelatis a subditis debetur. Non enim praelati a subditis coram multitudine, sed humiliter in privato corripiendi sunt, nisi immineret periculum fidei; tunc enim praelatus minor fieret, si in infidelitatem laberetur, et subditus fidelis major.

1. Paul a résisté en face à Pierre, comme on le dit à cet endroit. Mais cela dépasse la manière fraternelle de reprendre, qui est due aux supérieurs par leurs subordonnés. En effet, les supérieurs ne doivent pas être repris devant la multitude, mais humblement en privé, à moins qu’il n’y ait un danger imminent pour la foi. En effet, le supérieur serait rabaissé s’il tombait dans l'infidélité, et le subordonné fidèle deviendrait plus grand.

[18109] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod monachus ille arguitur de hoc quod injuste corripuit sacerdotem recte agentem, et de hoc quod correptionem usque ad correctionem extendit poenam inferendo, quia sacerdotem percussit, et eum ab Ecclesia amovit. Quamvis autem praelati sint corripiendi a subditis; non tamen est eis poena infligenda, sed recurrendum ad superiorem denuntiando; vel si non habet superiorem, recurrat ad Deum, qui eum emendet, vel de medio subtrahat.

2. Il est reproché à ce moine d’avoir injustement corrigé un prêtre qui se comportait correctement, et de l’avoir repris de manière excessive en le corrigeant par l’imposition d’une peine, car il a frappé le prêtre et l’a écarté de l’Église. Bien que les inférieurs doivent reprendre les supérieurs, il ne faut cependant pas leur infliger une peine, mais il faut recourir à un supérieur en le dénonçant. Ou s’il n’y a pas de supérieur, qu’on recoure à Dieu, qui le corrigera ou l’écartera.

[18110] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tangere arcam non erat Levitarum, sed sacerdotum; et ideo Oza percussus fuit, quia officium superioris usurpavit. Sed fraterna correptio non sequitur officium, sed affectum caritatis; et ideo non concludit ratio de fraterna correptione, sed de correctione quae est a praelatis adhibenda, quam subditus praelatis non potest adhibere.

3. Il n’appartient pas aux lévites de toucher l’arche, mais aux prêtres. C’est pourquoi Ozas a été frappé, parce qu’il a usurpé la fonction d’un supérieur. Mais reprendre fraternellement ne découle pas d’une fonction, mais de l’affection de la charité. C’est pourquoi le raisonnement ne vaut pas pour le fait de reprendre fraternellement, mais pour la correction qui doit être donnée par les supérieurs, que le subordonné ne peut donner aux supérieurs.

[18111] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Gregorius prohibet judicium temeritatis, ne scilicet aliquis praelatorum facta de facili in malum convertat, vel de eis coram aliis obloquatur; non autem judicium fraternae correptionis prohibet cum reverentia factum.

4. Grégoire interdit le jugement téméraire, de crainte qu’on ne transforme facilement le comportement des supérieurs en mal ou qu’on ne le contredise devant les autres. Mais [il n’interdit] pas le jugement qui fait reprendre fraternellement et avec respect.

[18112] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis praesumptuosum sit quod aliquis simpliciter se alteri praeferat in bonitate, praecipue sancto viro; tamen non est praesumptuosum quantum ad aliquod factum, si praelatus non faciat illud, de se meliora sentire.

5. Bien qu’ils soit présomptueux pour quelqu’un de se placer simplement au-dessus d’un autre pour le bien, surtout au-dessus d’un saint, cela n’est cependant pas présomptueux de s’estimer meilleur pour un acte particulier, si un supérieur ne l’accomplit pas.

 

 

Articulus 3 [18113] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 tit. Utrum oporteat quod fraterna admonitio praecedat denuntiationem Ecclesiae faciendam

Article 3 – Un avertissement fraternel doit-il précéder la dénonciation qui doit être faite à l’Église ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un avertissement fraternel doit-il précéder la dénonciation qui doit être faite à l’Église ?]

[18114] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod non oporteat quod fraterna admonitio praecedat denuntiationem Ecclesiae faciendam. Quia secundum Augustinum in Lib. de mendacio, ex factis sanctorum colligimus quid in Scripturis sentire debeamus. Sed Christus denuntiavit Judam discipulis ante admonitionem factam, ut patet Joan. 13: similiter Petrus damnavit Ananiam et Saphiram ante aliquam admonitionem, ut patet Act. 5: similiter Paulus reprehendit Petrum coram omnibus, nulla monitione secreta praecedente. Ergo videtur quod non semper admonitio fraterna debet praecedere denuntiationem Ecclesiae faciendam.

1. Il semble qu’un avertissement fraternel doive précéder la dénonciation qui doit être faite à l’Église, car, selon Augustin dans le livre Sur le mensonge, « nous tirons du comportement des saints le sens que nous devons donner aux Écritures ». Or, le Christ a dénoncé Judas avant de lui avoir adressé un avertissement, comme cela ressort de Jn 13. De même, Pierre a condamné Ananie et Saphire avant de les avertir, comme cela ressort de Ac 5. De même, Paul a repris Pierre devant tous, sans qu’un avertissement ait précédé. Il semble donc qu’un avertissement fraternel ne doive pas toujours précéder la dénonciation qui doit être faite à l’Église.

[18115] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, majori periculo magis debet homo obviare. Sed aliquando majus periculum imminet, si peccatum non publicetur, quam sit malum infamatio unius hominis: quia peccator latens potest multos corrumpere in fide vel moribus; quod non posset facere in publicum ejus peccato deducto: aut etiam infamatur multitudo, si peccatum unus de multitudine committat; nec talis infamia aboletur nisi per poenam peccati, quae non potest inferri, nisi peccatum ad publicum deducatur. Ergo nec semper debet denuntiationem admonitio praecedere.

 

2. L’homme doit rémédier au plus grand danger. Or, parfois, un plus grand danger menace si un péché n’est pas rendu public, que le mal causé par la mauvaise renommée d’un seul homme, car un pécheur occulte peut corrompre la foi et le comportement d’un grand nombre, ce qu’il ne pourrait pas faire si son péché était rendu public. Ou encore, la multitude aura une mauvaise renommée, si un seul parmi la multitude commet un péché, et cette mauvaise renommée ne sera abolie que par une peine pour le péché, qui ne peut être imposée sans que le péché soit rendu public. Un avertissement ne doit donc pas toujours précéder la dénonciation.

[18116] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, accusare in capitulo est dicere Ecclesiae. Sed religiosi frequenter se invicem accusant in capitulo nulla admonitione praecedente. Ergo non oportet quod semper admonitio denuntiationem praecedat.

3. Accuser au chapitre, c’est s’adresser à l’Église. Or, les religieux s’accusent souvent les uns les autres au chapitre, sans qu’un avertissement ait précédé. Il n’est donc pas nécessaire qu’un avertissement précède toujours la dénonciation.

[18117] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, gravior via procedendi contra crimina est si per accusationem vel etiam per inquisitionem procedatur, quam si per denuntiationem: quia etiam major poena infligitur. Sed aliquis potest procedere ad accusationem non praecedente admonitione, inquisitione tamen facta, sicut Innocentius III dicit in decretali. Ergo nec denuntiationem oportet quod admonitio praecedat.

4. C’est une manière plus grave de procéder contre des fautes, que de procéder par voie d’accusation ou d’inquisition, que par voie de dénonciation, car une peine plus grande est ainsi infligée. Or, on peut procéder par voie d’accusation sans avertissement préalable, après avoir cependant procédé à une inquisition, comme le dit Innocent III dans une décrétale. Il n’est donc pas non plus nécessaire qu’un avertissement précède la dénonciation.

[18118] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, nullus tenetur alteri obedire contra praeceptum divinum. Sed si praelatus praeciperet alicui scienti crimen fratris sui quod ei diceret, teneretur dicere ante admonitionem; et similiter si praeciperet illi qui crimen commisit: tamen praelatus peccaret quaerendo, quia secundum ordinem juris petitur juramentum de veritate dicenda etiam in causa criminali ab eo qui accusatur. Ergo videtur quod non sit de necessitate praecepti quod admonitio denuntiationem praecedat.

 

5. Personne n’est obligé d’obéir à quelqu’un à l’encontre d’un commandement de Dieu. Or, si un supérieur ordonnait à quelqu’un qui connaît la faute de son frère de la lui dire, celui-ci serait tenu de la dire avant un avertissement ; de même, s’il l’ordonnait à celui qui a commis la faute. Toutefois, le supérieur pécherait en enquêtant, car, selon l’ordre du droit, on demande de celui qui est accusé un serment de dire la vérité, même dans une cause criminelle. Il semble donc qu’il ne soit pas nécessaire selon un commandement qu’un avertissement précède la dénonciation.

[18119] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Glossa Matth. 18, super illud: si peccaverit in te, etc.: hoc ordine vitare scandala debemus. Sed debitum est ex praecepto obligante. Ergo ordo correptionis est in praecepto.

Cependant, [1] la Glose dit à propos de Mt 18 : S’il a péché contre toi, etc. : « Nous devons éviter le scandale en suviant cet ordre. » Or, un devoir vient d’un commandement qui oblige. L’ordre selon lequel il faut reprendre relève donc d’un commandement.

[18120] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, propter hoc fraterna correptio est in praecepto, ut homo fratrem suum a peccato eripiat. Sed quandoque fratri daretur peccati occasio, si statim in publicum proderetur; unde Glossa dicit ibidem: corripe ipsum inter te et ipsum solum, ne publice correptus verecundiam perdat, qua perdita in peccato remaneat. Ergo secundum necessitatem praecepti debet admonitio privata denuntiationem praecedere.

[2] Reprendre fraternellement relève d’un commandement afin qu’un homme arrache son frère au péché. Or, parfois, on donnerait au frère l’occasion de pécher, si on le mettait à jour immédiatement en public. Aussi la Glose dit-elle au même endroit : « Reprends-le seul à seul, de crainte que repris, il ne perde la honte et que celle-ci perdue, il ne demeure dans le péché. » Un avertissement privé doit donc nécessairement précéder selon le précepte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’appel à témoins fait-il correctement partie de l’ordre selon lequel on reprend ?]

[18121] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter in ordine correptionis ponatur testium inductio. Quia aut iste correptionis ordo intelligitur de peccato publico, aut occulto. Si de publico, non oportet inducere testes, quia manifestum est. Si de occulto, non oportet manifestari nescientibus, quia sic esset homo proditor criminis. Ergo videtur quod nullo modo testium adhibitio requiratur.

1. Il semble que l’appel à témoins ne fasse pas correctement partie de l’ordre selon lequel on reprend, car soit cet ordre dans la façon de reprendre s’entend d’un péché public, soit d’un péché occulte. S’il s’agit d’un péché public, il n’est pas nécessaire de faire appel à des témoins, car cela est clair. S’il s’agit d’un péché occulte, il n’est pas nécessaire de le révéler à ceux qui ne le connaissent pas, car on révélerait ainsi une faute. Il semble donc qu’il ne soit d’aucune manière nécessaire de faire appel à des témoins.

[18122] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in regula, ubi ordinem fraternae correctionis ponit, quod aliis (scilicet testibus) peccatum fratris demonstratur, per quos convincendus est, si negaverit. Sed aliquis non potest convinci per unum testem, quia in ore duorum vel trium testium debet stare omne verbum. Ergo inconvenienter dicitur quod testis unus vel duo adhibeantur; quia semper debent esse duo ad minus.

2. Dans la Règle, là où il présente l’ordre selon lequel il faut reprendre fraternellement, Augustin dit que le péché d’un frère doit être montré à d’autres (c’est-à-dire à des témoins), par lesquels il sera convaincu, s’il nie. Or, quelqu’un ne peut être convaincu par un seul témoin, car toute parole doit venir de la bouche de deux ou trois témoins. Il est donc incorrectement dit qu’un seul témoin ou deux doivent être mis de l'avant, car il faut qu’il y en ait toujours au moins deux.

[18123] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, correptio etiam debet fieri de peccato semel facto. Sed ad illud quod jam factum est, non possunt adhiberi testes, ut videant qui non viderunt: quandoque etiam non reiteratur de facili; aut si reiteratur, peccator sibi a corripiente cavet, ne etiam ipse videre possit peccantem, nedum nisi alios inducat ad videndum: nec iterum debet ille qui peccatum fratris scit, ei dare aliquam occasionem peccatum iterandi, ut deprehendi possit, quia sic esset peccati particeps. Ergo videtur quod testium inductio non requiratur ad correptionem.

3. On doit reprendre même d’un péché qui ne s’est produit qu’une seule fois. Or, il ne peut y avoir de témoins pour ce qui a déjà été fait, de sorte qu’ils voient ce qu’ils n’ont pas vu. Parfois aussi, cela ne se répète pas facilement ou, si cela se répète, le pécheur échappe à celui qui reprend, de sorte que même lui ne puisse voir celui qui pèche, encore bien moins s’il en incite d’autres à voir. Et celui qui connaît le péché d’un frère ne doit pas lui donner une autre occasion de pécher afin de pouvoir le prendre sur le fait, car il participerait alors à son péché. Il semble donc que l’appel à des témoins ne soit pas nécessaire pour reprendre.

[18124] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, dicere praelato, est dicere Ecclesiae. Sed Augustinus dicit in regula, quod antequam aliis demonstretur, per quos convincendus est, si negaverit, prius praeposito debet ostendi, si neglexerit admonitus corrigi. Ergo videtur quod testium adhibitio non debeat praecedere denuntiationem, sed sequi.

4. Parler à un supérieur, c’est parler à l’Église. Or, Augustin dit dans la Règle, qu’avant de le faire connaître à d’autres, par lesquels il doit être convaincu, on doit le faire connaître au supérieur, si celui qui est averti a négligé de se corriger. Il semble donc que la présentation de témoins ne doive pas précéder la dénonciation, mais la suivre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Faut-il reprendre durement lors d’un avertissement ?]

[18125] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod correptio quantum ad monitionem debet esse dura. Matth. 3, 7, et Lucae 3, 7, Joannes Baptista dixit: genimina viperarum; quae fuit durissima correptio. Ergo videtur quod debeat aliquis alterum dure corrigere.

1. Il semble qu’il faille reprendre durement dans l’avertissement. En Mt 3, 7 et Lc 3, 7, Jean Baptiste disait : Engeance de vipères ! ce qui était une manière très dure de reprendre. Il semble donc qu’on doive en corriger un autre durement.

[18126] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Tit. 1, 13, dicitur: argue illos dure.

2. Il est dit en Tt 1, 13 : Reprends-les sévèrement.

[18127] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad correptionem fraternam incitat ira per zelum. Sed ira asperitatem habet. Ergo debet aliquis aspere corrigi.

3. La colère incite à reprendre fraternellement avec empressement. Or, la colère comporte une rudesse. Il faut donc que la correction soit rude.

[18128] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Gal. 6, 1: vos qui spirituales estis instruite hujusmodi in spiritu lenitatis. Ergo videtur quod non debeat dure corripi.

Cependant, [1] il est dit en Ga 6, 1 : Vous, qui êtes spirituels, instruisez ceux-là dans un esprit de douceur. Il semble donc qu’ils ne doivent pas être corrigés durement.

[18129] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit: corripiat justus in misericordia, et arguat. Ergo debet esse lenis correptio.

[2] Augustin dit : « Que le juste corrige et reprenne avec miséricorde. » Il faut donc reprendre avec douceur.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18130] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum philosophum in 5 Ethic., minus malum, ex hoc quod praeeligitur respectu magis mali, accipit rationem magis boni; et ideo medicus corporalis hominem, si potest, ab infirmitate totaliter liberat; si autem non potest, eligit minus malum, ut occurrat magis malo; sicut amputare unum membrum, ne totum corpus inficiatur; et hunc ordinem dominus servari praecepit, cum peccatoribus corripiendo spiritualiter medicamur. Peccator autem ex peccato duo mala incurrit; innocentiae damnum, et famae dispendium: et ideo prius tentandum est ut taliter innocentia restituatur quod fama etiam conservetur. Sin autem, debet negligi fama, ut conscientia reparetur, famae etiam dispendio subveniri, si aliter non potest, debet quantum potest; ut scilicet primo paucis, et postea multis crimen prodatur. Et ideo dominus hunc ordinem corripiendi statuit, ut primo frater corripiatur secreto, ut sic et innocentiam recuperet, et famam non perdat: quod si haec medicina non fuerit efficax, debet paucis ostendi, ut non totaliter fama perdatur; et deinde si non corripitur, debet omnino fama negligi, et in publicum prodi: quod si etiam publica correptio vel admonitio non profuerit, debet omnino abscindi judicio Ecclesiae, ut sit sicut ethnicus et publicanus. Et ideo dicendum, quod sicut correptio fraterna cadit in praecepto, ita et correptionis ordo.

 

Selon le Philosophe, Éthique, V, un mal moindre, du fait qu’il est préféré à un plus grand mal, reçoit le caractère de plus grand bien. C’est pourquoi le médecin corporel libère entièrement un homme de la maladie, s’il le peut; mais s’il ne le peut pas, il choisit un moindre mal pour s’opposer à un plus grand mal, comme amputer un membre pour éviter que tout le corps ne soit infecté. C’est cet ordre que le Seigneur a ordonné de suivre, lorsque nous soignons les pécheurs en les reprenant spirituellement. Or, le pécheur encourt deux maux par le péché : la perte de l’innocence et la perte de sa bonne renommée. Il faut donc plutôt essayer de lui restituer son innocence que préserver aussi sa bonne renommée. Mais, autrement, il faut négliger la bonne renommée pour que la conscience soit restaurée, et, si on ne peut faire autrement, rémédier aussi à la perte de la bonne renommée autant que possible, à savoir, que la faute soit d’abord révélée à un petit nombre, puis, par la suite, à un grand nombre. C’est pourquoi le Seigneur a établi la manière de reprendre : d’abord, un frère doit être repris en secret, afin de retrouver ainsi son innocence et de ne pas perdre sa bonne renommée ; mais si ce remède n’a pas été efficace, [la faute] doit être révélée à un petit nombre, afin que la bonne renommée [du frère] ne soit pas totalement perdue. Ensuite, s’il ne se corrige pas, la bonne renommée doit être totalement négligée et il faut la révéler en public. Et si le fait de le reprendre ou de l'avertir n’a servi à rien, il doit être totalement séparé de l’Église, afin d’être comme un païen et un publicain. Il faut donc dire que, de même que reprendre fraternellement relève d’un précepte, de même l’ordre dans la manière de reprendre.

[18131] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in observatione praeceptorum semper ad intentionem praecipientis et rationem praecepti attendendum est. Ideo autem dominus praecepit ut secreta admonitio publicam denuntiationem praecederet, ut expectaretur emendatio vitae, et famae parceretur peccatoris: et quia dominus sciebat Judam non emendandum fore, si ipsum admoneret, sed magis exasperandum; quia non est probabile quod verba moverent quem tot miracula visa non moverent; ideo ipsum non praemonuit: et quia etiam sciebat ex hoc forte magis exasperandum, et deteriorem fieri. Nec tamen est simile de ipso et nobis: quia ipse secreta cordium sciebat, et futuros eventus, non autem nos; et ideo, nisi certissimis signis appareat incorrigibilitas, et exasperatio ipsius futura, non debet fraterna admonitio praetermitti. De Petro autem dicendum est, quod forte peccatum eorum erat publicum, vel statim publicandum: vel forte sciebat monitionem ipsis non valituram: vel etiam consilio spiritus sancti fecit ad terrorem, quia hoc competebat statui primitivae Ecclesiae, ne veniret ejus auctoritas in contemptum. De Paulo autem patet responsio. Quia Petrus coram omnibus peccavit, ideo oportebat eum coram omnibus redargui. Hic autem ordo servandus est in peccatis occultis; unde dicitur: si peccaverit in te, idest te solo sciente.

 

1. Dans l’obervance des commandements, il faut toujours porter attention à l’intention de celui qui commande et à la raison du commandement. C’est pourquoi le Seigneur a ordonné qu’un avertissement secret précède la dénonciation publique afin d’espérer le redressement de la vie et d’épargner la bonne renommée du pécheur. Et parce que le Seigneur savait que Judas ne se redresserait pas s’il l’avertissait, mais plutôt s’exaspérerait (car il n’est pas probable que des paroles émouvraient celui que la vue de tant de miracles n’avait pas ému), il ne l’avertit donc pas à l’avance ; parce qu’il savait aussi qu’il en serait peut-être davantage exaspéré et deviendrait pire. Mais il n’en va pas de même de lui et de nous, car lui connaissait les secrets des cœurs et les événements à venir, mais pas nous. C’est pourquoi, à moins que l’incorrigibilité et l’exaspération future ne se manifestent par des signes très certains, l’avertissement fraternel ne doit pas être omis. Mais, à propos de Pierre, il faut dire que leur péché n’était peut-être pas public ou qu’il était sur le point de devenir public, ou qu’il savait que son avertissement n’aurait aucune valeur, ou qu’il agit selon le conseil de l’Esprit Saint pour faire peur, car cela convenait à l’état de l’Église primitive que son autorité ne soit pas méprisée. À propos de Paul, la réponse est claire : parce que Pierre avait péché devant tous, le reproche devait lui être adressé devant tous. Mais cet ordre doit être sauvegardé pour les péchés publics. Aussi est-il dit : S’il a péché contre toi, c’est-à-dire que toi seul le sais.

[18132] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in peccatis considerandum est, utrum peccatum sit omnino occultum, aut ad notitiam aliorum devenerit, aut in promptu sit ut deveniat. Si autem peccatum jam ad notitiam aliorum devenerit, tunc debet denuntiari ei qui habet potestatem corrigendi, ut qui sunt scandalizati de culpa, aedificentur de poena. Si autem nondum in publicum devenit, sed est in via deveniendi; tunc etiam denuntiandum est, ut scandalo futuro occurratur. Si autem sit omnino occultum, tunc considerandum est, utrum emendatio peccantis expectari probabiliter possit, aut non; quod quidem facile adverti poterit, si consideretur utrum aliquis ex electione vel passione peccavit, sive ex malitia vel infirmitate, quod idem est; quod quidem perpendi potest ex conditione peccantis, et ex iteratione actus. Quia si aliquis frequenter et quasi improhibite sine freno in aliquod peccatum lapsus est, signum est quod ex malitia vel electione peccat, et non facile emendetur. Si autem semel occasione peccandi oblata, in peccatum ruit, et postea tristitiam et verecundiam de peccato ostenderit, signum est quod sit peccatum ex passione vel ex infirmitate, et quod de facili emendetur. Si ergo emendatio speretur, debet admonitio praecedere, et denuntiatio differri quousque videatur quomodo emendatur peccator; nisi forte immineret occasio similis in peccatum ruendi, quam tamen declinare non vellet admonitus; tunc enim deberet praelato denuntiari, ne in praecipitium iret. Si autem non speretur emendatio, tunc considerandum est, an illud peccatum sit infectivum aliorum, sicut est haeresis vel fornicatio, vel aliquid hujusmodi; aut etiam cedat in aliquod damnum alterius, sicut furtum vel homicidium, et hujusmodi. Si enim non cedat in damnum alterius, nec sit infectivum peccatum, tunc potest denuntiatio differri quousque videatur admonitionis effectus, praecipue si emendationem promittit. Si autem est infectivum aliorum, debet denuntiari praelato, ut gregi suo caveat. Sicut enim dicit Hieronymus, quae misericordia est parcere uni, et multos in discrimen adducere ? Polluitur populus ex uno peccatore, sicut ex una ove morbida universus grex. Semper enim bonum multorum debet praeferri bono unius. Unde etiam fama unius negligi debet, ut innocentia vel fama multitudinis conservetur. Si autem vergat in damnum corporale alterius, debet fieri comparatio illius damni ad damnum famae istius, et illi damno quod praeponderat obviandum magis.

 

2. Pour les péchés, il faut se demander si un péché est entièrement occulte ou s’il est venu à la connaissance d’autres, ou s’il est sur le point d’y venir. Si un péché est déjà venu à la connaissance d’autres, il doit alors être dénoncé à celui qui a le pouvoir de le corriger, afin que ceux qui sont scandalisés par la faute soient édifiés par la peine. Mais s’il n’est pas encore devenu public, mais est en voie de le devenir, il faut alors aussi le dénoncer afin de faire obstacle au scandale à venir. Mais s’il est entièrement occulte, alors il faut se demander si on peut espérer de manière probable que le pécheur s’amende ou non. On pourra facilement le relever si l’on prend en compte que quelqu’un a péché par choix ou par passion, par malice ou par faiblesse, ce qui est la même chose : cela peut être évalué à partir de la condition du pécheur et de la répétition de l’acte. Car si quelqu’un est tombé fréquemment et comme sans retenue dans un péché, c’est le signe qu’il pèche par malice ou par choix, et qu’il ne s’amendera pas facilement. Mais s’il s’est précipité dans le péché une seule fois, alors que l’occasion de pécher lui était offerte, et que, par la suie, il a montré de la tristesse et de la honte pour ce péché, c’est le signe qu’il s’agit d’un péché par passion ou par faiblesse, et qu’il s’amendera facilement. Si donc on espère qu’il se corrigera, un avertissement doit précéder et la dénonciation doit être reportée jusqu’à ce qu’on voie comment le pécheur se corrige, à moins qu’une occasion semblable de se précipiter dans le péché ne menace et que, averti, il ne voudrait pas s’en écarter : alors, il devrait être dénoncé au supérieur, pour qu’il ne tombe pas dans le précipice. Mais si on n’espère pas qu’il s’amende, alors il faut se demander si ce péché peut en infecter d’autres, comme dans le cas de l’hérésie ou de la fornication, ou de quelque chose du genre ; ou s’il tourne au préjudice de quelqu’un d’autre, comme le vol, l’homicide et [les péchés] de ce genre. En effet, s’il ne tourne pas au préjudice d’un autre et n’est pas un péché contagieux, la dénonciation peut alors être reportée jusqu’à ce qu’on voie les effets de l’avertissement, surtout si [le pécheur] promet de s’amender. Mais si [le péché] est contagieux pour d’autres, il doit être dénoncé au supérieur afin qu’il l’évite à son troupeau. En effet, comme le dit Jérôme : « Quelle miséricorde y a-t-il à en épargner un et à faire tort à un grand nombre ? Le peuple est infecté par un seul pécheur, comme tout le troupeau est infecté par une seule brebis malade. » En effet, le bien d’un grand nombre doit toujours être placé au-dessus du bien d’un seul. Aussi même la bonne renommée d’un seul doit-elle être négligée pour que l’innocence ou la bonne renommée de la multitude soient préservées. Mais si cela tourne à un préjudice corporel pour un autre, il faut comparer ce préjudice au préjudice de la bonne renommée [du pécheur], et il faut plutôt s’opposer au préjudice qui l’emporte.

[18133] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de levibus peccatis non surgit infamia nec scandalum, et ideo de talibus non est vis, si quis in capitulo accusetur, admonitione praetermissa: nisi forte probabiliter credi possit quod tali accusatione magis deterioratur qui corrigitur; et collegio etiam non multum prosit, cujus bonum semper praeponendum est bono unius; unde et aliquando, etiam si peccantis emendatio non expectetur, potest aliquis coram multitudine accusari, si profectus multitudinis credatur; sed de peccatis ex quibus posset infamiam surgere, non deberet aliquis in publico accusari, nisi aliis praemissis quae ordo fraternae correptionis deposcit; et graviter peccaret accusans, sicut fratrem suum infamans.

3. La mauvaise renommée ni le scandale ne proviennent de péchés légers; aussi n’est-ce pas une calamité si quelqu’un en est accusé au chapitre sans qu’un avertissement ait précédé, à moins qu’on puisse croire de manière probable que celui qui est corrigé est davantage empiré par une telle accusation et que cela n’est pas très utile pour la communauté, dont le bien doit toujours être placé au-dessus du bien d’un seul. Aussi, même si l’on n’espère pas que le pécheur s’amende, peut-il parfois être accusé devant un grand nombre si l’on croit à un progrès du grand nombre. Mais on ne devrait pas accuser quelqu’un en public de péchés dui peuvent entraîner une mauvaise renommée, avant d’avoir d’abord fait ce que la manière ordonnée de reprendre un frère exige. L’accusateur pécherait gravement en donnant mauvaise réputation à son frère.

[18134] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam ad accusationem, ut quidam dicunt, procedi non debet secundum forum conscientiae, monitione non praemissa, nec emendatione expectata, nisi forte majori periculo obviandum videatur, aut peccatum sit publicum; quamvis secundum forum causarum non requiratur quod accusationem praecedat admonitio, sed solum inquisitio. Inquisitio vero non est facienda nisi de notorio peccato; quia oportet quod inquisitionem praecedat clamosa insinuatio: et ideo secreta admonitio non requiritur de necessitate. Vel dicendum secundum alios, quod in accusatione non agitur ad emendationem peccantis, sed ad bonum commune, scilicet justitiam conservandam per punitionem delinquentis; et ideo accusatio in judicio bona conscientia potest fieri, etiam si admonitio non praecedat, nec est contra praeceptum domini, quod intelligitur, quando agitur ad emendationem peccantis.

 

4. Comme certains le disent, on ne doit pas procéder à une accusation au for de la conscience sans avoir d’abord donné un avertissement ni avoir attendu que [le pécheur] s’amende, à moins que ce ne soit pour s’opposer à un plus grand danger, ou que le péché soit public, bien que, au for judiciaire, il n’est pas exigé qu’un avertissement précède l’accusation, mais seu-lement l’inquisition. Mais on ne doit faire d’inquisition qu’à propos d’un péché notoire, car il est nécessaire qu’une suggestion retentissante précède l’inquisition : aussi un avertissement secret n’est-il pas exigé de manière nécessaire. Ou bien il faut dire, selon d’autres, que, par l’accusation, on n’agit pas en vue de l’amendement du pécheur, mais en vue du bien commun, à savoir, la préservation de la justice par la punition du fautif. C’est pourquoi une accusation peut être portée en bonne conscience dans un jugement, même si un avertissement ne précède pas, et ce n’est pas aller contre le précepte du Seigneur, dont on comprend qu’il est donné en vue de l’amendement du pécheur.

[18135] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod praeceptum alicui factum a praelato suo de peccato alterius publicando in eo casu in quo publicari non debet, potest fieri vel in judicio, vel extra judicium. Si extra judicium, peccat praecipiens; nec ille cui praecipitur, obedire tenetur. Si autem in judicio ordine juris exigente judex alicui praecipiat ut peccatum suum vel alterius confiteatur, non peccat praecipiendo, quia ipse non exigit, sed accusans cui judex jus reddere debet; et tunc tenetur quis profiteri ad praeceptum judicis peccatum suum, vel alterius; vel appellare, si contra ordinem juris ei praecipiatur; et tunc publicans peccatum occultum, vitat majus malum, scilicet disciplinae juris enervationem. Tamen judex deberet dissimulare quantum posset, ne tale praeceptum faceret salvo ordine juris, et praecipue in capitulo, ubi magis per aequitatem procedendum est quam secundum rigorem juris.

5. L’ordre donné à quelqu’un par son supérieur de rendre public le péché d’un autre dans un cas où il ne doit pas être rendu public peut être donné soit lors d’un jugement, soit en dehors d’un jugement. Si c’est en dehors d’un jugement, celui qui ordonne pèche et celui à qui l’ordre est donné n’est pas obligé d’obéir. Mais si, lors d’un jugement, selon que l’exige l’ordre du droit, un juge ordonne à quelqu’un de confesser son propre péché ou celui d’un autre, [le juge] ne pèche pas en ordonnant, car ce n’est pas lui qui l’exige, mais celui qui accuse, à qui le juge doit rendre justice. Alors, on est tenu de confesser son propre péché ou celui d’un autre sur l’ordre du juge, ou d’en appeler, si cela est ordonné à l’encontre de l’ordre du droit. Alors, celui qui rend public un péché occulte évite un plus grand mal, à savoir, l’affaiblissement de la discipline du droit. Cependant, un juge devrait n’y pas porter attention autant qu’il le peut afin d’éviter de donner un tel ordre, tout en sauvegardant l’ordre du droit, surtout au chapitre, où il faut procéder plutôt selon l’équité que selon la rigueur du droit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18136] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quando medicina levis, a qua incipiendum est, non proficit, tunc debet medicus efficaciorem medicinam apponere; non tamen statim efficacissimam, sed paulatim procedendum est, ut quam minus potest fieri, gravetur ille cui medicari volumus; et ideo si prima medicina, secreta admonitio praecedens secreta, non prosit, quia peccatum iterari videtur; oportet ad ulteriora procedi, ut paucis ostendatur, et talibus qui possunt prodesse, et quibus non creditur quod obsint diffamando; et illi principaliter adhibentur ut admoneant; secundo ut admonitionis factae sint testes; tertio ut negantem coram Ecclesia convincant, ut Augustinus dicit in regula: prius tamen, scilicet quam in publicum prodatur, alteri vel tertio demonstretur, ut duorum vel trium possit ore convinci.

Lorsque le remède léger par lequel il faut commencer n’obtient pas de résultats, le médecin doit alors recourir à un remède plus efficace; toutefois, il ne faut pas passer immédiatement au remède le plus efficace, mais peu à peu, afin que celui que nous voulons traiter soit affecté le moins possible. Ainsi, si le premier remède, l’avertissement secret qui précède, ne donne pas de résultats, parce que le péché semble être répété, il faut aller plus loin : manifester celui-ci à d’autres, à des gens qui peuvent être utiles et à qui on ne croit pas qu’ils s’y opposent en vue de diffamer. Ceux-ci s’emploient principale-ment à avertir; en second lieu, à être des témoins de l’avertissement qui a été donné; en troisième lieu, à convaincre celui qui nie devant l’Église, comme Augustin le dit dans la Règle : avant de le livrer au public, « qu’il soit montré à un deuxième ou à un troisième, afin qu’il puisse être convaincu par la bouche de deux ou trois ».

[18137] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quidam dicunt, quod iste modus corripiendi servandus est, quando peccatum non est omnino publicum nec omnino occultum, sed ab aliquibus scitum; unde dicunt, quod non possunt alii advocari, nisi qui sciunt, ad quos etiam pertinet correptio. Sic enim exponunt: si peccaverit in te, idest te solo sciente, frater tuus, corripe eum inter te et ipsum solum. Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Si te non audierit, et nullus alius sciat, non debes ultra procedere. Si autem aliquid alii sciant, adhibe tecum adhuc unum vel duos. Sed hoc non videtur esse secundum intentionem Evangelii; quia si illi qui adhibentur, alias scivissent, non oporteret eos adhibere ad videndum, sed statim per eos posset convinci. Et praeterea Hieronymus dicit, quod non est misericordia parcere uni, et omnes in discrimen adducere; quod fieret, si peccatum quod est aliis nocivum, non publicaretur ad correptionem. Unde patet quod si peccatum in aliorum detrimentum vergat, debet aliis dici, quantumcumque sit occultum; et etiam si non vergat in detrimentum alterius nisi in illius qui peccat, ut patet secundum Augustinum in regula, ubi sic dicit: innocentes non estis, si fratres vestros, quos judicando corrigere potestis, tacendo perire permittatis. Nec ex hoc aliquis efficitur proditor criminis; quia non manifestat crimen ad infamandum, sed ad corrigendum.

1. Certains disent que cette manière de reprendre doit être observée lorsque le péché n’est ni entièrement public ni entièrement occulte, mais est connu de quelques-uns. Ils disent donc qu’ils ne peuvent faire appel à d’autres que ceux qui sont au courant, à qui il appartient de reprendre. En effet, telle est l’interprétation qu’ils donnent de : Si ton frère a péché contre toi, à savoir que tu es le seul à le savoir, reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, et que personne d’autre ne le sait, tu ne dois pas aller plus loin. Mais si quelques-uns savent quelque chose, prends-en un ou deux avec toi. Mais cela ne semble pas être conforme à l’intention de l’évangile, car si ceux à qui on fait appel le savaient d’une autre manière, il ne serait pas nécessaire de faire appel à eux pour qu’ils voient, mais [le fautif] pourrait être immédiatement convaincu par eux. De plus, Jérôme dit que ce n’est pas de la miséricorde d’en épargner un en portant préjudice à tous, si le péché qui est nuisible à d’autres n’est pas rendu public en vue de reprendre. Il est donc clair que si le péché tourne au détriment des autres, il doit être rapporté à d’autres, aussi occulte soit-il, même s’il ne tourne au détriment de personne d’autre que de celui qui pèche, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans la Règle : « Vous n’êtes pas innocents si, en vous taisant, vous permettez que périssent vos frères, que vous pouvez corriger en les jugeant. » Et l’on ne devient pas délateur d’une faute à cause de cela, car on ne révèle pas la faute en vue de diffamer, mais en vue de corriger.

[18138] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unus testis inducitur ad admonendum, sed duo ad convincendum. Vel dicendum, quod ipse denuntians cum uno teste sufficit ad denuntiandum, quia per hoc fit aliqua praesumptio judici; sed ad decisionem causae requiruntur duo testes.

2. Un seul témoin est présenté en vue d’avertir, mais deux en vue de convaincre. Ou bien il faut dire que celui-là même qui dénonce avec un seul témoin suffit pour une dénonciation, car le juge en tire une présomption; mais, pour trancher la cause, deux témoins sont nécessaires.

[18139] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest intelligi quod aliquis ex praecedenti monitione non sit emendatus, nisi per hoc quod actum iterat; unde ad hoc inducendi sunt testes, ut actum iteratum videant, ut patet per Augustinum, qui dicit: prius alteri, vel tertio demonstrandum, scilicet actum peccati. Non tamen debet aliqua occasio praeberi ut peccatum iteret, intentione convincendi; quia non sunt facienda mala ut veniant bona; Rom. 3. Si tamen actus iterati ostendi testibus non possint, debent tamen adhiberi, ut coram ipsis recognoscat, vel saltem ut ipsi admoneant, ut objurgatio plurimorum eum corrigat, ut ibidem Glossa dicit; et has duas causas Glossa Interl. ex Hieronymo tangit ibidem super illud: adhibe tecum etc.; studio scilicet corrigendi vel convincendi.

 

3. On ne peut comprendre que quelqu’un ne s’est pas amendé à la suite d’un avertissement que par le fait qu’il répète l’acte. Aussi deux témoins doivent-ils être invoqués pour qu’ils voient l’acte répété, comme cela ressort d’Augustin qui dit : « Il faut d’abord le montrer à un deuxième ou à un troisième », à savoir, l’acte du péché. Toutefois, on ne doit pas prêter occasion à la répétition de l’acte dans l’intention de convaincre, car on ne doit pas faire le mal pour qu’en sorte le bien, Rm 3. Cependant, si les actes répétés ne peuvent être montrés a des témoins, ceux-ci doivent cependant être présentés afin que [le fautif] les reconnaisse devant eux ou, tout au moins, qu’ils l’avertissent, afin que la réprimande de plusieurs le corrige, comme la Glose le dit au même endroit. La glose interlinéaire aborde au même endroit ces deux raisons tirées de Jérôme commentant : Prends avec toi, etc. : « En vue de corriger ou de convaincre. »

[18140] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praelatus potest dupliciter considerari; aut secundum quod judicio praesidet: et sic dicere praelato est dicere Ecclesiae; et sic prius debent testes adhiberi quam praelato dicatur: aut extra judicium existens; et sic dicere praelato non est dicere Ecclesiae, sed personae quae potest prodesse et non obesse; quia nullus magis potest prodesse quam praelatus; et secundum hoc debet prius dici praelato quam testibus ostendi aliis, ut quanto minus potest fieri, publicetur; et tunc praelatus adhibetur quasi unus de testibus. Talis enim debet esse ordo correptionis fraternae, quem Augustinus in regula tradit, ut cum quis oculi petulantiam, vel aliud peccatum quodcumque in fratre suo advertit, statim admonere debet, ne coepta progrediantur, sed de proximo corrigantur. Quod si post admonitionem iterum vel tertio id facere videatur, tunc debet quasi vulneratus sanandus manifestari. Sed antequam in publicum prodatur, quod fit cum Ecclesiae dicitur, prius debet alteri vel tertio demonstrari, quod est adhibere unum vel duos testes; et inter eos quibus ostendi debet, antequam aliis ostendatur, per quos convincendus est, si negaverit, prius praeposito debet ostendi post admonitionem, ut secretius correptus non innotescat ceteris. Et ita primo debet admoneri; secundo praelato ostendi; tertio testes adhiberi; quarto in publicum produci convincendus, si negaverit. Sed duo media dominus sub uno comprehendit.

4. Un supérieur peut être envisagé de deux manières. Soit qu’il préside à un jugement, et ainsi parler à un supérieur, c’est parler à l’Église : de cette manière, des témoins doivent être obtenus avant qu’on parle au supérieur. Soit il se trouve en dehors d’un jugement, et ainsi parler à un supérieur, ce n’est pas parler à l’Église, mais à une personne qui peut être utile et ne pas nuire, car personne ne peut être plus utile que le supérieur : de cette manière, il faut d’abord en parler au supérieur avant de le montrer à d’autres témoins, de sorte que [la faute] soit rendue le moins publique possible. Alors, le supérieur est pris comme un des témoins. En effet, tel est l’ordre selon lequel il faut reprendre un frère, exprimé par Augustin dans la Règle, que lorsqu’on remarque l’insolence d’un regard ou n’importe quel autre péché chez son frère, on doit aussitôt l’avertir, afin qu’il n’aille pas plus loin dans ce qu’il a entrepris, mais que cela soit corrigé par son prochain. Si, après un avertissement, il semble faire cela une deuxième ou une troisième fois, il doit alors être mis à découvert comme un blessé qui doit être soigné. Mais avant de livrer [sa faute] en public, ce qui arrive lorsqu’on le dit à l’Église, il faut la montrer à un deuxième ou à un troisième, ce qui consiste à trouver un ou deux témoins. Parmi ceux à qui il doit être montré avant d’être montré à d’autres qui doivent le convaincre, s’il nie, il doit être montré à un premier après l’avertissement, afin que celui qui est repris plus secrètement ne soit pas connu des autres ; il doit ainsi d’abord être averti. Deuxièmement, il doit être montré au supérieur. Troisièmement, il faut obtenir des témoins. Quatrièmement, il faut rendre [la faute] publique pour qu’il soit convaincu, s’il nie. Mais le Seigneur inclut les deux étapes intermédiaires sous une seule.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18141] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum Gregorium in pastorali, nonnulla peccata sunt leviter corrigenda. Nam cum non malitia, sed ignorantia sola vel infirmitate delinquitur, necesse est ut magno moderamine ipsa delicti correptio temperetur (...). Nonnulla autem sunt vehementer increpanda, ut cum culpa ab auctore non agnoscitur quanti sit ponderis, ab increpantis ore sentiatur; et cum quis sibi malum quod perpetravit levigat, hoc contra se graviter ex corripientis asperitate pertimescat. Et quamvis ille loquatur de correptione quae praelatis competit, tamen etiam in correptione quae ab aliis fit, hoc est observandum; quamvis fraterna correptio semper magis debeat ad lenitatem accedere; quia non ex auctoritate officii, sed ex caritatis affectu exhibeatur.

 

Selon Grégoire dans le Pastoral, « certains péchés doivent être corrigés légèrement, car lorqu’on a péché, non pas par malice, mais seulement par ignorance ou par faiblesse, il faut reprendre de manière mesurée avec une grande modération… Mais certains péchés doivent être blâmés avec force, comme lorsque l’auteur de la faute n’en reconnaît pas la gravité, il faut qu’il l’apprenne de la bouche de celui qui le blâme ; et lorsque quelqu’un minimise à son avantage le mal qu’il a commis, il faut qu’il éprouve de la crainte par la dureté de celui qui le blâme sévèrement. » Bien qu’il parle de la manière de reprendre qui convient aux supérieurs, cela doit être observé aussi lorsque d’autres reprennent, bien que reprendre un frère doive toujours pencher du côté de la douceur, car cela n’est pas accompli en vertu de l’autorité d’une fonction, mais par un sentiment de charité.

[18142] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections sont ainsi claires.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 19

[18143] Super Sent., lib. 4 d. 19 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Moyses et Aaron sacerdotes. Moyses sacerdos dicitur non officio oblationes offerendi, sed quia sacra primitus populo dedit immediate a Deo accepta, Psal. 98, 6: Moyses et Aaron in sacerdotibus ejus. Cum esset pontifex anni illius, prophetavit. Sciendum, quod in verbo Caiphae fuerunt quatuor. Primo inspiratio immissa, per quam utilitas passionis Christi cordi ejus inspirata fuit a spiritu sancto; secundo intellectus quem ipse ex illa inspiratione concepit; tertio intentio exprimendi intellectum suum, et ad effectum perducendi; quarto verba ipsa prolata. Primum quidem fuit quaedam participatio prophetiae; secundum fuit falsus intellectus a seipso; tertium fuit iniqua intentio: quantum fuit vera locutio, quamvis non secundum intellectum ejus; et ideo primum fuit a spiritu sancto, non autem secundum, neque tertium; sed quartum aliqualiter fuit a spiritu sancto regulante verba illius ut consonarent inspirationi ab eo factae. Nullus officio sacerdotis uti debet nisi immunis sit ab illis quae in aliis judicat. Hoc intelligendum est de mortalibus: quia sacerdos potest sine peccato de illis venialibus absolvere in quibus ipse est: quia per ea non redditur executione officii indignus. Ideo liberavit peccatricem, quia non erat qui juste projiceret lapidem; idest, ex hoc occasionem liberationis ejus sumpsit. Diligens ergo investigator sapienter interroget a peccatore quod forsitan ignorat, vel verecundia velit occultare. Sed contra, defecerunt scrutantes scrutinio, qui scrutati sunt iniquitates, ut dicitur in Psal. 63. Ergo videtur quod sacerdos non debeat perscrutari conscientiam subditorum. Et dicendum, quod sacerdos debet perscrutari conscientiam peccatoris in confessione quasi medicus vulnus, et judex causam: quia frequenter quae prae confusione confitens taceret, interrogatus revelat. Sed tamen in interrogationibus faciendis tria sunt attendenda. Primo ut quilibet peccator interrogetur de peccatis quae consueverunt in hominibus illius conditionis abundare. Non enim oportet quod a milite quaeratur de peccato clericorum aut religiosorum, aut e converso. Secundo ut non fiat explicita interrogatio de peccatis, nisi de illis quae omnibus manifesta sunt; de aliis autem adinventionibus peccatorum ita debet a longinquo fieri interrogatio, ut si commisit, dicat; et si non commisit, non addiscat. Tertio ut de peccatis praecipue carnalibus non descendat nimis ad particulares circumstantias: quia hujusmodi delectabilia quanto magis in speciali considerantur, magis concupiscentiam nata sunt movere, ut dicitur in 3 Ethic.; et ideo potest contingere ut confessor talia quaerens et sibi et confitenti noceat; et sic quandoque deficiant in suo scrutinio iniquitates scrutantes. Maledicam benedictionibus vestris, quae scilicet ita sunt vestrae quod non Dei.

 

 

 

Distinctio 20

Distinction 20 [Les conséquences de la pénitence]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Corollaires de la pénitence]

 

 

Prooemium

Prologue

[18144] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de poenitentia, et de potestate ministrorum quibus competit dispensatio hujus sacramenti, hic determinat quaedam quae poenitentiam consequuntur; et dividitur in partes duas: in prima determinat tempus poenitentiae; in secunda determinat quaedam quae ad defectum poenitentiae pertinent, 22 dist., ibi: cumque multis auctoritatibus supra sit assertum, in vera cordis contritione peccata dimitti (...) quaeritur et cetera. Prima in duas: in prima ostendit tempus poenitentiae usque ad finem vitae esse; in secunda movet quasdam quaestiones quae ex praedictis ortum habent, 21 dist., ibi: solet etiam quaeri et cetera. Prima in duas: in prima ostendit quod tempus poenitentiae durat usque ad finem vitae; in secunda ostendit qualiter sit agendum cum illis qui in fine poenitent, ibi: solet etiam quaeri, utrum satisfactionis lex morituris sit imponenda. Prima in duas: in prima ostendit quomodo hi qui in fine vitae poenitent, consequuntur remissionem peccatorum, quamvis adhuc sint debitores poenae temporalis, quam in Purgatorio post mortem sustinebunt; in secunda ostendit quod eadem poena debetur eis qui qualitercumque in hac vita condignam satisfactionem non implent, ibi: si vero quaeritur de illis qui in hac vita poenitentiam non complent et cetera. Circa primum tria facit: primo ostendit quod usque ad finem vitae manet poenitentiae locus; secundo objicit in contrarium, ibi: Augustinus tamen de poenitentiam differentibus ita scribit; tertio solvit, ibi: sed quare hoc dixit Augustinus ? Ubi ex verbis Augustini ostendit quare non sit poenitentia differenda usque ad finem vitae, propter duo: primo propter poenitendi difficultatem; secundo propter poenam Purgatorii quae restat, ibi: sed si etiam sic conversus vita vivat, et non moriatur; non promittimus quod evadat omnem poenam. Si vero quaeritur de illis qui in hac vita poenitentiam non complent (...) idem dicimus de istis esse sentiendum et de his qui in extremis poenitent. Hic ostendit quod poena Purgatorii restat post hanc vitam eis qui hic condignam satisfactionem non agunt; et circa hoc duo facit: primo ostendit hoc de illis qui poenitentiam injunctam non explent; secundo ostendit idem de illis quibus condigna satisfactio non est injuncta, ibi: si vero de illo quaeritur qui satisfactionem injunctam impleverit, quae ignorantia vel negligentia sacerdotis, peccato condigna non fuit, utrum de vita migrans ab omni peccato liber sit; idem respondeo. Solet etiam quaeri, utrum satisfactionis lex morituris sit imponenda. Hic ostendit qualiter sit agendum cum illis qui in fine poenitent; et circa hoc duo facit: primo ostendit hoc quantum ad satisfactionis injunctionem; secundo quantum ad reconciliationem: sciendum etiam, quod tempore necessitatis non est neganda poenitentia, vel reconciliatio poenitentibus. Ubi duo facit: primo ostendit quod tempore ultimae necessitatis non est reconciliatio deneganda poenitenti; secundo ostendit quod alio tempore simplex sacerdos reconciliare poenitentem non potest inconsulto episcopo, ibi: non debet tamen presbyter poenitentem reconciliare inconsulto episcopo, nisi ultima necessitas cogat. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum aliquis in extremo vitae suae per poenitentiam possit consequi veniam peccatorum; 2 de poena quam sacerdos ad satisfaciendum imponit; 3 de relaxatione hujusmodi poenae per indulgentias; 4 quis possit indulgentias dare; 5 quibus prosint.

Après que la Maître a déterminé de la pénitence et du pouvoir des ministres dont relève la dispensation de ce sacrement, il détermine ici de certaines choses qui découlent de la pénitence. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du temps de la pénitence; dans la seconde, il détermine de certaines choses qui se rap-portent à une carence de la pénitence, d. 22, à cet endroit : « Puisqu’on a affirmé plus haut que les péchés sont remis par une véritable contrition du cœur…, on se demande, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le temps de la pénitence dure jusqu’à la fin de la vie ; dans la seconde, il soulève certaines questions qui surgissent de ce qui a été dit, d. 21, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le temps de la pénitence dure jusqu’à la fin de la vie ; dans la seconde, il montre comment il faut se comporter vis-à-vis de ceux qui se repentent en fin de vie, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si la loi de la satisfaction doit être imposée à celui qui va mourir. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre comment ceux qui se repentent en fin de vie obtiennent la rémission des péchés, bien qu’il soient encore débiteurs d’une peine temporelle qu’ils supporteront au purgatoire après leur mort ; dans la seconde, il montre que la même peine est due par ceux qui n’accomplissent pas en cette vie une pénitence adéquate, à cet endroit : « Mais si on s’interroge sur ceux qui n’accomplissent pas leur pénitence en cette vie, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre qu’il y a place pour la pénitence jusqu’à la fin de la vie. Deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Cependant, Augustin écrit au sujet de ceux qui reportent la pénitence. » Troisièmement, il y répond, à cet endroit : « Mais pourquoi Augustin a-t-il dit cela ? » Il montre à cet endroit, à partir des paroles d'Augustin, pourquoi la pénitence ne doit pas être reportée jusqu’à la fin de la vie pour deux raisons : premièrement, en raison de la difficulté de se repentir ; deuxièmement, en raison de la peine du purgatoire qui demeure, à cet endroit : « Mais même si celui qui s’est ainsi converti vit et ne meurt pas, nous ne promettons pas qu’il échappe à toute peine. Mais si on s’interroge sur ceux qui n’accomplissent pas leur pénitence en cette vie…, nous disons que nous avons la même position à leur sujet que pour ceux qui se repentent au dernier moment.» Il montre ici que la peine du purgatoire demeure après cette vie pour ceux qui ne font pas ici une pénitence adéquate. À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre cela pour ceux qui n’accomplissent pas la pénitence imposée. Deuxièmement, il montre la même chose pour ceux à qui une satisfaction adéquate n’a pas été imposée, à cet endroit : « Mais si on se demande, à propos de celui qui a accompli la satisfaction imposée, qui, en raison de l’ignorance ou de la négligence du prêtre, n’était pas adéquate en regard du péché, s’il est libre de tout péché lorsqu’il quitte cette vie, je réponds la même chose. » « On a aussi coutume de demander si la loi de la satisfaction doit être imposée à celui qui va mourir. » Il montre ici comment il faut se comporter avec ceux qui se repentent en fin de vie et, à ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre cela par rapport à l’imposition d’une satisfaction ; deuxièmement, par rapport à la réconciliation : « Il faut savoir aussi qu’en temps de nécessité, la pénitence ou la réconciliation du pénitent ne doit pas être refusée aux pénitents. » Il fait là deux choses. Premièrement, il montre qu’au moment de l’ultime nécessité, la réconciliation ne doit pas être refusée au pénitent ; deuxièmement, il montre qu’en un autre moment, un simple prêtre ne peut réconcilier un pénitent sans avoir consulté son évêque, à cet endroit : « Cependant, le prêtre ne doit pas réconcilier un pénitent sans avoir consulté son évêque, à moins qu’une ultime nécessité ne l’y force. » Cinq questions sont posées ici : 1 – Est-ce que quelqu’un, à la toute fin de sa vie, peut obtenir le pardon de ses péchés par la pénitence ? 2 – Sur la peine que le prêtre impose comme satisfaction. 3 – Sur la remise de cette peine par des indulgences. 4 – Qui peut donner des indulgences ? 5 – À qui servent-elles ?

 

 

Articulus 1 [18145] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliquis in extremo vitae suae poenitere possit

Article 1 – Quelqu’un peut-il se repentir à la toute fin de sa vie ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Quelqu’un peut-il se repentir à la toute fin de sa vie ?]

[18146] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in extremo vitae suae aliquis poenitere non possit. 2 Machab., 9, 13, dicitur de Antiocho: orabat scelestus dominum, a quo non erat misericordiam consecuturus. Hic autem in fine vitae suae erat. Ergo videtur quod in fine poenitentes veniam non consequuntur.

1. Il semble que quelqu’un ne puisse pas se repentir à la toute fin de sa vie. Il est dit en 2 M 9, 13, à propos d'Antiochus : Le scélérat priait le Seigneur, dont il ne devait pas obtenir miséricorde. Or, il était en fin de vie. Il semble donc que ceux qui se repentent en fin de vie n’obtiennent pas le pardon.

[18147] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis vere poenitens peccata dimittit. Sed ille qui in fine vitae poenitet, non dimittit peccata, sed a peccatis dimittitur; quia tunc vult poenitentiam agere, quando peccare non potest, ut in littera dicitur. Ergo videtur quod tunc non consequatur veniam.

2. Tous ceux qui se repentent vraiment rejettent le péché. Or, celui qui se repent en fin de vie ne rejette pas les péchés, mais est rejeté par les péchés, car, il veut alors faire pénitence, alors qu’il ne peut plus pécher, comme on le dit dans le texte. Il semble donc qu’il n’obtienne pas alors le pardon.

[18148] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, contritio, quae est pars poenitentiae, habet annexum propositum confitendi et satisfaciendi. Sed hoc propositum habere non potest qui in fine poenitet; quia nullus proponit quod scit sibi impossibile. Ergo non potest conteri; et ita non consequitur veniam.

3. La contrition, qui est une partie de la pénitence, est associée à un propos de se confesser et de satisfaire. Or, celui qui se repent en fin de vie ne peut avoir ce propos, car personne ne se propose ce qui lui est impossible. Il ne peut donc être contrit et ainsi, il n’obtient pas le pardon.

[18149] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia latro in fine vitae suae poenitens misericordiam invenit, audiens, Luc. 23, 43: hodie mecum eris in Paradiso.

Cependant, le larron a trouvé miséricorde en se repentant en fin de vie. Il entendit, Lc 23, 43 : Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis.

[18150] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sapientia Dei et misericordia vincit humanam malitiam. Sed homo potest usque ad extremum vitae peccare. Ergo potest usque tunc de peccatis per divinam misericordiam veniam consequi.

[2] La sagesse et la miséricorde de Dieu l’emportent sur la malice humaine. Or, l’homme peut pécher jusqu’à la toute fin de sa vie. Il peut donc jusqu’alors obtenir le pardon en vertu de la miséricorde divine.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un pénitent en fin de vie peut-il être absous par n’importe quel prêtre ?]

[18151] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in fine vitae poenitens non possit a quolibet sacerdote absolvi. Quia ad absolutionem requiritur aliqua jurisdictio, ut dictum est. Sed sacerdos non acquirit jurisdictionem super illum qui in fine poenitet. Ergo non potest eum in fine absolvere.

1. Il semble qu’un pénitent en fin de vie ne puisse être absous par n’importe quel prêtre, car une juridiction est requise pour l’absolution, comme on l’a dit. Or, le prêtre ne reçoit pas juridiction sur celui qui se repent en fin de vie. Il ne peut donc l’absoudre à la fin.

[18152] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ille qui sacramentum Baptismi in articulo mortis ab alio quam proprio sacerdote recipit, non debet iterum a proprio sacerdote baptizari. Si ergo quilibet sacerdos in articulo mortis posset absolvere a quolibet peccato, non deberet poenitens, si evadit, ad suum sacerdotem recurrere; quod falsum est; quia alias sacerdos non haberet cognitionem de vultu pecoris sui.

2. Celui qui, à l’article de la mort, reçoit le sacrement du baptême d’un autre que de son propre prêtre ne doit pas être baptisé de nouveau par son propre prêtre. Si donc n’importe quel prêtre pouvait absoudre de n’importe quel péché à l’article de la mort, le pénitent ne devrait pas, s’il en échappe, recourir à son propre prêtre, ce qui est faux, car, autrement, le prêtre ne connaîtrait pas le visage de sa brebis.

[18153] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in articulo mortis sicut licet sacerdoti alieno baptizare, ita et non sacerdoti. Sed non sacerdos nunquam potest absolvere in foro poenitentiali. Ergo nec sacerdos in articulo mortis eum qui non est sibi subditus.

3. À l’article de la mort, de même qu’il est permis à un prêtre étranger de baptiser, de même cela l’est-il à un non-prêtre. Or, un non-prêtre ne peut jamais absoudre au for pénitentiel. Donc, à l’article de la mort, un prêtre ne peut pas [absoudre] celui qui n’est pas son subordonné.

[18154] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, necessitas spiritualis est major quam corporalis. Sed aliquis in necessitate ultima potest aliorum rebus uti, etiam invitis dominis, ad subveniendum corporali necessitati. Ergo et in articulo mortis ad subveniendum spirituali necessitati potest a non suo sacerdote absolvi.

 

Cependant, [1] la nécessité spirituelle est plus grande que la nécessité corporelle. Or, en cas de nécessité extrême, quelqu’un peut utiliser les biens des autres, même malgré leurs propriétaires, pour subvenir à une nécessité corporelle. Donc, pour répondre à une nécessité spirituelle, il peut être absous, à l’article de la mort, par un prêtre qui n’est pas le sien.

[18155] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ad idem sunt auctoritates in littera positae.

[2] Les autorités invoquées dans le texte vont dans le même sens.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une peine est-elle réservée après la mort à ceux qui se repentent en fin de vie ?]

[18156] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitentibus in fine non reservetur aliqua poena post mortem. Deus enim, cum sit summe misericors, non exigit ab homine plus quam facere possit. Sed iste qui in fine vitae suae poenituit, nihil aliud facere potuit pro tempore illo quam conteri et confiteri; quod etiam fecit. Ergo videtur quod nihil ab eo post hanc vitam requiratur pro peccatis de quibus poenituit.

1. Il semble qu’une peine ne soit pas réservée après la mort à ceux qui se repentent en fin de vie. En effet, Dieu, puisqu’il est miséricordieux au plus haut point, n’exige pas d’un homme plus qu’il ne peut faire. Or, celui qui s’est repenti en fin de vie n’a pas pu faire autrement, à ce moment, qu’être contrit et se confesser, ce qu’il a fait. Il semble donc que rien ne soit exigé de lui après cette vie pour les péchés dont il s’est repenti.

[18157] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, poena Purgatorii excedit omnem poenam hujus mundi, ut in littera dicitur. Sed poena ad quam obligatur poenitens post confessionem et absolutionem, non est tanta quantae sunt multae poenae justae alterius vitae. Ergo injuste cum poenitente agitur, si post hanc vitam puniatur in Purgatorio post absolutionem.

2. La peine du purgatoire dépasse toute peine de ce monde, comme on le dit dans le texte. Or, la peine à laquelle un pénitent est tenu après la confession et l’absolution n’est pas aussi grande que les nombreuses peines justes de l’autre vie. Ce serait donc agir injustement envers le pénitent qu’il soit puni au purgatoire après cette vie après l’absolution.

[18158] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, non est aliquod peccatum tam grande quod per poenas in hac vita inflictas non posset totaliter expiari, dummodo aliquis patienter sustineret; quia tribulatio purgationem facit, ut patet Rom. 5. Sed mors est maxima poenarum. Ergo si aliquis contritus patienter mortem sustinet, non remanet ei aliqua poena post hanc vitam.

[18159] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, justitia divina exigit ut peccatum aut a Deo aut ab homine puniatur. Sed hujus peccatum qui in fine poenitet, non punitum est nec a Deo nec ab homine in hac vita. Ergo oportet quod post hanc vitam puniatur.

3. Il n’y a pas de péché assez grand pour qu’il ne puisse être entièrement expié en cette vie par des peines, pourvu qu’on les supporte avec patience, car la tribulation purifie, comme cela ressort de Rm 5. Or, la mort est la plus grande des peines. Si quelqu’un qui est contrit supporte la mort avec patience, il ne lui reste donc pas de peine après cette vie.

 

Cependant, la justice divine exige que le péché soit puni soit par Dieu, soit par l’homme. Or, le péché de celui qui se repent en fin de vie n’a été puni ni par Dieu ni par l’homme en cette vie. Il faut donc qu’il soit puni après cette vie.

[18160] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus ex negligentia debet commodum reportare. Sed iste qui in finem poenitentiam distulit ex negligentia, si statim post peccatum adhuc sanus poenituisset, sustinuisset poenam. Ergo multo fortius, quando poenitentiam distulit usque in finem vitae, adhuc reus est poenae.

[2] Personne ne doit tirer avantage de sa négligence. Or, celui qui, par négligence, a reporté la pénitence jusqu’à la fin, s’il s’était repenti immédiatement après le péché, aurait supporté une peine. À bien plus forte raison, lorsqu’il a reporté la pénitence jusqu’à la fin, est-il encore redevable d’une peine.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18161] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Deus, qui dat omnibus abundanter, nulli gratiam denegat qui quod in se est facit ut se ad gratiam praeparet. Haec autem praeparatio, sicut supra, dist. 17, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 1, 2, 3 et 4, dictum est, fit per motum liberi arbitrii; unde quamdiu manet homini usus liberi arbitrii in hac vita, in qua nondum est confirmatum ad malum, potest se praeparare ad gratiam, de peccatis dolendo; et gratiam remissionis peccatorum consequitur.

Dieu, qui donne à tous en abondance, ne refuse sa grâce à personne qui fait ce qui est en son pouvoir pour se préparer à la grâce. Or, comme on l’a dit plus haut, d. 17, q. 1, a. 3, qa 1, 2, 3 et 4, cette préparation se réalise par un mouvement du libre arbitre. Aussi longtemps que demeure en cette vie l’usage du libre arbitre, qui n’est pas encore confirmé dans le mal, il peut donc se préparer à la grâce en déplorant ses péchés, et il obtient la grâce de la rémission de ses péchés.

[18162] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod veniam consecutus fuisset, si vere poenituisset. Sed non habuit veram poenitentiam; quia non ex amore justitiae de peccatis commissis dolebat, sed timore poenae quam expectabat, vel dolore poenae quam sustinebat: et hoc etiam multis in fine poenitentibus contingit; quia non est facile ut affectus quem homo toto tempore vitae suae inclinavit in aliquid, subito ad contrarium retrahat; nec tamen est impossibile, quia liberum arbitrium non cogitur ex habitu acquisito, nec providentiae Dei potest terminus praefigi, per quam etiam in extremo vitae verae poenitentiae motus inspiratur quandoque.

1. Il aurait obtenu le pardon s’il s’était vraiment repenti. Mais il n’avait pas une pénitence véritable, car il ne déplorait pas par amour de la justice les péchés commis, mais par crainte de la peine qu’il attendait ou par la douleur de la peine qu’il endurait. Et cela arrive souvent à ceux qui se repentent en fin de vie, car il n’est pas facile pour l’homme  de retourner d’un coup vers le contraire l’affectivité qu’il a inclinée vers quelque chose pendant toute la durée de sa vie. Ce n’est cependant pas impossible, car le libre arbitre n’est pas contraint par un habitus acquis et on ne peut non plus mettre une limite à la providence de Dieu, par laquelle, même à la toute fin de la vie, un mouvement de véritable pénitence est parfois inspiré.

[18163] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus in verbis illis ostendit quod poenitentia quam aliquis in fine vitae agit, non est certum signum salutis, et non quod non possit esse etiam tunc efficax ad salutem; quia incertum est, quando aliquis de peccato, quod facere jam non potest, poenitet, utrum voluntatem peccandi amiserit; quod magis manifestum est de illo qui peccare adhuc potest, si poeniteat, quod voluntatem mutavit. Tamen etiam quando aliquis non potest ultra peccare, potest voluntatem mutare, ut nolit quod prius voluit, etiam si posset.

2. Par ces paroles, Augustin montre que la pénitence que quelqu’un accomplit en fin de vie n’est pas un signe certain du salut, et non qu’elle ne puisse être alors efficace en vue du salut, car il est incertain que quelqu’un ait écarté la volonté de pécher, lorsqu’il se repent d’un péché qu’il ne peut plus faire. Cela est surtout manifeste chez celui qui peut encore pécher, s’il se repent pour ensuite changer de volonté. Toutefois, même lorsque quelqu’un ne peut plus pécher, il peut changer sa volonté, de sorte qu’il ne veuille plus ce qu’il a voulu antérieurement, même s’il le pouvait.

[18164] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in contritione sufficit propositum conditionatum satisfactionis et confessionis, ut scilicet velit, si posset: et tale propositum etiam de impossibili esse potest.

3. Dans la contrition, le propos conditionnel de la satisfaction et de la confession est suffisant, à savoir, [celui] de les vouloir si on pouvait [les accomplir]. Un tel propos ne peut pas non plus porter sur ce qui est impossible.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18165] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quilibet sacerdos, quantum est de virtute clavium, habet potestatem indifferenter in omnes, et quantum ad omnia peccata; sed quod non possit omnes ab omnibus peccatis absolvere, hoc est quia per ordinationem Ecclesiae habet jurisdictionem limitatam, vel omnino nullam habet. Sed quia necessitas legem non habet; ideo quando articulus necessitatis imminet, per Ecclesiae ordinationem non impeditur quin absolvere possit, ex quo habet claves etiam sacramentaliter; et tantum consequitur ex absolutione alterius sicut si a proprio sacerdote absolveretur. Nec solum a peccatis potest tunc a quolibet sacerdote absolvi, sed etiam ab excommunicatione, a quocumque sit lata; quia haec absolutio etiam ad jurisdictionem pertinet, quae per legem ordinationis Ecclesiae coarctatur.

N’importe quel prêtre, pour ce qui est du pouvoir des clés, a indifféremment pouvoir sur tous et pour tous les péchés. Mais, qu’il ne puisse absoudre tous de tous les péchés, cela vient du fait qu’il a une juridiction limitée par une disposition de l’Église ou n’en a aucune. Puisque la nécessité n’a pas de loi, lorsqu’une nécessité urgente se présente, il n’est pas empêché d’absoudre par une disposition de l’Église, du fait qu’il détient les clés même d’une manière sacramentelle et qu’on obtient autant l’absolution d’un autre prêtre que si on était absous par son propre prêtre. Non seulement peut-on alors être absous de n’importe quel péché, mais aussi d’une excommunication portée par qui que ce soit, car cette absolution relève aussi de la juridiction, qui est limitée par la loi d’une disposition de l’Église.

[18166] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquis potest uti jurisdictione alterius ex ejus voluntate: quia ea quae jurisdictionis sunt, committi possunt. Unde quia Ecclesia acceptat ut quilibet sacerdos absolvere possit in articulo mortis; ideo ex hoc ipso quis jurisdictionis habet usum, quamvis jurisdictione careat.

1. Quelqu’un peut faire usage de la juridiction d’un autre par la volonté de celui-ci, car ce qui relève de la juridiction peut être transmis. Parce que l’Église accepte que n’importe quel prêtre puisse absoudre à l'article de la mort, il possède donc l’usage de la juridiction par le fait même, bien qu’il n’ait pas juridiction.

[18167] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet eum recurrere ad proprium sacerdotem, ut iterum a peccatis solvatur, a quibus in articulo mortis absolutus est, sed ut innotescat ei quod est absolutus. Nec similiter oportet quod absolutus ab excommunicatione ad judicem vadat, qui alias absolvere potuisset, absolutionem petens, sed satisfactionem offerens.

2. Il n’est pas nécessaire qu’il recoure à son propre prêtre pour être de nouveau absous de ses péchés, dont il a été absous à l’article de la mort, mais pour lui faire savoir qu’il a été absous. De même, il n’est pas nécessaire que celui qui a été absous d’une excommunication se présente devant le juge qui aurait pu l’absoudre autrement, en demandant l’absolution, mais en offrant satisfaction.

[18168] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus habet efficaciam ex ipsa sanctificatione materiae; et ideo a quocumque conferatur alicui, ille sacramentum recipit. Sed vis sacramentalis poenitentiae consistit in sanctificatione ministri; et ideo ille qui laico confitetur, quamvis impleat quod ex parte sua est de sacramentali confessione, tamen sacramentalem absolutionem non consequitur; et ideo aliquid valet ei quantum ad diminutionem poenae quae fit per confessionis meritum et poenam; sed non consequitur diminutionem illam poenae quae est ex vi clavium; et ideo oportet quod iterum sacerdoti confiteatur, et magis sic confessus decedens punitur post hanc vitam, quam si fuisset sacerdoti confessus.

3. Le baptême a une efficacité par la sanctification même de la matière; c’est pourquoi, quelle que soit la personne qui le confère à quelqu’un, celui-ci reçoit ce sacrement. Mais la puissance du sacrement de pénitence consiste dans la sanctification du ministre. C’est pourquoi celui qui se confesse à un laïc, bien qu’il accomplisse de son côté ce qui relève de la confession sacramentelle, n’obtient cependant pas l’absolution sacramentelle. Aussi cela a-t-il une certaine valeur quant à la diminution de la peine, qui vient du mérite et de la peine de la confession; mais il n’obtient pas la diminution de la peine qui vient de la puissance des clés. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il se confesse de  nouveau à un prêtre, et celui qui meurt après s’être ainsi confessé est davantage puni après cette vie que s’il s’était confessé à un prêtre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18169] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod poena post remissionem culpae exigitur, ut inaequalitas injustitiae commissae ad aequalitatem reducatur. Aequalitas autem quantitatem consequitur. Unde sicut ad ordinationem culpae exigitur quod poena pro culpa inferatur; ita exigitur quod pro tanta culpa tanta poena. Et ideo cum peccatum inordinatum remanere non possit, quamvis reatus poenae sit diminutus per contritionem et confessionem et absolutionem, oportet quod adhuc in fine poenitens quicumque satisfactionem non implet in hac vita, post hanc vitam puniatur, nisi tanta fuerit contritio quod totaliter a poena purgetur: quod quandoque contingere potest, ut supra dictum est dist. 17 art. 5, quaestiunc. 2.

[18170] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui in fine vitae poenitet, non punitur post hanc vitam quia non satisfecit quando satisfacere non potuit; sed quia peccavit, et quia satisfacere neglexit quando potuit; unde non sequitur quod Deus requirat ab homine ultra posse.

[18171] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justitia assimilatur mensurae, ut philosophus dicit in 5 Ethic.; unde sicut in diversis terris sunt diversae mensurae rerum venalium, ita et diversae poenae secundum justitiam pro eisdem culpis inferuntur; et similiter pro eadem culpa gravius punitur quis in Purgatorio quam in hac vita ratione alterius fori. Tamen illa aggravatio proportionaliter respondet poenae, cujus homo in hac vita reus erat: et hoc debet homo sibi imputare, quia illuc reservavit sibi poenam pro culpa accipiendam.

[18172] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mors naturalis est poena consequens originale peccatum, ut quasi jam in naturam sit versa, sicut originale peccatum; et ideo per mortem naturalem non purgatur aliquis de peccato actuali, sed per mortem illatam bene potest purgari. Unde si aliquis mortem illatam patienter sustineat, etiamsi pro aliis criminibus sit illata, valet ad diminutionem poenae, et ad liberationem a tota poena, secundum quantitatem culpae, et patientiae, et contritionis.

Une peine est exigée après la rémission de la faute afin que l’inégalité de l’injustice commise soit ramenée à l’égalité. Or, l’égalité découle de la quantité. De même qu’il est exigé que, pour la mise en ordre de la faute, une peine soit imposée pour la faute, de même est-il exigé que, pour une faute de telle importance, une peine de telle importance soit exigée. Puisque le péché ne peut rester sans redressement, bien que la dette de la peine soit diminuée par la contrition, la confession et l’absolution, il est nécessaire que tous ceux qui se repentent en fin de vie et n’accomplissent pas en cette vie la satisfaction, soient punis après cette vie, à moins que la contrition ne soit si grande qu’ils soient entièrement purifiés de la peine, ce qui peut parfois arriver, comme on l’a dit plus haut, d. 17, a. 5, qa 2.

 

1. Celui qui se repent en fin de vie n’est pas puni après cette vie parce qu’il n’a pas satisfait alors qu’il ne pouvait pas satisfaire, mais parce qu’il a péché et parce qu’il a négligé de satisfaire alors qu’il le pouvait. Il n’en découle donc pas que Dieu exige plus que ce que l’homme peut.

 

 

2. La justice se compare à une mesure, comme le Philosophe le dit dans Éthique, V. De même donc qu’il existe dans les divers pays des mesures différentes pour ce qui peut être acheté, de même diverses peines sont-elles données avec justice pour la même faute. De la même manière, on est puni plus lourdement pour la même faute au purgatoire qu’en cette vie en raison d’un autre for. Cependant, cette surcharge correspond proportionnellement à la peine dont l’homme était redevable en cette vie, et l’homme doit s’imputer cela, car il s’est réservé de recevoir là une peine pour sa faute.

 

3. La mort naturelle est une peine découlant du péché originel, comme si elle était déjà changée en nature, comme le péché originel. C’est pourquoi on n’est pas purifié du péché actuel par la mort naturelle, mais on peut bien être purifié par la mort donnée. Si quelqu’un supporte la mort donnée avec patience, même si elle est donnée pour d’autres fautes, cela contribue à la diminution de la peine et à la libération de toute la peine, selon la quantité de la faute, de la patience et de la contrition.

 

 

Articulus 2 [18173] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum poena temporalis, cujus reatus post poenitentiam manet, taxetur secundum quantitatem culpae

Article 2 – La peine temporelle, dont la dette demeure après la pénitence, est-elle établie en proportion de la faute ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La peine temporelle, dont la dette demeure après la pénitence, est-elle établie en proportion de la faute ?]

[18174] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod poena temporalis, cujus reatus post poenitentiam manet, non taxetur secundum quantitatem culpae. Taxatur enim secundum quantitatem delectationis quae fuit in peccato, ut patet Apoc. 18, 7: quantum glorificavit se, et in deliciis fuit, tantum date illi tormentum et luctum. Sed quandoque ubi est major delectatio, est minor culpa: quia peccata carnalia quae plus habent delectationis quam spiritualia, minus habent de culpa, secundum Gregorium. Ergo poena non taxatur secundum quantitatem culpae.

1. Il semble que la peine temporelle, dont la dette demeure après la pénitence, ne soit pas établie en proportion de la faute. En effet, elle est établie selon l’intensité du plaisir qui a existé dans le péché, comme cela ressort de Ap 18, 7 : À la mesure de sa gloire et de ses plaisirs, donnez-lui tourments et pleurs. Or, parfois, là où le plaisir est plus grand, la faute est moindre, car les péchés de la chair, qui comportent un plus grand plaisir que les péchés spirituels, ont un moindre caractère de faute, selon Grégoire. La peine n’est donc pas établie en proportion de la faute.

[18175] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, eodem modo aliquis obligatur ad praecepta moralia in nova lege sicut in veteri. Sed in veteri lege debebatur pro peccatis poenitentia septem dierum, ut scilicet septem diebus immundi essent. Cum ergo in novo testamento imponatur poena septennis pro uno peccato mortali, videtur quod quantitas poenae non respiciat quantitatem culpae.

2. On est obligé aux préceptes moraux de la même manière sous la loi nouvelle que sous l’ancienne. Or, sous la loi ancienne, une peine de sept jours était due pour les péchés, à savoir qu’on était impur pendant sept jours. Puisque, dans la nouvelle alliance, une peine de sept ans est imposée pour un seul péché mortel, il semble que la grandeur de la peine ne tient pas compte de la grandeur de la faute.

[18176] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, majus est peccatum homicidii quam peccatum fornicationis in sacerdote: quia circumstantia quae sumitur ex specie peccati, magis aggravat quam quae sumitur ex conditione personae. Sed laico pro homicidio imponitur septennis poenitentia; sacerdoti pro fornicatione decem annorum, secundum canones. Ergo poena non taxatur secundum quantitatem culpae.

3. Le péché d’homicide est plus grand que le péché de fornication chez un prêtre, car la circonstance qui vient de l’espèce du péché l’aggrave davantage que celle qui vient de la condition de la personne. Or, une peine de sept ans est imposée à un laïc pour un homicide, et une peine de dix ans à un prêtre pour la fornication, selon le droit canonique. La peine n’est donc pas établie selon la grandeur de la faute.

[18177] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, maximum peccatum est quod in ipsum corpus Christi committitur: quia tanto gravius quis peccat, quanto major est in quem peccatur. Sed pro effusione sanguinis Christi in sacramento altaris contenti, injungitur poenitentia quadraginta dierum, vel parum amplius; pro fornicatione autem simplici injungitur poena septennis secundum canones. Ergo quantitas poenae non respondet quantitati culpae.

4. Le plus grand péché est celui qui est commis contre le corps même du Christ, car on pèche plus gravement dans la mesure où celui contre qui on pèche est plus grand. Or, pour avoir répandu le sang du Christ contenu dans le sacrement de l’autel, une peine de quarante jours ou d’un peu plus est imposée ; mais, pour la simple fornication, une peine de sept ans est imposée selon le droit canonique. La quantité de la peine ne correspond donc pas à la quantité de la faute.

[18178] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isai. 27, 8: in mensura contra mensuram, cum abjecta fuerit, judicabo eam. Ergo quantitas judicii punitionis peccati est secundum quantitatem culpae.

Cependant, [1] Is 27, 8 dit : Mesure contre mesure, lorsqu’elle aura été rejetée, je la jugerai. La quantité du jugement pour la punition d’un péché est donc proportionnelle à la quantité de la faute.

[18179] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, homo reducitur ad aequalitatem justitiae per poenam inflictam. Sed hoc non esset, si quantitas culpae et poenae non sibi responderet. Ergo unum alteri respondet.

[2] L’homme est ramené à l’égalité de la justice par la peine infligée. Or, ce ne serait pas le cas, si la quantié de la faute et celle de la peine n’étaient pas proportionnelles. L’une correspond donc à l’autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le pénitent doit-il une plus grande peine que celle qui lui a été imposée par le prêtre ?]

[18180] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenitens non sit debitor majoris poenae quam illius quae a sacerdote est sibi injuncta. Sacramentum enim semper consequitur suum effectum, nisi sit defectus ex parte recipientis, vel ex parte conferentis. Sed quandoque imponitur minor poenitentia quam sit condigna; et non est defectus ex parte recipientis, quia paratus esset omnem poenitentiam sibi injunctam facere; nec est defectus ex parte conferentis sacramentum, quia secundum conscientiam suam et discretionem talem poenam taxat. Ergo videtur, cum sacramentum poenitentiae sit ordinatum contra peccatum totaliter destruendum, et quantum ad poenam et quantum ad culpam; quod non remaneat debitor alicujus poenae, poenitentia injuncta peracta.

1. Il semble que le pénitent doive une plus grande peine que celle qui lui a été imposée par le prêtre. En effet, le sacrement obtient toujours son effet, à moins d’une carence de la part de celui qui le reçoit ou de celui qui le confère. Or, parfois, une pénitence moindre que celle qui était méritée est imposée, et il n’y a pas de carence de la part de celui qui la reçoit, car il aurait été prêt à accomplir toute pénitence qui lui aurait été imposée ; il n’y a pas non plus de carence de la part de celui qui confère le sacrement, car il établit telle peine selon sa conscience et sa discrétion. Puisque le sacrement de pénitence est ordonné à détruire entièrement le péché quant à la peine et quant à la faute, il semble donc que [le pénitent] ne demeure pas débiteur d’une peine, après avoir accompli la peine imposée.

[18181] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Deus est pronior ad remittendum poenam quam ad exigendum. Sed si iste sacerdos majorem poenam satisfactoriam injunxisset, poenitens obligaretur ad eam faciendam. Ergo videtur quod si insufficientem poenam injungat, non exigatur aliquid amplius ab eo.

2. Dieu est plus porté à remettre une peine qu’à l’exiger. Or, si ce prêtre avait imposé une peine satisfactoire plus grande, le pénitent serait obligé de l’accomplir. Il semble donc que s’il impose une peine insuffisante, il ne soit pas exigé de lui quelque chose de plus.

[18182] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in Purgatorio aliquis gravius punitur quam in hac vita. Si ergo post peractam poenitentiam a sacerdote injunctam, adhuc manet poena Purgatorii, videtur quod multum noceat sacerdos poenitenti levem poenitentiam injungendo: et ita videtur quod sit valde periculosum confessiones audire, cum non possit sciri quantitas poenae debitae pro peccato; immo sit impossibile, quia sacerdos non potest scire neque quantitatem contritionis neque quantitatem affectionis quam peccator habuit in peccando.

3. On est puni plus lourdement au purgatoire qu’en cette vie. Si donc, après avoir accompli la pénitence imposée par le prêtre, il reste encore la peine du purgatoire, il semble que le prêtre nuise beaucoup en pénitent en lui imposant une peine légère. Ainsi, il semble qu’il soit très dangereux d’entendre les confessions, alors qu’on ne peut connaître la quantité de la peine due pour un péché, bien plus, qu’il est impossible [de le faire], car le prêtre ne peut connaître ni la quantité de la contrition, ni la quantité du sentiment que le pécheur avait en péchant.

[18183] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, secundum quantitatem delicti debet esse plagarum modus ex praecepto legis. Si ergo minus imponatur, residuum ab eo in Purgatorio exigetur.

Cependant, [1] selon le précepte de la loi, la mesure du châtiment correspond à la quantité de la faute. Si donc un châtiment moindre est imposé, le reste sera exigé [du pénitent] au purgatoire.

[18184] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, error sacerdotis non potest poenitenti prodesse. Prodesset autem, si non teneretur ad plus quam sibi per errorem imponit. Ergo videtur quod sit adhuc debitor majoris poenae.

[2] L’erreur du prêtre ne peut servir au pénitent. Or, elle lui servirait, s’il n’était pas tenu à plus que ce qu’on lui a imposé par erreur. Il semble donc qu’il demeure débiteur d’une plus grande peine.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Peut-on accomplir pour un autre une peine satisfactoire ?]

[18185] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poenam satisfactoriam non possit unus pro alio explere. Quia ad satisfactionem meritum requiritur. Sed unus pro altero non potest mereri vel demereri, cum sit scriptum: tu reddis unicuique secundum opera sua. Ergo unus pro alio non potest satisfacere.

1. Il semble qu’on ne puisse pas accomplir pour un autre une peine satisfactoire, car le mérite est nécessaire pour la satisfaction. Or, on ne peut mériter ou démériter pour un autre, puisqu’il est écrit : Tu rends à chacun selon ses œuvres. On ne peut donc satisfaire pour un autre.

[18186] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, satisfactio contra contritionem et confessionem dividitur. Sed unus pro alio non potest conteri aut confiteri. Ergo nec satisfacere.

2. La satisfaction se distingue de la contrition et de la confession. Or, on ne peut pas être contrit ou se confesser pour un autre. On ne peut donc pas satisfaire [pour un autre].

[18187] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, unus orando pro alio, sibi meretur. Si ergo aliquis pro alio satisfacere potest; satisfaciendo pro alio, pro se satisfacit; et ita ab eo qui pro altero satisfacit non exigitur alia satisfactio pro peccatis propriis.

3. En priant pour un autre, on mérite pour soi-même. Si donc quelqu’un peut satisfaire pour un autre, en satisfaisant pour un autre, il satisfait pour lui. Et ainsi, une autre satisfaction n’est pas exigée pour ses propres péchés de la part de celui qui satisfait pour un autre.

[18188] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, si unus pro alio satisfacere potest; ergo ex quo unus sibi suscipit debitum poenae, alius statim a debito liberatur; ergo si moriatur postquam tota poena sibi debita ab alio suscepta est, statim evolabit; vel si adhuc puniatur, duplex poena reddetur pro eodem peccato: scilicet illius qui satisfacere incipit, et illius qui punitur in Purgatorio.

4. Si quelqu’un peut satisfaire pour un autre, du fait qu’il a pris sur lui la dette de la peine, l’autre est aussitôt libéré de sa dette. S’il meurt après que toute la peine qui lui était due a été prise par un autre, il s’envolera donc immédiatement; ou s’il est encore puni, une double peine sera rendue pour un même péché : celle de celui qui a commencé à satisfaire, et celle de celui qui est puni au purgatoire.

[18189] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Galat. 6, 2 dicitur: alter alterius onera portate. Ergo videtur quod unus possit onus poenitentiae impositae pro alio suscipere.

Cependant, [1] il est dit en Ga 6, 2 : Portez le fardeau les uns des autres. Il semble donc que quelqu’un puisse accepter à la place d’un autre le fardeau de la pénitence imposée.

[18190] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, caritas magis potest apud Deum quam apud homines. Sed unus potest apud homines pro alterius amore debitum ejus solvere. Ergo multo fortius hoc in divino judicio fieri potest.

[2] La charité est plus puissante auprès de Dieu qu’auprès des hommes. Or, quelqu’un peut acquitter la dette d’un autre auprès des hommes. À bien plus forte raison, cela peut-il donc se réaliser pour le jugement divin.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18191] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poena post dimissionem culpae exigitur ad duo; scilicet ad debitum solvendum, et ad remedium praestandum. Potest ergo taxatio poenae considerari quantum ad duo. Primo quantum ad debitum; et sic quantitas poenae radicaliter respondet quantitati culpae, antequam de ea aliquid dimittatur. Sed tamen quantum per primum eorum quae nata sunt remittere poenam, plus remittitur, secundum hoc per aliud minus remittendum vel solvendum restat; quia quanto per contritionem plus de poena dimissum est, tanto per confessionem minus dimittendum restat. Secundo quantum ad remedium vel illius qui peccavit, vel aliorum; et sic quandoque pro minori peccato major injungitur poena: vel quia peccato unius difficilius potest resisti quam peccato alterius; sicut juveni pro fornicatione imponitur major poenitentia quam seni, quamvis minus peccet; vel quia in uno peccatum est periculosius, sicut in sacerdote, quam in alio; vel quia multitudo magis prona est ad illud peccatum; et ideo per poenam unius alii sunt exterrendi. Poena ergo in foro poenitentiae quantum ad utrumque taxanda est; et ideo non semper pro majori peccato major poenitentia imponitur. Sed poena Purgatorii solum est ad solvendum debitum, quia jam ulterius non manet locus peccandi; et ideo illa poena taxatur solum secundum quantitatem peccati, considerata tamen contritionis quantitate, et confessione, et absolutione; quia per omnia haec aliquid de poena dimittitur. Unde etiam a sacerdote, injungendo satisfactionem, sunt consideranda.

 

Une peine est exigée après la rémission d’une faute pour deux raisons : pour acquitter une dette et pour apporter un remède. L’établissement de la peine peut donc être envisagé selon ces deux points de vue. Premièrement, du point de vue de la dette : ainsi, la quantité de la peine correspond radicalement à la quantité de la faute avant que quelque chose en soit remis. Cependant, plus il est remis par le premier élément de ce qui est destiné à remettre la peine, moins il reste à remettre ou à absoudre par l’autre, car plus grande est la partie de la peine remise par la contrition, moins grande est celle qu’il reste à remettre par la confession. Deuxièmement, du point de vue de celui qui a péché ou des autres : ainsi, une plus grande peine est parfois imposée pour un plus petit péché, soit parce qu’elle peut plus difficilement résister au péché de l’un qu’au péché d’un autre (ainsi, pour la fornication, une pénitence plus grande est imposée à un jeune homme qu’à un homme âgé, bien qu’il pèche moins) ; soit parce que le péché est plus dangereux chez quelqu’un, par exemple, chez le prêtre, que chez un autre ; soit parce qu’un grand nombre est davantage encline à ce péché (c’est pourquoi les autres doivent être effrayés par la peine d’un seul). Au for de la pénitence, la peine doit donc être établie selon ces deux choses. C’est pourquoi une plus grande pénitence n’est pas toujours imposée pour un péché plus grand. Mais la peine du purgatoire a pour seule fin d’ac-quitter la dette, car il n’y a désormais plus place pour pécher ; c’est pourquoi cette peine est établie seulement selon la quantité du péché, en prenant cependant en compte la quantité de la contrition, la confession et l’absolution, car une partie de la peine est remise par toutes ces choses. Elles doivent donc aussi être prises en compte par le prêtre, lorsqu’il impose une satisfaction.

[18192] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in verbis illis duo tanguntur ex parte culpae, scilicet glorificatio, et deliciae; quorum primum pertinet ad elationem peccantis, qua Deo resistit; secundum ad delectationem peccati. Quamvis autem sit minor delectatio quandoque in culpa majori, tamen est ibi semper major elatio; et ideo ratio non procedit.

1. Dans ces paroles, deux choses sont abordées du point de vue de la faute : la glorification et les plaisirs. La première se rapporte à l’arrogance de celui qui pèche, par laquelle il résiste à Dieu ; la seconde, au plaisir du péché. Bien qu’il y ait parfois moins de plaisir dans une faute plus grande, il y a cependant une plus grande arrogance. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas concluant.

[18193] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa poena septem dierum non erat expiativa a poena debita peccato; unde etiam si post illos dies moreretur, in Purgatorio puniretur; sed expiabat ab irregularitate, a qua omnia sacrificia legalia expiabant. Nihilominus tamen ceteris paribus plus peccat homo in nova lege quam in veteri propter sanctificationem ampliorem qua sanctificatur in Baptismo, et propter beneficia Dei potiora humano generi exhibita; et hoc patet ex hoc quod dicitur Hebr. 10, 29: quanto putatis deteriora mereri supplicia qui filium Dei conculcaverit, et sanguinem testamenti pollutum duxerit, in quo sanctificatus est ? Nec tamen hoc est universaliter verum quod exigatur pro quolibet peccato mortali septennis poenitentia; sed hoc est quasi quaedam regula communis, ut in pluribus competens: quam tamen oportet dimittere, consideratis diversis peccatorum circumstantiis.

2. Cette peine de sept jours ne visait pas l’expiation de la peine due pour le péché ; même si l’on mourait après ces jours, on serait donc puni au purgatoire. Mais [cette peine] expiait l’irrégularité, qu’expiaient tous les sacrifices de la loi. Cependant, toutes choses étant égales, un homme pèche néan-moins davantage sous la loi nouvelle que sous la loi ancienne en raison de la plus grande sanctification par laquelle il est sanctifié par le baptême et en raison des bienfaits plus importants manifestés par Dieu au genre humain. Cela ressort de ce qui est dit en He 10, 29 : D’un châtiment combien plus grave sera digne, ne pensez-vous pas,  celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et souillé le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié ? Cependant, il n’est pas universellement vrai qu’une pénitence de sept ans soit exigée pour n’importe quel péché mortel, mais cela est pour ainsi dire une règle commune qui convient dans la plupart des cas. Il faut cependant l’écarter, en prenant en compte les diverses circonstances des péchés.

[18194] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod episcopus vel sacerdos cum majori periculo suo et aliorum peccat; et ideo solicitius retrahunt ipsum canones a peccato quam alios, majorem poenam injungendo, secundum quod est in remedium, quamvis quandoque non debeatur tanta ex debito: unde et in Purgatorio non tota ab eo exigitur.

3. L’évêque ou le prêtre pèche à son plus grand péril et à celui des autres. C’est pourquoi le droit canonique le retient du péché avec un plus grand soin que les autres en imposant une peine plus grande, pour autant qu’elle est un remède, bien que parfois une si grande [peine] ne soit pas justifiée pour la dette. Aussi toute la peine n’est-elle pas exigée de lui au purgatoire.

[18195] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod poena illa est intelligenda, quando nolente sacerdote hoc accidit; si enim sponte effunderet, multo graviori poena dignus esset.

4. Cette peine doit s’entendre du cas où cela arrive sans que le prêtre le veuille : en effet, s’il renversait [le sang] de son propre gré, il serait digne d’une peine beaucoup plus lourde.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18196] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus ministri bonus vel malus nihil diversificat in efficacia sacramentorum. Unde sive sacerdos discrete se habeat in injunctione poenitentiae, sive non; nihil diversificatur quantum ad efficaciam absolutionis et confessionis et contritionis; et ideo sive discrete poenitentiam injungat, sive non; semper remanet reatus ad quantitatis ejusdem poenam; et ideo si eam hic non explet, ab eo in Purgatorio exigetur.

L’acte bon ou mauvais du ministre n’apporte aucune différence à l’efficacité des sacrements. Soit que le prêtre se comporte avec discrétion dans l’imposition d’une pénitence, soit qu’il ne le fasse pas, cela ne fait aucune différence quant à l’efficacité de l’absolution, de la confession et de la contrition. Ainsi, qu’il impose une pénitence avec discrétion ou non, la peine due a toujours la même quantité. C’est pourquoi, si on ne l’accomplit pas ici, elle sera exigée au purgatoire.

[18197] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quandocumque injungitur poenitentia minor condigno, defectus est ex parte imponentis, vel ex parte recipientis. Sed quandoque potest esse sine culpa utriusque; sicut quando imponens debitam diligentiam adhibet, et recipiens paratus est ad implendum; et propter hoc non est inconveniens, si totaliter a reatu poenae non liberetur.

1. Chaque fois qu’une pénitence moindre que celle méritée est imposée, la carence se trouve du côté de celui qui l’impose ou de celui qui la reçoit. Mais cela peut exister sans faute de la part des deux, comme lorsque celui qui l’impose y apporte le soin approprié et que celui qui la reçoit est prêt à l’accomplir. Pour cette raison, il n’est pas inapproprié qu’il ne soit pas totalement libéré de la dette de la peine.

[18198] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitens cum major condigno poenitentia injuncta est, tenetur eam explere ex sacerdotis injunctione, qui non solum debitum poenae considerat, sed peccato remedium adhibet; unde post hanc vitam non exigitur ab eo tota, sed solum quantum sufficit ad debitum solvendum.

2. Lorsqu’une pénitence plus grande que celle méritée a été imposée, le pénitent est tenu de l’accomplir en vertu de l’imposition par le prêtre, qui ne prend pas en compte seulement la dette de la peine, mais donne un remède pour le péché. Après cette vie, toute [la peine] n’est donc pas exigée [du pénitent], mais seulement ce qui suffit à acquitter la dette.

[18199] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacerdos minorem condigno poenitentiam injungens, non semper peccat; tum quia non potest determinate quantitatem poenae debitae cognoscere, quamvis aliquid proprie consideratis regulis patrum determinare possit; tum quia quandoque etiam ex industria minorem poenitentiam imponens, plus prodest poenitenti quam noceat, qui forte magnitudine poenae posset a poenitentia peragenda impediri propter debilitatem virtutis adhuc in eo de novo recuperatae; et ideo negligit minus damnum, ut majus evitet; et iterum paulatim confortatus in eo divinus amor ad plura poenitentiae opera peragenda ipsum incitabit propria sponte quam sacerdos sibi secundum quantitatem peccatorum injungere potuisset.

3. Le prêtre qui impose une pénitence moindre que celle méritée ne pèche pas toujours, tant parce qu’il ne peut connaître de manière déterminée la quantité de la peine due (bien que, en tenant correctement compte des règles des pères, il puisse la déterminer), que parce que, parfois, même en imposant une pénitence moindre par ingéniosité, il est plus utile au pénitent qu’il ne lui nuit, alors que peut-être, en raison de la grandeur de la peine, [le pénitent] pourrait être empêché d’accomplir complètement la pénitence en raison de la faiblesse de la vertu qui vient d’être retrouvée chez lui. C’est pourquoi [le prêtre] passe sur un préjudice moindre afin d’en éviter un plus grand. De plus, l’amour de Dieu peu à peu renforcé [chez le pénitent] l’incitera à accomplir de son propre gré un plus grand nombre d’actes de pénitence que le prêtre aurait pu lui en imposer selon la quantité de ses péchés.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18200] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod poena satisfactoria est ad duo; scilicet ad solutionem debiti, et ad medicinam pro peccato vitando. Inquantum est ad remedium sequentis peccati, sic satisfactio unius non prodest alteri; quia ex jejunio unius caro alterius non domatur, nec ex actibus unius alius bene agere consuevit, nisi secundum accidens, inquantum aliquis per bona opera potest alteri mereri augmentum gratiae, quae efficacissimum remedium est ad peccatum vitandum. Sed hoc est per modum meriti magis quam per modum satisfactionis. Sed quantum ad satisfactionem debiti unus potest pro alio satisfacere, dummodo sit in caritate, ut opera ejus satisfactoria esse possint. Nec oportet quod major poena imponatur ei qui pro altero satisfacit, quam principali imponeretur, ut quidam dicunt, hac ratione moti, quia poena propria magis satisfacit quam aliena; quia habet vim satisfaciendi, maxime ratione caritatis qua homo ipsam sustinet. Et quia major caritas apparet in hoc quod aliquis pro altero satisfacit quam si ipse satisfaceret; ideo minor poena requiritur in eo qui pro altero satisfacit, quam in principali requireretur. Unde dicitur in vitis patrum, quod propter caritatem unius, qui alterius fratris sui caritate ductus, poenitentiam fecit pro peccato quod non commiserat, alteri peccatum quod commiserat, dimissum est. Nec exigitur etiam quantum ad solutionem debiti, quod ille pro quo fit satisfactio, sit impotens ad satisfaciendum; quia etiam si esset potens, alio satisfaciente pro ipso, ipse a debito immunis esset. Sed hoc requiritur inquantum poena satisfactoria est in remedium; unde non est permittendum ut aliquis pro alio poenitentiam faciat, nisi defectus aliquis appareat in poenitente; vel corporalis, per quem sit impotens ad sustinendum; vel spiritualis, per quem non sit promptus ad portandum poenam.

 

La peine satisfactoire a deux objectifs : l’acquittement de ce qui est dû et un remède pour éviter le péché. En tant qu’elle est un remède pour le péché suivant, la satisfaction de quelqu’un ne sert pas à un autre, car le jeûne de l’un de dompte pas la chair de l’autre, et les actes de l’un ne font pas acquérir par l’autre l’habitude de bien agir, si ce n’est par accident, pour autant que quelqu’un peut mériter pour un autre une augmentation de la grâce, qui est le remède le plus efficace pour éviter le péché. Mais cela relève plus du mérite que de la satisfaction. Mais, pour ce qui est de la  satisfaction de la dette, quelqu’un peut satisfaire pour un autre, pourvu qu’il ait la charité, de sorte que ses actes puissent être satisfactoires. Et il n’est pas nécessaire qu’une peine plus grande soit imposée à celui pour lequel il satisfait, que si elle était imposée [à celui pour qui il satisfait], comme le disent certains, poussés par la raison qu’une peine propre satisfait davantage que la peine d’un autre, car elle possède la capacité de satisfaire surtout en raison de la charité par laquelle un homme la supporte. Parce qu’une plus grande charité se manifeste dans le fait que quelqu’un satisfait pour un autre comme s’il satisfaisait lui-même, une peine moindre est nécessaire chez celui qui satisfait pour un autre qu’elle ne serait nécessaire chez [celui pour qui il satisfait]. Aussi est-il dit dans les Vies des pères qu’en raison de la charité de l’un, qui, conduit par la charité envers un autre qui était son frère, a fait pénitence pour un péché qu’il n’avait pas commis, le péché qu’il avait commis a été remis à l’autre. Il n’est pas non plus exigé pour l’acquittement de ce qui est dû que celui pour lequel la satisfaction est accomplie soit incapable de satisfaire pour lui-même, car, même s’il en était capable, alors qu’un autre satisfait pour lui, il serait lui-même exempté de la dette. Mais cela est nécessaire pour autant que la peine satisfactoire est un remède. Aussi ne faut-il pas permettre que quelqu’un fasse pénitence pour un autre, à moins qu’une carence ne se manifeste chez le pénitent : [carence] corporelle, par laquelle il serait incapable de la supporter ; ou [carence] spirituelle, par laquelle il n’est pas disposé à  supporter la peine.

[18201] Super Sent., lib. 4, d. 20, q. 1, a. 2, qc 3, ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praemium essentiale redditur secundum dispositionem hominis, quia secundum capacitatem videntium erit plenitudo visionis divinae; et ideo, sicut unus non disponitur per actum alterius, ita unus altero non meretur praemium essentiale, nisi meritum ejus habeat efficaciam infinitam, sicut Christi, cujus merito solo pueri baptizati ad vitam aeternam perveniunt. Sed poena temporalis pro peccato debita post culpae remissionem non taxatur secundum dispositionem ejus cui debetur, quia quandoque ille qui est melior, habet majoris poenae reatum; et ideo quantum ad poenae dimissionem unus alteri mereri potest, et actus unius efficitur alterius, caritate mediante, per quam omnes unum sumus in Christo.

1. La récompense essentielle est donnée selon la disposition de l’homme, car la plénitude la vision divine sera à la mesure de la capacité de ceux qui voient. C’est pourquoi, de même que l’un n’est pas disposé à l’acte d’un autre, de même l’un ne mérite pas pour un autre la récompense essentielle, à moins que son mérite n’ait une efficacité infinie, comme celui du Christ, par le mérite de qui les enfants baptisés parviennent à la vie éternelle. Mais la peine temporelle due pour le péché après la rémission de la faute n’est pas établie selon la disposition de celui à qui elle est due, car parfois celui qui est meilleur mérite une plus grande peine. C’est pourquoi, quant à la rémission de la peine, l’un peut mériter pour un autre et l’acte de l’un devient l’acte de l’autre grâce à la charité, par laquelle nous sommes tous un dans le Christ.

[18202] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contritio ordinatur contra culpam, quae ad dispositionem bonitatis vel malitiae hominis pertinet; et ideo per contritionem unius alius a culpa non liberatur. Similiter per confessionem homo se sacramentis Ecclesiae subjicit. Non autem potest unus sacramentum pro alio accipere; quia in sacramento gratia suscipienti datur, non alii. Et ideo non est similis ratio de satisfactione, contritione, et confessione.

2. La contrition est ordonnée contre la faute, qui est en rapport avec la bonté ou la malice de l’homme. C’est pourquoi quelqu’un n’est pas libéré de sa faute par la contrition d’un autre. De même, l’homme se soumet aux sacrements de l’Église par la confession. Mais quelqu’un ne peut pas recevoir un sacrement pour un autre, car, par le sacrement, la grâce est donnée à celui qui le reçoit, et non à un autre. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour la satisfaction, la contrition et la confession.

[18203] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in solutione debiti attenditur quantitas poenae; sed in merito attenditur radix caritatis; et ideo ille qui ex caritate pro alio meretur saltem merito congrui, etiam sibi magis meretur; non autem qui pro alio satisfacit, pro se satisfacit; quia illa quantitas poenae non sufficit ad utrumque peccatum; tamen sibi meretur majus quid quam sit dimissio poenae, scilicet vitam aeternam.

3. Pour l’acquittement de ce qui est dû, la quantité de la peine est prise en compte; mais, pour le mérite, la racine de la charité est prise en compte. C’est pourquoi celui qui, par charité, mérite pour un autre, au moins d’un mérite de convenance, mérite aussi pour lui-même; mais celui qui satisfait pour un autre ne satisfait pas pour lui-même, car cette quantité de la peine ne suffit pas pour les deux péchés. Cependant, il mérite plus que la remise de la peine : la vie éternelle.

[18204] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si ipsemet ad aliquam poenitentiam se obligasset, non prius a debito esset immunis quam eam solvisset; et ideo poenam ipse patietur, quamdiu ille satisfactionem pro eo fecerit; quam si non fecerit, tunc uterque est debitor illius poenae; unus pro commisso, alius pro omisso; et ita non sequitur quod peccatum unum bis puniatur.

4. S’il s’était obligé lui-même à une pénitence, il ne serait exempté de l’acquitter d.abord. C’est pourquoi il supportera lui-même la peine aussi longtemps que l’autre supportera la peine pour lui. Mais si celui-là ne le faisait pas, les deux seraient alors débiteurs de cette peine : l’un pour un acte posé, l’autre pour une omission. Ainsi, il n’en découle pas qu’un seul péché est puni deux fois.

 

 

Articulus 3 [18205] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 tit. Utrum per indulgentiam possit aliquid remitti de poena satisfactoria

Article 3 – Une partie de la peine satisfactoire peut-elle être remise par une indulgence ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une partie de la peine satisfactoire peut-elle être remise par une indulgence ?]

[18206] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per indulgentiam non possit aliquid remitti de poena satisfactoria. Quia super illud 2 Timoth. 2, 13: negare seipsum non potest, dicit Glossa interlinealis: quod faceret, si dicta sua non impleret. Sed ipse dixit Deut. 25, 2: secundum mensuram delicti erit plagarum modus. Ergo non potest aliquid remitti de poena satisfactionis taxata secundum quantitatem culpae.

1. Il semble qu’une partie de la peine satisfactoire ne puisse être remise par une indulgence, car, à propos de 2 Tm 2, 13 : Il ne peut se nier lui-même, la glose interlinéaire dit : « Ce qu’il ferait s’il ne donnait pas suite à ce qu’il a dit. » Or, [le Seigneur] lui-même a dit, en Dt 25, 2 : Les châtiments seront à la mesure de la faute. Une partie de la peine satisfactoire, qui a été établie selon la quantité de la faute, ne peut donc être remise.

[18207] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, inferior non potest absolvere ab eo ad quod superior obligavit. Sed Deus absolvendo a culpa ligat ad poenam temporalem, ut dicit Hugo de sancto Victore. Ergo nullus homo potest absolvere a poena illa, aliquid inde dimittendo.

2. Un inférieur ne peut délier de ce qu’un supérieur a lié. Or, Dieu, en déliant de la faute, lie par une peine temporelle, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Aucun homme ne peut donc délier de cette peine, en en remettant une partie.

[18208] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc ad potestatem excellentiae pertinet, ut sine sacramentis effectus sacramentorum tradatur. Sed nullus habet potestatem excellentiae in sacramentis, nisi Christus. Cum ergo satisfactio sit pars sacramenti operans ad dimissionem poenae debitae, videtur quod nullus homo purus possit dimittere debitum poenae sine satisfactione.

3. Il appartient au pouvoir d’excellence de communiquer les effets des sacrements sans les sacrements. Or, personne d’autre que le Christ n’a un pouvoir d’excellence sur les sacrements. Puisque la satisfaction est une partie d’un sacrement agissant en vue de la remise de la peine due, il semble donc qu’aucun simple homme ne puisse remettre la dette de la peine sans satisfaction.

[18209] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, potestas ministris Ecclesiae non est tradita in destructionem, sed in aedificationem. Sed hoc ad destructionem pertinet, si satisfactio, quae ad utilitatem nostram inducta est inquantum remedium praebet, tolleretur. Ergo potestas ministrorum Ecclesiae ad hoc non se extendit.

4. Le pouvoir n’a pas été donné aux ministres de l’Église pour détruire, mais pour édifier. Or, si la satisfaction, qui a été introduite pour notre bien en tant que remède, était enlevée, cela serait en rapport à la destruction. Le pouvoir des ministres de l’Église ne s’étend donc pas jusqu’à ce point.

[18210] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 2 Corinth. 2, 10: nam et ego quod donavi, si quid propter vos donavi, in persona Christi; Glossa: idest ac si Christus donasset. Sed Christus poterat relaxare absque omni satisfactione poenam peccati, ut patet Joan. 8, de muliere adultera. Ergo et Paulus potuit; ergo et Papa potest, qui non est minoris potestatis quam Paulus fuit.

Cependant, [1] à propos de 2 Co 2, 10 : Car ce que j’ai donné, si je vous ai donné quelque chose, c’est au nom du Christ, la Glose dit : « C’est-à-dire comme si le Christ l’avait donné. » Or, le Christ pouvait délivrer de la peine du péché sans aucune satisfaction, comme cela ressort de Jn 8, à propos de la femme adultère. Donc, Paul le pouvait. Donc, le pape aussi le peut, qui n’a pas moins de pouvoir que Paul n’en avait.

[18211] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Ecclesia generalis non potest errare: quia ille qui in omnibus exauditus est pro sua reverentia, dicit Petro, super cujus confessione Ecclesia fundata est: ego pro te rogavi, Petre, ut non deficiat fides tua; Lucae 22, 32. Sed Ecclesia generalis indulgentias approbat et facit. Ergo indulgentiae aliquid valent.

[2] L’Église universelle ne peut errer, car celui qui a été en tout exaucé en raison de sa révérence, dit à Pierre, sur la confession duquel l’Église a été fondée : Pierre, j’ai demandé pour toi que ta foi ne défaille pas, Lc 22, 32. Or, l’Église universelle approuve et donne des indulgences. Les indulgences ont donc une certaine valeur.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les indulgences ont-elles la valeur annoncée ?]

[18212] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non valeant tantum quantum pronuntiantur. Indulgentiae enim non habent effectum nisi ex vi clavium. Sed ex vi clavium non potest habens clavem dimittere de poena peccati nisi aliquid determinatum, considerata quantitate peccati et contritionis poenitentis. Ergo cum indulgentiae fiant pro libito instituentis indulgentiam, videtur quod non valeant tantum quantum pronuntiantur.

1. Il semble que [les indulgences] n’aient pas la valeur annoncée. En effet, les indulgences n’ont d’effet que par le pouvoir des clés. Or, en vertu du pouvoir des clés, celui qui détient les clés ne peut remettre qu’une partie déterminée de la peine du péché, en prenant en compte la quantité du péché et de la contrition du pénitent. Puisque les indulgences sont données selon la volonté de celui qui établit l’indulgence, il semble donc qu’elles n’ont pas la valeur annoncée.

[18213] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, per debitum poenae homo a gloriae adeptione retardatur, quam summe appetere debet. Sed si indulgentiae tantum valent quantum pronuntiantur, in brevi homo per indulgentias discurrens posset ab omni reatu temporalis poenae immunis reddi. Ergo videtur quod deberet his acquirendis, omnibus aliis operibus dimissis, homo vacare.

2. La possession de la gloire, qu’il doit désirer au plus haut point, est retardée pour l’homme en raison de la dette de la peine. Or, si les indulgences ne valent que ce qu’elles annoncent, un homme courant ça et là pourrait en un court laps de temps devenir exempté de toute la peine temporelle due. Il semble donc que l’homme devrait s’occuper de les obtenir, en abandonnant toutes les autres œuvres.

[18214] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, aliquando datur indulgentia, quod qui dat auxilium ad aliquam fabricam erigendam, tertiam partem remissionis peccatorum consequatur. Si ergo indulgentiae tantum valent quantum praedicantur, tunc qui dat unum denarium, et secundo unum, et iterum tertium; plenam absolutionem ab omni peccatorum poena consequitur; quod videtur absurdum.

3. Parfois, une indulgence est donnée, selon laquelle celui qui apporte une aide pour construire un édifice obtient le tiers de la rémission de ses péchés. Si donc les indulgences n’avaient que la valeur annoncée par la prédication, celui qui donne un denier, puis une deuxième fois un denier, puis une troisième [un denier], obtient la pleine absolution de toute peine pour ses péchés, ce qui paraît absurde.

[18215] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, quandoque datur hoc modo indulgentia quod qui vadit ad aliquam Ecclesiam, septem annos remissionis consequatur. Si ergo tantum valet indulgentia quantum praedicatur, ille qui habet domum juxta Ecclesiam, vel clerici Ecclesiae, qui quotidie vadunt, consequuntur tantum quantum ille qui a remotis partibus venit; quod videtur injustum; et iterum, ut videtur, pluries illam indulgentiam consequitur in die, cum pluries vadat.

4. Parfois, une indulgence est ainsi donnée que celui qui se rend à une église obtient sept années de rémission. Si donc l’indulgence avait la valeur que lui attribue la prédication, celui qui a sa maison près de l’église ou les clercs de l’église, qui s’y rendent chaque jour, obtiennent autant que celui qui vient depuis des endroits éloignés, ce qui semble injuste. De plus, il semble qu’on obtienne cette indulgence plusieurs fois dans une journée, lorsqu’on y va plusieurs fois.

[18216] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, idem videtur alicui remittere poenam ultra justam aestimationem quam remittere absque causa: quia quantum ad hoc quod excedit, non recompensatur. Sed ille qui facit indulgentiam, non posset remittere absque causa poenam in toto vel in parte alicui; ut si Papa diceret alicui: ego remitto tibi omnem poenam tibi debitam pro peccato. Ergo videtur quod nec possit aliquid dimittere ultra justam aestimationem. Sed indulgentiae plerumque praedicantur ultra justam aestimationem. Ergo non tantum valent quantum praedicantur.

5. [L’indulgence] semble remettre la peine de quelqu’un au-delà d’une juste estimation plutôt que la remettre sans raison, car, pour ce qui est en excédent, elle n’est pas compensée. Or, celui qui donne une indulgence ne pourrait remettre sans raison à quelqu’un une peine en tout ou en partie, comme si le pape disait à quelqu’un : « Je te remets toute peine qui t’est due pour un péché. » Il semble donc qu’il ne puisse pas non plus la remettre partiellement sans une juste estimation. Or, la plupart du temps, les indulgences sont prêchées au-delà d’une juste estimation. Elles n’ont donc pas la valeur que l’on prêche.

[18217] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Job 13, 7: numquid Deus indiget vestro mendacio, ut loquamini pro eo dolos ? Ergo Ecclesia praedicando indulgentias, non mentitur; et ita tantum valent quantum praedicantur.

Cependant, [1] il est dit dans Jb 13, 7 : Dieu a-t-il besoin de vos mensonges pour que vous lui racontiez vos astuces ? L’Église en prêchant des indulgences ne ment donc pas, et ainsi elles ont la valeur annoncée par la prédication.

[18218] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth., 15, 14, dicit apostolus: si inanis est praedicatio nostra, inanis est et fides nostra. Ergo quicumque in praedicatione falsum dicit, fidem, quantum est in se, evacuat; et ita mortaliter peccat. Si ergo non tantum valent indulgentiae quantum praedicantur, omnes mortaliter peccant indulgentiam praedicantes; quod est absurdum.

[2] L’Apôtre dit en 1 Co 15, 14 : Si notre prédication est vaine, vaine est votre foi !Quiconque annonce quelque chose de faux en prêchant rend donc la foi vide par elle-même, et ainsi pèche mortellement. Si donc les indulgences n’ont pas la valeur annoncée par la prédication, tous pèchent mortellement en prêchant une indulgence, ce qui est absurde.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une indulgence doit-elle être donnée pour une aide temporelle ?]

[18219] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pro temporali subsidio non debeat dari indulgentia. Quia remissio peccatorum est quoddam spirituale. Sed dare spirituale pro temporali est simonia. Ergo hoc fieri non debet.

1. Il semble qu’une indulgence ne doive pas être donnée pour une aide temporelle, car la rémission des péchés est quelque chose de spirituel. Or, donner une réalité spirituelle pour quelque chose de temporel est de la simonie. Cela ne doit donc pas être fait.

[18220] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, spiritualia subsidia sunt magis necessaria quam temporalia. Sed pro spiritualibus subsidiis non videntur fieri indulgentiae. Ergo multo minus pro temporalibus fieri debent.

2. Les aides spirituelles sont plus nécessaires que les aides temporelles. Or, il ne semble pas que des indulgences soient données pour des aides spirituelles. Encore bien moins doivent-elles donc être données pour des aides temporelles.

[18221] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est communis Ecclesiae consuetudo, quae pro peregrinationibus et eleemosynis faciendis indulgentias facit.

Cependant, la coutume commune de l’Église va en sens contraire, elle qui donne des indulgences pour des pèlerinages et pour des aumônes qui doivent être faits.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18222] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ab omnibus conceditur indulgentias aliquid valere: quia impium esset dicere, quod Ecclesia aliquid vane faceret. Sed quidam dicunt, quod non valent ad absolvendum a reatu poenae quam quis in Purgatorio secundum judicium Dei meretur, sed valent ad absolutionem ab obligatione qua sacerdos obligavit poenitentem ad poenam aliquam, vel ad quam etiam ordinatur ex canonum statutis. Sed haec opinio non videtur vera. Primo, quia est expresse contra privilegium Petro datum ut quod in terra remitteret, et in caelo remitteretur; unde remissio quae fit quantum ad forum Ecclesiae, valet etiam quantum ad forum Dei; et praeterea Ecclesia hujusmodi indulgentias largiens seu dans, magis damnificaret quam adjuvaret: quia remitteret ad graviores poenas, scilicet Purgatorii, absolvendo a poenitentiis injunctis. Et ideo aliter dicendum, quod valent et quantum ad forum Ecclesiae, et quantum ad judicium Dei ad remissionem poenae residuae post contritionem et absolutionem et confessionem, sive sit injuncta, sive non. Ratio autem quare valere possunt, est unitas corporis mystici, in qua multi operibus poenitentiae supererogaverunt ad mensuram debitorum suorum; et multas etiam tribulationes injuste sustinuerunt patienter, per quas multitudo poenarum poterat expiari, si eis deberetur: quorum meritorum tanta est copia quod omnem poenam debitam nunc viventibus excedunt, et praecipue propter meritum Christi, quod etsi in sacramentis operatur, non tamen efficacia ejus in sacramentis includitur, sed sua infirmitate efficaciam sacramentorum excedit. Dictum est autem supra, art. 2, quaestiunc. 3, quod unus pro alio satisfacere potest. Sancti autem in quibus superabundantia operum satisfactionis invenitur, non determinate pro isto qui remissione indiget, hujusmodi opera fecerunt: alias absque omni indulgentia remissionem consequeretur: sed communiter pro tota Ecclesia, sicut apostolus dicit se implere ea quae desunt passioni Christi in corpore suo pro Ecclesia ad quam scribit. Et sic praedicta merita sunt communia totius Ecclesiae. Ea autem quae sunt communia multitudinis alicujus, distribuuntur singulis de multitudine secundum arbitrium ejus qui multitudini praeest. Unde sicut aliquis consequeretur remissionem poenae, si alius pro eo satisfecisset; ita si ei satisfactio alterius sibi per eum qui potest, distribuatur.

Tous reconnaissent que les indulgences ont une valeur, car il serait impie de dire que l’Église fait quelque chose en vain. Mais certains disent qu’elles n’ont pas de valeur pour remettre la dette de la peine que quelqu’un mérite au purgatoire selon le jugement de Dieu, mais qu’elles ont une valeur pour délier de l’obligaton par laquelle le prêtre a lié un pénitent ou à laquelle il est aussi ordonné par les décisions canoniques. Mais cette opinion ne semble pas vraie. Premièrement, parce qu’elle va directement contre le privilège donné à Pierre à l’effet que ce qu’il aura remis sur la terre sera remis dans le ciel; ainsi la rémission qui est faite au for de l’Église vaut aussi au for de Dieu. De plus, en accordant ou en donnant des indulgences de ce genre, l’Église causerait du tort plutôt qu’elle n’aiderait, car elle remettrait les peines plus graves, celles du purgatoire, en déliant des pénitences imposées. C’est pourquoi il faut dire autre chose : [les indulgences] ont une valeur tant au for de l’Église que selon le jugement de Dieu en vue de la rémission de la peine résiduelle après la contrition, l’absolution et la confession, qu’elle ait été imposée ou non. Mais la raison pour laquelle elles ont une valeur est l’unité du corps mystique, à l’intérieur de laquelle beaucoup ont fait plus d’actes de pénitence que ne l’exigeait ce qu’ils devaient, et ont supporté avec patience beaucoup de tribulations injustes, par lesquelles ils pouvaient expier un grand nombre de peines, si elles leur étaient dues. Leur mérite est si grand qu’ils dépassent toute la peine due pendant qu’ils vivent, et surtout en raison du mérite du Christ, qui, même s’il agit dans les sacrements, n’est cependant pas enfermé dans les sacrements, mais dépasse dans sa faiblesse l’efficacité des sacrements. Or, on a dit plus haut, a. 2, qa 3, que quelqu’un peut satisfaire pour un autre. Mais les saints, chez qui on trouve une surabondance d’œuvres satisfactoires, n’ont pas accompli ces œuvres d’une manière déterminée pour celui qui a besoin de rémission, autrement on obtiendrait la rémission sans aucune indulgence, mais d’une manière générale pour toute l’Église, comme l’Apôtre dit qu’il accomplit dans son corps ce qui manque à la passion du Christ pour toute l’Église à laquelle il écrit. Or, ce qui est commun à une communauté est distribué à chaque membre de cette communauté selon le jugement de celui qui dirige la communauté. Ainsi, de même que quelqu’un obtenait la rémission d’une peine parce qu’un autre aurait satisfait pour lui, de même la satisfaction d’un autre lui est-elle distribuée par celui qui en a le pouvoir.

[18223] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod remissio quae per indulgentias fit, non tollit quantitatem poenae ad culpam: quia pro culpa unius alius sponte poenam sustinuit, ut dictum est.

1. La rémission qui est faite par les indulgences n’enlève pas la quantité de la peine pour la faute, car, pour la faute de quelqu’un, un autre a supporté de plein gré la peine, comme on l’a dit.

[18224] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod iste qui indulgentias suscipit, non absolvitur, simpliciter loquendo, a debito poenae; sed datur sibi unde debitum solvat.

2. Celui qui reçoit une indulgence n’est pas absous de la dette de la peine à parler simplement, mais il lui est donné de quoi acquitter la dette.

[18225] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod effectus sacramentalis absolutionis est diminutio reatus: et hic effectus non inducitur per indulgentias; sed pro eo dans indulgentias solvit poenam quam debebat, de Ecclesiae communibus bonis, ut ex dictis patet.

3. L’effet de l’absolution sacramentelle est une diminution de la dette. Cet effet n’est pas apporté par les indulgences, mais celui qui donne des indulgences acquitte pour lui la peine que celui-ci devait à même les biens communs de l’Église, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[18226] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod majus remedium praebetur contra peccata vitanda ex gratia quam ex assuetudine nostrorum operum. Et quia ex affectu quem accipiens indulgentiam concipit ad causam pro qua indulgentia datur, ad gratiam disponitur; ideo etiam per indulgentias remedium ad peccata vitanda datur; et ita non est in destructionem indulgentias dare, nisi inordinate dentur. Tamen consulendum est eis qui indulgentiam consequuntur, ne propter hoc ab operibus poenitentiae injunctis abstineant, ut etiam ex his remedium consequantur, quamvis a debito poenae essent immunes; et praecipue, quia quandoque sunt plurium debitores quam credant.

4. Un plus grand remède est donné par la grâce pour éviter les péchés, que par l’habitude de nos actes. Parce que celui qui reçoit l’indulgence est disposé à la grâce par l’attachement qu’il entretient à la raison pour laquelle l’indulgence est donnée, un remède pour éviter les péchés est donc aussi donné par les indulgences. Ce n’est pas donner des indulgences pour la destruction, à moins qu’elles ne soient données de manière désordonnée. Cependant, il faut conseiller à ceux qui obtiennent une indulgence de ne pas s’abstenir pour autant des œuvres de pénitence afin d’en recevoir aussi un remède, bien qu’ils soient exemptés de la dette de la peine, et surtout parce qu’ils sont parfois débiteurs de plus de choses qu’ils ne croient.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18227] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod hujusmodi indulgentiae non tantum valent quantum praedicantur; sed unicuique tantum valent quantum fides et devotio sua exigit. Sed dicunt, quod Ecclesia ad hoc ita pronuntiat, ut quadam pia fraude homines ad bene faciendum alliciat, sicut mater quae promittens filio pomum, ipsum ad ambulandum provocat. Sed hoc videtur valde periculosum dicere. Sicut enim dicit Augustinus in epistola 8 ad Hieronymum, si in sacra Scriptura deprehenditur aliquid falsitatis, jam robur auctoritatis sacrae Scripturae perit; et similiter si in praedicatione Ecclesiae aliqua falsitas deprehenderetur, non essent documenta Ecclesiae alicujus auctoritatis ad roborandum fidem. Et ideo alii dixerunt, quod valent quantum pronuntiantur secundum justam aestimationem, non tamen dantis indulgentiam, qui nimis forte aestimat quod dat; aut secundum aestimationem recipientis, qui nimis parum aestimare posset quod datur; sed secundum aestimationem quae justa est secundum judicium bonorum, pensata conditione personae, et utilitate et necessitate Ecclesiae: quia uno tempore Ecclesia plus indiget quam alio. Sed haec etiam opinio non potest stare, ut videtur. Primo, quia secundum hoc indulgentiae non valerent ad remissionem, sed magis ad commutationem quamdam: et praeterea praedicatio Ecclesiae a mendacio non excusaretur, cum quandoque indulgentia praedicetur longe major quam justa aestimatio possit requirere omnibus praedictis conditionibus pensatis; sicut quando Papa dat indulgentiam, quod qui vadit ad unam Ecclesiam habeat septem annos de indulgentia: cujusmodi etiam indulgentiae a beato Gregorio in stationibus Romae institutae sunt. Et ideo alii dicunt, quod quantitas remissionis in indulgentiis non est mensuranda secundum devotionem tantum suscipientis, ut prima opinio dicebat, neque secundum quantitatem ejus quod datur, sicut dicebat secunda; sed secundum causam pro qua indulgentia datur, ex qua reputatur dignus ut talem indulgentiam consequatur; unde secundum quod accedit ad causam illam, secundum hoc consequitur remissionem indulgentiae, vel in toto vel in parte. Sed hoc iterum non potest salvare consuetudinem Ecclesiae, quae interdum majorem pro eadem causa, interdum minorem indulgentiam ponit; sicut rebus eodem modo se habentibus, quandoque datur unus annus visitantibus Ecclesiam unam, quandoque quadraginta dies, prout gratiam Papa facere voluerit indulgentiam constituens. Unde quantitas remissionis non est mensuranda ex causa quae facit indulgentia dignum. Et ideo aliter dicendum, quod quantitas effectus consequitur quantitatem suae causae. Causa autem remissionis poenae in indulgentiis non est nisi abundantia meritorum Ecclesiae, quae se habet sufficienter ad totam poenam expiandam; non autem causa remissionis effectiva est vel devotio aut labor aut datum recipientis, aut causa pro qua fit indulgentia. Unde non oportet ad aliquod horum proportionare quantitatem remissionis, sed ad merita Ecclesiae, quae semper superabundant; et ideo secundum quod applicantur ad istum, secundum hoc remissionem consequitur. Ad hoc autem quod applicentur isti, requiritur auctoritas dispensandi hujusmodi thesaurum; et unio ejus cui dispensatur, ad eum qui merebatur, quod est per caritatem; et ratio dispensationis, secundum quam salvetur intentio illorum qui opera meritoria fecerunt; fecerunt enim ad honorem Dei, et utilitatem Ecclesiae in generali. Unde quaecumque causa adsit quae in utilitatem Ecclesiae vergat, et honorem Dei, sufficiens est ratio indulgentias elargiendi. Et ideo secundum alios dicendum, quod indulgentiae simpliciter tantum valent quantum praedicantur, dummodo ex parte dantis sit auctoritas, ex parte recipientis caritas, ex parte causae pietas, quae comprehendit honorem Dei, et proximi utilitatem. Nec in hoc nimis fit magnum forum de misericordia Dei ut quidam dicunt, nec justitiae divinae derogatur: quia nihil de poena dimittitur, sed unius poena alteri computatur.

 

À ce sujet, il existe plusieurs opinions. En effet, certains disent que les indulgences de ce genre non seulement n’ont pas la valeur annoncée par la prédication, mais qu’elles ont pour chacun la valeur que sa foi et sa dévotion exigent. Mais ils disent que l’Église les annonce par une pieuse tromperie afin d’inciter les hommes à bien agir, comme la mère qui offre un fruit à son fils l’incite à marcher. Mais il semble très dangereux de dire cela. En effet, comme le dit Augustin dans sa huitième lettre à Jérôme, « si on découvre quelque chose de faux dans la Sainte Écriture, la force de l’autorité de la Sainte Écriture disparaît » ; de même, si l’on découvre une fausseté dans la prédication de l’Église, les enseignements de l’Église n’auraient aucune autorité pour affermir la foi. C’est pourquoi d’autres ont dit que [les indulgences] ont la valeur annoncée selon une juste estimation, non pas de celui qui donne l’indulgence, qui surestime peut-être ce qu’il donne, ni selon l’estimation de celui qui reçoit, qui pourrait estimer trop peu ce qui est donné, mais selon l’estimation qui est juste d’après le jugement de ceux qui sont  bons, en prenant en compte la condition de la personne, ainsi que le bien et les besoins de l’Église, car l’Église a davantage de besoins à un moment qu’à un autre. Mais il semble que cette opinion ne puisse pas non plus être soutenue. Premièrement, parce qu’ainsi les indulgences n’auraient pas de valeur pour la rémission, mais plutôt pour une certaine commutation ; de plus, la prédication de l’Église ne serait pas exempte de mensonge, puisque l’indulgence préchée est parfois beaucoup plus grande que l’estimation ne pourrait l’exiger, en tenant compte de toutes les conditions mentionnées, comme lorsque le pape donne une indulgence de sept ans à celui qui se rend à une seule église ; des indulgences de ce genre ont été établies par le bienheureux Grégoire pour les stations de Rome. C’est pourquoi d’autres disent que la quantité de la rémission dans les indulgences ne doit pas être mesurée seulement selon la dévotion de celui qui la reçoit, comme le disait la première opinion, ni selon la quantité de ce qui est donné, comme le disait la deuxième, mais selon la raison pour laquelle l’indulgence est donnée, par laquelle on est estimé digne d’obtenir une telle indulgence. Ainsi, selon qu’on s’approche de cette raison, on obtient en conséquence la rémission de l’indulgence en totalité ou en partie. Mais cela non plus ne peut justifier la coutume de l’Église qui donne parfois une plus grande indulgence pour une même raison, et parfois en donne une moins grande, comme lorsque, pour des choses qui sont semblables, une année est parfois donnée à ceux qui visitent une église, et parfois quarante jours, selon que le pape aura voulu faire grâce en établissant une indulgence. La quantité de la rémission ne doit donc pas être mesurée par la raison qui rend digne d’une indulgence. C’est pourquoi il faut parler autrement : la quantité de l’effet découle de la quantité de sa cause. Or, la cause de la rémission de la peine par les indulgences est seulement l’abondance des mérites de l’Église, qui est suffisante pour expier toute peine. Mais la cause qui réalise la rémission n’est ni la dévotion, ni l’effort, ni un don de celui qui reçoit, ni la raison pour laquelle l’indulgence est donnée. Aussi n’est-il pas nécessaire d’établir une proportion entre ces choses et les mérites de l’Église, qui sont toujours surabondants. C’est pourquoi un tel obtient une rémission selon que [ces mérites] lui sont appliqués. Mais pour qu’ils soient appliqués à un tel, sont nécessaires l’autorité pour dispenser ce trésor, l’union à celui qui méritait à celui à qui [le trésor] est dispensé, ce qui se réalise par la charité, la raison de la dispensation, selon laquelle l’intention de ceux qui ont accompli les œuvres méritoires sera sauvegardée (en effet, ils les ont accomplies pour l’honneur de Dieu et le bien général de l’Église). Aussi n’importe quelle cause qui concerne le bien de l’Église et l’honneur de Dieu est-elle une raison suffisante d’accorder des indulgences. C’est pourquoi il faut dire selon d’autres que les indulgences ont la valeur annoncée par la prédication, pourvu que celui qui les donne ait l’autorité, qu’existent la charité chez celui qui les reçoit  et la piété du côté de la cause, qui comprend l’honneur de Dieu et le bien du prochain. On n’exagère pas non plus par cela la miséricorde de Dieu et on ne déroge pas à la justice divine, comme certains le disent, car rien n’est enlevé à la peine, mais la peine de l’un est imputée à un autre.

[18228] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod clavis, sicut supra dictum est, est duplex: scilicet ordinis et jurisdictionis. Clavis ordinis sacramentale quoddam est; et quia sacramentorum effectus non sunt determinati ab homine, sed a Deo; ideo non potest taxare sacerdos quantum per clavem ordinis in foro confessionis de poena debita dimittat; sed tantum dimittitur quantum Deus ordinavit. Sed clavis jurisdictionis non est quid sacramentale, et effectus ejus arbitrio hominis subjacet; et hujus clavis effectus est remissio quae est per indulgentias, cum non pertineat ad dispensationem sacramentorum talis remissio, sed ad dispensationem bonorum communium Ecclesiae; et ideo etiam legati non sacerdotes indulgentias concedere possunt. Unde in arbitrio dantis indulgentiam est taxare quantum per indulgentiam de poena remittatur. Si tamen inordinate remittat, ita quod homines, quasi pro nihilo ab operibus poenitentiae revocentur, peccat faciens tales indulgentias; nihilominus quis plenam indulgentiam consequitur.

1. Comme on l’a dit plus haut, la clé est double : celle de l’ordre et celle de la juridiction. La clé de l’ordre est quelque chose de sacramentel. Et parce que les effets des sacrements ne sont pas déterminés par l’homme mais par Dieu, le prêtre ne peut pas établir combien il remet de la peine due par la clé de l’ordre au for de la confession, mais il remet autant que Dieu l’a ordonné. Mais la clé de la juridiction n’est pas quelque chose de sacramentel et son effet est soumis au jugement de l’homme. La rémission qui est faite par les indulgences est un effet de cette clé, puisqu’une telle rémission ne relève pas de la dispensation des sacrements, mais de la dispensation des biens communs de l’Église. C’est pourquoi même les légats non-prêtres peuvent accorder des indulgences. Il relève donc du jugement de celui qui donne l’indulgence d’établir ce qui est remis de la peine par une indulgence. Mais s’il remet de manière désordonnée, de sorte que les hommes sont retenus sans raison des œuvres de pénitence, il pèche en accordant de telles indulgences. Néanmoins, on reçoit la pleine indulgence.

[18229] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis hujusmodi indulgentiae multum valeant ad remissionem poenae, tamen alia opera satisfactionis sunt magis meritoria respectu praemii essentialis, quod in infinitum melius est quam dimissio poenae temporalis.

2. Bien que ces indulgences aient une grande valeur pour la rémission de la peine, d’autres œuvres satisfactoires sont plus méritoires par rapport à la récompense essentielle, qui est infiniment meilleure que la rémission d’une peine temporelle.

[18230] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando datur indulgentia indeterminate: qui dat auxilium ad fabricam Ecclesiae, intelligitur tale auxilium quod sit conveniens ei qui auxilium dat; et secundum hoc plus vel minus de indulgentia consequitur; unde etiam aliquis pauper dans unum denarium, consequitur totam indulgentiam, non autem dives, quem non decet ad opus tam pium et fructuosum ita parum dare; sicut non diceretur rex alicui homini auxilium facere, si ei obolum daret.

3. Lorsqu’une indulgence est donnée de manière indéterminée : « Celui qui donne pour la construction d’une église… », on comprend que cette aide convient à celui qui donne l’aide, et ainsi il obtient une partie plus ou moins grande de l’indulgence. Aussi même un pauvre qui donne un denier obtient toute l’indulgence, mais non le riche, à qui il ne sied pas de donner si peu pour une œuvre si pieuse et fructueuse, de la même maière qu’on ne dirait pas qu’un roi apporterait de l’aide à quelqu’un s’il lui donnait une obole.

[18231] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui est vicinus Ecclesiae, et etiam sacerdotes et clerici, consequuntur tantam indulgentiam sicut illi qui venirent a mille dietis: quia remissio non proportionatur labori, ut dictum est, sed meritis quae dispensantur, ut dictum est. Sed iste qui plus laboraret, plus de merito acquireret. Sed hoc intelligendum, quando indistincte indulgentia datur: quandoque enim distinguitur, sicut Papa in generalibus absolutionibus illis qui transeunt mare, dat quinque annos; aliis qui transeunt montes, tres; aliis unum: nec tamen quotiescumque vadit infra tempus indulgentiae, toties eam consequitur. Quandoque autem ad determinatum tempus datur; ut cum dicitur: quicumque vadit ad Ecclesiam talem usque ad tale tempus, habeat tantum de indulgentia; intelligitur semel tantum. Sed si in aliqua Ecclesia sit indulgentia perennis, sicut in Ecclesia beati Petri, quadraginta dierum; tunc quoties vadit aliquis, toties indulgentiam consequitur.

 

4. Celui qui est proche de l’église, et même les prêtres et les clercs, obtiennent autant l’indulgence que ceux qui viendraient de  mille journées de marche, car la rémission n’est pas proportionnelle à l’effort, comme on l’a dit, mais aux mérites qui sont dispensés, comme on l’a dit. Mais celui qui aurait fait plus d’efforts acquerrait plus de mérite. Il faut cependant entendre cela du cas où une indulgence est donnée de manière indéterminée : en effet, elle est parfois précisée, comme le pape, lors des absolutions générales, donne à ceux qui traversent la mer cinq années, aux autres qui traversent les montagnes, trois, aux autres, une; cependant, chaque fois qu’on fait le voyage en un temps moindre que le temps de l’indulgence, on l’obtient entièrement. Mais elle est parfois donnée pour un temps déterminé, comme lorsqu’on dit : « Tous ceux qui vont à telle église à tel moment auront telle indulgence », on comprend une fois seulement. Mais s’il existe une indulgence permanente dans une église, comme dans l’église du bienheureux Pierre, une indulgence de quarante jours, alors chaque fois qu’on y va, on obtient l’indulgence.

[18232] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod causa non requiritur ad hoc quod secundum eam debeat mensurari remissio poenae, sed ad hoc quod intentio illorum quorum merita communicantur, ad ipsum pervenire possit. Bonum autem unius continuatur alteri dupliciter. Uno modo per caritatem; et sic etiam sine indulgentiis aliquis est omnium bonorum particeps quae fiunt, si in caritate sit. Alio modo per intentionem facientis; et sic per indulgentias, si causa legitima adsit, potest intentio illius qui pro utilitate Ecclesiae operatus est, ad istum continuari.

5. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une raison selon laquelle la rémission de la peine doive être mesurée, mais pour que l’intention de ceux dont les mérites sont communiqués puisse lui parvenir. Or, le bien de quelqu’un est uni à un autre de deux manières. D’une manière, par la charité : et ainsi, même sans indulgences, quelqu’un participe à tout le bien qui s’accomplit, s’il a la charité. D’une autre manière, par l’intention de celui qui l’accomplit : et ainsi, par les indulgences, s’il existe une cause légitime, l’intention de celui qui a agi pour le bien de l’Église peut lui être unie.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18233] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod temporalia ad spiritualia ordinantur, quia propter spiritualia temporalibus uti debemus; et ideo pro temporalibus simpliciter non potest fieri indulgentia, sed pro temporalibus ordinatis ad spiritualia, sicut repressio inimicorum Ecclesiae, qui pacem Ecclesiae perturbant; vel sicut constructio Ecclesiarum et pontium, et aliarum eleemosynarum collatio. Et per hoc patet quod non fit ibi simonia, quia non datur spirituale pro temporali, sed pro spirituali.

Les biens temporels sont ordonnés aux biens spirituels, car nous devons faire usage des biens temporels en vue des biens spirituels. C’est pourquoi une indulgence ne peut pas être donnée pour des biens temporels uniquement, mais pour des biens temporels ordonnés à des biens spirituels, comme le refoulement des ennemis de l’Église, qui perturbent la paix de l’Église; ou comme la construction d’églises et de ponts, et le don d’autres aumônes. Il ressort ainsi qu’il n’y a pas là de simonie, car on ne donne pas quelque chose de spirituel en vue d’un bien temporel, mais en vue d’un bien spirituel.

[18234] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Unde patet solutio ad primum.

1. La réponse à la première objection est ainsi claire.

[18235] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam pro pure spiritualibus potest fieri indulgentia, et fit quandoque; sicut quicumque orat pro rege Franciae habet decem dies de indulgentia a Papa Innocentio IV. Et similiter crucem praedicantibus datur quandoque eadem indulgentia quae crucem accipientibus.

2. Une indulgence peut être donnée pour des choses purement spirituelles, et parfois elle est donnée, comme lorsque tous ceux qui prient pour le roi de France ont dix jours d’indulgence de la part du pape Innocent IV. De même, la même indulgence est parfois donnée à ceux qui prêchent la croisade qu’à ceux qui prennent la croix.

 

 

Articulus 4 [18236] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 tit. Utrum quilibet sacerdos parochialis possit indulgentiam dare

Article 4 – Tous les prêtres paroissiaux peuvent-ils donner une indulgence ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous les prêtres paroissiaux peuvent-ils donner une indulgence ?]

[18237] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod quilibet sacerdos parochialis possit indulgentiam dare. Indulgentia enim habet efficaciam ex meritorum Ecclesiae abundantia. Sed non est aliqua congregatio, in qua non sit aliqua abundantia meritorum. Ergo quilibet sacerdos potest elargiri indulgentiam, si habeat plebem subjectam; et similiter quilibet sacerdos praelatus.

1. Il semble que tous les prêtres paroissiaux puissent donner une indulgence. En effet, l’indulgence tient son efficacité de l’abondance des mérites de l’Église. Or, il n’existe pas de communauté dans laquelle il n’y a pas d’abondance de mérites. Tous les prêtres peuvent donc accorder une indulgence, s’ils ont un peuple qui leur est soumis, et de même tout prêtre qui est un supérieur.

[18238] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, praelatus quilibet gerit personam totius multitudinis, sicut unus homo gerit personam suam. Sed quilibet potest alteri communicare bona sua pro altero satisfaciendo. Ergo et praelatus potest communicare bona multitudinis sibi commissae; et sic videtur quod possit indulgentias dare.

2. Tous les supérieurs agissent au nom de toute la multitude, comme un seul homme agit en sa propre personne. Or, tous peuvent communiquer leurs biens en satisfaisant pour un autre. Le supérieur aussi peut donc communiquer les biens de la multitude qui lui est soumise. Il semble ainsi qu’il puisse donner des indulgences.

[18239] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, minus est excommunicare quam indulgentias dare. Sed hoc non potest sacerdos parochialis. Ergo nec illud.

Cependant, excommunier est moins que donner des indulgences. Or, le prêtre paroissial ne peut pas faire cela. Il ne peut donc pas faire ceci.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un diacre ou un autre qu’un prêtre peut-il accorder d’indulgences ?]

[18240] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diaconus non possit indulgentias concedere, vel alius, nisi sacerdos. Quia remissio peccatorum est effectus clavium. Sed non habet claves nisi solus sacerdos. Ergo ipse solus potest indulgentias dare.

1. Il semble qu’un diacre ou un autre qu’un prêtre ne puisse pas accorder d’indulgences, car la rémission des péchés est un effet des clés. Or, seul le prêtre détient les clés. Lui seul peut donc donner des indulgences.

[18241] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, plenior remissio poenae est in indulgentiis quam in foro poenitentiali. Sed hoc non potest nisi sacerdos. Ergo nec illud.

2. Une rémission plus complète de la peine a lieu dans les indulgences qu’au for pénitentiel. Or, seul le prêtre peut agir au for pénitentiel. [Un diacre ou un autre qu’un prêtre] ne peut donc pas accomplir cela.

[18242] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, eidem confertur dispensatio thesauri Ecclesiae cui committitur regimen Ecclesiae. Sed hoc committitur quandoque non sacerdoti. Ergo potest indulgentias dare; nam ex dispensatione thesauri Ecclesiae efficaciam habent.

Cependant, la dispensation du trésor de l’Église est confiée à qui est confié le gouvernement de l’Église. Or, celui-ci est parfois confié à un non-prêtre. Il peut donc donner des indulgences, car elles tirent leur efficacité de la dispensation du trésor de l’Église.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un évêque peut-il distribuer une indulgence ?]

[18243] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam episcopus non possit elargiri indulgentiam. Quia thesaurus Ecclesiae communis est toti Ecclesiae. Sed id quod est commune toti Ecclesiae, non potest dispensari nisi per illum qui toti Ecclesiae praeest. Ergo solus Papa potest indulgentias concedere.

1. Il semble que même un évêque ne puisse pas distribuer d’indulgence, car le trésor de l’Église est commun à toute l’Église. Or, ce qui est commun à toute l’Église ne peut être dispensé que par celui qui est à la tête de toute l’Église. Seul le pape peut donc concéder des indulgences.

[18244] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nullus potest remittere poenas a jure determinatas, nisi ille qui habet potestatem jus condendi. Sed poenae satisfactoriae sunt pro peccatis determinatae in jure. Ergo remittere hujusmodi poenas potest solus Papa, qui est conditor juris.

2. Personne ne peut remettre les peines déterminées par le droit, que celui qui a le pouvoir d’établir le droit. Or, les peines satisfactoires sont déterminées par le droit selon les péchés. Le pape seul, qui est celui qui établit le droit, peut donc remettre de telles peines.

[18245] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est consuetudo Ecclesiae, secundum quam episcopi dant indulgentiam.

Cependant, cela va à l’encontre de la coutume de l’Église, selon laquelle les évêques donnent des indulgences.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Celui qui est dans le péché mortel peut-il donner des indulgences ?]

[18246] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ille qui est in peccato mortali, non possit dare indulgentias. Quia rivus cui fons non influit, nihil profluere potest. Sed praelato in peccato mortali existenti non influit fons gratiae, scilicet spiritus sanctus. Ergo non potest in alios profluere dando indulgentias.

1. Il semble que celui qui est dans le péché mortel ne puisse donner des indulgences, car la rivière dans laquelle ne se déverse pas une source ne peut rien laisser couler. Or, la source de la grâce, l’Esprit Saint, ne coule pas dans un supérieur qui se trouve dans le péché mortel. Il ne peut donc se déverser dans les autres en donnant des indulgences.

[18247] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, majus est dare indulgentiam quam recipere. Sed ille qui est in peccato mortali, non recipit, ut dicetur. Ergo nec dare potest.

2. Il est plus grand de donner des indulgences que d’en recevoir. Or, celui qui est dans le péché mortel n’en reçoit pas, comnme on le dira. Il ne peut donc pas non plus en donner.

[18248] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, quia indulgentiae fiunt per potestatem praelatis Ecclesiae traditam. Sed peccatum mortale non tollit potestatem, sed bonitatem. Ergo potest aliquis in peccato mortali existens dare indulgentias.

Cependant, les indulgences sont données par le pouvoir transmis aux dirigeants de l’Église. Or, le péché mortel n’enlève pas ce pouvoir, mais la bonté. Celui qui se trouve  dans le péché mortel peut donc donner des indulgences.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18249] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod indulgentiae effectum habent secundum quod opera satisfactoria unius alteri computantur, non solum ex vi caritatis, sed ex intentione operantis aliquo modo directa ad ipsum. Sed intentio alterius potest ad alterum dirigi tripliciter; aut in speciali, aut in generali, aut in singulari. In singulari quidem, sicut cum quis pro alio satisfacit determinate; et sic quilibet potest alteri sua opera communicare. In speciali autem, sicut cum quis orat pro congregatione sua et familiaribus et benefactoribus, et ad hoc ordinat etiam sua opera satisfactoria; et sic ille qui congregationi praeest, potest opera illa alii communicare applicando intentionem illorum qui sunt de congregatione sua ad hunc determinate. Sed in generali, sicut cum quis opera sua ordinat ad bonum Ecclesiae in generali; et sic ille qui praeest Ecclesiae generaliter, potest opera illa communicare applicando intentionem suam ad hunc vel ad illum. Et quia homo est pars congregationis, et congregatio est pars Ecclesiae; ideo in intentione privati boni includitur intentio boni congregationis et boni totius Ecclesiae; et ideo ille qui praeest Ecclesiae, potest communicare ea quae sunt congregationis, et hujus hominis; et ille qui praeest congregationi ea quae sunt hujus hominis, sed non convertitur. Sed neque prima communicatio, neque secunda, indulgentia dicitur, sed solum tertia, propter duo. Primo, quia per illas communicationes quamvis homo solvatur a reatu poenae quantum ad Deum, tamen non solvitur a debito faciendi satisfactionem injunctam, ad quam obligatus est ex praecepto Ecclesiae; sed per tertiam communicationem homo etiam ab hoc debito absolvitur. Secundo, quia in una persona vel in una congregatione non est indeficientia meritorum, ut sibi in omnibus aliis valere possit; unde iste non absolvitur a poena debita pro toto; nisi tantum determinate pro eo fiat quantum debebatur. Sed in Ecclesia tota est indeficientia meritorum praecipue propter meritum Christi; et ideo solus ille qui praeficitur Ecclesiae, potest indulgentiam elargiri. Sed cum Ecclesia sit congregatio fidelium; congregatio autem hominum sit duplex; scilicet oeconomica, ut illi qui sunt de una familia; et politica, sicut illi qui sunt de uno populo; Ecclesia similatur congregationi politicae, quia ipse populus Ecclesia dicitur; sed conventus diversi vel parochiae in una diocesi similantur congregationi in diversis familiis vel in diversis officiis; et ideo solus episcopus proprie praelatus Ecclesiae dicitur; et ideo ipse solus quasi sponsus anulum Ecclesiae recipit; et ideo solus ipse habet plenam potestatem in dispensatione sacramentorum, et jurisdictionem in foro causarum quasi persona publica; alii autem secundum quod ab eo eis committitur. Sed sacerdotes qui plebibus praeficiuntur, non sunt simpliciter praelati, sed quasi coadjutores; unde in consecratione sacerdotum episcopus dicit: quanto fragiliores sumus, tanto magis his auxiliis indigemus; et propter hoc etiam non omnia sacramenta dispensant. Unde sacerdotes parochiales, vel abbates, aut alii hujusmodi praelati non possunt hujusmodi indulgentias dare.

Les indulgences tirent leur effet de ce que les œuvres satisfactoires de l’un sont imputés à un autre, non seulement en vertu de la charité, mais en vertu de l’intention de celui qui agit, orientée d’une certaine façon vers cet autre. Or, l’intention de quelqu’un peut être orientée vers un autre de trois façons : d’une manière spéciale, d’une manière générale, d’une manière particulière. D’une manière particulière, comme lorsque quelqu’un satisfait pour un autre de manière déterminée : ainsi, tous peuvent communiquer leurs oeuvres à un autre. D’une manière spéciale, comme lorsque quelqu’un prie pour sa communauté, ses proches et ses bienfaiteurs, et destine à cela ses œuvres satisfactoires : ainsi, celui qui dirige une communauté peut communiquer ces œuvres à un autre, en lui appliquant de manière déterminée l’intention de ceux qui font partie de sa communauté. Mais, d’une manière générale, comme lorsque quelqu’un ordonne ses œuvres au bien de l’Église d’une manière générale : ainsi, celui qui dirige l’Église d’une manière générale peut communiquer ces œuvres en appliquant son intention à celui-ci ou à celui-là. Et parce que l’homme fait partie d’une communauté et que cette communauté est une partie de l’Église, l’intention du bien de la communauté et du bien de toute l’Église est donc incluse dans le bien privé ; c’est pourquoi celui qui est à la tête de l’Église peut communiquer ce qui appartient à la communauté et à cet homme, et celui qui est à la tête de la communauté, ce qui appartient à cet homme, mais non l’inverse. Mais ni la première communication ni la deuxième ne sont appelées des indulgences, mais seulement la troisième. Premièrement, parce que, même si un homme est délié au regard de Dieu de la dette de la peine, il n’est cependant pas délié de devoir accomplir la satisfaction imposée, à laquelle il est obligée en vertu d’un précepte de l’Église. Mais, par la troisième communication, un homme est délié même de cette dette. Deuxièmement, parce que, dans une seule personne ou une seule communauté, les mérites ne sont pas sans limites, de sorte qu’ils puissent valoir pour tout le reste. Cet homme n’est donc pas entièrement délié de la peine due, à moins que la dette, autant qu’elle était due, ne soit acquittée entièrement pour lui de manière déterminée. Mais, dans toute l’Église, les mérites ne manquent pas, surtout en raison du mérite du Christ. Aussi seul celui qui est à la tête de l’Église peut-il distribuer des indulgences. Mais puisque l’Église est la communauté des fidèles et que la communauté des hommes est double : économique, comme ceux qui font partie d’une seule famille; politique, comme ceux qui font partie d’un seul peuple, l’Église ressemble à la communauté politique, car le peuple lui-même est appelé Église. Mais les divers groupes ou paroisses dans un diocèse ressemblent à la communauté de diverses familles ou de diverses fonctions. Aussi seul l’évêque a-t-il plein pouvoir pour dispenser les sacrements et juridiction au for des causes en tant que personnage public, mais les autres, selon qu’il le leur confie. Mais les prêtres qui sont à la tête des paroisses ne sont pas tout simplement des supérieurs, mais pour ainsi dire des collaborateurs. Aussi l’évêque dit-il, lors de la consécration des prêtres : « Plus nous sommes fragiles, plus nous avons besoin d’aide. » Pour cette raison, [les prêtres paroissiaux] ne dispensent pas non plus tous les sacrements. En conséquence, les prêtres paroissiaux, les abbés ou les autres supérieurs de ce genre ne peuvent donner des indulgences de cette sorte.

[18250] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18251] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod potestas concedendi indulgentias sequitur jurisdictionem, ut supra dictum fuit: et quia diaconi et alii non sacerdotes possunt habere jurisdictionem vel commissam, sicut legati, vel ordinariam, sicut electi, ideo possunt indulgentias concedere etiam non sacerdotes; quamvis non possint absolvere in foro poenitentiali, quod est ordinis.

Le pouvoir de concéder des indulgences découle de la juridiction, comme on l’a dit plus haut. Parce que les diacres et les autres non-prêtres peuvent avoir une juridiction, soit déléguée, comme les légats, soit ordinaire, comme ceux qui sont choisis, même des non-prêtres peuvent donc concéder des indulgences, bien qu’ils ne puissent absoudre au for de la conscience, ce qui relève de l’ordre.

[18252] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. Indulgentias enim concedere pertinet ad clavem jurisdictionis, non ad clavem ordinis.

La réponse aux objections est ainsi claire. En effet, concéder des indulgences relève de la clé de la juridiction, et non de la clé de l’ordre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18253] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Papa habet plenitudinem pontificalis potestatis, quasi rex in regno; sed episcopi assumuntur in partem solicitudinis, quasi judices singulis civitatibus praepositi: propter quod etiam solos eos in suis litteris fratres vocat, reliquos autem omnes vocat filios. Et ideo potestas faciendi indulgentias plene residet in Papa, quia potest facere quod vult, causa tamen existente legitima; sed in episcopis est taxata secundum ordinationem Papae; et ideo possunt dare secundum quod eis taxatum est, et non amplius.

Le pape possède la plénitude du pouvoir pontifical, tel un roi dans son royaume; mais les évêques sont retenus pour partager ses responsabilités [in partem sollicitudinis], comme des juges sont mis à la tête de chaque ville. Pour cette raison, [le pape] n’appelle qu’eux ses frères dans ses lettres, mais il appelle tous les autres ses fils. C’est pourquoi le pouvoir d’accorder des indulgences réside en plénitude dans le pape, car il peut faire ce qu’il veut, s’il existe cependant une cause légitime. Mais, [ce pouvoir] est établi pour les évêques selon qu’en dispose le pape. C’est pourquoi ils peuvent donner selon qu’il a été établi pour eux, et pas davantage.

[18254] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18255] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod elargiri indulgentias pertinet ad jurisdictionem. Sed per peccatum homo non amittit jurisdictionem: et ideo indulgentiae aeque valent, si fiant ab eo qui est in peccato mortali, sicut si fierent ab eo qui est sanctissimus; cum non remittat poenam ex vi suorum meritorum, sed ex vi meritorum reconditorum in thesauris Ecclesiae.

Donner des indulgences relève de la juridiction. Or, un homme ne perd pas la juridiction en raison du péché. C’est pourquoi les indulgences ont la même égale valeur, si elles sont données par quelqu’un qui est dans le péché mortel, que si elles étaient données par quelqu’un est très saint, puisqu’il ne remet pas la peine en vertu de ses mérites propres, mais en vertu des mérites cachés dans les trésors de l’Église.

[18256] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod iste praelatus in peccato mortali indulgentias dans non profluit aliquid de suo; et ideo non requiritur quod influxum recipiat a fonte ad hoc quod ejus indulgentiae valeant.

1. Ce supérieur qui donne des indulgences ne fait pas couler quelque chose qui est de lui. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il reçoive ce qu’il reçoive ce qui coule d’une source pour que ses indulgences aient une valeur.

[18257] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod majus est dare indulgentias quam recipere, quantum ad potestatem; sed est minus quantum ad propriam utilitatem.

2. Il est plus grand de donner des indulgences que d’en recevoir pour ce qui est du pouvoir; mais cela est moindre pour son propre bien.

 

 

Articulus 5 [18258] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 tit. Utrum indulgentia valeat existentibus in peccato mortali ?

Article 5 – Une indulgence a-t-elle de la valeur pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une indulgence a-t-elle de la valeur pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel ?]

[18259] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod indulgentia valeat existentibus in peccato mortali. Quia aliquis potest alteri mereri, etiam in peccato mortali existenti, gratiam, et multa alia bona. Sed indulgentiae habent efficaciam ex hoc quod merita sanctorum applicantur ad istum. Ergo habent effectum in illis qui sunt in peccato mortali.

1. Il semble qu’une indulgence ait de la valeur pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel, car quelqu’un peut mériter la grâce et beaucoup d’autres biens pour un autre, même si celui-ci se trouve dans le péché mortel. Or, les indulgences tirent leur efficacité du fait que les mérites des saints sont appliqués à celui-ci. Ils ont donc un effet pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel.

[18260] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ubi est major indigentia, magis habet locum misericordia. Sed ille qui est in peccato mortali, maxime indiget. Ergo ei maxima debet fieri misericordia per indulgentias.

2. Là où le besoin est plus grand, là doit se trouver une plus grande miséricorde. Or, celui qui est dans le péché mortel a les plus grands besoins. C’est donc à lui que doit être accordée la plus grande miséricorde par les indulgences.

[18261] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, membrum mortuum non suscipit influentiam ex aliis membris vivis. Sed ille qui est in peccato mortali, est quasi membrum mortuum. Ergo per indulgentias non suscipit influentiam ex meritis vivorum membrorum.

Cependant, un membre mort ne reçoit pas l’influence des autres membres vivants. Or, celui qui est dans le péché mortel est comme un membre mort. Il ne reçoit donc pas par les indulgences l’influence provenant des mérites des membres vivants.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les indulgences ont-elles une valeur pour les religieux ?]

[18262] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod indulgentiae non valeant religiosis. Non enim competit eis supplere ex quorum superabundantia aliis suppletur. Sed ex superabundantia operum satisfactionis quae sunt in religiosis, aliis suppletur per indulgentias. Ergo eis non competit per indulgentias suppleri.

1. Il semble que les indulgences n’aient pas de valeur pour les religieux. En effet, il n’appartient à ceux qui le fournissent d’ajouter à ce dont d’autres bénéficient en raison d’une surabondance. Or, en raison de la surabondance des œuvres de satisfaction qui sont accomplies par les religieux, d’autres en bénéficient par les indulgences. Il ne leur appartient donc pas d’en bénéficier par les indulgences.

[18263] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in Ecclesia non debet aliquid fieri quod inducat religionis dissolutionem. Sed si religiosis indulgentiae prodessent, esset occasio dissolutionis disciplinae regularis: quia religiosi nimis vagarentur per hujusmodi indulgentias et poenas sibi impositas in capitulo negligerent. Ergo religiosis non prosunt.

2. Dans l’Église, rien ne doit être fait qui pourrait conduire à l’affaiblissement de la vie religieuse. Or, si les religieux profitaient d’indulgences, ce serait une occasion d’affaiblissement de la discipline régulière, car les religieux iraient facilement à la dérive en raison de ces indulgences et négligeraient les peines imposées au chapitre. [Les indulgences] ne profitent donc pas aux religieux.

[18264] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullus ex bono reportat damnum. Sed religio bonum est. Ergo religiosi non consequuntur hoc damnum, ut eis indulgentiae non valeant.

Cependant, personne ne reçoit un préjudice à partir d’un bien. Or, la vie religieuse est un bien. Donc, les religieux n’encourent pas le préjudice que les indulgences soient sans valeur pour eux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une indulgence peut-elle être parfois donnée à celui qui n’accomplit pas ce pour quoi l’indulgence est donnée ?]

[18265] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ei qui non facit hoc pro quo indulgentia datur, possit quandoque indulgentia dari. Quia ei qui non potuit operari, voluntas pro facto reputatur. Sed aliquando fit indulgentia pro aliqua eleemosyna facienda, quam pauper facere non potest, et tamen libenter faceret. Ergo indulgentia ei valet.

1. Il semble qu’une indulgence puisse être parfois donnée à celui qui n’accomplit pas ce pour quoi l’indulgence est donnée, car la volonté est considérée comme l’action pour celui qui ne pouvait pas agir. Or, parfois, une indulgence est donnée pour une aumône qu’un pauvre ne peut pas faire, mais qu’il ferait volontiers. L’indulgence vaut donc pour lui.

[18266] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, unus potest pro alio satisfacere. Sed indulgentia ad remissionem poenae operatur, sicut et satisfactio. Ergo unus pro alio potest indulgentiam accipere; et sic ille consequitur indulgentiam qui non facit hoc pro quo indulgentia datur.

2. Quelqu’un peut satisfaire pour un autre. Or, l’indulgence agit pour la rémission de la peine, comme aussi la satisfaction. Quelqu’un peut donc recevoir une indulgence pour un autre, et ainsi celui qui ne fait pas ce pour quoi l’indulgence est donnée peut recevoir une indulgence.

[18267] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, remota causa removetur effectus. Si ergo aliquis non facit hoc pro quo indulgentia datur, quod est indulgentiae causa, indulgentiam non consequitur.

Cependant, si la cause est enlevée, l’effet est enlevé. Si donc quelqu’un ne fait pas ce pour quoi l’indulgence est donnée, qui est la cause de l’indulgence, il n’obtient pas l’indulgence.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’indulgence vaut-elle pour celui qui la donne ?]

[18268] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod indulgentia non valeat ei qui facit. Quia dare indulgentias est jurisdictionis. Sed nullus in seipsum potest exercere ea quae sunt jurisdictionis, sicut nullus potest se excommunicare. Ergo nullus potest indulgentiae a se factae particeps esse.

1. Il semble que l’indulgence n’ait pas de valeur pour celui qui la donne, car donner des indulgences relève de la juridiction. Or, personne ne peut exercer sur lui-même ce qui relève de la juridiction, comme personne ne peut s’excommunier. Personne ne peut donc participer à une indulgence donnée par lui-même.

[18269] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, secundum hoc, ille qui facit indulgentiam, posset pro aliquo modico facto sibi poenam remittere omnium peccatorum suorum, et ita impune peccare; quod videtur absonum.

2. Celui qui donne une indulgence pourrait alors se remettre la peine de tous ses péchés à bon marché, et ainsi pécher impunément, ce qui paraît choquant.

[18270] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ejusdem potestatis est concedere indulgentias, et excommunicare. Sed aliquis non potest excommunicare seipsum. Ergo nec indulgentiae quam facit, particeps esse potest.

3. Il relève de la même personne de donner des indulgences et d’excommunier. Or, on ne peut s’excommunier soi-même. On ne peut donc pas non plus participer à un indulgence qu’on a donnée.

[18271] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, quia tunc esset ipse pejoris conditionis quam alii, si ipse non posset uti thesauro Ecclesiae, quem aliis dispensat.

Cependant, il serait dans une condition pire que les autres s’il ne pouvait faire usage du trésor de l’Église qu’il dispense à d’autres.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18272] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dicunt indulgentias valere etiam existentibus in peccato mortali, non quidem ad dimissionem poenae, quia nulli potest dimitti poena, nisi cui jam dimissa est culpa; qui enim non est consecutus operationem Dei in remissione culpae, non potest consequi remissionem poenae a ministro Ecclesiae neque in indulgentiis, neque in foro poenitentiali: valet tamen eis ad acquirendum gratiam. Sed hoc non videtur verum: quia quamvis merita illa quae per indulgentiam communicantur, possent valere ad merendum gratiam, non tamen propter hoc dispensantur, sed determinate ad remissionem poenae; et ideo non valent existentibus in mortali; et ideo in omnibus indulgentiis fit mentio de vere contritis et confessis. Si autem fieret communicatio per hunc modum: facio participem meritorum totius Ecclesiae, vel unius congregationis, vel unius specialis personae, sic posset valere ad merendum aliquid illi qui est in peccato mortali, ut praedicta opinio dicit.

 

Certains disent que les indulgences ont de la valeur même pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel, mais non pour la rémission de la peine, car la peine ne peut jamais être remise à personne qu’à celui à qui la faute a déjà été remise. En effet, celui qui n’a pas obtenu l’action de Dieu pour la rémission de la faute ne peut obtenir la rémission de la peine par un ministre de l’Église ni par des indulgences, ni au for pénitentiel. Cela a cependant pour eux une valeur pour obtenir la grâce. Mais cela ne semble pas vrai, car bien que les mérites qui sont communiqués par une indulgence puissent avoir une valeur pour mériter la grâce, ils ne sont cependant pas dispensés pour cela, mais pour la rémission de la peine d’une manière déterminée. C’est pourquoi elles n’ont pas de valeur pour ceux qui se trouvent dans le péché mortel. Ainsi, dans toutes les indulgences, il est fait mention de ceux qui sont vraiment contrits et se sont confessés. Mais si la communication était faite de cette manière : « Je fais participer aux mérites de toute l’Église, d’une communauté ou d’une personne en particulier », elle pourrait avoir valeur pour mériter quelque chose à celui qui est dans le péché mortel, comme l’opinion précédente le dit.

[18273] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse à la première objection est ainsi claire.

[18274] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit magis indigens qui est in peccato mortali, tamen est minus capax.

2. Bien que celui qui est dans le péché mortel ait un grand besoin, il a cependant une capacité moindre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18275] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod tam saecularibus quam religiosis valent indulgentiae, dummodo sint in caritate, et servent ea quae pro indulgentiis indicuntur. Non enim religiosi sunt minus adjuvabiles meritis aliorum quam saeculares.

Les indulgences ont de la valeur pour les séculiers comme pour les religieux pourvu qu’il aient la charité et observent ce pour quoi les indulgences sont données. En effet, les religieux ne sont pas moins que les séculiers l’objet d’une aide par les mérites des autres.

[18276] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis religiosus sit in statu perfectionis; tamen ipse sine peccato vivere non potest; et ideo si aliquando propter peccatum aliquod commissum sit reus alicujus poenae, potest per indulgentiam ab hac expiari. Non enim est inconveniens, si ille qui est simpliciter superabundans, aliquo tempore indigeat, et quantum ad aliquid; et sic indiget supplemento quo sublevetur; unde dicitur Gal. 6, 2: alter alterius onera portate.

1. Bien que le religieux soit dans un état de perfection, il ne peut cependant vivre sans péché. C’est pourquoi, s’il est redevable d’une peine en raison d’un péché commis, celui-ci peut être expié par une indulgence. En effet, il n’est pas inapproprié que celui qui est dans la surabondance soit dans le besoin à un certain moment et sur un point particulier. Il a ainsi besoin d’un renfort par lequel il sera soutenu. Aussi est-il dit en Ga 6, 2 : Portez le fardeau les uns des autres.

[18277] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propter indulgentias non debet dissolvi regularis observantia; quia religiosi magis merentur religionem suam servando, quantum ad praemium vitae aeternae, quam indulgentiam exquirendo; quamvis minus quantum ad dimissionem poenae, quod est minus bonum. Nec iterum per indulgentias dimittuntur poenae injunctae in capitulo; quia in capitulo agitur forum quasi judiciale magis quam poenitentiale; unde etiam non sacerdotes capitulum tenent. Sed absolvitur a poena injuncta, vel debita pro peccato, in foro poenitentiali.

2. L’observance régulière n’a pas à être affaiblie par les indulgences, car les religieux méritent davantage en observant leur règle, pour ce qui est la récompense de la vie éternelle (bien que cela soit mons bon du point de vue de la rémission de la peine), qu’en recherchant une indulgence. De plus, les peines imposées au chapitre ne sont pas remises par les indulgences, car, au chapitre, il s’agit d’un for pour ainsi dire judiciaire plutôt que pénitentiel. Aussi même ceux qui ne sont pas prêtres tiennent-ils un chapitre. Mais on est absous de la peine imposée ou due pour un péché au for pénitentiel.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18278] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non existente conditione, non consequitur illud quod sub conditione datur. Unde cum indulgentia detur sub hac conditione quod aliquis aliquid faciat vel det; si illud non exerceat, indulgentiam non consequitur.

Sans la condition, on n’obtient pas ce qui est donné sous condition. Puisque l’indulgence est donnée à la condition que quelqu’un fasse ou donne quelque chose, s’il ne le fait pas, il n’obtient pas l’indulgence.

[18279] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad praemium essentiale; sed non quantum ad alia accidentalia praemia, sicut est dimissio poenae, vel aliquid hujusmodi.

1. Cela s’entend de la récompense essentielle, mais non des autres récompenses accidentelles, comme la remise de la peine ou quelque chose de ce genre.

[18280] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opus proprium potest quis applicare per intentionem cuicumque voluerit; et ideo potest pro quocumque vult satisfacere; sed indulgentia non potest applicari ad aliquem, nisi ex intentione ejus qui dat indulgentiam; et ideo cum ipse applicet ad facientem vel dantem (hic autem illud non potest), ille qui hoc facit, ad alterum hanc intentionem transferre non potest. Si tamen fieret sic indulgentia: ille qui facit, vel pro quo hoc fit, habeat tantam indulgentiam; valeret ei pro quo fit; nec tunc iste qui facit hoc opus, daret alteri indulgentiam, sed ille qui indulgentiam sub tali forma facit.

2. Quelqu’un peut, par son intention, appliquer sa propre action à qui il veut. C’est pourquoi il peut satisfaire pour tous ceux pour qui il veut. Mais l’indulgence ne peut être appliquée à quelqu’un que selon l’intention de celui qui donne l’indulgence. Puisque celui-ci l’applique à quelqu’un qui accomplit ou donne (ce que ne peut faire n’importe qui), celui qui accomplit cela ne peut reporter cette intention sur un autre. Cependant, si l’indulgence était donnée de cette manière : « Celui qui accomplit quelque chose ou pour qui cela est accompli aura telle indulgence », elle aurait une valeur pour celui pour qui cela est accompli. Alors, celui qui accomplit cette action ne donnerait pas une indulgence à un autre, mais celui qui donne l’indulgence sous une telle forme [le ferait].

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18281] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod indulgentia debet ex aliqua causa dari ad hoc quod aliquis per indulgentiam ad aliquem actum provocetur, qui in utilitatem Ecclesiae et in honorem Dei vergat. Praelatus autem, cui cura Ecclesiae utilitatis procurandae et honoris divini propagandi est commissa, non habet causam ut seipsum ad hoc provocet; et ideo non potest praebere indulgentiam sibi tantum, sed potest uti indulgentia quam pro aliis facit, quia aliis subest causa faciendi.

L’indulgence doit être donnée pour une raison, de sorte que, par l’indulgence, on soit incité à un acte qui tourne au bien de l’Église et à l’honneur de Dieu. Or, le supérieur, à qui la charge d’assurer le bien de l’Église et de diffuser l’honneur de Dieu a été confiée, n’a pas de raison pour s’inciter lui-même. C’est pourquoi il ne peut s’accorder à lui seul une indulgence, mais il peut faire usage d’une indulgence qu’il donne à d’autres, car il existe chez les autres une raison pour la donner.

[18282] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus jurisdictionis non potest aliquis in seipsum exercere; sed eis quae auctoritate jurisdictionis dantur aliis potest etiam praelatus uti tam in temporalibus quam in spiritualibus; sicut etiam sacerdos sibi Eucharistiam accipit quam aliis dat; et ita etiam episcopus potest accipere sibi suffragia Ecclesiae quae aliis dispensat, quorum effectus immediatus est remissio poenae per indulgentias, et non jurisdictionis.

1. Quelqu’un ne peut exercer sur lui-même un acte de juridiction, mais le supérieur peut aussi faire usage de ce qui est donné aux autres en vertu de l’autorité de la juridiction, tant au temporel qu’au spirituel, comme le prêtre se donne l’eucharistie qu’il donne aux autres. De même aussi un évêque peut-il recevoir pour lui-même les suffrages de l’Église qu’il dispense aux autres, dont l'effet immédiat est la rémission de la peine par des indulgences, et non de la juridiction.

[18283] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

2. La réponse au deuxième argument est claire d’après ce qui a été dit.

[18284] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod excommunicatio profertur per modum sententiae, quam nullus in seipsum ferre potest, eo quod in judicio non potest idem esse judex et reus. Indulgentia autem non per modum sententiae datur, sed per modum dispensationis cujusdam, quam homo potest facere ad seipsum.

3. L’excommunication est portée par mode de sentence, que personne ne peut porter contre lui-même, du fait que, dans un jugement, le même ne peut être juge et coupable. Mais l’indulgence n’est pas donnée par mode de sentence, mais par mode de dispensation d’une chose, qu’un homme peut faire pour lui-même.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 20

[18285] Super Sent., lib. 4 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 4 expos. Tene certum. Loquitur de certitudine conjecturae, non de certitudine scientiae; quia nemo scit utrum sit dignus odio, vel amore: Eccl. 9. Arbitrii libertatem quaerit, idest liberam electionem, ut scilicet homo non dimittat peccatum quia jam non potest peccare, sed quia non vult Deum offendere, etiam si posset; quod etiam in tarde poenitentibus quandoque contingit, ut dictum est. Horrendum est incidere in manus Dei viventis. Verum est quantum ad statum futurae vitae, ubi habet locum principaliter justitia; quia in hac vita, ubi est locus misericordiae, verum est quod dicitur 2 Reg. ult. 14: melius est mihi incidere in manus Dei quam in manus hominis. Si enim semper viveret, semper peccaret; idest, semper in peccato permaneret; quia de se non posset a peccato liberari, cum sit spiritus vadens, et non rediens; non quod semper actum peccati exerceret. Statim ut conversus fuit, Paradisum ingredi meruit. Hoc non est intelligendum de terrestri, ut quidam dicunt: quia passio Christi non reducit ad illum Paradisum; sed ad caelestem; qui quidem Paradisus potest accipi dupliciter: scilicet secundum gloriam fruitionis, et sic statim moriens in Paradiso fuit; vel quantum ad locum gloriae convenientem; et sic nullus intravit ante ascensionem. Non est imponenda in articulo mortis poenitentia, sed innotescenda. Quia per hoc quod imponitur aliqua poenitentia alicui, obligatur ad illam faciendam. Nullus autem debet ad aliquid obligari quod non potest facere. Sed est innotescenda, ut procuret per amicos et eleemosynas expiari, et ut ejus complendae propositum habeat, si evadat. Tamen est confortandus ex divina misericordia, ne in desperationem cadat. Non enim debet presbyter poenitentem inconsulto episcopo reconciliare. Hoc intelligendum est de ligato ab episcopo per excommunicationem, vel de agente poenitentiam solemnem. Puellarum consecratio per presbyterum fieri valeat consulto episcopo. Hoc non est de jure communi; quia solis episcopis, qui sunt vicem sponsi gerentes, competit desponsare, et uni viro virginem castam exhibere Christo, 2 Corinth. 11, 2. Unde modo non habet locum, sed fuit ex aliqua dispensatione factum in aliquo loco. Vel loquitur de benedictione viduarum, quae per presbyteros fieri valet.

 

 

 

Distinctio 21

Distinction 21 – [Questons sur le temps de la pénitence et la confession]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

[18286] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de tempore poenitentiae, hic movet quasdam quaestiones contra determinata, et eas solvit; et dividitur in partes duas: in prima movet quaestionem circa tempus poenitentiae; in secunda circa confessionem quae a poenitentibus requiritur, ibi: post hoc considerandum est et cetera. Prima in tres: in prima movet quaestionem circa determinata. Dixerat enim, quod tempus poenitentiae usque ad finem vitae datur; et cum omnia per poenitentiam in hac vita dimittantur peccata, inquirit, utrum post hanc vitam aliqua peccata dimitti possint; secundo determinat veritatem secundum auctoritates sanctorum, ibi: quod aliqua post hanc vitam remittantur, Christus ostendit in Evangelio; in tertia refellit quorumdam responsionem ad auctoritates, ibi: sed forte dices, illud esse accipiendum de poena peccati. Circa secundum duo facit: primo determinat veritatem quaestionis motae; secundo ex veritate determinata quamdam dubitationem movet, ibi: hic objici potest et cetera. Circa primum duo facit: primo ostendit quod post hanc vitam aliqua peccata dimittuntur in Purgatorio; secundo ostendit quod quidam tardius a peccatis ibi purgantur, ibi: in illo autem igne Purgatorio alii tardius, alii citius purgantur. Post haec autem considerandum est et cetera. Hic movet quaestiones circa determinata prius de confessione: et primo ex parte confitentis; secundo ex parte confessoris, qui scilicet confessionem audit, ibi: caveat autem sacerdos ne peccata confitentium aliis prodat. Circa primum duo quaerit: primo utrum quis debeat singula peccata confiteri quae non fecit, ibi: sicut autem poenitens celare non debet peccatum suum, quia superbia est; ita nec humilitatis causa fateri se reum illius quod se non commisisse noscit. Caveat autem sacerdos ne peccata poenitentium aliis prodat. Hic etiam duo determinat ex parte confessoris: primo ut peccatum celet; secundo quod non quisque sacerdos confessionem cujuslibet audiat, ibi: quod vero dictum est, ut poenitens eligat sacerdotem scientem ligare et solvere, videtur contrarium ei quod in canonibus reperitur. Hic est triplex quaestio. Prima de Purgatorio. Secunda de confessione generali. Tertia de sigillo confessionis quo peccata celantur. Circa primum quaeruntur tria: 1 de ipso Purgatorio; 2 de ligno, feno, et stipula, quae in Purgatorio purgantur; 3 de effectu Purgatorii.

Après avoir déterminé du temps de la pénitence, le Maître soulève ici certaines questions sur ce qui a été déterminé et y répond. Il y a deux parties : dans la première, il soulève une question à propos du temps de la pénitence; dans la seconde, à propos de la confession qui est exigée des pénitents, à cet endroit : « Après cela, il faut examiner, etc. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il soulève une question à propos de ce qui a été déterminé. En effet, il avait dit que le temps de la pénitence dure jusqu’à la fin de la vie. Puisque tous les péchés sont remis par la pénitence en cette vie, il se demande si, après cette vie, des péchés peuvent être remis. Deuxièmement, il détermine de la vérité selon des autorités des saints, à cet endroit : « Que certains choses soient remises après cette vie, le Christ le montre dans l’évangile. » Dans la troisième partie, il repousse la réponse que font certains à ces autorités, à cet endroit : « Mais peut-être diras-tu que cela doit s’entendre de la peine pour le péché. » À propos du second point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité de la question soulevée; deuxièmement, il soulève un doute à propos de la vérité déterminée, à cet endroit : « Ici, on peut objecter, etc. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que certains péchés sont remis au purgatoire après cette vie; deuxièmement, il montre que certains y sont purifiés plus tardivement de leurs péchés, à cet endroit : « Mais dans ce feu du purgatoire, certains sont purifiés plus rapidement, d’autres plus tardivement. » « Après cela, il faut examiner, etc. » Ici, il soulève des questions à propos de ce qui a été déterminé auparavant à propos de la confession : premièrement, du point de vue de celui qui se confesse ; deuxièmement, du point de vue du confesseur qui entend la confession, à cet endroit : « Que le prêtre évite de trahir à d’autres les péchés de ceux qui se confessent. » À propos du premier point, il pose deux questions : premièrement, quelqu’un doit-il confesser tous les péchés qu’il n’a pas commis, à cet endroit : « De même que le pénitent ne doit pas cacher son péché, car cela est de l’orgueuil, de même ne doit-il pas pour cause d’humilité affirmer qu’il est coupable de ce qu’il sait n’avoir pas commis. » « Que le prêtre évite de trahir les péchés de ceux qui se confessent. » Ici aussi, il détermine deux choses du point de vue du confesseur : premièrement, qu’il doit garder secret le péché [du pénitent] ; deuxièmement, que n’importe quel prêtre n’entende pas la confession de n’importe qui, à cet endroit : « Ce qu’on a dit, que le pénitent choisisse un prêtre sachant lier et délier, paraît contraire à ce qu’on trouve dans le droit canonique. » Ici, il y a trois questions. La première porte sur le purgatoire. La deuxième, sur la confession générale. La troisième, sur le secret de la confession par lequel les péchés sont tenus secrets. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – À propos du purgatoire ; 2 – À propos du bois, du foin et de la paille qui sont purifiés au purgatoire ; 3 – À propos de l’effet du purgatoire.

 

 

 

Question 1 – [Le purgatoire]

 

 

Articulus 1 [18287] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum Purgatorium sit post hanc vitam.

Article 1 – Existe-t-il un purgatoire après la vie présente ?

 

 

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Existe-t-il un purgatoire après la vie présente ?]

[18288] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Purgatorium non sit post hanc vitam. Apoc. 14, 13, dicitur: beati mortui qui in domino moriuntur. Amodo jam dicit spiritus ut requiescant a laboribus suis. Ergo his qui in domino moriuntur, non manet aliquis Purgatorius labor post hanc vitam; nec illis qui non in domino moriuntur, quia illi purgari non possunt. Ergo Purgatorium post hanc vitam non est.

1. Il semble qu’il n’existe pas de purgatoire après la vie présente. Il est dit dans Ap 14, 13 : Bienheureux ceux qui meurent dans le Seigneur. L’Esprit dit qu’ils se reposent dès maintenant de leurs peines. Pour ceux qui meurent dans le Seigneur, il ne reste donc pas d’effort purificateur après la vie présente, ni pour ceux qui ne meurent pas dans le Seigneur, car ceux-ci ne peuvent pas être purifiés. Il n’existe donc pas de purgatoire après la vie présente.

[18289] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut se habet caritas ad praemium aeternum, ita peccatum mortale ad supplicium aeternum. Sed decedentes in peccato mortali statim ad supplicium aeternum deportantur. Ergo decedentes in caritate statim ad praemium vadunt; et ita non manet eis aliquod Purgatorium post hanc vitam.

2. Le rapport entre la charité et la récompense éternelle est le même qu’entre le péché mortel et le supplice éternel. Or, ceux qui meurent dans le péché mortel sont immédiatement envoyés au supplice éternel. Ceux qui meurent dans la charité s’en vont donc immédiatement vers la récompense, et ainsi il ne reste pas de purgatoire pour eux après la vie présente.

[18290] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Deus, qui est summe misericors, pronior est ad praemiandum bona quam ad puniendum mala. Sed sicut illi qui sunt in statu caritatis, faciunt aliqua mala quae non sunt digna supplicio aeterno; ita qui sunt in peccato mortali, interdum faciunt aliqua bona ex genere, quae non sunt digna praemio aeterno. Ergo cum illa bona non praemientur in damnandis post hanc vitam; nec illa mala debent post hanc vitam puniri; et sic idem quod prius.

 

3. Dieu, qui est au plus haut point miséricordieux, est davantage porté à récompenser le bien qu’à punir le mal. Or, de même que ceux qui sont en état de charité commettent certaines fautes qui ne méritent pas un supplice éternel, de même, ceux qui sont dans le péché mortel font parfois des actions bonnes par leur genre, qui ne sont pas dignes d’une récompense éternelle. Puisque ces bonnes actions ne seront pas récompensées chez chez ceux qui doivent être damnés après la vie présente, de même ces mauvaises actions ne doivent-elles pas être punies après la vie présente. La conclusion et donc la même que précédemment.

[18291] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 2 Mach. 12, 46, dicitur: sancta et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut a peccatis solvantur. Sed pro defunctis qui sunt in Paradiso, non est orandum, quia illi nullo indigent; nec iterum pro illis qui sunt in Inferno, quia illi a peccatis solvi non possunt. Ergo post hanc vitam sunt aliqui a peccatis nondum absoluti, qui solvi possunt; et tales caritatem habent, sine qua non fit peccatorum remissio; quia universa delicta operit caritas: Prov. 10, 12. Unde ad mortem aeternam non devenient; quia qui vivit et credit in me, non morietur in aeternum; Joan. 11, 26: nec ad gloriam inducentur nisi purgati; quia nihil immundum ad illam perveniet, ut patet Apoc. ult. Ergo aliqua purgatio restat post hanc vitam.

 

Cependant, [1] il est dit en 2 M 12, 46 : Prier pour les défunts afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés est saint et salutaire. Or, il ne faut pas prier pour les défunts qui sont au Paradis, car ils n’ont besoin de rien ; il ne faut pas non plus prier pour ceux qui sont en enfer, car ils ne peuvent être absous de leurs péchés. Après la vie présente, il y en a donc qui ne sont pas encore absous de leurs péchés, et qui peuvent l’être. Ceux-là ont la charité, sans laquelle la rémission des péchés ne peut être réalisée, car la charité recouvre tous les péchés, Pr 10, 12. Ils n’iront donc pas à la mort éternelle, car celui qui vit et croit en moi ne mourra pas éternellement, Jn 11, 26 ; ils ne seront pas non plus introduits dans la gloire à moins qu’ils ne soient purifiés, car rien d’impur n’y parviendra, comme cela ressort du dernier chapitre de l’Apocalypse. Il reste donc une purification après la vie présente.

[18292] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius Nyssenus dicit: si aliquis Christo amico consentiens in hac vita purgare peccata minus potuerit, post transitum hinc per Purgatorii ignis conflationem expeditur. Ergo post hanc vitam restat aliqua purgatio.

Cependant, [2] Grégoire de Nysse dit : « Si quelqu’un qui est d’accord avec le Christ ami a été moins en mesure de purifier ses péchés dans la vie présente, il est envoyé après la mort à l’ardeur du feu du purgatoire. » Il reste donc une purification après la vie présente.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le lieu où les âmes sont purifiées et les damnés punis est-il le même ?]

[18293] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit idem locus quo animae purgantur, et quo damnati puniuntur. Quia poena damnatorum est aeterna, ut dicitur Matth. 25, 46: ibunt hi in ignem aeternum. Sed Purgatorius ignis est temporalis, ut supra Magister dixit. Ergo non simul puniuntur hi et illi eodem igne; et sic oportet loca esse distincta.

1. Il semble que le lieu où les âmes sont purifiées et les damnés punis ne soit pas le même, car la peine des damnés est éternelle, comme il est dit en Mt 25, 46 : Ceux-ci iront au feu éternel. Or, le feu purificateur est temporaire, comme le Maître l’a dit plus haut. Ceux-ci et ceux-là ne sont donc pas punis par le même feu. Il est ainsi nécessaire que les endroits soient différents.

[18294] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poena Inferni nominatur pluribus nominibus, ut in Psalm. 10, ignis, sulphur, et spiritus procellarum et cetera. Sed poena Purgatorii non nisi uno nomine nominatur, scilicet ignis. Ergo non eodem igne et eodem loco puniuntur.

2. La peine de l’enfer porte plusieurs noms, comme dans le Ps 10 : Le feu, le soufre, la tempête, etc. Or, la peine du purgatoire ne porte qu’un nom : le feu. Ils ne sont donc pas punis au même endroit et par le même feu.

[18295] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Hugo de sancto Victore dicit: probabile est quod in his locis puniuntur in quibus commiserunt culpam. Gregorius etiam in Dial., narrat quod germanus episcopus Capuanus Paschasium qui in balneis purgabatur, invenit. Ergo in loco Inferni non purgantur, sed in hoc mundo.

3. Hugues de Saint-Victor dit : « Il est probable qu’ils sont punis aux endroits où ils ont commis une faute. » Grégoire raconte aussi, dans le Dialogue, que Germain, l’évêque de Capoue, a trouvé Paschase qui était purifié dans des bains. Ils ne sont donc pas purifiés à l’endroit de l’enfer, mais en ce monde.

[18296] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit, quod sicut sub eodem igne aurum rutilat et palea fumat; ita sub eodem igne peccator crematur, et electus purgatur. Ergo idem est ignis Purgatorii et Inferni; et sic in eodem loco sunt.

Cependant, [1] Grégoire dit que de même que que l’or brille et la paille brûle par le même feu, de même le pécheur est-il brûlé et l’élu purifié par le même feu. Le feu du purgatoire et de l’enfer est donc le même. Ils se trouvent donc dans le même lieu.

[18297] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sancti patres ante adventum Christi fuerunt in loco digniori quam sit locus in quo purgantur animae post mortem; quia non erat ibi aliqua poena sensibilis. Sed locus ille erat conjunctus Inferno, vel idem quod Infernus; alias Christus ad Limbum descendens non diceretur ad Inferos descendisse. Ergo et Purgatorium est in eodem loco, vel juxta Infernum.

[2] Les saints pères avant la venue du Christ étaient dans un endroit plus digne que n’est le lieu dans lequel sont purifiées les âmes après la mort, car il n’y avait pas là de peine sensible. Or, cet endroit était associé à l'enfer ou le même que l'enfer, autrement on ne dirait pas que le Christ est descendu aux enfers en descendant aux limbes. Le purgatoire est donc dans le même endroit ou près de l’enfer.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La peine du purgatoire dépasse-t-elle toute peine temporelle de la vie présente ?]

[18298] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod poena Purgatorii non excedat omnem poenam temporalem hujus vitae. Quanto enim aliquid est magis passivum, tanto magis affligitur, si sensum laesionis habeat. Sed corpus est magis passivum quam anima separata; tum quia habet contrarietatem ad ignem agentem; tum quia habet materiam quae est susceptiva qualitatis agentis: quod de anima non potest dici. Ergo major est poena quam corpus patitur in hoc mundo, quam poena qua anima purgatur post hanc vitam.

1. Il semble que la peine du purgatoire ne dépasse pas toute peine temporelle de la vie présente. En effet, plus quelque chose est passif, plus cela est affligé, s’il a la sensation d’une blessure. Or, le corps est plus passif que l’âme séparée, tant parce qu’il possède une contrariété au feu qui agit, que parce qu’il possède une matière qui peut recevoir la qualité d’un agent, ce qu’on ne peut dire de l’âme. La peine que le corps souffre en ce monde est donc plus grande que la peine par laquelle l’âme est purifiée après la vie présente.

[18299] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, poena Purgatorii directe ordinatur contra venialia. Sed venialibus, cum sint levissima peccata, levissima poena debetur, si secundum mensuram delicti sit plagarum modus. Ergo poena Purgatorii est levissima.

2. La peine du purgatoire est directement ordonnée contre les péchés véniels. Or, si la manière d’affliger correspond à la mesure de la faute, une peine très légère est due pour les péchés véniels, puisqu’ils sont des péchés très légers. La peine du purgatoire est donc très légère.

[18300] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, reatus, cum sit effectus culpae, non intenditur nisi culpa intendatur. Sed in illo cui jam culpa dimissa est, non potest culpa intendi. Ergo in eo cui culpa mortalis dimissa est, pro quo non plene satisfecit, reatus non crescit in morte. Sed in hac vita non erat ei reatus respectu gravissimae poenae. Ergo poena quam patietur post hanc vitam non erit ei gravior omni poena istius vitae.

3. La dette n’est prise en compte que si la faute est prise en compte, puisqu’elle est l’effet de la faute. Or, chez celui à qui la faute a déjà été remise, la faute ne peut pas être prise en compte. Chez celui à qui une faute mortelle a été remise et pour laquelle il n’a pas pleinement satisfait, la dette n’augmente donc pas à la mort. Or, en cette vie, il n’existait pas de dette pour la peine la plus lourde. La peine qu’il supportera après la vie présente ne sera donc pas plus lourde que toute peine de la vie présente.

[18301] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in quodam sermone: ille ignis Purgatorii durior erit quam quidquid in hoc saeculo poenarum aut sentire aut videre aut cogitare quis potest.

Cependant, [1] dans un sermon, Augustin dit en sens contraire : « Ce feu du purgatoire sera plus pénible que toute peine qu’on peut éprouver, voir ou penser en ce siècle. »

[18302] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto poena est universalior, tanto major. Sed anima separata tota punitur, cum sit simplex; non autem ita est de corpore. Ergo illa poena quae est animae separatae, est major omni poena quam corpus patitur.

[2] Plus une peine est universelle, plus elle est grande. Or, l’âme séparée est punie en en tier, puisqu’elle est simple; mais il n’en va pas de même du corps. Cette peine de l’âme séparée sera donc plus grande que toute peine que le corps peut endurer.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Cette peine est-elle volontaire ?]

[18303] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illa poena sit voluntaria. Quia illi qui sunt in Purgatorio, rectum cor habent. Sed haec est rectitudo cordis, ut quis voluntatem suam voluntati divinae conformet, ut Ambrosius dicit. Ergo cum Deus velit eos puniri, ipsi illam poenam voluntarie sustinent.

1. Il semble que cette peine soit volontaire, car ceux qui sont au purgagoire ont un cœur droit. Or, « la rectitude du cœur est que quelqu’un conforme sa volonté à la volonté divine », comme le dit Ambroise. Puisque Dieu veut qu’ils soient punis, ceux-ci supportent donc volontairement cette peine.

[18304] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, omnis sapiens vult illud sine quo non potest pervenire ad finem intentum. Sed illi qui sunt in Purgatorio, sciunt se non posse pervenire ad gloriam nisi prius puniantur. Ergo volunt puniri.

2. Tout sage veut ce sans quoi il ne peut parvenir à la fin recherchée. Or, ceux qui sont au purgatoire savent qu’ils ne peuvent parvenir à la gloire que s’ils ont été d’abord puifiés. Ils veulent donc être punis.

[18305] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, nullus petit liberari a poena quam voluntarie sustinet. Sed illi qui sunt in Purgatorio, petunt liberari, sicut patet per multa quae in dialogo narrantur. Ergo non sustinent illam poenam voluntarie.

Cependant, personne ne demande d’être délivré d’une peine qu’il supporte volontairement. Or, ceux qui sont au purgatoire demandent d’être libérés, comme cela ressort de beaucoup de choses qui sont racontées dans le Dialogue.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Les âmes sont-elles punies par les démons au purgatoire ?]

[18306] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod animae in Purgatorio per Daemones puniantur. Quis, sicut infra, dist. 47, in fine, dicit Magister, illos habebunt tortores in poenis quos habuerunt incentores in culpa. Sed Daemones incitant ad culpam non solum mortalem, sed etiam venialem, quando aliud non possunt. Ergo etiam in Purgatorio ipsi animas pro peccatis venialibus torquebunt.

1. Il semble que les âmes soient punies par les démons au purgatoire. Comme le dit le Maître, d. 47, à la fin, « ils auront comme tourmenteurs pour les peines ceux qu’ils ont eus comme instigateurs pour la faute ». Or, les démons incitent non seulement à la faute mortelle, mais aussi à la faute vénielle, lorsqu’ils ne peuvent faire autrement. Au purgatoire, ils tourmenteront donc les âmes pour les péchés véniels.

[18307] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, purgatio a peccatis competit justis et in hac vita et post hanc vitam. Sed in hac vita purgantur per poenas a Diabolo inflictas, sicut patet de Job. Ergo etiam post hanc vitam punientur a Daemonibus purgandi.

2. La purification des péchés convient aux justes en cette vie et après cette vie. Or, en cette vie, ils sont purifiés par des peines infligées par le Diable, comme cela ressort de Job. Même après cette vie, ceux qui doivent être purifiés seront donc punis par les démons.

[18308] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, injustum est ut qui de aliquo triumphavit, ei subjiciatur post triumphum. Sed illi qui sunt in Purgatorio, de Daemonibus triumphaverunt sine peccato mortali decedentes. Ergo non subjicientur eis puniendi per eos.

Cependant, il est injuste que celui qui a triomphé de quelqu’un lui soit soumis après le triomphe. Or, ceux qui sont au purgatoire ont triomphé des démons en mourant sans péché mortel. Ils ne leur seront donc pas soumis pour être punis.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18309] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ex illis quae supra determinata sunt, satis potest constare, Purgatorium esse post hanc vitam. Si enim per contritionem deleta culpa non tollitur ex toto reatus poenae, nec etiam semper venialia dimissis mortalibus tolluntur; et justitia. Dei hoc exigit ut peccatum per poenam debitam ordinetur; oportet quod ille qui post contritionem de peccato et absolutionem decedit ante satisfactionem debitam, post hanc vitam puniatur; et ideo illi qui Purgatorium negant, contra divinam justitiam loquuntur; et propter hoc erroneum est, et a fide alienum. Unde Gregorius Nyssenus post praedicta verba subjungit: hoc praedicamus, dogma veritatis servantes, et ita credimus; hoc etiam universalis Ecclesia tenet, pro defunctis exorans ut a peccatis solvantur; quod non potest nisi de illis qui sunt in Purgatorio intelligi. Ecclesiae autem auctoritati quicumque resistit, haeresim incurrit.

À partir de ce qui a été déterminé plus haut, il est assez clair qu’il existe un purgatoire après la vie présente. En effet, si, après que la faute a été détruite par la contrition, la dette de la peine n’a pas été totalement enlevée, et que les péchés véniels aussi ne sont pas toujours enlevés lorsque les péchés mortels sont enlevés, et que la justice de Dieu [corr.] exige que le péché soit remis en ordre par une peine appropriée, il est nécessaire que soit puni après cette vie celui qui, après la contrition pour son péché et l’absolution, meurt avant d’avoir accompli la satisfaction due. Ainsi, ceux qui nient le purgatoire parlent contre la justice divine. Pour cette raison, cela est erroné et diverge de la foi. Aussi Grégoire ajoute-t-il, après les paroles rappelées : « En sauvegardant le point de vue de la vérité, nous prêchons et nous croyons cela. C’est aussi ce que pense l’Église universelle, en priant pour les défunts afin qu’il soient libérés de leurs péchés », ce qui ne peut s’entendre que de ceux qui sont au purgatoire. Or, quiconque résiste à l’autorité de l’Église encourt l’hérésie.

[18310] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa loquitur de labore operationis ad merendum et non merendum, et non de labore passionis ad purgandum.

1. Cette autorité parle de l’effort de l’action par rapport au fait de mériter et de ne pas mériter, et non de la peine de la souffrance en vue de purifier.

[18311] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod malum non habet causam perfectam, sed ex singularibus defectibus contingit; sed bonum ex una causa perfecta consurgit, ut Dionysius dicit; et ideo quilibet defectus impedit a perfectione boni; sed non quodlibet bonum impedit consummationem aliquam mali; quia nunquam est malum sine aliquo bono: et ideo peccatum veniale impedit habentem caritatem ne ad perfectum bonum deveniat, scilicet vitam aeternam, quamdiu purgatur; sed peccatum mortale non potest impediri per aliquod bonum adjunctum, quo minus statim ad ultimum malorum perducat.

2. Le mal n’a pas de cause parfaite, mais se produit à partir de carences particulières ; mais le bien est issu d’une seule cause parfaite, comme le dit Denys. Ainsi, toute carence empêche la perfection du bien; mais ce n’est pas n’importe quel bien qui empêche l’accomplissement du mal, car il n’y a jamais de mal sans un certain bien. C’est pourquoi le péché véniel empêche celui qui a la charité de parvenir au bien parfait, la vie éternelle, pendant qu’il est purifié ; mais le péché mortel ne peut être empêché par un bien qui lui est associé, par lequel il ne conduirait pas de manière moins immédiate au dernier des maux.

[18312] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui in peccatum mortale incidit, omnia bona ante acta mortificat; et quae in peccato mortali existens facit, mortua sunt; quia ipse Deum offendens, omnia bona meretur amittere, quae a Deo habet. Unde ei qui in peccato mortali decedit, non manet aliquod praemium post hanc vitam, sicut manet aliquando poena ei qui in caritate decedit, quae non semper delet omne malum quod invenit, sed solum hoc quod est sibi contrarium.

3. Celui qui tombe dans le péché mortel fait mourir toutes les bonnes actions qu’il a faites auparavant, et ce qu’il accomplit alors qu’il se trouve dans le péché mortel est mort, car, en offensant Dieu, il mérite de perdre tous les biens qu’il tient de Dieu. Pour celui qui meurt dans le péché mortel, il ne reste donc pas de récompense après la vie présente, comme il reste parfois une peine pour celui qui meurt dans la charité, qui ne détruit pas toujours tout le mal qu’elle trouve, mais seulement celui qui lui est contraire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18313] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod de loco Purgatorii non invenitur aliquid expresse determinatum in Scriptura, nec rationes possunt ad hoc efficaces induci. Tamen probabiliter, et secundum quod consonat magis sanctorum dictis, et revelationi factae multis, locus Purgatorii est duplex. Unus secundum legem communem; et sic locus Purgatorii est locus inferior Inferno conjunctus, ita quod idem ignis sit qui damnatos cruciat in Inferno, et qui justos in Purgatorio purgat; quamvis damnati secundum quod sunt inferiores merito, et loco inferiores ordinandi sint. Alius est locus Purgatorii secundum dispensationem; et sic quandoque in diversis locis aliqui puniti leguntur, vel ad vivorum instructionem, vel ad mortuorum subventionem, ut viventibus eorum poena innotescens, per suffragia Ecclesiae mitigaretur. Quidam tamen dicunt, quod secundum legem communem locus Purgatorii est ubi homo peccat; quod non videtur probabile, quia simul potest homo puniri pro peccatis quae in diversis locis commisit. Quidam vero dicunt quod puniuntur supra nos secundum legem communem; quia sunt medii inter nos et Deum quantum ad statum. Sed hoc nihil est; quia non puniuntur pro eo quod supra nos sunt, sed pro eo quod est infimum in eis, scilicet peccatum.

 

À propos du lieu du purgatoire, il n’y a rien d’expressément déterminé dans l’Écriture et on ne peut fournir d’arguments efficaces sur ce point. Toutefois, il existe probablement un double lieu pour le purgatoire, selon ce qui s’accorde le mieux avec ce que les saints ont dit et une révélation faite à plusieurs. L’un, selon la loi commune : ainsi, le lieu du purgatoire est un lieu inférieur associé à l’enfer, de telle manière que le feu soit le même qui torture les damnés en enfer et qui purifie les justes au purgatoire, bien que les damnés, en tant qu’ils sont inférieurs par le mérite, doivent être situés comme inférieurs par l’endroit. Il existe un autre lieu pour le purgatoire selon une disposition particulière. Ainsi, on lit parfois que certains sont punis dans des endroits différents, soit pour l’instruction des vivants, soit pour venir en aide aux morts, afin que leur peine étant connue des vivants, elle soit mitigée par les suffrages de l’Église. Cependant, certains disent que, selon la loi commune, le lieu du purgatoire est là où l’homme pèche, ce qui ne semble pas probable, car un homme peut être puni en même temps pour des péchés qu’il a commis en des lieux différents. Mais certains disent que, selon la loi commune, ils sont punis au-dessus de nous, car, par leur état, ils se trouvent au milieu entre nous et Dieu. Mais cela ne vaut rien, car ils ne sont pas punis parce qu’ils sont au-dessus de nous, mais pour ce qu’il y a de plus petit en eux, le péché.

[18314] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis Purgatorius est aeternus quantum ad substantiam, sed temporalis quantum ad effectum purgationis.

1. Le feu purificateur est éternel quant à sa substance, mais temporaire quant à l’effet de purification.

[18315] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena Inferni est ad affligendum; et ideo nominatur omnibus illis quae hic nos affligere consueverunt; sed poena Purgatorii est principaliter ad purgandum reliquias peccati; et ideo sola poena ignis Purgatorio attribuitur, quia ignis habet purgare et consumere.

2. La peine de l’enfer est destinée à affliger. Aussi lui donne-t-on les noms de tout ce qui a coutume de nous affliger. Mais la peine du purgatoire est principalement destinée à purifier les restes du péché. C’est pourquoi seule la peine du feu lui est attribuée, car le feu peut purifier et consumer.

[18316] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit secundum dispensationem, et non secundum legem communem.

3. Ce raisonnement se fonde sur une disposition particulière, et non sur la loi commune.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18317] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in Purgatorio erit duplex poena: una damni, inquantum scilicet retardantur a divina visione; alia sensus, secundum quod ab igne corporali punientur; et quantum ad utrumque poena Purgatorii minima excedit maximam poenam hujus vitae. Quanto enim aliquid magis desideratur, tanto ejus absentia est molestior. Et quia affectus quo desideratur summum bonum, post hanc vitam in animabus sanctis est intensissimus, quia non retardatur affectus mole corporis, et etiam quia terminus fruendi summo bono jam advenisset, nisi aliquid impediret; ideo de tardatione maxime dolent. Similiter etiam cum dolor non sit laesio, sed laesionis sensus; tanto aliquis magis dolet de aliquo laesivo, quanto magis est sensitivum; unde laesiones quae fiunt in locis maxime sensibilibus, sunt maximum dolorem causantes. Et quia totus sensus corporis est ab anima; ideo si in ipsam animam aliquod laesivum agat, de necessitate oportet quod maxime affligatur. Quod autem anima ab igne corporali patiatur, hoc ad praesens supponimus, quia de hoc infra, dist. 44, qu. 3, art. 3, quaestiunc. 3, in corp., dicetur. Et ideo oportet quod poena Purgatorii quantum ad poenam damni et sensus excedat omnem poenam istius vitae. Quidam autem assignant rationem ex hoc quod anima tota punitur, non autem corpus. Sed hoc nihil est; quia sic poena damnatorum esset minor post resurrectionem quam ante; quod falsum est.

Dans le purgatoire, il y aura une double peine : l’une, celle du dam, pour autant qu’on tarde à voir Dieu; l’autre, celle du sens, selon laquelle on sera puni par un feu corporel. Sur les deux points, la moindre peine du purgatoire dépasse la plus grande peine de la vie présente. En effet, plus quelque chose est désiré, plus son absence est pénible. Et parce que le sentiment par lequel le bien suprême est désiré est le plus intense après la vie présente dans les âmes saintes, puisque qu’il n’est pas retardé par le poids du corps et aussi parce que sera déjà venu le moment de jouir du bien suprême, sauf empêchement, on éprouve la plus grande douleur en raison de ce retard. De même, puisque la douleur n’est pas une blessure mais la sensation d’une blessure, on éprouve d’autant plus la douleur de quelque chose qui blesse qu’on est sensible. Ainsi, les blessures qui sont faites aux endroits les plus sensibles causent-elles la plus grande douleur. Et parce que toute sensation du corps vient de l’âme, si quelque chose de blessant affecte l’âme, il faut nécessairement qu’elle soit affligée au plus haut point. Mais que l’âme souffre d’un feu corporel, nous le supposons pour le moment, puisque qu’on en parlera plus loin, d. 44, q. 3, a. 3, c. Il est donc nécessaire que la peine du purgatoire, tant pour la peine du dam que pour la peine du sens, dépasse toute peine de la vie présente. Mais certains l’expliquent par le fait que l’âme entière est punie, mais non le corps. Mais cela ne vaut rien, car ainsi la peine des damnés serait moindre après la résurrection qu’avant, ce qui est faux.

[18318] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis anima sit minus passiva quam corpus, tamen est magis cognoscitiva passionis; et ubi est major passionis sensus, ibi est major dolor, etiam si sit minor passio.

1. Bien que l’âme soit moins passive que le corps, elle peut cependant mieux connaître une passion. Et là où la sensation d’une passion est plus grande, là existe une plus grande douleur, même si la passion est moindre.

[18319] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod acerbitas illius poenae non est tantum ex quantitate peccati, quantum ex dispositione puniti; quia idem peccatum gravius punitur ibi quam hic: sicut ille qui est melioris complexionis, magis punitur eisdem plagis impositis quam alius; et tamen judex utrique easdem plagas pro eisdem culpis inferens, juste facit.

2. La rigueur de cette peine ne vient pas tant de la quantité du péché que de la disposition de celui qui est puni, car le même péché est puni là plus gravement qu’ici, comme celui qui a une meilleure constitution est davantage puni qu’un autre par les mêmes châtiments imposés. Cependant, le juge qui impose les mêmes châtiments pour les mêmes fautes agit justement.

[18320] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Et per hoc etiam patet solutio ad tertium.

La réponse au troisième argument est ainsi claire.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18321] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod aliquid dicitur voluntarium dupliciter. Uno modo voluntate absoluta; et sic nulla poena est voluntaria, quia ex hoc est ratio poenae, quod voluntati contrariatur. Alio modo dicitur aliquid voluntarium voluntate conditionata, sicut ustio est voluntaria propter sanitatem consequendam; et sic aliqua poena potest esse voluntaria dupliciter. Uno modo, quia per poenam aliud bonum acquirimus; et sic ipsa voluntas assumit poenam aliquam, ut patet in satisfactione; vel etiam quia ille libenter eam accipit, et non vellet eam non esse, sicut accidit in martyrio. Alio modo, quia quamvis per poenam nullum bonum nobis accrescat, tamen sine poena ad bonum pervenire non possumus, sicut patet de morte naturali; et tunc voluntas non assumit poenam, et vellet ab ea liberari; sed eam supportat; et quantum ad hoc voluntaria dicitur; et sic poena Purgatorii est voluntaria. Quidam autem dicunt, quod non est aliquo modo voluntaria, quia sunt ita absorpti poenis, quod nesciunt se per poenam purgari, sed putant se esse damnatos. Sed hoc est falsum; quia nisi scirent se liberandos, suffragia non peterent, quod frequenter faciunt.

 

Quelque chose est appelé volontaire de deux manières. D’une manière, selon une volonté absolue : ainsi aucune peine n’est volontaire, car le caractère de peine vient de ce que la volonté est contrariée. D’une autre manière, on parle de volontaire selon une volonté conditionnelle, comme la cautérisation est volontaire en vue d’obtenir la santé. Ainsi une peine peut être volontaire de deux manières. D’une manière, parce que nous acquérons un bien par une peine : ainsi la volonté prend sur elle une peine, comme cela ressort dans la satisfaction; ou encore, parce que quelqu’un la reçoit volontiers et ne voudrait pas qu’elle n’existe pas, comme cela se produit dans le martyre. D’une autre manière, parce que, même si aucun bien ne nous vient d’une peine, nous ne pouvons cependant parvenir au bien sans une peine, comme cela ressort dans la mort naturelle : alors la volonté ne prend pas sur elle la peine et voudrait en être libérée, mais elle la supporte. Sous cet aspect, elle est ainsi appelée volontaire. C’est de cette manière  que la peine du purgatoire est volontaire. Mais certains disent qu’elle n’est d’aucune manière volontaire, car ils sont tellement plongés dans les peines qu’ils ne savent pas qu’ils sont purifiés par la peine, mais pensent qu’ils sont damnés. Mais cela est faux, car  s’ls ne savaient pas qu’ils doivent être libérés, ils ne demanderaient pas de suffrages, ce qu’ils font fréquemment.

[18322] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux arguments est ainsi claire.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[18323] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod sicut post diem judicii divina justitia succendet ignem quo damnati in perpetuum punientur; ita etiam nunc sola justitia divina electi post hanc vitam purgantur; non ministerio Daemonum, quorum victores extiterunt; nec ministerio Angelorum, quia cives suos non tam vehementer affligerent. Sed tamen possibile est quod eos ad loca poenarum deducant, et etiam ipsi Daemones, qui de poenis hominum laetantur, eas concomitentur, et assistant purgandis, tum ut de eorum poenis satientur, tum ut in eorum exitu a corpore aliquid suum ibi reperiant. In hoc autem saeculo, quando adhuc locus pugnae est, puniuntur homines et a malis Angelis, sicut ab hostibus, ut patet de Job; et a bonis, sicut patet de Jacob, cujus nervus femoris Angelo percutiente emarcuit. Et hoc etiam expresse Dionysius dicit in 4 cap. de Div. Nom., quod boni Angeli interdum puniunt.

 

De même qu’après le jour du jugement, la justice divine allumera un feu par lequel les damnés seront punis éternellement, de même les élus sont-ils maintenant purifiés après cette vie par la seule justice divine, et non par le ministère des démons dont ils se sont montrés les vainqueurs, ni par le ministère des anges, car ils n’affligeraient pas aussi violemment leurs concitoyens. Cependant, il est possible qu’ils les amènent aux endroits [où ils devront subir] leurs peines, et même les démons, qui se réjouissent des peines des hommes, les accompagneront et les aideront à se purifier, tant pour être rassasiés de leurs peines que parce qu’ils trouvent quelque chose d’eux-mêmes dans la sortie de leur corps. Mais, dans le temps présent, alors que c’est encore le temps du combat, les hommes sont punis tant par les anges mauvais comme par des ennemis, comme cela ressort de Job, que par les anges bons, comme cela ressort de Jacob, dont le nerf de la hanche fut affecté par un coup de l’ange. Et Denys dit expressément dans les Noms divins, IV, que les anges bons punissent parfois.

[18324] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 5 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux arguments sont ainsi claires.

 

 

Articulus 2 [18325] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum lignum, fenum, et stipula, quae superaedificantur, sint peccata venialia

Article 2 – Le bois, le foin et la paille qu’on rajoute à la construction sont-ils les péchés véniels [1 Co 3, 12] ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le bois, le foin et la paille qu’on rajoute à la construction sont-ils les péchés véniels ?]

[18326] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod lignum, fenum, et stipula, quae superaedificari dicuntur supra positum fundamentum, non sint peccata venialia. Quia supra id quod est summum, nihil potest aedificari. Sed fundamentum spiritualis aedificii, ut Glossa Augustini dicit, est in summo. Ergo non potest super ipsum aedificari.

1. Il semble que le bois, le foin et la paille, dont on dit qu’ils sont rajoutés aux fondations déjà posées, ne soient pas les péchés véniels, car on ne peut construire par-dessus ce qui est déjà le plus élevé. Or, le fondement de l’édifice spirituel, comme le dit la glose d’Augustin, est ce qu’il y a de plus élevé. On ne peut donc pas construire par-dessus lui.

[18327] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, aedificium per fundamentum sustentatur. Sed peccata venialia non sustentantur per fundamentum spirituale, quod est fides per dilectionem operans. Ergo lignum, fenum, et stipula, quae aedificantur, non sunt peccata venialia.

2. Un édifice est supporté par ses fondations. Or, les péchés véniels ne sont pas supportés par le fondement spirituel, qui est la foi agissant par l’amour. Le bois, le foin et la paille avec lesquels on construit ne sont donc pas les péchés véniels.

[18328] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Isa. 5, super illud: vae qui conjungitis domum ad domum, dicit Hieronymus: haeretici dogmata dogmatibus conjungunt; et qui super fundamentum aedificare debuerunt aurum, argentum, et lapides pretiosos, aedificant lignum, fenum et stipulam. Sed haeretici dogmata falsa confingentes, non peccant venialiter. Ergo lignum, fenum et stipula non sunt peccata venialia.

3. À propos de Is 5 : Malheur à ceux qui ajoute maison à maison ! Jérôme dit : « les hérétiques ajoutent une opinion à l’autre, et ceux qui devaient construire sur le fondement avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, construisent avec du bois, du foin et de la paille. » Or, les hérétiques, en inventant de fausses opinions, ne pèchent pas véniellement. Le bois, le foin et la paille ne sont donc pas des péchés véniels.

[18329] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Ambrosium, apostolica doctrina est fundamentum; ille autem superaedificat qui veniens post apostolos docet, sive malus sive bonus sit. Sed bene docentes post apostolos aedificant aurum, argentum, et lapides pretiosos, in quibus doctrina praeclara signatur; mali autem lignum, fenum, et stipulam, in quibus vana et frivola doctrina est peccatum mortale. Ergo per lignum, fenum et stipulam, mortalia peccata intelliguntur, et non venialia.

4. Selon Ambroise, l’enseignement apostolique est le fondement et celui qui enseigne à la suite des apôtres construit par-dessus, qu’ils soit mauvais ou bon. Or, ceux qui enseignent bien à la suite des apôtres construisent avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, par lesquels un enseignement remarquable est signifié; mais les mauvais [construisent] avec du bois, du foin et de la paille, en raison desquels un enseignement inutile et futile est un péché mortel. Par le bois, le foin et la paille, on entend donc les péchés mortels, et non les péchés véniels.

[18330] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera per verba Augustini.

Cependant, les paroles d’Augustin dans le texte vont en sens contraire.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-ce que ce sont les mêmes qui ajoutent les deux choses à la construction ?]

[18331] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod iidem sint qui utraque superaedificant. Quia, secundum Augustinum, per aurum signatur Dei contemplatio; per argentum dilectio proximorum; per lapides pretiosos bona opera. Sed illi qui inordinatos affectus aliquos habent ad res temporales, qui dicuntur lignum, fenum et stipulam aedificare, contemplantur aliquando Deum, et diligunt proximum, et aliqua bona opera faciunt. Ergo iidem sunt qui aedificant utraque.

 

1. Il semble que ce soient les mêmes qui ajoutent les deux choses à la construction, car, selon Augustin, « la contemplation de Dieu est signifiée par l’or, l’amour du prochain par l’argent et les bonnes actions par les pierres précieuses ». Or, ceux qui aiment de manière désordonnée les réalités temporelles, dont on dit qu’ils construisent avec du bois, du foin et de la paille, contemplent parfois Dieu, aiment leur prochain et font de bonnes actions. Ce sont donc les mêmes qui construisent avec les deux choses.

[18332] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur, illi aedificant aurum, argentum, et lapides pretiosos, qui cogitant quae Dei sunt, quomodo placeant Deo. Sed tales etiam aliqua venialia committunt, ut patet 1 Joan. 1, qui per lignum, fenum, et stipulam intelliguntur. Ergo iidem sunt qui utraque superaedificant.

2. Comme on le dit dans le texte, ceux-là construisent avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, qui pensent aux choses de Dieu, comment ils vont plaire à Dieu. Or, ce sont ceux qui commettent des péchés véniels qu’on entend par le bois, le foin et la paille, comme cela ressort de 1 Jn 1. Ce sont donc les mêmes qui ajoutent les deux choses à la construction.

[18333] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, quod illi qui aedificant aurum, argentum, et lapides pretiosos, sunt securi; sed illi qui aedificant lignum, fenum et stipulam, non sunt securi. Ergo non sunt iidem qui utraque aedificant.

Cependant, Augustin dit que « ceux qui construisent avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses sont en sécurité, mais que ceux qui construisent avec du bois, du foin et de la paille ne sont pas en sécurité ». Ce ne sont donc pas les mêmes qui construisent les deux choses.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [Les péchés véniels ajoutés au péché mortel sont-ils punis éternellement chez les damnés ?]

[18334] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod venialia etiam mortali adjuncta sint lignum, fenum, et stipula, ut non puniantur etiam aeternaliter in damnatis, sed temporaliter. Quia secundum distantiam culparum debet esse distantia poenarum. Sed culpa mortalis in infinitum excedit venialem. Ergo et poena poenam. Sed hoc non potest esse secundum acerbitatem, quia acerbitas utriusque poenae est finita. Ergo oportet quod hoc sit secundum durationem; quod non esset, si veniale aeternaliter puniretur.

1. Il semble que même les péchés véniels ajoutés à un péché mortel soient du bois, du foin et de la paille, de sorte qu’ils ne sont pas punis éternellement mais temporellement chez les damnés, car l’écart entre les fautes doit être l’écart entre les peines. Or, une faute mortelle dépasse à l’infini une faute vénielle, et donc, la peine [pour une faute mortelle] la peine [pour une faute vénielle]. Or, cela ne peut être en raison de la rigueur, car la rigueur des deux peines est finie. Il faut donc que ce soit par la durée, ce qui ne serait pas le cas si le péché véniel était puni éternellement.

[18335] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non est personarum acceptio apud Deum, ut dicitur Rom. 2. Sed videretur esse, si pro eadem culpa unum plus et alium minus puniret. Cum ergo pro culpa veniali justus temporaliter puniatur, etiam damnatus non aeternaliter, sed temporaliter punietur.

2. Dieu ne fait pas acception des personnes, comme il est dit dans Rm 2. Or, cela semblebrait être le cas si, pour la même faute, il punissait l’un davantage et l’autre moins. Puisque le juste est puni temporellement pour une faute vénielle, le damné ne sera donc pas puni éternellement mais temporellement [pour une faute vénielle].

[18336] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Matth. 5, 26: non exies inde, donec reddas novissimum quadrantem, idest minuta peccata. Sed ille qui in peccato mortali decedit, potest reddere. Ergo pro peccatis venialibus punietur aeternaliter.

Cependant, Mt 5, 26 va en sens contraire : Tu n’en sortiras pas avant d’avoir rendu le dernier sou, c’est-à-dire les petits péchés. Or, celui qui meurt dans le péché mortel peut rendre. Il ne sera donc pas puni éternellement pour les péchés véniels.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18337] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod venialia caritati adjuncta possunt per aliquam poenam consumi; et ideo convenienter secundum metaphoram signantur illa quae per ignem consumuntur; et quia quanto aliquod peccatum est gravius, tanto difficilius purgatur; in peccatis autem venialibus invenitur alterum altero gravius; ideo convenienter eorum diversitas signatur per diversitatem eorum quae facilius et tardius consumuntur ab igne. Et quia perfectio cujuslibet quantitatis ternario comprehenditur, propter principium, medium, et finem; ideo triplex differentia ponitur; quia quaedam sunt gravissima in genere venialium, et difficillime purgabilia; et haec per lignum signantur; quaedam minima, quae per stipulam; quaedam media, quae per fenum signantur.

Les péchés véniels associés à la charité peuvent être consumés par une peine. C’est pourquoi, selon une métaphore, ils sont signifiés de manière appropriée comme étant ce qui est consumé par le feu. Et parce que plus un péché est grave, plus il est difficilement purifié, et que, parmi les péchés véniels, il s’en trouve un qui est plus grave qu’un autre, leur diversité est donc convenablement signifiée par la diversité de ce qui est plus facilement ou plus lentement consumé par le feu. Et parce que la perfection de toute chose est comprise dans le nombre trois en raison du principe, du milieu et de la fin, une triple différence est donc présentée, car certains sont les plus graves dans le genre des péchés véniels et difficiles à purifier : ceux-ci sont signifiés par le bois; certains sont les plus petits : ils sont signifiés par la paille; certains sont entre les deux : ils sont signifiés par le foin.

[18338] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut fundamentum transumitur ad spiritualia ratione prioritatis, et non ratione inferioritatis; ita superaedificari dicuntur non quae superius, sed quae posterius fiunt.

1. Comme le fondement est transposé aux réalités spirituelles en raison de sa priorité, et non pas en raison de son infériorité, on dit donc qu’est construit par-dessus lui non pas ce qui est supérieur, mais ce qui est fait après lui.

[18339] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod venialia non dicuntur superaedificari quasi ex fundamento stabilitatem habentia. Dicitur enim aliquid super fundamentum poni tripliciter. Uno modo directo situ, quod supra fundamentum firmatur; et sic solum bona opera fidei formatae, quae fundamentum dicitur, superaedificantur. Alio modo dicitur esse super, quod est juxta, sicut patet in Psalm. 136: super flumina Babylonis; et sic venialia superaedificantur, quia fundamentum non destruunt, sed simul cum fundamento sunt. Alio modo dicitur esse super, quod est post; sicut Ezech. ult. 3: super terminum Aser, idest post, ut Glossa dicit: et sic etiam mortalia possunt superaedificari, quae fundamentum destruunt. Vel, secundum quosdam, per lignum, fenum et stipulam non intelliguntur ipsa venialia, sed opera bona quibus aliquis motus venialis peccati se immiscet; et haec superaedificantur quantum ad id quod est boni in eis, et non quantum ad id quod habent de veniali. Sed hoc non videtur esse secundum intentionem apostoli et Augustini; quia tunc non esset distinctio inter lignum, fenum et stipulam, et aurum, argentum, et lapidem pretiosum.

2. On ne dit pas que les péchés sont édifiés sur le fondement comme s’ils tenaient leur solidité du fondement. En effet, on dit que quelque chose est édifié sur le fondement de trois manières. D’une manière, directement sur l’endroit, de sorte que cela est affermi sur le fondement : ainsi seules les bonnes actions de la foi formée, qui est appelée le fondement, sont-elles édifiées sur le fondement. D’une autre manière, ce qui est à côté est dit être sur, comme cela cela ressort du Ps 136 : Au bord [super] des fleuves de Babylone : ainsi les péchés véniels sont-ils édifiés sur [le fondement], car ils ne détruisent pas le fondement, mais existent en même temps que le fondement. D’une autre manière, on dit que quelque chose est sur alors que cela est après, comme en Ez 48, 3 : Aux frontières d’Aser, c’est-à-dire après, comme le dit le Glose. Ainsi même les péchés mortels peuvent être édifiés sur [le fondement], alors qu’ils le détruisent. Ou bien, selon certains, on n’entend pas par le bois, le foin et la paille les péchés véniels eux-mêmes, mais les bonnes actions auxquelles se mêle un mouvement de péché véniel ; celles-ci sont édifiées sur [le fondement] pour ce qui est bon en elles, et non pour ce qu’elles ont du péché véniel. Mais cela ne semble pas être conforme à l’intention de l’Apôtre et d’Augustin, car il n’y aurait pas alors de distinction entre le bois, le foin et la paille, [d’une part], et l’or, l’argent et la pierre précieuse, [d’autre part].

[18340] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in sacra Scriptura praeter principalem sensum quem auctor intendit, possunt alii sensus non incongrue aptari. Et sic Hieronymus per adaptationem quamdam loquitur, et non secundum intentionem apostoli.

3. Dans la Sainte Écriture, en plus du sens principal que l’auteur a en vue, peuvent aussi être adaptés d’autres sens d’une manière qui n’est pas inconvenante. Ainsi parle Jérôme selon une certaine adaptation, et non selon l’intention de l’Apôtre.

[18341] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliqui etiam male docentes quandoque non mortaliter, sed venialiter peccant, sicut quando aliqua inutilia docent, vel aliquis motus inanis gloriae eis insurgit. Vel dicendum, quod loquitur secundum eumdem modum sicut Hieronymus.

4. Certains qui enseignent mal parfois ne pèchent pas mortellement mais véniellement, comme lorsqu’ils enseignent des choses inutiles ou qu’un mouvement de vaine gloire apparaît en eux. Ou bien il faut dire qu’il parle de la même manière que Jérôme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18342] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aurum, argentum et lapis pretiosus; et lignum, fenum et stipula, possunt dupliciter exponi. Uno modo ita quod quaelibet bona opera dicantur aurum, argentum et lapis pretiosus; et quaelibet venialia dicantur lignum, fenum et stipula; et sic non est dubium quod iidem aedificant utraque; sed quidam dicuntur haec et quidam illa aedificare, secundum quod eis magis insistunt; sicut etiam activi a contemplativis distinguuntur, quamvis et contemplativi aliquid agant, et activi aliquid contemplentur aliquando. Alio modo ita quod per aurum, argentum et lapidem pretiosum intelligantur solum opera perfectorum; et per lignum, fenum et stipulam superaedificata intelligantur venialia eorum qui solicitudinem de rebus temporalibus gerunt, non soli Deo vacantes; et tunc patet quod non sunt iidem qui utraque aedificant; quia imperfecti, etsi bona opera faciunt, tamen obscurantur ex solicitudinibus hujus mundi, ut claritatem auri, argenti et lapidis pretiosi non habeant; et similiter perfecti, etiam si aliqua venialia habeant, tamen ex fervore caritatis in eis consumuntur, et ex solicitudine continua quam de purgatione propria habent; et ideo non dicuntur ea superaedificare, quia in eis habitualiter non manent; et tales securi sunt, quia nihil est in eis purgabile.

L’or, l’argent et la pierre précieuse, [d’une part], et le bois, le foin et la paille, [d’autre part], peuvent être interprétés de deux manières. D’une manière, de telle sorte que toutes les bonnes actions soient appelées de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, et que tous les péchés véniels soient appelés du bois, du foin et de la paille. De cette manière, il n’y a pas de doute que les mêmes édifient les deux choses, mais qu’on dit de certains qu’ils édifient telle ou telle chose selon qu’ils s’y adonnent davantage, comme les actifs se distinguent des contemplatifs, bien que les contemplatifs agissent parfois, et que les actifs contemplent parfois. D’une autre manière, de telle sorte que par l’or, l’argent et les pierres précieuses, on entende seulement les actions des parfaits, et par ce qui est édifié avec du bois, du foin et de la paille, on entende les péchés véniels de ceux qui se soucient des réalités temporelles et ne vaquent pas à Dieu seul. Il est alors clair que ce ne sont pas les mêmes que édifient les deux choses, car les imparfaits, même s’ils font de bonnes actions, sont parfois assombris par les soucis de ce monde, de sorte qu’ils n’ont pas l’éclat de l’or, de l’argent des pierres précieuses. De même, les parfaits, même s’ils ont des péchés véniels, ils sont consumés en eux par la ferveur de la charité et par la préoccupation continuelle qu’ils ont de leur propre purification. C’est pourquoi on ne dit pas qu’ils ajoutent ces choses [au fondement] de l’édifice, car elles ne demeurent pas habituellement en eux. T ceux-là sont en sécurité, car il n’y a rien en eux qui soit purifiable.

[18343] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et secundum hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18344] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod culpa non potest ordinari nisi per poenam; et quia Deus nihil inordinatum relinquit, ideo nunquam culpam sine poena dimittit. In illis autem qui damnantur, non potest aliqua culpa dimitti, nec aliquis reatus tolli, cum careant caritate, per quam et culpa purgatur, et reatus tollitur; et ideo culpa venialis in eis semper manebit, vel reatus ejus, si etiam ante peccatum mortale veniale dimissum fuisset quantum ad culpam, manente reatu; et propter hoc aeternaliter damnati de illis venialibus punientur.

La faute ne peut être remise en ordre que par une peine, et parce que Dieu ne laisse rien qui soit désordonné, il ne remet donc jamais une faute sans une peine. Mais chez ceux qui sont damnés, une faute ne peut pas être remise ni une dette enlevée, puisque la charité leur fait défaut, par laquelle la faute est purifiée et la dette enlevée. C’est pourquoi la faute vénielle ou sa dette demeurera toujours en eux, même si le péché véniel avait été remis avant le péché mortel quant à la faute, alors que demeure la dette. Pour cette raison, les damnés seront punis éternellement pour ces fautes vénielles.

[18345] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum mortale meretur poenam aeternam, inquantum gratiam tollit, et a Deo aeterno separat; et secundum hoc in infinitum distat a veniali. In illo ergo qui gratia caret, et a Deo in perpetuum separatus est, per accidens veniali aeterna poena debetur ratione subjecti, quae per se debetur mortali.

1. Le péché mortel mérite une peine éternelle dans la mesure où il enlève la grâce et sépare du Dieu éternel. Sous cet aspect, il est infiniment distant du péché véniel. Chez celui à qui la grâce fait défaut et qui est séparé de Dieu pour toujours, la peine éternelle, qui est due par elle-même pour le péché mortel, est due par accident pour le péché véniel en raison du sujet.

[18346] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est ibi aliqua personarum acceptio; quia in justo est gratia, cujus virtute, culpa ejus purgatur vel reatus; qua carent damnati; et ideo eorum culpa vel reatus per poenam expiari non potest: et sic patet quod venialia mortalibus adjuncta in damnatis per accidens habent quod non sunt lignum, fenum, et stipula.

2. Il n’y a pas là acception des personnes, car, chez le juste, il y a la grâce en vertu de laquelle sa faute ou sa dette est purifiée. Elle fait défaut aux damnés, de sorte que leur faute ou leur dette ne peut être expiée par une peine. Il est ainsi clair que les péchés véniels associés aux péchés mortels chez les damnés sont tels qu’ils ne sont pas du bois, du foin et de la paille.

 

 

Articulus 3 [18347] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 tit. Utrum per poenam Purgatorii expietur peccatum veniale quo ad culpam.

Article 3 – Le péché véniel sera-t-il expié par la peine du purgatoire quant à la faute ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 [Le péché véniel est-il expié par la peine du purgatoire quant à la faute ?]

[18348] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per poenam Purgatorii non expietur peccatum veniale quo ad culpam. Quia super illud 1 Joan. 5: est peccatum ad mortem etc. dicit Glossa interlinealis: quod in hac vita non corrigitur, frustra post mortem ejus venia postulatur. Ergo nullum peccatum post hanc vitam quo ad culpam dimittitur.

1. Il semble que le péché véniel ne soit pas expié par la peine du purgatoire quant à la faute, car, à propos de 1 Jn 5 : Le péché conduit à la mort, etc., la glose interlinéaire dit : « Ce qui n’est pas corrigé en cette vie, c’est en vain qu’on en demandera pardon après la mort. » Après la vie présente, aucun péché n’est donc remis quant à la faute.

[18349] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ejusdem est labi in peccatum et a peccato liberari. Sed anima post mortem non potest peccare venialiter. Ergo nec a peccato veniali absolvi.

2. Il appartient au même de tomber dans le péché et d’être libéré du péché. Or, après la mort, l’âme ne peut pécher véniellement. Elle ne peut donc non plus être libérée du péché véniel.

[18350] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit, quod talis in judicio quisque futurus est, qualis de corpore exivit; quia lignum ubi ceciderit, ibi erit; Eccl. 11. Si ergo aliquis in hac vita exit cum veniali, in judicio cum veniali erit; et ita per Purgatorium non expiatur a culpa veniali aliquis.

3. Grégoire dit qu’on sera dans le futur tel qu’on sera sorti de son corps, car là où l’arbre est tombé, là il reposera, Qo 11. Si donc quelqu’un sort de cette vie avec un péché véniel, il se trouvera au jugement avec un péché véniel. Ainsi n’est-on pas purifié d’une faute vénielle par le purgatoire.

[18351] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, supra dictum est, dist. 17, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3, quod culpa actualis non deletur nisi per contritionem. Sed post hanc vitam non erit contritio, quae est actus meritorius; quia tunc non erit meritum neque demeritum, cum secundum Damascenum, hoc sit hominibus mors quod Angelis casus. Ergo post hanc vitam non dimittitur in Purgatorio veniale quo ad culpam.

4. On a dit plus haut, d. 17, q. 2, a. 2, qa 3, que la faute actuelle n’est détruite que par la contrition. Or, après la vie présente, il n’y aura pas de contrition, qui est un acte méritoire, car il n’y aura pas alors de mérite ou de démérite, puisque, selon [Jean] Damascène, « la mort est pour les hommes ce qu’est la chute pour les anges ». Après la vie présente, le péché véniel n’est donc pas remis au purgatoire quant à la faute.

[18352] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, veniale non est in nobis nisi ratione fomitis; unde in primo statu Adam venialiter non peccasset, ut in 2 Lib., dist. 21, quaest. 2, art. 3, in corp., dictum est. Sed post hanc vitam in Purgatorio non erit sensualitas fomite corrupto in anima separata, quia fomes dicitur lex carnis, Rom. 7. Ergo non erit ibi venialis culpa; et ita non potest expiari per Purgatorium ignem.

5. Le péché véniel n’existe en nous qu’en raison de la convoitise. Aussi Adam n’aurait-il pas péché véniellement en son premier état, comme on l’a dit dans le livre II, d. 21, q. 2, a. 3, c. Or, après la vie présente, il n’y aura pas de sensualité corrompue par la convoitise dans l’âme séparée, car la convoitise est appelée la loi de la chair, Rm 7. Il n’y aura donc pas là de faute vénielle, et ainsi [la faute vénielle] ne peut être expiée par le feu purificateur.

[18353] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit in 4 Dial., et Augustinus de vera poenitentia, quod quaedam culpae leves in futuro remittuntur. Nec potest intelligi quo ad poenam; quia sic omnes culpae, quantumcumque graves, quantum ad reatum poenae per ignem Purgatorium expiantur. Ergo venialia quantum ad culpam purgantur per ignem Purgatorium.

Cependant, [1] Grégoire dit en sens contraire, dans le Dialogue, IV, ainsi qu’Augustin, dans Sur la vraie pénitence, que certaines fautes légères seront remises dans le futur. On ne peut l’entendre de la peine, car ainsi toutes les fautes, aussi graves soient-elles, sont expiées par le feu purificateur quant à la dette de la peine. Les péchés véniels sont donc purifiés par le feu purificateur quant à la faute.

[18354] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 3, per lignum, fenum, et stipulam, ut dictum est, venialia intelliguntur. Sed lignum, fenum et stipula per Purgatorium consumuntur. Ergo ipsae veniales culpae post hanc vitam remittuntur.

[2] En 1 Co 3, 12, on entend les péchés véniels par le bois, le foin et la paille. Or, le bois, le foin et la paille sont consumés par le purgatoire. Les fautes vénielles elles-mêmes sont donc remises après la vie présente.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le feu purificateur libère-t-il de la dette de la peine ?]

[18355] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis Purgatorius non liberet a reatu poenae. Omnis enim purgatio respicit foeditatem. Sed poena non importat aliquam foeditatem. Ergo ignis Purgatorius non liberat a poena.

1. Il semble que le feu purificateur ne libère pas de la dette de la peine; en effet, toute purification concerne une souillure. Or, une peine n’implique pas de souillure. Le feu purificateur ne libère donc pas de la peine.

[18356] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, contrarium non purgatur nisi per suum contrarium. Sed poena contrariatur poenae. Ergo per poenam Purgatorii non purgatur aliquis a reatu poenae.

2. Un contraire n’est purifié que par son contraire. Or, une peine est le contraire d’une peine. On n’est donc pas purifié de la dette de la peine par la peine du purgatoire.

[18357] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, 1 Corinth. 3, super illud: salvus erit, sic tamen etc., dicit Glossa vetus: ignis iste est tentatio tribulationis, de qua scriptum est: vasa figuli probat fornax; Eccli. 27, 6. Ergo homo expiatur ab omni poena per poenas hujus mundi saltem per mortem, quae est maxima poenarum, et non per Purgatorium ignem.

3. À propos de 1 Co 3 : Il sera sauvé, cependant, etc., l’ancienne glose dit : « Ce feu est la mise à l’épreuve qu’est la tribulation, dont on a écrit : La fournaise met à l’épreuve les vases du potier, Si 27, 6. » L’homme est donc libéré de toute peine par les peines de ce monde, tout au moins par la mort qui est la plus grande des peines, et non par le feu purificateur.

[18358] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, poena Purgatorii est gravior quam poena quaelibet hujus mundi, ut supra dictum est. Sed per poenam satisfactoriam, quam aliquis in hac vita sustinet, expiatur a debito poenae. Ergo multo fortius per poenam Purgatorii.

Cependant, la peine du purgatoire est plus lourde que toute peine de ce monde, comme on l’a dit plus haut. Or, par la peine satisfactoire que l’on supporte en cette vie, on est libéré de la dette de la peine. À bien plus forte raison, sera-t-on libéré par le peine du purgatoire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quelqu’un est-il libéré de cette peine plus rapidement qu’un autre ?]

[18359] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ab illa poena unus non liberetur alio citius. Quanto enim gravior est culpa et major reatus, tanto acerbior poena imponitur in Purgatorio. Sed quae est proportio poenae acerbioris ad culpam graviorem, eadem est proportio poenae levioris ad culpam leviorem. Ergo ita cito liberatur unus a poena illa sicut alius.

 

1. Il semble que quelqu’un ne soit pas libéré de cette peine plus rapidement qu’un autre. En effet, plus grande est la faute et plus grande la dette, plus rigoureuse est la peine imposée au purgatoire. Or, la proportion entre une peine plus rigoureuse et une faute plus grave est la même proportion qu’entre une peine plus légère et une peine plus légère. Ainsi quelqu’un est-il plus rapidement libéré de cette peine qu’un autre.

[18360] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, inaequalibus meritis adduntur aequales retributiones, et in caelo et in Inferno, quantum ad durationem. Ergo videtur esse similiter in Purgatorio.

2. Pour des mérites égaux, sont accordées des récompenses égales au ciel comme en enfer, quant à la durée. Il semble donc qu’il en soit de même pour le purgatoire.

 [18361] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est similitudo apostoli, qui differentias venialium per lignum, fenum et stipulam significavit. Sed constat quod lignum diutius manet in igne quam fenum et stipula. Ergo unum peccatum veniale diutius punitur in Purgatorio quam aliud.

Cependant, la comparaison de l’Apôtre [1 Co 3, 12], qui a indiqué des différences entre les péchés véniels par le bois, le foin et la paille, va en sens contraire. Or, il est clair que le bois demeure plus longtemps dans le feu que le foin et la paille. Un péché véniel est donc puni plus longtemps qu’un autre au purgatoire.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18362] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt, quod post hanc vitam non dimittitur aliquod peccatum quo ad culpam; et si cum mortali culpa quis decedat, damnatur, et remissionis capax non est; non autem potest esse quod cum veniali decedat sine mortali, quia ipsa gratia finalis culpam purgat venialem. Veniale enim peccatum contingit ex hoc quod aliquis Christum habens in fundamento, nimis aliquod temporale diligit; qui quidem excessus ex concupiscentiae corruptione contingit; unde si gratia omnino concupiscentiae corruptionem vincat, sicut in beata virgine fuit, non manet aliquis locus veniali; et ita, cum in morte omnino diminuatur et annihiletur ista concupiscentia, potentiae animae totaliter gratiae subjiciuntur, et veniale expellitur. Sed haec opinio frivola est et in se, et in causa sua. In se quidem, quia dictis sanctorum et Evangelii adversatur, cujus dicta non possunt exponi de remissione venialium quantum ad poenam, ut Magister in littera dicit; quia sic tam levia quam gravia in futuro dimittuntur. Gregorius autem, leves culpas tantum post hanc vitam remitti perhibet. Nec sufficit quod dicunt, quod hic dicitur specialiter de levibus, ne putetur nihil grave pro eis nos passuros; quia remissio poenae magis aufert gravitatem poenarum quam ponat. Quantum ad causam autem frivola apparet; quia defectus corporalis, qualis est in ultimo vitae, non aufert concupiscentiae corruptionem vel diminuit, quantum ad radicem, sed quantum ad actum; sicut patet etiam de illis qui graviter infirmantur. Nec iterum tranquillat potentias animae, ut eas gratiae subjiciat; quia tranquillitas potentiarum et subjectio earum ad gratiam est, quando inferiores vires obediunt superioribus, quae legi Dei condelectantur; quod in statu illo esse non potest, cum actus utrarumque impediatur; nisi tranquillitas dicatur privatio pugnae, sicut etiam in dormientibus accidit; nec tamen propter hoc somnus dicitur concupiscentiam diminuere, aut vires animae tranquillare, aut eas gratiae subdere. Et praeterea, dato quod concupiscentiam radicaliter diminueret defectus ille, et vires animae subderet gratiae; adhuc hoc non sufficeret ad purgationem culpae venialis jam commissae, quamvis sufficeret ad vitationem futurae; quia culpa actualis, etiam venialis, non dimittitur sine actuali contritionis motu, ut supra, dist. 16, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 3, dictum est, quantumcumque habitualiter intendatur. Contingit autem quandoque quod aliquis dormiens moritur in gratia existens, qui cum veniali aliquo obdormivit; et talis non potest actum contritionis habere de veniali ante mortem. Nec potest dici, ut dicunt, quod, si non poenituit actu vel proposito in generali vel speciali, sit versum in mortale, propter hoc quod veniale fit mortale dum placet; quia non quaelibet placentia venialis facit peccatum mortale (alias omne veniale esset mortale, quia quodlibet veniale placet, cum sit voluntarium); sed talis placentia quae ad fruitionem spectat, in qua omnis humana perversitas consistit, dum rebus utendis fruimur, ut Augustinus dicit; et sic placentia illa quae facit peccatum mortale, est actualis placentia; quia omne peccatum mortale in actu consistit. Potest autem contingere quod aliquis postquam veniale peccatum commisit, nihil actualiter cogitet de peccato vel dimittendo vel tenendo; sed cogitet forte quod triangulus habet tres angulos aequales duobus rectis; et in hac cogitatione obdormiat, et moriatur. Unde patet quod haec opinio omnino irrationalis est. Et ideo cum aliis dicendum, quod culpa venialis in eo qui cum gratia decedit, post hanc vitam dimittitur per ignem Purgatorium; quia poena illa aliqualiter voluntaria, virtute gratiae habebit vim expiandi culpam omnem quae simul cum gratia stare potest.

 

Certains ont dit qu’après la vie présente, aucun péché n’est remis quant à la faute et que si quelqu’un meurt avec une faute mortelle, il est damné et n’est pas apte à la rémission. Mais il ne peut arriver qu’il meure avec un péché véniel sans péché mortel, car la grâce finale elle-même purifie de la faute vénielle. En effet, le péché véniel survient par le fait que quelqu’un qui a le Christ comme fondation aime trop quelque réalité temporelle ; cet excès vient de la corruption de la concupiscence. Si la grâce l’emporte complètement sur la corruption de la concupiscence, comme ce fut le cas pour le bienheureuse Vierge Marie, il ne reste plus de place pour le péché véniel. Ainsi, puisque cette concupiscence est entièrement mise en pièces et annihilée par la mort, les puissances de l’âme sont entièrement soumises à la grâce et le péché véniel est chassé. Mais cette opinion est sans valeur en elle-même et en raison de sa cause. En elle-même, parce qu’elle est contraire aux affirmations des saints et de l’évangile, dont les affirmations ne peuvent être expliquées par la rémission des péchés véniels quant à la peine, comme le Maître le dit, car ainsi les fautes légères comme les fautes graves sont remises dans le futur. Mais Grégoire affirme que seules les fautes légères peuvent être remises après la vie présente. Et ce qu’ils disent ne suffit pas, à savoir qu’on parle ici de fautes légères afin qu’on ne pense pas que nous ne supporterons rien de grave à cause d’elles, puisque la rémission de la peine enlève davantage à la gravité des peines qu’elle affirme. En raison de sa cause, [cette opinion] apparaît sans valeur, car la carence corporelle qui existe en fin de vie n’enlève pas ni ne diminue la corruption de la concupiscence dans sa racine, mais dans son acte, comme cela est clair chez ceux qui sont gravement malades. [La carence corporelle] n’apaise pas non plus les puissances de l’âme pour les soumettre à la grâce, car la tranquillité des puissances et leur soumission à la grâce se réalisent lorsque les puissances inférieures obéissent aux puissances supérieures, qui trouvent leur plaisir dans la loi de Dieu. Cela ne peut exister dans cet état, puisque l’acte des deux est empêché, à moins qu’on entende par tranquillité la privation de combat, comme cela arrive chez ceux qui dorment; mais on ne dit pas pour autant que le sommeil diminue la concupiscence ou apaise les puissances de l’âme, ou les soumet à la grâce. De plus, à supposer que cette carence diminuerait la concupiscence dans sa racine et qu’elle soumettrait les puissances de l’âme à la grâce, cela ne suffirait pas encore à la purification de la faute vénielle déjà commise, bien que cela suffirait à en éviter une à l’avenir, car la faute actuelle, même vénielle, n’est pas enlevée sans un mouvement actuel de contrition, comme on l’a dit plus haut, d.  16, q. 1, a. 2, qa 3, quelle que soit son intensité habituelle. Mais il arrive parfois que quelqu’un qui dort meurt en état de grâce, alors qu’il s’est endormi avec un péché véniel ; celui-là ne peut avoir un acte de contrition avant la mort. Et on ne peut pas dire, comme ils le disent, que s’il ne s’est pas repenti par un acte ou un propos général ou particulier, il s’est tourné vers le péché mortel, pour la raison que le péché véniel tourne au péché mortel lorsqu’il plaît, car ce n’est pas n’importe quelle complaisance vénielle qui rend un péché mortel (autrement, tout péché véniel serait mortel, alors que tout péché véniel plaît, puisqu’il est volontaire); mais il faut la complaisance qui se rapporte à la jouissance, en laquelle toute perversité humaine consiste, lorsque nous jouissons [fruimur] des choses dont nous faire usage [utendis], comme le dit Augustin. Ainsi, la complaisance qui rend un péché mortel est-elle une complaisance actuelle, car tout péché mortel consiste dans un acte. Mais il peut arriver que quelqu’un, après avoir commis un péché véniel, ne pense en rien au péché de manière actuelle, soit pour l’écarter, soit pour le maintenir, mais qu’il pense peut-être qu’un triangle a trois angles égaux aux deux angles droits, et qu’il s’endorme en pensant à cela et meurt. Il est donc clair que cette opinion est tout à fait déraisonnable. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres que la faute vénielle chez celui qui meurt avec la grâce est enlevée après la vie présente par le feu purificateur, car cette peine, volontaire d’une certaine manière, aura par la puissance de la grâce la capacité d’expier toute faute, qui ne peut continuer d’exister avec la grâce.

[18363] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Glossa loquitur de peccato mortali. Vel dicendum, quod quamvis in hac vita non corrigatur in se, corrigitur tamen in merito; quia hic homo meruit, ut ibi illa poena sit meritoria sibi.

1. La Glose parle du péché mortel. Ou bien il faut dire que, bien qu’il ne soit pas corrigé en lui-même dans la vie présente, il est cependant corrigé par le mérite, car l’homme a mérité ici que cette peine lui soit là méritoire.

[18364] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum veniale contingit ex corruptione fomitis, qui in anima separata in Purgatorio existente non erit; et ideo non poterit peccare venialiter; sed remissio culpae venialis est ex gratia informante, quae in Purgatorio erit in anima separata; et ideo non est simile.

2. Le péché véniel vient de la corruption de la convoitise, qui n’existera pas dans l’âme séparée qui se trouve au purgatoire ; c’est pourquoi elle ne pourra pas pécher véniellement. Mais la rémission de la faute vénielle vient de la grâce qui donne forme, qui existera au purgatoire dans l’âme séparée. Ce n’est donc pas la même chose.

[18365] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod venialia non variant statum hominis; quia neque tollunt neque diminuunt caritatem, secundum quam mensuratur quantitas gratuitae bonitatis animae; et ideo per hoc quod venialia dimittuntur, talis manet anima qualis prius.

3. Les péchés véniels ne modifient pas l’état de l’homme, car ils n’enlèvent pas ni ne diminuent la charité, selon laquelle se mesure la quantité de la bonté gratuite de l’âme. C’est pourquoi, par le fait que les péchés véniels sont remis, l’âme demeure telle qu’elle était auparavant.

[18366] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod post hanc vitam non potest esse meritum respectu praemii essentialis; sed respectu alicujus accidentalis potest esse quamdiu manet homo in statu viae aliquo modo; et ideo in Purgatorio potest esse actus meritorius quantum ad remissionem culpae venialis.

4. Après la vie présente, il ne peut exister de mérite par rapport à la récompense essentielle, mais par rapport à une [récompense] accidentelle, il peut en exister aussi longtemps que l’homme demeure d’une certaine manière en état de cheminement. C’est pourquoi il peut exister un acte méritoire au purgatoire quant à la rémission de la faute vénielle.

[18367] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis veniale ex pronitate fomitis contingat, tamen culpa in mente consequitur; et ideo etiam destructo fomite, culpa adhuc manere potest.

5. Bien que le péché véniel vienne de l’inclination de la convoitise, la faute qui en découle se trouve cependant dans l’esprit. C’est pourquoi même si la convoitise est détruite, la faute peut encore demeurer.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18368] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quicumque est debitor alicujus, per hoc a debito absolvitur quod debitum solvit; et quia reatus nihil est aliud quam debitum poenae; per hoc quod aliquis poenam sustinet quam debebat, a reatu absolvitur; et secundum hoc poena Purgatorii a reatu purgat.

Quiconque est le débiteur de quelqu’un est délié de la dette par le fait qu’il acquitte ce qui est dû. Et parce que la dette n’est rien d’autre que la peine due, par le fait que quelqu’un supporte la peine qui lui revenait, il est délié de la dette. De cette manière, la peine du purgatoire purifie de la dette.

[18369] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod reatus, quamvis non importet foeditatem quantum in se est, tamen habet ordinem ad foeditatem ex causa sua.

1. La dette, bien qu’elle ne comporte pas de souillure en elle-même, est cependant en rapport avec la souillure par sa cause.

[18370] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena quamvis non contrarietur poenae, tamen contrariatur reatui ad poenam; quia ex hoc manet obligatio ad poenam quod poenam non sustinuit quam debebat.

2. Bien qu’une peine ne soit pas contraire à une autre peine, elle est cependant contraire à la dette pour cette peine, car la peine demeure obligatoire du fait qu’il n’a pas supporté la peine qu’il devait.

[18371] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eisdem verbis sacrae Scripturae latet multiplex intellectus; unde et ille ignis potest intelligi tribulatio praesens, vel poena sequens; et per utramque venialia purgari possunt. Sed quod mors naturalis ad hoc non sufficiat, supra dictum est, dist. 20, art. 1, quaest. 3, ad 3.

3. Plusieurs sens sont cachés sous les mêmes paroles de l’Écriture. Ce feu peut donc s’entendre de la tribulation présente ou de la peine qui suit ; les péchés véniels peuvent être purifiés par les deux. Mais que la mort naturelle ne suffise pas pour cela, on l’a dit plus haut, d. 20, a. 1, q. 3, ad 3.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18372] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quaedam venialia sunt majoris adhaerentiae quam alia, secundum quod affectus magis ad ea inclinatur, et fortius in eis figitur: et quia ea quae sunt majoris adhaerentiae, tardius purgantur, ideo quidam in Purgatorio diutius quam alii torquentur, secundum quod affectus eorum ad venialia fuit magis immersus.

Certains péchés véniels ont une plus grande adhérence que d’autres, selon que le désir y est davantage incliné et se fixe davantage sur eux. Parce que ce qui adhère davantage est purifié plus lentement, certains seront donc plus tourmentés que d’autres au purgatoire, selon que leur désir aura été davantage immergé dans les péchés véniels.

[18373] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod acerbitas poenae proprie respondet quantitati culpae; sed diuturnitas respondet radicationi culpae in subjecto; unde potest contingere quod aliquis diutius moretur qui minus affligitur, et e converso.

1. La rigueur de la peine correspond à proprement parler à la quantité de la peine ; mais sa durée correspond à l’enracinement de la faute dans le sujet. Il peut ainsi arriver que quelqu’un demeure plus longtemps [au purgatoire] et y soit moins affligé, et aussi l’inverse.

[18374] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum mortale, cui debetur supplicium Inferni, et caritas, cui debetur praemium Paradisi post hanc vitam, radicantur immobiliter in subjecto; et ideo quantum ad omnes est eadem diuturnitas utrobique; secus autem est de peccato veniali, quod in Purgatorio punitur, ut ex dictis patet.

2. Le péché mortel, auquel est dû le supplice de l’enfer, et la charité, à laquelle est due la récompense du Paradis après la vie présente, sont immuablement enracinés dans le sujet. C’est pourquoi la même durée permanente existe pour tous dans les deux cas. Mais il en va autrement du péché véniel qui est puni au purgatoire, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La confession générale]

 

 

Prooemium

Prologue

[18375] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur de confessione generali; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum virtute confessionis generalis venialia deleantur quo ad culpam; 2 utrum peccata mortalia oblita; 3 utrum aliquis possit licite confiteri peccata quae non fecit.

On s’interroge ensuite sur la confession générale. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Les péchés véniels sont-ils détruits par de la confession générale quant à la faute ? 2 – Les péchés mortels sont-ils oubliés ? 3. – Quelqu’un peut-il légitimement confesser des péchés qu’il n’a pas commis ?

 

 

Articulus 1 [18376] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum per confessionem generalem, quae fit in completorio et prima, dimittantur venialia

Article 1 – Les péchés véniels sont-ils remis par la confession générale qui est faite à complies et à prime ?

[18377] Super Sent., lib. 4 d 21 q 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per confessionem generalem, quae fit in completorio et prima, non dimittantur venialia. Confessio enim qua dimittuntur peccata, est quoddam sacramentale. Sed illa generalis confessio non est sacramentalis, quia potest fieri etiam non sacerdoti. Ergo non valet ad peccatorum venialium dimissionem.

Objections

1. Il semble que, par la confession générale qui est faite à complies et à prime, les péchés véniels ne soient pas remis. En effet, la confession par laquelle les péchés sont remis est quelque chose de sacramentel, Or, cette confession générale n’est pas sacramentelle, car elle peut être faite même à quelqu’un qui n’est pas prêtre. Elle n’a donc pas de valeur pour la rémission des péchés véniels.

[18378] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, confessio per hoc ordinatur ad peccatorum dimissionem, inquantum per eam peccata confitentis manifestant. Sed post confessionem generalem ita remanent occulta peccata confitentis respectu ejus cui fit confessio, sicut et prius; tum quia quandoque ille cui fit confessio, non potest distinguere voces singulorum, quando plures simul generalem confessionem faciunt; tum quia in illis generalibus quae in confessione generali dicuntur, non est aliquis qui non peccet. Ergo confessio generalis non valet ad dimissionem venialium.

2. La confession est ordonnée à la rémission des péchés parce que, par elle, les péchés de celui qui se confesse sont révélés. Or, après la confession générale, les péchés de celui qui se confesse demeurent aussi occultes qu’auparavant au regard de celui à qui s’adresse la confession : d’une part, parfois celui à qui la confession s’adresse ne peut distinguer les paroles de chacun, lorsque plusieurs font ensemble une confession générale ; d’autre part, pour toutes les choses générales qui sont dites dans la confession générale, il n’y a personne qui ne pèche. La confession générale n’a donc pas de valeur pour la rémission des péchés véniels.

[18379] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, contritio directius ordinatur ad remissionem culpae quam confessio. Sed contritio generalis non sufficit ad remissionem venialium; quia quandoque cum generali contritione simul stat habitualis placentia alicujus venialis. Ergo multo minus confessio generalis peccata venialia quo ad culpam delet.

3. La contrition est plus directement ordonnée à la rémission des fautes que la confession. Or, une contrition générale ne suffit pas pour la rémission des fautes vénielles, car parfois, en même temps que la contrition générale, demeure une complaisance habituelle pour un péché véniel. La confession générale détruit donc bien moins les péchés véniels quant à la faute.

[18380] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, si dixerimus, quod peccatum non habemus, nos ipsos seducimus, ut dicitur 1 Joan. 1, 8. Sed aliqui qui non habent peccata mortalia, frequenter confessionem generalem faciunt. Si ergo talis confessio sufficit ad delendum venialia, frequenter sunt sine peccato aliquo; quod videtur esse contra auctoritatem inductam.

4. Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes, comme il est dit en 1 Jn 1, 8. Or, certains qui n’ont pas de péché mortels font souvent une confession générale. Si donc une telle confession suffit à détruite les péchés véniels, ils sont donc souvent sans aucun péché, ce qui semble être contraire à l’autorité invoquée.

[18381] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil in Ecclesia frustra agitur. Sed post generalem confessionem sequitur secundum usum Ecclesiae, oratio, qua sacerdos dimissionem peccatorum confitentibus precatur. Ergo confessio generalis valet ad dimissionem peccatorum saltem venialium.

Cependant. [1] rien n’est fait inutilement dans l’Église. Or, après la confession générale, selon l’usage de l’Église, une prière suit, par laquelle le prêtre prie pour que ceux qui se sont confessés obtiennent la rémission de leurs péchés. La confession générale n’a donc pas de valeur, à tout le moins pour la rémission des péchés véniels.

[18382] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sacerdos accedens ad Missam celebrandam, confessionem generalem facit, ut purius accedat. Sed hoc non esset, si talis confessio non purgaret. Ergo purgat saltem a peccatis venialibus.

[2] Le prêtre qui se prépare à célébrer la messe fait une confession générale afin de s’en approcher avec une plus grande pureté. Or, ce ne serait pas le cas si une telle confession ne purifiait pas. Elle purifie donc au moins des péchés véniels.

[18383] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista est ratio quare per infusionem gratiae et caritatis peccata venialia non dimittantur, quia non opponuntur caritati quantum ad habitum, sed magis quantum ad actum ejus, quem impediunt vel retardant; et ideo, quando actus caritatis contra venialia dirigitur, ea quasi suo contrario delet. Nec oportet quod contra singulum eorum actus caritatis feratur ad eorum deletionem; quia nullum eorum de se habet specialem rationem qua caritati aliquo modo contrarietur, sicut est de peccatis mortalibus; sed omnia secundum unam rationem disponunt ad contrarium caritatis, inquantum nimis temporalibus rebus inhaeretur. Unde cum confessio generalis sit actus ex caritate procedens in eo qui caritatem habet, in venialia directus; constat quod valet ad venialium peccatorum dimissionem quantum ad culpam, et quandoque quantum ad poenam; tanta potest devotio confitentis adesse.

Réponse

La raison pour laquelle les péchés véniels ne sont pas remis par l’infusion de la grâce et de la charité est qu’ils ne s’opposent pas à la charité selon l’habitus, mais plutôt selon son acte qu’ils empêchent ou retardent. C’est pourquoi lorsque l’acte de la charité est dirigé contre les péchés véniels, il les détruit comme quelque chose qui lui est contraire. Et il n’est pas nécessaire que l’acte de la charité porte directement contre chacun d’eux pour les détruire, car aucun d’eux n’a en lui une raison particulière d’être contraire à la charité d’une certaine façon, comme c’est le cas des péchés mortels. Mais tous disposent à ce qui est contraire à la charité selon une seule raison : selon qu’adhère trop aux choses temporelles. Aussi, puisque la confession générale est un acte provenant de la charité chez celui qui a la charité et dirigé contre les péchés véniels, il est clair qu’elle a de la valeur pour la rémission des péchés véniels quant à la faute et parfois, quant à la peine. La dévotion de celui qui se confesse peut aller jusque-là.

[18384] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod confessio generalis quandoque est sacramentalis, et quandoque non. Sacramentalis quidem est, quando aliquis in secreto sacerdoti confitetur quaedam quae meminit, et alia venialia in generali; et tunc illa generalis confessio ex quatuor habet quod valeat ad remissionem venialium, quantum ad culpam, et etiam poenam, vel in parte vel in toto: scilicet ex contritione confitentis, ex humilitate confessionis, ex oratione sacerdotis, inquantum est quaedam persona; ex vi clavium. Quando autem fit publice coram multis et cum multis in Ecclesia, non est sacramentalis; unde tunc habet efficaciam ex tribus primis, et non ex quarto; et propter hoc etiam non subjungitur in prima et completorio absolutio, nec satisfactionis injunctio, sed solum oratio misereatur.

Solutions

1. La confession générale est parfois sacramentelle, et parfois elle ne l’est pas. Elle est sacramentelle lorsque quelqu’un confesse secrètement au prêtre certaines choses qu’il se rappelle et les péchés véniels en général : alors, cette confession générale tire de quatre choses sa valeur pour la rémission des péchés véniels quant à la faute et même quant à la peine, en partie ou en totalité : de la contrition de celui qui se confesse, de l’humilité de la confession, de la prière du prêtre, en tant qu’il représente quelqu’un, de la puissance des clés. Mais lorsqu’elle est faite publiquement devant plusieurs, alors qu’il y a beaucoup de monde dans l’église, elle n’est pas sacramentelle. Elle a alors une efficacité en vertu des trois premières choses, et non en vertu de la quatrième. Pour cette raison, l’absolution n’est pas ajoutée à prime et à complies, ni l’imposition d’une peine, mais seulement la prière Misereatur.

[18385] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de confessione sacramentali, quae judicium sacerdotis expectat; et ideo requiritur aliqualis peccatorum manifestatio.

2. Cet argument vient de la confession sacramentelle, qui attend le jugement du prêtre. C’est pourquoi une certaine manifestation des péchés est nécessaire.

[18386] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod contritio generalis sufficit ad peccatorum venialium dimissionem quo ad culpam; sed illud quod habitu retinetur in affectu, excluditur ab illa generalitate; unde illud non deletur per talem contritionem, neque etiam per generalem confessionem.

3. La contrition générale suffit pour la rémission des péchés véniels quant à la faute, mais ce qui reste en habitus est exclu par ce caractère général. Aussi cela n’est-il pas détruit par une telle contrition, ni non plus par la confession générale.

[18387] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non fuit intentio apostoli dicere, quod non sit aliquod momentum in quo homo non sit sine peccato quo ad culpam; sed quia ista vita a nullo sine peccato agitur; et quia etiam dimissa culpa reatus aliquis manet.

4. L’intention de l’Apôtre n’était pas de dire qu’il n’existe pas de moment où l’homme n’est pas sans péché quant à la faute, mais que la vie présente n’est pas vécue sans aucun péché et que, même si la faute est remise, une dette demeure.

 

 

Articulus 2 [18388] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum confessio generalis sufficiat ad delendum peccata mortalia oblita

Article 2 – La confession générale suffit-elle pour détruire les péchés mortels oubliés ?

 

[18389] Ad secundum sic proceditur. Videtur quod confessio generalis non sufficiat ad delendum peccata mortalia oblita. Peccatum enim quod per confessionem deletum est, non est necesse iterum confiteri. Si ergo peccata oblita per confessionem generalem dimitterentur, non esset necessarium quod cum ad notitiam redeunt, aliquis ea confiteretur.

Objections

1. Il semble que la confession générale ne suffise pas pour détruire les péchés mortels oubliés. En effet, il n’est pas nécessaire de confesser de nouveau le péché qui a été détruit par la confession. Si donc les péchés oubliés étaient remis par la confession générale, il ne serait pas nécessaire qu’on les confesse de noveau lorsqu’ils reviennent en mémoire.

[18390] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque non est conscius alicujus peccati; vel non habet peccatum, vel est oblitus sui peccati. Si ergo per generalem confessionem factam peccata oblita mortalia dimittuntur; quicumque non est sibi conscius de aliquo peccato mortali, quandocumque generalem confessionem facit, potest esse certus quod sit immunis a peccato mortali; quod est contra apostolum 1 Corinth. 4, 4: nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus sum.

2. Quiconque n’est pas conscient d’un péché, ou bien n’a pas de péché, ou bien a oublié son péché. Si donc les péchés mortels oubliés sont remis par la confession générale, qui conque n’est pas conscient d’un péché mortel peut être certain d’être exempt de péché mortel aussi souvent qu’il fait une confession générale, ce qui va à l’encontre de l’Apôtre, 1 Co 4, 4 : Je n’ai rien sur la conscience, mais je ne suis pas justifié pour autant.

[18391] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullus ex negligentia reportat commodum. Sed non potest esse sine negligentia quod aliquis peccatum mortale obliviscatur antequam ei dimittatur. Ergo non reportat ex hoc tale commodum, quod sine speciali confessione de peccato ei dimittatur.

3. Personne ne tire avantage de sa négligence. Or, ce ne peut être sans négligence que quelqu’un oublie un péché mortel avant qu’il lui soit remis. Il ne tire donc pas de cela l’avantage que, sans une confession particulière portant sur ce péché, il lui soit remis.

[18392] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, magis est elongatum a cognitione confitentis illud quod est omnino ignoratum, quam illud cujus est oblitus. Sed peccata per ignorantiam commissa generalis confessio non delet; quia tunc, haeretici qui nesciunt aliqua peccata, in quibus sunt, esse peccata, aut etiam aliqui simplices, per generalem confessionem absolverentur; quod falsum est. Ergo generalis confessio non tollit peccata oblita.

4. Ce qui est totalement ignoré est plus éloigné de la connaissance de celui qui se confesse que ce qui est oublié. Or, la confession générale ne détruit pas les péchés commis par ignorance, car alors les hérétiques, qui n’ont pas connaissance que certains péchés où ils se trouvent sont des péchés, ou même des gens non instruits, seraient absous par une confession générale, ce qui est faux. La confession générale n’enlève dont pas les péchés oubliés.

[18393] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Psalm. 33, 6: accedite ad eum, et illuminamini, et facies vestrae non confundentur. Sed ille qui confitetur omnia quae scit, accedit ad Deum quantum potest; plus autem ab eo requiri non potest. Ergo non confunditur, ut repulsam patiatur; sed veniam consequitur.

Cependant, [1] le Ps 33, 6 dit : Approchez-vous de lui et vous serez éclairés, et vos visages ne seront pas confondus. Or, celui qui confesse tout ce qu’il sait s’approche de Dieu autant qu’il le peut : on ne peut pas lui demander plus. Il n’est donc pas confondu en encourant un refus, mais il obtient miséricorde.

[18394] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ille qui confitetur, veniam consequitur, nisi sit fictus. Sed ille qui confitetur omnia peccata quae in memoria habet, et oblitus est aliquorum, non ex hoc est fictus; quia ignorantiam facti patitur, quae a peccato excusat. Ergo veniam consequitur, et sic peccata oblita sibi relaxantur; cum impium sit a Deo dimidiam sperare veniam, ut supra, dist. 15, Magister dicit.

[2] Celui qui se confesse obtient le pardon, à moins qu’il ne s’agisse d’une feinte. Or, celui qui confesse tous les péchés qu’il a en mémoire et en a oublié certains ne fait pas pour autant une feinte, car il souffre de l’ignorance du fait, qui excuse du péché. Il obtient donc le pardon, et ainsi il est libéré des péchés oubliés, puisqu’il est impie d’espérer de Dieu une moitié de pardon, comme le dit plus haut le Maître, d. 15.

[18395] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod confessio operatur praesupposita contritione, quae culpam delet; et sic ordinatur confessio directe ad dimissionem poenae; quod quidem facit et ex erubescentia quam habet, et ex vi clavium, cui se confitens subjicit. Contingit autem quandoque quod per contritionem praecedentem peccatum aliquod deletum est quo ad culpam sive in generali, si ejus tunc memoria non habeatur, sive in speciali; et tamen ante confessionem aliquis illius peccati oblitus est; et tunc confessio generalis sacramentalis operatur ad dimissionem poenae ex vi clavium, quibus se confitens subjicit, nullum obstaculum, quantum in ipso est, ponens. Sed ex illa parte qua erubescentia confessionis peccati poenam minuebat, poena ipsius, de qua quis specialiter coram sacerdote non erubuit, non est diminuta.

Réponse

La confession agit en supposant la contrition, qui détruit la faute. Ainsi, la confession est ordonnée directement à la rémission de la faute, qu’elle réalise par la honte qu’elle comporte et par le pouvoir des clés, auquel celui qui se confesse se soumet. Mais il arrive parfois qu’un péché ait été détruit par une contrition précédente quant à la faute, soit d’une manière générale, si on ne l’a pas en mémoire, soit d’une manière particulière. Cependant, avant la confession, quelqu’un a a oublié ce péché, et alors la confession générale sacramentelle agit pour la rémission de la peine en vertu des clés, auxquelles celui qui se confesse se soumet, en ne mettant aucun obstacle en ce qui le concerne. Mais, du point de vue où la honte de la confession diminuait la peine du péché, la peine dont il n’a pas rougi en particulier devant le prêtre n’a pas été diminuée.

[18396] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in sacramentali confessione non solum requiritur absolutio, sed judicium sacerdotis satisfactionem imponentis expectatur; et ideo quamvis iste absolutione sit functus, tamen tenetur confiteri, ut suppleatur quod defuit sacramentali confessioni.

Solutions

1. Pour la confession sacramentelle, n’est pas seulement requise l’absolution, mais on attend le jugement du prêtre qui impose une satisfaction. C’est pourquoi il est tenu de se confesser, bien qu’il ait été acquitté par l’absolution, afin que soit complété ce qui a manqué pour la confession sacramentelle.

[18397] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod confessio non operatur, ut dictum est, nisi contritione praesupposita; de qua quando vera fuerit, non potest aliquis scire, sicut nec scire potest an gratiam habeat, per certitudinem. Et ideo sciri non potest, utrum per confessionem generalem sit sibi peccatum oblitum dimissum per certitudinem; quamvis possit per conjecturas aliquas aestimari, de quibus supra, dist. 9, dictum est.

2. La confession n’agit qu’en supposant la contrition ; personne ne peut savoir quand celle-ci a été vraie, comme personne ne peut savoir avec certitude s’il a la grâce. C’est pourquoi on ne peut pas savoir avec certitude si un péché oublié nous a été remis par la confession générale, bien qu’on puisse en juger par certaines conjectures, dont on a parlé plus haut, d. 9.

[18398] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod iste non reportat commodum ex negligentia; quia non ita plenam remissionem consequitur, sicut alias consecutus fuisset; nec tantum meretur; et tenetur iterum confiteri, cum ad memoriam peccatum reduxit.

3. Celui-ci ne tire pas avantage de sa négligence, car il n’obtient pas une rémission aussi entière qu’il en aurait obtenu une autrement. Il ne mérite pas non plus autant et il est tenu de se confesser de nouveau, lorsque le péché lui revient en mémoire.

[18399] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignorantia juris non excusat, quia ipsa peccatum est; sed ignorantia facti excusat. Unde aliquis de hoc quod non confitetur peccata quae nescit esse peccata propter ignorantiam juris divini, non excusatur a fictione; excusaretur autem, si nesciret ea esse peccata propter ignorantiam particularis circumstantiae, ut si cognovit alienam quam credidit esse suam. Sed oblivio de actu peccati habet ignorantiam facti; et ideo excusat a peccato fictionis in confessione, quod fructum absolutionis et confessionis impedit.

4. L’ignorance du droit n’excuse pas, car elle est elle-même un péché ; mais l’ignorance du fait excuse. Aussi n’est-on pas exempt de feinte pour n’avoir pas confessé des péchés qu’on ne sait pas être des péchés par ignorance du droit divin. On en serait cependant exempt si on ne savait pas que ce sont péchés par ignorance d’une circonstance particulière, comme si on connaissait une femme qu’on croyait être la sienne. Or, l’oubli de l’acte d’un péché comporte une ignorance du fait. C’est pourquoi elle excuse du péché de feinte dans la confession, lequel empêche le fruit de l’absolution et de la confession.

 

 

Articulus 3 [18400] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 tit. Utrum aliquis licite possit confiteri peccatum quod non habet.

Article 3 – Quelqu’un peut-il confesser un péché qu’il n’a pas ?

 

[18401] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquis licite possit confiteri peccatum quod non habet. Quia, sicut dicit Gregorius, bonarum mentium est ibi culpam agnoscere ubi culpa non est. Ergo ad bonam mentem pertinet ut de illis culpis se accuset quas non commisit.

Objections

1. Il semble que quelqu’un puisse confesser un péché qu’il n’a pas, car, comme le dit Grégoire, « il relève d’un esprit bon de reconnaître une faute là où il n’y a pas de faute ». Il relève donc d’un esprit bon de s’accuser de fautes qu’il n’a pas commises.

[18402] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, aliquis per humilitatem se reputat deteriorem aliquo qui est manifestus peccator; et in hoc commendandus est. Sed quod corde quis aestimat, licet ore confiteri. Ergo licite potest se confiteri habere gravius peccatum quam habeat.

2. Par l’humilité, on se considère comme pire que celui qui est un pécheur manifeste, et il faut être louangé pour cela. Or, ce que quelqu’un estime dans son cœur, il est permis qu’il le confesse de bouche. Il lui est donc permis de se confesser d’avoir un péché plus grave qu’il n’en a.

[18403] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, aliquis quandoque dubitat de aliquo peccato, utrum sit mortale vel veniale; et talis debet, ut videtur, de illo confiteri ut de mortali. Ergo aliquis debet confitere aliquod peccatum quod non habet.

3. Parfois, on a un doute qu’un péché soit mortel ou véniel, et il semble qu’on doive s’en confesser comme d’une péché mortel. On doit donc confesser un péché qu’on n’a pas.

[18404] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, satisfactio ex confessione ordinatur. Sed aliquis potest satisfacere de peccato quod non commisit. Ergo potest etiam confiteri peccatum quod non fecit.

4. La satisfaction est ordonnée par la confession. Or, quelqu’un peut satisfaire pour un péché qu’il n’a pas commis. Il peut donc aussi confesser un péché qu’il n’a pas commis.

[18405] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quicumque dicit se fecisse quod non fecit, mentitur. Sed nullus in confessione mentiri debet, cum omne mendacium sit peccatum. Ergo nullus debet confiteri peccatum quod non fecit.

Cependant, [1] quiconque dit qu’il a fait ce qu’il n’a pas fait ment. Or, personne ne doit mentir en confession, puisque tout mensonge est un péché. Personne ne doit donc confesser un péché qu’il n’a pas fait.

[18406] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, in judicio exteriori non debet aliquod crimen alicui impingi, quod non potest per testes idoneos probari. Sed testis in foro poenitentiae est conscientia. Ergo aliquis non debet se accusare de peccato quod conscientia sua non habet.

[2] Dans un jugement extérieur, on ne doit pas attribuer à quelqu’un un crime qui ne peut être prouvé par des témoins adéquats. Or, le témoin au for de la pénitence est la conscience. On ne doit donc pas s’accuser d’un péché que sa conscience n’a pas.

[18407] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod per confessionem debet poenitens se confessori suo manifestare. Ille autem qui aliud de se sacerdoti loquitur quam sua conscientia habeat, sive bonum, sive malum, non se sacerdoti manifestat, sed magis occultat; et ideo non est idonea confessio; sed ad hoc quod sit idonea requiritur quod os cordi concordet, ut solum hoc os accuset quod conscientia tenet.

Réponse

Par la confession, le pénitent doit s’ouvrir à son confesseur. Or, celui qui dit à un prêtre autre chose que n’a sa conscience, en bien ou en mal, ne s’ouvre pas au prêtre, mais plutôt s’en cache. C’est pourquoi ce n’est pas une confession adéquate ; mais pour qu’elle soit adéquate, il est nécessaire que la bouche soit en accord avec le cœur, de sorte que la bouche ne s’accuse que de ce que la conscience maintient.

[18408] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod agnoscere culpam ubi non est, potest esse dupliciter. Uno modo ut intelligatur quantum ad substantiam actus; et sic non est verum; non enim ad bonam mentem pertinet, sed ad errantem, ut se actum aliquem commisisse cognoscat quem non commisit. Alio modo quantum ad conditionem actus; et sic verum est quod Gregorius dicit, quia justus in actu qui de se bonus videtur, formidat ne aliquis defectus ex parte sua fuerit; et sic dicitur Job 9, 28: verebar omnia opera mea. Et ideo ad bonam mentem etiam pertinet ut hanc formidinem quam corde tenet, lingua accuset.

Solutions

1. On peut reconnaître une faute là où il n’y en a pas de deux manières. D’une manière, quant à la substance de l’acte, et alors cela n’est pas vrai : en effet, il ne relève pas d’un esprit bon mais d’un esprit qui se trompe de reconnaître qu’il a commis un acte qu’il n’a pas commis. D’une autre manière, pour ce qui est d’une condition de l’acte, et alors ce que dit Grégoire est vrai, qu’un juste, pour un acte qui semble bon en lui-même, craint qu’il n’y ait une carence de sa part. Ainsi parle Jb 9, 28 : Je me méfiais de tous mes actes. C’est pourquoi il relève aussi d’un esprit bon d’accuser par la langue cette crainte qu’il a dans le cœur.

[18409] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum; quia justus qui est vere humilis, non reputat se deteriorem quantum ad perpetrationem actus qui sit pejor ex genere; sed timet ne in his quae bene agere videtur, per superbiam gravius delinquat.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire, car le juste qui est vraiment humble ne s’estime pas pire par l’accomplissement de l’acte qui serait pire par son genre, mais il craint de fauter plus gravement par l’orgueuil dans ce qu’il semble bien faire.

[18410] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando aliquis dubitat de aliquo peccato an sit mortale, tenetur illud confiteri dubitatione manente; quia qui aliquid committit vel omittit, in quo dubitat esse mortale peccatum, peccat mortaliter, discrimini se committens. Et similiter periculo se committit qui de hoc quod dubitat esse mortale, negligit confiteri. Non tamen debet asserere illud esse mortale, sed cum dubitatione loqui, et judicium sacerdotis expectare, cujus est discernere inter lepram et lepram.

3. Lorsque quelqu’un a un doute sur le caractère mortel d’un péché, il est tenu de s’en confesser si le doute demeure, car celui qui commet ou omet ce sur quoi il a un doute qu’il s’agisse d’un péché mortel pèche mortellement, en se soumettant au risque. De même celui qui néglige de se confesser du fait qu’il a un doute que cela soit mortel se livre à un plus grand danger. Cependant, il ne doit pas affirmer que cela est mortel, mais parler avec un doute et attendre le jugement du prêtre, à qui il appartient de faire la distinction entre lèpre et lèpre.

[18411] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod homo satisfacit pro peccato quod non commisit, non incurrit mendacium, sicut cum quis confitetur peccatum quod non credit se fecisse. Si enim dicat peccatum quod non fecit, tamen credit se fecisse, non mentitur; et ideo non peccat si eo modo dicat sicut est in corde suo.

4. Par le fait qu’un homme satisfait pour un péché qu’il n’a pas commis, il n’encourt pas de mensonge, comme lorsqu’il confesse un péché qu’il ne croit pas avoir commis. En effet, s’il affirme un péché qu’il n’a pas commis, en croyant cependant qu’il l’a commis, il ne ment pas. C’est pourquoi il ne pèche pas s’il exprime ce qu’il y a dans son cœur.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le secret de la confession]

 

 

Prooemium

Prologue

[18412] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 pr. Deinde quaeritur de sigillo confessionis; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum in quolibet casu teneatur homo celare ea quae sub sigillo confessionis habet; 2 utrum possit alii revelare de licentia confitentis; 3 utrum teneatur ea celare, si etiam alias ea novit.

Ensuite, on s’interroge sur le secret de la confession. Trois questions sont posées : 1 – [Un prêtre] est-il obligé dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la confession ? 2 – Peut-on le révéler à un autre avec la permission de celui qui s’est confessé ? 3 – Est-on tenu de le cacher si on l’a aussi appris autrement ?

 

 

Articulus 1 [18413] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 tit. Utrum in quolibet casu teneatur sacerdos celare peccata quae sub sigillo confessionis novit

Article 1 – Un prêtre est-il obligé dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la confession ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un prêtre est-il obligé dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la confession ?]

[18414] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non in quolibet casu teneatur celare sacerdos peccata quae sub sigillo confessionis novit. Quia, sicut dicit Bernardus, quod est institutum pro caritate, contra caritatem non militat. Sed celatio confessionis in aliquo casu contra caritatem militaret; sicut aliquis in confessione scit aliquem haereticum, quem non potest inducere ad hoc quod desistat a corruptione plebis; et similiter de illo qui scit per confessionem affinitatem esse inter aliquos qui contrahere volunt. Ergo talis debet confessionem revelare.

1. Il semble qu’un prêtre ne soit pas tenu dans tous les cas de cacher ce qu’il a appris sous le secret de la confession, car, comme le dit Bernard, « ce qui a été établi en vue de la charité ne combat pas contre la charité ». Or, le secret de la confession combattrait dans un cas contre la charité, comme lorsque quelqu’un connaît par la confession un hérétique, qu’il ne peut amener à cesser de corrompre le peuple ; et il en va ainsi de celui qui sait par la confession qu’il y a une affinité entre ceux qui veulent contracter [mariage]. Celui-là doit donc révéler la confession.

[18415] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, id ad quod quis obligatur ex praecepto Ecclesiae tantum, non est necesse observari mandato Ecclesiae in contrarium facto. Sed celatio confessionis introducta est ex statuto Ecclesiae tantum. Si ergo per Ecclesiam praecipiatur quod quicumque scit aliquid de tali peccato, dicat; ille qui scit per confessionem, dicere debet.

2. Celui qui est obligé seulement en vertu d’un précepte de l’Église ne doit pas nécessairement l’observer lorsque l’Église donne un ordre en sens contraire. Or, le secret de la confession a été introduit en vertu d’une décision de l’Église seulement. Si donc l’Église ordonne que quiconque connaît quelque chose à propos de tel péché le dise, celui qui le sait par la confession doit le dire.

[18416] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, magis debet homo servare conscientiam suam quam famam alterius; quia caritas ordinata est. Sed aliquando aliquis peccatum celans incurrit propriae conscientiae damnum, sicut cum in testimonium adducitur pro peccato illo, et jurare cogitur de veritate dicenda; vel cum aliquis abbas scit per confessionem alicujus prioris sibi subjecti peccatum, cujus occasio inducit ipsum ad ruinam, si ei prioratum dimittat; unde debet ei auferre propter debitum pastoralis curae; auferendo autem videtur confessionem publicare.

3. Un homme doit sauvegarder sa conscience plutôt que la réputation d’un autre, car la charité est ordonnée. Or, en cachant un péché, quelqu’un encourt parfois un préjudice pour sa conscience, comme lorsqu’il est amené à témoigner pour ce péché et qu’il est forcé de jurer qu’il dira la vérité ; ou lorsqu’un abbé connaît par la confession un péché d’un prieur qui lui est, dont l’occurrence mène celui-ci à la ruine s’il lui enlève le priorat. Il doit ainsi lui enlever [le priorat] en raison de ce qu’on attend d’une charge pastorale. Mais en le lui enlevant, il semble rendre publique la confession.

[18417] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, aliquis sacerdos per confessionem alicujus, quam audit, potest accipere conscientiam quod sit praelatione indignum. Sed quilibet tenetur contradicere promotioni indignorum, si sua intersit. Cum ergo contradicendo suspicionem inducere videatur de peccato, et sic quodammodo confessionem revelare; videtur quod oporteat quandoque confessionem revelare.

4. Un prêtre qui entend la confession d’un autre peut prendre conscience qu’il est indigne d’être un supérieur. Or, tous sont tenus de s’opposer à la promotion de gens indignes, si elle les concerne. Puisqu’en s’opposant il semble amener un soupçon à propos du péché, et ainsi révéler d’une certaine manière la confession, il semble qu’il faille parfois révéler une confession.

[18418] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Decret. de Poenit. et Remis.: caveat sacerdos ne verbo vel signo vel alio quovis modo prodat aliquatenus peccatorem.

Cependant, [1] le Décret dit, dans « Sur la pénitence et la rémission » : « Que le prêtre prenne garde de ne jamais trahir un pécheur par une parole, un signe ou de quelque autre manière. »

[18419] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sacerdos debet Deo, cujus est minister, conformari. Sed Deus peccata quae per confessionem panduntur, non revelat, sed tegit. Ergo nec sacerdos revelare debet.

[2] Le prêtre doit se conformer à Dieu dont il est le ministre. Or, Dieu ne révèle pas les péchés qui sont dévoilés par la confession, mais il les recouvre. Le prêtre non plus ne doit donc pas les révéler.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le secret de la confession s’étend-il à autre chose que ce qui relève de la confession ?]

[18420] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sigillum confessionis se extendat ad alia quam illa quae sunt de confessione. Quia de confessione non sunt nisi peccata. Sed aliquando aliquis cum peccatis multa alia narrat quae ad confessionem non pertinent. Ergo, cum ea sacerdoti dicantur ut Deo, videtur quod ad illa etiam sigillum confessionis se extendat.

1. Il semble que le secret de la confession s’étende à autre chose que ce qui relève de la confession, car seuls les péchés relèvent de la confession. Or, quelqu’un raconte parfois en même temps que ses péchés bien des choses qui ne relèvent pas de la confession. Puisque cela est dit au prêtre comme à Dieu, il semble donc que le secret de la confession s’étende aussi à d’autres choses.

[18421] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, aliquando aliquis dicit alicui aliquod secretum, et ille recipit sub sigillo confessionis. Ergo sigillum confessionis se extendit ad illa quae non sunt de confessione.

2. Parfois quelqu’un dit à un autre un secret, et celui-ci le reçoit sous le secret de la confession. Le secret de la confession s’étend donc à ce qui ne relève pas de la confession.

[18422] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sigillum confessionis est aliquid annexum sacramentali confessioni. Sed ea quae sunt annexa alicui sacramento, non se extendunt ultra sacramentum illud. Ergo sigillum confessionis non se extendit nisi ad ea de quibus est sacramentalis confessio.

Cependant, le secret de la confession est quelque chose qui est associé à la confession sacramentelle. Or, ce qui est associé à un sacrement ne s’étend pas au-delà de ce sacrement. Le secret de la confession ne s’étend donc qu’à ce qui relève de la confession sacramentelle.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le prêtre seul détient-il le secret de la confession ?]

[18423] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non solum sacerdos sigillum confessionis habeat. Quia aliquando aliquis confitetur sacerdoti per interpretem necessitate urgente. Sed interpres etiam tenetur confessionem celare. Ergo etiam non sacerdos aliquid sub sigillo confessionis habet.

1. Il semble que le prêtre seul ne détienne pas le secret de la confession, car quelqu’un se confesse à un prêtre par l’intermédiaire d’un interprète, lorsque la nécessité l’exige. Or, l’interprète aussi est tenu de cacher la confession. Un non-prêtre détient donc aussi quelque chose sous le secret de la confession.

[18424] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, aliquando aliquis in casu necessitatis potest laico confiteri. Sed ille tenetur peccata celare, cum sibi dicantur sicut Deo. Ergo non solum sacerdos sigillum confessionis habet.

2. Quelqu’un peut parfois se confesser à un laïc en cas de nécessité. Or, celui-ci est obligé de cacher les péchés, puisqu’ils lui sont dévoilés comme à Dieu. Ce n’est donc pas seulement le prêtre qui détient le secret de la confession.

[18425] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, aliquando aliquis se sacerdotem finget, ut conscientiam alicujus exploret per hanc fraudem; et ille etiam, ut videtur, peccat, si confessionem revelet. Ergo non solus sacerdos sigillum confessionis habet.

3. Parfois, quelqu’un se présente comme un prêtre afin d’explorer la conscience d’un autre par cette tromperie, et il semble que celui-là aussi pèche s’il révèle la confession. Ce n’est donc pas seulement le prêtre qui détient le secret de la confession.

[18426] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod solus sacerdos est minister hujus sacramenti. Sed sigillum confessionis est annexum sacramento. Ergo solus sacerdos habet sigillum confessionis.

Cependant, [1] seul le prêtre est le ministre de ce sacrement. Or, le secret de la confession est associé au sacrement. Seul le prêtre détient donc le secret de la confession.

[18427] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, homo tenetur ea quae in confessione audit, celare; quia nescit ea ut homo, sed ut Deus. Sed solus sacerdos est minister Dei. Ergo ipse solus tenetur occultare.

[2] Un homme est tenu de cacher ce qu’il entend en confession, car il ne connaît pas ces choses en tant qu’homme, mais en tant que Dieu. Or, seul le prêtre est le ministre de Dieu. Lui seul est donc tenu de les cacher.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18428] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in sacramentis ea quae exterius geruntur, sunt figura rerum quae interius contingunt; et ideo confessio qua quis sacerdoti se subjicit, signum est interioris qua quis Deo subjicitur. Deus autem peccatum illius qui se sibi subjicit per poenitentiam, tegit; unde et hoc oportet in sacramento poenitentiae significari; et ideo de necessitate sacramenti est quod quis confessionem celet; et tamquam violator sacramenti peccat qui revelat; et praeter hoc sunt aliae utilitates hujus celationis; quia per hoc homines ad confessionem magis attrahuntur, et simplicius peccata confitentur.

Dans les sacrements, ce qui est accompli à l’extérieur est la figure de ce qui se produit à l’intérieur. C’est pourquoi la confession par laquelle quelqu’un se soumet à un prêtre est le signe de [la confession] intérieure par laquelle il se soumet à Dieu. Or, Dieu couvre le péché de celui qui se soumet à lui par la pénitence. Cela doit donc être signifié dans la sacrement de pénitence. C’est pourquoi il fait nécessairement partie du sacrement que l’on cache la confession et celui qui la révèle pèche en violant le sacrement. Au surplus, il existe d’autres avantages de ce secret, car, par cela, les hommes sont attirés vers la confession et les péchés sont confessés d’une manière plus simple.

[18429] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quidam dicunt, quod sacerdos non tenetur servare sub sigillo confessionis nisi peccata de quibus poenitens emendare promittit; alias potest ea dicere ei qui potest prodesse, non obesse. Sed haec opinio videtur erronea, cum sit contra veritatem sacramenti. Sicut enim Baptismus est sacramentum, quamvis quis fictus accedit; nec est mutandum propter hoc aliquid de essentialibus sacramenti; ita confessio non desinit esse sacramentalis, quamvis ille qui confitetur, emendationem non proponat; et ideo nihilominus sub occulto tenendum est. Nec tamen sigillum confessionis contra caritatem militat; quia caritas non requirit quod apponatur remedium peccato quod homo nescit. Illud autem quod sub confessione scitur, est quasi nescitum, cum non sciat ut homo, sed ut Deus. Tamen aliquod remedium adhibere debet in praedictis casibus quantum potest sine confessionis revelatione, sicut monendo eos qui confitentur, et aliis diligentiam apponendo ne corrumpantur per haeresim. Potest etiam dicere praelato, quod diligentius invigilet super gregem suum; ita tamen quod non dicat aliquid per quod verbo vel nutu confitentem prodat.

1. Certains disent que le prêtre n’est tenu de garder sous le secret de la confession que les péchés dont le pénitent a promis de s’amender, autrement, il peut les dire à celui qui peut être utile, et non pas nuire. Mais cette opinion semble erronée, puisqu’elle va à l’encontre de la vérité du sacrement. En effet, de même que le baptême est un sacrement, même si quelqu’un l’approche par feinte et qu’il ne faille pas à cause de cela changer quelque chose à ce qui est essentiel au sacrement, de même la confession ne cesse pas d’être sacramentelle, même si celui qui se confesse n’a pas le propos de s’amender. C’est pourquoi il faut malgré cela la garder secrète. Toutefois, le secret de la confession ne combat pas la charité, car la charité n’exige pas qu’un remède soit apporté à un péché qu’on ne connaît pas. Or, ce qui est connu sous le secret de la confession est pour ainsi dire inconnu, puisqu’on ne le sait pas en tant qu’homme mais en tant que Dieu. Toutefois, un remède doit autant que possible être apporté dans les cas rappelés, sans révéler la confession, par exemple, en avertissant ceux qui se confessent et prenant soin que d’autres ne soient pas corrompus par l’hérésie. [Le prêtre] peut aussi dire à son supérieur de veiller avec plus de soin sur son troupeau, de telle sorte cependant qu’il ne lui dise rien qui trahisse en parole ou par un geste celui qui s’est confessé.

[18430] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praeceptum de confessione servanda consequitur ipsum sacramentum; et ideo sicut praeceptum de confessione sacramentali facienda est de jure divino, et non potest aliqua dispensatione vel jussione humana homo ab eo absolvi; ita nullus ad revelationem confessionis potest ab homine cogi vel licentiari. Unde si praecipiatur sub poena excommunicationis latae sententiae, quod dicat si aliquid scit de peccato, non debet dicere; quia debet aestimare quod intentio praecipientis sit, si sciat ut homo. Si etiam exprimeret de confessione interrogans, non deberet dicere; nec excommunicationem incurreret; quia non est subjectus superiori suo nisi ut homo; hoc autem non scit ut homo, sed ut Deus.

2. Le précepte sur l’observance de la confession découle du sacrement lui-même. C’est pourquoi, de même que le précepte de se confesser sacramentellement est de droit divin, et que l’homme ne peut en être délié par une dispense ou un ordre humain, de même personne ne peut être forcé ou autorisé à révéler une confession. S’il lui est ordonné sous peine d’excommunication en vertu de la sentence portée de dire s’il sait quelque chose à propos d’un péché, il ne doit pas le dire, car il doit estimer que l'intention de celui qui ordonne est [de le révéler] s’il le sait en tant qu’homme. De même, si celui qui interroge parlait d’une confession, il ne devrait pas dire [ce qu’il sait]. Et il n’encourrait pas l’excommunication, car il n’est soumis à son supérieur qu’en tant qu’homme. Or, il ne connaît pas cela en tant qu’homme, mais en tant que Dieu.

[18431] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo non adducitur in testimonium nisi ut homo; et ideo absque laesione conscientiae potest jurare se nescire quod scit tantum ut Deus. Similiter autem absque laesione conscientiae potest praelatus impunitum dimittere peccatum quod scit ut Deus, vel sine aliquo remedio; quia non tenetur adhibere remedium nisi eo modo quo ad ipsum defertur; unde in his quae deferuntur ei in foro poenitentiae, in eodem foro debet quantum potest adhibere remedium; ut abbas in casu praedicto admoneat eum, ut prioratum resignet; vel si noluerit, potest ex aliqua alia occasione absolvere a cura prioratus; ita tamen quod omnis suspicio vitetur de confessionis revelatione.

3. Un homme n’est appelé à témoigner qu’en tant qu’il est homme. C’est pourquoi il peut sans atteinte à son conscience jurer ne pas connaître ce qu’il connaît en tant que Dieu. De même, sans atteinte à sa conscience, un supérieur peut écarter un péché impuni ou qui est sans remède, qu’il connaît en tant que Dieu, car il n’est obligé d’apporter de remède que de la manière où [le péché] à été porté à sa connaissance. Pour ce qui a été porté à sa connaissance au for de la pénitence, il doit donc autant que possible apporter un remède au même for, comme l’abbé doit avertir, dans le cas mentionné, que [celui qui se confesse] devrait démissionner de son priorat ou, s’il ne le veut pas, il peut le décharger du priorat lorsque l’occasion se présentera, mais de telle manière que tout soupçon de révélation de la confession soit évité.

[18432] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex multis aliis causis aliquis redditur indignus ad praelationis officium quam ex peccato; sicut ex defectu scientiae vel aetatis vel alicujus hujusmodi; et ideo qui contradicit, nec suspicionem de crimine facit, nec confessionem revelat.

4. Quelqu’un est rendu indigne de la fonction de supérieur par bien d’autres causes que le péché, comme par le manque de science, l’âge ou quelque chose de ce genre. C’est pourquoi celui qui s’oppose ne provoque pas de soupçon à propos de sa faute et ne révèle pas sa confession.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18433] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sigillum confessionis non directe se extendit nisi ad illa quae cadunt sub sacramentali confessione; sed indirecte id quod non cadit sub sacramentali confessione, etiam ad confessionis sigillum pertinet, sicut illa per quae posset peccator vel peccatum deprehendi. Nihilominus etiam illa summo studio sunt celanda, tum propter scandalum, tum propter pronitatem quae ex consuetudine accidere posset.

Le secret de la confesion ne s’étend directement qu’à ce qui relève de la confession sacramentelle, mais, indirectement, ce qui ne relève pas de la confession sacramentelle relève aussi du secret de la confession, comme ce par quoi le pécheur ou le péché pourrait être découvert. Néanmoins, cela doit être caché avec le plus grand soin, tant en raison du scandale qu’en raison de l’inclination qui pourrait venir de l’habitude.

[18434] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

1. La réponse à la première objection est ainsi claire.

[18435] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non de facili debet recipere aliquid hoc modo; si tamen recipiat, ex promissione tenetur hoc modo celare ac si in confessione haberet, quamvis sub sigillo confessionis non habeat.

2. Quelqu’un ne doit pas facilement être informé de quelque chose de cette façon ; cependant, s’il l’est, il est tenu par sa promesse de le cacher comme s’il le connaissait par la confession, bien qu’il ne le connaisse pas sous le secret de la confession.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18436] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sigillum confessionis competit sacerdoti inquantum est minister hujus sacramenti, quod nihil est aliud quam debitum confessionem celandi; sicut clavis est potestas absolvendi. Tamen sicut aliquis qui non est sacerdos, in aliquo casu participat aliquid de actu clavis, dum confessionem audit propter necessitatem; ita etiam participat de actu sigilli confessionis, et tenetur celare; quamvis, proprie loquendo, sigillum confessionis non habeat.

Le secret de la confession concerne le prêtre en tant qu’il est ministre de ce sacrement (comme la clé est le pouvoir d’absoudre), ce qui n’est rien d’autre que l’obligation de cacher la confession. Cependant, de même que quelqu’un qui n’est pas prêtre participe d’une certaine manière au pouvoir des clés dans un cas particulier, lorsqu’il entend une confession en raison de la nécessité, de même participe-t-il aussi à l’acte du secret de la confession, et il est tenu de cacher [la confession], bien que, à proprement parler, il ne détienne pas le secret de la confession.

[18437] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections sont ainsi claires.

 

 

Articulus 2 [18438] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 tit. Utrum de licentia poenitentis possit sacerdos peccatum quod sub sigillo confessionis habet, alteri prodere

Article 2 – Un prêtre peut-il, avec la permisssion du pénitent, confier à quelqu’un d’autre ce qu’il connaît sous le secret de la confession ?

 

[18439] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod de licentia poenitentis non possit sacerdos peccatum quod sub sigillo confessionis habet, alteri prodere. Quod enim non potest superior, non potest inferior. Sed Papa non posset aliquem licentiare ut peccatum quod scit in confessione, alteri diceret. Ergo nec ille qui confitetur, potest ipsum licentiare.

Objections

1. Il semble qu’un prêtre ne puisse pas, avec la permisssion du pénitent, confier à quelqu’un d’autre ce qu’il connaît sous le secret de la confession. En effet, ce que ne peut pas un supérieur, un inférieur ne le peut pas. Or, le pape ne pourrait permettre à quelqu’un de dire à un autre ce qu’il sait par une confession. Celui qui se confesse ne peut donc pas non plus le permettre.

[18440] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est institutum propter bonum commune, non potest ex arbitrio unius mutari. Sed celatio confessionis est instituta propter bonum totius Ecclesiae, ut homines confidentius ad confessionem accedant. Ergo ille qui confitetur, non potest licentiare sacerdotem ad dicendum.

 

2. Ce qui a été établi en vue du bien commun ne peut être changé par le jugement d’un seul. Or, le secret de la confession a été établi en vue du bien de toute l’Église, afin que les hommes s’approchent de la confession avec une plus grande confiance. Celui qui se confesse ne peut donc pas permettre à un prêtre de dire [ce qu’il a appris par sa confesssion].

[18441] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, si posset sacerdos licentiari, videretur dari pallium malitiae malis sacerdotibus; quia possent praetendere sibi licentiam datam, et sic impune peccarent; quod non est conveniens. Ergo videtur quod non possit a confitente licentiari.

3. Si cela pouvait être permis à un prêtre, il semble qu’on couvrirait la malice des mauvais prêtres, car ils pourraient prétendre que la permission leur a été donnée ; ainsi, ils pécheraient impunément, ce qui n’est pas acceptable. Il semble donc que celui qui se confesse ne puisse pas donner cette permission.

[18442] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, ille cui iste revelabit, non habebit hoc sub sigillo confessionis; et sic poterit publicari peccatum quod jam deletum est; quod non est conveniens. Ergo non potest licentiari.

4. Celui à qui [un prêtre] révélera cela ne le connaîtra pas sous le secret de la confession, et ainsi un péché déjà détruit pourra être rendu public, ce qui n’est pas acceptable. Cela ne peut donc être permis à un prêtre.

[18443] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, superior potest remittere peccatorem cum litteris ad inferiorem sacerdotem de voluntate ipsius. Ergo de voluntate confitentis potest alteri peccatum revelare.

Cependant, [1] un supérieur peut absoudre  un pécheur en adressant une lettre à un prêtre inférieur à propos de ce que [le pénitent] veut. Il peut donc révéler un péché à un autre par la volonté de celui qui s’est confessé.

[18444] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, qui potest aliquid facere per se, potest etiam per alterum facere. Sed confitens potest per se peccatum suum, quod fecit, revelare. Ergo potest internuntium sacerdotem facere.

[2] Celui qui peut faire quelque chose par lui-même peut aussi le faire par l’intermédiaire d’un autre. Or, celui qui se confesse peut révéler par lui-même un péché qu’il a commis. Il peut donc prendre le prêtre comme intermédiaire pour le faire connaître.

[18445] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod duo sunt propter quae sacerdos tenetur peccatum occultare. Primo et principaliter, quia ipsa occultatio est de essentia sacramenti, inquantum scit illud ut Deus, cujus vicem gerit ad confessionem. Alio modo propter scandalum vitandum. Potest autem poenitens facere ut illud quod sacerdos sciebat ut Deus, sciat etiam ut homo; quod facit dum eum licentiat ad dicendum; et ideo si dicat, non frangit sigillum confessionis. Tamen debet cavere scandalum dicendo, ne fractor sigilli praedicti reputetur.

Réponse

Il y a deux raisons pour lesquelles le prêtre doit cacher le péché. Premièrement et principalement, parce que le fait même de le cacher fait partie de l’essence du sacrement, pour autant que [le prêtre] le connaît en tant que Dieu, dont il tient la place pour la confession. En second lieu, pour éviter le scandale. Mais un pénitent peut faire en sorte que ce que le prêtre savait en tant que Dieu, il le sache aussi en tant qu’homme, ce qu’il fait lorsqu’il lui donne la permission d’en parler. Si le prêtre en parle, il ne rompt donc pas le secret de la confession. Il doit cependant éviter un scandale en en parlant, de crainte d’être considéré comme celui qui a rompu le secret en question.

[18446] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Papa non potest licentiare eum ut dicat; quia non potest facere ut sciat ut homo; quod potest qui confitetur.

Solutions

1. Le pape ne peut lui donner la permission d’en pasrler, car il ne peut faire qu’il connaisse cela en tant qu’homme, ce que peut celui qui se confesse.

[18447] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non tollitur illud quod est propter bonum commune institutum; quia sigillum confessionis non frangitur, quia dicitur quod alio modo scitur.

2. Ce qui a été établi en vue du bien commun n’est pas enlevé, car le secret de la confession n’est pas rompu, puisqu’il parle de ce qui est connu d’une autre manière.

[18448] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc non datur aliqua impunitas malis sacerdotibus; quia imminet eis probatio, si accusantur, quod de licentia confitentis revelaverunt.

3. Une impunité n’est pas ainsi donnée aux mauvais prêtres, car, s’ils sont accusés, ils devront faire la preuve qu’ils l’ont révélé avec la permission de celui qui s’est confessé.

[18449] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille ad quem notitia peccati devenit mediante sacerdote ex voluntate confitentis, participat in aliquo actum sacerdotis; et ideo simile est de eo et de interprete; nisi forte peccator velit quod ille absolute sciat et libere.

4. Celui à qui parvient la connaissance d’un péché par l’intermédiaire d’un prêtre en vertu de la volonté de celui qui s’est confessé participe d’une certaine manière à l’acte du prêtre. Il en va donc de même pour lui et pour un interprète, à moins que le pécheur ne veuille qu’il le sache absolument et librement.

 

 

Articulus 3 [18450] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 tit. Utrum illud quod quis scit per confessionem et alio modo, nullo modo possit revelare.

Article 3 – Ce que quelqu’un connaît par la confession et d’une autre manière, ne peut-il le révéler d’aucune manière ?

[18451] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod illud quod quis scit per confessionem et alio modo, nullo modo possit revelare. Non enim frangitur sigillum confessionis, nisi dum peccatum quod in confessione habetur, revelatur. Si ergo iste revelat peccatum quod in confessione audivit, qualitercumque aliter sciat, sigillum confessionis frangere videtur.

1. Il semble que ce que quelqu’un connaît par la confession et d’une autre manière, il ne puisse le révéler d’aucune manière. En effet, le secret de la confession n’est rompu que si un péché qu’on connaît par la confession est révélé. Si donc ce [prêtre] révèle un péché qu’il a entendu en confession, quelle que soit la manière dont il le connaît par ailleurs, il semble rompre le secret de la confession.

[18452] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, quicumque confessionem alicujus audit, ei obligatur ad hoc quod peccata ipsius non revelet. Sed si aliquis alicui promitteret tenere privatum quod ei dicitur, quantumcumque postea sciret, deberet privatum tenere. Ergo quod in confessione quis audit, quantumcumque alias sciatur, debet privatum haberi.

2. Quiconque entend la confession de quelqu’un a à son égard l’obligation de ne pas révéler ses péchés. Or, si quelqu’un promettait de garder pour lui-même ce qui lui est dit, quelle que soit la manière dont il le connaîtrait par la suite, il devrait le garder pour lui-même. Ce que quelqu’un entend en confession doit donc être gardé pour lui-même, quelle que soit la manière dont il le connaît par ailleurs.

[18453] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, duorum quod est altero potentius trahit ad se reliquum. Sed scientia sua qua scit peccatum ut Deus, est potentior, et dignior illa qua scit ut homo. Ergo trahit ad se eam; et ita non poterit revelari, secundum quod scientia qua scit ut Deus, exigit.

 

3. De deux choses, celle qui est la plus puissante entraîne l’autre vers elle-même. Or, la connaissance [du prêtre], par laquelle il connaît un péché en tant que Dieu, est plus puissante et plus digne que celle selon laquelle il le connaît en tant qu’homme. Elle l’entraîne donc vers elle, et ainsi le péché ne pourra être révélé, comme l’exige la science selon laquelle il le connaît en tant que Dieu.

[18454] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, secretum confessionis institutum est ad vitandum scandalum, et ut homines a confessionibus non retraherentur. Sed si aliquis posset dicere illud quod in confessione audivit, etiam si alias sciret, nihilominus scandalum sequeretur. Ergo nullo modo potest dicere.

4. Le secret de la confession a été établi pour éviter le scandale et pour que les hommes ne soient pas retenus de se confesser. Or, si quelqu’un pouvait dire ce qu’il a entendu en confession, même s’il le connaissait autrement, il en découlerait néanmoins un scandale. Il ne peut donc le dire d’aucune manière.

[18455] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus potest alium obligare ad quod non erat obligatus, nisi sit suus praelatus, qui obliget eum praecepto. Sed ille qui sciebat alicujus peccatum per visum, non erat obligatus ad celandum. Ergo ille qui ei confitetur, cum non sit praelatus suus, non potest eum obligare ad celandum hoc quod sibi confitetur.

Cependant, [1] personne ne peut en obliger un autre à ce à quoi il n’était pas obligé, à moins d’être son supérieur, qui peut l’obliger par commandement. Or, celui qui connaissait de vue le péché d’un autre n’était pas obligé de le cacher. Celui qui le confesse [au prêtre], puisqu’il n’est pas son supérieur, ne peut donc pas l’obliger à cacher ce qui lui a été confessé.

[18456] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, secundum hoc posset impediri justitia Ecclesiae, si aliquis, ut evaderet sententiam excommunicationis, quae in ipsum ferenda erat propter aliquod peccatum de quo convictus est, confiteretur ei qui sententiam ferre debet. Sed justitiae executio est in praecepto. Ergo non tenetur celare peccatum quod quis in confessione audit, si alias scit.

[2] De cette manière, la justice de l’Église pourrait être empêchée, si quelqu’un, afin d’échapper à la sentence d’excommunication qui devait être portée contre lui en raison d’un péché dont il a été convaincu, se confessait à celui qui doit porter la sentence. Or, l’exécution de la justice relève d’un précepte. Il n’est donc pas tenu de cacher le péché qu’il entend en confession, s’il le connaît autrement.

[18457] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod illud quod aliquis audit in confessione, non potest aliquo modo dicere, si sciat alias, sive ante sive post. Quidam vero dicunt, quod per confessionem praecluditur sibi via ne possit aliquid dicere quod prius scivit; non autem quin possit dicere, si postea alio modo sciat. Utraque autem opinio, dum nimium sigillo confessionis attribuit, praejudicium veritati et justitiae servandae facit. Posset enim aliquis ad peccata esse proclivior, si non timeret ab illo accusari cui confessus est, si coram ipso peccatum iteraret. Similiter etiam multum justitiae perire poterit, si testimonium ferre non posset aliquis de eo quod vidit, propter confessionem de hoc factam. Nec obstat quod quidam dicunt, quod debet protestari, se non tenere privatum hoc; quia hoc non posset protestari nisi postquam peccatum esset sibi dictum; et tunc quilibet sacerdos posset, cum vellet, revelare peccatum protestationem faciendo, si hoc ipsum ad revelandum liberum redderet. Et ideo alia opinio est, et verior, quia illud quod homo alias scit, sive ante confessionem, sive post, non tenetur celare quantum ad id quod scit ut homo. Potest enim dicere: scio illud, quia vidi; tenetur tamen celare illud, inquantum scit ut Deus. Non potest enim dicere: ego audivi hoc in confessione. Tamen propter scandalum vitandum debet abstinere ne de hoc loquatur, nisi necessitas immineat.

Réponse

À ce propos, il existe trois opinions. En effet, certains disent que ce que quelqu’un entend en confession, il ne peut le révéler d’aucune manière, s’il le connaît autrement, soit avant, soit après. Mais certains disent que, par la confession, la route lui est fermée pour pouvoir dire ce qu’il connaissait avant, mais non pour qu’il puisse le dire s’il le connaît d’une autre manière. Mais les deux opinions, en attribuant trop au secret de la confession, portent préjudice à la sauvegarde de la vérité et de la justice. En effet, quelqu’un pourrait être plus enclin à ses péchés, s’il ne craignait pas d’être accusé par celui à qui il s’est confessé et s’il recommençait à pécher devant lui. De même aussi, une grande partie de la justice disparaîtrait si quelqu’un ne pouvait porter témoignage de ce qu’il a vu, en raison d’une confession qui lui a été faite. Et cela ne fait rien que certains disent qu’il doit protester qu’il connaît cela à titre privé, car il ne pourrait ainsi protester qu’après que le péché lui a été dit. Ainsi, tous les prêtres pourraient, lorsqu’ils le voudraient, révéler un péché en faisant une protestation, si cela les rendait libres de le révéler. C’est pourquoi il existe une autre opinion, plus vraie : ce qu’un homme connaît autrement, soit avant la confession, soit après, il n’est pas tenu de le cacher pour ce qu’il connaît en tant qu’homme. En effet, il peut dire : « Je sais cela parce que je l’ai vu. » Il est cependant obligé de cacher ce qu’il connaît en tant que Dieu. En effet, il ne peut dire : « J’ai entendu cela en confession. » Toutefois, afin d’éviter un scandale, il doit s’abstenir d’en parler, à moins qu’il n’y ait une nécessité urgente.

[18458] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis dicit se vidisse quod in confessione audivit, non revelat quod in confessione audivit, nisi per accidens; sicut qui scit per auditum et visum, non revelat quod videt, per se loquendo, si dicat se audisse; sed per accidens, quia dicit auditum, cui accidit visum esse; et ideo talis sigillum confessionis non frangit.

Solutions

1. Lorsque quelqu’un dit qu’il a vu ce qu’il a entendu en confession, il ne révèle pas ce qu’il a entendu en confession, si ce n’est par accident ; ainsi, celui qui connaît pour avoir  entendu et vu, ne révèle pas ce qu’il voit, à proprement parler, s’il dit qu’il l’a entendu, mais [il le révèle] par accident, parce qu’il dit qu’il a entendu ce qu’il lui est arrivé de voir. C’est pourquoi il ne rompt pas le secret de la confession.

[18459] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non obligatur audiens confessionem quod non revelet peccatum simpliciter, sed prout est in confessione auditum; nullo enim casu dicere debet se audivisse in confessione.

2. Celui qui entend une confession n’est pas obligé de ne pas révéler un péché tout simplement, mais en tant qu’il l’a entendu en confession. En effet, il ne doit dire d’aucune manière qu’il l’a entendu en confession.

[18460] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intelligendum est de duobus qui habent oppositionem. Sed scientia qua scit aliquis peccatum ut Deus, et illa qua scit ut homo, non sunt opposita; et ideo ratio non procedit.

3. Il faut l’entendre de deux choses qui sont opposées. Mais la connaissance par laquelle quelqu’un connaît un péché en tant que Dieu, et celle par laquelle il le connaît en tant qu’homme ne sont pas opposées. Ainsi, le raisonnement n’est pas concluant.

[18461] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non debet ita vitari peccatum ex una parte quod ex alia justitia relinquatur; veritas enim non est propter scandalum dimittenda; et ideo quando imminet periculum justitiae et veritatis, non debet dimitti revelatio ejus quod quis in confessione audivit, si alias scit, propter scandalum; dum tamen scandalum, quantum in se est, evitare nitatur.

4. Il ne doit pas tellement éviter le péché, d’un côté. que, de l’autre, la justice soit abandonnée. En effet, la vérité ne doit pas être écartée en raison d’un scandale. C’est pourquoi lorsque qu’il existe un danger urgent pour la justice et la vérité, la révélation de ce que quelqu’un a entendu en confession ne doit pas être écartée en raison d’un scandale, s’il le connaît autrement, pourvu qu’il s’efforce cependant d’éviter un scandale autant qu’il le peut.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 21

[18462] Super Sent., lib. 4 d. 21 q. 3 a. 3 expos. Non redarguo, quia forsitan verum est. Hoc non dicit Augustinus quasi dubitans an Purgatorium sit; sed an de hoc igne apostolus intelligat. Quod omnia criminalia semel saltem oportet in confessione exprimi. Contra, contritio non oportet quod sit singillatim de omnibus. Ergo nec confessio. Et dicendum, quod contritio est in conspectu Dei, qui uno intuitu omnia videt; sed confessio fit homini, cui oportet singillatim omnia exponi. Et praeterea oportet de omni peccato mortali quod memoriae occurrit, singulariter dolere, ut praedictum est. Nisi aliqua sint frequenter iterata. Contra, iteratio non trahit ea extra genus venialium peccatorum. Et dicendum, quod loquitur quantum ad dispositionem; quia frequens venialium iteratio disponit ad illam placentiam venialium in qua consistit peccatum mortale; quia secundum quod habitus ex consuetudine generatur et augetur, secundum hoc delectatio et pronitas crescit. Sed aliud est favore vel odio proprium sacerdotem contemnere, quod canones prohibent; aliud caecum vitare, quod Urbanus facere monet. Contra, ergo secundum hoc videtur quod aliquis possit cui vult confiteri, quando habet sacerdotem ignorantem. Et dicendum, quod hoc intelligendum est, quando sacerdotis ignorantia posset hominem inducere in errorem; tunc enim de licentia sacerdotis vel superioris debet alium petere prudentiorem. Quinque tamen casus ponuntur in quibus licet alii confiteri quam proprio sacerdoti sine ejus licentia. Primus est, si sit vagabundus; secundus, si mutavit domicilium; tertius, si offendit in aliena parochia; quartus propter malitiam sacerdotis, si revelat confessiones, vel incitat ad malum; quintus in articulo necessitatis.

 

 

 

Distinctio 22

Distinction 22 – [Questions sur la rémission des péchés]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les péchés remis reviennent-ils ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[18463] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de tempore poenitentiae, quod concomitatur ipsam poenitentiam, hic determinat quaedam quae pertinent ad effectum ipsius, qui est remissio peccatorum; et dividitur in partes duas: in prima inquirit, utrum remissio peccatorum sit irrevocabilis, an peccata dimissa quandoque redeant; in secunda, quia in quolibet sacramento effectus est res ipsius, inquirit quid sit sacramentum et res in poenitentia, ibi: post praedicta restat investigare et cetera. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo ponit diversas opiniones circa solutionem ipsius quaestionis, ibi: cujus quaestionis solutio obscura est et perplexa. Tertio opiniones prosequitur, ibi: qui vero dicunt, peccata dimissa redire, subditis se muniunt testimoniis. Et circa hoc duo facit: primo prosequitur primam opinionem; secundo secundam, ibi: sed quia absonum videtur ut peccata dimissa iterum imputentur, placet quibusdam, neminem pro peccatis semel dimissis iterum a Deo puniri. Circa primum tria facit: primo ponit auctoritates quibus confirmatur prima opinio; secundo objicit in contrarium; ibi: quibus opponitur et cetera. Tertio ponitur eorum solutio, ibi: sed ad hoc potest dici et cetera. Post praedicta restat investigare et cetera. Hic inquirit, quid sit sacramentum et quid res in poenitentia; et circa hoc duo facit: primo movet quaestionem; secundo solvit eam, ibi: quidam enim dicunt sacramentum hic esse quod exterius tantum geritur. Et dividitur in partes duas secundum duas opiniones quas ponit; secunda incipit, ibi: quidam autem dicunt, exteriorem poenitentiam et interiorem esse sacramentum. Circa primum duo facit: primo narrat opinionem; secundo narrat objectiones in contrarium, ibi: quod si est, non omne sacramentum evangelicum id efficit quod figurat. Et dividitur in partes duas secundum duas objectiones quas ponit; secunda incipit, ibi: item si exterior poenitentia sacramentum est, et interior res sacramenti, saepius praecedit res sacramentum quam sacramentum rem. Et utraque dividitur in objectionem et solutionem, ut per se patet. Hic est duplex quaestio. Prima de reditu peccatorum. Secunda de eo quod est sacramentum vel res in poenitentia. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum peccata dimissa redeant; 2 de ingratitudine, per quam peccata redire dicuntur; 3 quae peccata per ingratitudinem redire possunt; 4 utrum recidivans teneatur confiteri peccata de quibus prius confessus fuerat.

Après avoir déterminé du moment de la pénitence, qui est concomitant à la pénitence elle-même, le Maître détermine ici de certaines choses qui se rapportent à son effet, la rémission des péchés. Il y a deux parties. Dans la première, il se demande si la rémission des péchés est irrévocable ou si les péchés remis reviennent parfois. Dans la seconde, parce que, dans tout sacrement, l’effet est sa réalité elle-même [res ipsius], il se demande ce que sont le sacrement et la réalité dans la pénitence, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il reste à rechercher, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il présente diverses opinions à propos de la réponse à cette question, à cet endroit : « La réponse à cette question est obscure et incertaine » ; troisièmement, il examine les opinions, à cet endroit : « Mais ceux qui disent que les péchés remis reviennent s’appuient sur les témoignages qui suivent. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il examine la première opinion ; deuxièmement, la seconde, à cet endroit : « Mais parce qu’il semble discordant de dire que les péchés déjà remis sont à nouveau imputés, certains pensent que personne n’est à nouveau puni par Dieu pour les péchés déjà remis. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente les autorités par lesquelles la première opinion est confirmée ; deuxièmement, il fait des objections en sens contraire, à cet endroit : « Auxquelles on oppose, etc. » ; troisièmement, la réponse à ces objections est présentée, à cet endroit : « Mais on peut dire à ce sujet, etc. » « Après ce qui a été dit, il reste à rechercher, etc. » Ici, il se demande ce qui est sacrement et ce qui est réalité dans la pénitence. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il y répond, à cet endroit : « En effet, certains disent qu’ici le sacrement n’est que ce qui est fait extérieurement. » Il y a deux parties, selon les deux opinions qu’il présente ; la seconde commence à cet endroit : « Mais certains disent que la pénitence extérieure et la pénitence intérieure sont le sacrement. » À propos du premier point, il fait ddeux choses. Premièrement,

premier point, il fait deux choses. Premièrement, il présente les opinions ; deuxièmement, il présente les objections en sens contraire, à cet endroit : « Si tel est le cas, tout sacrement évangélique ne réalise pas ce dont il est la figure. » Il y a deux parties, selon les deux objections qu’il présente ; la seconde commence à cet endroit : « De même, si la pénitence extérieure est le sacrement et la pénitence intérieure, la réalité du sacrement, la réalité précède le sacrement plus souvent que le sacrement la réalité. » Les deux parties sont divisées en objection et solution, comme cela ressort clairement. Ici, il y a deux questions. La première, sur le retour des péchés ; la seconde, sur ce qui est sacrement et réalité dans la pénitence. À propos du premier point, il y a quatre questions : 1 – Est-ce que les péchés remis reviennent ? 2 – Sur l’ingratitude, d’après laquelle on dit que les péchés reviennent. 3 – Quels péchés peuvent revenir en raison de l’ingratitude ? 4 – Le récidiviste est-il obligé de confesser les péchés dont il s’était déjà confessé ?

 

 

Articulus 1 [18464] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum peccata dimissa redeant in eo qui recidivat

Article 1 – Les péchés remis reviennent-ils chez celui qui récidive ?

 

Ad primum sic proceditur. Videtur quod peccata dimissa redeunt in eo qui recidivat. Dicit enim Leo Papa: quae divina misericordia solidavit in ea revolvit prurigo; quoniam iterata iniquitas misericordiam concessam exinanivit. Ergo videtur quod per recidivum peccata dimissa redeant.

Objections

1. Il semble que les péchés remis reviennent chez celui qui récidive. En effet, le pape Léon dit : « La démangeaison fait revenir à ce que la divine miséricorde a affermi, car l’iniquité répétée a vidé de son contenu la miséricorde reçue. » Il semble donc que les péchés remis reviennent par la récidive.

[18466] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, remoto operculo apparet quod operiebatur. Sed caritas operit multitudinem peccatorum; 1 Petr., 4, 24. Ergo remota caritate per peccatum sequens, redeunt peccata dimissa.

2. Le couvercle enlevé, ce qui était couvert apparaît. Or, la charité recouvre une multitude de péchés, 1 P 4, 24. Une fois la charité enlevée par le péché suivant, les péchés remis reviennent donc.

[18467] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, Ezech. 18, 24, dicitur: si averterit se justus a justitia sua (...) omnes suae justitiae quas fecerat, non recordabuntur. Ergo in eodem statu est ac si nullam justitiam fecisset. Sed si non fecisset justitiam poenitentiae, non essent ei peccata dimissa. Ergo dimissio illa annullatur; et sic peccata dimissa redeunt.

3. Il est dit en Ez 18, 24 : Si le juste se détourne de sa justice…, toutes les actes justes qu’il aura accomplis ne lui seront pas imputés. Celui qui n’a accompli aucune justice se trouve donc dans le même état que s’il n’avait aucunement fait justice. Or, s’il n'avait pas fait justice par la pénitence, ses péchés ne lui auraient pas été remis. Cette rémission est donc entièrement annulée, et ainsi les péchés remis reviennent.

[18468] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, magis peccat qui offendit Deum quam qui offendit hominem. Sed si aliquis est ab aliquo domino manumissus, per offensam in ipsum commissam iterum reducitur in servitutem. Ergo multo fortius, si aliquis divina gratia a servitute peccati liberatus Deum per recidivum peccati offendat, in pristinam servitutem revocatur; et sic peccata dimissa redeunt.

4. Celui qui offense Dieu pèche plus que celui qui offense l’homme. Or, si quelqu’un a été affranchi par un seigneur, il est de nouveau réduit à la servitude par une offense commise contre lui. À bien plus forte raison, si quelqu’un qui a été libéré de la servitude du péché par la grâce divine offense Dieu en retournant au péché, est-il ramené à sa servitude première, et ainsi les péchés remis reviennent.

[18469] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, esto quod aliquis post veram contritionem de peccatis praeteritis cadat in peccatum, et moriatur statim; constat quod in Infernum descendat. Ergo de peccatis quae sibi dimissa fuerunt, ibi punitur, cum non sit sibi poena totaliter remissa. Ibi vero punietur aeternaliter, quia in Inferno nulla est redemptio. Ergo similem reatum incurrit ei quem habebat; et ita videtur quod in isto peccata dimissa redeunt; et similis ratio est de illo qui confessus est, et non satisfecit plene.

5. À supposer que quelqu’un, après une contrition véritable pour les péchés passés, tombe dans le péché et meure aussitôt, il est clair qu’il descend en enfer. Il est donc puni là pour les péchés qui lui avaient été remis, puisque la peine ne lui a pas été entièrement remise. Or, il sera puni là éternellement, car il n’y a pas de rédemption en enfer. Il encourt donc une dette semblable à celle qu’il avait, et ainsi il semble que les péchés remis reviennent en lui. Le raisonnement est le même pour celui qui s’est confessé et n’a pas entièrement satisfait.

[18470] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, sicut per poenitentiam remittuntur peccata, ita per peccatum actuale mortificantur merita praecedentia. Sed per poenitentiam, quae peccatum destruit, priora merita reviviscunt. Ergo per peccatum quod poenitentiam destruit, qua remittebatur peccatum, peccata dimissa reviviscunt.

6. De même que les péchés sont remis par la pénitence, de même les mérites précédents sont-ils rendus morts par un péché actuel. Or, par la pénitence qui détruit le péché, les mérites antérieurs revivent. Donc, par le péché qui détruit la pénitence par laquelle le péché était remis, les péchés remis reviennent à la vie.

[18471] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra Augustinus in Lib. de responsionibus prosperi: qui recedit a Christo, et alienatus a gratia finit hanc vitam, quid nisi in perditionem vadit ? Sed non in id quod dimissum est, redit, nec originali peccato damnabitur. Ergo peccata dimissa non redeunt.

Cependant, [1] Augustin, dans le livre Réponses à Prospère, dit : « Celui qui s’éloigne du Christ et termine la vie présente séparé de la grâce, où va-t-il sinon à la perdition ? Mais il ne revient pas à ce qui lui a été remis, et il ne sera pas condamné pour le péché originel. » Les péchés remis ne reviennent donc pas.

[18472] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, eodem peccato et aequali unus non fit alio deterior. Sed contingit innocentem et poenitentem eodem et aequali peccato mortali peccare. Ergo poenitens non fit deterior per hoc peccatum quam innocens. Fieret autem, si peccata dimissa redeant. Ergo non redeunt.

[2] Quelqu’un n’est pas rendu pire qu’un autre par un péché identique et égal. Or, il arrive qu’un innocent et un pénitent pèchent  par un péché identique et égal. Le pénitent n’est donc pas rendu pire que l’innocent par ce péché. Il le deviendrait cependant si les péchés remis reviennent. Ils ne reviennent donc pas.

[18473] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, contrarium non reducit suum contrarium. Sed contingit quandoque quod peccatum quod aliquis post poenitentiam committit, est contrarium peccato quod per poenitentiam deletum est, sicut avaritia prodigalitati. Ergo peccatum sequens non reducit peccatum praecedens.

[3] Un contraire ne ramène pas son contraire. Or, il arrive parfois que le péché que quelqu’un commet après la pénitence est contraire au péché qui a été détruit par la pénitence, comme l’avarice l’est à la prodigalité. Le péché suivant ne ramène donc pas le péché précédent.

[18474] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, nullus incurrit peccati maculam vel reatum, nisi ex commissione ipsius peccati. Sed poenitens antequam faceret simplicem fornicationem, non habebat maculam vel reatum homicidii, quod sibi jam dimissum erat. Ergo nec postea fornicando homicidium committit; ergo non redit homicidium sibi dimissum quantum ad culpam, neque quantum ad reatum.

[4] Personne n’encourt la souillure et la dette du péché, si ce n’est pour avoir commis le péché lui-même. Or, un pénitent, avant de commettre la simple fornication, n’avait pas la souillure ou la dette de l’homicide, qui lui avaient déjà été remises. Il ne commet donc pas d’homicide en forniquant. L’homicide qui lui a été remis ne revient donc ni quant à la faute ni quant à la dette.

[18475] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aliquo modo redire peccata oportet dicere; quia auctoritates expresse hoc dicunt. Quidam simpliciter hoc concesserunt in omni qui patitur recidivum; nec fuit intentio eorum dicere, quod actus ille peccati idem numero revocaretur, vel eadem numero macula quae prius ablata fuerat per poenitentiam; quia quod omnino in nihilum decidit, idem numero resumi non potest; sed ita quod sicut per peccata commissa aliquis impediebatur ante peractam poenitentiam de eis ne gratiam a Deo reciperet; ita eisdem impeditur postquam a statu poenitentiae decidit per peccatum mortale, quo recidivat. Sic enim dicitur peccatum mortale quantum ad culpam manere, in quantum ex actu qui jam praeteriit, impeditur aliquis a gratiae receptione, sicut a quodam obstaculo posito inter Deum et animam; remitti autem quo ad culpam, quando ratione actuum praeteritorum aliquis gratia non privatur. Sed haec opinio non potest stare; quia ad causandum tenebras utrumque duorum per se sufficit, scilicet dispositio recipientis, et interpositio obstaculi; unde si tenebrae debeant amoveri, oportet et indispositionem tolli, et obstaculum amoveri; et ita poenitentia, quae tenebras peccati tollebat, non solum removebat indispositionem quae erat in anima ad gratiam suscipiendam, sed etiam removebat obstaculum praecedentis peccati, non quidem ita quod actus ille non praecesserit, sed quod non haberet vim impediendi gratiam actus praecedens; quae quidem vis praedicto actui restitui non potest, nisi iteretur; quod est impossibile. Et ideo non potest dici, quod praedicto modo peccata quo ad maculam redeunt. Et ideo alii dixerunt, quod non redit peccatum dimissum per quodlibet peccatum sequens, sed quatuor tantum; scilicet per odium fraternum, per apostasiam a fide, per contemptum confessionis, et per hoc quod aliquis dolet se poenituisse; unde fecerunt versus: fratres odit, apostata fit, spernitque fateri, poenituisse piget; pristina culpa redit. Sed haec opinio minus habet de ratione quam prima; quia non magis potest assignare causam quare per haec peccata redeant peccata dimissa quam per alia, cum etiam alia contingat quandoque esse graviora; nisi quod ex auctoritatibus et quibusdam rationibus frivolis inducebantur ad dicendum, quod per haec peccata redirent peccata dimissa; et videbatur eis absurdum quod per omne peccatum sequens praecedentia redirent. Nec sufficit quod dicunt, quod Deus dimittat peccata sub conditione vitandi ista quatuor; quia causa sufficiens inducit effectum suum absolute, nihil expectans a futuro; gratia autem et passio Christi, ex cujus virtute sacramenta efficaciam habent, sufficientissime se habent ad omnem culpam delendam. Et praeterea nulla est ratio quare magis sub ratione vitandi haec peccata, priora remittantur quam sub conditione vitandi alia; cum omne peccatum contrarietur gratiae, per quam fit remissio peccatorum. Et ideo dicendum est cum aliis, quod aliquid potest redire dupliciter: vel in se; et sic peccata dimissa nullo modo redeunt quantum ad maculam, et per consequens nec quantum ad reatum: vel in suo effectu; et hoc modo peccata dimissa redeunt, inquantum ex dimissis peccatis aliquid in sequentibus relinquitur. Ex hoc enim quod homo Deum per peccatum offendit post remissionem praecedentium peccatorum, quamdam deformitatem ingratitudinis actus sequentis peccati acquirit; et ideo dicitur communiter, quod redeunt quantum ad ingratitudinem.

Réponse

Il faut dire que les péchés reviennent d’une certaine manière, car des autorités le disent expressément. Certains l’ont concédé pour tous ceux qui souffrent d’une récidive. Leur intention n’était pas de dire que le même acte de péché revenait, ni la même souillure qui avait antérieurement été enlevée par la pénitence, car ce qui tombe entièrement dans le néant ne peut être repris à l’identique. Mais [ils voulaient dire] que, de même que, par les péchés commis, quelqu’un était empêché de recevoir de Dieu la grâce avant d’avoir fait pénitence, de même ils en sont empêchés après être déchus de l’état de pénitence par un péché mortel. En effet, on dit que le péché mortel demeure quant à la faute dans la mesure où quelqu’un est empêché de recevoir la grâce par un acte déjà passé, comme par un obstacle placé entre Dieu et l’âme, et qu’il est remis quant à la faute lorsque, en raison des actes passés, quelqu’un n’est pas privé de la grâce. Mais cette opinion ne tient pas, car les deux choses suffisent pour causer les ténèbres : la disposition de celui qui reçoit et l’inter« -position d’un obstacle. Si les ténèbres doivent être écartées, il faut donc que l’indisposition soit enlevée et l’obstacle écarté. Ainsi, la pénitence, qui enlevait les ténèbres du péché, non seulement enlevait l’indisposition à recevoir la grâce qui se trouvait dans l’âme, mais aussi enlevait l’obstacle du péché antérieur, non pas que cet acte n’aurait pas précédé, mais que l’acte précédent n’aurait par la capacité d’empêcher la grâce. Cette capacité ne peut être rendue à l’acte en question, à moins qu’il ne soit répété, ce qui est impossible. C’est pourquoi on ne peut pas dire que les péchés reviennent de cette manière quant à la souillure. Aussi d’autres ont-ils dit que le péché remis ne revient pas en raison de n’importe quel péché suivant, mais seulement en raison de quatre péchés : la haine fraternelle, l’apostasie de la foi, le mépris de la confession et le regret de s’être repenti. Ainsi ont-ils écrit les vers : « Il hait ses frères, il devient apostat et méprise son aveu, il refuse de se repentir : la faute antérieure revient. » Mais cette opinion est moins fondée que la première, car elle ne peut pas davantage indiquer la cause pour laquelle les péchés remis reviennent par ces péchés plutôt que par d’autres, puisqu’il arrive que ceux-ci sont parfois plus graves. À moins qu’ils n’aient été amenés à dire, à cause d’autorités et de certains arguments sans valeur, que les péchés remis reviennent à cause de ces péchés et qu’il leur paraissait absurde que les péchés précédents reviennent à cause de tous les péchés qui suivent. Et il ne suffit pas qu’ils disent que Dieu remet les péchés à la condition qu’on évite ces quatre choses, car une cause suffisante produit son effet de manière absolue, sans rien attendre du futur. Or, la grâce et la passion du Christ, dont les sacrements tirent leur efficacité, ont au plus haut point la capacité de détruite toute faute. De plus, il n’y a pas de raison que les péchés antérieurs soient remis à la condition d’éviter ces péchés plutôt que d’en éviter d’autres, puisque tout péché s’oppose à la grâce, par laquelle la rémission des péchés se réalise. C’est pourquoi il faut répondre qu’il est possible de dire que quelque chose revient de deux manières : en soi, et ainsi les péchés remis ne reviennent d’aucune manière quant à la faute et, par conséquent, quant à la dette ; ou par son effet, et ainsi les péchés reviennent de cette manière, pour autant que quelque chose des péchés antérieurs est laissé dans les péchés qui suivent. En effet, par le fait que l’homme offense Dieu par le péché, après la rémission des péchés précédents, il acquiert la difformité qu’est l’ingratitude par l’acte d’un péché subséquent. C’est pourquoi on dit généralement que [les péchés remis] reviennent en raison de l’ingratitude.

[18476] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod misericordia Dei, per quam fiebat remissio peccatorum, ad duo ordinatur. Ad unum in praesenti, scilicet remissionem praecedentium peccatorum; et quantum ad hunc effectum non exinanitur peccatum sequens. Ad aliud in futuro, scilicet ad vitam aeternam consequendam; quia gratia, per quam fiebat remissio peccatorum, faciebat dignum vita aeterna; et quantum ad hunc effectum exinanitur per sequens peccatum.

Solutions

1. La miséricorde de Dieu, par laquelle se réalisait la rémission des péchés, était ordonnée à deux choses. À l’une dans le présent : la rémission des péchés précédents. Quant à cet effet, le péché subséquent n’est pas éliminé. À une autre dans le futur : l’obtention de la vie éternelle, car la grâce, par laquelle se réalisait la rémission des péchés, rendait digne de la vie éternelle. Quant à cet effet, elle est éliminée par le péché subséquent.

[18477] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas dicitur operire peccata Deo, qui omnia videt; unde oportet quod ea destruat, non quidem faciens ut actus non praecesserit, sed quod vim impediendi gratiam non habeat. Sed coram oculis hominum aliquid potest operiri quod de se manet; et de tali operimento objectio procedebat.

2. On dit que la charité recouvre les péchés aux yeux de Dieu qui voit tout. Aussi est-il nécessaire qu’elle détruise [les péchés], non pas en faisant en sorte que l’acte n’ait pas précédé, mais qu’il n’ait pas la capacité d’empêcher la grâce. Mais, aux yeux des hommes, quelque chose peut être couvert tout en demeurant. L’objection parlait d’un tel recouvrement.

[18478] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod justitiae ejus non rememorabuntur quantum ad effectum qui ex eis expectabatur in futuro, quia per eas ad vitam aeternam non perveniet; sed rememorabuntur quantum ad hunc effectum qui est peccata praeterita abolere, quem in praesenti faciebant.

3. On ne se rappellera pas ses justices quant à l’effet qu’on en attendait dans le futur, car il ne parviendra pas par elles à la vie éternelle. Mais on se les rappellera quant à l’effet qui consiste à effacer les péchés passés, ce qu’elles faisaient dans le présent.

[18479] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis aliquis manumissus reducatur in eamdem servitutem de qua liberatus fuerat, non tamen ut sit ex eadem causa servus, ex qua primo fuerat, sed ex alia, scilicet offensa post manumissionem commissa. Et similiter qui recidivat, reducitur in servitutem peccati, non tamen ut sit servus peccati ex actibus peccatorum ex quibus prius erat, sed ex actu istius peccati sequentis. Unde peccata dimissa non redeunt, sed novum inducitur.

4. Bien que celui qui avait été affranchi soit ramené à la même servitude dont il avait été affranchi, ce n’est pas pour être esclave pour la même cause pour laquelle il l’avait été, mais pour une autre cause : une offense commise après l’affranchissement. De même, celui qui récidive est-il ramené à l’esclavage du péché, non pas pour être esclave du péché à cause des actes des péchés pour lesquels il l’était antérieurement, mais pour l’acte de ce péché subséquent. Ainsi les péchés remis ne reviennent-ils pas, mais un nouveau apparaît.

[18480] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod pro illa parte poenae quae sibi dimissa est in confessione vel contritione, nunquam punietur, sed pro residua; in aeternum tamen, ut quidam dicunt: quia ratione fori in quo punitur, aeterna poena debetur; sicut est in venialibus, quae in Purgatorio puniuntur poena temporali, et in Inferno aeterna. Sed hoc non videtur simile; quia veniale ideo in Inferno aeternaliter punitur, quia semper manet, cum non sit ibi aliquid quod culpam delere possit; sed poena ex hoc ipso quod solvitur, expiatur. Et ideo alii dicunt, quod poena cujus est aliquis debitor post culpam remissam, in Inferno punietur temporaliter. Nec propter hoc sequitur quod sit in Inferno redemptio; quia poena quae solvitur, non redimitur. Nec est inconveniens quod quantum ad aliquid accidentale poena Inferni minuatur usque ad diem judicii, sicut etiam augetur.

5. Pour la partie de la peine qui lui a été reremise par la confession ou la contrition, il ne sera jamais puni, mais pour celle qui reste ; ce sera cependant pour l’éternité, comme certains le disent, parce que, en raison du for où il est puni, une peine éternelle est due, comme cela se produit pour les péchés véniels, qui sont punis au purgatoire d’une peine temporelle, et, dans l’enfer, d’une peine éternelle. Mais cela ne semble pas être la même chose, car le péché véniel est puni éternellement en enfer parce qu’il demeure toujours, puisqu’il n’y a là rien qui puisse détruire la faute ; mais la peine, par le fait même qu’elle est acquittée, est expiée. C’est pourquoi d’autres disent que la peine dont quelqu’un est débiteur après la remise de la faute sera punie temporellement en enfer. Il n’en découle pas pour autant qu’il y ait rédemption dans l’enfer, car la peine qui est remise n’est pas rachetée. Et il n’est pas inapproprié que la peine de l’enfer soit diminuée jusqu’au jour du jugement en quelque chose d’accidentel, comme elle est aussi augmentée.

[18481] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum mortale non mortificabat merita praecedentia quin in se essent viva, unde in gloriam electorum cedebant; sed mortificabantur solum quantum ad illum cujus erant, qui impediebatur a consecutione effectus ipsorum; et ideo, remoto impedimento, in sua efficacia remanent quo ad istum. Sed peccatum per poenitentiam non solum mortificatur quo ad peccantem, sed etiam in se. Remissio enim peccatorum est principaliter opus Dei; sed mortificatio meritorum praecedentium est opus hominis. Homo autem sua actione non potest evacuare simpliciter opus Dei, quamvis possit impedire ne sibi prosit; et ideo homo per peccatum sequens non potest remissionem praecedentium peccatorum annullare; potest autem sua actione evacuare quod per ipsum factum est; et ideo potest mortificationem praecedentium meritorum per merita sequentia penitus annullare, praecipue gratia adjutus.

6. Le péché mortel ne faisait pas mourir les mérites précédents s’ils étaient vivants en eux-mêmes, raison pour laquelle ils comptaient pour la gloire des élus ; mais il les faisait mourir seulement pour celui à qui ils appartenaient, qui était empêché d’en obtenir l’effet. C’est pourquoi, une fois l’empêchement enlevé, ils gardent leur efficacité pour lui. Mais le péché ne donne pas la mort seulement pour celui qui pèche, mais aussi en lui-même. En effet, la rémission des péchés est principalememnt l’œuvre de Dieu ; mais la mise à mort des mérites précédents est l’œuvre de l’homme. Or, l’homme ne peut par son action éliminer simplement l’œuvre de Dieu, bien qu’il puisse empêcher qu’elle ne lui soit profitable. C’est pourquoi l’homme, par le péché subséquent, ne peut annuler la rémission des péchés précédents ; mais il peut par son action éliminer ce qui a été fait par lui. Aussi peut-il entièrement éliminer la mort des mérites précédents par des mérites subséquents, surtout qu’il est aidé par la grâce.

 

 

Articulus 2 [18482] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum ingratitudo sit speciale peccatum

Article 2 – L’ingratitude est-elle un péché particulier ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’ingratitude est-elle un péché particulier ?]

[18483] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ingratitudo non sit speciale peccatum. Quod enim invenitur in omni peccato, non est speciale peccatum. Sed ingratitudinem incurrimus per quodlibet peccatum, quia Deum nobis maxime beneficum offendimus quolibet peccato, quantum in nobis est. Ergo ingratitudo non est speciale peccatum.

1. Il semble que l’ingratitude ne soit pas un péché particulier. En effet, ce qui se trouve dans tout péché n’est pas un péché particulier. Or, nous encourons l’ingratitude par n’importe quel péché, car, de notre part, nous offensons Dieu qui nous a comblés de bienfaits par n’importe quel péché. L’ingratitude n’est donc pas un péché particulier.

[18484] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne peccatum speciale alicui virtuti speciali opponitur. Sed non est assignare aliquam virtutem specialem cui ingratitudo opponatur, cum sit contra omnes, quia omnes ex Dei gratia nobis conferuntur. Ergo ingratitudo non est speciale peccatum.

2. Tout péché particulier s’oppose à une vertu particulière. Or, on ne peut indiquer une vertu particulière à laquelle l’ingratitude s’oppose, puisqu’elle est contraire à toutes, toutes nous étant données par la grâce de Dieu. L’ingratitude n’est donc pas un péché particulier.

[18485] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ubicumque est invenire specialem rationem deformitatis, est invenire speciale peccatum. Sed hoc habet ingratitudo. Ergo est speciale peccatum.

Cependant, partout où l’on trouve une raison particulière de difformité, on trouve un péché particulier Or, l’ingratitude comporte cela. Elle est donc un péché particulier.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’innocent est-il moins ingrat en péchant que celui qui se repent ?]

[18486] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non minus sit ingratus innocens, si peccat, quam poenitens. Ille enim per offensam fit magis ingratus qui ad majores gratiarum actiones tenetur. Sed magis tenetur ad gratiarum actiones innocens quam poenitens, inquantum nobilius donum a Deo habet. Ergo magis est ingratus, si peccat.

1. Il semble que l’innocent ne soit pas moins ingrat en péchant, que celui qui se repent. En effet, celui-là devient plus ingrat par l’offense, qui est tenu à de plus grandes actions de grâces. Or, l’innocent est tenu à de plus grandes actions de grâces que celui qui se repent, dans la mesure où il a obtenu de Dieu un don plus noble. Il est donc plus ingrat en péchant.

[18487] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut homo per gratiam Dei relevatur a casu, ita per gratiam tenetur ne cadat. Sed ingratitudo, gratiae contemptum importat. Ergo ita est ingratus innocens dum peccat contemnens gratiam sustentantem, sicut poenitens contemnens gratiam relevantem.

2. De même que l’homme est relevé de sa chute par la grâce de Dieu, de même est-il empêché de tomber par la. Or, l’ingratitude comporte un mépris de la grâce. L’innocent est donc aussi ingrat, lorsqu’il pèche en méprisant la grâce qui le soutient, que le celui qui se repent, en méprisant la grâce qui le relève.

[18488] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, rectum judicium est ut ille plus diligat cui plus est dimissum, ut patet Luc. 7. Sed plus dimissum est poenitenti quam innocenti. Ergo plus tenetur diligere; ergo magis est ingratus, si peccat.

Cependant, c’est un bien juger que celui à qui davantage a été remis aime davantage, comme cela ressort de Lc 7. Or, davantage a été remis à celui qui se repent qu’à l’innocent. Il est donc davantage tenu d’aimer. Il est donc plus ingrat en péchant.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [Le récidiviste a-t-il une dette aussi grande que celle des péchés précédents ?]

[18489] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ex ingratitudine recidivantis consurgat tantus reatus, quantus fuit praecedentium peccatorum. Quia quantum est beneficium pristinum, tanta est ingratitudo contemnentis. Sed quantum est peccatum commissum, tantum est beneficium remissionis peccati. Ergo tanta est ingratitudo; et ita videtur quod consurgat aequalis reatus peccatis dimissis secundum ingratitudinem peccati sequentis.

1. Il semble que le récidiviste ait une dette aussi grande que celle des péchés précédents, car l’ingratitude de celui qui méprise est à la mesure du bienfait antérieur. Or, aussi grand que soit le péché commis, aussi grand est le bienfait du péché remis. L’ingratitude est donc la même, et ainsi il semble que, pour l’ingratitude du péché subséquent, apparaisse une dette égale à celle des péchés remis.

[18490] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non possunt aliqua commensurari nisi secundum quantitatem quam habent. Sed reatus ex ingratitudine recidivantium mensurantur secundum quantitatem peccatorum dimissorum; quia quanto plura et majora peccata sunt alicui dimissa, tanto magis efficitur ingratus contemnendo. Ergo reatus totus praecedentium peccatorum redit per ingratitudinem recidivantis.

2. Des choses ne peuvent être comparées que selon la quantité qu’elles possèdent. Or, la dette qui vient de l’ingratitude des récidivistes s’évalue selon la quantité des péchés remis, car plus nombreux et plus grands sont les péchés remis à quelqu’un, plus il devient ingrat par le mépris. Toute la dette des péchés précédents revient donc par l’ingratitude de celui qui récidive.

[18491] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quantitas reatus est secundum quantitatem deformitatis in culpa. Sed quandoque non est tanta deformitas in peccato recidivantis, quanta fuit in multis aliis quae prius sibi dimissa fuerunt. Ergo non redit aequalis reatus.

Cependant, la quantité de la dette correspond à la quantité de la difformité de la faute. Or, parfois, la difformité n’est pas aussi grande dans le péché du récidiviste, qu’elle l’était dans plusieurs autres choses qui lui ont été remises antérieurement. Une dette égale ne revient donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18492] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ingratitudo gratiarum actionis privativa est; quae quidem gratiarum actio dationem respicit. Est autem duplex datio. Una quae respicit debitum, vel jam existens, sicut cum quis alicui reddit quod debet; vel ut fiat, sicut cum quis emit vel dat aliquid, ut alterum sibi debitum fiat; et haec datio ad justitiam pertinet. Alia autem est quae neutro modo respicit debitum; et haec proprie donatio dicitur, et ad liberalitatem pertinet. Et quia ad hanc dationem nihil inclinat nisi voluntas dandi, ideo gratuita dicitur; et tali dationi gratiarum actio proprie debetur, ut quis gratiae factae retributionem faciat secundum suum modum. Ex hujusmodi ergo gratiarum actionis defectu aliquis ingratus dicitur; et tanto magis, quanto magis ab hoc discedit. Unde primus modus ingratitudinis est, cum quis effectu pro beneficiis acceptis retribuere aliquid negligit; secundus, cum affectu contemnit; tertius, cum etiam intellectu obliviscitur; quartus, et maximus, ut contra benefacientem aliquid operetur indebite. Ingratitudo autem quantum ad tres primos gradus semper est peccatum speciale; sed quantum ad quartum est deformitas annexa peccato; quia ex hoc ipso quod ponitur aliquid indebite fieri, ponitur peccatum esse; sed ex hoc quod dicitur fieri contra benefacientem, additur circumstantia aggravans, quae est ingratitudo. Unde, cum omne peccatum contra Deum sit, ex quolibet peccato homo ingratitudinem incurrit, quia ipse est nobis summe beneficus; et per hunc modum quodlibet peccatum post beneficium remissionis peccatorum ingratitudinem habet annexam; et ideo ingratitudo, secundum quam peccata redire dicuntur, non est speciale peccatum, quamvis aliqua ingratitudo sit speciale peccatum.

L’ingratitude prive de l’action de grâces, qui a le don comme objet. Or, il y a un double don. L’un qui concerne une dette ou quelque chose qui existe déjà, comme lorsque quelqu’un remet à un autre ce qui lui est dû, ou [lui remet quelque chose] pour qu’il fasse une chose : ainsi, lorsque quelqu’un achète ou donne quelque chose afin que quelque chose d’autre lui soit dû. Ce don se rapporte à la justice. L’autre [don] est celui qui n’a de rapport avec une dette d’aucune de ces deux manières : celui-ci est appelé don au sens propre, et il se rapporte à la libéralité. Parce que rien n’incline à ce don que la volonté de donner, on dit donc qu’il est gratuit. C’est à un tel don que l’action de grâces est due, de sorte que quelqu’un rembourse la grâce accordée à sa manière. On dit donc que quelqu’un est ingrat en raison du manque d’action de grâces, et d’autant plus qu’on s’en éloigne davantage. Le premier mode d’ingratitude consiste donc en ce qu’on néglige effectivement de rembourser quelque chose pour les bienfaits reçus. Le deuxième, en ce que l’on méprise en son cœur. Le troisième, en ce qu’on l’oublie par son intelligence. Le quatrième et le plus grand, en ce qu’on agisse en quelque manière contre celui qui a été bienfaisant. Or, l’ingratitude selon les trois premiers degrés est toujours un péché particulier ; mais, pour ce qui est du quatrième, elle est une difformité associée au péché, car, par le fait même qu’on suppose que quelque chose est fait indûment, on affirme que cela est un péché ; mais par le fait qu’on dit que cela est fait contre un bienfaiteur, on ajoute une circonstance aggravante, qui est l’ingratitude. Puisque tout péché est contre Dieu, l’homme encourt donc l’ingratitude par tout péché, car [Dieu] nous comble de bienfaits. De cette manière, tout péché subséquent au bienfait de la rémission des péchés comporte une ingratitude qui lui est associée. C’est pourquoi l’ingratitude, par laquelle on dit que les péchés reviennent, n’est pas un péché particulier, bien qu’une certaine ingratitude soit un péché particulier.

[18494] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ingratitudo, ut dictum est, gratiarum actionem tollit, quae est actus justitiae; quia ille qui prius dedit, debitorem sibi constituit illum qui retribuit, quamvis hoc non intenderet; unde opponitur justitiae.

2. Comme on l’a dit, l’ingratitude supprime l’action de grâces, qui est un acte de justice, car celui qui a donné antérieurement s’est fait un débiteur de celui à qui il a donné, bien que telle n’ait pas été pas son intention. Aussi cela s’oppose-t-il à la justice.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18495] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod loquendo de poenitente per se et innocente quantum ad bonum remissionis peccatorum et innocentiae conservatae, donis aliis praetermissis, sic quodammodo plus tenetur ad gratiarum actionem innocens quam poenitens. Gratiarum enim actio respicit et quantitatem doni, et modum gratuitae donationis, et ex utroque mensuram recipit: quia tam majori dono quam magis gratis dato major gratiarum actio debetur. Considerando ergo quantitatem doni, sic innocens magis tenetur, quia majus est quod accepit; sed considerando hoc quod est gratis dare, magis tenetur poenitens; quia quanto aliquis est magis elongatus a debito recipiendi, tanto datio fit sibi magis gratis ex parte sua, quamvis non ex parte dantis, qui omnibus aequali liberalitate dat. Magis autem elongatur peccator a debito consequendi remissionem peccatorum, quam innocens a debito conservationis; et ideo uterque aliquo modo plus tenetur ad gratiarum actionem, et aliquo modo aequaliter.

 

Si l’on parle du pénitent en soi et de l’innocent pour ce qui est du bien de la rémission des péchés et de la préservation de l’innocence, en mettant entre parenthèses les autres dons, l’innocent est ainsi davantage tenu à l’action de grâces que le pénitent. En effet, l’action de grâces concerne et la quantité du don et le mode du don gratuit, et elle reçoit sa mesure des deux choses. En effet, une plus grande action de grâces est due pour un don plus grand comme pour ce qui est donné plus gratuitement. En prenant donc en compte la quantité du don, l’innocent est ainsi davantage tenu [à l’action de grâces], car ce qu’il a reçu est plus grand ; mais, en prenant en compte un don plus ratuit, le pénitent y est davantage tenu, car plus quelqu’un est éloigné du droit de recevoir, plus gratuitement un don lui est fait de son côté, bien que ce ne soit pas le cas du côté de celui qui donne, qui donne à tous avec une égale libéralité. Or, le pécheur est plus éloigné du droit d’obtenir la rémission de ses péchés, que l’innocent du droit de la conserver. C’est pourquoi les deux sont d’une certaine façon davantage tenus à l’action de grâces, et ils le sont d’une certaine façon également.

[18496] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18497] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod per ingratitudinem recidivantis redit tantus reatus quantus fuit omnium peccatorum praecedentium. Sed hoc non potest esse; quia quantitas reatus sequitur quantitatem peccati; quantitas autem peccati per quod quis recidivat, est multo minus quandoque ex genere suo quam peccata quae prius erant dimissa. Et non potest esse quod ingratitudinis circumstantia det sibi tantam quantitatem; quia haec ingratitudo consurgit ex hoc quod aliquid indebite fit contra Dei praecepta; unde secundum mensuram indebiti est mensura ingratitudinis; et sic quantitas peccati quam habet ex suo genere, dat quantitatem ingratitudini; unde quantitas ingratitudinis non potest esse major quam sit quantitas peccati. Et ideo aliter dicendum, quod non redit aequalis reatus secundum quantitatem absolutam, redit autem aequalis secundum proportionalitatem: quia quanto fuerunt peccata dimissa graviora, tanto fuit beneficium remissionis majus; et quanto beneficium fuit majus, tanto ingratitudo major; et sic aliquo modo quantitas reatus praecedentium peccatorum manet in ingratitudine recidivi, non autem secundum aequalitatem absolutam; sicut nec beneficium est aequale peccato dimisso in quantitate, sed multo minus; nec ingratitudo secundum quantitatem absolutam est tanta quantum beneficium.

Certains ont dit que, par l’ingratitude du récidiviste, une aussi grande dette revient que la dette qu’il avait pour les péchés précédents. Mais cela est impossible, car la quantité de la dette découle de la quantité du péché ; or, la quantité du péché par lequel quelqu’un récidive est parfois beaucoup moindre par son genre que les péchés qui lui avaient été remis. Et il est impossible que la circonstance de l’ingratitude lui donne une quantité aussi grande car cette ingratitude vient de ce que quelque chose est fait indûment contre les commandements de Dieu. La mesure de l’ingratitude correspond donc à la mesure de ce qui est indû, et ainsi la quantité qu’a le péché par son genre donne la quantité de l’ingratitude. La quantité de l’ingratitude ne peut donc pas être plus grande que ne l’est la quantité du péché. C’est pourquoi il faut dire autre chose : une dette égale ne revient pas selon une quantité absolue, mais elle revient également selon une proportionnalité, car plus les péchés remis étaient graves, plus le bienfait de la rémission a été grand ; et plus un bienfait a été grand, plus l’ingratitude est grande. Ainsi, la quantité de la dette pour les péchés précédents demeure dans l’ingratitude de celui qui récidive, mais non selon une égalité absolue ; de même, le bienfait n’est pas égal en quantité au péché remis, mais bien moindre. Et l’ingratitude n’est pas aussi grande que le bienfait selon une quantité absolue.

[18498] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et secundum hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 3 [18499] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 tit. Utrum per ingratitudinem redeant peccata venialia.

Article 3 – Les péchés véniels reviennent-ils à cause de l’ingratitude ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les péchés véniels reviennent-ils à cause de l’ingratitude]

[18500] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per ingratitudinem non redeant peccata venialia. Quia peccatum veniale sicut per ingratitudinem redit, ita et facit alia redire per ingratitudinem. Sed peccatum veniale non facit alia redire per ingratitudinem; alias tota die peccata dimissa redirent. Ergo nec ipsum per ingratitudinem redit.

1. Il semble que les péchés véniels ne reviennent pas à cause de l’ingratitude, car le péché véniel, de même qu’il revient à cause de l’ingratitude, de même fait-il revenir les autres à cause de l’ingratitude. Or, le péché véniel ne fait pas revenir les autres à cause de l’ingratitude ; autrement, les péchés remis reviendraient pendant tout le jour. [Le péché véniel] ne revient donc pas à cause de l’ingratitude.

[18501] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ex hoc aliquod peccatum per ingratitudinem redit quod majorem ingratitudinem facit. Sed peccatum veniale dimissum non facit majorem ingratitudinem; quia non diminuit caritatem. Ergo nec redit per ingratitudinem.

2. Un péché revient à cause de l’ingratitude du fait qu’il cause une plus grande ingratitude. Or, un péché véniel remis ne cause pas une plus grande ingratitude, car il ne diminue pas la charité. Il ne revient donc pas à cause de l’ingratitude.

[18502] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, peccata venialia inter debita computantur in oratione dominica, quae specialiter contra venialia valet. Sed in littera dicitur, quod universum debitum exigitur ab eo qui recidivat. Ergo et venialia etiam redeunt.

Cependant, les péchés véniels sont comptés parmi les dettes dans la prière du Seigneur, qui a une valeur particulière contre les péchés véniels. Or, il est dit dans le texte que toute la dette est exigée de celui qui récidive. Les péchés véniels aussi reviennent donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le péché originel revient-il ?]

[18503] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod originale non redeat. Quia si morbus redit, et medicina redire debet. Sed Baptismus, qui est singularis medicina contra originale, non reiteratur aliquo modo. Ergo nec peccatum originale redit.

1. Il semble que le péché originel ne revienne pas, car si la maladie revient, le remède doit aussi revenir. Or, le baptême, qui est l’unique remède contre le péché originel, n’est répété d’aucune manière. Le péché originel ne revient donc pas.

[18504] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne peccatum quod per actum incurrimus, actuale est. Sed peccatum originale non est actuale. Ergo peccatum originale per actum peccati sequentis non redit.

2. Tout péché que nous encourons par un acte est un péché actuel. Or, le péché originel n’est pas un péché actuel. Le péché originel ne revient donc pas suite à un acte de péché.

[18505] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod expresse in littera dicitur.

Cependant, le texte dit expressément le contraire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les péchés remis reviennent-ils davantage suite aux quatre péchés mentionnés qu’aux autres ?]

[18506] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per illa quatuor peccata non magis redeant peccata dimissa quam per alia. Quia ex hoc aliquis ingratus est Deo quod contra Deum facit. Sed sicut illa quatuor, ita et alia contra Deum sunt. Ergo omnibus per ingratitudinem peccata dimissa redeunt.

1. Il semble que les péchés remis reviennent-ils davantage suite aux quatre péchés mentionnés qu’aux autres, car quelqu’un est ingrat envers Dieu parce qu’il agit contre Dieu. Or, les autres [péchés] sont contre Dieu, comme ces quatre [péchés]. Les péchés remis reviennent donc chez tous par l’ingratitude.

[18507] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, peccatum in spiritum sanctum est gravius quam aliquod praedictorum. Ergo per ipsum magis deberet dici quod peccatum rediret.

2. Le péché contre l’Esprit Saint est plus grave que n’importe quel des [péchés] mentionnés. On devrait donc plutôt dire que le péché revient à cause de lui.

[18508] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod auctores maxime loquuntur de illis peccatis.

Cependant, les auteurs parlent surtout de ces péchés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18509] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod eo modo quo peccata mortalia per ingratitudinem redeunt, et venialia similiter. Sicut enim beneficio Dei ascribenda est remissio mortalium peccatorum, ita et venialium; et secundum hoc quod beneficium remissionis contemnitur quodammodo in peccato sequenti, secundum hoc dimissa per ingratitudinem redire dicuntur.

Les péchés véniels reviennent à la manière dont les péchés mortels reviennent par l’ingratitude. En effet, de même que la rémission des péchés mortels doit être attribuée à un bienfait de Dieu, de même celle des péchés véniels, et dans la mesure où le bienfait de la rémission est d’une certaine façon méprisé par un péché subséquent, dans la même mesure dit-on que les péchés remis reviennent suite à l’ingratitude.

[18510] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum veniale, quamvis non tollat gratiam, tamen per gratiam tollitur; peccatum autem mortale et gratiam tollit et per gratiam tollitur; et ideo peccatum mortale et ingratitudinem causat, per quam alia peccata redeunt, et ipsum per ingratitudinem redit; sed peccatum veniale redit quidem, sed alia redire non facit, quia ingratitudinem non causat.

1. Le péché véniel, bien qu’il n’enlève pas la grâce, est cependant enlevé par la grâce ; mais le péché mortel enlève la grâce et est enlevé par la grâce. C’est pourquoi le péché mortel cause l’ingratitude, par laquelle les péchés reviennent, et revient par l’ingratitude ; mais le péché véniel revient assurément, sans faire revenir les autres, parce qu’il ne cause pas l’ingratitude.

[18511] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non diminuat gratiam, relinquit tamen majorem ingratitudinem, inquantum beneficium gratiae tollitur.

2. Bien qu’il ne diminue pas la grâce, il laisse cependant une plus grande ingratitude, pour autant que le bienfait de la grâce est enlevé.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18512] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod eodem modo originale etiam redit, quod beneficio gratiae tollitur.

Le péché originel revient de la même manière dont il est enlevé par un bienfait de la grâce.

[18513] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum dicendum, quod ratio illa procederet, si originale per se rediret: nunc autem non dicitur redire in se, sed in alio, in quo quodammodo quantitas ipsius manet, ut dictum est.

1. Ce raisonnement serait valable si le péché originel revenait par lui-même. Or, il ne revient pas maintenant en lui-même, mais dans un autre, chez qui sa quantité demeure d’une certaine manière, comme on l’a dit.

[18514] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le second argument.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18515] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut per ista peccata redeunt peccata dimissa ex ingratitudine, ita etiam per illa; tamen in istis est aliquid speciale prae aliis; quia non solum sunt contra ipsum remittentem peccata, quod in omnibus aliis est peccatis, sed etiam sunt contra remedium quo peccata dimittebantur. Remissio autem peccatorum attribuitur primo fidei, secundo caritati, tertio poenitentiae; et ideo apostasia a fide, quae opponitur primo; et odium fraternum, quod opponitur secundo; et alia duo, quae opponuntur tertio, specialem habent rationem, ut faciant redire peccata, non ratione gravitatis majoris, sed ratione praedicta.

De même que, par ces péchés, les péchés remis reviennent en raison de l’ingratitude, de même aussi par ceux-là. Cependant, il y a quelque chose de spécial par rapport aux autres dans les premiers, car ils ne sont pas seulement contre celui qui remet les péchés, ce qui se retrouve dans tous les autres péchés, mais aussi contre le remède par lequel les péchés sont remis. Or, la rémission des péchés relève d’abord de la foi, deuxièmement de la charité, troisièmement de la pénitence. C’est pourquoi l’apostasie de la foi, qui s’oppose à [la foi], la haine fraternelle, qui s’oppose à [la charité] et les deux autres, qui s’opposent à [la pénitence] ont une raison particulière de faire revenir les péchés, non pas en raison d’une gravité plus grande, mais pour la raison déjà donnée.

[18516] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 4 [18517] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 tit. Utrum recidivans teneatur peccata confiteri de quibus prius confessus fuit.

Article 4 – Le récidiviste est-il obligé de confesser les péchés dont il s’est déjà confessé ?

[18518] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod recidivans tenetur peccata confiteri de quibus prius confessus fuit. Ingratitudo enim videtur esse peccatum gravissimum, cum per eam alia peccata quodammodo redeant. Sed ingratitudinem aliquis non confitetur, nisi simul confiteatur illa peccata ex quorum remissione factus est ingratus. Ergo oportet quod recidivans priora peccata confiteatur.

Objections

1. Il semble que le récidiviste soit obligé de se confesser les péchés dont il s’est déjà confessé. En effet, il semble que l’ingratitude soit le péché le plus grave, puisque les autres péchés reviennent d’une certaine manière à cause d’elle. Or, quelqu’un ne confesse pas l’ingratitude sans confesser en même temps les péchés par la rémission desquels il est devenu ingrat. Il faut donc que le récidiviste confesse ses péchés antérieurs.

[18519] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, per confessionem debet innotescere sacerdoti quantitas culpae. Sed quantitas peccatorum prius dimissorum quodammodo manet in peccato quo aliquis recidivat, ut dictum est. Ergo ille qui confitetur hujusmodi peccatum, debet etiam alia confiteri.

2. Par la confession, on doit faire connaître au prêtre la quantité de la faute. Or, la quantité du péché remis antérieurement demeure d’une certaine manière dans le péché par lequel on récidive, comme on l’a dit. Celui qui confesse un péché de ce genre doit donc confesser aussi les autres.

[18520] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, secundum Gregorium, unum peccatum disponit ad aliud, et sic unum est causa alterius. Sed morbo non potest sufficienter remedium adhiberi nisi cognita causa morbi. Cum ergo ad hoc fiat confessio, ut exposito morbo remedium adhibeatur, videtur quod recidivans teneatur peccata praeterita confiteri, quae fuerunt causa recidivandi.

3. Selon Grégoire, un péché dispose aux autres, et ainsi un péché est la cause d’un autre. Or, on ne peut apporter un remède suffisant à une maladie à moins que la cause de la maladie ne soit connue. Puisque qu’on se confesse afin d’obtenir un remède pour la maladie exprimée, il semble donc que le récidiviste soit obligé de confesser les péchés passés qui ont été la cause de sa récidive.

[18521] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, contingit aliquando aliquem post confessionem ante peractam poenitentiam recidivare. Constat autem quod postquam de recidivo poenitentiam egerit, tenetur satisfacere de praeteritis peccatis. Ergo videtur quod saltem in hoc casu tenetur priora peccata confiteri.

4. Il arrive parfois que quelqu’un, après s’être confessé, reprenne sa pénitence. Or, il est clair qu’après qu’il a fait pénitence pour la récidive, il est obligé de satisfaire pour les péchés passés. Il semble donc qu’au moins dans ce cas, il soit obligé de confesser les péchés antérieurs.

[18522] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Nahum 1, 9: non judicabit Deus bis in idipsum. Ergo quando aliquis in foro poenitentiali judicatus est de aliquo peccato, non oportet quod iterum judicio se exponat, idem peccatum confitendo.

Cependant, [1] ce qui est dit en Na 1, 9 est contraire à cela : Dieu ne jugera pas la même chose deux fois. Lorsque quelqu’un a été jugé pour un péché au for pénitentiel, il n’est donc pas nécessaire qu’il s’expose de nouveau à un jugement en confessant le même péché.

[18523] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in decretis de Poen., dist. 1, dicitur: non necesse est ut quae semel sacerdotibus confessi sumus, denuo confiteamur; sed lingua cordis, non carnis apud verum judicem ea confiteri debemus. Ergo idem quod prius.

2. Dans le Décret, « Sur la pénitence », d. 1, il est dit qu’« il n’est pas nécessaire que ce que nous avons confessé une fois aux prêtres, nous les confessions de nouveau ; mais nous devons les confesser par la langue du cœur, et non par la langue de chair, devant le juge véritable ». La conclusion est donc la même que précédemment.

[18524] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa illam opinionem quae ponit dimissa peccata redire sive quantum ad culpam, sive quantum ad reatum, necesse est dicere, quod recidivans tenetur ad priora peccata iterum confitenda, cum eis ita subjaceat post recidivum sicut prius. Sed secundum aliam opinionem quae dicit, quod peccata dimissa non redeunt per recidivum nisi quantum ad ingratitudinem, est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod si recidivans confiteatur eidem sacerdoti cui ante fuerat confessus, habenti plenam memoriam priorum peccatorum, non tenetur ei priora peccata repetere, nisi in generali, ut se de ingratitudine accuset, dummodo ante recidivum de prioribus peccatis satisfecerit. Si enim ante peractam poenitentiam recidivaret, teneretur iterum priora peccata confiteri etiam in speciali, ut iterato satisfactionis modum pro eis accipiat. Sed si alteri sacerdoti confiteatur, vel eidem jam priora peccata oblito, sive ante recidivum satisfecerit, sive non; tenetur omnia peccata in speciali confiteri, tum ut ingratitudinis quantitas innotescat sacerdoti ex consideratione peccatorum prius dimissorum, tum ut ipse cognoscat vultum pecoris sui; quod fieri non posset, nisi ejus mores praeteritos cognosceret, utrum scilicet innocenter aut injuste vixisset. Sed ista opinio non videtur rationalis; ex quo enim priora peccata simpliciter sunt dimissa, nec secundum se redeunt, non est necesse ut iterum in judicium adducantur; quas nec ea Deus in judicio adduceret, si quis inconfessus moreretur post recidivum, sed damnaretur solum pro peccato quo recidivavit. Et si etiam pro peccatis prioribus non satisfecisset, non videtur necessarium quod ea post recidivum confiteatur in speciali; quia per recidivum eorum reatus non est immutatus; unde eadem satisfactio nunc pro eis debetur quae et prius. Unde poenitens tenetur post recidivum poenitentiam sibi prius injunctam peragere, non autem aliam satisfactionem pro eis accipere. Similiter etiam non oportet ut denuo confiteatur, ut cognoscatur ingratitudinis quantitas. Sicut enim quantitas peccati augetur per ingratitudinem de peccatis dimissis, ita etiam augetur per ingratitudinem de beneficiis acceptis; unde pari ratione teneretur confitens omnia beneficia Dei sibi exhibita exponere sacerdoti; quod nullus dicit. Similiter etiam non oportet ut sacerdoti aliquis confiteatur totum statum suum, ut sacerdos cognoscat vultum pecoris sui, sed solum ea de quibus debet ab eo judicari; alias oporteret innocentem sacerdoti cui venialia confitetur, exponere omnes pronitates suas ad peccandum, et totam conditionem suam; quod nullus dicit. Unde aliorum opinio est, quod post recidivum non tenetur aliquis priora peccata confiteri nec in generali nec in speciali; quia ingratitudo, ratione cujus peccata redire dicuntur, est quaedam peccati circumstantia, nec trahit in aliud genus peccati. Hujusmodi autem circumstantiae non sunt necessario confitendae, ut supra, dist. 14, qu. 3, art. 2, qu. 5, dictum est. Sed ex hac opinione videtur relinqui, quod non possit plenarie recidivantis morbo remedium adhiberi. Multa enim expediunt ad spiritualem salutem recidivanti, quae non sunt necessaria innocenti, ut scilicet circa eum major cautela adhibeatur. Et ideo videtur distinguendum esse, quod in confessione est aliquid exponendum dupliciter. Uno modo directe; et sic illud exponi dicitur cujus abolitio per confessionem quaeritur; et sic peccata dimissa recidivans nullo modo confiteri tenetur nec in generali nec in speciali, cuicumque confiteatur. Alio modo indirecte, sicut illud sine quo sciri non potest debitus satisfaciendi modus. Cum enim contritio, secundum quod est de necessitate salutis, votum confessionis et satisfactionis debitae includat, tenetur ille qui confitetur, sacerdoti exponere ea quibus sacerdos possit scire quae satisfactio sit congrue injungenda; sicut confitens confitetur sacerdoti interdum se esse infirmum, ut ei jejunium non imponat; et per hunc modum tenetur recidivans notificare peccata dimissa quantum sufficit ad hoc quod sciatur quae satisfactio est ei injungenda, ut si ipse frequenter lapsum carnis passus est ex aliqua occasione, illa occasio praescindatur per satisfactionem, et sic de aliis peccatis; et ad hoc videtur sufficere confessio dimissorum peccatorum in generali. Tamen quandoque ad aliqua specialia oportet descendere, secundum quod confitens viderit opportunum; non enim potest in his aliqua certa mensura praefigi.

Réponse

À propos de l’opinion qui affirme que les péchés remis reviennent soit quant à la faute, soit quant à la dette, il est nécessaire de dire que le récidiviste est obligé de confesser de nouveau les péchés antérieurs, puisqu’il en est le sujet après la récidive comme c’était le cas antérieuremement. Mais, selon l’autre opinion, qui dit que les péchés remis ne reviennent par la récidive que quant à l’ingratitude, il existe une double opinion. En effet, certains disent que si le récidiviste se confesse au même prêtre auquel il s’était confessé antérieurement et qui se rappelle clairement les péchés antérieurs, il n’est pas obligé de lui répéter les péchés antérieurs, sauf d’une manière générale, afin de s’accuser d’ingratitude, pourvu qu’il ait satisfait pour les péchés antérieurs avant la récidive. En effet, s’il récidivait avant d’avoir accompli sa pénitence, il serait tenu de confesser aussi de nouveau les péchés antérieurs d’une manière particulière, afin de recevoir de nouveau pour eux une manière d’y satisfaire. Mais s’il se confesse à un autre prêtre ou au même qui a oublié les péchés antérieurs, qu’il ait satisfait avant ou non, il est obligé de confesser tous ses péchés en particulier, afin que la quantité de son ingratitude soit connue du prêtre par l’examen des péchés antérieurement remis, et afin qu’il connaisse le visage de sa brebis, ce qu’il ne pourrait faire s’il ne connaissait pas son comportement antérieur, à savoir, s’il vivait dans l’innocence ou dans l’injustice. Mais cette opinion ne semble pas raisonnable. En effet, du fait que les péchés antérieurs ont été remis et ne reviennent pas en eux-mêmes, il n’est pas nécessaire qu’ils soient de nouveau soumis à un jugement : Dieu ne les mettrait pas en jugement si quelqu’un mourait sans confession après avoir récidivé, mais il serait condamné seulement pour le péché par lequel il a récidivé. Et même s’il n’avait pas satisfait pour les péchés antérieurs, il ne semble pas nécessaire de les confesser en particulier après la récidive, car, par la récidive, leur dette n’est pas changée. Aussi la même satisfaction est-elle due pour eux qu’antérieurement. Après une récidive, le pénitent est donc tenu d’accomplir la pénitence qui lui a été imposée, mais non de recevoir une nouvelle satisfaction. De même aussi n’est-il pas nécessaire qu’il se confesse de nouveau afin que la quantité de son ingratitude soit connue. En effet, de même que la quantité du péché est augmentée par l’ingratitude lorsqu’il s’agit de péchés remis, de même aussi est-elle augmentée par l'ingratitude concernant les bienfaits reçus. Celui qui se confesse serait donc pour la même raison obligé d’expliquer au prêtre tous les bienfaits qu’il a reçus de Dieu, ce que personne ne dit. De même n’est-il pas nécessaire que quelqu’un confesse au prêtre l’ensembe de son état, afin que le prêtre connaisse le visage de sa brebis, mais seule-ment ce sur quoi il doit être jugé par lui, autrement il faudrait que celui qui est innocent expose au prêtre à qui il confesse des péchés véniels toutes ses inclinations au péché et l’ensemble de sa condition, ce que personne ne dit. Il y a donc une autre opinion : après une récidive, quelqu’un n’est pas tenu de confesser des péchés antérieurs ni en général ni en particulier, car l’ingratitude, en raison de laquelle on dit que les péchés reviennent, est une circonstance du péché et elle ne l’attire pas dans un autre genre de péché. Or, il ne faut pas nécessairement confesser ces circonstances, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 3, a. 2, qa 5. Mais, selon cette opinion, on semble laisser de côté le fait qu’on ne puisse apporter pleinement un remède à la maladie du récidiviste. En effet, beaucoup de choses sont utiles pour la santé spirituelle du récidiviste, qui ne sont pas nécessaires pour un innocent, comme par exemple de lui accorder plus d’attention. C’est pourquoi il semble qu’il faille faire la distinction que, dans la confession, quelque chose doit être exposé de deux manières. D’une manière, directement : ainsi on y expose ce dont on cherche la disparition par la confession ; de cette manière, le récidiviste n’est aucunement obligé de confesser des péchés passés, ni en général, ni en particulier, quel que ce soit celui à qui il se confesse. D’une autre manière, indirectement : ainsi, ce sans quoi la manière de satisfaire appropriée ne peut être connue. En effet, puisque la contrition, en tant qu’elle est nécessaire au salut, inclut le propos de se confesser et de satisfaire de manière appropriée, celui qui se confesse est tenu d’exposer au prêtre ce par quoi le prêtre peut savoir quelle satisfaction doit être convenablement imposée. Ainsi, celui qui se confesse confesse parfois au prêtre qu’il est malade, afin qu’il ne lui impose pas un jeûne. De sorte que le récidiviste est tenu de faire connaître les péchés passés d’une manière qui est suffisante pour que soit connue la satisfaction qui doit lui être imposée : ainsi, s’il souffre souvent d’une chute due à la chair en raison d’une occasion, cette occasion devra être écartée par la satisfaction, et ainsi pour les autres péchés. À cette fin, il semble qu’une confession des péchés passés sous une forme générale soit suffisante. Cependant, il faut parfois aller jusque dans le détail, selon que celui qui se confesse le juge opportun ; en effet, on ne peut fixer à l’avance une mesure en cette matière.

[18525] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ingratitudo secundum quod hic accipitur, non est peccatum, sed circumstantia peccati, ut dictum est, nec est circumstantia addens novam speciem, dum quilibet peccans ingratitudinem incurrat, saltem de beneficiis a Deo acceptis.

Solutions

1. L’ingratitude, telle qu’on l’entend ici, n’est pas un péché, mais une circonstance du péché, comme on l’a dit ; et elle n’est pas une circonstance qui ajoute une nouvelle espèce, puisque tous ceux qui pèchent encourent l’ingratitude, du moins en ce qui concerne les bienfaits reçus de Dieu.

[18526] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas culpae, quae est ex specie peccati, debet innotescere sacerdoti per confessionem; non tamen oportet de quantitate quae est ex circumstantiis quibuscumque, ut supra, loc. cit., dictum est.

2. La quantité de la faute, qui vient de l’espèce du péché, doit être manifestée au prêtre par la confession. Cependant, il n’est pas nécessaire de le faire pour la quantité qui vient de n’importe quelle circonstance, comme on l’a dit plus haut, à l’endroit indiqué.

[18527] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod auctoritas Gregorii non est ad propositum. Gregorius enim loquitur de peccatis, quae per poenitentiam non delentur; illa enim suo pondere mox ad aliud trahunt. Et praeterea non est necessarium omnes occasiones peccati confiteri, sed solum illas sine quarum abscissione sufficiens remedium adhiberi non potest.

3. L’autorité de Grégoire n’est pas pertinente. En effet, Grégoire parle des péchés qui ne sont pas détruits par la pénitence ; en effet, ceux-là attirent bientôt les autres par leur poids. De plus, il n’est pas nécessaire de confesser toutes les occasions de péché, mais seulement celles sans l’écartement desquelles un remède suffisant ne peut être apporté.

[18528] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam in illo casu non tenetur peccata prius dimissa confiteri; sed sufficit sibi explere prius injunctam satisfactionem, ut dictum est in corp.

4. Même dans ce cas, il n’est pas tenu de confesser les péchés remis antérieurement, mais il lui suffit d’accomplir la satisfaction déjà imposée, comme on l’a dit dans le corps de la réponse.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La réalité et le sacrement dans la pénitence]

 

 

Prooemium

Prologue

[18529] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 pr. Deinde quaeritur de eo quod est res et sacramentum in poenitentia; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quid sit ibi res, et quid sacramentum; 2 de unitate hujus sacramenti; 3 de institutione ipsius.

Ensuite, on s’interroge sur ce qui est la réalité et le sacrement [res et sacramentum] dans la pénitence. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce qui est  réalité et qu’est-ce qui est sacrement [dans la pénitence] ? 2 – Sur l’unité de ce sacrement. 3 – Sur son institution.

 

 

Articulus 1 [18530] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 tit. Utrum exterior poenitentiae sit sacramentale signum

Article 1 – La pénitence [corr. : poenitentiae/poenitentia] extérieure est-elle le signe sacramentel ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 [La pénitence extérieure est-elle le signe sacramentel ?]

[18531] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod exterior poenitentia non sit sacramentale signum. Signum enim sacramentale, secundum Hugonem, est materiale elementum. Sed poenitentia exterior non est elementum, sed actus. Ergo non est sacramentale signum.

1. Il semble que la pénitence extérieure ne soit pas le signe sacramentel. En effet, le signe sacramentel, selon Hugues, est un élément matériel. Or, la pénitence extérieure n’est pas un élément, mais un acte. Elle n’est donc pas un signe sacramentel.

[18532] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, signa sacramentalia novae legis aliquo modo sunt causa gratiae. Si ergo exterior poenitentia est signum sacramentale, erit ergo causa, et sic gratia erit ex actibus nostris; quod est haeresis Pelagiana.

2. Les signes sacramentels de la loi nouvelle sont d’une certaine manière causes de la grâce. Si la pénitence est un signe sacramentel, elle sera donc une cause, et ainsi la grâce viendra de nos actes, ce qui est l’hérésie pélagienne.

[18533] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne sacramentale signum est verbo vitae sanctificatum. Sed exteriori poenitentiae non adhibetur aliqua forma verborum ad sanctificationem ejus. Ergo non est sacramentale signum.

3. Tout signe sacramentel est sanctifié par la parole de vie. Or, une forme en paroles n’est pas apportée à la pénitence extérieure pour la sanctifier. Elle n’est donc pas un signe sacramentel.

[18534] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, in quolibet sacramento oportet esse aliquod signum. Sed signum est aliquid sensibus apparens. Cum ergo in poenitentiae sacramento nihil appareat extra nisi exterior poenitentia, videtur quod ipsa sit sacramentale signum.

Cependant, en chaque sacrement, il doit y avoir un signe. Or, un signe est quelque chose qui est apparent aux sens. Puisque, dans le sacrement de pénitence, rien n’apparaît à l’extérieur que la pénitence extérieure, il semble donc qu’elle soit un signe sacramentel.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La pénitence intérieure est-elle la réalité de ce sacrement ?]

[18535] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod interior poenitentia non sit res hujus sacramenti. Quia res sacramenti nunquam est causa sacramentalis signi, sed e converso quandoque. Sed poenitentia interior est causa exterioris. Ergo non est res ejus.

1. Il semble que la pénitence intérieure ne soit pas la réalité de ce sacrement, car la réalité du sacrement n’est jamais la cause du signe sacramentel, mais c’est parfois l’inverse. Or, la pénitence intérieure est cause de la pénitence extérieure. Elle n’en est donc pas la réalité.

[18536] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, exterior poenitentia significat interiorem naturaliter. Sed res sacramenti signatur per sacramentum ex institutione, ut ex definitione Hugonis, loc. cit., patet. Ergo poenitentia interior non est res exterioris.

2. La pénitence extérieure signifie par nature la pénitence intérieure. Or, la réalité du sacrement est signalée par le sacrement en vertu de son institution, comme cela ressort de la définition de Hugues, à l’endroit cité. La pénitence intérieure n’est donc pas la réalité de la pénitence extérieure.

[18537] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, poenitentia interior videtur esse idem quod contritio. Sed contritio non est res hujus sacramenti, cum sit pars hujus sacramenti. Ergo interior poenitentia non est res hujus sacramenti.

3. La pénitence intérieure semble être la même chose que la contrition. Or, la contrition n’est pas la réalité de ce sacrement, puisqu’elle est une partie de ce sacrement. La pénitence intérieure n’est donc pas la réalité de ce sacrement.

[18538] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Baptismus interior est res exterioris. Ergo eadem ratione et poenitentia interior exterioris.

Cependant, [1] le baptême intérieur est la réalité du baptême extérieur. Pour la même raison, la pénitence intérieure l’est-elle de la pénitence extérieure.

[18539] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, illud quod immediate causat effectum sacramenti, est res exterioris sacramenti, sicut patet de charactere. Sed poenitentia interior est quae immediate causat remissionem peccatorum, quae est ultima res hujus sacramenti. Ergo et cetera.

[2] Ce qui cause immédiatement l’effet du sacrement est la réalité du sacrement extérieur, comme cela ressort pour le caractère. Or, c’est la pénitence intérieure qui cause immédiatement la rémission des péchés, qui est la réalité ultime de ce sacrement. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La rémission des péchés est-elle la réalité de ce sacrement ?]

[18540] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod remissio peccatorum non sit res hujus sacramenti. Quia ad idem se extendit efficacia sacramenti, et ministerium dispensatoris ipsius. Sed ministerium sacerdotis non se extendit ad remissionem culpae, ut supra, dist. 18, Magister dixit. Ergo remissio culpae non est res hujus sacramenti.

1. Il semble que la rémission des péchés ne soit pas la réalité de ce sacrement, car l’efficacité du sacrement porte sur la même chose que le ministère de celui qui le dispense. Or, le ministère du prêtre ne porte pas sur la rémission de la faute, comme le Maître l’a dit plus haut, d. 18. La rémission de la faute n’est donc pas la réalité de ce sacrement.

[18541] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in quolibet sacramento signa exteriora habent aliquam similitudinem cum re sacramenti. Sed confessio, satisfactio et contritio non videntur habere aliquam similitudinem cum remissione peccatorum. Ergo non est res in hoc sacramento.

2. Dans tous les sacrements, les signes extérieurs ont une certaine similitude avec la réalité du sacrement. Or, la confession, la satisfaction et la contrition ne semblent pas avoir de similitude avec la rémission des péchés. Elle n’est donc pas la réalité de ce sacrement.

[18542] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in Baptismo res sacramenti non semper praecedit sacramentum, etsi aliquando praecedat. Sed remissio peccatorum semper praecedit sacramentum poenitentiae, ad minus quantum ad aliquas sui partes; quia satisfactio non potest esse nisi existentis in gratia, cum jam peccata remissa sunt; a mortuo etiam perit confessio, ut dicitur Eccli. 17. Ergo remissio peccatorum non est res ultima istius sacramenti.

3. Dans le baptême, la réalité du sacrement ne précède pas toujours le sacrement, même si elle le précède parfois. Or, la rémission des péchés précède toujours le sacrement de la pénitence, au moins quant à certaines de ses parties, car la satisfaction ne peut être le fait que de celui qui se trouve en grâce, puisque ses péchés ont déjà été remis ; la confession fait aussi défaut aussi à celui qui est mort, comme il est dit dans Si 17. La rémission des péchés n’est donc pas la réalité ultime de ce sacrement.

[18543] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, poenitentia dicitur secunda tabula post naufragium, sicut Baptismus prima. Sed Baptismi res ultima est remissio peccatorum. Ergo et poenitentiae.

Cependant, [1] la pénitence est appelée une seconde planche après le naufrage, comme le baptême est appelé la première. Or, la réalité ultime du baptême est la rémission des péchés. Elle l’est donc aussi de la pénitence.

[18544] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, curatio morbi illius est res in sacramento ad quod curandum institutum est. Sed poenitentia est instituta ad curandum morbum actualis peccati. Ergo remissio ejus est res hujus sacramenti.

[2] Le traitement de la maladie est la réalité du sacrement qui a été institué pour la guérir. Or, la pénitence a été instituée pour guérir la maladie du péché actuel. La rémission de celui-ci est donc la réalité de ce sacrement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18545] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in quolibet sacramento fit quaedam promotio vel motus suscipientis ad aliquam sanctitatem. In motibus autem corporalibus quandoque illud quod movetur non cooperatur ad motum nisi recipiendo impressionem agentis tantum, sicut contingit in generatione, qua aliquid acquirit primam perfectionem sui esse, quae est etiam primum principium activum in ipso; et similiter etiam quando acquirit aliam perfectionem superadditam quae limites suae formae excedit; sicut cum paries depingitur, vel cum aer illuminatur. Quandoque autem perfectio prius suscepta est perficiens principium illius motus; et tunc operatur motum illum, sicut patet in motu naturali locali, et in sanatione quae fit virtute naturae tantum. Quandoque autem perfectio habita non sufficit ad operandum effectum, sed cooperatur agenti exteriori, sicut patet cum ars naturam adjuvat. Et secundum hos tres modos etiam est motus ad sanctitatem. Unde in Baptismo, qui est spiritualis vitae regeneratio, tota sanctificatio ex exteriori est; nec suscipiens sacramentum se habet active ad illam sanctificationem, sed ut recipiens tantum; unde signum sacramentale ibi est materia exterius apposita, non autem aliquis actus ex parte baptizati. Et similiter est in confirmatione, Eucharistia, et extrema unctione, et ordine, quae ordinantur ad aliquam sanctitatem superadditam primae sanctitati in Baptismo susceptae; unde etiam conservata gratia baptismali illa locum haberent. Sed in promotione ad sanctitatem per viam merendi sufficit principium quod intus habetur, scilicet gratia; et ideo sine aliquo exteriori adjuncto ad hanc promotionem habens gratiam per actus suos pertingit, quia in eo spiritualis vita est integra. Sed in eo qui post Baptismum mortaliter peccat, spiritualis vitae firmitas tollitur, quia gratia et caritas tolluntur; sed tamen adhuc spiritualis vita manet in radice sui, scilicet in fidei sacramento; sicut in eo qui infirmatur perniciose, adhuc manet radix vitae in corde; et ideo ad reparationem pristinae integritatis in Baptismo susceptae homo cooperari potest per id quod adhuc retinet. Nec tamen sufficit, nisi exterius adjuvetur; propterea quod vita spiritualis non est integra; et ideo in sacramento poenitentiae, quod ad praedictam reparationem ordinatur, sacramentale signum non est aliqua materia exterius apposita, sed exteriores actus quibus homo ad salutem suam cooperatur; et complementum reparationis ab extrinseco significatur per absolutionem sacerdotis, sicut materia in aliis sacramentis per ministri sanctificationem efficaciam sacramentalem recipit; et ideo exterior poenitentia est sacramentale signum in sacramento poenitentiae.

1. En tout sacrement, se réalise une certaine avancée ou un certain mouvement vers la sainteté de lapart de celui qui le reçoit. Or, dans le mouvements corporels, ce qui est mû parfois ne coopère pas au mouvement, si ce n’est en recevant seulement l’impulsion de l’agent, comme cela arrive dans la génération, par laquelle quelque chose acquiert la première perfection de son être, qui est aussi le premier principe actif en lui ; de même aussi, lorsqu’il acquiert une autre perfection ajoutée, qui dépasse les limites de sa forme, comme lorsqu’un mur est peint ou lorsque l’air est illuminé. Mais parfois, la première perfection reçue est le principe qui réalise ce mouvement ; alors, il accomplit ce mouvement, comme cela ressort dans le mouvement local naturel et dans la guérison qui est réalisée par la puissance de la nature seulement. Mais parfois, la perfection possédée ne suffit pas à réaliser l’effet, mais elle coopère avec un agent extérieur, comme cela est manifeste lorsque l’art aide la nature. Or, il existe un mouvement vers la sainteté de ces trois manières. Ainsi, dans le baptême, toute la sanctification vient de l’extérieur, et celui qui reçoit le sacrement ne joue pas un rôle actif dans cette sanctification, mais la reçoit seulement. Le signe sacramentel est donc là une matière apportée de l’extérieur, et non un acte de la part du baptisé. De même en est-il pour la confirmation, l’eucharisite, l’extrême-onction et l’ordre, qui sont ordonnés à une sanctification ajoutée à la première sainteté reçue au baptême. Même si la grâce baptismale était conservée, ceux-ci auraient donc leur place. Or, pour l’avancée dans la sainteté par voie de mérite, un principe intérieur suffit. C’est pourquoi celui qui a la grâce réalise cette avancée par ses actes, sans rien d’extérieur qui lui soit ajouté, car la vie spirituelle est intacte en lui. Mais chez celui qui pèche mortellement après le baptême, la fermeté de la vie spirituelle est enlevée, car la grâce et la charité sont enlevées ; cependant, la vie spirituelle demeure encore en sa racine, à savoir, dans un sacrement de la foi, comme chez celui qui est affaibli d’une manière funeste, demeure encore la racine de la vie dans son cœur. C’est pourquoi, en vue de la restauration de l’intégrité antérieure reçue par le baptême, l’homme peut coopérer avec ce qu’il conserve encore. Cependant, cela ne suffit pas, à moins qu’intervienne une aide extérieure, car la vie spirituelle n’est pas intacte. C’est pourquoi, par le sacrement de la pénitence, qui est ordonné à cette restauration, le signe sacramentel n’est pas une matière apportée de l’extérieur, mais des actes extérieurs par lesquels l’homme coopère à son salut. Et l’achèvement de la restauration est signifié de l’extérieur par l’absolution du prêtre, de la même manière dont, dans les autres sacrements, la matière reçoit l’efficacité sacramentelle par la sancification du ministre. C’est pourquoi la pénitence est un signe sacramentel dans le sacrement de pénitence.

[18546] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod elementum large sumitur pro quolibet sensibili: exterior autem poenitentia consistit in actibus qui sentiri possunt.

1. L’élément s’entend au sens large de toute réalité sensible. Or, la pénitence extérieure consiste dans des actes qui peuvent être objets des sens.

[18547] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod materia quae est in aliis sacramentis signum sacramentale, inquantum ab exteriori datur, repraesentat exterius agens in sanctificatione; et ideo aliquo modo competit ut gratiam causet, sicut in 1 distinct. dictum est. Sed poenitentia exterior, quae est signum sacramentale in hoc sacramento, repraesentat cooperationem recipientis, et non influentiam quae est ex parte agentis extrinseci; et ideo non competit ei quod gratiam aliquo modo causet.

2. La matière qui est signe sacramentel dans les autres sacrements, pour autant qu’elle est apportée de l’extérieur, représente un agent extérieur dans la sanctification. C’est pourquoi il convient d’une certaine manière qu’elle cause la grâce, comme on l’a dit dans la d. 1. Mais la pénitence extérieure, qui est signe sacramentel dans ce sacrement, représente la coopération de celui qui le reçoit, et non pas l’influence qui vient d’un agent extérieur. C’est pourquoi il ne lui convient pas du tout de causer la grâce.

[18548] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sacramentalibus signis in aliis sacramentis adhibetur forma verborum ad eorum sanctificationem, quia gratiam continent et causant; sed exterior poenitentia est signum gratiam causans; et ideo non oportet quod sanctificetur per aliquam formam verborum; sed verba quae a sacerdote absolvente proferuntur, immediate feruntur ad eum qui se subjicit sacramento; unde ipse sanctificatur virtute absolutionis, et gratiam suscipit: non autem sanctificatur ejus confessio, ut ex ea gratiam accipiat, sicut erat in Baptismo de sanctificatione aquae.

3. Dans les autres sacrements, la forme des paroles est jointe aux signes sacramentels en vue de leur sanctification parce qu’ils contiennent la grâce et la causent ; mais la pénitence extérieure est un signe qui cause la grâce. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit sanctifiée par une forme de paroles. Mais les paroles qui sont prononcées par le prêtre qui absout atteignent immédiatement celui qui se soumet au sacrement. Il est donc sanctifié par la puissance de l’absolution et il reçoit la grâce, mais sa confession n’est pas sanctifiée afin de recevoir la grâce, comme c’était le cas pour la sanctification de l’eau dans le baptême.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18549] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod res sacramenti cujuslibet suo sacramento, cujus dicitur res, proportionatur. Exterior autem poenitentia, quae est sacramentum tantum in poenitentia, est sacramentum ut signum tantum ex parte actus poenitentis, sed ut signum et causa simul, si conjungatur actus poenitentis cum actu ministri; et ideo interior poenitentia est res exterioris poenitentiae, sed ut significata tantum per actus poenitentis; ut significata autem et causata per actus eosdem, adjuncta absolutione ministri, per quam aliquo modo homo ad gratiam disponitur; sicut etiam in sacramento Eucharistiae corpus Christi verum est res significata tantum per species panis et vini, sed causata per verba ministri; et illa duo simul conjuncta sunt signum et causa.

La réalité de n’importe quel sacrement est proportionné au sacrement dont elle est la réalité. Or, la pénitence extérieure, qui est sacrement seulement dans la pénitence, est un sacrement seulement en tant qu’elle est un signe de l’acte du pénitent, mais elle est signe et cause en même temps si l’acte du pénitent est joint à l'acte du ministre. C’est pourquoi la pénitence intérieure est la réalité de la pénitence extérieure, mais elle n’est que signifiée par les actes du pénitent. Elle est cependant signifiée et causée par les mêmes actes lorsque l’absolution du ministre lui est jointe, par laquelle l’homme est disposé à la grâce d’une certaine manière, de la même manière que, dans le sacrement de l’eucharistie, le corps véritable du Christ est seulement la réalité signifiée par les espèces du pain et du vin, mais [la réalité] signifiée et causée par les paroles du ministre, et ces deux choses unies sont le signe et la cause.

[18550] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenitentia interior potest considerari dupliciter. Uno modo prout est quidam actus virtutis; et sic interior poenitentia est omnino causa exterioris; sicut etiam in aliis virtutibus actus interiores sunt causae exteriorum. Alio modo prout est actus operans ad sanationem peccati; et sic pertinet ad poenitentiae sacramentum; et ita interior poenitentia non est causa exterioris, sed effectus vel signatum ipsius: non enim habet efficaciam operandi contra morbum peccati, nisi ex suppositione propositi exterioris poenitentiae et absolutionis desiderio; quamvis poenitentia interior contra morbum peccati operans praecedat tempore exteriorem poenitentiam, sicut justificatio a peccato interdum praecedit sacramentum Baptismi propter ipsius propositum.

1. La pénitence intérieure peut être envisagée de deux manières. D’une manière, selon qu’elle est l’acte d’une vertu : ainsi, la pénitence intérieure est entièrement cause de la pénitence extérieure, de la même manière que, dans les autres vertus, les actes intérieurs sont causes des actes extérieurs. D’une autre manière, selon qu’elle est un acte agissant en vue de la guérison du péché : elle relève ainsi du sacrement de pénitence. La pénitence intérieure n’est pas alors la cause de la pénitence extérieure, mais son effet ou son expression. En effet, elle n’a d’effet pour la guérison du péché qu’en supposant le propos de la pénitence extérieure et le désir de l’absolution, bien que la pénitence intérieure agissant contre la maladie du péché précède dans le temps la pénitence extérieure, comme la justification du péché précède parfois le sacrement du baptême en raison du propos qu’on en a.

[18551] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis poenitentia interior, ut est actus quidam virtutis, naturaliter significetur per exteriorem, tamen inquantum est sanativus morbi, sic ex institutione habet per haec signa causari et significari.

2. Bien que la pénitence intérieure en tant qu’acte d’une vertu soit naturellement signifiée par la pénitence extérieure, en tant qu’elle est un remède pour la maladie, elle possède, en vertu de son institution, [la capacité] d’être causée et d’être signifiée par ces signes.

[18552] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tres partes poenitentiae sunt et in poenitentia exteriori, et in interiori: quia confessio et satisfactio, quae videntur tantum ad exteriorem poenitentiam pertinere, inveniuntur in interiori poenitentia quantum ad propositum et praemeditationem eorum; et etiam contritio, quae videtur tantum interioris poenitentiae esse, invenitur in poenitentia exteriori secundum quaedam signa, quibus sensibiliter manifestatur, vel aliis, vel saltem ipsi poenitenti, qui dolorem sensibilem percipit in seipso.

3. Il existe trois parties de la pénitence dans la pénitence extérieure comme dans la pénitence intérieure, car la confession et la satisfaction, qui semblent n’appartenir qu’à la pénitence extérieure, se trouvent dans la pénitence intérieure pour ce qui est du propos et de leur prévision ; même la contrition, qui semble appartenir seulement à la pénitence intérieure, se trouve dans la pénitence extérieure par certains signes par lesquels elle est manifestée aux autres ou, à tout le moins, au pénitent lui-même, qui perçoit en lui-même une douleur sensible.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18553] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod res sacramenti alicujus ultima est non tantum quam efficit actualiter dispensatum, sed etiam quam efficit in proposito existens, sicut patet de Baptismo in adultis; et ideo cum poenitentia in proposito existens sacramentum, efficiat remissionem peccatorum non solum quo ad poenam, sed etiam quo ad culpam; remissio peccatorum utroque modo est res ipsius poenitentiae sacramenti: quae aliquando tempore praecedit sacramentum exterius, aliquando autem in ipso sacramento efficitur: quia quando aliquis accedit ad confessionem attritus, non plene contritus, si obicem non ponat, in ipsa confessione et absolutione, sibi gratia et remissio peccatorum datur. Unde dicit Glossa super illud Psal. 95: confessio et pulchritudo in conspectu ejus: si amas pulchritudinem, confitere, ut sis pulcher, idest rectus.

La réalité d’un sacrement vient en dernier, non seulement celle que le [sacrement] dispensé réalise effectivememnt, mais aussi celle qu’il réalise lorsqu’il existe par le propos, comme cela est clair pour le baptême chez les adultes. Puisque la pénitence, qui existe comme sacrement par le propos, réalise la rémission des péchés, non seulement quant à la peine, mais aussi quant à la faute, la rémission des péchés est la réalité du sacrement de pénitence des deux manières : parfois, elle précède dans le temps le sacrement extérieur, mais parfois elle se réalise dans le sacrement lui-même, car lorsque quelqu’un s’approche de la confession avec l’attrition, sans avoir une pleine contrition, s’il ne met pas d’obstacle, la grâce et la rémission des péchés lui sont données par la confession et l’absolution. Aussi la Glose dit-elle à propos du Ps 95 : « Il voit la confession et la beauté. Si tu aimes la beauté, confesse-toi afin d’être beau », c’est-à-dire droit.

[18554] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam potestas clavium aliquo modo se extendit ad remissionem culpae, secundum quod est in proposito, ut supra, dist. 17, quaest. 3, art. 5, quaestiunc. 1, in corp., dictum est.

1. Le pouvoir des clés aussi va d’une certaine manière jusqu’à la rémission de la faute, selon qu’on en a le propos, comme on l’a dit plus haut, d. 17, q. 3, a. 5, qa 1, c.

[18555] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod remissio peccatorum habet aliquam similitudinem cum his quae in poenitentia aguntur: quia gratiae infusio, quae remissionem peccati causat, significatur per absolutionem sacerdotis; praeparatio ad gratiam quantum ad motum liberi arbitrii in peccatum, per contritionem; quantum vero ad motum liberi arbitrii in Deum, per confessionem, per quam Deo se committit sanandum; sed curatio reliquiarum peccati per satisfactionem et significatur et efficitur.

2. La rémission des péchés a une certaine ressemblance avec ce qui est accompli dans la pénitence, car l’infusion de la grâce, qui cause la rémission du péché, est signifiée par l’absolution du prêtre ; la préparation à la grâce, pour ce qui est du mouvement du libre arbitre vers le péché, [est signifiée] par la contrition ; mais pour ce qui est du mouvement du libre arbitre vers Dieu, [elle est signifiée] par la confession, par laquelle il se soumet à Dieu pour être guéri. Mais la guérison des restes du péché est signifiée et réalisée par la satisfaction.

[18556] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquando remissio peccatorum in ipsa confessione et absolutione fit, ut dictum est, et tunc non praecedit res sacramentum.

3. Parfois, la rémission des péchés se réalise par la confession et l’absolution elles-mêmes, comme on l’a dit ; elle ne précède pas alors la réalité du sacrement.

 

 

Articulus 2 [18557] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 tit. Utrum poenitentia sit unum sacramentum

Article 2 – La pénitence est-elle un seul sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La pénitence est-elle un seul sacrement ?]

[18558] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod poenitentia non sit unum sacramentum. Sacramentum enim est in genere signi. Sed sunt plura signa in poenitentia, scilicet confessio et satisfactio. Ergo plura sacramenta.

1. Il semble que la pénitence ne soit pas un seul sacrement. En effet, le sacrement fait partie du genre du signe. Or, il existe plusieurs signes dans la pénitence : la confession et la satisfaction. Il existe donc plusieurs sacrements.

[18559] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, diversorum agentium diversi sunt actus. Sed ad confessionem concurrit actus poenitentis, qui conteritur et confitetur et satisfacit, et actus sacerdotis qui absolvit. Cum ergo poenitentia in actu consistat, videtur quod non sit unum, sed multa.

2. Des agents différents ont des actes différents. Or, l’acte du pénitent, qui est contrit, se confesse et satisfait, concourt à la confession, et aussi l’acte du prêtre qui absout. Puisque la pénitence consiste dans un acte, il semble donc qu’elle ne soit pas unique, mais multiple.

[18560] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, genus non praedicatur in singulari de suis pluribus speciebus, sed in plurali. Sed supra, dist. 15, sunt assignatae tres species poenitentiae, scilicet poenitentia ante Baptismum, et poenitentia post Baptismum de venialibus, et poenitentia de mortalibus. Ergo praedictae species poenitentiae sunt plura, et non unum sacramentum.

3. Le genre n’est pas attribué au singulier mais au pluriel à plusieurs de ses espèces. Or, plus haut, d. 15, trois espèces de pénitence ont été indiquées : la pénitence avant le baptême, la pénitence pour les péchés véniels après le baptême et la pénitence pour les péchés mortels. Il existe donc plusieurs espèces de pénitence, et non pas un seul sacrement.

[18561] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sacramenta sunt tantum septem. Sed si poenitentia esset plura sacramenta, essent plura sacramenta quam septem. Ergo est unum tantum sacramentum.

 

Cependant, [1] il n’existe que sept sacrements. Or, si la pénitence était plusieurs sacrements, il y aurait plus de sept sacrements. Il n’existe donc qu’un seul sacrement [de la pénitence].

[18562] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ex unitate effectus colligitur unitas causae. Sed poenitentia ordinatur ad unum effectum, scilicet remissionem peccati actualis. Ergo est unum tantum sacramentum.

[2] On conclut à l’unité de cause à partir de l’unité de l’effet. Or, la pénitence est ordonnée à un seul effet : la rémission du péché actuel. Il n’y a donc qu’un seul sacrement [de la pénitence].

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le sacrement de la pénitence consiste-t-il davantage dans les actes du prêtre que dans ceux du pénitent ?]

[18563] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum magis consistat in his quae geruntur a sacerdote quam in his quae geruntur a poenitente. Quia sacramentum dicitur a sacrando, ut supra dictum est. Sed consecrare sacerdotis est, qui ex hoc sacerdos dicitur quod sacra dat. Ergo hoc sacramentum magis consistit in absolutione sacerdotis quam in actu poenitentis.

1. Il semble que le sacrement de la pénitence consiste davantage dans les actes du prêtre que dans ceux du pénitent, car « sacrement » vient de sacro [vouer, sanctifier, donner un caractère sacré], comme on l’a dit plus haut. Or, consacrer relève du prêtre, qui est appelé prêtre [sacerdos] du fait qu’il donne des choses sacrées [sacra dat]. Ce sacrement consiste donc davantage dans l’absolution par le prêtre que dans l’acte du pénitent.

[18564] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque accedit ad sacramentum, dicitur sacramentum suscipere. Sed poenitens non dicitur suscipere confessionem, sed absolutionem. Ergo magis consistit sacramentum in absolutione quam in confessione.

2. On dit de quiconque s’approche d’un sacrement qu’il reçoit le sacrement. Or, on ne dit pas que le pénitent reçoit la confession, mais l’absolution. Ce sacrement consiste donc davantage dans l’absolution que dans la confession.

[18565] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Sed contra, totum est congregatio partium. Sed partes poenitentiae sunt acceptae ex parte poenitentis, scilicet contritio, confessio et satisfactio. Ergo sacramentum poenitentiae magis consistit in actu poenitentis quam in sacerdotis absolutione.

3. Un tout est la réunion des parties. Or, les parties de la pénitence se prennent du point de vue du pénitent : la contrition, la confession et la satisfaction. Le sacrement de pénitence consiste donc plutôt dans l’acte du pénitent que dans l’absolution par le prêtre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [Les paroles du prêtre qui absout doivent-elles avoir la forme d’une prière ?]

[18566] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod verba sacerdotis absolventis debeant esse per modum deprecationis. Quia Leo Papa dicit quod indulgentia Dei nisi supplicationibus sacerdotum nequit obtineri; et loquitur de absolutione per sacerdotes facta. Ergo absolutio debet fieri per modum deprecationis.

1. Il semble que les paroles du prêtre qui absout doivent avoir la forme d’une prère, car le pape Léon dit que le  prêtrw Il semble absout doivent avoir la forme d’une prière, car le pape Léon dit que « l’indulgence de Dieu ne peut être obtenue que par les supplications des prêtres », alors qu’il parle de l’absolution donnée par les prêtres. L’absolution doit donc être donnée sous la forme d’une prière.

[18567] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, solus Deus remittit peccata. Sed poenitentia est ad remissionem peccatorum ordinata. Ergo absolutio, ex qua poenitentia efficaciam habet, debet fieri per modum orationis ad Deum.

2. Seul Dieu remet les péchés. Or, la pénitence est ordonnée à la rémission des péchés. L’absolution, dont la pénitence tire son efficacité, doit donc être donnée sous forme de prière adressée à Dieu.

[18568] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod poenitentia habet certum effectum, sicut et alia sacramenta. Sed propter certitudinem effectus in aliis sacramentis utimur verbis indicativis. Ergo similiter debet esse in poenitentia.

Cependant, la pénitence a un effet certain, comme les autres sacrements. Or, en raison de la certitude de l’effet dans les autres sacrements, nous faisons usage de verbes à l’indicatif. Il doit donc en être de même dans la pénitence.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18569] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quando aliquis effectus procedit ex multis causis simul aggregatis, tunc nulla earum est causa per se, sed omnes sunt una causa, sicut patet de trahentibus navem. Unde cum effectus poenitentiae non sequatur nisi aliquo modo existentibus omnibus quae ad poenitentiam requiruntur, omnia illa habent rationem unius causae respectu illius effectus. Et quia sacramenta efficiunt significando, ideo omnia etiam habent rationem unius signi, dum unumquodque incomplete significat illum effectum; et propter hoc omnia sunt unum sacramentum.

Lorsqu’un effet vient de plusieurs causes réunies, aucune de celles-ci n’est cause par soi, mais toutes sont une seule cause, comme cela est clair chez ceux qui tirent un navire. Puisque l’effet de la pénitence ne se réalise que si tout ce qui est requis à la pénitence existe d’une certaine manière, tout cela a le caractère d’une seule cause par rapport à cet effet. Et parce que les sacrements réalisent en signifiant, tous ont aussi le caractère d’un seul signe, alors que chaque chose [dans le sacrement] signifie cet effet de manière incomplète. Pour cette raison, tous [les sacrements] ont le caractère d’un seul sacrement.

[18570] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non repraesentatur sufficienter effectus poenitentiae per quodlibet illorum plurium, sed per omnia simul; et ideo omnia sunt unum signum.

1. L’effet de la pénitence n’est pas suffisamment représenté par chacune de ces multiples choses, mais par toutes en même temps. C’est pourquoi toutes sont un seul sacrement.

[18571] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus poenitentis, ut dictum est, sunt materia hujus sacramenti, sicut materiale elementum in aliis; unde sicut ex materia et forma in aliis sacramentis efficitur unum sacramentum; ita hic ex actu poenitentis, et absolutione sacerdotis.

2. Comme on l’a dit, les actes du pénitent sont la matière de ce sacrement, comme l’élément matériel dans les autres. De même que, dans les autres sacrements, un seul sacrement est constitué de sa matière et de sa forme, de même ici, de l’acte du pénitent et de l’absolution du prêtre.

[18572] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenitentia ante Baptismum non est sacramentum. De mortalibus autem et venialibus poenitentia post Baptismum est sacramentum, non duo, sed unum: quia principaliter ordinatur hoc sacramentum ad mortale, et per consequens ad veniale.

3. La pénitence avant le baptême n’est pas un sacrement. Mais, après le baptême, la pénitence est un sacrement non pas double, mais unique pour les péchés mortels et les péchés véniels, car ce sacrement est ordonné principalement au péché mortel et, par voie de conséquence, au péché véniel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18573] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in sacramentis in quibus est materia et forma, significatio est ex parte materiae principaliter, sed efficacia ex parte formae; et ideo cum actus poenitentis in hoc sacramento sint sicut materia, et absolutio sacerdotis sicut forma; principaliter hoc sacramentum quantum ad rationem significandi consistit in actu poenitentis; sed quantum ad efficaciam, in absolutione sacerdotis.

Dans les sacrements où il y a matière et forme, la signification vient principalement de la matière, mais l’efficacité, de la forme. C’est pourquoi, puisque les actes du pénitent jouent le rôle de matière dans ce sacrement et l’absolution du prêtre, le rôle de forme, ce sacrement consiste dans l’acte du pénitent pour ce qui est de la signification, mais, poour ce qui est de son efficacité, dans l’absolution du prêtre.

[18574] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse à la première objection est ainsi claire.

[18575] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est materia in aliis sacramentis, est elementum exterius exhibitum; hic autem quod est loco materiae et signi, est actus ex interiori procedens; et ideo non est simile quantum ad susceptionem in hoc sacramento et in aliis.

2. Ce qui est matière dans les autres sacrements est un élément apporté de l’extérieur. Mais ici, ce qui tient lieu de matière et de signe est un acte qui vient de l’intérieur. C’est pourquoi la réception de ce sacrement ne se fait pas de la même manière dans ce sacrement que dans les autres.

[18576] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Baptismo multiplicatio non fit ex parte formae, sed ex parte materialis in Baptismo, scilicet immersionis; et ita etiam partes poenitentiae assignantur ex parte poenitentis magis quam ex parte absolventis; et sicut prolatio formae non dividitur contra tres immersiones, ita absolutio sacerdotis non ponitur pars contra tres alias partes poenitentiae.

3. Dans le baptême, la multiplicité ne vient pas de la forme, mais de ce qui est matériel dans le baptême, à savoir, l’immersion. De même les parties de la pénitence sont-elles attribuées plutôt du point de vue du pénitent que du point de vue de celui qui absout. Et de même que l’expression de la forme n’est pas divisée, de même l’absolution du prêtre n’est-elle pas distinguée des autres parties de la pénitence.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18577] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quaedam sacramenta sunt, in quibus ex administratione sacramenti semper consequitur aliquis effectus in suscipiente, nec impeditur propter indispositionem voluntatis suscipientis, sicut est in omnibus sacramentis quae imprimunt characterem; et ideo in illis verba propter certitudinem exprimunt praesentialiter effectum sacramenti, vel per modum indicativum, sicut in Baptismo et confirmatione, vel per modum imperativum, sicut in ordine. In poenitentia autem impeditur omnis effectus absolutionis per indispositionem voluntatis: et tamen ipsa absolutio, quantum est de se, sufficienter et certitudinaliter inducit effectum suum, nisi sit aliquod impedimentum; et ideo absolutio per modum indicativum fit, sed praemittitur deprecatio, scilicet misereatur, ut effectus absolutionis non impediatur. Tamen non est de esse sacramenti, sed de bene esse ipsius.

Il existe certains sacrements dont découle toujours un effet chez celui qui les reçoit, du fait de l’administration du sacrement, [effet] qui n’est pas empêché en raison d’une indisposition de la volonté de celui qui le reçoit, comme c’est le cas pour tous les sacrements qui impriment un caractère. Dans ces [sacrements], en raison de la certitude, les paroles expriment donc au présent l’effet du sacrement ou sous le mode indicatif, comme dans le baptême et dans la confirmation, ou sous le mode impératif, comme dans l’ordre. Mais, dans la pénitence, tout effet de l’absolution est empêché par une indisposition de la volonté ; cependant l’absolution en elle-même produit son effet avec une certitude suffisante, à moins qu’il n’y ait empêchement. C’est pourquoi l’absolution est donnée sous le mode indicatif, mais une prière la précède, à savoir, Misereatur, afin que l’effet de l’absolution ne soit pas empêché. Cependant, elle ne fait pas partie de l’essence du sacrement, mais de son achèvement.

[18578] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections sont ainsi claires.

 

 

Articulus 3 [18579] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 tit. Utrum sacramentum poenitentiae habeat institutionem.

Article 3 – Le sacrement de la pénitence a-t-il été institué ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 [Le sacrement de la pénitence a-t-il été institué ?]

[18580] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacramentum poenitentiae non habeat institutionem. Quia illud quod est de jure naturali, non indiget institutione. Sed de dictamine juris naturalis est quod homo poeniteat de malefactis. Ergo non debet habere institutionem.

1. Il semble que le sacrement de la pénitence n’ait pas été institué, car ce qui relève du droit naturel n’a pas besoin d’être institué. Or, il relève d’un précepte du droit naturel que l’homme se repente de ses méfaits. [Le sacrement de pénitence] ne doit donc pas être institué.

[18581] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, poenitentia eadem est quae est sacramentum et virtus. Sed poenitentiae virtus non habet institutionem, sicut nec aliae virtutes. Ergo nec poenitentiae sacramentum.

2. C’est la même pénitence qui est une vertu et un sacrement. Or, la vertu de pénitence n’est pas instituée, pas plus que les autres vertus. Donc, le sacrement de pénitence non plus.

[18582] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod institutio ponitur in definitione sacramenti ab Hugone data, ut supra, 1 dist., patuit.

Cependant, l’institution fait partie de la définition du sacrement donnée par Hugues, comme cela est ressorti plus haut, d. 1.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le sacrement de pénitence a-t-il été institué avant le Christ ?]

[18583] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ante Christum fuerit hoc sacramentum institutum. Poena enim gehennalis praeparata est peccatoribus ante peccatum, ut patet per hoc quod dicitur Isa. 30, 33: praeparata est ab heri Topheth: idest, ab initio praeparata est poena praedicta impiis. Sed Deus est pronior ad miserendum quam ad puniendum. Ergo etiam ante peccatum praeparatum est remedium contra peccatum, quod est poenitentia; et sic ante Christum poenitentia est instituta.

1. Il semble que ce sacrement ait été institué avant le Christ. En effet, la peine de la géhenne a été prévue pour les pécheurs avant le péché, comme cela ressort de ce qui est dit en Is 30, 33 : Depuis longtemps est préparé Topheth, c’est-à-dire que la peine mentionnée a été préparée pour les impies depuis le début. Or, Dieu est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir. Un remède contre le péché, la pénitence, a donc été préparé contre le péché avant la péché, et ainsi la pénitence a été instituée avant le Christ.

[18584] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, dominus sacramentum Eucharistiae instituit conficiendo. Ergo poenitentiae sacramentum similiter instituit poenam imponendo. Sed statim post peccatum in lege naturae poenam peccato imposuit, ut patet Genes. 3. Ergo in lege naturae ante Christi adventum sacramentum poenitentiae fuit institutum.

2. Le Seigneur a institué le sacrement de l’eucharistie en l’accomplissant. Il a donc institué de la même manière le sacrement de la pénitence en imposant une peine. Or, aussitôt après le péché sous la loi naturelle, il a imposé une peine pour le péché, comme cela ressort de Gn 3. Le sacrement de la pénitence a donc été institué sous la loi naturelle, avant le venue du Christ.

[18585] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, partes poenitentiae sacramenti sunt contritio et confessio et satisfactio. Sed ante Christum tempore legis Moysi praecipitur contritio, Joel 2, 13: scindite corda vestra, et confessio, Proverb. 28, 13: qui abscondit scelera sua, non dirigetur; qui confessus fuerit, et reliquerit ea, misericordiam consequetur; et satisfactio Lev. 4 et 5, ubi praecipitur quid pro quolibet peccato offerendum sit. Ergo poenitentiae sacramentum institutum fuit ante Christi adventum.

3. Les parties du sacrement de pénitence sont la contrition, la confession et la satisfaction. Or, avant le Christ, au temps de la loi de Moïse, la contrition est prescrite, Jl 2, 13 : Déchirez vos cœurs ; aussi la confession, Pr 28, 13 : Celui qui cache ses fautes ne sera pas redressé ; mais celui qui les aura confessées et abandonnées recevra miséricorde ; et la satisfaction, Lv 4, 5, où est ordonné ce qui doit être offert pour chaque péché. Le sacrement de pénitence a donc été institué avant la venue du Christ.

[18586] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, poenitentia est sacramentum perfectionis: quia per eam consequimur remissionem peccatorum. Sed ante Christi adventum non erant aliqua sacramenta perfectionis: quia neminem ad perfectum adduxit lex; Hebr. 7, 19. Ergo poenitentiae sacramentum non fuit ante adventum Christi institutum.

Cependant, [1] la pénitence est le sacrement de la perfection, car, par elle, nous obtenons la rémission des péchés. Or, avant le Christ, il n’existait pas de sacrement de la perfection, car la loi n’a mené personne à la perfection, He 7, 19. Le sacrement de pénitence n’a donc pas été institué avant la venue du Christ.

[18587] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sacramentum poenitentiae efficaciam habet ex clavibus Ecclesiae. Sed claves non fuerunt ante adventum Christi. Ergo nec poenitentiae sacramentum.

[2] Le sacrement de pénitence tire son efficacité des clés de l’Église. Or, les clés n’existaient pas avant la venue du Christ. Donc, ni le sacrement de pénitence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [Le sacrement a-t-il été institué sous la loi nouvelle, après la venue eu Christ ?]

[18588] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit institutum in nova lege post Christi adventum. Quia lex nova est lex remissionis et gratiae. Sed poenitentia est sacramentum punitionis: quia est vindicta quaedam, ut Augustinus dicit. Ergo non debuit nova lege institui.

1. Il semble que [le sacrement de pénitence] n’ait pas été institué sous la loi nouvelle, après la venue du Christ, car la loi nouvelle est une loi de rémission et de grâce. Or, la pénitence est un sacrement de punition, car elle est un châtiment, comme on le dit. Il ne devait donc pas être institué sous la loi nouvelle.

[18589] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, institutio sacramentorum cum pertineat ad potestatem excellentiae, soli Christo competit. Sed Christus non legitur instituisse hoc sacramentum: non enim potest dici quod instituerit ubi dicit Matth. 3, 2: poenitentiam agite; quia eadem ratione Joannes instituisset, qui prius hoc praedicavit; et etiam nondum erant claves Ecclesiae, quae efficaciam sacramento isti praebent: nec iterum potest dici quod instituerit quando misit leprosos ad sacerdotes: quia dispensatio hujus sacramenti non pertinet ad sacerdotes legales, ad quos leprosi missi fuerunt. Ergo hoc sacramentum non est in nova lege institutum.

2. Puisqu’elle relève du pouvoir d’excellence, l’institution appartient au Christ seul. Or, on ne lit pas que le Christ ait institué ce sacrement : en effet, on ne peut pas dire qu’il l’ait institué lorsqu’il dit, en Mt 3, 2 : Faites pénitence, car Jean l’aurait institué pour la même raison, lui qui l’a prêché auparavant. Il n’existait pas non plus de clés de l’Église, qui donnent son efficacité au sacrement. On ne peut pas non plus dire que [le Seigneur] l’a institué lorsqu’il a envoyé les lépreux aux prêtres, car la dispensation de ce sacrement ne relève pas des prêtres de la loi, auxquels les lépreux ont été envoyés. Ce sacrement n’a donc pas été institué sous la loi nouvelle.

[18590] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacramento Eucharistiae, quod Christus instituit, ipse etiam est usus. Sed nunquam legitur usus hoc sacramento, quia Joan. 8, peccatum adulterae remisit sine hoc sacramento, quia poenam satisfactoriam non injunxit. Ergo ipse non instituit.

3. Le Christ a lui-même fait usage du sacrement de l’eucharistie qu’il a institué. Or, on ne lit pas qu’il ait fait usage de ce sacrement, car, en Jn 8, il a remis le péché de la femme adultère sans ce sacrement, puisqu’il ne lui a pas imposé de satisfaction. Il ne l’a donc pas lui-même institué.

[18591] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, poenitentia est sacramentum novae legis. Sed sacramenta alicujus legis in illa lege habent institutionem. Ergo in nova lege est institutum.

Cependant, la pénitence est un sacrement de la loi nouvelle. Or, les sacrements d’une loi ont leur institution sous cette loi. Il a donc été institué sous la loi nouvelle.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18592] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacramentum poenitentiae consistit in determinato modo agendi poenitentiam: qui quidem modus non est similiter apud omnes, nec in omni tempore; et ideo obligatio ad illum modum est ex aliqua institutione: et propter hoc, sacramentum poenitentiae institutionem habet.

Le sacrement de pénitence consiste dans une manière déterminée de faire pénitence. Or, cette manière d’agir n’est pas la même pour tous, ni en tout temps. C’est pourquoi l’obligation à cette manière [de faire pénitence] vient d’une institution. Pour cette raison, le sacrement de pénitence a été institué.

[18593] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod lex naturalis dictat homini quod sit poenitendum; sed modus talis poenitentiam agendi qui observatur in sacramento poenitentiae, non est ex legis naturalis dictamine, sed ex institutione.

1. La loi naturelle dicte à l’homme de se repentir ; mais la manière de faire pénitence qui est observée dans le sacrement de pénitence ne vient pas d’un précepte de la loi naturelle, mais d’une institution.

 

 

 

[18594] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia est virtus quantum ad hoc quod est de dictamine legis naturalis: et ideo non habet institutionem inquantum est virtus, sed quantum ad modum determinatum ex quo habet quod sit sacramentum; et utrumque in una poenitentia invenitur; et ideo eadem poenitentia est sacramentum et virtus, et quantum ad aliquid de jure naturali, et quantum ad aliquid ex institutione.

2. La pénitence est une vertu pour ce qui relève du précepte de la loi naturelle. C’est pourquoi elle n’a pas d’institution en tant que  vertu, mais quant au mode déterminé selon lequel elle est un sacrement et les deux choses se trouvent dans une seule pénitence. C’est pourquoi la même pénitence est un sacrement et une vertu, sous un aspect en relevant du droit naturel, sous un autre aspect en relevant d’une institution.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18595] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quando variatur aliquid quod est de essentia rei, non est eadem res numero; unde cum determinatus modus qui in Ecclesia a poenitentibus observatur, sit de essentia hujus sacramenti; hoc sacramentum non fuit antequam iste modus poenitendi esset. Et quia iste modus non fuit ante Christi adventum, ideo nec sacramentum poenitentiae antea fuisse debet dici; quamvis esset aliquid simile etiam ante Christi adventum, et aliquis modus poenitentiam agendi. Et in lege quidem Moysi erat determinatus modus; sed alius quam modo sit; tempore autem legis naturae non erat aliquis modus determinatus; sed quilibet, secundum quod sibi veniebat in cor, modum poenitendi sibi determinabat: quia sacramenta omnia illius temporis voto celebrabantur, secundum Hugonem; et sic poenitentia est sacramentum et veteris legis, et novae legis, et legis naturae; et inquantum est sacramentum novae legis, non fuit ante Christi adventum institutum; inquantum fuit legis naturae, non fuit determinate institutum, sed admonitus fuit homo ut sibi determinaret aliquem poenitendi modum: quae quidem admonitio esse non debuit ante culpam, post quam magis medicinae necessitas cognoscitur; et sic poenitentia, etsi non inquantum est sacramentum novae legis, tamen aliquo modo fuit instituta ante Christi adventum; sed nullo modo ante peccatum.

Lorsque quelque chose qui fait partie de l’essence d’une chose change, il ne s’agit plus de la même chose considérée individuellement. Puisque la manière déterminée qui est observée dans l’Église fait partie de l’essence de ce sacrement, ce sacrement n’a donc pas existé avant que cette manière de faire pénitence n’existe. Et parce que cette manière [de faire pénitence] n’a pas existé avant la venue du Christ, on ne doit donc pas dire que le sacrement de pénitence a existé avant, bien qu’il ait aussi existé quelque chose de semblable avant la venue du Christ et une manière de faire pénitence. Ainsi, dans la loi de Moïse existait une manière déterminée [de faire pénitence], mais autre qu’elle n’existe maintenant. Au temps de la loi naturelle, il n’existait aucune manière déterminée [de faire pénitence], mais chacun, selon l’inspiration de son cœur, déterminait pour lui-même une manière de faire pénitence, car tous les sacrements de cette époque étaient célébrés comme on le voulait, selon Hugues. Ainsi, la pénitence est un sacrement de la loi ancienne. de la loi nouvelle et de la loi naturelle. En tant qu’elle est un sacrement de la loi nouvelle, il n’a pas été instituée avant le Christ ; en tant qu’il existait sous la loi naturelle, il n’a pas été institué de manière déterminée, mais l’homme fut averti de déterminer pour lui-même une manière de faire pénitence, avertissement qui n’avait pas à exister avant la faute, après laquelle on connaît mieux la nécessité d’un remède. Ainsi, la pénitence a-t-elle été instituée d’une certaine manière avant la venue du Christ, même si ce n’est pas comme sacrement de la loi nouvelle, mais elle n’a d’aucune manière été instituée avant le péché.

[18596] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramentum etiam poenitentiae praeparatum erat in Dei praevisione ante peccatum, sed non institutione; sicut et poena Inferni non erat ordinata ad hominis poenam ante peccatum, sed in Dei praevisione; sed ad poenam Daemonis, qui jam peccaverat, erat etiam actu ordinata.

1. Le sacrement de la pénitence avait été préparé avant le péché par la prévison de Dieu, mais non par son institution, comme la peine de l’enfer n’avait pas été ordonnée comme châtiment de l’homme avant le péché, mais par la prévision de Dieu. Mais elle avait été ordonnée même en acte comme peine pour le démon qui avait déjà péché.

[18597] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa impositio poenae non fuit poenitentiae sacramenti, sed magis actus vindicativae justitiae, cum ad poenitentiam admonuit, ubi dixit: Adam ubi es ? Ubi secundum Glossam inducitur ad recognitionem peccati.

2. Cette imposition d’une peine n’était pas le sacrement de pénitence, mais plutôt un acte de la justice punitivve, puisqu’il avertit de faire pénitence, où il a dit : Adam, où es-tu ? Selon la Glose, [Adam] est alors incité à reconnaître son péché.

[18598] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in lege Moysi erat aliqua confessio: quia in generali profitebatur peccatum suum oblationem in lege faciens pro peccato statutam, non autem in speciali, sicut est in nova lege: nec iterum fiebat sacerdoti habenti claves, quae confessio est sacramentalis: nec satisfactio erat secundum arbitrium talis sacerdotis: nec contritio cum proposito talis confessionis et satisfactionis; et ideo aliqua poenitentia erat tunc, sed non quae nunc est sacramentum.

3. Sous la loi de Moïse, il existait une confession, car, d’une manière générale, celui qui faisait l’offrande établie pour un péché confessait son péché ; mais il ne le faisait pas d’une manière particulière, comme sous la loi nouvelle. De plus, [cette confession] n’était pas faite à un prêtre qui détenait le pouvoir des clés, confession qui est sacramentelle. La satisfaction non plus ne correspondait pas au jugement de ce prêtre, ni la contrition accompagnée du propos d’une telle confession et d’une satisfaction. C’est pourquoi il existait alors une certaine pénitence, mais non pas celle qui est maintenant un sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18599] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod poenitentia in diversis locis est a Deo instituta quantum ad diversa. Quantum enim ad utilitatem est instituta Matth. 3, 2, ubi dicit: poenitentiam agite: unde sequitur: appropinquabit enim regnum caelorum; sed quantum ad necessitatem, ubi dixit Luc. 13, 5: nisi poenitentiam egeritis, omnes simul peribitis; sed quantum ad potestatem clavium Matth. 16, 19, ubi dixit Petro: quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in caelis; et quodcumque solveris super terram, erit solutum et in caelis; et Joan. 20, 23, ubi dixit omnibus: quorum remiseritis peccata, remittuntur eis; sed postea Jacobus expressit aliquid de poenitentiae modo, Jacobi 5, 16, ubi dixit: confitemini alterutrum peccata vestra.

La pénitence a été instituée par Dieu en divers lieux pour diverses raisons. En effet, elle a été instituée pour un bien en Mt 3, 2, où [le Seigneur] dit : Faites pénitence ; suit alors : En effet, le royaume des cieux approche. Mais [elle a été instituée] comme une nécessité là où [le Seigneur] dit en Lc 13, 5 : Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous ensemble. [Elle a aussi été instituée] quant au pouvoir des clés en Mt 16, 19, où il dit à Pierre : Tout ce que vous lierez sur la terre sera aussi lié dans le ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans le ciel. Et en Jn 20, 23, où il dit à tous : Ceux à qui vous aurez remis les péchés, ils leur seront remis. Mais, par la suite, Jacques a exprimé quelque chose sur le modde de la pénitence, Jc 5, 16, où il dit : Confessez vos péchés les uns aux autres.

[18600] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poena quae assumitur in poenitentia, est quasi nihil respectu poenae quae dimittitur; et ideo poenitentia est magis remissionis sacramentum quam punitionis.

1. La peine éprouvée dans la pénitence est pour ainsi dire rien en regard de la peine qui est remise. C’est pourquoi la pénitence est plutôt le sacrement de la rémission que de la punition.

[18601] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus prius instituit Matth. 3, poenitentiae sacramentum, ut dictum est, cum dixit: poenitentiam agite. Non est enim idem poenitere et poenitentiam agere: quia agere poenitentiam est exterius poenitentiam interiorem demonstrare. Nec Joannes instituit, quamvis similiter praedicasset: quia Joannes praedicavit ut praeco regis; Christus ut rex, et legifer noster, cujus erat sermo potestatem habens, ut dicitur Matth. 7. Sed ubi ad sacerdotes remisit, non instituit, sed praefiguravit sacramentum poenitentiae.

2. Comme on l’a dit, le Seigneur a d’abord institué le sacrement de la pénitence en Mt 3, lorsqu’il dit : Faites pénitence. En effet, ce n’est pas la même chose de se repentir et de faire pénitence, car faire extérieurement pénitence manifeste une pénitence intérieure. Jean non plus ne l’a pas instituée, bien qu’il ait prêché de la même manière, car Jean a prêché en tant que héraut du roi, mais le Christ [a prêché] comme notre roi et notre législateur, dont la parole avait un pouvoir, comme il est dit en Mt 7. Mais là où il a renvoyé aux prêtres, il n’a pas institué, mais il a préfiguré le sacrement de pénitence.

[18602] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus nullo sacramento usus est, nisi sibi assumendo, ut exemplum aliis daret; unde etiam ipse non baptizabat, sed discipuli ejus, ut dicitur Joan. 3; et ideo quia poenitentiae usus quantum ad ipsum non competebat ei qui peccatum non fecit, ideo nec quantum ad alios eo usus est; sed sicut sacramentorum dominus effectum sacramenti sine sacramentalibus praebebat.

3. Le Christ n’a fait usage d’aucun sacrement qu’en le recevant lui-même pour donner l’exemple aux autres. Aussi ne baptise-t-il pas lui-même, mais ses disciples [baptisent], comme il est dit en Jn 3. Puisque l’usage de la pénitence pour lui-même ne convenait pas à celui qui n’avait pas commis de péché, il n’en a donc pas non plus fait usage pour les autres, mais, en tant que Seigneur des sacrements, il donnait l’effet du sacrement sans les éléments sacrements.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 22

 [18603] Super Sent., lib. 4 d. 22 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Revocabit sententiam etc.: hoc intelligendum est quantum ad ultimum misericordiae effectum, qui est vita aeterna. Sed originalia, pluraliter dicit propter hoc quod ad diversa peccata actualia inclinat, ut in 2 Lib., dist. 35, dictum est. Sed ut satisfecit digne et sufficienter: verum est, si intelligatur de sufficientia respectu consecutionis gloriae; alias falsum est: et procedit hic secundum errorem qui in 14 dist., quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 1, improbatus est, ut scilicet non cadat aliquis, si vera sit. Et ita reus constituitur: ly ita non dicit aequalitatem, sed similitudinem.

 

 

 

 

EXTRÊME ONCTION

 

 

Distinctio 23

Distinction 23 – [L’extrême-onction]

 

 

Quaestio 1

Question 1 : [Qu’est-ce que l’extrême-onction]

 

 

Prooemium

Prologue

[18604] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de Baptismo, qui est sacramentum intrantium, et de confirmatione, Eucharistia, poenitentia, quae sunt sacramenta progredientium, hic quinto loco determinat de extrema unctione, quae est sacramentum exeuntium; et dividitur in partes duas: in prima determinat de ipso sacramento; in secunda de usu ipsius, ibi: quaerunt aliqui, si hoc sacramentum iterari possit. Prima in duas: in prima distinguit hoc sacramentum ab aliis unctionibus; in secunda determinat omnia quae ad hoc sacramentum pertinent, ibi: hoc sacramentum unctionis infirmorum ab apostolis institutum legitur. Et circa hoc tria facit: primo determinat institutionem; secundo effectum, ibi: in quo ostenditur duplici ex causa sacramentum hoc institutum; tertio conformitatem istius sacramenti ad alia, ibi: et sicut in aliis sacramentis, ita et in isto aliud est sacramentum, aliud res sacramenti. Quaerunt aliqui, si hoc sacramentum iterari possit. Hic determinat de usu istius sacramenti; et dividitur in duo secundum duas opiniones quae tangit de iteratione istius sacramenti, et aliorum per consequens; secunda ostenditur ibi: quidam autem de omni sacramento intelligi volunt quod non sit iterandum. Hic est duplex quaestio. Prima de ipso sacramento extremae unctionis; secunda de administratione et usu ipsius. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de ipsa extrema unctione; 2 de effectu ejus; 3 de materia ipsius; 4 de forma.

Après avoir déterminé du baptême, qui est le sacrement de ceux qui entrent, et de la confirmation, de l’eucharitie et de la pénitence, qui sont les sacrements de ceux qui progressent, le Maître détermine ici, en cinquième lieu, de l’extrême-onction, qui est le sacrement de ceux qui partent. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du sacrement lui-même ; dans la seconde, de son usage, à cet endroit : « Certains demandent si ce sacrement peut être répété. » La première partie se divise en deux : dans la première, il distingue ce sacrement d’autres onctions ; dans la seconde, il détermine de tout ce qui concerne ce sacremenmt, à cet endroit : « On lit que ce sacrement de l’onction des malades a été institué par les apôtres. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de l’institution. Deuxièmement, de son effet, à cet endroit : « Il est ainsi montré que ce sacrement a été institué pour deux raisons. » Troisièmement, [il détermine] de la conformité de ce sacrement aux autres [sacrements], à cet endroit : « Comme dans les autres sacrements, dans ce sacrement, le sacrement est autre chose que la réalité du sacrement. » « Certains se demandent si ce sacrement peut être répété. » Il détermine ici de l’usage du sacrement. Il y a deux parties, selon les deux opinions qu’il aborde au sujet de la répétition de ce sacrement et, par conséquent, des autres. La seconde partie apparaît ici : « Mais certains veulent qu’il soit compris que tous les sacrements ne doivent pas être répétés. » Ici, il y a deux questions. La première porte sur le sacrement même de l’extrême-onction ; la seconde, sur son administration et son usage. À propos de la première, quatre questions sont posées : 1 – Sur l’extrême-onction en elle-même. 2 – Sur son effet. 3 –Sur sa matière. 4 – Sur sa forme.

 

 

Articulus 1 [18605] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 tit. Utrum extrema unctio sit sacramentum

Article 1 – L’extrême-onction est-elle un sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 [L’extrême-onction est-elle un sacrement ?]

[18606] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod extrema unctio non sit sacramentum. Quia sicut oleum assumitur ad infirmos, ita ad catechumenos. Sed unctio quae fit oleo ad catechumenos, non est sacramentum. Ergo nec extrema unctio quae fit oleo ad infirmos.

1. Il semble que l’extrême-onction ne soit pas un sacrement, car de même que l’huile est utilisée pour les infirmes, de même l’est-elle pour les catéchumènes. Or, l’onction qui est donnée aux catéchumènes avec de l’huile n’est pas un sacrement. Donc, l’extrême-onction non plus, qui est donnée aux malades avec de l’huile.

[18607] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sacramenta veteris legis fuerant signa sacramentorum novae legis. Sed extrema unctio non habuit aliquam figuram in veteri lege. Ergo non est sacramentum novae legis.

2. Les sacrements de l’ancienne loi avaient été des signes des sacrements de la loi nouvelle. Or, l’extrême-onction n’avait aucune figure sous la loi ancienne. Elle n’est donc pas un sacrement de la loi nouvelle.

[18608] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Dionysium, omne sacramentum est vel ad purgandum vel ad illuminandum vel ad perficiendum. Sed extrema unctio non ponitur neque ad purgandum neque ad illuminandum, quia hoc soli Baptismo attribuitur: neque ad perficiendum, quia hoc, secundum ipsum, pertinet ad chrisma et Eucharistiam. Ergo extrema unctio non est sacramentum.

3. Selon Denys, tout sacrement sert à purifier, à illuminer ou à perfectionner. Or, l’extrême-onction n’est donnée ni pour purifier, ni pour illuminer, car cela est attribué au baptême seulement ; elle n’est pas non plus donnée pour perfectionner, car cela appartient de soi au chrême et à l’eucharistie. L’extrême-onction n’est donc pas un sacrement.

[18609] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sacramenta Ecclesiae sufficienter subveniunt defectibus hominum secundum quemlibet statum. Sed exeuntibus non subvenit aliud quam extrema unctio. Ergo ipsa est sacramentum.

Cependant, [1] les sacrements de l’Église viennent de manière suffisante au secours des carences des hommes selon tous leurs états. Or, pour ceux qui vont partir, aucun ne vient à leur secours que l’extrême-onction. Elle est donc un sacrement.

[18610] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sacramenta, ut supra dictum est, dist. 1, nihil aliud sunt quam quaedam spirituales medicinae. Sed extrema unctio est quaedam spiritualis medicina: quia valet ad remissionem peccatorum, ut habetur Jac. 5. Ergo est sacramentum.

[2] Comme on l’a dit plus haut, d. 1, les sacrements ne sont rien d’autre que des remèdes spirituels. Or, l’extrême-onction est un remède spirituel, car elle sert à la rémission des péchés, comme on le lit en Jc 5. Elle est donc un sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’extrême-onction est-elle un seul sacrement ?]

[18611] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod extrema unctio non sit unum sacramentum. Quia unitas rei est ex sua materia et ex sua forma, cum ex eodem res esse habeat et unitatem. Sed forma hujus sacramenti frequenter iteratur etiam eadem vice; et materia pluries in uncto adhibetur secundum diversas partes. Ergo non est unum sacramentum.

1. Il semble que l’extrême-onction ne soit pas un seul sacrement, car l’unité d’une chose vient de sa matière et de sa forme, puisque qu’une chose tient son être et son unité de la même chose. Or, la forme de ce sacremenmt est répétée plusieurs fois, même lors de la même occasion ; et sa matière est utilisée plusieurs fois selon les diverses parties [du corps]. Elle n’est donc pas un seul sacrement.

[18612] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ipsa unctio est sacramentum: ridiculum enim est dicere, quod oleum sit sacramentum. Sed sunt plures unctiones. Ergo sunt plura sacramenta.

2. L’onction elle-même est un sacrement : en effet, il est ridicule de dire que l’huile est un sacrement. Or, il y a plusieurs onctions [dans l’extrême-onction]. Il y a donc plusieurs sacrements.

[18613] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unus sacramentum ab uno ministro perfici debet. Sed in aliquo casu extrema unctio non potest perfici uno ministro, sicut si post primam unctionem factam sacerdos moriatur tunc enim alius sacerdos debet ulterius procedere. Ergo extrema unctio non est sacramentum unum.

3. Un seul [corr: Unus/unum] sacrement doit être accompli par une seul ministre. Or, dans un cas, l’extrême-onction ne peut être accomplie par un seul ministre, comme lorsque le prêtre meurt après la première onction, un autre prêtre doit poursuivre. L’extrême-onction n’est donc pas un seul sacrement.

[18614] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia sicut immersio se habet ad Baptismum, ita se habet unctio ad hoc sacramentum. Sed plures immersiones sunt unum sacramentum Baptismi. Ergo et plures unctiones sunt unum sacramentum.

Cependant, [1] le rapport de l’immersion au baptême est le même que celui de l’onction au sacrement [de l’extrême-onction]. Or, plusieurs immersions ne constituent qu’un seul baptême. Plusieurs onctions constituent donc un seul sacrement.

[18615] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, si non esset unum sacramentum, tunc facta prima unctione non oporteret ad perfectionem sacramenti quod fieret secunda: quia quodlibet sacramentum per se habet esse perfectum. Sed hoc falsum est. Ergo est unum sacramentum.

[2] Si [l’extrême-onction] n’était pas un seul sacrement, une fois faite la première onction, il ne serait pas nécessaire pour la perfection du sacrement qu’une deuxième soit faite, car tout sacrement est parfait en lui-même. Or, cela est faux. Elle est donc un seul sacrement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [L’extrême-onction a-t-elle été instituée par le Christ ?]

[18616] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum non fuit institutum a Christo. Quia de institutione sacramentorum quae Christus instituit, fit mentio in Evangelio, sicut de Eucharistia et Baptismo. Sed nulla fit mentio de extrema unctione. Ergo non est a Christo instituta.

1. Il semble que ce sacrement n’ait pas été institué par le Christ, car l’évangile mentionne l’institution des sacrements institués par le Christ, comme l’eucharistie et le baptême. Or, il n’est pas fait mention de l’extrême-onction. Elle n’a donc pas été instituée par le Christ.

[18617] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Magister expresse dicit in littera, quod est institutum ab apostolis. Ergo ipse Christus per se non instituit.

[18618] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sacramentum Eucharistiae, quod Christus instituit, etiam ipse per se exhibuit. Sed hoc sacramentum ipse nulli exhibuit. Ergo per se non instituit.

2. Le Maître dit expressément dans le texte qu’elle a été institutée par les apôtres. Le Christ ne l’a donc pas lui-même instituée.

 

 

3. Le Christ, qui a institué le sacrement de l’eucharistie, l’a lui-même donné. Or, il n’a pas donné par lui-même le sacrement [de l’extrême-onction]. Il ne l’a donc pas institué.

[18619] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra: sacramenta novae legis sunt digniora quam sacramenta veteris legis. Sed omnia sacramenta veteris legis sunt ab ipso Deo instituta. Ergo multo fortius omnia sacramenta novae legis habent institutionem ab ipso Christo.

Cependant, [1] les sacrements de la loi nouvelle sont plus dignes que les sacrements de l’ancienne loi. Or, tous les sacrements de l’ancienne loi ont été institués par Dieu. À bien plus forte raison, les sacrements de la loi nouvelle ont-ils été institués par le Christ lui-même.

[18620] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ejusdem est statuere et statuta removere. Sed Ecclesia, quae in successoribus apostolorum habet eamdem auctoritatem quam apostoli habuerunt, non posset auferre sacramentum extremae unctionis. Ergo apostoli non instituerunt, sed ipse Christus.

[2] Il relève de la même personne d’imposer des statuts et de les enlever. Or, l’Église, qui, dans les successeurs des apôtres, a la même autorité que les apôtres ont eue, ne pourrait écarter le sacrement de l’extrême-onction. Les apôtres ne l’ont donc pas instituée, mais le Christ lui-même.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18621] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in his quae Ecclesia visibiliter operatur, quaedam sunt sacramenta, ut Baptismus; quaedam sacramentalia, ut exorcismus, ut supra, dist. 6, dictum est: quorum haec est differentia, quia sacramentum dicitur illa actio Ecclesiae quae attingit ad effectum principaliter intentum in administratione sacramentorum; sed sacramentale dicitur illa actio quae quamvis non pertingat ad illum effectum, tamen ordinatur aliquo modo ad illam actionem principalem. Effectus autem intentus in administratione sacramentorum est curatio morbi peccati. Isaiae 27, 9: hic est omnis fructus, ut auferatur peccatum. Et ideo cum ad hunc effectum pertingat extrema unctio, ut ex verbis Jacobi patet, nec ordinetur ad aliud sacramentum quasi ei annexum; constat quod extrema unctio non est sacramentale, sed sacramentum.

Dans ce que fait l’Église de manière visible, certaines choses sont des sacrements, comme le baptême, et certaines sont des sacramentaux, comme l’exorcisme, comme on l’a dit plus haut, d. 6. La différence entre les deux est qu’on appelle sacrement l’action de l’Église qui atteint l’effet principalement visé par l’administration des sacrements ; mais on appelle sacramental l’action qui, bien qu’elle n’atteigne pas cet effet, est cependant ordonnée d’une certaine manière à cette action principale. Or, l’effet visé dans l’administration des sacrements est la guérison de la maladie du péché. Is 27, 9 : En voici tout le fruit : l’enlèvement du péché. Puisque l’extrême-onction atteint cet effet, comme cela ressort des paroles de Jacques, et qu’elle n’est pas ordonnée à un autre sacrement comme si elle lui était associée, il est clair que l’extrême-onction n’est pas un sacramental, mais un sacrement.

[18622] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oleum quo catechumeni unguntur, sua unctione non perducit ad peccati remissionem, quia hoc ad Baptismum pertinet, sed aliquo modo ad Baptismum disponit, ut supra, dist. 6, dictum est: et ideo non est sacramentum illa unctio, sicut unctio extrema.

1. L’huile dont les catéchumènes sont oints ne conduit pas par l’onction faite avec elle à la rémission du péché, car cela relève du baptême ; mais elle dispose d’une certaine manière au baptême, comme on l’a dit plus haut, d. 6. C’est pourquoi cette onction n’est pas un sacrement comme l’extrême-onction.

[18623] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc sacramentum immediate hominem ad gloriam disponit, cum exeuntibus a corpore detur: et quia in veteri lege non erat adhuc tempus perveniendi ad gloriam, quia neminem ad gloriam adduxit lex; ideo illud sacramentum ibi praefigurari non debuit per aliquod sacramentum sibi respondens, sicut per figuram ejusdem generis; quamvis per figuras remotas aliquo modo figuratum sit in omnibus curationibus quae leguntur in veteri testamento.

2. De même que ce sacrement dispose l’homme à la gloire de manière immédiate, puisqu’il est donné à ceux qui vont quitter leur corps, et parce que, sous la loi ancienne, ce n’était pas encore le temps de parvenir à la gloire, puisque que la loi ne conduit personne à la gloire, ce sacrement ne devait pas y être préfiguré par un sacrement qui lui correspondît comme par une figure du même genre ; bien que, par des figures éloignées, il ait été figuré d’une certaine manière par toutes les guérisons qu’on lit dans l’Ancien Testament.

[18624] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Dionysius non facit aliquam mentionem de extrema unctione, sicut nec de poenitentia nec de matrimonio: quia ipse non intendit determinare de sacramentis nisi quatenus per ea innotescere potest ecclesiasticae hierarchiae ordinata dispositio quantum ad ministros et actiones ministrorum, et recipientes. Tamen cum per extremam unctionem aliquis consequatur gratiam et remissionem peccatorum; non est dubium quod habet vim illuminativam et purgativam, sicut Baptismus, quamvis non ita plenam.

3. Denys ne fait aucune mention de l’extrême-onction, pas davantage que de la pénitence ni du mariage, car son intention n’est de déterminer des sacrements que dans la mesure où peut être connue par eux la disposition ordonnée de la hiérarchie ecclésiastique quant à ses ministres et aux actions des ministres, et quant à ceux qui les reçoivent. Cependant, puisqu’on obtient par l’extrême-onction la grâce et la rémission des péchés, il n’est pas douteux qu’elle ait une puissance illuminatrice et purificatrice, comme le baptême, bien qu’elle ne soit pas aussi complète.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18625] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod unum numero, per se loquendo, dicitur tripliciter. Uno modo sicut indivisibile, quod nec actu nec potentia est plura, ut punctus et unitas. Alio modo sicut continuum, quod quidem est unum actu, sed plura potentia, ut linea. Sed tertio modo sicut perfectum aliquod quod ex pluribus partibus constituitur, ut domus; quod est multa quodammodo etiam actu, sed illa multa conveniunt in aliquo uno: et hoc modo quodlibet sacramentum dicitur unum, inquantum multa quae sunt in uno sacramento, adunantur ad unum significandum vel causandum: quia sacramentum signando causat. Et ideo quando una actio sufficit ad perfectam significationem, unitas sacramenti consistit in illa actione tantum, sicut patet in confirmatione: quando autem significatio sacramenti potest esse et in una et in multis actionibus, tunc sacramentum perfici potest et una actione et pluribus, sicut Baptismus in una immersione et tribus: quia ablutio quae significatur in Baptismo, potest esse per unam immersionem vel per multas. Quando autem perfecta significatio non potest esse nisi per plures actiones, tunc plures actiones sunt de perfectione sacramenti, sicut patet de Eucharistia: quia refectio corporalis, quae significat spiritualem, non potest esse nisi per cibum et potum; et similiter est in hoc sacramento: quia curatio interiorum vulnerum non potest perfecte significari nisi per appositionem medicinae ad diversas vulnerum radices: et ideo plures actiones sunt de perfectione hujus sacramenti.

On parle de quelque chose d’unique de trois manières. D’une manière, pour quelque chose d’indivisible, qui n’est plusieurs choses ni en puissance ni en acte, comme le point et le chiffre un. D’une autre manière, pour quelque chose de continu, qui est un en acte, mais plusieurs en puissance, comme la ligne. Mais de la troisième manière, comme quelque de parfait qui est constitué de plusieurs parties, comme une maison ; elle est cependant d’une certaine manière multiple en acte, mais ces multiples choses sont réunies dans quelque chose d’un. Tous les sacrements sont dits uniques de cette manière, pour autant que plusieurs choses qui sont dans un seul sacrement sont réunies pour signifier ou causer une seule chose, car le sacrement cause en signifiant. Ainsi, lorsqu’une seule action suffit pour une signification parfaite, l’unité du sacrement consiste seulement dans cette action, comme cela est clair dans la confirmation ; mais lorsque la signification d’un sacrement peut exister dans une seule et dans plusieurs actions, alors le sacrement peut être accompli par une seule ou par plusieurs actions, comme le baptême existe dans un seule immersion et dans trois [immersions], car l’ablution qui est signifiée par le baptême peut exister par une seule ou par plusieurs immersions. Mais quand la signification parfaite ne peut exister que par plusieurs actions, alors plusieurs actions font partie de la perfection du sacrement, comme cela est clair pour l’eucharistie, car la réfection corporelle, qui signifie [la réfection] spirituelle, ne peut exister que par la nourriture et le breuvage. De même en est-il pour le sacrement [de l’extrême-onction], car la guérison des blessures intérieures ne peut être signifiée parfaitement que par l’application d’un remède aux diverses sources des maladies. C’est pourqui plusieurs actions font partie de la perfection de ce sacrement.

[18626] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unitas totius perfecta non tollitur propter diversitatem materiae aut formae, quae est in partibus totius; sicut constat quod non eadem materia est carnis et ossis, ex quibus constituitur unus homo, nec eadem forma; et similiter etiam in sacramento Eucharistiae: et in hoc sacramento pluralitas materiae et formae unitatem sacramenti non tollit.

1. L’unité parfaite d’un tout n’est pas enlevée en raison de la diversité de la matière ou de la forme, qui se trouvent dans les parties du tout, comme il est clair que ne sont pas faits de la même matière ni de la même forme la chair et les os par lesquels un seul homme est constitué. Il en va de même dans le sacrement de l’eucharistie et dans le sacrement [de l’extrême-onction], où la pluralité de la matière et de la forme n’enlève pas l’unité du sacrement.

[18627] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illae actiones sint plures simpliciter, tamen uniuntur in una perfecta actione, quae est unctio omnium exteriorum sensuum, quibus hauritur morbus interior.

2. Bien que ces actions soient multiples à parler simplement, elles sont cependant unies dans une seule action parfaite, qui est l’onction de tous les sens extérieurs, d’où provient la maladie intérieure.

[18628] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in Eucharistia, si post consecrationem panis moriatur sacerdos, alius sacerdos possit ad consecrationem vini incipere ubi ille dimisit, vel etiam incipere a capite supra aliam materiam; tamen in extrema unctione non potest a capite incipere, sed debet semper procedere: quia unctio in eadem parte facta tantum valet ac si consecraretur bis eadem hostia: quod nullo modo faciendum est. Nec tamen ministrorum pluralitas tollit unitatem sacramenti, quia instrumentaliter tantum operantur; mutatio autem martellorum non tollit unitatem operationis fabri.

3. Bien que, dans l’eucharistie, si le prêtre meurt après la consécration du pain, un autre prêtre peut commencer la consécration du vin là où il l’a laissée, ou même recommencer depuis le début sur cette matière, cependant, dans l’extrême-onction, il ne peut recommencer depuis le début, mais il doit toujours poursuivre, car l’onction faite sur la même partie [du corps] a autant de valeur que si la même hostie était consacrée deux fois, ce qu’il ne faut jamais faire. Et la pluralité des ministres n’enlève pas non plus l’unité du sacrement, car ils n’agissent que de manière instrumentale. Or, le changement de marteaux n’enlève pas l’unité de l’action d’un ouvrier.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18629] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod sacramentum istud et confirmationis, Christus non instituit per se, sed apostolis instituendum dimisit: quia haec duo propter plenitudinem gratiae quae in eis confertur, non potuerunt ante spiritus sancti missionem plenissimam institui; unde sunt ita sacramenta novae legis, quod in veteri lege figuram non habuerunt. Sed haec ratio non multum cogit: quia sicut Christus ante passionem promisit plenam spiritus sancti missionem, ita potuit instituere haec sacramenta. Et ideo alii dicunt, quod omnia sacramenta Christus instituit per seipsum; sed quaedam per seipsum promulgavit, quae sunt majoris difficultatis ad credendum; quaedam autem apostolis promulganda reservavit, sicut extremam unctionem et confirmationem. Et haec opinio pro tanto videtur probabilior, quia sacramenta ad fundamentum legis pertinent, et ideo ad legislatorem pertinet eorum institutio; et iterum quia ex institutione efficaciam habent, quae eis non nisi divinitus est.

Sur ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que le Christ n’a pas institué par lui-même ce sacrement et celui de la confirmation, mais a laissé aux apôtres de les instituer, car ces deux sacrements, en raison de la plénitude de la grâce qui est donnée par eux, ne pouvaient pas être institués avant l’envoi plénier de l’Esprit Saint. C’est pourquooi ce sont des sacrements de la loi nouvelle qui n’avaient pas de figures sous la loi ancienne. Mais ce raisonnement n’est pas très convaincant, car, de même que le Christ avant la passion a promis l’envoi pléniter de l’Esprit Saint, de même pouvait-il instituer ces sacrements. C’est pourquoi d’autres disent que le Christ a institué tous les sacrements par lui-même, mais qu’il en a promulgué certains qui sont plus difficiles à croire, en réservant aux apôtres la promulgation de certains, telles l’extrême-onction et la confirmation. Cette opinion semble plus probable, car les sacrements sont en rapport avec le fondement de la loi. C’est pourquoi leur institution relève du législateur. De plus, ils tirent leur efficacité de leur institution, qui ne peut venir que de Dieu.

[18630] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod multa dominus fecit et dixit quae in Evangeliis non continentur. Illa enim praecipue curaverunt Evangelistae tradere quae ad salutis necessitatem et ad ordinem ecclesiasticae dispositionis pertinent; et ideo potius institutionem Baptismi et poenitentiae et Eucharistiae et ordinis a Christo factam narraverunt, quam extremae unctionis vel confirmationis; quae neque sunt de necessitate salutis, neque ad dispositionem sive distinctionem Ecclesiae pertinent. Tamen etiam de olei unctione fit mentio in Evangelio, Marc. 6, ubi dicitur quod apostoli oleo ungebant infirmos.

1. Le Seigneur a fait et dit beaucooup de choses qui ne sont pas contenues dans les évangiles. En effet, les évangélistes ont surtout pris soin de transmettre ce qui se rapportait à ce qui était nécessaire au salut et à l’ordre de la constitution de l’Église. Ils ont donc plutôt raconté l’institution du baptême, de la pénitence, de l’eucharistie et de l’ordre faite par le Christ, que celle de l’extrême-onction ou de la confirmation, qui ne sont pas nécessaires au salut, ni à la disposition ou à la distinction [des parties] de l’Église. Cependant, il est aussi fait mention de l’onction avec l’huile dans l’évangile en Mc 6, où il est dit que les apôtres donnaient une onction aux malades.

[18631] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Magister dicit ab apostolis institutum, quia per doctrinam apostolorum nobis promulgata est ejus institutio.

2. Le Maître dit qu’il a été institué par les apôtres parce que son institution a été promulguée trois fois par les apôtres.

[18632] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus, sicut in praecedenti dist., qu. 2, art. 3, quaestiunc. 3, dictum est, non exhibuit aliquod sacramentum, nisi quod ipse accepit in exemplum. Accipere autem poenitentiam et extremam unctionem sibi non competebat, quia sine peccato erat; et ideo ipse non exhibuit.

3. Comme on l’a dit à la distinction précédente, q. 2, a. 3, qa 3, il n’a donné de sacrement que celui qu’il a reçu en exemple. Or, recevoir la pénitence et l’extrême-onction ne lui convenait pas, car il était sans péché. C’est pourquoi il ne [les] a pas données.

 

 

Articulus 2 [18633] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 tit. Utrum extrema unctio valeat ad remissionem peccatorum

Article 2 – L’extrême-onction a-t-elle une valeur pour la rémission des péchés ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’extrême-onction a-t-elle une valeur pour la rémission des péchés ?]

[18634] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod extrema unctio non valeat ad remissionem peccatorum. Ad hoc enim quod per unum potest effici, aliud non exigitur. Sed in eo qui extremam unctionem accipit, requiritur ad peccatorum remissionem poenitentia. Ergo per extremam unctionem non dimittuntur peccata.

1. Il semble que l’extrême-onction n’ait pas de valeur pour la rémission des péchés. En effet, autre chose n’est pas nécessaire pour ce qui peut être accompli par une seule. Or, chez celui qui reçoit l’extrême-onction, la pénitence est nécessaire pour la rémission des péchés. Les péchés ne sont donc pas remis par l’extrême-onction.

[18635] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in peccato non sunt nisi tria; macula, reatus poenae, et reliquiae peccati. Sed per extremam unctionem non remittitur peccatum quo ad maculam sine contritione, quae etiam sine unctione remittit; nec iterum quo ad poenam: quia adhuc si convalescat, tenetur perficere satisfactionem injunctam; nec quo ad reliquias culpae, quia adhuc remanent dispositiones ex actibus praecedentibus relictae, ut patet post convalescentiam. Ergo nullo modo per extremam unctionem fit peccatorum remissio.

2. Dans le péché, il n’y a que trois choses : la souillure, la dette d’une peine et les restes du péché. Or, par l’extrême-onction, le péché n’est pas remis sans la contrition quant à la souillure, [contrition] qui remet [le péché] même sans onction ; [il n’est pas remis] non plus pour ce qui est de la peine, car, si on retrouve la santé, on est tenu d’accomplir la satisfaction imposée ; ni quant aux restes du péché, car les dispositions laissées par les actes précédents demeurent encore, comme cela ressort après la convalescence. La rémission des péchés n’est donc aucunement réalisée par l’extrême-onction.

[18636] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, remissio peccatorum non fit successive, sed in instanti. Sed extrema unctio non fit tota simul, quia plures unctiones requiruntur. Ergo ejus effectus non est remissio peccatorum.

3. La rémission des péchés ne se réalise pas de manière successive, mais dans l’instant. Or, l’extrême-onction ne se réalise pas toute en même temps, car plusieurs onctions sont requises. Son effet n’est donc pas la rémission des péchés.

[18637] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Jac. 5, 15: si in peccatis est, dimittentur ei.

Cependant, [1] il est dit en Jc 5, 15 : S’il a des péchés, ils lui seront remis.

[18638] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne sacramentum novae legis gratiam confert. Sed per gratiam fit remissio peccatorum. Ergo extrema unctio, cum sit sacramentum novae legis, operatur ad remissionem peccati.

[2] Tout sacrement de la loi nouvelle confère la grâce. Or, la rémission des péchés se réalise par la grâce. Puisqu’elle est un sacrement de la loi nouvelle, l’extrême-onction agit donc en vue de la rémission du péché.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2  – [La guérison corporelle est-elle un effet de ce sacrement ?]

[18639] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sanitas corporalis non sit effectus hujus sacramenti. Omne enim sacramentum est medicina spiritualis. Sed spiritualis medicina ad spiritualem sanitatem ordinatur, sicut corporalis ad corporalem. Ergo sanitas corporalis non est effectus hujus sacramenti.

1. Il semble que la santé corporelle ne soit pas un effet de ce sacrement. En effet, tout sacrement est un remède spirituel. Or, un remède spirituel est ordonné à la santé spirituelle, comme un [remède] corporel à la [santé] corporelle. La santé corporelle n’est donc pas un effet de ce sacrement.

[18640] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramentum semper habet effectum suum in eo qui non fictus accedit. Sed quandoque non sanatur corporaliter suscipiens hoc sacramentum, quantumcumque devotus accipiat. Ergo sanitas corporalis non est effectus ejus.

2. Le sacrement a toujours son effet chez celui qui s’en approche sans feinte. Or, parfois, celui qui reçoit ce sacrement n’est pas guéri corporellement, quelle que soit la dévotion avec laquelle il le reçoit. La santé corporelle n’est donc pas son effet.

[18641] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, efficacia hujus sacramenti Jacob. 5 nobis ostenditur. Sed ibi non attribuitur sanationis effectus unctioni, sed orationi; dicit enim: oratio fidei sanabit infirmum. Ergo corporalis sanatio non est effectus hujus sacramenti.

3. L’efficacité de ce sacrement nous est montrée en Jc 5. Or, en cet endroit, l’effet de la guérison n’est pas attribué à l’onction, mais à la prière. Il dit en effet : La prière de la foi guérira celui qui est malade. La guérison corporelle n’est donc pas l’effet de ce sacrement.

[18642] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, operatio Ecclesiae habet majorem efficaciam post Christi passionem quam ante. Sed ante oleo inuncti per apostolos sanabantur, ut patet Marc. 6. Ergo et nunc habet effectum in corporali sanatione.

Cependant, [1] l’action de l’Église a une plus grande efficacité après la passion du Christ qu’avant. Or, avant [la passion], ceux qui étaient oints d’huile par les apôtres étaient guéris, comme cela ressort de Mc 6. Elle a donc maintenant un effet pour la guérison corporelle.

[18643] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sacramenta significando efficiunt. Sed Baptismus per ablutionem corporalem, quam exterius facit, significat et efficit spiritualem. Ergo et extrema unctio per sanationem corporalem, quam exterius efficit, significat et causat spiritualem.

[2] Les sacrements réalisent en signifiant. Or, par l’ablution corporelle qu’il accomplit à l’extérieur, le baptême signifie et réalise [une ablution spirituelle]. L’extrême-onction, par la guérison corporelle qu’elle réalise extérieurement, signifie et cause donc la [guérison] spirituelle.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [L’extrême-onction imprime-t-elle un caractère ?]

[18644] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum characterem imprimat. Character enim est signum distinctivum. Sed sicut baptizatus distinguitur a non baptizato, ita unctus a non uncto. Ergo sicut Baptismus imprimit characterem, ita extrema unctio.

1. Il semble que ce sacrement imprime un caractère. En effet, le caractère est un signe distinctif. Or, de même que le baptisé se distingue du non baptisé, de même celui qui est oint se distingue-t-il de celui qui n’est pas oint. Comme le baptême imprime un caractère, de même en est-il de l’extrême-onction.

[18645] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in ordinis et confirmationis sacramentis est unctio, sicut et in hoc sacramento. Sed in illis imprimitur character. Ergo et in isto.

2. Il y a une onction dans l’ordre et dans la confirmation, comme il y en a une dans ce sacrement. Or, un caractère est imprimé par ces [sacrements]. Donc, dans celui-ci aussi.

[18646] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in omni sacramento est aliquid quod est res tantum; aliquid quod est sacramentum tantum; aliquid quod est res et sacramentum. Sed non potest aliquid assignari in hoc sacramento quod sit res et sacramentum nisi character. Ergo in hoc sacramento imprimitur character.

3. Dans tout sacrement, il y a quelque chose qui est la réalité seulement, quelque chose qui est le sacrement seulement et quelque chose qui est réalité et sacrement. Or, on ne peut indiquer quelque chose qui soit réalité et sacrement dans ce sacrement. Un caractère est donc imprimé par ce sacrement.

[18647] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullum sacramentum imprimens characterem iteratur. Hoc autem iteratur, ut dicetur. Ergo non imprimit characterem.

Cependant, [1] aucun sacrement imprimant un caractère n’est répété. Or, celui-ci est répété, comme on le dira. Il n’imprime donc pas de caractère.

[18648] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, distinctio quae fit secundum characterem sacramentalem, est distinctio eorum qui sunt in praesenti Ecclesia. Sed extrema unctio confertur ei qui de praesenti Ecclesia exit. Ergo non decet quod in eo character conferatur.

[2] La distinction qui est réalisée par le caractère sacramentel est une distinction de ceux qui se trouvent dans l’Église présente. Or, l’extrême-onction est conférée à celui qui sort de l’Église présente.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18649] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quodlibet sacramentum est institutum principaliter ad unum effectum; quamvis etiam alios ex consequenti inducere possit, quia sacramentum efficit quod figurat; ideo ex ipsa significatione sacramenti debet accipi ejus principalis effectus. Adhibetur autem hoc sacramentum secundum modum cujusdam medicationis, sicut Baptismus per modum ablutionis. Medicina autem est ad pellendum infirmitatem; unde principaliter hoc sacramentum est institutum ad sanandum infirmitatem peccati: ut sicut Baptismus est quaedam spiritualis regeneratio, et poenitentia quaedam spiritualis suscitatio; ita et extrema unctio sit quaedam spiritualis sanatio vel medicatio. Sicut autem corporalis medicatio praesupponit corporalem vitam in medicato, ita spiritualis spiritualem; et ita hoc sacramentum non datur contra defectus quibus spiritualis vita tollitur, scilicet peccatum originale et mortale; sed contra illos defectus quibus homo spiritualiter infirmatur ut non habeat perfectum vigorem ad actus vitae gratiae vel gloriae; et hic defectus nihil est aliud quam quaedam debilitas et ineptitudo quae in nobis relinquitur ex peccato actuali vel originali; et contra hanc debilitatem homo roboratur per hoc sacramentum. Sed quia hoc robur gratia facit, quae secum non compatitur peccatum, ideo ex consequenti si invenit peccatum aliquod vel mortale vel veniale quo ad culpam, tollit ipsum, dummodo non ponatur obex ex parte recipientis, sicut etiam de Eucharistia et confirmatione supra dictum est; et ideo etiam Jacobus de remissione peccati conditionaliter loquitur dicens: si in peccatis sit, dimittentur ei quo ad culpam: non enim semper delet peccatum, quia non semper invenit: sed semper remittit quo ad debilitatem praedictam, quam quidam reliquias peccati dicunt. Quidam vero dicunt, quod principaliter est institutum propter veniale; quod quidem non potest, dum haec vita agitur, perfecte curari: et ideo sacramentum exeuntium specialiter contra veniale ordinatur. Sed hoc non videtur verum: quia poenitentia sufficienter etiam in hac vita delet venialia quo ad culpam. Quod autem non possunt evitari post peractam poenitentiam non aufert praecedenti poenitentiae suum effectum; et iterum hoc pertinet ad debilitatem praedictam. Unde dicendum, quod principalis effectus hujus sacramenti est remissio peccatorum quo ad reliquias peccati; ex consequenti autem quantum ad culpam, si eam inveniat.

 

Tout sacrement est institué principalement en vue d’un seul effet, bien qu’il puisse en amener d’autres par voie de conséquence, car le sacrement réalise ce qu’il représente. Aussi faut-il tirer de sa signification son effet principal. Or, ce sacrement est donné à la manière d’un remède, comme le baptême à la manière d’une ablution. Or, un remède est destiné à chasser une maladie. Aussi ce sacrement a-t-il été principalement institué pour guérir la maladie du péché, de sorte que de même que le baptême est une régénération spirituelle et la pénitence, une résurrection spirituelle, de même l’extrême-onction est-elle une guérison ou un traitement spirituel. Or, de même que le traitement corporel présuppose la vie corporelle chez celui qui est traité, de même le [traitement spirituel présuppose-t-il la vie] spirituelle ; de même, ce sacrement n’est pas donné pour contrer les carences par lesquelles la vie spirituelle est enlevée, à savoir le péché originel et mortel, mais pour contrer les carences par lesquelles l’homme est rendu spirituellement malade, de sorte qu’il n’a pas de vigueur pour les actes de la grâce ou de la gloire. Cette carence n’est rien d’autre qu’une certaine faiblesse et incapacité qui nous sont laissées par le péché actuel ou originel. L’homme est ainsi renforcé contre cette faiblesse par ce sacrement. Mais parce que la grâce qui ne souffre pas de péché donne cette force, par voie de conséquence, si elle trouve un péché mortel ou véniel quant à la faute, elle l’enlève, pourvu qu’il n’y ait pas d’obstacle du point de vue de celui qui la reçoit, comme on l’a dit plus haut pour l’eucharistie et la confirmation. C’est pourquoi aussi Jacques parle au conditionnel de la rémission du péché lorsqu’il dit : S’il a des péchés, ils lui seront remis quant à la faute. En effet, [ce sacrement] ne détruit pas toujours le péché parce qu’il n’en trouve pas toujours, mais il remet toujours la faiblesse rappelée, qu’on appelle les restes du péché. Mais certains disent qu’il a été principalement institué en raison du péché véniel, qui ne peut être guéri parfaitement aussi longtemps qu’on est dans la vie présente. C’est pourquoi le sacrement de ceux qui partent est spécialement ordonné contre le péché véniel. Mais cela ne semble pas vrai, car la pénitence détruit suffisamment en cette vie les péchés véniels quant à la faute. Qu’ils ne puissent être évités après que la pénitence a été accomplie n’enlève pas son effet à la pénitence ; de plus, cela se rapporte à la faiblesse rappelée. Il faut donc dire que l’effet principal de ce sacrement est la rémission des péchés quant aux restes du péchés ; mais, par voie de conséquence, quant à la faute, s’il en trouve.

[18650] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis effectus principalis alicujus sacramenti possit haberi sine actuali perceptione illius sacramenti, vel sine sacramento, vel per aliud sacramentum ex consequenti; nunquam tamen potest haberi sine proposito illius sacramenti: et ideo, quia poenitentia est principaliter instituta contra actualem culpam, quodcumque aliud sacramentum actualem culpam deleat ex consequenti, non excludit necessitatem poenitentiae.

1. Bien que l’effet principal d’un sacrement puisse être obtenu sans la réception effective de ce sacrement ou sans le sacrement, ou par un autre sacrement par voie de conséquence, il ne peut cependant jamais être obtenu sans le propos de ce sacrement. C’est pourquoi, parce que la pénitence a été principalement instituée pour contrer la faute actuelle, tous les autres sacrements qui détruisent la faute actuelle par voie de conséquence n’excluent pas la nécessité de la pénitence.

[18651] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod extrema unctio aliquo modo quantum ad illa tria remittit peccatum. Quamvis enim culpa quo ad maculam sine contritione non dimittatur, tamen hoc sacramentum per gratiam quam infundit, facit quod ille motus liberi arbitrii in peccatum sit contritio, sicut etiam in Eucharistia et confirmatione potest accidere. Similiter etiam et reatum poenae temporalis dimittit, sed ex consequenti, inquantum debilitatem tollit, quia eamdem poenam levius portat fortis quam debilis; unde non oportet quod propter hoc minuatur satisfactionis mensura. Reliquiae autem peccati non dicuntur hic dispositiones ex actibus relictae, quae sunt quidam habitus inchoati, sed quaedam spiritualis debilitas in ipsa mente existens: qua sublata, etiam eisdem habitibus vel dispositionibus manentibus, non ita potest inclinari mens ad peccata.

2. L’extrême-onction remet d’une certaine manière le péché quant à ces trois choses. En effet, bien que la faute ne soit pas remise sans la contrition pour ce qui est de la faute, ce sacrement, par la grâce qu’il verse à l’intérieur, fait cependant en sorte que ce mouvement du libre arbitre en direction du péché soit la contrition, de même que cela peut arriver aussi pour l’eucharistie et la confirmation. De même aussi, il remet la dette de la peine temporelle, mais par voie de conséquence, pour autant qu’il enlève la faiblesse, car celui qui est fort supporte plus légèrement la même peine que celui qui est faible. Il n’est donc pas nécessaire qu’à cause de cela, la mesure de la satisfaction soit diminuée. Mais on n’appelle pas ici restes du péché les dispositions laissées par les actes, qui sont le commencement d’un habitus, mais une certaine faiblesse spirituelle existant dans l’esprit lui-même. Une fois celle-ci enlevée, même si les mêmes habitus ou dispositions demeurent, l’esprit ne peut pas être autant enclin aux péchés.

[18652] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando sunt multae actiones ordinatae ad unum effectum, ultima est formalis respectu omnium praecedentium, et agit in virtute earum; et ideo in ultima unctione gratia infunditur, quae effectum sacramento praebet.

3. Lorsqu’il existe plusieurs actions ordonnées à un seul effet, la dernière joue le rôle de forme par rapport à toutes les précédentes et elle agit avec leur puissance. C’est pourquoi la grâce, qui donne au sacrement son effet, est infusée par l’extrême-onction.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18653] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut Baptismus per ablutionem corporalem facit spiritualem emundationem a maculis spiritualibus; ita hoc sacramentum per medicationem sacramentalem exteriorem facit sanationem interiorem. Et sicut ablutio Baptismi habet effectum corporalis ablutionis, quia etiam corporalem mundationem facit; ita etiam extrema unctio habet effectum corporalis medicationis, scilicet corporalem sanationem. Sed haec est differentia: quia corporalis ablutio ex ipsa naturali proprietate elementi facit corporalem mundationem; et ideo semper eam facit; sed extrema unctio non facit corporalem sanationem ex proprietate naturali materiae, sed ex virtute divina, quae operatur rationabiliter. Et quia ratio operans nunquam inducit secundarium effectum nisi secundum quod expedit ad principalem; ideo ex hoc sacramento non sequitur corporalis sanatio semper, sed quando expedit ad spiritualem sanationem; et tunc semper eam inducit, dummodo non sit impedimentum ex parte recipientis.

De même que le baptême réalise par l’ablution corporelle une purification spirituelle des souillures spirituelles, de même ce sacrement réalise-t-il une guérison intérieure par un traitement sacramentel extérieur. Et de même que l’ablution du baptême a comme effet de laver le corps, parce qu’elle réalise aussi une purification corporelle, de même aussi l’extrême-onction possède-t-elle l’effet d’un traitement corporel, à savoir, la guérison corporelle. Mais il y a une différence : l’ablution corporelle réalise la purification corporelle par la propriété naturelle de l’élément ; c’est pourquoi elle la réalise toujours. Mais l’extrême-onction ne réalise pas la guérison corporelle par la propriété naturelle de sa matière, mais par la puissance divine qui agit de manière raisonnable. Et parce que la raison qui agit n’entraîne un effet secondaire que s’il convient à l’effet principal, la guérison corporelle ne découle pas toujours de ce sacrement, mais lorsque cela convient à la guérison spirituelle. Et alors elle l’entraîne toujours, pourvu qu’il n’y ait pas d’empêchement de la part de celui qui reçoit [le sacrement].

[18654] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa probat quod corporalis sanitas non sit effectus principalis hujus sacramenti; et hoc verum est.

1. Cette objection prouve que la santé corporelle n’est pas l’effet principal de ce sacrement, et cela est vrai.

[18655] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis.

 

2. La réponse au deuxième argument est claire d’après ce qui a été dit.

[18656] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oratio illa est forma istius sacramenti, ut dicetur, et ideo hoc sacramentum ex sua forma habet efficaciam, quantum est de se, ad sanitatem corporalem.

3. Cette prière est la forme de ce sacrement, comme on le dira. C’est pourquoi ce sacrement tire son efficacité de sa forme par lui-même, en vue de la santé corporelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18657] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut supra, dist. 4, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 1 et 2, dictum est, character non imprimitur nisi in illis sacramentis quibus homo ad aliquod sacrum deputatur. Hoc autem sacramentum est solum remedium, et non deputatur per ipsum homo ad aliquod sacrum agendum vel suscipiendum; et ideo non imprimitur in eo character.

Comme on l’a dit plus haut, d. 4, q. 1, a. 4, qa 1 et 2, le caractère n’est imprimé que par les sacrements par lesquels l’homme est assigné à quelque chose de sacré. Mais ce sacrement n’est qu’un remède et l’homme n’est pas assigné par lui à faire ou à recevoir quelque chose de sacré. C’est pourquoi un caractère n’est pas imprimé par lui.

[18658] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod character facit distinctionem statuum quantum ad ea quae in Ecclesia agenda sunt; et talem distinctionem homo non habet ab aliis per hoc quod ipse est inunctus.

1. Le caractère établit une distinction entre les états pour ce qui doit être réalisé dans l’Église, et l’homme n’a pas une telle distinction par rapport aux autres du fait qu’il a été oint.

[18659] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unctio quae fit in ordine et confirmatione, est unctio consecrationis, qua homo deputatur ad aliquod sacramentum: sed haec unctio est unctio medicationis; et ideo non est simile.

2. L’onction qui est donnée par l’ordre et la confirmation est une onction de consécration, par laquelle l’homme est assigné à un sacrement. Mais l’onction [de l’extrême-onction] est une onction de traitement. Ce n’est donc pas la même chose.

[18660] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hoc sacramento res et sacramentum non est character, sed quaedam interior devotio quae est spiritualis unctio.

3. Dans ce sacrement, la réalité et le sacrement ne sont pas un caractère, mais une certaine dévotion intérieure qui est une onction spirituelle.

 

 

Articulus 3 [18661] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 tit. Utrum oleum olivae sit conveniens materia hujus sacramenti

Article 3 – L’huile d’olive est-elle une matière convenable pour ce sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’huile d’olive est-elle une matière convenable pour ce sacrement ?]

[18662] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod oleum olivae non sit conveniens materia hujus sacramenti. Quia hoc sacramentum immediate ad incorruptionem ordinat. Sed incorruptio signatur per balsamum, quod in chrismate ponitur. Ergo chrisma esset convenientior hujus sacramenti materia.

 

1. Il semble que l’huile d’olive ne soit pas une matière convenable pour ce sacrement, car ce sacrement ordonne de manière immédiate à l’absence de corruption. Or, l’absence de corruption est indiquée par le baume qui est appliqué par le chrême. Le chrême serait donc une matière plus convenable pour la matière de ce sacrement.

[18663] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est spiritualis medicatio. Sed spiritualis medicatio per vini appositionem significatur, sicut patet Luc. 10, in parabola de sauciato. Ergo vinum esset convenientior hujus sacramenti materia.

2. Ce sacrement est un traitement spirituel. Or, le traitement spirituel est signifié par l’application de vin, comme cela ressort de Lc 10, dans la parabole de l’homme blessé. Le vin conviendrait donc davantage pour la matière de ce sacrement.

[18664] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ubi est majus periculum, ibi debet communius remedium adhiberi. Sed oleum olivae non est commune remedium, quia non invenitur in qualibet terra. Ergo cum hoc sacramentum detur exeuntibus, qui sunt in maximo periculo, videtur quod oleum olivae non sit materia conveniens.

3. Le remède le plus commun doit être donné là où le danger est plus grand. Or, l’huile d’olive n’est pas un remède commun, car on ne la trouve pas dans tous les pays. Puisque ce sacrement est donné à ceux qui partent, et qui se trouvent donc dans le plus grand danger, il semble que l’huile d’olive ne soit pas une matière convenable.

[18665] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Jac. 5, oleum materia hujus sacramenti determinatur. Sed oleum proprie non dicitur nisi oleum olivae. Ergo est materia hujus sacramenti.

Cependant, [1] Jc 5 précise que l’huile est la matière de ce sacrement. Or, on n’appelle huile à proprement parler que l’huile d’olive. Celle-ci est donc la matière de ce sacrement.

[18666] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, spiritualis sanatio per olei inunctionem significatur, ut patet Isa. 1, ubi dicitur: plaga tumens non est (...) curata medicamine neque fota oleo. Ergo conveniens materia hujus sacramenti est oleum.

[2] La guérison spirituelle est signifiée par l’onction d’huile, comme cela ressort de Is 1, où il est dit : Une plaie enflée… n’est soignée que par un remède et si elle est frottée avec de l’huile. L’huile est donc la matière qui convient à ce sacrement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’huile doit-elle être consacrée ?]

[18667] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat esse oleum consecratum. Quia hoc sacramentum habet unam sanctificationem in usu per formam verborum. Ergo superfluit alia sanctificatio, si ad materiam ipsius fiat.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que l’huile soit consacrée, car ce sacrement, lorsqu’on en fait usage, a une seule signification par la forme des paroles. Une autre sanctification de sa matière est donc superflue.

[18668] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta habent efficaciam et significationem in ipsa materia. Sed significatio effectus hujus sacramenti competit oleo ex naturali proprietate; efficacia autem ex institutione divina. Ergo non est necessaria aliqua sanctificatio materiae.

2. Les sacrements ont leur efficacité et leur signification par la matière elle-même. Or, la signification de l’effet de ce sacrement relève de l’huile en raison de sa propriété naturelle ; mais son efficacité vient d’une institution divine. Une sanctification de la matière n’est donc pas nécessaire.

[18669] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Baptismus est perfectius sacramentum quam extrema unctio. Sed in Baptismo non praeexigitur materiae sanctificatio, quantum est de necessitate sacramenti. Ergo nec in extrema unctione.

3. Le baptême est un sacrement plus parfait que l’extrême-onction. Or, dans le baptême, une sanctification préalable de la matière n’est pas requise au préalable, pour ce qui est nécessaire au sacrement. [Elle ne l’est] donc pas non plus pour l'extrême-onction.

[18670] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia in omnibus aliis unctionibus est materia consecrata prius. Ergo, cum hoc sacramentum sit quaedam unctio, requirit materiam consecratam.

Cependant, dans toutes les autres onctions, la matière est consacrée au préalable. Puisque ce sacrement est une onction, il requiert donc une matière consacrée.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [La matière de ce sacrement doit-elle être consacrée par l’évêque ?]

[18671] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat materiam hujus sacramenti esse consecratam per episcopum. Quia dignior est consecratio materiae in sacramento Eucharistiae quam in hoc sacramento. Sed in Eucharistia materiam sacerdos potest consecrare. Ergo et in hoc sacramento.

1. Il semble que la matière de ce sacrement ne doive pas être consacrée par l’évêque, car la consécration de la matière dans le sacrement de l’eucharistie est plus noble que dans ce sacremenmt. Or, dans l’eucharistie, un prêtre peut consacrer. Donc, dans ce sacrement aussi.

[18672] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in operationibus corporalibus ars dignior nunquam praeparat materiam inferiori: quia dignior est quae utitur quam quae materiam praeparat, ut dicitur in 2 Physic. Sed episcopus est supra sacerdotem. Ergo non praeparat materiam in illo sacramento quo sacerdos utitur. Sed sacerdos dispensat hoc sacramentum, ut dicetur. Ergo consecratio materiae non pertinet ad episcopum.

[18673] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia etiam in aliis unctionibus materia per episcopum consecratur. Ergo debet ita esse in ista.

2. Dans les opérations corporelles, l’art plus digne ne prépare jamais la matière pour [un art] inférieur, car c’est le plus digne qui utilise, plutôt que celui qui prépare la matière, comme il est dit dans Physique, II. Or, l’évêque est supérieur au prêtre. Il ne prépare donc pas la matière du sacrement dont le prêtre fait usage. Or, le prêtre dispense ce sacrememnt, comme on le dira. La consécration de la matière ne relève donc pas de l’évêque.

 

Cependant, pour les autres onctions, la matière est consacrée par l’évêque. Il doit donc en être de même pour celle-ci.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18674] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod spiritualis curatio quae in fine adhibetur, debet esse perfecta, quia post eam alia non relinquitur; et lenis, ut spes, quae exeuntibus maxime est necessaria, non frangatur, sed foveatur. Oleum autem lenitivum est, et penetrativum usque ad intima, et etiam diffusivum; et ideo quantum ad utrumque praedictorum est conveniens materia hujus sacramenti; et quia oleum principaliter nominatur olivae liquor, cum alii liquores ex similitudine ad ipsum olei nomen accipiant; ideo oleum olivae etiam debet esse quod assumitur in materiam hujus sacramenti.

La guérison spirituelle qui est obtenue à la fin doit être parfaite, car il n’en reste plus après elle. Elle doit aussi être douce, afin que l’espérance qui est nécessaire surtout pour ceux qui partent ne soit pas brisée, mais attisée. Or, l’huile est adoucissante ; elle pénètre en profondeur et se répand. C’est pourquoi, en regard des deux choses mentionnées, elle est une matière qui convient à ce sacrement. Et parce qu’on appelle huile le liquide qui sort de l’olive et que les autres liquides reçoivent le nom d’huile par leur ressemblance avec le nom même de l’olive, ce doit donc aussi être de l’huile d’olive qui est utilisée comme matière de ce sacrement.

[18675] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod incorruptio gloriae est res non contenta in hoc sacramento; nec oportet quod tali rei significatio materiae respondeat; unde non oportet quod balsamum ponatur in materia hujus sacramenti, quia balsamum propter odorem pertinet ad bonitatem famae, qua de cetero non indigent propter se exeuntes, sed indigent tantum nitore conscientiae, qui per oleum significatur.

 

1. L’absence de corruption de la gloire est une réalité qui n’est pas contenue dans ce sacrement, et il n’est pas nécessaire que la signification de la matière corresponde à une telle réalité. Aussi n’est-il pas nécessaire que du baume soit versé dans la matière de ce sacrement, car le baume, en raison de son odeur, est en rapport avec la bonne renommée, dont ceux qui partent n’ont plus besoin quant à eux, mais ils ont seulement besoin de la pureté de la conscience, qui est signifiée par l’huile.

[18676] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vinum sanat mordicando, oleum leniendo: et ideo curatio per vinum magis pertinet ad poenitentiam, quam ad hoc sacramentum.

2. Le vin soigne en mordant, l’huile en adoucissant. C’est pourquoi la guérison par le vin relève plutôt de la pénitence que de ce sacrement.

[18677] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oleum olivae quamvis non ubique crescat, tamen de facili potest ad quemlibet locum transferri; et praeterea hoc sacramentum non est tantae necessitatis, quod exeuntes sine hoc sacramento non possint salutem consequi.

3. Bien que l’huile d’olive ne soit pas cultivée partout, elle peut facilement être apportée en tout lieu ; de plus, ce sacrement n’est pas si nécessaire que ceux qui partent ne puissent obtenir le salut sans lui.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18678] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt, quod oleum simplex est materia hujus sacramenti; et in ipsa sanctificatione olei, quae fit per episcopum, perficitur sacramentum. Sed hoc patet esse falsum ex his quae de Eucharistia dicta sunt, ubi ostensum est quod solum illud sacramentum consistit in consecratione materiae. Et ideo dicendum, quod hoc sacramentum consistit in ipsa unctione, sicut Baptismus in ablutione; et materia hujus sacramenti est oleum sanctificatum. Potest autem triplex ratio assignari, quare exigitur materiae sanctificatio in hoc sacramento, et in quibusdam aliis. Prima est, quia omnis efficacia sacramentorum a Christo descendit; et ideo sacramenta illa quibus ipse est usus, habent efficaciam ex usu, sicut tactu suae carnis vim regenerativam contulit aquis. Sed hoc sacramento non est usus, nec aliqua corporali unctione; et ideo in omnibus unctionibus requiritur sanctificatio materiae. Secunda causa est propter plenitudinem gratiae, quae confertur non solum ut culpam tollat, sed etiam reliquias et infirmitatem corporis. Tertia est ex hoc quod effectus ejus corporalis, scilicet sanatio corporalis, non causatur ex materiae naturali proprietate; et ideo oportet quod haec efficacia sibi per sanctificationem detur.

Certains disent que l’huile simple est la matière de ce sacrement et que le sacrement est accompli par la sanctification de l’huile qui est faite par l’évêque. Mais il est clair que cela est faux d’après ce qui a été dit à propos de l’eucharistie, où on a montré que seul ce sacrement consiste dans la consécration de la matière. C’est pourquoi il faut dire que ce sacrement consiste dans l’onction elle-même, comme le baptême dans l’ablution, et que la matière de ce sacrement est l’huile sanctifiée. Trois raisons peuvent être données de la nécessité de la sanctification de la matière dans ce sacrement et dans certains autres. La première est que toute l’efficacité des sacrements provient du Christ ; c’est pourquoi les sacrements dont il a lui-même fait usage tiennent leur efficacité de l’usage, comme il a apporté à l’eau une puissance régénératrice par le contact de sa chair. Mais il n’a pas fait usage du [sacrement de l’extrême-onction] ni d’une onction corporelle. C’est pourquoi la sanctification de la matière est requise pour toutes les onctions. La deuxième raison est la pénitude de la grâce, qui est conférée non seulement pour enlever la faute, mais aussi les restes [de la faute] et la maladie du corps. La troisième vient de ce que son effet corporel, la guérison corporelle, n’est pas causée par une propriété naturelle de la matière ; c’est pourquoi il est nécessaire que cette efficacité lui soit donnée par une sanctification.

[18679] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod prima sanctificatio est materiae secundum se; sed secunda magis pertinet ad usum ipsius, secundum quod est actu conferens effectum suum; et ideo neutra superfluit: quia etiam instrumenta efficaciam accipiunt ab artifice et dum fiunt, et dum ad actum applicantur.

1. La première sanctification est celle de la matière en elle-même, mais la deuxième relève plutôt de son usage, selon qu’elle confère son effet par un acte. Aucune de deux n’est donc superflue, car les instruments aussi reçoivent leur efficacité de l’artisan, lorsqu’ils sont mis en oeuvre, et lorsqu’ils sont appliqués à un acte.

[18680] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa efficacia quae est ex institutione sacramenti, applicatur huic materiae per sanctificationem.

2. L’efficacité qui vient de l’institution d’un sacrement est appliquée à cette matière par la sanctification.

[18681] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La réponse au troisième argument est claire d’après ce qui a été dit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18682] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod minister sacramenti non propria virtute effectum sacramenti inducit ut principale agens, sed per efficaciam sacramenti quod dispensat: quae quidem efficacia primo est a Christo, et ab ipso in alios descendit ordinate; scilicet in populum mediantibus ministris qui sacramenta dispensant, et in ministros inferiores mediantibus superioribus qui materiam sanctificant; et ideo in omnibus sacramentis quae indigent materia sanctificata, prima sanctificatio materiae fit per episcopum, et usus quandoque per sacerdotem, ut ostendatur sacerdotalis potestas ab episcopali derivata, secundum illud Psalm. 132, 2: sicut unguentum in capite, quod prius descendit in barbam, deinde usque ad oram vestimenti.

Le ministre d’un sacrement ne réalise pas l’effet du sacrement par sa propre puissance, comme s’il était l’agent principal, mais par l’efficacité du sacrement qu’il dispense. Cette efficacité vient en premier lieu du Christ et elle descend vers les autres de manière ordonnée : vers le peuple par l’intermédiaire des ministres qui dispensent les sacrements, et vers les ministres inférieurs par l’intermédiaire des [ministres] supérieurs qui sanctifient la matière. C’est pourquoi, dans tous les sacrements qui ont besoin d’une matière sanctifiée, la première sanctification de la matière est faite par l’évêque et son usage parfois par un prêtre, afin de montrer que le pouvoir sacerdotal est dérivé du [pouvoir] épiscopal, selon ce que dit le Ps 132, 2 : Comme une huile sur la tête, qui descend d’abord sur la barbe, et ensuite jusqu’au bord du vêtement.

[18683] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramentum Eucharistiae consistit in ipsa materiae sanctificatione, non autem in usu; et ideo, proprie loquendo, illud quod est materia sacramenti non est quid consecratum; unde non praeexigitur aliqua sanctificatio circa materiam per episcopum facta; sed exigitur sanctificatio altaris, et hujusmodi, et etiam ipsius sacerdotis, quae non nisi per episcopum fieri potest. Unde in illo etiam sacramento ostenditur potestas sacerdotalis ab episcopo derivata, ut Dionysius dicit; ideo autem illam consecrationem materiae potest facere sacerdos quae est in se sacramentum, et non illam quae ut sacramentale quoddam ordinatur ad sacramentum quod consistit in usu fidelium, quia quantum ad corpus Christi verum nullus ordo est supra sacerdotium; sed quantum ad corpus Christi mysticum episcopalis ordo est supra sacerdotalem, ut in sequenti dist. dicetur.

1. Le sacrement de l’eucharistie consiste dans la sanctification même de la matière, et non dans son usage. C’est pourquoi, à proprement parler, ce qui est la matière du sacrement n’est pas quelque chose de consacré. Une sanctification de la matière faite par l’évêque n’est donc pas nécessaire au préalable ; mais la sanctification de l’autel et des choses de ce genre est exigée, et même celle du prêtre, qui ne peuvent être faites que par l’évêque. Aussi est-il montré dans ce sacrement que le pouvoir sacerdotal vient de l’évêque, comme le dit Denys. C’est pourquoi le prêtre peut faire la consécration de la matière qui est en elle-même un sacrement, et non celle qui est ordonnée comme un sacramental à un sacrement qui consiste dans l’usage par les fidèles, car, pour ce qui est du corps véritable du Christ, aucun ordre n’est supérieur à celui des prêtres, mais, pour ce qui est du corps mystique du Christ, l’ordre épiscopal est supérieur à [l’ordre] sacerdotal, comme on le dira dans la prochaine distinction.

[18684] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod materia sacramenti non est talis materia ut in qua fiat aliquid per eum qui ea utitur, sicut est in artibus mechanicis; sed ut cujus virtute aliquid fiat; et sic participat aliquid de ratione causae agentis, inquantum est instrumentum quoddam divinae operationis, ut supra dist. 1, qu. 1, art. 4, quaestiunc. 1, dictum est: et ideo oportet quod a superiori arte vel potestate talis virtus materiae acquiratur: quia in causis agentibus quanto aliquod agens est prius, tanto perfectius: in causis autem pure materialibus, quanto materia est prior, tanto imperfectior.

2. La matière du sacrement n’est pas une matière où quelque chose est réalisé par celui en fait usage, comme c’est le cas pour les arts mécaniques ; mais c’est en vertu d’elle que  quelque chose est réalisé. Elle participe ainsi en quelque manière au caractère d’une cause agente, pour autant qu’elle est un instrument de l’action divine, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 4, qa 1. C’est pourquoi il est nécessaire qu’une telle puissance de la matière soit reçue d’un art ou d’une puissance supérieure, car, pour les causes agentes, plus un agent vient en premier, plus il est parfait, mais, pour les causes purement matérielles, plus la matière vient en premier, plus elle est imparfaite.

 

 

Articulus 4 [18685] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 tit. Utrum hoc sacramentum habeat aliquam formam

Article 4 – Ce sacrement a-t-il une forme ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce sacrement a-t-il une forme ?]

[18686] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod hoc sacramentum non habeat aliquam formam. Cum enim efficacia sacramentorum sit ab institutione, et item a forma; oportet quod forma tradatur ab ipso qui sacramentum instituit. Sed forma hujus sacramenti non invenitur tradita neque a Christo neque ab apostolis. Ergo sacramentum non habet aliquam formam.

1. Il semble que ce sacrement n’ait pas de forme. En effet, puisque l’efficacité des sacrements vient de leur institution et aussi de leur forme, il est nécessaire que la forme soit transmise par celui qui a institué le sacrement. Or, on ne trouve pas que la forme de ce sacrement ait été transmise ni par le Christ ni par les apôtres. Ce sacrement n’a donc pas de forme.

[18687] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quae sunt de necessitate sacramenti, observantur eodem modo apud omnes. Sed nihil est magis de necessitate sacramenti habentis formam quam ipsa forma. Ergo cum non sit aliqua forma communiter observata ab omnibus in hoc sacramento, quia diversis verbis utuntur; videtur quod hoc sacramentum non habeat aliquam formam.

2. Ce qui est nécessaire au sacrement est observé de la même manière par tous. Or, rien n’est plus nécessaire à un sacrement qui possède une forme que la forme elle-même. Comme il n’y a pas de forme communément observée par tous pour ce sacrement, puisqu’on emploie des paroles différentes, il semble donc que ce sacrement n’a pas de forme.

[18688] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in Baptismo non requiritur forma nisi ad sanctificationem materiae, quia est aqua verbo vitae diluendis criminibus sanctificata, ut supra dictum est. Sed hoc sacramentum habet materiam prius sanctificatam. Ergo non indiget aliqua forma verborum.

3. Dans le baptême, une forme n’est nécessaire que pour la sanctification de la matière, car l’eau est sanctifiée par la parole de vie afin de laver les fautes, comme on l’a dit plus haut. Or, le sacrement [de l’extrême-onction] possède une matière sanctifiée au préalable. Il n’a donc pas besoin d’une forme en paroles.

[18689] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Magister supra dixit, dist. 1, quod omne sacramentum novae legis consistit in rebus et in verbis. Verba autem sunt forma sacramenti. Ergo cum hoc sit sacramentum novae legis, videtur quod habeat formam.

Cependant, [1] ce qu’a dit le Maître plus haut, d. 1, va en sens contraire : tout sacrement de la loi nouvelle consiste dans des choses et des paroles. Or, les paroles sont la forme d’un sacrement. Puisque le sacrement [de l’extrême-onction] est un sacrement de la loi nouvelle, il semble donc qu’il ait une forme.

[18690] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad hoc est ritus universalis Ecclesiae, quae quibusdam verbis utitur in collatione hujus sacramenti.

[2] Le rite universel de l’Église, qui emploie des paroles pour conférer ce sacrement, va dans ce sens.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La forme de ce sacrement doit-elle être exprimée sous forme indicative, et non sous forme de prière ?]

[18691] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod forma hujus sacramenti debeat proferri per orationem indicativam, et non per deprecativam. Quia omnia sacramenta novae legis habent certum effectum. Sed certitudo effectus non exprimitur in formis sacramentorum nisi per orationem indicativam, ut cum dicitur: hoc est corpus meum; vel, ego baptizo te. Ergo debet esse forma hujus sacramenti oratio indicativa.

1. Il semble que la forme de ce sacrement doive être exprimée sous une forme indicative, et non sous forme de prière, car tous les sacrements de la loi nouvelle possèdent un effet déterminé. Or, la certitude de l’effet n’est exprimée dans les formes des sacrements que sous la forme indicative, comme lorsqu’on dit : « Ceci est mon corps », ou : « Je te baptise. » La forme de ce sacrement doit donc être à l’indicatif.

[18692] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in formis sacramentorum oportet exprimi intentio ministri, quae requiritur ad sacramentum. Sed intentio conferendi sacramentum non exprimitur nisi per orationem indicativam. Ergo et cetera.

2. Dans les formes des sacrements, il faut que soit exprimée l’intention du ministre, qui est nécessaire au sacrement. Or, l’intention de conférer un sacrement n’est exprimée que par l’indicatif. Donc,etc.

[18693] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in quibusdam Ecclesiis dicuntur hujusmodi verba in collatione hujus sacramenti: ungo hos oculos oleo sanctificato in nomine patris etc., et hoc est conforme aliis formis sacramentorum. Ergo videtur quod in hoc consistat forma hujus sacramenti.

3. Dans certaines églises, les paroles suivantes sont dites lors de la collation de ce sacrement: «J’oins ces yeux de l’huile sanctifiée au nom du Père, etc. », et cela est conforme aux autres formes des sacrements. Il semble donc que la forme de ce sacrement consiste en cela.

[18694] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod est forma sacramenti, ab omnibus oportet quod servetur. Sed verba praedicta non dicuntur secundum consuetudinem omnium Ecclesiarum, sed tantum verba deprecativa, scilicet: per istam unctionem et suam piissimam misericordiam indulgeat tibi dominus quidquid deliquisti per visum et cetera. Ergo forma hujus sacramenti est oratio deprecativa.

Cependant, [1] ce qui est la forme d’un sacrement doit être observé par tous. Or, les paroles rappelés ne sont pas dites selon la coutume de toutes les églises, mais seulement les paroles de la prière : « Que par cette onction et par sa très sainte miséricorde, le Seigneur te pardonne tout ce qui tu as fait de mal par la vue, etc. » La forme de ce sacrement est donc la prière.

[18695] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur ex verbis Jacobi, qui attribuit efficaciam hujus sacramenti orationi. Oratio, inquit, fidei sanabit infirmum. Ergo cum efficacia sacramenti sit ex forma, videtur quod forma hujus sacramenti sit praedicta oratio.

[2] Tel semble être le cas selon les paroles de Jacques, qui attribue l’efficacité de ce sacrement à la prière : La prière de la foi guérira le malade. Puisque l’efficacité d’un sacrement vient de sa forme, il semble donc que la forme de ce sacrement soit la prière rappelée plus haut.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La prière rappelée est-elle une forme adéquate pour ce sacrement ?]

[18696] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praedicta oratio non sit competens forma hujus sacramenti. Quia in formis aliorum sacramentorum fit mentio de materia (sicut patet in confirmatione), quae non fit in verbis praedictis. Ergo non est conveniens forma.

1. Il semble que la prière rappelée ne soit pas  une forme adéquate pour ce sacrement, car, dans les formes des autres sacrements, il est fait mention de la matière (comme cela est clair pour la confirmation), [mention] qui n’est pas faite dans les paroles rappelées plus haut. Ce n’est donc pas une forme adéquate.

[18697] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut effectus hujus sacramenti provenit in nos per misericordiam divinam, ita et aliorum sacramentorum. Sed in forma aliorum sacramentorum non fit mentio de misericordia divina, sed magis de Trinitate et de passione. Ergo similiter debet hic esse.

2. De même que l’effet de ce sacrement nous vient par la miséricorde divine, de même celui des autres sacrements. Or, dans la forme des autres sacrements, il n’est pas fait mention de la miséricorde divine, mais plutôt de la Trinité et de la passion. Il doit donc en être de même ici.

[18698] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, duplex effectus hujus sacramenti in littera ponitur. Sed in verbis praedictis non fit mentio nisi de uno, scilicet remissione peccatorum; non autem de corporali sanatione, ad quam Jacobus ordinat orationem fidei, dicens: oratio fidei sanabit infirmum. Ergo forma praedicta est incompetens.

3. Le texte indique deux effets de ce sacrement. Or, dans les paroles rappelées, il n’est fait mention que d’un seul : la rémission des péchés, mais non de la guérison corporelle, à laquelle Jacques ordonne la prière de la foi, en disant : La prière de la foi guérira le malade. La forme rappelée n’est donc pas adéquate.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18699] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quidam dixerunt quod nulla forma est de necessitate hujus sacramenti. Sed hoc videtur derogare effectui hujus sacramenti: quia omne sacramentum efficit signando: signatio autem materiae non determinatur ad effectum determinatum, cum ad multa se possit habere, nisi per formam verborum; et ideo in omnibus sacramentis novae legis, quae efficiunt quod figurant, oportet esse et res et verba, ut supra, distinct. 1, Magister dixit. Et praeterea Jacobus totam vim hujus sacramenti videtur constituere in oratione, quae est forma hujus sacramenti, ut dicetur; et ideo praedicta opinio praesumptuosa videtur et erronea. Et propter hoc dicendum, sicut communiter dicitur, quod habet formam determinatam, sicut et alia sacramenta.

Certains ont dit qu’aucune forme n’est nécessaire pour ce sacrement. Or, cela semble s’opposer à l’effet de ce sacrement, car tout sacrememnt réalise en signifiant. Or, la signification de la matière n’est déterminée à un effet déterminé, puisqu’elle peut porter sur plusieurs choses, que par la forme des paroles. C’est pourquoi, dans tous les sacrements de la loi nouvelle, qui réalisent ce qu’ils représentent, il est nécessaire qu’il y ait des choses et des paroles, comme le Maître l’a dit plus haut, d. 1. De plus, Jacques semble avoir mis toute le puissance de ce sacrement dans la prière, qui est la forme de ce sacrement, comme on le dira. C’est pourquoi l’opinion précédente semble présomptueuse et erronée. Pour cette raison, il faut dire, comme on le dit communément, que [ce sacrement] a une forme déterminée, comme les autres sacrements.

[18700] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacra Scriptura omnibus communiter proponitur; et ideo forma Baptismi, quia ab omnibus dari potest, debet in sacra Scriptura exprimi; et similiter forma Eucharistiae, quae exprimit fidem illius sacramenti, quae est de necessitate salutis. Sed formae aliorum sacramentorum non inveniuntur in Scriptura traditae: sed Ecclesia ex traditione apostolorum habet, qui a domino acceperunt, ut dicit apostolus, 1 Corinth. 11, 23: ego enim accepi a domino quod et tradidi vobis.

1. La Sainte Écriture est proposée à tous d’une manière commune. C’est pourquoi la forme du baptême, qui peut être donné par tous, doit être exprimée dans la Sainte Écriture ; de même en est-il pour la forme de l’eucharisitie, qui exprime la foi en ce sacrement qui est nécessaire au salut. Or, les formes des autres sacrements ne se trouvent pas dans l’Écriture qui [nous] a été transmise, mais l’Église les tient de la tradition des apôtres, qui les ont reçues du Seigneur, comme l’Apôtre le dit, 1 Co 11, 23 : En effet, j’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis.

[18701] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa verba quae sunt de essentia formae, scilicet oratio deprecativa, ab omnibus dicuntur; sed alia quae sunt de bene esse, non observantur ab omnibus.

2. Les paroles qui font partie de l’essence de la forme, la prière, sont dites par tous ; mais les autres qui font partie du bon état [de la forme] ne sont pas dites par tous.

[18702] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod materia Baptismi habet quamdam sanctificationem per se ex ipso tactu carnis salvatoris; sed ex forma verborum accipit sanctificationem actu sanctificantem; et similiter post sanctificationem materiae hujus sacramenti secundum se, requiritur sanctificatio in usu, per quam actu sanctificet.

3. La matière du baptême possède une sanctification en elle-même du fait du contact avec la chair du Sauveur ; mais elle reçoit de la forme des paroles une sanstification qui sanctifie en acte ; de même, après la sanctification de la matière de ce sacrement en elle-même, une sanctification est-elle requise dans l’usage, [sanctification] par laquelle elle sanctifie en acte.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18703] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod forma hujus sacramenti est oratio deprecativa, ut patet per verba Jacobi, et ex usu Romanae Ecclesiae, quae solum verbis deprecativis utitur in collatione hujus sacramenti; cujus ratio multiplex assignatur. Primo, quia suscipiens sacramentum hoc, est viribus propriis destitutus, unde indiget orationibus sublevari. Secundo, quia datur exeuntibus, qui jam desinunt de foro Ecclesiae esse, et in solius Dei manu requiescunt; unde et ei per orationem committuntur. Tertio, quia hoc sacramentum non habet aliquem effectum qui semper ex operatione ministri consequatur, omnibus quae sunt de essentia sacramenti, rite peractis, sicut character in Baptismo et confirmatione, et transubstantiatio in Eucharistia, et remissio peccati in poenitentia existente contritione, quae est de essentia sacramenti poenitentiae, non autem de essentia hujus sacramenti; et ideo in hoc sacramento non potest esse forma indicativi modi sicut in praedictis sacramentis.

La forme de ce sacrement est une prière de supplication, comme cela ressort des paroles de Jacques et de l’usage de l’Église romaine, qui n’utilise que des paroles de supplication dans la dispensation de ce sacrement. Les raisons en sont nombreuses. Premièrement, celui qui reçoit ce sacrement est dépourvu de forces propres : il a donc besoin d’être secouru par des prières. Deuxièmement, [ce sacrement] est donné à ceux qui partent, qui déjà cessent de relever du for de l’Église et reposent dans la seule main de Dieu : ils lui sont donc remis par la prière. Troisièmement, ce sacrement n’a pas un effet qui découle toujours de l’action du ministre, pourvu qu’il ait accompli correctement ce qui fait partie de l’essence du sacrement, comme c’est le cas pour le caractère dans le baptême et la confirmation, pour la transsubstantiation dans l’eucharistie et la rémission du péché dans la pénitence, lorsque la contrition existe, qui fait partie de l’essence du sacrement de pénitence, mais non de l’essence du sacrement [de l’extrême-onction]. C’est pourquoi, dans ce sacrement, il ne peut y avoir de forme à l’indicatif, comme dans les sacrements qui ont été rappelés plus haut.

[18704] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc sacramentum, sicut et praedicta, quantum est de se, habet certitudinem; sed potest impediri ex fictione recipientis (etiam si se sacramento subjiciat per intentionem) quod nullum effectum consequatur; et propter hoc non est simile de hoc, et de aliis sacramentis, in quibus semper aliquis effectus consequitur.

1. En lui-même, ce sacrement, comme ceux qui ont été rappelés, comportent un effet certain ; mais il peut être empêché d’obtenir un effet en raison de la feinte de celui qui le reçoit (même s’il se soumet intentionnellement au sacrement). Pour cette raison, il n’en va pas de même de ce sacrement et des autres sacrements, par lesquels on obtient toujours un effet.

[18705] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per ipsum actum qui ponitur in forma, scilicet: per istam sanctam unctionem, satis exprimitur intentio.

2. Par l’acte même qui est posé dans la forme, à savoir : « Par cette onction », l’intention est suffisamment exprimée.

[18706] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verba illa indicativi modi, quae secundum morem quorumdam praemittuntur orationi, non sunt forma hujus sacramenti; sed sunt quaedam dispositio ad formam, inquantum intentio ministri determinatur ad actum illum per illa verba.

3. Les paroles sous le mode indicatif, qui sont dites avant la prière selon la coutume de certains, ne sont pas la forme de ce sacrement, mais elles sont une certaine disposition à la forme, dans la mesure où l’intention du ministre est déterminée à cet acte par ces paroles.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18707] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod praedicta oratio est competens forma hujus sacramenti: quia tangit sacramentum in hoc quod dicitur: per istam unctionem; et illud quod operatur in sacramento, scilicet divinam misericordiam; et effectum, scilicet remissionem peccatorum.

La prière mentionnée est la forme adéquate de ce sacrement, car elle aborde le sacrement lorsqu’on dit : « Par cette onction » ; et ce qui réalisé dans le sacrement, la miséricorde divine et l’effet [du sacrement], la rémission des péchés.

[18708] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materia hujus sacramenti potest intelligi per actum unctionis: non autem materia confirmationis per actum in forma expressum; et ideo non est simile.

1. On peut comprendre la matière de ce sacrement par l’acte de l’onction, mais non la matière de la confirmation par l’acte exprimé par sa forme. Ce n’est donc pas la même chose.

[18709] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod misericordia respicit miseriam, quia hoc sacramentum datur in statu miseriae, scilicet infirmitatis; ideo potius hic quam in aliis fit de misericordia mentio.

2. La miséricorde est en rapport avec la misère, car ce sacrement est donné dans un état de misère, celui de la maladie. C’est pourquoi il est fait mention de la miséricorde ici plutôt que dans les autres.

[18710] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in forma debet exprimi effectus principalis, et qui semper inducitur ex sacramento, nisi sit defectus ex parte recipientis. Non autem talis effectus est corporalis sanitas, ut ex dictis patet, quamvis quandoque sequatur: ratione cujus Jacobus hunc effectum attribuit orationi, quae est forma hujus sacramenti.

3. L’effet principal et celui qui est toujours entraîné par le sacrement, à moins qu’il y ait une carence du côté de celui qui le reçoit,  doit être exprimé par la forme. Or, la santé corporelle n’est pas un tel effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, bien qu’elle en découle parfois. C’est la raison pour laquelle Jacques attribue cet effet à la prière, qui est la forme de ce sacrement.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’administration de l’extrême-onction]

 

 

Prooemium

Prologue

[18711] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 pr. Deinde quaeritur de administratione hujus sacramenti; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 quis sit minister hujus sacramenti; 2 cui debeat conferri; 3 in qua parte; 4 utrum debeat iterari.

On s’interroge ensuite sur l’administration de ce sacrement. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Quel est le ministre de ce sacrement ? 2 – À qui doit-il être donné ? 3 – Sur quel membre ? 4 – Doit-il être répété ?

 

 

Articulus 1 [18712] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 tit. Utrum laicus possit hoc sacramentum conferre

Article 1 – Un laïc peut-il conférer ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un laïc peut-il conférer ce sacrement ?]

[18713] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod etiam laicus possit hoc sacramentum conferre. Quia hoc sacramentum habet efficaciam ex oratione, ut Jacobus dicit. Sed oratio laici quandoque est aeque Deo accepta sicut sacerdotis. Ergo potest hoc sacramentum conferre.

1. Il semble qu’un laïc puisse conférer ce sacrement, car ce sacrement tire son efficacité de la prière, comme le dit Jacques. Or, la prière d’un laïc est parfois agréée de Dieu à l’égal de celle d’un prêtre. Il peut donc conférer ce sacrement.

[18714] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, de quibusdam patribus in Aegypto legitur, quod oleum ad infirmos transmittebant et sanabantur; et similiter dicitur de beata Genovefa quod oleo infirmos ungebat. Ergo hoc sacramentum potest conferri etiam a laicis.

2. À propos de certains pères en Égypte, on lit qu’ils portaient de l’huile à des malades et que ceux-ci étaient guéris. On dit aussi, à propos de la bienheureuse Geneviève, qu’elle oignait les malades avec de l’huile. Ce sacrement peut donc aussi être conféré par des laïcs.

[18715] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quia in hoc sacramento fit remissio peccatorum. Sed laici non habent potestatem dimittendi peccata. Ergo et cetera.

Cependant, la rémission des péchés est accomplie par ce sacrement. Or, les laïcs n’ont pas le pouvoir de remettre les péchés. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2[Les diacres peuvent-ils conférer ce sacrement ?]

[18716] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diaconi possint hoc sacramentum conferre. Quia, secundum Dionysium, diaconi habent virtutem purgativam. Sed hoc sacramentum est institutum ad purgandum tantum ab infirmitate mentis et corporis. Ergo diaconi possunt conferre.

1. Il semble que les diacres puissent donner ce sacrement, car, selon Denys, les diacres possèdent une puissance purificatrice. Or, ce sacrement a été institué pour purifier seulement de la maladie de l’esprit et du corps. Les diacres peuvent donc [le] conférer.

[18717] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, dignius sacramentum est Baptismus quam hoc de quo agimus. Sed diaconi possunt baptizare, ut patet de beato Laurentio. Ergo et possunt hoc sacramentum conferre.

2. Le baptême est plus digne que [le sacrement] dont nous parlons. Or, les diacres peuvent baptiser, comme cela ressort du cas du bienheureux Laurent. Ils peuvent donc conférer ce sacrement.

[18718] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Jac. 5, 14: inducat presbyteros Ecclesiae.

Cependant, ce qui est dit en Jc 5, 14 va en sens contraire : Qu’on fasse venir les prêtres de l’Église.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [L’évêque seul peut-il conférer ce sacrement ?]

[18719] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod solus episcopus possit hoc sacramentum conferre. Quia hoc sacramentum unctione perficitur, sicut et confirmatio. Sed solus episcopus potest confirmare. Ergo solus potest hoc sacramentum conferre.

1. Il semble que seul l’évêque puisse conférer ce sacrement, car ce sacrement est accompli par une onction, comme la confirmation. Or, seul l’évêque peut confirmer. Seul il peut donc conférer ce sacrement.

[18720] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, qui non potest quod est minus, non potest quod est majus. Sed majus est usus materiae sanctificatae quam sanctificatio ejus, quia est finis ipsius. Ergo cum sacerdos non possit sanctificare materiam, nec potest materia sanctificata uti.

2. Qui ne peut moins ne peut plus. Or, l’usage d’une matière sanctifiée est plus que sa sanctification, car elle en est la fin. Puisque le prêtre ne peut sanctifier la matière, il ne peut donc faire usage de la matière sanctifiée.

[18721] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, hujus sacramenti minister inducendus est ad eum qui suscipit sacramentum, ut patet Jacob. 5. Sed episcopus non posset accedere ad omnes infirmos suae dioecesis. Ergo non solus episcopus potest hoc sacramentum conferre.

Cependant, le ministre de ce sacrement doit être amené à celui qui reçoit ce sacrement, comme cela ressort de Jc 5. Or, l’évêque ne pourrait pas venir auprès de tous les malades de son diocèse. Ce n’est donc pas seulement l’évêque qui peut conférer ce sacrement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18722] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum Dionysium in Eccles. Hierar., sunt quidam exercentes actiones hierarchicas, et quidam recipientes tantum, qui sunt laici; et ideo nullius sacramenti dispensatio laico ex officio competit; sed quod baptizare possunt in casu necessitatis, est divina dispensatione factum, ut nulli regenerationis spiritualis facultas desit.

Selon Denys, dans la Hiérarchie ecclésiastique, il en est qui exercent les actions hiérarchiques et d’autres qui les reçoivent seulement, tels les laïcs. C’est pourquoi la dispensation d’aucun sacrement ne relève d’un laïc en vertu d’une fonction. Mais, qu’ils puissent baptiser en cas de nécessité, cela est le fait d’une dispensation divine, afin que la possibilité d’une régénération spirituelle ne fasse défaut à personne.

[18723] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oratio illa non fit a sacerdote in persona sua: quia cum sit quandoque peccator, non esset exaudibilis: sed fit in persona totius Ecclesiae, in cujus persona orare potest quasi persona publica; non autem laicus, qui est persona privata.

1. Cette prière n’est pas faite par le prêtre en son nom propre, car, puisqu’il est parfois un pécheur, elle ne serait pas entendue ; mais elle est faite au nom de toute l’Église, au nom de qui il peut prier comme une personnage public ; mais ce n’est pas le cas d’un laïc, qui est une personne privée.

[18724] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illae unctiones non erant sacramentales, sed ex quadam devotione recipientium talem unctionem, et meritis ungentium vel oleum mittentium consequebatur effectus sanitatis corporalis per gratiam sanitatum, non per gratiam sacramentalem.

2. Ces onctions n’étaient pas sacramentelles, mais, en vertu de la dévotion de ceux qui recevaient une telle onction et des mérites de ceux qui donnaient l’onction ou de ceux qui envoyaient l’huile, elle obtenait l’effet de la santé corporelle par la grâce des santés, et non par la grâce sacramentelle,.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18725] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod diaconus habet vim purgativam tantum, non autem illuminativam; unde cum illuminatio sit per gratiam, nullum sacramentum in quo gratia conferatur, potest diaconus ex officio dare; et ideo nec hoc, cum in eo gratia conferatur.

La diacre n’a qu’une puissance purificatrice, et non illuminatrice. Puisque l’illumination ne vient que de la grâce, le diacre ne peut donc donner en vertu de sa fonction aucun sacrement dans lequel la grâce est donnée. Par conséquent, il ne peut pas donner non plus celui-ci, puisque la grâce est conférée par lui.

[18726] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc sacramentum illuminando per collationem gratiae purgat: et ideo diaconis ejus non competit collatio.

1. Ce sacrement purifie en illuminant par le don de la grâce. C’est pourquoi il ne relève pas du diacre de le conférer.

[18727] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc sacramentum non est necessitatis sacramentum, sicut Baptismus; unde non ita committitur dispensatio ejus omnibus in articulo necessitatis, sed solum illis quibus ex officio competit; diaconis autem etiam baptizare non competit ex officio.

2. Ce sacrement n’est pas un sacrement nécessaire comme le baptême. Aussi sa dispensation n’a-t-elle pas été confiée à tous en cas de nécessité, mais seulement à ceux de qui il relève en vertu de leur fonction. Or, il ne relève même pas des diacres de baptiser en vertu de leur fonction.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18728] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum Dionysium, episcopus proprie habet perficiendi officium, sicut sacerdos illuminandi; unde illa sacramenta dispensanda solis episcopis reservantur quae suscipientem in aliquo statu perfectionis super alios ponunt: hoc autem non est in hoc sacramento, cum omnibus detur; et ideo per simplices sacerdotes potest administrari.

Selon Denys, l’évêque possède en propre la fonction de perfectionner, comme le prêtre celle d’illuminer. Il est donc réservé aux seuls évêques de dispenser les sacrements qui placent celui qui le reçoit au-dessus des autres dans un état de perfection. Or, ce n’est pas le cas du sacrement [de l’extrême-onction], puisqu’il est donné à tous. C’est pourquoi il peut être adminitré par les simples prêtres.

[18729] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod confirmatio imprimit characterem, quo collocatur homo in statu perfectionis, ut supra, dist. 7, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 1, dictum est; non autem hoc est in hoc sacramento; et ideo non est simile.

1. La confirmation imprime un caractère par lequel l’homme est placé dans un état de perfection, comme on l’a dit plus haut, d 7, q.  2, a. 1, qa 1 ; mais ce n’est pas le cas pour le sacrement [de l’extrême-onction]. Ce n’est donc pas de la même chose.

[18730] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in genere causae finalis usus materiae sanctificatae sit potior quam sanctificatio materiae; tamen in genere causae efficientis sanctificatio materiae est potior, quia ab eodem pendet usus sicut ab activa causa; et ideo sanctificatio requirit altiorem virtutem activam quam usus.

2. Bien que, dans le genre de la cause finale, l’usage de la matière sanctifiée soit plus important que la sanctification de la matière, dans le genre de la cause efficiente, la sanctification de la matière est cependant plus importante, car l’usage dépend du même comme d’une cause active. C’est pourquoi la sanctification requiert une puissance active plus élevée que l’usage.

 

 

Articulus 2 [18731] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 tit. Utrum etiam sanis debeat conferri hoc sacramentum

Article 2 – Ce sacrement doit-il être conféré à ceux qui sont en santé ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce sacrement doit-il être conféré à ceux qui sont en santé ?]

[18732] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod etiam sanis debeat conferri hoc sacramentum. Quia principalior effectus hujus sacramenti est sanatio mentis quam sanatio corporis, ut dictum est. Sed etiam sani corpore indigent sanatione mentis. Ergo eis debet hoc sacramentum conferri.

1. Il semble que ce sacrement doive être conféré à ceux qui sont en santé, car son effet principal est la guérison de l’esprit davantage que la guérison du corps, comme on l’a dit. Or, même ceux dont le corps est en santé ont besoin d’une guérison de l’esprit. Ce sacrement doit donc leur être conféré.

[18733] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum est exeuntium sicut Baptismus intrantium. Sed omnibus intrantibus Baptismus datur. Ergo omnibus exeuntibus debet dari hoc sacramentum. Sed quandoque illi qui sunt in propinquo exitus, sunt sani, sicut illi qui decapitandi sunt. Ergo talibus debet hoc sacramentum dari.

2. Ce sacrement est celui de ceux qui partent comme le baptême est celui de ceux qui entrent. Or, le baptême est donné à tous ceux qui entrent. Ce sacrement doit donc être donné à toux ceux qui partent. Or, parfois, ceux qui sont proches de la sortie sont en santé, comme ceux qui doivent être décapités. Ce sacrement doit donc leur être donné.

[18734] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Jacob. 5, 14: infirmatur quis in vobis et cetera. Ergo solis infirmis competit.

Cependant, Jc 5, 14 dit le contraire: Si quelqu’un parmi vous est malade, etc. Il ne concerne donc que les malades.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce sacrement doit-il être donné pour n’importe quelle maladie ?]

[18735] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in qualibet infirmitate hoc sacramentum dari debeat. Quia Jacob. 5 ubi hoc sacramentum traditur, nulla infirmitas determinatur. Ergo in omnibus infirmitatibus debet hoc sacramentum conferri.

1. Il semble que ce sacrement doive être donné pour n’importe quelle maladie, car Jc 5, où ce sacrement est transmis, ne précise aucune maladie. Donc, ce sacrement doit être donné pour toutes les maladies.

[18736] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quanto remedium est dignius, tanto debet esse generalius. Sed hoc sacramentum est dignius quam medicina corporalis. Cum ergo medicina corporalis omnibus infirmis detur, videtur quod etiam hoc sacramentum.

2. Plus le remède est digne, plus il doit être généralisé. Or, ce sacrement est plus digne qu’un remède corporel. Puisque le remède corporel est donné à tous les malades, il semble donc que ce sacrement aussi doive l’être.

[18737] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum dicitur ab omnibus extremae unctionis. Sed non omnis infirmitas ad extremum vitae perducit, cum quaedam infirmitates sint causae longioris vitae, ut dicit philosophus. Ergo non omnibus infirmantibus debet hoc sacramentum dari.

Cependant, ce sacrement est appelé par tous l’extrême-onction. Or, toute maladie ne conduit à une fin de vie, puisque certaines maladies sont les causes d’une vie plus longue, comme le dit le Philosophe. Ce sacrement ne doit donc pas être donné à tous ceux qui sont malades.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 [Ce sacrement doit-il être donné aux furieux et aux fous ?]

[18738] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod furiosis et amentibus hoc sacramentum dari debeat. Quia tales aegritudines sunt periculosissimae, et cito ad mortem disponunt. Sed periculo debet adhiberi remedium. Ergo hoc sacramentum, quod est in remedium infirmitatis humanae, debet talibus conferri.

1. Il semble que ce sacrement doive être donné aux furieux et aux fous, car de telles maladies sont très dangereuses et disposent rapidement à la mort. Or, un remède doit être donné en cas de danger. Ce sacrement, qui est un remède pour la maladie humaine, doit donc leur être donné.

[18739] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dignius sacramentum est Baptismus quam istud. Sed Baptismus datur furiosis, ut supra dictum est. Ergo et hoc sacramentum eis debet dari.

2. Le baptême est un sacrement plus digne que celui-ci. Or, le baptême est donné aux furieux, comme on l’a dit plus haut. Ce sacrement doit donc leur être donné.

[18740] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum non est dandum nisi recognoscentibus ipsum. Sed tales non sunt furiosi et amentes. Ergo eis dari non debet.

Cependant, ce sacrement ne doit être donné qu’à ceux qui le reconnaissent. Or, les furieux et les fous ne sont pas de ceux-là. Il ne doit donc pas leur être donné.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 [Ce sacrement doit-il être donné aux enfants ?]

[18741] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod debeat dari pueris. Quia eisdem infirmitatibus quandoque laborant pueri et adulti. Sed eidem morbo debet adhiberi idem remedium. Ergo sicut adultis, ita et pueris debet hoc sacramentum conferri.

1. Il semble que ce sacrement doive être donné aux enfants, car les enfants et les adultes souffrent parfois des mêmes maladies. Or, un même remède doit être donné pour les mêmes maladies. De même qu’aux adultes, ce sacrement doit donc être donné aux enfants.

[18742] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, hoc sacramentum datur ad purgandum reliquias peccati, ut praedictum est, tam originalis quam actualis. Sed in pueris sunt reliquiae originalis peccati. Ergo eis debet hoc sacramentum dari.

2. Ce sacrement est donné pour purifier les restes du péché originel et du péché actuel, comme on l’a dit. Or, chez les enfants, des restes du péché originel existent. Ce sacrement doit donc leur être donné.

[18743] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod nulli debet dari sacramentum cui non competit forma sacramenti. Sed forma hujus sacramenti non competit pueris, qui non peccaverunt per visum et auditum, ut in forma exprimitur. Ergo eis non debet dari hoc sacramentum.

Cependant, un sacrement ne doit être donné à personne à qui la forme du sacrement ne convient pas. Or, la forme de ce sacrement ne convient pas aux enfants, qui n’ont pas péché par la vue et par l’ouïe, comme le dit la formule. Il ne faut donc pas leur donner ce sacrement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18744] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod hoc sacramentum est quaedam spiritualis curatio, ut prius dictum est, quae quidem per quemdam corporalis curationis modum significatur; et ideo illis quibus corporalis curatio non competit, scilicet sanis, non debet sacramentum conferri.

Ce sacrement est un traitement spirituel, comme on l’a dit plus haut, qui est signifé par mode d’un traitement corporel. C’est pourquoi ce sacrement ne doit pas être conféré à ceux à qui ne convient pas un traitement corporel, à savoir, ceux qui sont en santé.

[18745] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis spiritualis sanitas sit principalis effectus hujus sacramenti, tamen oportet quod per curationem corporalem significetur curatio spiritualis, etiam si corporalis sanatio non sequatur; et ideo solum illis hoc sacramento sanitas spiritualis dari potest quibus curatio corporalis competit, scilicet infirmis; sicut ille solus potest Baptismum suscipere qui potest corporalis ablutionis esse particeps; non autem puer in ventre matris existens.

1. Bien que la santé spirituelle soit l’effet principal de ce sacrement, il faut cependant que le traitement spirituel soit signifé par le traitement corporel, même si la guérison corporelle n’en découle pas. C’est pourquoi la santé spirituelle ne peut être donnée par ce sacrement qu’à ceux à qui convient un traitement corporel, les malades, comme celui-là seul peut recevoir le baptême, qui peut participer à une ablution corporelle, et non à un enfant qui se trouve dans le ventre de sa mère.

[18746] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus etiam non est nisi illorum intrantium qui corporali ablutioni subjici possunt; et ideo hoc sacramentum illorum tantum exeuntium est quibus corporalis curatio competit.

2. Le baptême n’est le fait que de ceux qui entrent, qui peuvent être soumis à une ablution corporelle. C’est pourquoi le sacrement [de l’extrême-onction] n’est le fait que de ceux qui partent, à qui convient un traitement corporel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18747] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod hoc sacramentum est ultimum remedium quod Ecclesia potest conferre, quasi immediate disponens ad gloriam; et ideo illis tantum infirmantibus debet exhiberi qui sunt in statu exeuntium, propter hoc quod aegritudo nata est mortem inducere, et de periculo timetur.

Ce sacrement est le dernier remède que l’Église peut donner ; il dispose immédiatement à la gloire. C’est pourquoi il ne doit être donné qu’aux malades qui sont en état de partir, parce que leur maladie est susceptible de mener à la mort et qu’on craint un danger.

[18748] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaelibet infirmitas augmentata potest mortem inducere; et ideo si genera infirmitatum pensantur, in qualibet aegritudine potest dari hoc sacramentum, quia apostolus non determinat infirmitatem aliquam; sed si pensetur infirmitatis modus et status, non semper debet infirmantibus hoc sacramentum dari.

1. Toute maladie qui s’accroît peut entraîner la mort. C’est pourquoi, si l’on évalue les genres de maladies, ce sacrement peut être donné pour toute maladie, car l’apôtre ne précise pas de maladie. Mais si l’on évalue le mode et l’état de la maladie, ce sacrement ne doit pas toujours être donné.

[18749] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod medicina corporalis habet pro principali effectu sanitatem corporalem, qua omnes infirmi in quolibet statu indigent: sed hoc sacramentum habet pro principali effectu illam sospitatem quae exeuntibus et iter ad gloriam agentibus est necessaria; et ideo non est simile.

2. Un remède corporel a comme effet principal la santé corporelle, en raison de laquelle tous les malades sont dans le besoin, quel que soit leur état. Mais ce sacrement a comme effet principal la protection qui est nécessaire à ceux qui partent et sont en route pour la gloire. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18750] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad effectum hujus sacramenti percipiendum plurimum valet devotio suscipientis, et personale meritum conferentium, et generale totius Ecclesiae: quod patet ex hoc quod per modum deprecationis forma hujus sacramenti confertur; et ideo illis qui non possunt recognoscere, et cum devotione suscipere, hoc sacramentum dari non debet; et praecipue furiosis et amentibus, qui possunt irreverentiam sacramento per aliquam immunditiam facere: nisi haberent lucida intervalla, in quibus sacramenta recognoscerent, et sic eis conferri in statu illo possent.

Pour la réception de l’effet de ce sacrement, la dévotion de celui qui le reçoit, le mérite personnel de ceux qui le donnent et le [mérite] général de l’Église ont une très grande valeur. Cela ressort du fait que la forme de ce sacrement est donnée sous forme de prière. C’est pourquoi ce sacrement ne doit pas être donné à ceux qui ne peuvent le reconnaître et le recevoir avec dévotion, surtout aux furieux et aux fous, qui peuvent se monter irrespectueux envers le sacrement par quelque saleté, à moins qu’ils n’aient des intervalles de lucidité pendant lesquels ils reconnaissent les sacrements. Ils pourraient alors leur être conférés dans cet état.

[18751] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in periculo mortis tales quandoque sint, tamen remedium per devotionem propriam non potest eis applicari; et ideo non debet eis conferri.

1. Bien que ceux-là se trouvent parfois en danger de mort, un remède ne peut cependant leur être donné en raison de leur propre dévotiion. C’est pourquoi [ce sacrement] ne peut leur être donné.

[18752] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus non requirit motum liberi arbitrii, quia datur contra originale principaliter, quod non curatur in nobis ex nostro libero arbitrio; sed in hoc sacramento requiritur motus liberi arbitrii; et ideo non est simile. Et praeterea Baptismus est sacramentum necessitatis, non autem extrema unctio.

2. Le baptême ne requiert pas de mouvement du libre arbitre, car il est principalement donné contre le péché originel, qui n’est pas guéri en nous par notre libre arbitre ; mais dans le sacrement [de l’extrême-onction], un mouvement du libre arbitre est nécessaire. Ce n’est donc pas la même chose. De plus, le baptême est un sacrement nécesssaire, mais non l’extrême-onction.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18753] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod hoc sacramentum exigit actualem devotionem in suscipiente, sicut et Eucharistia; unde sicut Eucharistia non debet dari pueris, ita nec hoc sacramentum.

Ce sacrement exige une dévotion actuelle chez celui qui le reçoit, comme l’eucharistie. Aussi, comme l’eucharistie n’est pas donnée aux enfants, le sacrement [de l’extrême-onction] ne leur [est-il pas donné].

[18754] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non datur contra reliquias originalis peccati, nisi secundum quod sunt actualia peccata quodammodo confortatae; unde principaliter contra actualia peccata datur, ut ex ipsa forma patet, quae non sunt in pueris.

1. [Le sacrement de l’extrême-onction] n’est pas donné contre les restes du péché originel, si ce n’est selon qu’ils sont renforcés par  [corr: per] des péchés actuels. Comme cela ressort clairement de la forme, il est donc principalement donné contre les péchés actuels, qui n’existent pas chez les enfants.

[18755] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod infirmitates in pueris non sunt ex peccato actuali causatae, sicut in adultis; et contra illas praecipue infirmitates hoc sacramentum datur quae sunt ex peccato causatae, quasi peccati reliquiae.

2. Chez les enfants, les maladies ne sont pas causées par le péché actuel, comme chez les adultes ; et ce sacrement est principalement donné contre les maladies qui sont causées par le péché, comme s’il s’agissait de restes  du péché.

 

 

Articulus 3 [18756] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 tit. Utrum hoc sacramento totum corpus inungi debeat

Article 3 – Tout le corps doit-il être oint par ce sacrement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tout le corps doit-il être oint par ce sacrement ?]

[18757] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod hoc sacramento totum corpus inungi debeat. Quia, secundum Augustinum, anima tota est in toto corpore. Sed praecipue datur hoc sacramentum ad sanandum animam. Ergo in toto corpore debet inunctio fieri.

1. Il semble que tout le corps doive être oint par ce sacrement, car, selon Augustin, l’âme existe en entier dans le corps. Or, ce sacrement est principalement donné pour guérir l’âme. L’onction doit donc être faite sur tout le corps.

[18758] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ubi est morbus, ibi debet apponi medicina. Sed morbus est universalis in toto corpore, sicut febris. Ergo totum corpus inungi debet.

2. Là où se trouve la maladie, là doit être appliqué le remède. Or, la maladie est universelle dans tout le corps, comme la fièvre. Tout le corps doit donc être oint.

[18759] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in Baptismo totum corpus immergitur. Ergo et hic totum deberet inungi.

3. Dans le baptême, tout le corps est immergé. Il doit donc être ici oint en totalité..

[18760] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est universalis Ecclesiae ritus, secundum quem non inungitur infirmus nisi in determinatis partibus corporis.

Cependant, le rite de l’Église universelle va en sens contraire, selon lequel le malade n’est oint que sur des parties déterminées du corps.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les parties du corps sont-elles déterminées de manière adéquate ?]

[18761] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter determinentur istae partes, ut scilicet infirmans ungatur in oculis, in auribus, in naribus, in labiis, in manibus, et pedibus. Quia sapiens medicus curat morbum in radice. Sed de corde exeunt cogitationes, quae coinquinant hominem, ut dicitur Matth. 15. Ergo in pectore debet fieri unctio.

1. Il semble que les parties du corps soient déterminées de manière inadéquate, à savoir que le malade soit oint sur les yeux, les oreilles, les narines, les mains et les pieds, car un médecin sage soigne la maladie dans sa racine. Or, les pensées qui affectent l’homme viennent du cœur, comme il est dit dans Mt 15. L’onction doit donc être faite sur la poitrine.

[18762] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, puritas mentis non minus est necessaria exeuntibus quam intrantibus. Sed intrantes unguntur chrismate in vertice a sacerdote ad significandum puritatem mentis. Ergo et exeuntes hoc sacramento debent ungi in vertice.

2. La pureté de l’esprit n’est pas moins nécessaire pour ceux qui partent que pour ceux qui entrent. Or, ceux qui entrent sont oints par le prêtre avec le chrême sur le front pour signifier la pureté de l’esprit. Ceux qui partent doivent donc être oints aussi sur le front.

[18763] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ibi debet adhiberi remedium ubi est major vis morbi. Sed spiritualis morbus praecipue viget in renibus viris, et mulieribus in umbilico, ut patet Job 40, 2: potestas ejus in lumbis ejus, secundum expositionem Gregorii. Ergo ibi debet fieri inunctio.

3. Le remède doit être appliqué là où la force de la maladie est la plus grande. Or, la maladie spirituelle est en pleine force dans les reins chez les hommes et dans le nombril chez les femmes, comme cela ressort de Jb 40, 2 : Sa puissance est dans ses reins, selon l’explication de Grégoire. Une onction doit donc y être faite.

[18764] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut per pedes peccatur, ita et per alia membra corporis. Ergo sicut unguntur pedes, ita et alia corporis membra inungi debent.

4. De même qu’on pèche par les pieds, de même pèche-t-on par les autres membres du corps. De même que les pieds sont oints, de même les autres membres du corps doivent-ils être oints.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les mutilés doivent-ils être oints par les onctions qui conviennent à ces membres ?]

[18765] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod mutilati non sunt ungendi illis unctionibus quae partibus illis competunt. Quia sicut hoc sacramentum exigit determinatam dispositionem in suscipiente, ut scilicet sit infirmus, ita et determinatam partem. Sed ille qui non habet infirmitatem, non potest inungi. Ergo nec ille qui non habet partem illam in qua debet fieri inunctio.

1. Il semble que les mutilés ne doivent pas être oints que par les onctions qui conviennent à ces membres, car, de même que ce sacrement exige une disposition déterminée chez celui qui le reçoit, à savoir qu’il doit être malade, de même exige-t-il un membre déterminé. Or, celui qui n’a pas de maladie ne peut être oint. Donc, ni celui qui n’a pas le membre sur lequel l’onction doit être faite.

[18766] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ille qui est caecus a nativitate, non delinquit per visum. Sed in unctione quae fit ad oculos, fit mentio de delicto per visum. Ergo talis inunctio caeco nato non deberet fieri; et sic de aliis.

2. Celui qui est aveugle de naissance ne pèche pas par la vue. Or, dans l’onction qui est faite sur les yeux, il est fait mention de fautes par la vue. Une telle onction ne devrait donc pas être donnée à un aveugle de naissance, et ainsi pour les autres.

[18767] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod defectus corporis non impedit aliquod aliud sacramentum. Ergo nec istud impedire debet. Sed de necessitate istius sacramenti est quaelibet unctionum. Ergo omnes debent fieri mutilato.

Cependant, une carence corporelle n’empêche pas un autre sacrement. Elle ne doit donc pas empêcher celui-ci. Or, toutes les onctions font nécessairement partie de ce sacrement. Tous doivent donc être sur quelqu’un qui est mutilé.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18768] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod hoc sacramentum per modum curationis exhibetur. Curatio autem corporalis non oportet quod fiat per medicinam toti corpori appositam, sed illis partibus ubi est radix morbi; et ideo unctio etiam sacramentalis debet fieri in illis partibus tantum in quibus est radix spiritualis infirmitatis.

Ce sacrement est donné par mode de traitement. Or, il n’est pas nécessaire qu’un traitement corporel soit fait par un remède appliqué à tout le corps, mais aux membres dans lesquels se trouve la source de la maladie. C’est pourquoi l’onction sacramentelle doit aussi être faite sur les seuls membres où se trouve la source de la maladie spirituelle.

[18769] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima quamvis sit tota in qualibet parte corporis quantum ad essentiam, non tamen quantum ad potentias quae sunt radices actuum peccati; et ideo oportet quod in determinatis partibus unctio fiat, in quibus illae potentiae habent esse.

1. Bien que l’âme soit dans toutes les parties du corps quant à son essence, elle n’y est cependant pas quant aux puissances, qui sont les racines du péchés. C’est pourquoi il est nécessaire que l’onction soit faite sur les parties déterminées dans lesquelles les puissances reçoivent d’exister.

[18770] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non semper apponitur medicina ubi est morbus; sed congruentius ubi est radix morbi.

2. Le remède n’est pas toujours donné là où est la maladie, mais, d’une manière plus adéquate, là où se trouve la racine de la maladie.

[18771] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus fit per modum ablutionis; ablutio autem corporalis non purgat maculam ab aliqua parte nisi cui apponitur; et ideo Baptismus toti corpori exhibetur; secus autem est de extrema unctione, ratione jam dicta.

3. Le baptême est donné sous forme d’ablution. Or, l’ablution corporelle ne purifie la souillure que sur la partie où elle est appliquée. C’est pourquoi le baptême est donné sur tout le corps. Mais il en va autrement de l’extrême-onction pour la raison déjà donnée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18772] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod principia peccandi in nobis sunt eadem quae et principia agendi: quia peccatum in actu consistit. Principia autem agendi in nobis sunt tria. Primum est dirigens, scilicet vis cognoscitiva: secundum est imperans, scilicet vis appetitiva; tertium est exequens, scilicet motiva. Omnis autem nostra cognitio a sensu ortum habet: et quia ubi est in nobis prima origo peccati, ibi debet unctio adhiberi; ideo unguntur loca quinque sensuum, scilicet oculi propter visum, aures propter auditum, nares propter odoratum, os propter gustum, manus propter tactum, qui in pulpis digitorum praecipue viget. Sed propter appetitivam unguntur a quibusdam renes; propter motivam unguntur pedes, qui sunt principalius ejus instrumentum. Et quia primum principium est cognoscitiva; ideo illa unctio ab omnibus observatur quae fit ad quinque sensus, quasi de necessitate sacramenti. Sed quidam non servant alias; quidam vero illam servant quae ad pedes, et non quae ad renes; quia appetitiva et motiva sunt secundaria principia.

Les principes par lesquels nous péchons sont les mêmes que les principes par lesquels nous agissons, car le péché consiste dans un acte. Or, les principes par lesquels nous agissons sont au nombre de trois : le premier, la puissance cognitive, dirige ; le deuxième, la puissance appétitive, commande ; le troisième, la puissance motrice, exécute. Or, toute notre connaissance tire son origine du sens, et parce que là où est la première origine du péché en nous, une onction doit être donnée, l’endroit des cinq sens sont donc oints : les yeux pour la vue, les oreilles pour l’ouïe, les narines pour l’odorat, la bouche pour le goût, les mains pour le toucher, qui se trouve surtout dans la partie tendre des doigts. Mais, en raison de la [puissance] appétitive, les reins sont oints par certains ; en raison de la puissance motrice, les pieds sont oints, qui sont son principal instrument. Parce que le premier principe est la puissance cognitive, l’onction qui est faite sur les cinq sens est pratiquée par tous comme nécessaire au sacrement. Mais certains ne les pratiquent pas ; par contre, certains pratiquent [l’onction] sur les pieds, et non celle sur les reins, parce que les puissances appétitive et motrice sont des principes secondaires.

[18773] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cogitatio a corde non exit nisi per aliquam imaginationem, quae est motus a sensu factus, ut dicitur in 2 de anima; et ideo cor non est prima radix cogitationis, sed organa sensuum, nisi quatenus cor est principium totius corporis; sed hoc principium est radix remota.

1. La pensée ne sort du cœur que par l’imagination, qui est un mouvement causé par le sens, comme il est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi le cœur n’est pas la racine première de la pensée, mais les organes des sens, sauf que le cœur est le principe de tout le corps. Mais ce principe est éloigné.

[18774] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intrantes debent acquirere puritatem, sed exeuntes eam purgare; et ideo exeuntes debent inungi in illis partibus quibus contingit puritatem mentis inquinari.

2. Ceux qui entrent doivent acquérir la pureté, mais ceux qui partent doivent la purifier. C’est pourquoi ceux qui partent doivent être oints sur les memmbres par lesquels il arrive que la pureté de l’esprit soit souillée.

[18775] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum quorumdam consuetudinem fit in renibus propter hoc quod ibi maxime viget appetitus concupiscibilis; sed appetitiva non est prima radix, ut dictum est.

3. Selon la coutume de certains, [une onction] est faite sur les reins parce que là se trouve au plus haut point l’appétit concupiscible. Mais la puissance appétitive n’est pas la première racine, comme on l’a dit.

[18776] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod organa corporis quibus actus peccati exercentur, sunt pedes, manus, et lingua, quibus etiam unctio exhibetur; et membra genitalia, quibus propter immunditiam illarum partium, et honestatem sacramenti, non debet unctio adhiberi.

4. Les organes du corps, par lesquels les actes du péché sont commis, sont les pieds, les mains et la langue, sur lesquels une onction est donnée ; et aussi les membres génitaux, sur lesquels on ne doit pas faire d’onction en raison de l’impureté de ces membres et de la dignité du sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18777] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod mutilati inungi debent quanto propinquius esse potest ad partes illas in quibus unctio fieri debuerat: quia quamvis non habeant membra, habent tamen potentias animae quae illis membris debentur, saltem in radice; et interius peccare possunt per ea quae ad partes illas pertinent, quamvis non exterius.

Ceux qui sont mutilés doivent être oints au plus proche des membres sur lesquels l’onction aurait dû être faite, car bien qu’ils n’aient pas de membres, ils possèdent cependant les puissances de l’âme qui reviennent à ces membres, au moins à la source, et ils peuvent pécher intérieurement par ce qui se rapporte à ces membres, bien qu’ils [ne puissent le faire] extérieurement.

[18778] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Les réponses aux objections sont ainsi claires.

 

 

Articulus 4 [18779] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 tit. Utrum hoc sacramentum debeat iterari

Article – Ce sacrement doit-il être répété ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce sacrement doit-il être répété ?]

[18780] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod hoc sacramentum non debeat iterari. Quia dignior est unctio quae fit homini quam quae fit lapidi. Sed unctio altaris non iteratur, nisi altare illud fractum fuerit. Ergo nec unctio extrema, quae adhibetur homini, debet iterari.

1. Il semble que ce sacrement ne doive pas être répété, car une onction faite sur l’homme est plus digne qu’une onction faite sur une pierre. Or, l’onction de l’autel n’est pas répétée, à moins que cet autel n’ait été brisé. L’extrême-onction ne doit pas non plus être répétée sur un homme.

[18781] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, post ultimum nihil est. Sed haec unctio dicitur extrema. Ergo non debet iterari.

2. Après ce qui est dernier, il n’y a rien. Or, cette onction est appelée extrême. Elle ne doit pas être répétée.

[18782] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, hoc sacramentum est quaedam spiritualis curatio per modum curationis corporalis exhibita. Sed curatio corporalis iteratur. Ergo et hoc sacramentum iterari potest.

Cependant, ce sacrement est un traitement spirituel donné par mode de traitement corporel. Or, le traitement corporel est répété. Ce sacrement peut donc être répété.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce sacrement doit-il être répété au cours de la même maladie ?]

[18783] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in eadem infirmitate non debeat iterari. Quia uni morbo non debetur nisi una medicina. Sed hoc sacramentum est quaedam spiritualis medicina. Ergo contra unum morbum non debet iterari.

1. Il semble qu’il ne doive pas être répété au cours de la même maladie, car il ne faut donner qu’un seul remède pour une seule maladie. Or, ce sacrement est un remède spirituel. Il ne doit donc pas être répété pour une seule maladie.

[18784] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum hoc posset aliquis infirmus tota die inungi, si in eodem morbo posset iterari inunctio; quod est absurdum.

2. Si l’onction pouvait être répétée pour la même maladie, un malade pourrait être oint pendant toute la journée, ce qui est absurde.

[18785] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod aliquando morbus diu durat post sacramenti perceptionem; et sic reliquiae peccatorum contrahuntur, contra quas principaliter hoc sacramentum datur. Ergo debet iterato inungi.

Cependant, la maladie dure parfois longtemps après qu’on a reçu le sacrement, et ainsi des restes du péché sont contractés, contre lesquels ce sacrement est principalement donné. L’onction doit donc être répétée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18786] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nullum sacramentale nec sacramentum quod habet effectum perpetuum, debet iterari: quia ostenderetur sacramentum non fuisse efficax ad faciendum illum effectum; et sic fieret injuria illi sacramento. Sacramentum autem quod habet effectum non perpetuum, potest iterari sine injuria, ut effectus deperditus iterato recuperetur. Et quia sanitas corporis et mentis, quae sunt effectus hujus sacramenti, possunt amitti postquam fuerunt per sacramentum effecta; ideo hoc sacramentum sine sui injuria potest iterari.

Aucun sacramental ni aucun sacrement qui a un effet perpétuel ne doit être répété, car on montrerait ainsi que le sacrement n’a pas été efficace pour produire cet effet, et ainsi on porterait préjudice au sacrement. Mais le sacrement qui a un effet qui n’est pas perpétuel peut être répété sans préjudice, afin que l’effet soit retrouvé par la répétition. Et parce que la santé du corps et celle de l’esprit, qui sont les effets de ce sacrement, peuvent être perdues après avoir été réalisées par le sacrement, ce sacrement peut donc être répété sans lui causer de préjudice.

[18787] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod inunctio lapidis fit ad ipsius altaris consecrationem, quae est perpetuo in lapide quamdiu altare manet, et ideo non potest iterari; sed haec unctio non fit ad consecrationem hominis, cum non imprimatur character; et ideo non est simile.

1. L’onction de la pierre est faite en vue de la consécration de l’autel, qui demeure dans la pierre aussi longtemps que l’autel demeure. Elle peut donc être répétée. Mais l’[extrême]-onction n’est pas donnée pour consacrer un homme, puisqu’un caractère n’est pas imprimé. Ce n’est donc pas la même chose.

[18788] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod secundum aestimationem hominum est extremum, quandoque secundum rei veritatem non est extremum; et sic dicitur hoc sacramentum extrema unctio, quia non debet iterari nisi illis quorum mors est propinqua secundum aestimationem hominum.

2. Ce qui est extrême, selon le jugement des hommes, parfois n’est pas extrême en réalité. Ainsi, ce sacrement est appelé l’extrême-onction parce qu’il ne doit être répété que pour ceux dont la mort est proche selon le jugement des hommes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18789] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod hoc sacramentum non respicit tantum infirmitatem, sed etiam infirmitatis statum: quia non debet dari nisi infirmis qui secundum humanam aestimationem videntur morti appropinquare. Quaedam ergo infirmitates non sunt diuturnae; unde si in eis datur hoc sacramentum, tunc, cum homo ad illum statum perveniat, quod fit in periculo mortis, non recedit a statu illo nisi infirmitate curata, et ita iterum non debet inungi. Sed si recidivum patiatur, erit alia infirmitas, et poterit fieri alia inunctio. Quaedam vero sunt aegritudines diuturnae, ut hectica et hydropisis, et hujusmodi: et in talibus non debet fieri inunctio, nisi quando videntur perducere ad periculum mortis; et si homo illum articulum evadat eadem infirmitate durante, et iterum ad similem statum per illam infirmitatem reducatur, iterum potest inungi: quia jam est quasi alius infirmitatis status, quamvis non sit alia infirmitas simpliciter.

Ce sacrement ne concerne pas seulement une maladie, mais l’état de la maladie, car il ne doit être donné qu’aux malades qui, selon le jugement humain, semblent s’approcher de la mort. Certaines maladies ne sont donc pas longues : si ce sacrement est donné durant celles-ci, lorsqu’un homme s’approche de cet état qui représente un danger de mort, il ne s’éloigne de cet état que par la guérison de la maladie. Il ne doit donc pas être oint de nouveau. Mais s’il souffre d’une récidive, ce sera une autre maladie : une autre onction pourra alors être donnée. Mais il existe aussi des maladies qui durent, comme la malaria l’hydropisie et d’autres du même genre : dans ces cas, une onction ne doit être donnée que lorsque ces maladies semblent mener à un danger de mort. Et si un homme échappe à ce danger pendant la même maladie et est ramené au même état par cette maladie, il peut être oint de nouveau, car il s’agit pour ainsi dire d’un autre état de maladie, bien qu’il ne s’agisse pas simplement d’une autre maladie.

[18790] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 23

[18791] Super Sent., lib. 4 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 expos. Praeter praemissa est etiam aliud sacramentum scilicet unctio infirmorum. Videtur quod male ordinet: quia cum hoc sacramentum exeuntibus detur, deberet ultimo poni. Et dicendum, quod alia duo quae sequuntur, ordinantur ad bonum commune Ecclesiae, vel totius humanae speciei. Bonum autem unius est prius quam bonum multorum, quod ex singularibus bonis consurgit; unde hoc sacramentum debuit ultimo poni inter illa quae ordinantur ad bonum unius personae, et ante illa quae ordinantur ad bonum multitudinis. Quae dicitur principalis: quia in ea sola imprimitur character, et datur spiritus sancti plenitudo ad robur. Capita regum et pontificum unguntur. Contra est quod reges non unguntur secundum consuetudinem Ecclesiae chrismate in capite, sed oleo in scapulis. Et dicendum, quod illa unctio regum non est sacramentum; et ideo secundum diversas consuetudines potest diversimode fieri. Vel dicendum, quod exponendum est, regum et pontificum, idest eorum qui habent sacerdotium regale, ut pro eodem sumatur utraque gens. Sed ex contemptu vel negligentia, contra. Negligentia in his quae non sunt de necessitate salutis, non est damnabilis. Hoc autem sacramentum non est de necessitate salutis. Et dicendum quod hoc magis accipiendum est copulative quam disjunctive: non enim quaelibet negligentia, sed ex contemptu procedens, vel contemptum inducens, damnabilis est. Non potest confici nisi de pane consecrato: non quod panis consecratus sit materia sacramenti, sed quod ipse panis consecratus sit sacramentum.

 

 

 

 

ORDRE

 

 

Distinctio 24

Distinction 24 – [Le sacrement de l’ordre]

 

 

Quaestio 1

Question 1— [Le sacrement de l’ordre en lui-même]

 

 

Prooemium

Prologue

[18792] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramentis quae ordinantur in remedium unius personae, hic determinat de sacramentis quae ordinantur in remedium totius Ecclesiae; et dividitur in partes duas: in prima determinat de sacramento ordinis, quod ordinatur ad spiritualem multiplicationem et gubernationem Ecclesiae; in secunda de matrimonio, quod ordinatur ad multiplicationem materialem fidelium, 26 dist., ibi: cum alia sacramenta post peccatum et propter peccatum exordium sumpserint, matrimonii sacramentum etiam ante peccatum legitur institutum a domino. Prima in duas: in prima determinat de sacramento ordinis; in secunda de conferentibus hoc sacramentum, dist. 25, ibi: solet quaeri, si haeretici (...) possint tradere sacros ordines. Prima in duas: in prima de ordinibus; in secunda de quibusdam officiis vel dignitatibus quae ad ordines consequuntur, ibi: sunt et alia quaedam non ordinum, sed dignitatum vel officiorum nomina. Prima in duas: in prima determinat de ordinibus distinctis; in secunda, quid inter se commune habeant, ibi: si autem quaeratur, quid sit quod hic vocatur ordo; sane dici potest, signaculum esse. Prima in duas: in prima ponit numerum distinctorum ordinum; in secunda de eis prosequitur, ibi: in sacramento igitur septiformis spiritus septem sunt gradus ecclesiastici. Circa primum tria facit: primo ponit numerum ordinum; secundo effectum quem habent in suscipientibus, ibi: illi vero in quorum mentibus diffusa est septiformis gratia spiritus sancti, cum ad ecclesiasticos ordines accedunt, in ipsa spiritualis gradus promotione ampliorem gratiam percipere creduntur; tertio conditiones quas in eis requirunt, ibi: tales autem ad ministerium spirituale eligendi sunt clerici, qui digne possint dominica sacramenta tractare. In sacramento ergo septiformis spiritus septem sunt gradus ecclesiastici. Hic prosequitur de ordinibus; et circa hoc facit tria: primo determinat quoddam quod praeexigitur ad ordines, scilicet corona; secundo de ipsis ordinibus prosequitur, ibi: ostiarii iidem et janitores sunt; tertio ostendit quamdam ordinum dictorum differentiam, ibi: cumque omnes sint spirituales et sacri, excellenter tamen canones duos tantum sacros ordines appellari censent. Secunda pars in septem partes dividitur, secundum quod de septem ordinibus prosequitur, quae partes per se patent in littera. Sunt et alia quaedam non ordinum, sed dignitatum vel officiorum nomina. Hic determinat de nominibus, quibus non ordines, sed dignitates vel officia exprimuntur; et circa hoc duo facit: primo determinat de nominibus dignitatum; secundo de nominibus officiorum, ibi: vates a vi mentis appellati sunt. Circa primum tria facit: primo exponit nomen episcopatus, quod ad dignitatem pertinet; secundo ponit ejus distinctionem, ibi: ordo autem episcoporum quadripartitus est; tertio ponit distinctionis originem, ibi: horum autem distinctio etc., a gentilibus introducta videtur. Vates a vi mentis appellati sunt. Hic ponit nomina diversa officiorum; et circa hoc tria facit: primo exponit diversa officiorum nomina; secundo ostendit qualiter in officiis se habere debeant, ibi: his breviter tractatis admonendi sunt Christi ministri etc.; tertio exponit nomen Missae, ad quam officia distincta requiruntur, ibi: Missa autem dicitur et cetera. Hic est triplex quaestio. Prima de ordine in communi. Secunda de distinctione ordinum. Tertia de his quae sunt ordinibus annexa. Circa primum quaeruntur tria: 1 de ipso ordine; 2 de effectu ejus; 3 de recipientibus ipsum.

Après avoir déterminé des sacrements qui sont ordonnés comme un remède pour une seule personne, le Maître détermine ici des sacrements qui sont ordonnés comme un remède pour toute l’Église. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du sacrement de l’ordre, qui est ordonné à la multiplication spirituelle et au gouvernement de l’Église ; dans la seconde, du mariage, qui est ordonné à la multiplication matérielle des fidèles, d. 26, à cet endroit : « Alors que les autres sacrements sont apparus après le péché et à cause du péché, on lit que le sacrement de mariage a été institué par le Seigneur avant même le péché. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du sacrement de l’ordre ; dans la seconde, de ceux qui confèrent ce sacrement, d. 25, à cet endroit : « On a coutume de demander si les hérétiques… peuvent transmettre les ordres sacrés. » La première partie se divise en deux : dans la première, [il traite] des ordres ; dans la seconde, de certains fonctions ou dignités qui découlent des ordres, à cet endroit : « Il existe d’autres mots qui ne désignent pas les ordres, mais des dignités et des fonctions. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des ordres séparément ; dans la seconde, de ce qu’ils ont en commun, à cet endroit : « Si on demande ce qui est est appelé ici l’ordre, on peut assurément dire qu’il est un signe. » La première partie se divise en deux : dans la première, il indique le nombre des divers ordres ; dans la seconde, il en poursuit l’exposé, à cet endroit : « Donc, dans le sacrement de l’Esprit septiforme, il existe sept degrés ecclésiastiques. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il indique le nombre des ordres ; deuxièmement, [il indique] l’effet qu’ils ont chez ceux qui les reçoivent, à cet endroit : « Mais on croit que ceux dans l’esprit desquels la grâce septiforme de l’Esprit Saint a été répandue, lorsqu’ils accèdent aux ordres ecclésiastiques, reçoivent une grâce plus abondante lorsqu’ils avancent d’un degré spirituel » ; troisièmement, [il indique] les conditions que [ces ordres] exigent chez eux, à cet endroit : «Doivent être choisis comme clercs, en vue d’un ministère spirituel, ceux qui pourront dispenser dignement les sacrements du Seigneur. » « Dans le sacrement de l’Esprit septiforme, il existe sept degrés ecclésiastiques. » Ici, il continue à propos des ordres. À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il détermine d’une chose qui est prérequise aux ordres, la couronne ; deuxièmement, il continue à propos des ordres, à cet endroit : « Les portiers sont les mêmes que les gardiens » ; troisièmement, il montre une différence entre les ordres mentionnés, à cet endroit : « Alors qu’ils sont tous spirituels et sacrés, les canons estiment qu’il ne faut parler que de deux ordres sacrés. » La deuxième partie se divise en sept parties, selon qu’il poursuit [l’étude] des sept ordres, parties qui ressortent d’elles-mêmes dans le texte. « Il existe d’autres mots qui ne désignent pas les ordres, mais des dignités et des fonctions. » Ici, il détermine de certains mots par lesquels ce ne sont pas des ordres, mais des dignités et des fonctions qui sont exprimées. À ce propos , il fait deux choses : premièrement, il détermine des noms des dignités ; deuxièmement, des noms des fonctions, à cet endroit : « [Le nom] de prophètes [vates] vient de puissance de l’esprit [a vi mentis]. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il explique le nom de l’épiscopat, qui se rapporte à une dignité ; deuxièmement, il en explique les distinctions, à cet endroit : « L’ordre des évêques est quadripartite » ; troisièmement, il montre l’origine de cette distinction, à cet endroit : « La distinction entre ceux-ci, etc. semble avoir été introduite par la gentils. » « [Le nom] de prophètes [vates] vient de puissance de l’esprit [a vi mentis]. » Ici, il explique les divers noms des fonctions. À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il explique les divers noms des fonctions ; deuxièmement, il montre comment on doit se comporter dans ces fonctions, à cet endroit : « Après avoir brièvement traité de ces questions, il faut avertir les ministres du Christ, etc. » ; troisièmement, il explique le mot « messe », pour laquelle des fonctions différentes sont requises, à cet endroit : « “Messe” veut dire, etc. » Il y a ici trois questions. La première, à propos de l’ordre d’une manière générale ; la deuxième, sur la distinction entre les ordres ; la troisième, à propos de ce qui est associé aux ordres. À propos de la première, trois questions sont posées : 1 – Sur l’ordre même. 2 – Sur son effet. 3. – Sur ceux qui le reçoivent.

 

 

Articulus 1 [18793] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum ordo in Ecclesia esse debeat

Article 1 – L’ordre doit-il exister dans l’Église ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’ordre doit-il exister dans l’Église ?]

[18794] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ordo in Ecclesia esse non debeat. Ordo enim requirit subjectionem et praelationem. Sed subjectio videtur repugnare libertati, in quam vocati sumus per Christum. Ergo ordo in Ecclesia esse non debet.

1. Il semble que l’ordre ne doive pas exister dans l’Église. En effet, l’ordre exige une sujétion et une supériorité. Or, la sujétion semble s’opposer à la liberté à laquelle nous avons été appelés par le Christ. L’ordre ne doit donc pas exister dans l’Église.

[18795] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ille qui in ordine constituitur, alio superior fit. Sed in Ecclesia quilibet debet se altero inferiorem reputare. Phil. 2, 3: superiores invicem arbitrantes. Ergo non debet in Ecclesia esse ordo.

2. Celui qui est établi dans un ordre devient supérieur à un autre. Or, dans l’Église, chacun doit s’estimer inférieur à l’autre, Ph 2, 3 : S’estimant supérieurs aux autres. L’ordre ne doit donc pas exister dans l’Église.

[18796] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ordo invenitur in Angelis propter distinctionem eorum in bonis naturalibus et gratuitis. Sed omnes homines sunt in natura unum; gratiarum etiam dona quis eminentius habeat, ignotum est. Ergo ordo in Ecclesia esse non potest.

3. L’ordre se trouve chez les anges en raison de la distinction entre leurs biens naturels et gratuits. Or, tous les hommes sont uns par nature et on ne sait pas qui possède de manière plus éminente les dons des grâces. L’ordre ne doit donc pas exister dans l’Église.

[18797] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 13, 1: quae a Deo sunt, ordinata sunt. Sed Ecclesia a Deo est, quia ipse eam aedificavit sanguine suo. Ergo ordo in Ecclesia esse debet.

Cependant, [1] Rm 13, 1 : Ce qui vient de Dieu est ordonné. Or, l’Église vient de Dieu, car il l’a lui-même édifiée par son sang. L’ordre doit donc exister dans l’Église.

[18798] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, status Ecclesiae est medius inter statum naturae et gloriae. Sed in natura invenitur ordo, quo quaedam aliis superiora sunt; et similiter in gloria, ut patet in Angelis. Ergo in Ecclesia debet esse ordo.

[2] L’état de l’Église est intermédiaire entre l’état de la nature et [celui] de la gloire. Or, on trouve l’ordre dans la nature, selon lequel certaines choses sont supérieures à d’autres ; de même en est-il dans la gloire, comme cela ressort chez les anges. L’ordre doit donc exister dans l’Église.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La définition de l’ordre donné dans le texte est-elle adéquate ?]

[18799] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter ordo in littera definiatur, ubi dicitur: ordo est signaculum quoddam Ecclesiae, per quod spiritualis potestas traditur ordinato. Pars enim non debet poni genus totius. Sed character, qui per signaculum exponitur in consequenti definitione, est pars ordinis: quia dividitur contra id quod est res tantum, vel sacramentum tantum, cum sit res et sacramentum. Ergo signaculum non debet poni quasi genus ordinis.

 

1. Il semble que l’ordre soit défini de manière inadéquate dans le texte : « L’ordre est un signe distinctif de l’Église, par lequel un pouvoir spirituel est donné à celui qui est ordonné. » En effet, la partie ne doit pas être donnée comme le genre du tout. Or, le caractère, qui est indiqué par le signe distinctif dans la définition qui suit, est une partie de l’ordre, car il se distingue de ce qui est la réalité seulement ou de ce qui est le sacrement seulement, puisqu’il est réalité et sacrement. Le signe distinctif ne doit donc pas être donné comme le genre de l’ordre.

[18800] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in sacramento ordinis imprimitur character, ita in sacramento Baptismi. Sed in definitione Baptismi non ponebatur character. Ergo nec in definitione ordinis poni debet.

 

2. De même que, dans le sacrement de l’ordre, un caractère est imprimé, de même en est-il dans le baptême. Or, dans la définition du baptême, on ne mettait pas le caractère. Il ne doit donc pas non plus être mis dans la définition de l’ordre.

[18801] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in Baptismo etiam quaedam spiritualis potestas datur accedendi ad sacramenta; et iterum est quoddam signaculum, cum sit sacramentum. Ergo haec definitio convenit Baptismo; et sic inconvenienter assignatur de ordine.

3. Par le baptême aussi, une certaine puissance spirituelle d’accéder aux sacrements est donnée, et il est aussi un signe distinctif, puisqu’il est un sacrement. Cette définition convient donc au baptême. Elle est donc attribuée d’une manière qui ne convient pas à l’ordre.

[18802] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ordo relatio quaedam est, quae in utroque extremorum salvatur. Extrema autem hujus relationis sunt superior et inferior. Ergo inferiores habent ordinem sicut et superiores. Sed in eis non est aliqua potestas praeeminentiae, qualis ponitur hic in definitione ordinis, ut patet per expositionem sequentem, ubi ponitur promotio potestatis. Ergo inconvenienter definitur hic ordo.

4. L’ordre est une certaine relation qui se retrouve dans les deux extrêmes. Or, les points extrêmes de cette relation sont le supérieur et l’inférieur. Donc, les inférieurs ont l’ordre comme les supérieurs. Or, il n’existe pas chez eux de pouvoir de prééminence, tel qu’il est donné ici dans la définition de l’ordre, comme cela ressort de l’explication qui suit, où l’on trouve « une promotion dans le pouvoir ». L’ordre est donc défini d’une manière inadéquate.

Quaestiuncula 3

Sous-question – [L’ordre est-il un sacrement ?]

[18803] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ordo non sit sacramentum. Sacramentum enim, ut dicit Hugo de sancto Victore, est materiale elementum. Sed ordo non nominat aliquid hujusmodi, sed magis relationem vel potestatem: quia ordo est pars potestatis, secundum praefatum. Ergo non est sacramentum.

1. Il semble que l’ordre ne soit pas un sacrement. En effet, comme le dit Hugues de Saint-Victor, un sacrement est un élément matériel. Or, l’ordre n’indique pas quelque chose de ce genre, mais plutôt une relation ou un pouvoir, car l’ordre est une partie d’un pouvoir, selon ce qui a été dit antérieurement. Il n’est donc pas un sacrement.

[18804] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sacramenta non sunt de Ecclesia triumphante. Sed est ibi ordo, ut patet de Angelis. Ergo ordo non est sacramentum.

2, Les sacrements ne font pas partie de l’Église triomphante. Or, il y existe un ordre, comme cela ressort chez les anges. L’ordre n’est donc pas un sacrement.

[18805] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut praelatio spiritualis, quae est ordo, datur cum quadam consecratione, ita et praelatio saecularis: quia et reges inunguntur, ut supra, dist. 23, dictum est. Sed regia dignitas non est sacramentum. Ergo nec ordo de quo loquimur.

3. De même que la supériorité spirituelle qu’est l’ordre est donnée par une consécration, de même en est-il de la supériorité séculière, car les rois sont oints, comme on l’a dit plus haut, d. 23. Or, la dignité royale n’est pas un sacrement. Donc, ni l’ordre dont nous parlons.

[18806] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia ab omnibus enumeratur inter septem Ecclesiae sacramenta.

Cependant, [1] il est compté par tous parmi les sept sacrements de l’Église.

[18807] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, et illud magis. Sed propter ordinem efficitur homo dispensator aliorum sacramentorum. Ergo ordo habet magis rationem quod sit sacramentum quam alia.

[2] La fin d’une chose est davantage sa raison d’être. Or, l’homme devient dispensateur des autres sacrements en raison de l’ordre. L’ordre a donc plus de raison d’être un sacrement que les autres.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La forme de ce sacrement est-elle convenablement exprimée dans le texte ?]

[18808] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod forma hujus sacramenti inconvenienter in littera exprimatur. Quia sacramenta efficaciam habent ex forma. Sed efficacia sacramentorum est ex virtute divina, quae in eis operatur salutem. Ergo in forma hujus sacramenti deberet fieri mentio de virtute divina per invocationem Trinitatis; sicut in aliis sacramentis.

 

1. Il semble que la forme de ce sacrement ne soit pas convenablement exprimée dans le texte, car les sacrements tirent leur efficacité de leur forme. Or, l’efficacité des sacrements vient de la puissance divine, qui réalise le salut par eux. Dans la forme de ce sacrement, il devrait donc être fait mention de la puisance divine par l’invocation de la sainte Trinité, comme dans les autres sacrements.

[18809] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, imperare est ejus qui habet auctoritatem. Sed auctoritas non residet penes eum qui sacramenta dispensat, sed ministerium tantum. Ergo non deberet uti imperativo modo, ut diceret, sic agite; vel, accipite hoc vel illud; aut aliquid hujusmodi.

2. Commander revient à celui qui a l’autorité. Or, l’autorité ne réside pas dans celui qui dispense les sacrements, mais le ministère seulement. Il ne devrait donc pas employer le mode impératif, en disant : « Agissez de cette manière » ou : « Recevez ceci ou cela », ou quelque chose du genre.

[18810] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, in forma sacramenti non debet fieri mentio nisi de illis quae sunt de essentia sacramenti. Sed usus potestatis acceptae non est de essentia hujus sacramenti, sed consequitur ad ipsum. Ergo non debet de eo fieri mentio in forma hujus sacramenti.

3. Dans la forme d’un sacrement, on ne doit mentionner que ce qui fait partie de l’essence du sacrement. Or, l’usage d’un pouvoir reçu ne fait pas partie de l’essence de ce sacrememnt, mais en découle. On ne doit donc pas en faire mention dans la forme de ce sacrement.

[18811] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, omnia sacramenta ordinant ad aeternam remunerationem. Sed in formis aliorum sacramentorum non fit mentio de remuneratione. Ergo nec in forma hujus sacramenti deberet de ea fieri mentio, sicut fit cum dicitur: habiturus partem, si fideliter officium tuum impleveris, cum iis qui verbum Dei bene ministraverunt.

4. Tous les sacrements ordonnent à une récompense éternelle. Or, dans les formes des autres sacrements, on ne mentionne pas de récompense. On ne devrait donc pas en faire mention dans la forme de ce sacrement, comme on le fait lorsqu’on dit : « Si tu accomplis fidèlement ta fonction, tu auras part avec ceux qui ont bien servi la parole de Dieu. »

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Ce sacrement a-t-il une matière ?]

[18812] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hoc sacramentum non habeat materiam. Quia in omni sacramento quod habet materiam, virtus operans in sacramento est in materia. Sed in rebus materialibus quae hic adhibentur, sicut sunt claves, candelabra, et hujusmodi, non videtur esse aliqua virtus sanctificandi. Ergo non habet materiam.

1. Il semble que ce sacrement n’ait pas de matière, car, dans tout sacrement qui a une matière, la puissance agissant dans le sacrement se trouve dans la matière. Or, dans les choses matérielles qui sont considérées ici, comme les clés, les cierges et les choses de ce genre, il ne semble pas exister de puissance sanctificatrice. [Ce sacrement] n’a donc pas de matière.

[18813] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, in isto sacramento confertur plenitudo gratiae septiformis, ut in littera dicitur, sicut in confirmatione. Sed materia confirmationis praeexigit sanctificationem. Cum ergo ea quae in hoc sacramento videntur esse materialia, non sint praesanctificata; videtur quod non sint materia hujus sacramenti.

2. Dans ce sacrement, la pénitude de la grâce septiforme est conférée, comme on le dit dans le texte, comme c’est le cas dans la confirmation. Or, la matière de la confirmation exige une sanctification préalable. Puisque les choses qui semblent avoir le caractère de matière dans ce sacrement n’ont pas été sanctifiées au préalable, il semble donc que ce ne soit pas la matière de ce sacrement.

[18814] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, in quolibet sacramento habente materiam, requiritur contactus materiae ad eum qui suscipit sacramentum. Sed, ut a quibusdam dicitur, contactus dictorum materialium ab eo qui suscipit sacramentum, non est de necessitate sacramenti, sed solum porrectio. Ergo praedictae res materiales non sunt materia hujus sacramenti.

3. Dans tout sacrement qui possède une matière, un contact matériel avec celui qui reçoit le sacrement est nécessaire. Or, comme le disent certains, un contact de celui qui reçoit le sacrement avec les réalités matérielles mentionnées n’est pas nécessaire au sacrement, mais seulement une présentation. Les réalités matérielles mentionnées ne sont donc pas la matière de ce sacrement.

[18815] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est, quia omne sacramentum consistit in rebus et verbis. Sed res in quolibet sacramento sunt materia ipsius. Ergo res quae in hoc sacramento adhibentur, sunt materia hujus sacramenti.

Cependant, [1] tout sacrement consiste dans des choses et des paroles. Or, les choses sont en tout sacrement sa matière. Les choses qui sont utilisées dans ce sacrement sont donc la matière de ce sacrement.

[18816] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 2 Praeterea plus requiritur ad dispensandum sacramenta quam ad suscipiendum. Sed Baptismus, in quo datur potestas ad suscipiendum sacramenta, indiget materia. Ergo et ordo, in quo datur potestas ad ea dispensanda.

[2] Il faut davantage pour dispenser les sacrement que pour les recevoir. Or, le baptême, par lequel est donné le pouvoir de recevoir les sacrements, nécessite une matière. Donc, l’ordre aussi, par lequel est donné le pouvoir de les dispenser.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18817] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Deus sua opera in sui similitudinem perducere voluit, quantum possibile fuit, ut perfecta essent, et per ea cognosci posset; et ideo ut in suis operibus repraesentaretur non solum quod in se est, sed etiam secundum quod aliis influit, hanc legem naturalem posuit omnibus, ut ultima per media perficerentur, et media per prima, ut Dionysius dicit. Et ideo, ut ista pulchritudo Ecclesiae non deesset, posuit ordinem in ea, ut quidam aliis sacramenta traderent, suo modo Deo in hoc assimilati, quasi Deo cooperantes, sicut etiam in corpore naturali quaedam membra aliis influunt.

Dieu a voulu conduire ses œuvres autant que possible à son image afin qu’elles soient parfaites et qu’il puisse être connu par elles. C’est pourquoi, afin que soit représenté dans ses œuvres, non seulement ce qu’Il est en lui-même, mais aussi comment il agit sur les autres, il a établi pour toutes choses cette loi naturelle que les dernières choses seraient perfectionnées par les choses intermédiaires, et les choses intermédiaires par les premières, comme le dit Denys. Ainsi, pour que cette beauté ne fasse pas défaut à l’Église, il a établi en elle l’ordre selon lequel certains donneraient les sacrements aux autres en tant que coopérateurs de Dieu, comme aussi certains membres exercent une influence sur les autres dans le corps naturel.

[18818] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod subjectio servitutis repugnat libertati; quae servitus est quando aliquis dominatur ad sui utilitatem subjectis utens. Talis autem subjectio non requiritur in ordine, per quem qui praesunt salutem subditorum quaerere debent, non propriam utilitatem.

1. La sujétion de la servitude est contraire à la liberté : cette servitude existe lorsque quelqu’un exerce le pouvoir pour son propre bien en utilisant ses sujets. Une telle sujétion n’est pas exigée dans l’ordre, par lequel ceux qui président doivent chercher le salut de ceux qui leur sont soumis, et non leur propre profit.

[18819] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quilibet se debet reputare inferiorem merito, sed non officio. Ordines autem officia quaedam sunt.

2. Chacun doit s’estimer inférieur par le mérite, mais non par la fonction. Or, les ordres sont des fonctions.

[18820] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordo in Angelis non attenditur secundum distinctionem naturae, nisi per accidens, inquantum ad distinctionem naturae sequitur in eis distinctio gratiae. Attenditur autem per se secundum distinctionem in gratia, quia eorum ordines respiciunt participationem divinorum, et communicationem in statu gloriae, quae est secundum mensuram gratiae, quasi gratiae finis et effectus quodammodo. Sed ordines Ecclesiae militantis respiciunt participationem sacramentorum, et communicationem, quae sunt causa gratiae, et quodammodo gratiam praecedunt; et sic non est de necessitate nostrorum ordinum gratia gratum faciens, sed solum potestas dispensandi sacramenta; et propter hoc etiam ordo non attenditur per distinctionem gratiae gratum facientis, sed per distinctionem potestatis.

3. L’ordre entre les anges ne se prend pas selon la distinction de la nature, si ce n’est par accident, pour autant qu’une distinction selon la grâce découle d’une distinction selon la nature. Mais il se prend par soi selon la distinction de la grâce, car leurs ordres concernent la participation aux réalités divines et leurs échanges dans l’état de la gloire, qui existe selon la mesure de la grâce, en tant que fin et effet de la grâce, d’une certaine manière. Mais les ordres de l’Église militante concernent la participation aux sacrements et les échanges qui sont causes de la grâce et précèdent la grâce d’une certane manière. La grâce sanctifiante n’est donc pas nécessaire à nos ordres, mais seulement le pouvoir de dispenser les sacrements. Pour cette raison aussi, l’ordre ne se prend pas d’une distinction dans la grâce sanctifiante, mais de la distinction du pouvoir.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18821] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod definitio quam Magister de ordine ponit, convenit ordini secundum quod est Ecclesiae sacramentum; et ideo duo ponit: signum exterius, ibi: signaculum quoddam, idest signum quoddam; et effectum interiorem, ibi: quo spiritualis potestas traditur ordinatis.

La définition que le Maître donne convient à l’ordre selon qu’il est un sacrement de l’Église. C’est pourquoi il indique deux choses : le signe extérieur : « le signe distinctif », c’est-à-dire un signe ; et l’effet intérieur : « par lequel un pouvoir spirituel est donné à ceux qui sont ordonnés ».

[18822] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod signaculum non ponitur hic pro charactere interiori, sed pro eo quod exterius geritur, quod est signum interioris potestatis et causa; et sic etiam sumitur character in alia definitione. Si tamen pro interiori charactere sumeretur, non esset inconveniens: quia divisio sacramenti in illa tria non est in partes integrales, proprie loquendo: quia illud quod est res tantum, non est de essentia sacramenti; quod est etiam sacramentum tantum, transit; et sacramentum manere dicitur. Unde relinquitur quod ipse character interior sit essentialiter et principaliter ipsum sacramentum ordinis.

1. Le signe distinctif n’indique pas ici un caractère intérieur, mais ce qui est fait extérieurement, qui est signe et cause d’un pouvoir intérieur ; le caractère a aussi ce sens dans une autre définition. Cependant, si on l’entendait d’un caractère intérieur, cela ne serait pas inacceptable, car la division du sacrement en ces trois choses n’est pas à proprement parler [une division] selon ses parties intégrales, car ce qui est réalité seulement ne fait pas partie de l’essence du sacrement ; aussi, ce qui est sacrement seulement passe, et on dit que le sacrement demeure. Il reste donc que le caractère intérieur lui-même est essentiellement et principalement le sacrement même de l’ordre.

[18823] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Baptismus, quamvis in eo conferatur aliqua spiritualis potentia recipiendi alia sacramenta (ratione cujus characterem imprimit); non tamen hoc est principalis ejus effectus, sed ablutio interior, propter quam Baptismus fieret, etiam priori causa non existente; sed ordo potestatem principaliter importat; et ideo character, qui est spiritualis potestas, ponitur in definitione ordinis, non autem in definitione Baptismi.

2. Bien que, par le baptême, une puissance spirituelle de recevoir les autres sacrements soit donnée (raison pour laquelle il imprime un caractère), ce n’en est cependant pas l’effet principal, mais l’ablution intérieure, pour laquelle le baptême serait accompli, même si la première raison n’existait pas. Mais l’ordre comporte principalement un pouvoir. C’est pourquoi le caractère, qui est un pouvoir spirituel, est mis dans la définition de l’ordre, mais non dans la définition du baptême.

[18824] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Baptismo datur quaedam potentia spiritualis ad recipiendum, et ita quodammodo passiva: potestas autem proprie nominat potentiam activam cum aliqua praeeminentia; et ideo haec definitio non convenit Baptismo.

3. Dans le baptême, un certain pouvoir spirituel de recevoir, et ainsi d’une certaine manière passif, est donné. Mais le pouvoir au sens propre désigne une puissance active comportant une certaine prééminence. C’est pourquoi cette définition ne convient pas au baptême.

[18825] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nomen ordinis dupliciter accipitur. Quandoque enim significat ipsam relationem; et sic est tam in inferiori quam in superiori, ut objectio tangit; et sic non accipitur hic. Aliquando autem accipitur pro ipso gradu, qui ordinem primo modo acceptum facit; et quia ratio ordinis, prout est relatio, invenitur ubi primo aliquid superius altero occurrit; ideo hic gradus eminens per potestatem spiritualem ordo nominatur.

4. Le mot « ordre » est pris en deux sens. Parfois, en effet, il signifie la relation elle-même : il existe ainsi aussi bien chez l’inférieur que chez le supérieur, comme l’indique l’objection. Ce n’est pas en ce sens qu’il est pris ici. Mais parfois, il est pris pour le degré lui-même, qui permet d’entendre  l’ordre de la première manière. Parce que la notion d’ordre, en tant que relation, se trouve là où, en premier lieu, quelque chose de supérieur à un autre survient, c’est ce degré éminent par le pouvoir spirituel qui est appelé « ordre ».

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18826] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sacramentum, ut ex supra dictis patet, nihil est aliud quam quaedam sanctificatio homini exhibita cum aliquo signo visibili; unde, cum in susceptione ordinis quaedam consecratio homini adhibeatur per visibilia signa, constat ordinem esse sacramentum.

Comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, le sacrement n’est rien d’autre qu’une sanctification donnée à l’homme avec un signe visible. Puisque, dans la réception de l’ordre, la consécration d’un homme est réalisée par des signes visibles, il est clair que l’ordre est un sacrement.

[18827] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ordo in suo nomine non exprimat aliquod materiale elementum; tamen ordo non confertur sine aliquo elemento materiali.

1. Bien que l’ordre n’exprime pas par son nom un élément matériel, l’ordre n’est cependant pas conféré sans un élément matériel.

[18828] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potestates proportionari debent illis ad quae sunt. Communicatio autem divinorum, ad quam datur spiritualis potestas, non fit in Angelis per aliqua sensibilia signa, sicut in hominibus contingit; et ideo potestas spiritualis, quae est ordo, non adhibetur Angelis cum aliquibus signis visibilibus, sicut hominibus; et ideo in hominibus est ordo sacramentum, sed non in Angelis.

2. Les pouvoirs doivent être proportionnés à leurs fins. Or, la communication des réalitées divines, pour laquelle le pouvoir spirituel est donné, ne se réalise par chez les anges par des signes sensibles, comme cela se fait parmi les hommes. C’est pourquoi le pouvoir spirituel qu’est l’ordre n’est pas donné aux anges avec des signes sensibles, comme aux hommes. Ainsi l’ordre est-il un sacrement chez les hommes, mais non chez les anges.

[18829] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non omnis benedictio quae adhibetur homini, vel consecratio, est sacramentum: quia et monachi et abbates benedicuntur; et tamen illae benedictiones non sunt sacramenta; et similiter nec regalis inunctio, quia post hujusmodi benedictiones non ordinantur aliqui ad dispensationem divinorum sacramentorum, sicut per benedictionem ordinis; et ideo non est simile.

3. Toute bénédiction ou consécration qui est donnée à l’homme n’est pas un sacrement, car les moines et les abbés sont bénis, et ces bénédictions ne sont cependant pas des sacrements. De même, l’onction royale n’est-elle pas [un sacrement], car, après ces bénédictions, on n’est pas ordonné à dispenser les sacrements divins, comme par la bénédiction de l’ordre. Il ne s’agit donc pas de la même chose.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18830] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod hoc sacramentum principaliter consistit in potestate tradita. Potestas autem a potestate traducitur, sicut simile ex simili; et iterum potestas per usum innotescit, quia potentiae notificantur per actus; et ideo in forma ordinis exprimitur usus ordinis per actum qui imperatur, et exprimitur traductio potestatis per imperativum modum.

Ce sacrement consiste principalement dans le pouvoir qui est transmis. Or, le pouvoir se transmet par le pouvoir, comme le semblable l’est par ce qui est semblable. De plus, le pouvoir est connu par son usage, car les puissances sont connues par les actes. C’est pourquoi, dans la forme de l’ordre, l’usage de l’ordre est exprimé par l’acte qui commande, et la transmission du pouvoir est exprimée sous le mode impératif.

[18831] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alia sacramenta non ordinantur principaliter ad effectus similes potestati secundum quam sacramenta dispensantur, sicut hoc sacramentum; et ideo in hoc sacramento est quasi quaedam communicatio univoca. Unde in aliis sacramentis exprimitur aliquid ex parte divinae virtutis, cui effectus sacramenti assimilatur; non autem in hoc sacramento. Quamvis enim in episcopo, qui est minister hujus sacramenti, non sit auctoritas respectu collationis hujus sacramenti; tamen habet aliquam potestatem respectu potestatis ordinis quae confertur per ipsum, inquantum a sua potestate derivatur.

1. Les autres sacrements ne sont pas ordonnés comme ce sacrement à des effets semblables au pouvoir par lequel les sacrements sont dispensés. C’est pourquoi il existe dans ce sacrement une certaine communication univoque. Ainsi, dans les autres sacrements, quelque chose de la puissance divine est exprimé, mais non dans ce sacrement. En effet, bien que n’existe pas dans l’évêque, qui est le ministre de ce sacrement, l’autorité par rapport à la collation de ce sacrement, il possède cependant un pouvoir en rapport avec le pouvoir d’ordre qui est conféré par lui, pour autant que celui-ci découle de son pouvoir.

[18832] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod usus potestatis est effectus potestatis in genere causae efficientis; et sic non habet quod in definitione ordinis ponatur; sed est quodammodo causa in genere causae finalis; et ideo secundum hanc rationem poni potest in definitione ordinis.

3. L’usage d’un pouvoir est l’effet du pouvoir selon le genre de la cause efficiente : il n’a donc pas à être mis dans la définition de l’ordre. Mais il est d’une certaine manière la cause selon le genre de la cause finale : pour cette raison, il peut être mis dans la définition de l’ordre.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[18833] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod materia in sacramentis exterius adhibita significat virtutem in sacramentis agentem ex extrinseco omnino advenire; unde cum effectus proprius hujus sacramenti, scilicet character, non percipiatur ex aliqua operatione ipsius qui ad sacramentum accedit, sicut erat in poenitentia, sed omnino ex extrinseco adveniat; competit ei materiam habere, tamen diversimode ab aliis sacramentis quae materiam habent: quia hoc quod in sacramento confertur, in aliis sacramentis derivatur tantum a Deo, non a ministro qui sacramentum dispensat; sed illud quod in hoc sacramento traditur, scilicet spiritualis potestas, derivatur etiam ab eo qui sacramentum dat, sicut potestas imperfecta a perfecta; et ideo efficacia illorum sacramentorum principaliter consistit in materia quae virtutem divinam et significat et continet ex sanctificatione per ministerium adhibita; sed efficacia hujus sacramenti principaliter residet penes eum qui sacramentum dispensat. Materia autem adhibetur magis ad determinandum potestatem quae traditur particulariter ab habente eam complete, quam ad potestatem causandum; quod patet ex hoc quod materia competit usui potestatis.

La matière utilisée extérieurement signifie que la puissance qui agit dans les sacrements vient entièrement de l’extérieur. Puisque l’effet propre de ce sacrement, à savoir, le caractère, n’est pas reçu par une action de celui qui s’approche du sacrement, comme c’était le cas dans la pénitence, mais vient entièrement de l’extérieur, il lui convient donc d’avoir une matière, d’une manière différente cependant des autres sacrements qui ont une matière, car ce qui est conféré dans le sacrement ne vient que de Dieu dans les autres sacrements, et non du ministre qui dispense le sacrement ; mais ce qui est donné dans le sacrement [de l’ordre], un pouvoir spirituel, vient aussi de celui qui donne le sacrement, comme un pouvoir imparfait d’un pouvoir parfait. C’est pourquoi l’efficacité des autres sacrements consiste principalement dans la matière qui signifie et contient une puissance divine en vertu d’une sanctification donnée par un ministère, mais l’efficacité de ce sacrement réside principalement dans celui qui dispense le sacrement. Mais la matière est utilisée plutôt pour déterminer le pouvoir qui est donné d’une manière particulière par celui qui le possède entièrement, que pour causer ce pouvoir. Cela ressort du fait que la matière convient à l’usage du pouvoir.

[18834] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[18835] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod materiam in aliis sacramentis oportet sanctificari propter virtutem quam continet; sed non est ita in proposito.

2. Dans les autres sacrements, la matière doit être sanctifiée en raison de la puissance qu’elle contient, mais il n’en est pas de même pour ce qui est en cause.

[18836] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sustinendo illud dictum, apparet ex dictis causa ejus. Quia enim potestas ordinis non accipitur a materia, sed a ministro principaliter; ideo porrectio materiae magis est de essentia sacramenti quam tactus. Tamen ipsa verba formae videntur ostendere quod tactus materiae sit de essentia sacramenti, quia dicitur: accipe hoc vel illud.

3. En soutenant ce qui a été dit, on en voit la cause par ce qui vient d’être dit. En effet, le pouvoir d’ordre n’est pas reçu de la matière, mais principalement du ministre. C’est pourquoi le fait de présenter la matière relève davantage de l’essence du sacrement que le fait de la toucher. Cependant, les paroles mêmes de la forme semblent montrer que le fait de toucher la matière fait partie de l’essence de la matière, car il est dit : «Recevez » ceci ou cela.

 

 

Articulus 2 [18837] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum in hoc sacramento ordinis conferatur gratia gratum faciens

Article 2 –La grâce sanctifiante est-elle donnée par ce sacrement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La grâce sanctifiante est-elle donnée par ce sacrement ?]

[18838] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in hoc sacramento ordinis non conferatur gratia gratum faciens. Quia communiter dicitur, quod sacramentum ordinis ordinatur contra defectum ignorantiae. Sed contra ignorantiam non datur gratia gratum faciens, sed gratia gratis data: quia gratia gratum faciens magis respicit affectum. Ergo in sacramento ordinis non datur gratia gratum faciens.

1. Il semble que la grâce sanctifiante ne soit pas donnée par le sacrement de l’ordre, car on dit généralement que le sacrement de l’ordre est ordonné contre la carence de l’ignorance Or, la grâce sanctifiante [gratia gratum faciens] n’est pas donnée contre l’ignorance, mais un charisme [gratia gratis data], car la grâce sanctifiante se rapporte plutôt à l’affectivité. La grâce sanctifiante n’est donc pas donnée par le sacrement de l’ordre.

[18839] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ordo distinctionem importat. Sed membra Ecclesiae non distinguuntur per gratiam gratum facientem, sed secundum gratiam gratis datam, de qua dicitur 1 Corinth., 12, 4; divisiones gratiarum sunt. Ergo in ordine non datur gratia gratum faciens.

2. L’ordre implique une distinction. Or, les membres de l’Église ne se distinguent pas par la grâce sanctifiante, mais selon les charismes, dont il est dit en 1 Co 12, 4 : Il existe des distinctions entre les dons. La grâce sanctifiante n’est donc pas donnée par l’ordre.

[18840] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nulla causa praesupponit effectum suum. Sed in eo qui accedit ad ordines praesupponitur gratia, per quam fit idoneus ad executionem ordinis. Ergo talis gratia non confertur in ordinis collatione.

3. Aucune cause ne présuppose son effet. Or, chez celui qui s’approche des ordres la grâce est présupposée, par laquelle il est rendu apte à l’accomplissement de l’ordre. Une telle grâce n’est donc pas donnée en conférant l’ordre.

[18841] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sacramenta novae legis efficiunt quod figurant. Sed ordo per numerum septenarium significat septem spiritus sancti dona, ut in littera dicitur. Ergo dona spiritus sancti, quae non sunt sine gratia gratum faciente, in ordine dantur.

Cependant, [1] les sacrements de la loi nouvelle accomplissent ce qu’ils représentent. Or, l’ordre signifie les sept dons de l’Esprit Saint par le nombre sept, comme il est dit dans le texte. Les dons du Saint-Esprit, qui n’existent pas sans la grâce sanctifiante, sont donc donnés par l’ordre.

[18842] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ordo est sacramentum novae legis. Sed in definitione talis sacramenti ponitur, ut gratiae causa existat. Ergo causat gratiam in suscipiente.

[2] L’ordre est un sacrement de la loi nouvelle. Or, dans la définition d’un tel sacrement, il est dit qu’il est cause de la grâce. Il cause donc la grâce chez celui qui le reçoit.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un caractère est-il imprmé par tous les ordres ?]

[18843] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in sacramento ordinis non imprimatur character quantum ad omnes ordines. Quia ordinis character est quaedam spiritualis potestas. Sed quidam ordines non ordinantur nisi ad quosdam actus corporales, scilicet ostiarii vel acolythi. Ergo in eis non imprimitur character.

1. Il semble qu’un caractère ne soit pas imprimé par tous les ordres, car le caractère de l’ordre est un certain pouvoir spirituel. Or, certains ordres ne sont ordonnés qu’à des actes corporels, tels les portiers ou les acolythes. Un caractère n’est donc pas imprimé par eux.

[18844] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis character est indelebilis. Ergo per characterem homo ponitur in statu a quo non possit recedere. Sed illi qui habent aliquos ordines, possunt licite redire ad laicatum. Ergo non imprimitur character in omnibus ordinibus.

2. Tout caractère est indélébile. Donc, par le caractère, l’homme est placé dans un état dont il ne peut se retirer. Or, ceux qui ont ces ordres peuvent licitement retourner à l’état laïc. Un caractère n’est donc pas imprimé par tous les ordres.

[18845] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ut supra, dist. 3, dictum est, per characterem homo adscribitur ad aliquod sacramentum dandum vel accipiendum. Sed ad susceptionem sacramentorum sufficienter homo ordinatur per characterem baptismalem; dispensator autem sacramentorum non constituitur homo nisi in ordine sacerdotali. Ergo in aliis ordinibus non imprimitur character.

3. Comme on l’a dit dans la d. 3, l’homme est assigné par le caractère à donner ou à recevoir un sacrement. Or, pour recevoir un sacrement, l’homme est suffisamment ordonné par le caractère baptismal ; mais il n’est établi comme dispensateur des sacrements que par l’ordre sacerdotal. Un caractère n’est donc pas imprimé par les autres ordres.

[18846] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne sacramentum in quo non imprimitur character est iterabile. Sed nullus ordo est iterabilis. Ergo in quolibet ordine imprimitur character.

Cependant, [1] tout sacrement par lequel n’est pas imprimé un caractère peut êre répété. Or, aucun ordre ne peut être répété. Un caractère est donc imprimé par tous les ordres.

[18847] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, character est signum distinctivum. Sed in quolibet ordine est aliqua distinctio. Ergo quilibet ordo imprimit characterem.

[2] Le caractère est un signe distinctif. Or, dans tous les ordres, il existe une distinction. Tous les ordres impriment donc un caractère.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le caractère de l’ordre présuppose-t-il le caractère baptismal ?]

[18848] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod character ordinis non praesupponat characterem baptismalem. Quia per characterem ordinis homo efficitur dispensator sacramentorum; per characterem baptismalem susceptivus eorumdem. Sed potestas activa non praesupponit de necessitate passivam, quia potest esse sine ea, sicut patet in Deo. Ergo character ordinis non praesupponit de necessitate characterem baptismalem.

1. Il semble que le caractère de l’ordre ne présuppose pas le caractère baptismal, car, par le caractère de l’ordre, l’homme devient le dispensateur des sacrements, mais, par le caractère baptismal, [il devient] capable de les recevoir. Or, une puissance active ne présuppose pas nécesairement une [puissance passive], car elle peut exister sans elle, comme cela est clair pour Dieu. Le caractère de l’ordre ne présuppose donc pas nécessairement le caractère baptismal.

[18849] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, potest contingere quod aliquis non sit baptizatus, qui se baptizatum aestimat probabiliter. Si ergo talis ad ordines accedat, non consequitur characterem ordinis, si character ordinis praesupponat baptismalem; et sic ea quae faciet vel in consecratione vel in absolutione, nihil erunt; et in hoc Ecclesia decipietur, quod est inconveniens.

2. Il peut arriver que quelqu’un ne soit pas baptisé, alors qu’il estime qu’il a probablement été baptisé. Si donc il s’approche des ordres, il ne reçoit pas le caractère de l’ordre, si le caractère de l’ordre présuppose le [caractère baptismal], et ainsi ce qu’il accomplira par la consécration ou par l’absolution ne sera rien. L’Église sera donc ainsi induite en erreur, ce qui ne convient pas.

[18850] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Baptismus est janua sacramentorum. Ergo cum ordo sit quoddam sacramentum, praesupponit Baptismum.

Cependant, le baptême est la porte des sacrements. Puisque l’ordre est un sacrement, il présuppose donc le baptême.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’ordre présuppose-t-il le caractère de la confirmation ?]

[18851] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praesupponat de necessitate characterem confirmationis. Quia in his quae sunt ordinata ad invicem; sicut medium praesupponit primum, ita ultimum praesupponit medium. Sed character confirmationis praesupponit baptismalem quasi primum. Ergo character ordinis praesupponit characterem confirmationis quasi medium.

1. Il semble que l’ordre présuppose le caractère de la confirmation, car dans les choses qui sont ordonnées l’une à l’autre, de même que la chose intermédiaire présuppose la première, de même la dernière présuppose-t-elle la chose intermédiaire. Or, le caractère de la confirmation présuppose le caractère baptismal en premier. Le caractère de l’ordre présuppose donc le caractère de la confirmation comme intermédiaire.

[18852] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, qui ad alios confirmandos ponuntur, maxime debent esse firmi. Sed illi qui sacramentum ordinis suscipiunt, sunt aliorum confirmatores. Ergo ipsi maxime debent habere sacramentum confirmationis.

2. Ceux qui sont mis en place pour affermir les autres doivent être les plus solides. Or, ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre doivent affermir les autres. Eux surtout doivent donc avoir le sacrement de la confirmation.

[18853] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, apostoli receperunt potestatem ordinis ante ascensionem, Joan. 20, 22, ubi dictum est eis: accipite spiritum sanctum. Sed confirmati sunt post ascensionem per adventum spiritus sancti. Ergo ordo non praesupponit confirmationem.

Cependant, les apôtres ont reçu le pouvoir d’ordre avant l’ascension, Jn 20, 22, lorsqu’il leur a été dit : Recevez le Saint-Esprit. Or, ils ont été confirmés après l’ascension par la venue du Saint-Esprit. L’ordre présuppose donc la confirmation.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Le caractère d’un ordre présuppose-t-il nécessairement le caractère d’un autre ?]

[18854] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod character unius ordinis praesupponat de necessitate characterem alterius. Quia major est convenientia ordinis ad ordinem quam ordinis ad aliud sacramentum. Sed character ordinis praesupponit characterem alterius sacramenti, scilicet Baptismi. Ergo multo fortius character unius ordinis praesupponit characterem alterius.

1. Il semble que le caractère d’un ordre présuppose nécessairement le caractère d’un autre, car un [ordre] a plus en commun avec un autre ordre que l’ordre avec un autre sacrement. Or, le caractère de l’ordre présuppose le caractère d’un autre sacrement, le baptême. À bien plus forte raison, le caractère d’un ordre présuppose-t-il donc le caractère d’un autre.

[18855] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, ordines sunt quidam gradus. Sed nullus potest pervenire ad posteriorem gradum nisi prius priorem conscenderit. Ergo nullus potest accipere characterem ordinis sequentis nisi primum accipiat ordinem praecedentem.

2. Les ordres sont des degrés. Or, personne ne peut parvenir au degré suivant sans avoir gravi le degré antérieur. Personne ne peut donc recevoir le caractère de l’ordre suivant sans recevoir d’abord l’ordre précédent.

[18856] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, si omittatur aliquid in sacramento quod sit de necessitate sacramenti, oportet quod sacramentum iteretur. Sed si aliquis accipiat sequentem ordinem praetermisso primo, non reordinatur; sed confertur sibi quod deerat, secundum statuta canonum. Ergo praecedens ordo non est de necessitate sequentis.

Cependant, si on omet quelque chose de nécessaire au sacrement dans un sacrement, il faut que le sacrement soit répété. Or, si quelqu’un reçoit l’ordre suivant sans avoir reçu l’ordre précédent, il n’est pas ordonné de nouveau, mais on lui confère [l’ordre] qui manquait, selon les décisions des canons. L’ordre précédent n’est donc pas nécessaire au suivant.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18857] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Dei perfecta sunt opera, ut dicitur Deuter. 32, 4; et ideo cuicumque datur potentia aliqua divinitus, dantur ea per quae executio illius potentiae potest congrue fieri; et hoc etiam in naturalibus patet: quia animalibus dantur membra quibus animae potentiae possunt exire in actus suos, nisi sit defectus ex parte materiae. Sicut autem gratia gratum faciens est necessaria ad hoc quod homo digne recipiat sacramenta, ita etiam ad hoc quod homo digne dispenset; et ideo sicut in Baptismo, per quem homo fit susceptivus aliorum sacramentorum, datur gratia gratum faciens, ita in sacramento ordinis, per quod homo ordinatur ad aliorum sacramentorum dispensationem.

Les œuvres de Dieu sont parfaites, comme il est dit dans Dt 32, 4. C’est pourquoi à quiconque est donné divinement un pouvoir, est donné ce par quoi l’exercice de ce pouvoir peut être convenablement accompli. Et cela ressort clairement même dans les choses naturelles, car des membres sont donnés aux animaux, par lesquels les puissances de l’âme peuvent accomplir leurs actes, à moins qu’il n’y ait une carence du côté de la matière. Or, de même que la grâce sanctifiante est nécessaire pour que l’homme reçoive dignement les sacrements, de même [est-elle nécessaire] pour que l’homme les dispense dignement. C’est pourquoi, de même que la grâce sanctificante est donnée par le baptême, par lequel l’homme est rendu capable de recevoir les autres sacrements, de même l’est-elle par le sacrement de l’ordre, par lequel l’homme est ordonné à la dispensation des autres sacrements.

[18858] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ordo datur non in remedium unius personae, sed totius Ecclesiae; unde quod dicitur contra ignorantiam dari, non est intelligendum ita quod per susceptionem ordinis pellatur ignorantia in suscipiente; sed quia suscipiens ordinem praeficitur ad pellendum ignorantiam in plebe.

1. L’ordre est donné non pas comme remède pour une personne, mais [comme remède] pour toute l’Église. Lorsqu’on dit qu’il est donné contre l’ignorance, il ne faut donc pas l’entendre de telle sorte que, par la réception de l’ordre, l’ignorance est repoussée chez celui qui le reçoit, mais parce que celui qui reçoit l’ordre est placé plus haut afin de repousser l’ignorance dans le peuple.

[18859] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis dona gratiae gratum facientis sint communia omnibus membris Ecclesiae, tamen per actus illorum donorum, secundum quae attenditur distinctio in membris Ecclesiae, idoneus susceptor aliquis esse non potest nisi caritas adsit; quae quidem sine gratia gratum faciente esse non potest.

2. Bien que les dons de la grâce sanctifiante soient communs à tous les membres de l’Église, cependant, par les actes de ces dons, selon lesquels on perçoit une distinction entre les membres de l’Église, on ne peut être digne de les recevoir que si on a la charité, laquelle ne peut exister sans la grâce sanctifiante.

[18860] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad idoneam executionem ordinum non sufficit bonitas quantacumque, sed requiritur bonitas excellens: ut sicut illi qui ordinem suscipiunt, super plebem constituuntur gradu ordinis, ita et superiores sint merito sanctitatis; et ideo praeexigitur gratia quae sufficiebat ad hoc quod digne connumerarentur in plebe Christi; sed confertur in ipsa susceptione ordinis amplius gratiae munus, per quod ad majora reddantur idonei.

3. Pour mettre les ordres en œuvre de manière adéquate, une bonté quelconque ne suffit pas, mais une bonté excellente est nécessaire, de sorte que ceux qui reçoivent un ordre, en étant établis au-dessus du peuple par un degré de l’ordre, soient aussi supérieurs par le mérite de la sainteté. C’est pourquoi la grâce est nécessaire au préalable pour qu’ils soient dignement comptés parmi le peuple du Christ ; mais un plus grand don de la grâce est donné par la réception de l’ordre, par lequel ils sont rendus plus aptes à de choses plus grandes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18861] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc fuit triplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod in solo ordine sacerdotali character imprimitur. Sed hoc non videtur verum: quia actum diaconi nullus potest exercere licite nisi diaconus: et ita patet quod habet aliquam spiritualem potestatem in dispensatione sacramentorum, quam alii non habent. Et propter hoc alii dixerunt, quod in sacris ordinibus imprimitur character, non autem in minoribus. Sed hoc nihil iterum est: quia per quemlibet ordinem aliquis constituitur super plebem in aliquo gradu potestatis ordinatae ad sacramentorum dispensationem. Unde cum character sit signum distinctivum ab aliis; oportet quod in omnibus character imprimatur: cujus etiam signum est quod perpetuo manent, et nunquam iterantur. Et haec est tertia opinio, quae communior est.

Sur ce point, il existe trois opinions, En effet, certains ont dit qu’un caractère est imprimé seulement dans l’ordre sacerdotal. Mais cela ne semble pas vrai, car personne ne peut licitement accomplir l’acte du diacre à moins d’être diacre. Il est ainsi clair qu’il possède un certain pouvoir spirituel pour la dispensation des sacrements, que les autres ne possèdent pas. Pour cette raison, d’autres ont dit qu’un caractère est imprimé par les ordres sacrés, mais non par les ordres mineurs. Mais, de nouveau, cela est futile, car, par n’importe quel ordre, on est établi dans un certain degré de pouvoir sur le peuple en vue de la dispensation des sacrements. Puisque le caractère est un signe distinctif par rapport aux autres, il est donc nécessaire qu’un caractère soit imprimé par tous : le signe en est qu’ils demeurent perpétuellement et ne sont jamais répétés. Telle est la troisième opinion, qui est plus commune.

[18862] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quilibet ordo vel habet actum circa ipsum sacramentum, vel ordinatum ad sacramentorum dispensationem; sicut ostiarii habent actum admittendi homines ad divinorum sacramentorum inspectionem, et sic de aliis; et ideo in omnibus requiritur specialis potestas.

1. Tous les ordres ont soit un acte portant sur un sacrement, soit [un acte] ordonné à la dispensation des sacrements. Ainsi les portiers ont l’acte d’admettre les gens à regarder les sacrements divins, et ainsi pour les autres. C’est pourquoi un pouvoir particulier est né-cessaire dans tous [les ordres].

[18863] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantumcumque ad laicatum se transferat, semper tamen manet in eo character: quod patet ex hoc quod si ad clericatum revertatur, non iterum ordinem quem habuerat, suscipit.

2. Autant qu’il retourne à l’état laïc, le caractère demeure toujours en lui, ce qui ressort clairement du fait que s’il revient à l’état de clerc, il ne reçoit pas l’ordre qu’il avait déjà.

[18864] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument que pour le premier.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18865] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nihil potest aliquid recipere cujus receptivam potentiam non habet. Per characterem autem baptismalem efficitur homo receptivus aliorum sacramentorum; unde qui characterem baptismalem non habet, nullum alterum sacramentum suscipere potest; et sic character ordinis baptismalem characterem praesupponit.

Rien ne peut recevoir ce qu’il n’a pas la capacité de recevoir. Or, par le caractère baptismal, l’homme est rendu apte à recevoir les autres sacrements. Celui qui n’a pas le caractère baptismal ne peut donc recevoir aucun des autres sacrements. Ainsi, le caractère de l’ordre présuppose le caractère baptismal.

[18866] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in eo qui habet potentiam activam a se, potentia activa non praesupponit passivam; sed in eo qui habet potentiam activam ab altero, praeexigitur ad potentiam activam potentia passiva, quae recipere possit potentiam activam.

1. Chez celui qui possède par lui-même une puissance active, la puissance active ne présuppose pas de puissance passive. Mais, chez celui qui reçoit d’un autre une puissance active, est prérequise à la puissance active une puissance passive qui puisse recevoir la puissance active.

[18867] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod talis si ad sacerdotium promoveatur, non est sacerdos, nec conficere potest, nec absolvere in foro poenitentiali; unde secundum canones debet baptizari iterato, et ordinari. Et si etiam in episcopum promoveatur; illi quos ordinat, non habent ordinem. Sed tamen pie credi potest quod quantum ad ultimos effectus sacramentorum summus sacerdos suppleret defectum, et quod non permitteret hoc ita latere quod periculum Ecclesiae imminere posset.

2. Celui-là, s’il est promu au sacerdoce, n’est pas un prêtre et il ne peut accomplir [l’eucharistie], ni absoudre au for pénitentiel. Aussi, selon les canons, doit-il être baptisé et ordonné de nouveau. Et s’il est aussi promu évêque, ceux qu’il ordonne n’ont pas l’ordre. Cependant, on peut croire pieusement que, pour les effets ultimes des sacrements, le Souverain Prêtre suppléerait à leurs carences et qu’il ne permettrait pas que cela soit tellement caché qu’un danger pourrait survenir pour l’Église.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18868] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ad susceptionem ordinis praeexigitur aliquid quasi de necessitate sacramenti, et aliquid de congruitate. De necessitate enim sacramenti praeexigitur quod ille qui accedit ad ordines, sit ordinis susceptivus, quod competit ei per Baptismum; et ideo character baptismalis praesupponitur de necessitate sacramenti, ita quod sine eo sacramentum ordinis conferri non potest. Sed de congruitate requiritur omnis perfectio, per quam aliquis reddatur idoneus ad executionem ordinis; et unum de istis est ut sit confirmatus; et ideo de congruitate character ordinis characterem confirmationis praesupponit, et non de necessitate.

Pour recevoir l’ordre, quelque chose est prérequis nécessairement au sacrement, et quelque chose par mode de convenance. En effet, il est nécessairement prérequis au sacrement que celui qui s’approche des ordres soit apte à recevoir l’ordre, ce qui lui vient par la baptême ; c’est pourquoi le caractère baptismal est nécessairement présupposé au sacrement, de telle sorte que sans lui le sacrement de l’ordre ne peut être conféré. Mais, par mode de convenance, est requise toute perfection par laquelle quelqu’un est rendu apte à la mise en œuvre de l’ordre, et une de ces choses est qu’il soit confirmé. C’est pourquoi le caractère de l’ordre présuppose le caractère le confirmation par mode de convenance, et non pas nécessairement.

[18869] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est similis habitudo hujusmodi medii ad ultimum, et primi ad medium: quia per characterem baptismalem fit homo susceptivus sacramenti confirmationis; non autem per sacramentum confirmationis fit homo susceptivus sacramenti ordinis; et ideo non est similis ratio.

1. Le rapport entre ce qui est intermédiaire à ce qui est ultime n’est pas semblable à celui de ce qui est premier par rapport à ce qui est intermédiaire, car, par le caractère baptismal, l’homme est rendu apte à recevoir le sacrement de confirmation, mais, par le sacrement de confirmation, l’homme n’est pas rendu apte à recevoir le sacrement de l’ordre. Le rapport n’est donc pas le même.

[18870] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa ratio procedit de idoneitate quantum ad congruitatem.

2. Ce raisonnement s’appuie sur l’idonéité selon une convenance.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[18871] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod non est de idoneitate superiorum ordinum quod aliquis minores ordines prius habeat: quia potestates sunt distinctae; et una, quantum est de sui ratione, non requirit aliam in eodem subjecto: et ideo etiam in primitiva Ecclesia aliqui ordinabantur in presbyteros qui prius inferiores ordines non susceperant; et tamen poterant omnia quae inferiores ordines possunt: quia inferior potestas comprehenditur in superiori virtute, sicut sensus in intellectu, et ducatus in regno. Sed postea per constitutionem Ecclesiae determinatum est quod ad majorem se non ingerat qui prius in minoribus officiis se non humiliavit. Et inde est quod qui ordinantur per saltum, secundum canones non reordinantur; sed id quod omissum fuerat de praecedentibus ordinibus, eis confertur.

L’aptitude aux ordres supérieurs n’implique pas que quelqu’un ait d’abord reçu les ordres mineurs, car les pouvoirs sont distincts, et, quant à sa condition, l’un n’exige pas l’autre chez le même sujet. C’est pourquoi, même dans l’Église primitive, certains étaient ordonnés prêtres sans avoir reçu au préalable les ordres inférieurs ; cependant, ils pouvaient accomplir tout ce que peuvent accomplir les ordres inférieurs, car le pouvoir inférieur est inclus dans une puissance supérieure, comme le sens dans l’intellect et la condition de duc dans celle de roi. Mais, par la suite, par une décision de l’Église, il a été déterminé que celui qui ne s’était pas humilié dans les fonctions inférieures ne devait pas se présenter à une fonction plus grande. De là vient que ceux qui ont sauté des ordres, selon les canons, ne sont pas réordonnés ; mais ce qui avait été omis des ordres précédents leur est conféré.

[18872] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod magis conveniunt ordines ad invicem secundum similitudinem speciei quam ordo cum Baptismo; sed secundum proportionem potentiae ad actum magis convenit Baptismus cum ordine quam ordo cum ordine; quia per Baptismum acquirit homo potentiam passivam recipiendi ordines; non autem per ordinem inferiorem datur potentia passiva recipiendi majores ordines.

1. Les ordres ont plus en commun entre eux selon la ressemblance de l’espèce, que l’ordre par rapport au baptême; mais, selon la proportion de la puissance par rapport à l’acte, le bapteme a plus en commun avec l’ordre qu’un ordre par rapport à un autre ordre, car, par le baptême, l’homme acquiert un pouvoir passif de recevoir les ordres, mais, par un ordre inférieur, une puissance passive de recevoir les ordres majeurs n’est pas donnée.

[18873] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordines non sunt gradus qui occurrant in actione una, vel in uno motu, ut oporteat ad ultimum per primum devenire; sed sunt sicut gradus in diversis rebus constituti, sicut est gradus inter hominem et Angelum: nec oportet quod ille qui fit Angelus, prius fuerit homo. Similiter etiam est gradus inter caput et omnia membra corporis; nec oportet quod illud quod est caput, prius fuerit pes; et similiter est in proposito.

2. Les ordres ne sont pas des degrés qui se présentent dans une seule action ou dans un seul mouvement, de sorte qu’il faille parvenir au dernier en passant par le premier ; mais ils sont comme des degrés établis entre des choses diverses, comme les degrés entre l’homme et l’ange, et il n’est pas nécessaire que celui qui devient ange ait d’abord été un homme. De même aussi existe-t-il des degrés entre la tête et tous les membres du corps, et il n’est pas nécesaire que ce qui est la tête ait d’abord été un pied. De même en est-il pour ce qui est en cause.

 

 

Articulus 3 [18874] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum in suscipientibus ordines requiratur bonitas vitae

Article 3 – Une bonne vie est-elle nécessaire chez ceux qui reçoivent les ordres ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une bonne vie est-elle nécessaire chez ceux qui reçoivent les ordres ?]

[18875] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in suscipientibus ordines non requiratur bonitas vitae. Quia per ordinem aliquis ordinatur ad dispensationem sacramentorum. Sed sacramenta possunt dispensari a bonis et a malis. Ergo non requiritur bona vita.

1. Il semble qu’une bonne vie ne soit pas nécessaire chez ceux qui reçoivent les ordres, car, par l’ordre, quelqu’un est ordonné à la dispensation des sacrements. Or, les sacrements peuvent être dispensés par les bons et les méchants. La bonté de la vie n’est donc pas nécessaire.

[18876] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, non est majus ministerium quod Deo in sacramentis exhibetur quam quod ipsi corporaliter adhibetur. Sed a ministerio ejus corporali non repulit dominus mulierem peccatricem et infamem, ut patet Luc. 7. Ergo nec a ministerio ejus in sacramentis tales sunt amovendi.

2. Le service rendu à Dieu par les sacrements n’est pas plus grand que celui qui lui est rendu corporellement. Or, le Seigneur n’a pas repoussé la femme pécheresse et de mauvaise réputation qui lui rendait un service corporel, comme cela ressort de Lc 7. Ceux-là ne doivent donc pas être écartés de son service par les sacrements.

[18877] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per omnem gratiam datur aliquod remedium contra peccatum. Sed illis qui habent peccatum, non debet aliquod remedium denegari quod eis valere possit. Cum ergo in sacramento ordinis gratia conferatur, videtur quod debeat etiam peccatoribus hoc sacramentum dari.

3. Un remède est donné contre le péché par toute grâce. Or, un remède par lequel ils pourraient se bien porter ne doit pas être refusé à ceux qui ont un péché. Puisque la grâce est donnée par le sacrement de l’ordre, il semble donc que ce sacrement doive être donné même aux pécheurs.

[18878] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Levit. 21, 21: homo de semine Aaron qui habuerit maculam, non offerat panes coram domino, nec accedat ad ministerium ejus. Sed per maculam, ut dicit Glossa, omne vitium intelligitur. Ergo ille qui est aliquo vitio irretitus, non debet ad ministerium ordinis adhiberi.

Cependant, [1] Lv 21, 21 dit: Que l’,homme de la semence d’Aaron qui a une souillure n’offre pas de pains au Seigneur et ne s’approche pas de son service. Or, par la souillure, on entend tout vice, comme le dit la Glose. Celui qui est empêtré dans un vice ne doit donc pas s’adonner au ministère de l’ordre.

[18879] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod non solum episcopi et presbyteri et diaconi debent magnopere providere ut cunctum populum cui praesident, sermone et conversatione praecedant; verum etiam inferiores gradus, et omnes qui domini oraculo deserviunt; et quia vehementer Ecclesiam Dei destruit, meliores esse laicos quam clericos. Ergo in omnibus ordinibus requiritur sanctitas vitae.

[2] Jérôme dit que « non seulement les évêques, les prêtres et les diacres doivent faire en sorte de marcher par la parole et le comportement devant le peuple au-dessus duquel ils ont été établis, mais aussi les ordres inférieurs et tous ceux qui sont au service de la parole du Seigneur ; et s’ils ont [corr. : destruit/destruerunt] fortement détruit l’Église de Dieu, il est mieux qu’ils soient des laïcs que des clercs ». La sainteté de la vie est donc requise pour tous les ordres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La connaissance de toute la Sainte Écriture est-elle nécessaire pour les ordres ?]

[18880] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod requiratur scientia totius sacrae Scripturae. Quia ille debet habere legis scientiam a cujus ore lex requiritur. Sed legem requirunt de ore sacerdotis, ut patet Malach. 2. Ergo ipse debet totius legis habere scientiam.

1. Il semble que la connaissance de toute la Sainte Écriture soit nécessaire [pour les ordres], car celui de la bouche de qui on attend la loi doit avoir la connaissance de la loi. Or, on attend la loi de la bouche des prêtres, comme cela ressort Ml 2. Il doit donc avoir la connaissance de toute la loi.

[18881] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, 1 Petr. 3, 15: parati semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea quae in vobis est fide et spe. Sed reddere rationem de his quae sunt fidei et spei, est illorum qui perfectam scientiam sacrarum Scripturarum habent. Ergo talem scientiam debent habere illi qui ponuntur in ordinibus, quibus verba praedicta dicuntur.

2. 1 P 3, 15 dit : Soyez prêts à donner satisfaction à tous ceux qui vous demandent de rendre compte de la foi et de l’espérance qui sont en vous. Or, rendre comtpe de ce qui relève de la foi et de l’espérance revient à ceux qui ont une parfaite connaissance des Écritures. Ceux qui sont établis dans les ordres, à qui les paroles précédentes sont adressées, doivent donc avoir une telle connaissance

[18882] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus congrue legit qui non intelligit quod legit: quia legere et non intelligere, negligere est, ut dicit Cato. Sed ad lectores, qui est quasi infimus ordo, pertinet legere vetus testamentum, ut in littera dicitur. Ergo ad eos pertinet habere totius veteris testamenti intellectum, et multo fortius ad alios superiores ordines.

3. Personne qui ne comprend pas ce qu’il lit ne lit adéquatement, car « lire sans comprendre, c’est ne pas lire » [legere et non intelligere, negligere est], comme le dit Caton. Or, il appartient aux lecteurs, qui font pour ainsi dire partie de l’ordre le plus petit, de lire l’Ancien Testament, comme il est dit dans le texte. Il leur appartient donc de comprendre tout l’Ancien Testament, et, à plus forte raison, aux ordres supérieurs.

[18883] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod multi promoventur ad sacerdotium qui penitus de talibus nihil sciunt, etiam in religionibus multis. Ergo videtur quod talis scientia non requiratur.

Cependant, [1] beaucoup sont promus au sacerdoce, qui n’en connaissent presque rien, même à l’intérieur de plusieurs ordres religieux. Il semble donc qu’une telle science ne soit pas requise.

[18884] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in vitis patrum legitur, aliquos simplices monachos ad sacerdotium promotos, qui erant sanctissimae vitae. Ergo non requiritur praedicta scientia in ordinandis.

[2] Dans les Vies des pères, on lit que de simples moines, dont la vie était très sainte, ont été promus au sacerdoce. La science mentionnée plus haut n’est donc pas nécessaire chez ceux qui doivent être ordonnés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Obtient-on un degré de l’ordre en raison du mérite de sa vie ?]

[18885] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ex ipso merito vitae aliquis ordinis gradum consequatur. Quia, sicut dicit Chrysostomus, non omnis sacerdos sanctus est, sed omnis sanctus sacerdos est. Sed ex vitae merito aliquis efficitur sanctus. Ergo et sacerdos, et multo fortius alios ordines habens.

1. Il semble qu’on obtienne un degré de l’ordre en raison du mérite de sa vie, car, ainsi que le dit [Jean] Chrysostome, « tous les prêtres ne sont pas saints, mais tous les saints sont prêtres ». Or, on est saint en raison du mérite de sa vie. On est donc aussi prêtre, et, à plus forte raison, celui qui possède les autres ordres.

[18886] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in rebus naturalibus ex hoc ipso aliqui in gradu superiori collocantur quod Deo appropinquant, et magis de ejus bonitatibus participant, ut Dionysius dicit, 4 cap. Ecclesiast. Hier. Sed ex merito sanctitatis et scientiae aliquis efficitur Deo propinquior, et plus de ejus bonitatibus recipiens. Ergo ex hoc ipso in gradu ordinis collocatur.

2. Dans les choses naturelles, celles-ci se situent dans un degré supérieur du fait qu’elles s’approchent de Dieu et participent davantage à sa bonté, comme le dit Denys, La hiérarchie ecclésiastique, IV. Or, par le mérite de la sainteté et de la science, on s’approche de Dieu et on reçoit davantage de ses bontés. On est donc situé par le fait même dans un degré de l’ordre.

[18887] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sanctitas semel habita potest amitti. Sed ordo semel habitus nunquam amittitur. Ergo ordo non consistit in ipso merito sanctitatis.

Cependant, la sainteté une fois possédée peut être enlevée. Or, l’ordre, une fois possédé, n’est jamais enlevé. L’ordre ne consiste donc pas dans le mérite même de la sainteté.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 [Celui qui promeut aux ordres des gens indignes pèche-t-il ?]

[18888] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod promovens indignos ad ordines non peccet. Quia episcopus indiget coadjutoribus in minoribus officiis constitutis. Sed non posset eos invenire in sufficienti numero, si talem idoneitatem in eis requireret, qualis a sanctis describitur. Ergo si aliquos non idoneos promovet, videtur quod sit excusabilis.

1. Il semble que celui qui promeut aux ordres des gens indignes ne pèche pas, car un évêque a besoin de coadjuteurs établis dans des fonctions mineures. Or, il ne pourrait en trouver en nombre suffisant s’il exigeait pour eux une aptitude telle que celle qu’on attribue aux saints. S’il en promeut certains qui ne sont pas aptes, il semble donc qu’il soit excusable.

[18889] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Ecclesia non solum indiget ministris ad dispensationem spiritualium, sed etiam ad gubernationem temporalium. Sed quandoque illi qui non habent scientiam vel sanctitatem vitae, possent esse utiles ad gubernationem temporalium, vel propter potentiam saecularem, vel propter industriam naturalem. Ergo videtur quod tales possit sine peccato promovere.

2. L’Église n’a pas seulement besoin de ministres pour la dispensation des choses spirituelles, mais aussi pour gouverner les choses temporelles. Or, parfois, ceux qui n’ont pas la science et la sainteté de la vie pourraient être utiles pour goouverner les choses temporelles, soit en raison du pouvoir séculier, soit en raison d’un talent naturel. Il semble donc que [l’évêque] puisse promouvoir de tels gens sans péché.

[18890] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, quilibet tenetur peccatum vitare quantum potest. Si ergo episcopus peccat indignos promovens, debet adhibere maximam diligentiam ad sciendum an illi qui accedunt ad ordines, sint digni, ut fieret diligens inquisitio de moribus et scientia ejus; quod non videtur alicubi observari.

3. Chacun est tenu d’éviter le péché autant qu’il le peut. Si donc un évêque pèche en promouvant des gens indignes, il doit manifester le plus grand soin pour savoir si ceux qui accèdent aux ordres sont dignes, en diligentant une enquête sur leurs mœurs et leur science, ce qui ne semble être nulle part mis en pratique

[18891] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, pejus est promovere malos ad sacra ministeria quam jam promotos non corrigere. Sed Heli mortaliter peccavit non corrigens efficaciter filios suos de malitia sua; unde et retrorsum cadens mortuus est, ut dicitur 1 Reg. Ergo multo fortius mortaliter peccat episcopus qui indignum promovet.

Cependant, [1] il est pire de promouvoir des méchants aux ministères sacrés que de ne pas corriger ceux qui ont déjà été promus. Or, Héli a péché mortellement en ne corrigenat pas ses fils pour leur malice ; c’est pourquoi, tombant à la renverse, il est mort, comme le dit 1 R. À bien plus forte raison, un évêque pèche-t-il mortellement en promouvant quelqu’un d’indigne.

[18892] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, spiritualia temporalibus sunt praeponenda in Ecclesia. Sed mortaliter peccaret qui res Ecclesiae temporales scienter sub periculo poneret. Ergo multo fortius peccaret qui poneret res spirituales sub periculo. Sed sub periculo ponit res spirituales quicumque indignos promovet: quia cujus vita despicitur, ut dicit Gregorius, necesse est ut praedicatio ejus contemnatur; et eadem ratione omnia spiritualia ab eis exhibita. Ergo indignos promovens, mortaliter peccat.

[2] Dans l’Église, les réalités spirituelles doivent l’emporter sur les réalités temporelles. Or, celui qui mettrait sciemment en danger les biens temporels de l’Église pécherait mortellement. À bien plus forte raison, celui qui mettrait en danger ses biens spirituels pécherait-il. Or, quiconque promeut des gens indignes met en danger les biens spirituels [de l’Église], car, comme le dit Grégoire, « sa prédication sera nécessairement méprisée » et, pour la même raison, toutes les réalités spirituelles mises de l’avant par eux. Il pèche donc mortellement en promouvant des gens indignes.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Celui qui se trouve dans le péché peut-il sans péché faire usage de l’ordre reçu ?

[18893] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis in peccato existens possit sine peccato ordine suscepto uti. Quia peccat si non utatur, cum ex officio teneatur. Si ergo utendo peccat, non potest peccata vitare; quod est inconveniens.

1. Il semble que celui qui se trouve dans le péché puisse sans péché faire usage de l’ordre reçu, car il pèche en n’en faisant pas usage lorsqu’il y est tenu par sa fonction. Si donc il pèche en en faisant usage, il ne peut éviter les péchés, ce qui est inacceptable.

[18894] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2 Praeterea, dispensatio est juris relaxatio. Ergo quamvis de jure esset ei illicitum uti ordine suscepto, tamen ex dispensatione ei liceret.

2. La dispense est un assouplissement du droit. Or, bien que cela serait pour lui illicite de faire usage d’un ordre reçu, il le pourrait cependant par dispense.

[18895] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 3 Praeterea, quicumque communicat alicui in peccato mortali, peccat mortaliter. Si ergo peccator in usu ordinis peccat mortaliter, tunc etiam peccat mortaliter qui ab eo aliquid divinorum accipit, vel ab eo exigit; quod videtur absurdum.

3. Quiconque échange avec quelqu’un qui est dans le péché mortel pèche mortellement. Si donc un pécheur pèche mortellement par l’usage d’un ordre, celui qui reçoit de lui quelque chose des réalités divines ou les exige de lui pèche aussi, ce qui semble absurde.

[18896] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 4 Praeterea, si utendo ordine suo peccat; ergo quilibet actus ordinis quem facit, est peccatum mortale; et ita cum in una executione ordinis multi actus concurrant, videtur quod multa peccata committat; quod valde durum videtur.

4. S’il pèche en faisant usage de son ordre, alors tous les actes de cet ordre qu’il pose sont des péchés mortels. Comme plusieurs actes concourent à une seule mise en œuvre d’un ordre, il semble donc qu’il commette plusieurs péchés mortels, ce qu’il semble dur de dire.

[18897] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius: talis, scilicet qui non est illuminatus, audax videtur sacerdotalibus manum apponens; et non timet neque verecundatur divina praeter dignitatem exequens, et putans Deum ignorare quod ipse in seipso cognovit; et decipere aestimat falso nomine patrem ab ipso appellatum; et audet ipsius muneris immundas infamias (non enim dicam orationes) super divina signa Christiformiter enuntiare. Ergo sacerdos est quasi blasphemus; et dicitur deceptor qui indigne suum ordinem exequitur; et sic mortaliter peccat; et eadem ratione quilibet alius ordinatus.

Cependant, [1] ce que Denys dit va en sens contraire : « Celui-là – à savoir, celui qui n’est pas illuminé – paraît impertinent en s’adonnant au réalités sacerdotales. Il ne craint pas ni n’a honte d’accomplir des réalités divines au-delà de sa dignité, en pensant que Dieu ignore ce qu’il sait en lui-même. Il pense qu’il trompe sous un faux nom le Père dont il a prononcé le nom, et il ose prononcer les honteuses infamies de sa charge (en effet, je ne dirai pas : des prières) sur les signes divins en faisant le signe de la croix. » Ce prêtre est donc comme un blasphémateur, et on appelle trompeur celui qui accomplit indignement son ordre ; ainsi pèche-t-il et, pour la même raison, tous ceux qui ont été ordonnés.

[18898] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, sanctitas requiritur in susceptione ordinis, ut sit idoneus ad exequendum. Sed peccat mortaliter qui cum peccato mortali ad ordines accedit. Ergo multo fortius peccat mortaliter in qualibet executione sui ordinis.

[2] La sainteté est nécessaire pour la réception de l’ordre afin que celui qui le recoit soit apte à le mettre en œuvre. Or, celui qui accède aux ordres avec un péché mortel pèche mortellement. À bien plus forte raison pèche-t-il mortellement dans n’importe quelle mise en œuvre de son ordre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18899] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut Dionysius dicit, ut subtiliores et clariores essentiae repletae influxu solarium splendorum lumen in eis supereminens ad similitudinem solis in alia corpora invehunt; sic in omni divino non est audendum aliis dux esse, nisi secundum omnem habitum suum factus Dei firmissimus, et Deo simillimus. Unde, cum in quolibet ordine aliquis constituatur dux aliis in rebus divinis; in quolibet quasi praesumptuosus mortaliter peccat qui cum conscientia peccati mortalis ad ordines accedit; et ideo sanctitas vitae requiritur ad ordinem de necessitate praecepti, sed non de necessitate sacramenti. Unde si malus ordinatur, nihilominus ordinem habet, tamen cum peccato.

Ansi que le dit Denys : « Comme les essences plus subtiles et brillantes, comblées de l’influx du rayonnement solaire, apportent une lumière suréminente aux autres corps à l’image du soleil, de même ne faut-il pas en matière divine avoir l’audace d’être le chef des autres sans être devenu très solide et très semblable à Dieu en tout son comportement. » Puisqu’on est établi dans n’importe quel ordre comme chef des autres pour les réalités divines, celui qui accède aux ordres avec la conscience d’un péché mortel pèche donc par présomption dans tous les ordres. C’est pourquoi la sainteté de la vie est nécessaire pour un ordre selon la nécessité d’un précepte, mais non selon ce qui est nécessaire au sacrement. Si un méchant est ordonné, il possède donc néanmons l’ordre, accompagné cependant d’un péché.

[18900] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut vera sacramenta sunt quae peccator dispensat, ita verum sacramentum ordinis recipit; et sicut indigne dispensat, ita indigne recipit.

1. De même que les sacrements qu’un pécheur dispense sont de vrais sacrements, de même reçoit-il le vrai sacrement de l’ordre, et de même qu’il le dispense indignement, de même le reçoit-il indignement.

[18901] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud ministerium erat tantum in executione corporalis obsequii, quod etiam licite peccatores facere possunt; secus autem est de ministerio spirituali ad quod applicantur ordinati, quia per ipsum efficiuntur medii inter Deum et plebem; et ideo debent bona conscientia nitere quo ad homines.

2. Ce ministère consistait seulement à mettre en œuvre un service corporel, que même des pécheurs peuvent accomplir licitement. Mais il en est autrement du ministère spirituel auxquel s’appliquent ceux qui sont ordonnés, car ils deviennent par lui des intermédiaires entre Dieu et le peuple. C’est pourquoi ils doivent briller par leur bonne conscience aux yeux des hommes.

[18902] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquae medicinae sunt quae exigunt robur naturae, alias cum periculo mortis assumuntur; et aliae sunt quae debilibus dari possunt. Ita etiam in spiritualibus quaedam sacramenta sunt ordinata ad remedium peccati; et talia peccatoribus sunt exhibenda, sicut Baptismus, et poenitentia; illa vero quae perfectionem gratiae conferunt, requirunt hominem per gratiam confortatum.

3. Il existe certains remèdes qui exigent une force naturelle, autrement ils sont pris avec un grand danger de mort. Il en est d’autres qui peuvent être donnés à ceux qui sont faibles. De même, en matière spirituelle, certains sacrements sont-ils destinés à être des remèdes au péché : ceux-là doivent être donnés aux pécheurs, comme le baptême et la pénitence ; mais ceux qui confèrent la perfection de la grâce exigent que l’homme soit renforcé par la grâce.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18903] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in quolibet actu hominis, si debeat esse ordinatus, oportet quod adsit directio rationis. Unde ad hoc quod homo ordinis officium exequatur, oportet quod habeat tantum de scientia quae sufficiat ad hoc ut dirigatur in actu illius ordinis: ideo talis scientia requiritur in eo qui ad ordines promoveri debet, et quod universaliter in tota Scriptura sit instructus; sed plus et minus secundum quod ad plura vel pauciora se ejus officium extendit: ut scilicet illi qui aliis praeponuntur curam animarum suscipientes, sciant ea quae ad doctrinam fidei et morum pertinent, et alii sciant ea quae ad executionem sui ordinis spectant.

Tout acte de l’homme, s’il doit être ordonné, doit recevoir sa direction de la raison. Pour qu’un homme mette en œuvre la fonction d’un ordre, il est donc nécessaire qu’il ait une science suffisante pour qu’il soit dirigé dans l’acte de cet ordre. Aussi une telle science est-elle requise chez celui qui doit être promu aux ordres, de même qu’il doit être instruit d’une manière générale de toute l’Écriture, mais plus ou moins selon que sa fonction porte sur plus ou moins de choses. Ainsi, ceux qui sont placés au-dessus des autres en recevant une charge d’âmes doivent-ils connaître ce qui se rapporte à l’enseignement de la foi et des mœurs, et les autres, ce qui se rapporte à la mise en œuvre de leur ordre.

[18904] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacerdos habet duos actus: unum principaliter supra corpus Christi verum; et alterum secundarium supra corpus Christi mysticum. Secundus autem actus dependet a primo, sed non convertitur; et ideo aliqui ad sacerdotium promoventur, quibus committitur primus actus tantum, sicut religiosi quibus cura animarum non committitur; et a talium ore non requiritur lex, sed solum quod sacramenta conficiant; et ideo talibus sufficit, si tantum de scientia habeant quod ea quae ad sacramentum perficiendum spectant, rite servare possint. Alii autem promoventur ad alium actum qui est supra corpus Christi mysticum; et a talium ore populus legem requirit; unde scientia legis in eis esse debet, non quidem ut sciant omnes difficiles quaestiones legis, quia in his debet ad superiores haberi recursus; sed sciant quae populus debet credere et observare de lege. Sed ad superiores sacerdotes, scilicet episcopos, pertinet ut etiam ea quae difficultatem in lege facere possunt, sciant; et tanto magis, quanto in majori gradu collocantur.

1. Le prêtre a deux actes : l’un principal, qui se rapporte au corps véritable du Christ ; l’autre secondaire, qui porte sur le corps mystique du Christ. Or, le second acte dépend du premier, mais non l’inverse. C’est pourquoi certains sont promus au sacerdoce, auxquels seul le premier acte est confié, comme les religieux auxquels n’est pas confiée une charge d’âmes. Il n’est pas nécessaire que la loi vienne de leur bouche, mais seulement qu’ils réalisent les sacrements. C’est pourquoi il suffit pour ceux-là qu’ils aient une connaissance selon laquelle ils observeront correctement ce qui se rapporte à l’accomplissement du sacrement. Mais d’autres sont promus à l’autre acte qui porte sur le corps mystique du Christ. De la bouche de ceux-là, le peuple attend la loi. Aussi faut-il qu’ils aient la connaissance de la loi, non pas qu’ils doivent connaître toutes les questions difficiles de la loi, car ils doivent avoir la possibilité de recourir à des supérieurs ; mais ils doivent connaître ce que le peuple doit croire et observer dans la loi. Mais il relève des prêtres supérieurs, les évêques, de connaître même ce qui peut faire difficulté dans la loi, d’autant plus qu’ils se trouvent dans un degré plus élevé.

[18905] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio reddenda de fide, non est intelligenda talis quae sufficiat ad probandum quae fidei vel spei sunt, cum utrumque de invisibilibus sit; sed ut sciat in communi probabilitatem utriusque ostendere, ad quod non requiritur multum magna scientia.

2. Rendre compte de la foi ne doit pas être entendu au sens où cela suffise à prouver ce qui relève de la foi et de l’espérance, puisque les deux portent sur des choses invisibles, mais au sens où il sache d’une manière générale montrer qu’elles sont probables. Pour cela, une très grande science n’est pas nécessaire.

[18906] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad lectorem non pertinet tradere intellectum sacrae Scripturae populo, quia hoc est superiorum ordinum; sed solum pronuntiare; et ideo ab eo non exigitur quod habeat tantum de scientia quod sacram Scripturam intelligat, sed solum quod recte pronuntiare sciat; et quia talis scientia de facili addiscitur, et a multis; ideo probabiliter aestimari potest quod ordinatus talem scientiam acquiret, si etiam tunc eam non habeat; maxime si in via ad hoc esse videatur.

3. Il ne relève pas du lecteur de transmettre au peuple une intelligence de la Sainte Écriture, car cela relève des ordres supérieurs, mais seulement de la lire en public. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il ait une science telle qu’il comprenne la Sainte Écriture, mais seulement qu’il sache la lire correctement en public. Et parce qu’une telle science s’acquiert facilement et par un grand nombre, on peut estimer avec probabilité que l’ordonné acquerra une telle science, même s’il ne la possède pas déjà, surtout s’il semble être en route pour cela.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18907] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod causa debet esse proportionata suo effectui; et ideo sicut in Christo, a quo descendit gratia in omnes homines, oportet quod sit gratiae plenitudo; ita in ministris Ecclesiae, quorum non est dare gratiam, sed gratiae sacramenta, non constituitur gradus ordinis ex hoc quod habeat gratiam, sed ex hoc quod percipit aliquod gratiae sacramentum.

Une cause doit être proportionnée à son effet. De même qu’il doit y avoir une plénitude de grâce dans le Christ, dont provient la grâce pour tous les hommes, de même, chez les ministres de l’Église, à qui il n’appartient pas de donner la grâce, mais les sacrements de la grâce, un degré de l’ordre n’est pas établi par le fait de posséder la grâce, mais par le fait qu’il reçoit un sacrement de la grâce.

[18908] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Chrysostomus accipit sacerdotis nomen quantum ad nominis interpretationem, secundum quod sacerdos idem est quod sacra dans. Sic enim quilibet justus, inquantum sacra merita alicui in auxilium dat, sacerdotis interpretationem habet. Non autem loquitur secundum nominis significationem: est enim hoc nomen sacerdos institutum ad significandum eum qui sacra dat in sacramentorum dispensatione.

1. [Jean] Chrysostome donne au mot « prêtre » le sens que le prêtre [sacerdos] est celui qui donne les choses sacrées [sacra dans]. En effet, cette interprétation du mot « prêtre » convient à tous les justes, pour autant qu’ils aident quelqu’un par leurs mérites sacrés. Mais il ne parle pas selon le sens du mot : en effet, ce mot « prêtre » a été établi pour signifier celui qui donne des choses sacrées par la dispensation des sacrements.

[18909] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res naturales efficiuntur in gradu super alia secundum quod in ea agere possunt ex forma sua; et ideo ex hoc ipso quod formam nobiliorem habent, in altiori gradu constituuntur. Sed ministri Ecclesiae non praeponuntur aliis ut eis ex propriae sanctitatis virtute aliquid tribuant, quia hoc solius Dei est; sed sicut ministri, et quodammodo instrumenta illius effluxus qui fit a capite in membra; et ideo non est simile quantum ad dignitatem ordinis, quamvis sit simile quantum ad congruitatem.

2. Des choses naturelles sont placées dans un degré supérieur à d’autres selon qu’elles peuvent les accomplir par leur forme. C’est pourquoi, par le fait qu’elles ont une forme plus noble, elles sont placées dans un degré plus élevé. Mais les ministres de l’Église ne sont pas placés au dessus des autres pour leur donner quelque chose de leur propre sainteté, car cela ne relève que de Dieu, mais comme des ministres et, d’une certaine manière, des instruments de l’épanchement qui va de la tête aux membres. C’est pourquoi la dignité de l’ordre n’est pas la même chose, bien qu’elle lui soit semblable selon une certaine convenance.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[18910] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod a domino describitur fidelis qui est servus constitutus super familiam, ut det illis tritici mensuram; et ideo infidelitatis reus est qui aliter supra mensuram ejus divina tradit. Hoc autem facit quicumque indignum promovet; et ideo mortale crimen committit, quasi summo domino infidelis; et praecipue cum hoc in detrimentum Ecclesiae vergat, et honoris divini, qui per bonos ministros promovetur. Esset enim infidelis domino terreno qui in ejus officio aliquos inutiles poneret.

Le serviteur établi sur la famille pour lui donner une mesure de blé est décrit comme fidèle par le Seigneur ; aussi celui qui donne les choses divines au-delà de la mesure voulue par lui est-il coupable d’infidélité. Or, c’est ce que font tous ceux qui promeuvent un indigne. C’est pourquoi il commet une faute mortelle, en tant qu’il est infidèle au Seigneur suprême, surtout lorsque cela tourne au détriment de l’Église et de l’honneur de Dieu, qui est promu par les bons ministres. En effet, celui qui établirait des gens inutiles à son service serait infidèle à son seigneur terrestre.

[18911] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus nunquam ita deserit Ecclesiam suam quin inveniantur idonei ministri sufficienter ad necessitatem plebis, si digni promoverentur, et indigni repellerentur. Et si non possent tot ministri inveniri quot modo sunt; melius esset habere paucos ministros bonos quam multos malos, ut dicit beatus Clemens.

1. Dieu n’abandonne jamais son Église au point où il ne s’y trouve un nombre suffisant de ministres aptes à réponde aux besoins du peuple, si ceux qui sont dignes étaient promus et les indignes écartés. Et si on ne pouvait en trouver suffisamment pour le moment, il serait mieux d’avoir moins de ministres bons que beaucoup de mauvais, comme le dit le bienheureux Clément.

[18912] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod temporalia non sunt quaerenda nisi propter spiritualia; unde incommodum temporale debet negligi, et omne lucrum sperni propter spirituale bonum promovendum.

2. Les réalités temporelles ne doivent être recherchées qu’en vue des réalités spirituelles. Aussi un ennui temporel et tout profit temporel doivent-ils être méprisés afin de promouvoir le bien spirituel.

[18913] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad minus hoc requiritur quod nesciat ordinans aliquid contrarium sanctitati in ordinando esse; sed etiam exigitur amplius ut secundum mensuram ordinis vel officii injungendi diligentior cura apponatur, ut habeatur certitudo de qualitate promovendorum, saltem ex testimonio aliorum; et hoc est quod apostolus dicit 1 Timoth. 5, 22: manus cito nemini imposueris.

3. Il est au moins nécessaire que celui qui ordonne sache qu’il n’existe rien de contraire à la sainteté chez celui qui doit être ordonné. Mais il est aussi exigé davantage : un soin plus empressé doit être apporté à la mesure de l’ordre ou de la fonction qui doivent être donnés, afin qu’on ait la certitude de la qualité de ceux qui doivent être promus, du moins selon le témoignage des autres. C’est ce que dit 1 Tm 5, 22 : Ne te hâte pas d’imposer les mains.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[18914] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod lex praecipit ut homo juste ea quae sunt justa exequatur; et ideo quicumque homo quod sibi competit ex ordine, facit indigne; quod justum est, injuste exequitur; et contra praeceptum legis facit, ac per hoc mortaliter peccat. Quicumque autem cum peccato mortali aliquod sacrum officium pertractat, non est dubium quin indigne illud faciat; unde patet quod mortaliter peccat.

La loi ordonne que l’homme accomplisse de manière juste ce qui est juste. C’est pourquoi l’homme qui accomplit indignement ce qui relève de lui en vertu d’un ordre accomplit injustement ce qui est juste ; il agit à l’encontre du précepte de la loi et pèche ainsi mortellement. Or, on ne saurait douter que tous ceux qui accomplissent une fonction sacrée en état de péché mortel l’accomplissent indignement. Il est ainsi clair qu’ils pèchent mortellement.

[18915] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est perplexus ut necessitatem peccandi habeat: quia potest peccatum dimittere, vel officium resignare ex quo obligabatur ad executionem ordinis.

1. Il n’est pas perplexe au point d’être obligé de pécher, car il peut écarter le péché ou démissionner de la fonction en vertu de laquelle il était obligé de mettre son ordre en œuvre.

[18916] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jus naturae est indispensabile. Hoc autem est de jure naturali ut homo sancta sancte pertractet; unde contra hoc nullus potest dispensare.

2. Le droit naturel ne peut être objet de dispense. Or, il est de droit naturel qu’un homme traite saintement les choses saintes. Personne ne peut donc en dispenser.

[18917] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamdiu minister Ecclesiae qui est in mortali, ab Ecclesia sustinetur, ab eo sacramenta recipere ejus subditus debet, quia ad hoc est ei obligatus; sed tamen praeter necessitatis articulum non esset tutum quod eum induceret ad aliquid sui ordinis exequendum, durante tali conscientia quod ille in peccato mortali esset; quam tamen deponere posset, quia in instanti homo a divina gratia emendatur.

3. Aussi longtemps qu’un ministre de l’Église en état de péché mortel est enduré par l’Église, son subordonné doit en recevoir les sacrements, car il y est obligé. Cependant, hors le cas de nécessaité, il ne serait pas sûr de l’inciter à accomplir quelque chose qui relève de son ordre, alors que persisterait la conscience qu’il est en état de péché mortel. Il pourrait cependant s’en défaire, car l’homme est guéri par la grâce divine en un instant.

[18918] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quandocumque exhibet se in aliquo actu ut ministrum Ecclesiae, mortaliter peccat; et toties mortaliter peccat, quoties hujusmodi actum facit: quia, ut dicit Dionysius, immundis nec symbola, idest sacramentalia signa, tangere fas est; unde quando tangunt res sacras, quasi suo officio utentes, peccant mortaliter. Secus autem esset, si in aliqua necessitate aliquod sacrum contingeret vel exequeretur, in illo casu in quo etiam laicis liceret, sicut si baptizaret in articulo necessitatis, vel si corpus Christi in terra projectum colligeret.

4. Chaque fois qu’il se montre ministre de l’Église par un acte, il pèche mortellement, et il pèche mortellement aussi souvent qu’il accomplit un acte de ce genre, car, comme le dit Denys, « il n’est pas permis aux impurs de toucher les symboles », c’est-à-dire les signes sacramentels. Ainsi, lorsqu’ils touchent les choses sacrées en faisant usage de leur fonction, ils pèchent mortellement. Il en irait autrement si, en cas de nécessité, il touchait ou accomplissait quelque chose de sacré, dans le cas où cela serait aussi permis aux laïcs, comme s’il baptisait dans un cas de nécessité ou s’il ramassait le corps du Christ jeté à terre.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La distinction entre les ordres]

 

 

Prooemium

Prologue

[18919] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 pr. Deinde quaeritur de distinctione ordinum; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de distinctione eorum; 2 de actibus singulorum; 3 quando imprimatur character in singulis ordinibus.

Ensuite, on s’interroge sur la distinction entre les ordres. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Sur la distinction entre les ordres ; 2 – Sur les actes de chacun ; 3 – Quand un caractère est-il imprimé dans chaque ordre ?

 

 

Articulus 1 [18920] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 tit. Utrum debeant plures ordines distingui

Article 1 – Doit-on faire une distinction entre plusieurs ordres ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on faire une distinction entre plusieurs ordres ?]

[18921] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non debeant plures ordines distingui. Quanto enim aliqua virtus est major, tanto minus est multiplicata. Sed hoc sacramentum est dignius aliis sacramentis, inquantum constituit suscipientes in aliquo gradu super alios. Cum ergo alia sacramenta non distinguantur in plura quae recipiant praedicationem totius, nec hoc sacramentum debet distingui in plures ordines.

1. Il semble qu’on ne doive pas faire de distinction entre plusieurs ordres. En effet, plus une puissance est grande, moins elle est multipliée. Or, [le sacrement de l’ordre] est plus grand que les autres sacrements dans la mesure où il établit ceux qui le reçoivent dans un degré qui les place au-dessus des autres. Puisque les autres sacrements ne se distinguent pas en plusieurs auxquels est attibué le tout, ce sacrement ne doit donc pas être réputé en plusieurs ordres.

[18922] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si dividitur; aut est divisio totius in partes integrales, aut in partes subjectivas. Non in partes integrales: quia sic non reciperent praedicationem totius. Ergo est divisio in partes subjectivas. Sed partes subjectivae recipiunt in plurali praedicationem generis remoti sicut generis proximi; sicut homo et asinus sunt plura animalia, et plura corpora animata. Ergo et sacerdotium et diaconatus sicut sunt plures ordines; ita et plura sacramenta, cum sacramentum sit quasi genus ad ordines.

2. S’il se divise, ou bien c’est une division d’un tout en parties intégrales, ou bien en parties subjectives. Or, ce n’est pas [une division] en parties intégrales, car le tout ne serait pas attribué [aux divers ordres]. Il s’agit donc d’une division en parties subjectives. Or, on attribue au pluriel aux parties subjectives le genre éloigné et le genre rapproché, comme l’homme et l’âne sont plusieurs animaux et plusieurs corps animés. De même donc que le sacerdoce et le diaconat sont des ordres distincts, de même sont-ils plusieurs sacrements, puisque le sacrement est comme un genre pour les ordres.

[18923] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 8 Ethic., regimen quo unus tantum principatur, est nobilius regimen communitatis quam aristocratia qua diversi in diversis officiis constituuntur. Sed regimen Ecclesiae debet esse nobilissimum. Ergo non deberet esse in Ecclesia distinctio ordinum ad diversos actus; sed tota potestas deberet apud unum residere; et sic deberet esse tantum unus ordo.

3. Selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, le gouvernement selon lequel un seul seulement dirige est un gouvernement de la communauté plus noble que l’aristocratie, selon laquelle plusieurs sont établis dans diverses fonctions. Or, le gouvernement de l’Église doit être le plus noble. Il ne devrait donc pas exister dans l’Église une distinction des ordres pour les divers actes, mais tout le pouvoir devrait résider dans un seul, et ainsi il ne devrait exister qu’un seul ordre.

[18924] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Ecclesia est corpus Christi mysticum, simile corpori naturali, secundum apostolum. Sed in corpore naturali sunt diversa membrorum officia. Ergo et in Ecclesia debent esse diversi ordines.

Cependant, [1] l’Église est le corps mystique du Christ, semblable à un corps naturel, selon l’Apôtre. Or, dans le corps naturel, il existe diverses fonctions pour les membres. Il doit donc exister divers ordres dans l’Église.

[18925] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ministerium novi testamenti est dignius quam ministerium veteris, ut patet 2 Corinth. 3. Sed in veteri testamento non solum sacerdotes, sed etiam ministri eorum Levitae sanctificabantur. Ergo et in novo testamento debent consecrari per ordinis sacramentum non solum sacerdotes, sed etiam ministri eorum; et ita oportet quod sint plures ordines.

[2] Le ministère de la nouvelle alliance est plus digne que le ministère de l’ancienne alliance, comme cela ressort de 2 Co 3. Or, sous l’ancienne alliance, non seulement des prêtres mais des lévites qui étaient leurs ministres étaient sanctifiés. Sous la nouvelle alliance aussi, non seulement des prêtres doivent-ils donc être consacrés par le sacrement de l’ordre, mais aussi leurs ministres. Il faut donc qu’il y ait plusieurs ordres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Y a-t-il sept ordres ?]

[18926] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sint septem ordines. Ordines enim Ecclesiae ordinantur ad actus hierarchicos. Sed tres sunt tantum actus hierarchici; scilicet purgare, illuminare, et perficere, secundum quos Dionysius distinguit tres ordines in 5 cap. Eccl. Hierar. Ergo non sunt septem.

1. Il semble qu’il n’y ait pas sept ordres. En effet, les ordres de l’Église sont ordonnés  à des actes hiérarchiques. Or, il n’y a que trois actes hiérarchiques : purifier, illuminer et perfectionner, en fonction desquels Denys distingue trois ordres, dans la Hiérarchie ecclésiastique,V. Il n’y a donc pas sept ordres.

[18927] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnia sacramenta habent efficaciam et auctoritatem ex institutione Christi, vel saltem apostolorum ejus. Sed in doctrina Christi et apostolorum non fit mentio nisi de presbyteris et diaconis. Ergo videtur quod non sunt alii ordines.

2. Tous les sacrements tiennent leur efficacité et leur autorité de l’institution du Christ ou, tout au moins, de ses apôtres. Or, dans l’enseignement du Christ et des apôtres, il n’est fait mention que des prêtres et des diacres. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’autres ordres.

[18928] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per sacramentum ordinis constituitur aliquis dispensator aliorum sacramentorum. Sed alia sacramenta sunt sex. Ergo debent esse tantum sex ordines.

3. Par le sacrement de l’ordre, on est établi comme dispensateur des autres sacrements. Or, les autres sacrements sont au nombre de six. Il doit donc y avoir seulement six ordres.

[18929] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plures. Quia quanto aliqua virtus est altior, tanto est minus multiplicabilis. Sed potestas hierarchica est altiori modo in Angelis quam sit in nobis, ut Dionysius dicit. Ergo cum in hierarchia angelica sint novem ordines, totidem deberent esse in Ecclesia, vel plures.

4. Il semble qu’il devrait y en avoir davantage, car plus une puissance est élevée, moins elles est sujette à multiplication. Or, le pouvoir hiérarchique existe chez les anges d’une manière plus élevée que chez nous, comme le dit Denys. Puisqu’il existe neuf ordres dans la hiérarchique angélique, il devrait en exister autant ou davantage dans l’Église.

[18930] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, prophetia Psalmorum est nobilior inter alias prophetias. Sed ad pronuntiandum in Ecclesia alias prophetias est unus ordo, scilicet lectorum. Ergo et ad pronuntiandum Psalmos deberet esse alius ordo; et praecipue cum in decretis Psalmista secundus ab ostiario inter ordines ponatur.

5. La prophétie des Psaumes est plus noble que les autres prophéties. Or, pour annoncer publiquement dans l’Église les autres prophéties, il existe un seul ordre, celui des lecteurs. Pour annoncer publiquement les Psaumes, il devrait donc y avoir un autre ordre, surtout que, dans les décrets, le psalmiste est donné comme le deuxième ordre après le portier parmi les ordres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-on faire une distinction entre des ordres sacrés et des ordres non sacrés ?]

[18931] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ordines non debeant distingui per sacros et non sacros. Omnes enim ordines sacramenta quaedam sunt. Sed omnia sacramenta sunt sacra. Ergo omnes ordines sunt sacri.

1. Il semble qu’il ne faille pas faire de distinction entre des [ordres] sacrés et non sacrés. En effet, tous les ordres sont des sacrements. Or, tous les sacrements sont sacrés. Tous les ordres sont donc sacrés.

[18932] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, secundum ordines Ecclesiae non deputatur aliquis nisi ad divina officia. Sed omnia talia sunt sacramenta. Ergo omnes ordines sunt sacri.

2. Par les ordres de l’Église, on n’est assigné qu’à des fonctions divines. Or, toutes sont des sacrements. Tous les ordres sont donc sacrés.

[18933] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod ordines sacri impediunt matrimonium contrahendum, et dirimunt contractum. Sed quatuor inferiores ordines non impediunt contrahendum, nec dirimunt contractum. Ergo non sunt sacri ordines.

Cependant, tous les ordres sacrés empêchent de contracter mariage et diriment celui qui a été contracté. Or, quatre ordres inférieurs n’empêchent pas le mariage et ne diriment pas celui qui a été contracté. Ce ne sont donc pas des ordres sacrés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18934] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ordinum multitudo inducta est in Ecclesia propter tria. Primo propter sapientiam Dei commendandam, quae in distinctione ordinata rerum maxime relucet tam in naturalibus quam in spiritualibus; quod significatur in hoc quod regina Saba videns ordinem ministrantium Salomoni non habebat ultra spiritum, deficiens in admiratione sapientiae ipsius. Secundo ad subveniendum humanae infirmitati: quia per unum non poterant omnia quae ad divina mysteria pertinebant expleri sine magno gravamine; et ideo distinguuntur ordines diversi ad diversa officia. Et hoc patet per hoc quod dominus, Numer. 11, dedit Moysi septuaginta senes populi in adjutorium. Tertio ut via proficiendi hominibus amplior detur dum plures in diversis officiis distribuunt, ut omnes sint Dei cooperatores, quo nihil est divinius, ut Dionysius dicit.

La multiplicité des ordres a été introduite dans l’Église pour trois raisons. Premièrement, pour louer la sagesse de Dieu, qui brille au plus haut point dans une distinction ordonnée, tant dans les réalités naturelles que dans les réalités spirituelles. Cela est signifié par la reine de Saba qui, voyant l’ordre des serviteurs de Salomon, était hors d’elle-même, en admiration devant sa sagesse. Deuxièmement, pour venir au secours de la faiblesse humaine, car tout ce qui se rapporte aux mystères divins ne pouvait être accompli par un seul, sans un grand préjudice ; c’est pourquoi divers ordres se distinguent en fonction de diverses fonctions. Cela ressort dans le fait que le Seigneur, dans Nb 11, a donné à Moïse soixante-dix anciens du peuple pour l’aider. Troisièmement, afin qu’une plus grande manière de progresser soit donnée aux hommes alors qu’un plus grand nombre se répartissent diverses fonctions, de sorte que tous soient les coopérateurs de Dieu, ce qui ne comporte rien de plus divin, comme le dit Denys.

[18935] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa sacramenta dantur ad effectus aliquos percipiendos; sed hoc sacramentum datur principaliter ad actus aliquos agendos; et ideo secundum diversitatem actuum oportet quod ordinis sacramentum distinguatur, sicut potentiae distinguuntur per actus.

1. Ces sacrements sont donnés en vue de recevoir certains effets ; mais [le sacrement de l’ordre] est donné principalement pour accomplir certains actes. C’est pourquoi il faut donc qu’existe dans ce sacrement un ordre selon la diversité des actes, comme les puissances se distinguent par leurs actes.

[18936] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod distinctio ordinum non est totius integralis in partes, neque totius universalis, sed totius potestativi; cujus haec est natura quod totum secundum completam rationem est in uno, in aliis autem est aliqua participatio ipsius; et ita est hic: tota enim plenitudo hujus sacramenti est in uno ordine, scilicet sacerdotio; sed in aliis est quaedam participatio ordinis; et hoc significatum est in hoc quod dominus dicit Num. 11, 17, Moysi: auferam de spiritu tuo, et tradam eis, ut sustentent onus populi. Et ideo omnes ordines sunt unum sacramentum.

2. La distinction des ordres n’est pas celle d’un tout intégral en ses parties, ni d’un tout universel, mais d’un tout potentiel, dont la nature est que le tout existe dans une seule chose selon toute sa raison, mais que, dans les autres, en existe une certaine partipation. Il en est de même ici : en effet, toute la plénitude de ce sacrement existe dans un seul ordre, à savoir, le sacerdoce, mais il existe dans les autres une certaine participation à l’ordre, c’est-à-dire au sacerdoce. Et cela a été signifié par le fait que le Seigneur dit à en Nb 11, 17 : Je prendrai de ton esprit et leur en donnerai, afin qu’ils portent la charge du peuple. C’est pourquoi tous les ordres sont un seul sacrement.

[18937] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in regno quamvis tota potestatis plenitudo resideat penes regem, non tamen excludunt ministrorum potestates quae sunt participationes quaedam regiae potestatis; et similiter est in ordine. In aristocratia autem apud nullum residet plenitudo potestatis, sed apud omnes.

3. Bien que tout la plénitude du pouvoir réside dans le roi dans un royaume, elle n’exclut cependant pas les pouvoirs des ministres, qui sont des participations au pouvoir royal. De la même manière dans l’ordre. Mais dans l’aristocratie, la plénitude du pouvoir ne se trouve en personne, mais chez tous.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[18938] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam sumunt sufficientiam ordinum per quamdam adaptationem ad gratias gratis datas de quibus habetur 1 Corinth. 12. Dicunt enim quod sermo sapientiae competit episcopo, quia ipse aliorum ordinator est, quod ad sapientiam pertinet; sermo scientiae sacerdoti, quia debet habere clavem scientiae; fides diacono, qui praedicat Evangelium; opera virtutum subdiacono, qui se ad opera perfectionis extendit per votum continentiae; interpretatio sermonum acolytho, quod significatur in lumine quod defert; gratiae sanitatum exorcistae; genera linguarum Psalmistae; prophetia lectori: discretio spirituum ostiario, qui quosdam repellit, et quosdam admittit. Sed hoc nihil est; quia gratiae gratis datae non dantur eidem, sicut ordines dantur eidem; dicitur enim 1 Corinth. 12, 4: divisiones gratiarum sunt. Et iterum ponuntur quaedam quae ordines non dicuntur, scilicet episcopatus et psalmistatus. Et ideo alii assignant secundum quamdam assimilationem ad caelestem hierarchiam, in qua ordines distinguuntur secundum purgationem, illuminationem, perfectionem. Dicunt enim, quod ostiarius purgat exterius segregando bonos a malis etiam corporaliter; interius vero acolythus, quia per lumen quod portat, significat se interiores tenebras pellere; sed utroque modo exorcista, quia Diabolum quem expellit, utroque modo perturbat. Sed illuminatio quae fit per doctrinam, quantum ad doctrinam propheticam fit per lectores, quantum ad evangelicam fit per diaconos, quantum ad apostolicam fit per subdiaconos. Sed perfectio communis, utpote quae est poenitentiae, Baptismi, et hujusmodi, fit per sacerdotem; excellens vero per episcopum, ut consecratio sacerdotum et virginum; sed excellentissima per summum pontificem, in quo est plenitudo auctoritatis. Sed hoc nihil est: tum quia ordines caelestis hierarchiae non distinguuntur per praedictas actiones hierarchicas, cum quaelibet cuilibet ordinum conveniat: tum quia, secundum Dionysium, solis episcopis convenit perficere, illuminare autem sacerdotibus, purgare autem ministris omnibus. Et ideo alii appropriant ordines septem donis, ut sacerdotio respondeat donum sapientiae, quae nos pane vitae et intellectus cibat, sicut sacerdos nos pane caelesti reficit; sed timor ostiario, quia nos separat a malis; et sic intermedii ordines respondent mediis donis. Sed hoc iterum nihil est: quia in quolibet ordine septiformis gratia datur. Et ideo aliter dicendum est, quod ordinis sacramentum ad sacramentum Eucharistiae ordinatur quod est sacramentum sacramentorum, ut dicit Dionysius. Sicut enim templum et altare et vasa et vestes, ita et ministeria quae ad Eucharistiam ordinantur, consecratione indigent; et haec consecratio est ordinis sacramentum; et ideo distinctio ordinum est accipienda secundum relationem ad Eucharistiam; quia potestas ordinis aut est ad consecrationem Eucharistiae ipsius, aut ad aliquod ministerium ordinandum ad hoc. Si primo modo, sic est ordo sacerdotum; et ideo cum ordinantur, accipiunt calicem cum vino, et patenam cum pane, potestatem accipiendo consecrandi corpus et sanguinem Christi. Cooperatio autem ministrorum est vel in ordine ad ipsum sacramentum, vel in ordine ad suscipientes. Si primo, sic tripliciter. Primo enim est ministerium quo minister cooperatur sacerdoti in ipso sacramento quantum ad dispensationem, licet non quantum ad consecrationem, quam solus sacerdos facit; et hoc pertinet ad diaconum; unde in littera dicitur, quod ad diaconum pertinet ministrare sacerdotibus in omnibus quae aguntur in sacramentis Christi, unde ipsi sanguinem dispensant. Secundo est ministerium ordinatum ad materiam sacramenti ordinandam in sacris vasis ipsius sacramenti: et hoc pertinet ad subdiaconum; unde in littera dicitur quod vasa corporis et sanguinis domini portant, et oblationes in altari ponunt; et ideo accipiunt calicem de manu episcopi, sed vacuum, cum ordinantur. Tertio est ministerium ordinatum ad praesentandum materiam sacramenti; et hoc competit acolytho: ipse enim, ut in littera dicitur, urceolum cum vino et aqua praeparat; unde accipiunt urceolum vacuum. Sed ministerium ad praeparationem recipientium ordinatum non potest esse nisi super immundos; quia qui mundi sunt, jam sunt ad sacramenta recipienda idonei. Triplex autem est genus immundorum, ut Dionysius dicit. Quidam enim sunt omnino infideles, credere non volentes; et hi totaliter etiam a visione divinorum et a coetu fidelium arcendi sunt; et hoc pertinet ad ostiarios. Quidam vero sunt volentes credere, sed nondum sunt instructi, scilicet catechumeni; et ad horum instructionem ordinatur ordo lectorum; et ideo prima rudimenta ad doctrinam fidei, scilicet vetus testamentum, eis legendum committitur. Quidam vero sunt fideles et instructi, sed impedimentum habentes ex Daemonis potestate, scilicet energumeni; et ad hoc habet ministerium ordo exorcistarum. Et sic patet ratio et numerus et gradus ordinum.

 

Certains considèrent une suffisance des ordres selon une adaptation aux charismes [gratiae gratis datae] dont il est question en 1 Co 12. En effet, ils disent que le discours de sagesse revient à l’évêque parce qu’il est celui qui ordonne les autres, ce qui revient à la sagesse ; que le discours de science [revient] au prêtre, car il doit avoir la clé de la science ; que la foi [revient] au diacre, qui prêche l’évangile ; que les œuvres des vertus [reviennent] au sous-diacre, qui s’adonne aux œuvres de la perfection par le vœu de continence ; que l’interprétation de paroles [revient] à l’acolythe, ce qui est signifié par la lumière qu’il porte ; que les grâces des guérisons [reviennent] à l’exorciste ; que les genres de langues [reviennent] au psalmiste, la prophétie au lecteur, et le discernement des esprits au portier, qui en écarte certains et en admet d’autres. Mais cela est futile, car les charismes [gratiae datis datae] ne sont pas données au même, comme les ordres sont donnés au même. En effet, il est dit en 1 Co 12, 4 : Il existe une division des grâces. De plus, on indique certaines choses qui ne sont pas appelées des ordres : l’épiscopat et la fonction de psalmiste. C’est pourquoi d’autres mettent [les divers ordres] en rapport avec une ressemblance à la hiérarchie céleste, dans laquelle les ordres se distinguent selon la purification, l’illumination et la perfection. En effet, ils disent que le portier purifie extérieurement en séparant les bons des méchants, même corporellememnt, mais que l’acolythe [les purifie] intérieurement, car, par la lumière qu’il porte, il signifie qu’il repousse les ténèbres intérieures. Mais l’exorciste [purifie] des deux manières, car il dérange des deux manières le Diable qu’il expulse. Mais l’illumination qui est réalisée par l’enseignement est accomplie par les lecteurs quant à l’enseignement prophétique, par les diacres quant à [l’enseignement] évangélique et par les sous-diacres quant à [l’enseignement] apostolique. Mais la perfection commune, celle qui relève de la pénitence du baptême et de ce genre de choses, est réalisée par le prêtre ; mais la perfection excellente, par l’évêque, ainsi la consécration des prêtres et des vierges. Cependant, [la perfection] la plus élevée est réalisée par le Souveraint Pontife, en qui se trouve la plénitude de l’autorité. Mais cela est futile, tant parce que les ordres de la hiérarchie céleste ne se disitinguent pas par les actions hiérarchiques mentionnées, puisque chacune convient à tous les ordres, que parce que, selon Denys, il convient aux seuls évêques de perfectionner, mais aux prêtres d’illuminer, et à tous les ministres, de purifier. C’est pourquoi d’autres approprient les ordres aux sept dons : au sacerdoce répondrait le don de sagesse, qui nous nourrit du pain de la vie et de l’intelligence ; au portier la crainte, car il nous sépare des méchants ; et ainsi les ordres intermédiaires répondent aux dons intermédiaires. Mais cela aussi est futile, car, en tout ordre, la grâce septiforme est donnée. C’est pourquoi il faut dire autre chose : le sacrement de l’ordre est ordonné au sacrement de l’eucharistie, qui est « le sacrement des sacrements », comme le dit Denys. En effet, comme le temple, l’autel, les vases et les vêtements ordonnés à l’eucharistie nécessitent une consécration, de même en est-il des ministères qui sont ordonnés à l’eucharistie : cette consécration est le sacrement de l’ordre. C’est pourquoi la distinction entre les ordres doit être conçue selon leur rapport à l’eucharistie, car le pouvoir d’ordre est ordonné soit à la consécration de l’eucharistie elle-même, soit à un ministère qui doit être ordonné à cela. S’il s’agit de la première manière, c’est alors l’ordre des prêtres : c’est pourquoi, lorsqu’ils sont ordonnés, ils reçoivent le calice contenant du vin et la patène avec le pain, en recevant le pouvoir de consacrer le corps et le sang du Christ. Mais la coopération des ministres est ordonnée soit au sacrement lui-même, soit à ceux qui le reçoivent. S’il s’agit de la première manière, le rapport est triple. En effet, il existe d’abord un ministère par lequel un ministre coopère avec le prêtre au sacrement lui-même quant à sa dispensation, bien que ce ne soit pas pour la consécration, que seul le prêtre réalise : ce [ministère] relève du diacre. Aussi est-il dit dans le texte qu’il revient au diacre d’assister les prêtres pour tout ce qui est fait dans les sacrements du Christ ; c’est ainsi qu’ils dispensent le sang. Deuxièmement, il y a un ministère qui est ordonné à mettre en place la matière du sacrement dans les vases sacrés [qui servent] au sacrement lui-même : cela relève du sous-diacre. Aussi est-il dit dans le texte qu’ils portent les vases [renfermant] le corps et le sang du Seigneur et qu’ils déposent les offrandes sur l’autel. C’est pourquoi, lorsqu’ils sont ordonnés, ils reçoivent le calice des mains de l’évêque, mais [le calice] vide. Troisièmement, il y a le ministère ordonné à présenter la matière du sacrement : cela relève de l’acolythe. En effet, comme on le dit dans le texte, il prépare la burette contenant l’eau et le vin ; aussi reçoivent-ils une burette vide. Mais le ministère ordonné à la préparation de ceux qui reçoivent [l’eucharistie] ne peut porter que sur ceux qui sont impurs, car ceux qui sont purs sont déjà aptes à recevoir les sacrements. Or, il existe trois genres d’impurs, comme le dit Denys. En effet, certains sont complètement infidèles et ne veulent pas croire : ceux-ci doivent être empêchés même de voir les choses divines et de [participer] à l’assemblée des fidèles : cela relève des portiers. Mais il y en certains qui veulent croire, mais ne sont pas encore instruits : les catéchumènes. L’ordre des lecteurs est ordonné à l’instruction de ceux-ci : c’est pourquoi on leur confie la lecture des premiers rudiments de la foi, l’Ancien Testament. Cependant, certains sont fidèles et instruits, mais ont un empêchement dû au pouvoir du démon : les énergumènes. À cela est ordonné le ministère des exorcistes. Ainsi ressortent la raison, le nombre et les degrés des ordres.

[18939] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius loquitur de ordinibus non secundum quod sunt sacramenta, sed secundum quod ad hierarchicas actiones ordinantur; et ideo secundum actiones illas tres ordines distinguit: quorum primus habet omnes tres, scilicet episcopus; secundus habet duas, scilicet sacerdos; sed tertius habet unam (scilicet purgare) scilicet diaconus, qui minister dicitur; et sub hoc omnes inferiores ordines comprehenduntur. Sed ordines habent quod sint sacramenta ex relatione ad maximum sacramentorum; et ideo secundum hoc numerus ordinum accipi debet.

1. Denys parle des ordres, non pas selon qu’ils sont des sacrements, mais selon qu’ils sont ordonnés à des actions hiérarchiques. C’est pourquoi il distingue trois ordres selon ces actions : le premier comporte tous les trois, à savoir, l’évêque ; le deuxième en comporte deux, à savoir, le prêtre ; mais le troisième n’en comporte qu’un seul (à savoir, purifier), à savoir, le diacre, qui est appelé ministre. Tous les ordres inférieurs sont contenus sous ceux-ci. Mais les ordres tiennent le fait d’être des sacrements de leur rapport avec le plus grand des sacrements. C’est pourquoi le nombre des ordres doit être compris à partir de cela.

[18940] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in primitiva Ecclesia propter paucitatem ministrorum omnia inferiora ministeria diaconis committebantur, ut patet per Dionysium, ubi dicit: ministrorum alii stant ad portas templi clausas; alii aliud quid proprii ordinis operantur; alii cum sacerdotibus proponunt super altare sacrum panem, et benedictionis calicem. Nihilominus erant omnes praedictae potestates, sed implicite in una diaconi potestate. Sed postea ampliatus est cultus divinus; et Ecclesia quod implicite habebat in uno ordine, explicite tradidit in diversis; et secundum hoc dicit Magister in littera, quod Ecclesia alios ordines sibi instituit.

2. En raison du petit nombre des ministres dans l’Église primitive, tous les ministères inférieurs étaient confiés aux diacres, comme cela ressort de Denys, où il dit : « Les autres ministres se tiennent aux portes fermées du temple ; d’autres font ce qui est propre à leur ordre ; d’autres posent avec les prêtres sur l’autel le pain sacré et le calice de la bénédiction. » Néanmoins, tous les pouvoirs mentionnés existaient, mais implicitement dans le seul pouvoir du diacre. Mais, par la suite, le culte divin s’est développé et l’Église transmit explicitement sous divers [ordres] ce qui existait implicitement dans un seul ordre. Le Maître dit ainsi dans le texte que l’Église a institué pour elle-même les autres ordres.

[18941] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ordines ordinantur principaliter ad sacramentum Eucharistiae, ad alia autem per consequens; quia etiam alia sacramenta ab eo quod in hoc sacramento continetur, derivantur; unde non oportet quod distinguantur ordines secundum sacramenta.

3. Tous sont ordonnés principalement au sacrement de l’eucharistie et à d’autres choses par mode de conséquence, car même les autres sacrements sont tirés de ce qui est contenu dans ce sacrement. Il n’est donc pas nécessaire que les ordres soient distingués en sacrements.

[18942] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli differunt specie; et propter hoc in eis potest esse diversus modus accipiendi divina; et ideo etiam diversae hierarchiae in eis distinguuntur: sed in hominibus est tantum una hierarchia, propter unum modum accipiendi divina qui consequitur humanam speciem, scilicet per similitudines rerum sensibilium; et ideo distinctio ordinum in Angelis non potest esse per comparationem ad aliquod sacramentum, sicut est apud nos: sed solum per comparationem ad hierarchicas actiones quas in inferiores exercet quilibet ordo in eis: et secundum hoc nostri ordines eis respondent, quia in nostra hierarchia sunt tres ordines, secundum hierarchicas actiones distincti, sicut in qualibet hierarchia una Angelorum.

4. Les anges diffèrent par l’espèce. Pour cette raison, il peut exister chez eux une manière différente de concevoir les réalités divines. C’est pourquoi même des hiérarchies diverses sont distinguées entre eux. Mais, chez les hommes, il n’existe qu’une seule hiérarchie en raison de la manière unique de concevoir les réalités divines, qui découle de l’espèce humaine, à savoir, à travers des ressemblances des choses sensibles. Ainsi la distinction des ordres chez les anges ne peut se faire par comparaison avec un sacrement, comme c’est le cas pour nous, mais seulement par comparaison avec les actions hiérarchiques que tout ordre exerce chez eux sur les inférieurs. De cette manière, nos ordres leur correspondent, car, dans notre hiérarchie, il existe trois ordres qui se distinguent par des actions hiérarchiques, comme pour chaque hiérarchie des anges.

[18943] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod psalmistatus non est ordo, sed officium ordini annexum. Quia enim Psalmi cum cantu pronuntiantur, ideo dicitur Psalmista et cantor. Cantor autem non est nomen ordinis specialis; tum quia cantare pertinet ad totum chorum; tum quia non habet aliquam specialem relationem ad Eucharistiae sacramentum; tum quia officium quoddam est quod inter ordines largo modo acceptos computatur quandoque.

5. La fonction de psalmiste n’est pas un ordre, mais une fonction associée à un ordre. En effet, parce que les psaumes sont exprimés sous forme de chant, on parle de psalmiste et de chantre. Or, « chantre » n’est pas un mot désignant un ordre particulier, tant parce que chanter relève de tout le chœur que parce que cela n’a pas de rapport particulier avec le sacrement de l’eucharistie ; mais parfois une fonction est comptée au sens large parmi les ordres reconnus.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[18944] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ordo dicitur sacer dupliciter. Uno modo secundum se; et sic quilibet ordo est sacer, cum sit sacramentum quoddam; alio modo ratione materiae circa quam habet aliquem actum; et sic ordo sacer dicitur qui habet aliquem actum circa rem aliquam consecratam; et sic sunt tantum tres ordines sacri, scilicet sacerdos, et diaconus, qui habet actum circa corpus Christi et sanguinem consecratum, et subdiaconus, qui habet actum circa vasa consecrata; et ideo etiam eis continentia indicitur, ut sancti et mundi sint qui sancta tractant.

Un ordre est appelé sacré de deux manières. D’une manière, en lui-même : ainsi, tout ordre est sacré, puisqu’il est un sacrement ; d’une autre manière, en raison de la matière sur laquelle il exerce un acte : ainsi un ordre est appelé sacré lorsqu’il exerce un acte sur une chose sacrée. Il existe ainsi seulement trois ordres sacrés : le prêtre, le diacre, qui exerce un acte sur le corps et le sang consacrés du Christ, et le sous-diacre, qui exerce un acte sur les vases consacrés. C’est pourquoi aussi la continence leur est imposée afin que ceux qui s’occupent de choses saintes soient saints et purs.

[18945] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 2 [18946] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 tit. Utrum actus ordinum convenienter in littera assignentur

Article 2 – Les actes des ordres sont-ils convenablement assignés dans le texte ?

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actus ordinum inconvenienter in littera assignentur. Quia per ablutionem aliquis praeparatur ad corpus Christi sumendum. Sed praeparatio sumentium sacramentum pertinet ad inferiores ordines. Ergo inconvenienter ablutio a peccatis ponitur inter actus sacerdotis.

Objections

1. Il semble que les actes des ordres ne soien pas convenablement assignés dans le texte, car on se prépare à recevoir le corps du Christ par une ablution. Or, la préparation de ceux qui se préparent à le recevoir relève des ordres inférieurs. L’ablution des péchés est donc incorrectement placée parmi les actes du prêtre.

[18948] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, homo per Baptismum est Deo figuratus, characterem configurantem suscipiens. Sed orare et offerre oblationes sunt actus immediate ad Deum ordinati. Ergo quilibet baptizatus potest hos actus facere, et non soli sacerdotes.

2. Par le baptême, l’homme devient la figure de Dieu, en recevant le caractère qui configure. Or, prier et faire des offrandes sont des actes immédiatement ordonnés à Dieu. Tous les baptisés peuvent donc faire ces actes, et non seulement les prêtres.

[18949] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, diversorum ordinum diversi sunt actus. Sed oblationes in altari ponere et epistolam legere ad subdiaconum pertinet; crucem etiam ferunt subdiaconi coram Papa. Ergo hi non debent poni actus diaconi.

3. Les actes d’ordres différents sont différents. Or, placer des offrandes sur l’autel et lire l’épître relèvent du sous-diacre ; les sous-diacres portent aussi la croix devant le pape. Ces actes ne doivent donc pas être assignés comme des actes du diacre.

[18950] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, eadem veritas continetur in novo et veteri testamento. Sed legere vetus testamentum est lectorum. Ergo et eadem ratione legere novum, et non diaconorum.

4. C’est la même vérité qui est contenue dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Or, lire l’Ancien Testament relève des lecteurs. Pour la même raison, lire le Nouveau Testament [relève-t-il d’eux], et non des diacres.

[18951] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, apostoli nihil aliud praedicaverunt quam Evangelium Christi, ut patet Rom. 1. Sed doctrina apostolorum committitur subdiaconis annuntianda. Ergo et doctrina Evangelii.

5. Les apôtres n’ont prêché rien d’autre que l’évangile du Christ, comme cela ressort de Rm 1. Or, il est confié aux sous-diacres d’annoncer l’enseignement des apôtres. Donc aussi, l’enseignement de l’évangile.

[18952] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, quod est superioris ordinis, secundum Dionysium, de Caelest. Hierar. cap. 5 Part. 3, non debet inferiori convenire. Sed ministrare cum urceolo est actus subdiaconorum. Ergo non debet acolythis attribui.

6. Ce qui relève d’un ordre supérieur ne doit pas convenir à un ordre inférieur, selon Denys, la Hiérarchie céleste, V, 3. Or, assurer un service avec une burette est un acte des sous-diacres. Il ne doit donc pas attribué aux acolythes.

[18953] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, actus spirituales debent corporalibus praeeminere. Sed acolythus non habet nisi actum corporalem. Ergo exorcista non habet actum spiritualem pellendi Daemones, cum sit inferior.

7. Les actes spirituels doivent l’emporter sur les actes corporels. Or, l’acolythe n’a qu’un acte corporel. L’exorciste n’a donc pas un acte spirituel pour chasser les démons, puisqu’il est inférieur.

[18954] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, quae magis conveniunt, juxta se ponenda sunt. Sed legere vetus testamentum maxime debet convenire cum lectione novi testamenti, quae competit superioribus ministris. Ergo legere vetus testamentum non debet poni actus lectoris, sed magis acolythi; et praecipue cum lumen corporale quod acolythi deferunt, significet lumen spirituale doctrinae.

8. Les choses qui ont plus en commun doivent être placées l’une à côté de l’autre. Or, lire l’Ancien Testament a le plus en commun avec la lecture du Nouveau Testament, qui relève de ministres supérieurs. Lire l’Ancien Testament ne doit donc pas être donné comme un acte du lecteur, mais plutôt de l’acolythe, surtout que la lumière corporelle que portent les acolythes signifie la lumière spirituelle de l’enseignement.

[18955] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 9 Praeterea, in quolibet actu ordinis spiritualis debet esse aliqua vis spiritualis, quam habeant ordinati prae aliis. Sed in apertione et clausione ostiorum non habent aliam potestatem spiritualem ostiarii quam alii homines. Ergo hoc non debet poni actus ipsorum.

9. En tout acte d’un ordre spirituel, doit exister une puissance spirituelle, que les ordonnés possèdent plus que les autres. Or, en ouvrant et fermant les portes, les portiers n’ont pas une autre puissance spirituelle que les autres hommes. Cela ne doit pas être donné comme leur acte.

[18956] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum consecratio quae fit in ordinis sacramento, ordinetur ad sacramentum Eucharistiae, ut dictum est; ille est principalis actus uniuscujusque ordinis secundum quem magis proxime ordinatur ad Eucharistiae sacramentum; et secundum hoc etiam unus ordo est eminentior alio secundum quod unus actus magis de proximo ad praedictum sacramentum ordinatur. Sed quia ad sacramentum Eucharistiae quasi dignissimum multa ordinantur; ideo non est inconveniens ut praeter principalem actum, etiam multos actus unus ordo haberet, et tanto plures, quanto est eminentior: quia virtus quanto est superior, tanto ad plura se extendit.

Réponse

Puisque la consécration qui est faite par le sacrement de l’ordre est ordonnée au sacrement de l’eucharistie, comme on l’a dit, l’acte principal de n’importe quel ordre est celui par lequel il est ordonné de manière prochaine au sacrement de l’eucharistie. De cette manière, un ordre est supérieur à un autre selon qu’un acte est davantage ordonné au sacrement mentionné. Mais parce que beaucoup de choses sont ordonnées au sacrement de l’eucharistie comme au plus digne, il n’est donc pas inconvenant qu’en plus de l’acte principal, un ordre possède aussi plusieurs actes, et d’autant plus qu’il est supérieur, car plus une puissance est supérieure, plus elle s’étend à davantage de choses.

[18957] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est praeparatio suscipientium sacramentum. Quaedam est remota; et haec per ministros perficitur: quaedam proxima, qua statim efficiuntur idonei ad sacramentorum susceptionem; et hoc pertinet ad sacerdotes: quia etiam in naturalibus ab eodem agente fit materia in ultima dispositione ad formam et recipit formam. Et quia in proxima dispositione ad Eucharistiam fit aliquis per hoc quod a peccatis purgatur; ideo omnium sacramentorum quae sunt instituta principaliter ad purgationem peccatorum, est minister proprius sacerdos, scilicet Baptismi, poenitentiae, et extremae unctionis.

Solutions

1. Il existe une double préparation de ceux qui reçoivent le sacrement. L’une est éloignée : celle-ci est réalisée par les ministres ; l’autre est prochaine : on est ainsi rendu immédiatement apte à recevoir le sacrement, et cela relève des prêtres, car, même dans les choses naturelles, la matière est menée à sa disposition ultime et elle reçoit la forme par le même agent. Et parce que l’on est mené à la disposition prochaine à l’eucharistie en étant purifié des péchés, le prêtre est le ministre propre de tous les sacrements qui ont été principalement institués pour purifier des péchés : le baptême, la pénitence et l’extrême-onction.

[18958] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus aliqui immediate ad Deum ordinantur dupliciter. Uno modo ex parte unius personae tantum, sicut facere singulares orationes, et vovere, et hujusmodi; et talis actus competit cuilibet baptizato. Alio modo ex parte totius Ecclesiae; et sic solus sacerdos habet actus immediate ad Deum ordinatos, quia ipse solus potest gerere actus totius Ecclesiae qui consecrat Eucharistiam, quae est sacramentum universalis Ecclesiae.

2. Certains actes sont ordonnés immédiatement à Dieu d’une double manière. D’une manière, de la part d’une seule personne seulement, comme faire des prières particulières, faire un vœu et les choses de ce genre : un tel acte convient à tous les baptisés. D’une autre manière, de la part de toute l’Église : ainsi, seul le prêtre exerce des actes immédiatement ordonnés à Dieu, car seul il peut agir au nom de toute l’Église qui consacre l’eucharistie, qui est le sacrement de l’Église universelle.

[18959] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oblationes a populo oblatae per sacerdotem offeruntur; et ideo duplex ministerium circa oblationes est necessarium: unum ex parte populi; et hoc est subdiaconi, qui accipit oblationes a populo, et in altari ponit, vel offert diacono; aliud ex parte sacerdotis, et hoc est diaconi, qui oblationes ministrat ipsi sacerdoti; et in hoc est actus principalis utriusque ordinis; et propter hoc ordo diaconi est superior. Legere autem epistolam non est actus diaconi, nisi secundum quod actus inferiorum ordinum superioribus attribuuntur: similiter etiam crucem ferre; et hoc secundum consuetudinem aliquarum Ecclesiarum, quia in actibus secundariis non est inconveniens diversas consuetudines esse.

3. Les offrandes faites par le peuple sont offertes par le prêtre. C’est pourquoi un double ministère est nécessaire pour les offrandes. L’un, de la part du peuple : c’est celui du sous-diacre, qui reçoit les offrandes du peuple, les places sur l’autel ou les présente au diacre. L’autre, de la part du prêtre : c’est celui du diacre, qui présente les offrandes au prêtre. C’est en cela que consiste l’acte principal des deux ordres et, pour cette raison, l’ordre du diacre est supérieur. Mais lire l’épître n’est pas l’acte du diacre, sauf dans la mesure où les actes des ordres inférieurs sont attribués aux ordres supérieurs. Il en va de même du port de la croix. Cela relève de la coutume de certaines Églises, car il n’est pas incorrect que des coutumes diverses existent pour les actes secondaires.

[18960] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod doctrina est remota praeparatio ad suscipiendum sacramentum; et ideo pronuntiatio doctrinae ministris committitur. Sed doctrina veteris testamenti est adhuc magis remota quam doctrina novi, quia non instruit de hoc sacramento nisi in figuris; et ideo novum testamentum superioribus ministris pronuntiandum committitur, vetus autem inferioribus. Doctrina etiam novi testamenti perfectior est quam dominus per seipsum tradidit, quam ipsius manifestatio per apostolos; et ideo Evangelium diacono, epistola subdiacono committuntur.

 

4. L’enseignement est une préparation lointaine à la réception du sacrement. C’est pourquoi la proclamation de l’enseignement est confiée aux ministres. Mais l’enseignement de l’Ancien Testament est encore plus lointain par rapport à l’enseignement du Nouveau, car il ne donne un enseignement sur ce sacrement qu’en figures. C’est pourquoi la proclamation du Nouveau Testament est confiée aux ministres supérieurs, et celle de l’Ancien Testament aux [ministres] inférieurs. Transmis par le Seigneur lui-même, l’enseignement du Nouveau Testament est aussi plus parfait que sa mise en lumière par les apôres. C’est pourquoi l’évangile est confié au diacre et l’épître au sous-diacre.

[18961] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 5 Et secundum hoc patet solutio ad quintum.

5. La réponse au cinquième argument est ainsi claire.

[18962] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod acolythi habent actum super urceolum tantum, non super ea quae in urceolo continentur; sed subdiaconus habet actum super contentis in urceolo, quia aqua utitur et vino ad ponendum in calice, et aquam iterum manibus sacerdotis praebet et diaconi; sicut et subdiaconus habet actum solum super calicem, non super contenta; sed sacerdos super contenta; et ideo sicut subdiaconus in sui ordinatione accipit calicem vacuum, sacerdos plenum; ita acolythus urceolum vacuum, sed subdiaconus plenum. Et sic est quaedam connexio in ordinibus.

6. Les acolythes n’exercent un acte que sur la burette, et non sur ce qui est contenu dans la burette ; mais le sous-diacre exerce un acte sur le contenu de la burette, car il utilise de l’eau et du vin pour les verser dans le calice, et il présente aussi l’eau aux mains du prêtre et du diacre. Il en va de même pour le sous-diacre, qui exerce un acte seulement sur le calice, et non sur son contenu. Mais le prêtre [exerce un acte] sur le contenu. C’est pourquoi, de même que le sous-diacre, lors de son ordination, reçoit un calice vide, et le prêtre, un calice rempli, de même l’acolythe reçoit-il une burette vide, mais le sous-diacre, une [burette] remplie. Il existe ainsi une certaine connexion entre les ordres.

[18963] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod corporales actus acolythi magis de proximo ordinantur ad actum sacrorum ordinum, quam actus exorcistarum, quamvis sit aliquo modo spiritualis: quia habent acolythi ministerium super vasa in quibus materia sacramenti continetur quantum ad vinum, quod vase continente indiget propter sui humiditatem; et ideo inter minores ordines ordo acolythorum est superior.

7. Les actes corporels de l’acolythe sont ordonnés de manière plus prochaine à l’acte des ordres sacrés, que l’acte des exorcistes, bien que celui-ci soit d’une certaine manière spirituel, car les acolythes exercent un ministère sur les vases dans lesquels la matière du sacrement est contenue, pour ce qui est du vin qui exige un contenant en raison de son humidité. C’est pourquoi, parmi les ordres mineurs, l’ordre des acolythes est supérieur.

[18964] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod actus acolythorum se habet propinquius ad principales actus superiorum ministrorum quam actus aliorum minorum ordinum, ut per se patet; et similiter etiam quantum ad actus secundarios, quibus populum per doctrinam disponunt: quia acolythus doctrinam novi testamenti visibiliter figurat lumen portans, sed lector recitando figuras alias; et ideo acolythus est superior. Similiter etiam exorcista: quia sicut se habet actus lectorum ad actum secundarium diaconi et subdiaconi; ita se habet actus exorcistae ad secundarium actum sacerdotis, scilicet ligare et solvere, per quem totaliter homo a servitute Diaboli liberatur. Et in hoc patet ordinatissimus ordinis progressus; quia sacerdoti quantum ad actum ejus principalem, scilicet consecrare corpus Christi, cooperantur tantum tres superiores ordines; sed quantum ad actum ejus secundarium, qui est absolvere et ligare, cooperantur superiores et inferiores.

8. L’acte des acolythes est plus proche des actes principaux des ministres supérieurs que les actes des autres ordres mineurs, comme cela ressort de soi. [Il l’est] aussi quant à ses actes secondaires, par lesquels il dispose le peuple par l’enseignement, car, en portant la lumière, l’acolythe représente de manière visible l’enseignement du Nouveau Testament, alors que le lecteur le fait en lisant d’autres figures. C’est pourquoi l’acolythe est supérieur. De même aussi l’exorciste, car le rapport de l’acte des lecteurs à l’acte secondaire du diacre et du sous-diacre est le même que celui de l’acte de l’exorciste à l’acte secondaire du prêtre, à savoir, lier et délier, par lequel l’homme est entièrement libéré de la servitude du Diable. Une progression très ordonnée apparaît ainsi, car, à son acte principal, consacrer le corps du Christ, seuls coopèrent les trois ordres supérieurs, mais, à son acte secondaire, qui consiste à délier et à lier, coopèrent les ordres supérieurs et les ordres inférieurs.

[18965] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod quidam dicunt quod in susceptione ordinis, ostiario datur quaedam vis divina, ut arcere possit alios ab introitu templi, sicut et in Christo fuit quando ejecit vendentes de templo. Sed hoc magis pertinet ad gratiam gratis datam quam ad gratiam sacramenti. Et ideo dicendum, quod suscipit potestatem ut ex officio hoc agere possit: quamvis etiam et hoc ab aliis fieri possit, sed non ex officio; et ita est in omnibus actibus minorum ordinum, quod possunt per alios licite fieri, quamvis illi non habeant ad hoc officium, sicut etiam in domo non consecrata potest dici Missa, quamvis consecratio Ecclesiae ad hoc ordinetur ut in ea Missa dicatur.

9. Certains disent que, par la réception de l’ordre, un pouvoir divin est donné au portier pour qu’il puisse empêcher les étrangers d’entrer dans le temple, comme c’était le cas pour le Christ lorsqu’il chassait les vendeurs du temple. Mais cela relève davantage d’un charisme que de la grâce d’un sacrement. C’est pourquoi il faut dire que [le portier] reçoit le pouvoir de faire cela en vertu de sa fonction, bien que cela puisse être aussi fait par d’autres, mais non pas en vertu de leur fonction. Il en est ainsi pour tous les actes des ordres mineurs : ils peuvent être légitimement accompli par d’autres, bien que ceux-ci n’aient pas une fonction pour cela, de même que la messe peut être dite dans une maison non consacrée, bien que la consécration d’une église soit ordonnée à ce que la messe y soit dite.

 

 

Articulus 3 [18966] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 tit. Utrum sacerdotii character imprimatur in ipsa calicis porrectione

Article 3 – Le caractère du sacerdoce est-il imprimé par la présentation du calice ?

[18967] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacerdotii character non imprimatur in ipsa calicis porrectione. Quia consecratio sacerdotis fit quadam unctione, sicut et confirmatio. Sed in confirmatione in ipsa unctione imprimitur character. Ergo et in sacerdotio, et non in calicis porrectione.

Objections

1. Il semble que le caractère du sacerdoce soit imprimé par la présentation du calice. Car la consécration du prêtre est faite par une onction, comme la confirmation. Or, dans la confirmation, le caractère est imprimé par l’onction elle-même. Il en est donc ainsi pour le sacerdoce. [Le caractère] n’est donc pas imprimé par la présentation du calice.

[18968] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, dominus dedit discipulis sacerdotalem potestatem quando dixit: accipite spiritum sanctum: quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, Joan. 20, 22. Sed spiritus datur per manus impositionem. Ergo in ipsa manus impositione imprimitur character ordinis.

2. Le Seigneur a donné aux disciples le pouvoir sacerdotal lorsqu’il a dit : Recevez l’Esprit Saint : ceux à qui vous aurez remis leurs péchés, ils leur seront remis, Jn 20, 22. Or, l’Esprit est donné par l’imposition de la  main. Le caractère de l’ordre est donc imprimé par l’imposition de la main.

[18969] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut consecratur minister, ita et vestes ministrorum. Sed vestes sola benedictio consecrat. Ergo in ipsa benedictione episcopi consecratio sacerdotis perficitur.

3. De même que le ministre est consacré, de même les vêtements des ministres [le sont-ils]. Or, la seule bénédiction consacre les vêtements. La consécration du prêtre est donc accomplie par la bénédiction même de l’évêque.

[18970] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut sacerdoti datur calix, ita et vestis sacerdotalis. Si ergo in datione calicis imprimitur character; eadem ratione et in datione casulae; et sic haberet duos characteres, quod falsum est.

4. De même que le calice est donné au prêtre, de même le vêtement sacerdotal [l’est-il] aussi. Si donc le caractère est imprimé par le don du calice, il l’est donc aussi par le don de la chasuble, et ainsi, il aurait deux caractères, ce qui est faux.

[18971] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, ordo diaconi conformior est ordini sacerdotis quam subdiaconi ordo. Sed si character imprimeretur sacerdoti in ipsa calicis porrectione, subdiaconus esset conformior sacerdoti quam diaconus: quia subdiaconus characterem recipit in ipsa calicis porrectione, non autem diaconus. Ergo character sacerdotalis non imprimitur in ipsa calicis porrectione.

5. L’ordre du diacre est plus conforme à l’ordre du prêtre que l’ordre du sous-diacre. Or, si le caractère était imprimé dans le prêtre par le présentation du calice, le sous-diacre serait plus conforme au prêtre que le diacre, car le sous-diacre reçoit le caractère par la présentation même du calice, mais non le diacre. Le caractère sacerdotal n’est donc pas imprimé par la présentation même du calice.

[18972] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, acolythorum ordo magis appropinquat ad actum sacerdotis per hoc quod habet actum super urceolum quam per hoc quod habet actum super candelabrum. Sed magis imprimitur character in acolythatu quando accipiunt candelabrum, quam quando accipiunt urceolum; quia nomen acolythi cerei portationem significat. Ergo nec in sacerdotio imprimitur character quando calicem accipit.

6. L’ordre des acolythes se rapproche davantage de l’acte du prêtre par le fait qu’il exerce un acte sur la burette que par le fait qu’il exerce un acte sur le chandelier. Or, le caractère est plutôt imprimé chez les acolythes lorsqu’ils reçoivent la burette que lorsqu’ils reçoivent le chandelier, car le mot « acolythe » signifie le fait de porter un cierge. Le caractère n’est donc pas imprimé dans le sacerdoce lorsqu’il reçoit le calice.

[18973] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, principalis actus sacerdotis est consecrare corpus Christi. Sed ad hoc datur sibi potestas in acceptione calicis. Ergo tunc imprimitur character.

Cependant, l’acte principal du prêtre consiste à consacrer le corps du Christ. Or, le pouvoir pour cela lui est donné lorsqu’il reçoit le calice. Le caractère est donc imprimé à ce moment.

 

[18974] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, ejusdem est formam aliquam inducere, et materiam de proximo praeparare ad formam. Unde episcopus in collatione ordinum duo facit: praeparat enim ordinandos ad ordinis susceptionem, et ordinis potestatem tradit. Praeparat quidem et instruendo eos de proprio officio, et aliquid circa eos operando, ut idonei sint potestatem accipiendi: quae quidem praeparatio in tribus consistit, scilicet benedictione, manus impositione, et unctione. Per benedictionem, divinis obsequiis mancipatur; et ideo benedictio omnibus datur. Sed per manus impositionem datur plenitudo gratiae, per quam ad magna officia sint idonei: et ita solis diaconibus et sacerdotibus fit manus impositio: quia eis competit dispensatio sacramentorum, quamvis uni ut principali, et alteri sicut ministro. Sed unctione ad aliquod sacramentum tractandum consecrantur; et ideo unctio solis sacerdotibus fit, qui propriis manibus corpus Christi tangunt, sicut etiam calix inungitur qui continet sanguinem, et patena quae continet corpus. Sed potestatis collatio fit per hoc quod datur eis aliquid quod ad proprium actum pertinet; et quia principalis actus sacerdotis est consecrare corpus et sanguinem Christi, ideo in ipsa datione calicis sub forma verborum determinata character sacerdotalis imprimitur.

Réponse

Comme on l’a dit, il relève du même d’entraîner une forme et de préparer de manière prochaine la matière à [recevoir] la forme. C’est pourquoi l’évêque fait deux choses lorsqu’il donne les ordres. En effet, il prépare ceux qui doivent être ordonnés à recevoir l’ordre, et il transmet le pouvoir d’ordre. Il prépare en les instruisant sur leur fonction propre et en accomplissant quelque chose à leur sujet, afin qu’il soient rendus aptes à recevoir le pouvoir ; cette préparation consiste en trois choses : la bénédiction, l’imposition de la main et l’onction. Par la bénédiction, il [les] consacre au culte divin : c’est pourquoi la bénédiction est donnée à tous. Mais, par l’imposition de la main, la plénitude de la grâce est donnée, afin qu’ils soient aptes à de grandes fonctions : l’imposition de la main est donc faite uniquement aux diacres et aux prêtres, car c’est d’eux que relève la dispensation des sacrements, bien qu’elle relève de l’un à titre principal, et de l’autre comme d’un ministre. Mais ils sont consacrés par l’onction pour manier le sacrement ; c’est pourquoi l’onction est donnée aux seuls prêtres, qui touchent de leurs mains le corps du Christ, comme aussi le calice qui contient le sang du Christ est oint et la patène qui contient le corps. Mais le pouvoir est conféré par le fait que quelque chose leur est donné qui se rapporte à leur acte propre. Et parce que l’acte principal du prêtre consiste à consacrer le corps et le sang du Christ, le caractère sacerdotal est imprimé par le don même du calice, sous la forme déterminée pour les paroles.

[18975] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in confirmatione non datur officium operandi super aliquam materiam exteriorem: et ideo ibi character non imprimitur in aliqua exhibitione alicujus rei, sed in sola manus impositione, et unctione; sed in ordine sacerdotali aliter est; et ideo non est simile.

Solutions

1. La fonction d’agir sur une matière extérieure n’est pas donnée par la confirmation. C’est pourquoi le caractère n’y est pas imprimé par la présentation d’une chose, mais par la seule imposition de la main et par l’onction. Mais il en va autrement pour l’ordination sacerdotale. Ce n’est donc pas la même chose.

[18976] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus discipulis dedit sacerdotalem potestatem quantum ad principalem actum ante passionem in coena, quando dixit Matth. 26, 26: accipite, et manducate; unde subjunxit Lucae 22, 19: hoc facite in meam commemorationem. Sed post resurrectionem dedit eis sacerdotalem potestatem quantum ad actum secundarium, qui est ligare et absolvere.

2. Le Seigneur a donné à ses disciples le pouvoir sacerdotal quant à son acte principal avant la passion, lors de la cène, lorsqu’il a dit, Mt 26, 26 : Prenez et mangez. Aussi ajoute-t-il, Lc 22, 19 : Faites cela en mémoire de moi. Mais, après la résurrection, il leur a donné le pouvoir sacerdotal quant à son acte secondaire, qui consiste à lier et à délier.

[18977] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in vestibus non requiritur alia consecratio, nisi quod divino cultui mancipentur; et ideo sufficit eis pro consecratione benedictio; sed aliter est de ordinatis, ut ex dictis patet.

3. Une autre consécration n’est pas requise pour les vêtements, si ce n’est pour qu’ils sont consacrés au culte divin. C’est pourquoi la bénédiction suffit pour eux comme consécration. Mais il en est autrement de ceux qui sont ordonnés, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[18978] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vestis sacerdotalis non significat potestatem sacerdoti datam, sed idoneitatem quae in eo requiritur ad actum potestatis exequendum; et ideo nec sacerdoti nec alicui alii imprimitur character in alicujus vestis datione.

4. Le vêtement sacerdotal ne signifie pas que le pouvoir sacerdotal a été donné au prêtre, mais l’aptitude qui est requise chez lui pour exercer l’acte de ce pouvoir. C’est pourquoi un caractère n’est pas imprimé chez le prêtre ni chez personne d’autre par le don d’un vêtement.

[18979] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod potestas diaconi est media inter potestatem subdiaconi et sacerdotis. Sacerdos enim directe habet potestatem super corpus Christi; subdiaconus autem super vasa tantum; sed diaconus super corpus in vase contentum: unde ejus non est tangere corpus Christi, sed portare corpus Christi in patena, et dispensare sanguinem cum calice; et ideo ejus potestas ad actum principalem non potuit exprimi nec per dationem vasis tantum, nec per dationem materiae; sed exprimitur potestas ejus ad actum secundarium in hoc quod datur sibi liber Evangeliorum; et in hac potestate intelligitur alia; et ideo in ipsa libri datione imprimitur character.

5. Le pouvoir du diacre est intermédiaire entre le pouvoir du sous-diacre et celui du prêtre. En effet, le prêtre a directement un pouvoir sur le corps du Christ ; mais le sous-diacre [en a un] sur les vases seulement, et le diacre, sur le corps contenu dans le vase. Il ne lui revient donc pas de toucher le corps du Christ, mais de porter le corps du Christ sur la patène et de dispenser le sang avec le calice. C’est pourquoi son pouvoir pour l’acte principal ne pouvait être exprimé ni par le don du vase seulement, ni par le don de la matière ; mais son pouvoir pour l’acte secondaire est exprimé par le fait que le livre des évangiles lui est donné et que l’autre pouvoir est compris dans ce pouvoir. C’est pourquoi le caractère est imprimé par le don du livre.

[18980] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod principalior actus acolythi est quo ministrat in urceolo quam quo ministrat in candelabro, quamvis denominetur ab actu secundario, propter hoc quod est magis notus, et magis proprius ei; et ideo in datione urceoli imprimitur character virtute verborum ab episcopo pronuntiatorum.

6. L’acte principal de l’acolythe est celui par lequel il assure un ministère à propos de la burette plutôt que celui par lequel il assure un ministère à propos du chandelier, bien qu’il tire son nom de l’acte secondaire parce qu’il est plus connu et qu’il lui est plus propre. C’est pourquoi le caractère est imprimé, lors du don d’une burette, par la puissance des paroles prononcées par l’évêque.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Ceux qui sont ordonnés doivent-ils porter la tonsure ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[18981] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 pr. Deinde quaeritur de quibusdam quae sunt ordinibus annexa; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de corona; 2 de episcopatu; 3 de vestibus sacris.

On s’interroge ensuite sur ce qui est associé aux ordres. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – À propos de la tonsure. 2 – À propos de l’épiscopat. 3 – À propos des vêtements sacrés.

 

 

Articulus 1 [18982] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 tit. Utrum ordinati debeant coronae tonsuram habere

Article 1 – Ceux qui sont ordonnés doivent-ils porter la tonsure ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ceux qui sont ordonnés doivent-ils porter uune tonsure sous forme de couronne ?]

[18983] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ordinati non debeant coronae tonsuram habere. Quia dominus captivitatem comminatur et dispersionem his qui sic attenduntur, ut patet Deuter. 32, 42: de captivitate nudati inimicorum capitis; et Hierem. 49, 32: dispergam in omnem ventum eos qui in comam attonsi sunt. Sed ministris Christi non debetur captivitas, sed libertas. Ergo corona, tonsura et rasura eis non competit.

1. Il semble que ceux qui sont ordonnés ne doivent pas porter une tonsure sous forme de couronne, car le Seigneur a menacé de la captivité et de la dispersion ceux qui se comportent ainsi, comme cela ressort en Dt  32, 42 : En captivité, la tête rasée des ennemis ; et en Jr 49, 32 : Je disperserai à tout vent ceux qui se sont tondu la chevelure. Or, la captivité n’est pas due aux ministres du Christ, mais la liberté. La couronne, la tonsure ou la tête rasée ne leur conviennent donc pas.

[18984] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, veritas debet respondere figurae. Sed figura coronae praecessit in veteri lege in tonsura Nazaraeorum, sicut in littera dicitur. Cum ergo Nazaraei non essent ordinati ad ministerium divinum, videtur quod ministris Ecclesiae non debeatur tonsura, vel rasura coronae; et hoc etiam videtur per hoc quod conversi, qui non sunt ministri Ecclesiae, tondentur in religionibus.

2. La vérité doit correspondre à la figure. Or, la figure de la couronne a précédé sous l’ancienne loi par la tonsure des Nazaréens, comme on le dit dans le texte. Puisque les Nazaréens n’étaient pas ordonnés au ministère divin, il semble que la tonsure ou la couronne ne soient pas dues aux ministres de l’Église. Cela semble aussi ressortir de ce que les convers, qui ne sont pas des ministres de l’Église, sont tondus dans les ordres religieux.

[18985] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per capillos superflua signantur, quia capilli ex superfluis generantur. Sed ministri altaris omnes superfluitates a se debent abjicere. Ergo totaliter debent caput tondere, et non in modum coronae.

 

3. Les choses superflues sont indiquées par les cheveux, car les cheveux sont engendrés par le superflu. Or, tous les ministres de l’autel doivent rejeter ce qui est superflu en eux. Ils doivent donc se tondre complètement la tête, et non pas sous la forme de la couronne.

[18986] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra: quia secundum Gregorium servire Deo, regnare est. Sed corona est signum regni. Ergo illis qui ad divinum ministerium applicantur, corona competit.

Cependant, [1] selon Grégoire, « servir Dieu, c’est régner ». Or, la couronne est un signe de la royauté. La couronne appartient donc à ceux qui sont destinés au ministère  divin.

[18987] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, capilli in velamentum dati sunt, ut patet 1 Corinth. 11. Sed ministri altaris debent habere mentem revelatam. Ergo competit eis rasura coronae.

[2] Les cheveux ont été donnés comme un voile, comme cela ressort de 1 Co 11. Or, les ministres de l’autel doivent avoir un esprit ouvert. Le rasage sous forme de couronne leur revient donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La couronne est-elle un ordre ?]

[18988] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corona sit ordo. Quia in actibus Ecclesiae spiritualia corporalibus respondent. Sed corona est quoddam corporale signum quod Ecclesia adhibet. Ergo videtur quod signum interius respondeat ei; et ita etiam in coronatione imprimetur character, et erit ordo.

1. Il semble que la couronne soit un ordre, car, dans les actes de l’Église, des réalités spirituelles correspondent aux actes corporels. Or, la couronne est un signe corporel que l’Église utilise. Il semble donc qu’un signe intérieur lui corresponde ; un caractère est ainsi imprimé par le couronnement. Il s’agira donc d’un ordre.

 

[18989] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut ab episcopo solum datur confirmatio et alii ordines, ita et corona. Sed in confirmatione et aliis ordinibus imprimitur character. Ergo et in corona, et sic idem quod prius.

2. De même que la confirmation et les autres ordres sont donnés par l’évêque seulement, de même en est-il de la couronne. Or, par la confirmation et les autres ordres, un caractère est imprimé. Donc, par la couronne aussi. La conclusion est donc la même que précédemment.

[18990] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ordo importat quemdam dignitatis gradum. Sed clericus hoc ipso quod clericus est, in gradu supra populum constituitur. Ergo corona per quam efficitur clericus, est aliquis ordo.

3. L’ordre comporte un certain degré de dignité. Or, le clerc, par le fait même qu’il est clerc, est établi dans un degré supérieur à celui du peuple. La couronne par laquelle il est fait clerc est donc un ordre.

[18991] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullus ordo datur nisi in Missae celebratione. Sed corona datur etiam absque officio Missae. Ergo non est ordo.

Cependant, [1] aucun ordre n’est donné qu’au cours de la célébration de la messe. Or, la couronne est donnée aussi sans l’office de la messe. Elle n’est donc pas un ordre.

[18992] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in collatione cujuslibet ordinis fit mentio de aliqua potestate data; non autem in collatione coronae. Ergo non est ordo.

[2] Lorsque tous les ordres sont conférés, il est fait mention qu’un pouvoir est donné, mais ce n’est pas le cas lorsque la couronne est donnée. Elle n’est donc pas un ordre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Par le fait de recevoir la couronne, renonce-t-on aux biens temporels ?]

[18993] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per acceptionem coronae aliquis renuntiet temporalibus bonis. Ipsi enim dicunt cum coronantur: dominus pars hereditatis meae. Sed sicut dicit Hieronymus, dominus cum istis temporalibus pars fieri dedignatur. Ergo abrenuntiat temporalibus.

1. Par le fait de recevoir la couronne, il semble qu’on renonce aux biens temporels. En effet, lorsqu’ils sont couronnés, [ceux qui reçoivent la couronne] disent : « Le Seigneur est ma part d’héritage. » Or, comme le dit Jérôme, « le Seigneur est dédaigné lorsqu’on prend part à ces choses temporelles ». [Celui qui reçoit la couronne] renonce donc aux biens temporels.

[18994] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, justitia ministrorum novi testamenti debet abundare super ministros veteris, ut patet Matth. 5. Sed ministri veteris testamenti, scilicet Levitae, non acceperunt partem hereditatis cum fratribus suis. Ergo nec ministri novi testamenti habere debent.

2. La justice des ministres de la nouvelle alliance doit dépasser celle des ministres de l’ancienne alliance, comme cela ressort de Mt 5. Or, les ministres de l’ancienne alliance, les lévites, n’ont pas reçu une part d’héritage comme leurs frères. Les ministres de la nouvelle alliance ne doivent donc pas non plus en posséder.

[18995] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Hugo dicit, quod postquam aliquis factus est clericus, deinceps debet de stipendiis Ecclesiae sustentari. Sed hoc non esset, si patrimonium suum retineret. Ergo videtur quod abrenuntiet in hoc quod clericus fit.

3. Hugues dit que, « après que quelqu’un est devenu clec, il doit par la suite tirer sa subsistance des appointements de l’Église ». Or, ce ne serait pas le cas si on retenait son propre patrimoine. Il semble donc qu’on y renonce par le fait même de devenir clerc.

[18996] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Hieremias fuit de ordine sacerdotali, ut patet Hierem. 1. Sed ipse habuit possessionem ex hereditatis jure, ut patet Hierem. 39. Ergo clerici possunt habere patrimonialia bona.

Cependant, [1] Jérémie appartenait à l’ordre sacerdotal, comme cela ressort de Jr 1. Or, il possédait des biens par droit d’héritage, comme cela ressort de Jr 39. Les clercs peuvent donc posséder des biens patrimoniaux.

[18997] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, si hoc non possent, non videretur tunc differentia inter clericos saeculares et religiosos.

[2] S’ils ne pouvaient pas [posséder des biens temporels] on ne verrait pas de différence entre les clecs séculiers et les religieux.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[18998] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod eis qui ad divina ministeria applicantur competit tonsura et rasura in modum coronae; et ratione figurae, quia corona est signum regni; et perfectionis, cum sit circularis. Illi autem qui divinis ministeriis applicantur, adipiscuntur regiam dignitatem, et perfecti in virtute esse debent. Competit etiam eis ratione subtractionis capillorum, et ex parte superiori per rasuram, ne mens eorum temporalibus occupationibus a contemplatione divinorum retardetur; et ex parte inferiori per tonsuram, ne eorum sensus temporalibus obvolvantur.

À ceux qui sont destinés aux ministères divins, conviennent la tonsure et le rasage sous forme de couronne, tant en raison de la figure, car la couronne est un signe de royauté, qu’en raison de la perfection, puisqu’elle est circulaire. Or, ceux qui sont destinés aux ministères divins obtiennent une dignité royale et doivent être parfaits par leur vertu. Elle leur convient aussi en raison de la suppression des cheveux, tant d’un point de vue supérieur par le rasage, de sorte que leur esprit ne soit pas empêché de contempler les réalités divines par des occupations temporelles, que d’un point de vue inférieur par la tonsure, de sorte que leurs sens ne soient pas enveloppés dans les choses temporelles.

[18999] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus comminatur illis qui hoc ad cultum Daemonum faciebant.

1. Le Seigneur menaçait ceux qui faisaient cela pour le culte des démons.

[19000] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae fiebant in veteri testamento, imperfecte repraesentant ea quae sunt in novo testamento; et ideo ea quae pertinent ad ministros novi testamenti, non solum significantur per officia Levitarum, sed per omnes illos qui aliquam perfectionem profitebantur. Nazaraei autem profitebantur perfectionem quamdam in depositione comae, significantes temporalium contemptum; quamvis non in modum coronae deponerent, sed omnino totum: quia nondum erat tempus regalis et perfecti sacerdotii. Et similiter etiam conversi tonduntur propter renuntiationem temporalium; sed non raduntur, quia non occupantur divinis ministeriis, in quibus divina oporteat eos mente contemplari.

2. Ce qui était accompli sous l’ancienne alliance représente imparfaitement ce qui existe sous la nouvelle ; c’est pourquoi ce qui se rapporte aux ministres de la nouvelle alliance n’est pas signifié seulement par les fonctions des lévites, mais par tous ceux qui témoignaient d’une certaine perfection. Or, les Nazaréens témoignaient d’une certaine perfection en supprimant leur chevelure, en signifiant le mépris des réalités temporelles, bien qu’ils ne les enlevaient pas sous forme de couronne, mais totalement, car ce n’était pas encore le temps du sacerdoce royal et parfait. De la même manière, les convers sont tonsurés en raison de leur renoncement aux biens temporels ; mais ils ne sont pas rasés, car ils ne s’adonnent pas aux ministères divins, pour lesquels il leur faut contempler en esprit.

[19001] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non solum debet significari temporalium abjectio, sed etiam regalis dignitas in forma coronae; et ideo non debet totaliter coma tolli; et etiam ne indecens videatur.

3. Il ne faut pas seulement que soit signifié le rejet des biens temporels, mais aussi la dignité royale par la forme de la couronne. C’est pourquoi toute la chevelure ne doit pas être enlevée, de crainte aussi qu’il ne paraisse inconvenant.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19002] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ministri Ecclesiae a populo separantur ad vacandum divino cultui. In cultu autem divino quaedam sunt quae per potentias determinatas sunt exercenda; et ad haec datur spiritualis potestas ordinis: quaedam autem sunt quae communiter a toto ministrorum collegio fiunt, sicut dicere divinas laudes; et ad hoc non praeexigitur aliqua potestas ordinis, sed solum quaedam deputatio ad tale officium; et hoc fit per coronam; et ideo non est ordo, sed praeambulum ad ordinem.

Les ministres de l’Église sont séparés du peuple pour vaquer au culte divin. Or, dans le culte divin, certaines choses doivent être accomplies par des pouvoirs déterminés : pour cela, le pouvoir spirituel d’ordre est donné. Mais certaines choses sont accomplies accomplies d’une manière générale par tout le collège des ministres, comme dire les louanges divines : un pouvoir d’ordre n’est pas requis au préalable pour cela, mais seulement une assignation à une telle fonction. Cela est fait par la couronne. C’est pourquoi elle n’est pas un ordre, mais un préambule à un ordre.

[19003] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corona habet interius aliquod spirituale quod ei respondet, sicut signum signato; sed hoc non est aliqua spiritualis potestas; et ideo in corona non imprimitur character, nec est ordo.

1. La couronne possède à l’intérieur quelque chose de spirituel qui lui correspond comme le signe [correspond] à ce qui est signifié ; mais ce n’est pas un pouvoir spirituel. C’est pourquoi un caractère ni un ordre n’est imprimé par la couronne.

[19004] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis per coronam non imprimatur character, tamen deputatur homo ad divinum cultum; et ideo talis deputatio debet fieri per summum ministrorum, scilicet episcopum, qui etiam vestes benedicit, et vasa, et omnia quae ad cultum divinum applicantur.

2. Bien qu’un caractère ne soit pas imprimé par la couronne, l’homme est cependant assigné [par elle] au culte divin. C’est pourquoi une telle assignation doit être faite par le plus élevé des ministres, l’évêque, qui bénit aussi les vêtements, les vases et tout ce qui est destiné au culte divin.

[19005] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod aliquis est clericus, est in altiori statu quam laicus; non tamen habet ampliorem potestatis gradum, quod ad ordinem requiritur.

3. Par le fait que quelqu’un est un clerc, il se trouve dans un état plus élevé qu’un laïc ; il n’a cependant pas un degré plus élevé du pouvoir qui est requis pour l’ordre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19006] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod clerici in hoc quod coronam accipiunt, non renuntiant patrimonio, neque aliis rebus temporalibus: quia terrenorum possessio non contrariatur divino cultui, ad quem clerici deputantur, sed nimia eorum solicitudo: quia, ut dicit Gregorius, affectus in crimine est.

En recevant la couronne, les clercs ne renoncent pas à leur patrimoine ni aux autres biens temporels, car la possession de biens temporesl ne s’oppose pas au culte divin auxquels les clercs sont assignés, mais une trop grande préoccupation de ces biens, car, comme le dit Grégoire, « c’est l’attachement qui tourne à la faute ».

[19007] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus dedignatur pars fieri, ut ex aequo cum aliis diligatur; ita scilicet quod aliquis ponat finem suum in Deo et in rebus mundi; non tamen dedignatur fieri pars eorum qui res mundi ita possident quod per eas a cultu divino non retrahuntur.

1. Le Seigneur n’a pas voulu être une part pour ne pas être aimé à l’égal des autres, de sorte que l’on place sa fin en Dieu et dans les choses du monde. Il n’a cependant pas refusé d’être une part avec ceux qui possèdent les biens du monde de telle manière qu’ils ne soient pas détournés par eux du culte divin.

[19008] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Levitae in veteri testamento habebant jus in hereditate paterna; sed ideo non acceperunt partem cum aliis tribubus, quod erant per omnes tribus dispergendi; quod fieri non potuisset, si unam determinatam partem terrae accepissent, sicut aliae tribus.

2. Les lévites sous l’ancienne alliance avaient droit à l’héritage paternel ; mais ils n’ont pas reçu de part avec les autres tribus pour tout ce qui était réparti entre toutes les tribus, ce qui n’aurait pu se faire s’ils avaient reçu une partie de la terre comme les autres tribus.

[19009] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si sint indigentes clerici ad sacros ordines promoti, episcopus qui eos promovit, debet eis providere, alias non tenetur; ipsi autem ex ordine suscepto tenentur Ecclesiae ministrare. Verbum autem Hugonis intelligitur quando non habent unde sustententur.

3. Si les clercs qui sont promus aux ordres sacrés sont indigents, l’évêque doit assurer leur subsistance, mais il n’est pas tenu à autre chose. Mais eux-mêmes sont tenus d’être au service de l’Église en vertu de l’ordre reçu. Or, la parole de Hugues s’entend du cas où ils n’auraient pas de quoi subsister.

 

 

Articulus 2 [19010] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 tit. Utrum supra sacerdotalem ordinem debeat esse aliqua potestas episcopalis

Article 2 – Un pouvoir épiscopal doit-il exister au-dessus de l’ordre sacerdotal ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un pouvoir épiscopal doit-il exister au-dessus de l’ordre sacerdotal ?]

[19011] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod supra sacerdotalem ordinem non debeat esse aliqua potestas episcopalis. Quia, sicut in littera dicitur, ordo sacerdotalis ab Aaron sumpsit exordium. Sed in veteri lege nullus erat supra Aaron. Ergo nec in nova lege debet aliqua potestas esse supra sacerdotalem.

1. Il semble qu’un pouvoir épiscopal ne doive pas exister au-dessus de l’ordre sacerdotal, car, comme il est dit dans le texte, l’ordre sacerdotal a commencé avec Aaron. Or, sous l’ancienne loi, personne n’était supérieur à Aaron. Sous la loi nouvelle, il ne doit pas y avoir de pouvoir supérieur au pouvoir sacerdotal.

[19012] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, potestates ordinantur secundum actus. Sed nullus actus sacer potest esse major quam consecrare corpus Christi, ad quod est potestas sacerdotalis. Ergo supra sacerdotalem potestatem non debet esse episcopalis.

2. Les pouvoirs sont ordonnés selon les actes. Or, aucun acte sacré ne peut être plus grand que celui de consacrer le corps du Christ, ce pour quoi le pouvoir sacerdotal existe. Un pouvoir épiscopal ne doit donc pas exister au-dessus du pouvoir sacerdotal.

[19013] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sacerdos in offerendo gerit figuram Christi in Ecclesia, qui se patri pro nobis obtulit. Sed in Ecclesia nullus est major Christo, quia ipse est caput Ecclesiae. Ergo nulla potestas debet esse supra sacerdotalem potestatem.

3. En offrant, le prêtre tient dans l’Église la place du Christ, qui s’est offert au Père pour nous. Or, dans l’Église, personne ne peut être plus grand que le Christ, car il est lui-même la tête de l’Église. Aucun pouvoir ne doit donc exister au-dessus du pouvoir sacerdotal.

[19014] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, potestas tanto est altior, quanto ad plura se extendit. Sed potestas sacerdotalis, ut dicit Dionysius, extendit se ad purgandum et illuminandum tantum; episcopalis autem ad hoc, et ad perficiendum. Ergo supra sacerdotalem potestatem debet esse episcopalis.

Cependant, [1] un pouvoir est d’autant plus grand qu’il s’étend à plus de choses. Or, le pouvoir sacerdotal, comme le dit Denys, s’étend à la purification et à l’illumination seulement, mais le pouvoir épiscopal, à cela et à perfectionner. Il doit donc exister un pouvoir épiscopal au-dessus du pouvoir sacerdotal.

[19015] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, divina ministeria debent esse magis ordinata quam humana. Sed humanorum officiorum ordo exigit ut in quolibet officio praeponatur unus qui sit princeps illius officii, sicut praeponitur militibus dux. Ergo et sacerdotibus debet aliquis praeponi qui sit sacerdotum princeps, et hic est episcopus. Ergo episcopalis potestas debet esse supra sacerdotalem.

[2] Les ministères divins doivent être plus ordonnés que les [ministères] humains. Or, l’ordre des fonctions humaines exige que, dans toute fonction, quelqu’un soit placé plus haut pour être le dirigeant de cette fonction, comme le chef est placé au-dessus des soldats. Il doit donc y avoir pour les prêtres quelqu’un qui est placé plus haut pour être le dirigeant des prêtres : celui-ci est l’évêque. Un pouvoir épiscopal doit donc exister au-dessus du pouvoir sacerdotal.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’épiscopat est-il un ordre ?]

[19016] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod episcopatus sit ordo. Primo per hoc quod Dionysius assignat hos tres ordines ecclesiasticae hierarchiae, episcopum, sacerdotem, et ministrum. In littera etiam dicitur, quod est ordo episcoporum quadripartitus.

1. Il semble que l’épiscopat soit un ordre, d’abord par le fait que Denys signale ces trois ordres de la hiérarchie ecclésiastique : l’évêque, le prêtre et le ministre. Il est aussi dit dans le texte que l’ordre des évêques se divise en quatre.

[19017] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ordo nihil aliud est quam quidam potestatis gradus in spiritualibus dispensandis. Sed episcopi possunt dispensare aliqua sacramenta quae non possunt dispensare sacerdotes, sicut confirmationem et ordinem. Ergo episcopatus est ordo.

2. L’ordre n’est rien d’autre qu’un degré de pouvoir pour dispenser les réalités spirituelles. Or, les évêques peuvent dispenser certains sacrements que les prêtres ne peuvent pas dispenser, comme la confir-mation et l’ordre. L’épiscopat est donc un ordre.

[19018] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in Ecclesia non est aliqua spiritualis potestas nisi ordinis vel jurisdictionis. Sed ea quae pertinent ad potestatem episcopalem, non sunt jurisdictionis; alias possent committi non episcopo, quod est falsum. Ergo sunt potestatis ordinis: ergo episcopus habet aliquem ordinem quem non habet sacerdos simplex; et sic episcopatus est ordo.

3. Dans l’Église, il n’y a pas d’autre pouvoir que le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction. Or, ce qui relève du pouvoir épiscopal ne fait pas partie de la juridiction, autrement cela pourrait être confié à quelqu’un qui n’est pas évêque, ce qui est faux. Cela relève donc du pouvoir d’ordre. L’évêque a donc un ordre que le simple prêtre ne possède pas. L’épiscopat est ainsi un ordre.

[19019] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quia unus ordo non dependet a praecedenti quantum ad necessitatem sacramenti. Sed episcopalis potestas dependet a sacerdotali: quia nullus potest recipere episcopalem, nisi prius habeat sacerdotalem. Ergo episcopatus non est ordo.

Cependant, [1] un ordre ne dépend pas de celui qui précède pour ce qui est nécessaire au sacrement. Or, le pouvoir épiscopal dépend de l’ordre sacerdotal, car personne ne peut recevoir l’ordre épiscopal sans avoir auparavant l’ordre sacerdotal. L’épiscopat n’est donc pas un ordre.

[19020] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, majores ordines non conferuntur nisi in sabbatis. Sed episcopalis potestas traditur in dominicis. Ergo non est ordo.

[2] Les ordres majeurs ne sont conférés que les samedis. Or, le pouvoir épiscopal est conféré les dimanches. Il n’est donc pas un ordre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dans l’Église, quelqu’un peut-il être supérieur aux évêques ?]

[19021] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod supra episcopos non possit aliquis esse superior in Ecclesia. Quia omnes episcopi sunt apostolorum successores. Sed potestas quae est data uni apostolorum, scilicet Petro, Matth. 16, est etiam data omnibus apostolis, Joan. 20. Ergo omnes episcopi sunt pares, et unus non est supra alterum.

1. Il semble que personne ne puisse être supérieur aux évêques dans l’Église, car tous les évêques sont des successeurs des apôtres. Or, le pouvoir qui a été donné à l’un des apôtres, Pierre, en Mt 16, a aussi été donné à tous les apôtres en Jn 20. Tous les évêques sont donc égaux, et l’un n’est pas supérieur à un autre.

[19022] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ritus Ecclesiae magis debet esse conformis ritui Judaeorum quam ritui gentilium. Sed distinctio episcopalis dignitatis, et ordinatio unius super alium, ut in littera dicitur, est a gentilibus introducta; in veteri autem lege non erat. Ergo nec in Ecclesia episcopus unus super alium esse debet.

2. Le rite de l’Église doit être plus conforme au rite des Juifs qu’au rite des gentils. Or, la distinction à l’intérieur de la dignité épiscopale et l’ordre qui place l’un au-dessus des autres ont été introduits par les gentils, comme le texte le dit ; sous la loi ancienne, ils n’existaient pas. Un évêque ne doit donc pas être au-dessus des autres dans l’Église.

[19023] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, superior potestas non potest conferri per inferiorem, neque aequalis per aequalem: quia sine ulla contradictione, quod minus est, a meliore benedicitur: Hebr. 7, 7; unde etiam sacerdos non promovet episcopum, neque sacerdotem, sed episcopus sacerdotem; et episcopus potest quemlibet episcopum promovere, quia etiam Ostiensis episcopus consecrat Papam. Ergo episcopalis dignitas in omnibus est aequalis; et sic unus episcopus non debet aliis subesse, ut in littera dicitur.

3. Un pouvoir supérieur ne peut être conféré par un inférieur, ni un égal par un égal, car, « sans exception, ce qui est inférieur est béni par ce qui est meilleur », He 7, 7. Aussi un prêtre ne promeut-il pas un évêque, mais un évêque un prêtre ; et un évêque peut promouvoir n’importe quel évêque, car l’évêque d’Ostie consacre le pape. La dignité épiscopale est donc égale chez tous, et ainsi un évêque ne doit pas être soumis aux autres, comme il est dit dans le texte.

[19024] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod legitur in Concilio Constantinopolitano: veneramur secundum Scripturas et canonum definitiones sanctissimum antiquae Romae episcopum primum esse et maximum episcoporum; et post ipsum, Constantinopolitanum episcopum. Ergo unus episcopus est super alium.

Cependant, [1] on lit dans le concile de Constantinople : « Selon les Écritures et les définitions des canons, nous vénérons l’évêque de l’ancienne Rome comme le premier et le plus grand des évêques, et après lui, l’évêque de Constantinople. » Un évêque et donc au-dessus d’un autre.

[19025] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, beatus Cyrillus episcopus Alexandrinus dicit: ut membra maneamus in capite nostro apostolico throno Romanorum pontificum, a quo nostrum est quaerere quid credere et quid tenere debeamus, ipsum venerantes, ipsum rogantes prae omnibus: quoniam ipsius solius est reprehendere, corrigere, statuere, disponere, solvere et ligare, loco illius qui ipsum aedificavit, et nulli alii quod suum est plenum, sed ipsi soli dedit: cui omnes jure divino caput inclinant, et primates mundi, tamquam ipsi domino Jesu Christo obediunt. Ergo episcopi aliqui subsunt etiam jure divino.

[2] Le bienheureux Cyrille, évêque d’Alexandrie, dit : « Comme des membres, demeurons sous notre tête, le trône apostolique des pontifes romains, auprès duquel il nous appartient de chercher ce que nous devons croire et tenir, en le vénérant, en faisant appel à lui par-dessus tous, car seul il peut peut reprendre, corriger, décider, disposer, délier et lier, à la place de celui qui l’a établi, et celui-ci n’a donné à aucun autre ce qu’il possède en plénitude, mais il l’a donné à lui seul. Tous inclinent la tête devant lui de droit divin, et les grands du monde lui obéissent comme au Seigneur Jésus Christ.»  Certains évêques sont donc soumis, même de droit divin.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19026] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sacerdos habet duos actus: unum principalem, scilicet consecrare verum corpus Christi; alium secundarium, scilicet praeparare populum ad susceptionem hujus sacramenti, ut prius dictum est. Quantum autem ad primum actum actus sacerdotis non dependet ab aliqua superiori potestate, nisi divina; sed quantum ad secundum dependet ab aliqua superiori potestate, et humana. Omnis enim potestas quae non potest exire in actum nisi praesuppositis quibusdam ordinationibus, dependet ab illa potestate quae illas ordinationes facit. Sacerdos autem non potest absolvere et ligare nisi praesupposita praelationis jurisdictione, qua sibi subdantur illi quos absolvit; potest autem consecrare quamlibet materiam a Christo determinatam; nec aliud requiritur quantum est de necessitate sacramenti, quamvis ex quadam congruitate praesupponatur actus episcopalis in consecratione altaris, et vestium ejus. Et ita patet quod oportet esse supra sacerdotalem potestatem episcopalem quantum ad actum secundarium sacerdotis, non autem quantum ad primum.

Le prêtre a deux actes : l’un principal, consacrer le corps véritable du Christ ; l’autre secondaire, préparer le peuple à recevoir ce sacrement, comme on l’a dit plus haut. Pour ce qui est du premier acte, l’acte du prêtre ne dépend d’aucun pouvoir supérieur, sauf du pouvoir divin ; mais pour ce qui est du second, il dépend d’un pouvoir supérieur et humain. En effet, tout pouvoir qui ne peut passer à l’acte qu’en présupposant certaines mises en ordre dépend du pouvoir qui établit ces mises en ordre. Or, le prêtre ne peut délier et lier qu’en présupposant la juridiction [acquise par] une supériorité, en vertu de laquelle lui sont soumis ceux qu’il absout ; mais il peut consacrer n’importe quelle matière déterminée par le Christ, et rien d’autre n’est exigé comme nécessaire au sacrement, bien que, selon une certaine convenance, un acte de l’évêque soit présupposé pour la consécration de l’autel et de ses vêtements. Il ressort ainsi clairement que doit exister un pouvoir épiscopal au-dessus du pouvoir sacerdotal pour l’acte secondaire du prêtre, mais non quant à son acte premier.

[19027] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Aaron sacerdos fuit et pontifex, idest sacerdotum princeps. Sumpsit ergo sacerdotalis potestas ab ipso exordium, inquantum fuit sacerdos sacrificia offerens, quod etiam minoribus sacerdotibus licebat; sed non ab eo inquantum fuit pontifex, per quam potestatem poterat aliqua facere, ut ingredi semel in anno in sancta sanctorum, quod aliis non licebat.

1. Aaron était prêtre et pontife, c’est-à-dire prince des prêtres. Le pouvoir sacerdotal a donc pris origine en lui pour autant qu’il était un prêtre qui offrait des sacrifices, ce qui était aussi permis aux prêtres sinférieurs ; mais non pas de lui en tant qu’il était pontife, pouvoir par lequel il pouvait faire certaines choses, comme entrer une fois par année dans le saint des saints, ce qui n’était pas permis aux autres.

[19028] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantum ad illum actum non est aliqua potestas superior, sed quantum ad alium, ut dictum est.

2. Il n’existe aucun pouvoir supérieur quant à cet acte, mais quant à l’autre, comme on l’a dit.

[19029] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut omnium rerum naturalium perfectiones praeexistunt exemplariter in Deo, ita Christus fuit exemplar officiorum ecclesiasticorum. Unde unusquisque minister Ecclesiae quantum ad aliquid gerit typum Christi, ut ex littera patet; et tamen ille est superior qui secundum majorem perfectionem Christum repraesentat. Sacerdos autem repraesentat Christum in hoc quod per se ipsum aliquod ministerium implevit; sed episcopus in hoc quod alios ministros instituit, et Ecclesiam fundavit. Unde ad episcopum pertinet mancipare aliquid divinis obsequiis, quasi cultum divinum ad similitudinem Christi statuens; et propter hoc etiam episcopus specialiter sponsus Ecclesiae dicitur, sicut Christus.

3. De même que les perfections de toutes les choses préexistent en Dieu sous forme de modèles, de même le Christ a-t-il été le modèle des fonctions ecclésiastiques. Aussi chaque ministre de l’Église tient-il la place du Christ sous un aspect, comme cela ressort du texte. Cependant, celui qui représente le Christ selon une perfection supérieure est supérieur. Or, le prètre représente le Christ par le fait qu’il a accompli un ministère par lui-même ; mais l’évêque, par le fait qu’il a établi d’autres ministres et a fondé l’Église. Aussi appartient-il à l’évêque d’assigner quelque chose au service divin, en établissant le culte divin à la ressemblance du Christ ; pour cette raison aussi, l’évêque est appelé l’époux de l’Église d’une manière particulière, comme le Christ.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19030] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ordo potest accipi dupliciter. Uno modo secundum quod est sacramentum; et sic, ut prius dictum est, ordinatur omnis ordo ad Eucharistiae sacramentum; unde, cum episcopus non habeat potestatem superiorem sacerdote quantum ad hoc, non erit episcopatus ordo. Alio modo potest considerari ordo secundum quod est officium quoddam respectu quarumdam actionum sacrarum; et sic, cum episcopus habeat potestatem in actionibus hierarchicis respectu corporis mystici supra sacerdotem, episcopatus erit ordo; et secundum hoc loquuntur auctoritates inductae.

L’ordre peut être envisagé de deux manières. D’une manière, selon qu’il est un sacrement. Comme on l’a dit plus haut, tout l’ordre de est ainsi ordonné au sacrement de l’eucharistie. Aussi, puisque l’évêque n’a pas en cela un pouvoir supérieur au prêtre, il n’y aura pas d’ordre de l’épiscopat. D’une autre manière, l’ordre peut être envisagé selon qu’il est une fonction se rapportant à certaines actions sacrées. Puisque l’évêque a un pouvoir plus grand que le prêtre sur les actions hiérarchiques se rapportant au corps mystique, l’épiscopat sera ainsi un ordre. C’est en ce sens que s’expriment les autorités invoquées.

[19031] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Unde patet solutio ad primum.

1. La solution du premier argument est ainsi claire.

[19032] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo, secundum quod est sacramentum imprimens characterem, ordinatur specialiter ad sacramentum Eucharistiae, in quo ipse Christus continetur, quia per characterem ipsi Christo configuramur; et ideo licet detur aliqua potestas spiritualis episcopo in sui promotione respectu aliquorum sacramentorum, non tamen illa potestas habet rationem characteris; et propter hoc episcopatus non est ordo, secundum quod ordo est quoddam sacramentum.

2. L’ordre, en tant qu’il est un sacrement imprimant un caractère, est ordonné d’une manière particulière au sacrement de l’eucharistie, dans lequel le Christ lui-même est contenu, parce que nous sommes configurés au Christ lui-même par le caractère. Bien qu’un pouvoir soit donné à l’évêque par rapport aux autres sacrements lors de sa promotion, ce pouvoir n’a donc pas raison de caractère. Pour cette raison, l’épiscopat n’est pas un ordre, au sens où l’ordre est un sacrement.

[19033] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas episcopalis non est tantum jurisdictionis, sed etiam ordinis, ut ex dictis patet, secundum quod ordo communiter accipitur.

3. Le pouvoir épiscopal n’est pas seulement un pouvoir de juridiction, mais aussi d’ordre, selon que l’ordre est envisagé d’une manière générale, comme cela ressort de ce qui a été dité

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19034] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ubicumque sunt multa regimina ordinata in unum, oportet esse aliquod universale regimen supra particularia regimina: quia in omnibus virtutibus et artibus, ut dicitur in 1 Ethic., est ordo secundum ordinem finium. Bonum autem commune divinius est quam bonum speciale; et ideo super potestatem regitivam quae conjectat bonum speciale, oportet esse potestatem regitivam universalem respectu boni communis, alias non posset esse colligatio ad unum; et ideo cum tota Ecclesia sit unum corpus, oportet, si ista unitas debet conservari, quod sit aliqua potestas regitiva respectu totius Ecclesiae supra potestatem episcopalem, qua unaquaeque specialis Ecclesia regitur; et haec est potestas Papae; et ideo qui hanc potestatem negant, schismatici dicuntur, quasi divisores ecclesiasticae unitatis. Et inter episcopum simplicem et Papam sunt alii gradus dignitatum correspondentes gradibus unionis; secundum quos una congregatio vel communitas includit aliam; sicut communitas unius provinciae includit communitatem civitatis; et communitas regni communitatem unius provinciae; et communitas totius mundi communitatem unius regni.

Partout où existent plusieurs gouvernements ordonnés à une seule chose, il faut qu’existe un gouvernement universel au-dessus des gouvernements particuliers, car, dans toutes les vertus et tous les arts, comme le dit Éthique, I, l’ordre se prend de la fin. Or, le bien commun est plus divin que le bien particulier ; c’est pourquoi, au-dessus du pouvoir de gouvernement qui s’occupe d’un bien particulier, il faut qu’existe un pouvoir de gouvernement universel en rapport avec le bien commun, autrement il ne pourrait pas y avoir de regroupement en fonction d’une seule chose. Puisque toute l’Église est un seul corps, il faut donc que, si cette unité doit être conservée, existe un pouvoir de gouvernement en rapport avec toute l’Église au-dessus du pouvoir épiscopal par lequel chaque Église particulière est gouvernée. Ce pouvoir est le pouvoir du pape. C’est pourquoi ceux qui nient ce pouvoir sont appelés schismatiques, pour autant qu’ils divisent l’unité de l’Église. Et entre le simple évêque et le pape, existent d’autres degrés de dignités correspondant aux degrés de l’union, selon qu’un rassemblement ou une communauté en inclut une autre : ainsi, la communauté d’une province inclut la communauté d’une ville ; la communauté du royaume, la communauté d’une seule province ; et la communauté du monde entier, la communauté d’un seul royaume.

[19035] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis omnibus apostolis data sit communiter potestas ligandi et solvendi; tamen ut in hac potestate ordo aliquis significaretur, primo soli Petro data est, ut ostendatur quod ab eo in alios debeat ista potestas descendere, propter quod etiam ei dixit singulariter, Luc. 22, 32: confirma fratres tuos; et: pasce oves meas, idest loco mei, ubi Chrysostomus dicit: praepositus et caput esto fratrum, ut ipsi te in loco meo assumentes ubique terrarum te in throno tuo sedentem praedicent, et confirment.

1. Bien que le pouvoir de lier et de délier ait été donné à tous les apôtres d’une manière générale, cependant, afin qu’un ordre soit signifié à l’intérieur de ce pouvoir, il a été donné en premier à Pierre, afin que soit montré que ce pouvoir doit descendre chez les autres à partir de lui. C’est pourquoi [le Seigneur] lui a dit en particulier, Lc 22, 32 : Affermis tes frères et pais mes brebis, à ma place. À ce propos, Chrysostome dit : « Sois placé au-dessus de tes frères comme leur tête, de sorte qu’en te considérant comme si tu occupais ma place, ils annoncent et confirment par le monde entier que tu sièges sur ton trône. »

[19036] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ritus Judaeorum non erat diffusus in diversis regnis et provinciis, sed tantum in una gente; et ideo non oportebat quod sub eo qui habebat potestatem principalem alii pontifices distinguerentur. Sed Ecclesiae ritus sicut et gentilium, per diversas nationes diffunditur; et ideo oportet quod quantum ad hoc magis gentilium ritui quam Judaeorum, status Ecclesiae conformetur.

2. Le rite des Juifs n’était pas diffusé dans tous les royaumes et toutes les provinces, mais seulement chez un peuple. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire de faire une distinction parmi les autres pontifes qui était placés sous celui qui avait un pouvoir universel. Mais le rite de l’Église, comme celui des gentils, est répandu en diverses nations. Aussi est-il nécessaire que, sur ce point, l’état de l’Église se conforme davantage au rite des gentils plutôt qu’à celui des Juifs.

[19037] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas episcopi exceditur a potestate Papae quasi a potestate ejusdem generis; et ideo omnem actum hierarchicum quem potest facere Papa in ministratione sacramentorum, potest facere episcopus; non autem omnem actum quem potest facere episcopus, potest facere sacerdos in sacramentorum collatione; et ideo quantum ad ea quae sunt episcopalis ordinis, omnes episcopi sunt aequales; et propter hoc quilibet alium potest consecrare.

3. Le pouvoir de l’évêque est dépassé par le pouvoir du pape comme par un pouvoir du même genre. C’est pourquoi l’évêque peut accomplir tout acte hiérarchique que le pape peut accomplir dans l’administration des sacrements. Mais le prêtre ne peut pas accomplir l’acte que l’évêque peut accomplir dans la dispensation des sacrements. Ainsi, en ce qui concerne l’ordre épiscopal, tous les évêques sont égaux ; pour cette raison, tous peuvent en consacrer un autre.

 

 

Articulus 3 [19038] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 tit. Utrum vestes ministrorum convenienter in Ecclesia institutae sint

Article 3 – Les vêtements des ministres ont-ils été convenablement établis dans l’Église ?

 

[19039] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod vestes ministrorum non convenienter in Ecclesia institutae sint. Ministri enim novi testamenti magis tenentur ad castitatem quam ministri veteris. Sed inter alias vestes ministrorum veteris testamenti erant feminalia in signum castitatis. Ergo multo fortius nunc esse debent inter vestes ministrorum.

Objections

1. Il semble que les vêtements des ministres n’aient pas été convenablement établis dans l’Église. En effet, les ministres de la nouvelle alliance sont davantage tenus à la chasteté que les ministres de l’ancienne alliance. Or, parmi les vêtements de l’ancienne alliance, il y avait un caleçon en signe de chasteté. À bien plus forte raison doit-il se trouver maintenant parmi les vêtements des ministres.

[19040] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, sacerdotium novi testamenti est dignius quam veteris sacerdotium. Sed veteres sacerdotes habebant mitras, quod est signum dignitatis. Ergo sacerdotes novae legis eas debent habere.

2. Le sacerdoce de la nouvelle alliance est plus digne que le sacerdoce de l’ancienne alliance. Or, les prêtres anciens portaient des mitres, ce qui est un signe de dignité. Les prêtres de la loi nouvelle doivent donc en avoir.

[19041] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, sacerdos est propinquior ordinibus ministrorum quam ordo episcopalis. Sed episcopi utuntur vestibus ministrorum, scilicet Dalmatica, quae est vestis diaconi, et tunica, quae est vestis subdiaconi. Ergo multo fortius simplices sacerdotes debent uti eis.

3. Le prêtre est plus rapproché des ordres des ministres que l’ordre épiscopal. Or, les évêques utilisent des vêtements des ministres : la dalmatique, qui est le vêtement du diacre, et la tunique, qui est le vêtement du sous-diacre. À bien plus forte raison, les simples prêtres doivent-ils les utiliser.

[19042] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, in veteri lege pontifex deferebat superhumerale, quod significabat onus Evangelii, ut dicit Beda. Hoc autem maxime nostris pontificibus incumbit. Ergo debent habere superhumerale.

4. Sous la loi ancienne, le pontife portait l’éphode, qui signifiait le poids de l’évangile, comme le dit Bède. Or, cela revient au plus haut point à nos pontifes. Ils doivent donc porter l’éphode.

[19043] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, in rationali quo utebantur pontifices veteris legis, scribebatur: doctrina et veritas. Sed veritas maxime in nova lege declarata est. Ergo pontificibus novae legis competit.

5. Sur le pectoral qu’utilisaient les pontifes de la loi ancienne, était écrit : « Enseignement et vérité. » Or, la vérité a été manifestée au plus haut point sous la loi nouvelle. Cela convient donc aux pontifes de la loi nouvelle.

[19044] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 6 Praeterea, lamina aurea, in qua scriptum erat nomen Dei, erat dignissimum ornamentum veteris legis. Ergo illud maxime debuit transferri in novam legem.

6. Une lamelle d’or, sur laquelle était écrit le nom de Dieu, était l’ornement le plus digne sous la loi ancienne. Celui-ci devait donc au plus haut point être transféré à la loi nouvelle.

[19045] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 7 Praeterea, ea quae exterius geruntur in ministris Ecclesiae, sunt signa interioris potestatis. Sed archiepiscopus non habet alterius generis potestatem quam episcopus, ut dictum est. Ergo non debet habere pallium, quod non habent episcopi.

7. Ce que les ministres de l’Église accomplissent extérieurement est le signe d’un pouvoir intérieur. Or, l’archevêque n’a pas un pouvoir d’une autre nature que l’évêque, comme on l’a dit. Il ne doit donc pas porter le pallium, que les évêques n’ont pas.

[19046] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 arg. 8 Praeterea, potestatis plenitudo residet penes Romanum pontificem. Sed ipse non habet baculum. Ergo nec alii episcopi debent habere.

8. La plénitude du pouvoir réside dans le pontife romain. Or, celui-ci n’a pas de crosse. Les autres évêques ne doivent donc pas en avoir.

[19047] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vestes ministrorum, ut supra dictum est, designant idoneitatem quae in eis requiritur ad tractandum divina. Et quia quaedam sunt quae in omnibus requiruntur, et quaedam quae in superioribus, quae non ita exiguntur in inferioribus; ideo quaedam vestes sunt omnibus ministris communes, quaedam autem superiorum tantum; et ideo omnibus ministris competit amictus, humeros tegens, quo significatur fortitudo ad divina officia exequenda, quibus mancipantur. Et similiter alba, quae significat puritatem vitae, et cingulum, quod significat repressionem carnis. Sed subdiaconus ulterius habet manipulum in sinistra, quo significatur extersio minimarum macularum, quia manipulus est quasi sudarium ad extergendum vultum: ipsi enim primo ad sacra tractanda admittuntur: habent etiam tunicam strictam, per quam doctrina Christi significatur, unde et in veteri lege in ipsa tintinnabula pendebant. Subdiaconi enim primo admittuntur ad doctrinam novae legis annuntiandum. Sed diaconus habet amplius stolam in sinistro humero in signum quod applicatur ad ministerium in ipsis sacramentis, et Dalmaticam, quae est vestis larga, sic dicta; quia in Dalmatiae partibus primo usus ejus fuit, ad significandum quod ipse primo dispensator sacramentorum ponitur: ipse enim sanguinem dispensat; in dispensatione autem largitas requiritur. Sed sacerdoti stola in utroque humero ponitur, ut ostendatur quod plena potestas dispensandi sacramenta ei datur, non ut ministro alterius; et ideo stola descendit usque ad inferiora: habet etiam et casulam, quae significat caritatem, quia sacramentum consecrat caritatis, scilicet Eucharistiam. Sed episcopi addunt novem ornamenta supra sacerdotes, quae sunt caligae, sandalia, succinctorium, tunica, Dalmatica, mitra, chirothecae, anulus, et baculus; quia novem sunt quae supra sacerdotem possunt: scilicet clericos ordinare, virgines benedicere, basilicas dedicare, clericos deponere, synodos celebrare, chrisma conficere, confirmare, vestes et vasa consecrare. Vel per caligas significatur rectitudo gressuum: per sandalia, quae pedes tegunt, contemptus terrenorum; per succinctorium, quo stola ligatur cum alba, amor honestatis: per tunicam perseverantia, quia Joseph tunicam talarem habuisse legitur quasi descendentem usque ad talos, per quos significatur extremitas vitae: per Dalmaticam largitas in operibus misericordiae; per chirothecas cautela in opere; per mitram scientia utriusque testamenti; unde et duo cornua habet: per baculum cura pastoralis, qua debet colligere vagos, quod significat curvitas in capite baculi, sustentare infirmos, quod significat ipse stipes baculi; sed pungere lentos, quod significat stimulus in pede baculi, unde versus: collige, sustenta, stimula, vaga, morbida, lenta. Per anulum sacramenta fidei qua Ecclesia desponsatur Christo: ipsi enim sunt Ecclesiae sponsi loco Christi. Sed ulterius archiepiscopi habent pallium in signum privilegiatae potestatis; significat enim torquem auream quam solebant legitime certantes accipere.

Réponse

Comme on l’a dit plus, les vêtements des ministres désignent l’aptitude qui est requise chez eux pour s’occuper de réalités divines. Parce que certaines choses sont requises chez tous et d’autres chez les supérieurs, lesquelles ne sont pas aussi nécessaires chez les inférieurs, certains vêtements sont donc communs à tous les ministres, et certains sont donc ceux des [ministres] supérieurs seulement. Ainsi, l’amict, qui touche les épaules et par lequel est signifiée la force d’accomplir les fonctions divines auxquelles ils sont destinés, convient-il à tous. De même l’aube, qui signifie la pureté de la vie, et le cingulon, qui signifie la répression de la chair. Mais, en plus, le sous-diacre porte le manipule à son bras gauche : par là est signifié le nettoyage des moindres souillures, car le manipule est comme une serviette pour s’essuyer le visage. En effet, ils sont d’abord admis à s’occuper des réalités sacrées : ils portent donc aussi une tunique attachée, par laquelle l’enseignement du Christ est signifié, de laquelle pendaient des clochettes sous la loi ancienne. En effet, les sous-diacres sont d’abord admis à annoncer l’enseignement de la loi nouvelle. Mais le diacre porte en plus l’étole sur l’épaule gauche, pour montrer qu’il est assigné à un ministère concernant les sacrements mêmes, et la dalmatique, qui est un vêtement large, ainsi appelée parce qu’elle a d’abord été utilisée en Dalmatie, pour signifier qu’il est établi comme premier dispensateur des sacrements. En effet, il dispense le sang ; or, pour la dispensation, la largesse est nécessaire. Mais, le prêtre porte l’étole sur les deux épaules afin de montrer que le plein pouvoir de dispenser les sacrements lui a été donné, et non comme s’il était le ministre d’un autre. C’est pourquoi l’étole descend jusqu’en bas. Il porte aussi la chasuble, qui signifie la charité, c’est-à-dire l’eucharistie. Mais les évêques ajoutent neuf ornements de plus que les prêtres : des chaussures, des sandales, un tablier, une tunique, une dalmatique, une mitre, des gants, un anneau et une crosse, car ils peuvent accomplir neuf choses de plus qu’un prêtre : ordonner des clercs, bénir des vierges, dédicacer des basiliques, déposer des clercs, célébrer des synodes, confectionner le chrême, confirmer, consacrer les vêtements et les vases. Ou bien est signifiée par les chaussures la rectitude des pas ; par les sandales qui couvrent les pieds, le mépris des choses terrestres ; par le tablier, auquel l’étole est attachée avec l’aube, l’amour de l’honnêteté ; par la tunique, la persévérance, car on lit que Joseph portait une tunique descendant jusqu’aux talons, par lesquels est signifiée l’ultime moment de la vie ; par la dalmatique, la générosité dans les œuvres de miséricorde ; par les gants, la précaution dans l’action ; par la mitre, la science des deux testaments : aussi a-t-elle deux pointes ; par la crosse, la charge pastorale, par laquelle il doit rassembler ceux qui s’égaillent, ce que signifie la forme recourbée de la partie supérieure de la crosse, venir au secours des faibles, ce que signifie le tronc de la crosse, et aiguillonner ceux qui sont lents, ce que signifie la pointe de la partie inférieure de la crosse. On a ainsi le vers : « Rassemble, secours, stimule ce qui s’égaille, est malade et lent. » Par l’anneau, [sont signifiés] les sacrements de la foi, par laquelle l’Église est unie au Christ comme épouse : en effet, [les évêques] sont eux-mêmes les époux de l’Église à la place du Christ. Mais, en plus, les archevêques portent le pallium comme signe d’un pouvoir privilégié : en effet, il signifie le collier d’or qu’avaient coutume de recevoir ceux qui combattaient légitimement.

[19048] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacerdotibus veteris legis indicebatur continentia illo tantum tempore quo ad suum ministerium accedebant; et ideo in signum castitatis tunc servandae in sacrificiorum oblatione feminalibus utebantur: sed ministris novi testamenti indicitur perpetua continentia; et ideo non est simile.

Solutions

1. La continence n’était imposée aux prêtres de la loi ancienne que pour le temps où ils exerçaient leur ministère. C’est pourquoi ils utilisaient alors des caleçons en signe de chasteté lors de l’offrande des sacrifices. Mais la continence perpétuelle est imposée aux ministres de la nouvelle alliance. Ce n’est donc pas la même chose.

[19049] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mitra illa non erat signum alicujus dignitatis, fuit enim sicut quoddam galerum, ut Hieronymus dicit: sed cydaris, quae erat signum dignitatis, solis pontificibus dabatur, sicut et nunc mitra.

2. Cette mitre n’était pas le signe d’une dignité: en effet, elle ressemblait à une calotte, comme Jérôme le dit. Mais le chapeau à pointes, qui était un signe de dignité, n’était donné qu’aux pontifes, comme c’est le cas maintenant pour la mitre.

[19050] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potestas ministrorum est in episcopo sicut in origine; non autem in sacerdote, quia ipse non confert illos ordines; et ideo magis episcopus quam sacerdos vestibus ministrorum utitur.

3. Le pouvoir des ministres se trouve chez l’évêque comme dans son origine, mais non chez le prêtre, car celui-ci ne confère pas d’ordre. C’est pourquoi c’est plutôt l’évêque que le prêtre qui utilise les vêtements des ministres.

[19051] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod loco superhumeralis utitur stola, quae ad idem significandum est ad quod erat superhumerale.

4. À la place de l’éphode, il utilise l’étole, qui signifie la même chose que signifiait le l’éphode.

[19052] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod pallium succedit loco rationalis.

5. Le pallium a succédé au pectoral.

[19053] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pro illa lamina habet pontifex crucem, ut Innocentius dicit, sicut pro feminalibus habet sandalia, pro linea albam, pro balteo cingulum, pro podere tunicam, pro ephod amictum, pro rationali pallium, pro cydari mitram.

6. À la place de cette lamelle, le pontife porte la croix, comme le dit Innocent, de même qu’à la place des caleçons, il porte des sandales, à la place du cordon, le cingulon, à la place de l’aube, la tunique, à la place de l’éphode, l’amict, à la place du pectoral, le pallium et, à la place de la calotte, la mitre.

[19054] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis non habeat alterius generis potestatem, tamen eamdem habet ampliorem; et ideo ad hanc perfectionem designandum sibi pallium datur, quo undique circumdatur.

7. Bien qu’il n’ait pas un pouvoir d’un autre genre, il en possède cependant un qui est plus étendu. Afin d’indiquer que celui-ci est plus parfait, le pallium lui est donné, par lequel il est entouré de toute part.

[19055] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod Romanus pontifex non utitur baculo, quia Petrus misit ipsum ad suscitandum quemdam discipulum suum, qui postea factus est episcopus Trevirensis; et ideo in dioecesi Trevirensi Papa baculum portat, et non in aliis: vel etiam in signum quod non habet coarctatam potestatem, quod curvatio baculi significat.

8. Le pontife romain n’utilise pas de crosse parce que Pierre l’a envoyé pour réveiller un de ses disciples, qui, par la suite, est devenu l’évêque de Trèves. C’est pourquoi le pape porte la crosse dans le diocèse de Trèves, et non dans les autres. Ou bien, c’est pour montrer qu’il n’a pas un pouvoir restreint, ce que signifie la forme incurvée de la crosse.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 24

[19056] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 3 a. 3 expos. Nunc ad considerationem sacrae ordinationis accedamus. Videtur quod male ordinetur: quia hoc sacramentum est ad dispensandum alia sacramenta, et ita ante alia deberet ordinari. Et dicendum, quod Magister ordinat secundum hoc ad quod ordinantur: et quia bonum commune ad quod ordinatur hoc sacramentum, praesupponit bonum personae, ad quod ordinantur praecedentia; ideo de hoc non debuit prius determinare. In sacramento ergo septiformis spiritus septem gradus ecclesiastici. Adaptatio quaedam est: quia in quolibet ordine omnia dona spiritus sancti dantur: quia Matthias electus est sorte, de quo Dionysius dicit, 5 cap. Eccles. Hierar.: de divina sorte Matthiae data alii alia dixerunt, nec recte, ut existimo. Meum et ipse sensum dicam. Videtur enim mihi Scriptura sortem nominasse divinum quoddam donum declarans Matthiam quasi divina electione ostensum. Habiturus partem (...) cum his qui bene verbum Dei ministraverunt. Ergo habet omnis lector aureolam. Et dicendum, quod verum est, si impleat officium ut non solum legat, sed etiam interpretetur per praedicationem, quod tamen non videtur suum officium; et ideo etiam non dicit simpliciter quod habeat illorum meritum, sed cum illis, inquantum aliquid de actu eorum participat. Canones duos tantum sacros ordines appellari censent: propter hoc quod hi duo tantum ordines habent actum super ipsum sacramentum; sed subdiaconus super sacra vasa tantum.

 

 

 

Distinctio 25

Distinction 25 – [Les agents actifs et passifs du sacrement de l’ordre]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La collation du sacrement de l’ordre est-elle réservée à l’évêque ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[19057] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramento ordinis, hic determinat de conferentibus et suscipientibus hoc sacramentum; et dividitur in partes duas: in prima determinat de conferentibus; in secunda de suscipientibus, ibi: sacri canones sanxerunt ut subdiaconus non ordinetur ante quatuordecim annos et cetera. Prima in duas: in prima inquirit de haeretici, utrum possint ordinare; secundo specialiter de simoniacis, ibi: de simoniacis vero non est ambigendum quin sint haeretici. Prima in tres; in prima ponit auctoritatem ad ostendendum quod haeretici non possunt hoc sacramentum conferre; in secunda ponit auctoritates ad contrarium, ibi: contra autem alii sentire videntur; in tertia solvit, ibi: haec autem quidam ita determinant. Et ponit quatuor solutiones diversorum, ut in littera patet. De simoniacis autem non est ambigendum quin sint haeretici. Hic inquirit de simoniacis; et circa hoc duo facit: primo ostendit qui sunt simoniaci; secundo utrum possint ordinare, ibi: differt tamen inter eos qui ordinantur a simoniacis scienter, et eos qui ignoranter. Hic est triplex quaestio. Prima de ordinantibus. Secunda de ordinatis. Tertia de simoniacis. Circa primum quaeruntur: 1 utrum solus episcopus possit conferre ordinis sacramentum; 2 utrum haereticus, vel quicumque ab Ecclesia praecisus.

Après avoir déterminé du sacrement de l’ordre, le Maître détermine ici de ceux qui confèrent et reçoivent ce sacrement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ceux qui le confèrent ; dans la seconde, de ceux qui le reçoivent, à cet endroit : « Les saints canons ont décidé que le sous-diacre ne doit pas être ordonné avant l’âge de quatorze ans. » La première partie se divise en deux : dans la première, il demande si les hérétiques peuvent ordonner ; dans la seconde, [il pose la même question] à propos de simoniaques, à cet endroit : « Mais, à propos des simoniques, il ne faut pas hésiter à dire qu’ils sont des hérétiques. » La première partie se divise en trois : dans la première, il invoque une autorité pour montrer que les hérétiques ne peuvent pas conférer ce sacrement ; dans la deuxième, il invoque des autorités en sens contraire, en cet endroit : « D’autres semblent penser le contraire. » ; dans la troisième, il résout la question, à cet endroit : « Mais certains tranchent de cette manière. » Il présente quatre solutions différentes, comme cela ressort dans le texte. « À propos des simoniaques, il ne faut pas hésiter à dire qu’ils sont des hérétiques. » Ici, il s’interroge sur les simoniaques. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre ce que sont les simoniaques ; deuxièmement, [il se demande] s’ils peuvent ordonner, à cet endroit : « Il existe cependant une différence entre ceux qui sont sciemment ordonnés par des simoniaques et ceux qui le sont à leur insu. » Il y a ici trois questions. La première porte sur ceux qui ordonnent ; la deuxième, sur ceux qui sont ordonnés ; la troisième, sur les simoniaques. À propos du premier point, il demande : 1 – si seulement l’évêque peut conférer le sacrement de l’ordre ; 2 – si un hérétique ou quiconque est séparé de l’Église [peut le faire].

 

 

Articulus 1 [19058] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum tantum episcopus ordinis sacramentum conferat

Article 1 – Est-ce que seul un évêque confère le sacrement de l’ordre ?

[19059] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non tantum episcopus ordinis sacramentum conferat. Quia manus impositio aliquid ad consecrationem facit. Sed sacerdotibus qui ordinantur, non solus episcopus manus imponit, sed sacerdotes astantes. Ergo non solus episcopus confert ordinis sacramentum.

Objections

1. Il semble que l’évêque ne soit pas le seul à conférer le sacrement de l’ordre, car l’imposition de la main apporte quelque chose à la consécration. Or, non seulement l’évêque, mais les prêtres présents imposent la main aux prêtres qui sont ordonnés. L’évêque n’est donc pas seul à conférer le sacrement de l’ordre.

[19060] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, tunc unicuique datur potestas ordinis, quando ei exhibetur quod ad actum sui ordinis pertinet. Sed subdiacono datur urceolus cum aqua, manili et manutergio ab archidiacono; similiter acolythis candelabrum cum cereo, et urceolus vacuus. Ergo non solus episcopus confert ordinis sacramentum.

2. Le pouvoir de l’ordre est donné à tous ceux à qui est présenté ce qui se rapporte à leur ordre. Or, une burette remplie d’eau est donné au sous-diacre, et le manipule et le manuterge sont donnés à l’archidiacre ; de même, l’acolythe reçoit-il le chandelier muni d’un cierge et une burette vide. L’évêque n’est donc pas le seul à conférer le sacrement de l’ordre.

[19061] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illa quae sunt ordinis, non possunt alicui committi qui non habet ordines. Sed conferre ordines minores committitur aliquibus qui non sunt episcopi, sicut presbyteris cardinalibus. Ergo conferre ordines non est episcopalis ordinis.

3. Ce qui relève de l’ordre ne peut être confié à quelqu’un qui n’a pas les ordres. Or, conférer les ordres mineurs est confié à certains qui ne sont pas évêques, tels les prêtres cardinaux. Conférer les ordres ne relève donc pas de l’ordre épiscopal.

[19062] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, cuicumque committitur principale, et accessorium. Sed ordinis sacramentum ordinatur ad Eucharistiam sicut accessorium ad principale. Cum ergo sacerdos confert Eucharistiam, ipse etiam poterit ordines conferre.

4. À quiconque le principal est confié, l’accessoire [l’est aussi]. Or, le sacrement de l’ordre est ordonné à l’eucharistie comme l’accessoire au principal. Puisqu’un prêtre confère l’eucharistie, il pourra donc aussi conférer les ordres.

[19063] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, plus distat sacerdos a diacono quam episcopus ab episcopo. Sed episcopus potest consecrare episcopum. Ergo et sacerdos potest promovere diaconum.

5. Il y a plus de distance entre le prêtre et le diacre qu’entre deux évêques. Or, un évêque peut consacrer un évêque. Le prêtre peut donc promouvoir un diacre.

[19064] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nobiliori modo applicantur ad divinum cultum ministri per ordines quam vasa sacra. Sed consecratio vasorum pertinet ad solum episcopum. Ergo multo fortius consecratio ministrorum.

Cependant, [1] Les ministres sont assignés au culte divin d’une manière plus digne que les vases sacrés. Or, la consécration des vases relève du seul évêque. À bien plus forte raison donc, la consécration des ministres.

[19065] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sacramentum ordinis est excellentius quam confirmationis. Sed solus episcopus confirmat. Ergo multo magis solus confert ordinis sacramentum.

[2] Le sacrament de l’ordre est plus élevé que celui de la confirmation. Or, seul l’évêque confirme. À bien plus forte raison, l’évêque seul confère-t-il donc le sacrement de l’ordre.

[19066] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, virgines per benedictionem non constituuntur in aliquo gradu spiritualis potestatis, sicut ordinati constituuntur. Sed virgines benedicere est solius episcopi. Ergo multo magis solus ipse potest alios ordinare.

[3] Les vierges ne sont pas établies dans un degré de pouvoir spirituel, comme le sont les ordonnés. Or, bénir les vierges relève du seul évêque. À bien plus forte raison donc, seul peut-il en ordonner d’autres.

[19067] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod potestas episcopalis se habet ad potestatem ordinum inferiorum sicut politica, quae conjectat bonum commune, ad inferiores artes et virtutes, quae conjectant aliquod bonum speciale, ut ex dictis patet. Politica autem, ut dicitur in 1 Ethic., ponit legem inferioribus artibus, scilicet quis quam debeat exercere, et quantum et qualiter; et ideo ad episcopum pertinet in omnibus divinis ministeriis alias collocare. Unde ipse solus confirmat, quia confirmati in quodam officio confitendi fidem constituuntur; ideo etiam solus ipse virgines benedicit, quae figuram gerunt Ecclesiae Christo desponsatae, cujus cura ipsi principaliter committitur: ipse etiam in ministeriis ordinum ordinando consecrat, et vasa quibus uti debent, eis determinat sua consecratione; sicut etiam officia saecularia in civitatibus distribuuntur ab eo qui habet excellentiorem potestatem, sicut a rege.

Réponse

Le rapport entre le pouvoir épiscopal et les ordres inférieurs est le même qu’entre le pouvoir politique, qui voit au bien commun, et les arts et puissances inférieurs, qui s’occupent d’un bien particulier, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, le pouvoir politique, comme le dit Éthique, I, établit la loi pour les arts inférieurs, à savoir, qui doit exercer tel [art], dans quelle mesure et comment. C’est pourquoi il relève de l’évêque de d’en assigner d’autres [corr. : alias/alios] à tous les ministères divins. Aussi est-il le seul à confirmer, car ceux qui sont confirmés sont établis dans la fonction de confesser la foi ; il est aussi le seul à bénir les vierges, qui représentent l’Église mariée au Christ, dont la charge lui est principalement confiée. Lui aussi consacre en ordonnant dans les ministères des ordres, et il détermine par sa consécration les vases qu’ils doivent utiliser, de la même manière dont les fonctions séculières sont distribuées dans les villes par celui qui possède un pouvoir plus élevé, comme par le roi.

[19068] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in impositione manuum non datur character sacerdotalis ordinis, ut ex dictis patet, sed gratia, secundum quam ad exequendum ordinem sint idonei; et quia indigent amplissima gratia, ideo sacerdotes cum episcopo manus imponunt eis qui in sacerdotes promoventur; sed diaconis solus episcopus.

Solutions

1. Par l’imposition des mains, n’est pas donné le caractère sacerdotal, comme cela ressort de ce qui a été dit, mais la grâce par laquelle ils seront aptes à mettre l’ordre en œuvre. Et parce qu’ils ont besoin d’une grâce plus grande, les prêtres imposent les mains avec les évêques à ceux qui sont promus comme prêtres, mais seul l’évêque [l’impose] aux diacres.

[19069] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod archidiaconus est quasi princeps ministerii; ideo omnia quae ad ministerium pertinent ipse tradit, sicut cereum quo acolythus diacono servit ante Evangelium ipsum portando, et urceum quo servit subdiacono; et similiter dat subdiacono ea quibus superioribus ordinibus servit; et tamen in illis non consistit principaliter actus subdiaconi, sed in hoc quod operatur circa materiam sacramenti; et ideo characterem accipit in hoc quod datur ei calix ab episcopo. Sed acolythus accipit characterem ex verbis episcopi in hoc quod accipit praedicta ab archidiacono; et magis in acceptione urceoli quam candelabri. Unde non sequitur quod archidiaconus ordinem conferat.

2. L’archidiacre est comme le dirigeant du ministère. C’est pourquoi il transmet tout ce qui concerne le ministère, comme le cierge par lequel l’acolythe sert le diacre en le portant devant l’évangile, et la burette par laquelle il sert le sous-diacre. De même donne-t-il au sous-diacre ce qui sert aux ordres supérieurs. Cependant, l’acte du sous-diacre ne consiste pas principalement en cela, mais dans ce qu’il fait à propos de la matière du sacrement. Il reçoit donc le caractère lorsque le calice lui est donné par l’évêque. Mais l’acolythe reçoit le caractère par les paroles de l’évêque, lorsqu’il reçoit de l’archidiacre ce qui a été dit, et plutôt lorsqu’il reçoit la burette que le chandelier. Il n’en découle donc pas que l’archidiacre confère l’ordre.

[19070] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Papa, qui habet plenitudinem potestatis pontificalis, potest committere non episcopo ea quae ad episcopalem dignitatem pertinent, dummodo illa non habeant immediatam relationem ad verum corpus Christi; et ideo ex ejus commissione aliquis sacerdos simpliciter potest conferre minores ordines et confirmare, ut supra, dist. 7, quaest. 1, quaestiunc. 3, dictum est, non autem aliquis non sacerdos; nec iterum sacerdos majores ordines qui habent immediatam relationem ad corpus Christi, supra quod consecrandum Papa non habet majorem potestatem quam simplex sacerdos.

3. Le pape, qui possède la plénitude du pouvoir pontifical, peut confier à quelqu’un qui n’est pas évêque ce qui relève de la dignité épiscopale, pourvu que cela n’ait pas de rapport immédiat au corps véritable du Christ. Un simple prêtre peut donc, en vertu d’un mandat de sa part, conférer les ordres mineurs et confirmer, comme on l’a dit plus haut, d. 7, q. 1, qa 3, mais non pas celui qui n’est pas prêtre. Un prêtre ne peut non ne peut conférer les ordres majeurs qui ont un rapport immédiat au corps du Christ, sur la consécration duquel le pape n’a pas un pouvoir plus grand qu’un simple prêtre.

[19071] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis sacramentum Eucharistiae sit maximum sacramentum in se; tamen non collocat in aliquo officio, sicut ordinis sacramentum; et ideo non est similis ratio.

4. Bien que le sacrement de l’eucharistie soit le plus grand sacrement en soi, il n’assigne   cependant pas à une fonction, comme le sacrement de l’ordre. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même.

[19072] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad communicandum alteri quod quis habet, non exigitur solum propinquitas, sed completio potestatis. Sed quia sacerdos non habet completam potestatem in hierarchicis officiis, sicut episcopus; ideo non sequitur quod possit diaconos facere, quamvis ille ordo sit sibi propinquus.

5. Pour communiquer à un autre ce que l’on a, n’est pas nécessaire seulement la proximité, mais un pouvoir complet. Or, parce que le prêtre n’a pas comme l’évêque un pouvoir complet sur les fonctions hiérarchiques, il n’en découle pas qu’il puisse faire des diacres, bien que cet ordre soit rapproché de lui.

 

 

Articulus 2 [19073] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum haeretici et ab Ecclesia praecisi possint ordines conferre

Article 2 – Les hérétiques et ceux qui sont séparés de l’Église peuvent-ils conférer les ordres ?

 

[19074] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haeretici et ab Ecclesia praecisi non possint ordines conferre. Plus enim est aliquem promovere ad ordines quam aliquem absolvere vel ligare. Sed haereticus non potest absolvere vel ligare. Ergo nec ordines conferre.

Objections

1. Il semble que les hérétiques et ceux qui sont séparés de l’Église ne puissent pas  conférer les ordres. En effet, promouvoir aux ordres est plus qu’absoudre ou lier quelqu’un. Or, l’hérétique ne peut délier ou lier. Il ne peut donc pas non plus conférer les ordres.

[19075] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sacerdos ab Ecclesia separatus potest conficere: quia in eo character indelebiliter manet, per quem hoc potest. Sed episcopus non accipit aliquem characterem in sui promotione. Ergo non est necesse quod episcopalis potestas in eo remaneat post separationem ejus ab Ecclesia.

2. Le prêtre séparé de l’Église peut réaliser [le corps véritable du Christ], car le caractère demeure chez lui de manière indélébile, par lequel il peut [faire cela]. Or, l’évêque ne reçoit pas de caractère lorsqu’il est promu. Il n’est donc pas nécessaire que le pouvoir épiscopal demeure en lui après sa séparation de l’Église.

[19076] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, in nulla communitate ille qui a communitate repellitur, potest communitatis officia disponere. Sed ordines sunt quaedam officia Ecclesiae. Ergo ille qui extra Ecclesiam ponitur, non potest ordines conferre.

3. Dans aucune communauté, celui qui est chassé de la communauté peut-il disposer les fonctions de la communauté. Or, les ordres sont des fonctions de l’Église. Celui qui est placé hors de l’Église ne peut donc pas conférer d’ordres.

[19077] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sacramenta habent efficaciam ex passione Christi. Sed haereticus non continuatur passioni Christi neque per propriam fidem, cum sit infidelis, neque per fidem Ecclesiae, cum sit ab Ecclesia separatus. Ergo non potest sacramentum ordinis conferre.

4. Les sacrements tirent leur efficacité de la passion du Christ. Or, l’hérétique n’est uni à la passion du Christ ni par sa propre foi, puisqu’il est un infidèle, ni par la foi de l’Église, puisqu’il est séparé de l’Église. Il ne peut donc conférer le sacrement de l’ordre.

[19078] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, in ordinis collatione exigitur benedictio. Sed haereticus non potest benedicere; quinimo benedictio sua in maledictionem vertitur, ut patet per auctoritates in littera inductas. Ergo non potest ordines conferre.

5. Une bénédiction est nécessaire pour conférer l’ordre. Or, l’hérétique ne peut pas bénir ; bien plus, sa bénédiction tourne à la malédiction, comme cela ressort des autorités invoquées dans le texte. Il ne peut donc conférer les ordres.

[19079] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia aliquis episcopus in haeresim lapsus, quando reconciliatur, non iterum consecratur. Ergo non amisit potestatem quam habebat ordines conferendi.

Cependant, [1] l’évêque tombé dans l’hérésie n'est pas consacré de nouveau lorsqu’il est réconcilié. Il n’a donc pas perdu le pouvoir qu’il avait de conférer les ordres.

[19080] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, major potestas est potestas conferendi ordines quam potestas ordinum. Sed ordinum potestas non amittitur propter haeresim, vel aliquid hujusmodi. Ergo nec potestas ordines conferendi.

[2] Le pouvoir de conférer des ordres est plus grand que le pouvoir des ordres. Or, le pouvoir des ordres n’est pas perdu en raison de l’hérésie ou de quelque chose de ce genre.  Donc, ni le pouvoir de conférer les ordres.

[19081] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, sicut baptizans exhibet tantum ministerium exterius, ita et conferens ordines, Deo interius operante. Sed nulla ratione aliquis ab Ecclesia praecisus amittit baptizandi potestatem. Ergo nec ordines conferendi.

[3] De même que celui qui baptise manifeste seulement un ministère extérieur, de même celui qui confère l’ordre, alors que Dieu agit à l’intérieur. Or, celui qui est coupé de l’Église ne perd pour aucune raison le pouvoir de baptiser. Donc, ni le pouvoir de conférer les ordres.

[19082] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc ponuntur in littera quatuor opiniones. Quidam enim dicunt, quod haeretici quamdiu ab Ecclesia tolerantur, habent potestatem ordines conferendi; non autem postquam ab Ecclesia fuerint praecisi; et similiter nec degradati, et alii hujusmodi; et haec est prima opinio. Sed hoc non potest stare: quia omnis potestas quae datur cum aliqua consecratione, nullo casu contingente tolli potest, sicut nec ipsa consecratio annullari: quia etiam altare vel chrisma semel consecrata, perpetuo sacrata manent. Unde, cum episcopalis potestas cum quadam consecratione detur, oportet quod perpetuo maneat, quantumcumque aliquis peccet, vel ab Ecclesia praecidatur. Et ideo alii dixerunt, quod praecisi ab Ecclesia qui in Ecclesia potestatem episcopalem habuerunt, retinent potestatem alios ordinandi et promovendi; sed promoti ab eis hoc non habent; et haec est quarta opinio. Sed hoc etiam esse non potest: quia si illi qui fuerunt in Ecclesia promoti, retinent potestatem quam acceperunt, patet quod exequendo suam potestatem, veram consecrationem faciunt, et ideo vere tribuunt omnem potestatem quae consecratione datur; et sic ordinati ab eis vel promoti habent eamdem potestatem quam et ipsi. Et ideo alii dixerunt, quod etiam praecisi ab Ecclesia possunt ordines et alia sacramenta conferre, dummodo formam debitam et intentionem servent, et quantum ad primum effectum, qui est collatio sacramenti, et quantum ad ultimum, qui est collatio gratiae; et haec est secunda opinio. Sed hoc etiam non potest stare: quia ex hoc ipso quod aliquis haeretico praeciso ab Ecclesia in sacramentis communicat, peccat; et ita fictus accedit, et gratiam consequi non potest, nisi forte in Baptismo in articulo necessitatis. Et ideo alii dicunt, quod vera sacramenta conferunt, sed cum eis gratiam non dant, non propter inefficaciam sacramentorum, sed propter peccata recipientium ab eis sacramenta contra prohibitionem Ecclesiae; et haec est tertia opinio, quae vera est.

Réponse

À ce propos, quatre opinions sont présentées dans le texte. En effet, certains disent que les hérétiques, aussi longtemps qu’ils sont tolérés par l’Église, ont le pouvoir de conférer les ordres, mais non après qu’ils ont été coupés de l’Église ; de même, ceux qui ont perdu leur rang et les autres de ce genre. Telle est la première opinion. Mais cela ne tient pas, car tout pouvoir qui est donné par une certaine consécration ne peut être enlevé dans aucun cas, pas davantage que la consécration ne peut être annulée, car même l’autel ou le chrême, une fois consacrés, demeurent consacrés à perpétuité. Puisque le pouvoir épiscopal est donnée par une certaine consécration, il est donc nécessaire qu’il demeure à perpétuité, quel que soit le péché de quelqu’un ou la séparation de l’Église. C’est pourquoi d’autres ont dit que ceux qui sont coupés de l’Église et qui avaient le pouvoir épiscopal dans l’Église gardent le pouvoir d’en ordonner et d’en promouvoir d’autres, mais que ceux qui sont promus par eux ne l’ont pas. Telle est la quatrième opinion. Mais cela non plus n’est pas possible, car si ceux qui ont été promus dans l’Église gardent le pouvoir qu’ils ont reçu, il est clair qu’en mettant en œuvre leur pouvoir, ils accomplissent une véritable consécration. Ils confèrent donc vraiment tout le pouvoir qui est donné par la consécration ; ainsi, ceux qui sont ordonnés ou promus par eux ont le même pouvoir qu’eux. C’est pourquoi d’autres ont dit que même ceux qui sont coupés de l’Église peuvent conférer les ordres et les autres sacrements, pourvu qu’ils observent la forme appropriée et l’intention, tant pour ce qui est de l’effet premier, qui est la collation du sacrement, que pour ce qui est de l’effet ultime, qui est la collation de la grâce. Telle est la deuxième opinion. Mais cela ne tient pas non plus, car, par le fait que quelqu’un échange avec un hérétique coupé de l’Église en matière de sacrements, il pèche ; ainsi, il s’approche [du sacrement] par feinte, et il ne peut obtenir la grâce, sauf par le baptême en cas de nécessité. C’est pourquoi d’autres disent qu’ils confèrent de vrais sacrements, mais qu’ils ne donnent pas la grâce par eux, non pas en raison de l’inefficacité des sacrements, mais en raison des péchés de ceux qui reçoivent les sacrements à l’encontre de l’interdiction de l’Église. Telle est la troisième opinion, qui est la vraie.

[19083] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod effectus absolutionis non est alius quam remissio peccatorum, quae per gratiam fit; et ideo haereticus non potest absolvere, sicut nec gratiam in sacramentis conferre; et iterum, quia ad absolutionem requiritur jurisdictio, quam non habet ab Ecclesia praecisus.

Solutions

1. L’effet de l’absolution n’est autre que la rémission des péchés, qui est réalisée par la grâce. C’est pourquoi l’hérétique ne peut absoudre ni conférer la grâce par les sacrements. De plus, la juridiction est nécessaire pour l’absolution, et celui qui est coupé de l’Église ne l’a pas.

[19084] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in promotione episcopi datur sibi potestas quae perpetuo manet in eo; quamvis dici non possit character, quia per eam non ordinatur homo directe ad Deum, sed ad corpus Christi mysticum; et tamen indelebiliter manet sicut character, quia per consecrationem datur.

2. Lors de la promotion de l’évêque, un pouvoir qui demeure en lui à perpétuité lui est donné, bien qu’on ne puisse l’appeler un caractère, car il n’est pas directement ordonné par lui à Dieu, mais au corps mystique du Christ. Toutefois, il demeure de manière indélébile comme un caractère, car il est donné par une consécration.

[19085] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui ab haereticis promoventur, quamvis accipiant ordinem, non tamen recipiunt executionem, ut licite possint in suis ordinibus ministrare ratione illa quam objectio tangit.

3. Ceux qui sont promus par des hérétiques, bien qu’ils reçoivent l’ordre, n’en reçoivent cependant pas la mise en œuvre pour pouvoir exercer le ministère selon leur ordre, pour la raison donnée par l’objection.

[19086] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per fidem Ecclesiae continuantur passioni Christi: quia quamvis in ea non sint secundum se, sunt tamen in ea quantum ad formam Ecclesiae, quam servant.

4. Ils sont unis à la passion du Christ par la foi de l’Église, car, bien qu’ils ne soient pas en elle par eux-mêmes, ils sont cependant en elle pour ce qui est de la forme de l’Église qu’ils observent.

[19087] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc est referendum ad ultimum effectum sacramentorum, ut tertia opinio dicit.

5. Cela doit être mis en rapport avec l’effet ultime des sacrements, comme le dit la troisième opinion.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [À propos de ceux qui sont ordonnés]

 

 

Prooemium

Prologue

[19088] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 pr. Deinde quaeritur de ordinatis; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum aliquis impediatur propter defectum naturae; 2 utrum impediatur propter conditionem fortunae exterioris.

On s’interroge ensuite sur ceux qui sont ordonnés. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Est-on empêché [d’être ordonné] en raison d’une carence naturelle ? 2 – Est-on empêché en raison d’une condition liée à la fortune extérieure ?

 

 

Articulus 1 [19089] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 tit. Utrum sexus femineus impediat ordinis susceptionem

Article 1 – Le sexe féminin empêche-t-il de recevoir l’ordre ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le sexe féminin empêche-t-il de recevoir l’ordre ?]

[19090] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sexus femineus non impediat ordinis susceptionem. Quia officium prophetiae est majus quam sacerdotis officium: quia propheta est medius inter Deum et sacerdotem, sicut sacerdos inter Deum et populum. Sed prophetiae officium aliquando mulieribus est concessum, ut patet 4 Reg. Ergo et sacerdotii officium eis competere potest.

1. Il semble que le sexe féminin n’empêche pas de recevoir l’ordre, car la fonction de la prophétie est plus grande que la fonction du prêtre, puisque le prophète est un intermédiaire entre Dieu et le prêtre, comme le prêtre l’est entre Dieu et le peuple. Or, la fonction de la prophétie a parfois été donnée à des femmes, comme cela ressort de 2 R. La fonction du sacerdoce peut donc leur convenir.

[19091] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut ordo ad quamdam perfectionem pertinet, ita et praelationis officium, et martyrium, et religionis status. Sed praelatio committitur mulieribus in novo testamento, ut patet de abbatissis, et in veteri, ut patet de Debora quae judicavit Israel, judicum 4: competit etiam eis martyrium, et religionis status. Ergo et ordo Ecclesiae.

2. De même que l’ordre a un rapport avec la perfection, de même une fonction de supériorité, le martyre et l’état religieux. Or, une supériorité est confiée à des femmes sous la nouvelle alliance, comme cela est clair pour les abbesses, et sous l’ancienne alliance, comme cela est clair pour Débora, qui a exercé la fonction de juge en Israël, Jg 4. Le martyre aussi leur convient ainsi que l’état religieux. Donc, l’ordre de l’Église aussi.

[19092] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ordinum potestas in anima fundatur. Sed sexus non est in anima. Ergo diversitas sexuum non facit distinctionem in receptione ordinum.

3. Le pouvoir des ordres a son fondement dans l’âme. Or, le sexe ne se trouve pas dans l’âme. La diversité des sexes ne fait donc pas de différence pour la réception des ordres.

[19093] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Tim. 2, 12: mulierem docere in Ecclesia non permitto, nec dominari in virum.

Cependant, [1] il est dit en 1 Tm 2, 12: Je ne permets pas aux femmes d’enseigner dans l’Église, ni de commander à l’homme.

[19094] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in ordinandis praeexigitur corona, quamvis non de necessitate sacramenti. Sed corona et tonsura non competit mulieribus, ut patet 1 Corinth. 11. Ergo nec ordinum susceptio.

[2] La couronne est exigée au préalable chez ceux qui doivent être ordonnés, bien qu’elle ne soit pas nécessaire au sacrement. Or, la couronne et la tonsure ne conviennent pas aux femmes, comme cela ressort en 1 Co 11. Donc, ni la réception des ordres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de la raison peuvent-ils recevoir les ordres ?]

[19095] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pueri, et qui carent usu rationis, non possint ordines suscipere. Quia, ut in littera dicitur, sacri canones in suscipientibus ordines certum aetatis tempus determinaverunt. Sed hoc non esset, si pueri recipere possent ordinis sacramentum. Ergo et cetera.

1. Il semble que les enfants et ceux qui n’ont pas l’usage de la raison ne puissent pas recevoir les ordres, car, comme le dit le texte, les saints canons ont déterminé un âge pour ceux qui reçoivent les ordres. Or, ce ne serait pas le cas, si les enfants pouvaient recevoir le sacrement de l’ordre. Donc, etc.

[19096] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sacramentum ordinis est dignius quam matrimonium. Sed pueri, et alii carentes usu rationis, non possunt contrahere matrimonium. Ergo nec ordines suscipere.

2. Le sacrement de l’ordre est plus digne que le sacrement du mariage. Or, les enfants et ceux à qui fait défaut l’usage de la raison ne peuvent contracter mariage. Ils ne peuvent donc pas non plus recevoir les ordres.

[19097] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, cujus est potentia, ejus est actus, secundum philosophum in Lib. de somno et vigilia. Sed actus ordinis requirit usum rationis. Ergo et ordinis potestas.

3. L’acte appartient à celui qui en a la puissance, selon le Philosophe, dans le Livre sur le sommeil et la veille. Or, l’acte de l’ordre exige l’usage de la raison. Donc, le pouvoir de l’ordre aussi.

[19098] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ille qui ante annos discretionis est promotus ad ordines, sine iteratione ipsorum quandoque in eis conceditur ministrare, ut patet extra de clerico ordinato per saltum. Hoc autem non esset, si ordinem non suscepisset. Ergo puer potest ordinem suscipere.

Cependant, [1] il est parfois permis à celui qui a été promu aux ordres avant l’âge de discrétion d’en assurer l’exercice sans que ceux-ci soient répétés, comme cela ressort du clerc ordonné par saut [per saltum]. Or, ce ne serait pas le cas s’il n’avait pas reçu l’ordre. Un enfant peut donc recevoir l’ordre.

[19099] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, alia sacramenta in quibus character imprimitur, possunt pueri suscipere, ut Baptismum et confirmationem. Ergo pari ratione ordinem.

[2] Les enfants peuvent recevoir les autres sacrements par lesquels un caractère est imprimé, comme le baptême et la confirmation. Pour la même raison, [ils peuvent donc recevoir] l’ordre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19100] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quaedam requiruntur in recipiente sacramentum quasi de necessitate sacramenti, quae si desint, non potest aliquis suscipere neque sacramentum neque rem sacramenti; quaedam vero requiruntur non de necessitate sacramenti, sed de necessitate praecepti propter congruitatem ad sacramentum; et sine talibus aliquis suscipit sacramentum, sed non rem sacramenti. Dicendum ergo, quod sexus virilis requiritur ad susceptionem ordinis non solum secundo modo, sed etiam primo. Unde etsi mulieri exhibeantur omnia quae in ordinibus fiunt, ordinem non suscipit: quia cum sacramentum sit signum, in his quae in sacramento aguntur, requiritur non solum res, sed significatio rei; sicut dictum est, quod in extrema unctione exigitur quod sit infirmus, ut significetur curatione indigens. Cum ergo in sexu femineo non possit significari aliqua eminentia gradus, quia mulier statum subjectionis habet; ideo non potest ordinis sacramentum suscipere. Quidam autem dixerunt, quod sexus virilis est de necessitate praecepti, sed non de necessitate sacramenti: quia etiam in decretis fit mentio de diaconissa et presbytera. Sed diaconissa dicitur quae in aliquo actu diaconi participat, sicut quae legit homiliam in Ecclesia; presbytera autem dicitur vidua, quia presbyter idem est quod senior.

Certaines choses sont nécessaires chez celui qui reçoit un sacrement comme ce qui est nécessaire au sacrement ; si elles font défaut, quelqu’un ne peut recevoir ni le sacrement ni la réalité du sacrement. Mais certaines choses sont nécessaires, non pas par nécessité du sacrement, mais par la nécessité d’un précepte, en raison de ce qui convient au sacrement ; sans ces choses, quelqu’un reçoit le sacrement, mais non pas la réalité du sacrement. Il faut donc dire que le sexe masculin est nécessaire pour recevoir l’ordre, non seulement de la seconde manière, mais aussi de la première. Même si était donné à une femme tout ce qui est accompli dans les ordres, elle ne reçoit donc pas l’ordre, car puisque le sacrement est un signe, dans ce qui est accompli par un sacrement, non seulement la réalité est nécessaire, mais la signification de la réalité, comme on a dit que, dans l’extrême-onction, il est nécessaire que [celui qui la reçoit] soit malade, afin que soit signifiée qu’il a besoin d’un traitement. Puisque qu’aucune élévation de degré ne peut être signifiée chez le sexe féminin, car la femme est dans un état de sjétion, elle ne peut donc pas recevoir le sacrement de l’ordre. Mais certains ont dit que le sexe masculin est nécessaire en vertu d’un précepte, car, même dans les canons, il est fait mention de la diaconesse et de la prêtresse. Mais on appelle diaconesse celle qui participe à un acte du diacre, comme celle qui lit l’homélie dans l’Église ; mais on appelle prêtresse une veuve, car être prêtre [presbyter] est la même chose qu’être un ancien [senior].

[19101] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod prophetia non est sacramentum, sed donum Dei; unde non exigitur ibi significatio, sed solum res. Et quia secundum rem, in his quae sunt animae, mulier non differt a viro, cum quandoque mulier inveniatur melior quantum ad animam multis viris; ideo donum prophetiae et alia hujusmodi potest accipere, sed non ordinis sacramentum.

1. La prophétie n’est pas un sacrement, mais un don de Dieu. Une signification n’y est donc pas exigée, mais seulement la réalité. Et parce que, selon la réalité, quant à l’âme, la femme ne diffère pas de l’homme, puisque parfois on trouve une femme meilleure que beaucoup d’homme quant à l’âme, elle peut donc recevoir le don de prophétie et les autres choses de ce genre, mais non le sacrement de l’ordre.

[19102] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum et tertium. De abbatissis tamen dicitur, quod non habent praelationem ordinariam, sed quasi ex commissione propter periculum cohabitationis virorum ad mulieres. Debora autem praefuit in temporalibus, non in sacerdotalibus, sicut et nunc mulieres possunt temporaliter dominari.

2. La réponse au deuxième et au troisième argument est ainsi claire. Toutefois, on dit que les abbesses n’ont pas une supériorité ordinaire, mais par délégation, en raison du danger de la cohabitation d’hommes avec des femmes. Mais Débora exerça un pouvoir en matière temporelle, non en matière sacerdotale, comme maintenant aussi des femmes peuvent exercer le pouvoir temporel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19103] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod per pueritiam, et alios defectus quibus tollitur usus rationis, praestatur impedimentum actui; et ideo omnia illa sacramenta quae actum requirunt suscipientis, talibus non competunt, sicut poenitentia, matrimonium, et hujusmodi. Sed quia potestates infusae sunt priores actibus, sicut et naturales, quamvis acquisitae sint posteriores; remoto autem posteriori non tollitur prius; ideo omnia sacramenta in quibus non requiritur actus suscipientis de necessitate sacramenti, sed potestas aliqua spiritualis divinitus datur, possunt pueri suscipere et alii qui usu rationis carent; hac tamen distinctione habita, quod in minoribus ordinibus requiritur discretionis tempus de honestate propter dignitatem sacramenti, sed non de necessitate praecepti, neque de necessitate sacramenti. Unde aliqui, si necessitas adsit, et spes profectus, ad minores ordines possunt ante annos discretionis promoveri sine peccato, et suscipient ordinem: quia quamvis tunc non sint idonei ad officia quae eis committuntur, tamen per assuetudinem idonei reddentur. Sed ad majores ordines requiritur usus rationis et de honestate, et de necessitate praecepti propter votum continentiae quod habent annexum; et quia etiam eis sacramenta tractanda committuntur. Sed ad episcopatum, ubi in corpus mysticum accipitur potestas, requiritur actus suscipientis curam pastoralem; et ideo est etiam de necessitate consecrationis episcopalis quod usum rationis habeat. Quidam autem dicunt, quod ad omnes ordines requiritur usus rationis de necessitate sacramenti; sed eorum dictum ratione vel auctoritate non confirmatur.

Un empêchement à l’acte est causé par l’enfance et par les autres carences par lesquelles est enlevé l’usage de la raison. C’est pourquooi tous ces sacrements qui exigent un acte de la part de celui qui les reçoit ne leur convient pas, comme la pénitence, le mariage et ceux de ce genre. Mais parce que, bien que les puissances acquises soient postérieures, les puissances infuses sont antérieures aux actes, comme les puissances naturelles, si on enlève ce qui est postérieur, ce qui est est antérieur n’est pas enlevé. C’est pourquoi les enfants et tous ceux à qui fait défaut l’usage de la raison peuvent recevoir tous les sacrements dans lesquels n’est pas exigé un acte de la part de celui qui les reçoit pour ce qui est nécessaire au sacrement, mais où une puissance divine est donnée par Dieu. Une distinction doit cependant être faite : pour les ordres mineurs, l’âge de discrétion est nécessaire pour l’honneur en raison de la dignité du sacrement, mais non par nécessité d’un précepte ni par nécessité du sacrement. S’il est nécessaire et si l’on espère un progrès, certains peuvent donc être promus sans péché aux ordres mineurs avant l’âge de discrétion et ils reçoivent l’ordre, car, bien qu’ils ne soient pas alors aptes aux fonctions qui leur sont confiées, ils y seront rendus aptes par l’accoutumance. Mais pour les ordres majeurs, l’usage de la raison est nécessaire tant pour l’honneur que par nécessité d’un précepte, en raison du vœu de continence qui leur est associé et aussi parce que l’administration des sacrements leur est confiée. Mais pour l’épiscopat, par lequel un pouvoir sur le corps mystique est reçu, un acte est nécessaire de la part de celui qui reçoit une charge pastorale. C’est pourquoi il est nécessaire pour la consécration épiscopale que [celui qui la reçoit] ait l’usage de la raison. Mais certains disent que l’usage de la raison est nécessaire pour toous les ordres selon ce qui est nécessaire au sacrement. Mais ce qu’ils disent n’est pas confirmé par la raison ou par une autorité.

[19104] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non omne quod est de necessitate praecepti, est de necessitate sacramenti, ut dictum est.

1. Tout ce qui est nécessaire selon un précepte n’est pas nécessaire pour un sacrement, comme on l’a dit.

[19105] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium causat consensus, qui sine usu rationis esse non potest; sed in receptione ordinis non requiritur aliquis actus ex parte recipientis: quod patet ex hoc quod nullus actus ex parte eorum exprimitur in eorum consecratione; et ideo non est simile.

2. Le consentement, qui ne peut exister sans l’usage de la raison, cause le mariage. Mais, pour la réception de l’ordre, un acte n’est pas exigé de la part de celui qui le reçoit, ce qui ressort du fait qu’aucun acte n’est exprimé de leur part lors de leur consécration. Ce n’est donc pas la même chose.

[19106] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ejusdem est actus et potentia; sed tamen aliquando potentia praecedit, sicut liberum arbitrium usum suum; et sic est in proposito.

3. L’acte et la puissance appartiennent au même. Cependant, la puissance précède parfois, comme le libre arbitre précède son usage. Il en est ainsi dans le cas présent.

 

 

Articulus 2 [19107] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 tit. Utrum servitus impediat aliquem a susceptione ordinis

Article 2 – La condition de serf empêche-t-elle quelqu’un de recevoir l’ordre ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La condition de serf empêche-t-elle quelqu’un de recevoir l’ordre ?]

[19108] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod servitus non impediat aliquem a susceptione ordinis. Subjectio enim corporalis non repugnat praelationi spirituali. Sed in servo est subjectio corporalis. Ergo non impeditur quin debeat suscipere praelationem spiritualem, quae in ordine datur.

1. Il semble que la condition de serf n’empêche pas quelqu’un de recevoir l’ordre. En effet, la sujétion corporelle ne s’oppose pas à la supériorité spirituelle. Or, c’est une sujétion corporelle qui existe chez le serf. Il n’est donc pas empêché de recevoir une supériorité spirituelle, qui est donnée par l’ordre.

[19109] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod est occasio humilitatis non debet impedire susceptionem alicujus sacramenti. Sed servitus est hujusmodi; unde apostolus consulit quod si aliquis possit, utatur servitute, 1 Corinth. 7. Ergo non debet impedire a promotione ordinis.

2. Ce qui est une occasion d’humilité ne doit pas empêcher la réception d’un sacrement. Or, la condition de serf est de cette sorte. Aussi l’Apôtre a-t-il conseillé que l’on fasse usage de la servitude, si on le peut, 1 Co 7. Elle ne doit donc pas empêcher la promotion à un ordre.

[19110] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, magis est turpe clericum in servum vendi quam servum in clericum promoveri. Sed licite clericus in servum vendi potest: quia episcopus Nolanus, scilicet beatus Paulinus, seipsum in servum vendidit, ut in dialogis legitur. Ergo multo fortius potest servus in clericum promoveri.

3. Il est plus honteux pour un clerc d’être vendu comme esclave que pour un esclave d’être promu à la condition de clerc. Or, un clerc peut être licitement vendu comme esclave, car l’évêque de Nole, le bienheureux Paulin, s’est vendu comme esclave, comme le lit dans les Dialogues. À bien plus forte raison un esclave peut-il être promu comme à la condition de clerc.

[19111] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Sed contra, videtur quod impediat quantum ad necessitatem sacramenti. Quia mulier non potest suscipere sacramentum ratione subjectionis. Sed major subjectio est in servo; quia mulier non datur viro in ancillam, propter quod non est de pedibus sumpta. Ergo et servus sacramentum non suscipit.

4. Il semble que [la condition de serf] soit un empêchement pour ce qui est nécessaire au sacrement, car une femme ne peut recevoir le sacrement en raison de sa sujétion. Or, la sujétion du serf est plus grande, car la femme n’est pas donnée à l’homme comme servante, puisqu’elle n’a pas été prise de ses pieds. Le serf ne reçoit donc pas le sacrement.

[19112] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, aliquis, ex quo suscipit ordinem, tenetur in ordine ministrare. Sed non potest simul ministrare domino suo carnali, et in spirituali ministerio. Ergo videtur quod non possit ordinem suscipere, quia dominus debet conservari indemnis.

5. Par le fait de recevoir un ordre, on est tenu d’assurer le service dans cet ordre. Or, on ne peut assurer en même temps le service de son maître charnel et un ministère spirituel. Il semble donc que [le serf] ne puisse recevoir un ordre, puisqu’il doit faire en sorte que son maître reste indemne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Doit-on être écarté des ordres sacrés en raison d’un homicide ?]

[19113] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod propter homicidium aliquis non debeat prohiberi a sacris ordinibus. Quia ordines nostri sumpserunt initium a Levitarum officiis, ut in praecedenti dist. dictum est. Sed Levitae consecraverunt manus suas in sanguinis effusione fratrum suorum, ut patet Exod. 32. Ergo et in novo testamento non debent aliqui a susceptione ordinum prohiberi propter sanguinis effusionem.

1. Il semble qu’on ne doive pas être écarté des ordres sacrés en raison d’un homicide, car nos ordres on pris origine dans les fonctions des lévites, comme on l’a dit à la distinction précédente. Or, les lévites ont consacré leurs mains en versant le sang de leurs frères, comme cela ressort de Ex 32. Sous la nouvelle alliance, certains ne doivent donc pas être empêchés de recevoir les ordres parce qu’ils ont versé le sang.

[19114] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, propter actum virtutis nullus debet impediri ab aliquo sacramento. Sed aliquando sanguis effunditur per justitiam, sicut a judice; et peccaret habens officium, si non effunderet. Ergo non impeditur propter hoc a sacramenti susceptione.

2. Personne ne doit être empêché de [recevoir] un sacrement en raison d’un acte de vertu. Or, parfois, le sang est répandu selon la justice, comme c’est le cas pour le juge, et celui qui a la fonction pécherait s’il ne le répandait pas. On n’est donc pas empêché pour cette raison de recevoir le sacrement [de l’ordre].

[19115] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, poena non debetur nisi culpae. Sed aliquis sine culpa quandoque homicidium committit, sicut se defendendo, vel etiam casualiter. Ergo non debet incurrere irregularitatis poenam.

3. Une peine n’est due que pour une faute. Or, quelqu’un commet parfois un homicide sans commettre de faute, comme lorsqu’il se défend ou encore par hasard. Il ne doit donc pas encourir une peine d’irrégularité.

[19116] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra hoc sunt plura canonum statuta, et Ecclesiae consuetudo.

Cependant, plusieurs canons de l’Église vont en sens contraire, ainsi que la coutume de l’Église.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ceux qui sont nés illégitimement doivent-ils être empêchés de recevoir les ordres ?]

[19117] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illegitime nati non debeant impediri a susceptione ordinum. Quia filius non debet portare iniquitatem patris. Portaret autem, si propter hoc impediretur ab ordinibus suscipiendis. Ergo et cetera.

1. Il semble que ceux qui sont nés illégitimement ne doivent pas être empêchés de recevoir les ordres, car le fils ne doit pas porter la faute du père. Or, il la porterait s’il était empêché pour cetter aison de recevoir les ordres. Donc, etc.

[19118] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, magis impeditur aliquis propter defectum proprium quam alienum. Sed a susceptione ordinum propter illicitum concubitum suum non semper aliquis impeditur. Ergo nec propter illicitum concubitum patris sui.

2. L’empêchement est plus grand en raison d’une carence propre que de la carence d’un autre. Or, quelqu’un n’est pas toujours empêché de recevoir les ordres en raison de ses propres relations sexuelles. Il ne l’est donc pas non plus en raison des relations sexuelles illicites de son père.

[19119] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Deuter. 23: mamzer non ingredietur, hoc est de scorto natus, Ecclesiam Dei usque ad decimam generationem. Ergo multo minus debent promoveri ad ordines.

Cependant, il est dit en sens contraire en  Dt 23 : Le bâtard – c’est-à-dire celui qui est né d’une prostituée – ne sera pas admis dans l’assemblée de Dieu jusqu’à la dixième génération. Ils doivent encore bien mons être promus à des ordres.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Doit-on être empêché de recevoir un ordre en raison d’une difformité ?]

[19120] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod propter defectum membrorum non debeat aliquis impediri. Quia afflictio non debet addi afflicto. Ergo non debet privari ordinis gradu propter poenam corporalis defectus.

1. Il semble qu’on ne doive pas être empêché de recevoir un ordre en raison d’une difformité, car on ne doit pas ajouter d’affliction à l’affligé. Il ne doit donc pas être privé d’un degré de l’ordre en raison de la peine d’une difformité corporelle.

[19121] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, plus exigitur ad actum ordinis integritas discretionis quam integritas corporis. Sed aliqui possunt promoveri ante annos discretionis. Ergo et cum corporis defectu.

2. L’intégrité du jugement est davantage nécessaire à l’exercice de l’ordre que l’intégrité corporelle. Or, certains peuvent être promus avant l’âge de raison. Ils [peuvent donc l’être] aussi avec une difformité corporelle.

[19122] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod tales prohibebantur a ministerio veteris legis. Ergo multo fortius debent in nova lege prohiberi.

Cependant, [1] le ministère de la loi ancienne est interdit à ceux-là. À bien plus forte raison, doivent-ils en être empêchés sous la loi nouvelle.

[19123] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 2 De bigamia dicetur in tractatu de matrimonio dist. 27.

[2] Il sera question de la bigamie dans le traité sur le mariage, d. 27.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19124] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in susceptione ordinis mancipatur homo divinis officiis. Et quia nullus potest alteri dare quod suum non est; ideo servus qui non habet potestatem sui, non potest ad ordines promoveri: si tamen promovetur, ordinem suscipit, quia libertas non est de necessitate sacramenti, licet sit de necessitate praecepti; cum non impediat potestatem, sed actum tantum. Et similis ratio est de omnibus qui sunt aliis obligati; ut ratiociniis detenti, et hujusmodi personae.

Par la réception de l’ordre, l’homme est assigné à des fonctions divines. Et parce que personne ne doit donner à un autre ce qui ne lui appartient pas, le serf, qui n’a pas de pouvoir sur lui-même, ne peut être promu aux ordres. Cependant, s’il est promu, il reçoit l’ordre, puisque la liberté n’est pas nécessaire au sacrement, bien qu’elle soit nécessaire selon un précepte, puisqu’elle n’est pas un empêchement au pouvoir, mais [un empêchement] à son exercice seulement. Le raisonnement est le même pour tous ceux qui sont liés par d’autres choses, comme ceux qui sont retenus par des obligations financières et les personnes de ce genre.

[19125] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in susceptione spiritualis potestatis est aliqua obligatio ad aliqua etiam corporaliter agenda; et ideo per corporalem subjectionem impeditur.

1. Par la réception d’un pouvoir spirituel, il existe une obligation de faire certaines choses avec le corps. C’est pourquoi [le sacrement] est empêché par la sujétion corporelle.

[19126] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex multis aliis quae non praestant impedimentum executioni ordinum, potest aliquis occasionem humilitatis accipere; et ideo ratio non sequitur.

2. Quelqu’un peut trouver une occasion d’humilité dans bien d’autres choses qui ne présentent pas un empêchement à la mise en œuvre d’un ordre. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[19127] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod beatus Paulinus ex abundantia caritatis spiritu Dei actus hoc fecit, quod rei eventus probat, quia per ejus servitutem multi de grege suo sunt a servitute liberati; et ideo non est ad consequentiam trahendum: quia ubi spiritus domini, ibi libertas, 2 Corinth. 3, 17.

3. Le bienheureux Paulin a fait cela en étant mû par l’Esprit de Dieu dans un débordement de charité, ce que démontre le résultat de la chose, car, par sa servitude, beaucoup de membres de son troupeau ont été libérés. C’est pourquoi on ne peut pas en tirer une conséquence, car là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, 2 Co 3, 17.

[19128] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod signa sacramentalia ex naturali similitudine repraesentant; mulier autem ex natura habet subjectionem, et non servus; et ideo non est simile.

4. Les signes sacramentels représentent en vertu d’une ressemblance naturelle. Or, la femme est par nature dans un état de sujétion, mais non pas l’esclave. Ce n’est donc pas la même chose.

[19129] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si est promotus sciente domino suo, et non reclamante, ex hoc ipso efficitur ingenuus. Si autem eo nesciente; tunc episcopus, et ille qui praesentavit, tenentur domino in duplum quam sit pretium servi, si sciverunt ipsum esse servum: alias si servus habeat peculium, debet seipsum redimere; alioquin redigetur in servitutem domini sui, non obstante quod ordinem suum exequi non potest.

5. S’il est promu alors que son maître le sait et ne le réclame pas, il devient par le fait même libre. Mais si c’est à l’insu [de son maître], alors l’évêque et celui qui l’a représenté sont tenus de verser le double du prix de l’esclave, s’ils savaient que celui-ci était un esclave. Autrement, si l’esclave a des épargnes, il doit se racheter ; sinon, il retournera au service de son maître, non obstant le fait qu’il ne peut pas exercer son ordre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19130] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod omnes ordines referuntur ad sacramentum Eucharistiae, quod est sacramentum pacis nobis per sanguinem Christi effusum factae. Et quia homicidium maxime contrariatur paci, et homicidae magis conformantur occidentibus Christum quam ipsi Christo occiso, cui omnes ministri praedicti sacramenti debent conformari; ideo de necessitate praecepti est quod non sit homicida qui ad ordines promovetur, quamvis non sit de necessitate sacramenti.

Tous les ordres ont un rapport avec le sacrement de l’eucharistie, qui est le sacrement de la paix réalisée pour nous par le sang du Christ. Parce que l’homicide s’oppose au plus haut point à la paix et que les homicides se rapprochent davantage de ceux qui ont tué le Christ que du Christ tué, auquel tous les ministres en question doivent se conformer, il est donc nécessaire en vertu d’un précepte que celui qui est promu aux ordres ne soit pas un homicide, bien que cela ne soit pas nécessaire en vertu du sacrement.

[19131] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vetus lex inferebat poenam sanguinis, non autem lex nova; et non est simile de ministris veteris et novae legis, quae est jugum suave et onus leve.

1. La loi ancienne imposait la peine du sang, mais non la loi nouvelle. De plus, il n’en va pas de même des ministres de la loi ancienne et des ministres de la loi nouvelle, qui est un joug doux et un fardeau léger.

[19132] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod irregularitas non incurritur propter peccatum tantum, sed principaliter propter ineptitudinem personae ad sacramentum Eucharistiae ministrandum: et ideo judex, et omnes qui in causa sanguinis ei participant, sunt irregulares propter hoc quod effusio sanguinis non decet ministros dicti sacramenti.

2. L’irrégularité n’est pas encourue en raison du seul péché, mais principalement en raison de l’incapacité d’une personne à administrer l’eucharistie. C’est pourquoi un juge et tous ceux qui participent à une cause impliquant le sang sont irréguliers parce que l’effusion du sang ne convient pas aux ministres de ce sacrement.

[19133] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nullus facit nisi illud cujus causa est quod est voluntarium in homine; et ideo ille qui ignoranter hominem occidit homicidio casuali, non dicitur homicida, nec irregularitatem incurrit: nisi dederit operam rei illicitae, vel nisi omiserit debitam diligentiam, quia jam quodammodo efficitur voluntarium. Nec hoc est propter hoc quod culpa careat, quia etiam sine culpa incurritur irregularitas; et ideo etiam ille qui se defendendo in aliquo casu non peccat homicidium committendo, nihilominus irregularis est.

3. Personne ne fait que ce dont il est cause, ce qui est volontaire chez l’homme. C’est pourquoi celui qui tue un homme à son insu par un homicide accidentel n’est pas appelé homicide et n’encourt pas d’irrégularité, à moins qu’ils n’ait pas apporté un soin approprié, car alors cela devient volontaire d’une certaine façon. Cela n’est pas dû non plus au fait qu’il n’ait pas commis de faute, car même sans faute on encourt une irrégularité. C’est pourquoi aussi celui qui, en se défendant, ne pèche pas dans un cas en commettant un homicide, est néanmoins irrégulier.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19134] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ordinati, in quadam dignitate prae aliis constituuntur; ideo ex quadam honestate requiritur in eis claritas quaedam, non de necessitate sacramenti, sed de necessitate praecepti: ut scilicet sint bonae famae, bonis moribus ornati, non publice poenitentes. Et quia obscuratur hominis claritas ex vitiosa origine, ideo etiam de illegitimo thoro nati a susceptione ordinum repelluntur, nisi cum eis dispensetur; et tanto est difficilior dispensatio, quanto eorum origo est turpior.

Ceux qui sont ordonnés sont établis dans une certaine dignité au-dessus des autres. C’est pourquoi un certain éclat est nécessaire chez eux en vertu d’un honneur, non pas en vertu de ce qui est nécessaire au sacrement, mais en vertu d’une nécessité relevant d’un précepte, à savoir qu’ils aient une bonne réputation, qu’ils soient embellis de bonnes mœurs et ne soient pas des pénitents publics. Parce que l’honneur d’un homme est entaché par une origine viciée, ceux qui sont nés d’un lit illégitime sont donc écartés de la réception des ordres, à moins d’en être dispensés, et la dispense est d’autant plus difficile que leur origine est plus honteuse.

[19135] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod irregularitas non est poena iniquitati debita; et ideo patet quod illegitime nati non portant iniquitatem patris ex hoc quod irregulares sunt.

1. L’irrégularité n’est pas une peine due pour une faute. C’est pourquoi il est clair que ceux qui sont nés illégitimement ne portent pas la faute de leur père du fait qu’ils sont irréguliers.

[19136] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae per actum committuntur, possunt per poenitentiam et actum contrarium aboleri; non autem ea quae ex natura sunt; et ideo non est simile de vitioso actu et vitiosa origine.

2. Ce qui est commis par un acte peut être annulé par la pénience et par un acte contraire, mais non ce qui vient de la nature. C’est pourquoi il n’en va de même d’un acte vicieux et d’une origine viciée.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[19137] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut ex dictis patet, aliquis efficitur ineptus ad susceptionem ordinis vel propter impedimentum actus, vel propter impedimentum claritatis personae; et ideo patientes defectum in membris impediuntur a susceptione ordinis, si sit talis defectus qui maculam notabilem inferat, per quem obscuretur personae claritas, ut abscissio nasi; vel periculum in executione facere possit; alias non impediuntur. Haec autem integritas exigitur de necessitate praecepti, sed non de necessitate sacramenti.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, quelqu’un est rendu inapte à recevoir l’ordre soit en raison de l’empêchement d’un acte, soit en raison d’un empêchement lié à l’éclat de sa personne. C’est pourquoi ceux qui souffrent d’une carence dans leurs membres sont empêchés de recevoir l’ordre si cette carence est telle qu’elle entraîne une tache notable par laquelle l’éclat de la personne est entaché, comme un nez coupé, ou si elle peut entraîner un danger lors de la mise en œuvre [de l’ordre] ; autrement, [ceux qui sont affectés d’une carence corporelle] ne sont pas empêchés. Mais une telle intégrité est nécessaire en vertu d’un précepte, et non en vertu du sacrement.

[19138] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La simonie]

 

 

Prooemium

Prologue

[19139] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 pr. Deinde quaeritur de simonia; et circa hoc quaeruntur tria: 1 quid sit; 2 in quibus fiat; 3 qualiter.

On s’interroge ensuite sur la simonie. À ce propos, trois questions sont abordées : 1 – Qu’est-ce que la simonie ? 2 – De qui est-elle le fait ? 3 – Comment est-elle accomplie ?

 

 

Articulus 1 [19140] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 tit. Utrum definitio data de simonia sit competens

Article 1 – La définition donnée de la simonie est-elle adéquate ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La définition donnée de la simonie est-elle adéquate ?]

[19141] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod definitio de simonia data sit incompetens, scilicet: simonia est studiosa voluntas emendi vel vendendi aliquid spirituale, vel spirituali annexum. Quia ex simonia aliquis efficitur irregularis. Sed pro sola voluntate nullus efficitur irregularis. Ergo simonia non consistit in sola voluntate.

1. Il semble que la définition donnée de la simonie soit inadéquate : « La simonie est une volonté appliquée d’acheter ou de vendre quelque chose de spirituel ou qui est associé à quelque chose de spirituel », car on devient irrégulier en raison de la simonie. Or, personne ne devient irrégulier à cause de la seule volonté. La simonie ne consiste donc pas dans la seule volonté.

[19142] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illa sola peccata fiunt per studium quae ex certa malitia committuntur. Sed simonia non semper committitur ex certa malitia, sed quandoque ex infirmitate vel ignorantia. Ergo in definitione ejus studiosum poni non debet.

2. Seuls les péchés qui sont faits avec application sont commis par malice. Or, la simonie n’est pas toujours commise avec une malice certaine, mais parfois par faiblesse ou par ignorance. On ne doit donc pas mettre « appliquée » dans sa définition.

[19143] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne peccatum in electione principaliter consistit. Sed voluntas eligens non est de impossibili, ut dicitur in 3 Ethic., cap. 4 vel 5. Cum ergo emere spirituale sit impossibile, quia donum Dei pecunia non possidetur, ut dicitur Act. 8; in definitione peccati simoniae, voluntas emendi spirituale poni non debet.

3. Tout péché consiste principalement dans un choix. Or, la volonté qui choisit ne porte pas sur l’impossible, comme il est dit dans Éthique, III, 4 et 5. Puisque acheter quelque chose de spirituel est impossible, parce qu’un don de Dieu n’est pas possédé par l’argent, comme il est dit en Ac 8, la « volonté d’acheter » ne doit donc pas être mise [dans la définition de la simonie].

[19144] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, simonia a Simone mago dicitur. Sed ille noluit vendere spiritualia, sed emere. Ergo non debet poni venditio in definitione simoniae.

4. La simonie tire son nom de Simon le mage. Or, celui-ci n’a pas voulu vendre des choses spirituelles, mais en acheter. On ne doit donc pas mettre la « vente » dans la définition de la simonie.

[19145] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, omnibus temporalibus propter spiritualia uti debemus. Si ergo in emptione annexorum spiritualibus simonia consistit, omnis emptio vel venditio simonia erit, quod falsum est.

5. Nous devons faire usage de toutes les réalités temporelles en vue des réalités spirituelles. Si donc la simonie consiste dans l’achat de choses associées à des réalités spirituelles, tout achat ou toute vente sera de la simonie, ce qui est faux.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La simonie est-elle une hérésie ?]

[19146] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod simonia sit haeresis. Quia Gregorius in registro dicit: altare, decimas et spiritum sanctum emere vel vendere, simoniacam haeresim esse nullus fidelium ignorat.

1. Il semble que la simonie soit un hérésie, car Grégoire dit dans le Registre : « Aucun fidèle n’ignore que l’hérésie simoniaque consiste à acheter ou à vendre un autel, des dîmes et l’Esprit Saint. »

[19147] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullum peccatum est gravius infidelitate. Sed simonia est gravior: quia in decretis dicitur, causa 1, quaest. 2, quod impia haeresis Macedonii, et eorum qui circa ipsum sunt, est tolerabilior quam simonia. Ergo simonia est haeresis.

2. Aucun péché n’est plus grave que l’infidélité. Or, la simonie est plus grave, car il est dit dans le Décret, C. 1, q, 2 : « L’hérésie de Macédonius et de ceux qui l’entouraient est plus tolérable que la simonie. » La simonie est donc une hérésie.

[19148] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omnis haeresis est contra aliquem articulum fidei, de quo non recta opinio habetur. Sed aliquis simoniacus potest habere rectam opinionem de omnibus articulis fidei. Ergo non est haeresis.

Cependant, toute hérésie est contraire à un article de foi sur lequel on n’a pas une opinion correcte. Or, un simoniaque peut avoir une opinion correcte sur tous les articles de foi. [La simonie] n’est donc pas une hérésie.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le simoniaque perd-il la mise en œuvre de son ordre ?]

[19149] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod simoniacus non perdat executionem ordinis. Quia contingit in ordinatione alicujus committi simoniam eo ignorante. Sed homicidium casuale propter hoc quod est per ignorantiam commissum non facit irregularitatem. Ergo et similiter ille qui simoniace ordinatur.

1. Il semble que le simoniaque perde la mise en œuvre de son ordre, car il arrive que, lors de l’ordination de quelqu’un, la simonie soit commise à son insu. Or, l’homicide accidentel ne cause pas d’irrégularité parce qu’il a été commis par ignorance. De la même manière, celui qui est ordonné de manière simoniaque.

[19150] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ab eo qui non habet executionem ordinis, nullus debet accipere sacramentum. Sed ab eo quem scio simoniacum, debeo ordines accipere si mihi praecipiatur, ne inobediens sim. Ergo non amittit ordinis executionem.

2. Personne ne doit recevoir de sacrement de celui qui n’a pas le pouvoir de mettre son ordre en œuvre. Or, pour ne pas désobéir, je dois recevoir les ordres de celui que je sais être simoniaque, si cela m’est ordonné. Il ne perd donc pas le pouvoir de mettre en œuvre son ordre.

[19151] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed contra, videtur quod simoniacus nec ordinem recipiat. Quia defectus intentionis evacuat sacramentum. Sed ille qui pretio aliquid intendit acquirere in susceptione ordinis, non intendit suscipere quod Ecclesia tradit, quia illud non cadit sub pretio. Ergo non suscipit ordinem.

3. Il semble que le simoniaque ne reçoive pas non plus l’ordre, car le manque d’intention évacue le sacrement. Or, celui qui a l’intention d’acquérir quelque chose pour un prix en recevant l’ordre, n’a pas l’intention de recevoir ce que l’Église transmet, car cela n’est pas l’objet d’un prix. Il ne reçoit donc pas l’ordre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19152] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod materia moralium virtutum dividitur in passiones et actiones, ut in 3 Lib., dist. 33, dictum est. Sicut autem in passionibus potest esse peccatum ex eo quod est circa quod non oportet, vel quantum, vel quomodo, et sic de aliis circumstantiis; ita et in actionibus; unde in emptione et venditione, quae sunt quaedam actiones, potest esse peccatum vel in quid vel in quantum. Si in quantum, sic est injustitia; sicut cum quis emit aut vendit non justo pretio: si autem in quid, ut cum vendit aut emit quod non cadit sub pretio, sic est peccatum simoniaci. Et quia omne peccatum in actu voluntatis consistit, ideo in definitione simoniae haec tria praedicta ponuntur; et primo actus voluntatis in hoc quod dicit: studiosa voluntas; secundo materia proxima hujus peccati, scilicet emptio et venditio, ibi: emendi vel vendendi; tertio materia remota, scilicet objectum actionis praedictae, ibi: spirituale, aut spirituali annexum.

La matière des vertus morales se divise en passions et en actions, comme on l’a dit au livre III, d. 33. Or, de même que, pour les passions, un péché peut exister du fait qu’il porte sur quelque chose d’interdit, soit pour la quantité, soit pour la manière et ainsi de suite pour les autres circonstances, de même en est-il pour les actions. Dans l’achat ou la vente, qui sont des actions, il peut donc y avoir péché soit par rapport à l’objet, soit par rapport à la quantité. Si c’est par rapport à la quantité, il y a alors injustice, comme lorsque quelqu’un n’achète pas ou ne vend pas à un juste prix ; mais si c’est par rapport à l’objet, comme lorsqu’il vend ou achète ce qui n’est pas l’objet d’un prix, c’est alors le péché du simoniaque. Et parce que tout péché consiste dans un acte de la volonté, les trois choses mentionnées sont mises dans la définition. Premièrement, un acte de la volonté lorsqu’on dit : « une volonté appliquée » ; deuxièmement, la matière prochaine de ce péché, la vente ou l’achat : « d’acheter ou de vendre » ; troisièmement, la matière éloignée, l’objet de l’action en cause : « quelque chose de spirituel ou d’associé à quelque chose de spirituel ».

[19153] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homines judicant ea quae foris parent, sed Deus intuetur cor, ut dicitur 1 Reg. 16, et ideo in simonia, et in omnibus aliis peccatis, ex sola voluntate efficitur aliquis peccator secundum reatum poenae, quae ad judicium Dei pertinet, sed non quantum ad reatum poenae quae pertinet ad judicium Ecclesiae; unde homicida voluntate incurrit reatum poenae aeternae, sed non irregularitatem, vel excommunicationem, vel aliquid hujusmodi; et similiter dicendum est de simoniaco.

1. Les hommes jugent ce qui paraît à l’extérieur, mais Dieu regardera le cœur, comme il est dit en 1 Ch 16. C’est pourquoi, pour la simonie et pour tous les autres péchés, quelqu’un devient pécheur par sa seule volonté selon la dette de la peine, qui relève du jugement de Dieu, mais non selon la dette de la peine qui relève du jugement de l’Église. L’homicide encourt donc par sa volonté la dette de la peine éternelle, mais non une irrégularité, une excommunication ou quelque chose de ce genre. Il faut dire la même chose du simoniaque.

[19154] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unumquodque debet definiri secundum completum esse suum. Complementum autem peccati et virtutis consistit in electione: et ideo electio ponitur et in definitione virtutis, et in definitione peccati; et hanc electionem importat studiosa voluntas.

2. Tout doit être défini selon son être achevé. Or, l’achèvement du péché et de la vertu consiste dans le choix. C’est pourquoi le choix est mis dans la définition de la vertu comme dans la définition du péché. « La volonté appliquée » comporte ce choix.

[19155] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid dicitur spirituale dupliciter. Uno modo per essentiam, sicut gratia et virtutes; et ista non possunt aliquo modo vendi; nec super hoc voluntas deliberata emptionis cadere potest. Alio modo dicitur aliquid spirituale per causam, sicut sacramenta quae sunt causa gratiae; et ista, inquantum sunt corporalia quaedam, habent speciem quod vendi possunt, quamvis non ex hoc quod sunt spiritualia; et sic in eis committitur simonia.

3. On dit que quelque chose est spirituel de deux manières. D’une manière, par essence, comme la grâce et les vertus : ces choses ne peuvent être vendues d’aucune manière et la volonté délibérée d’acheter ne peut les avoir comme objet. D’une autre manière, on dit que quelque chose est spirituel par sa cause, comme les sacrements qui sont la cause de la grâce : ces choses, pour autant qu’elles sont des réalités corporelles, peuvent être l’objet d’une vente, bien que ce ne soit pas à cause du fait qu’elles sont des réalités spirituelles. C’est ainsi que la simonie est commise à leur sujet.

[19156] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Simon magus spiritualia emere voluit, ut postea venderet; et ideo in ejus emptione etiam venditio continebatur implicite; et propter hoc secundum communem usum loquendi uterque vocatur simoniacus, emens et vendens; sed tamen, si distincte loqui volumus, ementes dicuntur simoniaci, vendentes Giezitae: quia Giezi spiritualia vendere voluit, ut patet 4 Reg. 4.

4. Simon le mage a voulu acheter des réalités spirituelles afin de les vendre par la suite. C’est pourquoi la vente était implicitement contenue dans son achat. Pour cette raison, selon l’usage général, les deux sont appelés simoniaques : celui qui vend et celui qui achète. Cependant, si l’on veut parler avec précision, ceux qui achètent sont appelés simoniaques, et les vendeurs, des Giézites, parce que Giézi a voulu vendre des choses spirituelles, comme cela ressort de 2 R 4.

[19157] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spiritualia in praedicta definitione accipiuntur, ut dictum est, quae sunt spiritualis gratiae causa, sicut sacramenta: sed spiritualibus annexa, quae ad usum horum sunt deputata, sicut calices, et bona ecclesiastica, quae sunt deputata ad usum ministrorum: non autem dicuntur spiritualibus annexa quibus potest esse usus in spiritualibus, si non sint ad hoc specialiter deputata.

5. Comme on l’a dit, dans la définition mentionnée, on entend par réalités spirituelles ce qui est cause de la grâce, comme les sacrements ; mais on dit « associé aux réalités spirituelles », ce qui est destiné à leur usage, comme les calices et les biens ecclésiastiques, qui sont destinés à l’usage des ministres. Mais on ne dit pas « associé aux réalités spirituelles » ce dont on peut faire usage en matière spirituelle, si cela n’est pas spécialement destiné à cela.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19158] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquid attribuitur alteri dupliciter. Uno modo simpliciter, alio modo propter similitudinem actus: sicut dicit philosophus, quod incontinentes quandoque dicuntur intemperati, quia faciunt quae intemperati sunt, sed non eodem modo: sicut etiam dicit quod Milesii stulti non sunt, sed operantur qualia stulti; et secundum hoc dicendum, quod simoniaci non sunt proprie et per se loquendo haeretici, cum non habeant aliquam falsam opinionem; sed dicuntur haeretici propter similitudinem actus, quia ita operantur ac si aestimarent donum spiritus sancti pecunia possideri: quae aestimatio esset haeretica. Unde Gregorius in Regist. dicit: cum omnis avaritia sit idolorum servitus; quisquis hanc in ecclesiasticis dignitatibus dandis non praecavet, infidelitatis perditioni subjicitur, etiam si fidem quam negligit, tenere videatur.

On attribue une chose à quelque chose d’autre de deux manières : d’une manière, simplement, et d’une autre manière, en raison d’une ressemblance par l’acte, comme le Philosophe dit que les incontinents sont parfais appelés intempérants, parce qu’ils accomplissent ce qu’accomplissent les intempérants, mais non de la même façon ; comme il dit aussi que les gens de Milet ne sont pas fous, mais qu’ils agissent comme des fous. En parlant de cette manière, il faut dire que les simoniaques ne sont pas à proprement parler et par soi hérétiques, puisqu’ils n’ont pas d’opinion fausse [sur les articles de foi] ; mais ils sont appelés hérétiques en raison de la ressemblance de l’acte, parce qu’ils agissent comme s’ils estimaient que le don de l’Esprit Saint est possédé par de l’argent, opinion qui serait hérétique. Aussi Grégoire dit-il dans le Registre : « Puisque l’avarice est le culte d’idoles, quiconque ne l’évite pas dans l’attribution des dignités ecclésiastiques est coupable de la faute d’infidélité, même s’il semble garder la foi dont il s’écarte. »

[19159] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[19160] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratione falsae aestimationis quam simoniacus in actu demonstrat, dicitur simonia esse gravior quam Macedonii haeresis, qui posuit spiritum sanctum esse patris et filii servum. Simoniaci autem ostendunt in suo actu se aestimare quod sit servus hominis, si ab homine potest emi et vendi. Vel dicendum, quod dicitur gravius peccatum propter pronitatem ad ipsum ex cupiditate humana, et propter nocumentum majus, quia totum ordinem Ecclesiae pervertit.

2. En raison de la fausse opinion que le simoniaque manifeste par son acte, on dit que la simonie est plus grave que l’hérésie de Macédonius, qui affirmait que l’Esprit Saint était le serviteur du Père et du Fils. Or, les simoniaques montrent par leur acte qu’ils pensent qu’il est le serf de l’homme, s’il peut être acheté ou vendu par un homme. Ou bien il faut dire qu’on le dit un péché plus grave en raison de l’inclination vers lui de la convoitise humaine et en raison d’un dom-mage plus grand, car elle bouleverse tout l’ordre de l’Église.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19161] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod efficacia sacramentorum non est ex humano merito: et ideo propter hominis peccatum non impeditur sacramentum; unde peccatum simoniae nec sacramentum suscipiendum impedit, nec susceptum tollit. Potest tamen impedire ultimam rem sacramenti, si sit peccatum ex parte recipientis. Sed tamen per simoniam aliquis ab executione ordinis aut officii suspenditur. Sed in hoc distinguendum est. Quia si dicatur simoniacus ex hoc quod recipit ordinem per simoniam, non recipit executionem, et est ipso jure suspensus et quo ad se, et quo ad alios: et punitur ulterius per depositionem, quando constiterit de crimine judici. Si autem dicatur simoniacus, quia contulit ordinem simoniace, vel quia dedit vel recepit simoniace beneficium, vel quia mediator fuit simoniae; si sit occultum, suspensus est ipso jure quo ad se: si autem manifestum est, suspensus est quo ad se, et quo ad alios. Et iterum ille qui recepit beneficium per simoniam, tenetur ad restitutionem omnium fructuum perceptorum, et beneficio renuntiare.

L’efficacité des sacrements ne vient pas d’un mérite humain : c’est pourquoi le sacrement n’est pas empêché par le péché d’un homme. Aussi le péché de simonie n’empêche-t-il pas de recevoir le sacrement ni n’enlève celui qui a été reçu. Cependant, il peut empêcher la réalité ultime du sacrement, s’il existe un péché du côté de celui qui le reçoit. Toutefois, par la simonie, on est suspendu quant à la mise en œuvre de l’ordre ou de la fonction. Mais il faut faire ici une distinction, car si on dit que le simoniaque, par le fait même qu’il reçoit un ordre par simonie, n’en reçoit pas la l’exercice et qu’il est suspens en vertu du droit quant à lui-même et quant aux autres, il est au surplus puni par la déposition, dès lors que le juge aura constaté sa faute. Mais s’il est appelé simoniaque parce qu’il a conféré un ordre de manière simoniaque, soit qu’il ait donné ou reçu un bénéfice de manière simoniaque, soit qu’il ait été un intermédiare pour la simonie, si cela est occulte, il est suspens en vertu du droit quant à lui-même ; mais si cela est manifeste, il est suspens quant à lui-même et quant aux autres. De plus, celui qui a reçu un bénéfice par simonie est obligé de restituer tous les revenus reçus et de renoncer au bénéfice.

[19162] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod propter homicidium non fit aliquis defectus in ipsa ordinatione, sed in ordinato tantum; et ideo sufficit quod ordinatus sit immunis ab homicidio: sed per simoniam fit defectus in ipsa ordinatione; et ideo etiam si ipse sit immunis, tamen est suspensus, quando ad notitiam ejus devenerit.

1. Par l’homicide, une carence n’apparaît pas dans l’ordination elle-même, mais seulement chez celui qui est ordonné. C’est pourquoi il suffit que celui qui est ordonné soit exempt d’homicide. Mais, par la simonie, une carence apparaît dans l’ordination elle-même. C’est pourquoi, même s’il en est lui-même exempt, il a été cependant suspendu, lorsqu’elle celle-ci est parvenue à sa connaissance.

[19163] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando est manifestum crimen simoniae, tunc amittit executionem, et suspensus est quo ad se et quo ad alios: sed quando est occultum, tunc est suspensus quo ad se tantum; et ideo si sit manifestum, secundum quod in jure aliquid dicitur manifestum; tunc nullo modo aliquis debet obedire, nec ab eo ordinem suscipere. Si autem non sit manifestum; si non potest subterfugere, debet obedire, etiam si ipse sciat eum esse simoniacum qui ordines celebrat.

2. Lorsque la faue de simonie est manifeste, il en perd l’exercice et il est suspendu quant à lui-même et quant aux autres. Mais lorsqu’elle est occulte, il est alors suspendu quant à lui-même seulement. C’est pourquoi, si [la faute] est manifeste, au sens où l’on dit dans le droit que quelque chose est manifeste, on ne doit alors lui obéir d’aucune manière ni recevoir d’ordre de lui. Mais si [sa faute] n’est pas manifeste et si on ne peut recourir à un subterfuge, on doit obéir, même si on sait que celui qui célèbre les ordres est simoniaque.

[19164] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ipse non intendit emere illud quod est per se spirituale, ut characterem; sed operationem ministri, quae est corporalis, et causa sacramentalis rei spiritualis.

3. Il n’a pas l’intention d’acheter ce qui est spirituel en soi, comme le caractère, mais l’action du ministre, qui est corporelle, et la cause de la réalité sacramentelle spirituelle.

 

 

Articulus 2 [19165] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 tit. Utrum sacramenta possint emi et vendi sine simonia

Article 2 – Les sacrements peuvent-ils être achetés et vendus sans simonie ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les sacrements peuvent-ils être achetés et vendus sans simonie ?]

[19166] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod sacramenta possint emi et vendi sine simonia. Quia finis omnium sacramentorum est regnum caelorum, et remissio peccatorum. Sed regnum caelorum emitur, ut Gregorius dicit: regnum caelorum tantum valet, quantum habes; et Dan. 4, 24, dicitur: peccata tua eleemosynis redime. Ergo multo fortius sacramenta emi possunt absque vitio simoniae.

1. Il semble que les sacrements puissent être achetés et vendus sans simonie, car la fin de tous les sacrements est le royaume des cieux et la rémission des péchés. Or, le royaume des cieux s’achète, comme le dit Grégoire : « Le royaume des cieux vaut autant que tu possèdes » ; et il est dit en Dn 4, 24 : Rachète tes péchés par des aumônes. À bien plus forte raison, les sacrements peuvent-ils être achetés sans le vice de simonie.

[19167] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, matrimonium sacramentum quoddam est. Sed matrimonium aliquando contrahitur interveniente pactione de aliqua pecunia solvenda sine peccato. Ergo sacramenta licite possunt emi.

2. Le mariage est un sacrement. Or, le mariage est parfois contracté par l’intervention d’un pacte selon lequel de l’argent doit être payé, sans qu’il y ait péché. Les sacrements peuvent donc être achetés de manière licite.

[19168] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Baptismus est sacramentum primum. Sed in aliquo casu, scilicet quando sacerdos sine pretio puerum baptizare nollet, aliquis posset emere Baptismum sine peccato simoniae, ne puer in aeternum periret absque Baptismo decedens. Ergo sacramenta possunt emi sine peccato.

3. Le baptême est le premier sacrement. Or, dans le cas où le prêtre ne voudrait pas baptiser un enfant sans recevoir d’argent, on pourrait acheter le baptême sans simonie, de crainte que l’enfant ne périsse pour l’éternité en mourant sans recevoir le baptême. Les sacrements peuvent donc être achetés sans péché.

[19169] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in Missa conficitur Eucharistia, quae est sacramentum sacramentorum. Sed licet cantare Missam pro aliquo pretio, quia nemo debet suis stipendiis militare, ut dicitur 1 Corinth. 9. Ergo et cetera.

4. L’eucharistie, qui est le sacrement des sacrements, est réalisée au cours de la messe. Or, il est permis de chanter une messe en retour d’un montant d’argent, car personne ne doit être privé de son salaire, comme il est dit en 1 Co 9. Donc, etc.

[19170] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, Extra. de Praebend. dicitur, quod quidam canonici sacerdoti cuidam unam praebendam in Ecclesia dederunt, ut Missam de beata virgine quotidie celebraret; et Papa quotidie confirmat illam petitionem. Ergo idem quod prius.

5. Dans Extra, « Au sujet des prébendes », il est dit que certains prêtres chanoines ont donné à quelqu’un une prébende dans une église afin qu’il célèbre chaque jour la messe de la bienheureuse Vierge. Et le pape confirme quotidiennement cette demande. La conclusion est donc la même que précédemment.

[19171] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, absolutio quoddam sacramentale est. Sed quidam accipiunt pecuniam, ut ab excommunicatione absolvant. Ergo et cetera.

6. L’absolution est quelque chose de sacramentel. Or, certains reçoivent de l’argent pour qu’ils absolvent d’une excommunication. Donc, etc.

[19172] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 7 Praeterea, episcopalis potestas, quamvis non sit ordo, tamen quoddam sacramentale est. Sed licet in aliquo casu dare pecuniam, ut ad episcopatum perveniat, sicut cum quis malitiose impedit, ut ab impedimento cesset. Ergo sacramentalia licite vendi possunt.

7. Le pouvoir épiscopal, bien qu’il ne soit pas un ordre, est cependant quelque de sacramentel. Or, il est permis dans un cas de donner de l’argent pour accéder à l’épiscopat, comme lorsque quelqu’un empêche par malice qu’il lui soit interdit par un empêchement. Les sacrements peuvent donc être vendus licitement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Commet-on la simonie par l’achat ou la vente d’autres réalités spirituelles ?]

[19173] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam in emptione vel venditione aliorum spiritualium non committatur simonia. Quia totum ecclesiasticum officium quoddam spirituale est. Sed quidam recipiunt certos reditus ad anniversarium celebrandum. Ergo spiritualia possunt sine simonia emi et vendi.

1. Il semble qu’on ne commette pas la simonie par l’achat ou la vente d’autres réalités spirituelles, car toute fonction ecclésiastique est quelque chose de spirituel. Or, certains reçoivent des revenus pour célébrer un anniversaire. Les réalités spirituelles peuvent donc être achetées et vendues sans simonie.

[19174] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, oratio est maxime spirituale. Sed aliquis potest dare pecuniam bonis viris, ut orent pro eo, secundum illud quod dicitur in Luc. 16, 9: facite vobis amicos de mammona iniquitatis. Ergo et cetera.

2. La prière est spirituelle au plus haut point. Or, quelqu’un peut donner de l’argent à des hommes bons afin qu’ils prient pour lui, selon ce qui est dit en Lc 16, 9 : Faites-vous des amis avec l’argent d’iniquité. Donc, etc.

[19175] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, 1 Reg. 9, dicitur de Saul, et 3 Reg. 13, de uxore Hieroboam, quod attulerunt pretium sanctis prophetis. Sed prophetia est spirituale donum spiritus sancti. Ergo idem quod prius.

3. Il est dit de Saül et de l’épouse de Jéroboam, en 1 R 13, qu’ils ont apporté un montant d’argent aux prophètes. Or, la prophétie est un don spirituel de l’Esprit Saint. La conclusion est donc la même que précédemment.

[19176] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, praedicatio est res spiritualis. Sed Paulus praedicabat pro temporalibus, ut fierent collectae pauperibus, ut patet 1 Corinth. ult. Ergo et cetera.

4. La prédication est une réalité spirituelle. Or, Paul prêchait en faveur des réalités temporelles, des collectes pour les pauvres, comme cela ressort du dernier chapitre de 1 Co. Donc, etc.

[19177] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, praedicatori licet accipere stipendia pro sua praedicatione, ut patet 2 Corinth. 9. Sed apostolus stipendia nominat ibi temporalia quae praedicatoribus debentur. Ergo licet temporalia pro spiritualibus accipere.

5. Il est permis au prédicateur de recevoir un salaire pour sa prédication, comme cela ressort de 2 Co 9. Or, l’Apôtre appelle là « salaire » des réalités temporelles qui sont dues aux prédicateurs. Il est donc permis de recevoir des réalités temporelles en échange de réalités spirituelles.

[19178] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, correctio est quid spirituale, et visitatio. Sed praelati pro visitationibus accipiunt temporalia, quidam etiam pro pecunia occultant peccatum quod manifestare tenentur. Ergo et cetera.

6. La correction et la visite sont quelque chose de spirituel. Or, les prélats reçoivent des biens temporels pour leurs visites ; certains cachent même pour de l’argent le péché qu’ils sont tenus de révéler. Donc, etc.

[19179] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 7 Praeterea, religionis status quoddam bonum spirituale est. Sed in quibusdam monasteriis, praecipue monialium, exigitur aliquid ab eis quae ibi recipi debent. Ergo licet spiritualia dare pro temporalibus.

7. L’état religieux est un bien spirituel. Or, dans certains monastères, surtout de moniales, quelque chose est exigé de ceux qui doivent y être reçus. Il est donc permis de donner des choses spirituelles en échange de biens temporels.

[19180] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 8 Praeterea, scientia est quoddam spirituale bonum. Sed licet magistris artium accipere aliquid pro doctrina sua. Ergo et cetera.

8. La science et un bien spirituel. Or, il est permis aux maîtres ès arts de recevoir quelque chose pour leur enseignement. Donc, etc.

[19181] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 9 Praeterea, judicium spirituale bonum est, similiter patrocinium in causis, et testimonium ferendum. Sed pro omnibus his potest accipi pecunia vel munus aliquod. Ergo et cetera.

9. Le jugement est un bien spirituel ; de même le patronage dans les procès et le témoignage qui doit être fait. Or, pour tout cela, on peut recevoir de l’argent ou un présent. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Commet-on la simonie par la vente et l’achat de ce qui est associé à des  réalités spirituelles ?]

[19182] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non committatur simonia in venditione eorum et emptione quae sunt spiritualibus annexa. Nihil enim est magis spiritualibus annexum quam vasa sacra. Sed illa in necessitate vendi possunt licite. Ergo et cetera.

1. Il semble aussi que la simonie ne soit pas commise par la vente et l’achat de ce qui est associé à des réalités spirituelles. En effet, rien n’est plus associé aux réalités spirituelles que les vases sacrés. Or, on peut les vendre licitement en cas de nécessité. Donc, etc.

[19183] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, jus sepulturae spiritualibus annexum est. Sed Abraham emit ab Emor speluncam duplicem in sepulturam. Ergo sine simonia emi potest quod est spiritualibus annexum.

2. Le droit de sépulture est associé à des réalités spirituelles. Or, Abraham a acheté à Émor une grotte double en vue de sa sépulture. On peut donc acheter sans simonie ce qui est associé à des réalités spirituelles.

[19184] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, juspatronatus est quoddam spirituali annexum. Sed potest sine simonia vendi, quia transit cum universitate, ut decretalis dicit, et in feudum concedi potest. Ergo annexum spiritualibus potest licite vendi.

3. Le droit patronage est quelque chose qui est associé à une réalité spirituelle. Or, il peut être vendu sans simonie, car il change avec la corporation, comme le dit une décrétale, et il peut être concédé en fief. Ce qui est associé aux réalités spirituelles peut donc être licitement vendu.

[19185] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, decimae sunt annexae spiritualibus. Sed licet emere eas: quia possunt in feudum laicis concedi, et ab eis redimi. Ergo possunt vendi et emi annexa spiritualibus.

4. Les dîmes sont associées à des réalités spirituelles. Or, il est permis de les acheter, puisqu’elles peuvent être concédées en fief à des laïcs et être rachetées par eux. Des choses associées à des réalités spirituelles peuvent donc être achetées et vendues.

[19186] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, jus primogeniturae spiritualibus annexum videtur; unde primogeniti ante legem sacerdotis officio fungebantur. Sed Jacob emit jus primogeniturae ab Esau Gen. 25. Ergo idem quod prius.

5. Le droit de primogéniture semble être associé à des réalités spirituelles : aussi la fonction de prêtre était-elle confiée aux premiers-nés avant la loi. Or, Jacob a acheté d’Ésaü le droit de primogéniture, Gn 25. La conclusion est donc la même que précédemment.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19187] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum sacramenta contineant et causent gratiam, non possunt licite vendi aut emi propter tria. Primo, quia dispensator sacramenti non est dominus, sed minister; emptio autem debet fieri a domino rei. Secundo, quia pretium emptionis ponitur quasi mensura adaequans illud quod emitur, unde a mensurando numisma dicitur, secundum philosophum in 5 Ethic.: gratia autem non potest commensurari alicui corporali bono; unde injuriam gratiae facit qui sacramenta gratiae vendit aut emit. Tertio, quia gratia ex hoc nomen accepit quod gratis datur; unde contra rationem gratiae facit qui sacramenta gratiae quasi venalia tractat.

Puisque les sacrements contiennent et causent la grâce, ils ne peuvent pas être licitement vendus ou achetés pour trois raisons. Premièrement, parce que le dispensateur du sacrement n’est pas le maître, mais un ministre. Or, l’achat doit être fait par le maître d’une chose. Deuxièmement, parce que le montant de l’achat est donné comme une mesure équivalant à ce qui est acheté ; aussi numisma [monnaie] vient-il de « mesurer » [mensurando], selon le Philosophe dans Éthique, V. Or, la grâce ne peut être comparée à un bien corporel ; aussi celui qui vend ou achète des sacrements fait-il injure à la grâce. Troisièmement, parce que la grâce a reçu son nom du fait qu’elle est donnée gratuitement ; aussi celui qui traite les sacrements de la grâce comme des marchandises agit-il contre la nature même de la grâce.

[19188] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locutiones illae sunt metaphoricae, et per similitudinem de emptione loquentes, ipsum meritum emptionem vocantes: quod quidem emptio non est, quia Deo ex nostro merito nihil accrescit, nec meritum nostrum est aequivalens praemio.

1. Ces formules sont métaphoriques et parlent d’achat par ressemblance, en appelant le mérite lui-même un achat. Mais ce n’est pas un achat, car Dieu ne gagne rien à notre mérite et notre mérite n’est pas non plus équivalent à la récompense.

[19189] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium non solum est sacramentum, sed etiam naturae officium; et ideo ex illa parte qua est sacramentum, in dispensatione ministrorum Ecclesiae consistens, non cadit sub emptione; unde secundum canones committit simoniam qui pro benedictione nubentium pecuniam exigit; sed ex illa parte qua est in officium naturae, nihil prohibet pro matrimonio pretium accipere, vel conditionem de re temporali accipienda interponere, sicut nec in aliis officiis civilibus et corporalibus.

2. Le mariage est non seulement un sacrement, mais aussi une fonction naturelle. C’est pourquoi, sous l’aspect où il est un sacrement, qui consiste dans la dispensation des ministres, il n’est pas objet de vente. Aussi, selon les canons, celui qui exige de l’argent pour bénir les époux commet-il la simonie. Mais, sous l’aspect où il est une fonction naturelle, rien n’empêche de recevoir un montant pour un mariage ou de faire intervenir une condition liée à la réception d’une réalité temporelle, comme c’est le cas pour les autres fonctions civiles et corporelles.

[19190] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in casu illo debet aliquis emere aquam a sacerdote, et ipsemet puerum baptizare, quia in casu necessitatis licet baptizare etiam mulieri; nec debet aliquo modo pro ipso Baptismo sacerdoti pecuniam dare; et similiter est de adulto, nisi quando potest differri quousque ad superiorem recurratur, ut ab eo Baptismus suscipiatur, cui ex officio competit dare.

3. Dans ce cas, on doit acheter de l’eau du prêtre et on doit baptiser soi-même l’enfant, car, en cas de nécessité, il est permis même à une femme de baptiser. Et on ne doit d’aucune manière donner de l’argent au prêtre pour le baptême. De même en est-il pour un adulte, sauf lorsqu’on peut reporter [le baptême] jusqu’à ce qu’on ait recouru à un supérieur, afin que le baptême soit reçu de celui dont il relève en vertu de sa fonction.

[19191] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod facere pactionem de Missa celebranda est simoniacum semper. Si tamen non habet alios sumptus, et non tenetur ex officio Missam cantare, potest accipere denarios, sicut conducti sacerdotes faciunt, non quasi pretium Missae, sed quasi sustentamentum vitae.

4. Faire un pacte à propos de la célébration de la messe est toujours simoniaque. Cependant, s’il n’a pas d’autres ressources et s’il n’est pas tenu de chanter la messe en vertu de sa fonction, il peut recevoir des deniers, comme le font les prêtres en place, non pas comme prix de la messe, mais comme un moyen de subsistance.

[19192] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ibi non fuit aliqua pactio, sed illi praebendae annexum fuit illud officium cantandi Missam talem.

5. Il n’y a pas eu là de pacte, mais la fonction de chanter une telle messe a été associée à cette prébende.

[19193] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pro absolutione non debet exigi pecunia; sed tamen ei qui absolvitur, potest imponi pecuniaria poena; unde licet aliquid exigere quasi peccati poenam: in quo tamen cavendum est ne talis exactio magis cupiditati quam correctioni adscribatur.

6. On ne doit pas exiger d’argent pour l’absolution ; cependant, une peine sous forme d’argent peut être imposée à celui qui est absous. Il est donc permis d’exiger quelque chose comme peine du péché. Mais il faut éviter en cela qu’une telle réclamation ne soit davantage attribuée à la cupidité qu’à la correction.

[19194] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ibi est distinguendum: quia si non est sibi acquisitum jus per electionem, nullo modo potest pecuniam dare adversario ut desistat; si autem est ei acquisitum jus, potest aliquid dare, non ut pretium praelationis, sed ut redemptionem vexationis propriae.

7. Il faut faire ici une distinction, car si le droit ne lui a pas été acquis par une élection, il ne peut d’aucune manière donner de l’argent à son adversaire pour qu’il se désiste ; mais si le droit lui a été acquis [par une élection], il peut donner quelque chose, non pas comme prix de sa promotion, mais comme compensation pour le tourment qu’il a causé.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19195] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus aliquis potest spiritualis dici vel quantum ad suum principium quod competit alicui ex aliquo spirituali dono vel officio; vel quantum ad sui finem, ut quando per actum ad aliquid spirituale pervenitur. In actibus ergo qui primo modo spirituales sunt, quia spirituale est ex parte agentis, nullo modo sine simonia potest aliquid locare actus suos; sed potest aliquid accipere in sustentationem vitae; in secundis autem actibus, quia spiritualitas non est ex parte agentis, potest etiam emere vel vendere operas suas; sed non vendere hoc spirituale quod ex ejus actu acquiritur.

Un acte peut être appelé spirituel soit en raison de son principe, qui relève de quelqu’un en raison d’un don ou d’une fonction spirituelle ; soit en raison de sa fin, comme lorsque l’on parvient à quelque chose de spirituel par l’acte. Pour les actes qui sont spirituels de la première manière, on ne peut donc louer ses actes sans simonie, car cela est spirituel du point de vue de l’agent, mais quelque chose peut être reçu comme moyen de subsistance. En ce qui concerne les deuxièmes actes, on peut acheter ou vendre son travail, car le caractère spirituel ne se prend pas du point de vue de l’agent. mais  non vendre la réalité spirituelle qui est acquise par son acte.

[19196] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anniversarium celebrare est spiritualis actus primo modo; et ideo nullo modo licet pacisci pro eo celebrando; si tamen cum devotione aliquid detur Ecclesiae, Ecclesia tenetur celebrare pro illis pro quibus rogatur.

1. Célébrer un anniversaire est un acte spirituel de la première manière. C’est pourquoi il n’est d’aucune manière permis de faire une entente pour le célébrer. Cependant, si quelque chose est donné à l’Église par dévotion, l’Église est tenue de célébrer pour ceux pour lesquels on le demande.

[19197] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod oratio est spiritualis primo et secundo modo, quia ex spirituali devotione efficaciam habet, et aliquid spirituale debet in ea fieri; unde nullo modo debet sub pretio poni; nec illi qui dant pecuniam pauperibus, ut pro eis orent, orationem emunt, sed animos pauperum alliciunt ad orandum pro se, et eos sibi faciunt debitores.

2. La prière est spirituelle selon la première et la seconde manière, car elle tire son efficacité de la dévotion spirituelle et quelque chose de spirituel doit y être accompli. Aussi ne doit-elle être soumise à aucun prix, et ceux qui donnent de l’argent pour les pauvres afin qu’ils prient pour eux n’achètent pas la prière, mais invitent les âmes des pauvres à prier pour eux et les rendent ses débitrices.

[19198] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Hieronymus super Michaeam, talia munera exhibebantur prophetis magis in sustentationem eorum, ut spiritualibus vacarent libere, quam ad emendum munera prophetiae: quia actus prophetiae spirituales sunt primo modo.

3. Comme le dit Jérôme en commentant Michée, de tels présents étaient faits aux prophètes plutôt pour assurer leur subsistance, afin qu’ils s’adonnent aux choses spirituelles, que pour acheter la fonction de prophète, car les actes de la prophétie sont spirituels de la première manière.

[19199] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedicare pro pecunia potest intelligi dupliciter. Uno modo ut pecunia sit pretium praedicationis; et sic nullo modo licet; alio modo ut pecuniae datio sit res quaedam praedicata; et ita potest aliquis praedicare pro pecunia, sicut pro aliis operibus meritoriis, inquantum meretur dans, et sublevatur defectus recipientis; et sic apostolus pro collectis faciendis praedicavit: non tamen in pecuniae collatione ponendus est praedicationis finis.

4. Prêcher pour de l’argent peut s’entendre de deux manières. D’une manière, de telle sorte que l’argent soit le prix de la prédication ; de cette manière, cela n’est permis d’aucune manière. D’une autre manière, de telle sorte que le don de l’argent soit l’objet de la prédication ; de cette manière, quelqu’un peut prêcher pour de l’argent, comme pour d’autres actions méritoires, pour autant que celui qui donne mérite et que la carence de celui qui reçoit est soulagé. Ainsi a prêché l’Apôtre pour faire des collectes. Mais la fin de la prédication ne doit pas être mise dans le fait de recueillir de l’argent.

[19200] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod stipendia debentur praedicantibus ad sustentationem victus, ne cogantur relinquere verbum Dei, et circa procuranda sibi necessaria occupari; non autem debentur eis quasi pretium praedicationis.

5. Un salaire est dû à ceux qui prêchent pour assurer leur subsistance, de sorte qu’ils ne soient pas forcés d’abandonner la parole de Dieu et de s’occuper de se procurer le nécessaire. Mais ce salaire ne leur est pas dû comme prix de la prédication.

[19201] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod correctio, sive visitatio, est spiritualis actus primo modo, quia alicui ex spirituali officio competit; unde simoniam committit qui pecuniam accipit, ut peccatum quod tenetur revelare aut punire, non revelet nec puniat: nec etiam pro visitatione facienda accipienda est procuratio quasi pretium visitationis, sed quasi debita ex ordinatione Ecclesiae ad sustentationem; et similiter est de procuratione moderata quam accipere possunt episcopi in consecratione Ecclesiarum secundum Ecclesiae determinationem.

6. La correction ou la visite est un acte spirituel de la première manière, car elle relève de quelqu’un en vertu de sa fonction spirituelle. Celui qui reçoit de l’argent pour ne pas révéler ni punir le péché qu’il est tenu de révéler ou de punir commet donc la simonie. On ne doit pas non plus recevoir comme prix de la visite une procuration pour faire une visite, mais comme étant ce qui est dû pour assurer la subsistance en vertu d’un disposition de l’Église. Il en va de même pour la procuration mesurée que les évêques peuvent recevoir pour la consécration des églises selon ce que l’Église a déterminé.

[19202] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum possessiones alicujus loci religiosi non sufficiunt ad sustentandum plures, tunc potest exigi ab eo qui in loco illo vult Deo servire, non quasi pretium religionis, sed ut habeat monasterium unde ei possit providere; et ideo non committitur simonia. Si autem sine gravamine Ecclesiae potest recipi, simoniacum est aliquid pro receptione exigere.

7. Lorsque les biens d’un endroit religieux ne suffisent pas pour assurer la subsistance d’un grand nombre, on peut alors exiger de celui qui veut servir Dieu dans ce lieu [une contribution], non pas comme prix de la vie religieuse, mais pour que le monastère ait ce avec quoi il pourra subvenir à ses besoins. Ainsi, on ne commet pas de simonie. Mais s’il peut être accueilli sans que l’Église en soit incommodée, il est simoniaque d’exiger quelque chose pour l’accueillir.

[19203] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod docere artes liberales est actus spiritualis secundo modo; et ideo licet magistris artium vendere labores suos, sed non scientiam sive veritatem, quae spiritualis est; unde dicitur Prov. 23, 23: noli vendere scientiam, et doctrinam et gloriam.

8. Enseigner les arts libéraux est un acte spirituel de la seconde manière. Il est donc permis aux maîtres ès arts de vendre leurs travaux, mais non pas la science ou la vérité, qui est spirituelle. Aussi est-il dit en Pr 23, 23 : Ne vends pas la science, l’enseignement et la gloire.

[19204] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod judex ex officio suo tenetur judicium reddere: similiter etiam quilibet tenetur ex hoc quod est judicio subditus, ad verum testimonium reddendum. Sed advocatus non tenetur patrocinium suum causae praestare, nec jurisperitus dare consilium; et ideo, sicut dicit Augustinus ad Macedonium, non debet judex vendere verum judicium, aut testis, verum testimonium, quia advocatus vendit justum patrocinium, et jurisperitus verum consilium. Non enim advocatus vendens justum patrocinium, justitiam vendit, quae est spiritualis, sed actum suum; et similiter dicendum est de consilio jurisperiti. Sed judex vendendo verum judicium, simoniam committit, si sit spiritualis judex: alias non committit simoniam, sed graviter peccat; et similiter dicendum est de teste.

9. Le juge est tenu de rendre un jugement en vertu de sa fonction. De même, chacun est-il tenu de donner un témoignage vrai du fait qu’il est soumis à un juge. Mais l’avocat n’est pas tenu de donner son patronage à une cause, ni l’expert en droit de donner conseil. C’est pourquoi, comme le dit Augustin à Macédonius, le juge ne doit pas vendre un jugement vrai ou un témoin un témoignage vrai, car l’avocat vend son juste patronage et l’expert en droit, son conseil vrai. En effet, en vendant son patronage juste, l’avocat ne vend pas la justice, qui est spirituelle, mais son acte ; et il faut dire la même chose du conseil de l’expert en droit. Mais, en vendant un jugement vrai, le juge commet la simonie, s’il est un juge spirituel ; autrement, il ne commet pas la simonie, mais il pèche gravement. Il faut dire la même chose du témoin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19205] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut ex dictis patet, spirituale quod sub pretio poni non debet, est duplex; scilicet ipsa res sacra, ut sacramenta; et actus competens alicui ex officio sacro; et secundum hoc etiam est duplex spirituali annexum: quoddam annexum est ipsis sacramentis, sicut vasa sacra, et hujusmodi; quaedam sunt annexa officiis sacris, sicut decimae, et juspatronatus, secundum quod juspatronatus est potestas praesentandi clericum ad beneficium ecclesiasticum; et in utroque committitur simonia quantum ad id quod de spiritualitate habet.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, la réalité spirituelle qui ne peut pas être l’objet d’un prix est double : la réalité spirituelle elle-même, comme les sacrements ; et l’acte qui relève de quelqu’un en vertu d’une fonction sacrée. Deux choses peuvent donc être associées à quelque chose de spirituel : quelque chose est associé aux sacrements eux-mêmes, comme les vases sacrés et les choses de ce genre ; certaines choses sont associées à des fonctions sacrées, comme les dîmes et le droit de patronage, pour autant que le droit de patronage est le pouvoir de présenter un clerc pour un bénéfice ecclésiastique. Dans les deux cas, la simonie est commise dans la mesure où il est question d’une réalité spirituelle.

[19206] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vasa sacra nullo modo ratione consecrationis vendenda sunt, ut scilicet pro consecratione eorum aliquid plus exigatur; tamen in necessitate Ecclesiae possunt vendi ex parte ejus quod in eis est non spirituale, scilicet materia auri; et tunc si venduntur ecclesiasticae personae, possunt integra vendi; si autem venduntur aliis non ad usum Ecclesiae, debent prius frangi praemissa oratione, ne sancta ab aliis tractentur quam a ministris Ecclesiae.

1. Les vases sacrés ne doivent être vendus d’aucune manière en raison de leur consécration, de sorte que quelqu’un exige pour eux davantage en raison de leur consécration. Cependant, en cas de nécessité de l’Église, ils peuvent être vendus du point de vue de ce qui n’est pas spirituel en eux, à savoir, la matière en or. S’ils sont alors vendus à un personnage ecclésiastique, ils peuvent être vendus dans leur intégrité ; mais s’ils sont vendus à d’autres pour un usage qui ne relève pas de l’Église, ils doivent d’abord être brisés après qu’on a fait une prière, de sorte que des choses saintes ne soient pas manipulées par d’autres que des ministres de l’Église.

[19207] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod venditio sepulturae potest intelligi dupliciter. Uno modo quod vendatur terra sacra in sepulturam; et de hoc est similis ratio ac de venditione sacrorum vasorum, quia coemeterium consecratum potest vendi ratione terrae in necessitate Ecclesiae, sicut et calix ratione materiae; non autem potest vendi ratione consecrationis, ut scilicet aliquis pro pecunia ibi sepeliatur. Abraham autem non peccavit emens speluncam duplicem: quia spelunca illa non erat consecrata in sepulturam: vel si erat consecrata, transivit possessio ejus in jurisdictionem cum universitate agri. Emor autem reprehenditur, quia decidit a bona intentione quam prius habuit, volens gratis dare, cum postea eam carissime vendiderit: vel, ut quidam dicunt, Abraham non peccavit redimens jus quod habebat sepeliendi mortuum: quod quamvis ei Emor non denegaret, tamen sciebat Abraham quod ille moleste acciperet, nisi pretium daretur. Sed primum melius videtur. Alio modo dicitur vendi sepultura, si pro officio quod a sacerdotibus in sepultura funeris dicitur, aliquid exigatur; et hoc non licet, ut ex dictis patet. Tamen si consuetudo est quod aliquid detur, potest per superiorem correctio adhiberi in illos qui denegant dare quod consuetudo exposcit.

2. La vente d’une sépulture peut s’entendre de deux manières. D’une manière, la terre sacrée est vendue pour une sépulture : le raisonnement est le même dans ce cas que pour la vente des vases sacrés, car le cimetière consacré peut être vendu en raison de la terre en cas de nécessité de l’Église, comme le calice en raison de sa matière ; mais il ne peut être vendu en raison de sa consécration, pour que quelqu’un y soit enseveli pour de l’argent. Mais Abraham n’a pas péché en achetant une grotte double, car cette grotte n’était pas consacrée en vue de la sépulture ; ou si elle était consacrée, sa possession a changé de juridiction avec l’ensemble du champ. Un reproche est adressé à l’acheteur parce qu’il s’est écarté de la bonne intention qu’il avait d’abord en voulant le donner gratuitement, alors que, par la suite, il l’aura vendu très cher ; ou bien, comme le disent certains, Abraham n’a pas péché en rachetant le droit qu’il avait d’ensevelir un mort : bien que l’acheteur ne le lui refusât pas, Abraham savait cependant qu’il le recevrait d’une manière désagréable, si un prix n’en était pas donné. Mais la première explication semble meilleure. D’une autre manière, on dit qu’une sépulture est vendue si, pour la fonction qui est exercée par les prêtres lors des funérailles, on exige quelque chose. Cela n’est pas permis, comme cela ressort de ce qui a été dit. Cependant, si la coutume est de donner quelque chose, un supérieur peut corriger ceux qui refusent de donner ce que la coutume exige.

[19208] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod juspatronatus per se vendi non potest, nec in feudum dari. Si autem villa vendatur, et in feudum detur, cui annexum est juspatronatus, transit cum universitate ad illum cui villa datur, vel qui eam emit, non quasi juspatronatus sub venditione cadat.

3. Le droit de patronage ne peut être vendu en lui-même ; il ne peut pas non plus être donné en fief. Mais si un domaine est vendu et donné en fief, auquel est associé un droit de patronage, celui-ci est transféré avec l’ensemble à celui à qui le domaine est donné ou qui l’a acheté. Mais le droit de patronage n’est pas objet de la vente.

[19209] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod jus percipiendi decimas sequitur spirituale officium, quia debetur ministris Ecclesiae: nec laici possunt habere hujusmodi jus, quamvis aliquando ad tempus fructus decimarum laicis concessus sit propter aliquam Ecclesiae necessitatem; et tunc hoc modo quo laicis dari potest, ab eis potest redimi ex auctoritate episcopi. Tamen una Ecclesia non potest ab alia emere jus percipiendi decimas.

4. Le droit de percevoir des dîmes découle d’une fonction spirituelle, car cela est dû aux ministres de l’Église. Les laïcs ne peuvent pas avoir ce droit, bien que parfois le produit des dîmes soit concédé à des laïcs en raison d’une nécessité de l’Église. Compte tenu de la manière dont cela a pu être donné à des laïcs, cela peut être racheté d’eux en vertu de l’autorité de l’évêque. Cependant, une église ne peut acheter d’une autre le droit de percevoir des dîmes.

[19210] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod jus primogeniturae debebatur Jacob ex divina institutione; et ideo non peccavit emens, sed redemit vexationem suam. Sed Esau vendens peccavit.

5. Le droit de primogéniture était dû à Jacob en vertu d’une institution divine. C’est pourquoi il n’a pas péché en l’achetant, mais il a racheté le mauvais traitement qu’il avait subi. Cependant, Ésaü a péché en le vendant.

 

 

Articulus 3 [19211] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 tit. Utrum simonia committatur illis tribus modis quos Urbanus Papa determinat

Article 3 – La simonie est-elle commise des trois manières dterminées par le pape Urbain ?

[19212] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod simonia non committatur illis tribus modis quos Urbanus Papa determinat, dicens: quisquis res ecclesiasticas non ad quod institutae sunt, sed ad propria lucra, munere linguae vel indebiti obsequii vel pecuniae, largitur vel adipiscitur, simoniacus est. Quia, ut supra dictum est, judex spiritualis, si vendit judicium, facit simoniam. Sed licet judici spirituali aliquod munus accipere pecuniae, vel alicujus hujusmodi, ut dicitur Extra. de simonia, cap. etsi quaestiones. Ergo simonia non semper committitur per munus a manu.

Objections

1. Il semble que la simonie ne soit pas commise des trois manières déterminées par le pape Urbain, lorsqu’il dit : « Est simoniaque quiconque, par demande ou pour un service indû ou de l’argent, distribue ou acquiert les biens ecclésiastiques, non pas selon qu’ils ont été institués, mais pour son propre profit. » En effet, comme on l’a dit plus haut, un juge spirituel, s’il vend un jugement, commet la simonie. Or, il est permis à un juge spirituel de recevoir un présent en argent ou quelque chose de ce genre, comme il est dit dans Extra, « Sur la simonie », chap. « Etsi questiones ». La simonie n’est donc pas toujours commise par un présent fait de main à main.

[19213] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, Papa potest etiam munus a manu suscipere pro aliquo spirituali. Sed, ut quidam dicunt, Papa non potest committere simoniam, maxime cum aliqua persona ecclesiastica; quia res Ecclesiae sunt suae. Ergo non semper committitur simonia per munus a manu.

2. Le pape peut aussi recevoir de main à main un présent pour quelque chose de spirituel. Or, comme le disent certains, le pape ne peut pas commettre de simonie, surtout en rapport à un personnage ecclésiastique, car les biens de l’Église lui appartiennent. La simonie n’est donc pas toujours commise par un présent de main à main.

[19214] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit: ecclesiasticis utilitatibus deservientes dignum est ecclesiastica remuneratione gaudere. Ergo si datur aliqua praebenda alicui pro obsequio impenso, non est simonia.

3. Grégoire dit : « Il est digne que ceux qui sont au service des biens de l’Église jouissent d’une rémunération ecclésiastique. » Si donc une prébende est donnée à quelqu’un pour un service rendu, ce n’est pas de la simonie.

[19215] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, unusquisque licite potest petere quod sibi debetur de jure. Sed ordinato, qui non habet beneficium competens, tenetur de jure ordinator ejus providere. Ergo non peccat, si petat beneficium; et hoc vocatur munus linguae, scilicet rogatio.

4. Chacun peut licitement demander ce qui lui revient de droit. Or, celui qui ordonne est tenu en vertu du droit de pourvoir à celui qui est ordonné et qui n’a pas de bénéfice approprié. Il ne pèche donc pas s’il demande un bénéfice, et cela s’appelle un « présent oral », c’est-à-dire une demande.

[19216] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, si fiant preces pro digno, non committitur simonia ex hoc. Sed preces sunt munera linguae, sive fiant pro digno, sive pro indigno. Ergo munus a lingua non semper facit simoniam.

5. Si on fait des demandes pour ce qui est dû, on ne commet pas pour cela la simonie. Or, les prières sont des « présents oraux », qu’elles soient faites pour ce qui est dû ou pour ce qui n’est pas dû. Un « présent oral » n’est donc pas toujours de la simonie.

[19217] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 6 Praeterea, hypocritae faciunt bona spiritualia propter laudes hominum, et tamen non dicuntur simoniaci. Ergo munus a lingua non facit simoniam.

6. Les hypocrites accomplissent des biens spirituels pour être louangés par les hommes ; ils ne sont cependant pas appelés simoniaques. Un « présent oral » n’est donc pas de la simonie.

[19218] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 7 Praeterea, sicut amor pecuniae est cupiditatis, ita amor consanguineorum est carnalitatis. Sed si intuitu pecuniae detur alicui praebenda, est simonia. Ergo similiter si detur intuitu consanguinitatis; et tamen ibi non est aliquis praedictorum modorum; ergo sunt insufficientes.

7. De même que l’amour de l’argent est le fait de la cupidité, de même l’amour des consanguins relève-t-il des rapports charnels. Or, si une prébende est donnée à quelqu’un pour de l’argent, c’est de la simonie ; de même si elle est donnée en raison de la consanguinité. Cependant, on n’y trouve aucun des modes mentionnés. Ceux-ci sont donc insuffisants.

[19219] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 8 Praeterea, in commutationibus etiam dignitatum vel ecclesiasticorum beneficiorum committitur simonia. Sed ibi non est aliquod munus. Ergo et cetera.

8. La simonie est commise par les contrats concernant les dignités ou les bénéfices ecclésiastiques. Or, il n’y a là aucun présent. Donc, etc.

[19220] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 arg. 9 Praeterea, aliqui praelati recipiunt fructus Ecclesiarum vacantium, et postea conferunt, retenta sibi parte proventuum; in quo non videtur aliquod munus esse; et tamen est ibi simonia. Ergo et cetera.

9. Certains prélats reçoivent les fruits des églises vacantes et les donnent par la suite, en retenant une partie des revenus, alors qu’il ne semble pas y avoir de présent. Cependant, c’est de la simonie. Donc, etc.

[19221] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod simonia, ut dictum est, consistit in emptione et venditione spiritualium, vel eorum quae sunt eis annexa. Emptio autem vel venditio consistit non solum in datione et acceptione pecuniae, sed omnium eorum quorum potest pretium numismate mensurari: in his enim est liberalitas, secundum philosophum. Constat autem quod in eisdem est liberalis datio, et venditio, quae est contraria. Omnis autem temporalis commodi pretium potest numismate mensurari; et ideo quicumque pro aliquo temporali commodo dat aliquod spirituale, vel annexum, simoniam committit. Bonum autem temporale quod potest aliquis ab alio expectare, vel est ex parte animae, sicut amicitia aut favor aliquis; et quantum ad hoc est munus a lingua: vel ex parte corporis, sicut aliquis actus corporaliter exercitus, vel obsequium aliquod exhibitum; et quantum ad hoc est munus ab obsequio; vel est aliquid exteriorum bonorum; et sic est munus a manu, quod consistit in exterioribus bonis. Quantum ad primum committitur simonia per munus a lingua, quia lingua opinionem exprimit, et gratiam conceptam; quantum ad secundum per munus ab obsequio; quantum ad tertium per munus a manu.

Réponse

Comme on l’a dit, la simonie consiste dans l’achat et la vente de réalités spirituelles ou de ce qui leur est associé. Or, l’achat ou la vente consiste non seulement dans le don et l’acceptation d’argent, mais de tout ce dont le prix peut être mesuré par l’argent. En effet, la libéralité porte sur cela, selon le Philosophe. Or, il est clair que le don et la vente par libéralité, qui en est le contraire, portent sur les mêmes choses. Mais le prix de tout avantage temporel peut être mesuré en argent. C’est pourquoi quiconque donne quelque chose de spirituel ou quelque chose qui y est associé pour un avantage temporel commet la simonie. Or, le bien temporel que quelqu’un peut attendre d’un autre vient soit de l’âme, comme l’amitié ou une certaine faveur : sous cet aspect, c’est un « présent oral » ; ou il vient du corps, comme un acte exercé de manière corporelle ou la manifestation d’une certaine déférence. Sous cet aspect, c’est un présent par déférence ; ou bien c’est un des biens extérieurs : il s’agit alors d’un présent de main à main, qui consiste dans des biens extérieurs. Sur le premier point, la simonie est commise par un « présent oral », car la langue exprime l’opinion et la bienveillance ; sur le deuxième point, [elle est commise] par un présent de déférence ; sur le troisième point, par un présent de main à main.

[19222] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ecclesiae judicium est quantum ad exteriora: et quia non est probabile quod animus judicis spiritualis flectatur ad aliquid faciendum pro parvo munere, ideo in parvis muneribus judici datis non judicat simoniam committi. Sed apud Deum, qui cor videt, simonia est et in parvis et in magnis muneribus, si animus judicis ex eis flectatur.

Solutions

1. Le jugement de l’Église porte sur des choses extérieures. Parce qu’il n’est probable que l’esprit d’un juge spirituel soit fléchi à faire quelque chose pour un petit présent, on n’estime pas que la simonie est commise par les petits présents faits à un juge. Mais pour Dieu, qui voit le cœur, la simonie existe dans les petits et les grands présents si l’esprit du juge est fléchi par eux.

[19223] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opinio illa erronea est. Si enim Papa pro aliquo spirituali munus acciperet, simoniam committeret sicut et alius homo: quia sub Petro, cui Papa succedit, simoniae vitium damnationem inchoavit in novo testamento: et quamvis res Ecclesiae sint aliquo modo Papae, non sunt tamen ejus omnibus modis habendi, sicut illud quod ad manum habet. Non est autem dubium quod simoniam committeret, si quis aliquod spirituale debitori suo daret, ut quod suum est recuperaret; et ita etiam in proposito Papa a simonia non excusaretur, si (quod absit) spiritualia pro temporalibus rebus Ecclesiarum daret.

2. Cette opinion est erronée. En effet, si le pape recevait un présent pour quelque chose de spirituel, il commettrait la simonie comme un autre homme, car le vice de la simonie a commencé à être condamné dans le Nouveau Testament sous Pierre, auquel le pape succède. Bien que les biens de l’Église appartiennent au pape de quelque façon, ils ne lui appartiennent pas selon tous les modes d’appartenance, comme ce qu’on a sous la main. Or, il n’y a pas de doute que l’on commettrait la simonie si on donnait quelque chose de spirituel à son débiteur afin de récupérer ce qui est sien. Ainsi, dans le cas en cause, le pape ne serait pas exempt de simonie s’il donnait – qu’à Dieu ne plaise ! –des réalités spirituelles en échange de biens temporels de l’Église.

[19224] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obsequium aut est honestum, aut inhonestum. Si quidem sit honestum obsequium, ex ipso obsequio quandoque redditur homo dignus beneficio ecclesiastico, sicut et aliis bonis operibus; et tunc si pactio non intervenit, potest absque simonia beneficium ecclesiasticum dari ei qui obsecutus est, ut non habeatur oculus ad obsequium principaliter, sed ad dignitatem personae; et sic loquitur Gregorius. Si autem sit inhonestum, tunc est omnino simonia.

3. La déférence est honnête ou malhonnête. S’il s’agit d’une déférence honnête, on est parfois rendu digne d’un bénéfice ecclésiastique, comme par les autres actions bonnes : alors, s’il n’y a pas de pacte, un bénéfice ecclésiastique peut être donné à celui qui a manifesté de la déférence, sans  cependant considérer principalement la déférence, mais la dignité de la personne. C’est ainsi que parle Grégoire. Mais s’il s’agit [d’une déférence] malhonnête, ce sera alors tout à fait de la simonie.

[19225] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod munus linguae duplex est: vel quod in ipso actu linguae consistit, sicut laus; vel quod ex lingua initium sumit, sicut cum quis ex hoc quod precibus alicujus satisfacit, favorem expectat. Qui enim dat aliquod spirituale pro favore vel laude acquirenda, non est dubium quin simoniam committeret. Quando ergo preces fiunt pro indigno, satis apparet quod nihil aliud movet nisi favor, aut etiam periculum evitandum: quia etiam carere malo quoddam bonum est, ut dicit philosophus. Et ideo quando fiunt preces pro indigno, vel aliquo potente qui periculum comminatur, quae dicuntur preces armatae; manifeste simonia committitur, si propter hoc beneficium ecclesiasticum detur. Si autem pro digno fiant quantum ad judicium hominum; probabile est quod dans magis moveatur intuitu dignitatis personae quam favore precum; et ideo non reputatur simonia. Si tamen principaliter moveatur favore precum, vel timore rogantis; quantum ad divinum judicium simoniam committit et rogatus et rogans, si hoc intendat, sive aliquis pro se roget, sive pro alio. Potest enim aliquis pro se petere si dignus sit, beneficium ecclesiasticum non habens curam animarum, si indiget; sed non si habeat curam animarum, quia praesumptuosum est. Nec tamen est simonia nisi pro tanto quod ex ipsa praesumptione indignus reddatur; et tunc preces suae ex hoc ipso quod rogat, pro indigno fiunt.

4. Le « présent oral » est double : il consiste dans l’acte même de la langue, comme la louange ; ou il prend origine de la langue, comme lorsque quelqu’un attend une faveur parce qu’il satisfait aux demandes d’un autre. En effet, il n’y a pas de doute que celui qui donnerait quelque chose de spirituel pour obtenir la faveur ou la louange commettrait la simonie. Lorsque des demandes sont faites pour quelqu’un d’indigne, il apparaît donc que rien ne les motive que la faveur ou encore l’évitement d’un danger, car même être privé d’un mal est un certain bien, comme dit le Philosophe. C’est pourquoi, lorsque des demandes sont faites pour quelqu’un d’indigne ou pour un puissant qui menace d’un danger – elles sont appelées des « prières armées » –, on commet manifestement la simonie, si un bénéfice ecclésiastique lui est donné à cause de cela. Mais si [des demandes] sont faites pour quelqu’un de digne selon le jugement des hommes, il est probable que celui qui donne est davantage mû par la dignité de la personne que par la faveur produite par les demandes : on n’estime donc pas qu’il s’agit de simonie. Cependant, si [celui qui donne] est principalement mû par la faveur produite par les demandes ou par la crainte de celui qui demande, tant celui à qui est adressée la demande que celui qui la fait commettent la simonie selon le jugement divin, si telle est leur intention, soit qu’on demande quelque chose pour soi-même, soit pour un autre. En effet, quelqu’un peut demander pour lui-même, s’il en est digne, un bénéfice ecclésiastique ne comportant pas de charge d’âmes, s’il est dans le besoin, mais pas s’il comporte une charge d’âmes, car cela est présomptueux. Il n’y a cependant simonie que dans la mesure où il est rendu indigne par la présomption : alors, ses demandes sont faites pour quelqu’un d’indigne par le seul fait qu’il demande.

[19226] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 5 Et per hoc patet solutio ad quintum.

5. La réponse au cinquième argument est ainsi claire.

[19227] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod emptio et venditio in quibus simonia consistit, sunt voluntariae communicationes, quia ex consensu utriusque fiunt. Sed hypocrita per ea quae facit, favorem humanum sibi usurpat per modum furti, quod est involuntaria communicatio; et ideo, proprie loquendo, simoniam non committit.

6. L’achat et la vente dans lesquels consiste la simonie sont des des échanges volontaires, car ils sont faies avec le consentement des deux. Mais l’hypocrite usurpe pour lui-même la faveur humaine par mode de vol, ce qui est un échange involontaire. C’est pourquoi, à proprement parler, il ne commet pas de simonie.

[19228] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ille qui dat ratione consanguinitatis praebendam alicui principaliter: aut intendit temporale bonum illius cui datur, et non alterius; et sic peccat graviter, sed simoniam non committit, quia non vendit, cum nihil accipiat: aut intendit aliquod bonum in seipsum redundans, sic quod magnificetur per hoc, et nobilitetur domus sua; vel quod ipse in consanguineis sit fortior; et sic ipse aliquid accipere sperat pro quo spiritualia dat, et simoniam committit: et reducitur ad id munus in quo continetur commodum quod ex tali datione sperat.

7. Celui qui donne une prébende principalement en raison de la consanguinité a en vue le bien temporel de celui à qui celle-ci est donnée, et non celui d’un autre : il pèche alors gravement, mais il ne commet pas la simonie, car il ne vend pas, puisqu’il ne reçoit rien. Ou bien il a en vue un bien qui rejaillit sur lui-même, de sorte qu’il est grandi et ennobli dans sa maison, ou qu’il est plus fort parmi ses consanguins : ainsi, il espère recevoir quelque chose en retour des biens spirituels qu’il donne, et il commet la simonie. Cela revient à un présent dans lequel est contenu l’avantage qu’il espère d’un tel don.

[19229] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in tali permutatione est simonia, si pro aliquo terreno commodo utriusque, vel alterius, talis commutatio fiat; si autem pro aliquo spirituali, utpote quia hic in illo loco melius possit Deo servire, non est simonia; unde tunc potest fieri commutatio ex auctoritate episcopi dioecesani.

8. Dans un tel contrat, il y a simonie si ce contrat est conclu pour un avantage terrestre des deux ou de l’un des deux ; mais s’il est conclu pour un bien spirituel, par exemple, pour que celui-ci puisse mieux servir Dieu dans cet endroit, ce n’est pas de la simonie. Un tel contrat peut donc est fait en vertu de l’autorité de l’évêque diocésain.

[19230] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod in hoc distinguendum est: quia si ante donationem praebendae proventus percipiat pro aliqua justa causa, et non intervenit aliqua conventio cum eo cui dare disponit, non est simonia: si autem pactio intervenit, ut ante receptionem, vel post accipiat, simoniacum est.

9. Il faut faire ici une distinction. Si, avant le don de la prébende, il reçoit un revenu pour une juste cause et que n’entre pas en ligne de compte une entente avec celui à qui il décide de donner, ce n’est pas de la simonie. Mais si une entente intervient pour qu’il le reçoive avant ou après, cela est simoniaque.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 25

 [19231] Super Sent., lib. 4 d. 25 q. 3 a. 3 expos. Neque ex his aliquem in clericatus honorem vel exiguum surrogare: non quia ordinem non receperit, sed quia male promotus est; quod contingit dupliciter. Uno modo ex parte ordinantis, sive cum est haereticus, sive simoniacus, vel quocumque alio modo ab Ecclesia separatus, et sic est in proposito: sive cum ordinatur a non suo episcopo sine licentia et auctoritate proprii episcopi; et tunc debet deponi, nisi episcopus ponat spem in ratihabitione alterius episcopi, sicut de beato Epiphanio in epistola sua legitur: sive ordinetur ab episcopo qui abrenuntiavit officio et loco. Si enim officium sibi retinuerit, loco abrenuntians, potest conferre minores ordines, et de licentia episcopi etiam majores. Alio modo est male promotus, quia non promovetur sicut debet: quod contingit dupliciter. Primo, quia furtive accipit ordinem, ut cum accipit duos ordines sacros una die, vel unumquemque sine licentia episcopi; et poena talium est depositio; et tunc si fuit super hoc lata excommunicatio, solus Papa potest cum eo dispensare: si autem non fuit, potest etiam episcopus dispensare, praecipue in minoribus ordinibus, vel si claustrum intraverit. Secundo, quia praetermittit aliquem ordinem; et tunc, si ex malitia facit, debet deponi, quamvis characterem recipiat; si vero ignoranter, debet sibi imponi poena ab episcopo, et interim careat executione ordinis, quousque ordinem praetermissum recipiat. Quisquis horum alterum vendit sine quo alterum non habetur, neutrum vendere derelinquit. Hoc est intelligendum de illis quorum unum quod venditur, ordinatur ad alterum, quod sub pretio cadere non potest: sic beneficia ecclesiastica sunt ordinata ad ministrorum Ecclesiae sustentationem; et sic non potest ministrari de jure patronatus, quod per se non venditur, quamvis transeat cum venditione villae; quia dominium villae non est ordinatum ad jus patronatus. Simoniacae autem haeresis tripartita est distinctio. Simoniacus proprie dicitur qui est reus hujus peccati, vel dando vel accipiendo aliquod sacrum pro pretio. Contingit autem quandoque in ipsa datione simoniam intervenire per mediatores altero, vel utroque ignorante; et tunc fit simoniace ordinatio, quamvis non sit simoniacus qui ordinat vel ordinatur. Quandoque etiam potest esse simoniacus ex alia causa, et nullum vitium ex ipsa datione spiritualium intervenire; et tunc non simoniace ordinatur aliquis, quamvis sit simoniacus vel ordinans vel ordinatus; et secundum hoc distinguuntur modi in littera positi. Sacri canones sanxerunt et cetera. Hic nota, quod tria tempora sunt observanda in ordinibus. Primo tempus aetatis ordinandi: circa quod sciendum est quod secundum antiqua jura a septimo anno usque ad duodecimum potest accipere omnes minores ordines: a duodecimo usque ad vigesimum primum potest recipere acolythatum et subdiaconatum, ita quod in vigesimoprimo subdiaconatum recipiat; in vigesimo sexto potest recipere diaconatum, in trigesimo presbyteratum; et postmodum potest fieri episcopus. Sed nunc abbreviatum est tempus: quia subdiaconatum potest recipere quando pervenerit ad annos discretionis, ut possit cognoscere votum continentiae, et presbyter fieri in vigesimo quinto anno; et diaconatum circa vigesimumprimum annum (et praecipue in religiosis): episcopus autem in trigesimo anno. Secundo debet considerari tempus determinatum anni, in quo fiunt ordines: circa quod sciendum est, quod majores ordines in sex temporibus anni possunt celebrari, scilicet; in quatuor sabbatis quatuor temporum, et in sabbato ante dominicam de passione, et in vigilia resurrectionis. Papa tamen in die dominico et festis praecipuis confert subdiaconatum; et in his etiam diebus quibus episcopus potest conferre minores ordines. Episcopi autem in die dominico consecrandi sunt. Tertium tempus est distantia inter ordines suscipiendos: circa quod sciendum est, quod aliquis potest accipere omnes minores ordines una die; non tamen unum de minoribus cum subdiaconatu, nec duos de majoribus simul. Potest tamen in dominica consecrari in episcopum qui praecedenti die factus est sacerdos. De illis autem qui gradatim ad clericatum accedunt, sciendum est, quod possunt in octo annis recipere omnes ordines; ita quod in primis duobus recipiant minores, in aliis quinque tres majores. Monachus tamen posset omnes recipere per annum, et etiam alii dispensative propter necessitatem Ecclesiae.

 

 

 

 

MARIAGE

 

 

Distinctio 26

Distinction 26 – [Le mariage]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le mariage est-il naturel ?]

Prooemium

Prologue

[19232] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramento ordinis, quod ordinatur ad spiritualem multiplicationem Ecclesiae, hic incipit determinare de matrimonio, quod ordinatur ad materialem, multiplicationem fidelium ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de matrimonio ; in secunda de personis contrahentibus matrimonium, 34 distinct., ibi nunc superest attendere quae personae sint legitimae ad contrahendum matrimonium. Prima in duas : in prima determinat ea quae pertinent ad matrimonium, inquantum est sacramentum ; in secunda determinat causas matrimonii, 27 distinct., ibi : post hoc advertendum est quid sit conjugium. Prima in duas : in prima determinat de institutione matrimonii ; in secunda significationem ipsius : haec enim duo omnibus sacramentis communia sunt, ibi : cum alia sacramenta et cetera. Circa primum tria facit : primo ostendit duas matrimonii institutiones ; secundo ostendit differentiam illarum, ibi : prima institutio habuit praeceptum ; tertio excludit quemdam errorem qui potest ex praedictis habere occasionem, ibi : fuerunt autem nonnulli haeretici nuptias detestantes. Circa secundum duo facit : primo ostendit differentiam inter secundam institutionem et primam, per hoc quod prima fuit in praecepto, secunda habuit indulgentiam ; secundo ostendit qualiter haec indulgentia sumatur, ibi : indulgentia autem diversis modis accipitur. Cum ergo conjugium sacramentum sit, sacrum signum est, et sacrae rei. Hic determinat de significatione matrimonii ; et circa hoc duo facit : primo determinat matrimonii significationem ; secundo excludit quamdam falsam opinionem, quae ex praedictis ortum habuit, ibi : inde est quod quidam doctorum dixerunt, illam mulierem non pertinere ad matrimonium quae non experitur carnalem copulam. Circa quod tria facit : primo ponit illa quae videntur esse pro dicta opinione ; secundo ostendit opinionem esse falsam, ibi : hoc ergo si secundum verborum superficiem quis acceperit, inducitur in errorem ; tertio respondet ad probationem, ibi : sed superius posita, ea ratione dicta intelligendum est et cetera. Hic est duplex quaestio. Prima de matrimonio secundum quod est in officium naturae. Secunda de eo secundum quod est sacramentum. Circa primum quaeruntur quatuor : 1 utrum matrimonium sit naturale ; 2 utrum nunc sit in praecepto ; 3 utrum actus ejus sit licitus ; 4 utrum possit esse meritorius.

 

Après avoir déterminé du sacrement de l’ordre, qui est ordonné à la multiplication spirituelle de l’Église, le Maître commence ici à déterminer du mariage, qui est ordonné à la multiplication matérielle des fidèles. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du mariage ; dans la seconde, des personnes qui contractent mariage, à la distinction 34, à cet endroit : « Il reste maintenant à examiner quelles personnes contractent légitimement mariage. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine de ce qui se rapporte au mariage en tant que sacrement ; dans la seconde, il détermine des causes du mariage, à la distinction 27, à cet endroit : « Après cela, il faut porter attention à ce qu’est le mariage. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine de l’institution du mariage ; dans la seconde, de sa signification (en effet, ces deux choses sont communes à tous les sacrements), à cet endroit : « Puisque tous les sacrements, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre les deux institutions du mariage. Deuxièmement, il montre leur différence, à cet endroit : « La première institution fut le commandement » Troisièmement, il écarte une erreur qui peut venir de ce qui a été dit, à cet endroit : « Il y a eu certains hérétiques qui détestaient le mariage. » À propos du deuxième point, il fait deux choses. Premièrement, il montre la différence entre le seconde et la première institution [du mariage] du fait que la première dépendait d’un commandement, alors que la seconde vient d’une permission. » Deuxièmement, il montre comment cette permission s’entend, à cet endroit : « La permission s’entend de diverses manières. » « Puisque le mariage est un sacrement, il est un signe sacré et [le signe] d’une réalité sainte. » Ici, il détermine de la signification du mariage. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la signification du mariage ; deuxièmement, il écarte une fausse opinion issue de ce qui a été dit, à cet endroit : « De là vient que certains docteurs ont dit que la femme qui ne connaît pas d’union charnelle n’a pas de rapport avec le mariage. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il présente ce qui semble être en faveur de cette opinion ; deuxièmement, il montre que cette opinion est fausse, à cet endroit : « Si on entend cela de manière superficielle, cela conduit à l’erreur. » Il y a ici deux questions : la première, sur le mariage en tant qu’il est une fonction naturelle ; la seconde, sur le mariage en tant qu’il est un sacrement. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Est-ce que le mariage est naturel ? 2 – Est-ce qu’il relève maintenant d’un commandement ? 3.– Son acte est-il permis ? 4 – Peut-il être méritoire ?

 

 

Articulus 1

[19233] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 tit. Utrum matrimonium sit naturale

Article 1 – Le mariage est-il naturel ?

[19234] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod matrimonium non sit naturale. Quia jus naturale est quod natura omnia animalia docuit. Sed in aliis animalibus est conjunctio sexuum absque matrimonio. Ergo matrimonium non est de jure naturali.

 

1. Il semble que le mariage ne soit pas naturel, car le droit naturel consiste en ce que la nature a enseigné à tous les animaux. Or, chez les autres animaux, l’union des sexes se réalise sans mariage. Le mariage ne relève donc pas du droit naturel.

[19235] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, id quod est de jure naturali, invenitur in hominibus secundum quemlibet eorum statum. Sed matrimonium non fuit in quolibet statu hominum : quia, sicut dicit Tullius in principio Rhetor., homines a principio silvestres erant, et tunc nemo scivit proprios liberos, nec certas nuptias, in quibus matrimonium consistit. Ergo non est naturale.

2. Ce qui relève du droit naturel se trouve chez les hommes selon tous leurs états. Or, le mariage n’a pas existé dans tous les états des hommes, car, ansi que le dit Tullius [Cicéron], dans la Rhétorique, « les hommes étaient au départ sauvages ; personne ne connaissait donc ses propres enfants ni de mariage déterminé, ce en quoi consiste le mariage. » [Le mariage] n’est donc pas naturel.

[19236] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, naturalia sunt eadem apud omnes. Sed non eodem modo est matrimonium apud omnes, cum pro diversis legibus diversimode matrimonium celebretur. Ergo non est naturale.

3. Ce qui est naturel est la même chose chez tous. Or, le mariage n’a pas la même forme chez tous, puisqu’il est célébré de diverses manières selon les diverses lois. Il n’est donc pas naturel.

[19237] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illa sine quibus potest salvari naturae intentio, non videntur esse naturalia. Sed natura intendit conservationem speciei per generationem, quae potest esse sine matrimonio, ut patet in fornicariis. Ergo matrimonium non est naturale.

4. Ce sans quoi l’intention de la nature ne peut être sauvegardée ne semble pas être naturel. Or, la nature a comme intention la conservation de l’espèce par la génération, qui peut exister sans le mariage, comme cela ressort chez ceux qui forniquent. Le mariage n’est donc pas naturel.

[19238] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in principio Digestorum dicitur : jus naturale est maris et feminae conjunctio quam nos matrimonium appellamus.

Cependant, [1] il est dit au début du Digeste : « L’union de l’homme et de la femme, que nous appelons mariage, est de droit naturel. »

[19239] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in 8 Ethic., cap. 12 vel 14, dicit philosophus, quod homo magis est naturaliter conjugale animal quam politicum. Sed homo est naturaliter animal politicum et gregale, ut ipse dicit. Ergo naturaliter est conjugale ; et sic conjugium, sive matrimonium, est naturale.

[2] Dans Éthique, VIII, 12 ou 14, le Philosophe dit que l’homme est naturellement plutôt un animal conjugal que politique. Or, l’homme est naturellement un animal politique et sociable, comme lui-même le dit. [L’homme] est donc naturellement [un animal] conjugal. Ainsi, l’union conjugale ou le mariage est naturel.

[19240] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aliquid dicitur esse naturale dupliciter. Uno modo sicut ex principiis naturae ex necessitate causatum, ut moveri sursum est naturale igni etc. ; et sic matrimonium non est naturale, nec aliquid eorum quae mediante libero arbitrio complentur. Alio modo dicitur naturale ad quod natura inclinat, sed mediante libero arbitrio completur, sicut actus virtutum dicuntur naturales ; et hoc modo etiam matrimonium est naturale, quia ratio naturalis ad ipsum inclinat dupliciter. Primo quantum ad principalem ejus finem, qui est bonum prolis : non enim intendit natura solum generationem ejus, sed traductionem, et promotionem usque ad perfectum statum hominis, inquantum homo est, qui est virtutis status. Unde, secundum philosophum, tria a parentibus habemus : scilicet esse, nutrimentum, et disciplinam. Filius autem a parente educari et instrui non posset, nisi determinatos et certos parentes haberet : quod non esset, nisi esset aliqua obligatio viri ad mulierem determinatam, quae matrimonium facit. Secundo quantum ad secundarium finem matrimonii, qui est mutuum obsequium sibi a conjugibus in rebus domesticis impensum. Sicut enim naturalis ratio dictat ut homines simul cohabitent, quia unus homo non sufficit sibi in omnibus quae ad vitam pertinent, ratione cujus dicitur homo naturaliter politicus ; ita etiam eorum quibus indigetur ad humanam vitam, quaedam opera sunt competentia viris quaedam mulieribus ; unde natura movet ut sit quaedam associatio viri ad mulierem, in qua est matrimonium. Et has duas causas ponit philosophus in 8 Ethic.

Réponse

On dit que quelque chose est naturel de deux manières. D’une manière, comme ce qui est nécessairement causé par les principes de la nature, comme il est naturel au feu d’être mû vers le haut, etc. Le mariage n’est pas naturel de cette manière, ni rien de ce qui est accompli par l’intermédiaire du libre arbitre. D’une autre manière, on dit qu’est naturel ce à quoi la nature incline, mais par l’intermédiaire du libre arbitre : ainsi, les actes des vertus sont naturels. De cette manière aussi le mariage est naturel, car la raison naturelle y incline de deux manières. Premièrement, du point de vue de sa fin principale, qui est le bien de la descendance. En effet, la nature n’incline pas seulement à sa génération, mais à son éducation et à sa progression jusqu’à l’état parfait d’homme, qui est l’état de la vertu. Aussi, selon le Philosophe, recevons-nous trois choses de nos parents : l’être, la nourriture et l’éducation. Or, un fils ne pourrait être éduqué et instruit par un parent s’il n’avait pas de parents déterminés et assurés, ce qui ne serait pas le cas si n’existait pas une obligation d’un homme envers une femme déterminée, qui réalise le mariage. Deuxièmement, du point de vue de la fin secondaire du mariage, qui est l’aide mutuelle que s’apportent les époux pour les affaires du ménage. En effet, de même que la raison naturelle dicte que les hommes habitent ensemble parce qu’un seul homme ne se suffit pas pour tout ce qui se rapporte à la vie, de même aussi, pour ce dont il a besoin pour une vie humaine, certaines actions relèvent des hommes et d’autres, des femmes. Aussi la nature pousse-t-elle à ce qu’existe une certaine association d’un homme à une femme, en quoi consiste le mariage. Le Philosophe donne ces deux raisons dans Éthique, VIII.

[19241] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod natura hominis ad aliquod inclinat dupliciter. Uno modo quia est conveniens naturae generis ; et hoc est commune omnibus animalibus : alio modo quia est conveniens naturae differentiae qua species humana abundat a genere, inquantum est rationalis ; sicut actus prudentiae et temperantiae. Et sicut natura generis quamvis sit una in omnibus animalibus, non tamen est eodem modo in omnibus ; ita etiam non inclinat eodem modo in omnibus, sed secundum quod unicuique competit. Ad matrimonium ergo inclinat natura hominis ex parte differentiae quantum ad secundam rationem assignatam ; unde philosophus hanc rationem assignat hominibus supra alia animalia. Sed quantum ad primam rationem inclinat ex parte generis ; unde dicit, quod filiorum procreatio communis est omnibus animalibus. Tamen ad hoc non inclinat eodem modo in omnibus animalibus, quia quaedam animalia sunt quorum filii statim nati possunt sibi sufficienter victum quaerere, vel ad quorum sustentationem alter sufficit : et in his non est aliqua determinatio masculi ad feminam. In illis autem quorum filii indigent utriusque sustentatione, sed ad parvum tempus, invenitur aliqua determinatio quantum ad tempus illud ; sicut in avibus quibusdam patet. Sed in homine, quia indiget filius cura parentum usque ad magnum tempus, est maxima determinatio masculi ad feminam, ad quam etiam natura generis inclinat.

1. La nature de l’homme incline à quelque chose de deux manières. D’une manière, parce que cela convient à la nature du genre : cela est commun à tous les animaux. D’une autre manière, parce que cela convient à la nature de la différence par laquelle l’espèce humaine dépasse le genre en tant qu’elle est raisonnable, comme un acte de prudence et de tempérance. Et de même que la nature du genre, tout en étant commune à tous les animaux, n’existe cependant pas de la même manière chez tous, de même aussi n’incline-t-elle pas de la même manière chez tous, mais selon qu’il convient à chacun. La nature de l’homme incline donc au mariage du point de vue de la différence selon la seconde raison indiquée. Aussi le Philosophe donne-t-il cette raison pour les hommes par-delà les autres animaux. Mais, du point de vue de la première raison, [la nature de l’homme] incline selon le genre ; aussi dit-il que la procréation de petits est commune à tous les animaux. Cependant, elle n’incline pas à cela de la même manière chez tous les animaux, car il existe certains animaux dont, aussitôt nés, les petits peuvent suffisamment chercher leur nourriture ou qu’un seul [parent] suffit à élever : chez ceux-là, il n’existe pas de détermination d’un mâle par rapport à une femelle. Cependant, chez ceux dont les petits ont besoin d’être élevés par les deux, mais pour un court laps de temps, on trouve une certaine détermination pour ce qui est de ce temps, comme cela ressort clairement chez certains oiseaux. Mais, chez l’homme, parce que le petit a besoin du soin de ses parents pendant une longue période, existe la détermination la plus grande du mâle par rapport à la femelle, [détermination] à laquelle la nature du genre aussi incline.

[19242] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Tullii potest esse verum quantum ad aliquam gentem ; si tamen accipiatur principium proprium ipsius gentis per quod ab aliis gentibus est distincta, quia non in omnibus perducitur ad effectum hoc ad quod naturalis ratio inclinat : non autem est verum universaliter, quia a principio humani generis sacra Scriptura recitat fuisse conjugia.

2. Ce que dit Tullius [Cicéron] peut être vrai pour un peuple. Cependant, si on considère le principe propre de ce peuple, par lequel il se distingue des autres peuples, car ce à quoi incline la raison naturelle n’atteint pas son effet chez tous, cela n’est pas universellement vrai, car la Sainte Écriture raconte que des unions conjugales ont existé depuis le début du genre humain.

[19243] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, secundum philosophum, in 6 Ethicor., natura humana non est immobilis sicut divina ; et ideo diversificantur ea quae sunt de jure naturali, secundum diversos status et conditiones hominum ; quamvis ea quae sunt in rebus divinis naturaliter nullo modo varientur.

3. Selon le Philosophe dans Éthique, VI, la nature humaine n’est pas immobile comme [la nature] divine. C’est pourquoi ce qui relève du droit naturel varie selon les divers états et conditions des hommes, alors que ce qui existe en Dieu de manière naturelle ne varie d’aucune manière.

[19244] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura non tantum intendit esse in prole, sed esse perfectum, ad quod exigitur matrimonium, ut ex dictis patet.

4. La nature ne vise pas seulement l’être pour la descendance, mais un être achevé, pour lequel le mariage est nécessaire, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 2

[19245] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 tit. Utrum matrimonium adhuc maneat sub praecepto

Article 2 – Le mariage continue-t-il à relever d’un commandement ?

[19246] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod matrimonium adhuc maneat sub praecepto. Quia praeceptum obligat quamdiu non revocatur. Sed prima institutio matrimonii fuit sub praecepto, ut in littera dicitur, nec unquam hoc praeceptum legitur revocatum, immo confirmatum, Matth. 19, 6 : quos Deus conjunxit, homo non separet. Ergo adhuc matrimonium est sub praecepto.

1. Il semble que le mariage continue de relever d’un commandement, car le commandement demeure aussi longtemps qu’il n’est pas révoqué. Or, la première institution du mariage a été faite par un commandement, comme il est dit dans le texte, et on ne lit pas que ce commandement ait jamais été révoqué, bien plus, il a été confirmé, Mt 19, 6 : Ceux que Dieu a unis, que l’homme ne les sépare pas. Le mariage tombe donc encore sous un commandement.

[19247] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, praecepta juris naturalis secundum omne tempus obligant. Sed matrimonium est de jure naturali, ut dictum est. Ergo et cetera.

2. Les préceptes de la loi naturelle obligent en tout temps. Or, le mariage relève du droit naturel, comme on l’a dit. Donc, etc.

[19248] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, bonum speciei melius est quam individui : quia bonum gentis est divinius quam bonum unius hominis, ut dicitur in 1 Ethic. Sed praeceptum primo homini datum ad conservationem individui per actum nutritivae, adhuc obligat. Ergo multo magis praeceptum de matrimonio, quod pertinet ad conservationem speciei.

3. Le bien de l’espèce est meilleur que celui de l’individu, car le bien d’un peuple est plus divin que le bien d’un seul homme, comme il est dit dans Éthique, I. Or, le commandement donné au premier homme en vue de la conservation de l’individu par l’acte de [la fonction] nutritive oblige encore. À bien plus forte raison, donc, le commandement à propos du mariage, qui se rapporte à la conservation de l’espèce.

[19249] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ubi manet eadem ratio obligans, eadem obligatio manere debet. Sed propter hoc obligabantur homines ad matrimonium antiquo tempore, ne multiplicatio generis humani cessaret. Cum ergo hoc idem sequatur, si quilibet libere potest a matrimonio abstinere ; videtur quod matrimonium sit in praecepto.

4. Là où demeure la même raison d’obliger, doit demeurer la même obligation. Or, les hommes étaient obligés au mariage à l’époque ancienne pour que la multiplication du genre humain ne cesse pas. Puisque cela même en découle, si chacun peut librement s’abstenir du mariage, il semble que le mariage relève d’un commandement.

[19250] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7, 37 : qui non jungit matrimonio virginem suam, melius facit, scilicet quam qui jungit. Ergo contractus matrimonii nunc non est sub praecepto.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 7, 37 : Celui qui n’unit pas sa jeune fille par le mariage fait mieux que celui l’unit. Le contrat de mariage ne relève donc maintenant d’un commandement.

[19251] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nulli debetur praemium pro transgressione praecepti. Sed virginibus debetur speciale praemium, scilicet aureola. Ergo matrimonium non est sub praecepto.

[2] Une récompense n’est due à personne pour la transgression d’un commandement. Or, une récompense particulière est due aux vierges, à savoir, l’auréole. Le mariage ne relève donc pas d’un commandement.

[19252] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod natura inclinat ad aliquid dupliciter. Uno modo sicut ad id quod est necessarium ad perfectionem unius ; et talis inclinatio quemlibet obligat ; quia naturales perfectiones omnibus sunt communes. Alio modo inclinat ad aliquid quod est necessarium ad perfectionem multitudinis : et cum multa sint hujusmodi, quorum unum impedit aliud ; ex tali inclinatione non obligatur quilibet homo per modum praecepti ; alias quilibet homo obligaretur ad agriculturam et aedificatoriam, et hujusmodi officia, quae sunt necessaria communitati humanae : sed inclinationi naturae satisfit cum per diversos diversa complentur de praedictis. Cum ergo ad perfectionem humanae multitudinis sit necessarium aliquos contemplativae vitae inservire, quae maxime per matrimonium impeditur ; inclinatio naturae ad matrimonium non obligat per modum praecepti, etiam secundum philosophos ; unde Theophrastus, probat quod sapienti non expedit nubere.

Réponse

La nature incline à quelque chose de deux manières. D’une manière, à ce qui est nécessaire pour la perfection d’un seul. Une telle obligation oblige tout le monde, car les perfections naturelles sont communes à tous. D’une autre manière, à ce qui est nécessaire pour la perfection de la multitude. Puisqu’il existe plusieurs choses de ce genre, dont l’une empêche l’autre, chaque homme n’est pas lié par une telle inclination par mode de commandement, autrement chaque homme serait obligé à la culture des champs, au travail de construction et aux fonctions de ce genre, qui sont nécessaires à la communauté humaine ; mais, à propos de ce qui a été dit, il suffit à l’inclination de la nature que ces diverses choses soient accomplies par diverses personnes. Puisqu’il est nécessaire à la perfection humaine que certains s’adonnent à la vie contemplative, qui est au plus haut point empêché par le mariage, l’inclination naturelle au mariage n’oblige donc pas par mode de commandement, même selon les philosophes. Ainsi, Théophraste démontre qu’il ne convient pas au sage de se marier.

[19253] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praeceptum illud non est revocatum ; nec tamen obligat unumquemque ratione jam dicta, nisi illo tempore quo paucitas hominum exigebat ut quilibet generationi vacaret.

1. Ce commandement n’a pas été révoqué ; cependant, il n’oblige pas chacun, pour la raison donnée, si ce n’est à l’époque où le petit nombre des hommes exigeait que chacun s’adonne à la génération.

[19254] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum et tertium patet solutio ex dictis.

2-3. La réponse à la deuxième et à la troisième objection est claire d’après ce qui a été dit.

[19255] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura humana communiter ad diversa officia et actus inclinat, ut dictum est. Sed quia est diversimode in diversis, secundum quod individuatur in hoc vel illo ; unum magis inclinat ad unum illorum officiorum, alium ad aliud : et ex hac diversitate simul cum divina providentia, quae omnia moderatur, contingit quod unus eligit unum officium, ut agriculturam, alius aliud ; et sic etiam contingit quod quidam eligunt matrimonialem vitam, et quidam contemplativam. Unde nullum periculum imminet.

4. La nature humaine incline d’une manière générale à diverses fonctions et à divers actes, comme on l’a dit. Mais parce qu’elle existe de manière différente chez les divers individus, selon qu’elle est individuée chez celui-ci ou celui-là, l’un est davantage enclin à une de ces fonctions, et un autre à une autre. Par cette diversité en même temps que par la providence divine qui gouverne tout, il arrive que l’un choisit une fonction, comme l’agriculture, et un autre, une autre [fonction]. Et ainsi, il arrive que certains choisissent la vie matrimoniale et certains, la vie contemplative. Il n’existe donc aucun danger imminent.

 

 

Articulus 3

[19256] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 tit. Utrum actus matrimonialis semper sit peccatum

Article 3 – L’acte matrimonial est-il toujours un péché ?

 

[19257] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod actus matrimonialis semper sit peccatum. 1 Corinth., 7, 29 : qui nubunt, sint tamquam non nubentes. Sed non nubentes non habent actum matrimonialem. Ergo etiam nubentes peccant in actu illo.

1. Il semble que l’acte matrimonial soit toujours un péché. 1 Co 7, 29 : Ceux qui se marient, qu’ils agissent comme s’ils n’étaient pas mariés. Or, ceux qui ne sont pas mariés n’exercent pas l’acte matrimonial. Même ceux qui sont mariés pèchent donc par cet acte.

[19258] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Isaiae 69, 2 : iniquitates vestrae diviserunt inter vos et Deum vestrum. Sed actus matrimonialis dividit hominem a Deo ; unde Exod. 19, praecipitur populo qui debebat Deum videre, quod non accedant ad uxores suas ; et Hieronymus dicit, quod in actu matrimoniali spiritus sanctus prophetarum corda non tangit. Ergo est iniquitas.

2. Is 69, 2 : Vos fautes ont provoqué une division entre vous et votre Dieu. Or, l’acte matrimonial sépare l’homme de Dieu. Aussi, en Ex 19, est-il ordonné aux gens qui devaient voir Dieu de ne pas s’approcher de leurs épouses. Et Jérôme dit que l’Esprit Saint ne touche pas les cœurs de prophètes dans l’acte matrimonial. Il est donc une faute.

[19259] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod secundum se est turpe, nullo modo potest bene fieri. Sed actus matrimonialis habet concupiscentiam adjunctam, quae semper turpis est. Ergo semper est peccatum.

3. Ce qui est honteux en soi ne peut d’aucune façon être fait en bien. Or, la concupiscence, qui est toujours honteuse, est associée à l’acte matrimonial. Il est donc toujours un péché.

[19260] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil excusatur nisi peccatum. Sed actus matrimonialis indiget excusari per bona matrimonii, ut Magister dicit. Ergo est peccatum.

4. Rien n’est excusé que le péché. Or, l’acte matrimonial a besoin d’être excusé par les biens du mariage, comme le dit le Maître. Il est donc un péché.

[19261] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, de similibus specie idem est judicium. Sed concubitus matrimonialis est ejusdem speciei cum actu adulterii, quia ad idem terminatur, scilicet speciem humanam. Ergo cum actus adulterii sit peccatum, et actus matrimonii.

5. On porte le même jugement sur ce qui est identique selon l’espèce. Or, l’union charnelle matrimoniale est de la même espèce que l’acte de l’adultère, car il aboutit à la même chose, à savoir, l’espèce humaine. Puisque l’acte d’adultère est un péché, l’acte matrimonial aussi en est donc un.

[19262] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, superfluum in passionibus corrumpit virtutem. Sed semper in actu matrimonii est superfluitas delectationis, adeo quod absorbet rationem, quae est principale hominis bonum ; unde philosophus in 7 Ethic., dicit, quod impossibile est hominem aliquid in ipsa intelligere. Ergo semper actus matrimonialis est peccatum.

6. Le superflu dans les passions corrompt la vertu. Or, il existe toujours un superflu de passion dans l’acte du mariage, au point qu'il absorbe la raison, qui est le principal bien de l’homme. Aussi, dans Éthique, VII, le Philosophe dit-il qu’il est impossible pour l’homme d’exercer son intelligence pendant celui-ci. L’acte matrimonial est donc toujours un péché.

[19263] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra ; 1 Corinth. 7, 36 : virgo non peccat, si nubat, et 1 Timoth. 5, 14 : volo juvenculas nubere, filios procreare. Sed procreatio filiorum non potest fieri sine carnali conjunctione. Ergo actus matrimonialis non est peccatum ; alias apostolus non voluisset illud.

Cependant, [1] 1 Co 7, 36 : Celle qui est vierge ne pèche pas si elle se marie, et 1 Tm 5, 14 : Je veux que les jeunes filles se marient et procréent des fils. Or, la procréation de fils ne peut se réaliser sans union charnelle. L’acte matrimonial n’est donc pas un péché, autrement l’Apôtre ne l’aurait pas voulu.

[19264] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum peccatum est in praecepto. Sed actus matrimonialis est in praecepto ; 1 Corinth. 7, 3 : uxori vir debitum reddat. Ergo non est peccatum.

[2] Il n’y a pas de péché dans un commandement. Or, l’acte matrimonial relève d’un commandement, 1 Co 7, 3 : Que le mari rende à son épouse ce qu’il lui doit. Ce n’est donc pas péché.

[19265] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod supposito quod natura corporalis sit a Deo bono instituta ; impossibile est dicere, quod ea quae pertinent ad conservationem naturae corporalis, et ad quae natura inclinat, sint universaliter mala ; et ideo, cum inclinatio sit naturae ad prolis procreationem, per quam natura speciei conservatur, impossibile est dicere, quod actus quo procreatur proles, sit universaliter illicitus, ut in eo medium virtutis inveniri non possit ; nisi ponatur secundum quorumdam insaniam, quod res corporales causatae sunt a Deo malo ; ex quo forte ista opinio derivatur quae in littera tangitur ; et ideo est pessima haeresis.

Réponse

Si l’on suppose que la nature corporelle a été instituée par un Dieu bon, il est impossible de dire que ce qui concerne la conservation de la nature corporelle et à quoi incline la nature est universellement mauvais. Puisque la nature incline à la procréation d’une descendance, par laquelle la nature de l’espèce est conservée, il est donc impossible de dire que l’acte par lequel la descendance est procréée est universellement défendu, de sorte qu’on ne puisse trouver en lui de milieu de la vertu, à moins d’affirmer, selon la folie de certains, que les réalités corporelles ont été causées par un Dieu mauvais, ce dont découle peut-être l’opinion qui est rapportée dans le texte. Il s’agit donc de la pire hérésie.

[19266] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus in verbis illis non prohibuit matrimonii actum, sicut nec rerum possessionem, cum dixit : qui utuntur hoc mundo, sint quasi non utentes. Sed in utroque fruitionem prohibuit ; quod patet ex ipso modo loquendi : non enim dixit : sint non utentes, vel non habentes : sed quasi non utentes, vel non habentes.

1. Par ces paroles, l’Apôtre n’a pas interdit l’acte du mariage, pas davantage que la possession de biens, lorsqu’il a dit : Que ceux qui usent de ce monde en usent comme n’en usant pas. Mais il interdit dans les deux cas d’y mettre sa fin dernière [fruitio], ce qui ressort clairement de sa manière même de s’exprimer. En effet, il n’a pas dit : Qu’ils n’en usent pas ou qu’ils n’en aient pas, mais comme s’ils n’en usaient pas ou comme s’ils n’en avaient pas.

[19267] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deo conjungimur et secundum habitum gratiae, et secundum actum contemplationis et amoris. Quod ergo primam conjunctionem separat, semper est peccatum ; non autem quod separat secundam : quia aliqua occupatio licita circa res inferiores animum distrahit, ut actu Deo conjungi non sit idoneus ; et hoc praecipue accidit in carnali conjunctione, in qua detinetur mens propter delectationem intensam ; et propter hoc, illis quibus competit divina contemplari, aut sacra tractare, indicitur pro tempore illo continentia ab uxoribus ; et secundum hoc etiam dicitur quod spiritus sanctus quantum ad actum revelationis secretorum non tangebat mentes prophetarum in usu matrimonii.

2. Nous sommes unis à Dieu selon l’habitus de la grâce et selon l’acte de contemplation et d’amour. Ce qui sépare de la première union est toujours péché, mais non ce qui sépare de la seconde, car une occupation légitime à des choses inférieures distrait l’esprit, de sorte qu’il n’est pas capable d’être uni à Dieu en acte. Et cela arrive principalement dans l’union charnelle, où l’esprit est retenu en raison d’un plaisir intense. C’est pourquoi la continence est prescrite pour un temps à ceux à qui il revient de contempler ou de manipuler des choses sacrées. On dit aussi de cette manière que l’Esprit Saint, pour ce qui était de la révélation de choses secrètes, ne touchait pas les esprits des prophètes lorsqu’ils usaient du mariage.

[19268] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod turpitudo illa concupiscentiae quae actum matrimonii semper concomitatur, non est turpitudo culpae, sed poenae, ex peccato primo proveniens ; ut scilicet inferiores vires et membra corporis rationi non obediant ; et propter hoc ratio non sequitur.

2. La honte de la concupiscence qui accompagne toujours l’acte du mariage n’est pas la honte d’une faute, mais [la honte] d’une peine qui provient du premier péché, à savoir que les puissances inférieures et les membres du corps n’obéissent pas à la raison. Pour cette raison, le raisonnement n’est pas concluant.

[19269] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud proprie dicitur excusari quod aliquam similitudinem mali habet, et tamen non est malum, vel non tantum quantum apparet : quorum quaedam excusantur a toto, quaedam a tanto ; et quia actus matrimonialis propter corruptionem concupiscentiae habet similitudinem actus inordinati, ideo pro bono matrimonii excusatur a toto, ut non sit peccatum.

4. On dit qu’est excusé à proprement parler ce qui comporte une certaine ressemblance au mal, mais n’est cependant pas mal ou pas autant qu’il semble. Parmi ces choses, certaines sont excusées entièrement, et certaines dans une certaine mesure. Et parce que l’acte matrimonial, en raison de la corruption de la concupiscence, comporte une certaine ressemblance à quelque chose de désordonné, il est entièrement excusé d’être un péché en raison du bien du mariage.

[19270] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis sint idem specie naturae, tamen differunt in specie moris, quam una circumstantia variat, scilicet accedere ad suam vel non suam ; sicut etiam occidere hominem per violentiam vel per justitiam, facit diversam speciem moris, quamvis sit una species naturae ; et tamen unum est licitum, aliud illicitum.

5. Bien que [ces actes] soient les mêmes selon leur espèce naturelle, ils diffèrent cependant selon leur espèce morale qu’une seule circonstance modifie, à savoir, le fait de s’approcher de sa femme ou non. De la même manière aussi, tuer un homme par violence ou par justice donne une espèce morale différente, bien que cela soit une seule espèce naturelle. Cependant, l’un est permis et l’autre défendu.

[19271] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod superfluum passionis quod virtutem corrumpit, non solum impedit rationis actum, sed tollit rationis ordinem ; quod non facit delectationis intensio in actu matrimoniali, quia etiam si tunc non ordinetur homo, tamen est a ratione praeordinatus.

6. Le superflu de passion qui corrompt la vertu non seulement empêche l’acte de la raison, mais enlève l’ordre de la raison, ce que ne fait pas l’intensité du plaisir dans l’acte mamtrimonial, car même si on n’est pas alors ordonné, on a cependant été ordonné d’avance par la raison.

 

 

Articulus 4

[19272] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 tit. Utrum actus matrimonialis sit meritorius

Article 4 – L’acte matrimonial est-il méritoire ?

[19273] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod actus matrimonialis non sit meritorius. Chrysostomus enim dicit super Matth. : matrimonium etsi utentibus se poenam non infert, mercedem tamen non praestat. Sed meritum respectu mercedis dicitur. Ergo actus matrimonialis non est meritorius.

1. Il semble que l’acte matrimonial ne soit pas méritoire. En effet, [Jean] Chrysostome dit en commentant Matthieu : « Le mariage, même s’il n’entraîne pas de peine pour ceux qui en usent, ne comporte cependant pas de récompense. » Or, on parle de mérite en raison d’une récompense. L’acte matrimonial n’est donc pas méritoire.

[19274] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est meritorium, dimittere non est laudabile. Sed laudabilis est virginitas, per quam matrimonium dimittitur. Ergo matrimonialis actus non est meritorius.

2. Il n’est pas louable de rejeter ce qui est méritoire. Or, la virginité, par laquelle le mariage est rejeté, est louable. L’acte matrimonial n’est donc pas méritoire.

[19275] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, qui utitur indulgentia sibi facta, beneficio recepto utitur. Sed ex hoc quod alicui praestatur beneficium, non meretur. Ergo actus matrimonialis non est meritorius.

3. Celui qui fait usage d’une faveur qui lui a été accordée fait usage d’un bienfait reçu. Or, quelqu’un ne mérite pas par le fait d’avoir reçu un bienfait. L’acte matrimonial n’est donc pas méritoire.

[19276] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, meritum in difficultate consistit, sicut et virtus. Sed actus matrimonialis non habet difficultatem, sed delectationem. Ergo non est meritorius.

4. Le mérite consiste dans une difficulté, comme aussi la vertu. Or, l’acte matrimonial ne comporte pas de difficulté, mais un plaisir. Il n’est donc pas méritoire.

[19277] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, illud quod non potest fieri sine peccato veniali, nunquam est meritorium ; quia non potest homo simul mereri et demereri. Sed in actu matrimoniali semper est peccatum veniale : quia etiam primus motus in hujusmodi delectatione est peccatum veniale. Ergo actus praedictus non potest esse meritorius.

5. Ce qui ne peut être fait sans péché véniel n’est jamais méritoire, car l’homme ne peut mériter et démériter en même temps. Or, dans l’acte matrimonial, il y a toujours un péché véniel, car même le premier mouvement dans le plaisir de ce genre est un péché véniel. L’acte en question ne peut donc être méritoire.

[19278] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, omnis actus in quo impletur praeceptum, est meritorius, si ex caritate fiat. Sed actus matrimonialis est hujusmodi : quia dicitur 1 Corinth. 7, 3 : uxori vir debitum reddat. Ergo et cetera.

Cependant, [1] tout acte par lequel un commandement est accompli est méritoire, s’il vient de la charité. Or, l’acte matrimonial est de ce genre, car il est dit en 1 Co 7, 3 : Que le mari rende à sa femme ce qu’il lui doit. Donc, etc.

[19279] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, omnis actus virtutis est meritorius. Sed actus praedictus est actus justitiae, quia dicitur redditio debiti. Ergo est meritorius.

[2] Tout acte de vertu est méritoire. Or, l’acte en question est un acte de justice, car on dit qu’il rend une dette. Il est donc méritoire.

[19280] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum nullus actus ex deliberata voluntate procedens sit indifferens, ut in 2 Lib., dist. 40, quaest. unic. art. 5, dictum est, actus matrimonialis semper est peccatum, vel meritorius in eo qui gratiam habet. Si enim ad actum matrimonialem virtus inducat, vel justitiae, ut debitum reddat, vel religionis, ut proles ad cultum Dei procreetur, est meritorius. Si autem moveat libido sistens infra bona matrimonii, ut scilicet nullo modo ad aliam accedere vellet, est peccatum veniale. Si autem extra bona matrimonii efferatur, ut scilicet cum quacumque muliere id facere proponeret, est peccatum mortale. Natura autem movere non potest quin vel ordinetur ratione, et sic erit motus virtutis ; vel non ordinetur, et sic erit motus libidinis.

Réponse

Puisqu’aucun acte qui procède d’une volonté délibérée n’est indifférent, comme on l’a dit dans le livre II, d. 40, q. 1, a. 5, l’acte matrimonial est toujours un péché ou il est méritoire chez celui qui a la grâce. En effet, si la vertu mène à l’acte matrimonial, soit qu’il s’agisse de la justice pour rendre ce qui est dû, soit qu’il s’agisse de religion pour qu’une descendance soit procréée en vue de louer Dieu, il est méritoire. Mais si le désir désordonné [libido] meut en demeurant à l’intérieur des biens du mariage, à savoir qu’on ne veuille aucunement s’approcher d’une autre [femme], c’est un péché véniel. Mais s’il est emporté hors des biens du mariage, à savoir qu’il voudrait faire [l’acte matrimonial] avec n’importe quelle femme, c’est un péché mortel. Or, la nature ne peut mouvoir sans être ordonnée par la raison – ce sera alors un mouvement de vertu – ou sans être ordonnée [par elle] – ce sera ainsi un mouvement de désir désordonné [libido].

[19281] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod radix merendi quantum ad praemium substantiale est ipsa caritas : sed quantum ad aliquod accidentale praemium ratio meriti consistit in difficultate actus ; et sic actus matrimonii non est meritorius, sed primo modo.

1. La racine du mérite, pour ce qui est est de la récompense substantielle, est la charité elle-même ; mais, pour ce qui est d’une récompense accidentelle, le caractère de mérite consiste dans la difficulté de l’acte. De cette manière, l’acte du mariage n’est pas méritoire, mais de la première manière.

[19282] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo potest mereri in minoribus bonis et in majoribus : unde quando aliquis minora bona dimittit ut majora faciat, laudandus est a minus meritorio actu discedens.

2. L’homme peut mériter des biens petits ou grands. Aussi, lorsqu’il écarte des biens inférieurs pour en accomplir de supérieurs, il faut qu’il soit loué de s’écarter d’un acte moins méritoire.

[19283] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum quod indulgentia quandoque est de minoribus malis ; et sic indulgetur actus matrimonii prout ad ipsum movet libido infra terminos matrimonii consistens, sic enim est veniale peccatum : sed prout ad ipsum movet virtus, ut est meritorius, non habet indulgentiam nisi secundum quod est indulgentia de minoribus bonis, quae idem est quod concessio. Nec est inconveniens quod ille qui tali concessione utitur, mereatur : quia bonus usus beneficiorum Dei meritorius est.

3. Une permission porte parfois sur des maux moindres : ainsi, l’acte du mariage, pour autant qu’un désir désordonné y meut, est en effet un péché véniel. Mais, pour autant que la vertu y meut, de sorte qu’il est méritoire, il ne relève d’une permission que dans la mesure où la permission porte sur des biens moindres, ce qui est la même chose qu’une concession. Et il n’est pas inapproprié que celui qui fait usage d’une telle concession mérite, car le bon usage des bienfaits de Dieu est méritoire.

[19284] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod difficultas laboris requiritur ad meritum praemii accidentalis ; sed ad meritum praemii essentialis requiritur difficultas consistens in ordinatione medii, et hoc est etiam in actu matrimoniali.

4. La difficulté de l’effort est nécessaire pour le mérite de la récompense accidentelle, mais, pour le mérite de la récompense essentielle, est requise la difficulté consistant dans la détermination d’un milieu, et cela existe aussi dans l’acte matrimonial.

[19285] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod primus motus secundum quod dicitur peccatum veniale, est motus appetitus in aliquod inordinatum delectabile, quod non est in actu matrimoniali ; et ideo ratio non sequitur.

5. Le premier mouvement, pour autant qu’on l’appelle un péché véniel, est un mouvement de l’appétit vers quelque chose qui comporte un plaisir désordonné, ce qui n’est pas le cas de l’acte matrimonial. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le mariage comme sacrement]

Prooemium

Prologue

[19286] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 pr. Deinde quaeritur de matrimonio secundum quod est sacramentum : et circa hoc quaeruntur quatuor : 1 utrum sit sacramentum ; 2 de institutione ipsius ; 3 de effectu ; 4 de integritate.

Ensuite, on s’interroge sur le mariage selon qu’il est un sacrement. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – [Le mariage] est-il un sacrement ? 2 – Son institution. 3 – Son effet. 4 – Son intégrité.

 

 

Articulus 1

[19287] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 tit. Utrum matrimonium sit sacramentum

Article 1 – Le mariage est-il un sacrement ?

[19288] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod matrimonium non sit sacramentum. Omne enim sacramentum novae legis habet aliquam formam quae est de essentia sacramenti. Sed benedictio quae fit per sacerdotes in nuptiis, non est de essentia matrimonii. Ergo non est sacramentum.

1. Il semble que le mariage ne soit pas un sacrement. En effet, tout sacrement de la loi nouvelle possède une forme qui fait partie de l’essence du sacrement. Or, la bénédiction qui est faite par les prêtres lors du mariage ne fait pas partie de l’essence du mariage. Il n’est donc pas un sacrement.

[19289] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sacramentum, secundum Hugonem, est materiale elementum. Sed matrimonium non habet pro materia aliquod materiale elementum. Ergo non est sacramentum.

2. Selon Hugues, le sacrement est un élément matériel. Or, le mariage n’a pas comme matière un élément matériel. Il n’est donc pas un sacrement.

[19290] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sacramenta habent efficaciam ex passione Christi. Sed per matrimonium non conformatur homo passioni Christi, quae fuit poenalis, cum habeat delectationem adjunctam. Ergo non est sacramentum.

3. Les sacrements tirent leur efficacité de la passion du Christ. Or, par le mariage, l’homme n’est pas rendu conforme à la passion du Christ, qui était pénible, puisque [le mariage] comporte un plaisir qui lui est associé. Il n’est donc pas un sacrement.

[19291] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne sacramentum novae legis efficit quod figurat. Sed matrimonium non efficit conjunctionem Christi et Ecclesiae quam significat. Ergo matrimonium non est sacramentum.

4. Tout sacrement de la loi nouvelle réalise ce qu’il représente. Or, le mariage ne réalise pas l’union du Christ et de l’Église qu’il signifie. Le mariage n’est donc pas un sacrement.

[19292] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in aliis sacramentis est aliquid quod est res et sacramentum. Sed hoc non potest inveniri in matrimonio, cum non imprimat characterem ; alias non iteraretur. Ergo non est sacramentum.

5. Dans les autres sacrements, il existe quelque chose qui est réalité et sacrement. Or, on ne peut en trouver dans le mariage, puisqu’il n’imprime pas de caractère, autrement, il ne serait pas répété. Il n'est donc pas un sacrement.

[19293] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ephes. 5, 32 : sacramentum hoc magnum est et cetera.

Cependant, [1] il est dit en Ep 5, 32 : Ce sacrement est grand, etc.

[19294] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sacramentum est sacrae rei signum. Sed matrimonium est hujusmodi. Ergo et cetera.

[2] Le sacrement est le signe d’une chose sacrée. Or, le mariage est de ce genre. Donc, etc.

[19295] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sacramentum importat aliquod remedium sanctitatis homini contra peccatum, exhibitum per sensibilia signa, ut in 1 dist., quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 1, dictum est ; unde, cum hoc inveniatur in matrimonio, inter sacramenta computatur.

Réponse

Le sacrement apporte à l’homme un remède de sainteté contre le péché, manifesté par des signes sensibles, comme on l’a dit dans la d. 1, q. 1, a. 2, qa 1. Puisqu’on trouve cela dans le mariage, il est donc compté parmi les sacrements.

[19296] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba quibus consensus matrimonialis exprimitur, sunt forma hujus sacramenti, non autem benedictio sacerdotis quae est quoddam sacramentale.

1. Les paroles par lesquelles le consentement matrimonial est exprimé sont la forme de ce sacrement, mais non la bénédiction du prêtre qui est un sacramental.

[19297] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum matrimonii perficitur per actum ejus qui sacramento illo utitur, sicut poenitentia ; et ideo, sicut poenitentia non habet aliam materiam nisi ipsos actus sensui subjectos, qui sunt loco materialis elementi, ita est de matrimonio.

2. Le sacrement de mariage est accompli par l’acte de celui qui fait usage de ce sacrement, comme la pénitence. C’est pourquoi, de même que la pénitence n’a pas d’autre matière que les actes mêmes qui tombent sous le sens, qui tiennent lieu d’élément matériel, de même en est-il pour le mariage.

[19298] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis matrimonium non conformet passioni Christi quantum ad poenam, conformat tamen ei quantum ad caritatem per quam pro Ecclesia sibi in sponsam conjungenda passus est.

3. Bien que le mariage ne rende pas conforme à la passion du Christ pour ce qui est de la souffrance, il y rend cependant conforme pour ce qui est de la charité par laquelle il a souffert afin de se donner l’Église comme épouse.

[19299] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unio Christi ad Ecclesiam non est res contenta in isto sacramento, sed res significata non contenta ; et talem rem nullum sacramentum efficit, sed habet aliam rem contentam et significatam, quam efficit, ut dicetur. Magister autem posuit rem non contentam : quia erat hujus opinionis, quod non haberet rem aliquam contentam.

4. L’union du Christ à l’Église n’est pas la réalité contenue dans ce sacrement, mais la réalité signifiée et non contenue. Et aucun sacrement ne réalise une telle réalité, mais il comporte une réalité contenue et signifiée, laquelle il réalise, comme on le dira. Mais le maître a parlé d’une réalité non contenue parce qu’il pensait que [le mariage] n’avait pas de réalité contenue.

[19300] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam in hoc sacramento sunt illa tria : quia sacramenta tantum sunt actus exterius apparentes ; sed res et sacramentum est obligatio quae innascitur viri ad mulierem ex talibus actibus ; sed res ultima contenta est effectus hujus sacramenti : non contenta autem est res quam Magister determinat.

5. Même dans ce sacrement, se trouvent ces trois choses, car les sacrements seulement sont des actes extérieurs apparents ; mais la réalité et le sacrement est l’obligation qui résulte chez un homme envers sa femme en raison de tels actes. Mais la réalité ultime contenue est l’effet de ce sacrement ; la réalité non contenue est la réalité que précise le Maître.

 

 

Articulus 2

[19301] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 tit. Utrum matrimonium debuit institui ante peccatum

Article 2 – Le mariage devait-il être institué avant le péché ?

[19302] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod matrimonium non debuit institui ante peccatum. Quia illud quod est de jure naturali, non indiget institutione. Sed matrimonium est hujusmodi, ut ex dictis patet. Ergo non debuit institui.

1. Il semble que le mariage ne devait pas être institué avant le péché, car ce qui relève du droit naturel n’a pas besoin d’être institué. Or, le mariage est de ce genre, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il ne devait donc pas institué.

[19303] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, sacramenta, sunt quaedam medicinae contra morbum peccati. Sed medicina non praeparatur nisi morbo. Ergo ante peccatum non debuit institui.

2. Les sacrements sont des remèdes contre la maladie du péché. Or, un remède n’est préparé que pour une maladie. Il ne devait donc pas être institué avant le péché.

[19304] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ad idem sufficit una institutio. Sed matrimonium fuit institutum etiam post peccatum, ut in littera dicitur. Ergo ante peccatum non fuit institutum.

3. Une seule institution suffit pour une même chose. Or, le mariage a été institué aussi après le péché, comme on le dit dans le texte. Il n’a donc pas été institué avant le péché.

[19305] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, institutio sacramenti debet esse a Deo. Sed ante peccatum verba quae ad matrimonium pertinent, determinate non sunt dicta a Deo, sed ab Adam : illa autem verba quae Deus dixit : crescite et multiplicamini, dicta sunt etiam brutis, in quibus non est matrimonium. Ergo matrimonium non fuit institutum ante peccatum.

4. L’institution d’un sacrement doit venir de Dieu. Or, avant le péché, les paroles qui se rapportent au mariage n’ont pas été dites de manière déterminée par Dieu, mais par Adam ; les paroles que Dieu a dites : Croissez et multipliez-vous, ont été adressées aussi aux animaux sans raison, chez lesquels il n’y a pas de mariage. Le mariage n’a donc pas été institué avant le péché.

[19306] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, matrimonium est sacramentum novae legis. Sed sacramenta novae legis a Christo initium sumpserunt. Ergo non debuit ante peccatum institui.

5. Le mariage est un sacrement de la loi nouvelle. Or, les sacrements de la loi nouvelle ont pris leur origine du Christ. Il ne devait donc pas être institué avant le péché.

[19307] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 19, 4 : non legistis, quod ab initio qui fecit hominem, masculum et feminam fecit illos et cetera.

Cependant, [1] il est dit en Mt 19, 4 : N’avez-vous pas lu que celui qui a fait l’homme à l’origine, l’a fait mâle et femelle, etc.

[19308] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, matrimonium est institutum ad procreationem prolis. Sed ante peccatum necessaria erat homini procreatio prolis, ut in 2 Lib., dist. 20, dictum est. Ergo ante peccatum debuit matrimonium institui.

[2] Le mariage a été institué en vue de la procréation d’une descendance. Or, avant le péché, la procréation d’une descendance était nécessaire à l’homme, comme on l’a dit dans le livre II, d. 20. Le mariage devait donc être institué avant le péché.

[19309] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod natura inclinat ad matrimonium, intendens aliquod bonum, quod quidem variatur secundum diversos hominum status ; et ideo oportet quod secundum illud bonum diversimode in diversis statibus hominum instituatur. Et ideo matrimonium, secundum quod ordinatur ad procreationem prolis, quae erat necessaria etiam peccato non existente, institutum fuit ante peccatum : secundum autem quod remedium praebet contra vulnus peccati, institutum fuit post peccatum tempore legis naturae ; secundum autem determinationem personarum, institutionem habuit in lege Moysi ; sed secundum quod repraesentat mysterium conjunctionis Christi et Ecclesiae, institutionem habuit in nova lege ; et secundum hoc est sacramentum novae legis. Quantum autem ad alias utilitates quae ex matrimonio consequuntur, sicut est amicitia et mutuum obsequium sibi a conjugibus impensum, habet institutionem in lege civili. Sed quia de ratione sacramenti est quod sit signum et remedium ; ideo quantum ad medias institutiones competit ei ratio sacramenti ; sed quantum ad primam institutionem competit ei quod sit in officium naturae ; quantum vero ad ultimam quod sit in officium civilitatis.

Réponse

La nature incline au mariage en ayant en vue un certain bien, lequel varie selon les divers états de l’homme. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il soit institué de diverses manières en vue de ce bien selon les divers états des hommes. Ainsi, le mariage, selon qu’il est ordonné à la procréation d’une descendance, qui était nécessaire même avant l’existence du péché, a été institué avant le péché. Mais selon qu’il apporte un remède contre la blessure du péché, il a été institué après le péché, au temps de la loi naturelle. Cependant, selon la détermination des personnes, il a été institué par la loi de Moïse. Toutefois, selon qu’il représente le mystère de l’union du Christ et de l’Église, il a été institué par la loi nouvelle. C’est ainsi qu’il est un sacrement de la loi nouvelle. Pour ce qui est des autres avantages qui découlent du mariage, comme l’amitié et l’aide mutuelle que se donnent les époux, il est institué par la loi civile. Mais parce qu’il est de la nature du sacrement d’être un signe et un remède, il a le caractère de sacrement pour ce qui est des institutions intermédiaires. Mais, pour ce qui est de la première institution, il lui revient d’être une fonction de la nature ; mais, pour ce qui est de la dernière, [il lui revient] d’être une fonction de la vie en société [civilitatis].

[19310] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa quae in communi sunt de jure naturali, indigent institutione quantum ad eorum determinationem, quae diversimode competit secundum diversos status ; sicut de jure naturali est quod maleficia puniantur ; sed quod talis poena tali culpae apponatur, per determinationem juris positivi fit.

1. Ce qui est commun selon le droit naturel a besoin d’être institué pour que soit déterminé ce qui convient diversement selon les divers états. Ainsi, il de droit naturel que les mauvaises actions soient punies ; mais que telle peine soit donnée pour telle faute, cela vient d’une détermination du droit positif.

[19311] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium non est tantum remedium contra peccatum, sed est principaliter in officium naturae ; et sic institutum fuit ante peccatum, non autem prout est remedium.

2. Le mariage n’est pas seulement un remède contre le péché, mais il est principalement une fonction de la nature. Il a été ainsi institué avant le péché, mais non en tant qu’il est un remède.

[19312] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum diversa quae oportet in matrimonio determinari, non est inconveniens quod diversas habeat institutiones ; et sic illa diversa institutio non est ejusdem secundum idem.

3. Selon les diverses choses qui doivent être déterminées dans le mariage, il n’est pas inapproprié qu’il ait plusieurs institutions. Et ainsi, cette institution diverse n’affecte pas la même chose sous le même aspect.

[19313] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod matrimonium ante peccatum institutum fuit a Deo in hoc quod homini mulierem in adjutorium de costa formavit, et dixit eis : crescite et multiplicamini etc. ; quod quamvis aliis animalibus dixit, non tamen per ea eodem modo implendum sicut per homines. Adam autem verba illa protulit a Deo inspiratus, ut intelligeret matrimonii institutionem a Deo factam.

4. Le mariage a été institué par Dieu avant le péché du fait qu’il a formé la femme comme une aide pour l’homme à partir de sa côte, et qu’il leur a dit : Croissez et multipliez-vous. Bien qu’il ait dit cela aux autres animaux, cela ne doit cependant pas être accompli par eux de la même manière. Mais Adam a formulé ces paroles en étant inspiré par Dieu, afin qu’il comprenne que l’institution du mariage a été faite par Dieu.

[19314] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quantum ad hoc quod matrimonium est sacramentum novae legis, non fuit ante Christum institutum, ut ex praedictis patet.

5. Selon que le mariage est un sacrement de la loi nouvelle, il n’a pas été institué avant le Christ, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 3

[19315] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 tit. Utrum matrimonium conferat gratiam

Article 3 – Le mariage donne-t-il la grâce ?

[19316] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod matrimonium non conferat gratiam. Quia secundum Hugonem, sacramenta ex sanctificatione invisibilem gratiam conferunt. Sed matrimonium non habet aliquam sanctificationem quae sit de essentia ejus. Ergo non confertur gratia in ipso.

1. Il semble que le mariage ne donne pas la grâce, car, selon Hugues, les sacrements confèrent la grâce invisible par une sanctification. Or, le mariage ne comporte pas de sanctification qui fasse partie de son essence. Il ne confère donc pas la grâce.

[19317] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne sacramentum conferens gratiam, confert ipsam ex materia et forma sua. Sed actus qui sunt materia in hoc sacramento, non sunt causa gratiae : verba etiam exprimentia consensum non sunt causa gratiae, cum ex eis non sit aliqua sanctificatio. Ergo in matrimonio nullo modo gratia datur.

2. Tout sacrement qui confère la grâce la confère par sa matière et par sa forme. Or, les actes qui sont la matière dans ce sacrement ne sont pas cause de la grâce ; de même, les paroles qui expriment le consentement ne sont pas cause de la grâce, puisque qu’aucune sanctification n’est faite par elles. La grâce n’est donc donnée d’aucune manière par le mariage.

[19318] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, gratia ordinata contra vulnus peccati est necessaria omnibus habentibus vulnus illud. Sed in omnibus invenitur concupiscentiae vulnus. Si ergo in matrimonio detur gratia contra vulnus concupiscentiae, debent omnes homines matrimonium contrahere ; et sic esset valde stultum a matrimonio abstinere.

3. La grâce ordonnée contre la blessure du péché est nécessaire à tous ceux qui ont cette blessure. Or, la blessure de la concupiscence se trouve chez tous. Si donc la grâce est donnée par le mariage contre la blessure de la concupiscence, tous les hommes doivent contracter mariage. Il serait ainsi très stupide de s’abstenir du mariage.

[19319] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, infirmitas non accipit medicamentum ab eodem a quo accipit intensionem. Sed per matrimonium concupiscentia accipit intensionem : quia, sicut dicit philosophus in 3 Ethic., insatiabilis est concupiscentiae appetitus, et per operationem congruam augetur. Ergo videtur quod in matrimonio non conferatur remedium gratiae contra concupiscentiam.

4. Une maladie ne reçoit pas son remède de la même chose dont elle reçoit son intensité. Or, par le mariage, la concupiscence reçoit une intensité, car, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, le désir de la concupiscence est insatiable et est augmenté par l’opération appropriée. Il semble donc que, par le mariage, le remède de la grâce ne soit pas conféré contre la concupiscence.

[19320] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, definitio et definitum debent converti. Sed in definitione sacramenti ponitur causalitas gratiae, ut in 1 dist. patuit. Ergo cum matrimonium sit sacramentum, erit causa gratiae.

Cependant, [1] la définition et ce qui est défini doivent être interchangeables. Or, dans la définition du sacrement, est mis le fait de causer la grâce, comme cela est ressorti dans la d. 1. Puisque le mariage est un sacrement, il sera donc cause de la grâce.

[19321] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod matrimonium est aegrotis in remedium. Sed non est in remedium nisi inquantum aliquam efficaciam habet. Ergo habet aliquid efficaciae ad reprimendum concupiscentiam. Sed concupiscentia non reprimitur nisi per gratiam. Ergo confertur in ipso gratia.

[2] Augustin dit que le mariage est un remède pour les malades. Or, il n’est un remède que dans la mesure où il a une certaine efficacité. Il possède donc une efficacité pour réprimer la concupiscence. Or, la concupiscence n’est réprimée que par la grâce. La grâce est donc conférée par lui.

[19322] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit triplex opinio. Quidam enim dixerunt, quod matrimonium nullo modo est causa gratiae, sed est tantum signum. Sed hoc non potest stare : quia secundum hoc in nullo differret a sacramentis veteris legis ; unde non esset aliqua ratio quare sacramentis novae legis annumeraretur. Quod enim remedium praebeat satisfaciendo concupiscentiae, ne in praeceps ruat, dum nimis arctatur, habuit etiam in veteri lege ex ipsa natura actus. Et ideo alii dixerunt, quod confertur ibi gratia in ordine ad recessum a malo : quia excusatur actus a peccato, qui sine matrimonio peccatum esset. Sed hoc esset nimis parum : quia hoc etiam in veteri lege habuit ; et ideo dicunt, quod facit recedere a malo, inquantum mitigat concupiscentiam ne extra bona matrimonii feratur ; non autem per gratiam illam sit aliquod auxilium ad bene operandum. Sed hoc non potest stare : quia eadem gratia est quae impedit peccatum, et quae ad bonum inclinat, sicut idem calor qui aufert frigus, et qui calefacit. Unde alii dicunt quod matrimonium, inquantum in fide Christi contrahitur, habet ut conferat gratiam adjuvantem ad illa operanda quae in matrimonio requiruntur ; et hoc probabilius est : quia ubicumque datur divinitus aliqua facultas, dantur etiam auxilia quibus homo convenienter uti possit facultate illa ; sicut patet quod omnibus potentiis animae respondent aliqua membra corporis, quibus in actum exire possint. Unde, cum in matrimonio detur homini ex divina institutione facultas utendi sua uxore ad procreationem prolis, datur etiam gratia sine qua id convenienter facere non posset ; sicut etiam de potestate ordinis supra dictum est, et sic ista gratia data est ut jam res contenta in hoc sacramento.

Réponse

À ce sujet, il y a eu trois opinions. En effet, certains ont dit que le mariage n’est d’aucune manière cause de la grâce, mais en est seulement le signe. Mais cela ne peut pas être le cas, car il ne différerait ainsi d’aucune manière des sacrements de la loi ancienne ; il n’y aurait donc aucune raison pour laquelle il serait compté parmi les sacrements de la loi nouvelle. En effet, que [le mariage] apporte un remède en satisfaisant la concupiscence, de sorte qu’elle ne se précipite pas tête première en étant trop comprimée, il avait aussi cela sous la loi ancienne par la nature même de l’acte. C’est pourquoi d’autres ont dit que la grâce y est conférée dans la mesure de l’éloignement du mal, car l’acte est excusé d’être un péché en proportion de l’éloignement du mal, alors que, sans le mariage, il serait un péché. Mais cela serait trop peu, car [le mariage] avait aussi cela sous la loi ancienne. C’est pourquoi ils disent que [le mariage] fait s’éloigner du mal dans la mesure où il diminue la concupiscence, pour qu’elle ne soit pas emportée hors des biens du mariage ; mais cette grâce n’est pas une aide pour bien agir. Mais cela est impossible, car c’est la même grâce qui empêche le péché et qui incline au bien, comme c’est la même chaleur qui enlève le froid et qui réchauffe. Aussi d’autres disent-ils que le mariage, dans la mesure où il est contracté dans la foi au Christ, fait en sorte que de conférer la grâce qui aide à faire ce qui est nécessaire dans le mariage. Et cela est plus probable, car, partout où est donnée par Dieu une certaine faculté, sont données des aides par lesquelles l’homme sera en mesure de faire convenablement usage de cette faculté. Il est ainsi clair qu’à toutes les puissances de l’âme, correspondent des membres du corps par lesquels elles puissent passer à l’acte. Puisque, par le mariage, est donnée à l’homme par institution divine la faculté de faire usage de son épouse en vue de la procréation d’une descendance, la grâce aussi lui est donnée sans laquelle il ne pourrait faire cela convenablement, comme on l’a dit plus haut à propos du pouvoir de l’ordre. Et ainsi, cette grâce a été donnée comme une réalité déjà contenue dans ce sacrement.

[19323] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut aqua Baptismi habet quod corpus tangat et cor abluat ex tactu carnis Christi ; ita matrimonium hoc habet ex hoc quod Christus sua passione illud repraesentavit ; et non principaliter ex aliqua sanctificatione sacerdotis.

1. De même que l’eau du baptême est capable de toucher le corps et de laver l’âme par le contact avec la chair du Christ, de même, le mariage tient cela du fait que le Christ a représenté cela par sa passion, et non pas principalement d’une sanctification par le prêtre.

[19324] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut aqua Baptismi vel forma verborum non operatur ad gratiam immediate, sed ad characterem ; ita actus exteriores et verba exprimentia consensum directe faciunt nexum quemdam, qui est sacramentum matrimonii ; et hujusmodi nexus ex virtute divinae institutionis dispositive operatur ad gratiam.

2. De même que l’eau du baptême ou la forme des paroles n’agissent pas en vue de la grâce de manière immédiate, mais en vue du caractère, de même les actes extérieurs et les paroles exprimant le consentement réalisent directement un certain lien, qui est le sacrement du mariage. En vertu d’une institution divine, ce lien agit en vue de disposer à la grâce.

[19325] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, nisi contra concupiscentiae morbum posset aliquod efficacius remedium adhiberi. Adhibetur autem majus remedium per opera spiritualia et carnis mortificationem ab illis qui matrimonio non utuntur.

3. Ce raisonnement serait concluant, à moins qu’on puisse prendre un remède plus efficace contre la maladie de la concupiscence. Or, un remède plus grand est pris par les œuvres spirituelles et la mortification de la chair par ceux qui ne font pas usage du mariage.

[19326] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contra concupiscentiam potest praestari remedium dupliciter. Uno modo ex parte ipsius concupiscentiae, ut reprimatur in sua radice ; et sic remedium praestat matrimonium per gratiam quae in eo datur. Alio modo ex parte actus ejus ; et hoc dupliciter. Uno modo ut actus ad quem inclinat concupiscentia, exterius turpitudine careat ; et hoc fit per bona matrimonii, quae honestant carnalem concupiscentiam. Alio modo ut actus turpitudinem habens impediatur ; quod fit ex ipsa natura actus : quia dum concupiscentiae satisfit in actu conjugali, ad alias corruptelas non ita incitat ; propter quod dicit apostolus, 1 Corinth. 7, 9 : melius est nubere quam uri. Quamvis enim opera concupiscentiae congrua secundum se nata sint concupiscentiam augere ; tamen secundum quod ratione ordinantur, ipsam reprimunt : quia ex similibus actibus similes relinquuntur dispositiones et habitus.

4. On peut apporter un remède contre la concupiscence de deux manières. D’une manière, du point de vue de la concupiscence elle-même, afin qu’elle soit réprimée dans sa racine : le mariage apporte ainsi un remède par la grâce qui est donnée en lui. D’une autre manière, du point de vue de son acte, et cela de deux manières. D’une manière, afin que l’acte auquel incline la concupiscence soit dépourvu de honte extérieurement : cela est réalisé par les biens du mariage qui rendent bonne la concupiscence charnelle. D’une autre manière, afin que l’acte qui comporte une honte soit empêché, ce qui se réalise par la nature même de l’acte, car lorsqu’il satisfait la concupiscence par l’acte conjugal, il n’incite pas à d’autres corruptions, raison pour laquelle l’Apôtre dit en 1 Co 7, 9 : Mieux vaut se marier que de brûler. En effet, bien que les actes de la concupiscence soient par eux-mêmes destinés à augmenter la concupiscence, ils la répriment cependant selon qu’ils sont ordonnés par la raison, car, par des actes semblables, des dispositions et des habitus semblables sont laissés.

 

 

Articulus 4

[19327] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 tit. Utrum carnalis commixtio sit de integritate matrimoniali

Article 4 – L’union charnelle fait-elle partie de l’intégrité du mariage ?

[19328] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod carnalis commixtio sit de integritate matrimonii. In ipsa enim institutione matrimonii dictum est, Gen. 2, 24 : erunt duo in carne una. Sed hoc non fit nisi per carnalem commixtionem. Ergo est de integritate matrimonii.

1. Il semble que l’union charnelle fasse partie de l’intégrité du mariage. En effet, lors de l’institution même du mariage, il a été dit en Gn 2, 24 : Ils seeront deux en une seule chair. Or, cela ne peut se réaliser que par l’union charnelle. Elle fait donc partie de l’intégrité du mariage.

[19329] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, id quod pertinet ad significationem sacramenti, est de necessitate sacramenti, ut praedictum est. Sed carnalis commixtio pertinet ad significationem sacramenti, ut in littera dicitur. Ergo est de integritate sacramenti.

2. Ce qui se rapporte à la signification du sacrement est nécessaire au sacrement, comme on l’a dit plus haut. Or, l’union charnelle se rapporte à la signification du mariage, comme on le dit dans le texte. Elle fait donc partie de l’intégrité du sacrement.

[19330] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, hujusmodi sacramentum ordinatur ad conservationem speciei. Sed conservatio speciei non potest fieri sine carnali commixtione. Ergo est de integritate sacramenti.

3. Ce sacrement est ordonné à la conservation de l’espèce. Or, la conservation de l’espèce ne peut se réaliser sans union charnelle. Elle fait donc partie de l’intégrité du sacrement.

[19331] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, matrimonium est sacramentum, secundum quod remedium contra concupiscentiam praestat, de quo dicit apostolus, 1 Corinth. 7, 9, quod melius est nubere quam uri. Sed hoc remedium non praestat in his qui carnaliter non commiscentur. Ergo idem quod prius.

4. Le mariage est un sacrement en tant qu’il apporte un remède à la concupiscence, 1 Co 7, 9 : Mieux vaut se marier que de brûler. Or, il n’apporte pas ce remède à ceux qui ne s’unissent pas charnellement. La conclusion est donc la même que précédemment.

[19332] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, in Paradiso fuit matrimonium. Sed ibi non fuit carnalis copula. Ergo commixtio carnalis non est de integritate matrimonii.

Cependant, [1] le mariage existait au Paradis. Or, il n’y avait pas d’union charnelle. L’union charnelle ne fait donc pas partie de l’intégrité du mariage.

[19333] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sacramentum ex suo nomine sanctificationem importat. Sed sine carnali commixtione est matrimonium sanctius, ut in littera dicitur. Ergo carnalis commixtio non est de necessitate sacramenti.

[2] Le sacrement comporte par son nom même une sanctification. Or, le sacrement est plus saint sans union charnelle, comme on le dit dans le texte. L’union charnelle n’est donc pas nécessaire au sacrement.

[19334] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod duplex est integritas. Una quae attenditur secundum perfectionem primam, quae consistit in ipso esse rei ; alia quae attenditur secundum perfectionem secundam, quae consistit in operatione. Quia ergo carnalis commixtio est quaedam operatio, sive usus matrimonii, per quod facultas ad hoc datur ; ideo erit carnalis commixtio de secunda integritate matrimonii, et non de prima.

Réponse

Il existe une double intégrité. L’une se prend de la perfection première, qui consiste dans l’être même d’une chose ; l’autre se prend de la perfection seconde, qui consiste dans l’opération. Parce que l’union charnelle est une opération ou l’usage du mariage, par lequel la faculté pour cela est donnée, l’union charnelle fera donc partie de l’intégrité seconde du mariage, et non de [l’intégrité] première.

[19335] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Adam exposuit integritatem matrimonii quantum ad utramque perfectionem, quia res ex suo actu innotescit.

1. Adam a expliqué l’intégrité du mariage quant à sa double perfection, car une chose est connue par son acte.

[19336] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod significatio rei contentae est de necessitate sacramenti, et ad hanc significationem non pertinet carnalis commixtio, sed ad rem non contentam, ut ex dictis patet.

2. La signification de la réalité contenue est nécessaire au sacrement, et l’union charnelle ne se rapporte pas à cette signification, mais à la réalité non contenue, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Mais à la réalitéé [19337] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod res non pervenit ad finem suum nisi per actum proprium ; unde ex hoc quod finis matrimonii non habetur sine carnali commixtione, ostenditur quod sit de secunda integritate, et non de prima.

3. Une chose n’atteint sa fin que par son acte propre. Aussi, par le fait que la fin du mariage n’est pas atteinte sans l’union charnelle, il est montré qu’elle fait partie de la seconde intégrité, et non de la première.

[19338] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ante commixtionem carnalem est matrimonium in remedium ex gratia quae in eo datur, quamvis non ex actu, quod pertinet ad integritatem secundam.

4. Avant l’union charnelle, le mariage est donné comme un remède en raison de la grâce qui est donnée en lui, et non de son acte, ce qui se rapporte à l’intégrité seconde.

 

 

Expositio textus

[19339] Super Sent., lib. 4 d. 26 q. 2 a. 4 expos. Cum alia sacramenta post peccatum et propter peccatum exordium sumpserint, matrimonii sacramentum etiam ante peccatum legitur institutum a domino. Videtur quod de matrimonio debuerit determinare ante ordinem : quia prius est quod animale est quam quod spirituale est, ut dicitur 1 Corinth. 15. Et dicendum, quod quamvis sit primum in via generationis, tamen in via sanctitatis et perfectionis est posterius ; et ideo illud sacramentum quod habet minimum de spiritualitate, ultimo debet inter sacramenta ordinari. Una de costis ejus sumpta, et exinde muliere formata. De hoc dictum est in 2 Lib., dist. 18. Prophetice dixisse, ut prophetia referatur ad mysterium Christi et Ecclesiae, quod praevidit ; non ad usum mulieris quae solo sensu percipi poterat naturali ratione. Nec consequitur quod si incarnationis mysterium praevidit, suum casum praesciverit, etiam supposito quod Christus non fuisset incarnatus homine non peccante : quia multa sunt quorum unum non est sine altero, quamvis unum sine altero possit intelligi. Remedium habet, non praemium, scilicet accidentale, quale habet virginitas ; scilicet aureolam.

Explication du texte – Distinction 26

 

 

Distinctio 27

Distinction 27 – [Les causes du mariage]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est-ce que le mariage ?]

Prooemium

Prologue

[19340] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de institutione matrimonii et significatione ipsius, hic incipit determinare de causis ejus ; et dividitur in partes duas : in prima de causis constituentibus matrimonium ; in secunda de causis honestantibus ipsum, distinct. 31, ibi : post haec de bonis conjugii, quae sint, et qualiter coitum excusent, dicendum est. Prima in duas : in prima determinat de causa efficiente matrimonium ; in secunda de causa finali ipsius, circa finem 30 distinct., ibi : exposito quae sit causa efficiens matrimonii, consequens est ostendere ob quam causam soleat vel debeat contrahi matrimonium. Prima in duas : in prima determinat de causa efficiente matrimonium ; in secunda ponit impedimentum illius causae, 29 distinct., ibi : oportet autem consensum conjugalem liberum esse a coactione. Prima in duas : in prima ostendit quod consensus facit matrimonium ; in secunda ostendit qualem oporteat esse illum consensum, dist. 28, ibi : hic quaeri debet, utrum consensus de futuro, addito etiam juramento, conjugium efficiat. Prima in duas : in prima, praemisso de quo est intentio, definit matrimonium, ut causa effectui proportionata sumatur ; in secunda ostendit quae sit causa matrimonii, ibi : efficiens autem causa matrimonii est consensus. Et haec dividitur in tres : in prima proponit quod intendit ; in secunda probat propositum, ibi : quod autem consensus matrimonium faciat, subditis probatur testimoniis ; in tertia excludit errorem, ibi : quidam tamen asserunt, verum conjugium non contrahi ante traditionem, et carnalem copulam. Et dividitur in partes duas : in prima prosequitur partes erroris eorum ; in secunda excludit eum, ibi : his autem ita respondemus. Circa primum tria facit : primo ponit opinionem illorum falsam ; secundo ponit probationem ejus, ibi : quod vero inter sponsam et conjugem plurimum intersit, ex eo astruunt etc. ; tertio ponit responsionem eorum ad probationem pro veritate inductam, ibi : praemissas autem auctoritates (...) ita intelligi volunt. His itaque respondemus. Hic respondet ad probationem illorum positam ; et circa hoc tria facit : primo ponit distinctionem quamdam, qua praedictae auctoritates solvuntur ; secundo probat illam distinctionem per diversas sanctorum auctoritates, ibi : aliquando enim sponsas vocant quae talem habuerunt desponsationem, ubi fuit pactio conjugalis de praesenti ; tertio probat eam per rationes, ibi : et sciendum est, quod illa sponsa quae tantum in futuro est pacta, mortuo sponso non remanet vidua. Hic est triplex quaestio. Prima de matrimonio. Secunda de sponsalibus. Tertia de bigamia. Circa primum quaeruntur tria : 1 quid sit matrimonium ; 2 utrum consensus sit causa matrimonii ; 3 utrum matrimonium possit solvi per religionis ingressum.

Après avoir déterminé de l’institution du mariage et de sa signification, le Maître commence ici à déterminer de ses causes. Il y a deux parties : dans la première, [il déétermine] des causes constitutives du mariage ; dans la seconde, des causes qui lui confèrent sa bonté, d. 31, à cet endroit : « Ensuite, il faut parler des biens du mariage : quels sont-ils et comment excusent-ils l’union charnelle ? » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la cause efficiente du mariage ; dans la seconde, de sa cause finale, vers la fin de la d. 30, à cet endroit : « Après avoir présenté la cause efficiente du mariage, il faut ensuite montrer pour quelle raison le mariage a coutume ou doit être contracté. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la cause efficiente du mariage ; dans la seconde, il présente un empêchement de cette cause, d. 29, à cet endroit : « Il est nécessaire que le consentement conjugal soit libre de coercition. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le consentement fait le mariage ; dans la seconde, il montre ce que doit être ce consentement, d. 28, à cet endroit : « Il faut aussi se demander si un consentement portant sur le futur, même avec l’ajout d’un serment, fait le mariage. » La première partie se divise en deux : dans la première, après avoir présenté ce sur quoi porte son intention, il définit le mariage, de sorte que la cause soit proportionnée à l’effet, à cet endroit : « Mais la cause efficiente du mariage est le consentement. » Cette partie se divise en trois. Dans la première, il présente son intention. Dans la deuxième, il démontre ce qu’il a en vue, à cet endroit : « Mais que le consentement fasse le mariage, cela est démontré par les témoignages qui suivent. » Dans la troisième, il écarte une erreur, à cet endroit : « Mais certains affirment qu’un vrai mariage n’est pas contracté avant la remise [traditio] et l’union charnelle. » Et il y a deux parties : dans la première, il traite des parties de leur erreur ; dans la seconde, il l’écarte, à cet endroit : « Mais nous y répondons ainsi. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente leur opinion fausse ; deuxièmement, il en présente la démonstration, à cet endroit : « Mais du fait que beaucoup de choses sont en cause entre l’épouse et l’époux, ils affirment, etc. » ; troisièmement, il présente leur réponse à la démonstration invoquée comme vérité, à cet endroit : « Ils veulent comprendre de cette manière… les autorités invoquées. » « Mais nous répondons ainsi. » Ici, il répond à leur démonstration et, à ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il présente une distinction par laquelle les autorités précédentes sont résolues. Deuxièmement, il démontre cette distinction par diverses autorités des saints, à cet endroit : « Parfois, ils appellent mariage les fiançailles qu’ils ont eues, où il y avait un engagement conjugal portant sur le présent. » Troisièmement, il la démontre par des arguments, à cet endroit : « Il faut savoir que cette fiancée, dont l’engagement porte seulement sur le futur, ne reste pas veuve si le fiancé meurt. » Il y a ici trois questions : la première, sur le mariage ; la deuxième, sur les fiançailles ; la troisièment, sur la bigamie. À propos du premier point, il y a trois questions : 1 – Qu’est-ce que le mariage ? 2 – Le consentement est-il la cause du mariage ? 3 – Le mariage peut-il être dissous par l’entrée en religion ?

 

 

Articulus 1

[19341] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 tit. Utrum matrimonium sit in genere conjunctionis

Article 1 – Le mariage fait-il partie du genre de l’union ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le mariage fait-il partie du genre de l’union ?]

 

[19342] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod matrimonium non sit in genere conjunctionis. Quia vinculum quo aliqua ligantur, differt a conjunctione ipsa sicut causa ab effectu. Sed matrimonium est vinculum quoddam quo matrimonio juncti ligantur. Ergo non est in genere conjunctionis.

1. Il semble que le mariage ne fasse pas partie du genre de l’union, car le lien par lequel certaines choses sont liées diffère de l’union comme la cause de l’effet. Or, le mariage est un certain lien par lequel ceux qui sont unis par le mariage sont liés. Il ne fait donc pas partie du genre de l’union.

[19343] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne sacramentum est sensibile signum. Sed nulla relatio est accidens sensibile. Ergo matrimonium, cum sit sacramentum, non erit in genere relationis ; et ita nec in genere conjunctionis.

2. Tout sacrement est un signe sensible. Or, aucune relation n’est un accident sensible. Puisqu’il est un sacrement, le mariage ne fera donc pas partie du genre de la relation, et ainsi il ne fera pas non plus partie du genre de l’union.

[19344] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, conjunctio est relatio aequiparantiae, sicut aequalitas. Sed non est una numero aequalitatis relatio in utroque extremorum, ut Avicenna dicit. Ergo nec una conjunctio ; et sic, si matrimonium est in genere conjunctionis, non erit unum tantum matrimonium inter duos conjuges.

3. L’union est une relation d’égal à égal, comme l’égalité. Or, la relation d’égalité n’est pas unique en nombre dans les deux extrêmes, comme le dit Avicenne. Il n’existe donc pas non une seule union. Et ainsi, si le mariage fait partie du genre de l’union, il n’existera pas un seul mariage pour les époux.

[19345] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, relatio est secundum quam aliqua ad invicem referuntur. Sed secundum matrimonium aliqua ad invicem referuntur : dicitur enim maritus vir uxoris, et uxor mariti uxor. Ergo matrimonium est in genere relationis, nec est aliud quam conjunctio.

Cependant, [1] la relation existe selon que certaines sont en rapport l’une avec l’autre. Or, par le mariage, certaines choses sont mises en rapport l’une avec l’autre : en effet, le marié est appelé l’époux de l’épouse, et l’épouse, l’épouse du mari. Le mariage fait donc partie du genre de l’union et il n’est pas autre chose qu’une union.

[19346] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, unio duorum ad aliquod unum non fit nisi secundum conjunctionem. Hoc autem fit per matrimonium, ut patet Genes. 2, 24 : erunt duo in carne una. Ergo matrimonium est in genere conjunctionis.

[2] L’union de deux choses en vue de quelque chose d’un ne se réalise que par une union. Or, cela se réalise par le mariage, comme cela ressort de Gn 2, 24 : Ils seront deux dans une seule chair. Le mariage fait donc partie du genre de l’union.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le mariage est-il correctement nommé ?]

 

[19347] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod matrimonium incongrue nominetur. Quia denominatio debet fieri a digniori. Sed pater dignior est matre. Ergo magis debet denominari a patre quam a matre conjunctio utriusque.

1. Il semble que le mariage ne soit pas correctement nommé, car la dénomination doit se faire à partir de ce qui est plus digne. Or, le père est plus digne que la mère. L’union des deux doit donc être nommée plutôt à partir du père qu’à partir de la mère [référence l’étymologie de matrimonium]

[19348] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, res debet denominari ab eo quod est de essentia sua ; quia ratio quam significat nomen, est definitio, ut dicitur in 4 Metaph. Sed nuptiae non sunt de essentia matrimonii. Ergo non debet matrimonium nuptiae appellari.

2. Une chose doit porter le nom de ce qui fait partie de son essence, car la raison que signifie un mot est la définition, comme on le dit dans Métaphysique, IV. Or, les noces ne dont pas partie de l’essence du mariage. Le mariage ne devrait donc pas être appelé les noces.

[19349] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, species non potest proprio nomine nominari ab eo quod est generis. Sed conjunctio est genus ad matrimonium. Ergo non proprie potest conjugium nominari.

3. Une espèce ne peut pas être nommée par son nom propre à partir de ce qui fait partie du genre. Or, l’union est un genre par rapport au mariage. Il ne peut donc pas être correctement appelé une union.

[19350] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed in contrarium est communis usus loquentium.

Cependant, la manière commune de parler va en sens contraire.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La définition donnée dans le texte est-elle correcte ?]

[19351] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter definiatur in littera. Quia in mariti definitione oportet quod matrimonium ponatur : quia maritus est qui est mulieri matrimonio junctus. Sed ipse ponit matrimonialem conjunctionem in definitione matrimonii. Ergo videtur quod sit circulatio in definitionibus istis.

1. Il semble que la définition donnée dans le texte soit incorrecte, car il faut que le mariage soit inclus dans la définition du mari, puisque le mari est celui qui est uni à une femme par le mariage. Or, [le Maître] met l’union matrimoniale dans la définition du mariage. Il semble donc qu’il ces définitions tournent en rond.

[19352] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per matrimonium sicut vir efficitur maritus mulieris, ita mulier uxor viri. Ergo non magis deberet dici conjunctio maritalis quam uxoria.

2. De même qu’un homme devient un mari par le mariage, de même une femme devient-elle l’épouse d’un homme. On ne devrait donc pas parler davantage d’union maritale que d’union évoquant l’épouse [conjunctio maritalis, conjunctio uxoria].

[19353] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, consuetudo ad genus moris pertinet. Sed frequenter matrimonio juncti sunt valde moribus diversi. Ergo non debet poni in definitione matrimonii : individuam vitae consuetudinem retinens.

3. La coutume appartient au genre du comportement. Or, souvent, ceux qui sont unis par le mariage sont très différents par leur comportement. On ne doit donc pas mettre dans la définition du mariage : Conservant une seule manière de vivre.

[19354] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, inveniuntur aliae definitiones de matrimonio datae. Quia secundum Hugonem, matrimonium est duarum idonearum personarum legitimus de conjunctione consensus. Secundum quosdam autem matrimonium est consortium communis vitae, et communicatio divini et humani juris. Et quaeritur qualiter hae definitiones differant.

4. On trouve d’autres définitions du mariage qui ont été données, car, selon Hugues, le mariage est « le consentement légitime portant sur l’union de deux personnes aptes à le faire. » Mais, selon certains, le mariage est « le partage d’une vie commune et la mise en commun du droit divin et du droit humain ». Et on se demande en quoi ces définitions diffèrent.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod conjunctio adunationem quamdam importat ; unde ubicumque est adunatio aliquorum, ibi est aliqua conjunctio. Ea autem quae ordinantur ad aliquod unum, dicuntur in ordine ad aliud adunari ; sicut multi homines adunantur ad unam militiam vel negotiationem exequendam, ex qua dicuntur commilitones ad invicem, vel socii negotiationis ; et ideo, cum per matrimonium ordinentur aliqui ad unam generationem et educationem prolis, et iterum ad unam vitam domesticam ; constat quod in matrimonio est aliqua conjunctio, secundum quam dicitur maritus et uxor ; et talis conjunctio ex hoc quod ordinatur ad aliquod unum, est matrimonium ; conjunctio autem corporum vel animorum ad matrimonium consequitur.

L’union comporte une certaine unification. Aussi partout où il y a une certaine unification existe une union. Or, on dit que ce qui est ordonné à quelque chose est uni à quelque chose d’un, comme plusieurs hommes sont unis dans une seule armée ou pour commercer. À cause de cela, on dit qu’ils sont les partenaires de combat les uns des autres ou des associés d’affaires. Puisque par le mariage certains sont ordonnés à une unique génération et éducation de leur descendance et aussi à une seule vie domestique, il est donc clair qu’une certaine union se réalise par le mariage, raison pour laquelle on les appelle le mari et l’épouse. Et une telle union, du fait qu’elle est ordonnée à quelque chose d’un, est un mariage. Or, l’union des corps ou des âmes découle du mariage.

[19356] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod matrimonium est vinculum quo ligantur formaliter, non effective ; et ideo non oportet quod sit aliud a conjunctione.

1. Le mariage est un lien par lequel ils sont liés de manière formelle, et non efficiente. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit autre chose qu’une union.

[19357] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ipsa relatio non sit sensibile accidens, tamen causae ejus possunt esse sensibiles : nec in sacramento requiritur quod sit sensibile id quod est res et sacramentum (hoc enim modo se habet in hoc sacramento praedicta conjunctio), sed verba exprimentia consensum, quae sunt sacramentum tantum, et causa praedictae conjunctionis, sunt sensibilia.

2. Bien que la relation elle-même ne soit pas un accident sensible, ses causes peuvent cependant être sensibles. Et il n’est pas requis pour le sacrement que ce qui est la réalité et le sacrement soit sensible (en effet, l’union dont on a parlé joue ce rôle), mais les paroles qui expriment le consentement, qui sont le sacrement seulement, et la cause de l’union en question sont sensibles.

[19358] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relatio fundatur in aliquo sicut in causa, ut similitudo in qualitate ; et in aliquo sicut in subjecto, ut in ipsis similibus ; et ex utraque parte potest attendi unitas et diversitas ipsius. Quia ergo in similitudine non est eadem qualitas numero, sed specie in utroque simili ; et iterum subjecta similitudinis sunt duo numero ; et similiter est de aequalitate ; ideo et aequalitas et similitudo omnibus modis est alia numero in utroque similium et aequalium. Sed relatio quae est matrimonium, ex una parte habet unitatem in utroque extremorum, scilicet ex parte causae, quia ad eamdem numero generationem ordinatur ; sed ex parte subjecti habet diversitatem secundum numerum ; et ideo haec relatio est una et multiplex : et secundum quod est multiplex ex parte subjecti, significatur his nominibus uxor et maritus ; secundum autem quod est una, significatur hoc nomine matrimonium.

3. La relation est fondée sur quelque chose comme sur sa cause, comme une ressemblance sur une qualité, et sur quelque chose comme sur son sujet, comme sur les choses semblables elles-mêmes. Des deux points de vue, on peut relever son unité et sa diversité. Puisque, dans une ressemblance, la même qualité en nombre n’existe pas dans les deux choses, mais selon l’espèce dans les deux choses semblables ; et puisqu’il en est de même pour l’égalité, l’égalité et la ressemblance sont de toutes les façons différentes en nombre dans les deux choses semblables et égales. Mais la relation qu’est le mariage a, d’un côté, une unité dans chacun des deux extrêmes, à savoir, du point de vue de la cause, car il est ordonné à la même génération en nombre ; mais, du point de vue du sujet, il comporte une diversité en nombre. C’est pourquoi cette relation est une et multiple. Selon qu’elle est multiple du point de vue du sujet, la femme et le mari sont signifiés par ces mots ; selon qu’elle est une, le mariage est signifié par ce mot.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19359] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in matrimonio est tria considerare. Primo essentiam ipsius, quae est conjunctio ; et secundum hoc nominatur conjugium. Secundo causam ejus, quae est desponsatio ; et secundum hoc vocantur nuptiae a nubere, quia in ipsa solemnitate desponsationis qua matrimonium perficitur, capita nubentium velantur. Tertio effectum, qui est proles ; et sic dicitur matrimonium, ut Augustinus dicit contra Faustum, ob hoc quod mulier non debet ad aliud nubere, nisi ut sit mater. Potest etiam dici matrimonium, quasi matris munium, idest officium : quia feminis maxime incumbit officium educandae prolis. Vel dicitur matrimonium, quasi matrem muniens : quia jam habet quod defendatur et muniatur, scilicet virum. Vel dicitur matrimonium, quasi matrem monens, ne virum relinquat, alteri adhaerens. Vel dicitur matrimonium, quasi materia unius, quia in eo fit conjunctio ad unam prolem materialiter inducendam, ut dicatur matrimonium a monos et materia. Vel dicitur matrimonium, ut Isidorus dicit, a matre et nato ; quia per matrimonium efficitur aliqua mater nati.

Dans le mariage, il faut considérer trois choses. Premièrement, son essence, qui est une union : sous cet aspect, il est appelé une union [conjugium]. Deuxièmement, sa cause, qui est l’acte d’épouser [desponsatio] : sous cet aspect, on parle de noces [nuptiae], qui vient du mot « épouser » [nubere], car, lors de la solennité du mariage par laquelle le mariage se réalise, la tête de ceux qui s’épousent est voilée [rappel de nubes, nuées, mis en rapport avec nubere]. Troisièmement, son effet, qui est la descendance : il est ainsi appelé mariage [matrimonium], comme le dit Augustin contre Faustus, parce que la femme ne doit pas se marier pour d’autre raison que d’être mère [mater]. On peut aussi parler de mariage [matrimonium] comme de la fonction de mère [matris munium], car la fonction d’élever l’enfant incombe surtout aux femmes. Ou bien on parle de mariage [matrimonium] comme de ce qui défend la mère [matrem muniens], car elle a alors quelqu’un qui la défend et la protège, son mari. Ou bien on parle de mariage [matrimonium] comme d’un avertissement pour la mère [matrem monens] de ne pas abandonner son mari en se tournant vers un autre. On bien on parle de mariage [matrimonium] comme de la matière d’une seule chose [materia unius], car se réalise en lui l’union en vue d’amener une seule descendance, de sorte que matrimonium vienne de monos [seul] et materia. Ou bien comme le dit Isidore, matrimonium vient de a matre nato [né de la mère], car, par le mariage, on devient mère de ce qui est né.

[19360] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis pater sit dignior quam mater, tamen circa prolem magis officiosa est mater quam pater. Vel ideo quia mulier ad hoc principaliter facta est ut sit homini in adjutorium prolis ; non autem vir propter hoc factus est ; unde magis pertinet ad rationem matrimonii mater quam pater.

1. Bien que le père soit plus digne que la mère, la mère s’occupe cependant davantage de l’enfant que le père. Ou bien c’est parce que la femme a été faite principalement pour être une aide de l’homme pour aider la descendance, mais l’homme n’a pas été fait pour cela. Aussi la mère a-t-elle un rapport plus étroit avec l’idée de mariage que le père.

[19361] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquando essentialia cognoscuntur per accidentalia ; et ideo etiam per accidentalia aliqua nominari possunt, cum nomen detur causa rei innotescendae.

2. Parfois, ce qui est essentiel est connu par ce qui est accidentel. C’est pourquoi certaines choses peuvent porter le nom d’accidents, lorsque le nom est donné afin que la cause de la chose soit connue.

[19362] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquando species nominatur ab eo quod est generis, propter imperfectionem speciei, quando scilicet habet complete generis rationem ; nec tamen aliquid addit quod ad dignitatem pertineat ; sicut proprium accidentale retinet nomen proprii communis. Aliquando autem propter perfectionem, quando in una specie complete invenitur ratio generis, et non in alia ; sicut animal denominatur ab anima, quae competit animato corpori, quod est genus animalis ; sed animatio non invenitur perfecte in animatis quae non sunt animalia ; et similiter est in proposito : quia conjunctio viri ad mulierem per matrimonium est maxima, cum sit et animarum et corporum ; et ideo conjugium nominatur.

3. Parfois l’espèce porte le nom de ce qui relève du genre en raison de l’imperfection de l’espèce, alors que [l’espèce] possède complètement la raison du genre. Cependant, elle n’ajoute rien pour ce qui est de la dignité, comme un accident propre garde le nom de ce qui est propre et commun. Mais, parfois, [l’espèce porte le nom de ce qui relève du genre] en raison de sa perfection, lorsque la raison du genre se trouve complètement dans une seule espèce, et non dans une autre, comme l’animal tire son nom de l’âme, qui convient à un corps animé qui est le genre de l’animal. Mais l’animation ne se trouve pas parfaitement dans ce qui est animé sans être animal. De même en est-il dans la question en cause, car l’union de l’homme à la femme par le mariage est la plus grande, puisqu’elle est [l’union] des âmes et des corps. C’est pourquoi il est appelé union [conjugium].

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19363] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut supra dictum est, in matrimonio tria possunt considerari ; scilicet causa ipsius, et essentia ejus, et effectus ; et secundum hoc tres definitiones inveniuntur de matrimonio datae. Nam definitio Hugonis tangit causam, scilicet consensum, et per se non est. Definitio autem in littera posita tangit essentiam matrimonii, scilicet conjunctionem, et addit determinatum subjectum in hoc quod dicit : inter legitimas personas. Ponit etiam differentiam contrahentem ad speciem in hoc quod dicit, maritalis : quia cum matrimonium sit conjunctio in ordine ad aliquod unum, talis conjunctio in speciem trahitur per illud ad quod ordinatur ; et hoc est quod ad maritum pertinet. Ponit etiam virtutem hujus conjunctionis, quia indissolubilis est, in hoc quod dicit : individuam vitae consuetudinem retinens. Sed alia definitio tangit effectum ad quem ordinatur matrimonium ; scilicet vitam communem in rebus domesticis. Et quia omnis communicatio aliqua lege ordinatur ; ideo ponitur ordinativum istius communionis, scilicet jus divinum et humanum : aliae enim communicationes, ut negotiatorum et commilitantium, solo jure humano institutae sunt.

Comme on l’a dit plus haut, on peut envisager trois choses dans la mariage : sa cause, son essence et son effet. De ce point de vue, trois définitions du mariage ont été données. Car la définition d’Hugues aborde la cause, à savoir, le consentement, et ce n’est pas une définition par soi. Mais la définition donnée dans le texte porte sur l’essence du mariage, à savoir, l’union, et elle ajoute un sujet déterminé lorsqu’elle dit: « entre des personnes légitimes ». Elle présente aussi une différence la restreignant à une espèce, en disant : « [l’union] maritale », car puisque le mariage est une union en vue de quelque chose d’un, une telle union est attirée vers son espèce par ce à quoi elle est ordonnée, et cela est ce qui concerne celui qui est marié. [Cette définition] présente aussi la puissance de cette union, car elle est indissoluble, lorsqu’elle dit : « comportant une seule manière de vivre. » Mais une autre définition présente l’effet auquel le mariage est ordonné, à savoir, une vie commune en matière domestique. Et parce que tous les échanges sont ordonnés par une loi, est présent ce qui ordonne cette communion, à savoir, le droit divin et humain. En effet, les autres échanges, comme ceux qui ont lieu pour les affaires et pour l’armée, ont été établis par le seul droit humain.

[19364] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod priora aliquando, ex quibus debet dari definitio, non sunt nominata ; et ideo in definitione aliquorum ponuntur aliqua posteriora simpliciter, quae sunt priora quo ad nos, sicut in definitione qualitatis ponitur quale a philosopho, cum dicit : qualitas est secundum quam quales dicimur ; et ita etiam hic in definitione matrimonii ponitur conjunctio maritalis ; ut sit sensus, quod matrimonium est conjunctio ad ea quae mariti officium requirit, quae non poterant uno nominari nomine.

1. Les choses antérieures, à partir desquelles la définition doit être donnée, parfois ne sont pas nommées. C’est pourquoi, dans la définition de certaines choses, sont indiquées des choses qui sont simplement postérieures, qui sont les premières de notre point de vue, comme dans la définition de la qualité est présenté par le Philosophe ce qui a la qualité, lorsqu’il dit : « La qualité est ce par quoi nous disons qu’ils sont tels. » Ici aussi, dans la définition du mariage, est indiquée l’union maritale, de sorte que le sens est que le mariage est une union en vue de ce qu’exige la fonction de celui qui est marié, qui ne pouvait pas être exprimé d’un seul mot.

[19365] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hanc differentiam tangitur finis conjunctionis, ut dictum est ; et quia, ut dicit apostolus, 1 Corinth. 7, vir non est propter mulierem, sed mulier propter virum ; ideo haec differentia potius debet sumi a viro quam a muliere.

2. Par cette différence, est abordée la fin de l’union, comme on l’a dit. Et parce que, comme le dit l’Apôtre en 1 Co 7, l’homme n’existe pas pour la femme mais la femme pour l’homme, cette différence doit se prendre plutôt de l’homme que de la femme.

[19366] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut vita civilis non importat actum singularem hujus vel illius, sed ea quae ad communicationem civilem pertinent ; ita vita conjugalis nihil est aliud quam conversatio ad communicationem talem pertinens ; et ideo quantum ad hanc vitam semper consuetudo est individua, quamvis sit diversa quantum ad actus singulares utriusque.

3. De même que la vie civile ne comporte pas un acte particulier de celui-ci ou de celui-là, mais ce qui se rapporte aux échanges de la vie civile, de même la vie conjugale n’est-elle rien d’autre que le comportement qui se rapporte à un tel échange. C’est pourquoi, en ce qui concerne cette vie, la coutume est toujours unique, bien qu’elle soit différente selon les actes particuliers des deux.

[19367] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum patet solutio ex dictis.

4. La réponse à la quatrième question ressort clairement de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 2

[19368] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum consensus sit causa efficiens matrimonii

Article 2 – Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le consentement est-il la cause efficiente du mariage ?]

 

[19369] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod consensus non sit causa efficiens matrimonii. Sacramenta enim non sunt a voluntate humana, sed ab institutione divina. Sed consensus ad voluntatem pertinet. Ergo non est causa matrimonii, sicut nec aliorum sacramentorum.

1. Il semble que le consentement ne soit pas la cause efficiente du mariage. En effet, les sacrements ne viennent pas de la volonté humaine, mais de l’institution divine. Or, le consentement relève de la volonté. Il n’est donc pas la cause du mariage, pas davantage que des autres sacrements.

[19370] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, idem non est causa sui ipsius. Sed matrimonium nihil aliud videtur esse quam consensus : quia consensus ipse significat conjunctionem Christi ad Ecclesiam. Ergo consensus non est causa matrimonii.

2. Une même chose n’est pas cause d’elle-même. Or, le mariage ne semble être rien d’autre qu’un consentement, car le consentement lui-même signifie l’union du Christ à l’Église. Le consentement n’est donc pas la cause du mariage.

[19371] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, unius debet esse una causa. Sed matrimonium inter duos est unum, ut dictum est : consensus autem duorum sunt diversi, quia diversorum sunt, et etiam in diversa : ab una enim parte est consensus in virum, ex alia in uxorem. Ergo mutuus consensus non est causa matrimonii.

3. Une seule chose doit avoir une seule cause. Or, le mariage est une seule chose entre deux personnes, comme on l’a dit. Or, les consentements de deux personnes sont distincts, parce qu’ils viennent de personnes distinctes et portent sur des choses distinctes. En effet, d’un côté, il y a consentement portant sur le mari, et, de l’autre, portant sur l’épouse. Le consentement mutuel n’est donc pas la cause du mariage.

[19372] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Chrysostomus dicit : matrimonium non facit coitus, sed voluntas.

Cependant, [1] Chrysostome dit : « Ce n’est pas l’union charnelle qui fait le mariage, mais la volonté. »

[19373] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, unus non accipit potestatem in eo quod est libere alterius, nisi per ejus consensum. Sed per matrimonium accipit uterque conjugum potestatem in corpus alterius, ut patet 1 Corinth. 7, cum prius uterque sui corporis liberam potestatem haberet. Ergo consensus facit matrimonium.

[2] Quelqu’un ne reçoit de pouvoir sur ce qui relève librement d’un autre que par son consentement. Or, par le mariage, les deux époux reçoivent un pouvoir sur le corps de l’autre, comme cela ressort de 1 Co 7, alors qu’antérieurement chacun avait un libre pouvoir sur son corps. Le consentement fait donc le mariage.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le consentement doit-il être exprimé par des paroles ?]

[19374] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat consensum per verba exprimi. Quia sicut per matrimonium redigitur homo in potestatem alterius, ita per votum. Sed votum obligat quo ad Deum, etiam si non exprimatur verbis. Ergo et consensus facit matrimonii obligationem etiam sine expressione verborum.

1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que le consentement soit exprimé par des paroles, car, de même que, par le mariage, un homme passe au pouvoir d’un autre, de même par un voeu. Or, le vœu oblige envers Dieu, même s’il n’est pas exprimé en paroles. Le consentement aussi crée donc l’obligation du mariage, même sans expression de paroles.

[19375] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, matrimonium potest esse inter aliquos qui suum consensum sibi mutuo verbis exprimere non possunt : quia vel sunt muti, vel diversarum linguarum. Ergo expressio consensus per verba non requiritur ad matrimonium.

2. Le mariage peut exister entre certains qui ne peuvent s’exprimer mutuellement leur consentement par des paroles, car soit ils sont muets, soit ils parlent des langues différentes. L’expression du consentement par des paroles n’est donc pas nécessaire pour le mariage.

[19376] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si omittatur illud quod est de necessitate sacramenti quacumque ex causa, non est sacramentum. Sed in aliquo casu est matrimonium sine expressione verborum : sicut quando puella tacet prae verecundia, parentibus eam viro tradentibus. Ergo expressio verborum non est de necessitate matrimonii.

3. Si l’on omet ce qui est nécessaire au sacrement pour n’importe quelle raison, il n’y a pas sacrement. Or, dans un cas, il y a mariage sans expression de paroles, comme lorsqu’une jeune fille se tait par gêne, alors que ses parents la donnent à un homme. L’expression par des paroles n’est donc pas nécessaire au mariage.

[19377] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, matrimonium est sacramentum quoddam. Sed in omni sacramento requiritur aliquod sensibile signum. Ergo et in matrimonio ; et ita oportet ibi saltem esse verba exprimentia consensum sensibiliter.

Cependant, [1] le mariage est un sacrement. Or, dans tout sacrement, un signe sensible est nécessaire. Donc aussi, dans la mariage. Et ainsi, il est nécessaire qu’il y ait au moins des paroles exprimant le consentement de manière sensible.

[19378] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in matrimonio fit contractus inter virum et mulierem. Sed in quolibet contractu oportet esse expressionem verborum, quibus se mutuo homines obligent. Ergo in matrimonio oportet esse consensum per verba expressum.

[2] Dans le mariage, un contrat est passé entre le mari et la femme. Or, en tout contrat, il est nécessaire qu’il y ait expression de paroles par lesquelles des hommes s’obligent mutuellement. Donc, dans le mariage, il est nécessaire qu’il y ait un consentement exprimé par des paroles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un consentement par des paroles portant sur le futur réalise-t-il le mariage ?]

 

[19379] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consensus expressus per verba de futuro, matrimonium faciat. Quia sicut se habet praesens ad praesens, ita futurum ad futurum. Sed consensus per verba de praesenti expressus facit matrimonium in praesenti. Ergo consensus expressus per verba de futuro facit matrimonium in futuro.

1. Il semble qu’un consentement par des paroles portant sur le futur réalise le mariage, car le rapport entre ce qui est présent et ce qui est présent est le même qu’entre ce qui est futur et ce qui est futur. Or, le consentement en paroles exprimé au présent réalise le mariage dans le présent. Le consentement exprimé par des paroles portant sur le futur réalise donc le mariage dans le futur.

[19380] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut in matrimonio fit quaedam obligatio per verba exprimentia consensum, ita et in aliis civilibus contractibus. Sed in aliis contractibus non differt utrum per verba de praesenti vel de futuro obligatio fiat. Ergo nec in matrimonio differt.

2. De même que dans le mariage se réalise une obligation par des paroles exprimant un consentement, de même aussi dans les autres contrats civils. Or, dans les autres contrats, cela ne fait pas de différence que l’obligation se réalise par des paroles portant sur le présent ou le futur. Cela ne fait donc pas non plus de différence dans le mariage.

[19381] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, per votum religionis homo contrahit matrimonium spirituale cum Deo. Sed votum religionis fit per verba de futuro, et obligat. Ergo similiter potest fieri matrimonium per verba de futuro.

3. Par un vœu de religion, l’homme contracte un mariage spirituel avec Dieu. Or, le vœu de religion se réalise par des paroles portant sur le futur, et il oblige. De la même manière, un mariage peut être réalisé par des paroles portant sur le futur.

[19382] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia ille qui consentit in aliquam per verba de futuro, et postea cum alia per verba de praesenti, debet, secundum jura, habere secundam pro uxore. Sed hoc non esset, si consensus per verba de futuro faceret matrimonium : quia ex quo verum est matrimonium cum una, ea vivente non potest contrahi cum alia. Ergo consensus per verba de futuro non facit matrimonium.

Cependant, [1] celui qui donne son consentement à une femme par des paroles portant sur le futur et, par la suite, [donne son consentement] à une autre par des paroles portant sur le présent, doit, selon le droit, prendre la deuxième pour épouse. Or, ce ne serait pas le cas si le consentement par des paroles portant sur le futur réalisait le mariage, car, du fait qu’un mariage avec une femme est véritable, on ne peut contracter avec une autre, alors que la première est vivante. Le consentement donné par des paroles portant sur le futur ne réalise donc pas le mariage.

[19383] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, qui promittit se aliquid tractaturum, nondum facit illud. Sed qui consentit per verba de futuro, promittit se cum aliqua tractaturum matrimonium. Ergo non contrahit adhuc cum illa.

[2] Celui qui promet de faire quelque chose ne le fait pas encore. Or, celui qui consent par des paroles portant sur le futur promet de se marier avec une femme. Il ne contracte donc pas encore de mariage avec elle.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [L’expression du consentement en paroles, même si le consentement intérieur fait défaut, réalise-t-elle le mariage ?

 

[19384] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consensus expressio per verba, etiam si desit interior consensus, facit matrimonium. Quia fraus et dolus nemini debet patrocinari, secundum jura. Sed ille qui verbis consensum exprimit quem corde non habet, dolum committit. Ergo non debet sibi patrocinari, ut ab obligatione matrimonii liber reddatur.

1. Il semble que l’expression du consentement en paroles, même si le consentement intérieur fait défaut, réalise le mariage, car la fraude et le dol ne doivent être préconisées pour personne, selon le droit. Or, celui qui exprime en paroles un consentement qu’il n’a pas dans le cœur commet un dol. Il ne doit donc pas être préconisé pour lui, de sorte qu’il soit rendu libre du lien du mariage.

[19385] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, assensus mentalis alterius non potest esse alicui notus, nisi quatenus per verba exprimitur. Si ergo expressio verborum non sufficit, sed consensus interior requiritur in utroque conjugum ; tunc neuter poterit scire de altero an sit ei verus conjux ; et ita erit fornicator quandocumque matrimonio utetur.

2. L’assentiment mental de quelqu’un ne peut être connu à un autre que dans la mesure où il est exprimé par des paroles. Si donc l’expression en paroles ne suffit pas, mais que le consentement intérieur est requis chez les deux époux, aucun des deux ne pourra donc être certain que l’autre est son véritable époux, et ainsi il sera fornicateur aussi longtemps qu’il fera usage du mariage.

[19386] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, si aliquis probatur per verba de praesenti in aliquam consensisse, cogitur per excommunicationis sententiam ut eam habeat in uxorem, quamvis dicat consensum mentalem defuisse ; etiamsi postea cum alia contraxerit consensu mentali verbis expresso. Sed hoc non esset, si requireretur consensus mentalis ad matrimonium. Ergo non requiritur.

3. S’il est démontré que quelqu’un a par des paroles portant sur le présent consenti à une femme, il est forcé, sous peine d’une sentence d’excommunication, de la prendre comme épouse, bien qu’il dise que le consentement intérieur lui ait fait défaut, et cela, même si, par la suite, il a contracté avec une autre par un consentement mental exprimé par des paroles. Or, ce ne serait pas le cas si le consentement intérieur était requis pour le mariage. Il n’est donc pas requis.

[19387] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Innocentius III dicit in Decr. : sine consensu nequeunt cetera foedus perficere conjugale.

Cependant, [1] Innocent III dit dans une décrétale : « Sans consentement, ils ne peuvent contracter un lien conjugal. »

[19388] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, intentio requiritur in omnibus sacramentis. Sed ille qui corde non consentit, non habet intentionem matrimonium contrahendi. Ergo non fit matrimonium.

[2] L’intention est nécessaire pour les sacrements. Or, celui qui ne consent pas de cœur n’a pas l’intention de contracter mariage. Le mariage n’existe donc pas.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19389] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in omnibus sacramentis est aliqua spiritualis operatio mediante materiali operatione quae eam significat ; sicut per ablutionem corporalem in Baptismo fit ablutio interior spiritualis ; unde, cum in matrimonio sit quaedam spiritualis conjunctio, inquantum matrimonium est sacramentum, et aliqua materialis, secundum quod est in officium naturae et civilis vitae ; oportet quod mediante materiali fiat spiritualis virtute divina ; unde, cum conjunctiones materialium contractuum fiant per mutuum consensum, oportet quod hoc modo etiam fiat matrimonialis conjunctio.

Dans tous les sacrements, existe une action spirituelle par l’intermédiaire d’une action matérielle qui la signifie, comme, par l’ablution corporelle dans le baptême, est réalisée une ablution spirituelle. Puisque, dans le mariage, existe une union spirituelle, pour autant que le mariage est un sacrement, et une union matérielle, pour autant qu’il est une fonction de la nature et de la vie civile, il est donc nécessaire que, par l’intermédiaire de l’union matérielle, se réalise par la puissance divine une union spirituelle. Puisque les unions des contrats matériels se réalisent par le consentement mutuel, il est donc nécessaire que l’union matrimoniale se réalise aussi de cette manière.

[19390] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sacramentorum prima causa est divina virtus, quae in eis operatur salutem ; sed causae secundae instrumentales sunt materiales operationes ex divina institutione efficaciam habentes ; et sic consensus in matrimonio est causa.

1. La cause première des sacrements est la puissance divine, qui réalise en eux le salut ; mais les causes secondes instrumentales sont les opérations matérielles qui possèdent une efficacité en vertu d’une institution divine. C’est ainsi que le consentement est cause dans le mariage.

[19391] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium non est ipse consensus, sed quaedam unio ordinatorum ad invicem, ut dictum est, quam consensus facit ; nec consensus, proprie loquendo, conjunctionem Christi ad Ecclesiam significat, sed voluntatem ejus, qua factum est ut Ecclesiae conjungeretur.

2. Le mariage n’est pas le consentement lui-même, mais une certaine union de ceux qui sont ordonnés l’un à l’autre, comme on l’a dit, [union] que réalise le consentement. Et, à proprement parler, le consentement ne signifie pas l’union du Christ à l’Église, mais sa volonté par laquelle s’est réalisé le fait qu’il a été uni à l’Église.

[19392] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut matrimonium est unum ex parte ejus in quod fit conjunctio, quamvis sit multiplex ex parte conjunctorum ; ita etiam consensus est unus ex parte ejus in quod consentitur, scilicet praedictae conjunctionis, quamvis sit multiplex ex parte consentientium : nec est directe consensus in virum, sed in conjunctionem ad virum ex parte uxoris ; et similiter ex parte viri consensus in conjunctionem ad uxorem.

3. De même que le mariage est unique du point de vue de ce en vue de quoi est réalisée l’union, bien qu’il soit multiple du point de vue de ceux qui sont unis, de même aussi le consentement est-il unique du point de vue de ce à quoi l’on consent, à savoir, l’union mentionnée, bien qu’il soit multiple du point de vue de ceux qui consentent. Et le consentement ne porte pas directement sur le mari, mais sur l’union à l’homme de la part de l’épouse et, semblablement, du point de vue du mari, le consentement à l’union à l’épouse.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19393] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut ex dictis patet, conjunctio matrimonialis fit ad modum obligationis in contractibus materialibus. Et quia materiales contractus non possunt fieri nisi sibi invicem voluntatem suam verbis promant qui contrahunt ; ideo etiam oportet quod consensus matrimonium faciens verbis exprimatur, ut expressio verborum se habeat ad matrimonium sicut ablutio exterior ad Baptismum.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’union matrimoniale se réalise à la manière de l’obligation dans les contrats matériels. Et parce que les contrats matériels ne peuvent être faits à moins que ceux qui contractent s’expriment l’un à l’autre leur volonté par des paroles, il est aussi nécessaire que le consentement qui réalise le mariage soit exprimé par des paroles, afin que l’expression en paroles joue dans le mariage le même rôle que l’ablution extérieure dans le baptême.

[19394] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in voto non est aliqua sacramentalis obligatio, sed spiritualis tantum ; et ideo non oportet quod fiat ad modum materialium contractuum ad hoc quod obliget, sicut est de matrimonio.

1. Dans le vœu, il n’y a pas d’obligation sacramentelle, mais spirituelle seulement. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit fait à la manière de contrats matériels pour obliger, comme c’est le cas du mariage.

[19395] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non possint vota sua mutuo verbis tales exprimere, possunt tamen exprimere nutibus ; et tales nutus pro verbis computantur.

2. Bien qu’ils ne puissent s’exprimer mutuellement leurs vœux par des paroles, ils le peuvent cependant par des gestes. Ces gestes doivent être considérés comme des paroles.

[19396] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dicit Hugo de sancto Vict., eos qui conjunguntur, sic oportet consentire ut invicem se spontanee recipiant ; quod judicatur fieri, si in desponsatione non contradicant ; unde verba parentum computantur in casu illo ac si essent puellae : sunt enim sufficiens signum quod sunt ejus, ex quo non contradicit.

3. Comme le dit Hugues de Saint-Victor, il est nécessaire que ceux qui s’unissent consentent de telle manière qu’ils s’accueillent l’un l’autre spontanément. On juge que cela est le cas s’ils ne s’opposent pas au mariage. Ainsi les paroles des parents sont-elles considérées dans ce cas comme si elles étaient celles de la jeune fille : en effet, le fait qu’elle ne s’y oppose pas est un signe suffisant qu’elles viennent d’elle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19397] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod causae sacramentales significando efficiunt, unde efficiunt quod significant : et quia cum aliquis consensum suum per verba de futuro exprimit, non significat se facere matrimonium, sed promittit se facturum ; ideo talis expressio consensus non facit matrimonium, sed dispositionem ejus, quae sponsalia nominantur.

Les causes sacramentelles réalisent en signifiant ; aussi réalisent-elles ce qu’elles signifient. Lorsque quelqu’un exprime son consentement par des paroles portant sur le futur, il ne signifie pas qu’il réalise un mariage, mais il promet de le réaliser. C’est pourquoi une telle expression du consentement ne réalise pas le mariage, mais y dispose: cela s’appelle les fiançailles.

[19398] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod consensus exprimitur per verba de praesenti, et verba sunt praesentia, et in praesens consentitur pro eodem tempore ; sed quando consensus fit per verba de futuro, verba sunt praesentia, sed consentitur in futurum ; et ideo non pro eodem tempore ; et propter hoc non est simile.

1. Le consentement s’exprime par des paroles portant sur le présent et les verbes sont au présent, et le consentement est donné au présent pour le même temps. Mais lorsque le consentement est donné par des paroles portant sur le futur, les verbes sont au présent, mais le consentement porte sur le futur. C’est pourquoi il n’est pas donné pour le même temps. Ce n’est donc pas la même chose.

[19399] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam in aliis contractibus, qui verbis futuris utitur, non transfert potestatem rei suae in alterum ; ut si dicat, dabo tibi ; sed solum quando verbis praesentibus utitur.

2. Même dans les autres contrats qui emploient des paroles au futur, un pouvoir n’est pas donné à un autre sur ce qui nous appartient, comme si on disait : « Je te donnerai » ; mais seulement lorsqu’on utilise des paroles portant sur le présent.

[19400] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in voto professionis actus spiritualis matrimonii per verba de futuro exprimitur, scilicet obedientia, vel observantia regulae, et non ipsum matrimonium spirituale. Si autem matrimonium spirituale in futuro voveatur, non est votum spirituale : quia nondum ex hoc aliquis est monachus ; sed se futurum monachum pollicetur.

3. Dans le vœu de la profession, l’acte spirituel du mariage est exprimé par des paroles portant sur le futur : l’obéissance ou l’observance de la règle, et non sur le mariage spirituel. Mais si on faisait vœu d’un mariage spirituel à venir, ce ne serait pas un vœu, car quelqu’un n’est pas encore moine à cause de cela, mais il se propose de devenir moine.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[19401] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut se habet ablutio exterior ad Baptismum, ita se habet expressio verborum ad hoc sacramentum, ut dictum est. Unde sicut si aliquis ablutionem exteriorem reciperet non intendens accipere sacramentum, sed ludum et dolum facere, non esset baptizatus ; ita expressio verborum sine interiori consensu matrimonium non facit.

1. Le rapport entre l’ablution extérieure et le baptême est comparable à celui de l’expression des paroles dans ce sacrement, comme on l’a dit. Ainsi, si quelqu’un recevait l’ablution extérieure sans l’intention de recevoir le sacrement, mais de jouer ou de tromper, il ne serait pas baptisé. De même, l’expression de paroles sans consentement intérieur ne réalise donc pas le mariage.

[19402] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi sunt duo ; scilicet defectus consensus, qui sibi patrocinatur in foro conscientiae, ut non astringatur vinculo matrimonii, quamvis non in foro Ecclesiae, in quo judicatur secundum allegata ; et dolus verborum ; et hic non patrocinatur nec in foro poenitentiae, nec in foro Ecclesiae, quia in utroque pro hoc punitur.

1. Il y a là deux choses. Le manque de consentement, qui lui est attesté par sa conscience, de sorte qu’il n’est pas astreint au lien du mariage, bien que ce ne soit pas au for de l’Église, où il est jugé selon ce qui est allégué. Et le dol en paroles : celui-ci n’est préconisé ni au for de la pénitence, ni au for de l’Église, car il est puni pour cela dans les deux cas.

[19403] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si desit consensus mentalis ex parte unius, ex neutra parte est matrimonium : quia matrimonium consistit in mutua conjunctione, ut dictum est. Tamen probabiliter potest credi dolus non esse, nisi signa evidentia doli appareant : quia de quolibet est praesumendum bonum, nisi probetur contrarium ; unde ille ex cujus parte dolus non est, a peccato excusatur per ignorantiam.

2. Si le consentement mental fait défaut d’un côté, il n’y a de mariage d’aucun des deux côtés, car le mariage consiste dans une union mutuelle, comme on l’a dit. Cependant, on peut croire de manière probable qu’il n’y a de dol que si des signes évidents de dol se manifestent, car il faut présumer le bien de chacun, à moins que le contraire ne soit prouvé. Celui de la part de qui il n’y a pas de dol est donc exempt de péché à cause de son ignorance.

[19404] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in tali casu Ecclesia compellit eum ad standum cum prima uxore, quia judicat secundum ea quae foris apparent ; nec decipitur in justitia, quamvis decipiatur in facto. Sed ille debet potius excommunicationem sustinere quam ad primam uxorem accedat ; vel debet in alias regiones remotas fugere.

3. Dans un tel cas, l’Église le force à demeurer avec sa première épouse, car elle juge selon qui est apparent à l’extérieur, et elle ne se trompe pas en justice, bien qu’elle se trompe sur le fait. Mais il doit plutôt supporter une excommunication que d’approcher sa première épouse ou il doit s’enfuir dans des régions éloignées.

 

 

Articulus 3

[19405] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 tit. Utrum alter conjugum, etiam post carnalem copulam, possit altero invito ad religionem transire

 

Article 3 – Un des époux, même après l’union charnelle, peut-il entrer en religion malgré l’autre ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un des époux, même après l’union charnelle, peut-il entrer en religion malgré l’autre ?]

[19406] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod alter conjugum, etiam post carnalem copulam, possit, altero invito, ad religionem transire. Quia lex divina magis debet spiritualibus favere quam lex humana. Sed lex humana hoc permisit. Ergo multo fortius lex divina permittere debuit.

1. Il semble qu’un des époux, même après l’union charnelle, puisse entrer en religion malgré l’autre, car la loi divine doit donner plutôt préférence aux réalités spirituelles que la loi humaine. Or, la loi humaine le permet. À bien plus forte raison, la loi divine devait donc le permettre.

[19407] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, minus bonum non impedit majus bonum. Sed matrimonii status est minus bonum quam status religionis, ut patet 1 Corinth., 7. Ergo per matrimonium non debet homo impediri quin possit ad religionem transire.

2. Un bien moindre n’empêche pas un plus grand bien. Or, l’état du mariage est un bien moindre que l’état religieux, comme cela ressort de 1 Co 7. Par le mariage, l’homme ne doit donc pas être empêché de pouvoir entrer en religion.

[19408] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in qualibet religione fit quoddam spirituale matrimonium. Sed licet de leviori religione ad arctiorem transire. Ergo et licet de matrimonio leviori, scilicet carnali, ad arctius, scilicet matrimonium religionis, transire, etiam invita uxore.

3. En toute vie religieuse, se réalise une mariage spirituel. Or, il est permis de passer d’une vie religieuse plus légère à une plus rigoureuse. Il est donc permis de passer d’un mariage plus léger, le mariage charnel, à un plus rigoureux, le mariage religieux, même malgré son épouse.

[19409] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth., 7, ut nec etiam ad tempus vacent orationi conjuges sine mutuo consensu a matrimonio abstinentes.

Cependant, [1] 1 Co 7 va en sens contraire : même pour un temps, les époux ne doivent pas, sans un consentement mutuel, vaquer à la prière en s’abstenant du mariage.

[19410] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus potest facere licite quod est in praejudicium alterius, sine ejus voluntate. Sed votum religionis emissum ab uno conjugum est in praejudicium alterius : quia unus habet potestatem corporis alterius. Ergo unus sine consensu alterius non potest votum religionis emittere.

[2] Personne ne peut accomplir licitement ce qui cause un préjudice à un autre, sans que celui-ci le veuille. Or, le vœu de religion émis par un des époux cause un préjudice à l’autre, car l’un a pouvoir sur le corps de l’autre. L’un ne peut donc pas faire vœu de religion sans le consentement de l’autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un des époux peut-il entrer en religion sans le consentement de l’autre même avant l’union charnelle ?]

[19411] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam ante carnalem copulam. Indivisibilitas enim matrimonii pertinet ad matrimonii sacramentum, inquantum, scilicet, significat perpetuam conjunctionem Christi ad Ecclesiam. Sed ante carnalem copulam post consensum per verba de praesenti expressum, est verum matrimonii sacramentum. Ergo non potest fieri divisio per hoc quod alter ad religionem intrat.

1. [Il semble qu’un des époux ne puisse entrer en religion sans le consentement de l’autre], même avant l’union charnelle. En effet, le mariage relève du sacrement de mariage pour autant qu’il signifie l’union perpétuelle du Christ à l’Église. Or, avant l’union charnelle et après un consentement par des paroles portant sur le présent, existe un véritable sacrement de mariage. On ne peut donc pratiquer une division par le fait que l’un entre en religion [sans le consentement de l’autre].

[19412] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in ipso consensu per verba de praesenti expresso unus conjugum in alterum potestatem sui corporis transfert. Ergo statim potest exigere debitum, et alter tenetur reddere ; et ita nec potest unus invito altero ad religionem transire.

2. Un des époux confère à l’autre un pouvoir sur son corps par un consentement exprimé par des paroles portant sur le présent. Il peut donc immédiatement exiger ce qui lui est dû et l’autre est tenu de le lui rendre. Et ainsi, l’un ne peut pas entrer en religion malgré l’autre.

[19413] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Matth. 19, 6 : quod Deus conjunxit, homo non separet. Sed conjunctio quae est ante carnalem copulam, divinitus facta est. Ergo non potest separari humana voluntate.

3. Mt 19, 6 dit : Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. Or, l’union qui existe avant l’union charnelle a été réalisée par Dieu. Elle ne peut donc être divisée par la volonté humaine.

[19414] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod, secundum Hieronymum, dominus Joannem vocavit de nuptiis.

Cependant, selon Jérôme, le Seigneur a appelé Jean alors qu’il était marié.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une femme peut-elle en épouser un autre, alors que son mari est entré en religion avant l’union charnelle ?]

[19415] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod mulier non possit nubere alteri, viro ante carnalem copulam religionem ingresso. Quia illud quod cum matrimonio stare potest, non solvit matrimoniale vinculum. Sed adhuc manet matrimoniale vinculum inter eos qui pari voto religionem intrant. Ergo ex hoc quod unus intrat religionem, alter non absolvitur a vinculo matrimoniali. Sed quamdiu manet vinculum matrimoniale ad unum, non potest nubere alteri. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’une femme ne puisse en épouser un autre, alors que son mari est entré en religion avant l’union charnelle, car ce qui doit fait partie du mariage ne rompt pas le lien matrimonial. Or, le lien matrimonial subsiste entre ceux qui entrent en religion d’un commun accord. Par le fait qu’un entre en religion, l’autre n’est donc pas délié du lien matrimonial. Or, aussi longtemps que demeure le lien matrimonial avec l’un, elle ne peut en épouser un autre. Donc, etc.

[19416] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vir post ingressum religionis potest ante professionem redire ad saeculum. Si ergo mulier posset alteri nubere, viro intrante religionem, et ipse posset aliam ducere rediens ad saeculum ; quod est absurdum.

2. Un homme peut, après être entré en religion, revenir au siècle avant sa profession. Si donc une femme peut en épouser un autre alors que son mari entre en religion, lui aussi pourrait en épouser une autre en revenant dans le siècle, ce qui est absurde.

[19417] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, per decretalem novam, professio ante annum emissa pro nulla reputatur. Ergo si post talem professionem ad uxorem redeat, tenetur eum recipere : ergo neque per introitum viri in religionem, neque per votum datur mulieri potestas nubendi alteri : alias una mulier haberet duos viros.

3. La profession prononcée avant un an est considérée comme nulle par une nouvelle décrétale. Si, après une telle profession, un homme revient à son épouse, celle-ci est obligée de le recevoir. Donc, ni par l’entrée en religion ni par un vœu, le pouvoir d’en épouser un autre est-il donné à une femme, autrement une femme aurait deux maris.

[19418] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus potest alterum obligare ad ea quae sunt perfectionis. Sed continentia est de his quae ad perfectionem pertinent. Ergo mulier non arctatur ad continentiam ex hoc quod vir ad religionem ingreditur, et sic potest nubere.

Cependant, personne ne peut obliger un autre à ce qui relève de la perfection. Or, la continence fait partie de ce qui relève de la perfection. Une femme n’est donc pas obligée à la continence par le fait que son mari entre en religion. Elle peut ainsi se marier.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19419] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nullus potest facere oblationem Deo de alieno ; unde cum per matrimonium consummatum jam sit corpus viri factum uxoris, non potest absque consensu ipsius Deo ipsum offerre per continentiae votum.

Personne ne peut offrir à Dieu ce qui appartient à un autre. Puisque, par le mariage consommé, le corps du mari est devenu celui de l’épouse, il ne peut donc sans son consentement l’offrir à Dieu par le vœu de continence.

[19420] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod lex humana considerabat matrimonium solum inquantum est in officium ; sed lex divina secundum quod est sacramentum, ex quo habet omnimodam indivisibilitatem ; et ideo non est simile.

1. La loi humaine considérait le mariage seulement selon qu’il est une fonction ; mais la loi divine, selon qu’il est un sacrement, en vertu de quoi il comporte une indivisibilité totale. Ce n’est donc pas la même chose.

[19421] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens majus bonum impediri per minus bonum quod habet contrarietatem ad ipsum, sicut etiam bonum per malum impeditur.

2. Il n’est pas inapproprié qu’un bien plus grand soit empêché par un bien moindre qui lui est contraire, de même que le bien est empêché par le mal.

[19422] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in qualibet religione contrahitur matrimonium ad unam personam, scilicet Christum, cui quantum ad plura obligatur aliquis in una religione quam in alia ; sed matrimonium materiale et religionis non fiunt ad unam personam ; et ideo non est simile.

3. En toute forme de vie religieuse, un mariage est contracté avec une seule personne, le Christ, envers qui on est obligé à plus de choses dans une forme de vie religieuse que dans une autre. Mais le mariage matériel et celui de la vie religieuse ne se réalisent pas envers une seule personne. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19423] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ante carnalem copulam est inter conjuges tantum spirituale vinculum, sed post est inter eos etiam vinculum carnale ; et ideo sicut post carnalem copulam matrimonium solvitur per mortem carnalem, ita per ingressum religionis ante carnalem copulam solvitur : quia religio est mors quaedam spiritualis, qua aliquis saeculo moriens vivit Deo.

Avant l’union charnelle, il n’existe entre les époux qu’un lien spirituel ; mais après, il existe entre eux un lien charnel. De même qu’après l’union charnelle, le mariage est dissous par la mort charnelle, de même, par l’entrée en religion est-il dissous avant l’union charnelle, car la vie religieuse est une certaine mort spirituelle par laquelle celui qui meurt au siècle vit pour Dieu.

[19424] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod matrimonium ante carnalem copulam significat illam conjunctionem quae est Christi ad animam per gratiam ; quae quidem solvitur per dispositionem spiritualem contrariam, scilicet peccatum ; sed per carnalem copulam significat conjunctionem ad Ecclesiam quantum ad assumptionem humanae naturae in unitatem personae, quae omnino est indivisibilis.

1. Avant l’union charnelle, le mariage signifie l’union qui est celle du Christ avec l’âme par la grâce ; celle-ci est rompue par une disposition spirituelle contraire, le péché. Mais, par l’union charnelle, [le mariage] signifie l’union [du Christ] à l’Église pour ce qui est l’assomption de la nature humaine dans l’unité de sa personne, qui est tout à fait indivisible.

[19425] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ante carnalem copulam non est omnino translatum corpus unius sub potestate alterius, sed sub conditione si interea alter conjugum ad frugem melioris vitae non convolet : sed per carnalem copulam completur dicta translatio, quia tunc intrat uterque in corporalem possessionem sibi traditae potestatis ; unde etiam ante carnalem copulam non statim tenetur reddere debitum post matrimonium contractum per verba de praesenti ; sed datur ei tempus duorum mensium, propter tria. Primo, ut interim possit deliberare de transeundo ad religionem. Secundo, ut praeparentur quae sunt necessaria ad solemnitatem nuptiarum. Tertio, ne vilem habeat maritus datam quam non suspiravit dilatam.

2. Avant l’union charnelle, le corps de l’un n’a pas été entièrement été remis au pouvoir de l’autre, mais sous la condition que l’un des époux ne convole pas vers le bien d’une vie meilleure. Mais par l’union charnelle, le transfert en question a été achevé, car alors les deux entrent en possession du pouvoir qui leur a été donné. Aussi, même avant l’union charnelle, n’est-il pas tenu de rendre ce qui est dû après qu’il a contracté mariage par des paroles portant sur le présent ; mais une période de deux mois lui est donné pour trois raisons. Premièrement, afin qu’entre-temps il puisse délibérer de son entrée en religion. Deuxièmement, afin que soit préparé ce qui est nécessaire à la célébration solennelle du mariage. Troisièmement, afin que ne soit pas donnée au mari une femme de basse condition qu’il ne désirait plus après ce délai.

[19426] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio matrimonialis ante carnalem copulam est quid imperfectum quantum ad esse primum, ut supra dictum est, sed non consummata quantum ad actum secundum qui est operatio ; et similatur possessioni corporali ; et ideo nec omnimodam indivisibilitatem habet.

3. L’union matrimoniale avant l’union charnelle est quelque chose d’imparfait quant à son être premier, comme on l’a dit plus haut, mais non consommée quant à son acte second qui est une opération, et elle assimilée à la possession corporelle. C’est pourquoi elle comporte une indivisibilité totale.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19427] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut corporalis mors viri hoc modo vinculum matrimoniale solvit ut mulier nubat cui vult secundum apostoli sententiam, ita etiam post mortem spiritualem viri per religionis ingressum poterit cui voluerit nubere.

De même que la mort corporelle dissout ainsi le lien matrimonial, de sorte que la femme puisse épouser qui elle veut, selon la position de l’Apôtre, de même aussi, après la mort spirituelle de son mari par l’entrée en religion, elle pourra épouser qui elle voudra.

[19428] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando uterque pari voto continentiam vovet, tunc neuter conjugali vinculo abrenuntiat ; et ideo adhuc manet ; sed quando unus tantum vovet, tunc quantum est in se, abrenuntiat vinculo conjugali ; et ideo alter absolvitur a vinculo illo.

1. Lorsque les deux font également vœu de continence, aucun des deux ne renonce alors au lien conjugal ; c’est pourquoi il demeure. Mais lorsqu’un seulement fait vœu, alors, pour ce qui est de lui, il renonce au lien conjugal. Aussi l’autre est-il délié de ce lien.

[19429] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non intelligitur mortuus saeculo per religionis ingressum, quousque professionem emiserit ; et ideo usque ad tempus illud tenetur eum uxor sua expectare.

2. On n’est pas mort au siècle par l’entrée en religion jusqu’à ce qu’on ait fait profession. C’est pourquoi son épouse est obligé de l’attendre jusqu’à ce moment.

[19430] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de professione sic emissa ante tempus determinatum a jure, est idem judicium quod de voto simplici ; unde sicut post votum simplex viri mulier ei reddere debitum non tenetur, tamen ipsa non haberet potestatem alteri nubere ; ita et hic.

3. Le même jugement que sur un vœu simple est porté sur une profession ainsi faite avant le temps déterminé. De même qu’après un vœu simple de son mari, une femme n’est pas obligée de lui rendre ce qu’elle doit, mais n’a cependant pas le pouvoir d’en épouser un autre, de même en est-il ici.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les fiançailles]

Prooemium

Prologue

[19431] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de sponsalibus ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 quid sint sponsalia ; 2 qui possunt sponsalia contrahere ; 3 utrum sponsalia dirimi possint.

Ensuite, on pose des questions sur les fiançailles : 1 – Que sont les fiançailles ? 2 – Qui peut contracter des fiançailles ? 3 – Les fiançailles peuvent-elles être dirimées ?

 

 

Articulus 1

[19432] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum sponsalia convenienter dicantur futurarum nuptiarum promissio

Article 1 – Les fiançailles sont-elles correctement appelées la promesse d’un mariage à venir ?

[19433] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sponsalia non convenienter dicantur futurarum nuptiarum promissio, ut habetur ex verbis Nicolai Papae. Quia, sicut dicit Isidorus, est aliquis sponsus non quia promittit, sed quia spondet, et sponsores dat. Sed a sponsalibus dicitur aliquis sponsus. Ergo male dicitur promissio.

1. Il semble que les fiançailles ne soient pas correctement appelées la promesse d’un mariage à venir, comme on le tient de paroles du pape Nicolas, car, ainsi que le dit Isidore, quelqu’un est fiancé, non parce qu’il promet, mais parce qu’il s’engage et présente des garants. Or, on est appelé fiancé en raison des fiançailles. Il est donc inexact de les appeler une promesse.

[19434] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque promittit aliquid, debet compelli ad solvendum. Sed illi qui sponsalia contrahunt, non compelluntur per Ecclesiam ad matrimonium contrahendum. Ergo sponsalia non sunt promissio.

2. Quiconque promet quelque chose doit être forcé de l’accomplir. Or, ceux qui con-tractent des fiançailles ne sont pas forcés par l’Église à contracter mariage. Les fiançailles ne sont donc pas une promesse.

[19435] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, in sponsalibus non est quandoque sola promissio, sed additur juramentum, et aliquae arrhae. Ergo videtur quod non debuerit solum per promissionem definiri.

3. Parfois, dans les fiançailles, il n’y a pas seulement une promesse, mais on ajoute un serment et des arrhes. Il semble donc qu’on ne devait pas les définir seulement comme une promesse.

[19436] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, matrimonia debent esse libera et absoluta. Sed sponsalia quandoque fiunt sub conditione etiam accipiendae pecuniae. Ergo non convenienter dicuntur promissio nuptiarum.

4. Les mariages doivent être libres et absolus. Or, les fiançailles sont parfois faites à la condition de recevoir de l’argent. Elles ne sont donc pas correctement appelées une promesse de mariage.

[19437] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, promissio quae est de rebus futuris, vituperatur Jacob. 4. Sed circa sacramentum non debet aliquid esse vituperabile. Ergo nec debet fieri promissio futurarum nuptiarum.

5. La promesse qui porte sur les choses à venir est blâmée en Jc 4. Or, rien ne doit être blâmable à propos d’un sacrement. Une promesse de mariage à venir ne doit donc pas être faite.

[19438] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, nullus dicitur sponsus nisi a sponsalibus. Sed aliquis dicitur sponsus ex praesentibus nuptiis, ut in littera dicitur. Ergo sponsalia non semper sunt futurarum nuptiarum promissio.

6. On n’appelle personne fiancé [sponsus]si ce n’est en raison des fiançailles. Or, quelqu’un est appelé époux [sponsus] en raison d’un mariage présent, comme on le dit dans le texte. Les fiançailles ne sont donc pas toujours la promesse d’un mariage futur.

[19439] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, consensus in conjugalem copulam per verba de futuro non facit matrimonium, sed matrimonii promissionem ; et haec promissio dicitur sponsalia a spondendo, ut Isidorus dicit. Nam ante usum tabularum matrimonii cautiones dabant, quibus spondebant se invicem consentire in jura matrimonii, et fidejussores dabant. Fit autem ista promissio dupliciter : scilicet absolute, et sub conditione. Absolute quatuor modis. Primo nuda promissione, ut cum dicitur, accipiam te in meam, et e contrario. Secundo datis arrhis sponsalitiis, ut pecunia, vel hujusmodi. Tertio annuli subarrhatione. Quarto interveniente juramento. Si autem fiat dicta promissio sub conditione, distinguendum est : quia aut est conditio honesta, ut cum dicitur, accipiam te, si parentibus placet ; et tunc stante conditione stat promissio, et non stante non stat : aut est inhonesta, et hoc dupliciter : quia aut est contraria bonis matrimonii, ut si dicam, accipiam te, si venena sterilitatis procures ; et tunc non contrahuntur sponsalia ; aut non est contraria bonis matrimonii, ut si dicam, accipiam te, si furtis meis consentias ; et tunc stat promissio, sed tollenda est conditio.

Réponse

Comme on l’a dit plus haut, le consentement à l’union conjugale par des paroles portant sur le futur ne réalise par un mariage, mais une promesse de mariage, et cette promesse est appelée fiançailles [sponsalia] par référence à promettre en mariage [spondere]. Car, avant l’usage des registres de mariage, on donnait des garanties, par lesquelles on promettait de consentir l’un envers l’autre aux droits du mariage et on fournissait des garants. Or, cette promesse est faite de deux manières : absolument ou sous condition. [Elle est faite] absolument de quatre manières. Premièrement, par une simple promesse, comme lorsqu’on dit : « Je te prendrai comme mienne », et inversement. Deuxièmement, en donnant des arrrhes de fiançailles, comme de l’argent et des choses de ce genre. Troisièment, en donnant un anneau. Quatrièmement, par l’intervention d’un serment. Mais si la promesse en question est faite sous condition, il faut faire une distinction, car soit la condition est bonne, comme lorsqu’on dit : « Je te prendrai comme mienne, si cela plaît aux parents. » Et alors, aussi longtemps que tient la condition, la promesse tient, et si [la condition] ne tient pas, [la promesse] ne tient pas. Soit la condition est mauvaise, et cela, de deux manières. Soit elle est contraire aux biens du mariage, comme si je dis : « Je te prendrai comme mienne, si tu me procures des poisons qui rendent stérile » ; alors, les fiançailles ne sont pas contractées. Soit elle n’est pas contraire aux biens du mariage, comme si je dis : « Je te prendrai si tu consens à mes vols » ; alors, la promesse tient, mais la condition doit être enlevée.

[19440] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ipsa sponsalia et sponsorum datio est promissionis confirmatio ; et ideo ab hoc denominatur quasi a perfectiori.

1. Les fiançailles elles-mêmes et le don [datio] des fiancés est une confirmation de la promesse. C’est pourquoi elle porte le nom de ce qui est plus parfait.

[19441] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex tali promissione obligatur unus alii ad matrimonium contrahendum ; et peccat mortaliter non solvens promissum, nisi legitimum impedimentum interveniat ; et secundum hoc etiam Ecclesia cogit injungendo poenitentiam pro peccato. Tamen in foro contentioso non compellitur : quia matrimonia coacta consueverunt malos exitus habere : nisi forte juramentum intervenerit : quia tunc cogendus est, ut quidam dicunt ; quamvis aliis non videatur propter causam praedictam, praecipue si de uxoricidio timeretur.

2. Par une telle promesse, l’un est obligé de contracter mariage avec l’autre, et il pèche mortellement en ne respectant pas ce qui a été promis, à moins que ne survienne une empêchement légitime. Sous cet aspect aussi, l’Église oblige en imposant une pénitence pour le péché. Cependant, il n’est pas obligé au for judiciaire, car les mariages forcés ont coutume d’avoir une issue malheureuse, à moins que ne soit intervenu un serment, car alors, il doit être forcé, comme certains le disent, bien que ce ne soit pas pour la cause donnée plus haut, surtout si l’on craint le meurtre de l’épouse.

[19442] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa addita non sunt nisi ad confirmandam promissionem ; unde non sunt aliud quam promissio.

3. Ces ajouts n’existent que pour confirmer la promesse. Aussi ne sont-ils pas différents de la promesse.

[19443] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod conditio illa quae apponitur, non tollit matrimonii libertatem : quia si est inhonesta, debet abjici ; si autem honesta : aut de bonis simpliciter, ut si dicatur, accipiam te, si placet parentibus, et haec conditio non tollit libertatem sponsalium, sed auget ei honestatem : aut est de utilibus, ut si dicat, contraham tecum, si dabis mihi centum ; et tunc hoc non ponitur quasi ad vendendum consensum matrimonii, sed intelligitur ut promissio dotis ; unde matrimonium libertatem non perdit. Quandoque autem apponitur conditio pecuniae per modum poenae ; et tunc, quia matrimonia debent esse libera, talis conditio non stat, nec potest exigi poena illa ab eo qui non vult matrimonium complere.

4. La condition qui est exprimée n’enlève pas la liberté du mariage, car si elle est mauvaise, elle doit être écartée ; mais si elle est bonne, soit elle porte simplement sur les biens [du mariage], comme si l’on dit : « Je te prendrai, si cela plaît aux parents » ; cette condition n’enlève pas la liberté des fiançailles, mais en accroît la bonté. Soit elle porte sur des choses utiles, comme si l’on dit : « Je contracterai [mariage] avec toi si tu me donnes cent [pièces d’argent] » ; cela n’est pas alors mis pour vendre un consentement au mariage, mais on l’entend comme la promesse d’une dot. Ainsi le mariage ne perd-il pas sa liberté. Mais parfois, une condition pécuniaire est mise comme une peine ; puisque les mariages doivent être libres, une condition ne tient pas alors, et cette peine ne peut être exigée de celui qui ne veut pas donner suite au mariage.

 [19444] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Jacobus non intendit prohibere quod omnino aliquis nullam promissionem de futuris faciat, sed quod non promittat quasi fiduciam habens de vita sua ; unde docet quod debet apponi conditio, si Deus voluerit ; quae etiam si verbis non exprimatur, corde debet intelligi.

5. Jacques n’entend pas interdire que quelqu’un ne fasse aucune promesse portant sur le futur, mais qu’il ne promette comme s’il avait l’assurance de vivre. Il enseigne donc qu’une condition doit être ajoutée : « Si Dieu le veut », qui, même si elle n’est pas exprimée par des paroles, doit être comprise de cœur.

[19445] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in matrimonio potest considerari ipsa conjunctio matrimonialis, et actus ejus ; et a sponsione primi in futurum dicitur sponsus, a sponsalibus contractis per verba de futuro ; et a sponsione secundi dicitur aliquis sponsus etiam quando contractum est matrimonium per verba de praesenti, quia ex hoc ipso spondet matrimonii actum. Tamen a prima sponsione dicuntur sponsalia proprie, quae sunt quaedam sacramentalia matrimonii, sicut exorcismus Baptismi.

6. Dans le mariage, on peut envisager l’union matrimoniale et son acte. On est dit fiancé en vertu de la promesse de la première chose pour l’avenir par les fiançailles contractées par des paroles portant sur le futur. On est dit aussi fiancé par la promesse de la seconde chose lorsque le mariage est contracté par des paroles portant sur le présent, car on promet par le fait même l’acte du mariage. Cependant, à proprement parler, on parle de fiançailles dans le cas de la première chose : elles sont des sacramentaux du mariage, comme l’exorcisme l’est du baptême.

 

 

Articulus 2

[19446] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum tempus septennii sit competenter assignatum sponsalibus contrahendis

Article 2 – L’âge de sept ans est-il correctement assigné pour contracter des fiançailles ?

[19447] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod tempus septennii non sit competenter assignatum sponsalibus contrahendis. Contractus enim qui per alios fieri potest, non requirit discretionem in illis ad quos pertinet. Sed sponsalia fieri possunt per parentes, utroque illorum ignorante quorum sunt sponsalia. Ergo ita possunt fieri ante septennium sicut post.

1. Il semble que l’âge de sept ans ne soit pas correctement assigné pour contracter des fiançailles. En effet, un contrat qui peut être réalisé par d’autres n’exige pas [l’âge de] discrétion chez ceux qu’il concerne. Or, les fiançailles peuvent être faites par les parents, alors que les deux dont ce sont les fiançailles l’ignorent. Elles peuvent donc avoir lieu avant comme après l’âge de sept ans.

[19448] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut ad contractum sponsalium requiritur aliquis rationis usus, ita ad consentiendum in peccatum mortale. Sed sicut Gregorius narrat in 4 Dialog., quidam puer propter peccatum blasphemiae a Diabolo extinctus est. Ergo etiam ante septennium possunt sponsalia contrahi.

2. De même qu’un certain usage de la raison est nécessaire pour contracter des fiançailles, de même en est-il pour consentir à un péché mortel. Or, comme le raconte Grégoire dans les Dialogues, IV, un enfant a été tué par le Diable en raison d’un péché de blasphème. Les fiançailles peuvent donc être contractées avant l’âge de sept ans.

[19449] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, sponsalia ad matrimonium ordinantur. Sed in matrimonio non assignatur unum tempus puellae et puero. Ergo nec in sponsalibus septennium utrique assignari debet.

3. Les fiançailles sont ordonnées au mariage. Or, pour le mariage, un moment déterminé n’est pas assigné pour une jeune fille et pour un enfant. [Un moment déterminé] ne doit donc pas être assigné aux deux pour les fiançailles.

[19450] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, ex tunc aliqui possunt sponsalia contrahere ex quo eis possunt futurae nuptiae placere. Sed signa talis placentiae frequenter apparent in pueris ante septem annos. Ergo ante possunt contrahi sponsalia.

4. Certains peuvent contracter des fiançailles du fait que peut leur plaire un mariage futur. Or, les signes d’un tel plaisir apparaissent fréquemment avant l’âge de sept ans. Ils peuvent donc contracter des fiançailles avant [cet âge].

[19451] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, si aliqui ante septem annos contrahunt sponsalia, et postea post septennium ante tempus pubertatis contrahunt per verba de praesenti, reputantur inter eos esse sponsalia. Sed hoc non est ex secundo contractu, quia tunc non intendunt sponsalia, sed matrimonium contrahere. Ergo ex primo ; et hinc ante septennium possunt sponsalia contrahi.

5. Si certains contractent des fiançailles et, par la suite, contractent par des paroles portant sur le présent après l’âge de sept ans et avant le moment de la puberté, on estime qu’il y a entre eux des fiançailles. Or, cela ne relève pas du même contrat, car ils n’ont pas alors l’intention de contracter des fiançailles, mais de contracter mariage. Il en va donc de même pour le premier cas. Ils peuvent donc contracter des fiançcailles avant l’âge de sept ans.

[19452] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, in his quae communiter fiunt a pluribus, quod deest uni, suppletur ab altero, sicut patet in trahentibus navem. Sed contractus sponsalium est quaedam communis actio inter contrahentes. Ergo si unus sit pubes, potest contrahere cum puella quae non habet septem annos sponsalia : quia quod uni deficit de tempore, alteri superabundat.

6. Pour ce qui est fait en commun par plusieurs, ce qui fait défaut à l’un est suppléé par un autre, comme cela est clair chez ceux qui tirent un bateau. Or, le contrat de fiançailles est une action commune entre les contractants. Si donc l’un est publère, il peut contracter des fiançailles avec une jeune fille qui n’a pas sept ans, car ce qui manque à l’un pour un temps existe en surabondance chez l’autre.

[19453] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, si aliqui juxta aetatem pubertatis, quamvis ante eam, contrahant per verba de praesenti, reputatur inter eos matrimonium esse. Ergo pari ratione si ante septennium, dummodo sint propinqui, contrahant per verba de futuro, reputabuntur inter eos esse sponsalia.

7. Si certains, vers l’âge de la puberté bien qu’avant celui-ci, contractent par des paroles portant sur le présent, on considère qu’il existe entre eux un mariage. Pour la même raison, s’ils contractent [des fiançailles] par des paroles portant sur le présent avant l’âge de sept ans, pourvu qu’ils en soient proches, on considère qu’il existe entre eux des fiançailles.

[19454] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod septennium est tempus determinatum a jure sponsalibus contrahendis satis rationabiliter : quia cum sponsalia sint quaedam promissio futurorum, ut dictum est, oportet quod illorum sint qui aliquo modo promittere possunt ; quod non est nisi illorum qui habent aliquam prudentiam de futuris, quae usum rationis requirit, respectu cujus triplex gradus notatur secundum philosophum in 1 Ethic. Primus est, cum quis neque intelligit per se, neque ab alio capere potest. Secundus status est, cum homo ab alio capere potest, sed ipse per se non sufficit ad intelligendum. Tertius est, cum homo et ab alio jam capere potest, et per seipsum considerare. Et quia ratio paulatim in homine convalescit, secundum quod quietantur motus, et fluxibilitas humorum ; ideo primum statum rationis obtinet homo ante primum septennium ; et propter hoc illo tempore nulli contractui aptus est, et ita nec sponsalibus. Sed ad secundum statum incipit homo pervenire in fine primi septennii ; unde etiam tunc temporis pueri ad scholas ponuntur. Sed ad tertium statum incipit homo pervenire in fine secundi septennii quantum ad ea quae ad personam ipsius pertinent, in qua ratio naturalis citius convalescit ; sed quantum ad ea quae extra ipsum sunt, in fine tertii septennii. Et ideo ante primum septennium nulli contractui homo aptus est ; sed in fine primi septennii incipit esse aptus ad aliqua promittendum in futurum, praecipue de his ad quae ratio naturalis inclinat magis ; non autem ad obligandum se perpetuo vinculo, quia adhuc non habet firmam voluntatem ; et ideo possunt tali tempore contrahi sponsalia. Sed in fine secundi septennii jam potest obligare se de his quae ad personam ipsius pertinent, vel ad religionem, vel ad conjugium. Sed post tertium septennium etiam potest de aliis se obligare ; et secundum leges constituitur ei potestas disponendi de rebus suis post vigintiquinque annos.

Réponse

Sept ans est l’âge déterminé par le droit pour contracter des fiançailles d’une manière assez raisonnable, car, puisque les fiançailles sont une promesse portant sur le futur, comme on l’a dit, il est nécessaire qu’elle soit le fait de ceux qui peuvent promettre d’une certaine manière, ce qui n’est le cas que de ceux qui ont une certaine prudence pour le futur, ce qui exige l’usage de la raison, dont trois degrés sont relevés par le Philosophe, dans Éthique, I. Le premier est que quelqu’un ne comprend pas par lui-même et ne peut pas comprendre par un autre. Le deuxième état est celui de l’homme qui peut comprendre par un autre, mais qui ne parvient pas à comprendre par lui-même. Le troisième est celui de l’homme qui ne peut pas comprendre par un autre ni examiner par lui-même. Et parce que la raison se développe peu à peu chez l’homme, à mesure que les mouvements et le flux des humeurs s’apaisent, l’homme est dans le premier état de la raison avant l’âge de sept ans : pour cette raison, il n’est à ce moment apte à aucun contrat, et donc non plus à des fiançailles. Mais l’homme commence à atteindre le deuxième état vers la fin du premier septénat ; aussi les enfants sont-ils alors envoyés à l’école à ce moment. Mais l’homme commence à atteindre le troisième était vers la fin du deuxième septénat, pour ce qui concerne sa propre personne, alors que la raison naturelle se développe plus rapidement ; mais, pour ce qui lui est extérieur, vers la fin du troisième septénat. C’est pourquoi l’homme n’est apte à aucun contrat avant le premier septénat, mais,, à la fin du premier septénat, il commence à être apte à promettre certaines choses pour l’avenir, surtout pour ce à quoi la raison naturelle incline davantage ; mais [il n’est pas apte] à s’obliger par un lien perpétuel, car il n’a pas encore une volonté ferme. On peut donc contracter des fiançailles à ce moment. Mais, à la fin de deuxième septénat, il peut déjà s’obliger pour ce qui concerne sa personne, à la vie religieuse ou au mariage. Mais, après le troisième septénat, il peut aussi s’obliger pour les autres choses et, selon le droit, il obtient le pouvoir de disposer de ce qui lui appartient après l’âge de vingt-cinq ans.

[19455] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si ante annos pubertatis fiat contractus sponsalium per alium, ambo vel alter reclamare possunt : unde tunc nihil est actum, adeo quod nec aliqua affinitas ex hoc contrahatur ; et ideo sponsalia quae inter aliquos per personas alias contrahuntur, robur habent, inquantum illi inter quos contrahuntur, ad aetatem debitam venientes, non reclamant, ex quo intelliguntur consentire his quae per alios facta sunt.

1. Si, avant les années de la puberté, un contrat de fiançailles est fait par un autre, l’un des deux ou les deux peuvent le dénoncer. Aussi rien n’a-t-il été alors fait, en vertu de quoi une certaine affinité aurait été contractée. C’est pourquoi les fiançailles qui sont contractées entre certains par d’autres personnes ont une valeur pour autant que ceux entre qui elles ont été contractés, une fois parvenus à l’âge approprié, ne les dénoncent pas ; on comprend alors qu’ils consentent à ce qui a été fait par d’autres.

[19456] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dicunt, quod ille puer de quo Gregorius narrat, non fuerit damnatus, nec mortaliter peccavit ; sed visio illa ostensa fuit ad patrem contristandum, qui in illo peccato peccaverat non corrigens. Sed hoc est expresse contra intentionem Gregorii dicentis quod pater pueri animam parvuli filii negligens, non parvum peccatorem Gehennae ignibus nutrivit. Et ideo dicendum, quod ad peccatum mortale sufficit etiam consensus praesens ; sed in sponsalibus est consensus in futurum. Major autem rationis discretio requiritur ad providendum in futurum quam ad consentiendum in unum praesentem actum ; et ideo ante potest homo peccare mortaliter quam possit se obligare ad aliquid futurum.

2. Certains disent que cet enfant dont parle Grégoire n’a pas été damné et n’a pas péché mortellement, mais que cette vision a été montrée pour attrister le père, qui avait péché en ne corrigeant pas ce péché. Mais cela est expressément contraire à l’intention de Grégoire qui dit qu’en négligeant l’âme de son enfant, le père n’a pas engendré un petit pécheur pour le feu de la géhenne. Il faut donc dire qu’un consentement présent suffit pour un péché mortel, mais que, pour les fiançailles, le consentement porte sur le futur. Or, une plus grande discrétion de la raison est requise pour s’occuper du futur que pour consentir à un seul acte présent. C’est pourquoi l’homme peut pécher mortellement avant de pouvoir s’obliger à quelque chose de futur.

[19457] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in tempore contractus matrimonii non solum requiritur dispositio ex parte usus rationis, sed etiam ex parte corporis, ut sit tempus generationi aptum. Et quia puella in duodecimo anno ad hoc venit ut possit esse actui generationis apta, puer autem in fine secundi septennii, ut philosophus dicit in 9 de animalibus ; simul autem usum discretionis accipiunt, qui tantum in sponsalibus requiritur ; ideo in sponsalibus determinatur unum tempus utrique, non autem in matrimonio.

3. Au moment du contrat de mariage n’est pas requise seulement une disposition du point de vue de l’usage de la raison, mais aussi du point de vue du corps, de sorte que celui-ci soit apte à la génération. Et parce qu’une fillette parvient à l’âge de douze ans à être apte à l’acte de la génération, et un garçon vers la fin du premier septénat, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, IX, ils reçoivent en même temps l’usage de la discrétion, qui seul est requis pour les fiançailles. C’est pourquoi un moment est déterminé pour chacun pour les fiançailles, mais non pour le mariage.

[19458] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa placentia quae est in pueris ante septennium, non procedit ex perfectae rationis usu, cum nondum sint plene susceptibiles disciplinae ; sed magis contingit ex motu naturae quam ex aliqua ratione ; et ideo non sufficit talis placentia ad sponsalia contrahendum.

4. Cette attirance qui existe chez les enfants avant l’âge de sept ans ne vient pas de l’usage d’une raison parfaite, puisqu’ils ne sont pas encore pleinement susceptibles d’être éduqués, mais elle vient plutôt d’une mouvement de la nature que de la raison. C’est pourquoi une telle attirance ne suffit pas pour contracter des fiançailles.

[19459] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis per secundum contractum in casu illo non faciant matrimonium, tamen ostendunt se ratam habere priorem permissionem ; et ideo prior contractus accipit firmitatem.

5. Bien que, par le deuxième contrat, ils ne contractent pas mariage dans ce cas, ils montrent cependant qu’ils réaffirment la première permission. Le premier contrat est donc confirmé.

[19460] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod trahentes navem agunt per modum unius causae ; et ideo, quod deest uni, potest suppleri de altero : sed sponsalia contrahentes agunt ut distinctae personae, quia sponsalia non nisi inter duos esse possunt : unde in utroque requiritur quod sit sufficiens ad contrahendum ; et ideo defectus unius sponsalia impedit, nec ex altero potest suppleri.

6. Ceux qui tirent un bateau agissent à la manière d’une seule cause. C’est pourquoi ce qui manque à l’un peut être suppléé par un autre. Mais ceux qui contractent des fiançailles agissent comme des personnes distinctes, car les fiançailles ne peuvent exister qu’entre les deux. Aussi est-il requis des deux qu’ils soient aptes à contracter. C’est pourquoi la carence de l’un empêche les fiançailles et elle ne peut être suppléée par l’autre.

[19461] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in sponsalibus etiam similiter, si appropinquant contrahentes ad tempus septennii, contractus sponsalium habet robur, quia, secundum philosophum in 2 Phys., quod parum deest, nihil deesse videtur. Haec autem propinquitas a quibusdam determinatur tempus sex mensium ; sed melius est quod determinetur secundum conditionem contrahentium : quia in quibusdam magis acceleratur rationis usus quam in aliis.

7. Pour les fiançailles aussi, le contrat des fiançailles est en vigueur si les contractants approchent de l’âge de sept ans, car, selon le Philosophe, dans Physique, II, le peu qui manque ne semble pas manquer. Cette proximité a été déterminée par certains à une période de six mois ; mais il est mieux qu’elle soit déterminée selon la condition des contractants, car, chez certains, l’usage de la raison est plus précoce que chez d’autres.

 

 

Articulus 3

[19462] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum sponsalia dirimi possint altero religionem intrante

Article 3 – Les fiançailles peuvent-elles être dirimées lorsqu’un des deux entre en religion ?

 

[19463] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sponsalia dirimi non possunt, altero religionem intrante. Quia de pecunia quam alicui promisi, non possum alteri licite obligationem facere. Sed ille qui sponsalia contrahit, corpus suum promittit mulieri. Ergo non potest se offerre Deo ulterius in religione.

1. Il semble que les fiançailles ne puissent pas être dirimées lorsqu’un des deux entre en religion, car je ne peux pas légitimement en obliger un autre pour l’argent que j’ai promis à quelqu’un. Or, celui qui contracte des fiançailles promet son corps à une femme. Il ne peut donc plus s’offrir à Dieu dans la vie religieuse.

[19464] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, videtur quod nec debeant dirimi, quando alter conjugum ad longinquam regionem se transfert. Quia in dubiis semper tutior pars eligenda est. Sed tutius esset quod eum expectaret. Ergo tenetur eum expectare.

2. Il semble qu’elles ne doivent pas être dirimées lorsque l’un des époux se déplace vers un pays éloigné, car, dans le doute, il faut toujours choisir ce qui est plus sûr. Or, il serait plus sûr qu’elle l’attende. Elle est donc obligée de l’attendre.

[19465] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod nec dirimatur per aegritudinem quam aliquis incurrit post contracta sponsalia. Quia pro poena nullus debet puniri. Sed vir qui infirmitatem incurrit, punitur in hoc quod ei jus suum aufertur quod in illam habebat quae sibi fuerat desponsata. Ergo propter corporalem infirmitatem non debent sponsalia dirimi.

3. Il semble qu’elles ne soient pas non plus dirimées par la maladie que quelqu’un encourt après avoir contracté des fiançailles, car, personne ne doit être puni pour une peine. Or, l’homme qui encourt une maladie est puni par le fait que le droit qu’il avait sur celle qui avait été fiancée avec lui lui est enlevée. Les fiançailles ne doivent donc pas être dirimées en raison d’une maladie corporelle.

[19466] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod nec propter affinitatem intervenientem, ut puta si sponsus consanguineam sponsae fornicario concubitu cognoscat : quia secundum hoc sponsa puniretur pro peccato sponsi, quod non est conveniens.

4. [Il semble qu’elles ne soient pas non plus dirimées] en raison d’une affinité qui survient, par exemple, si le fiancé connaît par fornication une consanguine de sa fiancée, car la fiancée serait ainsi punie pour le péché du fiancé, ce qui n’est pas approprié.

[19467] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod non possunt se invicem absolvere. Quia hoc est maximae levitatis, ut primo contrahant, et postmodum se absolvant. Sed talia non debent ab Ecclesia sustineri. Ergo et cetera.

5. Il semble qu’ils ne puissent pas se délier l’un l’autre, car cela est de la plus grande légèreté de contracter d’abord et, par la suite, de se délier. Or, de telles choses ne doivent pas être encouragées par l’Église. Donc, etc.

[19468] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod nec propter alterius fornicationem. Quia adhuc per sponsalia unus non accipit potestatem in corpus alterius : et ita videtur quod in nullo contra invicem peccant, si interim fornicentur : et sic sponsalia dirimi non debent per hoc.

6. [Il semble qu’elles ne soient pas non plus dirimées] en raison de la fornication d’un des deux, car, par les fiançailles, l’un ne reçoit pas encore un pouvoir sur le corps de l’autre. Il semble donc qu’ils ne pèchent en rien l’un contre l’autre s’ils forniquent entre-temps. Aussi les fiançailles ne doivent-elles pas être dirimées pour cette raison.

[19469] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 7 Item, videtur quod nec per contractum cum alia per verba de praesenti. Quia secunda venditio non derogat venditioni primae. Ergo nec secundus contractus potest derogare primo.

7. Il semble [qu’elles ne soient pas non plus dirimées] par un contrat avec une autre par des paroles portant sur le présent, car la deuxième vente ne déroge pas à la première vente. Un deuxième contrat ne peut donc pas déroger au premier.

[19470] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 8 Item, videtur quod nec per defectum aetatis possint dirimi. Quia quod non est, non potest dissolvi. Sed ante aetatem determinatam sponsalia contracta nulla fuerunt. Ergo dirimi non possunt.

8. Il semble qu’elles ne puissent être non plus dirimées par une carence d’âge, car ce qui n’existe pas ne peut pas être délié. Or, avant l’âge déterminé, les fiancailles contractées étaient nulles. Elles ne peuvent donc pas être dirimées.

[19471] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in omnibus praedictis casibus sponsalia contracta dirimuntur, sed diversimode : quia in duobus, scilicet cum quis ad religionem confugit, et cum alter conjugum cum altero per verba de praesenti contrahit, ipso jure sponsalia dirimuntur ; sed in aliis casibus dirimi debent secundum judicium Ecclesiae.

Réponse

Dans tous les cas qui précèdent, les fiançailles contractées sont dirimées, mais de manière différente, car, dans deux cas, à savoir, lorsque quelqu’un s’enfuit en religion et lorsque l’un des époux contracte avec une autre par des paroles portant sur le présent, les fiançailles sont dirimées en vertu du droit lui-même. Mais, dans les autres cas, elles doivent être dirimées selon le jugement de l’Église.

[19472] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod talis promissio solvitur per mortem spiritualem, cum sit spiritualis tantum, ut dictum est.

1. Une telle promesse est dissoute par la mort spirituelle, puisqu’elle est seulement spirituelle, comme on l’a dit.

[19473] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dubium illud determinatur ex hoc quod alter non compareret tempore statuto ad matrimonium perficiendum ; unde si ex parte ejus non defuit quin matrimonium compleret, potest licite alteri nubere sine aliquo peccato ; si autem per eum stetit quod matrimonium non est completum, debet agere poenitentiam de peccato fractae promissionis, aut juramenti, si juramentum intervenit, et contrahere cum alia, si vult, judicio Ecclesiae.

2. Ce doute est levé par le fait qu’un des deux ne se présente pas au moment prévu pour accomplir le mariage. S’il n’y a pas de sa part un manquement à l’accomplissement du mariage, il peut légitimement en épouser une autre sans péché. Mais s’il est de sa faute que le mariage ne soit pas accompli, il doit faire pénitence pour la promesse rompue et pour le serment, s’il y a eu serment, et contracter avec une autre, s’il le veut, selon le jugement de l’Église.

[19474] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si ante contractum matrimonium aliquam gravem infirmitatem incurrat alter eorum inter quos sunt contracta sponsalia, quae ipsum nimis debilitet, ut epilepsia, vel paralysis ; aut eum deformet, ut abscissio nasi, vel orbitas oculorum, vel aliquid hujusmodi ; aut quae sunt contra bonum prolis, utpote lepra quae solet prolem inficere : possunt sponsalia dirimi, ne sibi invicem displiceant, et matrimonium sic contractum malum exitum sortiatur. Nec pro poena punitur aliquis, sed ex poena damnum reportat, quod non est inconveniens.

3. Si l’un des deux entre lesquels des fiançailles ont été contractées encourt une maladie grave qui l’affaiblit trop, comme l’épilepsie ou la paralysie, ou le déforme, comme le fait de s’être fait couper le nez ou la perte des yeux ou quelque chose du genre, ou qui est contre le bien de la descendance, comme la lèpre qui affecte habituellement l’enfant, les fiançailles peuvent être dirimées, de crainte qu’ils ne se déplaisent l’un à l’autre et que le mariage ainsi contracté ait une mauvaise issue. Et quelqu’un n’est pas puni pour une peine, mais il encourt un dommage en raison d’une peine, ce qui n’est pas inapproprié.

[19475] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si sponsus cognovit consanguineam sponsae, vel e converso, tunc debent sponsalia dirimi ; et ad hoc probandum sola fama sufficit propter scandalum vitandum. Causae enim quae in futurum expectant effectus suos, impediuntur a suis effectibus non solum ex eo quod est, sed ex eo quod futurum est ; unde sicut affinitas, si esset tempore contractus sponsalium, impedivisset contractum illum ; ita si interveniat ante matrimonium, quod est effectus quidam sponsalium, prior contractus ab effectu suo impeditur. Nec in hoc aliquid detrahitur alteri, immo ei confertur ; quia absolvitur ab eo qui per fornicationem Deo se odiosum reddidit.

4. Si le fiancé a connu une consanguine de sa fiancée ou le contraire, les fiançailles doivent alors être dirimées, et, pour le démontrer, la seule renommée suffit pour éviter un scandale. En effet, les effets des causes qui attendent leurs effets dans le futur sont empêchés non seulement par ce qui existe, mais par ce qui existera. De même qu’une affinité, si elle avait existé au moment de contracter les fiançailles, aurait empêché ce contrat, de même, si elle survient avant le mariage, qui est un effet des fiançailles, l’effet du premier contrat est empêché. Et rien n’est ainsi enlevé à l’autre, bien plus, quelque chose lui est apporté, car elle est déliée de celui qui s’est rendu odieux à Dieu par la fornication.

[19476] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidam non recipiunt istum casum : sed contra eos decretalis est quae expresse dicit : ad instar eorum qui societatem fidei contrahunt, et postea eamdem sibi remittunt, potest in patientia tolerari, si mutuo se absolvunt qui sponsalia contraxerunt. Sed ad hoc dicunt, quod Ecclesia magis hoc sustinet ne pejus eveniat, quam hoc sit de jure. Sed hoc non videtur exemplo convenire quod decretalis adducit. Et ideo dicendum, quod non semper est levitatis retractare quae prius firmata sunt : quia incertae sunt providentiae nostrae, ut dicitur in Lib. sapientiae.

5. Certains n’acceptent pas ce cas. Mais une décrétale va expressément contre eux. Elle dit : « À l’instar de ceux qui s’engagent à une fidélité commune et, par la suite, s’en délient, on peut supporter avec patience que ceux qui ont contracté des fiançailles s’en délient. » Mais il disent à ce propos que l’Église supporte cela pour éviter le pire, plutôt que cela soit conforme au droit. Mais cela ne semble pas convenir à l’exemple qu’invoque la décrétale. C’est pourquoi il faut dire que ce n’est pas toujours de la légèreté de retirer ce qui a d’abord été promis, car notre prévoyance est incertaine, comme le dit le livre de la Sagesse.

[19477] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis nondum dederint sibi mutuo potestatem corporis sponsalia contrahentes ; tamen ex hoc efficiuntur sibi invicem suspecti de non servanda fide in futurum ; et ideo potest sibi praecavere unus contra alium sponsalia dirimendo.

6. Bien que ceux qui contractent des fiançailles ne se soient pas encore donné pouvoir sur leur corps, ils deviennent cependant suspects à cause de cela de ne pas observer la fidélité à l’avenir. L’un peut donc se prémunir contre l’autre en dirimant les fiançailles.

[19478] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ratio illa teneret, si esset unius rationis uterque contractus : sed secundus contractus matrimonii est fortior primo ; et ideo solvit ipsum.

7. Cet argument ne serait pas valable si les deux contrats avaient le même caractère, mais le deuxième contrat de mariage l’emporte sur le premier. Il le dirime donc.

[19479] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis non fuerint vera sponsalia, tamen fuit ibi quidam sponsalium modus ; et ideo ne videatur approbare, ad annos legitimos veniens debet petere solutionem sponsalium judicio Ecclesiae faciendam propter bonum exemplum.

8. Bien que ce ne soient pas là de véritables fiançailles, il y avait cependant une forme de fiançailles. Afin de ne pas paraître approuver, lorsqu’il atteint l’âge conforme à la loi, il doit donc demander une dissolution des fiançailles, qui doit être faite selon le jugement de l’Église en vue du bon exemple.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La bigamie]

 

 

Prooemium

Prologue

[19480] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 pr. Deinde quaeritur de bigamia ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 utrum bigamiae sit irregularitas adjuncta ; 2 utrum solvatur per Baptismum ; 3 utrum possit dispensari in tali irregularitate.

On s’interroge ensuite sur la bigamie. À ce propos, il y a trois questions : 1 – La bigamie est-elle une irrégularité qui s’ajoute ? 2 – La bigamie est-elle dissoute par le baptême ? 3 – Peut-on être dispensé d’une telle irrégularité ?

 

 

Articulus 1

[19481] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 tit. Utrum illi bigamiae quae est ex hoc quod aliquis duas uxores successive habuit, sit irregularitas annexa

Article 1 – Une irrégularité s’ajoute-t-elle à la bigamie, qui consiste en ce que quelqu’un a eu deux épouses de manière successive ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une irrégularité s’ajoute-t-elle à la bigamie, qui consiste en ce que quelqu’un a eu deux épouses de manière successive ?]

 

[19482] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod illi bigamiae quae est ex hoc quod aliquis duas uxores successive habuit, non sit irregularitas annexa. Quia multitudo et unitas consequuntur ens. Ergo ens et non ens non faciunt multitudinem aliquam. Sed ille qui habet successive duas uxores, quando una est in esse, alia non est in esse. Ergo ex hoc non efficitur vir non unius uxoris, qui secundum apostolum ab episcopatu prohibetur.

1. Il semble qu’une irrégularité ne s’ajoute pas à la bigamie, qui consiste en ce que quelqu’un ait eu deux épouses de manière successive, car la multiplicité et l’unité découlent de l’être. L’être et le non-être ne constituent donc pas une multitude. Or, lorsque quelqu’un a successivement deux épouses, alors qu’une existait, l’autre n’existait pas. Il ne devient donc pas ainsi l’homme d’une seule femme, à qui l’épiscopat est interdit, selon l’Apôtre.

[19483] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, majus signum incontinentiae apparet in eo qui plures fornicarie cognoscit quam qui plures uxores successive habet. Sed ex primo non efficitur aliquis irregularis. Ergo nec ex secundo.

2. Un plus grand signe d’incontinence se manifeste chez celui qui en connaît plusieurs par formication que chez celui qui a plusieurs épouses de manière successive. Or, aucune irrégularité ne vient du premier cas. Donc, non plus, du second.

[19484] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si bigamia irregularitatem causat ; aut hoc est ratione sacramenti, aut ratione carnalis copulae. Sed non ratione primi ; quia sic si aliquis cum una contraxisset per verba de praesenti, et ea mortua ante carnalem copulam subsecutam duceret aliam, videretur irregularis ; quod est contra Decr. Innocentii III ; nec iterum ratione secundi ; quia secundum hoc etiam qui plures fornicario concubitu cognosceret, irregularis esset, quod falsum est. Ergo nullo modo bigamia irregularitatem causat.

3. Si la bigamie cause une irrégularité, c’est soit en raison du sacrement, soit en raison de l’union charnelle. Or, ce n’est pas pour la première raison, car si quelqu’un avait ainsi contracté avec une femme par des paroles portant sur le présent et que celle-ci était morte avant l’union charnelle, et s’il en épousait une autre, il semblerait irrégulier, ce qui est contraire à une décrétale d’Innocent III. Ce n’est pas non plus pour la seconde raison, car celui qui en connaîtrait ainsi plusieurs par fornication serait irrégulier, ce qui est faux. La bigamie ne cause donc une irrégularité d’aucune façon.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une irrégularité est-elle associée à la bigamie qui vient de ce qu’un homme a deux épouses en même temps ou successivement, l’une selon le droit et l’autre de fait ?]

[19485] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod irregularitas non sit annexa bigamiae quae contingit ex hoc quod homo habet duas uxores simul, vel successive unam de jure, et aliam de facto. Quia ubi nullum est sacramentum, non potest esse defectus sacramenti. Sed quando aliquis contrahit cum aliqua de facto et non de jure, non est ibi aliquod sacramentum : quia talis conjunctio non significat conjunctionem Christi ad Ecclesiam. Ergo cum irregularitas non consequatur bigamiam nisi propter defectum sacramenti, videtur quod talem bigamiam irregularitas non consequatur.

1. Il semble qu’une irrégularité ne soit pas associée à la bigamie qui vient de ce qu’un homme a deux épouses en même temps ou successivement, l’une selon le droit et l’autre de fait, car là où il n’y a pas de sacrement, il ne peut exister de carence du sacrement. Or, lorsque quelqu’un contracte de fait avec une femme, et non selon le droit, il n’y a pas de sacrement, car une telle union ne signifie pas l’union du Christ à l’Église. Puisqu’une irrégularité ne découle de la bigamie qu’en raison d’une carence du sacrement, il semble donc qu’une irrégularité ne découle pas d’une telle bigamie.

[19486] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, aliquis accedens ad illam cum qua contrahit de facto et non de jure, committit fornicationem, si non habeat aliam uxorem legitimam ; vel adulterium, si habeat aliam. Sed dividere carnem suam in plures per fornicationem vel adulterium non causat irregularitatem. Ergo nec praedictus bigamiae modus.

2. Celui qui s’approche de celle avec qui il contracte de fait et non de droit commet la fornication, s’il n’a pas une autre épouse légitime, ou l’adultère, s’il en a une. Or, diviser sa chair entre plusieurs par la fornication ou l’adultère ne cause pas d’irrégularité. Donc, ni le mode de bigamie mentionné.

[19487] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, contingit quod aliquis antequam cognoscat carnaliter illam cum qua de jure contraxit, cum alia contrahat de facto, non de jure, et eam carnaliter cognoscat sive prima mortua, sive prima vivente. Talis contraxit cum pluribus vel de jure, vel de facto ; et tamen non est irregularis, quia carnem suam non divisit in plures. Ergo ex praedicto modo bigamiae non contrahitur irregularitas.

3. Il arrive que quelqu’un, avant de connaître charnellement celle avec laquelle il a contracté de droit, contracte de fait, et non de droit, avec une autre, et la connaisse charnellement, soit que la première soit morte, soit qu’elle soit vivante. Celui-là a contracté avec plusieurs soit de droit, soit de fait ; cependant, il n’est pas irrégulier, car il n’a pas divisé sa chair entre plusieurs. Une irrégularité n’est donc pas contractée par le mode de bigamie rappelé.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Quelqu’un qui ne prend pas une vierge comme épouse contracte-t-il une irrégularité ?]

[19488] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non contrahatur irregularitas ex hoc quod aliquis non virginem ducit uxorem. Quia plus impeditur aliquis defectu proprio quam alieno. Sed si ipse contrahens non sit virgo, non fit irregularis. Ergo multo minus si uxor ejus non sit virgo.

1. Il semble que celui qui ne prend pas une vierge comme épouse ne contracte pas une irrégularité, car une carence propre est un plus grand empêchement que la carence d’un autre. Or, si celui qui contracte n’est pas vierge, il ne devient pas irrégulier. Encore bien moins, donc, si son épouse n’est pas vierge.

[19489] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, potest esse quod aliquis defloravit aliquam, et postea ducat eam in uxorem. Talis non videtur fieri irregularis ; quia non dividit carnem suam in plures, nec etiam uxor ejus ; et tamen ducit corruptam in uxorem. Ergo talis modus bigamiae irregularitatem non causat.

2. Il peut arriver que quelqu’un ait défloré une femme et la prenne ensuite comme épouse. Celui-là ne semble pas devenir irrégulier, car lui ni son épouse ne divisent leur chair entre plusieurs ; cependant, il a pris comme épouse une femme défraîchie. Une telle forme de bigamie ne cause donc pas d’irrégularité.

[19490] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus potest contrahere irregularitatem nisi voluntarius. Sed aliquis quandoque ducit uxorem non virginem involuntarius, ut quando credit eam virginem esse, et postea invenit eam fuisse corruptam, cognoscens eam. Ergo talis modus non semper facit irregularitatem.

3. Seul celui qui est volontaire peut contracter une irrégularité. Or, parfois, quelqu’un prend involontairement une épouse qui n’est pas vierge, comme lorsqu’il la croit vierge, et il trouve par la suite en la connaissant qu’elle a été défraîchie. Un tel mode ne cause donc pas toujours une irrégularité.

[19491] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, corruptio sequens matrimonium est vituperabilior quam praecedens. Sed si uxor, postquam consummatum est matrimonium, ab alio cognoscatur, non efficitur vir irregularis ; alias puniretur pro peccato uxoris : potest etiam esse quod postquam hoc sciat, reddat ei debitum poscenti antequam de adulterio accusata condemnetur. Ergo videtur quod ille modus bigamiae non causet irregularitatem.

4. La corruption qui suit le mariage est plus blâmable que la précédente. Or, si une épouse. Après que le mariage a été consommé, est connue par un autre, l’homme ne devient pas irrégulier ; autrement, il serait puni pour le péché de l’épouse. Il peut aussi arriver qu’après avoir appris cela, il rende ce qui lui est dû à celle qui le demande avant que l’accusée soit condamnée pour adultère. Il semble donc que ce mode de bigamie ne cause pas d’irrégularité.

[19492] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit : praecipimus ne unquam illicitas ordinationes facias, ne bigamus, aut qui virginem non est sortitus uxorem, aut ignoranter habens, vel qualibet parte corporis vitiatum, vel poenitentiae, vel curiae cujuslibet conditioni obnoxium, ad sacros ordines permittas accedere.

Cependant, Grégoire dit en sens contraire : « Nous ordonnons que tu ne fasses jamais d’ordinations illicites, de crainte que tu ne permettes d’accéder aux ordres sacrés à un un bigame ou à celui qui n’a pas eu une vierge comme épouse, ou en a eu une à son insu, ou à celui qui est vicié en n’importe quelle partie de son corps, ou qui est soumis à une peine ou à n’importe quelle condition [imposée] par la curie. »

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19493] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod aliquis per sacramentum ordinis minister sacramentorum constituitur ; et ille qui aliis sacramenta ministrare debet, nullum defectum in sacramentis pati debet. Defectus autem in sacramento est, quando sacramenti significatio integra non invenitur. Sacramentum autem matrimonii significat conjunctionem Christi ad Ecclesiam, quae est unius ad unam ; et ideo requiritur ad perfectam significationem sacramenti ut vir sit tantum unius vir, et uxor tantum unius uxor ; et ideo bigamia, quae hoc tollit, irregularitatem inducit. Et sunt quatuor modi bigamiae. Primus est, cum quis habet plures uxores de jure successive. Secundus, cum simul habet plures, unam de jure, aliam de facto. Tertius, cum plures habet successive, unam de jure, aliam de facto. Quartus, quando viduam ducit in uxorem. Et omnibus his est irregularitas adjuncta. Alia autem causa consequens assignatur : quia in illis qui accipiunt sacramentum ordinis, maxima spiritualitas debet apparere : tum quia spiritualia ministrant, scilicet sacramenta : tum quia spiritualia docent, et in spiritualibus occupari debent. Unde cum concupiscentia maxime spiritualitati repugnet, per quam totus homo caro efficitur ; non debet aliquod signum concupiscentiae permanentis in eis apparere, quod quidem in bigamis apparet, qui una uxore contenti esse nolunt. Tamen prima ratio est melior.

Par le sacrement de l’ordre, quelqu’un est constitué ministre des sacrements et celui qui doit administrer aux autres les sacrements ne doit souffrir d’aucune carence dans les sacrements. Or, une carence dans le sacrement existe lorsqu’on n’y trouve pas la signification complète. Or, le sacrement de mariage signifie l’union du Christ à l’Église, qui est celle d’un seul à une seule. Pour la signification parfaite du sacrement, il est donc requis que le mari soit le mari d’une seule et que l’épouse soit l’épouse d’un seul. Ainsi, la bigamie, qui enlève cela, entraîne une irrégularité. Et il y a quatre genres de bigamie. Le premier existe lorsque quelqu’un a plusieurs épouses de droit de manière successive. Le deuxième, lorsqu’il en a plusieurs plusieurs en même temps, une de droit et l’autre de fait. Le troisième, lorsqu’il en a plusieurs de manière successive, une de droit, une autre de fait. Le quatrième, lorsqu’il prend une veuve comme épouse. À tous ces genres, une irrégularité est associée. Mais une autre raison qui en découle est donnée, car, chez ceux qui reçoivent le sacrement de l’ordre, le caractère spirituel le plus grand doit être manifeste, tant parce qu’ils desservent des réalités spirituelles, les sacrements, que parce qu’ils enseignent des réalités spirituelles et qu’ils doivent être occupés à des réalités spirituelles. Aussi, comme la concupiscence, par laquelle tout l’homme devient chair, s’oppose au plus haut point au caractère spirituel, aucun signe d’un reste de concupiscence ne doit se manifester chez lui, ce qui se manifeste chez les bigames, qui ne veulent pas se contenter d’une seule épouse. Cependant, la première raison est meilleure.

[19494] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod multitudo plurium uxorum simul existentium est multitudo simpliciter ; et ideo talis multitudo totaliter significationi sacramenti repugnat ; et propter hoc tollitur sacramentum ; sed multitudo uxorum successive est multitudo secundum quid ; et ideo non tollit significationem sacramenti totaliter, nec sacramentum evacuat quantum ad sui essentiam, sed quantum ad sui perfectionem, quae requiritur in illis qui sunt sacramentorum dispensatores.

1. La mjultiplicité de plusieurs épouses en même temps est une multiplicité à simplement parler. C’est pourquoi une telle multiplicité s’oppose entièrement à la signification du sacrement. Mais une multitude d’épouses de manière sucessive est une multiplicité relative. C’est pourquoi elle n’enlève pas entièrement la signification du sacrement et ne vide pas le sacrement de son essence, mais de sa perfection, qui est nécessaire chez ceux qui sont les dispensateurs des sacrements.

[19495] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit in fornicariis majoris concupiscentiae signum, non tamen concupiscentiae ita adhaerentis : quia per fornicationem unus alteri non in perpetuum obligatur ; et ideo ibi non est defectus sacramenti.

2. Bien qu’il existe chez les fornicateurs un signe d’une concupiscence plus grande, il ne s’agit cependant pas d’une concupiscence qui adhère autant, car l’un n’est pas perpétuellement lié à l’autre par la fornication. C’est pourquoi il n’y a pas de carence du sacrement.

[19496] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut dictum est, bigamia causat irregularitatem, inquantum tollit perfectam significationem matrimonii, quae quidem consistit in conjunctione animorum, quae fit per consensum, et in conjunctione corporum ; et ideo ratione utriusque oportet simul esse bigamiam quae irregularitatem faciat ; unde per Decret. Innocentii abrogatur id quod Magister in littera dicit, scilicet quod solus consensus per verba de praesenti sufficit ad irregularitatem inducendam.

3. Comme on l’a dit, la bigamie cause une irrégularité pour autant qu’elle enlève la signification parfaite du mariage, qui consiste dans l’union des âmes, qui se réalise par le consentement, et dans l’union des corps. Il est donc nécessaire, pour les deux raisons, qu’existe en même temps chez les deux une bigamie qui cause une irrégularité. Aussi ce que dit le Maître dans le texte est-il abrogé par le décret d’Innocent, à savoir que le seul consentement par des paroles portant sur le présent suffit à entraîner une irrégularité.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19497] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in secundis duobus modis bigamiae contrahitur irregularitas : quia quamvis in altero non sit sacramentum, est tamen quaedam sacramenti similitudo ; unde isti duo modi sunt secundarii, et primus est principalis in irregularitate causanda.

Dans les deux derniers modes de bigamie, une irrégularité est contractée, car, bien qu’il n’existe pas de sacrement dans les deux, il existe cependant un semblant de sacrement. Aussi ces deux modes sont-ils secondaires, et le premier est-il principal comme cause d’une irrégularité.

[19498] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ibi non sit sacramentum, est tamen ibi aliqua similitudo sacramenti, quae non est in fornicario vel in adulterino concubitu ; et ideo non est simile.

1. Bien qu’il n’y ait pas là de sacrement, il y existe cependant une ressemblance du de sacrement, ce qui n’existe pas dans le rapport sexuel du fornicateur ou de l’adultère. Ce n’est donc pas la même chose.

[19499] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum.

2. La réponse à la deuxième objection est ainsi claire.

[19500] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in tali casu non reputatur bigamus, quia primum matrimonium non habuit perfectam suam significationem. Tamen si per judicium Ecclesiae compellatur ad primam redire, et eam cognoscere, statim efficitur irregularis : quia irregularitatem non facit peccatum, sed imperfectio significationis.

3. Dans un tel cas, il n’est pas réputé bigame parce que le premier mariage n’a pas eu sa signification parfaite. Cependant, s’il est forcé par un jugement de l’Église de revenir à sa première femme et de la connaître, il devient aussitôt irrégulier, car le péché ne fait pas l’irrégularité, mais l’imperfection de la signification.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19501] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in conjunctione Christi et Ecclesiae unitas ex utraque parte invenitur ; et ideo, sive divisio carnis inveniatur ex parte viri, sive ex parte uxoris, est defectus sacramenti, sed tamen diversimode : quia ex parte viri requiritur quod aliam non duxerit in uxorem, non quod sit virgo ; sed ex parte uxoris requiritur etiam quod sit virgo ; cujus ratio a decretistis assignatur, quia episcopus significat Ecclesiam militantem, cujus curam gerit, in qua sunt multae corruptiones ; sed sponsa significat Christum, qui virgo fuit ; et ideo ex parte sponsae requiritur virginitas, sed non ex parte sponsi, ad hoc quod aliquis episcopus fieri possit. Sed haec ratio est expresse contra apostolum, Ephes. 5, 2, 5 : viri diligite uxores vestras, sicut Christus Ecclesiam ; ex quo apparet quod uxor significat Ecclesiam, et sponsus Christum ; et iterum, quia vir est caput mulieris, sicut Christus Ecclesiae. Et ideo alii dicunt, quod per sponsum significatur Christus, per sponsam significatur Ecclesia triumphans, in qua non est aliqua macula. Christus autem primo habuit synagogam quasi concubinam ; et sic non tollitur aliquid de perfectione significationis sacramenti, si sponsus prius habuit concubinam. Sed hoc est valde absurdum : quia sicut est una fides antiquorum et modernorum, ita una Ecclesia ; unde illi qui tempore synagogae Deo serviebant, ad unitatem Ecclesiae, in qua Deo servimus, pertinebant. Et praeterea hoc est expresse contra id quod habetur Hierem. 3, Ezech. 16, Oseae 2, 2, ubi expresse fit mentio de desponsatione synagogae ; unde non fuit sicut concubina, sed sicut uxor. Et praeterea, secundum hoc fornicatio esset sacramentum illius conjunctionis, quod est absurdum ; et ideo gentilitas priusquam a Christo desponsaretur in fidem Ecclesiae, corrupta fuit a Diabolo per idolatriam. Et ideo aliter dicendum, quod defectus in ipso sacramento causat irregularitatem ; corruptio autem carnis extra matrimonium contingens, quae praecessit matrimonium, nullum defectum facit in sacramento ex parte illius in quo est corruptio, sed facit defectum ex parte alterius : quia actus contrahentis matrimonium non cadit supra seipsum, sed supra alterum ; et ideo ex termino specificatur, quod etiam est respectu illius actus quasi materia sacramenti. Unde si mulier esset ordinis susceptiva ; sicut vir efficitur irregularis ex hoc quod ducit in uxorem corruptam, non autem ex hoc quod corruptus contrahit, ita fieret mulier irregularis si contraheret cum corrupto ; non autem si contraheret corrupta, nisi in alio matrimonio prius fuisset corrupta.

Dans l’union du Christ et de l’Église, l’unité se trouve des deux côtés. Que la division de la chair se trouve du côté du mari ou qu’elle se trouve du côté de l’épouse, il y a donc carence du sacrement, mais cependant de manière diverse, car, du côté du mari, il est requis qu’il n’en ait pas pris une autre comme épouse, et non qu’elle soit vierge ; mais, du côté de l’épouse, il est aussi requis qu’elle soit vierge. La raison en est donnée par les décrétistes, car l’évêque signifie l’Église militante dont il a la charge, dans laquelle on trouve beaucoup d’imperfections ; mais l’épouse signifie le Christ, qui était vierge. C’est pourquoi la virginité est requise du côté de l’épouse, mais non du côté de l’époux, pour que quelqu’un puisse être fait évêque. Mais cet argument est expressément contraire à ce que dit l’Apôtre en Ep 5, 5 : Maris, aimez vos femmes comme le Christ aime l’Église. Il ressort de cela que l’épouse signifie l’Église et l’époux, le Christ, et aussi que le mari est la tête de la femme comme le Christ l’est de l’Église. C’est pourquoi d’autres disent que, par l’époux, le Christ est signifié et, par l’épouse, l’Église triomphante, dans laquelle il n’y a pas de souillure. Or, le Christ a d’abord eu la synagogue comme concubine. Ainsi rien n’est enlevé à la perfection de la signification du sacrement si l’époux a d’abord eu une concubine. Mais cela est parfaitement absurde, car, de même que la foi des anciens et des modernes est unique, de même l’Église ; aussi ceux qui servaient Dieu à l’époque de la synagogue appartenaient-ils à l’unité de l’Église dans laquelle nous servons Dieu. De plus, cela va expressément à l’encontre de ce qu’on lit dans Jr 3, Ez 16 et Os 2, 2, où il est expressément fait mention du mariage de la synagogue ; elle n’était donc pas une concubine, mais une épouse. De plus, d’après cela, la fornication serait le sacrement de cette union, ce qui est absurde. Aussi la gentilité, avant d’être épousée par le Christ dans la foi de l’Église, a-t-elle été corrompue par l’idolatrie à cause du Diable. Il faut donc dire autre chose : une carence dans le sacrement lui-même cause une irrégularité ; mais la corruption de la chair qui survient hors du mariage, qui a précédé le mariage, ne produit aucune carence dans le sacrement du côté de celui en qui se trouve la corruption, mais elle produit une carence du côté de l’autre, car l’acte de celui qui contracte mariage ne retombe pas sur lui, mais sur l’autre. C’est pourquoi il reçoit son espèce du terme, qui est comme la matière du sacrement en regard de cet acte. Si la femme pouvait recevoir l’ordre, de même que l’homme est rendu irrégulier par le fait qu’il épouse une femme corrompue, mais non du fait qu’il contracte [mariage] alors qu’il est corrompu, de même la femme deviendrait-elle irrégulière si elle contractait [mariage] avec un homme corrompu, mais non si elle le contractait en étant corrompue, sauf si elle avait été corrompue par un autre mariage.

[19502] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[19503] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in tali casu sunt diversae opiniones : tamen probabilius est quod non sit irregularis, quia carnem suam non divisit in plures.

2. À propos d’un tel cas, il y a plusieurs opinions. Cependant, il est probable qu’il n’est pas irrégulier, car il n’a pas divisé sa chair entre plusieurs.

 [19504] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod irregularitas non est poena inflicta, sed defectus quidam sacramenti ; et ideo non oportet quod semper sit voluntaria bigamia ad hoc quod irregularitatem causet ; et ideo ille qui uxorem ducit corruptam, quam virginem credit, irregularis est eam cognoscens.

3. L’irrégularité n’est pas une peine infligée, mais une carence du sacrement. Il n’est donc pas nécessaire que la bigamie soit toujours volontaire pour qu’elle cause une irrégularité. Aussi celui qui prend une épouse corrompue qu’il croit vierge est-il irrégulier en la connaissant.

[19505] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si mulier fornicetur post contractum matrimonium, non efficitur ex hoc vir irregularis, nisi post corruptionem adulterinam eam iterato cognoscat : quia alias corruptio uxoris nullo modo cadit sub actu matrimoniali viri. Sed si etiam per jus ei debitum compellatur reddere, vel ex conscientia propria, illa petente debitum ante condemnationem adulterii, irregularis efficitur ; quamvis de hoc sint opiniones. Sed hoc quod dictum est, est probabilius : quia hic non quaeritur quid sit peccatum, sed significatio tantum.

4. Si la femme fornique après avoir contracté mariage, l’homme ne devient pas pour cela irrégulier, sauf s’il la connaît de nouveau après une corruption adultère, car, autrement, la corruption de l’épouse ne tombe d’aucune manière sous l’acte matrimonial de l’homme. Mais si elle est forcée par le droit ou par sa propre conscience de lui rendre ce qu’elle lui doit, une irrégularité est causée par le fait qu’elle demande ce qui lui est dû avant la condamnation de l’adultère, bien qu’il y ait à ce propos plusieurs opinions. Mais ce qui a été dit est plus probable, car on ne cherche pas ici à savoir ce qui est péché, mais seulement ce qui est la signification.

 

 

Articulus 2

[19506] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 tit. Utrum bigamia per Baptismum solvatur

Article 2 – La bigamie est-elle dissooute par le baptême ?

[19507] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod bigamia per Baptismum solvatur. Dicit enim Hieronymus super Epist. ad Titum, quod si quis ante Baptismum plures uxores habuit, vel unam ante, et aliam post, non est bigamus. Ergo bigamia per Baptismum solvitur.

1. Il semble que la bigamie soit dissoute par le baptême. En effet, Jérôme dit, en commentant la lettre à Tite, que si quelqu’un avait plusieurs épouses avant le baptême, ou bien une avant et une autre après, il n’est pas bigame. La bigamie est donc dissoute par le baptême.

[19508] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, qui facit quod majus est, facit quod minus est. Sed Baptismus tollit omne peccatum, quod est gravius quam irregularitas. Ergo tollit bigamiae irregularitatem.

2. Celui qui fait ce qui est plus grand fait ce qui est plus petit. Or, le baptême enlève tout péché, qui est plus grave qu’une irrégularité. Il enlève donc l’irrégularité de la bigamie.

[19509] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, Baptismus tollit omnem poenam ex actu provenientem. Sed irregularitas bigamiae est hujusmodi. Ergo et cetera.

3. Le baptême enlève toute peine provenant d’un acte. Or, l’irrégularité de la bigamie est de cette nature. Donc, etc.

[19510] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, bigamus est irregularis, inquantum deficit a repraesentatione Christi. Sed per Baptismum plene Christo conformatur. Ergo solvitur illa irregularitas.

4. Le bigame est irrégulier dans la mesure où il fait défaut de représenter le Christ. Or, par le baptême, il est rendu pleinement conforme au Christ. Cette irrégularité est donc dissoute.

[19511] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, sacramenta novae legis sunt magis efficacia quam sacramenta veteris legis. Sed sacramenta veteris legis solvebant irregularitates, ut 1 Lib. dictum est a Magistro. Ergo et Baptismus, qui est efficacissimum sacramentum in nova lege, solvit irregularitatem ex bigamia contractam.

5. Les sacrements de la loi nouvelle sont plus efficaces que les sacrements de la loi ancienne. Or, les sacrements de la loi ancienne dissolvaient les irrégularités, comme le Maître l’a dit dans le livre I. Donc aussi le baptème, qui est le sacrement le plus efficace sous la loi nouvelle, absout-il de l’irrégularité contractée par la bigamie.

[19512] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit : acutius intelligunt qui nec eum qui cathecumenus aut Paganus habuit alteram, ordinandum censuerunt : quia de sacramento agitur, non de peccato.

Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire : « Ceux qui pensent que le catéchumène ou le païen qui avait une autre femme ne doit pas être ordonné ont compris avec plus de pénétration, car il s’agit du sacrement, et non du péché. »

[19513] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut idem dicit, femina si catechumena vel Pagana vitiata est, non potest inter Dei virgines post Baptismum velari. Ergo eadem ratione nec bigamus ante Baptismum ordinari.

[2] Comme le même le dit, si une femme catéchumène ou païenne a été corrompue, elle ne peut porter le voile avec les vierges de Dieu après le baptême. Pour la même raison, un bigame ne peut pas non plus être ordonné avant le baptême.

[19514] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Baptismus solvit culpas, et non solvit conjugia ; unde cum ex ipso conjugio sequatur irregularitas, per Baptismum tolli non potest, ut dicit Augustinus.

Réponse

Le baptême absout les fautes, mais ne dissout pas les mariages. Puisque qu’une irrégularité découle du mariage lui-même, elle ne peut donc être enlevée par le baptême, comme le dit Augustin.

[19515] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in casu isto non tenetur opinio Hieronymi ; nisi forte velimus eum exponere, quod loquitur quantum ad superiorem dispensationem.

1. Dans ce cas, on n’adopte pas l’opinion de Jérôme, à moins que nous ne voulions l’interpréter au sens où il parle d’une dispense supérieure.

[19516] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet ut quod facit majus, faciat minus, nisi sit ad id ordinatum ; et hoc deficit in proposito, quia Baptismus ad irregularitatem tollendam non ordinatur.

2. Il n’est pas nécessaire que ce qui fait plus fasse moins, à moins que ce ne soit ordonné à cela. Or, cela fait défaut dans ce qui est en cause, car le baptême n’est pas ordonné à enlever une irrégularité.

[19517] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligendum est de poenis quae consequuntur ex actuali peccato quasi inflictae, non infligendae ; non enim aliquis virginitatem per Baptismum recuperat, et similiter nec carnis indivisionem.

3. Il faut entendre cela des peines qui découlent du péché actuel en tant qu’elles ont été infligées, et non en tant qu’elles doivent être infligées. En effet, quelqu’un ne récupère pas la virginité par le baptême, ni de la même façon l’indivision de la chair.

[19518] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Baptismus conformat Christo quantum ad virtutem mentis, sed non quantum ad statum carnis, quae consideratur in virginitate, vel divisione carnis.

4. Le baptême rend conforme au Christ pour ce qui est de la vertu de l’esprit, mais non pour ce qui est de l’état de la chair, qui est pris en compte pour la virginité ou pour la division de la chair.

[19519] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illae irregularitates ex levibus causis, non perpetuis, erant contractae, et ideo etiam per illa sacramenta auferri poterant ; et iterum erant ad hoc ordinata ; non autem Baptismus ad hoc ordinatur.

5. Ces irrégularités découlant de causes légères, et non perpétuelles, avaient été contractées, et donc pouvaient être aussi enlevées par ces sacrements. De plus, ceux-ci étaient ordonnés à cela, mais le baptême n’est pas ordonnée à cela.

 

 

Articulus 3

[19520] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 tit. Utrum cum bigamo liceat dispensare

 

Article 3 – Est-il permis de dispenser un bigame ?

[19521] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod cum bigamo non liceat dispensare. Quia Extra. de bigamis dicitur : cum clericis, qui, inquantum in ipsis fuit, secundas mulieres sibi conjunxerunt matrimonialiter, tamquam cum bigamis, non licet dispensare.

1. Il semble qu’il ne soit pas possible de dispenser un bigame, car, dans Extra, il est dit à propos des bigames : « Il n’est pas permis de dispenser, comme c’est le cas pour les bigames, les clercs qui, pour ce qui relevait d’eux, se sont unis matrimonialement à des deuxièmes femmes. »

[19522] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, contra jus divinum non licet dispensare. Sed omnia quae in canone dicuntur, ad jus divinum pertinent. Cum ergo apostolus in Scriptura canonica dicat : oportet episcopum non nisi unius uxoris virum esse ; videtur quod non possit in hoc dispensari.

2. Il n’est pas possible de dispenser à l’encontre du droit divin. Or, tout ce qui est dit dans le canon relève du droit divin. Puisque l’Apôtre dit dans l’Écriture canonique : Il faut que l’évêque ne soit le mari que d’une seule femme, il semble qu’on ne puisse dispenser en cette matière.

[19523] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullus potest dispensare in his quae sunt de necessitate sacramenti. Sed non esse irregularem, est de necessitate sacramenti ordinis, cum significatio, quae est sacramento essentialis, desit. Ergo non potest in hoc dispensari.

3. Personne ne peut dispenser de ce qui est nécessaire pour un sacrement. Or, ne pas être irrégulier est nécessaire au sacrement de l’ordre, puisque la signification, qui est essentielle au sacrement, fait défaut. On ne peut donc être dispensé de cela.

[19524] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, quod rationabiliter factum est, non potest rationabiliter mutari. Si ergo potest rationabiliter dispensari cum bigamo, irrationabiliter est ei adjuncta irregularitas ; quod est inconveniens.

4. Ce qui a été fait raisonnablement ne peut être raisonnablement changé. Si donc on peut dispenser raisonnablement un bigame, c’est de manière déraisonnable qu’une irrégularité lui a été associée, ce qui est inapproprié.

[19525] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed in contrarium est quod Lucius Papa dispensavit cum Panormitano episcopo, qui erat bigamus.

Cependant, [1] en sens contraire, le pape Lucius a dispensé l’évêque de Palerme, qui était bigame.

[19526] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Martinus Papa dicit : lector si viduam uxorem accipiat, in lectoratu permaneat ; aut si necessitas fuerit, subdiaconus fiat ; nihil autem supra : similiter si bigamus fuerit. Ergo ad minus usque ad subdiaconatum cum eo dispensari potest.

[2] Le pape Martin dit : « Si un lecteur prend pour épouse une veuve, qu’il demeure dans le lectorat ou, si cela est nécessaire, qu’il devienne sous-diacre, mais rien de plus élevé. De même s’il est bigame. » Il peut donc être dispensé au moins jusqu’au sous-diaconat.

[19527] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod bigamiae non est adjuncta irregularitas de jure naturali, sed de jure positivo ; nec iterum est de essentialibus ordinis quod aliquis non sit bigamus ; quod patet ex hoc quod si aliquis bigamus ad ordines accedat, characterem recipit ; et ideo Papa potest dispensare in tali irregularitate totaliter, sed episcopus quantum ad minores ordines. Et quidam dicunt, quod etiam quantum ad majores in illis qui volunt Deo in religione servire, propter vitandum religiosorum discursum.

Réponse

Une irrégularité n’a pas été associée à la bigamie selon le droit naturel, mais selon le droit positif. De plus, cela ne fait pas partie de ce qui est essentiel à l’ordre, que quelqu’un ne soit pas bigame, ce qui ressort du fait que si un bigame accède aux ordres, il reçoit le caractère. C’est pourquoi le pape peut dispenser d’une telle irrégularité en totalité, mais l’évêque pour les ordres mineurs. Et certains disent que [l’évêque peut dispenser] même pour les ordres majeurs, pour ceux qui veulent servir Dieu dans la vie religieuse, afin d’éviter que les religieux ne courent ça et là.

[19528] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per illam decretalem ostenditur eadem esse difficultas dispensandi in illis qui de facto cum pluribus contraxerunt, ac si de jure contraxissent ; non quod subtrahatur simpliciter potestas Papae in talibus.

1. Par cette décrétale, il est montré que la difficulté de dispenser est la même chez ceux qui ont contracté de fait avec plusieurs [femmes] que s’ils avaient contracté de droit, mais non que le pouvoir du pape est supprimé dans ces cas.

[19529] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc verum est quantum ad ea quae sunt de jure naturali, et quantum ad ea quae sunt de necessitate sacramentorum et fidei ; sed in aliis quae sunt de institutione apostolorum, cum Ecclesia habeat nunc eamdem potestatem statuendi et destruendi quam tunc habuit, potest per eum qui primatum in Ecclesia tenet, dispensari.

2. Cela est vrai pour ce qui relève du droit naturel et pour ce qui est nécessaire aux sacrements et à la foi ; mais pour ce qui relève de l’institution par les apôtres, puisque l’Église a maintenant le même pouvoir d’établir et de détruire qu’elle avait alors, la dispense peut être donnée par celui qui détient la primauté dans l’Église.

[19530] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non quaelibet significatio est de essentia sacramenti, sed tantum illa quae pertinet ad officium sacramenti ; et talis non tollitur per irregularitatem.

3. Toute signification ne fait pas partie de l’essence du sacrement, mais seulement celle qui relève de la fonction du sacrement. Celle-ci n’est pas enlevée par une irrégularité.

[19531] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in particularibus non potest inveniri ratio quae omnibus competat aequaliter, propter eorum diversitatem ; et ideo quod universaliter statutum est rationabiliter consideratis istis quae in pluribus accidunt, potest etiam per dispensationem rationabiliter removeri in aliquo casu determinato.

4. Chez les individus, on ne peut trouver de raison qui convienne à tous également en raison de leur diversité. C’est pourquoi ce qui a été établi de manière universelle et raisonnable en prenant en compte ce qui arrive dans la plupart des cas peut aussi raisonnablement être enlevé dans un cas déterminé.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 27

 [19532] Super Sent., lib. 4 d. 27 q. 3 a. 3 expos. Si autem verbis exprimant quod tamen corde non volunt, si non sit coactio ibi vel dolus ; obligatio illa verborum (...) matrimonium facit. Et loquitur hic Magister quantum ad forum exterius Ecclesiae, in quo secundum ea quae apparent, judicatur ; et accipitur dolus non latens in corde, sed aliquo modo per signa exteriora expressus, ut cum se alio nomine vocat. Sed quantum ad forum conscientiae non est verum quod Magister hic dicit. Eremi solitudinem elegit et cetera. Eremitae etiam quamvis obedientiam non promittant, tamen votum continentiae habent annexum, et ex more secundum determinatum tempus eorum votum solemnizatur. Etiam si jam tonsuratus est. Non tamen tenetur tonsuram et habitum religionis deferre : quia vel non fuit vera professio ejus, si contradicente uxore votum emisit ; vel si ea non contradicente, et tamen in saeculo remanente, votum professionis emisit ; quamvis fuerit verum votum, suspenditur tamen ad tempus vivente uxore inquantum fuit in praejudicium ejus. Unde post mortem uxoris tenetur ad religionem redire, nec potest aliam ducere. Interim tamen non tenetur habitum deferre, vel tonsuram, tum propter vituperium uxoris, tum propter scandalum vitandum. Cui copulatus in conjugio ulterius ad sacros ordines non accederet. Magister et Pelagius loquuntur secundum rigorem juris ; unde hodie secundum jura nova non tenetur ; quia non est aliquod obstaculum ex parte sacramenti, ut prius dictum est.

 

 

 

Distinctio 28

Distinction 28 – [Le consentement du mariage]

 

 

Prooemium

Prologue

[19533] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 pr. Postquam Magister ostendit quod consensus est causa efficiens matrimonii, hic ostendit qualis debeat esse consensus qui matrimonium facit ; et dividitur in partes duas : in prima inquiritur, utrum consensus per verba de futuro, juramento confirmatus matrimonium faciat ; in secundo ostendit quid sit consensus ille qui matrimonium facit, ibi : hic quaeritur, cum consensus de praesenti matrimonium faciat, cujus rei consensus sit ille. Circa primum duo facit : primo determinat veritatem ; secundo objicit in contrarium, ibi : praemissae autem sententiae videtur obviare illud quod leges tradunt. Et circa hoc duo facit : primo objicit contra id quod immediate determinatum est ; secundo contra id quod in praecedenti dist. habitum fuit, ibi : etiam sententiae illae qua dictum est, solum consensum facere conjugium, videtur obviare quod Evaristus Papa ait, et utrumque dividitur in objectionem et solutionem, ut per se patet in littera. Hic quaeruntur quatuor : 1 utrum juramentum consensui expresso per verba de futuro adveniens, matrimonium faciat ; 2 utrum carnalis copula eidem adveniens ; 3 utrum occultus consensus per verba de praesenti sufficiat ad matrimonium faciendum ; 4 in quid sit consensus qui matrimonium facit.

Après avoir déterminé du consentement, qui est la cause efficiente du mariage, le Maître montre ici quel doit être le consentement qui fait le mariage. Il y a deux parties : dans la première, il se demande si le consentement par des paroles portant sur le futur et confirmé par un serment fait le mariage ; dans la seconde, il montre quel est le consentement qui fait le mariage, à cet endroit : « Ici, puisque le consentement portant sur le présent fait le mariage, on se demande, sur quoi porte ce consentement. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il précise la vérité ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit ; « Ce que les lois enseignent semblent s’opposer à la position qui précède. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente une objection contre ce qui vient d’être déterminé ; deuxièmement, contre ce qui a été dit dans la distinction précédente, à cet endroit : « Ce que dit le pape Évariste semble s’opposer même à la position selon laquelle seul le consentement fait le mariage. » Les deux choses se divisent en objection et réponse, comme cela ressort clairement de soi dans le texte. Ici, quatre questions sont posées : 1 – Le serment ajouté au consentement exprimé par des paroles portant sur le futur réalise-t-il le mariage ? 2 – L’union charnelle ajoutée au [consentement réalise-t-elle le mariage] ? 3 – Un consentement occulte par des paroles portant sur le présent suffit-il à réaliser le mariage ? 4 – Sur quoi porte le consentement qui réalise le mariage ?

 

 

Articulus 1

[19534] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 tit. Utrum juramentum adjunctum consensui per verba de futuro faciat matrimonium

Article 1 – [Le serment associé au consentement par des paroles portant sur le futur réalise-t-il le mariage ?]

[19535] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod juramentum adjunctum consensui per verba de futuro, faciat matrimonium. Nullus enim potest se obligare ut faciat contra jus divinum. Sed implere juramentum est de jure divino, ut patet Matth. 5, 33 : reddes autem domino juramenta tua. Ergo per nullam obligationem sequentem potest evenire quod homo non debeat implere juramentum prius factum. Si ergo post consensum in aliquam per verba de futuro juramento firmatum, aliquis se alteri obligat per verba de praesenti, videtur quod nihilominus debeat juramentum primum servare. Sed hoc non esset, nisi juramento illo esset matrimonium perfectum. Ergo juramentum adjunctum consensui de futuro facit matrimonium.

1. Il semble que le serment associé au consentement par des paroles portant sur le futur réalise le mariage. En effet, personne ne peut s’obliger à agir contre le droit divin. Or, accomplir un serment est de droit divin, comme cela ressort de Mt 5, 33 : Tu accompliras les serments que tu as faits au Seigneur. Il ne peut donc arriver par en vertu d’aucune obligation que l’homme ne doive pas accomplir un serment fait antérieurement. Si donc, après le consentement à une femme, confirmé par des paroles portant sur le futur, quelqu’un s’oblige envers une autre [femme] par des paroles portant sur le présent, il semble qu’il doive néanmoins observer le premier serment. Or, cela ne serait pas le cas, si le mariage n’était pas réalisé par ce serment. Le serment associé à un consentement portant sur le futur réalise donc le mariage.

[19536] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, veritas divina est fortior quam veritas humana. Sed per juramentum veritate divina firmatur aliquid. Cum ergo verba exprimentia consensum de praesenti, in quibus est sola humana veritas, matrimonium perficiant ; videtur quod multo amplius id efficere possint verba de futuro, juramento firmata.

2. La vérité divine est plus forte que la vérité humaine. Or, par un serment, quelque chose est confirmé par la vérité divine. Puisque les paroles exprimant un consentement portant sur le présent et dans lesquelles n’existe qu’une vérité humaine réalisent le mariage, il semble donc qu’à bien plus forte raison des paroles portant sur le futur puissent le faire en étant confirmées par un serment.

[19537] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum apostolum ad Hebr., omnis controversiae finis (...) est juramentum. Ergo in judicio saltem plus standum est juramento quam simplici verbo. Si ergo aliquis simplici verbo consentiat in aliquam per verba de futuro, juramento firmata, videtur quod judicio Ecclesiae debeat compelli stare cum prima, et non cum secunda.

3. Selon l’Apôtre, dans He, le serment met fin à toute controverse. Tout au moins lors d’un jugement, il faut donc s’en tenir davantage à un serment qu’à une simple parole. Si donc quelqu’un consent à une femme par une simple parole sous forme de paroles portant sur le futur confirmées par un serment, il semble que, selon le jugement de l’Église, il doive rester avec la première femme, et non avec la deuxième.

[19538] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, verba de futuro simpliciter prolata, sponsalia faciunt. Sed juramentum ibi aliquid operatur. Ergo facit plus quam sponsalia. Sed ultra sponsalia non est nisi matrimonium. Ergo facit matrimonium.

4. Les paroles portant sur le futur et exprimées simplement réalisent des fiançailles. Or, le serment y ajoute quelque chose. Il réalise donc davantage que les fiançailles. Or, au-delà des fiançailles, il n’y a que le mariage. [Le serment] réalise donc le mariage.

[19539] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quod futurum est, non est. Sed juramentum additum non facit quin verba de futuro significent consensum de futuro. Ergo adhuc matrimonium non est.

Cependant, [1] ce qui est à venir n’existe pas. Or, le serment ajouté ne fait pas en sorte que les paroles portant sur le futur signifient un consentement à venir. Il n’y a donc pas encore de mariage.

[19540] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, postquam perfectum est matrimonium, non oportet quod alius consensus interveniat ad matrimonium. Sed post juramentum advenit alius consensus, qui matrimonium facit ; alias frustra juraretur illud esse futurum. Ergo non facit matrimonium.

[2] Après que le mariage a été accompli, il n’est pas nécessaire qu’un autre consentement survienne pour le mariage. Or, après le serment, un autre consentement survient, qui réalise le mariage, autrememnt c’est en vain qu’on aurait juré que celui-ci adviendra. [Le serment] ne réalise donc pas le mariage.

[19541] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod juramentum adhibetur pro confirmatione dictorum ; unde illud tantum confirmat quod in dictis significatur, nec significatum mutat ; et ideo cum verba de futuro ex ipsa significatione sua habeant quod matrimonium non faciant, quia quod futurum promittitur, nondum fit, etiam si juramentum adveniat, nondum est matrimonium factum, sicut Magister in littera dicit.

Réponse

Le serment est utilisé pour confirmer des paroles. Il ne confirme donc que ce qui est signifié par les paroles et ne change pas ce qui est signifié. Lorsque des paroles portant sur le futur font en sorte que, par leur signification même, elles ne réalisent pas un mariage, car ce qui est promis pour le futur n’est pas encore réalisé, même si on y ajoute un serment, le mariage n’est pas encore réalisé, comme le dit le Maître dans le texte.

[19542] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod implere juramentum licitum, est de jure divino, non autem implere juramentum illicitum. Unde si aliqua obligatio sequens juramentum faciat illud illicitum cum prius fuisset licitum, non derogat juri divino qui juramentum prius factum non servat ; et ita est in proposito. Illicite enim juratur quod illicite promittitur ; promissio autem de alieno est illicita ; unde consensus sequens per verba de praesenti, quo aliquis transfert dominium sui corporis in aliam, facit praecedens juramentum esse illicitum, quod prius licitum erat.

1. Accomplir un serment licite relève du droit divin, mais non pas accomplir un serment illicite. Si une obligation découlant d’un serment rend illicite ce qui était auparavant licite, celui qui n’observe pas le serment fait antérieurement ne déroge pas au droit divin. Tel est ici le cas. En effet, est illicitement juré ce qui est promis illicitement. Or, la promesse faite pour un autre est illicite. Aussi le consentement qui en découle sous forme de paroles portant sur le présent, par lequel quelqu’un transfère à une autre la possession de son corps, fait-elle en sorte que le serment précédent est illicite, alors qu’il était licite antérieurement.

[19543] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veritas divina efficacissima est ad firmandum illud cui adhibetur.

2. La vérité divine est la plus efficace pour confirmer ce pour quoi elle est utilisée.

[19544] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Unde patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisème argument est ainsi claire.

[19545] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod juramentum operatur aliquid non novam obligationem faciens, sed factam confirmans ; et sic gravius peccat qui eam violat.

4. Le serment réalise quelque chose, non pas en ajoutant une nouvelle obligation, mais en confirmant celle qui a été réalisée. Ainsi, celui qui la viole pèche-t-il plus gravement.

 

 

Articulus 2

[19546] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 tit. Utrum carnalis copula post verba de futuro consensum exprimentia faciat matrimonium

Article 2 – L’union charnelle, après des paroles exprimant un consentement dans l’avenir, réalise-t-elle le mariage ?

[19547] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod carnalis copula post verba de futuro consensum exprimentia faciat matrimonium. Quia magis est consentire facto quam verbo. Sed ille qui carnaliter commiscetur, facto consentit promissioni quam prius fecit. Ergo videtur quod multo magis per hoc fiat matrimonium quam si solis verbis de praesenti consensus fieret.

1. Il semble que l’union charnelle, après des paroles exprimant un consentement dans l’avenir, réalise le mariage, car consentir de fait est plus que consentir par la parole. Or, celui qui s’unit charnellement consent de fait à la promesse qu’il a faite antérieurement. Il semble donc qu’il réalise à bien plus forte raison le mariage, que si un consentement portant sur le présent n’était fait que par les seules paroles.

[19548] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, consensus non solum expressus, sed etiam interpretativus, facit matrimonium. Sed nulla potest esse major interpretatio consensus quam carnalis copula. Ergo per hoc perficitur matrimonium.

2. Le consentement non seulement exprimé, mais interprété, réalise le mariage. Or, il ne peut y avoir d’interprétation plus grande que le consentement à l’union charnelle. Le mariage est donc ainsi réalisé.

[19549] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis conjunctio carnalis praeter matrimonium facta, est peccatum. Sed mulier non videtur peccare admittens sponsum ad carnalem copulam. Ergo per hoc fit matrimonium.

3. Toute union charnelle réalisée hors du mariage est un péché. Or, une femme ne semble pas pécher en acceptant son fiancé pour l’union charnelle. Le mariage est donc ainsi réalisé.

[19550] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, non dimittitur peccatum, nisi restituatur ablatum. Sed quis non potest mulieri quam defloravit sub specie matrimonii, restituere ablatum, nisi eam in conjugium ducat. Ergo videtur quod si etiam post carnalem copulam cum alia contraxerit per verba de praesenti, teneatur ad primam redire ; quod non esset, nisi inter eos esset matrimonium. Ergo carnalis copula post consensum de futuro facit matrimonium.

4. Le péché n’est pas remis si ce qui a été enlevé n’est pas restitué. Or, on ne peut remettre à une femme qu’en l’épousant, ce qui lui a été enlevé en la déflorant sous l’apparence d’un mariage. Il semble donc que si, après l’union charnelle, il contracte par des paroles portant sur le présent, il soit tenu de revenir à la première, ce qui ne serait pas le cas s’il n’y avait pas mariage entre eux. L’union charnelle après un consentement portant sur le futur réalise donc le mariage.

[19551] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Nicolaus Papa : si consensus in nuptiis defuerit, cetera etiam cum ipso coitu celebrata frustrantur.

Cependant, [1] ce que dit le pape Nicolas va en sens contraire: « S’il n’y a pas eu consentement au mariage, le reste, même avec l’union charnelle, est célébré en vain. »

[19552] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quod consequitur aliquid, non facit ipsum. Sed carnalis copula sequitur matrimonium, sicut effectus causam. Ergo non potest facere matrimonium.

[2] Ce qui découle de quelque chose ne le réalise pas. Or, l’union charnelle découle du mariage comme l’effet de sa cause. Elle ne réalise donc pas le mariage.

[19553] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de matrimonio possumus loqui dupliciter. Uno modo quantum ad forum conscientiae ; et sic in rei veritate carnalis copula non habet quod perficiat matrimonium, cujus sponsalia praecesserunt per verba de futuro, si consensus interior desit : quia verba etiam de praesenti exprimentia consensum, si consensus mentis deesset, non facerent matrimonium, ut supra dictum est. Alio modo quantum ad judicium Ecclesiae : et quia in exteriori judicio secundum ea quae foris patent, judicatur ; cum nihil possit expressius significare consensum quam carnalis copula, secundum judicium Ecclesiae carnalis copula consequens sponsalia matrimonium facere judicatur, nisi aliqua signa expressa doli vel fraudis appareant.

Réponse

On peut parler du mariage de deux manières. D’une manière, quant au for de la conscience. Ainsi, selon la vérité de la chose, l’union charnelle ne peut réaliser le mariage, pour lequel les fiançailles ont précédé par les paroles portant sur le futur, si le consentement intérieur fait défaut, car les paroles, même au présent, exprimant le consentement, si le consentement de l’esprit faisait défaut, ne réaliseraient pas le mariage, comme on l’a dit plus haut. D’une autre manière, selon le jugement de l’Église. Et parce que, dans un jugement extérieur, on juge de ce qui apparaît à l’extérieur, puisque rien ne peut exprimer plus explicitement le consentement que l’union charnelle, selon le jugement de l’Église, il est jugé que l’union charnelle consécutive aux fiançailles réalise le mariage, à moins que n’apparaissent des signes explicites de dol ou de fraude.

[19554] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui carnaliter commiscetur facto, consentit in carnalem copulam secundum rei veritatem ; sed in matrimonium non consentit ex hoc ipso, nisi secundum interpretationem juris.

1. Celui qui s’unit charnellement de fait consent en vérité à l’union charnelle ; mais il ne consent pas ainsi par le fait même au mariage, si ce n’est selon l’interprétation du droit.

[19555] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod interpretatio illa non mutat rei veritatem, sed judicium quod exterius de rebus fit.

2. Cette interprétation ne change pas la réalité, mais le jugement qui est porté de l’extérieur sur les choses.

[19556] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si sponsa sponsum admittat credens eum velle matrimonium consummare, excusatur a peccato, nisi aliqua signa expressa fraudis appareant ; sicut si sunt multum distantis conditionis, vel quantum ad nobilitatem, vel quantum ad fortunam, vel aliud signum evidens appareat. Sed tamen sponsus peccat et fornicando, et (quod plus est) fraude quam facit.

3. Si la fiancée accueille son fiancé en croyant qu’il veut consommer le mariage, elle est exempte de péché, à moins que des signes explicites de fraude n’apparaissent, comme s’ils sont d’une condition très différente, soit en raison de la noblesse, soit en raison de la fortune, soit qu’apparaisse quelque autre signe évident. Cependant, le fiancé pèche en forniquant, et davantage s’il fait cela par fraude.

[19557] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in tali casu sponsus antequam aliam duxerit, tenetur eam ducere in uxorem, si sint aequalis conditionis, vel si sponsa sit melioris conditionis. Sed si aliam duxerit, jam factus est impotens ad solvendum illud ad quod tenebatur : et ideo sufficit, si ei de nuptiis providerit : et ad hoc etiam non tenetur, ut quidam dicunt, si sponsus sit multo melioris conditionis, aut aliquod signum evidens fraudis fuerit : quia praesumi probabiliter potest, quod sponsa non fuerit decepta, sed decipi se finxerit.

4. Dans un tel cas, le fiancé, avant d’en épouser une autre, est tenu de la prendre comme épouse, s’ils sont d’égale condition ou si la fiancée est d’une condition meilleure. Mais s’il en a épousé une autre, il est déjà devenu impuissant à accomplir ce à quoi il était tenu. C’est pourquoi il suffit qu’il voie à ce qu’elle se marie. Et, comme le disent certains, il n’est pas tenu non plus à cela, si le fiancé est de bien meilleure condition ou s’il y avait un signe évident de fraude, car on peut présumer de manière probable que la fiancée n’a pas été trompée, mais qu’elle s’est arrangée pour être trompée.

 

 

Articulus 3

[19558] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 tit. Utrum consensus in occulto factus per verba de praesenti faciat matrimonium

Article 3 – Le consentement par des paroles portant sur le présent réalise-t-il le mariage ?

 

[19559] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod consensus in occulto factus per verba de praesenti non facit matrimonium. Res enim in potestate alterius existens non transfertur in potestatem alterius, nisi consentiente illo in cujus potestate erat. Sed puella erat in potestate patris. Ergo non potest per matrimonium transire in potestatem viri, nisi patre consentiente ; et ita, si fiat in occulto consensus, etiam per verba de praesenti expressus, non erit matrimonium.

1. Il semble que le consentment fait par des paroles portant sur le présent réalise le mariage. En effet, une chose qui se trouve au pouvoir d’un autre n’est transférée au pouvoir d’un autre que par le consentement de celui au pouvoir de qui elle était. Or, la jeune fille était au pouvoir de son père. Elle ne peut donc pas passer par le mariage au pouvoir de son mari qu’avec le consentement du père. Et ainsi, si le consentement est fait de manière occulte, même s’il est exprimé par des paroles portant sur le présent, il n’y aura pas mariage.

[19560] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut in matrimonio est actus noster quasi de essentia sacramenti, ita in poenitentia. Sed sacramentum poenitentiae non perficitur nisi mediantibus Ecclesiae ministris, qui sunt sacramentorum dispensatores. Ergo nec matrimonium potest perfici in occulto absque sacerdotali benedictione.

2. De même que, dans le mariage, notre acte fait partie de l’essence du sacrement, de même en est-il dans la pénitence. Or, le sacrement de pénitence n’est accompli que par l’intermédiaire des ministres de l’Église, qui sont les dispensateurs des sacrements. Le mariage ne peut donc pas non plus être accompli de manière occulte, sans la bénédiction sacerdotale.

[19561] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Baptismus, quia potest in occulto fieri, et in manifesto, non prohibetur ab Ecclesia fieri in occulto. Sed Ecclesia prohibet clandestina matrimonia. Ergo non possunt fieri in occulto.

3. L’Église n’interdit pas d’accomplir de manière occulte le baptême, qui peut être accompli de manière occulte ou manifeste. Or, l’Église interdit les mariages clandestins. Ils ne peuvent donc pas être accomplis de manière occulte.

[19562] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, inter eos qui in secundo gradu sibi attinent, non potest matrimonium contrahi, quia Ecclesia prohibuit. Sed similiter Ecclesia prohibuit clandestina matrimonia. Ergo non possunt esse vera matrimonia.

4. Un mariage ne peut être contracté entre ceux qui sont parents au second degré, parce que l’Église l’a interdit. Or, de la même manière, l’Église a interdit les mariages clandestins. Ils ne peuvent donc pas être de vrais mariages.

[19563] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, posita causa ponitur effectus. Sed causa efficiens matrimonii est consensus, per verba de praesenti expressus. Ergo, sive fiat in publico, sive in occulto, matrimonium sequitur.

Cependant, [1] une fois la cause posée, l’effet est posé. Or, la cause efficiente du mariage est le consentement exprimé par des paroles portant sur le présent. Que celui-ci soit donné en public ou qu’il soit donné de manière occulte, le mariage en découle donc.

[19564] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est debita forma et debita materia, ibi est sacramentum. Sed in occulto matrimonio servatur debita materia, quia sunt personae legitimae ad contrahendum ; et debita forma, quia sunt verba de praesenti consensum exprimentia. Ergo est ibi verum matrimonium.

[2] Partout où existe la forme appropriée et la matière appropriée, là existe un mariage. Or, dans un mariage occulte, la matière appropriée est respectée, car il s’agit de personnes autorisées à contracter ; et la forme appropriée, car il s’agit de paroles qui expriment un consentement portant sur le présent. C’est donc là un vrai mariage.

[19565] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut in aliis sacramentis quaedam sunt de essentia sacramenti, quibus omissis non est sacramentum, quaedam autem ad solemnitatem sacramenti pertinent, quibus omissis verum perficitur sacramentum, quamvis peccet qui omittit : ita etiam consensus expressus per verba de praesenti inter personas legitimas ad contrahendum, matrimonium facit : quia haec duo sunt de essentia sacramenti ; alia autem omnia sunt de solemnitate sacramenti, quia ad hoc adhibentur ut matrimonium convenientius fiat ; unde si omittantur, verum matrimonium est, quamvis peccent sic contrahentes, nisi per aliquam legitimam causam excusentur.

Réponse

De même que, dans les autres sacrements, certaines choses font partie de l’essence du sacrement et qu’il n’y a pas sacrement si elles sont omises, mais que certaines relèvent de la solennité du sacrement et qu’un vrai sacrement est réalisé si elles sont omises, bien que celui qui les omette pèche, de même aussi le consentement exprimé par des paroles portant sur le présent entre des personnes autorisées à contracter réalise-t-il un mariage, car ces deux choses font partie de l’essence du sacrement, mais toutes les autres relèvent de la solennité du sacrement, et on y fait appel pour que le mariage soit célébré de manière plus approprié. Si elles sont omises, il y a donc un vrai mariage, bien que ceux qui contractent ainsi pèchent, à moins qu’ils ne soient excusés par une raison légitime.

[19566] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod puella non est in potestate patris quasi ancilla, ut sui corporis potestatem non habeat, sed quasi filia ad educandum ; et ideo secundum hoc quod libera est, potest se in potestatem alterius absque consensu patris dare, sicut etiam potest aliquis vel aliqua intrare religionem absque consensu parentum, cum sit persona libera.

1. Une jeune fille n’est pas au pouvoir de son père comme une servante, de sorte qu’elle n’ait pas pouvoir sur con corps, mais comme une fille qui doit être éduquée. C’est pourquoi, dans la mesure où elle est libre, elle peut se donner au pouvoir d’un autre sans le consentement de son père, de la même manière que quelqu’un ou quelqu’une peut entrer en religion sans le consentement de ses parents, puisqu’elle est une personne libre.

[19567] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus noster in poenitentia quamvis sit de essentia sacramenti, non est tamen sufficiens ad inducendum proximum effectum sacramenti, scilicet absolutionem a peccatis ; et ideo oportet quod ad perfectionem sacramenti interveniat actus sacerdotis. Sed in matrimonio actus nostri sunt causa sufficiens ad inducendum proximum effectum, qui est obligatio : quia quicumque est sui juris, potest se alteri obligare : et ideo sacerdotis benedictio non requiritur in matrimonio quasi de essentia sacramenti.

2. Bien que, dans la pénitence, notre acte fasse partie de l’essence du sacrement, il n’est cependant pas suffisant pour entraîner l’effet rapproché du sacrement : l’absolution des péchés. C’est pourquoi il est nécessaire pour la perfection du sacrement qu’intervienne un acte du prêtre. Mais, dans le mariage, nos actes sont la cause qui suffit pour entraîner l’effet rapproché, qui est l’obligation, car quiconque relève de son propre droit peut s’obliger envers un autre. C’est pourquoi la bénédiction du prêtre n’est pas requise dans le mariage comme une partie essentielle du sacrement.

[19568] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam prohibitum est quod Baptismum nullus recipiat nisi a sacerdote, nisi in articulo necessitatis. Matrimonium autem non est sacramentum necessitatis ; et ideo non est similis ratio. Prohibentur autem clandestina matrimonia propter pericula quae inde evenire solent : quia frequenter in talibus est aliqua fraus ex altera parte ; frequenter etiam ad alia conjugia transeunt, dum poenitent de istis quae subito facta sunt, et multa alia mala inde accidunt ; et speciem turpitudinis praeter hoc habent.

3. Il a été aussi interdit que personne ne reçoive le baptême que d’un prêtre, sauf dans un cas d’urgence. Or, le mariage n’est pas un sacrement nécessaire. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. Mais les mariages clandestins ont été interdits en raison des dangers qui peuvent en provenir, car, fréquemment, il y a fraude de l’autre partie dans de tels cas. Fréquemment aussi, ils passent à d’autre mariages, lorsqu’ils se repentent de ce qui est arrivé subitement, et beaucoup d’autres maux arrivent à cause de cela. Ils ont aussi en plus une apparence de honte.

[19569] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non sunt prohibita clandestina matrimonia quasi contra essentialia matrimonii existentia, sicut sunt prohibita matrimonia illegitimarum personarum, quae sunt materia indebita huic sacramento ; et ideo non est simile.

4. Les mariages clandestins n’ont pas été interdits parce qu’ils vont contre ce qui est essentiel au mariage, comme sont interdits les mariages des personnes non autorisées, lesquelles sont une matière inappropriée à ce sacrement. Aussi n’est-ce pas la même chose.

 

 

Articulus 4

[19570] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 tit. Utrum consensus qui facit matrimonium, sit consensus in carnalem copulam

Article 4 – Le consentement qui réalise le mariage est-il le consentement à l’union charnelle ?

[19571] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod consensus qui facit matrimonium, sit consensus in carnalem copulam. Quia, sicut dicit Hieronymus : voventibus virginitatem non solum nubere, sed velle nubere, damnabile est. Sed non esset damnabile, nisi esset virginitati contrarium ; cui nuptiae non contrariantur nisi ratione carnalis copulae. Ergo consensus voluntatis qui est in nuptiis, est in carnalem copulam.

1. Il semble que le consentement qui réalise le mariage soit le consentement à l’union charnelle, car, comme le dit Jérôme : « Pour ceux qui font voeu de virginité, il est condamnable non seulement de se marier, mais de vouloir se marier. » Or, cela ne serait pas condamnable si ce n’était contraire à la virginité qu’en raison de l’union charnelle. Le consentement de la volonté qui existe dans le mariage porte donc sur l’union charnelle.

[19572] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, omnia quae sunt in matrimonio inter virum et uxorem, possunt esse licite inter fratrem et sororem, excepta carnali copula. Sed non potest licite inter eos fieri consensus matrimonialis. Ergo consensus matrimonialis est consensus in carnalem copulam.

2. Tout qui existe dans le mariage entre le mari et l’épouse peut exister licitement entre un frère et une soeur, sauf l’union charnelle. Or, il ne peut exister entre eux de consentement matrimonial. Le consentement matrimonial est donc un consentement portant sur l’union charnelle.

[19573] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si mulier dicat viro, consentio in te, ut non cognoscas me, non est consensus matrimonialis : quia aliquid est ibi contra substantiam praedicti consensus. Sed non esset, nisi dictus consensus esset in carnalem copulam. Ergo et cetera.

3. Si une femme dit à l’homme : « Je consens à toi, mais tu ne dois pas me connaître », ce n’est pas un consentement matrimonial, car il y a là quelque chose de contraire au consentement en cause. Or, ce ne serait pas le cas si le consentement en question ne portait pas sur l’union charnelle. Donc, etc.

[19574] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, in qualibet re initium consummationi respondet. Sed matrimonium consummatur per carnalem copulam. Ergo, cum initietur per consensum, videtur quod consensus sit in carnalem copulam.

4. En toute chose, le commencement correspond à la consommation. Or, le mariage est consommé par l’union charnelle. Puisqu’il est commencé par le consentement, il semble donc que le consentement porte sur l’union charnelle.

[19575] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, nullus consentiens in carnalem copulam est virgo mente et carne. Sed beatus Joannes Evangelista post consensum nuptialem est virgo mente et carne. Ergo non consensit in carnalem copulam.

Cependant, [1] personne qui consent à l’union charnelle n’est vierge en esprit et dans sa chair. Or, le bienheureux Jean l’évangéliste est vierge en esprit et dans sa chair après un consentement nuptial. Il n’a donc pas consenti à l’union charnelle.

[19576] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, effectus respondet causae. Sed consensus est causa matrimonialis. Cum ergo de essentia matrimonii non sit carnalis copula, videtur quod nec consensus qui matrimonium facit, sit in carnalem copulam.

[2] L’effet répond à la cause. Or, le consentement est une cause du mariage. Puisque l’essence du mariage n’est pas l’union charnelle, il semble donc que le consentement non plus, qui réalise le mariage, ne porte pas sur l’union charnelle.

[19577] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod consensus qui matrimonium facit, est consensus in matrimonium : quia effectus proprius voluntatis est ipsum volitum ; unde sicut se habet carnalis copula ad matrimonium, ita consensus qui matrimonium causat, est in carnalem copulam. Matrimonium autem, ut supra dictum est, non est essentialiter ipsa conjunctio carnalis ; sed quaedam associatio viri et uxoris in ordine ad carnalem copulam, et alia quae ex consequenti ad virum et uxorem pertinent, secundum quod eis datur potestas invicem respectu carnalis copulae ; et haec associatio conjugalis copula dicitur. Unde patet quod bene dixerunt illi qui dixerunt, quod consentire in matrimonium est consentire in carnalem copulam implicite, non explicite. Non enim debet intelligi, nisi sicut implicite continetur effectus in sua causa : quia potestas carnalis copulae, in quam consentitur, est causa carnalis copulae, sicut potestas utendi re sua est causa usus.

Réponse

Le consentement qui réalise le mariage est le consentement au mariage, car l’effet propre de la volonté est cela même qui est voulu. Le rapport entre le mariage et l’union charnelle, est donc le même qu’entre le consentement qui cause le mariage et l’union charnelle. Or, comme on l’a dit plus, haut, le mariage n’est pas essentiellement l’union charnelle elle-même, mais une certaine association du mari et de l’épouse en vue de l’union charnelle et des autres choses qui concernent par voie de conséquence le mari et l’épouse, selon qu’un pouvoir réciproque leur est donné par rapport à l’union charnelle. Cette association conjugale est appelée union [copula]. Il est donc clair qu’ont bien parlé ceux qui ont dit que consentir au mariage, c’est consentir implicitement à l’union charnelle, mais non explicitement. En effet, cela ne doit être compris que dans la mesure où l’effet est contenu implicitement dans sa cause, car le pouvoir sur l’union charnelle auquel on consent est cause de l’union charnelle, comme le pouvoir de faire usage de ce qui est sien est cause de son usage.

[19578] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod consensus in matrimonium ideo est damnabilis post votum virginitatis, quia per talem consensum datur potestas ad id quod non licet ; sicut peccaret qui daret potestatem alteri accipiendi illud quod ipse in deposito habet, non solum in hoc quod ei actualiter traderet. De consensu autem beatae virginis infra dicetur.

1. Le consentement au mariage est si condamnable après le vœu de virginité parce que, par une tel consentement, un pouvoir est donné de faire ce qui n’est pas permis, comme pécherait celui qui donnerait pouvoir à un autre de prendre ce que lui-même a en dépôt, et non seulement ce qu’il lui aurait donné effectivement. Il sera question plus loin du consentement de la bienheureuse Vierge.

[19579] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inter fratrem et sororem non potest esse potestas in invicem ad carnalem copulam, sicut nec licite carnalis copula ; et ideo ratio non consequitur.

2. Entre un frère et une sœur, il ne peut y avoir de pouvoir réciproque en vue de l’uunion charnelle, comme l’union charnelle n’est pas permise. Le raisonnement n’est donc pas probant.

[19580] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa conditio explicita non solum actui, sed potestati contrariatur carnalis copulae ; et ideo est contraria matrimonio.

3. Cette condition explicite n’est pas contraire seulement à l’acte mais au pouvoir de l’union charnelle. Elle est donc contraire au mariage.

[19581] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod initiatum matrimonium respondet consummato, sicut habitus vel potestas actui qui est operatio.

4. Le mariage commencé répond au mariage consommé comme l’habitus ou la puissance à l’acte qui est l’opération.

[19582] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 ad s. c. Rationes autem contrariae ostendunt quod non sit consensus in carnalem copulam explicite ; et hoc verum est.

Les raisons données en sens contraire montrent qu’il n’y a pas consentement à l’union charnelle de manière explicite, et cela est vrai.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 28

[19583] Super Sent., lib. 4 d. 28 q. 1 a. 4 expos. Sine quibus legitime fit quantum ad virtutem, non honestatem sacramenti. Contra. In secundis nuptiis non est benedictio sacerdotalis, et tamen est honestas matrimonii. Et dicendum, quod non est ibi honestas quantum ad perfectam significationem matrimonii ; unde propter defectum sacramenti benedictio intermittitur. Matrimonium non facit consensus et cetera. Hoc intelligitur quantum ad judicium Ecclesiae ; sed quantum ad judicium conscientiae solus consensus matrimonium facit firmum. Quia non de capite, nec de pedibus, sed de latere. Videtur quod sit de excellentissimo loco sumpta : quia cor est membrorum principalissimum, juxta quod sunt costae. Et dicendum, quod cor est nobilissimum quantum ad originem vitae, sed caput quantum ad complementum virtutum, quibus fit motus et sensus, in quibus consistit vita sensitiva.

 

 

 

Distinctio 29

 

Distinction 29 – [Les empêchements au consentement au mariage]

Prooemium

Prologue

[19584] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 pr. Postquam ostendit Magister quod consensus sit causa matrimonii, hic ostendit quibus impediatur consensus, ne matrimonium efficere possit ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de impedimento coactionis ; in secunda de impedimento erroris, 30 dist., ibi : nec solum coactio impedit vel excludit consensum, sed etiam error. Prima in tres : in prima ostendit quod coactus consensus non facit matrimonium ; in secunda ostendit quod si post coactionem liber consensus adveniat, matrimonium verum erit, ibi : verumtamen qui inviti et coacte conjuncti sunt, si postea ab aliquo temporis spatio sine contradictione et querimonia cohabitaverint, facultate discedendi vel reclamandi habita, consentire videntur ; in tertia, qualiter intelligendus sit aliquis consentire, ibi : consentire autem probatur. Hic quaeruntur quatuor : 1 utrum aliquis consensus possit esse coactus ; 2 utrum aliqua coactio cadat in constantem virum ; 3 utrum consensus coactus faciat matrimonium ; 4 utrum aliquis possit cogi a patre ad contrahendum matrimonium.

Après avoir montré que le consentement est la cause du mariage, le Maître montre ici ce par quoi le consentement est empêché, de sorte qu’il ne puisse réaliser le mariage. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de l’empêchement de la coercition ; dans la seconde, de l’empêchement de l’erreur, à la d. 30, à cet endroit : « Non seulement la coercition empêche ou écarte le consentement, mais aussi l’erreur. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre que le consentement forcé ne réalise par le mariage. Dans la deuxième, il montre que si un consentement libre survient après la coercition, ce sera un vrai mariage, à cet endroit : « Mais ceux qui se sont unis malgré eux et par coercition, s’ils cohabitent par la suite pendant un certain temps sans opposition ni contestation, alors qu’ils avaient la possibilité de se séparer ou de protester, paraissent consentir. » Dans la troisième, [il montre] comment il faut comprendre que quelqu’un consent, à cet endroit : « Le consentement est démontré. » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Un consentement peut-il être forcé ? 2 – La coercition affecte-t-elle un homme constant ? 3 – Le consentement forcé réalise-t-il un mariage ? 4 – Quelqu’un peut-il être forcé par son père à contracter mariage ?

 

 

Articulus 1

[19585] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliquis consensus possit esse coactus

Article 1 – Un consentement peut-il être forcé ?

[19586] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nullus consensus possit esse coactus. Coactio enim in liberum arbitrium cadere non potest secundum aliquem statum ejus, ut in 2 Lib., dist. 25, quaest. 1, art. 1, dictum est. Sed consensus est actus liberi arbitrii. Ergo non potest esse coactus.

1. Il semble qu’aucun consentement ne puisse être forcé. En effet, la coercition ne peut s’exercer sur le libre arbitre dans aucun de ses états, comme on l’a dit dans le livre II, d. 25, q. 1, a. 1. Or, le consentement est un acte du libre arbitre. Il ne peut donc pas être forcé.

[19587] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, violentum, quod est idem quod coactum, secundum philosophum, est cujus principium est extra, nil conferente vim passo. Sed consensus omnis principium est intra. Ergo nullus consensus potest esse coactus.

2. Être violenté, ce qui est la même chose qu’être forcé, selon le Philosophe, vient d’un principe extérieur, auquel ce qui y est sujet ne contribue aucunement. Or, le principe de tout consentement se trouve à l’intérieur. Aucun consentement ne peut donc être forcé.

[19588] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne peccatum in consensu perficitur. Sed illud quo perficitur peccatum, cogi non potest ; quia secundum Augustinum, nullus peccat in eo quod vitare non potest. Cum ergo vis a juristis definiatur esse majoris rei impetus, qui repelli non potest ; videtur quod consensus esse non possit coactus vel violentus.

3. Tout péché est accompli par consentement. Or, ce par quoi le péché est accompli ne peut être forcé, car, selon Augustin, personne ne pèche en ce qu’il ne peut éviter. Puisque la force est définie par les juristes comme l’impulsion d’une réalité plus grande qui ne peut être repoussée, il semble donc que le consentement ne puisse être forcé ou violenté.

[19589] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, dominium libertati opponitur. Sed coactio ad dominium pertinet, ut patet in quadam definitione Tullii : dicit enim, quod vis est impetus dominantis retinens rem infra terminos alienos. Ergo vis in liberum arbitrium non cadit ; et ita nec in consensum, qui est actus ejus.

4. La domination s’oppose à la liberté. Or, la coercition relève de la domination, comme cela ressort d’une définition de Tullius [Cicéron]. En effet, il dit que la force est l’impulsion d’un pouvoir dominant qui maintient une chose à l’intérieur de limites [qui lui sont] étrangères. La force n’affecte donc pas le libre arbitre, et ainsi non plus le consentement qui en est l’acte.

[19590] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod esse non potest, non potest aliquid impedire. Sed coactio consensus impedit matrimonium, ut in littera dicitur. Ergo consensus potest cogi.

Cependant, [1] ce qui ne peut exister ne peut pas empêcher quelque chose. Or, la coercition du consentement empêche le mariage, comme le texte le dit. Le consentement peut donc être forcé.

[19591] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in matrimonio est quidam contractus. Sed in contractibus potest esse voluntas coacta ; unde legislator in integrum restitutionem adjudicat, ratum non habens quod vi, sive metus causa, factum est. Ergo etiam in matrimonio potest esse consensus coactus.

[2] Dans le mariage, existe un contrat. Or, dans les contrats, une volonté forcée peut exister ; c’est ainsi que le législateur adjuge la restitution complète, en ne confirmant pas ce qui a été fait par la force ou en raison de la crainte. Un consentement forcé peut donc aussi exister dans le mariage.

[19592] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod duplex est coactio vel violentia. Una quae facit necessitatem absolutam ; et tale violentum dicitur a philosopho violentum simpliciter ; ut cum quis alium corporaliter impellit ad motum. Alia quae facit conditionatam necessitatem ; et hanc vocat philosophus violentum mixtum ; sicut cum quis projicit merces in mare, ne periclitetur ; et in isto violento, quamvis hoc quod fit, non sit per se voluntarium, tamen consideratis circumstantiis hic et nunc voluntarium est. Et quia actus in particularibus sunt, ideo simpliciter voluntarium est, sed secundum quid involuntarium ; unde haec violentia vel coactio potest esse in consensu, qui est actus voluntatis ; non autem prima. Et quia haec coactio fit ex hoc quod timetur aliquod periculum imminens ; ideo ista vis idem est quod metus, qui voluntatem cogit quodammodo ; sed prima vis cadit etiam in corporalibus actibus. Et quia legislator non considerat solum interiores actus, sed magis exteriores, ideo per vim intelligit coactionem simpliciter ; propter quod vim contra metum dividit. Sed nunc agitur de consensu interiori, in quem non cadit coactio seu vis, quae a metu distinguitur ; et ideo, quantum ad propositum pertinet, idem est coactio quod metus. Est autem metus, secundum jurisperitos, instantis vel futuri periculi causa, mentis trepidatio.

Réponse

Il existe une double coercition ou violence. L’une impose une nécessité absolue. Ce qui est ainsi violenté est appelé par le Philosophe violenté de manière absolue, comme lorsque quelqu’un en pousse un autre à se mouvoir. L’autre [coercition] impose une nécessité conditionnelle. Le Philosophe l’appelle violenté mixte, comme lorsque quelqu’un jette une marchandise à la mer afin de ne pas couler. Dans ce genre de violence, bien que ce qui est fait ne soit pas volontaire par soi, en considérant cependant les circonstances, il est cependant volontaire ici et maintenant. Et parce que les actes portent sur le particulier, cela est donc volontaire de manière absolue, mais involontaire de manière relative. Aussi une telle violence ou coercition peut-elle exister dans le consentement, qui est un acte de la volonté, mais non la première. Et parce que cette coercition vient du fait qu’on craint un danger imminent, cette force est la même chose que la crainte, qui force la volonté d’une certaine manière ; mais la première force affecte même les actes corporels. Et parce que le législateur ne considère pas seulement les actes intérieurs, mais surtout les actes extérieurs, il entend par la force la coercition absolue ; c’est la raison pour laquelle il oppose la force à la crainte. Mais maintenant, il est question du consentement intérieur que n’affecte pas la coercition ou la force qu’on oppose à la crainte. C’est pourquoi, pour ce qui est en cause, la coercition est la même chose que la crainte. Or, selon les experts en droit, la crainte est une agitation causée par un danger imminent ou futur.

[19593] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta : nam primae rationes procedunt de coactione prima, secundae de secunda.

Les réponses aux objections sont ainsi claires, car les premières objections viennent de la première coercition, et les deuxièmes, de la seconde [coercition].

 

 

Articulus 2

[19594] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 tit. Utrum coactio metus cadat in constantem virum

Article 2 – La coercition de la crainte affecte-t-elle un homme constant ?

[19595] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod coactio metus non cadat in constantem virum. Quia de ratione constantis est quod non trepidet in periculis. Cum ergo metus sit trepidatio mentis ratione periculi imminentis, videtur quod non cogatur metu.

1. Il semble que la coercition de la crainte n’affecte pas un homme constant, car il fait partie du caractère de l’homme constant qu’il ne soit pas agité dans les dangers. Puisque la crainte est une agitation de l’esprit en raison d’un danger imminent, il semble donc que [l’homme constant] ne soit pas forcé par la crainte.

[19596] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnium terribilium finis est mors, secundum philosophum in 3 Ethic., quasi perfectissimum inter terribilia. Sed constantes non coguntur morte : quia fortis etiam pericula mortis sustinet. Ergo nullus metus cadit in constantem virum.

2. Le terme de tout ce qui peut être craint est la mort, selon le Philosophe dans Éthique, III, car elle est ce qu’il y a de plus achevé parmi ce qui peut être craint. Or, les hommes constants ne sont pas forcés par la mort, car l’homme fort supporte même les dangers de mort. Aucun crainte n’affecte donc l’homme constant.

[19597] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter alia pericula praecipue timetur a bonis periculum famae. Sed timor infamiae non reputatur timor cadens in constantem virum ; quia, ut dicit lex, timor infamiae non continetur illo edicto quod metus causa factum est. Ergo nec aliquis alius metus cadit in constantem virum.

3. Parmi les autres dangers, les bons craignent surtout un danger pour leur réputation [fama]. Or, la crainte de l’infamie [infamia] n’est pas considérée comme une crainte qui affecte l’homme constant, car, ainsi que le dit la loi, « la crainte de l’infamie n’est pas contenue dans l’édit qui a été fait en raison de la crainte ». Une autre crainte n’affecte donc pas l’homme constant.

[19598] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, metus in eo qui metu cogitur, peccatum relinquit : quia facit eum promittere quod non vult solvere ; et sic facit eum mentiri. Sed non est constantis aliquod etiam peccatum minimum pro aliquo timore facere. Ergo nullus metus cadit in constantem virum.

4. Chez celui qui est forcé par la crainte, la crainte laisse un péché, car elle lui fait promettre ce qu’il ne veut pas acquitter, et ainsi elle le fait mentir. Or, le plus petit péché en raison d’une crainte n’est pas le fait de l’homme constant. Aucun crainte n’affecte donc l’homme constant.

[19599] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Abraham et Isaac constantes fuerunt. Sed in eis cecidit metus : quia ratione metus dixerunt uxores suas esse sibi sorores. Ergo metus potest cadere in constantem virum.

Cependant, [1] Abraham et Isaac étaient des hommes constants. Or, la crainte les a frappés, car, en raison de la crainte, ils ont dit que leurs épouses étaient leurs sœurs. La crainte peut donc affecter l’homme constant.

[19600] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est violentum mixtum, est aliquis metus cogens. Sed aliquis, quantumcumque constans, potest pati tale violentum : quia si sit in mari, merces projicit tempore naufragii. Ergo metus potest cadere in constantem virum.

[2] Partout où se trouve une violence mixte, existe une crainte qui contraint. Or, aussi constant soit-il, quelqu’un peut être l’objet d’une telle violence, car, s’il est sur la mer, il jette la marchandise en temps de naufrage. La crainte peut donc affecter l’homme constant.

[19601] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cadere metum in aliquem, est aliquem metu cogi. Cogitur autem aliquis metu, quando aliquid facit quod alias non vellet, ad evitandum aliquid quod timet. In hoc autem constans ab inconstanti distinguitur quantum ad duo. Primo quantum ad qualitatem periculi quod timetur ; quia constans sequitur rationem rectam, per quam scit quid prosit dimittendum vel faciendum. Semper autem minus malum vel majus bonum eligendum est ; et ideo constans ad minus malum sustinendum cogitur metu majoris mali ; non autem cogitur ad majus malum ut vitet minus malum. Sed inconstans cogitur ad majus malum propter metum minoris mali ; sicut ad peccatum propter metum corporalis poenae. Sed pertinax e contrario non potest cogi etiam ad minus malum sustinendum vel faciendum, ut evitet majus malum ; unde constans est medius inter inconstantem et pertinacem. Secundo differunt quo ad aestimationem periculi imminentis : quia constans non nisi ex forti aestimatione et probabili cogitur ; sed inconstans ex levi. Proverb. 18, 1 : fugit impius nemine persequente.

Réponse

Que quelqu’un soit affecté par la crainte signifie qu’il est forcé par la crainte. Or, quelqu’un est forcé par la crainte lorsqu’il fait quelque chose qu’il ne voudrait pas autrement pour éviter quelque chose qu’il craint. Sur ce point, l’homme constant se distingue de l’inconstant sur deux points. Premièrement, quant à la qualité du danger qui est craint, car l’homme constant suit la raison droite par laquelle il sait ce qu’il est utile d’écarter ou de faire. Or, le moindre mal ou le plus grand bien doit toujours être choisi. C’est pourquoi l’homme constant est forcé de supporter un moindre mal par la crainte d’un mal plus grand ; mais il n’est pas forcé [de supporter] un mal plus grand pour éviter un mal moindre. Mais l’inconstant est forcé [de supporter] un mal plus grand par crainte d’un mal moindre : ainsi, [il est forcé] au péché par crainte d’une peine corporelle. Mais, au contraire, l’entêté ne peut être forcé à supporter ou à faire un moindre mal pour éviter un mal plus grand. Aussi l’homme constant occupe-t-il le milieu entre l’homme inconstant et l’entêté. Deuxièmement, [l’homme constant et l’homme inconstant] diffèrent par l’estimation du péril imminent, car l’homme constant n’est forcé que par une estimation forte et probable, mais l’homme inconstant, par [une estimation] légère. Pr 18, 1 : L’impie fuit alors que personne ne le poursuit.

[19602] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod constans, sicut de forti philosophus dicit, intrepidus est, non quod omnino non timeat, sed quia non timet quae non oportet, vel ubi vel quando non oportet.

1. L’homme constant, comme le dit le Philosophe, est intrépide, non pas qu’il ne craigne pas du tout, mais parce qu’il ne craint pas ce qu’il ne faut pas [craindre] ou à l’endroit ou au moment où il ne le faut pas.

[19603] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccata sunt maxima malorum ; et ideo ad hoc nullo modo potest homo constans cogi ; immo magis debet homo mori quam talia sustinere, ut etiam philosophus, in 3 Ethic., dicit. Sed quaedam damna corporalia sunt minora quibusdam aliis, quae sunt inter praecipua quae ad personam pertinent ; sicut mors, verbera, dehonestatio per stuprum, et servitus ; et ideo ex istis constans cogitur ad alia damna corporalia sustinenda ; et haec continentur hoc versu : stupri, sive status, verberis, atque necis. Nec differt, utrum haec pertineant ad personam propriam, vel uxoris, vel filiorum, aut aliorum hujusmodi.

2. Les péchés sont les plus grands des maux. C’est pourquoi l’homme constant ne peut y être d’aucune manière forcé, bien plus, l’homme doit plutôt mourir que de supporter de telles choses, comme même le Philosophe le dit, dans Éthique, III. Mais certains maux corporels sont moins grands que d’autres, qui sont parmi les principaux qui se rapportent à la personne, comme la mort, les coups, l’humiliation par le viol et la servitude. C’est pourquoi l’homme constant est forcé de supporter d’autres maux corporels. Ils sont contenus dans le vers: « Le viol, ou son état, les coups et la mort. » Et cela ne fait pas de différence qu’ils se rapportent à sa propre personne ou à celle de son épouse, de ses fils ou d’autres de ce genre.

[19604] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod infamia quamvis sit magnum damnum, tamen ei de facili occurri potest ; et ideo non reputatur cadens in constantem virum metus infamiae secundum jura.

1. L’infamie, bien qu’elle soit un grand préjudice, peut cependant lui arriver facilement. C’est pourquoi la crainte de l’infamie n’est pas réputée par le droit affecter l’homme constant.

[19605] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod constans non cogitur ad mentiendum, quia tunc vult dare ; sed tamen postea vult petere restitutionem, vel saltem judici denuntiare, si se promisit non petiturum restitutionem. Non potest autem promittere se non denuntiaturum, cum hoc sit contra bonum justitiae, ad quod cogi non potest, ut scilicet contra justitiam faciat.

4. L’homme constant n’est pas forcé de mentir parce qu’il veut alors donner ; cependant, par la suite, il veut demander restitution ou tout au moins dénoncer au juge, s’il s’est promis de ne pas demander restitution. Mais il ne peut promettre qu’il ne dénoncera pas, puisque cela est contraire au bien de la justice, auquel il ne peut être forcé, de sorte qu’il agisse contre la justice.

 

 

Articulus 3

[19606] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 tit. Utrum consensus coactus tollat matrimonium

Article 3 – Un consentement forcé écarte-t-il le mariage ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un consentement forcé écarte-t-il le mariage ?]

 

[19607] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod consensus coactus non tollat matrimonium. Quia sicut ad matrimonium requiritur consensus, ita ad Baptismum requiritur intentio. Sed coactus timore ad accipiendum Baptismum recipit sacramentum. Ergo et coactus ad consentiendum aliquo timore matrimonio obligatur.

1. Il semble que le consentement forcé écarte le mariage, car, de même que le consentement est requis pour le mariage, de même l’intention est-elle requise pour le baptême. Or, celui qui est forcé par la crainte à recevoir le baptême reçoit le sacrement. Celui qui est forcé à consentir au mariage par une certaine crainte est donc aussi lié par le mariage.

[19608] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, violentum mixtum, secundum philosophum, plus habet de voluntario quam de involuntario. Sed non potest aliter consensus coactus esse nisi per violentum mixtum. Ergo non omnino excluditur voluntarium ; et ita adhuc est matrimonium.

2. Selon le Philosophe, la violence mixte comporte plus de volontaire que d’involontaire. Or, un consentement forcé ne peut exister autrement que par une violence mixte. Le volontaire n’en est donc pas complètement exclu, et ainsi le mariage existe-t-il encore.

 [19609] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ei qui consentit in matrimonium coactus, consulendum videtur quod in matrimonio illo stet : quia speciem mali habet promittere et non solvere, a quo apostolus vult nos abstinere. Hoc autem non esset, si consensus coactus omnino matrimonium tolleret. Ergo et cetera.

3. Il faut conseiller à celui qui a donné un consentement forcé au mariage de demeurer dans ce mariage, car promettre sans acquitter a l’apparence du mal, ce dont l’Apôtre veut que nous nous abstenions. Or, ce ne serait pas le cas si le consentement forcé écartait complètement le mariage. Donc, etc.

[19610] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod decretalis dicit : cum consensus locum non habeat ubi metus vel coactio intercedit, necesse est ut ubi communis consensus requiritur, coactionis materia repellatur. Sed in matrimonio requiritur communis consensus. Ergo et cetera.

Cependant, [1] une décrétale dit en sens contraire : « Puisque le consentement n’a pas lieu là où la crainte ou la coercition interviennent, il est nécessaire que, là où un consentement commun est requis, l’objet de la coercition soit enlevé. » Or, dans le mariage, un consentement commun est requis. Donc, etc.

[19611] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, matrimonium significat conjunctionem Christi ad Ecclesiam, quae fit secundum libertatem amoris. Ergo non potest fieri per coactum consensum.

[2] Le mariage signifie l’union du Chirst à l’Église, qui se réalise selon la liberté de l’amour. Il ne peut donc être réalisé par un consentement forcé.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Un consentement forcé réalise-t-il un mariage, du moins de la part de celui qui exerce la coercition ?]

[19612] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consensus coactus saltem ex parte cogentis faciat matrimonium. Quia matrimonium est signum spiritualis conjunctionis. Sed spiritualis conjunctio, quae est per caritatem, potest esse ad eum qui non habet caritatem. Ergo et matrimonium ad eum qui non vult.

1. Il semble qu’un consentement forcé réalise un mariage, du moins de la part de celui qui exerce la coercition, car le mariage est le signe d’une union spirituelle. Or, l’union spirituelle, qui se réalise par la charité, peut exister avec celui qui n’a pas la charité. Donc, le mariage avec celui qui ne le veut pas.

[19613] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si illa quae fuit coacta, postmodum consentiat, erit verum matrimonium. Sed iste qui coegit primo, ex consensu illius non ligatur. Ergo ex primo consensu ligabatur matrimonio.

2. Si [la femme] qui a été forcée consent par la suite, ce sera un vrai mariage. Or, celui qui a exercé en premier la coercition n’est pas lié par son consentement. Elle était donc liée par le premier consentement.

[19614] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, matrimonium est relatio aequiparantiae. Sed talis relatio est aequaliter in utroque. Ergo si sit impedimentum ex parte unius, non erit matrimonium ex parte alterius.

Cependant, le mariage est une relation d’égal à égal. Or, une telle relation existe également chez les deux. S’il existe un empêchement d’un côté, il n’existera donc pas de mariage de l’autre.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le mariage existe-t-il en vertu d’un consentement conditionnel ?]

[19615] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec per consensum conditionatum fiat matrimonium. Quia quod sub conditione ponitur, non simpliciter enuntiatur. Sed in matrimonio oportet esse verba simpliciter exprimentia consensum. Ergo conditio alicujus consensus non facit matrimonium.

1. Il semble que le mariage existe en vertu d’un consentement conditionnel, car ce qui est affirmé sous condition n’est pas énoncé de manière absolue. Or, dans le mariage, il est nécessaire qu’il y ait des paroles qui expriment le consentement de manière absolue. La condition affectant un consentement ne réalise donc pas le mariage.

[19616] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, matrimonium debet esse certum. Sed ubi dicitur aliquid sub conditione, ponitur illud sub dubio. Ergo talis consensus non facit matrimonium.

2. Le mariage doit être certain. Or, là où on quelque chose est exprimé sous condition, on y introduit un doute. Un tel consentement ne réalise donc pas le mariage.

[19617] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, in aliis contractibus fit obligatio sub conditione, et stat stante conditione. Ergo cum matrimonium sit contractus quidam, videtur quod possit fieri per conditionatum consensum.

Cependant, [1] dans d’autres contrats, l’obligation est faite sous condition et elle demeure aussi longtemps que demeure la condition. Puisque le mariage est un contrat, il semble donc qu’il puisse être fait sous condition.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19618] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod vinculum matrimonii perpetuum est ; unde illud quod perpetuitati repugnat, tollit matrimonium. Metus autem qui cadit in constantem virum, perpetuitatem contractus tollit, quia potest peti restitutio in integrum : quia talis coactio metus qui cadit in constantem virum, tollit matrimonium, et non alia. Constans autem vir judicatur virtuosus, qui est mensura in omnibus operibus humanis, ut philosophus dicit in 3 Ethicor., cap. 9 vel 10. Quidam autem dicunt, quod si adsit consensus, quamvis coactus, interius est matrimonium quantum ad Deum, sed non quantum ad statum Ecclesiae, quae praesumit ibi non fuisse consensum interiorem propter metum. Sed hoc nihil est : quia Ecclesia non debet praesumere de aliquo peccatum quosque probetur. Peccavit autem, si dixit se consentire, et non consensit. Unde Ecclesia praesumit eum consensisse, sed judicat illum consensum extortum non esse sufficientem ad faciendum matrimonium.

Le lien du mariage est perpétuel ; aussi, ce qui s’oppose à la perpétuité écarte le mariage. Or, la crainte qui affecte un homme constant écarte la perpétuité du contrat, car une restitution intégrale peut être demandée. En effet, cette coercition de la crainte qui affecte l’homme constant écarte le mariage, mais non une autre. Or, l’homme constant est jugé vertueux et il est la mesure de toutes les actions humaines, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, 9 ou 10. Mais certains disent que s’il y a consentement, même forcé, il existe à l’intérieur un mariage au regard de Dieu, mais non du point de vue de l’état de l’Église, qui présume qu’il n’y a pas eu consentement intérieur en raison de la crainte. Mais cela est futile, car l’Église ne doit pas présumer un péché chez quelqu’un avant [corr. : quosque/quousque] qu’il ne soit démontré. Mais il a péché s’il a dit qu’il avait consenti, alors qu’il n’avait pas consenti. Aussi l’Église présume-t-elle qu’il a consenti, mais elle juge que ce consentement extorqué ne suffit pas pour réaliser un mariage.

[19619] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intentio non est causa efficiens sacramenti in Baptismo, sed solum eliciens actionem agentis ; sed consensus est causa efficiens in matrimonio ; et ideo non est simile.

1. L’intention n’est pas la cause efficiente du sacrement dans le baptême, mais seulement [une cause] qui suscite l’action de celui qui agit ; mais le consentement est la cause efficiente dans le mariage. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose.

[19620] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad matrimonium non sufficit quodcumque voluntarium, sed voluntarium complete : quia debet esse perpetuum ; et ideo per violentum mixtum impeditur.

2. Pour le mariage, ne suffit pas n’importe quel volontaire, mais un volontaire complet, car il doit être perpétuel. C’est pourquoi il est empêché par la violence mixte.

[19621] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non semper debet induci ad hoc quod in matrimonio ille stet, sed solum quando timetur periculum de dissolutione : alias autem non peccat : quia non solvere promissa quae nolens facit, non est species mali.

3. On ne doit pas toujours l’induire à demeurer dans le mariage, mais seulement lorsqu’on craint un danger en raison de la dissolution. Mais, autrement, il ne pèche pas, car il n’y a pas apparence de mal à ce que celui qui ne le veut pas n’accomplisse pas ce qu’il a promis.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19622] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod cum matrimonium sit quaedam relatio, et non possit innasci relatio in uno extremorum sine hoc quod fiat in alio ; ideo quidquid impedit matrimonium in uno, impedit ipsum in altero ; quia non potest esse quod aliquis sit vir non uxoris, vel quod aliqua sit uxor non habens virum, sicut mater non habens filium ; et ideo communiter dicitur, quod matrimonium non claudicat.

Puisque le mariage est une certaine relation et qu’une relation ne peut apparaître dans l’un des extrêmes sans ce qui est accompli dans l’autre, tout ce qui empêche le mariage pour l’un l’empêche donc pour l’autre, car il ne peut se faire que quelqu’un soit le mari de celle qui n’est pas son épouse ou que quelqu’une soit une épouse qui n’a pas de mari, comme une mère qui n’a pas de fils. C’est pourquoi on dit communément que le mariage ne boite pas.

[19623] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis actus amantis possit transire in non amantem, tamen unio inter eos non potest esse nisi sit mutua amatio ; et ideo dicit philosophus in 8 Ethicor., quod ad amicitiam, quae in quadam unione consistit, requiritur redamatio.

1. Bien que l’acte de celui qui aime puisse passer en celui qui n’aime pas, cependant l’union entre eux ne peut exister s’il n’y a pas d’amour réciproque. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, que le retour d’amour est nécessaire à l’amitié, qui consiste dans une certaine union.

[19624] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex consensu libero illius qui prius coactus est, non fit matrimonium, nisi inquantum consensus praecedens in altero adhuc manet in suo vigore ; unde si dissentiret, non fieret matrimonium.

2. Le masriage ne se réalise pas par le libre consentement de celui qui a d’abord été forcé, à moins que le consentement précédent demeure encore en vigueur chez l’autre. Aussi, s’il n’était pas d’accord, il n’y aurait pas de mariage.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19625] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod conditio apposita, aut est de praesenti, aut de futuro. Si de praesenti, et non est contraria matrimonio, sive sit honesta sive inhonesta, stat matrimonium stante conditione, et ea non stante non stat ; sed si sit contraria bonis matrimonii, non efficit matrimonium, sicut etiam supra de sponsalibus dictum est. Si autem sit conditio de futuro : aut est necessaria, sicut solem oriri cras ; et tunc est matrimonium, quia talia futura jam sunt praesentia in suis causis : aut est contingens, sicut datio pecuniae, vel acceptatio parentum ; et tunc idem est judicium de tali consensu sicut de consensu qui fit per verba de futuro ; unde non facit matrimonium.

La condition posée porte soit sur le présent, soit sur le futur. Si elle porte sur le présent et n’est pas contraire au mariage, qu’elle soit bonne ou mauvaise, le mariage tient aussi longtemps que demeure la condition, et il ne tient pas si celle ne demeure pas. Mais si elle est contraire aux biens du mariage, elle ne réalise pas le mariage, comme on l’a dit plus haut des fiançailles. Mais si [la condition] porte sur le futur, elle est soit nécessaire, comme le fait que le soleil se lèvera demain : alors, il y a mariage, car ces réalité futures sont présentes dans leurs causes. Ou bien [la condition portant sur le futur] est contingente, comme un don d’argent ou l’acceptation par les parents : alors le jugement sur un tel consentement est le même que sur un consentement qui est fait par des paroles portant sur le futur. Il ne réalise donc pas le mariage.

[19626] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Articulus 4

[19627] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 tit. Utrum aliquis praecepto patris possit compelli ad matrimonium

Article 4 – Peut-on être forcé au mariage par un ordre de son père ?

[19628] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod aliquis praecepto patris possit compelli ad matrimonium contrahendum. Coloss. 3, 20 : filii obedite parentibus vestris per omnia. Ergo etiam in hoc eis obedire tenentur.

1. Il semble qu’on puisse être forcé de contracter mariage par un ordre de son père. Col 3, 20 : Fils, obéissez à vos parents en toutes choses. Ils sont donc obligés d’obéir même pour cela.

[19629] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Genes. 28, Isaac praecepit Jacob quod non acciperet uxorem de filiabus Chanaan. Non autem praecepisset, nisi de jure praecipere potuisset. Ergo filius in hoc tenetur obedire patri.

2. En Gn 28, Isaac a ordonné à Jacob de ne pas prendre épouse parmi les filles de Canaan. Or, il ne l’aurait pas ordonné s’il n’avait pu l’ordonner selon le droit. Le fils est donc tenu d’obéir à son père sur ce point.

[19630] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullus debet promittere, praecipue per juramentum, pro illo quem non potest cogere ad servandum. Sed parentes promittunt futura matrimonia pro filiis, et etiam juramento firmant. Ergo possunt praecepto cogere filios ad implendum.

3. Personne ne doit promettre, surtout par serment, pour celui qu’il ne peut forcer à le respecter. Or, les parents promettent de futurs mariages pour leurs fils et le confirment même par serment. Ils peuvent donc forcer par un ordre leurs fils à accomplir [la promesse].

[19631] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, pater spiritualis, scilicet Papa, potest compellere praecepto ad matrimonium spirituale, scilicet ad episcopatum accipiendum. Ergo et pater carnalis ad carnale matrimonium.

4. Le père spirituel, le pape, peut forcer par un ordre à un mariage spirituel, à savoir, à accepter l’épiscopat. Donc aussi, le père charnel à un mariage charnel.

[19632] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, patre imperante matrimonium, filius potest sine peccato religionem intrare. Ergo non tenetur ei in hoc obedire.

Cependant, [1] alors que son père ordonne son mariage, un fils peut sans péché entrer en religion. Il n’est donc pas tenu de lui obéir sur ce point.

[19633] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, si teneretur obedire, sponsalia per parentes contracta absque consensu filiorum essent stabilia. Sed hoc est contra jura. Ergo et cetera.

[2] S’il était tenu d’obéir, les fiançailles contractées par les parents sans le consentement de leurs fils seraient définitives. Or, cela est contre le droit. Donc, etc.

[19634] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum matrimonium sit quaedam quasi servitus perpetua, pater non potest cogere filium ad matrimonium per praeceptum, cum sit liberae conditionis, sed potest eum inducere ex rationabili causa ; et tunc sicut se habet filius ad causam illam, ita se habet ad praeceptum patris ; ut si illa causa cogat de necessitate vel de honestate, et praeceptum similiter cogat, alias non.

Réponse

Puisque le mariage est pour ainsi dire une servitude perpétuelle, le père ne peut contraindre son fils au mariage par un ordre, puisqu’il est de condition libre, mais il peut l’y induire pour un motif raisonnable. Alors, le rapport du fils avec cette cause est le même qu’avec le commandement du père, de sorte que si cette cause contraint par sa nécéssité ou par sa bonté, le commandement contraint de la même manière, autrement, [il ne contraint] pas.

[19635] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum apostoli non intelligitur in illis in quibus sicut pater est liber, ita et filius ; et hujusmodi est matrimonium, per quod etiam filius fit pater.

1. La parole de l’Apôtre ne porte pas sur ce en quoi le fils et libre comme son père. Le mariage est de ce genre, par lequel même le fils devient père.

[19636] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Jacob alias tenebatur ad faciendum hoc quod mandavit Isaac, tum propter malitiam illarum mulierum, tum quia semen Chanaan de terra quae semini patriarcharum promittebatur, erat disperdendum ; et ideo Isaac praecipere poterat.

2. Jacob était obligé pour une autre raison de faire ce qu’Isaac lui avait ordonné, tant en raison de la malice de ces femmes que parce la descendance de Canaan, sur la terre qui était promise à la descendance des patriarches, devait disparître. C’est pourquoi Isaac pouvait ordonner.

[19637] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non jurant nisi illa conditione subintellecta : si illis placuerit : et ipsi obligantur ad eos bona fide inducendum.

3. Ils ne font serment que sous la condition sous-entendue que cela leur plaise; ceux-ci sont tenus de les induire de bonne foi.

[19638] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod Papa non potest praecipere alicui quod accipiat episcopatum : quia consensus debet esse liber. Sed hoc posito, periret ecclesiasticus ordo. Nisi enim aliquis posset cogi ad suscipiendum regimen Ecclesiae, Ecclesia conservari non posset ; cum quandoque illi qui sunt idonei, hoc nolint suscipere nisi coacti. Et ideo dicendum, quod non est simile hinc inde : quia non est aliqua corporalis servitus in matrimonio spirituali sicut in corporali : est enim spirituale matrimonium, sicut quoddam officium dispensandae reipublicae, 1 Corinth. 4, 1 : sic nos existimet homo, ut ministros Christi.

4. Certains disent que le pape ne peut ordonner à quelqu’un de recevoir l’épiscopat, car le consentement doit être libre. Mais, si on acceptait cela, l’ordre de l’Église disparaîtrait. En effet, si quelqu’un ne pouvait être forcé de recevoir le gouvernement de l’Église, l’Église ne pourrait être maintenue, puisque parfois ceux qui sont aptes ne veulent l’accepter que forcés. C’est pourquoi il faut dire que ce n’est pas la même chose dans les deux cas, car il n’existe pas de servitude corporelle dans le mariage spirituel comme dans le mariage corporel : en effet, le maraige spirituel ressemble à une fonction d’administration de la communauté, 1 Co 4, 1 : Qu’on nous considère comme les ministres du Christ.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 29

[19639] Super Sent., lib. 4 d. 29 q. 1 a. 4 expos. Legati principis Jordani retulerunt. Videtur quod non possit fieri matrimonium per internuntios : quia si ante adventum nuntii alter poeniteat, non erit matrimonium. Et dicendum, quod potest aliquis alterum procuratorem constituere ad consentiendum : tamen si ante poeniteat quam ille consentiat, non est matrimonium nec in rei veritate, nec secundum judicium Ecclesiae, si aliquibus signis appareat poenituisse. Sed ex quo consensus per internuntios factus est, matrimonium tenet ac si ipse fecisset. Consentire autem probatur qui evidenter non contradicit. Hoc intelligitur quantum ad forum Ecclesiae : quia quantum ad forum conscientiae, si interius dissentiat quamvis exterius non reclamet, non est matrimonium.

 

 

 

Distinctio 30

Distinction 30 – [Le mariage et l’erreur]

 

 

Prooemium

Prologue

[19640] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 pr. Postquam ostendit Magister quod consensus matrimonii impeditur per coactionem, hic ostendit quod impeditur per errorem ; et dividitur haec distinctio in partes tres : in prima determinat de impedimento erroris ; in secunda de consensu qui fuit in matrimonio b. virginis, ibi : praemissis aliquid addendum est ; in tertia de causa finali matrimonii, ibi : exposito quae sit efficiens causa matrimonii, consequens est ostendere ob quam causam soleat vel debeat contrahi matrimonium. Circa primum tria facit. Primo ostendit quis error matrimonium impediat : secundo objicit in contrarium, ibi : sed objicitur de Jacob etc. ; tertio solvit, ibi : sed quod ibi factum est, in mysterio gestum non improbe traditur. Praemissis aliquid addendum est. Hic determinat de consensu quod fuit in matrimonio b. virginis ; et circa hoc duo facit : primo ostendit cujusmodi consensus ille fuit ; secundo ostendit quod matrimonium illud fuit perfectum, ibi : inter quos, ut ait Augustinus, perfectum fuit conjugium. Exposito quae sit efficiens causa matrimonii et cetera. Hic determinat de causa finali matrimonii ; et primo de causis matrimonii in generali ; secundo de causis matrimonii b. virginis, ibi : habuit autem conjugium Mariae et Joseph alias causas speciales. Circa primum duo facit : primo ponit causas finales matrimonii, et principales et secundarias ; secundo excludit errorem, ibi : nec est assentiendum illis qui dicunt, non esse conjugium quod propter has causas minus honestas contrahitur. Ubi duo facit : primo ostendit quod malus finis non facit quod non sit matrimonium ; secundo ostendit quod non facit quod non sit matrimonium bonum, ibi : et licet fine non bono contrahatur conjugium, quando species contrahentis movet animum, conjugium tamen bonum est. Hic est duplex quaestio. Prima de matrimonio in communi. Secunda de matrimonio beatae virginis. Circa primum quaeruntur tria : 1 utrum error de sui natura matrimonium impediat ; 2 quis error ; 3 de causa finali matrimonii.

Après avoir montré que le mariage est empêché par la coercition, le Maître montre ici qu’il est empêché par l’erreur. Cette distinction se divise en trois parties. Dans la première, il détermine de l’empêchement de l’erreur ; dans la deuxième, du consentement qui a existé dans le mariage de la bienheureuse Vierge, à cet endroit : « Il faut ajouter quelque chose à ce qui a été dit auparavant » ; dans la troisième, de la cause finale du mariage, à cet endroit : « Après avoir exposé quelle est la cause efficiente du mariage, il faut ensuite montrer pour quelle cause on a l’habitude ou l’on doit contracter mariage. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre quelle erreur empêche le mariage. Deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais on objecte à propos de Jacob, etc. » Troisièmement, il la résout, à cet endroit : « Mais ce qui a été fait alors, on enseigne avec raison que cela a été accompli en mystère. » « Il faut ajouter quelque chose à ce qui a été dit auparavant. » Ici, il détermine du consentement qui a existé dans le mariage de la bienheureuse Vierge. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre de quelle nature a été ce consentement ; deuxièmement, il montre que ce mariage a été parfait », à cet endnroit : « Comme le dit Augustin, ce fut entre eux un mariage parfait. » « Après avoir exposé quelle est la cause efficiente du mariage, etc. » Ici, il détermine de la cause finale du mariage : premièrement, des causes du mariage en général ; deuxièmement, des causes du mariage de la bienheureuse Vierge, à cet endroit : « Mais le mariage de Marie et de Joseph a eu par ailleurs des causes spéciales. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente les causes finales du mariage, tant les causes principales que les causes secondaires ; deuxièmement, il écarte une erreur, à cet endroit : « Et on ne saurait être d’accord avec ceux qui disent que n’est pas un mariage celui qui est contracté pour ces raisons moins bonnes. » Il fait là deux choses : premièrement, il montre qu’une fin mauvaise ne fait pas en sorte qu’il n’y ait pas mariage ; deuxièmement, il montre qu’elle ne fait pas en sorte qu’il n’y ait pas de mariage bon, à cet endroit : « Et bien qu’un mariage ne soit pas contracté pour une fin bonne, lorsque l’aspect de celle qui contracte émeut l’âme, le mariage est cependant bon. » Ici, il y a deux questions : la première, sur le mariage en général ; la deuxième, sur le mariage de la bienheureuse Vierge. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – L’erreur empêche-t-elle le mariage par sa nature même ? 2 – Quelle erreur ? 3 – À propos de la cause finale du mariage.

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’erreur doit-elle être présentée comme un empêchement au mariage par elle-même ?]

 

 

Articulus 1

[19641] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 tit. Utrum error debeat poni matrimonii impedimentum per se

Article 1 – L’erreur doit-elle être présentée comme un empêchement au mariage par elle-même ?

[19642] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod error non debeat poni matrimonii impedimentum per se. Consensus enim, qui est causa efficiens matrimonii, impeditur sicut et voluntarium. Sed voluntarium, secundum philosophum in 3 Ethic., cap. 7, ponitur impediri per ignorantiam, quae non est idem quod error : quia ignorantia nullam cognitionem ponit ; sed error ponit ; eo quod approbare falsa pro veris sit error, secundum Augustinum. Ergo non debuit hic poni impedimentum matrimonii error, sed magis ignorantia.

1. Il semble que l’erreur ne doive pas êttre présentée comme un empêchement au mariage par elle-même. En effet, le consentement, qui est la cause efficiente du mariage, est empêché, de même que le volontaire. Or, selon le Philosophe dans Éthique, III, 7, le volontaire est présenté comme empêché par l’ignorance, qui n’est pas la même chose que l’erreur, car l’ignorance ne suppose aucune connaissance, mais l’erreur en suppose une, de sorte qu’approuver comme vrai ce qui est faux est une erreur, selon Augustin. On ne devait donc pas présenter ici l’erreur comme un empêchement au mariage, mais plutôt l’ignorance.

[19643] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud potest impedire matrimonium de sui natura, quod habet contrarietatem ad bona matrimonii. Sed error non est hujusmodi. Ergo error, de sui natura, non impedit matrimonium.

2. Peut empêcher le mariage par sa nature même ce qui est contraire aux biens du mariage. Or, l’erreur n’est pas de cette sorte. Par sa nature, l’erreur n’empêche donc pas le mariage.

[19644] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut consensus requiritur ad matrimonium, ita intentio requiritur ad Baptismum. Sed si aliquis baptizat Joannem, et credit baptizare Petrum, nihilominus Joannes vere baptizatus est. Ergo error non excludit matrimonium.

3. De même que le consentement est requis pour le mariage, de même l’intention est-elle requise pour le baptême. Or, si quelqu’un baptise Jean en croyant baptiser Pierre, Jean n’en sera pas moins baptisé. L’erreur n’écarte donc pas le mariage.

[19645] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, inter Liam et Jacob fuit verum matrimonium. Sed ibi fuit error. Ergo error non excludit matrimonium.

4. Il y a eu un vrai mariage entre Liam et Jacob. Or, il y eut là erreur. L’erreur n’écarte donc pas le mariage.

[19646] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in Digestis dicitur : quid tam contrarium est consensui, quam error ? Sed consensus requiritur ad matrimonium. Ergo error matrimonium impedit.

Cependant, [1] il est dit en sens contraire dans le Digeste : « Qu’est-ce qui est plus contraire au consentement que l’erreur ? » Or, le consentement est requis pour le mariage. L’erreur empêche donc le mariage.

[19647] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, consensus aliquid voluntarium nominat. Sed error impedit voluntarium : quia voluntarium, secundum philosophum, et Gregorium Nyssenum, et Damascenum, est cujus principium est in aliquo sciente singularia, in quibus est actus ; quod erranti non competit. Ergo error matrimonium impedit.

[2] Le consentement désigne quelque chose de volontaire. Or, l’erreur empêche le volontaire, car, selon le Philosophe, Grégoire de Nysse et [Jean] Damascène, le volontaire a son principe chez celui qui connaît les réalités singulières, sur lesquelles porte un acte, ce qui ne convient pas à celui qui erre. L’erreur empêche donc le mariage.

[19648] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidquid impedit causam, de sui natura impedit et effectum similiter. Consensus autem est causa matrimonii, ut dictum est ; et ideo quod evacuat consensum, evacuat matrimonium. Consensus autem voluntatis est actus, qui praesupponit actum intellectus. Deficiente autem primo, necessarium est defectum contingere in secundo ; et ideo, quando error cognitionem impedit, sequitur etiam in ipso consensu defectus, et per consequens in matrimonio ; et sic error de jure naturali habet quod evacuet matrimonium.

Réponse

Tout ce qui empêche la cause empêche aussi l’effet par sa nature même. Or, le consentement est la cause du mariage, comme on l’a dit. C’est pourquoi ce qui fait disparaître le consentement fait disparaître le mariage. Or, le consentement est un acte de la volonté, qui présuppose un acte de l’intellect. Si le premier fait défaut, il est donc nécessaire qu’un défaut survienne dans le second. C’est pourquoi lorsque l’erreur empêche la connaissance, il en découle aussi un défaut dans le consentement et, par conséquent, dans le mariage. Ainsi, selon le droit naturel, l’erreur fait par elle-même disparaître le mariage.

[19649] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignorantia differt, simpliciter loquendo, ab errore : quia ignorantia de sui ratione non importat aliquem cognitionis actum : sed error ponit judicium rationis perversum de aliquo. Tamen quantum ad hoc quod est impedire voluntarium, non differt utrum dicatur ignorantia vel error : quia nulla ignorantia potest impedire voluntarium nisi quae habet errorem adjunctum, eo quod actus voluntatis praesupponit aestimationem sive judicium de aliquo in quod fertur. Unde si est ibi ignorantia, oportet esse errorem ; et ideo etiam ponitur error quasi causa proxima.

1. À parler simplement, l’ignorance diffère de l’erreur, car l’ignorance ne comporte pas par sa nature même un acte de connaissance, mais l’erreur comporte un jugement défectueux de la raison à propos de quelque chose. Cependant, pour ce qui est d’empêcher le volontaire, parler d’ignorance ou d’erreur ne fait pas de différence, car aucune ignorance ne peut empêcher le volontaire à moins qu’une erreur y soit associée, du fait que l’acte de la volonté présuppose une estimation ou un jugement sur ce sur quoi il porte. S’il s’y trouve de l’ignorance, il faut donc qu’il y ait erreur. C’est pourquoi l’erreur est donnée aussi comme la cause prochaine.

[19650] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non contrarietur secundum se matrimonio, contrariatur tamen ei quantum ad causam suam.

2. Bien qu’elle ne soit pas contraire au mariage en elle-même, elle y est cependant contraire quant à sa cause.

[19651] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod character baptismalis non causatur ex intentione baptizantis directe, sed ex elemento materiali exterius adhibito. Intentio autem operatur solum ut dirigens elementum materiale ad effectum proprium. Sed vinculum conjugale ex ipso consensu causatur directe ; et ideo non est simile.

3. Le caractère baptismal n’est pas causé directement par l’intention de celui qui baptise, mais par l’élément matériel utilisé extérieurement. Or, l’intention n’agit que pour diriger l’élément matériel vers son effet propre. Mais le lien conjugal est causé directement par le consentement. C’est pourquoi il ne s’agit pas de la même chose.

[19652] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut Magister in littera dicit, matrimonium quod fuit inter Liam et Jacob non fuit perfectum ex ipso concubitu qui ex errore contingit, sed ex consensu qui postmodum accessit. Tamen uterque de peccato excusatur, ut in littera patet.

4. Comme le Maître le dit dans le texte, le mariage qui a existé entre Liam et Jacob ne fut pas réalisé par le fait qu’ils aient couché ensemble par erreur, mais par le consentement qui survint pas la suite. Cependant, les deux sont exempts de péché, comme cela est clair d’après le texte.

 

 

Articulus 2

[19653] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnis error matrimonium impediat

Article 2 – Est-ce que toute erreur empêche le mariage ?

[19654] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnis error matrimonium impediat, et non solum error conditionis aut personae, ut in littera dicitur. Quia quod alicui convenit secundum se, convenit ei secundum totum suum ambitum. Sed error de sui natura habet quod matrimonium impediat, ut dictum est. Ergo omnis error matrimonium impedit.

1. Il semble que toute erreur empêche le mariage, et non seulement l’erreur sur la condition ou sur la personne, comme on le dit dans le texte, car ce qui convient par soi à quelque chose lui convient selon toute son étendue. Or, l’erreur empêche le mariage par sa nature même, comme on l’a dit. Toute erreur empêche donc le mariage.

[19655] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, si error, inquantum hujusmodi, matrimonium impedit, magis error magis debet impedire. Sed magis est error fidei, qui est in haereticis non credentibus hoc sacramentum, quam error personae. Ergo magis debet impedire quam error personae.

2. Si l’erreur en tant que telle empêche le mariage, une plus grande erreur doit l’empêcher davantage. Or, l’erreur portant sur la foi, qui se trouve chez les hérétiques qui ne croient pas à ce sacrement, est une plus grande erreur que l’erreur sur la personne. Elle doit donc empêcher davantage que l’erreur sur la personne.

[19656] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, error non evacuat matrimonium nisi inquantum tollit voluntarium. Sed ignorantia cujuslibet circumstantiae voluntarium tollit, ut patet in 3 Ethicor. Ergo non solum error conditionis seu personae matrimonium impedit.

3. L’erreur ne fait disparaître le mariage que dans la mesure où elle enlève le volontaire. Or, l’ignorance de n’importe quelle circonstance enlève le volontaire, comme cela ressort d’Éthique, III. La seule erreur sur la condition ou sur la personne n’empêche donc pas le mariage.

[19657] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut conditio servitutis est aliquid annexum accidens personae, ita qualitas corporis aut animi. Sed error conditionis impedit matrimonium. Ergo eadem ratione error qualitatis aut fortunae.

4. De même que la condition de servitude est un accident associée à la personne, de même la qualité du corps ou de l’âme. Or, l’erreur sur la condition empêche le mariage. Pour la même raison, l’erreur sur la qualité ou sur la fortune.

[19658] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, sicut ad conditionem personae pertinet servitus et libertas, ita nobilitas vel ignobilitas, aut dignitas status, et privatio ejus. Sed error conditionis libertatis vel servitutis impedit matrimonium. Ergo et error aliorum dictorum.

5. De même que la servitude et la liberté se rapportent à la condition de la personne, de même sa noblesse ou son manque de noblesse, ou la dignité de son état et la privation de celle-ci. Or, l’erreur sur la condition de liberté ou de servitude empêche le mariage. Donc, l’erreur sur les autres choses qui ont été dites.

[19659] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut conditio servitutis impedit, ita etiam disparitas cultus, et impotentia coeundi, ut infra dicetur. Ergo sicut error conditionis ponitur impedimentum matrimonii, ita error circa alia hujusmodi deberet impedimentum matrimonii poni.

6. De même que la condition de servitude empêche, de même aussi la différence de culte et l’impuissance à l’union sexuelle, comme on le dira plus loin. De même que l’erreur sur la condition est donnée comme un empêchement au mariage, de même donc devrait-on présenter l’erreur sur les autres choses de ce genre comme un empêchement au mariage.

[19660] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 7 Sed contra, videtur quod nec error personae matrimonium impediat. Quia sicut emptio est quidam contractus, ita et matrimonium. Sed in emptione et venditione si detur aurum aequivalens pro alio auro, non impeditur venditio. Ergo nec matrimonium impeditur, si pro una muliere alia accipiatur.

Cependant, [1] il semble que même l’erreur sur la personne n’empêche pas le mariage, car de même que l’achat est un contrat, de même aussi le mariage. Or, dans l’achat et la vente, si l’on donne un or équivalent à un autre or, la vente n’est pas empêchée. Le mariage n’est donc pas non plus empêché si une femme est prise pour une autre.

[19661] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, potest contingere quod per multos annos isto errore detineantur, et filios et filias generent simul. Sed grave esset dicere, quod tunc essent dividendi. Ergo error primus non frustravit matrimonium.

[2] Il peut arriver que, pendant plusieurs années, ils soient retenus dans cette erreur, et qu’ils aient engendré ensemble des fils et des filles. Or, il serait grave de dire qu’ils doivent être alors séparés. La première erreur n’a donc pas fait qu’il n’y ait pas eu mariage.

[19662] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, potest contingere quod frater viri in quem se credidit consentire mulier, offeratur ei, et cum eo commisceatur carnaliter. Videtur ergo quod non possit redire ad illum in quem consentire se credidit, sed debeat stare cum fratre ejus ; et sic error personae non impedit matrimonium.

[3] Il peut arriver qu’on croie que le frère d’un homme auquel une femme croyait donner son consentement lui soit offert et qu’elle ait eu avec lui des relations charnelles. Il semble donc qu’elle ne puisse revenir à celui à qui elle croyait donner son consentement, mais qu’elle doive demeurer avec son frère. Ainsi, l’erreur sur la personne n’empêche pas le mariage.

[19663] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut error ex hoc quod involuntarium causat, habet excusare peccatum, ita quod matrimonium impediat ex eodem. Error autem non excusat a peccato, nisi sit illius circumstantiae cujus appositio vel remotio facit differentiam liciti et illiciti in actu. Si enim aliquis percutiat patrem baculo ferreo, quem credit ligneum esse, non excusatur a toto, quamvis forte a tanto ; sed si credat quis percutere filium causa disciplinae, et percutiat patrem, excusatur a toto, diligentia debita adhibita. Unde oportet quod error qui matrimonium impedit, sit alicujus eorum quae sunt de essentia matrimonii. Duo autem includit matrimonium ipsum ; scilicet personas quae conjunguntur, et mutuam potestatem in invicem, in qua matrimonium consistit. Primum autem tollitur per errorem personae ; secundum per errorem conditionis, quia servus non potest potestatem sui corporis alteri tradere sine consensu domini sui ; et propter hoc hi duo errores matrimonium impediunt, et non alii.

Réponse

De même que l’erreur, parce qu’elle cause l’involontaire, peut excuser du péché, de même peut-elle empêcher le mariage pour la même raison. Or, l’erreur n’excuse du péché que si elle porte sur une circonstance dont l’ajout ou l’enlèvement fait une différence entre ce qui est permis et défendu dans l’acte. En effet, si quelqu’un frappe son père avec un bâton en fer qu’il croit être en bois, il n’est pas excusé totalement, bien que peut-être partiellement. Mais si quelqu’un croit frapper son fils pour le corriger mais frappe son père, il est excusé totalement, à condition d’avoir pris le soin approprié. Il est donc nécessaire que l’erreur qui empêche le mariage porte sur une des choses qui font partie de l’essence du mariage. Or, le mariage comporte par lui-même deux éléments : les personnes qui sont unies et un pouvoir réciproque de l’une sur l’autre, en quoi consiste le mariage. Le premier élément est enlevé par l’erreur sur la personne ; le second, par l’erreur sur la condition, car un serf ne peut donner à un autre pouvoir sur son corps sans le consentement de son seigneur. Pour cette raison, ces deux erreurs empêchent le mariage, et non les autres.

[19664] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod error non habet ex natura generis quod impediat matrimonium, sed ex natura differentiae adjunctae ; prout scilicet est error alicujus eorum quae sunt de essentia matrimonii.

1. L’erreur n’empêche pas le mariage en raison de son caractère générique, mais par la nature de la différence associée, en tant qu’il s’agit d’une erreur sur l’une des choses qui font partie de l’essence du mariage.

[19665] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod error infidelis de matrimonio est circa ea quae sunt matrimonium consequentia, sicut an sit sacramentum, vel an sit licitum ; et ideo error talis matrimonium non impedit, sicut nec error circa Baptismum impedit acceptionem characteris, dummodo intendat facere vel recipere quod Ecclesia dat, quamvis credat nihil esse.

2. L’erreur sur le mariage au sujet d’un infidèle porte sur ce qui découle du mariage, à savoir s’il y a sacrement ou si celui-ci est licite. C’est pourquoi une telle erreur n’empêche pas le mariage, pas davantage que l’erreur à propos du baptême empêche la réception du caractère, pourvu qu’on ait l’intention de faire ou de recevoir ce que donne l’Église, bien qu’on croie que ce ne soit rien.

[19666] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non quaelibet ignorantia circumstantiae causat involuntarium quod excusat peccatum, ut dictum est ; et propter hoc ratio non sequitur.

3. Ce n’est pas n’importe quelle ignorance d’une circonstance qui cause l’involontaire qui excuse du péché, comme on l’a dit. Pour cette raison, l’argument n’est donc pas concluant.

[19667] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod diversitas fortunae non variat aliquid eorum quae sunt de essentia matrimonii, nec diversitas qualitatis, sicut facit conditio servitutis ; et ideo ratio non sequitur.

4. La différence de fortune ne modifie pas l’une des choses qui font partie de l’essence du mariage, ni la différence de qualité, comme le fait la condition de la servitude. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[19668] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod error nobilitatis, inquantum hujusmodi, non evacuat matrimonium eadem ratione qua nec error qualitatis. Sed si error nobilitatis vel dignitatis redundat in errorem personae, tunc impedit matrimonium ; unde si consensus mulieris feratur in istam personam directe, error de nobilitate ipsius non impedit matrimonium. Si autem directe intendit consentire in filium regis, quicumque sit ille, tunc si alius praesentetur ei quam filius regis, est error personae, et impedietur matrimonium.

5. L’erreur sur la noblesse en tant que telle ne fait pas disparaître le mariage pour la même raison que l’erreur sur la qualité. Mais si l’erreur sur la noblesse rejaillit sur l’erreur sur la personne, elle empêche alors le mariage. Si le consentement de la femme était donné à cette personne directement, l’erreur sur sa noblesse n’empêche pas le mariage. Mais si elle avait l’intention de donner son consentement au fils du roi, quel qu’il soit, si un autre que le fils du roi lui est présenté, il y a alors erreur sur la personne, et le mariage sera empêché.

[19669] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod error etiam illorum impedimentorum matrimonii quantum ad ea quae faciunt personas illegitimas, impedit matrimonium. Sed ideo de errore illorum non facit mentionem, quia illa impediunt matrimonium sive cum errore sive sine errore sint ; ut si aliqua contrahat cum subdiacono, sive sciat, sive non sciat, non est matrimonium. Sed conditio servitutis non impedit, si servitus sciatur ; et ideo non est simile.

6. Même l’erreur sur les empêchements au mariage qui rendent les personnes illégitimes empêche le mariage. Mais il ne mentionne pas l’erreur sur ces choses parce qu’elles empêchent le mariage, qu’elles soient accompagnées d’une erreur ou non, comme si une femme contracte mariage avec un sous-diacre, qu’elle le sache ou non, il n’y a pas mariage. Mais la condition de servitude ne l’empêche pas, si la servitude est connue. Ce n’est donc pas la même chose.

[19670] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod pecunia in contractibus accipitur quasi mensura aliarum rerum, ut patet in 5 Ethic., et non quasi propter se quaesita ; et ideo si non detur illa pecunia quae creditur sed alia aequivalens, nihil obest contractui ; sed si in re quaesita propter se esset error, impediretur contractus, sicut si alicui venderetur asinus pro equo ; et similiter est in proposito.

7. L’argent est accepté dans les contrats comme une mesure d’autres choses, comme cela ressort d’Éthique, V, et non en tant qu’il est recherché en lui-même. C’est pourquoi si n’est pas donné l’argent qu’on croit mais un autre équivalent, rien ne s’oppose au contrat ; mais s’il y avait erreur sur la chose recherchée en elle-même, le contrat serait empêché, comme si un âne était vendu à quelqu’un pour un cheval. Il en est ainsi dans ce qui est en cause.

[19671] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quantumcumque fuerit cum ea, nisi de novo consentire velit, non est matrimonium.

8. Autant qu’il ait été avec elle, s’il ne veut pas consentir de nouveau, il n’y a pas mariage.

[19672] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod si ante non consenserat in fratrem ejus, potest eum quem per errorem accepit, retinere ; nec potest ad fratrem ejus redire, praecipue si sit cognita carnaliter ab eo quem accepit. Si autem consenserat in primum per verba de praesenti, non potest secundum habere primo vivente ; sed potest vel saeculum relinquere, vel ad primum redire : et ignorantia facti excusat peccatum, sicut et excusaretur post consummatum matrimonium, si a consanguineo viri fraudulenter cognosceretur : quia fraus alterius non debet sibi praejudicare.

9. Si elle n’avait pas consenti auparavant à son frère, elle peut garder celui qu’elle a reçu par erreur, et elle ne peut revenir à son frère, surtout si elle a été connue charnellement par celui qu’elle a accepté. Mais si elle avait consenti en premier par des paroles portant sur le présent, elle ne peut avoir le second alors que le premier est vivant, mais elle peut soit quitter le siècle, soit revenir au premier. Et l’ignorance du fait excuse du péché, comme il serait excusé après la consommation du mariage, si elle était connue frauduleusement par un consanguin de son mari, car la fraude d’un autre ne doit pas lui porter préjudice.

 

 

Articulus 3

[19673] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 tit. Utrum matrimonium possit esse ex consensu alicujus in aliquam propter causam inhonestam

Article 3 – Le mariage peut-il exister par le consentement de quelqu’un à une femme pour une raison mauvaise ?

[19674] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod matrimonium non possit esse ex consensu alicujus in aliquam propter causam inhonestam. Unius enim una est ratio. Sed matrimonium est unum sacramentum. Ergo non potest fieri ex alterius finis intentione quam illius ad quem a Deo institutum est, scilicet ad procreationem prolis.

1. Il semble que le mariage ne puisse exister par le consentement de quelqu’un à une femme pour une raison mauvaise. En effet, il n’existe qu’une seule raison pour une seule chose. Or, le mariage est un sacrement unique. Il ne peut donc pas être accompli par l’intention d’une fin autre que celle pour laquelle il a été institué par Dieu, à savoir, la procréation d’une descendance.

[19675] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, conjunctio matrimonii est a Deo, ut patet Matth. 19, 6 : quos Deus conjunxit, homo non separet. Sed conjunctio quae fit propter turpes causas, non est a Deo. Ergo non est matrimonium.

2. L’union du mariage vient de Dieu, comme cela ressort de Mt 19, 6 : Ceux que Dieu a unis, que l’homme ne les sépare pas ! Or, l’union qui est faite pour des raisons honteuses ne vient pas de Dieu. Ce n’est donc pas un mariage.

[19676] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in aliis sacramentis si non servetur intentio Ecclesiae, non est verum sacramentum. Sed intentio Ecclesiae in sacramento matrimonii non est ad aliquam turpem causam. Ergo si ex aliqua turpi causa matrimonium contrahatur, non erit verum matrimonium.

3. Dans les autres sacrements, si l’intention de l’Église n’est pas respectée, ce n’est pas un vrai sacrement. Or, l’intention de l’Église dans le sacrement de mariage ne porte pas sur une cause honteuse. Si un mariage est contracté pour une raison honteuse, ce ne sera donc pas un vrai mariage.

[19677] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Boetium, cujus finis bonus, ipsum quoque bonum. Ergo non est matrimonium, si propter malum finem fiat.

4. Selon Boèce, ce dont la fin est bonne est aussi lui-même bon. Donc, ce n’est pas un mariage s’il est fait pour une mauvaise fin.

[19678] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, matrimonium significat conjunctionem Christi et Ecclesiae. Sed ibi non cadit aliqua turpitudo. Ergo nec matrimonium potest contrahi propter aliquam turpem causam.

5. Le mariage signifie l’union du Christ et de l’Église. Or, il n’y a là rien de honteux. Le mariage ne peut donc être contracté pour une cause honteuse.

[19679] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est, quia qui baptizat alium intentione lucrandi, vere baptizat. Ergo et qui contrahit cum aliqua, intentione lucri, verum est matrimonium.

Cependant, [1] celui qui baptise avec l’intention de faire un gain baptise vraiment. Celui qui contracte avec une femme avec l’intention de faire un gain [fait] donc aussi un vrai mariage.

[19680] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, hoc idem probatur per exempla et auctoritates quae ponuntur in littera.

[2] La même chose est démontrée par les exemples et les autorités qui sont présentées dans le texte.

[19681] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod causa finalis matrimonii potest accipi dupliciter ; scilicet per se, et per accidens. Per se quidem causa matrimonii est ad quam matrimonium est de se ordinatum ; et haec semper bona est ; scilicet procreatio prolis, et fornicationis vitatio. Sed per accidens causa finalis ipsius est hoc quod contrahentes intendunt ex matrimonio. Et quia hoc quod ex matrimonio intenditur, consequitur ad matrimonium ; et priora non variantur ex posterioribus, sed e converso ; ideo ex illa causa non recipit matrimonium bonitatem vel malitiam, sed ipsi contrahentes, quorum est finis per se. Et quia causae per accidens sunt infinitae ; ideo infinitae tales causae possunt esse matrimonii, quarum sunt quaedam honestae, et quaedam inhonestae.

Réponse

La cause finale du mariage peut être considérée de deux façons : par soi et par accident. Par soi, la cause du mariage est ce à quoi le mariage est ordonné par soi, et cela est toujours bon : la procréation d’une descendance et l’évitement de la fornication. Mais, par accident, sa cause finale est ce que les contractants ont en vue dans le mariage. Parce que cela est voulu du mariage, cela découle du mariage, et les réalités antérieures ne sont pas changées par les réalités ultérieures, mais c’est l’inverse. C’est pourquoi le mariage ne reçoit pas de cette cause sa bonté ou sa malice, mais les contractants [la reçoivent], dont elle est pour eux une fin. Et parce que les causes par accident sont infinies, ces causes infinies peuvent donc l’être pour le mariage : certaines sont bonnes et d’autres mauvaises.

[19682] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verum est de causa per se et principali ; sed quod habet unum finem per se et principalem, potest habere plures fines secundarios per se, et infinitos per accidens.

1. Cela est vrai de la cause par soi et principale ; mais ce qui a une seule fin par soi et principale peut avoir plusieurs fins secondaires par soi et infinies par accident.

[19683] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod conjunctio potest accipi pro ipsa relatione quae est matrimonium ; et talis semper est a Deo, et bona est a quacumque fiat causa : vel pro actu eorum qui conjunguntur ; et sic est quandoque mala, et non est a Deo, simpliciter loquendo. Nec est inconveniens quod aliquis effectus sit a Deo cujus causa mala est ; sicut proles quae ex adulterio suscipitur. Non enim est ex causa illa inquantum est mala, sed inquantum aliquid habet de bono, secundum quod est a Deo, quamvis non simpliciter sit a Deo.

2. L’union peut être considérée comme la relation même qu’est le mariage : celle-ci vient toujours de Dieu et elle est bonne, quelle que soit la cause pour laquelle elle est réalisée. Ou bien [l’union] peut être prise pour l’acte de ceux qui sont unis : elle est ainsi parfois mauvaise et ne vient pas de Dieu, à parler simplement. Et il n’est pas inapproprié qu’un effet vienne de Dieu alors que sa cause est mauvaise, comme la decendance qui vient de l’adultère. En effet, il ne vient pas de cette cause en tant qu’elle est mauvaise, mais en tant qu’elle comporte quelque chose de bon, par quoi il vient de Dieu, bien qu’il ne vienne pas tout simplement de Dieu.

[19684] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intentio Ecclesiae quae intendit tradere sacramentum, est de necessitate cujuslibet sacramenti, ita quod ea non observata nihil in sacramentis agitur ; sed intentio Ecclesiae quae intendit utilitatem ex sacramento provenientem, est de bene esse sacramenti et non de necessitate ejus : unde si non observetur, nihilominus est verum sacramentum ; sed praetermittens hanc intentionem peccat ; sicut si in Baptismo non intendatur sanitas mentis quam Ecclesia intendit. Similiter ille qui intendit matrimonium contrahere, quamvis matrimonium non ordinet ad illum finem quem Ecclesia intendit, nihilominus verum matrimonium contrahit.

3. L’intention de l’Église qui a l’intention de donner un sacrement est ce qui est nécessaire à tout sacrement, de sorte que si cela n’est pas respecté, rien n'est réalisé par les sacrements. Mais l’intention de l’Église qui vise le bien qui vient d’un sacrement relève du bon état du sacrement, et non à ce qui lui est nécessaire. Si cela n’est pas respecté, il s’agit néanmoins d’un vrai sacrement, mais, en omettant cette intention, on pèche, comme si, dans le baptême, on n’a pas comme but la santé de l’esprit qui est l’intention de l’Église. De même, celui qui a l’intention de contracter mariage, bien qu’il n’ordonne pas le mariage à la fin qui est l’intention de l’Église, contracte néanmoins un vrai mariage.

[19685] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud malum intentum non est finis matrimonii, sed contrahentium.

4. Ce mal qui est voulu n’est pas la fin du sacrement, mais celle de ceux qui le contractent.

[19686] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ipsa unio est signum conjunctionis Christi et Ecclesiae, et non operatio unitorum : ideo ratio non sequitur.

5. L’union elle-même est le signe de l’union du Christ et de l’Église, et non l’action de ceux qui sont unis. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le mariage de la bienheureuse Vierge]

 

 

Articulus 1

[19688] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 tit. Utrum beata virgo debuerit virginitatem vovere

Article 1 – La bienheureuse Vierge devait-elle faire vœu de virginité ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge devait-elle faire vœu de virginité ?]

[19689] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo non debuerit virginitatem vovere. Quia in lege maledictio debebatur illis qui semen non relinquebant super terram, ut patet Deuter. 7. Sed adhuc durabat status legis. Ergo non debuit virginitatem vovere.

1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne devait pas faire vœu de virginité, car, dans la loi, la malédiction était due à ceux qui ne laissaient pas de descendance sur la terre, comme cela ressort de Dt 7. Or, l’état de la loi durait encore. Elle ne devait donc pas faire vœu de virginité.

[19690] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, votum virginitatis pertinet ad perfectionem consiliorum. Sed talis perfectio debuit a Christo inchoari, qui venit legem consiliis adimplere. Ergo ante Christi adventum non debuit virginitatem vovere.

2. Le vœu de virginité relève de la perfection des conseils. Or, une telle perfection devait être amorcée par le Christ, qui est venu pour accomplir la loi par les conseils. Avant la venue du Christ, on ne devait donc pas faire vœu de virginité.

[19691] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, in matre Christi debebat omnis esse perfectio. Sed votum virginitatis est de maximis perfectionibus. Ergo non debuit ei deesse.

Cependant, toute perfection devait exister dans la mère du Christ. Or, le vœu de virginité porte sur ce qui est le plus parfait. Il ne devait donc pas faire défaut.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Devait-elle être unie par mariage ?]

[19692] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuit esse matrimonio juncta. Quia voventibus virginitatem non solum nubere, sed velle nubere est damnabile, ut Hieronymus dicit. Sed nihil damnabile debuit esse in beata virgine. Ergo postquam virginitatem vovit, nubere non debuit.

1. Il semble qu’elle ne devait pas être unie par mariage, car, « pour ceux qui font vœu de virginité, il est condamnable non seulement de se marier, mais de vouloir se marier », comme le dit Jérôme. Or, il ne devait y avoir rien de condamnable dans la bienheureuse Vierge. Après qu’elle eut fait vœu de virginité, elle ne devait donc pas se marier.

[19693] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vovens virginitatem periculo se exponeret, si se in potestatem viri traderet. Sed hoc est peccatum. Ergo beata virgo non debuit sui potestatem alteri tradere nubendo ; ergo nec nubere.

2. Celle qui fait vœu de virginité s’exposerait à un danger si elle se livrait au pouvoir d’un homme. Or, cela est un péché. La bienheureuse Vierge ne devait donc pas donner pouvoir sur elle-même à un autre. Elle ne devait donc pas se marier.

[19694] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque consentit in matrimonium, consentit aliquo modo in carnalem copulam, ad minus implicite. Sed consensus in carnalem copulam aliquid diminuit de puritate virginitatis, ad minus inquantum ad virginitatem mentis. Cum ergo matri Dei deberetur talis puritas qua major sub Deo nequit intelligi, ut Anselmus dicit, videtur quod non debuit nubere.

3. Quiconque consent au mariage consent d’une certaine manière à l’union charnelle, du moins implicitement. Or, le consentement à l’union charnelle enlève quelque chose à la pureté de la virginité, du moins pour ce qui est de la virginité de l’esprit. Puisqu’une pureté telle qu’on ne peut penser à une plus grande en dehors de Dieu était due à la mère de Dieu, comme le dit Anselme, il semble donc qu’elle ne devait pas se marier.

[19695] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 1, 18 : cum esset desponsata mater Jesu Maria Joseph ; in textu, et Glossa.

Cependant, [1] ce qui est dit en Mt 1, 18 va en sens contraire : Alors que la mère de Jésus avait été fiancée à Joseph, dans le texte et dans la Glose.

[19696] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus sua nativitate debuit ita virginitatem commendare, quod nuptiis non derogaret. Non autem melius potuit utrumque approbare quam ut de virgine nupta nasceretur. Ergo et cetera.

[2] Le Christ devait par sa naissance recommander la virginité de telle manière qu’il n’abaisse pas le mariage. Or, il ne pouvait mieux approuver les deux qu’en naissant d’un vierge mariée. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les causes données pour son mariage sont-elles appropriées ?]

[19697] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod causae matrimonii ejus assignatae in littera non sint convenientes. Quia Diabolus, cum habeat lucida naturalia, plura potest cognoscere naturali cognitione quam homo. Sed homo etiam sensu potest cognoscere de aliqua an sit virgo. Ergo multo fortius Diabolus hoc scire poterat.

1. Il semble que les causes données pour son mariage ne soient pas appropriées, car le Diable, puisqu’il a une lucidité naturelle, peut connaître davantage qu’un homme par sa connaissance naturelle. Or, un homme peut savoir de manière sensible si une femme est vierge. À bien plus forte raison, le Diable pouvait-il le savoir.

[19698] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Diabolus bene scit quod illa est virgo quae nunquam conjuncta est viro. Sed Diabolus scire poterat quod Joseph nunquam carnaliter ei conjunctus fuerat. Ergo per hoc quod erat nupta, non occultabatur ei virginitas matris Dei.

2. Le Diable sait fort bien qu’elle est une vierge qui n’a jamais été unie à un homme. Or, le Diable pouvait savoir que Joseph n’avait jamais été uni charnellement à elle. Par le fait qu’elle était mariée, la virginité de la mère de Dieu ne lui était donc pas cachée.

[19699] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, mysterium divinitatis Christi non minus miraculis quam virginitate matris demonstratum est. Sed illa miracula Diabolus vidit. Ergo non oportuit quod mysterium incarnationis ejus ei per nuptias matris celaretur.

3. Le mystère de la divinité du Christ n’est pas moins montré par les miracles que par la virginité de sa mère. Or, le Diable a vu ces miracles. Il n’était donc pas nécessaire que le mystère de son incarnation lui soit caché par le mariage de sa mère.

[19700] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Item, si non esset nupta, non poterat lapidari propter suspicionem fornicationis, quasi adultera. Ergo videtur quod non propter hoc oportebat eam nubere.

4. Si elle n’avait pas été mariée, elle ne pouvait pas être lapidée comme adultère à cause d’un soupçon de fornication. Il semble donc qu’il ne fallait pas pour cette raison la marier.

[19701] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, ex hoc quod nupta fuisset, Judaei magis aedificati fuissent ad fidem, qui scriptum invenerunt : ecce virgo concipiet ; et ita virginitas matris non debuit vir per nuptias occultari.

5. Par le fait qu’elle avait été mariée, les Juifs auraient été davantage édifiés en vue de croire, eux qui trouvaient écrit : Voici qu’une vierge concevra. Et ainsi, la virginité de la mère ne devait pas être occultée par son mariage à un homme.

[19702] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 6 Item, Christus venit ut labores nostros sustineret, et per hoc auferret. Ergo non oportuit quod haberet mater ejus virum ad ejus obsequia.

6. Le Christ est venu afin de porter nos peiness et ainsi les enlever. Il n’était donc pas nécessaire que sa mère eut un mari qui prenne soin d’elle.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19703] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod in beata virgine debuit apparere omne illud quod perfectionis fuit. Virginitas autem, quamvis in se optima, tamen pro tempore illo ei matrimonium praeferebatur propter expectationem benedicti seminis per viam generationis venturi ; et ideo beata virgo vovit virginitatem tamquam optimum et sibi acceptissimum ; non tamen simpliciter, sed sub conditione honestissima, haec scilicet, nisi Deus aliter ordinaret : nec istam conditionem apposuit ut dubitaret an vellet virgo permanere, sed an deberet ; et hoc est quod Augustinus in littera dicit, quod proposuit se perseveraturam virginem, nisi Deus aliter ordinaret.

Tout ce qui relevait de la perfection devait apparaître dans la bienheureuse Vierge. Or, bien que la virginité soit très bonne en elle-même, le mariage lui était préféré en ce temps-là en raison de l’attente d’une descendance bénie qui devait venir par voie de génération. C’est pourquoi la bienheureuse Vierge a fait voeu de virginité comme ce qui était le meilleur et lui convenait le mieux, cependant non pas tout simplement, mais sous la condition la plus honorable , à savoir que Dieu n’en disposerait pas autrement. Et elle n’a pas posé cette condition parce qu’elle doutait si elle voulait demeurer vierge, mais si elle le devait. C’est ce que dit Augustin dans le texte : elle se proposait de demeurer vierge, à moins que Dieu n’en dispose autrement.

[19704] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beata virgo fuit confinium veteris et novae legis, sicut aurora diei et noctis ; et ideo votum ejus sapuit novam legem, inquantum virginitatem vovit ; et veterem, inquantum conditionem apposuit.

1. La bienheureuse Vierge était aux confins de l’ancienne et de la nouvelle loi, comme l’aurore l’est pour le jour et la nuit. C’est pourquoi son vœu avait le goût de loi nouvelle, pour autant qu’elle a fait vœu de virginité ; et de la loi ancienne, pour autant qu’elle a posé une condition.

[19705] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectio consiliorum quantum ad consummationem incipere debuit a Christo ; sed quantum ad aliquam inchoationem convenienter a matre ejus incepit.

2. La perfection des conseils devait commencer avec le Christ pour ce qui est de leur consommation, mais, pour ce qui était d’une certaine amorce, elle a commencé de manière appropriée avec sa mère.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19706] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod conveniens fuit matrem Christi matrimonio esse junctam tum propter causas in littera assignatas, tum etiam propter alias causas : quarum prima est, ut significaret Ecclesiam, quae est virgo et sponsa. Secunda, ut per Joseph genealogia Mariae texeretur : non enim erat consuetudo apud Hebraeos ex parte mulierum genealogiam computare. Tertia, ut virginibus excusatio tolleretur, si de fornicatione infamantur. Quarta, ut nuptias Christus sua nativitate approbaret. Quinta, ut major perfectio virginitatis in beata virgine ostenderetur, dum in ipso matrimonio virgo permansit.

Il était approprié que la mère du Christ soit unie par mariage aussi bien pour les raisons données dans le texte, que pour d’autres raisons, dont la première était de signifier l’Église, qui est vierge et épouse. La deuxième est que la généalogie de Marie soit constituée selon Joseph : en effet, ce n’était pas la coutume chez les Juifs d’établir la généalogie selon la femme. La troisìème est qu’une excuse soit enlevée aux vierges qui sont accusées de fornication. La quatrième est que le Christ approuve son mariage par sa naissance. La cinquième est qu’une virginité plus parfaite soit montrée dans la bienheureuse Vierge, puisqu’elle esst demeurée vierge alors même qu’elle était mariée.

[19707] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod post votum virginitatis absolute factum non potest aliquis in matrimonium consentire sine peccato : quia si sit votum solemne, non fit verum matrimonium ; si autem sit votum simplex, verum matrimonium est quod sequitur ; tamen peccant contrahentes. Votum autem beatae virginis non fuit solemne, sed simplex in corde expressum ; nec absolutum, sed sub conditione, ut in littera patet ; et ideo potuit sine peccato ex speciali spiritus sancti consilio, cujus dispositio conditionaliter in suo voto cadebat, in matrimonium consentire.

1. Après avoir fait vœu de virginité de manière absolue, quelqu’un ne peut pas consentir au mariage sans péché, car s’il s’agit d’un vœu solennel, un vrai mariage n’est pas réalisé ; mais s’il s’agit d’un vœu simple, c’est un vrai mariage qui suit ; cependant, ceux qui le contractent pèchent. Or, le vœu de la bienheureuse Vierge n’était pas solennel, mais simplement formulé dans son cœur ; il n’était pas non plus absolu, mais conditionnel, comme cela ressort de la lettre. C’est pourquoi elle a pu consentir au mariage par un dessein spécial de l’Esprit Saint, dont la disposition de consentir au mariage se retrouvait de manière conditionnelle à l’intérieur de son vœu.

[19708] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beata virgo antequam contraheret cum Joseph, fuit certificata divinitus quod Joseph in simili proposito erat ; et ideo non se commisit periculo nubens. Nec tamen propter hoc aliquid veritati deperiit, quia illud propositum non fuit conditionaliter in consensu appositum : talis enim conditio cum sit contra matrimonii bonum, scilicet prolem procreandam, matrimonium tolleret.

2. Avant d’épouser Joseph, la bienheureuse Vierge fut assurée par Dieu que Joseph avait la même intention. C’est pourquoi elle ne s’exposait pas à un danger en se mariant. Cependant, elle n’a pas manqué à la vérité à cause de cela, car cette intention ne fut pas exprimée conditionnellement dans le consentement : en effet, une telle condition, puisqu’elle est contraire au bien du mariage, procréer une descendance, écarterait le mariage.

[19709] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod copula carnalis cecidit implicite sub consensu beatae virginis, sicut actus implicite continetur in potentia, ut ex supra dictis, dist. 28, qu. 1, art. 4, patet. Potentia autem ad carnalem copulam non contrariatur virginitati, nec diminuit aliquid de puritate ipsius nisi ratione actus ; qui quidem nunquam fuit in proposito beatae virginis, sed erat jam certificata quod actus nunquam sequi deberet.

3. L’union charnelle tombait implicitement sous le consentement de la bienheureuse Vierge, puisque l’acte est contenu implicitement dans la puissance, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 28, q. 1, a. 4. Or, le pouvoir de l’union charnelle n’est pas contraire à la virginité et il n’enlève rien à sa pureté, si ce n’est en raison de l’acte, que la bienheureuse Vierge n’a jamais envisagé, mais elle avait déjà été assurée que l’acte ne s’ensuivrait jamais.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19710] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod rationes quae in littera ponuntur, convenientes sunt : quarum una accipitur ex parte conceptus, scilicet ut partus Diabolo celaretur ; secunda ex parte matris, ut scilicet non lapidaretur ; tertia ex parte Joseph, scilicet ut obsequeretur et matri et puero, et testimonium praeberet virginitatis.

Les raisons qui sont présentées dans le texte sont appropriées : l’une d’elles est prise du côté de celui qui est conçu, à savoir, que l’enfantement soit caché au Diable ; la deuxième, du côté de la mère, à savoir qu’elle ne soit pas lapidée ; la troisième, du côté de Joseph, à savoir qu’il prenne soin de la mère et de l’enfant et rende témoignage à sa virginité.

[19711] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Diabolus cognitione naturali bene potuisset perpendere virginitatem matris Dei cum toto hoc quod nupta erat, nisi prohibitus fuisset a diligenti examinatione eorum quae circa ipsam erant, divina virtute.

1. Le Diable aurait pu évaluer correctement par sa connaissance naturelle la virginité de la mère de Dieu par tout ce qui avait entouré son mariage, s’il n’avait pas été empêché par la puissance divine de faire un examen attentif de ce qui entourait [la mère de Dieu].

[19712] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[19713] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per alia etiam miracula non aperte poterat cognoscere ipsum esse filium Dei : quia simul videbat in eo signa infirmitatis et virtutis ; unde si aliquando aliquid de divinitate ejus confitebatur, magis ex praesumptione quam ex certitudine procedebat. Sed hoc propter praecedens vaticinium fuisset certissimum signum filii Dei viventis.

3. Il ne pouvait pas connaître qu’il était le Fils de Dieu, même par les autres miracles, car il voyait en même temps en eux des signes de faiblesse et de puissance. Aussi, s’il confessait parfois quelque chose de sa divinité, cela venait plutôt d’une présomption que d’une certitude. Mais cela avait été un signe très certain du Fils du Dieu vivant en raison d’une prophétie antérieure.

[19714] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intelligitur de lapidatione infamiae : vel quia erat de stirpe sacerdotali ex parte matris ; quod patet ex hoc quod Elisabeth, quae erat de filiabus Aaron, dicitur ejus cognata. Luc. 1. Filia autem sacerdotis, etiam non nupta, deprehensa in stupro exurebatur, ut patet Lev. 21 : sed ex parte patris erat de stirpe David. Bene enim poterant per matrimonium conjugi filiae Aaron illis de tribu regia, vel etiam quibuslibet alterius tribus, eo quod non acceperant hereditatem divisam ab aliis tribubus ; et sic ex hoc non potuit confusio sortium provenire, quae erat causa prohibitionis matrimonii contrahendi inter illos qui erant de diversis tribubus.

4. Cela s’entend de la lapidation pour cause d’infamie ; ou bien c’est parce qu’elle était de la lignée sacerdotale par sa mère, ce qui ressort du fait qu’on dit d’Élisabeth, qui comptait parmi les filles d’Aaron, était sa cousine, Lc 1. Or, une fille de prêtre, même non mariée, surprise à forniquer, était brûlée, comme cela ressort de Lv 21. Mais, du côté de son père, elle était de la lignée de David. En effet, les filles d’Aaron pouvaient bien être unies par mariage à ceux de la tribu royale, ou même à n’importe lequel d’une autre tribu, du fait qu’elles n’avaient pas reçu l’héritage réparti entre les autres tribus. Ainsi, une confusion ne pouvait survenir entre les parts : elle était la raison de l’interdiction de contracter mariage avec ceux qui appartenaient aux diverses tribus.

[19715] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dominus maluit permittere Judaeos dubitare de deitate sua quam de castitate matris, sciens lubricam esse virginitatis famam, ut Ambrosius dicit.

5. Le Seigneur ne voulait pas permettre aux Juifs de douter de sa divinité comme de la chasteté de sa mère, sachant que la réputation de virginité était trompeuse, comme le dit Ambroise.

[19716] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non debuit necessitatis solatium refutare : quia hoc perversitatis magis est quam humilitatis.

6. Le Christ n’a pas eu à repousser le réconfort nécessaire, car cela relève de la perversité plutôt que de l’humilité.

 

 

Articulus 2

[19717] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 tit. Utrum matrimonium praedictum fuerit perfectum

Article 2 – Le mariage en question a-t-il été parfait ?

[19718] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod matrimonium praedictum non fuerit perfectum. Perfectum enim matrimonium ex absoluto consensu procedit. Sed beata virgo non absolute in matrimonium consensisse videtur, sicut nec absolute vovisse ; cum in utroque se dispositioni divinae commiserit, ut in littera dicitur. Ergo non fuit perfectum matrimonium.

1. Il semble que le mariage en question n’a pas été parfait. En effet, un mariage parfait vient d’un consentement absolu. Or, la bienheureuse Vierge ne semble pas avoir consenti au mariage de manière absolue, de même qu’elle n’a pas fait vœu de manière absolue, puisque, dans les deux cas, elle s’en est remise à une disposition divine, comme il est dit dans le texte. Ce n’était donc pas un mariage parfait.

[19719] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, significatio est de essentia matrimonii, inquantum est sacramentum. Sed matrimonium illud non fuit perfectum in consignificatione, ut in littera dicitur. Ergo non fuit perfectum sacramentum.

2. La signification fait partie de l’essence du mariage, en tant qu’il est un sacrement. Or, ce mariage n’a pas été parfait dans la signification qui lui était associée, comme on le dit dans le texte. Ce n’était donc pas un mariage parfait.

[19720] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ubi deest ultima consummatio, non est vera perfectio. Sed matrimonium beatae virginis nunquam fuit consummatum. Ergo non fuit vere perfectum.

3. Là où l’ultime consommation fait défaut, il n’y a pas de véritable perfection. Or, le mariage de la bienheureuse Vierge n’a jamais été consommé. Il n’a donc pas été vraiment parfait.

[19721] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, perfectum dicitur esse matrimonium ex eo quod habet bonum prolis. Sed illud matrimonium non habuit bonum prolis, quia proles quae fuit in illo matrimonio educata, non fuit effectus illius matrimonii, sicut nec filius adoptivus dicitur bonum matrimonii. Ergo non fuit perfectum matrimonium.

4. Un mariage est appelé parfait du fait qu’il qu’il comporte le bien d’une descendance. Or, ce mariage n’a pas eu le bien d’une descendance, car la descendance qui est apparue dans ce mariage n’était pas l’effet de ce mariage, de même que le fils adoptif n’est pas non plus appelé un bien du mariage. Ce n’était donc pas un mariage parfait.

[19722] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, post perfectum matrimonium non licet alicui sponsam dimittere. Sed Joseph, quamvis esset justus, volebat eam occulte dimittere, ut dicitur Matth. 1. Ergo nondum erat perfectum matrimonium.

5. Après un mariage parfait, il n’est pas permis à quelqu’un de renvoyer son épouse. Or, Joseph, bien qu’il ait été un juste, voulait la renvoyer en cachette, comme il est dit dans Mt 1. Ce n’était donc pas encore un mariage parfait.

[19723] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dei perfecta sunt opera ; Deut. 32, 4. Sed illud matrimonium fuit divinitus inspiratum. Ergo fuit perfectum.

Cependant, [1] les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 32, 4. Or, ce mariage a été inspiré par Dieu. Il était donc parfait.

[19724] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, per matrimonium non dicuntur aliqui conjuges, nisi sit perfectum. Sed Maria dicitur conjux Joseph. Matth. 1. Ergo fuit inter eos perfectum matrimonium.

[2] On ne dit pas de certains qu’ils sont des époux en vertu du mariage, à moins que celui-ci ne soit parfait. Or, Marie est appelée l’épouse de Joseph, Mt 1. Il y avait donc un mariage parfait entre eux.

[19725] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod duplex est perfectio matrimonii. Una quantum ad esse ipsius, quae fit per consensum verbis de praesenti expressum ; et tali perfectione matrimonium illud perfectum fuit. Alia est perfectio quantum ad operationem ; et sic non fuit perfectum, quia actus proprius matrimonii est carnalis copula.

Réponse

Il existe une double perfection du mariage. L’une, pour ce qui est de son être même, qui est réalisé par le consentement exprimé par des paroles portant sur le présent : ce mariage était parfait selon une telle perfection. L’autre, pour ce qui est de son opération : ainsi ne fut-il pas parfait, car l’acte propre du mariage est l’union charnelle.

[19726] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beata virgo absolute in matrimonium consensit, ut certificata divinitus ; sed in matrimonium sic consentiens virginitatem suam Deo commisisse in littera dicitur.

1. La bienheureuse Vierge a consenti au mariage de manière absolue, rassurée par Dieu ; mais, en consentant ainsi au mariage, il est dit dans le texte qu’elle confié sa virginité à Dieu.

[19727] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod significatio non quaelibet est de essentia sacramenti, sed illa qua significatur effectus sacramenti ; et ideo ratio non sequitur.

2. Ce n’est pas n’importe quelle signification qui fait partie de l’essence du sacrement, mais celle par laquelle l’effet du sacrement est signifié. Aussi le raisonnement n’est pas concluant.

[19728] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de secunda perfectione quae consummatio dicitur matrimonii.

3. Ce raisonnement s’appuie sur la seconde perfection, qui est appelée la consommation du mariage.

[19729] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proles non dicitur bonum matrimonii solum inquantum per matrimonium generatur, sed inquantum in matrimonio suscipitur et educatur ; et sic bonum illius matrimonii fuit proles illa et non primo modo. Nec tamen de adulterio natus, nec filius adoptivus qui in matrimonio educatur, est bonum matrimonii : quia matrimonium non ordinatur ad educationem illorum, sicut hoc matrimonium fuit ad hoc ordinatum specialiter quod proles illa susciperetur in eo, et educaretur.

4. La descendance n’est pas appelé un bien du mariage seulement parce qu’elle est engendrée par le mariage, mais parce qu’elle est accueillie et éduquée à l’intérieur du mariage. Ainsi, le bien de ce mariage a été cette descendance, et non une descendance selon le premier mode. Cependant, ni celui qui est né de l’adultère, ni le fils adoptif qui est éduque dans le mariage ne sont un bien du mariage, car le mariage n’est pas ordonné à leur éducation, alors que ce mariage a été ordonné d’une manière spéciale à ce que cette descendance soit accueillie et éduquée à l’intérieur de celui-ci.

 

 

Articulus 3

[19731] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 tit. Utrum matrimonium illud fuerit aliquando consummatum

Article 3 – Ce mariage a-t-il été jamais consommé ?

[19732] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod matrimonium illud fuerit aliquando consummatum. Dicitur enim Matth. 1, 18 : antequam convenirent, inventa est in utero habens de spiritu sancto. Et item 25 : non cognoscebat eam donec peperit filium suum primogenitum. Ergo videtur quod post cognoverit eam.

1. Il semble que ce mariage ait été consommé. En effet, il est dit en Mt 1, 18 : Avant qu’ils aient cohabité, elle se trouva enceinte de l’Esprit Saint. De même, en 1, 15 : Il ne la connut pas avant qu’elle n’ait enfanté son fils premier-né. Il semble donc qu’il l’a connue après.

[19733] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, primum dicitur respectu secundi. Sed Christus in auctoritate inducta dicitur primogenitus filius virginis. Ergo post primum habuit alium ; et sic matrimonium illud, saltem post Christi nativitatem, consummatum fuit.

2. On parle de premier par rapport au second. Or, le Christ, dans l’autorité invoquée, est appelé le fils premier-né de la Vierge. Après un premier, elle en a donc eu un autre, et ainsi ce mariage, a été consommé, au moins après la naissance du Christ.

[19734] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, non defuerunt verba Evangelistis ad exprimendum suam intentionem. Sed nunquam expresserunt, quod Joseph amplius eam non cognosceret. Ergo post Christi generationem matrimonium fuit consummatum.

3. Les évangélistes ne manquaient pas de paroles pour exprimer son intention. Or, ils n’ont jamais dit que Joseph ne l’a pas connue par la suite. Après la génération du Christ, le mariage fut donc consommé.

[19735] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, Joseph dicitur pater Christi in pluribus Evangelii locis, et dicitur etiam habere fratres ; quod non esset, si matrimonium illud nunquam fuisset consummatum. Ergo et cetera.

4. Joseph est appelé père du Christ en plusieurs endroits de l’évangile, et on dit qu’il a aussi des frères, ce qui ne serait pas le cas si ce mariage n’avait jamais été consommé. Donc, etc.

[19736] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, duo corpora non possunt simul esse in eodem loco. Ergo Christus non potuit exire de ventre matris integritate virginitatis manente ; et sic non fuit inconveniens quod matrimonium illud consummaretur.

5. Deux corps ne peuvent se trouver en même temps dans un même lieu. Or, le Christ ne put sortir du ventre de sa mère, alors que demeurait l’intégrité de sa virginité. Il n’était donc pas inapproprié que ce mariage soit consommé.

[19737] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, Abraham et alii patres qui conjugiis usi sunt, maximae dignitatis fuerunt. Ergo nihil deperisset matri Christi, si matrimonium consummasset.

6. Abraham et les autres pères, qui ont fait usage de leur mariage, ont eu la plus grande dignité. La mère du Christ n’aurait donc pas été abaissée en consommant son mariage.

[19738] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, Helvidius objicit : si turpe est Christo matrem cognosci post partum, quanto magis per genitalia virginis esse natum.

7. Helvidius objecte : « S’il est honteux pour le Christ que sa mère ait été connue après son enfantement, à bien plus forte raison qu’il soit né des organes génitaux de la Vierge. »

[19739] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, virginitas corruptioni praeponitur. Sed mater Christi debuit esse in excellentissimo statu. Ergo debuit esse virgo : et sic non debuit illud matrimonium consummari.

Cependant, [1] la virginité l’emporte sur la corruption. Or, la mère du Christ devait être dans l’état le plus élevé. Elle devait donc être vierge, et ainsi ce mariage ne devait pas être consommé.

[19740] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, non est probabile quod Joseph auderet uterum quem templum Dei noverat, attingere, ut Hieronymus dicit.

2. Il n’est pas probable que Joseph oserait toucher au sein qu’il savait être le temple de Dieu, comme le dit Jérôme.

[19741] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod mater Christi ante partum et in partu et post partum in aeternum virgo permansit. Sed ejus virginitati ante partum Judaei et Ebionitae derogant, dicentes, Christum ex Joseph semine esse natum. Ejus autem virginitati in partu philosophi derogabant, dicentes, non posse duo corpora esse in eodem loco. Sed virginitati ejus post partum Helvidius quidam idiota et sacerdos ausus est derogare, quod loquacitatem facundiam aestimans, accepta materia disputandi, a blasphemiis matris Dei incepit, dicens eam post partum a Joseph cognitam ; et contra quem Hieronymus librum conscripsit.

Réponse

La mère de Dieu est demeurée pour toujours vierge avant son enfantement, dans son enfantement et après son enfantement. Mais les Juifs et les ébionites retranchent à sa virginité avant l’enfantement lorsqu’ils disent que le Christ est né de la semence de Joseph. Cependant, les philosophes retranchaient à sa virginité dans son enfantement lorsqu’ils disaient que deux corps ne peuvent se trouver dans un même lieu. Mais Helvidius, un prêtre non instruit, estimant que le bavardage était une manière de bien parler, a osé retrancher à sa virginité après son enfantement, une fois accepté le sujet de la controverse : en commençant par blasphémer contre la mère de Dieu, il dit qu’elle a été connue par Joseph après son enfantement. Jérôme a écrit un ouvrage contre lui.

[19742] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod antequam non semper denotat ordinem ad illud quod futurum est secundum rei veritatem, sed quandoque ad illud quod futurum speratur secundum communem cursum, secundum quod dicitur : iste, antequam haberet viginti annos, mortuus est ; et sic est in proposito. Et similiter ly donec, quandoque significat hoc quod praecessit, terminari veniente eo quod expectatur, ut cum dicitur : sede hic, donec veniam ; quandoque autem non sic, ut cum dicitur 1 Corinth. 15, 25 : oportet illum regnare, donec ponat omnes inimicos sub pedibus ejus : non quod tempus regni ejus finiatur ad subjectionem inimicorum ; sed subjectio inimicorum in tempore regni includitur.

1. « Avant » n’indique pas toujours un ordre à ce qui doit se produire en réalité, mais parfois à ce qu’on espère arriver selon le cours normal des choses, comme lorsqu’on dit : « Celui-ci, avant d’avoir vingt ans, est mort. » C’est de cela qu’il est question ici. De même, « jusqu’à ce que » signifie parfois que ce qui a précédé est terminé, une fois venu ce qui est espéré, comme lorsqu’on dit : « Assieds-toi ici jusqu’à ce que je vienne. » Mais, parfois, il n’en est pas ainsi, comme lorsqu’il est dit en 1 Co 15, 25 : Il faut que celui-là règne jusqu’à ce que [le Seigneur] foule tous ses ennemis aux pieds : non pas parce que le temps de son règne se termine par la soumission de ses ennemis, mais parce que la soumission de ses ennemis est incluse dans le temps du règne.

[19743] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod primogenitus dicitur ante quem nullus, quamvis post ipsum non sit alius : alias unigeniti jus primogeniturae non haberent, nec debuissent Deo offerri in lege : quod falsum est.

2. Premier-né signifie qu’il n’y en a pas eu avant, bien qu’il n’y en ait pas d’autre après lui ; autrement les premiers-nés n’auraient pas un droit de primogéniture et ils n’auraient pas dû être offerts à Dieu, ce qui est faux.

[19744] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Evangelistae ex eo quod minus est credibile, dimiserunt intelligendum hoc quod magis credibile est. Minus autem credibile est quod virgo concipiat (quod Evangelistae dixerunt), quam quod post partum virgo conservetur ; et ideo non curaverunt hoc dicere.

3. Les évangélistes ont écarté qu’il faille comprendre ce qui est plus crédible à partir de ce qui est moins crédible. Or, il est moins crédible qu’une vierge conçoive (ce qu’ont dit les évangélistes) qu’elle ne demeure vierge après l’enfantement. Aussi n’ont-ils pas pris soin de le dire.

[19745] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Joseph dicitur pater Christi putativus, ut patet Luc. 3. Et iterum Christus fuit filius ejus adoptivus, ut quidam dicunt. Alii autem dicti sunt fratres ejus ratione cognationis, quia erant de eadem familia : quia nec Maria alium filium habuit, nec Joseph, qui etiam virgo fuit, ut dicitur.

4. Joseph est appelé le père putatif du Christ, comme cela ressort de Lc 3. De plus, le Christ était son fils adoptif, comme le disent certains. Mais d’autres ont été appelés ses frères en raison de la parenté, car ils étaient de la même famille, car Marie n’a pas eu d’autre fils, ni Jospeh, qui était aussi vierge, comme cela est dit.

[19746] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verum est per naturam ; sed per miraculum potest fieri quod duo corpora sint in eodem loco, ut infra, dist. 44, dicetur. Partus autem ille et conceptus totus miraculosus fuit. Quidam tamen dicunt, quod Christus tunc dotem subtilitatis assumpsit. Sed primum est melius.

5. Cela est vrai pour la nature, mais il peut arriver que, par miracle, deux corps soient dans un même lieu, comme on le dira plus loin, d. 44. Or, cet enfantement et celui qui a été conçu relèvent entièrement du miracle. Certains disent cependant que le Christ a alors adopté la dot de la subtilité. Mais la première réponse est meilleure.

[19747] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis status conjugii consummati sit bonus, tamen status virginitatis est multo altior ; et hic matri Dei debebatur.

6. Bien que l’état du mariage consommé soit bon, l’état de virginité est cependant bien plus élevé. Et celui-ci revenait à la mère de Dieu.

[19748] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, secundum Hieronymum, quod quanto sunt humiliora quae pro me passus est, tanto ei plus debeo ; dummodo per haec perfectioni virtutis nihil subtrahatur. Sed virginitatis privatio derogaret perfectioni matris ex parte virtutis animae.

7. Selon Jérôme, plus ce qu’il a enduré pour moi était humble, plus je lui dois, pourvu que rien ne soit par là enlevé à la perfection de la vertu. Or, la privation de la virginité aurait retranché à la perfection de la mère du point de vue de la vertu de l’âme.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 30

[19749] Super Sent., lib. 4 d. 30 q. 2 a. 3 expos. Si enim Diabolus transfigurans se in Angelum lucis credatur bonus, non est error periculosus. Hoc intelligendum est, quando non proceditur ad adorationem, vel quando proceditur sub conditione, si est Christus ; alias esset periculum idolatriae. Si quis haereticus nomine Augustini vel Ambrosii alicui Catholico se offerret, eumque ad suae fidei imitationem vocaret, si ille assentiret, in cujus fidei sententiam diceretur consensisse ? Hoc est verum quando non procederet ad expressionem alicujus erroris ; alias esset ibi periculum infidelitatis, si ei consentiret. Consensit in carnalem copulam : non explicite, sed implicite, ut dictum est. Jacob Rachel decoram facie et venusto aspectu amavit. Sciendum, quod decor faciei non fuit causa principalis, sed secundaria ; et hoc bene potest esse sine peccato, vel quandoque etiam sine veniali peccato. Si autem esset principalis causa libido pulchritudinis, non excusaretur a peccato mortali, si esset effrenata libido.

 

 

 

Distinctio 31

 

Distinction 31 – [Les causes de la bonté du mariage ou les biens du mariage]

Quaestio 1

 

Question 1 – [Les biens qui excusent le mariage]

Prooemium

Prologue

[19750] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de causis quibus constituitur matrimonium ipsum, hic determinat de causis honestatis ipsius ; scilicet de bonis conjugii, quibus actus matrimonii honestatur ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de bonis matrimonii quantum ad matrimonium, secundum quod nunc agitur ; in secunda ostendit quomodo hujusmodi bona erant in matrimonio antiquorum patrum, 33 dist. ibi : quaeritur hic de antiquis patribus et cetera. Prima in duas : in prima determinat de bonis conjugii, quibus matrimonii actus excusatur ; in secunda determinat de actu matrimonii, qui per bona praedicta excusatur, secundum quod insuper habet rationem debiti ; 32 dist., ibi : sciendum est etiam, quia cum in omnibus aliis vir praesit mulieri (...) in solvendo tamen carnis debito pares sunt. Prima in duas : in prima determinat de bonis conjugii, quomodo in matrimonio inveniantur ; in secunda ostendit quando per ea actus conjugalis excusatur, ibi : cum haec ergo tria bona in aliquo conjugio simul concurrunt, ad excusationem coitus carnalis valent. Prima in duas : in prima ostendit quae sint tria bona conjugii ; in secunda qualiter se habeant ad matrimonium, ibi : et est sciendum, ab aliquibus contrahi conjugium, ubi haec tria bona non comitantur. Et circa hoc duo facit : primo ostendit quod unum praedictorum bonorum in quolibet matrimonio invenitur, scilicet sacramentum ; quamvis non alia duo, scilicet fides et proles, quae aliquando secundum actum matrimonio desunt ; secundo determinat de matrimonio, in quo etiam intentio illorum duorum non salvatur, ibi : solet quaeri, cum masculus et femina, nec ille maritus, nec illa uxor alterius, sibimet non filiorum procreandorum, sed pro incontinentia solius concubitus causa copulantur et cetera. Et circa hoc tria facit : primo determinat de matrimonio in quo non intenditur bonum prolis ; secundo de eo in quo non solum non intenditur, sed etiam impeditur, ibi : qui vero venena sterilitatis procurant, non conjuges, sed fornicarii sunt ; tertio determinat quamdam quaestionem incidentem : hic quaeri solet de his qui abortum procurant. Cum ergo haec tria bona in aliquo conjugio simul concurrunt, ad excusationem coitus carnalis valent. Hic ostendit quomodo per bona praedicta actus conjugalis excusatur ; et circa hoc duo facit ; primo determinat veritatem ; secundo ponit objectiones in contrarium, ibi : sed si concubitus qui sit causa prolis, culpa caret, quid apostolus secundum indulgentiam permittit ? Et circa hoc duo facit : primo objicit contra excusationem matrimonialis actus, ostendens quod matrimonium excusatione non indiget ; secundo ostendens quod excusari non possit, quin culpa careat, ibi : sed forte aliquis dicet et cetera. Et circa hoc duo facit : primo objicit per rationem ; secundo per auctoritatem, ibi : videtur tamen sentire aliter beatus Gregorius ; et quaelibet harum dividitur in objectionem et solutionem, ut per se patet in littera. Hic est duplex quaestio. Prima de bonis matrimonii. Secunda de excusatione actus matrimonialis per bona praedicta. Circa primum quaeruntur tria : 1 utrum debeant esse aliqua bona ad excusandum matrimonium ; 2 quae et quot sint ; 3 qualiter ad matrimonium se habeant.

Après avoir déterminé des causes par lesquelles le mariage lui-même est constitué, le Maître détermine ici des biens du mariage, par les quels l’acte du mariage est rendu bon. Il y a deux parties : dans la permière, il détermine des biens du mariage pour ce qui est du mariage, selon qu’il en est question ici ; dans la seconde, il montre comment ces biens existaient dans le mariage des anciens pères, à la d. 33, à cet endroit : « On se demande ici, à propos des anciens pères, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des biens du mariage, par lesquels l’acte du mariage est excusé ; dans la seconde, il détermine de l’acte du mariage, qui est excusé par les biens mentionnés, selon qu’il a le caractère de dette, à la d. 32, à cet endroit : « Il faut aussi savoir que, alors que, pour tout le reste, l’homme est supérieur à la femme…, ils sont cependant égaux pour ce qui est d’acquitter la dette de la chair. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine, à propos des biens du mariage, comment ils se trouvent dans le mariage ; dans la seconde, il montre quand l’acte conjugal est excusé par eux, à cet endroit : « Puisque ces trois biens se retrouvent en même temps dans un mariage, ils peuvent excuser l’union charnelle. » La première partie se divise en deux : dans la premiere, il montre quels sont les trois biens du mariage ; dans la seconde, quel est leur rapport au mariage, à cet endroit : « Et il faut savoir que certains contractent un mariage dans lequel ces trois biens ne se retrouvent pas. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’un des biens mentionnés se trouve dans tout mariage, à savoir, le sacrement, bien que ce ne soit pas le cas des deux autres, la fidélité et la descendance, qui parfois font défaut au mariage en acte ; deuxièmement, il détermine du mariage dans lequel même l’intention des deux autres biens n’est pas sauvegardée, à cet endroit : « On a l’habitude de demander, alors que l’homme et la femme, lui n’étant pas le mari et elle l’épouse d’un autre, s’unissent non pour procréer des enfants, mais pour coucher ensemble pour raison d’incontinence, etc. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il détermine du mariage dans lequel le bien d’une descendance n’est pas visé. Deuxièmement, de celui dans lequel non seulement il n’est pas visé, mais il est empêché, à cet endroit : « Ceux qui suscitent le poison de la stérilité, ne sont pas des gens mariés mais des fornicateurs. » Troisièmement, il détermine d’une question incidente : « Ici, on a coutume de s’interroger sur ceux qui provoquent l’avortement. » « Puisque ces trois biens se retrouvent en même temps dans le mariage, il peuvent excuser l’union charnelle. » Ici, il montre comment, par les biens mentionnés, l’acte conjugal est excusé. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il détermine la vérité ; deuxièmement, il présente les objections en sens contraire, à cet endroit : « Mais si l’union charnelle, qui est cause d’une descendance, ne comporte pas de faute, pourquoi l’Apôtre la permet-il comme une concession ? » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève une objection à ce que l’acte matrimonial soit excusé, en montrant que le mariage n’a pas besoin d’excuse ; deuxièmement, en montrant qu’il ne peut être excusé s’il ne comporte pas de faute, à cet endroit : « Mais peut-être quelqu’un dira-t-il, etc. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il soulève une objection par mode de raisonnement ; deuxièmement, selon une autorité, à cet endroit : « Il semble cependant que le bienheureux Grégoire ait une autre opinion. » Et tous ces points sont divisés en obections et réponses, comme cela ressort clairement du texte. Ici, il y a deux questions : la première porte sur les biens du mariage ; la seconde, sur l’excuse de l’acte matrimonial par les biens mentionnés. À propos du premier point, trois questions sont souleves : 1 – Le mariage doit-il comporter des biens qui l’excusent ? 2 – Quels sont-ils et combien sont-ils ? 3 – Quel est leur rapport avec le mariage ?

 

 

Articulus 1

[19751] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 tit. Utrum matrimonium debeat habere aliqua bona quibus excusetur

 

Article 1 – Le mariage doit-il comporter des biens qui l’excusent ?

[19752] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod matrimonium non debeat habere aliqua bona quibus excusetur. Sicut enim conservatio individui, quae fit per ea quae ad nutritivam pertinent, est de intentione naturae ; ita conservatio speciei, quae fit per matrimonium ; et multo magis, quanto melius et divinius est bonum speciei quam bonum unius individui. Sed ad actum nutritivae excusandum non indigetur aliquibus. Ergo nec etiam ad excusandum matrimonium.

1. Il semble que le mariage ne doive pas comporter de biens qui l’excusent. En effet, de même que la conservation de l’individu, qui se réalise par ce qui se rapporte à la partie nutritive, fait partie de l’intention de la nature, de même en est-il la conservation de l’espèce, qui se réalise par le mariage, et à bien plus forte raison, dans la mesure où le bien de l’espèce est meilleur et plus divin que le bien d’un seul individu. Or, rien n’est nécessaire pour excuser l’acte de la partie nutritive. Donc, pas davantage pour justifier le mariage.

[19753] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, in 8 Ethicor., amicitia quae est inter virum et uxorem, est naturalis, et claudit in se honestum, utile et delectabile. Sed illud quod de se est honestum, non indiget aliqua excusatione. Ergo nec bona excusantia debent matrimonio attribui.

2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, l’amitié qui existe entre un mari et sa femme est naturelle et comporte en elle-même ce qui est bien, utile et agréable. Or, ce qui est bon par soi n’a pas besoin d’être justifié. Des biens qui l’excuseraient ne doivent donc pas être attribués au mariage.

[19754] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, matrimonium institutum est in remedium et in officium, ut supra, dist. 23, quaest. 2, art. 1 et 2, dictum est. Sed secundum quod est in officium, non indiget excusatione : quia sic etiam in Paradiso excusatione indiguisset, quod falsum est : ibi enim fuissent nuptiae honorabiles, et torus immaculatus, ut Augustinus dicit. Similiter nec secundum quod est in remedium ; sicut nec alia sacramenta, quae in remedium peccati instituta sunt. Ergo matrimonium hujusmodi excusantia habere non debet.

3. Le mariage a été institué comme un remède et une fonction, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 2, a. 1et 2. Or, selon qu’il est une fonction, il n’a pas besoin d’être excusé, car, il aurait alors eu besoin d’excuse même au Paradis, ce qui est faux : en effet, « les noces auraient été là honorables et le lit nuptial immaculé », comme le dit Augustin. De même, [il n’en a pas] non plus [besoin] en tant que remède, comme les autres sacrements n’en ont pas besoin, qui ont été institués comme un remède pour le péché. Le mariage ne doit donc pas avoir de [biens] qui l’excusent.

[19755] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ad omnia quae honeste fieri possunt, virtutes dirigunt. Si ergo matrimonium aliquibus bonis potest honestari, non indiget aliis honestantibus quam animi virtutibus ; et sic non debent matrimonio aliqua bona assignari quibus honestetur, sicut nec aliis in quibus virtutes dirigunt.

4. Les vertus orientent vers tout ce qui peut être fait honnêtement. Si donc le mariage peut être rendu bon par certains biens, il n’a pas besoin d’autres [biens] qui le rendent bon que les vertus de l’âme. Ainsi, certains biens ne doivent pas être attribués au mariage par lesquels il est rendu bon, pas davantage qu’aux autres choses vers lesquelles les vertus sont orientées.

[19756] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ubicumque est indulgentia, ibi est necessaria aliqua excusationis ratio. Sed matrimonium conceditur in statu infirmitatis secundum indulgentiam, ut patet 1 Corinth. 7. Ergo indiget per aliqua bona excusari.

Cependant, [1] partout où il y a une concession, une raison est nécessaire pour l’excuser. Or, le mariage est accordé dans l’état de faiblesse par mode de concession, comme cela ressort de 1 Co 7. Il a donc besoin d’être excusé par certains biens.

[19757] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, concubitus matrimonialis et fornicarius sunt ejusdem speciei quantum ad speciem naturae. Sed concubitus fornicarius est de se turpis. Ergo ad hoc quod matrimonialis non sit turpis, oportet ei aliquid addi quod ad honestatem ejus pertineat, et in aliam speciem moris trahat.

[2] L’union matrimoniale et [l’union] par fornication sont de la même espèce pour ce qui est de leur espèce naturelle. Or, l’union par fornication est par elle-même honteuse. Pour que le mariage ne soit pas honteux, il est donc nécessaire que lui soit ajouté quelque chose qui concerne sa bonté et l’amène à une autre espèce morale.

[19758] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nullus sapiens debet jacturam aliquam sustinere nisi pro aliqua recompensatione alicujus aequalis vel melioris boni ; unde electio alicujus quod aliquam jacturam habet annexam, indiget alicujus boni adjunctione, per cujus recompensationem ordinetur, et honestetur. In conjunctione autem viri et mulieris rationis jactura accidit : tum quia propter vehementiam delectationis absorbetur ratio, ut non possit aliquid intelligere in ipsa, ut philosophus dicit : tum etiam propter tribulationem carnis, quam oportet tales sustinere ex solicitudine temporalium, ut patet 1 Corinth., 7 ; et ideo electio talis conjunctionis non potest esse ordinata nisi per recompensationem aliquorum ex quibus dicta conjunctio honestetur ; et haec sunt bona quae matrimonium excusant, et honestum reddunt.

Réponse

Aucun homme sage ne doit supporter une dépense qu’en vue d’une compensation par un bien égal ou meilleur. Aussi le choix de quelque chose à quoi est associée une dépense a-t-il besoin de l’ajout d’un bien, par la compensation duquel il est ordonné et rendu bon. Or, dans l’union de l’homme et de la femme, une certaine dépense survient, tant parce que la raison est si absorbée par l’ardeur du plaisir qu’elle ne peut rien comprendre par elle-même, comme le dit le Philosophe, et aussi en raison de la tribulation de la chair, qu’ils doivent supporter en raison de la préoccupation des choses temporelles, comme cela ressort de 1 Co 7. C’est pourquoi le choix d’une telle union ne peut être ordonné que par la compensation de certaines choses par lesquelles on dit que l’union est rendue bonne. Celles-ci sont les biens qui justifient le mariage et le rendent bon.

[19759] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in actu comestionis non est tam vehemens delectatio rationem absorbens, sicut in praedicta delectatione : tum quia vis generativa, per quam originale traducitur, est infecta et corrupta ; nutritiva autem per quam non traducitur, est corrupta et non infecta : tum quia defectum individui quilibet magis sentit in seipso quam defectum speciei. Unde ad excitandum ad comestionem, secundum quam defectui individui subvenitur, sufficit sensus ipsius defectus ; sed ad excitandum ad actum quo defectui speciei subvenitur, divina providentia delectationem apposuit in actu illo, quae etiam alia bruta movet, in quibus non est infectio originalis peccati. Et ideo non est simile.

1. Dans l’acte de manger, il n’existe pas de plaisir aussi intense qui absorbe la raison, comme pour le plaisir mentionné, tant parce que la puissance générative, par laquelle le péché originel est transmis, est infectée et corrompue, alors que la puissance nutritive, par laquelle il n’est pas transmis, est corrompue mais non infectée, que parce que chacun ressent davantage en lui-même la carence de l’indiviu que la carence de l’espèce. Aussi, pour exciter à manger, par quoi la carence de l’individu est corrigée, suffit la perception de la carence elle-même ; mais pour exciter à l’acte par lequel la carence de l’espèce est corrigée, la divine providence a associé un plaisir à cet acte, [plaisir] qui meut même les autres animaux sans raison, chez lesquels il n’existe pas d’infection du péché originel. Ce n’est donc pas la même chose.

[19760] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ista bona quae matrimonium honestant, sunt de ratione matrimonii ; et ideo non indiget eis quasi exterioribus quibusdam ad honestandum, sed quasi causantibus in ipso honestatem quae ei secundum se competit.

2. Les biens qui rendent le mariage bon font partie de l’essence du mariage. Il n’a donc pas besoin d’eux comme de réalités extérieures destinées à le rendre bon, mais de réalités qui causent en lui la bonté qui lui convient en lui-même.

[19761] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod matrimonium ex hoc ipso quod est in officium vel remedium, habet rationem utilis et honesti ; sed utrumque horum ei competit ex hoc quod hujusmodi bona habet, quibus fit et officiosum, et remedium ad concupiscentiam adhibens.

3. Le mariage, par le fait même qu’il est une fonction ou un remède, a le caractère d’utile et de bien ; mais ces deux choses lui conviennent du fait qu’il comporte ces biens, par lesquels il accomplit sa fonction et applique un remède à la concupiscence.

[19762] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquis actus virtutis honestatur et virtute quasi principio elicitivo, et circumstantiis quasi formalibus principiis ipsius. Hoc autem modo se habent bona ad matrimonium sicut circumstantiae ad actum virtutis, ex quibus habet quod virtutis actus esse possit.

4. Un acte de vertu est rendu bon et par la vertu, comme par le principe dont il est issu, et par les circonstances, comme par ses principes formels. Or, les biens se rapportent au mariage comme des circonstances à l’acte d’une vertu, par lesquelles celui-ci obtient de pouvoir être un acte de vertu.

 

 

Articulus 2

[19763] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum sufficienter bona matrimonii assignentur in littera

Article 2 – Les biens du mariage sont-ils indiqués de manière suffisante dans le texte ?

[19764] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod insufficienter bona matrimonii assignentur in littera ; scilicet fides, proles, et sacramentum. Quia matrimonium non solum fit in hominibus ad prolem procreandam et nutriendam ; sed ad consortium communis vitae propter operum communicationem, ut dicitur in 8 Ethic. Ergo sicut ponitur proles bonum matrimonii, ita deberet poni communicatio operum.

1. Il semble que les biens du mariage soient indiqués de manière insuffisante dans le texte : la foi, une descendance et le sacrement, car le mariage n’existe pas seulement chez les hommes pour procréer et éduquer une descendance, mais pour le partage d’une vie commune en raison de la participation conjointe à des d’actions, comme il est dit dans Éthique, VIII. De même que la descendance est présentée comme un bien du mariage, de même devrait donc être présentée la participation conjointe à des actions.

[19765] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, conjunctio Christi ad Ecclesiam, quam matrimonium significat, perficitur per caritatem. Ergo inter bona matrimonii magis deberet poni caritas quam fides.

2. L’union du Christ à l’Église, que signifie le mariage, se réalise par la charité. Parmi les biens du mariage, on devrait donc plutôt mettre la charité que la foi.

[19766] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, in matrimonio sicut exigitur quod neuter conjugum ad alterius torum accedat, ita exigitur quod unus alteri debitum reddat. Sed primum pertinet ad fidem, ut in littera dicitur. Ergo deberet etiam justitia propter redditionem debiti inter bona matrimonii computari.

3. De même qu’il est exigé dans le mariage qu’aucun des époux ne couche avec un autre, de même est-il exigé que l’un rende à l’autre ce qui lui est dû. Or, ce qui est dû en premier se rapporte à la foi, comme on le dit dans le texte. En raison de la reddition de ce qui est dû, on devrait donc aussi compter la justice parmi les biens du mariage.

[19767] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in matrimonio, inquantum significat conjunctionem Christi et Ecclesiae, requiritur indivisibilitas ; ita et unitas, ut sit una unius. Sed sacramentum quod inter tria bona conjugii computatur, pertinet ad indivisionem. Ergo deberet esse aliquid aliud quod pertineret ad unitatem.

4. De même que, dans le mariage, l’indivisibilité est requise, pour autant qu’il signifie l’union du Christ et de l’Église, de même l’unité, de sorte qu’un seul [soit marié] à une seule. Or, le sacrement, qui est compté parmi les biens du mariage, concerne l’indivision. Il devrait donc y avoir quelque chose qui se rapporterait à l’unité.

[19768] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 5 Sed contra, videtur quod superfluat. Quia unica virtus sufficit ad unicum actum honestandum. Sed fides est quaedam virtus. Ergo non oportuit alia duo addere ad honestandum matrimonium.

5. Cependant, il semble que [la description des biens] soit superflue, car une seule vertu suffit à rendre un unique acte bon. Or, la foi est une vertu. Il ne fallait donc pas ajouter les deux autres pour excuser le mariage.

[19769] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, non ex eodem aliquid accipit rationem utilis et honesti ; cum utile et honestum ex opposito bonum dividant. Sed ex prole matrimonium accipit rationem utilis. Ergo proles non debet computari inter bona quibus matrimonium honestatur.

6. Quelque chose ne reçoit le caractère d’utile et de bon de la même chose, alors que ce qui est utile et ce qui est bon introduisent une distinction dans le bien par leur contraire. Or, le mariage reçoit son caractère utile de la descendance. La descendance ne doit donc pas être comptée parmi les biens qui excusent le mariage.

[19770] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, nihil debet poni ut proprietas vel conditio sui ipsius. Sed haec bona ponuntur ut quaedam conditiones matrimonii. Ergo cum matrimonium sit sacramentum, non debet poni sacramentum inter bona matrimonii.

7. Rien ne doit être indiqué comme comme une propriété ou une condition de soi-même. Or, ces biens sont présentés comme des conditions du mariage. Puisque le mariage est un sacrement, on ne doit donc pas mettre le sacrement parmi les biens du mariage.

[19771] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium est in officium naturae, et est sacramentum Ecclesiae. Inquantum ergo est in officium naturae, duobus ordinatur, sicut et quilibet alius virtutis actus : quorum unum exigitur ex parte ipsius agentis, hoc est intentio finis debiti, et sic ponitur bonum matrimonii proles : aliud exigitur ex parte ipsius actus, qui est bonus in genere ex hoc quod cadit supra debitam materiam ; et sic est fides, per quam homo ad suam accedit, et non ad aliam. Sed ulterius habet aliquam bonitatem inquantum est sacramentum ; et hoc significatur ipso nomine sacramenti.

Réponse

Le mariage est une fonction de la nature et il est un sacrement de l’Église. En tant qu’il est une fonction de la nature, il est donc ordonné à deux choses, comme n’importe quel autre acte d’une vertu. L’une d’elles est requise du point de vue de l’agent lui-même : c’est l’intention d’une fin appropriée, et ainsi la decendance est donnée comme un bien du mariage. L’autre est requise du point de vue de l’acte lui-même, qui est bon par son genre par le fait qu’il s’applique à la matière appropriée : on a ainsi la foi, par laquelle l’homme s’approche de sa femme, et non d’une autre. Mais [le mariage] comporte en plus une bonté en tant qu’il est un sacrement, et cela est signifié par le mot même de sacrement.

[19772] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in prole non solum intelligitur procreatio prolis, sed etiam educatio ipsius, ad quam sicut ad finem ordinatur tota communicatio operum quae est inter virum et uxorem, inquantum sunt matrimonio juncti, quia patres naturaliter thesaurizant filiis, ut patet 2 Corinth., 12, et sic in prole, quasi in principali fine, alius quasi secundarius includitur.

1. Par la descendance, on n’entend pas seulement la procréation de la descendance, mais aussi son éducation, à laquelle toute la participation conjointe à des actions, qui existe entre un mari et sa femme, est ordonnée, en tant qu’ils sont unis par le mariage, car les pères accumulent naturellement des trésors pour leurs fils, comme il ressort de 2 Co 12. L’autre fin pour ainsi dire secondaire est ainsi comprise dans la descendance, comme dans la fin principale.

[19773] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides non accipitur hic prout est virtus theologica, sed prout est pars justitiae, secundum quod fides dicitur ex hoc quod fiunt dicta in observatione promissorum : quia in matrimonio, cum sit quidam contractus, est quaedam promissio, per quam talis vir tali mulieri determinatur.

2. La foi n’est pas entendue ici comme la vertu théologale, mais comme une partie de la justice, selon qu’on parle de foi pour l’accomplisement de ce qui a été dit par le respect de ce qui a été promis, car, dans le mariage, puisqu’il est un contrat, il y a une promesse par laquelle tel homme est déterminé pour telle femme.

[19774] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in promissione matrimonii continetur ut neuter ad alterum torum accedat ; ita etiam quod sibi invicem debitum reddant : et hoc etiam est principalius, cum consequatur ex ipsa mutua potestate invicem data ; et ideo utrumque ad fidem pertinet ; sed in littera ponitur illud quod est minus manifestum.

3. De même que, dans la promesse du mariage, est contenu qu’aucun des deux ne doit s’approcher de la couche d’un autre lit conjugal, de même aussi qu’ils se rendent l’un à l’autre ce qui est dû. Et cela est aussi ce qu’il y a de plus important, puisque cela découle du pouvoir mutuel qu’ils se sont donné. C’est pourquoi les deux choses se rapportent à la foi ; mais, dans le texte, est indiqué ce qui est moins manifeste.

[19775] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in sacramento non solum intelligenda est indivisio, sed omnia illa quae consequuntur matrimonium ex hoc quod est signum conjunctionis Christi et Ecclesiae. Vel dicendum, quod unitas quam objectio tangit, pertinet ad fidem, sicut indivisio ad sacramentum.

4. Par le sacrement, il ne faut pas seulement entendre l’indivision, mais tout ce qui découle du mariage du fait qu’il est le signe de l’union du Christ et de l’Église. Ou bien il faut dire que l’unité qu’aborde l’objection se rapporte à la foi, comme l’indivision au sacrement.

[19776] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fides non accipitur hic pro aliqua virtute, sed pro quadam conditione virtutis, ex qua fides nominatur, quae ponitur pars justitiae.

5. La foi n’est pas entendue ici comme une vertu, mais comme une condition de la vertu, en raison de laquelle elle est appelée la foi, qui est présentée comme une partie de la justice.

[19777] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut debitus usus boni utilis accipit rationem honesti, non quidem ex utili, sed ex ratione quae rectum usum facit ; ita etiam ordinatio ad aliquod bonum utile potest facere bonitatem honestatis ex vi rationis debitam ordinationem facientis ; et hoc modo matrimonium ex hoc quod ordinatur ad prolem, utile est ; et nihilominus honestum, inquantum debite ordinatur.

6. De même que l’usage approprié d’un bien utile reçoit son caractère d’honorable, non pas de son utilité, mais de la raison qui [en] rend l’usage bon, de même aussi l’ordre à un bien utile peut conférer sa bonté à ce qui est honorable en vertu de la raison qui [en] rend l’orientation appropriée. De cette manière, le mariage, du fait qu’il est ordonné à la descendance, est utile ; néanmoins, il est honorable dans la mesure où il est bien ordonné.

[19778] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod, sicut Magister dicit in littera, sacramentum non dicitur hic ipsum matrimonium, sed inseparabilitas ejus, quae est ejusdem rei signum cujus et matrimonium. Vel dicendum, quod quamvis matrimonium sit sacramentum, tamen aliud est matrimonio esse matrimonium, et aliud est ei esse sacramentum : quia non solum ad hoc est institutum ut sit in signum rei sacrae, sed etiam ut sit in officium naturae ; et ideo ratio sacramenti est quaedam conditio adveniens matrimonio secundum se considerato, ex quo etiam honestatem habet ; et ideo sacramentalitas ejus, ut infra dicam, ponitur inter bona honestantia matrimonium : et secundum hoc in tertio bono matrimonii, scilicet sacramento, non solum intelligitur inseparabilitas, sed etiam omnia quae ad significationem ipsius pertinent.

7. Comme le Maître le dit dans le texte, on n’appelle pas ici sacrement le mariage lui-même, mais son inséparabilité, qui est le signe de la même chose que le mariage. Ou bien il faut dire que, bien que le mariage soit un sacrement, cependant, c’est autre chose pour le mariage d’être un mariage, et autre chose d’être un sacrement, car il n’a pas été institué seulement pour être le signe d’une chose sacrée, mais aussi pour être une fonction de la nature. Ainsi, la raison de sacrement est une condition qui s’ajoute au mariage considéré en lui-même, et dont il tire sa bonté. C’est pourquoi son caractère sacramentel, comme je le dirai plus loin, est présenté parmi les biens qui rendent le mariage bon. De ce point de vue, par le troisième bien du mariage, le sacrement, on n’entend pas seulement son inséparabilité, mais aussi tout ce qui se rapporte à sa signification.

 

 

Articulus 3

[19779] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 tit. Utrum sacramentum sit principalius inter matrimonii bona

Article 3 – Le sacrement est-il le bien principal du mariage ?

[19780] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sacramentum non sit principalius inter matrimonii bona. Quia finis est potissimum in unoquoque. Sed proles est matrimonii finis. Ergo proles est principalius matrimonii bonum.

1. Il semble que le sacrement ne soit pas le principal parmi les biens du mariage, car la fin est ce qu’il y a de plus important en tout. Or, la descendance est la fin du mariage. La descendance est donc le bien principal du mariage.

[19781] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, principalius est in ratione speciei differentia, quae complet speciem, quam genus ; sicut forma quam materia in constitutione rei naturalis. Sed sacramentum competit matrimonio ex ratione sui generis ; proles autem et fides ex ratione differentiae, inquantum est tale sacramentum. Ergo alia duo sunt magis principalia in matrimonio quam sacramentum.

2. Dans la raison de l’espèce, la différence, qui achève l’espèce, est quelque chose de plus important que le genre, comme la forme plus que la matière dans la constitution d’une chose naturelle. Or, le sacrement convient au sacrement en raison de son genre ; mais la descendance et la foi en raison de sa différence, en tant qu’il est tel sacrement. Les deux autres biens sont donc plus importants dans le mariage que le sacrement.

[19782] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut invenitur matrimonium sine prole et fide ; ita invenitur sine inseparabilitate ; sicut patet quando alter conjugum ante matrimonium consummatum ad religionem transit. Ergo nec ex hac ratione sacramentum est in matrimonio principalius.

3. De même qu’on trouve un mariage sans descendance et sans foi, de même en trouve-t-on sans inséparabilité, comme cela est manifeste lorsque l’un des époux passe à la vie religieuse avant que le mariage ne soit consommé. Le sacrement n’est donc pas pour cette raison plus important dans le mariage.

[19783] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, effectus non potest esse principalior sua causa. Sed consensus, qui est causa matrimonii, mutatur frequenter. Ergo et matrimonium dissolvi potest ; et sic inseparabilitas non semper concomitatur matrimonium.

4. L’effet ne peut être plus important que sa cause. Or, le consentement, qui est la cause du mariage, change fréquemment. Le mariage peut donc être dissous, et ainsi l’inséparabilité n’accompagne pas toujours le mariage.

[19784] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, sacramenta quae habent effectum perpetuum, imprimunt characterem. Sed in matrimonio non imprimitur character. Ergo non adest ei inseparabilitas perpetua ; et ita sicut est matrimonium sine prole, ita potest esse sine sacramento ; et sic idem quod prius.

5. Les sacrements qui ont un effet perpétuel impriment un caractère. Or, un caractère n’est pas imprimé par le mariage. L’inséparabilité perpétuelle n’y est donc pas toujours présente, et ainsi, de même que le mariage existe sans descendance, de même peut-il exister sans sacrement. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[19785] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, illud quod ponitur in definitione rei, est sibi maxime essentiale. Sed indivisio quae pertinet ad sacramentum, ponitur in definitione supra de matrimonio data ; non autem proles, vel fides. Ergo sacramentum inter alia matrimonio est essentialius.

Cependant, [1] ce qui est mis dans la définition d’une chose lui est essentielle au plus haut point. Or, l’indivision, qui concerne le sacrement, est mise dans la définition du mariage donnée plus haut, mais non la descendance ou la foi. Le sacrement est donc plus essentiel au mariage que les autres choses.

[19786] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, virtus divina, quae in sacramentis operatur, est efficacior quam virtus humana. Sed proles et fides pertinent ad matrimonium, secundum quod est in officium naturae humanae ; sacramentum autem secundum quod est ex institutione divina. Ergo sacramentum est principalius in matrimonio quam alia duo.

[2] La puissance divine, qui agit dans les sacrements, est plus efficace que la puissance humaine. Or, la descendance et la foi appartiennent au mariage selon qu’il est une fonction de la nature ; mais le sacrement, selon qu’il est d’institution divine. Le sacrement est donc plus important que les deux autres [biens] dans le mariage

[19787] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod aliquid dicitur in re aliqua principalius altero duobus modis : aut quia est essentialius, aut quia dignius. Si quia dignius, sic omnibus modis sacramentum est principalius inter tria conjugii bona : quia pertinet ad matrimonium inquantum est sacramentum gratiae ; alia vero duo pertinent ad ipsum inquantum est quoddam naturae officium : perfectio autem gratiae est dignior perfectione naturae. Si autem dicatur principalius quod est essentialius, sic distinguendum est : quia fides et proles possunt dupliciter considerari. Uno modo in seipsis ; et sic pertinent ad usum matrimonii, per quem et proles producitur, et pactio conjugalis servatur ; sed indivisibilitas, quam sacramentum importat, pertinet ad ipsum matrimonium secundum se ; quia ex hoc ipso quod per pactionem conjugalem sui potestatem sibi invicem in perpetuum conjuges tradunt, sequitur quod separari non possint ; et inde est quod matrimonium nunquam invenitur sine inseparabilitate ; invenitur autem sine fide et prole, quia esse rei non dependet ab usu suo ; et secundum hoc sacramentum est essentialius matrimonio quam fides et proles. Alio modo possunt considerari fides et proles secundum quod sunt in suis principiis, ut pro prole accipiatur intentio prolis, et pro fide debitum servandi fidem ; sine quibus etiam matrimonium esse non potest, quia haec in matrimonio ex ipsa pactione conjugali causantur ; ita quod si aliquid contrarium hujusmodi exprimeretur in consensu qui matrimonium facit, non esset verum matrimonium ; et sic accipiendo fidem et prolem, proles est essentialissimum in matrimonio, et secundo fides, et tertio sacramentum ; sicut etiam homini est essentialius esse naturae quam esse gratiae, quamvis esse gratiae sit dignius.

Réponse

On dit qu’une chose est plus importante qu’une autre de deux manières : soit elle est plus essentielle, soit elle est plus digne. Si c’est parce qu’il est plus digne, le sacrement est de toutes les manières le plus important des trois biens du mariage, car il appartient au mariage en tant qu’il est un sacrement de la grâce, mais les deux autres lui appartiennent en tant qu’il est une fonction de la nature. Or, une perfection de la grâce est plus digne qu’une perfection de la nature. Mais si on appelle plus important ce qui est plus essentiel, alors il faut faire une distinction, car la foi et la descendance peuvent être considérées de deux manières. D’une manière, en elles-mêmes : ainsi, elles concernent l’usage du mariage, par lequel une descendance est engendrée et le contrat conjugal est respecté ; mais l’indivisibilité que comporte le sacrement appartient au mariage en lui-même, car par le fait même que les époux se donnent à perpétuité un pouvoir réciproque l’un sur l’autre par le contrat conjugal, il en découle qu’ils ne peuvent être séparés. De là vient qu’on ne trouve jamais de mariage sans inséparabilité ; mais on en trouve sans foi ni descendance, car l’être d’une chose ne dépend pas de son usage. De cette manière, le sacrement est plus essentiel au mariage que la foi et la descendance. D’une autre manière, la foi et la descendance peuvent être considérées selon qu’elles existent dans leurs principes, de sorte qu’on entende par descendance l’intention d’une descendance, et par foi, la fidélité à respecter ce qui est dû, sans lesquelles aussi le mariage ne peut exister, car celles-ci sont causées dans le mariage par le contrat conjugal lui-même, de telle sorte que si quelque chose de contraire à cela était exprimé dans le consentement qui réalise le mariage, ce ne serait pas un vrai mariage. En entendant ainsi la foi et la descendance, la descendance est ce qu’il y a de plus essentiel dans le mariage, puis, en deuxième lieu, la foi, et, en troisième lieu, le sacrement, de même qu’est plus essentiel à l’homme l’être selon la nature que l’être selon la grâce, bien qu’être selon la grâce soit plus digne.

[19788] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod finis secundum intentionem est primum in re, sed secundum consecutionem est ultimum ; et similiter se habet proles inter matrimonii bona ; et ideo quodammodo est principalius, et quodammodo non.

1. La fin est ce qu’il y a de premier en intention dans une chose, mais elle est dernière pour l’exécution. De même en est-il de la descendance parmi les biens du mariage. C’est pourquoi elle est d’une certaine manière le bien principal et, d’une certaine manière, non.

[19789] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sacramentum, etiam prout ponitur tertium matrimonii bonum, pertinet ad matrimonium ratione suae differentiae. Dicitur enim sacramentum ex significatione hujus rei sacrae determinatae, quam matrimonium significat.

2. Le sacrement, même en tant qu’il est mis comme troisième bien du mariage, concerne le mariage en raison de sa différence. En effet, on parle de sacrement en raison de cette chose sacrée déterminée que signifie le mariage.

[19790] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nuptiae, secundum Augustinum, sunt bonum mortalium ; unde in resurrectione non nubent neque nubentur, ut dicitur Matth. 22 ; et ideo vinculum matrimonii non se extendit ultra vitam in qua contrahitur ; et ideo dicitur inseparabile, quia non potest in hac vita separari ; sed per mortem separari potest, sive corporalem post carnalem conjunctionem, sive spiritualem, post spiritualem tantum.

3. Les noces, selon Augustin, sont un bien pour les mortels. Aussi, à la résurrection, on n’épouse pas et on n’est pas épousé, comme il est dit dans Mt 22. C’est pourquoi le lien du mariage ne va pas au-delà de la vie pendant laquelle il est contracté. On dit ainsi qu’il est inséparable parce qu’il ne peut pas être séparé en cette vie, mais il peut être séparé par la mort corporelle après l’union charnelle, ou [par la mort] spirituelle après [l’union] spirituelle seulement.

[19791] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis consensus qui facit matrimonium, non sit perpetuus materialiter, idest quantum ad substantiam actus ; quia ille actus cessat, et potest contrarius succedere ; tamen, formaliter loquendo, est perpetuus ; quia est de perpetuitate vinculi, alias non faceret matrimonium : non enim consensus ad tempus ad aliquam matrimonium facit. Et dico formaliter, secundum quod actus accipit speciem ab objecto ; et secundum hoc matrimonium ex consensu inseparabilitatem accipit.

4. Bien que le consentement qui réalise le mariage ne soit pas perpétuel matériellement, c’est-à-dire quant à la substance de l’acte, car cet acte cesse et [un acte] contraire peut lui succéder, à parler formellement, il est cependant perpétuel, car il découle de la perpétuité du lien, autrememnt il ne ferait pas un mariage. En effet, le consentement à une femme pour un temps ne réalise pas un mariage. Et je dis formellement selon qu’un acte reçoit son espèce de son objet. De cette manière, le mariage reçoit son inséparabilité du consentement.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les biens du mariage excusent-ils l’acte du mariage ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[19793] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 pr. Deinde quaeritur qualiter per bona praedicta matrimonium excusetur ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 utrum praedicta bona possint excusare actum matrimonii, ut non sit omnino peccatum ; 2 utrum sine eis a peccato aliquando excusari possit ; 3 utrum quando est sine eis, semper sit peccatum mortale.

Ensuite, on demande comment le mariage est excusé par les biens mentionnés. À ce props, trois questions sont posées : 1 – Les biens mentionnés peuvent-ils excuser l’acte du mariage de sorte qu’il ne soit complètement un péché ? 2 – Sans eux, peut-il être parfois excusé ? 3 – Est-il toujours un péché mortel lorsqu’il existe sans eux ?

 

 

Articulus 1

[19794] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum actus matrimonii possit excusari per bona praedicta, ut non sit peccatum

 

Article 1 – L’acte du mariage peut-il être excusé par les biens mentionnés, de sorte qu’il ne soit pas péché ?

[19795] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod actus matrimonii non possit excusari per bona praedicta, ut non sit omnino peccatum. Quia quicumque sustinet damnum majoris boni propter minus bonum, peccat, quia inordinate sustinet. Sed bonum rationis, quod laeditur in ipso actu conjugali, est majus quam haec tria conjugii bona. Ergo praedicta bona non sufficiunt ad excusandum conjugalem concubitum.

1. Il semble que l’acte du mariage ne puissse être excusé par les biens mentionnés, de sorte qu’il ne soit pas complètement péché, car quiconque supporte la perte d’une plus grand bien pour un bien moindre pèche, car il la supporte de manière désordonnée. Or, le bien de la raison, qui est blessé dans l’acte conjugal lui-même, est plus grand que ces trois biens du mariage. Les biens mentionnés ne suffisent donc pas à excuser l’union conjugale.

[19796] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, si bonum malo addatur in genere moris, totum efficitur malum ; non autem totum bonum : quia una circumstantia mala facit actum malum, non autem una bona facit ipsum bonum. Sed actus conjugalis secundum se malus est, alias excusatione non indigeret. Ergo bona matrimonii adjuncta non possunt ipsum bonum facere.

2. Dans le domaine du comportement si un bien est ajouté à un mal, l’ensemble devient entièrement mauvais, mais non entièrement bon, car une seule circonstance mauvaise rend un acte mauvais, mais une seule bonne ne le rend pas bon. Or, l’acte conjugal est mauvais en soi, autrement il n’aurait pas besoin d’excuse. Les biens du mariage ajoutés ne peuvent donc pas le rendre bon.

[19797] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, ubicumque est immoderatio passionis, ibi est vitium in moribus. Sed bona matrimonii non possunt efficere quin delectatio illius actus sit immoderata. Ergo non possunt excusare quin sit peccatum.

3. Partout où il y a manque de modération de la passion, existe un vice du comportement. Or, les biens du mariage ne peuvent empêcher que le plaisir de cet acte soit immodéré. Ils ne peuvent donc pas excuser qu’il ne soit pas péché.

[19798] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, verecundia non est nisi de turpi actu, secundum Damascenum. Sed bona matrimonii non tollunt erubescentiam ab illo actu. Ergo non possunt excusare, quin sit peccatum.

4. La honte n’est due qu’à un acte mauvais, selon [Jean] Damascène. Or, les biens du mariage n’enlèvent pas la honte de cet acte. Ils ne peuvent donc pas empêcher qu’il soit un péché.

[19799] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, concubitus conjugalis non differt a fornicario nisi per bona matrimonii. Si ergo haec non sufficerent excusare ipsum, tunc matrimonium semper illicitum remaneret ; quod est contra id quod habitum est supra, 26 dist., quaest. 1, art. 3.

Cependant, [1] l’union conjugale ne diffère de la fornication que par les biens du mariage. Si donc ils ne suffisaient pas à l’excuser, le mariage serait alors toujours illicite, ce qui est contraire à ce qu’on a vu dans la d. 26, q. 1, a. 3.

[19800] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, bona matrimonii se habent ad actum ejus sicut circumstantiae debitae, ut dictum est. Sed circumstantiae tales sufficienter faciunt quod aliquis actus non sit malus. Ergo et haec bona possunt excusare matrimonium, ut nullo modo sit peccatum.

[2] Les biens du mariage jouent par rapport à son acte le rôle de circonstances nécessaires, comme on l’a dit. Or, de telles circonstances sont suffisantes pour qu’un acte ne soit pas mauvais. Ces biens aussi peuvent donc excuser le mariage, de sorte qu’il ne soit péché d’aucune manière.

[19801] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aliquis actus dicitur excusari dupliciter. Uno modo ex parte facientis, ita quod non imputetur facienti in culpam, quamvis sit malus, vel saltem non in tantam culpam ; sicut ignorantia dicitur excusare peccatum in toto vel in parte. Alio modo dicitur excusari actus ex parte sui, ita scilicet quod non sit malus ; et hoc modo praedicta bona dicuntur excusare actum matrimonii. Ex eodem autem habet actus aliquis quod non sit malus in genere moris, et quod sit bonus : quia non est aliquis actus indifferens, ut in 2 Lib., dist. 40, art. 5, dictum est. Dicitur autem aliquis humanus actus bonus dupliciter. Uno modo bonitate virtutis ; et sic actus habet quod sit bonus ex his quae ipsum in medio ponunt ; et hoc faciunt in actu matrimonii fides et proles, ut ex dictis patet ; alio modo bonitate sacramenti, secundum quod actus non solum bonus sed etiam sanctus dicitur ; et hanc bonitatem habet actus matrimonii ex indivisibilitate conjunctionis, secundum quam signat conjunctionem Christi ad Ecclesiam. Et sic patet quod praedicta sufficienter actum matrimonii excusant.

Réponse

On dit qu’un acte est excusé de deux manières. D’une manière, du point de vue de celui l’accomplit, de sorte qu’il ne soit pas imputé à celui qui l’accomplit comme une faute, bien qu’il soit mauvais ou, tout au moins, pas une aussi grande faute ; ainsi dit-on que l’ignorance excuse un acte en tout ou en partie. D’une autre manière, on dit qu’un acte est excusé par lui-même, de sorte qu’il ne soit pas mauvais ; c’est de cette manière qu’on dit des biens mentionnés qu’ils peuvent excuser l’acte du mariage. Or, un acte tient de la même chose de n’être pas mauvais et d’être bon dans le genre moral, car il n’y a pas d’acte indifférent, comme on l’a dit dans le livre II, d. 40, a. 5. Cependant, on dit d’un acte humain qu’il est bon de deux manières. D’une manière, par la bonté de la vertu : ainsi, un acte tient d’être bon de ce qui le situe au milieu. C’est ce que font la foi et la descendance pour l’acte du mariage, comme cela ressort de ce qui a été dit. D’une autre manière, par la bonté du sacrement, selon qu’un acte est non seulement appelé bon mais aussi saint : et l’acte du mariage possède cette bonté par l'indivibilité de l’union, par laquelle il signifie l’union du Christ à l’Église. Il est ainsi clair que les biens mentionnés excusent suffisamment l’acte du mariage.

[19802] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per matrimonii actum non incurrit homo damnum rationis quantum ad habitum, sed solum quantum ad actum. Nec est inconveniens quod quandoque aliquis actus melior secundum genus suum interrumpatur pro aliquo minus bono actu : hoc enim sine peccato fieri potest, sicut patet in eo qui a contemplatione cessat, ut interdum actioni vacet.

1. Par l’acte du mariage, l’homme n’encourt pas de préjudice pour sa raison quant à l’habitus, mais seulement quant à un acte. Et il n’est pas inapproprité qu’un acte parfois meilleur en son genre soit interrompu pour un bien moindre : en effet, cela peut être fait sans péché, comme cela est clair pour celui cesse de contempler afin de s’adonner parfois à l’action.

[19803] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si malum quod inseparabiliter concomitatur concubitum, esset malum culpae : nunc autem non est malum culpae, sed poenae tantum, quae est inobedientia concupiscentiae ad rationem ; et ideo ratio non sequitur.

2. Ce raisonnement serait concluant si le mal qui accompagne inséparablement l’union charnelle était un mal de faute. Mais, maintenant, ce n’est pas un mal faute mais un mal de peine seulement, qui consiste en la désobéissance de la concupiscence à la raison. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[19804] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod superabundantia passionis quae vitium facit, non attenditur secundum intensionem quantitativam ipsius, sed secundum proportionem ad rationem ; unde tunc solum passio reputatur immoderata, quando limites rationis excedit. Delectatio autem quae fit in actu matrimoniali, quamvis sit intensissima secundum quantitatem, tamen non excedit limites sibi a ratione praefixos ante principium suum, quamvis in ipsa delectatione ratio eos ordinare non possit.

3. Le débordement de passion qui réalise le vice ne se prend pas de l’intensité quantitative de celle-ci, mais selon sa proportion à la raison. Aussi la passion est-elle seulement considérée comme immodérée lorsqu’elle déborde les limites de la raison. Or, le plaisir qui existe dans l’acte matrimonial, bien qu’il soit le plus intense selon la quantité, ne déborde cependant pas des limites qui ont été d’avance fixées par la raison avant qu’il ne débute, bien que, au sein du plaisir lui-même, la raison ne puisse les ordonner.

[19805] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod turpitudo illa quae semper est in actu matrimonii, et erubescentiam facit, turpitudo est poenae, et non culpae : quia de quolibet defectu homo naturaliter erubescit.

4. Cette honte qui existe toujours dans l’acte du mariage et cause le rougissement est une honte de peine, et non [une honte] de faute, car l’homme rougit naturellement de toute carence.

 

 

Articulus 2

[19806] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 tit. Utrum actus matrimonii excusari possit etiam sine matrimonii bonis

Article 2 – L’acte du mariage peut-il être excusé même sans les biens du mariage ?

[19807] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actus matrimonii excusari possit etiam sine matrimonii bonis. Qui enim a natura tantum movetur ad actum matrimonii, non videtur aliquod bonum intendere ; quia bona matrimonii pertinent ad gratiam vel virtutem. Sed quando aliquis solo naturali appetitu movetur ad actum praedictum, non videtur esse peccatum : quia nullum naturale est malum, cum malum sit praeter naturam et praeter ordinem, ut dicit Dionysius. Ergo actus matrimonialis potest excusari etiam sine bonis matrimonii.

1. Il semble que l’acte du mariage puisse être excusé sans les biens du mariage. En effet, celui qui est mû seulement par la nature à l’acte du mariage ne semble pas avoir un bien pour objet, car les biens du mariage concernent la grâce ou la vertu. Or, lorsque quelqu’un est mû par le seul appétit naturel à l’acte mentionné, ce ne semble pas être un péché, car rien de ce qui est naturel n’est mauvais, puisque le mal est contraire à la nature et contraire à l’ordre, comme le dit Denys. L’acte matrimonial peut donc être excusé même sans les biens du mariage.

[19808] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ille qui utitur conjuge ad fornicationem vitandam, non videtur aliquod bonum matrimonii intendere. Sed talis non peccat, ut videtur, quia ad hoc est matrimonium concessum humanae infirmitati, ut fornicatio vitetur : 1 Cor., 7. Ergo etiam sine bonis matrimonii potest actus ejus esse excusatus.

2. Celui qui fait usage de son épouse pour éviter la fornication ne semble pas avoir comme objet un bien du mariage. Or, celui-là ne pèche pas, car le mariage a été concédé à la faiblesse humaine afin que la fornication soit évitée, 1 Co 7. Son acte peut donc être excusé sans les biens du mariage.

[19809] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ille qui utitur re sua ad libitum, non facit contra justitiam ; et sic non peccat, ut videtur. Sed per matrimonium uxor efficitur res viri, et e converso. Ergo si se invicem ad libitum utuntur libidine movente, non videtur esse peccatum ; et sic idem quod prius.

3. Celui qui fait librement usage de ce qui lui appartient n’agit pas contre la justice, et ainsi il ne pèche pas, semble-t-il. Or, par le mariage, l’épouse devient la chose du mari, et inversement. S’ils font donc usage l’un de l’autre sous la poussée du désir, cela ne semble pas être un péché. C’est donc la même chose que précédemment.

[19810] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod efficitur bonum ex genere, non efficitur malum nisi ex mala intentione fiat. Sed actus matrimonii quo quis suam cognoscit, est ex genere bonus. Ergo non potest malus esse, nisi mala intentione fiat. Sed potest bona intentione fieri, etiam si non intendatur aliquod matrimonii bonum ; puta cum quis per hoc salutem corporalem intendit servare aut consequi. Ergo videtur quod etiam sine matrimonii bonis actus ille possit excusari.

4. Ce qui est accompli de bien par son genre ne devient mal que si cela est fait avec une mauvaise intention. Or, l’acte du mariage par lequel quelqu’un connaît son épouse est bon par son genre. Il ne peut donc être mauvais que s’il est fait avec une mauvaise intention. Or, il peut être fait avec une bonne intention, même s’il n’a pas comme objet un bien du mariage, par exemple, lorsque quelqu’un veut conserver sa santé corporelle ou l’obtenir. Il semble donc que, même sans les biens du mariage, cet acte puisse être excusé.

[19811] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, remota causa removetur effectus. Sed causa honestatis actus matrimonialis sunt matrimonii bona. Ergo sine eis non potest actus matrimonialis excusari.

Cependant, [1] si on enlève la cause, on enlève l’effet. Or, la cause de la bonté de l’acte matrimonial, ce sont les biens du mariage. Sans eux l’acte matrimonial ne peut donc pas être excusé.

[19812] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, actus praedictus non differt ab actu fornicario nisi in praedictis bonis. Sed concubitus fornicarius semper est malus. Ergo, si non excusatur in praedictis bonis, etiam matrimonialis actus semper erit malus.

[2] L’acte mentionné ne diffère de l’acte de fornication que par les biens mentionnés. Or, l’union charnelle par fornication est toujours mauvaise. S’il n’est pas excusé par les biens mentionnés, l’acte matrimonial sera donc toujours mauvais.

[19813] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut bona matrimonii, secundum quod sunt in habitu, faciunt matrimonium honestum et sanctum ; ita etiam secundum quod sunt in actuali intentione, faciunt actum matrimonii honestum quantum ad illa duo bona quae ipsius actum respiciunt. Unde, quando conjuges conveniunt causa prolis procreandae, vel ut sibi invicem debitum reddant, quae ad fidem pertinent ; totaliter excusantur a peccato. Sed tertium bonum non pertinet ad usum matrimonii, sed ad essentiam ipsius, ut dictum est, unde facit ipsum matrimonium honestum, non autem actum ejus, ut per hoc actus absque peccato reddatur ; quia alicujus significationis causa conveniunt ; et ideo duobus solis modis conjuges absque omni peccato conveniunt ; scilicet causa prolis procreandae, et debiti reddendi ; alias autem semper est ibi peccatum, ad minus veniale.

Réponse

De même que les biens du mariage, selon qu’ils existent sous forme d’habitus, rendent le mariage honorable et saint, de même aussi, selon qu’ils existent sous forme d’intention actuelle, rendent-ils l’acte du mariage honorable, pour les deux biens qui concernent son acte même. Lorsque des époux s’unissent pour procréer une descendance ou pour s’acquitter de ce qu’ils se doivent l’un à l’autre, ce qui relève de la foi, ils sont donc entièrement excusés de péché. Cependant, le troisième bien ne concerne pas l’usage du mariage, mais son essence, comme on l’a dit. Aussi rend-il le mariage honorable, mais non son acte, de sorte que par cela l’acte soit rendu sans péché, car ils s’unissent en vue d’une certaine signification. Ainsi, les époux s’unissent sans aucun péché de deux manières seulement : pour procréer une descendance et pour rendre ce qu’ils doivent ; autrement, il y a toujours péché, du moins véniel.

[19814] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proles prout est bonum sacramenti, addit supra prolem prout est intentum a natura. Natura enim intendit prolem prout in ipsa salvatur bonum speciei ; sed in prole secundum quod est bonum sacramenti matrimonii, ultra hoc intelligitur ut proles suscepta ulterius ordinetur in Deum ; et ideo oportet quod intentio naturae qua prolem intendit, referatur actu vel habitu ad intentionem prolis prout est bonum sacramenti ; alias staretur in creatura ; quod sine peccato esse non potest : et ideo, quando natura tantum movet ad actum matrimonii, non excusatur a peccato omnino, nisi inquantum motus naturae ordinatur actu vel habitu ulterius ad prolem secundum quod est bonum sacramenti. Nec tamen sequitur quod motus naturae sit malus ; sed quod sit imperfectus, nisi ad aliquod bonum matrimonii ulterius ordinetur.

1. La descendance, en tant qu’elle est un bien du sacrement, ajoute à la descendance en tant qu’elle est visée par la nature. En effet, la nature a comme objet la descendance en tant que le bien de l’espèce est sauvegardé par elle ; mais, pour la descendance selon qu’elle est un bien du sacrement de mariage, on l’entend en plus selon que la descendance reçue est en plus ordonnée à Dieu. C’est pourquoi il est nécessaire que l’intention de la nature par laquelle celle-ci a la descendance comme objet soit rapportée en acte ou en habitus à l’intention de la descendance selon qu’elle est un bien du sacrement, autrement elle s’arrêterait à la créature, ce qui ne peut exister sans péché. Aussi, lorsque la nature seulement pousse à l’acte du mariage, elle n’est entièrement excusée de péché que dans la mesure où le mouvement de la nature est en plus ordonné en acte ou en habitus à la descendance selon qu’elle est un bien du sacrement. Il n’en découle cependant pas que le mouvement de la nature est mauvais, mais qu’il est imparfait s’il n’est pas en plus ordonné à un bien du mariage.

[19815] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si aliquis per actum matrimonii intendat vitare fornicationem in conjuge, non est aliquod peccatum ; quia hoc est quaedam redditio debiti, quod ad bonum fidei pertinet. Sed si intendat vitare fornicationem in se, sic est ibi aliqua superfluitas ; et secundum hoc est peccatum veniale : nec ad hoc est matrimonium institutum, nisi secundum indulgentiam, quae est de peccatis venialibus.

2. Si quelqu’un, par l’acte du mariage, entend éviter la fornication chez le conjoint, ce n’est pas péché, car cela est une façon de rendre ce qui est dû, ce qui relève du bien de la foi. Mais s’il a l’intention d’éviter la fornication en lui-même, il existe là un certain excès ; sous cet aspect, il y a péché véniel. Et le mariage n’a été institué pour cela qu’en raison d’une certaine indulgence, qui porte sur les péchés véniels.

[19816] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod una debita circumstantia non sufficit ad hoc quod actus sit bonus ; et ideo non oportet quod qualitercumque quis re sua utatur, usus sit bonus ; sed quando utitur re sua ut debet secundum omnes circumstantias.

3. Une seule circonstance nécessaire ne suffit pas à rendre un acte bon. C’est pourquoi il ne faut que l’usage que quelqu’un fait de ce qui lui appartient soit fait de n’importe quelle manière, mais lorsqu’il fait usage de ce qui lui appartient comme il le doit selon toutes les circonstances.

[19817] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis intendere sanitatis conservationem non sit per se malum ; tamen haec intentio efficitur mala, si ex aliquo sanitas intendatur quod non est ad hoc de se ordinatum, sicut qui ex sacramento Baptismi tantum salutem corporalem quaereret ; et similiter est in proposito de actu matrimoniali.

4. Bien qu’avoir l’intention de conserver la santé ne soit pas mauvais en soi, cette intention est rendue mauvaise si on attend la santé de quelque chose qui n’est pas par soi ordonné à cela, comme celui qui chercherait seulement la santé corporelle dans le sacrement de baptême. Il en va de même de l’acte matrimonial pour ce qui est en cause ici.

 

 

 

Articulus 3

[19818] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 tit. Utrum aliquis peccet mortaliter cognoscens uxorem non intendens aliquod matrimonii bonum, sed solam delectationem

Article 3 – Quelqu’un pèche-t-il mortellement en connaissant son épouse sans avoir comme but un bien du mariage, mais son seul plaisir ?

[19819] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod quandocumque aliquis uxorem cognoscit non intendens aliquod matrimonii bonum, sed solam delectationem, mortaliter peccet. Quia Hieronymus dicit, et habetur in littera : voluptates quae de meretricum amplexibus capiuntur, in uxore damnandae sunt. Sed non dicitur esse damnabile nisi peccatum mortale. Ergo cognoscere uxorem propter solam voluptatem, est peccatum mortale semper.

1. Il semble que chaque fois que quelqu’un connaît son épouse sans avoir comme but un bien du mariage, mais son seul plaisir, il pèche mortellememnt, car Jérôme dit, et on lit cela dans le texte : « Les plaisirs qui sont pris aux étreintes des prostituées sont condamnables chez l’épouse. » Or, on n’appelle condamnable que le péché mortel. Connaître son épouse pour le seul plaisir est donc toujours péché mortel.

[19820] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, consensus in delectationem est peccatum mortale, ut in 2 Lib., dist. 24, qu. 2, art. 2, in corp., dictum est. Sed quicumque cognoscit uxorem suam causa delectationis, consentit in delectationem. Ergo mortaliter peccat.

2. Le consentement au plaisir est un péché mortel, comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 2, a. 2, c. Or, quiconque connaît son épouse pour le plaisir consent au plaisir. Il pèche donc mortellement.

[19821] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quicumque usum creaturae non refert in Deum, creatura fruitur ; quod est peccatum mortale. Sed quicumque uxore propter solam delectationem utitur, hunc usum non refert in Deum. Ergo mortaliter peccat.

3. Quiconque ne rapporte pas à Dieu l’usage d’une créature jouit [fruitur] de la créature, ce qui est péché mortel. Or, quiconque fait usage de son épouse pour le seul plaisir ne rapporte pas cet usage à Dieu. Il pèche donc mortellement.

[19822] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, nullus debet excommunicari nisi pro peccato mortali. Sed aliquis sola libidine uxorem cognoscens arcetur ab introitu Ecclesiae, ut in littera dicitur, quasi sit excommunicatus. Ergo omnis talis peccat mortaliter.

4. Personne ne doit être excommunié que pour un péché mortel. Or, celui qui connaît son épouse pour le seul plaisir est empêché d’entrer dans l’église, comme on le dit dans le texte, comme s’il était excommunié. Tous ceux qui agissent ainsi pèchent donc mortellement.

[19823] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est, secundum Augustinum, quod talis concubitus ponitur inter peccata quotidiana, pro quibus dicitur pater noster, ut habetur in littera. Sed talia non sunt peccata mortalia. Ergo et cetera.

Cependant, [1] en sens contraire, selon Augustin, une telle union est placée parmi les péchés quotidiens, pour lesquels on dit le « Notre Père », comme on le trouve dans le texte. Or, ce ne sont pas là des péchés mortels. Donc, etc.

[19824] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, qui cibo utitur propter delectationem tantum, non peccat mortaliter. Ergo pari ratione qui utitur uxore tantum causa libidinis.

[2] Celui qui fait usage de nourriture pour le seul plaisir ne pèche pas mortellement. Pour la même raison, celui qui fait usage de son épouse seulement pour le plaisir.

[19825] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt quod quandocumque ad actum conjugalem libido principaliter movet, est peccatum mortale ; sed quando movet ex latere, tunc est peccatum veniale ; quando autem delectationem omnino respuit, et displicet ei ; tunc est omnino absque veniali peccato : ut sic delectationem in actu illo quaerere, sit peccatum mortale ; delectationem oblatam acceptare, sit peccatum veniale ; sed eam odire, sit perfectionis. Sed hoc non potest esse : quia, secundum philosophum in 10 Ethic., idem est judicium de delectatione et operatione : quia operationis bonae est delectatio bona, et malae mala. Unde cum actus matrimonialis non sit per se malus ; nec quaerere delectationem erit peccatum mortale semper. Et ideo dicendum, quod si delectatio quaeratur ultra honestatem matrimonii, ut scilicet quia aliquis in conjuge non attendat quod conjux est, sed solum quod mulier est, idem paratus facere cum ea etsi non esset conjux, est peccatum mortale ; et talis dicitur ardentior amator uxoris, quia scilicet ardor ille extra bona matrimonii effertur. Si autem quaeratur delectatio infra limites matrimonii, ut scilicet talis delectatio in alia non quaereretur quam in conjuge, sic est veniale peccatum.

Réponse

Certains disent que chaque fois que le plaisir meut à l’acte conjugal, il y a péché mortel ; cependant, lorsque qu’il y meut de manière incidente, il y a alors péché véniel ; mais lorsqu’on rejette entièrement le plaisir et que celui-ci déplaît, c’est alors sans aucun péché véniel, de sorte que chercher le plaisir dans cet acte est un péché mortel, accepter le plaisir proposé est un péché véniel, mais le détester relève de la perfection. Mais cela est impossible, car, selon le Philosophe, dans Éthique, X, le jugement sur le plaisir et sur l’action est le même, car le plaisir bon appartient à une action bonne, et le mauvais à une mauvaise. Puisque l’acte matrimonial n’est pas en lui-même mauvais, chercher le plaisir ne sera donc pas toujours un péché mortel. C’est pourquoi il faut dire que si le plaisir est recherché au-delà de l’honnêteté du mariage, par exemple, si quelqu’un ne voit pas dans son épouse le fait qu’elle est son épouse, mais seulement une femme, prêt à faire la même chose avec elle, même si elle n’était pas son épouse, cela est un péché mortel. Et celui-là est appelé un amant plus brûlant de son épouse, car cette ardeur dépasse les biens du mariage. Mais si le plaisir est recherché à l’intérieur des frontières du mariage, de sorte qu’un tel plaisir ne soit pas recherché chez une autre que son épouse, cela est alors un péché véniel.

[19826] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tunc voluptates meretricias vir in uxore quaerit quando nihil aliud in ea attendit quam quod in meretrice attenderet.

1. Le mari recherche les plaisirs des prostituées chez son épouse lorsqu’il ne voit rien d’autre en elle que ce à quoi il porterait attention chez une prostituée.

[19827] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consensus in delectationem concubitus qui est mortale peccatum, est mortale peccatum ; non autem talis est delectatio matrimonialis actus.

2. Le consentement au plaisir de l’union charnelle qui est un péché mortel est un péché mortel, mais tel n’est pas le plaisir de l’acte matrimonial.

[19828] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis delectationem non referat actu in Deum, tamen non ponit in ea ultimum voluntatis finem ; alias eam ubicumque indifferenter quaereret ; et ideo non oportet quod creatura fruatur, sed utitur creatura propter se ; se autem habitualiter propter Deum, quamvis non actu.

3. Bien qu’il ne rapporte pas à Dieu en acte le plaisir, cependant il n’y place pas la fin ultime de sa volonté ; autrement, il le chercherait partout de manière indifférente. C’est pourquoi il ne faut pas qu’il jouisse [fruatur] de la créature, mais il use [utitur] de la créature pour lui-même, mais [il use] de lui-même d’une manière habituelle pour Dieu, bien que non en acte.

[19829] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc non dicitur propter hoc quod ex hoc peccato homo excommunicationem mereatur ; sed quia spiritualibus se reddit inhabilem, propter hoc quod in actu illo homo efficitur totus caro.

4. On ne dit pas à cause de cela qu’en raison de ce péché, un homme mérite l’excommunication, mais qu’il se rend inapte aux choses spirituelles, parce que, par cet acte, l’homme devient entièrement chair.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 31

[19830] Super Sent., lib. 4 d. 31 q. 2 a. 3 expos. Solet quaeri, cum masculus et femina, nec ille maritus nec illa uxor alterius (...) pro incontinentia solius concubitus causa copulantur. De hoc in praecedenti dist. dictum est, quoniam malus finis bonitatem matrimonii non tollit. Qui vero venena sterilitatis procurant, non conjuges, sed fornicarii sunt. Hoc peccatum quamvis sit grave, et inter maleficia computandum, et contra naturam, quia etiam bestiae fetus expectant ; tamen est minus quam homicidium ; quia adhuc poterat alio modo impediri conceptus. Nec est judicandus talis irregularis, nisi jam formato puerperio abortum procuret. Semina paulatim formantur et cetera. De hoc habitum est in tertio, dist. 3. Et postquam venter uxoris intumuerit, non perdant filios. Quamvis enim matrix post impraegnationem claudatur ; tamen ex delectatione, ut Avicenna dicit, movetur et aperitur ; et ex hoc imminet periculum abortus ; et ideo Hieronymus vituperat accessum viri ad uxorem impraegnatam ; non tamen ita quod semper sit peccatum mortale ; nisi forte quando probabiliter timetur de periculo abortus. Nec immutetur in eum usum qui est contra naturam. Usus contra naturam conjugis est, quando debitum vas praetermittit, vel debitum modum a natura institutum quantum ad situm ; et in primo semper est peccatum mortale, quia proles sequi non potest, unde totaliter intentio naturae frustratur ; sed in secundo modo non semper est peccatum mortale, ut quidam dicunt, sed potest esse signum mortalis concupiscentiae ; quandoque etiam sine peccato esse potest, quando dispositio corporis alium modum non patitur ; alias tanto est gravius, quanto magis a naturali modo receditur.

 

 

 

Distinctio 32

Distinction 32 – [L’acte conjugal sous son aspect de dette]

 

 

Prooemium

Prologue

[19831] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de bonis conjugii quibus actus matrimonialis excusatur ; hic determinat de actu ipso secundum quod ulterius accipit rationem debiti per bona conjugii ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quod uterque conjugum alteri debitum reddere tenetur ; in secunda ostendit quod petitio debiti propter solemnitatem temporis impeditur, ibi : et licet debitum poscenti semper sit solvendum, non licet tamen qualibet die poscere. Prima in duas : in prima ostendit quod vir et uxor sunt aequales in debiti redditione ; secundo probat quoddam quod supposuerat, ibi : quod probatur testimoniis. Et licet debitum poscenti semper sit solvendum, non licet tamen qualibet die poscere. Hic determinat de temporibus in quibus actus matrimonii interdicitur ; et circa hoc duo facit : primo ostendit quod aliquod tempus impedit petitionem debiti ; secundo ostendit quod etiam aliquod impedit celebrationem nuptiarum, ibi : nec solum in opere carnali servanda sunt tempora, sed etiam in celebrandis nuptiis. Circa primum duo facit : primo ostendit veritatem ; secundo excludit quamdam objectionem, ibi : illi autem quod dictum est, reddere debitum non esse peccatum, videtur obviare quod ait Hieronymus. Hic quaeruntur quinque : 1 utrum uterque conjugum teneatur ex necessitate praecepti alteri debitum reddere semper ; 2 utrum debeat aliquando reddere non poscenti ; 3 utrum in redditione debiti vir et uxor sint aequales ; 4 utrum unus sine consensu alterius possit votum emittere per quod impediatur redditio debiti ; 5 utrum tempus impediat redditionem debiti.

Après avoir déterminé des biens du mariage par lesquels l’acte matrimonial est excusé, le Maître détermine ici de l’acte lui-même, en tant qu’il acquiert le caractère de dette par les biens du mariage. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre que chacun des époux est tenu de rendre ce qu’il doit à l’autre ; dans la seconde, il montre que la demande de ce qui est dû est empêchée par la solennité du temps, à cet endroit : « Et bien que ce qui est dû doive toujours être acquitté envers celui qui le demande, il n’est cependant pas permis de le demander n’importe quel jour. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le mari et la femme sont égaux pour l’acquittement de la dette ; deuxièmement, il démontre quelque chose qu’il avait présupposé, à cet endroit : « Ce qui est démontré par des témoignages. » « Et bien que ce qui est dû doive toujours être acquitté envers celui qui le demande, il n’est cependant pas permis de le demander n’importe quel jour. » Il détermine ici des temps où l’acte du mariage est interdit. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’un temps empêche la demande de ce qui est dû ; deuxièmement, il montre qu’il empêche aussi la célébration des noces, à cet endroit : « Non seulement des temps doivent-ils être respectés pour l’œuvre de chair, mais aussi pour la célébration des noces. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre la vérité ; deuxièmement, il écarte une objection, à cet endroit : « À ce qui a été dit, que rendre ce qui est dû n’est pas péché, semble s’opposer ce que dit Jérôme. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – Chacun des époux est-il obligé par la nécessité d’un commandement de toujours rendre à l’autre ce qui lui est dû ? 2 – Doit-il parfois le rendre alors qu’il ne le demande pas ? 3 – Le mari et l’épouse sont-ils égaux pour ce qui est de l’acquittement de la dette ? 4 – L’un peut-il émettre sans le consentement de l’autre un vœu en vertu duquel l’acquittement de la dette est empêché ? 5 – Le moment empêche-t-il de rendre ce qui est dû ?

 

 

Articulus 1

[19832] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 tit. Utrum alter conjugum teneatur alteri ad redditionem debiti ex necessitate praecepti

Article 1 – Chacun des époux est-il obligé par la nécessité d’un commandement de toujours rendre à l’autre ce qui lui est dû ?

[19833] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod alter conjugum non teneatur alteri ad redditionem debiti ex necessitate praecepti. Nullus enim prohibetur a sumptione Eucharistiae propter hoc quod praeceptum implet. Sed ille qui uxori debitum reddit, non potest carnes agni edere, ut Hieronymus in littera dicit. Ergo reddere debitum non est de necessitate praecepti.

1. Il semble que l’un des époux ne soit pas obligé de rendre à l’autre ce qui est dû par la nécessité d’un commandement. En effet, il n’est interdit à personne de recevoir l’eucharitie parce qu’il accomplit un précepte. Or, celui qui rend sa dette à son épouse ne peut manger la chair de l’agneau, comme le dit Jérôme dans le texte. Rendre ce qui est dû ne relève donc pas de la nécessidté d’un commandement.

[19834] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quilibet potest licite abstinere ab his quae sunt sibi nociva in persona. Sed aliquando reddere debitum poscenti esset nocivum personae vel ratione infirmitatis, vel ratione solutionis jam factae. Ergo videtur quod licite possit debitum poscenti negari.

2. Quiconque peut légitimement s’abstenir de ce qui est nocif à sa personne. Or, parfois, rendre son dû à celui qui le demande serait nocif à sa personne, soit en raison de la maladie, soit en raison d’un acquittement déjà accompli. Il semble donc qu’il soit légitime de refuser ce qui est dû à celui qui le demande.

[19835] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quicumque facit se impotentem ad faciendum id ad quod ex praecepto tenetur, peccat. Si ergo aliquis ex necessitate praecepti tenetur ad reddendum debitum, videtur quod peccet si jejunando, vel alias corpus suum attenuando, impotentem se reddat ad debiti solutionem ; quod non videtur verum.

3. Quiconque se rend incapable d’accomplir ce à quoi il est obligé par précepte pèche. Si donc quelqu’un, en vertu de la nécessité d’un commandement, est obligé de rendre sa dette, il semble qu’il pèche si, en jeûnant ou en affaiblissant son corps autrement, il se rend incapable d’acquitter sa dette, ce qui ne semble pas être vrai.

[19836] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, matrimonium, secundum philosophum, ordinatur ad procreationem prolis et educationem, et iterum ad communicationem vitae. Sed lepra est contra utrumque matrimonii finem ; quia cum sit morbus contagiosus, mulier leproso non tenetur cohabitare ; similiter etiam morbus ille frequenter transmittitur ad prolem. Ergo videtur quod viro leproso uxor debitum reddere non teneatur.

4. Selon le Philosophe, le mariage est ordonné à la procréation et à l’éducation d’une descendance, et aussi à une vie commune. Mais la lèpre est contraire à la double fin du mariage, car, puisqu’elle est une maladie contagieuse, une femme n’est pas obligée de cohabiter avec un lépreux ; de même aussi, la maladie est fréquemment transmise à la descendance. Il semble donc qu’une épouse ne soit pas obligée de rendre à son mari lépreux ce qu’elle lui doit.

[19837] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut servus est in potestate domini sui, ita et unus conjugum in potestate alterius, ut patet 1 Corinth. 7. Sed servus tenetur ex necessitate praecepti domino suo debitum servitutis reddere, ut patet Rom. 13, 7 : reddite omnibus debita : cui tributum et cetera. Ergo et unus conjugum ex necessitate praecepti tenetur alteri reddere debitum.

Cependant, [1] de même que le serviteur est au pouvoir de son seigneur, de même l’un des époux est au pouvoir de l’autre, comme cela ressort de 1 Co 7. Or, le serviteur est obligé en vertu de la nécessité d’un commandement de rendre à son maître la dette de la servitude, comme cela ressort de Rm 13, 7 : Rendez à tous ce qui leur est dû : à l’un, un tribut, etc. L’un des époux est donc tenu de rendre ce qui est dû en vertu de la nécessité d’un commandement.

[19838] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, matrimonium est ordinatum ad fornicationem vitandam, ut patet 1 Corinth., 7. Sed hoc non posset per matrimonium fieri, si unus alteri non teneretur debitum reddere, quando concupiscentia infestatur. Ergo reddere debitum est de necessitate praecepti.

2. Le mariage est ordonné à éviter la fornication, comme cela ressort de 1 Co 7. Or, cela ne pourrait être accompli par le mariage si l’un n’était pas tenu de rendre ce qu’il doit à l’autre, lorsqu’il est atteint par la concupiscence. Rendre ce qui est dû relève donc de la nécessité d’un commandement.

[19839] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium est principaliter institutum in officium naturae ; et ideo in actu ejus considerandus est motus naturae, secundum quem nutritiva non ministrat generativae nisi id quod superfluit ad conservationem individui : quia hic est ordo naturalis ut prius aliquid in seipso perficiatur, et postmodum alteri de perfectione sua communicet : hoc etiam ordo caritatis habet, quae naturam perficit. Et ideo cum uxor in virum potestatem non habeat nisi quantum ad generativam virtutem, non autem quantum ad ea quae sunt ad conservationem individui ordinata, vir tenetur uxori reddere debitum in his quae ad generationem prolis spectant, salva tamen prius personae incolumitate.

Réponse

Le mariage a été principalement institué comme une fonction de la nature. C’est pourquoi il faut voir dans son acte un mouvement de la nature, selon lequel la [puissance] nutritive ne sert à la [puissance] générative que ce qui est superflu pour la conservation de l’individu, car l’ordre naturel est que d’abord quelque chose soit perfectionné en soi, et ensuite qu’il communique sa perfection à un autre ; tel est aussi l’ordre de la charité, qui parfait la nature. Puisque l’épouse n’a de pouvoir sur son mari que par rapport à la puissance générative, mais non par rapport à ce qui est ordonné à la vie de l’individu, l’époux est donc obligé de rendre à son épouse ce qu’il lui doit pour ce qui concerne la génération d’une descendance, étant sauve d’abord la préservation de sa personne.

[19840] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquis implens aliquod praeceptum potest reddi inhabilis ad aliquod officium sacrum exequendum, sicut judex qui hominem ad mortem condemnat, praeceptum implens irregularis efficitur ; et similiter etiam ille qui praeceptum implens, debitum solvit, redditur ineptus ad divina officia exequenda ; non quod ille actus sit peccatum, sed ratione carnalitatis illius actus ; et sic, secundum quod Magister dicit, Hieronymus loquitur tantum de ministris Ecclesiae, non autem de aliis qui sunt suo judicio relinquendi : quia possunt et ex devotione dimittere, et sumere corpus Christi absque peccato.

1. Celui qui accomplit un commandement peut être rendu inapte à l’accomplissement d’une fonction sacrée, comme le juge qui condamne un homme à mort est rendu irrégulier en accomplissant un commandement. De même, celui qui, en accomplissant un commandement, acquitte ce qui est dû, est-il rendu inapte à l’accomplissement de fonctions divines, non pas que cet acte soit un péché, mais en raison du caractère charnel de cet acte. Et ainsi, comme le dit le Maître, Jérôme parle-t-il seulement des ministres de l’Église, mais non des autres qui doivent être laissés à leur jugement, car ils peuvent écarter par dévotion et recevoir le corps du Christ sans péché.

[19841] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod uxor non habet potestatem in corpus viri nisi salva consistentia personae ipsius, ut dictum est ; unde si ultra exigat, non est petitio debiti, sed injusta exactio ; et propter hoc vir non tenetur ei satisfacere.

2. L’épouse n’a de pouvoir sur le corps de son mari que si l’intégrité de sa personne est sauvegardée, comme on l’a dit. Aussi, si elle exige davantage, il ne s’agit plus d’une demande de ce qui est dû, mais d’une exaction injuste. Pour cette raison, le mari n’est pas obligé de la satisfaire.

[19842] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si aliquis reddatur impotens ad debitum solvendum ex causa ex matrimonio consecuta, puta cum prius debitum redditur, et est impotens ad debitum solvendum ulterius, mulier non habet jus plus petendi, et in petendo ulterius se magis meretricem quam conjugem exhibet. Si autem reddatur impotens ex altera causa ; si illa est licita, sic iterum non tenetur, nec potest mulier exigere : si non est, tunc peccat ; et peccatum uxoris, si in fornicationem propter hoc labatur, aliquo modo sibi imputatur ; et ideo debet quantum potest operam dare ut uxor contineat.

3. Si quelqu’un est rendu impuissant à acquitter sa dette pour une raison qui découle du mariage, par exemple, parce que ce qui est dû a déjà été rendu et qu’il est impuissant à acquitter davantage ce qui est dû, la femme n’a pas le droit de demander davantage et, en demandant davantage, elle se montre davantage une prostituée plutôt qu’une épouse. Mais s’il est rendu impuissant pour une autre raison, si celle-ci est légitime, de nouveau il n’est pas obligé et la femme ne peut l’exiger ; mais si [la raison] n’est pas légitime, alors il pèche, et le péché de l’épouse, si elle tombe dans la fornication, à cause de cela, lui est imputé d’une certaine manière. C’est pourquoi il doit autant que possible prendre soin que son épouse pratique la continence.

[19843] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lepra solvit sponsalia, sed non matrimonium ; unde uxor etiam viro leproso tenetur reddere debitum, non tamen tenetur ei cohabitare : quia non ita cito inficitur ex coitu sicut ex frequenti cohabitatione ; et quamvis proles generetur infirma, tamen melius est ei sic esse quam penitus non esse.

4. La lèpre rompt les fiançailles, mais non le mariage. Aussi l’épouse est-elle tenue de rendre ce qui lui est dû à son mari lépreux , mais elle n’est pas tenue de cohabiter avec lui, car elle n’est pas aussi infectée par l’union sexuelle que par une cohabitation étroite. Et bien qu’une descendance malade soit engendrée, cependant il est mieux pour celle-ci d’exister ainsi que de ne pas exister du tout.

 

 

Articulus 2

[19844] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 tit. Utrum vir teneatur reddere debitum uxori non petenti

Article 2 – Le mari est-il obligé de rendre ce qui est dû à son épouse qui ne le demande pas ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le mari est-il obligé de rendre ce qui est dû à son épouse qui ne le demande pas ?]

[19845] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod vir non teneatur reddere debitum uxori non petenti. Praeceptum enim affirmativum non obligat nisi ad tempus determinatum. Sed tempus determinatum solutionis debiti non potest esse, nisi quando debitum petitur. Ergo alias solvere non tenetur.

1. Il semble qu’un mari ne soit pas tenu de rendre ce qui est dû à son épouse qui ne le demande pas. En effet, un précepte affirmatif n’oblige que pour un temps déterminé. Or, le temps déterminé pour l’acquittement de la dette ne peut être que lorsque ce qui est dû est demandé. Autrement, [le mari] n’est pas tenu de le rendre.

[19846] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, de quolibet debemus praesumere meliora. Sed melius est etiam conjugibus continere quam matrimonio uti. Ergo nisi expresse debitum petat, debet praesumere vir quod ei placeat continere ; et sic non tenetur ei debitum reddere.

2. Nous devons présumer le meilleur chez tous. Or, il est meilleur même pour les époux de pratiquer la continence que de faire usage du mariage. À moins qu’elle ne demande expressément ce qui est dû, le mari doit donc présumer qu’il lui plaît de pratiquer la continence, et ainsi il n’est pas tenu de lui rendre ce qui est dû.

[19847] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut uxor habet potestatem in virum, ita dominus in servum. Sed servus non tenetur domino servire nisi quando ei a domino imperatur. Ergo nec vir uxori tenetur reddere debitum nisi quando ab ea exigitur.

3. De même qu’une épouse a pouvoir sur son mari, de même le seigneur sur son serviteur. Or, le serviteur n’est tenu de servir son seigneur que lorsque son seigneur le lui ordonne. De même, un mari n’est donc tenu de rendre ce qui est dû à son épouse que lorsque cela est exigé par elle.

[19848] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, vir potest aliquando uxorem exigentem precibus avertere ne exigat. Ergo multo magis potest non reddere, si non exigat.

4. Un mari peut parfois par ses prières détourner son épouse de l’exiger. À bien plus forte raison, peut-il donc ne pas le lui rendre si elle ne l’exige pas.

[19849] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, per redditionem debiti medicamentum praestatur contra uxoris concupiscentiam. Sed medicus cui est infirmus aliquis commissus, tenetur morbo ejus subvenire, etiam si ipse non petat. Ergo vir uxori non petenti tenetur debitum reddere.

Cependant, [1] en lui rendant ce qui lui est dû, un remède est donné contre la concupiscence de l’épouse. Or, le médecin à qui un malade est confié est obligé de s’occuper de sa maladie, même si celui-ci ne le demande pas. Le mari est donc tenu de rendre ce qui lui est dû à son épouse qui ne le demande pas.

[19850] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, praelatus tenetur correctionis remedium contra peccatum subditorum adhibere, etiam eis contradicentibus. Sed redditio debiti in viro est ordinata contra peccata uxoris. Ergo tenetur vir debitum reddere quandoque etiam non petenti.

[2] Un prélat est obligé de rémédier au péché de ses sujets, même si ceux-ci s’y opposent. Or, la reddition de ce qui est dû par le mari est ordonnée contre les péchés de l’épouse. Le mari est donc tenu de rendre parfois ce qui lui est dû, même à [son épouse] qui ne le demande pas.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-il permis à une femme menstruée de demander ce qui lui est dû ?]

[19851] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liceat mulieri menstruatae debitum petere. Sicut enim in lege mulier menstruata erat immunda, ita et vir fluxum seminis patiens. Sed vir seminifluus potest debitum petere. Ergo pari ratione et mulier menstruata.

1. Il semble qu’il soit permis à une femme menstruée de demander ce qui lui est dû. En effet, de même que, sous la loi, une femme menstruée était impure, de même l’homme qui subissait un épanchement de sa semence. Or, l’homme dont la semence se répand peut demander ce qui lui est dû. Pour la même raison, donc, la femme menstruée aussi.

[19852] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Item, major infirmitas est lepra quam passio menstruorum ; et majorem, ut videtur, corruptionem causat in prole. Sed leprosa potest debitum petere. Ergo et cetera.

2. La lèpre est une plus grande maladie que les menstruations, et elle cause, semble-t-il, une plus grande corruption dans la descendance. Or, une lépreuse peut demander ce qui lui est dû. Donc, etc.

[19853] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item, si menstruatae non licet petere debitum, hoc non est nisi ratione defectus qui timetur in prole. Sed si mulier sit sterilis, non timetur talis defectus. Ergo videtur quod saltem sterilis menstruata possit petere.

3. S’il n’est pas permis à une femme menstruée de demander ce qui lui est dû, cela ne peut être qu’en raison de la carence qu’on craint pour la descendance. Or, si la femme est stérile, une telle carence n’est pas à craindre. Il semble donc que tout au moins la femme stérile mensturée puisse demander ce qui lui est dû.

[19854] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Levit. 18, 19 : ad mulierem quae patitur menstruum, non accedes : ubi Augustinus : cum sufficienter prohibuisset, hic etiam repetit, ne forte in superioribus videretur figurative accipiendum.

Cependant, [1] Lv 18, 19 dit en sens contraire : Tu ne t’approcheras pas de la femme qui est menstruée, à propos de quoi Augustin dit : « Alors qu’il l’avait défendu suffisamment, il le répète ici, de crainte qu’on ne l’entende plus haut au sens figuré. »

[19855] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Item Isa. 64, 6 : omnes justitiae vestrae quasi pannus menstruatae ; ubi Hieronymus : tunc viri abstinere debent a mulieribus, quoniam concipiuntur membris damnati, caeci, claudi, leprosi ; ut quia parentes non erubuerunt in conclavi commisceri, eorum peccata pateant cunctis, et apertius redarguantur in parvulis. Et sic idem quod prius.

[2] De même, Is 64, 6 : Toutes vos justices sont comme le linge souillé d’une femme menstruée, à propos de quoi Jérôme dit : « Les hommes doivent alors s’écarter des femmes, car sont conçus par leurs membres des damnés, des aveugles, des boiteux, des lépreux ; parce que les parents n’ont pas rougi de s’unir dans le secret, leurs péchés sont devenus manifestes pour tous, et ils leur sont reprochés dans leurs enfants. » La conclusion est donc la même que précédemment.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une femme menstruée doit-elle rendre ce qu’elle lui doit à celui qui le demande ?]

[19856] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod mulier menstruata non debeat reddere debitum petenti. Levit. 20, dicitur quod si aliquis ad menstruatam accesserit, uterque morte est puniendus. Ergo videtur quod tam reddens quam exigens debitum mortaliter peccet.

1. Il semble qu’une femme menstruée ne doive pas rendre ce qu’elle lui doit à celui qui le demande. Il est dit en Lv 20 que si quelqu’un s’approche d’une femme menstruée, les deux seront punis de mort. Il semble donc qu’aussi bien celui qui rend que celui qui exige ce qui est dû pèche mortellement.

[19857] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Item, Rom. 1, 32 : non solum qui faciunt, sed etiam qui consentiunt, digni sunt morte. Sed exigens debitum scienter a menstruata mortaliter peccat. Ergo et mulier consentiens ei in redditione debiti.

2. De même, Rm 1, 32 : Non seulement ceux qui le font, mais aussi ceux qui y consentent sont dignes de morts. Or, celui qui exige sciemment ce qui lui est dû d’une femme menstruée pèche mortellement. Donc, aussi la femme qui consent à rendre ce qui est dû.

[19858] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Item, furioso non est gladius reddendus, ne se vel alium interficiat. Ergo eadem ratione nec uxor tempore menstruorum debet viro corpus suum exponere, ne spiritualiter occidat.

3. Il ne faut pas rendre une épée au furieux, de crainte qu’il ne se tue ou en tue un autre. Pour la même raison, une épouse ne doit pas exposer son corps à son mari au moment des ses menstruations, ne crainte qu’il ne la tue spirituellement.

[19859] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 7, 4 : mulier sui corporis potestatem non habet, sed vir. Ergo petenti viro mulier etiam menstruata debet debitum reddere.

Cependant, [1] 1 Co 7, 4 dit en sens contraire : La femme n’a pas pouvoir sur son corps, mais le mari. Si son mari le lui demande, une femme, même menstruée, doit donc rendre ce qu’elle lui doit.

[19860] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Item, mulier menstruata non debet esse viro peccandi occasio. Sed si viro petenti debitum, debitum ipsa non redderet, etiam tempore menstruorum, esset viro peccandi occasio : quia forte fornicaretur. Ergo et cetera.

[2] Une femme mensntruée ne doit pas être une occasion de pécher pour son mari. Or, si elle ne lui rend pas ce qu’elle lui doit, alors que son mari lui demande ce qui lui est dû, même au moment des menstruations, elle serait pour son mari une occasion de pécher, car peut-être forniquera-t-il. Donc, etc.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19861] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod petere debitum est dupliciter. Uno modo expresse, ut quando verbis invicem petunt. Alio modo est petitio debiti interpretata, quando scilicet vir percipit per aliqua signa quod uxor vellet sibi debitum reddi, sed propter verecundiam tacet ; et ita etiam si non expresse verbis debitum petat, tamen vir tenetur reddere, quando expressa signa in uxore apparent voluntatis debiti reddendi.

On demande ce qui est dû de deux manières. D’une manière, expressément, comme lorsqu’on se le demande réciproquement par des paroles. D’une autre manière, la demande de ce qui est dû relève d’une interprétation, comme lorsqu’un homme perçoit par certains signes que son épouse voudrait que ce qui lui est dû lui soit rendu, mais qu’elle se tait par gêne. Et ainsi, même si elle ne demande pas ce qui lui est dû expressément par des paroles, le mari est cependant tenu de le lui rendre, lorsque des signes explicites apparaissent chez l’épouse qu’elle veut que ce qui lui est dû lui soit rendu.

[19862] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tempus determinatum non est solum quando petitur, sed quando timetur ex aliquibus signis periculum (ad quod vitandum ordinatur debiti redditio) nisi tunc reddatur.

1. Le temps déterminé n’est pas seulement lorsque la demande est faite, mais lorsqu’on craint à certains signes un danger (c’est à l’éviter qu’est ordonnée la reddition de ce qui est dû), s’il n’est pas alors rendu.

[19863] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vir potest talem praesumptionem de uxore habere, quando in ea signa contraria non videt ; sed quando videt, esset stulta praesumptio.

2. Un mari peut le présumer d’une certaine manière de la part de son épouse lorsqu’il ne voit pas de signes contraires ; mais lorsqu’il en voit, ce serait une présomption stupide.

[19864] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dominus non ita verecundatur a servo petere debitum servitutis, sicut uxor a viro debitum conjugii. Si tamen dominus non peteret propter ignorantiam, vel alia de causa, nihilominus servus teneretur implere, si periculum immineret : hoc enim est non ad oculum servire, quod apostolus servis mandat.

3. Le seigneur n’est pas gêné de demander à son serviteur ce qui lui est dû en vertu de la servitude, comme une épouse l’est [pour demander] à son mari la dette du mariage. Cependant, si le seigneur n’en faisait pas la demande par ignorance ou pour une autre cause, le servieur serait cependant tenu de l’accomplir, si un danger était imminent. En effet, c’est là servir sans qu’un regard l’impose, ce que l’Apôtre ordonne aux serviteurs.

[19865] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non debet vir uxorem avertere ne petat debitum, nisi propter aliquam rationabilem causam ; et tunc non debet cum magna instantia averti propter pericula imminentia.

4. Le mari ne doit pas se détourner de son épouse pour qu’elle ne demande ce qui lui est dû, sinon pour une cause raisonnable. Il ne doit pas alors se détourner avec une grande insistance en raison de dangers imminents.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19866] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod accedere ad menstruatam in lege prohibitum erat duplici ratione ; tum propter immunditiam ; tum propter nocumentum quod in prole ex hujusmodi commixtione frequenter sequebatur. Et quo ad primum, praeceptum erat caeremoniale, sed quantum ad secundum erat morale : quia cum matrimonium sit ad bonum prolis principaliter ordinatum, ordinatus est omnis matrimonii usus quo bonum prolis impenditur ; et ideo hoc praeceptum obligat etiam in nova lege propter secundam rationem, etsi non propter primam. Fluxus tamen menstruorum potest esse naturalis et innaturalis. Naturalis quidem, quando scilicet mulieres patiuntur temporibus determinatis, quando sunt sanae. Innaturalis autem quando inordinate et quasi continue ex aliqua infirmitate fluxum sanguinis patiuntur. In fluxu ergo menstruorum innaturali non est prohibitum ad mulierem menstruatam accedere in lege nova : tum propter infirmitatem, quia mulier in tali statu concipere non potest ; tum quia talis fluxus est perpetuus et diuturnus ; unde oporteret quod vir perpetuo abstineret. Sed quando naturaliter mulier patitur fluxus menstruorum, potest concipere ; et iterum talis fluxus non durat nisi ad modicum tempus. Unde prohibitum est ad talem accedere ; et similiter prohibitum est mulieri in tali fluxu debitum petere.

S’approcher d’une femme menstruée avait été interdit dans la loi pour deux raisons : d’abord, en raison de l’impureté ; ensuite, en raison du préjudice qui était souvent causé à la descendance par une telle union. Pour ce qui est du premier point, le précepte est cérémoniel, mais, pour ce qui est du second, il était moral, car, puisque le mariage est principalement ordonné au bien de la descendance, tout usage du mariage a été ordonné au bien de la descendance. C’est pourquoi ce précepte oblige, même sous la loi nouvelle, pour la seconde raison, sinon pour la première. Cependant, l’écoulement des menstrues peut être naturel et non naturel. Il est naturel lorsque les femmes en sont affectées à des moments déterminés, quand elles sont en santé. Il est non naturel lorsque des femmes sont affectées d’un écoulement de sang de manière désordonnée et pour ainsi dire continue. Lors d’un écoulement menstruel non naturel, il n’est pas interdit d’approcher d’une femme menstruée sous la loi nouvelle, tant en raison de la maladie, car une femme ne peut concevoir dans un tel état, que parce qu’un tel écoulement est perpétuel et chronique. Il faudrait donc que le mari s’abstienne perpétuellement. Mais lorsqu’un écoulement menstruel affecte naturellement une femme, elle peut concevoir ; de plus, un tel écoulement ne dure que peu de temps. Aussi a-t-il été défendu d’approcher [une femme] dans cet état ; de même a-t-il été défendu à une femme affectée d’un tel écoulement de demander ce qui lui est dû.

[19867] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fluxus seminis in viro ex infirmitate procedit, nec semen sic fluens est aptum ad generationem ; et praeterea talis passio est diuturna vel perpetua, sicut lepra. Unde non est similis ratio.

1. L’écoulement de semence chez l’homme vient d’une maladie et la semence qui s’écoule ainsi n’est pas apte à la génération. De plus, un tel état est durable et perpétuel, comme la lèpre. Ce n’est donc pas le même raisonnement.

[19868] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Et per hoc solvitur etiam secundum.

2. La réponse à la deuxième objection est ainsi claire.

[19869] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamdiu mulier menstrua patitur, non potest esse certum eam esse sterilem. Quaedam enim in juventute sunt steriles, quae processu temporis sunt fecundae, et e converso, ut dicitur in 10 de animalibus.

3. Aussi longtemps qu’une femme est menstruée, on ne peut être certain qu’elle est stérile. En effet, certaines sont stériles alors qu’elles sont jeunes, qui, au cours du temps, deviennent fécondes, et inversement, comme il est dit dans Sur les animaux, X.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question

[19870] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc dixerunt quidam, quod mulier menstruata sicut non debet petere debitum, ita nec reddere. Sicut enim non tenetur reddere si haberet infirmitatem in propria persona, ex qua periculum ei immineret ; ita non tenetur reddere ad vitandum periculum prolis. Sed ista opinio videtur derogare matrimonio, per quod datur omnimoda potestas viro in corpus mulieris quantum ad matrimonialem actum. Nec est simile de infirmitate corporis prolis et periculo proprii corporis ; quia si mulier infirmatur, certissimum est quod ex carnali actu periculum ei imminet ; non autem ita certum est de prole, quae forte nulla sequetur. Et ideo alii dicunt, quod mulieri menstruatae nunquam licet petere debitum. Si tamen vir ejus petat ; aut petit scienter, et tunc debet eum avertere precibus et monitis, tamen non ita efficaciter ut possit ei esse occasio in alias damnabiles corruptelas, si ad id pronus credatur : aut ignoranter ; et mulier potest aliquam occasionem praetendere, vel infirmitatem allegare, ne debitum reddat, nisi periculum viro timeatur. Tamen finaliter, si vir non desistit a petitione, debet debitum reddere poscenti. Passionem vero suam non est tutum indicare, ne forte vir ex hoc ad eam abominationem concipiat, nisi de viri prudentia praesumatur.

À ce propos, certains ont dit que la femme menstruée, de même qu’elle ne peut pas demander ce qui lui est dû, de même ne peut-il pas le rendre. En effet, de même qu’elle n’est pas obligée de le rendre si elle est affrectée d’une maladie dans sa propre personne, par laquelle elle serait dans un danger imminent, de même n’est-elle pas tenue de le rendre pour éviter un danger à la descendance. Mais cette opinion semble déroger au mariage, par lequel un pouvoir total est donné au mari sur le corps de sa femme pour ce qui est de l’acte matrimonial. Et il n’en va pas de même de la maladie du corps de la descendance et du danger pour son prope corps, car, si la femme est malade, il est très certain qu’un danger est imminent pour elle du fait de l’acte charnel ; mais ce n’est pas aussi certain pour la descendance, qui n’en découlera peut-être pas. Cependant, si son mari le demande, soit il le demande sciemment, et alors elle doit le détourner par des prières et des avertissements, non pas cependant assez efficacement pour ne pas être l’occasion d’autres tentatives de séduction ; soit dans l’ignorance, et la femme peut prétendre une occasion ou alléguer une maladie pour ne pas rendre ce qu’elle doit, à moins qu’elle ne craigne un danger pour son mari. Cependant, si en définitive le mari ne se désiste pas de sa demande, [la femme] soit rendre ce qu’elle doit à celui qui le demande. Mais il n’est pas sûr d’indiquer sa maladie, sauf si elle peut présumer de la prudence de son mari, de crainte que son mari ne la prenne en horreur.

[19871] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligendum est quando uterque voluntarie consentit ; non autem si mulier involuntaria et quasi coacta debitum reddat.

1. Cela s’entend dans le cas où les deux consentent volontairement, mais non si la femme acquitte ce qu’elle doit involontairement et pour ainsi dire contrainte.

[19872] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum consensus non sit nisi voluntatis, non intelligitur mulier consentire peccato viri nisi voluntarie debitum reddat : quando enim est involuntaria, magis patitur quam consentiat.

2. Puisque le consentement vient de la volonté, on n’entend pas que la femme consent au péché de son mari que si elle lui rend volontairement ce qui lui est dû : en effet, lorsqu’elle ne le veut pas, elle subit plutôt qu’elle ne consent.

[19873] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gladius furioso etiam esset reddendus quando majus periculum timeretur in non reddendo ; et similiter est in proposito.

3. Le glaive devrait être rendu à un furieux lorsqu’on craindrait un plus grand danger en ne le rendant pas. Il en est de même dans le cas présent.

 

 

Articulus 3

[19874] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 tit. Utrum vir et mulier sint aequales in actu matrimonii

Article 3 – Le mari et la femme sont-ils égaux dans l’acte du mariage ?

[19875] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod vir et mulier non sint in actu matrimonii aequales. Agens enim nobilius est patiente, ut Augustinus dicit, 12 super Gen. ad litteram, cap. 16. Sed in actu conjugali vir se habet ut agens, et femina ut patiens. Ergo non sunt in actu illo aequales.

1. Il semble que le mari et la femme ne soient pas égaux dans l’acte du mariage. En effet, l’agent est plus noble que le patient, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII, 16. Or, dans l’acte conjugal, le mari joue le rôle d’agent et la femme, celui de patient. Ils ne sont donc pas égaux dans cet acte.

[19876] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, uxor non tenetur viro debitum reddere nisi petat ; vir autem tenetur uxori, ut dictum est. Ergo non sunt pares in actu matrimonii.

2. L’épouse n’est obligée de rendre ce qu’elle doit à son mari que s’il le demande. Or, le mari est obligé envers son épouse, comme on l’a dit. Ils ne sont donc pas égaux dans l’acte du mariage.

[19877] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in matrimonio mulier propter virum facta est, ut patet Genes. 2, 18 : faciamus ei adjutorium simile sibi. Sed illud propter quod est alterum, semper est principalius. Ergo et cetera.

3. Dans le mariage, la femme a été créée pour l’homme, comme cela ressort de Gn 2, 18 : Faisons-lui une aide semblable à lui. Or, ce pour quoi existe une autre chose est toujours plus important. Donc, etc.

[19878] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, matrimonium principaliter ordinatur ad actum conjugalem. Sed in matrimonio vir est caput mulieris, ut patet 1 Corinth., 11. Ergo non sunt aequales in actu praedicto.

4. Le mariage est ordonné principalement à l’acte conjugal. Or, dans le mariage, l’homme est la tête de la femme, comme cela ressort de 1 Co 11. Ils ne sont donc pas égaux dans l’acte mentionné.

[19879] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7, 4 : vir non habet potestatem sui corporis ; et simile de uxore dicit. Ergo sunt aequales in actu matrimonii.

Cependant, [1] il est dit en sens contraire en 1 Co 7, 4 : L’homme n’a pas pouvoir sur son corps ; et il parle de la même manière pour l’épouse. Ils sont donc égaux dans l’acte du mariage.

[19880] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, matrimonium est relatio aequiparantiae, cum sit conjunctio, ut dictum est. Ergo vir et uxor sunt aequales in actu matrimonii.

[2] Le mariage est une relation entre égaux, puisqu’il est une union, comme on l’a dit. Le mari et l’épouse sont donc égaux dans l’acte du mariage.

[19881] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod duplex est aequalitas ; scilicet quantitatis, et proportionis. Aequalitas quidem quantitatis est quae attenditur inter duas quantitates ejusdem mensurae, sicut bicubiti ad bicubitum ; sed aequalitas proportionis est quae attenditur inter duas proportiones ejusdem speciei, sicut dupli ad duplum. Loquendo ergo de prima aequalitate, vir et uxor non sunt aequales in matrimonio neque quantum ad actum conjugalem, in quo id quod nobilius est, viro debetur ; neque quantum ad domus dispensationem, in qua uxor regitur, et vir regit. Sed quantum ad secundam aequalitatem sunt aequales in utroque : quia sicut tenetur vir uxori in actu conjugali et dispensatione domus ad id quod viri est, ita uxor viro ad id quod uxoris est ; et secundum hoc dicitur in littera, quod sunt aequales in reddendo et petendo debitum.

Réponse

Il existe une double égalité : une égalité quantitative et une égalité de proportion. L’égalité quantitative est celle qu’on relève entre deux quantités de même mesure, comme celle de deux coudées par rapport à deux coudées ; mais l’égalité de proportion est celle qu’on relève entre deux proportions de même espèce, comme le double par rapport au double. Selon la première égalité, le mari et la femme ne sont pas égaux dans le mariage, ni par rapport à l’acte conjugal, dans lequel ce qui est plus noble revient au mari, ni par rapport à l’administration du ménage, dans laquelle l’épouse est dirigée et le mari dirige. Mais, pour ce qui est de la seconde égalité, ils sont égaux dans les deux choses, car, de même que le mari est obligé à ce qui relève de l’homme envers son épouse pour l’acte conjugal et l’administration du ménage, de même l’épouse est-elle obligée envers son mari pour ce qui relève de l’épouse. Il est ainsi dit dans le texte qu’ils sont égaux pour acquitter et demander ce qui est dû.

[19882] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis agere sit nobilius quam pati ; tamen eadem est proportio patientis ad patiendum, et agentis ad agendum ; et secundum hoc est ibi aequalitas proportionis.

1. Bien qu’agir soit plus noble que subir, il existe cependant la même proportion entre celui qui subit par rapport au fait de subir et celui qui agit par rapport au fait d’agir. Il existe donc là une égalité de proportion.

[19883] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est per accidens. Vir enim quia nobiliorem partem habet in actu conjugali, naturaliter habet quod non ita erubescat petere debitum sicut uxor ; et inde est quod uxor non ita tenetur reddere debitum non petenti viro, sicut vir uxori.

2. Cela existe par accident. En effet, le mari, parce qu’il a une part plus noble dans l’acte conjugal, n’est pas disposé à autant rougir de demander ce qui lui est dû que l’épouse. Et de là vient que l’épouse n’est pas autant tenue d’acquitter ce qu’elle doit envers son mari qui ne le demande pas, que le mari envers son épouse.

[19884] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc ostenditur quod non sunt aequales absolute ; non autem quod non sint aequales secundum proportionem.

3. Par là est montré qu’ils ne sont pas égaux de manière absolue, mais non qu’ils ne sont pas égaux selon une proportion.

[19885] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis caput sit principalius membrum ; tamen sicut membra tenentur capiti in officio suo, ita caput membris in suo ; et sic est ibi aequalitas proportionis.

4. Bien que la tête soit le membre principal, toutefois, de même que les membres sont tenus de [servir] la tête dans l’exercice de sa fonction, de même la tête l’est-elle pour les membres dans l’exercice de la leur. Et ainsi, il existe là une égalité de proportion.

 

 

Articulus 4

[19886] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 tit. Utrum vir et uxor possint votum emittere contra debitum matrimonii sine mutuo consensu

Article 4 – Le mari et l’épouse peuvent-ils faire une vœu contraire à la dette du mariage sans un consentement mutuel ?

[19887] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod vir et uxor possint votum emittere contra debitum matrimonii sine mutuo consensu. Vir enim et uxor aequaliter obligantur ad debiti solutionem, ut dictum est. Sed licitum est viro, uxore etiam prohibente, accipere crucem in subsidium terrae sanctae. Ergo hoc etiam est licitum uxori ; et ideo, cum per hoc votum debiti redditio impediatur, potest alter conjugum sine consensu alterius votum praedictum emittere.

1. Il semble que le mari et l’épouse puissent faire un vœu contraire à la dette du mariage sans un consentement mutuel. En effet, le mari et l’épouse sont également obligés à l’acquittement de la dette, comme on l’a dit. Or, il est permis à un mari, alors que son épouse ne l’interdit pas, de prendre la croix pour venir en aide à la Terre sainte. Cela est donc aussi permis à l’épouse. Puisque, par ce vœu, l’acquittement de la dette est empêché, l’autre conjoint peut donc faire le vœu mentionné sans le consentement de l’autre.

[19888] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, non est expectandum in aliquo voto consensus alicujus qui non potest sine peccato dissentire. Sed unus conjugum non potest sine peccato dissentire quin alter continentiam voveat, vel simpliciter vel ad tempus ; quia impedire profectum spiritualem est peccatum in spiritum sanctum. Ergo unus potest votum continentiae simpliciter vel ad tempus sine consensu alterius vovere.

2. Il ne faut pas attendre pour un vœu le consentement de quelqu’un qui ne peut s’opposer sans péché. Or, l’un des époux ne peut s’opposer sans péché à ce que l’autre fasse vœu de continence, soit simplement, soit pour un temps, car empêcher le progrès spirituel est un péché contre l’Esprit Saint. L’un peut donc faire vœu de continence simplement ou pour un temps sans le consentement de l’autre.

[19889] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut in actu matrimonii requiritur debiti redditio, ita debiti petitio. Sed unus potest sine consensu alterius vovere quod debitum non petat, cum in hoc sit suae potestatis. Ergo pari ratione quod debitum non reddat.

3. De même que, pour l’acte du mariage, l’acquittement de la dette est exigé, de même la demande de ce qui est dû. Or, l’un peut, sans le consentement de l’autre, faire vœu de ne pas demander ce qui lui est dû, puisque cela relève de sa volonté. Pour la même raison, [il peut donc faire vœu] de ne pas acquitter la dette.

[19890] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, nullus potest ex praecepto superioris cogi ad id quod non liceret sibi simpliciter vovere et facere ; quia in illicitis non est obediendum. Sed praelatus superior posset praecipere viro ut uxori ad tempus debitum non redderet, occupando eum in aliquo servitio. Ergo hoc etiam ipse posset per se facere et vovere, per quod a debiti redditione impediretur.

4. Personne ne peut être forcé par un commandement d’un supérieur à ce dont il ne serait pas permis de faire simplement vœu et d’accomplir. Or, un prélat supérieur pourrait ordonner à un mari de ne pas acquitter sa dette envers son épouse pour un temps, en l’assignant à un service. Il pourrait donc accomplir et faire vœu par lui-même, par quoi il serait empêché d’acquitter sa dette.

[19891] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7, 5 : nolite fraudare invicem, nisi forte ex communi consensu, ut vacetis orationi.

Cependant, [1] 1 Co 7, 5 dit en sens contraire : Ne vous privez pas l’un l’autre, si ce n’est d’un commun consentement, afin de vous adonner à la prière.

[19892] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, nullus potest facere votum de alieno. Sed vir non habet potestatem sui corporis, sed uxor. Ergo sine ejus consensu non potest votum facere continentiae, vel simpliciter, vel ad tempus.

[2] Personne ne peut faire vœu de ce qui appartient à un autre. Or, le mari n’a pas pouvoir sur son corps, mais l’épouse. Sans son consentement, il ne peut donc pas faire vœu de continence, même simplement ou pour un temps.

[19893] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod vovere voluntatis est, ut etiam ipsum nomen ostendit ; unde de illis tantum bonis potest esse votum quae nostrae subjacent voluntati, qualia non sunt ea in quibus unus alteri tenetur ; et ideo in talibus non potest aliquis votum emittere sine consensu ejus cui tenetur. Unde cum conjuges sibi invicem teneantur in redditione debiti, ut dictum est, per quod continentia impeditur ; non potest unus absque consensu alterius continentiam vovere ; et si voverit, peccat, nec debet servare votum ; sed agere poenitentiam de malo voto facto.

Réponse

Faire un vœu relève de la volonté, comme le mot même le montre. On ne peut donc faire vœu que de ce qui est soumis à sa volonté, ce qui n’est pas le cas de ce qui en quoi l’on est obligé l’un envers l’autre. C’est pourquoi on ne peut pour de telles choses faire un vœu sans le consentement de celui envers qui on est obligé. Puisque les époux sont obligés l’un envers l’autre à l’acquittement de la dette, comme on l’a dit, ce par quoi la continence est empêchée, l’un ne peut donc pas faire vœu de continence sans le consentement de l’autre ; et s’il fait vœu, il pèche et ne doit pas respecter le vœu, mais faire pénitence pour le mal fait par le vœu.

[19894] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod satis probabile est quod uxor debet velle continere ad tempus pro subveniendo necessitati Ecclesiae generalis ; et ideo in favorem negotii pro quo crux sibi datur, institutum est quod vir possit absque consensu uxoris crucem accipere, sicut etiam posset domino suo terreno a quo feudum tenet, absque ejus consensu militare. Nec tamen in hoc omnino subtrahitur mulieri jus suum ; quia uxor potest eum sequi. Nec est simile de uxore ad virum ; quia cum vir debeat regere uxorem, et non e converso ; magis tenetur uxor sequi virum quam e converso. Et praeterea uxor cum majori periculo castitatis discurreret per terras quam vir, et cum minori Ecclesiae utilitate ; et ideo uxor non potest hujusmodi votum facere sine viri consensu.

1. Il est assez probable que l’épouse veut pratiquer la continence pour un temps pour venir en aide à un besoin de l’Église universelle. C’est pourquoi, en faveur de la cause pour laquelle la croix lui est donnée, il a été établi que le mari peut recevoir la croix sans le consentement de son épouse, comme il pourrait aussi faire la guerre sans le consentement de son seigneur terrestre de qui il tient un fief. Cependant, son droit n’est pas entièrement enlevé par là à la femme, puisque son épouse peut le suivre. Et il n’en va de même pour l’épouse que pour le mari, car, puisque le mari doit diriger son épouse, et non l’inverse, l’épouse est davantage tenue à suivre son mari que l’inverse. De plus, une épouse parcourrait le monde avec un plus grand risque pour sa chasteté que le mari et avec une moindre utilité pour l’Église. C’est pourquoi l’épouse ne peut faire un vœu de ce genre sans le consentement de son mari.

[19895] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alter conjugum dissentiens voto continentiae alterius, non dissentit ut bonum illius impediat, sed ne sibi praejudicium generetur.

2. Lorsqu’un des époux s’oppose au vœu de continence de l’autre, il ne s’y oppose pas pour empêcher le bien de celui-ci, mais pour éviter qu’un préjudice ne soit causé à lui-même.

[19896] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod unus absque consensu alterius potest vovere quod non petat debitum, non autem quod non reddat ; quia in primo est uterque sui juris, sed non in secundo. Sed quia si alter nunquam peteret debitum, ex hoc alteri matrimonium onerosum redderetur, dum oporteret unum semper confusionem debiti petendi subire ; ideo alii probabilius dicunt, quod neutrum potest unus absque consensu alterius vovere.

3. À ce propos, il existe deux opinions. En effet, certains disent que l’un peut faire vœu, sans le consentement de l’autre, qu’il ne demandera pas ce qu’on lui doit, mais non pas qu’il ne le rendra pas, car, dans le premier cas, les deux sont dans leur droit, mais non dans le second. Mais parce que si l’autre ne demande jamais ce qui lui est dû, le mariage est rendu onéreux pour l’autre, puisque l’un devrait toujours subir la honte de demander ce qui lui est dû, d’autres disent donc avec plus de probabilité que l’un ne peut faire vœu d’aucun des deux sans le consentement de l’autre.

[19897] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut mulier accipit potestatem in corpus viri, salvo hoc in quo vir tenetur corpori suo ; ita etiam salvo hoc in quo alii domino tenetur ; et ideo sicut uxor non potest petere debitum a viro contra salutem corporis sui, ita nec ad impediendum hoc in quo domino tenetur. Sed praeter hoc non potest dominus prohibere quin debitum reddat.

4. De même que la femme reçoit pouvoir sur le corps de son mari, étant sauf ce à quoi le mari est tenu envers son propre corps, étant sauf aussi ce à quoi les autres sont obligés envers leur seigneur. C’est pourquoi, de même que l’épouse ne peut demander ce qui lui est dû par son mari contre la santé de son corps, de même ne le peut-elle pas pour empêcher ce à quoi il est obligé envers son seigneur. Mais, au-delà de cela, le seigneur ne peut interdire que [le mari] rende ce qu’il doit.

 

 

Articulus 5

[19898] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 tit. Utrum temporibus sacris debeat aliquis impediri quin debitum petat

Article 5 – Lors des temps sacrés, doit-on être empêché de demander ce qui est dû ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Lors des temps sacrés, doit-on être empêché de demander ce qui est dû ?]

[19899] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod temporibus sacris non debeat aliquis impediri quin debitum petat. Tunc enim est subveniendum morbo dum invalescit. Sed possibile est quod in die festo invalescat concupiscentia. Ergo tunc debet ei subveniri per petitionem debiti.

1. Il semble que, lors des temps sacrés, on ne doive pas être empêché de demander ce qui est dû. En effet, il faut s’occuper de la maladie lorsqu’elle prend de la force. Or, il est possible que la concupiscence prenne de la force un jour de fête. Il faut donc s’en occuper en demandant ce qui est dû.

[19900] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, non est alia ratio quare non sit petendum debitum in diebus festivis, nisi quia sunt orationi deputati. Sed in illis diebus sunt horae determinatae orationi. Ergo aliis horis liceret petere debitum.

2. Il n’existe d’autre raison de ne pas demander son dû les jours fêtes, que parce que ceux-ci sont consacrés à la prière. Or, lors de ces jours, des heures sont déterminées pour la prière. Il serait donc permis de demander son dû aux autrres heures.

[19901] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut aliqua loca sunt sacra, quia deputata sunt sacris, ita aliqua tempora sunt sacra propter eamdem rationem. Sed in loco sacro non licet petere debitum. Ergo nec in tempore sacro.

Cependant, de même que certains lieux sont sacrés parce qu’ils sont consacrés aux choses sacrées, de même certains temps sont sacrés pour la même raison. Or, il n’est pas permis de demander son dû dans un lieu sacré. Donc, ni dans un temps sacré.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Celui qui demande son dû lors d’un temps sacré pèche-t-il mortellement ?]

[19902] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod petens in tempore sacro mortaliter peccat. Gregorius enim dicit in 1 Dial., quod mulier quae in nocte cognita est a viro, mane ad processionem veniens, a Diabolo est arrepta. Sed hoc non esset, nisi mortaliter peccasset. Ergo et cetera.

1. Il semble que celui qui demande son dû lors d’un temps sacré pèche mortellement. En effet, Grégoire dit, dans Dialogue, I, qu’une femme qui a été connue de son mari durant la nuit, a été enlevée par le Diable alors qu’elle venait à la procession le matin. Or, ce ne serait pas le cas si elle n’avait pas péché. Donc, etc.

[19903] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque facit contra praeceptum divinum, mortaliter peccat. Sed dominus praecepit, Exod. 19, 15 : nolite appropinquare uxoribus vestris, quando scilicet erant legem accepturi. Ergo multo magis peccant mortaliter, si tempore quo sacramentis novae legis intendendum est, uxoribus viri commisceantur.

2. Quiconque agit contre un commandement divin pèche mortellement. Or, le Seigneur ordonne en Ex 19, 15 : N’approchez pas vos épouses, alors qu’ils devaient recevoir la loi. À bien plus forte raison pèchent-ils donc mortellement si, au moment où il faut se concentrer sur les sacrements de la loi nouvelle, les maris s’unissent à leurs épouses.

[19904] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nulla circumstantia aggravat in infinitum. Sed tempus indebitum est circumstantia quaedam. Ergo non aggravat in infinitum, quod faciat mortale quod alias esset veniale.

Cependant, aucune circonstance n’aggrave à l’infini. Or, le temps approprié est une circonstance. Il n’aggrave donc pas à l’infini, au point de rendre mortel ce qui serait autrement véniel.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Est-on obligé d’acquitter sa dette en temps de fête ?]

[19905] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non tenetur reddere tempore festivo. Quia peccantes et consentientes pariter punientur, ut patet Rom. 2. Sed ille qui reddit debitum, consentit petenti, qui peccat. Ergo et ipse peccat.

1. Il semble qu’on ne soit pas obligé d’acquitter sa dette en temps de fête, car ceux qui pèchent et ceux qui consentent seront punis, comme cela ressort de Rm 2. Or, celui qui acquitte sa dette consent à celui qui le lui demande en péchant. Il pèche donc lui-même.

[19906] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ex praecepto affirmativo obligamur ad orandum ; et ita ad aliquod tempus determinatum. Ergo pro tempore illo in quo quis orare tenetur, debitum reddere non debet, sicut nec eo tempore quo tenetur temporali domino ad speciale obsequium.

2. Nous sommes obligés de prier en vertu d’un commandement affirmatif, et ainsi en un temps déterminé. Pendant ce temps où l’on est obligé de prier, on ne doit donc pas s’acquitter de sa dette, pas davantage qu’au moment où l’on est tenu par son seigneur temporel à un service spécial.

[19907] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth., 7, 5 : nolite fraudare invicem, nisi forte ex consensu ad tempus, ut vacetis orationi. Ergo quando petit, reddendum est ei.

Cependant, il est dit en sens contraire en 1 Co 7, 5: Ne vous privez pas l’un l’autre, si ce n’est par consentement mutuel et pour un temps, afin de vous adonner à la prière. Lorsque l’autre le demande, il faut donc s’acquitter de sa dette envers lui.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les noces doivent-elles être interdites aux moments déterminés dans le texte ?]

[19908] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nuptiae non sint interdicendae temporibus in littera determinatis. Quia matrimonium sacramentum est. Sed in illis temporibus non interdicitur celebratio aliorum sacramentorum. Ergo nec celebratio matrimonii.

1. Il semble que les noces ne doivent pas être interdites aux moments déterminés dans le texte, car le mariage est un sacrement. Or, à ces moments, la célébration des autres sacrements n’est pas interdite. Donc, ni la célébration du mariage.

[19909] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, magis incompetens est diebus festis petitio debiti quam celebratio nuptiarum. Sed in diebus illis potest debitum peti. Ergo et nuptiae celebrari.

2. La demande de ce qui est dû est plus inapproprié les jours de fêtes que la célébration des noces. Or, ces jours-là, ce qui est dû peut être demandé. Les noces peuvent donc aussi être célébrées.

[19910] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 3 Praeterea, matrimonia quae fiunt contra statutum Ecclesiae, debent separari. Sed non separantur, si fiant nuptiae in talibus temporibus. Ergo non debet esse prohibitum per Ecclesiae statuta.

3. Les mariages qui sont faits contre la décision de l’Église doivent être séparés. Or, ils ne sont pas séparés si les noces sont faites à ces moments-là. [Le mariage] ne doit donc pas être interdit par des décisions de l’Église.

[19911] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Eccles. 3, 5 : tempus amplexandi, et tempus longe fieri ab amplexibus.

Cependant, ce qui est dit en Si 3, 5 va en sens contraire : Un temps pour embrasser, et un temps pour s’abstenir d’embrasser.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19912] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod actus matrimonialis quamvis culpa careat, tamen, quia rationem deprimit propter carnalem delectationem, hominem reddit ineptum ad spiritualia ; et ideo in diebus in quibus praecipue spiritualibus est vacandum, non licet petere debitum.

L’acte matrimonial, bien qu’il ne comporte pas de faute, parce qu’il abaisse la raison en raison du plaisir charnel, rend cependant l’homme inapte aux réalités spirituelles. Aussi, les jours où il faut s’adonner principalement aux réalités spirituelles, il n’est pas permis de demander ce qui est dû.

[19913] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tempore illo possunt alia adhiberi ad concupiscentiam reprimendam, sicut oratio, et multa alia hujusmodi ; quae etiam illi adhibent qui perpetuo continent.

1. À ce moment-là, on peut recourir à d’autres choses pour réprimer la concupiscence, comme la prière et beaucoup d’autres choses de ce genre, auxquelles recourent aussi ceux qui s’adonnent à une continence perpétuelle.

[19914] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non teneatur omnibus horis orare, tamen tenetur tota die se conservare idoneum ad orandum.

2. Bien qu’on ne soit pas tenu de prier à toutes les heures, on est cependant se garder tout le jour prêt à prier.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19915] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod petere debitum in die festivo non est circumstantia trahens ad aliam speciem peccati ; unde non potest in infinitum aggravare ; et ideo non peccat mortaliter uxor vel vir, si in die festivo debitum petat. Sed tamen gravius est peccatum si sola delectationis causa petatur, quam si propter timorem quo quis sibi timet de lubrico carnis, sibi debitum petat.

Demander ce qui est dû un jour de fête n’est pas une circonstance qui entraîne vers une autre espèce de péché. Cela ne peut donc aggraver à l’infini. C’est pourquoi une épouse ou un mari ne pèchent pas mortellement s’ils demandent ce qui leur est dû un jour de fête. Cependant, le péché est plus grave s’il est demandé pour le seul plaisir que s’il demande ce qui lui est dû en raison de la crainte que lui inspirent les sollicitations de la chair.

[19916] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non fuit punita mulier illa propter hoc quod debitum reddidit ; sed quia postmodum se temere ad divina ingessit contra conscientiam.

2. Cette femme n’a pas été punie parce qu’elle a acquitté ce qu’elle devait, mais parce que, par la suite, elle s’est témérairement adonnée aux choses divines contre sa conscience.

[19917] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex auctoritate illa non potest probari quod sit peccatum mortale, sed quod sit incongruum. Multa enim ad munditias carnis pertinentia exigebantur de necessitate praecepti in veteri lege, quae carnalibus dabatur, quae non exiguntur in nova lege, quae est lex spiritus.

2. Par cette autorité, on ne peut démontrer que cela est un péché mortel, mais que cela est inapproprié. En effet, beaucoup de choses se rapportant aux impuretés de la chair étaient exigées selon la nécessité d’un précepte sous la loi ancienne, qui avait été donnée à des hommes charnel, alors qu’elles ne sont pas exigées sous la loi nouvelle, qui est la loi de l’Esprit.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19918] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum mulier habeat potestatem in corpus viri quantum ad actum generationis spectat, et e converso ; tenetur unus alteri debitum reddere quocumque tempore et quacumque hora, salva debita honestate, quae in talibus exigitur ; quia non oportet quod statim in publico debitum reddat.

Puisque la femme a pouvoir sur le corps de l’homme pour ce qui est de l’acte de la génération, et inversement, l’un est obligé en vers l’autre de rendre ce qui est dû en n’importe quel temps et à n’importe quelle heure, étant sauve l’honnêteté nécessaire, qui est exigée dans de telles choses, car il ne faut qu’on rende immédiatement en public ce qui est dû.

[19919] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille, quantum in se est, non consentit, sed id quod ab eo exigitur, invitus et cum dolore reddit ; hoc enim est propter lubricum carnis divinitus ordinatum ut semper petenti debitum reddatur, ne aliqua occasio peccandi detur.

1. Celui-là, pour ce qui est de lui-même, ne consent pas, mais acquittte sa dette malgré lui et avec douleur. En effet, il a été divinement établi qu’en raison des sollicitations de la chair, la dette soit toujours rendue à qui le demande, afin que ne soit pas donnée d’occasion de pécher.

[19920] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est aliqua hora ita determinata ad orandum quin possit postea recompensari in aliis horis ; et ideo objectio illa non cogit.

2. Il n’existe pas d’heure à ce point déterminée pour prier qu’elle ne puisse être compensée par la suite aux autres heures. C’est pourquoi cette objection n’est pas contraignante.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[19921] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod quando novae sponsae traduntur, animus conjugum magis ex ipsa novitate ad curam carnalium occupatur et ideo in nuptiis consueverunt signa multa laetitiae dissolutae ostendi ; et propter hoc illis temporibus in quibus homines praecipue debent se ad spiritualia elevare, prohibitum est nuptias celebrari. Hoc autem est ab adventu usque ad Epiphaniam propter communionem, quae secundum antiquos canones in nativitate fieri convenienter solet ; et a septuagesima usque ad octavas Paschae, propter communionem paschalem ; et a tribus diebus ante ascensionem usque ad octavas Pentecostes, propter praeparationem ad communionem illo tempore sumendam.

Lorsque les nouvelles épouses sont livrées, l’esprit des époux est davantage occupé aux réalités de la chair en raison de la nouveauté elle-même ; c’est pourquoi, lors des noces, de nombreux signes d’une joie dissolue ont coutume de se manifester. Pour cette raison, il a été défendu de célébrer les noces aux moments où les hommes doivent s’élever vers les réalités spirituelles. Cela va du début de l’avent à l’Épiphanie, en raison de la communion qui, selon les anciens canons, a coutume d’être faite lors de la Nativité ; de la septuagésime jusqu’à l’octave de Pâques, en raison de la communion pascale ; et depuis les trois jours qui précèdent l’Ascension jusqu’à l’octave de la Pentecôte, en raison de la préparation à la communion qui doit être faite en ce temps-là.

[19922] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod celebratio matrimonii habet aliquam mundanam laetitiam et carnalem adjunctam, quod non est de aliis sacramentis ; et ideo non est simile.

1. La célébration du mariage comporte une joie mondaine et charnelle, ce qui n’est pas le cas des autres sacrements. Ce n’est donc pas la même chose.

[19923] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non fit tanta distractio animorum in redditione vel petitione debiti, sicut in celebratione nuptiarum ; et ideo non est simile.

2. Il ne se produit pas une aussi grande distraction des esprits lorsqu’on rend ou demande ce qui est dû, que lors de la célébration des noces. Ce n’est donc pas la même chose.

[19924] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum tempus non sit de essentia matrimonii, si in tempore indebito contrahatur, nihilominus verum est sacramentum ; nec separatur matrimonium simpliciter, sed ad tempus, ut poenitentiam agant de hoc quod statutum Ecclesiae sunt transgressi ; et sic est intelligendum quod Magister dicit.

3. Puisque le temps ne fait pas partie de l’essence du sacrement, s’il est contracté à un moment inapproprié, c’est néanmoins un vrai sacrement, et le mariage n’est pas séparé simplement, mais pour un temps, afin qu’ils fassent pénitence pour avoir transgressé une décision de l’Église. Ainsi doit s’entendre ce que le Maître dit.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 32

[19925] Super Sent., lib. 4 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 expos. Si prius promiserit, et postea prohibuerit, et cetera. Videtur ex hoc quod vir possit revocare uxorem ad se, etiam si de licentia sua castitatem vovit. Et dicendum, quod verbum Augustini intelligitur, quando vir dissimulavit ante plenam deliberationem, quae quidem dissimulatio quidam consensus videtur. Si autem expresse consensisset, non posset votum revocare. Unde loquitur quantum ad judicium Ecclesiae, quando promissio non potest probari. Unde propter periculum talia vota occulta non sunt approbanda. Nec carnes agni edere. De impedimento sumptionis Eucharistiae propter carnalem delectationem in somno, supra, dist. 9, dictum est.

 

 

 

Distinctio 33

Distinction 33 – [Les biens du mariage chez les anciens]

Prooemium

Prologue

[19926] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de bonis matrimonii, hic ostendit quomodo haec bona erant in matrimonio antiquorum ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quomodo erant in matrimonio patrum ante legem ; in secunda, quomodo erant in matrimonio tempore legis celebrato, ibi : legis vero tempore interdixit Moyses carnalem copulam fieri cum matre et cetera. Prima in duas : in prima ostendit quod ante legem patres licite plures uxores habuerunt ; in secunda inquirit quomodo cum pluralitate uxorum bonum fidei servabatur, ibi : si quis opponat quod fidem tori non servabant illi patres, dicimus et cetera. Circa primum tria facit : primo movet quaestionem ; secundo determinat eam, ibi : ad quod dicimus etc. ; tertio solutionem per auctoritatem confirmat, ibi : de hoc Augustinus sic ait et cetera. Et circa hoc duo facit : primo inducit auctoritatem ad principale propositum probandum, quod scilicet illorum essent conjugia licita qui plures habebant uxores ; secundo ostendit quod etiam erant tanti meriti sicut est virginitas nostri temporis, ibi : quod vero castitas virginalis non praeferatur in merito conjugali castitati Abrahae, Augustinus ostendit. Legis vero tempore interdixit Moyses carnalem copulam fieri cum matre, cum noverca et cetera. Hic determinat de matrimonio tempore legis celebrato ; et circa hoc tria facit : primo ostendit quomodo per legem Moysi matrimonium fuit determinatum et quantum ad legitimarum personarum determinationem, et quantum ad separationem ; secundo inquirit, utrum tempore legis liceret plures habere uxores, ibi : sed numquid sub lege licebat habere plures uxores ? Tertio ex consequenti de virginitate determinat, ibi : melior est autem virginitas mentis quam carnis. Hic est triplex quaestio. Prima de pluralitate uxorum. Secunda de libello repudii. Tertia de virginitate. Circa primum quaeruntur tria : 1 an habere plures uxores sit contra legem naturae ; 2 utrum fuerit licitum ; 3 utrum habere concubinam sit contra legem naturae.

Après avoir déterminé des biens du mariage, le Maître montre comment ces biens existaient dans le mariage des anciens. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment ils existaient dans le mariage des pères avant la loi ; dans la seconde, comment ils existaient dans le mariage célébré au temps de la loi, à cet endroit : « Mais, au temps de la loi, Moïse interdit l’union charnelle avec la mère, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre qu’avant la loi, les pères avaient légitimement plusieurs épouses ; dans la seconde, il se demande comment le bien de la foi était observé avec une pluralité d’épouses, à cet endroit : « Si quelqu’un objecte que ces pères n’observaient pas la fidélité du lit conjugal, nous disons, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Nous disons à cela, etc. » ; troisièmement, il confirme sa réponse par une autorité, à cet endroit : « À ce sujet, Augustin dit, etc. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il invoque une autorité pour démontrer la question principale, à savoir que les mariages de ceux qui avaient plusieurs épouses étaient légitimes ; deuxièmement, il montre qu’ils avaient autant de mérite que la virginité à notre époque, à cet endroit : « Augustin montre que la chasteté virginale n’a pas un mérite plus grand que la chasteté conjugale d’Abraham. » « Mais, au temps de la loi, Moïse interdit l’union charnelle avec la mère, la belle-mère, etc. » Ici, il détermine du mariage célébré au temps de la loi. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre comment le mariage a été déterminé par la loi de Moïse, aussi bien par la détermination des personnes légitimes que par la séparation. Deuxièmement, il demande s’il était permis d’avoir plusieurs épouses au temps de la loi, à cet endroit : « Mais était-il permis sous la loi d’avoir plusieurs épouses ? » Troisièmement, il détermine en conséquence de la virginité, à cet endroit : « La virginité de l’esprit est meilleure que celle du corps. » Il y a ici trois questions : la première porte sur la pluralité des épouses ; la deuxième, sur l’acte de répudiation ; la troisième, sur la virginité. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses ? 2 – Cela était-il permis ? 3 – Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir une concubine ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses ?]

 

 

Articulus 1

[19927] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 tit. Utrum habere plures uxores sit contra legem naturae

Article 1 – Est-il contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses ?]

[19928] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod habere plures uxores non sit contra legem naturae. Consuetudo enim juri naturali non praejudicat. Sed habere plures uxores peccatum non erat quando mos erat, ut ab Augustino in littera habetur. Ergo habere plures uxores non est contra legem naturae.

1. Il semble qu’avoir plusieurs épouses soit contraire à la loi naturelle. En effet, la coutume ne porte pas préjudice au droit naturel. Or, avoir plusieurs épouses n’était pas un péché lorsque c’était la coutume, comme on le lit dans le texte d’Augustin. Avoir plusieurs épouses n’était donc pas contraire à la loi de la nature.

[19929] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque facit contra legem naturae, facit contra praeceptum ; quia sicut lex scripta habet sua praecepta, ita et lex naturae. Sed Augustinus dicit, quod habere plures uxores non erat contra praeceptum, quia nulla lege erat prohibitum. Ergo habere plures uxores non est contra legem naturae.

2. Quiconque agit contre la loi naturelle agit contre un commandement, car, de même que la loi écrite a ses commandements, de même aussi la loi naturelle. Or, Augustin dit qu’avoir plusieurs épouses n’allait pas contre un commandement parce que cela n’était interdit par aucune loi. Avoir plusieurs épouses n’est donc pas contraire à la loi naturelle.

[19930] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, matrimonium principaliter ordinatur ad prolis procreationem. Sed unus potest ex pluribus prolem accipere, plures fecundando. Ergo non est contra legem naturae habere plures uxores.

3. Le mariage est principalement ordonné à la procréation d’une descendance. Or, un seul [homme] peut avoir une descendance de plusieurs [femmes] en en fécondant plusieurs. Il n’est donc pas contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses.

[19931] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, jus naturale est quod natura omnia animalia docuit, ut in principio Digestorum dicitur. Sed natura non docuit hoc omnia animalia, quod sit una unius ; cum unum mas in multis animalibus, pluribus feminis conjungatur. Ergo non est contra legem naturae habere plures uxores.

4. « Le droit naturel est ce que la nature a enseigné à tous les animaux », comme il est dit au début du Digeste. Or, la nature n’a pas enseigné à tous les animaux qu’il y ait un seul [homme] pour une seule [femme], puisqu’un seul mâle s’unit à plusieurs femelles chez plusieurs animaux. Il n’est donc pas contraire à la loi naturelle d’avoir plusieurs épouses.

[19932] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 15 de animalibus, in generatione prolis mas se habet ad feminam sicut agens ad patiens, et artifex ad materiam. Sed non est contra ordinem naturae quod unum agens in plura patientia agat, aut unus artifex ex diversis materiis operetur. Ergo nec est contra legem naturae quod unus mas plures uxores habeat.

5. Dans la génération de la descendance, le rapport de l’homme à la femme est celui d’un agent par rapport à un patient, et d’un artisan par rapport à la matière. Or, il n’est pas contraire à l’ordre de la nature qu’un seul agent agisse sur plusieurs patients, ou qu’un seul artisan agisse sur diverses matières. Il n’est donc pas contraire à la loi loi naturelle qu’un seul homme ait plusieurs épouses.

[19933] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 6 Sed contra, illud praecipue videtur esse de jure naturali quod homini in ipsa institutione humanae naturae est inditum. Sed quod sit una unius, in ipsa institutione humanae naturae est ei inditum, ut patet Genes. 2, 24 : erunt duo in carne una. Ergo est de lege naturae.

6. [Cependant], semble principalement relever du droit naturel ce qui est mis dans l’homme lors de l’établissement même de la nature humaine. Or, le fait qu’il y ait un seul homme pour une seule femme a été mis en lui lors de l’établissement même de la nature, comme cela ressort de Gn 2, 24 : Ils seront deux dans une seule chair. Cela relève donc de la loi naturelle.

[19934] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, contra legem naturae est quod homo se ad impossibile obliget ; et ut quod uni datum est, alteri detur. Sed homo contrahens cum una uxore, sui corporis potestatem ei tradit, ut necesse sit reddere debitum cum petierit. Ergo contra legem naturae est, si postea alteri potestatem sui corporis tradat ; quia non posset simul utrique reddere debitum, si simul peterent.

7. Il est contraire à la loi de la nature que l’homme s’oblige à l’impossible et que ce qui a été donné à l’un soit donné à un autre. Or, un homme, en contractant avec une seule épouse, lui donne pouvoir sur son corps, de sorte qu’il est nécessaire qu’il acquitte sa dette envers elle lorsqu’elle le demande. Il est donc contraire à la loi de la nature qu’il donne par la suite pouvoir sur son corps à une autre, car il ne pourrait acquitter en même temps sa dette envers les deux, si elles le demandaient.

[19935] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, de lege naturae est quod tibi non vis fieri, ne alteri feceris. Sed vir nullo modo vellet quod uxor alium virum haberet. Ergo contra legem naturae faceret, si uxorem aliam superinduceret.

8. Il relève de la loi naturelle que ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, tu ne le fasses pas à un autre. Or, un homme ne voudrait d’aucune manière que son épouse ait un autre mari. Il agirait donc contre la loi naturelle s’il prenait une autre épouse.

[19936] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, quidquid est contra naturale desiderium, est contra legem naturae. Sed zelus viri ad uxorem et uxoris ad virum naturalis est ; quia in omnibus invenitur. Cum ergo zelus sit amor non patiens consortium in amato, videtur quod contra legem naturae sit quod plures uxores habeant unum virum.

9. Tout ce qui est contraire à un désir naturel est contraire à la loi de la nature. Or, la jalousie d’un mari envers son épouse et d’une épouse envers son mari est naturelle, car elle se trouve chez tous. Puisque la jalousie est un amour qui ne souffre pas le partage de l’être aimé, il semble donc qu’il soit contraire à la loi de la nature que plusieurs épouses aient un seul mari.

[19937] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnibus rebus naturaliter insunt quaedam principia quibus non solum operationes proprias efficere possunt, sed quibus etiam eas convenientes fini suo reddant ; sive sint actiones quae consequantur rem aliqua ex natura sui generis, sive consequantur ex natura speciei : ut magneti competit ferri deorsum ex natura sui generis, et attrahere ferrum ex natura speciei. Sicut autem in rebus agentibus ex necessitate naturae sunt principia actionum ipsae formae, a quibus operationes propriae prodeunt convenientes fini ; ita in his quae cognitionem participant, principia agendi sunt cognitio et appetitus ; unde oportet quod in vi cognoscitiva sit naturalis conceptio, et in vi appetitiva naturalis inclinatio, quibus operatio conveniens generi sive speciei reddatur competens fini. Sed quia homo inter cetera animalia rationem finis cognoscit, et proportionem operis ad finem ; ideo naturalis conceptio ei indita, qua dirigatur ad operandum convenienter, lex naturalis vel jus naturale dicitur ; in ceteris autem aestimatio naturalis vocatur. Bruta enim ex vi naturae impelluntur ad operandum convenientes actiones magis quam regulentur quasi proprio arbitrio agentia. Lex ergo naturalis nihil est aliud quam conceptio homini naturaliter indita, qua dirigitur ad convenienter agendum in actionibus propriis, sive competant ei ex natura generis, ut generare, comedere, et hujusmodi ; sive ex natura speciei, ut ratiocinari, et similia. Omne autem illud quod actionem inconvenientem reddit fini quem natura ex opere aliquo intendit, contra legem naturae esse dicitur. Potest autem actio non esse conveniens fini vel principali, vel secundario ; et sive sic, sive sic, hoc contingit dupliciter. Uno modo ex aliquo quod omnino impedit finem ; ut nimia superfluitas aut defectus comestionis impedit salutem corporis quasi principalem finem comestionis ; et bonam habitudinem in negotiis exercendis, quae est finis secundarius. Alio modo ex aliquo quod facit difficilem aut minus decentem perventionem ad finem principalem vel secundarium, sicut inordinata comestio quantum ad tempus indebitum. Si ergo actio sit inconveniens fini quasi omnino prohibens finem principalem, directe per legem naturae prohibetur primis praeceptis legis naturae, quae sunt in operabilibus, sicut sunt communes conceptiones in speculativis. Si autem sit incompetens fini secundario quocumque modo, aut etiam principali, ut faciens difficilem vel minus congruam perventionem ad ipsum ; prohibetur non quidem primis praeceptis legis naturae, sed secundis, quae ex primis derivantur ; sicut conclusiones in speculativis ex principiis per se notis fidem habent ; et sic dicta actio contra legem naturae esse dicitur. Matrimonium ergo habet pro fine principali prolis procreationem et educationem ; qui quidem finis competit homini secundum naturam generis ; unde et aliis animalibus est communis, ut dicitur in 8 Ethicor. ; et sic bonum matrimonii assignatur proles. Sed pro fine secundario, ut dicit philosophus, habet in hominibus solum communicationem operum quae sunt necessaria in vita, ut supra dictum est ; et secundum hoc fidem sibi invicem debent, quae est unum de bonis matrimonii. Habet ulterius alium finem, inquantum in fidelibus est, scilicet significationem Christi et Ecclesiae ; et sic bonum matrimonii dicitur sacramentum. Unde primus finis respondet matrimonio hominis inquantum est animal ; secundus, inquantum est homo ; tertius, inquantum est fidelis. Pluralitas ergo uxorum neque totaliter tollit neque aliqualiter impedit primum finem, cum unus vir sufficiat pluribus uxoribus fecundandis, et educandis filiis ex eis natis ; sed secundum finem etsi non totaliter tollat, tamen multum impedit, eo quod non facile potest esse pax in familia ubi uni viro plures uxores junguntur, cum non possit unus vir sufficere ad satisfaciendum pluribus uxoribus ad votum ; et quia communicatio plurium in uno officio causat litem, sicut figuli corrixantur ad invicem, et similiter plures uxores unius viri. Tertium autem finem totaliter tollit, eo quod sicut Christus est unus, ita Ecclesia una ; et ideo patet ex dictis quod pluralitas uxorum quodammodo est contra legem naturae, et quodammodo non.

Réponse

Il existe en toutes choses des principes par lesquels non seulement elles peuvent accomplir leurs opérations propres, mais par lesquels aussi ils les rendent ajustées à leur fin, qu’il s’agisse d’actions qui obtiennent une chose par la nature même de leur genre, ou qu’elle l’obtiennent par la nature de leur espèce, comme il convient à ce qui est aimanté d’être attiré vers le bas par la nature de son genre, et d’attirer le fer par la nature de son espèce. Or, de même que, dans les choses qui agissent selon une nécessité naturelle, les formes elles-mêmes sont les principes des actions, desquelles sortent les opérations propres ajustées à la fin, de même, dans celles qui participent à la connaissance, les principes d’action sont la connaissance et l’appétit. Aussi faut-il qu’il existe dans la puissance cognitive une conception naturelle, et dans la puissance appétitive une inclination naturelle, par lesquelles une opération appropriée au genre ou à l’espèce est rendue ajustée à la fin. Or, parce que, parmi les autres animaux, l’homme connaît la raison de fin et le rapport entre l’action et la fin, on appelle loi naturelle ou droit naturel la conception naturelle qui est mise en lui, par laquelle il peut être orienté à agir d’une manière appropriée ; pour les autres [animaux], on parle d’estimation naturelle. En effet, les animaux sans raison sont poussés à faire les actions appropriées plutôt qu’ils ne sont orientés comme s’ils agissaient par leur propre arbitre. La loi naturelle n’est donc rien d’autre qu’une conception mise naturellement dans l’homme, par laquelle il est orienté à agir de manière appropriée dans ses actions propres, soit qu’elles lui conviennent selon la nature du genre, comme engendrer, manger et les choses de ce genre, soit [qu’elles lui conviennent] par la nature de l’espèce, comme raisonner et les choses semblables. Or, tout ce qui rend une action inappropriée par rapport à la fin que la nature a en vue dans une action est dit contraire à la loi de la nature. Cependant, qu’une action puisse ne pas être appropriée à une fin principale ou secondaire de telle ou telle manière, cela arrive de deux manières. D’une manière, par quelque chose qui empêche entièrement la fin, comme un trop grand excès ou une carence de l’alimentation empêche la santé du corps comme fin principale de l’alimentation, et de bons rapports dans la pratique des affaires, qui est la fin secondaire. D’une autre manière, par quelque chose qui rend difficile ou moins appropriée l’atteinte d’une fin principale ou secondaire, comme une alimentation désordonnée à un moment impropre. Si donc l’action est inappropriée par rapport à la fin parce qu’elle l’empêche complètement, elle est interdite directement par la loi de la nature en vertu des premiers préceptes de la loi de la nature, comme le sont les conceptions communes en matière spéculative. Mais si [l’action] est inappropriée par rapport à une fin secondaire de n’importe quelle manière, ou même par rapport à la [fin] principale, en rendant difficile ou moins appropriée son atteinte, elle est interdite non pas en vertu des premiers préceptes de la loi de la nature, mais par les [préceptes] seconds, qui sont dérivés des premiers, comme les conclusions en matière spéculative tirent leur crédibilité des principes connus par eux-mêmes. Et ainsi dit-on que l’action est contraire à la loi de la nature. Le mariage a donc comme fin principale la procréation et l’éducation d’une descendance, fin qui convient à l’homme selon la nature de son genre ; aussi est-elle commune avec les autres animaux, comme il est dit dans Éthique, VIII. Ainsi la descendance est-elle donnée comme bien du mariage. Mais, comme le dit le Philosophe, [le mariage] a comme fin secondaire chez les humains seulement l’échange des actes qui sont nécessaires à la vie, comme on l’a dit plus haut. De cette manière, [les époux] se doivent l’un à l’autre la foi, qui est un des biens du mariage. [Le mariage] a en plus une autre fin pour autant qu’il existe chez des fidèles : la signification du Christ et de l’Église. Le sacrement est alors appelé un bien du mariage. Ainsi, la fin première du mariage correspond au mariage en tant que [l’homme] est un animal ; la deuxième, en tant qu’il est un homme ; la troisième, en tant qu’il est un fidèle. La pluralité des épouses n’enlève donc pas totalement ni n’empêche de quelque manière la fin première [du mariage], puisqu’un seul homme suffit à féconder plusieurs épouses et à éduquer les enfants nées d’elles. Mais, même [si la pluralité des épouses] n’écarte pas totalement la deuxième fin, elle y met cependant un grand obstacle, du fait que la paix ne peut exister dans la famille là où plusieurs épouses sont unies à un seul mari, puisqu’un seul homme ne peut suffire à donner satisfaction à tout ce que veulent plusieurs épouses. Et parce que l’implication de plusieurs dans une même fonction cause le litige, de même que des potiers se chicanent les uns les autres, de même les nombreuses épouses d’un seul mari. Mais [la pluralité des épouses] écarte totalement la troisième fin, du fait que de même que le Christ est unique, de même l’Église est-elle unique. Il ressort ainsi de ce qui a été dit que la pluralité des épouses est d’une certaine manière contraire à la loi de la nature, et d’une certaine manière, non.

[19938] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod consuetudo non praejudicat legi naturae quantum ad prima praecepta ipsius, quae sunt quasi communes animi conceptiones in speculativis ; sed ea quae ex istis trahuntur ut conclusiones, consuetudo auget, et similiter minuit ; et hujusmodi est praeceptum legis naturae de unitate uxoris.

1. La coutume ne porte pas préjudice à la loi de la nature en ses premiers préceptes, qui sont comme les conceptions communes de l’âme en matière spéculative ; mais la coutume accroît et aussi diminue ce qui en est tiré comme des conclusions. Le précepte de la loi naturelle portant sur l’unité de l’épouse est de cette sorte.

[19939] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut dicit Tullius, res a natura perfectas et a consuetudine approbatas legum virtus et religio sanxit. Unde patet quod illa quae lex naturalis dictat, quasi ex primis principiis legis naturae derivata, non habent vim coactivam per modum praecepti absolute, nisi postquam lege divina et humana sancita sunt ; et hoc est quod dicit Augustinus quod non faciebant contra praeceptum, quia nulla lege erat prohibitum.

2. Comme le dit Tullius [Cicéron], « la vertu et la religion confirment ce qui est produit par la nature et approuvé par la coutume en matière de lois ». Il ressort donc que ce que dicte la loi naturelle à titre de dérivation des premiers principes de la loi de la nature n’a pas un pouvoir coercitif absolu par mode de précepte, si ce n’est après que cela a été sanctionné par la loi divine et humaine. C’est ce que dit Augustin, « qu’ils n’agissaient pas contre un précepte, parce que cela n’était interdit par aucune loi ».

[19940] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La réponse à la troisième objection est ainsi claire.

[19941] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod jus naturale multipliciter accipitur. Primo enim jus aliquod dicitur naturale ex principio, quia a natura est inditum ; et sic definit Tullius in 2 rhetoricorum, dicens : jus naturae est quod non opinio genuit, sed quaedam innata vis inseruit. Et quia etiam in rebus naturalibus dicuntur aliqui motus naturales, non quia sint ex principio intrinseco, sed quia sunt a principio superiori movente, sicut motus qui sunt in elementis ex impressione corporum caelestium, naturales dicuntur, ut Commentator dicit in 3 caeli et mundi ; ideo ea quae sunt de jure divino, dicuntur esse de jure naturali, cum sint ex impressione et infusione superioris principii, scilicet Dei ; et sic accipitur ab Isidoro, qui dicit, quod jus naturale est quod in lege et in Evangelio continetur. Tertio dicitur jus naturale non solum a principio, sed a natura, quia de naturalibus est. Et quia natura contra rationem dividitur, a qua homo est homo ; ideo strictissimo modo accipiendo jus naturale, illa quae ad homines tantum pertinent, etsi sint de dictamine rationis naturalis, non dicuntur esse de jure naturali : sed illa tantum quae naturalis ratio dictat de his quae sunt homini aliisque communia ; et sic datur dicta definitio, scilicet : jus naturale est quod natura omnia animalia docuit. Pluralitas ergo uxorum quamvis non sit contra jus naturale tertio modo acceptum, est tamen contra jus naturale secundo modo acceptum, quia jure divino prohibetur ; et etiam contra jus naturale primo modo acceptum, ut ex dictis patet, quod natura dictat animali cuilibet secundum modum convenientem suae speciei ; unde etiam quaedam animalia, in quibus ad educationem prolis requiritur solicitudo utriusque, scilicet maris et feminae, naturali instinctu servant conjunctionem unius ad unum, sicut patet in turture et columba, et hujusmodi.

4. Le droit naturel s’entend de multiples manières. En effet, premièrement, un droit est appelé naturel en vertu de son principe, parce qu’il a été mis dans la nature. Ainsi le définit Tullius [Cicéron] dans la Rhétorique, II, lorsqu’il dit : « Le droit naturel est ce que l’opinion n’a pas engendré, mais qu’une certaine puissance innée a mis dans [la nature]. » Et parce que, dans les choses naturelles, certains mouvements sont appelés naturels, non pas parce qu’ils viennent d’un principe intrinsèque, mais parce qu’elles viennent d’un principe moteur supérieur, comme sont appelés naturels les mouvements qui existent dans les éléments à cause de l’influence des corps célestes, ainsi que le dit le Commentateur dans le Livre du ciel et du monde, III. C’est pourquoi on dit que ce qui est de droit divin est de droit naturel parce que cela existe par l’influence et par l’infusion d’un principe supérieur, Dieu. C’est le sens que lui donne Isidore, qui dit que le droit naturel est ce qui est contenu dans la loi et dans l’évangile. Troisièmement, on appelle droit naturel non seulement ce qui vient d’un principe, mais ce qui vient de la nature, parce que cela vient de réalités naturelles. Et parce que la nature se distingue de la raison par laquelle l’homme est homme, au sens le plus strict, on ne dit pas que ce qui concerne l’homme seulement, même si cela vient d’un commandement de la raison naturelle, relève du droit naturel, mais cela seulement que dicte la raison humaine à propos de ce qui commun à l’homme et aux autres [animaux]. Ainsi donne-t-on cette définition : « Le droit naturel est ce que la nature a enseigné à tous les animaux. » La pluralité d’épouses, même si elle ne s’oppose pas au droit naturel entendu de la troisième manière, est cependant contraire au droit naturel entendu de la deuxième manière, car elle est interdite par le droit divin. Elle est aussi contraire au droit naturel entendu de la première manière, comme cela ressort de ce qui a été dit, que la nature dicte à tout animal selon un mode qui convient à son espèce. Ainsi, même certains animaux, chez lesquels l’attention des deux [parents], le mâle et la femelle, est nécessaire à l’éducation de leur descendance, respectent-ils par instinct naturel l’union de l’un à l’autre, comme cela se voit chez la tourterelle et la colombe, et chez les animaux de ce genre.

[19942] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum patet solutio ex dictis.

5. La réponse à la cinquième objection ressort clairement de ce qui a été dit.

[19943] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 6 Sed quia rationes in contrarium adductae videntur ostendere quod pluralitas uxorum sit contra prima principia legis naturae ; ideo ad eas est respondendum. Et dicendum ad sextum, quod natura humana absque omni defectu instituta est ; et ideo non solum sunt ei indita illa sine quibus principalis matrimonii finis esse non potest, sed etiam illa sine quibus secundarius finis matrimonii sine difficultate haberi non posset ; et hoc modo sufficit homini in ipsa sui institutione habere unam uxorem, ut dictum est.

6. Mais parce que les arguments invoqués en sens contraire semblent montrer que la pluralité des épouses est contraire aux premiers principes de la loi de la nature, il faut donc y répondre. À la sixième objection, il faut dire que la nature humaine a été établie sans aucune carence. C’est pourquoi a été mis en elle non seulement ce sans quoi la fin principale du mariage ne peut exister, mais aussi ce sans quoi la fin secondaire du mariage peut être atteinte sans difficulté. De cette manière, il suffit que l’homme, lors de son établissement, ait une seule épouse, comme on l’a dit.

[19944] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod vir per matrimonium non dat sui corporis potestatem uxori quantum ad omnia, sed solum quantum ad illa quae matrimonium requirit. Non autem requirit matrimonium ut quolibet tempore uxori petenti vir debitum reddat, nisi quantum ad id ad quod principaliter est institutum, scilicet bonum prolis, et quantum sufficit ad impraegnationem. Requirit autem hoc matrimonium, inquantum est ad remedium institutum, quod est secundarius ipsius finis, ut quolibet tempore petenti debitum reddatur ; et sic patet quod accipiens plures uxores non se obligat ad impossibile, considerato principali fine matrimonii ; et ideo pluralitas uxorum non est contra praecepta prima legis naturae.

7. Par le mariage, l’homme ne donne pas à son épouse pouvoir sur son corps en tout, mais seulement sur ce que requiert le mariage. Or, le mariage ne requiert pas que le mari rende ce qui est dû à son épouse chaque fois qu’elle le demande, sauf pour ce qui est a été principalement établi, le bien de la descendance et pour ce qui suffit à la fécondation. Mais le mariage, en tant qu’il a été institué comme remède, ce qui est sa fin secondaire, requiert aussi que la dette soit acquittée chaque fois qu’[elle] le demande. Et ainsi, il est clair que celui qui prend plusieurs épouses ne s’oblige pas à l’impossible, si l’on considère la fin première du mariage. C’est pourquoi la pluralité d’épouses n’est pas contraire aux préceptes premiers de la loi de la nature.

[19945] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illud praeceptum legis naturae : quod tibi non vis fieri, alteri ne feceris, debet intelligi, eadem proportione servata. Non enim si praelatus non vult sibi resisti a subdito, ipse subdito resistere non debet ; et ideo non oportet ex vi illius praecepti, quod, si vir non vult quod uxor sua non habeat alium virum, ipse non habeat aliam uxorem : quia unum virum habere plures uxores non est contra prima praecepta legis naturae, ut dictum est ; sed unam uxorem habere plures viros est contra prima praecepta legis naturae, eo quod per hoc quantum ad aliquid totaliter tollitur, et quantum ad aliquid impeditur bonum prolis, quod est principalis matrimonii finis. In bono enim prolis intelligitur non solum procreatio ; sed etiam educatio, ut supra dictum est. Ipsa enim procreatio prolis, etsi non totaliter tollatur, quia contingit post impraegnationem primam iterum mulierem impraegnari, ut dicitur in 7 de animalibus, tamen multum impeditur : quia vix potest accidere quin corruptio accidat quantum ad utrumque fetum, vel quantum ad alterum. Sed educatio totaliter tollitur ; quia ex hoc quod una mulier plures maritos haberet, sequeretur incertitudo prolis respectu patris, cujus cura necessaria est in educando ; et ideo nulla lege aut consuetudine est permissum unam uxorem habere plures viros, sicut e converso.

8. Ce précepte de la loi de la nature : « Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à un autre », doit s’entende en respectant la même proportion. En effet, si un prélat ne veut pas qu’un sujet lui résiste, il ne doit pas lui-même résister à son sujet. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire, en vertu de ce précepte, que si un mari ne veut pas que son épouse ait un autre mari, lui-même ne doit pas avoir une autre épouse, car le fait qu’un seul homme ait plusieurs épouses n’est pas contraire aux préceptes premiers de la loi de la nature, comme on l’a dit ; mais qu’une seule épouse ait plusieurs hommes est contraire aux premiers préceptes de la loi de la nature, du fait que par cela le bien de la descendance est partiellement empêché, qui est la fin principale du mariage. En effet, dans le bien de la descendance, on comprend non seulement la procréation, mais aussi l’éducation, comme on l’a dit plus haut. La procréation même de la descendance, même si elle n’est pas entièrement écartée, car il arrive qu’une femme soit de nouveau fécondée après une première fécondation, comme on le dit dans Sur les animaux, VII, est beaucoup empêchée, car il est rare qu’une corruption se produise pour les deux foetus ou pour un d’eux. Mais l’éducation est totalement écartée, car par le fait qu’une seule femme aurait plusieurs maris, il en découlerait une incertitude sur la paternité de la descendance, dont le soin est nécessaire dans l’éducation. C’est pourquoi il n’est permis par aucune loi ou coutume qu’une seule épouse ait plusieurs maris, comme c’est le cas en sens contraire.

[19946] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod naturalis inclinatio in appetitiva sequitur naturalem conceptionem in cognitione ; et quia non est ita contra conceptionem naturalem quod vir habeat plures uxores sicut quod uxor habeat plures viros ; ideo affectus uxoris non tantum refugit consortium in viro sicut e converso ; et ideo tam in hominibus quam in animalibus invenitur major zelus maris ad feminam quam e converso.

9. L’inclination naturelle dans la partie appétitive suit la conception naturelle dans la connaissance. Et parce qu’il n’est pas aussi contraire à la conception naturelle qu’un homme ait plusieurs épouses par rapport au fait qu’une seule épouse ait plusieurs maris, c’est la raison pour laquelle l’attachement de l’épouse ne cherche pas autant refuge dans la compagnie d’un homme, comme c’est le cas en sens contraire. Ainsi, tant chez les hommes que chez les animaux, on trouve une jalousie plus grande du mari envers sa femme que le contraire.

 

 

Articulus 2

[19947] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 tit. Utrum habere plures uxores potuerit aliquando esse licitum

Article 2 – A-t-il jamais été permis de pouvoir avoir plusieurs épouses ?

[19948] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod habere plures uxores non potuerit aliquando esse licitum. Quia, secundum philosophum in 5 Ethic., jus naturale semper et ubique habet eamdem potentiam. Sed jure naturali prohibetur pluralitas uxorum, ut ex dictis patet. Ergo sicut modo non licet, ita neque unquam licuit.

1. Il semble qu’il n’ait jamais été permis de pouvoir avoir plusieurs épouses, car, selon le Philosophe dans Éthique, V, le droit nautrel a partout et toujours le même pouvoir. Or, la pluralité des épouses est interdite par le droit naturel, comme cela ressort de ce qui a été dit. De même que cela n’est pas permis maintenant, de même donc cela n’a-t-il jamais été permis.

[19949] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, si aliquando licuit ; hoc non fuit nisi quia vel per se licitum erat, vel propter aliquam dispensationem licebat. Si primo modo, sic etiam nunc licitum esset. Si autem secundo modo, hoc esse non potest : quia secundum Augustinum, Deus cum sit naturae conditor, non facit aliquid contra rationes quas naturae inseruit. Cum ergo Deus naturae inseruerit quod sit una unius, ut dictum est, videtur quod ipse contra hoc nunquam dispensaverit.

2. Si cela a été permis à un certain moment, ce ne fut que parce que cela était permis de soi ou parce que cela était permis par une certaine dispensation. Si c’était de la première manière, alors ce serait aussi permis maintenant. Mais si c’était de la seconde manière, cela est impossible, car, selon Augustin, « Dieu, puisqu’il est le créateur de la nature, ne fait rien qui soit contraire aux raisons qu’il a mises dans la nature ». Puisque Dieu a mis dans la nature qu’il n’y a qu’une seule épouse pour un seul mari, comme on l’a dit, il semble donc qu’il n’ait jamais donné de dispense contraire à cela.

[19950] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si aliquid est licitum ex dispensatione, hoc non licet nisi illis quibus dispensatio fit. Non autem legitur aliqua dispensatio communis in lege cum omnibus facta. Cum ergo omnes communiter qui volebant, plures uxores acciperent in veteri testamento, nec ex hoc reprehendebantur in lege aut a prophetis ; videtur quod non fuerit ex dispensatione licitum.

3. Si quelque chose est permis en vertu d’une dispense, cela n’est permis qu’à ceux à qui s’adressent la dispense. Or, on ne lit pas qu’il y ait de dispense commune faite à tous. Puisque tous ceux qui le voulaient prenaient d’une manière générale plusieurs épouses dans l’Ancien Testament, et qu’ils n’étaient pas blâmés pour cela dans la loi ou par les prophètes, il semble donc que ce n’était pas permis en vertu d’une dispense.

[19951] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ubi est eadem causa dispensationis, debet eadem dispensatio fieri. Sed causa dispensationis non potest alia poni quam multiplicatio prolis ad cultum Dei, quae etiam nunc necessaria est. Ergo etiam adhuc dicta dispensatio duraret, praecipue cum non legatur revocata.

4. Là où existe la même cause de dispense, doit être donnée la même dispense. Or, on ne peut donner une autre cause de dispense que la multiplication de la descendance en vue du culte de Dieu, qui même maintenant est nécessaire. La dispense en question serait donc encore en vigueur, surtout qu’elle n’a pas été révoquée par la loi.

[19952] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, in dispensatione non debet praetermitti majus bonum propter minus bonum. Sed fides et sacramentum, quae non videntur posse servari in matrimonio quo unus pluribus uxoribus conjungitur, sunt meliora quam prolis multiplicatio. Ergo intuitu hujus multiplicationis dispensatio praedicta fieri non debuisset.

5. Dans une dispense, on ne doit pas négliger un plus grand bien pour un bien moindre. Or, la foi et le sacrement, qui ne semblent pas pouvoir être observés dans un mariage où un seul est uni à plusieurs épouses, sont meilleurs que la multiplication de la descendance. La dispense mentionnée n’aurait donc pas dû être donnée en vue de cette multitplication.

[19953] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Galat. 3, dicitur, quod lex propter praevaricatores posita est, ut scilicet eos prohiberet. Sed lex vetus facit mentionem de pluralitate uxorum sine aliqua ejus prohibitione, ut patet Deuter. 21, 15 : si habuerit homo duas uxores et cetera. Ergo habendo duas uxores non erant praevaricatores ; et ita erat licitum.

Cependant, [1] il est dit en Ga 3, que la loi a été donnée pour les transgresseurs afin de les empêcher. Or, la loi ancienne fait mention de la pluralité des épouses sans aucune interdiction, comme cela ressort de Dt 21, 15 : Si un homme a deux épouses, etc. Ils n’étaient donc pas des transgresseurs en ayant deux épouses. Cela était donc permis.

[19954] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem videtur exemplo ex sanctis patribus, qui plures leguntur habuisse uxores, cum Deo essent acceptissimi, sicut Jacob, David, et quamplures alii. Ergo aliquando fuit licitum.

[2] Ce semble être la même chose par l’exemple des saints pères, tels Jacob, David et beaucoup d’autres, dont on lit qu’ils ont eu plusieurs épouses, alors qu’ils étaient très agréables à Dieu. Cela fut donc permis à un certain moment.

[19955] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut ex praedictis patet, pluralitas uxorum dicitur esse contra legem naturae, non quantum ad prima praecepta ejus, sed quantum ad secunda, quae quasi conclusiones a primis praeceptis derivantur. Sed quia actus humanos variari oportet secundum diversas conditiones personarum et temporum, et aliarum circumstantiarum ; ideo conclusiones praedictae a primis legis naturae praeceptis non procedunt ut semper efficaciam habentes, sed in majori parte. Talis enim est tota materia moralis, ut patet per philosophum in libris Ethicorum ; et ideo ubi eorum efficacia deficit, licite ea praetermitti possunt. Sed quia non est facile determinare hujusmodi varietates ; ideo illi ex cujus auctoritate lex efficaciam habet, reservatur, ut licentiam praebeat legem praetermittendi in illis casibus ad quos legis efficacia se non extendere debet ; et talis licentia dispensatio dicitur. Lex autem de unitate uxoris non est humanitus, sed divinitus instituta, nec unquam verbo aut litteris tradita, sed cordi impressa, sicut et alia quae ad legem naturae qualitercumque pertinent ; et ideo in hoc a solo Deo dispensatio fieri potuit per inspirationem internam, quae quidem principaliter sanctis patribus facta est, et per eorum exemplum ad alios derivata est eo tempore quo oportebat praedictum naturae praeceptum praetermitti, ut major esset multiplicatio prolis ad cultum Dei educandae. Semper enim principalior finis magis conservandus est quam secundarius. Unde, cum bonum prolis sit principalis matrimonii finis ; ubi prolis multiplicatio necessaria erat, debuit negligi ad tempus impedimentum, quod posset in secundariis finibus evenire ; ad quod removendum praeceptum prohibens pluralitatem uxorum ordinatur, ut ex dictis patet.

Réponse

Comme cela ressort de ce qui a été dit, on dit que la pluralité des épouses est contraire à la loi naturelle, non pas par rapport aux premiers principes de celle-ci, mais par rapport à ses seconds, qui découlent des premier préceptés comme des conclusions. Mais parce qu’il est nécessaire que les actes humains se diversifient selon les diverses conditions des personnes, des temps et des autres circonstances, lesdites conclusions ne découlent pas des préceptes de la loi de la nature en ayant toujours leur efficacité, mais pour la grande part. En effet, telle est toute la matière morale, comme cela ressort chez le Philosophe, dans les livres de l’Éthique. C’est pourquoi là où leur efficacité fait défaut, il est permis de les omettre. Mais parce qu’il n’est pas facile de déterminer ces diversités, c’est donc à ceux dont la loi tire son efficacité qu’il est réservé d’autoriser l’omission de la loi dans ces cas auxquels l’efficacité de la loi ne doit pas s’étendre. Une telle autorisation est appelée une dispense. Or, la loi sur l’unité de l’épouse n’a pas été instituée par l’homme mais par Dieu, et n’a jamais été transmise sous forme orale ou écrite, mais elle a été imprimée dans le cœur comme tout le reste qui se rapporte de quelque manière à la loi de la nature. C’est pourquoi, en cette matière, une dispense n’a pu être donnée que par Dieu seul par une inspiration intérieure, qui a été donnée principalement aux saints pères et qui est passée aux autres par leur exemple au moment où le précepte de la nature en question devait être omis, afin qu’existe une plus grande multiplication de la descendance à éduquer pour le culte de Dieu. En effet, la fin principale doit toujours être davantage respectée que la fin secondaire. Puisque le bien de la descendance est la fin principale du mariage, là où la multiplication de la descendance était nécessaire, l’empêchement qui pouvait survenir des fins secondaires dut être négligé pour un temps. C’est à écarter cela que le précepte interdisant la pluralité des épouses est ordonné, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[19956] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod jus naturale semper et ubique, quantum est de se, habet eamdem potentiam ; sed per accidens propter aliquod impedimentum quandoque et alicubi potest variari, sicut ibidem philosophus exemplum ponit de aliis rebus naturalibus. Semper enim et ubique dextera est melior quam sinistra secundum naturam ; sed per aliquod accidens convenit aliquem esse ambidexterum, quia natura nostra variabilis est ; et similiter etiam est de naturali justo, ut ibidem philosophus dicit.

1. Le droit naturel a le même pouvoir toujours et partout en lui-même, mais, par accident, en raison d’un empêchement, il peut varier parfois et dans un endroit, comme le Philosophe donne au même endroit un exemple pour des choses naturelles. En effet, la droite est toujours et partout meilleure que la gauche selon la nature, mais, par un accident, il convient que quelqu’un soit ambidextre, car notre nature est variable. Et il en est de même de ce qui est naturellement juste, comme le dit au même endroit le même Philosophe.

[19957] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in decretali quadam de divortiis dicitur, quod nunquam licuit alicui habere plures uxores sine dispensatione per divinam inspirationem habita. Nec tamen talis dispensatio datur contra rationes quas Deus naturae inseruit, sed praeter eas : quia rationes illae non sunt ordinatae ad semper, sed in pluribus esse, ut dictum est : sicut etiam non est contra naturam quando aliqua accidunt in rebus naturalibus miraculose praeter ea quae ut frequenter solent evenire.

2. Dans une décrétale sur les divorces, il est dit qu’il n’a jamais été permis d’avoir plusieurs épouses sans une dispense obtenue par l’inspiration divine. Cependant, une telle dispense n’est pas donnée à l’encontre des raisons que Dieu a mises dans la nature, mais au-delà d’elles, car ces raisons ne sont ordonnées à exister toujours, mais dans la plupart des cas, comme on l’a dit, de même qu’il n’est pas contraire à la nature que certaines choses arrivent miraculeusement dans les choses naturelles, au-delà de ce qui a coutume de se produire souvent.

[19958] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod qualis est lex, talis debet esse dispensatio legis ; et quia lex naturae non est litteris scripta, sed cordibus impressa ; propter hoc non oportuit dispensationem eorum quae ad legem naturae pertinent, lege scripta dari, sed per internam inspirationem fieri.

3. Telle est la loi, telle doit être la dispense de la loi. Et parce que la loi de la nature n’est pas écrite dans un texte, mais est imprimée dans le cœur, pour cette raison, il n’était pas nécessaire que la dispense pour ce qui se rapporte à la loi de la nature soit donnée par une loi écrite, mais par une inspiration intérieure.

[19959] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod veniente Christo fuit tempus plenitudinis gratiae Christi, per quam cultus Dei in omnes gentes spirituali propagatione diffusus est ; et ideo non est eadem ratio dispensationis quae erat ante Christi adventum, quando cultus Dei propagatione carnali multiplicabatur et conservabatur.

4. À la venue du Christ, ce fut le temps de la plénitude de la grâce du Christ, par laquelle le culte de Dieu fut répandu parmi toutes les nations par une propagation spirituelle. Il n’y a donc pas la même raison de dispense qui existait avant l’avènement du Christ, alors que le culte de Dieu se multipliait et était conservé par la propagation charnelle.

[19960] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod proles, secundum quod est bonum matrimonii, includit fidem ad Deum servandam ; quia secundum quod proles expectatur ad cultum Dei educanda, ponitur matrimonii bonum. Fides autem ad Deum servanda est potior quam fides uxori servanda, quae ponitur bonum matrimonii, et quam significatio quae pertinet ad sacramentum, quia significatio ad fidei cognitionem ordinatur ; et ideo non est inconveniens, si propter bonum prolis aliquid detrahitur aliis duobus bonis. Nec tamen omnino tolluntur ; quia et fides manet ad plures, et sacramentum aliquo modo : quia quamvis non significetur conjunctio Christi ad Ecclesiam inquantum est una, significatur tamen distinctio graduum Ecclesiae per pluralitatem uxorum ; quae quidem est non solum in Ecclesia militante, sed etiam in triumphante ; et ideo illorum matrimonia aliquo modo significabant conjunctionem ad Christi Ecclesiam, non solum militantem, ut quidam dicunt, sed etiam triumphantem, in qua sunt diversae mansiones.

4. La descendance, selon qu’elle est un bien du mariage, inclut la préservation de la foi en Dieu, car la descendance est donnée comme un bien du mariage selon qu’on s’attend à ce qu’elle soit éduquée en vue du culte de Dieu. Or, la préservation de la foi en Dieu est plus importante que la préservation de la fidélité envers son épouse, qui est donnée comme un bien du mariage, et que la signification qui appartient au sacrement, car la signification est ordonnée à la connaissance de la réalité. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que quelque chose soit enlevé aux deux autres biens en vue du bien de la descendance. Cependant, ils ne sont pas totalement enlevés, car la foi demeure chez plusieurs, ainsi que le sacrement d’une certaine manière, car bien que l’union du Christ à l’Église ne soit pas signifiée en tant qu’elle est unique, la distinction des degrés de l’Église est cependant signifiée par la pluralité des épouses. C’est pourquoi leur mariage signifiait d’une certaine manière l’union du Christ à l’Église non seulement militante, comme certains le disent, mais aussi triomphante, dans laquelle il existe diverses demeures.

 

 

Articulus 3

[19961] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 tit. Utrum habere concubinam sit contra legem naturae

Article 3 – Avoir une concubine est-il contraire à la loi de la nature ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Avoir une concubine est-il contraire à la loi de la nature ?]

[19962] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod habere concubinam non sit contra legem naturae. Legis enim caeremonialia non sunt de lege naturae. Sed fornicatio prohibetur, Act. 15, inter alia caeremonialia legis quae ad tempus credentibus ex gentibus imponebantur. Ergo fornicatio simplex, quae est accessus ad concubinam, non est contra legem naturae.

1. Il semble qu’avoir une concubine soit contraire à la loi de la nature. En effet, les aspects cérémoniels de la loi ne font pas partie de la loi de la nature. Or, la fornication est interdite, Ac 15, parmi d’autres aspects cérémoniels de la loi qui étaient imposés pour un temps aux croyants issus des gentils. La fornication simple, qui consiste à approcher une concubine, n’est donc pas contraire à la loi de la nature.

[19963] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, jus positivum a naturali jure profectum est, ut Tullius dicit. Sed secundum jus positivum fornicatio simplex non prohibetur, immo potius in poenam secundum antiquas leges mulieres lupanaribus tradendae condemnabantur. Ergo habere concubinam non est contra legem naturae.

2. Le droit positif est issu du droit naturel, comme le dit Tullius [Cicéron]. Or, selon le droit positif, la fornication simple n’est pas interdite, bien plus, selon les lois anciennes, des femmes étaient condamnées à la peine d’être livrées à des lupanars. Avoir une concubine n’est donc pas contraire à la loi de la nature.

[19964] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, naturalis lex non prohibet quin illud quod datur simpliciter, possit dari ad tempus et secundum quid. Sed una mulier soluta potest dare viro soluto in perpetuum sui corporis potestatem, ut utatur ea licite, cum voluerit. Ergo non est contra legem naturae, si dederit ei potestatem sui corporis ad horam.

3. La loi naturelle n’interdit pas que ce qui est donné simplement puisse être donné pour un temps et de manière partielle. Or, une femme séparée peut donner pouvoir sur son corps à un homme de manière perpétutelle, de sorte qu’il fasse usage d’elle licitement, lorsqu’il le voudra. Il n’est donc pas contraire à la loi de la nature qu’elle lui donne pouvoir sur son corps pour une heure.

[19965] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quicumque utitur re sua ut vult, nemini facit injuriam. Sed ancilla est res domini. Ergo si dominus ea utatur ad libitum, non facit injuriam alicui ; et ita habere concubinam non est contra legem naturae.

4. Quiconque fait usage comme il le veut de ce qui lui appartient ne porte préjudice à personne. Or, la servante est la chose du seigneur. Si le seigneur en fait usage comme il le veut, il ne porte donc préjudice à personne. Ainsi, avoir une concubine n’est pas contraire à la loi de la nature.

[19966] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, quilibet potest dare alteri quod suum est. Sed uxor habet potestatem in corpore viri, ut patet 1 Corinth. 7. Ergo si uxor velit, vir poterit alii mulieri conjungi sine peccato.

5. Tous peuvent donner à quelqu’un d’autre ce qui leur appartient. Or, une épouse a pouvoir sur le corps de son mari, comme cela ressort de 1 Co 7. Si l’épouse le veut, le mari pourra donc s’unir à une autre femme sans péché.

[19967] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum omnes leges, filii qui de concubinis nascuntur, sunt vituperabiles. Sed hoc non esset, nisi concubitus ex quo oriuntur, esset naturaliter turpis. Ergo habere concubinam est contra legem naturae.

Cependant, [1] selon toutes les lois, les enfants qui naissent de concubines sont répréhensibles. Or, ce ne serait pas le cas si l’union dont ils sont nés n’était pas naturellement honteuse. Avoir une concubine est donc contraire à la loi de la nature.

[19968] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut supra, distinct. 26, dictum est, matrimonium est naturale. Sed hoc non esset, si sine praejudicio legis naturae homo posset conjungi mulieri praeter matrimonium. Ergo contra legem naturae est concubinam habere.

[2] Comme on l’a dit plus haut, à la d. 26, le mariage est naturel. Or, ce ne serait pas le cas, si l’homme pouvait s’unir à une femme hors mariage sans préjudice à la loi de la nature. Avoir une concubine est donc contraire à la loi de la nature.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-ce un péché mortel d’approcher une concubine ?]

[19969] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod accedere ad concubinam non sit peccatum mortale. Majus enim peccatum est mendacium quam fornicatio simplex : quod patet ex hoc quod Judas, qui fornicationem non horruit cum Thamar committere, recusavit mendacium, dicens : certe mendacii nos arguere non poterit. Sed mendacium non semper est mortale peccatum. Ergo neque fornicatio simplex.

1. Il semble que ce ne soit pas un péché mortel d’approcher une concubine. En effet, le mensonge est un péché plus grand que la simple fornication, ce qui ressort de ce que Judas, qui n’avait pas honte de commettre la fornication avec Thamar, a rejeté le mensonge en disant: Il ne pourra sûrement pas nous reprocher de mentir. Or, le mensonge n’est pas toujours un péché mortel. Donc, ni la simple fornication.

[19970] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, peccatum mortale morte puniri debet. Sed lex vetus non puniebat concubitum concubinae morte, nisi in aliquo casu, ut patet Deuteron. 13. Ergo non est peccatum mortale.

2. Le péché mortel doit être puni de mort. Or, la loi ancienne ne punissait pas de mort le fait de coucher avec une concubine, sauf dans un cas, comme cela ressort de Dt 13. Ce n’est donc pas un péché mortel.

[19971] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Gregorium, peccata carnalia sunt minoris culpae quam spiritualia. Sed non omnis superbia aut avaritia est peccatum mortale ; quae sunt peccata spiritualia. Ergo nec omnis fornicatio, quae est peccatum carnale.

3. Selon Grégoire, les péchés de la chair comportent un faute moindre que les péchés spirituels. Or, tout orgueuil ou toute avarice n’est pas un péché mortel, alors que ce sont des péchés spirituels. Donc, ni toute fornication, qui est un péché charnel.

[19972] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ubi est majus incitamentum, ibi est minus peccatum : quia magis peccat qui minori tentatione vincitur, ut supra, distinct. 10, dictum est. Sed concupiscentia maxime instigat ad venerea. Ergo cum actus gulae non sit semper peccatum mortale, nec fornicatio simplex erit peccatum mortale.

4. Là où l’incitation est plus grande, là le péché est moindre, car celui-là pèche davantage qui est vaincu par une tentation plus petite, comme on l’a dit plus haut, d. 10. Or, la concupiscence incite surtout aux [plaisirs] vénériens. Puisque l’acte de gourmandise n’est pas toujours un péché mortel, la simple fornication ne sera donc pas non plus [toujours] un péché mortel.

[19973] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nihil excludit a regno Dei nisi peccatum mortale. Sed fornicarii excluduntur a regno Dei, ut patet 1 Corinth., 6. Ergo fornicatio simplex est peccatum mortale.

Cependant, [1] rien n’exclut du royaume de Dieu que le péché mortel. Or, les fornicateurs sont exclus du royaume de Dieu, comme cela ressort de 1 Co 6. La simple fornication est donc un péché mortel.

[19974] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sola peccata mortalia criminalia dicuntur. Sed omnis fornicatio est crimen, ut patet Tobiae 4, 13 : attende tibi ab omni fornicatione, et praeter uxorem tuam nunquam patiaris crimen scire.

[2] Seuls les péchés mortels sont appelés des crimes. Or, toute fornication est un crime, comme cela ressort de Tb 4, 13 : Garde-toi de toute fornication et ne commets jamais de crime avec une autre que ton épouse.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Était-il permis à un certain moment d’avoir une concubine ?]

[19975] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquando fuerit licitum concubinam habere. Sicut enim habere unam uxorem est de lege naturae, ita non habere concubinam. Sed aliquando licuit plures uxores habere. Ergo et habere concubinam.

1. Il semble qu’il était permis à un certain moment d’avoir une concubine. En effet, de même qu’avoir une seule femme relève de la loi naturelle, de même ne pas avoir de concubine. Or, parfois, il a été permis d’avoir plusieurs épouses. Donc aussi, d’avoir une concubine.

[19976] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, non potest aliqua simul esse uxor et ancilla ; unde secundum legem, ex hoc ipso quod ancilla in matrimonium ducebatur, libera reddebatur. Sed aliqui Deo amicissimi leguntur ad suas ancillas accessisse, sicut Abraham et Jacob. Ergo illae non erant uxores ; et sic aliquando licuit concubinas habere.

2. Une femme ne peut être en même temps épouse et servante ; aussi, selon la loi, par le fait même qu’une servante est prise en mariage, elle devenait libre. Or, on lit que certains qui étaient très amis avec Dieu se sont approchés de leurs servantes, comme Abraham et Jacob. Celles-ci n’étaient donc pas des épouses, et ainsi il fut parfois permis d’avoir des concubines.

[19977] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illa quae in matrimonio ducitur, non potest ejici, et filius ejus debet esse hereditatis particeps. Sed Abraham ejecit Agar, et filius ejus non fuit heres. Ergo non fuit uxor Abrahae.

3. Celle qui est prise en mariage ne peut être écartée, et son fils doit participer à l’héritage. Or, Abraham écarta Agar et son fils ne devint pas héritier. Elle n’était donc pas l’épouse d’Abraham.

[19978] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ea quae sunt contra praecepta Decalogi, nunquam licuerunt. Sed habere concubinam est contra praeceptum Decalogi, scilicet : non moechaberis. Ergo nunquam fuit licitum.

Cependant, ce qui va contre les commandements du décalogue n’a jamais été permis. Or, avoir une concubine est contraire à un commandement du décalogue : Tu ne forniqueras pas. Ce ne fut donc jamais permis.

[19979] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit in Lib. de patriarchis : viro non licet quod mulieri non licet. Sed nunquam licuit mulieri ad alium virum accedere, dimisso viro proprio. Ergo nec viro unquam licuit concubinam habere.

[2] Ambroise dit dans le Livre sur les patriarches : « N’est pas permis à l’homme ce qui n’est pas permis à la femme. » Or, il n’a jamais été permis à une femme d’approcher un autre homme, en écartant son propre mari.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[19980] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut ex praedictis patet, illa actio dicitur esse contra legem naturae, quae non est conveniens fini debito, sive quia non ordinatur in ipsum per actionem agentis, sive quia de se est improportionata fini illi. Finis autem quem natura ex concubitu intendit, est proles procreanda et educanda ; et ut hoc bonum quaereretur, posuit delectationem in coitu ; ut Augustinus dicit. Quicumque ergo concubitu utitur propter delectationem quae in ipso est, non referendo ad finem a natura intentum, contra naturam facit ; et similiter etiam nisi sit talis concubitus qui ad illum finem convenienter ordinari possit. Et quia res a fine plerumque nominantur tamquam ab optimo : sicut conjunctio matrimonii a prolis bono nomen accepit, quod per matrimonium principaliter quaeritur ; ita concubinae nomen illam conjunctionem exprimit qua solus concubitus propter seipsum quaeritur ; et si etiam aliquis quandoque ex tali concubitu prolem quaerat, non tamen est conveniens ad prolis bonum, in quo non solum intelligitur ipsius procreatio, per quam proles esse accipit, sed etiam educatio et instructio, per quam accipitur nutrimentum et disciplina a parentibus : in quibus tribus parentes proli tenentur, secundum philosophum in 8 Ethicor. Cum autem educatio et instructio proli a parentibus debeatur per longum tempus ; exigit lex naturae ut pater et mater in longum tempus commaneant ad subveniendum communiter proli ; unde et aves quae communiter pullos nutriunt, ante completam nutritionem non separantur a mutua societate quae incepit a concumbendo. Haec autem obligatio ad commanendum feminam cum marito matrimonium facit. Et ideo patet quod accedere ad mulierem non junctam sibi matrimonio, quae concubina vocatur, est contra legem naturae.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, est dite contraire à la loi de la nature l’action qui ne convient pas à la fin appropriée, soit qu’elle ne lui soit pas ordonnée par l’action de l’agent, soit qu’elle soit par elle-même sans proportion par rapport à cette fin. Or, la fin que la nature a en vue dans l’union charnelle est la procréation et l’éducation de la descendance ; et pour que ce bien soit recherché, [la nature] a mis un plaisir dans l’union, comme le dit Augustin. Quiconque fait usage de l’union charnelle pour le plaisir qui s’y trouve, sans le rapporter à la fin voulue par la nature, agit donc contre la nature ; de même aussi si l’union n’est pas telle qu’elle puisse convenablement être ordonnée à cette fin. Et parce que les choses tiennent le plus souvent leur nom de ce qu’il y a de meilleur, de même que l’union du mariage reçoit son nom du bien de la descendance, qui est principalement recherché dans le mariage, de même le nom de concubine exprime-t-il cette union par laquelle seule l’union charnelle est recherchée pour elle-même ; et si quelqu’un recherche parfois une descendance par cette union, cela ne convient pas au bien de la descendance, par lequel on n’entend pas seulement la procréation, mais aussi l’éducation et l’instructidon, par lesquelles nourriture et correction sont reçues des parents. Les parents sont obligés à ces trois choses envers leur descendance, selon le Philosophe dans Éthique, VIII. Or, comme l’éducation et l’instruction sont dues par les parents sur une longue période, la loi de la nature exige que le père et la mère demeurent ensemble pour une longue période afin de subvenir ensemble aux besoins de leur descendance. Ainsi, les oiseaux, qui élèvent ensemble leurs petits, ne se séparent pas de la société mutuelle qui a commencé avec l’union, avant que ceux-ci aient été entièrement élevés. Or, cette obligation pour la femme de demeurer avec son mari réalise le mariage. C’est pourquoi il est clair qu’approcher une femme qui n’est pas unie à soi par le mariage – on l’appelle concubine – est contraire à la loi de la nature.

[19981] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in gentibus quantum ad multa lex naturae obfuscata erat ; unde accedere ad concubinam malum non reputabant ; sed passim fornicatione quasi re licita utebantur, sicut et aliis quae erant contra caeremonias Judaeorum, quamvis non essent contra legem naturae ; et ideo apostoli immiscuerunt prohibitionem fornicationis caeremonialibus, propter discretionem quae erat in utroque inter Judaeos et gentiles.

1. Chez les païens, la loi de la nature était obscurcie sur beaucoup de points. Aussi ne considéraient-ils pas qu’approcher une concubine était mal, mais ils faisaient à l’aventure usage de la fornication comme d’une chose permise, comme des autres choses qui étaient contraires aux cérémonies des Juifs, bien qu’elles ne fussent pas contre la loi de la nature. C’est pourquoi les apôtres ont joint l’interdiction de la fornication à des gestes cérémoniels, en raison de la distinction qui existait entre les deux choses chez les Juifs et les gentils.

[19982] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex praedicta obscuritate, scilicet in quam ceciderunt gentiles, Deo debitam gloriam non reddentes, ut dicitur Rom. 1, lex illa processit, et non ex instinctu legis naturae ; unde praevalente Christiana religione lex illa extirpata est.

2. Cette loi venait de l’obscurité mentionnée, à savoir que les gentils étaient tombés et ne rendaient pas gloire à Dieu, et non de l’instinct de la loi naturelle. Lorsque la religion chrétienne l’eut emporté, cette loi a été extirpée.

[19983] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliquibus sicut nullum inconveniens sequitur si rem aliquam quam quis in potestate habet, alteri simpliciter tradat ; ita etiam nec si tradat ad tempus ; et sic neutrum est contra legem naturae. Ita autem non est in proposito ; et ideo ratio non sequitur.

3. Pour certaines choses, de même qu’aucun inconvénient ne découle du fait que quelqu’un remette simplement à un autre une chose qu’il a en son pouvoir, de même non plus s’il la lui remet pour un temps. Ainsi, aucune des deux choses n’est contraire à la loi de la nature. Mais il n’en est pas ainsi dans ce qui est en cause. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[19984] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod injuria justitiae opponitur. Lex autem naturalis non solum prohibet injustitiam, sed etiam opposita omnium virtutum ; sicut contra legem naturae est ut aliquis immoderate comedat, quamvis talis rebus suis utens nulli injuriam faciat. Et praeterea ancilla quamvis sit res domini ad obsequium, non est tamen res sua ad concubitum ; et iterum interest qualiter quisque re sua utatur. Facit etiam talis injuriam proli procreandae, ad cujus bonum non sufficienter talis conjunctio ordinatur, ut dictum est.

4. Le préjudice s’oppose à la justice. Or, la loi naturelle interdit non seulement l’injustice, mais aussi ce qui est opposé à toutes les vertus ; ainsi il est contraire à la loi de la nature que quelqu’un mange sans modération, bien qu’en faisant usage de telles choses, il ne cause un préjudice à personne. De plus, bien que la servante soit la chose de son seigneur pour ce qui est du service, elle n’est cependant pas sa chose pour ce qui est de l’union charnelle. De plus, la manière dont chacun fait usage de ce qui lui appartient a donc de l’importance. Celui-là porte aussi préjudice à la procréation d’une descendance, au bien de laquelle une telle union n’est pas suffisamment ordonnée, comme on l’a dit.

[19985] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod mulier habet potestatem in corpore viri non simpliciter quantum ad omnia, sed solum quantum ad matrimonii usum ; et ideo non potest contra matrimonii bonum corpus viri alteri praebere.

5. La femme a pouvoir sur le corps de son mari non pas simplement sur tout, mais seulement pour ce qui est de l’usage du mariage. C’est pourquoi elle ne peut offrir à une autre le corps de son mari à l’encontre du bien du mariage.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[19986] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut in 2 Lib., dist. 42, qu. 1, art. 4, in corp. dictum est, illi actus ex suo genere sunt peccata mortalia per quos foedus amicitiae hominis ad Deum et hominis ad hominem violatur. Haec enim sunt contra duo praecepta caritatis, quae est animae vita ; et ideo, cum concubitus fornicarius tollat debitam ordinationem parentis ad prolem, quam natura ex concubitu intendit ; non est dubium quod fornicatio simplex de sui ratione est peccatum mortale, etiam si lex scripta non esset.

1. Comme on l’a dit dans le livre II, d. 42, q. 1,a. 4, c., les actes sont des péchés mortels par leur genre par lequels l’alliance d’amitié entre l’homme et Dieu et entre l’homme et l’homme est violée. En effet, ceux-ci sont contraires aux deux commandements de la charité, qui est la vie de l’âme. C’est pourquoi, puisque l’union par fornication enlève entre un parent et sa descendance l’ordre approprié que la nature a en vue par une telle union, il n’est pas douteux que la simple fornication soit un péché mortel par son essence même, même s’il n’y avait pas de loi écrite.

[19987] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod frequenter homo qui non vitat peccatum mortale, vitat aliquod peccatum veniale, ad quod non habet tantum incitamentum ; et ita etiam Judas mendacium vitavit, fornicationem non vitans ; quamvis illud mendacium perniciosum fuisset, injuriam habens annexam, si promissum non reddidisset.

2. Fréquemment, l’homme qui n’évite pas le péché mortel évite un péché véniel auquel il n’est pas tellement incité. Ainsi Judas a-t-il évité le mensonge, sans éviter la fornication, bien que ce mensonge eut été pernicieux, puisqu’un préjudice lui était lié, s’il n’avait pas acquitté sa promesse.

[19988] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum non dicitur mortale quia morte temporali puniatur, sed quia punitur aeterna ; unde etiam furtum, quod est mortale peccatum, et multa alia interdum non puniuntur per leges temporali morte ; et similiter etiam est de fornicatione.

2. Un péché n’est pas appelé mortel parce qu’il est puni par une mort temporelle, mais parce qu’il est puni de la mort éternelle. Aussi même le vol, qui est un péché mortel, et plusieurs autres choses ne sont parfois pas punis d’une mort temporelle par les lois. De même en est-il de la fornication.

[19989] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut non quilibet motus superbiae est peccatum mortale, ita nec quilibet motus luxuriae ; quia primi motus luxuriae et hujusmodi sunt peccata venialia, et etiam concubitus matrimonialis. Interdum tamen aliqui luxuriae actus sunt peccata mortalia, aliquibus motibus superbiae venialibus existentibus ; quia in verbis Gregorii inductis intelligitur comparatio vitiorum secundum genus, et non quantum ad singulos actus.

3. De même que tout mouvement d’orgueuil n’est pas un péché mortel, de même tout mouvement de luxure, car les premiers mouvements de luxure et ceux de ce genre sont des péchés véniels, et même ceux de l’union matrimoniale. Parfois cependant, certains actes de luxure sont des péchés mortels, alors que certains actes d’orgueuil restent véniels, car, par les paroles de Grégoire invoquées, on entend la comparaison des vices selon leur genre, et non selon chacun de leurs actes.

[19990] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut supra, dist. 16, qu. 3, art. 2, quaestiunc. 2, dictum est, illa circumstantia efficacior est ad gravandum quae magis appropinquat ad speciem peccati ; unde quamvis fornicatio ex magnitudine incitamenti diminuatur, tamen ex materia circa quam est, gravitatem habet majorem quam inordinata comestio, cum sit circa ea quae pertinent ad fovendum foedus societatis humanae, ut dictum est ; et ideo ratio non sequitur.

4. Comme on l’a dit plus haut, d. 16, q. 3, a. 2, qa 2, une circonstance contribue d’autant plus à aggraver un péché qu’elle s’approche de l’espèce du péché. Bien que la fornication soit diminuée par la grandeur de l’incitation, elle a cependant par la matière sur laquelle elle porte une plus grande gravité que le fait de manger de manière désordonnée, puisqu’elle a comme objet ce qui se rapporte à l’entretien du lien de la société humaine, comme on l’a dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[19991] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Rabbi Moyses dicit, quod ante tempus legis fornicatio non erat peccatum ; quod probat ex hoc quod Judas cum Thamar concubuit. Sed ista ratio non cogit ; non enim necesse est filios Jacob a peccato mortali excusari, cum accusati fuerint apud patrem de crimine pessimo, et in Joseph necem vel venditionem consenserint. Et ideo dicendum est, quod cum habere concubinam non matrimonio junctam sit contra legem naturae, ut dictum est, nullo tempore secundum se licitum fuit, nec etiam ex dispensatione. Sicut enim ex dictis patet, concubitus cum ea quae non est matrimonio juncta, non est conveniens actus ad bonum prolis, quod est principalis finis matrimonii ; et ideo est contra prima praecepta legis naturae, quae dispensationem non recipiunt. Unde ubicumque legitur in veteri testamento aliquos concubinas habuisse, quos necesse sit a peccato mortali excusari, oportet eas esse matrimonio junctas, et tamen concubinas dici, quia aliquid habebant de ratione uxoris, et aliquid de ratione concubinae. Secundum enim quod matrimonium ordinatur ad suum principalem finem, qui est bonum prolis, uxor viro conjungitur insolubili conjunctione, vel saltem diuturna, ut ex dictis patet ; et contra hoc non est aliqua dispensatio. Sed quantum ad secundum finem, qui est dispensatio familiae et communicatio operum, uxor conjungitur ut socia ; sed hoc deerat in his quae concubinae nominabantur ; in hoc enim poterat esse dispensatio, cum sit secundarius matrimonii finis ; et ex hac parte habebant aliquid simile concubinae, ratione cujus concubinae nominantur.

Rabbi Moïse dit qu’avant le temps de la loi, la fornication n’était pas un péché, ce qu’il demontre par le fait que Judas s’unit à Thamar. Mais ce raisonnement n’est pas contraignant. En effet, il n’est pas nécessaire que les fils de jacob soient excusés de péché mortel, puisqu’ils avaient été accusés du pire crime auprès de leur père et qu’ils avaient consenti au meurtre ou à la vente de Joseph. C’est pourquoi il faut dire que, puisqu’avoir une concubine non unie par le mariage est contraire à la loi de la nature, comme on l’a dit, cela n’a été permis à aucun moment, pas même en vertu d’une dispense. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, l’union charnelle avec celle qui n’est pas unie par le mariage n’est pas un acte approprié pour le bien de la descendance, qui est la fin principale du mariage. C’est pourquoi elle est contraire aux premiers préceptes de la loi naturelle, qui ne sont pas objets de dispense. Aussi partout où on lit dans l’Ancien Testament qu’ils ont eu des concubines, et qu’il est nécessaire de les excuser de péché mortel, il faut qu’elles aient été unies par le mariage, et cependant appelées concubines, parce qu’elles avaient quelque chose du caractère de l’épouse et quelque chose du caractère de la concubine. En effet, selon que le mariage est ordonné à sa fin principale, qui est le bien de la descendance, l’épouse est liée à son mari d’un lien indissoluble ou tout au moins de longue durée, comme cela ressort de ce qui a été dit, et il n’y a pas de dispense de cela. Mais [selon que le mariage est ordonné] à sa seconde fin, qui est le soin de la famille et le partage des tâches, l’épouse est unie [à son mari] comme une compagne. Or, cela faisait défaut à celles qui étaient appelées concubines. En effet, il pouvait exister une dispense sur ce point puisqu’il s’agit de la deuxième fin du mariage. De ce point de vue, elles avaient quelque chose de semblable à une concubine, en raison de quoi elles étaient appelées des concubines.

[19992] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod habere plures uxores non est contra legis naturae prima praecepta, sicut habere concubinam, ut ex dictis patet ; et ideo ratio non sequitur.

1. Avoir plusieurs épouses n’est pas contraire aux préceptes premiers de la loi de la nature, comme avoir une concubine, ainsi que cela ressort de ce qui a été dit. Aussi ce raisonnement n’est-il pas concluant.

[19993] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod antiqui patres ea dispensatione qua plures uxores habebant, ad ancillas accedebant uxorio affectu. Erant enim uxores quantum ad principalem et primarium finem matrimonii, sed non quantum ad illam conjunctionem quae respicit secundarium finem, cui conditio servitutis opponitur, cum non possit simul esse socia et ancilla.

2. Les pères anciens, en vertu de cette dispense par laquelle ils avaient plusieurs épouses, s’approchaient des servantes avec l’affection digne d’une épouse. En effet, elles étaient des épouses selon la fin principale et première du mariage, mais non selon l’union qui concerne la fin secondaire, à laquelle la condition de la servitude s’oppose, puisqu’elle ne peut être en même temps compagne et servante.

[19994] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in lege Moysi per dispensationem licebat dare libellum repudii ad evitandum uxoricidium, ut dicetur ; ita ex eadem dispensatione licuit Abrahae ejicere Agar, ad significandum mysterium quod apostolus explicat, Galat. 4. Quod etiam filius ille heres non fuit, ad mysterium pertinet, ut ibidem patet ; sicut etiam ad mysterium pertinet quod Esau, filius liber, heres non fuit, ut patet Rom. 9 ; et similiter propter mysterium factum est ut filii Jacob ex ancillis et liberis nati, heredes essent, ut Augustinus dicit : quia Christo nascuntur in Baptismo filii et heredes tam per bonos, quos liberae significant, quam per malos ministros, qui per ancillas significantur.

3. De même que, sous la loi de Moïse, il était permis de donner un acte de répudiation pour éviter le meurtre de l’épouse, comme on le dira, de même, par la même dispense, il a été permis à Abraham de rejeter Agar, afin de signifier le mystère que l’Apôtre explique en Ga 4. Le fait que ce fils n’ait pas été héritier relève aussi d’un mystère, comme cela ressort au même endroit, comme il relève d’une mystère qu’Ésaü, un fils libre, n’ait pas été héritier, comme cela ressort de Rm 9. De même, en raison d’un mystère, il arriva que les fils de Jacob nés de servantes et de femmes libres soient héritiers, comme Augustin le dit, car ils sont nés pour le Christ dans le baptême comme des fils et des héritiers, que ce soit par des ministres bons, signifiés par les femmes libres, que par des mauvais, signifiés par les servantes.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’acte de répudiation]

Prooemium

Prologue

[19995] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 pr. Deinde quaeritur de libello repudii ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 utrum inseparabilitas matrimonii sit de lege naturae ; 2 utrum repudiare uxorem aliquando fuerit licitum ; 3 de causis libelli repudii lege permissi, et ejus inscriptione.

Ensuite, on s’interroge sur l’acte de répudiation. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – L’inséparabilité du mariage relève-t-elle de la loi de la nature ? 2 – Répudier son épouse a-t-il été parfois permis ? 3 – Les raisons de l’acte de répudiation permis par la loi et sa rédaction.

 

 

Articulus 1

[19996] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 tit. Utrum inseparabilitas uxoris sit de lege naturae

Article 1 – L’inséparabilité de l’épouse relève-t-elle de la loi de la nature ?

[19997] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inseparabilitas uxoris non sit de lege naturae. Lex enim naturae communis est apud omnes. Sed nulla lege praeter legem Christi fuit prohibitum uxorem dimittere. Ergo inseparabilitas uxoris non est de lege naturae.

1. Il semble que l’inséparabilité de l’épouse ne relève pas de la loi naturelle. En effet, la loi de la nature est commune chez tous. Or, il n’a été interdit de renvoyer son épouse par aucune loi que par la loi du Christ. L’inséparabilité de l’épouse ne relève donc pas de la loi naturelle.

[19998] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sacramenta non sunt de lege naturae. Sed inseparabilitas matrimonii pertinet ad bonum sacramenti. Ergo non est de lege naturae.

2. Les sacrements ne relèvent pas de la loi naturelle. Or, l’inséparabilité du mariage relève du bien du sacrement. Elle ne relève donc pas de la loi de la nature.

[19999] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, conjunctio viri et feminae in matrimonio ordinatur principaliter ad prolis generationem et educationem et instructionem, ut dictum est. Sed haec omnia aliquo certo tempore consummantur. Ergo post illud tempus licet uxorem dimittere sine aliquo praejudicio legis naturae.

3. L’union de l’homme et de la femme dans le mariage est ordonnée principalement à la génération, à l’éducation et à l’instruction de la descendance, comme on l’a dit. Or, tout cela s’achève à un moment déterminé. Après ce temps, il est donc permis de renvoyer son épouse sans préjudice à la loi de la nature.

[20000] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex matrimonio quaeritur principaliter bonum prolis. Sed inseparabilitas matrimonii est contra bonum prolis ; quia, ut tradunt philosophi, aliquis vir non potest ex aliqua femina prolem accipere, qui tamen ex alia concipere posset, et quae etiam ex alio viro impraegnaretur. Ergo inseparabilitas matrimonii magis est contra legem naturae quam de lege naturae.

4. On attend principalement du mariage le bien de la descendance. Or, l’inséparabilité du mariage est contraire au bien de la descendance car, ainsi que l’enseignent les philosophes, un homme peut ne pas avoir de descendance d’une femme, alors qu’il pourrait cependant en concevoir d’une autre et qu’elle pourrait être fécondée par un autre homme. L’inséparabilité du mariage est donc davantage contraire à la loi de la nature qu’elle n’en relève.

[20001] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, illud praecipue est de lege naturae quod natura bene instituta accepit in suo principio. Sed inseparabilitas matrimonii est hujusmodi, ut patet Matth. 19. Ergo est de lege naturae.

Cependant, [1] relève de la loi de la nature ce que la nature bien établie a reçu dès son commencement. Or, l’inséparabilité du mariage est de ce genre, comme cela ressort de Mt 19. Elle relève donc de la loi de la nature.

[20002] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, de lege naturae est quod homo Deo non contrarietur. Sed homo quodammodo Deo contrarius esset, si separaret quos Deus conjunxit. Cum ergo ex hoc habeatur inseparabilitas matrimonii, Matth. 19, videtur quod sit de lege naturae.

[2] Il relève de la loi naturelle que l’homme ne s’oppose pas à Dieu. Or, l’homme serait d’une certaine manière contraire à Dieu, s’il séparait ce que Dieu a uni. Puisque l’inséparabilité du mariage vient de là, Mt 19, il semble donc qu’il relève de la loi de la nature.

[20003] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium ex intentione naturae ordinatur ad educationem prolis non solum per aliquod tempus, sed per totam vitam prolis. Unde de lege naturae est quod parentes filiis thesaurizent, et filii parentum heredes sint ; et ideo, cum proles sit commune bonum viri et uxoris, oportet eorum societatem perpetuo permanere indivisam secundum legis naturae dictamen ; et sic inseparabilitas matrimonii est de lege naturae.

Réponse

Selon l’intention de la nature, le mariage est ordonné à l’éducation de la descendance, non seulement pendant un temps, mais pour toute la vie de la descendance. Il relève donc de la loi de la nature que les parents épargnent pour les fils et que les fils soient les héritiers des parents. Puisque la descendance est le bien commun du mari et de l’épouse, il est donc nécessaire que leur société demeure indivise à perpétuité selon ce que dicte la loi de la nature. Et ainsi, l’inséparabilité du mariage relève de la loi naturelle.

[20004] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sola lex Christi ad perfectum humanum genus adduxit, reducens in statum novitatis naturae ; unde et in lege Moysi et in legibus humanis non potuit totum auferri quod contra legem naturae erat : hoc enim soli legi spiritus et vitae reservatum est.

1. Seule la loi du Christ a conduit le genre humain à la perfection, en le ramenant à l’état de nouveauté de la nature. Aussi, dans la loi de Moîse et dans les lois humaines, n’a-t-on pas pu enlever tout ce qui était contraire à la loi de la nature. En effet, cela a été réservé à la seule loi de l’Esprit et de la vie.

[20005] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inseparabilitas competit matrimonio secundum quod est signum perpetuae conjunctionis Christi et Ecclesiae, et secundum quod est in officium naturae ad bonum prolis ordinatum, ut dictum est. Sed quia separatio matrimonii magis directe repugnat significationi quam prolis bono, cui ex consequenti repugnat, ut dictum est ; inseparabilitas matrimonii magis in bono sacramenti intelligitur quam in bono prolis, quamvis in utroque intelligi possit ; et secundum quod pertinet ad bonum prolis erit de lege naturae ; non autem secundum quod pertinet ad bonum sacramenti.

2. L’inséparabilité convient au mariage selon qu’il est un signe de l’union perpétuelle du Christ et de l’Église, et selon qu’il est une fonction de la nature ordonnée au bien de la descendance, comme on l’a dit. Mais parce que la séparation du mariage s’oppose plus directement à la signification qu’au bien de la descendance, auquel elle s’oppose par mode de conséquence, comme on l’a dit, l’inséparabilité du mariage se perçoit davantage dans le bien du sacrement que dans le bien de la descendance, bien qu’on puisse la percevoir dans les deux. Selon qu’elle relève du bien de la descendance, elle relèvera de la loi de la nature, mais non selon qu’elle relève du bien du sacrement.

[20006] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La réponse à troisième objection ressort clairement de ce qui a été dit.

[20007] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod matrimonium principaliter ordinatur ad bonum commune ratione principalis finis, qui est bonum prolis ; quamvis etiam ratione finis secundarii ordinetur ad bonum matrimonium contrahentis, prout per se est in remedium concupiscentiae. Et ideo in legibus matrimonii magis attenditur quid omnibus expediat quam quid uni competere possit. Quamvis ergo matrimonii inseparabilitas impediat bonum prolis in aliquo homine, tamen est conveniens ad bonum prolis simpliciter ; et propter hoc ratio non sequitur.

4. Le mariage est ordonné principalement au bien commun en raison de sa fin principale, qui est le bien de la descendance, bien que, en raison de sa fin secondaire, il soit ordonné au bien de celui qui contracte mariage pour autant qu’il est en lui-même un remède à la concupiscence. C’est pourquoi dans les lois relatives au mariage on considère davantage ce qui convient à tous que ce qui peut convenir à un seul. Bien que l’inséparabilité du mariage empêche le bien de la descendance chez un homme, elle convient cependant au bien de la descendance simplement. Pour cette raison, ce raisonnement n’est pas concluant.

 

 

Articulus 2

[20008] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 tit. Utrum licitum esse possit per dispensationem uxorem dimittere

Article 2 – Est-il permis de pouvoir renvoyer sa femme grâce à une dispense ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-il permis de pouvoir renvoyer sa femme grâce à une dispense ?]

[20009] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod uxorem dimittere licitum per dispensationem esse non potuerit. Illud enim quod est in matrimonio contra bonum prolis, est contra prima praecepta legis naturae, quae indispensabilia sunt. Sed dimissio uxoris est hujusmodi, ut ex dictis patet. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’il ne pouvait être permis de renvoyer sa femme grâce à une dispense. En effet, ce qui dans le mariage est contraire au bien de la descendance est contraire au premiers préceptes de la loi de la nature, dont on ne peut être dispensé. Or, le renvoi de l’épouse est de cette sorte, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[20010] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, concubina differt praecipue ab uxore in hoc quod non est inseparabiliter juncta. Sed habere concubinas fuit indispensabile. Ergo et dimittere uxorem.

2. Une concubine diffère principalement de l’épouse en ce qu’elle n’est pas unie inséparablement. Or, avoir des concubines ne pouvait pas faire l’objet d’une dispense. Donc aussi, renvoyer l’épouse.

[20011] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, homines sunt modo ita receptibiles dispensationis sicut olim fuerunt. Sed modo non potest dispensari cum aliquo quod uxorem dimittat. Ergo nec olim.

3. Les hommes peuvent recevoir maintenant une dispense comme ils le pouvaient autrefois. Or, maintenant, quelqu’un ne peut avoir une dispense pour renvoyer son épouse. Donc, ni autrefois.

[20012] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Agar cognita est ab Abraham uxorio affectu, quasi uxor, ut dictum est. Sed ipse praecepto divino eam ejecit, et non peccavit. Ergo potuit per dispensationem fieri licitum quod homo uxorem dimitteret.

Cependant, Agar a été connue comme une épouse par Abraham, avec une affection qui convient à une épouse, comme on l’a dit. Or, il l’écarta conformément à un commandement divin, et il ne pécha pas. Il a donc pu être permis à l’homme par dispense de renvoyer son épouse.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Était-il permis de renvoyer son épouse sous la loi de Moîse ?]

[20013] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sub lege Moysi fuerit licitum uxorem dimittere. Unus enim modus consentiendi est non prohibere, cum prohibere possis. Consentire autem illicito est illicitum. Cum ergo Moyses non prohibuerit uxoris repudium, nec peccaverit, quia lex sancta est, ut dicitur Roman. 7 ; videtur quod repudium fuerit aliquando licitum.

1. Il semble qu’il n’était pas permis de renvoyer son épouse sous la loi de Moïse. En effet, une manière de consentir est de ne pas interdir, alors que tu peux interdire. Or, consentir à ce qui est illicite est illicite. Puisque Moïse n’a pas interdit la répudiation de l’épouse et n’a pas péché, car la loi est sainte, comme il est dit en Rm 7, il semble que la répudiation ait été permis à un certain moment.

[20014] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, prophetae locuti sunt spiritu sancto inspirati, ut patet 2 Petr. 1. Sed Malach. 2, 16, dicitur : si odio habueris eam, dimitte eam. Ergo cum illud quod spiritus sanctus inspirat, non sit illicitum, videtur quod repudium uxoris non semper fuerit illicitum.

2. Les prophètes ont parlé sous l’inspiration du Saint-Esprit, comme cela ressort de 2 P 1. Or, il est dit en Ml 2, 16 : Si tu l’as en horreur, renvoie-la. Puisque ce que l’Esprit Saint inspire n’est pas interdit, il semble donc que la répudiation de l’épouse n’a pas toujours été interdite.

[20015] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Chrysostomus dicit, quod sicut apostoli permiserunt secundas nuptias, ita Moyses permisit libellum repudii. Sed secundae nuptiae non sunt peccatum. Ergo nec repudium uxoris sub lege Moysi.

3. [Jean] Chrysostome dit que de même que les apôtres ont permis les secondes noces, de même Moïse a-t-il permis l’acte de répudiation. Or, les secondes noces ne sont pas un péché. Donc, ni la répudiation de l’épouse sous la loi de Moïse.

[20016] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Sed contra est quod dominus dicit, quod libellus repudii datus est a Moyse Judaeis propter duritiam cordis eorum. Sed duritia cordis eorum non excusabat eos a peccato. Ergo neque lex de libello repudii.

4. Cependant, le Seigneur dit en sens contraire que l’acte de répudiation fut donné aux Juifs par Moïse en raison de la dureté de leur cœur. Or, la dureté de leur cœur ne les excusait pas du péché. Donc, ni la loi sur l’acte de répudiation.

[20017] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, Chrysostomus dicit super Matth., quod Moyses dando libellum repudii non justitiam Dei monstravit, ut quasi per legem agentibus peccatum non videatur esse peccatum.

5. [Jean] Chrysostome dit, à propos de Matthieu, que Moïse, en accordant l’acte de répudiation, n’a pas manifesté la justice de Dieu, de sorte que pour ceux qui agissent selon la loi, il ne semble pas être un péché.

Quaestiuncula 3

 

Sous-question 3 – [Était-il permis à une femme répudiée d’avoir un autre mari ?]

[20018] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liceret uxori repudiatae alium virum habere. Quia in repudio magis erat iniquitas viri repudiantis quam uxoris repudiatae. Sed vir poterat aliam sine peccato ducere in uxorem. Ergo uxor sine peccato alium virum ducere poterat.

1. Il semble qu’il ait été permis à une femme répudiée d’avoir un autre mari, car, dans la répudiation, il s’agissait plutôt de l’iniquité du mari qui répudiait que de celle de la femme répudiée. Or, un mari pouvait sans péché en prendre une autre comme épouse. Une épouse pouvait donc sans péché prendre un autre mari.

[20019] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus, dicit de duabus uxoribus, quod quando mos erat, peccatum non erat. Sed tempore legis erat talis consuetudo quod repudiata alium virum ducebat, ut patet Deut. 24, 2 : cumque egressa virum alterum duxerit et cetera. Ergo uxor non peccabat alteri se jungendo.

2. Augustin dit à propos des deux épouses, que lorsque c’était la coutume, ce n’était pas péché. Mais, au temps de la loi, c’était la coutume que la femme répudiée prenne un autre mari, comme cela ressort de Dt 24, 2 : Lorsque, une fois partie, elle aura pris un autre mari, etc. L’épouse ne péchait donc pas en se soumettant à un autre.

[20020] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, dominus, Matth. 5, justitiam novi testamenti ostendit superabundantem esse respectu justitiae veteris testamenti. Hoc autem dicit ad justitiam novi testamenti per superabundantiam pertinere quod uxor repudiata non ducit alterum virum ; ergo in veteri lege licebat.

3. En Mt 5, le Seigneur montre que la justice de la nouvelle alliance dépasse la justice de l’ancienne alliance. Or, il dit que la justice de la nouvelle alliance dépasse [celle de l’ancienne alliance] du fait que l’épouse répudiée ne prend pas un autre mari. Cela était donc permis sous l’ancienne loi.

[20021] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Sed contra est quod dicitur Matth. 19, 9 : qui dimissam duxerit, moechatur. Sed moechia nunquam fuit in veteri testamento licita. Ergo nec uxori repudiatae licuit alium virum habere.

4. Cependant, Mt 19, 9 dit en sens contraire : Celui qui prendra une femme répudiée commet l’adultère. Or, l’adultère n’a jamais été permis sous l’ancienne alliance. Il n’était donc pas permis à l’épouse répudiée de prendre un autre mari.

[20022] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Deut. 24 dicitur, quod mulier repudiata quae alium virum duceret, polluta erat, abominabilis facta coram domino. Ergo peccabat alium virum ducendo.

5. Il est dit en Dt 24 que la femme répudiée qui prendrait un autre mari serait souillée et devenait abominable aux yeux du Seigneur. Elle péchait donc en prenant un autre mari.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 –[Était-il permis à un mari de prendre la femme qu’il avait répudiée ?]

[20023] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod licebat viro repudiatam a se accipere. Licet enim corrigere quod male factum est. Sed male factum erat quod vir uxorem repudiabat. Ergo licebat hoc corrigere, reducendo uxorem ad se.

1. Il semble qu’il était permis à un mari de prendre la femme qu’il avait répudiée. En effet, il est permis de corriger ce qui a été mal fait. Or, il le mari avait mal fait de répudier son épouse. Il était donc permis de corriger cela en reprenant son épouse.

[20024] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, semper licuit peccanti indulgere, cum sit morale praeceptum, quod in omni lege manet. Sed vir accipiendo repudiatam, ei peccanti indulgebat. Ergo hoc licitum erat.

2. Il a toujours été permis d’être bienveillant pour le pécheur, puisqu’il s’agit d’un précepte moral qui demeure en toute loi. Or, un mari, en reprenant son épouse répudiée, se montrait indulgent envers elle qui péchait. Cela était donc permis.

[20025] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Deuter. 24 ponitur causa quare non possit accipi iterum, quia polluta est. Sed repudiata non polluitur nisi alterum virum ducendo. Ergo saltem antequam alium virum duceret, licebat eam accipere.

3. En Dt 24, est donnée la cause pour laquelle elle ne pouvait être accueillie de nouveau : elle était souillée. Or, la femme répudiée n’est souillée qu’en prenant un autre homme. Au moins avant qu’elle ne prenne un autre homme, il était donc permis de la prendre.

[20026] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Deut. 24, 4 : non poterit prior maritus accipere eam.

Cependant, Dt 24 dit le contraire : Le premier mari ne pourra pas la prendre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20027] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod dispensatio in praeceptis, praecipue quae sunt aliquo modo legis naturae, est sicut mutatio cursus rei naturalis : qui quidem mutari dupliciter potest. Uno modo ex aliqua causa naturali, per quam alia causa naturalis impeditur a cursu suo, sicut est in omnibus quae in minori parte casualiter accidunt in natura : sed per hunc modum non variatur cursus rerum naturalium quae sunt semper, sed quae sunt frequenter. Alio modo per causam penitus supernaturalem, sicut in miraculis accidit ; et hoc modo potest mutari cursus naturalis non solum qui est ordinatus ut sit frequenter, sed qui est ordinatus etiam ut sit semper ; ut patet in statione solis tempore Josue, et reditu ejusdem tempore Ezechiae ; et de eclypsi miraculosa tempore passionis Christi. Haec autem ratio dispensationis in praeceptis legis naturae quandoque est ex causis inferioribus ; et sic dispensatio cadere potest super secunda praecepta legis naturae, non autem super prima : quia illa sunt quasi semper existentia, ut dictum est de pluralitate uxorum, et de hujusmodi. Aliquando autem est tantum ex causis superioribus ; et tunc potest dispensatio esse divinitus etiam contra prima praecepta legis naturae, ratione alicujus mysterii divini significandi vel ostendendi, sicut patet de dispensatione in praecepto Abrahae facto de occisione filii innocentis. Tales autem dispensationes non fiunt communiter ad omnes, sed ad aliquas singulares personas, sicut etiam de miraculis accidit. Si ergo inseparabilitas matrimonii inter prima praecepta legis naturae contineatur, solum hoc secundo modo sub dispensatione cadet ; si autem sit inter secunda praecepta legis naturae, etiam primo modo cadere potuit sub dispensatione. Videtur autem magis inter secunda praecepta legis naturae contineri. Inseparabilitas enim matrimonii non ordinatur ad prolis bonum, quod est principalis matrimonii finis, nisi quantum ad hoc quod per parentes filiis provideri debet in totam vitam per debitam praeparationem eorum quae sunt necessaria in vita. Hujusmodi autem rerum appropriatio non est de prima intentione naturae, secundum quam omnia sunt communia ; et ideo non videtur contra primam intentionem naturae dimissio uxoris esse, et per consequens nec contra prima praecepta, sed contra secunda legis naturae ; unde etiam primo modo sub dispensatione posse cadere videtur.

La dispense des préceptes, surtout de ceux qui relèvent d’une certaine manière de la loi de la nature, est comme un changement dans le cours d’une chose naturelle. Or, celui-ci peut être changé de deux manières. D’une mainière, par une cause naturelle, par laquelle une autre cause naturelle est empêchée de suivre son cours, comme c’est le cas pour tout ce qui arrive pour une moindre part par le hasard ; mais, de cette manière, le cours des choses naturelles qui existent toujours ne varie pas, mais celui de celles qui se produisent fréquemment. D’une autre manière, par une cause tout à fait surnaturelle, comme cela arrive pour les miracles ; de cette manière, le cours naturel peut être changé, non seulement celui qui est ordonné à se produire fréquemment, mais celui qui est ordonné à se produire toujours, comme cela ressort pour l’arrêt du soleil à l’époque de Josué et pour son recul à l’époque d’Ézéchiel, et pour l’éclypse miraculeuse au temps de la passion du Christ. Or, une telle raison de dispense pour les préceptes de la loi de la nature vient parfois de causes inférieures : ainsi la dispense peut tomber sous les préceptes seconds de la loi de la nature, mais non sous les [préceptes] premiers, car ceux-ci sont comme les choses qui existent toujours, comme on l’a dit à propos de la pluralité des épouses et des choses de ce genre. Mais parfois, cela vient seulement de causes supérieures : alors, la dispense peut être d’origine divine, même à l’encontre de préceptes premiers de la loi de la nature, pour signifier ou mettre en évidence un mystère divin, comme cela ressort de la dispense donnée à Abraham du précepte de tuer son fils innocent. Or, de telles dispenses ne sont pas faites d’une manière générale à tous, mais à des personnes particulières, comme cela arrive aussi pour les miracles. Si donc l’inséparabilité du mariage est contenue sous les premiers préceptes de loi de la nature, elle n’est l’objet d’une dispense que de cette seconde manière ; mais si elle est au nombre des préceptes seconds de la loi de la nature, elle a aussi pu être l’objet d’une dispense de la première manière. Mais elle semble plutôt être contenue dans les préceptes seconds de la loi de la nature. En effet, l’inséparabilité du mariage n’est pas ordonnée au bien de la descendance, qui est la fin principale du mariage, si ce n’est que sous l’aspect où les parents doivent prendre soin de leurs fils pendant toute leur vie en vue de les préparer à ce qui est nécessaire à la vie. Or, l’appropriation de ces choses ne relève pas de l’intention première de la nature, selon laquelle tout est commun. C’est pourquoi il ne semble pas que le renvoi de l’épouse soit contre l’intention première de la nature et, par conséquent, ni contre les préceptes premiers, mais contre les préceptes seconds de la nature. Aussi semble-t-elle pouvoir être l’objet d’une dispense de la première manière.

[20028] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in bono prolis, secundum quod est de prima intentione naturae, intelligitur procreatio, et nutritio, et instructio quousque proles ad perfectam aetatem ducatur. Sed quod ei provideatur in posterum per hereditatis et aliorum bonorum dimissionem, videtur pertinere ad secundam legis naturae intentionem.

1. Par le bien de la descendance, selon qu’il relève de l’intention première de la nature, on entend la procréation, l’éducation et l’instruction jusqu’à ce que la descendance soit menée à l’âge adulte. Mais qu’on prenne soin d’elle par la suite par la transmission d’un héritage et d’autres biens semble relever de l’intention seconde de la nature.

[20029] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habere concubinam est contra bonum prolis quantum ad id quod natura in eo de prima intentione intendit, scilicet educationem et instructionem, quae requirit diuturnam commansionem parentum ; quod non est in concubina, quae ad tempus assumitur ; et ideo non est simile. Tamen quantum ad secundam dispensationem etiam habere concubinam sub dispensatione cadere potest, ut patet Oseae 1.

2. Avoir une concubine est contre le bien de la descendance selon l’intention première de la nature sur ce point, à savoir, l’éducation et l’instruction, qui exigent une longue cohabitation des parents, ce qui n’est pas le cas pour une concubine, qui est prise pour un temps. Ce n’est donc pas la même chose. Cependant, pour ce qui est de la seconde dispense, avoir une concubine peut aussi tomber sous la seconde dispense, comme cela ressort de Os 1.

[20030] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inseparabilitas quamvis sit de secunda intentione matrimonii prout est in officium naturae, tamen est de prima intentione ipsius prout est sacramentum Ecclesiae ; et ideo ex quo institutum est ut sit Ecclesiae sacramentum, manente tali institutione non potest sub dispensatione cadere, nisi forte secundo modo dispensationis.

3. L’inséparabilité, bien qu’elle relève de l’intention seconde du mariage en tant qu’il est une fonction de la nature, relève cependant de sa première intention en tant qu’il est un sacrement de l’Église. C’est pourquoi, du fait qu’il a été institué pour être un sacrement de l’Église, aussi longtemps que demeure une telle institution, elle ne peut être l’objet d’une dispense, si ce n’est peut-être selon le second mode de dispense.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20031] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod illi qui sub lege uxorem dato libello repudii dimittebant, non excusabantur a peccato, quamvis excusarentur a poena secundum leges infligenda ; et propter hoc dicitur Moyses libellum repudii permisisse ; et sic ponunt quatuor modos permissionis. Unus per privationem praeceptionis ; ut quando majus bonum non praecipitur, minus bonum permitti dicitur ; sicut apostolus non praecipiendo virginitatem, matrimonium permisit, 1 Corinth. 7. Secundus per privationem prohibitionis ; sicut venialia dicuntur permissa, quia non sunt prohibita. Tertius per privationem cohibitionis ; et sic communia peccata dicuntur permitti a Deo, inquantum non impedit, cum impedire posset. Quarta per privationem punitionis ; et sic libellus repudii lege permissus fuit, non quidem propter aliquod majus bonum consequendum, sicut fuit dispensatio de pluribus uxoribus habendis ; sed propter majus malum cohibendum, scilicet uxoricidium, ad quod Judaei proni erant propter corruptionem irascibilis ; sicut et permissum eis fuit extraneis fenerari propter aliquam corruptionem in concupiscibili, ne scilicet fratribus suis fenerarentur ; et sicut propter corruptionem suspicionis, in rationali fuit permissum sacrificium zelotypiae, ne sola suspicio apud eos judicium corrumperet. Sed quia lex vetus, quamvis gratiam non conferret, tamen ad hoc data erat ut peccatum ostenderet, ut communiter sancti dicunt ; ideo aliis videtur quod si repudiando uxorem peccassent, hoc saltem eis per legem aut prophetas indicari debuisset ; Isai. 58, 1 : annuntia populo meo peccata eorum. Alias viderentur esse nimis neglecti, si ea quae necessaria sunt ad salutem, quae non cognoscebant, nunquam eis nuntiata fuissent ; quod non potest dici, cum justitia legis tempore suo observata vitam mereretur aeternam. Et propter hoc dicunt, quod quamvis repudiare uxorem per se sit malum, tamen ex permissione divina licitum fiebat ; et hoc confirmant auctoritate Chrysostomi, qui dicit, quod a peccato abstulit culpam legislator, quando permisit repudium. Et quamvis hoc probabiliter dicatur, tamen primum communius sustinetur ; ideo ad utrasque rationes respondendum est.

Sur ce sujet, il existe une double opinion. En effet, certains disent que ceux qui, sous la loi ancienne, renvoyaient leur épouse en lui donnant une acte de répudiation n’étaient pas exempts de péché, bien qu’ils aient été exempts de la peine qui devait être infligée selon les lois. Pour cette raison, il est dit que Moïse permit l’acte de répudiation. Ils présentent ainsi quatre modes de permission. L’un, lorsqu’on est privé de commandement, comme lorsqu’un plus grand bien n’est pas ordonné, on dit qu’un bien moindre est permis ; ainsi, en n’ordonnant pas la virginité, l’Apôtre a permis le mariage, 1 Co 7. Le deuxième mode, par la privation d’une interdiction, comme lorsqu’on dit que les péchés véniels sont permis parce qu’ils ne sont pas interdits. Le troisième, lorsqu’on empêche une privation ; ainsi, on dit que les péchés ordinaires sont permis par Dieu dans la mesure où il ne les empêche pas, alors qu’il pourrait les empêcher. Le quatrième, lorsqu’on prive d’une punition ; ainsi l’acte de répudiation a-t-il été permis par la loi, non pas en vue de la poursuite d’un plus grand bien, comme ce fut le cas pour la dispense d’avoir plusieurs épouses, mais en vue d’empêcher un plus grand mal, à savoir, le meurtre de l’épouse, auquel les Juifs étaient enclins en raison d’une corruption de leur irascible, de la même manière qu’il leur a été permis de prêter à intérêt aux étrangers en raison d’une corruption de leur concupiscible, pour éviter qu’ils ne prêtent à intérêt à leurs frères, et de même qu’en raison d’une corruption du soupçon, leur fut permis par le pectoral un sacrifice de jalousie, de crainte que le seul soupçon ne corrompe chez eux le jugement. Mais parce que la loi ancienne, bien qu’elle n’ait pas conféré la grâce, existait cependant pour montrer le péché afin qu’ils soient généralement appelés saints, il semble aux autres que s’ils avaient péché en renvoyant leur épouse, cela aurait dû au moins leur être indiqué par la loi ou les prophètes. Is 58, 1 : Annonce au peuple ses péchés. Autrement, ils sembleraient avoir été trop délaissés, si ne leur avait jamais été annoncé ce qui est nécessaire au salut et qu’ils ne connaissaient pas, ce qu’on ne peut dire, puisque la justice de la loi observée en son temps méritait la vie éternelle. Pour cette raison ils disent que, bien que répudier sa femme soit mal en soi, cependant, par permission divine, cela devenait permis ; et ils confirment cela par l’autorité de [Jean] Chrysostome, qui dit que le législateur a enlevé la faute du péché en permettant la répudiation. Et bien que cela soit dit de manière probable, la première position est cependant soutenue de manière plus générale ; c’est pourquoi il faut répondre aux deux arguments.

[20032] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquis qui potest prohibere, non peccat, si a prohibitione abstineat non sperans correctionem, sed magis malum aestimans ex tali prohibitione occasionem sumere ; et sic accidit Moysi ; unde divina auctoritate fretus libellum repudii non prohibuit.

1. Celui qui peut défendre ne pèche pas s’il s’abstient de défendre alors qu’il n’espère pas de correction, mais estime plutôt qu’on prendra dans cette interdiction une occasion de mal. Ainsi cela a-t-il été le cas pour Moïse. Aussi, persuadé par l’autorité divine, n’a-t-il pas interdit l’acte de répudiation.

[20033] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prophetae spiritu sancto inspirati non dicebant dimittendam esse uxorem quasi spiritus sancti praeceptum sit ; sed quasi permissum, ne mala pejora fierent.

2. Les prophètes inspirés par l’Esprit Saint ne disaient pas qu’il fallait répudier son épouse comme si c’était là un commandement de l’Esprit Saint, mais comme si cela était permis, de crainte que de plus grands maux ne surviennent.

[20034] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa permissionis similitudo non est intelligenda quantum ad causam eamdem ; quia utraque permissio ad vitandam turpitudinem facta est.

3. Cette ressemblance avec une permission ne doit pas être comprise par rapport à la même cause, car les deux permissions ont été données pour éviter la honte.

[20035] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis duritia cordis non excusaret a peccato, tamen permissio ex duritia facta excusat ; quaedam enim prohibentur sanis quae non prohibentur infirmis corporaliter ; nec tamen infirmi peccant permissione sibi facta utentes.

4. Bien que la dureté de cœur n’excuse pas du péché, la permission donnée en raison de la dureté de cœur l’excuse cependant. En effet, certaines choses sont interdites aux gens en santé qui ne sont pas interdites aux malades ; cependant, les malades ne pèchent pas en faisant usage de la permission qui leur a été donnée.

[20036] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquod bonum potest intermitti dupliciter. Uno modo propter aliquod majus bonum consequendum ; et tunc intermissio illius boni ex ordine ad majus bonum accipit honestatem, sicut intermittebatur singularitas uxoris honeste a Jacob propter bonum prolis. Alio modo bonum aliquod intermittitur ad vitandum majus malum ; et tunc si auctoritate ejus qui dispensare potest, hoc fiat, reatum talis boni intermissio non habet ; sed honestatem etiam non acquirit ; et sic indivisibilitas matrimonii in lege Moysi intermittebatur propter majus malum vitandum, scilicet uxoricidium : et ideo Chrysostomus dicit, ut Sup., quod a peccato abstulit culpam. Quamvis enim inordinatio maneret in repudio, ex quo peccatum dicitur ; tamen reatum poenae non habebat neque temporalis neque perpetuae, inquantum divina dispensatione fiebat, et sic erat ab eo culpa ablata ; et ideo etiam ipse ibidem dicit, quod permissum est repudium, non malum quidem, tamen illicitum ; quod quidem illi qui sunt de prima opinione referunt ad hoc tantum quod habebat reatum temporalis poenae.

5. On dit qu’un bien est omis de deux manières. D’une manière, afin de poursuivre un bien plus grand : l’omission de ce bien reçoit alors une bonté par son ordre à un bien plus grand, comme la singularité de l’épouse était omise en bien par Jacob en raison du bien de la descendance. D’une autre manière, [un bien] est omis afin d’éviter un plus grand mal : si cela est alors fait avec l’autorisation de celui qui peut dispenser, l’omission d’un tel bien ne comporte pas de faute, mais elle n’acquiert pas non plus de bonté, et ainsi l’indivisibilité du mariage sous la loi de Moïse était-il suspendue pour éviter un plus grand mal, le meurtre de l’épouse. C’est pourquoi [Jean] Chrysostome dit, comme plus haut, qu’il a enlevé du péché la faute. En effet, bien que le désordre demeurait dans la répudiation, en vertu de quoi elle est appelée un péché, il ne comportait cependant pas la culpabilité d’une peine ni temporelle ni perpétuelle, pour autant que cela était accompli selon une dispense divine, et ainsi la faute en était-elle enlevée. C’est pourquoi lui-même dit au même endroit que la répudiation a été permise, non pas comme un mal, mais cependant comme quelque chose de défendu. Ceux qui sont de la première opinion rapportent cela au seul fait qu’il était coupable d’une peine temporelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20037] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum primam opinionem uxor peccabat, post repudium alteri viro conjuncta ; quia adhuc matrimonium primum non erat solutum. Mulier enim quanto tempore vivit, alligata est lege viri, ut patet Rom. 7. Non autem poterat simul plures viros habere. Sed secundum aliam opinionem, sicut licebat ex dispensatione divina viro uxorem repudiare, ita uxori alium virum ducere ; quia inseparabilitas matrimonii ex causa divinae dispensationis tollebatur, qua inseparabilitate manente intelligitur verbum apostoli.

Selon la première opinion, l’épouse péchait en s’unissant à un autre homme après la répudiation, car le premier mariage n’était pas encore dissous. En effet, la femme, aussi longtemps qu’il vivait, était liée par la loi du mari, comme cela ressort de Rm 7. Or, elle ne pouvait avoir plusieurs maris en même temps. Mais, selon l’autre opinion, de même qu’il était permis au mari par une dispense divine de répudier son épouse, de même était-il permis à l’épouse de prendre un autre mari, car l’inséparabilité du mariage était levée en raison d’une dispense divine ; la parole de l’Apôtre s’entend de la persistance de l’inséparabilité.

[20038] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ut ergo ad utrasque rationes respondeamus, dicendum ad primum, quod viro licebat plures uxores simul habere secundum dispensationem divinam ; et ideo una dimissa, etiam matrimonio non soluto, poterat aliam ducere. Sed nunquam uxori licuit habere plures viros ; et ideo non est simile.

1. Pour répondre aux deux arguments, il faut dire en premier lieu qu’il était permis d’avoir plusieurs épouses en même temps selon une dispense divine. C’est pourquoi, si l’une était renvoyée, même si le mariage n’était pas dissous, elle pouvait en prendre un autre. Mais il n’a jamais été permis à une épouse d’avoir plusieurs hommes. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose.

[20039] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illo verbo Augustini mos non ponitur pro consuetudine, sed pro actu honesto, secundum quod a more aliquis dicitur morigeratus, quia est bonorum morum, vel sicut a more philosophia moralis nominatur.

2. Dans cette parole d’Augustin, l’usage n’est pas présenté comme la coutume, mais comme un acte acceptable, selon lequel on disait de quelqu’un qu’il se conformait [morigeratus] à l’usage [a more], car il avait un bon comportement, ou bien comme la philosophie morale tire son nom du comportement [a more].

[20040] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dominus Matth. 5, ostendit novam legem abundare per consilia ad veterem, non solum quantum ad ea quae lex vetus licita faciebat, sed etiam quantum ad ea quae in veteri lege illicita erant, sed a multis licita putabantur per non rectam praeceptorum expositionem ; sicut patet de odio inimici ; et ita est etiam de repudio.

3. En Mt 5, le Seigneur montre que la loi nouvelle dépasse l’ancienne par les conseils, non seulement à propos de ce que la loi ancienne permettait, mais aussi à propos de ce qui était défendu dans la loi ancienne, mais qui était cru permis par beaucoup selon une mauvaise explication des commandements, comme cela ressort pour la haine de l’ennemi. Ainsi en est-il de la répudiation.

[20041] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum domini intelligitur quantum ad tempus legis novae in quo dicta permissio est sublata ; et sic etiam intelligitur verbum quoddam Chrysostomi, qui dicit, quod qui secundum legem dimittit uxorem, quatuor facit iniquitates ; quia quo ad Deum existit homicida, inquantum habet propositum occidendi uxorem, nisi eam dimitteret ; et quia dimittit non fornicantem, in quo solo casu lex Evangelii uxorem dimittere permittit ; et similiter quia facit eam adulteram, et illum cui copulatur.

4. La parole du Seigneur s’entend du temps de la loi nouvelle où ladite permission est supprimée. Ainsi s’entend aussi une parole de [Jean] Chrysostome, qui dit que celui qui renvoie son épouse selon la loi, commet quatre fautes : au regard de Dieu, il est un homicide, dans la mesure où il a l’intention de tuer son épouse, s’il ne la renvoie pas ; et parce qu’il la renvoie alors qu’elle commet pas d’adultère, seul cas où la loi de l’évangile permet de renvoyer une épouse ; de même aussi, parce qu’il la rend adultère, ainsi que celui à qui elle s’unit.

[20042] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidam interlinealis dicit, Deuter. 24 : polluta est, et abominabilis ; scilicet illius judicio qui quasi pollutam eam prius dimisit ; et sic non oportet quod sit polluta simpliciter. Vel dicitur polluta illo modo quo immundus dicebatur qui mortuum tangebat vel leprosum ; non immunditia culpae, sed cujusdam irregularitatis legalis ; unde et sacerdoti non licebat viduam et repudiatam ducere in uxorem.

5. Une [glose] interlinéaire dit, à propos de Dt 24 : « Elle a été souillée et rendue horrible, à savoir par le jugement qui l’a d’abord renvoyée comme si elle était souillée » ; ainsi, il n’est pas nécessaire qu’elle soit tout simplement souillée. Ou bien on la dit souillée à la manière dont on disait impur celui qui touchait un mort ou un lépreux, non pas en raison de la souillure d’une faute, mais en raison d’une irrégularité légale. De là vient qu’il n’était pas permis à un prêtre de prendre comme épouse une veuve et une femme répudiée.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[20043] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in lege de libello repudii duo erant permissa ; scilicet dimittere uxorem, et uxorem dimissam alteri jungi ; et duo praecepta ; scilicet Scriptura libelli repudii, et quod iterum maritus repudians eam accipere non possit ; quod quidem, secundum eos qui primam opinionem tenent, factum fuit in poenam mulieris quae alteri nupsit, et in hoc peccato polluta est ; sed secundum alios, ut vir non de facili uxorem repudiaret, quam postea nullo modo recuperare posset.

Dans la loi, deux choses étaient permises à propos de la répudiation : renvoyer son épouse et que l’épouse renvoyée soit unie à un autre. Et les deux choses étaient des préceptes : la rédaction de l’acte de répudiation, et le fait que le mari ne puisse pas la reprendre. Selon les tenants de la première opinion, cela fut donné comme peine à la femme qui en épousait un autre : elle était souillée par ce péché. Mais, selon les autres, [cela a été fait] pour que le mari ne répudie pas facilement son épouse, qu’il ne pouvait récupérer facilement par la suite.

[20044] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad illius mali impedimentum quod committebat aliquis repudiando uxorem, ordinabatur quod vir uxorem repudiatam assumere non posset iterato, ut patet ex dictis ; et ideo divinitus ordinatum fuit.

1. Pour empêcher le mal que quelqu’un commettait en renvoyant son épouse, il était ordonné que le mari ne puisse pas reprendre [son épouse] répudiée, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi cela a été ordonné par Dieu.

[20045] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod semper licuit indulgere peccanti quantum ad rancorem cordis ; sed non quantum ad poenam divinitus taxatam.

2. Il a toujours été permis d’être indulgent vis à vis du pécheur pour ce qui est du regret de son cœur, mais non pour ce qui est de la peine fixée par Dieu.

[20046] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod licuit uxorem repudiatam viro reconciliari, nisi matrimonio alteri viro juncta esset : tunc enim propter adulterium, cui mulier voluntarie se subdit, in poenam ei dabatur quod ad priorem virum non rediret. Sed quia lex universaliter prohibet, ideo dicunt alii, quod etiam ante quam alteri nuberet, non poterat revocari, ex quo repudiata erat : quia pollutio non intelligitur quantum ad culpam, sed ut dictum est.

3. À ce propos, il existe une double opinion. En effet, certains disent qu’il était permis à l’épouse répudiée de se réconcilier avec son mari, si elle n’était pas unie à un autre mari par le mariage. En effet, il lui était donné comme peine de ne pas pouvoir revenir à son premier mari, en raison de l’adultère auquel la femme s’était soumise volontairement. Mais parce que la loi interdit universellement, c’est la raison pour laquelle d’autres disent que même avant qu’elle n’en ait épousé un autre, elle ne pouvait être rappelée du fait qu’elle avait été répudiée, car la souillure ne s’entend pas par rapport à la faute, mais comme on l’a dit.

 

 

Articulus 3

[20047] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 tit. Utrum causa repudii fuerit odium uxoris

Article 3 – La cause de la répudiation était-elle la haine de son épouse ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La cause de la répudiation était-elle la haine de l’épouse ?]

[20048] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod causa repudii fuerit odium uxoris, secundum hoc quod dicitur Malach. 2, 16 : si odio habueris eam, dimitte illam.

1. Il semble que la cause de la répudiation était la haine de l’épouse, selon ce qui est dit en Mt 2, 16 : Si tu la hais, renvoie-la.

[20049] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Deuteronom. 24, 1, dicitur : cum non invenerit gratiam in oculis ejus propter aliquam foeditatem, scribet libellum repudii. Ergo idem quod prius.

 

[20050] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Sed contra, sterilitas et fornicatio magis contrariantur matrimonio quam odium. Ergo illa potius debuerunt esse causa repudii quam odium.

2. Il est dit dans Dt 24, 1 : Lorsqu’elle n'aura pas trouvé grâce à ses yeux en raison d’une difformité, il lui rédigera un acte de répudiation. La conclusion est donc la même que précédemment.

 

3. Cependant, la stérilité et l’adultère sont davantage contraires au mariage que la haine. Ils devaient donc être davantage une cause de répudiation que la haine.

[20051] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, odium potest creari ex virtute ejus qui odio habetur. Si ergo odium est sufficiens causa, tunc mulier posset repudiari propter virtutem suam ; quod est absurdum.

4. La haine peut venir de la vertu de celui qui est objet de haine. Si la haine est une cause suffisante, une femme pourrait donc être répudiée pour sa vertu, ce qui est absurde.

[20052] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, Deuteronom. 22, dicitur : si duxerit vir uxorem suam, et postea odio eam habuerit, et objecerit ei stuprum aut conjugium ; si in probatione defecerit, verberabitur, et centum siclis argenti condemnabitur, et non poterit eam dimittere omni tempore vitae suae. Ergo odium non est causa sufficiens repudii.

5. Il est dit en Dt 22 : Si un mari prend une épouse et par la suite la prend en haine et lui reproche un déshonneur ou un mariage, et s’il est incapable d'en fournir la preuve, il sera roué de coups et condamné à cent sicles d'argent, et il ne pourra pas la renvoyer pendant toute la durée de sa vie. La haine n’est donc pas une cause suffisante de répudiation.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les raisons de la répudiation devaient-elles être écrites dans l’acte de répudiation ?]

[20053] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod repudii causae debebant in libello scribi. Quia per libellum repudii scriptum a poena legis absolvebatur. Sed hoc omnino videtur injustum, nisi causis sufficientibus repudii assignatis. Ergo oportebat illas scribere in libello.

1. Il semble que les raisons de la répudiation devaient être écrites dans l’acte de répudiation, car, par l’acte écrit de répudiation, la femme était exemptée de la peine prévue par la loi. Or, cela semble tout à fait injuste, à moins que les causes suffisantes de la répudiation ne soient indiquées. Il était donc nécessaire de les écrire dans l’acte.

[20054] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad nihil illa scripta valere videbantur nisi ut causae repudii ostenderentur. Ergo si non inscribebantur, frustra libellus ille sibi tradebatur.

2. Ces écrits ne paraissaient avoir aucune valeur si ce n’était pour montrer les causes de la répudiation. Si elles n’étaient pas écrites, l’acte lui était donc donné en vain.

[20055] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc Magister dicit in littera.

3. Le Maître dit cela dans le texte.

[20056] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, causae repudii aut erant sufficientes, aut non. Si sufficientes, praecludebatur mulieri via ad secundas nuptias, quae ei secundum legem concedebantur. Si autem insufficientes, ostendebatur injustum repudium ; et sic repudium fieri non poterat. Ergo nullo modo causae repudii inscribebantur.

Cependant, soit les raisons de la répudiation étaient suffisantes, soit elles ne l’étaient pas. Si elles étaient suffisantes, le chemin vers de secondes noces, qui lui était accordé selon la loi, était fermé à la femme. Mais si elles étaient insuffisantes, cela montrait que la répudiation était injuste, et ainsi la répudiation ne pouvait être faite. Les raisons de la répudiation n’étaient donc données par écrit d’aucune manière.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20057] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod causa permissionis repudiandi uxorem fuit vitatio uxoricidii, ut sancti communiter dicunt. Proxima autem causa homicidii est odium ; et ideo proxima causa repudii est odium. Sed odium ex aliqua causa causatur, sicut et amor ; et ideo etiam oportet alias causas repudii ponere remotas, quae erant causa odii. Dicit autem Augustinus in Glossa, Deuteron. 24 : multae erant in lege causae dimittendi uxores : Christus solam fornicationem excipit ; ceteras molestias jubet pro fide et castitate conjugii sustineri. Hae autem causae intelliguntur foeditates in corpore, puta infirmitas, vel aliqua notabilis macula ; vel in anima, sicut fornicatio, vel aliquid hujusmodi, quod in moribus inhonestatem facit. Sed quidam has causas magis coarctant, satis probabiliter dicentes, quod non licebat uxorem repudiare nisi propter aliquam causam post matrimonium supervenientem ; nec propter quamlibet talem, sed propter illas solum quae possunt bonum prolis impedire, vel in corpore, ut sterilitas aut lepra, vel aliquid hujusmodi ; vel in anima, ut si esset malorum morum, quos filii ex conversatione ad ipsam imitarentur. Sed quaedam Glossa super illud Deuteron. 24 : cum non invenerit gratiam etc., videtur magis arctare, scilicet ad peccatum, cum dicit ibi, per foeditatem peccatum intelligi. Sed peccatum Glossa nominat non solum in moribus animae, sed etiam in natura corporis.

La raison de la permission de répudier son épouse était l’évitement du meurtre de l’épouse, comme le disent généralement les saints. Or, la cause prochaine de l’homicide est la haine. La cause prochaine de la répudiation est donc la haine. Mais la haine est causée par une cause, comme l’est l’amour. Il est donc nécessaire de donner d’autres causes éloignées de la répudiation, qui étaient la cause de la haine. Or, Augustin dit dans une glose sur Dt 24: « Il existait dans la loi plusieurs raisons pour renvoyer des épouses ; le Christ ne fait exception que pour l’adultère seulement et il ordonne de supporter les autres ennuis en raison de la foi et de la chasteté du mariage. » On comprend que ces autres raisons sont des difformités du corps ou une flétrissure notoire, soit de l’âme, comme l’adultère ou quelque chose de ce genre, qui rend mauvais un comportement. Mais certains restreignent davantage ces raisons, en disant avec un assez grande probabilité qu’il n’était permis de répudier son épouse que pour une raison survenant après le mariage, et encore là, non pas pour n’importe quelle raison, mais seulement pour celles qui peuvent empêcher le bien de la descendance, soit par le corps, comme la stérilité, la lèpre ou quelque chose de ce genre, soit par l’âme, comme si elle était de mauvaises mœurs, que les enfants imiteraient en la fréquentant. Mais une glose sur Dt 24: Lorsqu’elle ne trouvera pas grâce, etc., semble restreindre [cette cause] au péché, lorsqu’elle dit en cet endroit que par difformité, il faut entendre le péché. Mais la Glose utilise le mot de péché non seulement pour le mœurs de l’âme, mais aussi pour la nature du corps.

[20058] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Sic ergo prima duo concedimus.

1-2. Nous concédons donc les deux premiers arguments.

[20059] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sterilitas, et alia hujusmodi, sunt causa odii ; et sic sunt causae remotae.

3. La stérilité et les autres choses de ce genre sont une cause de haine. Elles sont ainsi des causes éloignées.

[20060] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod propter virtutem non est aliquis odibilis, per se loquendo ; quia bonitas causa est amoris ; et ideo ratio non sequitur.

4. À parler de soi, quelqu’un ne devient pas objet de haine en raison de la vertu, car la bonté est une raison d’aimer. L’argument n’est donc pas concluant.

[20061] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc dabatur in poenam viri, quod non posset in perpetuum repudiare uxorem in casu illo, sicut etiam in alio casu, quando puellam defloraverat.

5. Il était donné comme peine au mari de ne pouvoir jamais répudier son épouse dans ce cas, comme aussi dans un autre cas, lorsqu’il avait défloré une jeune fille.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20062] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod causae repudii in speciali non scribebantur in libello, sed in generali, ut ostenderetur justum repudium. Sed secundum Josephum, ut mulier habens libellum conscriptum de repudio alteri posset nubere : alias enim ei traditum non fuisset ; unde, secundum eum, erat Scriptura talis : promitto tibi quod nunquam tecum conveniam. Sed secundum Augustinum, ideo libellus scribebatur, ut mora interveniente, et consilio Scribarum dissuadente, vir a proposito repudiandi desisteret.

Les causes de la répudiation n’étaient pas écrites en détail dans l’acte, mais d’une manière générale, afin de montrer que la répudiation était juste, mais, selon Josèphe, de telle sorte que la femme qui avait un acte écrit de répudiation puisse marier un autre homme, autrement il ne lui aurait pas été donné. Aussi, selon lui, le texte était le suivant : « Je promets que je ne t’approcherai jamais. » Mais, selon Augustin, l’acte était écrit afin que, avec le passage du temps et sur conseil des scribes qui l’en dissuadaient, le mari abandonne son intention de répudier.

[20063] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 2 a. 3 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Quaestio 3

 

Question 3 – [La virginité]

Prooemium

Prologue

[20064] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 pr. Deinde quaeritur de virginitate ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 quid sit virginitas ; 2 utrum sit virtus ; 3 de comparatione ejus ad alias virtutes.

Ensuite, on s’interroge sur la virginité. À ce propos, quatre questions sont posées: 1 – Qu’est-ce que la virginité ? 2 – Est-elle une vertu ? 3 – Comment se compare-t-elle aux autres vertus ?

 

 

Articulus 1

[20065] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 tit. Utrum virginitas sit perpetua meditatio incorruptionis in carne corruptibili

Article 1 – La virginité est-elle « le propos perpétuel de rester non corrompu dans une chair corruptible » ?

[20066] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod virginitas non sit in carne corruptibili incorruptionis perpetua meditatio, ut Augustinus dicit in Lib. de nuptiis et concupiscentia. Quia post resurrectionem sanctae virgines suam virginitatem non amittent. Sed tunc non erunt in carne corruptibili. Ergo corruptibilitas carnis non debet poni in definitione virginitatis.

1. Il semble que la virginité ne soit pas « le propos perpétuel de rester non corrompu dans une chair corruptible », comme le dit Augustin dans le livre Sur les noces et la concupiscence, car, après la résurrection, les vierges saintes ne perdront pas leur virginité. Or, elles ne seront pas alors dans une chair incorruptible. L’incorruptibilité de la chair ne doit donc pas être mise dans la définition de la virginité.

[20067] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, virginitas ponitur pars continentiae, quae ad temperantiam reducitur. Sed meditatio non est actus temperantiae, sed magis intellectualium virtutum. Ergo non debet poni tamquam genus virginitatis.

2. La virginité est donnée comme une partie de la tempérance. Or, le propos n’est pas un acte de la tempérance, mais plutôt de vertus intellectuelles. Il ne doit donc pas être donné comme genre de la virginité.

[20068] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, virginitas non est firmius bonum quam caritas aut aliae virtutes, immo magis fragile. Sed perpetuitas non est de ratione caritatis : alias caritatem semel habitam non contingeret amittere ; quod in 3 Lib., dist. 31, quaest. 1, art. 1, improbatum est. Ergo nec perpetuitas in definitione virginitatis poni debet.

3. La virginité n’est pas un bien plus affermi que la charité ou les autres vertus, bien plus, elle est plus fragile. Or, la perpétuité ne fait pas partie de la charité, autrement la charité une fois possédée ne pourrait être perdue, ce qui a été réfuté dans le livre III, d. 31, q. 1, a. 1. La perpétuité ne doit donc non plus être mise dans la définition de la virginité.

[20069] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, incorruptionis perpetua meditatio tollitur per corruptionem mentis, de qua dicitur Matth. 5, 28 : qui viderit mulierem ad concupiscendam eam, jam moechatus est eam in corde suo. Sed per hoc non tollitur virginitas : quia talis corruptio reparari potest, non autem virginitas, ut in littera dicitur. Ergo virginitas non est perpetua incorruptionis meditatio.

4. Le propos perpétuel de rester incorruptible est enlevé par la corruption de l’esprit, dont il est dit en Mt 5, 28 : Celui qui voit une femme et la désire est déjà adultère dans son cœur. Or, la virginité n’est pas enlevée par cela, car une telle corruption peut être réparée, mais non la virginité, comme il est dit dans le texte. La virginité n’est donc pas un propos perpétuel de rester incorrompu.

[20070] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, perpetua incorruptionis meditatio sine concubitu perditur non solum mente, sed etiam carne, sicut patet in peccatis contra naturam. Sed sine concubitu virginitas non perditur : quia, ut Augustinus dicit in libro de virginitate, virginitas est per piam continentiam ab omni concubitu immunitas. Ergo idem quod prius.

5. Le propos perpétuel de demeurer incorrompu est perdu sans union charnelle non seulement en esprit, mais aussi dans la chair, comme cela ressort pour les péchés contre nature. Or, la virginité n’est pas perdue sans union charnelle, car, comme le dit Augustin dans le livre Sur la virginité, « la virginité est l’absence de toute union charnelle grâce à une pieuse continence ». La conclusion est donc la même que précédemment.

[20071] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, Ambrosius dicit in Libr. de virginitate, quod virginitas est expers contagionis integritas. Sed contaminatur corpus per pollutionem nocturnam. Ergo virginitas secundum hoc amittitur ; non autem perpetua incorruptionis meditatio perditur : ergo et cetera.

6. Ambroise dit dans le livre Sur la virginité, que « la virginité est une intégrité exempte de contagion ». Or, le corps est contaminé par la pollution nocturne. La virginité est donc ainsi perdue, mais le propos perpétuel de demeurer incorrompu n’est pas perdu. Donc, etc.

[20072] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, virginitas potest per violentiam auferri : alias ille qui contraheret cum illa quae per violentiam ab alio defloratur, non efficeretur irregularis. Non autem perpetua incorruptionis meditatio. Ergo idem quod prius.

7. La virginité peut être perdue par violence, autrement celui qui contracterait avec celle qui a été déflorée par un autre par violence ne deviendrait pas irrégulier. Or, le propos perpétuel de demeurer incorrompu [n’est pas enlevé par la violence]. La conclusion est donc la même que précédemment.

[20073] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod virginitas, ut ex dictis Ambrosii patet, integritas quaedam est ; unde per privationem corruptionis dicitur, quae in actu generationis accidit ; ubi triplex corruptio est. Una corporalis tantum, in hoc quod claustra pudoris franguntur. Alia spiritualis et corporalis simul, ex hoc quod per decisionem et motum seminis, in sensu delectatio generatur. Tertia est spiritualis tantum, ex hoc quod ratio huic delectationi se subjicit, in qua integritatem perdit quantum ad actum : quia impossibile est aliquid intelligere in ipsa, ut philosophus dicit in libro 7 Ethicor. ; unde ipsa rationis absorptio corruptio dicitur. Haec autem tertia corruptio non est rationis actus, sed quaedam passio, per accidens ei conveniens ex passione inferioris partis, sicut per somnum vel phrenesim et alias passiones corporales contingit rationis actum impediri per accidens. Cum ergo virtus et vitium in actu rationis consentientis et dissentientis perficiatur ; in omnibus praedictis corruptionibus non invenitur sufficiens ratio vitii aut virtutis ; sed oportet addere rationis consensum vel dissensum. Et quia virginitas in genere moris est pertinens ad virtutem ; ideo dicit Lucia, quod non inquinatur corpus nisi de consensu mentis, inquinatione scilicet quae virginitatis puritati opponitur. Prima ergo corruptio, quae est corporalis tantum, non est materia virtutis vel vitii, nisi per accidens mediante aliqua animae passione ; unde si per aliquam incisionem claustra pudoris rumpantur, non majus detrimentum virginitati inerit quam si pes aut manus gladio incideretur. Sed secunda et tertia corruptio sunt materia virginitatis et oppositi ejus, sicut et aliae passiones animae sunt materia virtutum moralium et oppositorum vitiorum. Sed in actu rationis eligentis vel repudiantis corruptiones praedictas finaliter perficitur inquinatio quam virginitas privat, et per consequens ipsa virginitas ; et ideo Augustinus in definitione praedicta posuit hoc quod ex parte rationis se habet ; scilicet meditationem, quasi virginitatis genus, ponens actum pro habitu, sicut frequenter fieri solet ; incorruptionem autem posuit quasi objectum sive materiam ; sed addit subjectum determinatum per hoc quod dicit : in carne corruptibili ; quia privatio et habitus nata sunt fieri circa idem.

Réponse

Comme cela ressort des paroles d’Ambroise, la virginité est une certaine intégrité ; aussi en parle-t-on selon la privation de la corruption qui se produit dans l’acte de la génération, où il y a une triple privation. L’une, corporelle seulement, du fait que l’hymen est rompu. Une autre, à la fois spirituelle et corporelle, du fait que par la séparation et le mouvement de la semence, un plaisir est engendré dans le sens. Une troisième est spirituelle seulement, du fait que la raison se soumet à cette délectation, par quoi elle perd son intégrité pour ce qui est de son acte, car il est impossible de comprendre quelque chose pendant celle-ci, comme le Philosophe le dit dans Éthique, VII. Aussi l’absorption de la raison est-elle appelée une corruption. Or, cette troisième corruption n’est pas un acte de la raison, mais une passion, qui lui est associée par accident en raison d’une passion d’une partie inférieure, comme il arrive que l’acte de la raison soit empêché par accident par le sommeil, le délire et les autres passions corporelles. Puisque la vertu et le vice se réalisent par l’acte de la raison qui consent ou refuse, on ne trouve donc pas un caractère suffisant de vertu ou de vice dans toutes les corruptions mentionnées, mais il faut y ajouter le consentement ou le refus de la raison. Et parce que la virginité est en rapport avec la vertu dans le genre moral, c’est pourquoi Lucie dit que le corps n’est souillé que par le consentement de l’esprit, à savoir d’une souillure qui s’oppose à la pureté de la virginité. La première corruption, qui est corporelle seulement, n’est donc matière à vertu ou à vice que par l’interposition accidentelle d’une passion de l’âme. Ainsi, si l’hymen est rompu par une incision, il n’y aura pas davantage de préjudice pour la virginité que si le pied ou la main étaient coupés par un glaive. Mais la deuxième et la troisième corruption sont la matière de la virginité et de ce qui lui est opposé, comme les autres passions de l’âme sont la matière des vertus morales et des vices qui s’y opposent. Or, c’est dans l’acte de la raison qui choisit ou refuse les corruptions mentionnées que se réalise finalement la souillure dont prive la virginité et, par conséquent, la virginité elle-même. C’est pourquoi Augustin, dans la définition donnée plus haut, a mis ce qui se situe du côté de la raison, à savoir, le propos, comme genre de la virginité, en donnant l’acte pour l’habitus, comme on a souvent l’habitude de le faire ; mais il a mis l’absence de corruption comme objet ou matière ; il ajoute cependant un sujet déterminé lorsqu’il dit : « dans une chair corruptible », car la privation et l’habitus portent par nature sur la même chose.

[20074] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis post resurrectionem sancti carnis corruptionem non habeant ; habent tamen naturam carnis, quae corruptibilis fuit ; et ideo in eis esse poterit virginitas sicut in subjecto ; non autem in Angelis, in quibus corruptio quam virginitas privat, nata esse non fuit ; et praecipue hoc ad rationem virginitatis sufficit, quae non solum respicit quod praesens est, sed quod praeteritum est. Non enim est virgo ex hoc solum quod non corrumpitur, sed ex hoc etiam quod nunquam corrupta fuit.

1. Bien que, après la résurrection, les saints n’aient pas de corruption de la chair, ils possèdent néanmoins la nature de la chair, qui a été corruptible. La virginité pourra donc se trouver en eux comme dans un sujet, mais non chez les anges, chez lesquels la corruption dont prive la virginité ne pouvait pas exister. Et cela suffit au caractère de la virginité, qui ne concerne pas seulement ce qui est présent, mais ce qui est passé. En effet, elle n’est pas vierge seulement du fait qu’elle n’est pas corrompue, mais du fait qu’elle n’a jamais été corrompue.

[20075] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis actus moralis virtutis in voluntate perficiatur, tamen ratio formam virtutis in ea ponit, ut dicitur in 6 Ethic. ; et ideo quidam Socratici omnes virtutes scientias dicebant ; et hoc modo loquendi utitur hic Augustinus meditationem pro electione ponens.

2. Bien que l’acte de la vertu morale soit accompli par la volonté, la raison met cependant dans celle-ci la forme de la vertu, comme il est dit dans Éthique, VI. Certains socratiques disaient donc que toutes les vertus étaient des sciences. Augustin utilise ici cette manière de parler en mettant le propos pour le choix.

[20076] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in actu virtutis non solum requiritur discretio ex parte rationis, sed etiam firmitas quaedam ex habitu inclinante ad actum per modum naturae. Et sicut causae naturales, quantum est de se, ordinatae sunt immobiliter ad effectus proprios ; ratione cujus dicere possumus, lapis perpetuo descendit deorsum, quamvis hoc quandoque impediri possit : ita et habitus virtutis, quantum est de se, immobiliter ordinatur ad actum proprium, quamvis quandoque habens actum virtutis contrarium agat ; et ratione perpetuae immobilitatis consuevit poni perpetuum in definitionibus virtutum ; sicut in Princ. Digestorum dicitur, quod justitia est constans et perpetua voluntas ; et sic etiam Augustinus ponit perpetuum in definitione virginitatis, quamvis virginitatem quandoque habentes, eam amittant ; ut sic in praedicta definitione discretio electionis, quae est actus virginitatis, secundum quod ad genus pertinet moris, ex meditatione intelligatur ; sed immobilitas ex perpetuitate.

3. Dans l’acte de vertu, n’est pas nécessaire seulement le jugement du côté de la raison, mais aussi une certaine fermeté provenant d’un habitus inclinant à l’acte à la façon de la nature. Et de même que les causes naturelles ont été en elles-mêmes ordonnées de manière immuable à leurs effets propres (en raison de quoi nous pouvons dire que la pierre descend toujours vers le bas, bien que cela puisse parfois être empêché), de même l’habitus de la vertu est-il en lui-même ordonné de manière immuable à son acte propre, bien que parfois celui qui a l’acte de la vertu fasse le contraire. En raison de leur perpétuelle immuabilité, on a eu coutume de mettre « perpétuellement » dans les définitions des vertus, comme on dit, au début du Digeste, que « la justice est une volonté constante et perpétuelle ». De même aussi, Augustin met « perpétuellement » dans la définition de la virginité, bien que parfois ceux qui ont la virginité la perdent. Ainsi, dans la définition qui précède, le jugement du choix, qui est l’acte de la virginité, selon qu’elle se rapporte au genre moral, est compris dans le propos, mais l’immuabilité dans la perpétuité.

[20077] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod corruptio mentis, ut ex dictis accipi potest, est duplex. Una quae est quasi passio mentis, quando mens subditur delectationi quae in coitu solet accidere ; et quia haec delectatio completur in seminis distillatione, ideo talis corruptio mentis non potest accidere sine aliqua corruptione carnis, quae dicta est fieri per seminis decisionem. Alia autem est corruptio mentis, quae est actus ejus, scilicet consensus, aut electio praedictae corruptionis. Sed quia vires inferiores sequuntur motum superiorum ; ideo quandoque contingit quod ex actu mentis cogitantis de corruptione carnis, et intendentis delectationem ipsius experiri, calor excitatur in corpore, et semen distillat, et causatur delectatio, qua mens suffocatur sicut in coitu ; et tunc absque dubio virginitas est amissa. Si autem corruptio sistat in actu mentis consentientis, amittitur quidem virginitas secundum illud formale quod habet in mente, non autem ratione ejus quod est materiale in ipsa ; unde talis non potest dici virgo nisi materialiter. Et ideo haec virginitatis amissio potest recuperari ; non autem illa virginitatis amissio in qua etiam illud quod est materiale subtrahitur ; quia virginitas ex parte sui actus respicit tantum praesens aut futurum, sicut est in qualibet virtute ; electio enim aut praesens aut futurum respicit, non autem praeteritum ; sed ex parte materiae non solum praesens, sed praeteritum respicit. Dicitur enim virgo quae elegit incorruptionem, quae est materialis in virginitate, quam nunquam amisit, et habere et conservare intendit. Non autem exigitur quod nunquam contrariam electionem habuerit, sed quod nunquam contrariam corruptionem. Ex hoc autem virginitas amissa recuperari non potest, quia illud quod in praeteritum transit, recuperari non potest.

4. La corruption de l’esprit, comme on peut le conclure de ce qui a été dit, est double. L’une, qui est comme une passion de l’esprit, lorsque l’esprit est soumis à la délectation qui a coutume de se produire dans l’union charnelle. Et parce que cette délectation s’achève dans l’écoulement de la semence, une telle corruption de l’esprit ne peut se produire sans une corruption de la chair, dont on a dit qu’elle se produisait par le retranchement de la semence. Mais il existe une autre corruption de l’esprit, qui est son acte, à savoir, le consentement ou le choix de la corruption précédente. Mais parce que les puissances inférieures suivent le mouvement des puissances supérieures, il arrive parfois que, par l’acte de l’esprit qui pense à la corruption de la chair et qui tend à faire l’expérience du plaisir qu’elle procure, une chaleur est excitée dans le corps, provoque l’écoulement de la semence et le plaisir est causé, par lequel l’esprit est étouffé comme dans l’union charnelle. Alors, la virginité est sans aucun doute perdue. Mais si la corruption demeure dans l’acte de l’esprit qui consent, la virginité est perdue selon ce qu’elle a de formel dans l’esprit, mais non selon ce qui est matériel en elle. En conséquence, celui-là ne peut être dit vierge que matériellement. C’est pourquoi cette virginité perdue peut être retrouvée, mais non la virginité perdue dans laquelle ce qui est matériel est aussi disparu, car la virginité, du point de vue de son acte, ne concerne que le présent ou le futur, comme c’est le cas de toute vertu. En effet, le choix porte sur le présent ou le futur, mais non sur le passé ; mais, du point de vue de la matière, [la virginité] concerne non seulement le présent, mais le passé. En effet, on appelle vierge celui qui choisit l’incorruption, qui joue le rôle de matière dans la virginité, [incorruption] qu’il n’a jamais perdue et qu’il entend posséder et conserver. Mais il n’est pas requis qu’il n’ait jamais eu un choix contraire, mais [qu’il n’ait jamais eu] de corruption contraire. Mais la virginité perdue ne peut être récupérée, car ce qui arrivé dans le passé ne peut être récupéré.

[20078] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illae quae sine concubitu se corrumpunt, non est dubium quod virginitatem amittunt, etiam quantum ad id quod est materiale in ipsa ; quia etsi concubitus non adsit, adest tamen delectatio, quae in concubitu corruptionem virginitatis facit. Si autem luxuria contra naturam tempus perfectae aetatis praeveniat, cum non adsit seminis decisio, et per consequens nec delectatio completa mentem suffocans, non amittitur virginitas quantum ad id quod est materiale in ipsa.

5. Celles qui se corrompent sans union charnelle perdent sans aucun doute leur virginité, même pour ce qui est matériel en elle, car même s’il n’y a pas union charnelle, il y a quand même le plaisir qui cause la corruption de la virginité dans l’union charnelle. Mais si la luxure contre nature précède le moment de l’âge adulte, alors qu’il n’y a pas écoulement de la semence et, par conséquent non plus, pas de plaisir complet qui étouffe l’esprit, la virginité n’est pas perdue quant à ce qui est matériel en elle.

[20079] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod passiones partis sensitivae non possunt esse materia virtutis nisi secundum quod sunt ordinabiles a ratione in eis medium ponente, prout concupiscibilis et irascibilis obediunt rationi ; et ideo delectatio quae in somnis accidit cum seminis decisione, non est materia virtutis ; et propter hoc nec talis corruptio incorruptionem tollit, quae est virginitatis materia ; et ideo ratione talis pollutionis virginitas non perditur. Et similis ratio est de mulieribus quae dormientes et inebriatae aut amentes a viris cognoscuntur, nisi forte hac intentione dormitum irent, ut a viro cognoscerentur.

6. Les passions de la partie sensible ne peuvent être matière de vertu que selon qu’elles peuvent être ordonnées par la raison qui y établit un milieu, dans la mesure où le concupiscible et l’irascible obéissent à la raison. C’est pourquoi le plaisir qui se produit dans les rêves avec écoulement de semence n’est pas matière à vertu. Pour cette raison, une telle corruption n’enlève pas non plus l’incorruption, qui est la matière de la virginité. Ainsi, en raison d’une telle souillure, la virginité n’est pas perdue. Le même raisonnement s’applique aux femmes qui, en dormant ou en état d’ivresse ou de folie, sont connues par des hommes, sauf si elles se sont endormies avec l’intention d’être connues par un homme.

[20080] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illud cujus principium totaliter est extra, non est ordinabile a ratione ; et ideo eadem ratione nec illae quae per violentiam corrumpuntur sive ab homine, sive a Daemone incubo, virginitatem amittunt, si quantum possunt renitantur, ut conservent corpus a corruptione immune, vel saltem mentem contrariam consensui. Quia tamen in significationibus sacramentorum magis attenditur quod exterius geritur quam quod interius fit ; irregularitas quae ex defectu significationis in sacramento causatur, nihilominus induceretur in illum qui virginem defloratam violenter duceret in uxorem ; et praecipue cum propter delectationem nimiam ratio in actu illo suffocetur, difficillimum est tali delectationi dissentire in statu illo ; et ideo praesumptio videtur esse quod consenserit.

7. Ce dont le principe est entièrement extérieur ne peut être ordonné par la raison. C’est pourquoi, pour la même raison, les femmes qui sont corrompues par un homme ou un démon incube ne perdent pas non plus leur virginité, si elles résistent autant qu’elles le peuvent afin de préserver leur corps exempt de corruption ou, tout au moins, ont un esprit qui s’oppose au consentement. Cependant, parce que, dans les significations des sacrements, on considère davantage ce qui est accompli extérieurement que ce qui se réalise à l’intérieur, l’irrégularité qui provient d’une carence de la signification dans le sacrement affecterait néanmoins celui qui prendrait par violence comme épouse une vierge déflorée. Et parce que, en raison d’un plaisir trop grand, la raison est étouffée surtout dans cet acte, il est très difficile de s’opposer à un tel plaisir dans cet état. C’est pourquoi la présomption semble être qu’elle a consenti.

 

 

Articulus 2

[20081] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 tit. Utrum virginitas sit virtus

Article 2 – La virginité est-elle une vertu ?

[20082] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod virginitas non sit virtus. Omnis enim virtus consistit in medio. Sed virginitas non consistit in medio, sed maxime in extremo ; quia consistit in abstinendo ab omni delectabili, circa quod est castitas. Ergo non est virtus.

1. Il semble que la virginité ne soit pas une vertu. En effet, toute vertu consiste en un milieu. Or, la virginité ne consiste pas dans un milieu, mais plutôt dans un extrême, car elle consiste à s’abstenir de tout plaisir sur lequel porte la chasteté. Elle n’est donc pas une vertu.

[20083] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, virtutum usus, cum sint de jure naturali, omni tempore licuerunt. Sed in statu naturae conditae non licuisset virginitatem servare, quia esset contra praeceptum, ut habetur Gen. 1, 28 : crescite et multiplicamini ; similiter nec tempore legis Moysi, quando qui non relinquebat semen super terram, maledictioni legis subjacebat. Ergo virginitas non est virtus.

2. L’usage des vertus, puisqu’elles sont de droit naturel, a été permis en tout temps. Or, il n’aurait pas été permis aux femmes établies dans l’état de nature de conserver leur virginité, car cela aurait été contraire au commandement qu’on trouve en Gn 1, 28 : Croissez et multipliez-vous ! De même en aurait-il été au temps de la loi de Moïse, alors que celui qui ne laissait pas de descendance dans le pays était soumis à la malédiction de la loi. La virginité n’est donc pas une vertu.

[20084] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, nulla virtus est quae amitti possit sine peccato, et quae per poenitentiam non recuperetur. Sed virginitas amittitur sine peccato in actu matrimoniali, nec per poenitentiam potest recuperari. Ergo non est virtus.

3. Il n’existe aucune vertu qui puisse être enlevée sans un péché et qui ne soit récupérée par la pénitence. Or, la virginité est perdue sans péché dans l’acte du mariage et elle ne peut être récupérée par la pénitence. Elle n’est donc pas une vertu.

[20085] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnis virtus est habitus acquisitus vel infusus. Sed virginitas est in illis qui non habent aliquem habitum acquisitum vel infusum, sicut in pueris non baptizatis. Ergo non est virtus.

4. Toute vertu est un habitus acquis ou infus. Or, la virginité existent chez celles qui n’ont aucun habitus acquis ou infus, comme chez les enfants non baptisés. Elle n’est donc pas une vertu.

[20086] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad actum aliquem. Non autem virginitas ; sed magis importat privationem actus. Ergo non est virtus.

5. Toute vertu est ordonnée à un acte. Or, ce n’est pas le cas de la virginité, car elle comporte plutôt la privation d’un acte. Elle n’est donc pas une vertu.

[20087] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, qui habet unam virtutem, habet omnes. Sed qui caret virginitate, quandoque habet alias virtutes. Ergo virginitas non est virtus.

6. Celui qui possède une vertu les possède toutes. Or, celui à qui manque la virginité a parfois d’autres vertus. La virginité n’est donc pas une vertu.

[20088] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, virtute nullus male utitur. Sed virginitate aliquis male utitur, ut patet de virginibus fatuis, Matth. 25. Ergo non est virtus.

7. Personne ne fait un mauvais usage d’une vertu. Or, quelqu’un peut faire un mauvais usage de la virginité, comme cela ressort chez les vierges insensées, Mt 25. Elle n’est donc pas une vertu.

[20089] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, continentia virginalis dividitur contra matrimonialem et vidualem. Sed matrimonium non ponitur virtus, neque viduitas. Ergo neque virginitas est virtus.

8. La continence virginale s’oppose à la continence matrimoniale et à la continence du veuvage. Or, le mariage n’est pas présenté comme une vertu, ni le veuvage. La virginité n’est donc pas une vertu.

[20090] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7, 7 : unusquisque proprium donum habet ex Deo ; et loquitur de virginitate. Dona autem Dei spiritualia virtutes sunt. Ergo virginitas est virtus.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 7, 7 : Chacun reçoit de Dieu son propre don, et on parle de la virginité. Or, les dons de Dieu sont des vertus spirituelles. La virginité est donc une vertu.

[20091] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit in Lib. de virginitate : invitat virginitatis amor ut de virginitate aliquid dicamus, ne velut transitu quodam praeterita videatur quae principalis est virtus.

[2] Ambroise dit dans le livre Sur la virginité : « L’amour de la virginité nous invite à dire quelque chose de la virginité, de sorte qu’une vertu principale ne semble pas avoir été atteinte par la mort. »

[20092] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nihil meretur praemium nisi virtus. Sed virginitati debetur praemium, scilicet fructus centesimus, ut sancti dicunt, et aureola. Ergo est virtus.

[3] Rien ne mérite une récompense que la vertu. Or, une récompense est due à la virginité, à savoir, un fruit multiplié par cent, comme le disent les saints, et une auréole. Elle est donc une vertu.

[20093] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dationes et sumptus sunt materia liberalitatis, ita delectationes in venereis sunt materia castitatis et continentiae. In genere autem dationum magnitudo sumptuum exigit specialem virtutem, quae magnificentia vocatur, propter sui difficultatem. Et quia temperantia vel castitas in cohibendis delectationibus magnam habet difficultatem, ideo illud quod est praecipuum in ista materia, maximam habens difficultatem, scilicet ab omni corruptione carnalis delectationis immunitas, specialem virtutem exigit, quae virginitas dicitur ; unde si virginitas pro sui completa ratione, ut dictum est, accipiatur, sic virginitas est specialis virtus ; sic enim nihil aliud importat quam electionem conservandi incorruptionem ; et haec electio, si sit perfecta, ex aliquo habitu virtutis procedere debet. Tamen virginitas super hoc ponit statum virtutis, in quo habitus in actum exire possit. Non autem potest exire in actum electionis incorruptionem servandi, nisi sit incorrupta ; quia electio impossibilium non est ; impossibile autem est incorruptionem amissam recuperare. Sed materiam magnificentiae amissam possibile est recuperare ; et quantum ad hoc est dissimile de magnificentia et virginitate. Alii autem dicunt, quod virginitas non nominat virtutem, sed statum perfectum virtutis ; et hac ratione sancti quandoque eam virtutem nominant ; et secundum hanc opinionem facile est respondere ad objecta. Sustinendo tamen primam opinionem, respondendum est ad objecta.

Réponse

De même que les dons et les dépenses sont la matière de la libéralité, de même les plaisirs sexuels sont la matière de la chasteté et de la continence. Or, dans le genre des dons, la grandeur des dépenses requiert une vertu spéciale, qui s’appelle la magnificence, en raison de sa difficulté. Et parce que la tempérance ou la chasteté ont une grande difficulté à contenir les plaisirs, ce qui est principal en cette matière et comporte la plus grande difficulté, à savoir, la préservation de toute corruption du plaisir charnel, requiert une vertu spéciale qu’on appelle virginité. Si donc la virginité est entendue au sens complet, comme on l’a dit, la virginité est ainsi une vertu spéciale. En effet, elle ne comporte ainsi rien d’autre que le choix de conserver l’incorruption et ce choix, s’il est parfait, doit procéder de l’habitus d’une vertu. Cependant, la virginité ajoute à cela un état de vertu dans lequel l’habitus peut passer à l’acte. Or, [la virginité] ne peut passer à l’acte du choix de préserver son incorruption que si elle est incorrompue, car le choix ne porte pas sur ce qui est impossible. Or, il impossible de retrouver l’incorruption perdue. Mais il est possible de retrouver la matière perdue de la magnificence. Sur ce point, il existe une différence entre la magnificence et la virginité. Mais d’autres disent que la virginité ne désigne pas une vertu, mais l’état parfait d’une vertu. Pour cette raison, les saints l’appellent parfois une vertu. Et selon cette opinion, il est facile de répondre aux objections. Mais si l’on soutient la première opinion, il faut répondre aux objections.

[20094] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apud theologos, ut quidam dicunt, virtus non semper est in medio. Sed hoc dicentes ignorant quid sit medium virtutis. Cum enim medium virtutis accipiatur secundum rationem rectam ; si aliquid non sit in medio, non est secundum rationem rectam ; et sic non potest esse laudabile neque virtuosum. Et ideo dicendum est, quod virginitas est in medio rationis rectae ; quod quidem medium non accipitur semper secundum quantitatem ejus circa quod est virtus, quae quantitas est inter superfluum et diminutum, cum sint aliquae virtutes quae perveniant ad maximam quantitatem in propria materia, sicut nullus majoribus se dignificat quam magnanimus, nec aliquis majores sumptus facit quam magnificus, ut patet in 4 Ethic. ; sed accipitur secundum proportionem omnium circumstantiarum vestientium actum ; et sic ille qui maxima dona dat, in medio consistit in eo quod mediocritas servatur in dando cui debet et quod debet et propter quod debet ; et superfluum est in eo quod datur ubi non debet vel propter quod non debet, etiam si majora dentur. Similiter etiam virginitas, quamvis sit in ultimo extremi quantum ad id circa quod est, quia ab omni corrumpente delectatione abstinet ; tamen est in medio, inquantum alias debitas circumstantias mediocriter servat ; et superfluum esset, si aliquis servare vellet virginitatem quando non deberet, sicut tempore legis Moysi, vel propter quod non deberet, sicut virgines Vestales ; similiter secundum alias circumstantias.

1. Chez les théologiens, comme le disent certains, la vertu ne se situe pas toujours au milieu. Mais, en disant cela, ils ignorent ce qu’est le milieu de la vertu. En effet, puisque le milieu de la vertu est entendu selon la raison droite, si quelque chose ne se situe pas au milieu, cela n’est pas selon la raison droite, et ainsi, cela ne peut être louable ni vertueux. Il faut donc dire que la virginité se situe au milieu de la raison droite, milieu qui ne se prend pas de la quantité de ce sur quoi porte la vertu, quantité qui est suradondante ou réduite, puisqu’il existe certaines vertus qui atteignent la quantité la plus grande de leur matière : ainsi, personne ne se rend plus digne que le magnanime, et personne ne fait de dépenses plus grandes que celui qui pratique la magnificence, comme cela ressort d’Éthique, IV ; mais [le milieu de la vertu]se prend selon la proportion de toutes les circonstances qui revêtent un acte. Et ainsi, celui qui fait les dons les plus grands se tient au milieu du fait que le milieu est préservé en donnant à qui il doit, ce qu’il doit et selon la raison pour laquelle il le doit ; et le superflu consiste à donner là où on ne doit pas et pour une raison pour laquelle on ne le doit pas, même si on donne de plus grandes choses. De même aussi la virginité : bien qu’elle se situe au point ultime d’un extrême pour ce qui est de son objet, parce qu’elle s’abstient de tout plaisir corrupteur, elle se situe cependant au milieu pour autant qu’elle respecte le milieu des autres circonstances. Et il y aurait superflu si quelqu’un voulait observer la virginité quand il ne le devrait pas, comme au temps de Moïse, ou pour une raison pour laquelle il ne le devrait pas, comme les vierges vestales. Et de même, selon les autres circonstances.

[20095] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, medium virtutis accipitur secundum proportionem circumstantiarum ad rationem rectam ; et quia tempus est una de circumstantiis, non est inconveniens aliquid non esse licitum uno tempore, quod est licitum vel virtuosum si alio tempore fiat ; et ideo, si in tempore quo Deus ad multiplicationem generis humani vel cultus divini homines operi conjugali insistere volebat, aliquis proprio motu incorruptionem servasset, fuisset in extremo diminutionis ; quia abstinuisset a delectabili omni quando non debuisset ; sed postea, facta multiplicatione humani generis vel colentium Deum sufficienti, non peccasset virginitatem servans etiam in lege Moysi, vel in statu naturae integrae, si homo non peccasset ; nec fecisset contra praeceptum, quia multiplicatio poterat fieri per alios, sed super praeceptum.

2. Comme on l’a dit, de même que le milieu de la vertu se prend selon la proportion des circonstances par rapport à la raison droite, et parce que le temps est l’une des circonstances, il n’est pas inapproprié que quelque chose ne soit pas permis à un moment, qui est permis ou vertueux lorsqu’on l’accomplit à un autre moment. C’est pourquoi si quelqu’un, de sa propre initiative, avait observé l’incorruption à un moment où Dieu voulait que les hommes s’appliquent à l’action conjugale en vue de la multiplication du genre humain ou du culte divin, il se serait trouvé à l’extrême de la carence, car il se serait abstenu de toute plaisir alors qu’il ne le devait pas. Mais, par la suite, une fois réalisée une multiplication suffisante du genre humain ou de ceux qui rendaient un culte à Dieu, celui qui aurait observé la virginité n’aurait pas péché, même sous la loi de Moïse ou dans l’état de nature intègre, si l’homme n’avait pas péché ; il n’aurait pas non plus agi contre un commandement, car la multiplication pouvait être réalisée par d’autres, mais il aurait dépassé le commandement.

[20096] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod status ille virtutis quo virtus in actum suum exire possit, potest amitti sine peccato et cum peccato indifferenter ; tamen recuperatur per poenitentiam ; sicut aliquis ditissimus magnificus potest dare omnia sua pauperibus ; et sic sine peccato suo ei eveniret quod in actum exteriorem virtutis exire non poterit. Si autem in turpes usus facultates suas consumat, hoc erit cum peccato ; nec tamen per poenitentiam statum primum recuperabit. Et ideo virginitas, quae statum illum dicit virtutis in quo virtus possit exire in actum ; et per peccatum amittitur in fornicatione, et sine peccato in actu matrimoniali ; nec unquam per poenitentiam recuperatur.

3. Cet état de la vertu dans lequel la vertu peut passer à son acte peut être perdu sans péché et avec péché de manière indifférente ; cependant, il est retrouvé par la pénitence. Ainsi, un homme très riche peut dans sa magnificence donner tous ses biens aux pauvres ; et il pourrait ainsi lui arriver de ne pas pouvoir passer à l’acte extérieur de la vertu. Mais s’il consume des biens dans des usages honteux, cela sera par péché ; cependant, il ne retrouvera pas son état premier par la pénitence. C’est pourquoi la virginité, qui exprime cet état de la vertu dans lequel la vertu peut passer à l’acte, est perdue par péché dans la fornication et sans péché par l’acte matrimonial. Et elle n’est jamais retrouvée par la pénitence.

[20097] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod est materia virginitatis, potest esse in illis qui nullum habitum virtutis habent, sicut in pueris ante Baptismum, in quibus est primus virginitatis gradus quem natura dedit ; et sicut in illis qui ad tempus incorruptionem praedictam servare volunt, tamen cum proposito nubendi suo tempore, qui habent secundum virginitatis gradum, nec tamen dicuntur virgines nisi materialiter. Sed completa ratio virginitatis, prout est virtus, non est nisi in illis qui habent electionem conservandi integritatem hactenus custoditam usque in finem, sive sine voto, vel cum voto ; et haec electio perfecta esse non potest sine habitu informante ipsam. Si autem sit informis, erit actus virtutis sicut virtutem praecedens, sicut et de aliis actibus virtutum contingit.

4. Ce qui est la matière de la virginité peut exister chez ceux qui n’ont aucun habitus de la vertu, comme chez les enfants avant le baptême, chez qui existe le premier degré de la virginité que la nature a donné, et comme chez ceux qui veulent conserver pour un temps l’incorruption mentionnée, cependant avec le propos de se marier en leur temps : ils possèdent le deuxième degré de la virginité, mais ne sont cependant appelés des vierges que matériellement. Mais le caractère complet de la virginité, en tant qu’elle est une vertu, n’existe que chez ceux qui font le choix de conserver jusqu’à la fin l’intégrité gardée jusqu’à maintenant, soit sans vœu, soit par vœu. Ce choix parfait ne peut exister sans un habitus qui lui donne forme. Mais s’il est informe, ce sera un acte de vertu qui précède la vertu, comme cela arrive pour les autres actes des vertus.

[20098] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod temperantia, sicut in 3 Lib. dist. 33, qu. 3, art. 2 quaestiunc. 1 dictum est, principaliter consistit in cohibendo delectationes ; unde de principali intentione sua habet quemdam actum interiorem, scilicet electionem refrenandi concupiscentias ; sed exteriorem non habet quantum ad id quod est principale in ipsa, nisi per accidens et ex consequenti, in hoc scilicet quod aliquos actus exteriores adhibet ad cohibendum a delectationibus, quos magis imperat quam eliciat ; sicut recedendo ab aspectibus concupiscibilium ; uti enim delectationibus secundum mensuram rationis, est de secundaria intentione temperantiae. Et quia virginitas est principalissimum in temperantia ; ideo non habet actum exteriorem nisi ex consequenti ; sed omnino usum exteriorem concupiscentiae cohibet.

5. Comme on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 2, qa 1, la tempérance consiste principalement à contenir les plaisirs ; elle vise donc en premier un acte intérieur, à savoir, le choix de réfréner les désirs, mais elle ne possède pas d’acte extérieur pour ce qui est principal en elle, si ce n’est par accident et par mode de conséquence, par le fait qu’elle recourt à certains actes extérieurs pour contenir les plaisirs, qu’elle commande plus qu’elle ne suscite, comme en écartant le regard de ce qui est désirable. En effet, faire usage de plaisirs selon la mesure de la raison relève de la seconde intention de la tempérance. Et parce que la virginité est ce qu’il y a de primordial dans la tempérance, elle n’a donc pas d’acte extérieur, si ce n’est par mode de conséquence, mais elle contient entièrement l’usage extérieur du désir.

[20099] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ille qui habet unam virtutem, habet aliquo modo omnes ; non tamen quantum ad omne id quod est in virtute ; sicut qui habet liberalitatem, quandoque non habet magnificentiam quantum ad statum illum quo possit exire in actum exteriorem ; et similiter qui habet temperantiam, non habet statum quem virginitas dicit propter imperfectionem ; quamvis habeat id quod facit rationem virtutis in virginitate ; sicut e contrario propter perfectionem Christus habet caritatem, non tamen fidem, propter statum imperfectionis quem fides importat ; etsi habeat quidquid est perfectionis et virtuositatis in fide.

6. Celui qui possède une seule vertu les possède toutes d’une certaine manière, non pas cependant en tout ce qui existe dans la vertu ; ainsi, celui qui possède la libéralité parfois ne possède pas la magnificence dans l’état où elle pourrait s’exprimer dans un acte extérieur. De même, celui qui possède la tempérance ne possède pas l’état qu’exprime la virginité en raison d’une imperfection, bien qu’il possède ce qui donne le caractère de vertu à la virginité. De même, en sens contraire, le Christ possède la charité en raison de sa perfection, sans posséder cependant la foi, en raison de l’imperfection que comporte la foi, même s’il possède tout ce qu’il y a de perfection et de vertu dans la foi.

[20100] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod materia virginitatis, quam fatuae virgines habere possunt, aliquis male utitur ; non autem virginitate accepta secundum suam completam rationem.

7. Quelqu’un fait un mauvais usage de la matière de la virginité que peuvent posséder les vierges insensées, mais ce n’est pas le cas pour la virginité entendue dans son sens plénier.

[20101] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod viduitas et matrimonium non important aliquem alterum gradum circa materiam temperantiae sicut virginitas ; unde non est similis ratio.

8. Le veuvage et le mariage ne comportent pas une autre degré de la matière de la tempérance, comme c’est le cas de la virginité. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 

 

Articulus 3

[20102] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 tit. Utrum virginitas major sit omnibus virtutibus

Article 3 – La virginité est-elle la plus grande de toutes les vertus ?

 

 

[20103] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod virginitas major sit omnibus virtutibus. Decor enim est de ratione virtutis. Sed virginitatis decor est maximus. Ergo ipsa est maxima virtutum. Probatio mediae. Ambrosius in Lib. de virginitate, dicit : pulchritudinem quis potest majorem aestimare decore ejus, scilicet virginis, quae amatur a rege, probatur a judice, dedicatur domino, consecratur Deo, semper sponsa, semper innupta, ut nec amor finem habeat, nec damnum pudor ? Haec autem perfecte vera pulchritudo est cui nihil deest, quae sola meretur audire a domino : tota formosa es et cetera.

1. Il semble que la virginité soit la plus grande de toutes les vertus. En effet, la beauté fait partie de la nature de la vertu. Or, la beauté de la virginité est la plus grande. Elle est donc la plus grande des vertus. Démonstration de la mineure. Ambroise dit dans le livre Sur la virginité : « Qui peut aimer une plus grande beauté que sa beauté (à savoir, celle d’une vierge) ? Elle est aimée par le roi, examinée par le juge, offerte au Seigneur, consacrée à Dieu ; elle est toujours épouse et toujours célibataire, de sorte que son amour n’a pas de fin et sa pudeur ne souffre pas de préjudice. Cette beauté parfaitement vraie est celle à qui rien ne manque, qui seule mérite d’entendre de la partu du Seigneur : Tu es toute belle, etc. »

[20104] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, Cyprianus dicit : nunc nobis ad virgines sermo est ; quarum quo sublimior gloria est, major cura. Flos est ille ecclesiastici germinis, decus atque ornamentum gratiae spiritualis, illustrior portio gregis Christi. Ergo idem quod prius.

2. Cyprien dit : « Maintenant, nous nous addressons aux vierges : plus leur gloire est élevée, plus elle est l’objet de nos soins. Elle est la fleur de la semence de l’Église, la beauté et l’ornement de la grâce spirituelle, la plus illustre partie du troupeau du Christ. » La conclusion est donc la même que précédemment.

[20105] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, majus praemium majori virtuti debetur. Sed virginitati debetur maximum praemium, scilicet fructus centesimus, et aureola. Ergo et cetera.

3. Une plus grande récompense est due à une plus grande vertu. Or, la plus grande récompense est due à la virginité, à savoir, du fruit au centième et une auréole. Donc, etc.

[20106] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, maxima dignitas virtutum est quod per eas Deo conjungimur. Sed propinquissime Deo conjungit virginitas ; quia incorruptio facit esse proximum Deo, ut dicitur Sapient. 5 ; et in Apoc. dicitur, quod virgines sequuntur agnum quocumque ierit. Ergo est maxima virtutum.

4. La plus grande dignité des vertus est que par elles nous soyons unis à Dieu. Or, la virginité unit le plus étroitement à Dieu, car l’incorruption rend plus proche de Dieu, comme il est dit dans Sg 5, et, dans Ap, que les vierges suivent l’Agneau partout où il ira. Elle est donc la plus grande des vertus.

[20107] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 5 Sed contra est quod in littera dicitur, quod caelibatus Joannis non praefertur conjugio Abrahae.

5. Cependant, [1] ce qui est dit dans le texte va en sens contraire, que le célibat de Jean n’est pas placé au-dessus du mariage d’Abraham.

[20108] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 arg. 6 Praeterea, Bernardus dicit super Evangelium missus est, quod plus placuit (Deo scilicet) humilitas Mariae, quam ipsius virginitas. Ergo virginitas non est maxima virtutum.

6. [2] Bernard dit, à propos de : Il fut envoyé, dans l’évangile, que l’humilité de Marie a plu davantage (à Dieu) que sa virginité. La virginité n’est donc pas la plus grande des vertus.

[20109] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod una virtus, et quantum ad actum et quantum ad habitum, potest dici excellentior alia dupliciter ; scilicet per se, et per accidens. Per se quidem mensuratur actus virtutum ex ratione objecti sui, ex quo speciem habent ; sed per accidens ex parte subjecti : sicut actus etiam in parvis rebus dicitur melior, si fiat ex magis prompta voluntate, vel tempore magis opportuno, et aliis infinitis modis ; quia causae per accidens infinitae sunt ; et propter hoc relinquuntur ab arte. Unde hac comparatione omissa, sciendum est, quod cum bonum spirituale sit nobilius et melius quam bonum corporis ; virtutes illae quae habent pro objecto bonum spirituale, sunt simpliciter meliores quam illae quae habent aliquod corporale aut corporali adjunctum ; et ideo virtutes intellectuales et theologicae sunt digniores quam virtutes morales, quae sunt circa actus et passiones aliquo modo corporales ; et inter virtutes morales illa per se loquendo est melior quae magis appropinquat ad praedictas ; quae quidem appropinquatio potest attendi dupliciter. Uno modo quantum ad convenientiam subjecti ; et sic justitia, quae est in voluntate, est propinquissima et dignissima ; et post hoc fortitudo, quae est in irascibili, quae est quasi quoddam confinium rationis et sensualitatis, ut in 3 Lib., dist. 26, qu. 1, art. 1, in corp., dictum est ; et ultimo temperantia, quae est in concupiscibili. Alio modo potest attendi propinquitas virtutis moralis ad intellectualem prout disponit ad ipsam ; et sic inter omnes morales propinquissima est temperantia, quia per delectationes, quae sunt ejus materia, maxime nata est ratio enervari ; et inter partes temperantiae praecipue castitas, quia in delectationibus circa quas est, ratio totaliter obruitur. Unde Commentator dicit in 7 Physic., quod castitas maxime valet ad scientias speculativas ; et in genere castitatis praecipue virginitas. Sic ergo dicendum est, quod virginitas non est dignior omnibus aliis virtutibus ; sed est dignior aliquo modo omnibus virtutibus moralibus, et simpliciter et per se loquendo, omnibus speciebus temperantiae.

Réponse

Une vertu peut être dite plus grande qu’une autre quant à l’acte et quant à l’habitus de deux manières : par soi et par accident. Par soi, on mesure l’acte des vertus en raison de leur objet, dont elles tirent leur espèce ; mais, par accident, en raison de leur sujet. Ainsi, un acte est dit meilleur, même dans les petites choses, s’il est accompli par une volonté plus empressée ou au moment le plus opportun, et selon une infinité d’autres modes, car les causes par accident sont infinies et, pour cette raison, sont laissées de côté par l’art. En laissant de côté cette comparaison, il faut donc savoir que puique le bien spirituel est plus noble et meilleur que le bien du corps, les vertus qui ont pour objet un bien spirituel sont tout simplement meilleures que celles qui ont [comme objet] quelque chose de corporel ou d’associé à quelque chose de corporel. C’est pourquoi les vertus intellectuelles et théologales sont plus dignes que les vertus morales, qui portent sur les actes et les passions qui sont corporelles d’une certaine manière. Et parmi les vertus morales, est à proprement parler meilleure celle qui se rapproche davantage de celles qui ont été mentionnées. Or, ce rapprochement peut s’entendre de deux manières. D’une manière, parce qu’elles ont le même sujet : ainsi, la justice, qui se trouve dans la volonté, est la plus proche et la plus digne ; ensuite vient la force, qui se trouve dans l’irascible, qui est comme aux confins de la raison et la sensualité, comme on l’a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 1, c. ; en dernier lieu, vient la tempérance, qui se trouve dans le concupiscible. D’une autre manière, la proximité d’une vertu morale par rapport à une vertu intellectuelle peut être considérée selon qu’elle y dispose : ainsi, parmi toutes les vertus morales, la plus proche est la tempérance parce que la raison est encline à être davantage affaiblie par les plaisirs, et parmi les parties de la tempérance, surtout la chasteté parce qu’elle porte sur les plaisirs par lesquels la raison est le plus obscurcie. Aussi le Commentateur dit-il, dans Physique, VII, que la chasteté a le plus grand prix pour les sciences spéculatives et, dans le genre de la chasteté, la virginité. Ainsi, il faut donc dire que la virginité n’est pas la plus digne de toutes les autres vertus, mais qu’elle est d’une certaine manière la plus digne des vertus morales et, à parler simplement et proprement, de toutes les espèces de la tempérance.

[20110] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectationes circa quas est temperantia, sunt turpissimae, ut in 7 Ethic. patet, eo quod sunt in communibus nobis et brutis ; unde temperantia, quae has cohibet, praecipue vindicat sibi pulchritudinem communem omnibus virtutibus, sicut fortitudo vindicat sibi difficultatem, justitia rectitudinem ; et propter hoc virginitas, quae est summus temperantiae gradus, summum decorem sibi vindicat ; non tamen sequitur quod sit dignissima virtus.

1. Les plaisirs sur lesquels porte la tempérance sont les plus honteux, comme cela ressort d’Éthique, VII, du fait qu’ils sont communs aux animaux sans raison et à nous. Aussi la tempérance qui les contient revendique-t-elle surtout pour elle la beauté commune à toutes les vertus, comme la force revendique pour elle-même la difficulté, la justice la rectitude. Pour cette raison, la virginité, qui est le degré le plus élevé de la tempérance, revendique-t-elle pour elle-même la plus grande beauté. Il n’en découle cependant pas qu’elle soit la vertu la plus digne.

[20111] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnia verba praedicta Cypriani, quae excellentiam ostendunt virginitatis, pertinent ad pulchritudinem ; unde eodem modo dicendum est sicut ad primum. Vel dicendum, quod virgines habent cum virginitate alias virtutes : alii autem non habent virginitatem cum aliis virtutibus ; et ideo non est eadem ratio comparandi virginitatem cum aliis virtutibus, et virgines aliis omnibus.

2. Toutes les paroles de Cyprien qui ont été rappelées, qui montrent l’excellence de la virginité, se rapportent à sa beauté ; aussi faut-il en parler comme dans la première objection. Ou bien il faut dire que les vierges possèdent d’autres vertus en même temps que la virginité, mais que les autres n’ont pas la virginité en même temps que d’autres vertus. Il n’y a donc pas la même raison de comparer la virginité aux autres vertus, et les vierges à tous les autres.

[20112] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aureola est praemium accidentale, et fructus similiter. Praemium autem essentiale est dignius accidentali ; ideo simpliciter loquendo, illae virtutes sunt potiores quibus majus praemium essentiale debetur : praemium autem accidentale non tam respicit virtutis radicem quam statum virtutis. Et praeterea aureola non solum virginibus debetur, sed et martyribus et doctoribus ; fructus autem soli continentiae debetur, in qua summum locum tenet virginitas ; et quia per continentiam reprimuntur illae delectationes quae maxime gustum spiritualis dulcedinis impediunt, quem fructus suo nomine importat.

3. L’auréole est une récompense et aussi un fruit accidentels. Or, la récompense essentielle est plus digne que la récompense accidentelle. C’est pourquoi, à parler simplement, les vertus auxquelles une plus grande récompense essentielle est due sont plus importantes, mais la récompense accidentelle ne concerne pas tant la racine de la vertu que l’état de la vertu. De plus, l’auréole n’est pas due seulement aux vierges, mais aussi aux martyrs et aux docteurs ; mais le fruit n’est dû qu’à la seule tempérance, à l’intérieur de laquelle la virginité occupe le rang le plus élevé, et parce que, par la continence, sont réprimés les plaisirs qui empêchent au plus haut point de déguster la douceur spirituelle, que le fruit comporte dans son nom.

[20113] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod incorruptio facit esse proximum Deo, in quem corruptio non cadit, per quamdam similitudinem imitationis : et quia Deo magis possumus esse similes mente quam carne ; ideo incorruptio mentis, quae omni peccato opponitur, et per omnem virtutem est, facit Deo esse proximum. Sed virginitas habet utramque incorruptionem ; et ideo quantum ad plura facit Deo similem, scilicet in corpore et anima, ratione cujus dicitur quod sequitur agnum quocumque ierit ; et Ambrosius dicit quod nihil ei deest. Nec tamen sequitur quod magis facit virginitas Deo proximum quam omnes virtutes, sed secundum plura.

4. L’incorruption rapproche de Dieu, chez qui ne se trouve pas de corruption, par une certaine similitude d’imitation. Et parce que nous pouvons être plus semblables à Dieu par l’esprit que par la chair, l’incorruption de l’esprit, qui s’oppose à tout péché et qui se réalise par toutes les vertus, rapproche de Dieu. Mais la virginité possède les deux incorruptions. C’est pourquoi elle rend semblable à Dieu sur un plus grand nombre de points, à savoir, par le corps et par l’âme, raison pour laquelle il est dit qu’elle suit l’Agneau partout où il ira. Et Ambroise dit que rien ne lui fait défaut. Cependant, il n’en découle pas que la virginité rende plus proche de Dieu que toutes les vertus, mais sur plus de points.

[20114] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in littera matrimonium Abrahae aequiparatur caelibatui Joannis quantum ad meritum personarum : quia tantum merebatur Abraham in conjugio sicut Joannes in virginitate ; quia ex aequali promptitudine serviebat Deo secundum statum sui temporis ; et haec comparatio est per accidentalia virtutum.

5. Dans le texte, le mariage d’Abraham est mis sur un pied d’égalité avec le célibat de Jean pour ce qui est du mérite des personnes, car Abraham méritait autant par son mariage que Jean par sa virginité, puisqu’il servait Dieu avec un égal empressement selon l’état de son époque. Cette comparaison est faite selon des aspects accidentels des vertus.

[20115] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod humilitas videtur virtutibus propinquissima esse, quia per eam homo se ex reverentia Deo subjicit, et per consequens aliis propter Deum ; et ideo, simpliciter loquendo, virginitatem humilitas excedit.

6. L’humilité semble être celle des vertus qui rapproche le plus [de Dieu], car, par elle, l’homme se soumet à Dieu en le révérant et, par conséquent, aux autres à cause de Dieu. C’est pourquoi, à parler simplement, l’humilité dépasse la virginité.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 33

[20116] Super Sent., lib. 4 d. 33 q. 3 a. 3 expos. Maledicta erat sterilis, quae non relinquebat semen super terram. Haec maledictio non est culpae, sed poenae ; non tamen quantum ad defectum naturae quem habet virginitas in prolis defectu ; sed quantum ad infamiam, quia opprobrio habebatur. Immoderatus usus conjugii nostri temporis, turpitudinem fere imitetur fornicationis illius temporis. Hoc dicitur quantum ad intentionem eorum qui nunc ut plurimum contrahunt matrimonium propter infirmitatem libidinis, qua ratione antiquitus fornicabantur ; et ideo addit fere, quia fornicatio omnis erat peccatum mortale ; non autem omnis immoderatus usus conjugum. Facilius continere possent, quam nos scilicet possumus, propter magnitudinem virtutis quae in eis erat ; vel quam ipsi possent matrimonio conjungi, considerata vi honestatis, quae justos trahit ; ut difficile sit eis peccare, vel in aliquo a perfecto statu virtutis declinare. Publici muneris gratia privatam culpam praetexit. Sciendum, quod quamvis Loth credatur immunis a peccato mortali fuisse ; filiae tamen ejus non omnino excusantur a peccato mortali, sed ex pietate intentionis minus peccaverunt. Fuit enim levis aestimatio super quam se fundaverunt. Et praeterea si eis pro certo constitisset totum genus humanum periisse, debuissent divinum consilium et patris expetere in tam horribili facto, quod erat contra primam institutionem matrimonii, ubi pater et mater prohibentur Genes. 2 : propter hoc relinquet homo patrem et matrem suam. Quae tamen modificata, et refrenante temperantia in usum naturalem redacta, libido esse non potest. Haec modificatio non attenditur quantum ad delectationis quantitatem in actu, sed quantum ad debitam limitationem circumstantiarum. Continentiam Joannes in opere (...) habebat. Continentia accipitur hic cessatio a carnali opere omnino. Eas enim nunc uxores appellat Scriptura, nunc concubinas. Quidam dicunt, quod non erant vere uxores ; sed quia uxorio affectu et intentione prolis eis conjungebantur, quandoque uxores dicuntur. Alii dicunt, quod vere uxores erant ; sed dicuntur concubinae, quia ancillae manebant, et filii non earum, sed dominarum suarum nomine nascebantur ; et hoc verius videtur. Plures habere, non plurimas. Plurimae dicuntur quibus non potest opere carnali ad praegnandum satisfieri sine mentis enervatione : frequentia enim talis actus omnino mentem enervat. Non potest caro corrumpi nisi mens ante fuerit corrupta. Hoc intelligitur de corruptione ad genus moris pertinente, quam virginitas excludit. Satius est mori fame quam idolothytis vesci. Contra, 1 Timoth. 4, 4 : nihil rejiciendum quod cum gratiarum actione percipitur. Et dicendum quod debet intelligi antequam comederetur in venerationem idoli, vel cum quadam exteriori professione idolatriae, sicut si a persecutore in signum fidei Christianae fractae exigeretur.

 

 

 

Distinctio 34

Distinction 34 – [Les personnes qui contractent mariage]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Les empêchements du mariage en général]

 

 

Prooemium

Prologue

[20117] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de matrimonio et causis ejus, hic determinat de personis contrahentibus matrimonium ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de impedimentis matrimonii, quae non faciunt personas penitus illegitimas ad contrahendum ; in secunda de illis quibus personae penitus ad matrimonium illegitimae redduntur, dist. 37, ibi : sunt ergo quidam ordines in quibus nullatenus potest contrahi conjugium. Prima in duas : in prima determinat de impedimento quodam matrimonii, quod facit personam non simpliciter, sed aliquo modo, illegitimam, quod consistit in defectu naturae, scilicet frigiditate ; secundo de impedimento conditionis secundum mores et statuta hominum, scilicet servitute, 36 dist., ibi : nunc de conditione videamus an valeat conjugium dividere. Prima in duas : in prima determinat de impedimento frigiditatis, quod matrimonium contrahendum impedit ; in secunda de impedimento per quod actus matrimonii jam contracti impeditur, scilicet de fornicatione, prout est causa divortii, 35 dist., ibi : hoc etiam notandum est et cetera. Prima in duas : in prima prosequitur de impedimentis personarum ad contrahendum matrimonium in generali ; in secunda descendit in speciali ad impedimentum de quo primo agere intendit, ibi : de his enim qui causa frigiditatis debitum reddere non possunt, consulit Gregorius ut permaneant. Et haec dividitur in duas : in prima ostendit quod frigiditas praecedens matrimonium impedit ne contrahatur ; in secunda ostendit quod superveniens matrimonio ipsum dissolvere non possit, ibi : illud etiam sciendum est et cetera. Prima in duas : in prima determinat de effectu naturae impediente matrimonium, per quem homo impotens redditur ad carnalem copulam ; in secunda determinat de effectu peccati, per quem homo ineptus redditur ad idem, quod etiam matrimonium impedit, scilicet incestus, ibi : de his etiam qui cum duabus sororibus, vel quae cum duobus fratribus dormiunt, videndum est. Prima in duas : in prima determinat de impedimento quo natura impotens redditur ad opus carnale ; in secunda de impedimento quo impotens redditur ad consentiendum in copulam conjugalem, ibi : furiosi quoque dum in amentia sunt, matrimonium contrahere non valent. Prima in duas : in prima determinat de impotentia coeundi ex causa naturali, scilicet frigiditate ; in secunda de impotentia quae est ex maleficio, ibi : de maleficii autem impedimento hoc tenendum decernitur. Hic quaeruntur quinque : 1 de impedimentis matrimonii in generali ; 2 utrum frigiditas impediat matrimonium ; 3 utrum maleficium ; 4 utrum furia, vel amentia ; 5 utrum incestus.

Après avoir déterminé du mariage et de ses causes, le Maître détermine ici des personnes qui contractent mariage. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des empêchements du mariage qui ne rendent pas les personnes inaptes en droit à contracter ; dans la seconde, de ceux par lesquels des personnes sont rendues tout à fait inaptes en droit au mariage, d. 37, à cet endroit : « Il existe donc des ordres où un mariage ne peut être aucunement contracté. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine d’un empêchement au mariage qui rend une personne inapte en droit non pas simplement, mais d’une certaine manière, qui consiste dans une carence de la nature, à savoir, la frigidité ; dans la seconde, [il détermine] d’un empêchement [lié à] la condition, selon les mœurs et les décisions des hommes, à savoir, la servitude, d. 36, à cet endroit : « Maintenant, voyons si la condition peut séparer un mariage. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’empêchement de la frigidité, qui empêche de contracter mariage ; dans la seconde, de l’empêchement par lequel l’acte du mariage déjà contracté est empêché, à savoir, la fornication, pour autant qu’elle est une cause de divorce, d. 35, à cet endroit : « Il faut aussi noter ceci, etc. » La première partie se divise en deux : dans la pemière, il poursuit l’examen des empêchements des personnes à contracter mariage d’une manière générale ; dans la seconde, il descend en particulier vers l’empêchement dont il veut traiter en premier lieu, à cet endroit : « À propos de ceux qui ne peuvent acquitter leur dette en raison de la frigidité, Grégoire [leur] conseille de continuer. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre que la frigidité qui précède le mariage empêche de le contracter ; dans la seconde, il montre que celle qui survient au cours du mariage ne peut le dissouodre, à cet endroit : « Il faut aussi savoir cela, etc. » La première se divise en deux : dans la première, il détermine d’un effet de la nature qui empêche le mariage, par lequel un homme est rendu impuissant à l’union charnelle ; dans la seconde, il détermine de l’effet d’un péché par lequel un homme est rendu inapte à la même chose, qui empêche aussi le mariage, à savoir, l’inceste, à cet endroit : « À propos de ceux qui dorment avec deux sœurs ou avec deux frères, il faut voir. » La première se divise en deux : dans la première, il détermine d’un empêchement par lequel la nature est rendue impuissante à l’œuvre de chair ; dans la seconde, d’un empêchement par lequel elle est rendue impuissante à consentir à l’union conjugale, à cet endroit : « Les furieux aussi, alors qu’ils sont en état de démence, ne peuvent contracter mariage. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’impuissance à l’union charnelle en raison d’une cause naturelle, à savoir, la frigidité ; dans la seconde, de l’impuissance qui vient d’un sortilège, à cet endroit : « À propos de l’empêchement qui vient d’un maléfice, il est décidé qu’il faut tenir cela. » On pose ici cinq questions : 1 – Sur les empêchements au mariage en général. 2 – La frigidité empêche-t-elle le mariage ? 3 – Le sortilège [empêche-t-il le mariage] ? 4 – La folie ou la démence [l’empêchent-ils] ? 5 – L’inceste [l’empêche-t-il] ?

 

 

Articulus 1

[20118] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 tit. Utrum matrimonio convenienter impedimenta assignentur

Article 1 – Les empêchements au mariage sont-ils indiqués de manière appropriée ?

[20119] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod matrimonio inconvenienter impedimenta assignentur. Matrimonium enim quoddam sacramentum est contra alia divisum. Sed aliis non assignantur impedimenta. Ergo nec matrimonio assignari debent.

1. Il semble que les empêchements au mariage ne soient pas indiqués de manière appropriée. En effet, le mariage est un sacrement distinct des autres. Or, on n’attribue pas d’empêchements aux autres [sacrements]. On ne doit donc pas en assigner au mariage.

[20120] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid est minus perfectum, tanto paucioribus modis impediri potest. Sed matrimonium inter alia sacramenta est minus perfectum. Ergo vel nulla vel paucissima impedimenta ei assignari debent.

2. Moins quelque chose est parfait, plus petit est le nombre de modes selon lesquels il peut être empêché. Or, le mariage est le moins parfait parmi les autres sacrements. Aucun empêchement ou très peu d’empêchements doivent donc lui être attribués.

[20121] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ubicumque est morbus, ibi est necessarium remedium morbi. Sed concupiscentia, in cujus remedium matrimonium est indultum, est in omnibus. Ergo non debet esse aliquod impedimentum quod aliquam personam penitus illegitimam faciat ad contrahendum.

3. Partout où il y a maladie, là est nécessaire un remède à la maladie. Or, la concupiscence, pour laquelle le mariage a été accordé comme remède, se trouve chez tous. Il ne doit donc pas exister d’empêchement qui rende une personne tout à fait inapte en droit à contracter [mariage].

[20122] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illegitimum dicitur quod est contra legem. Sed hujusmodi impedimenta quae matrimonio assignantur, non sunt contra legem naturae, quia non similiter inveniuntur in quolibet statu humani generis ; plures enim gradus consanguinitatis inveniuntur esse prohibiti in uno tempore quam in alio ; lex autem humana non potest, ut videtur, matrimonio impedimenta praestare ; quia matrimonium non est ex institutione humana, sed divina, sicut et alia sacramenta. Ergo matrimonio non debent aliqua impedimenta assignari quae faciunt personas illegitimas ad contrahendum.

4. On appelle inapte en droit ce qui est contraire à la loi. Or, les empêchements qui sont attribués au mariage ne sont pas contraires à la loi de la nature, car ils ne se trouvent pas de la même manière dans tous les états du genre humain. En effet, un plus grand nombre de degrés de consanguinité se trouvent avoir été interdits à une époque qu’à une autre. Par ailleurs, il semble que la loi humaine ne puisse créer des empêchements au mariage, car le mariage ne vient pas d’une institution humaine, mais d’une institution divine, comme les autres sacrements. On ne doit donc pas attribuer d’empêchements au mariage, qui rendent des personnes inaptes en droit à [le] contracter.

[20123] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, illegitimum et legitimum differunt per hoc quod est contra legem vel non contra legem, inter quae non cadit medium, cum sint opposita secundum affirmationem et negationem. Ergo non possunt esse aliqua matrimonii impedimenta, quibus personae mediae inter legitimas et illegitimas constituantur.

5. Être illégitime et être légitime diffèrent par le fait que cela est contraire ou non à la loi, entre lesquels il n’y a pas d’intermédiaire, puisqu’ils sont opposés selon l’affirmation et la négation. Il ne peut donc pas y avoir d’empêchements au mariage, par lesquels des personnes sont placées dans un état intermédiaire entre être aptes et être inaptes en droit.

[20124] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nullo impedimento potest a re aliqua removeri quod in definitione ejus cadit. Sed indivisibilitas cadit in definitione matrimonii, ut supra, dist. 27, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 3, patuit. Ergo non possunt esse aliqua impedimenta quae matrimonium contractum dirimant.

6. Ce qui fait partie de la définition d’une chose ne peut en être enlevée par aucun empêchement. Or, l’indivisibilité fait partie de la définition du mariage, comme cela est ressorti plus haut, d. 27, q. 1, a. 1. Il ne peut donc pas y avoir d’empêchements qui diriment le mariage.

[20125] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, conjunctio viri et mulieris non est licita nisi in matrimonio. Sed omnis conjunctio illicita dirimi potest. Ergo si aliquid impediat matrimonium contrahendum, hoc dirimet contractum de facto : et sic non debent aliqua impedimenta assignari matrimonio quae impediant contrahendum, et non dirimant contractum.

7. L’union d’un homme et d’une femme n’est licite que par le mariage. Or, toute union illicite peut être dirimée. Si quelque chose empêche de contracter mariage, cela dirime donc le mariage par le fait même. Il ne faut donc pas attribuer d’empêchements au mariage, qui empêchent de [le] contracter et diriment celui qui a été contracté.

[20126] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 8 Sed contra, videtur quod debeant esse infinita matrimonii impedimenta. Quia matrimonium quoddam bonum est. Sed infinitis modis est defectus boni, ut dicit Dionysius. Ergo infinita sunt impedimenta matrimonii.

8. Il semble qu’il doive y avoir un nombre infini d’empêchements au mariage, car le mariage est un bien. Or, le bien est déficient selon un nombre infini de modes, comme le dit Denys. Il existe donc un nombre infini d’empêchements au mariage.

[20127] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, impedimenta matrimonii accipiuntur secundum conditiones particularium personarum. Sed conditiones hujusmodi sunt infinitae. Ergo et matrimonii impedimenta.

9. Les empêchements au mariage se prennent des conditions des personnes particulières. Or, les conditions de ce genre sont infinies. Donc, les empêchements au mariage aussi.

[20128] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in matrimonio sunt quaedam quae sunt de essentia ipsius, et quaedam quae sunt de solemnitate ejus, sicut et in aliis sacramentis. Et quia remotis his quae non sunt de necessitate sacramenti, adhuc manet verum sacramentum ; ideo impedimenta quae contrariantur his quae sunt de solemnitate sacramenti, non officiunt quin sit verum matrimonium ; et talia dicuntur impedire contrahendum, sed non dirimunt contractum ; sicut prohibitio Ecclesiae, et tempus feriatum ; unde versus : Ecclesiae vetitum, necnon tempus feriatum impediunt fieri, permittunt juncta teneri. Impedimenta autem quae contrariantur his quae sunt de essentia matrimonii, faciunt ut non sit verum matrimonium ; et ideo dicuntur non solum impedire matrimonium contrahendum, sed dirimere contractum ; quae his versibus continentur : error, conditio, votum, cognatio, crimen, cultus disparitas, vis, ordo, ligamen, honestas, si sis affinis, si forte coire nequibis : haec socianda vetant connubia, facta retractant. Horum autem numerus hoc modo accipi potest. Potest enim matrimonium impediri aut ex parte contractus matrimonii, aut ex parte contrahentium. Si primo modo ; cum contractus matrimonii fiat per voluntarium consensum, qui tollitur per ignorantiam et violentiam, erunt duo impedimenta matrimonii, scilicet vis, idest coactio, et error ex parte ignorantiae ; et ideo de istis duobus impedimentis supra Magister determinavit, ubi agebatur de causa matrimonii. Nunc autem agit de impedimentis quae accipiuntur ex parte personarum contrahentium, quae sic distinguuntur. Potest enim aliquis impediri a matrimonio contrahendo vel simpliciter, vel respectu alicujus personae. Simpliciter, ut cum nulla possit matrimonium contrahere ; et hoc non potest esse nisi quia impeditur a matrimoniali actu ; quod quidem contingit dupliciter. Primo, quia non potest de facto ; sive quia omnino non possit, et sic ponitur impedimentum impotentia coeundi ; sive quia non libere possit, et sic ponitur impedimentum conditio servitutis. Secundo, quia non licite potest ; et hoc, secundum quod ad continentiam obligatur : quod contingit dupliciter ; quia vel obligatur ex officio suscepto, et sic est impedimentum ordinis ; vel ex voto emisso, et sic impedit votum. Si autem impeditur aliquis a matrimonio non simpliciter, sed respectu alicujus personae : vel propter obligationem ad alteram personam, sicut qui junctus est uni matrimonio, non potest alteri conjungi, et sic est ligamen, scilicet matrimonii ; vel quia deficit proportio ad alteram personam : et hoc tripliciter. Primo propter nimiam distantiam ad ipsam, et sic est disparitas cultus. Secundo propter nimiam propinquitatem ; et sic ponitur triplex impedimentum : scilicet cognatio, quae importat propinquitatem duarum personarum ratione tertiae matrimonio junctae ; et publicae honestatis justitia, in qua est propinquitas duarum personarum ratione tertiae personae per sponsalia junctae. Tertio propter indebitam conjunctionem ad ipsam primo factam ; et sic impedit crimen adulterii prius cum ipsa commissi.

Réponse

Dans le mariage, il y a des choses qui font partie de son essence et des choses qui font partie de sa célébration, comme pour les autres sacrements. Et parce que, en enlevant ce qui n’est pas nécessaire au sacrement, un véritable sacrement demeure, les empêchements qui sont contraires à ce qui fait partie de la célébration du sacrement ne font pas en sorte qu’il n’y ait pas de véritable sacrement. On dit que de tels [empêchements] empêchent de contracter [mariage], mais ne diriment pas celui qui a été contracté, comme l’interdition de l’Église et le temps férié. De là vient le vers : « Une interdiction de l’Église ainsi que le temps férié empêchent de le célébrer, mais permettent que ce qui a été uni demeure. » Mais les empêchements qui sont contraires à ce qui fait partie de l’essence du mariage font en sorte qu’il n’y ait pas de véritable sacrement. C’est pourquoi on dit que, non seulement ils empêchent de contracter mariage, mais qu’ils diriment celui qui a été contracté. Cela est contenu dans ces vers : « L’erreur, la condition, le propos, la parenté, un crime, la diversité de culte, la violence, l’ordre, un lien, la dignité, l’affinité, l’incapacité de s’unir : cela empêche de réaliser le mariage et retire celui qui a été réalisé. » Or, le nombre de ces [empêchements] peut être saisi de la manière suivante. En effet, le mariage peut être empêché soit du côté du contrat de mariage, soit du côté de ceux qui contractent. S’il s’agit de la première manière, puisque le contrat de mariage se réalise par un consentement volontaire, qui est enlevé par l’ignorance et la violence, il y aura deux empêchements au mariage : la violence, c’est-à-dire la coercition, et l’erreur, pour ce qui est de l’ignorance. C’est pourquoi le Maître a déterminé de ces deux empêchements là où il était question de la cause du mariage. Maintenant, il s’occupe des empêchements qui se prennent du côté des personnes qui contractent, et qui se distinguent ainsi. En effet, quelqu’un peut être empêché de contracter mariage soit simplement, soit par rapport à une personne. Simplement, comme lorsqu’il ne peut contracter aucun [corr. : nulla/nullum] mariage : cela ne peut venir que du fait qu’il est empêché de faire l’acte matrimonial, ce qui se produit de deux manières. Premièrement, parce qu’il ne le peut pas de fait, soit parce qu’il ne le peut pas du tout, et ainsi se présente comme empêchement l’impuissance à faire l’acte conjugal ; soit qu’il ne le peut pas librement, et ainsi se présente comme empêchement la condition de servitude. Deuxièmement, parce qu’il ne le peut pas licitement, et cela parce qu’il est obligé à la continence, ce qui se produit de deux manières : soit qu’il est lié par la fonction reçue, et on a ainsi l’empêchement de l’ordre ; soit qu’il ait fait un vœu, et ainsi le vœu est-il un empêchement. Mais si quelqu’un a un empêchement au mariage, non pas simplement, mais par rapport à une personne, soit en raison d’un lien avec l’autre personne, comme celui qui est uni à une personne par mariage ne peut être uni à une autre par mariage : on a ainsi le lien du mariage ; soit parce que manque la proportion par rapport à l’autre personne, et cela, de trois manières. Premièrement, en raison d’une trop grande distance par rapport à elle : on a ainsi la disparité de culte. Deuxièmement, en raison d’une trop grande proximité : on a ainsi un triple empêchement : la parenté, qui comporte la proximité de deux personnes par rapport à une troisième unie par la mariage ; la justice de l’honneur public, par laquelle existe une proximité entre deux personnes par rapport à une troisième unie par les fiançailles. Troisièmement, en raison d’une union réalisée avec elle antérieurement : le crime d’adultère commis antérieurement avec l’autre personne est ainsi un empêchement.

[20129] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alia etiam sacramenta impediri possunt, si aliquid quod sit de essentia vel solemnitate sacramenti, subtrahatur, ut dictum est. Sed tamen magis matrimonio quam aliis sacramentis impedimenta assignantur, propter tres rationes. Primo, quia matrimonium consistit in duobus ; et ideo pluribus modis potest impediri quam alia sacramenta, quae uni personae competunt singulariter. Secundo, quia matrimonium habet in nobis causam, sed alia quaedam sacramenta solum in Deo ; unde et poenitentiae, quae habet causam in nobis aliquo modo, Magister supra, dist. 16, quaedam impedimenta assignavit, ut hypocrisim, ludos, et hujusmodi. Tertio, quia de aliis sacramentis est praeceptum vel consilium, sicut de bonis perfectioribus ; sed de matrimonio est indulgentia, sicut de bono minus perfecto ; et ideo, ut detur occasio proficiendi in melius, plura impedimenta assignantur matrimonio quam aliis sacramentis.

1. D’autres sacrements peuvent aussi être empêchés si quelque chose qui fait partie de l’essence ou de la célébration du sacrement est enlevé, comme on l’a dit. Cependant, on attribue plutôt des empêchements au mariage qu’aux autres sacrements pour trois raisons. Premièrement, parce que le mariage affecte deux personnes : aussi peut-il être empêché de plus de manières que les autres sacrements, qui ne concernent qu’une seule personne prise individuellement. Deuxièmement, parce que le mariage a sa cause en nous, mais que certains autres sacrements l’ont seulement en Dieu. Ainsi le Maître a-t-il aussi attribué plus haut, d. 16, des empêchements à la pénitence, qui a sa cause en nous d’une certaine manière, tels l’hypocrisie, les jeux et les choses de ce genre. Troisièmement, parce qu’un commandement ou un conseil porte sur les autres sacrements comme sur des biens plus parfaits ; mais le mariage est l’objet d’une concession, en tant qu’il s’agit d’un bien moins parfait. C’est pourquoi, afin que soit donnée l’occasion d’accéder à ce qu’il y a de mieux, de plus nombreux empêchements sont attribués au mariage qu’aux autres sacrements.

[20130] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectiora pluribus modis impediri possunt, inquantum ad ea plura requiruntur. Si autem sit aliquod imperfectum ad quod plura requiruntur, illud etiam habebit plura impedimenta ; et sic est de matrimonio.

2. Les réalités plus parfaites peuvent être empêchées de manières plus nombreuses pour autant qu’un plus grand nombre de choses leur sont nécessaires. Mais s’il existe quelque chose qui exige un plus grand nombre de choses, cela aura aussi de plus nombreux empêchements. Ainsi en est-il du mariage.

[20131] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si non essent alia remedia, quibus etiam posset efficacius morbo concupiscentiae subveniri ; quod falsum est.

3. Cet argument serait valable s’il n’existait pas d’autres remèdes par lesquels on pourrait s’occuper de manière plus efficace de la maladie de la concupiscence, ce qui est faux.

[20132] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod personae illegitimae ad matrimonium contrahendum dicuntur ex eo quod sunt contra legem qua matrimonium constituitur. Matrimonium autem, inquantum est in officium naturae, statuitur lege naturae ; inquantum est sacramentum, statuitur jure divino ; inquantum est in officium communitatis statuitur lege civili ; et ideo ex qualibet dictarum legum potest aliqua persona effici ad matrimonium illegitima. Nec est simile de aliis sacramentis, quae sunt sacramenta tantum. Et quia lex naturalis secundum diversos status recipit determinationes diversas, et jus positivum etiam variatur secundum diversas hominum conditiones in diversis temporibus ; ideo Magister ponit in diversis temporibus diversas personas illegitimas fuisse.

4. On parle de personnes inaptes en droit à contracter mariage du fait qu’elles vont à l’encontre de la loi par laquelle le mariage est établi. Or, le mariage, en tant qu’il est une fonction de la nature, est établi par la loi de la nature ; en tant qu’il est un sacrement, il est établi par le droit divin ; en tant qu’il est une fonction de la communauté, il est établi par la loi civile. C’est pourquoi une personne peut être rendue inapte au mariage par chacune de ces lois. Mais il n’en va pas de même pour les autres sacrements, qui sont des sacrements seulement. Et parce que la loi naturelle reçoit diverses déterminations selon les divers états et que le droit positif diffère selon les diverses conditions des hommes à diverses époques, le Maître montre que diverses personnes ont été inaptes en droit aux divers moments.

[20133] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod lex potest aliquid prohibere vel universaliter, vel in parte quantum ad aliquos casus ; et ideo inter esse totaliter secundum legem, et esse totaliter contra legem, quae sunt contraria opposita, et non secundum affirmationem et negationem, cadit medium esse aliqualiter secundum legem, et aliqualiter contra legem : et propter hoc ponuntur quaedam personae mediae inter simpliciter legitimas et simpliciter illegitimas.

5. La loi peut interdire quelque chose soit universellement, soit partiellement pour certains cas. C’est pourquoi il existe un milieu, celui d’être conforme à la loi d’une certaine manière et d’aller à l’encontre de la loi d’une certaine manière, entre être entièrement conforme à la loi et aller entièrement contre de la loi. Pour cette raison, certaines personnes sont situées au milieu entre celles qui sont simplement aptes selon le droit et celles qui sont simplement inaptes.

[20134] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod impedimenta praedicta non dicuntur interimere matrimonium contractum quasi solventia verum matrimonium, quod rite contractum est ; sed quia solvunt matrimonium quod contractum est de facto, et non de jure. Unde si impedimentum aliquod matrimonio rite facto superveniat, matrimonium solvere non valet.

6. On ne dit pas que les empêchements mentionnés abolissent un mariage contracté, comme s’ils dissolvaient un véritable mariage qui a été correctement contracté, mais qu’ils dissolvent un mariage qui a été contracté en fait mais non en droit. Si un empêchement se présente pour un mariage fait correctement, il ne peut dissoudre le mariage.

[20135] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illa impedimenta quae dirimunt matrimonium contractum, impediunt quandoque matrimonium contrahendum, non ut non fiat, sed ut non licite fiat verum matrimonium ; et tamen si fiat, matrimonium verum contractum est, quamvis contrahens peccet ; sicut si aliquis consecraret post comestionem, peccaret, contra statutum Ecclesiae faciens ; nihilominus verum sacramentum perficeret ; quia jejunium consecrantis non est de necessitate sacramenti.

7. Les empêchements qui diriment un mariage contracté empêchent parfois de contracter mariage, non pas pour qu’il ne soit pas réalisé, mais pour qu’il ne devienne pas un mariage véritable. Cependant, si le mariage se réalise, il a été vraiment contracté, bien que celui qui le contracte pèche, comme si quelqu’un consacrait après avoir mangé, il pècherait en agissant contre une décision de l’Église ; néanmoins, il accomplirait un véritable sacrement, car le jêune de celui qui consacre ne fait pas nécessairement partie du sacrement.

[20136] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod impedimenta quibus aliquod bonum per accidens impeditur, sunt infinita, sicut et omnes causae per accidens ; sed causae corrumpentes aliquod bonum per se, sunt determinatae, sicut et causae constituentes ; quia causae constructionis et destructionis sunt alicujus rei oppositae, vel eaedem contrario modo sumptae.

8. Les empêchements par lesquels un bien est empêché par accident sont infinis, comme toutes les causes par accident ; mais les causes qui corrompent un bien par soi sont déterminées, comme aussi les causes qui le constituent, car les causes de la construction et de la destruction sont le fait d’une chose opposée ou elles sont les mêmes considérées selon un mode contraire.

[20137] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod conditiones particularium personarum in singulari sunt infinitae ; sed in generali possunt reduci ad certum numerum ; sicut in medicina patet, et in omnibus artibus operativis, quae particularium, in quibus est actus, conditiones considerant.

9. Les conditions des personnes particulières prises individuellement sont infinies ; mais, d’une manière générale, elles peuvent être ramenées à un nombre déterminé, comme cela ressort en médecine et dans tous les arts opératoires, qui considèrent les conditions des choses particulières sur lesquelles portent leur acte.

 

 

Articulus 2

[20138] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 tit. Utrum frigiditas matrimonium contrahendum impediat

Article 2 – La frigidité empêche-t-elle de contracter mariage ?

[20139] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod frigiditas matrimonium contrahendum non impediat. Copula enim carnalis non est de essentia matrimonii ; quia perfectiora sunt matrimonia pari voto continentium, ut supra, dist. 26, dictum est. Sed frigiditas nihil tollit de matrimonio nisi carnalem copulam. Ergo non est impedimentum dirimens contractum matrimonium.

1. Il semble que la frigidité n’empêche pas de contracter mariage. En effet, l’union charnelle ne fait pas partie de l’essence du mariage, car les mariages de ceux qui sont continents d’un commun accord sont plus parfaits, comme on l’a dit plus haut, d. 26. Or, la frigidité n’enlève rien au mariage, sinon l’union charnelle. Elle n’est donc pas un empêchement dirimant du mariage contracté.

[20140] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut nimia frigiditas impedit carnalem copulam, ita et nimia caliditas, quae hominem exsiccat. Sed caliditas non ponitur matrimonii impedimentum. Ergo nec frigiditas poni debet.

2. De même qu’une trop grande frigidité empêche l’union charnelle, de même une trop grande chaleur, qui dessèche l’homme. Or, la chaleur n’est pas donnée comme un empêchement au mariage. La frigidité ne doit donc pas non plus l’être.

[20141] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnes vetuli sunt frigidi. Sed vetuli possunt matrimonium contrahere. Ergo frigiditas non impedit matrimonium.

3. Tous les vieux sont frigides. Or, les vieux peuvent contracter mariage. La frigidité n’empêche donc pas le mariage.

[20142] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, si scit mulier virum esse frigidum, quando cum eo contrahit, verum est matrimonium. Ergo frigiditas, quantum est de se, matrimonium non impedit.

4. Si une femme sait que son mari est frigide lorsqu’elle contracte avec lui, le mariage est vrai. La frigidité, en elle-même, n’empêche donc pas le mariage.

[20143] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, contingit in aliquo esse siccitatem sufficienter moventem ad carnalem copulam cum aliqua corrupta, non autem cum aliqua virgine ; quia cito calidum evaporat ratione suae debilitatis, ut ad corrumpendum virginem non sufficiat. Et similiter in aliquo est sufficiens caliditas movens ad pulchram, quae magis concupiscentiam inflammat, quae non sufficienter movet ad turpem. Ergo videtur quod frigiditas etsi impediat respectu unius, non tamen simpliciter.

5. Il arrive qu’il existe chez quelqu’un une sécheresse qui meut suffisamment à l’union charnelle avec une femme déflorée, mais non avec une vierge, car la chaleur s’évapore aussitôt en raison de sa faiblesse, de sorte qu’il est incapable de déflorer une vierge. De même, il existe une chaleur suffisante pour mouvoir vers une belle femme, qui enflamme davantage la concupiscence, qui ne l’est pas pour mouvoir vers une femme repoussante. Il semble donc que la frigidité, même si elle est un empêchement par rapport à une femme, ne l’est pas tout simplement.

[20144] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, mulier universaliter est frigidior viro. Sed mulieres non impediuntur a matrimonio. Ergo nec viri frigidi.

6. D’une manière générale, la femme est plus frigide que l’homme. Or, les femmes ne sont pas empêchées de se marier. Donc, ni les hommes frigides.

[20145] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Extra. de frigidis et maleficiatis : sicut puer, qui non potest reddere debitum, non est aptus conjugio ; sic qui impotentes sunt, minime apti ad contrahenda matrimonia reputantur. Tales autem sunt frigidi. Ergo et cetera.

Cependant, [1] il est dit dans les Extravagantes, « À propos de ceux qui sont frigides et objets de maléfice » : « De même qu’un enfant, qui ne peut acquitter sa dette, n’est pas apte au mariage, de même ceux qui sont impuissants sont-ils considérés comme inaptes à contracter mariage. » Donc, etc.

[20146] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus potest se obligare ad impossibile. Sed in matrimonio homo se obligat ad carnalem copulam, quia ad hoc dat alteri sui corporis potestatem. Ergo frigidus, qui non potest carnaliter copulari, non potest matrimonium contrahere.

[2] Personne ne peut s’obliger à l’impossible. Or, par le mariage, l’homme s’oblige à l’union charnelle, car c’est pour cela qu’il a donné à l’autre pouvoir sur son corps. Celui qui est frigide, qui ne peut accomplir l’union charnelle, ne peut donc pas contracter mariage.

[20147] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in matrimonio est contractus quidam, quo unus alteri obligatur ad debitum carnale solvendum ; unde sicut in aliis contractibus non est conveniens obligatio si aliquis se obliget ad hoc quod non potest dare vel facere ; ita non est conveniens matrimonii contractus, si fiat ab aliquo qui debitum carnale solvere non possit ; et hoc impedimentum vocatur impotentia coeundi nomine generali, quae quidem potest esse vel ex causa intrinseca et naturali, vel ex causa extrinseca accidentali, sicut per maleficium, de qua post dicetur. Si autem sit ex causa naturali, hoc potest esse dupliciter ; quia vel est temporalis, cui potest subveniri beneficio medicinae, vel processu aetatis ; et tunc non solvit matrimonium ; vel est perpetua, et tunc solvit matrimonium ; ita quod ille ex cujus parte allegatur impedimentum, perpetuo maneat absque spe conjugii, alius nubat cui vult in domino. Ad hoc autem cognoscendum, utrum sit impedimentum perpetuum vel non perpetuum, Ecclesia tempus determinatum adhibuit, in quo hujus rei posset esse experimentum, scilicet triennium ; ita quod si post triennium, in quo fideliter ex utraque parte dederunt operam carnali copulae implendae, inveniatur matrimonium non esse consummatum, judicio Ecclesiae dissolvitur. Tamen in hoc Ecclesia quandoque errat ; quia per triennium quandoque non sufficienter potest experiri perpetuitas impotentiae. Unde si Ecclesia se deceptam inveniat per hoc quod ille in quo erat impedimentum, invenitur carnalem copulam cum eadem vel alia perfecisse, reintegrat praecedens matrimonium, et dirimit secundum, quamvis de ejus licentia sit factum.

Réponse

Par le mariage, existe un contrat en vertu duquel l’un est obligé d’acquitter envers l’autre une dette charnelle. De même que, dans les autres contrats, l’obligation n’est pas appropriée si quelqu’un s’oblige à ce qu’il ne peut donner ou faire, de même donc le contrat de mariage n’est pas approprié s’il est fait par quelqu’un qui ne peut acquitter la dette charnelle. Cet empêchement s’appelle d’une manière générale l’impuissance à l’union charnelle, qui peut venir d’une cause intrinsèque et naturelle ou d’une cause extérieure accidentelle, comme un sortilège, dont on parlera plus loin. Si elle vient d’une cause naturelle, cela peut être de deux manières. Soit elle est temporaire, et on peut y rémédier par l’intervention de la médecine ou dans le cours de l’âge : elle ne dissout pas alors le mariage. Soit elle est perpétuelle, et alors elle dissout le mariage, au point où celui à propos de qui l’empêchement est allégué demeure pour toujours sans espoir de se marier et que l’autre épouse qui il veut dans le Seigneur. Mais pour savoir si l’empêchement est perpétuel ou non perpétuel, l’Église a accordé un temps déterminé, pendant lequel on pourrait en faire l’expérience, à savoir, trois ans, de sorte que si, après trois ans, pendant lesquels ils se sont fidèlement efforcés d’accomplir l’union charnelle, on constate que le mariage n’a pas été consommé, il est dissous par le jugement de l’Église. Cependant, l’Église erre parfois en cette matière, car, après trois ans, le caractère perpétuel de l’impuissance ne peut être constaté. Si donc l’Église s’est trompée du fait qu’on trouve que celui chez qui se rencontrait l’empêchement a accompli l’union charnelle avec la même femme ou avec une autre, elle rétablit le mariage précédent et dissout le deuxième, même s’il a été accompli avec sa permission.

[20148] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis actus carnalis copulae non sit de essentia matrimonii, tamen potentia ad hoc est de essentia ejus ; quia per matrimonium datur utrique conjugum potestas in corpore alterius respectu carnalis copulae.

1. Bien que l’acte de l’union charnelle ne fasse pas partie de l’essence du mariage, la puissance de l’accomplir fait cependant partie de son essence, car, par le mariage, est donné aux deux époux pouvoir sur le corps de l’autre par rapport à l’union charnelle.

[20149] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caliditas superflua vix potest esse impedimentum perpetuum. Si tamen inveniretur quod per triennium impediret carnalem copulam, judicaretur perpetuum. Tamen quia frigiditas magis et frequentius impedit (tollit enim non solum commixtionem seminum, sed etiam rigorem membrorum, quo fit conjunctio corporum) ; ideo frigiditas magis hic ponitur impedimentum quam caliditas, cum omnis defectus naturalis ad frigiditatem reducatur.

2. Une chaleur excessive peut difficilement être un empêchement perpétuel. Cependant, si on trouve qu’après trois ans, elle empêche l’union charnelle, [l’empêchement] sera jugé perpétuel. Parce que la frigidité empêche davantage et plus fréquemment (en effet, elle empêche non seulement le mélange des semences, mais aussi la rigidité des membres par laquelle l’union des corps est accomplie), la frigidité plutôt que la chaleur est donnée ici comme un empêchement, puisque toute carence naturelle se ramène à la frigidité.

[20150] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vetuli quamvis quandoque non habeant caliditatem sufficientem ad generandum, tamen habent caliditatem sufficientem ad carnalem copulam ; et ideo conceditur eis matrimonium, secundum quod est in remedium ; quamvis non competat eis secundum quod est in officium naturae.

3. Les vieillards, bien qu’ils n’aient pas parfois une chaleur suffisante pour engendrer, ont cependant une chaleur suffisante pour l’union charnelle. C’est pourquoi le mariage leur est concédé en tant qu’il est un remède, bien qu’il ne leur convienne pas selon qu’il est une fonction de la nature.

[20151] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in quolibet contractu hoc universaliter tenetur, quod ille qui est impotens ad solvendum aliquid, non reputatur idoneus ad contractum illum quo se obligat ad ejus solutionem. Tamen impotens potest esse tripliciter. Uno modo, quia non potest solvere de jure ; et sic talis impotentia omnibus modis facit contractum esse nullum, sive sciat ille cum quo facit talem contractum hanc impotentiam, sive non. Alio modo quia non sit solvendo de facto ; et tunc si sciat ille cum quo contrahit, hanc impotentiam, et nihilominus contrahit, ostenditur quod alium finem ex contractu quaerit, et ideo contractus stat ; si autem nescit, tunc contractus nullus est. Et ideo frigiditas, quae causat talem impotentiam ut homo non possit de facto solvere debitum, et conditio servitutis per quam homo non potest de facto libere reddere ; impediunt matrimonium, quando alter conjugum ignorat hoc quod alius non potest reddere debitum. Impedimentum autem per quod aliquis non potest de jure reddere debitum, ut consanguinitas, annullat contractum matrimonium, sive sciat alter, sive non ; et propter hoc Magister ponit quod haec duo faciunt personas omnino illegitimas.

4. Dans tout contrat, on observe de manière universelle que celui qui est incapable d’acquittter quelque chose n’est pas réputé apte au contrat par lequel il s’oblige à l’acquitter. Toutefois, il peut être inapte de trois manières. Premièrement, parce qu’il ne peut l’acquitter en droit : ainsi, une telle impuissance rend nul le contrat de toutes les manières, soit que celui avec lequel on fait un tel contrat ait connaissance de cette impuissance, soit qu’il ne la connaisse pas. Deuxièmement, parce qu’il ne peut l’accomplir de fait : alors, si celui avec qui il contracte connaît cette impuissance et contracte néanmoins, il est démontré qu’il cherche une autre fin par le contrat, et ainsi le contrat reste en vigueur ; mais s’il ne le sait pas, alors ce contrat est nul. C’est pourquoi la frigidité, qui cause une impuissance telle qu’un homme ne puisse de fait acquittter sa dette, et la condition de servitude, par laquelle un homme ne peut de fait s’acquitter, empêchent le mariage, lorsque l’un des époux ignore que l’autre ne peut acquitter sa dette. Mais l’empêchement par lequel quelqu’un ne peut acquitter sa dette en droit, comme la consanguinité, annulle le mariage contracté, que l’autre le connaisse ou non. Pour cette raison, le Maître affirme que ces deux choses rendent les personnes inaptes en droit.

[20152] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non potest esse perpetuum impedimentum naturale in viro respectu unius personae et non respectu alterius ; sed si non possit implere carnalem actum cum virgine, et possit cum corrupta, tunc medicinaliter aliquo instrumento posset claustra pudoris frangere, et ei conjungi. Nec esset hoc contra matrimonium ; quia non fieret ad delectationem, sed ad medicamentum. Abominatio autem mulieris non est causa naturalis, sed accidentalis extrinseca ; et ideo de ea idem est judicium quod de maleficio, de quo post dicetur.

5. Il ne peut exister un empêchement naturel chez le mari à l’endroit d’une seule personne et non à l’endroit d’une autre. Mais s’il ne peut accomplir l’union charnelle avec une vierge et le peut avec une femme déflorée, il pourrait alors rompre l’hymen par voie médicale à l’aide d’un instrument et lui être unie. Et cela ne serait pas contraire au mariage, car cela ne serait pas fait pour le plaisir mais à titre de remède. Mais l’aversion à l’égard d’une femme n’est pas une cause naturelle mais accidentelle extérieure. C’est pourquoi on porte sur elle le même jugement que sur le sortilège, dont on parlera plus loin.

[20153] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mas est agens in generatione, sed femina est patiens ; et ideo major caliditas requiritur in viro ad opus generationis quam in muliere ; unde frigiditas, quae facit virum impotentem, non faceret mulierem impotentem. Sed in muliere potest esse impedimentum naturale ex causa alia, scilicet arctatione ; et tunc idem est judicium de arctatione mulieris, et de frigiditate viri.

6. L’homme est actif dans la génération, mais la femme est passive. C’est pourquoi une plus grande chaleur est nécessaire chez l’homme pour l’acte de la génération que chez la femme. Aussi la frigidité qui rend l’homme impuissant ne rendrait-elle pas la femme impuissante. Mais, chez la femme, il peut exister un empêchement naturel pour une autre cause, à savoir, le resserrememnt. Le jugement est alors le même pour le resserrement de la femme que pour la frigidité de l’homme.

 

 

Articulus 3

[20154] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 tit. Utrum maleficium possit matrimonium impedire

Article 3 – Un sortilège peut-il empêcher le mariage ?

[20155] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod maleficium non possit matrimonium impedire. Hujusmodi enim maleficia fiunt operatione Daemonum. Sed Daemones non habent potestatem impediendi matrimonii actum magis quam alios corporales actus, quos impedire non possunt ; quia sic totum mundum perverterent ; si comestionem et gressum et alia hujusmodi impedirent. Ergo per maleficia non potest impediri matrimonium.

1. Il semble qu’un sortilège ne puisse empêcher le mariage. En effet, les sortilèges de ce genre sont accomplis par l’opération des démons. Or, les démons n’ont pas le pouvoir d’empêcher l’acte du mariage plus que les autres actes corporels, qu’ils ne peuvent empêcher, car ainsi ils bouleverseraient l’ensemble du monde, s’ils empêchaient de manger, de marcher et les autres choses de ce genre. Le mariage ne peut donc être empêché par des sortilèges.

[20156] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, opus Dei est fortius quam opus Diaboli. Sed maleficium est opus Diaboli. Ergo non potest impedire matrimonium, quod est opus Dei.

2. L’action de Dieu est plus forte que l’acte du Diable. Or, le sortilège est l’œuvre du Diable. Il ne peut donc empêcher le mariage, qui est une œuvre de Dieu.

[20157] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullum impedimentum dirimit contractum matrimonii, nisi sit perpetuum. Sed maleficium non potest esse impedimentum perpetuum : quia cum Diabolus non habeat potestatem nisi super peccatores, expulso peccato tolletur maleficium ; vel etiam per aliud maleficium, vel per exorcismos Ecclesiae, qui sunt ordinati ad reprimendam vim Daemonum. Ergo maleficium non potest impedire matrimonium.

3. Aucun empêchement ne dirime le contrat de mariage s’il n’est pas perpétuel. Or, le sortilège ne peut être un empêchement perpétuel, car, puisque le Diable n’a de pouvoir que sur les pécheurs, le sortilège sera chassé lorsque le péché est chassé, que ce soit par un autre sortilège ou par les exorcismes de l’Église, qui sont ordonnés à réprimer la puissance des démons. Le sortilège ne peut donc pas empêcher le mariage.

[20158] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, carnalis copula non potest impediri nisi impediatur potentia generandi, quae est principium ejus. Sed unius viri potentia generativa se habet ad omnes mulieres aequaliter. Ergo per maleficium non potest esse impedimentum respectu unius viri, nisi sit respectu omnium.

4. L’union charnelle ne peut être empêchée que si est empêchée la puissance d’engendrer, qui en est le principe. Or, la puissance génératrice s’adresse à toutes les femmes d’une manière égale. Il ne peut donc y avoir d’empêchement par un sortilège pour un seul homme à moins que ce ne soit par rapport à toutes les femmes.

[20159] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Decret. 33, qu. 1 : si per sortiarias vel maleficas ; et infra : si sanari non potuerint, separari valebunt.

Cependant, [1] il est dit dans le Décret, 33, q. 1 : « Si, par des sorcières ou des magiciennes », et plus loin : « S’ils ne peuvent être guéris, ils pourront être séparés. »

[20160] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, potestas Daemonis est major quam hominis. Job 40, 24 : non est potestas super terram quae comparetur ei. Sed opere humano potest aliquis vir fieri impotens ad carnalem copulam per aliquam potestatem, vel castraturam ; et ex hoc matrimonium impediri. Ergo multo fortius hoc virtute Daemonis fieri potest.

[2] La puissance du Démon est plus grande que celle de l’homme, Jb 40, 24 : Il n’y a pas de puissance sur la terre qui se compare à la sienne. Or, un homme peut être rendu impuissant à l’union charnelle par une force ou par la castration, et ainsi le mariage peut être empêché. À bien plus forte raison, cela peut-il être accompli par la puissance du Démon.

[20161] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt, quod maleficium nihil erat in mundo, nisi in aestimatione hominum, qui effectus naturales, quorum causae sunt occultae, maleficiis imputabant. Sed hoc est contra auctoritates sanctorum, qui dicunt, quod Daemones habent potestatem supra corpora, et supra imaginationem hominum, quando a Deo permittuntur ; unde per eos malefici signa aliqua facere possunt. Procedit autem haec opinio ex radice infidelitatis, sive incredulitatis, quia non credunt esse Daemones nisi in aestimatione vulgi tantum, ut terrores quos homo sibi ipsi facit ex sua aestimatione, imputet Daemoni ; et quia etiam ex imaginatione vehementi aliquae figurae apparent in sensu tales quales homo cogitat, et tunc creduntur Daemones videri. Sed haec vera fides repudiat, per quam Angelos de caelo cecidisse, et Daemones esse credimus, et ex subtilitate suae naturae multa posse quae nos non possumus ; et ideo illi qui eos ad talia facienda inducunt, malefici vocantur. Et ideo dixerunt alii, quod per maleficia praestari potest impedimentum carnali copulae ; sed nullum tale est perpetuum ; unde non dirimit matrimonium contractum ; et dicunt, jura quae hoc dicebant, esse revocata. Sed hoc est contra experimentum, et contra nova jura, quae antiquis concordant. Et ideo distinguendum est : quia impotentia coeundi ex maleficio aut est perpetua, et tunc matrimonium dirimit ; aut non est perpetua, et tunc non dirimit. Et ad hoc experiendum eodem modo Ecclesia tempus praefixit, triennium scilicet, sicut de frigiditate dictum est. Tamen haec est differentia inter maleficium et frigiditatem : quia qui est impotens ex frigiditate, sicut est impotens ad unam, ita ad aliam ; et ideo quando matrimonium dirimitur, non datur ei licentia ut alteri conjungatur : sed ex maleficio homo potest esse impotens ad unam, et non ad aliam ; et ideo quando judicio Ecclesiae matrimonium dirimitur, utrique datur licentia quod alteram copulam quaerat.

Réponse

Certains ont dit que le sortilège n’existait en ce monde que dans le jugement des hommes, qui imputaient à des sortilèges les effets naturels dont les causes sont cachées. Mais cela est contraire aux autorités des saints, qui disent que les démons ont un pouvoir sur les corps et sur l’imagination des hommes, lorsque Dieu le leur permet. Aussi peuvent-ils accomplir par eux des signes de sortilège. Or, cette opinion vient en sa racine de l’incroyance ou de l’incrédulité, car ils croient que les démons n’existent que dans le jugement du peuple, de sorte qu’il impute au Démon les terreurs que l’homme provoquent pour lui-même par son jugement et aussi parce que certaines figures auxquelles l’homme croit surgissent d’une imagination impétueuse dans le sens et qu’on croit alors voir des démons. Mais la vraie foi répudie cela : par elle, nous croyons que les anges sont tombés du ciel et que les démons existent, et que, par la subtilité de leur nature, ils peuvent faire beaucoup de choses que nous ne pouvons pas. Ainsi, ceux qui les incitent à faire de telles choses sont appelés des sorciers. Aussi d’autres ont-ils dit qu’on peut provoquer un empêchement à l’union charnelle par des sortilèges, mais qu’aucun de ceux-ci n’est perpétuel. Aucun d’eux ne dirime donc le mariage contracté ; et ils disent que les lois qui affirmaient cela ont été révoquées. Mais cela va à l’encontre de l’expérience et contre le droit nouveau, qui est en accord avec l’ancien. C’est pourquoi il faut faire une distinction, car l’impuissance à l’union charnelle due à un sortilège est soit perpétuelle, et elle dirime alors le mariage, soit non perpétuelle, et alors elle ne le dirime pas. Et pour vérifier cela, l’Église a déterminé une période, à savoir, trois ans, comme on l’a dit à propos de la frigidité. Cependant, il existe une différence entre le sortilège et la frigidité, car celui qui est impuissant en raison de la frigidité, de même qu’il est impuissant à l’endroit d’une femme, de même est-il impuissant à l’endroit d’une autre. C’est pourquoi, lorsque le mariage est dirimé, la permission d’en marier une autre autre ne lui est pas donnée. Mais, par un sortilège, un homme peut être impuissant à l’endroit d’une femme, et non à l’endroit d’une autre. C’est pourquoi, lorsque le mariage est dirimé par le jugement de l’Église, la permission est donnée aux deux de chercher une autre union charnelle.

[20162] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia corruptio peccati prima, per quam homo servus est factus Diaboli, in nos per actum generantem devenit, ideo maleficii potestas permittitur Diabolo a Deo in hoc actu magis quam in aliis ; sicut in serpentibus magis ostenditur virtus maleficiorum, ut dicitur, quam in aliis animalibus, quia per serpentem Diabolus mulierem tentavit.

1. Parce que la première corruption du péché, par laquelle l’homme est devenu serviteur du Diable, passe en nous par l’acte de la génération, la puissance du sortilège est permise au Diable par Dieu pour cet acte plutôt que pour d’autres, comme la puissance des sortilèges est plutôt montrée, comme on dit, dans les serpents que dans les autres animaux, parce que le Diable a tenté la femme par un serpent.

[20163] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opus Dei potest opere Diaboli impediri divina permissione ; non quod Diabolus Deo sit fortior, ut per violentiam opera ejus destruat.

2. L’action de Dieu peut être empêchée par l’action du Diable par permission divine ; mais ce n’est pas parce que le Diable est plus fort que Dieu, de sorte qu’il détruise ses œuvres par la force.

[20164] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod maleficium est ita perpetuum quod non potest habere remedium humano opere ; quamvis Deus posset remedium praestare Daemonem cogendo, vel etiam Daemon desistendo. Non enim oportet semper ut id quod per maleficium factum est, possit per maleficium aliud destrui, ut ipsi malefici confitentur, et tamen si posset per maleficium remedium adhiberi, nihilominus perpetuum reputaretur : quia nullo modo debet aliquis Daemonis auxilium per maleficia invocare. Similiter non oportet quod si propter peccatum aliquod data est Diabolo potestas in aliquem, cessante peccato cesset potestas : quia poena interdum remanet culpa transeunte. Similiter etiam exorcismi Ecclesiae non valent ad reprimendum Daemones semper quantum ad omnes molestias corporales, judicio divino hoc exigente ; semper tamen valent contra illas infestationes Daemonum contra quas principaliter instituta sunt.

3. Un sortilège est à ce point perpétuel qu’il ne peut trouver remède par l’intervention humaine, bien que Dieu pourrait lui apporter remède en forçant le Démon ou encore en arrêtant le Démon. En effet, il n’est pas nécessaire que ce qui a été accompli par le sortilège puisse être détruit par un autre sortilège, comme les sorciers eux-mêmes le confessent ; cependant, si on pouvait apporter un remède par un sortilège, il serait néanmoins considéré comme perpétuel, car on ne doit d’aucune manière invoquer l’aide des démons par des sortilèges. De même, il n’est pas nécessaire que si, en raison d’un péché, un pouvoir a été donnée au Diable sur quelqu’un, ce pouvoir cesse lorsque le péché cesse, car la peine demeure parfois, alors que la faute passe. De même aussi, si le jugement divin l’exige, les exorcismes de l’Église ne peuvent pas toujours réprimer les démons pour tous les embarras corporels ; cependant, ils gardent toujours leur pouvoir contre les attaques qu’ils ont été institués pour contrer.

[20165] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod maleficium quandoque potest praestare impedimentum ad omnes, quandoque ad unam tantum : quia Diabolus voluntaria causa est, non ex necessitate naturae agens. Et praeterea impedimentum maleficii potest esse ex impressione Daemonis in imaginatione hominis, ex qua tollitur viro concupiscentia movens ad talem mulierem, et non ad aliam.

4. Un sortilège peut parfois apporter un empêchement à l’endroit de toutes les femmes, et parfois à l’endroit d’une seule, parce que le Diable est une cause volontaire, et qui n’agit pas par nécessité de nature. De plus, l’empêchement du sortilège peut venir d’une impression du Démon dans l’imagination de l’homme, par laquelle est enlevée à un homme la concupiscence qui le meut vers telle femme, et non vers une autre.

 

 

Articulus 4

[20166] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 tit. Utrum furia impediat matrimonium

Article 4 – La folie empêche-t-elle le mariage ?

[20167] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod furia non impediat matrimonium. Matrimonium enim spirituale, quod in Baptismo contrahitur, est dignius quam carnale. Sed furiosi possunt baptizari. Ergo et matrimonium contrahere.

1. Il semble que la folie n’empêche pas le mariage. En effet, le mariage spirituel, qui est contracté par le baptême, est plus digne que le mariage charnel. Or, les fous peuvent être baptisés. Ils peuvent donc contracter mariage.

[20168] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, frigiditas impedit matrimonium, inquantum impedit carnalem copulam, quae non impeditur per furiam. Ergo nec matrimonium.

2. La frigidité empêche le mariage pour autant qu’elle empêche l’union charnelle, qui n’est pas empêchée par la folie. Ni donc le mariage.

[20169] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, matrimonium non dirimitur nisi per aliquod impedimentum perpetuum. Sed de furia non potest sciri quod sit impedimentum perpetuum. Ergo non dirimit matrimonium.

3. Le mariage n’est dirimé que par un empêchement perpétuel. Or, on ne peut savoir si la folie est un empêchement perpétuel. Elle ne dirime donc pas le mariage.

[20170] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, in versibus praedictis sufficienter continentur impedimenta dirimentia matrimonium. Sed ibi non fit mentio de furia. Ergo et cetera.

4. Dans les vers qui ont été rappelés, les empêchements qui diriment le mariage sont contenus de manière suffisante. Or, il n’y est pas fait mention de la folie. Donc, etc.

[20171] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, plus tollit rationis usum furia quam error. Sed error impedit matrimonium. Ergo et furia.

Cependant, [1] la folie enlève davantage l’usage de la raison que l’erreur, Or, l’erreur empêche le mariage. Donc, la folie aussi.

[20172] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, furiosi non sunt idonei ad aliquem contractum faciendum. Sed matrimonium est contractus quidam. Ergo et cetera.

[2] Les fous ne sont aptes à conclure aucun contrat. Or, le mariage est un contrat. Donc, etc.

[20173] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod furia aut praecedit matrimonium, aut sequitur. Si sequitur, nullo modo dirimit matrimonium. Si autem praecedit ; aut furiosus habet lucida intervalla, aut non. Si habet, tunc quamvis dum est in illo intervallo non sit tutum quod matrimonium contrahat, quia nescit prolem educare ; tamen si contrahit, matrimonium est. Si autem non habet, vel si quando non habet, contrahit ; tunc quia non potest esse consensus ubi deest rationis usu, non erit verum matrimonium.

Réponse

La folie précède ou suit le mariage. Si elle le suit, elle ne dirime aucunement le mariage. Mais si elle le précède, ou bien le fou a des intervalles de lucidité, ou bien il n’en a pas. S’il en a, bien qu’il ne soit pas sûr qu’il contracte mariage dans cet intervalle, car il ne sait pas comment élever une descendance, s’il le contracte néanmoins, c’est un mariage. Mais s’il n’a pas [d’intervalles de lucidité] ou s’il contracte mariage alors qu’il n’en a pas, ce ne sera pas alors un vrai mariage parce qu’il ne peut y avoir consentement là ou l’usage de la raison fait défaut.

[20174] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod usus rationis non exigitur ad Baptismum quasi causa ipsius, sicut exigitur ad matrimonium ; et ideo non est similis ratio. Tamen de Baptismo furiosorum supra, distinct. 6, dictum est.

1. L’usage de la raison n’est pas nécessaire pour le baptême comme cause de celui-ci, comme il est nécessaire pour le mariage. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. Cependant, on a parlé plus haut du baptême des fous, d. 6.

[20175] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod furia impedit matrimonium ratione causae suae, quae est consensus, quamvis non ratione actus, ut frigiditas. Sed tamen simul cum frigiditate Magister determinat, quia utrumque est quidam naturae defectus.

2. La folie empêche le mariage en raison de sa cause, qui est le consentement, bien qu’elle ne l’empêche pas en raison de son acte, comme la frigidité. Toutefois, le Maître détermine en même temps que pour la frigidité, que les deux sont des carences de la nature.

[20176] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod momentaneum impedimentum, quod causam matrimonii, scilicet consensum, impedit, matrimonium totaliter tollit. Sed impedimentum quod impedit actum, oportet esse perpetuum ad hoc quod matrimonium tollat.

3. Un empêchement temporaire qui empêche la cause du mariage, à savoir, le consentement, empêche totalement le mariage. Mais l’empêchement qui empêche l’acte doit être perpétuel pour écarter le mariage.

[20177] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc impedimentum reducitur ad errorem : quia utrobique defectus consensus ex parte rationis est.

4. Cet empêchement se ramème à l’erreur, car il existe dans les deux cas une carence de consentement de la part de la raison.

 

 

Articulus 5

[20178] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 tit. Utrum incestus quo quis cognoscit sororem uxoris suae, matrimonium dirimat

Article 5 – L’inceste, par lequel quelqu’un connaît la sœur de son épouse, dirime-t-il le mariage ?

[20179] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod incestus quo quis cognoscit sororem uxoris suae, matrimonium non dirimat. Quia mulier non debet puniri pro peccato viri. Sed puniretur, si matrimonium solveretur. Ergo et cetera.

1. Il semble que l’inceste, par lequel quelqu’un connaît la sœur de son épouse, ne dirime pas le mariage, car une femme ne doit pas être punie pour le péché de son mari. Or, elle serait punie si le mariage était dissous. Donc, etc.

[20180] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, plus peccat qui propriam consanguineam cognoscit, quam qui cognoscit consanguineam uxoris. Sed primum peccatum non impedit matrimonium. Ergo nec secundum.

2. Celui qui connaît sa propre consanguine pèche davantage que celui qui connaît une consanguine de son épouse. Or, le premier péché n’empêche pas le mariage. Donc, ni le second.

[20181] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, si in poenam peccati hoc infligitur, videtur, etiam si mortua uxore cum alia contrahat incestuosus, quod separari debeant ; quod non est verum.

3. Si cela est infligé comme peine pour le péché, il semble qu’ils doivent être séparés, même si, après la mort de son épouse, l’incestueux contracte [mariage] avec l’autre, ce qui n’est pas vrai.

[20182] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, hoc etiam impedimentum non connumeratur inter alia supra enumerata. Ergo non dirimit contractum matrimonium.

4. Cet empêchement n’est pas énuméré parmi les autres qui ont été énumérés plus haut. Il ne dirime donc pas le mariage contracté.

[20183] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quia per hoc quod cognoscit sororem uxoris, contrahitur affinitas ad uxorem. Sed affinitas dirimit matrimonium contractum. Ergo et incestus praedictus.

Cependant, [1] du fait qu’il connaît la sœur de son épouse, il contracte une affinité avec son épouse. Or, l’affinité dirime le mariage contracté. Donc, l’inceste en question aussi.

[20184] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, in quo quis peccat, in hoc punitur. Sed talis peccat contra matrimonium. Ergo debet puniri, ut matrimonio privetur.

[2] On est puni là où on a péché. Or, celui-ci pèche contre le mariage. Il doit donc être puni en étant privé de mariage.

[20185] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod si aliquis cognoscit sororem aut aliam consanguineam uxoris suae ante matrimonium contractum, etiam post sponsalia, oportet matrimonium separari ratione affinitatis contractae. Si autem post matrimonium contractum et consummatum, non debet totaliter separari matrimonium ; sed vir amittit jus petendi debitum, nec potest petere sine peccato ; sed tamen debet reddere petenti, quia uxor non debet puniri de peccato viri. Sed post mortem uxoris debet omnino manere absque spe conjugii, nisi cum eo dispensetur propter fragilitatem suam, cui timetur de illicito coitu. Si tamen praeter dispensationem contrahat, peccat contra statutum Ecclesiae faciens ; non tamen propter hoc matrimonium separandum est.

Réponse

Si quelqu’un connaît la sœur ou une autre consanguine de son épouse avant de contracter mariage, et même après les fiançailles, il faut que le mariage soit séparé en raison de l’affinité contractée. Mais si cela se produit après que le mariage a été contracté et consommé, le mariage ne doit pas être totalement séparé, mais le mari perd le droit de demander ce qui lui est dû et il ne peut le demander sans péché. Cependant, il doit rendre ce qui est dû à celle qui le demande, car l’épouse ne doit pas être punie pour un péché de son mari. Mais après la mort de son épouse, il doit demeurer complètement sans espoir de mariage, à moins qu’on l’en dispense en raison de sa fragilité, parce qu’on craint une union charnelle défendue. Cependant, s’il contracte sans dispense, il pèche en agissant contre une décision de l’Église ; toutefois, le mariage ne doit pas être séparé pour cette raison.

[20186] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta : quia incestus ponitur matrimonii impedimentum non tam ratione culpae, quam ratione affinitatis quam causat ; et ideo etiam non connumeratur aliis impedimentis, sed in impedimento affinitatis includitur.

La réponse aux objections est ainsi claire, car l’inceste est donné comme un empêchement au mariage, non pas tant en raison de la faute qu’en raison de l’affinité qu’il cause. C’est pourquoi il n’est pas énuméré avec les autres empêchements, mais est inclus dans l’empêchement d’affinité.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 34

[20187] Super Sent., lib. 4 d. 34 q. 1 a. 5 expos. Maneant uterque innupti. Hoc intelligitur quando ex utroque impedimentum allegatur : alias ille tantum innuptus manere debet ex cujus parte impedimentum proponitur. Quod si mulier causetur, et dicat : volo esse mater, et filios procreare et cetera. Videtur ex hoc quod ratione sterilitatis matrimonium solvi possit. Et dicendum, quod non : quia in sterilibus etsi matrimonium non habeat intentum suum, secundum quod est in officium naturae, habet tamen secundum quod est in remedium per carnalem copulam ; unde ponitur hic procreatio filiorum pro carnali copula, quam mulieres verecundantur expetere. Septima manu propinquorum juret quod nunquam carnaliter convenerint. Divortium hoc modo fieri debet. Cum impotentia coeundi allegatur, si uterque confiteatur, scilicet vir et uxor ; vel si est evidens impedimentum, ut in eunuchis, possunt statim separari. Si autem non est evidens, praecipiendum est eis ut adhuc cohabitent bona fide carnali copulae operam dantes. Quod si usque ad triennium fieri nequit, tunc jurabit uterque quod bona fide operam dantes, carnaliter conjungi non potuerunt ; et ut divortium non de facili celebretur, requiritur quod septem de propinquis, qui melius de hoc possunt per signa probabilia scire veritatem, jurent quod credant eos verum dixisse. Perjurii crimine rei teneantur ; idest, eorum testimonium ita pro nihilo computatur ac si perjuri essent ; non tamen culpam aut infamiam perjurii incurrunt, si eos verum dicere credebant. Sed si vir asserit se debitum reddidisse uxori, et illa diffitetur, cui potius fides habenda sit merito quaeritur. Item sciendum, quod quando vir asserit copulam carnalem praecessisse, mulier negat ; standum est juramento viri, nisi per aspectum corporis sui mulier probare velit virum esse mentitum. Si tamen vir falsum jurat, et uxor contrarium non possit probare, potest sibi providere de seorsum jacendo, ne ex impetitione viri ad libidinem provocetur, et periculum incontinentiae immineat. Si autem vir neget carnalem copulam praecessisse, non est standum juramento ejus, quamvis sit caput mulieris, si mulier affirmet : quia sic daretur facultas multis viris dimittendi uxores suas. Quod in fine hujus capituli continetur, ex rigore magis dictum intelligendum est quam ex canonica aequitate. Sciendum est, quod si maleficium fuerit generaliter respectu cujuslibet faciens impotentiam coeundi, tunc si alteri nupserit, ostendetur impedimentum non fuisse perpetuum ; unde debet ad prius conjugium redire. Si autem fuerit personale, idest respectu specialis personae, cum utrique detur licentia alteri nubendi ; non potest reddita potentia nubendi ad pristinum matrimonium redire, quia nullum fuit, et secundum est verum matrimonium. Sed si contractum fuerit, non separentur. Hoc intelligitur, si fuit contractum quando habebant lucida intervalla. Nec propriae uxori licet sibi reddere debitum. Hoc non tenetur modo. Vel dicendum, quod reddere debitum vocat universaliter carnalem copulam, quia privatus est quantum est ex parte sua, quamvis uxori suum jus remaneat. Quamvis enim matrimonium non claudicet, tamen jus petendi debitum potest esse in uno, et non in alio.

 

 

 

Distinctio 35

Distinction 35 – [Le mari peut-il renvoyer sa femme pour cause de fornication ?]

Prooemium

Prologue

[20188] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 pr. Postquam determinavit de impotentia coeundi, quae actum matrimonii impedit, hic determinat de separatione a toro propter peccatum fornicationis, quae similiter actum matrimonii tollit vinculo matrimoniali durante ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quomodo adulterium sequens matrimonium tollit actum matrimonii vinculo matrimoniali durante ; in secunda ostendit quomodo adulterium praecedens matrimonium, etiam matrimoniale vinculum tollit, ibi : solet etiam quaeri, an valeat duci in conjugium quae prius est polluta per adulterium. Prima in duas : in prima ostendit quando licet uxorem dimittere propter fornicationem ; in secunda inquirit, utrum dimittere sit necessitatis, an liceat ei eam retinere, ibi : dicit tamen Joannes Chrysostomus et cetera. Prima in duas : in prima ostendit quod viro licet dimittere uxorem, et e converso, propter fornicationem commissam ; in secunda ostendit quod neutri post separationem licet nubere propter prioris matrimonii vinculum manens, ibi : si quis autem fornicationis expers fornicariam dimiserit, alii copulari non potest. Circa primum duo facit : primo ostendit quod uterque conjugum potest alium dimittere propter fornicationem, quando ipse est a fornicatione immunis ; secundo ostendit quod hoc non potest fieri, quando ipse simili crimini subjacet, ibi : si vero quaeritur, an adulter adulteram possit dimittere causa fornicationis ; dicimus et cetera. Hic quaeruntur sex : 1 utrum liceat viro uxorem dimittere causa fornicationis ; 2 utrum ad hoc teneatur ; 3 utrum possit dimittere proprio judicio, vel judicium Ecclesiae requiratur ; 4 utrum vir et uxor quantum ad hoc sint aequalis conditionis ; 5 utrum post divortium debeant manere innupti ; 6 de reconciliatione.

Après avoir déterminé de l’impuissance à l’union charnelle, qui empêche l’acte du mariage, le Maître détermine ici de la séparation du lit nuptial en raison du péché de fornication, qui écarte de même l’acte du mariage alors que demeure le lien matrimonial. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment l’adultère qui suit le mariage écarte l’acte du mariage alors que demeure le lien matrimonial ; dans la seconde, il montre comment l’adultère précédant le mariage enlève même le lien matrimonial, à cet endroit : « On a coutume de demander si l’on peut épouser celle qui a été souillée auparavant par l’adultère. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quand il est permis d’écarter son épouse en raison de la forncation ; dans la seconde, il se demande s’il est nécessaire de l’écarter ou s’il est permis de la garder, à cet endroit : « Jean Chrysostome dit cependant, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre qu’il est permis au mari d’écarter son épouse, et inversement, en raison de la fornication commise ; dans la seconde, il montre qu’il n’est permis à aucun des deux de se marier après la séparation parce que le lien du premier mariage demeure, à cet endroit : « Mais si quelqu’un qui n’a pas part à la fornication écarte celle qui a forniqué, il ne peut s’unir à une autre. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que chacun des deux époux peut renvoyer l’autre pour raison de fornication, lorsqu’il est lui-même exempt de fornication ; deuxièmement, il montre que cela ne peut se faire lorsqu’il est lui-même coupable du même crime, à cet endroit : « Mais si on demande si un mari adultère peut renvoyer son épouse adultère pour cause de fornication, nous disons, etc. » Ici, six questions sont posées : 1 – Est-il permis au mari de renvoyer son épouse pour cause de fornication ? 2 – Est-il tenu de le faire ? 3 – Peut-il le faire de son propre jugement ou le jugement de l’Église est-il nécessaire ? 4 – Le mari et la femme sont-ils de condition égale à cet égard ? 5 – Doivent-ils demeurer non mariés après le divorce ? 6 – À propos de la réconciliation.

 

 

Articulus 1

[20189] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 tit. Utrum propter fornicationem liceat viro uxorem dimittere

Article 1 – Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme pour cause de fornication ?

[20190] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod propter fornicationem non liceat viro uxorem dimittere. Non enim pro malo est malum reddendum. Sed vir dimittens uxorem propter fornicationem, videtur malum pro malo reddere. Ergo hoc non licet.

1. Il semble qu’il ne soit pas permis à un mari de renvoyer sa femme pour cause de fornication. En effet, il ne faut pas rendre le mal pour le mal. Or, un mari, en renvoyant sa femme en raison de la fornication, semble rendre le mal pour le mal. Cela ne lui est donc pas permis.

[20191] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, majus peccatum est si uterque fornicetur quam si alter tantum. Sed si uterque fornicetur, non poterit fieri divortium propter hoc. Ergo nec si unus tantum fornicatus fuerit.

2. C’est une plus grand péché si les deux forniquent plutôt qu’un seul seulement. Or, si les deux forniquent, il ne pourra pas y avoir de divorce pour cette raison. Donc, non plus si un seul a forniqué.

[20192] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, fornicatio spiritualis et quaedam alia peccata sunt graviora quam fornicatio carnalis. Sed propter illa non potest fieri separatio a toro. Ergo nec propter fornicationem carnalem.

3. La fornication spirituelle et certains autres péchés sont plus graves que la fornication charnelle. Or, il ne peut y avoir d’éloignement du lit conjugal à cause de cela. Donc, ni en raison de la fornication charnelle.

[20193] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, vitium contra naturam magis remotum est a matrimonii bonis quam fornicatio, quae modo naturae fit. Ergo magis debuit poni causa separationis quam fornicatio.

4. Le vice contre nature est plus éloigné des biens du mariage que la fornication, qui est accompli selon le mode de la nature. Il aurait donc dû plutôt être donné comme cause de séparation que la fornication.

[20194] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 5.

Cependant, [1] Mt 5 dit le contraire.

[20195] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illi qui frangit fidem, non tenetur aliquis fidem observare. Sed conjux fornicando frangit fidem quam alteri conjugi debet. Ergo alter potest alterum propter causam fornicationis dimittere.

[2] On n’est pas tenu de maintenir sa foi envers celui qui la rompt. Or, l’époux, en forniquant, rompt la foi qu’il doit à l’autre époux. L’un peut donc renvoyer l’autre pour cause de fornication.

[20196] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod dominus dimittere uxorem concessit propter fornicationem in poenam illius qui fidem fregit, et in favorem illius qui servavit, ut non sit astrictus ad reddendum debitum ei qui non servavit fidem. Et propter hoc excipiuntur septem casus in quibus non licet viro uxorem dimittere fornicantem, in quibus vel uxor a culpa immunis est, vel utrique sunt aequaliter culpabiles. Primus est, si ipse vir similiter fornicatus fuerit. Secundus, si ipse uxorem prostituerit. Tertius, si uxor virum suum mortuum probabiliter credens propter longam ejus absentiam, alteri nupserit. Quartus est, si latenter cognita est ab aliquo sub specie viri lectum subintrante. Quintus, si fuerit vi oppressa. Sextus, si reconciliaverit eam sibi post adulterium perpetratum, carnaliter eam cognoscens. Septimus, si matrimonio in infidelitate utriusque contracto, vir dederit uxori libellum repudii, et uxor alteri nupserit ; tunc enim si utrique convertantur, tenetur eam vir recipere.

Réponse

Le Seigneur a concédé que l’épouse pouvait être renvoyée pour cause de fornication comme une peine pour celui qui a rompu la foi et une faveur pour celui qui l’a gardée, afin qu’il ne soit pas tenu d’acquitter sa dette envers celle qui n’a pas gardé la foi. Pour cette raison, il y a sept exceptions où il n’est pas permis au mari de renvoyer sa femme qui fornique, dans lesquelles l’épouse est exempte de faute ou encore les deux sont coupables. Le premier est que le mari lui-même a aussi forniqué. Le deuxième, s’il a prostitué son épouse. Le troisième, si l’épouse, croyant son mari probablement mort en raison de sa longue absence, en a épousé un autre. Le quatrième, si elle a été secrètement connue par quelqu’un qui s’est introduit [dans le lit] sous l’apparence de son mari. Le cinquième, si elle est opprimée par la violence. Le sixième, si [le mari] s’est réconciliée avec elle après l’accomplissement de l’adultère. Le septième, si le mari a donné à son épouse un livret de répudiation et si l’épouse en a épousé un autre, alors que le mariage a été contracté pendant que les deux étaient infidèles : en effet, si les deux se convertissent, le mari est tenu d’accueillir son épouse.

[20197] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vir si dimittat uxorem fornicantem livore vindictae, peccat ; si autem ad infamiam propriam cavendam, ne videatur particeps criminis, vel ad vitium uxoris corrigendum, vel ad evitandum prolis incertitudinem, non peccat.

1. Si un mari renvoie son épouse qui fornique sous l’impulsion de la vengeance, il pèche ; mais si c’est pour éviter son propre déshonneur, afin de ne pas paraître prendre part à un crime, ou pour corriger le vice de son épouse, ou pour éviter une incertitude à propos de la descendance, il ne pèche pas.

[20198] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divortium ex causa fornicationis fit uno accusante alium ; et quia nullus potest accusare qui in simili crimine existit, quando uterque fornicatur, divortium celebrari non potest ; quamvis magis peccetur contra matrimonium utroque fornicante quam altero tantum.

2. Le divorce pour cause de fornication se réalise lorsque l’un accuse l’autre. Et parce que personne ne peut accuser alors qu’il se trouve dans le même crime, lorsque les deux forniquent, le divorce ne peut être célébré, bien qu’on pèche davantage contre le mariage si les deux forniquent que si un seul le fait.

[20199] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fornicatio est directe contra bona matrimonii ; quia tollitur per eam certitudo prolis, et fides frangitur, et significatio non servatur, dum unus conjugum pluribus carnem suam dividit ; et ideo alia crimina quamvis forte sint majora fornicatione, non causant divortium. Sed quia infidelitas, quae dicitur spiritualis fornicatio, etiam est contra matrimonii bonum, quod est proles educanda ad cultum Dei ; etiam ipsa facit divortium ; sed tamen aliter quam corporalis fornicatio ; quia propter unum actum fornicationis carnalis potest procedit ad divortium, non autem propter unum actum infidelitatis, sed propter consuetudinem quae pertinaciam ostendit, in qua infidelitas perficitur.

3. La fornication est directement contraire aux biens du mariage, car la certitude à propos de la descendance est enlevée par elle, la foi est rompue et la signification n’est pas conservée lorsqu’un des époux partage sa chair entre plusieurs. C’est pourquoi les autres crimes, bien qu’ils soient plus grands que la fornication, ne causent pas le divorce. Mais parce que l’infidélité, qu’on appelle une fornication spirituelle, est aussi contraire au bien du mariage qui consiste à élever une descendance en vue du culte de Dieu, et cause elle-même un divorce, mais autrement que la fornication corporelle, car on peut procéder [corr. procedit/procedi] au divorce pour un seul acte de fornication, et non pour un seul acte d’infidélité, mais en raison d’une habitude qui montre l’obstination, en raison de laquelle l’infidélité est accomplie.

[20200] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam propter vitium contra naturam potest procedi ad divortium ; sed tamen non fit ita mentio de ipso, tum quia est passio innominabilis, tum quia rarius accidit, tum quia non ita causat incertitudinem prolis.

4. On peut procéder au divorce même pour le vice contre nature, mais on n’en fait pas autant mention parce qu’il est une passion sans nom, qu’il se produit plus rarement et parce qu’il ne cause pas une aussi grande incertitude à propos de la descendance.

 

 

Articulus 2

[20201] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 tit. Utrum vir teneatur ex praecepto uxorem fornicantem dimittere

Article 2 – Un mari est-il tenu en vertu d’un précepte de renvoyer son épouse qui fornique ?

[20202] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod vir teneatur ex praecepto uxorem fornicantem dimittere. Vir enim, cum sit caput uxoris, tenetur uxorem corrigere. Sed separatio a toro est inducta ad correctionem uxoris fornicantis. Ergo tenetur eam a se separare.

1. Il semble qu’un mari ne soit pas tenu en vertu d’un précepte de renvoyer son épouse qui fornique. En effet, puisqu’il est le chef de l’épouse, le mari est tenu de corriger son épouse. Or, la séparation du lit conjugal a été introduite pour corriger l’épouse qui fornique. [Le mari] est donc tenu de se séparer d’elle.

[20203] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, qui consentit peccanti mortaliter, ipse etiam mortaliter peccat. Sed retinens uxorem fornicantem, videtur consentire ei, ut in littera dicitur. Ergo peccat, nisi eam a se ejiciat.

2. Celui qui consent à celui qui pèche mortellement pèche lui-même mortellement. Or, celui qui garde son épouse qui fornique semble consentir à elle, comme on le dit dans le texte. Il pèche donc s’il ne l’éloigne pas de lui.

[20204] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, 1 Corinth., 6, 16, dicitur : qui adhaeret meretrici, unum corpus efficitur. Sed non potest aliquis simul esse membrum meretricis et Christi, ut ibidem dicitur. Ergo vir uxori fornicanti adhaerens, membrum Christi esse desinit, mortaliter peccans.

3. Il est dit en 1 Co 6, 16 : Celui qui s’unit à une prostituée devient un seul corps avec elle. Or, on ne peut être en même temps membre d’une prostituée et membre du Christ, comme il est dit au même endroit. Le mari qui s’unit à son épouse qui fornique cesse donc d’être membre du Christ en péchant mortellement.

[20205] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut cognatio tollit matrimonii vinculum, ita fornicatio separat a toro. Sed postquam vir noverit consanguinitatem sui ad uxorem, peccat mortaliter cognoscens ipsam. Ergo si cognoscat uxorem postquam scit ipsam esse fornicatam, mortaliter peccat.

4. De même que la parenté enlève le lien du mariage, de même la fornication sépare-t-elle du lit conjugal. Or, après qu’un mari a appris qu’il est consanguin avec son épouse, il pèche mortellement en la connaissant. S’il connaît son épouse après avoir appris qu’elle a forniqué, il pèche donc mortellement.

[20206] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 5 Sed contra est quod dicit Glossa 1 Corinth., 7, quod dominus permisit causa fornicationis uxorem dimittere. Ergo non est in praecepto.

Cependant, [1] la Glose dit, à propos de 1 Co 7, que le Seigneur a permis de renvoyer son épouse pour cause de fornication. Ce n’est donc pas un commandement.

[20207] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, quilibet potest dimittere alteri quod in se peccavit. Sed uxor fornicando peccat in virum. Ergo vir potest ei parcere, ut non dimittat eam.

[2] Chacun peut pardonner à celui qui a péché contre lui. Or, en forniquant, l’épouse pèche envers son mari. Le mari peut donc l’épargner en ne la renvoyant pas.

[20208] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod dimissio uxoris fornicantis introducta est ad corrigendum uxoris crimen per talem poenam. Poena autem corrigens non requiritur ubi emendatio jam praecessit ; et ideo si mulier de peccato poeniteat, vir non tenetur eam dimittere ; si autem non poeniteat, tenetur, ne peccato ejus consentire videatur, dum correctionem debitam non apponit.

Réponse

Le renvoi de l’épouse qui fornique a été introduit pour corriger le crime le l’épouse par une telle peine. Or, une peine qui corrige n’est pas nécessaire là où la correction a déjà précédé. Si donc une femme se repent de son péché, son mari n’est pas tenu de la renvoyer ; mais si elle ne se repent pas, il y est obligé, de crainte de ne paraître consentir à son péché en n’appliquant pas la correction requise.

[20209] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum fornicationis in uxore potest corrigi non tantum tali poena, sed etiam verbis et verbere ; et ideo si alias ad correctionem sit parata, non tenetur vir praedictam poenam ad ejus correctionem adhibere.

1. Le péché de fornication chez l’épouse peut être corrigé non seulement par une telle peine, mais aussi par des paroles et par des coups. C’est pourquoi, si elle est prête à une autre correction, le mari n’est pas tenu d’appliquer la peine en question en vue de sa correction.

[20210] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tunc vir uxori consentire videtur quando eam tenet non cessantem a peccato praeterito ; si autem emendata fuerit, non ei consentit.

2. Un mari semble consentir à son épouse lorsqu’il la garde alors qu’elle ne cesse pas son péché passé. Mais si elle s’est corrigée, il n’y consent pas.

[20211] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex quo de peccato fornicationis poenituit, meretrix dici non potest ; et ideo vir se ei conjungendo, membrum meretricis non fit. Vel dicendum, quod non conjungitur ei quasi meretrici, sed quasi uxori.

3. Par le fait qu’elle s’est repentie du péché de fornication, elle ne peut être appelée une prostituée ; en s’unissant à elle, son mari ne devient donc pas membre d’une prostituée. Ou bien il faut dire qu’il ne s’unit pas à elle comme à une prostituée, mais comme à son épouse.

[20212] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est simile ; quia consanguinitas facit ut non sit inter eos matrimoniale vinculum, et ideo carnalis copula esset illicita ; sed fornicatio non tollit vinculum praedictum ; et ideo actus remanet, quantum est de se, licitus, nisi per accidens illicitus fiat, inquantum vir consentire turpitudini uxoris videtur.

4. Ce n’est pas la même chose, car la consanguinité fait en sorte qu’il n’existe pas de lien matrimonial entre eux et qu’ainsi l’union charnelle serait défendue ; mais la fornication n’enlève pas le lien mentionné. L’acte demeure donc permis en lui-même, à moins qu’il ne devienne défendu par accident, pour autant que le mari semble consentir à l’action honteuse de son épouse.

[20213] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod permissio illa est intelligenda per prohibitionis privationem ; et sic contra praeceptum non dividitur ; quia etiam quod cadit sub praecepto, non est prohibitum.

5. Cette permission doit se comprendre comme la privation d’une interdiction. Ainsi, elle ne s’oppose pas à un commandement, car même ce qui tombe sous un commandement n’est pas interdit.

[20214] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod uxor non tantum peccat in virum, sed etiam in seipsam, et in Deum ; et ideo vir non totaliter potest poenam dimittere, nisi emendatio sequatur.

6. L’épouse ne pèche pas seulement contre son mari, mais aussi contre elle-même et contre Dieu. C’est pourquoi son mari ne peut remettre entièrement sa peine, à moins que la correction ne suive.

 

 

Articulus 3

[20215] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 tit. Utrum proprio judicio possit vir uxorem fornicantem dimittere

Article 3 – Un mari peut-il renvoyer de son propre jugement son épouse qui fornique ?

[20216] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod proprio judicio potest vir uxorem fornicantem dimittere. Sententiam enim a judice latam absque alio judicio exequi licet. Sed Deus justus judex dedit hanc sententiam, ut propter fornicationem vir uxorem dimittere possit. Ergo non requiritur ad hoc aliud judicium.

1. Il semble qu’un mari puisse renvoyer de son propre jugement son épouse qui fornique. En effet, il est permis d’exécuter sans autre jugement la sentence portée par un juge. Or, Dieu, le juste juge, a donné cette sentence qu’en raison de la fornication, le mari peut renvoyer son épouse. Un autre jugement n’est donc pas nécessaire pour cela.

[20217] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Matth. 1, dicitur, quod Joseph, cum esset justus, cogitavit occulte dimittere Mariam. Ergo videtur quod occulte vir possit divortium celebrare absque Ecclesiae judicio.

2. Comme il était juste, Joseph a pensé renvoyer Marie en secret. Il semble donc qu’un mari puisse célébrer son divorce sans le jugement de l’Église.

[20218] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, si vir post fornicationem uxoris cognitam debitum ei reddit, amittit etiam actionem quam contra fornicariam habebat. Ergo denegatio debiti quae ad divortium pertinet, debet Ecclesiae judicium praecedere.

3. Si un mari, après avoir pris connaissance de la fornication de son épouse, lui rend ce qui est dû, il écarte aussi la cause qu’il avait contre la fornicatrice. Le refus de ce qui est dû, qui est en rapport avec le divorce, doit donc précéder le jugement de l’Église.

[20219] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non potest probari, non debet ad judicium Ecclesiae adduci. Sed fornicationis crimen non potest probari, quia oculus adulteri observat caliginem, ut dicit Job 24, 15. Ergo non debet judicio Ecclesiae praedictum divortium fieri.

4. Ce qui ne peut être prouvé ne doit pas être soumis au jugement de l’Église. Or, le crime de fornication ne peut être prouvé, car l’œil de l’adultère épie le crépuscule, comme le dit Jb 24, 15. Le divorce mentionné ne doit donc pas être accompli selon le jugement de l’Église.

[20220] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, accusationem debet inscriptio praecedere, qua aliquis se ad talionem obliget, si in probatione deficiat. Sed hoc non potest esse in ista materia ; quia tunc qualitercumque res iret, vir consequeretur intentum suum, sive ipse uxorem dimitteret, sive uxor eum. Ergo non debet ad judicium Ecclesiae per accusationem adduci.

5. La déposition, par laquelle quelqu’un s’oblige à la peine du talion s’il ne réussit pas à faire la preuve, doit précéder l’accusation. Or, cela ne peut exister en une telle matière, car, quelle que soit la tournure de la procédure, le mari obtiendrait ce qu’il veut, qu’il renvoie son épouse ou qu’elle le renvoie. La question ne doit donc pas être soumise au jugement de l’Église par une accusation.

[20221] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, plus tenetur homo uxori quam extraneo. Sed homo crimen alterius, etiam extranei, non debet Ecclesiae deferre, nisi monitione praemissa in secreto, ut patet Matth. 19. Ergo multo minus potest crimen uxoris ad Ecclesiam deferre, si eam prius occulte non corripuit.

6. Un homme est plus obligé envers son épouse qu’envers un étranger. Or, un homme ne doit pas porter devant l’Église le crime d’un autre, même d’un étranger, à moins de lui avoir donné un avertissement en secret, comme cela ressort de Mt 19. Encore bien moins peut-il donc porter le crime de son épouse devant l’Église, s’il ne l’a pas corrigée en secret antérieurement.

[20222] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus debet seipsum vindicare. Sed si vir uxorem fornicantem proprio arbitrio dimitteret, ipse se vindicaret. Ergo hoc non debet fieri.

Cependant, [1] personne ne doit se venger lui-même. Or, si un mari renvoyait son épouse qui fornique de son propre jugement, il se vengerait lui-même. Il ne faut donc pas faire cela.

[20223] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus in eadem causa est actor et judex. Sed vir est actor impetens uxorem de offensa in se commissa. Ergo ipse non potest esse judex ; et sic non debet eam proprio arbitrio dimittere.

2. Personne n’est à la fois juge et partie. Or, le mari est la partie qui accuse son épouse à propos d’une offense qu’elle a commise envers lui. Il ne peut donc être juge, et ainsi il ne doit pas la renvoyer de son propre jugement.

[20224] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vir potest dimittere uxorem dupliciter. Uno modo quantum ad torum tantum ; et sic potest eam dimittere quam cito sibi constat de fornicatione uxoris, proprio arbitrio ; nec tenetur reddere debitum exigenti, nisi per Ecclesiam compellatur ; et taliter reddens nullum sibi praejudicium facit. Alio modo quantum ad torum et cohabitationem ; et hoc modo non potest dimitti nisi judicio Ecclesiae ; et si alias dimissa fuerit, debet cogi ad cohabitandum, nisi possit ei vir incontinenti fornicationem probare. Haec autem dimissio divortium dicitur ; et ideo concedendum est quod divortium non potest celebrari nisi judicio Ecclesiae.

Réponse

Un mari peut renvoyer son épouse de deux manières. D’une manière, pour ce qui est du lit conjugal seulement. Ainsi, il peut la renvoyer dès qu’il a connaissance de la fornication de son épouse et de son propre arbitre ; et il n’est pas tenu d’acquitter sa dette si elle l’exige, à moins d’être forcé par l’Église, et s’il l’acquitte de cette manière, il ne se cause aucun préjudice. D’une autre manière, pour ce qui est du lit conjugal et de la cohabitation. De cette manière, [l’épouse] ne peut être renvoyée que par un jugement de l’Église, et si elle a été renvoyée autrement, elle doit être forcée de cohabiter, à moins que le mari ne puisse prouver la fornication de celle qui est incontinente. Ce renvoi s’appelle un divorce. Aussi faut-il concéder qu’un divorce ne peut être célébré que par le jugement de l’Église.

[20225] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sententia est applicatio juris communis ad particulare factum ; unde dominus jus promulgavit, secundum quod sententia in judicio formari debet.

1. Une sentence est l’application du droit commun à un fait particulier. Aussi le Seigneur a-t-il promulgué le droit, selon lequel une sentence doit recevoir forme dans un jugement.

[20226] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Joseph non volebat virginem dimittere quasi suspectam de fornicatione, sed ob reverentiam sanctitatis ejus, timens ei cohabitare, ut supra dictum est ; nec tamen est simile, quia tunc ex adulterio non solum procedebatur ad divortium, sed ulterius ad lapidationem ; non autem nunc quando agitur in judicio Ecclesiae.

2. Joseph ne voulait pas renvoyer la Vierge comme si elle était soupçonnée de fornication, mais par révérence pour sa sainteté et par crainte de cohabiter avec elle, comme on l’a dit plus haut. Cependant, ce n’est pas la mêmc chose, car alors on ne procédait pas seulement au divorce pour cause d’adultère, mais aussi à la lapidation. Mais ce n’est plus le cas lorsque la cause est examinée dans un jugement de l'Église.

[20227] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio ex dictis.

3. La réponse au troisìème argument ressort clairement de ce qui a été dit.

[20228] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quandoque vir uxorem suspectam habens ei insidiatur, et deprehendere eam potest cum testibus in crimine fornicationis ; et sic potest ad accusationem procedere. Et praeterea, si de facto isto non constat, possunt esse violentae suspiciones fornicationis ; quibus probatis, videtur fornicatio esse probata, ut si inveniatur solus cum sola horis et locis suspectis, et nudus cum nuda.

4. Parfois, le mari qui soupçonne son épouse peut lui tendre un piège et peut la prendre sur le fait avec des témoins du crime de fornication ; ainsi peut-il procéder à une accusation. De plus, si le fait n’est pas clair, peuvent exister de forts soupçons de fornication. S’ils sont prouvés, il semble que la fornication soit prouvée, comme lorsqu’on trouve un homme seul avec une femme seule à des heures et en des endroits suspects, et un homme nu avec un femme nue.

[20229] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod maritus potest accusare uxorem de adulterio dupliciter. Uno modo ad tori separationem coram judice spirituali, et tunc inscriptio debet fieri sine obligatione ad legem talionis : quia sic vir consequeretur intentum suum, ut objecto probat. Alio modo ad punitionem criminis in judicio saeculari ; et sic oportet quod praecedat inscriptio, per quam ad poenam talionis se obliget, si in probatione deficiat.

5. Un mari peut accuser sa femme d’adultère de deux manières. D’une manière, en vue d’une sépartion du lit conjugal devant un juge spirituel : alors, la mise en accusation doit être faite sans obligation à la loi du talion, car ainsi le mari obtiendrait ce qu’il a en vue, comme l’objection [corr. Objecto/objectio] le prouve. D’une autre manière, en vue de la punition du crime dans un jugement séculier : il faut alors que la déposition précède, par laquelle il s’oblige à la peine du talion, s’il ne réussit pas à faire la preuve.

[20230] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut decretalis dicit, tribus modis in criminibus procedi potest. Primo per inquisitionem, quam debet praecedere clamosa insinuatio quae locum accusationis tenet. Secundo per accusationem, quam debet praecedere inscriptio. Tertio per denuntiationem, quam debet praecedere fraterna correptio. Verbum ergo domini intelligitur quando agitur per viam denuntiationis, non quando agitur per viam accusationis : quia tunc non agitur solum ad correptionem delinquentis, sed ad punitionem propter bonum commune conservandum, quod justitia deficiente periret.

6. Comme le dit une décrétale, on peut procéder de trois manières pour les crimes. Premièrement, par inquisition, que doit précéder une allégation criante qui tient lieu d’accusation. Deuxièmement, par accusation, que doit précéder une déposition. Troisièmement, par dénonciation, que doit précéder la correction fraternelle. La parole du Seigneur se comprend donc du cas où l’on procède par voie de dénonciation, et non de celui où l’on procède par voie d’accusation, car alors on ne procède pas seulement en vue de la correction de celui qui est en faute, mais pour la punition en vue de préserver le bien commun, qui disparaîtrait faute de justice.

 

 

Articulus 4

[20231] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 tit. Utrum vir et uxor debeant in causa divortii ad paria judicari

Article 4 – Le mari et l’épouse doivent-ils avoir les mêmes droits dans un jugement de divorce ?

[20232] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod vir et uxor non debeant in causa divortii ad paria judicari. Divortium enim conceditur in lege nova loco repudii, quod erat in lege veteri, ut patet Matth. 5. Sed in repudio vir et uxor non judicabantur ad paria : quia vir poterat repudiare uxorem, et non e converso. Ergo nec in divortio debent ad paria judicari.

1. Il semble que le mari et l’épouse n’aient pas les mêmes droits dans un jugement de divorce. En effet, le divorce a été concédé sous la loi nouvelle pour remplacer la répudiation, qui existait sous la loi ancienne, comme cela ressort de Mt 5. Or, dans la répudiation, le mari et l’épouse n’étaient pas jugés à égalité, car le mari pouvait répudier son épouse, mais non l’inverse. Ils ne doivent pas être jugés à égalité dans un divorce.

[20233] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, plus est contra legem naturae quod uxor plures viros habeat quam quod vir plures mulieres : unde hoc quandoque licuit, illud vero nunquam, ut supra, dist. 33, quaest. 1, art. 1, ad 7, dictum est. Ergo plus peccat mulier in adulterio quam vir ; et ita non debent ad paria judicari.

2. Il est davantage contraire à la loi de la nature qu’une épouse ait plusieurs maris qu’un mari ait plusieurs épouses. Aussi ceci a-t-il été parfois permis, mais cela, jamais, comme on l’a dit plus haut, d. 33, q. 1, a. 1, ad 7. La femme pèche donc davantage que le mari dans l'adultère. Ils ne doivent donc pas être jugés à égalité.

[20234] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, ubi est majus nocumentum proximi, ibi est majus peccatum. Sed plus nocet adultera uxor viro quam vir adulter uxori : quia adulterium uxoris facit incertitudinem prolis, non autem adulterium viri. Ergo majus est peccatum uxoris ; et sic non debent ad paria judicari.

3. Le péché est plus grand là où le préjudice du prochain est plus grand. Or, une épouse adultère nuit davantage qu’un mari adultère, car l’adultère de l’épouse rend incertaine la descendance, mais non l’adultère du mari. Le péché de l’épouse est donc plus grand. Ainsi, ils ne doivent donc pas être jugés à égalité.

[20235] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, divortium inducitur ad crimen adulterii corrigendum. Sed magis pertinet ad virum, qui est caput mulieris, ut dicitur 1 Cor. 11, corrigere uxorem, quam e converso. Ergo non debent in repudio ad paria judicari, sed vir debet esse melioris conditionis.

4. Le divorce est introduit pour corriger le crime d’adultère. Or, il revient davantage à l’homme, qui est la tête de la femme, comme il est dit en 1 Co 11, de corriger son épouse que l’inverse. Lors de la répudiation, ils ne doivent donc pas ête jugés à égalité, mais l’homme doit être d’une meilleure condition.

[20236] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra, videtur quod uxor in hoc debeat esse melioris conditionis. Quia quanto est major fragilitas in peccante, tanto peccatum est magis dignum venia. Sed in mulieribus est major fragilitas quam in viris, ratione cujus dicit Chrysostomus, quod propria passio mulieris luxuria est ; et philosophus in 7 Ethic., quod mulieres non dicuntur incontinentes, proprie loquendo, propter facilem inclinationem in concupiscentiam : quia nec bruta animalia possunt continere propter hoc quod non habent aliquid quod concupiscentiis obviare possit. Ergo mulieribus in poena divortii deberet magis parci.

5. Cependant, il semble que l’épouse doive avoir une meilleure condition dans ce cas, car plus la fragilité est grande chez le pécheur, plus le péché est digne de pardon. Or, la fragilité est plus grande chez les femmes que chez les hommes, en raison de quoi [Jean] Chrysostome dit que la passion propre à la femme est la luxure, et le Philosophe dit dans Éthique, VII, que les femmes ne sont pas appelés incontinentes à proprement parler en raison de leur inclination facile à la concupiscence, car les animaux sans raison non plus ne peuvent pratiquer la continence pour la raison qu’il n’ont rien qui puisse s’opposer à leurs désirs. Les femmes doivent donc être davantage épargnées pour la peine du divorcce.

[20237] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, vir ponitur caput mulieris, ut ipsam corrigat. Ergo magis peccat quam mulier ; et sic debet magis puniri.

6. Le mari est établi comme tête de la femme pour la corriger. Il pèche donc davantage que la femme. Il doit donc être puni davantage.

[20238] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in causa divortii vir et uxor ad paria judicantur, ut idem sit licitum et illicitum uni quod alteri ; non tamen pariter judicantur ad illa : quia causa divortii est major in uno quam in alio, cum tamen in utroque sit causa sufficiens ad divortium. Divortium enim est poena adulterii, inquantum est contra matrimonii bona. Quantum autem ad bonum fidei, ad quam conjuges aequaliter sibi invicem tenentur, tantum peccat contra matrimonium adulterium unius sicut adulterium alterius ; et haec causa in utroque sufficit ad divortium, sed quantum ad bonum prolis plus peccat adulterium uxoris quam viri ; et ideo major causa divortii est in uxore quam in viro ; et sic ad aequalia, sed non ex aequali causa obligantur : nec tamen injuste, quia in utroque est causa sufficiens ad hanc poenam : sic etiam est de duobus qui damnantur ad mortis ejusdem poenam ; quamvis alius altero gravius peccaverit.

Réponse

Dans une cause de divorce, le mari et l’épouse sont jugés à égalité, de sorte que la même chose soit permise ou défendue à l’un et à l’autre. Cependant, ils ne sont pas jugés également par rapport à ces choses, car la cause de divorce est plus grande chez l'un que chez l’autre, bien qu’il y ait chez chacun une cause suffisante de divorce. En effet, le divorce est une peine pour l’adultère pour autant que celui-ci est contraire aux biens du mariage. Or, par rapport au bien de la foi, auquel les époux sont également obligés l’un envers l’autre, l’adultère de l’un pèche autant contre le mariage que l’adultère de l’autre, et cette cause suffit au divorce pour les deux. Mais, par rapport au bien de la descendance, l’adultère de l’épouse pèche davantage que celui du mari. Aussi la cause de divorce est-elle plus grande chez l’épouse que chez le mari. Ils sont donc obligés à des choses égales, mais non pour cause égale ; et cela n’est pas injuste, car il existe une cause suffisante pour cette peine chez les deux. Il en est de même de deux hommes qui sont condamnés à la peine d’une même mort, bien que l’un ait péché plus gravement que l’autre.

[20239] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod repudium non permittebatur nisi ad vitandum homicidium ; et quia in viris magis erat de hoc periculum quam in mulieribus, ideo viro permittebatur dimittere uxorem, non autem e converso per legem repudii.

1. La répudiation n’était permise que pour éviter l’homicide. Et parce que le danger était en cela plus grand pour les hommes que pour les femmes, par la loi de la répudiation, il était donc permis au mari de renvoyer son épouse, mais non l’inverse.

[20240] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum et tertium dicendum, quod rationes illae procedunt secundum quod in comparatione ad bonum prolis major sit causa divortii in uxore adultera quam in viro ; non tamen sequitur quod non judicentur ad paria, ut ex dictis patet.

2-3. Ces arguments viennent de ce que, par rapport au bien de la descendance, la cause de divorce est plus grande chez l’épouse que chez le mari ; il n’en découle cependant pas qu’ils ne sont pas jugés à égalité, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[20241] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis vir sit caput mulieris ut gubernator, non tamen quasi judex ipsius, sicut nec e converso ; et ideo in his quae per judicium facienda sunt, non plus potest vir in uxorem quam e converso.

4. Bien que le mari soit la tête de la femme en tant que dirigeant, il n’en est cependant pas le juge, comme l’inverse est vrai. C’est pourquoi, pour ce qui doit être accompli par jugement, le mari n’a pas plus de pouvoir sur l’épouse qu’inversement.

[20242] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in adulterio invenitur de ratione peccati idem quod est in fornicatione simplici, et adhuc plus, quod magis gravat secundum laesionem matrimonii. Si ergo consideretur id quod est commune adulterio et fornicationi, peccatum viri et mulieri se habent ut excedentia et excessa : quia in muliere est plus de humore, et ideo sunt magis ducibiles a concupiscentiis ; sed in viro plus de calore qui concupiscentiam excitat. Sed tamen simpliciter loquendo, ceteris paribus, vir in simplici fornicatione plus peccat quam mulier : quia habet plus de rationis bono, quod praevalet quibuslibet motibus corporalium passionum. Sed quantum ad laesionem matrimonii, quam adulterium fornicationi addit, ex qua divortium causatur, plus peccat mulier quam vir, ut ex dictis patet ; et quia hoc est gravius quam simplex fornicatio, ideo, simpliciter loquendo, plus peccat mulier adultera quam vir adulter, ceteris paribus.

5. Le caractère de péché de l’adultère est le même dans l’adultère et dans la simple fornication, et encore davantage du fait qu’il est plus grave à cause du préjudice porté au mariage. Si donc on considère ce qui est commun à l’adultère et à la fornication, le péché du mari et de l’épouse se comparent comme ce qui excède et ce qui est sujet à l’excès, car, chez la femme, l’humeur est plus abondante : elles sont donc plus sujettes aux concupiscences ; mais, chez l’homme, il y a plus de chaleur, qui excite la concupiscence. Cependant, à parler simplement et toutes choses étant égales, l’homme pèche davantage par la simple fornication que la femme, car il participe davantage au bien de la raison, qui l’emporte sur n’importe quel mouvement des passions corporelles. Mais, pour ce qui est du préjudice porté au mariage, que l’adultère ajoute à la fornication et par laquelle le divorce est causé, la femme pèche davantage que l’homme, comme cela ressort de ce qui a été dit. Et parce que cela est plus grave que la simple fornication, à parler simplement, la femme adultère pèche davantage que l’homme adultère, toutes choses étant égales.

[20243] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis regimen quod datur viro in mulierem, sit quaedam circumstantia aggravans ; tamen ex illa circumstantia quae in aliam speciem trahit, magis aggravatur peccatum, scilicet ex laesione matrimonii, quae trahit ad speciem injustitiae in hoc quod furtive aliena proles submittitur.

6. Bien que la direction qui est confiée à l’homme sur la femme soit une circonstance aggravante, le péché est cependant davantage aggravé par une circonstance qui le fait passer à une autre espèce, à savoir, le préjudice porté au mariage, qui le fait passer à l’espèce de l’injustice du fait qu’une descendance étrangère est amenée en cachette.

 

 

Articulus 5

 

[20244] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 tit. Utrum post divortium vir alteri nubere possit

Article 5 – Le mari peut-il en épouser une autre après le divorce ?

[20245] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod post divortium vir alteri nubere possit. Nullus enim tenetur ad perpetuam continentiam. Sed vir in aliquo casu tenetur uxorem fornicantem in perpetuum a se separare, ut patet ex dictis. Ergo videtur quod ad minus in tali casu alteram ducere possit.

1. Il semble que le mari puisse en épouser une autre après le divorce. En effet, personne n’est tenu à une continence perpétuelle. Or, dans un cas, le mari est obligé de se séparer de son épouse qui fornique, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il semble donc qu’au moins dans ce cas, il puisse en épouser une autre.

[20246] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, peccanti non est danda major occasio peccandi. Sed si ei qui propter fornicationis culpam dimittitur, non licet aliam copulam quaerere, datur sibi major occasio peccandi : non enim est probabile ut qui in matrimonio non continuit, postea continere possit. Ergo videtur quod liceat ei ad aliam copulam transire.

2. Il ne faut pas donner au pécheur une plus grande occasion de pécher. Or, si une autre union charnelle n’est pas permise à celle qui est renvoyée pour cause de fornication, une plus grande occasion de pécher lui est donnée. En effet, il n’est pas probable que celle qui n’a pas pratiqué la continence dans le mariage puisse la pratiquer par la suite. Il semble donc qu’il lui soit permis de passer à une autre union charnelle.

[20247] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, uxor non tenetur viro nisi ad debitum reddendum, et cohabitationem. Sed per divortium ab utroque absolvitur. Ergo omnino soluta est a lege viri ; ergo potest alteri nubere ; et eadem est ratio de viro.

3. L’épouse n’a d’obligation envers son mari que pour l’acquittement de sa dette et la cohabitation. Or, par le divorce, elle est déliée des deux. Elle a donc été entièrement libérée de la loi du mari. Elle peut donc en épouser un autre et le raisonnement est le même pour l’homme.

[20248] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, Matth. 19, 9, dicitur : qui dimiserit uxorem, et aliam duxerit, excepta causa fornicationis, moechatur. Ergo videtur quod si causa fornicationis dimissa uxore aliam duxerit, non moechetur ; et ita erit matrimonium verum.

4. Il est dit en Mt 19, 9 : Celui qui a renvoyé son épouse et en a épousé une autre, sauf dans le cas de fornication, est adultère. Il semble donc que si, après avoir renvoyé son épouse pour cause de fornication, il en prend une autre, il n’est pas adultère, et ainsi ce sera un vrai mariage.

[20249] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 7, 10 : praecipio non ego, sed dominus, uxorem a viro non discedere ; quod si discesserit, manere innuptam.

Cependant, [1] 1 Co 7, 10 dit en sens contraire : J’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que l’épouse ne soit pas séparée de son mari ; mais s’il elle s’en est éloignée, elle ne doit pas se remarier.

[20250] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, nullus debet ex peccato reportare commodum. Sed reportaret, si liceret adulterae ad aliud magis desideratum connubium transire, et esset occasio adulterandi volentibus alia matrimonia quaerere. Ergo non licet aliam copulam quaerere nec viro nec uxori.

[2] Personne ne doit profiter du péché. Or, il en profiterait s’il lui était permis de passer à un autre mariage davantage désiré, et ce serait une occasion d’adultère pour ceux qui veulent rechercher d’autres mariages. Il n’est donc permis ni à l’époux ni à l’épouse de rechercher un autre mariage.

[20251] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod nihil adveniens supra matrimonium potest ipsum dissolvere ; et ideo adulterium non facit quin sit verum matrimonium : manet enim, ut dicit Augustinus, inter viventes conjugale vinculum, quod nec separatio nec cum alio junctio potest auferre ; et ideo non licet uni, altero vivente, ad aliam copulam transire.

Réponse

Rien de ce qui survient en plus du mariage ne peut le dissoudre ; l’adultère ne fait donc pas en sorte qu’existe un véritable mariage. En effet, comme le dit Augustin, le lien conjugal demeure entre les vivants, que ni une séparation ni l’union avec un autre ne peut enlever. C’est pourquoi il n’est pas permis à quelqu’un, alors que l’autre est vivant, de passer à un autre union.

[20252] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis per se nullus obligetur ad continentiam, tamen per accidens potest esse quod obligetur ; sicut si uxor sua aegritudinem incurabilem incurrat, et talem quae carnalem copulam non patiatur ; et similiter etiam est, si incorrigibiliter spirituali infirmitate, scilicet fornicatione, laboret.

1. Bien qu’en soi personne ne soit obligé à la continence, cependant, par accident, il peut arriver qu’il y soit obligé, comme si son épouse encourt une maladie incurable et telle qu’elle ne supporte pas l'union charnelle. Et il en est de même si elle souffre de manière incorrigible d’une maladie spirituelle, la fornication.

[20253] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsa confusio quam reportat ex divortio, debet eam cohibere a peccato. Quod si cohibere non potest, minus malum est quod sola ipsa peccet quam quod vir peccati ejus sit particeps.

2. La honte même qu’elle tire du divorce doit la retenir de pécher. Si elle ne peut la retenir, c’est un moindre mal qu’elle seule pèche que si l’homme participe à son péché.

[20254] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis uxor post divortium non teneatur viro adultero ad debitum reddendum, et cohabitandum ; tamen adhuc manet vinculum matrimonii, ex quo ad hoc tenebatur ; et ideo non potest ad aliam copulam transire viro vivente. Potest tamen continentiam vovere viro invito, nisi videatur Ecclesiam deceptam fuisse per falsos testes sententiando de divortio : quia in tali casu etiam si votum professionis emisisset, restitueretur viro, et teneretur debitum reddere ; sed non liceret ei exigere.

3. Bien qu’une épouse ne soit pas tenue d’acquitter sa dette envers son mari adultère et de cohabiter avec lui après le divorce, le lien du mariage demeure cependant encore, par lequel elle y était tenue. C’est pourquoi elle ne peut passer à une autre union pendant que son mari est vivant. Cependant, elle peut faire vœu de continence malgré son mari, à moins qu’il ne semble à l’Église qu’elle a été trompée par de faux témoins en prononçant une sentence de divorce, car, dans un tel cas, même si elle avait prononcé le vœu de la profession, elle serait aussi tenue d’acquitter sa dette, mais il ne lui serait pas permis de l’exiger.

[20255] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exceptio illa quae est in verbis domini, refertur ad dimissionem uxoris ; et ideo objectio ex falso intellectu procedit.

4. Cette exception qui se trouve dans les paroles du Seigneur se rapporte au renvoi de l’épouse. C’est pourquoi l’objection vient d’une mauvaise interprétation.

 

 

Articulus 6

[20256] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 tit. Utrum post divortium vir et uxor possint reconciliari

Article 6 – Le mari et l’épouse peuvent-ils se réconcilier après le divorce ?

[20257] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod post divortium vir et uxor non possint reconciliari. Regula est enim in jure : quod semel bene definitum est, nulla debet iteratione retractari. Sed judicio Ecclesiae definitum est quod debent separari. Ergo non possunt reconciliari ulterius.

1. Il semble qu’après le divorce, le mari et l’épouse ne puissent se réconcilier. En effet, il existe une règle dans le droit : « Ce qui a été une fois bien décidé ne doit pas être retiré par aucune reprise. » Or, il a été défini par un jugement de l’Église qu’ils doivent se séparer. Ils ne peuvent donc pas se réconcilier par la suite.

[20258] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, si posset esse reconciliatio, praecipue videretur quod post poenitentiam uxoris vir teneatur eam recipere. Sed non tenetur ; quia etiam uxor non potest per exceptionem proponere in judicio poenitentiam suam contra virum accusantem de fornicatione. Ergo nullo modo potest esse reconciliatio.

2. S’il pouvait y avoir réconciliation, il semblerait surtout qu’après la pénitence de l’épouse, le mari soit obligé de la recevoir. Or, il n’y est pas tenu, car même l’épouse ne peut mettre de l’avant par exception, lors du jugement, sa pénitence envers l’homme qui l’accuse de fornication. Il ne peut donc y avoir de réconciliation d’aucune manière.

[20259] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, si posset esse reconciliatio, videretur quod uxor adultera teneretur redire ad virum ipsam revocantem. Sed non tenetur ; quia jam separati sunt judicio Ecclesiae. Ergo et cetera.

3. S’il pouvait y avoir réconciliation, il semblerait que l’épouse adultère serait obligée de revenir à son mari qui la rappelle. Or, elle n’y est pas obligée, car ils ont déjà été séparés par un jugement de l’Église. Donc, etc.

[20260] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, si liceret reconciliare uxorem adulteram, in illo casu praecipue deberet fieri, quando vir post divortium invenitur adulterium committere. Sed in hoc casu non potest uxor cogere eum ad reconciliationem, cum juste sit divortium celebratum. Ergo nullo modo potest reconciliari.

4. S’il était permis de réconcilier une épouse adultère, cela devrait se faire surtout lorsque, après le divorce, on trouve que le mari est adultère. Or, dans ce cas, l’épouse ne peut le forcer à la réconciliation, puisque le divorce a été célébré justement. Elle ne peut donc être réconciliée d’aucune manière.

[20261] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, si vir adulter occulte dimittat per judicium Ecclesiae uxorem convictam de adulterio, non videtur juste factum divortium. Sed tamen vir non tenetur uxorem sibi reconciliare ; quia uxor probare in judicio adulterium viri non potest. Ergo multo minus quando divortium juste est celebratum, reconciliatio fieri potest.

5. Si un homme adultère renvoie secrètement par un jugement de l’Église son épouse convaincue d’adultère, il ne semble que le divorce se soit produit justement. Cependant, le mari n’est pas tenu de se réconcilier son épouse, car l’épouse ne peut prouver lors du jugement l’adultère du mari. Encore bien moins, lorsque le divorce a été célébré justement, la réconciliation ne peut-elle pas se produire.

[20262] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth., 7, 2 : si discesserit, manere innuptam, aut viro suo reconciliari.

Cependant, [1] 1 Co 7, 2 va en sens contraire : Si elle s’est éloignée, elle ne doit pas se remarier ou se réconcilier avec son mari.

[20263] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, vir poterit eam non dimittere post fornicationem. Ergo eadem ratione potest eam reconciliare sibi.

[2] Le mari peut ne pas la renvoyer après son adultère. Pour la même raison, il peut donc se la réconcilier.

[20264] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod si uxor post divortium de peccato poenitentiam agens emendata fuerit, potest eam sibi vir reconciliare. Si autem in peccato incorrigibilis maneat, non debet eam ad se assumere, eadem ratione qua non licebat eam nolentem a peccato desistere, retinere.

Réponse

Si, après le divorce, l’épouse s’est corrigée en faisant pénitence, le mari peut se la réconcilier. Mais si elle demeure incorrigible dans son péché, il ne doit pas la reprendre, pour la même raison pour laquelle il n’était pas permis de la garder, si elle ne voulait pas cesser de pécher.

[20265] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sententia Ecclesiae divortium celebrantis non fuit cogens ad separationem ; sed licentiam praebens ; et ideo absque retractatione praecedentis sententiae potest reconciliatio sequi.

1. La sentence de l’Église qui célèbre le divorce ne force pas à la séparation, mais elle en donne la permission. C’est pourquoi la réconciliation peut suivre sans que la sentence précédente soit rétractée.

[20266] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia uxoris debet inducere virum ut uxorem fornicantem non accuset, aut dimittat. Sed tamen non potest ad hoc cogi, nec potest per poenitentiam uxor eum ab accusatione repellere ; quia cessante culpa et quantum ad actum et quantum ad maculam, adhuc manet aliquid de reatu ; et cessante etiam reatu quo ad Deum, adhuc manet reatus quo ad poenam humano judicio inferendam ; quia homo non videt cor sicut Deus.

2. La pénitence de l’épouse doit amener l’homme à ne pas accuser ou à ne pas renvoyer son épouse. Cependant, il ne peut y être forcé, et l’épouse ne peut, par la pénitence, le retenir de porter une accusation, car, même si la faute cesse quant à l’acte et quant à la souillure, la culpabilité demeure encore ; et même si la culpabilité cesse au regard de Dieu, une culpabilité demeure pour ce qui est de la peine qui doit être portée par le jugement humain, car l’homme ne voit pas le cœur comme Dieu.

[20267] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod inducitur in favorem alicujus, non facit ei praejudicium ; unde, cum divortium sit inductum in favorem viri, non aufert ei jus petendi debitum, vel revocandi uxorem ; unde uxor tenetur ei reddere, et ad eum redire si fuerit revocata, nisi de licentia ejus votum continentiae emiserit.

3. Ce qui est amené en faveur de quelqu’un ne lui porte pas préjudice. Puisque le divorce est invoqué en faveur du mari, il ne lui enlève donc pas le droit d’exiger ce qui lui est dû ou de rappeler son épouse. L’épouse est donc tenue de s’en acquitter et de revenir vers lui si elle est rappelée, à moins qu’elle n’ait prononcé un vœu de continence avec sa permission.

[20268] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod propter adulterium quod vir prius innocens post divortium committit, secundum rigorem juris non debet cogi ad recipiendum uxorem adulteram : prius tamen secundum aequitatem juris judex ex officio suo debet eum cogere ut caveat periculo animae ejus et scandalo aliorum, quamvis uxor non possit reconciliationem petere.

4. En raison d’un adultère que le mari, qui était d’abord innocent, a commis après le divorce, il ne doit pas être forcé selon la rigueur du droit à accueillir son épouse adultère. Cependant, selon l’équité du droit, le juge doit en vertu de sa fonction le forcer à éviter un danger pour son âme et un scandale pour d’autres, bien que l’épouse ne puisse demander une réconciliation.

[20269] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si adulterium viri sit occultum, per hoc non aufertur jus excipiendi contra accusationem viri uxori adulterae, quamvis desit sibi probatio ; et ideo peccat vir divortium petens ; et si post sententiam de divortio uxor petat debitum vel reconciliationem, vir tenetur ad utrumque.

5. Si l’adultère du mari est occulte, le droit de se soustraire à l’accusation de son mari n’est pas enlevé à l’épouse adultère, bien qu’elle ne puisse fournir la preuve [de l’adultère]. C’est pourquoi le mari qui demande le divorce pèche. Et si, après la sentence de divorce, l’épouse demande ce qui lui est dû ou la réconciliation, le mari est tenu aux deux.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 35

[20270] Super Sent., lib. 4 d. 35 q. 1 a. 6 expos. Patronus est turpitudinis qui celat crimen uxoris. Contra, Prov. 11, 13 : fidelis est qui celat crimen amici. Et dicendum, quod hoc intelligitur quando celatio non est in praejudicium correctionis ; alias celans patrocinium turpitudini praestat. Solet quaeri, an valeat duci in conjugium quae prius est polluta per adulterium. Sciendum, quod plura sunt crimina quae propter sui enormitatem impediunt matrimonium contrahendum. Primum est incestus ; secundum, uxoricidium, tertium rapina alienae sponsae ; quartum, quando aliquis insidiando matrimonio filium proprium de sacro fonte suscepit ; quintum interfecit presbyterum ; sextum, quando aliquis peragit poenitentiam solemnem. Non tamen propter crimina interimitur matrimonium contractum. Sed tamen sunt quaedam crimina quae dirimunt matrimonium contractum. Unum est, quando aliquis cum aliqua conjugata concubuit, et ex hoc machinatur in mortem viri cum effectu ; tunc enim ad invicem contrahere non debent ; et si contraxerint, separantur. Secundum est, quando praestat fidem adulterae quod ducet eam uxorem. Sed hoc intelligendum est quando tam adulter quam adultera sciebat impedimentum ; alias matrimonium non dirimeretur postquam contractum esset. Tertium est, quando contrahit cum ea de facto ; primum enim matrimonium facit quod non stat secundum ; unde si primum non fuisset verum matrimonium, secundum staret. Sciendum etiam, quod in casu secundo et tertio, scilicet fide data de matrimonio contrahendo, etiam matrimonio contracto per verba de praesenti de facto, nisi fuerit ibi pollutio carnalis, non propter hoc dirimitur matrimonium sequens post mortem viri de novo contractum.

 

 

 

Distinctio 36

Distinction 36 – [L’empêchement de la condition servile]

Prooemium

Prologue

[20271] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de impotentia coeundi, per quam impeditur actus matrimonii, ne de facto omnino fieri possit ; hic determinat de impedimento conditionis servilis, per quam impeditur actus matrimonii ne libere fiat ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de conditione servili ; in secunda epilogat, continuans praecedentia ad sequentia, ibi : duo illa executi sumus et cetera. Prima in duas : in prima determinat de impedimento conditionis servilis ; in secunda de impedimento ex defectu aetatis, quia talis non differt a servo, quamdiu sub tutoribus est, Gal. 4, ibi : hic etiam sciendum, quod pueri ante quatuordecim annos, et puellae ante duodecim annos secundum leges matrimonium inire nequeunt. Prima in duas : in prima determinat de servitute quae praecedit matrimonium ; in secunda de servitute quae matrimonio superinducitur, ibi : illud etiam notandum est et cetera. Prima in duas : in prima determinat de servitute matrimonium praecedente quae est ex altera tantum parte contrahentium ; in secunda de illa quae est ex utraque parte, ibi : quaeritur etiam, si servus unius ancillam alterius acceperit, an sit inter eos conjugium. Hic quaeruntur quinque : 1 utrum conditio servitutis matrimonium impediat ; 2 utrum possit servus sine consensu domini matrimonium contrahere ; 3 de servitute quae supervenit matrimonio ; 4 utrum proles sequatur matrem ; 5 de defectu aetatis, utrum impediat matrimonium.

Après avoir déterminé de l’impuissance d’accomplir l’union charnelle, par laquelle l’acte du mariage est empêché, de sorte qu’il ne peut du tout être accompli, le Maître détermine ici de l’empêchement de la condition servile, par laquelle l’acte du mariage est empêché d’être accompli librement. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la condition servile ; dans la seconde, il conclut, en liant ce qui précède à ce qui suit, à cet endroit : « Nous avons réalisé ces deux choses, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’empêchement de la condition servile ; dans la seconde, de l’empêchement provenant de la carence de l’âge, car celle-ci ne diffère pas de celle de [la condition] de serviteur, bien qu’on soit [alors] soumis à des tuteurs, Ga 4, à cet endroit : « Il faut ici savoir aussi que les garçons, avant l’âge de quatorze ans, et les filles, avant l’âge de douze ans, ne peuvent conclure un mariage selon les lois. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la servitude qui précède le mariage ; dans la seconde, de la servitude qui survient après le mariage, à cet endroit : « Il faut aussi remarquer ceci, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la servitude qui précède le mariage d’un côté seulement ; dans la seconde, de celle qui existe des deux côtés, à cet endroit : « On se demande aussi s’il y a mariage entre le serviteur de l’un qui prend la servante d’un autre. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – La condition de servitude empêche-t-elle le mariage ? 2 – Le serviteur peut-il contracter mariage sans le consentement de son seigneur ? 3 – À propos de la servitude qui survient après le mariage. 4 – La descendance suit-elle la mère ? 5 – Le défaut d’âge empêche-t-il le mariage ?

 

 

Articulus 1

[20272] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 tit. Utrum conditio servitutis impediat matrimonium

Article 1 – La condition de serf empêche-t-elle le mariage ?

[20273] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod conditio servitutis non impediat matrimonium. Nihil enim impedit matrimonium nisi quod habet aliquam contrarietatem ad ipsum. Sed servitus non habet aliquam contrarietatem ad matrimonium ; alias inter servos non possent esse conjugia. Ergo servitus non impedit matrimonium.

1. Il semble que la condition de serf n’empêche pas le mariage. En effet, rien n’empêche le mariage que ce qui lui est contraire d’une certaine façon. Or, la condition de serf n’est pas contraire au mariage, autrement il ne pourrait y avoir de mariage entre des serfs. La condition de serf n’empêche donc pas le mariage.

[20274] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod est contra naturam, non potest impedire illud quod est secundum naturam. Sed servitus est contra naturam ; quia, sicut dicit Gregorius, contra naturam est hominem homini velle dominari ; quod etiam patet ex hoc quod homini dictum est, Gen. 1, 26 : ut praesit piscibus maris etc., non autem ut praesit homini. Ergo non potest impedire matrimonium, quod est naturale.

2. Ce qui est contraire à la nature ne peut empêcher ce qui est conforme à la nature. Or, la servitude est contraire à la nature, car, comme le dit Grégoire, il est contraire à la nature qu’un homme veuille en avoir un autre comme seigneur. Cela ressort aussi de ce qui a été dit à l’homme en Gn 1, 26 : Afin qu’il commande aux poissons de la mer, etc., et non qu’il commande à l’homme. [La servitude] ne peut donc empêcher le mariage, qui est naturel.

[20275] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, si impeditur matrimonium, aut hoc est de jure naturali, aut de jure positivo. Non de jure naturali, quia secundum jus naturale omnes homines sunt aequales, ut Gregorius, ubi Sup. ; et in principio Digestorum dicitur, quod servitus non est de jure naturali ; positivum etiam jus descendit a naturali, ut Tullius dicit. Ergo secundum nullum jus servitus matrimonium impedire potest.

3. Si le mariage est empêché, c’est soit selon le droit naturel, soit selon le droit positif. Ce n’est pas selon le droit naturel, car selon le droit naturel, tous les hommes sont égaux, comme le dit Grégoire, à l’endroit indiqué plus haut, et, au début du Digeste, on dit que la servitude n’est pas de droit naturel. Et le droit positif découle du droit naturel, comme le dit Tullius [Cicéron]. La servitude ne peut donc empêcher le mariage selon aucun droit.

[20276] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illud quod impedit matrimonium, aequaliter impedit sive sciatur sive ignoretur, ut patet de consanguinitate. Sed servitus unius cognita ab altero non impedit matrimonium. Ergo servitus, quantum in se est, non habet quod impediat matrimonium ; et ita non deberet poni per se matrimonii impedimentum ab aliis distinctum.

2. Ce qui empêche le mariage l’empêche également, que cela soit connu ou ignoré, comme cela ressort de la consanguinité. Or, la servitude de quelqu’un connue de l’autre n’empêche pas le mariage. La servitude ne comporte donc pas en elle-même d’empêcher le mariage, et ainsi elle ne devrait pas être donnée comme un empêchement au mariage distinct des autres.

[20277] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut convenit esse errorem circa servitutem, ut putetur liber qui est servus ; ita potest esse error de libertate, ut putetur servus qui est liber. Sed libertas non ponitur matrimonii impedimentum. Ergo nec servitus deberet poni.

5. De même qu’il arrive qu’il y ait erreur sur la servitude, de sorte qu’on pense que celui qui est un serf est libre, de même une erreur peut se produire sur la liberté, de sorte qu’on pense que quelqu’un qui est libre est un serf. Or, la liberté n’est pas donnée comme un empêchement au mariage. La servitude ne devrait donc pas non plus en faire partie.

[20278] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, magis facit gravem societatem matrimonii et plus impedit bonum prolis morbus leprae quam servitus. Sed lepra non ponitur impedimentum matrimonii. Ergo nec servitus debet poni.

6. La maladie de la lèpre rend plus lourde la société du mariage et empêche davantage le bien de la descendance que la servitude. Or, la lèpre n’est pas donnée comme un empêchement au mariage. La servitude non plus ne doit donc pas en faire partie.

[20279] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod decretalis, dicit de conjugio servorum, quod error conditionis impedit contrahendum matrimonium, et dirimit contractum.

Cependant, [1] ce que dit une décrétale va en sens contraire : l’erreur sur la condition empêche de contracter mariage et dirime celui qui a été contracté.

[20280] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, matrimonium est de bonis per se expetendis, inquantum habet honestatem. Sed servitus est de per se fugiendis. Ergo matrimonium et servitus sunt contraria ; et sic servitus matrimonium impedit.

[2] Le mariage en tant qu’il est honorable porrte sur des biens souhaités par eux-mêmes. Or, la servitude fait partie de ce qui doit être fui. Le mariage et la servitude sont donc des contraires, et ainsi la servitude empêche le mariage.

[20281] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in matrimonii contractu obligatur unus conjugum alteri ad debitum reddendum ; et ideo si ille qui se obligat, est impotens ad solvendum, ignorantia hujus impotentiae in eo cui fit obligatio, tollit contractum. Sicut autem per impotentiam coeundi efficitur aliquis impotens ad solvendum debitum, ut omnino non possit solvere ; ita per servitutem, ut libere reddere debitum non possit ; et ideo sicut impotentia coeundi ignorata impedit matrimonium, non autem si sciatur ; ita conditio servitutis ignorata matrimonium impedit, non autem servitus scita.

Réponse

Par le contrat de mariage, l’un des époux est obligé envers l’autre d’acquitter ce qu’il doit. Si celui qui s’oblige est impuissant à s’acquitter, l’ignorance de cette impuissance écarte le contrat pour celui envers qui cette obligation a été contractée. Or, de même que par l’impuissance d’accomplir l’union charnelle quelqu’un est rendu impuissant à acquitter sa dette, de sorte qu’il ne puisse pas du tout l’acquitter, de même, par la servitude, de sorte qu’il ne puisse librement s’acquittter de sa dette. C’est pourquoi, de même que l’ignorance de l’impuissance à accomplir l’union charnelle empêche le mariage, mais non si elle est connue, de même l’ignorance de la condition de servitude empêche-t-elle le mariage, mais non la servitude connue.

[20282] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod servitus contrariatur matrimonio quantum ad actum, ad quem quis per matrimonium alteri obligatur, quem non potest libere exequi ; et quantum ad bonum prolis, quae pejoris conditionis efficitur ex servitute parentis. Sed quia quilibet potest in eo quod sibi debetur, sponte detrimentum aliquod subire ; ideo si alter conjugum scit alterius servitutem, nihilominus matrimonium tenet. Similiter etiam quia in matrimonio est aequalis obligatio ex utraque parte ad debitum reddendum, non potest aliquis requirere majorem obligationem ex parte alterius quam ipse possit facere ; et propter hoc servus etiamsi contrahit cum ancilla quam credit liberam, non propter hoc impedit matrimonium. Et sic patet quod servitus non impedit matrimonium nisi quando ignorata est ab alio conjuge, etsi ille sit liberae conditionis ; et ideo nihil prohibet inter servos esse conjugia, vel etiam inter liberum et ancillam.

1. La servitude s’oppose au mariage quant à l’acte auquel on est obligé par le mariage et qu’on ne peut accomplir librememnt ; et [aussi] quant au bien de la descendance, dont la condition devient pire du fait de la servitude des parents. Mais parce que tous peuvent subir volontairement un préjudice pour ce qui leur est dû, si l’un des époux connaît la servitude de l’autre, il reste néanmoins marié. De même aussi, parce qu’il existe dans le mariage une obligation égale des deux côtés à l’acquittement de la dette, quelqu’un ne peut exiger de l’autre une plus grande obligation que celle qu’il peut lui-même rendre ; pour cette raison, le serf, même s’il contracte [mariage] avec une serve qu’il croit libre, n’empêche pas le mariage à cause de cela. Il ressort ainsi que la servitude n’empêche le mariage que lorsqu’elle est ignorée de l’autre époux, même s’il est de condition libre. Aussi rien n’empêche qu’il existe des mariages entre serfs ou même entre un homme libre et une serve.

[20283] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil prohibet esse aliquid contra naturam quantum ad primam intentionem ipsius, quod non est contra naturam quantum ad secundam ejus intentionem ; sicut omnis corruptio et defectus et senium est contra naturam, ut dicitur in 2 caeli et mundi, quia natura intendit esse et perfectionem ; non tamen est contra secundam intentionem naturae, quia ex quo natura non potest conservare esse in uno, conservat in altero, quod generatur corruptione alterius ; et quando natura non potest perducere ad majorem perfectionem, inducit ad minorem ; sicut quando non potest facere masculum, facit feminam, quae est mas occasionatus, ut dicitur in 16 de animalibus. Similiter etiam dico, quod servitus est contra primam intentionem naturae, sed non contra secundam ; quia naturalis ratio ad hoc inclinat, et hoc appetit natura ut quilibet sit bonus ; sed ex quo aliquis peccat, natura etiam inclinat ut ex peccato poenam reportet ; et sic servitus in poenam peccati introducta est. Nec est inconveniens aliquid naturale per hoc quod est contra naturam hoc modo impediri ; sic enim matrimonium impeditur per impotentiam coeundi, quae est contra naturam modo praedicto.

2. Rien n’empêche que quelque chose soit contraire à la nature selon sa première intention, qui n’est pas contraire à la nature selon sa seconde intention, comme toute corruption, carence et vieillesse sont contraires à la nature, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, II, car la nature a en vue l’être et la perfection. Cependant, cela n’est pas contraire à la nature selon sa seconde intention, car du fait que la nature ne peut conserver l’être dans un seul, elle le conserve dans un autre, qui est engendré par la corruption de l’autre. Et lorsque la nature ne peut conduire à une plus grande perfection, elle conduit à une moins grande, comme lorsqu’elle ne peut faire un mâle, elle fait une femelle, qui est un mâle de remplacement, comme on le dit dans Sur les animaux, XVI. De même, je dis que la servitude est contre la première intention de la nature, mais non contre la seconde, parce que la raison naturelle y incline et la nature la désire afin que tous soient bons. Mais, du fait que quelqu’un pèche, la nature incline aussi à ce qu’il encourt une peine pour le péché ; et ainsi, la servitude a-t-elle été amenée comme peine du péché. Et il n’est pas inappropriée que quelque chose de naturel soit empêché par quelque chose qui est contraire à la nature de cette manière. En effet, le mariage est ainsi empêché par l’impuissance à accomplir l’union charnelle, qui est contraire à la nature de la manière indiquée.

[20284] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jus naturale dictat quod poena sit pro culpa infligenda, et quod nullus sine culpa puniri debeat ; sed determinare poenam secundum conditionem personae et culpae, est juris positivi ; et ideo servitus, quae est quaedam poena determinata, est de jure positivo, et a naturali proficiscitur, sicut determinatum ab indeterminato ; et eodem jure positivo determinante est factum quod servitus ignorata matrimonium impediat, ne aliquis sine culpa puniatur : est enim quaedam poena uxoris quod habeat virum servum, et e converso.

3. Le droit naturel prescrit qu’une peine doit être infligée pour une faute et que personne ne doit être puni s’il n’a pas commis de faute ; mais déterminer la peine selon la condition de la personne et de la faute relève du droit positif. La servitude, qui est une peine déterminée, relève donc du droit positif et provient du droit naturel comme ce qui est déterminé de ce qui est indéterminé. Et c’est le fait d’une détermination du même droit positif que la servitude ignorée empêche le mariage, de sorte que personne ne soit puni sans avoir commis de faute : en effet, c’est une peine pour l’épouse d’avoir un serf comme mari, et inversement.

[20285] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliqua impedimenta sunt quae faciunt matrimonium illicitum. Et quia voluntas nostra non facit aliquid esse illicitum vel licitum, sed lex cui voluntas subdi debet ; ideo ignorantia talis impedimenti quae voluntarium tollit, vel scientia, nihil facit ad hoc quod matrimonium teneat : et tale impedimentum est affinitas, vel votum, et cetera hujusmodi. Quaedam autem impedimenta sunt quae faciunt matrimonium inefficax ad solutionem debiti ; et quia in voluntate nostra consistit debitum nobis relaxare, ideo talia impedimenta, si sint cognita, matrimonium non tollunt, sed solum quando ignorantia voluntarium excludit ; et tale impedimentum est servitus, et impotentia coeundi. Et quia etiam de se habent aliquam rationem impedimenti, ideo ponuntur specialia impedimenta praeter errorem. Non autem personae variatio ponitur speciale impedimentum praeter errorem : quia persona altera subintroducta non habet rationem impedimenti, nisi ex intentione contrahentis.

4. Certains empêchements rendent le mariage illicite. Et parce que notre volonté ne rend pas quelque chose illicite ou licite, mais la loi à laquelle notre volonté doit être soumise, l’ignorance d’un empêchement qui enlève le volontaire ou la connaissance ne contribue en rien à ce que le mariage subsiste. L’affinité, le vœu et les autres choses de ce genre sont de tels empêchements. Mais il existe certains empêchements qui rendent le mariage inefficace pour l’acquittement de la dette. Et parce qu’il relève de notre volonté d’acquitter la dette, ces empêchements, s’ils sont connus, n’enlèvent pas le mariage, mais seulement lorsque l’ignorance écarte le volontaire. La servitude et l’impuissance à accomplir l’union charnelle sont de tels empêchements. Et parce qu’elles ont en elles-mêmes un caractère d’empêchement, elles sont donc données comme des empêchements particuliers en plus de l’erreur. Mais la différence de la personne n’est pas donnée comme un empêchement spécial en plus de l’erreur parce qu’une personne différente furtivement introduite n’a pas le caractère d’empêchement, si ce n’est par l’intention de celui qui contracte.

[20286] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod libertas non impedit matrimonii actum ; unde libertas ignorata non impedit matrimonium.

5. La liberté n’empêche pas l’acte du mariage. La liberté qui est ignorée n’empêche donc pas le mariage.

[20287] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod lepra non impedit matrimonium quantum ad primum actum suum, eo quod leprosi debitum reddere possunt libere, quamvis aliqua gravamina matrimonio inferant quantum ad secundos effectus ; et ideo non impedit matrimonium sicut servitus.

6. La lèpre n’empêche pas le mariage quant à son acte premier du fait que des lépreux peuvent acquitter librement leur dette, bien qu’ils apportent certaines incommodités au mariage pour ce qui est de ses effets seconds. La lèpre n’empêche donc pas le mariage comme la servitude.

 

 

Articulus 2

[20288] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 tit. Utrum servus matrimonium contrahere possit sine consensu domini

Article 2 – Le serf peut-il contracter mariage sans le consentement du seigneur ?

[20289] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod servus matrimonium contrahere non possit sine consensu domini. Nullus enim potest dare alicui quod est alterius, sine consensu ipsius. Sed servus est res domini. Ergo non potest contrahendo matrimonium dare potestatem corporis sui uxori sine consensu domini.

1. Il semble que le serviteur ne puisse contracter mariage sans le consentement du seigneur. En effet, personne ne peut donner ce qui appartient à un autre sans le consentement de l’autre. Or, le serf est la chose du seigneur. Il ne peut donc pas, en contractant mariage, donner à son épouse pouvoir sur son corps sans le consentement du seigneur.

[20290] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, servus tenetur domino suo obedire. Sed dominus potest ei praecipere quod in matrimonium non consentiat. Ergo sine consensu ejus matrimonium non potest contrahere.

2. Le serviteur est obligé d’obéir à son seigneur. Or, le seigneur peut lui ordonner de ne pas consentir au mariage. Il ne peut donc contracter mariage sans son consentement.

[20291] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, post contractum matrimonium servus tenetur reddere debitum uxori praecepto juris divini. Sed eo tempore quo uxor debitum petit, potest dominus aliquod servitium servo imponere, quod facere non poterit, si carnali copulae vacare velit. Ergo si sine consensu domini posset servus contrahere matrimonium, privaretur dominus servitio sibi debito sine culpa ; quod esse non debet.

3. Après avoir contracté mariage, le serf est tenu d’acquitter sa dette envers son épouse en vertu d’un précepte de droit divin. Or, au moment où l’épouse demande ce qui lui est dû, le seigneur peut imposer un service au serviteur, qu’il ne peut pas accomplir s’il veut s’adonner à l’union charnelle. Si le serf pouvait contracter mariage sans le consentement du seigneur, le seigneur serait donc privé sans faute de sa part d’un service qui lui est dû, ce qui ne doit pas être le cas.

[20292] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, dominus potest vendere servum in extraneas regiones, quo uxor sua non poterit eum sequi vel propter infirmitatem corporis, vel propter periculum fidei imminens ; puta si vendatur infidelibus, vel etiam domino uxoris non permittente, si sit ancilla ; et sic matrimonium dissolvetur ; quod est inconveniens. Ergo non potest servus sine consensu domini matrimonium contrahere.

4. Le seigneur peut vendre le serf dans des régions éloignées, où son époouse ne peut le suivre soit en raison de sa faiblesse corporelle, soit en raison d’un danger imminent pour la foi, par exemple, s’il est vendu à des infidèles, soit parce que le seigneur de l’épouse ne le permet pas, si elle est une serve. Et ainsi, le mariage est dissous, ce qui est inapproprié. Le serf ne peut donc pas contracter mariage sans le consentement de son seigneur.

[20293] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, favorabilior est obligatio qua homo se divinis obsequiis mancipat, quam illa qua homo se uxori subjicit. Sed servus sine consensu domini non potest religionem intrare, vel ad clericatum promoveri. Ergo multo minus potest sine ejus consensu matrimonio jungi.

5. L’obligation par laquelle un homme se voue au service divin est plus favorable que celle par laquelle un homme se soumet à son épouse. Or, un serf ne peut entrer en religion ou être promu à l’état de clerc sans le consentement de son seigneur. Encore bien moins peut-il donc être uni en mariage sans son consentement.

[20294] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Gal. 3, 28 : in Christo Jesu non est servus neque liber. Ergo ad matrimonium contrahendum in fide Christi Jesu eadem est libertas liberis et servis.

Cependant, [1] Ga 3, 28 dit le contraire : Dans le Christ Jésus, il n’y a ni serviteur ni homme libre. La même liberté de contracter mariage existe donc dans la foi au Christ Jésus pour les hommes libres et pour les serviteurs.

[20295] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, servitus est de jure positivo. Sed matrimonium de jure divino et naturali. Cum ergo jus positivum non praejudicet juri naturali aut divino, videtur quod servus absque domini consensu matrimonium contrahere possit.

[2] La servitude relève du droit positif. Or, le mariage relève du droit divin et naturel. Puisque le droit positif ne l’emporte pas sur le droit naturel ou divin, il semble donc que le serf puisse contracter mariage sans le consentement de son seigneur.

[20296] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum jus positivum, ut dictum est, progrediatur a jure naturali ; ideo servitus, quae est de jure positivo, non potest praejudicare his quae sunt de lege naturali. Sicut autem appetitus naturae est ad conservationem individui, ita est ad conservationem speciei per generationem. Unde sicut servus non subditur domino quin libere possit comedere et dormire, et alia hujusmodi facere quae ad necessitatem corporis pertinent, sine quibus natura conservari non potest ; ita non subditur ei quantum ad hoc quod non possit libere matrimonium contrahere, etiam domino nesciente aut contradicente.

Réponse

Comme on l’a dit, puisque le droit positif découle du droit naturel, la servitude, qui relève du droit positif, ne peut l’emporter sur ce qui relève du droit naturel. De même que l’appétit naturel vise la conservation de l’individu, de même vise-t-elle donc la conservation de l’espèce par la génération. De même que le serf n’est pas soumis à son seigneur sans pouvoir librement manger, dormir et accomplir les autres choses de ce genre qui concernent les besoins du corps, sans lesquels la nature ne peut être conservée, de même donc ne lui est-il pas soumis au point où il ne puisse contracter mariage, même sans que le seigneur le sache ou s’y oppose.

[20297] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod servus est res domini quantum ad ea quae naturalibus superadduntur ; sed quantum ad naturalia omnes sunt pares ; unde in his quae ad actus naturales pertinent, servus potest alteri, invito domino, sui corporis potestatem per matrimonium praebere.

1. Le serviteur est la chose du seigneur pour ce qui est ajouté aux conditions naturelles ; mais, pour ce qui est des conditions naturelles, tous sont égaux. Pour ce qui concerne les actes naturels, le serviteur peut donc malgré son seigneur donner pouvoir sur son corps par le mariage.

[20298] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod servus domino suo tenetur obedire in his quae dominus potest licite praecipere. Sicut autem licite non potest praecipere dominus servo quod non comedat aut dormiat ; ita etiam nec quod a matrimonio contrahendo abstineat. Interest enim ad legislatorem qualiter quilibet re sua utatur ; et ideo si dominus praecipiat servo quod non contrahat matrimonium, servus non tenetur ei obedire.

2. Le serf est tenu d’obéir à son seigneur pour ce qu’il est permis au seigneur d’ordonner. De même qu’il n’est pas permis au seigneur d’ordonner au serviteur de ne pas manger ou dormir, de même aussi de s’abstenir du mariage. En effet, la manière dont chacun fait usage de son bien importe au législateur. Si le seigneur ordonne au serviteur de ne pas contracter mariage, le serviteur n’est donc pas tenu d’obéir.

[20299] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si servus volente domino matrimonium contraxit, tunc debet praetermittere servitium domini imperantis, et reddere debitum uxori : quia per hoc quod dominus concessit ut matrimonium servus contraheret, intelligitur ei concessisse omnia quae matrimonium requirit : si autem matrimonium ignorante vel contradicente domino est contractum, non tenetur reddere debitum, sed potius domino obedire, si utrumque simul esse non possit. Sed tamen in his multa particularia considerari debent, sicut etiam in omnibus humanis actibus ; scilicet periculum castitatis imminens uxori, et impedimentum quod ex redditione debiti servitio imperato generat, et aliis hujusmodi : quibus omnibus rite pensatis judicari poterit cui magis servus obedire teneatur, domino, vel uxori.

3. Si le serf a contracté mariage avec l’accord du seigneur, il doit alors omettre le service du seigneur qui l’ordonne et rendre ce qui est dû à son épouse, car, du fait que le seigneur a permis au serviteur de contracter mariage, on comprend qu’il lui a concédé tout ce qu’exige le mariage. Mais si le mariage a été contracté alors que le seigneur l’ignorait ou s’y opposait, [le serf] n’est pas tenu d’acquitter sa dette, mais plutôt d’obéir au seigneur, s’il ne peut faire les deux choses en même temps. Cependant, en cette matière, plusieurs circonstances particulières doivent être considérées, comme dans tous les actes humains : le danger imminent pour la chasteté de l’épouse et l’empêchement qu’il provoque en acquittant sa dette, alors qu’un service lui est ordonné, et d’autres choses de ce genre. Tout bien pesé, le serf peut juger à qui il doit obéir : au seigneur ou à son épouse.

[20300] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in tali casu dicitur, quod dominus cogendus est ne servum vendat taliter quod faciat onera matrimonii graviora, praecipue cum non desit facultas ubique servum suum vendendi justo pretio.

4. On dit que, dans un tel cas, le seigneur doit être forcé de ne pas vendre son serf dans des conditions qui rendent plus lourd le poids du mariage, surtout lorsque ne manque pas la possibilité de vendre partout son serf à un juste prix.

[20301] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per religionem et ordinis susceptionem aliquis obligatur divinis obsequiis quantum ad totum tempus ; sed vir tenetur uxori debitum reddere non semper, sed congruis temporibus ; et ideo non est simile. Et praeterea, ille qui intrat religionem, et suscipit ordinem, obligat se ad opera quae sunt naturalibus superaddita, in quibus dominus potestatem ejus habet ; et non in naturalibus, ad quae obligat se per matrimonium ; unde posset continentiam vovere sine consensu domini.

5. Par la vie religieuse et la réception de l’ordre, quelqu’un est obligé au service divin pour tout le temps ; mais le mari n’est pas tenu de toujours acquitter sa dette envers son épouse, mais au moment approprié. Ce n’est donc pas la même chose. De plus, celui qui entre en religion et reçoit l’ordre s’oblige à des actes qui s’ajoute à ce qui est naturel, sur lesquels le seigneur n’a pas de pouvoir, et non à des actes naturels auxquels il s’oblige par le mariage. Il pourrait donc faire vœu de continence sans le consentement du seigneur.

 

 

Articulus 3

[20302] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 tit. Utrum servitus matrimonio possit supervenire

Article 3 – La servitude peut-elle survenir après le mariage ?

[20303] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod servitus matrimonio non possit supervenire, ut vir se alteri vendat in servum. Quia quod in fraudem et praejudicium alterius factum est, ratum esse non debet. Sed qui se in servum vendit, facit hoc quandoque in fraudem matrimonii, et ad detrimentum uxoris. Ergo non debet valere talis venditio ad servitutem inducendam.

1. Il semble que la servitude ne puisse survenir après le mariage, de sorte que le mari se vende à un autre comme serf, car ce qui a été fait en fraude et au préjudice d’un autre, ne doit pas être accepté. Or, celui qui se vend comme serf fait parfois cela en fraudant son mariage et au détriment de son épouse. Une telle vente ne doit donc pas compter pour amener la servitude.

[20304] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, duo favorabilia praejudicant uni non favorabili. Sed matrimonium et libertas sunt favorabilia, et repugnant servituti, quae non est favorabilis in jure. Ergo servitus talis debet penitus annullari.

2. Deux choses favorables l’emportent sur une seule qui est défavorable. Or, le mariage et la liberté sont favorables et s’opposent à la servitude, qui n’est pas favorable en droit. Une telle servitude doit donc être complètement annulée.

[20305] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in matrimonio vir et uxor ad paria judicantur, ut supra, dist. 31, dictum est. Sed uxor non potest se in ancillam dare nolente marito. Ergo nec vir nolente uxore.

3. Dans le mariage, le mari et l’épouse sont estimés égaux, comme on l’a dit plus haut, d. 31. Or, l’épouse ne peut se donner comme serve sans que son mari ne le veuille. Donc, le mari non plus, sans que son épouse ne le veuille.

[20306] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod impedit rei generationem in naturalibus, destruit etiam rem generatam. Sed servitus viri nesciente uxore impedit matrimonii contractum antequam fiat. Ergo si posset matrimonio supervenire, destrueret matrimonium ; quod est inconveniens.

4. Ce qui empêche la génération d’une chose dans les réalités naturelles détruit aussi la chose engendrée. Or, la servitude, ignorée de l’épouse du mari, empêche le contrat de mariage avant qu’il ne se réalise. Si [la servitude] pouvait survenir après le mariage, elle détruirait donc le mariage, ce qui est inapproprié.

[20307] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quilibet potest dare alteri quod suum est. Sed vir est sui juris, cum sit liber. Ergo potest jus suum dare alteri.

Cependant, [1] chacun peut donner à un autre ce qui lui appartient. Or, un homme s’appartient, puisqu’il est libre. Il peut donc donner ce qui lui appartient à un autre.

[20308] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, servus potest nolente domino uxorem ducere, ut dictum est. Ergo eadem ratione vir potest domino se subdere, nolente uxore.

[2] Un serf peut se marier sans que son seigneur ne le veuille, comme on l’a dit. Pour la même raison, un mari peut donc se soumettre à un seigneur sans que son épouse ne le veuille.

[20309] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vir subditur uxori solum in his quae ad actum naturae pertinent, in quibus sunt aequales, ad quae servitutis subjectio se non extendit ; et ideo vir nolente uxore potest se alteri in servum dare : non tamen ex hoc matrimonium dissolvetur, quia nullum impedimentum matrimonio superveniens potest dissolvere ipsum, ut praedictum est, dist. 34, qu. 1, art. 1, ad 6.

Réponse

Le mari est soumis à son épouse seulement pour ce qui se rapporte à l’acte de la nature, pour ce en quoi ils sont égaux et à quoi la soumission de la servitude ne s’étend pas. Le mari, sans que son épouse le veuille, peut donc se donner comme serf à un autre. Cependant, le mariage ne sera pas dissous par cela, car aucun empêchement qui survient après le mariage ne peut dissoudre celui-ci, comme on l’a dit plus haut, d. 34, q. 1, a. 1, ad 6.

[20310] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fraus bene potest nocere ei qui fraudem facit, sed non potest alteri praejudicium generare ; et ideo si vir in fraudem uxoris alteri det se in servum, ipse damnum reportat, inaestimabile libertatis bonum amittens ; sed uxori nullum potest ex hoc praejudicium generari, quin teneatur reddere debitum petenti, et ad omnia quae matrimonium requirit : non enim potest ab his retrahi domini sui praecepto.

1. Une fraude peut fort bien nuire à celui qui commet la fraude, mais elle ne peut engendrer de préjudice pour un autre. Si donc un mari se donne comme serf en fraudant son épouse, il supporte lui-même le tort, en perdant l’inestimable bien de la liberté ; mais aucun tort pour son épouse ne peut être engendré, au point où il ne soit pas tenu de s’acquitter de sa dette, si elle le demande, ni à tout ce que le mariage exige. En effet, il ne peut se soustraire à cela par un ordre de son seigneur.

[20311] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantum ad hoc quod servitus matrimonio repugnat, matrimonium servituti praejudicat : quia tunc servus tenetur uxori reddere debitum, etiam nolente domino.

2. Dans la mesure où la servitude s’oppose au mariage, le mariage porte préjudice à la servitude, car alors le serviteur est tenu d’acquitter sa dette envers son épouse, même si le seigneur ne le veut pas.

[20312] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in actu matrimoniali et his quae ad naturam spectant, ad paria vir et uxor judicentur, ad quae conditio servitutis non se extendit ; tamen quantum ad dispensationem domus, et ad alia hujusmodi superaddita, vir est caput mulieris, et debet corrigere, non autem e converso ; et ideo uxor non potest se dare in ancillam nolente viro.

3. Bien que, pour l’acte conjugal et pour ce qui se rapporte à la nature, le mari et l’épouse soient estimés égaux, à quoi la condition de la servitude ne s’étend pas, cependant, pour ce qui est de l’administration du ménage et des autres choses de ce genre qui s’ajoutent, le mari est la tête de la femme et il doit la corriger, mais non pas l’inverse. C’est pourquoi l’épouse ne peut se donner comme serve sans que son mari ne le veuille.

[20313] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de rebus corruptibilibus, in quibus etiam multa impediunt generationem, quae non sufficiunt ad destruendum rem generatam. Sed in rebus perpetuis potest impedimentum praestari, ne res talis esse incipiat, non autem ut esse desistat, sicut patet de anima rationali ; et similiter etiam est de matrimonio, quod est perpetuum vinculum praesenti vita manente.

4. Cet argument s’appuie sur les réalités corruptibles, chez lesquelles aussi plusieurs choses empêchent la génération, sans qu’elles suffisent à détruire la chose engendrée. Mais pour les réalités perpétuelles, un empêchement peut survenir, de sorte qu’une telle chose ne puisse commencer à exister, mais non qu’elle cesse d’exister, comme cela ressort pour l’âme raisonnable. De même en est-il du mariage, qui est un lien perpétuel aussi longtemps que dure la vie présente.

 

 

Articulus 4

[20314] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 tit. Utrum filii debeant sequi conditionem patris

Article 4 – Les fils doivent-ils suivre la condition du père ?

[20315] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod filii debeant sequi conditionem patris. Quia denominatio fit a digniori. Sed pater in generatione est dignior quam mater. Ergo et cetera.

1. Il semble que les fils doivent suivre la condition du père, car le nom vient du plus digne. Or, dans la génération, le père est plus digne que la mère. Donc, etc.

[20316] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, esse rei magis dependet a forma quam a materia. Sed in generatione pater dat formam, mater materiam, ut dicitur in 16 de Animalib. Ergo magis debet sequi proles patrem quam matrem.

2. L’être d’une chose dépend davantage de la forme que de la matière. Or, dans la génération, le père donne la forme et la mère, la matière, comme il est dit dans Sur les animaux, XVI. La descendance doit donc plutôt suivre le père que la mère.

[20317] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, illud praecipue debet aliquid sequi cui magis similatur. Sed filius plus similatur patri quam matri, sicut et filia plus matri. Ergo ad minus filius deberet sequi patrem, et filia matrem.

3. Une chose doit plutôt suivre ce à quoi elle ressemble. Or, le fils ressemble davantage à son père qu’à sa mère, comme la fille ressemble davantage à sa mère. Au moins le fils doit-il donc suivre son père, et la fille, sa mère.

[20318] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, in sacra Scriptura non computatur genealogia per mulieres, sed per viros. Ergo proles magis sequitur patrem quam matrem.

4. Dans la Sainte Écriture, la généalogie n’est pas comptée selon les femmes, mais selon les hommes. La descendance doit donc plutôt suivre le père que la mère.

[20319] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, si quis seminat in terra aliena, fructus sunt ejus cujus est terra. Sed venter mulieris respectu seminis viri est sicut terra respectu sementis. Ergo et cetera.

Cependant, [1] si quelqu’un sème dans la terre d’un autre, les fruits appartiennent à celui à qui la terre appartient. Or, par rapport à la semence de l’homme, le ventre de la femme est comme la terre par rapport à celui qui sème. Donc, etc.

[20320] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in aliis animalibus hoc videmus, quae ex diversis speciebus nascuntur, quod partus magis sequitur matrem quam patrem ; unde muli qui nascuntur ex equa et asino, magis similantur equis quam illi qui nascuntur ex asina et equo. Ergo similiter debet esse in hominibus.

[2] Chez les animaux, nous voyons que chez ceux qui naissent de diverses espèces, ce qui est enfanté suit plutôt la mère que le père ; ainsi, les mules qui naissent d’une jument et d’un âne ressemblent davantage aux chevaux que ceux qui naissent d’une ânesse et d’un cheval. Il doit donc en être de même pour les hommes.

[20321] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum leges civiles partus sequitur ventrem ; et hoc rationabiliter ; quia proles habet a patre complementum formale, sed a matre substantiam corporis. Servitus autem corporalis conditio est, cum servus sit quasi instrumentum domini in operando ; et ideo proles in libertate et servitute sequitur matrem ; sed in his quae pertinent ad dignitatem, quae est forma rei, sequitur patrem, sicut in honoribus et municipiis et hereditate et aliis : et huic etiam concordant canones et lex Moysi, ut patet Exod. 21. In quibusdam tamen terris quae jure civili non reguntur, partus sequitur deteriorem conditionem ; ut si pater sit servus, quamvis mater sit libera, erunt filii servi ; non tamen si post peractum matrimonium pater se in servum dedit nolente uxore, et similiter si sit e converso. Si autem uterque sit servilis conditionis, et pertineant ad diversos dominos ; tunc dividunt filios, si plures sunt ; vel si unus tantum, unus alteri recompensabit de pretio, et accipiet prolem natam in sui servitium. Tamen non est credibile, quod talis consuetudo possit esse ita rationabilis sicut illud quod multorum sapientum diuturno studio determinatum est. Hoc etiam in naturalibus invenitur quod receptum est in recipiente per modum recipientis, et non per modum dantis ; et ideo rationabile est quod semen receptum in muliere ad conditionem ipsius trahatur.

Réponse

Selon les lois civiles, l’enfant suit le ventre, et de manière raisonnable, car la descendance reçoit du père son achèvement formel, mais de la mère, la substance du corps. Or, la servitude est une condition corporelle, puisque le serf est comme un instrument du seigneur lorsqu’il agit. C’est pourquoi la descendance suit la mère pour ce qui est de la liberté et de la servitude ; mais pour ce qui se rapporte à la dignité, qui est la forme d’une chose, elle suit le père, comme pour les honneurs, les droits de cité, l’héritage et les autres choses. Et les canons et la loi de Moïse sont d’accord avec cela, comme cela ressort d’Ex 21. Cependant, dans certains pays, qui ne sont pas régis selon le droit civil, l’enfant suit la pire condition : ainsi, si le père est un serf, bien que la mère soit libre, les fils seront des serfs, mais non cependant si, après avoir contracté mariage, le père se donne comme serf sans que son épouse le veuille, et de même en sens inverse. Mais si les deux sont de condition servile et appartiennent à des seigneurs différents, alors on divise les fils, s’il y en a plusieurs ; ou s’il n’y en a qu’un, l’un compensera l’autre en argent et recevra la descendance née à son service. Cependant, il n’est pas croyable qu’une telle coutume puisse être aussi raisonnable que ce que ce qui a été déterminé par le soin attentif de nombreux sages. On trouve aussi dans les choses naturelles que ce qui est reçu se trouve dans ce qui reçoit à la manière de ce qui reçoit, et non à la manière de ce qui donne. Il est ainsi raisonnable que la semence reçue par la femme soit attirée vers sa condition.

[20322] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis pater sit dignius principium, tamen mater dat substantiam corporalem, ex parte cujus attenditur conditio servitutis.

1. Bien que le père soit un principe plus digne, la mère donne cependant la substance corporelle, selon laquelle s’applique la condition servile

[20323] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in his quae ad rationem speciei pertinent, magis similatur filius patri quam matri ; sed in materialibus conditionibus magis debet similari matri quam patri ; quia res habet a forma esse specificum, sed conditiones materiales a materia.

2. Pour ce qui concerne le caractère de l’espèce, le fils ressemble davantage au père qu’à la mère ; mais, pour les conditions matérielles, il doit être assimilé plutôt à la mère qu’au père, car une chose tient son être spécifique de sa forme, mais ses conditions matérielles de la matière.

[20324] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod filius assimilatur patri ratione formae quam habet in sui complemento, sicut et pater ; et ideo ratio non est ad propositum.

3. Le fils est assimilé au père en raison de la forme qu’il a lorsqu’il est achevé, de même que le père. L’argument porte donc à faux.

[20325] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia honor filii magis est ex patre quam ex matre ; ideo in genealogiis in Scripturis, et secundum communem consuetudinem magis nominantur filii a patre quam a matre ; tamen in his quae ad servitutem spectant, magis matrem sequuntur.

4. Parce que l’honneur du fils vient davantage du père que de la mère, dans les généalogies des Écritures et selon l’usage commun, les fils sont nommés plutôt selon le père que selon la mère ; cependant, pour ce qui concerne la servitude, ils suivent davantage la mère.

 

 

Articulus 5

[20326] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 tit. Utrum defectus aetatis impediat matrimonium

Article 5 – Une carence d’âge empêche-t-elle le mariage ?

[20327] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod defectus aetatis non impediat matrimonium. Secundum enim leges pueri accipiunt tutorem usque ad vigintiquinque annos. Ergo videtur quod usque ad tempus istud non sit confirmata ratio ad consensum ; et ita videtur quod illud debeat esse tempus statutum ad matrimonia ineunda. Sed ante tempus illud matrimonium potest contrahi. Ergo defectus statutae aetatis non impedit matrimonium.

1. Il semble qu’une carence d’âge n’empêche pas le mariage. En effet, selon les lois, les enfants reçoivent un tuteur jusqu’à vingt-cinq ans. Il semble donc que jusqu'à ce moment, leur raison ne soit pas affermie pour un consentement. Et ainsi, il semble que cela doive être le moment établi pour contracter mariage. Or, avant ce moment, un mariage peut être contracté. Une carence de l’âge établi n’empêche donc pas le mariage.

[20328] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, sicut vinculum religionis est perpetuum, ita vinculum matrimonii. Sed ante decimumoctavum annum non possunt facere professionem, secundum novam institutionem. Ergo nec matrimonium contrahere si defectus aetatis matrimonium impediret.

2. De même que le lien de la vie religieuse est perpétuel, de même le lien du mariage. Or, avant l’âge de dix-huit ans, on ne peut faire profession, selon la nouvelle législation. On ne devrait donc pas non plus contracter mariage, si une carence d’âge empêchait le mariage.

[20329] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut consensus ad matrimonium requiritur ex parte viri, ita ex parte mulieris. Sed mulier ante quartum decimum annum potest contrahere matrimonium. Ergo et vir.

3. De même que le consentement est requis pour le mariage de la part de l’homme, de même de la part de la femme. Or, une femme peut contracter mariage avant l’âge de quatorze ans. Donc, l’homme aussi.

[20330] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, impotentia coeundi nisi sit perpetua et ignorata, non impedit matrimonium. Sed defectus aetatis non est perpetuus nec ignoratus. Ergo non impedit matrimonium.

4. L’incapacité à accomplir l’union charnelle, à moins qu’elle ne soit perpétuelle et ignorée, n’empêche pas le mariage. Or, la carence d’âge n’est ni perpétuelle ni ignorée. Elle n’empêche donc pas le mariage.

[20331] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, non continetur in aliquo praedictorum impedimentorum ; et ita non videtur matrimonii esse impedimentum.

5. [La carence d’âge] n’est contenue dans aucun des empêchements mentionnés plus haut. Elle ne semble donc pas être un empêchement au mariage.

[20332] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod decretalis dicit, quod puer qui non potest reddere debitum, non est aptus matrimonio. Sed ante decimum quartum annum ut in pluribus non potest reddere debitum, ut patet in 9 de animalibus. Ergo et cetera.

Cependant, [1] une décrétale dit en sens contraire qu’un enfant qui ne peut acquitter ce qui est dû n’est pas apte au mariage. Or, avant la quatorzième année, [un enfant] ne peut dans la plupart des cas acquitter ce qui est dû, comme cela ressort de Sur les animaux, IX. Donc, etc.

[20333] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, omnium natura constantium positus est terminus magnitudinis et augmenti : et ita videtur, cum matrimonium sit naturale, quod debeat habere determinatum tempus, per cujus defectum impeditur.

[2] Un terme a été établi à la grandeur et à la croissance de tout ce qui existe. Puisque le mariage est naturel, il semble ainsi qu’il doive avoir un temps déterminé, par la carence duquel il peut être empêché.

[20334] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium, cum fiat per modum contractus cujusdam, ordinationi legis positivae subjacet, sicut et alii contractus ; unde secundum jure determinatum est quod ante illud tempus discretionis quo uterque possit de matrimonio sufficienter deliberare, et debitum sibi invicem reddere, matrimonia non contrahantur ; et si non ita facta fuerint, dirimuntur. Hoc autem tempus ut in pluribus est in masculis in quartodecimo anno, in femina autem in duodecimo anno, cujus ratio supra, dist. 27, quaest. 2, art. 3, in corp., dicta est. Quia tamen praecepta juris positivi sequuntur id quod est in pluribus ; si aliquis ad perfectionem debitam ante tempus praedictum perveniat, ita quod vigor naturae et rationis, defectum aetatis suppleat, matrimonium non dissolvitur ; et ideo, si contrahentes ante annos pubertatis carnaliter ante tempus praedictum fuerint copulati, nihilominus matrimonium stat indissolubile.

Réponse

Puisqu’il se réalise sous la forme d’un contrat, le mariage est soumis à la loi positive, comme les autres contrats. Aussi a-t-il été déterminé selon le droit qu’avant l’âge de discrétion, où les deux peuvent suffisamment délibérer à propos du mariage et s’acquitter réciproquement de leur dette, les mariages ne doivent pas être contractés et que, s’ils n’ont pas été réalisés de cette façon, ils sont dirimés. Or, dans la plupart des cas, ce moment est la quatorzième année pour les garçons, mais la douzième année pour une fille ; la raison en a été donnée plus haut, d. 27, q. 2, a. 3, c. Cependant, puisque les préceptes du droit positif suivent ce qui existe dans la plupart des cas, si quelqu’un parvient à la perfection appropriée avant le moment mentionné plus haut, de sorte que la vigueur de la nature et de la raison supplée la carence de l’âge, le mariage n’est pas dissous. Si ceux qui contractent mariage ont été unis charnellement avant les années de la puberté avant le moment déterminé plus haut, le mariage demeure néanmoins indissoluble.

[20335] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis ad quae natura inclinat, non exigitur tantus vigor rationis ad deliberandum, sicut in aliis ; et ideo ante potest in matrimonium sufficienter deliberans consentire quam possit in contractibus aliis res suas sine tutore pertractare.

1. Pour ce à quoi la nature incline, une aussi grande vigueur de la raison pour délibérer n’est pas nécessaire que pour les autres choses. C’est pourquoi celui qui délibère peut consentir plus tôt au mariage, qu’il ne peut s’occuper sans tuteur de ses propres biens par d’autres contrats.

[20336] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 ad 2 Et similiter etiam dicendum est ad secundum : quia votum religionis est eorum quae sunt supra inclinationem naturae, quae majorem difficultatem habent quam matrimonium.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument, car le vœu de la vie religieuse porte sur des choses qui dépassent l’inclination de la nature, qui comportent de plus grandes difficultés que le mariage.

[20337] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mulier citius ad tempus pubertatis pervenit quam vir, ut dicitur in 9 de animalibus, et supra, dist. 27, quaest. 2, art. 2, ad 3, dictum est ; et ideo non est simile de utroque.

3. La femme atteint plus rapidement l’âge de la puberté que l’homme, comme on le dit dans Sur les animaux, IX, et comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 2, ad 3. Ce n’est donc pas la même chose dans les deux cas.

[20338] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex parte ista non solum est impedimentum propter impotentiam coeundi, sed propter defectum rationis, quae adhuc non sufficit ad consensum illum rite faciendum qui perpetuo durare debet.

4. De ce point de vue, il n’existe pas seulement un empêchement en raison de l’incapacité d’accomplir l’union charnelle, mais en raison d’une carence de la raison, qui ne suffit pas encore pour donner correctement un consentement qui doit durer perpétuellement.

[20339] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut impedimentum quod est ex furia, reducitur ad impedimentum erroris ; ita et impedimentum quod est ex defectu aetatis : quia homo non habet usum plenum liberi arbitrii.

5. De même que l’empêchement qui vient de la folie se ramène à l’empêchement de l’erreur, de même aussi l’empêchement qui vient de la carence d’âge, car l’homme n’a pas le plein usage de son libre arbitre.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 36

[20340] Super Sent., lib. 4 d. 36 q. 1 a. 5 expos. Quod si ipsa fuerit in servitute detenta ; si eam a servitute redimere potest, faciat ; si non potest, si voluerit, aliam accipiat. Sciendum, quod si antequam sit detecta servitus uxoris, de qua dubitatur, petat debitum ; si levi suspicione moveatur vir, debet reddere debitum : nec ex hoc ei aliquod praejudicium generatur. Si autem ex causa probabili dubitet, vel vehementer praesumat, aut certe cognoscat ; non debet ei debitum reddere, Ecclesia praecipiente : quia vel sibi praejudicium faceret, si eam uxorio affectu cognosceret ; aut alias fornicaretur.

 

 

 

Distinctio 37

Distinction 37 – [L’empêchement de l’ordre]

Prooemium

Prologue

[20341] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de impedimentis quae faciunt personas medias inter penitus legitimas et penitus illegitimas, hic determinat de impedimentis quae faciunt personas penitus illegitimas ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de impedimentis quae faciunt personas illegitimas respectu cujuslibet personae ; in secunda de impedimentis quae faciunt personas illegitimas respectu aliquarum personarum, et non respectu omnium ; 39 dist., ibi : post haec de dispari cultu videndum est. Prima in duas : in prima determinat de impedimento ordinis ; in secunda de impedimento voti, 38 dist., ibi : nunc de voto inspiciamus. Prima in duas : in prima ostendit quomodo matrimonium per ordines impediatur ; in secunda quomodo impeditur per uxoricidii crimen, ibi : his adjiciendum est et cetera. Hic est duplex quaestio. Prima de impedimento ordinis. Secunda de uxoricidio. Circa primum quaeruntur duo : 1 utrum ordo praecedens impediat matrimonium ; 2 utrum matrimonium praecedens ordinem sequi patiatur.

Après avoir déterminé des empêchements qui placent les personnes à mi-chemin entre les personnes entièrement aptes en droit et entièrement inaptes en droit, le Maître détermine ici des empêchements qui rendent les personnes entièrement inaptes en droit. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des empêchements qui rendent toutes les personnes inaptes ; dans la seconde, des empêchements qui rendent certaines personnes inaptes, et non pas toutes, d. 39, à cet endroit : « Après cela, il faut voir la disparité de culte. » La première se divise en deux : dans la première, il détermine de l’empêchement de l’ordre ; dans la seconde, de l’empêchement du vœu, d. 38, à cet endroit : « Maintenant, regardons le vœu. » La première se divise en deux : dans la première, il montre comment le mariage est empêché par les ordres ; dans la seconde, comment il est empêché par le crime du meurtre de son épouse, à cet endroit : « Il faut ajouter à cela, etc. » Ici, il y a deux questions. La première porte sur l’empêchement de l’ordre ; la seconde, sur le meurtre de l’épouse. À propos de la première, il y a deux questions : 1 – L’ordre qui le précède empêche-t-il le mariage ? 2 – Le mariage qui le précède peut-il supporter que l’ordre suive ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’empêchement de l’ordre]

 

 

Articulus 1

[20342] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 tit. Utrum ordo impediat matrimonium

Article 1 – L’ordre empêche-t-il le mariage ?

[20343] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ordo non impediat matrimonium. Quia nihil impeditur nisi a suo contrario. Sed ordo non est contrarius matrimonio, cum utrumque sit sacramentum. Ergo non impedit ipsum.

1. Il semble que l’ordre n’empêche pas le mariage, car rien n’est empêché que par son contraire. Or, l’ordre n’est pas contraire au mariage, puisque les deux sont des sacrements. Il ne l’empêche donc pas.

[20344] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, idem ordo est apud nos et apud Ecclesiam Orientalem. Sed apud Ecclesiam Orientalem non impedit matrimonium. Ergo nec apud Occidentalem.

2. Le même ordre existe pour nous et pour l’Église orientale. Or, dans l’Église orientale, [l’ordre] n’empêche pas le mariage. Donc, ni dans l’Église occidentale.

[20345] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, matrimonium significat conjunctionem Christi et Ecclesiae. Sed hoc praecipue congruit significari in his qui sunt ministri Christi, scilicet ordinatis. Ergo ordo matrimonium non impedit.

3. Le mariage signifie l’union du Christ et de l’Église. Or, il est surtout approprié que cela soit signifié chez ceux qui sont des ministres du Christ : ceux qui sont ordonnés. L’ordre n’empêche donc pas le mariage.

[20346] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnes ordines ad aliquid spirituale ordinantur. Sed ordo non potest impedire matrimonium nisi ratione spiritualitatis. Ergo si ordo impedit matrimonium, quilibet ordo impediet ; quod falsum est.

4. Tous les ordres sont ordonnés à quelque chose de spirituel. Or, l’ordre ne peut empêcher le mariage qu’en raison de son caractère spirituel. Si l’ordre empêche le mariage, tout ordre l’empêchera donc, ce qui est faux.

[20347] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnes ordinati possunt ecclesiastica beneficia habere, et privilegio clericali gaudere, et aequaliter. Si ergo propter hoc ordo matrimonium impedit, quia uxorati non possunt habere beneficium ecclesiasticum, nec gaudere privilegio clericali, ut juristae dicunt, tunc quilibet ordo impedire deberet ; quod falsum est, ut patet per decretalem Alexandri ; et sic nullus ordo, ut videtur, matrimonium impediet.

5. Tous ceux qui sont ordonnés peuvent avoir des bénéfices ecclésiastiques et jouir du privilège de clergie, et de manière égale. Si donc l’ordre empêche le mariage pour la raison que ceux qui sont mariés ne peuvent avoir de bénéfice ecclésaistique ni jouir du privilège de clergie, comme le disent les juristes, alors tous les ordres devraient l’empêcher, ce qui est faux, comme cela ressort d’une décrétale d’Alexandre. Ainsi il semble qu’aucun ordre n’empêchera le mariage.

[20348] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod decretalis dicit ibid. : si in subdiaconatu et aliis superioribus ordinibus uxores accepisse noscuntur, eos uxores dimittere compellatis ; quod non esset, si esset verum matrimonium.

Cependant, [1] la décrétale dit le contraire, au même endroit : « Si l’on apprend qu’ils ont pris des épouses alors qu’il sont dans le sous-diaconat et dans les autres ordres supérieurs, forcez-les à renvoyer leurs épouses. » Ce ne serait pas le cas s’il s’agissait d’un vrai mariage.

[20349] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus vovens continentiam potest matrimonium contrahere. Sed quidam ordines sunt qui habent votum continentiae annexum, ut ex littera patet. Ergo talis ordo matrimonium impedit.

[2] Personne qui fait vœu de continence ne peut contracter mariage. Or, il existe certains ordres auxquels est joint le vœu de continence, comme cela ressort du texte. Un tel ordre empêche donc le mariage.

[20350] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ordo sacer de sui ratione habet ex quadam congruentia quod matrimonium impedire debeat ; quia in sacris ordinibus constituti sacra vasa et sacramenta tractant ; et ideo decens est ut munditiam corporalem per continentiam servent. Sed quod impediat matrimonium, ex constitutione Ecclesiae habet ; tamen aliter apud Latinos quam apud Graecos ; quia apud Graecos impedit matrimonium contrahendum solum ex vi ordinis ; sed apud Latinos impedit ex vi ordinis, et ulterius ex voto continentiae, quod est ordinibus sacris annexum ; quod etiam si quis verbo tenus non emittat, ex hoc ipso quod ordinem suscipit, secundum ritum Occidentalis Ecclesiae intelligitur emisisse ; et ideo apud Graecos et alios Orientales sacer ordo impedit matrimonium contrahendum, non tamen matrimonii prius contracti usum ; possunt enim matrimonio prius contracto uti, quamvis non possint matrimonium de novo contrahere. Sed apud Occidentalem Ecclesiam impedit matrimonium, et matrimonii usum ; nisi forte ignorante aut contradicente uxore vir ordinem sacrum susceperit ; quia ex hoc non potest ei aliquod praejudicium generari. Quod autem ordines sacri distinguantur a non sacris nunc et in primitiva Ecclesia, supra, dist. 24, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 3, dictum est.

Réponse

Un ordre sacré comporte en lui-même, en vertu d’une certaine convenance, de devoir empêcher le mariage, car ceux qui sont établis dans les ordres sacrés manient les vases sacrés et les sacrements. Il convient donc qu’ils gardent une pureté corporelle par la continence. Mais qu’il empêche le mariage, il tient cela d’une décision de l’Église, mais autrement chez les Latins et chez les Grecs, car, chez les Grecs, il empêche de contracter mariage seulement en vertu de l’ordre, mais, chez les Latins, il l’empêche en vertu de l’ordre et en plus d’un vœu de continence, qui est joint aux ordres sacrés ; même si quelqu’un ne l’émet pas oralement, on comprend qu’il l’a émis du fait même qu’il a reçu l’ordre selon le rite de l’Église occidentale. C’est pourquoi, chez les Grecs et les autres Orientaux, l’ordre sacré empêche de contracter mariage, mais non l’usage d’un mariage contracté antérieurement, bien qu’ils ne puissent pas contracter un nouveau mariage. Mais, dans l’Église occidentale, [l’ordre sacré] empêche le mariage et l’usage du mariage, à moins peut-être qu’un homme n’ait reçu un ordre sacré alors que son épouse l’ignore ou s’y oppose, car [l’ordre sacré] ne peut lui causer de préjudice. Que les ordres sacrés soient distincts d’ordres non sacrés maintenant et dans l’Église primitive, on l’a dit plus haut, d. 24, q. 2, a. 1, qa 3.

[20351] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ordo sacer non habeat contrarietatem ad matrimonium in quantum est sacramentum, habet tamen repugnantiam quamdam ad ipsum ratione sui actus, qui spirituales actus impedit.

1. Bien qu’un ordre sacré ne soit pas contraire au mariage en tant qu’il est un sacrement, il comporte cependant une certaine incompatibilité par rapport à lui en raison de son acte, qui empêche les actes spirituels.

[20352] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam patet quod objectio procedit ex falsis. Ordo enim ubique impedit matrimonium contrahendum, quamvis ubique non habeat votum annexum.

2. Il ressort déjà clairement que l’objection vient de fausses prémisses. En effet, l’ordre empêche partout de contracter mariage, bien qu’il n’y ait pas partout un vœu qui lui soit joint.

[20353] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui sunt in sacris ordinibus constituti, significant Christum nobilioribus actibus, prout ex dictis in tractatu de ordine, dist. 23, qu. 2, art. 1, qu. 3, patet, quam illi qui sunt matrimonio juncti ; et ideo ratio non sequitur.

3. Ceux qui sont établis dans les ordres sacrés signifient le Christ par des actes plus nobles que ceux qui sont unis par le mariage, comme cela ressort de ce qui a été dit dans le traité de l’ordre, d. 23, q. 2, a. 1, qa 3. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

[20354] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illi qui sunt in minoribus ordinibus constituti, ex vi ordinis non prohibentur matrimonium contrahere ; quia quamvis ordines illi deputentur ad aliqua spiritualia, non tamen immediate habent accessum ad tractandum sacra sicut illi qui sunt in sacris ordinibus. Sed secundum statutum Occidentalis Ecclesiae matrimonii usus executionem ordinis non sacri impedit propter servandam majorem honestatem in officiis Ecclesiae. Et quia aliquis ex beneficio tenetur ad executionem ordinis, et ex hoc ipso privilegio clericali gaudet ; ideo haec apud Latinos clericis uxoratis auferuntur.

4. Ceux qui sont établis dans les ordres mineurs ne sont pas empêchés de contracter mariage en vertu de l’ordre, car, bien que ces ordres soient destinés à des réalités spirituelles, ils ne permettent cependant pas de manier des choses sacrées comme ceux qui sont dans les ordres sacrés. Mais, selon une décision de l’Église occidentale, l’usage [du mariage] empêche la mise en œuvre d’un ordre non sacré afin de préserver une plus grande dignité dans les fonctions de l’Église. Et parce que quelqu’un est obligé par un bénéfice à la mise en œuvre de l’ordre et jouit par le fait même du privilège de clergie, ces choses sont donc enlevées aux clercs mariés chez les Latins.

[20355] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5 Et per hoc patet solutio ad ultimum.

La réponse au dernier argument est ainsi claire.

 

 

Articulus 2

[20356] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 tit. Utrum matrimonio ordo sacer supervenire possit

Article 2 – Un ordre sacré peut-il survenir après le mariage ?

[20357] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod matrimonio ordo sacer supervenire non possit. Quia fortius praejudicat minus forti. Sed fortius est vinculum spirituale quam corporale. Ergo si matrimonio junctus ordinem suscipiat, praejudicium generabitur uxori, ut non possit debitum exigere ; cum ordo sit vinculum spirituale, et matrimonium corporale ; et sic videtur quod non possit ordinem sacrum suscipere post matrimonium consummatum.

1. Il semble qu’un ordre sacré puisse survenir après le mariage, car ce qui est plus fort l’emporte sur ce qui est moins fort. Or, un lien spirituel est plus fort qu’un lien corporel. Si celui qui est uni par mariage reçoit un ordre, un préjudice sera donc engendré pour l’épouse si elle ne peut exiger ce qui lui est dû, puisque l’ordre est un lien spirituel et le mariage un lien corporel. Il semble ainsi qu’on ne puisse recevoir un ordre sacré après un mariage consommé.

[20358] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, post matrimonium consummatum unus conjugum sine alterius consensu non potest continentiam vovere. Sed ordo sacer habet continentiae votum annexum. Ergo si vir ordinem sacrum invita uxore acciperet, cogeretur uxor invita continentiam servare ; quia non posset alteri nubere, viro vivente.

2. Après un mariage consommé, l’un des conjoints ne peut faire vœu de continence sans le consentement de l’autre. Or, l’ordre sacré a un vœu de continence qui lui est joint. Si donc le mari a reçu un ordre sacré malgré son épouse, l’épouse serait forcée de garder la continence malgré elle, car elle ne pourrait en épouser un autre alors que son mari vit.

[20359] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, etiam ad tempus non potest vir vacare orationi sine consensu uxoris, ut habetur 1 Corinth. 7. Sed apud Orientales, illi qui sunt in sacris constituti, tenentur ad continentiam tempore quo exequuntur officium suum. Ergo nec ipsi possunt ordinari sine consensu uxorum, et multo minus Latini.

3. Même pour un temps, un mari ne peut se livrer à la prière sans le consentement de son épouse, comme on le lit en 1 Co 7. Or, chez les Orientaux, ceux qui sont établis dans les ordres sacrés sont obligés à la continence pendant qu’ils accomplissent leur fonction. Eux non plus ne peuvent donc être ordonnés sans le consentement de leurs épouses, et encore bien moins les Latins.

[20360] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, vir et uxor ad paria judicantur. Sed sacerdos Graecus defuncta uxore sua non potest aliam ducere. Ergo nec uxor defuncto viro. Sed non potest sibi auferri facultas nubendi post mortem viri per viri actum. Ergo vir non potest suscipere ordines post matrimonium.

4. Le mari et l’épouse sont jugés à égalité. Or, un prêtre grec ne peut prendre une autre épouse après la mort de son épouse. Donc, ni l’épouse après la mort de son mari. Mais la possibilité de se marier ne peut lui être enlevée après la mort de son mari par une intervention de son mari. Un mari ne peut donc pas recevoir les ordres après le mariage.

[20361] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, quantum matrimonium opponitur ordini, tantum e converso. Sed ordo praecedens impedit matrimonium. Ergo e converso.

5. Autant le mariage est opposé à l’ordre, autant l’inverse est vrai. Or, un ordre qui le précède empêche le mariage. Donc aussi, l’inverse.

[20362] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, religiosi tenentur ad continentiam sicut illi qui sunt in sacris ordinibus. Sed post matrimonium potest aliquis religionem intrare, defuncta vel consentiente uxore. Ergo et ordinem suscipere.

Cependant, [1] les religieux sont obligés à la continence comme ceux qui sont dans les ordres sacrés. Or, après le mariage, quelqu’un peut entrer en religion, si son épouse est décédée ou si elle y consent. Il peut donc aussi recevoir l’ordre.

[20363] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, aliquis potest fieri servus hominum post matrimonium. Ergo et servus Dei per susceptionem ordinis.

[2] Quelqu’un peut devenir serviteur des hommes après le mariage. Donc aussi, serviteur de Dieu par la réception de l’ordre.

[20364] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium non impedit ordinis sacri susceptionem ; quia si matrimonio junctus ad sacros ordines accedat, etiam reclamante uxore, nihilominus characterem ordinis suscipit, sed executione ordinis caret ; si autem volente uxore, vel ipsa defuncta, ordinem sacrum accipit, recipit ordinem et executionem.

Réponse

Le mariage n’empêche pas la réception d’un ordre sacré, car si quelqu’un qui est uni par mariage accède aux ordres sacrés, alors même que son épouse proteste, il reçoit néanmoins le caractère de l’ordre, mais la mise en œuvre de l’ordre lui fait défaut. Mais s’il reçoit l’ordre sacré avec l’accord de son épouse ou après son décès, il reçoit l’ordre et sa mise en œuvre.

[20365] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vinculum ordinis solvit vinculum matrimonii ratione redditionis debiti, ex qua parte habet repugnantiam ad matrimonium ex parte ejus qui ordinem suscipit ; quia non potest petere debitum, nec uxor tenetur ei reddere. Sed tamen non solvit ex parte alterius ; quia ipse uxori tenetur debitum reddere, si non possit eam inducere ad continentiam.

1. Le lien de l’ordre dissout le lien du mariage en raison de la dette à acquitter, au regard de laquelle il a une incompatibilité avec le mariage du point de vue de celui qui reçoit l’ordre, car il ne peut demander ce qui lui est dû et son épouse n’est pas obligée de s’en acquitter. Cependant, il ne le dissout pas du point de vue de l’autre, car il est lui-même tenu d’acquitter sa dette, s’il ne peut l’amener à la continence.

[20366] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si uxor sciat, et de ejus consensu vir ordinem sacrum susceperit, tenetur continentiam perpetuam vovere ; non tamen tenetur religionem intrare, si sibi non timeat de periculo castitatis, propter hoc quod vir ejus solemne votum emisit ; secus autem si emisisset votum simplex. Si autem sine ejus consensu susceperit, non tenetur ; quia ex hoc nullum sibi praejudicium generatur.

2. Si l’épouse le sait et si son mari reçoit un ordre sacré avec son consentement, elle est tenue de faire vœu de continence perpétuelle. Elle n’est cependant pas tenu d’entrer en religion, si elle ne craint pas que sa chasteté soit en danger parce que son mari a prononcé un vœu solennel ; cela serait différent s’il avait prononcé un vœu simple. Mais s’il a reçu [l’ordre] sans son consentement, elle n’est pas obligée [de faire vœu de continence], car aucun préjudice ne lui est causé par cela.

[20367] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut probabilius videtur (quamvis quidam contrarium dixerint), etiam Graeci non debent accedere ad sacros ordines sine consensu uxorum, quia ad minus tempore ministerii sui fraudarentur debiti redditione ; quo fraudari non possunt secundum ordinem juris, si eis contradicentibus aut ignorantibus viri ordines susceperint.

3. Comme cela semble plus probable (bien que certains aient dit le contraire), même les Grecs ne doivent accéder aux ordres sacrés sans le consentement de leurs épouses, car, tout au moins pendant la durée de leur ministère, elles seraient privées de l’acquittement de ce qui est dû, dont elles ne peuvent être privées selon l’ordre du droit, si leurs maris reçoivent les ordres alors qu’elles s’y opposent ou l’ignorent.

[20368] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicitur, eo ipso quod mulier consentit apud Graecos quod vir suus ordinem suscipiat, obligat se ad hoc quod ipsa in perpetuum alteri non nubat ; quia significatio matrimonii non servaretur, quae in matrimonio sacerdotis praecipue exigitur. Si autem sine consensu ejus ordinatur, non videtur ad hoc teneri.

4. Comme on le dit, du seul fait qu’une femme consent, chez les Grecs, à ce que son mari reçoive l’ordre, elle s’oblige à ne jamais en épouser un autre, car la signification du mariage ne serait pas respectée, elle qui est exigée surtout dans le mariage d’un prêtre. Mais s’il est ordonné sans le consentement [de son épouse], elle ne semble pas être tenue à cela.

[20369] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod matrimonium habet pro causa nostrum consensum ; non autem ordo, sed habet causam sacramentalem determinatam a Deo ; et ideo matrimonium potest impediri ex ordine praecedente, quod non sit verum matrimonium ; non autem ordo ex matrimonio, quod non sit verus ordo ; quia sacramentorum virtus est immutabilis ; sed actus humani possunt impediri.

5. Le mariage a pour cause notre consentement, mais non l’ordre, qui a une cause sacramentelle déterminée par Dieu. Le mariage peut donc être empêché d’être un vrai sacrement par un ordre qui précède ; mais l’ordre ne peut être empêché d’être un vrai sacrement par le mariage, car la puissance des sacrements est immuable, mais les actes humains peuvent être empêchés.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le meurtre de l’épouse]

Prooemium

Prologue

[20370] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 pr. Deinde quaeritur de uxoricidio ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 utrum in aliquo casu liceat uxorem occidere ; 2 utrum uxoricidium impediat matrimonium.

Ensuite, on s’interroge sur le meurtre de l’épouse. À ce propos, deux questions sont posées ; 1 – Est-il permis dans un cas de tuer son épouse ? 2 – Le meurtre de son épouse empêche-t-il le mariage ?

 

 

Articulus 1

[20371] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 tit. Utrum liceat viro uxorem interficere in actu adulterii deprehensam

Article 1 – Est-il permis à un mari de tuer son épouse prise en flagrant délit d’adultère ?

[20372] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod liceat viro uxorem interficere in actu adulterii deprehensam. Lex enim divina praecipit adulteras lapidari. Sed ille qui legem divinam exequitur, non peccat. Ergo nec occidens propriam uxorem, si sit adultera.

1. Il semble qu’il soit permis à un mari de tuer son épouse prise en flagrant délit d’adultère. En effet, la loi divine ordonne de lapider les adultères. Or, celui qui accomplit la loi divine ne pèche pas. Donc, non plus celui qui tue sa propre épouse, si elle est adultère.

[20373] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod licet legi, licet ei cui lex hoc committit. Sed legi licet interficere adulteram, aut quamlibet personam ream mortis. Cum ergo lex commiserit viro interfectionem uxoris in actu adulterii deprehensae, videtur quod ei liceat.

2. Ce qui est permis par la loi est permis à celui à qui la loi a été confiée. Or, il est permis par la loi de tuer l’adultère ou toute personne coupable de mort. Puisque la loi a confié au mari de tuer son épouse prise en flagrant délit d’adultère, il semble donc que cela lui soit permis.

[20374] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, vir habet majorem potestatem super uxorem adulteram quam super eum qui cum ipsa adulterium commisit. Sed si vir percutiat clericum quem cum propria uxore invenit, non est excommunicatus. Ergo videtur quod etiam liceat interficere propriam uxorem in adulterio deprehensam.

3. Le mari a un plus grand pouvoir sur son épouse adultère que sur celui qui a commis l’adultère avec elle. Or, si un homme frappe un clerc qu’il a trouvé avec sa propre épouse, il n’est pas excommunié. Il semble donc qu’il soit permis de tuer sa propre époouse prise en flagrant délit d’adultère.

[20375] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, viri est uxorem suam corrigere. Sed correctio fit per inflictionem justae poenae. Cum ergo justa poena adulterii sit mors, quia est capitale crimen ; videtur quod liceat viro uxorem adulteram occidere.

4. Il appartient au mari de corriger son épouse. Or, la correction est réalisée par l’infliction d’une juste peine. Puisque la juste peine pour un adultère est la mort, car elle est un crime capital, il semble donc qu’il soit permis au mari de tuer son épouse adultère.

[20376] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, in littera dicitur, quod Ecclesia Dei, quae nunquam constringitur legibus mundanis, gladium non habet nisi spiritualem. Ergo videtur quod ei qui vult esse de Ecclesia, non sit licitus usus legis illius quae uxoricidium permittit.

Cependant, [1] il est dit dans le texte que l’Église, qui n’est jamais liée par les lois du monde, ne possède qu’un glaive spirituel. Il semble donc qu’il ne soit pas permis à celui qui veut faire partie de l’Église de faire usage de la loi qui permet le meurtre de son épouse.

[20377] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, vir et uxor ad paria judicantur. Sed uxori non licet interficere virum in adulterio deprehensum. Ergo nec viro uxorem.

[2] Le mari et l’épouse sont jugés à égalité. Or, il n’est pas permis à l’épouse de tuer son mari pris en flagrant délit d’adultère. Il n’est donc permis au mari de le faire.

[20378] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod virum interficere uxorem contingit dupliciter. Uno modo per judicium civile ; et sic non est dubium quod sine peccato potest vir zelo justitiae, non livore vindictae aut odii motus, uxorem adulteram in judicio saeculari accusare criminaliter de adulterio, et poenam mortis a lege statutam petere ; sicut etiam licet accusare aliquem de homicidio, aut de alio crimine. Non tamen talis accusatio potest fieri in judicio ecclesiastico ; quia Ecclesia non habet gladium materiale, ut in littera dicitur. Alio modo potest eam per seipsum occidere non in judicio convictam ; et sic extra actum adulterii eam interficere, quantumcumque sciat eam adulteram, neque secundum leges civiles, neque secundum legem conscientiae licet. Sed lex civilis quasi licitum computat quod in ipso actu eam interficiat, non quasi praecipiens, sed quasi poenam homicidii inferens, propter maximum incitamentum quod habet vir in tali facto ad occisionem uxoris. Sed Ecclesia in hoc non est astricta legibus humanis, ut judicet eum sine reatu poenae aeternae, vel poenae ecclesiastico judicio infligendae, ex hoc quod est sine reatu poenae infligendae per judicium saeculare. Et ideo in nullo casu licet viro interficere uxorem propria auctoritate.

Réponse

Il arrive qu’un homme tue son épouse de deux manières. D’une manière, par un jugement civil. De cette manière, il n’y a pas de doute qu’un mari, mû par le souci de la justice, et non par un souci de vengeance ou de haine, peut accuser de crime son épouse adultère dans un jugement séculier et demander la peine de mort établie par la loi, de même qu’il est permis d’accuser quelqu’un d’homicide ou d’un autre crime. Cependant, une telle accusation ne peut être portée dans un jugement ecclésiastique, car l’Église n’a pas de glaive matériel, comme il est dit dans le texte. D’une autre manière, il peut la tuer lui-même, alors qu’elle n’est pas convaincue en jugement. Il n’est pas permis, ni selon les lois civiles, ni selon la loi de la conscience, de la tuer ainsi en dehors de l’acte d’adultère, autant qu’il la sache adultère. Mais la loi civile considère comme permis qu’il la tue dans l’acte même d’adultère, non pas comme si elle l’ordonnait, mais comme si elle châtiait pour homicide, en raison de la très grande incitation qu’un mari a dans un tel cas à tuer son épouse. Mais l’Église n’est pas liée en cette matière par les lois humaines, de sorte qu’elle juge qu’il est non coupable d’une peine éternelle ou d’une peine ecclésiastique qui doive lui être infligée dans un jugement, du fait qu’il n’est pas coupable d’une peine qui doit être infligée par un jugement séculier. C’est pourquoi il n’est permis dans aucun cas à un mari de tuer son épouse de sa propre autorité.

[20379] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod poenam illam infligendam lex non commisit personis privatis, sed personis publicis quae habent officium ad hoc deputatum ; vir autem non est judex uxoris ; et ideo non potest eam interficere, sed coram judice accusare.

1. La loi n’a pas confié l’infliction de cette peine à des personnes privées, mais à des personnes publiques qui exercent une fonction destinée à cela. Or, le mari n’est pas le juge de son épouse. Il ne peut donc pas la tuer, mais l’accuser devant un juge.

[20380] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lex civilis non commisit viro occisionem uxoris quasi praecipiens (quia sic non peccaret, sicut nec minister judicis peccat latronem occidens condemnatum ad mortem), sed permisit, poenam non adhibens ; unde etiam difficultates quasdam apposuit, quibus retraherentur viri ab uxoricidio.

2. La loi civile n’a pas confié au mari le meurtre de son épouse comme si elle le lui ordonnait (car ainsi il ne pécherait pas, comme le ministre du juge ne pèche pas en tuant un voleur condamné à mort), mais elle le lui permet en ne lui donnant pas de peine. Aussi a-t-elle mis certaines obstacles par lesquels les maris sont retenus de tuer leurs épouses.

[20381] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc non probatur quod sit licitum simpliciter, sed quantum ad immunitatem ab aliqua poena : quia etiam excommunicatio quaedam poena est.

3. Il n’est pas ainsi prouvé que cela est permis tout simplement, mais pour ce qui est de l’immunité d’une peine, car l’excommunication aussi est une peine.

[20382] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod duplex est congregatio : quaedam oeconomica, sicut familia aliqua ; et quaedam politica, sicut civitas aut regnum. Ille igitur qui praeest secundae congregationi, ut rex aut judex, potest infligere poenam et corrigentem personam, et exterminantem ad purgationem communitatis cujus curam gerit. Sed ille qui praeest in prima congregatione, sicut paterfamilias, non potest infligere nisi poenam corrigentem, quae non se extendit ultra terminos emendationis, quam transcendit poena mortis ; et ideo vir qui sic praeest uxori, non potest ipsam interficere, sed alias castigare.

4. Il existe un double société : l’une est économique, comme la famille ; l’autre est politique, comme la cité ou le royaume. Or, celui qui est à la tête de la seconde société, comme le roi ou le juge, peut infliger une peine qui corrige une personne et l’extermine afin de purifier la communauté dont il a la charge. Mais celui qui est à la tête de la première société, comme le père de famille, ne peut infliger qu’une peine qui corrige, qui ne va pas au-delà du châtiment que la peine de mort dépasse. Le mari qui est à la tête de son épouse ne peut donc pas la tuer, mais plutôt la châtier.

 

 

Articulus 2

[20383] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 tit. Utrum uxoricidium matrimonium impediat

Article 2 – Le meurtre de l'épouse empêche-t-il le mariage ?

[20384] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod uxoricidium non impediat matrimonium. Directius enim opponitur matrimonio adulterium quam homicidium. Sed adulterium non impedit matrimonium. Ergo nec homicidium uxoris.

1. Il semble que le meurtre de l’épouse n’empêche pas le mariage. En effet, l’adultère s’oppose plus directement au mariage que l’homicide. Or, l’adultère n’empêche pas le mariage. Donc, non plus l’homicide de l’épouse.

[20385] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, gravius peccatum est occidere matrem quam uxorem : quia nunquam licet verberare matrem, licet autem verberare uxorem. Sed occisio matris non impedit matrimonium. Ergo nec occisio uxoris.

2. Tuer sa mère est un péché plus grave que tuer son épouse, car il n’est jamais permis de frapper sa mère, mais il est permis de frapper son épouse. Or, le fait de tuer sa mère n’empêche pas le mariage. Donc, ni le fait de tuer son épouse.

[20386] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, magis peccat qui uxorem alterius propter adulterium interficit, quam qui uxorem suam ; inquantum minus habet de motivo, et minus ad eum spectat ejus correctio. Sed qui alienam uxorem occidit, non impeditur a matrimonio. Ergo nec ille qui propriam uxorem interficit.

3. Celui qui tue l’épouse d’un autre pour cause d’adultère pèche davantage que celui qui tue sa propre épouse, pour autant qu’il a un motif moindre et que sa correction le regarde moins. Or, celui qui tue l’épouse d’un autre n’est pas empêché de se marier. Donc, ni celui qui tue sa propre épouse.

[20387] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, remota causa removetur effectus. Sed peccatum homicidii potest per poenitentiam removeri. Ergo impedimentum matrimonii quod ex eo causatur ; et ita videtur quod post peractam poenitentiam non prohibeatur matrimonium contrahere.

4. Une fois enlevée la cause, l’effet est enlevé. Or, le péché d’homicide peut être enlevé par la pénitence. L’empêchement au mariage qui est causé par lui [est donc aussi enlevé]. Il semble ainsi qu’une fois accomplie la pénitence, il ne soit pas empêché de contracter mariage.

[20388] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod canon dicit : interfectores suarum conjugum ad poenitentiam redigendi sunt, quibus penitus denegatur conjugium.

Cependant, [1] un canon dit en sens contraire : « Ceux qui ont tué leurs époux doivent être ramenés à la pénitence ; le mariage leur est tout à fait défendu. »

[20389] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in eo in quo quis peccat, debet etiam puniri. Sed peccat contra matrimonium qui uxorem occidit. Ergo debet puniri, ut matrimonio privetur.

[2] Quelqu’un doit être puni là où il a péché. Or, celui qui tue son épouse pèche contre le mariage. Il doit être puni en étant privé de mariage.

[20390] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod uxoricidium ex statuto Ecclesiae matrimonium impedit. Sed quandoque impedit contrahendum, et non dirimit contractum ; quando scilicet vir propter adulterium aut propter odium occidit uxorem ; tamen si timetur de incontinentia ejus, potest cum eo dispensari per Ecclesiam, ut licite matrimonium contrahat. Quandoque etiam dirimit contractum, ut quando aliquis interficit uxorem suam, ut ducat eam cum qua moechatur : tunc enim efficitur illegitima persona simpliciter ad contrahendum cum illa ; ita quod si de facto cum ea contraxerit matrimonium, dirimitur. Sed ex hoc non efficitur persona simpliciter illegitima respectu aliarum mulierum ; unde si cum alia contraxerit, quamvis peccet contra statutum Ecclesiae faciens, tamen matrimonium contractum non dirimitur propter hoc.

Réponse

Le meurtre de l’épouse empêche le mariage en vertu d’une décision de l’Église. Cependant, elle empêche parfois de contracter mariage, mais ne dirime pas celui qui a été contracaté, lorsque le mari tue son épouse en raison de l’adultère ou par haine. Toutefois, si l’on craint pour son incontinence, il peut être dispensé de cela par l’Église afin de contracter mariage licitement. Parfois aussi, [le meurtre de l’épouse] dirime le mariage contracté, comme lorsque quelqu’un tue son épouse afin de prendre comme épouse celle avec qui il a commis l’adultère. En effet, il devient alors une personne inapte en droit à contracter mariage avec elle, de sorte que s’il contracte effectivement mariage avec elle, celui-ci est dirimé. Mais il ne devient pas à cause de cela une personne simplement inapte en droit par rapport aux autres femmes. Aussi, s’il contracte mariage avec une autre, bien qu’il pèche contre une décision de l’Église en le faisant, le mariage contracté n’est pas pour autant dirimé.

[20391] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homicidium et adulterium in aliquo casu impediunt matrimonium contrahendum et dirimunt contractum, sicut de uxoricidio hic dicitur, et de adulterio, ut habitum est supra, dist. 35. Vel dicendum, quod uxoricidium est contra substantiam conjugii, sed adulterium est contra bonum fidei ei debitae ; et sic adulterium non est magis contra matrimonium quam uxoricidium ; et ita ratio procedit ex falsis.

1. L’homicide et l’adultère empêchent dans un cas de contracter mariage et diriment le mariage contracté, comme on le dit ici à propos du meurtre de l’épouse, et comme on l’a vu plus haut à propos de l’adultère, d. 35. Ou bien il faut dire que le meurtre de l’épouse est contraire à la substance de l’union conjugale, mais que l’adultère est contraire au bien de la foi qui lui est dû. Ainsi l’adultère n’est pas davantage contraire au mariage que le meurtre de son épouse. Ainsi l’argument s’appuie-t-il sur de fausses prémisses.

[20392] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod simpliciter loquendo, gravius peccatum est occidere matrem quam uxorem, et magis contra naturam : quia naturaliter homo matrem reveretur ; et ideo minus inclinatur ad interfectionem matris, et pronior est ad interfectionem uxoris ; ad cujus pronitatis repressionem uxoricidis est matrimonium ab Ecclesia interdictum.

2. À parler simplement, c’est un péché plus grave de tuer sa mère que son épouse, et davantage contraire à la nature, car l’homme révère naturellement sa mère. Il est donc moins incliné à tuer sa mère et plus enclin à tuer son épouse. C’est pour réprimer cette inclination que le mariage est interdit par l’Église à ceux qui ont tué leur épouse.

[20393] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod talis non peccat contra matrimonium, sicut ille qui propriam uxorem interficit ; et ideo non est simile.

3. Celui-là ne pèche pas contre le mariage comme celui qui tue sa propre épouse. Ce n’est donc pas la même chose.

[20394] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est necessarium quod deleta culpa deleatur omnis poena, sicut de irregularitate patet : non enim poenitentia restituit in pristinam dignitatem, quamvis possit restituere in pristinum statum gratiae, ut supra, dist. 14, dictum est.

4. Il n’est pas nécessaire que si la faute est détruite, toute peine soit détruite, comme cela ressort clairement à propos de l’irrégularité. En effet, la pénitence ne rend pas la dignité première, bien qu’elle puisse rétablir dans l’état premier de la grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 14.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 37

[20395] Super Sent., lib. 4 d. 37 q. 2 a. 2 expos. Uxorem virginem, et cetera. Intelligitur sub hypothesi ; idest, si ad clericatum redire desiderat ad sacerdotium promovendus. Sancta Dei Ecclesia gladium non habet et cetera. Contra est quod Bernardus dicit ad Eugenium, quod Ecclesia utrumque gladium habet. Et dicendum, quod habet spiritualem tantum quantum ad executionem sua manu exercendam ; sed habet etiam temporalem quantum ad ejus jussionem : quia ejus nutu extrahendus est, ut dicit Bernardus.

 

 

 

 

 

Distinctio 38

Distinction 38 – [L’empêchement du vœu]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’empêchement du vœu]

Prooemium

Prologue

[20396] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de impedimento ordinis, hic determinat de impedimento voti ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quomodo impeditur a matrimonio contrahendo per votum quo Deo se obligat ; in secunda quomodo impeditur a matrimonio per aliud matrimonium jam contractum, quo se homo uxori obligavit, ibi : cum vir et mulier et cetera. Prima in tres : in prima ostendit quid sit votum ; in secunda distinguit multiplex votum, ibi : sciendum vero, quod votorum aliud est commune, aliud singulare ; in tertia ostendit quod votum et qualiter matrimonium impedit, ibi : qui privatum faciunt votum continentiae, matrimonium contrahere non debent. Et haec pars dividitur in duas : in prima ostendit quod votum continentiae impedit matrimonium ; in secunda ostendit quid agendum sit cum eis qui post votum nupserint, ibi : de virginibus non velatis si deviaverint (...) tale decretum habemus. Et circa hoc tria facit : primo ostendit qui debent agere poenitentiam ; secundo objicit in contrarium, ibi : non est hic praetermittendum quod Innocentius Papa de viduis et puellis decrevit. Cum vir et mulier etc., hic determinat de alio impedimento matrimonii, quod supra dictum est ligamen ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quod matrimonium praecedens dum stat, impedit ab alio matrimonio contrahendo ; in secunda ostendit quomodo adhuc matrimonio stante, potest esse conjunctio secundi matrimonii sine peccato, quamvis non sit verum matrimonium, ibi : hic quaeritur de illis feminis quae putantes viros suos interemptos, vel in captivitate, vel ab iniqua dominatione nunquam liberandos, in aliorum conjugia transierunt. Et haec in duas secundum duos casus quos ponit. Secunda pars incipit ibi : sed si quis relicta in patria sua uxore, in longinquam abiens regionem, aliam ducat uxorem et cetera. Hic est duplex quaestio : prima de voto. Secunda de scandalo, quod alicui voto adjungitur, ut in littera dicitur. De ligaminis enim impedimento idem est quaerere quod de pluralitate uxorum, et de indivisibilitate matrimonii, de quibus, dist. 33, dictum est. Circa primum quaeruntur quinque : 1 de voto secundum se ; 2 de voti divisione ; 3 de voti obligatione ; 4 de voti dispensatione ; 5 de velatione virginum, quae fit in signum cujusdam voti.

Après avoir déterminé de l’empêchement de l’ordre, le Maître détermine ici de l'empêchement du vœu. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment on est empêché de contracter mariage par un vœu qui oblige envers Dieu ; dans la seconde, comment on est empêché de se marier par un autre mariage déjà contracté, par lequel un homme s’oblige envers son épouse, à cet endroit : « Lorsqu’un homme et une femme, etc. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il montre ce qu’est le vœu. Dans la seconde, il fait une distinction entre plusieurs vœux, à cet endroit : « Mais il faut savoir que, parmi les vœux, l’un est com-mun, l’autre particulier. » Dans la troisième, il montre que le vœu empêche le mariage et comment il l’empêche, à cet endroit : « Ceux qui font privément vœu de continence ne doivent pas contracter mariage. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre que le vœu de continence empêche le mariage ; dans la seconde, il montre ce qu’il faut faire de ceux qui se sont mariés après un vœu, à cet endroit : « À propos des vierges sans voile, si elles se sont écartées [de leur vœu]…, nous avons le décret suivant. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il montre ceux qui doivent faire pénitence ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Il ne faut pas négliger ce que le pape Innocent a décrété à propos des veuves et des jeunes filles. » « Lorsqu’un homme et une femme, etc. » Ici, il détermine d’un autre empêchement au mariage, qu’on a appelé plus haut un lien. Il y a deux parties : dans la première, il montre qu’un mariage précédent empêche de con-tracter un nouveau mariage aussi longtemps qu’il existe ; dans la seconde, il montre comment, alors qu’un mariage existe, peut exister l’union d’un second mariage sans péché, bien que ce ne soit pas un vrai mariage, à cet endroit : « Ici, on s’interroge sur les femmes qui, croyant que leurs maris étaient morts, captifs ou sans espoir de libération d’une domination injuste, se sont mariées avec d’autres. » Cette partie se divise en deux, selon les deux cas qu’il a présentés. La seconde partie commence à cet endroit : « Mais si quelqu’un, après avoir laissé son épouse dans son pays, s’en est allé dans un pays lointain, prend une autre épouse, etc. » Ici, il y a deux questions : la première, à propos du vœu ; la seconde, à propos du scandale, qui est associé à un vœu, comme il est dit dans le texte. C’est la même chose de s’interroger sur l’empêchement d’un lien et de s’interroger sur la pluralité des épouses et sur l’indivisibilité du mariage, dont on a parlé à la d. 33. À propos du premier point, il y a cinq questions : 1 – Le vœu en lui-même. 2 – La division du vœu. 3 – L’obligation du vœu. 4 – La dispense du vœu. 5 – Le port du voile par les vierges, qui est imposé comme signe d’un vœu.

 

 

Articulus 1

[20397] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 tit. Utrum votum convenienter in littera definiatur

Article 1 – Le vœu est-il défini de manière appropriée dans le texte ?

Quaestiuncula 1

 

Sous-question 1 – [Le vœu est-il défini de manière appropriée dans le texte ?]

[20398] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod votum inconvenienter in littera definiatur. Votum enim de sui nominis ratione propositum voluntatis importat sine aliqua promissione. Vota enim fieri dicuntur quae voluntarie fiunt : quod etiam per aliam definitionem de voto datam patet : votum est conceptio boni propositi cum deliberatione firmata, qua quis ad aliquid faciendum vel non faciendum se Deo obligat. Ergo non debuit promissionem ponere in definitione voti.

1. Il semble que le vœu soit défini de manière inappropriée dans le texte. En effet, le vœu, de son nom même, comporte le propos de la volonté sans promesse, car on appelle vœu ce qui est accompli volontairement, ce qui ressort aussi d’une autre définition du vœu : « Le vœu est la conception d’un propos bon, affermie par une délibération, par laquelle quelqu’un s’oblige à faire ou à ne pas faire quelque chose pour Dieu. » On ne devait donc pas mettre la promesse dans la définition du vœu.

[20399] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, promittere progreditur a mente, sicut et credere. Sed credere nullus potest nisi volens. Ergo nec promittere ; et ita frustra additur, spontaneae.

2. La promesse vient de l’esprit, comme la foi. Or, personne ne peut croire que s’il le veut. Donc, ni promettre, et ainsi, « de son propre mouvement » est ajouté inutilement [dans la définition]

[20400] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, promissio non est idem quod promissionis testificatio. Sed votum est quaedam promissio, ut patet per definitionem Hugonis de s. Victore, qui dicit, quod votum est sponsio animi voluntaria. Ergo male dicit Magister, quod votum est promissionis testificatio.

3. Une promesse n’est pas la même chose que l’attestation d’une promesse. Or, le vœu est une promesse, comme cela ressort de la définition de Hugues de Saint-Victor, qui dit que le vœu est « un engagement volontaire de l’âme ». Le Maître s’exprime donc mal lorsqu’il dit que le vœu est « l’attestation d’une promesse ».

[20401] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, illud quod ponitur in definitione, debet universaliter definito convenire. Sed non omne votum fit Deo, quia etiam sanctis vota fiunt. Ergo inconvenienter ponitur in definitione voti, quod debet Deo fieri.

4. Ce qui est mis dans une définition doit convenir de manière universelle à ce qui est défini. Or, tout vœu n’est pas fait à Dieu, car des vœux sont faits même aux saints. C’est donc de manière inappropriée qu’est mis dans la définition du vœu qu’il doit être fait à Dieu.

[20402] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, juristae sic definiunt votum : votum est alicujus boni cum deliberatione facta promissio. Sed non omne bonum est de rebus ad Deum pertinentibus ; immo quaedam pertinent ad proximum. Ergo non debet in definitione voti poni, quod sit de rebus ad Deum pertinentibus.

5. Les juristes définissent ainsi le vœu : « Le vœu est la promesse d’un bien, accomplie après délibération. » Or, tout bien ne concerne pas des choses qui se rapportent à Dieu, bien plus, certains se rapportent au prochain. On ne doit donc pas mettre dans la définition que [le vœu] porte sur des choses qui se rapportent à Dieu.

[20403] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 6 Praeterea, ad votum requiritur animi deliberatio, ut patet per quamdam definitionem a magistris de voto datam, quae talis est : votum est promissio melioris boni ex deliberatione firmata. Cum ergo in praedicta definitione quae in littera ponitur, non fiat mentio de deliberatione, videtur insufficiens.

6. La délibération de l’esprit est nécessaire au vœu, comme cela ressort d’une définition du vœu donnée par des maîtres, qui est la suivante : « Le vœu est la promesse d’un bien meilleur, confirmée par une délibération. » Puisque, dans la définition qui est donnée dans le texte, il n’est pas fait mention de la délibération, elle semble donc insuffisante.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le vœu porte-t-il seulement sur un bien meilleur ?]

[20404] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod votum non sit tantum de meliori bono. Quia illud quod est necessitatis, non reputatur bonum melius, sed commune bonum. Sed de eo quod est necessitatis, potest esse votum, sicut Jacob, Gen. 27, vovit quod esset sibi dominus in Deum. Ergo non oportet quod sit de meliori bono.

1. Il semble que le vœu ne porte pas sur un bien meilleur, car ce qui est nécessaire n’est pas considéré comme un bien meilleur, mais comme un bien ordinaire. Or, il peut exister un vœu portant sur un bien nécessaire, comme Jacob fit vœu, en Gn 27, que Dieu serait son maître. Il n’est donc pas nécessaire que [le vœu] porte sur un bien meilleur.

[20405] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vota quaedam fiunt de rebus indifferentibus, sicut mulieres praecipue solent vovere quod non pectinent caput tali vel tali die. Sed indifferentia non includuntur in bonis melioribus. Ergo votum non est semper de bono meliori.

2. Certains vœux portent sur des choses indifférentes, comme les femmes ont coutume de faire vœu de ne pas se peigner la tête tel ou tel jour. Or, les choses indifférentes ne font pas partie des biens meilleurs. Le vœu ne porte donc pas toujours sur un bien meilleur.

[20406] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est illicitum, non est bonum, ne dum ut sit melius. Sed de illicito potest esse votum, sicut patet de Jephte, qui propter votum occidit filiam innocentem, qui, ut dicit Hieronymus, in catalogo sanctorum ponitur ; quia placuit Deo animus voventis. Ergo votum non est semper de meliori bono.

3. Ce qui est défendu n’est pas bon, encore moins meilleur. Or, un vœu peut porter sur ce qui est défendu, comme cela ressort de Jephté, qui, en raison de son vœu, tua une fille innocente, et qui, comme le dit Jérôme, fait partie du catalogue des saints, puisque l’âme de celui qui a fait vœu plut à Dieu. Le vœu ne porte donc pas toujours sur un bien meilleur.

[20407] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, meliora bona videntur illa esse de quibus est consilium. Sed de illis qui possunt vergere in periculum personae, non est consilium, quae tamen quidam vovent, sicut quod abstineant duobus vel tribus diebus a cibo, quod sine periculo personae sustinere non possunt. Ergo votum non est semper de meliori bono.

4. Les biens meilleurs semblent être ceux sur lesquels portent le conseil. Or, il n’y a pas de conseil à propos de ce qui peut tourner en danger pour une personne ; certains en font cependant le vœu, comme ceux qui s’abstiennent de nourriture pendant deux ou trois jours, ce qu’ils ne peuvent supporter sans un danger pour la personne. Le vœu ne porte donc pas toujours sur un bien meilleur.

[20408] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est definitio voti prius posita, scilicet : votum est promissio melioris boni ex deliberatione firmata.

Cependant, la définition donnée du vœu va en sens contraire : « Le vœu est la promesse d’un bien meilleur affermie par une délibération. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Celui qui n’est pas maître de lui-même peut-il faire vœu de quelque chose ?]

[20409] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quia etiam ille qui non est sui juris, possit aliquid vovere. Quia obligatio quae fit inferiori, non potest impedire servitium superiori domino impendendum. Sed per votum aliquis se obligat ad serviendum Deo. Ergo obligatio qua servus est obligatus domino suo, homini tamen, non potest eum a voto prohibere.

1. Il semble que celui qui n’est pas maître de lui-même ne puisse faire vœu de quelque chose, car l’obligation qui est contractée envers un inférieur ne peut empêcher de rendre le service à un maître supérieur. Or, par le vœu, quelqu’un s’oblige à servir Dieu. L’obligation par laquelle un serviteur est lié à son seigneur, qui est cependant un homme, ne peut donc pas lui interdire de faire vœu.

[20410] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, filius familias est in potestate patris. Sed potest vovere etiam contradicente patre ; sicut quotidie fit, quod invitis parentibus juvenes in religionibus profitentur. Ergo ille qui non est sui juris, potest votum emittere.

2. Le fils de famille est au pouvoir du père. Or, il peut faire vœu, même si son père s’y oppose, comme il arrive quotidiennement que des jeunes font profession dans les communautés religieuses à l’encontre de leurs parents. Celui qui n’est pas maître de lui-même peut donc faire un vœu.

[20411] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus est magis in potestate alterius quam monachus qui obedientiam promisit. Sed monachus potest vovere, ut videtur, cum in quibusdam sit suae voluntatis arbiter ; non enim in omnibus tenetur obedire praelato, ut Bernardus dicit, sed in his tantum quae ad religionem pertinent. Ergo et cetera.

3. Personne n’est davantage au pouvoir d’un autre que le moine qui a promis obéissance. Or, le moine peut faire un vœu, semble-t-il, puisqu’il est l’arbitre de sa volonté pour certaines choses : en effet, il n’est pas obligé d’obéir en tout à son supérieur, comme le dit Bernard, mais en cela seulement qui se rapporte à la vie religieuse. Donc, etc.

[20412] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, uxor etiam est sub potestate viri, ut patet Genes. 3. Sed uxor in quibusdam potest vovere sine consensu viri. Ergo et cetera.

4. L’épouse est aussi au pouvoir de son époux, comme cela ressort de Gn 3. Or, l’épouse peut faire vœu pour certaines choses sans le consentement de son mari. Donc, etc.

[20413] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod non licet sacrificium ex alieno, Deo offerre. Sed ille qui votum emittit, quodammodo sacrificium Deo offert. Ergo si sit in potestate alterius, non potest votum emittere.

Cependant, [1] le fait qu’on ne puisse offrir un sacrifice à Dieu avec le bien d’un autre va en sens contraire. Or, celui qui fait un vœu offre à Dieu un sacrifice. S’il est au pouvoir d’un autre, il ne peut donc pas émettre de vœu.

[20414] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, votum, cum habeat spontaneam promissionem, libertatem requirit. Sed ille qui est in potestate alterius, non habet libertatem. Ergo non potest vovere.

[2] Puisqu’il comporte une promesse spontanée, le vœu exige la liberté. Or, celui qui est au pouvoir d’un autre n’a pas la liberté. Il ne peut donc faire de vœu.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20415] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod votum suo nomine obligationem quamdam exprimit ex voluntate factam ; et quia voluntate non potest aliquis obligari nisi ei qui voluntatis est cognitor, quod solius Dei est ; ideo ex consequenti importat obligationem Deo factam, et ex consequenti de his quae ad Deum spectant, cum personae obligatio alicui facta de his quae ad Deum non spectant, nulla sit. Obligatio autem homini exterius fit verbo exterius expresso ; unde dicitur Prov. 6, 2 : illaqueatus es verbis oris tui. Et ideo ei qui cor intuetur, oportet quod fiat obligatio voluntaria interiori verbo ; et ideo oportet quod fiat per actum illius potentiae cujus est verbum interius enuntiare, quod est rationis ; et ideo ipse actus rationis, qui est promissio, est essentialiter votum. Quod enim promissio sit rationis actus, patet tum ex hoc quod est enuntiatio quaedam ; tum ex hoc quod promittens rem promissam ad alterum ordinat. Omnis autem ordinatio, rationis est. Promissio autem exterius facta quandoque dicitur nuda, quando non habet aliquid additum quod obligationem confirmet ; et tunc non habet plenam vim obligandi. Similiter etiam promissio interius facta Deo, ad hoc quod plenam vim obligandi habeat, oportet quod non sit nuda, sed habeat aliquid quo confirmetur ; et haec quidem confirmatio per tria gradatim habet fieri. Primo per deliberationem simplicem ; secundo per intentionem obligandi se ad certam poenam ; tertio per hoc quod testimonium hominum adhibetur promissioni interiori ; et sic de voto dantur plures definitiones secundum diversa eorum quae requiruntur ad votum in definitionibus illis comprehensa ; et possent adhuc multo plures dari. Definitio tamen quam Magister ponit, videtur esse perfectissima ; quia ponit et promissionem, quae est essentialiter votum ; et tangit voluntatem in hoc quod dicitur, spontaneae, quae est causa obligationis ; et confirmationem ultimam promissionis, quae alias includit, in hoc quod dicit, testificatio ; et voti terminum, quia est actus ad alterum, in hoc quod dicit : quae debet Deo fieri ; et materiam, in hoc quod dicit, quod est de his quae Dei sunt.

Par son nom même, le vœu exprime une obligation contractée volontairement ; et parce que quelqu’un ne peut être lié volon-tairement qu’envers Celui qui connaît la volonté, ce qui relève de Dieu seul, il comporte par voie de conséquence une obli-gation contractée envers Dieu et, par conséquent, à propos de ce qui concerne Dieu, puisque l’obligation contractée envers une personne à propos de ce qui ne concerne pas Dieu est nulle. Or, l’obligation contractée envers un homme de manière extérieure est faite par une parole formulée extérieurement ; aussi est-il dit en Pr 6, 2 : Tu t’es pris au piège des paroles de ta bouche. C’est pourquoi il est nécessaire que soit contractée une obligation volontaire par une parole intérieure envers Celui qui regarde le cœur. Il faut donc qu’elle soit mise en œuvre par l’acte de la puissance à qui il revient d’énoncer une parole intérieure, ce qui est le fait de la raison. L’acte même de la raison qu’est la promesse est donc essentiellement le vœu. En effet, que la promesse soit un acte de la raison ressort tant du fait qu’elle une certaine énonciation, que du fait que celui qui promet ordonne à un autre la chose promise. Or, toute mise en ordre est le fait de la raison. Mais la promesse faite extérieurement est parfois simple, lorsqu’elle ne comporte rien d’ajouté qui confirme l’obligation ; alors, elle n’a pas une pleine force pour obliger. De même, il est nécessaire que la promsse intérieure faite à Dieu, pour qu’elle ait une pleine force d’obliger, ne soit pas simple, mais qu’elle comporte quelque chose par quoi elle est confirmée, et cette confirmation se réalise progressivement par trois choses : premièrement, par une simple délibération ; deuxièmement, par l’intention de s’obliger à une certaine peine ; troisièmement, par le fait que le témoignage des hommes est apporté à la promesse intérieure. Ainsi plusieurs définitions du vœu sont-elles données selon les diverses choses qui sont nécessaires pour un vœu, qui sont incluses dans ces défi-nitions, et l’on pourrait en donner encore beaucoup d’autres. Cependant, la définition que le Maître donne est la plus parfaite, car elle indique la promesse, qu’est essentiellement le vœu; elle aborde aussi la volonté, lorsqu’il est dit : « spontanément », laquelle est la cause de l’obligation ; et [elle indique] la confirmation ultime de la promesse, qui inclut les autres, lorsqu’elle dit : « attes-tation », et le terme du vœu, car il est un acte tourné vers un autre, lorsqu’elle dit : « qui doit être faite à Dieu », ainsi que la matière, lorsqu’elle dit : « qui porte sur des choses qui concernent Dieu ».

[20416] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod velle aliquid non est vovere ; et ideo propositum non est votum, sed enuntiatio illius propositi per modum promissionis ; et quia enuntiatio interior conceptio cordis dicitur, ideo in illa definitione ponitur votum esse propositi conceptio. Si tamen simpliciter votum diceretur esse propositum, esset praedicatio per causam, quia propositum est principium voti ; sicut etiam quandoque ipsum desiderium oratio vocatur, ut supra, dist. 15, dictum est.

1. Vouloir quelque chose n’est pas en faire vœu. Le propos n’est donc pas un vœu, mais l’énonciation de ce propos sous forme de promesse. Et parce que l’énonciation inté-rieure est appelée une conception du cœur, on met donc dans cette définition que le vœu est la conception d’un propos. Cependant, si l’on disait que le simple vœu est un propos, il s’agirait d’une prédication selon la cause, car le propos est le principe du vœu, comme le désir lui-même est parfois appelé prière, comme on l’a dit plus haut, d. 15.

 [20417] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod promissio quandoque fit ore et non corde ; et talis quo ad Deum non est votum ; et ideo oportuit addere spontaneae. Et praeterea, quamvis homo non possit cogi sufficienter ad simpliciter promittendum, potest tamen cogi coactione quadam interpretativa ad exteriorem promissionem, sicut ad alia opera voluntatis exteriora ; non autem ad promissionem interiorem, sicut nec ad fidem. Magister autem definit votum exterius prolatum, quod potest matrimonium impedire ; sic enim intendit hic de voto ; et hoc votum est testificatio interioris promissionis, non ipsa interior promissio.

2. Parfois, une promesse est faite de bouche et non de cœur : au regard de Dieu, une telle [promesse] n’est pas un voeu ; aussi fallait-il ajouter « spontanée ». De plus, bien qu’un homme ne puisse être suffisamment forcé à promettre simplement, il peut cependant être forcé par une coercition interprétative à une promesse extérieure, comme à d’autres actes extérieurs de la volonté, mais non à une promesse intérieure, pas davantage qu’à la foi. Or, le Maître définit le vœu formulé extérieurement, qui peut empêcher le mariage : en effet, c’est ainsi qu’il parle ici du vœu. Et ce vœu est l’attestation d’une promesse intérieure, et non la promesse intérieure elle-même.

[20418] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire.

[20419] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod votum non fit sanctis, nisi secundum quod per suffragia sunt mediatores inter nos et Deum ; sicut et oratio ad sanctos fit ; et ideo omne votum principaliter ad Deum reducitur, sicut et oratio.

4. Le vœu n’est pas adressé aux saints, si ce n’est que, par leur suffrages, ils sont des médiateurs entre nous et Dieu, comme la prière est adressée aux saints. Tout vœu se ramène donc principalement à Dieu, comme la prière.

[20420] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa definitio juristarum est intelligenda non de quolibet bono, sed de eo quod pertinet ad pietatis religionem ; et hoc Dei est, sive fiat in proximo, sicut in proxima materia, sive in seipso, sive in Deo.

5. Cette définition des juristes ne doit pas s’entendre de n’importe quel bien, mais de celui qui se rapporte à une pieuse religion. Et ceci se rapporte à Dieu, qu’il concerne comme matière proche le prochain, soi-même ou Dieu.

[20421] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in testificatione includitur deliberatio, ut dictum est.

6. La délibération est incluse dans l’attestation, comme on l’a dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20422] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut ex jam dictis patet, votum non potest esse nisi de aliquo bono ad cultum Dei pertinente quocumque modo ; et ideo omne malum obviat voto ex parte ejus cui fit obligatio ; sed ex parte ejus ex quo talis obligatio procedit, scilicet voluntatis, omnis necessitas aliquo modo obviat voto. Est autem duplex necessitas. Una absoluta ; et talis necessitas omnino excludit votum ; sicut si aliquis voveret se non moriturum, vel ea quae omnino non sunt in potestate ejus, nullum esset votum. Alia est necessitas conditionata ex suppositione finis ; et sic inest nobis necessitas faciendi illa sine quibus non possumus salutem consequi ; sicut sunt praecepta ad quae alias tenemur ; et talis necessitas non excludit omnino votum ; invenitur enim quandoque, large accipiendo votum, esse de his quae sunt sub tali necessitate ; sed excludit talis necessitas votum proprie dictum ; et ideo si votum accipiatur secundum propriam sui rationem, est proprie de bonis illis ad quae non omnes tenentur, quae supererogationis sunt ; et ideo dicuntur meliora bona, quia superadduntur illis bonis, sine quibus non est salus ; et ideo votum proprie acceptum, dicitur esse de meliori bono.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, le vœu ne peut porter que sur un bien qui se rapporte au culte de Dieu de quelque façon. Tout mal est donc contraire au vœu du point de vue de celui envers qui l’obligation est contractée ; mais, du point de vue de ce dont procède une telle obligation, la volonté, toute nécessité s’oppose au vœu de quelque façon. Or, il existe une double nécessité. L’une absolue : une telle nécessité exclut entièrement le vœu, comme si quelqu’un avait fait vœu de ne pas mourir, ou de ce qui ne relève pas du tout de son pouvoir, le vœu serait nul. Une autre nécessité est conditionnelle par supposition de la fin : existe ainsi pour nous la nécessité d’accomplir ce sans quoi nous ne pouvons pas obtenir le salut, comme c’est le cas des commandements, auxquels nous sommes par ailleurs obligés. Une telle nécessité n’exclut pas entièrement le vœu. En effet, en entendant le vœu au sens large, on trouve parfois qu’il porte sur ce qui tombe sous une telle nécessité. Mais une telle nécessité exclut le vœu entendu au sens propre. Si donc le vœu est entendu en son sens propre, il porte sur les biens auxquels tous ne sont pas obligés, qui sont en surplus. Ils sont donc appelés des biens meilleurs, car ils viennent en plus des biens sans lesquels il n’y a pas de salut. Entendu en son sens prope, on dit donc que le vœu porte sur un bien meilleur.

[20423] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa Jacob promissio magis fuit recognitio quaedam obligationis quam obligationis causa ; et ideo non potest proprie, sed largo modo, votum dici. Vel dicendum, quod votum Jacob non fuit de eo quod erat necessitatis, sed de speciali modo cultus per altaris constructionem ; et ideo fuit de meliori bono.

1. Cette promesse de Jacob était davantage une reconnaissance d’une obligation qu’une cause de l’obligation. Aussi ne peut-elle être appelé un vœu au sens propre, mais au sens large. Ou bien il faut dire que le vœu de Jacob ne portait pas sur quelque chose de nécessaire, mais une manière particulière de rendre un culte par la construction d’un autel. Il portait donc sur un bien meilleur.

[20424] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod talia vota mulierum sunt sortilegia magis quam vota ; sunt enim reliquiae quaedam idolatriae, secundum quam observabantur dies et menses ; et ideo pro non votis habenda sunt, et peccant talia voventes ; quia, ut Hieronymus dicit, cum infidelibus etiam nec nomina habere debemus communia.

2. De tels vœux des femmes sont des sortilèges plutôt que des vœux. En effet, ils sont des restes d’idolatrie selon laquelle des jours et des mois étaient observés. Ils ne doivent donc pas être considérés comme des vœux et celles qui font de tels vœux pèchent, car, comme le dit Jérôme, « nous ne devons même pas avoir de mots communs avec les infidèles ».

[20425] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod votum si sit de eo quod est simpliciter malum, non est votum nisi aequivoce ; et ideo nullo modo obligat. Si autem est de eo quod uno casu contingente potest esse bonum et alio malum, si sit in omnem eventum, est indiscretum ; si autem sit in bonum eventum per intentionem voventis, est discretum, et in malo eventu non obligat. Votum igitur Jephte fuit de eo quod in aliquo eventu poterat esse bonum, scilicet si obviaret animal immolatitium ; et in aliquo eventu non bonum, scilicet si obviaret animal non immolatitium ; et quia vovit in omnem eventum, votum indiscretum fuit. Ergo in voto ejus, quantum ad emissionem voti, est aliquid laudabile, scilicet devotio, et fides qua sperabat a Deo victoriam ; et sic dicitur esse motus a spiritu sancto ; sed determinatio voti est indiscreta ; quantum autem ad executionem, ipsum factum est crudele, sed figura est ibi laudabilis. Et ideo quamvis votum fuerit aliquo modo laudabile, ipse tamen non excusatur a peccato, quia fuit in vovendo stultus, et in reddendo impius, ut Hieronymus dicit. Ponitur tamen in catalogo sanctorum propter victoriam quam a Deo obtinuit, sicut et alii sancti.

3. S’il porte sur ce qui est simplement mal, le vœu n’est un vœu que de manière équivoque. Aussi n’oblige-t-il d’aucune façon. Mais s’il porte sur ce qui dans un cas peut être bon et dans un autre, mal, s’il porte sur tout ce qui peut arriver, il manque de discrétion. Mais s’il porte sur quelque chose de bon qui peut arriver selon l’intention de celui qui fait le vœu, il est discret, et il n’oblige pas si quelque chose de mal arrive. Le vœu de Jephté portait donc sur un événement qui pouvait être bon, à savoir si un animal qui ne devait pas être immolé se présentait ; et parce qu’il a fait vœu pour tous les cas, son vœu manquait de discrétion. Dans son vœu, pour ce qui est de l’énonciation du vœu, il y a donc quelque chose de louable, la dévotion et la foi par laquelle il espérait de Dieu la victoire ; ainsi dit-on qu’il a été mû par l’Esprit Saint. Mais la détermination du vœu est indiscrète. Pour ce qui est de l’accomplissement [du vœu], le fait lui-même est cruel, mais ce dont il était la figure était louable. Bien que le vœu ait été louable d’une certaine façon, il n’est cependant pas exempt de péché, car « il fut stupide de faire le vœu et impie de l’accomplir », comme le dit Jérôme. Il est cependant placé dans le catalogue des saints en raison de la victoire qu’il a obtenue de Dieu, comme les autres saints.

[20426] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in periculum personae vergens votum non est servandum, quia nullus potest aliquid vovere in periculum personae suae ; et ideo tutum est quod in talibus quaeratur dispensatio superioris ; si tamen eam non daret, et periculum immineret, posset secure frangere votum. Posset autem periculum imminere vel ex infirmitate vel ex paupertate, ut si non habeat aliud ad comedendum quam illud a quo vovit abstinere.

4. Le vœu qui tourne au danger de la personne ne doit pas être observé, car personne ne peut faire vœu de quelque chose au péril de sa personne. Il est donc sûr que, dans de tels cas, la dispense du supérieur doit être recherchée. Cependant, s’il ne la donne pas et qu’un danger est imminent, il pourrait rompre le vœu en toute sécurité. Or, le danger pourrait être imminent en raison de la maladie ou de la pauvreté, comme s’il n’a rien d’autre à manger que ce dont il a fait vœu de s’abstenir.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20427] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ex jam dictis patet quod votum non potest emitti ab aliquo nisi de his quae subjacent voluntati ejus ; et ideo ille qui est sub potestate alterius constitutus, quantum ad ea in quibus ei subjacet, vovere non potest, quia talia non subjacent ejus voluntati. Similiter etiam illi qui non habent usum liberi arbitrii, sicut aliqui qui non sunt sanae mentis, vovere non possunt, nec etiam pueri ante annos pubertatis.

Il ressort de ce qui a été dit que le vœu ne peut être émis par quelqu’un qu’à propos de ce qui est soumis à sa volonté. Celui qui est soumis au pouvoir d’un autre ne peut donc faire vœu pour ce en quoi il est soumis, car cela n’est pas soumis à sa volonté. De même aussi, ceux qui n’ont pas l’usage du libre arbitre, comme certains qui n’ont pas un esprit sain, ne peuvent-ils pas faire de vœu, de même que les enfants avant les années de la puberté.

[20428] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc ipso quod servit homo domino suo carnali, servit spirituali ; unde apostolus propter conscientiam eis esse serviendum docet ; et quia hoc est necessitatis, non potest per id quod non est necessitatis, impediri ; sicut nec illud quod cadit sub praecepto, potest per id quod cadit sub consilio, tolli.

1. Par le fait même qu’un homme sert son maître charnel, il sert [son maître] spirituel. Aussi l’Apôtre enseigne-t-il qu’il faut les servir en conscience. Et parce que cela est nécessaire, cela ne peut être empêché par ce qui n’est pas nécessaire, de même que ce qui tombe sous un précepte ne peut être écarté par ce qui tombe sous un conseil.

[20429] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex quo homo venit ad annos pubertatis, non est sub potestate alterius, si sit liberae conditionis, quantum ad ea quae ad personam suam spectant ; et ideo sicut talis invitis parentibus potest matrimonium contrahere, ita invitis eis potest religionem profiteri ; sed quantum ad res domesticas non potest aliquid vovere sine consensu patris.

2. Par le fait qu’un homme atteint les années de la puberté, il n’est pas au pouvoir d’un autre, s’il est de condition libre, pour ce qui concerne sa propre personne. De même qu’il peut contracter mariage malgré ses parents, de même peut-il aussi faire profession religieuse malgré ses parents. Mais, pour ce qui est des choses domestiques, il ne peut faire vœu sans le consentement de son père.

[20430] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis religiosus non teneatur ad obediendum in omnibus quae ei possent imperari, tamen tenetur ad obediendum quantum ad omne tempus de his quae sibi imperari possunt, sicut et servus non est exemptus aliquo tempore a servitio domini sui ; et ideo nullum tempus est eis vacans, quo possint quodlibet facere. Et quia omne votum est aliquo tempore complendum, ideo sicut nec servus ita nec religiosus aliquod votum emittere potest sine consensu sui superioris.

3. Bien qu’un religieux ne soit pas tenu d’obéir en tout ce qui peut lui être ordonné, il est cependant obligé d’obéir en tout temps à ce qui peut lui être ordonné, comme le serviteur n’est pas exempté pendant un certain temps du service de son maître. Aussi aucun moment ne leur est-il laissé où ils pourraient faire n’importe quoi. Et parce que tout vœu doit être accompli dans un certain temps, pas plus que le serviteur, le religieux ne peut-il émettre un vœu sans le consentement de son supérieur.

[20431] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in his in quibus uxor viro tenetur, et e converso, neuter potest vovere sine mutuo consensu, sicut patet de voto continentiae. Sed quia in dispensatione domus et regimine vitae mulier est subjecta viro ; et non e converso ; ideo vir potest in talibus vovere sine consensu uxoris, sed non e converso.

4. Pour ce à quoi l’épouse est obligée envers son mari et inversement, aucun des deux ne peut faire vœu sans un consentement mutuel, comme cela ressort pour le vœu de continence. Mais parce que, pour l’administration du ménage et la direction de sa vie, la femme est soumise à son mari, et non l’inverse, le mari peut, pour de telles choses, faire un vœu sans le consentement de son épouse, mais non pas l’inverse.

 

 

Articulus 2

[20432] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 tit. Utrum votum convenienter dividatur in commune et singulare

Article 2 – La distinction entre vœu général et particulier est-elle appropriée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La distinction entre vœu général et particulier est-elle appropriée ?]

[20433] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod votum inconvenienter dividatur in commune et singulare. Quia divisum debet secundum eamdem rationem praedicari de dividentibus. Sed votum non eadem ratione praedicatur de voto communi et singulari ; quia singulare proprie est votum, non autem commune, ut ex dictis patet. Ergo est incompetens divisio.

1. Il semble que la distinction entre vœu général et vœu particulier ne soit pas appropriée, car ce qui est divisé doit être attribué selon la même raison à ce qui divise. Or, le vœu n’est pas attribué selon la même raison au vœu général et au vœu particulier, car le vœu particulier est un vœu au sens propre, mais non le vœu général, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il s’agit donc d’une division inappropriée.

[20434] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, singulare non dividitur contra commune, sed magis proprie contra universale. Ergo et votum deberet hic dividi in singulare et universale.

2. Le particulier ne s’oppose pas au général, mais, en un sens plus propre, à l’universel. Le vœu devrait donc être ici divisé en particulier et universel.

[20435] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne votum sui transgressione inducit speciale peccatum. Sed votum commune sui transgressione non inducit speciale peccatum ; quia sic homo post Baptismum quolibet peccato peccaret dupliciter. Ergo non est votum aliquod commune.

3. Tout vœu engendre par sa transgression un péché particulier. Or, le vœu général n’entraîne pas un péché particulier par sa transgression, car ainsi l’homme pécherait doublement par n’importe quel péché après le baptême. Il n’y a donc pas de vœu général.

[20436] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ille qui non habet usum liberi arbitrii, non potest votum emittere. Sed Baptismum suscipit aliquis non habens usum liberi arbitrii. Ergo in Baptismo non fit aliquod votum quod commune dici debeat.

4. Celui qui n’a pas l’usage de son libre arbitre ne peut formuler un vœu. Or, quelqu’un qui n’a pas l’usage de son libre arbitre reçoit le baptême. On ne fait donc pas par le baptême un vœu qui pourrait être appelé général.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La distinction entre vœu privé et vœu solennel est-elle appropriée ?]

[20437] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod votum non convenienter dividatur in privatum et solemne. Est enim aliquod votum publicum quod non est solemne nec privatum. Ergo non est sufficiens praedicta divisio.

1. Il semble que la distinction entre vœu privé et vœu solennel ne soit pas appropriée. En effet, il existe un vœu public qui n’est ni solennel ni privé. La distinction précédente n’est donc pas suffisante.

[20438] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, divisio debet esse per ea quae sunt essentialia rei. Sed privatum et solemne non dividunt votum per aliquod quod sit ei essentiale ; quia votum essentialiter est quaedam obligatio Deo facta ; quantum autem ad Deum non differt obligatio utrum fiat in secreto, vel coram pluribus. Ergo praedicta divisio est incompetens.

2. Une division doit être faite selon ce qui est essentiel à une chose. Or, le privé et le solennel ne sont pas une distinction du vœu selon ce qui lui est essentiel, car le vœu est essentiellement une obligation contractée envers Dieu, et du point de vue de Dieu, il n’y a pas de différence entre une obligation contractée secrètement ou devant plusieurs. La division mentionnée n’est donc pas appropriée.

[20439] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quando aliquod communi divisione per se dividitur, oportet quod divisa specie differant. Sed votum privatum et solemne non differunt specie ; quia sic non posset aliquod votum privatum solemnizari, cum species non transeant in invicem. Ergo praedicta divisio est incompetenter data de voto.

3. Lorsque quelque chose est divisé selon une division général, il est nécessaire que ce qui est divisé diffère selon l’espèce. Or, le vœu privé et le vœu solennel ne diffèrent pas selon l’espèce, car ainsi un vœu privé ne pourrait devenir solennel, puisque les espèces ne passent pas l’une dans l’autre. La division mentionnée est donc donnée de manière inappropriée pour le vœu.

[20440] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut votum habet quaedam quae pertinent ad solemnitatem, ita matrimonium, et alia sacramenta. Sed in matrimonio non distinguitur simplex matrimonium a solemni. Ergo nec in voto talis distinctio esse debet.

4. De même que le vœu comporte certaines choses qui se rapportent à sa solennité, de même le mariage et les autres sacrements. Or, pour le mariage, on ne fait pas de distinction entre le mariage simple et le mariage solennel. Une telle distinction ne devrait donc pas exister non plus pour le vœu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La profession à une règle déterminée et la réception d’un ordre sacré rendent-elles solennel un vœu, comme certains le disent ?]

[20441] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod votum non solemnizetur per professionem ad certam regulam, et per ordinis sacri susceptionem, ut quidam dicunt. Solemnitas enim ponitur differentia voti communiter dicti. Sed quaedam vota sunt quae non habentur sub aliqua certa regula, neque sunt ordini sacro annexa, sicut votum peregrinationis. Ergo illa duo non sufficiunt ad solemnitatem voti faciendam.

1. Il semble que la profession à une règle déterminée et la réception d’un ordre sacré rendent un vœu solennel, comme certains le disent. En effet, le caractère solennel est donné comme une différence du vœu entendu au sens général. Or, il existe des vœux qui ne portent pas sur une règle déterminée, ni ne sont annexés à un ordre sacré, comme le vœu de pèlerinage. Ces deux choses ne suffisent donc pas à rendre un vœu solennel.

[20442] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dicitur etiam a quibusdam, quod votum solemnizatur per susceptionem habitus religionis. Sed quandoque suscipitur habitus religionis sine professione vel ordinis susceptione. Ergo et cetera.

2. Certains disent que le vœu est rendu solennel par la réception de l’habit religieux. Or, l’habit religieux est parfois reçu sans profession ou sans réception d’un ordre. Donc, etc.

[20443] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ante constitutionem certarum regularum potuit votum solemnizari etiam sine ordinis susceptione. Sed nunc non minus possunt se homines obligare Deo quam prius. Ergo et nunc solemnitas voti potest esse sine professione certae regulae.

3. Avant l’établissement de règles déterminées, un vœu pouvait être aussi rendu solennel sans réception d’un ordre. Or, les hommes ne peuvent pas moins contracter maintenant une obligation envers Dieu que précédemment. La solennité d’un vœu peut donc maintenant exister sans la profession d’une règle déterminée.

[20444] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, professio certae regulae potest fieri in privato. Sed votum solemne hic contra privatum dividitur. Ergo professio certae regulae non est sufficiens ad votum solemnizandum.

4. La profession d’une règle déterminée peut être faite en privé. Or, le vœu solennel est ici opposé au vœu privé. La profession d’une règle déterminée n’est donc pas suffisante pour rendre un vœu solennel.

[20445] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, effectus voti solemnis proprius est dirimere matrimonium contractum. Sed solum votum quod est annexum ordini, et quod est ad certam regulam, dirimit matrimonium contractum. Ergo solum his modis votum solemnizatur.

Cependant, [1] l’effet propre du vœu solennel est de dirimer le mariage contracté. Or, seul le vœu qui est annexé à un ordre et qui est fait à une règle déterminée dirime le mariage contracté. Le vœu est donc rendu solennel seulement de ces façons.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20446] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod divisio illa qua votum dividitur in singulare et commune, est divisio analogi quod praedicatur per prius et posterius de suis dividentibus, sicut ens de substantia et accidente. Cum enim votum sit obligatio ex voluntate facta, necessitas autem voluntarium excludat ; illud votum quod nihil habet necessitatis, dicitur per prius votum, quasi habens complete rationem voti ; et hoc est votum singulare, quod est de illis ad quae non tenemur. Illud autem votum quod habet aliquid necessitatis, habet incomplete rationem voti, et ideo dicitur per posterius, votum ; et hoc est votum commune, quod est de his ad quae omnes tenentur, quorum est necessitas conditionata, non absoluta, ut ex dictis patet.

Cette division, selon laquelle le vœu est divisé en particulier et général, est une division de quelque chose d’analogue qui est attribué en premier lieu et par mode de conséquence à ce qui divise, comme l’être à la substance et à l’accident. En effet, puisque le vœu est une obligation contractée par la volonté, et que la nécessité exclut le volontaire, le vœu qui ne comporte aucune nécessité est appelé en premier lieu un vœu, parce qu’il a le caractère complet de vœu. Tel est le vœu particulier, qui porte sur ce à quoi nous ne sommes pas obligés. Or, le vœu qui comporte une certaine nécessité a un caractère incomplet de vœu. C’est pourquoi il est appelé vœu par mode de conséquence. Tel est le vœu général, qui porte sur ce à quoi tous sont obligés, et dont la nécessité est conditionnelle, en tant que non absolue, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[20447] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de divisione univoci ; et talis non est hic.

1. Cet argument procède de la division de ce qui est univoque. Ce n’est pas le cas ici.

[20448] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod votum commune est quidam singularis actus, et a singulari persona emissum ; unde non posset convenienter dici universale ; sed dicitur commune ratione horum de quibus est, ad quae omnes tenentur.

2. Le vœu général est un acte particulier et il est formulé par une personne particulière. Il ne pourrait donc être appelé universel de manière appropriée. Mais on l’appelle général en raison de ce sur quoi il porte, à quoi tous sont obligés.

[20449] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod transgressio voti communis non facit speciale peccatum, sed addit peccato specialem deformitatem : magis enim peccat baptizatus eodem genere peccati quam non baptizatus, ut patet Hebr. 10, 29 : quanto putatis deteriora mereri supplicia qui filium Dei conculcaverit, et sanguinem testamenti pollutum duxerit ? Et ideo non frustra emittitur, cum aliquam obligationem addat, sicut lex scripta addit aliquam obligationem supra legem naturae ; et ita non facit aliud peccatum, sed novam deformitatem addit.

3. La transgression du vœu commun ne cause pas un péché particulier, mais ajoute au péché une difformité particulière. En effet, le baptisé pèche davantage pour le même genre de péché que le non-baptisé, comme cela ressort de He 10, 29 : D’un châtiment combien plus grave sera jugé digne, ne pensez-vous pas, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et tenu pour souillé le sang de l’alliance ? Il n’est donc pas émis en vain, puisqu’il ajoute une obligation, comme la loi écrite ajoute une obligation à la loi de la nature. Ainsi, il ne cause pas un autre péché, mais il ajoute une nouvelle difformité.

[20450] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de votis quae sunt de his ad quae non omnes tenentur. Sed ex hoc quod vice pueri patrinus votum commune emittit, nihil puero deperit, quia ad idem alias esset obligatus : nec obstat quod sit major obligatio, quia huic praeponderat magnitudo beneficii quae impenditur. Non enim injuriam facit puero qui pro eo beneficium accipit ab aliquo, cui postea puer ad annos discretionis veniens, ad servitium vel gratiarum actionem teneatur.

4. Cet argument procède des vœux qui portent sur ce à quoi tous ne sont pas obligés. Or, par le fait que le parrain émet un vœu général à la place de l’enfant, rien n’est perdu pour l’enfant, car il serait par ailleurs obligé à la même chose. Et cela ne fait pas de différence qu’il s’agisse d’une obligation plus grande, car la grandeur du bienfait qui est donné l’emporte sur celle-ci. En effet, celui qui reçoit de quelqu’un un bienfait pour un enfant ne lui cause pas de préjudice, alors que, par la suite, lorsqu’il atteindra l’âge de discrétion, l’enfant sera obligé de le servir ou de lui rendre grâces.

Quaestiuncula 2

 

Réponse à la sous-question 2

[20451] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod divisio voti in privatum et solemne, est divisio totius potestativi in partes suas, cujus perfecta virtus est in una suarum partium ; in aliis autem quaedam ipsius participatio, sicut anima dividitur in rationalem, sensibilem, et vegetabilem. Virtus autem voti est obligatio : quae quidem virtus complete est in voto solemni, cujus obligatio nullo casu irritari potest ; sed est incomplete in voto privato, cujus obligatio aliquo casu irritatur, ut dicetur.

La division du vœu en privé et solennel est la division d’un tout potentiel en ses parties, dont la puissance parfaite se trouve dans l’une de ses parties, mais, dans les autres, une certaine participation [cette puissance], comme l’âme se divise en raisonnable, sensible et végétative. Or, la puissance du vœu est l’obligation : cette puissance existe complètement dans le vœu solennel, dont l’obligation ne peut en aucun cas être annulée ; mais elle existe incomplètement dans le vœu privé, dont l’obligation est annulée dans un cas, comme on le dira.

[20452] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod votum potest dici publicum dupliciter. Uno modo per se, quia habet aliquid annexum, unde in publicum venire debeat ; sicut cum quis recipit ordinem sacrum, per quem minister Ecclesiae constituitur ad publice Deo serviendum. Alio modo per accidens ; sicut quando in notitiam plurimorum venit. Et quia rei judicium non variatur per id quod est per accidens, sed secundum id quod est per se ; ideo votum publicum secundo modo in idem computatur quod privatum ; sed publicum primo modo distinguitur a privato ; et hoc est solemne.

1. Un vœu peut être appelé public de deux manières. D’une manière, par soi, parce que quelque chose lui est joint, par quoi il doit devenir public, comme lorsque quelqu’un reçoit un ordre sacré par lequel il est établi ministre de l’Église pour servir Dieu publiquement. D’une autre manière, par accident, comme lorsqu’il vient à la connaissance d’un grand nombre. Et parce que le jugement porté sur une chose ne varie pas par le fait qu’il porte sur ce qui existe par accident, mais selon ce qui existe par soi, le vœu public de la seconde manière est donc considéré comme la même chose que le vœu privé ; mais le vœu public de la première manière se distingue du vœu privé : celui-là est solennel.

[20453] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dicta divisio datur per ea quae sunt essentialia voto. Illud enim ex quo votum habet vim obligandi, est sibi essentiale. Unde non est verum quod aequaliter obligent omnibus modis, nec quo ad Deum, nec quo ad homines ; sed aliquo modo aequaliter obligant, ut dicetur.

2. La division en cause est faite selon ce qui est essentiel au vœu. En effet, ce en vertu de quoi le vœu a la puissance d’obliger lui est essentiel. Il n’est donc pas vrai que [les vœux] obligent également de toutes les manières, ni du point de vue de Dieu, ni du point de vue des hommes, mais ils obligent également d’une certaine manière, comme on le dira.

[20454] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod naturalis est ordo quo fit progressus de imperfecto ad perfectum ; unde et in totis potestativis fit progressus ab una parte in aliam ; sicut embryo prius habet animam vegetabilem aliquo modo quam sensibilem, et sensibilem quam rationalem ; et similiter etiam non est inconveniens quod idem votum primo sit privatum, et postea publicum.

3. Le progrès naturel se réalise par le passage de l’imparfait au parfait. Dans les touts potentiels, le progrès se réalise donc d’une partie à l’autre, comme l’embryon possède d’abord d’une certaine manière une âme végétative avant une âme sensible, et une âme sensible avant une âme raisonnable. De même aussi n’est-il pas inapproprié que le même vœu soit d’abord privé et, par la suite, public.

[20455] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod matrimonium et alia sacramenta habent plenum effectum suum praetermissis his quae ad solemnitatem sacramenti pertinent, propter hoc quod habent efficaciam ex virtute divina, et non ex institutione humana ; sed votum quod obligat per id quod ab homine est, non habet perfectam vim obligandi nisi debita solemnitate adhibita ; et ideo votum distinguitur per solemne et non solemne ; non autem matrimonium vel aliquod aliud sacramentum.

4. Le mariage et les autres sacrements ont leur plein effet sans ce qui concerne la solennité du sacrement parce qu’ils tirent leur efficacité de la puissance divine, et non d’une institution humaine. Mais le vœu, qui oblige par ce qui vient de l’homme, n’a la puissance parfaite d’obliger que par la solennité appropriée qu’il comporte. C’est pourquoi le vœu se distingue en solennel et non solennel, mais non le mariage ou quelqu’autre sacrement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20456] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod votum, ut dictum est, dicitur solemne ex hoc quod habet completam vim obligandi. Ea enim ad solemnitatem rei pertinere dicuntur quae ei completum esse tribuunt. Votum autem, cum essentialiter sit promissio, complementum suae virtutis accipit sicut et promissio ; cujus quidem obligatio tunc completur quando aliquis hoc quod promittit, in praesenti dat, quodammodo ponens eum cui fit promissio, in corporali possessione alicujus rei, unde habere possit quod promittit ; sicut si aliquis fructus agri promitteret, et promittendo agrum daret ; et similiter si servitium aliquod promitteret, et se in servum daret. Et ideo tunc votum solemnizari dicitur quando aliquis praesentialiter se dat Deo divinis se servitiis mancipando : quod quidem fit per ordinis sacri susceptionem, et per professionem certae regulae debito modo factae ; scilicet in manum ejus qui debet recipere ; et aliis circumstantiis servatis quae secundum jura determinantur : alias non esset votum solemne, quantumcumque quis profiteretur : quia ex tali professione non fieret sub potestate eorum qui religioni praesunt.

Comme on l’a dit, le vœu est appelé solennel du fait qu’il a l’entière puissance d’obliger. En effet, on dit qu’appartient à la solennité d’une chose ce qui lui donne son être complet. Or, le vœu, puisqu’il est essentiellement une promesse, reçoit l’achèvement de sa puissance comme une promesse, dont l’obligation atteint son achèvement lorsque quelqu’un donne effectivement ce qu’il a promis, en mettant d’une certaine manière celui à qui est faite la promesse en possession corporelle d’une chose par laquelle il pourra avoir ce qu’il promet, comme si quelqu’un promettait le produit d’un champ et donnait le champ en le promettant ; de la même façon, s’il promettait un service et se donnait comme serviteur. On dit donc alors que le vœu est solennisé lorsque quelqu’un se donne effectivement à Dieu en se consacrant au service divin, ce qui se réalise par la réception du sacrement de l’ordre et par la profession d’une règle déterminée faite d’une manière appropriée, à savoir, entre les mains de celui qui doit la recevoir et en respectant les autres circonstances qui sont déterminées par le droit. Autrement, autant que quelqu’un en fasse la profession, ce ne serait pas un vœu solennel, car, par une telle profession, il ne passerait pas sous le pouvoir de ceux qui sont à la tête de la vie religieuse.

[20457] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum solemnitas voti sit ex hoc quod res ipsa datur, unde promissio impleatur, quando aliquid temporaliter solvendum promittitur, non potest solemne votum esse, sicut est votum peregrinationis, vel aliud hujusmodi. Nec obstat quod solemnitas differentia voti communiter sumpti ponitur : quia etiam anima rationalis, in qua est perfecte ratio vitae, non est in omnibus viventibus, quamvis rationale ponatur differentia animalis simpliciter.

1. Puisque le caractère solennel du vœu vient de ce que la chose elle-même est donnée, en vertu de quoi la promesse est accomplie, lorsque l’accomplissement temporaire de quelque chose est promis, il ne peut y avoir de vœu solennel, comme c’est le cas pour le vœu de pèlerinage ou pour quelque chose d’autre de ce genre. Et cela ne fait pas de différence que la solennité soit donnée comme une différence du vœu entendu communément, car même l’âme raisonnable, dans laquelle existe parfaitement le caractère de la vie, n’existe pas dans tous les vivants, bien qu’être raisonnable soit simplement donné comme une différence de l’animal.

[20458] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habitus religionis est duplex : quidam qui non professis dari solet ; alius qui datur professis ; et si in quibusdam religionibus utrisque idem habitus detur, tamen in professione consuevit habitus benedici ; et habitus sic benedictus quasi alius computatur. Primus ergo habitus non sufficit ad solemnizandum votum, etiam prius emissum ; sed secundi habitus susceptio solemnizat votum, quia est quaedam praesumpta professio ; contra quam praesumptionem etiam non admittitur probatio, si serventur debitae circumstantiae ; sicut quod detur habitus ab eo qui dare possit, et coram fratrum multitudine. Si enim aliquis in domo sua talem habitum suscepisset, non propter hoc praesumeretur votum solemnizasse ; et ideo habitus susceptio non debet poni alia causa solemnitatis, quia non solemnizat votum nisi inquantum est professio quaedam praesumpta.

2. L’habit religieux est double : l’un qu’on a coutume de donner aux non-profès ; un autre qui est donné aux profès. Si, dans certaines formes de vie religieuse, le même habit est donné pour les deux, on a cependant l’habitude de bénir l’habit lors de la profession, et l’habit ainsi bénit est considéré comme différent. Le premier habit ne suffit donc pas à rendre un vœu solennel, même s’il a été donné en premier ; mais la prise du second habit rend le vœu solennel, car il est une profession présumée. Contre cette profession, on n’admet pas non plus de preuve, si les circonstances appropriées sont respectées, comme le fait que l’habit soit donné par celui qui peut le donner et devant un grand nombre de frères. En effet, si quelqu’un recevait cet habit dans sa maison, il ne serait pas pour autant présumé avoir solennisé son vœu. La prise de l’habit ne doit donc pas être donnée comme une cause de la solennité parce qu’elle ne solennise le vœu que dans la mesure où une profession est présumée.

[20459] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod antequam essent istae regulae quae modo sunt, erat aliquis modus vivendi ab Ecclesia approbatus, quo aliqui ad ea quae supererogationis sunt, se obligabant ; et tunc certi temporis obligatio ad alium modum vivendi idem faciebat quod nunc obligatio ad certam regulam.

3. Avant que n’existent les règles qui existent maintenant, il existait une manière de vivre approuvée par l’Église, selon laquelle certains s’obligeaient à ce qui est surérogatoire. Et alors, l’obligation d’un temps déterminé pour une autre manière de vivre avait le même effet que maintenant l’obligation à une règle déterminée.

[20460] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod votum hoc non dicitur privatum quod ad notitiam paucorum venit ; sed quia non habet unde oporteat ad notitiam deduci. Ille autem qui professionem in occulto facit, ut si in domo sua faciat in manu ejus qui eam recipere possit, facit votum quod habet unde in publicum deduci debeat ; quia oportet eum saecularem vitam dimittere, et in claustro cum aliis sui ordinis conversari.

4. On ne dit pas qu’un vœu est privé parce qu’il est parvenu à la connaissance d’un petit nombre, mais parce qu’il n’a pas en soi ce qui le fera nécessairement venir à la connaissance. Or, celui qui fait profession de manière occulte, en la faisant, par exemple, entre les mains de celui qui peut la recevoir, fait un vœu qui a en soi ce qui doit le rendre public, car il doit quitter la vie séculière et vivre dans le cloître avec les autres de son ordre.

Articulus 3

 

[20461] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 tit. Utrum votum obliget, ut semper necesse sit illud observari

Article 3 – Un vœu oblige-t-il toujours de telle manière qu’il soit toujours nécessaire de l’observer ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Un vœu oblige-t-il toujours de telle manière qu’il soit toujours nécessaire de l’observer ?]

[20462] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod votum non obliget, ut semper necesse sit illud observari. Nullus enim obligari potest ad impossibile. Sed aliquando impossibile est votum observari, sicut patet in illa quae vovit virginitatem et corrumpitur. Ergo non est necessitatis votum servare.

1. Il semble qu’un vœu n’oblige pas toujours de telle manière qu’il soit toujours nécessaire l’observer. En effet, personne ne peut être obligé à l’impossible. Or, il est parfois impossible d’observer un vœu, comme cela ressort à l’évidence chez celui qui a fait vœu de virginité et dont la virginité est corrompue. Il n’est donc pas nécessaire d’observer un vœu.

[20463] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, effectus non potest esse firmior sua causa. Sed causa dans firmitatem suo voto est deliberatio, ut ex definitione prius posita, art. 1, quaest. 1, patet. Cum ergo deliberatio humana non habeat necessariam firmitatem, quia cogitationes hominum sunt timidae, et incertae providentiae nostrae, ut dicitur Sapient. 9 ; videtur quod votum non obliget de necessitate ad observandum.

2. L’effet ne peut pas être plus solide que sa cause. Or, la cause qui donne sa solidité au vœu est la délibération, comme cela ressort de la définition donnée auparavant, a. 1, q. 1. Comme la délibération humaine n’a pas une solidité nécessaire, puisque les pensées des hommes sont hésitantes et nos prévisions, incertaines, comme il est dit dans Sg 9, il semble donc que le vœu ne doive pas nécessairement être observé.

[20464] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, juramentum strictius obligat quam votum : quia veritas divina, ex qua juramentum obligat, est efficacior quam deliberatio humana, ex qua obligat votum. Sed juramentum non obligat ad hoc quod observetur de necessitate ; quia quandoque potest sine peccato frangi, sicut quando vergit in deteriorem exitum. Ergo nec votum obligat ad hoc quod semper necesse sit observari.

3. Le serment oblige de manière plus rigoureuse que le vœu, car la vérité divine, en vertu de laquelle le serment oblige, est plus efficace que la délibération humaine, en vertu de laquelle le vœu oblige. Or, le serment n’oblige pas à une observance nécessaire, car il peut être rompu sans péché, comme lorsqu’il tourne à une issue pire. Le vœu non plus n’oblige donc pas à une observance nécessaire.

[20465] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, votum quandoque fit sub conditione, sicut vovit Jacob Genes. 28, 20 : si Deus meus mecum fuerit (...) erit mihi dominus in Deum. Sed tale votum non obligat conditione non extante. Ergo non omne votum de necessitate obligat.

4. Un vœu est parfois fait sous condition, comme Jacob a fait vœu en Gn 28, 20 : Si mon Dieu est avec moi…, le Seigneur sera mon Dieu. Or, un tel vœu n’oblige pas si la condition n’existe pas. Tout vœu n’oblige donc pas nécessairement.

[20466] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, ille qui moratur in religione ultra tempus probationis determinatum, etsi ore non profiteatur, votum interpretatum fecisse dicitur. Sed hoc votum, ut videtur, non necesse est eum observare, quia nihil ipse promisit : nec videtur teneri semper ad ea quae votum professionis continet ; cum quandoque tempore probationis non videntur statuta regulae observari, et ipse non intendit intrare monasterium, nisi ut viveret sicut alii vivunt. Ergo videtur quod non omne votum obliget, ut necessario servetur.

5. On dit que celui qui demeure en religion au-delà du temps déterminé pour la probation, même s’il n’a pas fait profession oralement, a fait un vœu interprété. Or, il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’observer ce vœu, car il n’a rien promis ; il ne semble pas non plus être obligé pour toujours à ce que contient le vœu de la profession, puisque, parfois, pendant le temps de probation, les statuts de la règle ne semblent pas être observés, et qu’il n’a l’intention d’entrer au monasstère que s’il vivait comme les autres vivent. Il semble donc que tout vœu n’oblige pas à son observance nécessaire.

[20467] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, nullus obligatur ad id quod dependet ex arbitrio alieno, sicut cum quis vovet intrare aliquod claustrum religionis ; est enim in potestate illorum eum recipere vel non. Ergo si ipsi nolint, non videtur quod obligetur ad votum solvendum.

6. Personne n’est obligé à ce qui dépend de l’arbitre d’un autre, comme lorsque quelqu’un fait vœu d’entrer au cloître d’une vie religieuse. En effet, il est au pouvoir [de ceux qui sont dans le cloître] de le recevoir ou non. S’ils ne le veulent pas, il semble pas qu’il soit obligé d’accomplir son vœu.

[20468] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 7 Praeterea, quicumque tenetur ad aliquid sine temporis determinatione, tenetur ad statim. Si ergo votum obligaret, qui facit votum et non determinat tempus, teneretur ad statim solvendum ; quod non videtur verum.

7. Quiconque est obligé à quelque chose sans détermination de temps est obligé immédiatement. Si donc le vœu obligeait, celui qui fait un vœu et n’en détermine pas le moment, serait tenu de l’acquitter immédiatement, ce qui ne semble pas vrai.

[20469] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Deuter. 23, 21 : cum votum voveris domino Deo tuo, non tardabis reddere.

Cependant, [1] ce qui est dit en Dt 23, 21 va en sens contraire : Lorsque tu feras un vœu pour le Seigneur ton Dieu, tu ne tarderas pas à l’accomplir.

[20470] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod vovere est voluntatis, sed reddere necessitatis.

[2] Augustin dit « que faire un vœu relève de la volonté, mais l’accomplir, de la nécessité ».

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le mariage contracté doit-il être dirimé par l’obligation d’un vœu simple ?]

[20471] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per obligationem voti simplicis matrimonium contractum dirimi debeat. Fortius enim vinculum praejudicat debiliori. Sed vinculum voti est fortius quam vinculum matrimonii ; quia hoc fit homini, illud Deo. Ergo vinculum voti praejudicat vinculo matrimonii.

1. Il semble que le mariage contracté doive être dirimé par l’obligation d’un vœu simple. En effet, un lien plus fort l’emporte sur un plus faible. Or, le lien du vœu est plus fort que le lien du mariage, car celui-ci s’adresse à l’homme, celui-là à Dieu. Le lien du vœu l’emporte donc sur le lien du mariage.

[20472] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, praeceptum Dei non est minus quam praeceptum Ecclesiae. Sed praeceptum Ecclesiae adeo obligat, quod si contra ipsum matrimonium contrahatur, dirimitur ; sicut patet de illis qui contrahunt in aliquo gradu consanguinitatis ab Ecclesia prohibito. Ergo, cum servare votum sit praeceptum divinum, videtur quod cum quis contra votum divinum matrimonium contrahit, ex hoc matrimonium sit dirimendum.

2. Un commandement de Dieu n’est pas moindre qu’un commandement de l’Église. Or, un commandement de l’Église oblige au point que si un mariage est contracté à son encontre, il est dirimé, comme cela ressort de ceux qui contractent [mariage], alors qu’un certain degré de consanguinité est interdit par l’Église. Puisque l’observance d’un vœu relève d’un commandement divin, il semble donc que lorsque quelqu’un contracte mariage à l’encontre d’un vœu fait à Dieu, le mariage soit dirimé de ce fait.

[20473] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in matrimonio potest homo uti carnali copula sine peccato. Sed ille qui facit votum simplex, nunquam potest carnaliter commisceri uxori sine peccato. Ergo votum simplex matrimonium dirimit. Probatio mediae. Constat quod ille qui post simplex votum continentiae matrimonium contrahit, mortaliter peccat ; quia, secundum Hieronymum, virginitatem voventibus non solum nubere, sed velle nubere, damnabile est. Sed contractus matrimonii non est contra votum continentiae nisi ratione carnalis copulae. Ergo quando primo carnaliter commiscetur uxori, mortaliter peccat ; et eadem ratione omnibus aliis vicibus ; quia peccatum primo commissum non potest excusare a peccato sequenti.

3. Dans le mariage, l’homme peut faire usage de l’union charnelle sans péché. Or, celui qui fait un vœu simple ne peut jamais s’unir charnellement à son épouse sans péché. Le vœu simple dirime donc le mariage. Démonstration de la mineure. Il est clair que celui qui contracte mariage après un vœu simple de continence pèche mortellement, car, selon Jérôme, « il est condamnable pour ceux qui font vœu de virginité, non seulement de se marier, mais de vouloir se marier ». Or, le contrat de mariage n’est contraire au vœu de continence qu’en raison de l’union charnelle. Lorsqu’il s’unit charnellement à son épouse la première fois, il pèche donc mortellement ; et pour la même raison, toutes les autres fois, car le péché commis en premier lieu ne peut excuser le péché suivant.

[20474] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, vir et mulier in matrimonio debent esse pares, praecipue quantum ad carnalem copulam. Sed ille qui votum simplex continentiae facit, nunquam potest petere sine peccato debitum ; quia hoc est expresse contra voluntatem continentiae, ad quam ex voto tenetur. Ergo nec reddere potest sine peccato.

4. Le mari et la femme doivent être égaux dans le mariage, surtout en ce qui concerne l’union charnelle. Or, celui qui fait un vœu simple de continence ne peut jamais demander sans péché ce qui lui est dù, car cela est expressément contraire à sa volonté de continence, à laquelle il est obligé par son voeu. Il ne peut donc rendre [ce qui est dû] sans péché.

[20475] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Clemens Papa dicit, quod votum simplex impedit contrahendum matrimonium, sed non dirimit contractum.

Cependant, ce que dit le pape Clément va en sens contraire : le vœu simple empêche de contracter mariage, mais il ne dirime pas le mariage contracté.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le vœu solennel dirime-t-il lui aussi le mariage contracté ?]

[20476] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam votum solemne dirimat matrimonium contractum. Quia, sicut decretalis dicit, apud Deum non minus obligat votum simplex quam votum solemne. Sed matrimonium acceptatione divina stat vel dirimitur. Ergo cum votum simplex non dirimat matrimonium, nec votum solemne dirimere poterit.

1. Il semble que le vœu solennel non plus ne dirime pas le mariage contracté, car, comme le dit une décrétale, « aux yeux de Dieu, le vœu simple n’oblige pas moins que le vœu solennel ». Or, le mariage tient ou est dirimé par l’acceptation divine. Puisque le vœu simple ne dirime pas le mariage, le vœu solennel non plus ne pourra donc pas le dirimer.

[20477] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, votum solemne non addit ita validum robur supra votum simplex sicut juramentum. Sed votum simplex, etiam juramento superveniente, non dirimit matrimonium contractum. Ergo nec votum solemne.

2. Le vœu solennel n’ajoute pas une force aussi puissante que le serment au vœu simple. Or, le vœu simple, même si un serment s’y ajoute, ne dirime pas le mariage contracté. Donc, ni le vœu solennel non plus.

[20478] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, votum solemne nihil habet quod non possit votum simplex habere ; quia votum simplex posset habere scandalum, cum possit esse in publico, sicut et solemne. Similiter Ecclesia posset et deberet statuere quod votum simplex dirimat matrimonium contractum ut multa peccata vitarentur. Ergo qua ratione votum simplex non dirimit matrimonium, nec solemne votum dirimere debet.

3. Le vœu solennel n’a rien que ne puisse avoir le vœu simple, car, le vœu simple pourrait être cause de scandale, puisqu’il peut prendre place en public, comme le vœu solennel. De même, l’Église pourrait et devrait décider que le vœu simple dirime le mariage contracté afin que beaucoup de péchés soient évités. La raison pour laquelle le vœu simple ne dirime pas le mariage est donc la même pour laquelle il ne doit pas non plus dirimer le vœu solennel.

[20479] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quod ille qui facit votum solemne, contrahit matrimonium spirituale cum Deo, quod est multo dignius quam materiale matrimonium. Sed matrimonium materiale prius contractum dirimit matrimonium post contractum. Ergo et votum solemne.

Cependant, [1] celui qui fait un vœu solennel contracte un mariage spirituel avec Dieu, ce qui est beaucoup plus digne qu’un mariage matériel. Or, le mariage matériel contracté antérieurement dirime le mariage contracté par après. Donc, le vœu solennel aussi.

[20480] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, hoc etiam probari potest per multas auctoritates quae in littera ponuntur.

[2] Cela peut aussi être prouvé par plusieurs autorités qui sont données dans le texte.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20481] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod votum, ut ex dictis patet, est quidam promissionis contractus inter Deum et hominem. Unde cum contractus bonae fidei inter homines factus obliget ad necessariam observationem, multo fortius votum quo homo Deo aliquid promittit, in his dumtaxat ad quae votum se extendit ; in illis autem ad quae votum non se extendit, obligatio voti non habet locum : et ideo qui votum rite factum praetermittit, mortaliter peccat, quia fidem quam cum Deo iniit, frangit.

Comme il ressort de ce qui a été dit, le vœu est la un contrat promis entre Dieu et l’homme. Puisqu’un contrat contracté de bonne foi entre les hommes oblige à une observance nécessaire, à bien plus forte raison [est-ce le cas] d’un vœu par lequel l’homme promet quelque chose à Dieu, tout au moins pour ce qui est l’objet du vœu. Mais l’obligation du vœu ne s’étend pas à ce qui n’est pas l’objet du vœu. Aussi celui qui néglige un vœu dûment fait pèche-t-il mortellement, parce qu’il rompt la foi à laquelle il s’est engagé envers Dieu.

[20482] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud quod votum fiendum impediret si praesens esset, etiam voto facto obligationem aufert ; unde cum de impossibili non possit esse votum, ut dictum est ; si aliquid fiat impossibile post voti emissionem, quod prius erat possibile, obligatio voti quantum ad illud tollitur ; ut si quis dives voverit aedificare Ecclesiam, quod postmodum perficere non possit paupertate superveniente, non obligatur ex voto ad implendum. Sed tamen in hoc distinguendum est dupliciter. Uno modo, quia vel omnino factus est impotens ; et tunc non tenetur simpliciter ad hoc quod vovit ; vel est factus impotens ad totum perficiendum, quamvis non ad partem ; et tunc ad illud quod potest, remanet obligatus. Alio modo distinguendum est, utrum ex sua culpa impotentiam incurrerit ; quia tunc oportet recompensare per poenitentiam ; vel non ex culpa sua, et tunc non tenetur ad aliquam recompensationem. Illa ergo quae virginitatem vovit, si corrupta est, quamvis non possit virginitatem reddere, tamen potest reddere continentiam ; et ad hoc remanet obligata, et ulterius ad poenitentiae lamentum, per quod virginitatem amissam Deo recompensat : quod quidem etsi non sit aequivalens simpliciter, est tamen aequivalens quantum ad reputationem Dei, qui non exigit ab homine ultra posse.

1. Ce qui empêcherait de faire un vœu, si cela était présent, enlève aussi l’obligation pour le vœu fait. Puisqu’un vœu ne peut pas avoir comme objet l’impossible, comme on l’a dit, si quelque chose d’impossible survient après l’émission du vœu qui était antérieurement possible, l’obligation du vœu est enlevée par rapport à cela ; par exemple, si un riche a fait le vœu d’édifier une église, qu’il ne peut accomplir par la suite à cause de la pauvreté qui survient, il n’est pas pas obligé de l’accomplir en vertu du vœu. Cependant, il faut faire en cette matière une double distinction. Premièrement, parce qu’il en est devenu totalement incapable : alors, il n’est tout simplement pas tenu à ce dont il a fait voeu ; ou il est devenu incapable de l’accomplir en totalité, quoique non pas partiellememnt : alors, il demeure obligé à ce qui lui est possible. Deuxièmement, il faut faire une distinction s’il a encouru l’incapacité par sa faute, car alors il doit compenser par la pénitence ; ou bien, sans que ce soit de sa faute : alors il n’est pas tenu à une compensation. Celle donc qui a fait vœu de virginité, si elle a été corrompue, bien qu’elle ne puisse donner sa virginité, peut cependant donner sa continence ; elle demeure obligée à cela et en plus, aux gémissements de la pénitence, par quoi elle compense Dieu pour sa virginité perdue. Bien que cela ne soit pas simplement équivalent, cela est cependant équivalent selon l’évaluation de Dieu, qui n’exige pas de l’homme plus qu’il ne peut.

[20483] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis deliberatio sit causa variabilis, tamen rectitudo legis naturalis, quae dictat quod promittitur Deo esse servandum, est invariabilis ; et hoc dat necessariam obligationem voto.

2. Bien que la délibération soit une cause variable, la rectitude de la loi naturelle, qui montre que ce qui est promis à Dieu doit être respecté, est cependant invariable. Et cela donne au vœu une obligation nécessaire.

[20484] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut juramentum quod vergit in deteriorem exitum, non est servandum, ita nec votum. Unde Isidorus dicit : in turpi voto muta decretum ; quia votum non extendit se ad illicita, vel minus bona, ut dictum est. Nec differt utrum tunc fuerit illicitum quando votum emissum est, vel postmodum illicitum fiat.

3. De même que le serment qui tourne à une issue pire ne doit pas être observé, de même, non plus, le vœu. Aussi Isidore dit-il : « En cas de vœu honteux, change de décision ! », car le vœu ne s’étend pas à des choses interdites ou moins bonnes, comme on l’a dit. Et cela ne fait pas de différence que cela ait été défendu lorsque le vœu a été émis ou devienne illicite par la suite.

[20485] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod sub conditione vovetur, non vovetur simpliciter ; et ideo non obligat nisi illa conditione extante.

4. Ce dont on fait vœu sous condition n’est pas un vœu simplement. Cela n’oblige donc que si la condition existe.

[20486] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod votum interpretatum obligat sicut et votum oretenus emissum : unde si aliquis post tempus probationis in monasterio remanserit, obligatur ex voto interpretativo ; nisi forte propter aliquam causam fuerit sibi annus protelatus, vel consueverit aliis protelari ; quia tunc non facit votum interpretatum ultra annum stans ; et talis qui interpretatum votum fecit, ad tria vota religionis principalia in omni casu tenetur ; sed ad alias observantias, quarum transgressio ex dissimulatione praelatorum inducitur, qui dum videntes non corrigunt, indulgere videntur, non videtur obligari, et praecipue si sit simplex, qui talia discernere sufficienter nesciat.

5. Le vœu interprété oblige comme le vœu formulé oralement. Si quelqu’un reste au monastère après la période de probation, il est donc obligé en vertu d’un vœu interprétatif, sauf peut-être si, pour une raison, l’année a été prolongée ou a coutume d’être prolongée pour les autres, car alors la vœu interprétatif ne vaut pas au-delà de l’année. Celui qui a fait un tel vœu interprété est obligé aux trois vœux principaux de la vie religieuse dans tous les cas ; mais il ne semble pas être obligé aux autres observances, dont la transgression vient de la dissimulation des supérieurs qui, la voyant, ne la corrigent pas et semblent la permettre, surtout s’il s’agit d’un simplet qui ne sait pas discerner suffisamment ces choses.

[20487] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obligatio voti ex propria voluntate causatur ; unde si in vovendo prius cogitavit de religionem intrando, et postea elegit talem religionem vel talem locum, obligatur simpliciter ad religionem ; unde si non potest in illa quam elegit, recipi, debet aliam quaerere. Si autem primo et principaliter cogitavit de tali religione vel tali loco, in voto suo intelligitur haec conditio, si illi volunt eum recipere ; alias esset indiscretum votum ; unde conditione non extante non obligatur. Si autem dubitet quomodo se in vovendo habuerit, debet tutiorem viam eligere, ne se discrimini committat.

6. L’obligation du vœu est causée par sa propre volonté. Si en faisant vœu, il a pensé antérieurement entrer en religion et, par la suite, a choisi telle forme de vie religieuse ou tel lieu, il est simplement obligé envers cette vie religieuse. S’il ne peut être reçu dans celle qu’il a choisie, il doit dont en chercher une autre. Mais s’il a d’abord et principalement pensé à telle vie religieuse en un tel lieu, cette condition : « si on veut le recevoir », est incluse dans son vœu ; autrement, ce serait un vœu irréfléchi. Si la condition n’existe pas, il n’est donc pas obligé. Mais s’il doute de son état d’esprit lorsqu’il a fait vœu, il doit choisir la voie ls plus sûre, de crainte qu’il ne se livre à un jugement.

[20488] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si quando quis vovit, puta se intraturum religionem, intendebat se ad statim obligare, vel ad arbitrium alienum, non potest ulterius differre etiam propter debita solvenda ; sed ille qui eum recipit, tenetur ea persolvere. Si autem in vovendo de debitis cogitabat, probabiliter praesumi potest quod non intendebat se obligare antequam de rebus suis disposuisset. Quando autem timet rationabiliter perpetuum impedimentum, tenetur ulterius non differre.

7. Si, lorsque quelqu’un a fait vœu d’entrer en religion, par exemple, il avait l’intention de s’obliger immédiatement ou selon le décision d’un autre, il ne peut différer davantage même pour acquitter ses dettes, mais celui qui le reçoit doit les acquitter. Mais si, lorsqu’il faisait vœu, il pensait à ses dettes, on peut probablement présumer qu’il n’avait pas l’intention de s’obliger avant d’avoir disposé de ses biens. Mais lorsqu’il craint raisonnablement un empêchement perpétuel, il est obligé de ne pas différer davantage.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20489] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod per hoc res aliqua desinit esse in potestate alicujus per quod transit in dominium alterius ; promissio autem alicujus rei non transfert eam in dominium ejus cui promittitur ; et ideo non ex hoc ipso quod aliquis rem promittit aliquam, desinit res illa esse in potestate sua. Cum ergo in voto simplici non sit nisi simplex promissio proprii corporis ad continentiam Deo servandam facta, post votum simplex adhuc remanet homo dominus corporis sui ; et ideo potest ipsum dare alteri, scilicet uxori, in qua datione matrimonii sacramentum consistit, quod indissolubile est ; et propter hoc, votum simplex quamvis impediat contrahendum, quia peccat matrimonium contrahens post votum simplex continentiae, tamen quia verus contractus est, non potest matrimonium per hoc dirimi.

Une chose cesse d’être au pouvoir de quelqu’un par le fait qu’elle passe au pouvoir d’un autre. Or, la promesse d’une chose ne la fait pas passer sous le pouvoir de celui à qui elle est promise. Aussi cette chose ne cesse-t-elle pas de rester en son pouvoir du fait qu’il la promet. Comme il n’y a, dans le vœu simple, qu’une simple promesse faite à Dieu de garder la continence de son propre corps, un homme demeure donc encore maître de son corps après un vœu simple. Il peut donc le donner à une autre, à savoir, son épouse, don dans le lequel consiste le sacrement de mariage qui est indissoluble. Pour cette raison, le vœu simple, bien qu’il empêche de contracter [mariage], parce que celui qui contracte mariage pèche après un vœu simple de continence, cependant, parce qu’il s’agit d’un vrai contrat, le mariage ne peut être dirimé pour cette raison.

[20490] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod votum est fortius vinculum quam matrimonium quantum ad illud cui fit et ad quod ligat, quia per matrimonium ligatur homo uxori ad redditionem debiti, sed per votum Deo ad continentiam. Tamen quantum ad modum ligandi matrimonium est fortius vinculum quam votum simplex ; quia per matrimonium traditur actualiter vir in potestatem uxoris, non autem per votum simplex, ut dictum est ; potior autem semper est conditio possidentis. Sed quantum ad hoc simili modo obligat votum simplex sicut sponsalia ; unde propter votum simplex sunt sponsalia dirimenda.

1. Le vœu est un lien plus fort que le mariage par celui à qui il est fait et par ce à quoi il lie, car, par le mariage, l’homme est lié à son épouse pour l’acquittement de sa dette, mais, par le vœu, il est lié à Dieu pour la continence. Cependant, pour ce qui est de la manière de lier, le mariage est un lien plus fort que le vœu simple, car, par le mariage, le mari passe effectivement au pouvoir de son épouse, mais non par le vœu simple, comme on l’a dit : la condition de celui qui possède est toujours plus forte. Mais, sur ce point, le vœu simple oblige de la même manière que les fiançailles. Aussi, en raison d’un vœu simple, les fiançilles sont-elles dirimées.

[20491] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praeceptum prohibens matrimonium inter consanguineos, non habet, inquantum est praeceptum Dei vel Ecclesiae, quod dirimat matrimonium contractum, sed inquantum facit quod consanguinei corpus non possit transire in potestatem consanguinei. Hoc autem non facit praeceptum prohibens matrimonium post votum simplex, ut ex dictis patet ; et ideo ratio non sequitur ; ponitur enim pro causa quod non est causa.

2. Le commandement interdisant le mariage entre consanguins ne peut par lui-même, en tant que commandement de Dieu ou de l’Église, dirimer un mariage contracté, mais parce qu’il fait en sorte que le corps d’un consanguin ne peut passer au pouvoir du consanguin. Mais le commandement interdisant le mariage après un vœu simple ne fait pas cela, comme cela ressort de ce qui a été dit. Le raisonnement n’est donc pas concluant : en effet, on donne comme cause ce qui n’est pas une cause.

[20492] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui contrahit matrimonium per verba de praesenti post votum simplex, non potest cognoscere uxorem carnaliter sine peccato mortali ; quia adhuc restat sibi facultas implendi continentiae votum ante matrimonium consummatum, ut ex dictis patet, supra, dist. 27, qu. 2, art. 3, quaestiunc. 2. Sed postquam jam matrimonium consummatum est, est sibi factum illicitum non reddere debitum uxori exigenti, tamen ex culpa sua ; et ideo ad hoc obligatio voti non se extendit, ut ex dictis patet ; tamen debet lamentum poenitentiae recompensare pro continentia non servata.

3. Celui qui contracte mariage par des paroles au présent après un vœu simple ne peut connaître charnellement son épouse sans péché mortel, car il lui reste encore la possibilité d’accomplir son vœu de continence avant que le mariage soit consommé, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 3, qa 2. Mais après que le mariage a déjà été consommé, c’est un acte defendu de ne pas rendre à son épouse qui l’exige ce qui lui est dû, mais par sa faute. C’est pourquoi l’obligation du vœu ne s’étend pas à cela, comme cela ressort de ce qui a été dit ; cependant, il doit compenser par des gémissements de pénitence la continence qui n’est pas observée.

[20493] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quantum ad ea quibus non est factus impotens votum continentiae servare, adhuc post contractum matrimonium obligatur ad servandum ; propter quod mortua uxore tenetur totaliter continere ; et quia ex matrimonii vinculo non obligatur ad debitum petendum, ideo non potest petere debitum sine peccato, quamvis possit sine peccato reddere debitum exigenti, postquam obligatus est ad hoc per carnalem copulam praecedentem. Hoc autem intelligendum est, sive mulier petat expresse sive interpretative, ut quando mulier verecunda est, et vir sentit ejus voluntatem de redditione debiti ; tunc enim sine peccato reddere potest ; et praecipue si ei timet de periculo castitatis. Nec obstat quod non sunt pares in matrimonii actu : quia quilibet potest hoc quod suum est abrenuntiare. Quidam tamen dicunt, quod potest et petere et reddere, ne nimis onerosum reddatur matrimonium uxori semper exigenti. Sed si recte inspiciatur, hoc est exigere interpretative.

4. Pour ce par rapport à quoi il n’est pas devenu impuissant à observer le vœu de continence, il est encore obligé de l’observer après avoir contracté mariage ; pour cette raison, si son épouse est morte, il est obligé à une continence totale. Et parce qu’il n’est pas obligé de demander ce qui lui est dû en raison du lien du mariage, il ne peut donc demander ce qui lui est dû sans péché, bien qu’il puisse rendre sans péché ce qui est dû à celle qui l’exige, après qu’il y a été obligé par une union charnelle antérieure. Mais il faut entendre cela, soit que la femme le demande expressément ou de manière interprétative, comme lorsque la femme est gênée et que le mari sent sa volonté que ce qui lui est dû lui soit rendu : en effet, il peut alors le lui rendre sans péché, et surtout s’il craint pour elle un danger pour sa chasteté. Et cela ne fait pas de différence qu’ils ne soient égaux pour l’acte du mariage, car chacun peut renoncer à ce qui lui appartient. Cependant, certains disent qu’il peut à la fois demander et recevoir, de crainte que le mariage ne soit rendu trop onéreux pour l’épouse qui exige toujours. Mais si on y regarde de près, cela est exiger de manière interprétative.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20494] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omnes dicunt, quod votum solemne sicut impedit matrimonium contrahendum, ita dirimit matrimonium contractum. Quidam autem assignant pro causa scandalum. Sed hoc nihil est ; quia etiam votum simplex quandoque scandalum habet, cum sit quodammodo publicum quandoque ; et praeterea insolubilitas matrimonii est de veritate vitae, quae non est propter scandalum dimittenda. Et ideo alii dicunt, quod hoc est propter statutum Ecclesiae. Sed hoc etiam non sufficit ; quia secundum hoc Ecclesia posset contrarium statuere ; quod non videtur verum. Et ideo dicendum cum aliis, quod votum solemne ex sui natura habet quod dirimat matrimonium contractum, inquantum scilicet homo per ipsum amisit sui corporis potestatem, Deo illud ad perpetuam continentiam tradens, ut ex dictis patet ; et ideo non potest ipsum tradere in potestatem uxoris ad matrimonium contrahendum ; et quia matrimonium quod sequitur tale votum, nullum est, ideo votum praedictum dirimere dicitur matrimonium contractum.

Tous disent que le vœu solennel dirime le mariage contracté, comme il empêche de contracter mariage. Mais certains en donnent comme cause le scandale. cela est toutefois sans valeur, car même le vœu simple cause parfois un scandale, puisqu’il est parfois public d’une certaine manière. De plus, l’indissolubilité du mariage fait partie de la vérité de la vie, qui ne doit pas être écartée à cause d’un scandale. C’est pourquoi d’autres disent que la raison en est une décision de l’Église. Mais cela aussi est insuffisant, car, dans ce cas, l’Église pourrait décider le contraire, ce qui ne semble pas vrai. Il faut donc dire avec d’autres que le vœu solennel fait en sorte que, par sa nature même, il dirime le mariage contracté, pour autant que l’homme a perdu par lui son pouvoir sur son corps en le livrant à une continence perpétuelle pour Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi il ne peut le remettre au pouvoir de son épouse en contractant mariage. Et parce que le mariage qui suit un tel vœu est nul, on dit que le vœu en question dirime le mariage contracté.

[20495] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod votum simplex quoad Deum dicitur non minus obligare quam solemne in his quae ad Deum spectant, sicut est separatio a Deo per peccatum mortale ; quia mortaliter peccat frangens votum simplex sicut solemne, quamvis gravius sit peccatum frangere solemne, ut sic comparatio in genere accipiatur, non determinata quantitate reatus. Sed quantum ad matrimonium, per quod homo homini obligatur, non oportet quod sit aequalis obligationis etiam in genere ; quia ad quaedam obligat votum solemne et non simplex.

1. On dit que le vœu simple, aux yeux de Dieu, n’oblige pas moins que le vœu solennel pour ce qui regarde Dieu, comme l’est la séparation de Dieu par le péché mortel, parce que celui qui rompt un vœu simple autant qu’un vœu solennel pèche mortellement, bien que la rupture du vœu solennel soit un péché plus grave, en prenant en compte une comparaison selon le genre, sans détermination de la quantité de la culpabilité. Mais, pour ce qui est du mariage par lequel un homme est lié à un homme, il n’est pas nécessaie que l’obligation soit égale même pour le genre, car le vœu solennel oblige à certaines choses, alors que le vœu simple ne le fait pas.

[20496] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod juramentum plus obligat ex parte ejus quo fit obligatio, quam votum ; sed votum solemne plus obligat quantum ad modum obligandi, inquantum actualiter tradit hoc quod promittitur, quod non fit per juramentum ; et ideo non sequitur ratio.

2. Le serment oblige davantage que le voeu du côté de celui envers qui est prise l’obligation. Mais le vœu solennel oblige davantage quant au mode de l’obligation, pour autant qu’il livre effectivement ce qui est promis, ce qui n’est pas le cas du serment. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[20497] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod votum solemne habet actualem exhibitionem proprii corporis, quam non habet votum simplex, ut ex dictis patet ; et ideo ratio ex insufficienti procedit.

3. Le vœu solennel comporte une certaine présentation de son propre corps, que ne comporte pas le vœu simple, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi le raisonnement s’appuie-t-il sur quelque chose d’insuffisant.

 

 

Articulus 4

[20498] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 tit. Utrum in voto possit fieri dispensatio

Article 4 – Peut-il y avoir dispense d’un voeu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Peut-il y avoir dispense d’un voeu ?]

[20499] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod in voto non possit fieri dispensatio. Votum enim commune minimum habet de ratione voti. Sed in voto communi nullus potest dispensare. Ergo nec in voto singulari.

1. Il semble qu’il ne puisse pas y avoir dispense d’un voeu. En effet, le vœu général comporte le moins le caractère de vœu. Or, personne ne peut dispenser d’un voeu général. Donc, pas davantage d’un vœu particulier.

[20500] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, reddere vota est de lege naturali ; quia qui non reddit, mentitur ; quod est contra legem naturalem. Sed nullus potest dispensare contra mendacium, aut contra illud quod est de lege naturali. Ergo nullus potest dispensare in voto.

2. S’acquitter de ses vœux relève de la loi naturelle, car celui qui ne s’en acquitte pas ment, ce qui est contraire à la loi naturelle. Or, personne ne peut dispenser du mensonge ou de ce qui est contraire à la loi naturelle. Personne ne peut donc dispenser d’un vœu.

[20501] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per dispensationem non debet praetermitti majus bonum pro minori bono. Sed non est digna ponderatio continentis animae, ut dicitur in Lib. Eccli. cap. 26, 20 ; quia pars contemplativorum, qui significantur per Mariam, est optima, quia ipsa optimam partem elegit, ut dicitur Luc. 10. Ergo, ad minus in voto continentiae, quod ad statum contemplationis pertinet, dispensari non potest.

3. Par la dispense, on ne doit pas omettre une plus grand bien pour un bien moindre. Or, on n’accorde pas son juste poids à l’âme continente, comme le dit le livre de l’Écclésiastique, 26, 20, car la part des contemplatifs, qui sont signifiés par Marie, est la meilleure, puisqu’elle a elle-même choisi la meilleure part, comme il est dit dans Lc 10. Au moins pour le vœu de continence, qui se rapporte à l’état de la contemplation, on ne peut donc pas dispenser.

[20502] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Sed contra, nullum votum est licitum quod vergit in personae periculum. Sed potest esse quod continentia servata vergat in periculum personae. Ergo ad minus in casu illo votum continentiae potest dispensari.

4. Cependant, aucun vœu qui tourne au danger de la personne n’est permis. Or, il peut arriver que la continence qui est observée tourne au danger d’une personne. Au moins dans ce cas, on peut donc dispenser du vœu de continence.

[20503] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 5 Praeterea, sicut monachi tenentur ad continentiam, ita ad paupertatem et obedientiam. Sed potest dispensari cum eis quantum ad votum obedientiae et paupertatis, ut patet in illis qui ad praelationes assumuntur. Ergo et in voto continentiae.

5. De même que les moines sont tenus à la continence, de même le sont-ils à la pauvreté et à l’obéissance. Or, ils peuvent être dispensés des vœux d’obéissance et de pauvreté, ce qui est clair chez ceux qui sont retenus comme prélats. Ils peuvent donc l’être aussi du vœu de continence.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tout supérieur peut-il dispenser d’un vœu ?]

[20504] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod quilibet praelatus possit in voto dispensare. Quilibet enim praelatus ad hoc constituitur quod utilitati subditorum provideat. Ergo si utilitas subditorum requirat, potest dispensare.

1. Il semble que tout prélat puisse dispenser d’un vœu. En effet, tout prélat est établi pour assurer le bien de ses sujets. Si le bien de ses sujets l’exige, [un prélat] peut donc dispenser.

[20505] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ex hoc aliquis potest dispensare in voto quod est constitutus dispensator mysteriorum Dei. Sed hoc competit cuilibet praelato. Ergo et cetera.

2. Quelqu’un peut dispenser d’un vœu du fait qu’il est établi comme dispensateur des mystères de Dieu. Or, cela est le cas de tout prélat. Donc, etc.

[20506] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quia in corpore humano quaedam sunt actiones quae solis principalibus membris conveniunt, et quaedam etiam soli capiti. Sed in Ecclesia vicem capitis tenet Papa, et vicem principalium membrorum praelati majores, ut episcopi. Ergo aliquae dispensationes sunt quas solus Papa potest facere.

Cependant, dans le corps humain, il y a des actions qui ne conviennent qu’aux membres principaux, et certaines qui conviennent à la seule tête. Or, dans l’Église, le pape occupe la place de la tête et les prélats majeurs, tels les évêques, la place des principaux membres. Il existe donc certaines dispenses que seule le pape peut donner.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un vœu peut-il être changé ?

[20507] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullum votum possit commutari. Levit., ult. 9 : animal quod immolari potest domino, non potest mutari nec in melius nec in pejus. Ergo si sit votum licitum, non potest mutari.

1. Il semble qu’aucun vœu ne puisse être changé. Lv 27, 9 : Un animal qui peut être immolé pour le Seigneur ne peut être changé en plus ou en moins. S’il s’agit d’un vœu licite, il ne peut donc être changé.

[20508] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si posset mutari, praecipue posset mutari in melius. Sed hoc non potest : quia Bernardus dicit de bene ordinatis monasteriis : nullus meo consilio egredietur desiderio arctioris vitae sine superioris licentia. Ergo et cetera.

2. S’il pouvait être changé, il pourrait être surtout changé en mieux. Or, il ne le peut pas, car Bernard dit, à propos des monastères bien ordonnés : « Personne ne sortira sur mon conseil, par désir d’une vie plus rigoureuse, sans permission du supérieur. » Donc, etc.

[20509] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quod licet semper proficere. Ergo potest etiam votum in melius commutari.

Cependant, il est toujours permis de progresser Il peut donc être aussi permis qu’un vœu soit changé en mieux.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Peut-on changer un vœu de sa propre autorité ?]

[20510] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod propria auctoritate possit aliquis votum commutare. Quia si aliquis post votum terrae sanctae voveat religionem intrare, liberatus est, si impleat secundum, ut Decret. dicit. Sed potest propria auctoritate religionem vovere. Ergo et propria auctoritate potest votum commutare.

1. Il semble qu’on puisse changer un vœu de sa propre autorité, car si quelqu’un , après avoir fait le vœu de la Terre sainte, fait vœu d’entrer en religion, il est libéré [de son premier vœu], s’il accomplit le second, comme le dit le Décret. Or, on peut faire vœu d’entrer en religion de sa prope autorité. On peut donc changer un vœu de sa propre autorité.

[20511] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ille qui fecit aliqua vota in saeculo, non videtur ad illa teneri postquam est claustrum ingressus, ut quidam dicunt. Sed potest propria auctoritate ingredi claustrum. Ergo et cetera.

2. Celui qui a fait des vœux dans le siècle ne semble pas y être tenus après être entré au cloître, comme le disent certains. Or, on peut entrer au cloître de sa prope autorité. Donc, etc.

[20512] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea votum temporale exceditur a perpetuo sola duratione. Sed aliquis potest propria auctoritate commutare votum temporale peregrinationis in votum perpetuum religionis, ut dictum est. Ergo eadem ratione potest mutare propria auctoritate votum minus diuturnum in votum diuturnius, sicut minoris peregrinationis in majorem.

3. Un vœu temporaire n’est dépassé par un vœu perpétuel que par sa durée. Or, quelqu’un peut de sa propre autorité changer un vœu temporaire de pèlerinage en vœu perpétuel de vie religieuse, comme on l’a dit. Pour la même raison, il peut donc changer de sa propre autorité un vœu moins durable en vœu plus durable, comme celui d’un plus petit pèlerinage en un plus grand.

[20513] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, commutatio est quaedam dispensatio. Sed nullus potest propria auctoritate dispensare in voto suo. Ergo nec commutare.

Cependant, le changement est une dispense. Or, personne ne peut se dispenser de son vœu de sa propre autorité. Il ne peut donc pas non plus le changer.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20514] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod quodlibet votum potest per praelatos Ecclesiae dispensationem habere pro libito praelati : quia, ut dicunt, in quolibet voto intelligitur conditionaliter voluntas praelati superioris, scilicet Papae, ad cujus dispensationem pertinent actus subditorum omnium ; et ideo cum voluerit, ille summus praelatus poterit relaxare obligationem voti, ut non teneatur votum implere, quia conditio non extat. Sed hoc non videtur bene dictum : quia quaedam sunt in quibus est homo ita liber sui, quod etiam contra praeceptum Papae potest illa facere ; sicut continere, et alia consilia divina ; unde absolute et sine conditione voluntatis alicujus praelati potest alia vovere. Et ideo alii dicunt, quod nullum votum recipit dispensationem secundum quod dispensatio est juris relaxatio, sed secundum quod est juris declaratio : quia Papa potest declarare hoc jus, quod quando fit recompensatio majoris boni, potest dimitti minus bonum ad quod se quis obligavit. Sed hoc etiam non videtur verum : quia declarare jus non est novum jus facere, sed illud quod in jure erat, manifestare. Unde secundum hoc nunquam per dispensationem voti fieret non contra jus quod erat prius contra jus, sed solum quod videbatur contra jus, et non erat. Et ideo aliter dicendum, quod in voto potest dispensari, etiam secundum quod dispensatio est juris relaxatio, ex aliqua legitima causa. Quia enim votum de illicito esse non potest, non autem licet subtrahere alicui quod ei debetur ; ideo per votum alicujus non potest fieri praejudicium suo praelato, quin debeat ejus mandatis parere, cum fuerit opportunum ; unde si praelatus videat expedire aliqua rationabili causa, vel propter ipsum qui vovit, vel propter alios, quod votum non servet, potest eum ab observatione voti deobligare, qui alias de jure obligatus erat.

À ce propos, il existe plusieurs opinions. En effet, certains disent que n’importe quel vœu peut faire l’objet d’une dispense par les prélats de l’Église au gré du prélat, car, disent-ils, en tout vœu, est comprise la volonté du prélat supérieur, le pape, de qui relève la dispense d’un acte de tous les sujets. Aussi, lorqu’il le veut, ce prélat suprême pourra faire cesser l’obligation du vœu, de sorte qu’on ne soit pas obligé d’accomplir le vœu puisque la condition n’existe plus. Mais cela ne semble pas être correctement formulé, car il existe certaines choses où l’homme est tellement libre de lui-même qu’il peut les faire même à l’encontre d’un ordre du pape, comme être continent et les autres conseils divins. Il peut donc, de manière absolue et sans la condition de la volonté d’un prélat, faire d’autres vœux. C’est pourquoi d’autres disent qu’on ne peut être dispensé d’aucun vœu, au sens où une dispense est la cessation du droit, mais au sens où elle est une déclaration du droit, car le pape peut déclarer ce droit que, lorsque la compensation d’un plus grand bien est réalisée, un bien moindre auquel on s’était obligé est écarté. Mais cela aussi ne semble pas vrai, car déclarer le droit, ce n’est pas faire un droit nouveau, mais manifester ce qui existait dans le droit. En ce sens, il n’y aurait jamais de dispense contraire au droit d’un vœu qui était antérieurement contraire au droit, mais seulement de celui qui semblait contraire au droit et ne l’était pas. Il faut donc dire autre chose : on peut être dispensé d’un vœu, même selon que la dispense est une cessation du droit, pour une cause légitime. En effet, parce qu’il ne peut y avoir de vœu portant sur quelque chose de défendu, mais qu’il n’est pas permis d’enlever à quelqu’un ce qui lui est dû ; par le vœu de quelqu’un, ne peut donc être causé à son supérieur le préjudice de ne pas devoir se soumettre à ses commandements, lorsque cela était opportun. Si donc un prélat voit qu’il convient, pour une cause raisonnable ou en raison de celui qui a fait le vœu ou d’autres, que le vœu n’est pas utile, il peut lever pour lui l’obligation d’observer le vœu, alors qu’il y était autrement obligé en droit.

[20515] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad ea quae cadunt sub voto communi, non solum obligatur aliquis ex voto, sed ex lege naturali, et praecepto divino ; et ideo ex parte ista est quod non possit habere dispensationem, sicut alia vota.

1. À ce sur quoi porte un vœu général, quelqu’un est obligé non seulement en vertu d’un vœu, mais de la loi naturelle et d’un commandement de Dieu. Aussi ne peut-il y avoir de dispense de ce point de vue, comme c’est le cas des autres vœux.

[20516] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod observare votum durante voti obligatione, est de lege naturali ; sed cessante obligatione voti, non est observatio ejus de lege naturali. Cessat autem ejus obligatio vel ex se, ut quando servatum vergeret ad deteriorem exitum ; et tunc per declarationem superioris, si facultas petendi adsit, debet observatio voti praetermitti ; vel ex auctoritate superioris, qui aliud magis necessarium judicat, et in voto dispensat. Nec tamen ex hoc homo mendacium incurrit, quod votum non servat in tali casu : quia homo de futuris debet habere pias conditiones adjunctas, vel explicite vel implicite, ut patet Jacobi 5.

2. Accomplir un vœu alors que dure l’obligation du vœu relève de la loi naturelle ; mais si l’obligation du vœu cesse, son accomplissement ne relève pas de la loi naturelle. Or, son obligation cesse soit de soi, comme lorsqu’en l’accomplissant, on irait vers une issue pire ; alors, par la déclaration d’un supérieur, s’il est possible de la demander, l’accomplissement du vœu doit être omis. Ou [son obligation cesse] en vertu de l’autorité d’un supérieur, qui juge que quelque chose d’autre est plus nécessaire et dispense du vœu. Cependant, l’homme n’encourt pas pour autant un mensonge du fait qu’il n’accomplit pas son vœu dans un tel cas, car l’homme doit explicitement ou implicitement joindre de pieuses conditions à propos des choses à venir, comme cela ressort de Jc 5.

[20517] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de voto continentiae est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod nullus potest dispensare ; sed hujusmodi ratio diversa redditur a diversis. Quidam enim dicunt, quod hoc ideo accidit, quia votum continentiae non potest praetermitti sine hoc quod ad contrarium voti aliquis delabatur, quod nunquam licet. Sed votum paupertatis potest praetermitti aliquo modo qui non directe erit contra votum, sicut cum aliquis habet pecuniam non suo, sed Ecclesiae nomine. Sed hoc nihil est : quia sic votum de abstinendo aliqua die determinata a carnibus, non reciperet dispensationem, aut votum de peregrinatione ; quod est absurdum. Et ideo alii assignant aliam rationem, dicentes, quod hoc convenit, quia votum continentiae non recipit recompensationem melioris, eo quod non est digna ponderatio animae continentis : vel ideo quia per continentiam homo de domestico inimico triumphum capit, ut quidam dicunt : vel ideo quia per religionem homo perfecte conformatur Christo. Unde in voto continentiae, quod in voto religionis includitur, et in aliis votis essentialibus religioni, non potest dispensari, ut quidam dicunt. Sed hoc etiam non videtur sufficienter dictum : quia bonum commune est multo melius quam bonum privatum, propter quod etiam homo interdum ab horto sanctae contemplationis removetur, quae optima pars est, judicio domini, Luc. 10, ut communi utilitati proximorum vacet. Et ideo alii dicunt probabilius, si communis utilitas totius Ecclesiae aut unius regni vel provinciae exposcerent, posse convenienter et in voto continentiae et in voto religionis dispensari, quantumcumque esset solemnizatum : non enim per votum potest se homo deobligare ab eo in quo tenetur alteri, ut dictum est ; unde talis posset imminere necessitas quod posset alicui juste prohiberi ne continentiam aut religionem voveret ; et eadem necessitate manente, potest etiam in voto dispensari jam facto.

3. Il existe deux opinions à propos du vœu de continence. En effet, certains disent que personne ne peut en dispenser ; mais ce raisonnement est présenté diversement par différents auteurs. En effet, certains disent que cela se produit parce que le vœu de continence ne peut être omis sans que quelqu’un ne tombe dans ce qui est contraire au vœu, ce qui n’est jamais permis. Mais le vœu de pauvreté peut être omis d’une manière qui ne sera pas contraire au vœu, comme lorsque quelqu’un possède de l’argent, non pas en son propre nom, mais au nom de l’Église. Mais cela ne vaut rien, car ainsi le vœu de s’abstenir de viande à un jour déterminé ne recevrait pas de dispense, ou bien le vœu de pèlerinage, ce qui est absurde. C’est pourquoi d’autres donnent une autre raison : ils disent que cela est approprié, parce que le vœu de continence n’est pas compensé par quelque chose de meilleur, du fait qu’on n’accorde pas un juste poids à l’âme du continent, ou bien parce que, par la continence, l’homme remporte un triomphe sur un ennemi intime, comme le disent certains, ou bien parce que, par la vie religieuse, l’homme est rendu parfaitement conforme au Christ. Aussi ne peut-il y avoir de dispense du vœu de continence, qui est inclus dans le vœu de la vie religieuse, et des autres vœux essentiels à la vie religieuse, comme certains le disent. Mais cela non plus ne semble pas être formulé de manière suffisante, car le bien commun est bien meilleur que le bien privé, et à cause de lui, l’homme est parfois enlevé du jardin de la sainte contemplation, qui est la meilleure part, au jugement du Seigneur, Lc 10, afin de s’adonner au bien du prochain. C’est pourquoi d’autres disent de manière plus probable que si le bien de toute l’Église ou d’un royaume ou d’une province le demandait, on peut être dispensé de manière appropriée tant du vœu de continence que du vœu de la vie religieuse, aussi solennel aurait-il été. En effet, par un vœu, l’homme ne peut rejeter l’obligation par laquelle il est obligé envers le prochain, comme on l’a dit. Aussi une nécessité si urgente pourrait-elle se présenter, qui pourrait justement empêcher quelqu’un de faire vœu de continence ou de la vie religieuse ; et si cette même nécessité dure, on peut même être dispensé d’un vœu déjà fait.

[20518] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Sed quia rationes in contrarium factae non recte procedunt ; ideo dicendum ad quartum, quod bonum continentiae est multo dignius quam salus corporalis ; et ideo periculum corporalis mortis non est sufficiens ratio ut in voto continentiae dispensetur ; unde etiam non peccat in tali casu existens quod continentia videretur vergere in periculum personae, si continentiam voveat, praecipue cum possit illi periculo per alia remedia obviari ; sicut non peccat qui propter aliquod opus virtutis se mortis periculo exponit.

4. Les arguments présentés en sens contraire ne sont pas corrects. Au quatrième, il faut donc répondre que le bien de la continence est beaucoup plus digne que la santé corporelle. Aussi un danger de mort corporelle n’est pas une raison suffisante d’être dispensé du vœu de continence. De plus, celui qui se trouve dans la situation où la continence semblerait tourner au danger de sa personne ne pèche pas s’il fait vœu de continence, surtout qu’il peut s’opposer à ce danger par d’autres remèdes, comme ne pèche pas celui qui s’expose à un danger de mort pour une action vertueuse.

[20519] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum illis qui assumuntur a statu religionis in statum praelationis non dispensatur in principalibus votis religionis : quia illa quae possidere dicuntur, non suo nomine, sed Ecclesiae, possident ; unde nihil per hoc praejudicatur voto paupertatis ; similiter nec voto obedientiae, quia obedientia respicit statum praelationis in altero cui obedire tenetur. Et ideo quod ille qui sub praelato esse desistit, non teneatur alicui obedire, non est ex hoc quod obligatio voti deficiat ex parte voventis, sed quia subtrahitur praelatio ex parte altera cui obedire tenebatur. Unde monachus, qui abbati obedientiam promittit, si ipse fiat abbas, non tenetur obedire alteri abbati, quia jam non habet abbatem.

5. Puisque ceux qui sont retenus pour passer de l’état de la vie religieuse à l’état de prélat ne sont pas dispensés des principaux vœux religieux, car ce qu’on dit qu’ils possèdent, ils le possèdent non pas en leur propre nom, mais au nom de l’Église, rien ne cause par là un préjudice au vœu de pauvreté. De même pour le vœu d’obéissance, car l’obéissance concerne l’état de prélat chez un autre à qui on est tenu d’obéir. C’est pourquoi le fait que celui qui cesse d’être soumis à un supérieur n’est tenu d’obéir à personne ne vient pas de ce que l’obligation du vœu cesse du côté de celui qui a fait vœu, mais parce que, d’un autre côté, la condition du supérieur à qui il était tenu d’obéir est enlevée. Ainsi, le moine qui promet obéissance à l’abbé, s’il devient lui-même abbé, n’est pas tenu d’obéir à un autre abbé, parce que désormais il n’a plus d’abbé.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20520] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod plenitudo potestatis in dispensando residet penes summum pontificem ; alii autem participant de hac potestate quantum eis concessum est, ut quia omnes ad unum recurrere non possunt, per inferiores dispensationem recipere possint ; unde in votis illis quae non de facili dispensationem recipiunt, nec frequenter, sed raro, sicut votum religionis et alia hujusmodi vota perpetua, solus Papa dispensare potest ; in aliis autem temporalibus votis, sicut peregrinationum et jejuniorum et hujusmodi, possunt etiam episcopi dispensare, nisi aliquod horum sibi Papa reservaverit, sicut dispensatio in voto terrae sanctae.

La plénitude du pouvoir de dispenser ne réside que dans le Souverain Pontife ; mais d’autres participent à ce pouvoir dans la mesure où il leur a été concédé, de sorte que parce que tous ne peuvent pas recourir à un seul, ils puissent recevoir une dispense de la part d’inférieurs. Ainsi, pour les vœux qui ne reçoivent pas facilement ni fréquemment mais rarement de dispense, comme le vœu de vie religieuse et les autres vœux perpétuels de ce genre, seul le pape peut dispenser. Mais pour les autres vœux temporaires, comme un pèlerinage, des jeûnes et les choses de ce genre, les évêques aussi peuvent dispenser, à moins que le pape ne se soit réservé l’un d’eux, comme la dispenser du vœu de se rendre en Terre sainte.

[20521] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non quidquid utile est subdito, potest sibi per praelatum quemlibet adhiberi, sed majora majoribus reservantur ; sicut non quilibet medicus potest cuilibet morbo occurrere, sed in periculosioribus morbis peritiores medici requiruntur.

1. Ce n’est pas tout qui est utile à un subordonné qui peut être obtenu de n’importe prélat, mais les choses plus grandes sont réservées aux plus grands, de même que n’importe quel médecin ne peut pas s’occuper de n’importe quelle maladie, mais que des médecins plus expérimentés sont nécessaires pour les maladies plus dangereuses.

[20522] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnes sint dispensatores mysteriorum Dei, non tamen aequaliter ; et ideo non oportet quod omnes in omnibus dispensare possint.

2. Bien que tous soient dispensateurs des mystères de Dieu, ils ne le sont pas cependant de manière égale. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que tous puissent les dispenser pour tous.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20523] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod inter commutationem voti et dispensationem hoc interest, quod quando votum commutatur, vovens absolvitur ab uno et ligatur ad aliud ; sed quando in voto dispensatur, simpliciter a voto absolvitur sine hoc quod ad aliud ligetur ; unde minus importat voti commutatio quam dispensatio ; et ideo cum ex causa rationabili in voto dispensari possit, potest etiam votum commutari, vel quia illud in quod fit commutatio, est melius, vel quia est minus periculosum.

Entre le changement de vœu et la dispense, il existe une différence : lorsqu’un vœu est changé, celui qui fait vœu est délié de l’un et lié par rapport à l’autre ; mais lorsqu’il est dispensé d’un vœu, il est simplement délié du vœu sans être lié par rapport à un autre. Aussi le changement de vœu est-il moins grave que la dispense. Puisqu’on peut être dispensé d’un vœu pour une cause raisonnable, un vœu peut donc être changé soit parce que ce vers quoi est fait le changement est meilleur, soit parce que cela est moins dangereux.

[20524] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod animal immolatitium ex ipso voto destinabatur ad cultum Dei ; et ideo jam quodammodo sanctum erat, et propter hoc non poterat ad communes usus deduci. Et similiter etiam nunc si aliquis vovet religionem intrare, non potest alium ponere loco sui in religione : similiter etiam si vovet ire in terram sanctam, non potest alium loco sui mittere, nisi per dispensationem superioris. Secus autem est in aliis votis, in quibus persona determinata non destinatur ad specialem cultum Dei.

1. L’animal voué à l’immolation était destiné en vertu du vœu même au culte de Dieu. Il était donc déjà saint d’une certaine manière et, pour cette raison, il ne pouvait être affecté à des usages communs. De même, maintenant, si quelqu’un fait vœu d’entrer en religion, il ne peut en mettre un autre à sa place en religion. De même encore, s’il fait vœu d’aller en Terre sainte, il ne peut en mettre un autre à sa place, sauf avec la dispense de son supérieur. Mais il en va autrement pour les autres vœux, dans lesquels une personne déterminée n’est pas destinée à un culte spécial de Dieu.

[20525] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Bernardus loquitur consulendo : quia quandoque ex animi levitate quidam ad statum alium transeunt sub specie arctioris vitae ; et ideo tutius est quod fiat consilio et licentia superioris praelati ; praecipue si non credat quod ipse impedimentum irrationabile praestet.

2. Bernard parle en donnant un conseil, car, parfois, par légèreté d’esprit, certains passent à un autre état sous l’apparence d’une vie plus rigoureuse. Il est donc plus sûr que cela soit fait avec le conseil et la permission du supérieur, surtout si on ne croit pas qu’il mettra un empêchement déraisonnable.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[20526] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in commutatione est quidam contractus, qui non potest perfici sine consensu utriusque partis ; unde cum homo per votum Deo se obliget, non potest fieri immutatio voti, nisi interveniat consensus ejus qui vicem Dei gerit in terris, scilicet praelati ; nisi forte unum votum ab alio includatur. Et quia votum religionis includit omnia alia vota tum ratione perpetuitatis, tum ratione obedientiae, qua homo voluntatem suam Deo tradit, per quam sui et omnium dominus esse potest ; ideo ille qui aliquod votum temporale fecit, potest non requisita alicujus praelati dispensatione religionem intrare non obstante voto praecedente quod ingressum religionis impediret, puta peregrinationis, vel alicujus hujusmodi. Si autem duo temporalia vovit, quorum utrumque est alteri compossibile, debet utrumque servare, nisi forte auctoritate superioris minus votum praecedens in majus sequens commutaverit. Si autem secundum votum sit omnino incompossibile primo, debet servare majus, et de minori secundum arbitrium praelati satisfacere.

Dans un changement, il y a un contrat qui ne peut être réalisé sans le consentement des deux parties. Puisque l’homme s’oblige envers Dieu par un vœu, il ne peut y a avoir de changement au vœu, à moins que n’intervienne le consentement de celui qui tient la place de Dieu sur terre, le supérieur, sauf peut-être si un vœu est inclus dans l’autre. Parce que le vœu de la vie religieuse inclut tous les autres vœux en raison de sa perpétuité et en raison de l’obéissance, par laquelle l’homme livre à Dieu sa volonté par laquelle il peut être maître de lui-même et de tout, celui qui a fait un vœu temporaire peut entrer en religion sans demander la dispense d’un supérieur malgré un vœu antérieur qui empêcherait l’entrée en religion, par exemple, un pèlerinage ou quelque chose de ce genre. Mais s’il a fait deux vœux temporaires, dont l’un est compatible avec l’autre, il doit observer les deux, à moins qu’en vertu de l’autorité d’un supérieur, il n’ait changé le vœu moindre antérieur en un vœu plus grand ultérieur. Mais si le second vœu est tout à fait incompatible avec le premier, il doit observer le plus grand, et donner satisfaction pour le plus petit selon le jugement du supérieur.

[20527] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod votum terrae sanctae obligat hominem ad serviendum Deo temporaliter, et quantum ad determinatum tempus ; sed votum religionis quantum ad omnia, et secundum omne tempus ; et ideo quodammodo est ampliatio voti magis quam commutatio.

1. Le vœu de la Terre sainte oblige un homme à servir Dieu d’une manière temporaire, pour ce qui est de la détermination du temps, et pour un temps déterminé. Mais le vœu de la religieuse oblige en tout et en tout temps. Il s’agit donc d’une extension d’un vœu plutôt que de son changement.

[20528] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia per introitum religionis homo moritur priori vitae, ideo illa vota quae vovit in saeculari vita explenda, non tenetur exsolvere ex quo religionem intrat, et praecipue quia singularitas in religionibus est periculosa, et onus religionis adeo gravat quod non manet eadem facilitas ad observandum votum quod in saeculari vita erat. Tamen quidam dicunt, quod debet praelato suo exponere, et ille pensatis conditionibus personae et voti, poterit cum eo dispensare. Sed secundum alios hoc non exigitur ; quia ex ipsa vi voti religionis a prioribus votis est absolutus rationibus dictis.

2. Parce que, par l’entrée dans la vie religieuse, l’homme meurt à sa vie antérieure, il n’est pas tenu, du fait qu’il entre en religion, d’accomplir les vœux qui devaient être accomplis dans sa vie séculière, surtout parce qu’il est dangereux de se singulariser dans les communautés religieuses et que le poids de la vie religieuse est si lourd qu’il ne reste pas la même facilité qu’il y avait dans la vie séculiere pour observer un vœu. Cependant, certains disent qu’on doit exposer [la situation] au supérieur et que celui-ci pourra en dispenser, après avoir pesé les conditions de la personne et du vœu. Mais, selon d’autres, cela n’est pas requis, parce qu’en vertu même du vœu de la vie religieuse, il est délié des vœux antérieurs pour les raisons qui ont été dites.

[20529] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perpetuum votum respicit omne tempus : et ideo non manet aliquod tempus post ejus expletionem quo possit aliud votum temporale impleri ; sicut manet tempus ad implendum votum magis diuturnum post votum minus diuturnum ; et propter hoc non est simile.

3. Un vœu perpétuel concerne tout le temps. Aussi ne reste-t-il pas de temps après son accomplisement, où on pourrait accomplir un autre vœu temporaire, comme il reste du temps pour accomplir un vœu de plus longue durée après un vœu de moins longue durée. Pour cette raison, ce n’est pas la même chose.

 

 

Articulus 5

[20530] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 tit. Utrum virginibus voventibus continentiam debeatur speciale velum prae aliis quae continentiam voverunt, et corruptae sunt

Article 5 – Un voile particulier est-il dû aux vierges qui ont fait vœu de continence, pour les distinguer des autres qui ont fait vœu de continence et qui ont été corrompues ?

[20531] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod virginibus voventibus continentiam non debeatur speciale velum prae aliis quae continentiam voverunt, et corruptae sunt. Quia tam virginitas quam continentiae votum viris et mulieribus communia sunt. Sed viris in virginitate continentiam voventibus nihil aliud datur quam aliis qui virginitatem perdiderunt. Ergo nec virgines debent prae aliis speciale velum accipere.

1. Il semble qu’un voile particulier ne soit pas dû aux vierges qui ont fait vœu de continence, les distinguant des autres qui ont fait vœu de continence et qui ont été corrompues, car la virginité comme le vœu de continence sont communs aux hommes et aux femmes, Or, rien d’autre n’est donné aux hommes qui font vœu de virginité qu’à ceux qui ont perdu leur virginité. Les vierges non plus ne doivent donc pas recevoir un voile particulier les distinguant des autres.

[20532] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, signa in nova lege non sunt inania, sed fructuosa ; quia sacramenta novae legis gratiam conferunt. Sed virginale velum non videtur esse fructuosum, quia gratia non confertur in ipso ; alias esset sacramentum, et deberet corruptis dari quae etiam indigent auxilio gratiae ad continentiam conservandam. Ergo videtur quod virginibus non debeatur aliquod velum speciale prae aliis.

2. Les signes dans la loi nouvelle ne sont pas vides mais portent fruit, car les sacrements de la loi nouvelles donnent la grâce. Or, le voile virginal ne semble pas porter fruit, car la grâce n’est pas conférée par lui ; autrement, il serait un sacrement et il devrait être donné à celles qui ont été corrompues, qui ont aussi besoin de l’aide de la grâce pour conserver la continence. Il semble donc qu’un voile particulier ne soit pas dû aux vierges à part des autres.

[20533] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, consecratio quae adhibetur viris in susceptione ordinis, est major quam illa quae adhibetur mulieribus in velatione. Sed consecratio ordinis non exigit virginitatem in consecrato. Ergo nec mulieris velatio.

3. La consécration qui est donnée aux hommes quand ils reçoivent l’ordre est plus grande que celle que reçoivent les femmes lors de la prise du voile. Or, la consécration de l’ordre n’exige pas la vierginité chez celui qui est consacré. Donc, ni la prise du prise du voile chez la femme.

[20534] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, nullus debet pro poena quam sustinuit, iterum puniri. Sed aliquando mulieri pro poena infertur quod corrumpatur, sicut patet in his quae omnino per violentiam corrumpuntur. Ergo non debet talibus ad minus virginale velum denegari.

4. Personne ne doit être de nouveau puni pour une peine qu’il a subie. Or, parfois, il est infligé à une femme d’être corrompue, comme cela ressort chez celles qui sont corrompues par violence. Il ne faut donc pas refuser à celles-là le voile virginal.

[20535] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, quandoque si virginale velum corruptae denegetur, sequitur scandalum astantium, et periculum homicidii, sicut cum aliqua est occulte corrupta. Ergo videtur quod saltem in tali casu virginale velum aliis quam virginibus dari debeat.

5. Parfois, si le voile virginal est refusé à celle qui a été corrompue, il en découle un scandale pour ceux qui sont présents et un danger d’homicide, comme lorsqu’une femme a été corrompue de manière cachée. Il semble donc qu’au moins dans un tel cas, le voile virginal doive être donné à d’autres qu’à des vierges.

[20536] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, in officio Ecclesiae non decet esse aliquam falsitatem. Sed in toto officio quo velantur virgines, fit mentio de carnis integritate, ut patet diligenter inspicienti. Ergo non debet velum virginale corruptis dari.

Cependant, [1] il ne convient pas qu’il y ait quelque chose de faux dans un office de l’Église, Or, dans tout l’office où les vierges reçoivent le voile, il est fait mention de l’intégrité de leur chair, comme cela ressort à celui qui l’examine attentivement. Le voile virginal ne doit donc pas être donné à des femmes corrompues.

[20537] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, per velationem mulier quodammodo Christo desponsatur, qui est dignior quam pontifex aliquis veteris legis. Sed in veteri lege pontifici non licebat aliquam nisi virginem desponsare. Ergo non debet aliqua nisi virgo velari.

[2] Par la prise du voile, une femme est d’une certaine manière fiancée au Christ, qui est plus digne qu’un pontife de l’ancienne loi. Or, sous l’ancienne loi, il n’était pas permis au pontife d’en épouser une autre qu’une vierge. Seule une vierge peut donc recevoir le voile.

[20538] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod ea quae corporaliter in Ecclesia aguntur, signa sunt spiritualium. Sed quia corporale signum non sufficienter repraesentare potest spirituale signatum, oportet quandoque quod ad eamdem rem spiritualem signandam plura signa corporalia aptentur. Matrimonium ergo spirituale Christi et Ecclesiae habet et fecunditatem, per quam regeneramur in filios Dei, et incorruptionem, quia Christus elegit sibi Ecclesiam non habentem maculam aut rugam, aut aliquid hujusmodi, ut dicitur Ephes. 5 ; unde dicitur 2 Cor. 11, 2 : despondi enim vos uni viro virginem castam exhibere Christo. Sed corporalis fecunditas integritatem carnis non patitur ; et ideo oportuit diversis signis repraesentari spirituale conjugium Christi et Ecclesiae quantum ad fecunditatem, et quantum ad integritatem. Sicut ergo per matrimonium carnale repraesentatur matrimonium spirituale quantum ad fecunditatem, ita oportuit aliquid esse quod repraesentaret praedictum spirituale matrimonium quantum ad ejus integritatem ; et hoc fit in velatione virginum, sicut per omnia quae ibi proferuntur et geruntur, ostenditur ; et propter hoc solus episcopus, cui cura Ecclesiae committitur, virgines desponsat, velando non sibi, sed Christo, quasi sponsi paranymphus et amicus. Et quia integritatis significatio plene potest esse in continentia virginali, sed in continentia viduali est semiplena ; propter hoc etiam viduis datur aliquod velum, non quidem cum illa solemnitate qua virginibus datur.

Réponse

Ce qui est accompli de manière corporelle dans l’Église est le signe de réalités spirituelles. Or, parce que le signe corporel ne peut pas représenter suffisamment ce qui est signifié spirituellement, il est parfois nécessaire que plusieurs signes corporels soient utilisés pour signifier la même réalité spirituelle. Le mariage spirituel comporte donc la fécondité du Christ et de l’Église, par laquelle nous sommes régénérés pour devenir des fils de Dieu, et l’incorruption, car le Christ s’est choisi une Église sans souillure et sans ride, ou quelque chose de ce genre, comme il est dit dans Ep 5. Aussi est-il dit en 2 Co 11, 2 : Je vous ai fiancés à un époux unique, à être présenté au Christ comme une vierge pure. Or, la fécondité charnelle ne supporte pas l’intégrité de la chair. C’est pourquoi il fallait que soit repré par divers signes le mariage du Christ et de l’Église pour ce qui est de la fécondité et pour ce qui est de l’intégrité. De même donc que, par le mariage charnel, est représenté le mariage spirituel pour ce qui est de la fécondité, de même il fallait qu’il y ait quelque chose pour représenter ce même mariage spirituel pour ce qui est de l’intégrité. Cela se réalise par la prise de voile des vierges, comme le montre tout ce qui y est dit et accompli. Pour cette raison, seul l’évêque, à qui le soin de l’Église est confié, fiance les vierges en les voilant, non pour lui-même, mais pour le Christ, comme un meneur de noces et un ami. Et parce que la signification de l’intégrité peut pleinement exister dans la continence virginale, mais partiellement seulement dans la continence des veuves, un voile est aussi donné aux veuves, mais non avec la même solennité qu’il est donné aux vierges.

[20539] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ecclesia in matrimonio spirituali se habet ut sponsa, Christus autem ut sponsus ; per votum autem continentiae anima Christo desponsatur ; unde non competit ut haec desponsatio significetur in viro, sed in muliere tantum.

1. L’Église dans le mariage spirituel est en situation de fiancée, mais le Christ, de fiancé. Or, par le vœu de continence, l’âme est fiancée au Christ. Il ne convient donc pas que ces épousailles ne soient pas [corr. non] signifiées chez le mari, mais chez la femme seulement.

[20540] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in consecratione virginum, sicut et in unctione regum, et in aliis hujusmodi benedictionibus, gratia datur, nisi sit impedimentum ex parte suscipientis ; sed tamen hujusmodi sacramenta non dicuntur, quia non sunt instituta ad curationem morbi peccati, sicut alia sacramenta.

2. Dans la consécration des vierges, comme dans l’onction des rois et dans les autres bénédictions de ce genre, la grâce est donnée, à moins qu’il y ait un empêchement de la part de celui qui les reçoit. Cependant, on ne les appelle pas des sacrements, parce qu’elles n’ont pas été instituées pour guérir la maladie du péché, comme les autres sacrements.

[20541] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in ordinis susceptione non consecratur aliquis in sponsum, sed in ministrum sponsi ; unde non requiritur virginitas ad significandam integritatem spiritualis matrimonii, sicut requiritur in velatione ejus quae consecratur in sponsam.

3. Lors de réception de l’ordre, quelqu’un n’est pas consacré comme époux, mais comme ministre de l’époux. La virginité n’est donc pas requise pour signifier l’intégrité du mariage spirituel, comme elle est requise dans la prise du voile de celle qui est consacrée comme épouse.

[20542] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae quae per violentiam corrumpuntur, si nullo modo consentiant, virginitatis gloriam quo ad Deum non perdunt. Sed quia valde est difficile quod in tali delectatione aliquis placentiae motus non insurgat, ideo Ecclesia quae de interioribus judicare non potest, cum exterius corrupta sit, eam inter virgines non velat ; unde Leo Papa dicit : illae famulae Dei quae integritatem pudoris oppressione barbarica perdiderunt, laudabiliores erunt in humilitate et verecundia, si se incontaminatis non audeant copulare virginibus.

4. Celles qui sont corrompues par violence, si elles n’y consentent d’aucune manière, ne perdent pas leur gloire aux yeux de Dieu. Mais parce qu’il est difficile que, dans un tel plaisir, un mouvement de complaisance n’apparaisse pas, l’Église, qui ne peut juger de l’intérieur, puisque la femme a été corrompue de l’extérieur, ne lui donne pas le voile avec les vierges. Aussi le pape Léon dit-il : « Ces servantes de Dieu qui ont perdu l’intégrité de leur sexe par une oppression barbare sont plus louables par leur humilité et leur pudeur, si elles n’osent pas s’unir à des vierges non contaminées. »

[20543] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullo modo illae quae sunt corruptae occulte sive a viris, sive alio modo, sunt velandae ; quia propter vitandum scandalum non debent Ecclesiae sacramenta vel sacramentalia variari. Sed, sicut quidam dicunt, potest aliqua cautela adhiberi ad vitandum scandalum, ut scilicet illa quae non sunt de substantia virginalis veli (ut accensio candelarum, et alia hujusmodi) fiant, mutatis occulte his quae sunt de substantia virginalis veli, puta ut quod nomen virginitatis in castitatem varietur.

5. Celles qui ont été corrompues de manière occulte soit par des hommes, soit d’une autre façon, ne doivent d’aucune manière être voilées, car, les sacrements ou les sacramentaux de l’Église ne doivent pas varier en raison du scandale. Mais, comme certains le disent, on peut prendre soin d’éviter le scandale en accomplissant ce qui ne fait pas partie de l’essence du voile virginal (comme d’allumer des cierges et d’autres choses de ce genre), et en cachant ce qui fait partie de la substance du voile virginal, par exemple, en changeant le mot de virginité pour chasteté.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le scandale]

Prooemium

Prologue

[20544] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 pr. Deinde quaeritur de scandalo ; et circa hoc quaeruntur quatuor : 1 quid sit ; 2 utrum sit peccatum ; 3 quibus competat ; 4 quae sunt dimittenda propter scandalum.

Ensuite, on s’interroge sur le scandale. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que le scandale ? 2 – Est-il un péché ? 3 – À qui convient-il ? 4 – Que faut-il éviter en raison du scandale ?

 

 

Articulus 1

[20545] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 tit. Utrum convenienter assignetur definitio scandali

Article 1 – La définition du scandale est-elle donnée de manière appropriée ?

[20546] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignetur definitio scandali, quae sumitur ex Glossa interlineali, Matth. 18, super illud : vae mundo a scandalis, scilicet : scandalum est dictum vel factum minus rectum praebens aliis occasionem ruinae. Scandalum enim dividitur in activum et passivum. Sed haec definitio non potest convenire scandalo passivo. Ergo non convertitur cum definito ; et sic est incompetens.

1. Il semble que soit donnée de manière inappropriée la définition du scandale qui est tirée de la glose interlinéaire, Mt 18, à propos de ceci : Malheur au monde à cause des scandales !: « Le scandale est une parole ou une action moins correcte qui donne aux autres une occasion de ruine. » En effet, le scandale se divise en actif et passif. Or, cette définition ne peut pas convenir au scandale passif. Elle n’est donc pas convertible avec ce qui est défini. Aussi est-elle inappropriée.

[20547] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Num. 31, super illud : ulciscere prius filios Israel etc., dicitur, quod scandalum est, cum recte ambulanti deceptio submittitur ad ruinam. Sed non omne dictum vel factum minus rectum est deceptio. Ergo scandali definitio est incompetenter assignata.

2. À propos de Nb 31 : Punissez d’abord les fils d’Israël, etc., on dit que le scandale existe lorsqu’une duperie est placée devant celui qui marche correctemenmt. Or, toute parole ou action moins droite n’est pas une duperie. La définition du scandale est donc donnée de manière inappropriée.

[20548] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut peccatum oris et operis potest alteri praestare occasionem ruinae ; ita et peccatum cordis, praecipue quando per exteriora signa in notitiam aliorum prodit. Sed in definitione praemissa tangitur peccatum oris et operis, non autem cordis. Ergo inconvenienter assignatur.

3. Comme le péché en parole et en action peut présenter à un autre une occasion de ruine, de même aussi le péché du cœur, surtout lorsqu’il vient à la connaissance des autres par des signes extérieurs. Or, dans la définition rappelée, on aborde le péché en parole et en action, mais non celui du cœur. Elle est donc donnée de manière inappropriée.

[20549] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, occasio significat causam per accidens. Sed etiam bona interdum per accidens sunt causa malorum. Ergo non solum dictum vel factum minus rectum praebet alteri occasionem ruinae, sed etiam si sit rectum, debet dici scandalum.

4. Une occasion signifie une cause par accident. Or, même de bonnes actions peuvent parfois être causes de maux par accident. On doit donc appeler scandale une parole ou une action moins droite qui peut donner à un autre une occasion de ruine, mais aussi si elle est droite.

[20550] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, Isai. 8, 14, dicitur de Christo : erit in lapidem et in petram scandali. Sed in Christo non fuit aliquid minus rectum. Ergo non est de ratione scandali quod sit aliquid minus rectum.

5. En Is 8, 14, il est dit du Christ : Il sera une roche et une pierre de scandale. Or, il n’y avait rien de moins droit dans le Christ. Il n’est donc pas de l’essence du scandale qu’il soit quelque chose de moins droit.

[20551] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod scandalum nomen Graecum est, et impactionem significat in Latino ; quae quidem proprie dicitur in corporalibus, in spiritualibus autem transumptive. Unde oportet quod spirituale scandalum, de quo loquimur, sumatur ad similitudinem corporalis impactionis ; quae quidem non fit nisi ambulanti aliquid in via objiciatur quod ei sit occasio cadendi, etiam si non cadat. Nihil autem ab alio factum, est natum casum facere ejus qui in via Dei ambulat, nisi sit aliquod minus rectum in notitiam ejus procedens vel verbo vel facto ; et ideo dictum vel factum minus rectum est id ad quod spiritualiter fit impactio, et occasio datur alterius ruinae, in quo ratio consistit scandali.

Réponse

« Scandale » est le mot grec, qui signifie « heurt » en latin ; au sens propre, on l’emploie pour les choses corporelles, mais, par mode de comparaison, pour les réalités spirituelles. Il faut donc que le scandale spirituel, dont nous parlons, soit entendu par similitude avec le heurt corporel. Celui-ci ne survient que si quelque chose fait obstacle sur le chemin, qui est une occasion de tomber, même si on ne tombe pas. Or, de soi, rien de ce qui est fait par un autre ne cause la chute de celui qui marche sur le chemin de Dieu, à moins que ce soit quelque chose de moins droit qui vienne à sa connaissance par la parole ou l’action. Aussi une parole ou une action moins droite est-elle ce par quoi se produit un heurt spirituel et est donnée une occasion de ruine à quelqu’un d’autre, ce en quoi consiste le caractère de scandale.

[20552] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in corporali impactione est duo considerare ; scilicet ipsam impactionem cadentis, aut ejus qui ad causam disponitur, et illud ad quod fit impactio, quod dicitur obex ; ita et in spirituali ; et utrumque nomen scandali accepit, sed non univoce ; sicut etiam fides dicitur ipsa res credita, et actus credendi. Ipsa ergo spiritualis impactio, qua aliquis ad casum disponitur, dicitur scandalum passivum ; sed obex spiritualis ad quem fit impactio, dicitur scandalum activum ; et sic definitur hic scandalum, quia ex dicto vel facto minus recto aliquis ad ruinam disponitur.

1. De même que, pour le heurt corporel, il faut considérer deux choses : le heurt lui-même de celui qui tombe ou de celui qui est disposé à la cause, et ce qui est heurté, qu’on appelle obstacle, de même en est-il pour les réalités spirituelles. Les deux choses portent le nom de scandale, mais non de manière univoque, comme on appelle foi la réalité même qui est crue et l’acte de croire. Le heurt spirituel, par lequel quelqu’un est disposé à la chute est donc appelé scandale passif ; mais l’obstacle spirituel sur lequel se produit le heurt est appelé scandale actif. Ainsi le scandale est-il défini ici, car, par une parole ou une action moins droite, quelqu’un est disposé à la ruine.

[20553] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tunc aliquis per se loquendo peccatum aliquod facit, quando ex intentione operatur, et non quando praeter intentionem ejus peccatum accidit, sicut patet in homicidio casuali ; et ideo tunc proprie aliquis scandalum facit quando ruinam proximi procurare intendit. Quicumque autem ad peccandum inducitur, decipitur : quia omnis malus ignorans, ut philosophus dicit in 3 Ethic., et ideo ubicumque est scandalum per se loquendo, dictum vel factum minus rectum est deceptio quaedam, quae submittitur ambulanti ad ruinam. Vel dicendum quod dicitur esse deceptio, inquantum est deceptionis occasio vel causa : quia omnis peccans decipitur, ut dictum est.

2. À parler de soi, quelqu’un commet un péché lorsqu’il agit intentionnellement, et non lorsqu’un péché se produit en dehors de son intention, comme cela ressort dans l’homicide accidentel. Quelqu’un cause donc à proprement parler un scandale lorsqu’il a l’intention de provoquer la ruine de son prochain. Or, quiconque est induit au péché est trompé, car tout homme mauvais est un ignorant, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Partout où il y a scandale à parler de soi, une parole ou un acte moins droit est une certaine duperie, qui est présentée à celui qui marche pour sa ruine. Ou bien il faut dire qu’on dit que [le scandale] est une tromperie pour autant qu’il est une occasion ou une cause de duperie, car tout pécheur est trompé, comme on l’a dit.

[20554] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spiritualis obex, qui scandalum dicitur, oportet quod in via ambulanti objiciatur ; quod fit dum in notitiam ejus venit. Peccatum autem cordis in notitiam alterius venire non potest, nisi per signa aliqua, quae reducuntur ad peccatum oris vel operis ; et ideo in definitione scandali ponitur tantum dictum vel factum minus rectum, et non fit mentio de peccato cordis.

3. L’obstacle spirituel, qui est appelé scandale, doit faire obstacle à celui qui marche sur la route, ce qui se réalise lorsqu’il vient à sa connaissance. Or, le péché du cœur ne peut venir à la connaissance d’un autre que par certains signes, qui se ramènent au péché en parole ou en acte. Aussi, dans la définition du scandale, met-on seulement : « une parole ou un acte moins droit », et n’est-il pas fait mention du péché du cœur.

[20555] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod occasio non semper nominat causam, sed quandoque causam per se insufficientem ; et sic in definitione praemissa sumitur. Peccatum enim non potest habere ab exteriori aliquam causam sufficientem, eo quod voluntarium est ; sed potest habere aliquam causam inducentem : quae quidem causa quandoque per se nata est inclinare ad peccatum vel ex suo genere, vel ex intentione alicujus proponentis eam ad hoc quod aliquis inducatur ad peccatum ; et tunc illud dicitur dare occasionem ruinae : quandoque autem per accidens aliquis inclinatur ab aliquo in peccatum, quod de se non est natum inclinare in illud ; sicut etiam in corporalibus aliquis in via plana impingit, et cadit ; et tunc dicitur ipsemet sumere occasionem ruinae, nulla sibi occasione ab exteriori data. Sed talis causa ruinae non potest scandalum nominari ; quia causae etsi quandoque nomina sortiantur ex per se effectibus, nunquam tamen ab his quae per accidens eveniunt, nominari consueverunt.

[20556] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Christus non dicitur esse petra scandali quasi per se scandali causa, quia ipse non dedit alicui occasionem scandali ; sed dicitur esse in petram scandali, ita quod propositio non ordinem causae, sed consecutionem importet ; quia ex his quae Christus fecit, consecutum est scandalum Judaeorum.

4. L’occasion ne désigne pas toujours la cause, mais parfois une cause insuffisante par elle-même ; ainsi est-elle entendue dans la définition donnée. En effet, le péché ne peut avoir une cause suffisante venant de l’extérieur, du fait qu’il est volontaire ; mais il peut exister une cause qui y induise. Cette cause incline parfois au péché par elle-même ou en raison de son genre et par l’intention de celui qui la met en avant pour que quelqu’un soit induit au péché : on dit alors qu’elle fournit une occasion de ruine. Mais parfois quelqu’un est incliné par accident par quelque chose au péché, alors que cela n’incline pas de soi au péché, comme, dans les choses corporelles, quelqu’un se frappe sur un chemin aplani et tombe : on dit alors qu’il a une occasion de ruine, alors qu’aucune occasion ne lui était donnée de l’extérieur. Mais une telle cause de ruine ne peut être appelée un scandale, car même si parfois les causes tirent leur nom des effets par soi, elles n’ont jamais coutume d’être nommées à partir de ce qui se produit par accident.

5. Le Christ n’est pas appelé une pierre de scandale comme s’il était cause de scandale par soi, car il n’a donné à personne une occasion de scandale ; mais il est appelé pierre de scandale de manière que la proposition n’implique pas un ordre à la cause, mais une conséquence, car, à partir de ce que le Christ a fait, s’en est suivi un scandale pour les Juifs.

 

 

Articulus 2

[20557] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 tit. Utrum scandalum sit peccatum semper

Article 2 – Le scandale est-il toujours un péché ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le scandale est-il toujours un péché ?]

[20558] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod scandalum non sit peccatum semper. Nullum enim necessarium est peccatum. Sed necesse est ut veniant scandala, ut dicitur Matth. 18, 7. Ergo scandalum non est peccatum.

1. Il semble que le scandale ne soit pas toujours un péché. En effet, rien de ce qui est nécessaire n’est un péché. Or, il est nécessaire qu’il y ait des scandales, comme il est dit dans Mt 18, 7. Le scandale n’est donc pas un péché.

[20559] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne peccatum est ex Diaboli incentivo, non ex pietatis affectu. Sed Matth. 16, ubi dicitur Petro : vade retro me, Satanas ; scandalum mihi es ; dicit Glossa : error apostoli ex pietatis affectu venit potius quam ex incentivo Diaboli. Ergo non omne scandalum est peccatum.

2. Tout péché vient d’une incitation du Diable, et non d’un sentiment de piété. Or, à propos de Mt 16, où il est dit à Pierre : Retire-toi, Satan : tu es pour moi un scandale ! la Glose dit : « L’erreur de l’Apôtre venait plutôt d’un sentiment de piété que d’une incitation du Diable. » Tout scandale n’est donc pas un péché.

[20560] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Hieronymus dicit : parum distant in vitio scandalizare et scandalizari. Sed scandalum passivum, ut videtur, potest esse sine peccato, sicut et impactio corporalis quandoque est sine casu. Ergo et scandalum activum potest esse sine peccato.

3. Jérôme dit : « Il y a peu de différence dans le vice entre scandaliser et être scandalisé. » Or, le scandale passif, semble-t-il, peut exister sans péché, comme un choc corporel existe parfois sans chute. Le scandale actif peut donc exister sans péché.

[20561] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne dictum vel factum minus rectum est peccatum. Sed scandalum est hujusmodi. Ergo et cetera.

Cependant, [1] toute parole ou tout acte moins droit est un péché. Or, le scandale est de cette sorte. Donc, etc.

[20562] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Numer. 31, dicitur in Glossa : longe gravius peccatum est dare peccati causam, quam peccare. Sed quicumque scandalizat, dat causam peccandi. Ergo peccat.

[2] À propos de Nb 31, il est dit dans la Glose : « Il est beaucoup plus grave d’être la cause d’un péché que de pécher. » Or, quiconque scandalise est cause de péché. Donc, il pèche.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le scandale est-il un péché particulier ?]

[20563] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit speciale peccatum. Quia secundum philosophum in 5 Ethic., omnis specialis injustificatio quandoque invenitur separata ab omnibus aliis injustificationibus. Sed scandalum non invenitur separatum ab aliis peccatis, quia semper est dictum vel factum minus rectum. Ergo non est speciale peccatum.

1. Il semble que le scandale ne soit pas un péché particulier, car, selon le Philosophe dans Éthique, V, « toute injustice particulière se trouve parfois séparée de toutes les autres injustices ». Or, le scandale ne se rencontre pas séparé d’autres péchés, car il est toujours une parole ou un acte moins droit. Il n’est donc pas un péché particulier..

[20564] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum quodlibet genus peccati contingit aliquod dictum vel factum minus rectum praebens occasionem ruinae. Sed haec est definitio scandali. Ergo scandalum non est aliquod speciale peccatum.

2. Dans tout genre de péché, se présente une parole ou un acte moins droit donnant occasion de ruine. Or, telle est la définition du scandale. Le scandale n’est donc pas un péché particulier.

[20565] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque peccat coram alio, scandalizat. Sed coram alio peccare non addit supra peccatum simpliciter aliquam differentiam specificam, sed circumstantiam quamdam, sicut nec occulte peccare. Ergo scandalum non est speciale peccatum.

3. Quiconque pèche devant un autre scandalise. Or, pécher devant un autre n’ajoute pas simplement au péché une différence spécifique, mais une circonstance, comme le fait de ne pas pécher de manière occulte. Le scandale n’est donc pas un péché particulier.

[20566] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, agens proportionatur patienti. Sed scandalum passivum non est speciale peccatum : quia quocumque peccato aliquis ruat exemplo alterius, scandalum pati dicitur. Ergo nec scandalum activum est speciale peccatum.

4. L’agent est proportionné au patient. Or, le scandale passif n’est pas un péché particulier, car par quelque péché que quelqu’un tombe par l’exemple d’un autre, on dit qu’il a subi un scandale. Le scandale actif non plus n’est donc pas un péché particulier.

[20567] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, contingit peccare in se, in Deum, et in proximum. Sed scandalum est peccatum in proximum. Ergo est in speciali genere peccati.

Cependant, [1] il arrive qu’on pèche contre soi-même, contre Dieu et contre le prochain. Or, le scandale est un péché contre le prochain. Il se situe donc dans un genre particulier de péché.

[20568] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, malum dicitur aliquid quia nocet, secundum Augustinum. Sed scandalum habet specialem rationem nocumenti. Ergo est speciale peccatum.

[2] Quelque chose est appelé mauvais parce que cela nuit, selon Augustin. Or, le scandale a un caractère particulier de nuisance. Il est donc un péché particulier.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le scandale est-il toujours un péché mortel ?]

[20569] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod scandalum semper sit mortale peccatum. Matth. 18, super illud, vae mundo a scandalis, dicit Glossa : imminet aeterna damnatio inundans propter scandala. Sed aeterna damnatio non debetur nisi propter peccatum mortale. Ergo scandalum semper est peccatum mortale.

1. Il semble que le scandale soit toujours un péché mortel. À propos de Mt 18 : Malheur au monde à cause des scandales ! la Glose dit : « Le naufrage de la damnation éternelle est imminent en raison des scandales. » Or, la damnation éternelle n’est due que pour le péché mortel. Le scandale est donc toujours un péché mortel.

[20570] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vita spiritualis est dignior quam corporalis. Sed qui subtrahit alicui vitam corporalem, mortaliter peccat. Ergo et qui scandalizat, cum subtrahat spiritualem vitam, inducens alterum in ruinam.

2. La vie spirituelle est plus digne que la vie corporelle. Or, celui qui enlève quelque chose à la vie corporelle pèche mortellement. Donc, aussi celui qui scandalise, puisqu’il enlève toujours quelque chose à la vie spirituelle, en menant quelqu’un à la ruine.

[20571] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, scandalum est dictum vel factum minus rectum praebens alteri occasionem ruinae. Sed etiam peccatum veniale est hujusmodi quandoque. Ergo scandalum quandoque est peccatum veniale.

Cependant, « le scandale est une parole ou un acte moins droit donnant à un autre une occasion de ruine ». Or, même un péché véniel est de cette sorte. Le scandale est donc parfois un péché véniel.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20572] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod duplex est scandalum ; scilicet activum et passivum, ut ex dictis patet. Passivum quidem scandalum semper peccatum est ; quia ille scandalum patitur qui aut a via Dei ejicitur, aut saltem in via retardatur ; quod non potest esse sine mortali vel veniali peccato. Activum etiam scandalum semper est peccatum, quia scandalum activum semper est aliquid, quantum est de se, quod natum est inducere alterum ad peccandum ; et tale semper aliquam inordinationem habet vel ex genere actus, vel saltem ex circumstantiis personae, loci et temporis ; et ideo semper est peccatum. Sed quandoque scandalum activum potest esse sine peccato alicujus scandalum patientis ; quando scilicet aliquis, quantum est de se, dat occasionem ruinae, sed alius non ruit ; quandoque etiam e converso est scandalum passivum sine peccato alicujus facientis scandalum, ut quando aliquis sibi sumit occasionem ruinae ex eo quod ab altero non inordinate fit.

Il existe une double scandale : actif et passif, comme cela ressort de ce qui a été dit. Le scandale passif est toujours un péché, car c’est ce scandale que subit celui qui est rejeté du chemin de Dieu ou, tout au moins, est retardé sur la route, ce qui ne peut exister sans un péché mortel ou véniel. Le scandale actif aussi est toujours un péché, car le scandale actif est toujours quelque chose qui, de soi, tend à en conduire un autre à pécher : une telle chose comporte toujours un certain désordre, soit par le genre de l’acte, ou, à tout le moins, par les circonstances de personne, de lieu et de temps. Il est donc toujours un péché. Mais, parfois, le scandale actif peut exister sans péché de la part de celui qui subit le scandale, lorsque quelqu’un donne en lui-même une occasion de ruine, mais que l’autre ne tombe pas ; parfois aussi, en sens inverse, le scandale passif existe sans péché de la part de celui qui cause le scandale, comme lorsque quelqu’un prend occasion de ruine de quelque chose qui n’est pas accompli de manière désordonnée par un autre.

[20573] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est necessitas. Una absoluta ; sive aliquid sit necessarium per se ipsum, sicut necessarium est Deum esse ; sive ex coactione alicujus causae exterioris, sicut violentum dicitur necessarium ; et sic non est necessarium scandala evenire. Alia est necessitas conditionata, quae non repugnat voluntario ; et sic necesse est scandala evenire necessitate conditionata ex tribus. Primo ex ipsa praescientia et praedestinatione divina, sicut dicimus : necesse est hoc esse, si Deus praevidit ; et talis necessitas non repugnat libertatis arbitrio ; unde super hunc locum dicit Chrysostomus : cum dicitur, necesse, non spontaneum potestatis destruit, neque libertatem electionis. Non igitur praedictio ejus scandala inducit, neque quia praedixit, hoc fit ; sed quia futurum erat, propter hoc praedixit. Secundo ex inclinatione fomitis, sicut etiam dicimus quod necesse est peccare venialiter, quamvis sit possibile singula venialia peccata vitare. Tertio ex utilitate consequente, quam Deus ex scandalis elicit, sicut omnia utilia dicuntur necessaria.

1. Il existe une double nécessité. L’une absolue, que quelque chose soit nécessaire par soi, comme il est nécessaire que Dieu existe, ou que cela vienne de la coercition exercée par une cause extérieure, comme ce qui est violent est appelé nécessaire : de cette manière, il n’est pas nécessaire que les scandales arrivent. L’autre nécessité est conditionnelle et elle ne s’oppose pas au volontaire : ainsi est-il nécessaire que des scandales arrivent selon une nécessité conditionnelle pour trois raisons. Premièrement, par la prescience et la prédestination divines, comme nous disons : « Il est nécessaire que cela existe si Dieu le prévoit » ; une telle nécessité ne s’oppose pas à l’arbitre de la liberté. Ainsi, [Jean] Chrysostome dit sur ce passage : « Lorsqu’on dit “nécessaire”, cela n’enlève pas le pouvoir spontané ni la liberté du choix. Leur prédiction ne mène pas aux scandales et cela n’arrive pas parce que cela a été prédit, mais cela a été prédit parce que cela devait arriver. » Deuxièmement, en raison de l’inclination du désir désordonné, comme nous disons qu’il est nécessaire que l’on pèche véniellement, bien qu’il soit possible d’éviter chaque péché véniel. Troisièmement, en raison d’un bien qui en découle, que Dieu tire des scandales, comme tout ce qui est bien est appelé nécessaire.

[20574] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum illam Glossam videtur quod Petrus non peccaverit volens passionem Christi impediri : quia passio Christi poterat et placere laudabiliter et displicere secundum diversa ; et tunc scandalum sumitur large pro quolibet impedimento alicui praestito in via aliqua quam prosequi intendit.

2. Selon cette glose, il semble que Pierre n’ait pas péché en voulant que soit empêchée la passion du Christ, car la passion du Christ pouvait louablement plaire et déplaire selon divers points de vue. On parle alors de scandale au sens large pour n’importe quel empêchement opposé à quelqu’un sur une route qu’il a l’intention de poursuivre.

[20575] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per se loquendo, scandalum activum est majus peccatum quam passivum, quia in unoquoque genere causa est potior effectu : tamen aliquando potest esse majus passivum quam activum, quando aliquis majoris ruinae occasionem sumit quam sibi detur ; sicut etiam quandoque est passivum peccatum sine peccato agentis. Quod autem Hieronymus dicit, intelligendum est quantum ad genus peccati, et non quantum ad quantitatem reatus ; et tamen alia propositio falsa est, scilicet quod scandalum passivum non sit peccatum : quia ipsa impactio spiritualis quoddam peccatum est, inquantum est quaedam retardatio a via Dei ; et quamvis dicatur passivum scandalum, non tamen est omnino passio, sed quaedam actio. Quia enim non potest sufficiens peccandi causa ab exteriori praeberi alicui, quasi cogens ipsum ad peccandum ; ille qui scandalizatur, cooperatur agenti, et ideo peccat.

3. À parler de soi, le scandale actif est un péché plus grand que le scandale passif, car, dans chaque genre, la cause est plus puissante que l’effet. Cependant, il peut parfois arriver que le scandale passif soit [un péché] plus grand que le scandale actif, lorsque quelqu’un prend occasion d’une ruine plus grande que celle qui lui est donnée, comme il existe parfois un péché passif sans péché de la part d’un agent. Ce que dit Jérôme doit s’entendre du genre du péché, et non de la quantité de la culpabilité. Cependant, l’autre proposition est fausse, à savoir que le scandale passif n’est pas un péché, car le choc spirituel lui-même est un péché dans la mesure où il est un retard sur le chemin de Dieu. Et bien qu’on parle de scandale passif, il ne s’agit pas de quelque chose d’entièrement subi, mais d’une action. En effet, puisqu’une cause suffisante de pécher ne peut pas être fournie à quelqu’un de l’extérieur, comme si elle le forçait à pécher, celui qui est scandalisé coopère avec l’agent, et ainsi il pèche.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20576] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus aliquis determinatur ad speciem moris dupliciter. Uno modo ex parte objecti, sicut fornicatio ex hoc quod est circa delectabilia tactus ; et haec determinatio est materialis, et respicit habitum elicientem actum. Alio modo ex parte finis ; et haec est formalis specificatio, et respicit habitum imperantem. Contingit autem quandoque quod ad eamdem speciem determinatur actus ex utraque parte, sicut quando aliquis actus ab eodem habitu elicitur et imperatur, ut cum quis fornicatur propter delectationem. Quandoque autem ex utraque parte determinatur, sed ad diversas species, ut quando actus ab uno habitu elicitur, et ab alio imperatur, sicut cum quis fornicatur propter lucrum ; determinatur enim ad speciem luxuriae ex objecto, sed ad speciem avaritiae ex fine ; non tamen sunt ibi duo peccata, sed unum peccatum duplex, cum sit unus actus. Quandoque etiam evenit quod aliquis actus non determinatur ad aliquam certam speciem ex parte objecti, sed ex parte finis, eo quod habet determinatum habitum a quo imperatur, sed non a quo eliciatur, sicut aedificare proximum, quem actum caritas non elicit, quia ejus non est elicere nisi interiores actus, per quos non fit aedificatio, sed imperat eum, et ab aliis virtutibus elicitur materialiter, non determinate ab aliqua, sed ab omnibus, quia caritas omnibus imperare potest. Et quia scandalum activum est peccatum oppositum aedificationi proximorum ; ideo, materialiter loquendo, ex parte materiae et habituum elicientium non est speciale peccatum, sed solum loquendo formaliter, ex parte finis et habitus imperantis qui est habitus caritati oppositus, scilicet vitium odii ; et ideo quando aliquis dictum vel factum minus rectum facit intendens occasionem ruinae proximo praestare, speciale peccatum scandalizando committit. Si autem praeter intentionem suam accidat, non erit scandalum activum speciale peccatum ; tamen erit circumstantia quaedam peccati, eo quod sicut quilibet actus virtutis habet ordinem ad finem caritatis, etiamsi actus non ordinetur in finem illum, et sicut habet aptitudinem ut imperetur a caritate ; ita quodlibet peccatum, quantum est de se, habet ordinem ad contrarium finem, etiamsi ille finis non intendatur ab agente.

Un acte est déterminé à une espèce morale de deux manières. D’une manière, par son objet, comme la fornication par le fait qu’elle porte sur les plaisirs du toucher : c’est là une détermination matérielle, qui concerne l’habitus duquel l’acte est issu. D’une autre manière, par la fin : c’est là une spécification morale, qui concerne l’habitus qui le commande. Or, il arrive parfois que l’acte soit déterminé à une même espèce des deux manières, lorsqu’un acte provient et est commandé par le même habitus, comme lorsque quelqu’un fornique pour le plaisir. Mais il est parfois déterminé des deux manières, mais pour des espèces différentes, lorsqu’un acte est issu d’un habitus et est commandé par un autre, comme lorsque quelqu’un fornique pour un gain. En effet, il est déterminé à l’espèce de la luxure par son objet, mais à l’espèce de l’avaraice par sa fin ; cependant, il n’y a pas là deux péchés, mais un péché double, puisqu’il n’y a qu’un seul acte. Parfois, il arrive aussi qu’un acte n’est pas clairement déterminé à une espèce par son objet, mais par sa fin, du fait qu’un habitus déterminé le commande, mais qu’il n’y a pas d’habitus déterminé dont il est issu, comme édifier le prochain, un acte qui ne provient pas de la charité, car il ne lui revient de produire que des actes intérieurs, par lesquels n’est pas réalisée l’édification, mais qui commandent [l’acte] ; il est issu d’autres vertus matériellement, mais non pas d’une de manière déterminée, mais de toutes, car la charité peut commander à toutes. Et parce que le scandale actif est un péché opposé à l’édification du prochain, à partler matériellement, il n’est pas un péché particulier du point de vue de la matière et des habitus dont il provient, mais à parler formellement seulement, du point de vue de sa fin et de l’habitus qui le commande, qui est un habitus opposé à la charité, à savoir, le vice de la haine. Ainsi, lorsque quelqu’un produit une parole ou un acte moins droit avec l’intention de donner une occasion de ruine au prochain, il commet un péché particulier en scandalisant. Mais si cela arrive sans qu’il en ait eu d’intention, le scandale actif ne sera pas un péché particulier ; cependant, il sera une circonstance du péché du fait que, de même que tout acte de vertu est ordonné à la fin de la charité, même si l’acte n’est pas ordonné à cette fin, et de même qu’il est apte à être commandé par la charité, de même tout péché est-il par lui-même ordonné à la fin contraire, même si l’agent n’a pas l’intention de cette fin.

[20577] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod peccatum scandali activi invenitur quandoque separatum ab omni alia specie peccati, quod consistit in actu exteriori ; ut quando actus exterior de se non esset peccatum, nisi inquantum per quamdam similitudinem peccati quam habet, natum est dare occasionem ruinae in manifesto factum, sicut comedere idolothytum : et ideo etiam in definitione scandali non dicitur : dictum vel factum perversum, sed minus rectum ; et sic patet quod objectio procedit ex falsis.

1. On trouve parfois le péché du scandale actif séparé de toute autre espèce de péché qui consiste dans un acte extérieur, comme lorsqu’un acte extérieur ne serait de soi un péché que parce qu’il a une certaine ressemblance au péché, il donne de soi une occasion de péché s’il est fait ouvertement, comme manger un idolothyte. C’est pourquoi aussi, dans la définition du scandale, on ne dit pas : « une parole ou un acte pervers », mais « moins droit ». Il ressort ainsi que l’objection s’appuie sur de fausses prémisses.

[20578] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit ex parte elicientium habituum, et non ex parte habitus imperantis.

2. Cet argument vient des habitus qui causent, et non de l’habitus qui commande.

[20579] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec circumstantia coram alio non addit peccato ex sui ratione novam speciem, sed ex fine ad quem per talem circumstantiam ordinabilis est ; unde etiam peccare in occulto non trahit peccatum ad aliam speciem, quia per hoc non recipit ordinem in alium finem.

3. La circonstance « devant un autre » n’ajoute pas de soi au péché une nouvelle espèce, mais en raison de la fin à laquelle il peut être ordonné par une telle circonstance. Aussi, même le fait de pécher de manière occulte n’attire-t-il pas le péché vers une autre espèce, parce qu’il n’est pas ordonné ainsi à une autre fin.

[20580] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui scandalizatur, et agit et patitur ; actio autem sua non pertinet ad genus scandali, sed ad aliud quodcumque ; sola autem passio sua pertinet ad genus scandali. Et quia nullus peccat secundum quod patitur, sed solum secundum quod agit ; ideo scandalum passivum non ponitur speciale peccatum, sicut scandalum activum, quod ex ipsa actione ad genus scandali pertinet.

4. Celui qui est scandalisé agit et subit. Mais son action n’a pas de rapport avec le genre du scandale, mais à n’importe quelle autre chose ; seul ce qu’il subit est en rapport avec le genre du scandale. Et parce que personne ne pèche par le fait qu’il subit, mais seulement par le fait qu’il agit, le scandale passif n’est donc pas donné comme un péché particulier, comme le scandale actif, qui est en rapport avec le genre du scandale par l’action elle-même.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20581] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod duplex est scandalum, ut dictum est, scilicet activum et passivum ; et utrumque est quandoque veniale, quandoque mortale peccatum. Passivum quidem mortale peccatum est, quando aliquis ex peccato alterius in peccatum mortale ruit, sive factum agentis sit bonum, sive indifferens, sive malum mortalis aut venialis peccati ; sed veniale peccatum est quando aliquis ex facto alterius quomodocumque non ruit, sed disponitur ad ruinam, sicut qui impingit, disponitur ad casum, etiam si non cadat ; unde Glossa interlinealis, Rom. 14, scandalum contristationem nominat. Sed activum scandalum potest accipi dupliciter. Uno modo formaliter ; quando scilicet est speciale peccatum, ex hoc quod intendit alium scandalizare ; et sic si intendat proximum inducere in peccatum mortale, mortaliter peccat ; si autem intendat inducere ad aliquod veniale, peccat venialiter, quantum pertinet ad rationem scandali ; quia si intenderet ducere in peccatum veniale per actum mortalis peccati, peccaret mortaliter ; sed hoc accideret scandalo. Alio modo materialiter, quando est circumstantia peccati, quia non intenditur proximi nocumentum ; et tunc idem judicium est de scandalo et de actu quo aliquis scandalizat ; qui quandoque est veniale, quandoque mortale peccatum ; nisi forte esset veniale aut indifferens habens similitudinem mortalis peccati ; tunc enim scandalum activum esset peccatum mortale, cum ex aliquibus circumstantiis concurrentibus existimari probabiliter posset quod infirmi aspicientes peccarent mortaliter.

Comme on l’a dit, il y a un double scandale : actif et passif ; les deux sont parfois un péché véniel et parfois un péché mortel. Le scandale passif est un péché mortel lorsque quelqu’un tombe dans le péché mortel par le péché d’un autre, que l’action de l’agent soit bonne, indifférente ou mauvaise selon un péché mortel ou véniel. Mais il est un péché véniel lorsque quelqu’un ne tombe pas de quelque façon par l’acte d’un autre, mais est disposé à la ruine, comme celui qui se frappe est disposé à la ruine, même s’il ne tombe pas. Ainsi la glose interlinéaire, Rm 14, appelle-t-elle le scandale une contrariété. Mais le scandale actif peut être entendu de deux façons. D’une façon, de manière formelle, lorsqu’il est un péché particulier, du fait qu’il a l’intention de scandaliser un autre : ainsi, s’il a l’intention d’induire le prochain au péché mortel, il pèche mortellement ; mais s’il a l’intention de l’induire à quelque chose de véniel, il pèche véniellement, pour ce qui concerne le caractère de scandale, car s’il avait l’intention de le mener au péché véniel par l’acte d’un péché mortel, il pécherait mortellement, mais cela n’aurait pas de rapport avec le scandale. D’une autre façon, de manière matérielle, lorsqu’il est une circonstance du péché, car on n’entend pas nuire au prochain ; alors, le jugement porté sur le scandale est le même que celui porté sur l’acte par lequel quelqu’un scandalise : parfois c’est un péché véniel, parfois c’est un péché mortel, à moins qu’il ne soit véniel ou indifférent, tout en ayant une ressemblance avec un péché mortel. En effet, le scandale actif serait un péché mortel, alors qu’on pourrait estimer avec probabilité par les circonstances qui l’entourent que les faibles qui regardent pécheraient mortellement.

[20582] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus loquitur de scandalo activo, quod est peccatum mortale.

1. Le Seigneur parle du scandale actif, qui est un péché mortel.

[20583] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille qui scandalizat, non aufert semper vitam spiritualem ; quia quandoque factum ejus non est natum inducere in peccatum mortale, etsi aliquis etiam ex hoc per culpam suam in peccatum mortale ruat. Et praeterea qui aufert vitam corporalem, dat sufficientem causam naturalis mortis ; sed qui scandalizat, non dat sufficientem causam mortis spiritualis, ut dictum est.

2. Celui qui scandalise n’enlève pas toujours la vie spirituelle, car parfois son action n’induit pas de soi au péché mortel, même si quelqu’un tombe à cause d’elle par sa propre faute dans le péché mortel. De plus, celui qui enlève la vie corporelle donne une cause suffisante de mort naturelle ; mais celui qui scandalise ne donne pas une cause suffisante de mort spirituelle, comme on l’a dit.

 

 

Articulus 3

[20584] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 tit. Utrum scandalum passivum sit tantum pusillorum

Article 3 – Le scandale passif est-il toujours le fait des petits ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le scandale passif est-il toujours le fait des petits ?]

[20585] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod scandalum passivum non sit tantum pusillorum. Christus enim pusillus non fuit, sed perfectissimus. Sed Christus passus fuit scandalum a Petro, cui dixit : scandalum mihi es ; Matth. 16, 23. Ergo et cetera.

1. Il semble que le scandale passif ne soit pas seulement le fait des petits. En effet, le Christ n’était pas un petit, mais le plus parfait. Or, le Christ souffrant a été un scandale donné par Pierre, à qui il a dit : Tu es pour moi un scandale, Mt 16, 23. Donc, etc.

[20586] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullus potest amare, nisi aliquis ametur. Ergo nullus potest scandalizare, nisi aliquis scandalizetur. Sed ille qui coram perfectis viris peccat, scandalizat non alios quam videntes. Ergo perfecti scandalizantur ; et sic non solum pusilli.

2. Personne ne peut aimer que si quelqu’un est aimé. Donc, personne ne peut scandaliser que si quelqu’un est scandalisé. Or, celui qui pèche devant des hommes parfaits n’en scandalise pas d’autres que ceux qui le voient. Les parfaits sont donc scandalisés, et ainsi non seulement les petits.

[20587] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, etiam perfecti interdum venialiter peccant. Sed quandoque veniale peccatum est scandalum. Ergo etiam perfecti scandalizantur.

3. Même les parfaits pèchent parfois véniellement. Or, parfois, un péché véniel est un scandale. Même les parfaits sont donc scandalisés.

[20588] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dominus, Matth. 18, ubi loquitur de scandalo, non facit mentionem nisi de scandalo pusillorum. Ergo ipsi soli scandalizantur.

Cependant, [1] en sens contraire, le Seigneur, en Mt 18, où il parle du scandale, ne fait mention que du scandale des petits. Donc, seuls ils sont scandalisés.

[20589] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, apostolus dicit de scandalizatis, quod conscientia eorum, cum sit infirma, polluitur, 1 Corinth. 8. Sed perfecti non habent conscientiam infirmam. Ergo et cetera.

[2] L’Apôtre dit, à propos de ceux qui sont scandalisés, que leur conscience est souillée parce qu’ils sont faibles, 1 Co 8. Or, les parfaits n’ont pas une conscience faible. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le scandale actif est-il le fait des parfaits ?]

[20590] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam perfectis competat scandalum activum. Christus enim perfectissimus fuit. Sed ipse scandalizavit, quia positus est in ruinam multorum, ut dicitur Lucae 2, et Pharisaei audito verbo ejus scandalizati sunt, ut dicitur Matth. 15. Ergo scandalum activum competit perfectis.

1. Il semble que le scandale actif soit le fait des parfaits. En effet, le Christ était le plus parfait. Or, il a lui-même scandalisé, car il a été donné pour la chute d’un grand nombre, comme il est dit en Lc 2 ; et, après l’avoir entendu parler, les pharisiens ont été scandalisés, comme il est dit en Mt 15. Le scandale actif est donc le fait des parfaits.

[20591] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Petrus postquam fuit spiritu sancto confirmatus, perfectus fuit. Sed ipse scandalizavit ; quia facto suo cogebat gentes judaizare. Ergo et cetera.

2. Après avoir été confirmé par l’Esprit Saint, Pierre fut parfait. Or, il a lui-même scandalisé, car il forçait les païens à judaïser par son action. Donc, etc.

[20592] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, non enim ejusdem est provocare exemplis ad bonum et scandalizare. Sed primum est perfectorum, ut patet Matth. 5, 16 : sic luceat lux vestra coram hominibus, ut videant opera vestra bona. Ergo non est eorum scandalizare.

Cependant, il n’appartient pas au même d’inciter au bien par ses exemples et de scandaliser. Or, le premier point relève des parfaits, comme cela ressort de Mt 5, 16 : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions. Il n’appartient donc pas aux mêmes de scandaliser.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Seuls les parfaits peuvent-ils scandaliser ?]

[20593] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod soli perfecti possunt scandalizare. Quia contraria contrariis respondere debent. Sed scandalum passivum dividitur contra activum. Cum ergo solis pusillis conveniat scandalum passivum, solis perfectis convenire poterit activum.

1. Il semble que seuls les parfaits puissent scandaliser, car les contraires doivent correspondre aux contraires. Or, le scandale passif s’oppose au scandale actif. Puisque le scandale passif ne convient qu’aux petits, le scandale actif ne pourra donc convenir qu’aux parfaits.

[20594] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ille solum scandalizat qui exemplo suo provocat ad peccandum. Sed hoc est illorum tantum quorum vita in exemplum aliorum est posita, scilicet praelatorum, et religiosorum. Ergo ipsorum tantum est scandalum activum.

2. Seul scandalise celui qui incite à pécher par son exemple. Or, c’est le fait seulement de ceux dont la vie est donnée en exemple aux autres, à savoir, les prélats et les religieux. Eux seulement peuvent donc scandaliser.

[20595] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Petrus ante passionem nondum erat in statu perfectionis ; quia nondum erant caeli, idest apostoli, verbo Dei et spiritu oris ejus confirmati. Sed ipse, quantum in se fuit, scandalizavit ; unde ei dicitur : scandalum mihi es ; Matth. 16, 23. Ergo scandalum activum non est perfectorum tantum.

Cependant, avant la passion, Pierre était dans un état de perfection, car les cieux, c’est-à-dire les apôtres, n’étaient pas encore confirmés par la Parole de Dieu et par l’Esprit de sa bouche. Or, pour sa part, il a scandalisé. Aussi lui est-il dit : Tu es pour moi un scandale, Mt 16, 23. Le scandale actif n’est pas le fait des seuls parfaits.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20596] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod scandalum passivum patitur aliquis dupliciter. Uno modo ex propria electione ; sicut cum quis videns aliquem peccantem, eligit sequi eum ad peccandum ; et sic non est perfectorum scandalum passivum ; quia ipsi sequuntur principaliter Christi exemplum, et praecepta Dei, et rationis bonum ; unde nullius exemplum contra praedicta sequuntur. Alio modo praeter electionem ; sicut cum ex facto alterius alicui suboritur aliquis concupiscentiae motus, vel etiam tristitiae, aut irae, aut alicujus hujusmodi ; et sic scandalum passivum potest esse quorumlibet perfectorum secundum statum viae. Sed quia principale moris electio est, ut philosophus dicit ; communiter dicitur, quod scandalum passivum non est perfectorum.

Quelqu’un subit un scandale passif de deux manières. D’une manière, de son propre choix, comme lorsque quelqu’un, en voyant un autre pécher, choisit de le suivre dans son péché. Le scandale passif n’est pas ainsi le fait des parfaits, car ceux-ci suivent surtout l’exemple du Christ, les commandements de Dieu et le bien de la raison ; aussi ne suivent-ils l’exemple de personne à l’encontre de ce qui précède. D’une autre manière, sans l’avoir choisi, comme lorsqu’un mouvement de concupiscence, de tristesse, de colère et de quelque chose de ce genre prend naissance chez quelqu’un par l’action d’un autre. Ainsi le scandale passif peut-il être le fait de tous les parfaits selon leur état de vie. Mais parce que le choix est ce qu’il y a de principal dans le comportement, comme le dit le Philosophe, on dit communément que le scandale passif ne se rencontre pas chez les parfaits.

[20597] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus dixit Petro : scandalum mihi es, non quia ex facto ejus scandalizatus sit ; sed quia Petrus, quantum in se fuit, aliquo modo ei scandalum dedit.

1. Le Christ a dit à Pierre : Tu es pour moi un scandale, non pas parce qu’il était scandalisé par une action de sa part, mais parce que Pierre, pour sa part, lui causait d’une certaine manière un scandale.

[20598] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod grammatice loquendo, omnis activa convertitur in passivam ; quia grammaticus non considerat substantiam actionis, sed modum significandi. Omne autem verbum activum significat actionem ut in alium transeuntem. Sed considerando substantiam actionis, aliquando actio egreditur ab agente, et non pertingit usque ad patiens, quod habet in sua potestate recipere effectum agentis et non recipere ; vel propter aliquod impedimentum interveniens ; et ideo, realiter loquendo, in omnibus actionibus quae terminantur ad aliquid extra agentem, activa non convertitur in passivam, sicut est percutere, occidere, scandalizare, et alia hujusmodi. Sed amare et cognoscere sunt actus interiores animae, quae non progrediuntur ad rem extra nisi secundum quod est aliqualiter in ipso agente ; et ideo in talibus, etiam realiter loquendo, semper activa in passivam convertitur.

2. À parler selon la grammaire, toute expression active se convertit en expression passive, car le grammairien ne prend pas en considération la substance de l’action, mais la manière de signifier. Or, toute expression active signifie l’action en tant que celle-ci passe dans un autre. Mais, à considérer la substance de l’acte, l’action sort parfois de l’agent et n’atteint pas le patient, qui a en son pouvoir de recevoir et de ne pas recevoir l’effet de l’agent, ou en raison d’un empêchement qui survient. Aussi, à parler selon la réalité, dans toutes les actions qui se terminent dans quelque chose qui est extérieur à l’agent, une proposition active ne se convertit pas en proposition passive, comme le fait de frapper, de tuer, de scandaliser et les autres choses de ce genre. Mais aimer et connaître sont des actes intérieurs de l’âme, qui ne passent dans une réalité extérieure que dans la mesure où elle est d’une certaine manière à l’intérieur de l’agent lui-même. Dans de tels cas, même à parler selon la réalité, une expression active se convertit en expression passive.

[20599] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis vir perfectus quandoque ex electione etiam aliquod veniale peccatum committat, sive ex proposito ; non tamen eligit sequi aliquem in peccato etiam veniali, quia ista est valde levis causa peccandi ; sed quandoque alia causa motus peccatum veniale eligit.

3. Bien qu’un homme parfait commette parfois par choix ou intentionnellement même un péché véniel, il ne choisit cependant pas d’en suivre un autre dans un péché même véniel, car c’est là une cause très légère de pécher ; mais il choisit parfois le péché véniel en étant mû par une autre cause.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20600] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod scandalum activum quandoque est veniale, quandoque mortale peccatum, ut ex dictis patet. Secundum ergo quod est mortale peccatum, nullo modo perfectis competit, sicut nec peccare mortaliter ; sed secundum quod est veniale peccatum, convenit etiam quandoque perfectis, sicut et peccatum veniale, inquantum in eis aliquid infirmitatis remanet.

Le scandale actif est parfois un péché véniel et parfois un péché mortel, comme cela ressort de ce qui a été dit. Selon qu’il est un péché mortel, il ne convient aucunement aux parfaits, pas davantage que le péché mortel ; mais selon qu’il est un péché véniel, il convient aussi parfois aux parfaits, comme le péché véniel, pour autant que demeure en eux quelque chose de faible.

[20601] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia aliqui ex factis aut dictis Christi sumpserunt occasionem ruinae, dicitur esse in ruinam et scandalum ; non quia ipse dederit aliquam, vel modicam, occasionem ruinae ; unde non legitur quod Christus aliquos scandalizaverit ; sed quod aliqui ex factis vel verbis ejus scandalizati sunt.

1. Parce que certains ont pris occasion de ruine dans les actes ou les paroles du Christ, on dit qu’il existe pour la ruine et le scandale, non pas parce qu’il a donné une occasion de ruine ou une petite occasion. On ne lit donc pas que le Christ en a scandalisé certains, mais que certains ont été scandalisés par ses actions ou ses paroles.

[20602] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Petrus, secundum Augustinum, in rei veritate reprehensibilis fuit in facto illo, non quia perverse operatus sit, sed indiscrete ; et ideo secundum hoc non est inconveniens dicere, quod venialiter peccaverit scandalizando. Sed quomodo Hieronymus excuset Petrum etiam a peccato veniali, supra, dist. 1, quaest. 1, art. 1, quaest. 3, in corp., dictum est.

2. Selon Augustin, Pierre a été véritablement répréhensible dans cet acte, non parce qu’il a mal agi, mais [parce qu’il a agi] de manière indiscrète. De ce point de vue, il n’est donc pas inapproprié de dire qu’il a péché véniellement en scandalisant. Mais comment Jérôme excuse Pierre même d’un péché véniel, on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 1, q. 3, c.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20603] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod etiam imperfecti possunt dare suo dicto vel facto alii occasionem ruinae, vel indirecte provocando exemplo, vel directe provocando ad malum persuadendo verbis, aut commovendo factis ; et ideo non est dubium quod quilibet imperfectus potest scandalizare.

Même les imparfaits peuvent donner une occasion de ruine par leur parole ou leur action, soit indirectement en incitant par l’exemple, soit directement en incitant au mal par la persuasion de paroles ou en ébranlant par des actes. Il n’est donc pas douteux que tous les imparfaits puissent scandaliser.

[20604] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in viris perfectis est aliqua dispositio prohibens scandalum passivum ab ipsis ; sed in viris imperfectis nihil est quod prohibeat scandalum activum ; et ideo ratio non sequitur.

1. Chez les parfaits, il existe une disposition qui empêche le scandale passif de leur part ; mais, chez les imparfaits, rien n’empêche le scandale actif. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[20605] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scandalum activum non consistit in hoc tantum quod aliquis exemplo suo provocet alium ad peccandum, sed in hoc quod dat occasionem ruinae alteri quocumque modo. Constat autem quod quilibet imperfectus potest dare alteri occasionem ruinae vel persuadendo verbis, vel provocando ad impatientiam per injustas persecutiones ; et ideo non est dubium quod imperfectus potest scandalizare ; et tamen etiam falsum est quod dicitur, quod imperfectus non scandalizat per modum exempli : quia Deus unicuique mandavit de proximo suo, ut patet Eccl. 17 ; et ideo quilibet tenetur ad hoc quod aedificet proximum exemplo suo. Experimento etiam scitur, quod exemplo eorum qui non sunt in statu perfectionis, multi ad peccandum provocantur : quia non solum exempla majorum, sed etiam aequalium et minorum, nata sunt movere.

2. Le scandale actif ne consiste pas seulement dans le fait que quelqu’un en incite un autre à pécher par son exemple, mais dans le fait qu’il donne une occasion de ruine à un autre de n’importe quelle façon. Or, il est clair que n’importe quel imparfait peut donner à un autre une occasion de ruine soit en le persuadant par des paroles, soit en l’incitant à l’impatience par ses injustes persécutions. Il n’est donc pas douteux que l’imparfait puisse scandaliser. Cependant, ce qui est dit, que l’imparfait ne scandalise pas par l’exemple, est aussi faux, car Dieu a donné à chacun un commandement à propos de son prochain, comme cela ressort de Qo 17. Tous sont donc tenus d’édifier leur prochain par leur exemple. On sait aussi par expérience que beaucoup sont incités à pécher par l’exemple de ceux qui ne sont pas dans un état de perfection, car ce ne sont pas seulement les exemples des plus grands, mais aussi des égaux et des inférieurs qui peuvent mouvoir.

 

 

Articulus 4

[20606] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 tit. Utrum veritas sit propter scandalum dimittenda

Article 4 – La vérité doit-elle être mise de côté à cause du scandale ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La vérité doit-elle être mise de côté à cause du scandale ?]

[20607] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod veritas sit propter scandalum dimittenda. In parabola de zizania dicit Glossa Augustini : cum multitudo est in causa, vel princeps, detrahendum est severitati. Sed non nisi propter scandalum. Ergo veritas justitiae propter scandalum dimittenda est.

1. Il semble que la vérité doive être mise de côté à cause du scandale. À propos de la parabole sur la zizanie, une glose d’Augustin dit : « Lorsque la multitude ou le dirigeant est en cause, il faut éviter la sévérité. » Or, ce n’est qu’en raison du scandale. La vérité de la justice doit donc être mise de côté à cause du scandale.

[20608] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vitatio cujuslibet peccati pertinet ad veritatem vitae. Sed homo ad vitandum scandalum proximi debet peccatum veniale committere : quia plus debet cavere damnum aeternum proximi, quod patitur per peccatum mortale quo scandalizatus fuit, quam damnum temporale suum, quod patitur per peccatum veniale. Ergo veritas vitae dimittenda est propter scandalum.

2. Éviter tout péché relève de la vérité de la vie. Or, l’homme doit commettre un péché véniel pour éviter le scandale du prochain, car il doit davantage éviter la damnation éternelle du prochain, qu’il subit en raison du péché mortel par lequel il a été scandalisé, que son préjudice temporel, qu’il subit en raison du péché véniel. La vérité de la vie doit donc être mise de côté en raison d’un scandale.

[20609] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, aliquando subtrahitur praedicatio propter scandalum generale. Sed praedicatio pertinet ad veritatem doctrinae. Ergo et veritas doctrinae dimittenda est propter scandalum.

3. Parfois, la prédication est mise de côté en raison d’un scandale général. Or, la prédication relève de la vérité de l’enseignement. La vérité de l'enseignement doit donc être mise de côté en raison du scandale.

[20610] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit : si de veritate scandalum sumitur, utilius permittitur nasci scandalum quam veritas relinquatur. Ergo veritas non est propter scandalum dimittenda.

Cependant, [1] Grégoire dit : « Si l’on tire scandale de la vérité, il est permis comme étant plus utile qu’un scandale apparaisse que de délaisser la vérité. » La vérité ne doit donc pas être mise de côté en raison d’un scandale.

[20611] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, homo non debet peccare ut alterius peccatum vitet. Sed ille qui dimittit veritatem, peccat. Ergo non debet propter scandalum alterius aliquis veritatem dimittere.

[2] Un homme ne doit pas pécher pour éviter le scandale d’un autre. Or, celui qui met de côté la vérité pèche. On ne doit donc pas mettre de côté la vérité en raison du scandale d’un autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les conseils doivent-ils être mis de côté en raison d’un scandale ?]

[20612] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consilia sint propter scandalum dimittenda. Quia regula est Hieronymi, quod omne quod potest fieri vel non fieri salva triplici veritate, dimittendum est propter scandalum. Sed consilia sunt hujusmodi. Ergo sunt dimittenda propter scandalum.

1. Il semble que les conseils doivent être mis de côté en raison d’un scandale, car c’est la règle de Jérôme que « tout ce qui peut être fait ou ne pas être fait en sauvegardant la triple vérité [i.e. la vérité de l’enseignement, la vérité de la vie et la vérité de la justice : voir réponse à la q. 1, in fine] doit être mis de côté en raison d’un scandale ». Or, les conseils sont de cette sorte. Ils doivent donc être mis de côté en raison d’un scandale.

[20613] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, votum religionis quoddam consilium est. Sed homo debet dimittere religionis ingressum propter scandalum parentum, ne honor eis debitus subtrahatur : quia praeceptum est : honora parentes, Exod. 20. Ergo consilia sunt propter scandalum dimittenda.

2. Le vœu de la vie religieuse est un conseil. Or, l’homme doit mettre de côté l’entrée en religion en raison du scandale de ses parents, de sorte que l’honneur qui leur est dû ne leur soit pas enlevé, car c’est un commandement : Honore tes parents ! Les conseils doivent donc être mis de côté en raison d’un scandale.

[20614] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, opera misericordiae quandoque dimittenda sunt propter scandalum, ne credantur fieri intentione vanae laudis. Sed opera misericordiae sunt in consilio vel in praecepto : nec sunt dimittenda secundum quod sunt in praecepto, quia jam pertinent ad veritatem vitae. Ergo sunt dimittenda propter scandalum, inquantum sunt in consilio.

3. Les œuvres de miséricorde doivent parfois être mises de côté en raison d’un scandale, afin qu’on ne croie pas qu’elles sont accomplies avec une intention de vaine gloire. Or, les œuvres de miséricorde sont l’objet d’un conseil ou d’un commandement, et ce qui relève d’un commandement ne doit pas être mis de côté, car cela relève de la vérité de la vie. Il faut donc qu’elles soient mises de côté en raison d’un scandale, pour autant qu’elles relèvent d’un conseil.

[20615] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Sed contra, scandalum est dictum vel factum minus rectum. Sed consilium non est de rebus minus rectis, sed de majoribus bonis. Ergo non est dimittenda propter scandalum observatio consiliorum.

4. Cependant, un scandale est une parole ou un acte moins droit. Or, le conseil ne porte pas sur les choses moins droites, mais sur des biens plus grands. L’observance des conseils ne doit pas être mise de côté en raison d’un scandale.

[20616] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, Hieronymus dicit ad Eliodorum : licet parvulus in collo pendeat nepos, licet sparso crine et scissis vestibus ubera sua ostendat mater, licet in limine pater jaceat, percalcato perge patre, siccis oculis ad vexillum crucis evola. Solum genus pietatis est in hac re esse crudelem. Loquitur autem de assumptione religionis. Ergo consilia non sunt dimittenda nec etiam propter scandala propinquorum, et ita multo minus propter scandala aliorum.

5. Jérôme dit à Éliodore : « Même si ton petit neveu est suspendu à ton cou, même si ta mère, les cheveux ébourriffés et les vêtements déchirés, montre ses seins, même si ton père gît sur le seuil, poursuis ton chemin en foulant aux pieds ton père, accours les yeux secs vers l’étendard de la croix. Le seul genre de tendresse dans cette situation est d’être cruel. » Or, il parle de l’entrée en religion. Les conseils ne doivent donc pas non plus être mis de côté en raison du scandale pour les proches, et encore beaucoup moins en raison du scandale des autres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les biens temporels doivent-ils être mis de côté en raison d’un scandale ?]

[20617] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod res temporales sint dimittendae propter scandalum. Apostolo enim debebantur temporalia, qui spiritualia seminabat. Sed apostolus non usus est hac potestate, ne offendiculum daret Evangelio Christi, ut patet 1 Corinth. 9. Ergo et nos pro scandalo vitando temporalia debemus abjicere.

1. Il semble que les biens temporels doivent être mis de côté en raison d’un scandale. En effet, des biens temporels étaient dus à l’Apôtre qui semait des biens spirituels. Or, l’Apôtre n’a pas fait usage de ce pouvoir afin de ne pas poser d’obstacle à l’évangile du Christ, comme cela ressort de 1 Co 9. Nous devons donc nous aussi écarter les biens temporels pour éviter un scandale.

[20618] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, aliquis tenetur dare rem suam existenti ultima in necessitate ad mortem temporalem evitandam. Sed magis debemus obviare morti spirituali proximi quam corporali. Ergo potius debemus rem temporalem dimittere quam dimittamus eum in mortem spiritualem cadere per scandalum.

2. On est tenu de donner son bien à celui qui se trouve dans une nécessité ultime afin d’éviter sa mort temporelle. Or, nous devons prévenir la mort spirituelle du prochain bien plus que sa mort corporelle. Nous devons donc plutôt abandonner un bien temporel que le laisser tomber dans la mort spirituelle par un scandale.

[20619] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, inter omnia temporalia cibus maxime necessarius est corpori. Sed cibus dimittendus est propter scandalum ; dicitur enim 1 Corinth. 13, 13 : si esca scandalizat fratrem meum, non manducabo carnes in aeternum. Ergo multo fortius alia temporalia sunt propter scandalum dimittenda.

3. Parmi tous les biens temporels, le plus nécessaire est la nourriture. Or, la nourriture doit être laissée de côté en raison d’un scandale. En effet, il est dit en 1 Co 13, 13 : Si la nourriture scandalise mon frère, je ne mangerai plus jamais de chair. À bien plus forte raison, des biens temporels doivent-ils être laissés de côté en raison d’un scandale.

[20620] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, 1 Corinth. 6, 7, dicit apostolus : jam delictum est in vobis quod judicia habetis inter vos. Quare non magis injuriam accipitis ? Hoc autem non dicit nisi propter scandalum quod inde sequebatur. Ergo propter scandalum homo debet dimittere temporalia, ne ea in judicio repetat.

4. En 1 Co 6, 7, l’Apôtre dit : C’est déjà une faute qu’il y ait des jugements entre vous. Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt un préjudice ? Or, il ne dit cela qu’en raison du scandale qui en découlait. En raison d’un scandale, l’homme doit donc abandonner ses biens temporels pour ne pas les réclamer en justice.

[20621] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 5 Praeterea, decimae computantur inter spiritualia temporalibus annexa. Sed Ecclesia non exigit decimas, ut scandalum vitet. Ergo multo fortius alia temporalia sunt propter scandalum dimittenda.

5. Les dîmes sont comptées parmi les biens spirituels associés aux biens temporels. Or, l’Église n’exige pas les dîmes afin d’éviter un scandale. À bien plus forte raison, les autres biens temporels doivent-ils être abandonnés en raison d’un scandale.

[20622] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 6 Praeterea, in ordine caritatis debemus bonum spirituale proximi bono nostro temporali praeponere, sicut etiam animam ejus corpori nostro. Ergo potius debemus dimittere bona nostra temporalia quam proximi in spiritualibus detrimenta patiantur per scandalum.

6. Selon l’ordre de la charité, nous devons placer le bien spirituel du prochain au-dessus de notre bien temporel, comme son âme au-dessus de notre corps. Nous devons donc plutôt abandonner nos biens temporels que de laisser le prochain subir un préjudice dans ses biens spirituels par le scandale.

[20623] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 7 Praeterea, homo potest dimittere temporalia vel non dimittere salva triplici veritate. Ergo, secundum Hieronymum, debent propter scandalum temporalia dimitti.

7. L’homme peut abandonner ou ne pas abandonner ses biens temporels, étant sauve la triple vérité. Donc, selon Jérôme, les biens temporels doivent être abandonnés.

[20624] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, beatus Thomas Cantuariensis repetivit res Ecclesiae cum scandalo regis. Ergo et nobis licet repetere bona temporalia cum scandalo aliorum.

Cependant, [1] le bienheureux Thomas de Cantorbéry a réclamé les biens de l’Église en provoquant le scandale du roi. Il nous est donc aussi permis de réclamer nos biens temporels au scandale des autres.

[20625] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus ex peccato suo debet reportare commodum. Hoc autem esset, si ei qui scandalizatur, res alienae quas detinet, dimitterentur. Ergo non sunt dimittendae res temporales possidenti injuste propter scandalum ejus vitandum.

[2] Personne ne doit profiter de son péché. Or, ce serait le cas si les biens d’un autre qu’il détient étaient abandonnés à celui qui était scandalisé. Les biens temporels ne doivent donc pas être abandonnés à celui qui les possède injustement pour éviter son scandale.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20626] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 co. 1 Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod scandalum activum nunquam est sine peccato facientis, ut ex dictis patet. Nulla autem de causa debet aliquis inclinari ad peccandum ; unde potius debet omnia praetermittere quam scandalum activum faciat, neque unquam propter scandalum activum vitandum potest dimitti veritas : quia quicumque veritatem sequitur, non scandalizat active, cum scandalum activum sit factum vel dictum minus rectum ; unde cum quaeritur utrum veritas sit dimittenda propter scandalum, non intelligitur quaestio de scandalo activo, sed de passivo, quod interdum est sine peccato facientis illud unde scandali occasio sumitur ; quamvis nunquam sit sine peccato ejus qui scandalizatur, ut ex dictis patet. Et ideo cum quaeritur quid sit dimittendum propter scandalum passivum, nihil aliud est quaerere quam quid homo debeat dimittere ne alius peccet. Cum autem homo ex ordine caritatis se plus quam proximum in spiritualibus bonis diligere teneatur, nullo modo aliquis peccare debet ut peccatum alterius vitet. Quicumque autem veritatem relinquit, peccat. Veritas autem de qua loquimur, consistit in hoc quod homo in dictis et factis suis rectitudini divinae, sive divinae legis regulae, se conformet : cui quidem homo conformari debet et in his quae ad cognitionem pertinent, et hoc pertinet ad veritatem doctrinae ; et in his quae ad actionem spectant ; sive ea debeat aliquis per se ipsum agere, quod pertinet ad veritatem vitae, sive ea debeat ab aliis observanda promulgare, quod pertinet ad veritatem justitiae, quae consistit in rectitudine judicii. Non tamen quicumque praetermittit aliquid in quo se divinae legi conformare potest, dicitur veritatem dimittere, quia illo remoto veritas adhuc remanere potest ; sed tunc dicitur aliquis veritatem dimittere, quando dimittit vel facit aliquid quo omisso et facto veritas non manet ; quod sine peccato esse non potest ; et ideo nullo modo veritas propter scandalum passivum alterius dimittenda est.

Le scandale actif n’existe jamais sans un péché de celui qui le commet, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, quelqu’un ne doit pour aucune raison être enclin à pécher. Il doit donc plutôt tout abandonner que commettre un scandale actif, et la vérité ne peut jamais être mise de côté pour éviter un scandale actif, car quiconque suit la vérité ne scandalise pas activement, puisque le scandale actif est un acte ou une parole moins droits. Lorsqu’on demande si la vérité doit être mise de côté en raison d’un scandale, la question ne s’entend donc pas du scandale actif, mais du scandale passif, qui existe parfois sans péché de la part de celui qui accomplit ce qui donne occasion au scandale, bien qu’il n’existe jamais de la part de celui qui est scandalisé, comme cela ressort de ce qui a été dit. Lorqu’on demande ce qui doit être écarté en raison d’un scandale passif, c’est donc ne rien demander d’autre que ce que l’homme doit mettre de côté de crainte qu’un autre ne pèche. Or, puisque, selon l’ordre de la charité, l’homme est tenu de s’aimer lui-même plus que son prochain pour les biens spirituels, quelqu’un ne doit donc jamais pécher pour éviter le péché d’un autre. Mais quiconque délaisse la vérité pèche. Mais la vérité dont nous parlons consiste en ce que l’homme se conforme à la rectitude divine ou à la règle de la loi divine dans ses paroles et dans ses actes : l’homme est en effet tenu de s’y conformer tant pour ce qui se rapporte à la connaissance, et cela se rapporte à la vérité de l’enseignement, que pour ce qui concerne l’action, qu’on doive l’accomplir par soi-même, ce qui se rapporte à la vérité de la vie, ou qu’on doive déclarer que cela doit être observé par d’autres, ce qui se rapporte à la vérité de la justice, qui consiste dans la rectitude du jugement. Cependant, on dit que quiconque omet ce par quoi il peut se conformer à la loi divine met de côté la vérité parce que, une fois cela écarté, la vérité peut encore demeurer ; mais on dit que quelqu’un écarte la vérité lorsqu’il écarte ou accomplit ce par quoi la vérité ne demeure pas, une fois qu’on l’a omis ou accompli. Ainsi, la vérité ne doit être écartée d’aucune manière en raison du scandale passif d’un autre.

[20627] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod justitiae actus est reddere unicuique quod suum est. Dupliciter autem redditur unicuique quod suum est. Uno modo quando datur ei illud quod sibi directe utile est, ut pecunia, vel aliquid hujusmodi, quod sibi sine peccato denegari non potest ; unde quantumcumque scandalum debeat sequi, judex debet facere quod jus suum isti reddatur. Alio modo quando opus justitiae, quod ad petitionem alicujus redditur, non directe cedit in bonum petentis, sed magis in bonum reipublicae ; sicut patet in illatione poenarum, quibus pax in republica conservatur malefactoribus repressis ; unde si judex qui curam reipublicae gerit, videt ex inflictione poenae majus incommodum reipublicae provenire, potest poenam vel praetermittere vel mitigare. Nec alicui in hoc facit injuriam ; quia ipse personam reipublicae gerit ; et hoc etiam facere debet, quia ex officio tenetur utilitati publicae providere. Hoc autem contingit praecipue quando princeps vel aliqua multitudo est in causa, aut aliquis de cujus poena timetur ne schisma sequatur ; et ideo dicit Augustinus quod cum multitudine peccantium agendum est magis monendo quam minando ; sed severitas exercenda est in peccato paucorum. Sed hoc intelligendum est, quando ex dissimulatione peccati principis, vel etiam multitudinis, majus periculum non timetur quam ex poena. Unde si ex impunitate principis vel multitudinis, fides et doctrinae veritas et boni mores corrumpantur, non parcendum est principi nec multitudini ; quod praecipue contingit quando peccantes suum peccatum auctoritate aut potestate defendere moliuntur. Unde Isidorus dicit : hi qui neque a vitio corruptionis emendantur, atque hoc ipsum delictum quod committunt, vindicare quadam superstitiosa auctoritate nituntur, nec gradum honoris nec gratiam recipiant communionis.

1. L’acte de la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui appartient. Or, on rend à quelqu’un ce qui lui appartient de deux manières. D’une manière, lorsqu’on lui donne ce qui lui est directement utile, comme l’argent ou quelque chose de ce genre, ce qui ne peut lui être refusé sans péché. Aussi, quel que soit le scandale qui doive en découler, le juge doit faire en sorte que son droit soit rendu à cet homme. D’une autre manière, lorsque l’acte de justice, qui est rendu à la demande de quelqu’un, ne concourt pas directement au bien de celui qui demande, mais au bien de la communauté, comme cela ressort pour les peines imposées, par lesquelles la paix est maintenue dans la communauté par la répression des malfaiteurs. Si donc un juge qui a la charge de la communauté voit qu’en infligeant une peine, un préjudice plus grand sera causé à la communauté, il peut omettre ou adoucir la peine. Et il ne cause ainsi de préjudice à personne, car il représente la communauté ; il doit même agir ainsi, car il est tenu par sa fonction de voir au bien de la communauté. Or, cela se produit surtout lorsqu’un dirigeant ou une multitude est en cause, ou lorsqu’on craint qu’en raison de la peine, quelqu’un ne cause une division. C’est pourquoi Augustin dit qu’avec la multitude des pécheurs, il faut agir plutôt en avertissant qu’en menaçant, mais que la sévérité doit être exercée pour les péchés d’une minorité. Mais cela doit s’entendre du cas où, en raison de la dissimulation du péché du dirigeant ou même de la multitude, on ne craint pas un danger plus grand qu’en raison de l’imposition d’une peine. Si donc la foi, la vérité de la doctrine et les bonnes mœurs sont corrompues par l’impunité du dirigeant ou de la multitude, il ne faut pas épargner le dirigeant ni la mulitude, ce qui se produit surtout lorsque ceux qui pèchent trament de défendre leur péché par leur autorité ou leur pouvoir. Aussi Isidore dit-il : « Ceux qui qui ne se corrigent pas du vice de leur corruption et s’efforcent de défendre la faute même qu’ils commettent par une prétendue autorité, qu’ils ne reçoivent ni l’ordre ni la grâce de la communion. »

[20628] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo aliquod peccatum veniale committere, ne alius peccet mortaliter, non tenetur, nec bene facit committendo ; quia ad vitandum peccatum non inclinamur principaliter ex damno proprio, quia hoc esset desistere a peccato timore poenae ; sed inclinamur ne Deum offendamus, cujus offensa est etiam veniale peccatum, quamvis non ita magna sicut mortale. Nullus autem debet Deum offendere parum, ne alius offendat multum ; quia homo debet in infinitum plus diligere Deum quam proximum ; et ideo nullus debet facere peccatum veniale ad vitandum scandalum, dummodo actus suus ex tali causa factus peccatum veniale remaneat. Est enim oppositio in adjecto, si dicatur quod aliquis debet peccare, aut bene facit peccando. Contingit tamen aliquem actum ex tali causa factum non esse peccatum veniale, quod alias veniale esset, sicut dicere verbum otiosum ; jam enim non esset otiosum, cum non careret causa piae utilitatis.

2. Un homme n’est pas obligé de commettre un péché mortel pour qu’un autre ne pèche pas mortellement, et il n’agit pas bien en le commettant, car nous ne sommes pas enclins principalement à éviter le péché en raison de notre propre préjudice, car cela serait s’éloigner du péché par crainte d’une peine, mais nous y sommes enclins afin de ne pas offenser Dieu, dont l’offense est aussi un péché véniel, bien qu’elle ne soit pas aussi grande que le péché mortel. Or, personne ne doit offenser Dieu un peu pour qu’un autre ne l’offense pas beaucoup, car l’homme doit aimer Dieu infiniment plus que le prochain. Personne ne doit donc commettre un péché véniel pour éviter un scandale, pourvu que l’acte qu’il accomplit pour cette raison demeure un péché véniel. En effet, il y a une contradiction dans ce qui est ajouté, lorsqu’on dit que quelqu’un doit pécher ou agir bien en péchant. Il arrive cependant qu’un acte accompli pour cette raison ne soit pas un péché véniel ; mais il le serait autrement, comme le fait de prononcer une parole inutile : en effet, elle ne serait pas inutile, puisque ne lui ferait pas défaut la raison d’une pieuse utilité.

[20629] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in doctrina est considerare duo ; scilicet actum docentis, et rem quae docetur. Actus autem docentis pertinet ad veritatem vitae, sicut et alius actus misericordiae ; quia doctrina est eleemosyna spiritualis, ut supra, dist. 15, qu. 2, art. 3, quaestiunc. 2, in corp., dictum est ; unde de ea est idem judicium et de aliis actibus misericordiae, de quibus post dicetur, quod aliquando propter scandalum differri possunt. Sed res ipsa quae docetur, est quae pertinet ad veritatem doctrinae ; nec veritas doctrinae praetermittitur quando aliqua res vera tacetur, sed quando veritati illius rei praejudicium generatur sive ex contraria doctrina, sive ex taciturnitate aliquorum ; et sic propter nullum scandalum est veritas doctrinae relinquenda.

3. Dans l’enseignement, il faut considérer deux choses : l’acte de celui qui enseigne et la chose qui est enseignée. Or, l’acte de celui qui enseigne est en rapport avec la vérité de la vie, comme un autre acte de miséricorde, car l’enseignement est une aumône spirituelle, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 3, qa 2. Il faut donc en juger comme des autres actes de miséricorde, dont on dira plus loin qu’ils peuvent être reportés en raison d’un scandale. Mais c’est la chose enseignée qui est en rapport avec la vérité de l’enseignement, et la vérité de l’enseignement n’est pas mise de côté lorsqu’une chose vraie est tue, mais lorsqu’un préjudice est causé à la vérité de cette chose soit par un enseignement contraire, soit par le fait que certains se taisent. La vérité de l’enseignement ne doit donc pas être mise de côté en raison d’un scandale.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20630] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod omnia opera perfectionis quae non sunt in praecepto, consilia dicuntur ; unde praetermitti possunt salva triplici veritate ; sed aliquando cadunt sub praecepto, vel ex voto vel ex aliqua alia circumstantia ; et tunc praetermitti non possunt sine praejudicio veritatis vitae ; et sic de eis nunc non loquimur, sed solum quando manet in potestate nostra facere ea vel non facere. Sic ergo loquendo, distinguendum est in scandalo passivo ; quia quandoque oritur ex malitia odientium veritatem, qui turbantur et alios turbant propter opera lucis, quasi filii tenebrarum ; et hoc est scandalum Pharisaeorum, ut Bernardus dicit : et propter hoc scandalum passivum nullo modo consilia sunt dimittenda ; quia sic iniquis daretur locus impediendi opera perfectionis cum vellent. Unde dominus dixit de Pharisaeis, qui ex malitia scandalizabantur ex factis et dictis ejus Matth. 15, 14 : sinite illos ; caeci sunt et duces caecorum. Quandoque autem oritur ex ignorantia vel infirmitate ; et hoc dicitur, secundum Bernardum, scandalum pusillorum, qui non cognoscunt veritatem, et propter hoc de operibus veritatis turbantur ; et hoc scandalum cavit dominus Matth. 17, 26, ubi dixit Petro : ut autem non scandalizemus eos, vade ad mare etc. et cavere docuit Matth. 18 ; unde propter tale scandalum passivum consilia sunt ad tempus intermittenda vel occulte agenda, non autem omnino dimittenda ; quia homo plus sibi quam proximis in spiritualibus providere debet ; et ignorantia si diu duret, in malitiam per obstinationem commutatur. Tamen attendenda est quantitas scandali, et boni quod contingit ex consilio servato ; et secundum hoc aliquando consilia sunt praetermittenda propter scandalum pusillorum, vel scandalum contemnendum propter consilia.

Tous les actes parfaits qui ne relèvent pas d’un commandement sont appelés des conseils. Ils peuvent donc être omis, en sauvegardant la triple vérité. Mais ils sont parfois l’objet d’un commandement soit en raison d’un vœu, soit en raison d’une circonstance : alors, ils ne peuvent être omis sans préjudice pour la vérité de la vie. Et ainsi n’en parlons-nous pas maintenant, mais seulement lorsqu’il est en notre pouvoir de les accomplir ou de ne pas les accomplir. En parlant ainsi, il faut faire une distinction à l’intérieur du scandale passif, car parfois il vient de la malice de ceux qui haïssent la vérité, qui sont perturbés et en perturbent d’autres à cause des œuvres de la lumière, comme des fils des ténèbres. Tel est le scandale des pharisiens, comme le dit Bernard. En raison de ce scandale passif, les conseils ne doivent aucunement être écartés, car on donnerait ainsi aux méchants l’occasion d’empêcher les œuvres de perfection lorsqu’ils le voudraient. Aussi le Seigneur a-t-il dit aux pharisiens, qui étaient scandalisés par ses actes et ses paroles en raison de leur malice, Mt 15, 14 : Laissez-les ! Ce sont des aveugles qui mènent des aveugles. Mais parfois [ce scandale] naît de l’ignorance ou de la faiblesse : selon Bernard, il est appelé scandale des petits, qui ne connaissent pas la vérité et, pour cette raison, sont perturbés par les œuvres de la vérité. C’est ce scandale qu’a évité le Seigneur en Mt 17, 26, où il dit à Pierre : Pour que nous ne le scandalisions pas, va à la mer, etc., et il a enseigné de l’éviter en Mt 18. En raison d’un tel scandale passif, les conseils doivent être reportés pour un temps ou pratiqués de manière occulte, mais non pas complètement mis de côté, car l’homme doit s’occuper davantage de soi-même que du prochain en matière spirituelle ; si l’ignorance dure longtemps, elle se change en malice par l’entêtement. Il faut cependant prendre garde à la quantité du scandale et du bien qui provient de l’observance d’un conseil : de ce point de vue, les conseils doivent parfois être évités en raison du scandale des petits ou le scandale doit être méprisé en faveur des conseils.

[20631] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad veritatem vitae pertinent non solum illa quae sunt de necessitate salutis, sed etiam ea quae sunt de perfectione salutis ; unde quamvis omissis consiliis salvetur aliquo modo veritas vitae, non tamen perfectio veritatis vitae ; unde verbum Hieronymi magis referendum est ad indifferentia ex genere suo quam ad consilia.

1. Ce n’est pas seulement ce qui se rapporte à la vérité de la vie qui est nécessaire au salut, mais aussi ce qui relève de la perfection du salut. Aussi, bien que, en omettant les conseils, on sauvegarde d’une certaine manière la vérité de la vie, on ne sauvegarde cependant pas la perfection de la vérité de la vie. La parole de Jérôme doit donc plutôt être mise en rapport avec ce qui est indifférent par son genre qu’avec les conseils.

[20632] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eo qui religionem vult intrare, distinguendum est. Quia aut sibi timet de periculo salutis imminente, si in saeculo remaneat ; et tunc debet omnibus modis obviare periculo vitae, scandalo non obstante. Si autem non immineat, et voto non obligatur, debet pro vitando justo scandalo parentum, quibus subvenire tenetur, ad tempus suspendere propositum perfectionis, ut praeceptum impleat pro suo tempore de honorandis parentibus, et postmodum consilium tempore magis idoneo. Si autem scandalum propinquorum vel aliorum sit irrationabile, jam accedit ad scandalum Pharisaeorum ; unde tunc propter scandalum non debet praetermittere bonum propositum. Sed si voto obligatus sit, jam de consilio factum est praeceptum ; et ideo nullo modo propter scandalum dimittere debet ; quia hoc esset praejudicium veritatis vitae.

2. Chez celui qui veut entrer en religion, il faut distinguer deux choses. Soit il craint que son salut soit en danger de manière imminente s’il reste dans le siècle, et alors, il doit de toutes les manières s’opposer au danger pour sa vie, sans tenir compte du scandale. Mais si le danger n’est pas imminent et s’il n’est pas obligé par un vœu, afin d’éviter un juste scandale de ses parents dont il doit prendre soin, il doit suspendre pour un temps sa volonté de perfection, afin d’accomplir pendant ce temps le commandement d’honorer ses parents, et ensuite le conseil à un moment plus approprié. Mais si le scandale des proches ou des autres est déraisonnable, il atteint déjà le scandale des pharisiens. Alors, on ne doit pas omettre en raison du scandale le bien envisagé. Mais si on est obligé par un vœu, le vœu a déjà été transformé en commandement : c’est pourquoi on ne doit d’aucune manière l’omettre en raison du scandale, car cela serait un préjudice à la vérité de la vie.

[20633] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod opera misericordiae, sicut et consilia, sunt ad tempus suspendenda propter scandalum pusillorum, nisi in illo casu in quo cadunt sub praecepto, sive sint eleemosynae spirituales, sive corporales ; quia tunc non possunt omitti salva veritate vitae.

3. Les œuvres de miséricorde, comme les conseils, doivent être suspendus pour un temps en raison du scandale des petits, sauf dans le cas où elles relèvent d’un commandement, qu’il s’agisse d’aumônes spirituelles ou d’aumônes corporelles, car alors elles ne peuvent être omises en sauvegardant la vérité de la vie.

[20634] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa definitio datur de scandalo activo ; quo remoto, etiam propter passivum interdum est opus bonum dimittendum, vel etiam suspendendum.

4. Cette définition est donnée pour le scandale actif ; celui-ci écarté, une action bonne doit aussi être parfois écartée ou même suspendue en raison d’un scandale passif.

[20635] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Hieronymus loquitur de scandalo propinquorum irrationabili.

5. Jérôme parle du scandale déraisonnable des proches.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20636] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod abjicere temporalia vel dimittere contingit dupliciter. Uno modo cum quis dat quod penes se habet ; alio modo cum non repetit quae sibi debentur ; et de istis duobus fere est idem judicium. Sciendum ergo est, quod aliquando aliquis non dans rem suam alteri scandalizat active, vel quia dare tenetur, vel quia malo modo denegat ; et sic nulli licet retinere quae possidet cum scandalo activo. Aliquando vero sequitur scandalum passivum ex hoc quod aliquis rem temporalem non donat ; et in hoc distinguendum est. Quia quandoque non potest dare sine peccato : vel quia scit illum cui dat, usurum re data in malos usus ; vel quia non potest dare rem temporalem uni sine praejudicio alterius ; sicut si illi qui gerunt alicujus communitatis curam, dent aliqua ex quorum subtractione fiat pejor conditio illius communitatis ; et tunc non debet dare temporalem rem propter scandalum vitandum, quia hoc esset facere contra veritatem justitiae aut vitae. Quandoque autem potest dare sine peccato ; et tunc in scandalo passivo distinguendum est. Quia quandoque procedit ex malitia ; et tunc non tenetur homo rem suam dare malitiose petenti ; alias non remaneret locus utendi re sua, et sic periret bonum commune ; potest tamen dare quasi ex consilio, non quasi ex praecepto ; nisi forte crederetur quod ex datione ille efficeretur deterior ; puta, si ex hoc provocaretur ad alias malitiose petendum, et inquietandum per hujusmodi petitiones alios ; tunc enim peccaret dando. Quandoque autem scandalum passivum procedit ex ignorantia ; et tunc potest dare quasi ex consilio, sed non tenetur quasi ex praecepto ; quia potest petentem repellere instruendo eum ; et hoc quandoque magis prodesset, quando scilicet esset talis ignorantia quae vergeret in praejudicium veritatis doctrinae, quam si daretur res temporalis ; quia per hoc ille in suo errore foveretur, sicut patet de haereticis illis qui dicunt, quod quilibet debet bona sua pauperibus dare petentibus, etiam extra casum necessitatis extremae. Similiter etiam de repetitione suorum dicendum est ; quia nullus debet scandalum activum committere rem temporalem repetendo, neque petendo quae non ei debentur, neque inordinate petendo in judicio, aut extra judicium. Sed de justa repetitione rerum temporalium propter scandalum passivum vitandum dimittenda, est distinguendum. Quia quandoque licite non potest dimittere quin repetat sine praejudicio alterius, ut cum quis gerit curam rei alienae, sive communitatis, sive alicujus privatae personae ; et tunc peccaret desistendo a petitione, nisi de consensu illius cujus curam gerere debet, aut nisi timeret majus periculum imminere quam sit damnum illius rei. Quandoque autem potest dimittere repetitionem sine praejudicio alieno ; et tunc si scandalum passivum procedat ex malitia, non tenetur propter scandalum tale dimittere suae rei repetitionem ; alias daretur materia rapiendi, et tolleretur justitiae bonum. Potest tamen licite dimittere repetitionem ad vitandum tale scandalum, nisi ex tali dimissione credatur detinens rem injuste, fieri deterior, aut de tali peccato non corrigi alio modo. Unde Gregorius dicit in Lib. 31 Moral., cap. 8 : quidam dum res temporales rapiunt solummodo, sunt tolerandi ; quidam vero servata caritate sunt prohibendi, non tamen sola cura ne nostra subtrahant, sed ne rapientes non sua, semetipsos perdant. Si autem scandalum passivum procedat ex infirmitate vel ignorantia, debet differre suae rei repetitionem, vel eum inducere quod non scandalizetur. Quod si adhuc scandalizatur, jam per obstinationem malitiosus efficitur ; et ideo simile est judicium de tali scandalo, et de illo quod ex malitia oritur. Quidam tamen dicunt, quod imperfectis licet in judicio repetere sua cum scandalo, non autem perfectis. Sed hoc nihil est ; quia si loquantur de perfectis quantum ad statum perfectionis, idem est judicium de eis et de aliis, nisi quatenus ex voto obligantur ad non habendum proprium ; unde monachus in judicio eodem jure potest petere res temporales nomine capituli, sicut saecularis nomine sui. Si autem loquantur de perfectis secundum statum caritatis, sic ipsa perfectio caritatis inducit eos ad servandum consilia, non quod ea facere teneantur ; nec peccarent, si non facerent ; sed in hoc perfectioni eorum aliquod praejudicium fieret ; et sic intelligitur Glossa illa 1 Corinth. 6, super illud : quare non magis fraudem patimini ? Perfectis licet repetere sua simpliciter, scilicet sine causa, sine lite, sine judicio, sed non convenit eis movere causam ante judicem. Non enim potest hoc intelligi de perfectis quod ad statum, sicut sunt religiosi, quia tales non habent proprium ; unde nihil esset dictum, quod sua possent repetere simpliciter. Illa autem quae habent in communi, sunt capituli vel pauperum ; unde possent ea repetere in judicio, quia tunc gerunt curam rei alienae. Quod ergo dicitur in Glossa, intelligendum est secundum gradum caritatis ; licet enim in judicio repetendo sua non peccent, tamen perfectioni eorum derogatur ; unde Glossa non dicit quod talibus non liceat, sed quod eis non conveniat. Sciendum tamen, quod perfectis etiam illo modo licet repetere sua et contendere in judicio, etiam sine detrimento suae perfectionis, in quinque casibus. Primus est, quando oritur quaestio de re spirituali ; unde Act. 15, cum orta esset quaestio de observatione legalium, Paulus detulit ad judicium apostolorum, Galat. 2, propter quosdam falsos fratres et cetera. Secundus, quando oritur quaestio de eo quod potest vergere in detrimentum rei spiritualis ; unde Act. 25, Paulus appellavit Caesarem pro liberatione sua, quia per ejus mortem impediebatur fructus praedicationis ; ipse tamen, quantum in se erat, cupiebat dissolvi, et esse cum Christo ; Philip. 1. Tertius, quando est contentio de eo quod vergit in temporale damnum alterius, et maxime pauperum. Eccli. 34, 24 : qui offert sacrificium ex substantia pauperum, quasi qui victimat filium in conspectu patris sui. Quartus, quando est contentio de eo quod vergit in spirituale damnum illius qui rem spiritualem detinet injuste, de quo supra posita est auctoritas Gregorii super illud Job 39, 16 : frustra laboravit nullo timore cogente. Quintus, quando vergit in corruptionem multorum per exemplum rapiendi, Eccle. 8, 11 : quia non cito profertur sententia contra malos, absque timore ullo filii hominum perpetrant mala.

Rejeter ou écarter les biens temporels s’entend de deux façons : d’une façon, lorsque quelqu’un donne ce qu’il possède ; d’une autre façon, lorsqu’il ne réclame pas ce qui lui est dû. On juge de ces deux choses presque de la même manière. Il faut donc savoir que, parfois, quelqu’un en scandalise un autre activement en ne donnant pas ce qui lui appartient, soit parce qu’il est obligé de le donner, soit parce qu’il le refuse d’une mauvaise manière. Il n’est ainsi permis à personne de conserver ce qu’il possède avec un scandale actif. Mais, parfois, un scandale passif découle du fait que quelqu’un ne donne pas un bien temporel ; à ce propos, il faut faire une distinction. Parfois, il ne peut le donner sans péché, soit parce qu’il sait que celui à qui il le donne emploiera la chose donnée à un mauvais usage, soit parce qu’il ne peut donner une chose temporelle à l’un sans porter préjudice à un autre, comme si ceux qui dirigent une communauté donnent certaines choses qui, par leur soustraction, rendent pire la condition de cette communauté. Alors, on ne doit pas donner un bien temporel pour éviter un scandale, car ce serait agir contre la vérité de la justice ou de la vie. Mais, parfois, on peut le donner sans péché : il faut alors faire une distinction à l’intérieur du scandale passif. En effet, cela vient parfois de la malice : alors, un homme n’est pas obligé de donner son bien à celui qui le demande avec malice, autrement on n’aurait plus le loisir d’utiliser son propre bien, et ainsi le bien commun dépérirait. On peut cependant le donner pour ainsi dire en vertu d’un conseil, et non en vertu d’un commandement, à moins qu’on ne croie que, par ce don, celui-là ne deviendrait pire, par exemple, s’il était incité par cela à en demander d’autre malicieusement et à déranger les autres par des demandes de ce genre. Alors, on pécherait en donnant. Mais, parfois, un scandale passif vient de l’ignorance : on peut alors donner pour ainsi dire en vertu d’un conseil, mais on n’y est pas tenu en vertu d’un commandement, car on peut repousser celui qui demande en l’instruisant, et cela serait parfois plus utile, lorsqu’il s’agit d’une ignorance qui tend au préjudice contre la vérité de l’enseignement, que de lui donner un bien temporel. En effet, celui-ci serait ainsi encouragé dans son erreur, comme cela ressort chez les hérétiques, qui disent que tous doivent donner leurs biens aux pauvres qui les demandent, même en dehors du cas de nécessité extrême. Il faut dire aussi la même chose pour la réclamation de ses biens, car personne ne doit commettre de scandale actif en réclamant un bien temporel ni en demandant ce qui ne lui est pas dû, ni en le demandant de manière désordonnée dans un jugement ou en dehors d’un jugement. Mais il faut faire une distinction à propos de la réclamation de biens temporels en vue d’éviter un scandale passif. Parfois, on ne peut légitimement écarter de réclamer sans préjudice pour un autre, comme lorsque quelqu’un a la charge du bien d’un autre, qu’il s’agisse d’une communauté ou qu’il s’agisse d’une personne privée : alors, il pécherait en abandonnant sa demande, à moins que ce ne soit avec le consentement de celui dont il a la charge ou qu’il ne craigne qu’un plus grand danger soit imminent que le préjudice à ce bien. Mais parfois, il peut abandonner la réclamation sans préjudice pour un autre : alors, si le scandale passif vient de la malice, il n’est pas obligé d’abandonner la réclamation de son bien en raison d’un tel scandale, autrement on donnerait occasion au vol et le bien de la justice serait enlevé. Cependant, on peut légitimement abandonner une réclamation pour éviter un scandale, à moins qu’on ne croie que celui qui détient la chose deviendra pire ou qu’il ne puisse être corrigé d’une autre manière. Aussi Grégoire dit-il, dans les Morales, XXXI, 8 : « Certains, lorsqu’ils ne volent que des biens temporels, doivent être tolérés ; mais certains doivent être empêchés, la charité étant sauve, non pas cependant par la seule préoccupation qu’ils nous enlèvent ce qui nous appartient, mais parce qu’en volant ce qui ne leur appartient pas, ils se perdent eux-mêmes. » Mais si le scandale passif vient de la faiblesse ou de l’ignorance, on doit reporter la réclamation de son bien ou induire celui-ci à ne pas être scandalisé. S’il continue d’être scandalisé, il devient malicieux par son entêtement. C’est pourquoi le jugement à propos d’un tel scandale est le même qu’à propos de celui qui vient de la malice. Cependant, certains disent qu’il est permis aux imparfaits de réclamer en jugement ses biens en provoquant un scandale, mais non aux parfaits. Mais cela est futile, car s’ils parlent des parfaits selon l’état de perfection, le jugement est le même pour eux et pour les autres, sauf qu’ils sont obligés par vœu à ne rien posséder en propre. Aussi un moine peut-il réclamer en jugement selon le même droit des biens temporels au nom du chapitre, comme le séculier le peut en son nom propre. Mais si nous parlons des parfaits selon l’état de la charité, la perfection même de la charité les incite à observer les conseils, et non à ce qu’ils soient obligés de les accomplir, et ils ne pécheraient pas s’ils ne les accomplissaient pas, mais un préjudice serait porté à leur perfection. Ainsi s’entend la Glose sur 1 Co 6, à propos de ceci : Pourquoi n’endurez-vous pas plutôt un préjudice ?Il est permis aux parfaits de réclamer ce qui est à eux avec simplicité, sans procès, sans conflit, sans jugement, mais il ne leur convient pas de porter leur cause devant un juge. En effet, cela ne peut s’entendre des parfaits selon l’état, comme le sont les religieux, car ceux-ci n’ont rien en propre : on n’aurait donc pas dit qu’ils peuvent réclamer avec simplicité ce qui leur appartient. Mais ce qu’ils possèdent en commun appartient au chapitre ou aux pauvres. Ils peuvent donc le réclamer en jugement, car ils ont alors la charge du bien d’un autre. Ce qui est dit dans la Glose doit donc s’entendre selon le degré de la charité. En effet, bien que ceux qui réclament en jugement ce qui leur appartient ne pèchent pas, cela déroge cependant à leur perfection. Aussi la Glose ne dit-elle pas que cela ne leur est pas permis, mais que cela ne leur convient pas. Cependant, il faut savoir qu’il est permis aux parfaits de réclamer leurs biens même de cette manière et de se battre en procès, même sans préjudice à leur perfection, dans cinq cas. Le premier est lorsqu’une question à propos d’un bien spirituel a été soulevée ; ainsi, en Ac 15, lorsque la question de l’observance des dispositions de la loi eut été soulevée, Paul la soumit au jugement des apôtres, Ga 2, à cause de certains faux frères, etc. Le second cas, lorsqu’une question a été soulevée, qui peut tourner au détriment d’un bien spirituel ; ainsi, en Ac 25, Paul en appela à César pour sa libération, parce que, par sa mort, le fruit de la prédication était empêché ; cependant, lui-même souhaitait disparaître et être avec le Christ, Ph 1. Le troisième, lorsqu’il y a conflit à propos de ce qui peut tourner à un préjudice temporel d’un autre, et surtout des pauvres. Qo 34, 24 : Celui qui offre un sacrifice avec les biens des pauvres est comme celui qui tue le fils sous le regard de son père. Le quatrième, lorsqu’il y a conflit à propos de ce qui tourne à un préjudice spirituel de celui qui détient un bien spirituel injustement, à propos de quoi l’autorité de Grégoire a été invoquée plus haut, Jb 39, 16 : D’une peine inutile il ne s’inquiète pas. Le cinquième, lorsque cela tourne à la corruption d’un grand nombre par l’exemple du vol, Qo 8, 11 : Si un jugement n’est pas immédiatement porté contre les méchants, les fils des hommes accomplissent le mal sans aucune crainte.

[20637] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus potuisset licite sumptus accipere ab illis quibus Evangelium praedicabat ; sed intermisit ex perfectione caritatis, ut vitaret eorum scandalum qui avari erant, et ut liberius eos arguere posset, et ut pseudoapostolis occasionem rapiendi subtraheret.

1. L’Apôtre aurait pu recevoir légitimement des frais de ceux à qui il prêchait l’évangile ; mais il l’écarta par perfection de la charité, afin d’éviter un scandale pour ceux qui étaient avares, de pouvoir leur adresser plus librement des reproches et d’enlever aux faux apôtres l’occasion de voler.

[20638] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille qui est in extrema necessitate, non habet in potestate sua incurrere mortem corporalem aut non incurrere ; sed de necessitate incurrit propter penuriam rei temporalis ; et ideo ille qui illam rem sibi denegat, directe mortis ejus est causa. Sed ille qui scandalizatur, potest scandalum suum vitare ; et ideo non est simile.

2. Celui qui est dans une nécessité extrême, n’a pas en son pouvoir d’encourir ou non la mort corporelle, mais il l’encourt nécessairement en raison de la pénurie d’un bien temporel. Aussi celui qui lui refuse ce bien cause-t-il directement sa mort. Mais celui qui est scandalisé peut éviter son scandale. Ce n’est donc pas la même chose.

[20639] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod comestio alicujus cibi habet ex se aliquam mali similitudinem, sicut comestio idolatitii ; et ideo qui comedit coram infirmis, scandalizat active, quod est majus malum quam mors corporalis ; quia satius est fame mori quam idolatitio vesci, scilicet cum scandalo ; quia primum est malum poenae ; secundum malum culpae. Non tamen aliquis debet se dimittere fame mori antequam cum scandalo idolatitium comedat : quia injiceret sibi manus, et sic cum malo poenae adjungeretur malum culpae. Sed quando comestio alicujus cibi non habet speciem mali, tunc idem est judicium de abstinendo a tali comestione et de dimissione rei temporalis alterius ; unde quod apostolus dicit, ad perfectionem pertinet consilii, non ad necessitatem praecepti.

3. Le fait de manger une certaine nourriture comporte de soi une apparence de mal, comme le fait de manger un idolothyte. C’est pourquoi celui qui en mange devant des faibles scandalise de manière active, ce qui est un mal plus grand que la mort corporelle, car il est préférable de mourir de faim que de se nourrir d’un idolothyte, c’est-à-dire de manière scandaleuse, puisque le premier est un mal de peine, et le second un mal de faute. Cependant, quelqu’un ne doit pas se laisser mourir de faim avant de manger de manière scandaleuse un idolothyte, car il porterait la main contre lui-même, et ainsi un mal de peine serait associé au mal de faute. Mais lorsque la consommation d’un aliment ne comporte pas d’apparence de mal, il faut alors porter le même jugement sur l’abstinence d’un tel aliment et l’abandon du bien temporel d’un autre. Ce que l’Apôtre dit est donc en rapport avec la perfection d’un conseil, et non avec le caractère nécessaire d’un commandement.

[20640] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod apostolus loquitur de repetitione cum scandalo activo. Quod autem dominus dicit : quae tua sunt, non repetas, Luc. 6, 30, consilium est magis quam praeceptum.

4. L’Apôtre parle d’une réclamation associée à un scandale actif. Mais ce que dit le Seigneur : Ne réclame pas ce qui t’appartient, est un conseil plutôt qu’un commandement.

[20641] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod propter generale scandalum debet homo a repetitione rei suae abstinere, quando licite potest, nisi ex hoc majus praejudicium veritati generaretur quam sit scandalum publicum, quod quandoque ex malitia aliquorum instigantium alios oritur ; et sic beatus Thomas Cantuariensis sustinuit scandalum publicum, ut occurreret majori periculo, quod erat de libertatis ecclesiasticae amissione.

5. En raison d’un scandale général, un homme ne doit pas s’abstenir de réclamer son bien, lorsqu’il le peut légitimement, à moins qu’un préjudice plus grand que le scandale public n’en provienne, ce qui est parfois le cas à cause de la malice de ceux qui en incitent d’autres. Ainsi le bienheureux Thomas de Cantorbéry a-t-il supporté un scandale public afin de s’opposer à un danger plus grand, qui était la perte de la liberté de l’Église.

[20642] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod si homo plus diligeret rem suam temporalem quam salutem proximi, peccaret ; sed aliquando dum nostra repetimus, magis saluti proximorum consulimus quam nostrae ; unde Gregorius dicit, ubi Sup. : plus de ipsis raptoribus debemus metuere, quam rebus temporalibus repetendis inhiare.

6. Si un homme aimait davantage son bien temporel que le salut du prochain, il pécherait ; mais, parfois, lorsque nous réclamons ce qui nous appartient, nous nous occupons davantage du salut du prochain que du nôtre. Aussi Grégoire dit-il, à l’endroit cité plus haut : « Nous devons craindre davantage pour les voleurs que désirer réclamer nos biens temporels. »

[20643] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis salva triplici veritate, in hoc particulari posset quis sua quandoque non repetere propter vitandum scandalum, tamen non posset esse sine praejudicio veritatis publicae, si non liceret repetere ; quia pax et justitia periret.

7. Bien que, en sauvegardant la triple vérité, quelqu’un pourrait parfois, dans ce cas particulier, ne pas réclamer ce qui lui appartient pour éviter un scandale, ce ne serait cependant pas sans préjudice pour la vérité publique s’il n’était pas permis de les réclamer, car la paix et la justice disparaîtraient.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 38

[20644] Super Sent., lib. 4 d. 38 q. 2 a. 4 qc. 3 expos. Quia probari non potest quod occulte factum est. Haec non est sufficiens ratio quare non impediatur matrimonium simpliciter ; quia defectus probationis non excusaret conscientiam a peccato ; sed quare non impeditur in facie Ecclesiae. Viduas a proposito recedentes viduitatis, super quibus nos consuluisti, credo te nosse a sancto Paulo, nisi convertantur, olim esse damnatas. Loquitur de proposito per votum firmato. Quid in omnibus peccatis est adulterio gravius ? Hoc intelligitur quantum ad gravitatem poenae quae secundum legem pro adulterio infligitur, scilicet lapidatio utriusque ; qua nulla poena est gravior. Dicitur autem secundum locum in poenis tenere : quia secundum legem lapidatio solis blasphemis et adulteris debebatur, et filiis inobedientibus. Blasphemos autem nominat hic aberrantes a Deo ; et in eodem genere inobedientes computantur, quia quasi scelus ariolandi est nolle obedire, ut patet 1 Reg., 15. Execrabiliter fit in meretrice, sed execrabilius in uxore. Haec comparatio intelligenda est de usu contra naturam ; sed de usu secundum naturam est e converso. Legitimarum foedera nuptiarum reintegranda credamus. Hoc intelligendum est utroque in hac vita perseverante. Sed videtur quod etiam si unus moriatur, et postea miraculose suscitetur, sit reintegrandum matrimonium, per hoc quod dicitur Hebr. 11, 35 : acceperunt mulieres de resurrectione mortuos suos. Praeterea, resuscitatus posset repetere possessiones suas. Ergo et uxorem. Praeterea, si oporteret iterato contrahere cum eadem uxore, bigamus reputaretur propter duplex matrimonium quod contraxit. Et dicendum, quod, secundum Augustinum, nuptiae sunt bonum mortalium ; et ideo vinculum matrimoniale cum hac vita finitur ; et hoc est quod dicitur, Rom. 7, 2, de muliere : si mortuus est vir ejus, soluta est a lege viri. Et ideo si resuscitaretur, non posset repetere uxorem suam ; sed posset iterato cum ea contrahere, nisi illa alteri nupsisset ; tunc enim non esset matrimonium contractum separandum. Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur de filiis, et non de maritis. Ad secundum dicendum, quod possessiones subduntur simpliciter dominio possidentis ; unde etiam moriens testari potest ; sed uxor non subditur viri dominio quasi ancilla ; sed est quaedam societas inter virum et uxorem, quae morte alterius terminatur ; unde vir moriens non potest uxorem suam alteri in testamento dimittere. Et sic patet quod non est eadem ratio de possessionibus et uxoribus. Ad tertium dicendum, quod non esset bigamus propter hoc, quia neuter conjugum in plures carnem suam divisit. Si careant opprobrio malae voluntatis. Quod quidem est quando non ex levi praesumptione, sed ex aliquo certo judicio habito de morte viri, mulier cum alio contraxit. Si autem postea oriatur dubitatio aliqua de vita prioris viri ex aliqua causa quae etiam certitudinem facere possit, non debet nec reddere nec exigere debitum. Si autem causa illa facit probabilem dubitationem, debet reddere, sed non exigere. Si autem sit levis suspicio, potest utrumque licite facere ; quia debet illam causam potius abjicere quam secundum hoc conscientiam formare. Ex quo ad primam redire volens, nec valens, cogitur Ecclesiae disciplina hanc tenere, incipit excusari. Hic Magister falsum dicit ; quia potius debet excommunicatus mori, quam conjungatur illi quae non est sua uxor ; hoc enim esset contra veritatem vitae, quae non est propter scandalum dimittenda.

 

Tout simplement

 

Distinctio 39

Distinction 39 – [L’illégitimité d’une personne par rapport à certaines personnes]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Le mariage avec un infidèle]

Prooemium

Prologue

[20645] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de impedimentis matrimonii quae faciunt personam illegitimam simpliciter respectu cujuslibet personae, hic determinat de impedimento quod facit eam illegitimam respectu aliquarum personarum, et non respectu omnium ; et dividitur in duas : in prima determinat de impedimento quod facit personam illegitimam respectu alicujus alterius personae propter distantiam ab ipsa, scilicet de disparitate cultus ; in secunda determinat de impedimento quod facit illegitimam personam respectu alterius personae propter propinquitatem ad eam, 40 dist., ibi : nunc superest de cognatione aliquid dicere. Prima in duas : in prima determinat de matrimonio quod est in disparitate cultus fidelis ad infidelem ; in secunda de matrimonio quod est inter duos infideles, ibi : sunt tamen nonnulli qui inter infideles asserunt non esse conjugium. Prima in partes duas : in prima ostendit quod disparitas cultus praecedens matrimonium impedit contrahendum, et dirimit contractum ; in secunda objicit in contrarium, ibi : huic autem videtur obviare quod apostolus ait de imparibus conjugiis. Et dividitur in duas : in prima ponit objectionem ex verbis apostoli ; in secunda solvit, ibi : sed aliud hoc esse, aliud illud, evidenter ostendit. Et circa hoc tria facit : primo ostendit quod verbum apostoli, scilicet quod fidelis habet potestatem commanendi vel non commanendi cum infideli, intelligitur de disparitate cultus qui sequitur matrimonium ; in secunda inquirit, utrum propter alia peccata uxor possit dimitti, sicut propter infidelitatem, ibi : si autem quaeris, an propter aliud vitium, nisi propter infidelitatem vel idolatriam possit dimitti ; attende quid Augustinus ait, tertio inquirit, utrum fidelis dimittens uxorem infidelem, possit alteram ducere, ibi : hic quaeritur, si fidelis dimittat infidelem, vel infidelis a fideli discedat ; an liceat fideli aliam ducere. Et circa hoc tria facit : primo ponit auctoritatem ad partem negativam ; secundo ad affirmativam, ibi : sed contra Ambrosius testatur ; tertio solvit ibi : attende, haec praedictis contraria posse videri. Hic quaeruntur sex : 1 utrum aliquis fidelis possit contrahere matrimonium cum infideli ; 2 utrum inter infideles sit matrimonium ; 3 utrum si alter conjugum infidelium convertatur ad fidem sine altero, possit in eodem matrimonio commanere ; 4 utrum possit uxorem infidelem relinquere ; 5 utrum ea dimissa possit aliam ducere ; 6 utrum propter alia peccata vir possit dimittere uxorem, sicut propter infidelitatem.

Après avoir déterminé des empêchements du mariage qui rendent une personne tout simplement illégitime par rapport à n’importe quelle personne, ici le Maître détermine d’un empêchement qui la rend illégitime par rapport à certaines personnes, et non par rapport à toutes. Il y a deux parties : dans la première, il détermine d’un empêchement qui rend une personne illégitime par rapport à une autre personne en raison de sa distance, à savoir, la disparité de culte ; dans la seconde, il détermine d’un empêchement qui rend une personne illégitime par rapport à une autre personne en raison de sa proximité par rapport à elle, d. 40, à cet endroit : « Il reste maintenant à parler de la parenté. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine du mariage qui existe avec la disparité de culte entre un fidèle et un infidèle ; dans la seconde, du mariage qui existe entre deux infidèles, à cet endroit : « Cependant, certains affirment qu’il n’existe pas de mariage entre des infidèles. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que la disparité de culte précédant le mariage empêche de le contracter et dirime celui qui a été contracté ; dans la seconde, il fait une objection en sens contraire, à cet endroit : « À cela semble s’opposer ce que l’Apôtre dit des époux de cultes différents. » Il y a deux parties : dans la première, il présente une objection tirée des paroles de l’Apôtre ; dans la seconde, il y répond, à cet endroit : « Mais il montre à l’évidence que ceci est une chose et cela une autre. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il montre que la parole de l’Apôtre, à savoir que le fidèle peut cohabiter ou ne pas cohabiter avec un infidèle, s’entend de la disparité de culte qui suit le mariage ; dans la deuxième, il se demande si l’épouse peut être renvoyée à cause d’autres péchés, comme c’est le cas pour l’infidélité, à cet endroit : « Mais si tu demandes si elle peut être renvoyée pour un autre vice que l’infidélité ou l’idolatrie, vois ce que dit Augustin » ; troisièmement, il demande si un fidèle qui renvoie son épouse infidèle peut en épouser une autre, à cet endroit : « Ici, on demande si, advenant qu’un fidèle renvoie une infidèle ou une infidèle se sépare d’un fidèle, il est permis au fidèle d’en épouser une autre. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il présente une autorité pour la négative ; deuxièmement, pour l’affirmative, à cet endroit : « Mais, en sens contraire, Ambroise atteste… » ; troisièmement, il donne la solution à cet endroit : « Prends garde que cela peut paraître contraire à ce qui a été dit. » Ici, six questions sont posées : 1 – Un fidèle peut-il contracter mariage avec une infidèle ? 2 – Existe-t-il un mariage entre infidèles ? 3 – Si l’un des deux époux infidèles se convertit à la foi sans l’autre, peut-il demeurer dans le même mariage ? 4 – Le fidèle peut-il abandonner son épouse incroyante ? 5 – Une fois celle-ci renvoyée, peut-il en épouser une autre ? 6 – Un mari peut-il renvoyer son épouse à cause d’autres péchés, comme pour l’incroyance ?

 

 

Articulus 1

[20646] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 tit. Utrum fidelis possit matrimonium cum infideli contrahere

Article 1 – Un croyant peut-il contracter mariage avec une incroyante ?

[20647] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fidelis possit matrimonium cum infideli contrahere. Quia Joseph contraxit cum Aegyptia, et Esther cum Assuero. In utroque autem matrimonio fuit disparitas cultus : quia alter erat fidelis, alter infidelis. Ergo disparitas cultus praecedens matrimonium, ipsum non impedit.

1. Il semble qu’un croyant puisse contracter mariage avec une incroyante, car Joseph a contracté mariage avec une Égyptienne et Esther avec une Assyrien. Or, dans les deux cas, la disparité de culte existait dans le mariage, car l’un était croyant et l’autre incroyante. La disparité de culte précédant le mariage ne l’empêche donc pas.

[20648] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, eadem est fides quam docet vetus lex et nova lex. Sed secundum veterem legem poterat esse matrimonium inter fidelem et infidelem, ut patet Deut. 21, 10 : si egressus ad pugnam (...) videris mulierem pulchram in medio captivorum, et adamaveris eam (...) introeas ad eam dormiens cum ea, et erit tibi uxor. Ergo et in nova lege licet.

2. C’est la même foi qu’enseignent la loi ancienne et la loi nouvelle. Or, selon la loi ancienne, il pouvait y avoir mariage entre un croyant et une incroyante, comme cela ressort de Dt 21, 10 : Si en sortant pour combattre…, tu vois une belle femme au milieu des captifs et tu l’aimes…, approche-toi d’elle pour dormir avec elle : elle sera pour toi une épouse. Cela est donc permis sous la loi nouvelle.

[20649] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sponsalia ad matrimonium ordinantur. Sed inter fidelem et infidelem possunt in aliquo casu contrahi sponsalia cum conditione futurae conversionis. Ergo sub eadem conditione matrimonium potest contrahi inter eos.

3. Les fiançailles sont ordonnées au mariage. Or, dans un cas, des fiançailles peuvent être contractées entre un croyant et une incroyante, avec la condition d’une future conversion. Le mariage peut donc être contracté entre eux à la même condition.

[20650] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne impedimentum matrimonii est aliquo modo contra matrimonium. Sed infidelitas non est contraria matrimonio : quia matrimonium est in officium naturae, cujus dictamen fidem excedit. Ergo disparitas fidei non impedit matrimonium.

4. Tout empêchement au mariage est d’une certaine manière contraire au mariage. Or, l’infidélité n’est pas contraire au mariage, car le mariage existe comme une fonction de nature, que dépasse ce que la foi impose. La disparité de foi n’empêche donc pas le mariage.

[20651] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, disparitas fidei est etiam quandoque inter duos baptizatos, sicut quando aliquis post Baptismum in haeresim labitur ; et si talis cum aliqua fideli contrahat, nihilominus est verum matrimonium. Ergo disparitas cultus matrimonium non impedit.

5. La disparité de foi existe aussi parfois entre deux baptisés, comme lorsque l’un tombe dans l’hérésie après le baptême : si celui-là contracte mariage avec une infidèle, il s’agit néanmoins d’un vrai mariage. La disparité de culte n’empêche donc pas le mariage.

[20652] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 2 Corinth. 6, 14 : quae conventio lucis ad tenebras ? Sed maxima conventio est inter virum et uxorem. Ergo ille qui est in luce fidei, non potest contrahere matrimonium cum illa quae est in tenebris infidelitatis.

Cependant, [1] ce qui est dit en 2 Co 6, 14 va en sens contraire : Quelle entente y a-t-il entre la lumière et les ténèbres ? Or, l’entente la plus grande existe entre le mari et l’épouse. Celui qui est dans la lumière de la foi ne peut donc contracter mariage avec celle qui est dans les ténèbres de l’infidélité.

[20653] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Malach. 2, 2, dicitur : contaminavit Judas sanctificationem domini, quam dilexit, et habuit filiam Dei alieni. Sed hoc non esset, si inter eos posset verum matrimonium contrahi. Ergo disparitas cultus matrimonium impedit.

[2] Il est dit en Ml 2, 2 : Judas a contaminé la sainteté du Seigneur qu’il aimait, et il a eu une fille d’un dieu étranger. Or, ce ne serait pas le cas si un véritable mariage pouvait être contracté par eux. La disparité de culte empêche donc le mariage.

[20654] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod principalius bonum matrimonii est proles ad cultum Dei educanda. Cum autem educatio fiat communiter per patrem et matrem, uterque secundum fidem intendit ad cultum Dei prolem educare ; et ideo si sint diversae fidei, intentio unius alterius intentioni contraria erit ; et ita inter eos non potest esse conveniens matrimonium ; et propter hoc disparitas cultus praecedens matrimonium, impedit ipsum ne contrahi possit.

Réponse

Le principal bien du mariage est la descendance qui doit être éduquée en vue du culte de Dieu. Or, puisque l’éducation est réalisée en commun par le père et par la mère, les deux ont l’intention d’éduquer leur descendance selon la foi en vue du culte de Dieu. S’ils sont de foi différente, l’intention de l’un sera donc contraire à l’intention de l’autre, et ainsi ne peut exister entre eux un mariage convenable. Pour cette raison, la disparité qui précède le mariage empêche qu’il ne soit contracté.

[20655] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in veteri lege de aliquibus infidelibus erat permissum quod cum eis possent inire conjugia, et de aliquibus prohibitum. Specialiter quidem erat prohibitum de infidelibus habitantibus in terra Chanaan : tum quia dominus praeceperat eos occidi propter eorum obstinationem : tum quia majus periculum imminebat ne conjuges aut filios ad idolatriam perverterent : quia filii Israel ad ritus et ad mores eorum proniores erant propter conversationem cum eis. Sed de aliis gentibus permisit, praecipue quando non poterat esse timor pertrahendi ad idolatriam ; et sic Joseph et Moyses et Esther cum infidelibus matrimonia contraxerunt. Sed in nova lege quae per totum orbem diffunditur, similis ratio prohibendi est de omnibus infidelibus ; et ideo disparitas cultus praecedens matrimonium impedit contrahendum, et dirimit contractum.

1. Sous la loi ancienne, il était permis de contracter des mariages avec certains infidèles et, avec d’autres, cela était défendu. Cela était particulièrement défendu avec les infidèles qui habitaient la terre de Canaan, tant parce que le Seigneur avait ordonné de les tuer en raison de leur obstination, que parce qu’un plus grand danger existait qu’ils ne détournent leurs conjoints ou leurs fils vers l’idolatrie, car les fils d’Israël étaient plus enclins à leur culte et à leur comportement parce qu’ils vivaient avec eux. Mais cela était permis pour les autres nations, surtout lorsqu’on ne pouvait pas craindre d’être attiré vers l’idolatrie. Ainsi Joseph, Moïse et Esther ont-ils contracté mariage avec des infidèles. Mais, sous la loi nouvelle, qui est répandue par tout le monde, la même raison de l’interdire existe pour tous les infidèles. C’est pourquoi la disparité de culte précédant le mariage empêche de contracter mariage et dirime celui qui a été contracté.

[20656] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lex illa vel loquitur de aliis nationibus cum quibus licite poterant inire connubia ; vel loquitur quando illa captiva ad fidem et cultum Dei converti volebat.

2. Cette loi parle soit des autres nations avec lesquelles ils pouvaient légitimement contracter mariage, soit de celle qui était captive et qui voulait se convertir à la foi et au culte de Dieu.

[20657] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eadem est habitudo praesentis ad praesens, et futuri ad futurum ; unde sicut quando matrimonium in praesenti contrahitur, requiritur unitas cultus in utroque contrahentium ; ita ad sponsalia, quibus fit sponsio futuri matrimonii, sufficit conditio apposita de futura unitate cultus.

3. Le rapport est le même du présent au présent et du futur au futur. De même donc que l’unité de culte est requise chez les deux contractants lorsque le mariage est contracté dans le présent, de même, pour les fiançailles, par lesquelles est faite la promesse d’un mariage futur, la condition posée d’une future unité de culte suffit-elle.

[20658] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod jam ex dictis patet quod disparitas cultus contraria est matrimonio ratione principalioris boni ipsius, quod est bonum prolis.

4. Il ressort déjà de ce qui a été dit que la disparité de culte est contraire au mariage en raison du bien principal de celui-ci, qui est le bien de la descendance.

[20659] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod matrimonium sacramentum est ; et ideo quantum pertinet ad necessitatem sacramenti, requirit paritatem quantum ad sacramentum fidei, scilicet Baptismum, magis quam quantum ad interiorem fidem ; unde etiam hoc impedimentum non dicitur disparitas fidei, sed disparitas cultus qui respicit exterius servitium, ut in 3 Lib., dist. 9, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 1, in corp., dictum est ; et propter hoc, si aliquis fidelis cum haeretica baptizata matrimonium contrahit, verum est matrimonium, quamvis peccet contrahendo, si sciat eam haereticam ; sicut peccaret, si cum excommunicata contraheret ; non tamen propter hoc matrimonium dirimeretur ; et e contrario si aliquis catechumenus habens rectam fidem, sed nondum baptizatus, cum aliqua fideli baptizata contraheret, non esset verum matrimonium.

5. Le mariage est un sacrement. Aussi, pour ce qui relève de ce qui est nécessaire au sacrement, exige-t-il davantage la parité pour ce qui est du sacrement de la foi, le baptême, que pour ce qui est de la foi intérieure. Même cet empêchement n’est donc pas appelé disparité de la foi, mais disparité du culte, qui concerne le culte extérieur, comme on l’a dit dans le livre III, d. 9, q. 1, a. 1, qa 1, c. Pour cette raison, si un fidèle contracte mariage avec une hérétique baptisée, le mariage est vrai, bien qu’il pèche en le contractant, s’il sait qu’elle est hérétique, comme il pécherait s’il le contractait avec une excommuniée. Le mariage ne serait cependant pas dirimé pour autant. En sens contraire, si un catéchumène ayant une foi droite, mais qui n’est pas encore baptisé, contractait mariage avec une fidèle baptisée, ce ne serait pas un vrai mariage.

 

 

Articulus 2

[20660] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 tit. Utrum inter infideles possit esse matrimonium

Article 2 – Peut-il y avoir mariage entre des infidèles ?

[20661] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inter infideles non possit esse matrimonium. Matrimonium enim est sacramentum Ecclesiae. Sed Baptismus est janua sacramentorum. Ergo infideles, qui non sunt baptizati, matrimonium contrahere non possunt, sicut nec alia sacramenta suscipere.

1. Il semble qu’il ne puisse pas y avoir mariage entre des infidèles. En effet, le mariage est un sacrement de l’Église. Or, le baptême est la porte des sacrements. Les infidèles qui ne sont pas baptisés ne peuvent donc pas contracter mariage, pas plus que recevoir les autres sacrements.

[20662] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, duo mala sunt magis impeditiva boni quam unum. Sed infidelitas unius tantum impedit matrimonii bonum. Ergo multo fortius infidelitas utriusque ; et ita inter infideles non potest esse matrimonium.

2. Deux maux empêchent davantage le bien qu’un seul. Or, l’infidélité d’un seul empêche le bien du mariage. À bien plus forte raison, donc, l’infidélité des deux ; et ainsi, il ne peut y avoir mariage entre des infidèles.

[20663] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut inter fidelem et infidelem est disparitas cultus, ita interdum inter duos infideles ; ut si unus sit gentilis, et alter Judaeus. Sed disparitas cultus impedit matrimonium, ut dictum est. Ergo ad minus inter infideles qui habent cultum disparem, non potest esse verum matrimonium.

3. De même qu’il y a disparité de culte entre un fidèle et une infidèle, de même parfois entre deux infidèles, l’un étant païen et l’autre juif. Or, la disparité de culte empêche le mariage, comme on l’a dit. Au moins entre des infidèles qui ont un culte différent, il ne peut donc y avoir de mariage véritable.

[20664] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in matrimonio est vera pudicitia. Sed sicut dicit Augustinus, et habetur 28, quaest. 1, non est vera pudicitia infidelis cum uxore sua. Ergo non est verum matrimonium.

4. Dans le mariage, existe une véritable chasteté. Or, comme le dit Augustin et comme on le lit dans la d. 28, q. 1, il n’y a pas de véritable chasteté entre un infidèle et son épouse. Ce n’est donc pas un mariage véritable.

[20665] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, matrimonium verum excusat carnalem copulam a peccato. Sed hoc non potest facere matrimonium inter infideles contractum : quia omnis vita infidelium peccatum est, ut dicit Glossa Rom. 14. Ergo inter infideles non est verum matrimonium.

5. Le mariage véritable excuse l’union charnelle d’être un péché. Or, le mariage contracté entre des infidèles ne peut fait cela, car « toute la vie des infidèles est péché », comme le dit la Glose à propos de Rm 14. Entre les infidèles, il n’y a donc pas de mariage véritable.

[20666] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7, 12 : si quis frater habet uxorem infidelem, et haec consentit habitare cum illo, non dimittat illam. Sed uxor non dicitur nisi propter matrimonium. Ergo inter infideles est verum matrimonium.

Cependant, [1] 1 Co 7, 12 dit en sens contraire : Si un frère a une épouse incroyante et si elle consent à habiter avec lui, qu’il ne la renvoie pas. Or, on ne parle d’épouse qu’en raison du mariage. Entre des infidèles, il existe donc un mariage véritable.

[20667] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, remoto posteriori non removetur prius. Sed matrimonium pertinet ad officium naturae, quae praecedit statum gratiae, cujus principium est fides. Ergo infidelitas non facit quin sit inter infideles matrimonium.

[2] Si l’on enlève ce qui suit, on enlève pas ce qui précède. Or, le mariage relève d’une fonction de la nature, qui précède l’état de grâce, dont le principe est la foi. L’infidélité n’empêche donc pas qu’il y ait mariage entre des infidèles.

[20668] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod matrimonium principaliter institutum est ad bonum prolis, non tantum generandae, quia hoc sine matrimonio fieri posset, sed etiam promovendae ad perfectum statum : quia quaelibet res intendit effectum suum naturaliter perducere ad perfectum statum. Est autem in prole duplex perfectio consideranda ; scilicet perfectio naturae non solum quantum ad corpus, sed etiam quantum ad animam, per ea quae sunt de lege naturae ; et perfectio gratiae ; et prima perfectio est materialis et imperfecta respectu secundae. Et ideo, cum res quae sunt propter finem, sint proportionatae fini ; matrimonium quod tendit ad primam perfectionem, est imperfectum et materiale respectu illius quod tendit in perfectionem secundam. Et quia prima perfectio communis esse potest fidelibus et infidelibus, secunda autem est tantum fidelium ; ideo inter infideles est quidem matrimonium, sed non perfectum ultima perfectione, sicut est inter fideles.

Réponse

Le mariage a été institué surtout pour le bien de la descendance, non seulement pour l’engendrer, car cela pourrait se faire sans le mariage, mais aussi pour la conduire à l’âge adulte, car chaque chose a en vue de mener naturellement son effet à son état parfait. Or, il faut envisager dans la descendance une double perfection : la perfection de la nature, non seulement pour le corps, mais aussi pour l’âme, par ce qui relève de la loi naturelle ; et la perfection de la grâce. La première perfection joue le rôle de matière imparfaite par rapport à la seconde. Puisque les choses qui existent en vue d’une fin sont proportionnées à la fin, le mariage qui tend à la première perfection est donc imparfait et joue le rôle de matière par rapport à celui qui tend à la seconde perfection. Et parce que la première perfection peut être commune aux fidèles et aux infidèles, mais que la seconde est le fait des fidèles seulement, il existe donc un mariage entre les infidèles, mais qui n’est pas parfait selon la perfection ultime, comme c’est le cas entre les fidèles.

[20669] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod matrimonium non tantum est institutum in sacramentum, sed in officium naturae ; et ideo, quamvis infidelibus non competat matrimonium, secundum quod est sacramentum in dispensatione ministrorum Ecclesiae consistens ; competit tamen eis, inquantum est in officium naturae. Et tamen etiam matrimonium tale est aliquo modo sacramentum habitualiter, quamvis non actualiter, eo quod actu non contrahunt in fide Ecclesiae.

1. Le mariage n’a pas été institué seulement comme un sacrement, mais comme une fonction de la nature. Bien que le mariage ne convienne pas aux infidèles, selon qu’il est un sacrement qui dépend de la dispensation des ministres de l’Église, il leur convient cependant selon qu’il est une fonction de la nature. Cependant, même un tel mariage est d’une certaine manière un sacrement de manière habituelle, bien que non actuelle, du fait qu’ils ne le contractent pas dans la foi de l’Église.

[20670] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod disparitas cultus non impedit matrimonium ratione infidelitatis, sed ratione disparitatis in fide. Disparitas enim cultus non solum secundam perfectionem prolis impedit, sed etiam primam, dum parentes ad diversa prolem trahere intendunt ; quod non est quando uterque est infidelis.

2. La disparité de culte n’empêche pas le mariage en raison de l’infidélité, mais en raison de la disparité dans la foi. En effet, la disparité de culte n’empêche pas seulement la seconde perfection de la descendance, mais aussi la première, alors que les parents s’efforcent d’attirer la descendance vers des choses différentes, ce qui n’est pas le cas lorsque les deux sont fidèles.

[20671] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inter infideles est matrimonium, ut dictum est, prout matrimonium est in officium naturae. Ea autem quae pertinent ad legem naturae, sunt determinabilia per jus positivum ; et ideo si prohibentur ab aliquo jure positivo apud eos infideles contrahere matrimonium cum infidelibus alterius ritus, disparitas cultus impedit matrimonium inter eos. Ex jure enim divino non prohibentur : quia apud Deum non differt qualitercumque aliquis a fide deviet quantum ad hoc quod est a gratia alienum esse : similiter, nec aliquo Ecclesiae statuto, quae non habet de his quae foris sunt, judicare.

3. Comme on l’a dit, il y a mariage entre des infidèles selon que le mariage est une fonction de la nature. Or, ce qui relève de la loi de la nature peut être déterminé par un droit positif. S’il leur est interdit par un droit positif de contracter mariage avec des infidèles d’un autre rite, la disparité de culte empêche le mariage entre eux. En effet, ils n’en sont pas empêchés par le droit divin, car, au regard de Dieu, la manière dont quelqu’un s’écarte de la foi pour ce qui est étranger à la grâce ne fait pas de différence. De même, [ils n’en sont pas empêchés] par une décision de l’Église, qui n’a pas à juger de ceux qui sont au dehors.

[20672] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pudicitia et aliae virtutes infidelium dicuntur non esse verae, quia non possunt pertingere ad finem verae virtutis, quae est vera felicitas ; sicut dicitur non esse verum vinum quod non habet effectum vini.

4. On dit que la chasteté et les autres vertus des infidèles ne sont pas vraies parce qu’elles ne peuvent atteindre la fin de la vertu véritable, qui est la vraie félicité, comme on dit que n’est pas vrai le vin qui n’a pas l’effet du vin.

[20673] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod infidelis cognoscens uxorem suam, non peccat, si propter bonum prolis, aut fidei qua tenetur uxori, debitum reddat, cum hoc sit actus justitiae et temperantiae, quae in delectabilibus tactus debitas circumstantias servat ; sicut non peccat faciens alios actus politicarum virtutum. Nec dicitur omnis vita infidelium peccatum, quia quolibet actu peccent ; sed quia per id quod agunt, a servitute peccati non possunt liberari.

5. L’infidèle qui connaît son épouse ne pèche pas s’il rend ce qui lui est dû en vue du bien de la descendance ou de la foi selon laquelle il est lié à son épouse, puisque cela est un acte de justice et de tempérance qui respecte les circonstances appropriées dans ce qui délectable au toucher, comme ne pèche pas celui qui fait les autres actes des vertus politiques. Et on ne dit pas que toute la vie des infidèles est un péché, parce qu’ils pèchent dans tous leurs actes, mais parce qu’ils ne peuvent être libérés de la servitude du péché par ce qu’ils font.

Articulus 3

[20674] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 tit. Utrum conjux conversus ad fidem possit manere cum uxore infideli nolente converti

Article 3 – Un époux converti à la foi peut-il demeurer avec son épouse infidèle qui ne veut pas se convertir ?

[20675] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod conjux conversus ad fidem non possit commanere cum uxore infideli nolente converti, cum qua in infidelitate contraxerat. Ubi enim est idem periculum, debet eadem cautela adhiberi. Sed propter periculum subversionis fidei prohibetur ne fidelis cum infideli contrahat. Cum ergo idem periculum sit, si fidelis commaneat cum infideli, cum qua prius contraxerat, et adhuc majus, quia neophiti facilius pervertuntur quam illi qui sunt nutriti in fide ; videtur quod fidelis post conversionem non possit commanere cum uxore infideli.

1. Il semble que l’époux converti à la foi ne puisse demeurer avec son épouse infidèle qui ne veut pas se convertir, avec laquelle il avait contracté mariage alors qu’elle était dans l’infidélité. En effet, là où existe le même danger, on doit montrer la même prudence. Or, à cause du danger de subversion de la foi, il est défendu qu’un fidèle contracte mariage avec une infidèle. Puisque le danger est le même pour le fidèle qui demeure avec une infidèle, avec qui il avait contracté mariage, et encore davantage parce que les néophytes sont plus facilement pervertis que ceux qui sont éduqués dans la foi, il semble donc que le fidèle, après sa conversion, ne puisse demeurer avec une épouse infidèle.

[20676] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, causa 28, qu. 1, dicitur : non potest infidelis in ejus conjunctione permanere quae jam in Christianam translata est fidem. Ergo fidelis habet necesse uxorem infidelem dimittere.

2. [Dans le Décret], cause 28, q. 1, on dit : « L’infidèle ne peut demeurer uni avec celle qui est déjà passée à la foi. » Le fidèle doit donc nécessairement renvoyer son épouse infidèle.

[20677] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, matrimonium quod inter fideles contrahitur, est perfectius quam illud quod contrahitur inter infideles. Sed si fideles contrahant in gradu prohibito ab Ecclesia, dissolvitur eorum matrimonium. Ergo et infidelium ; et ita vir fidelis non potest commanere cum uxore infideli, ad minus quando cum ea in infidelitate contraxit in gradu prohibito.

3. Le mariage qui est contracté entre fidèles est plus parfait que celui qui est contracté entre infidèles. Or, si des infidèles contractent mariage selon un degré interdit par l’Église, leur mariage est dissoous. C’est donc aussi le cas pour des infidèles. Et ainsi, le mari fidèle ne peut demeurer avec son épouse infidèle, au moins lorsqu’il a contracté mariage selon un degré interdit alors qu’il était infidèle,.

[20678] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, aliquis infidelis habet quandoque plures uxores secundum ritum suae legis. Si ergo potest commanere cum illis cum quibus in infidelitate contraxit, videtur quod possit etiam post conversionem plures uxores retinere.

4. Un infidèle a parfois plusieurs épouses selon le rite de sa loi. Si donc il peut demeurer avec celles avec lesquelles il a contracté mariage alors qu’il était infidèle, il semble qu’il puisse aussi garder plusieurs épouses après sa conversion.

[20679] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, potest contingere quod repudiata una uxore aliam duxerit, et in illo matrimonio existens convertatur. Ergo videtur quod saltem in hoc casu non possit cum uxore quam de novo habet, commanere.

5. Il peut arriver qu’après avoir répudié une épouse, il en ait pris une autre et qu’il se convertisse alors qu’il se trouve dans ce mariage. Il semble donc qu’au moins dans ce cas, il ne puisse demeurer avec sa nouvelle épouse.

[20680] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus, 1 Corinth. 7, consulit quod commaneant.

Cependant, [1] l’Apôtre, en 1 Co 7, conseille en sens contraire qu’ils demeurent ensemble.

[20681] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum impedimentum superveniens matrimonio, tollit ipsum. Sed matrimonium erat verum, cum uterque infidelis erat. Ergo quando alter convertitur, non dirimitur matrimonium per hoc ; et ita videtur quod possint licite commanere.

[2] Aucun empêchement qui survient après le mariage n’écarte celui-ci. Or, le mariage était vrai, puisque les deux étaient infidèles. Lorsqu’un des deux se convertit, le mariage n’est donc pas dirimé pour autant, et ainsi, il semble qu’ils peuvent légitimement demeurer ensemble.

[20682] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod fides ejus qui est in matrimonio, non solvit, sed perficit matrimonium. Unde cum inter infideles sit verum matrimonium, ut ex dictis patet, per hoc quod alter convertitur ad fidem, non ex hoc ipso vinculum matrimonii solvitur ; sed aliquando, vinculo matrimonii manente, solvitur matrimonium quantum ad cohabitationem et debiti solutionem ; in quo pari passu currunt infidelitas et adulterium, quia utrumque est contra bonum prolis. Unde sicut se habet in potestate dimittendi adulteram vel commanendi cum ea ; ita se habet in potestate dimittendi infidelem vel commanendi cum ea. Potest enim vir innocens libere cum adultera commanere spe correctionis ; non autem si in adulterii peccato fuerit obstinata, ne videatur patronus turpitudinis, ut supra, dist. 35, qu. 1, art. 2, dictum est, quamvis etiam cum spe correctionis possit eam libere dimittere. Similiter fidelis conversus potest cum infideli manere cum spe conversionis si eam in infidelitate obstinatam non viderit, et bene facit commanendo ; tamen non tenetur ; et de hoc est consilium apostoli.

Réponse

La foi de celui qui est marié ne dissout pas mais perfectionne le mariage. Puisqu’il existe un vrai mariage entre des infidèles, comme cela ressort de ce qui a été dit, par le fait que l’un des deux se convertit à la foi, le lien du mariage n’est pas dissous par le fait même, mais, parfois, alors que demeure le lien du mariage, le mariage est dissous quant à la cohabitation et à l’acquittement de ce qui est dû ; dans ce cas, l’infidélité et l’adultère vont d’un même pas, car les deux sont contraires au bien de la descendance. De même qu’il est en son pouvoir de renvoyer [son épouse] adultère ou de demeurer avec elle, de même donc est-il en son pouvoir de renvoyer [son épouse] infidèle ou de demeurer avec elle. En effet, le mari innocent peut librement demeurer avec [son épouse] adultère avec l’espérance qu’elle se corrige, mais non si elle s’obstine dans le péché d’adultère, de crainte de paraître encourager l’infamie, comme on l’a dit plus haut, d. 35, q. 1, a. 2, bien qu’il puisse aussi la renvoyer librement même s’il a espoir qu’elle se corrige. De même, le fidèle converti peut-il demeurer avec une infidèle en espérant sa conversion, s’il voit qu’elle ne s’obstine pas dans son infidélité, et il agit bien en restant avec elle ; cependant, il n’y est pas obligé. C’est là-dessus que porte le conseil de l’Apôtre.

[20683] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod facilius impeditur aliquid fiendum quam destruatur quod rite factum est ; et ideo multa sunt quae impediunt matrimonium contrahendum, si praecedant, quae tamen ipsum non possunt dissolvere, si sequantur ; sicut de affinitate patet ; et similiter dicendum est de disparitate cultus.

1. Il est plus facile d’empêcher ce qui doit être fait que de détruire ce qui a été fait correctement. C’est pourquoi il existe plusieurs choses qui empêchent de contracter mariage, si elles le précèdent, alors qu’elles ne peuvent le dissoudre, si elles le suivent, comme cela ressort pour l’affinité. Il faut dire la même chose pour la disparité de culte.

[20684] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in primitiva Ecclesia tempore apostolorum passim convertebantur ad fidem et Judaei et gentiles ; et ideo tunc vir fidelis poterat habere probabilem spem de conversione uxoris, etiam si conversionem non promitteret. Postmodum autem, tempore procedente, Judaei sunt magis obstinati, et gentes adhuc intrabant ad fidem ; sicut tempore martyrum, et temporibus Constantini imperatoris, et circa tempora illa ; et ideo tunc non erat tutum fideli cum uxore infideli Judaea cohabitare ; nec erat spes de conversione ejus, sicut erat spes de conversione uxoris gentilis ; et ideo tunc fidelis conversus poterat cohabitare cum gentili, sed non cum Judaea, nisi conversionem promitteret ; et secundum hoc loquitur decretum illud. Sed nunc pari passu ambulant utrique, scilicet gentiles et Judaei, quia utrique obstinati sunt ; et ideo nisi uxor infidelis converti velit, non permittitur ei cohabitare, sive sit gentilis, sive Judaea.

2. Dans l’Église primitieve, des Juifs comme des gentils se convertissaient continuellement à la foi. Le mari fidèle pouvait donc avoir un espoir probable que son épouse se convertisse, même si elle ne promettait pas de se convertir. Mais, par la suite, à mesure que le temps passait, les Juifs sont devenus plus obstinés et les gentils continuaient d’entrer dans la foi, comme à l’époque des martyrs et à l’époque de l’empereur Constantin et vers ce moment. Alors, il n’était pas sûr pour un fidèle de cohabiter avec une Juive infidèle ; et il n’y avait pas d’espoir qu’elle se convertisse, comme il y avait espoir que l’épouse païenne se convertisse. Le fidèle converti pouvait donc cohabiter avec une païenne, mais non avc une Juive, à moins qu’elle ne promette de se convertir. C’est ainsi que parle ce décret. Mais, maintenant, les deux vont d’un même pas, les gentils et les Juifs, car les deux sont obstinés. À moins que l’épouse infidèle ne veuille se convertir, il n’est donc pas permis de cohabiter avec elle, qu’elle soit païenne ou juive.

[20685] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod infideles non baptizati non sunt astricti statutis Ecclesiae, sed sunt astricti statutis juris divini ; et ideo si contraxerint aliqui infideles in gradibus secundum legem divinam prohibitis, Levit. 18, sive uterque, sive alter ad fidem convertatur, non possunt in tali matrimonio commanere ; si autem contraxerint in gradibus prohibitis per statutum Ecclesiae, possunt commanere, si uterque convertatur, vel si uno converso spes sit de conversione alterius.

3. Les infidèles non baptisés ne sont pas astreints aux décisions de l’Église, mais ils sont astreints aux décisions du droit divin. Si des infidèles ont contracté mariage selon des degrés interdits d’après la loi divine, Lv 18, que l’un des deux ou que les deux se convertissent à la foi, ils ne peuvent demeurer dans ce mariage. Mais s’ils ont contracté mariage selon des degrés interdits par une décision de l’Église, ils peuvent y demeurer si les deux se convertissent ou si l’un des deux s’étant converti, il y a espoir que l’autre se convertisse.

 [20686] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod habere plures uxores est contra legem naturae, ut supra, dist. 33, qu. 1, art. 1, dictum est, cui etiam infideles sunt astricti ; et ideo non est verum matrimonium infidelis, nisi cum illa cum qua primo contraxit. Unde si ipse cum omnibus suis uxoribus convertatur, potest cum prima cohabitare, et alias debet abjicere. Si autem prima converti noluerit, et aliqua aliarum convertatur, idem jus habet contrahendi cum illa de novo, quod cum alia haberet ; de quo post dicetur.

4. Avoir plusieurs épouses est contraire à la loi de la nature, comme on l’a dit plus haut, d. 33, q. 1, a. 1, à laquelle même les infidèles sont astreints. Le mariage de l’infidèle n’est donc vrai qu’avec celle avec laquelle il l’a contracté en premier lieu. S’il se convertit avec toutes ses épouses, il peut donc cohabiter avec la première et il doit écarter les autres. Mais si la première ne veut pas se convertir et qu’une des autres se convertit, il a le même droit de contracter de nouveau avec elle qu’il aurait avec une autre. On en parlera plus loin.

[20687] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod repudium uxoris, ut supra, dist. 33, dictum est, est contra legem naturae ; unde non licet infideli uxorem repudiare. Et ideo si convertatur postquam una repudiata alteram duxit, idem judicium est de hoc, et de illo qui plures uxores habebat ; quia tenetur primam quam repudiaverat, accipere, si converti voluerit, et aliam abjicere.

5. Comme on l’a dit plus haut, d. 33, répudier son épouse est contraire à la loi naturelle ; il n’est donc pas permis à un infidèle de répudier son épouse. S’il se convertit et en prend une autre, après en avoir répudié une, le même jugement est porté sur celui-ci et sur celui qui avait plusieurs épouses, car il est obligé de prendre la première qu’il avait répudiée, si elle veut se convertir, et d’abandonner l’autre.

 

 

Articulus 4

[20688] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 tit. Utrum fidelis conversus possit uxorem infidelem dimittere, volentem cohabitare sine contumelia creatoris

Article 4 – Un fidèle converti peut-il, sans injure au Créateur, renvoyer son épouse infidèle et qui veut cohabiter ?

[20689] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod fidelis conversus non possit uxorem infidelem dimittere, volentem cohabitare sine contumelia creatoris. Majus enim est vinculum viri ad mulierem quam servi ad dominum. Sed servus conversus non absolvitur a vinculo servitutis, ut patet 1 Cor. 7, et 1 Timoth. 6. Ergo et vir fidelis non potest uxorem infidelem dimittere.

1. Il semble qu’un fidèle converti ne puisse, sans injure au Créateur, renvoyer son épouse infidèle et qui veut cohabiter. En effet, le lien entre mari et femme est plus grand que celui de serviteur à seigneur. Or, le serviteur converti n’est pas délié du lien de la servitude, comme cela ressort de 1 Co 7 et de 1 Tm 6. Le mari fidèle ne peut donc renvoyer son épouse infidèle.

[20690] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, nullus potest alteri praejudicium facere sine ejus consensu. Sed uxor infidelis habebat jus in corpore viri infidelis. Si ergo per hoc quod vir ad fidem convertitur, mulier praejudicium pati posset, ut libere dimitteretur ; non posset vir converti ad fidem sine consensu uxoris, sicut nec potest ordinari, aut vovere continentiam, sine consensu uxoris.

2. Personne ne peut porter préjudice à un autre sans son consentement. Or, l’épouse infidèle avait un droit sur le corps de son mari infidèle. Si donc, par le fait qu’un mari se convertit à la foi, la femme peut subir un préjudice en étant librement renvoyée, le mari ne pourrait se convertir à la foi sans le consentement de son épouse, comme il ne peut être ordonné ou faire vœu de continence sans le consentement de son épouse.

[20691] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si aliquis contrahat cum ancilla scienter, sive sit servus sive liber, non potest propter diversam conditionem ipsam dimittere. Cum ergo vir quando contraxit cum infideli, sciverit eam esse infidelem ; videtur a simili quod non possit eam propter infidelitatem dimittere.

3. Si quelqu’un, serf ou libre, contracte sciemment mariage avec une, il ne peut la renvoyer en raison d’une différence de condition. Puisque le mari, lorsqu’il a contracté mariage avec une infidèle, savait qu’elle était infidèle, il semble donc, en suivant le même raisonnement, qu’il ne puisse la renvoyer en raison de son infidélité.

[20692] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, pater tenetur ex debito procurare salutem prolis. Sed si discederet ab uxore infideli, filii communes matri remanerent, quia partus sequitur ventrem ; et sic essent in periculo salutis. Ergo non potest uxorem infidelem licite dimittere.

4. Le père est obligé en vertu d’une dette d’assurer le salut de sa descendance. Or, s’il se séparait de son épouse infidèle, les fils des deux demeureraient avec la mère, car la naissance suit le ventre. Ils seraient donc ainsi en danger pour leur salut. Il ne peut donc légitimement renvoyer son épouse infidèle.

[20693] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, adulter non potest adulteram dimittere, etiam postquam de adulterio poenitentiam egit. Ergo, si sit idem judicium de adultero et infideli ; nec infidelis infidelem, etiam postquam ad fidem conversus est.

5. Un adultère ne peut renvoyer une adultère, même après avoir fait pénitence de l’adultère. Si le jugement sur l’adultère et l’infidèle est le même, l’infidèle [ne pourrait donc pas renvoyer son épouse] infidèle, même après qu’elle s’est convertie à la foi.

[20694] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus dicit, 1 Cor. 7.

Cependant, [1] l’Apôtre dit le contraire en 1 Co 7.

[20695] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, adulterium spirituale est gravius quam carnale. Sed propter carnale adulterium vir potest uxorem relinquere quantum ad cohabitationem. Ergo multo fortius propter infidelitatem, quae est adulterium spirituale.

[2] L’adultère spirituel est plus grave que l’adultère charnel. Or, en raison de l’adultère charnel, un mari peut laisser son épouse pour ce qui concerne la cohabitation. À bien plus forte raison le peut-il en raison de l’infidélité, qui est un adultère spirituel.

[20696] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod homini secundum aliam et aliam vitam diversa competunt et expediunt ; et ideo qui moritur priori vitae, non tenetur ad illa ad quae in priori vita tenebatur ; et inde est quod ille qui in vita saeculari existens, aliqua vovit, non tenetur illa, quando mundo moritur vitam religiosam assumens, perficere. Ille autem qui ad Baptismum accedit, regeneratur in Christo, et priori vitae moritur, cum generatio unius sit corruptio alterius ; et ideo liberatur ab obligatione qua uxori tenebatur reddere debitum, et ei cohabitare non tenetur quando converti non vult, quamvis in aliquo casu libere id posset facere, ut dictum est ; sicut et religiosus libere perficere potest vota quae in saeculo fecit, si non sunt contra religionem suam, quamvis ad ea non teneatur, ut dictum est in praecedenti dist.

Réponse

Des choses différentes conviennent et sont avantageuses pour un homme selon des vies différentes. Celui qui meurt à une première vie n’est donc pas obligé par ce à quoi il était obligé dans sa vie antérieure. De là vient que celui qui, se trouvant dans la vie du siècle, a fait vœu de certaines choses, n’est pas obligé de les accomplir, lorsqu’il meurt au monde en assumant la vie religieuse. Or, celui qui accède au baptême est régénéré dans le Christ et meurt à sa vie antérieure, puisque la génération d’une chose est la corruption d’une autre. Il est donc libéré de l’obligation par laquelle il était tenu de rendre à son épouse ce qui lui était dû et il n’est pas obligé d’habiter avec elle lorsqu’elle ne veut pas se convertir, bien que, dans un cas, il puisse le faire librement, comme on l’a dit, comme le religieux peut librement accomplir les vœux qu’il a faits dans le siècle, s’ils ne sont pas contraires à sa vie religieuse, bien qu’il n’y soit pas tenu, comme on l’a dit dans la distinction précédente.

[20697] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod servire non est aliquid incompetens Christianae religionis perfectioni, quae maxime humilitatem profitetur ; sed obligatio matrimonii aliquid derogat perfectioni Christianae, cujus vitae summum statum continentes possident ; et ideo non est simile de utroque. Et praeterea unus conjugum non obligatur alteri quasi possessio ejus, sicut domino servus, sed per modum societatis cujusdam, quae non congrue est fidelis ad infidelem, ut patet 1 Corinth. 7 ; et ideo non est simile de servo et conjuge.

1. Servir n’est pas quelque chose de contraire à la perfection de la religion chrétienne, qui professe l’humilité au plus haut point. Mais l’obligation du mariage déroge sur un point à la perfection chrétienne, une vie dont les continents possèdent l’état le plus élevé. Ce n’est donc pas la même chose dans les deux cas. De plus, l’un des époux n’est pas obligé envers l’autre comme s’il était sa possession, comme le serviteur par rapport à son seigneur, mais par mode d’une certaine société qui n’est pas compatible entre le fidèle et l’infidèle, comme cela ressort de 1 Co 7. Il n’en va donc pas de même du serviteur et de l’époux.

[20698] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod uxor non habebat jus in corpore viri nisi quamdiu in vita illa manebat in qua contraxerat ; quia etiam mortuo viro uxor soluta est a lege viri, ut patet Rom. 7 ; et ideo, si postquam vir mutat vitam moriens priori vitae, ab ea discedat, nullum fit ei praejudicium. Transiens autem ad religionem, moritur tantum spirituali morte, non autem corporali ; et ideo, si matrimonium sit consummatum, non potest vir sine consensu uxoris ad religionem transire ; potest autem ante copulam carnalem, quando est tantum copula spiritualis. Sed ille qui ad Baptismum accedit, corporaliter etiam, Christo consepelitur in mortem ; et ideo a debito reddendo absolvitur etiam post matrimonium consummatum. Vel dicendum, quod ex culpa sua uxor praejudicium patitur, quae converti contemnit.

2. L’épouse n’avait de droit sur le corps de son mari que pendant qu’il était dans la vie où il avait contracté mariage, car, si son mari est mort, l’épouse est aussi déliée de la loi de son mari, comme cela ressort de Rm 7. Si un mari se sépare d’elle après avoir changé de vie en mourant à sa vie antérieure, aucun préjudice ne lui est donc porté. Mais, en passant à la vie religieuse, il meurt seulement d’une mort spirituelle, et non d’une vie corporelle. Si le mariage a été consommé, le mari ne peut donc pas passer à la vie religieuse sans le consentement de son épouse ; mais il le peut avant l’union charnelle, alors qu’il n’existe qu’une union spirituelle. Mais celui qui accède au baptême est enseveli dans la mort avec le Christ, même corporellement. Il est donc délié de l’acquittement de sa dette, même après que le mariage a été consommé. Ou bien il faut dire que l’épouse, qui méprise de se convertir, subit un préjudice par sa faute.

[20699] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod disparitas cultus facit personam simpliciter illegitimam ; non autem conditio servitutis, sed solum quando est ignorata ; et ideo non est similis ratio de infideli et ancilla.

3. La disparité de culte rend une personne tout simplement illégitime ; non la condition de servitude cependant, mais seulement lorsqu’elle est ignorée. Le raisonnement n’est donc pas le même pour l’infidèle et la servante.

[20700] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proles aut pervenit ad perfectam aetatem, et tunc poterit libere sequi patrem fidelem, vel matrem infidelem ; vel est in minori aetate constituta ; et tunc debet dari fideli, non obstante quod indiget matris obsequio ad educationem.

4. Ou bien la descendance parvient à l’âge adulte, et elle pourra alors suivre librement son père fidèle ou sa mère infidèle ; ou bien elle est à l’âge de la minorité, et elle doit être donnée à celui qui est fidèle, malgré le fait qu’elle a besoin de l’attention de la mère pour son éducation.

[20701] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod adulter per poenitentiam non transit ad aliam vitam, sicut infidelis per Baptismum ; et ideo non est similis ratio.

5. Un homme adultère ne passe pas à une autre vie par la pénitence, comme l’infidèle par le baptême. Le raisonnement n’est donc pas le même.

 

 

Articulus 5

[20702] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 tit. Utrum fidelis discedens ab uxore infideli possit aliam ducere in uxorem

Article 5 – Le fidèle qui se sépare de son épouse infidèle peut-il prendre une autre épouse ?

[20703] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod fidelis discedens ab uxore infideli, non possit aliam ducere in uxorem. Quia insolubilitas matrimonii est de ratione ipsius, cum repudium uxoris sit contra legem naturae, ut supra, distinc. 33, qu. 1, art. 1, dictum est. Sed inter infideles erat verum matrimonium. Ergo nullo modo potest illud matrimonium solvi. Sed manente vinculo matrimonii ad unam, non potest aliquis cum alia contrahere. Ergo fidelis discedens non potest cum alia contrahere.

1. Il semble que le fidèle qui se sépare de son épouse infidèle ne puisse pas prendre une autre épouse, car l’indissolubilité du mariage fait partie de sa nature, puisque la répudiation de l’épouse est contraire à la loi de la nature, comme on l’a dit plus haut, d. 33, a. 1. Mais, entre infidèles, un vrai mariage existait. Ce mariage ne peut donc être dissous d’aucune manière. Or, aussi longtemps que dure le lien du mariage avec une femme, quelqu’un ne peut contracter mariage avec une autre. Le fidèle qui se sépare ne peut donc pas contracter mariage avec une autre.

[20704] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, crimen superveniens matrimonio non solvit matrimonium. Sed si mulier velit cohabitare sine contumelia creatoris, non est solutum vinculum matrimonii ; quia vir non potest aliam ducere. Ergo peccatum uxoris quae non vult cohabitare sine contumelia creatoris, non solvit matrimonium, ut possit libere vir aliam uxorem ducere.

2. Le crime qui survient après le mariage ne dissout pas le mariage. Or, si une femme veut cohabiter sans offense faite au Créateur, le lien du mariage n’est pas dissoous, car le mari ne peut en épouser une autre. Le péché de l’épouse qui ne veut pas cohabiter sans offense au Créateur ne dissout donc pas le mariage, de sorte que le mari puisse en épouser une autre.

[20705] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, vir et uxor sunt pares in vinculo matrimonii. Cum ergo uxori infideli non liceat vivente viro alium virum ducere, videtur quod nec fideli liceat.

3. Le mari et la femme sont égaux pour le lien du mariage. Puisqu’il n’est pas permis à l’épouse infidèle de prendre un autre époux aussi longtemps que son mari est vivant, il semble donc que cela ne soit pas non plus permis à [l’épouse] fidèle.

[20706] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, favorabilius est continentiae votum quam matrimonii contractus. Sed viro fideli uxoris infidelis non licet, ut videtur, votum continentiae emittere : quia tunc uxor fraudaretur matrimonio, si postmodum converteretur. Ergo multo minus licet ei matrimonium contrahere cum alia.

4. Le vœu est plus favorable à la continence que le mariage. Or, il semble qu’il ne soit pas permis au mari fidèle d’une épouse infidèle d’émettre un vœu de continence, car alors l’épouse serait privée du mariage, si elle se convertissait par la suite. Encore bien moins lui est-il donc permis de contracter mariage avec une autre.

[20707] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, filius qui remanet in infidelitate, patre converso, amittit jus paternae hereditatis ; et tamen si postea convertitur, redditur ei sua hereditas, etiam si alius in possessionem intravit. Ergo videtur a simili, quod si uxor fidelis postea convertatur, sibi sit reddendus vir suus, etiam si cum alia contraxerit ; quod non posset esse, si secundum matrimonium esset verum. Ergo non potest contrahi cum alia.

5. Le fils qui demeure dans l’infidélité, alors que son père s’est converti, perd son droit à l’héritage paternel ; cependant, s’il se convertit par la suite, son héritage lui est rendu, même si un autre en avait pris possession. Il semble donc, par un raisonnement similaire, que si une épouse fidèle se convertit par la suite, son mari doit lui être rendu, même s’il a contracté mariage avec une autre, ce qui ne pourrait pas être le cas si le second mariage était vrai. Il ne peut donc pas contracter mariage avec une autre.

[20708] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, matrimonium non est ratum sine sacramento Baptismi. Sed quod non est ratum, potest dissolvi. Ergo matrimonium in infidelitate contractum potest dissolvi ; et ita soluto matrimoniali vinculo, licet viro alteram ducere uxorem.

Cependant, [1] le mariage n’est pas ratifié sans le sacrement de baptême. Or, ce qui n’est pas ratifié peut être dissous. Le mariage contracté dans l’infidélité peut donc être dissous ; et ainsi, une fois délié le lien du mariage, il est permis à un homme d’avoir une autre épouse.

[20709] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, vir non debet cohabitare uxori infideli nolenti cohabitare sine contumelia creatoris. Si ergo non liceret ei aliam ducere, cogeretur continentiam servare ; quod videtur inconveniens ; quia sic ex conversione sua incommodum reportaret.

[2] Un homme ne doit pas cohabiter avec son épouse infidèle qui ne veut pas cohabiter sans injure au Créateur. Si donc il ne lui était pas permis de prendre une autre épouse, il serait forcé de garder la continence, ce qui semble inapproprié, car il tirerait ainsi de sa conversion un inconvénient.

[20710] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod quando alter conjugum ad fidem convertitur, altero in infidelitate remanente, distinguendum est. Quia si infidelis vult cohabitare sine contumelia creatoris, vel sine hoc quod ad infidelitatem inducat, potest fidelis libere discedere ; sed discedens non potest alteri nubere. Si autem infidelis non velit cohabitare sine contumelia creatoris in verba blasphemiae prorumpens, et nomen Christi audire nolens ; tunc si ad infidelitatem detrahere nitatur, vir fidelis discedens potest alteri per matrimonium copulari.

Réponse

Lorsqu’un des époux se convertit à la foi, alors que l’autre demeure dans l’infidélité, il faut faire une distinction, car si l’infidèle veut cohabiter sans injure au Créateur ou sans inciter à l’infidélité, le fidèle peut librement se séparer, mais, en se séparant, il ne peut en épouser une autre. Mais si l’infidèle ne veut pas cohabiter sans injure au Créateur, en proférant des paroles blasphématoires et en ne voulant pas entendre le nom du Christ, alors, si elle s’efforce de l’attirer à l’infidélité, le mari fidèle qui se sépare peut s’unir à une autre par le mariage.

[20711] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod matrimonium infidelium imperfectum est, ut dictum est art. 2 hujus quaest. Sed matrimonium fidelium est perfectum, et ita est firmius. Semper autem firmius vinculum solvit minus firmum, si sit ei contrarium ; et ideo matrimonium quod post in fide Christi contrahitur, solvit matrimonium quod prius in infidelitate contractum erat ; unde matrimonium infidelium non est omnino firmum et ratum ; sed ratificatur postmodum per fidem Christi.

1. Le mariage des infidèles est imparfait, comme on l’a dit à l’a. 2 de la présente question. Mais le mariage des fidèles est parfait et ainsi plus solide. Or, un lien plus solide rompt toujours un lien moins solide, s’il lui est contraire. Ainsi, le mariage qui a été contracté par la suite dans la foi au Christ dissout le mariage qui avait été d’abord contracté dans l’infidélité. Le mariage des infidèles n’est donc pas complètement solide et ratifié, mais il est ratifié par la suite par la foi au Christ.

[20712] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod crimen uxoris nolentis cohabitare sine contumelia creatoris absolvit virum a servitute qua tenebatur uxori, ut non posset ea vivente aliam ducere ; sed nondum solvit matrimonium : quia si blasphema illa converteretur antequam ille aliud matrimonium contraheret, redderetur ei vir suus : sed solvitur per matrimonium sequens, ad quod pervenire non posset vir fidelis non solutus a servitute uxoris per culpam ejus.

2. La faute de l’épouse qui ne veut pas cohabiter sans injure au Créateur délivre le mari de la servitude par laquelle il était lié à son épouse, [servitude] qui l’empêchait de prendre une autre épouse aussi longtemps qu’elle vivait. Mais elle ne dissout pas le mariage, car si l’épouse qui blasphème se convertissait avant que son mari contracte un autre mariage, son mari lui serait rendu. Mais le mariage est dissous par un mariage subséquent, auquel ne peut parvenir un mari fidèle non délié de la servitude de son épouse par sa faute.

[20713] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod postquam fidelis contraxit, solutum est vinculum matrimonii ex utraque parte : quia matrimonium non claudicat quantum ad vinculum, sed quandoque claudicat quantum ad effectum. Unde in poenam uxoris infidelis ei indicitur quod non possit cum alio contrahere, magis quam ex virtute matrimonii praecedentis. Sed si postea convertatur, potest ei concedi dispensative ut alteri nubat, si vir ejus aliam uxorem duxit.

3. Après qu’un fidèle a contracté mariage, le lien du mariage est dissous des deux côtés, car le mariage ne boite pas pour ce qui est du lien, mais il boite parfois pour ce qui est de son effet. Aussi est-il imposé comme peine à l’épouse infidèle qu’elle ne puisse contracter mariage avec un autre, plutôt qu’en vertu d’un mariage précédent. Mais si elle se convertit par la suite, il peut lui être concédé comme dispense d’en épouser un autre, si son mari a pris une autre épouse.

[20714] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si post conversionem viri sit aliqua probabilis spes de conversione uxoris, non debet votum continentiae vir emittere, nec ad aliud matrimonium transire : quia difficilius converteretur uxor, viro suo sciens se privatam. Si autem non sit spes de conversione, potest ad sacros ordines vel ad religionem accedere, prius requisita uxore quod convertatur ; et tunc, si postquam vir sacros ordines accepit, uxor convertatur, non est sibi vir suus reddendus : sed debet sibi imputare in poenam tardae conversionis quod viro suo privatur.

4. Si, après la conversion du mari, il existe un espoir probable de la conversion de l’épouse, le mari ne doit pas émettre de vœu de continence ni passer à un autre mariage, car l’épouse se convertirait plus difficilement si elle savait qu’elle est privée de son mari. Mais s’il n’y a pas d’espoir de conversion, il peut accéder aux ordres sacrés ou à la vie religieuse, après avoir d’abord demandé à son épouse de se convertir. Alors, si l’épouse se convertit après que le mari a reçu les ordres sacrés, son mari ne doit pas lui être rendu ; mais on doit lui imposer comme peine pour sa conversion tardive d’être privée de son mari.

[20715] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod vinculum paternitatis non solvitur per disparem cultum, sicut vinculum matrimonii ; et ideo non est simile de hereditate et uxore.

5. Le lien de paternité n’est pas dissous par la disparité de culte comme le lien du mariage. Il n’en va donc pas de même de l’héritage et de l’épouse.

 

 

Articulus 6

[20716] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 tit. Utrum alia vitia solvant matrimonium, sicut infidelitas

Article 6 – D’autres vices dissolvent-ils le mariage comme l’infidélité ?

[20717] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod alia vitia solvant matrimonium, sicut et infidelitas. Adulterium enim directius videtur esse contra matrimonium quam infidelitas. Sed infidelitas in aliquo casu solvit matrimonium, ut liceat ad aliud matrimonium transire. Ergo et adulterium idem facit.

1. Il semble que d’autres vices dissolvent le mariage comme l’infidélité. En effet, l’adultère semble être davantage contraire au mariage que l’infidélité. Or, l’infidélié dissout le mariage dans un cas, de sorte qu’il n’est pas permis de passer à un autre mariage. L’adultère fait donc la même chose.

[20718] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, sicut infidelitas est fornicatio spiritualis, ita etiam quodlibet peccatum. Si ergo propter hoc infidelitas matrimonium solvit, quia est fornicatio spiritualis, quodlibet aliud peccatum matrimonium solvit pari ratione.

2. De même que l’infidélité est une fornication spirituelle, de même aussi tous les péchés. Si donc l’infidélité dissout le mariage pour la raison qu’elle est une fornication spirituelle, tout autre péché dissout le mariage pour un égale raison.

[20719] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, Matth. 5, 30, dicitur : si dextera manus tua scandalizat te, abscinde eam, et projice abs te ; et dicit Glossa quod in manu et in dextero oculo possunt accipi fratres, uxor, propinqui, et filii. Sed per quodlibet peccatum efficiuntur nobis impedimento. Ergo propter quodlibet peccatum potest dissolvi matrimonium.

3. Mt 5, 30 dit : Si ta main droite te scandalise, coupe-la et lance-la loin de toi ; la Glose dit que, par la main et par l'œil droit, on peut entendre les frères, l’épouse, les proches et les fils. Or, ils deviennent pour nous des empêchements par tous les péchés. Le mariage peut donc être dissous pour tous les péchés.

[20720] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, avaritia idolatria est, ut dicitur Ephes. 5. Sed propter idolatriam potest mulier dimitti. Ergo pari ratione propter avaritiam, et ita propter alia peccata, quae sunt majora quam avaritia.

4. L’avarice est de l’idolatrie, comme il est dit en Ep 5. Or, en raison de l’idolatrie, une femme peut être renvoyée. Pour la même raison, elle le peut donc en raison de l’avarice, et ainsi pour les autres péchés, qui sont plus grands que l’avarice.

[20721] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, Magister hoc expresse dicit in littera.

5. Le Maître le dit expressément dans le texte.

[20722] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 5, 31 : qui dimiserit uxorem, excepta causa fornicationis, moechatur.

Cependant, [1] il est dit en Mt 5, 31 : Celui qui renvoie son épouse, sauf dans le cas d’adultère, commet l’adultère.

[20723] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, secundum hoc tota die fierent divortia, cum raro inveniatur matrimonium in quo conjugum alter in peccatum non labatur.

[2] En allant dans ce sens, on ferait des divorces tous les jours, puisqu’on trouve rarement un mariage où l’un des époux ne tombe pas dans le péché.

[20724] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod fornicatio corporalis et infidelitas specialem habent contrarietatem ad bona matrimonii, ut ex dictis patere potest, unde specialiter habent vim separandi matrimonia. Sed tamen intelligendum, quod matrimonium dupliciter solvitur. Uno modo quantum ad vinculum ; et sic non potest solvi postquam matrimonium est ratificatum, neque per infidelitatem neque per adulterium ; sed si non est ratificatum, solvitur vinculum permanente infidelitate in altero conjugum, si alter conversus ad fidem ad aliud conjugium transeat ; non autem solvitur vinculum praedictum per adulterium ; alias infidelis libere posset dare libellum repudii uxori adulterae, et ea dimissa alteram ducere ; quod falsum est. Alio modo solvitur matrimonium quantum ad actum ; et sic solvi potest tam per infidelitatem quam per fornicationem corporalem, ut supra, dist. 35, dictum est ; sed propter alia peccata non potest solvi matrimonium, etiam quantum ad actum, nisi forte ad tempus vir se velit subtrahere a consortio uxoris ad castigationem ejus, subtrahendo ei praesentiae suae solatium.

Réponse

La fornication corporelle et l’infidélité sont contraires aux biens du mariage d’une manière spéciale, comme cela peut ressortir de ce qui a été dit ; elles ont donc une capacité particulière de séparer les mariages. Cependant, il faut comprendre que le mariage est dissous de deux manières. D’une manière, quant au lien : il ne peut être ainsi dissous, après que le mariage a été ratifié, ni par l’infidélité ni par l’adultère. Mais s’il n’est pas ratifié, le lien est dissous alors que l’infidélité demeure chez l’un des époux, si l’autre qui s’est converti à la foi passe à un autre mariage ; mais le lien en question n’est pas dissous par l’adultère, autrement l’infidèle pourrait librement donner un livret de répudiation à l’infidèle et, une fois celle-ci renvoyée, en prendre une autre, ce qui est faux. D’une autre manière, le mariage est dissous quant à l’acte. Il peut être ainsi dissous tant par l’infidélité que par la fornication corporelle, comme on l’a dit plus haut, d. 35. Mais le mariage ne peut être dissous pour d’autres péchés, même quant à l’acte, sauf si le mari veut se soustraire pour un temps de la vie avec son épouse pour la corriger, en lui enlevant la consolation de sa présence.

[20725] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis adulterium magis directe opponatur matrimonio, inquantum est in officium naturae, quam infidelitas ; tamen e converso est secundum quod matrimonium est sacramentum Ecclesiae, ex quo habet perfectam firmitatem, inquantum significat indivisibilem conjunctionem Christi et Ecclesiae ; et ideo matrimonium quod non est ratum, magis potest solvi quantum ad vinculum per infidelitatem quam per adulterium.

1. Bien que l’adultère s’oppose plus directement au mariage en tant qu’il est une fonction de la nature, cependant, il en va en sens inverse pour le mariage en tant qu’il est un sacrement de l’Église, du fait qu’il possède une solidité parfaite pour autant qu’il signifie l’union indivisible du Christ et de l’Église. Aussi le mariage qui n’est pas ratifié peut-il être davantage rompu quant au lien par l’infidélité que par l’adultère.

[20726] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prima conjunctio animae ad Deum est per fidem ; et ideo per eam anima quasi desponsatur Deo, ut patet Oseae 2, 20 : sponsabo te mihi in fide ; unde in sacra Scriptura specialiter per fornicationem idolatria et infidelitas designantur ; sed alia peccata magis remota significatione dicuntur spirituales fornicationes.

2. Le première union de l’âme avec Dieu se réalise par la foi : c’est pourquoi l’âme est fiancée à Dieu par elle, comme cela ressort de Os 2, 20 : Je t’épouserai dans la foi. Aussi, dans l’Écriture Sainte, l’idolatrie et l’infidélité sont-elles appelées d’une manière particulière une fornication. Mais les autres péchés sont appelés des fornications en un sens plus éloigné.

[20727] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligendum est quando mulier praestat magnam occasionem ruinae viro suo, ut vir probabiliter sibi de periculo timeat : tunc enim vir potest se subtrahere ab ejus conversatione, ut dictum est.

3. Cela doit s’entendre de la situation où la femme donne à son mari une grande occasion de ruine, de sorte que le mari craigne avec probabilité un danger : en effet, le mari peut alors se soustraire de sa fréquentation, comme on l’a dit.

[20728] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod avaritia dicitur idolatria per quamdam similitudinem servitutis, quia tam avarus quam idolatra potius servit creaturae quam creatori ; non autem per similitudinem infidelitatis ; quia corruptio infidelitatis est in intellectu, sed avaritiae in affectu.

4. L’avarice est appelée idolatrie par ressemblance avec la servitude, car aussi bien l’avare que l’idolatre servent la créature plutôt que le Créateur ; mais [elle n’est pas appelée idolatrie] par ressemblance avec l’infidélité, car la corruption qu’est l’infidélité atteint l’intelligence, mais l’avarice, l’affectivité.

[20729] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verba Magistri sunt accipienda de sponsalibus : quia propter crimen superveniens sponsalia solvi possunt. Vel si loquamur de matrimonio, intelligendum est de separatione a communi conversatione ad tempus, ut dictum est, vel quando uxor non vult cohabitare nisi sub conditione peccandi, ut cum dicit : non ero uxor tua, nisi mihi de latrocinio divitias congreges etc., tunc enim potius debet eam dimittere quam latrocinia exercere.

5. Les paroles du Maître doivent s’entendre des fiançailles, car, en raison d’une faute grave qui survient, les fiançailles peuvent être rompues. Ou bien, si nous parlons du mariage, il faut l’entendre de la séparation de la vie commune pour un temps, comme on l’a dit, ou de la situation où l’épouse ne veut cohabiter qu’à condition de pécher, comme lorsqu’elle dit : « Je ne serai pas ton épouse, à moins que tu n’amasses pour moi des richesses par le vol, etc. » En effet, il doit alors plutôt la renvoyer que pratiquer le vol.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 39

[20730] Super Sent., lib. 4 d. 39 q. 1 a. 6 expos. Et alienigenam, idest haereticam. Crimen haeresis impedit matrimonium semper contrahendum ; sed non dirimit contractum, nisi sit talis haeretica quae Baptismi sacramentum non acceperit, aut non in forma Ecclesiae fuerit baptizata. Si ambo crediderunt, per agnitionem Dei confirmatur conjugium. Sed contra. Si mulier ante conversionem fuerit fornicata, tenebitur eam vir recipere, etiam si converti voluerit, ut videtur. Et dicendum, quod si mulier conversa repetat virum suum conversum, vir non potest excipere contra eam de fornicatione prius commissa, si ipse occasionem fornicationi dedit ; puta, si noluit cohabitare ei volenti cohabitare sine contumelia creatoris ; alias potest excipere ; et tamen ratificatur matrimonium, ita quod ulterius non possit solvi quantum ad vinculum, ut viro liceat aliam uxorem ducere, quamvis possit solvi quantum ad actum.

 

 

 

Distinctio 40

Distinction 40 – [L’empêchement de consanguinité]

Prooemium

Prologue

[20731] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de impedimento matrimonii, quo persona redditur illegitima simpliciter respectu alicujus personae propter distantiam ad ipsam, hic incipit determinare de impedimentis quibus persona redditur simpliciter illegitima respectu alterius propter propinquitatem ad eam ; et dividitur in partes duas : in prima determinat de impedimento propinquitatis carnalis ; in secunda de impedimento propinquitatis spiritualis, 42 dist., ibi : jam de spirituali cognatione addamus. Prima in duas : in prima determinat de consanguinitate ; in secunda de affinitate, 41 dist., ibi : nunc de affinitate videndum est. Prima in duas : in prima ostendit secundum quos gradus consanguinitas matrimonium impediat ; in secunda objicit in contrarium, et solvit, ibi : his autem occurrit illud quod Gregorius Augustino Anglorum episcopo (...) rescribit. Prima in duas : in prima ostendit usque ad quos gradus consanguinitas matrimonium impediat ; in secunda ostendit rationem hujus distinctionis, ibi : quare vero sex gradus computet Isidorus, ipse aperit. Prima in duas : in prima ostendit usque ad quos gradus consanguinitas matrimonium impediat ; in secunda ostendit quomodo sunt gradus praedicti computandi, ibi : quomodo autem gradus consanguinitatis computandi sint, Isidorus ostendit sic. Hic quaeruntur quatuor : 1 quid sit consanguinitas ; 2 de distinctione ipsius ; 3 utrum secundum aliquos gradus impediat matrimonium de jure naturali ; 4 utrum gradus matrimonium impedientes possint per statutum Ecclesiae determinari.

Après avoir déterminé de l’empêchement de mariage par lequel une personne est rendue illégitime par rapport à une autre personne en raison de sa distance par rapport à elle, ici le Maître commence à déterminer des empêchements par lesquels une personne est rendue simplement illégitime par rapport à une autre en raison de sa proximité par rapport à elle. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de l’empêchement dû à une proximité charnelle ; dans la seconde, de l’empêchement dû à une proximité spirituelle, d. 42, à cet endroit : « Poursuivons par l’affinité spirituelle. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la consanguinité ; dans la seconde, de l’affinité, d. 41, à cet endroit : « Maintenant, à propos de l’affinité, il faut voir. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre quels degrés de consanguinité empêchent le mariage ; dans la seconde, il présente une objection en sens contraire et y répond, à cet endroit : « À cela s’oppose ce que Grégoire… écrit à Augustin, l’évêque des Angles. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre jusqu’à quel degré la consanguinité empêche le mariage ; dans la seconde, il montre la raison de cette distinction, à cet endroit : « Pourquoi Isidore compte-t-il six degrés, il le dévoile lui-même. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre jusqu’à quel degré la consanguinité empêche le mariage ; dans la seconde, il montre comment les degrés en question doivent être comptés, à cet endroit : « Comment les degrés de consanguinité doivent être comptés, Isidore le montre, etc. » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la consanguinité ? 2 – Quelles en sont les distinctions ? 3 – Certains de ses degrés empêchent-ils le mariage selon le droit naturel ? 4 –Les degrés qui empêchent le mariage peuvent-ils être déterminés par une décision de l’Église ?

 

 

Articulus 1

[20732] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio consanguinitatis quam quidam ponunt, sit competens

Article 1 – La définition de la consanguinité donnée par certains est-elle exacte ?

[20733] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod definitio consanguinitatis quam quidam ponunt, sit incompetens, scilicet : consanguinitas est vinculum ab eodem stipite descendentium carnali propagatione contractum. Omnes enim homines ab eodem stipite carnali propagatione descendunt, scilicet ab Adam. Si ergo recta esset praedicta definitio consanguinitatis, omnes homines essent consanguinei ad invicem ; quod falsum est.

1. Il semble que la définition de la consanguinité donnée par certains ne soit pas exacte : « La consanguinité est lien qui existe entre les descendants d’une même souche, contracté par la transmission charnelle. » En effet, tous les hommes descendent d’une même souche charnelle par mode de transmission : Adam. Si donc la définition donnée était correcte, tous les hommes seraient les consanguins les uns des autres, ce qui est faux.

[20734] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, vinculum non potest esse nisi aliquorum ad invicem convenientium, quia vinculum unit. Sed eorum qui descendunt ab uno stipite, non est major convenientia ad invicem quam aliorum hominum, cum conveniant specie, et differant numero, sicut et alii homines. Ergo consanguinitas non est aliquod vinculum.

2. Un lien ne peut exister qu’entre ceux qui ont quelque chose en commun, car un lien unit. Or, ceux qui descendent d’une même souche n’ont pas plus en commun que les autres hommes, puisqu’ils ont en commun l’espèce et se différencient par le nombre, comme les autres hommes. La consanguinité n’est donc pas un lien.

[20735] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, carnalis propagatio, secundum philosophum, fit de superfluo alimenti. Sed tale superfluum magis habet convenientiam cum rebus comestis, cum quibus in substantia convenit, quam cum illo qui comedit. Cum ergo non nascatur aliquod vinculum consanguinitatis ejus qui nascitur ex semine ad res comestas, nec ad generantem ex carnali propagatione nascetur aliquod propinquitatis vinculum.

3. Selon le Philosophe, la transmission charnelle se réalise à partir de ce qui est superflu dans la nourriture. Or, un tel superflu a davantage en commun avec les choses mangées, avec lesquelles il a en commun la substance, qu’avec celui qui mange. Puisque n’est pas formé un lien de consanguinité de celui qui naît à partir de la semence en regard des choses mangées, ne sera donc pas formé un lien de proximité par rapport à celui qui engendre par la transmission charnelle.

[20736] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Genes. 19, 14, Laban dixit ad Jacob : os meum et caro mea es, ratione cognationis quae erat inter eos. Ergo talis propinquitas magis debet dici carnalitas quam consanguinitas.

4. En Gn 19, 14, Laban dit à Jacob : Tu es ma bouche et ma chair, en raison du lien de parenté qui existait entre eux. Une telle proximité doit donc être plutôt appelée chair commune que consanguinité.

[20737] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, carnalis propagatio communis est hominibus et animalibus. Sed in animalibus in carnali propagatione non contrahitur consanguinitatis vinculum. Ergo nec in hominibus.

5. La transmission charnelle est commune aux hommes et aux animaux. Or, chez les animaux, un lien de consanguinité n’est pas contracté par la transmission charnelle. Donc, chez les hommes non plus.

[20738] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum in 8 Ethic., omnis amicitia in aliqua communicatione consistit ; et quia amicitia ligatio sive unio quaedam est, ideo communicatio quae est amicitiae causa, vinculum dicitur ; et ideo secundum quamlibet communicationem denominantur aliqui quasi colligati ad invicem, sicut dicuntur concives qui habent politicam communionem ad invicem, et commilitones qui conveniunt in militari negotio ; et eodem modo illi qui conveniunt naturali communicatione, dicuntur consanguinei ; et ideo in praedicta definitione ponitur quasi consanguinitatis genus vinculum ; quasi subjectum, personae descendentes ab uno stipite, quorum est hujusmodi vinculum, quasi principium carnalis propagatio.

Réponse

Selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, toute amitié consiste dans un partage, et parce que l’amitié est un lien ou une union, le partage qui est la cause de l’amitié est appelé un lien. C’est pourquoi, en fonction de n’importe quel partage, on dit que certains sont liés les uns aux autres, comme on le dit des concitoyens, qui ont une communion politique les uns envers les autres, et des compagnons d’armes, qui ont en commun une entreprise militaire. De la même manière, ceux qui ont en commun un partage naturel sont appelés consanguins. Aussi, dans la définition donnée, présente-t-on le lien comme genre de la consanguinité, comme sujet, les personnes qui descendent d’une même souche, auxquelles appartient un tel lien, et comme principe, la transmission charnelle.

[20739] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus activa non recipitur secundum eamdem perfectionem in instrumento secundum quam est in principali agente ; et quia omne movens motum est instrumentum, inde est quod virtus primi motoris in aliquo genere per multa media deducta tandem deficit, et pervenitur ad aliquid quod est motum tantum, et non movens. Virtus autem generantis movet non solum quantum ad id quod est speciei, sed etiam quantum ad id quod est individui, ratione cujus filius assimilatur patri etiam in accidentalibus, non solum in natura speciei ; nec tamen individualis virtus patris ita perfecte in filio est sicut in patre erat, et adhuc in nepote minus, et sic deinceps debilitatur ; et inde est quod virtus illa quandoque deficit, ut ultra procedere non possit. Et quia consanguinitas est inquantum multi communicant in tali virtute ex uno in multos per propagationem deducta, paulatim se consanguinitas dirimit, ut Isidorus dicit ; et ideo non oportet accipere stipitem remotum in definitione consanguinitatis, sed propinquum, cujus virtus adhuc manet in illis qui ex eo propagantur.

1. La puissance active n’est pas reçue avec la même perfection dans l’instrument et dans l’agent principal. Et parce que tout ce qui meut et est mû est un instrument, la vertu du premier moteur à l’intérieur d’un genre, lorsqu’elle est transmise par plusieurs intermédiaires, s’affaiblit, et l’on parvient à quelque chose qui est mû seulement, et qui ne meut pas. Or, la puissance de celui qui engendre meut non seulement pour ce qui est de l’espèce, mais aussi pour ce qui est de l’individu, en raison de quoi le fils ressemble à son père même pour les caractères accidentels, et non seulement pour la nature de l’espèce. Cependant, la puissance individuelle du père n’existe pas aussi parfaitement dans le fils qu’elle existait dans le père, et encore moins dans le neveu, et ainsi elle s’affaiblit par la suite. De là vient que, parfois, cette puissance fait défaut, de sorte qu’elle ne peut aller plus loin. Et parce que la consanguinité vient de ce que plusieurs participent à une telle puissance communiquée par transmission depuis un seul à plusieurs, la consanguinité s’abolit peu à peu, comme le dit Isidore. Aussi ne faut-il pas retenir la souche éloignée dans la définition de la consanguinité, mais la souche rapprochée, dont la puissance demeure encore en ceux qui descendent d’elle.

[20740] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam patet ex dictis quod non solum conveniunt consanguinei in natura speciei, sed etiam in virtute propria ipsius individui ex uno in multos traducta, ex qua contingit quandoque quod filius non solum assimilatur patri, sed avo, vel remotis parentibus, ut dicitur in 18 de animalibus.

2. Il ressort déjà de ce qui a été dit que les consanguins ont en commun non seulement la nature de l’espèce, mais aussi la puissance propre de l’individu qui est transmise d’un à plusieurs, d’où vient parfois que le fils devient semblable non seulement au père, mais aussi au grand-père et aux parents éloignés, comme on le dit dans Sur les animaux, XVIII.

[20741] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod convenientia magis attenditur secundum formam, secundum quam aliquis est actu, quam secundum materiam, secundum quam est in potentia ; quod patet in hoc quod carbo magis convenit cum igne quam cum arbore unde abscissum est lignum ; et similiter alimentum quod jam conversum est in speciem nutriti per virtutem nutritivam, magis convenit cum ipso nutrito quam cum illa re unde sumptum est nutrimentum. Ratio autem procederet secundum opinionem illorum qui dicebant, quod tota natura rei est materia, et quod formae omnes sunt accidentia ; quod falsum est.

3. Le fait d’avoir en commun se prend plutôt du côté de la forme, selon laquelle quelqu’un existe en acte, que selon la matière, selon laquelle il existe en puissance, ce qui ressort du fait que le charbon a plus en commun avec le feu qu’avec l’arbre dont le bois a été extrait ; de même, l’aliment qui est converti en l’espèce de celui qui est nourri par la puissance nutritive, a plus en commuun avec celui qui est nourri qu’avec ce dont provient l’aliment pris. Mais le raisonnement serait plus conforme à l’opinion de ceux qui disaient que toute la nature d’une chose est matière, et que toutes les formes sont des accidents, ce qui est faux.

[20742] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod proxime convertitur in semen, est sanguis, ut probatur in 15 de animalibus ; et propter hoc, vinculum quod ex propagatione carnali contrahitur, convenientius dicitur consanguinitas quam carnalitas ; et quod aliquando unus consanguineus dicitur esse caro alterius, hoc est inquantum sanguis qui in semen viri aut menstruum convertitur, est potentia caro et os.

4. Ce qui est converti en semence de manière rapprochée est le sang, comme on le démontre dans Sur les animaux, XV. Pour cette raison, le lien qui est contracté par la transmission charnelle est appelé de manière plus appropriée consanguinité que caractère charnel. Et le fait qu’on dise parfois qu’un consanguin est la chair d’un autre vient de ce que le sang qui est converti en la semence d’un homme ou en menstrues est en puissance chair et os.

[20743] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidam dicunt, quod ideo consanguinitatis vinculum contrahitur inter homines ex carnali propagatione, et non inter alia animalia, quia quidquid est de humanae naturae veritate in omnibus hominibus, fuit in primo parente, quod non est de aliis animalibus. Sed secundum hoc consanguinitas nunquam dirimi posset. Praedicta autem positio in 2 Lib., dist. 30, qu. 1, art. 2, in corp., improbata est ; unde dicendum, quod hoc ideo convenit, quia animalia non conjunguntur ad amicitiae unitatem propter propagationem multorum ex uno parente proximo, sicut est de hominibus, ut dictum est, in corp. art.

5. Certains disent que le lien de consanguinité est effectivement contracté entre les hommes par la transmission charnelle, et non entre les animaux, parce que tout ce qui se trouve de vérité de la nature humane dans tous les hommes vient du premier parent, ce qui n’est pas le cas des autres animaux. Mais, d’après cela, la consanguinité ne pourrait jamais être effacée. Or, la position précédente a été réfutée dans le livre II, d. 30, q. 1, a. 2, c. Il faut donc dire que cela est approprié parce que les animaux ne sont pas unis par l’unité de l’amitié en raison de la propagation de plusieurs à partir d’un seul parent proche, comme c’est le cas pour les hommes, ainsi qu’on l’a dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 2

[20744] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 tit. Utrum consanguinitas convenienter distinguatur per lineas et per gradus

Article 2 – La consanguinité se différencie-t-elle en lignes et en degrés ?

[20745] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod consanguinitas inconvenienter distinguatur per lineas et per gradus. Dicitur enim linea consanguinitatis esse ordinata collectio personarum consanguinitate conjunctarum ab eodem stipite descendentium, diversos continens gradus. Sed nihil est aliud consanguinitas quam collectio talium personarum. Ergo linea consanguinitatis est idem quod consanguinitas. Nihil autem debet distingui per seipsum. Ergo consanguinitas non convenienter per lineas distinguitur.

1. Il semble que la consanguinité soit différenciée de manière inappropriée en lignes et en degrés. En effet, on dit que la ligne de consanguinité est « un regroupement ordonné de personnes unies par la consanguinité à partir d’une même souche et comportant divers degrés ». Or, la consanguinité n’est rien d’autre qu’un tel regroupement de personnes. La ligne de consanguinité est donc la même chose que la consanguinité. Or, rien ne doit être différencié par soi-même. La consanguinité ne se différencie donc pas selon des lignes.

[20746] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud secundum quod dividitur aliquod commune, non potest poni in definitione communis. Sed descensus ponitur in definitione praedicta consanguinitatis. Ergo non potest dividi consanguinitas per lineam ascendentium et descendentium et transversalium.

2. Ce par quoi quelque chose de commun est divisé ne peut être mis dans la définition de ce qui est commun. Or, le fait de descendre est mis dans la définition donnée de la consanguinité. La consanguinité ne peut donc être divisée selon la ligne des ascendants, des descendants et des transversaux.

[20747] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, definitio lineae est quod sit inter duo puncta. Sed duo puncta non faciunt nisi unum gradum. Ergo una linea habet tantum unum gradum ; et ita eadem videtur divisio consanguinitatis per lineas et per gradus.

3. La définition de la ligne est qu’elle existe entre deux points. Or, deux points ne donnent qu’un seul degré. Une ligne comporte donc un seul degré, et ainsi la division de la consanguinité en lignes et en degrés semble être la même.

[20748] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, gradus definitur esse habitudo distantium personarum, qua cognoscitur quanta distantia personae inter se differant. Sed cum consanguinitas sit propinquitas quaedam, distantia personarum consanguinitati opponitur magis quam sit ejus pars. Ergo per gradus consanguinitas distingui non potest.

4. Le degré est défini : « Un rapport entre des personnes distantes, par lequel on sait par quelle distance les personnes se différencient. » Or, comme la consanguinité est une certaine proximité, la distance entre des personnes s’oppose plutôt à la consanguinité qu’elle en est une partie. On ne peut donc faire de distinction selon les degrés de consanguinité.

[20749] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, si consanguinitas per gradus distinguitur et cognoscitur, oportet quod illi qui sunt in eodem gradu, sint aequaliter consanguinei. Sed hoc falsum est ; quia propatruus et ejusdem pronepos sunt in eodem gradu, non tamen sunt aequaliter consanguinei, ut decretum dicit. Ergo consanguinitas non recte distinguitur per gradus.

5. Si la consanguinité est différenciée et connue selon les degrés, il faut que ceux qui se trouvent au même degré soient également consanguins. Or, cela est faux, car le grand-oncle et son neveu sont au même degré, mais ils ne sont pas également consanguins, comme le dit le Decret. La consanguinité ne se différencie donc pas selon les degrés.

[20750] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, in rebus ordinatis quodlibet additum alteri facit alium gradum ; sicut quaelibet unitas addita facit aliam speciem numeri. Sed persona addita personae non semper facit alium gradum consanguinitatis : quia in eodem gradu consanguinitatis est pater et patruus, qui adjungitur. Ergo non recte per gradus consanguinitas distinguitur.

6. Entre des choses ordonnées, tout ce qui est ajouté à l’une donne un autre degré, comme toute unité ajoutée donne une autre espèce de nombre. Or, une personne ajoutée à une personne donne un autre degré de consanguinité, car le père et l’oncle, qui est ajouté, se trouvent dans le même degré de consanguinité. La différenciation ne se fait donc pas selon les degrés de consanguinité.

[20751] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, inter duos propinquos semper est eadem consanguinitatis propinquitas : quia aequaliter distat unum extremorum ab alio, et e converso. Sed gradus consanguinitatis non invenitur semper idem ex utraque parte, cum quandoque unus propinquus sit in tertio, et alius in quarto gradu. Ergo consanguinitatis propinquitas non potest sufficienter per gradus cognosci.

7. Entre deux proches, existe toujours le même rapprochement selon la consanguinité, car l’un des extrêmes est à égale distance de l’autre, et vice-versa. Or, on ne voit pas que le degré de consanguinité soit toujours le même des deux côtés, puisque parfois un proche se trouve au troisième degré et l’autre, au quatrième. La proximité selon la consanguinité ne peut donc être connue de manière suffisante par les degrés.

[20752] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod consanguinitas, ut dictum est, est quaedam propinquitas in naturali communicatione fundata secundum actum generationis, qua natura propagatur ; unde secundum philosophum in 8 Ethic., ista communicatio est triplex. Una secundum habitudinem principii ad principiatum ; et haec est consanguinitas patris ad filium ; unde dicit, quod parentes diligunt filios ut sui ipsorum aliquid existens. Alia est secundum habitudinem principiati ad principium ; et haec est filii ad patrem ; unde dicit, quod filii diligunt parentes, ut ab illis existentes. Tertia est secundum habitudinem eorum quae sunt ab uno principio ad invicem, sicut fratres dicuntur ex eisdem nasci, ut ipse ibidem dicit. Et quia punctus motus lineam facit, et per propagationem quodammodo pater descendit in filium, ideo secundum dictas tres habitudines tres lineae consanguinitatis sumuntur, scilicet linea descendentium secundum primam habitudinem, linea ascendentium secundum secundam, linea transversalium secundum tertiam. Sed quia propagationis motus non quiescit in uno termino, sed ultra progreditur ; ideo contingit quod patris est accipere patrem, et filii filium, et sic deinceps ; et secundum hos diversos progressus diversi gradus in una linea inveniuntur. Et quia gradus cujuslibet rei est pars aliqua illius rei ; gradus propinquitatis non potest esse ubi non est propinquitas ; et ideo identitas et nimia distantia gradum consanguinitatis tollunt : quia nullus est sibi ipsi propinquus, sicut nec sibi similis. Et propter hoc nulla persona per seipsam facit aliquem gradum, sed comparata alteri personae gradum facit ad ipsam. Sed tamen diversa est ratio computandi gradus in diversis lineis. Gradus enim consanguinitatis in linea ascendentium contrahitur ex hoc quod una persona ex alia propagatur eorum inter quos gradus consideratur : et ideo, secundum computationem canonicam et legalem, persona quae primo in processu propagationis occurrit vel ascendendo vel descendendo, distat ab aliquo, puta a Petro, in primo gradu, ut pater et filius ; quae autem utrinque secundo occurrit, distat in secundo gradu, ut avus et nepos, et sic deinceps. Sed consanguinitas eorum qui sunt in linea transversali, contrahitur non ex hoc quod unus eorum ex alio propagatur, sed quia uterque propagatur ex uno ; et ideo debet gradus in hac linea consanguinitatis computari per comparationem ad unum principium ex quo propagantur. Sed secundum hoc est diversa computatio canonica et legalis : quia legalis computatio attendit descensum a communi radice ex utraque parte ; sed canonica tantum ex altera, ex illa scilicet ex qua major numerus graduum invenitur ; unde secundum legalem computationem frater et soror, vel duo fratres, attinent sibi in secundo gradu, quia uterque a radice communi distat per unum gradum ; et similiter filii duorum fratrum distant a se invicem in quarto gradu. Sed secundum computationem canonicam duo fratres attinent sibi in primo gradu, quia neuter eorum distat a radice communi nisi per unum gradum ; sed filius unius fratrum distat ab altero fratre in secundo gradu, quia tantum distat a communi radice. Et ideo secundum canonicam computationem quoto gradu distat quis ab aliquo superiori, toto distat a quolibet descendentium ab ipso, et nunquam minus : quia propter quod unumquodque, illud magis ; unde si alii descendentes a communi principio conveniunt cum aliquo ratione principii communis, non possunt propinquiores esse descendenti ex alia parte, quam sit primum principium ei propinquum. Aliquando tamen plus distat aliquis ab aliquo descendente a communi principio, quam distet ipse a principio, quia ille forte plus distat a principio communi quam ipse ; et secundum remotiorem distantiam oportet consanguinitatem computari.

Réponse

Comme on l’a dit, la consanguinité est une certaine proximité de ce qu’on possède naturellement en commun, fondée sur l’acte de la génération, par laquelle la nature est transmise. Aussi, selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, ce partage est triple. L’un, selon le rapport entre le principe et ce qui vient du principe : celui-ci est la consanguinité entre le père et le fils. Aussi dit-il que les parents aiments leurs enfants comme quelque chose qui fait partie d’eux-mêmes. L’autre se réalise selon le rapport entre ce qui vient du principe et le principe : cette [consanguinité] est celle du fils par rapport à son père. Aussi dit-il que les fils aiment leurs parents comme venant d’eux. Le troisième se réalise selon le rapport de ceux qui viennent tous d’un même principe : ainsi on dit que des frères viennent des mêmes parents, comme il le dit lui-même au même endroit. Et parce que le point qui se déplace donne une ligne et que le père descend par propagation dans le fils d’une certaine manière, il existe trois lignes de consanguinité selon trois rapports : la ligne des dencendants selon le premier rapport ; la ligne des ascendants selon le deuxième ; la ligne des transversaux selon la troisième. Or, parce que le mouvement de transmission ne se repose pas dans un seul terme, mais va au-delà, il arrive qu’il appartienne au père de recevoir le père et au fils de recevoir le fils, et ainsi de suite. Et selon les étapes, divers degrés se rencontrent dans une seule ligne. Et parce que le degré d’une chose est une partie de cette chose, le degré de proximité ne peut exister là où il n’y a pas de proximité. C’est pourquoi l’identité et une trop grande distance écartent un degré de consanguinité, car rien n’est proche de soi, comme rien n’est semblable à soi. Pour cette raison, aucune personne ne constitue en elle-même un degré, mais, lorsqu’elle est comparée à une autre personne, elle constitue un degré par rapport à elle. Cependant, la manière de compter les degrés est différente de celle des diverses lignes. En effet, le degré de consanguinité est contracté dans la ligne des ascendants par le fait qu’une personne vient d’une autre parmi ceux entre lesquels le degré est considéré. Ainsi, selon le calcul canonique et légal, la personne qui se présente la première dans le cours de la transmission se présente soit en montant, soit en descendant, est éloignée de quelqu’un, par exemple, de Pierre, selon le premier degré : c’est le cas du père et du fils ; celle qui se présente en deuxième est éloignée selon le deuxième degré, comme l’oncle et le neveu, et ainsi de suite. Mais la consanguinité de ceux qui se trouvent dans la ligne transversale est contractée, non pas par le fait que l’un d’eux vient de l’autre, mais parce que les deux viennent d’un seul. Aussi le degré de consanguinité dans cette ligne doit-il être calculé par comparaison au principe unique dont ils proviennent. Mais, dans ce cas, le calcul canonique et le calcul légal sont différents, car le calcul légal considère la descendance d’une souche commune des deux côtés, mais le calcul canonique, seulement d’un côté, à savoir, du côté où l’on trouve le plus grand nombre de degrés. Ainsi, selon le calcul légal, le frère et la sœur, ou deux frères, se trouvent au deuxième degré, car la distance entre les deux par rapport à la souche commune est d’un degré ; de même, la distance entre les fils de deux frères est-elle de quatre degrés. Mais, selon le calcul canonique, il existe entre deux frères un degré, car la distance entre les deux par rapport à une souche commune est d’un degré ; mais la distance entre le fils d’un des frères par rapport à l’autre frère est de deux degrés, car telle est la distance par rapport à la souche commune. Ainsi, selon le calcul canonique, le degré selon lequel quelqu’un est éloigné d’un supérieur détermine la distance totale par rapport à tous ses descendants, et jamais moins, car tout ce en raison de quoi quelque chose existe est en plus. Si les autres descendants d’un principe commun ont quelque chose en commun avec quelqu’un en raison du principe commun, ils ne peuvent être plus proches de celui qui descend de l’autre côté que le premier principe est proche de lui. Cependant, quelqu’un est parfois plus éloigné de d’un autre qui descend d’un principe commun, que lui-même n’est éloigné du principe, car celui-là est peut-être plus éloigné que lui-même, et la consanguinité doit être calculée selon l’éloignement le plus grand.

[20753] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit ex falsis. Consanguinitas enim non est collectio, sed relatio quaedam aliquarum personarum ad invicem, quarum collectio lineam consanguinitatis facit.

1. Cette objection s’appuie sur des prémisses fausses. En effet, la consanguinité n’est pas un rassemblement, mais une relation réciproque entre des personnes, dont le regroupement fait une ligne de consanguinité.

[20754] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod descensus communiter sumptus attenditur secundum quamlibet consanguinitatis lineam : quia carnalis propagatio, ex qua vinculum consanguinitatis contrahitur, descensus quidam est ; sed descensus talis, scilicet a persona cujus consanguinitas quaeritur, lineam descendentium facit.

2. La descendance, communément considérée, est prise selon n’importe quelle ligne de consanguinité, car la propagation charnelle, par laquelle le lien de consanguinité est contracté, est une certaine action de descendre. Mais une telle action de descendre par rapport à la personne dont la consanguinité est recherchée constitue la ligne des descendants.

[20755] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod linea dupliciter accipi potest. Aliquando proprie pro ipsa dimensione quae est prima species quantitatis continuae ; et sic linea recta continet tantum duo puncta in actu quae terminant ipsam, sed infinita in potentia, quorum quolibet signato in actu linea dividitur, et fiunt duae lineae. Aliquando vero linea sumitur pro his quae linealiter disponuntur ; et secundum hoc assignatur in numeris linea et figura, prout unitas post unitatem ponitur in aliquo numero, et sic quaelibet unitas adjecta gradum facit in tali linea ; et similiter est de linea consanguinitatis ; unde una linea continet plures gradus.

3. La ligne peut s’entendre de deux manières. Parfois, au sens propre, pour la dimension elle-même, qui est la première espèce de la quantité continue ; ainsi, la ligne droite ne comporte que deux points qui en constituent les termes, mais elle est infinie en puissance, selon que la ligne est divisé en acte par tous les points et que deux lignes sont formées. Mais parfois, la ligne s’entend de ce qui est disposé de manière linéaire : en ce sens, la ligne et la figure font partie des nombres, selon qu’une unité est placée après une unité dans un certain nombre. Ainsi, toute unité ajoutée donne un degré sur cette ligne. Il en est de même de la ligne de consanguinité. Aussi une seule ligne comporte-t-elle plusieurs degrés.

[20756] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut similitudo non potest esse ubi non est aliqua diversitas, ita propinquitas non est ubi non est aliqua distantia ; et ideo distantia quaelibet non opponitur consanguinitati, sed talis distantia quae consanguinitatis propinquitatem excludit.

4. De même qu’il ne peut y avoir de ressemblance là où il n’y pas de diversité, de même n’y a-t-il pas de proximité là où il n’y a pas de distance. C’est pourquoi toute distance ne s’oppose pas à la consanguinité, mais une distance qui écarte la proximité de la consanguinité.

[20757] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut albedo dicitur major dupliciter, uno modo ex intensione ipsius qualitatis, alio modo ex quantitate superficiei : ita consanguinitas dicitur major vel minor dupliciter. Uno modo intensive ex ipsa natura consanguinitatis ; alio modo quasi dimensive ; et sic quantitas consanguinitatis mensuratur ex personis inter quas consanguinitatis propagatio procedit ; et hoc secundo modo gradus in consanguinitate distinguuntur ; et ideo contingit quod aliquorum duorum qui sunt in eodem gradu consanguinitatis respectu alicujus personae, unus est sibi magis consanguineus quam alius considerando primam quantitatem consanguinitatis : sicut pater et frater attinent alicui in primo gradu consanguinitatis, quia ex neutra parte incidit aliqua persona media ; sed tamen, intensive loquendo, magis attinet alicui personae pater suus quam frater, quia frater non attinet ei nisi inquantum est ex eodem patre ; et ideo, quanto aliquis est propinquior communi principio, a quo consanguinitas descendit, tanto est magis consanguineus, quamvis non sit in propinquiori gradu ; et secundum hoc propatruus est magis consanguineus alicui quam pronepos ejus, quamvis sit in eodem gradu.

5. De même qu’on parle de blancheur de deux manières, d’une manière, selon l’intensité de la qualité elle-même, d’une autre manière, selon la quantité de la surface, de même parle-t-on de consanguinité plus grande ou moins grande de deux manières. D’une manière, selon l’intensité en vertu de la nature même de la consanguinité ; d’une autre manière, pour ainsi dire selon la dimension. Ainsi, la quantité de la consanguinité se mesure-t-elle par les personnes entre lesquelles la transmission de la consanguinité se réalise. De cette seconde manière, on distingue des degrés dans la consanguinité. C’est pourquoi il arrive que, de deux personnes qui sont dans le même degré de consanguinité par rapport à une personne, l’une est plus consanguine par rapport à elle que l’autre, en considérant la première quantité de la consanguinité : c’est le cas du père et du frère, qui sont au premier degré de consanguinité, parce qu’aucune personne n’est intermédiare des deux côtés ; cependant, à parler de manière intensive, le père d’une personne est plus proche d’elle que son frère, car le frère n’a de rapport avec elle que dans la mesure où elle vient du même père. Ainsi, plus quelqu’un est proche du principe commun, dont descend la consanguinité, plus il est consanguin, bien que ce ne soit pas au degré plus rapproché. De la sorte, l’oncle est plus consanguin par rapport à quelqu’un que son neveu, bien qu’il soit au même degré.

[20758] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis pater et patruus sint in eodem gradu respectu radicis consanguinitatis, quia uterque distat uno gradu ab avo ; tamen respectu ejus cujus consanguinitas quaeritur, non sunt in eodem gradu ; quia pater est in primo gradu ; patruus autem non potest esse propinquior quam in secundo, in quo est avus.

6. Bien que le père et l’oncle soient au même degré par rapport à la source de la consanguinité, parce que les deux sont distants d’un degré par rapport au grand-père, cependant, par rapport à celui dont la consanguinité est recherchée, ils ne sont pas au même degré, car le père est au premier degré, mais l’oncle ne peut être plus rapproché qu’au deuxième degré, où se trouve le grand-père.

[20759] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod semper duae personae in aequali numero graduum distant a se invicem, quamvis quandoque non aequali numero graduum distent a communi principio, ut ex dictis patet.

7. Deux personnes sont toujours éloignées selon un nombre égal de degrés entre elles, bien que, parfois, elles ne soient pas éloignées selon un nombre égal de degrés par rapport à leur principe commun, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 3

[20760] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 tit. Utrum consanguinitas de jure naturali impediat matrimonium

Article 3 – La consanguinité empêche-t-elle le mariage selon le droit naturel ?

[20761] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod consanguinitas de jure naturali non impediat matrimonium. Nulla enim mulier potest esse propinquior viro quam Eva fuit Adae, de qua dicitur Genes. 2, 23 : hoc nunc os ex ossibus meis, et caro de carne mea. Sed Eva fuit matrimonio conjuncta Adae. Ergo consanguinitas nulla, quantum est de lege naturae, matrimonium impedit.

1. Il semble que la consanginité n’empêche pas le mariage selon le droit naturel. En effet, aucune femme ne peut être plus proche d’un homme qu’Ève le fut d’Adam, dont il est dit dans Gn 2, 23 : Cela est l’os de mes os et la chair de ma chair. Or, Ève a été unie à Adam par mariage. Aucune consanguinité n’empêche donc le mariage selon la loi de la nature.

[20762] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, lex naturalis eadem est apud omnes. Sed apud barbaras nationes nulla persona conjuncta consanguinitate a matrimonio excluditur. Ergo consanguinitas, quantum est de lege naturae, matrimonium non impedit.

2. La loi naturelle est la même chez tous. Or, chez les nations barbares, aucune personne unie par la consanguinité n’est exclue du mariage. La consanguinité n’empêche donc pas le mariage selon la loi de la nature.

[20763] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, jus naturale est quod natura omnia animalia docuit, ut dicitur in principio Digestorum. Sed animalia bruta etiam cum matre coeunt. Ergo non est de lege naturae quod aliqua persona a matrimonio propter consanguinitatem repellatur.

3. Le droit naturel est ce que la nature a enseigné à tous les animaux, comme il est dit au début du Digeste. Or, les animaux sans raison s’unissent même à leur mère. Il ne relève donc pas de la loi de la nature qu’une personne soit écartée du mariage en raison de la consanguinité.

[20764] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil impedit matrimonium quod non contrarietur alicui bono matrimonii. Sed consanguinitas non contrariatur alicui bono matrimonii. Ergo non impedit ipsum.

4. Rien n’empêche le mariage que ce qui est contraire à un bien du mariage. Or, la consanguinité n’est contraire à aucun bien du mariage. Elle ne l’empêche donc pas.

[20765] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, eorum quae sunt magis propinqua et similia, melior et firmior est conjunctio. Sed matrimonium quaedam conjunctio est. Ergo cum consanguinitas sit propinquitas quaedam, matrimonium non impedit, sed magis juvat.

5. L’union est meilleure et plus solide entre des choses plus proches et plus semblables. Or, le mariage est une union. Puisque la consanguinité est une certaine proximité, le mariage n’est donc pas empêché, mais plutôt aidé.

[20766] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, illud quod impedit bonum prolis, etiam matrimonium impedit secundum legem naturae. Sed consanguinitas impedit bonum prolis : quia, ut in littera ex verbis Gregorii, habetur, experimento didicimus ex tali conjugio sobolem non posse succrescere. Ergo consanguinitas secundum legem naturae matrimonium impedit.

Cependant, [1] ce qui empêche le bien de la descendance empêche aussi le mariage selon la loi de la nature. Or, la consanguinité empêche le bien de la descendance, car, comme on le lit dans le texte, selon les paroles de Grégoire, « nous savons par expérience qu’une descendance ne peut venir d’un tel mariage ». La consanguinité empêche donc le mariage selon la loi de la nature.

[20767] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod habet natura humana in prima sui conditione, est de lege naturae. Sed a prima sui conditione hoc habuit natura, quod pater et mater a matrimonio excluderentur ; quod patet per hoc quod dicitur Gen. 2, 24 : propter hoc relinquet homo patrem et matrem ; quod non potest intelligi quantum ad cohabitationem ; et sic oportet quod intelligatur quantum ad matrimonii conjunctionem. Ergo consanguinitas impedit matrimonium secundum legem naturae.

[2] Ce que la nature humaine possède dans sa condition première relève de la loi de la nature. Or, depuis sa condition première, la nature a comporté que le père et la mère soient exclus du mariage, ce qui ressort de ce qui est dit en Gn 2, 24 : Pour cette raison, l’homme abandonnera son père et sa mère, ce qu’on ne peut interpréter de la cohabitation. Il faut ainsi l’interpréter de l’union du mariage. La consanguinité empêche donc le mariage selon la loi de la nature.

[20768] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra, dist. 33, qu. 1, art. 1, in corp., dictum est, in matrimonio illud contra legem naturae esse dicitur per quod matrimonium redditur incompetens respectu finis ad quem est ordinatum. Finis autem matrimonii per se et primo est bonum prolis ; quod quidem per aliquam consanguinitatem, scilicet inter patrem et filiam, vel filium et matrem, impeditur ; non quidem ut totaliter tollatur, quia filia ex semine patris potest prolem concipere, et simul cum patre nutrire et instruere, in quibus bonum prolis consistit ; sed ut non convenienti modo fiat. Inordinatum est enim quod filia patri per matrimonium adjungatur in sociam causa generandae prolis et educandae, quam oportet per omnia patri esse subjectam velut ex eo procedentem ; et ideo de lege naturali est ut pater et mater a matrimonio repellantur, et magis etiam mater quam pater ; quia magis reverentiae quae debetur parentibus, derogatur, si filius matrem quam si pater filiam ducit in uxorem, cum uxor viro aliqualiter debeat esse subjecta. Sed finis matrimonii secundarius per se tantum est concupiscentiae repressio ; qui deperiret, si quaelibet consanguinea posset in matrimonium duci ; quia magnus concupiscentiae aditus praeberetur, nisi inter illas personas quas oportet in eadem domo conversari, esset carnalis copula interdicta. Et ideo lex divina non solum patrem et matrem exclusit a matrimonio, sed etiam alias conjunctas personas quas oportet simul conversari, et quae habent invicem altera alterius pudicitiam custodire ; et hanc causam assignat divina lex, dicens Levit. 18 : ne reveles turpitudinem talis vel talis, quia turpitudo tua est. Sed per accidens finis matrimonii est confoederatio hominum, et amicitiae multiplicatio, dum homo ad consanguineos uxoris sicut ad suos se habet ; et ideo huic multiplicationi amicitiae praejudicium fieret, si aliquis sanguine conjunctam uxorem duceret ; quia ex hoc nova amicitia per matrimonium nulla accresceret ; et ideo secundum leges humanas et statuta Ecclesiae plures consanguinitatis gradus sunt a matrimonio separati. Sic ergo ex dictis patet quod consanguinitas quantum ad aliquas personas impedit matrimonium de jure naturali ; quantum ad aliquas de jure divino ; et quantum ad aliquas de jure per homines instituto.

Réponse

Comme on l’a dit plus haut, d. 33, q. 1, a. 1, c., on dit qu’est contraire à la loi de la nature dans le mariage ce par quoi le mariage est rendu inapte à la fin à laquelle il est ordonné. Or, par soi et en premier lieu, la fin du mariage est le bien de la descendance, qui est empêché par une consanguinité entre le père et sa fille ou le fils et sa mère. Non pas qu’il soit totalement empêché, car la fille peut concevoir une descendance par la semence du père, ainsi qu’éduquer et instruire avec le père, ce en quoi consiste le bien de la descendance ; mais [il est empêché] de se réaliser d’une manière convenable. En effet, il est désordonné qu’une fille soit unie comme compagne par le mariage à son père en vue d’engendrer et d’éduquer une descendance, qui doit être soumise en tout au père en tant qu’elle vient de lui. Il relève donc de la loi naturelle que le père et la mêre soient écartés du mariage, et davantage la mère que le père, car cela déroge davantage à la révérence qui est due aux parents si le fils prend comme épouse sa mère, que si le père prend comme épouse sa fille, puisque l’épouse doit d’une certaine manière être soumise au mari. Mais la fin secondaire du mariage est la répression de la concupiscence. [Cette répression] s’affaiblirait si n’importe quelle consanguine pouvait être prise comme épouse, car cela ouvrirait tout grand la porte à la concupiscence, si l’union charnelle n’était pas interdite entre les personnes qui doivent habiter la même maison. C’est pourquoi la loi divine n’exclut pas seulement le père et la mère du mariage, mais aussi d’autres personnes unies avec lesquelles il faut aussi vivre, et qui doivent garder la chasteté l’une de l’autre, alors que Lv 18 dit : Ne révèle pas la honte d’un tel ou d’une telle, car c’est ta chair. Mais, par accident, la fin du mariage est l’alliance entre des hommes et le développement d’une amitié, alors que l’homme a avec les consanguins de son épouse les mêmes rapports qu’avec les siens. Aussi causerait-il un préjudice à ce développement de l’amitié s’il prenait comme épouse quelqu’une qui lui est unie par le sang, car une nouvelle amitié ne se développerait pas ainsi par le mariage. C’est pourquoi, selon les lois humaines et les décisions de l’Église, plusieurs degrés de consanguinité sont séparés du mariage. Il ressort donc de ce qui a été dit que la consanguinité empêche le mariage avec certaines personnes en vertu du droit naturel, avec certaines en vertu du droit divin et avec d’autres en vertu du droit établi par les hommes.

[20769] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Eva quamvis ex Adam processerit, non tamen fuit filia Adae ; quia non prodiit ex eo per modum illum quo vir natus est generare sibi simile in specie ; sed operatione divina ; quia ita potuisset ex costa Adae fieri unus equus, sicut facta est Eva ; et ideo non est tanta naturalis convenientia Evae ad Adam sicut filiae ad patrem ; nec Adam est naturale principium Evae, sicut pater filiae.

1. Bien que Ève ait été tirée d’Adam, elle n’était cependant pas la fille d’Adam, car elle ne venait pas de lui de la manière dont l’homme engendre un semblable à lui-même par l’espèce, mais par une opération divine, car un cheval aurait pu être tiré de la côté d’Adam comme Éve l’a été. Il n’y a donc naturellement pas autant en commun entre Éve et Adam qu’entre une fille et son père, et Adam n’est pas le principe naturel d’Ève comme le père l’est de sa fille.

[20770] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non procedit ex lege naturali quod aliqui barbari parentibus carnaliter commiscentur ; sed ex concupiscentiae ardore, qui legem naturae in eis obfuscavit.

2. Le fait que certains barbares soient unis à leurs parents ne vient pas de la loi naturelle, mais de l’intensité de la concupiscence, qui a obscurci en eux la loi de la nature.

[20771] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio maris et feminae dicitur esse de jure naturali, quia natura hoc omnia animalia docuit ; sed hanc conjunctionem diversa animalia diversimode docuit secundum diversas eorum conditiones. Commixtio autem carnalis ad parentes derogat reverentiae quae eis debetur. Sicut enim parentibus indidit natura solicitudinem filiis providendi, ita indidit filiis reverentiam ad parentes. Nulli autem generi aliam indidit solicitudinem filiorum aut reverentiam parentum in omne tempus, nisi homini ; aliis autem animalibus plus et minus, secundum quod magis vel minus necessarii sunt vel filii parentibus, vel parentes filiis ; unde etiam in quibusdam animalibus filius abhorret cognoscere matrem carnaliter, quamdiu manet apud ipsum cognitio matris, et reverentia quaedam ad ipsam, ut recitat philosophus in 9 de animalibus, de camelo et equo. Et quia omnes honesti mores animalium in hominibus naturaliter congregati sunt, et perfectius quam in aliis ; propter hoc homo naturaliter abhorret cognoscere carnaliter non solum matrem, sed etiam filiam, quod est adhuc minus contra naturam, ut dictum est ; et iterum in aliis animalibus ex propagatione carnis non contrahitur consanguinitas sicut in hominibus, sicut dictum est ; et ideo non est similis ratio.

3. On dit que l’union de l’homme et de la femme relève du droit naturel parce que la nature a enseigné cela à tous les animaux, mais elle a enseigné cette union de diverse manière aux divers animaux selon leurs diverses conditions. Or, l’union charnelle avec les parents déroge au respect qui leur est dû. En effet, de même que la nature a inséré dans les parents le souci de veiller sur leurs enfants, de même a-t-elle inséré dans les enfants le respect pour leurs parents. Or, elle n’a introduit chez aucun autre genre [d’animaux] le souci de leurs enfants ou le respect des parents en tout temps, sauf chez l’homme ; chez les autres animaux, elle l’a introduit plus ou moins selon que les enfants sont plus nécessaires aux parents ou les parents aux enfants. Aussi, même chez certains animaux, le fils a horreur de connaître charnellement sa mère, aussi longtemps qu’il garde la connaissance de sa mère et un certain respect à son égard, comme le raconte le Philosophe à propos du chameau et du cheval, dans Sur les animaux, IX. Et parce que tous les bons comportements des animaux se retrouvent naturellement chez les hommes et de manière plus parfaite que chez les autres, l’homme a naturellement en horreur de connaître charnellement non seulement sa mère, mais aussi sa fille, comme on l’a dit. De plus, chez les autres animaux, la consanguinité n’est pas contractée par la propagation de la chair comme chez les hommes, ainsi qu’on l’a dit. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[20772] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex jam dictis patet quomodo consanguinitas conjugum bono matrimonii contrarietur ; unde ratio procedit ex falsis.

4. La manière dont la consanguinité s’oppose au bien du mariage ressort de ce qui a déjà été dit. Aussi le raisonnement repose-t-il sur des faussetés.

[20773] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est inconveniens duarum unionum unam ab altera impediri ; sicut ubi est identitas, non est similitudo ; et similiter consanguinitatis vinculum potest impedire matrimonii conjunctionem.

5. Il n’est pas inapproprié que, de deux unions, l’une soit empêchée par l’autre, de même que là où il y a identité, il n’y a pas de ressemblance. Le lien de la consanguinité peut ainsi empêcher l’union du mariage.

 

 

Articulus 4

[20774] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 tit. Utrum consanguinitatis gradus matrimonium impedientes potuerint taxari ab Ecclesia usque ad quartum gradum

Article 4 – L’Église peut-elle établir que les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage atteignent le quatrième degré ?

[20775] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod consanguinitatis gradus matrimonium impedientes non potuerint taxari ab Ecclesia usque ad quartum gradum. Matth. 19, 6, dicitur : quos Deus conjunxit, homo non separet. Sed illos qui conjunguntur infra quartum consanguinitatis gradum, Deus conjungit ; non enim divina lege eorum conjunctio prohibetur. Ergo non debent humano statuto separari.

1. Il semble que l’Église ne puisse établir que les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage atteignent le quatrième degré. Il est dit en Mt 19, 6 : Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! Or, Dieu a uni ceux qui sont unis en deça du quatrième degré : en effet, leur union n’est pas interdite par la loi divine. Ils ne doivent donc pas être séparés par une décision humaine.

[20776] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, matrimonium est sacramentum, sicut et Baptismus. Sed non posset ex statuto Ecclesiae fieri quod ille qui ad Baptismum accedit, non reciperet characterem baptismalem, si ex jure divino ejus capax sit. Ergo nec Ecclesiae statutum facere potest quod matrimonium non sit inter illos qui per jus divinum matrimonialiter conjungi non prohibentur.

2. Le mariage est un sacrement, comme le baptême. Or, une décision de l’Église ne pourrait pas faire en sorte que celui qui s’approche du baptêmme ne reçoive pas le caractère baptismal, s’il en est capable selon le droit divin. L’Église ne peut donc pas décider que le mariage n’existe pas entre ceux à qui il est permis d’être unis matrimonialement selon le droit divin.

[20777] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, jus positivum non potest ea quae sunt naturalia removere vel ampliare. Sed consanguinitas est naturale vinculum, quod, quantum est de se, natum est matrimonium impedire. Ergo Ecclesia non potest aliquo statuto facere quod aliqui possint matrimonialiter conjungi vel non conjungi, sicut non potest facere quod non sint consanguinei vel non consanguinei.

3. Le droit positif ne peut enlever ou étendre ce qui est naturel. Or, la consanguinité est un lien naturel qui, en lui-même, empêche le mariage. L’Église ne peut donc décider que certains peuvent être unis ou non, de même qu’elle ne peut pas faire en sorte qu’ils soient ou non consanguins.

[20778] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, statutum juris positivi debet aliquam rationabilem causam habere ; quia secundum causam rationabilem quam habet, a jure naturali procedit. Sed causae quae assignantur de numero graduum, omnino videntur irrationabiles causae, cum nullam habeant habitudinem ad causata ; sicut quod consanguinitas prohibeatur usque ad quartum gradum propter quatuor elementa, usque ad sextum propter sex aetates, usque ad septimum propter septem dies, quibus omne tempus agitur. Ergo videtur quod talis prohibitio nullum vigorem habeat.

4. Une décision du droit positif doit avoir une cause raisonnable, car elle vient du doit naturel selon la cause raisonnable qu’elle possède. Or, les causes qui sont données pour le nombre de degrés semblent des causes entièrement déraisonnables puisqu’aucune n’a de lien avec ce qui est causé : ainsi, la consanguinité est interdite jusqu’au quatrième degré en raison des quatre éléments, ou jusqu’au sixième en raison des six âges, ou jusqu’au septième en raison des sept jours, selon lesquels tout le temps se déroule. Il semble donc qu’une telle interdiction n’ait aucune valeur.

[20779] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, ubi est eadem causa, debet esse idem effectus. Sed causa quare consanguinitas impedit matrimonium, est bonum prolis, repressio concupiscentiae, et multiplicatio amicitiae, ut ex dictis patet, quae omni tempore necessaria aequaliter sunt. Ergo omni tempore debuissent aequaliter gradus consanguinitatis matrimonium impedire ; quod non est verum ; cum modo usque ad quartum, antiquitus usque ad septimum gradum matrimonium consanguinitas impediret.

5. Là où se trouve la même cause, doit se trouver le même effet. Or, la cause pour laquelle la consanguinité empêche le mariage est le bien de la descendance, la répression de la concupiscence et le développement de l’amitié, comme cela ressort de ce qui a été dit, qui sont également nécessaires en tout temps. Les degrés de consanguinité auraient donc dû empêcher le mariage en tout temps, ce qui n’est pas vrai, puisque maintenant la consanguinité devait empêcher le mariage jusqu’au quatrième degré et, anciennement, jusqu’au septième degré.

[20780] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, una et eadem conjunctio non potest esse in genere sacramenti et in genere stupri. Sed hoc contingeret, si Ecclesia haberet potestatem statuendi diversum numerum in gradibus impedientibus matrimonium ; sicut si aliqui in quinto gradu, quando prohibitus erat, conjuncti fuissent, talis conjunctio stuprum esset ; sed postmodum eadem conjunctio, Ecclesia prohibitionem revocante, matrimonium esset ; et e converso posset accidere, si aliqui gradus concessi possent postmodum ab Ecclesia interdici. Ergo videtur quod potestas Ecclesiae non se extendat ad hoc.

6. La même union ne peut se trouver dans le genre du sacrement et dans le genre de l’atteinte à la pudeur. Or, tel serait le cas si l’Église avait le pouvoir d’établir un nombre différent pour les degrés qui empêchent le mariage. Ainsi, si certains du cinquième degré avaient été unis alors que cela était défendu, une telle union serait une atteinte à la pudeur. Mais, par la suite, la même union serait un mariage, si l’Église révoquait son interdiction. Le contraire pourrait arriver si certains degrés étaient permis et, par la suite, interdits par l’Église. Il semble donc que le pouvoir de l’Église ne s’étend pas jusqu’à cela.

[20781] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, jus humanum debet imitari jus divinum. Sed secundum jus divinum, quod in lege veteri continetur, non aequaliter currit prohibitio graduum in sursum et deorsum ; quia in veteri lege aliquis prohibebatur accipere in uxorem sororem patris sui, non tamen filiam fratris. Ergo nec modo debet aliqua prohibitio de nepotibus et patruis manere.

7. Le droit humain doit imiter le droit divin. Or, selon le droit divin, qui est contenu dans la loi ancienne, l’interdiction des degrés vers le haut ou vers le bas n’est pas égale, car, dans la loi ancienne, quelqu’un était empêché de prendre comme épouse la sœur de son père, mais non la fille de son frère. Maintenant non plus, donc, une interdiction ne doit pas subsister à propos des neveux et des oncles.

[20782] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dominus dicit discipulis Luc. 10, 16 : qui vos audit, me audit. Ergo praeceptum Ecclesiae habet firmitatem sicut praeceptum Dei. Sed Ecclesia quandoque prohibuit et quandoque concessit aliquos gradus quos lex vetus non prohibuit. Ergo illi gradus matrimonium impediunt.

Cependant, [1] ce que dit le Seigneur aux disciples va en sens contraire, Lc 10, 16 : Qui vous écoute m’écoute. Un commandement de l’Église a donc la même solidité qu’un commandement de Dieu. Or, l’Église a parfois interdit et parfois permis certains degrés que la loi ancienne n’avait pas interdits. Ces degrés empêchent donc le mariage.

[20783] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut olim matrimonia gentilium dispensabantur per leges civiles ; ita nunc per statuta Ecclesiae. Sed olim lex civilis determinabat gradus consanguinitatis qui matrimonium impediunt, et qui non. Ergo et modo potest hoc fieri per Ecclesiae statutum.

[2] De même qu’autrefois les mariages entre païens étaient régis par les lois civiles, de même maintenant le sont-ils par les décisions de l’Église. Or, autrefois, la loi civile déterminait les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage et ceux qui ne l’empêchent pas. Maintenant aussi, donc, cela peut être fait par une décision de l’Église.

[20784] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum tempora diversa invenitur consanguinitas secundum gradus diversos matrimonium impedisse. In principio enim humani generis solus pater et mater a matrimonio repellebantur, eo quod tunc temporis erat paucitas hominum, et oportebat propagationi humani generis maximam curam impendere ; unde non erant removendae nisi illae personae quae matrimonio incompetentes erant etiam quantum ad principalem matrimonii finem, qui est bonum prolis, ut dictum est. Postmodum autem multiplicato humano genere, per legem Moysi plures personae exceptae sunt, quae jam concupiscentiam reprimere incipiebant ; unde, ut dicit Rabbi Moyses, omnes illae personae exceptae sunt a matrimonio quae in una familia cohabitare solent ; quia si inter eos licite carnalis copula esse posset, magnum incentivum libidini praestaretur. Sed alios consanguinitatis gradus lex vetus permisit ; immo quodammodo praecepit ; ut scilicet unusquisque de cognatione sua uxorem acciperet, ne successionum confusio esset ; quia tunc temporis cultus divinus per successionem generis propagabatur. Sed postmodum in lege nova, quae est lex spiritus et amoris, plures gradus consanguinitatis sunt prohibiti ; quia jam per spiritualem gratiam, non per carnis originem, cultus derivatur et multiplicatur ; unde oportet ut homines etiam magis a carnalibus retrahantur, spiritualibus vacantes, et ut amor amplius diffundatur ; et ideo antiquitus usque ad remotiores gradus consanguinitatis matrimonium impediebatur, ut ad plures per consanguinitatem et affinitatem naturalis amicitia permaneret ; et rationabiliter usque ad septimum gradum ; tum quia ultra hoc non de facili remanebat communis radicis memoria ; tum quia septiformi gratiae spiritus sancti congruebat. Sed postmodum circa haec ultima tempora restrictum est Ecclesiae interdictum usque ad quartum gradum ; quia ultra inutile et periculosum erat gradus consanguinitatis prohibere. Inutile quidem, quia ad remotiores consanguineos quasi nullum foedus majoris amicitiae quam ad extraneos habeatur, caritate in multorum cordibus frigescente. Periculosum autem erat, quia concupiscentia et negligentia praevalente, tam numerosam consanguineorum multitudinem homines non satis observabant ; et sic laqueus damnationis multis injiciebatur ex remotiorum graduum prohibitione. Satis etiam convenienter usque ad quartum gradum dicta prohibitio est restricta ; tum quia usque ad quartam generationem homines vivere consueverunt, ut sic non possit consanguinitatis memoria aboleri ; unde dominus in tertiam et quartam generationem peccata parentum se visitaturum in filiis comminatur ; tum quia in qualibet generatione nova mixtio sanguinis, cujus identitas consanguinitatem facit, fit cum sanguine alieno ; et quantum miscetur alteri, tantum receditur a primo : et quia elementa sunt quatuor, quorum quodlibet tanto est facilius miscibile, quanto est magis subtile ; ideo in prima commixtione evanescit sanguinis identitas quantum ad primum elementum, quod est subtilissimum ; in secunda quantum ad secundum ; in tertia quantum ad tertium ; in quarta quantum ad quartum ; et sic convenienter post quartam generationem potest iterari carnalis conjunctio.

Réponse

On trouve que, selon les divers moments, la consanguinité a empêché le mariage selon divers degrés. En effet, au commencement du genre humain, seuls le père et la mère étaient écartés du mariage parce qu’il y avait alors un petit nombre d’hommes et qu’il fallait porter la plus grande attention à la propagation du genre humain. Aussi ne devaient être écartées que les personnes qui étaient inaptes au mariage par rapport à la fin principale du mariage, qui est le bien de la descendance, comme on l’a dit. Par la suite, le genre humain s’étant multiplié, plusieurs personnes en furent écartées par la loi de Moïse, qui commençait déjà à réprimer la concupiscence. Aussi, comme le dit Rabbi Moïse, ont été écartées du mariage toutes les personnes qui ont coutume d’habiter dans une seule famille, car si l’union charnelle pouvait légitimement exister entre eux, une grande incitation à la luxure serait donnée. Mais la loi ancienne permettait les autres degrés de consanguinité, bien plus, parfois elle les ordonnait : ainsi, chacun prendrait une épouse parmi sa parenté afin qu’il n’y ait pas de confusion dans les successions, car le culte divin se propageait en ce temps-là selon la succession de la race. Mais, par la suite, sous la loi nouvelle, qui est une loi de l’Esprit et d’amour, plusieurs degrés de consanguinité ont été interdits parce que, désormais, le culte se perpétuait et se répandait par la grâce spirituelle, et non pas l’origine selon la chair. Il faut donc que les hommes soient aussi davantage retenus des réalités charnelles, en s’adonnant aux réalités spirituelles, et que l’amour soit davantage répandu. C’est pourquoi, anciennement, le mariage était interdit jusqu’à des degrés plus éloignés de consanguinité, afin que l’amitié naturelle soit préservée envers un plus grand nombre par la consanguinité et l’affinité : cela allait raisonnablement jusqu’au septième degré, tant parce que, au-delà de cela, le souvenir d’une souche commune ne subsistait pas facilement, que parce que cela s’accordait à la grâce septiforme de l’Esprit Saint. Mais, par la suite, jusqu’à ces derniers temps, l’interdiction de l’Église a été réduite au quatrième degré parce que, au-delà, il était inutile et dangereux d’interdire des degrés de consanguinité. Inutile, parce qu’il n’existe pas de lien d’une plus grand amitié avec les consanguins plus éloignés qu’avec les étrangers, la charité se refroidissant dans le cœur d’un grand nombre. Mais elle était dangereuse parce que, alors que la concupiscence et la négligence l’emportaient, les hommes ne respectaient pas une multitude de consanguins aussi nombreuse, et ainsi le piège de la damnation était jeté sur un grand nombre par l’interdiction de degrés plus éloignés. Et l’interdiction en cause a été limitée assez raisonnablement au quatrième degré, tant parce que les hommes ont coutume de vivre jusqu’à la quatrième génération, de sorte que le souvenir de la consanguinité ne peut être disparu – ainsi, le Seigneur menace de visiter les péchés des parents jusqu’à la troisième et à la quatrième génération –, que parce qu’à chaque génération, un nouveau mélange du sang, dont l’identité réalise la consanguinité, se fait avec un sang étranger, et autant il se mêle à l’autre, autant il s’éloigne du premier. Et parce qu’il existe quatre éléments, dont chacun peut d’autant plus facilement être mêlé qu’il est plus subtil, l’identité du sang disparaît dans le premier mélange quant au premier élément, qui est le plus subtile ; dans le second, quant au deuxième ; dans le troisième, quant au troisième ; dans le quatrième, quant au quatrième. Et ainsi, après la quatrième génération, l’union charnelle peut être convenablement reprise.

[20785] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut Deus non conjungit illos qui conjunguntur contra divinum praeceptum, ita non conjungit illos qui conjunguntur contra Ecclesiae praeceptum, quod habet eamdem obligandi efficaciam quam et praeceptum divinum.

1. De même que Dieu n’unit pas ceux qui sont unis à l’encontre d’un commandement divin, de même n’unit-il pas ceux qui sont unis à l’encontre d’un commandement de l’Église, qui a la même capacité d’obliger qu’un commandement divin.

[20786] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium non tantum est sacramentum, sed etiam est in officium ; et ideo magis subjacet ordinationi ministrorum Ecclesiae quam Baptismus, qui est sacramentum tantum ; quia sicut contractus et officia humana determinantur legibus humanis, ita contractus et officia spiritualia lege Ecclesiae.

2. Le mariage n’est pas seulement un sacrement, mais il existe aussi en vue d’une fonction. Aussi est-il davantage soumis que le baptême à une mise en ordre par les ministres de l’Église, qui est seulement un sacrement, car, de même que les contrats et les fonctions humaines sont déterminés par les lois humaines, de même les contrats et les fonctions spirituels [le sont-ils] par la loi de l’Église.

[20787] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis consanguinitatis vinculum sit naturale ; tamen non est naturale quod consanguinitas carnalem copulam impediat, nisi secundum aliquem gradum, ut dictum est ; et ideo Ecclesia suo instituto non facit quod aliqui sint vel non sint consanguinei, quia secundum omne tempus aequaliter consanguinei remanent ; sed facit quod carnalis copula sit licita vel illicita secundum diversa tempora in diversis gradibus consanguinitatis.

3. Bien que le lien de la consanguinité soit naturel, il n’est cependant naturel que la consanguinité empêche l’union charnelle que selon un certain degré, comme on l’a dit. C’est pourquoi l’Église ne fait pas par sa décision que certains soient ou ne soient pas consanguins, car ils demeurent également consanguins en tout temps, mais elle fait que l’union charnelle soit légitime ou illégitime à divers moments selon divers degrés de consanguinité.

[20788] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tales rationes assignatae magis dantur per modum adaptationis et congruentiae, quam per modum causae et necessitatis.

4. Les raisons ainsi données le sont par mode d’adaptation et de convenance plus que par mode de cause et de nécessité.

[20789] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod jam ex dictis patet quod non est eadem causa secundum diversa tempora gradus consanguinitatis prohibendi ; unde quod aliquo tempore utiliter conceditur, alio salubriter prohibetur.

5. Il ressort de ce qui a été dit qu’il ne s’agit pas de la même raison d’interdire les degrés de consanguinité selon les différents moments. Aussi ce qui est utilement accordé à un certain moment est-il salutairement interdit à un autre.

[20790] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod statutum non imponit modum praeteritis, sed futuris ; unde si modo prohiberetur quintus gradus, qui nunc est concessus, illi qui jam sunt in quinto gradu conjuncti, non essent separandi ; nullum enim impedimentum matrimonio superveniens ipsum potest dirimere ; et sic conjunctio quae prius fuit matrimonium, non efficeretur per statutum Ecclesiae stuprum ; et similiter si aliquis gradus concederetur qui nunc est prohibitus, illa conjunctio non efficeretur matrimonialis ex statuto Ecclesiae ratione primi contractus, quia possent separari si vellent ; sed tamen possent de novo contrahere, et alia conjunctio esset.

6. Une décision n’impose pas un mode pour le passé, mais pour l’avenir. Si le cinquième degré était maintenant interdit, alors qu’il est maintenant permis, ceux qui ont été unis selon le cinquième degré ne devraient donc pas être séparés. En effet, aucun empêchement qui survient après un mariage ne peut le dirimer. Ainsi, l’union qui était antérieurement un mariage ne deviendrait pas une atteinte à la pudeur en vertu d’une décision de l’Église. De même, si un degré permis était maintenant interdit, l’union ne deviendrait pas matrimoniale en vertu d’une décision de l’Église en raison du premier contrat, car ils pourraient être séparés s’ils le voulaient ; cependant, ils pourraient se marier de nouveau, et ce serait une autre union.

[20791] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in gradibus consanguinitatis prohibendis Ecclesia praecipue observat rationem amoris ; et quia non est minor ratio amoris ad nepotem quam ad patruum, sed etiam major, quanto propinquior est filio pater quam patri filius, ut dicitur in 8 Ethic., propter hoc aequaliter prohibuit gradus consanguinitatis in patruis et nepotibus. Sed lex vetus in personis prohibendis attendit praecipue cohabitationem contra concupiscentiam, illas personas prohibens ad quas facilior pateret accessus propter mutuam cohabitationem. Magis autem consuevit cohabitare neptis patruo quam amita nepoti ; quia filia est quasi idem cum patre, cum sit aliquid ejus ; sed soror non est hoc modo idem cum fratre, cum non sit aliquid ejus, sed magis ex eodem nascitur ; et ideo non erat eadem ratio prohibendi neptem et amitam.

7. Pour l’interdiction des degrés de consanguinité, l’Église respecte surtout le motif de l’amour. Parce que le motif d’aimer n’est pas inférieur dans le cas du neveu que dans celui de l’oncle, mais même plus grand, dans la mesure où le père est plus proche du fils que le fils du père, comme il est dit dans Éthique, VIII, l’Église a interdit également pour cette raison le degré de consanguinité pour les oncles et les neveux. Mais la loi ancienne prend surtout en compte pour l’interdiction des personnes la cohabitation afin de contrer la concupiscence, en interdisant les personnes auxquelles l’accès est plus facile en raison de la cohabitation. Or, il était plus courant que la nièce habite avec l’oncle que la tante avec le neveu, car la fille est pour ainsi dire la même chose que le père, puisqu’elle est quelque chose de lui, mais la sœur n’est pas la même chose que son frère de la même manière, puisqu’elle n’est pas quelque chose de lui, mais qu’elle est plutôt née du même. C’est pourquoi la raison n’était pas la même d’interdire la nièce et la tante.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 40

[20792] Super Sent., lib. 4 d. 40 q. 1 a. 4 expos. Quia truncum inter gradus non computat. Truncum appellat consanguinitatis radicem, qui est pater filiorum. Principium autem alicujus generis potest accipi dupliciter. Uno modo principium quod est in genere illo ; ut si primam partem lineae principium dicamus. Alio modo principium, quia non recipit generis praedicationem, sicut principium lineae dicitur punctus ; et hoc modo principium et radix consanguinitatis potest dici dupliciter. Uno modo ipsa persona prima a qua consanguinitas dicitur, quae persona non est consanguinitas, sed consanguinitatis principium ; et secundum hoc filius qui distat a persona patris, facit primae distantiae gradum, et filius filii secundum, et sic deinceps. Alio modo prima consanguinitas quae est causa omnis alterius consanguinitatis ; et sic ipsa consanguinitas quae est inter patrem et filium, radix ponitur, et computantur secundum hoc pater et filius pro uno principio, a quorum consanguinitate primo distat filius filii ; et ideo haec distantia facit primum gradum, et sic deinceps ; et secundum hoc diversimode fit computatio graduum in littera. Sed primus modus computandi magis est in communi usu. Sicut sex aetatibus mundi generatio et hominis status finitur ; ita propinquitas generis tot gradibus terminetur. Mundo non assignantur aetates quantum ad substantiam, quia sic in perpetuum durabit ; sed quantum ad statum ; sic enim transibit mundus, et sic antiquatur et senescit ; et secundum hoc distinguuntur aetates mundi metaphorice ad similitudinem aetatis unius hominis. Variantur enim in homine aetates secundum diversas notabiles varietates in statu ipsius ; unde prima aetas dicitur infantia usque ad septimum annum ; secunda pueritia usque ad quartumdecimum ; tertia adolescentia usque ad vigesimum quintum ; quae tres aetates computantur quandoque pro una ; quarta est juventus usque ad quinquaginta annos ; quinta vero aetas est senectus usque ad septuaginta ; sexta senium usque in finem. Et similiter in mundo dicitur prima aetas ab Adam usque ad Noe, in qua fuit humani generis institutio et lapsus ; secunda a Noe usque ad Abraham, in qua fuit humani generis destructio per diluvium, et renovatio ; tertia ab Abraham usque ad David, in qua fuit circumcisionis institutio ; quarta a David usque ad transmigrationem Babylonis, in qua lex floruit sub regibus et prophetis ; quinta a transmigratione Babylonis usque ad Christum, in qua fuit populi captivatio et liberatio ; sexta a Christo usque ad finem, in qua est humani generis redemptio. Sed tamen non oportet quod aequali numero annorum mundi aetas humani generis compleatur, sicut nec aetas unius hominis ; quia ultima aetas hominis quandoque habet tantum quantum omnes primae.

 

 

 

Distinctio 41

Distinction 41 – [L’empêchement d’affinité]

Prooemium

Prologue

[20793] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de consanguinitatis impedimento, hic determinat de impedimento matrimonii quod provenit ex affinitate ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quomodo affinitas matrimonium impediat ; in secunda docet affinitatis nomina, ibi : attendendum est etiam illud Alexandri et cetera. Prima in tres : in prima ostendit quomodo affinitas matrimonium impediat, sicut et consanguinitas ; in secunda ostendit quomodo matrimonium propter consanguinitatem et affinitatem sit separandum, ibi : et est sciendum, quod Ecclesia infra praedictos gradus consanguinitatis conjunctos separat ; in tertia determinat de incestu, quo consanguinitatis et affinitatis foedus per carnalem copulam violatur, per differentiam ad alia vitia ejusdem generis, ibi : hic dicendum est, quod aliud est fornicatio, aliud stuprum et cetera. Prima in duas : in prima ostendit quod affinitas ex matrimonio contracta impedit matrimonium ; in secunda inquirit, utrum affinitas maneat matrimonio transeunte, quod ejus causa erat, ibi : illud non est praetermittendum quod Gregorius Venerio episcopo scripsit. Prima in duas : in prima ostendit usque ad quot gradus affinitas matrimonium impedit, sicut et consanguinitas ; in secunda objicit in contrarium, et solvit, ibi : sed alii videntur concedere, in quinta generatione inter affines contrahi conjugium. Hic quaeruntur quinque : 1 de causa affinitatis ; 2 utrum impediat matrimonium, sicut et consanguinitas ; 3 de illegitimitate filiorum quae ex impedimento matrimonii causatur ; 4 de incestu quem ex violatione consanguinitatis et affinitatis incurrit aliquis ; 5 de separatione matrimonii quae fit propter consanguinitatem et affinitatem.

Après avoir déterminé de l’empêchement de consanguinité, le Maître détermine ici de l'empêchement d’affinité. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment l’affinité empêche le mariage ; dans la seconde, il donne un enseignement sur les noms de l’affinité, à cet endroit : « Il faut aussi porter attention à ce que dit Alexandre, etc. » La première partie se divise en trois : dans la première, il montre comment l’affinité empêche le mariage comme la consanguinité ; dans la deuxième, il montre comment le mariage doit être séparé à cause de la consanguinité et de l’affinité, à cet endroit : « Il faut savoir que l’Église sépare les conjoints en-deça des degrés de consanguinité mentionnés » ; dans la troisième, il détermine de l’inceste, par lequel le lien de consanguinité et d’affinité est violé par l’union charnelle, en le différenciant des autres vices du même genre, à cet endroit : « Ici, il faut dire que la fornication, l’atteinte à la pudeur, etc. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que l’affinité contractée par le mariage empêche le mariage ; dans la seconde, il se demande si l’affinité demeure alors que le mariage qui était sa cause passe, à cet endroit : « Il ne faut pas omettre ce que Grégoire a écrit à l’évêque Vénérius. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre jusqu’à quel degré l’affinité empêche le mariage ; dans la seconde, il présente une objection en sens contraire et y répond, à cet endroit : « Mais d’autres semblent concéder qu’un mariage peut être contracté entre affins à la cinquième génération. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – À propos de la cause de l’affinité. 2 – Empêche-t-elle le mariage, comme la consanguinité ? 3 – L’illégitimité des enfants qui est causée par un empêchement de mariage. 4 – L’inceste qu’on encourt par la violation de la consanguinité et de l’affinité. 5 – La séparation du mariage qui est faite en raison de la consanguinité et de l’affinité.

 

 

Articulus 1

[20794] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 tit. Utrum ex matrimonio consanguinei affinitas causetur

Article 1 – L’affinité est-elle causée par le mariage d’un consanguin ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’affinité est-elle causée par le mariage d’un consanguin ?]

[20795] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ex matrimonio consanguinei affinitas non causetur. Quia propter quod unumquodque, illud magis. Sed mulier ducta per matrimonium non conjungitur alicui de consanguinitate viri, nisi ratione viri. Cum ergo non fiat viro affinis, nec alicui consanguineorum viri affinis erit.

1. Il semble que l’affinité ne soit pas causée par le mariage d’un consanguin, car ce qui affecte chacun est d’autant plus fort. Or, une femme prise en mariage n’est unie à quelqu’un qui est consanguin de son mari qu’en raison de son mari. Puisqu’elle ne devient pas affine de son mari, elle n’est affine avec aucun des affins de son mari.

[20796] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, eorum quae sunt ab invicem separata, si uni aliquid conjungatur, non oportet propter hoc quod sit alteri conjunctum. Sed consanguinei jam sunt ab invicem separati. Ergo non oportet quod si aliqua mulier conjungatur alicui viro, propter hoc conjungatur omnibus consanguineis ejus per affinitatem.

2. Dans le cas de choses qui sont séparées l’un de l’autre, si l’une est unie à une autre d’entre elles, il n’est pas nécessaire qu’elle soit unie à une autre. Or, les consanguins sont déjà séparés l’un de l’autre. Il n’est donc pas nécessaire que si une femme est unie à un homme, elle soit pour cette raison unie par affinité à tous ses consanguins.

[20797] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, relationes ex aliquibus unitionibus innascuntur. Sed nulla unitio fit in consanguineis viri, per hoc quod ille ducit uxorem. Ergo non accrescit eis affinitatis relatio.

3. Les relations naissent de certaines unions. Or, aucune union n’apparaît chez les consanguins du mari du fait qu’il prend une épouse. La relation d’affinité ne leur est donc pas ajoutée.

[20798] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, vir et uxor efficiuntur una caro. Si ergo vir secundum carnem omnibus consanguineis suis attinet, et mulier eadem attinebit eisdem.

Cependant, [1] le mari et l’épouse deviennent une seule chair. Si donc le mari est lié par la chair à tous ses consanguins, cette même femme sera liée aux mêmes.

[20799] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per auctoritates in littera inductas.

[2] Cela ressort des autorités invoquées dans le texte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La mort du mari met-elle fin à l’affinité de l’épouse avec les consanguins du mari ?]

[20800] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod affinitas non manet post mortem viri inter uxorem et consanguineos viri. Quia cessante causa cessat effectus. Sed causa affinitatis fuit matrimonium, quod cessat in morte viri : quia tunc solvitur mulier a lege viri, ut dicitur Roman. 7. Ergo nec affinitas praedicta manet.

1. Il semble que l’affinité ne demeure pas entre l’épouse et les consanguins de son mari après la mort de son mari, car si la cause cesse, l’effet cesse. Or, la cause de l’affinité était le mariage, qui cesse à la mort du mari, puisque la femme est alors déliée de la loi du mari, comme il est dit en Rm 7. L’affinité mentionnée ne demeure donc pas.

[20801] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, consanguinitas causat affinitatem. Sed consanguinitas cessat per mortem viri ad consanguineos suos. Ergo et affinitas uxoris ad eos.

2. La consanguinité cause l’affinité. Or, la consanguinité avec ses consanguins cesse par la mort du mari. L’affinité de l’épouse avec eux cesse donc aussi.

[20802] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, affinitas ex consanguinitate causatur. Sed consanguinitas est perpetuum vinculum quamdiu personae vivunt, inter quos est consanguinitas. Ergo et affinitas ; et ita non solvitur affinitas soluto matrimonio per mortem tertiae personae.

Cependant, l’affinité est causée par la consanguinité. Or, la consaguinité est un lien perpétuel entre ceux qui sont consanguins aussi longtemps que les personnes vivent. Donc, l’affinité aussi. Et ainsi, l’affinité n’est pas dissoute alors que le mariage est dissous par la mort d’une troisième personne.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’union charnelle illégitime cause-t-elle l’affinité ?]

[20803] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illicitus concubitus affinitatem non causet. Quia affinitas est quaedam res honesta. Sed res honestae non causantur ex inhonestis. Ergo ex inhonesto concubitu non potest affinitas causari.

1. Il semble que l’union charnelle illégitime ne cause pas l’affinité, car l’affinité est une chose bonne. Or, les choses bonnes ne sont pas causées par des choses mauvaises. L’affinité ne peut donc être causée par une union charnelle mauvaise.

[20804] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ubi est consanguinitas, non potest esse affinitas : quia affinitas est proximitas personarum ex carnali copula proveniens, omni carens parentela. Sed aliquando contingeret ad consanguineos et ad seipsum esse affinitatem, si illicitus concubitus affinitatem causaret ; sicut quando homo carnaliter consanguineam suam incestuose cognoscit. Ergo affinitas non causatur ex illicito concubitu.

2. Là où existe la consanguinité ne peut existe l’affinité, car l’affinité est « une proximité entre des personnes provenant de l’union charnelle, alors que toute parenté fait défaut ». Or, il arriverait parfois qu’il existe une affinité entre des consanguins et soi-même si une union charnelle illégitime causait l’affinité, comme lorsqu’un homme connaît charnellement sa consanguine de manière incestueuse. L’affinité n’est donc pas causée par une union charnelle illégitime.

[20805] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illicitus concubitus est secundum naturam, et contra naturam. Sed ex illicito concubitu contra naturam non causatur affinitas, ut jura determinant. Ergo nec ex illicito concubitu secundum naturam tantum.

2. L’union charnelle illégitime est conforme à la nature ou contraire à la nature. Or, l’affinité n’est pas causée par une union charnelle illégitime contraire à la nature, comme le précise le droit. Donc, non plus par une union charnelle illégitime conforme à la nature seulement.

[20806] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quod adhaerens meretrici unum corpus efficitur, ut patet 1 Corinth. 6. Sed ex hac causa matrimonium affinitatem causabat. Ergo pari ratione illicitus concubitus.

Cependant, [1] celui qui s’unit à une prostituée devient un seul corps avec elle, comme cela ressort de 1 Co 6. Or, le mariage causait l’affinité pour cette raison. Pour la même raison, donc, l’union charnelle illégitime.

[20807] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, carnalis copula est causa affinitatis, ut patet per definitionem affinitatis, quae talis est : affinitas est propinquitas personarum ex carnali copula proveniens, omni carens parentela. Sed carnalis copula est etiam in illicito concubitu. Ergo illicitus concubitus affinitatem causat.

[2] L’union charnelle est cause de l’affinité, comme cela ressort de la définition de l’affinité, qui est la suivante : « L’affinité est une proximité entre des personnes provenant de l’union charnelle, alors que toute parenté fait défaut. » Or, l’union charnelle existe aussi lorsqu’on couche ensemble de manière illégitime. L’union charnelle illégitime cause donc l’affinité.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les fiançailles cause-t-elle l’affinité ?]

[20808] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ex sponsalibus nulla affinitas causari possit. Quia affinitas est perpetuum vinculum. Sed sponsalia quandoque separantur. Ergo non possunt esse causa affinitatis.

1. Il semble qu’aucune affinité ne puisse être causée par les fiançailles, car l’affinité est un lien perpétuel. Or, les fiançailles sont parfois rompues. Elles ne peuvent donc être cause de l’affinité.

[20809] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, si aliquis claustrum pudoris alicujus mulieris invasit et aperuit, sed non pervenit ad operis consummationem, non contrahitur ex hoc affinitas. Sed talis magis est propinquus carnali copulae quam ille qui sponsalia contrahit. Ergo ex sponsalibus affinitas non causatur.

2. Si quelqu’un s’est introduit dans l’enceinte de la pudeur d’une femme et l’a ouverte, mais n’est pas parvenu à la consommation de l’action, l’affinité n’est pas contractée par cela. Or, celui-là est plus proche de l’union charnelle que celui qui contracte des fiançailles. L’affinité n’est donc pas causée par les fiançailles.

[20810] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, in sponsalibus non fit nisi quaedam sponsio futurarum nuptiarum. Sed aliquando fit sponsio futurarum nuptiarum, et ex hoc non contrahitur aliqua affinitas ; sicut si fiat ante septennium, vel si aliquis habens perpetuum impedimentum tollens potentiam coeundi, alicui mulieri spondeat futuras nuptias ; aut si talis sponsio fiat inter personas quibus nuptiae per votum reddantur illicitae, vel alio quocumque modo. Ergo sponsalia non possunt esse causa affinitatis.

3. Par les fiançailles, n’est faite qu’une promesse de noces à venir. Or, parfois, une promesse de noces à venir est faite, et une affinité n’est pas contractée de ce fait, comme si elle est faite avant l’âge de sept ans, ou si quelqu’un affecté de manière perpétuelle d’un empêchement qui enlève la capacité de l’union charnelle promet à une femme des noces à venir, ou si une telle promesse est faite entre des personnes auxquelles le mariage est rendu illégitime par un vœu, ou de n’importe quelle autre manière. Les fiançailles ne peuvent donc être une cause d’affinité.

[20811] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Alexander III Papa prohibuit mulierem quamdam cuidam viro conjungi in matrimonium, quia fratri suo fuerat desponsata. Sed hoc non esset, nisi per sponsalia affinitas contraheretur. Ergo et cetera.

Cependant, en sens contraire, le pape Alexandre III a interdit qu’une femme soit unie en mariage à un homme parce qu’elle était la fiancée de son frère. Or, ce ne serait le cas que si une affinité était contractée par les fiançailles. Donc, etc.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [L’affinité peut-elle être cause d’affinité ?]

[20812] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam affinitas sit causa affinitatis. Quia Julius Papa dicit : relictam consanguineam uxoris suae nullus ducat uxorem, ut habetur 35, quaest. 3, cap. contradicimus ; et in sequenti capitulo dicitur, quod duae consanguineorum uxores uni viro altera post alteram nubere prohibentur. Sed hoc non est nisi ratione affinitatis quae contrahitur ex conjunctione ad affinem. Ergo affinitas est causa affinitatis.

1. Il semble que même l’affinité puisse être cause d’affinité, car le pape Jules dit : « Que personne ne prenne comme épouse une autre consanguine de son épouse », comme on le trouve dans [le Décret], C. 35, q. 3, « Con-tradicimus ». Et, dans le chapitre suivant, il est dit qu’il est interdit à un homme d’épouser deux épouses de consanguins. Or, cela n’existe qu’en raison de l’affinité qui est contractée par l’union avec une affine. L’affinité est donc cause d’affinité.

[20813] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, carnalis commixtio conjungit sicut et carnis propagatio : quia aequaliter computatur gradus affinitatis et consanguinitatis. Sed consanguinitas est causa affinitatis. Ergo et affinitas.

2. L’union charnelle unit comme la propagation charnelle, car le degré d’affinité est compté à égalité avec le degré de consanguinité. Or, la consanguinité est cause d’affinité. Donc, l’affinité aussi.

[20814] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3 Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed uxor viri alicujus efficitur ejusdem attinentiae cum omnibus consanguineis viri. Ergo omnes consanguinei viri sui efficiuntur unum cum omnibus qui attinent mulieri per affinitatem ; et sic affinitas est causa affinitatis.

3. Toutes les choses qui sont identiques à une seule et même chose sont identiques entre elles. Or, l’épouse d’un homme devient liée à tous les consanguins de son mari. Tous les consanguins de son mari deviennent donc une seule chose avec tous ceux qui sont liés à la femme par affinité, et ainsi l’affinité est cause d’affinité.

[20815] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 4 Sed contra, si affinitas ex affinitate causatur, aliquis qui cognovisset duas mulieres, neutram earum posset ducere in uxorem ; quia secundum hoc una efficeretur alteri affinis. Sed hoc falsum est. Ergo affinitas non causat affinitatem.

4. Si l’affinité est causée par l’affinité, celui qui aurait connu deux femmes ne pourrait prendre aucune d’elles comme épouse, car ainsi l’une serait devenue l’affine de l’autre. Or, cela est faux. Donc, l’affinité ne cause pas l’affinité.

[20816] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 5 Praeterea, si affinitas ex affinitate nasceretur, aliquis contrahens cum uxore defuncti fieret affinis omnibus consanguineis prioris viri, ad quos mulier habet affinitatem. Sed hoc non potest esse, quia maxime fieret affinis viro defuncto. Ergo et cetera.

5. Si l’affinité était issue de l’affinité, celui qui contracte mariage avec l’épouse d’un défunt deviendrait affin avec tous les consanguins du mari antérieur avec lesquelles la femme a une affinité. Or, cela ne peut être le cas, car il deviendrait surtout affin du mari défunt. Donc, etc.

[20817] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 6 Praeterea, consanguinitas est fortius vinculum quam affinitas. Sed consanguinei uxoris non efficiuntur affines consanguinei viri. Ergo multo minus affines uxoris efficientur eis affines ; et sic idem quod prius.

6. La consaguinité est un lien plus fort que l’affinité. Or, les consanguins de l’épouse ne deviennent pas affins du mari consanguin. Donc, encore bien moins les affins de l’épouse deviendront-ils leurs affins. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20818] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod amicitia quaedam naturalis in communicatione naturali fundatur, ut supra dictum est. Naturalis autem communicatio est duobus modis, secundum philosophum 8 Ethic. Uno modo per carnis propagationem ; alio modo per conjunctionem ad carnis propagationem ordinatam ; unde ipse ibidem dicit, quod amicitia viri ad uxorem est naturalis. Unde sicut persona conjuncta alteri per carnis propagationem quoddam vinculum amicitiae naturalis facit, ita si conjungantur per carnalem copulam. Sed in hoc differt, quod persona conjuncta alicui per carnis propagationem, sicut filius patri, fit particeps ejusdem radicis et sanguinis ; unde eodem genere vinculi colligatur filius consanguineis patris quo pater conjungebatur, scilicet consanguinitate, quamvis secundum alium gradum, propter majorem distantiam a radice. Sed persona conjuncta per carnalem copulam non fit particeps ejusdem radicis, sed quasi extrinsecus adjuncta ; et ideo ex hoc efficitur aliud genus vinculi, quod affinitas dicitur ; et hoc est quod in hoc versu dicitur : mutat nupta genus, sed generata gradum : quia scilicet persona per generationem fit in eodem genere attinentiae, sed in alio gradu ; per carnalem vero copulam fit in alio genere.

Une amitié naturelle se fonde sur un échange naturel, comme on l’a dit plus haut. Or, un échange naturel existe de deux manières, selon le Philosophe, dans Éthique, VIII. D’une manière, par propagation charnelle ; d’une autre manière, par une union ordonnée à la propagation de la chair. Aussi dit-il lui-même au même endroit que l’amitié d’un mari avec sa femme est naturelle. De même qu’une personne unie à une autre réalise un lien d’amitié par la propagation charnelle, de même donc si elles sont unies par l’union charnelle. Mais la différence est que la personne unie à une autre par propagation charnelle, comme le fils à son père, participe à la même souche et au même sang ; aussi le fils est-il lié aux consanguins de son père par le même genre de lien que le père leur était lié, à savoir, par la consanguinité, bien que selon un autre degré, en raison d’une plus grande distance par rapport à la souche. Mais la personne unie par l’union charnelle ne participe pas à la même souche, mais elle lui est associée comme de l’extérieur. Un autre genre de lien est ainsi réalisé, qu’on appelle affinité. C’est ce qui est dit dans ce vers : « La mariée change de famille, mais celle qui est engendrée change de degré », car une personne se trouve placée par génération dans le même genre de lien, mais selon un autre degré ; cependant, par l’union charnelle, elle passe à un autre genre.

[20819] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis causa sit potior effectu, non tamen oportet semper quod nomen idem effectui et causae conveniat : quia quandoque illud quod est in effectu, invenitur in causa non eodem modo, sed altiori ; et ideo non convenit causae et effectui per idem nomen, neque per eamdem rationem, sicut patet in omnibus causis aequivoce agentibus ; et hoc modo conjunctio viri et uxoris est potior quam conjunctio uxoris ad consanguineos viri ; non tamen debet dici affinitas, sed matrimonium, quod est unitas quaedam ; sicut homo sibi ipsi est idem, non consanguineus.

1. Bien que la cause soit plus puissante que l’effet, il n’est cependant pas nécessaire qu’un même nom convienne à l’effet et à la cause, car parfois ce qui est existe dans l’effet se trouve dans la cause, non pas sous le même mode, mais sous un mode plus élevé. Cela ne convient donc pas à la cause et à l’effet selon le même nom, ni selon la même raison, comme cela ressort dans toutes les causes qui agissent de manière équivoque. De cette manière, l’union du mari et de la femme est plus puissante que l’union de l’épouse avec les consanguins de son mari ; cependant, elle ne doit pas être appelée affinité, mais mariage, qui est une certaine unité ; de même, l’homme est identique à lui-même, et non consanguin.

[20820] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consanguinei sunt quodammodo separati, et quodammodo conjuncti ; et ratione conjunctionis accidit quod persona quae uni conjungitur, omnibus aliquo modo conjungatur ; sed propter separationem et distantiam accidit quod persona quae uni conjungitur uno modo, alii conjungatur alio modo, vel secundum aliud genus, vel secundum alium gradum.

2. Les consanguins sont d’une certaine manière séparés et d’une certaine manière unis. En raison de leur union, il arrive qu’une personne qui est unie à l’un soit unie aux autres d’une certaine manière ; mais, en raison de la séparation et de la distance, il arrive, qu’une personne qui est unie d’une certaine manière soit unie aux autres d’une autre manière, selon un autre genre ou selon un autre degré.

[20821] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relatio quandoque innascitur ex motu utriusque extremi, sicut paternitas et filiatio ; et talis relatio est realiter in utroque : quandoque vero innascitur ex motu alterius tantum ; et hoc contingit dupliciter. Uno modo quando relatio innascitur ex motu unius sine motu alterius vel praecedente vel concomitante, sicut in creatura et creatore patet, et sensibili et sensu, et scientia et scibili ; et tunc relatio in uno est secundum rem, et in altero secundum rationem tantum. Alio modo quando innascitur ex motu unius sine motu alterius tunc existente, non tamen sine motu praecedente ; sicut aequalitas fit inter duos homines per augmentum unius sine hoc quod alius tunc augeatur vel minuatur ; sed tamen prius ad hanc quantitatem quam habet, per aliquem motum vel mutationem, pervenit ; et ideo in utroque extremorum talis relatio realiter fundatur. Et similiter est de consanguinitate et affinitate : quia relatio fraternitatis quae innascitur, aliquo puero nato, alicui jam provecto, causatur quidem sine motu ipsius tunc existente, sed ex motu ipsius praecedente, scilicet generationis ejus : hoc enim accidit quod ex motu alterius sibi nunc talis relatio innascitur. Similiter ex hoc quod iste descendit per generationem propriam ab eadem radice cum viro, provenit affinitas in ipso ad uxorem sine aliqua nova mutatione ipsius.

3. La relation vient parfois d’un mouvement des deux extrêmes, comme la paternité et la filiation, et une telle relation se trouve réellement dans les deux. Mais parfois elle vient d’un mouvement d’un seul des deux, et cela se produit de deux manières. D’une manière, lorsque la relation vient du mouvement d’un des deux sans mouvement de l’autre qui précède ou qui est concomitant, comme cela est clair pour la créature et le Créateur, pour le sensible et le sens et pour la science et ce qui est connaissable ; alors, la relation se trouve réellement dans un seul et, dans l’autre, selon la raison seulement. D’une autre manière, lorsqu’elle vient du mouvement de l’un sans un mouvement de l’autre qui existe alors, mais non sans mouvement qui précède, comme l’égalité se réalise entre deux hommes par l’accroissement de l’un sans que l’autre soit alors augmenté ou diminué ; cependant, avant la quantité qu’il possède, il y est parvenu par un mouvement ou un changement. Ainsi, une telle relation est fondée réellement dans les deux extrêmes. Il en va de même de la consanguinité et de l’affinité, car la relation de fraternité qui apparaît chez un enfant déjà élevé, lorsqu’un enfant naît, est causée sans mouvement de celui qui existe déjà, à savoir, sans sa génération. En effet, il arrive qu’une telle relation apparaît chez lui par le mouvement d’un autre. De même, du fait que celui-ci descend par génération propre de la même souche que le mari, une affinité avec l’épouse apparaît chez lui sans nouveau changement de sa part.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20822] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod relatio aliqua desinit esse dupliciter. Uno modo ex corruptione subjecti ; alio modo ex subtractione causae ; sicut similitudo esse desinit, quando alter similium moritur, vel quando qualitas quae erat causa similitudinis, subtrahitur. Sunt autem quaedam relationes quae habent pro causa actionem vel passionem, aut motum, ut in 5 Metaph. dicitur : quarum quaedam causantur ex motu, inquantum aliquid movetur actu, sicut ipsa relatio quae est moventis et moti ; quaedam autem inquantum habent aptitudinem ad motum, sicut motum et mobile, et dominus et servus ; quaedam autem ex hoc quod aliquid prius motum est : sicut pater et filius, non ex hoc quod est generari nunc, ad invicem dicuntur, sed ex hoc quod est generatum esse. Aptitudo autem ad motum, et etiam ipsum moveri, transit ; sed motum esse, perpetuum est ; quia quod factum est, nunquam desinit esse factum ; et ideo paternitas et filiatio nunquam destruuntur per destructionem causae, sed solum per corruptionem subjecti per alterutrum extremorum. Et similiter dicendum est de affinitate, quae causatur ex hoc quod aliqui conjuncti sunt, non ex hoc quod conjunguntur ; unde non dirimitur manentibus illis personis inter quas affinitas est contracta, quamvis moriatur persona ratione cujus contracta fuit.

Une relation cesse d’exister de deux manières : d’une manière, par la corruption du sujet ; d’une autre manière, par la soustraction de la cause, comme la ressemblance cesse d’exister lorsque l’un des semblables meurt ou lorsque la qualité qui était cause de la ressemblance est soustraite. Or, il existe certaines relations qui ont pour cause une action, une passion ou un mouvement, comme il est dit dans Métaphysique, V. Certaines d’entre elles sont causées par un mouvement pour autant que quelque chose est mû en acte, comme la relation même entre ce qui meut et ce qui est mû. Mais certaines, pour autant qu’elles ont un rapport au mouvement, comme entre ce qui est mû et ce qui peut être mû, et entre le seigneur et le serviteur. Mais certaines, du fait que quelque chose a été mû précédemment, comme le père et le fils ne portent pas un nom réciproque du fait qu’il y a maintenant génération, mais du fait qu’il y a eu génération. Or, le rapport au mouvement et même le fait d’être mû, passent ; mais le fait d’avoir été mû est perpétuel, car ce qui a été fait ne cesse jamais d’avoir été fait. Aussi la paternité et la filiation ne sont-elles jamais détruites par la destruction de la cause, mais seulement par la corruption du sujet par l’un des deux extrêmes. Il faut parler de la même manière de l’affinité, qui est causée par le fait que certains ont été unis, et non par le fait qu’ils sont unis ; l’affinité n’est donc pas annulée aussi longtemps que demeurent les personnes entre lesquelles l’affinité a été contractée, bien que meure la personne en raison de laquelle elle a été contractée.

[20823] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod conjunctio matrimonii causat affinitatem non solum secundum hoc quod est actu conjungi, sed secundum hoc quod est prius conjunctum esse.

1. L’union du mariage cause l’affinité, non seulement par l’acte du mariage, mais par le fait d’avoir été uni auparavant.

[20824] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod consanguinitas non est causa proxima affinitatis, sed conjunctio ad consanguineum, non solum quae est, sed quae fuit ; et propter hoc ratio non sequitur.

2. La consanguinité n’est pas la cause prochaine de l’affinité, mais l’union à un consanguin, et non seulement celle qui existe, mais aussi celle qui a existé. Pour cette raison, le raisonnement n’est pas concluant.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20825] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 8 Ethic., conjunctio viri et uxoris dicitur naturalis principaliter propter prolis productionem, et secundario propter operum communicationem ; quorum primum pertinet ad matrimonium ratione carnalis copulae ; sed secundum inquantum est quaedam societas in communem vitam. Primum autem horum est invenire in qualibet carnali copula, ubi est commixtio seminum, quia ex tali copula potest produci, quamvis secunda desit ; et ideo, quia matrimonium affinitatem causabat secundum quod erat quaedam carnis commixtio, etiam fornicarius concubitus affinitatem causat, inquantum habet aliquod de naturali conjunctione.

Selon le Philosophe, dans Éthique, VIII, l’union du mari et de l’épouse est appelée naturelle surtout en raison de la production d’une descendance, et secondairement en raison du partage des tâches. Le premier aspect relève du mariage en raison de l’union charnelle, mais le second, du fait qu’il est le partage d’une vie commune. Or, le premier point se retrouve dans toutes les unions charnelles, où il se produit un mélange des semences, car elle peut être produite par une telle union, même si le second aspect fait défaut. C’est pourquoi, parce que le mariage causait une affinité selon qu’il était une union charnelle, l’union charnelle par fornication cause l’affinité pour autant qu’elle possède quelque chose d’une union naturelle.

[20826] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in fornicario concubitu est aliquid naturale, quod est commune fornicationi et matrimonio, et ex hac parte affinitatem causat : aliud est ibi inordinatum, per quod a matrimonio dividitur ; et ex hac parte affinitas non causatur ; unde affinitas semper honesta remanet, quamvis causa sit aliquo modo inhonesta.

1. Dans l’union par fornication, il y a quelque chose de naturel, qui est commun à la fornication et au mariage : sous cet aspect, elle cause l’affinité. Mais il y a là quelque chose de désordonné par quoi le mariage est divisé : de ce point de vue, l’affinité n’est pas causée. Aussi l’affinité demeure-t-elle toujours bonne, bien que la cause en soit d’une certaine manière mauvaise.

[20827] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens relationes ex opposito divisas eidem inesse ratione diversorum ; et ideo potest inter aliquas duas personas esse affinitas et consanguinitas non solum per illicitum concubitum, sed etiam per licitum ; sicut cum consanguineus meus ex parte patris duxit in uxorem consanguineam meam ex parte matris ; unde quod dicitur in definitione affinitatis inducta, omni carens parentela, intelligendum est, inquantum hujusmodi. Nec tamen sequitur quod aliquis consanguineam suam cognoscens, sibi ipsi sit affinis ; quia affinitas, sicut et consanguinitas, diversitatem requirit, sicut et similitudo.

2. Il n’est pas inapproprié que des relations divisées par l’opposition existent dans une même chose sous divers aspects. C’est pourquoi il peut exister entre deux personnes une affinité et une consanguinité, non seulement en raison d’une union charnelle illégitime, mais aussi d’une union légitime, comme lorsque mon consanguin du côté du père prend comme épouse ma consanguine du côté de ma mère. Aussi ce qui est dit dans la définition de l’affinité évoquée : « … où toute parenté est absente », doit s’entendre de cette manière. Cependant, il n’en découle pas que quelqu’un, en connaissant sa consanguine, soit son affin, car l’affinité, comme la consanguinité, exige une diversité, comme la ressemblance.

[20828] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod concubitus contra naturam non habet commixtionem seminum quae possit esse causa generationis ; et ideo ex tali concubitu non causatur aliqua affinitas.

3. L’union charnelle contre nature ne comporte pas de mélange des semences qui puisse être une cause de génération. C’est pourquoi une affinité n’est pas causée par une telle union.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[20829] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut sponsalia non habent perfectam rationem matrimonii, sed sunt quaedam praeparatio ad matrimonium ; ita ex sponsalibus non causatur affinitas sicut ex matrimonio, sed aliquid affinitati simile, quod dicitur publicae honestatis justitia, quae impedit matrimonium, sicut affinitas et consanguinitas, et secundum eosdem gradus ; et definitur sic : publicae honestatis justitia est propinquitas ex sponsalibus proveniens, robur trahens ab Ecclesiae institutione propter ejus honestatem. Ex quo patet ratio nominis et causa ; quia scilicet talis propinquitas ab Ecclesia instituta est propter honestatem.

De même que les fiançailles n’ont pas le caractère parfait de mariage, mais sont une préparation au mariage, de même l’affinité n’est-elle pas causée par les fiançailles comme par le mariage, mais quelque chose qui ressemble à l’affinité, qu’on appelle « la justice de l’honneur public », qui empêche le mariage, comme l’affinité et la consanguinité, et selon les mêmes degrés. Cela se définit ainsi : « La justice de l’honneur public est la proximité qui résulte des fiançailles, qui tire sa force d’une institution de l’Église en raison de leur honnêteté. » La raison et la cause du mot ressortent ainsi, car une telle proximité instituée par l’Église existe en vue de l’honnêteté.

[20830] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sponsalia non sui ratione, sed ratione ejus ad quod ordinantur, causant hoc genus affinitatis, quod dicitur publicae honestatis justitia ; et ideo sicut matrimonium est perpetuum vinculum, ita et praedictus affinitatis modus.

1. Les fiançailles causent, non par elles-mêmes, mais en raison de ce à quoi elles sont ordonnées, ce genre d’affinité qui est appelé « justice de l’honneur public ». De même que le mariage est un lien perpétuel, de même aussi le mode d’affinité indiqué plus haut.

[20831] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vir et mulier efficiuntur in carnali copula una caro per commixtionem seminum ; unde, quantumcumque aliquis claustra pudoris invadat vel frangat, nisi commixtio seminum sequatur, non contrahitur ex hoc affinitas. Sed matrimonium affinitatem causat non solum ratione carnalis copulae, sed etiam ratione societatis conjugalis, secundum quam etiam matrimonium naturale est ; unde et affinitas contrahitur ex ipso contractu matrimonii per verba de praesenti ante carnalem copulam ; et similiter etiam ex sponsalibus, in quibus fit quaedam pactio conjugalis societatis, contrahitur aliquid affinitati simile, scilicet publicae honestatis justitia.

2. Le mari et la femme deviennent une seule chair dans l’union charnelle par le mélange des semences. Autant que quelqu’un envahisse ou rompe l’enceinte de la pudeur, s’il n’en découle pas un mélange des semences, une affinité n’est pas contractée pour cette raison. Mais le mariage cause une affinité non seulement en raison de l’union charnelle, mais aussi en raison de la société conjugale, selon laquelle aussi le mariage est naturel. Aussi l’affinité est-elle contractée en vertu du contrat même de mariage par les paroles portant sur le présent avant l’union charnelle. De même, par les fiançailles, par lesquelles se réalise une certaine entente concernant la société conjugale, quelque chose de semblable à l’affinité est-il contracté, à savoir, la justice de l’honneur public.

[20832] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia impedimenta quae faciunt sponsalia non esse sponsalia, non permittunt ex pactione nuptiarum affinitatem fieri ; unde sive habens defectum aetatis, sive habens votum solemne continentiae, aut aliquod hujusmodi impedimentum, si sponsalia de facto contrahat, ex hoc non sequitur aliqua affinitas ; quia sponsalia nulla sunt, nec aliquis affinitatis modus. Si tamen aliquis minor, frigidus vel maleficiatus habens impedimentum perpetuum, ante annos pubertatis post septennium contrahat sponsalia cum adulta, ex tali contractu contrahitur publicae honestatis justitia ; quia adhuc non erat in actu impediendi, cum in aetate puer frigidus et non frigidus quantum ad actum illum sint aequaliter impotentes.

3. Tous les empêchements qui font que les fiançailles ne sont pas des fiançailles ne permettent pas qu’une affinité soit réalisée par l’entente sur les noces. Qu’il s’agisse d’une carence d’âge ou de quelque empêchement de ce genre, si on contracte effectivement les fiançailles, il n’en découle pas une affinité, car les fiançailles sont nulles, ni un mode d’affinité. Cependant, si quelqu’un de mineur, de frigide ou de malformé, ayant un empêchement perpétuel, contracte des fiançailles avec une adulte après l’âge de sept mais avant la puberté, une justice de l’honneur public est contractée par un tel contrat, car il n’était pas encore en acte d’empêcher, puisque, en raison de l’âge, un enfant frigide et non frigide sont également impuissants par rapport à cet acte.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[20833] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod duplex est modus quo aliquid ex alio procedit. Unus secundum quem procedit in similitudinem speciei, sicut ex homine generatur homo ; alius secundum quem procedit dissimile in specie ; et hic processus semper est in inferiorem speciem, ut patet in omnibus agentibus aequivoce. Primus autem modus processionis quotiescumque iteretur, semper remanet eadem species ; sicut si ex homine generetur homo per actum generativae virtutis, ex hoc quoque generabitur homo, et sic deinceps. Secundus autem modus, sicut in primo facit aliam speciem, ita quotiescumque iteratur, aliam speciem facit ; ut si ex puncto per motum procedit linea, non punctus, quia punctus motus lineam facit ; ex linea linealiter mota non procedit linea, sed superficies ; et ex superficie corpus ; et ulterius per talem modum processus aliquis esse non potest. Invenimus autem in processu attinentiae duos modos, quibus vinculum hujusmodi causatur. Unus per carnis propagationem ; et hic facit semper eamdem speciem attinentiae : alius per matrimonialem conjunctionem ; et hic facit aliam speciem in principio ; sicut patet quod conjuncta matrimonialiter consanguineo non fit consanguinea, sed affinis. Unde, etsi iste modus procedendi iteretur, non erit affinitas, sed aliud attinentiae genus ; unde persona quae matrimonialiter affini conjungitur, non est affinis, sed est aliud genus affinitatis, quod dicitur secundum genus. Et rursus, si affini in secundo genere aliquis per matrimonium conjungatur, non erit affinis in secundo genere, sed in tertio ; ut in hoc versu supra posito ostenditur : mutat nupta genus, sed generata gradum. Et haec duo genera olim erant prohibita propter publicae honestatis justitiam magis quam propter affinitatem, quia deficiunt a vera affinitate, sicut illa attinentia quae ex sponsalibus contrahitur ; sed modo prohibitio illa cessavit, et remanet sub prohibitione solum primum genus affinitatis, in quo est vera affinitas.

Il existe une double manière pour quelqu’un de venir d’un autre : l’une, selon qu’il en vient avec la similitude de l’espèce, comme un homme est engendré par un homme ; l’autre, selon que quelque chose de dissemblable par l’espèce en provient. Cette émanation existe toujours dans une espèce inférieure, comme cela ressort chez tous les agents équivoques. Or, dans le premier mode d’émanation, la même espèce demeure toujours, aussi souvent qu’il est répété, comme si un homme est engendré d’un homme par l’acte de la puissance génératrice, et ainsi de suite. Mais le second mode, de même qu’il réalise en premier lieu une autre espèce, réalise une autre espèce aussi souvent qu’il est répété, comme lorsqu’une ligne émane d’un point par un mouvement, mais non un point, car le mouvement du point fait la ligne ; d’une ligne mue de manière linéaire, n’émane pas une ligne, mais une surface, et d’une surface, un corps, et il ne peut exister au-delà un autre mode d’émanation. Or, nous trouvons dans la formation d’un tel rapport deux modes, par lesquels un lien de cette nature est causé. L’un par la transmission charnelle : celui-ci produit toujours la même espèce de relation ; l’autre par l’union matrimoniale : celui-ci donne une autre espèce en son principe, comme il est clair que celle qui est unie matrimonialement à un consanguin ne devient pas consanguine, mais affine. Même si ce mode d’émanation était répété, il n’y aura pas affinité, mais un autre genre de relation. Aussi la personne qui est unie matrimonialement à une affine n’est-elle pas une affine, mais elle possède un autre genre de relation, qui est désigné par son genre. De plus, si quelqu’un est uni par mariage à une affine du deuxième degré, il ne sera pas affin au deuxième degré, mais au troisième, comme on le montre dans ce vers rappelé plus haut : « La mariée change de genre, mais celle qui est engendrée change de degré. » Ces deux genres étaient autrefois interdits plutôt en raison de la justice de l’honneur public qu’en raison de l’affinité, car une véritable affinité leur fait défaut, comme la relation qui est contractée par les fiançailles ; mais, maintenant, cette interdiction a cessé et seul le premier genre d’affinité demeure interdit, dans lequel existe une véritable affinité.

[20834] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alicui viro consanguineus uxoris ejus efficitur affinis in primo genere, et uxor ejus in secundo ; unde mortuo viro, qui erat affinis, non poterat eam ducere in uxorem propter secundum affinitatis genus. Similiter etiam si aliquis viduam in uxorem ducat, consanguineus prioris viri, qui est affinis uxori in primo genere, efficitur affinis secundo viro in secundo genere, et uxor illius consanguinei quae est affinis uxori viri hujus in secundo genere, efficitur affinis viro secundo in tertio genere. Et quia tertium genus erat prohibitum propter honestatem quamdam magis quam propter affinitatem, ideo canon, dicit : duas consanguineorum uxores uni viro altera post alteram nubere publicae honestatis justitia contradicit. Sed nunc talis prohibitio cessavit.

1. Un consanguin de son épouse devient affin d’un homme selon le premier genre, et son épouse, selon le deuxième. Une fois mort le mari qui était affin, il ne pouvait la prendre comme épouse en raison du deuxième genre d’affinité. De même aussi, si le consanguin du premier mari prend sa veuve comme épouse, alors qu’il est affin de l’épouse selon le premier genre, il devient affin du deuxième mari selon le deuxième genre et l’épouse du consanguin, qui est un affin de l’épouse de cette homme selon le deuxième genre, devient affine au deuxième homme selon le troisième genre. Parce que le troisième genre était interdit en raison d’une certaine honnêteté plutôt qu’en raison d’une affinité, le canon dit donc : « La justice de l’honneur public s’oppose à ce que deux épouses de consanguins marient un homme l’une après l’autre. » Mais, maintenant, une telle interdiction a cessé.

[20835] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis carnalis conjunctio conjungat, non tamen eodem genere conjunctionis.

2. Bien que l’union charnelle unisse, elle ne le fait cependant pas selon le même genre d’union.

[20836] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod uxor viri efficitur ejusdem attinentiae consanguineis viri quantum ad eumdem gradum, sed non quantum ad idem attinentiae genus.

3. L’épouse du mari acquiert une relation avec les consanguins de son mari selon le même degré, mais non selon le même genre de relation.

[20837] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 4 Sed quia ex rationibus quae in oppositum inducuntur, videtur ostendi, quod nullum vinculum ex affinitate causetur ; ad alias rationes respondendum est, ne antiqua Ecclesia prohibitio irrationabilis videatur. Ad quartum dicendum, quod mulier non efficitur affinis in primo genere viro cui conjungitur carnaliter, ut ex praedictis patet. Unde communiter alii mulieri a viro eodem cognitae efficitur affinis in genere secundo ; unde nec ducenti in uxorem unam earum efficitur alia affinis in tertio genere ; et ita duas mulieres cognitas ab eodem viro, nec etiam antiqua jura eidem successive copulari prohibebant.

4. Parce que, par les arguments en sens contraire, on semble montrer qu’aucun lien n’est causé par l’affinité, il faut donc répondre aux autres arguments, afin que l’interdiction ancienne de l’Église ne paraisse pas déraisonnable. Au quatrième argument, il faut répondre qu’une femme ne devient pas affine selon le premier genre de l’homme à qui elle est unie charnellement, comme cela ressort de ce qui a été dit auparavant. D’une manière générale, elle devient affine selon le deuxième genre d’une autre femme connue par le même homme ; une autre ne devient donc pas affine selon le troisième genre de celui qui prend comme épouse l’une d’elles. Ainsi, le droit ancien n’interdisait pas non plus que soient unies successivement deux femmes connues par le même homme.

[20838] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut vir non est affinis uxoris suae in primo genere, ita non efficitur affinis secundo viro ejusdem uxoris in secundo genere ; et sic ratio non procedit.

5. De même que le mari n’est pas affin avec son épouse selon le premier genre, de même ne devient-il pas affin du deuxième mari de la même épouse selon le deuxième genre. Ainsi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[20839] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod mediante una persona non conjungitur mihi alia, nisi ex hoc quod ei adjungitur ; unde mediante muliere quae mihi est affinis, nulla persona fit mihi attinens, nisi quae illi mulieri adjungitur ; quod non potest esse nisi per carnis propagationem ex ipsa, vel propter conjunctionem matrimonialem ad eam ; et utroque modo aliqua attinentia mediante praedicta muliere secundum antiqua jura mihi proveniebat ; quia filius ejus etiam ex alio viro efficitur mihi affinis in eodem genere, sed in alio gradu, ut ex regula prius data patet. Et iterum secundus vir ejus efficitur mihi etiam affinis in secundo genere, sed consanguinei alii illius mulieris non adjunguntur ei ; sed ipsa vel conjungitur eis, sicut patri et matri, inquantum procedit ab eis, vel principio eorumdem, sicut fratribus ; unde frater affinis meae vel pater non efficitur mihi affinis in aliquo genere.

6. Une personne ne m’est unie par l’intermédiare d’une autre personne que si elle lui est unie. Par l’intermédiaire de la femme qui est affine avec moi, aucune personne n’entre en relation avec moi que celle qui est unie à cette femme, ce qui ne peut exister que par la transmission de la chair à partir d’elle ou en raison d’une union matrimoniale avec elle. Des deux manières, selon le droit ancien, une certaine relation me venait par l’intermédiaire de ladite femme, car le fils qu’elle a eu d’un autre homme devient affin avec moi selon le même genre, mais dans un autre degré, comme cela ressort de la règle donnée antérieurement. De plus, son deuxième mari devient aussi affin avec moi selon le deuxième genre ; les autres consanguins de cette femme ne sont cependant pas unis à lui, mais elle est elle-même unie à eux, comme au père et à la mère, pour autant qu’elle vient d’eux ou de leur principe, comme aux frères. Le frère ou le père de celle qui affine avec moi ne devient donc pas affin avec moi selon un genre.

 

 

Articulus 2

[20840] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 tit. Utrum affinitas matrimonium impediat

Article 2 – L’affinité empêche-t-elle le mariage ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’affinité empêche-t-elle le mariage ?]

[20841] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod affinitas matrimonium non impediat. Nihil enim impedit matrimonium nisi quod est illi contrarium. Sed affinitas non contrariatur matrimonio, cum sit effectus ejus. Ergo non impedit matrimonium.

1. Il semble que l’affinité n’empêche pas le mariage. En effet, rien n’empêche le mariage que ce qui lui est contraire. Or, l’affinité n’est pas contraire au mariage, puisqu’elle en est l’effet. Elle n’empêche donc pas le mariage.

[20842] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, uxor efficitur per matrimonium res quaedam viri. Sed consanguinei viri defuncti succedunt in rebus ejus. Ergo possunt succedere in uxore, ad quam tamen manet affinitas, ut ostensum est. Ergo affinitas non impedit matrimonium.

2. Par le mariage, l’épouse devient un bien du mari. Or, les hommes consanguins décédés lui succèdent pour ses biens. Ils peuvent donc lui succéder pour son épouse, chez laquelle demeure une affinité, comme on l’a montré. L’affinité n’empêche donc pas le mariage.

[20843] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Levit. 18, 8 : turpitudinem uxoris patris tui non revelabis. Sed illa est tantum affinis. Ergo affinitas impedit matrimonium.

Cependant, il est dit dans Lv 18, 8 : Tu ne révéleras pas la honte de l’épouse de ton père. Or, celle-là est seulement une affine. L’affinité empêche donc le mariage.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’affinité comporte-t-elle par elle-même des degrés ?]

[20844] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod affinitas habeat etiam per seipsam gradus. Cujuslibet enim propinquitatis est accipere aliquos per se gradus. Sed affinitas propinquitas quaedam est. Ergo habet gradus per se sine gradibus consanguinitatis ex quibus causatur.

1. Il semble que l’affinité comporte par elle-même des degrés. En effet, il faut considérer des degrés par soi pour toute proximité. Or, l’affinité est une proximité. Elle comporte donc des degrés par elle-même, sans les degrés de consanguinité par lesquels elle est causée.

[20845] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod soboles secundae conjunctionis non potest transire ad consortium affinitatis prioris viri. Sed hoc non esset, nisi filius affinis esset etiam affinis. Ergo affinitas habet per se gradus, sicut consanguinitas.

2. Il est dit dans le texte que les descendants de la deuxième union ne peuvent s’unir à des affins du premier mari. Or, ce ne serait pas le cas si le fils affin n’était aussi affin. L’affinité comporte donc en elle-même des degrés, comme la consanguinité.

[20846] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, affinitas ex consanguinitate causatur. Ergo et omnes gradus affinitatis causantur ex gradibus consanguinitatis ; et sic non habet per se aliquos gradus.

Cependant, l’affinité est causée par la consanguinité. Donc, tous les degés d’affinité aussi sont causés par les degrés de consanguinité ; et ainsi elle ne comporte pas en elle-même de degrés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les degrés d’affinité ont-ils la même étendue que les degrés de consanguinité ?]

[20847] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gradus affinitatis non extendantur sicut gradus consanguinitatis. Quia vinculum affinitatis est minus forte quam consanguinitatis, cum affinitas ex consanguinitate causetur in diversitate speciei, sicut a causa aequivoca. Sed quanto fortius est vinculum, tanto diutius durat consanguinitas. Ergo vinculum affinitatis non durat usque ad tot gradus ad quot durat consanguinitas.

1. Il semble que les degrés d’affinité n’aient pas la même étendue que les degrés de consanguinité, car le lien de l’affinité est moins fort que celui de la consanguinité, puisque l’affinité est causée par la consanguinité selon une diversité de l’espèce, comme par une cause équivoque. Or, plus un lien est fort, plus la consanguinité est durable. Le lien d’affinité ne dure donc pas jusqu’aux degrés où dure la consanguinité.

[20848] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, jus humanum debet imitari jus divinum. Sed secundum jus divinum aliqui gradus consanguinitatis erant prohibiti, in quibus gradibus affinitas matrimonium non impediebat ; sicut patet de uxore fratris, quam aliquis poterat ducere in uxorem ipso defuncto, non tamen sororem propriam. Ergo et nunc non debet esse prohibitio aequalis de affinitate et consanguinitate.

2. Le droit humain doit imiter le droit divin. Or, selon le droit divin, certains degrés de consanguinité étaient interdits, selon lesquels l’affinité n’empêchait pas le mariage, comme cela ressort pour l’épouse du frère, que quelqu’un pouvait prendre comme épouse lorsque celui-ci était mort, mais non sa propre sœur cependant. Il ne doit donc pas exister maintenant une interdiction égale pour l’affinité et la consanguinité.

[20849] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ex hoc ipso est aliqua mihi affinis quod meo consanguineo est conjuncta. Ergo in quocumque gradu sit vir mihi consanguineus, in illo gradu erit uxor mihi affinis ; et sic gradus affinitatis computari debent in eodem numero sicut et gradus consanguinitatis.

Cependant, une femme est affine avec moi par le fait même qu’elle est mariée à un de mes consanguins. Donc, à quelque degré que se trouve un homme qui est consanguin avec moi, son épouse sera affine au même degré. Ainsi, les degrés d’affinité doivent être comptés selon le même degré que les degrés de consanguinité.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20850] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod affinitas praecedens matrimonium impedit contrahendum, et dirimit contractum eadem ratione qua et consanguinitas ; sicut enim inest necessitas quaedam cohabitandi consanguineis ad invicem, ita et affinibus ; et sicut est quoddam amicitiae vinculum inter consanguineos, ita inter affines ; sed si affinitas matrimonio superveniat, non potest ipsum dirimere, ut supra dictum est.

L’affinité qui précède le mariage empêche de contracter mariage et dirime le mariage contracté pour la même raison que la consanguinité. En effet, de même qu’il existe une certaine nécessité de cohabiter avec les consanguins des deux côtés, de même aussi pour les affins. Et de même qu’il existe un lien d’amitié entre les consanguins, de même aussi entre les affins. Mais si l’affinité survient après le mariage, elle ne peut le dirimer, comme on l’a dit plus haut.

[20851] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod affinitas non contrariatur matrimonio ex quo causatur, sed contrariatur matrimonio quod cum affine contrahendum esset, inquantum impediret amicitiae multiplicationem, et concupiscentiae repressionem, quae per matrimonium quaeruntur.

1. L’affinité ne s’oppose pas au mariage par lequel elle est causée, mais elle est contraire au mariage qui devrait être contracté alors qu’existe une affinité, pour autant qu’elle empêcherait l’extension de l’amitié et la répression de la concupiscence, qui sont recherchées par le mariage.

[20852] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res possessae a viro non efficiuntur aliquid unum cum ipso viro, sicut uxor efficitur una caro cum ipso ; unde sicut consanguinitas impedit conjunctionem ad virum, ita ad uxorem viri.

2. Les biens possédés par un homme ne deviennent pas un avec l’homme lui-même, comme l’épouse devient une seul chair avec lui. De même que la consanguinité empêche l’union avec le mari, de même donc avec l’épouse de cet homme.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20853] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod res non dividitur divisione per se, nisi ratione illius quod competit sibi secundum suum genus, sicut animal per rationale et irrationale, non autem per album et nigrum. Carnis autem propagatio per se comparatur ad consanguinitatem, quia ex ea immediate consanguinitatis vinculum contrahitur ; sed ad affinitatem non comparatur nisi mediante consanguinitate, quae est causa ejus. Unde cum gradus attinentiae per propagationem carnis distinguantur, distinctio graduum per se et immediate competit consanguinitati, sed affinitati mediante consanguinitate ; et ideo ad inveniendum gradus affinitatis est regula generalis quod quoto gradu consanguinitatis attinet mihi vir, toto gradu affinitatis attinet mihi uxor.

Une chose n’est pas divisée par elle-même, si ce n’est en raison de ce qui lui revient selon son genre, comme entre l’animal raisonnable et non raisonnable, mais non entre le blanc et le noir. Or, la propagation de la chair se compare par elle-même à la consanginité, car par elle le lien de la consanguinité est contracté ; mais elle n’est comparée à l’affinité que par l’intermédiaire de la consanguinité, qui en est la cause. Puisque le degré de relation se distingue par la propagation de la chair, la distinction entre les degrés relève donc par elle-même et de manière immédiate de la consanguinité, mais l’affinité, par l’intermédiaire de la consanguinité. Pour trouver le degré d’affinité, il existe donc une règle générale : selon le degré de consanguinité par lequel le mari est en relation avec moi, par un complet degré d’affinité son épouse est en rapport avec moi.

[20854] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gradus in propinquitate attinentiae non possunt accipi nisi secundum ascensum et descensum propagationis, ad quam non computatur affinitas, nisi mediante consanguinitate ; et ideo non habet affinitas gradus per se, sed sumptos juxta gradus consanguinitatis.

1. Les degrés de proximité de la relation ne peuvent être considérés que selon l’ascendance et la descendance de la propagation ; mais l’affinité n’est pas calculée par rapport à elle, si ce n’est par l’intermédiaire de la consanguinité. L’affinité n’a donc pas de degrés par elle-même, mais ils se prennent selon les degrés de la consanguinité.

[20855] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius affinis meae ex alio matrimonio non per se loquendo, sed quasi per accidens dicebatur antiquitus affinis ; unde prohibebatur a matrimonio magis propter publicae honestatis justitiam quam propter affinitatem ; et propter hoc etiam illa prohibitio est revocata.

2. Autrefois, le fils de mon affine par un autre mariage était appelé mon affin, non par par soi, mais par accident. Aussi était-il interdit de mariage plutôt en raison de la justice de l’honneur public qu’en raison de l’affinité. Pour cette raison aussi, cette interdiction a été révoquée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20856] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ex quo gradus affinitatis sumitur juxta gradus consanguinitatis, oportet quod tot sint gradus affinitatis quot sunt gradus consanguinitatis. Sed tamen quia affinitas est minus vinculum quam consanguinitas ; facilius et olim et nunc dispensatio fit in remotis gradibus affinitatis quam in remotis gradibus consanguinitatis.

Parce que le degré d’affinité se prend selon le degré de consanguinité, il est donc nécessaire qu’il existe autant de degrés d’affinité qu’il existe de degrés de consanguinité. Cependant, parce que l’affinité est un lien moindre que la consanguinité, la dispense des degrés éloignés d’affinité est donnée plus facilement autrefois et maintenant que pour les degrés éloignés de consanguinité.

[20857] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa minoritas vinculi affinitatis respectu consanguinitatis facit varietatem in genere attinentiae, non in gradibus ; et ideo ratio illa non est ad propositum.

1. Cette infériorité du lien d’affinité par rapport à celui de la consaguinité donne une différence dans le genre de la relation, mais non dans les degrés. Ce raisonnement n’est donc pas à propos.

[20858] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod frater non poterat accipere uxorem fratris sui defuncti, nisi in casu, quando scilicet moriebatur sine prole, ut suscitaret semen fratri suo : quod tunc requirebatur, quando per propagationem carnis cultus religionis multiplicabatur ; quod nunc locum non habet ; et sic patet quod non ducebat eam in uxorem quasi gerens propriam personam, sed quasi supplens defectum fratris sui.

2. Un frère ne pouvait prendre comme épouse l’épouse de son frère défunt que dans le cas où celui-ci était mort sans descendance, afin de susciter une descendance à son frère. Cela était alors nécessaire, puisque le culte de la religion était multiplié par la propagation de la chair. Maintenant, cela n’est pas nécessaire. Ainsi, il est clair qu’il ne la prenait pas comme épouse comme s’il agissait en son nom propre, mais en corrigeant une carence de son frère.

 

 

Articulus 3

[20859] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 tit. Utrum filii qui nascuntur extra verum matrimonium, sint illegitimi

Article 3 – Les fils qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les fils qui naissent en dehors d’un vrai mariage sont-ils illégitimes ?]

[20860] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod filii qui nascuntur extra verum matrimonium, non sint illegitimi. Quia secundum legem naturae natus legitimus filius dicitur. Sed quilibet filius nascitur secundum legem ad minus naturae, quae est fortissima. Ergo quilibet filius est legitimus.

1. Il semble que les fils qui naissent en dehors d’un vrai mariage ne soient pas illégitimes, car est appelé fils légitime celui qui est né selon la loi de la nature. Or, tout fils naît au moins selon la loi de la nature, qui est la plus forte. Tout fils est donc légitime.

[20861] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, communiter dicitur quod legitimus filius est qui est de legitimo matrimonio natus, vel de eo quod in facie Ecclesiae legitimum reputatur. Sed contingit quandoque quod aliquod matrimonium reputatur legitimum in facie Ecclesiae, quod habet impedimentum ne sit verum matrimonium ; et tamen a contrahentibus in facie Ecclesiae scitur ; et si occulte nubant, et impedimentum nesciant, legitimum videtur in facie Ecclesiae, ex quo per Ecclesiam non prohibentur. Ergo filii extra verum matrimonium nati, non sunt illegitimi.

2. On dit généralement qu’un fils légitime est celui qui est né d’une mariage légitime ou d’un mariage qui est considéré comme légitime au regard de l’Église. Or, il arrive parfois qu’un mariage soit considéré comme légitime au regard de l’Église, alors qu’il comporte un empêchement d’être un vrai mariage, bien que cela est connu par ceux qui contractent le mariage au regard de l’Église ; et s’ils se marient secrètement et ne connaissent pas l’empêchement, le mariage semble vrai au regard de l’Église du fait qu’ils ne sont pas empêchés par l’Église. Les fils nés hors d’un vrai mariage ne sont donc pas illégitimes.

[20862] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illegitimum dicitur quod est contra legem. Sed illi qui nascuntur extra matrimonium, nascuntur contra legem. Ergo sunt illegitimi.

Cependant, on appelle illégitime ce qui est contraire à la loi. Or, ceux qui naissent hors du mariage naissent contrairement à la loi. Ils sont donc illégitimes.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les fils illégitimes doivent-ils à cause de cela encourir un préjudice ?]

[20863] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illegitimi filii non debeant ex hoc aliquod damnum reportare. Quia filius non debet puniri pro peccato patris, ut patet per sententiam domini Ezech. 18. Sed quod iste nascatur ex illicito coitu, non est peccatum proprium, sed peccatum patris. Ergo ex hoc non debet aliquod damnum incurrere.

1. Il semble que les fils illégitimes ne doivent pas à cause de cela encourir un préjudice, car le fils ne doit pas être puni pour le péché du père, comme cela ressort de la décision du Seigneur, Ez 18. Or, le fait que quelqu’un est né d’une union charnelle illégitime n’est pas un péché propre, mais un péché de son père. Il ne doit donc pas encourir un préjudice à cause de cela.

[20864] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, justitia humana est exemplata a divina. Sed Deus aequaliter largitur bona naturalia legitimis et illegitimis filiis. Ergo et secundum jura humana filii illegitimi debent legitimis aequiparari.

2. La justice humaine a comme modèle la justice divine. Or, Dieu dispense également les biens naturels aux fils légitimes et aux illégitimes. Selon le droit humain, les fils illégitimes doivent donc être égaux aux fils légitimes.

[20865] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes. 25, quod Abraham dedit omnia bona sua Isaac, et filiis concubinarum largitus est munera ; et tamen illi non erant ex illicito coitu nati. Ergo multo magis debent illi qui ex illicito coitu nascuntur, hoc damnum reportare, quod non succedant in bonis paternis.

Cependant, ce qui est dit en Gn 25 va en sens contraire : Abraham a donné tous ses biens à Isaac, et il a donné des présents aux fils des ses concubines ; cependant, ceux-ci n’étaient pas nés d’une union charnelle illégitime. À bien plus forte raison, ceux qui sont nés d’une union charnelle illégitime doivent-ils encourir le préjudice de ne pas obtenir la succession de biens paternels.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le fils illégitime peut-il être légitimé ?]

[20866] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod filius illegitimus non possit legitimari. Quantum enim distat legitimus ab illegitimo, tantum e converso illegitimus a legitimo. Sed legitimus nunquam fit illegitimus. Ergo nec illegitimus legitimus.

1. Il semble que le fils illégitime ne puisse être légitimé. En effet, autant le fils légitime est éloigné du fils illégitime, autant, en sens inverse, le fils illégitime l’est-il du fils légitime. Or, le fils légitime ne devient jamais illégitime. Donc, ni le fils illégitime, légitime.

[20867] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, coitus illegitimus causat illegitimum filium. Sed coitus illegitimus nunquam fit legitimus. Ergo nec filius illegitimus legitimari potest.

2. L’union charnelle illégitime cause le fils illégitime. Or, l’union charnelle illégitime ne devient jamais légitime. Le fils illégitime ne peut donc pas être légitimé.

[20868] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quod per legem indicitur, per legem revocari potest. Sed illegitimitas filiorum est per legem positivam inducta. Ergo potest filius illegitimus legitimari ab eo qui habet auctoritatem legis.

Cependant, ce qui est imposé par la loi peut être révoqué par la loi. Or, l’illégitimité des fils est imposée par la loi positive. Le fils illégitime peut donc être légitimé par celui qui possède l’autorité de la loi.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20869] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quadruplex est status filiorum. Quidam enim sunt naturales et legitimi, sicut qui nascuntur ex legitimo matrimonio. Quidam naturales et non legitimi, ut filii qui nascuntur ex simplici fornicatione. Quidam legitimi et non naturales, sicut filii adoptivi. Quidam nec legitimi nec naturales, sicut spurii nati de adulterio vel de stupro : tales enim nascuntur et contra legem positivam, et expresse contra legem naturae. Et sic concedendum est quosdam filios esse illegitimos.

L’état des fils est quadruple. En effet, certains sont naturels et légitimes, comme ceux qui naissent d’un mariage légitime. Certains sont naturels et non légitimes, comme les fils qui naissent d’une simple fornication. Certains sont légitimes et non naturels, comme les fils adoptifs. Certains ne sont ni légitimes ni naturels, comme les bâtards nés de l’adultère ou de la débauche : ceux-ci naissent à l’encontre de la loi positive et expressément à l’encontre de la loi de la nature. Il faut donc reconnaître que certains fils sont illégitimes.

[20870] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illi qui nascuntur ex illicito coitu, nascantur secundum naturam quae communis est homini et aliis animalibus ; tamen nascuntur contra legem naturae quae est propria hominibus : quia fornicatio et adulterium et hujusmodi, sunt contra legem naturae ; et ideo tales secundum nullam legem sunt legitimi.

1. Bien que ceux qui naissent d’une union charnelle illégitime naissent selon la nature qui est commune à l’homme et aux autres animaux, ils naissent cependant à l’encontre de la loi de la nature qui est propre aux hommes, car la fornication, l’adultère et les choses de genre sont contraires à la loi de la nature. Ceux-ci ne sont donc légitimes selon aucune loi.

[20871] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ignorantia excusat illicitum coitum a peccato, nisi sit affectata ; unde illi qui conveniunt bona fide in facie Ecclesiae, quamvis sit impedimentum, dum tamen ignorent, non peccant, nec filii sunt illegitimi. Si autem sciant, quamvis Ecclesia sustineat, quae ignorat impedimentum, non excusantur a peccato, nec filii ab illegitimitate. Si autem nesciant, et in occulto contrahant, non excusantur, quia talis ignorantia videtur affectata.

2. L’ignorance excuse de péché une union charnelle illégitime, à moins qu’elle ne soit affectée ; ceux qui s’unissent de bonne foi au regard de l’Église, bien qu’il existe un empêchement, ne pèchent pas pourvu qu’ils l’ignorent, et leurs fils ne sont pas illégitimes. Mais s’ils le connaissent, bien que l’Église qui ignore l’empêchement supporte [ce mariage], ils ne sont pas exempts de péché et leurs fils ne sont pas non plus exempts d’illégitimité. Mais s’ils l’ignorent et contractent mariage en secret, ils ne sont pas exempts, car une telle ignorance paraît affectée.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20872] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquis dicitur damnum incurrere dupliciter. Uno modo ex hoc quod ei subtrahitur quod erat ei debitum ; et sic filius illegitimus nullum damnum incurrit. Alio modo certitudo quod ei aliquid non est debitum, quod alias poterat ei esse debitum ; et sic filius illegitimus damnum incurrit duplex. Unum, quia non admittitur ad actus legitimos, sicut ad officia vel dignitates, quae requirunt quamdam honestatem in illis qui hoc exercent. Aliud damnum incurrunt, quando non succedunt in hereditate paterna. Sed tamen naturales filii succedere possunt in sexta parte tantum, spurii autem in nulla parte, quamvis ex jure naturali parentes eis in necessariis providere teneantur ; unde pertinet ad solicitudinem episcopi ut utrumque parentum cogat ad hoc quod eis provideant.

On dit que quelqu’un encourt un préjudice de deux manières. D’une manière, par le fait que lui est enlevé ce qui lui était dû : ainsi le fils illégitime n’encourt-il aucun préjudice. D’une autre manière, par la certitude que quelque chose ne lui est pas dû, qui pouvait autrement lui être dû : ainsi le fils illégitime encourt-il un double préjudice. En premier lieu, parce qu’il n’est pas admis à poser des actes légitimes, comme pour les fonctions ou les dignités, qui exigent une certaine honnêteté chez ceux qui font cela. Ils encourent un autre préjudice lorsqu’ils n’obtiennent pas la succession de l’héritage paternel. Cependant, les fils naturels peuvent succéder pour le sixième seulement, mais les bâtards d’aucune manière, bien que, selon le droit naturel, leurs parents soient obligés de leur assurer le nécessaire. Il relève donc de la sollicitude de l’évêque de forcer les deux parents à en prendre soin.

[20873] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod incurrere damnum hoc secundo modo, non est poena ; et ideo non dicimus quod sit poena alicui quod non succedit in regno aliquo per hoc quod non est filius regis ; et similiter non est poena quod alicui qui non est legitimus, non debentur ea quae sunt legitimorum filiorum.

1. Encourir un préjudice de la seconde manière n’est pas une peine. Nous ne disons donc pas que c’est une peine pour quelqu’un de ne pas obtenir la succession dans un royaume parce qu’il n’est pas le fils du roi. De même, ce n’est pas une peine que ne soit pas dû à celui qui n’est pas légitime ce qui appartient aux fils légitimes.

[20874] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod coitus illegitimus non est contra legem inquantum est actus generativae virtutis, sed inquantum ex prava voluntate procedit ; et ideo filius illegitimus non incurrit damnum in his quae acquiruntur per naturalem originem, sed in his quae per voluntatem fiunt vel possidentur.

2. L’union illégitime n’est pas contraire à la loi en tant qu’elle est un acte de la puissance génératrice, mais en tant qu’elle vient d’un volonté mauvaise. Le fils illégitime n’encourt donc pas de préjudice pour ce qui est acquis par une origine naturelle, mais pour ce qui est fait ou possédé volontairement.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3 :

[20875] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod filius illegitimus potest legitimari, non ut fiat de legitimo coitu natus, quia coitus ille transivit, et nunquam potest fieri legitimus ex quo semel fuit illegitimus ; sed dicitur legitimari inquantum damna quae filius illegitimus incurrit, subtrahuntur per legis auctoritatem. Et sunt sex modi legitimandi : duo secundum canones, scilicet cum quis ducit in uxorem illam ex qua filium illegitimum generavit, si non fuit adulterium ; et per specialem indulgentiam et dispensationem domini Papae. Quatuor autem alii modi sunt secundum leges. Primus est, si pater filium naturalem curiae imperatoris offert ; ex hoc enim ipso legitimatur propter curiae honestatem. Secundus, si pater testamento nominet eum legitimum heredem, et filius postmodum testamentum offerat. Tertius est, si nullus sit filius legitimus, et ipsemet filius seipsum principi offerat. Quartus est, si pater in publico instrumento, vel cum trium testium subscriptione, eum legitimum nominet, nec adjiciat naturalem.

Un fils illégitime peut être légitimé, non pas pour qu’il devienne né d’une union légitime, car cette union est passée et il ne peut jamais devenir légitime par ce qui l’a rendu illégitime ; mais on dit qu’il est légitimé pour autant que les préjudices que le fils illégitime encourt sont enlevés par l’autorité de la loi. Il existe six modes de légitimation. Il y en a deux selon les canons : lorsque quelqu’un prend comme épouse celle dont il a engendré le fils illégitime, s’il ne s’agissait pas d’un adultère ; par une indulgence et une dispense spéciale du seigneur pape. Les quatre autres modes viennent de la loi. Le premier consiste en ce que le père offre son fils naturel à la cour de l’empereur : en effet, il est légitimé par le fait même en raison de l’honneur de la cour. Le deuxième consiste en ce que le père en fasse son héritier légitime par testament et que, par la suite, le fils présente le testament. Le troisième consiste en ce qu’il n’existe aucun fils légitime et que le fils lui-même se présente au dirigeant. Le quatrième consiste en ce que le père, par un instrument public ou par la signature de trois témoins, le désigne comme légitime sans ajouter de fils naturel.

[20876] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alicui potest sine injustitia gratia fieri ; sed non potest aliquis magis damnificari nisi pro culpa ; et ideo magis potest illegitimus fieri legitimus quam e converso : etsi enim aliquando legitimus privetur hereditate pro culpa, non tamen dicitur illegitimus filius, quia generationem legitimam habuit.

[20877] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus illegitimus habet defectum intra se inseparabilem, quo legi opponitur ; et ideo non potest fieri legitimus. Nec est simile de filio illegitimo, qui non habet hujusmodi defectum.

1. Un don gratuit peut être fait à quelqu’un sans injustice ; mais quelqu’un ne peut être condamné que pour une faute. Le fils illégitime peut donc être plutôt rendu légitime que l’inverse. En effet, même si parfois le fils légitime est privé de son héritage à cause d’une faute, il n’est cependant pas appelé un fils illégitime, car il a eu une génération légitime.

2. Un acte illégitime possède en lui-même une carence qui en est inséparable, par laquelle il s’oppose à la loi. Il ne peut donc être rendu légitime. Mais il n’en va pas de même du fils illégitime, qui n’a pas une telle carence.

 

 

Articulus 4

[20878] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 tit. Utrum incestus differat specie ab aliis speciebus luxuriae

Article 4 – L’inceste est-il une espèce différente des autres espèces de luxure ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’inceste est-il une espèce différente des autres espèces de luxure ?]

[20879] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod incestus non differat specie ab aliis speciebus luxuriae quas Magister in littera tangit. Materia enim non diversificat speciem. Sed ea quae Magister in littera enumerat, non differunt nisi penes materiam. Ergo non sunt diversae species peccati.

1. Il semble que l’inceste ne soit pas une espèce différente des autres espèces de luxure que le Maître aborde dans le texte. En effet, la matière ne change pas l’espèce. Or, ce que le Maître énumère dans le texte ne diffère que par la matière. Ce ne sont pas des espèces différentes de péchés.

[20880] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Coloss. 3, super illud : fornicationem, immunditiam etc. dicit Glossa interlinearis, quod fornicatio est omnis concubitus praeter legitimum connubium. Sed incestus est hujusmodi. Ergo est fornicatio : et ita non dividitur specie a fornicatione.

2. À propos de Col 3 : [Fuyez] la fornication, l’impureté, etc., la glose inerlinéaire dit que la fornication est toute union charrnelle en dehors d’un mariage légitime. Or, l’inceste est de ce genre. Elle est donc une fornication, et ainsi elle ne se distingue pas de la fornication par l’espèce.

[20881] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, virtutes et vitia distinguuntur specie penes objecta. Sed illa quae hic ponuntur, diversificantur per objecta. Ergo differunt specie.

Cependant, les vertus et les vices se distinguent par l’espèce selon leurs objets. Or, ce qui est présenté ici se diversifie par les objets. Cela se diversifie donc par l’espèce.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le Maître distingue-t-il les espèces de luxure de manière appropriée ?]

[20882] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod dividat species luxuriae inconvenienter. Quia apostolus, Ephes. 5, 3, videtur tantum duas species ponere, ubi dicitur : fornicatio et omnis immunditia (...) non nominetur in vobis.

1. Il semble que le Maître distingue les espèces de luxure de manière inappropriée, car, en Ep 5, 3, l’Apôtre ne semble indiquer que deux espèces, là où il dit : Que personne ne parle de fornication ni d’aucune impureté parmi vous.

[20883] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad Coloss. 3, ponuntur quatuor species, scilicet fornicatio, immunditia, concupiscentia, libido.

2. En Col 3, quatre autres espèces sont présentées : la fornication, l’impureté, la concupiscence, la luxure. [Puisque le Maître semble omettre ces espèces, il semble donc les distinguer de manière insuffisante.]

[20884] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad Galatas 5, ponuntur aliae species quatuor ; scilicet fornicatio, immunditia, impudicitia, luxuria. Ergo cum ipse praetermittat has species, videtur insufficienter dividere.

3. En Ga 5, quatre autres espèces sont présentées : la fornication, l’impureté, l’impudicité, la luxure. Puisqu’il omet ces espèces, il semble donc faire une distinction insuffisante.

[20885] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, maximum peccatum in genere luxuriae est peccatum contra naturam. Sed de illo nullam facit mentionem. Ergo videtur insufficiens.

4. Le plus grand péché dans le genre de la luxure est le péché contre nature. Or, il n’en fait aucune mention. Cela semble donc insuffisant.

[20886] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, plus distat vidua a meretrice quam virgo a vidua. Sed luxuria quae committitur cum virgine, distinguitur ab illa quae committitur cum vidua. Ergo et illa quae committitur cum vidua, deberet distingui ab illa quae committitur cum meretrice.

5. Une veuve se distingue davantage d’une prostituée qu’une vierge d’une veuve. Or, la luxure qui est commise avec une vierge est différente de celle qui est commise avec une veuve. Donc, celle qui est commise avec une veuve devrait être distinguée de celle qui est commise avec une prostituée.

[20887] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 6 Praeterea, Isidorus dicit, quod stuprum est virginum illicita defloratio, quando scilicet pactio conjugalis non praecessit. Sed hoc est etiam in raptu. Ergo raptus non debet contra stuprum distingui.

6. Isidore dit que le stupre est la défloration illégitime d’une vierge, à savoir, lorsqu’un contrat conjugal n’a pas précédé. Or, cela existe aussi dans le rapt. Le rapt ne doit donc pas être distingué du stupre.

[20888] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 7 Praeterea, inter species luxuriae nominatur etiam sacrilegium, quod committitur cum aliquis violat mulierem Deo consecratam, vel cum qua habet spiritualem cognationem. Ergo cum hoc praetermittat, videtur insufficiens.

7. Parmi les espèces de la luxure, on nomme aussi le sacrilège, qui est commis lorsque quelqu’un viole une femme consacrée à Dieu ou avec laquelle il a une parenté spirituelle. Puisque [le Maître] omet cela, [sa distinction] semble donc insuffisante.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le Maître ordonne-t-il correctement ces vices ?]

[20889] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod male ordinet ista vitia. Quia nobilior est castitas virginalis quam conjugalis. Sed adulterium est contra castitatem conjugalem, stuprum autem contra virginalem. Ergo stuprum est gravius peccatum ; et sic deberet praeponi adulterio.

1. Il semble qu’il ordonne mal ces vices, car la chasteté virginale est plus noble que la chasteté conjugale. Or, l’adultère est contraire à la chasteté conjugale, mais le stupre, contraire à la chasteté virginale. Le stupre est donc un péché plus grave, et ainsi il devrait être placé devant l’adultère.

[20890] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nulla dispensatione fieri potest quod aliquis licite concumbat cum illa cum qua committit adulterium ; potest autem fieri per aliquam dispensationem quod aliquis licite concumbat cum qua committit incestum ; sicut per dispensationem potest accipere uxorem consanguineam in quarto gradu, cum qua erat prius incestus. Ergo adulterium est gravius peccatum quam incestus ; et sic non deberet praemitti.

2. Aucune dispense ne peut faire que quelqu’un couche légitimement avec celle avec qui il a commis l’adultère ; mais elle peut faire que quelqu’un couche légitimement avec celle avec laquelle il a commis l’inceste, comme il peut par dispense prendre une épouse consanguine au quatrième degré, avec laquelle il a antérieurement commis l’inceste. L’adultère est donc un péché plus grave que l’inceste, et ainsi il ne devrait pas venir avant.

[20891] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad puellam quae rapitur, potest esse matrimonium, quando non fit violentia ipsi, sed parentibus. Sed ad illam quae per incestum violatur, non potest esse matrimonium. Ergo incestus est gravius peccatum quam raptus ; et sic videtur quod male ordinet.

3. Il peut y avoir mariage avec la jeune fille qui a été enlevée, lorsqu’il ne lui pas fait violence, mais à ses parents. Or, il ne peut y avoir mariage avec celle qui a été violée par l’inceste. L’inceste est donc un péché plus grave que le rapt, et ainsi il semble que [le Maître] les ordonne mal.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20892] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut supra, dist. 16, qu. 3, art. 2, quaestiunc. 3, in corp., dictum est, circumstantia peccatum in aliud genus mutat, quando alterius generis peccati deformitatem addit ; et secundum hoc, isti luxuriae modi qui hic ponuntur, differunt specie ; quia fornicatio non importat, quantum est de se, aliam deformitatem nisi quae ad genus luxuriae pertinet, est enim soluti cum soluta ; et dicitur fornicatio a fornice, quia juxta fornices, idest arcus triumphales, et in aliis locis ubi homines conveniebant, congregabantur meretrices, et ibi polluebantur. Sed stuprum, quod est illicita virginum defloratio, addit aliam deformitatem, scilicet damnificationem mulieris violatae, quae non est ita apta ad nubendum sicut ante ; et haec damnificatio etiam per se specialem legis prohibitionem habet. Similiter etiam adulterium, quod est alterius tori violatio, addit specialem deformitatem alterius generis, quae est ex usu rei alienae illicito, quod pertinet ad genus injustitiae. Similiter etiam incestus, qui est consanguinearum vel affinium abusus, ab incendio nomen habens, vel a privatione castitatis, quasi antonomastice, quia castitatem violat in illis qui maximo foedere conjunguntur, addit specialem deformitatem, scilicet naturalis foederis violationem. Similiter etiam raptus, qui committitur ex hoc quod puella a domo patris violenter abducitur, ut corrupta in matrimonium habeatur, sive vis puellae seu parentibus illata constiterit, patet quod alterius generis deformitatem addit, scilicet violentiam, quam lex in quacumque re prohibet ; et sic patet quod sunt diversae species peccatorum ; unde etiam circumstantiae quibus diversificantur, non sunt in confessione omittendae.

Comme on l’a dit plus haut, d.16, q. 3, a. 2, qa 3, c., une circonstance change le genre du péché lorsqu’elle ajoute la difformité d’un autre genre de péché. Ainsi, les modes de luxure qui sont présentés ici sont différents par l’espèce, parce que la fornication ne comporte pas en elle-même une autre difformité que celle qui se rapporte à la luxure : en effet, elle est le fait d’un homme libre avec une femme libre. La fornication tire son nom d’arcade (fornex), car les prostituées se réunissaient près des arcades, c'est-à-dire des arcs de triomphe, et en d’autres lieux où les hommes se rassemblaient, et elles y étaient souillées. Mais le stupre, qui est la défloration illégitime de vierges, ajoute une autre difformité : le préjudice causée à une femme violée, qui n’est ainsi pas aussi apte à se marier qu’auparavant. Ce préjudice est aussi interdit d’une manière spéciale par la loi. De même aussi l’adultère, qui est la violation de la couche d’un autre, ajoute-t-il une difformité spéciale d’un autre genre, qui vient de l’usage illégitime du bien d’un autre, qui relève d’un genre d’injustice. De même aussi l’inceste, qui est l’abus de consanguines ou d’affines, et qui tire son nom d’ « incendie », ou de privation de la chasteté, comme par antonomase, parce qu’il viole la chasteté chez celles qui sont unies par l’alliance la plus grande, ajoute-t-il une difformité spéciale : la violation d’une alliance naturelle. De même aussi le rapt, qui est commis par le fait qu’une jeune fille est enlevée par violence de la maison de son père, de sorte qu’elle est mariée alors qu’elle est corrompue, ou par le fait qu’une violence est exercée contre une jeune fille ou ses parents : il est clair qu’il ajoute un autre genre de difformité, à savoir, la violence, que la loi interdit en toutes choses. Il ressort ainsi clairement que ce sont diverses espèces de péchés. Aussi même les circonstances par lesquelles ils se diversifient ne doivent-elles pas être omises en confession.

[20893] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materialis diversitas in proposito habet secum annexam formalem diversitatem objecti ; ideo sequitur diversitas in specie.

1. La diversité matérielle comporte une diversité formelle selon l’objet. Il en découle donc une différence selon l’espèce.

[20894] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa species luxuriae quae non addit aliquam specialem deformitatem alterius generis, retinet sibi nomen commune, nec dividitur contra alias species, nisi secundum quod accipitur cum praecisione illorum quae per alias species adduntur.

2. L’espèce de la luxure qui n’ajoute pas de difformité spéciale d’un autre genre conserve le nom commun et elle n’est différenciée des autres que selon qu’elle est considérée avec la précision de ce qui est ajouté par les autres espèces.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20895] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod species luxuriae distinguuntur primo per concubitum secundum naturam et contra naturam. Sed quia luxuria contra naturam innominabilis est, relinquatur. Si autem sit peccatum in concubitu secundum naturam, tunc aut non addit aliquam deformitatem super luxuriae genus, et sic est fornicatio : aut addit ; et hoc dupliciter ; quia vel quantum ad modum agendi, et sic est raptus, qui violentiam importat ; vel ex conditione ejus cum qua luxuria committitur ; et haec conditio vel est ipsius absolute, sicut virginitas, et sic est stuprum ; vel est ipsius in ordine ad alterum ; et hoc, vel ad concumbentem cum ea, sicut est conditio affinitatis vel consanguinitatis, et sic est incestus ; vel ad alium aliquem, sicut est matrimonium ; et sic est adulterium.

Les espèces de la luxure se différencient premièrement par une union charnelle selon la nature et contraire à la nature. Mais parce que la luxure contraire à la nature est innommable, elle est laissée de côté. Mais s’il s’agit du péché de l’union charnelle selon la nature, soit il n’ajoute pas de difformité au genre de la luxure : il s’agit alors de la fornication ; soit il y ajoute, et cela de deux manières : quant à la manière d’agir, et ainsi il s’agit du rapt, qui comporte une violence ; quant à la condition de celle avec laquelle la luxure est commise. Soit cette condition est la sienne absolument, telle la virginité, et ainsi on a le stupre ; soit elle est la sienne par rapport à un autre qui accomplit l’union charnelle avec elle, et ainsi il s’agit de la condition de l’affinité ou de la consanguinité : on a alors l’inceste ; soit par rapport à un autre, comme c’est le cas du mariage : il s’agit alors de l’adultère.

[20896] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod immunditia ponitur pro omni luxuriae specie, quae addit deformitatem specialem supra genus luxuriae ; et sic comprehendit alias quatuor species.

1. L’impureté est utilisée pour toute espèce de luxure qui ajoute une difformité spéciale au genre de la luxure. Elle comprend ainsi les quatre autres espèces.

[20897] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illae quatuor differentiae sic distinguuntur ; quia vel est secundum naturam, et sic ponitur fornicatio quantum ad actum exteriorem, concupiscentia quantum ad actum interiorem : vel contra naturam ; et sic est immunditia quantum ad actum exteriorem, libido quantum ad actum interiorem, quae intensionem concupiscentiae importat.

2. Ces quatre autres différences se différencient par le fait que [l’union charnelle] est conforme à la nature : on a ainsi la fornication quant à l’acte extérieur et la concupiscence quant à l’acte intérieur ; ou par le fait qu’elle est contraire à la nature : on a ainsi l’impureté quant à l’acte extérieur et le désir désordonné quant à l’acte intérieur, qui comporte une certaine intensité de la concupiscence.

[20898] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illis quatuor fornicatio pertinet ad concubitum soluti cum soluta ; impudicitia comprehendit adulterium et incestum, sicut immunditia continet species contra naturam ; luxuria autem refertur ad actus interiores.

3. Dans ces quatre différences, la fornication se rapporte à l’union charnelle d’un homme libre avec une femme libre ; l’impudicité comprend l’adultère et l’inceste, comme l’impureté contient les espèces qui sont contre nature ; mais la luxure se rapporte aux actes extérieurs.

[20899] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister determinat hic de istis speciebus, secundum quod habent ordinem ad affinitatem et consanguinitatem ; et quia ex concubitu contra naturam non sequitur affinitas, ideo praetermisit species innaturales ; et quia talis luxuria non est humana, sed bestialis, ut dicitur in 7 Ethicorum.

4. Le Maître détermine ici de ces espèces selon qu’elles ont un rapport avec l’affinité et à la consanguinité. Et parce que l’affinité ne découle pas de l’union charnelle contre nature, il a donc omis les espèces qui ne sont pas naturelles, et parce qu’une telle luxure n’est pas humaine mais bestiale, comme one le dit dans Éthique, VII.

[20900] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virgo ex hoc quod defloratur, aliquod damnum incurrit praeter damnum castitatis, quia redditur minus apta ad matrimonium sequens ; non autem vidua, sicut nec meretrix ; et ideo non est similis ratio.

5. Par le fait qu’elle est déflorée, la vierge encourt un certain préjudice en plus de la perte de la chasteté, car elle est rendue moins apte au mariage par la suite. Mais ce n’est pas le cas de la veuve ni de la prostiuée. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[20901] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod raptus supra stuprum addit specialem deformitatem, scilicet violentiam, et eductionem de domo patris ; et ideo distincta species ponitur a stupro.

6. Le rapt ajoute au stupre une difformité spéciale, à savoir, la violence, et l’enlèvement de la maison du père. Aussi une espèce spéciale est-elle donnée pour le stupre.

[20902] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sacrilegium illud reducitur ad species de quibus hic fit mentio ; quia violatio habentis votum continentiae reducitur ad stuprum, vel magis ad adulterium, inquantum est Deo desponsata ; sed illud quod committitur cum ea quae est conjuncta cognatione spirituali, reducitur ad incestum.

7. Ce sacrilège se ramène aux espèces dont il est fait ici mention, car le viol de celle qui a fait vœu de continence se ramène au stupre ou plutôt à l’adultère, pour autant qu’elle était fiancée à Dieu. Mais celui qui est commis avec celle qui lui est unie par une parenté spirituelle se ramène à l’inceste.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20903] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum hoc aliquis concubitus est magis peccatum, secundum quod magis distat a matrimoniali concubitu. Inter species autem hic enumeratas aliqua distat a matrimonio et quantum ad essentiam matrimonii, et quantum ad causam, quae est consensus ; scilicet raptus ; et ideo est maximum peccatum inter illa quae hic enumerantur. Aliae vero distant a matrimonio quantum ad essentiam tantum ; sed hoc est dupliciter ; quia illa cum qua concumbit, vel non est matrimonio conjuncta ; vel nec est conjuncta, nec potest conjungi ; et hoc magis distat. Si autem primo modo ; aut per concubitum praestatur aliquod impedimentum sequenti matrimonio, aut non : primum enim magis distat. Si autem non potest matrimonio conjungi : vel non potest aliqua conditione extante, vel non potest simpliciter in perpetuum ; et hoc magis distat. Et secundum hoc patet quod fornicatio simplex est minimum peccatum inter ista ; quia illi cum qua concumbitur, nullum novum impedimentum respectu sequentis matrimonii infertur ; et post hoc est stuprum, per quod infertur impedimentum mulieri, ut non illa facile postmodum nubere possit ; et post hoc est adulterium, quod est concubitus ad illam quae non potest duci in uxorem, dum vir ejus vivit ; et post hoc est incestus, qui committitur cum illa quae simpliciter uxor esse non potest ; et post hoc est raptus, qui matrimonio contrariatur non solum quantum ad essentiam, sed etiam quantum ad causam. Et hic est ordo eorum secundum genus suum consideratorum. Tamen potest quandoque hic ordo variari secundum diversas circumstantias. Omnium tamen horum gravius est peccatum contra naturam.

L’union charnelle est un péché d’autant plus grand qu’elle s’éloigne davantage de l’union charnelle matrimoniale. Parmi les espèces qui sont énumérées ici, l’une s’éloigne du mariage quant à l’essence du mariage et quant à sa cause, qui est le consentement, à savoir, le rapt. C’est donc le péché le plus grand parmi ceux qui sont énumérés ici. Mais les autres s’éloignent du mariage quant à son essence seulement, mais de deux manières. Soit celle avec laquelle est commise l’union charnelle n’est pas unie par mariage, soit elle n’est pas unie et ne peut être unie, et cela est plus éloigné. S’il s’agit de la première manière, soit un empêchement est apporté par l’union charnelle à un mariage subséquent, soit il ne l’est pas : en effet, le premier cas est plus éloigné. Mais si elle ne peut être unie en mariage, c’est soit en raison d’une condition existante, soit parce qu’elle ne le peut tout simplement à perpétuité : cela est plus éloigné. Il ressort ainsi que la fornication simple est le plus petit péché parmi ceux [qui sont énumérés], car aucun nouveau préjudice par rapport à un mariage subséquent n’est encouru par celle avec laquelle on a l’union charnelle. Après cela, vient le stupre, par lequel un prejudice est porté à la femme, de sorte que celle-ci ne peut facilement se marier par la suite. Après cela, vient l’adultère, qui est l’union charnelle avec celle qui ne peut être prise comme épouse, aussi longtemps que vit son mari. Après cela, vient l’inceste, qui est commis avec celle qui ne peut tout simplement être son épouse. Après cela, le rapt, qui s’oppose au mariage non seulement quant à son essence, mais aussi quant à sa cause. Tel est l’ordre selon le genre de ce qui est considéré. Cependant, l’ordre peut parfois différer selon diverses circonstances. Toutefois, le plus grave de tous ces péchés est le péché contre nature.

[20904] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod adulterium non solum est peccatum quia est contra castitatem, sed quia est contra jus divinum quod habet vir in uxorem.

1. L’adultère est un péché non seulement parce qu’il est contraire à la chasteté, mais parce qu’il est contraire au droit divin que possède le mari sur sa femme.

[20905] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non possit dispensari quod aliquis ducat in uxorem illam cum qua committit adulterium vivente viro : tamen aliquo casu contingente potest eam in uxorem ducere absque dispensatione, scilicet post mortem viri : quia adulterium primum non dirimit matrimonium contractum nisi in aliquo casu, ut prius, dist. 35, in expositione litterae, dictum est.

2. Bien que celui qui prend comme épouse celle avec laquelle il commet l’adultère, alors que son mari est vivant, ne puisse obtenir de dispense, cependant, dans un cas donné, il peut la prendre comme épouse sans dispense, à savoir, après la mort de son mari, car le premier adultère ne dirime le mariage contracté que dans un cas, comme on l’a dit plus haut, d. 35, dans l’explication du texte.

[20906] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis possit postmodum duci in matrimonium consentiente puella et parentibus ; tamen quantum ad praesens pertinet, maxime a matrimonio distat, ut ex dictis patet.

3. Bien qu’elle puisse par la suite se marier, avec le consentement de la jeune fille et des parents, cependant, pour ce qui concerne le présent, cela s’éloigne au plus haut point du mariage, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 5

[20907] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 tit. Utrum conjugium quod inter affines vel consanguineos est contractum, semper sit per divortium dirimendum

Article 5 – Le mariage qui a été contracté entre des affins ou des consanguins doit-il toujours être dirimé par le divorce ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le mariage qui a été contracté entre des affins ou des consanguins doit-il toujours être dirimé par le divorce ?]

[20908] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod conjugium quod inter affines vel consanguineos est contractum, non semper sit per divortium dirimendum. Quia quos conjunxit Deus, homo separare non debet. Cum ergo Deus facere intelligatur quod Ecclesia facit, quae quandoque tales ignoranter conjungit ; videtur quod si postmodum in notitiam veniant, non sint separandi.

1. Il semble que le mariage qui a été contracté entre des affins ou des consanguins doive toujours être dirimé par le divorce, car ce que Dieu a unis, l’homme ne doit pas le séparer. Puisqu’on comprend que Dieu fait ce que fait l’Église, qui parfois unit ceux-ci sans le savoir, il semble que si, par la suite, on en prend connaissance, ils ne doivent pas être séparés.

[20909] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, favorabilius est vinculum matrimonii quam dominii. Sed homo per longi temporis praescriptionem acquirit dominium in re cujus non erat dominus. Ergo per diuturnitatem temporis matrimonium ratificatur, etiam si prius ratum non fuit.

2. Le lien du mariage est plus favorable que celui de la propriété. Or, par la prescription d’une longue durée, un homme acquiert la propriété d’une chose dont il n’était pas le propriétaire. En vertu d’une longue durée, le mariage est donc ratifié, même s’il n’a pas été ratifié antérieurement.

[20910] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, de similibus simile est judicium. Sed si matrimonium esset dirimendum propter consanguinitatem, tunc in casu illo quando duo fratres habent duas sorores in uxores, si unus separatur propter consanguinitatem, et alius separari deberet pari ratione ; quod non videtur. Ergo matrimonium non est separandum propter consanguinitatem vel affinitatem.

3. Il faut porter le même jugement sur les mêmes choses. Or, si le mariage devait être dirimé en raison de la consanguinité, dans ce cas, lorsque deux frères ont deux sœurs comme épouses, si l’un est séparé en raison de la consanguinité, l’autre devrait être séparé pour la même raison, ce qui ne semble pas être le cas. Le mariage ne doit donc pas être séparé en raison de la consanguinité ou de l’affinité.

[20911] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, consanguinitas et affinitas impediunt contrahendum, et dirimunt contractum. Ergo si probatur consanguinitas vel affinitas, separandi sunt, si de facto contraxerint.

Cependant, la consanguinité et l’affinité empêchent de contracter mariage et diriment le mariage contracté. Si donc la consanguinité ou l’affinité est démontrée, ils doivent être séparés, s’ils ont effectivement contracté mariage.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Doit-on procéder par voie d’accusation pour la séparation du mariage contracté entre des affins et des consanguins ?]

[20912] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ad separationem matrimonii quod est inter affines et consanguineos contractum non sit procedendum per viam accusationis. Quia accusationem inscriptio praecedit, qua aliquis se ad talionem obligat, si in probatione defecerit. Sed haec non requiruntur quando agitur de matrimonii separatione. Ergo accusatio ibi locum non habet.

1. Il semble qu’on ne doive pas procéder par voie d’accusation pour la séparation du mariage contracté entre des affins et des consanguins, car l’inscription, par laquelle on s’oblige au talion si on ne réussit pas à faire la preuve, précède l’accusation. Or, cela n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit de la séparation du mariage. L’accusation n’y a donc pas sa place.

[20913] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in causa matrimonii audiuntur solum propinqui, ut in littera dicitur. Sed in accusationibus audiuntur etiam extranei. Ergo in causa separationis matrimonii non agitur per viam accusationis.

2. Dans une cause de mariage, sont entendus seulement les proches, comme il est dit dans le texte. Or, dans les accusations, des étrangers sont aussi entendus. Dans une cause de séparation, on ne procède donc pas par voie d’accusation.

[20914] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si matrimonium accusari deberet, tunc praecipue hoc esset faciendum quando minus difficile est quod separetur. Sed hoc est quando sunt tantum sponsalia contracta : tunc autem non accusatur matrimonium. Ergo nunquam de cetero debet fieri accusatio.

3. Si on doit mettre un mariage en accusation, cela devrait se faire lorsqu’il est moins difficile de réaliser la séparation. Or, ce moment est celui où n’existent que des fiançailles : le mariage n’est pas alors mis en accusation.

[20915] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ad accusandum non praecluditur alicui via per hoc quod non statim accusat. Sed hoc fit in matrimonio : quia si primo tacuit quando matrimonium contrahebatur, non potest postea matrimonium accusare, nisi quasi suspectus. Ergo et cetera.

4. Pour accuser, le chemin n’est pas fermé à quelqu’un par le fait qu’il ne porte pas accusation immédiatement. Or, cela arrive pour le mariage, car si on s’est tu d’abord lorsque le mariage était contracté, on ne peut par la suite mettre le mariage en accusation, sauf comme suspect. Donc, etc.

[20916] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne illicitum potest accusari. Sed matrimonium affinium vel consanguineorum est illicitum. Ergo de eo potest esse accusatio.

Cependant, tout ce qui est illégitime peut être mis en accusation. Or, un mariage entre affins et consanguins est illégitime. On peut donc le mettre en accusation.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dans une telle cause, doit-on faire appel à des témoins comme dans les autres causes ?]

[20917] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in tali causa non sit procedendum per testes sicut in aliis causis. Quia in aliis causis adducuntur ad testificandum quicumque sunt omni exceptione majores. Sed hic non admittuntur extranei, quamvis sint omni exceptione majores. Ergo et cetera.

1. Il semble que, dans une telle cause, on doive faire appel à des témoins comme dans les autres causes, car, dans les autres causes, sont appelés à témoigner tous ceux qui sont majeurs sans exception. Mais, ici, les étrangers ne sont pas admis, bien qu’ils soient majeurs sans exception. Donc, etc.

[20918] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, testes suspecti de privato odio vel amore, a testimonio repelluntur. Sed maxime possunt propinqui esse suspecti de amore respectu unius partis, et odio ad partem alteram. Ergo non est audiendum eorum testimonium.

2. Les témoins soupçonnés de haine ou d’amour privés sont refusés comme témoins. Or, les proches peuvent être au plus haut point soupçonnés d’amour pour une des parties et de haine pour l’autre partie. Il ne faut donc pas écouter leur témoignage.

[20919] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, matrimonium est favorabilius quam aliae causae, in quibus de rebus pure corporalibus agitur. Sed in illis non potest esse idem accusator et testis. Ergo nec in matrimonio ; et ita videtur quod non convenienter in ista causa per testes procedatur.

3. Le mariage est plus favorable que les autres causes où il est question de choses purement corporelles. Or, la même personne ne peut être accusateur et témoin pour ces choses. Donc, ni pour le mariage. Il semble ainsi qu’on ne procède pas correctement par témoins dans cette cause.

[20920] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, testes inducuntur in causis, ut super his de quibus dubitatur, fiat judici fides. Sed ita facienda est judici fides in causa ista sicut in aliis causis, quia non debet praecipitare sententiam de eo quod non constat. Ergo procedendum est hic ex testibus, sicut in aliis causis.

Cependant, on fait appel à des témoins dans les causes afin que la certitude du jugement soit assuré pour ce dont on doute. Or, la certitude du jugement doit être assurée dans cette cause comme dans les autres causes, car on ne doit pas précipiter une sentence à propos de ce qui n’est pas clair. Il faut donc procéder ici avec des témoins, comme dans les autres causes.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20921] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum omnis concubitus praeter legitimum matrimonium sit peccatum mortale, quod Ecclesia omnibus modis impedire conatur, ad ipsam pertinet eos inter quos non potest esse verum matrimonium, separare, et praecipue consanguineos et affines, qui sine incestu contrahere non possunt carnaliter.

Puisque toute union charnelle en dehors d’un mariage légitime est un péché mortel, que l’Église s’efforce d’empêcher de toutes les manières, il lui revient de séparer ceux entre qui il ne peut y avoir de vrai mariage, et surtout les consanguins et les affins, qui ne peuvent contracter charnellement sans inceste.

[20922] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Ecclesia dono et auctoritate divina fulciatur ; tamen inquantum est hominum congregatio, aliquid ex defectu humano in actibus ejus provenit, quod non est divinum ; et ideo illa conjunctio quae fit in facie Ecclesiae impedimentum ignorantis, non habet inseparabilitatem ex auctoritate divina, sed est contra auctoritatem divinam errore humano inducta, quae excusat a peccato, cum sit error facti, quamdiu manet ; et propter hoc quando impedimentum ad notitiam Ecclesiae venit, debet praedictam conjunctionem separare.

1. Bien que l’Église soit pourvue du don et de l’autorité divine, cependant, dans la mesure où elle est un rassemblement d’hommes, quelque chose de la carence humaine, qui n’est pas divin, passe dans ses actes. Aussi l’union qui est faite au regard de l’Église qui ignore un empêchement ne comporte pas l’inséparabilité en vertu de l’autorité divine, mais se glisse par une erreur humaine à l’encontre de l’autorité divine, qui excuse du péché, puisqu’elle est une erreur de fait, aussi longtemps qu’elle dure. Pour cette raison, lorsque l’empêchement vient à la connaissance de l’Église, celle-ci doit séparer l’union dont il a été question.

[20923] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa quae sine peccato esse non possunt, nulla praescriptione firmantur : quia, ut Innocentius dicit, diuturnitas temporis non minuit peccatum, sed auget. Nec ad hoc facit aliquid favor matrimonii, quod inter illegitimas personas esse non poterat.

2. Ce qui ne peut exister sans péché ne peut être confirmé par prescription, car, ainsi que le dit Innocent, « la durée ne diminue pas le péché, mais l’augmente ». Et l’intérêt du mariage, qui ne pouvait exister entre des personnes illégitimes, n’y apporte rien.

[20924] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod res inter alios acta alii non praejudicat in foro contentioso ; unde quamvis unus frater repellatur a matrimonio unius sororum ex causa consanguinitatis, non propter hoc separat Ecclesia aliud matrimonium quod non accusatur. Sed in foro conscientiae non oportet quod semper obligetur ad hoc alius frater ad dimittendum uxorem suam : quia frequenter tales accusationes ex malevolentia procedunt, et per falsos testes probantur. Unde non oportet quod conscientiam suam informet ex his quae sunt circa aliud matrimonium facta. Sed distinguendum videtur in hoc. Quia aut habet certam scientiam de impedimento matrimonii, aut opinionem, aut neutrum. Si primo modo, nec exigere nec reddere debitum debet. Si secundo, debet reddere, sed non exigere. Si tertio, potest et reddere et exigere.

3. Ce qui s’est passé entre d’autres ne porte pas préjudice à un autre au for contentieux ; bien qu’un frère soit écarté du mariage d’une des sœurs en raison de la consanguinité, l’Église ne sépare donc pas un autre mariage qui n’est pas mis en accusation. Mais, au for de la conscience, il n’est pas nécesssaire que l’autre frère soit toujours obligé de renvoyer son épouse, car, fréquemment, de telles accusations viennent de la malveillance et sont appuyées par de faux témoins. Il n’est donc pas nécessaire qu’il informe sa conscience de ce qui s’est passé à propos de l’autre mariage. Mais il semble qu’il faille faire une distinction, car soit on a une connaissance certaine de l’empêchement de mariage, soit on en a une opinion, soit on n’a ni l’une ni l’autre. Si c’est le premier cas, on ne doit ni rendre ni exiger ce qui est dû. S’il s’agit du deuxième cas, on doit le rendre, mais on ne doit pas l’exiger. S’il s’agit du troisième cas, on peut le rendre et l’exiger.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20925] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod accusatio ad hoc est instituta ne aliquis sustineatur quasi innocens qui culpam habet. Sicut autem ex ignorantia facti contingit quod aliquis homo reputatur innocens qui in culpa est ; ita ex ignorantia alicujus circumstantiae contingit quod aliquod factum reputatur licitum quod illicitum est ; et ideo, sicut homo accusatur quandoque, ita et factum ipsum accusari potest ; et sic matrimonium excusatur quando propter ignorantiam impedimenti aestimatur legitimum quod est illegitimum.

L’accusation a été établie de crainte que quelqu’un ne soit considéré comme innocent alors qu’il est coupable d’une faute. Or, de même qu’il arrive par une ignorance de fait qu’un homme soit considéré comme innocent alors qu’il est coupable, de même il arrive par l’ignorance d’une circonstance qu’une action soit considérée comme permise alors qu’elle est défendue. De même qu’un homme est parfois accusé, de même l’action elle-même peut-elle donc être aussi mise en accusation. Et ainsi, le mariage est excusé lorsque, en raison de l’ignorance d’un empêchement, est estimé légitime ce qui est illégitime.

[20926] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obligatio ad poenam talionis habet locum quando accusatur persona de crimine, quia tunc agitur ad punitionem ejus. Sed quando accusatur factum, tunc non agitur ad poenam facientis, sed ad impediendum hoc quod est illicitum. Et ideo in matrimonio accusator non se obligat ad aliquam poenam ; sed talis accusatio potest et verbo et scripto fieri, ita quod exprimatur et persona accusans matrimonium quod accusatur, et impedimentum propter quod accusatur.

1. L’obligation à la peine du talion a lieu lorsqu’une personne est accusée d’un crime, car on agit alors en vue de la punir. Mais lorsqu’une action est mise en accusation, elle n’est pas alors appliquée comme peine de celui qui la fait, mais pour empêcher ce qui est défendu. C’est pourquoi, pour le mariage, l’accusateur ne s’oblige pas à une peine ; mais une telle accusation peut être faite oralement et par écrit, de sorte que sont exprimés la personne qui met en accusation le mariage qui est mis en accusation, et l’empêchemeent pour lequel il est mis en accusation.

[20927] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod extranei non possunt scire consanguinitatem nisi per consanguineos, de quibus probabilius est quod sciant ; unde quando ipsi tacent, suspicio habetur contra extraneum quia ex malevolentia procedat, nisi per consanguineos probare voluerit ; unde repellitur ab accusatione, quando sunt consanguinei qui tacent, et per quos probari non potest. Sed consanguinei, quantumcumque sint propinqui, non repelluntur ab accusatione, quando accusatur matrimonium propter aliquod impedimentum perpetuum, quod impedit contrahendum, et dirimit contractum. Sed quando accusatur ex hoc quod dicitur non fuisse contractum, tunc parentes tamquam suspecti sunt repellendi, nisi ex parte illius qui est inferior dignitate et divitiis, de quibus probabiliter aestimari potest quod libenter vellent quod matrimonium staret.

2. Les étrangers ne peuvent connaître la consanguinité que par les consanguins, qui la connaissent de manière plus probable. Lorsqu’ils se taisent, un soupçon existe donc contre l’étranger qu’il agit par malveillance, à moins qu’il ne veuille faire la preuve par les consanguins. Aussi est-il écarté de l’accusation, lorsqu’il y a des consanguins qui se taisent et par lesquels il ne peut faire la preuve. Mais les consanguins, aussi proches soient-ils, ne sont pas écartés de l’accusation lorsque le mariage est mis en accusation en raison d’un empêchement perpétuel, qui empêche de contracter mariage et dirime celui qui a été contracté. Mais lorsqu’il est mis en accusation sous prétexte qu’il n’a pas été contracté, alors les parents ne doivent pas être écartés en tant que soupçonnés, si ce n’est du côté de celui qui est inférieur en dignité et en richesse, dont on peut probablement estimer qu’ils souhaiteraient volontiers que le mariage continue.

[20928] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum matrimonium nondum est contractum, sed sponsalia tantum, non potest accusari, quia non accusatur quod non est ; sed potest denuntiari impedimentum, ne matrimonium contrahatur.

3. Lorsque le mariage n’a pas encore été contracté, mais qu’il s’agit de fiançailles seulement, il ne peut être mis en accusation, car n’est pas mis en accusation ce qui n’existe pas ; mais l’empêchement peut être dénoncé, de sorte que le mariage ne soit pas contracté.

[20929] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui primo tacuit, quandoque auditur postea, si velit matrimonium accusare, quandoque repellitur ; quod patet ex decretali quae sic dicit : si post contractum matrimonium aliquis apparet accusator, cum non prodierit in publicum, quando secundum consuetudinem in Ecclesiis edebantur, utrum vox suae debeat accusationis admitti, merito quaeri potest. Super quo respondemus, quod si tempore denuntiationis praemissae is qui jam conjunctos impetit, extra diocesim existebat, vel alias denuntiatio ad ejus non potuit notitiam pervenire, utputa si nimio infirmitatis fervore laborans sanae mentis patiebatur exilium, vel in annis erat tam teneris constitutus quod ad comprehensionem talium ejus aetas sufficere non valebat, seu alia causa legitima fuerit impeditus ; ejus accusatio debet audiri : alioquin, tamquam suspectus, esset proculdubio repellendus, nisi juramento firmaverit quod post didicerit ea quae objecerit, et ad hoc ex malitia non procedat.

4. Celui qui s’est d’abord tu est parfois entendu par la suite, s’il veut mettre le mariage en accusation, et parfois il est écarté, ce qui ressort d’une décrétale qui dit : « Si, après que le mariage a été contracté, apparaît un accusateur, puisqu’il ne s’est pas manifesté en public, lorsque, selon la coutume, on demandait dans les églises si son accusation devait être acceptée, on peut à juste titre s’interroger. Nous répondons à ce sujet que si, au moment de la dénonciation en cause, celui qui attaque les conjoints se trouvait hors du diocèse ou si la dénonciation n’a pas pu venir à sa connaissance pour une autre raison, par exemple, si, en raison de l’intensité de la maladie, il avait perdu la raison ou s’il était d’un âge tellement tendre que son âge ne pouvait être en mesure de comprendre de telles choses, ou s’il a été empêché pour une autre raison légitime, sa mise en accusation doit être entendue. Autrement, il devrait être écarté comme suspect, à moins qu’il confirme par serment qu’il a appris par la suite ce qu’il fait valoir comme objection et qu’il n’agit pas par malice. »

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20930] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in hac causa oportet quod per testes veritas patefiat, sicut et in aliis. Tamen, ut juristae dicunt, in hac causa multa specialia inveniuntur ; scilicet quod idem potest esse accusator et testis ; et quod non juratur de calumnia, cum sit quasi causa spiritualis ; et quod consanguinei admittuntur ad testificandum ; et quod non observatur omnino ordo judiciarius, quia tali denuntiatione facta contumax potest excommunicari lite non contestata ; et valet hic testimonium de auditu, et post publicationem testium testes possunt induci. Et hoc totum est ut peccatum impediatur, quod in tali conjunctione esse potest.

Dans cette cause, il faut que la vérité soit manifestée par des témoins, comme dans les autres. Cependant, comme le disent les juristes, on trouve dans cette cause plusieurs choses spéciales : le même peut être accusateur et témoin ; il ne fait pas serment à propos de la calomnie, puisqu’il s’agit pour ainsi dire d’une cause spirituelle ; les consanguins sont admis à témoigner et la procédure judiciaire n’est pas du tout observée, car un absent peut être excommunié sans contestation par une telle dénonciation ; le témoignage fondé sur le ouï-dire est valable et, après la publication des témoins, des témoins peuvent être admis. Tout cela existe pour que le péché, qui peut exister dans une telle union, soit empêché,.

[20931] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

La réponse aux objections est ainsi claire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 41

[20932] Super Sent., lib. 4 d. 41 q. 1 a. 5 qc. 3 expos. Illud etiam non est praetermittendum quod Gregorius Venerio episcopo scripsit. Totum est abrogatum per nova jura ; sed etiam gradus consanguinitatis et affinitatis sunt restricti usque ad gradum quartum. Et est sciendum, quod Ecclesia infra praedictos gradus consanguinitatis conjunctos separat. Sciendum, quod cum Ecclesia non intendat privare aliquem jure suo, si decepta per falsos testes separaverit matrimonium, altera personarum expoliata vi, juste debet ei fieri restitutio, etiam si altera votum emisisset religionis, ita tamen quod ei non liceret petere debitum, sed solum reddere. Quando autem mulier ad reintegrationem matrimonii agit, distinguendum est. Quia si agit petitorio, ut scilicet ei detur aliquis vir, qui cum ea contraxit, antequam fiat restitutio, tractabitur de exceptione ex parte mariti proposita. Si autem agat possessorio, primo restituendus est sibi vir quam exceptio praedicta tractetur ; et eadem ratio est, si vir agat. Sed excipiuntur ab utroque communiter quinque casus. Primus est, quando vir excipiendo proponit publicam fornicationem uxoris. Secundus, quando proponit gradum consanguinitatis jure divino prohibitum ; tamen si differatur, oportet fieri restitutionem per sententiam ; sed ille non tenebitur reddere debitum, si habeat conscientiam de consanguinitate praedicta. Tertius, si objiciatur exceptio rei judicatae, a qua non est appellatum. Quartus, quando est tanta saevitia viri, quod non potest sufficiens cautio adhiberi, puta quod vir persequitur uxorem odio capitali. Quintus est, quando ille qui agit, spoliavit alium sine causa.

 

 

 

Distinctio 42

Distinction 42 – [L’empêchement de proximité spirituelle]

Prooemium

Prologue

[20933] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de carnalis propinquitatis impedimento, hic determinat de impedimento spiritualis propinquitatis ; et dividitur in partes duas : in prima ostendit quomodo spiritualis cognatio matrimonium impediat ; in secunda inquirit, utrum secundae nuptiae sint licitae, ibi : sciendum est etiam, quod non solum primae, vel secundae nuptiae sunt licitae, sed etiam tertiae et quartae non sunt damnandae. Prima in duas : in prima distinguit propinquitatem spiritualem a carnalibus, de quibus supra actum est ; in secunda prosequitur de propinquitate spirituali, ibi : spirituales filii sunt quos de sacro fonte levamus. Et haec pars dividitur in duas : in prima ostendit unde spiritualis propinquitas contrahatur ; in secunda ostendit quomodo matrimonium impediat, ibi : quod autem compater vel commater sibi jungi nequeant (...) ex Concilio Maguntinensi docetur. Et haec in duas : in prima ostendit quomodo impedit matrimonium propinquitas spiritualis quam aliqua persona directe contrahit, quae assimilatur consanguinitati ; in secunda quomodo impediat matrimonium illa quae indirecte ex uxore in virum redundat per modum cujusdam affinitatis, vel e contra, ibi : solet etiam quaeri, si commatrem uxoris post ejus obitum quis ducere valeat. Prima in duas : in prima ostendit quando spiritualis cognatio impediat matrimonium inter compatrem spiritualem et matrem naturalem, aut e converso ; in secunda ostendit quando matrimonium impediat inter filios spirituales et naturales, ibi : quod autem spirituales vel adoptivi filii naturalibus copulari nequeant, Nicolaus Papa testatur. Prima in duas : in prima ostendit quando spirituali cognatio matrimonium praecedens impediat matrimonium contrahendum, et dirimat contractum inter compatrem et commatrem ; non autem si sequatur ; in secunda objicit in contrarium, et solvit, ibi : his autem obviare videtur quod Deusdedit Papa ait. Quod autem spirituales vel adoptivi filii naturalibus copulari nequeant, Nicolaus Papa testatur. Hic ostendit quando impeditur matrimonium inter prolem spiritualem et naturalem unius hominis ; et circa hoc duo facit : primo probat propositum ; secundo inquirit, utrum haec probatio se extendat ad fratres naturales spiritualis prolis, quod scilicet possint copulari filiis naturalibus spiritualis patris, ibi : hoc autem quidam volunt intelligere tantum de illis filiis quibus compatres facti sunt. Solet etiam quaeri si commatrem uxoris post ejus obitum quis ducere valeat. Circa hoc duo facit. Primo ostendit quod spiritualis cognatio transit a viro in uxorem. Secundo inquirit, utrum possint spiritualiter effici parentes alicujus prolis, ibi : solet etiam quaeri, si uxor cum viro simul debeat in Baptismo suscipere puerum. Hic est triplex quaestio. Prima de cognatione spirituali. Secunda de legali. Tertia de secundis nuptiis. Circa primum quaeruntur tria : 1 utrum spiritualis cognatio matrimonium impediat ; 2 ex qua causa contrahatur ; 3 inter quos contrahatur.

Après avoir déterminé de l’empêchement de proximité charnelle, le Maître détermine ici de l’empêchement de proximité spirituelle. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment la parenté spiritelle empêche le mariage ; dans la seconde, il se demande si les deuxièmes noces sont permises, à cet endroit : « On doit aussi savoir que non seulement les premières noces ou les deuxièmes noces sont permises, mais aussi que les troisièmes et les quatrièmes ne doivent pas être con-damnées. » La première partie se divise en deux : dans la première, il distingue la proximité spirituelle des proximités char-nelles, dont il a été question plus haut ; dans la seconde, il poursuit [son exposé] sur la proximité spirituelle, à cet endroit : « Les fils spirituels sont ceux qu’on a relevés du bain sacré. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre comment la proximité spirituelle est contractée ; dans la seconde, il montre comment elle empêche le mariage, à cet endroit : « Il est enseigné par le concile de Mayence… que le parrain ou la marraine ne peuvent être unis. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il montre comment la proximité spirituelle contractée par quelqu’un directement, qui est assimilée à la consanguinité, empêche le mariage ; dans la seconde, comment celle qui retombe indirectement sur le mari par l’intermédiare de sa femme, ou l’inverse, à la manière d’une certaine affinité, empêche le mariage, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si quelqu’un peut épouser la marraine de l’épouse après la mort de celle-ci. » La première se divise en deux : dans la première, il montre quand la parenté spiri-tuelle empêche le mariage entre le parrain spirituel et la mère naturelle, ou l’inverse ; dans la seconde, il montre quand elle em-pêche le mariage entre les fils spirituels et les fils naturels, à cet endroit : « Mais que les fils spirituels adoptifs ne puissent être unis aux fils naturels, le pape Nicolas l’atteste. » La première se divise en deux : dans la première, il montre quand la parenté spirituelle [corr. Spirituali/spiritualis] anté-rieure empêche de contracter mariage et dirime le mariage déjà contracté entre le parrain et la marraine, mais non si elle suit ; dans la seconde, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « À cela semble s’opposer ce que le pape Deusdedit dit. » « Mais que les fils spirituels adoptifs ne puissent être unis aux fils naturels, le pape Nicolas l’atteste. » Il montre ici quand le mariage entre la descendance spirituelle et naturelle d’un homme est empêché. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il démontre ce qui est mis de l’avant ; deuxièmement, il se demande si cette démonstration s’étend aux frères naturels d’une descendance spirituelle, à savoir, si elle peut être unie aux fils naturels d’un père spirituel, à cet endroit : « Mais certains veulent entendre cela seulement des fils dont ils sont devenus les parrains. » « On a aussi coutume de se demander si quelqu’un peut épouser la marraine de l’épouse après la mort de celle-ci. » À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre que la parenté spirituelle passe du mari à l’épouse. Deuxièmement, il se demande s’ils peuvent devenir spirituellement les parents d’une descendance, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si l’épouse doit recevoir l’enfant, lors du baptême, en même temps que le mari. » Il y a ici trois questions. La première, à propos de la parenté spirituelle. La deuxième, à propos de la [parenté] légale. La troisième, à propos des secondes noces. À propos du premier pont, trois questions sont posées : 1 – La parenté spirituelle empêche-t-elle le mariage ? 2 – Comment est-elle contractée ? 3 – Entre qui est-elle contractée ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La parenté spirituelle]

 

 

Articulus 1

[20934] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 tit. Utrum spiritualis cognatio matrimonium impediat

Article 1 – La parenté spirituelle empêche-t-elle le mariage ?

[20935] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod spiritualis cognatio matrimonium non impediat. Nihil enim impedit matrimonium quod non contrariatur alicui bono matrimonii. Sed spiritualis cognatio non contrariatur alicui bono matrimonii. Ergo non impedit matrimonium.

1. Il semble que la parenté spirituelle n’empêche pas le mariage. En effet, rien n’empêche le mariage qui n’est pas contraire à un bien du mariage. Or, la parenté spirituelle n’est pas contraire à un bien du mariage. Elle n’empêche donc pas le mariage.

[20936] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, perpetuum impedimentum matrimonii non potest stare simul cum matrimonio. Sed cognatio spiritualis stat simul aliquando cum matrimonio, ut in littera dicitur, sicut cum aliquis in casu necessitatis filium suum baptizat : quia tunc fit uxori suae spirituali cognatione conjunctus, nec tamen matrimonium separatur. Ergo spiritualis cognatio matrimonium non impedit.

2. Un empêchement perpétuel au mariage ne peut exister en même que le mariage. Or, la parenté spirituelle existe parfois en même temps que le mariage, comme on le dit dans le texte, comme lorsque quelqu’un baptise son fils en cas de nécessité, car alors, il devient uni à son épouse par une parenté spirituelle, et le mariage n’est cependant pas séparé. La parenté spirituelle n’empêche donc pas le mariage.

[20937] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, unio spiritus non transit in carnem. Sed matrimonium est carnalis conjunctio. Ergo cum cognatio spiritualis sit unio spiritus, non potest transire ad matrimonium impediendum.

3. L’union de l’esprit ne passe pas dans la chair. Or, le mariage est une union charnelle. Puisque la parenté spirituelle est une union de l’esprit, elle ne peut donc être transmise pour empêcher le mariage.

[20938] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, contrariorum non sunt iidem effectus. Sed spiritualis cognatio videtur esse contraria disparitati cultus ; cum spiritualis cognatio sit propinquitas proveniens ex datione sacramenti, vel tentione ad idem ; disparitas autem cultus consistit in sacramenti carentia, ut prius, dist. 39, quaest. 1, art. 1, dictum est. Cum ergo disparitas cultus matrimonium impediat, videtur quod spiritualis cognatio non habeat hunc effectum.

3. Les effets des contraires ne sont pas identiques. Or, la parenté spirituelle semble être le contraire de la disparité de culte, puisque la parenté spirituelle est une proximité venant du fait qu’un sacrement est conféré ou qu’on y tend, mais que la disparité de culte consiste dans la carence d’un sacrement, comme on l’a dit plus haut, d. 39, q. 1, a. 1. Puisque la disparité de culte empêche le mariage, il semble donc que la parenté spirituelle n’ait pas cet effet.

[20939] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quanto aliquod vinculum est sanctius, tanto est magis custodiendum. Sed vinculum spirituale est sanctius quam corporale. Ergo cum vinculum propinquitatis corporalis matrimonium impediat, videtur etiam quod spiritualis cognatio idem faciat.

Cependant, [1] plus un lien est saint, plus il doit être préservé. Or, un lien spirituel est plus saint qu’un lien corporel. Puisque le lien de la proximité corporelle empêche le mariage, il semble donc que la parenté spirituelle aussi fasse la même chose.

[20940] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in matrimonio conjunctio animarum est principalior quam conjunctio corporum, quia praecedit ipsam. Ergo multo fortius spiritualis cognatio matrimonium impedire potest quam carnalis.

[2] Dans le mariage, l’union des âmes est plus importante que l’union des corps, car elle précède celle-ci. À bien plus forte raison, la parenté spirituelle peut-elle donc empêcher le mariage que la parenté charnelle.

[20941] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut per carnis propagationem homo accipit esse naturae, ita per sacramenta accipit esse spirituale gratiae. Unde sicut vinculum quod ex carnis propagatione contrahitur, est naturale homini, inquantum est res quaedam naturae ; ita vinculum quod contrahitur ex sacramentorum susceptione, est quodammodo naturale alicui, inquantum est membrum Ecclesiae ; et ideo sicut carnalis cognatio impedit matrimonium, ita spiritualis ex Ecclesiae statuto. Tamen distinguendum est de spirituali cognatione. Quia aut praecessit matrimonium, aut sequitur. Si praecessit, impedit contrahendum, et dirimit contractum ; si sequitur, tunc non dirimit vinculum matrimonii. Sed quantum ad actum matrimonii est distinguendum. Quia aut spiritualis cognatio inducitur causa necessitatis, sicut cum pater baptizat puerum in articulo mortis ; et tunc non impedit actum matrimonii ex neutra parte : aut inducitur extra casum necessitatis, ex ignorantia tamen ; et tunc si ille ex cujus actu inducitur, diligentiam adhibuit, est eadem ratio sicut et de primo ; aut ex industria extra casum necessitatis ; et tunc ille ex cujus actu inducitur, amittit jus petendi debitum ; sed tamen debet reddere, quia ex culpa ejus non debet aliquod incommodum alius reportare.

Réponse

De même que, par la propagation charnelle, l’homme reçoit l’existence naturelle, de même, par les sacrements, reçoit-il l’existence spirituelle de la grâce. De même que le lien qui est contracté par la propagation charnelle est naturel à l’homme, en tant qu’il est une réalité de la nature, de même, le lien qui est contracté par la réception des sacrements est-il donc d’une certaine manière naturel à quelqu’un, en tant qu’il est membre de l’Église. De même que la parenté charnelle empêche le mariage, de même donc la parenté spirituelle [l’empêche-t-elle] par une décision de l’Église. Cependant, il faut faire une distinction à propos de la parenté spirituelle : soit elle a précédé le mariage, soit elle le suit. Si elle a précédé, elle empêche de le contracter et dirime celui qui a été contracté ; si elle suit, alors elle ne dirime pas le lien du mariage. Mais, pour ce qui est de l’acte du mariage, il faut faire une dictinction. Soit la parenté spirituelle est encourue pour cause de nécessité, comme lorsque le père baptise son enfant à l’article de la mort : alors, elle n’empêche l’acte du mariage d’aucun des deux côtés. Soit elle est encourue en dehors d’une cause de nécessité, mais cependant par ignorance : alors, si celui par l’acte duquel elle est encourue y a accordé du soin, le raisonnement est le même que dans le premier cas ; ou bien [elle a été encourue] avec application en dehors d’une cause de nécessité : alors, celui par l’acte duquel elle a été encourue perd le droit de demander ce qui lui est dû ; cependant, il doit le rendre, car l’autre ne doit pas supporter un préjudice par sa faute.

[20942] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis spiritualis cognatio non impediat aliquod de principalibus bonis matrimonii, tamen impedit aliquod de secundariis bonis, quod est amicitiae multiplicatio : quia spiritualis cognatio est sufficiens ratio amicitiae per se ; unde oportet quod ad alios per matrimonium familiaritas et amicitia quaeratur.

1. Bien que la parenté spirituelle n’empêche pas un des biens principaux du mariage, elle empêche cependant un des biens secondaires, qui est la multipliction de l’amitié, car la parenté spirituelle est une raison suffisante d’amitié par elle-même. Il est donc nécessaire que la familiarité et l’amitié soient recherchées auprès d’autres par le mariage.

[20943] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium est perpetuum vinculum ; et ideo nullum impedimentum superveniens potest ipsum dirimere ; et sic quandoque contingit quod matrimonium et matrimonii impedimentum stant simul ; non autem si impedimentum praecedat.

2. Le mariage est un lien perpétuel. C’est pourquoi aucun empêchement survenant après coup ne peut le dirimer. Ainsi, il arrive parfois que le mariage et l’empêchement de mariage soient simultanés, mais non si l’empêchement précède.

[20944] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in matrimonio non tantum est conjunctio corporalis, sed etiam spiritualis ; et ideo propinquitas spiritus ei impedimentum praestat sine hoc quod propinquitas spiritualis transire debeat in carnalem.

3. Dans le mariage, il n’y a pas seulement union corporelle, mais aussi spirituelle. La proximité de l’esprit y apporte un empêchement, sans que la proximité spirituelle doive devenir une proximité charnelle.

[20945] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est inconveniens quod duo contraria ad invicem contrarientur eidem, sicut magnum et parvum aequali ; et sic disparitas cultus et spiritualis cognatio matrimonio repugnant : quia in uno est major distantia, et in altero major propinquitas quam matrimonium requirat ; et ideo ex utraque parte matrimonium impeditur.

4. Il n’est pas inapproprié que deux contraires soient réciproquement contraires à la même chose, comme ce qui est grand et ce qui est petit à ce qui est égal. Ainsi, la disparité de culte et la parenté spirituelle s’opposent-elles au mariage, car, dans un cas, la distance est plus grande, et dans l’autre, la proximité est plus grande que ce qu’exige le mariage. C’est pourquoi le mariage est empêché des deux côtés.

 

 

Articulus 2

[20946] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 tit. Utrum per solum Baptismum spiritualis propinquitas contrahatur

Article 2 – La proximité spirituelle est-elle contractée seulement par le baptême ?

 

[20947] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per solum Baptismum spiritualis propinquitas contrahatur. Sicut enim se habet cognatio corporalis ad corporalem generationem, ita spiritualis ad spiritualem. Sed solus Baptismus dicitur spiritualis generatio. Ergo per solum Baptismum contrahitur spiritualis cognatio, sicut per solam generationem carnalem cognatio carnalis.

1. Il semble que la proximité spirituelle soit contractée seulement par le baptême. En effet, le rapport entre la parenté corporelle et la génération corporelle est le même qu’entre la parenté spirituelle et la génération spirituelle. Or, seul le baptême est appelé une génération spirituelle. La parenté spirituelle est donc contractée seulement par le baptême, comme la parenté charnelle, seulement par la génération charnelle.

[20948] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in confirmatione imprimitur character, ita in ordine. Sed ex susceptione ordinis non sequitur spiritualis cognatio. Ergo nec ex confirmatione ; et sic solum ex Baptismo.

2. De même qu’un caractère est imprimé par la confirmation, de même en est-il pour l’ordre. Or, une parenté spirituelle ne découle pas de la réception de l’ordre. Donc, non plus, de la confirmation. Et ainsi, [elle découle] seulement du baptême.

[20949] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sacramenta sunt digniora sacramentalibus. Sed ex quibusdam sacramentis spiritualis cognatio non sequitur, sicut patet in extrema unctione. Ergo multo minus ex catechismo, ut quidam dicunt.

3. Les sacrements sont plus dignes que les sacramentaux. Or, une parenté spirituelle ne découle pas de certains sacrements, comme cela est clair pour l’extrême-onction. Enore bien moins, donc, du catéchisme, comme le disent certains.

[20950] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, inter sacramentalia Baptismi multa alia praeter catechismum numerantur, ut patet supra, distinct. 6. Ergo ex catechismo non magis contrahitur spiritualis cognatio quam ex aliis.

4. Parmi les sacramentaux du baptême, beaucoup d’autres choses sont énumérées, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 6. Une parenté spirituelle n’est donc pas davantage contractée par le catéchisme que par les autres.

[20951] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, oratio non est minus efficax ad promovendum in bonum quam instructio sive catechizatio. Sed ex oratione non contrahitur spiritualis cognatio. Ergo nec ex catechismo.

5. La prière n’est pas moins efficace que l’instruction ou le catéchisme pour amener au bien. Or, une parenté spirituelle n’est pas contractée par la prière. Donc, ni par le catéchisme.

[20952] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, instructio quae fit baptizatis per praedicationem, non minus valet quam illa quae fit nondum baptizatis. Sed ex praedicatione non contrahitur aliqua spiritualis cognatio. Ergo nec ex catechismo.

6. L’instruction donnée aux baptisés par la prédication n’a pas moins de valeur que celle qui est donnée à ceux qui ne sont pas encore baptisés. Or, une parenté spirituelle n’est pas contractée par la prédication. Donc, ni par le catéchisme.

[20953] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 7 Sed contra, 1 Corinth. 4, 15 : in Christo Jesu per Evangelium ego vos genui. Sed spiritualis generatio causat spiritualem cognationem. Ergo ex praedicatione Evangelii et instructione fit spiritualis cognatio, et non solum ex Baptismo.

7. Cependant, il est dit en sens contraire en 1 Co 4, 15 : Je vous ai engendrés dans le Christ Jésus par l’évangile. Or, la génération spirituelle cause une parenté spirituelle. Une parenté spirituelle vient donc de la prédication de l’évangile et de l’instruction, et non seulement du baptême.

[20954] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, sicut per Baptismum tollitur peccatum originale, ita per poenitentiam actuale. Ergo sicut Baptisma causat spiritualem cognationem, ita et poenitentia.

8. De même que, par le baptême, le péché originel est enlevé, de même par la pénitence actuelle. Donc, de même que le baptême cause la parenté spirituelle, de même aussi la pénitence.

[20955] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, pater nomen cognationis est. Sed per poenitentiam et doctrinam et pastoralem curam et multa hujusmodi aliquis dicitur alteri spiritualis pater. Ergo ex multis aliis praeter Baptismum et confirmationem spiritualis cognatio contrahitur.

9. « Père » est un nom de parenté. Or, par la pénitence, l’enseignement, le soin pastoral et plusieurs choses de ce genre, quelqu’un est appelé un père spirituel. Une parenté spirituelle est donc contractée par beaucoup d’autres choses en plus du baptême et de la confirmation.

[20956] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod spiritualis regeneratio sicut per septiformem spiritus sancti gratiam datur, ita per septem efficitur, incipiendo a primo pabulo salis sacramenti usque ad confirmationem per episcopum factam, et per quodlibet horum septem spiritualis cognatio contrahitur. Sed illud non videtur rationabile : quia cognatio carnalis non contrahitur nisi per actum generationis completum ; unde etiam affinitas non contrahitur nisi sit facta conjunctio seminum, ex qua potest sequi carnalis generatio. Spiritualis autem generatio non perficitur nisi per aliquod sacramentum. Et ideo inconveniens est quod spiritualis cognatio contrahatur nisi per aliquod sacramentum. Et ideo alii dicunt, quod per tria tantum sacramenta spiritualis cognatio contrahitur ; scilicet per catechismum, Baptismum, et confirmationem. Sed isti propriam vocem videntur ignorare : quia catechismus non est sacramentum, sed sacramentale. Et ideo alii dicunt, quod tantum per duo sacramenta, scilicet per Baptismum, et confirmationem ; et haec opinio est communior. Tamen de catechismo quidam horum dicunt, quod est debile impedimentum quod impedit contrahendum, sed non dirimit matrimonium contractum.

Réponse

À ce sujet, il existe trois opinions. En effet, certains disent que la régénération spirituelle, de même qu’elle est donnée par la grâce septiforme de l’Esprit Saint, de même est-elle réalisée par sept choses, en commençant par l’aliment du sel du sacrement, jusqu’à la confirmation faite par l’évêque, et que par chacune de ces sept choses, une parenté spirituelle est contractée. Mais cela ne semble pas raisonnable, car la parenté charnelle n’est contractée que par l’acte complet de la génération. Aussi même une affinité n’est donc contractée que par l’accomplissement du mélange des semen-ces, dont peut découler la génération charnelle. Or, la génération spirituelle n’est accomplie que par un sacrement. Il est donc inapproprié que la parenté spirituelle ne soit contractée que par un sacrement. C’est pourquoi d’autres disent que, par trois choses seulement, une parenté spirituelle est contractée : le catéchisme, le baptême et la confirmation. Mais ceux-ci semblent ignorer ce qu’ils disent, car le catéchisme n’est pas un sacrement, mais un sacramental. C’est pourquoi d’autres disent que [la parenté spirituelle est contractée] par deux sacrements seulement : le baptême et la confirmation. Cependant, à propos du catéchisme, certains d’entre eux disent que c’est un faible empêchement à contracter mariage, mais qu’il ne dirime pas le mariage contracté.

[20957] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod duplex est carnalis nativitas. Prima in utero, in quo adhuc id quod natum est, est adeo debile quod non possit extra exponi sine periculo ; et huic nativitati similatur generatio per Baptismum, in quo regeneratur aliquis adhuc quasi fovendus intra uterum Ecclesiae. Secunda est nativitas ex utero, quando jam id quod natum erat in utero, tantum roboratum est quod potest sine periculo exponi exterioribus, quae nata sunt corrumpere ; et huic similatur confirmatio, per quam homo roboratus exponitur in publicum ad confessionem nominis Christi. Et ideo congrue per utrumque istorum sacramentorum contrahitur spiritualis cognatio.

1. Il existe une double naissance charnelle. La première, dans le sein, dans lequel ce qui doit naître est encore tellement faible qu’il ne peut être exposé à l’extérieur sans danger. À cette naissance, est assimilée la génération par le baptême, par lequel quelqu’un est régénéré tout en devant être réchauffé dans le sein de l’Église. La seconde naissance est à l’extérieur du sein, alors que ce qui était né dans le sein est devenu assez fort pour être sans danger exposé à l’extérieur, ce qui peut le corrompre. À cette naissance, est assimilée la confirmation, par laquelle l’homme affermi est exposé en public pour confesser le nom du Christ. C’est pourquoi la parenté spirituelle est contractée de manière appropriée par ces deux sacrements.

[20958] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per ordinis sacramentum non fit aliqua regeneratio, sed quaedam promotio potestatis ; et propterea mulier non suscipit ordinem ; et sic non potest ex hoc aliquod impedimentum praestare matrimonio ; et ideo talis cognatio non computatur.

2. Une régénération n’est pas réalisée par le sacrement de l’ordre, mais un accroissement de pouvoir. Pour cette raison, la femme ne reçoit pas l’ordre ; ainsi ne peut-elle à cause de cela apporter un empêchement au mariage. Une telle parenté n’est donc pas comptée.

[20959] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in catechismo fit quaedam professio futuri Baptismi, sicut in sponsalibus fit quaedam sponsio futurarum nuptiarum ; unde sicut in sponsalibus contrahitur quidam modus propinquitatis, ita et in catechismo, ad minus impediens contrahendum, ut quidam dicunt ; non autem in aliis sacramentis.

3. Par la catéchisme, est faite une certaine profession du baptême à venir, comme par les fiançailles, est faite une certaine promesse de noces à venir. De même que, par les fiançailles, est contracté un certain mode de proximité, de même, par le catéchisme, au moins pour empêcher de contracter mariage, comme certains le disent. Mais ce n’est pas le cas pour les autres sacrements.

[20960] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod talis professio fidei non fit in aliis sacramentalibus Baptismi, sicut in catechismo ; et ideo non est similis ratio.

4. Une telle profession de foi n’est pas faite par les autres sacramentaux comme par le catéchisme. Le raisonnement n’est donc pas le même.

[20961] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 5 Et similiter dicendum ad quintum de oratione, et ad sextum de praedicatione.

5-6. Il faut dire la même chose pour la prière, en réponse au cinquième argument, et pour la prédication, en réponse au sixième.

[20962] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod apostolus eos ad fidem instruxerat per modum catechismi ; et sic aliquo modo talis instructio habebat ordinem ad spiritualem cognationem.

7. L’Apôtre les avait instruits en vue de la foi sous forme de catéchisme. Une telle instruction avait donc d’une certains manière un rapport avec une parenté spirituelle.

[20963] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod per sacramentum poenitentiae non contrahitur, proprie loquendo, spiritualis cognatio ; unde filius sacerdotis potest contrahere cum illa quam sacerdos in confessione audit : alias filius sacerdotis non inveniret in tota una parochia mulierem cum qua contraheret. Nec obstat quod per poenitentiam tollitur peccatum actuale : quia hoc non est per modum generationis, sed magis per modum sanationis. Sed tamen per poenitentiam contrahitur quoddam foedus inter sacerdotem et mulierem confitentem, simile cognationi spirituali, ut tantum peccet eam carnaliter cognoscens, ac si esset sua spiritualis filia ; et hoc ideo quia maxima familiaritas est inter sacerdotem et confitentem ; et ex hoc ista prohibitio est inducta, ut tollatur peccandi occasio.

8. Par le sacrement de la pénitence, n’est pas contractée, à proprement parler, une parenté spirituelle. Aussi le fils d’un prêtre peut-il contracter mariage avec celle que le prêtre a entendue en confession. Autrement, le fils du prêtre ne trouverait pas dans toute la paroisse une femme avec laquelle il pourrait contracter mariage. Cela ne fait rien que le péché actuel soit enlevé par la pénitence, car cela n’est pas par mode de génération, mais plutôt par mode de guérison. Cependant, par la pénitence, est contractée une certaine alliance entre le prêtre et la femme qui se confesse, semblable à la parenté spirituelle, de sorte qu’il pèche en la connaissant charnellement comme si elle était sa fille spirituelle. C’est pourquoi, parce que la plus grande familiarité existe entre un prêtre et celle qui se confesse, cette interdiction a été introduite, afin d’écarter l’occasion de pécher.

[20964] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod pater spiritualis dicitur ad similitudinem patris carnalis. Pater autem corporalis, ut dicit philosophus in 8 Ethic., tria dat, esse, nutrimentum, et instructionem ; et ideo spiritualis pater aliquis alicujus dicitur ratione alicujus horum trium. Tamen ex hoc quod est spiritualis pater, non habet cognationem spiritualem, nisi conveniat cum patre quantum ad generationem, per quam est esse. Et sic etiam potest solvi octavum quod praecessit.

9. On parle de père spirituel par ressemblance avec le père charnel. Or, le père corporel, comme le dit le Philosophe, dans Éthique, VIII, donne trois choses : l’être, la nourriture et l’instruction. Aussi quelqu’un est-il appelé « père » en raison d’une de ces trois choses. Cependant, il n’a pas de parenté spirituelle du fait qu’il est appelé père spirituel, à moins qu’il ait quelque chose en commun avec le père pour ce qui est de la génération, par laquelle existe l’être. On peut aussi répondre de la même façon au huitième argument qui précédait.

 

 

Articulus 3

[20965] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 tit. Utrum cognatio spiritualis contrahatur inter suscipientem sacramentum Baptismi et levantem de sacro fonte

Article 3 – Une parenté spirituelle est-elle contractée entre celui qui reçoit le baptême et celui qui relève des fonts baptismaux ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une parenté spirituelle est-elle contractée entre celui qui reçoit le baptême et celui qui relève des fonts baptismaux ?]

[20966] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod cognatio spiritualis non contrahatur inter suscipientem sacramentum Baptismi et levantem de sacro fonte. Quia in generatione carnali contrahitur propinquitas solum ex parte ejus cujus semine generatur proles, non autem ex parte ejus qui puerum natum suscepit. Ergo nec spiritualis cognatio contrahitur inter eum qui suscipit de sacro fonte, et eum qui suscipitur.

1. Il semble qu’une parenté spirituelle ne soit pas contractée entre celui qui reçoit le baptême et celui qui relève des fonts baptismaux, car, par la génération charnelle, est contractée une proximité seulement du côté de celui par la semence de qui la descendance est engendrée, mais non du côté de celui qui reçoit l’enfant déjà né. Une parenté spirituelle n’est donc pas contractée entre celui qui reçoit des fonts baptismaux et celui qui est reçu.

[20967] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ille qui in sacro fonte levat anadocus a Dionysio dicitur, et ad ejus officium spectat puerum instruere. Sed instructio non est sufficiens causa spiritualis cognationis, ut dictum est. Ergo nulla cognatio contrahitur inter eum et illum qui de sacro fonte levatur.

2. Celui qui relève des fonts baptismaux est appelé anadochus par Denys, et il relève de sa fonction d’instruire l’enfant. Or, l’instruction n’est pas une cause suffisante de parenté spitiruelle, comme on l’a dit. Aucune parenté n’est donc contractée entre lui et celui qui est relevé des fonts baptismaux.

[20968] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, potest contingere quod aliquis levet aliquem de sacro fonte antequam ipse sit baptizatus. Sed ex hoc non contrahitur aliqua spiritualis cognatio : quia ille qui non est baptizatus, non est capax alicujus spiritualitatis. Ergo levare aliquem de sacro fonte non sufficit ad cognationem spiritualem contrahendam.

[20969] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est definitio spiritualis cognationis supra inducta, et auctoritates quae ponuntur in littera.

3. Il peut arriver que quelqu’un en relève un autre des fonts baptismaux avant qu’il ne soit baptisé. Or, une parenté spirituelle n’est pas contractée de ce fait, car celui qui n’est pas baptisé n’est pas capable d’une réalité spirituelle. Relever quelqu’un des fonts baptismaux ne suffit donc pas pour contracter une parenté spirituelle.

 

Cependant, la définition de la parenté spirituelle donnée plus haut va en sens contraire, ainsi que les autorités qui sont données dans le texte.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La parenté spirituelle passe-t-elle du mari à la femme ?]

[20970] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod spiritualis cognatio non transeat a viro in uxorem. Quia spiritualis unio et corporalis sunt disparatae, et diversorum generum. Ergo mediante carnali conjunctione, quae est inter virum et uxorem, non transitur ad spiritualem cognationem.

1. Il semble que la parenté spirituelle ne passe pas du mari à la femme, car l’union spirituelle et l’union corporelle sont disparates et de genres différents. On ne passe donc pas à la parenté spirituelle par l’intermédiaire de l’union charnelle.

[20971] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, magis conveniunt in spirituali generatione, quae est causa spiritualis cognationis, pater et mater spiritualis, quam vir qui est pater spiritualis et uxor. Sed pater et mater spiritualis nullam ex hoc cognationem spiritualem contrahunt. Ergo nec uxor contrahit aliquam cognationem spiritualem ex hoc quod vir ejus sit pater spiritualis alicujus.

2. Le père et la mère spirituels ont plus en commun dans la génération spitiruelle, qui est la cause de la parenté spirituelle, que l’homme qui est le père spirituel et l’épouse. Or, le père et la mère spirituels ne contractent de ce fait aucune parenté spirituelle. L’épouse ne contracte donc pas de parenté spirituelle par le fait que son mari est le père spirituel de quelqu’un.

[20972] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, potest contingere quod vir est baptizatus et uxor non est baptizata, sicut quando unus est ab infidelitate conversus sine alterius conjugis conversione. Sed spiritualis cognatio non potest pervenire ad non baptizatum. Ergo non transit semper de viro ad uxorem.

2. Il peut arriver que le mari soit baptisé et que l’épouse ne soit pas baptisée, comme lorsque l’un est converti de l’infidélité sans la conversion de l’autre époux. Or, la parenté spirituelle ne peut atteindre un non-baptisé. Elle ne passe donc pas toujours du mari à l’épouse.

[20973] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, vir et uxor possunt aliquem simul de sacro fonte levare. Si ergo spiritualis cognatio a viro transiret in uxorem, sequeretur quod uterque conjugum esset bis pater vel mater spiritualis ejusdem ; quod est inconveniens.

4. Le mari et la femme peuvent relever quelqu’un des fonts baptismaux en même temps. Si donc la parenté spirituelle passait du mari à la femme, il en découlerait que les deux époux seraient deux fois père et mère spirituels, ce qui est inapproprié.

[20974] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, bona spiritualia magis multiplicabilia sunt quam corporalia. Sed consanguinitas corporalis viri transit ad uxorem per affinitatem. Ergo multo magis spiritualis cognatio.

Cependant, les biens spirituels peuvent être davantage multipliés que les biens corporels. Or, la consanguinité corporelle du mari passe à l’épouse par l’affinité. À bien plus forte raison, donc, la parenté spirituelle.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La parenté spirituelle passe-t-elle aux fils charnels du père spirituel ?]

[20975] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non transeat ad filios carnales patris spiritualis. Quia spirituali cognationi non assignantur gradus, essent autem gradus, si transiret a patre in filium ; quia persona generata mutat gradum, ut supra, dist. 40, quaest. unica, art. 2, in corp., dictum est. Ergo non transit ad filios carnales patris spiritualis.

1. Il semble que [la parenté spirituelle] ne passe pas aux fils charnels du père spirituel, car on ne détermine pas de degrés pour la parenté spirituelle, et il y aurait des degrés, si elle passait du père au fils, puisque la personne engendrée change le degré, comme on l’a dit plus haut d. 40, a. 2, c. Elle ne passe donc pas aux fils du père spirituel.

[20976] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, pater eodem gradu attinet filio, et frater fratri. Si ergo spiritualis cognatio transit a patre in filium, eadem ratione transibit a fratre in fratrem ; quod falsum est.

2. Le père obtient le même degré que le fils, et le frère que le frère. Si donc la parenté spirituelle passe du père au fils, pour la même raison elle passera du frère au frère, ce qui est faux.

[20977] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in littera probatur pari auctoritate.

Cependant, ce qui est prouvé dans le texte par la même autorité va en sens contraire.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[20978] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in generatione carnali aliquis nascitur ex patre et matre ; ita in generatione spirituali aliquis renascitur filius Dei sicut patris, et Ecclesiae sicut matris. Sicut autem ille qui sacramentum confert, gerit personam Dei, cujus instrumentum et minister est ; ita ille qui baptizatum suscipit de sacro fonte, aut confirmandum tenet, gerit personam Ecclesiae ; unde ad utrumque spiritualis cognatio contrahitur.

De même que, par la génération charnelle, quelqu’un naît d’un père et d’une mère, de même, par la génération spirituelle, quelqu’un renaît en tant que fils de Dieu, comme père, et de l’Église, comme mère. Mais de même que celui qui confère le sacrement agit en la personne de Dieu, dont il est l’instrument et le ministre, de même celui qui reçoit le baptisé des fonts baptismaux ou tient celui qui doit être confirmé, agit-il en la personne de l’Église. Aussi contracte-t-il une parenté spirituelle envers les deux.

[20979] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non tantum pater ex cujus semine generatur proles, habet cognationem carnalem ad natum, sed etiam mater, quae materiam ministrat, et in cujus utero generatur ; et ita etiam anadocus qui baptizandum vice totius Ecclesiae offert et suscipit, et confirmandum tenet, spiritualem cognationem contrahit.

1. Non seulement le père, de la semence de qui la descendance est engendrée, a-t-il une parenté charnelle avec celui qui est né, mais aussi la mère, qui fournit la matière et dans le sein de laquelle il est engendré. Ainsi, même l’anadochus, qui présente et reçoit celui qui doit être baptisé et celui qui doit être confirmé au nom de toute l’Église, contracte-t-il une parenté spirituelle.

[20980] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non ratione instructionis debitae, sed ratione generationis spiritualis, ad quam cooperatur, spiritualem cognationem contrahit.

2. Il contracte une parenté spirituelle, non pas en raison de l’instruction appropriée, mais en raison de la génération spirituelle, à laquelle il coopère.

[20981] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non baptizatus non potest aliquem levare de sacro fonte, cum non sit membrum Ecclesiae, cujus typum gerit in Baptismo suscipiens ; quamvis possit baptizare, quia est creatura Dei, cujus typum gerit baptizans. Nec tamen aliquam cognationem contrahere spiritualem potest ; quia est expers spiritualis vitae, in quam homo primo per Baptismum nascitur.

3. Le non-baptisé ne peut relever quelqu’un des fonts baptismaux, puisqu’il n’est pas membre de l’Église, qu’il représente en recevant lors du baptême, bien qu’il puisse baptiser parce qu’il est une créature de Dieu, qu’il représente en baptisant. Cependant, il ne peut contracter une parenté spirituelle, car il est dépourvu de vie spirituelle, à laquelle l’homme naît par le baptême.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[20982] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquis potest alicujus fieri compater dupliciter. Uno modo per actum alterius qui baptizat, vel in ipso Baptismo suscipit filium ejus ; et sic cognatio spiritualis non transit a viro in uxorem, nisi forte ille sit filius uxoris ; quia tunc uxor directe contrahit cognationem spiritualem, sicut et vir. Alio modo per actum proprium, sicut cum levat filium alterius de sacro fonte ; et sic cognatio spiritualis transit ad uxorem quam jam carnaliter cognovit ; non autem si nondum sit consummatum matrimonium, quia nondum effecti sunt una caro ; et hoc est per modum cujusdam affinitatis ; unde etiam pari ratione videtur transire ad mulierem quae est carnaliter cognita, quamvis non sit uxor ; unde versus : qui mihi, vel cujus mea natum de fonte levavit, haec mea commater, fieri mea non valet uxor. Si qua meae natum, non ex me, fonte levavit, hanc post fata meae, non inde vetabor habere.

Quelqu’un peut devenir aussi père de deux manières. D’une manière, par l’acte d’un autre qui baptise ou qui reçoit son fils dans le baptême même : la parenté spirituelle ne passe pas ainsi du mari à la femme, à moins que [celui qui est baptisé] ne soit le fils de l’épouse, car alors l’épouse contracte directement une parenté spirituelle, comme le mari. D’une autre manière, par son acte propre, comme lorsqu’il relève le fils d’un autre des fonts baptismaux : et ainsi la parenté spirituelle passe à l’épouse qu’il a déjà connue charnellement, mais non si le mariage n’a pas encore été consommé, car ils ne sont pas encore devenus une seule chair. Cela se réalise à la manière d’une certaine affinité. Pour la même raison, [la parenté spirituelle] semble donc passer à la femme qui a été connue charnellement, bien qu’elle ne soit pas épouse. De là le vers : « Celle qui m’a relevé ou à cause de qui ma fille a été relevée des fonts baptismaux, celle-là est ma marraine ; elle ne peut devenir mienne comme épouse. Si elle a relevé celui qui est né de mon épouse, mais qui n’est pas de moi, je ne serai pas empêché de l’avoir [comme épouse]. »

[20983] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc quod sunt diversorum generum unio spiritualis et corporalis, potest concludi quod una non est altera ; non autem quod una non possit esse causa alterius ; quia eorum quae sunt in diversis generibus, unum quandoque est causa alterius vel per se vel per accidens.

1. Du fait que l’union spirituelle et l’union corporelle sont de genres différents, on peut conclure que l’une n’est pas l’autre, mais non que l’une ne peut pas être cause de l’autre, car parfois, de ce qui est de genres différents, l’un est cause de l’autre par soi ou par accident.

[20984] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater spiritualis et mater spiritualis eidem non conjunguntur in generatione spirituali nisi per accidens ; quia unus ad hoc per se sufficeret ; unde non oportet quod ex hoc aliqua cognatio spiritualis inter eos nascatur, quin possit esse inter eos matrimonium ; unde versus : unus semper erit compatrum spiritualis, alter carnalis : nec fallit regula talis. Sed per matrimonium fit vir et uxor una caro, per se loquendo ; et ideo non est simile.

2. Le père spirituel et la mère spirituelle ne sont unis au même par la génération spirituelle que par accident, car un seul suffirait pour cela. Il n’est donc pas nécessaire qu’une parenté spirituelle naisse entre eux à cause de cela, de sorte qu’il ne puisse y avoir mariage entre eux. De là le vers : « L’un sera toujours le père spirituel, et l’autre, charnel ; cette règle ne fait jamais défaut. » Mais, par le mariage, le mari et la femme deviennent une seule chair à parler par soi. Ce n’est donc pas la même chose.

[20985] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dico, quod si uxor non sit baptizata, non perveniet ad eam spiritualis cognatio propter hoc quod non est capax, non ex hoc quod non possit per matrimonium traduci spiritualis cognatio a viro in uxorem.

3. Je dis que si l’épouse n’est pas baptisée, la parenté spirituelle ne l’atteindra pas parce qu’elle n’y est pas apte, et non parce que la parenté spirituelle ne peut pas être transmise du mari à la femme.

[20986] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex quo inter patrem spiritualem et matrem non contrahitur aliqua cognatio, nihil prohibet quin vir et uxor simul aliquem de sacro fonte levarent ; nec est inconveniens quod uxor ex diversis causis efficiatur bis mater spiritualis ejusdem ; sicut et potest esse quod est affinis et consanguinea ejusdem per carnalem propinquitatem.

4. Du fait qu’une certaine parenté spirituelle n’est pas contractée entre le père spirituel et la mère spirituelle, rien n’empêche que le mari et l’épouse relèvent ensemble quelqu’un des fonts baptismaux. Et il n’est pas inapproprié que l’épouse devienne, pour des causes différentes, deux fois mère spirituelle du même ; ainsi il peut arriver qu’elle soit affine et consanguine du même par la proximité charnelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[20987] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod filius est aliquid patris, et non e converso, ut dicitur in 8 Ethic. : et ideo spiritualis cognatio transit a patre in filium, sed non e converso, et sic patet quod sunt tres spirituales cognationes. Una quae dicitur spiritualis paternitas, quae est inter patrem spiritualem et filium spiritualem. Alia quae dicitur compaternitas, quae est inter patrem spiritualem et carnalem ejusdem. Tertia autem dicitur spiritualis fraternitas, quae est inter filium spiritualem et filios carnales ejusdem patris. Et quaelibet harum impedit contrahendum matrimonium, et dirimit contractum.

Le fils est quelque chose du père, et non l’inverse, comme on le dit dans Éthique, VIII. C’est pourquoi la parenté spirituelle passe du père au fils, mais non l’inverse. Ainsi, il ressort clairement qu’il existe trois parentés spirituelles. L’une, qui est appelée la paternité spirituelle, qui existe entre le père spirituel et le fils spirituel. L’autre, qui est appelée copaternité, qui existe entre le père spirituel et le père charnel de la même personne. La troisième est appelé fraternité spirituelle : elle existe entre le fils spirituel et les fils charnels du même père. Chacune de ces trois [parentés spirituelles] empêche de contracter mariage et dirime le mariage contracté.

[20988] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod persona addita per carnis propagationem, facit gradum respectu illius personae quae eodem genere attinet, non autem respectu ejus quae attinet in alio genere ; sicut filius attinet in eodem gradu uxori patris in quo et pater, quamvis alio genere attinentiae. Spiritualis autem cognatio est alterius generis quam carnalis ; et ideo non in eodem gradu attinet filius spiritualis filio naturali patris sui spiritualis in quo attinet ei pater ejus, quo mediante cognatio spiritualis transit ; et ita non oportet quod spiritualis cognatio habeat gradum.

1. La personne ajoutée par propagation charnelle ajoute un degré par rapport à la personne qui appartient à la même famille, mais non par rapport à celui qui appartient à une autre famille ; ainsi le fils est relié à l’épouse du père selon le degré où se trouve le père, bien que selon un autre genre d’appartenance. Mais la parenté spirituelle est d’un autre genre que la parenté charnelle. C’est pourquoi le fils spirituel n’appartient pas au même degré que le fils naturel de son père spirituel, selon le degré où se situe son père, par l’intermédiaire duquel passe la parenté spirituelle. Il n’est donc pas nécessaire que la parenté spirituelle possède un degré.

[20989] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod frater non est aliquid fratris, sicut filius est aliquid patris ; sed uxor est aliquid viri, cum qua effecta est unum corpus ; et ideo a fratre in fratrem non transit, sive sit genitus ante, sive post fraternitatem spiritualem.

2. Le frère n’est pas quelque chose du frère, comme le fils est quelque chose du père ; mais l’épouse est quelque chose du mari, avec qui elle est devenue une seule chair. C’est pourquoi [la parenté spirituelle] ne passe pas du frère au frère, qu’il ait été engendré avant ou après la fraternité spirituelle.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La parenté légale]

Prooemium

Prologue

[20990] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 pr. Deinde quaeritur de cognatione legali, quae est per adoptionem ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 de adoptione ; 2 utrum ex adoptione contrahatur aliquod vinculum impediens matrimonium ; 3 inter quas personas contrahatur.

On s’interroge ensuite sur la parenté légale, qui vient de l’adoption. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Sur l’adoption. 2 – Contracte-t-on par l’adoption un lien empêchant le mariage ? 3 – Entre quelles personnes [un tel lien] est-il contracté ?

 

 

Articulus 1

[20991] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 tit. Utrum convenienter adoptio definiatur

Article 1 – L’adoption est-elle correctement définie ?

[20992] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter adoptio definiatur : adoptio est extraneae personae in filium vel nepotem, vel deinceps, legitima assumptio. Filius enim debet esse subditus patri. Sed aliquando ille qui adoptatur, non transit in potestatem patris adoptantis. Ergo non semper per adoptionem aliquis in filium assumitur.

1. Il semble que l’adoption soit incorrectement définie : « L’adoption est le fait de prendre légitimement une personne étrangère comme fils, neveu et ainsi de suite. » En effet, le fils doit être soumis au père. Or, parfois, celui qui est adopté ne passe pas sous le pouvoir du père qui l’adopte. Quelqu’un n’est donc pas toujours pris comme fils par l’adoption.

[20993] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, parentes debent filiis thesaurizare ; 2 Corinth., 12. Sed pater adoptans non oportet quod semper adoptato thesaurizet ; quia quandoque adoptatus non succedit in bona adoptantis. Ergo adoptio non est assumptio alicujus in filium.

2. Les parents doivent accumuler un trésor pour leurs fils, 2 Co 12. Or, il n’est pas nécessaire que le père qui adopte accumule toujours un trésor pour celui qui est adopté, car, parfois, celui qui est adopté n’hérite pas des biens de celui qui l’adopte. L’adoption n’est donc pas toujours le fait de prendre quelqu’un comme son fils.

[20994] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, adoptio per quam aliquis in filium assumitur, similatur generationi naturali, per quam naturaliter filius producitur. Ergo cui competit naturalis generatio filii, competit adoptio. Sed hoc est falsum ; quia ille qui non est sui juris, et qui est minor vigintiquinque annis, et mulier, non possunt adoptare, qui tamen possunt naturaliter filium generare. Ergo adoptio non proprie dicitur assumptio alicujus in filium.

3. L’adoption, par laquelle quelqu’un est pris comme fils, ressemble à la génération naturelle, par laquelle un fils est naturellement produit. L’adoption convient donc à celui à qui convient la génération naturelle. Or, cela est faux, car celui qui ne s’appartient pas et celui qui a moins de vingt-cinq ans ne peuvent adopter ; ils peuvent cependant engendrer naturellement un fils. L’adoption n’est donc pas correctement appelée la reconnaissance de quelqu’un comme fils.

[20995] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, assumptio extraneae personae in filium videtur esse necessaria ad supplendum defectum naturalium filiorum. Sed ille qui non potest generare, ut spado vel frigidus, maxime patitur defectum in filiis naturalibus. Ergo ei maxime competit assumere in filium aliquem. Sed non competit adoptare ei. Ergo adoptio non est assumptio alicujus in filium.

4. La reconnaissance d’une personne étrangère comme fils semble être nécessaire pour suppléer le manque de fils naturels. Or, celui qui ne peut engendrer, comme l’eunuque ou celui qui est frigide, est au plus haut point sujet au manque de fils naturels. Il lui convient donc au plus haut point de reconnaître quelqu’un comme fils. Or, il ne lui convient pas d’adopter. L’adoption n’est donc pas la reconnaissance de quelqu’un comme fils.

[20996] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in spirituali cognatione, ubi aliquis in filium assumitur sine carnis propagatione, potest indifferenter major aetate effici pater minoris, et e converso ; quia juvenis potest senem baptizare, et e converso. Si ergo per adoptionem aliquis assumitur in filium sine carnis propagatione, similiter posset indifferenter senior juniorem, vel junior seniorem adoptare ; quod non est verum ; et sic idem quod prius.

5. Pour la parenté spirituelle, par laquelle quelqu’un est reconnu comme fils sans transmission charnelle, quelqu’un de plus âgé et l’inverse peut indifféremment devenir père de celui qui est moins âgé, car un jeune peut baptiser une personne âgée et inversement. Si donc, par l’adoption, quelqu’un est reconnu comme fils sans propagation charnelle, le plus âgé pourrait indifféremment adopter le plus jeune ou le plus jeune, le plus âgé, ce qui n’est pas vrai. La conclusion est donc la même que précédemment.

[20997] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, adoptatus non differt secundum aliquem gradum ab adoptante. Ergo quilibet adoptatus adoptatur in filium ; et sic inconvenienter dicitur, quod adoptatur in nepotem.

6. Celui qui est adopté ne diffère pas de celui qui adopte par un degré. Tous ceux qui sont adoptés sont donc adoptés comme fils, et ainsi on dit incorrectement qu’ils sont adoptés comme neveux.

[20998] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, adoptatio ex dilectione procedit ; unde et Deus dicitur nos per caritatem in filios adoptasse. Sed caritas major est habenda ad proximum quam ad extraneos. Ergo non debet esse adoptatio extraneae personae, sed magis personae propinquae.

7. L’adoption vient de l’amour ; ainsi est-il dit que Dieu nous a adoptés comme ses fils par charité. Or, il faut avoir une plus grande charité envers un proche qu’envers des étrangers. L’adoption ne doit donc pas porter sur une personne étrangère, mais plutôt sur une personne proche.

[20999] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ars imitatur naturam, et supplet defectum naturae in illis in quibus natura deficit ; unde sicut per naturalem generationem aliquis filium producit, ita per jus positivum, quod est ars aequi et boni potest aliquis sibi assumere aliquem in filium ad similitudinem filii naturalis, et ad supplendum filiorum praedictorum defectum, propter quod praecipue adoptatio est introducta. Et quia assumptio importat terminum a quo, propter quod assumens non est assumptum, ut in 3 Lib., dist. 5, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, in corp., dictum est, oportet quod ille qui assumitur in filium, sit persona extranea. Sicut ergo naturalis generatio habet terminum ad quem, scilicet formam quae est finis generationis, et terminum a quo, scilicet formam contrariam ; ita generatio legalis habet terminum ad quem, filium vel nepotem ; terminum a quo, personam extraneam. Et sic patet quod praedicta assignatio comprehendit genus adoptionis, quia dicitur legitima assumptio ; et terminum a quo, quia dicitur extraneae personae ; et terminum ad quem, quia dicitur in filium vel nepotem.

Réponse

L’art imite la nature et supplée à une carence de la nature, là où la nature s’est montrée déficiente. De même que, par la génération naturelle, quelqu’un produit un fils, de même, en vertu du droit positif, qui est l’art de ce qui est juste et bon, peut-il prendre quelqu’un comme fils à la ressemblance d’un fils naturel et pour suppléer au manque de fils, ce pour quoi l’adoption a été surtout introduite. Et parce que le fait de prendre comporte un terme a quo, qui est la raison pour laquelle celui qui prend n’est pas celui qui est pris, comme on l’a dit au livre III, d. 5. q. 1, a. 1, qa 3, c., il faut que celui qui est pris comme fils soit une personne étrangère. De même donc que la génération naturelle possède un terme ad quem, à savoir, la forme qui est la fin de la génération, et un terme a quo, à savoir la forme contraire, de même la génération légale possède-t-elle un terme ad quem, le fils ou le neveu, et un terme a quo, une personne étrangère. Il ressort donc que la définition qui précède comprend le genre de l’adoption, « le fait de prendre légitimement », le terme a quo, « une personne étrangère », et le terme ad quem, « comme fils ou comme neveu ».

[21000] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filiatio adoptionis est quaedam imitatio filiationis naturalis ; et ideo duplex est adoptionis species. Una quae perfecte imitatur naturalem filiationem, et haec vocatur adrogatio, per quam reducitur adoptatus in potestatem adoptantis, et sic adoptatus succedit patri adoptanti ex intestato, nec potest eum pater sine culpa privare quarta parte hereditatis. Sic autem adoptari non potest nisi ille qui sui juris est, qui scilicet postquam adoptatur, non habet potestatem, aut si habet, est emancipatus ; et haec adoptatio non fit nisi auctoritate principis. Alia est adoptatio quae imitatur naturalem filiationem imperfecte, quae vocatur simplex adoptio, per quam adoptatus non transit in potestatem adoptantis ; unde magis est dispositio quaedam ad perfectam adoptionem quam adoptio perfecta : et secundum hanc potest adoptari etiam ille qui non est sui juris ; et sine auctoritate principis ex auctoritate magistratus ; et sic adoptatus non succedit in bonis adoptantis, nec tenetur ei adoptans aliquid de bonis suis in testamento dimittere, nisi velit.

1. La filiation par adoption est une imitation de la filiation naturelle. Il existe donc deux espèces d’adoption. L’une imite parfaitement la filiation naturelle : elle s’appelle l’« adrogation », par laquelle celui qui est adopté passe sous le pouvoir de celui qui adopte ; ainsi celui qui est adopté succède au père qui adopte et qui est intestat, et le père ne peut sans faute le priver du quart de l’héritage. Mais seul celui qui est en son propre pouvoir peut être adopté de cette manière, à savoir, celui qui, après avoir été adopté, n’a pas de pouvoir ou, s’il en a, est émancipé. Cette adoption ne se réalise que par l’autorité du dirigeant. Une autre adoption imite la filiation naturelle de manière imparfaite : elle s’appelle simple adoption, par laquelle celui qui est adopté ne passe pas sous le pouvoir de celui qui adopte. Elle est donc plutôt une disposition en vue d’une adoption parfaite qu’une adoption parfaite. Selon celle-ci, même celui qui n’est pas en son propre pouvoir peut être adopté, et, sans intervention de l’autorité du dirigeant, par l’autorité d’un magistrat. Ainsi, celui qui est adopté n’hérite pas des biens de celui qui adopte et celui qui adopte n’est tenu de lui laisser de ses biens par testament que s’il le veut.

[21001] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

[21002] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod generatio naturalis ordinatur ad speciem consequendam ; et ideo competit omnibus posse naturaliter generare in quibus natura speciei non est impedita : sed adoptio ordinatur ad hereditatis successionem ; et ideo illis solis competit qui habent potestatem disponendi de hereditate sua ; unde ille qui non est sui juris, vel qui est minor vigintiquinque annis, aut mulier, non potest adoptare aliquem, nisi ex speciali concessione principis.

3. La génération naturelle est ordonnée à l’obtention de l’espèce. Aussi convient-il à tous de pouvoir naturellement engendrer, là où la nature de l’espèce n’est pas empêchée. Mais l’adoption est ordonnée à la succession dans l’héritage. Aussi convient-elle seulement à ceux qui ont le pouvoir de disposer de leur héritage. Celui qui n’est pas en son propre pouvoir ou qui a moins de vingt-cinq ans, ou la femme, ne peuvent donc adopter quelqu’un, si ce n’est par une permission spéciale du dirigeant.

[21003] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per eum qui habet impedimentum perpetuum ad generandum, non potest hereditas transire in posterum ; unde ex hoc ipso jam debetur illis qui ei succedere debent jure propinquitatis ; et ideo ei non competit adoptare, sicut nec naturaliter generare. Et praeterea major est dolor de filiis qui nunquam habiti sunt ; et ideo habentes impedimentum generationis non indigent solatio contra carentiam filiorum, sicut illi qui habuerunt, et amiserunt ; vel etiam qui habere potuerunt, sed aliquo impedimento accidentali carent.

4. L’héritage ne peut être transmis par celui qui a un empêchement perpétuel à la génération. Par le fait même, il est dû à ceux qui peuvent en hériter par droit de proximité. C’est pourquoi il ne lui appartient pas d’adopter, pas davantage que d’engendrer naturellement. De plus, la douleur au sujet des fils qu’on n’a pas eus est plus grande. C’est pourquoi ceux qui ont un empêchement à la génération n’ont pas besoin de consolation au sujet du manque de fils, comme ceux qui en ont eus et les ont perdus, ou encore comme ceux qui pouvaient en avoir, mais à qui ils leur font défaut en raison d’un empêchement

[21004] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spiritualis cognatio contrahitur per sacramentum quo fideles renascuntur in Christo, in quo non differt masculus a femina, servus et liber, juvenis et senex ; et ideo indifferenter quilibet potest effici pater spiritualis alterius. Sed adoptio fit per hereditatis successionem, et quamdam subjectionem adoptati ad adoptantem. Non est autem conveniens quod antiquior juveni in cura rei familiaris subdatur ; et ideo minor non potest adoptare seniorem ; sed oportet secundum leges quod adoptatus sit intantum adoptante junior quod possit ejus naturalis esse filius.

5. La parenté spirituelle est contractée par le sacrement par lequel les fidèles renaissent dans le Christ, dans lequel il n’y a pas de différence entre homme et femme, serviteur ou homme libre, jeune et vieux. Tous peuvent donc indifféremment devenir le père spirituel d’un autre. Mais l’adoption se réalise par la succession dans l’héritage et par une certaine soumission de celui qui est adopté à celui qui adopte. Or, il n’est pas approprié qu’un plus âgé soit soumis à un jeune pour la charge des biens familiaux. Aussi un plus jeune ne peut-il adopter un plus âgé, mais il faut, selon la loi, que celui qui est adopté soit suffisamment plus jeune que celui qui adopte pour qu’il puisse être son fils naturel.

[21005] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut contingit amitti filios, ita et nepotes ; et ideo cum adoptatio sit inducta ad solatium filiorum amissorum, sicut potest aliquis per adoptionem subrogari in locum filii, ita in locum nepotis, et sic deinceps.

6. Comme il arrive de perdre des fils, de même en est-il pour les neveux. Puisque l’adoption a été introduite comme consoler des fils perdus, de même que quelqu’un peut par l'adoption être pris pour remplacer un fils, de même pour remplacer un neveu, et ainsi de suite.

[21006] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod propinquus jure propinquitatis debet succedere ; et ideo non competit ei quod per adoptionem ad successionem deducatur ; et si aliquis propinquus cui non competat successio hereditatis, adoptetur, non adoptatur inquantum est propinquus, sed inquantum est extraneus a jure successionis in bonis adoptantis.

7. Le proche par droit de proximité doit succéder ; il ne lui convient donc pas d’entrer dans la succesion par l’adoption. Si un proche à qui ne revient pas d’hériter de la succession est adopté, il n’est pas adopté comme proche, mais en tant qu’il est étranger au droit d’hériter des biens de celui qui adopte.

 

 

Articulus 2

[21007] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 tit. Utrum ex adoptione contrahatur aliquod vinculum impediens matrimonium

Article 2 – Contracte-t-on par l’adoption un lien empêchant le mariage ?

[21008] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ex adoptione non contrahatur aliquod vinculum impediens matrimonium. Quia cura spiritualis est dignior quam cura corporalis. Sed ex hoc quod aliquis curae alicujus subjicitur spiritualiter, non contrahitur aliquod propinquitatis vinculum ; alias omnes qui habitant in parochia, essent propinqui sacerdotis, et cum filio ejus non possent contrahere. Ergo nec adoptio, quae trahit adoptatum in curas adoptantis, hoc facere potest.

1. Il semble qu’on ne contracte pas par l’adoption un lien empêchant le mariage, car une charge spirituelle est plus digne qu’une charge corporelle. Or, par le fait que quelqu’un est confié au soin d’un autre spirituellement, un lien de proximité n’est pas contracté, autrement tous ceux qui habitent une paroisse serait les proches du prêtre, et ils ne pourraient contracter avec son fils. L’adoption, qui confie celui qui est adopté au soin de celui qui adopte, ne peut donc faire cela.

[21009] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ex hoc quod aliquis alicui fit beneficus, non contrahitur propinquitatis vinculum. Sed nihil aliud est adoptio quam collatio cujusdam beneficii. Ergo ex adoptione non fit aliquod vinculum propinquitatis.

2. Par le fait que quelqu’un est bénéfique envers un autre, un lien de proximité n’est pas contracté. Or, l’adoption n’est rien d’autre que l’octroi d’un bienfait. Un lien de proximité n’est donc pas créé par l’adoption.

[21010] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, pater naturalis principaliter filio providet in tribus, ut philosophus dicit ; quia scilicet ab ipso habet esse, nutrimentum, et disciplinam : hereditatis autem successio est posterius ad ista. Sed per hoc quod aliquis alicui providet in nutrimento et disciplina, non contrahitur aliquod propinquitatis vinculum ; alias nutrientes et paedagogi et magistri essent propinqui ; quod falsum est. Ergo nec per adoptionem, per quam aliquis succedit in hereditatem alterius, contrahitur aliqua propinquitas.

3. Le père naturel pourvoit son fils principalement pour trois choses, comme le dit le Philosophe, car celui-ci tient de lui l’être, la nourriture et l’éducation ; mais la succession dans l’héritage vient après celles-ci. Or, par le fait que quelqu’un en pourvoit un autre pour la nourriture et l’éducation, un lien de proximité n’est pas contracté, autrement, ceux qui éduquent, les pédagogues et les maîtres seraient des proches, ce qui est faux. Une proximité n’est donc pas contractée, par laquelle quelqu’un reçoit l’héritage d’un autre.

[21011] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sacramenta Ecclesiae non subduntur humanis legibus. Sed matrimonium est sacramentum Ecclesiae. Cum ergo adoptio sit inducta per legem humanam, videtur quod non possit impediri matrimonium per aliquod vinculum ex adoptione contractum.

4. Les sacrements de l’Église ne sont pas soumis aux lois humaines. Or, le mariage est un sacrement de l’Église. Puisque l’adoption a été introduite pas la loi humaine, il semble donc que le mariage ne puisse être empêché par un lien contracté par l’adoption.

[21012] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, cognatio matrimonium impedit. Sed ex adoptione quaedam cognatio causatur, scilicet legalis, ut patet per ejus definitionem ; est enim cognatio legalis quaedam proximitas proveniens ex adoptione. Ergo adoptio causat vinculum per quod matrimonium impeditur.

Cependant, [1] la parenté empêche le mariage. Or, une certaine parenté est causée par l’adoption, à savoir [une parenté] légale, comme cela ressort de sa définition. En effet, la parenté légale est « une certaine proximité provenant de l’adoption ». L’adoption cause donc un lien par lequel le mariage est empêché.

[21013] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem habetur ex auctoritatibus in littera positis.

[2] On tire la même conclusion à partir des autorités indiquées dans le texte.

[21014] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod lex divina illas personas praecipue e matrimonio exclusit quas necesse erat cohabitare, ne, ut Rabbi Moyses dicit, si ad eas liceret carnalis copula, facilis pateret concupiscentiae locus ; ad quam reprimendam matrimonium est ordinatum ; et quia filius adoptatus versatur in domo patris adoptantis sicut filius naturalis, ideo legibus humanis prohibitum est inter tales matrimonium contrahi ; et talis prohibitio est per Ecclesiam approbata ; et inde habetur quod legalis cognatio matrimonium impediat.

Réponse

La loi divine écarte principalement du mariage les personnes qui devaient cohabiter, de crainte que, comme le dit Rabbi Moïse, si l’union charnelle leur était permise, la concupiscence, que le mariage est ordonné à réprimer, trouverait facilement place. Parce que le fils adoptif vit dans la maison du père adoptif comme un fils naturel, il a donc été interdit par les lois humaines que soit contracté mariage entre ces personnes. Une telle interdiction a été approuvée par l’Église. De là vient que la parenté légale empêche le mariage.

[21015] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad prima tria ; quia per omnia illa non inducitur talis cohabitatio quae possit fomentum concupiscentiae praestare ; et ideo ex eis non causatur propinquitas quae matrimonium impediat.

1-3. La solution aux trois premiers arguments ressort ainsi clairement, car, par tout cela, une telle cohabitation n’est pas amenée, qui pourrait exciter la concu-piscence. C’est pourquoi n’est pas causée par cela une proximité qui empêche le mariage.

[21016] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod prohibitio legis humanae non sufficeret ad impedimentum matrimonii, nisi interveniret auctoritas Ecclesiae, quae idem etiam interdicit.

4. L’interdiction de la loi humaine ne suffirait pas à empêcher le mariage si n’intervenait pas l’autorité de l’Église, qui interdit aussi la même chose.

 

 

Articulus 3

[21017] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 tit. Utrum talis cognatio non contrahatur nisi inter patrem adoptantem et filium adoptatum

Article 3 – Une telle parenté n’est-elle contractée qu’entre le père adoptif et le fils adoptif ?

[21018] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod talis cognatio non contrahatur nisi inter patrem adoptantem et filium adoptatum. Maxime enim videretur quod deberet contrahi inter patrem adoptantem et matrem naturalem adoptati, sicut accidit in cognatione spirituali. Sed inter tales nulla est cognatio legalis. Ergo nec inter alias personas praeter adoptantem et adoptatum.

1. Il semble qu’une telle parenté ne soit contractée qu’entre le père adoptif et le fils adoptif. En effet, il semblerait que le mariage doive être contracté entre le père adoptif et la mère naturelle du fils adoptif, comme cela arrive pour la parenté spirituelle. Or, il n’existe aucune parenté légale entre ceux-ci. [Il n’en existe donc pas] non plus entre d’autres personnes que le père adoptif et le fils adoptif.

[21019] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, cognatio impediens matrimonium est perpetuum impedimentum. Sed inter filium adoptatum et filiam naturalem adoptantis non est perpetuum impedimentum ; quia soluta adoptione per mortem adoptantis, vel emancipationem adoptati, potest contrahere cum ea. Ergo cum ea non habuit aliquam propinquitatem quae matrimonium impediret.

2. La parenté empêchant le mariage est un empêchement perpétuel. Or, entre le fils adoptif et la fille naturelle du père adoptif, il n’existe pas d’empêchement perpétuel, car si l’adoption est abolie par la mort du père adoptif ou par l’émancipation du fils adoptif, il peut contracter mariage avec elle. Il n’avait donc pas avec elle une proximité qui empêcherait le mariage.

[21020] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, cognatio spiritualis in nullam personam transit quae non possit ad aliquod sacramentum tenere, vel suscipere ; unde in non baptizatum non transit. Sed mulier non potest adoptare, ut ex dictis patet. Ergo cognatio legalis non transit a viro in uxorem.

3. La parenté spirituelle ne passe en aucune personne qui ne peut tenir ou recevoir lors d’un sacrement ; aussi ne passe-t-elle pas dans le non-baptisé. Or, une femme ne peut pas adopter, comme cela ressort de ce qui a été dit. La parenté légale ne passe donc pas du mari à l’épouse.

[21021] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, cognatio spiritualis est fortior quam legalis. Sed spiritualis cognatio non transit in nepotem. Ergo nec legalis.

4. La parenté spirituelle est plus forte que la parenté légale. Or, la parenté spirituelle ne passe pas au neveu. Donc, ni la [parenté] légale.

[21022] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra plus concordat cognatio legalis cum carnis conjunctione vel propagatione quam spiritualis. Sed spiritualis transit in alteram personam modis praedictis, ut dictum est. Ergo et legalis.

Cependant, la parenté légale est plus en accord avec l’union ou la propagation charnelles que la parenté spirituelle. Or, la parenté spirituelle passe à une autre personne selon les modes indiqués, comme on l’a dit. Donc aussi, la [parenté] légale.

[21023] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod triplex est legalis cognatio. Prima quasi descendentium, quae contrahitur inter patrem adoptantem et filium adoptatum, et filium filii adoptivi, et nepotem, et sic deinceps. Secunda quae est inter filium adoptatum et filium naturalem. Tertia per modum cujusdam affinitatis, quae est inter patrem adoptantem et uxorem filii adoptati, vel e converso inter filium adoptatum et uxorem patris adoptantis. Prima ergo cognatio et tertia perpetuo matrimonium impediunt ; secunda autem non nisi quamdiu in potestate manet patris adoptantis ; unde mortuo patre, vel filio emancipato, potest contrahi inter eos matrimonium.

Réponse

Il existe une triple parenté légale. La première est celle des descendants : elle est contractée entre le père adoptif et le fils adoptif, et le fils et le neveu du fils adoptif, et ainsi de suite. La deuxième est celle qui existe entre le fils adoptif et le fils naturel. La troisième [est celle qui existe] par mode d’une certaine affinité : elle existe entre le père adoptif et l’épouse du fils adoptif, ou inversement, entre le fils adoptif et l’épouse du père adoptif. La première parenté et la troisième empêchent le mariage de manière perpétuelle ; mais la deuxième [n’existe] qu’aussi longtemps que [le fils adoptif] demeure sous le pouvoir du père adoptif. Une fois le père mort ou le fils émancipé, le mariage peut être contracté entre ces personnes.

[21024] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per generationem spiritualem non trahitur filius extra potestatem patris, sicut fit per adoptionem ; et sic filius spiritualis manet filius utriusque simul, non autem filius adoptivus ; et ideo non contrahitur aliqua propinquitas inter patrem adoptantem et matrem vel patrem naturalem, sicut erat in cognatione spirituali.

1. Par la génération spirituelle, le fils n’est pas soustrait au pouvoir de son père, comme c’est le cas par l’adoption. Ainsi, le fils spirituel demeure-t-il le fils des deux en même temps, mais non le fils adoptif. Une proximité n’est donc pas contractée entre le père adoptif et la mère ou le père naturels, comme c’était le cas pour la parenté spirituelle.

[21025] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cognatio legalis impedit matrimonium propter cohabitationem ; et ideo quando solvitur necessitas cohabitationis, non est inconveniens si praedictum vinculum non maneat, sicut quando fuerit extra potestatem ejusdem patris. Sed pater adoptans et uxor ejus semper quamdam auctoritatem retinent super filium adoptatum et uxorem ejus ; et propter hoc, vinculum manet inter eos.

2. La parenté légale empêche le mariage en raison de la cohabitation. Lorsque la nécessité de cohabiter disparaît, il n’est donc pas inapproprié que le lien en question ne demeure pas, comme lorsqu’il est soustrait au pouvoir du même père. Mais le père adoptif et son épouse conservent toujours une certaine autorité sur le fils adoptif et sur son épouse. Pour cette raison, le lien demeure entre eux.

[21026] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam mulier ex concessione principis adoptare potest ; unde etiam in ipsam potest transire cognatio legalis. Et praeterea causa quare cognatio spiritualis non transit in non baptizatum, non est quia non potest tenere ad sacramentum, sed quia non est alicujus spiritualitatis capax.

3. Même la femme peut adopter avec la permission du dirigeant ; aussi la parenté légale peut-elle lui être transmise. De plus, la cause pour laquelle la parenté spirituelle ne passe pas à un non-baptisé n’est pas qu’il ne peut porter lors d’un sacrement, mais parce qu’il n’est pas apte à une réalité spirituelle.

[21027] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per cognationem spiritualem filius non ponitur in potestate et cura patris spiritualis, sicut in cognatione legali. Oportet enim quod quidquid est in potestate filii, transeat in potestatem patris adoptantis ; unde adoptato patre adoptantur filii et nepotes, qui sunt in potestate adoptati.

4. Par la parenté spirituelle, le fils ne passe pas sous le pouvoir et au soin du père spirituel, comme par la parenté légale. En effet, il est nécessaire que tout ce qui est au pouvoir du fils passe sous le pouvoir du père adoptif. Aussi les fils et les neveux, qui sont au pouvoir de celui qui a été adopté sont-ils adoptés par le père adoptif.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Les secondes noces]

Prooemium

Prologue

[21028] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 pr. Deinde quaeritur de secundis nuptiis ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 utrum sint licitae ; 2 utrum sint sacramentales.

Ensuite, on s’interroge sur les secondes noces. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Sont-elles permises ? 2 – Sont-elles sacramentelles ?

 

 

Articulus 1

[21029] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 tit. Utrum secundae nuptiae sint licitae

Article 1 – Les secondes noces sont-elles permises ?

[21030] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod secundae nuptiae non sint licitae. Quia judicium de re debet esse secundum veritatem. Dicit enim Chrysostomus, quod secundum virum accipere, secundum veritatem est fornicatio : quae non est licita. Ergo nec secundum matrimonium.

1. Il semble que les secondes noces ne soient pas permises, car on doit porter sur une chose un jugement selon la vérité. En effet, [Jean] Chrysostome dit que « prendre un nouveau mari est en vérité de la fornication », qui n’est pas permise. Donc, ni le second mariage.

[21031] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod non est bonum, non est licitum. Sed Ambrosius dicit, quod duplex matrimonium non est bonum. Ergo non est licitum.

2. Tout ce qui n’est pas bon n’est pas permis. Or, Ambroise dit que le deuxième mariage n’est pas bon. Il n’est donc pas permis.

[21032] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, nullus arceri debet ne intersit illis quae sunt honesta et licita. Sed sacerdotes arcentur ne intersint secundis nuptiis, ut in littera patet. Ergo non sunt licitae.

3. Personne ne doit être empêché de s’adonner à ce qui est honnête et permis. Or, les prêtres sont empêchés de s’adonner aux secondes noces, comme cela ressort du texte. Elles ne sont donc pas permises.

[21033] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullus reportat poenam nisi pro culpa. Sed pro secundis nuptiis aliquis reportat irregularitatis poenam. Ergo non sunt licitae.

4. Personne ne porte une peine que pour une faute. Or, pour les seconces noces, on encourt une peine d’irrégularité. Elles ne sont donc pas permises.

[21034] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Abraham legitur secundas nuptias contraxisse : Gen. 25.

Cependant, [1] on lit qu’Abraham a contracté de secondes noces, Gn 25.

[21035] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Tim. 5, 14, dicit apostolus : volo autem juniores, scilicet viduas, nubere, filios procreare. Ergo secundae nuptiae sunt licitae.

[2] En 1 Tm 5, 14, l’Apôtre dit : « Je veux que les plus jeunes – à savoir, les veuves –, se marient et procréent des enfants. » Les secondes noces sont donc permises.

[21036] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod vinculum matrimoniale non durat nisi usque ad mortem, ut patet Rom. 7 ; et ideo moriente altero conjugum, vinculum matrimoniale cessat. Unde propter praecedens matrimonium non impeditur aliquis a secundo, mortuo conjuge, et sic non solum secundae, sed tertiae, et sic deinceps nuptiae sunt licitae.

Réponse

Le lien matrimonial ne dure que jusqu’à la mort, comme cela ressort de Rm 7 ; une fois mort l’un des deux conjoints, le lien matrimonial cesse donc. Une fois son conjoint mort, quelqu’un n’est donc pas empêché de faire un second mariage en raison du précédent, et ainsi, non seulement les deuxièmes, mais les troisièmes noces, et ainsi de suite, sont permises.

[21037] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Chrysostomus loquitur quantum ad causam quae aliquando solet ad secundas nuptias incitare, scilicet concupiscentiam, quae etiam ad fornicationem incitat.

1. [Jean] Chrysostome parle de la cause qui parfois a coutume d’inciter à un second mariage, à savoir, la concupiscence, qui incite aussi à la fornication.

[21038] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod matrimonium secundum dicitur non esse bonum, non quia sit illicitum, sed quia caret illo honore significationis qui est in primis nuptiis, ut sit una unius, sicut est in Christo et Ecclesia.

2. On dit que le second mariage n’est pas bon, non pas parce qu’il est défendu, mais parce que lui fait défaut l’honneur de la signification qui existe dans le premier mariage, à savoir qu’il soit le fait d’une seule avec un seul, comme c’est le cas pour le Christ et l’Église.

[21039] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homines divinis dediti non solum ab illicitis, sed etiam ab illis quae habent aliquam turpitudinis speciem arcentur ; et ideo etiam arcentur a secundis nuptiis, quae carent honestate quae erat in primis.

3. Les hommes qui sont voués aux réalités divines sont détournés non seulement de ce qui est défendu, mais aussi de ce qui a l’aspect de quelque chose de honteux. Ils sont donc aussi détournés des secondes noces, auxquelles fait défaut l’honneur qu’il y avait dans les premières.

[21040] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod irregularitas, sicut supra dictum est, dist. 29, quaest. 3, art. 1, non semper inducitur propter culpam, sed propter defectum sacramenti ; et ideo ratio non est ad propositum.

4. Une irrégularité, comme l’a dit plus haut, d. 29, q. 3, a. 1, n’est pas toujours entraînée par une faute, mais par une carence du sacrement. Le raisonnement porte donc à faux.

 

 

Articulus 2

[21041] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 tit. Utrum secundum matrimonium sit sacramentum

Article 2 – Le second mariage est-il un sacrement ?

[21042] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod secundum matrimonium non sit sacramentum. Qui enim iterat sacramentum, facit ei injuriam. Sed nulli sacramento facienda est injuria. Ergo si secundum matrimonium esset sacramentum, nullo modo esset iterandum.

1. Il semble que le second mariage ne soit pas un sacrement. En effet, celui qui répète un sacrement lui cause un préjudice. Or, il ne faut causer de préjudice à aucun sacrement. Si le second mariage était un sacrement, il ne faudrait donc le répéter d’aucune manière.

[21043] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, in omni sacramento adhibetur aliqua benedictio. Sed in secundis nuptiis non adhibetur, ut in littera dicitur. Ergo non fit ibi aliquod sacramentum.

2. En tout sacrement, une bénédiction est donnée. Or, dans les secondes noces, il n’en est pas donnée, comme il est dit dans le texte. Il n’y a donc là aucun sacrement.

[21044] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, significatio est de essentia sacramenti. Sed in secundo matrimonio non salvatur significatio matrimonii ; quia non est una unius, sicut Christus et Ecclesia. Ergo non est sacramentum.

3. La signification fait partie de l’essence du sacrement. Or, dans le second mariage, la signification du mariage n’est pas préservée, car il n’est pas le fait d’une seule avec un seul, comme le Christ et l'Église. Ce n’est donc pas un sacrement.

[21045] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, unum sacramentum non impedit a susceptione alterius. Sed secundum matrimonium impedit a susceptione ordinis. Ergo non est sacramentum.

4. Un sacrement n’empêche pas d’en recevoir un autre. Or, le second mariage empêche de recevoir l’ordre. Ce n’est donc pas un sacrement.

[21046] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, coitus in secundis nuptiis excusatur a peccato, sicut etiam in primis. Sed per tria bona conjugii excusatur matrimonialis coitus, quae sunt fides, proles et sacramentum. Ergo secundum matrimonium est sacramentum.

Cependant, [1] l’union charnelle dans le second mariage est excusée de péché, comme dans le premier. Or, l’union matrimoniale est excusée par les trois biens du mariages : la foi, la descendance et le sacrement. Le second mariage est donc un sacrement.

[21047] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ex secunda conjunctione viri ad mulierem non sacramentali, non contrahitur irregularitas, sicut patet de fornicatione. Sed in secundis nuptiis contrahitur irregularitas. Ergo sunt sacramentales.

[2] Par la seconde union non sacramentelle d’un homme et d’une femme, une irrégularité n’est pas contractée, comme cela est clair pour la fornication. Or, par les secondes noces, une irrégularité est contractée. Elles sont donc sacramentelles.

[21048] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ubicumque inveniuntur illa quae sunt de essentia sacramenti, illud est verum sacramentum ; unde cum in secundis nuptiis inveniantur omnia quae sunt de essentia sacramenti, quia debita materia quam facit personarum legitimitas, et debita forma, scilicet expressio consensus interioris per verba ; constat etiam quod secundum matrimonium est sacramentum sicut primum.

Réponse

Partout où se trouve ce qui fait partie de l’essence d’un sacrement, il s’agit d’un vrai sacrement. Puisque, dans les secondes noces, on trouve tout ce qui fait partie de l’essence du sacrement, parce qu’[on y trouve] la matière appropriée, que réalise la légitimité des personnes, et la forme appropriée, à savoir, l’expression du consentement intérieur par des paroles, il est aussi clair que le second mariage est un sacrement comme le premier.

[21049] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligitur de sacramento quod inducit effectum perpetuum : tunc enim si iteratur sacramentum, datur intelligi quod primum non fuit efficax ; et sic fit primo injuria, sicut patet in omnibus sacramentis quae imprimunt characterem. Sed illa sacramenta quae habent effectum non perpetuum, possunt iterari sine injuria sacramenti, sicut patet de poenitentia. Et quia vinculum matrimoniale tollitur per mortem, nulla fit injuria sacramento, si mulier post mortem viri iterato nubat.

1. Cela s’entend d’un sacrement qui entraîne un effet perpétuel. En effet, si le sacrement est alors répété, on donne à entendre que le premier n’était pas effiace. On cause ainsi un préjudice au premier, comme cela ressort pour tous les sacrements qui impriment un caractère. Mais les sacrements qui n’ont pas un effet perpétuel peuvent être répétés sans préjudice pour le sacrement, comme cela ressort pour la pénitence. Et parce que le lien matrimonial est enlevé par la mort, aucun préjudice n’est causé au sacrement si une femme, après la mort de son mari, se marie de nouveau.

[21050] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum matrimonium quamvis in se consideratum sit perfectum sacramentum, tamen in ordine ad primum consideratum habet aliquid de defectu sacramenti, quia non habet plenam significationem, cum non sit una unius, sicut est in matrimonio Christi et Ecclesiae ; et ratione hujus defectus benedictio a secundis nuptiis subtrahitur. Sed hoc est intelligendum, quando secundae nuptiae sunt secundae et ex parte viri et ex parte mulieris, vel ex parte mulieris tantum. Si enim virgo contrahat cum illo qui habuit aliam uxorem, nihilominus nuptiae benedicuntur : salvatur enim aliquo modo significatio etiam in ordine ad primas nuptias : quia Christus, etsi unam Ecclesiam sponsam habeat, habet tamen plures personas desponsatas in una Ecclesia ; sed anima non potest esse sponsa alterius quam Christi, quia cum Daemone fornicatur, nec est ibi matrimonium spirituale ; et propter hoc quando mulier secundo nubit, nuptiae non benedicuntur propter defectum sacramenti.

2. Le second mariage, bien qu’il soit un sacrement accompli s’il est considéré en lui-même, possède cependant quelque chose d’une carence du sacrement par rapport au premier parce qu’il n’a pas une signification plénière, n’étant pas le fait d’une seule avec un seul, comme dans le mariage du Christ et de l’Église. En raison de cette carence, la bénédiction est enlevée des secondes noces. Mais il faut entendre cela des secondes noces qui sont secondes du côté du mari et du côté de la femme, ou du côté de la femme seulement. En effet, si une vierge contracte mariage avec un homme qui a eu une autre épouse, les noces sont toutefois bénies, car la signification est préservée même par rapport aux premières noces, puisque le Christ, même s’il n’a qu’une seule épouse, l’Église, a cependant plusieurs personnes comme épouses à l’intérieur d’une seule Église. Mais l’âme ne peut être l’épouse d’un autre que du Christ, car lorsqu’elle fornique avec le Démon, il n’y a pas de mariage spirituel. Pour cette raison, lorsqu’une femme se marie pour la deuxième fois, les noces ne sont pas bénies en raison d’une carence du sacrement.

[21051] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod significatio perfecta invenitur in secundo matrimonio secundum se considerato, non autem si consideretur in ordine ad praecedens matrimonium ; et sic habet defectum sacramenti.

3. Un signification parfaite se trouve dans le second mariage considéré en lui-même, mais non s’il est considéré par rapport au mariage précédent. Il a ainsi une certaine carence du sacrement.

[21052] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum matrimonium impedit sacramentum ordinis quantum ad id quod habet de defectu sacramenti, et non inquantum est sacramentum.

4. Le second mariage empêche le sacrement de l’ordre en raison de la carence du sacrement qui s’y trouve, mais non en tant qu’il est un sacrement.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 42

[21053] Super Sent., lib. 4 d. 42 q. 3 a. 2 expos. Omnes quos in poenitentia accipimus, ita nostri filii sunt ut in Baptismo suscepti : non ratione alicujus cognationis, sed propter periculum evitandum, ut dictum est. Paschalis vero secundus post compaternitatem genitos copulari prohibet. Illa prohibitio nunc locum non habet ; magis enim fuit propter quamdam honestatem quam propter aliquod vinculum. Si quis suae spiritualis commatris filiam fortuito (...) duxerit, maturiori servato consilio habeat. Hoc ideo dicitur, quia spiritualis cognatio ad filium spiritualem transit a patre in filium naturalem, quia omnes filii naturales spiritualis patris sunt ei fratres spirituales ; non autem respectu patris : patri enim spirituali non fiunt filii spirituales filii naturales matris, nec e converso. Quia vero piaculare flagitium commisit qui duabus commatribus vel sororibus nupsit, magna poenitentia debet ei injungi. Hoc est intelligendum, quando una illarum est facta commater alteri, postquam uxor ejus est matrimonio consummato, et per actum proprium : alias enim prohibetur, ut dictum est.

 

 

 

 

LES FINS DERNIÈRES

 

 

Distinctio 43

Distinction 43 – [La résurrection des corps]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La résurrection en elle-même]

 

 

Prooemium

Prologue

[21054] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de sacramentis quae pertinent ad Ecclesiae praesentem statum, in parte ista incipit determinare de his quae pertinent ad Ecclesiae ultimum terminum, scilicet de resurrectione, et de remuneratione. Dividitur ergo haec pars in duas: in prima parte determinat ea quae pertinent ad corporum resurrectionem; in secunda ea quae pertinent ad remunerationem, ad quam etiam resurrectio ordinatur, 45 dist., ibi: praeterea sciendum est, quod omnes animae (ut ait Augustinus) cum de hoc saeculo exierint, diversas habent receptiones. Prima in duas: in prima determinat de resurrectione et circumstantiis ejus; in secunda de qualitate resurgentium, 44 dist., ibi: solent autem percontari, et quaerere, an in eadem aetate et statura corporis omnes resurrecturi sint. Prima in duas: in prima probat resurrectionem futuram esse; in secunda determinat quasdam resurrectionis circumstantias, ibi: causa enim resurrectionis mortuorum erit vox tubae. Et circa hoc tria facit: primo determinat resurrectionis causam; secundo tempus, ibi: media autem nocte dicitur venturus; tertio resurrectionis terminum, ibi: quaeri solet, utrum illi quos vivos inveniet Christus, nunquam omnino morituri sunt et cetera. Circa secundum duo facit: primo determinat resurrectionis tempus; secundo ex dictis movet quamdam dubitationem, ibi: hic quaeritur, utrum electis tunc adsit memoria praecedentium malorum. Tertia etiam pars dividitur in duas: in prima determinat terminum resurrectionis a quo, scilicet a morte; secundo terminum ad quem, scilicet integritatem corporis, ibi: cumque ex praedictis sane credi valeat omnes resurrecturos, credendum est etiam quod omnes resurgent incorrupti, non utique impassibiles. Circa primum duo facit: primo inquirit, utrum omnes moriantur, ut a morte resurgere possint; secundo explanat quoddam quod circa determinata dubium esse posset, ibi: his autem adjiciendum est. Hic quaeruntur quinque: 1 de ipsa resurrectione; 2 de causis ejus; 3 de tempore; 4 de termino a quo erit resurrectio, quia de termino ad quem in sequenti dicetur; 5 de memoria et cognitione resurgentium.

Après avoir déterminé, dans la présente partie, des sacrements qui se rapportent à l’état présent de l’Église, le Maître commence à déterminer de ce qui se rapporte au terme ultime de l’Église : la résurrection et la rémunération. Cette partie se divise en deux : dans la première partie, il détermine de ce qui se rapporte à la résurrection des corps ; dans la seconde, de ce qui se rapporte à la rémunération, à laquelle la résurrection est aussi ordonnée, d. 35, à cet endroit : « De plus, il faut savoir que toutes les âmes, comme le dit Augustin, lorsqu’elles sortent de ce siècle, sont reçues de manière différente. » La première partie se divise en deux : dans la première, il de la résurrection et de ses circonstances ; dans la seconde, de la qualité de ceux qui ressuscitent, d. 44, à cet endroit : « On a aussi coutume de s’interroger et de s’enquérir si tous ressusciteront avec le même âge et la même stature corporelle. » La première partie se divise en deux : dans la première, il démontre que la résurrection aura lieu ; dans la seconde, il détermine de certaines circonstances de la résurrection, à cet endroit : « En effet, la cause de la résurrection sera le son de la trompette. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il détermine de la cause de la résurrection ; deuxièmement, du moment, à cet endroit : « On dit qu’il viendra au milieu de la nuit » ; troisièmement, du terme de la résurrection, à cet endroit : « On a coutume de demander si ceux que le Christ trouvera vivants ne mourront jamais, etc. » du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il détermine du moment de la résurrection ; deuxièmement, il soulève une objection à partir de ce qui a été dit, à cet endroit : « Ici, on se demande si les élus se souviendront des maux qui ont précédé. » La troisième partie se divise aussi en deux : premièrement, il détermine du terme a quo de la résurrection, à savoir, la mort ; deuxièmement, du terme ad quem, à savoir, l’intégrité des corps, à cet endroit : « Puisqu’on peut assurément croire que tous ressusciteront, il faut aussi croire que tous ressusciteront sans corruption, mais non impassibles. » du premier point, il fait deux choses : premièrement, il se demande si tous mourront, de sorte qu’ils puissent ressusciter de la mort ; deuxièmement, il explique une chose qui pourrait soulever un doute de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « Mais il faut ajouter à cela… » Ici, cinq questions sont posées : 1 – de la résurrection elle-même. 2 – de ses causes. 3 – Sur le moment de celle-ci. 4 – du terme a quo de la résurrection, puisqu’on parlera du terme ad quem par la suite. 5 – de la mémoire et de la connaissance des ressuscités.

 

 

Articulus 1 [21055] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 tit. Utrum corporum resurrectio sit futura

Article 1 – Y aura-t-il une résurrection des corps ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Y aura-t-il une résurrection ?]

[21056] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod corporum resurrectio non sit futura. Job 14, 12: homo, cum dormierit, non resurget, donec atteratur caelum. Sed caelum nunquam atteretur: quia terra, de qua minus videtur, in aeternum stat, ut patet Eccle. 1. Ergo homo mortuus nunquam resurget.

1. Il semble qu’il n’y aura pas de résurrection des corps. Jb 14, 12 : Lorsqu’il se sera endormi, l’homme ne se relèvera pas jusqu’à ce que le ciel soit détruit. Or, le ciel n’est jamais détruit, car, la terre, dont on voit le moins, demeure pour l’éternité, comme cela ressort de Si 1. L’homme mort ne ressuscitera donc jamais.

[21057] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, dominus Matth. 22, 32, probat resurrectionem per auctoritatem illam: ego sum Deus Abraham, Deus Isaac, Deus Jacob: quia non est Deus mortuorum, sed viventium. Sed constat quod quando illa verba dicebantur, Abraham, Isaac et Jacob non vivebant corpore, sed solum anima. Ergo resurrectio non erit corporum, sed solum animarum.

2. Le Seigneur démontre la résurrection par cette autorité, Mt 22, 32 : Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac, le Dieu de Jacob, car Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Or, il est clair que lorsque ces paroles ont été prononcées, Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient dans leur corps, mais seulement dans leur âme. Il n’y aura donc pas de résurrection des corps, mais seulement des âmes.

[21058] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, apostolus, 1 Corinth. 15, videtur probare resurrectionem ex remuneratione laborum quos in hac vita sustinent sancti, qui si in hac vita tantum confidentes essent, miserabiliores essent omnibus hominibus. Sed sufficiens remuneratio omnium laborum hominis potest esse in anima tantum: non enim oportet quod instrumentum simul cum operante remuneretur: corpus enim animae instrumentum est; unde etiam in Purgatorio ubi animae punientur pro his quae gesserunt in corpore, anima sine corpore punitur. Ergo non oportet ponere resurrectionem corporum, sed sufficit ponere resurrectionem animarum, quae est dum transferuntur de morte culpae et miseriae in vitam gratiae et gloriae.

3. En 1 Co 15, l’Apôtre semble prouver la résurrection à partir de la rémunération des efforts que les saints supportent dans cette vie, qui, s’ils ne mettaient leur confiance que dans cette vie, seraient plus misérables que tous les hommes. Or, il peut exister une rémunération suffisante de tous les efforts de l’homme pour l’âme seulement. En effet, il n’est pas nécessaire que l’instrument soit récompensé en même temps que celui qui agit, car le corps est l’instrument du corps. Aussi, même au purgatoire où les âmes seront punies pour ce qu’elles auront fait dans le corps, l’âme est-elle punie sans le corps. Il n’est donc pas nécessaire d’affirmer la résurrection des corps, mais il suffit d’affirmer la résurrection des âmes, qui existe lorsqu’elles sont transférées de la mort de la faute et de la misère, à la vie de la grâce et de la gloire.

[21059] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ultimum rei est perfectissimum in re, quia per illud attingit finem suum. Sed perfectissimus status animae est ut sit a corpore separata: quia in hoc statu conformior est Deo et Angelis, et magis pura, quasi separata ab omni extranea natura. Ergo separatio a corpore est ultimus status ejus; et ita ex hoc statu non redit ad corpus, sicut nec ex viro fit puer.

4. Ce qui est ultime pour une chose est ce qui est en réalité le plus parfait, car elle atteint par cela sa fin. Or, l’état le plus parfait de l’âme est qu’elle soit séparée du corps, car, dans cet état, elle est plus conforme à Dieu et aux anges et plus pure, séparée qu’elle est de toute nature étrangère. La séparation du corps est donc son état ultime et ainsi, elle ne revient pas au corps à partir de cet état, de même qu’un homme ne devient pas un enfant.

[21060] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, mors corporalis in poenam homini est inflicta pro prima praevaricatione, ut patet Genes. 2: sicut et mors spiritualis, quae est separatio animae a Deo, est inflicta homini pro peccato mortali. Sed de morte spirituali nunquam redeunt ad vitam post sententiam damnationis acceptam. Ergo nec de morte corporali ad vitam corporalem erit regressus; et sic resurrectio non erit.

5. La mort corporelle a été infligée à l’homme comme une peine pour la première prévarication, comme cela ressort de Gn 2, de même que la mort spirituelle, qui est la séparation de Dieu pour l’âme, a été infligée à l’homme pour le péché mortel. Or, on ne revient jamais de la mort spirituelle à la vie après avoir reçu une sentence de damnation. On ne reviendra donc pas non plus de la mort corporelle à la vie corporelle, et ainsi il n’y aura pas de résurrection.

[21061] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 19, 25: scio quod redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum, et rursum circumdabor pelle mea. Ergo resurrectio erit etiam corporum.

Cependant, [1] il est dit en Jb 19, 25 : Je sais que mon rédempteur vit et qu’au dernier jour, je ressusciterai de la terre et que je serai de nouveau recouvert de ma peau. Il y aura donc aussi une résurrection des corps.

[21062] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, donum Christi est majus quam peccatum Adae, ut patet Rom. 5. Sed mors per peccatum introducta est: quia si peccatum non fuisset, mors nulla esset. Ergo per donum Christi a morte reparabitur ad vitam.

[2] Le don du Christ est plus grand que le péché d’Adam, comme cela ressort de Rm 5. Or, la mort a été introduite par le péché, car s’il n’y avait pas eu de péché, il n’y aurait pas eu de mort. Par le don du Christ, on sera donc rétabli dans la vie.

[21063] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, membra debent esse corpori conformia. Sed caput nostrum vivit et in aeternum vivet in corpore et anima: quia resurgens ex mortuis jam non moritur, ut patet Rom. 6, 9. Ergo et homines, qui sunt ejus membra, vivent in corpore et anima; et sic oportet carnis resurrectionem esse.

[3] Les membres doivent être conformes au corps. Or, notre tête [le Christ] vit et vivra pour l’éternité dans son corps et dans son âme, car, une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus, comme cela ressort de Rm 6, 9. Les hommes aussi, qui sont ses membres, vivront donc dans leur corps et dans leur âme, et ainsi, il faut qu’il y ait une résurrection de la chair.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Y aura-t-il une résurrection de tous d’une manière générale ?]

[21064] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod resurrectio non erit omnium generaliter. In Psalmo enim 1, 2, dicitur: non resurgent impii in judicio. Sed resurrectio non erit hominum nisi tempore judicii universalis. Ergo impii nullo modo resurgent.

1. Il semble qu’il n’y aura pas de résurrection de tous d’une manière générale. En effet, dans le Ps 1, 2, il est dit : Les impies ne ressusciteront pas lors du jugement. Or, il n’y aura de résurrection des hommes qu’au moment du jugement universel. Les impies ne ressusciteront donc aucunement.

[21065] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Daniel. 12, 2, dicitur: multi de his qui dormiunt in pulvere, evigilabunt. Sed haec locutio quamdam partitionem importat. Ergo non omnes resurgent.

2. En Dn 2, 2, il est dit : Beaucoup parmi ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront. Or, cette manière de parler implique un partage. Tous ne ressusciteront donc pas.

[21066] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per resurrectionem homines conformantur Christo resurgenti; unde 1 Corinth. 15, concludit apostolus, quod si Christus resurrexit, et nos resurgemus. Sed illi soli debent Christo resurgenti conformari qui ipsius imaginem portaverunt, quod est solum bonorum. Ergo ipsi soli resurgent.

3. Par la résurrection, les hommes sont conformés au Christ qui ressuscite. Aussi, en 1 Co 15, l’Apôtre conclut-il que si le Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons. Or, ceux-là seuls qui ont porté son image doivent être conformés au Christ qui ressuscite, ce qui est le cas des bons seulement. Eux seuls ressusciteront donc.

[21067] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, poena non dimittitur nisi ablata culpa. Sed mors corporalis est poena originalis peccati. Ergo cum non omnibus sit dimissum originale peccatum, non omnes resurgent.

4. La peine n’est écartée que par l’enlèvement de la faute. Or, la mort corporelle est une peine du péché originel. Puisque le péché originel n’a pas été remis à tous, tous ne ressusciteront donc pas.

[21068] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, sicut per gratiam Christi renascimur, ita per gratiam ejus resurgemus. Sed illi qui in maternis uteris moriuntur, nunquam potuerunt renasci. Ergo nec resurgere poterunt; et sic non omnes resurgent.

5. De même que nous renaissons par la grâce du Christ, de même ressusciterons-nous par sa grâce. Or, ceux qui meurent dans le sein maternel n’ont jamais pu renaître. Ils ne pourront donc jamais ressusciter, et ainsi tous ne ressusciteront donc pas.

[21069] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 5, 28: omnes qui in monumentis sunt, audient vocem filii Dei; et qui audierint, vivent. Ergo omnes mortui resurgent.

Cependant, [1] il est dit en Jn 5, 28 : Tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront. Tous les morts ressusciteront donc.

[21070] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, 51, dicitur: omnes quidem resurgemus.

[2] En 1 Co 15, 51, il est dit : Tous, nous ressusciterons.

[21071] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, resurrectio ad hoc necessaria est, ut resurgentes recipiant pro meritis poenam vel praemium. Sed omnibus debetur poena vel praemium pro merito proprio, sicut adultis; vel alieno, sicut parvulis. Ergo omnes surgent.

[3] La résurrection est nécessaire pour que ceux qui ressuscitent reçoivent une peine ou une récompense pour leurs mérites. Or, à tous est due une peine ou une récompense pour leur mérite propre, comme c’est le cas pour les adultes, ou pour le mérite d’un autre, comme c’est le cas des enfants. Tous ressusciteront donc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La résurrection est-elle naturelle ?]

[21072] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod resurrectio sit naturalis. Quia, sicut dicit Damascenus in 3 Lib., quod communiter in omnibus respicitur, naturam characterizat in his quae sub ipsa sunt atomis. Sed resurrectio in omnibus communiter invenitur. Ergo est naturalis.

1. Il semble que la résurrection soit naturelle, comme le dit [Jean] Damascène dans le livre III : « Ce qu’on observe chez tous caractérise la nature dans ce qui existe en elle sous forme d’atomes. » Or, la résurrection se rencontre chez tous d’une manière générale. Elle est donc naturelle.

[21073] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit: qui resurrectionis fidem ex obedientia non tenent, certe hanc ex ratione tenere debuerant. Quid enim quotidie nisi resurrectionem nostram mundus in elementis suis imitatur? Et ponit exemplum de luce, quae quasi moriendo oculis subtrahitur, et rursus quasi resurgendo revocatur; et de arbustis, quae viriditatem amittunt, et rursus quasi resurgentia reparantur; et de seminibus, quae putrescendo moriuntur, et rursum germinando quodammodo resurgunt: quod etiam exemplum apostolus ponit 1 Corinth. 15. Sed nihil potest ex naturalibus operibus ratione cognosci nisi naturale. Ergo resurrectio erit naturalis.

2. Grégoire dit : « Ceux qui n’acceptent pas la foi en la résurrection par obéissance auraient dû l’accepter par la raison. En effet, qu’est-ce que le monde imite tous les jours dans ses éléments, sinon notre résurrection ? » Et il donne l’exemple de la lumière qui, comme si elle mourait, est soustraite aux yeux, et de nouveau, comme si elle ressuscitait, revient ; et l’exemple des arbustes qui perdent de leur verdeur et, de nouveau, comme s’ils ressuscitaient, sont régénérés ; et celui des graines qui, en pourrissant, meurent, et, de nouveau, en germant, ressuscitent d’une certaine manière. C’est un exemple que l’Apôtre aussi donne en 1 Co 15. Or, rien que de naturel ne peut être connu par la raison à partir des opérations naturelles. La résurrection sera donc naturelle.

[21074] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illa quae sunt praeter naturam, non multo tempore manent, quia sunt quasi violenta. Sed vita quae per resurrectionem reparatur, in aeternum manebit. Ergo resurrectio erit naturalis.

3. Ce qui dépasse la nature ne demeure pas longtemps, car cela est pour ainsi dire forcé. Or, la vie qui est restaurée par la résurrection demeurera éternellement. La résurrection sera donc naturelle.

[21075] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, illud ad quod tota naturae expectatio intendit, maxime videtur esse naturale. Sed resurrectio et glorificatio sanctorum est hujusmodi, ut patet Rom. 8. Ergo resurrectio erit naturalis.

4. Ce vers quoi tend toute l’attente de la nature semble être au plus haut point naturel. Or, la résurrection et la glorification des saints sont de ce genre, comme cela ressort de Rm 8. La résurrection sera donc naturelle.

[21076] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, resurrectio est motus quidam ad perpetuam conjunctionem animae et corporis. Sed motus est naturalis qui terminatur ad quietem naturalem, ut patet 5 Physic. Perpetua autem conjunctio animae et corporis erit naturalis: quia cum anima sit proprius motor corporis, habet sibi corpus proportionatum; et ita in perpetuum est naturaliter vivificabile ab ipsa, sicut ipsa in perpetuum vivit. Ergo resurrectio erit naturalis.

5. La résurrection est un mouvement vers l’union perpéturelle de l’âme et du corps. Or, un mouvement est naturel qui se termine à un repos naturel, comme cela ressort de Physique, V. Or, l’union perpétuelle de l’âme et du corps sera naturelle, car, puisque l’âme est le moteur propre du corps, elle a un corps qui lui est proportionné ; il peut donc être vivifié à perpétuité par elle, comme elle-même vit à perpétuité. La résurrection sera donc naturelle.

[21077] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, a privatione in habitum non fit regressus secundum naturam. Sed mors est privatio vitae. Ergo resurrectio, per quam est reditus de morte ad vitam, non est naturalis.

Cependant, [1] il n’y a pas de retour naturel de la privation à la possession. Or, la mort est une privation de la vie. La résurrection, par laquelle se produit un retour de la mort à la vie, n’est donc pas naturelle.

[21078] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ea quae sunt unius speciei, unum habent determinatum modum originis; unde animalia quae generantur ex putrefactione et ex semine nunquam sunt unius speciei, ut dicitur a Commentatore in 8 Physic. Sed naturalis modus quo homo oritur, est generatio ejus ex simili in specie; quod non erit in resurrectione: quare non est naturalis.

[2] Ce qui appartient à une seule espèce possède un mode déterminé d’origine ; ainsi les animaux qui sont engendrés de la putréfaction et d’une semence ne sont-ils jamais d’une seule espèce, comme le dit le Commentateur, dans Physique, VIII. Or, le mode naturel selon lequel l’homme apparaît est sa génération à partir d’un semblable selon l’espèce, ce qui ne sera pas le cas dans la résurrection. C’est pourquoi elle n’est pas naturelle.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21079] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum diversas sententias de ultimo fine hominis diversificatae sunt sententiae ponentium vel negantium resurrectionem. Ultimus enim finis hominis quem omnes homines naturaliter desiderant, est beatitudo; quam quidam homini posse provenire in hac vita posuerunt; unde non cogebantur ponere aliam vitam post istam, in qua homo ultimam suam perfectionem consequeretur; et sic resurrectionem negabant. Sed hanc opinionem satis probabiliter excludit varietas fortunae, et infirmitas humani corporis, scientiae et virtutis imperfectio et instabilitas, quibus omnibus beatitudinis perfectio impeditur, ut Augustinus prosequitur in fine de Civ. Dei. Et ideo alii posuerunt aliam vitam esse post hanc vitam, inquantum homo secundum animam tantum vivebat post mortem; et hanc vitam ponebant sufficere ad naturale desiderium implendum de beatitudine consequenda. Unde Porphyrius dicebat, ut Augustinus dicit in Lib. de Civ. Dei, quod animae, ad hoc quod beata sit, omne corpus fugiendum est; unde tales resurrectionem non ponebant. Hujusmodi autem opinionis apud diversos diversa erant falsa fundamenta. Quidam enim haeretici posuerunt omnia corporalia esse a malo principio, spiritualia vero a bono; et secundum hoc oportebat quod anima summe perfecta non esset, nisi a corpore separata, per quod a suo principio distrahitur, cujus participatio ipsam beatam facit; et ideo omnes haereticorum sectae quae ponunt corporalia a Diabolo esse creata vel formata, negant corporum resurrectionem. Hujusmodi autem fundamenti falsitas in secundi libri principio ostensa est. Quidam vero posuerunt totam hominis naturam in anima constare, ita ut anima corpore uteretur sicut instrumento, aut sicut nauta navi; unde secundum hanc opinionem sequitur quod sola anima beatificata naturali desiderio beatitudinis non frustraretur; et sic non oportet ponere resurrectionem. Sed hoc fundamentum sufficienter philosophus in 2 de anima destruit, ostendens animam corpori sicut formam materiae uniri. Et sic patet quod si in hac vita homo non potest esse beatus, necesse est resurrectionem ponere.

Selon les diverses positions concernant la fin ultime de l’homme, les positions de ceux qui affirment ou nient la résurrection se diversifient. En effet, la fin ultime de l’homme, que tous les hommes désirent naturellement, est la béatitude. Or, certains ont affirmé qu’elle peut advenir à l’homme en cette vie. Ils n’étaient donc pas forcés d’affirmer une autre vie après celle-ci, dans laquelle l’homme obtiendrait sa perfection ultime. Ils niaient ainsi la résurrection. Mais la diversité de la fortune, la faiblesse du corps humain, l’imperfection et l’instabilité de la science et de la vertu excluent cette opinion de manière assez convaincante : la perfection de la béatitude est empêchée par elles, comme le montre Augustin à la fin de la Cité de Dieu. C’est pourquoi d’autres ont affirmé qu’il existe une autre vie après cette vie, pour autant que l’homme vit après la mort par son âme seulement, et ils affirmaient que cette vie suffisait à combler le désir naturel de la béatitude. Ainsi Porphyre disait-il, comme le rapporte Augustin dans le livre de la Cité de Dieu, que tout corps doit être fui pour que l’âme soit bienheureuse. Ceux-ci ne reconnaissaient donc pas la résurrection. Les fondements faux de cette opinion variaient selon ses divers tenants. En effet, certains hérétiques ont affirmé que tout ce qui est corporel vient d’un principe mauvais, alors que ce qui est spirituel vient d’un principe bon. Il fallait donc, pour que l’âme soit tout à fait parfaite, qu’elle soit séparée du corps, qui l’éloigne de son principe, dont la participation la rend bienheureuse. C’est pourquoi toutes les sectes des hérétiques qui affirment que ce qui est corporel a été créé ou formé par le Diable nient la résurrection des corps. Mais la fausseté du fondement de cette position a été montrée dans le deuxième livre [du commentaire des Sentences]. Cependant, certains ont affirmé que toute la nature de l’homme consiste dans l’âme, de telle sorte que l’âme utiliserait le corps comme un instrument ou comme un marin, un navire. Il découle de cette opinion que seule l’âme béatifiée ne serait pas abusée par le désir naturel de la béatitude. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’affirmer la résurrection. Mais le Philosophe démolit suffisamment cette position dans Sur l’âme, II, où il montre que l’âme est unie au corps comme la forme à la matière. Il est ainsi clair que si l’homme ne peut être heureux en cette vie, il est nécessaire d’affirmer la résurrection.

[21080] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caelum nunquam atteretur quantum ad substantiam, sed atteretur quantum ad effectum virtutis, per quam movet ad generationem et corruptionem inferiorum, ratione cujus dicit apostolus 1 Corinth. 7, 31: praeterit figura hujus mundi.

1. Le ciel ne sera jamais détruit dans sa substance, mais il sera détruit quant à l’effet de sa puissance, par laquelle il meut en vue de la génération et de la corruption des choses inférieures. Pour cette raison, l’Apôtre dit, en 1 Co 7, 31, que la figure de ce monde passe.

[21081] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima Abrahae non est, proprie loquendo, ipse Abraham, sed est pars ejus; et sic de aliis; unde vita animae Abrahae non sufficeret ad hoc quod Abraham sit vivens; vel quod Deus Abraham sit Deus viventis; sed exigitur vita totius conjuncti, scilicet animae et corporis; quae quidem vita quamvis non esset actu quando verba proponebantur, erat tamen in ordine utriusque partis ad resurrectionem. Unde dominus per verba illa subtilissime et efficaciter probat resurrectionem.

2. L’âme d’Abraham n’est pas à proprement parler Abraham, mais une partie de lui. Il en va de même pour les autres. Aussi la vie de l’âme d’Abraham ne suffirait pas pour qu’Abraham soit vivant ou pour que le Dieu d’Abraham soit le Dieu d’un vivant, mais la vie de tout le composé, à savoir, celle de l’âme et du corps, est nécessaire. Cette vie, bien qu’elle n’existât pas en acte lorsque les paroles ont été prononcées, existait cependant par l’ordre des deux parties [l’âme et le corps] à la résurrection. Aussi, par ces paroles, le Seigneur prouve-t-il la résurrection de manière efficace et très subtile.

[21082] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima non comparatur ad corpus solum ut operans ad instrumentum quo operatur, sed etiam ut forma ad materiam; unde operatio est conjuncti, et non tantum animae, ut patet per philosophum in 1 de anima. Et quia operanti debetur operis merces, oportet quod ipse homo compositus ex anima et corpore operis sui mercedem accipiat. Venialia autem sicut dicuntur peccata quasi disponentia ad peccandum, non quod simpliciter habeant et perfecte rationem peccati; ita poena quae eis redditur in Purgatorio, non est simpliciter retributio, sed magis purgatio quaedam, quae seorsum fit in corpore per mortem et incinerationem, et in anima per Purgatorium ignem.

3. L’âme ne se compare pas seulement au corps comme l’agent par rapport à l’instrument par lequel il agit, mais aussi comme la forme à la matière. Aussi l’opération est-elle le fait du composé, et non seulement de l’âme, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur l’âme. Et parce que la récompense de l’action est due à celui qui agit, il est nécessaire que le composé d’âme et de corps reçoive la récompense de son action. Or, de même que les fautes vénielles, en tant qu’elles disposent au péché, n’ont pas simplement et parfaitement le caractère de péché, de même la peine qui leur est attribuée au purgatoire n’est-elle pas simplement la rétribution, mais plutôt une purification, qui est accomplie séparément dans le corps par la mort et le retour à la poussière, et dans l’âme par le feu purificateur.

[21083] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ceteris paribus perfectior est status animae in corpore quam extra corpus, quia est pars totius compositi, et omnis pars integralis materialis est respectu totius; quamvis sit Deo conformior secundum quid. Tunc enim, simpliciter loquendo, est aliquid maxime Deo conforme quando habet quidquid suae naturae conditio requirit, quia tunc perfectionem divinam maxime imitatur; unde cor animalis magis est conforme Deo immobili quando movetur, quam quando quiescit, quia perfectio cordis est etiam moveri, et ejus quies est ejus destructio.

4. Toutes choses étant égales, l’état de l’âme est plus parfait dans le corps qu’en dehors du corps, car elle est une partie du composé, et toute partie intégrale matérielle existe en vue du tout (bien qu’elle soit plus conforme à Dieu d’un certain point de vue). En effet, à parler simplement, quelque chose est conforme à Dieu au plus haut point lorsque cela possède tout ce que la condition de sa nature exige, car il imite alors au mieux la perfection divine. Aussi le cœur d’un animal est-il plus conforme au Dieu immobile lorsqu’il est mû que lorsqu’il est à l’arrêt, car la perfection du cœur consiste à être mû, et son repos est sa destruction.

[21084] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod mors corporalis introducta est per peccatum Adae, quod est morte Christi deletum; unde poena illa non manet in perpetuum. Sed peccatum mortale, quod mortem aeternam per impoenitentiam inducit, ultra non expiabitur; et ideo mors illa aeterna erit.

5. La mort corporelle a été introduite par le péché d’Adam, qui a été détruit par la mort du Christ ; aussi cette peine ne demeure-t-elle pas pour toujours. Mais le péché mortel, qui encourt la mort éternelle par l’impénitence, ne sera plus expié. C’est pourquoi cette mort sera éternelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21085] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ea quorum ratio sumitur ex natura speciei, oportet similiter inveniri in omnibus quae sunt speciei ejusdem. Talis autem est resurrectio; haec enim est ejus ratio, ut ex dictis patet, quod anima in perfectione ultima speciei humanae esse non potest a corpore separata; unde nulla anima in perpetuum remanebit a corpore separata; et ideo necesse est, sicut unum, ita omnes resurgere.

Ce dont la raison est prise de la nature de l’espèce doit se retrouver semblablement dans tout ce qui est de la même espèce. Or, telle est la résurrection. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, sa raison est que l’âme séparée du corps ne peut exister selon la perfection ultime de l’espèce humaine. Aucune àme ne demeurera donc séparée du corps pour toujours. Il est donc nécessaire que, de même qu’un seul [est ressuscité], tous ressuscitent.

[21086] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Psalmista loquitur de spirituali resurrectione, qua impii non resurgent in judicio discussionis conscientiae, ut Glossa exponit. Vel loquitur de impiis qui sunt omnino infideles, qui non resurgent ut judicentur, jam enim judicati sunt.

1. Le psalmiste parle de la résurrection spirituelle, par laquelle les impies ne ressusciteront pas lors du jugement qui examinera leur conscience, comme la Glose l’explique. Ou bien il parle des impies qui sont complètement infidèles, qui ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ils ont déjà été jugés.

[21087] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus, exponit, multi, idest omnes; et hic modus loquendi frequenter invenitur in sacra Scriptura. Vel perditio potest intelligi quantum ad pueros damnatos, qui quamvis resurgant, non proprie dicuntur evigilare, cum nec sensum poenae nec gloriae habituri sint; vigilia enim est solutio sensus.

2. Augustin explique que « beaucoup » signifie « tous », et que cette manière de parler se rencontre fréquemment dans la Sainte Écriture. Ou bien la perdition peut s’entendre des enfants damnés, dont on ne dit pas, bien qu’ils ressuscitent, qu’ils se réveilleront, puisqu’ils n’auront ni le sens de la peine ni celui de la gloire. En effet, la veille est le relâchement du sens.

[21088] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tam boni quam mali conformantur Christo, vivendo in hac vita, in his quae ad naturam speciei pertinent, non autem in his quae ad gratiam spectant; et ideo omnes ei conformabuntur in reparationem vitae naturalis, non autem in similitudine gloriae, sed soli boni.

3. Les bons comme les mauvais sont conformés au Christ alors qu’ils vivent en cette vie, pour ce qui se rapporte à la nature de l’espèce, mais non pour ce qui se rapporte à la grâce. Tous lui seront donc conformés en vue de la restauration de la vie naturelle, mais non en vue de la ressemblance de la gloire, mais seulement les bons.

[21089] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mortem quae est poena originalis peccati, illi qui in originali decedunt, exsolverunt moriendo; unde non obstante culpa originali possunt a morte resurgere. Poena enim originalis peccati magis est mori quam morte detineri.

4. Ceux qui sont morts dans le péché originel ont acquittté en mourant la mort qui est la peine du péché originel. Aussi peuvent-ils ressusciter de la mort malgré la faute originelle. En effet, la peine du péché originel consiste plutôt à mourir qu’à être retenu par la mort.

[21090] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod renascimur per gratiam Christi nobis datam, sed resurgimus per gratiam Christi, qua factum est ut nostram naturam susciperet, quia ex hoc ei in naturalibus conformamur; unde illi qui in maternis uteris decedunt, quamvis renati non fuerint per susceptionem gratiae, tamen resurgunt propter conformitatem naturae ad ipsum, quam consecuti sunt ad perfectionem humanae speciei pertingentes.

5. Nous renaissons par la grâce du Christ qui nous a été donnée, mais nous ressusscitons par la grâce du Christ, par laquelle il est arrivé qu’il prenne notre nature, car nous lui sommes ainsi conformés pour les réalités naturelles. Ceux qui meurent dans le sein maternel, bien qu’ils ne soient pas renés par la réception de la grâce, ressuscitent cependant parce qu’ils lui sont conformes selon la nature, qu’ils ont reçue en atteignant la perfection de l’espèce humaine.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21091] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod motus sive actio aliqua se habet ad naturam tripliciter. Est enim aliquis motus sive actio, cujus natura nec est principium nec terminus; et alius motus quandoque est a principio supra naturam, ut patet de glorificatione corporis, quandoque autem a principio alio quocumque, sicut patet de motu violento lapidis sursum, qui terminatur ad quietem violentam. Est etiam aliquis motus cujus principium et terminus est natura, ut patet in motu lapidis deorsum. Est etiam aliquis motus cujus terminus est natura, sed non principium, sed quandoque aliquid supra naturam, sicut patet in illuminatione caeci; quia visus naturalis est, sed illuminationis principium est supra naturam; quandoque autem aliud, ut patet in acceleratione florum vel fructuum per artificium facta. Quod autem principium sit natura, et non terminus, esse non potest; quia principia naturalia sunt ad determinatos effectus definita, ultra quos se extendere non possunt. Operatio ergo vel motus primo modo se habens ad naturam nullo modo potest dici naturalis; sed vel est miraculosa, si sit a principio supra naturam; vel violenta, si sit ab alio quocumque principio. Operatio autem vel motus secundo modo se habens ad naturam, est simpliciter naturalis. Sed operatio quae tertio modo se habet ad naturam, non potest dici simpliciter naturalis, sed secundum quid; inquantum scilicet perducit ad id quod secundum naturam est; sed vel dicitur miraculosa, vel artificialis, vel violenta. Naturale enim proprie dicitur quod secundum naturam est; secundum naturam autem esse dicitur habens naturam, et quae consequuntur naturam, ut patet in 2 Physic. Unde motus, simpliciter loquendo, non potest dici naturalis, nisi ejus principium sit natura. Resurrectionis autem principium natura esse non potest, quamvis ad vitam naturae resurrectio terminetur. Natura enim est principium motus in eo in quo est, vel activum, ut patet in motu gravium et levium, et in alterationibus naturalibus animalium; vel passivum, ut patet in generatione simplicium corporum. Passivum autem principium naturalis generationis est potentia passiva naturalis, quae semper habet aliquam potentiam activam sibi respondentem in natura, ut dicitur 9 Metaph. Nec differt, quantum ad hoc, sive respondeat passivo principio activum principium in natura respectu ultimae perfectionis, scilicet formae; sive respectu dispositionis quae est necessitas ad formam ultimam, sicut est in generatione hominis secundum positionem fidei; vel etiam de omnibus aliis secundum opinionem Platonis et Avicennae. Nullum autem activum principium resurrectionis est in natura neque respectu conjunctionis animae ad corpus, neque respectu dispositionis quae est necessitas ad talem conjunctionem; quia talis dispositio non potest a natura induci nisi determinato modo per viam generationis ex semine. Unde etsi ponatur esse aliqua potentia passiva ex parte corporis, seu etiam inclinatio quaecumque ad animae conjunctionem, non est talis quod sufficiat ad rationem motus naturalis; unde resurrectio, simpliciter loquendo, est miraculosa, non naturalis, nisi secundum quid, ut ex dictis patet.

Un mouvement ou une action sont en rapport avec la nature de trois manières. En effet, il existe un mouvement ou une action dont la nature n’est ni le principe ni le terme. En effet, un mouvement vient parfois d’un principe supérieur à la nature, comme cela ressort dans la glorification des corps, mais parfois de n’importe quel autre principe, comme cela ressort du mouvement violent d’une pierre vers le haut, qui se termine dans un repos violent. Il existe aussi un mouvement dont le principe et le terme sont la nature, comme cela ressort du mouvement de la pierre vers le bas. Il existe encore un mouvement dont le terme est la nature, et non le principe, mais parfois quelque chose de supérieur à la nature, comme cela ressort du passage d’un aveugle à la vision, car la vision est naturelle, mais le passage à la vision est supérieur à la nature ; mais, parfois, c’est autre chose, comme cela ressort de la poussée des fleurs et des fruits réalisée par la mise en œuvre d’un art. Mais que la nature soit le principe, et non le terme, cela n’est pas possible, car les principes sont définis par rapport à certains effets déterminés au-delà desquels ils ne peuvent s’étendre. Donc, l’opération ou le mouvement qui se rapporte à la nature de la première manière ne peut d’aucune manière être appelé naturel, mais il est soit miraculeux, s’il vient d’un principe supérieur à la nature, soit violent, s’il vient de n’importe quel autre principe. Mais l’opération ou le mouvement qui se rapporte à la nature de la deuxième manière est tout simplement naturel. Toutefois, l’opération qui se rapporte à la nature de la troisième manière ne peut être appelée tout simplement naturelle, mais partiellement, dans la mesure où elle conduit à ce qui existe selon la nature ; mais elle est appelée soit miraculeuse, soit artificielle, soit violente. En effet, on appelle naturel ce qui est conforme à la nature. Or, on dit que quelque chose est conforme à la nature lorsque cela possède la nature et ce qui découle de cette nature, comme cela ressort de Physique, II. Aussi, à propement parler, un mouvement ne peut-il être appelé naturel que si son principe est la nature. Or le principe de la résurrection ne peut être la nature, bien que la résurrection ait son terme dans la vie de la nature. En effet, la nature est le principe du mouvement ou le principe actif là où elle existe, comme cela ressort du mouvement de ce qui est lourd et léger, et dans les changements naturels des animaux. Ou bien elle est un principe passif, comme cela ressort dans la génération des corps simples. Or, le principe passif de la génération naturelle est la puissance passive naturelle, qui a toujours une puissance active correspondante dans la nature, comme on le dit dans Métaphysique, IX. De ce point de vue, cela ne fait pas de différence que le principe actif corresponde à un principe passif dans la nature par rapport à la disposition qui requiert la forme ultime, comme il existe dans la génération de l’homme, selon la position de la foi, ou encore par rapport à tous les autres, selon l’opinion de Platon et d’Avicenne. Or, aucun principe passif de résurrection n’existe dans la nature, ni par rapport à l’union de l’âme au corps, ni par rapport à la disposition qui requiert une telle union, car une telle disposition ne peut être amenée par la nature que selon un mode déterminé par voie de génération par la semence. Même si on affirme qu’il existe une puissance passive du côté du corps, ou même une quelconque inclination à l’union de l’âme, elle n’est donc pas telle qu’elle suffise au caractère du mouvement naturel. À proprement parler, la résurrection est donc miraculeuse, et non naturelle, si ce n’est sous un aspect, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21092] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur de illis quae inveniuntur in omnibus individuis ex principiis naturae creatis; non enim si divina operatione omnes homines dealbarentur, vel in uno loco congregarentur, sicut tempore diluvii factum est, propter hoc albedo esset proprietas naturalis hominis, vel esse in tali loco.

1. [Jean] Damascène parle de ce qui se trouve dans tous les individus en vertu des principes créés de la nature. En effet, si tous les hommes devenaient blancs ou étaient rassemblés dans un seul lieu par l’opération divine, comme cela est arrivé à l’époque du déluge, la blancheur ou le fait d’être dans un seul lieu ne serait pas pour autant une propriété naturelle de l’homme.

[21093] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex rebus naturalibus non cognoscitur aliquid non naturale ratione demonstrante; sed ratione persuadente potest cognosci aliquid supra naturam; quia eorum quae supra naturam sunt, ea quae sunt in natura, aliquam similitudinem repraesentant; sicut unio corporis et animae repraesentat unionem spiritus ad Deum per gloriam fruitionis, ut Magister in 2, dist. 1, dixit; et simili modo exempla quae apostolus et Gregorius inducunt, fidei resurrectionis persuasive adminiculantur.

2. À partir des choses naturelles, on ne connaît pas quelque chose qui n’est pas naturel par la raison démonstrative. Mais quelque chose de supérieur à la nature peut être connu alors que la raison en persuade, car ce qui existe dans la nature représente une certaine ressemblance avec ce qui est supérieur à la raison, comme l’union du corps et de l’âme représente l’union de l’esprit à Dieu par la gloire de la fruition, comme l’a dit le Maître dans le livre II, d. 1. De la même manière, les exemples que l’Apôtre et Grégoire invoquent aident-ils quelque peu à persuader de la foi en la résurrection.

[21094] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de operatione illa quae determinatur ad id quod non est per naturam, sed naturae contrarium; hoc autem non est in resurrectione; et ideo non est ad propositum.

3. Cet argument vient de l’opération qui est déterminée à ce qui n’existe pas de manière naturelle, mais par ce qui est contraire à la nature. Or, cela n’existe pas dans la résurrection. Cet argument porte donc à faux.

[21095] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tota operatio naturae est sub operatione divina, sicut operatio inferioris artis sub operatione superioris; unde sicut omnis operatio inferioris artis expectat aliquem finem ad quem non pervenitur nisi operatione artis superioris inducentis formam, vel utentis artificio facto; ita ad ultimum finem, ad quem tota naturae expectatio tendit, non potest perveniri operatione naturae; et propter hoc consecutio ejus non est naturalis.

4. Toute l’opération de la nature est placée sous l’opération divine, comme l’opération d’un artisan inférieur sous l’opération d’un artisan supérieur. De même que toute opération de l’artisan inférieur attend une fin à laquelle on ne parvient que par l’opération de l’artisan supérieur amenant une forme ou utilisant une œuvre d’art existante, de même ne peut-on parvenir par l’opération de la nature à la fin ultime à laquelle toute la nature tend. Pour cette raison, cette obtention n’est pas naturelle.

[21096] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis non possit esse motus naturalis qui terminatur ad quietem violentam, tamen potest esse motus non naturalis qui terminatur ad quietem naturalem, ut ex dictis patet.

5. Bien qu’il ne puisse exister de mouvement naturel qui se termine dans un repos violent, cependant il peut exister un mouvement non naturel qui se termine dans un repos naturel, comme cela ressort de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 2 [21097] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christi resurrectio sit causa nostrae resurrectionis

Article 2 – La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ?]

[21098] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christi resurrectio non sit causa nostrae resurrectionis. Posita enim causa ponitur effectus. Sed posita resurrectione Christi non est secuta statim resurrectio aliorum mortuorum. Ergo resurrectio ejus non est causa nostrae resurrectionis.

1. Il semble que la résurrection du Christ ne soit pas la cause de notre résurrection. En effet, une fois la cause posée, l’effet en découle. Or, une fois posée la résurrection du Christ, la résurrection des autres morts n’en est pas découlée immédiatement. Sa résurrection n’est donc pas la cause de notre résurrection.

[21099] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, effectus non potest esse nisi causa praecesserit. Sed resurrectio mortuorum esset, etiamsi Christus non resurrexisset; erat enim alius modus possibilis Deo ut homo liberaretur. Ergo resurrectio Christi non est causa nostrae resurrectionis.

2. L’effet ne peut exister à moins que la cause n’ait précédé. Or, la résurrection des morts existerait, même si le Christ n’était pas ressuscité : en effet, une autre manière de libérer l’homme était possible pour Dieu. La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de notre résurrection.

[21100] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, idem est factivum unius in tota una specie. Sed resurrectio erit omnibus hominibus communis. Cum ergo resurrectio Christi non sit causa sui ipsius, non erit causa aliarum resurrectionum.

3. Le même chose réalise une seule chose à l’intérieur de toute une espèce. Or, la résurrection sera commune à tous les hommes. Puisque la résurrection du Christ n’est pas cause d’elle-même, elle ne sera donc pas la cause des autres résurrections.

[21101] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in effectu relinquitur aliquid de similitudine causae. Sed resurrectio, ad minus quorumdam, scilicet malorum, non habet aliquid simile resurrectioni Christi. Ergo resurrectionis illorum non erit causa resurrectio Christi.

4. Quelque chose qui ressemble à la cause est laissé dans l’effet. Or, la résurrection, du moins celle de certains, à savoir, les méchants, n’a rien de semblable à la résurrection du Christ. La résurrection du Christ ne sera donc pas la cause de leur résurrection.

[21102] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod est primum in quolibet genere, est causa eorum quae sunt post, ut patet in 2 Metaph. Sed Christus ratione suae resurrectionis corporalis dicitur primitiae dormientium 1 Cor., 5, et primogenitus mortuorum Apoc. 1. Ergo sua resurrectio est causa resurrectionis aliorum.

Cependant, [1] ce qui est premier en tout genre est la cause de ce qui vient après, comme cela ressort de Métaphysique, II. Or, le Christ, en raison de sa résurrection corporelle, est appelé prémices de ceux qui dorment, en 1 Co 5, et premier-né des morts, en Ap 1. Sa résurrection est donc la cause de la résurrection des morts.

[21103] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea resurrectio Christi magis convenit cum nostra resurrectione corporali quam cum resurrectione spirituali, quae est per justificationem. Sed resurrectio Christi est causa justificationis nostrae, ut patet Rom. 4, 25: resurrexit propter justificationem nostram. Ergo est causa nostrae resurrectionis corporalis.

[2] La résurrection du Christ a plus en commun avec notre résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle, qui se réalise par la justification. Or, la résurrection du Christ est la cause de notre justification, comme cela ressort de Rm 4, 25 : Il est ressuscité pour notre justification. Il est donc la cause de notre résurrection corporelle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le son de la trompette est-il la cause de notre résurrection ?]

[21104] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod vox tubae non sit causa resurrectionis nostrae. Dicit enim Damascenus: crede resurrectionem futuram divina voluntate, virtute et nutu. Ergo cum haec sint sufficiens causa resurrectionis, non oportet ponere causam ejus vocem tubae.

1. Il semble que le son de la trompette ne soit pas la cause de notre résurrection. En effet, [Jean] Damascène dit : « Crois à la résurrection à venir en vertu de la volonté, de la puissance et d’un ordre de Dieu. » Puisque ces choses sont une cause suffisante de la résurrection, il n’est donc pas nécessaire d’affirmer que sa cause est le son de la trompette.

[21105] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, frustra vox emittitur ad eum qui audire non potest. Sed mortui non habebunt auditum. Ergo non est conveniens quod vox aliqua formetur ad resuscitandum eos.

2. Un son n’est pas émis pour celui qui ne peut l’entendre. Or, les morts n’auront pas l’ouïe. Il ne convient donc pas qu’un son soit formé pour les ressusciter.

[21106] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si vox aliqua sit causa resurrectionis, hoc non erit nisi per virtutem divinitus voci datam; unde super illud Psalm. 67, 34: dabit voci suae vocem virtutis, dicit Glossa, resuscitandi corpora. Sed ex quo potentia data est, quamvis alicui miraculose detur, tamen actus qui sequitur, est naturalis; sicut patet in caecis miraculose illuminatis, qui naturaliter vident. Ergo si vox aliqua esset causa resurrectionis, resurrectio esset naturalis; quod falsum est.

3. Si un son est la cause de la résurrection, cela n’existera que par la puissance divine donnée au son. Aussi, à propos de Ps 67, 34 : Il aura une voix puissante, la Glose dit-elle : « Capable de ressusciter les morts. » Or, bien qu’une puissance ait été donnée, quoique de façon miraculeuse, à quelqu’un, l’acte qui en découle est cependant naturel, comme cela ressort chez les aveugles qui recouvrent la vue miraculeusement et voient naturellement. Si un son était cause de la résurrection, la résurrection serait donc naturelle, ce qui est faux.

[21107] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Thessal. 4, 15: ipse dominus (...) in tuba Dei descendet de caelo, et mortui qui in Christo sunt, resurgent primi.

Cependant, [1] il est dit en 1 Th 4, 15 : Le Seigneur lui-même… descendra du ciel au son de la trompette de Dieu, et les morts qui sont dans le Christ ressusciteront les premiers.

[21108] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Joan. 5, 25 et 28 dicitur: qui in monumentis sunt, audient vocem filii Dei; et qui audierint, vivent. Haec autem vox dicitur tuba, ut in littera patet. Ergo et cetera.

[2] Il est dit en Jn 5, 25 et 28 : Ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’entendront vivront. Or, cette voix est appelée une trompette, comme cela ressort du texte. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les anges agissent-ils en vue de la résurrection ?]

[21109] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullo modo ad resurrectionem Angeli operentur. Quia majoris virtutis est ostensiva resurrectio mortuorum quam generatio hominum. Sed quando homines generantur, anima non infunditur corpori mediantibus Angelis. Ergo nec resurrectio, quae est iterata conjunctio animae corpori, fiet ministerio Angelorum.

1. Il semble que les anges n’agissent d’aucune manière en vue de la résurrection, car la résurrection éclatante des morts relève d’une puissance plus grande que la génération des hommes. Or, lorsque les hommes sont engendrés, l’âme n’est pas infusée dans le corps par l’intermédiaire des anges. Donc, la résurrection non plus, qui est l’union renouvelée de l’âme au corps, ne se réalisera pas par le ministère des anges.

[21110] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si ad aliquos Angelos hoc ministerium pertineat, maxime videtur pertinere ad virtutes, quarum est miraculosa facere. Sed eis non ascribitur, sed Archangelis, ut in littera patet. Ergo resurrectio non fiet ministerio Angelorum.

2. Si ce ministère relève de certains anges, cela semble surtout relever des Vertus, à qui il appartient de réaliser des choses miraculeuses. Or, cela ne leur pas attribué, mais aux archanges, comme cela ressort du texte. La résurrection ne se réalisera donc pas par le ministère des anges.

[21111] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Thessal., 4, quod dominus in voce Archangeli descendet de caelo, et mortui resurgent. Ergo resurrectio mortuorum ministerio angelico complebitur.

Cependant, il est dit en 1 Th 4, que le Seigneur descendra du ciel à la voix de l’Archange, et que les morts ressusciteront. La résurrection des morts sera donc accomplie par le ministère angélique.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21112] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus ratione humanae naturae dicitur Dei et hominum mediatOr ut in 3 Lib., dist. 19, qu. unic., art. 5, quaestiunc. 2 et 3 dictum est; unde divina dona a Deo in homines mediante Christi humanitate proveniunt. Sicut ergo a morte spirituali liberari non possumus nisi per gratiae donum divinitus datum, ita nec a morte corporali nisi per resurrectionem divina virtute factam; et ideo sicut Christus primitias gratiae suscepit divinitus, et ejus gratia est causa nostrae gratiae; quia de plenitudine ejus nos omnes accepimus; gratiam pro gratia; Joan. 1, 16: ita in ipso inchoata est resurrectio, et resurrectio sua causa est nostrae resurrectionis: ut sic Christus, inquantum est Deus, sit prima causa nostrae resurrectionis quasi aequivoca: sed inquantum est Deus et homo resurgens, est causa proxima, et quasi univoca, nostrae resurrectionis. Causa autem univoca agens producit effectum in similitudine suae formae; unde non solum est causa efficiens, sed exemplaris, istius effectus. Hoc autem contingit dupliciter. Quandoque enim ipsa forma, per quam attenditur similitudo agentis ad effectum, est directe principium actionis qua producitur ille effectus, sicut calor in igne calefaciente. Quandoque autem illius actionis qua effectus producitur, non est principium primo et per se ipsa forma secundum quam attenditur similitudo, sed principia illius formae; sicut si homo albus generaret hominem album, ipsa albedo generantis non est principium generationis activae; et tamen albedo generantis dicitur causa albedinis generati, quia principia albedinis in generante sunt principia generativa facientia albedinem in generato; et per hunc modum resurrectio Christi est causa nostrae resurrectionis; quia illud quod facit resurrectionem Christi, qui est causa efficiens univoca nostrae resurrectionis, agit ad resurrectionem nostram, scilicet virtus divinitatis ipsius Christi, quae sibi et patri communis est; unde dicitur Roman. 8, 2: qui suscitavit Jesum Christum a mortuis, vivificabit mortalia corpora nostra. Sed ipsa resurrectio Christi virtute divinitatis adjunctae est causa quasi instrumentalis resurrectionis nostrae; operationes enim divinae agebantur mediante carne Christi quasi quodam organo, sicut ponit exemplum Damascenus in 3 Lib., de tactu corporali quo mundavit leprosum, Matth. 8.

Le Christ est appelé médiateur entre Dieu et les hommes en vertu de sa nature humaine, comme on l’a dit au livre III, d. 19, q. un., a. 5, qa 2 et 3. Aussi les dons de Dieu viennent-ils aux hommes par l’intermédiaire de l’humanité du Christ. De même que nous ne pouvons être libérés de la mort spirituelle que par le don de la grâce qui est donné par Dieu, de même donc [ne pouvons-nous être libérés] de la mort corporelle que par la résurrection réalisée par la puissance divine. De même que le Christ a reçu de Dieu les prémices de la grâce et que sa grâce est la cause de notre grâce, car nous avons tous reçu de sa plénitude, grâce pour grâce, Jn 1, 16, de même donc la résurrection a-t-elle commencé en lui et sa résurrection est-elle cause de notre résurrection, de sorte que le Christ, en qu’il est Dieu, est la cause première pour ainsi dire équivoque de notre résurrection, mais, en tant qu’il est Dieu et homme qui ressuscite, est-il la cause prochaine et pour ainsi dire univoque de notre résurrection. Or, une cause univoque produit un effet qui ressemble à sa forme. Aussi n’est-elle pas seulement cause efficiente, mais encore [cause] exemplaire de cet effet. Or, cela se produit de deux manières. Parfois, en effet, la forme elle-même, selon laquelle on observe une ressemblance entre l’agent et l’effet, est directement le principe de l’action par laquelle cet effet est produit, comme la chaleur dans le feu qui réchauffe. Mais parfois la forme elle-même, selon laquelle on observe une ressemblance, n’est pas le principe premier et la forme même selon laquelle on relève une ressemblance, mais les principes de cette forme. Ainsi, si un homme blanc engendrait un homme blanc, la blancheur même de celui qui engendre n’est pas le principe de la génération active ; cependant, la blancheur de celui qui engendre est appelée cause de la blancheur de celui qui est engendré parce que les principes de la blancheur chez celui qui engendre sont les principes qui engendrent la blancheur chez celui qui est engendré. C’est de cette manière que la résurrection du Christ est la cause de notre résurrection, car ce qui réalise la résurrection du Christ et qui est la cause efficiente univoque de notre résurrection agit dans notre résurrection, à savoir la puissance de la divinité du Christ lui-même, qui est commune à lui et au Père. Ainsi est-il dit en Rm 8, 2 : Lui qui a ressuscité des morts Jésus le Christ donnera vie à nos corps mortels. Mais la résurrection même du Christ par la puissance de la divinité qui lui est jointe est une cause pour ainsi dire instrumentale de notre résurrection. En effet, les opérations divines étaient réalisées par l’intermédiaire de la chair du Christ comme par un organe [organon = instrument], comme [Jean] Damascène donne l’exemple du contact corporel par lequel il a purifié le lépreux, Mt 8.

[21113] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod causa sufficiens statim producit effectum suum ad quem ordinatur immediate, non autem effectum ad quem ordinatur mediante alio, quantumcumque sit sufficiens; sicut calor, quantumcumque sit intensus, non statim in primo instanti causat calorem, sed statim incipit movere ad calorem, quia calor est effectus ejus mediante motu. Resurrectio autem Christi dicitur causa nostrae resurrectionis, ut dictum est, non quia ipsa agat resurrectionem nostram, sed mediante principio suo, scilicet virtute divina, quae nostram resurrectionem faciet ad similitudinem resurrectionis Christi. Virtus autem omnia operatur mediante voluntate, quae est propinquissima effectui; unde non oportet quod statim resurrectione Christi facta, nostra resurrectio sit secuta; sed tunc sequitur quando voluntas Dei ordinavit.

1. La cause suffisante produit immédiatement l’effet auquel elle est ordonnée, et non l’effet auquel elle est ordonnée par l’intermédiaire de quelque chose d’autre, aussi suffisante soit-elle ; ainsi, la chaleur, aussi intense soit-elle, ne cause pas la chaleur dès le premier instant, mais elle commence à mouvoir immédiatement en direction de la chaleur, car la chaleur est son effet par l’intermédiaire d’un mouvement. Or, on dit que la résurrection du Christ est la cause de notre résurrection, comme on l’a dit, non parce qu’elle-même réalise notre résurrection, mais par l’intermédiaire de son principe, à savoir, la puissance divine, qui réalisera notre résurrection à la ressemblance de la résurrection du Christ. Or, la puissance réalise tout par l’intermédiaire de la volonté, qui est la plus rapprochée de l’effet. Il n’est donc pas nécessaire qu’aussitôt réalisée la résurrection du Christ, notre résurrection suive, mais elle suit lorsque la volonté de Dieu l’a ordonné.

[21114] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus divina non alligatur causis aliquibus secundis, quin effectus illarum posset immediate, vel aliis causis mediantibus, producere; sicut posset generationem inferiorum corporum causare etiam motu caeli non existente; et tamen secundum ordinem quem in rebus statuit, motus caeli est causa generationis inferiorum corporum. Similiter etiam secundum ordinem quem rebus humanis divina providentia praefixit, resurrectio Christi est causa nostrae resurrectionis; potuit tamen alium ordinem praefigere; et tunc esset alia causa nostrae resurrectionis, qualem Deus ordinasset.

2. La puissance divine n’est pas liée à des causes secondes, de sorte qu’elle ne pourrait produire leurs effets immédiatement ou par l’intermédiaire d’autres causes, comme elle pourrait causer la génération des corps inférieurs même sans qu’existe le mouvement du ciel. Toutefois, selon l’ordre qu’elle a établi dans les choses, le mouvement du ciel est la cause de la génération des corps inférieurs. De même, selon l’ordre que la providence divine a prédéterminé pour les choses humaines, la résurrection du Christ est-elle la cause de notre résurrection ; elle pouvait cependant préétablir un autre ordre, et alors il y aurait une autre cause de notre résurrection, que Dieu aurait ordonnée.

[21115] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit quando omnia quae sunt in una specie, habent eumdem ordinem ad causam primam illius effectus qui est inducendus in totam speciem. Sic autem non est in proposito: quia humanitas Christi propinquior est divinitati, cujus virtus est prima causa resurrectionis, quam humanitas aliorum; unde resurrectio Christi causatur a divinitate immediate; sed resurrectio aliorum mediante Christo homine resurgente.

3. Cet argument vient de ce que tout ce qui fait partie d’une même espèce a le même ordre par rapport à la cause première de l’effet qui doit être produit dans toute l’espèce. Mais tel n’est pas ici le cas, car l’humanité du Christ est plus proche de la divinité, dont la puissance est la cause première de la résurrection, que l’humanité des autres. Aussi la résurrection du Christ est-elle causée par la divinité de manière immédiate, mais la résurrection des autres l’est-elle par l’intermédiaire du Christ homme qui ressuscite.

[21116] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod resurrectio omnium hominum habebit aliquid de similitudine resurrectionis Christi, quod scilicet pertinet ad vitam naturae, secundum quam omnes Christo fuerunt conformes; et ideo omnes resurgunt in vitam immortalem. Sed in sanctis, qui fuerunt Christo conformes per gratiam, erit conformitas quantum ad ea quae sunt gloriae.

4. La résurrection de tous les hommes aura quelque chose de semblable à la résurrection du Christ, à savoir, ce qui relève de la vie de la nature, selon laquelle tous ont été conformes au Christ. C’est pourquoi tous ressusciteront pour une vie immortelle. Mais, chez les saints, qui ont été conformes au Christ par la grâce, existera une conformité pour ce qui rrelève de la gloire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21117] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod causam effectui oportet aliquo modo conjungi: quia movens et motum, faciens et factum sunt simul, ut probatur in 7 Physic. Christus autem resurgens est causa univoca nostrae resurrectionis, ut supra dictum est, unde oportet quod in resurrectione corporum communi aliquo signo corporali dato Christus resurgens operetur: quod quidem signum, ut quidam dicunt, erit ad litteram vox Christi resurrectionem imperantis, sicut imperavit mari et cessavit tempestas, Matth. 5, 8. Quidam vero dicunt, quod hoc signum nihil aliud erit quam ipsa praesentatio evidens filii Dei in mundo, de qua dicitur Matth. 24, 27: sicut fulgur quod venit ab oriente, et apparet in occidente, ita erit adventus filii hominis. Et innituntur auctoritati Gregorii, qui dicit, quod tubam sonare nihil aliud est quam mundo ut judicem filium demonstrare. Et secundum hoc ipsa apparitio filii Dei vox ejus dicitur: quia ei apparenti obediet tota natura ad corporum humanorum reparationem sicut imperanti; unde in jussu venire dicitur 1 Thessal. 4; et sic ejus apparitio inquantum habet vim cujusdam imperii, vox ejus dicitur; et haec vox quaecumque sit, quandoque dicitur clamor quasi praeconis ad judicium citantis; quandoque autem dicitur sonus tubae, vel propter evidentiam, ut in littera dicitur, vel propter convenientiam ad usum tubae qui erat in veteri testamento: tuba enim congregabantur ad Concilium, commovebantur ad praelium, et vocabantur ad festum. Resurgentes autem congregantur ad Concilium judicii, ad praelium quo orbis terrarum pugnabit contra insensatos, ad festum aeternae solemnitatis.

Il est nécessaire que la cause soit unie d’une certaine manière à l’effet, car ce qui meut et ce qui est mû, ce qui réalise et ce qui est réalisé, existent simultanément, comme on le démontre dans Physique, VII. Or, le Christ qui ressuscite est la cause univoque de notre résurrection, comme on l’a dit plus haut. Il est donc nécessaire que, lors de la résurrection commune des corps, le Christ ressuscité agisse lorsqu’aura été donné un signe corporel. Ce signe, comme certains le disent, sera littéralement la voix du Christ ordonnant la résurrection, comme il a commandé à la mer, et que la tempête a cessé, Mt 5, 8. Mais certains disent que ce signe n’est rien d’autre que la présentation manifeste du Fils de Dieu dans le monde, dont parle Mt 24, 27 : Comme l’éclair qui vient de l’est et apparaît à l’ouest, de même sera la venue du Fils de l’homme. Et ils s’appuient sur l’autorité de Grégoire, qui dit que sonner la trompette n’est rien d’autre que manifester au monde le Fils comme juge. Ainsi, l’apparition même du Fils de Dieu est-alle appelée « voix », car, lorsqu’il apparaîtra, toute la nature obéira comme à celui qui commande, en vue de la restauration des corps humains. Aussi dit-on qu’il vient au commandement, 1 Th 4. Et ainsi, son apparition, pour autant qu’elle possède la force d’un commandement, est-elle appelée « voix », et cette voix, quelle qu’elle soit, est-elle parfois appelée « cri du héraut», qui cite en jugement. Mais, parfois, elle est appelée « son de la trompette », soit en raison de son caractère manifeste, comme il est dit dans le texte, soit en raison de la convenance de recourir à la trompette qui existait sous l’Ancien Testament – en effet, par la trompette, on était réuni pour l’assemblée, on était regroupé pour le combat et on était convoqué à la fête. Or, ceux qui ressuscitent sont réunis pour l’assemblée du jugement, pour le combat par lequel toute la terre combattra les insensés, et pour la fête de l’éternelle célébration.

[21118] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus in verbis illis circa materialem causam resurrectionis tria tangit; scilicet voluntatem divinam quae imperat, virtutem quae exequitur, et facilitatem exequendi, in hoc quod nutum adjunxit, ad similitudinem eorum quae in nobis sunt: illud enim valde facile est nobis facere quod statim ad dictum nostrum fit; sed multo major apparet facilitas, si ante verbum prolatum, ad primum signum voluntatis, quod nutus dicitur, executio nostrae voluntatis per ministros fiat; et talis noster nutus est quaedam causa praedictae executionis, inquantum per ipsum inducuntur alii ad nostram voluntatem explendam; nutus autem divinus, quo fiet resurrectio, nihil est aliud quam signum ab ipso datum, cui natura tota obediet ad resurrectionem mortuorum; et hoc signum idem est quod vox tubae, ut ex dictis patet.

1. Par ces paroles, [Jean] Damascène aborde trois choses de la cause matérielle de la résurrection : la volonté divine qui commande, la puissance qui exécute et la facilité de l’exécution, du fait qu’il ajoute le signal, à la ressemblance de ce qui existe chez nous. En effet, il nous paraît très facile de réaliser ce qui est réalisé aussitôt que nous avons parlé ; mais la facilité paraît beaucoup plus grande si, avant de prononcer une parole, au premier signe de notre volonté, qu’on appelle un signal, l’exécution de notre volonté est réalisée par des serviteurs. Et une telle indication de notre part est une cause de la réalisation indiquée, pour autant que, par elle, d’autres sont amenés à accomplir notre volonté. Or, l’indication divine, par laquelle la résurrection est réalisée, n’est rien d’autre qu’un signe donné par elle, auquel toute la nature obéira en vue de la résurrection des morts. Et ce signe est la même chose que le son de la trompette, comme il ressort de ce qui a été dit.

[21119] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut formae sacramentorum habent virtutem sanctificandi, ut supra dictum est, non ex hoc quod audiuntur, sed ex hoc quod proferuntur; ita illa vox, quidquid sit, habebit efficaciam instrumentalem ad resuscitandum, non ex hoc quod sentitur, sed ex hoc quod profertur; sicut etiam vox ex ipsa impulsione aeris excitat dormientem solvendo organum sentiendi, non ex hoc quod cognoscatur; quia judicium de voce perveniente ad aures sequitur excitationem, et non est causa ejus.

2. De même que les formes des sacrements possèdent la puissance de sanctifier, comme on l’a dit plus haut, non pas du fait qu’elles sont entendues, mais du fait qu’elles sont proférées, de même, cette voix, quelle qu’elle soit, possédera une efficacité instrumentale pour ressusciter, non pas du fait qu’elle est entendue, mais du fait qu’elle est proférée, comme aussi la voix réveille celui qui dort par l’impulsion de l’air qui libère l’organe de la sensation, et non par le fait qu’elle est connue, car le jugement, qui parvient aux oreilles à partir de la voix, suit le réveil, et n’en est pas la cause.

[21120] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si virtus data illi voci esset ens perfectum in natura: quia tunc quod ex ea procederet, virtutem jam naturalem factam principium haberet. Non autem est talis virtus illa, sed qualis supra dictum est esse in formis sacramentorum.

3. Cet argument serait concluant si la puissance donnée à cette voix était un être parfait par sa nature, car alors ce qui viendrait d’elle aurait comme principe une puissance naturelle déjà réalisée. Cette puissance n’est cependant pas telle, mais elle est comme celle dont on a dit plus haut qu’elle existait dans les formes des sacrements.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21121] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Augustinus dicit in 3 de Trinit., quod sicut corpora crassiora et inferiora per subtiliora et potentiora quodam ordine reguntur; ita omnino corpora reguntur a Deo per spiritum vitae rationalem; et hoc etiam Gregorius in 4 Dialog. tangit. Unde in omnibus quae corporaliter a Deo fiunt, utitur Deus ministerio Angelorum. In resurrectione autem est aliquid ad transmutationem corporum pertinens, scilicet collectio cinerum, et eorum praeparatio ad reparationem humani corporis; unde quantum ad hoc in resurrectione utetur Deus ministerio Angelorum. Sed anima sicut immediate a Deo creata est, ita immediate a Deo corpori iterato unietur sine aliqua operatione Angelorum. Similiter etiam gloriam corporis ipse faciet absque ministerio Angelorum, sicut et animam immediate glorificat. Et istud Angelorum ministerium vox dicitur secundum unam expositionem, quae tangitur in littera.

Augustin dit, dans La Trinité, III, que de même que les corps lourds et inférieurs sont régis par les corps plus subtils et plus puissants selon un certain ordre, de même les corps sont-ils entièrement régis par Dieu par un esprit rationnel de vie. Grégoire aussi aborde cette question dans les Dialogues, IV. Ainsi, pour tout ce qui est accompli corporellement par Dieu, Dieu utilise le ministère des anges. Or, dans la résurrection, il y a quelque chose qui se rapporte à la transformation des corps, à savoir, le rassemblement des cendres et leur préparation en vue de la restauration du corps humain. Sous cet aspect, Dieu utilisera donc le ministère des anges pour la résurrection. Mais comme l’âme est immédiatement créée par Dieu, de même sera-t-elle immédaitement unie de nouveau au corps sans aucune opération des anges. De même aussi, il réalisera la gloire du corps sans le ministère des anges, comme il glorifie l’âme de manière immédiate. Et ce ministère des anges est appelé « voix » selon une interprétation qui est abordée dans le texte.

[21122] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo patet solutio ex dictis.

1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement de ce qui a été dit.

[21123] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ministerium illud erit principaliter unius Archangeli, scilicet Michaelis, qui est princeps Ecclesiae, sicut fuit synagogae, sicut dicitur Daniel. 10: qui tamen agit ex influentia virtutum, et aliorum superiorum ordinum; unde quod ipse faciet, superiores ordines quodammodo facient. Similiter inferiores Angeli cooperabuntur ei circa resurrectionem singulorum, quorum custodiae deputati fuerunt; et sic vox illa potest dici unius et plurium Angelorum.

2. Ce ministère sera surtout celui d’un seul archange, Michel, qui est le prince de l’Église, comme il l’a été de la synagogue, ainsi qu’il est dit en Dn 10. Cependant, il agit sous l’influence des Vertus et des autres ordres supérieurs. Aussi, ce qu’il fait, les ordres supérieurs le font-ils d’une certaine manière. De même, les anges inférieurs coopéreront-ils avec lui pour la résurrection de chacun de ceux à la garde de qui ils ont été assignés. Et ainsi, cette voix peut être appelée celle d’un seul ou de plusieurs anges.

 

 

Articulus 3 [21124] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 tit. Utrum tempus resurrectionis oporteat differri usque ad finem mundi, ut omnes simul resurgant

Article 3 – Le moment de la résurrection doit-il être reporté jusqu’à la fin du monde, de sorte que tous ressuscitent en même temps ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le moment de la résurrection doit-il être reporté jusqu’à la fin du monde, de sorte que tous ressuscitent en même temps ?]

[21125] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod tempus resurrectionis non oporteat differri usque ad finem mundi, ut omnes simul resurgant. Quia major est convenientia capitis ad membra quam membrorum ad invicem, sicut causae ad effectus quam effectuum ad invicem. Sed Christus, qui est caput nostrum, non distulit resurrectionem suam usque ad finem mundi, ut simul cum omnibus resurgeret. Ergo nec oportet quod priorum sanctorum resurrectio usque ad finem mundi differatur, ut simul cum aliis resurgant.

1. Il semble que le moment de la résurrection doive être reporté jusqu’à la fin du monde, de sorte que tous ressuscitent en même temps, car la tête et les membres ont plus en commun que les membres entre eux, comme les causes [ont plus en commun] avec les effets, que les effets entre eux. Or, le Christ, qui est notre tête, n’a pas reporté sa résurrection jusqu’à la fin du monde, pour ressusciter en même temps que tous les autres. Il n’est donc pas nécessaire que la résurrection des saints antérieurs soit reportée jusqu’à la fin du monde, pour qu’ils ressuscitent en même temps que tous les autres.

[21126] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, resurrectio capitis causa est resurrectionis membrorum. Sed resurrectio quorumdam membrorum nobilium propter vicinitatem ad caput, non est dilata usque ad finem mundi, sed statim resurrectionem Christi secuta est, sicut pie creditur de beata virgine et Joanne Evangelista. Ergo et aliorum resurrectio tanto propinquior erit resurrectioni Christi, quanto per gratiam et meritum magis ei fuerint conformes.

2. La résurrection de la tête est la cause de la résurrection des membres. Or, la résurrection de certains membres nobles, en raison de leur proximité par rapport à la tête, n’a pas été reportée jusqu’à la fin du monde, comme on le croit pieusement de la bienheureuse Vierge et de Jean l’Évangéliste. La résurrection des autres est donc d’autant plus rapprochée de la résurrection du Christ qu’ils lui ont été davantage conformés par la grâce et le mérite.

[21127] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, status novi testamenti est perfectior, et expressius portat imaginem Christi, quam status veteris. Sed quidam patres veteris testamenti Christo resurgente resurrexerunt, sicut dicitur Matth. 27, 52, quod multa corpora sanctorum qui dormierant, resurrexerunt. Ergo videtur quod nec sanctorum novi testamenti resurrectio differri debeat usque ad finem mundi, ut sit omnium simul.

3. L’état de la Nouvelle Alliance est plus parfait et porte plus expressément l’image du Christ, que l’état de l’Ancienne [Alliance]. Or, certains pères de l’Ancienne Alliance sont ressuscités alors que le Christ ressuscitait, comme il est dit, en Mt 27, 52, que beaucoup de corps des saints qui dormaient ressuscitèrent. Il semble donc que la résurrection des saints de la Nouvelle Alliance ne doive pas non plus être reportée jusqu’à la fin du monde, afin que tous ressuscitent en même temps.

[21128] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, post finem mundi non erit aliquis annorum numerus. Sed post resurrectionem mortuorum adhuc computantur multi anni usque ad resurrectionem aliorum, ut patet Apoc. 20; dicitur enim ibi vers. 4: vidi (...) animas decollatorum propter testimonium Jesu, et propter verbum Dei; et infra: et vixerunt, et regnaverunt cum Christo mille annis; et ceteri mortuorum non vixerunt, donec consummentur mille anni. Ergo resurrectio omnium non differtur usque ad finem mundi, ut sit omnium simul.

4. Après la fin du monde, il n’y aura pas de nombre d’années. Or, après la résurrection des morts, on compte encore de nombreuses années jusqu’à la résurrection des autres, comme cela ressort de Ap 20. En effet, il est dit, au verset 4 : Je vis… les âmes de ceux dont la tête avaient été tranchée en témoignage à Jésus et à cause de la parole de Dieu. Et plus loin : Et ils remportèrent la victoire et ils régnèrent avec le Christ pendant mille ans, et les autres morts ne remportèrent pas la victoire avant que ne soient consommés mille ans. La résurrection de tous n’est donc pas reportée jusqu’à la fin du monde, de sorte qu’elle soit simultanée pour tous.

[21129] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Job 24: homo cum dormierit, non resurget, donec atteratur caelum, nec evigilabit ut resurgat de somno suo; et loquitur de somno mortis. Ergo usque ad finem mundi, quando caelum atteretur, resurrectio hominum differtur.

Cependant, [1] il esst dit en Jb : Après que l’homme se sera endormi, il ne ressuscitera pas avant que le ciel ne soit détruit, et il ne se réveillera pas pour se lever de son sommeil, et il parle du sommeil de la mort. La résurrection des hommes est donc reportée jusqu’à la fin du monde, alors que le ciel sera détruit.

[21130] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Hebr. 11, 39, dicitur: hi omnes testimonio fidei probati non acceperunt repromissionem, idest plenam animae et corporis beatitudinem, Deo aliquod aliud pro nobis providente, ne sine nobis consummarentur, idest perficerentur; Glossa: ut communi gaudio omnium majus fieret gaudium singulorum. Sed non erit ante resurrectio quam corporum glorificatio: quia reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae; Phil. 3, 21: et resurrectionis filii erunt sicut Angeli in caelo, ut patet Matth. 22. Ergo resurrectio differtur usque ad finem mundi, in quo omnes simul resurgent.

[2] Il est dit en He 11, 39 : Tous ceux qui ont été mis à l’épreuve en témoignage à la foi n’ont pas reçu la promesse, c’est-à-dire la pleine béatitude de l’âme et du corps ; Dieu a prévu autre chose dans sa providence à notre égard, de sorte qu’ils n’atteignent pas leur fin sans nous, c’est-à-dire qu’ils n’atteignent pas leur perfection. La Glose [dit] : « Afin que, par la joie de tous, la joie de chacun devienne plus grande. » Or, la résurrection n’aura pas lieu avant la glorification des corps, car il reformera notre corps d’abaissement en le configurant à son corps de gloire, Ph 3, 21. Et les fils de la résurrection seront comme les anges dans le ciel, ainsi que cela ressort de Mt 22. La résurrection est donc reportée jusqu’à la fin du monde, alors que tous ressusciteront en même temps.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le moment de la résurrection est-il caché ?]

[21131] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod tempus illud non sit occultum. Quia cujus principium est determinatum et scitum, et finis potest determinate sciri; eo quod omnia mensurantur quadam periodo, ut dicitur in 2 de generatione. Sed principium mundi determinate scitur. Ergo et finis ipsius potest determinate sciri; et tunc erit tempus resurrectionis, et judicii: ergo tempus illud non est occultum.

1. Il semble que le moment de la résurrection ne soit pas caché, car ce dont le commencement est déterminé est connu, la fin peut être connue de manière déterminée, du fait que tout est mesuré selon une certaine période, comme il est dit dans Sur la génération, II. Or, le commencement du monde est connu de manière déterminée. Sa fin peut donc être connue de manière déterminée, et alors viendra le moment de la résurrection et du jugement. Ce moment n’est donc pas caché.

[21132] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Apoc. 17 dicitur, quod mulier, per quam Ecclesia significatur, habet locum paratum a Deo, in quo pascatur diebus mille ducentis sexaginta. Daniel. etiam 21, ponitur determinatus numerus dierum, per quos anni significari videntur, secundum illud Ezech. 4, 6: diem pro anno dedit tibi. Ergo ex sacra Scriptura potest sciri determinate finis mundi, et resurrectionis tempus.

2. En Ap 17, il est dit que la femme, par laquelle l’Église est signifiée, possède un endroit préparé par Dieu, où elle se reposera pendant mille deux cent soixante jours. De même, en Dn 21, un nombre de jours déterminé est donné, par lesquels des années semblent être signifiées, selon ce que dit Ez 4, 6 : Il t’a donné un jour pour une année. On peut donc connaître de manière déterminée par la Sainte Écriture la fin du monde et le moment de la résurrection.

[21133] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, status novi testamenti praefiguratus fuit in veteri testamento. Sed scimus determinate tempus in quo vetus testamentum statum habuit. Ergo et potest sciri determinate tempus in quo novum testamentum statum habebit. Sed novum testamentum habebit statum usque ad finem mundi; unde dicitur Matth. ult., 20: ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi. Ergo potest sciri finis mundi, et resurrectionis tempus.

3. L’état de la Nouvelle Alliance a été préfiguré dans l’Ancienne Alliance. Or, nous connaissons de manière déterminée le moment où l’Ancienne Alliance a eu son état. On peut donc connaître de manière déterminée le moment où la Nouvelle Alliance aura son état. Or, la Nouvelle Alliance aura son état jusqu’à la fin du monde. Aussi est-il dit en Mt 28, 20 : Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle. La fin du monde peut donc être connue et le moment de la résurrection.

[21134] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod est ignoratum ab Angelis, est etiam hominibus multo magis occultum; quia ea ad quae homines naturali ratione pertingere possunt, multo limpidius et certius Angeli naturali cognitione cognoscunt; similiter etiam revelationes hominibus non fiunt nisi mediantibus Angelis, ut patet per Dionysium, 4 cap. Cael. Hier. Sed Angeli nesciunt tempus determinate, ut patet Matth. 24, 36: de die illa et hora nemo scit, neque Angeli caelorum. Ergo tempus illud est hominibus occultum.

Cependant, [1] ce qui est ignoré des anges est aussi, à bien plus forte raison, caché aux hommes, car ce que les hommes peuvent atteindre par la raison naturelle, les anges le connaissent beaucoup plus clairement et plus certainement par leur connaissance naturelle ; de même, les révélations ne sont faites aux hommes que par l’intermédiaire des anges, comme cela ressort de Denys, La hiérarchie céleste, IV. Or, les anges ne connaissent pas ce moment de manière déterminée, comme cela ressort de Mt 24, 36 : Personne ne connaît ce jour et cette heure, pas même les anges des cieux. Ce moment est donc caché aux hommes.

[21135] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, apostoli magis fuerunt conscii secretorum Dei quam alii sequentes, ut dicitur Rom. 8, 23: ipsi primitias spiritus habent; Glossa interlinealis: tempore prius, et ceteris abundantius. Sed eis de hoc ipso quaerentibus dictum est, Act. 1, 7: non est vestrum nosse tempora et momenta, quae pater in sua potestate posuit. Ergo multo magis est aliis occultum.

[2] Les Apôtres étaient davantage informés des secrets de Dieu que les autres qui les suivent, comme le dit Rm 8, 23 : Ils possèdent les prémices de l’Esprit. La glose interlinéaire [dit] : « Avant dans le temps et plus abondamment que les autres. » Or, il a été dit à eux qui s’interrogeaient, Ac 1, 7 : Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a établis par son pouvoir. Cela est donc encore bien davantage caché aux autres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La résurrection s’accomplira-t-elle d’un coup ou de manière successive ?]

[21136] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod resurrectio non fiet subito, sed successive. Quia Ezech. 37, 7, praenuntiatur resurrectio mortuorum, ubi dicitur: accesserunt ossa ad ossa; et vidi, et ecce super ea nervi et carnes ascenderunt, et extenta est in eis cutis desuper; et spiritum non habebant. Ergo reparatio corporum tempore praecedit conjunctionem animarum; et sic resurrectio non erit subita.

1. Il semble que la résurrection ne s’accomplira pas d’un coup, mais de manière successive, car, en Ez 37, 7, la résurrection des morts est annoncée là où il dit : Les os se rapprocheront des os. Et je vis, et voici que les nerfs et la chair les recouvrirent, et que la peau s’étendit sur eux ; et ils n’avaient pas d’esprit. La restauration des corps précède donc dans le temps l’union avec les âmes, et ainsi la résurrection ne se réalisera pas d’un coup.

[21137] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud ad quod exiguntur plures actiones se consequentes, non potest subito fieri. Sed ad resurrectionem exiguntur plures actiones se consequentes, scilicet collectio cinerum, reformatio corporis, et infusio animae. Ergo resurrectio non fiet subito.

2. Ce pour quoi plusieurs actions enchaînées sont exigées ne peut s’accomplir d’un coup. Or, pour la résurrection, plusieurs actions enchaînées sont nécessaires, à savoir, le rassemblement des cendres, la transformation des corps et l’infusion de l’âme. La résurrection ne se réalisera donc pas d’un coup.

[21138] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis sonus tempore mensuratur. Sed sonus tubae causa erit resurrectionis, ut dictum est. Ergo resurrectio fiet in tempore, et non subito.

3. Tout son est mesuré par le temps. Or, le son de la trompette sera la cause de la résurrection, comme on l’a dit. La résurrection se réalisera donc dans le temps, et non d’un coup.

[21139] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, nullus motus localis potest esse subito, ut dicitur in Lib. de sensato. Sed ad resurrectionem exigitur aliquis motus localis in collectione cinerum. Ergo non fiet subito.

4. Aucun mouvement local ne peut se réaliser d’un coup, comme on le dit dans le livre Sur la sensation. Or, un mouvement local pour le rassemblement des cendres est nécessaire pour la résurrection. Elle ne se réalisera donc pas d’un coup.

[21140] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 15, 51: omnes quidem resurgemus (...) in momento, in ictu oculi. Ergo resurrectio erit subito.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 15, 31 : Tous, nous ressusciterons… en un moment, en un clin d’œil. La résurrection se réalisera donc d’un coup.

[21141] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, virtus infinita subito operatur. Sed, sicut Damascenus dicit, crede resurrectionem futuram divina virtute; de qua constat quod infinita est. Ergo resurrectio fiet subito.

[2] Une puissance infinie agit d’un coup. Or, comme le dit [Jean] Damascène : « Crois que la résurrection adviendra par la puissance divine », dont il certain qu’elle est infinie. La résurrection se réalisera donc d’un coup.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La résurrection se produira-t-elle pendant la nuit ?]

[21142] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod resurrectio non erit noctis tempore. Quia resurrectio non erit donec atteratur caelum, ut dicitur Job 14. Sed cessante motu caeli, quod dicitur ejus attritio, non erit tempus, neque dies neque nox. Ergo resurrectio non erit in nocte.

1. Il semble que la résurrection ne se produira pas pendant la nuit, car la résurrection ne se réalisera pas avant que le ciel ne soit détruit, comme il est dit en Jb 14. Or, avec la cessation du mouvement du ciel, qu’on appelle sa destruction, il n’y a plus de temps, ni de jour, ni de nuit. La résurrection ne se produira donc pas pendant la nuit.

[21143] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, finis uniuscujusque rei debet esse perfectissimus. Sed tunc erit finis temporis; unde in Apoc. dicitur quod tempus amplius non erit. Ergo tunc debet esse tempus in sui optima dispositione; et ita debet esse dies.

2. La fin de chaque chose doit être la plus parfaite. Or, ce sera alors la fin du temps ; aussi est-il dit dans l’Apocalypse, qu’il n’y aura plus de temps. Le temps devra donc atteindre sa meilleure disposition, et ce doit être le jour.

[21144] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, qualitas temporis debet respondere his quae geruntur in tempore. Unde Joan. 14, fit mentio de nocte, quando Judas exivit a consortio lucis. Sed tunc erit perfecta manifestatio omnium quae nunc latent; quia cum venerit dominus, illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit consilia cordium, ut dicitur 1 Corinth. 4, 5. Ergo debet esse in die.

3. La qualité du temps doit correspondre à ce qui se fait dans le temps. Aussi est-il fait mention de la nuit en Jn 14, lorsque Judas sortit de la lumière partagée. Or, ce sera alors la manifestation parfaite de tout ce qui est maintenant caché, car, lorsque le Seigneur viendra, il illuminera ce qui est caché par les ténèbres et il manifestera les secrets des cœurs, comme le dit 1 Co 4, 5. [La résurrection] doit donc avoir lieu le jour.

[21145] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, resurrectio Christi est exemplar nostrae resurrectionis. Sed resurrectio Christi fuit in nocte, ut Gregorius dicit in Homil. paschali. Ergo et nostra resurrectio nocturno tempore erit.

Cependant, [1] la résurrection du Christ est le modèle de la nôtre. Or, la résurrection du Christ s’est réalisée pendant la nuit, comme le dit Grégoire dans une homélie pascale. Notre résurrection se réalisera donc pendant la nuit.

[21146] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, adventus domini comparatur adventui furis in domum, ut patet Lucae 12. Sed fur in tempore noctis in domum venit. Ergo in tempore nocturno veniet. Sed veniente ipso fiet resurrectio, ut dictum est. Ergo resurrectio fiet tempore nocturno.

[2] La venu du Seigneur est comparée à la venue d’un voleur dans une maison, comme cela ressort de Lc 12. Or, le voleur vient dans la maison pendant la nuit. [Le Seigneur] viendra donc pendant la nuit. Or, la résurrection se réalisera lorsqu’il viendra, comme on l’a dit. La résurrection se réalisera donc pendant la nuit.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21147] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut Augustinus dicit in 3 de Trin., divina providentia statuit ut corpora crassiora et inferiora per subtiliora et potentiora quodam ordine regantur; et ideo tota materia corporum inferiorum subjacet variationi secundum motum caelestium corporum; unde esset contra ordinem quem divina providentia in rebus statuit, si materia inferiorum corporum ad statum incorruptionis perduceretur manente motu corporum superiorum. Et quia secundum positionem fidei, resurrectio erit in vitam immortalem conformiter Christo, qui resurgens a mortuis, jam non moritur, ut dicitur Rom. 6; ideo humanorum corporum resurrectio usque ad finem mundi differetur, in quo motus caeli quiescet. Et propter hoc etiam quidam philosophi qui posuerunt motum caeli nunquam cessare, posuerunt reditum humanarum animarum ad corpora mortalia qualia nunc habemus, sive ponerent reditum animae ad idem corpus in fine magni anni, ut Empedocles, sive ad aliud, ut Pythagoras posuit quamlibet animam quodlibet corpus ingredi, ut dicitur in 1 de anima.

Comme Augustin le dit dans La Trinité, III, la providence divine a déterminé que les corps plus lourds et inférieurs seront régis par les corps subtils et puissants. C’est pourquoi toute la matière des corps inférieurs est soumise au changement selon le mouvement des corps célestes. Ce serait donc contraire à l’ordre que la providence divine a établi pour les choses, si la matière des corps inférieurs était amenée à l’état d’incorruption, alors que demeure le mouvement des corps supérieurs. Et parce que, selon la position de la foi, la résurrection se réalisera en vue d’une vie immortelle conformément au Christ, qui, ressuscité des morts, ne meurt plus, comme il est dit en Rm 6, la résurrection des corps humains sera donc différée jusqu’à la fin du monde, alors que le mouvement du ciel cessera. Pour cette raison, certains philosophes, qui ont affirmé que le mouvement du ciel ne cessera jamais, ont aussi affirmé le retour des âmes dans des corps mortels tels que nous en possédons, soit qu’ils affirment le retour de l’âme dans le même corps à la fin de la grande année, comme Empédocle, soit à un autre moment, comme Pythagore affirmait que n’importe quelle âme entrait dans n’importe quel corps, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, I.

[21148] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis caput magis conveniat cum membris convenientia proportionis, quae exigitur ad hoc quod in membra influat, quam membra ad invicem; tamen caput habet causalitatem quamdam super membra, qua membra carent; et in hoc membra differunt a capite, et conveniunt ad invicem. Unde resurrectio Christi exemplum quoddam nostrae resurrectionis est, ex cujus fide spes nobis de nostra resurrectione consurgit; non autem resurrectio alicujus membri Christi est causa resurrectionis ceterorum membrorum; et ideo resurrectio Christi debuit praecedere resurrectionem aliorum, qui omnes simul resurgere debuerunt in consummatione saeculorum.

1. Bien que la tête ait plus en commun avec les membres que les membres entre eux selon une communauté de proportion, qui est requise pour qu’elle influe sur les membres, la tête possède cependant une certaine causalité sur les membres, qui fait défaut aux membres ; en cela, les membres diffèrent de la tête et ont quelque chose en commun les uns avec les autres. Aussi la résurrection du Christ est-elle un exemple de notre résurrection ; par la foi en elle naît en nous l’espérance de notre résurrection. Mais la résurrection d’un membre du Christ n’est pas la cause de la résurrection des autres membres. La résurrection du Christ devait donc précéder la résurrection des autres, qui devaient tous ressusciter en même temps lors de la consommation des siècles.

[21149] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis inter membra Christi sint quaedam aliis digniora, et magis capiti conformia, non tamen pertingunt ad rationem capitis, ut sint causa aliorum; et ideo ex conformitate ad Christum non debetur eis quod eorum resurrectio praecedat resurrectionem aliorum, quasi exemplar exemplatum, sicut dictum est de resurrectione Christi. Sed quod aliquibus hoc sit concessum, quod eorum resurrectio non sit usque ad communem resurrectionem dilata, est ex speciali gratiae privilegio, non ex debito conformitatis ad Christum.

2. Bien que, parmi les membres du Christ, certains soient plus dignes que les autres et davantage conformes à la tête, ils n’atteignent cependant pas le caractère de tête, de sorte qu’ils soient une cause pour les autres. Il n’est donc pas dû à leur conformité au Christ que leur résurrection précède la résurrection des autres, comme un modèle reproduit, comme on l’a dit de la résurrection du Christ. Mais qu’il ait été accord à certains que leur résurrection ne soit pas reportée jusqu’à la résurrection commune, c’est le fait d’un privilège particulier de la grâce, et non de ce qui est dû en raison de la conformité au Christ.

[21150] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de illa resurrectione sanctorum cum Christo videtur dubitare Hieronymus in sermone de assumptione, utrum scilicet peracto resurrectionis testimonio iterum mortui sint, ut sic eorum magis fuerit suscitatio quaedam, sicut fuit Lazari, quam vera resurrectio, qualis erit in fine mundi; an ad immortalem vitam vere resurrexerint, semper in corpore victuri, in caelum cum Christo ascendentes corporaliter, ut Glossa dicit Matth. 27. Et hoc probabilius videtur; quia ad hoc quod verum testimonium de vera resurrectione Christi proferrent, congruum fuit quod vere resurgerent, sicut Hieronymus alibi dicit. Nec eorum resurrectio propter ipsos accelerata est, sed propter resurrectionem Christi testificandam; quod quidem testimonium erat ad fundandum fidem novi testamenti; unde decentius factum est per patres veteris testamenti quam per eos qui jam novo testamento fundato decesserunt. Tamen sciendum est, quod etsi de resurrectione eorum in Evangelio mentio fiat ante resurrectionem Christi, tamen, ut per textum patet, intelligendum est per anticipationem esse dictum, quod frequenter historiographis accidit. Nullus enim vera resurrectione ante Christum resurrexit, eo quod ipse est primitiae dormientium, ut dicitur 1 Corinth. 15, quamvis aliqui fuerunt resuscitati ante Christi resurrectionem; ut de Lazaro patet Joan. 11.

3. Jerôme semble douter de cette résurrection des saints avec le Christ dans son sermon sur l’Assomption : une fois rendu leur témoignage à la résurrection, sont-ils morts de nouveau, de sorte qu’il s’est davantage agi pour eux d’un réveil, comme ce fut le cas de Lazare, que d’une véritable résurrection, telle qu’elle se réalisera à la fin du monde ? Ou bien, sont-ils vraiment ressuscités pour une vie immortelle qui sera vécue pour toujours dans leur corps, en montant corporellement au ciel avec le Christ, comme la Glose le dit de Mt 27 ? Ceci semble plus probable, car pour qu’ils rendent un témoignage vrai à la véritable résurrection du Christ, il convenait qu’ils ressuscitent vraiment, comme Jérôme le dit ailleurs. Et leur résurrection n’a pas été accélérée à cause d’eux, mais pour témoigner de la résurrection du Christ, témoignage qui devait servir de fondement à la foi de la Nouvelle Alliance. Aussi convenait-il davantage que ce soit réalisé par des pères de l’Ancienne Alliance que par ceux qui sont morts après la fondation de la Nouvelle Alliance. Il faut cependant savoir que, même si, dans l’évangile, on fait mention de leur résurrection avant la résurrection du Christ, cependant, comme cela ressort du texte, il faut comprendre que cela a été dit par anticipation, ce qui arrive souvent aux historiographes. En effet, personne n’est ressuscité d’une véritable résurrection avant que le Christ ne ressuscite, puisqu’il constitue les prémices de ceux qui se sont endormis, comme il est dit en 1 Co 15, bien que certains aient été ressucités avant la résurrection du Christ, comme cela est clair pour Lazare, Jn 11.

[21151] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod occasione illorum verborum, ut Augustinus narrat, 20 Lib. de Civit. Dei, quidam haeretici posuerunt primam resurrectionem futuram esse mortuorum, ut cum Christo mille annis in terra regnarent; unde vocati sunt Chiliastae, quasi millenarii; et Augustinus ibidem ostendit verba illa aliter esse intelligenda, scilicet de resurrectione spirituali, per quam homines a peccatis dono gratiae resurgunt. Secunda autem resurrectio est corporum. Regnum autem Christi dicitur Ecclesia, in qua cum ipso non solum martyres, sed etiam alii electi regnant, ut a parte totum intelligatur. Vel regnant cum Christo in gloria quantum ad omnes. Et fit specialiter mentio de martyribus, quia ipsi praecipue regnant mortui, qui usque ad mortem secundum veritatem certaverunt. Millenarius autem non significat aliquem certum numerum, sed designat totum temporis quod nunc agitur, in quo sancti cum Christo regnant; quia numerus millenarius designat universalitatem magis quam centenarius, eo quod centenarius est quadratum denarii, sed millenarius est numerus solidus ex duplici ductu denarii in seipsum surgens, quia decies decem decies mille sunt; et similiter in Psal. 104, 8 dicitur: verbi quod mandavit in mille generationes, idest omnes.

4. À l’occasion de ces paroles, comme le raconte Augustin dans La cité de Dieu, XX, certains hérétiques ont affirmé qu’une première résurrecdtion des morts devait avoir lieu, pour qu’ils règnent mille ans avec le Christ sur la terre. Aussi ont-ils été appelés chiliastes ou millénaristes. Augustin montre au même endroit que ces paroles doivent s’entendre autrement, à savoir, de la résurrection spirituelle par laquelle les hommes ressuscitent de leurs péchés par le don de la grâce. Mais la seconde résurrection est celle des corps. Or, l’Église est appelée royaume de Dieu : en elle, non seulement les martyrs règnent avec lui, mais aussi les autres élus, de sorte que le tout soit entendu à partir de la partie. Ou bien tous règnent avec le Christ dans la gloire. Mais il est fait mention particulière des martyrs parce qu’eux surtout règnent une fois morts, eux qui ont combattu jusqu’à la mort pour la vérité. Or, le nombre mille ne signifie pas un nombre déterminé, mais il désigne la totalité du temps qui existe maintenant, pendant lequel les saints règnent avec le Christ, car le nombre mille désigne l’universalité davantage que le nombre cent, du fait que le nombre cent est formé de la répétition de la dizaine, alors que le nombre mille vient de la multiplication de dix par dix par dix. De même, il est dit en Ps 104, 8 : … du commandement qu’il a donné pour mille générations, c’est-à-dire pour toutes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21152] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dicit Augustinus in Lib. 83 quaest., quaest. 58, aetas ultima humani generis, quae incipit a domini adventu usque ad finem saeculi, in quibus generationibus computetur incertum est, sicut etiam senectus, quae est ultima aetas hominis, non habet determinatum tempus secundum mensuram aliarum, cum quandoque sola tantum teneat temporis quantum reliquae omnes aetates. Hujus autem ratio est, quia determinatus numerus futuri temporis sciri non potest nisi vel per revelationem vel per naturalem rationem. Tempus autem quod erit usque ad resurrectionem, numerari non potest naturali ratione: quia simul erit resurrectio et finis motus caeli, ut dictum est: ex motu autem accipitur numerus omnium quae determinato tempore per naturalem rationem futura praevidentur. Ex motu autem caeli non potest cognosci finis ejus; quia cum sit circularis, ex hoc ipso habet quod secundum naturam suam possit in perpetuum durare. Unde naturali ratione tempus quod erit usque ad resurrectionem, numerari non potest. Similiter nec per revelationem haberi potest, ideo, ut omnes semper sint soliciti et praeparati ad Christo occurrendum; et propter hoc etiam apostolis de hoc quaerentibus respondit, Act. 1, 7: non est vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate; in quo, ut Augustinus dicit, 18 de Civ. Dei, omnium de hac re calculantium digitos resolvit, et quiescere jubet. Quod enim apostolis quaerentibus noluit indicare, nec aliis revelabit. Unde illi omnes qui tempus praedictum numerare voluerunt, hactenus falsiloqui sunt inventi. Quidam enim, ut Augustinus dixit ibidem, dixerunt ab ascensione domini usque ad ultimum ejus adventum quadringentos annos posse compleri, alii quingentos, alii mille: quorum falsitas patet; et similiter patebit eorum qui adhuc computare non cessant.

Comme le dit Augustin, dans le Livre sur 83 questions, l’âge ultime du genre humain, qui commence avec l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du siècle, est incertain pour ce qui est du nombre de générations comptées, comme la vieillesse elle-même, qui est l’âge ultime de l’homme, n’a pas un temps déterminé selon la mesure des autres [âges], puisque, parfois, elle possède à elle seule autant de temps que les autres âges. La raison en est que le nombre déterminé du temps à venir ne peut être connu que par une révélation ou par la raison naturelle. Or, le temps qu’il y aura avant la résurrection ne peut être compté par la raison naturelle, car la résurrection et la fin du mouvement du ciel se produiront en même temps, comme on l’a dit. Or, le nombre de tout ce qui est prévu comme à venir par la raison naturelle, selon un temps déterminé, se prend du mouvement. Mais la fin du mouvement du ciel ne peut être connue à partir de son mouvement, car, celui-ci étant circulaire, il peut ainsi par sa nature même durer perpétuellement. Aussi le temps qui existera jusqu’à la résurrection ne peut-il être compté. De même ne peut-on le connaître par révélation, de sorte que tous soient toujours attentifs et préparés à l’arrivée du Christ. Pour cette raison, [le Seigneur] a répondu à ses disciples qui l’interrogeaient à ce sujet, Ac 1, 7 : Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a établis de sa seule autorité. Par cela, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XVIII, il a annulé le calcul de tous ceux qui comptaient sur leurs doigts et il ordonne de cesser. En effet, du fait qu’il n’a pas voulu l’indiquer aux apôtres, il ne le révélera pas à d’autres. Aussi tous ceux qui ont voulu compter le temps en question se sont-ils trouvés de ce fait à parler faussement. En effet, comme le dit Augustin au même endroit, certains ont dit que pouvaient s’achever quarante années entre l’ascension du Seigneur et son ultime avènement, d’autres cinquante, d’autres mille : leur fausseté est manifeste. De même sera manifeste celle de ceux qui ne cessent encore de compter.

[21153] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod eorum quorum finis cognoscitur principio noto, oportet mensuram nobis esse cognitam; et ideo cognito principio alicujus rei, cujus duratio mensuratur motu caeli, possumus cognoscere ejus finem, eo quod motus caeli est nobis notus. Sed mensura durationis motus caeli est sola divina dispositio, quae est nobis occulta; et ideo quantumcumque sciamus principium ejus, finem scire non possumus.

1. Il faut que nous soit connue la mesure de ce dont la fin est connue lorsque le commencement en est connu. Une fois connu le commencement d’une chose, dont la durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons donc connaître sa fin, du fait que le mouvement du ciel nous est connu. Mais la mesure de la durée du mouvement du ciel est une disposition divine seulement, laquelle nous est cachée. Autant que nous connaissions son commencement, nous ne pouvons donc connaître sa fin.

[21154] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per mille ducentos sexaginta dies, de quibus fit mentio Apoc. 12, significatur omne tempus in quo Ecclesia durat, et non aliquis determinatus numerus annorum; et hoc ideo, quia praedicatio Christi, super quam fundatur Ecclesia, duravit tribus annis cum dimidio; quod tempus vere continet aequalem numerum dierum numero praedicto. Similiter etiam numerus eorum qui in Daniele ponitur, non est referendus ad numerum annorum aliquorum qui sint usque ad finem mundi, vel usque ad praedicationem Antichristi; sed debet referri ad tempus quo praedicabit Antichristus, et quo persecutio ejus durabit.

2. Par les mille deux cents soixante jours dont il est fait mention en Ap 12, est signifié tout le temps pendant lequel l’Église dure, et non un nombre déterminé d’années, et cela, parce que la prédication du Christ, sur laquelle l’Église est fondée, a duré trois ans et demi, temps qui contient à la vérité un nombre égal de jours que le nombre rappelé. De même aussi, le nombre [d’années] indiqué par Daniel ne doit pas être mis en rapport avec le nombre d’années qui va jusqu’à la fin du monde ou jusqu’à la prédication de l’Antéchrist, mais il doit être mis en rapport avec le temps pendant lequel l’Antéchrist prêchera et pendant lequel sa persécution durera.

[21155] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis status novi testamenti in generali sit praefiguratus per statum veteris testamenti; non tamen oportet quod singula respondeant singulis, praecipue cum in Christo omnes figurae veteris testamenti fuerint completae; et ideo Augustinus, 18 de Civ. Dei, respondet quibusdam, qui volebant accipere numerum persecutionum quae Ecclesia passa est et passura secundum numerum plagarum Aegypti, dicens: ego per illas res gestas in Aegypto istas persecutiones prophetice significatas esse non arbitror; quamvis ab eis qui hoc putant, exquisite et ingeniose illa singula his singulis comparata videantur, non prophetico spiritu, sed conjectura mentis humanae, quae aliquando ad verum pervenit, aliquando fallitur. Et similiter videtur esse de dictis abbatis Joachim, qui per tales conjecturas de futuris aliqua vera praedixit, et in aliquibus deceptus fuit.

3. Bien que l’état de la Nouvelle Alliance soit préfiguré d’une manière générale par l’état de l’Ancienne Alliance, il n’est cependant pas nécessaire que chaque chose particulière corresponde à une chose particulière, surtout que toutes les figures de l’Ancienne Alliance ont été accomplies dans le Christ. C’est pourquoi Augustin, dans La cité de Dieu, XVIII, répond à certains, qui voulaient calculer le nombre des persécutions que l’Église a subies et subira selon le nombre des plaies des Égyptiens, en disant : « Je n’estime pas que ces persécutions ont été prophétiquement signifiées par ce qui s’est passé en Égypte, bien que chacune de ces choses paraisse avoir été comparée à une autre de manière détaillée et ingénieuse par ceux qui pensent cela, non pas selon un esprit prophétique, mais selon une conjecture de l’esprit humain, qui parvient parfois à la vérité, et parfois se trompe. » De même semble-t-il en être pour ce que dit l’abbé Joachim, qui a prédit certaines choses vraies de l’avenir par de telles conjectures, et qui s’est trompé pour d’autres.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21156] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in resurrectione aliquid fiet ministerio Angelorum, et aliquid virtute divina immediate, ut dictum est. Illud ergo quod Angelorum ministerio fiet, non erit in instanti, si instans dicatur indivisibile temporis; erit tamen in instanti, si instans accipiatur pro tempore imperceptibili. Illud autem quod fiet virtute divina immediate, fiet subito, scilicet in termino temporis quo Angelorum opus complebitur: quia virtus superior inferiorem ad perfectionem adducit.

Lors de la résurrection, certaines choses seront accomplies par le ministère des anges, et une chose de manière immédiate par la puissance divine, comme on l’a dit. Ce qui sera accompli par le ministère des anges ne se réalisera pas dans l’instant, si on entend par instant ce qui est indivisible dans le temps ; cela se réalisera cependant dans l’instant si l’instant est pris pour ce qui est imperceptible dans le temps. Mais ce qui se réalisera par la puissance divine se réalisera d’un coup, à savoir, la fin du temps selon lequel l’action des anges sera accomplie, car une puissance supérieure amène la puissance inférieure à sa perfection.

[21157] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ezechiel loquebatur populo rudi, sicut et Moyses; unde sicut Moyses distinxit opera sex dierum per dies, ut rudis populus capere posset, quamvis omnia simul sint facta, secundum Augustinum; ita Ezechiel diversa quae in resurrectione futura sunt expressit, quamvis omnia simul futura sint in instanti.

1. Ézéchiel parlait à un peuple inculte, comme aussi Moïse. De même que Moïse a distingué l’œuvre des six jours selon des jours afin que le peuple inculte puisse la comprendre, bien que tout ait été réalisé d’un coup, selon Augustin, de même Ézéchiel a-t-il exprimé les diverses choses qui se produiront lors de la résurrection, bien que tout sera réalisé en un instant.

[21158] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illae operationes sint consequentes invicem natura, sunt tamen simul tempore: quia vel sunt in eodem instanti, vel una est in instanti ad quod alia terminatur.

2. Bien que ces opérations se suivent les unes les autres selon leur nature, elles existent cependant simultanément dans le temps, car soit elles existent dans le même instant, soit l’une se produit dans l’instant où l’autre se termine.

[21159] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod idem videtur esse de sono illo et de formis sacramentorum; scilicet quod in ultimo instanti prolationis effectum suum habebunt.

3. Il semble en être de même de ce son et des formes des sacrements, à savoir qu’elles auront leur effet à l’instant ultime où elle seront proférées.

[21160] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod congregatio cinerum, quae sine motu locali esse non potest, fiet ministerio Angelorum; et ideo erit in tempore, sed imperceptibili, propter facilitatem operandi quae competit Angelis.

4. Le rassemblement des cendres, qui ne peut se produire sans mouvement local, se réalisera par le ministère des anges. Il se produira donc dans le temps, mais dans un temps imperceptible, en raison de la facilité d’agir qui convient aux anges.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21161] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod determinata hora temporis qua fiet resurrectio, pro certo sciri non potest, ut patet in littera; tamen satis probabiliter dicitur a quibusdam, quod resurrectio erit quasi in crepusculo, sole existente in oriente, et luna in occidente: quia in tali dispositione sol et luna creduntur creata, ut sic eorum circulatio compleatur penitus per reditum ad eumdem punctum; unde de Christo dicitur quod resurrexit tali hora.

L’heure déterminée du temps où se réalisera la résurrection ne peut être connue avec certitude, comme cela ressort du texte ; cependant, certains disent de manière assez probable que la résurrection se réalisera comme lors d’un crépuscule, alors que le soleil sera à l’orient et la lune à l’occident, car on croit que le soleil et la lune ont été créés selon cette disposition, de sorte que leur mouvement circulaire s’accomplisse entièrement par un retour au même point. Aussi est-il dit du Christ qu’il est ressuscité à cette heure.

[21162] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando resurrectio erit, non erit tempus, sed finis temporis: quia in eodem instanti in quo cessabit motus caeli, erit resurrectio mortuorum; et tamen erit situs siderum secundum dispositionem qua se habet nunc in aliqua determinata hora; et secundum hoc dicitur resurrectio futura tali vel tali hora.

1. Lorsque la résurrection se réalisera, il n’y aura plus de temps, mais ce sera la fin du temps, car, au même instant où cessera le mouvement du ciel, se réalisera la résurrection des morts. Cependant, le site des astres sera disposé comme il l’est maintenant à une heure déterminée. On dit ainsi que la résurrection à venir se réalisera à telle ou telle heure.

[21163] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod optima dispositio temporis dicitur esse in meridie propter illuminationem solis. Sed tunc civitas Dei non egebit sole neque luna; quia claritas Dei illuminabit eam, ut dicitur Apoc. 21; et ideo quantum ad hoc non refert utrum in die vel in nocte resurrectio fiat.

2. On dit que la meilleure disposition du temps est midi en raison de l’éclairage du soleil. Mais, alors, la cité de Dieu n’aura pas besoin de soleil ni de lune, car l’éclat de Dieu l’éclairera, comme il est dit en Ap 21. De ce point de vue, cela n’a pas d’importance que la résurrection se réalise le jour ou la nuit.

[21164] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tempori illi congruit manifestatio quantum ad ea quae tunc gerentur, et occultatio quantum ad determinationem ipsius temporis; et ideo utrumque congrue fieri potest, ut scilicet resurrectio sit in die, vel in nocte.

3. Convenaient à ce temps la manifestation pour ce qui arrivera, et l’occultation pour la détermination du temps lui-même. Aussi les deux choses peuvent-elles arriver de manière appropriée, à savoir que la résurrection se réalise le jour ou la nuit.

 

 

Articulus 4 [21165] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 tit. Utrum mors erit terminus a quo resurrectionis in omnibus

Article 4 – La mort sera-t-elle pour tous le terme a quo de la résurrection ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La mort sera-t-elle pour tous le terme a quo de la résurrection ?]

[21166] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod mors non erit terminus a quo resurrectionis in omnibus. Quia quidam non morientur, sed immortalitate supervestientur: dicitur enim in symbolo, quod ipse venturus est judicare vivos et mortuos. Hoc autem non potest intelligi quantum ad tempus judicii, quia tunc erunt omnes vivi. Ergo oportet quod referatur haec distinctio ad tempus praecedens; et ita non omnes ante judicium morientur.

1. Il semble que la mort ne sera pas pour tous le terme a quo de la résurrection, car certains ne mourront pas, mais seront revêtus par l’immortalité. Il est dit, en effet, dans le symbole, qu’« il viendra juger les vivants et les morts ». Or, cela ne peut se comprendre du temps du jugement, car alors tous seront vivants. Il faut donc que cette distinction se rapporte au temps précédent. Ainsi, tous ne mourront pas avant le jugement.

[21167] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, naturale et commune desiderium non potest esse vacuum et inane quin in aliquibus expleatur. Sed secundum apostolum, 2 Corinth. 5, hoc est commune desiderium quod nolumus expoliari, sed supervestiri. Ergo aliqui erunt qui nunquam expoliabuntur corpore per mortem, sed supervestientur gloria resurrectionis.

2. Un désir naturel et commun ne peut être vain et inutile, sans se réaliser chez certains. Or, selon l’Apôtre, 2 Co 5, il s’agit d’un désir commun que nous ne voulions pas être dépouillés, mais être revêtus. Il y en aura donc certains qui ne seront jamais dépouillés de leur corps par la mort, mais qui seront revêtus de la gloire de la résurrection.

[21168] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Augustinus in Ench., dicit, quod quatuor ultimae petitiones orationis dominicae ad praesentem vitam pertinent, quarum una est: dimitte nobis debita nostra. Ergo Ecclesia petit in hac vita sibi omnia debita relaxari. Sed Ecclesiae oratio non potest esse cassa quin exaudiatur. Joan. 16, 23: quidquid petieritis patrem in nomine meo, dabit vobis. Ergo Ecclesia in aliquo hujus vitae tempore omnium debitorum remissionem consequetur. Sed unum de debitis quo pro peccato primi parentis astringimur, est quod nascimur in originali peccato. Ergo aliquando hoc Ecclesiae Deus praestabit, quod homines sine peccato originali nascentur. Sed mors est poena originalis peccati. Ergo aliqui homines erunt circa finem mundi qui non morientur; et sic idem quod prius.

3. Dans l’Enchiridion, Augustin dit que les quatre dernières demandes de la prière dominicale se rapportent à la vie présente, dont l’une est : Remets-nous nos dettes. L’Église demande donc que toutes ses dettes lui soient remises en cette vie. Or, la prière de l’Église ne peut pas ne pas être entendue, Jn 16, 23 : Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. L’Église obtiendra donc à un moment de cette vie la rémission de toutes ses dettes. Or, l’une des dettes par lesquelles nous sommes liés au péché du premier père est que nous naissons dans le péché originel. Dieu accordera donc à un certain moment à l’Église que tous les hommes naissent sans le péché originel. Or, la mort est une peine pour le péché originel. Il y aura donc des hommes qui, vers la fin du monde, ne mourront pas. La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

[21169] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, via compendiosior est semper sapienti magis eligenda. Sed compendiosior via est quod homines qui vivi inveniuntur, in impassibilitatem resurrectionis transferantur, quam quod prius moriantur, et postea resurgant a morte in immortalitatem. Ergo Deus, qui est summe sapiens, hanc viam elegit in illis qui vivi invenientur; et sic idem quod prius.

[21170] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 36: semen quod seminas, non vivificatur, nisi prius moriatur; et loquitur sub similitudine seminis de resurrectione corporum. Ergo corpora a morte resurgent.

4. Le chemin le plus court doit toujours être choisi par le sage. Or, le chemin le plus court est que les hommes qui se trouvent vivants passent à l’impassibilité de la résurrection, plutôt que de mourir d’abord et de ressusciter de la mort par la suite en vue de l’immortalité. Dieu, qui est suprêmement sage, a donc choisi ce chemin pour ceux qui se trouveront vivants [à la fin du monde]. La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

 

Cependant, [1] 1 Co 15, 36 dit : La semence que tu sèmes ne prend vie que si elle meurt d’abord ; et il parle de la ressemblance de la semence avec la résurrection des corps. Les corps ressusciteront donc de la mort.

[21171] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, 22: sicut in Adam omnes moriuntur, ita in Christo omnes vivificabuntur. Sed in Christo vivificabuntur. Ergo in Adam omnes morientur; et sic resurrectio omnium erit a morte.

[2] [On lit] en 1 Co 15, 22: De même que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés dans le Christ. Or, ils seront vivifiés dans le Christ. Tous mourront donc en Adam. Et ainsi, la résurrection de tous se réalisera à partir de la mort.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La résurrection de tous se réalise-t-elle à partir des cendres ?]

[21172] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnium resurrectio erit a cineribus. Resurrectio enim Christi est exemplar nostrae resurrectionis. Sed resurrectio ejus non fuit a cineribus; quia caro ejus non vidit corruptionem, ut dicitur in Psalm. 15, et Act. 2. Ergo nec resurrectio omnium erit a cineribus.

1. Il semble que la résurrection de tous ne se réalisera pas à partir des cendres. En effet, la résurrection du Christ est le modèle de notre résurrection. Or, sa résurrection ne s’est pas faite à partir des cendres, comme il est dit dans Ps 15 et Ac 2. La réalisation de tous ne se réalisera donc pas à partir des cendres.

[21173] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus hominis non semper comburitur. Sed in cineres non potest aliquid resolvi nisi per combustionem. Ergo non omnes a cineribus resurgent.

2. Le corps de l’homme n’est pas toujours brûlé. Or, quelque chose ne peut être réduit en cendres que par la combustion. Tous ne ressusciteront donc pas à partir des cendres.

[21174] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, corpus hominis mortui non statim post mortem in pulverem redigitur. Sed quidam statim post mortem resurgent, ut in littera dicitur, scilicet illi qui vivi invenientur. Ergo non omnes resurgent a cineribus.

3. Le corps d’un homme mort n’est pas réduit en poussière aussitôt après la mort. Or, certains ressusciteront aussitôt après leur mort, comme il est dit dans le texte, à savoir, ceux qui seront trouvés vivants. Tous ne ressusciteront donc pas des cendres.

[21175] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, terminus a quo respondet termino ad quem. Sed terminus ad quem resurrectionis non est idem in bonis et malis. 1 Corinth. 15, 51: omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur. Ergo nec est idem terminus a quo; et sic, si mali resurgent a cineribus, boni a cineribus non resurgent.

4. Le terme a quo répond au terme ad quem. Or, le terme ad quem de la résurrection n’est pas le même pour les bons et les méchants. 1 Co 15, 51 : Tous, nous ressusciterons, mais nous ne serons pas tous transformés. Le terme a quo n’est donc pas le même. Si les méchants ressuscitent des cendres, les bons ne ressusciteront donc pas des cendres.

[21176] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Haymo dicit: omnes in originali peccato natos tenet haec sententia; terra es, et in terram ibis. Sed omnes qui in communi resurrectione resurgent, fuerunt nati in originali peccato, vel nativitate ex utero vel saltem nativitate in utero. Ergo omnes a cineribus resurgent.

Cependant, [1] Haymon dit : « Cette sentence s’applique à tous ceux qui sont nés dans le péché originel : Tu es terre et tu retourneras à la terre. » Or, tous ceux qui ressusciteront lors de la résurrection commune sont nés dans le péché originel, qu’ils soient nés du sein ou au moins nés dans le sein. Tous ressusciteront donc des cendres.

[21177] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, multa sunt in corpore humano quae non sunt de veritate naturae humanae. Sed omnia illa auferentur. Ergo oportet omnia corpora ad cineres resolvi.

[2] Il y a plusieurs choses dans le corps humain qui ne font pas partie de la vérité de la nature humaine. Or, toutes ces choses seront enlevées. Il faut donc que tous les corps soient réduits en cendres.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les cendres à partir desquelles le corps humain sera restauré ont-elles une certaine inclination naturelle à l’âme qui leur sera unie ?]

[21178] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pulveres illi ex quibus corpus humanum reparabitur, habeant aliquam naturalem inclinationem ad animam quae eis conjungetur. Si enim nullam inclinationem habent ad animam, eodem modo se haberent ad illam animam sicut alii pulveres. Ergo non esset differentia utrum ex illis vel aliis pulveribus reficeretur corpus animae conjungendum; quod est falsum.

1. Il semble que les cendres à partir desquelles le corps humain sera restauré aient une certaine inclination naturelle à l’âme qui leur sera unie. En effet, si elles n’avaient aucune inclination naturelle à cette âme, elles auraient avec cette âme le même rapport que d’autres cendres. Il n’y aurait donc pas de différence, que le corps soit restauré avec ces cendres ou avec d’autres, en vue d’être uni à l’âme, ce qui est faux.

[21179] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, major est dependentia corporis ad animam quam animae ad corpus. Sed anima separata a corpore adhuc habet aliquam dependentiam ad corpus, unde retardatur ejus motus in Deum propter appetitum corporis, ut dicit Dionysius de Divin. Nomin. Ergo multo fortius corpus separatum ab anima adhuc habet naturalem inclinationem ad animam illam.

2. La dépendance du corps par rapport à l’âme est plus grande que celle de l’âme par rapport au corps. Or, l’âme séparée du corps possède une certaine dépendance par rapport au corps, par laquelle son mouvement vers Dieu est retardé en raison de l’appétit du corps, comme le dit Denys, dans Les noms divins. À bien plus forte raison, le corps séparé de l’âme possède-t-il donc une inclination naturelle à cette âme.

[21180] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Job 20, 2, dicitur: ossa ejus implebuntur vitiis adolescentiae ejus, et cum eo in pulvere dormient. Sed vitia non sunt nisi in anima. Ergo adhuc in illis cineribus remanebit aliqua naturalis inclinatio ad animam.

3. Il est dit en Jb 20, 2 : Ses os seront remplis des vices de son adolescence, et ils dormiront avec lui dans la poussière. Or, les vices n’existent que dans l’âme. Il restera donc dans ces cendres une certaine inclination naturelle à l’âme.

[21181] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, corpus humanum potest resolvi ad ipsa elementa, vel etiam in carnes aliorum animalium converti. Sed elementa sunt homogenea, et similiter caro leonis, vel alterius animalis. Cum ergo in aliis partibus elementorum vel animalium non sit aliqua inclinatio naturalis ad illam animam, nec in illis partibus in quas conversum est corpus humanum, erit aliqua inclinatio ad animam. Patet per auctoritatem Augustini in Enchirid.: corpus humanum in quamcumque aliorum corporum substantiam, vel in ipsa elementa vertatur, in quorumcumque hominum seu animalium cibum cedat, carnemque vertatur (...) illi animae humanae in puncto temporis cedet quae illud prius, ut homo fieret, viveret et cresceret, animavit.

Cependant, [1] le corps humain peut être ramené à ses éléments ou encore être converti en la chair d’autres animaux. Or, les éléments sont homogènes, de même que la chair du lion ou celle d’un autre animal. Comme il n’existe pas d’inclination naturelle à cette âme dans d’autres parties des éléments ou des animaux, il n’y aura donc pas pas davantage d’inclination à l’âme dans les parties en lesquelles le corps humain a été converti. Cela ressort de l’autorité d’Augustin dans l’Enchiridion : « Le corps humain, qu’il soit converti en quelqu’autre substance d’autres corps ou en ses propres éléments, qu’il devienne et soit changé en nourriture pour n’importe quel homme ou animal…, reviendra à cette âme humaine, à ce moment du temps où elle l’a d’abord animé pour devenir un homme, pour vivre et croître. »

[21182] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, cuilibet inclinationi naturali respondet aliquod agens naturale; alias natura deficeret in necessariis. Sed nullo agente naturali possunt praedicti pulveres eidem animae iterato conjungi. Ergo in eis non est aliqua naturalis inclinatio ad praedictam conjunctionem.

[2] À toute inclination naturelle répond un agent naturel, autrement ce qui est nécessaire ferait défaut à la nature. Or, les cendres en question ne peuvent être de nouveau unies à la même âme par aucun agent naturel. Il n’y existe donc pas une inclination naturelle à l’union en question.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21183] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod super hac quaestione varie loquuntur sancti, ut in littera patet; tamen haec est securior et communior opinio, quod omnes morientur, et a morte resurgent; et hoc propter tria. Et primo, quia magis concordat divinae justitiae, quae humanam naturam pro peccato primi parentis damnavit, ut omnes qui per actum naturae ab eo originem ducerent, infectionem originalis peccati contraherent, et per consequens mortis debitores essent. Secundo, quia magis concordat divinae Scripturae, quae omnium futuram resurrectionem praedicit; resurrectio autem proprie non est nisi ejus quod cecidit, et dissolutum est, ut Damascenus dicit. Tertio, quia magis concordat ordini naturae, in quo invenimus quod illud quod corruptum et vitiatum est, in suam novitatem non reducitur nisi corruptione mediante; sicut acetum non fit vinum nisi aceto corrupto, et in humorem vitis transeunte. Unde cum natura humana in defectum necessitatis moriendi devenerit, non erit reditus ad immortalitatem nisi morte mediante. Convenit etiam ordini naturae propter aliam rationem: quia, ut in 8 Phys. dicitur, motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus, sicut etiam motus cordis totius corporis quaedam vita est; unde sicut cessante motu cordis, omnia membra mortificantur; ita cessante motu caeli, non potest aliquid vivum remanere in illa vita quae ex influentia illius motus conservabatur. Talis autem est vita quam nunc degimus; unde oportet quod ex hac vita discedant qui post motum caeli quiescentem victuri sunt.

 de cette question, les saints parlent de manière différente, comme cela ressort du texte. Cependant, l’opinion la plus sûre et la plus commune est que tous mourront et ressusciteront, et cela pour trois raisons. Premièrement, parce que cela s’accorde davantage avec la justice divine, qui a condamné la nature humaine pour le péché originel du premier parent : tous ceux qui ont tiré de lui leur origine par un acte de la nature et ont contracté l’infection du péché originel seront par conséquent débiteurs de la mort. Deuxièmement, parce que cela s’accorde mieux avec la Sainte Écriture, qui prédit la résurrection à venir pour tous. Or, au sens propre, il n’y a de résurrection que de ce qui est tombé et s’est dissous, comme le dit [Jean] Damascène. Troisièmement, parce que cela s’accorde mieux à l’ordre de la nature, dans lequel nous trouvons que ce qui a été corrompu et vicié n’est renouvelé qu’en passant par une corruption, comme le vinaigre ne devient vin que si le vinaigre est corrompu et se transforme en humeur de la vigne. Puisque la nature humaine est parvenue à la déficience d’une mort nécessaire, il n’y aura donc de retour à l’immortalité qu’en passant par la mort. Cela convient aussi à l’ordre de la nature pour une autre raison, car, ainsi qu’on le dit dans Physique, VIII, le mouvement du ciel est comme une nature ou une vie pour tout ce qui existe, comme aussi le mouvement du corps est une vie pour tout le corps. De même que, lorsque le mouvement du cœur cesse, tous les membres meurent, de même, lorsque cesse le mouvement du ciel, rien de ce qui était conservé par l’influence de ce mouvement ne peut demeurer vivant en cette vie. Or, telle est la vie que nous menons maintenant. Il est donc nécessaire que ceux qui vivront après que le mouvement du ciel aura cessé quittent cette vie.

[21184] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod distinctio illa mortuorum et vivorum non est referenda ad ipsum judicii tempus, nec ad totum tempus praeteritum; quia omnes judicandi aliquo tempore fuerunt vivi, et aliquo tempore mortui; sed ad illud tempus determinatum quod immediate judicium praecedet, quando scilicet judicii signa incipient apparere.

1. Cette distinction entre les morts et les vivants ne doit pas être mise en rapport avec le moment même du jugement, ni avec tout le temps passé, car tous ceux qui doivent être jugés auront été vivants à un certain moment et seront morts à un autre moment. [Mais cette distinction se rapporte] à ce moment déterminé qui précédera immédiatement le jugement, alors que les signes du jugement commenceront à apparaître.

[21185] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectum sanctorum desiderium non potest esse vanum; sed nihil prohibet desiderium conditionatum eorum esse vanum; et tale est desiderium quo nolumus expoliari sed supervestiri, scilicet si possibile sit; et hoc desiderium a quibusdam velleitas dicitur.

2. Le désir parfait des saints ne peut être vain ; mais rien n’empêche leur désir conditionnel d’être vain. Tel est le désir selon lequel nous ne voulons pas être dépouillés mais revêtus, si cela est possible. Ce désir est appelé par certains velléité.

[21186] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc est erroneum dicere, quod aliquis sine peccato originali concipiatur praeter Christum; quia ille qui sine peccato originali conciperetur, non indigeret redemptione quae facta est per Christum; et sic Christus non esset omnium hominum redemptor. Nec potest dici, quod non hac redemptione indiguerunt, quia praestitum fuit eis ut sine peccato conciperentur; quia illa gratia facta est parentibus, ut in eis vitium naturae sanaretur, quo manente, sine originali peccato generare non possent; vel ipsi naturae quae sanata est. Oportet autem ponere, quod quilibet personaliter redemptione Christi indigeat, non solum ratione naturae. Liberari autem a malo, vel a debito absolvi non potest nisi qui debitum incurrit, vel in malum dejectus fuit; et ita non possent omnes fructum dominicae redemptionis in seipsis percipere, nisi omnes debitores nascerentur, et malo subjecti; unde dimissio debitorum et liberatio a malo non potest intelligi, quod aliquis sine debito vel immunis a malo nascatur; sed quia cum debito natus postea per gratiam Christi liberatur. Nec etiam sequitur, si potest sine errore poni quod aliqui sine originali peccato nascantur, quamvis mors sit poena originalis peccati; quia Deus potest ex misericordia alicui relaxare poenam ad quam obligatur ex culpa praeterita, sicut adulteram sine poena dimisit Joan. 8; et similiter poterit liberare a morte eos qui reatum mortis contraxerunt cum originali nascendo; et sic non sequitur: si non morientur, ergo nascuntur sine originali.

3. C’est parler de manière erronée de dire que quelqu’un est conçu sans le péché originel, sauf le Christ, car celui qui serait conçu sans le péché originel n’aurait pas besoin de la rédemption qui a été accomplie par le Christ. Et ainsi, le Christ ne serait pas le rédempteur de tous les hommes. On ne peut pas dire non plus qu’ils n’ont pas eu besoin de cette rédemption, car il leur a été donné d’être conçus sans péché, puisque cette grâce est donnée aux parents, de sorte que le vice de la nature soit guéri en eux : si celui-ci demeure, ils ne pourraient engendrer sans le péché originel ; ou bien [cela a été donné] à la nature même qui a été guérie. Or, il faut affirmer que tous ont personnellement besoin de la rédemption du Christ, et non seulement en raison de leur nature. Mais seul celui qui encourt une dette ou est tombé dans le mal peut être libéré du mal ou être absous de la dette. Et ainsi, tous ne pourraient pas recevoir en eux-mêmes les fruits de la rédemption du Seigneur, à moins que tous soient nés débiteurs et sujets au mal. Aussi la remise des dettes et la libération du mal ne peuvent-elles se comprendre au sens où quelqu’un naît sans dette ou exempt de mal, mais au sens où, né avec la dette, il est par la suite libéré par la grâce du Christ. Il n’en découle pas non plus qu’on puisse affirmer sans erreur que certains sont nés sans le péché originel, bien que la mort soit la peine du péché originel, car Dieu peut par miséricorde remettre la peine à laquelle on est obligé en raison d’une faute passée, comme il a remis sans peine [sa faute] à l’adultère, Jn 8. De même, pourra-t-il libérer de la mort ceux qui ont mérité la mort en naissant avec le péché originel. Ainsi, il n’en découle pas que, s’ils ne meurent pas, c’est qu’ils naissent sans le péché originel.

[21187] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non semper via compendiosior est magis eligenda, sed solum quando est magis vel aequaliter accommoda ad finem consequendum; et sic non est hic, ut ex dictis patet.

4. Le chemin le plus court ne doit pas toujours être choisi, mais seulement lorsqu’il est également ou davantage adapté pour atteindre la fin. Tel n’est pas ici le cas, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21188] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod eisdem rationibus quibus ostensum est omnes a morte resurgere, est etiam ostendendum quod omnes resurgent a cineribus in communi resurrectione, nisi aliquibus ex privilegio specialis gratiae sit contrarium indultum, sicut et resurrectionis acceleratio. Scriptura autem sacra sicut resurrectionem praenuntiat, ita et reformationem corporum, Phil. 3; et ideo oportet quod sicut omnes moriuntur ad hoc quod omnes vere resurgere possint, ita omnium corpora dissolvantur ad hoc quod omnium corpora reformari possint; sicut enim in poenam hominis mors a divina justitia est inflicta, ita et corporis resolutio, ut patet Genes. 112, 9: terra es, et in terram ibis. Similiter etiam ordo naturae exigit ut non solum animae et corporis conjunctio solvatur, sed etiam elementorum commixtio; sicut etiam acetum non potest in vini qualitatem reduci, nisi prius facta resolutione in materiam praejacentem; ipsa enim elementorum commixtio ex motu caeli causatur et conservatur, quo cessante omnia mixta in pura elementa resolventur.

Il faut montrer par les mêmes arguments par lesquels on a montré que tous ressusciteront de la mort, que tous ressusciteront de leurs cendres lors de la résurrection commune, à moins qu’une grâce particulière n’ait été accordée par privilège en sens contraire, comme aussi l’anticipation de la résurrection. Or, de même que l’Écriture Sainte annonce d’avance la résurrection, de même annonce-t-elle la restauration des corps, Ph 3. Il faut donc que, de même que tous meurent afin que tous puissent vraiment ressusciter, de même les corps de tous se dissolvent pour que les corps de tous puissent être restaurés ; de même aussi que la mort a été infligée à l’homme comme peine par la justice divine, de même la dissolution des corps, comme cela ressort de Gn 12, 9 : Tu es terre et tu retourneras à la terre. De même aussi, l’ordre de la nature exige non seulement que l’union du corps et de l’âme soit rompue, mais le mélange des éléments, de la même manière que le vinaigre ne peut être ramené à la qualité de vin s’il n’est pas d’abord ramené à sa matière sous-jacente : en effet, le mélange même des éléments est causé et conservé par le mouvement du ciel ; si celui-ci cesse, tous les corps mixtes seront ramenés aux éléments purs.

[21189] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod resurrectio Christi exemplar est nostrae resurrectionis quo ad terminum ad quem; non autem quo ad terminum a quo.

1. La résurrection du Christ est le modèle de notre résurrection quant à son terme ad quem, mais non quant à son terme a quo.

[21190] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per cineres intelliguntur omnes reliquiae quae remanent humano corpore resoluto, duplici ratione. Primo, quia mos erat apud antiquos corpora mortuorum comburere, et cineres conservare; unde inolevit modus loquendi, ut ea in quae corpus humanum resolvitur, cineres dicantur. Secundo propter causam resolutionis, quae est incendium fomitis, quo corpus humanum radicitus est infectum; unde ad purgationem hujus infectionis oportet usque ad prima componentia corpus humanum resolvi. Quod autem per incendium resolvitur, dicitur in cineres resolvi; et ideo ea in quae corpus humanum dissolvitur, cineres dicuntur.

2. Par cendres, on entend tous les restes qui subsistent après la dissolution du corps humain, pour une double raison. Premièrement, parce que c’était la coutume chez les anciens de brûler les corps des morts et de conserver leurs cendres. Aussi cette manière de parler s’est-elle implantée : ce a quoi aboutit la dissolution du corps humain est appelé cendres. Deuxièmement, en raison de la cause de la dissolution, qui est le feu du désir désordonné, dont le corps humain est radicalement infecté. Pour purifier de cette infection, il faut donc que le corps humain soit dissous jusqu’en ses premières composantes. Or, on dit que ce qui est dissous par le feu est dissous en cendres. Ainsi, ce en quoi est dissous le corps humain est-il appelé cendres.

[21191] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille ignis qui faciem mundi purgabit, poterit statim corpora illorum qui vivi invenientur, usque ad cineres resolvere, sicut etiam alia mixta resolvet in praejacentem materiam.

3. Le feu qui purifiera la face du monde pourra réduire en cendres les corps de ceux qui seront trouvés vivants, comme aussi il réduira les autres corps mixtes en la matière sous-jacente.

[21192] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus non accipit speciem a termino a quo, sed a termino ad quem; et ideo resurrectio sanctorum, quae erit gloriosa, oportet quod differat a resurrectione impiorum, quae non erit gloriosa, penes terminum ad quem, non autem penes terminum a quo. Contingit enim frequenter non esse eumdem terminum ad quem existente eodem termino a quo; sicut de nigredine potest moveri aliquid in albedinem et in pallorem.

4. Le mouvement ne reçoit pas son espèce de son terme a quo, mais de son terme ad quem. C’est pourquoi il faut que la résurrection des saints, qui sera glorieuse, diffère de la résurrection des impîes, qui ne sera pas glorieuse, selon son terme ad quem, et non selon son terme a quo. En effet, il arrive fréquemment que le terme ad quem ne soit pas le même, alors qu’existe le même terme a quo, comme quelque chose peut être mû du noir à la blancheur et à une teinte combre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21193] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod corpus humanum nunquam resolvitur usque ad elementa; et ita semper in cineribus manet aliqua vis addita elementis quae facit naturalem inclinationem ad eamdem animam. Sed haec positio contrariatur auctoritati Augustini indirecte, et sensui, et rationi: quia omnia composita ex contrariis possibile est resolvi in ea ex quibus componuntur. Et ideo alii dicunt, quod illae partes elementorum in quas humanum corpus resolvitur, retinent plus de luce ex hoc quod fuerunt animae humanae conjunctae, et ex hoc habent quamdam inclinationem ad animas. Sed hoc iterum frivolum est: quia partes elementorum sunt unius naturae, et aequaliter habent participationem lucis et obscuritatis. Et ideo aliter dicendum est, quod in cineribus illis nulla est naturalis inclinatio ad resurrectionem, sed solum ex ordine divinae providentiae, quae statuit illos cineres iterum animae conjungi; et ex hoc convenit quod illae partes elementorum iterato conjungantur, et non aliae.

À ce sujet, il existe trois opinions. En effet, certains disent que le corps humain n’est jamais ramené à ses éléments ; ainsi, il demeure toujours dans les cendres une certaine force ajoutée aux éléments, qui produit une inclination naturelle à la même âme. Mais cette position est contraire à l’autorité d’Augustin de manière indirecte, ainsi qu’au sens et à la raison, car il est possible que tous les composés de contraires soient réduits à ce dont ils sont composés. C’est pourquoi d’autres disent que les parties des éléments en lesquels le corps humain est réduit gardent davantage de lumière du fait qu’elles ont été unies à une âme humaine ; elles ont ainsi une inclination naturelle aux âmes. Mais cela aussi est un non-sens, car les parties des éléments sont celles d’une seule nature et elles possèdent à égalité lumière et obscurité. C’est pourquoi il faut parler autrement : dans ces cendres, il n’existe aucune inclination naturelle à la résurrection, mais seulement par l’ordre de la providence divine, qui a décidé que ces cendres seront de nouveau réunies à une âme. Il convient de cette manière que ces parties d’éléments soient de nouveau réunies, et non d’autres.

[21194] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Unde patet solutio ad primum.

1. La réponse au premier argument est ainsi claire.

[21195] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima separata a corpore manet in eadem natura quam habebat cum corpori esset conjuncta; quod de corpore non contingit; et ideo non est simile.

2. L’âme séparée du corps garde la même nature qu’elle avait lorqu’elle était unie au corps, ce qui n’est pas le cas du corps. Ce n’est donc pas la même chose.

[21196] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum illud Job non est intelligendum, quod vitia actu maneant in pulveribus mortuorum, sed secundum ordinem divinae justitiae, quo sunt deputati pulveres illi ad corporis reparationem, quod pro peccatis commissis cruciabitur in aeternum.

3. Il ne faut pas interpréter cette parole de Job au sens où les vices demeurent en acte dans les cendres des morts, mais selon l’ordre de la justice divine, selon lequel ces cendres sont destinées à la restauration du corps, qui sera affligé pour toujours en raison des péchés commis.

 

 

Articulus 5 [21197] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 tit. Utrum post resurrectionem quilibet cognoscet peccata quae fecit

Article 5 – Après la résurrection, chacun connaîtra-t-il les péchés qu’il a commis ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Après la résurrection, chacun connaîtra-t-il les péchés qu’il a commis ?]

[21198] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod post resurrectionem non quilibet cognoscet peccata quae fecit. Omne enim quod cognoscimus, vel de novo per sensum accipimus, vel de thesauro memoriae educitur. Sed homines post resurrectionem suam peccata non poterunt sensu percipere, quia jam transierunt: sensus autem est tantum praesentium: multa etiam peccata a memoria exciderunt peccantis, quae non poterunt de thesauro memoriae educi. Ergo non omnium peccatorum quae fecit, resurgens cognitionem habebit.

1. Il semble qu’après la résurrection, tous ne connaîtront pas les péchés qu’ils ont commis. En effet, tout ce que nous connaissons, soit nous le percevons de nouveau par le sens, soit cela est tiré du trésor de la mémoire. Or, après la résurrection, les hommes ne pourront pas percevoir leurs péchés par le sens, car ils seront passés, alors que le sens ne porte que sur les choses présentes. De plus, beaucoup de péchés sont disparus de la mémoire du pécheur, qui ne pourront pas être tirés du trésor de la mémoire. Celui qui ressuscite n’aura donc pas la connaissance de tous les péchés qu’il a commis.

[21199] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur, conscientiae libri quidam sunt, in quibus merita singulorum leguntur. Sed in libris non potest legi aliquid, nisi nota ejus contineatur in libro; notae autem quaedam peccatorum remanent in conscientia, ut Rom. 1, in Glossa patet; quae non videntur aliud esse quam reatus vel macula. Cum igitur multorum peccatorum macula et reatus a multis sit deletus per gratiam, videtur quod non omnia peccata quae fecit, possit aliquis in sua conscientia legere; et sic idem quod prius.

2. Comme le dit le texte, les consciences sont des livres dans lesquels les mérites de chacun sont lus. Or, dans les livres, on ne peut lire quelque chose que si sa marque est contenue dans le livre. Mais les marques de certains péchés demeurent dans la conscience, comme cela ressort de la Glose sur Rm 1 : cela ne semble être rien d’autre que la culpabilité ou la souillure. Puisque la souillure et la culpabilité de beaucoup de péchés sont détruites chez un grand nombre par la grâce, il semble donc qu’on ne puisse lire dans sa conscience tous les péchés qu’on a commis, La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[21200] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, crescente causa crescit effectus. Sed causa quae facit nos dolere de peccatis quae ad memoriam revocamus, est caritas. Cum ergo in sanctis resurgentibus sit perfecta caritas, maxime de peccatis dolebunt, si ea ad memoriam revocabunt: quod non potest esse, quia fugiet ab eis et dolor et gemitus, ut dicitur Apoc. 21. Ergo propria peccata ad memoriam non revocabunt.

3. Lorsque la cause augmente, l’effet augmente. Or, la cause qui nous fait déplorer les péchés que nous rappelons à notre mémoire est la charité. Puisque la charité est parfaite chez les saints qui ressuscitent, ils déploreront donc au plus haut point leurs péchés, s’ils les rappellent à leur mémoire, ce qui ne peut être le cas, car la douleur et les pleurs s’éloigneront d’eux, comme il est dit en Ap 21. Leurs propres péchés ne seront donc pas rappelés à leur mémoire.

[21201] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut se habebunt resurgentes damnati ad bona quae fecerunt aliquando, ita se habebunt resurgentes beati ad peccata quae aliquando commiserunt. Sed resurgentes damnati, ut videtur, cognitionem de bonis quae aliquando fecerunt, non habebunt: quia per hoc poena eorum multum alleviaretur. Ergo nec beati habebunt cognitionem peccatorum quae commiserunt.

4. Le rapport entre les damnés ressuscités et le bien qu’ils ont fait jadis sera le même que celui des bienheureux ressuscités aux péchés qu’ils ont jadis commis. Or, les damnés ressuscités, semble-t-il, n’auront pas la connaissance du bien qu’ils ont fait jadis, car leur peine seraint ainsi de beaucoup allégée. Les bienheureux non plus n’auront donc pas la connaissance des péchés qu’ils ont commis.

[21202] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit 20 de Civ. Dei, quod quaedam vis divina aderit, qua fiet quod cuncta peccata ad memoriam revocentur.

Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire, dans La cité de Dieu, XX, qu’il y aura une puissance divine qui fera en sorte que tous les péchés seront remis en mémoire.

[21203] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet humanum judicium ad testimonium exterius, ita se habet judicium divinum ad testimonium conscientiae, ut patet 1 Reg. 16, 7: homines vident ea quae parent, Deus autem intuetur cor. Sed non posset perfecte judicium humanum esse de aliquo, nisi testes de omnibus de quibus judicandum est, testimonium deponerent. Ergo oportet, cum judicium divinum sit perfectissimum, quod conscientia omnia teneat de quibus judicandum est. Sed judicandum erit de omnibus operibus bonis et malis: 2 Corinth. 5, 10: omnes astabimus ante tribunal Christi, ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit, sive bonum, sive malum. Ergo oportet quod conscientia uniuscujusque retineat omnia opera quae fecit, sive bona, sive mala.

[2] Le rapport entre le jugement humain et le témoignage extérieur est le même qu’entre le jugement divin et le témoignage de la conscience, comme cela ressort de 1 Sm 16, 7 : Les hommes voient ce qui paraît, mais Dieu regardera les cœurs. Or, le jugement humain sur une chose ne pourrait être parfait si les témoins de tout ce dont il doit juger ne témoignaient pas. Puisque le jugement divin est parfait, il est donc nécessaire que la conscience dispose de tout de cont elle doit juger. Or, le jugement portera sur toutes les actions bonnes et mauvaises, 2 Co 5, 10 : Nous nous tiendrons tous debout devant le tribunal du Christ pour que chacun rappelle ce qu’il a fait dans son corps, en bien ou en mal. Il est donc nécessaire que la conscience de chacun retienne toutes les actions qu’elle a faites, en bien ou en mal.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Chacun pourra-t-il lire tout ce qui se trouve dans la conscience d’un autre ?]

[21204] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non quilibet possit legere omnia quae sunt in conscientia alterius. Resurgentium enim non erit limpidior cognitio quam nunc sit Angelorum, quorum aequalitas resurgentibus promittitur, Matth. 22. Sed Angeli non possunt invicem in suis cordibus videre ea quae dependent a libero arbitrio, unde indigent locutione ad invicem innotescenda, ut in 2 Lib., dist. 11, quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo nec resurgentes poterunt inspicere ea quae continentur in conscientiis aliorum.

1. Il semble que chacun ne pourra pas lire tout ce qui se trouve dans la conscience d’un autre. En effet, la connaissance des ressuscités ne sera pas plus claire que celle qui existe présentement chez les anges, dont l’égalité avec eux est promise aux ressuscités, Mt 22. Or, les anges ne peuvent voir dans le cœur les uns des autres ce qui dépend du libre arbitre ; ils ont donc besoin d’un langage pour se le faire connaître réciproquement, comme on l’a dit dans le livre II, d. 11, q. 1, a. 3. Les ressuscités ne pourront donc pas regarder tout ce qui est contenu dans les consciences des autres.

[21205] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod cognoscitur, vel cognoscitur in se, vel in sua causa, vel in suo effectu. Sed merita vel demerita quae continentur in conscientia alicujus, non poterit alius in seipsis cognoscere, quia solus Deus cordi illabitur, et secreta ejus intuetur: similiter nec in causa sua; quia non omnes videbunt Deum, qui solus potest imprimere in affectum, ex quo procedunt merita vel demerita: similiter etiam nec in effectu, quia multa demerita erunt quorum nullus effectus remanebit, eis per poenitentiam totaliter abolitis. Ergo non omnia quae sunt in conscientia alicujus, poterit quilibet alius cognoscere.

2. Tout ce qui est connu est connu soit en soi, soit dans sa cause, soit dans son effet. Or, un autre ne pourra connaître en eux-mêmes les mérites ou les démérites qui sont contenus dans la conscience de quelqu’un, car seul Dieu s’insinue dans le cœur et regarde ses secrets. De même, [un autre ne peut les connaître] dans leur cause, car tous ne verront pas Dieu, qui seul peut influer sur la puissance affective, dont procèdent les mérites ou les démérites. De même, [il ne pourra les connaître] dans leur effet, car il y aura bien des démérites dont aucun effet ne demeurera, puisqu’ils ont été entièrement anéantis par la pénitence. Chacun ne pourra donc pas connaître tout ce qui existe dans la conscience de quelqu’un.

[21206] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Joannes Chrysostomus dicit, ut habitum est supra dist. 16, in littera: nunc autem si recorderis peccatorum tuorum, et frequenter ea in conspectu Dei pronunties, et pro eis depreceris, citius illa delebis. Si vero oblivisceris, tunc eorum recordaberis nolens, quando publicabuntur, ac in conspectu omnium amicorum et inimicorum, sanctorumque Angelorum proferentur. Ex hoc accipitur quod illa publicatio poena est negligentiae, quia homo confessionem praetermittit. Ergo illa peccata de quibus homo confessus est, non publicabuntur aliis.

3. Jean Chrysostome dit, comme on le trouve plus haut dans le texte, d. 16 : « Maintenant, si tu te rappelles tes péchés et les exprimes fréquemment devant Dieu, et si tu pries pour eux, tu les détruiras plus rapidement. Mais si tu les oublies, alors tu te les rappelleras malgré toi lorsqu’ils seront rendus publics et qu’ils seront dévoilés devant tous tes amis et tes ennemis, et devant les saints anges. » On conclut de cela que cette révélation est une peine pour la négligence par laquelle on homme a omis de se confesser. Les péchés dont un homme s’est confessé ne seront donc pas révélés à d’autres.

[21207] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 4 Praeterea, solatium est alicui, si scit se habere multos socios in peccato, et minus inde verecundatur. Si ergo quilibet peccatum alterius cognoscet, cujuslibet peccatoris erubescentia multum minuetur; quod non competit. Ergo non omnes omnium peccata cognoscent.

4. C’est une consolation pour quelqu’un de savoir qu’il a plusieurs compères dans le péché et qu’ainsi il en est moins honteux. Si donc tous connaissent le péché d’un autre, la honte de tous les pécheurs sera de beaucoup amoindrie, ce qui ne convient pas. Tous ne connaîtront donc pas les péchés de tous.

[21208] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, super illud 1 Corinth. 4, 5: illuminabit abscondita tenebrarum, dicit Glossa: gesta et cogitata, bona et mala, tunc aperta et nota erunt omnibus.

Cependant, [1] à propos de 1 Co 4, 5 : Il éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, la Glose dit : « Les actions et les pensées, bonnes ou mauvaises, seront alors manifestes et connues de tous. »

[21209] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, omnium beatorum peccata praeterita aequaliter erunt abolita. Sed aliquorum sanctorum peccata sciemus, sicut Magdalenae et Petri et David. Ergo pari ratione aliorum electorum peccata scientur, et multo magis damnatorum.

[2] Les péchés passés de tous les bienheureux seront également effacés. Or, nous connaîtrons les péchés de certains saints, comme ceux de Madeleine, de Pierre et de David. Pour la même raison, les péchés des autres élus seront donc connus, et à bien plus forte raison, ceux des damnés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tous ses propres mérites et démérites et ceux des autres seront-ils connus d’un seul regard ?]

[21210] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnia merita et demerita propria et aliena ab aliquo uno intuitu videantur. Ea enim quae singillatim considerantur, non videntur uno intuitu. Sed damnati singillatim considerabunt sua peccata, et ea plangent; unde dicitur Sap. 5, 8: quid nobis profuit superbia? et cetera. Ergo non omnia videbunt uno intuitu.

1. Il semble que tous ses propres mérites et démérites et ceux des autres ne seront pas connus d’un seul regard. En effet, ce qui est observé séparément n’est pas vu d’un seul regard. Or, les damnés observeront un à un leurs péchés et les déploreront. Ainsi est-il dit dans Sg 5, 8 : À quoi l’orgueuil nous a-t-il servi, etc. ? Ils ne les verront donc pas d’un seul regard.

[21211] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit in 2 Top., quod non contingit simul plura intelligere. Sed merita et demerita propria et aliena non videbuntur nisi intellectu. Ergo non poterunt omnia simul videri.

2. Le Philosophe dit dans Topiques, II, qu’il n’arrive pas que l’on comprenne plusieurs choses en même temps. Or, les mérites et les démérites propres et ceux des autres ne seront vus que par l’intelligence. On ne pourra donc pas les voir tous en même temps.

[21212] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, intellectus damnatorum hominum non erit post resurrectionem elevatior quam nunc sit bonorum Angelorum quantum ad naturalem cognitionem qua cognoscunt res per species innatas. Sed tali cognitione naturali non vident plura simul, ut in 2 Lib., dist. 3, dictum est. Ergo nec tunc damnati poterunt omnia facta sua simul videre.

3. L’intelligence des hommes damnés ne sera pas plus élevée, après la résurrection, que ne l’est maintenant celle des anges bons, quant à la connaissance naturelle par laquelle ils connaissent les choses par leurs espèces innées. Or, ils ne voient pas plusieurs choses en même temps selon une telle connaissance, comme on l’a dit dans le livre II, d. 3. Les damnés non plus ne pourront donc pas voir alors en même temps tout ce qui a été fait.

[21213] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, super illud Job 8: induetur confusione, dicit Glossa: viso judice, omnia mala ante oculos mentis versant. Sed judicem subito videbunt. Ergo similiter mala quae commiserunt; et eadem ratione omnia alia.

Cependant, [1] à propos de Jb 8 : Il sera couvert de confusion, la Glose dit : « En voyant le juge, ils placent toutes les fautes devant les yeux de l’esprit. » Or, ils verront le juge subitement. [Ils verront donc d’un coup] semblablement le mal qu’ils ont commis et, pour la même raison, tous les autres maux.

[21214] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus, 20 de Civ. Dei, habet pro inconvenienti quod legatur aliquis liber materialis in judicio, in quo facta singulorum sunt scripta, eo quod nullus valeat aestimare illius libri magnitudinem, vel quanto tempore legi posset. Sed similiter non posset aestimari tempus quantum oporteret ponere ad considerandum omnia merita et demerita sua et aliena ab aliquo homine, si successive diversa videant. Ergo oportet ponere quod omnia simul videat unusquisque.

[2] Dans La cité de Dieu, XX, Augustin considère comme inconvenant qu’un livre matériel, dans lequel les actes de tous seront notés, soit lu lors du jugement, du fait que personne ne peut évaluer l’ampleur de ce livre ou pendant combien de temps il pourrait être lu. Or, de la même façon, on ne pourrait évaluer le temps qu’on devrait mettre pour examiner tous ses mérites et démérites et ceux des autres, si on les examine tous l’un après l’autre. Il est donc nécessaire d’affirmer que chacun les voit d’un seul coup.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21215] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicitur Rom. 2, in illa die cum judicabit dominus, testimonium unicuique sua conscientia reddet, et cogitationes erunt accusantes et defendentes; et quia oportet quod testes et accusator et defensor in quolibet judicio habeant eorum notitiam quae in judicio versantur; in illo autem communi judicio omnia opera hominum in judicium venient; oportet quod omnium operum suorum quisque tunc notitiam habeat; unde conscientiae singulorum erunt quasi quidam libri continentes res gestas, ex quibus judicium procedet, sicut etiam in judicio humano registris utuntur. Isti sunt libri, de quibus Apocal. 20, 12 dicitur: libri aperti sunt, et alius liber apertus est vitae; et judicati sunt mortui ex his quae scripta erant in libris secundum opera ipsorum; ut per libros qui dicuntur sic aperti, ut Augustinus exponit, 20 de Civit. Dei, significentur sancti novi et veteris testamenti, in quibus Deus ostendit quae mandata fieri jussisset; unde, ut Richardus de sancto Victore dicit, eorum corda erunt quasi quaedam canonum decreta: sed per librum vitae, de quo subjungitur, intelliguntur conscientiae singulorum; quae dicuntur singulariter liber unus, quia una virtute divina fiet ut cunctis ad memoriam sua facta revocentur. Et haec vis, inquantum ad memoriam reducit homini sua facta, liber vitae dicitur. Vel per primos libros, conscientiae intelligantur, per secundum sententia judicis in ejus providentia descripta.

Comme il est dit en Rm 2, lorsque le Seigneur jugera, ce jour-là, sa conscience rendra témoignage à chacun et ses pensées seront les accusatrices et les défenderesses. Et parce qu’il est nécessaire que les témoins, l’accusateur et le défenseur en tout jugement aient connaissance de ce sur quoi porte le jugement, et que, lors de ce jugement commun, toutes les actions des hommes viendront en jugement, il est donc nécessaire que chacun ait alors connaissance de toutes ses actions. Aussi les consciences de tous seront-elles comme des livres contenant tout ce qui a été accompli, sur quoi portera le jugement, de la même manière qu’on utilise des registres pour un jugement humain. Ce sont les livres dont il est dit dans Ap 20, 12 : Les livres ont été ouverts et un autre livre de vie a été ouvert. Et les morts ont été jugés sur ce qui avait été écrit dans les livres selon leurs actions. Par les livres dont on dit qu’il ont ainsi été ouverts, comme l’explique Augustin dans La cité de Dieu, XX, sont signifiés les saints de la Nouvelle et de l’Ancienne Alliance, dans lesquels Dieu montre les commandements qu’il avait ordonné d’accomplir. Comme le dit Richard de Saint-Victor, leurs cœurs seront comme des décrets des canons. Mais, par le livre de vie dont il est question par la suite, est entendue la conscience de chacun, qui, pour chacun, est appelée un seul livre, parce qu’il arrivera par la puissance divine que tout ce qu’il a fait sera rappelé à chacun. Cette puissance, qui ramène à la mémoire d’un homme ce qu’il a fait, est appelée le livre de vie. Ou bien, par les premiers livres, on entend les consciences ; par le second, la sentence du juge écrite par sa providence.

[21216] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis multa merita vel demerita a memoria excidant, tamen nullum eorum erit quod non aliquo modo remaneat in suo effectu; quia merita quae non sunt mortificata, manebunt in praemium quod eis redditur; quae autem sunt mortificata, manent in reatu ingratitudinis, quae augentur ex hoc quod homo post gratiam susceptam peccavit; similiter etiam demerita, quae non sunt per poenitentiam deleta, manent in reatu poenae quae eis debetur; quae autem poenitentia delevit, manent in ipsa poenitentiae memoria, quam simul cum aliis meritis in notitiam habebunt. Unde in quolibet homine erit aliquid ex quo possit ad memoriam sua opera revocare; et tamen, ut Augustinus dicit, principaliter ad hoc vis divina operabitur.

1. Bien que beaucoup de mérites ou de démérites disparaissent de la mémoire, il n’y aura cependant aucun d’eux qui ne demeure d’une certaine manière par son effet, car les mérites qui ne sont pas morts demeureront comme une récompense qui leur est donnée ; mais ceux qui sont morts demeureront sous la forme d’une faute d’ingratitude, et elle sera accrue du fait que l’homme a péché après avoir reçu la grâce. De même aussi, les démérites qui n’ont pas été effacés par la pénitence demeurent-ils sous forme de peine qui est due pour eux ; mais ceux que la pénitence a effacés demeurent dans la mémoire de la pénitence, dont ils auront connaissance en même temps que des autres mérites. Aussi y aura-t-il en tout homme quelque chose qui lui permettra de rappeler à sa mémoire ce qu’il a fait ; cependant, comme le dit Augustin, c’est la puissance divine qui agira principalement à cette fin.

[21217] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod jam patet ex dictis quod aliquae notae manent in conscientiis singulorum de operibus a se factis; nec oportet quod notae istae sint reatus tantum, ut ex dictis patet.

2. Il ressort déjà de ce qui a été dit que certaines marques des actions qu’il a accomplies demeurent dans la conscience de chacun ; et il n’est pas nécessaire que ces marques ne soient que des fautes, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21218] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis caritas sit nunc causa dolendi de peccato, tamen sancti in patria ita erunt perfusi gaudio, quod dolor in eis locum habere non poterit; et ideo de peccatis non dolebunt, sed potius gaudebunt de divina misericordia qua eis sunt peccata relaxata, sicut etiam nunc Angeli gaudent de justitia divina, qua fit ut deserti a gratia in peccato ruant illi quos custodiunt, quorum tamen saluti solicite invigilant.

3. Bien que la charité soit maintenant la raison de déplorer le péché, cependant, dans la patrie, les saints seront tellement inondés de joie qu’il ne pourra y avoir de douleur en eux. Ils ne déploreront donc pas leurs péchés, mais ils se réjouiront plutôt de la miséricorde divine par laquelle leurs péchés ont été remis, comme aussi les anges se réjouissent maintenant de la justice divine, par laquelle il arrive que ceux dont ils ont la garde et qui sont privés de la grâce se précipitent dans le péché. Cependant, ils veillent avec soin à leur salut.

[21219] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mali cognoscent omnia bona quae fecerunt; et ex hoc non minuetur eorum dolOr sed magis augebitur, quia maximus est dolor multa bona perdidisse; propter quod Boetius dicit in 2 de Consol., quod summum infortunii genus est fuisse felicem.

4. Les méchants connaîtront tout le bien qu’ils ont fait ; mais leur douleur n’en sera pas diminuée : elle sera plutôt augmentée, car la plus grande douleur est celle d’avoir perdu beaucoup de biens. Pour cette raison, dans La consolation, Boèce dit que « le plus grand genre d’infortune est d’avoir été heureux ».

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21220] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in ultimo et communi judicio oportet quod divina justitia omnibus evidenter appareat; quod nunc in plerisque latet. Sententia autem condemnans vel praemians justa esse non potest, nisi secundum merita vel demerita proferatur; et ideo sicut oportet quod judex et assessor judicis merita causae cognoscant ad hoc quod justam sententiam proferant; ita oportet ad hoc quod justa sententia appareat, quod omnibus sententiam cognoscentibus merita innotescant. Unde quia sicut cuilibet nota erit sua praemiatio et sua damnatio, ita et omnibus aliis innotescet; oportet quod sicut quilibet sua merita vel demerita reducet ad memoriam, ita etiam et aliena ejus cognitioni subjaceant. Et haec est probabilior et communior opinio, quamvis Magister contrarium dicat in littera, scilicet quod peccata quae sunt per poenitentiam deleta, in judicio aliis non patefient. Sed ex hoc sequitur quod nec etiam poenitentia de peccatis illis perfecta cognoscetur; in quo multum detraheretur sanctorum gloriae, et laudi divinae, qui tam misericorditer sanctos suos liberavit.

Lors du jugement dernier et commun, il faut que la justice divine apparaisse à tous de manière évidente, alors que, maintenant, elle est souvent cachée. Or, une sentence qui condamne ou récompense ne peut être juste que si elle est prononcée selon les mérites et les démérites. De même que le juge et l’assesseur du juge connaissent les mérites d’une cause afin de prononcer une sentence juste, de même, pour que la sentence paraisse juste, faut-il que la sentence soit portée à la connaissance de tous ceux qui connaissent les mérites. De même que chacun connaîtra sa récompense et sa condamnation, de même sera-t-elle donc connue de tous les autres. De même donc que chacun se rappellera ses mérites ou ses démérites, de même aussi faut-il que ceux des autres soient portés à sa connaissance. Telle est l’opinion plus probable et plus commune, bien que le Maître dise le contraire dans le texte, à savoir que les péchés qui ont été détruits par la pénitence n’apparaîtront pas lors du jugement. Mais il découle de cela que la pénitence parfaite pour ce péchés ne sera pas non plus connue, ce qui enlèverait beaucoup à la gloire des saints et à la louange de Dieu, qui a libéré ses saints par une telle miséricorde.

[21221] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnia merita praecedentia vel demerita facient aliquam quantitatem in gloria vel miseria hominis resurgentis, ut ex dictis patet; et ideo ex exterioribus visis poterunt cuncta in conscientiis videri; et praecipue divina virtute ad hoc operante, ut sententia judicis justa appareat omnibus.

1. Tous les mérites ou démérites précédents donneront une certaine quantité de gloire ou de misère à l’homme ressuscité, comme cela ressort de ce qui a été dit. Ainsi, à partir de ce qui est vu de l’extérieur, tout ce qui se trouve dans les consciences pourra-t-il être vu, et surtout grâce à la puissance divine agissant en ce sens, afin que la sentence du juge paraisse juste pour tous.

[21222] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod merita vel demerita poterunt aliis ostendi in suis effectibus, ut ex dictis patet, vel etiam in seipsis per divinam virtutem, quamvis ad hoc virtus intellectus creati non sufficiat.

2. Les mérites et les démérites pourront être montrés aux autres par leurs effets, comme cela ressort de ce qui a été dit, ou encore en eux-mêmes grâce à la puissance divine, bien que la puissance de l’intellect créé ne soit pas suffisante pour cela.

[21223] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod publicatio peccatorum ad ignominiam peccantis est effectus negligentiae quae committitur in omissione confessionis; sed quod peccata sanctorum revelantur, non poterit eis esse in erubescentiam vel verecundiam, sicut nec Mariae Magdalenae est in confusionem quod peccata sua in Ecclesia publice recitantur; quia verecundia est timor ingloriationis, ut dicit Damascenus, qui in beatis esse non poterit. Sed talis publicatio erit eis ad magnam gloriam propter poenitentiam quam fecerunt, sicut et confessor approbat eum qui magna scelera fortiter confitetur. Dicuntur autem peccata esse deleta, quia Deus non videt ea ad puniendum.

3. La manifestation des péchés pour la honte du pécheur est l’effet de la négligence commise par l’omission de la confession ; mais le fait que les péchés des saints soient révélés ne pourra conduire à leur honte ou à leur embarras, comme ce n’est pas pour la honte de Marie Madeleine que ses péchés sont rappelés publiquement dans l’Église, car la honte est la crainte de l’humiliation, comme le dit [Jean] Damascène, laquelle ne pourra exister chez les bienheureux. Mais une telle publication servira pour eux à une plus grande gloire en raison de la pénitence qu’ils ont faite, comme le confesseur approuve celui qui confesse avec force de grands crimes. Mais on dit que les péchés ont été détruits parce que Dieu ne les regarde pas pour les punir.

[21224] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc quod peccator aliorum peccata inspiciet, in nullo sua confusio minuetur; sed magis augebitur, in alieno vituperio suum vituperium magis perpendens. Quod enim ex tali causa confusio minuatur, contingit ex hoc quod verecundia respicit aestimationem hominum, quae ex consuetudine redditur levior; sed tunc confusio respicit aestimationem Dei, quae est secundum veritatem de quolibet peccato, sive sit unius tantum, sive multorum.

4. Par le fait qu’un pécheur verra les péchés des autres, sa confusion ne sera en rien diminuée, mais elle sera plutôt augmentée parce qu’il évaluera par le blâme d’un autre son propre blâme. En effet, que la confusion soit diminuée par une telle cause, cela vient du fait que la honte. qui devient plus légère par l’habitude, concerne le jugement des hommes ; mais, alors, la confusion concerne le jugement de Dieu, qui se réalise selon la vérité pour tous les péchés, qu’il s’agisse d’un seul ou de plusieurs.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21225] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod omnia merita vel demerita simul aliquis videbit, sua et aliena, in instanti; quod quidem de beatis facile credi potest, quia omnia in uno videbunt, et sic non est inconveniens quod simul plura videant; sed in damnatis, quorum intellectus non est elevatus ut possit Deum videre, et in eo omnia alia, est magis difficile. Et ideo alii dicunt, quod mali simul omnia videbunt in genere sua peccata; et hoc sufficit ad accusationem illam quae debet esse in judicio, vel absolutionem; non autem videbunt simul omnia descendendo ad singularia. Sed hoc etiam non videtur consonum dictis Augustini, 20 de Civ. Dei, qui dicit, quod omnia mentis intuitu enumerabuntur; quod autem in genere cognoscitur, non enumeratur. Unde potest eligi media via, quod singula considerabunt, non tamen in instanti, sed in tempore brevissimo, divina virtute ad hoc adjuvante; et hoc est quod Augustinus dicit ibidem, quod mira celeritate enumerabuntur. Nec hoc est impossibile; quia in quolibet parvo tempore sunt infinita instantia in potentia.

À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent qu’on verra d’un coup et dans l’instant tous les mérites ou les démérites, les siens et ceux des autres ; on peut facilement croire cela des bienheureux, car ils verront tout dans une seule réalité, et il n’est pas ainsi inconvenant qu’ils voient plusieurs choses en même temps. Mais, pour les damnés, dont l’intellect n’est pas élevé pour qu’il voie Dieu et en lui toutes choses, cela est plus difficile. C’est pourquoi d’autres disent que les méchants verront tous leurs péchés en même temps d’une manière générale, et cela suffit pour l’accusation qui doit être portée lors du jugement ou de l’absolution ; mais ils ne verront pas en même temps tous les péchés en descendant jusqu’aux aspects singuliers. Mais cela non plus ne semble pas conforme aux paroles d’Augustin, dans La cité de Dieu, XX, où il dit que tout sera énuméré d’un seul regard de l’esprit. Or, ce qui est connu d’une manière générale n’est pas énuméré. Aussi peut-on choisir une voie moyenne : ils verront chaque [péché], non pas cependant dans l’instant, mais dans un très court laps de temps, avec l’aide de la puissance divine. C’est ce que dit Augustin au même endroit, que [les péchés] seront énumérés avec une rapidité étonnante. Et cela n’est pas impossible, car, en tout court laps de temps, existent en puissance des instants infinis.

[21226] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad utramque partem.

Ainsi ressort la réponse pour les deux parties.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 43

 [21227] Super Sent., lib. 4 d. 43 q. 1 a. 5 qc. 3 expos. In jussu, et in voce Archangeli, et in tuba Dei descendet de caelo. Potest per haec tria idem significari, ut illa vox dicatur jussus quantum ad virtutem, quia ei corpora mortuorum obedient; vox Archangeli, idest Christi, qui est princeps Angelorum, quantum ad dignitatem proferentis; tuba quantum ad evidentiam. Vel jussus refertur ad causam principalem, scilicet divinam virtutem, cui obediunt omnia; vox Archangeli ad ministerium Angelorum; sed tuba ad operationem hominis Christi; haec enim tria in resurrectione operabuntur. Unde rationabiliter putari potest, peccata hic per poenitentiam tecta et deleta, illic etiam tegi aliis. Sustinendo Magistrum potest dici, quod peccata justorum non venient in notitiam ut peccata, sed ut dimissa; sic enim considerationi cujuslibet occurrent. Unde ex hoc non sequitur confusio, sed gloria. Dicuntur autem tegi, inquantum Deus ea non videt ad puniendum, sicut exponit Glossa super illud Psal. 31: beati quorum remissae sunt iniquitates et cetera. Contra vero scribens ad Marcellam Hieronymus testari videtur. Quidam dicunt quod Hieronymus non dixit hoc asserendo, sed opinionem cujusdam Graeci recitando.

 

 

 

 

 

Distinctio 44

Distinction 44 – [Les conditions des ressuscités]

Quaestio 1

Question 1 – [Les ressuscités seront-ils identiques à eux-mêmes ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[21228] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de conditionibus resurrectionis, hic determinat de conditionibus resurgentium; et dividitur in partes duas: in prima parte determinat de conditionibus resurgentium qui ad perfectionem humanae naturae pervenerunt; in secunda de conditionibus illorum qui in praesenti vita praedicta perfectione caruerunt, scilicet de abortivis fetibus, ibi: illud etiam investigare oportet et cetera. Prima in duas: in prima determinat conditiones resurgentium beatorum; in secunda conditiones malorum, ibi: de reprobis autem quaeri solet et cetera. Prima in tres: in prima determinat resurgentium aetatem, et staturam; in secunda corporum integritatem, ibi: non enim perit Deo terrena materies; in tertia eorum gloriam, ibi: hoc autem in corporibus sanctorum intelligendum est. De reprobis autem quaeri solet, an cum deformitatibus hic habitis resurgant. Hic determinat conditiones reproborum: et primo quantum ad reprobationem naturae; secundo quantum ad passionem poenae, ibi: si vero quaeritur de corporibus malorum quomodo in igne ardeant et non consumantur, Augustinus variis exemplis astruit. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo corpora reproborum poterunt poenam pati; secundo ostendit idem de spiritibus damnatorum, ibi: quaeri etiam solet, an Daemones corporali igne ardeant. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo spiritus Daemonum sunt passibiles ab igne corporali; secundo ostendit idem de spiritibus damnatorum, ibi: cum autem constet animas igne materiali in corporibus cruciandas, quaeri solet et cetera. Hic est triplex quaestio circa conditionem resurgentium. Prima de his quae communiter ad bonos et malos pertinent. Secunda de his quae pertinent tantum ad bonos. Tertia de his quae spectant tantum ad malos. Circa primum quaeruntur tria: 1 de identitate resurgentium; 2 de integritate corporum; 3 de qualitate ipsorum.

Après avoir déterminé des conditions de la résurrection, le Maître détermine ici des conditions des ressuscités. Il y a deux parties : dans la première partie, il détermine des conditions des ressuscités qui sont parvenus à la perfection de la nature humaine ; dans la seconde, des conditions de ceux à qui, dans la vie présente, une telle perfection a fait défaut, à savoir, des fœtus avortés, à cet endroit : « Il faut aussi explorer cela, etc. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine des conditions des bienheureux ressuscités ; dans la seconde, des conditions des méchants [ressuscités], à cet endroit : « Mais, des réprouvés, on a coutume de se demander, etc.» La première partie se divise en trois parties : dans la première, il détermine de l’âge et de la stature des ressuscités ; dans la deuxième, de l’intégrité des corps, à cet endroit : « Pour Dieu, la matière terrestre ne disparaît pas… » ; dans la troisième, de leur gloire, à cet endroit : « Mais cela doit s’entendre des corps des saints. » « Mais, des réprouvés, on a coutume de se demander s’ils ressuscitent avec les difformités qu’ils ont ici. » Ici, il détermine des conditions des réprouvés : premièrement, quant à la réprobation de la nature ; deuxièmement, quant à la peine endurée, à cet endroit : « Mais si on s’interroge sur les corps des méchants, comment ils brûlent dans le feu et ne sont pas consumés, Augustin le montre par divers exemples. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre comment les corps des réprouvés pourront supporter la peine ; deuxièmement, il montre la même chose des esprits des damnés, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si les démons brûlent par un feu corporel. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre comment les esprits des démons peuvent souffrir du feu corporel ; deuxièmement, il montre la même chose pour les esprits des damnés, à cet endroit : « Puisqu’il est clair que les âmes seront torturées dans les corps par un feu matériel, on a coutume de se demander, etc. » Cela concerne d’une manière générale les bons et les méchants. du premier point, trois questions sont posées : 1 – de l’identité des ressuscités. 2 – de l’intégrité des corps. 3 – de leurs qualité.

 

 

Articulus 1 [21229] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 tit. Utrum idem corpus anima resumat in resurrectione

Article 1 – L’âme reprendra-t-elle le même corps lors de la résurrection ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’âme reprendra-t-elle le même corps lors de la résurrection ?]

[21230] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non idem corpus anima resumat in resurrectione. 1 Corinth. 15, 37: non corpus quod futurum est seminas, sed nudum granum. Sed apostolus ibi comparat mortem seminationi, et resurrectionem pullulationi. Ergo non idem corpus quod per mortem deponitur, in resurrectione resumitur.

1. Il semble que l’âme ne reprendra pas le même corps lors de la résurrection. 1 Co 15, 37 : Tu ne sèmes pas le corps à venir, mais une simple graine. Or, l’Apôtre compare là la mort à l’acte de semer, et la résurrection, à la croissance. Ce n’est donc pas le même corps qui est déposé par la mort et qui est repris lors de la résurrection.

[21231] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cuilibet formae aptatur materia secundum suam conditionem, et similiter cuilibet agenti instrumentum. Sed corpus comparatur ad animam sicut materia ad formam, et instrumentum ad agentem. Cum ergo anima in resurrectione non sit ejusdem conditionis sicut modo est; quia vel transferetur totaliter in caelestem vitam, cui inhaesit vivens in mundo; vel deprimetur in brutalem, si brutaliter vixit in hoc mundo: videtur quod non resumet idem corpus, sed vel caeleste, vel brutale.

2. La matière s’ajuste à la forme selon sa condition, et de même l’instrument à n’importe quel agent. Or, le corps se compare à l’âme comme la matière à la forme et l’instrument à l’agent. Puisque l’âme, lors de la résurrection, ne sera pas dans la même condition qu’elle est maintenant, du fait qu’elle sera soit entièrement emportée dans la vie céleste, à laquelle elle a adhéré lorsqu’elle vivait dans le monde, soit abaissée dans une vie dépourvue de raison, si elle a vécu de manière déraisonnable dans ce monde, il semble donc qu’elle ne reprendra pas le même corps, mais un corps céleste ou un corps dépourvu de raison.

[21232] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, corpus humanum usque ad elementa post mortem resolvitur, ut supra dictum est. Sed illae partes elementorum in quas corpus humanum resolutum est, non conveniunt cum corpore humano quod in ea resolutum est, nisi in materia prima, quomodo quaelibet aliae elementorum partes cum praedicto corpore conveniunt. Si autem ex aliis partibus elementorum corpus formaretur, non diceretur idem numero. Ergo nec si ex illis partibus reparetur, corpus erit numero idem.

3. Le corps humain est ramené jusqu’à ses éléments après la mort, comme on l’a dit plus haut. Or, les parties des éléments auxquelles le corps humain est ramené n’ont rien en commun avec le corps humain qui est ramené à eux, si ce n’est la matière première, comme toutes les parties des éléments ont cela en commun avec le corps mentionné. Mais si le corps était formé d’autres parties des éléments, on ne dirait pas qu’il est identique en nombre. Donc, s’il est restauré à partir de ces parties, le corps ne sera pas le même en nombre.

[21233] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, impossibile est esse idem numero cujus partes essentiales sunt aliae numero. Sed forma mixti, quae est pars essentialis corporis humani, sicut forma ejus, non poterit eadem resumi. Ergo corpus non erit idem numero. Probatio mediae. Illud enim quod penitus cedit in non ens, non potest idem numero resumi; quod patet ex hoc, quia non potest esse idem numero cujus est esse diversum. Sed esse interruptum, quod est actus entis, est diversum, sicut quilibet alius actus interruptus. Sed forma mixtionis penitus cedit in non ens per mortem, cum sit forma corporalis, et similiter qualitates contrariae ex quibus fit mixtio. Ergo forma mixtionis non redit eadem numero.

4. Il est impossible que soit identique en nombre ce dont les parties essentielles sont différentes en nombre. Or, la forme d’un corps mixte, qui est une partie essentielle du corps humain en tant qu’elle est sa forme, ne pourra être reprise identique. Le corps ne sera donc pas le même en nombre. Démonstration de la mineure. En effet, ce qui tombe complètement dans le non-être ne peut être repris identique en nombre, ce qui ressort du fait que ne peut être identique en nombre ce dont l’être est différent. Or, l’être interrompu, qui est l’acte de ce qui est, est différent, comme tout autre acte interrompu. Or, la forme du mélange tombe dans le non-être par la mort, puisqu’elle est la forme corporelle, et de même les qualités contraires dont est fait le mélange. La forme du mélange ne revient donc pas identique en nombre.

[21234] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Job 19, 26: in carne mea videbo Deum salvatorem meum. Loquitur autem de visione post resurrectionem: quod patet ex hoc quod praecedit: in novissimo die de terra resurrecturus sum. Ergo idem numero corpus resurget.

Cependant, [1] Jb 19, 26 dit le contraire : Je verrai dans ma chair mon Sauveur. Or, il parle de la vision après la résurrection, ce qui ressort de ce qui précède : Au dernier jour, je ressusciterai de la terre. Le même corps en nombre ressuscitera donc.

[21235] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut Damascenus dicit in 4 Lib., resurrectio est ejus qui cecidit secunda surrectio. Sed hoc corpus quod nunc gerimus, per mortem cecidit. Ergo idem numero resurget.

[2] Comme le dit [Jean] Damascène dans le livre IV : « La résurrection est le second redressement de ce qui est tombé. » Or, ce corps que nous avons maintenant est tombé par la mort. Le même en nombre ressuscitera donc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le même homme ressuscitera-t-il ?]

[21236] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit idem numero homo qui resurget. Sicut enim dicit philosophus, 2 de generatione, quaecumque habent speciem corruptibilem motam, non reiteratur eadem numero. Sed talis est substantia hominis secundum praesentem statum. Ergo post mutationem mortis non potest reiterari idem numero.

1. Il semble que ce ne soit pas le même homme qui ressuscitera. En effet, comme le dit le Philosophe dans Sur la génération, II, « tout ce dont l’espèce corruptible a été mue ne se répète pas identique en nombre ». Or, telle est la substance de l’homme selon son état présent. Après le changement de la mort, le même en nombre ne peut donc pas être répété.

[21237] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ubi est alia et alia humanitas, non est idem homo numero; unde Socrates et Plato sunt duo homines, et non unus homo, quia alia est humanitas utriusque. Sed alia est humanitas hominis resurgentis ab ea quam nunc habet. Ergo non est idem homo numero. Media potest probari dupliciter. Primo, quia humanitas quae est forma totius, non est forma et substantia sicut anima, sed est forma tantum: hujusmodi autem formae penitus cedunt in non ens; et sic non possunt reiterari. Secundo, quia humanitas resultat ex conjunctione partium; sed non potest eadem numero conjunctio resumi quae prius fuit, quia iteratio identitati opponitur. Iteratio enim numerum importat, identitas autem unitatem, quae se non compatiuntur. In resurrectione autem conjunctio iteratur. Ergo non est eadem conjunctio; et sic nec eadem humanitas, nec idem homo.

2. Là où il y a une humanité et une autre humanité, l’homme n’est pas le même en nombre ; aussi Socrate et Platon sont-ils deux hommes, et non un seul homme, parce que l’humanité des deux est différente. Or, l’humanité de l’homme ressuscité est différente de celle qu’il a maintenant. L’homme n’est donc pas le même en nombre. La mineure peut être démontrée de deux manières. Premièrement, parce que l’humanité qui est la forme du tout n’est pas une forme et une substance comme l’âme, mais est une forme seulement. Or, les formes de ce genre tombent complètement dans le néant, et ainsi elles ne pas être répétées. Deuxièmement, parce que l’humanité résulte de l’union des parties. Or, la même union en nombre que celle qui existait ne peut être reprise, car la reprise s’oppose à l’identité. En effet, la reprise comporte un nombre, mais l’identité, l’unité, lesquelles ne sont pas compatibles. Or, lors de la résurrection, l’union est reprise. Ce n’est donc pas la même union. Et ainsi, ce n’est pas non plus la même humanité, ni le même homme.

[21238] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, unus homo non est, si est plura animalia. Ergo si non est idem animal, non est unus numero homo. Sed ubi non est idem sensus, non est idem animal: quia animal definitur per sensum primum, scilicet tactum, ut patet 2 de anima. Sensus autem cum non maneant in anima separata, ut quidam dicunt, non possunt iidem numero resumi. Ergo in resurrectione non erit homo resurgens idem animal in numero; et sic nec idem homo.

3. Il n’y a pas un seul homme s’il y a plusieurs animaux. Si ce n’est pas le même animal, ce n’est donc pas un seul homme en nombre. Or, là où n’existe pas le même sens n’existe pas le même animal, car l’animal se définit par son premier sens, le toucher, comme cela ressort de Sur l’âme, II. Or, puisque les sens ne demeurent pas dans l’âme séparée, comme certains le disent, ils ne peuvent être repris identiques en nombre. Lors de la résurrection, l’homme ne sera donc pas le même animal en nombre, et ainsi non plus le même homme.

[21239] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, materia statuae principalior est in statua quam materia hominis in homine: quia artificialia tota sunt in genere substantiae ex materia, sed naturalia ex forma, ut patet per philosophum in 2 Physic., et Commentator idem dicit in 2 de anima. Sed si statua ex eodem aere reficiatur, non est eadem numero. Ergo multo minus, si homo ex eisdem pulveribus reficiatur, non erit idem homo numero.

4. La matière d’une statue est plus importante pour une statue que la matière de l’homme pour l’homme, car les choses artificielles se situent entièrement dans la genre de la substance par leur matière, mais les choses naturelles, par leur forme, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Physique, II ; le Commentateur dit la même chose dans Sur l’âme, II. Or, si une statue est faite à nouveau avec le même bronze, elle n’est pas identique en nombre. Encore bien moins, donc, si l’homme est fait à nouveau avec les mêmes cendres, ne sera-t-il pas le même homme en nombre.

[21240] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 19, 27: quem visurus sum ego ipse (...) et non alius; et loquitur de visione post resurrectionem, ut supra dictum est. Ergo idem numero homo resurget.

Cependant, [1] Jb 19, 27 dit le contraire : Celui que moi-même je verrai…, et non pas un autre [que moi] ; et il parle de la vision après la résurrection, comme on l’a dit plus haut. Le même homme en nombre ressuscitera donc.

[21241] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, 8 Lib. de Trinit., quod resurgere nihil aliud est quam reviviscere. Nisi autem idem homo numero rediret ad vitam qui mortuus est, non diceretur reviviscere. Ergo non resurgeret; quod est contra fidem.

[2] Dans le livre Sur la Trinité, VIII, Augustin dit que ressusciter n’est rien d’autre que de revivre. Or, à moins que le même homme en nombre qui est mort ne revienne à la vie, on ne dirait pas qu’il revit. Il ne ressusciterait donc pas, ce qui est contraire à la foi.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Lors de la résurrection, les mêmes cendres du corps humain devront-elles revenir à la même partie du corps qui a été dissoute ?]

[21242] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oporteat pulveres humani corporis ad eamdem partem corporis quae in eis dissoluta est, per resurrectionem redire. Quia secundum philosophum in 2 de anima, sicut se habet tota anima ad totum corpus, ita pars animae ad partem corporis, ut visus ad pupillam. Sed oportet quod post resurrectionem corpus resumatur ab anima eadem. Ergo oportet quod etiam partes corporis resumantur ad eadem membra, in quibus eisdem partibus animae perficiantur.

1. Il semble que, lors de la résurrection, les mêmes cendres du corps humain devront revenir à la même partie du corps qui a été dissoute, car, selon le Philosophe, dans Sur l’âme, II, le rapport de toute l’âme à tout le corps est le même que celui d’une partie de l’âme à une partie du corps, tel celui de la vue à la pupille. Or, après la résurrection, il est nécessaire que le corps soit repris par la même âme. Il est donc nécessaire que les parties du corps soient aussi reprises en rapport avec les mêmes membres par lesquels elles sont perfectionnées par les mêmes parties de l’âme.

[21243] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, diversitas materiae facit diversitatem in numero. Sed si pulveres non redeant ad easdem partes, singulae partes non reficientur ex eadem materia ex qua prius constabant. Ergo non erunt eaedem numero. Sed si partes sunt diversae, et totum erit diversum: quia partes comparantur ad totum sicut materia ad formam, ut patet 2 Physic. Ergo non erit idem numero homo; quod est contra veritatem resurrectionis.

2. La diversité de la matière fait la diversité du nombre. Or, si les cendres ne reviennent pas aux mêmes parties, chaque partie ne sera pas faite à nouveau de la même matière dont elle était antérieurement constituée. Elles ne seront donc pas les mêmes en nombre. Or, si les parties sont différentes, le tout aussi sera différent, car les parties sont au tout comme la matière à la forme, comme cela ressort de Physique, II. L’homme ne sera donc pas le même numériquement, ce qui est contraire à la vérité de la résurrection.

[21244] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, resurrectio ad hoc ordinatur quod homo operum suorum mercedem accipiat. Sed diversis operibus meritoriis vel demeritoriis diversae partes corporis deserviunt. Ergo oportet quod in resurrectione quaelibet pars ad suum statum redeat, ut pro suo modo praemietur.

3. La résurrection est destinée à ce que l’homme reçoive la récompense de ses actes. Or, les diverses parties du corps sont destinées à diverses actions méritoires ou déméritoires. Il est donc nécessaire que, lors de la résurrection, chaque partie revienne à son état afin d’être récompensée à sa manière.

[21245] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, artificialia magis dependent ex sua materia quam naturalia. Sed in artificialibus ad hoc quod idem artificiatum ex eadem materia reparetur, non oportet quod partes reducantur ad eumdem situm. Ergo nec in homine oportet.

Cependant, [1] les choses artificielles dépendent davantage de leur matière que les choses naturelles. Or, en ce qui concerne les choses artificielles, pour que la même œuvre d’art soit restaurée avec la même matière, il n’est pas nécessaire que les parties soient ramenées au même site. Ce n’est donc pas non plus nécessaire pour l’homme.

[21246] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, variatio accidentis non facit diversitatem in numero. Sed situs partium est accidens quoddam. Ergo diversitas ejus in homine non facit diversitatem in numero.

[2] La diversité de l’accident ne fait pas la diversité en nombre. Or, le site des parties est un accident. Sa diversité ne fait donc pas chez l’homme la diversité en nombre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21247] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hanc quaestionem et philosophi erraverunt, et quidam moderni haeretici errant. Quidam enim philosophi posuerunt, animas a corpore separatas iterato corporibus conjungi. Sed errabant in hoc quantum ad duo. Primo quantum ad modum conjunctionis: quia quidam ponebant animam separatam corpori iterum conjungi naturaliter per viam generationis. Secundo quantum ad corpus cui conjungebatur quia: ponebant quod secunda conjunctio non erat ad idem corpus quod per mortem depositum fuit, sed ad aliud: quandoque quidem idem specie, quandoque autem diversum; ad diversum quidem quando anima in corpore existens praeter rationis ordinem vitam duxerat bestialem, unde transibat post mortem de corpore hominis in corpus alterius animalis, cujus moribus vivendo se conformavit; sicut in corpus canis propter luxuriam, et in corpus leonis propter rapinam et violentiam, et sic de aliis; sed in corpus ejusdem speciei, quando anima bene in corpore vivens, post mortem aliqua felicitate perfuncta, post aliqua saecula incipiebat ad corpus velle redire; et sic iterum corpori conjungebatur humano. Sed haec opinio ex duabus falsis radicibus venit: quarum prima est, quia anima non conjungitur corpori essentialiter sicut forma materiae, sed solum accidentaliter, sicut motor mobili, aut homo vestimento; et ideo ponere poterant quod anima praeexistebat antequam corpori generato infunderetur in generatione naturali; et iterum quod diversis corporibus uniretur. Secunda est, quia ponebant intellectum non differre a sensu nisi accidentaliter, ut scilicet homo diceretur intellectum habere prae aliis animalibus, quia in eo propter optimam corporis complexionem vis sensitiva amplius viget; unde poterant ponere quod anima hominis in corpus animalis bruti transiret, praecipue facta immutatione animae humanae ad effectus brutales. Sed praedictae duae radices destruuntur a philosopho, in Lib. de anima; quibus destructis, patet falsitas praedictae positionis. Et simili modo destruuntur errores quorumdam haereticorum: quorum quidam in praedictas positiones inciderunt; quidam autem posuerunt animam iterato conjungi corporibus caelestibus, vel etiam corporibus in modum venti subtilibus, ut Gregorius de quodam Constantinopolitano episcopo narrat, exponens illud verbum Job 19, 26: in carne mea videbo Deum salvatorem meum. Et praedicti errores haereticorum destrui possunt ex hoc quod veritati resurrectionis praejudicant, quam sacra Scriptura profitetur. Non enim resurrectio dici potest, nisi anima ad idem corpus redeat: quia resurrectio est iterata surrectio; ejusdem autem est surgere et cadere; unde resurrectio magis respicit corpus quod post mortem cadit, quam animam quae post mortem vivit; et ita, si non est idem corpus quod anima resumit, non dicetur resurrectio, sed magis novi corporis assumptio.

Sur cette question, les philosophes se sont trompés et certains hérétiques modernes se trompent. En effet, certains philosophes ont affirmé que les âmes séparées du corps sont de nouveau réunies aux corps. Mais ils erraient en cette matière sur deux points. Premièrement, sur le mode de l’union, car certains affirmaient que l’âme séparée est de nouveau unie au corps naturellement par voie de génération. Deuxièmement, sur le corps auquel elle était unie, car ils affirmaient que la seconde union ne se réalisait pas avec le même corps qui avait été abandonné par la mort, mais avec un autre : parfois, [avec un corps] identique selon l’espèce, parfois, [avec un corps] différent. [Avec un corps] différent, lorsque l’âme qui existe dans le corps avait mené une vie d’animal sans raison contrairement à l’ordre de la raison ; après la mort, elle passait donc du corps de l’homme au corps d’un autre animal, au comportement duquel elle s’était conformée durant la vie : ainsi, dans le corps d’un chien en raison de la luxure, dans le corps d’un lion en raison du vol et de la violence, et ainsi pour les autres. Avec un corps de la même espèce, lorsque l’âme, après avoir joui de la félicité, commençait, après des siècles, à vouloir revenir dans le corps : ainsi était-elle de nouveau unie à un corps humain. Mais cette opinion vient de deux sources fausses. La première est que l’âme n’est pas unie au corps essentiellement comme la forme à la matière, mais seulement de manière accidentelle, comme le moteur à ce qui est mû, ou comme l’homme à un vêtement. Ils pouvaient donc affirmer que l’âme préexistait avant d’être infusée dans un corps engendré par la génération naturelle ; de plus, [ils pouvaient affirmer] qu’elle serait unie à divers corps. La seconde est qu’ils affirmaient que l’intellect ne diffère du sens qu’accidentellement, à savoir qu’on dirait que l’homme possède l’intellect plus que les autres animaux parce que la puissance sensitive est plus forte chez lui en raison d’une meilleure complexion du corps. Ils pouvaient donc affirmer que l’âme de l’homme passait dans le corps d’un animal sans raison, surtout lorsque l’âme humaine changeait pour [produire] des actes dépourvus de raison. Mais ces deux sources sont démolies par le Philosophe dans le livre Sur l’âme : après qu’elles ont été, la fausseeté de la position précédente apparaît de manière évidente. De la même manière, sont détruites les erreurs de certains hérétiques, dont certains sont tombés dans les positions précédentes, mais certains ont affirmé que l’âme est de nouveau unie aux corps célestes ou même aux corps subtils comme le vent, ainsi que le raconte Grégoire d’un évêque de Constantinople, en expliquant cette parole de Jb 19, 26 : Dans ma chair, je verrai mon Sauveur. Ces erreurs d’hérétiques peuvent être détruites par le fait qu’ils portaient préjudice à la vérité de la résurrection, que confesse la Sainte Écriture. En effet, on ne peut parler de résurrection que si l’âme revient au même corps, car la résurrection consiste à se lever de nouveau [iterata surrectio]. Or, il appartient au même de se lever et de tomber. La résurrection concerne donc davantage le corps qui déchoit après la mort, que l’âme qui vit après la mort. Ainsi, si le corps que l’âme reprend n’est pas le même, on ne parlera pas de résurrection, mais plutôt de la prise d’un nouveau corps.

[21248] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo non currit per omnia, sed quantum ad aliquid. In seminatione enim grani granum seminatum et natum non est idem numero, nec eodem modo se habens, cum primo seminatum fuerit absque folliculis cum quibus nascitur. Corpus autem resurgens erit idem, sed alio modo se habens: quia fuit mortale, et surget in immortalitate.

1. La ressemblance ne vaut pas pour tout, mais partiellement. En effet, lorsqu’on sème une graine, la graine semée n’est pas destinée à être identique en nombre, ni à se trouver de la même manière, puisqu’elle est d’abord semée sans les enveloppes avec lesquelles elle naît. Mais le corps qui ressuscite sera le même, mais d’une manière différente, car il était mortel, et il se lèvera dans l’immortalité.

[21249] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod differentia quae est inter animam resurgentis et animam in hoc mundo viventis, non est secundum aliquod essentiale, sed secundum gloriam et miseriam; quae differentiam accidentalem faciunt; unde non oportet quod aliud corpus numero resurgat, sed alio modo se habens, ut respondeat proportionabiliter differentia corporum differentiae animarum.

2. La différence qui existe entre l’âme de celui qui ressuscite et l’âme de celui qui existe dans ce monde ne se prend pas de quelque chose d’essentiel, mais de la gloire et de la misère, qui font une différence accidentelle. Il n’est donc pas nécessaire qu’un autre corps en nombre ressuscite, mais qu’il existe de manière différente, afin que la différence entre les corps corresponde de manière proportionnelle à la différence des âmes.

[21250] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod intelligitur in materia ante formam, remanet in materia post corruptionem: quia remoto posteriori, remanere adhuc potest prius. Oportet autem, ut Commentator dicit in 1 Physic., et in Lib. de substantia orbis, in materia generabilium et corruptibilium ante formam substantialem intelligere dimensiones non terminatas, secundum quas attendatur divisio materiae, ut diversas formas in diversis partibus recipere possit; unde et post separationem formae substantialis a materia adhuc dimensiones illae manent eadem; et sic materia sub illis dimensionibus existens, quamcumque formam accipiat, habet majorem identitatem ad illud quod ex ea generatum fuerat, quam aliqua pars alia materiae sub quacumque forma existens; et sic eadem materia ad corpus humanum reparandum reducetur quae prius ejus materia fuit.

3. Ce qu’on comprend de la matière avant la forme demeure dans la matière après la corruption, car, une fois enlevé ce qui vient en second, peut encore demeurer ce qui vient en premier. Mais, comme le Commentateur le dit dans Sur l’âme, I, et dans le livre Sur la substance du monde, il faut comprendre dans la matière de ce qui peut être engendré ou corrompu, avant la forme substantielle, des dimensions non déterminées, selon lesquelles on prend en compte la division de la matière, de sorte qu’elle puisse recevoir diverses formes dans des parties diverses. Ainsi, après la séparation de la matière et de la forme substantielle, ces dimensions demeurent donc les mêmes, et ainsi la matière qui existe sous ces dimensions, quelle que soit la forme qu’elle reçoive, a une plus grande identité avec ce qui avait été engendré à partir d’elle, qu’une autre partie de la matière, sous quelque forme qu’elle existe. Et ainsi, la même matière qui a antérieurement été sa matière sera-t-elle ramenée pour restaurer le corps humain.

[21251] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut qualitas simplex non est forma substantialis elementi, sed accidens proprium ejus, et dispositio per quam materia efficitur propria tali formae; ita forma mixtionis, quae est forma resultans ex qualitatibus simplicibus ad medium venientibus, non est substantialis forma corporis mixti, sed est accidens proprium, et dispositio per quam materia fit necessaria ad formam. Corpus autem humanum praeter hanc formam mixtionis non habet aliam formam substantialem nisi animam rationalem: quia si haberet aliam formam substantialem priorem illa, daret ei esse substantiale, et sic per eam constitueretur in genere substantiae; unde anima jam adveniret corpori constituto in genere substantiae; et sic comparatio animae ad corpus esset sicut comparatio formarum artificialium ad suas materias quantum ad hoc quod constituuntur in genere substantiae per suam materiam; unde conjunctio animae ad corpus esset accidentalis: quod est error antiquorum philosophorum in libris de anima reprobatus. Sequeretur etiam quod corpus humanum et singulae partes ejus non aequivoce retinerent priora nomina; quod est contra philosophum in 2 de anima. Unde cum anima rationalis remanet, nulla forma corporis humani substantialis cedit penitus in non ens. Formarum autem accidentalium variatio non facit diversitatem in numero. Unde idem numero resurget, cum materia eadem numero resumatur, ut in praecedenti solutione dictum est.

4. De même qu’une qualité simple n’est pas la forme substantielle d’un élément, mais son accident propre et une disposition par laquelle la matière devient propre à telle forme, de même, la forme d’un mélange, qui est la forme résultant des qualités simples qui se rapprochent, n’est-elle pas la forme substantielle d’un corps mixte, mais son accident propre et une disposition par laquelle la matière devient nécessaire à la forme. Or, le corps humain, en plus de cette forme de mélange, n’a pas d’autre forme substantielle que l’âme raisonnable, car s’il avait une autre forme substantielle antérieure à celle-là, elle lui donnerait un être essentiel, et il serait ainsi établi dans le genre de la substance. L’âme surviendrait donc dans un corps déjà établi dans le genre de la substance ; et ainsi, la comparaison entre l’âme et le corps sera comme la comparaison de formes artificielles par rapport à leur matière, sous l’aspect où elles sont établies dans le genre de la substance par leur matière. De sorte que l’union de l’âme au corps serait accidentelle, ce qui est une erreur de philosophes anciens repoussée dans les livres sur l’âme. Il en découlerait aussi que le corps et chacune de ses parties ne conserveraient pas de manière équivoque leurs noms antérieurs, ce qui est contraire au Philosophe, dans Sur l’âme, II. Ainsi, puisque l’âme humaine demeure, aucune forme substantielle du corps humain ne tombe complètement dans le non-être. Or, la différence des formes accidentelles ne produit pas une diversité selon le nombre. Le même [corps] en nombre ressuscitera donc, puisque la même matière en nombre sera reprise, comme on l’a dit dans la réponse précédente.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21252] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod necessitas ponendi resurrectionem est ex hoc ut homo finem ultimum propter quem homo factus est, consequatur: quod in hac vita fieri non potest, nec in vita animae separatae, ut supra dictum est: alias vane esset homo constitutus, si ad finem ad quem factus est, pervenire non posset. Et quia oportet quod illud idem numero ad finem perveniat quod propter finem est factum, ne in vanum factum esse videatur; oportet quod idem numero homo resurgat; et hoc quidem fit cum eadem anima eidem numero corpori conjungitur, ut ex dictis patet: alias enim non esset resurrectio, proprie loquendo, nisi idem homo repararetur. Unde ponere quod non sit idem numero qui resurget, est haereticum, derogans veritati Scripturae, quae resurrectionem praedicat.

La nécessité d’affirmer la résurrection vient du fait que l’homme doit obtenir la fin ultime pour laquelle l’homme a été créé. Ce qui ne peut s’accomplir dans cette vie ni dans la vie de l’âme séparée, comme on l’a dit plus haut ; autrement, l’homme aurait été constitué en vain, s’il ne pouvait parvenir à la fin pour laquelle il a été créé. Et parce qu’il faut que ce qui, identique en nombre, a été créé pour une fin parvienne à sa fin, de sorte qu’il ne semble pas avoir été créé en vain, il faut que l’homme ressuscite identique en nombre. Or, cela se produit lorsque la même âme est unie au même corps en nombre, comme cela ressort de ce qui a été dit ; autrement, en effet, ce ne serait pas une résurrection au sens propre, si le même homme n’était pas restauré. Aussi affirmer que celui qui ressuscitera n’est pas le même en nombre est-il hérétique et déroge à la vérité de l’Écriture, qui annonce la résurrection.

[21253] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de iteratione quae fit per motum vel mutationem naturalem. Ostendit enim differentiam circulationis quae est in generatione et corruptione, ad circulationem quae est in motu caeli: quia caelum per motum localem redit idem numero ad principium motus, quia habet substantiam incorruptibilem motam; sed generabilia et corruptibilia per generationem redeunt ad idem specie, non ad idem numero: quia ex homine generatur semen, ex quo sanguis; et sic deinceps, quousque perveniatur ad hominem, non ad eumdem numero, sed specie; et ex igne generatur aer, ex quo aqua; ex aqua terra, ex terra ignis, non idem numero, sed specie. Unde patet quod ratio inducta secundum philosophi intentionem non est ad propositum. Vel dicendum, quod aliorum generabilium et corruptibilium forma non est per se subsistens, ut post compositi corruptionem manere valeat, sicut est de anima rationali, quae esse, quod sibi in corpore acquiritur, etiam post corpus retinet, et in participationem illius esse corpus per resurrectionem adducitur, cum non sit aliud esse corporis et aliud animae in corpore; alias esset conjunctio animae et corporis accidentalis; et sic nulla interruptio facta est in esse substantiali hominis, ut non possit idem numero redire propter interruptionem essendi, sicut accidit in aliis rebus corruptis, quarum esse omnino interrumpitur, forma non remanente, materia autem sub alio esse remanente. Sed tamen nec etiam homo per generationem naturalem reiteratur idem numero: quia corpus generati hominis non fit ex tota materia generantis; unde est corpus diversum in numero, et per consequens anima, et totus homo.

1. Le Philosophe parle de la reprise qui se fait par le mouvement ou par un changement naturel. En effet, il montre la différence entre [le mouvement] circulaire, qui existe dans la génération et la corruption, et le [mouvement] circulaire qui se trouve dans le mouvement du ciel, car le ciel, par un mouvement local, revient identique en nombre au début du mouvement, parce qu’il a une substance incorruptible qui est mue ; mais les [corps] sujets à la génération et à la corruption reviennent par la génération à ce qui est identique selon l’espèce, et non à ce qui est identique en nombre, car une semence est engendrée par l’homme, de laquelle vient le sang et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on parvienne à l’homme, non pas identique en nombre, mais selon l’espèce. Et, du feu, l’air est engendré, duquel l’eau [est engendrée] ; de l’eau, [est engendrée] la terre, et de la terre, le feu, non pas identique en nombre, mais selon l’espèce. Il est donc clair que l’argument tiré de l’intention du Philosophe ne porte pas sur la question en cause. Ou bien, il faut dire que la forme des autres [corps] susceptibles d’être engendrés et corrompus ne subsiste pas par elle-même, de sorte qu’elle puisse demeurer après la corruption du composé, comme c’est le cas de l’âme raisonnable, qui conserve l’être qu’elle a acquis dans le corps, même après le corps, le corps étant amené à la participation à cet être par la résurrection, puisque l’être du corps et celui de l’âme dans le corps ne sont pas différents. Autrement, l’union de l’âme et du corps serait accidentelle ; et ainsi, aucune interruption ne s’est produite dans l’être substantiel de l’homme, de sorte qu’il ne puisse revenir identique en nombre en raison de l’interruption de l’être, comme cela arrive pour les autres réalités composées, dont l’être est entièrement interrompu, alors que la forme ne demeure pas, mais que la matière demeure sous un autre être. Cependant, l’homme n’est pas davantage repris identique en nombre par la génération corporelle, car le corps de l’homme engendré n’est pas produit à partir de toute la matière de celui qui engendre. C’est donc un corps différent en nombre et, par conséquent, une âme [différente] et un homme entier [différent].

[21254] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de humanitate et de qualibet forma totius est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod idem secundum rem est forma totius et forma partis: forma partis secundum quod perficit materiam; forma autem totius secundum quod ex ea tota ratio speciei consequitur; et secundum hanc opinionem, humanitas secundum rem non est aliud quam anima rationalis; et sic, cum anima rationalis eadem numero resumatur, eadem numero erit humanitas, et etiam post mortem manet, quamvis non sub ratione humanitatis, quia ex ea compositum rationem speciei non consequitur. Alia opinio est Avicennae, quae verior videtur, quia forma totius non est forma partis tantum, nec forma aliqua alia praeter formam partis, sed est totum resultans ex compositione formae et materiae, comprehendens in se utrumque; et haec forma totius, essentia vel quidditas dicitur. Quia ergo in resurrectione idem numero corpus erit, et eadem numero anima rationalis, erit de necessitate eadem humanitas. Prima autem ratio probans diversitatem humanitatis futuram, procedebat ac si humanitas esset quaedam alia forma superveniens formae et materiae; quod falsum est. Secunda autem ratio etiam non potest identitatem humanitatis impedire: quia conjunctio significat actionem vel passionem: quae quamvis sit diversa, non potest impedire identitatem humanitatis: quia actio et passio, ex quibus erat humanitas, non sunt de essentia humanitatis; unde eorum diversitas non inducit diversitatem humanitatis. Constat enim quod generatio et resurrectio non sunt idem motus numero, nec tamen propter hoc impeditur identitas resurgentis. Similiter etiam nec impeditur identitas humanitatis, si accipiatur conjunctio pro ipsa relatione: quia relatio illa non est de essentia humanitatis, sed concomitatur eam, eo quod humanitas non est de illis formis quae sunt compositio et ordo, ut dicitur 2 Physic., sicut sunt formae artificiatorum; unde existente alia compositione numero, non est eadem numero forma domus.

2. À propos de l’humanité et de n’importe quelle forme d’un tout, il existe deux opinions. En effet, certains disent que la forme du tout et la forme de la partie sont en réalité la même chose, et que la forme du tout, de laquelle la raison du tout découle entièrement, et, selon cette copinion, l’humanité ne sont en réalité rien d’autre que l’âme raisonnable. Ainsi, puisque l’âme raisonnable est reprise identique en nombre, l’humanité sera la même en nombre, et même elle demeure après la mort, bien que non selon la raison d’humanité, car le composé ne reçoit pas d’elle la raison de l’espèce. L’autre opinion est celle d’Avicenne, qui semble plus vraie : la forme du tout n’est pas la forme d’une partie seulement, ni une autre forme en plus de la forme de la partie, mais le tout résultant de la composition de la forme et de la matière, et qui comprend les deux en lui-même. Et cette forme du tout est appelée essence ou quiddité. Parce que, lors de la résurrection, il s’agira du même corps en nombre et de la même âme raisonnable en nombre, il s’agira donc nécessairement de la même humanité. Le premier argument démontrant la diversité de l’humanité à venir reposait sur le présupposé que l’humanité serait une autre forme s’ajoutant à la forme et à la matière, ce qui est faux. Le second argument ne peut pas non plus empêcher l’identité de l’humanité, car l’union signifie une action ou une passion, qui, même si elles sont différentes, ne peuvent pas empêcher l’identité de l’humanité, car l’action et la passion dont provenait l’humanité ne font pas partie de l’essence de l’humanité. Leur diversité n’entraîne donc pas la divsersité de l’humanité. En effet, il appert que la génération et la résurrection ne sont pas un même mouvement en nombre ; cependant, l’identité de celui qui ressuscite n’est pas empêchée pour autant. De même, l’identité de l’humanité n’est-elle pas empêchée si l’union est comprise comme la relation elle-même, car cette relation ne fait pas partie de l’essence de l’humanité, mais l’accompagne, du fait que l’humanité ne fait pas partie des formes que sont la composition et l’ordre, comme il est dit dans Physique, II, comme c’est le cas pour les formes des choses artificielles. Aussi, s’il existe une autre composition en nombre, elle n’est pas la même en nombre que la forme de la maison.

[21255] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa optime concludit contra illos qui ponebant animam sensibilem et rationalem divisas in homine esse: quia secundum hoc anima sensitiva in homine non esset incorruptibilis, sicut nec in aliis animalibus. Unde in resurrectione non erit eadem anima sensibilis, et per consequens nec idem animal, nec idem homo. Si autem ponamus quod eadem anima secundum substantiam in homine sit rationalis et sensibilis, nullas in hoc angustias patiemur: quia animal definitur per sensum, qui est anima sensitiva, sicut per formam essentialem: per sensum autem, qui est potentia sensitiva, cognoscitur ejus definitio, sicut per formam accidentalem, quae maximam partem confert ad cognoscendum quod quid est, ut in 1 de anima dicitur. Post mortem ergo manet anima sensibilis sicut anima rationalis secundum substantiam: sed potentiae sensitivae, secundum quosdam, non manent: quae quidem potentiae cum sint accidentales proprietates, earum varietas identitatem animalis totius auferre non potest, nec etiam partium animalis: non enim dicuntur potentiae perfectiones vel actus organorum, nisi sint principia agendi, ut calor in igne.

3. Cet argument conclut très bien contre ceux qui affirmaient que l’âme sensible et l’âme raisonnable sont divisées dans l’homme, car ainsi l’âme sensible chez l’homme ne serait pas incorruptible, pas davantage que chez les autres animaux. Ainsi, lors de la résurrection, ce ne sera pas la même âme sensible et, par conséquent, ni le même animal, ni le même homme. Mais si nous affirmons que la même âme selon sa substance chez l’homme est raisonnable et sensible, nous n’aurons à supporter aucune de ces difficultés, car l’animal se définit par le sens, qui est l’âme sensitive, comme par sa forme essentielle. Or, sa définition est connue par le sens, qui est la puissance sensible, comme par une forme accidentelle qui fournit la plus grande part pour la connaissance de ce qu’il est, comme il est dit dans Sur l’âme, I. Après la mort, l’âme sensible demeure donc comme l’âme raisonnable selon sa substance ; mais les puissances sensibles ne demeurent pas selon certains. Puisque ces puissances sont des propriétés accidentelles, leur différence ne peut donc enlever l’identité de l’animal entier, ni même des parties de l’animal. En effet, les puissances ne sont appelées des perfections ou des actes des organes que si elles sont des principes d’action, comme la chaleur pour le feu.

[21256] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod statua dupliciter considerari potest; vel secundum quod est substantia quaedam, vel secundum quod est artificiale quoddam. Et quia in genere substantiae ponitur ratione suae materiae; ideo si consideretur secundum quod est substantia quaedam, est eadem numero statua quae ex eadem materia reparatur. Sed in genere artificialium ponitur secundum quod est forma, quae accidens quoddam est, et transit, statua destructa; et sic non redit idem numero, nec statua idem numero esse potest. Sed forma hominis, scilicet anima, manet post dissolutionem corporis; et ideo non est similis ratio.

4. Une statue peut être envisagée de deux manières : soit selon qu’elle est une certaine substance ; soit selon qu’elle est une œuvre d’art. Et parce qu’elle est placée dans le genre de la substance en raison de sa matière, si elle est envisagée selon qu’elle est une substance, la statue est la même en nombre si elle est restaurée à partir de la même matière. Mais elle est placée dans le genre des œuvres d’art selon qu’elle est une forme, qui est un accident, et qui passe lorsque la statue est détruite. Ainsi, elle ne revient pas identique en nombre, et la statue ne peut pas être la même en nombre. Mais la forme de l’homme, à savoir, son âme, demeure après la dissolution du corps. Le raisonnement n’est donc pas le même.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21257] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in hac quaestione differt considerare quid fieri possit sine identitatis praejudicio, et quid fiet, ut congruentia servetur. Quantum ergo ad primum, sciendum, quod in homine possunt accipi diversae partes totius dupliciter. Uno modo diversae partes homogenei, sicut diversae partes carnis, vel diversae partes ossis; alio modo diversae partes diversarum specierum totius heterogenei. Si ergo dicatur quod pars materiae redibit ad aliam partem speciei ejusdem, hoc non facit nisi varietatem in situ partium: situs autem partium variatus non variat speciem in totis homogeneis; et sic si materia unius partis redeat ad aliam, nullum praejudicium generabitur identitati totius; et ita etiam est in exemplo quod ponitur in littera: quia statua non redit eadem numero secundum formam, sed secundum materiam, secundum quam est substantia quaedam. Sic autem statua est homogenea, quamvis non secundum formam artificialem. Si autem dicatur quod materia unius partis redit ad aliam partem alterius speciei; sic de necessitate variatur non solum situs partium, sed etiam identitas ipsarum; ita tamen si tota materia, aut aliquid quod erat de veritate humanae naturae in una, in aliam transferatur; non autem si aliquod quod erat in una parte superfluum, transferatur in aliam. Ablata autem identitate partium, aufertur identitas totius, si loquimur de partibus essentialibus; non autem si loquimur de partibus accidentalibus, sicut sunt capilli et ungues, de quibus videtur loqui Augustinus. Et sic patet qualiter translatio materiae de parte in partem tollit identitatem totius, et qualiter non. Sed loquendo secundum congruentiam, magis probabile est quod etiam situs partium idem servabitur in resurrectione, praecipue quantum ad partes essentiales et organicas, quamvis forte non quantum ad partes accidentales, sicut sunt ungues et capilli.

Pour cette question, la considération de ce qui peut être fait sans préjudice pour l’identité est différente de celle de ce qui est fait pour que ce qui convient soit préservé. Sur le premier point, il faut savoir que, chez l’homme, les diverses parties du tout peuvent être envisagées de deux manières : d’une manière, les diverses parties [d’un tout] homogène, comme les diverses parties de la chair ou les diverses parties de l’os ; d’une autre manière, les diverses parties des diverses espèces d’un tout hétérogène. Si donc on dit qu’une partie de la matière reviendra à une autre partie de la même espèce, cela ne produit qu’une diversité dans le site des parties. Or, le site varié des parties ne diversifie pas l’espèce dans les touts homogènes. Si la matière d’une partie revient à une autre, aucun préjudice ne sera donc causé à l’identité du tout. Il en est ainsi dans l’exemple qui est donné dans le texte, car la statue ne revient pas identique en nombre selon sa forme, mais selon sa matière, selon laquelle elle est une substance. La statue est ainsi homogène, bien que ce ne soit pas selon sa forme artificielle. Mais si on dit que la matière d’une partie revient à une autre partie d’une autre espèce, ainsi varie non seulement le site des parties, mais aussi leur identité. Il en va cependant ainsi si toute la matière ou quelque chose qui faisait partie de la vérité de la nature humaine chez l’une est transféré à une autre, mais non si quelque chose qui était superflu dans une partie est transféré dans une autre. Or, si on enlève l’identité des parties, l’identité du tout est enlevé, si nous parlons de parties essentielles, mais non si nous parlons de parties accidentelles, comme le sont les cheveux et les ongles, dont semble parler saint Augustin. Ainsi apparaît comment le transfert de matière d’une partie à une autre enlève l’identité du tout et comment il ne l’enlève pas. Mais si l’on parle selon ce qui convient, il est plus probable que même le site des parties demeurera le même lors de la résurrection, surtout pour ce qui est des parties essentielles et organiques, bien que non pour ce qui est des parties accidentelles, comme le sont les ongles et les cheveux.

[21258] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de partibus organicis, et non de partibus similaribus.

1. Cette objection porte sur les parties organiques, et non sur les parties semblables.

[21259] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diversus situs partium materiae non facit diversitatem in numero, quamvis eam faciat diversitas materiae.

2. Le site différent des parties de la matière ne cause pas de différence dans le nombre, bien que la diversité de la matière en cause une.

[21260] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio non est, proprie loquendo, partis, sed totius; unde praemium non debetur parti, sed toti.

3. À proprement parler, l’opération n’est pas le fait de la partie mais du tout ; aussi la récompense n’est-elle pas due à la partie, mais au tout.

 

 

Articulus 2 [21261] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnia membra corporis humani resurgent

Article 2 – Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?]

[21262] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnia membra corporis humani resurgent. Remoto enim fine, frustra reparatur illud quod est ad finem. Finis autem cujuslibet membri est ejus actus. Cum ergo nihil sit frustra in operibus divinis, et quorumdam membrorum usus post resurrectionem non competat, praecipue genitalium, quia tunc nec nubent nec nubentur; videtur quod non omnia membra resurgent.

1. Il semble que tous les membres du corps humain ne ressusciteront pas. En effet, une fois la fin enlevée, ce qui existe en vue de la fin est inutilement restauré. Or, la fin de chaque membre est son acte. Puisque rien n’est inutile dans les œuvres divines, et que l’usage de certains membres ne convient pas après la résurrection, surtout celui des membres génitaux, car alors on ne se mariera pas et on ne sera pas marié, il semble donc que tous les membres ne ressusciteront pas.

[21263] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, intestina, membra quaedam sunt. Sed non resurgent: plena enim resurgere non possunt, quia immunditias continent: nec vacua, quia nihil est vacuum in natura. Ergo non omnia membra resurgent.

2. Les intestins sont des membres. Or, ils ne ressusciteront pas : en effet, ils ne peuvent ressusciter alors qu’ils sont pleins, car ils contiennent des impuretés ; [ils ne ressusciteront] pas non plus vides, car rien n’est vide dans la nature. Tous les membres ne ressusciteront donc pas.

[21264] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad hoc corpus resurget, ut praemietur de opere quod anima per ipsum gessit. Sed membrum propter furtum amputatum furi, qui postea poenitentiam agit et salvatur, non potest in resurrectione remunerari neque de bono, quia ad hoc non cooperatum est, neque de malo, quia poena membri in poenam hominis redundaret. Ergo non omnia membra resurgent cum homine.

3. Le corps ressuscitera afin d’être récompensé de l’action que l’âme a réalisée par lui. Or, le membre qui a été amputé à un voleur à cause d’un vol, alors que, par la suite, il a fait pénitence et est sauvé, ne peut être récompensé lors de la résurrection ni pour le bien, car il n’y a pas coopéré, ni pour le mal, car la peine du membre reviendrait à la peine de l’homme. Tous les membres ne ressusciteront donc pas avec l’homme.

[21265] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, magis pertinent ad veritatem humanae naturae alia membra quam capilli et ungues. Sed capilli et ungues restituentur homini in resurrectione, ut dicitur in littera. Ergo multo fortius alia membra.

Cependant, [1] d’autres membres appartiennent davantage à la vérité de la nature humaine que les cheveux et les ongles. Or, les cheveux et les ongles seront rendus à l’homme lors de la résurrection, comme on le dit dans le texte. À bien plus forte raison, donc, les autres membres.

[21266] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Dei perfecta sunt opera. Sed resurrectio opere divino fiet. Ergo homo reparabitur perfectus in omnibus membris.

[2] Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, la résurrection se réalisera par l’action divine. L’homme sera donc rétabli parfait dans tous ses membres.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 [Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils avec l’homme ?]

[21267] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod capilli et ungues in homine non resurgent. Sicut enim capilli et ungues ex superfluitatibus cibi generantur; ita urina, sudOr et aliae hujusmodi faeces. Sed haec non resurgent cum corpore. Ergo nec capilli et ungues.

1. Il semble que les cheveux et les ongles ne ressusciteront pas avec l’homme. En effet, de même que les cheveux et les ongles sont engendrés par le surplus de nourriture, de même en est-il de l’urine, de la sueur et des autres déchets de ce genre. Or, ceux-ci ne ressusciteront pas avec le corps. Donc, ni les cheveux et les ongles.

[21268] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, inter alias superfluitates quae ex cibo generantur, maxime accedit ad naturae humanae veritatem semen, quod est superfluum quo indigetur. Sed semen non resurget in corpore hominis. Ergo multo minus capilli et ungues resurgent.

2. Parmi les autres surplus qui sont engendrés à partir de la nourriture, la semence, qui est un surplus dont on a besoin, se rapproche davantage de la vérité de la nature humaine. Or, la semence ne ressuscitera pas avec le corps de l’homme. Encore bien moins, donc, les cheveux et les ongles.

[21269] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil est perfectum anima rationali quod non sit perfectum anima sensibili. Sed capilli et ungues non sunt perfecti anima sensibili, quia eis non sentimus, ut dicitur in 1 de anima. Ergo, cum non resurgat corpus humanum nisi propter hoc quod est perfectum ab anima rationali, videtur quod capilli et ungues non resurgent.

3. Rien n’est parfait pour l’âme raisonnable qui ne soit parfait pour l’âme sensible. Or, les cheveux et les ongles ne sont pas parfaits pour l’âme sensible, car nous ne les sentons pas, comme il est dit dans Sur l’âme, I. Puisque le corps humain ne ressuscitera que pour ce qui a été parfait pour l’âme raisonnable, il semble donc que les cheveux et les ongles ne ressusciteront pas.

[21270] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Luc. 21, 18: capillus de capite vestro non peribit.

Cependant, [1] Lc 21, 18 dit le contraire : Aucun cheveu de votre tête ne périra.

[21271] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, capilli et ungues sunt dati in ornatum homini. Sed corpora hominum, praecipue electorum, debent resurgere cum omni ornatu. Ergo debent resurgere cum capillis.

[2] Les cheveux et les ongles sont donnés à l’homme comme une parure. Or, les corps des hommes, surtout ceux des élus, doivent ressusciter avec toutes leurs parures. Ils doivent donc ressusciter avec leurs cheveux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les humeurs du corps ressusciteront-elles ?]

[21272] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod humores in corpore non resurgent. Quia 1 Corinth. 15, 50, dicitur: caro et sanguis regnum Dei non possidebunt. Sed sanguis est principalior humor. Ergo non resurgent in beatis, qui regnum Dei possidebunt, et multo minus in aliis.

1. Il semble que les humeurs du corps ne ressusciteront pas, car, en 1 Co 15, 50, il est dit : La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. Or, le sang est la principale humeur. [Les humeurs] ne ressusciteront donc pas chez les bienheureux qui posséderont le royaume de Dieu, et encore bien moins chez les autres.

[21273] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, humores sunt ad restaurationem deperditi. Sed post resurrectionem nulla deperditio fiet. Ergo corpus non resurget cum humoribus.

2. Les humeurs servent à la restauration de ce qui a été perdu. Or, après la résurrection, il n’y aura aucune déperdition. Le corps ne ressuscitera donc pas avec ses humeurs.

[21274] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea illud quod est in via generationis in corpore humano, nondum est ab anima rationali perfectum. Sed humores adhuc sunt in via generationis, quia sunt in potentia caro et os. Ergo nondum sunt perfecti anima rationali. Sed corpus humanum non habet ordinem ad resurrectionem nisi secundum quod est anima rationali perfectum. Ergo humores in eo non resurgent.

3. Ce qui est en cours de génération dans le corps humain n’a pas encore été rendu parfait par l’âme raisonnable. Or, les humeurs sont encore en cours de génération, car elles sont de la chair et des os en puissance. Elles ne sont donc pas encore rendues parfaites par l’âme raisonnable. Or, le corps humain n’a de rapport avec la résurrection que selon qu’il est rendu parfait par l’âme raisonnable. Les humeurs ne ressusciteront donc pas en lui.

[21275] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quod est de constitutione corporis humani, resurget in eo. Sed humores sunt hujusmodi; quod patet per Augustinum, qui dicit quod corpus constat ex membris officialibus, officialia ex similibus, similia ex humoribus. Ergo humores resurgent in corpore.

Cependant, [1] ce qui fait partie de la constitution du corps humain ressuscitera en lui. Or, les humeurs sont de ce genre, ce qui ressort de ce que dit Augustin, que « le corps est constitué de membres qui possèdent une fonction, les membres qui possèdent une fonction de ce qui est semblable, ce qui est semblable d’humeurs ». Les humeurs ressusciteront donc avec le corps.

[21276] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, resurrectio nostra erit conformis resurrectioni Christi. Sed in Christo resurrexit sanguis; alias nunc vinum non transubstantiaretur in sanguinem ejus in sacramento altaris. Ergo et in nobis resurget sanguis; et eadem ratione alii humores.

[2] Notre résurrection sera conforme à la résurrection du Christ. Or, dans le Christ, le sang est ressuscité, autrement, le vin ne serait pas maintenant transsubstantié en son sang dans le sacrement de l’autel. Le sang ressuscitera donc en nous et, pour la même raison, les autres humeurs.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Tout ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine dans le corps ressuscitera-t-il en lui ?]

[21277] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non totum quod fuit in corpore de veritate naturae humanae, resurgat in ipso. Quia cibus convertitur in veritatem humanae naturae. Sed aliquando caro bovis sumitur in cibum. Si ergo resurget quidquid fuit de veritate humanae naturae, resurget etiam caro bovis; quod videtur inconveniens.

1. Il semble que tout ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine dans le corps ne ressuscitera pas en lui, car la nourriture est convertie en la vérité de la nature humaine. Or, parfois, la chair du bœuf est prise en nourriture. Si donc tout ce qui a fait partie de la vérité de la nature humaine ressuscitera, la chair du boeuf aussi ressuscitera, ce qui semble inapproprié.

[21278] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, costa Adae fuit de veritate humanae naturae, sicut et costa nostra in nobis. Sed costa Adae non resurget in eo, sed in Eva; alias Eva non resurgeret, quia de costa illa formata est. Ergo non resurget in homine quidquid fuit de veritate humanae naturae in ipso.

2. La côte d’Adam a fait partie de la vérité de la nature humaine, comme notre côte en nous. Or, la côte d’Adam ne resssucitera pas en lui, mais en Ève, autrement, Ève ne ressusciterait pas, car elle a été formée de cette côte. Tout ce qui a fait partie de la vérité de la nature humaine ne ressuscitera donc pas dans l’homme.

[21279] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, non potest esse quod idem in diversis hominibus resurgat. Sed potest esse quod aliquid fuerit de veritate humanae naturae in diversis hominibus, sicut si aliquis carnibus humanis vescatur, quae in substantiam ejus transeant. Ergo non resurget in aliquo quidquid fuit de veritate humanae naturae in ipso.

3. La même chose ne peut pas ressusciter en plusieurs hommes. Or, il peut arriver que quelque chose ait fait partie de la vérité de la nature humaine en divers hommes, comme si quelqu’un s’est nourri de chair humaine, qui serait passé dans sa substance. Tout ce qui a fait partie de la vérité de la nature humaine chez quelqu’un ne ressuscitera donc pas en lui.

[21280] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Si dicatur, quod non quidquid est in carnibus comestis, est de veritate humanae naturae; et ita aliquid eorum potest resurgere in primo, et aliquid in secundo; contra. De veritate humanae naturae maxime videtur esse illud quod a parentibus trahitur. Sed si aliquis non comedens nisi carnes humanas filium generet, oportet quod illud quod filius a parente trahit, fuerit de carnibus aliorum hominum quas pater suus comedit; quia semen est de superfluo alimenti, ut philosophus probat in Lib. de animalibus. Ergo illud quod est de veritate humanae naturae in puero isto, etiam fuit de veritate humanae naturae in aliis hominibus, quorum pater carnes comedit.

4. Si tout ce qui se trouve dans la chair consommée ne fait pas fait partie de la vérité de la nature humaine, quelque chose d’elle peut ainsi ressusciter en premier et quelque chose en second. En sens contraire, semble surtout faire partie de la nature humaine ce qui est reçu des parents. Or, si quelqu’un qui ne mange que de la chair humaine engendre un fils, il faut que ce que le fils reçoit de son parent fasse partie de la chair des autres hommes que son père a mangée, car la semence vient du surplus de nourriture, comme le montre le Philosophe dans Sur les animaux. Ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine dans cet enfant faisait donc partie de la vérité de la nature humaine chez les autres hommes dont le père a mangé la chair.

[21281] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 5 Si dicatur, quod illud quod erat de veritate humanae naturae in carnibus hominum comestorum, non transit in semen, sed illud quod erat ibi de veritate humanae naturae non existens; contra. Ponatur quod aliquis cibetur solum embryis, in quibus videtur nihil esse quod non sit de veritate naturae: quia totum quod est in eis, trahitur a parentibus. Si ergo superfluitas cibi convertitur in semen, oportet quod illud quod fuit de veritate humanae naturae in embryis, qui etiam ad resurrectionem pertinent, postquam animam rationalem perceperunt, sit etiam de veritate humanae naturae in puero qui ex tali semine generatur; et sic, cum non possit idem resurgere in duobus, non poterit in quolibet resurgere quidquid fuit de veritate humanae naturae in ipso.

5. Ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine dans la chair des hommes mangés ne passe pas dans la semence, mais ce qui s’y trouvait ne pas faire partie de la vérité de la nature humaine. En sens contraire, supposons que quelqu’un ne se nourrisse que d’embryons, chez lesquels il ne semble rien exister qui ne fasse partie de la vérité de la nature, puisque tout ce qui se trouve en eux est reçu des parents. Si donc le surplus de nourriture est converti en semence, il faut que ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine dans les embryons, qui concernent aussi la résurrection après avoir reçu une âme raisonnable, fasse aussi partie de la vérité de la nature humaine chez l’enfant qui est engendré par une telle semence. Et ainsi, puisque le même ne peut ressusciter en deux individus, ne pourra ressusciter chez personne tout ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine en lui.

[21282] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra: quidquid fuit in homine de veritate humanae naturae, fuit perfectum anima rationali. Sed ex hoc habet corpus humanum ordinem ad resurrectionem, quia fuit anima rationali perfectum. Ergo quidquid fuit de veritate humanae naturae, resurget in unoquoque.

Cependant, [1] tout ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine a été rendu parfait par l’âme raisonnable. Or, le corps humain est ordonné à la résurrection parce qu’il a été rendu parfait par l’âme raisonnable. Tout ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine ressuscitera donc chez chacun.

[21283] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, si a corpore hominis subtrahatur aliquid quod est de veritate humanae naturae, in ipso non erit corpus hominis perfectum. Sed omnis imperfectio tolletur in resurrectione, praecipue ab electis, quibus promissum est, Lucae 21, quod capillus capitis eorum non peribit. Ergo quidquid fuit de veritate naturae humanae, resurget in homine.

[2] Si quelque chose qui fait partie de la vérité de la nature humaine est soustrait au corps de l’homme, il n’y aura pas chez lui un corps humain parfait. Or, toute imperfection sera enlevée lors de la résurrection, surtout chez les élus, à qui il a été promis, Lc 21, qu’aucun cheveu de leur tête ne périra. Tout ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine ressuscitera donc dans l’homme.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Tout ce qui a existé matériellement dans les membres d’un homme ressuscitera-t-il ?]

[21284] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod quidquid fuit materialiter in membris hominis, totum resurget. Minus enim videntur pertinere ad resurrectionem capilli quam alia membra. Sed quidquid fuit in capillis, totum resurget, etsi non in capillis, saltem in aliis partibus corporis, ut Augustinus dicit in littera. Ergo multo fortius quidquid fuit in aliis membris materialiter, totum resurget.

1. Il semble que tout ce qui a existé matériellement dans les membres d’un homme ressuscitera entièrement. En effet, les cheveux semblent avoir moins de rapport avec les résurrection que d’autres membres. Or, tout ce qui a existé dans les cheveux ressuscitera, sinon dans les cheveux, du moins dans d’autres parties du corps, comme le dit Augustin dans le texte. À bien plus forte raison, tout ce qui a existé matériellement dans d’autres membres ressuscitera donc entièrement.

[21285] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, sicut partes carnis secundum speciem perficiuntur ab anima rationali, ita partes secundum materiam. Sed corpus humanum habet ordinem ad resurrectionem ex hoc quod fuit anima rationali perfectum. Ergo non solum partes secundum speciem, sed omnes partes secundum materiam resurgent.

2. De même que les parties de la chair sont rendues parfaites selon leur espèce par l’âme raisonnable, de même en est-il des parties selon la matière. Or, le corps humain est ordonné à la résurrection selon qu’il est rendu parfait par l’âme raisonnable. Non seulement les parties selon leur espèce, mais toutes les parties selon la matière ressusciteront donc.

[21286] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, ex parte illa accidit corpori totalitas ex qua parte accidit ei divisio in partes. Sed divisio in partes accidit corpori ex parte materiae, cujus dispositio est quantitas secundum quam dividitur. Ergo et totalitas corporis attenditur secundum partes materiae. Si ergo non omnes partes materiae resurgent, non totum corpus resurget; quod est inconveniens.

3. La totalité affecte le corps selon que l’affecte la division en parties. Or, la division en parties affecte le corps du point de vue de la matière, dont la disposition est la quantité selon laquelle il est divisé. La totalité du corps se prend donc des parties de la matière. Si donc toutes les parties de la matière ne ressuscitent pas, tout le corps ne ressuscitera pas, ce qui ne convient pas.

[21287] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra, partes secundum materiam non manent in corpore, sed fluunt et refluunt, ut patet per illud quod dicitur in 1 de generatione. Si ergo omnes partes secundum materiam resurgent, vel erit corpus resurgentis densissimum, vel erit immoderatae quantitatis.

Cependant, [1] les parties selon la matière ne demeurent pas dans le corps, mais vont et viennent, comme cela ressort de ce qui est dit dans Sur la génération, I. Si donc toutes les parties selon la matière ressuscitent, soit le corps du ressuscité sera très dense, soit il aura une quantité demesurée.

[21288] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, quidquid est de veritate humanae naturae in uno homine, totum potest esse pars materiae in alio homine qui ejus carnibus vescitur. Si ergo omnes partes secundum materiam resurgent in aliquo, sequitur quod resurget in uno id quod est de veritate humanae naturae in alio; quod est inconveniens.

[2] Tout ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine dans un homme peut en totalité faire partie de la matière dans un autre homme qui se nourrit de sa chair. Si donc toutes les parties selon la matière doivent ressusciter chez quelqu’un, il en découle que ressuscitera chez lui ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine chez un autre, ce qui est inapproprié.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21289] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicitur in 2 de anima, anima habet se ad corpus non solum in habitudine formae et finis, sed etiam in habitudine causae efficientis; est enim comparatio animae ad corpus sicut est comparatio artis ad artificiatum, ut dicit philosophus. Quidquid autem explicite in artificiato ostenditur, hoc totum implicite et originaliter in ipsa arte continetur; et similiter etiam quidquid in partibus corporis apparet, totum originaliter, et quodammodo implicite, in anima continetur. Sicut ergo artis opus non esset perfectum si artificiato aliquid deesset eorum quae ars continet; ita nec homo posset esse perfectus, nisi totum quod in anima implicite continetur, exterius in corpore explicetur; nec etiam corpus ad plenum proportionaliter responderet animae. Cum ergo oporteat in resurrectione corpus hominis esse animae totaliter correspondens, quia non resurgit nisi secundum ordinem quem habet ad animam rationalem; oporteat etiam hominem perfectum resurgere, utpote quod ad ultimam perfectionem consequendam reparatur; oportet quod omnia membra quae nunc sunt in corpore, in resurrectione hominis reparentur.

Comme il est dit dans Sur l’âme, II, l’âme n’entretient pas de relation avec le corps seulement sous le rapport de la forme et de la fin, mais aussi sous le rapport de la cause efficiente. En effet, l’âme se compare au corps comme l’art se compare à ce qui est produit par l’art, comme le dit le Philosophe. Or, tout ce qui est explicitement manifesté dans l’œuvre d’art est implicitement et originellement contenu dans l’art lui-même ; de même aussi, tout ce qui se manifeste dans les parties du corps est-il contenu originellement et, d’une certaine manière, implicitement dans l’âme. De même que l’œuvre d’art ne serait pas parfaite s’il manquait à ce qui est produit par l’art quelque chose de ce que contient l’art, de même l’homme ne pourrait donc pas non plus être parfait si tout ce qui est implicitement contenu dans l’âme n’était explicité extérieurement dans le corps, et le corps ne correspondrait pas pleinement à l’âme d’une manière proportionnelle. Puisqu’il faut que, lors de la résurrection, le corps de l’homme corresponde entièrement à l’âme, car il ressuscite selon l’ordre qu’il possède à l’âme raisonnable, et qu’il faut aussi que l’homme ressuscite parfait afin d’être restauré en vue d’obtenir son ultime perfection, il faut donc que tous les membres qui existent maintenant dans le corps soient restaurés lors de la résurrection de l’homme.

[21290] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod membra dupliciter possunt considerari in comparatione ad animam; vel secundum habitudinem materiae ad formam, vel secundum habitudinem instrumenti ad agentem. Eadem est enim comparatio totius corporis ad totam animam, et partium ad partes, ut dicitur in 2 de anima. Si ergo membrum accipiatur secundum primam comparationem, finis ejus non est operatio, sed magis perfectum esse speciei, quod etiam post resurrectionem requiretur. Si autem membrum accipiatur secundum secundam comparationem, sic finis ejus est operatio; nec tamen sequitur quod quando deficit operatio, frustra sit instrumentum; quia instrumentum non solum servit ad exequendam operationem agentis, sed ad ostendendum virtutem ipsius; unde oportebit ut virtus potentiarum animae instrumentis corporis demonstretur, etsi nunquam in actum prodeant, ut ex hoc commendetur Dei sapientia.

1. Par rapport à l’âme, les membres peuvent être considérés de deux manières : soit selon le rapport entre la matière et la forme ; soit selon le rapport entre l’instrument et l’agent. En effet, la comparaison entre tout le corps et toute l’âme est la même que celle des parties par rapport aux parties, comme il est dit dans Sur l’âme. Si donc le membre est envisagé selon la première comparaison, sa fin n’est pas l’opération, mais plutôt l’être parfait de l’espèce, qui sera aussi requis après la résurrection. Mais si le membre est envisagé selon la seconde comparaison, sa fin est alors l’opération. Cependant, il n’en découle pas que lorsque l’opération fait défaut, l’instrument est inutile, car l’instrument ne sert pas seulement à exécuter l’opération de l’agent, mais à manifester sa puissance. Il faudra donc que la capacité des puissances de l’âme soit manifestée dans les instruments du corps, même s’ils ne passent jamais à l’acte, afin que la sagesse de Dieu soit ainsi louée.

[21291] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intestina resurgent in corpore, sicut et alia membra; et plena erunt, non quidem turpibus superfluitatibus, sed nobilibus humiditatibus.

2. Les intestins ressusciteront lors de la résurrection, comme aussi les autres membres, et ils seront remplis, non de superflus honteux, mais d’humeurs nobles.

[21292] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus quibus meremur, non sunt, proprie loquendo, manus vel pedis, sed hominis totius; sicut et operatio artis non attribuitur instrumento, sed artifici, ut philosophus dicit. Quamvis ergo membrum quod ante poenitentiam est mutilatum, non sit cooperatum homini in statu illo quo gloriam post meretur, tamen ipse homo meretur ut totum praemietur, qui ex toto quod habet, Deo servit.

3. Les actes par lesquels nous méritons ne sont pas, à proprement parler, ceux de la main ou du pied, mais de l’homme tout entier, comme la mise en œuvre de l’art n’est pas attribuée à l’instrument, ainsi que le dit le Philosophe. Bien que le membre qui a été mutilé avant la pénitence n’ait donc pas coopéré avec l’homme dans l’état où il méritera la gloire par la suite, cependant l’homme lui-même mérite d’être récompensé tout entier, lui qui sert Dieu avec tout ce qu’il possède.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21293] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod anima habet se ad corpus animatum sicut ars ad artificiatum, et ad partes ejus sicut ars ad sua instrumenta; unde et corpus animatum organicum dicitur. Ars autem utitur instrumentis quibusdam ad operis intenti executionem; et haec instrumenta sunt de prima intentione artis. Utitur etiam aliis instrumentis ad conservationem principalium instrumentorum, et haec sunt de secunda intentione artis; sicut ars militaris utitur gladio ad bellum, et vagina ad gladii conservationem. Ita etiam in partibus corporis animati quaedam ordinantur ad operationes animae exequendas, sicut cor, hepar, manus, et pes; quaedam autem ad conservationem aliarum partium, sicut folia sunt ad cooperimentum fructuum; ita etiam capilli et ungues sunt in homine ad custodiam aliarum partium; unde sunt de secunda perfectione corporis humani, quamvis non de prima. Ergo quia homo resurget in omni perfectione suae naturae, propter hoc oportet quod capilli et ungues resurgant in ipso.

Le rapport entre l’âme et le corps animé est comme celui de l’art et de l’œuvre d’art, et des parties [du corps] comme celui de l’art et de ses instruments. Or, l’art utilise certains instruments pour réaliser l’œuvre envisagée, et ces instruments relèvent de l’intention première de l’art. Il utilise aussi d’autres instruments pour conserver les instruments principaux : ils relèvent de l’intention seconde de l’art, comme l’art militaire utilise l’épée pour la guerre et le fourreau pour la conservation de l’épée. De même que, parmi les parties du corps animé, certaines choses sont ordonnées à l’accomplissement des opérations de l’âme, comme le cœur, le foie, la main et le pied, mais certaines, à la conservation des autres parties, comme les feuilles sont destinées à couvrir les fruits, de même les cheveux et les ongles existent-ils chez l’homme pour garder d’autres parties. Ils relèvent donc de la perfection seconde du corps humain, et non de la [perfection] première. Parce que l’homme ressuscitera dans toute la perfection de sa nature, il faut donc que les cheveux et les ongles ressuscitent en lui.

[21294] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illae superfluitates expelluntur a natura quasi ad nihil utiles, unde non pertinent ad perfectionem corporis humani; secus autem est de aliis superfluitatibus, quas sibi natura retinet ad generationem capillorum et unguium, quibus indiget ad membrorum conservationem.

1. Ces choses superflues sont rejetées par la nature comme n’étant utiles à rien ; elles ne relèvent donc pas de la perfection du corps humain. Mais il en va autrement des autres choses superflues que la nature conserve en vue de la génération des cheveux et des ongles, dont elle a besoin pour la conservation des membres.

[21295] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod semine non indigetur ad perfectionem individui, sicut capillis, sed solum ad perfectionem speciei.

2. La semence n’est pas nécessaire pour la perfection de l’individu, comme les cheveux, mais seulement pour la perfection de l’espèce.

[21296] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod capilli et ungues nutriuntur et augentur; et sic patet quod aliqua operatione participant: quod non posset esse, nisi essent partes aliquo modo ab anima perfectae; et quia in homine non est nisi una anima, scilicet anima rationalis, constat quod ab anima rationali perfectae sunt, quamvis non usque ad hoc quod operatione sensus participent, sicut nec ossa, de quibus constat quod resurgent, et sunt de integritate individui.

3. Les cheveux et les ongles sont nourris et augmentés. Il ressort ainsi clairement qu’ils participent à une opération, ce qui ne pourrait être le cas s’ils n’étaient pas des parties perfectionnées par l’âme d’une certaine manière. Et parce que, chez l’homme, il n’existe qu’une seule âme, l’âme raisonnable, il est clair qu’elles sont perfectionnées par l’âme raisonnable, bien qu’elles n’aillent pas jusqu’à participer à l’opération du sens, comme ce n’est pas non plus le cas des os, dont il est clair qu’ils ressusciteront et qu’ils font partie de l’intégrité de l’individu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21297] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidquid pertinet ad integritatem humanae naturae in resurgente, hoc totum in eo resurget ratione praedicta; unde oportet quod illa humiditas corporis resurgat in homine quae ad integritatem ejus pertinebat. Est autem in homine triplex humiditas. Quaedam enim humiditas est in recedendo a perfectione hujus individui, vel quia est in via corruptionis, et a natura abjicitur, sicut urina, sudOr sanies, et hujusmodi; vel quia a natura ordinatur ad conservationem speciei in alio individuo, sive per actum generantem, sicut semen, vel per actum nutrientem sicut lac: et nulla talium humiditatum resurget, eo quod non est de perfectione individui resurgentis. Secunda humiditas est quae nondum pervenit ad ultimam perfectionem quam natura operatur in individuo, sed est ad illam ordinata a natura; et haec est duplex. Quia quaedam est quae habet aliquam formam determinatam, secundum quam continetur inter partes corporis, sicut sanguis, et alii tres humores, quos natura ordinavit ad membra, quae ex eis generantur, sed tamen habent aliquas formas determinatas, sicut et aliae partes corporis; et ideo resurgent cum aliis partibus. Quaedam vero humiditas est in via transeundi de forma in formam, scilicet de forma humoris in formam membri; et talis humiditas non resurget, quia post resurrectionem partes corporis singulae in suis formis stabilientur, ut una in aliam non transeat; et ideo non resurget illa humiditas quae est in ipso actu transeundi de forma in formam. Haec autem humiditas potest in duplici statu accipi: vel secundum quod est in principio transmutationis; et sic vocatur ros, illa scilicet humiditas quae est in foraminibus parvarum venarum; vel secundum quod est in progressu transmutationis, et incipit jam dealbari, et sic vocatur cambium. In neutro autem statu resurget. Tertium genus humiditatis est quod jam pervenit ad ultimam perfectionem quam natura intendit in corpore individui, quae jam est dealbata et incorporata membris; et haec vocatur gluten; et cum sit de substantia membrorum, resurget, sicut alia membra resurgunt.

Tout ce qui appartient à l’intégrité de la nature humaine chez le ressuscité ressuscitera entièrement en lui pour la raison donnée plus haut. Il faut donc que l’humidité du corps qui appartenait à son intégrité ressuscite. Or, il existe chez l’homme une triple humidité. En effet, une certaine humidité vient de l’éloignement par rapport à la perfection de cet individu, ou bien parce qu’elle est en cours de corruption et est rejetée par la nature, comme l’urine, la sueur, le pus et les choses de ce genre ; ou bien parce qu’elle est ordonnée par la nature à la conservation de l’espèce chez un autre individu par l’acte de la génération, comme la semence, ou par l’acte de nutrition, comme le lait. Aucune de ces humidités ne ressuscitera du fait qu’elle ne fait pas partie de la perfection de l’individu qui ressuscite. Une deuxième humidité est celle qui ne parvient pas encore à la perfection ultime qu’exerce la nature chez un individu, mais qui lui est ordonnée par la nature. [Cette humidité] est double. L’une est celle qui a une forme déterminée, selon laquelle elle est contenue dans les parties du corps, tels le sang et les trois autres humeurs que la nature a ordonnées aux membres qui sont engendrés par elles, mais possèdent cependant des formes déterminées, comme les autres parties du corps. Elles ressusciteront donc avec les autres parties. Mais il existe une humidité en voie de passer d’une forme à une autre, à savoir, de la forme de l’humeur à la forme de membre. Une telle humidité ne ressuscitera pas parce que, après la résurrection, toutes les parties du corps seront établies dans leurs formes, de sorte que l’une ne passera pas à une autre. Cette humidité, qui est en voie de passer d’une forme à une autre, ne ressuscitera donc pas. Mais cette humidité peut être envisagée sous deux états. Soit elle est au commencement du changement : elle est ainsi appelée rosée, à savoir, l’humidité qui se trouve dans le creux des petites veines ; soit elle est en cours ; soit elle est en cours de changement et commence déjà à blanchir : elle est ainsi appelée cambium. Elle ne ressuscitera sous aucun des deux états. Un troisième genre d’humidité est celui qui a déjà atteint la perfection ultime que la nature a en vue dans le corps d’un individu, qui a déjà blanchi et qui est incorporée aux membres : celle-ci est appelé gluten. Et puisqu’elle fait partie de la substance des membres, elle ressuscitera, comme ressuscitent les autres membres.

[21298] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caro et sanguis in verbis illis apostoli non accipiuntur pro substantia carnis et sanguinis, sed pro operibus carnis et sanguinis, quae sunt opera peccati, vel opera animalis vitae. Vel, secundum quod dicit Augustinus, caro et sanguis accipitur ibi pro corruptione quae nunc dominatur in carne et sanguine, unde etiam subditur in verbis apostoli: neque corruptio incorruptionem.

1. La chair et le sang ne signifient pas, dans ces paroles de l’Apôtre, la substance de la chair et du sang, mais les œuvres de la chair et du sang, qui sont les œuvres du péché ou les œuvres de la vie animale. Ou bien, comme le dit Augustin, la chair et le sang signifient là la corruption qui l’emporte maintenant dans la chair et le sang ; aussi est-il ajouté aux paroles de l’Apôtre : Ni la corruption, l’incorruption.

[21299] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut membra servientia generationi erunt post resurrectionem ad integritatem humanae naturae, non ad operationem quae nunc exercetur per membra illa; ita et humores erunt in corpore non ad restaurationem deperditi, sed ad integritatem humanae naturae reparandam, et ad virtutis naturalis ostensionem.

2. De même que les membres qui servent à la généréation existeront après la résurrection en vue de l’intégrité de la nature humaine, et non de l’action qui est maintenant exercée par ces membres, de mêmes les humeurs existeront dans le corps, non pas pour restaurer ce qui a été perdu, mais pour restaurer l’intégrité de la nature humaine et manifester une puissance naturelle.

[21300] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut sunt elementa in via generationis respectu corporum mixtorum, quia sunt eorum materia, non autem ita quod semper sint in transeundo in corpore mixto; ita etiam humores se habent ad membra: et propter hoc sicut elementa in partibus universi habent formas determinatas, ratione quarum sunt in perfectione universi, sicut corpora mixta; ita et humores sunt de perfectione corporis humani, sicut et aliae partes, quamvis non perveniant ad totam perfectionem sicut aliae partes, nec elementa habent ita perfectas formas sicut mixta. Sicut autem partes omnes universi perfectionem a Deo consequuntur non aequaliter, sed secundum suum modum unumquodque; ita etiam humores aliquo modo perficiuntur ab anima rationali, non tamen eodem modo sicut partes perfectiores.

3. Comme existent les éléments en cours de génération par rapport aux corps mixtes, parce qu’il en sont la matière, et non parce qu’ils sont sans cesse en passage dans le corps mixte, ainsi existe le rapport entre les humeurs et les membres. Pour cette raison, de même que les éléments ont des formes déterminées dans les parties de l’univers, en raison desquelles ils existent pour la perfection de l’univers, comme c’est le cas pour les corps mixtes, de même les humeurs font-elles partie de la perfection du corps humain, comme les autres parties, bien qu’elles n’atteignent pas la perfection complète des autres parties et que les éléments n’aient pas de formes aussi parfaites que les corps mixtes. Mais de même que toutes les parties de l’univers obtiennent leur perfection de Dieu de manière inégale, chacune à sa mesure, de même aussi les humeurs sont-elles perfectionnées d’une certaine manière par l’âme raisonnable, mais non pas cependant dans la même mesure que les parties plus parfaites.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21301] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod unumquodque sicut se habet ad esse, ita ad veritatem, ut in 2 Metaph. dicitur; quia illa res vera est quae ita est ut videtur cognitori secundum actum; et propter hoc Avicenna dicit, quod veritas uniuscujusque rei est proprietas sui esse quod stabilitum est ei: et secundum hoc aliquid dicitur esse de veritate humanae naturae, quia proprie pertinet ad esse humanae naturae; et hoc est quod participat formam humanae naturae; sicut verum aurum dicitur quod habet veram formam auri, ex qua est proprium esse auri. Ut ergo videatur quid sit illud quod est de veritate humanae naturae, sciendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim posuerunt, quod nihil de novo esse incipit de veritate humanae naturae; sed quidquid ad veritatem humanae naturae pertinet, totum fuit in ipsa institutione humanae naturae de veritate ejus; et hoc per seipsum multiplicatur ut ex eo possit semen decidi a generante, ex quo filius generetur; in quo etiam illa pars decisa multiplicatur; et ad perfectam quantitatem pervenit per augmentum, et sic deinceps; et ita multiplicatum est totum genus humanum. Unde secundum hanc opinionem, quidquid ex alimento generatur, quamvis videatur speciem carnis aut sanguinis habere, non tamen pertinet ad veritatem humanae naturae. Alii vero dixerunt, quod aliquid de novo additur ad veritatem humanae naturae per transmutationem naturalem alimenti in corpus humanum, considerata veritate humanae naturae in specie, ad cujus conservationem ordinatur actus generativae virtutis. Si autem veritas humanae naturae in individuo consideretur, ad cujus conservationem et perfectionem actus nutritivae virtutis ordinatur; non additur aliquid per alimentum quod sit primo de veritate humanae naturae hujus individui, sed solum secundario. Ponunt enim quod veritas humanae naturae primo et principaliter consistat in humido radicali, quod scilicet est ex semine generatum ex quo est prima constitutio corporis humani; quod autem convertitur de alimento in veram carnem et sanguinem, non est principaliter de veritate humanae naturae illius individui, sed secundario; sed potest esse principaliter de veritate humanae naturae alterius individui quod ex semine illius generatur. Semen enim ponunt esse superfluum alimenti, vel cum admixtione alicujus quod est primo de veritate humanae naturae in generante, ut quidam dicunt; vel sine admixtione ejus, ut dicunt alii; et sic quod est humidum nutrimentale in uno, fit humidum radicale in alio. Tertia opinio est, quod aliquid de novo incipit esse principaliter de veritate humanae naturae etiam in isto individuo; quia non est distinctio talis in corpore humano, ut aliqua pars materialis signata de necessitate per totam vitam remaneat; sed ad hoc indifferenter se habet quaelibet pars signata accepta, quod maneat semper quantum ad id quod est speciei in ea, sed potest fluere et refluere quantum ad id quod est materiae in ipsa; et sic humidum nutrimentale non distinguitur a radicali ex parte principii, ut dicatur radicale quod ex semine generatum, nutrimentale quod generatur ex cibo; sed magis distinguitur ex termino, ut radicale dicatur quod ad terminum generationis pervenit per actum generativae, vel etiam nutritivae virtutis; sed nutrimentale, quia nondum pervenit ad hunc terminum, sed est adhuc in via nutriendi. Et hae tres opiniones in 2 Lib., dist. 30, qu. 2, art. 1, in corp., plenius pertractatae et investigatae sunt; et ideo non debent hic repeti, nisi quantum ad propositum pertinet. Sciendum est ergo, quod secundum has opiniones diversimode ad hanc quaestionem oportet respondere. Prima enim opinio per viam multiplicationis quam ponit, potest ponere perfectionem veritatis humanae naturae et quantum ad numerum individuorum, et quantum ad debitam quantitatem uniuscujusque individui, absque eo quod ex alimento generatum est; quod quidem non additur nisi ad resistendum consumptioni, quae posset induci per actionem caloris naturalis; sicut argento apponitur plumbum, ne ex liquefactione consumatur. Unde cum in resurrectione oporteat naturam humanam in sua perfectione reparari; nec calor naturalis tunc agat ad consumptionem humidi naturalis: nulla necessitas erit quod resurgat aliquid in homine quod ex alimento sit generatum; sed resurget tantum illud quod fuit de veritate humanae naturae individui, et per decisionem et multiplicationem ad praedictam perfectionem pervenit in numero et quantitate. Secunda autem opinio, quia ponit quod eo quod generatur ex nutrimento, indigetur ad perfectionem quantitatis individui, et ad multiplicationem quae fit per generationem; necesse habet ponere aliquid de hoc in quod conversum est alimentum, resurgere; non tamen totum, sed solum quantum indigetur ad perfectam reintegrationem naturae humanae in omnibus suis individuis; unde ponit haec opinio, quod totum illud quod fuit in substantia seminis, resurget in illo homine qui ex illo semine generatus est, quia hoc est principaliter de veritate humanae naturae in ipso. De eo autem quod postea advenit per nutrimentum, tantum resurget in eo, quantum est necessarium ad perfectionem quantitatis, et non totum; quia hoc non pertinet aliter ad veritatem humanae naturae nisi quatenus natura indiget eo ad perfectionem quantitatis. Sed quia hoc humidum nutrimentale fluit et refluit; hoc ordine reparabitur, quod illud quod fuit de substantia corporis hominis, totum reparabitur; et de eo quod secundo et tertio et deinceps advenit, quantum necessarium est ad quantitatem redintegrandam, duplici ratione. Primo, quia super hoc quod advenit inductum fuit, ut illud quod primo erat deperditum reparetur; et ideo non ita principaliter pertinet ad veritatem humanae naturae sicut praecedens. Secundo, quia adjunctio extranei humidi ad primum humidum radicale facit quod totum permixtum non ita perfecte participet veritatem speciei sicut primum participabat, ut ponit exemplum philosophus in 1 de Gener., de aqua permixta vino, quae semper vini virtutem debilitat, ita quod in fine ipsum aquosum reddit. Unde sicut secunda aqua quamvis assumatur in speciem vini, non tamen ita perfecte speciem vini participat sicut prima quae in vinum assumebatur; ita quod de alimento secundo in carnem convertitur, non ita perfecte attingit ad speciem carnis sicut quod primo convertebatur; et ideo non ita pertinet ad veritatem humanae naturae, nec ad resurrectionem. Sic ergo patet quod haec opinio ponit resurgere totum id quod est de veritate humanae naturae principaliter, non autem totum quod est de veritate humanae naturae secundario. Tertia autem opinio quantum ad aliquid differt a secunda, et quantum ad aliquid convenit cum ea. Differt quidem quantum ad hoc quod ponit totum quod est sub forma carnis et ossis, eadem ratione ad veritatem humanae naturae pertinere; quia non distinguit aliquid materiale signatum permanens in homine toto tempore vitae ejus, quod per se pertineat ad veritatem humanae naturae et primo; et aliquid fluens et refluens, quod pertineat ad veritatem humanae naturae solum propter quantitatis perfectionem, non propter primum esse speciei, sicut secunda opinio dicebat; sed ponit, omnes partes quae non sunt praeter intentionem naturae aggeneratae, pertinere ad veritatem humanae naturae quantum ad id quod habent de specie, quia sic manent; non autem quantum ad id quod habent de materia, quia sic fluunt et refluunt indifferenter; ut ita etiam intelligamus contingere in partibus hominis unius sicut contingit in tota multitudine civitatis, quia singuli subtrahuntur a multitudine per mortem, aliis in locum eorum succedentibus; unde partes multitudinis fluunt et refluunt materialiter; sed formaliter manent, quia ad eadem officia et ordines substituuntur alii, a quibus priores subtrahebantur; unde respublica una numero manere dicitur. Et similiter etiam dum quibusdam partibus fluentibus aliae reparantur in eadem figura et in eodem situ, omnes partes fluunt et refluunt secundum materiam, sed manent secundum speciem; manet nihilominus unus homo numero. Sed convenit tertia cum secunda opinione, quia ponit quod partes secundo advenientes non ita perfecte pertingunt ad veritatem speciei sicut quae primo advenerunt; et ideo idem quod ponit resurgere in homine secunda opinio, ponit tertia, sed non penitus eadem ratione. Ponit enim, totum illud quod ex semine generatum est, resurgere, non quia alia ratione pertineat ad veritatem humanae naturae quam hoc quod postea advenit, sed quia perfectius virtutem speciei participat; quem ordinem ponebat secunda opinio in his quae postea advenerunt ex alimento; in quo etiam haec opinio concordat cum alia, scilicet secunda.

De même que chaque chose a un rapport à l’être, de même [en a-t-elle un] à la vérité, comme il est dit dans Métaphysique, II, car une chose est vraie lorsqu’elle existe de telle manière qu’elle est plus connue en acte. Pour cette raison, Avicenne dit que la vérité de chaque chose est une propriété de son être qui lui est liée. De cette manière, on dit que quelque chose fait partie de la vérité de la nature humaine parce que cela se rapporte au sens propre à l’être de la nature humaine, et cela vient de ce qu’elle participe à la forme de la nature humaine, comme on appelle vrai l’or qui a la forme véritable de l’or, d’où vient l’être propre de l’or. Afin donc de voir ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine, il faut savoir qu’il existe à ce propos trois opinions. En effet, certains ont affirmé que rien n’apparaît de nouveau dans la nature humaine, mais que tout ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine a entièrement existé lors de l’établissement de la nature humaine, et que cela se multiplie par soi, de sorte que la semence, par laquelle un fils est engendré, puisse se séparer de celui qui engendre, chez qui aussi la partie séparée se multiplie et atteint une qualité parfaite par l’accroissement, et ainsi de suite. Et ainsi s’est multiplié tout le genre humain. Selon cette opinion, tout ce qui est engendré à partir de la nourriture, bien que cela paraisse avoir l’espèce de la chair et du sang, ne se rapporte pas à la vérité de la nature humaine. Mais d’autres ont dit que quelque chose est ajouté à la vérité de la nature humaine par la transformation naturelle de la nourriture en corps humain, en tenant compte de la vérité de la nature humaine selon l’espèce, à la conservation de laquelle est ordonné l’acte de la puissance génératrice. Mais si on examine la vérité de la nature humaine chez un individu, à la conservation et à la perfection duquel est ordonné l’acte de la puissance nutritive, rien n’est ajouté par la nourriture, qui fasse en premier partie de la vérité de la nature humaine de cet individu, mais seulement de manière secondaire. Ils affirment aussi que la vérité de la nature humaine consiste premièrement et principalement dans ce se rattache à la racine humide, à savoir ce qui est engendré à partir de la semence dont provient la constitution première du corps humain. Mais ce qui est converti à partir de la nourriture en chair et en sang véritables, ne fait pas partie principalement de la vérité de la nature humaine de cet individu, mais secondairement ; cependant, cela peut faire partie principalement de la vérité de la nature humaine de l’autre individu qui est engendré à partir de la semence de celui-là. En effet, ils affirment que la semence est un surplus de nourriture, soit mélangé à quelque chose qui fait premièrement partie de la vérité de la nature humaine chez celui qui engendre, comme certains le disent, soit sans mélange avec cela, comme d’autres les disent ; et ainsi, ce qui est nourriture humide chez l’un devient racine humide chez l’autre. La troisième opinion est que quelque chose de la vérité de la nature humaine commence à exister de nouveau principalement chez cet individu, car il n’existe pas une telle distinction dans le corps humain, qu’une partie matérielle marquée demeure nécessairement durant toute la vie ; mais n’importe quelle partie marquée est indifférente par rapport à ce qu’elle demeure toujours pour ce qui est de l’espèce en elle, mais elle peut aller et revenir pour ce qui est de la matière en elle. Et ainsi, la nourriture humide ne se distingue pas de la source humide du point de vue de son principe, de sorte que soit appelé source ce qui est engendré à partir de la nourriture ; mais la distinction se prend plutôt du terme, de sorte que soit appelé source ce qui parvient au terme de la génération par l’acte de [la puissance] génératrice ou aussi nutritive, mais aliment, parce que cela ne parvient pas à ce terme, mais est encore en voie de nourrir. Ces trois opinions ont été plus longuement traitées et examinées dans le livre II, d. 30, q. 2, a. 1, c. Elles ne doivent donc être reprises ici que dans la mesure où cela est en rapport avec notre propos. Il faut donc savoir que, selon ces opinions, il faut répondre de manière différente à cette question. En effet, la première opinion, par le moyen de multitlication qu’elle affirme, peut affirmer la perfection de la vérité de la nature humaine tant pour le nombre des individus que pour la quantité appropriée à chaque individu, sans tenir compte de ce qui est engendré par la nourriture, qui n’est ajouté que pour résister à la détérioration qui peut être entraînée par l’action de la chaleur naturelle, comme du plomb est ajouté à l’argent pour qu’il ne soit pas détruit par la liquéfaction. Puisqu’il est nécessaire que, lors de la résurrection, la nature humaine soit restaurée dans sa perfection, et que la chaleur naturelle n’agisse pas alors pour détruire l’humidité naturelle, il ne sera nullement nécessaire que ressuscite dans l’homme quelque chose qui est engendré par la nourriture, mais ne ressuscitera que ce qui faisait partie de la vérité de la nature humaine de l’individu et qui est parvenu à la perfection en nombre et en quantité par la séparation et la multiplication. La deuxième opinion, parce qu’elle affirme que, par le fait que cela est engendré par la nourriture, cela sera nécessaire à la perfection de la quantité de l’individu et à la multiplication qui se réalise par la génération, doit nécessairement affirmer que ce en quoi l’aliment a été converti ressuscite, non pas en totalité, mais seulement dans la mesure où cela sera nécessaire à la parfaite réintégration de la nature humaine en tous ses individus. Cette opinion affirme donc que la totalité de ce qui existait dans la substance de la semence ressuscitera dans l’homme qui a été engendré à partir de cette semence, parce que cela fait principalement partie de la vérité de la nature humaine en lui. De ce qui s’est ajouté par la suite par la nourriture, ne ressuscitera en lui que ce qui est nécessaire à la perfection de [sa] quantité, et non la totalité, car cela ne se rapporte pas autrement à la vérité de la nature humaine que dans la mesure où la nature en a besoin pour la perfection de sa quantité. Mais parce que cet aliment humide passe et revient, il sera restauré selon cet ordre : ce qui faisait partie de la substance du corps humain sera totalement restauré ; ce qui est survenu en deuxième et en troisième lieu, et ainsi de suite, selon ce qui est nécessaire pour rétablir la quantité, et pour une double raison. Premièrement, parce que cela s’est ajouté à ce qui est survenu afin que ce qui existait en premier lieu et a été perdu soit rétabli ; cela ne se rapporte donc pas aussi principalement à la vérité de la nature humaine que ce qui précédait. Deuxièmement, parce que l’ajout d’une source humide fait en sorte que le tout mélangé ne participe pas aussi parfaitement à la vérité de l’espèce qu’il y participait au départ, comme l’exemple que donne le Philosophe dans Sur la génération, I, du mélange d’eau avec le vin, qui affaiblit toujours la puissance du vin, de sorte qu’à la fin, il le rend aqueux. De même que la seconde eau, bien qu’elle soit reçue dans la substance du vin, ne participe cependant pas aussi parfaitement à l’espèce du vin que la première, qui était reçue dans le vin, de même donc ce qui est converti en second lieu en chair à partir de l’aliment ne parvient pas aussi parfaitement à l’espèce de la chair, que ce qui est en était converti en premier lieu. Ainsi, cela n’a pas un rapport aussi étroit avec la vérité de la nature humaine ni avec la résurrection. Il est donc ainsi clair que cette opinion affirme que ressuscite la totalité de ce qui fait partie principalement de la vérité de la nature humaine, mais non pas tout ce qui fait partie de la vérité de la nature humaine de manière secondaire. Mais la troisième opinion diffère sur un point de la deuxième et a quelque chose en commun avec elle. Elle en diffère en ce qu’elle affirme que tout ce qui a la forme de la chair et des os appartient pour une même raison à la vérité de la nature humaine, car elle ne fait pas de distinction entre quelque chose de matériel marqué comme permanent chez l’homme pendant tout le temps de sa vie, et qui appartiendrait à la vérité de la nature humaine par soi et en premier lieu, et quelque chose qui va et qui vient, qui appartiendrait à la vérité de la nature humaine seulement en raison de la perfection de la quantité, et non en raison de l’être premier de l’espèce, comme le disait la deuxième opinion ; mais elle affirme que toutes les parties qui n’ont pas été engendrées contrairement à l’intention de la nature appartiennent à la vérité de la nature humaine pour ce qu’elles ont de l’espèce, parce qu’ainsi elles demeurent, mais non pour ce qu’elles ont de la matière, car ainsi elles passent et repassent indifféremment. Nous comprenons ainsi qu’il se produit dans les parties d’un seul homme ce qui se produit dans toute la multitude d’une communauté, car des individus sont soustraits à la communauté par la mort, alors que d’autres leur succèdent. Les parties d’une communauté passent et repassent donc matériellement, mais elles demeurent formellement, car d’autres remplacent dans les mêmes fonctions et ordres auxquels les premiers étaient soustraits. On dit donc que la communauté demeure une en nombre. De la même manière, alors que d’autres sont rétablies dans la même figure et dans le même site lorsque certaines passent, toutes les parties passent et repassent selon la matière, mais elles demeurent selon l’espèce ; néanmoins, l’homme demeure unique en nombre. Mais la troisième opinion a en commun avec la deuxième d’affirmer que les parties qui arrivent en second ne parviennent pas aussi parfaitement à la vérité de l’espèce que celles qui sont arrivées en premier. C’est pourquoi la troisième [opinion] affirme que la même chose ressuscite que ce que la deuxième opinion affirmait, mais pour une raison complètement différente. En effet, elle affirme que tout ce qui a été engendré à partir de la semence ressuscite, non pas parce que cela appartiendrait pour une autre raison à la vérité de la nature humaine que ce qui est arrivé par la suite, mais parce que cela participe plus parfaitement à la puissance de l’espèce. La deuxième opinion plaçait cet ordre dans ce qui est arrivé par la suite à partir de l’aliment, ce sur quoi cette opinion, à savoir la deuxième, est aussi d’accord avec l’autre.

[21302] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod res naturalis non est id quod est, ex sua materia, sed ex sua forma; unde quamvis illud materiae quod quandoque fuit forma carnis bovinae resurgat in homine sub forma carnis humanae, non sequitur quod resurgat caro bovis, sed caro hominis; ita enim etiam posset concludi quod resurgeret limus, de quo formatum est corpus Adae. Tamen prima opinio concedit hanc rationem.

1. Une chose naturelle n’est pas ce qui existe par sa matière, mais par sa forme. Bien que la part de matière qui a été formée à partir de la chair de bœuf ressuscite dans l’homme sous la forme de la chair humaine, il n’en découle pas que la chair de bœuf ressuscite, mais la chair de l’homme. En effet, on pourrait aussi conclure de cette manière que la boue avec laquelle le corps d’Adam a été formée ressusciterait. Cependant, la première opinion concède cet argument.

[21303] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod costa illa non fuit in Adam de perfectione individui, sed ordinata ad multiplicationem speciei; unde non resurget in Adam, sed in Eva; sicut et semen non resurget in generante, sed in generato.

2. Cette côte ne se trouvait pas en Adam comme partie de la perfection de l’individu, mais comme ordonnée à la multiplication de l’espèce. Aussi ne ressuscitera-t-elle pas en Adam, mais en Ève, comme la semence ne ressuscitera pas dans celui qui engendre, mais dans celui qui est engendré.

[21304] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum primam opinionem facile est ad hoc respondere; quia carnes comestae nunquam sunt de veritate humanae naturae in comedente; fuerunt autem de veritate humanae naturae in eo cujus carnes comeduntur; et ita resurgent in primo, et non in secundo. Sed secundum secundam opinionem et secundum tertiam, unusquisque resurget in illo in quo magis accessit ad perfectam participationem virtutis speciei; et si aequaliter in utroque accesserit, resurget in illo in quo primo fuit; quia in eo primo habuit ordinem ad resurrectionem ex conjunctione ad animam rationalem illius hominis; et ideo si in carnibus comestis fuit aliqua superfluitas quae non pertineret ad veritatem humanae naturae in primo, resurgere poterit in secundo; alias illud quod pertinebat ad resurrectionem in primo, resurget in eo, et non in secundo: sed in secundo loco ejus sumetur vel aliquid de eo quod ex aliis cibis in carnem secundi conversum est; vel si nullo cibo unquam pastus fuisset nisi carnibus humanis, divina virtus aliunde suppleret quantum indigetur ad perfectionem quantitatis, sicut supplet in illis qui ante perfectam aetatem decedunt. Nec per hoc aliquid praejudicatur identitati in numero, sicut nec praejudicatur per hoc quod partes secundum materiam fluunt et refluunt.

3. Selon la première opinion, il est facile de répondre à cela, car les chairs mangées ne font jamais partie de la vérité de la nature humaine chez celui qui mange, mais elles font partie de la vérité de la nature humaine chez celui dont la chair a été mangée. Elles ressusciteront donc dans le premier, et non dans le second. Mais, selon la deuxième et la troisième opinion, chacun ressuscitera en celui chez qui elle s’est le plus rapprochée de la participation parfaite à la puissance de l’espèce. Et si elle s’est également rapprochée chez les deux, elle ressuscitera dans celui chez qui elle a existé en premier, car c’est chez lui qu’elle a été ordonnée en premier à la résurrection en raison de l’union à l’âme raisonnable de cet homme. S’il existait dans les chairs mangées quelque chose de superflu qui n’appartiendrait pas, chez le premier, à la vérité de la nature humaine, cela pourra ressusciter chez le second, autrement ce qui se rapportait à la résurrection chez le premier ressusciterait en lui, et non dans le second ; mais, à sa place, sera pris en second soit quelque chose de ce qui a été converti en la chair du second à partir d’autres aliments, soit, s’il ne s’est jamais nourri que de chair humaine, la puissance divine suppléerait ce qui manque à la perfection de la quantité, comme elle supplée chez ceux qui décèdent avant l’âge adulte. Par cela, aucun préjudice n’est porté à l’identité selon nombre, de même qu’aucun préjudice n’est porté du fait que les parties passent et repassent selon la matière.

[21305] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum primam opinionem facile est solvere; quia ponit quod semen est ex superfluo alimenti; unde carnes comestae non transeunt in semen, ex quo pueri generantur. Sed secundum alias duas opiniones dicendum est, quod non est possibile quod totum quod fuit in carnibus comestis, in semen convertatur; quia post multam depurationem cibi pervenitur ad decoctionem seminis, quod est superfluitas ultimi cibi. Illud autem quod de carnibus comestis in semen convertitur, magis pertinet ad veritatem humanae naturae in eo qui ex semine nascitur, quam in illo ex cujus carnibus semen est generatum; et ideo, secundum regulam prius datam, hoc quod in semen conversum est, resurget in eo qui ex semine nascitur; residuum autem materiae resurget in illo ex cujus carnibus comestis semen est generatum.

4. Il est facile de répondre selon la première opinion, car elle affirme que la semence ne vient pas d’un surplus d’aliment. Aussi la chair mangée ne passe-t-elle pas dans la semence par laquelle les enfants sont engendrés. Mais, selon les deux autres opinions, il faut dire qu’il n’est pas possible que tout ce qui existait dans la chair mangée soit converti en semence, car, après une grande purification de la nourriture, on parvient à la préparation de la semence, qui est un surplus du dernier aliment. Mais ce qui est converti en semence à partir de la chair mangée concerne plutôt la vérité de la nature humaine chez celui qui naît de la semence. C’est pourquoi, selon la règle donnée antérieurement, ce qui est converti en semence ressuscitera chez celui qui est né de la semence ; mais le reste de la matière ressuscitera chez celui à partir de la chair duquel la semence a été engendrée.

[21306] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod embrya non pertinent ad resurrectionem ante animationem per animam rationalem, in quo statu jam multum advenit supra substantiam seminis de substantia nutrimenti, qua puer in utero matris nutritur; et ideo si aliquis embryis vescatur, et ex superfluo illius cibi generetur aliquis, illud quod erit in substantia seminis, resurget quidem in eo qui ex semine generatur, nisi in illo contineretur aliquid quod fuisset de substantia seminum in illis ex quorum carnibus comestis semen generatum est, quia hoc resurgeret in primo et non in secundo; residuum autem carnium comestarum, quod non est conversum in semen, constat quod non resurgeret in primo, utrique divina potentia supplente quod deest. Prima autem opinio hac objectione non arctatur, cum non ponat semen esse ex superfluo alimenti; sed aliae multae rationes sunt contra eam, ut in 2 Lib., dist. 30, qu. 2, art. 2, patuit.

5. Les embryons n’ont pas de rapport avec la résurrection avant leur animation par l’âme raisonnable ; dans cet état, beaucoup est déjà arrivé, en plus de la substance de la semence, à partir de la substance de la nourriture, par laquelle l’enfant est nourri dans le sein de sa mère. Si quelqu’un se nourrit d’embryons et si quelqu’un est engendré à partir du surplus de cette nourriture, ce qui se trouvera dans la substance de la semence ressuscitera chez celui qui est engendré à partir de la semence, à moins que n’y soit contenu quelque chose qui aurait fait partie de la substance des semences chez ceux dont la chair mangée a été à l’origine de la génération de la semence, car cela ressusciterait en premier, et non en second. Mais il est clair qu’en ce qui concerne le reste de la chair mangée qui n’a pas été converti en semence, il ne ressusciterait pas en premier, la puissance divine suppléant ce qui manque chez les deux. Cependant, la première opinion n’est pas restreinte par cette objection, puisqu’elle n’affirme pas que la semence vient d’un surplus de nourriture ; mais de nombreux autres arguments s’opposent à elle, comme cela a été mis en évidence dans le livre II, d. 30, q. 2, a. 2.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[21307] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod illud quod est materialiter in homine, non habet ordinem ad resurrectionem nisi secundum quod pertinet ad veritatem humanae naturae, quia secundum hoc habet ordinem ad animam rationalem. Illud autem totum quod est in homine materialiter, pertinet quidem ad veritatem humanae naturae quantum ad id quod habet de specie; sed non totum considerata materiae totalitate; quia tota materia quae fuit in homine a principio vitae usque ad finem, excederet quantitatem debitam speciei, ut tertia opinio dicit, quae probabilior inter ceteras mihi videtur; et ideo totum quod est in homine, resurget considerata totalitate speciei, quia attenditur secundum quantitatem, figuram, situm, et ordinem partium; non autem resurget totum considerata totalitate materiae. Secunda autem opinio et prima non utuntur hac distinctione; sed distinguunt inter partes, quarum utraeque habent speciem vel materiam. Conveniunt autem duae hae opiniones in hoc quod utraque dicit, quod illud quod est ex semine generatum, totum resurget, etiam totalitate materiae considerata. Differunt autem in hoc quod de eo quod ex alimento generatur, nihil resurgere ponit prima opinio; secunda vero aliquid ejus resurgere ponit, et non totum, ut ex dictis patet.

Ce qui existe matériellement chez l’homme n’est ordonné à la résurrection que si cela appartient à la vérité de la nature humaine, car cela a ainsi un rapport avec l’âme raisonnable. Or, tout ce qui existe matériellement chez l’homme a un rapport avec la vérité de la nature humaine pour ce que cela possède en vertu de l’espèce, mais non pas en totalité, en prenant en considération la totalité de la matière, car toute la matière qui a existé chez l’homme depuis le commencement jusqu’à la fin de sa vie dépasserait la quantité appropriée à l’espèce, comme le dit la troisième opinion, qui me paraît la plus probable des trois. Tout ce qui existe chez l’homme ressuscitera donc, en prenant en considération la quantité appropriée de l’espèce, car cela s’applique selon la quantité, le site et l’ordre des parties ; mais tout ne ressuscitera pas en prenant en compte la totalité de la matière. Cependant, la deuxième et la première opinion n’utilisent pas cette distinction, mais elles font une distinction entre les parties dont les deux possèdent l’espèce ou la matière. Mais ces deux opinions ont en commun ce que les deux disent : ce qui est engendré à partir de la semence ressuscitera en totalité, même en prenant en compte la totalité de la matière. Elles se distinguent cependant par le fait que, de ce qui est engendré à partir de la nourriture, la première opinion affirme que rien ne ressuscite, mais que la deuxième affirme que quelque chose en ressuscite, et non pas tout, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21308] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut quidquid est in aliis partibus corporis, resurget considerata totalitate speciei, non autem considerata totalitate materiae; ita etiam est de capillis. In aliis autem partibus advenit aliquid ex nutrimento quod facit augmentum: et hoc computatur ut alia pars, considerata totalitate speciei, quia obtinet alium locum et situm in corpore, et substat aliis partibus dimensionis: aliquid autem advenit quod non facit augmentum, sed cedit in restaurationem deperditi in nutriendo, et non computatur ut alia pars totius secundum speciem considerati, cum non obtineat alium locum vel situm in corpore, quam pars quae defluxit tenebat; quamvis possit alia pars computari considerata totalitate materiae: et similiter est de capillis. Augustinus ergo loquitur de incisionibus capillorum, quae erant partes facientes augmentum; et ideo oportet quod resurgant; non tamen in quantitate capillorum, ne sit quantitas immoderata, sed in aliis partibus, ut necessarium judicabit divina providentia. Vel loquitur in casu illo quando aliis partibus deficiet: tunc enim eorum defectus poterit ex superfluitatibus capillorum reparari.

1. De même que tout ce qui existe dans les autres parties du corps ressuscitera, en prenant en considération la totalité de l’espèce, mais non la totalité de la matière, de même en est-il aussi des cheveux. Mais, dans les autres parties, il se fait que quelque chose s’ajoute à partir de la nourriture, qui réalise l’accroissement, et cela est compté comme une autre partie, en prenant en considération la totalité de l’espèce, car cela cela obtient un autre lieu et un autre site dans le corps, et est sous-jacent aux autres parties de la dimension. Mais quelque chose s’ajoute qui ne réalise pas d’accroissement, mais, par la nourriture, sert à la restauration de ce qui a été perdu et n’est pas compté comme une autre partie du tout, si on prend en considération l’espèce, puisque cela n’obtient pas un autre lieu ou site dans le corps que celui de la partie passée, bien que cela puisse être compté comme une autre partie en prenant en considération la totalité de la matière. Il en va ainsi des cheveux. Augustin parle donc des coupes des cheveux, qui étaient des parties réalisant un accroissement. Il est donc nécessaire qu’ils ressuscitent, non pas cependant selon la quantité des cheveux, de sorte que la quantité serait démesurée, mais en d’autres parties, comme la providence divine le jugera nécessaire. Ou bien, il parle du cas où d’autres parties manqueront [à l’homme] : en effet, leur absence pourra être réparéee à partir du surplus de cheveux.

[21309] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum tertiam opinionem eaedem sunt partes secundum speciem, et secundum materiam. Non enim illa distinctione utitur philosophus in 1 de generatione, ad distinguendum diversas partes, sed ad ostendendum quod eaedem partes possunt considerari et secundum speciem quantum ad id quod est formae et speciei in ipsis, et secundum materiam quantum ad id quod subest formae et speciei. Constat autem quod materia carnis non habet ordinem ad animam rationalem, nisi inquantum est sub tali forma; et ideo ratione ejus habet ordinem ad resurrectionem. Sed prima et secunda opinio, quae ponunt alias esse partes quae sunt secundum speciem, et alias quae sunt secundum materiam, dicunt quod anima quamvis utrasque partes perficiat, tamen perficit partes secundum materiam mediantibus partibus secundum speciem; et ideo non aequaliter habent ordinem ad resurrectionem.

2. Selon la troisième opinion, les parties sont les mêmes selon l’espèce et selon la matière. En effet, dans Sur la génération, I, le Philosophe n’utilise pas cette distinction pour distinguer les diverses parties, mais pour montrer que les mêmes parties peuvent être considérées à la fois selon l’espèce, pour ce qui est de la forme et de l’espèce chez elles, et selon la matière, pour ce qui est sous-jacent à la forme et à l’espèce. Or, il est clair que la matière de la chair n’a d’ordre par rapport à l’âme raisonnable que dans la mesure où elle est soumise à une telle forme ; aussi est-elle ordonnée à la résurrection en raison d’elle. Mais la première et la deuxième opinion, qui affirment que les parties qui existent selon l’espèce sont différentes de celles qui existent selon la matière, disent que l’âme, bien qu’elle perfectionne les deux, perfectionne cependant les parties selon la matière par l’intermédiaire des parties selon l’espèce. Elles ne sont donc pas également ordonnées à la résurrection.

[21310] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in materia generabilium et corruptibilium dimensiones interminatas oportet intelligere ante receptionem formae substantialis: et ideo divisio quae est secundum hujusmodi dimensiones, proprie pertinet ad materiam; sed quantitas completa et terminata advenit materiae post formam substantialem; unde divisio quae fit secundum dimensiones terminatas, respicit speciem, praecipue quando ad resurrectionem speciei pertinet determinatus situs partium, sicut est in corpore humano.

3. Dans la matière de ce qui peut être engendré et corrompu, il faut comprendre les dimensions indéterminées avant la réception de la forme substantielle. C’est pourquoi la division selon les dimensions de cette sorte se rapporte à proprement parler à la matière ; mais la quantité complète et déterminée atteint la matière après la forme substantielle. Aussi la division qui est faite selon les dimensions déterminées concerne-t-elle l’espèce, surtout lorsque le site déterminé des parties est en rapport avec la résurrection de l’espèce, comme c’est le cas pour le corps humain.

 

 

Articulus 3 [21311] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnes resurgent in eadem aetate, scilicet juvenili

Article 3 – Tous ressusciteront-ils avec le même âge, celui de la jeunesse ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous ressusciteront-ils avec le même âge, celui de la jeunesse ?]

[21312] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnes resurgent in eadem aetate, scilicet juvenili. Quia Deus resurgentibus, praecipue beatis, nihil subtrahet quod ad perfectionem hominis pertinet. Sed aetas pertinet ad perfectionem hominis, cum senectus sit venerabilis aetas. Ergo senes non resurgent in aetate juvenili.

1. Il semble que tous ne ressusciteront pas avec le même âge, celui de la jeunesse, car Dieu n’enlèvera rien aux ressuscités, surtout aux bienheureux, de ce qui se rapporte à la perfection de l’homme. Or, l’âge se rapporte à la perfection de l’homme, puisque la vieillesse est un âge vénérable. Les vieux ne ressusciteront donc pas avec l’âge de la jeunesse.

[21313] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, aetas computatur secundum mensuram temporis praeteriti. Sed impossibile est tempus quod fuit praeteritum, non praeterisse. Ergo impossibile est eos qui majoris aetatis fuerunt, ad aetatem juvenilem reduci.

2. L’âge se calcule selon la mesure du temps passé. Or, il est impossible que le temps qui est passé ne soit pas passé. Il est donc impossible que ceux qui étaient d’un âge plus avancé reviennent à l’âge de la jeunesse.

[21314] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod magis fuit de veritate humanae naturae in unoquoque, maxime resurget in eo. Sed quanto aliquid primo fuit in homine, tanto videtur magis ad veritatem humanae naturae pertinuisse: quia in fine propter virtutem speciei debilitatam comparatur vino aquoso corpus humanum, ut patet per philosophum in 1 de Gener. Ergo si omnes debent in eadem aetate resurgere, magis decet quod resurgant in aetate puerili quam juvenili.

3. Ce qui a davantage fait partie de la vérité de la nature humaine en chacun ressuscitera surtout en lui. Or, ce qui a existé en premier chez un homme semble avoir davantage appartenu à la vérité de la nature humaine, car, à la fin, en raison de la puissance affaiblie de l’espèce, le corps humain apparaît comme un vin mélangé d’eau, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur la génération, I. Si tous doivent ressusciter avec le même âge, il convient donc qu’ils ressuscitent avec l’âge de l’enfance plutôt qu’avec celui de la jeunesse.

[21315] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Ephes. 4, 13: donec occurramus omnes (...) in virum perfectum, in mensuram aetatis plenitudinis Christi. Sed Christus resurrexit in aetate juvenili, quae circa triginta annos incipit, ut Augustinus dicit. Ergo et alii in aetate juvenili resurgent.

Cependant, [1] il est dit dans Ep 4, 13 : Jusqu’à ce que nous ayons tous atteint l’âge adulte, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ. Or, le Christ est ressuscité avec l’âge de la jeunesse, car il a débuté vers l’âge de trente ans, comme le dit Augustin. Les autres ressusciteront donc avec l’âge de la jeunesse.

[21316] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, homo in maxima perfectione naturae resurget. Sed natura humana perfectissimum statum habet in aetate juvenili. Ergo in illa aetate resurgent omnes.

[2] L’homme ressuscitera avec la plus grande perfection de la nature. Or, la nature humaine a son état le plus parfait à l’âge de la jeunesse. Tous ressusciteront donc avec cet âge.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tous ressusciteront-ils avec la même stature ?]

[21317] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnes resurgent ejusdem staturae. Sicut enim homo mensuratur quantitate dimensiva, ita quantitate durationis. Sed quantitas durationis in omnibus reducetur ad eamdem mensuram, quia omnes in eadem aetate resurgent. Ergo quantitas dimensionis in omnibus reducetur ad eamdem mensuram, ut in eadem statura omnes resurgant.

1. Il semble que tous ressusciteront avec la même stature. En effet, de même que l’homme est mesuré selon une quantité dimensionnelle, de même [l’est-il] selon la quantité de la durée. Or, la quantité de la durée chez tous sera ramenée à la même mesure, car tous ressusciteront avec le même âge. La quantité dimensionnelle sera donc ramenée chez tous à la même mesure, de sorte que tous ressusciteront avec la même stature.

[21318] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit in 2 de anima, quod omnium natura constantium terminus est et ratio magnitudinis et augmenti. Sed ille terminus non est nisi ex virtute formae, cui debet congruere quantitas, sicut et omnia alia accidentia. Ergo cum omnes homines habeant eamdem formam specificam, in omnibus debet esse secundum naturam eadem quantitatis mensura, nisi sit error. Sed error naturae corrigetur in resurrectione. Ergo omnes resurgent in eadem statura.

2. Dans Sur l’âme, II, le Philosophe dit que « la raison de grandeur et d’accroissement est le terme de tout ce qui existe naturellement. » Or, ce terme ne vient que de la puissance de la forme, à laquelle la quantité doit convenir, comme tous les autres aspects accidentels. Puisque tous les hommes ont la même forme spécifique, la même mesure de la quantité doit donc exister chez tous selon la nature, à moins qu’il n’y ait erreur. Or, l’erreur de la nature sera corrigée lors de la résurrection. Tous ressusciteront donc avec la même stature.

[21319] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quantitas resurgentis non poterit esse proportionata virtuti naturali, quae primo corpus formavit: nam alias qui non potuerunt ad majorem quantitatem perduci virtute naturae, nunquam in majori quantitate resurgerent; quod falsum est. Ergo oportet quod quantitas illa proportionetur virtuti reparanti corpus humanum per resurrectionem, et materiae de qua reparatur. Sed virtus reparans omnia corpora est eadem numero, scilicet virtus divina; cineres autem omnes, ex quibus reparantur humana corpora, se habent aequaliter ad suscipiendam actionem praedictae virtutis. Ergo ad eamdem quantitatem terminabitur resurrectio omnium hominum; et sic idem quod prius.

3. La quantité de celui qui ressuscite ne pourra pas être proportionnée à la puissance naturelle, qui a formé le corps en premier lieu, car autrement ceux qui n’ont pas pu parvenir à une plus grande quantité par la puissance de la nature ne ressusciteraient jamais avec une quantité plus grande, ce qui est faux. Il faut donc que cette quantité soit proportionnée à la puissance qui restaure le corps humain par la résurrection et à la matière avec laquelle il est restauré. Or, la puissance qui restaure tous les corps est la même en nombre, à savoir, la puissance divine, alors que toutes les cendres, à partir desquelles les corps humains sont restaurés, ont la même disposition à recevoir l’action de la puissance mentionnée. La résurrection de tous les hommes se terminera donc à la même quantité, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

[21320] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quantitas naturalis sequitur naturam uniuscujusque individui. Sed in resurrectione non variatur natura individui. Ergo nec quantitas naturalis ejus. Sed non est eadem quantitas naturalis omnium hominum. Ergo non omnes resurgent in eadem statura.

Cependant, [1] une quantité naturelle découle de la nature de chaque individu. Or, lors de la résurrection, la nature d’un individu ne change pas. Donc, ni sa quantié naturelle. Or, la quantité naturelle n’est pas la même pour tous les hommes. Tous ne ressusciteront donc pas avec la même stature.

[21321] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, natura humana reparabitur per resurrectionem ad gloriam vel ad poenam. Sed non erit eadem quantitas gloriae vel poenae in omnibus resurgentibus. Ergo nec eadem quantitas naturae.

[2] La nature humaine sera restaurée par la résurrection en vue de la gloire ou de la peine. Or, la quantité de gloire ou de peine ne sera pas la même chez tous les ressuscités. La quantité de la nature ne sera donc pas la même.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tous ressusciteront-ils avec le sexe masculin ?]

[21322] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnes resurgent in sexu virili. Quia dicitur Ephes. 4, quod occurremus omnes in virum perfectum. Ergo non erit ibi nisi sexus virilis.

1. Il semble que tous ressusciteront avec le sexe masculin, car il est dit, dans Ep 4, que nous parviendrons tous à l’homme parfait. Il n’y aura donc là que le sexe masculin.

[21323] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in futuro omnis cessabit praelatio, ut dicit Glossa 1 Corinth. 15. Sed mulier naturali ordine subdita est viro. Ergo mulieres non resurgent in sexu muliebri, sed virili.

2. Tout rôle de supérieur cessera dans le futur, comme le dit la Glose sur 1 Co 15. Or, la femme est soumise à l’homme selon un ordre naturel. Les femmes ne ressusciteront donc pas avec le sexe féminin, mais avec le sexe masculin.

[21324] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod est occasionaliter et praeter intentionem naturae inductum, non resurget: quia in resurrectione omnis error tolletur. Sed sexus muliebris est praeter intentionem naturae inductus ex defectu virtutis formativae in semine, quae non potest perducere materiam concepti ad perfectionem virilem; unde dicit philosophus in 16 de animalibus, quod femina est mas occasionatus. Ergo sexus muliebris non resurget.

3. Ce qui est produit occasionnellement et en dehors de l’intention de la nature ne ressuscitera pas, car, lors de la résurrection, toute erreur sera enlevée. Or, le sexe féminin est produit en dehors de l’intention de la nature en raison du manque de puissance formative de la semence, qui ne peut mener la matière de ce qui est conçu à la perfection virile. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur les animaux, XVI, que la femme est un mâle manqué. Le sexe féminin ne ressuscitera donc pas.

[21325] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus, 22 de Civit. Dei: melius sapere videntur qui utrumque sexum resurrecturum esse non dubitant.

Cependant, [1] ce que dit Augustin dans La cité de Dieu, XXII, va en sens contraire : « Ceux-là semblent avoir une pensée meilleure qui ne doutent pas que les deux sexes ressusciteront. »

[21326] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Deus reparabit in resurrectione quod in homine fecit in prima conditione. Sed ipse fecit mulierem de costa viri, ut patet Genes. 2. Ergo ipse sexum femineum in resurrectione reparabit.

[2] Dieu restaurera lors de la résurrection ce qu’il a fait dans l’homme dans sa condition première. Or, il a fait la femme à partir de la côte de l’homme, comme cela ressort de Gn 2. Il restaurera donc le sexe féminin lors de la résurrection.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les hommes ressusciteront-ils avec une vie animale ?]

[21327] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod resurgent in vita animali, ut scilicet utantur actu nutritivae et generativae. Quia resurrectio nostra erit conformis resurrectioni Christi. Sed Christus post resurrectionem legitur comedisse, ut patet Joan. ult. et Luc. ult. Ergo et homines post resurrectionem comedent, et eadem ratione generabunt.

1. Il semble que [les hommes] ressusciteront avec une vie animale, à savoir qu’ils feront usage de la puissance nutritive et de la puissance génératrice, car notre résurrection sera conforme à la résurrection du Christ. Or, on lit que le Christ a mangé après la résurrection, comme cela ressort de Jn et de Lc, dans le dernier chapitre. Les hommes mangeront donc après la résurrection et, pour la même raison, engendreront.

[21328] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, distinctio sexuum ad generationem ordinatur; et similiter instrumenta quae deserviunt virtuti nutritivae, ordinantur ad comestionem. Sed homo cum omnibus hujusmodi resurget, ut ex supra dictis patet. Ergo utetur actibus virtutis generativae et nutritivae.

2. La distinction des sexes est ordonnée à la génération ; de même, les organes qui servent à la puissance nutritive sont-ils ordonnés à manger. Or, l’homme ressuscitera avec tout cela, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il fera donc usage des actes de la puissance génératrice et et de la puissance nutritive.

[21329] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, totus homo beatificatur et secundum animam et secundum corpus. Sed beatitudo sive felicitas, secundum philosophum, in propria operatione consistit. Ergo oportet quod omnes potentiae animae et omnia membra sint in suis actibus in beatis post resurrectionem; et sic idem quod prius.

3. Tout l’homme est rendu bienheureux, dans son corps et dans son âme. Or, la béatitude ou félicité, selon le Philosophe, consiste dans l’opération propre. Il est donc nécessaire que toutes les puissances de l’âme et tous les membres exercent leurs actes chez les bienheureux après la résurrection. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[21330] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, in beatis post resurrectionem erit beata et perfecta jucunditas. Sed talis jucunditas omnes delectationes includit: quia beatitudo est status omnium bonorum congregatione completus; et perfectum est cui nihil deest. Cum ergo in actu virtutis generativae et nutritivae sit magna delectatio, videtur quod tales actus ad vitam animalem pertinentes in beatis erunt, et multo fortius in aliis qui minus spiritualia corpora habebunt.

4. Chez les bienheureux après la résurrection, il existera une joie bienheureuse et parfaite. Or, une telle joie inclut tous les plaisirs, car la béatitude est un état achevé par le rassemblement de tous les biens, et ce qui est parfait est ce à quoi rien ne manque. Puisqu’il existe un grand plaisir dans l’acte de la puissance nutritive et génératrice, il semble donc que de tels actes se rapportant à la vie animale existeront chez les bienheureux, et bien plus fortement chez ceux qui auront des corps moins spirituels.

[21331] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 22, 30: in resurrectione neque nubent neque nubentur.

Cependant, [1] ce que dit Mt 22, 30 va en sens contraire : Lors de la résurrection, on ne se mariera pas et on ne sera pas épousé.

[21332] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, generatio ordinatur ad subveniendum defectui qui per mortem accidit, et ad multiplicationem humani generis; et comestio ad restaurationem deperditi, et ad augmentum quantitatis. Sed in statu resurrectionis jam humanum genus habebit totam multitudinem individuorum a Deo praefinitam: quia usque ad hoc generatio deferetur, ut ex praecedenti distinctione, quaest. 1, art. 3, in corp., patet; similiter etiam quilibet homo resurget in debita quantitate; nec erit ultra mors, aut aliqua deperditio fiet a partibus hominis. Ergo frustra esset actus generativae et nutritivae virtutis.

[2] La génération est ordonnée à compenser le manque qui survient en raison de la mort, ainsi qu’à la multiplication du genre humain ; l’acte de manger [est ordonnée] à la retauration de ce qui a été perdu et à l’accroissement de la quantité. Or, dans l’état de la résurrection, le genre humain aura déjà toute la multitude des individus prédéterminée par Dieu, car la génération aura été portée jusque-là, comme cela ressort de la distinction précédente, q. 1, a. 3, c. ; de même aussi, chaque homme ressuscitera avec la quantité appropriée, et il n’y aura plus de mort ou de perte des parties de l’homme. L’acte de la puissance génératrice et nutritive serait donc inutile.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21333] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod homo resurget absque omni defectu humanae naturae; quia sicut Deus humanam naturam absque defectu instituit, ita sine defectu reparabit. Deficit autem humana natura dupliciter. Uno modo, quia nondum perfectionem ultimam est consecuta; alio modo quia ab ultima perfectione jam recessit; et primo modo deficit in pueris, secundo modo deficit in senibus; et ideo in utrisque reducetur humana natura per resurrectionem ad statum ultimae perfectionis, qui est in juvenili aetate, ad quam terminatur motus augmenti, et a qua incipit motus decrementi.

L’homme ressuscitera sans aucune déficience de la nature humaine, car de même que Dieu a établi la nature humaine sans déficience, de même la restaurera-t-il sans déficience. Or, la nature humaine est déficiente de deux manières. D’une manière, parce qu’elle n’a pas encore obtenu sa perfection ultime ; d’une autre manière, parce qu’elle s’est déjà éloignée de sa perfection ultime. Elle est déficiente de la première manière chez les enfants ; elle est déficiente de la seconde manière chez les vieillards. Chez les deux, la nature humaine sera donc ramenée par la résurrection à l’état de la perfection ultime, qui consiste dans l’âge de la jeunesse, auquel se termine le mouvement de la croissance et à partir duquel commence un mouvement de décroissance.

[21334] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aetas senectutis habet reverentiam non propter conditionem corporis, quod in defectu est, sed propter sapientiam animae, quae ibi esse praesumitur ex temporis antiquitate; unde in electis manebit reverentia senectutis propter plenitudinem divinae sapientiae, quae in eis erit; sed non manebit senectutis defectus.

1. L’âge de la vieillesse est objet de rrespect, non pas en raison de la condition du corps, qui est déficient, mais en raison de la sagesse de l’âme, qu’on suppose s’y trouver en raison de l’ancienneté dans le temps. Chez les élus, persistera donc le respect envers la vieillesse en raison de la plénitude de la sagesse divine, qui se trouvera chez eux ; mais la déficience de la vieillesse ne persistera pas.

[21335] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non loquimur de aetate quantum ad numerum annorum, sed quantum ad statum qui ex annis in corpore humano relinquitur; unde Adam dicitur in aetate juvenili formatus propter talem corporis conditionem quam primo die formationis suae habuit; et ideo ratio non est ad propositum.

2. Nous ne parlons pas de l’âge selon le nombre des années, mais selon l’état qui est laissé dans le corps humain par les années. On dit donc qu’Adam a été formé avec l’âge de la jeunesse en raison de cette condition du corps qu’il a eue au premier jour de sa formation. L’argument n’est donc pas concluant.

[21336] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus speciei dicitur esse perfectior in puero quam in juvene quantum ad efficaciam agendi conversionem alimenti aliquo modo, sicut etiam est perfectior in semine quam in homine completo; sed in juvenibus est perfectior quantum ad terminum complementi; unde illud quod maxime ad naturae veritatem pertinuit, ad illam perfectionem reducetur quam habet in aetate juvenili, non ad illam quam habet in aetate puerili, in qua humores adhuc non pervenerunt ad ultimam digestionem.

3. On dit que la puissance de l’espèce est plus parfaite chez l’enfant que chez les jeunes pour ce qui est d’une certaine efficacité dans la réalisation de la conversion de la nourriture, de même qu’elle est aussi plus parfaite dans la semence que dans l’homme achevé. Mais elle est plus parfaite chez les jeunes du point de vue du terme de l’achèvement. Aussi ce qui se rapportait le plus à la vérité de la nature sera-t-il ramené à la perfection qu’elle a à l’âge de la jeunesse, non à celle qu’elle a à l’âge de l’enfance, dans laquelle les humeurs ne sont pas encore parvenues à leur dernier arrangement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21337] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in resurrectione non reparabitur humana natura solum quantum ad idem specie, sed etiam quantum ad idem numero; et ideo in resurrectione non solum attendendum quid competat naturae speciei, sed quid competat naturae individui. Natura autem speciei habet aliquam quantitatem quam nec excedit nec ab ea deficit absque errore; quae tamen quantitas habet aliquos gradus latitudinis, et non est accipienda secundum unam mensuram determinatam. Unumquodque autem individuum in specie humana assequitur infra terminos illius latitudinis aliquem gradum quantitatis quae competit naturae individui; et ad hanc perducitur in termino augmenti, si non fuit aliquis error in opere naturae, per quem sit aliquid additum vel subtractum praedictae quantitati: cujus quidem mensura accipitur secundum proportionem caloris extendentis et humidi extensibilis, quod non est ejusdem virtutis in omnibus. Et ideo non omnes resurgent in eadem quantitate, sed quilibet resurget in illa quantitate in qua fuisset in termino augmenti, si natura non errasset vel defecisset: quod autem superest vel quod deficit in homine, resecabit vel supplebit divina potentia.

Lors de la résurrection, la nature humaine ne sera pas restaurée seulement quant à ce qui est identique selon l’espèce, mais aussi quant à ce qui est identique par le nombre. Lors de la résurrection, il ne faut donc pas seulement prendre en compte ce qui se rapporte à la nature de l’espèce, mais ce qui se rapporte à la nature de l’individu. Or, la nature de l’espèce comporte une certaine quantité qu’elle ne dépasse pas et qui ne lui fait pas défaut sans erreur. Cependant, cette quantité comporte certains degrés de latitude et ne doit pas être considérée selon une seule mesure déterminée. Or, chaque individu de l’espèce humaine atteint, à l’intérieur de cette latitude, un certain degré de quantité qui se rapporte à la nature de l’individu. Il est conduit à celui-ci au terme de la croissance, s’il n’y a pas eu d’erreur dans l’action de la nature, par laquelle quelque chose a été ajouté ou soustrait à la quantité mentionnée. Or, cette mesure se prend selon la proportion de la chaleur de celui qui croît à l’humidité de ce qui peut croître. C’est pourquoi tous ne ressusciteront pas avec la même quantité, mais chacun ressuscitera avec la quantité qu’il avait au terme de sa croissance, si la nature ne s’était pas trompée ou n’avait pas fait défaut. Ce qui est en plus ou en moins chez un homme, la puissance divine le retranchera ou y suppléera.

[21338] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod jam patet ex dictis quod non dicuntur omnes in eadem aetate resurgere quasi omnibus competat eadem quantitas dimensionis, sed quia idem status perfectionis erit in omnibus: qui quidem status salvari potest in magna et parva quantitate.

1. Il ressort déjà de ce qui a été dit qu’on n’affirme pas que tous ressusciteront avec le même âge, comme si la même quantité dimensionnelle convenait à tous, mais parce que le même état de perfection se trouvera chez tous. Cet état peut être préservé dans une quantité grande ou petite.

[21339] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas hujusmodi individui non solum respondet formae speciei, sed etiam naturae individui, ut ex dictis patet; et ideo ratio non sequitur.

2. La quantité d’un tel individu ne correspond pas seulement à la forme de l’espèce, mais aussi à la nature de l’individu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

[21340] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantitas resurgentis non proportionatur virtuti reparanti, quia illa non est de natura corporis, nec omnibus secundum statum illum in quo sunt ante resurrectionem; sed naturae quam primo individuum habebat. Tamen si virtus formativa propter aliquem defectum non poterat perducere ad debitam quantitatem quae competit speciei, divina virtus supplebit in resurrectione defectum, sicut patet de nanis; et eadem ratio est de illis qui immoderatae magnitudinis fuerunt ultra debitum naturae.

3. La quantité du ressuscité n’est pas proportionnée à la puissance de celui qui restaure, car celle-ci ne fait pas partie de la nature du corps, ni de tous selon l’état dans lequel ils sont avant la résurrection, mais [elle est proportionnée] à la nature qu’un individu avait d’abord. Cependant, si la puissance formative ne pouvait pas, en raison d’une déficience, mener à la quantité appropriée qui convient à l’espèce, la puissance divine suppléera à la déficience lors de la résurrection, comme cela est clair pour les nains. Le même raisonnement vaut pour ceux qui avaient une grandeur demesurée au-delà de ce qui revient à la nature.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21341] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut, considerata natura individui, debetur quantitas diversa diversis hominibus; ita considerata natura individui, debetur diversis diversus sexus; et haec etiam diversitas competit perfectioni speciei, cujus diversi gradus implentur per dictam diversitatem sexus vel quantitatis. Et ideo sicut resurgent homines in diversis staturis, ita in diversis sexibus; et quamvis sit differentia sexuum, deerit tamen confusio mutuae visionis: quia aberit libido incitans ad turpes actus, ex quibus confusio causetur.

De même qu’en prenant en compte la nature d’un individu, une quantité différente revient à des hommes différents, de même, en prenant en compte la nature d’un individu, un sexe différent revient aux différents individus. Cette diversité relèvve aussi de la perfection de l’espèce, dont les divers degrés sont comblés par la diversité de sexe ou de quantité mentionnée. De même que les hommes ressusciteront avec des statures différentes, de même donc le feront-ils avec des sexes différents. Et bien qu’il y ait une différence de sexes, la gêne du regard mutuel sera absente, car le désir désordonné incitant à des actes honteux, par lesquels la gêne est causée, sera absent.

[21342] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicuntur omnes Christo occurrere in virum perfectum, non propter sexum virilem, sed propter virtutem animi, quae erit in omnibus, et viris et mulieribus.

1. On dit que tous accourront vers le Christ en vue de l’homme parfait, non pas en raison du sexe masculin, mais en raison de la puissance de l’esprit qui existera chez tous, hommes et femmes.

[21343] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mulier subditur viro propter imbecillitatem naturae quantum ad vigorem animi et quantum ad robur corporis; sed post resurrectionem non erit differentia in his secundum diversitatem sexuum, sed magis secundum diversitatem meritorum; et ideo ratio non procedit.

2. La femme est soumise à l’homme en raison de la faiblesse de sa nature pour ce qui est de la puissance de l’esprit et de la force du corps ; mais, après la résurrection, il n’y aura pas de différence pour cela en raison de la diversité des sexes, mais plutôt selon la diversité des mérites. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

[21344] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis feminae generatio sit praeter intentionem naturae particularis, est tamen de intentione naturae universalis, quae ad perfectionem humanae speciei utrumque sexum requirit; nec ex sexu erit ibi aliquis defectus, ut ex dictis patet.

3. Bien que la génération de la femme soit en dehors de l’intention de la nature particulière, elle fait cependant partie de l’intention de la nature universelle, qui exige les deux sexes pour la perfection de l’espèce humaine. Et il n’y aura pas là de déficience en raison du sexe, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21345] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod resurrectio non erit necessaria homini propter primam perfectionem ipsius, quae consistit in integritate eorum quae ad naturam spectant, quia ad hoc homo pervenire potest in statu praesentis vitae per actionem causarum naturalium; sed necessitas resurrectionis est ad consequendam ultimam perfectionem, quae consistit in perventione ad finem ultimum, ut in praecedenti distinct., dictum est; et ideo illae operationes naturales quae ordinantur ad primam perfectionem humanae naturae vel causandam vel servandam, non erunt in resurrectione; et hujusmodi sunt actiones animalis vitae in homine, et actiones naturae in elementis, et motus caeli; et ideo omnia haec cessabunt in resurrectione. Et quia comedere et bibere et dormire et generare ad animalem vitam pertinent, cum sint ad primam perfectionem naturae ordinata; in resurrectione talia non erunt.

La résurrection ne sera pas nécessaire pour l’homme en raison de sa perfection première, qui consiste dans l’intégrité de ce qui concerne la nature, car l’homme peut y parvenir dans l’état de la vie présente par l’action des causes naturelles. Mais la résurrection est nécessaire pour obtenir la perfection ultime, qui consiste dans l’atteinte de la fin ultime, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Aussi les opérations naturelles qui sont ordonnées à la perfection première de la nature humaine, soit pour la causer, soit pour la conserver, n’existeront-elles pas lors de la résurrection. Telles sont les opérations de la vie animale chez l’homme, et les actions de la nature dans les éléments et le mouvement du ciel. Tout cela cessera donc lors de la résurrection. Et parce que boire, manger, dormir et engendrer relèvent de la vie animale, puisqu’ils sont ordonnés à la perfection première de la nature, de telles choses n’existeront pas lors de la résurrection.

[21346] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa comestio qua Christus comedit, non fuit necessitatis, quasi cibis indigeret humana natura post resurrectionem; sed fuit potestatis, ut ostenderet se veram naturam humanam resumpsisse, quam prius habuerat in statu illo, quando cum discipulis comederat, et biberat. Haec autem ostensio non erit necessaria in resurrectione communi, quia omnibus notum erit. Et ideo dicitur dispensative Christus manducasse eo modo loquendi quo juristae dicunt, quod dispensatio est communis juris relaxatio; quia Christus intermisit hoc quod est communiter resurgentium, scilicet non uti cibis, propter causam praedictam; et propter hoc ratio non sequitur.

1. L’action de manger, par laquelle le Christ a mangé, n’était pas nécessaire, comme si la nature humaine avait besoin de nourriture après la résurrection ; mais elle a été le fait de sa puissance, afin de montrer qu’il avait repris la véritable nature humaine qu’il avait dans l’état où il avait mangé et bu avec ses disciples. Or, cette manifestation ne sera pas nécessaire lors de la résurrection commune, parce que cela sera connu de tous. C’est donc par mode de dispense que le Christ a mangé, selon la manière de parler des juristes qui disent qu’une dispense est un adoucissement du droit commun, car le Christ a omis ce qui existe d’une manière générale pour les ressuscités, à savoir, le fait de ne pas faire usage de nourriture, pour la cause mentionnée. Pour cette raison, l’argument n’est pas concluant.

[21347] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod differentia sexuum et membrorum erit ad naturae humanae perfectionem reintegrandam et in specie et in individuo; unde non sequitur quod sit frustra, quamvis animales operationes desint.

2. La différence des sexes et des membres existera en vue de la restauration de la perfection de la nature humaine, aussi bien selon l’espèce que selon l’individu. Il n’en découle donc pas qu’elle sera inutile, bien que les opérations animales soient absentes.

[21348] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praedictae operationes non sunt hominis inquantum est homo, ut etiam philosophus dicit; et ideo in eis non consistit beatitudo humani corporis; sed corpus humanum beatificabitur ex redundantia a ratione a qua homo est homo, inquantum erit ei subditum.

3. Les opérations mentionnées plus haut ne relèvent pas de l’homme en tant qu’il est homme, comme le dit le Philosophe. Pour cette raison, la béatitude du corps humain ne consiste donc pas en elles. Mais le corps humain sera rendu bienheureux par un rejaillissement depuis la raison, par laquelle l’homme est homme, pour autant que [le corps] lui sera soumis.

[21349] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod delectationes corporales, sicut dicit philosophus in 7 et 10 Ethic., sunt medicinales, quia adhibentur homini ad tollendum fastidium; vel etiam aegritudinales, inquantum homo eis inordinate delectatur, ac si essent verae delectationes; sicut homo habens infirmum gustum delectatur in quibusdam quae sanis non sunt delectabilia; et ideo non oportet quod tales delectationes sint de perfectione beatitudinis, ut Judaei et Saraceni et quidam haeretici posuerunt, qui vocantur chiliarchae; qui etiam secundum doctrinam philosophi, non videntur sanum affectum habere. Solae enim delectationes spirituales, secundum ipsum, sunt simpliciter delectationes, et propter se quaerendae; et ideo ipsae solae ad beatitudinem requiruntur.

4. Les plaisirs corporels, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII et X, ont un caractère médicinal, car ils sont donnés à l’homme pour écarter l’ennui. Ils ont aussi le caractère de maladie, dans la mesure où l’homme s’en délecte de manière désordonnée, comme s’ils étaient les véritables délectations. Ainsi, l’homme qui a un goût malade prend plaisir à certaines choses, qui ne sont pas sources de plaisir pour ceux qui sont en santé. Aussi n’est-il pas nécessaire que de tels plaisirs fassent partie de la perfection de la béatitude, comme l’ont affirmé les Juifs, les Sarrasins et certains hérétiques, appelés chiliarques, qui, même selon l’enseignement du Philosophe, ne semblent pas posséder une affectivité saine. En effet, seules les délectations spirituelles sont en elles-mêmes et simplement des délectations, et doivent être recherchées pour elles-mêmes. Aussi seules sont-elles nécessaires pour la béatitude.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les conditions des bienheureux]

 

 

Prooemium

Prologue:

[21350] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 pr. Deinde quaeritur de conditionibus beatorum; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de impassibilitate; 2 de subtilitate; 3 de agilitate; 4 de claritate corporum glorificatorum.

On s’interroge ensuite sur les conditions des bienheureux. Quatre questions sont posées à ce propos : 1 – Sur l’impassibilité. 2 – Sur la subtilité. 3 – Sur l’agilité. 4 – Sur l’éclat des corps glorifiés.

 

 

Articulus 1 [21351] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 tit. Utrum corpora sanctorum post resurrectionem erunt passibilia

Article 1 – Les corps des saints après la résurrection seront-ils passibles ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les corps des saints après la résurrection seront-ils passibles ?]

[21352] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod corpora sanctorum post resurrectionem non erunt impassibilia. Omne enim mortale est passibile. Sed homo post resurrectionem erit animal rationale mortale; haec enim est definitio hominis, quae nunquam ab eo separabitur. Ergo corpus erit passibile.

1. Il semble que les corps des saints après la résurrection ne seront pas impassibles. En effet, tout ce qui est mortel est passible. Or, après la résurrection, l’homme sera un animal raisonnable mortel, car telle est la définition de l’homme, qui n’en sera jamais séparée. Le corps sera donc passible.

[21353] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod est in potentia ad formam alterius, est passibile ab illo; quia secundum hoc aliquid est passivum ab alio, ut dicitur in 1 de Generat. Sed corpora sanctorum post resurrectionem erunt in potentia ad aliam formam. Ergo erunt passibilia. Probatio mediae. Quaecumque communicant in materia, unum eorum est in potentia ad formam alterius; materia enim secundum quod est sub una forma, non amittit potentiam ad aliam formam. Sed corpora sanctorum post resurrectionem communicabunt cum elementis in materia, quia ex eadem materia reparabuntur ex qua nunc sunt. Ergo erunt in potentia ad aliam formam; et sic erunt passibilia.

2. Tout ce qui est en puissance par rapport à la forme de quelque chose d’autre est passible par rapport à cela, car, sous cet aspect, cela est passif par rapport à une autre chose, comme on le dit dans Sur la génération, I. Or, les corps des saints après la résurrection seront en puissance par rapport à une autre forme. Ils seront donc passibles. Démonstration de la mineure. Parmi tout ce qui a une matière en commun, l’un est en puissance par rapport à la forme d’un autre. En effet, la matière, selon qu’elle existe sous une forme, ne perd pas sa puissance par rapport à une autre forme. Or, les corps des saints après la résurrection auront en commun les éléments de la matière, car ils seront restaurés de la même matière selon laquelle ils existent maintenant. Ils seront donc en puissance par rapport à une autre forme, et ils seront ainsi passibles.

[21354] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, contraria nata sunt agere et pati ad invicem, ut in 1 de Generat. dicit philosophus. Sed corpora sanctorum post resurrectionem erunt ex contrariis composita, sicut et nunc sunt. Ergo erunt passibilia.

3. Les contraires sont destinés à agir et à subir les uns par rapport aux autres, comme le dit le Philosophe dans Sur la génération, I. Or, les corps des saints après la résurrection seront composés de contraires, comme ils le sont maintenant. Ils seront donc passibles.

[21355] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in corpore humano resurget sanguis et alii humores, ut supra dictum est. Sed ex pugna humorum ad invicem generantur aegritudines et hujusmodi passiones in corpore. Ergo erunt corpora sanctorum post resurrectionem passibilia.

4. Le sang et les autres humeurs ressusciteront dans le corps humain, comme on l’a dit plus haut. Or, les maladies et les passions de cette sorte dans le corps sont engendrées par le combat entre les humeurs. Les corps des saints seront donc passibles après la résurrection.

[21356] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, magis repugnat perfectioni defectus in actu quam defectus in potentia. Sed passibilitas importat solum defectum in potentia. Cum ergo in corporibus beatorum sint futuri aliqui defectus in actu, sicut cicatrices vulnerum in martyribus, ut in Christo fuerunt; videtur quod nihil peribit perfectioni eorum, si corpora illa passibilia ponantur.

5. Une déficience en acte est davantage contraire à la perfection qu’une déficience en puissance. Or, la passibilité comporte une déficience en puissance seulement. Puisqu’il y aura des déficiences en acte dans les corps des bienheureux, telles les cicatrices des blessures chez les martyrs, comme elles ont existé chez le Christ, il semble donc que rien ne manquera à leur perfection si on affirme que ces corps seront passibles.

[21357] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omne passibile est corruptibile; quia passio magis facta abjicit a substantia. Sed corpora sanctorum post resurrectionem erunt incorruptibilia, ut dicitur 1 Corinth. 15, 42: seminatur in corruptione, resurget in incorruptione. Ergo erunt impassibilia.

Cependant, [1] tout ce qui est passible est corruptible, car une passion plus marquée éloigne de la substance. Or, les corps des saints après la résurrection seront incorruptibles, comme on le dit dans 1 Co 15, 42 : Il est semé dans la corruption, il ressuscitera incorruptible. Ils seront donc impassibles.

[21358] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fortius non patitur a debiliori. Sed nullum corpus erit fortius corporibus sanctorum, de quibus dicitur 1 Corinth. 15, 43: seminatur in infirmitate, surget in virtute. Ergo erunt impassibilia.

[2] Ce qui est plus fort ne subit pas ce qui est plus faible. Or, aucun corps ne sera plus fort que les corps des saints, dont il est dit en 1 Co 14, 43 : Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la puissance. Ils seront donc impassibles.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’impassibilité sera-t-elle égale chez tous ?]

[21359] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod impassibilitas in omnibus erit aequalis. Quia 1 Corinth., 15, dicit Glossa, quod aequaliter omnes habent quod pati non possunt. Sed ex hoc erit eis quod non possint pati, quod habent dotem impassibilitatis. Ergo impassibilitas erit aequalis in omnibus.

1. Il semble que l’impassibilité sera égale chez tous, car la Glose sur 1 Co 15 dit que « tous seront tels qu’ils ne pourront pas souffrir. » Or, ils seront tels qu’ils ne pourront pas souffrir du fait qu’ils possèdent la dot de l’impassibilité. L’impassibilité sera donc égale chez tous.

[21360] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, negationes non recipiunt magis et minus. Sed impassibilitas est quaedam negatio vel privatio passibilitatis. Ergo non potest esse major in uno quam in alio.

2. Les négations n’acceptent pas le plus et le moins. Or, l’impassibilité est une négation ou une privation de passibilité. Elle ne peut donc pas être plus grande chez l’un que chez l’autre.

[21361] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, magis album dicitur quod est nigro impermixtius. Sed nulli corpori sanctorum admiscebitur aliquid de passibilitate. Ergo omnia erunt impassibilia aequaliter.

3. On appelle plutôt blanc ce qui est moins mélangé de noir. Or, à aucun des corps des saints ne sera mêlé quelque chose venant de la passibilité. Tous seront donc également impassibles.

[21362] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, merito debet respondere praemium proportionaliter. Sed sanctorum quidam fuerunt aliis majoris meriti. Ergo cum impassibilitas sit quoddam praemium, videtur quod in quibusdam sit major quam in aliis.

Cependant, [1] au mérite doit correspondre proportionnellement la récompense. Or, certains saints ont eu plus de mérite que d’autres. Puisque l’impassibilité est une récompense, il semble donc qu’elle est plus grande chez certains que chez d’autres.

[21363] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, impassibilitas dividitur contra dotem claritatis. Sed illa non erit aequalis in omnibus, ut patet 1 Corinth. 15. Ergo nec impassibilitas.

2. L’impassibilité se distingue de la dot de l’éclat. Or, celui-ci ne sera pas égal chez tous, comme cela ressort de 1 Co 15. Donc, ni l’impassibilité.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’impassibilité exclut-elle des corps glorieux la sensation en acte ?]

[21364] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod impassibilitas sensum in actu a corporibus gloriosis excludat. Quia, sicut dicit philosophus in 2 de anima, sentire quoddam pati est. Corpora autem gloriosa erunt impassibilia. Ergo non sentient in actu.

1. Il semble que l’impassibilité exclue des corps glorieux la sensation en acte, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II, sentir, c’est subir d’une certaine manière. Or, les corps glorieux seront impassibles. Ils n’auront donc pas de sensation en acte.

[21365] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, immutatio naturalis praecedit immutationem animalem, sicut esse naturale praecedit esse intentionale. Sed corpora gloriosa ratione impassibilitatis non immutabuntur immutatione naturali. Ergo nec immutatione animali, quae requiritur ad sentiendum.

2. Le changement naturel précède le changement animal, comme l’être naturel précède l’être intentionnel. Or, en raison de l’impassibilité, les corps glorieux ne seront pas changés par un changement naturel. Donc, ni par un changement animal, qui est requis pour sentir.

[21366] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quandocumque fit sensus in actu nova receptione, fit novum judicium. Sed ibi non erit novum judicium, quia non erunt ibi cogitationes volubiles. Ergo non fiet sensus in actu.

3. Chaque fois que le sens est mis en acte par une nouvelle réception, un nouveau jugement se produit. Or, il n’y aura pas là de nouveau jugement parce qu’il n’y aura pas là de pensées changeantes. Le sens ne sera donc pas mis en acte.

[21367] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, quando anima est in actu unius potentiae, remittitur actus alterius potentiae. Sed anima summe erit intenta ad actum virtutis intellectivae, qua Deum contemplabitur. Ergo non erit aliquo modo in actu sensitivae.

4. Lorsque l’âme est en acte d’une puissance, l’acte d’une autre puissance est repoussé. Or, l’âme sera au plus haut point concentrée sur l’acte de la puissance intellective par laquelle Dieu sera contemplé. Elle ne sera donc pas de quelque manière en acte de la puissance sensible.

[21368] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apocal. 1, 7: videbit eum omnis oculus. Ergo erit ibi sensus in actu.

Cependant, [1] il est dit dans Ap 1, 7 : Tout œil le verra. Le sens sera donc alors en acte.

[21369] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in 1 de anima, animatum ab inanimato distinguitur sensu et motu. Sed erit ibi motus in actu, quia tamquam scintillae in arundineto discurrent; Sap. 3, 7. Ergo et sensus in actu.

[2] Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, I, l’animé se distingue de l’inanimé par le sens et le mouvement. Or, il y aura là un mouvement en acte, car ils courront comme les étincelles dans les roseaux, Sg 3, 7. Le sens sera donc aussi en acte.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Tous les sens seront-ils alors en acte ?]

[21370] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sint ibi omnes sensus in actu. Tactus enim est primus inter alios sensus, ut dicitur in Lib. de anima. Sed corpora gloriosa carebunt actu sensus tactus; quia sensus tactus fit in actu per immutationem corporis animalis ab aliquo exteriori corpore praedominante in aliqua qualitatum activarum vel passivarum, quarum est tactus discretivus; qualis immutatio tunc esse non poterit. Ergo non erit ibi omnis sensus in actu.

1. Il semble que tous les sens ne sont pas alors en acte. En effet, le toucher est premier par rapport aux autres sens, comme il est dit dans le livre Sur l’âme. Or, le sens du toucher fera défaut aux corps glorieux, car le sens du toucher est mis en acte par un changement du corps animal [réalisé] par un corps extérieur qui l’emporte par une des qualités actives ou passives, entre lesquelles le toucher juge. Or, un tel changement ne pourra alors exister. Tous les sens ne seront donc pas alors en acte.

[21371] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sensus gustus deservit actui virtutis nutritivae. Sed, sicut supra, quaest. praec., art. 3, quaestiunc. 5, in corp., dictum est, post resurrectionem hujusmodi actus non erit. Ergo frustra esset ibi gustus.

2. Le sens du goût est au service de l’acte de la puissance nutritive. Or, comme on l’a dit à la question précédente, a. 3, qa 5, c., il n’y aura pas d’acte de ce genre après la résurrection. Le goût y serait donc inutile.

[21372] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, post resurrectionem nihil corrumpetur; quia tota creatura vestietur quadam virtute incorruptionis. Sed sensus odoratus in actu suo esse non potest nisi aliqua corruptione facta; quia odor non sentitur sine aliqua fumali evaporatione, quae in quadam resolutione consistit. Ergo sensus odoratus non erit ibi in suo actu.

3. Après la résurrection, rien ne sera corrompu, car toute créature sera revêtue d’une puissance d’incorruption. Or, le sens de l’odorat ne peut exister en son acte sans que ne se produise une corruption, car l’odeur n’est pas sentie sans une évaporation sous forme de fumée, qui consiste dans une décomposition. Le sens de l’odorat n’y existera donc pas en son acte.

[21373] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, auditus deservit disciplinae, ut dicitur in Lib. de sensu et Sens. Sed non erit post resurrectionem beatis necessaria aliqua disciplina per sensibilia; quia divina sapientia replebuntur ex ipsius Dei visione. Ergo non erit ibi auditus.

4. L’ouïe sert à l’enseignement, comme on le dit dans le livre Sur le sens et ce qui est senti. Or, un enseignement par les choses sensibles ne sera pas nécessaire pour les bienheureux après la résurrection, car ils seront remplis de sagesse divine par la vision de Dieu lui-même. Il n’y aura donc pas là d’ouïe.

[21374] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 5 Praeterea, visio fit secundum quod in pupilla recipitur species rei visae. Sed hoc non poterit esse post resurrectionem in beatis. Ergo non erit ibi visus in actu, qui tamen est omnium sensuum nobilior. Probatio mediae. Illud quod est lucidum in actu, non est receptivum speciei visibilis; unde speculum directe positum sub radio solis non repraesentat speciem corporis oppositi. Sed pupilla, sicut et totum corpus, erit claritate dotata. Ergo non recipietur in ea aliqua species colorati corporis.

5. La vision se réalise par le fait que l’espèce de la chose vue est reçue dans la pupille. Or, cela ne pourra être le cas après la résurrection chez les bienheureux. Il n’y existera donc pas de vision en acte, qui est cependant le plus noble de tous les sens. Démonstration de la mineure. Ce qui est lumineux en acte n’est pas susceptible de recevoir l’espèce visible ; ainsi le miroir directement placé sous le rayon du soleil n’est pas en mesure de recevoir l’espèce d’un corps opposé. Or, la pupille, comme tout le corps, sera dotée de clarté. Une espèce du corps coloré ne sera donc pas reçue en elle.

[21375] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 6 Praeterea, secundum perspectivos, omne quod videtur, sub angulo videtur. Sed hoc non competit corporibus gloriosis. Ergo non habebunt sensum visus in actu. Probatio mediae. Quandocumque aliquid videtur sub angulo, oportet esse aliquam proportionem anguli ad distantiam rei visae; quia quod a remotiori videtur, minus videtur, et sub minori angulo; unde posset esse ita parvus angulus quod nihil de re videretur. Si ergo oculus gloriosus videbit sub angulo, oportet quod videat sub terminata distantia; et ita, quod non videat aliquid a remotiori quam modo videmus: quod videtur valde absurdum; et sic videtur quod sensus visus actu non erit in corporibus gloriosis.

6. Selon ceux qui s’occupent de la perspective, tout ce qui est vu est vu sous un certain angle. Or, cela ne convient pas aux corps glorieux. Ils ne posséderont donc pas le sens de la vue en acte. Démonstration de la mineure. Chaque fois que quelque chose est vu sous un certain angle, il est nécessaire qu’existe une proportion entre l’angle et la distance de la chose vue, car ce qui est vu de loin est moins vu et sous un plus petit angle. L’angle pourrait donc être si petit que rien ne serait vu de la chose. Si donc l’œil glorieux voit sous un angle, il est nécessaire qu’il voie d’une distance déterminée ; et ainsi, [il est nécessaire] qu’il ne voie pas quelque chose de plus loin que nous ne le voyons maintenant, ce qui semble tout à fait absurde. Ainsi, il semble que le sens de la vue en acte n’existera pas chez les corps glorieux.

[21376] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, potentia conjuncta actui est perfectior quam non conjuncta. Sed natura humana erit in beatis in maxima perfectione. Ergo erunt ibi omnes sensus in suo actu.

Cependant, [1] la puissance unie à l’acte est plus grande que celle qui ne l’est pas. Or, la nature humaine existera chez les bienheureux selon sa plus grande perfection. Tous les sens y existeront donc en acte.

[21377] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qa 4 s. c. 2 Praeterea, vicinius se habent ad animam potentiae sensitivae quam corpus. Sed corpus praemiabitur vel punietur propter merita et demerita animae. Ergo et omnes sensus praemiabuntur in beatis et punientur in malis secundum delectationem et dolorem vel tristitiam, quae in operatione sensus consistunt.

[2] Les puissances sensibles ont un rapport plus étroit avec l’âme que le corps. Or, le corps sera récompensé ou puni pour les mérites ou les démérites de l’âme. Tous les sens seront donc récompensés chez les bienheureux et punis chez les méchants, selon le plaisir et la douleur ou tristesse qui se trouvent dans l’opération du sens.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21378] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod passio dupliciter dicitur. Uno modo communiter: et sic omnis receptio passio dicitur; sive illud quod recipitur, sit conveniens recipienti et perfectivum ipsius, sive contrarium et corruptivum; et ab hujusmodi passionis remotione corpora gloriosa impassibilia non dicuntur, cum nihil quod est perfectionis, eis sit auferendum. Alio modo dicitur proprie, quam sic definit Damascenus in 2 Lib.: passio est motus praeter naturam; unde immoderatus motus cordis passio ejus dicitur; sed moderatus dicitur ejus operatio; cujus ratio est, quia omne quod patitur, trahitur ad terminos agentis, quia agens assimilat sibi patiens; et ideo patiens, inquantum hujusmodi, trahitur extra terminos proprios in quibus erat. Sic ergo proprie accipiendo passionem, non erit in corporibus sanctorum resurgentium potentialitas ad passionem; et ideo impassibilia dicuntur. Hujus autem impassibilitatis ratio a diversis diversimode assignatur. Quidam enim attribuunt eam conditioni elementorum, quae aliter se habebunt tunc in corpore quam modo se habent. Dicunt enim quod elementa remanebunt ibi secundum substantiam, sed qualitates activae et passivae ab elementis auferentur. Sed hoc non videtur verum; quia qualitates activae et passivae sunt de perfectione elementorum; unde si sine eis repararentur, elementa in corpore resurgentis essent minoris perfectionis quam modo sunt. Et praeterea, cum qualitates illae sint propria accidentia elementorum, ex forma et materia ipsorum causata, videtur valde absurdum quod, causa manente, effectus tollatur. Et ideo alii dicunt, quod manebunt qualitates, sed non habebunt proprias actiones, divina virtute id faciente ad conservationem humani corporis. Sed hoc etiam non videtur posse stare; quia ad mixtionem requiritur actio activarum et passivarum qualitatum; et secundum praedominium unius vel alterius, mixta efficiuntur diversae complexionis; quod oportet ponere in corpore resurgentis; quia erunt ibi carnes et ossa, et hujusmodi partes, quibus omnibus non competit una complexio. Et praeterea, secundum hoc, impassibilitas non posset poni dos in eis, quia non poneret aliquam dispositionem in substantia impassibili, sed solum prohibitionem passionis ab exteriori, scilicet divina virtute; quae etiam posset idem facere de corpore hominis in statu hujus vitae. Et ideo alii dicunt, quod in ipso corpore erit aliquod prohibens passionem corporum gloriosorum, scilicet natura quinti corporis, quam ponunt venire in compositionem humani corporis ad conciliandum elementa in harmoniam quamdam, per quam possint esse debita materia animae rationalis; sed tamen in statu hujus viae, propter dominium naturae elementaris, corpus humanum patitur ad similitudinem aliorum elementorum; sed in resurrectione dominabitur natura quinti corporis; et ideo corpus humanum reddetur impassibile ad similitudinem corporis caelestis. Sed hoc non potest stare: quia corpus quintum non venit materialiter ad compositionem humani, ut in 2 Lib., dist. 17, quaest. 3, art. 1, ostensum est. Et praeterea impossibile est dicere, quod aliqua virtus naturalis, qualis est virtus corporis caelestis, transferat corpus humanum ad proprietatem gloriae, qualis est impassibilitas corporis gloriosi; cum immutationem corporis humani apostolus attribuat virtuti Christi: quia qualis caelestis, tales et caelestes: 1 Corinth. 15; et Philip. 3, 21: reformabit corpus humilitatis nostrae, configuratum corpori claritatis suae, secundum operationem qua etiam possit subjicere sibi omnia. Et praeterea non potest natura caelestis ita dominari in corpore humano, quin natura elementaris remaneat, cui ex essentialibus suis principiis passibilitas inest. Et ideo aliter dicendum, quod omnis passio fit per victoriam agentis super patiens; alias non traheret ipsum ad suos terminos. Impossibile est autem quod aliquid dominetur supra patiens nisi inquantum debilitatur dominium formae propriae supra materiam patientis, loquendo de passione quae est circa materiam, de qua nunc loquimur. Non enim potest materia subjici uni contrariorum sine hoc quod tollatur dominium alterius super ipsam, vel saltem diminuatur. Corpus autem humanum, et quidquid in eo est, perfecte erit subjectum animae rationali, sicut etiam ipsa perfecte subjecta erit Deo; et ideo in corpore glorioso non poterit esse aliqua mutatio contra dispositionem illam qua perficitur ab anima; et ideo corpora illa erunt impassibilia.

On parle de passion de deux manières. D’une manière, de façon générale. Ainsi, toute réception est une passion, soit que ce qui est reçu convienne à ce qui reçoit et le perfectionne, soit qu’il lui soit contraire et le corrompe. On ne dit pas que les corps glorieux sont impassibles par l’enlèvement d’une telle passion, puisque rien de ce qui relève de la perfection ne doit leur être enlevé. D’une autre manière, on parle [de la passion] au sens propre. [Jean] Damascène la définit ainsi dans le livre II : « La passion est un mouvement qui dépasse la nature. » Ainsi un mouvement démesuré du cœur est appelé une passion, mais son mouvement mesuré est appelé son opération. La raison en est que tout ce qui subit est attiré vers les limites de ce agit, car l’agent s’assimile le patient. C’est pourquoi ce qui subit est attiré en tant que tel hors des limites propres à l’intérieur desquelles il se trouvait. En entendant ainsi la passion au sens propre, il n’existera pas de possibilité de passion dans les corps glorieux des saints ressuscités ; ils sont donc appelés impassibles. Or, la raison de cette impassibilité est donnée de manière différente par divers auteurs. En effet, certains l’attribuent à la condition des éléments, qui se trouveront alors autrement dans le corps qu’ils ne s’y trouvent maintenant. Ils disent en effet que les éléments y demeureront selon leur substance, mais que les qualités actives et passives seront enlevées aux éléments. Mais cela ne semble pas vrai, car les qualités actives et passives font partie de la perfection des éléments. S’ils étaient restaurés sans elles, les éléments du corps de celui qui ressuscite auraient donc une perfection moindre qu’ils ne l’ont maintenant. De plus, puisque ces qualités sont des accidents propres des éléments causés par leur forme et leur matière, il semble tout à fait absurde que si la cause demeure, l’effet soit enlevé. C’est pourquoi d’autres disent que les qualités demeureront, mais qu’elles n’auront pas leurs actions propres, par l’effet de la puissance divine qui fait cela en vue de la conservation du corps humain. Mais cela non plus ne semble pas pouvoir se tenir, car l’action des [qualités] actives et passives est requise pour le mélange et, selon la prédominance de l’une ou de l’autre, les corps mixtes ont une complexion diverse, ce qu’il faut affirmer pour le corps de celui qui ressuscite, car il y aura là de la chair et des os, et les parties de ce genre. De plus, d’après cela, l’impassibilité ne pourrait être donnée comme une dot pour eux, car elle ne mettrait pas de disposition dans la substance impassible, mais seulement un empêchement de passion par quelque chose d’extérieur, à savoir, la puissance divine, qui pourrait faire la même chose pour le corps de l’homme dans l’état de la vie présente. C’est pourquoi d’autres disent qu’il y aura dans le corps lui-même quelque chose qui empêchera la passion chez les corps glorieux, à savoir, la nature du cinquième corps, qu’ils affirment entrer dans la composition du corps humain, pour concilier les éléments selon une certaine harmonie, par laquelle puisse exister une maatière appropriée pour l’âme raisonnable. Cependant, dans l’état de la vie présente, en raison de la prédominance de la nature élémentaire, le corps humain subit à la manière des autres éléments ; mais, lors de la résurrection, la nature du cinquième corps l’emportera, de sorte que le corps humain sera rendu impassible à l’image du corps céleste. Mais cela n’est pas possible, car le cinquième corps n’entre pas matériellement dans la composition du corps humain, comme on l’a montré dans le livre II, d. 17, q. 3, a. 1. De plus, il est impossible de dire qu’une puissance naturelle, comme l’est la puissance du corps céleste, fait passer le corps humain à une propriété de la gloire, comme l’est l’impassibilité du corps glorieux, puisque l’Apôtre attribue l’absence de changement dans le corps humain à la puissance du Christ, car ceux-ci seront célestes comme lui est céleste, 1 Co 15 et Ph 3, 21 : Il reformera notre corps humilié en le configurant à son corps de gloire, selon l’action par laquelle il peut se soumettre toutes choses. De plus, la nature céleste ne peut à ce point l’emporter dans le corps humain, sans que la nature élémentaire ne demeure, à laquelle la passibilité est inhérente par ses principes essentiels. Il faut donc parler autrement : toute passion apparaît par la victoire d’un agent sur un patient, autrement il ne l’entraînerait pas vers ses limites. Or, il est impossible que quelque chose l’emporte sur un patient que si la domination de sa forme propre sur la matière du patient n’est pas affaiblie (en parlant de la passion qui existe dans une matière, dont nous parlons maintenant). En effet, la matière ne peut pas être soumise à l’un des contraires sans que ne soit enlevée ou tout au moins diminuée la domination de l’autre sur elle. Or, le corps humain et tout ce qui existe en lui sera parfaitement soumis à l’âme raisonnable, comme aussi celle-ci sera parfaitement soumise à Dieu. C’est pourquoi, dans le corps glorieux, il ne pourra exister de changement contraire à la disposition par laquelle il est perfectionné par l’âme. C’est pourquoi ces corps seront impassibles.

[21379] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Anselmum, mortale ponitur in definitione hominis a philosophis, qui non crediderunt hominem totum aliquando posse esse immortalem, quia non viderunt homines nisi secundum hujusmodi mortalitatis statum. Vel potest dici, quod, secundum philosophum in 8 Metaph., quia differentiae essentiales sunt nobis incognitae, utimur quandoque differentiis accidentalibus ad significandum essentiales differentias, quae sunt accidentalium causae; unde mortale non ponitur in definitione hominis quasi ipsa mortalitas ad essentiam hominis pertineat; sed quia illud quod est causa passibilitatis et mortalitatis secundum praesentem statum, scilicet compositio ex contrariis, est de essentia hominis; sed tunc non erit causa ejus propter victoriam animae super corpus.

1. Selon Anselme, « mortel » a été mis dans la définition de l’homme par les philosophes, qui ne croyaient pas que l’homme entier pourrait un jour être immortel, parce qu’ils n’ont vu les hommes que dans cet état de mortalité. Ou bien on peut dire que, selon le Philosophe, dans Métaphysique, VIII, parce que les différences essentielles nous sont inconnues, nous utilisons parfois des distinctions accidentelles pour signifier les différences essentielles, qui sont causes des différences accidentelles. « Mortel » n’est donc pas mis dans la définition de l’homme comme si la mortalité elle-même appartenait à l’essence de l’homme, mais parce que ce qui est cause de la passibilité et de la mortalité dans l’état présent, à savoir, la composition de contraires, fait partie de l’essence de l’homme. Mais, alors, elle n’en sera pas la cause en raison de la victoire de l’âme sur le corps.

[21380] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est potentia: ligata, et libera; et hoc non solum est verum de potentia activa, sed etiam passiva. Forma enim ligat potentiam materiae, determinando ipsam ad unum, secundum quod dominatur super eam. Et quia in rebus corruptibilibus non perfecte dominatur forma super materiam, non perfecte potest ligare ipsam, quin recipiat interdum per aliquam passionem dispositionem contrariam formae. Sed in sanctis post resurrectionem omnino anima dominabitur supra corpus; nec illud dominium aliquo modo poterit auferri, quia ipsa erit immutabiliter Deo subjecta, quod non fuit in statu innocentiae; et ideo in corporibus illis manet eadem potentia ad formam aliam quae nunc inest, quantum ad substantiam potentiae; sed erit ligata per victoriam animae supra corpus, ut nunquam in actum passionis exire possit.

2. Il existe une double puissance : liée et libre. Et cela n’est pas vrai seulement d’une puissance active, mais aussi d’une puissance passive. En effet, la forme lie la puissance de la matière en la déterminant à une seule chose, selon qu’elle la domine. Et parce que, dans les choses corruptibles, la forme ne domine pas parfaitement la matière, elle ne peut la lier parfaitement, de sorte qu’elle ne reçoive parfois par une passion la disposition d’une forme contraire. Mais, chez les saints après la résurrection, l’âme dominera entièrement le corps, et cette domination ne pourra être enlevée d’aucune manière, parce qu’elle sera soumise à Dieu de manière immuable, ce qui n’était pas le cas dans l’état d’innocence. La même puissance à une autre forme qui y est maintenant présente demeure donc dans ces corps, pour ce qui est la substance de la puissance, mais elle sera liée par la victoire de l’âme sur le corps, de sorte qu’il ne pourra jamais aller vers l’acte d’une passion.

[21381] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod qualitates elementares sunt instrumenta animae, ut patet in 2 de anima; quia calor ignis in corpore animalis regulatur in actu nutriendi per virtutem animae. Quando autem agens principale est perfectum, et non est aliquis defectus in instrumento, nulla actio procedit ab instrumento nisi secundum dispositionem principalis agentis; et ideo in corporibus sanctorum post resurrectionem nulla actio vel passio poterit provenire a qualitatibus elementaribus quae sit contra dispositionem animae, quae intendit conservare corpus.

3. Les qualités élémentaires sont les instruments de l’âme, comme cela ressort de Sur l’âme, II, car la chaleur du feu dans le corps animal est réglée dans l’acte de nutrition par la puissance de l’âme. Mais lorsque l’agent principal est parfait et qu’il n’existe pas de déficience dans l’instrument, aucune action ne vient de l’instrument que selon la disposition de l’agent principal. Ainsi, dans les corps des saints après la résurrection, aucune action ou passion contraire à la disposition de l’âme, qui s’efforce de conserver le corps, ne pourra provenir des qualités élémentaires.

[21382] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, secundum Augustinum in epistola ad Consentium, quod valet divina potentia de ista visibili atque tractabili natura corporum, quibusdam manentibus, auferre quas voluerit qualitates; unde sicut ab igne fornacis Chaldaeorum abstulit virtutem comburendi quantum ad aliquid, quia corpora puerorum illaesa servata sunt; sed mansit quantum ad aliquid, quia ille ignis ligna comburebat: ita auferet ab humoribus passibilitatem, et dimittet naturam. Modus autem quo hoc fiet, dictus est.

4. Selon Augustin, dans la lettre à Consentius, « de même que la puissance divine peut enlever à cette nature visible et transformable des corps certaines qualités, en en laissant demeurer d’autres (ainsi, de même qu’elle a dans une certaine mesure enlevé au feu de la fournaise des Chaldéens la puissance de brûler, puisque les corps des enfants sont restés intacts, mais que [cette puissance de brûler] est demeurée dans une certaine mesure, puisque ce feu brûlait le bois), de même enlèvera-t-elle aux humeurs la passibilité et écartera-t-elle la nature ». On a dit le mode selon lequel cela se réalisera.

[21383] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cicatrices vulnerum non erunt in sanctis, nec in Christo fuerunt, inquantum importent aliquem defectum, sed inquantum sunt signa constantissimae virtutis qua passi sunt pro justitia et fide; ut ex hoc et ipsis et aliis gaudium crescat; unde dicit Augustinus, 22 de civitate Dei: nescio quomodo sic afficimur amore martyrum beatorum, ut velimus in illo regno in eorum corporibus videre vulnerum cicatrices, quae pro Christi nomine pertulerunt: et fortasse videbimus. Non deformitas in eis, sed dignitas erit; et quaedam quamvis in corpore, non corporis, sed virtutis pulchritudo fulgebit. Nec tamen si aliqua martyribus amputata et ablata sunt membra, sine ipsis membris erunt in resurrectione mortuorum, quibus dictum est, Luc. 22, 18: capillus de capite vestro non peribit.

5. Les cicatrices des blessures ne se trouveront pas chez les saints, comme elles ne se sont pas trouvées chez le Christ, en tant qu’elles comportent une certaine déficience, mais en tant qu’elles sont les signes de la très grande constance dans la vertu, par laquelle ils ont souffert pour la justice et la foi. Aussi Augustin dit-il, dans La cité de Dieu, XXII : « Je ne sais comment nous sommes touchés par l’amour des bienheureux martyrs, que nous voulions voir dans leurs corps en ce royaume les cicatrices des blessures qu’ils ont supportées pour le nom du Christ. Peut-être les verrons-nous. Il n’y aura pas en elles de difformité, mais une dignité ; et la beauté de la vertu resplendira dans le corps, tout en ne venant pas du corps. » Cependant, si certains membres ont été amputés ou enlevés aux martyrs, ils ne seront pas sans ces membres lors de la résurrection des morts, eux à qui a été dit, Lc 22, 18 : Aucun cheveu de votre tête ne périra.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21384] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod impossibilitas potest dupliciter considerari: vel secundum se, vel secundum causam suam. Si secundum se consideretur, quia solam privationem vel negationem importat, non suscipit magis et minus, sed erit aequalis in omnibus beatis. Si autem consideretur secundum causam suam, sic erit major in uno quam in alio. Causa autem ejus est dominium animae super corpus; quod quidem dominium causatur ex hoc quod servitur Deo immobiliter; unde in illo qui perfectius fruitur, est major impassibilitatis causa.

L’impassibilité (corr. impossibilitas/impassibilitas) peut être considérée de deux manières : en elle-même ou selon sa cause. Si on la considère en elle-même, parce qu’elle ne comporte qu’une privation ou une négation, elle ne reçoit pas de plus et de moins, mais elle sera égale chez tous les bienheureux. Mais si elle est considérée selon sa cause, elle sera ainsi plus grande chez l’un que chez l’autre. Or, sa cause est la domination de l’âme sur le corps. Mais cette domination est causée par le fait qu’elle sert Dieu d’une manière immuable. Ainsi, chez celui qui en jouit plus parfaitement, la cause de l’impassibilité est plus grande.

[21385] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Glossa illa loquitur de impassibilitate secundum se, et non secundum causam suam.

1. Cette glose parle de l’impassibilité en elle-même, et non selon sa cause.

[21386] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis negationes et privationes secundum se non intendantur nec remittantur; tamen intenduntur et remittuntur ex causis suis; sicut dicitur esse locus magis tenebrosus qui habet plura et majora obstacula lucis.

2. Bien que les négations et les privations ne s’intensifient pas et ne diminuent pas, elles s’intensifient et diminuent cependant en fonction de leurs causes, de la même manière qu’on dit d’un endroit qu’il est plus ténébreux lorsqu’il comporte des obstacles plus nombreux et plus grands à la lumière.

[21387] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliqua non solum intenduntur per recessum a contrario, sed etiam per accessum ad terminum, sicut lux intenditur; et propterea etiam impassibilitas est major in uno quam in alio, quamvis in nullo aliquid passibilitatis remaneat.

3. Certaines choses ne s’intensifient pas seulement en s’éloignant de leur contraire, mais aussi en se rapprochant du terme, comme s’intensifie la lumière. Pour cette raison, l’impassibilité aussi est plus grande chez l’un que chez l’autre, bien que rien de la passibilité ne demeure chez aucun.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21388] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquem sensum esse in corporibus beatorum, omnes ponunt: alias vita corporalis sanctorum post resurrectionem assimilaretur magis somno quam vigiliae: quod non competit illi perfectioni, eo quod in somno corpus sensibile non est in ultimo actu vitae, propter quod somnus dicitur vitae dimidium in 1 Ethic. Sed in modo sentiendi diversi diversa opinantur. Quidam enim dicunt, quod quia gloriosa corpora erunt impassibilia, et propter hoc non receptibilia peregrinae impressionis, et multo minus quam corpora caelestia; non erit ibi sensus in actu per receptionem alicujus speciei a sensibilibus, sed magis extra mittendo. Sed hoc non potest esse: quia in resurrectione natura speciei manebit eadem in homine et in omnibus partibus ejus. Hujusmodi autem est natura sensus, ut sit potentia passiva, ut in 2 de anima probat philosophus; unde si in resurrectione sancti sentirent extra mittendo, et non recipiendo, non esset sensus in eis virtus passiva; et sic non esset ejusdem speciei cum sensu qui nunc est, sed esset aliqua alia virtus eis data: sicut enim materia nunquam fit forma, ita potentia passiva nunquam fit activa. Et ideo alii dicunt, quod sensus in actu fiet per susceptionem non quidem ab exterioribus sensibilibus, sed per effluxum a superioribus viribus; ut sicut nunc superiores vires accipiunt ab inferioribus, ita tunc e converso inferiores accipient a superioribus. Sed ille motus receptionis non facit vere sentire: quia omnis potentia passiva secundum suae speciei rationem determinatur ad aliquod speciale activum: quia potentia, inquantum hujusmodi, habet ordinem ad illud respectu cujus dicitur; unde cum proprium activum in sensu exteriori sit res existens extra animam, et non intentio ejus existens in imaginatione vel ratione; si organum sentiendi non moveatur a rebus extra, sed ex imaginatione, vel aliis superioribus viribus, non erit vere sentire. Unde non dicimus quod phrenetici et alii mente capti, in quibus propter victoriam imaginativae virtutis fit hujusmodi fluxus specierum ad organa sentiendi, vere sentiant, sed quod videtur eis quod sentiant. Et ideo dicendum est cum aliis, quod sensus corporum gloriosorum erit per susceptionem a rebus quae sunt extra animam. Sed sciendum, quod organa sentiendi immutantur a rebus quae sunt extra animam, dupliciter. Uno modo immutatione naturali, quando scilicet organum disponitur eadem qualitate naturali qua disponitur res extra animam quae agit in ipsum; sicut cum manus fit calida et adusta ex tactu rei calidae, vel odorifera ex tactu rei odoriferae. Alio modo immutatione spirituali, quando recipitur qualitas sensibilis in instrumento secundum esse spirituale, idest species sive intentio qualitatis, et non ipsa qualitas; sicut pupilla recipit speciem albedinis, et tamen ipsa non efficitur alba. Prima ergo receptio non causat sensum per se loquendo, quia sensus est susceptivus specierum in materia praeter materiam, idest praeter esse materiale quod habebant extra animam, ut dicitur in 2 de anima; et haec receptio immutat naturam recipientis, quia recipitur hoc modo qualitas secundum esse suum materiale. Unde ista receptio non erit in corporibus gloriosis, sed secunda quae per se facit sensum in actu, et non immutat naturam recipientis.

Tous affirment que le sens existe dans les corps des bienheureux, autrement la vie corporelle des saints après la résurrection ressemblerait plutôt au sommeil qu’à la veille, ce qui ne convient pas à cette perfection du fait que, dans le sommeil, le corps sensible n’est pas en acte ultime de la vie, raison pour laquelle le sommeil est appelé une moitié de vie, dans Éthique, I. Mais les opinions divergent sur la manière de sentir. En effet, certains disent que, parce que les corps glorieux seront impassibles et, pour cette raison, ne pourront pas recevoir d’impression comme en l’état de pèlerinage, et encore bien moins que les corps célestes, il n’y aura pas là de sens en acte par la réception d’une espèce à partir des objets sensibles, mais plutôt en [en] envoyant à l’extérieur. Mais cela est impossible, car, lors de la résurrection, la nature de l’espèce restera la même dans l’homme et dans toutes ses parties. Or, la nature du sens est telle qu’il est une puissance passive, comme le démontre le Philosophe, dans Sur l’âme, II. Si donc, lors de la résurrection, les saints ressentaient en envoyant à l’extérieur, et non en recevant, le sens ne serait pas en eux une puissance passive. Il ne serait donc pas de la même espèce que le sens qui existe maintenant, mais il serait une puissance qui leur est donnée. En effet, de même que la matière ne devient jamais la forme, de même une puissance passive ne devient-elle jamais une puissance active. C’est pourquoi d’autres disent que le sens passera à l’acte par une réception, non pas à partir des sens extérieurs, mais par une influence exercée par les puissances supérieures ; de même que les puissances supérieures reçoivent des inférieures, de même alors, en sens inverse, les puissances inférieures recevront-elles des puissances supérieures. Mais ce mouvement de réception ne fait pas vraiment sentir, car toute puissance passive est déterminée, selon la raison de son espèce, à quelque chose de particulier qui est actif, car la puissance, en tant que telle, est ordonnée à ce par rapport à quoi elle porte son nom. Puisque ce qui est à proprement parler actif dans le sens extérieur est une chose existant hors de l’âme, et non son intention existant dans l’imagination ou dans la raison, si l’organe de la sensation n’est pas mû par les choses extérieures, mais par l’imagination ou par d’autres puissances supérieures, ce ne sera pas véritablement une sensation. Ainsi ne disons-nous pas que ceux qui sont atteints de frénésie et les autres dont l’esprit est captif, chez qui, en raison de la victoire de la puissance imaginative, se réalise cet écoulement des espèces vers les organes de la sensation, ont vraiment des sensations, mais qu’il leur semble avoir des sensations. C’est pourquoi il faut dire avec d’autres que la sensation des corps glorieux se réalisera par une réception à partir des choses qui existent hors de l’âme de deux manières. D’une manière, par un changement naturel, lorsque l’organe est disposé par la même qualité naturelle que la chose extérieure qui agit sur lui, comme lorsque la main devient chaude et brûlée par le contact avec une chose qui est chaude, ou parfumée par le contact avec une chose odoriférante. D’une autre manière, par un changement spirituel, lorsqu’une qualité sensible est reçue dans l’organe selon son être spirituel, à savoir, l’espèce ou l’intention de la qualité, et non la qualité elle-même, comme la pupille reçoit l’espèce de la blancheur, et cependant ne devient pas elle-même blanche. La première réception ne cause donc pas la sensation à parler en soi, car le sens est apte à recevoir les espèces dans la matière sans la matière, c’est-à-dire sans l’être matériel qu’elles avaient à l’extérieur de l’âme, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Cette réception change la nature de celui qui reçoit, car la qualité est ainsi reçue de cette manière selon son être matériel. Aussi cette réception n’existera-t-elle pas dans les corps glorieux, mais la seconde, qui réalise par soi la sensation en acte, et ne change pas la nature de celui qui reçoit.

[21389] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod jam patet ex dictis quod per hanc passionem quae est in actu sentiendi (quae non est aliud quam receptio praedicta), non trahitur corpus extra naturalem suam qualitatem, sed spiritualiter perficitur; unde impassibilitas gloriosorum corporum hanc passionem non excludit.

1. Il ressort déjà de ce qui a été dit que, par la passion qui existe dans l’acte de sentir (qui n’est rien d’autre que la réception mentionnée), un corps n’est pas entraîné à l’extérieur de sa qualité naturelle, mais est perfectionné spirituellement ; l’impassibilité des corps glorieux n’exclut donc pas cette passion.

[21390] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omne passivum recipit actionem agentis secundum suum modum. Si ergo aliquid sit quod natum sit immutari ab activo, naturali et spirituali immutatione, immutatio naturalis praecedit immutationem spiritualem, sicut esse naturale praecedit esse intentionale. Si autem natum sit immutari tantum spiritualiter, non oportet quod immutetur naturaliter; sicut est de aere, qui non est receptivus coloris secundum esse naturale, sed solum secundum esse spirituale; et ideo hoc solum modo immutatur; sicut e converso corpora inanimata immutantur per qualitates sensibiles solum naturaliter, et non spiritualiter. In corporibus autem gloriosis non poterit esse aliqua immutatio naturalis; et ideo ibi erit spiritualis immutatio tantum.

2. Tout ce qui est passif reçoit l’action de l’agent à sa manière. Si donc il existe quelque chose qui est destiné à être changé par quelque chose d’actif en vertu d’un changement naturel et spirituel, le changement naturel précède le changement spirituel, comme l’être naturel précède l’être intentionnel. Mais si cela est destiné à être changé d’une manière spirituelle seulement, il n’est pas nécessaire que cela soit changé naturellement, comme c’est le cas de l’air, qui n’est pas apte à recevoir la couleur selon son être naturel, mais seulement selon l’être spirituel. Aussi n’est-il changé que de cette manière. En sens inverse, les corps inanimés ne sont changés par les qualités sensibles que d’une manière naturelle seulement, et non d’une manière spirituelle. Or, dans les corps glorieux, il ne pourra pas exister de changement naturel. C’est pourquoi il n’y existera qu’un changement spirituel.

[21391] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut erit nova receptio speciei in organo sentiendi, ita erit novum judicium sensus communis, non autem novum judicium intellectus de hoc, sicut fit in eo qui videt aliquid quod prius scivit. Quod autem Augustinus dicit, quod non erunt ibi cogitationes volubiles, intelligitur de cogitationibus intellectivae partis; unde non est ad propositum.

3. Comme il y aura une nouvelle réception de l’espèce dans l’organe de la sensation, de même il y aura un nouveau jugement du sens commun, mais non un nouveau jugement de l’intellect sur cela, comme il arrive chez celui qui voit après ce qu’il a connu. Ce que dit Augustin, qu’il n’y aura pas là de pensées changeantes, s’entend des pensées de la partie intellective. Cela ne porte donc pas sur la question en cause.

[21392] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quando unum duorum est ratio alterius, occupatio animae circa unum non impedit nec remittit occupationes ejus circa aliud; sicut medicus dum videt urinam, non minus potest considerare regulas artis de coloribus urinarum, sed magis; et quia Deus apprehendetur a sanctis ut ratio omnium quae ab eis agentur vel cognoscentur; ideo occupatio eorum circa sensibilia sentienda, vel quaecumque alia contemplanda aut agenda, in nullo impedit divinam contemplationem, nec e converso. Vel dicendum, quod ideo una potentia impeditur in suo actu quando alia vehementer operatur, quia una potentia de se non sufficit ad tam intensam operationem, nisi ei subveniatur per id quod erat aliis potentiis vel membris influendum a principio vitae; et quia in sanctis erunt omnes potentiae perfectissimae, non poterit intense operari, ita quod ex hoc nullum impedimentum praestabitur actioni alterius potentiae, sicut et in Christo fuit.

4. Lorsque l’une de deux choses est la raison de l’autre, l’occupation de l’âme à l’une n’empêche pas ni n’affaiblit ses occupations par rapport à l’autre, comme le médecin, lorsqu’il voit l’urine, ne peut pas moins prendre en considération les règles de l’art des couleurs de l’urine, mais davantage. Et parce que Dieu sera appréhendé par les saints comme la raison de tout ce qui sera fait ou connu par eux, leur occupation aux choses qui doivent être senties, contemplées ou faites, n’empêche d’aucune manière la contemplation de Dieu, ni l’inverse. Ou bien il faut dire que l’acte d’une puissance est empêché lorsqu’une autre opère fortement, car une puissance ne suffit pas de soi pour une opération aussi intense, si elle n’est pas secourue par l’influence que d’autres puissances ou membres devaient avoir à partir du principe de la vie. Parce que, chez les saints, toutes les puissances seront à leur plus haut point de perfection, on ne pourra agir avec intensité de telle sorte que, pour cette raison, un empêchement affectera l’action d’une autre puissance, comme ce fut le cas chez le Christ.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21393] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod in corporibus gloriosis erunt omnes potentiae sensuum, non tamen erunt in actu nisi duo sensus, scilicet visus et tactus; nec hoc erit ex defectu sensuum, sed ex defectu medii et objecti; nec tamen erunt frustra, quia erunt ad integritatem humanae naturae, et ad commendandam sapientiam creatoris. Sed hoc non videtur verum; quia illud quod est medium in istis sensibus, est etiam in aliis medium. In visu enim est medium aer, qui etiam est medium in auditu et odoratu, sicut patet in 2 de anima. Similiter etiam gustus habet medium conjunctum, sicut et tactus, cum gustus sit quidam tactus, ut in eodem libro dicitur. Odor etiam erit ibi, qui est objectum odoratus, cum Ecclesia cantet, quod odor suavissimus erunt corpora sanctorum. Laus etiam vocalis erit in patria; unde Augustinus dicit super illud Psalm. 149: exaltationes Dei in gutture eorum, quod corda et linguae non desinent laudare Deum. Et idem etiam habetur per Glossam super illud: in cymbalis bene sonantibus et cetera. Et ideo, secundum aliquos, dicendum, quod etiam odoratus et auditus erunt ibi in actu; sed gustus non erit in actu, ita quod immutetur ab aliquo cibo vel potu sumpto, ut patet ex dictis; nisi forte dicatur, quod erit gustus in actu per immutationem linguae ab aliqua humiditate adjuncta.

À ce sujet, il existe une double opinion. En effet, certains disent que, dans les corps glorieux, toutes les puissances des sens existeront, mais que seulement deux sens seront en acte : la vue et le toucher. Cela ne viendra pas d’une déficience des sens, mais d’une déficience du médium et de l’objet. [Les sens] ne seront cependant pas inutiles, car ils serviront à l’intégrité de la nature humaine et à la louange de la sagesse du Créateur. Mais cela ne semble pas vrai, car ce qui est le médium pour ces sens est aussi le médium pour les autres. En effet, pour la vue, le médium est l’air, qui est aussi le médium de l’ouïe et de l’odorat, comme cela ressort de Sur l’âme, II. De même aussi, au goût est joint un médium, comme au toucher, puisque le goût est une sorte de toucher, comme on le dit dans le même livre. L’odeur aussi y existera, qui est l’objet de l’odorat, puisque l’Église chante que les corps des saints auront une odeur très douce. La louange vocale existera aussi dans la patrie. Aussi Augustin dit-il, à propos de ce passage de Ps 149 : Dieu sera exalté par leur voix, que « les cœurs et les langues ne cesseront de louer Dieu ». On a aussi la même chose dans la Glose à propos de : Avec des cymbales retentissantes, etc. Aussi d’autres disent-ils que même l’odorat et l’ouïe existeront là en acte ; mais le goùt n’existera pas en acte, de sorte qu’il soit modifié par la prise d’une nourriture ou d’un breuvage, comme cela ressort de ce qui a été dit, à moins qu’on dise que le goût sera en acte par le changement apporté à la langue par une humidité qui y est jointe.

[21394] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod qualitates quas tactus percipit, sunt illae ex quibus constituitur animalis corpus; unde per qualitates tangibiles corpus animalis secundum statum praesentem natum est immutari immutatione naturali et spirituali ab objecto tactus; et ideo tactus dicitur maxime materialis inter alios sensus, quia habet plus de materiali immutatione adjunctum. Non tamen immutatio materialis se habet ad actum sentiendi qui perficitur spirituali immutatione, nisi per accidens; et ideo in corporibus gloriosis, a quibus impassibilitas excludit naturalem immutationem, erit immutatio a qualitatibus tangibilibus spiritualis tantum, sicut et in corpore Adae fuit, quod nec ignis urere nec gladius scindere potuisset; et tamen horum sensum habuisset.

1. Les qualités que le toucher perçoit sont celles dont le corps de l’animal est constitué. Aussi, dans l’état présent, [le toucher] est-il destiné à être modifié selon un changement naturel et spirituel par l’objet du toucher. C’est pourquoi le toucher est appelé le plus matériel par rapport aux autres sens, parce qu’un plus grand changement matériel lui est associé. Cependant, il n’y a pas qu’une relation accidentelle entre le changement matériel et l’acte de sentir qui est réalisé par le changement spirituel. C’est pourquoi, dans les corps glorieux, dont l’impassibilité exclut le changement naturel, il n’existera qu’un changement spirituel par les qualités tangibles, comme ce fut le cas pour le corps d’Adam, que ni le feu ne pouvait brûler, ni le glaive ne pouvait couper. Toutefois, il en aurait eu la sensation.

[21395] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gustus, secundum quod est sensus alimenti, non erit in actu; si tamen erit, secundum quod est judicium saporum, hoc esse poterit forte secundum modum praedictum.

2. Le goût, selon qu’il est la sensation de l’aliment, n’existera pas en acte. Cependant, s’il existe selon qu’il est le jugement des saveurs, cela pourra peut-être exister de la manière mentionnée.

[21396] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam posuerunt quod odor nihil aliud est quam quaedam fumalis evaporatio. Sed haec positio non potest esse vera; quod patet ex hoc quod vultures currunt ex odore percepto ad cadaver ex locis remotissimis; nec esset possibile quod evaporatio aliqua pertingeret a cadavere ad tam remota loca, etiam si totum resolveretur in vaporem; et praecipue cum sensibilia in aequali distantia ad quamlibet partem immutent; unde odor immutat medium quandoque et instrumentum sentiendi spirituali immutatione sine aliqua evaporatione pertingente ad organum; sed quod aliqua evaporatio requiratur, hoc est quia odor in corporibus est humiditate aspersus; unde oportet resolutionem fieri ad hoc quod percipiatur. Sed in corporibus gloriosis erit odor in ultima sua perfectione nullo modo per humidum suppressus; unde immutabit spirituali immutatione, sicut odor fumalis evaporationis facit; et sensus odoratus in sanctis, quia nulla humiditate impedietur, cognoscet non solum excellentias odorum, sicut nunc in nobis contingit propter nimiam cerebri humiditatem, sed etiam minimas odorum differentias.

3. Certains ont affirmé que l’odeur n’est rien d’autre qu’une évaporation sous forme de fumée. Mais cette position ne peut pas être vraie, ce qui ressort du fait que les vautours accourent d’endoits très éloignés vers un cadavre à cause de la perception de l’odeur et qu’il ne serait pas possible qu’une évaporation atteigne des lieux aussi reculés par rapport au cadavre, même s’il était complètement transformé en vapeur. Surtout que des choses sensibles qui sont à une distance égale de n’importe quelle partie causent un changement ; aussi l’odeur change-t-elle parfois le médium et l’instrument de la sensation selon un changement spirituel, sans aucune évaporation qui soit en contact avec l’organe. Mais qu’une évaporation soit requise, cela vient de ce que l’odeur dans les corps est arrosée par l’humidité ; aussi est-il nécessaire que se produise une décomposition pour qu’elle soit perçue. Mais, dans les corps glorieux, l’odeur existera selon sa perfection ultime et ne sera aucunement supprimée par quelque chose d’humide. Elle produira donc un changement selon un changement spirituel, comme le fait l’odeur de l’évaporation sous forme de fumée ; et le sens de l’odorat chez les saints, parce qu’il ne sera empêché par rien d’humide, connaîtra non seulement les odeurs les plus fortes, comme cela arrive pour nous en raison d’une trop grande humidité du cerveau, mais aussi les plus petites différences entre les odeurs.

[21397] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod erit in patria laus vocalis; quamvis quidam aliter dicant, quod sola immutatione spirituali organum auditus immutabitur in beatis; nec erit propter disciplinam, quae scientiam acquirat, sed propter perfectionem sensus, et delectationem. Quo modo autem vox ibi formari poterit, in 2 Lib., dist. 2, qu. 2, art. 1 ad 5, dictum est.

4. La louange vocale existera dans la patrie, bien que certains disent que l’organe de l’ouïe sera changé chez les bienheureux par un changement spirituel seulement. Ce ne sera pas seulement en raison de l’enseignement qui fait acquiert la science, mais en raison de la perfection et du plaisir du sens. Comment la voix pourra y être formée, on l’a dit dans le livre II, d. 2, q. 2, a. 1, ad 5.

[21398] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intensio luminis non impedit receptionem spiritualem speciei coloris dummodo maneat in natura diaphani; sicut patet quod quantumcumque illuminetur aer, potest esse medium in visu; et quanto est magis illuminatus, tanto per ipsum clarius aliquid videtur, nisi sit defectus ex debilitate visus. Quod autem in speculo supposito directe radio solis non appareat species corporis oppositi, non est propter hoc quod impediatur receptio, sed propter hoc quod impeditur reverberatio; oportet enim ad hoc quod forma in speculo appareat, quod fiat quaedam reverberatio ad aliquod corpus obscurum; et ideo plumbum vitro adjungitur in speculo; hanc autem obscuritatem radius solis repellit; unde non potest apparere species aliqua in speculo. Claritas autem corporis gloriosi non aufert diaphaneitatem a pupilla, quia gloria non tollit naturam; unde magnitudo claritatis in pupilla magis faciet ad acumen visus quam ad ejus defectum.

5. L’intensité de la lumière n’empêche pas la réception de l’espèce spirituelle de la couleur, pourvu qu’elle demeure dans la nature du diaphane, comme cela ressort du fait qu’aussi longtemps que l’air est illuminé, il peut être le médium de la vision, et que plus il est illuminé, plus clairement on voit une chose à cause de lui, à moins qu’il n’y ait une déficience en raison de la faiblesse de la vue. Que l’espèce du corps opposé n’apparaisse pas dans un miroir placé directement sous le rayon du soleil, cela ne vient pas de ce que la réception est empêchée, mais que la réverbération est empêchée. En effet, pour que la forme apparaisse dans le miroir, il faut que se produise une réverbération par rapport à un corps obscur. Aussi du plomb est-il ajouté au verre dans le miroir. Mais le rayon du soleil repousse cette obscurité ; une espèce ne peut donc apparaître dans le miroir. Mais l’éclat du corps glorieux n’enlève pas le caractère diaphane de la pupille, car la gloire n’enlève pas la nature. L’intensité de l’éclat dans la pupille concourra donc à l’acuité de la vision plutôt qu’à sa déficience.

[21399] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quanto sensus est perfectiOr tanto ex minori immutatione facta potest objectum suum percipere. Quanto autem sub minori angulo visus a visibili immutatur, tanto minor immutatio est; et inde est quod visus perfectior magis a remoto aliquid videre potest quam visus debilior; quia quanto a remotiori videtur, sub minori angulo videtur. Et quia visus corporis gloriosi erit perfectissimus, ex parvissima immutatione poterit videre; unde sub angulo multo minori videre poterit quam modo possit, et per consequens multo magis a remoto.

6. Plus le sens est parfait, plus petit est le changement par lequel il peut percevoir son objet. Or, plus petit est l’angle selon lequel la vue est changée par l’objet visible, plus petit est le changement. De là vient qu’une vue plus parfaite peut voir quelque chose de plus lointain qu’une vue faible, car plus cela est loin, plus est petit l’angle sous lequel cela est vu. Et parce que la vision du corps glorieux sera très parfaite, elle pourra voir par le changement le plus petit. Aussi pourra-t-elle voir selon un angle beaucoup plus petit que maintenant et, par conséquent, de beaucoup plus loin.

 

 

Articulus 2 [21400] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 tit. Utrum subtilitas sit proprietas corporis glorificati

Article 2 – La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ?]

[21401] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod subtilitas non sit proprietas corporis glorificati. Proprietas enim gloriae excedit proprietatem naturae, sicut claritas gloriae claritatem solis, quae est maxima in natura. Si ergo subtilitas est proprietas corporis gloriosi, videtur quod corpus gloriosum futurum sit subtilius omni quod est subtile in natura; et ita erit ventis aereque subtilius; quod est haeresis a Gregorio in Constantinopolitana urbe damnata, ut ipse narrat in 14 Lib. Moralium.

1. Il semble que la subtilité ne soit pas une propriété du corps glorieux. En effet, une propriété de la gloire dépasse une propriété de la nature, comme l’éclat de la gloire l’éclat du soleil, qui est le plus grand dans la nature. Si la subtilité est une propriété du corps glorieux, il semble donc que le corps glorieux à venir est plus subtil que tout ce qui est subtil dans la nature. Il sera ainsi plus subtil que les vents et l’air, ce qui est une hérésie condamnée par Grégoire, à Constantinople, comme il le raconte lui-même dans les Morales, XIV.

[21402] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut caliditas et frigiditas sunt quaedam qualitates simplicium corporum, scilicet elementorum; ita et subtilitas. Sed calor et aliae qualitates elementorum non intenduntur in corporibus gloriosis magis quam nunc, immo magis ad medium reducentur. Ergo nec subtilitas in eis erit major quam nunc sit.

2. De même que le chaud et le froid sont des qualités des corps simples, à savoir, des éléments, de même la subtilité. Or, la chaleur et les autres qualités des éléments ne s’intensifient pas plus dans les corps gloriux que maintenant, bien plus, elles seront ramenées à un milieu. La subtilité non plus ne sera donc pas plus grande en eux qu’elle ne l’est maintenant.

[21403] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, subtilitas in corporibus invenitur propter parvitatem materiae; unde corpora quae habent minus de materia sub aequalibus dimensionibus, dicimus magis subtilia, ut ignem aere, et aerem aqua, et aquam terra. Sed tantum de materia erit in corporibus gloriosis quantum nunc est, nec dimensiones erunt majores, ut ex supra dictis patet. Ergo non erunt magis subtilia quam modo sint.

3. La subtilité se rencontre dans les corps en raison de la petitesse de la matière ; aussi disons-nous que les corps qui ont moins de matière sous des dimensions égales sont plus subtils, comme le feu par rapport à l’air, l’air par rapport à l’eau et l’eau par rapport à la terre. Or, il y aura autant de matière dans les corps glorieux que maintenant, et les dimensions ne seront pas plus grandes, comme cela ressort de ce qui a été dit. Ils ne seront donc pas plus subtils qu’ils ne le sont maintenant.

[21404] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 15, 44: seminatur corpus animale, surget corpus spirituale, idest spiritui simile. Sed subtilitas spiritus excedit omnem subtilitatem corporis. Ergo corpora gloriosa erunt subtilissima.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 15, 44 : On sème un corps animal, un corps spirituel ressuscitera, c’est-à-dire semblable à ce qui est spirituel. Or, la subtilité de l’esprit dépasse toute subtilité du corps. Les corps glorieux seront donc très subtils.

[21405] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, corpora quanto sunt subtiliora, tanto nobiliora. Sed corpora gloriosa sunt nobilissima. Ergo erunt subtilissima.

[2] Plus des corps sont subtils, plus ils sont nobles. Or, les corps glorieux sont les plus nobles. Ils seront donc les plus subtils.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [En raison de sa subtilité, revient-il à un corps de se trouver simultanément dans un même lieu qu’un autre corps non glorieux ?]

[21406] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ratione hujus subtilitatis competat corpori quod sit simul in eodem loco cum alio corpore non glorioso. Quia, ut dicitur Philippen. 3, 21, reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae secundum operationem virtutis suae, qua etiam possit subjicere sibi omnia. Sed corpus Christi potuit simul esse cum alio corpore in eodem loco; ut patet per hoc quod intravit post resurrectionem ad discipulos januis clausis, ut dicitur Joan. 20. Ergo et corpora gloriosa ratione subtilitatis poterunt esse cum aliis corporibus non gloriosis in eodem loco.

1. Il semble qu’en raison de sa subtilité, il revient à un corps de se trouver simultanément dans un même lieu qu’un autre corps non glorieux, car, comme le dit Ph 3, 21 : Il redonnera forme à notre coprs humilié, configuré à l’éclat de son propre corps selon l’action de sa puissance, par laquelle il peut aussi se soumettre tout. Or, le corps du Christ a pu se trouver en même temps qu’un autre corps dans le même lieu, comme cela ressort du fait qu’il est entré vers ses disciples après la résurrection, alors que les portes étaient clauses, comme le dit Jn 20. Les corps glorieux, en raison de leur subtilité, pourront donc se trouver dans un même lieu que d’autres corps non glorieux.

[21407] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpora gloriosa erunt nobiliora omnibus aliis corporibus. Sed quaedam corpora nunc ratione suae nobilitatis possunt simul esse cum aliis corporibus, scilicet radii solares. Ergo multo fortius hoc conveniet corporibus gloriosis.

2. Les corps glorieux seront plus nobles que tous les autres corps. Or, certains corps, en raison de leur noblesse, peuvent maintenant exister en même temps que d’autres corps, à savoir, les rayons solaires. À bien plus forte raison, cela conviendra-t-il aux corps glorieux.

[21408] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, corpus caeleste non potest dividi, ad minus quantum ad substantiam sphaerarum; unde dicitur Job 37, quod caeli velut aere solidissimi fusi sunt. Si ergo corpus gloriosum non potest ratione subtilitatis esse simul cum alio corpore in eodem loco, nunquam ad caelum Empyreum ascendere poterit; quod est erroneum.

3. Un corps céleste ne peut être divisé, du moins, pour ce qui est de la substance des sphères. Aussi est-il dit dans Jb 37, que les cieux ont été fondus aussi fermes que l’airain. Si donc le corps glorieux ne peut, en raison de sa subtilité, être au même endroit qu’un autre corps, il ne pourra jamais monter vers le ciel empyrée, ce qui est erroné.

[21409] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, corpus quod non potest esse simul cum alio corpore, potest ex alterius obstaculo impediri in motu suo, vel etiam includi. Sed haec non possunt contingere corporibus gloriosis. Ergo possunt simul esse in eodem loco cum aliis corporibus.

4. Un corps qui ne peut se trouver en même temps qu’un autre corps peut être empêché dans son mouvement par l’obstacle de l’autre ou même, être absorbé par lui. Or, cela ne peut pas arriver aux corps glorieux. Ils peuvent donc se trouver dans un même lieu en même temps que d’autres corps.

[21410] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, sicut se habet punctus ad punctum, ita linea ad lineam, et superficies ad superficiem, et corpus ad corpus. Sed duo puncta possunt esse simul, ut patet quando duae lineae se tangunt; et similiter duae lineae in contactu duarum superficierum; et duae superficies in contactu duorum corporum: quia contigua sunt quorum ultima sunt simul, ut patet 6 Physic. Ergo non est contra naturam corporis, quin possit esse cum alio corpore in eodem loco. Sed quidquid nobilitatis natura corporis patitur, totum corpori glorioso praestabitur. Ergo corpus gloriosum ex suae subtilitatis proprietate habebit quod possit esse simul cum alio corpore in eodem loco.

5. Le rapport d’un point à un autre est le même que celui d’une ligne à une autre, d’une surface à une autre et d’un corps à un autre. Or, deux points peuvent exister simultanément, comme cela ressort lorsque deux lignes se touchent ; de même en est-il de deux lignes au contact de deux surfaces, et de deux surfaces au contact de deux corps, car les choses contiguës sont celles dont les éléments ultimes existent simultanément, comme cela ressort de Physique, VI. Il n’est donc pas contraire à la nature du corps de pouvoir se trouver dans le même lieu qu’un autre corps. Or, tout ce que la nature du corps supporte de noblesse sera attribué en entier au corps glorieux. En raison de sa propriété de subtilité, le corps glorieux sera donc en mesure de se trouver en même qu’un autre corps dans un même lieu.

[21411] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Boetius dicit in libro de Trin.: in numero differentiam varietas accidentium facit: nam tres homines neque genere neque specie, sed suis accidentibus distant. Nam si vel animo cuncta ab his accidentia separamus, tamen locus est cunctis diversus, quem unum fingere nullo modo possumus. Ergo si ponantur duo corpora esse in uno loco, erunt unum corpus numero.

Cependant, [1] Boèce dit le contraire dans son livre Sur la Trinité : « Pour le nombre, la diversité des accidents donne une différence, car trois hommes ne se distinguent ni par leur genre ni par leur espèce, mais par les accidents. En effet, si nous en séparons par l’esprit toutes les différences, le lieu est différent pour tous : nous ne pouvons aucunement imaginer qu’il est unique. » Si donc on affirme que deux corps sont dans un seul lieu, il n’y aura qu’un seul corps en nombre.

[21412] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, corpora gloriosa majorem convenientiam habebunt cum loco quam spiritus angelici. Sed spiritus angelici, ut quidam dicunt, non possent distingui numero, nisi essent in diversis locis; et propter hoc ponunt, quod necesse est eos esse in loco, et quod ante mundum creari non potuerunt. Ergo multo magis debent dicere, quod duo corpora qualiacumque non possunt simul esse in eodem loco.

[2] Les corps glorieux auront plus en commun avec le lieu que les esprits angéliques. Or, les esprits angéliques, comme le disent certains, ne peuvent se distinguer en nombre que s’ils sont dans des lieux différents ; pour cette raison, ils affirment qu’il est nécessaire qu’ils soient dans un lieu et qu’ils n’ont pu être créés avant le monde. À bien plus forte raison, on doit donc dire que deux corps, quels qu’ils soient, ne peuvent se trouver dans un même lieu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Un miracle peut-il faire que deux corps se trouvent dans un même lieu ?]

[21413] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam per miraculum fieri possit quod duo corpora sint in eodem loco. Non enim potest fieri per miraculum quod duo corpora sint simul duo et unum: quia hoc esset facere contradictoria esse simul. Sed si ponantur duo corpora esse simul, sequeretur illa duo corpora esse unum. Ergo non est possibile hoc per miraculum fieri. Probatio mediae. Sint duo corpora in eodem loco, quorum unum dicatur a, et aliud b. Aut ergo dimensiones a erunt eaedem cum dimensionibus loci, aut aliae. Si aliae, ergo erunt aliquae dimensiones separatae; quod non potest poni, quia dimensiones quae sunt inter terminos loci, non sunt in aliquo subjecto, nisi sint in corpore locato. Si autem sunt eaedem, ergo eadem ratione dimensiones b erunt eaedem cum dimensionibus loci. Sed quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Ergo dimensiones a et b sunt eaedem. Sed duorum corporum non possunt esse eaedem dimensiones, sicut nec eadem albedo. Ergo a et b sunt unum corpus; et erant duo: ergo sunt simul unum et duo.

1. Il semble que, même par un miracle, il ne puisse arriver que deux corps se trouvent dans un même lieu. En effet, un miracle ne peut faire en sorte que deux corps soient en même temps deux [corps] et un corps, car cela ferait que des contradictoires existent en même temps. Or, si on affirme que deux corps existent en même temps [dans un même lieu], il en découlerait que ces deux corps sont une seule chose. Il n’est donc pas possible que cela soit réalisé par miracle. Démonstration de la mineure. Supposons deux corps dans le même lieu, dont l’un est appelé a, et l’autre b. Ou bien les dimensions de a seront les mêmes que les dimensions du lieu, ou bien elles seront différentes. Si elles sont différentes, elles seront des dimensions séparées, ce qu’on ne peut affirmer, car les dimensions qui sont intérieures au lieu n’existent dans un sujet que si elles sont dans un corps qui est dans un lieu. Mais si elles sont les mêmes, pour la même raison, les dimensions de b seront les mêmes que les dimensions du lieu. Or, toutes les choses qui sont identiques à une seule et même chose sont identiques entre elles. Les dimensions de a et de b sont donc les mêmes. Or, les dimensions de deux corps ne peuvent être les mêmes, pas plus que [leur] blancheur ne peut être la même. A et b sont donc un seul corps. Or, ils étaient deux. Ils sont donc en même temps une seule chose et deux choses.

[21414] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, contra communes animi conceptiones non potest aliquid miraculose fieri, ut scilicet pars non sit minor toto: quia contraria communibus conceptionibus directe contradictionem includunt. Similiter nec conclusiones geometriae quae a communibus conceptionibus infallibiliter deducuntur, sicut quod triangulus non habeat tres angulos aequales duobus rectis. Similiter nec aliquid potest fieri in linea contra definitionem lineae: quia separare definitionem a definito est ponere duo contradictoria esse simul. Sed duo corpora esse in eodem loco est contra conclusiones geometriae, et contra definitionem lineae. Ergo non potest per miraculum fieri. Probatio mediae. Conclusio est geometriae quod duo circuli non tangant se nisi in puncto. Si autem duo corpora circularia essent in eodem loco, duo circuli designati in eis se tangerent secundum totum. Similiter etiam est contra definitionem lineae quod infra duo puncta sit plusquam una linea recta; quod contingeret, si duo corpora essent in eodem loco, quia infra duo puncta signata in diversis superficiebus loci essent duae lineae rectae duorum corporum locatorum.

2. Un miracle ne peut réaliser quelque chose de contraire aux conceptions communes de l’esprit, par exemple, que la partie ne soit pas plus petite que le tout, car les contraires comportent une contradiction par rapport aux conceptions communes. De même non plus, les conclusions géométriques, qui sont déduites des conceptions communes de manière infaillible, par exemple, que le triangle n’ait pas trois angles égaux à deux angles droits. De même, rien ne peut être fait sur une ligne à l’encontre de la définition de la ligne, car séparer la définition de ce qui est défini, c’est affirmer deux choses contraires en même temps. Or, que deux corps se trouvent dans un même lieu est contraire aux conclusions de la géométrie et à la définition de la ligne. Cela ne peut donc être réalisé par miracle. Démonstration de la mineure. C’est une conclusion de la géométrie que deux cercles ne se touchent que sur un point. Or, si deux corps circulaires se trouvaient dans un même lieu, deux cercles tracés à l’intérieur d’eux se toucheraient en totalité. De même, cela est contraire à la définition de la ligne qu’entre deux points, il existe plus qu’une ligne droite, ce qui serait le cas si deux corps se trouvaient dans un même lieu, car entre deux points tracés à l’intérieur de surfaces différentes du lieu, il y aurait deux lignes droites entre deux corps localisés.

[21415] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, hoc non videtur posse fieri per miraculum, quod corpus inclusum in alio corpore non sit in loco: quia sic haberet locum communem et non proprium; quod non potest esse. Sed hoc sequeretur, si duo corpora essent in eodem loco. Ergo hoc non potest fieri per miraculum. Probatio mediae. Sint duo corpora in eodem loco, quorum unum secundum quamlibet dimensionem sit majus alio: corpus minus erit inclusum corpore majore, et locus corporis majoris erit locus ejus communis; locum autem proprium non habebit, quia non erit aliqua superficies corporis actu signata quae contineat ipsam, quod est de ratione loci. Ergo non habebit locum proprium.

3. Il ne semble pas être possible de faire par miracle qu’un corps inclus dans un autre ne soit pas dans un lieu, car il y aurait alors un lieu commun et non propre, ce qui est impossible. Or, ce serait la conséquence si deux corps étaient dans un même lieu. Cela ne peut donc être fait par miracle. Démonstration de la mineure. À supposer que deux corps soient dans un même lieu, dont l’un est plus grand que l’autre selon toutes les dimensions, le corps plus petit sera inclus dans le corps plus grand, et le lieu du corps plus grand sera son lieu commun. Mais il n’y aura pas de lieu propre, car il n’y aura pas de surface désignée en acte qui la contiendrait, ce qui fait partie de la nature du lieu. Il n’aura donc pas de lieu propre.

[21416] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, locus proportionaliter respondet locato. Sed nunquam potest per miraculum fieri quod idem corpus sit simul in diversis locis, nisi per aliquam conversionem, sicut accidit in sacramento altaris. Ergo nullo modo potest per miraculum fieri quod duo corpora sint simul in eodem loco.

4. Le lieu correspond proportionnellement à ce qui est dans un lieu. Or, il ne peut jamais arriver par miracle que le même corps soit en même temps dans divers lieux, si ce n’est par conversion, comme cela arrive dans le sacrement de l’autel. Il ne peut donc aucunement arriver par miracle que deux corps soient en même temps dans le même lieu.

[21417] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod beata virgo filium suum miraculose peperit. Sed in illo partu oportuit duo corpora esse simul in eodem loco: quia corpus pueri exiens claustra pudoris non fregit. Ergo potest miraculose fieri quod duo corpora sint in eodem loco.

Cependant, [1] la bienheureuse Vierge a enfanté son fils de manière miraculeuse. Or, dans cet enfantement, il a été nécessaire que deux corps soient en même temps dans un même lieu, car le corps de l’enfant n’a pas rompu l’enceinte de la pudeur. Il peut donc arriver miraculeusement que deux corps soient dans un même lieu.

[21418] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, hoc idem potest ostendi per hoc quod dominus ad discipulos intravit januis clausis: Joan. 20.

[2] On peut démontrer la même chose par le fait que le Seigneur est entré vers les apôtres, alors que les portes étaient fermées, Jn 20.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Un corps glorieux peut-il se trouver avec un autre corps glorieux dans un même lieu ?]

[21419] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpus gloriosum possit esse cum alio glorioso in eodem loco. Quia ubi est major subtilitas, ibi est minor resistentia. Si ergo corpus gloriosum est subtilius quam non gloriosum, minus resistet corpori glorioso; et ita, si corpus gloriosum poterit esse cum non glorioso corpore in eodem loco, multo fortius cum corpore glorioso.

1. Il semble qu’un corps glorieux puisse se trouver avec un autre corps glorieux dans un même lieu, car là où existe une plus grande subtilité, là existe une résistance moindre. Si donc le corps glorieux est plus subtil que le corps non glorieux, il offrira moins de résistance au corps glorieux. Et ainsi, si un corps glorieux peut se trouver avec un corps non glorieux dans un même endroit, à bien plus forte raison [le pourra-t-il] avec un corps glorieux.

[21420] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut corpus gloriosum est subtilius non glorioso, ita unum gloriosum erit subtilius alio. Si ergo corpus gloriosum poterit esse simul cum non glorioso; et corpus gloriosum magis subtile poterit esse cum glorioso minus subtili.

2. De même que le corps glorieux est plus subtil que le corps non glorieux, de même un corps glorieux sera-t-il plus subtil qu’un autre. Si donc le corps glorieux peut se trouver avec un corps glorieux dans un même endroit, le corps glorieux plus subtil pourra aussi se trouver avec un corps glorieux moins subtil.

[21421] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, corpus caeli est corpus subtile, et erit tunc glorificatum. Sed corpus alicujus sancti esse poterit simul cum corpore caeli: quia poterunt ad terram descendere et ascendere pro suae libito voluntatis. Ergo et duo corpora subtilia vel gloriosa poterunt esse simul.

3. Le corps du ciel est un corps subtil, et il sera alors glorifié. Or, le corps de quelqu’un pourra se trouver dans le même lieu que le corps du ciel, car ils pourront descendre sur terre et remonter comme ils le voudront. Deux corps subtils ou glorieux pourront donc être ensemble.

[21422] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, corpora gloriosa erunt spiritualia, idest spiritibus quantum ad aliquid similia. Sed duo spiritus non possunt esse in eodem loco, quamvis spiritus et corpus possint esse in eodem loco, ut in 1 Lib., dist. 37, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo nec duo corpora gloriosa poterunt esse in eodem loco.

Cependant, [1] les corps glorieux seront spirituels, c’est-à-dire semblables aux esprits, d’une certaine manière. Or, deux esprits ne peuvent se trouver dans un même lieu, bien que l’esprit et le corps puissent se trouver dans un même lieu, comme on l’a dit dans le livre I, d. 37, q. 1, a. 1. Deux corps glorieux ne pourront donc pas non plus se trouver dans un même lieu.

[21423] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, duorum corporum simul existentium unum ab alio penetratur. Sed penetrari ab alio corpore est ignobilitatis; quae omnino a corporibus gloriosis aberit. Ergo non poterunt esse duo corpora gloriosa simul.

[2] Entre deux corps qui se trouvent ensemble, l’un est pénétré par l’autre. Or, être pénétré par un corps relève de l’indignité, qui sera entièrement absente des corps glorieux. Deux corps glorieux ne peuvent donc pas se trouver ensemble.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [En raison de sa subtilité, la nécessité pour un corps glorieux de se trouver dans un lieu égal est-elle écartée ?]

[21424] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ex sua subtilitate removeatur a corpore glorificato necessitas existendi in aequali loco. Corpora enim gloriosa erunt conformia corpori Christi, ut patet Philippen. 3. Sed corpus Christi non coarctatur hac necessitate ut sit in loco aequali; unde continetur totum sub parvis vel magnis dimensionibus hostiae consecratae. Ergo et hoc idem erit in corporibus gloriosis.

1. Il semble qu’en raison de sa subtilité, la nécessité pour un corps glorieux de se trouver dans un lieu égal soit écartée. En effet, les corps glorieux seront conformes au corps du Christ, comme cela ressort de Ph 3. Or, le corps du Christ n’est pas forcé par cette nécessité de se trouver dans un lieu égal ; aussi est-il contenu tout entier sous les dimensions petites ou grandes de l’hostie consacrée. Il en sera donc de même pour le corps glorieux.

[21425] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, philosophus probat in 4 Physic., quod si duo corpora sunt in eodem loco, sequitur quod maximum corpus obtineat minimum locum, quia diversae partes ejus poterunt esse in eadem parte loci: non enim differt utrum duo corpora vel quotcumque sint in eodem loco. Sed corpus gloriosum erit simul in eodem loco cum alio corpore, ut dicitur communiter. Ergo poterit esse in quovis parvo loco.

2. Le Philosophe démontre, dans Physique, IV, que si deux corps sont dans un même lieu, il en découle que le corps plus grand a moins d’espace, car ses diverses parties peuvent se trouver dans une même partie du lieu. En effet, cela ne fait pas de différence que deux corps ou n’importe quel nombre de corps soient dans un même lieu. Or, le corps glorieux se trouvera dans le même lieu qu’un autre corps, comme on le dit généralement. Il pourra donc se trouver dans n’importe quel petit lieu.

[21426] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, sicut corpus videtur ratione sui coloris, ita commensuratur loco ratione suae quantitatis. Sed corpus gloriosum ita subjectum erit spiritui quod poterit videri et non videri, praecipue ab oculo non glorioso, pro suae libito voluntatis, ut patuit in Christo. Ergo ita quantitas subjicietur nutui spiritus quod poterit esse in magno vel parvo loco, et habere magnam vel parvam quantitatem ad libitum.

3. De même que le corps est vu en raison de la couleur, de même a-t-il la mesure du lieu en raison de sa quantité. Or, le corps glorieux sera tellement soumis à l’esprit qu’il pourra être vu et ne pas être vu, surtout par un œil non glorieux, comme il le voudra, comme cela ressortait chez le Christ. La quantité sera donc à ce point soumise à la volonté de l’esprit qu’elle pourra se trouver dans un lieu grand ou petit, et avoir une grande ou une petite quantité, comme elle le voudra.

[21427] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 4 Physic., quod omne quod est in loco, est in loco aequali sibi. Sed corpus gloriosum erit in loco. Ergo erit in loco aequali sibi.

Cependant, [1] ce que dit le Philosophe dans Physique, IV, va en sens contraire, que tout ce qui se trouve dans un lieu se trouve dans un lieu qui lui est égal. Or, le corps glorieux se trouvera dans un lieu. Il se trouvera donc dans un lieu qui lui est égal.

[21428] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, eaedem sunt dimensiones loci et locati, ut probatur in 4 Physic. Si ergo locus esset major locato, esset idem majus et minus seipso; quod est inconveniens.

[2] Les dimensions du lieu et de ce qui est dans le lieu sont les mêmes, comme on le démontre dans Physique, IV. Si donc le lieu était plus grand que ce qui est dans le lieu, la même chose serait plus grande et plus petite qu’elle-même, ce qui est inapproprié.

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Le corps glorieux est-il impalpable en raison de sa subtilité ?]

[21429] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpus gloriosum ratione suae subtilitatis sit impalpabile. Gregorius enim dicit in homilia in octava Paschae: corrumpi necesse est quod palpatur. Sed corpus gloriosum erit incorruptibile. Ergo erit impalpabile.

1. Il semble que le corps glorieux soit impalpable en raison de sa subtilité. En effet, Grégoire dit dans son homélie sur Pâque : « Ce qui est palpé se corrompt nécessairement. » Or, le corps glorieux sera incorruptible. Il sera donc impalpable.

[21430] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 2 Praeterea, omne quod palpatur, resistit palpanti. Sed quod potest esse simul cum aliquo non resistit ei. Cum ergo corpus gloriosum possit esse simul cum aliquo corpore, non erit palpabile.

2. Tout ce qui est palpé résiste à celui qui palpe. Or, ce qui peut se trouver simultanément avec une autre chose ne lui résiste pas. Puisque le corps glorieux peut se trouver simultanément avec un corps, il ne sera donc pas palpable.

[21431] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 arg. 3 Praeterea, omne corpus palpabile est tangibile. Sed omne tangibile corpus habet qualitates tangibiles excedentes qualitates tangentis. Cum ergo qualitates tangibiles non sint in excessum, sed reductae ad maximam aequalitatem in corporibus gloriosis, videtur quod non sint palpabilia.

3. Tout corps palpable est tangible. Or, tout corps tangible possède des qualités tangibles qui dépassent les qualités de celui qui le touche. Puisque les qualités tangibles ne dépassent pas, mais sont ramenées à la stricte égalité chez les corps glorieux, il semble donc qu’ils ne soient pas palpables.

[21432] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 s. c. 1 Sed contra est quod dominus cum corpore glorioso resurrexit, et tamen corpus palpabile habuit, ut patet Luc. 14, 39: palpate et videte, quia spiritus carnem et ossa non habet, sicut me videtis habere. Ergo et corpora gloriosa erunt palpabilia.

Cependant, [1] va en sens contraire le fait que le Seigneur est ressucité avec un corps glorieux, et qu’il avait cependant un corps palpable, comme cela ressort de Lc 14, 39 : Touchez et voyez comment un esprit n’a pas la chair et les os que vous me voyez posséder. Les corps glorieux seront donc palpables.

[21433] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, haec est haeresis Eutychii Constantinopolitanorum episcopi, ut Gregorius dicit 14 Lib. Moral., qui dixit, quod corpus nostrum in resurrectionis gloria erit impalpabile.

[2] C’est là une hérésie d’Eutychès, évêque de Constantinople, qui disait que notre corps dans la gloire de la résurrection sera impalpable, comme le dit Grégoire dans les Morales, XIV,.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21434] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nomen subtilitatis a virtute penetrandi est assumptum; unde dicitur 2 de Generat., quod subtile est quod est completivum partibus, et partium partibus: quia propter naturam humidi, quod male terminatur termino proprio, bene autem alieno, sequitur suum tangens, et fluit undique ad suum capiens, et sua subtilitate quamlibet ejus partem minimam subintrat. Quod autem aliquod corpus sit penetrativum, contingit ex duobus. Primo ex quantitatis parvitate, praecipue secundum profunditatem et latitudinem, non autem secundum longitudinem: quia penetratio fit in profundum; unde longitudo penetrationi non obstat. Secundo ex paucitate materiae; unde rara subtilia dicimus. Et quia in corporibus raris forma praedominatur materiae magis, ideo translatum est nomen subtilitatis ad illa corpora quae optime substant formae, et perficiuntur ab ea completissimo modo; sicut dicimus subtilitatem esse in sole et luna, et aliis hujusmodi; sicut etiam aurum vel aliquid hujusmodi potest dici subtile, quando perfectissime completur in esse et virtute suae speciei. Et quia res incorporeae quantitate carent et materia, nomen subtilitatis ad eas transfertur non solum ratione suae substantiae, sed etiam ratione suae virtutis. Sicut enim subtile dicitur penetrativum quia pertingit usque ad intima rei; ita etiam dicitur aliquis intellectus subtilis, quia pertingit ad inspicienda intrinseca principia et proprietates naturales rei latentes; et similiter dicitur aliquis habere visum subtilem, quia aliquod minimum potest visus pertingere, et similiter est de aliis sensibus; et secundum hoc etiam diversi diversimode subtilitatem corporibus gloriosis attribuerunt. Quidam enim haeretici, ut Augustinus narrat, attribuerunt ei subtilitatem secundum modum quo spirituales substantiae subtiles dicuntur, dicentes, quod in resurrectione corpus vertetur in spiritum; et ratione hujus, corpora resurgentia apostolus spiritualia nominat 1 Corinth. 15. Sed hoc non potest stare. Primo, quia corpus in spiritum transire non potest, cum non communicent in materia; quod etiam Boetius ostendit in libro de duabus naturis. Secundo, quia si esset hoc possibile, corpore in spiritum converso, non resurgeret homo, qui ex anima et corpore constat. Tertio, quia si apostolus sic intelligeret, sicut nominat corpora spiritualia, pari ratione nominaret corpora animalia, quae in animam sunt conversa: quod patet esse falsum. Unde quidam haeretici dixerunt, quod corpus in resurrectione remanebit, sed habebit subtilitatem secundum modum rarefactionis; ita quod corpora humana in resurrectione erunt aeri vel vento similia, ut Gregorius narrat in 14 Moral. Sed hoc etiam non potest stare: quia dominus post resurrectionem corpus palpabile habuit, ut patet Luc. ult., quod praecipue subtile credendum est. Et praeterea corpus humanum cum carnibus et ossibus resurget, sicut et corpus domini, ut dicitur Luc. ult., 39: spiritus carnem et ossa non habet, sicut me videtis habere; et Job 19, 26, dicitur: in carne mea videbo Deum salvatorem meum. Natura autem carnis et ossis praedictam raritatem non patitur. Et ideo assignandus est corporibus gloriosis alius subtilitatis modus, ut dicantur subtilia propter completissimam corporis perfectionem. Sed hanc completionem quidam eis attribuunt ratione quintae essentiae, quae in eis tunc maxime dominabitur: quod non potest esse. Primo, quia nihil de quinta essentia potest venire in compositionem corporis humani, ut in 2 Lib. ostensum est, distinc. 17, quaest. 2, art. 1. Secundo, quia dato quod veniret in compositionem corporis humani, non posset intelligi quod dominaretur magis quam nunc supra naturam elementarem, nisi ita quod esset tunc in corporibus humanis plus secundum quantitatem de natura caelesti; et sic corpora humana non essent ejusdem staturae, nisi forte minueretur in homine elementaris materia: quod repugnat integritati resurgentium; vel ita quod natura elementi indueret proprietates naturae caelestis ex ejus dominio in corpore, et sic naturalis virtus esset causa proprietatis gloriosae; quod absurdum est. Et ideo alii dicunt, quod dicta completio, ex quo corpora humana subtilia dicentur, erit ex dominio animae glorificatae, quae est forma corporis, super ipsum, ratione cujus corpus gloriosum spirituale dicitur, quasi omnino spiritui subjectum. Prima autem subjectio qua corpus animae subjicitur, est ad participandum esse specificum, prout subjicitur sibi ut materia formae, et deinde subjicitur ei ad alia opera animae, prout animae est motor; et ideo prima ratio spiritualitatis in corpore est ex subtilitate, et deinde ex agilitate et aliis proprietatibus corporis gloriosi; et propter hoc apostolus in spiritualitate tetigit dotem subtilitatis, ut magistri exponunt. Unde etiam Gregorius dicit in 14 Moralium, quod corpus gloriosum dicitur subtile per effectum spiritualis potentiae.

Le mot « subtilité » est venu de la capacité de pénétrer, comme on le dit dans Sur la génération, II : « Est subtil ce qui achève les parties et les parties des parties. » En effet, en raison de la nature de l’humide, qui se délimite mal selon son propre terme, mais bien selon un autre, il suit ce qui le touche et s’écoule partout dans ce qui le contient et, par sa subtilité, en pénètre la plus petite partie. Mais qu’un corps soit capable de pénétrer, cela se produit de deux manières. Premièrement, en raison de la petitesse de la quantité, surtout selon la profondeur et la largeur, et non selon la longueur, car la pénétration se réalise selon la profondeur. La longueur ne s’oppose donc pas à la pénétration. Deuxièmement, en raison du peu de matière ; ainsi disons-nous que les choses subtiles sont rares. Et parce que, dans les choses rares, la forme l’emporte sur la matière, c’est la raison pour laquelle le mot « subtilité » a été reporté sur les corps qui sont le mieux soumis à la forme et sont perfectionnés par elle selon le mode le plus achevé. Ainsi disons-nous qu’il existe de la subtilité dans le soleil et dans la lune, et dans les autres choses de ce genre ; de même aussi, l’or ou quelque chose du genre, peut être appelé subtil lorsqu’il atteint son achèvement le plus parfait selon l’être et la puissance de son espèce. Et parce que la quantité et la matière dont défaut aux choses incorporelles, le mot « subtilité » est reporté sur elles, non seulement en raison de leur substance, mais aussi en raison de leur puissance. En effet, de même qu’est appelé « subtil » ce qui peut pénétrer, parce que cela atteint jusqu’à l’intimité d’une chose, de même aussi l’intellect est-il appelé « subtil » parce qu’il va jusqu’à examiner les principes intrinsèques et les propriétés naturelles cachées dans une chose ; de même dit-on que quelqu’un a une vision subtile parce que sa vision peut atteindre quelque chose de très petit. Et il en va de même des autres sens. Dans cette ligne, différents [auteurs] ont diversement attribué la subtilité aux corps glorieux. En effet, certains hérétiques, comme le raconte Augustin, leur ont attribué la subtilité à la manière dont les substances spirituelles sont appelées subtiles, en disant que, lors de la résurrection, le corps se transformera en esprit. Pour cette raison, Paul appelle les corps ressuscités « spirituels », 1 Co 15. Mais cela ne peut être soutenu. Premièrement, parce que le corps ne peut se transformer en esprit, puisqu’ils n’ont pas une matière commune, ce que montre Boèce dans le livre Sur les deux natures. Deuxièmement, si cela était possible, une fois le corps converti en esprit, l’homme ne ressusciterait pas, lui qui est manifestement composé d’âme et de corps. Troisièmement, parce que si l’Apôtre l’entendait ainsi, de même qu’il parle de « corps spirituels », pour la même raison, il parlerait de « corps animaux », qui sont convertis en l’âme, ce qui est manifestement faux. Aussi certains hérétiques ont-ils dit que le corps demeurera lors de la résurrection, mais possédera une subtilité par mode de raréfaction, de sorte que les corps humains, lors de la résurrection, seront aériens ou semblables au vent, comme le raconte Grégoire dans les Morales, XIV. Mais cela non plus ne peut être soutenu, car le Seigneur, après la résurrectidon, a eu un corps palpable, comme cela ressort du dernier chapitre de Luc, [corps] que surtout l’on doit croire subtil. De plus, le corps humain ressuscitera avec de la chair et des os, comme le corps du Seigneur, ainsi qu’il est dit en Lc 24, 39 : Un esprit ne possède pas de chair et d’os, comme vous me voyez en posséder ; et il est dit en Jb 19, 26 : Je verrai Dieu, mon sauveur, dans ma chair. Or, la nature de la chair et de l’os ne souffre pas la rareté mentionnée. C’est pourquoi il faut attribuer aux corps glorieux un autre mode de subtilité : ils seront appelés « subtils » en raison d’une très achevée du corps. Mais certains leur ont attribué cet achèvement en raison de la quinte essence, qui l’emportera alors au plus haut point chez eux, ce qui ne peut être le cas. Premièrement, parce que rien de la quinte essence ne peut entrer dans la composition du corps humain, comme on l’a montré dans le livre II, d. 17, q. 2, a. 1. Deuxièmement, parce qu’à supposer qu’elle entrerait dans la composition du corps humain, on ne pourrait comprendre qu’elle l’emporterait alors davantage que maintenant sur la nature des éléments, si ce n’est qu’elle serait alors en plus grande quantité dans les corps humains selon la quantité de la nature céleste ; et ainsi, les corps humains n’auraient pas la même stature, à moins que ne soit diminuée dans l’homme la matière élémentaire, ce qui est contraire à l’intégrité des ressucités ; ou bien que la nature de l’élément revêtirait les propriétés de la nature céleste en raison de sa prédominance sur le corps, et ainsi une puissance naturelle serait la cause de la propriété de la gloire, ce qui est absurde. C’est pourquoi d’autres disent que l’achèvement en question, pour lequel les corps humains seront appelés subtils, se réalisera par la domination de l’âme glorifiée, qui est la forme du corps, sur celui-ci, raison pour laquelle le corps glorieux sera appelé « spirituel » parce qu’il sera entièrement soumis à l’esprit. Or, la première soumission par laquelle le corps est soumis à l’âme a pour but la participation à un être spécifique, en tant qu’il lui est soumis comme la matière à la forme ; et ensuite, il lui est soumis pour les autres opérations de l’âme en tant que l’âme est le moteur. C’est pourquoi la première raison de la spiritualité dans le corps vient de la subtilité, et ensuite de l’agilité et des autres propriétés du corps glorieux. Pour cette raison, l’Apôtre a abordé la dot de la subtilité sous la spiritualité, comme les maîtres l’expliquent. Grégoire dit aussi, dans les Morales, XIV, que le corps glorieux est appelé subtil par l’effet d’une puissance spirituelle.

[21435] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta, quae procedunt de subtilitate quae est per rarefactionem.

La réponse aux objections est ainsi claire : elles s’appuyaient sur la subtilité qui existe en raison de la raréfaction.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21436] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod non potest dici quod corpus gloriosum ratione subtilitatis suae habeat quod possit esse cum alio corpore in eodem loco, nisi per subtilitatem auferatur ab eo illud per quod prohibetur nunc esse simul cum alio corpore in eodem loco. Dicunt autem quidam, quod prohibetur ad hoc in suo statu ratione corpulentiae, per quam habet quod repleat locum; quae quidem corpulentia ab eo per subtilitatis dotem tolletur. Sed hoc non potest stare propter duo. Primo, quia corpulentia quam dos subtilitatis aufert, est ad defectum pertinens, puta aliqua inordinatio materiae non perfecte substantis suae formae: totum enim quod ad integritatem corporis pertinet in corpore, resurget tam ex parte formae, quam ex parte materiae. Quod autem aliquod corpus sit repletivum loci, hoc habet per id quod est de integritate naturae ejus, et non ex aliquo defectu naturae. Cum enim plenum opponatur vacuo; illud solum non replet locum, quo posito in loco, locus nihilominus remanet vacuus. Vacuum autem definitur in 4 Physic., quod est locus non plenus sensibili corpore. Dicitur autem aliquod corpus esse sensibile ex materia et forma et naturalibus accidentibus, quae omnia ad integritatem naturae pertinent. Constat etiam quod corpus gloriosum erit sensibile etiam secundum tactum, ut patet in corpore domini, Luc. ult.; nec enim deerit materia aut forma, aut naturalia accidentia secundum calidum et frigidum et hujusmodi. Unde patet quod corpus gloriosum non obstante subtilitatis dote replebit locum. Insania enim videretur dicere, quod locus ubi esset gloriosum corpus, esset vacuus. Secundo ratio eorum praedicta non valet; quia impedire coexistentiam corporis in eodem loco est in plus quam replere locum. Si enim ponamus dimensiones esse separatas sine materia, illae dimensiones non replent locum; unde quidam ponentes vacuum dixerunt, vacuum esse locum in quo sunt hujusmodi dimensiones sine aliquo corpore sensibili; et tamen istae dimensiones prohibentur ne sint simul cum aliquo corpore in eodem loco, ut patet per philosophum in 4 Physic., ubi habet pro inconvenienti quod corpus mathematicum, quod nihil est aliud quam dimensiones separatae, sit simul cum corpore naturali sensibili. Unde dato quod subtilitas gloriosi corporis auferret ab eo hoc quod est replere locum, non tamen sequeretur quod propter hoc posset esse cum alio corpore in eodem loco; quia remoto eo quod minus est, non propter hoc removetur quod in plus est. Ergo videtur quod illud quod impedit corpus nostrum nunc ne sit simul cum alio corpore in eodem loco, nullo modo poterit ab eo removeri per dotem subtilitatis. Nihil enim potest prohibere corpus aliquod ne sit simul situatum cum alio corpore in eodem loco, nisi hoc quod in eo requirit diversum situm; nihil enim est impedimentum identitati nisi quod est causa diversitatis. Hanc autem distinctionem situs non requirit aliqua corporis qualitas; quia corpori non debetur aliquis situs ratione suae qualitatis; unde remoto a corpore sensibili quod sit calidum aut frigidum, aut grave aut leve, nihilominus in eo remanet necessitas praedictae distinctionis, ut patet per philosophum in 4 physicorum; et etiam per se planum est. Similiter etiam materia non potest inducere necessitatem praedictae distinctionis; quia materiae non advenit situs nisi mediante quantitate dimensiva. Similiter etiam neque forma situm habet nisi ex materia situm habente. Restat ergo quod necessitas distinctionis duorum corporum in situ causatur a natura quantitatis dimensivae, cui per se convenit situs; cadit enim in definitione ejus, quia quantitas dimensiva est quantitas habens situm; et inde est quod remotis omnibus aliis quae sunt in re, talis distinctionis necessitas invenitur in sola quantitate dimensiva. Si autem accipiatur linea separata, oportet quod si sunt duae lineae, vel duae partes unius lineae, sint distinctae in situ; alias linea addita lineae non efficeret majus; quod est contra communem animi conceptionem; et similiter est de superficiebus et corporibus mathematicis. Et quia materiae debetur situs inquantum substat dimensionibus, exinde praedicta necessitas ad materiam situatam derivatur; ut sicut non est possibile esse duas lineas vel duas partes lineae nisi sint distinctae secundum situm; ita impossibile sit esse duas materias, vel duas partes materiae, nisi sit distinctio situs. Et quia distinctio materiae est principium distinctionis individui, inde est quod Boetius dicit in Lib. de Trinit.: quia duobus corporibus unum locum fingere nullo modo possumus; ut hanc saltem accidentium varietatem distinctio individuorum requirat. Subtilitas autem a corpore glorioso dimensionem non aufert; unde nullo modo aufert sibi praedictam necessitatem distinctionis situs ab alio corpore; et ita corpus gloriosum non habebit ratione suae subtilitatis quod possit esse cum alio corpore; sed poterit esse simul cum alio corpore ex operatione virtutis divinae, sicut etiam corpus Petri non habuit ex aliqua proprietate insita quod ad adventionem ejus sanarentur infirmi, sed hoc fiebat virtute divina ad aedificationem fidei; ita faciet virtus divina ut corpus gloriosum possit esse simul cum alio corpore ad perfectionem gloriae.

On ne peut dire que le corps glorieux, en raison de sa subtilité, est tel qu’il puisse se trouver avec un autre dans un même lieu, à moins que, par la subtilité, ne lui soit enlevé ce par quoi il est empêché de se trouver avec un autre corps dans un même lieu. Or, certains disent qu’il en est empêché dans son état en raison de la corpulence, par laquelle il est tel qu’il remplit un lieu ; cette corpulence lui sera enlevée par la dot de la subtilité. Mais cela ne tient pas pour deux raisons. Premièrement, la corpulence que la dot de la subtilité enlève relève d’une déficience, par exemple, un désordre de la matière qui n’est pas parfaitement soumise à sa forme. En effet, tout ce qui se rapporte à l’intégrité du corps ressuscitera tant du point de vue de la forme que du point de vue de la matière. Or, qu’un corps remplisse un lieu, il le tient de ce qui relève de l’intégrité de sa nature, et non d’une déficience de la nature. En effet, puisque le plein s’oppose au vide, seul ne remplit pas un lieu ce qui, placé dans un lieu, fait en sorte que le lieu demeure néanmoins vide. Or, le vide est défini dans Physique, IV, comme un lieu non rempli par un corps sensible. Mais un corps est appelé sensible en raison de sa matière et de sa forme, et de ses accidents naturels, qui tous se rapportent à l’intégrité de sa nature. Il est aussi certain que le corps glorieux sera sensible au toucher, comme cela ressort pour le corps du Seigneur, Lc 24 ; la matière, la forme et les accidents naturels ne lui feront donc pas défaut. Il est donc clair que le corps glorieux remplira un lieu malgré la dot de la subtilité. En effet, cela semblerait une folie de dire que le lieu où se trouverait un corps glorieux serait vide. Deuxièmement, la raison donnée pour ce qui précède n’a pas de valeur, car empêcher la coexistence d’un corps dans un même lieu est davantage que remplir un lieu. En effet, si nous affirmons que les dimensions sont séparées et sans matière, ces dimensions ne rempliront pas le lieu. Aussi certains qui affirmaient le vide ont-ils dit que le lieu dans lequel existent de telles dimensions sans corps sensibles est vide. Et cependant, ces dimensions sont empêchées de se trouver dans un même lieu qu’un corps, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Physique, IV, où il tient pour inapproprié que le corps mathématique, qui n’est rien d’autre que les dimensions séparées, existe simultanément avec un corps naturel sensible. Aussi, à supposer que la subtilité du corps glorieux lui enlèverait la capacité de remplir un lieu, il n’en découlerait cependant pas que, pour cette raison, il pourrait se trouver avec un autre corps dans un même lieu, car, une fois enlevé ce qui est moindre, n’est pas enlevé pour autant ce qui est plus. Il semble donc que ce qui empêche maintenant notre corps de se trouver dans un même lieu qu’un autre corps ne pourra aucunement en être enlevé par la dot de la subtilité. En effet, rien ne peut empêcher un corps de se trouver en même temps qu’un autre corps dans un même lieu, que ce qui exige en lui un autre site. En effet, n’est un empêchement à l’identité que ce qui est cause de diversité. Or, aucune qualité du corps n’exige la diversité de site, car un site n’est pas dû au corps en raison de sa qualité ; aussi, une fois enlevé du corps sensible le fait d’être chaud ou froid, lourd ou léger, demeure néanmoins en lui la nécessité de la distinction précédente, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Physique, IV ; cela est aussi évident par soi. De même aussi, la matière ne peut-elle entraîner la nécessité de la distinction précédente, car le site n’est attribué à la matière que par l’intermédiaire de la quantité dimensionnelle. De même, la forme non plus n’a pas de site si la matière n’a pas de site. Il reste donc que la nécessité de distinguer deux corps dans un site est causée par la nature de la quantité dimensionnelle, à laquelle convient par soi un site. En effet, celui-ci fait partie de sa définition, car la quantité dimensionnelle est une quantité possédant un site. De là vient que, si on enlève toutes les autres aspects qui se trouvent dans une chose, une telle nécessité de faire la distinction se trouve dans la seule quantité dimensionnelle. Or, si on prend une ligne séparée, il est nécessaire que, s’il y a deux lignes ou deux parties d’une seule ligne, elles soient distinctes par leur site, autrement, la ligne ajoutée à la ligne ne donnerait rien de plus, ce qui va à l’encontre de la conception commune de l’esprit. Et il en va de même pour les surfaces et les corps mathématiques. Et parce que le site revient à la matière en tant qu’elle est sous-jacente aux dimensions, de là vient que la nécessité précédente passe dans la matière possédant un site, de sorte que, de même qu’il n’est pas possible qu’il existe deux lignes ou deux parties d’une seule ligne, à moins qu’elles ne soient distinctes selon le site, de même il est impossible qu’il existe deux matières ou deux parties d’une matière là où il n’y a pas de distinction entre les sites. Et parce que la distinction de la matière est le principe de la distinction de l’individu, de là vient que Boèce dit, dans le livre Sur la Trinité, que « nous ne pouvons d’aucune manière imaginer un seul lieu pour deux corps », de sorte que la distinction entre des individus exige au moins une diversité des accidents. Or, la subtilité n’enlève pas sa dimension au corps glorieux. Aussi n’enlève-t-elle d’aucune manière la nécessité en question d’une distinction de site par rapport à un autre corps. Ainsi, le corps glorieux n’aura-t-il pas, en raison de sa subtilité, le pouvoir de se trouver avec un autre corps ; mais il pourra se trouver simultanément avec un autre corps par l’action de la puissance divine, comme le corps de Pierre n’était pas en mesure, en vertu d’une propriété interne, de guérir les infirmes qui le trouvaient, mais cela se réalisait par la puissance divine en vue de l’édification de la foi. De même, la puissance divine fera en sorte que le corps glorieux puisse se trouver simultanément avec un autre corps en vue de la perfection de la gloire.

[21437] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus Christi non habuit ex dote subtilitatis quod posset esse simul cum alio corpore in eodem loco; sed hoc factum est virtute divinitatis post resurrectionem, sicut in nativitate. Unde Gregorius in Homil. dicit: illud corpus domini intravit ad discipulos januis clausis, quod ad humanos oculos per nativitatem suam clauso exiit utero virginis. Unde non oportet quod ratione subtilitatis hoc conveniat corporibus gloriosis.

1. En vertu de la dot de la subtilité, le corps du Christ n’était pas tel qu’il pût se trouver simultanément avec un autre corps dans un même lieu ; mais cela a été réalisé par la puissance de la divinité après la résurrection, comme lors de la nativité. Aussi Grégoire dit-il dans une homélie : « Ce corps du Seigneur est entré auprès des apôtres alors que les portes étaient closes, comme, aux yeux des hommes, il est sorti du sein fermé de la Vierge. » Aussi n’est-il pas nécessaire qu’en raison de la subtilité cela convienne aux corps glorieux.

[21438] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lumen non est corpus, ut in 2 Lib., dist. 13, quaest. 1, art. 3, dictum est; unde objectio procedit ex falsis.

2. La lumière n’est pas un corps, comme on l’a dit dans le livre II, d. 13, q. 1, ad 3. Aussi l’objection vient-elle de fausses prémisses.

[21439] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus gloriosum transibit sphaeras caelorum sine earum divisione, non ex vi subtilitatis, sed ex divina virtute, quae eis ad nutum in omnibus subveniet.

3. Le corps glorieux traversera les sphères célestes sans les diviser, non pas par le pouvoir de sa subtilité, mais en vertu de la puissance divine, qui leur viendra en aide en toutes choses selon son bon vouloir.

[21440] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ex hoc etiam quod ad nutum eis Deus aderit in omnibus quae volent, sequitur quod non possit includi vel incarcerari.

4. Du fait même qu’il sera présent en tous ceux qui volent par la volonté de Dieu, il découle qu’il ne peut être enfermé ou incarcéré.

[21441] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut dicitur in 2 Physic., puncto non convenit esse locum. Unde si dicatur esse in loco, hoc non est nisi per accidens; quia corpus cujus est terminus, est in loco. Sicut autem locus totus respondet toti corpori, ita terminus loci respondet termino corporis. Contingit autem duorum locorum esse unum terminum, sicut et duas lineas terminari ad unum punctum; et ideo, quamvis duo corpora non possint esse in eodem loco, tamen duobus terminis duorum locorum respondet idem terminus duorum locorum; et secundum hoc dicuntur ultima corporum se tangentium esse simul.

5. Comme on le dit dans Physique, II, un lieu ne convient pas au point. Si donc on dit qu’il se trouve dans un lieu, cela n’est que par accident, car le corps dont il est le terme se trouve dans un lieu. Mais de même qu’un lieu entier correspond à un corps entier, de même le terme d’un lieu correspond-il au terme d’un corps. Il arrive aussi qu’il n’y ait qu’un seul terme pour deux lieux, comme deux lignes peuvent peuvent se terminer en un seul point. C’est pourquoi, bien que deux corps ne puissent se trouver dans un même lieu, cependant le même terme de deux lieux correspondra aux deux termes de deux lieux. De cette manière, on dit que les limites ultimes des corps qui se touchent se trouvent ensemble.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21442] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut ex dictis patet, propter hoc necesse est duo corpora in duobus locis esse, quia diversitas materiae requirit distinctionem in situ; et ideo videmus quod quando conveniunt duo corpora in unum, destruitur esse distinctum utriusque, et acquiritur utrique simul unum esse indistinctum, ut patet in mixtionibus. Non potest ergo esse quod corpora duo remaneant duo, et tamen sint simul, nisi utrique conservetur esse distinctum, quod prius habebat, secundum quod utrumque erat ens indivisum in se, et divisum ab aliis. Hoc autem esse distinctum dependet a principiis rei essentialibus sicut a causis proximis, sed a Deo sicut a causa prima; sicut supra, dist. 12, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, ad 3, dictum est, quod esse accidentis dependet a subjecto sicut a causa proxima, sed a Deo sicut a causa prima. Et quia causa prima potest conservare rem in esse cessantibus causis secundis, ut patet per primam propositionem libri de causis; ideo divina virtute, et ea sola, fieri potest ut accidens sit sine subjecto, ut patet in sacramento altaris; et similiter divina virtute fieri potest, et ea sola, quod corpori remaneat esse distinctum ab alio corpore, quamvis ejus materia non sit distincta in situ ab alterius corporis materia; et sic miraculose fieri potest quod duo corpora sint in eodem loco.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, il est nécessaire pour deux corps de se trouver dans deux lieux parce que la diversité de la matière exige la distinction entre les sites. C’est pourquoi nous voyons que lorsque deux corps se transforment en un seul, l’être distinct des deux est détruit et les deux acquièrent un seul être indistinct, comme cela est clair pour les mélanges. Il ne peut donc arriver que deux corps demeurent deux et existent cependant ensemble, sans que les deux ne conservent l’être distinct qu’ils possédaient antérieurement, selon que les deux étaient des êtres indivis en eux-mêmes et divisés des autres. Or, cet être distinct dépend des principes essentiels d’une chose comme de ses causes prochaines, mais de Dieu comme de sa cause première, comme on a dit plus haut, d. 12, q. 1, a. 1, qa 3, ad 3, que l’être de l’accident dépend de son sujet comme de sa cause prochaine, mais de Dieu comme de sa cause première. Et parce que la cause première peut conserver une chose dans l’être alors que cessent les causes secondes, comme cela ressort de la première proposition du livre Sur les causes, par la puissance divine et par elle seule, il peut arriver qu’un accident existe sans sujet, comme c’est le cas pour le sacrement de l’autel. De même, par la puissance divine et par elle seule, il peut arriver qu’un corps demeure un être distinct d’un autre corps, bien que sa matière n’ait pas un site distinct de la matière d’un autre corps. Et ainsi, il peut arriver par miracle que deux corps se trouvent dans un même lieu.

[21443] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa est sophistica, quia procedit ex suppositione falsi, vel petit principium. Procedit enim ratio illa ac si inter duas superficies oppositas loci alicujus esset aliqua dimensio propria loco, cui oporteret quod uniretur dimensio corporis locati advenientis; sic enim sequeretur quod dimensiones duorum corporum locatorum fierent una dimensio, si utraque unum fieret cum dimensione loci. Haec autem suppositio falsa est; quia secundum hoc, quandocumque corpus acquireret novum locum, oporteret aliquam immutationem fieri in dimensionibus loci vel locati. Non enim potest esse quod aliqua duo fiant de novo unum, nisi altero eorum immutato. Si autem, ut se rei veritas habet, loco non debentur aliae dimensiones quam dimensiones locati, patet quod ratio nihil probat, sed petit principium; quia secundum hoc nihil est aliud dictum quod dimensiones locati fiunt eaedem cum dimensionibus loci, nisi quod dimensiones locati continentur infra terminos loci, et secundum eorum mensuram distant termini loci, sicut distarent propriis dimensionibus, si eas haberent; et sic dimensiones duorum corporum esse dimensiones unius loci, nihil est aliud quam duo corpora esse in eodem loco; quod est principale propositum.

1. Cet argument est un sophisme, car il s’appuie sur la supposition d’une fausseté et il est une pétition de principe. En effet, cet argument suppose qu’entre deux surfaces opposées dans un lieu, existerait une dimension propre au lieu, à laquelle il faudrait que soit unie la dimension du corps localisé qui survient. En effet, il en découlerait que les dimensions de deux corps localisés deviendraient une seule dimension, si les deux devenaient une seule chose avec la dimension du lieu. Or, cette supposition est fausse, car, d’après elle, chaque fois qu’un corps recevrait un nouveau lieu, il faudrait qu’un changement se produise dans les dimensions du lieu ou dans ce qui est dans le lieu. En effet, il ne peut arriver que deux choses deviennent une seule chose à moins que l’une des deux soit changée. Si donc, comme c’est la vérité, le lieu n’a pas d’autres dimensions que les dimensions de ce qui est localisé, il est clair que le raisonnement ne démontre rien mais est une pétition de principe, car, de cette manière, on n’a rien dit de plus que les dimensions de ce qui est localisé deviennent les mêmes que les dimensions du lieu, si ce n’est que les dimensions de ce qui est localisé sont contenues à l’intérieur des termes du lieu, et que les termes du lieu sont éloignés selon leur mesure, comme ils seraient éloignés selon leurs propres dimensions s’ils avaient des dimensions. Ainsi, le fait que les dimensions de deux corps soient les dimensions d’un seul lieu n’est rien d’autre que le fait pour deux corps de se trouver dans un même lieu, ce qui est la proposition principale.

[21444] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod posito quod duo corpora sint in eodem loco per miraculum, non sequitur aliquid neque contra communes animi conceptiones, neque contra definitionem lineae neque contra conclusiones aliquas geometriae. Sicut enim supra, dist. 12, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, ad 3, dictum est, quantitas dimensiva in hoc differt ab omnibus aliis accidentibus, quod habet specialem rationem individuationis et distinctionis, scilicet ex situ partium, praeter rationem individuationis et distinctionis quae est sibi et omnibus aliis accidentibus communis, scilicet ex materia subjecta. Sic ergo una linea potest intelligi diversa ab alia, vel quia est in alio subjecto (quae consideratio non est nisi de linea materiali), vel quia distat in situ ab alia, quae consideratio est etiam de linea mathematica, quae intelligitur praeter materiam. Si ergo removeatur materia, non potest esse distinctio linearum nisi secundum situm diversum; et similiter nec punctorum, nec superficierum, nec quarumcumque dimensionum; et sic geometria non potest ponere quod una linea addatur alii tamquam distincta ab ea, nisi sit diversa in situ ab ea. Sed supposita distinctione subjecti sine distinctione situs ex divino miraculo, ut dictum est, intelligentur diversae lineae quae non distant situ propter diversitatem subjecti; et similiter puncta diversa; et sic duae lineae designatae in duobus corporibus quae sunt in eodem loco, trahuntur a diversis punctis ad diversa puncta, ut non accipiamus punctum signatum in loco, sed in ipso corpore locato, quia linea non dicitur trahi nisi a puncto quod est terminus ejus; et similiter etiam duo circuli designati in duobus corporibus sphaericis existentibus in eodem loco, sunt duo, non propter diversitatem situs (alias non possent se tangere secundum totum), sed sunt duo ex diversitate subjectorum; et propter hoc se totaliter tangentes adhuc manent duo, sicut etiam circulus signatus in corpore locato sphaerico tangit secundum totum alium circulum signatum in corpore locante.

2. A supposer que deux corps soient dans un même lieu en vertu d’un miracle, il n’en découle pas quelque chose qui va à l’encontre des conceptions communes de l’esprit, ni de certaines conclusions de la géométrie. Comme on l’a dit plus haut, d. 12, q. 1, a. 1, qa 3, ad 3, la quantité dimensionnelle diffère de tous les autres accidents en ce qu’elle possède la raison d’individuation et de distinction, à cause du site des parties, en plus de la raison d’individuation et de distinction qui est commune à elle et à tous les autres accidents, en raison de la matière sous-jacente. Ainsi, on peut comprendre une ligne comme distincte d’une autre soit parce qu’elle existe dans un autre sujet (cette considération ne peut porter que sur une ligne matérielle), soit parce qu’elle est éloignée d’une autre par son site (cette considération porte aussi sur la ligne mathématique, qui est saisie indépendamment de la matière). Si donc la matière est enlevée, il ne peut exister de distinction entre les lignes que selon leurs divers sites, et de même entre des points, des surfaces ou n’importe quelle dimension. Ainsi, la géométrie ne peut affirmer qu’une ligne s’ajoute à une autre comme distincte d’elle, que si elle en est différente par le site. Or, à supposer une distinction entre les sujets sans distinction entre les sites en vertu d’un miracle divin, comme on l’a dit, on comprendra diverses lignes qui ne sont pas éloignées par le site en raison de la diversité des sujets. Et ainsi, deux lignes inscrites sur deux corps qui sont dans un même lieu sont tracées de points divers vers des points divers, de sorte que nous ne saisissons pas un point marqué dans un lieu, mais dans le corps localisé lui-même, car on ne dit que la ligne est tracée qu’à partir d’un point qui est son terme. De même, deux cercles inscrits sur deux corps sphériques existant dans un même lieu sont deux, non pas en raison de la diversité du site (autrement, ils ne pourraient se toucher entièrement), mais ils sont deux en raison de la diversité des sujets. Pour cette raison, ils demeurent deux tout en se touchant entièrement, comme le cercle inscrit sur un corps sphérique localisé touche entièrement un autre cercle inscrit sur le corps qui établit le lieu.

[21445] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus posset facere aliquod corpus et non esse in loco; et tamen illa positione facta non sequitur quod aliquod corpus non sit in loco; quia corpus majus est locus corporis minoris ratione illius superficiei quae designatur ex contactu terminorum corporis minoris.

3. Dieu pourrait faire en sorte qu’un corps n’existe pas dans un lieu. Cependant, après avoir affirmé cela, il n’en découle pas qu’un corps ne soit pas dans un lieu, car le corps plus grand est le lieu du corps plus petit en raison de la surface qui est marquée par le contact des limites du corps plus petit.

[21446] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unum corpus esse simul localiter in duobus locis non potest fieri per miraculum (corpus enim Christi non est in altari localiter, ut supra, dist. 10, dictum est), quamvis miraculose possit fieri quod duo corpora sint in eodem loco; quia esse in pluribus locis simul repugnat individuo ratione ejus quod est esse indivisum in se; sequeretur enim quod esset distinctum in situ. Sed esse cum alio corpore in eodem loco repugnat ei quantum ad hoc quod est esse divisum ab alio, ut ex dictis patet. Ratio autem unius perficitur in indivisione, ut patet in 4 Metaph. Sed divisio ab aliis est de consequentibus ad rationem unius. Unde quod idem corpus sit localiter simul in diversis locis includit contradictionem, sicut quod homo careat ratione; sed duo corpora esse in eodem loco non includit contradictionem, ut ex dictis patet; et ideo non est simile.

4. Qu’un seul corps existe en même temps localement en deux lieux, cela ne peut être réalisé par un miracle (en effet, le corps du Christ n’est pas sur l’autel selon le lieu, comme on l’a dit plus haut, d. 10), bien qu’il puisse produire miraculeusement que deux corps soient dans un même lieu, car se trouver en même temps dans un même lieu est contraire à l’individu pour la raison qu’il est un être indivis en lui-même. En effet, il en découlerait qu’il serait distinct selon le site. Mais se trouver avec un autre corps dans un même lieu lui est contraire sous l’aspect où il est séparé de l’autre, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, la raison d’être un se réalise dans l’indivision, comme cela ressort de Métaphysique, IV. Or la division par rapport aux autres porte sur ce qui découle de la raison de l’un. Que le même corps se trouve localement, de manière simultanée, en divers lieux comporte donc une contradiction, comme l’affirmation que l’homme serait dépourvu de raison ; mais que deux corps se trouvent dans un même lieu ne comporte pas de contradiction, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi ne s’agit-il pas de la même chose.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21447] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod corpus gloriosum ratione suae proprietatis non habet quod possit esse cum alio corpore glorioso in eodem loco, sicut nec ut sit simul cum corpore non glorioso. Divina autem virtute fieri posset ut duo corpora gloriosa essent simul, vel duo non gloriosa, sicut gloriosum et non gloriosum. Sed tamen non est conveniens quod corpus gloriosum sit simul cum alio corpore glorioso; tum quia in eis servabitur debitus ordo, qui distinctionem requirit; tum quia unum corpus gloriosum non se apponet alteri. Et sic nunquam duo corpora erunt simul.

En raison de ce qui lui est propre, le corps glorieux ne peut se trouver avec un autre corps glorieux dans un même lieu, de même qu’il ne peut s’y trouver avec un corps non glorieux. Or, la puissance divine pourrait faire en sorte que deux corps glorieux, deux corps non glorieux, ou un corps glorieux et un corps non glorieux se trouvent ensemble [dans un même lieu]. Cependant, il ne convient pas qu’un corps glorieux se trouve en même temps [dans un même lieu] qu’un autre corps glorieux, aussi bien parce que sera respecté en eux l’ordre approprié, qui exige une distinction, que parce qu’un seul corps glorieux ne se joindra pas à un autre. Ainsi, jamais deux corps ne se trouveront ensemble.

[21448] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit, ac si corpori glorioso inesset ratione suae subtilitatis quod posset esse simul in eodem loco cum alio corpore; quod falsum est.

1. Ce raisonnement se déploie comme s’il était inhérent à un corps glorieux, en raison de sa subtilité, de pouvoir de trouver en même temps [dans un même lieu] qu’un autre corps, ce qui est faux.

[21449] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[21450] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus caeli et alia corpora aequivoce dicentur gloriosa inquantum participabunt aliquid gloriae, et non quod eis conveniant dotes corporum humanorum glorificatorum.

3. Le corps céleste et les autres corps seront appelés glorieux de manière équivoque pour autant qu’ils participeront à quelque chose de la gloire, et non pas parce que leur conviennent les dots des corps humains glorifiés.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[21451] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod corpus non comparatur ad locum nisi mediantibus dimensionibus propriis, secundum quas corpus locatum circumscribitur ex contactu corporis locantis; unde quod corpus aliquod sit in minori loco quam sit sua quantitas, hoc non potest esse nisi per hoc quod quantitas corporis propria efficitur aliquo modo minor seipsa; quod quidem non potest intelligi nisi dupliciter. Uno modo ex variatione quantitatis circa eamdem materiam: ut scilicet materia quae primo subest magnae quantitati, postea subsit parvae; et hoc quidam posuerunt in corporibus gloriosis, dicentes, quod quantitas eorum subest eis ad nutum; ita quod cum voluerint, possunt habere magnam quantitatem, et cum voluerint, parvam. Sed hoc non potest esse; quia nullus motus qui fit secundum aliquid intrinsecum rei, potest esse sine passione abjiciente a substantia; et ideo in corporibus incorruptibilibus, scilicet caelestibus, est solus motus localis, qui non est secundum aliquid intrinsecum. Unde patet quod mutatio quantitatis circa materiam repugnaret impassibilitati corporis gloriosi, et incorruptibilitati. Et praeterea sequeretur, quod corpus gloriosum quandoque esset rarius, et quandoque spissius: quia cum nihil dividi possit ab eo de materia sua, quandoque eadem materia esset sub parvis dimensionibus, et quandoque sub magnis; et ita rarefieret et densaretur; quod non potest esse. Alio modo potest intelligi quod quantitas corporis gloriosi efficiatur minor seipsa per variationem situs, ita scilicet quod partes corporis gloriosi subintrent se invicem, et sic redeat ad quantumcumque parvam quantitatem; et hoc quidam posuerunt, dicentes, quod ratione suae subtilitatis corpus gloriosum habebit quod possit esse simul cum alio corpore non glorioso in eodem loco; et similiter potest una pars esse intra aliam intantum quod totum corpus gloriosum poterit intrare per minimum porum unius corporis; et sic ponunt quod corpus Christi exivit de utero virginali, et intravit januis clausis ad discipulos. Sed hoc non potest esse; tum quia corpus gloriosum non habebit quod sit cum alio corpore simul ratione subtilitatis; tum quia etiam si haberet ut ratione subtilitatis esset cum alio corpore, non tamen cum corpore glorioso, ut multi dicunt; tum quia repugnaret rectae dispositioni corporis humani, quae requirit determinatum situm, et distantiam partium. Unde nec per miraculum unquam hoc fiet. Et ideo dicendum, quod corpus gloriosum semper erit in loco sibi aequali.

Le corps ne se compare au lieu que par l’intermédiaire de ses dimensions propres, selon lesquelles le corps dans un lieu est circonscrit par le contact avec le corps qui le place dans un lieu. Qu’un corps se trouve dans un lieu plus petit que sa quantité, cela ne peut donc être que parce que la quantité propre du corps devient d’une certaine manière plus petite qu’elle-même, ce qui ne peut se comprendre que de deux manières. D’une manière, selon la variation de la quantité pour la même matière, c’est-à-dire que la matière qui est d’abord sous-jacente à une grande quantité devient par la suite sous-jacente à une petite. Certains ont affirmé cela des corps glorieux, en disant que leur quantité leur est soumise selon leur volonté, de sorte que, lorsqu’ils le voudront, ils puissent avoir une grande quantité et, lorsqu’ils le voudront, une petite. Mais cela est impossible, car aucun mouvement provenant de l’intérieur d’une chose ne peut exister sans une passion qui dégrade sa substance ; c’est pourquoi, dans les corps incorruptibles, à savoir, [les corps] célestes, seul existe le mouvement local, qui ne vient pas de l’intérieur. Il ressort ainsi que le changement de quantité dans une matière s’opposerait à l’impassibilité du corps glorieux et à l’incorruptibilité. De plus, il en découlerait que le corps glorieux serait parfois moins dense et parfois plus dense, car, puisque rien de sa matière ne peut en être séparé, la même matière existerait parfois sous de petites dimensions, et parfois sous de grandes. Ainsi, [le corps glorieux] serait moins dense et plus dense, ce qui ne peut être le cas. D’une autre manière, on peut comprendre que la quantité du corps glorieux devienne elle-même plus petite par un changement de site, de telle sorte que les parties du corps glorieux entrent les unes dans les autres, et qu’il soit ramené ainsi à une petite quantité. Certains ont affirmé cela en disant qu’en raison de sa subtilité, le corps glorieux sera en mesure de pouvoir se trouver en même temps qu’un autre corps non glorieux dans un même lieu. De même, une partie peut entrer dans l’autre, au point que le corps glorieux tout entier pourra entrer par le plus petit passage d’un corps. Ils affirment que le corps du Christ est ainsi sorti du sein virginal et est entré vers les disciples, alors que les portes étaient fermées. Mais cela est impossible, tant parce que le corps glorieux ne sera pas en mesure de se trouver simultanément avec un autre corps en raison de la subtilité, que parce que, s’il était en mesure, en raison de sa subtilité, de se trouver avec un autre corps, ce ne serait cependant pas avec un corps glorieux, comme le disent beaucoup. Ce serait aussi parce que cela répugnerait à la disposition appropriée du corps humain, qui exige un site déterminé et une distance entre les parties. Aussi cela ne se fera jamais, même par miracle. Il faut donc dire que le corps glorieux sera toujours dans un lieu qui lui est égal.

[21452] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus Christi in sacramento altaris non est localiter, ut supra, dist. 10, dictum est.

1. Le corps du Christ dans le sacrement de l’autel n’existe pas localement, comme on l’a dit plus haut, d. 10.

[21453] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod probatio philosophi procedit ex hoc quod una pars eadem ratione subintraret aliam. Sed talis subintratio partium corporis gloriosi in invicem non potest esse, ut dictum est; et ideo ratio non sequitur.

2. La démonstration du Philosophe s’appuie sur le fait qu’une partie entrerait dans une autre pour la même raison. Mais une interpénétration réciproque des parties du corps glorieux ne peut exister, comme on l’a dit. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[21454] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus videtur ex hoc quod agit in visum. Quod autem agat in visum vel non agat, nihil variat in ipso corpore; et ideo non est inconveniens, si possit, quando vult, videri; et quando vult, non videri. Sed esse in loco non est actio aliqua procedens ab eo ratione suae quantitatis, sicut videri ratione sui coloris; et ideo non est simile.

3. Le corps est vu parce qu’il agit sur la vue. Qu’il agisse ou non sur la vue ne fait aucune différence pour le corps lui-même. Il n’est donc pas inconvenant qu’il puisse être vu lorsqu’on le veut, et ne pas être vu, lorsqu’on le veut. Mais se trouver dans un lieu n’est pas une action qui vient de lui en raison de sa quantité, comme être vu en raison de sa couleur. Ce n’est donc pas la même chose.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[21455] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod omne corpus palpabile est tangibile, sed non convertitur. Omne enim corpus est tangibile quod habet qualitates quibus natus est immutari sensus tactus; unde aer et ignis, et omnia hujusmodi, sunt corpora tangibilia. Sed palpabile ulterius addit quod resistat tangenti; unde aer, qui nequaquam resistit transeunti per eum, sed est facillimae divisionis, tangibilis quidem est, sed non palpabilis. Sic ergo patet quod palpabile dicitur aliquod corpus ex duobus; scilicet ex qualitatibus tangibilibus, et ex hoc quod resistit tangenti, ut non pertranseatur; quia qualitates tangibiles sunt calidum et frigidum, et hujusmodi; quae non inveniuntur nisi in corporibus gravibus et levibus, quae habent contrarietatem ad invicem, ac per hoc sunt corruptibilia. Ideo corpora caelestia, quae sunt secundum naturam incorruptibilia, sunt sensibilia quidem visu, sed non tangibilia, et sic etiam nec palpabilia; et hoc est quod Gregorius dicit, quod corrumpi necesse est omne quod palpatur. Corpus ergo gloriosum habet ex natura sua qualitates quae sunt natae immutare tactum; sed tamen quia corpus est omnino subjectum spiritui, in potestate ejus est ut secundum eas immutet tactum vel non immutet. Similiter etiam secundum naturam subjecti competit ut resistat cuilibet alteri corpori transeunti, ita quod non possit esse cum eo simul in eodem loco; sed miraculose hoc potest divina virtute contingere ad nutum ipsius, quod sit cum alio corpore in eodem loco, et sic non resistet ei transeunti. Unde secundum naturam suam palpabile est corpus gloriosum; sed ex virtute supernaturali hoc ei competit ut cum non vult, non palpetur a corpore non glorioso; et ideo Gregorius dicit, quod dominus palpandam carnem praebuit, quam januis clausis introduxit; ut profecto ostenderet post resurrectionem corpus suum esse et ejusdem naturae, et alterius gloriae.

Tout corps palpable peut être touché, mais non l’inverse. En effet, tout corps qui possède les qualités selon lesquelles le sens du toucher peut être changé. Ainsi, l’air, le feu et toutes les choses de ce genre sont des corps qui peuvent être touchés. Mais la possibilité de palper ajoute que cela résiste à celui qui touche ; ainsi, l’air, qui ne résiste jamais à celui qui le traverse, mais peut être séparé très facilement, peut être touché, mais il n’est pas palpable. Il ressort ainsi clairement qu’on dit d’un corps qu’il est palpable pour deux raisons : en raison de ses qualités tangibles, et en raison de sa résistance à celui qui le touche, de sorte qu’il ne soit pas traversé. En effet, les qualités tangibles sont le chaud et le froid, et les choses de ce genre, qui ne se rencontrent que dans les corps lourds et légers, qui sont contraires les uns aux autres et, pour cette raison, corruptibles. Aussi les corps célestes, qui sont incorruptibles par nature, sont-ils sensibles à la vue, mais non tangibles, et ainsi ils ne sont pas palpables. C’est ce que dit Grégoire, que « tout ce qui est touché se corrompt nécessairement ». Le corps glorieux possède donc les qualités qui sont aptes à modifier le toucher ; cependant, parce que le corps est entièrement soumis à l’esprit, il est en son pouvoir de modifier ou de ne pas modifier le toucher selon ces [qualités]. De même, selon la nature du sujet, il lui revient de résister à n’importe quel corps qui [le] traverse, de telle manière qu’il ne puisse se trouver avec lui dans un même lieu ; mais, par miracle, il peut arriver, selon la volonté de la puissance divine, qu’il se trouve avec un autre corps dans un même lieu, et ainsi qu’il ne résiste pas à ce qui le traverse. Aussi, selon sa nature, le corps glorieux est-il palpable ; mais, en vertu d’une puissance surnaturelle, il lui revient de ne pas être palpé par un corps non glorieux, s’il ne le veut pas. C’est pourquoi Grégoire dit que « le Seigneur a donné sa chair à palper, qu’il avait fait entrer alors que les portes étaient fermées, afin de montrer à coup sûr qu’après la résurrection, son corps avait la même nature, mais une gloire différente ».

[21456] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod incorruptibilitas corporis gloriosi non est ex natura componentium, secundum quam omne quod palpatur, necesse est corrumpi, ut ex dictis patet; et ideo ratio non sequitur.

1. L’incorruptibilité du corps glorieux ne vient pas de la nature de ses composantes ; selon celle-ci, tout ce qui est palpé sera nécessairement corrompu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[21457] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis aliquo modo fieri possit quod corpus gloriosum sit cum alio corpore in eodem loco, tamen corpus gloriosum habet in potestate sua resistere cuilibet tangenti cum voluerit; et sic palpari potest.

2. Bien qu’il puisse arriver d’une certaine manière que le corps glorieux se trouve dans le même lieu qu’un autre corps, cependant le corps glorieux est capable, lorsqu’il le veut, de résister à tous ceux qui le touchent. Il peut ainsi être palpé.

[21458] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 2 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod qualitates tangibiles in corporibus gloriosis non erunt reductae ad medium rei secundum aequidistantiam ab extremis acceptum, sed ad medium proportionis secundum quod optime competit complexioni humanae in singulis partibus; et ideo tactus illorum corporum est delectabilissimus; quia potentia semper delectatur in convenienti, et tristatur in excessu.

3. Les qualités tangibles des corps glorieux ne seraient pas ramenées à un milieu réel pris de l’égale distance par rapport à des extrêmes, mais à un milieu proportionnel, selon que celui-ci convient à la complexion humaine de toutes ses parties. Aussi le contact de ces corps est-il une très grande source de plaisir, parce qu’une puissance se délecte toujours de ce qui convient et elle est attristée par l’excès.

 

 

Articulus 3 [21459] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 tit. Utrum corpora gloriosa sint futura agilia

Article 3 – Les corps glorieux seront-ils agiles ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les corps glorieux seront-ils agiles ?]

[21460] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corpora gloriosa non sint futura agilia. Illud enim quod de se est agile ad motum, non indiget aliquo deferente. Sed corpora glorificata deferuntur post resurrectionem in nubibus obviam Christo in aere ab Angelis, ut dicit Glossa 1 ad Thess., 4. Ergo corpora gloriosa non erunt agilia.

1. Il semble que les corps glorieux ne seront pas agiles. En effet, ce qui est agile pour se mouvoir n’a pas besoin de quelque chose qui le porte. Or, après la résurrection, les corps glorifiés seront portés vers le Christ par les anges dans l’air, sur les nuées, comme le dit la Glose sur 1 Th 4. Les corps glorieux ne seront donc pas agiles.

[21461] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nullum corpus quod movetur cum labore et poena, potest dici agile. Sed corpora gloriosa hoc modo movebuntur, cum motor eorum, scilicet anima, moveat in contrarium naturae eorum; alias moverentur semper in unam partem. Ergo non erunt agilia.

2. Aucun corps qui est mû par un effort et avec peine ne peut être dit agile. Or, les corps glorieux seront mus de cette manière, puisque leur moteur, à savoir, l’âme, les meut en sens contraire de leur nature ; autrement, ils seraient toujours mus dans une seule direction. Ils ne seront donc pas agiles.

[21462] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, inter operationes animalis, sensus est nobilior et prior quam motus. Sed non assignatur corporibus gloriosis aliqua proprietas quae perficiat ea ad sentiendum. Ergo nec eis debet attribui agilitas, per quam perficiantur ad motum.

3. Parmi les opérations de l’animal, le sens est plus noble et antérieur au mouvement. Or, on n’attribue pas aux corps glorieux une propriété qui les perfectionne pour sentir. L’agilité non plus ne doit donc pas leur être attribuée, par laquelle ils sont perfectionnés en vue du mouvement.

[21463] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, natura dat diversis instrumenta diversae dispositionis secundum diversas virtutes ipsorum; unde non ejusdem dispositionis instrumenta dat animali tardo vel veloci. Sed Deus multo ordinatius operatur quam natura. Cum ergo corpus gloriosum habeat membra ejusdem dispositionis in figura et quantitate sicut modo, videtur quod non habeat aliam agilitatem quam modo habet.

4. La nature donne aux diverses réalités des instruments d’une disposition différente selon leurs différentes puissances ; ainsi ne donne-t-elle pas des instruments de la même disposition à l’animal lent et à l’animal rapide. Or, Dieu agit de manière beaucoup plus ordonné que la nature. Puisque le corps glorieux possède des membres de la même disposition selon la figure et la quantité, comme de la même mesure, il semble donc que [le corps glorieux] n’ait pas d’autre agilité que celle qu’il possède maintenant.

[21464] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod patet 2 Corinth. 15, 43: seminatur in infirmitate, surget in virtute, idest mobile et vivum. Sed mobilitas non potest dicere nisi agilitatem ad motum. Ergo corpora gloriosa erunt agilia.

Cependant, [1] 2 Co 15, 43 dit en sens contraire : Il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera en puissance, c’est-à-dire mobile et vif. Or, la mobilité ne peut signifier que l’agilité pour le mouvement. Les corps glorieux seront donc agiles.

[21465] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, tarditas maxime videtur spiritualitati repugnare. Sed corpora gloriosa erunt spiritualia, ut dicitur 1 Corinth. 15. Ergo erunt agilia.

[2] La lenteur semble s’opposer au plus haut point à la spiritualité. Or, les corps glorieux seront spirituels, comme il est dit en 1 Co 15. Ils seront donc agiles.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les corps glorieux utiliseront-ils leur agilité pour se mouvoir ?]

[21466] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod agilitate sua nunquam utentur, ita quod moveantur. Quia secundum philosophum, motus est actus imperfecti. Sed in illis corporibus nulla erit imperfectio. Ergo nec aliquis motus.

1. Il semble que les corps glorieux n’utiliseront jamais leur agilité pour se mouvoir, car, selon le Philosophe, le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait. Or, il n’y aura aucune imperfection dans ces corps. Donc, aucun mouvement.

[21467] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis motus est propter indigentiam; quia omne quod movetur, movetur propter adoptionem alicujus finis. Sed corpora gloriosa non habebunt aliquam indigentiam, ut Augustinus dicit: ibi erit quidquid voles, non erit quidquid noles. Ergo non movebuntur.

2. Tout mouvement est dû à une indigence, car tout ce qui est mû est mû en vue d’atteindre [corr. adoptionem/adeptionem] une fin. Or, les corps glorieux ne manqueront de rien, comme le dit Augustin : « Il y aura là tout ce que tu veux ; il n’y aura rien que tu ne veuilles. » Ils ne seront donc pas mus.

[21468] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 2 caeli et mundi, quod participat divinam bonitatem sine motu, nobilius participat illam quam quod participat eam cum motu. Sed corpus gloriosum nobilius participat divinam bonitatem quam aliquod aliud corpus. Cum ergo quaedam alia corpora omnino sine motu remaneant, sicut corpora caelestia, videtur quod multo fortius corpora humana.

3. Selon le Philosophe, dans Sur le ciel et le monde, II, ce qui participe à la bonté divine sans mouvement y participe d’une manière plus noble que ce qui [y] participe avec mouvement. Or, le corps glorieux participe à la bonté divine d’une manière plus noble que tout autre corps. Puisque certains autres corps demeurent tout à fait sans mouvement, comme les corps célestes, il semble donc que ce sera à bien plus forte raison le cas des corps humains [glorieux].

[21469] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit, quod anima stabilita in Deo stabiliet et corpus suum consequenter. Sed anima ita erit in Deo stabilita quod nullo modo ab eo movebitur. Ergo nec in corpore erit aliquis motus ab anima.

4. Augustin dit que l’âme fixée en Dieu sera stabilisée et, par voie de conséquence, son corps. Or, l’âme sera à ce point stabilisée en Dieu qu’elle ne pourra d’aucune manière en être écartée. Il n’y aura donc pas non plus, à partir de l’âme, de mouvement dans le corps.

[21470] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, quanto corpus est nobilius, tanto debetur ei locus nobilior; unde corpus Christi, quod est nobilissimum, habet locum eminentiorem inter cetera loca, ut patet Hebr. 7, 26: excelsior caelis factus: Glossa, loco et dignitate; et similiter unumquodque corpus gloriosum habebit eadem ratione locum sibi convenientem secundum mensuram suae dignitatis. Sed locus conveniens est de pertinentibus ad gloriam. Cum ergo post resurrectionem gloria sanctorum nunquam varietur neque in plus neque in minus, quia tunc erunt omnino in termino; videtur quod corpora eorum nunquam de loco sibi determinato recedent, et ita non movebuntur.

5. Plus le corps est noble, plus lui est dû un lieu noble. Aussi le corps du Christ, qui est le plus noble, possède-t-il un lieu plus éminent par rapport aux autres lieux, comme cela ressort de He 7, 26 : Devenu plus élevé que les cieux ; la Glose dit : « Par le lieu et la dignité. » De même, chaque corps glorieux aura-t-il, pour la même raison, un lieu qui lui convienne, à la mesure de sa dignité. Or, le lieu qui convient fait partie de ce qui se rapporte à la gloire. Puisque, après la résurrection, la gloire des saints ne changera jamais ni en plus ni en moins, parce qu’ils auront alors complètement atteint le terme, il semble donc que leurs corps ne s’écarteront jamais du lieu qui leur a été assigné et qu’ainsi ils ne seront pas mus.

[21471] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 40, 31: current, et non laborabunt; ambulabunt, et non deficient; et similiter Sap. 3, 7, dicitur: tamquam scintillae in arundineto discurrent. Ergo erit aliquis motus corporum gloriosorum.

Cependant, ce que dit Is 40, 31 va en sens contraire : Ils courront sans effort, ils marcheront sans faiblir ; de même, il est dit en Sg 3, 7 : Comme des étincelles à travers le chaume, ils courront. Il y aura donc un mouvement des corps glorieux.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les corps glorieux se meuvent-ils dans l’instant ?]

[21472] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod moveantur in instanti. Augustinus enim dicit, quod ubicumque voluerit spiritus, ibi erit et corpus. Sed motus voluntatis secundum quem spiritus vult alicubi esse, est in instanti. Ergo et motus corporis erit in instanti.

1. Il semble que les corps glorieux se meuvent dans l’instant. En effet, Augustin dit que partout où le voudra l’esprit, sera le corps. Or, le mouvement de la volonté, selon lequel l’esprit veut être ailleurs, se produit dans l’instant. Le mouvement du corps se produira donc lui aussi dans l’instant.

[21473] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus in 4 Phys. probat, quod si fieret motus per vacuum, oporteret aliquid moveri in instanti: quia vacuum non resistit aliquo modo mobili, resistit autem plenum; et sic nulla proportio esset motus qui fit in vacuo, ad motum qui fit in pleno, in velocitate, cum proportio motuum in velocitate sit secundum proportionem resistentiae quae est in medio. Omnium autem duorum motuum qui fiunt in tempore, oportet esse proportionales velocitates: quia omne tempus omni tempori proportionale est. Sed similiter nullum spatium plenum potest resistere corpori glorioso, quod potest esse cum alio corpore in eodem loco, quocumque modo fiat, sicut nec vacuum alteri corpori. Ergo si movetur, in instanti movebitur.

2. Dans Physique, IV, le Philosophe montre que si un mouvement se produisait dans le vide, il faudrait que quelque chose soit mû dans l’instant, car le vide ne résiste d’aucune façon à ce qui est mû, mais ce qui est plein lui résiste. Ainsi il n’y aurait aucune proportion entre le vélocité du mouvement qui se produit dans le vide et le mouvement qui se produit dans le plein, puisque la proportion entre la vélocité des mouvements existe selon la proportion de la résistance du milieu. Or, des vélocités proportionnelles doivent exister entre deux mouvements qui se produisent dans le temps, car tout temps est proportionnel à tout temps. Mais, de la même manière, aucun espace plein ne peut résister au corps glorieux, qui peut se trouver avec un autre corps dans le même lieu, comme aucun vide ne le peut pour un autre corps. S’il est mû, il sera donc mû dans l’instant.

[21474] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtus animae glorificatae quasi improportionaliter excedit virtutem animae non glorificatae. Sed anima non glorificata movet corpus in tempore. Ergo anima glorificata movet corpus in instanti.

3. La puissance de l’âme glorifiée dépasse pour ainsi dire sans proportion la puissance de l’âme non glorifiée. Or, l’âme non glorifiée meut le corps dans le temps. L’âme glorifiée meut donc le corps dans l’instant.

[21475] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod movetur aequaliter cito ad propinquum et distans, movetur in instanti. Sed motus corporis gloriosi est talis: quia ad quantumcumque distans spatium movetur tempore imperceptibili; unde Augustinus dicit in quaestionibus de resurrectione, quod corpus gloriosum utraque intervalla pari celeritate pertingit, ut radius solis. Ergo corpus gloriosum movetur in instanti.

4. Tout ce qui est mû avec une vitesse égale par rapport à ce qui est proche et éloigné est mû dans l’instant. Or, le mouvement du corps glorieux est de cet ordre, car, quelle que soit l’éloignement dans l’espace, il est mû selon un temps imperceptible. Aussi Augustin dit-il, dans ses Questions sur la résurrection, que « les corps glorieux traversent les deux intervalles à une vitesse égale, comme le rayon du soleil ». Le corps glorieux est donc mû dans l’instant.

[21476] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 5 Praeterea, omne quod movetur, vel movetur in tempore, vel movetur in instanti. Sed corpus gloriosum post resurrectionem non movebitur in tempore: quia tempus jam non erit, ut dicitur Apocal. 10. Ergo motus ille erit in instanti.

5. Tout ce qui est mû est mû soit dans le temps, soit dans l’instant. Or, après la résurrection, le corps glorieux ne sera pas mû dans le temps, car il n’y aura plus de temps, comme il est dit dans Ap 10. Ce mouvement se produira donc dans l’instant.

[21477] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, in motu locali spatium et motus et tempus simul dividuntur, ut demonstrative probatur in 6 Physic. Sed spatium quod transit corpus gloriosum per suum motum, est divisibile. Ergo et motus divisibilis, et tempus divisibile. Instans autem non dividitur. Ergo et motus ille non erit in instanti.

Cependant, [1] dans le mouvement local, l’espace, le mouvement et le temps sont simultanément divisés, comme cela est démontré de manière démonstrative dans Physique, VI. Or, l’espace que traverse le corps glorieux par son mouvement est divisible. Donc, le mouvement est-il divisible et le temps est-il divisible. Ce mouvement ne se produira donc pas dans l’instant.

[21478] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, non potest esse aliquid simul totum in uno loco; et partim in illo, et partim in alio: quia sequeretur quod altera pars esset in duobus locis simul; quod esse non potest. Sed omne quod movetur, partim est in termino a quo, et partim in termino ad quem, ut demonstratum est in 6 Physic. Omne autem quod motum est totum est in termino ad quem est motus. Ergo non potest esse quod simul moveatur et motum sit. Sed omne quod movetur in instanti, simul movetur et motum est. Ergo motus localis corporis gloriosi non poterit esse in instanti.

[2] Quelque chose ne peut se trouver en entier dans un seul lieu, et en partie dans celui-ci et dans un autre, car il en découlerait que la seconde partie se trouverait en deux lieux simultanément, ce qui est impossible. Or, tout ce qui est mû se trouve en partie dans le terme a quo et en partie dans le terme ad quem, comme cela est démontré dans Physique, VI. Mais tout ce qui a été mû se trouve en entier dans le terme ad quem du mouvement. Il ne peut donc se produire qu’il soit en même temps mû et qu’il ait été mû. Or, tout ce qui est mû dans l’instant est en même mû et a été mû. Le mouvement local du corps glorieux ne pourra donc pas se produire dans l’instant.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21479] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod corpus gloriosum erit omnino subjectum animae glorificatae, non solum ut nihil in eo sit quod resistat voluntati spiritus, quia hoc fuit etiam in corpore Adae; sed etiam ut sit in eo aliqua perfectio effluens ab anima glorificata in corpus, per quam habile reddatur ad praedictam subjectionem: quae quidem perfectio dos glorificati corporis dicitur. Anima autem conjungitur corpori non solum ut forma, sed ut motor; et utroque modo oportet quod corpus gloriosum animae glorificatae sit summe subjectum. Unde sicut per dotem subtilitatis subjicitur ei totaliter, inquantum est forma corporis, dans esse specificum; ita per dotem agilitatis subjicitur ei inquantum est motor, ut scilicet sit expeditum et habile ad obediendum spiritui in omnibus motibus et actionibus animae. Quidam tamen causam istius agilitatis attribuunt quintae essentiae, quae tunc in corporibus gloriosis dominabitur. Sed de hoc frequenter dictum est, quod non videtur conveniens; unde melius est quod attribuatur animae, a qua gloria in corpus emanat.

Le corps glorieux sera entièrement soumis à l’âme glorifiée, non seulement pour que rien en lui ne résiste à la volonté de l’esprit, car tel a été le cas pour le corps d’Adam, mais aussi pour qu’existe en lui une perfection qui découle depuis l’âme glorifiée vers le corps, par laquelle il est rendu apte à la soumission indiquée. Cette perfection est appelée une dot du corps glorifié. Or, l’âme est unie au corps non seulement comme sa forme, mais comme son moteur, et il est nécessaire des deux manières que le corps glorieux soit soumis au plus haut point à l’âme glorifiée. De même donc que, par la dot de la subtilité, [le corps] lui est entièrement soumis en tant que forme du corps lui donnant son être spécifique, de même, par la dot de l’agilité, il lui est soumis en tant que moteur, de sorte qu’il est empressé et capable d’obéir à l’esprit pour tous les mouvements et actions de l’âme. Cependant, certains attribuent la cause de cette agilité à la quinte essence. Mais on a souvent dit que cela est inapproprié. Il est donc mieux de l’attribuer à l’âme, dont la gloire se répand dans le corps.

[21480] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpora gloriosa dicuntur ferri bajulis Angelis, et etiam in nubibus, non quasi eis indigeant, sed ad reverentiam designandam quae corporibus gloriosis et ab Angelis et ab omnibus creaturis deferetur.

1. On dit que les corps glorieux sont portés par les anges gardiens, même sur les nuées, non pas parce qu’ils ont besoin d’eux, mais pour montrer le respect qui est manifesté aux corps glorieux tant par les anges que par toutes les créatures.

[21481] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quanto virtus animae moventis dominatur magis supra corpus, tanto minor est labor in motu, qui etiam fit contra naturam corporis. Unde illi in quibus virtus motiva est fortior, vel qui habent ex exercitio corpus magis habilitatum ad obediendum spiritui moventi, minus laborant in motu; et quia post resurrectionem anima perfecte dominabitur corpori tum propter perfectionem propriae virtutis, tum propter habilitatem corporis gloriosi ex redundantia gloriae ab anima in ipsum; non erit aliquis labor in motu sanctorum; et sic dici possunt corpora sanctorum agilia.

2. Plus la puissance de l’âme qui meut le corps l’emporte sur le corps, moins il y a d’effort dans le mouvement qui se réalise même contre la nature du corps. Aussi ceux chez qui la puissance motrice est plus forte ou qui possèdent par l’entraînement un corps davantage habilité à obéir à l’esprit qui le meut, font-ils moins d’effort dans le mouvement. Et parce que, après la résurrection, l’âme s’imposera parfaitement au corps, tant en raison de la perfection de sa propre puissance qu’en raison de la capacité du corps glorieux qui vient du rejaillissement de la gloire sur lui, il n’y aura aucun effort dans le mouvement des saints. Ainsi les corps des saints peuvent-ils être appelés agiles.

[21482] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per dotem agilitatis corpus gloriosum redditur habile non solum ad motum localem, sed ad sensum, et ad omnes alias operationes animae exequendas.

3. Par la dot de l’agilité, le corps glorieux est rendu capable non seulement de mouvement local, mais de sentir et d’accomplir toutes les autres opérations de l’âme.

[21483] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut natura dat velocioribus animalibus instrumenta diversae dispositionis in figura et quantitate; ita Deus dabit corporibus sanctorum aliam dispositionem quam nunc habeant, non quidem in figura et quantitate, sed in proprietate gloriae, quae dicitur agilitas.

4. De même que la nature donne aux animaux plus rapides des instruments d’une disposition différente par la figure et la quantité, de même Dieu donnera-t-il aux corps des saints une autre disposition que celle qu’ils ont maintenant, non pas par la figure et la quantité, mais par la propriété de la gloire qui est appelée l’agilité.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21484] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod corpora gloriosa aliquando moveri necessarium est ponere: quia et ipsum corpus Christi motum est in ascensione; et similiter corpora sanctorum quae de terra resurgent, ad caelum Empyreum ascendent. Sed etiam postquam caelos ascenderint, verisimile est quod aliquando moveantur pro suae libito voluntatis, ut, illud quod habent in virtute, actu exercentes, divinam sapientiam commendabilem ostendant; et ut etiam visus eorum reficiatur pulchritudine creaturarum diversarum in quibus Dei sapientia eminenter relucebit; sensus enim non potest esse nisi praesentium; quamvis magis a longinquo possint sentire corpora gloriosa quam non gloriosa, ut supra dictum est. Nec tamen per motum aliquid deperiet eorum beatitudini, quae consistit in visione Dei, quem ubique praesentem habent, sicut et de Angelis dicit Gregorius, quod intra Deum currunt quocumque mittantur.

Il est nécessaire d’affirmer que les corps glorieux sont parfois mus, car le corps même du Christ a été mû par l’ascension ; de même, les corps des saints qui ressusciteront de la terre monteront-ils vers le ciel empyrée. Mais, même après qu’ils seront montés dans les cieux, il est vraisemblable qu’ils seront parfois mus selon leur libre volonté afin qu’en mettant en œuvre ce qu’ils possèdent en puissance, ils manifestent la sagesse divine qui doit être louée, et aussi que leur vue se repaisse de la beauté des diverses créatures dans lesquelles la sagesse de Dieu reluira. En effet, le sens ne peut porter que sur ce qui est présent, bien que les corps glorieux puissent ressentir de plus loin que les corps non glorieux, comme on l’a dit plus haut. Cependant, rien ne sera perdu de leur béatitude, qui consiste dans la vision de Dieu, qui leur est partout présent, comme Grégoire dit aussi des anges qu’« ils courent en Dieu partout où ils sont envoyés ».

[21485] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motus localis non variat aliquid eorum quae sunt intranea rei, sed est secundum id quod est extra rem, scilicet locum; unde illud quod movetur motu locali, est perfectum quantum ad ea quae sunt intra rem, ut dicitur in 8 Physic.; quamvis habeat imperfectionem respectu loci: quia dum est in uno loco, est in potentia ad alium locum: quia non potest esse actu in pluribus locis simul, hoc enim solius Dei est. Hic autem defectus non repugnat perfectioni gloriae, sicut nec defectus quod creatura est ex nihilo; et ideo manebunt hujusmodi defectus in corporibus gloriosis.

1. Le mouvement local ne change rien de ce qui est intrinsèque à une chose, mais il se produit selon ce qui est extérieur à la chose, à savoir, le lieu. Ce qui est mû selon un mouvement local est donc parfait quant à ce qui est intrinsèque à une chose, comme il est dit dans Physique, VIII, bien que cela soit imparfait quant au lieu, car, alors que cela est dans un lieu, cela est en puissance à un autre lieu, puisque cela ne peut se trouver en acte dans plusieurs lieux en même temps. En effet, cela n’appartient qu’à Dieu seul. Mais cette lacune ne s’oppose pas à la perfection de la gloire, pas davantage que la lacune due au fait que la créature vient de rien. Aussi ces lacunes demeureront-elles dans les corps glorieux.

[21486] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquis dicitur indigere aliquo et simpliciter et secundum quid. Simpliciter quidem indiget aliquis illo sine quo non potest conservari in esse vel in sua perfectione; et sic motus in corporibus gloriosis non erit propter aliquam indigentiam, quia ad haec omnia sufficiet eis sua beatitudo. Sed secundum quid indiget aliquis illo sine quo non potest aliquem finem intentum habere, vel non ita bene, vel tali modo; et sic motus erit in beatis propter indigentiam: non enim poterunt manifestare virtutem motivam in seipsis in experimento, nisi moveantur: hujusmodi enim indigentias nihil prohibet in corporibus gloriosis esse.

2. On dit qu’on a besoin de quelque chose simplement et relativement. On a besoin simplement de ce sans quoi on ne peut être conservé dans l’être ou dans sa perfection ; de cette manière, le mouvement chez les corps glorieux n’existera pas en raison d’un besoin, car leur béatitude leur suffira pour tout. Mais on a besoin relativement de ce sans quoi on ne peut obtenir la fin visée, ou aussi bien ou de telle manière ; le mouvement existera ainsi chez les bienheureux en raison d’une indigence. En effet, ils ne pourront manifester par expérience la puissance motrice qui existe en eux que s’ils sont mus, car rien n’empêche qu’existent des besoins dans les corps glorieux.

[21487] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet, si corpus gloriosum non posset etiam sine motu participare divinam bonitatem multo altius quam corpora caelestia, quod falsum est; unde corpora gloriosa non movebuntur ad consequendam perfectam divinae bonitatis participationem, hanc enim habent per gloriam; sed ad demonstrandam virtutem animae. Per motum autem corporum caelestium non posset demonstrari virtus eorum nisi quam habent in movendo corpora inferiora ad generationem et corruptionem; quod non competit illi statui, ut ex dictis patet; et ideo ratio non procedit.

3. Cet argument vaudrait si le corps glorieux ne pouvait, même sans mouvement, participer à la bonté divine d’une manière beaucoup plus élevée que les corps célestes, ce qui est faux. Les corps glorieux ne seront donc pas mus en vue d’obtenir une participation parfaite à la bonté divine – en effet, ils possèdent celle-ci par la gloire –, mais pour montrer la puissance de l’âme. Mais, par le mouvement des corps célestes, leur puissance ne pourrait être démontrée que pour celle qu’ils exercent sur les corps inférieurs en vue de la génération et de la corruption, ce qui ne convient pas à cet état, comme cela ressort de ce qui a été dit. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[21488] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus localis nihil diminuit de stabilitate ab anima stabilita in Deo, cum non sit secundum aliquid intrinsecum rei, ut dictum est.

4. Le mouvement local ne diminue en rien la stabilité de l’âme établie en Dieu, puisqu’il ne se réalise pas selon ce qui est intrinsèque à une chose, comme on l’a dit.

[21489] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod locus congrue unicuique corpori glorioso deputatus secundum gradum suae dignitatis pertinet ad praemium accidentale; non tamen oportet quod diminuatur aliquid de praemio, quantumcumque sit extra locum illum: quia locus ille non pertinet ad praemium secundum quod actu continet corpus locatum, cum nihil influat in gloriosum corpus, sed magis recipiat splendorem ab eo; sed secundum quod est debitus pro meritis: unde gaudium de tali loco manet etiam ei qui est extra locum illum.

5. Le lieu assigné convenablement à chaque corps glorieux, selon le degré de sa dignité, relève de la récompense accidentelle. Cependant, il n’est pas nécessaire que quelque chose soit enlevé à la récompense, aussi extérieur cela soit-il par rapport à ce lieu, car ce lieu ne relève pas de la récompense selon qu’il contient en acte le corps localisé, puisqu’il n’influe en rien sur le corps glorieux, mais en reçoit plutôt un rayonnement ; cela est plutôt dû aux mérites. Aussi la joie d’un tel lieu demeure-t-elle aussi chez celui qui est hors de ce lieu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21490] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim dicunt, quod corpus gloriosum transit de uno loco in alium sine hoc quod pertranseat medium, sicut et voluntas de uno loco transfertur ad alium sine hoc quod pertranseat medium; et propter hoc potest corporis gloriosi motus esse in instanti, sicut etiam voluntatis. Sed hoc non potest stare: quia corpus gloriosum nunquam perveniet ad nobilitatem naturae spiritualis, sicut nunquam desinet esse corpus. Et praeterea, cum voluntas dicitur moveri de uno loco in alium, non transfertur essentialiter de loco in locum, quia neutro illorum locorum essentialiter continetur, sed dirigitur in unum locum postquam fuerat directa per intentionem ad alium; et pro tanto dicitur moveri ad locum. Et ideo alii dicunt, quod corpus gloriosum habet de proprietate naturae suae, qua corpus est, quod pertranseat medium, et ita quod moveatur in tempore; sed virtute gloriae, quae habet quamdam infinitatem supra virtutem naturae, habet quod possit non pertransire medium, et sic in instanti moveri. Sed hoc non potest esse: quia implicat in se contradictionem; quod patet sic. Sit aliquod corpus quod moveatur de a in b, et corpus motum sit z. Constat quod z quamdiu est totum in a, non movetur; similiter nec quando est totum in b, quia tunc motum est. Ergo si aliquando movetur, oportet quod neque sit totum in a, neque totum in b. Ergo quando movetur, vel nusquam est, vel est partim in a et partim in b, vel totum in alio loco medio, puta in c, aut partim in c et partim in a, seu in b. Sed non potest poni quod nusquam sit: quia sic esset aliqua quantitas dimensiva non habens situm; quod est impossibile: neque potest poni quod sit partim in a et partim in b, et non sit in medio aliquo modo: quia cum b sit locus distans ab a, sequeretur, medio interjacente, quod pars z, quae est in b, non esset continua parti quae est in a. Ergo restat quod sit vel totum in c, vel partim in eo et partim in alio loco, quod ponetur medium inter c et a, puta d; et sic de aliis. Ergo oportet quod z non perveniat de a in b, nisi prius sit in omnibus mediis: nisi dicatur, quod pervenit de a in b, et nunquam movetur; quod implicat contradictionem, quia ipsa successio locorum est motus localis. Eadem ratio est de qualibet mutatione quae habet duos terminos contrarios, quorum utrumque est aliquid positive. Secus autem est de illis mutationibus quae habent unum terminum tantum positivum, et alterum puram privationem: quia inter affirmationem et negationem sive privationem non est aliqua determinata distantia. Unde quod est in negatione, potest esse propinquius vel remotius ab affirmatione, et e contrario, ratione alicujus quod causet alterum eorum, vel disponat ad eam; et sic dum id quod movetur, est totum sub negatione, mutatur ad affirmationem, et e converso; unde etiam in eis mutans praecedit mutatum esse, ut probatur in 6 Physic. Nec est simile de motu Angeli: quia esse in loco aequivoce dicitur de corpore et de Angelo, ut in 1 libro, dist. 37, quaest. 3, art. 1, dictum est. Et sic patet quod nullo modo potest esse quod aliquod corpus perveniat de uno loco ad alium nisi transeat omnia media. Et ideo alii hoc concedunt; sed tamen dicunt quod corpus gloriosum movetur in instanti. Sed ex hoc sequitur quod corpus gloriosum in eodem instanti sit in duobus locis vel pluribus, scilicet in termino ultimo, et in omnibus locis mediis; quod non potest esse. Sed ad hoc dicunt, quod quamvis sit idem instans secundum rem, tamen differt ratione, sicut punctus ad quem terminantur diversae lineae. Sed hoc non sufficit: quia instans mensurat hoc quod est in instanti secundum rem, non secundum hoc quod consideratur; unde diversa consideratio instantis non facit quod instans possit mensurare illa quae non sunt simul tempore, sicut nec diversa consideratio puncti potest facere quod sub uno puncto loci contineantur quae sunt distantia situ. Et ideo alii probabilius dicunt, quod corpus gloriosum movetur in tempore, sed imperceptibili propter brevitatem; et quod tamen unum corpus gloriosum potest in minori tempore idem spatium pertransire quam aliud: quia tempus, quantumcumque parvum accipiatur, in infinitum est divisibile.

À ce sujet, il existe plusieurs opinions. En effet, certains disent que le corps glorieux passe d’un lieu à un autre sans passer par un [lieu] intermédiaire, comme la volonté passe d’un lieu à un autre sans passer par un [lieu] intermédiaire. Pour cette raison, le mouvement du corps glorieux peut se réaliser dans l’instant, comme celui de la volonté. Mais cela ne peut pas être le cas, car le corps glorieux ne parviendra jamais à la noblesse de la nature spirituelle, comme il ne cessera jamais d’être un corps. De plus, lorsqu’on dit que la volonté est mue d’un lieu à un autre, elle n’est pas transportée essentiellement d’un lieu à un autre, car elle n’est contenue essentiellement dans aucun de ces lieux, mais elle est dirigée par son intention vers un autre [lieu]. Dans cette mesure, on dit qu’elle est mue vers un lieu. C’est pourquoi d’autres disent que le corps glorieux possède, comme une propriété de sa nature, de traverser [le lieu] intermédaire, et ainsi d’être mû dans le temps ; mais, par la puissance de la gloire, qui possède une certaine infinité en regard de la puissance de la nature, il est tel qu’il peut ne pas passer par [un lieu] intermédiaire, et ainsi être mû instantanément. Mais cela n’est pas possible, car cela implique en soi une contradiction, ce qu’on peut montrer de la manière suivante. Soit un corps qui est mû de a à b, le corps qui est mû étant z. Il est clair que z, aussi longtemps qu’il est entièrement en a, n’est pas mû; de même, aussi longtemps qu’il est entièrement en b, car il a alors été mû. S’il est donc mû à un certain moment, il faut qu’il ne soit ni entièrement en a, ni entièrement en b. Donc, lorsqu’il est mû, ou bien il n’est d’aucune manière ou il est partiellement en a et partiellement en b, ou il est entièrement dans un lieu intermédiaire, par exemple, c, ou partiellement en c, et partiellement en a ou en b. Mais on ne peut affirmer qu’il est nulle part, car alors il existerait une quantité dimensionnelle qui n’a pas de site, ce qui est impossible. On ne peut pas non plus affirmer qu’il soit partiellement en a et partiellement en b, et qu’il ne soit pas dans [un lieu] intermédiaire d’une certaine façon, car b étant un lieu distant de a, il en découlerait qu’en raison du [lieu] intermédiaire qui s’interpose, la partie z qui est en b ne serait pas continue avec la partie qui est en a. Il reste donc qu’il soit ou bien entièrement en c, ou partiellement en ce lieu et partiellement dans un autre, qu’on poserait comme intermédiaire entre c et a, par exemple, d ; et ainsi de suite pour les autres. Il faut donc que z ne passe pas de a à b sans avoir d’abord été dans tous [les lieux] intermédiaires, à moins de dire qu’il passe de a à b sans être jamais mû, ce qui implique une contradiction, car la succession même des lieux est le mouvement local. Le raisonnement est le même pour tout changement qui comporte deux termes contraires, dont les deux sont quelque chose de manière positive. Mais il en va autrement des changements qui ne comportent qu’un seul terme positif, alors que le second est une pure privation, car, entre l’affirmation et la négation ou la privation, il n’existe pas de distance déterminée. Aussi ce qui se trouve dans la négation peut-il être plus rapproché ou plus éloigné de l’affirmation, et inversement, en raison de ce qui cause le second [terme] ou y dispose. Ainsi, lorsque ce qui est mû est nié en entier, il est changé dans le sens de l’affirmation, et inversement. Dans ces choses, même ce qui change précède donc le fait d’avoir été changé, comme le démontre Physique, VI. Et il n’en est pas de même du mouvement de l’ange, car on dit de manière équivoque que le corps et l’ange se trouvent dans un lieu, comme on l’a dit dans le livre I, d. 37, q. 3, a. 1. Il est ainsi clair qu’un corps ne peut d’aucune manière passer d’un lieu à un autre sans passer par tous [les lieux] intermédiaires. C’est pourquoi d’autres concèdent cela, mais ils disent toutefois que le corps glorieux est mû dans l’instant. Mais il découle de cela que le corps glorieux se trouve en deux ou plusieurs endroits dans le même instant, à savoir, au terme ultime et dans tous [les lieux] intermédiaires, ce qui n’est pas possible. Mais ils répondent à cela que, bien que ce soit le même instant en réalité, il diffère cependant selon la raison, comme le point auquel se terminent diverses lignes. Mais cela ne suffit pas, car l’instant mesure ce qui existe en réalité dans l’instant, et non selon que cela est considéré. Aussi une considération diverse de l’instant ne fait pas que l’instant puisse mesurer ce qui n’existe pas simultanément dans le temps, de même qu’une considération diverse d’un point ne peut faire que, sous un point, soient contenues des choses dont le site est distant. C’est pourquoi d’autres disent, avec plus de probabilité, que le corps glorieux est mû dans le temps, mais [dans un temps] imperceptible en raison de sa brièveté, et qu’un corps glorieux peut cependant parcourir le même espace qu’un autre dans un temps plus court, parce que le temps, aussi court qu’on le conçoive, est divisible à l’infini.

[21491] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud quod parum deest, quasi nihil deesse videtur, ut dicitur in 3 Physic.; et ideo dicimus, statim facio, quod post modicum tempus fiet; et per hunc modum loquitur Augustinus, quod ubicumque erit voluntas, ibi erit corpus statim. Vel dicendum, quod voluntas nunquam erit inordinata in beatis; unde nunquam volent corpus suum esse alicubi in aliquo instanti in quo non possit ibi esse; et sic quodcumque instans voluntas determinabit, in illo corpus erit in illo loco quem voluntas determinat.

1. Le peu qui manque semble ne pas manquer, comme on le dit dans Physique, III. C’est pourquoi nous disons de ce qui sera fait après un court temps : « Je le fais immédiatement. » Augustin dit ainsi que « le corps sera immédiatement partout où on le voudra ». Ou bien il faut dire que la volonté ne sera jamais désordonnée chez les bienheureux. Ils ne voudront donc jamais que leur corps soit ailleurs dans un instant, alors qu’il ne peut y être. Ainsi, quel que soit l’instant que déterminera la volonté, le corps sera là où la volonté le détermine en cet [instant]..

[21492] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam contradixerunt illi propositioni quam philosophus inducit in parte illa, ut Commentator ibidem dicit, dicentes quod non oportet esse proportionem totius motus ad totum secundum proportionem resistentis medii ad alium medium resistens; sed oportet quod secundum proportionem mediorum per quae transitur, attendatur proportio retardationum quae accidit in motibus ex resistentia medii. Quilibet enim motus habet determinatum tempus velocitatis et tarditatis ex victoria moventis supra mobile, etiam si nihil resistat ex parte medii, sicut patet in corporibus caelestibus, in quibus non invenitur aliquid quod obstet motui ipsorum; et tamen non moventur in instanti, sed in tempore determinato secundum proportionem potentiae moventis ad mobile. Et ita patet quod etiam si ponatur aliquid moveri in vacuo, non oportebit quod moveatur in instanti; sed quod nihil addatur tempori quod debetur motui ex proportione praedicta moventis ad mobile, quia motus non retardatur. Sed haec ratio, ut Commentator dicit ibidem, procedit ex falsa imaginatione, qua quis imaginatur quod tarditas quae causatur ex resistentia medii, sit aliqua pars motus addita motui naturali, qui habet quantitatem secundum proportionem moventis ad mobile, sicut una linea additur lineae, ratione cujus accidit in lineis quod non remanet eadem proportio totius ad totam lineam, quae erat linearum additarum ad invicem; ut sic etiam non sit eadem proportio totius motus ad totum motum sensibilem, quae est retardationum contingentium ex resistentia media: quae quidem imaginatio falsa est: quia quaelibet pars motus habet tantum de velocitate quantum motus; non autem quaelibet pars lineae habet tantum de quantitate dimensiva, quantum habet tota linea; unde tarditas vel velocitas addita motui redundat in quamlibet partem ejus; quod de lineis non convenit; et sic tarditas addita motui non facit aliam partem motus, sicut in lineis accidebat, quod additum est pars totius lineae. Et ideo ad intelligendam probationem philosophi, ut Commentator ibidem exponit, sciendum est, quod oportet accipere totum pro uno, scilicet resistentiam mobilis ad virtutem moventem, et resistentiam medii per quod est motus, et cujuscumque alterius resistentis; ita quod accipiatur quantitas tarditatis totius motus secundum proportionem virtutis moventis ad mobile resistens quocumque modo, vel ex se, vel ex alio extrinseco. Oportet enim quod semper mobile resistat aliquo modo moventi, cum movens et motum, agens et patiens, inquantum hujusmodi, sint contraria. Quandoque autem invenitur resistere mobile moventi ex seipso, vel quia habet virtutem inclinantem ad contrarium, sicut patet in motibus violentis; vel saltem quia habet locum contrarium loco qui est in intentione moventis, cujusmodi resistentia invenitur etiam corporum caelestium ad suos motores. Quandoque autem mobile resistit virtuti moventis ex alio tantum, et non ex seipso, sicut patet in motu naturali gravium et levium: quia per ipsam formam eorum inclinantur ad motum talem: est enim forma impressio generantis, quod est motor per se gravium et levium. Ex parte autem materiae non invenitur aliqua resistentia neque virtutis inclinantis ad contrarium motum, neque contrarii loci: quia locus non debetur materiae nisi secundum quod sub dimensionibus consistens perficitur forma naturali; unde non potest esse resistentia nisi ex parte medii: quae quidem resistentia est motui eorum connaturalis. Quandoque autem est resistentia ex utroque, sicut patet in motibus animalium. Quando ergo in motu non est resistentia nisi ex parte mobilis, sicut accidit in corporibus caelestibus, tunc tempus motus mensuratur secundum proportionem motoris ad mobile; et in talibus non procedit ratio philosophi: quia amoto omni medio, adhuc manet motus eorum in tempore. Sed in illis motibus in quibus est resistentia ex parte medii tantum, accipitur mensura temporis secundum impedimentum quod est ex medio solum; unde si subtrahatur omnino medium, nullum impedimentum remanebit; et sic vel movebitur in instanti, vel aequali tempore movebitur secundum vacuum spatium et plenum: quia dato quod moveatur in tempore per vacuum, illud tempus in aliqua proportione se habebit ad tempus in quo movetur per vacuum. Possibile autem est imaginari aliud corpus in eadem proportione subtilius corpore quo spatium plenum erat; quo si aliud spatium aequale impleatur, in tam parvo tempore movebitur per illud plenum, sicut primo per vacuum: quia quanto additur ad subtilitatem medii, tanto subtrahitur de quantitate temporis; et quanto est magis subtile, minus resistit. Sed in aliis motibus in quibus est resistentia ex ipso mobili et ex medio, quantitas temporis est accipienda secundum proportionem moventis potentiae ad resistentiam mobilis et medii simul; unde dato quod totaliter medium subtrahatur vel non impediat, non sequitur quod motus sit in instanti, sed quod tempus motus mensuretur tantum ex resistentia mobilis. Nec erit inconveniens, si per idem tempus moveatur per vacuum et per plenum, aliquo subtilissimo corpore imaginato: quia determinata subtilitas medii quanto est majOr nata est facere tarditatem minorem in motu; unde potest imaginari tanta subtilitas quod erit nata facere minorem tarditatem quam sit illa tarditas quam facit resistentia mobilis; et sic resistentia medii nullam tarditatem adjiciet ad motum. Patet ergo quod quamvis medium non resistat corporibus gloriosis secundum hoc quod possunt esse cum alio corpore in eodem loco, nihilominus motus eorum non erit in instanti: quia ipsum corpus mobile resistet virtuti moventi ex hoc ipso quod habet determinatum situm, sicut de corporibus caelestibus dictum est.

2. Certains ont contredit cette proposition que le Philosophe invoque dans cette partie, comme le dit le Commentateur en cet endroit, en disant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une proportion entre la totalité du mouvement et le tout, selon la proportion entre un intermédiaire qui résiste et un autre intermédiaire qui résiste ; mais qu’il est nécessaire que, selon la proportion entre les intermédiaires par lesquels [un corps] passe, soit prise en compte la proportion des retards qui survient dans les mouvements en raison de la résistance de l’intermédiaire. En effet, tout mouvement possède un temps de vitesse et de retard provenant de la victoire de ce qui meut sur ce qui est mobile, même si rien ne résiste du côté de l’intermédiaire, comme cela ressort pour les corps célestes, chez lesquels on ne trouve rien qui fasse obstacle à leur mouvement ; cependant, ils ne sont pas mus dans l’instant, mais selon un temps déterminé selon la proportion entre la puissance de ce qui meut et ce qui peut être mû. Il est ainsi clair que, même si on affirme que quelque chose est mû dans le vide, il ne sera pas nécessaire que cela soit mû dans l’instant, mais que rien ne soit ajouté au temps qui revient au mouvement selon la proportion indiquée entre ce qui meut et ce qui peut être mû, car le mouvement n’est pas retardé. Mais cette raison, comme le dit le Commentateur au même endroit, provient d’une fausse imagination, selon laquelle on s’imagine que le retard qui est causé par la résistance de l’intermédiaire est une partie du mouvement ajoutée au mouvement naturel, qui possède une quantité selon la proportion entre ce qui meut et ce qui peut être mû, comme une ligne s’ajoute à une autre ligne, en raison de quoi ne demeure pas la même proportion entre le tout et toute la ligne, qui était constituée de lignes ajoutées l’une à l’autre, de sorte que n’existe pas non plus la même proportion entre le mouvement entier et tout le mouvement sensible, qui est celle des retards [des mouvements] qui se produisent en raison des intermédiaires qui résistent. Or, cette imagination est fausse, car chaque partie du mouvement n’a que la vitesse du mouvement, mais chaque partie de la ligne a la quantité dimensionnelle que possède toute la ligne. Aussi le retard ou la vitesse ajoutés au mouvement débordent-ils sur chacune de ces parties, ce qui ne convient pas aux lignes. Ainsi, le retard ajouté au mouvement n’ajoute-il pas une partie au mouvement, comme il arrivait pour les lignes que ce qui est ajouté soit une partie de toute la ligne. C’est pourquoi, pour comprendre la démonstration du Philosophe, comme le Commentateur l’a expliqué au même endroit, il faut savoir qu’il est nécessaire de considérer l’ensemble comme une seule chose : la résistance du mobile à la puissance qui meut et de toute autre chose qui résiste, de sorte que soit comprise la quantité du retard de tout le mouvement selon la proportion entre la puissance de ce qui meut et le mobile qui résiste de quelque façon, par lui-même ou par quelque chose d’extrinsèque. En effet, il est nécessaire que le mobile résiste toujours d’une certaine manière à ce qui meut, puisque ce qui meut et ce qui est mû, l’agent et le patient, sont en tant que tels des contraires. Mais il se fait que le mobile résiste à ce qui meut par soi-même ou parce qu’il possède une puissance qui l’incline en sens contraire, comme cela est clair pour les mouvements violents ; ou, tout au moins, parce qu’il est dans un lieu contraire au lieu visé par ce qui meut, dont la résistance se rencontre même chez les corps célestes par rapport à leurs moteurs. Mais, parfois, le mobile résiste à la puissance qui meut à cause d’une chose seulement et par soi-même, comme cela est clair pour le mouvement naturel des corps lourds et légers, car ils sont inclinés par leur forme même à tel mouvement : en effet, la forme est l’empreinte de ce qui engendre, laquelle est le moteur par soi des corps lourds et légers. Mais, du côté de la matière, on ne trouve aucune résistance ni de la puissance qui incline à un mouvement contraire, ni d’un lieu contraire, car un lieu ne revient à la matière que si elle est perfectionnée par une forme naturelle selon qu’elle comporte des dimensions. Il ne peut donc y avoir de résistance que du côté de l’intermédiaire, résistance qui est connaturelle à leur mouvement. Mais, parfois, la résistance vient des deux, comme cela ressort dans les mouvements des animaux. Lorsqu’il n’existe de résistance que du côté du mobile, comme c’est le cas des corps célestes, le temps du mouvement est alors mesuré selon la proportion entre le moteur et le mobile ; dans ces cas, le raisonnement du Philosophe ne vaut pas, car, une fois enlevé tout intermédiaire, leur mouvement dans le temps demeure encore. Mais, dans les mouvements où il existe une résistance du côté de ce qui est intermédiaire seulement, la mesure du temps se prend de l’empêchement qui vient de l’intermédiaire seulement. Si donc l’intermédiaire est entièrement enlevé, aucun empêchement ne demeurera. Et ainsi, soit il sera mû dans l’instant, soit il sera mû dans un temps égal dans un espace vide et un espace plein, car, à supposer qu’il soit mû selon une mesure dans le vide, ce temps aura une proportion par rapport au temps où il est mû dans le vide. Mais il est possible d’imaginer un autre corps selon la même proportion, plus subtil que le corps dont était rempli l’espace. Si un autre espace égal est rempli par lui, [le corps] sera mû à travers ce plein selon un temps aussi court que le premièr à travers le vide, car plus on ajoute à la subtilité de l’intermédiaire, plus on enlève à la quantité du temps, et plus il est subtil, moins il résiste. Mais, dans les autres mouvements où il existe une résistance provenant du mobile lui-même et de l’intermédiaire, la quantité du temps doit se prendre selon la proportion entre la puissance de ce qui meut et la résistance du mobile et de l’intermédiaire en même temps. À supposer que l’intermédiaire soit entièrement enlevé ou n’oppose pas d’empêchement, il n’en découle pas que le mouvement se réalise dans l’instant, mais que le temps du mouvement est mesuré seulement à partir de la résistance du mobile. Et il ne sera pas inacceptable qu’il soit mû selon le même temps dans le vide et dans le plein, en imaginant un corps très subtil, car plus la subtilité de l’intermédiaire est grande, moins grande sera le retard qu’elle pourra produire dans le mouvement. On peut donc imaginer une subtilité tellement grande qu’elle sera en mesure de produire un retard moindre que le retard que produit la résistance du mobile, et ainsi la résistance de l’intermédiaire n’ajoutera aucun retard au mouvement. Il est donc clair que, bien que l’intermédiaire ne résiste pas aux corps glorieux selon qu’ils peuvent se trouver avec un autre corps dans un même lieu, leur mouvement ne se produira cependant pas dans l’instant, car le corps mobile lui-même résistera à la puissance de ce qui le meut du fait même qu’il a un site déterminé, comme on l’a dit des corps célestes.

[21493] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis virtus animae glorificatae excedat inaestimabiliter virtutem animae non glorificatae, non tamen excedit in infinitum: quia utraque virtus est finita; unde non sequitur quod moveat in instanti. Si tamen esset similiter infinitae virtutis, non sequeretur quod moveret in instanti, nisi superaretur totaliter resistentia quae est ex parte mobilis. Quamvis autem resistentia qua mobile resistit moventi per contrarietatem quam habet ad motum talem ratione inclinationis ad contrarium motum, possit a movente infinitae virtutis totaliter superari; tamen resistentia quam facit ex contrarietate quam habet ad locum quem intendit motor per motum, non potest totaliter superari, nisi auferatur ab ea esse in tali loco vel in tali situ. Sicut enim album resistit nigro ratione albedinis; et tanto magis, quanto albedo magis distat a nigredine; ita corpus resistit alicui loco per hoc quod habet locum oppositum; et tanto est major resistentia, quanto est distantia major: non autem potest a corpore removeri quod sit in aliquo loco vel situ, nisi auferatur ei sua corporeitas, per quam debetur ei locus vel situs; unde quamdiu manet in natura corporis, nullo modo potest moveri in instanti, quantacumque sit virtus movens. Corpus autem gloriosum nunquam suam corporeitatem amittit; unde nunquam in instanti moveri poterit.

3. Bien que la puissance de l’âme glorifiée dépasse de manière inestimable la puissance de l’âme non glorifiée, elle ne la dépasse cependant pas de manière infinie, car les deux puissances sont finies. Il n’en découle donc pas que [la puissance de l’âme glorifiée] meuve dans l’instant. Cependant, si elle avait ainsi une puissance infinie, il n’en découlerait qu’elle mouvrait dans l’instant que si elle dépassait totalement la résistance qui provient du mobile. Bien que la résistance, par laquelle un mobile résiste à ce qui le meut par sa contrariété à un tel mouvement en raison de son inclination à un mouvement contraire, puisse être totalement dépassée par un moteur d’une puissance infinie, cependant la résistance qu’il oppose, en raison de sa contrariété par rapport au lieu que vise le moteur par le mouvement, ne peut être entièrement dépassée que si en est enlevé le fait d’être dans tel lieu ou dans tel site. En effet, de même que le blanc résiste au noir en raison de la blancheur, et d’autant plus que la blancheur est plus éloignée du noir, de même le corps résiste à un lieu du fait qu’il est dans un lieu opposé, et la résistance est d’autant plus grande que la distance est plus grande. Mais on ne peut cependant écarter d’un corps qu’il soit dans un lieu ou dans un site que si on en enlève la corporéité, par laquelle lui revient un lieu ou un site. Aussi longtemps qu’il a la nature du corps, il ne peut donc aucunement être écarté dans l’instant, aussi grande soit la puissance qui meut. Or, le corps glorieux ne se défait jamais de sa corporéité. Il ne pourra donc jamais être mû dans l’instant.

[21494] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod par celeritas in verbis Augustini est intelligenda quantum ad hoc quod est imperceptibilis excessus unius respectu alterius, sicut et tempus totius motus est imperceptibile.

4. Dans les paroles d’Augustin, la vitesse égale doit s’entendre du fait que le dépassement de l’une par rapport à l’autre est imperceptible, comme le temps du mouvement dans son ensemble est imperceptible.

[21495] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis post resurrectionem non sit tempus quod est numerus motus caeli, tamen erit tempus consurgens ex numero prioris et posterioris in quolibet motu.

5. Bien que, après la résurrection, il n’existe pas de temps qui soit le nombre du mouvement du ciel, il existera cependant un temps provenant du nombre de ce qui est antérieur et postérieur en tout mouvement.

 

 

Articulus 4 [21496] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 tit. Utrum corporibus gloriosis claritas conveniet

Article 4 – L’éclat conviendra-t-il aux corps glorieux ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’éclat conviendra-t-il aux corps glorieux ?]

[21497] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod corporibus gloriosis claritas non conveniet. Quia, sicut dicit Avicenna in 6 de naturalibus, omne corpus luminosum constat ex partibus perviis. Sed partes corporis gloriosi non erunt perviae; cum in aliquibus dominetur terra, sicut in carnibus et ossibus. Ergo corpora gloriosa non erunt lucida.

1. Il semble que l’éclat ne conviendra pas aux corps glorieux, car, ainsi que le dit Avicenne dans Sur les choses naturelles, VI, tout corps lumineux est fait de parties qui peuvent être traversées. Or, les parties du corps glorieux ne pourront pas être traversées, puisque, dans certaines, la terre l’emportera, comme dans la chair et dans les os. Les corps glorieux ne seront donc pas éclatants.

[21498] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne corpus lucidum occultat illud quod est post se; unde unum luminare per aliud eclipsatur: flamma etiam ignis prohibet videri quod est post se. Sed corpora gloriosa non occultabunt illud quod intra ea continetur: quia, ut dicit Gregorius, super illud Job: non adaequabitur ei aurum et vitrum: ibi (scilicet in caelesti patria), uniuscujusque mentem ab alterius oculis membrorum corpulentia non abscondet, patebitque corporalibus oculis ipsa etiam corporis harmonia. Ergo corpora illa non erunt lucida.

2. Tout corps lumineux occulte ce qui est derrière lui ; aussi un luminaire est-il éclipsé par un autre. La flamme du feu empêche aussi de voir ce qui est derrière lui. Or, les corps glorieux n’occulteront pas ce qui est contenu en eux, comme le dit Grégoire en commentant Job : L’or et le verre ne lui seront pas égaux : « Là (c’est-à-dire dans la patrie céleste), la corporéité des membres ne cachera pas l’esprit de chacun aux yeux d’un autre, et l’harmonie même du corps sera manifeste pour les yeux corporels. » Ces corps ne seront donc pas lumineux.

[21499] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, lux et color contrariam dispositionem requirunt in subjecto: quia lux est extremitas perspicui in corpore non terminato, sed color in corpore terminato, ut patet in libro de sensu et sensato. Sed corpora gloriosa erunt colorata: quia, ut Augustinus dicit, 19 de Civit. Dei, pulchritudo corporis est partium convenientia cum quadam coloris suavitate. Pulchritudo autem corporibus glorificatis deesse non poterit. Ergo corpora gloriosa non erunt lucida.

3. La lumière et la couleur exigent une disposition contraire dans le sujet, car la lumière est la limite de ce qui est manifeste dans un corps sans limites, mais la couleur, dans un corps délimité, comme cela ressort du livre Sur le sens et ce qui est senti. Or, les corps glorieux seront colorés, car, comme le dit Augustin, La cité de Dieu, XIX, « la beauté du corps est l’agencement des parties accompagné de la douceur de la couleur ». Or, la beauté ne pourra pas faire défaut aux corps glorifiés. Les corps glorieux ne seront donc pas lumineux.

[21500] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si claritas erit in corporibus gloriosis, oportet quod sit aequalis in omnibus partibus corporis, sicut omnes partes erunt ejusdem impassibilitatis, subtilitatis, et agilitatis. Sed hoc non est conveniens: quia una pars habet majorem dispositionem ad claritatem quam alia, sicut oculi quam manus, et spiritus quam ossa, et humores quam caro vel nervus. Ergo videtur quod non debeant corpora illa esse lucida.

4. Si l’éclat existe dans les corps glorieux, il est nécessaire qu’il soit égal dans toutes les parties du corps, comme l’impassibilité, la subtilité et l’agilité. Or, cela ne convient pas, car une partie possède une plus grande disposition à l’éclat que d’autres, comme les yeux plus que les mains, l’esprit que les os et les humeurs que la chair et les nerfs. Il semble donc que ces corps ne doivent pas être lumineux.

[21501] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 13, 43: fulgebunt justi sicut sol in regno patris eorum; et Sap. 3, 7: fulgebunt justi, et tamquam scintillae in arundineto discurrent.

Cependant, [1] ce qui est dit en Mt 13, 43, va en sens contraire : Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père, et Sg 3, 7 : Les justes resplendiront et courront comme des étincelles dans les roseaux.

[21502] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, 43, dicitur: seminatur in ignobilitate, surget in gloria; quod ad claritatem pertinet, ut patet per sequentia, ubi corporum resurgentium gloriam comparat claritati stellarum. Ergo corpora sanctorum resurgent lucida.

[2] Il est dit en 1 Co 15, 43 : [Le corps] est semé dans l’ignominie, il ressuscitera dans la gloire, ce qui est en rapport avec l’éclat, comme cela ressort de ce qui suit, où l’on compare la gloire des corps ressuscités à l’éclat des étoiles. Les corps des saints ressusciteront donc lumineux.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’éclat du corps glorieux peut-il être vu par un œil non glorieux ?]

[21503] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod claritas corporis gloriosi non possit videri ab oculo non glorioso. Oportet enim esse proportionem visibilis ad visum. Sed oculus non glorificatus non est proportionatus ad videndum claritatem gloriae, cum sit alterius generis quam claritas naturae. Ergo corporis gloriosi claritas non videbitur ab oculo non glorioso.

1. Il semble que l’éclat du corps glorieux peut-il être vu par un œil non glorieux. En effet, il est nécessaire qu’il existe une proportion entre ce qui est visible et la vue. Or, l’œil non glorifié n’est pas proportionné pour voir l’éclat de la gloire, puisque celui-ci est d’un autre genre que l’éclat de la nature. L’éclat du corps glorieux ne sera donc pas vu par un œil non glorieux.

[21504] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, claritas corporis gloriosi erit major quam claritas solis nunc sit: quia etiam claritas solis erit tunc major quam nunc, ut dicitur, et multo major ea erit claritas corporis gloriosi, propter quod sol et totus mundus claritatem majorem accipiet. Sed oculus non gloriosus non potest inspicere solem in rota propter magnitudinem claritatis. Ergo multo minus poterit inspicere claritatem corporis gloriosi.

2. L’éclat du corps glorieux sera plus grand que ne l’est maintenant l’éclat du soleil, car même l’éclat du soleil sera alors plus grand que maintenant, ainsi qu’on le dit, et l’éclat du corps glorieux sera beaucoup plus grand que celui-là, car d’est en raison de celui-ci que le soleil et le monde entier recevront un plus grand éclat. Or, l’œil non glorieux ne peut regarder le disque du soleil en raison de la grandeur de son éclat. Il pourra donc encore bien moins regarder l’éclat du corps glorieux.

[21505] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, visibile oppositum oculis videntis necesse est videri, nisi sit laesio aliqua in oculo. Sed claritas corporis gloriosi opposita oculis non gloriosis non necessario videtur ab eis; quod patet de discipulis, qui corpus domini post resurrectionem viderunt, claritatem ejus non intuentes. Ergo claritas illa non est visibilis ab oculo non glorioso.

3. Ce qui est visible placé devant les yeux est nécessairement vu, à moins qu’il n’y ait blessure de l’œil. Or, l’éclat du corps glorieux placé devant des yeux non glorieux n’est pas nécessairement vu par eux, ce qui ressort du fait que les disciples qui ont vu le corps du Seigneur après la résurrection, sans en voir l’éclat. Cet éclat n’est donc pas visible par un œil non glorieux.

[21506] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Glossa Phil. 3, super illud: configuratum corpori claritatis suae: assimilabimur claritati quam habuit in transfiguratione. Sed claritas illa visa fuit ab oculis discipulorum non glorificatis. Ergo et claritas corporis glorificati ab oculis non gloriosis visibilis erit.

Cependant, [1] ce que dit la Glose sur Ph 3 : Configuré à son corps de gloire, va en sens contraire : « Nous serons assimilés à l’éclat qu’il a eu lors de la transfiguration. » Or, cet éclat a été vu par les yeux non glorifiés des disciples. L’éclat du corps glorifié sera donc visible aux yeux non glorieux.

[21507] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, impii videntes gloriam justorum, ex hoc torquebuntur in judicio, ut patet per hoc quod dicitur Sap. 5. Sed non plene viderent gloriam ipsorum nisi claritatem corporum eorum inspicerent. Ergo et cetera.

[2] Les impies, voyant la gloire des justes, seront par là torturés lors du jugement, comme cela ressort de ce qui est dit en Sg 5. Or, ils ne verraient pas pleinement leur gloire s’ils ne voyaient pas l’éclat de leurs corps. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un corps non glorieux ?]

[21508] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpus gloriosum necessario videatur a non glorioso corpore. Quia corpora gloriosa erunt lucida. Sed corpus lucidum manifestat se et alia. Ergo corpora gloriosa necessario videbuntur.

1. Il semble que le corps glorieux soit nécessairement vu par un corps non glorieux, car les corps glorieux seront lumineux. Or, un corps lumineux se manifeste, ainsi que d’autres choses. Les corps glorieux seront donc nécessairement vus.

[21509] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omne corpus quod occultat alia corpora post se existentia, de necessitate visu percipitur ex hoc ipso quod alia quae sunt post, occultantur. Sed corpus gloriosum occultabit a visu alia corpora post se existentia, quia erit corpus coloratum. Ergo de necessitate videbitur.

2. Tout corps qui occulte d’autres corps qui se trouvent derrière lui est nécessairement perçu par le fait même que les autres choses qui sont derrière sont occultées. Or, le corps glorieux cachera à la vue les autres corps qui se trouvent derrière lui, car il sera un corps coloré. Il sera donc nécessairement vu.

[21510] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut quantitas est de his quae insunt corpori, ita qualitas per quam videtur. Sed quantitas non suberit voluntati, ut corpus gloriosum possit esse majoris quantitatis vel minoris. Ergo nec qualitas per quam visibile est, ut possit non videri.

3. De même que la quantité fait partie de ce qui se trouve dans le corps, de même la qualité par laquelle il est vu. Or, la quantité n’est pas soumise à la volonté, de sorte que le corps glorieux puisse avoir une quantité plus grande ou plus petite. Donc, ni la qualité par laquelle il est visible, de sorte qu’il puisse ne pas être vu.

[21511] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, quod corpus nostrum glorificabitur in conformitate corporis Christi. Sed corpus Christi post resurrectionem non necessario videbatur, immo disparuit ab oculis discipulorum in Emaus, ut Luc. ult. Ergo et corpus glorificatum non necessario videbitur.

Cependant, [1] notre corps sera glorifié en conformité avec le corps du Christ. Or, le corps du Christ, après la résurrection, n’était pas nécessairement vu, bien plus, il a disparu aux yeux des disciples à Emmaüs, Lc 24. Le corps glorifié ne sera donc pas nécessairement vu.

[21512] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ibi erit summa obedientia corporis ad animam. Ergo corpus poterit videri vel non videri secundum voluntatem animae.

[2] Là existera la plus grande obéissance du corps à l’âme. Donc, le corps pourra être vu ou non selon la volonté de l’âme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21513] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod corpora sanctorum fore lucida post resurrectionem ponere oportet propter auctoritatem Scripturae quae hoc promittit. Sed causam hujusmodi claritatis quidam attribuunt quintae essentiae, quae tunc dominabitur in corpore humano. Sed quia hoc est absurdum, ut saepe dictum est; ideo melius est ut dicatur quod claritas illa causabitur ex redundantia gloriae animae in corpus. Quod enim recipitur in aliquo, non recipitur per modum influentis, sed per modum recipientis; et ita claritas quae est in anima ut spiritualis, recipitur in corpore ut corporalis; et ideo secundum quod anima erit majoris claritatis secundum majus meritum, ita etiam erit differentia claritatis in corpore, ut patet per apostolum 1 Corinth. 15; et ita in corpore glorioso cognoscetur gloria animae, sicut in vitro cognoscitur color corporis quod continetur in vase vitreo, ut Gregorius dicit super illud Job 28: non adaequabitur ei aurum vel vitrum.

Il faut affirmer que les corps des saints seront lumineux après la résurrection en raison de l’autorité de l’Écriture qui le promet. Mais certains attribuent la cause de cet éclat à la quinte essence, qui l’emportera alors dans le corps humain. Mais parce que cela est absurde, comme on l’a souvent dit, il est donc mieux de dire que cet éclat sera causé par le rejaillissement de la gloire de l’âme. En effet, ce qui est reçu dans quelque chose n’est pas reçu selon le mode de ce qui influe, mais selon le mode de ce qui reçoit. Ainsi, l’éclat qui se trouve dans l’âme en tant que spirituel est reçu dans le corps en tant que corporel. Selon que l’âme aura un plus grand éclat en proportion d’un plus grand mérite, il existera donc une différence d’éclat dans le corps, comme cela ressort de ce que l’Apôtre dit en 1 Co 15. Ainsi, la gloire de l’âme sera-t-elle connue dans le corps glorieux, comme on connaît dans le verre la couleur du corps qui est contenu dans un vase en verre, ainsi que le dit Grégoire de Jb 28 : L’or ou le verre ne l’égaleront pas.

[21514] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Avicenna loquitur de illo corpore quod habet ex natura componentium claritatem. Sic autem non habebit corpus gloriosum, sed magis ex merito virtutis.

1. Avicenne parle du corps qui possède un éclat en raison de la nature de ses composantes. Mais le corps glorieux n’aura pas un tel éclat, mais plutôt celui qui vient du mérite de la vertu.

[21515] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Gregorius comparat corpora gloriosa auro et vitro; auro propter claritatem, vitro propter hoc quod translucebunt; unde videtur quod erunt simul clara et pervia. Quod enim aliquod clarum non sit pervium, contingit ex hoc quod claritas corporis causatur ex densitate partium lucidarum; densitas enim repugnat pervietati. Sed tunc causabitur claritas ex alia causa, ut dictum est. Densitas autem corporis gloriosi pervietatem non tollet ab eis, sicut nec densitas vitri a vitro. Quidam tamen dicunt, quod comparantur vitro, non quia sint pervia, sed propter hanc similitudinem, quod sicut illud quod in vitro clauditur, apparet; ita animae gloria, quae in corpore glorioso claudetur non latebit. Sed primum melius est; quia magis salvatur dignitas corporis gloriosi, et magis consonat dictis Gregorii.

2. Grégoire compare les corps glorieux à l’or et au verre : à l’or, en raison de leur éclat ; au verre, en raison de leur transparence. Il ne semble donc pas qu’ils seront en même temps éclatants et transparents. En effet, que quelque chose d’éclatant ne soit pas transparent, cela vient de ce que l’éclat du corps est causé par la densité des parties lumineuses, car la densité s’oppose à la transparence. Mais l’éclat sera alors causé par une autre cause, comme on l’a dit. Or, la densité du corps glorieux ne lui enlèvera pas sa transparence, comme la densité du verre [ne l’enlève] pas au verre. Cependant, certains disent qu’ils sont comparés au verre, non pas en raison de leur transparence, mais en raison d’une comparaison selon laquelle ce qui est enfermé dans le verre se manifeste. De même, la gloire qui est enfermé dans le corps glorieux se manifestera-t-elle. Mais la première explication est meilleure, car elle préserve davantage la dignité du corps glorieux et elle est plus en accord avec les paroles de Grégoire.

[21516] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corporis gloria naturam non tollit, sed perficit; unde color qui debetur corpori ex natura suarum partium, remanebit in eo; sed superaddetur claritas ex gloria animae; sicut etiam videmus corpora colorata ex sui natura splendore solis resplendere, vel ex aliqua alia causa extrinseca vel intrinseca.

3. La gloire du corps n’enlève pas la nature mais la perfectionne. Aussi la couleur qui revient au corps selon la nature de ses parties demeurera-t-elle en lui ; mais l’éclat provenant de la gloire de l’âme s’y ajoutera, comme nous voyons aussi que les corps colorés resplendissent selon leur nature par la splendeur du soleil, ou pour une autre cause extrinsèque ou intrinsèque.

[21517] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut claritas gloriae redundat ab anima in corpus secundum suum modum, et est ibi alio modo quam sit in anima; ita in quamlibet partem corporis redundabit secundum suum modum; unde non est inconveniens quod diversae partes habeant diversimode claritatem, secundum quod sunt diversimode dispositae ex sua natura ad ipsam. Nec est simile de aliis dotibus corporis, respectu quarum partes corporis non inveniuntur habere diversam dispositionem.

4. De même que l’éclat de la gloire rejaillit de l’âme sur le corps à sa manière et s’y trouve d’une autre manière que dans l’âme, de même rejaillira-t-elle vers toutes les parties du corps selon leur mode. Il n’est donc pas inapproprié que diverses parties possèdent diversement cet éclat, selon qu’elles y sont diversement disposées selon leur nature. Et il n’en va pas de même des autres dots du corps, par rapport auxquelles les parties du corps ne se trouvent pas avoir une disposition différente.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21518] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam dixerunt, quod claritas corporis gloriosi non potest videri ab oculo non glorioso, nisi forte per miraculum. Sed hoc non potest esse, nisi claritas aequivoce diceretur; quia lux secundum id quod est, nata est movere visum; et visus secundum id quod est, natus est recipere lucem; sicut verum se habet ad intellectum, et bonum ad affectum. Unde si esset aliquis visus qui non posset percipere aliquam lucem omnino; vel ille visus diceretur aequivoce, vel lux illa; quod non potest in proposito dici; quia sic per hoc quod dicitur, corpora gloriosa futura esse lucida, nihil nobis notificaretur; sicut qui dicit canem esse in caelo, nihil notificat ei qui non novit nisi canem qui est animal. Et ideo dicendum est, quod claritas corporis gloriosi naturaliter ab oculo non glorioso videri potest.

Certains ont dit que l’éclat du corps glorieux ne peut être vu par un œil non glorieux, sauf par miracle. Mais cela est impossible, à moins qu’on n’emploie « éclat » de manière équivoque, car la lumière, selon ce qu’elle est, est destinée à mouvoir l’œil, comme le vrai l’est par rapport à l’intellect et le bien par rapport à l’affectivité. Si donc il existait une vue qui ne pourrait aucunement percevoir la lumière, ou bien on parlerait de vue de manière équivoque, ou bien ce serait le cas pour cette lumière, ce qu’on ne peut dire dans le cas en cause, car alors, en disant que les corps glorieux seront lumineux, rien ne serait porté à notre connaissance ; comme celui qui dit qu’il y a un chien dans le ciel ne porte rien à la connaissance de celui qui ne connaît que le chien qui est un animal. C’est pourquoi il faut dire que l’éclat du corps glorieux peut être vu par l’œil non glorieux.

[21519] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod claritas gloriae erit alterius generis quam claritas naturae quantum ad causam, sed non quantum ad speciem; unde sicut claritas naturae ratione suae speciei est proportionata visui, ita claritas gloriosa.

1. L’éclat de la gloire sera d’un autre genre que l’éclat de la nature du point de vue de sa cause, mais non du point de vue de son espèce. De même que l’éclat de la nature est proportionné à la vue en raison de son espèce, de même l’éclat glorieux.

[21520] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut corpus gloriosum non potest pati aliquid passione naturae, sed solum passione animae; ita ex proprietate gloriae non aget nisi actione animae. Claritas autem intensa non offendit visum inquantum agit actione animae, sed secundum hoc magis delectat; offendit autem, inquantum agit actione naturae calefaciendo et dissolvendo organum visus, et disgregando spiritus; et ideo claritas corporis gloriosi, quamvis excedat claritatem solis, tamen de sui natura non offendit visum, sed demulcet; propter quod claritas illa comparatur claritati jaspidis, Apoc. 21.

2. De même que le corps glorieux ne peut subir quelque chose selon une passion de la nature, mais seulement selon une passion de l’âme, de même n’agira-t-il selon ce qui est propre à la gloire que par l’action de l’âme. Or, un éclat intense n’offense pas le regard en tant qu’il agit par une action de l’âme, mais il charme plutôt. Mais il offense en tant qu’il agit par une action de la nature en réchauffant et en dissolvant l’organe de la vue et en désagrégeant les esprits. L’éclat du corps glorieux, bien qu’il dépasse l’éclat du soleil, n’offense donc pas la vue de la nature, mais la caresse. C’est la raison pour laquelle cet éclat est comparé à l’éclat du jaspe, Ap 21.

[21521] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod claritas corporis gloriosi provenit ex merito voluntatis; et ideo voluntati subdetur, ut secundum ejus imperium videatur vel non videatur; et in potestate corporis gloriosi erit ostendere claritatem suam vel occultare. Et haec fuit opinio Praepositini.

3. L’éclat du corps glorieux provient du mérite de la volonté. C’est pourquoi il sera soumis à la volonté, qu’il soit ou ne soit pas vu, de sorte qu’il soit ou ne soit pas vu selon son commandement. Et le corps glorieux aura le pouvoir de manifester ou d’occulter son éclat. Telle était l’opinion de Prévostin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21522] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod visibile videtur secundum quod agit in visum. Ex hoc autem quod aliquid agit vel non agit in aliquod extrinsecum, non est aliqua mutatio in ipso: unde sine mutatione alicujus proprietatis quae sit de perfectione corporis glorificati, potest contingere quod videatur et non videatur; unde in potestate animae glorificatae erit quod corpus suum videatur vel non videatur, sicut et quaelibet alia actio corporis in animae potestate erit; alias non esset corpus gloriosum instrumentum summe obediens principali agenti.

On parle de visible pour ce qui agit sur la vue. Or, du fait que quelque chose agit ou n’agit pas sur quelque chose d’extrinsèque, il n’existe pas en lui de changement. Ainsi, sans le changement d’une propriété qui fait partie du corps glorifié, il peut arriver qu’il soit ou ne soit pas vu. De sorte qu’il sera au pouvoir de l’âme glorifiée que son corps soit ou ne soit pas vu, comme toute autre action du corps sera au pouvoir de l’âme ; autrement, le corps glorieux ne serait pas un instrument obéissant au plus haut point à l’agent principal.

[21523] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod claritas illa obediet corpori glorioso, ut possit eam ostendere vel occultare.

[21524] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod color corporis non impedit pervietatem ipsius, nisi inquantum immutat visum; quia visus non potest immutari simul a duobus coloribus, ut utrumque perfecte inspiciat. Color autem corporis gloriosi erit in potestate animae, ut per ipsum immutet visum vel non immutet; et ideo erit in potestate ejus ut occultet corpus quod est post se vel non occultet.

1. Cet éclat obéira au corps glorieux pour qu’il puisse le manifester ou non.

 

 

2. La couleur du corps n’empêche sa transparence que dans la mesure où il change la vue, car la vue ne peut être changée en même temps par deux couleurs, de sorte qu’elle les voie toutes deux parfaitement. Or, la couleur du corps glorieux sera au pouvoir de l’âme, de sorte qu’il puisse ou non changer la vue. C’est pourquoi [il sera] en son pouvoir d’occulter ou non le corps qui est derrière lui.

[21525] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantitas est inhaerens ipsi corpori glorioso; nec posset quantitas immutari ad imperium animae sine mutatione intrinseca corporis gloriosi, quae impassibilitati ejus repugnaret; et ideo non est simile de quantitate et visibilitate; quia etiam qualitas illa per quam est visibile, non poterit subtrahi ad imperium animae; sed actio illius qualitatis suspendetur; et sic occultabitur corpus ad imperium animae.

3. La quantité est inhérente au corps glorieux, et la quantité ne pourrait être changée sur ordre de l’âme sans changement intrinsèque du corps glorieux, ce qui est contraire à son impassibilité. Il n’en va donc pas de même de la quantité et de la visibilité, car même la qualité par laquelle il est visible ne pourra être enlevée sur l’ordre de l’âme ; mais l’action de cette qualité sera suspendue, et ainsi le corps sera occulté sur commandement de l’âme.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La condition des damnés]

 

 

Prooemium

Prologue

[21526] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad damnatos; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de qualitate corporum ipsorum; 2 de igne quo cruciabuntur; 3 de conditionibus animarum eorumdem, postquam fuerint separatae.

On s’interroge ensuite sur ce qui concerne les damnés. Trois questions sont posées à ce sujet : 1 – Sur la qualité des corps eux-mêmes. 2 – Sur le feu par lequel ils seront torturés. 3 – Sur les conditions de leurs âmes après qu’elles auront été séparées.

 

 

Articulus 1 [21527] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 tit. Utrum damnatorum corpora cum suis deformitatibus resurgant

Article 1 – Les corps des damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les corps des damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités ?]

[21528] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod damnatorum corpora cum suis deformitatibus resurgant. Illud enim quod in poenam peccati inductum est, desistere non debet nisi peccato remisso. Sed membrorum defectus qui accidunt per mutilationem, in poenam peccati inducti sunt, et similiter etiam omnes aliae deformitates corporales. Ergo a damnatis, qui peccatorum remissionem non sunt consecuti, in resurrectione non removebuntur.

1. Il semble que les corps des damnés ressusciteront avec leurs difformités. En effet, ce qui a été amené comme une peine pour le péché ne doit cessser que lorsque le péché est remis. Or, les défauts des membres qui surviennent par mutilation ont été amenés comme une peine pour le péché, de même que toutes les difformités corporelles. Ils ne seront donc pas enlevés lors de la résurrection chez les damnés, qui n’ont pas obtenu la rémission de leurs péchés.

[21529] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut resurrectio sanctorum erit ad ultimam perfectionem, sic et resurrectio ipsorum erit ad ultimam miseriam. Sed sanctis resurgentibus non auferetur aliquid quod ad eorum perfectionem pertinere possit. Ergo nec impiis resurgentibus aliquid auferetur quod ad eorum defectum vel miseriam pertineat. Hujusmodi autem sunt deformitates. Ergo et cetera.

2. De même que la résurrection des saints se fera en vue d’une plus grande perfection, de même leur résurrection se fera-t-elle en vue d’une ultime misère. Or, rien ne sera enlevé aux saints de ce qui peut concerner leur perfection. Rien ne sera donc enlevé aux impies ressuscités de ce qui concerne leurs déficiences ou leur misère. Or, les difformités en font partie. Donc, etc.

[21530] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut ad defectum passibilis corporis pertinet deformitas, ita tarditas. Sed a corporibus damnatorum resurgentium tarditas non removebitur, quia eorum corpora non erunt agilia. Ergo eadem ratione nec deformitas removebitur.

3. De même que la difformité se rapporte à une déficience du corps passible, de même en est-il pour la lenteur. Or, la lenteur ne sera pas enlevée des corps des damnés ressuscités, car leurs corps ne seront pas agiles. Pour la même raison, la difformité ne sera pas enlevée.

[21531] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 53: mortui resurgent incorrupti; Glossa: mortui, idest peccatores, vel generaliter omnes mortui, surgent incorrupti, idest sine aliqua diminutione membrorum. Ergo mali resurgent sine deformitatibus.

Cependant, [1] à propos de 1 Co 15, 53 : Les morts ressusciteront incorruptibles, la Glose dit : « Les morts, c’est-à-dire les pécheurs ou, d’une manière générale, tous les morts ressusciteront incorruptibles, c’est-à-dire sans diminution de leurs membres. » Les méchants ressusciteront donc sans difformités.

[21532] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in damnatis non erit aliquid quod sensum doloris in eis impediat. Sed aegritudo impedit sensum doloris, inquantum per eam debilitantur organa sentiendi; similiter defectus membri impediret ne esset universalis dolor in corpore. Ergo sine istis defectibus damnati resurgent.

[2] Chez les damnés, il n’y aura rien qui empêchera la sensation de la douleur. Or, la maladie empêche la sensation de la douleur dans la mesure où, par elle, les organes de la sensation sont affaiblis. De même, la privation d’un membre empêcherait que n’existe une douleur universelle dans le corps. Les damnés ressusciteront donc sans ces déficiences.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les corps des damnés seront-ils corruptibles ?]

[21533] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod corpora damnatorum erunt corruptibilia. Omne enim compositum ex contrariis necesse est corrumpi. Sed corpora damnatorum erunt ex contrariis composita, ex quibus etiam nunc componuntur; alias non essent ejusdem speciei, et per consequens eadem numero. Ergo erunt corruptibilia.

1. Il semble que les corps des damnés seront corruptibles. En effet, il est nécessaire que tout composé de contraires se corrompe. Or, les corps des damnés seront composés des contraires dont ils sont maintenant composés, autrement ils ne seraient pas de la même espèce et, par conséquent, les mêmes en nombre. Ils sont donc corruptibles.

[21534] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpora damnatorum si incorruptibilia sunt futura, hoc non erit per naturam, cum sint futura ejusdem naturae cujus et nunc sunt, nec etiam erit per gratiam vel gloriam, quia talibus omnino carebunt. Ergo nullo modo erunt incorruptibilia.

2. Si les corps des damnés ne doivent pas être incorruptibles, ce ne sera pas en raison de la nature, puisqu’ils auront la même nature qu’ils ont maintenant, ni en raison de la grâce ou de la gloire, car celles-ci leur feront entièrement défaut. Ils ne seront donc d’aucune manière corruptibles.

[21535] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illis qui sunt in summa miseria, subtrahere maximam poenarum videtur inconveniens. Sed maxima poenarum est mors, ut patet per philosophum in 3 Ethic. Ergo a damnatis qui sunt in summa miseria, mors removeri non debet; ergo eorum corpora corruptibilia erunt.

3. À ceux qui sont dans la plus grande misère, il semble inapproprié d’enlever la plus grande des peines. Or, la plus grande des peines est la mort, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe, dans Éthique, III. La mort ne doit donc pas être enlevée aux damnés qui sont dans la plus grande misère. Leurs corps seront donc corruptibles.

[21536] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apoc. 9, 6: in diebus illis quaerent homines mortem, et non invenient eam; et desiderabunt mori, et fugiet mors ab illis. Praeterea, damnati punientur in anima et corpore poena perpetua: Matth. 25, 46: ibunt hi in supplicium aeternum. Sed hoc esse non posset, si eorum corpora corruptibilia essent. Ergo eorum corpora erunt incorruptibilia.

Cependant, Ap 9, 6 dit le contraire : En ces jours-là, les hommes rechercheront la mort et ne la trouveront pas ; ils désireront mourir, et la mort les fuira. De plus, les damnés seront punis dans leurs corps et dans leur âme d’une peine perpétuelle, Mt 25, 46 : Ceux-ci iront au supplice éternel. Or, cela ne pourrait pas être le cas si leurs corps étaient corruptibles. Leurs corps seront donc incorruptibles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les corps des damnés seront-ils impassibles ?]

[21537] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sint futura impassibilia. Quia secundum philosophum in 6 Topic., cap. 10, omnis passio magis facta abjicit a substantia. Sed a finito si semper aliquid abjiciatur, necesse est illud tandem consumi, ut dicitur in 3 Phys. Ergo si corpora damnatorum erunt passibilia, et semper patientur, quandoque deficient et corrumpentur; quod falsum esse ostensum est. Ergo erunt impassibilia.

1. Il semble que [les corps des damnés] seront impassibles, car, selon le Philosophe dans Topiques, VI, 10, « toute passion, en augmentant, amoindrit la substance ». Or, si on enlève toujours quelque chose à quelque chose de fini, il est nécessaire que cela soit détruit, comme il est dit dans Physique, III. Si les corps des dammnés sont passibles et souffrent toujours, à un certain moment, ils diminueront et seront corrompus, ce qu’on a montré être faux. Ils seront donc impassibles.

[21538] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omne agens assimilat sibi patiens. Si ergo corpora damnatorum patientur ab igne, ignis ea sibi assimilabit. Sed non consumit aliter ignis corpora, nisi inquantum ea sibi assimilans resolvit. Ergo si corpora damnatorum erunt passibilia ab igne, quandoque consumentur; et sic idem quod prius.

2. Tout agent rend le patient semblable à lui. Si donc les corps des damnés souffrent par le feu, le feu les rendra semblables à lui. Or, le feu ne consume pas autrement les corps qu’en les rendant semblables à lui. Si les corps des damnés sont passibles sous le feu, ils seront donc consumés à un certain moment. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[21539] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, animalia quae in igne sine corruptione vivere dicuntur, ut de salamandra dicitur, ab igne non affliguntur: animal enim dolore corporis non affligitur, nisi corpus aliquo modo laedatur. Ergo corpora damnatorum in igne sine consumptione remanere possunt, sicut et animalia praedicta, ut Augustinus in Lib. de Civit. Dei, dicere videtur, quod nullam afflictionem ibi sustinebunt; quod non esset, nisi eorum impassibilia corpora essent. Ergo et cetera.

3. Les animaux dont on dit qu’ils vivent dans le feu sans se corrompre, comme la salamandre, ne sont pas affligés par le feu : en effet, l’animal n’est affligé par la douleur du corps que si le corps est blessé de quelque manière. Les corps des damnés peuvent donc rester dans le feu sans se consumer, comme les animaux mentionnés, ainsi qu’Augustin semble dire, dans le livre sur La cité de Dieu, qu’ils n’y supporteront aucune affliction, ce qui ne serait pas le cas à moins que leurs corps aient été impassibles. Donc, etc.

[21540] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, si corpora damnatorum sunt passibilia, dolor qui ex eorum passione provenit, ut videtur, superare debet omnem praesentem corporum dolorem, sicut et sanctorum jucunditas superabit omnem praesentem jucunditatem. Sed propter immensitatem doloris quandoque contingit in praesenti statu quod anima a corpore separatur. Ergo multo fortius si corpora illa futura sunt passibilia, ex immensitate doloris anima a corpore separabitur, et sic corpora corrumpentur; quod falsum est. Ergo corpora illa erunt impassibilia.

4. Si les corps des damnés sont passibles, la douleur qui provient de leur souffrance doit, semble-t-il, dépasser toute douleur présente des corps, de même que la joie des saints dépassera toute joie présente. Or, en raison de l’immensité de la douleur, il arrive parfois, dans l’état présent, que l’âme soit séparée du corps. À bien plus forte raison, si ces corps sont passibles, l’âme sera-t-elle séparée du corps, et ainsi les corps se corrompront-ils, ce qui est faux. Ces corps seront donc impassibles.

[21541] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 15, 52: et nos immutabimur; Glossa: nos boni tantummodo immutabimur in gloriam immutabilitatis et impassibilitatis. Ergo corpora damnatorum non erunt impassibilia.

Cependant, [1] de 1 Co 15, 52 : Nous serons changés, la Glose dit : « Nous, les bons seulement, serons changés pour la gloire de l’immuabilité et de l’impassibilité. » Les corps des damnés ne seront donc pas impassibles.

[21542] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut corpus cooperatur animae ad meritum, ita corpus operatur ei ad peccatum. Sed propter cooperationem praedictam non solum anima, sed et corpus post resurrectionem praemiabitur. Ergo et in resurrectione similiter damnatorum corpora punientur; quod non esset, si impassibilia forent. Ergo erunt passibilia.

[2] De même que le corps coopère avec l’âme pour le mérite, de même le corps agit-il avec elle pour le péché. Or, en raison de la coopération indiquée, non seulement l’âme, mais aussi le corps sera récompensé après la résurrection. De même, lors de la résurrection, les corps des damnés seront donc punis, ce qui ne serait pas le cas s’ils devaient être impassibles. Ils seront donc passibles.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21543] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in corpore humano potest esse deformitas dupliciter. Uno modo ex defectu alicujus membri, sicut mutilatos turpes dicimus; deest enim eis debita proportio ad totum; et de tali deformitate nulli dubium est quod in corporibus damnatorum non erit; quia omnia corpora tam bonorum quam malorum integra resurgent, ut supra dictum est cum de integritate corporum resurgentium ageretur. Alio modo deformitas contingit ex indebita partium dispositione, vel indebita quantitate vel qualitate vel situ, quae etiam proportionem debitam partium ad totum non patitur; et de talibus deformitatibus et similibus defectibus, sicut sunt febres et hujusmodi aegritudines, quae interdum sunt deformitatis causae, Augustinus indeterminatum et sub dubio relinquit in Ench., ut Magister in littera dicit. Sed apud doctores modernos est super hoc duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod hujusmodi deformitates et defectus in corporibus damnatorum remanebunt, considerantes eorum damnationem, qua ad summam miseriam deputantur, cui nihil incommoditatis subtrahi debet. Sed hoc non videtur rationabiliter dici; in reparatione enim corporis resurgentis magis attenditur naturae perfectio quam conditio quae prius fuit; unde et qui infra perfectam aetatem decedunt, in statura juvenilis aetatis resurgent, ut supra dictum est; unde et illi qui aliquos defectus naturales in corpore habuerunt vel deformitates ex eis provenientes, in resurrectione sine illis defectibus vel deformitatibus repararentur, nisi peccati meritum impediret; et ita, si aliquis cum defectibus vel deformitatibus resurget, hoc erit in poenam; modus autem poenae est secundum mensuram culpae. Contingit autem quod aliquis peccator damnandus minoribus peccatis subjectus, aliquas deformitates vel defectus habeat quas non habuit aliquis damnandus peccatis gravioribus irretitus. Unde si ille qui in hac vita deformitates habuit, cum eis resurgat, sine quibus constat quod resurget alius gravius puniendus, qui eas in hac vita non habuit; modus poenae non responderet quantitati culpae, sed magis videretur aliquis puniri pro poenis quas in hoc mundo passus fuit; quod est absurdum. Et ideo alii rationabilius dicunt, quod auctor qui naturam condidit, in resurrectione naturam corporis integre reparabit; unde quidquid defectus vel turpitudinis ex corruptione vel debilitate naturae, sive principiorum naturalium, in corpore fuit, totum in resurrectione removebitur, sicut febris, lippitudo, et similia; defectus autem qui ex naturalibus principiis in humano corpore naturaliter consequuntur, sicut ponderositas, passibilitas, et similia, in corporibus damnatorum erunt; quos defectus ab electorum corporibus gloria resurrectionis excludit.

Une difformité peut se trouver dans le corps humain de deux manières. D’une manière, par la privation d’un membre, comme nous disons que les mutilés sont difformes. En effet, il leur manque la proportion appropriée à l’ensemble [du corps]. de cette difformité, il n’y a aucun doute qu’elle ne se trouvera pas dans les corps de damnés, car tous les corps, ceux des bons comme ceux des méchants, ressusciteront dans leur intégrité, comme on l’a dit plus haut lorsqu’il a été question de l’intégrité des corps des ressuscités. D’une autre manière, une difformité vient de la disposition inappropriée des parties, par la quantité, par la qualité ou par le site, que ne supporte pas la disposition appropriée des parties par rapport à l’ensemble. de ces difformités et des déficiences de cet ordre, comme c’est le cas des fièvres et des maladies de ce genre, Augustin laisse planer un doute dans l’Enchiridion, comme le dit le Maître dans le texte. Mais, chez les docteurs modernes, il existe deux opinions à ce sujet. En effet, certains disent que les difformités et les déficiences de ce genre demeureront, en prenant en compte leur damnation, par laquelle ils sont destinés à la plus grande misère, dont aucun inconvénient ne doit être soustrait. Mais cela ne semble pas être exprimé d’une manière raisonnable. En effet, lors de la restauration du corps ressuscité, on portera plus attention à la perfection de la nature qu’à la condition qui existait auparavant. Ainsi, ceux qui seront morts avant l’âge adulte ressusciteront à l’âge de la jeunesse, comme on l’a dit plus haut. Ceux qui eu des déficiences naturelles dans leur corps ou des difformités qui en provenaient, seront restaurés sans ces déficiences ou difformités lors de la résurrection, à moins que le mérite pour le péché ne l’empêche. Et ainsi, si quelqu’un ressuscite avec ces déficiences ou ces difformités, ce sera à titre de peine, mais la mesure de la peine dépend de la mesure de la faute. Or, il arrive qu’un pécheur damné, sujet à des péchés plus petits, ait des difformités ou des déficiences que n’avait pas le damné pris au piège de péchés plus graves. Ainsi, si celui qui a eu des difformités dans cette vie ressuscite avec celles sans lesquelles il est sûr que ressuscitera un autre qui doit être puni plus gravement, alors qu’il ne les avait pas dans cette vie, la mesure de la peine ne correspondrait pas à la quantité de la faute, mais il semblerait que quelqu’un est puni pour les peines qu’il a subies en cette vie, ce qui est absurde. C’est pourquoi d’autres disent plus raisonnablement que l’Auteur qui a fait la nature restaurera intégralement la nature du corps lors de la résurrection. Ainsi toute déficience ou difformité provenant de la corruption ou de la faiblesse de la nature ou des principes naturels, qui se trouvait dans le corps, sera entièrement enlevée lors de la résurrection, telles la fièvre, l’inflammation des yeux et les choses semblables ; mais les déficiences qui viennent des principes naturels dans le corps humain, telles la lourdeur, la passibilité et les choses semblables, se retrouveront dans les corps des damnés, déficiences que la gloire de la résurrection écarte des corps des élus.

[21544] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum poena in quolibet foro infligatur secundum conditionem illius fori, poenae quae in hac vita temporali infliguntur pro aliquo peccato, temporales sunt, et ultra vitae terminum non se extendunt; et ideo quamvis peccatum non sit remissum damnatis, non tamen oportet quod easdem poenas ibi sustineant quas in hoc mundo sunt passi; sed divina justitia requirit ut ibi poenis gravioribus in aeternum crucientur.

[21545] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est similis ratio de bonis et malis, eo quod aliquid potest esse pure bonum, non autem pure malum; unde ultima sanctorum felicitas hoc requirit ut ab omni malo penitus sint immunes; sed ultima malorum miseria non excludit omne bonum; quia malum, si integrum sit, corrumpit seipsum, ut philosophus dicit in 4 Ethicor. Unde oportet quod miseriae damnatorum substernatur bonum naturae in ipsis, quod est opus conditoris perfecti, qui ipsam naturam in perfectione suae speciei reparabit.

1. Comme une peine dans n’importe for est infligée selon la condition de ce for, les peines qui sont infligées pour un péché en cette vie temporelle sont temporelles, et elles ne s’étendent pas au-delà du terme de cette vie. Bien que le péché n’ait pas été remis aux damnés, il n’est donc pas nécessaire qu’ils supportent là les mêmes peines qu’ils ont subies en ce monde ; mais la justice divine exige qu’ils soient là torturés de peines plus graves pour l’éternité.

 

2. Il n’en va pas de même des bons et des méchants du fait que quelque chose peut être purement bon, mais non purement mauvais. La félicité ultime des saints exige donc qu’ils soient tout à fait exempts de tout mal ; mais l’ultime misère des méchants n’exclut pas tout bien, car le mal, s’il est complet, se corrompt lui-même, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV. Il faut donc qu’à la misère des damnés soit sous-jacent le bien de la nature en eux, qui est l’œuvre d’un Créateur parfait, qui restaurera la nature elle-même avec la perfection de son espèce.

[21546] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tarditas est de illis defectibus qui naturaliter sequuntur principia humani corporis, non autem deformitas; et ideo de eis non est similis ratio, ut ex dictis patet.

3. La lenteur fait partie de ces déficiences qui découlent naturellement des principes du corps humain, mais non la difformité. Il n’en va donc pas de même pour les deux, comme cela ressort de ce qui a été dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21547] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod cum in omni motu oporteat esse aliquod principium motus; dupliciter motus aliquis vel mutatio a mobili removetur. Uno modo per hoc quod deest principium motus; alio modo per hoc quod principium motus impeditur. Corruptio autem mutatio quaedam est; unde dupliciter potest contingere ut corpus quod ex conditione suorum principiorum corruptibilitatem habet, incorruptibile reddatur. Uno modo ex hoc quod principium ad corruptionem movens totaliter tollitur; et hoc modo corpora damnatorum incorruptibilia erunt. Cum enim caelum sit primum alterans per motum suum localem, et omnia alia agentia secunda in virtute ipsius agant, et quasi ab ipso mota; oportet quod cessante motu caeli, nihil sit agens quod possit corpus per alterationem aliquam transmutare a sua naturali proprietate; et ideo post resurrectionem, cessante motu caeli, nulla qualitas erit sufficiens ut corpus humanum alterare possit a sua naturali qualitate. Corruptio autem est terminus alterationis, sicut et generatio; unde corpora damnatorum corrumpi non poterunt; et hoc deservit divinae justitiae, ut perpetuo viventes, perpetuo puniantur, quod divina justitia requirit, ut infra dicetur; sicut et nunc corruptibilitas corporum deservit divinae providentiae, per quam ex aliquibus corruptis alia generantur. Alio modo contingit ex hoc quod principium corruptionis impeditur; et hoc modo corpus Adae incorruptibile fuit; quia contrariae qualitates in corpore hominis existentes, continebantur per gratiam innocentiae ne ad dissolutionem corporis agere possent; et multo plus continebuntur in corporibus gloriosis, quae erunt omnino subjecta spiritui; et sic in corporibus beatorum post resurrectionem communem conjungentur duo praedicti modi incorruptibilitatis.

Puisqu’en tout mouvement doit exister un principe du mouvement, un mouvement ou un changement est enlevé d’un mobile de deux manières : d’une manière, par le fait que le principe du mouvement fait défaut ; d’une autre manière, par le fait que le principe du mouvement est empêché. Or la corruption est un changement ; il peut donc arriver de deux manières qu’un corps qui possède la corruptibilité par la condition de ses principes soit rendu incorruptible. D’une manière, par le fait que le principe qui meut vers la corruption est totalement écarté : de cette manière, les corps des damnés aussi seront incorruptibles. En effet, puisque le ciel est le premier facteur de changement par son mouvement local, et que tous les autres agents seconds agissent par sa puissance en tant qu’ils sont mus par lui, il est nécessaire que, si le mouvement du ciel cesse, il n’y ait pas d’agent qui puisse, par une altération, changer une propriété naturelle du corps. Aussi, après la résurrection, alors que cessera le mouvement du ciel, aucune qualité ne sera suffisante pour pouvoir changer une qualité naturelle du corps humain. Or, la corruption est le terme d’une altération, comme l’est aussi la génération. Aussi les corps des damnés ne pourront-ils pas se corrompre. Et cela est au service de la justice divine afin que, vivant éternellement, ils soient punis pour toujours, ce qu’exige la justice divine, comme on le dira plus loin, de même que maintenant la corruptibilité des corps est au service de la providence divine, par laquelle d’autres choses sont engendrées à partir des choses corrompues. D’une autre manière, cela arrive parce que le principe de la corruption est empêché. De cette manière, le corps d’Adam était incorruptible, car les qualités contraires qui se trouvaient dans le corps humain étaient maintenues par la grâce de l’innocence, de sorte qu’elles ne pouvaient agir pour la dissolution du corps. Et elles seront encore bien davantage maintenues dans les corps glorieux, qui seront entièrement soumis à l’esprit. Dans les corps des saints, après la résurrection commune, les deux modes d’incorruptibilité indiqués seront donc unis dans les corps des bienheureux.

[21548] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contraria ex quibus corpora componuntur, sunt duo principia ad corruptionem agentia. Primum enim agens est motus caelestis; unde supposito motu caelesti, necesse est ut corpus ex contrariis compositum corrumpatur, nisi sit aliqua causa potior impediens. Sed motu caeli remoto, contraria ex quibus corpus componitur, non sufficiunt ad corruptionem faciendam etiam secundum naturam, ut patet ex dictis. Cessationem autem motus caeli philosophi non cognoverunt; unde pro infallibili habebant quod corpus compositum ex contrariis corrumpatur secundum naturam.

1. Les contraires dont les corps sont composés sont deux principes agissant en vue de la corruption. En effet, le premier agent est le mouvement céleste ; à supposer le mouvement céleste, il est donc nécessaire que le corps composé de contraires se corrompe, à moins qu’il n’y ait une cause plus puissante qui l’empêche. Mais, une fois enlevé le mouvement du ciel, les contraires dont le corps est composé ne suffisent pas à produire la corruption, même selon la nature, comme cela ressort de ce qui a été dit. Mais les philosophes n’ont pas reconnu la cessation du mouvement du ciel. Ils tenaient donc pour infaillible que le corps composé de contraires se corrompe selon la nature.

[21549] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod incorruptibilitas illa erit per naturam, non quod sit aliquod incorruptionis principium in corporibus damnatorum, sed per defectum principii moventis ad corruptionem, ut ex dictis patet.

2. Cette incorruptibilité viendra de la nature, non pas qu’existe un principe d’incorruption dans les corps des damnés, mais le manque d’un principe mouvant vers la corruption, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21550] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis mors sit simpliciter maxima poenarum secundum quid, tamen nihil prohibet mortem esse in poenarum remedium, et per consequens ablationem mortis in poenarum augmentum. Vivere enim, ut dicitur in 5 Ethic., videtur omnibus delectabile esse, eo quod omnia esse appetunt. Non oportet autem, ut ibidem dicitur, accipere malam vitam, neque corruptam, neque quae est in tristitiis. Sicut ergo vivere simpliciter est delectabile, non autem vita quae est in tristitiis; ita et mors quae est privatio vitae, simpliciter est poenosa, et maxima poenarum, inquantum subtrahit primum bonum, scilicet esse, cum quo omnia alia subtrahuntur; sed inquantum privat malam vitam, et quae est in tristitiis, est in remedium poenarum quas terminat; et per consequens mortis subtractio est in augmentum poenarum, quas perpetuas facit. Si autem dicatur mors esse poenalis propter corporalem dolorem quem sentiunt morientes; non est dubium quod multo majorem dolorem damnati continue sustinebunt; unde in perpetua morte esse dicuntur, sicut scriptum est in Psal. 48, 15: mors depascet eos.

3. Bien que la mort soit tout simplement la plus grande des peines sous un aspect, rien n’empêche cependant que la mort soit un remède pour les peines et, par conséquent, l’enlèvement de la mort, un accroissement des peines. En effet, comme le dit Physique, V, vivre est délectable pour tous, étant donné que tous désirent être. Mais, comme on le dit là, il n’est pas nécessaire d’accepter une vie mauvaise, corrompue ou qui est plongée dans la tristesse. De même donc que vivre est tout simplement délectable, mais non une vie plongée dans la tristesse, de même la mort, qui est la privation de la vie, a-t-elle tout simplement le caractère de peine et elle est la plus grande des peines, pour autant qu’elle soustrait le premier bien, à savoir, l’être, avec lequel tous les autres sont soustraits. Mais pour autant qu’elle prive d’une vie mauvaise et plongée dans la tristesse, elle est un remède aux peines auxquelles elle met un terme. Par conséquent, être soustrait à la mort est un accroissemeent des peines que cela rend perpétuelles. Mais si l’on dit que la mort a le caractère de peine en raison de la douleur corporelle que ressentent ceux qui meurent, il n’y a pas de doute que les damnés supporteront sans interruption une douleur beaucoup plus grande. Aussi dit-on qu’ils sont dans une mort perpétuelle, comme l’écrit le Ps 48, 15 : La mort les fera paître.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21551] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod principalis causa quare corpora damnatorum ab igne non consumuntur, erit divina justitia, quia eorum corpora ad perpetuam poenam sunt addicta. Sed divinae justitiae servit etiam naturalis dispositio ex parte corporis patientis, et ex parte agentium: quia cum pati sit recipere quoddam, duplex est modus passionis, secundum quod aliquid in aliquo recipi potest dupliciter. Potest enim aliqua forma recipi in altero aliquo secundum esse naturale materialiter, sicut calor recipitur ab igne in aere; et secundum hunc modum receptionis est unus modus passionis, qui dicitur passio naturae. Alio modo aliquid recipitur in altero spiritualiter per modum intentionis cujusdam, sicut similitudo albedinis recipitur in aere et in pupilla; et haec receptio similatur illi receptioni qua anima recipit similitudines rerum; unde secundum hunc modum receptionis est alius modus passionis, qui vocatur passio animae. Quia ergo post resurrectionem, et motu caeli cessante, non poterit aliquod corpus alterari a sua naturali qualitate, ut dictum est, nullum corpus pati poterit passione naturae; unde quantum ad hunc modum passionis corpora damnatorum impassibilia erunt, sicut et incorruptibilia. Sed cessante motu caeli, adhuc manebit passio quae est per modum animae; quia et aer a sole illuminabitur, et colorum differentias ad visum deferet; unde et secundum hunc modum passionis corpora damnatorum passibilia erunt. Et quia in tali passione sensus perficitur, ideo in corporibus damnatorum sensus poenae erit sine mutatione naturalis dispositionis. Corpora vero gloriosa, etsi recipiant aliquid, et quodammodo patiantur in sentiendo, non tamen passibilia erunt: quia nihil recipient per modum afflictivi vel laesivi, sicut recipient corpora damnatorum quae ob hoc passibilia dicuntur.

La cause principale pour laquelle les corps des damnés ne seront pas consumés par le feu sera la justice divine, car leurs corps ont été condamnés à une peine perpétuelle. Or, même la disposition naturelle du point de vue de celui qui subit et aussi du point de vue des agents est au service de la justice divine, car puisque subir est une manière de recevoir, il existe un double mode de passion, selon que quelque chose est reçu dans quelque chose d’autre de deux manières. En effet, une forme peut être reçue dans quelque chose d’autre selon son être naturel d’une manière matérielle, comme la chaleur est reçue par le feu dans l’air : selon ce mode de réception, il existe un seul mode de passion, qui est appelé passion de la nature. D’une autre manière, quelque chose est reçu dans quelque chose d’autre d’une manière spirituelle par mode d’intention, comme une similitude de la blancheur est reçue dans l’air et dans la pupille : cette réception ressemble à la réception selon laquelle l’âme reçoit les similitudes des choses. Selon ce mode de réception, il existe donc un autre mode de passion, qui est appelé passion de l’âme. Parce que, après la résurrection, alors qu’aura cessé le mouvement du ciel, la qualité naturelle d’un corps ne pourra être altérée, comme on l’a dit, aucun corps ne pourra subir une passion de la nature. Quant à ce mode de passion, les corps des damnés seront donc impassibles comme les [corps] incorruptibles. Mais, après qu’aura cessé le mouvement du ciel, demeurera encore la passion qui se réalise selon le mode de l’âme, car l’air sera illuminé par le soleil et il portera les différences des couleurs à la vue. Selon ce mode de passion, les corps des damnés seront donc passibles. Et parce que, dans une telle passion, le sens est perfectionné, la sensation de la peine dans les corps des damnés sera donc sans changement de leur disposition naturelle. Mais les corps glorieux, même s’ils reçoivent quelque chose et subissent d’une certaine manière lorsqu’ils ont une sensation, ne seront cependant pas passibles, car ils ne recevront rien par mode d’affliction ou de blessure, comme en recevront les corps des damnés, dont on dit pour cette raison qu’ils sont passibles.

[21552] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de illa passione per quam transmutatur patiens a sua naturali dispositione. Talis autem passio non erit in corporibus damnatorum, ut dictum est.

1. Le Philosophe parle de la passion par laquelle une disposition naturelle du patient est changée. Or, une telle passion n’existera pas dans les corps des damnés, comme on l’a dit.

[21553] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo agentis est dupliciter in patiente. Uno modo per eumdem modum quo est in agente, sicut est in omnibus agentibus univocis, ut calidum facit calidum, et ignis generat ignem. Alio modo per modum diversum a modo quo est in agente, sicut est in omnibus agentibus aequivocis, in quibus quandoque contingit quod in agente est forma spiritualiter, quae in patiente materialiter recipitur; sicut forma quae est in domo facta per artificem est materialiter in ipsa, et in mente artificis est spiritualiter: quandoque vero e converso est materialiter in agente, et recipitur spiritualiter in patiente: sicut albedo materialiter est in pariete, a quo recipitur spiritualiter in pupilla, et in medio deferente; et similiter est in proposito: quia species quae materialiter est in igne, recipitur spiritualiter in corporibus damnatorum; et sic ignis assimilabit sibi damnatorum corpora, nec tamen ea consumet.

2. La ressemblance à l’agent existe dans le patient de deux manières. D’une manière, selon le même mode où elle existe chez l’agent, comme c’est le cas pour tous les agents univoques ; ainsi le chaud produit le chaud et le feu engendre le feu. D’une autre manière, selon un mode différent de celui où elle existe dans l’agent, comme c’est le cas de tous les agents équivoques, chez lesquels il arrive parfois que la forme se trouve dans l’agent d’une manière spirituelle, alors qu’elle est reçue d’une manière matérielle dans le patient, comme la forme qui existe dans la maison réalisée par un artisan existe matériellement en celle-ci, mais spirituellement dans l’esprit de l’artisan. Mais, parfois, elle existe inversement d’une manière matérielle dans l’agent et elle est reçue d’une manière spirituelle dans le patient, comme la blancheur existe matériellement sur le mur, dont elle est reçue spirituellement dans la pupille et dans le milieu qui la porte. Il en est de même ici, car l’espèce qui se trouve matériellement dans le feu est reçue spirituellement dans les corps des damnés ; ainsi le feu rendra les corps des damnés semblables à lui, mais il ne les consumera pas.

[21554] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in Lib. de proprietatibus elementorum, nullum animal in igne vivere potest. Galenus enim in Lib. de simplici medicina dicit, quod nullum corpus est quod tandem ab igne non consumatur, quamvis quaedam corpora sint quae ad horam in igne sine laesione permaneant, ut patet de ebeno; unde quod inducitur de salamandra, non est omnino simile: quia non posset perseverare finaliter in igne sine corruptione, sicut corpora damnatorum in Inferno. Nec tamen oportet quod quia corpora damnatorum ab igne Inferni per corruptionem aliquam non laeduntur, propter hoc ab igne non affligantur; quia sensibile non solum natum est delectare vel affligere sensum, secundum quod agit actione naturae confortando vel corrumpendo organum, sed etiam secundum quod agit actione spirituali: quia quando sensibile est in debita proportione ad sentientem, delectat; e contrario autem quando se habet in superabundantia vel defectu; unde et colores medii et voces consonantes sunt delectabiles, et inconsonantes offendunt auditum.

3. Selon le Philosophe, dans le livre Sur les propriétés des éléments, aucun animal ne peut vivre dans le feu. En effet, dans le Livre de simple médecine, Galien dit qu’il n’existe aucun corps qui ne soit finalement consumé par le feu, bien qu’il existe certains corps qui resteront sans blessure pendant une heure dans le feu, comme cela ressort de l’ébène. Ce qui invoqué de la salamandre n’est donc pas du tout semblable, car elle ne pourrait rester finalement dans le feu sans corruption, comme les corps des damnés en enfer. Cependant, il n’est pas nécessaire que, parce que les corps des damnés ne sont pas atteints d’une corruption par le feu de l’enfer, ils ne soient pas affligés pour autant par le feu, car ce qui est sensible n’est pas destiné seulement à plaire au sens ou à l’affliger, en tant qu’il agit par une action de la nature en réconfortant ou en corrompant l’organe, mais aussi selon qu’il agit par une action spirituelle. En effet, lorsque le sensible a la proportion appropriée par rapport à celui qui ressent, il plaît ; mais c’est le contraire lorsqu’il existe d’une manière surabondante ou déficiente. Aussi les couleurs moyennes et les voix harmonisées sont-elles plaisantes, mais les voix discordantes offensent-elles l’ouïe.

[21555] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dolor non separat animam a corpore secundum quod manet tantum in potentia animae, cujus est dolere, sed secundum quod ad passionem animae mutatur corpus a sua naturali dispositione, secundum modum quo videmus quod ex ira corpus calefit, et ex timore frigescit. Sed post resurrectionem corpus non poterit transmutari a sua naturali dispositione, ut ex dictis patet, unde quantuscumque sit dolOr animam a corpore non separabit.

4. La douleur ne sépare pas l’âme du corps selon qu’elle demeure seulement dans la puissance de l’âme, à qui il revient d’être affligée, mais selon que, par la passion de l’âme, la disposition naturelle du corps est changée, à la manière dont nous voyons que le corps est réchauffé par la colère et refroidi par la crainte. Or, après la résurrection, la disposition naturelle du corps ne pourra être changée, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi grande que soit la douleur, elle ne séparera donc pas l’âme du corps.

 

 

Articulus 2 [21556] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 tit. Utrum ignis Inferni, quo corpora damnatorum cruciabuntur, sit ignis corporeus

Article 2 – Le feu de l’enfer, par lequel les corps des damnés seront torturés, est-il un feu corporel ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le feu de l’enfer, par lequel les corps des damnés seront torturés, est-il un feu corporel ?]

[21557] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ignis Inferni, quo corpora damnatorum cruciabuntur, non sit ignis corporeus. Dicit enim Damascenus in 4 Lib., in fine: tradetur Diabolus, et Daemones ejus, et homo ejus, scilicet Antichristus, et impii et peccatores, in ignem aeternum, non materialem, qualis est qui apud nos est, sed qualem utique novit Deus. Sed omne corporeum est materiale. Ergo ignis Inferni non erit corporeus.

1. Il semble que le feu de l’enfer, par lequel les corps des damnés seront torturés, ne soit pas un feu corporel. En effet, [Jean] Damascène dit, dans le livre IV, vers la fin : « Le Diable et ses démons, les impies et les pécheurs seront livrés au feu éternel, non pas matériel, comme il existe chez nous, mais comme Dieu l’a approuvé. » Or, tout ce qui est corporel est matériel. Le feu de l’enfer ne sera donc pas corporel.

[21558] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, animae damnatorum a corpore separatae, ad ignem Inferni deferuntur. Sed Augustinus dicit, 12 super Gen. ad litteram: spiritualem arbitror esse locum, scilicet ad quem anima defertur post mortem, non corporalem. Ergo ignis ille non est corporeus.

2. Les âmes des damnés séparées du corps seront livrées au feu de l’enfer. Or, Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII : « J’estime que le lieu sera spirituel – à savoir, celui vers lequel l’âme sera portée après la mort –, et non corporel. » Ce feu n’est donc pas corporel.

[21559] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ignis corporeus in modo suae actionis non sequitur modum culpae in eo qui igne crematur, sed magis modum humidi vel sicci: in eodem enim igne corporeo videmus affligi justum et impium. Sed ignis Inferni in modo suae actionis sequitur modum culpae in eo qui punitur; unde Gregorius in 4 Dial.: unus quidem est Gehennae ignis, sed non uno modo omnes cruciat peccatores: uniuscujusque enim quantum exigit culpa, tantum sentietur poena. Ergo ignis ille non est corporeus.

3. Le feu corporel ne suit pas, dans le mode de son action, le mode de la faute chez celui qui est brûlé par le feu, mais plutôt le mode de l’humide et du sec. En effet, par le même feu corporel, nous voyons que le juste et l’impie sont affligés. Or, le feu de l’enfer suit, dans le mode de son action, le mode de la faute chez celui qui est puni. Aussi Grégoire dit-il dans les Dialogues, IV : « Le feu de la géhenne est unique, mais il ne tourmente pas tous les pécheurs d’une seule manière : en effet, la peine sera ressentie par chacun dans la mesure où la faute l’exige. » Ce feu n’est donc pas corporel.

[21560] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in 4 Dial.: ignem Gehennae corporeum esse non ambigo, in quo certum est corpora cruciari.

Cependant, [1] les Dialogues, IV, disent en sens contraire : « Je ne doute pas que le feu de la géhenne soit corporel ; il est certain que les corps y sont tourmentés. »

[21561] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Sap. 5, 21, dicitur: pugnabit orbis terrarum contra insensatos. Sed non totus orbis contra insensatos pugnaret, si solummodo spirituali poena, et non corporali, punirentur. Ergo punientur igne corporeo.

[2] Sg 5, 21 dit : L’univers terrestre combattra les insensés. Or, l’univers ne combattrait pas les insensés s’ils étaient punis seulement par une peine spirituelle, et non corporelle. Ils seront donc punis par un feu corporel.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – Le feu de l’enfer est-il de la même espèce que le feu corporel que nous voyons ?

[21562] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille non sit ejusdem speciei cum igne isto corporeo quem videmus. Augustinus enim dicit, et habetur in littera: ignis aeternus cujusmodi sit, arbitror scire neminem, nisi forte cui spiritus divinus ostendit. Sed naturam istius ignis omnes, vel fere omnes, sciunt. Ergo ille ignis non est ejusdem naturae vel speciei cum isto.

1. Il semble que le feu de l’enfer ne soit pas de la même espèce que le feu corporel que nous voyons. En effet, Augustin dit, et on trouve cela dans le texte [des Sentences] : « J’estime que personne ne sait de quelle nature est le feu éternel, sauf peut-être celui à qui l’Esprit de Dieu l’a montré. » Or, tous ou presque tous connaissent la nature du feu [corporel que nous voyons]. Le feu [de l’enfer] n’est donc pas de la même nature ou espèce que celui-ci.

[21563] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit 15 Lib. Moral., exponens illud Job 20: devorabit eum ignis, qui non succenditur: ignis corporeus ut esse valeat, corporeis indiget fomentis; nec valet, nisi succensus esset, et nisi refotus, subsistere. At contra Gehennae ignis, cum sit corporeus, et in se missos reprobos corporaliter exurat, nec studio humano succenditur, nec lignis nutritur, sed creatus semel durat inextinguibilis; et successione non indiget, et ardore non caret. Ergo non est ejusdem naturae cum corporeo igne quem videmus.

2. Grégoire dit dans les Morales, en expliquant Jb 20 : Un feu qui n’est pas allumé le dévorera : « Pour que puisse exister un feu corporel, celui-ci a besoin d’être alimenté naturellement, et il ne peut subsister s’il n’est pas allumé et entretenu. Au contraire, le feu de la géhenne, alors qu’il est corporel et brûle corporellement les réprouvés qui y sont envoyés, n’est pas allumé par un effort humain, n’est pas nourri par le bois, mais, créé une seule fois, il dure inextinguiblement et n’a pas besoin d’être entretenu, et il ne manque pas d’ardeur. » Il n’est donc pas de la même nature que le feu corporel que nous voyons.

[21564] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, aeternum et corruptibile non sunt unius rationis, cum nec etiam in genere conveniant, secundum philosophum in 10 Metaph. Sed ignis iste est corruptibilis, ille autem aeternus; Matth. 25, 41: ite, maledicti, in ignem aeternum. Ergo non sunt ejusdem speciei.

3. Ce qui est éternel et ce qui est corruptible n’a pas la même essence, puisqu’il n’a même pas le même genre, selon le Philosophe, dans Métaphysique, X. Or, ce feu-ci est corruptible, mais de feu-là est éternel, Mt 25, 41 : Allez, maudits, au feu éternel ! Ils ne sont donc pas de la même espèce.

[21565] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, de natura hujus ignis qui apud nos est, est ut luceat. Sed ignis Inferni non lucet; unde dicitur Job 18, 5: nonne lux impii extinguetur? Ergo non est ejusdem naturae cum isto igne.

4. Il est de la nature du feu qui existe chez nous qu’il brille. Or, le feu de l’enfer ne brille pas. Ainsi, il est dit dans Jb 18, 5 : La lumière de l’impie ne sera-t-elle pas éteinte ? Il n’est donc pas de la même espèce que ce feu-ci.

[21566] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, secundum philosophum in 1 Topic., omnis aqua omni aquae est idem specie. Ergo eadem ratione omnis ignis omni igni idem est in specie.

Cependant, [1] selon le Philosophe, dans Topiques, I, toute eau est identique à toute eau par son espèce. Pour la même raison, tout feu est identique à tout feu par son espèce.

[21567] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Sap. 11, 17, dicitur: per quae peccat quis, per haec et torquetur. Sed omnes homines peccant per res sensibiles hujus mundi. Ergo justum est ut per easdem puniantur.

[2] Il est dit dans Sg 11, 17 : Celui qui pèche sera puni par où il a péché. Or, tous les hommes pèchent par les choses sensibles de ce monde. Il est donc juste qu’ils soient punis par les mêmes choses.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le feu éternel est-il souterrain ?]

[21568] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille non sit sub terra. Quia Job 18, 18, de homine damnato dicitur: et de orbe transferet eum Deus. Ergo ille ignis quo damnati punientur, non est sub terra, sed extra orbem.

1. Il semble que le feu [de l’enfer] ne soit pas souterrain, car il est dit de l’homme damné en Jb 18, 18 : Dieu l’enlèvera du monde. Le feu par lequel les damnés seront punis n’est donc pas souterrain, mais extérieur au monde.

[21569] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nullum violentum et per accidens potest esse sempiternum. Sed ignis ille erit in Inferno in sempiternum. Ergo non erit ibi per violentiam, sed naturaliter. Sed sub terra non potest esse ignis nisi per violentiam. Ergo ignis Inferni non est sub terra.

2. Rien de violent ni d’accidentel ne peut être éternel. Or, ce feu existera en enfer éternellement. Il n’y existera donc pas par violence, mais naturellement. Or, il ne peut exister de feu sous terre que par violence. Le feu de l’enfer n’est donc pas souterrain.

[21570] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in igne Inferni omnia corpora damnatorum post diem judicii cruciabuntur. Sed corpora illa locum replebunt. Ergo cum futura sit maxima multitudo damnatorum, quia stultorum infinitus est numerus, Eccle. 1, 15, oportet maximum esse spatium in quo ignis ille continetur. Sed inconveniens videtur infra terram esse tantam concavitatem, cum partes terrae naturaliter ferantur ad medium. Ergo ignis ille non erit sub terra.

3. Tous les corps des damnés seront torturés dans le feu de l’enfer après le jour du jugement. Or, ces corps rempliront le lieu. Puisqu’il y aura une très grande multitude de damnés, car le nombre des insensés est infini, Si 1, 15, il faut donc un très grand espace pour contenir ce feu. Or, il semble inapproprié que la cavité inférieure de la terre soit aussi grande, puisque les parties de la terre sont naturellement portées vers le centre. Ce feu ne se trouvera donc pas sous la terre.

[21571] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Sap. 11, 17, dicitur: per quae peccat quis, per haec et torquetur. Sed mali super terram peccaverunt. Ergo ignis eos puniens non oportet esse sub terra.

4. Il est dit en Sg 11, 17 : Celui qui pèche sera torturé par où il a péché. Or, les méchants pèchent sur la terre. Le feu qui les punit ne doit donc pas être sous la terre.

[21572] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 14, 9: Infernus subtus conturbatus est in occursum tui. Ergo ignis Inferni sub nobis est.

Cependant, [1] Is 14, 9 dit : L’enfer souterrain a été troublé par ton approche. Le feu de l’enfer se trouve donc sous nous.

[21573] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in 4 Dialog.: quid obstet non video, ut Infernus sub terra esse credatur.

[2] Grégoire dit dans les Dialogues, IV : « Je ne vois pas ce qui s’oppose à ce qu’on croie que l’enfer est souterrain. »

[21574] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, Jonae 2, super illud: projecisti me in corde maris; Glossa interlinealis: idest, in Inferno; pro quo dicitur in Evangelio Matth. 12, 40: in corde terrae; quia sicut cor est in medio animalis, ita Infernus esse in medio terrae perhibetur.

[3] À propos de Jon 2 : Tu m’as jeté au cœur de la mer, la glose interlinéaire dit : « C’est-à-dire en enfer » ; à ce sujet, dans l’évangile, Mt 12, 40 dit : Au cœur de la terre, car de même que le cœur est au centre de l’animal, de même il est montré que l’enfer est au centre de la terre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21575] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de igne Inferni fuit multiplex positio. Quidam enim philosophi, ut Avicenna, resurrectionem non credentes, solius animae post mortem poenam esse crediderunt; et quia eis inconveniens videbatur ut anima, cum sit incorporea, igne corporeo puniretur, negaverunt ignem corporeum esse quo mali punirentur; volentes quod quidquid dicitur de poena animarum post mortem futura per aliqua corporalia, metaphorice dicatur. Sicut enim bonarum animarum delectatio et jucunditas non erit in aliqua re corporali, sed spirituali tantum, quod erit in consecutione finis sui; ita afflictio malorum erit spiritualis tantum, in hoc scilicet quod tristabuntur de hoc quod separantur a fine, cujus inest eis desiderium naturale. Unde sicut omnia quae de delectatione animarum post mortem dicuntur, quae videntur ad delectationem corporalem pertinere, sicut quod reficiantur, quod rideant, et hujusmodi; ita etiam quidquid de harum afflictione dicitur quod in corporalem punitionem sonare videtur, per similitudinem debet intelligi; sicut quod igne ardeant, vel foetoribus affligantur, et cetera hujusmodi. Spiritualis enim delectatio et tristitia, cum sit ignota multitudini, oportet quod per delectationem et tristitias corporales figuraliter manifestetur, ut homines moveantur magis ad desiderium vel timorem. Sed quia in poena damnatorum non solum erit poena damni, quae respondet aversioni quae fuit in culpa, sed etiam poena sensus, quae respondet conversioni; ideo non sufficit praedictum modum punitionis ponere; et ideo etiam ipse Avicenna, alterum modum superaddit, dicens, quod animae malorum post mortem non per corpora, sed per corporum similitudines punientur, sicut in somnis propter similitudines praedictas in imaginatione existentes videtur homini quod torqueatur poenis diversis; et hunc etiam modum punitionis videtur ponere Augustinus in 12 super Gen. ad Lit., sicut ibidem manifeste patet. Sed hoc videtur inconvenienter dictum esse. Imaginatio enim potentia quaedam est utens organo corporali; unde non potest esse quod visiones imaginativae fiant in anima separata a corpore, sicut in anima somniantis; unde etiam Avicenna, ut hoc inconveniens evaderet, dixit, quod animae separatae a corpore utebantur, quasi pro organo, aliqua parte caelestis corporis, cui corpus humanum oportet esse conforme ad hoc quod perficiatur anima rationali, quae est similis motoribus caelestis corporis: in hoc secutus quodammodo opinionem antiquorum philosophorum, qui posuerunt animas redire ad compares stellas. Sed hoc est omnino absurdum secundum doctrinam philosophi; quia anima utitur determinato organo corporali, sicut ars determinatis instrumentis; unde non potest transire de corpore in corpus, quod Pythagoras posuit, ut dicitur in 1 de anima. Qualiter autem ad dictum Augustini sit respondendum, infra dicetur. Quidquid autem dicatur de igne qui animas separatas cruciat, de igne tamen quo cruciabuntur corpora damnatorum post resurrectionem, oportet dicere quod sit corporeus; quia corpori non potest convenienter poena aptari nisi corporea. Unde Gregorius in 4 Dial., ex hoc ipso probat Inferni ignem esse corporeum, quod reprobi post resurrectionem in eum detrudentur. Augustinus etiam, ut in littera, manifeste confitetur ignem illum quo corpora cruciabuntur, corporeum esse; et de hoc ad praesens est quaestio. Qualiter autem animae damnatorum ab igne isto corporeo puniantur, infra, dist. 50, qu. 2, art. 3, dicetur.

À propos du feu de l’enfer, il y a eu plusieurs opinions. En effet, certains philosophes, comme Avicenne, ne croyant pas à la résurrection, ont cru que seule une peine de l’âme existait après la mort ; et parce qu’il leur semblait inapproprié que l’âme, puisqu’elle est incorporelle, soit punie par un feu corporel, ils ont nié l’existence d’un feu corporel par lequel les méchants seraient punis, en voulant que soit dit métaphoriquement tout ce qui est dit de la peine future des âmes après la mort, causée par certaines choses corporelles. En effet, de même que la délectation et la joie des âmes bonnes ne se trouveront pas dans quelque chose de corporel mais de spirituel seulement, de même l’affliction des méchants ne sera que spirituelle, du fait qu’ils s’attristeront d’être séparés de la fin dont il ont un désir naturel. De même donc que tout ce qui est dit de la délectation des âmes après la mort, et qui semble se rapporter à la délectation corporelle – ainsi, elles restaureront leurs forces, elles riront, et les choses de ce genre –, de même, tout ce qui est dit de leur affliction, et qui paraît indiquer une punition corporelle, doit-il s’entendre par mode de comparaison –, ainsi, elles brûleront dans le feu et seront affligées de puanteurs, et les autres choses de ce genre. En effet, la délectation et la tristesse spirituelles, puisqu’elles sont ignorées de la majorité, doivent être mises en évidence par des figures tirées de la délectation et des tristesses corporelles, afin que les hommes soient davantage mus à les désirer ou à les craindre. Mais parce que, dans la peine des damnés, il n’y aura pas seulement la peine du dam, qui correspond au détournement (aversio) qui a eu lieu dans la faute, mais aussi la peine du sens, qui correspond à la conversion (conversio), il ne suffit donc pas d’affirmer le mode de punition indiqué. C’est pourquoi Avicenne lui-même y ajoute un autre mode lorsqu’il dit que les âmes des méchants, après la mort, seront punies, non pas par des corps, mais par des représentations corporelles, comme, dans les songes, il semble à l’homme qu’il est torturé par diverses peines en raison des similitudes mentionnées qui existent dans l’imagination. Augustin aussi semble affirmer ce mode de punition, dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII, comme cela paraît clair à cet endroit. Mais il semble que cela ait été dit d’une manière inapproprié. En effet, l’imagination est une puissance qui utilise un organe corporel. Il ne peut donc pas arriver que des visions imaginatives se produisent dans l’âme séparée du corps, comme dans l’âme de celui qui rêve. Aussi, même Avicenne, pour échapper à cet inconvénient, a-t-il dit que les âmes séparées du corps utilisaient comme organe une partie d’un corps céleste, auquel le corps humain doit être conformé pour qu’il soit perfectionné par l’âme raisonnable, qui est semblable aux moteurs d’un corps céleste. En cela, il a suivi d’une certaine manière l’opinion des anciens philosophes, qui ont affirmé que les âmes reviennent à des étoiles semblables. Mais cela est tout à fait absurde selon l’enseignement du Philosophe, car l’âme utilise un organe corporel déterminé comme l’art, des instruments déterminés ; elle ne peut donc passer d’un corps à un autre corps, ce que Phythagore a affirmé, comme on le dit dans Sur l’âme. Comment il faut répondre à ce que dit Augustin, on le dira plus loin. Quoi qu’on dise du feu qui torture les âmes séparées, il faut dire que le feu par lequel seront torturés les corps des damnés après la résurrection est corporel, car seule une peine corporelle peut être appropriée pour le corps. Aussi Grégoire, dans les Dialogues, IV, démontre-t-il que le feu de l’enfer est corporel par le fait que les réprouvés, après la résurrection, y seront violemment jetés. Augustin aussi, comme [on le lit] dans le texte [des Sentences], confesse ouvertement que le feu par lequel les corps seront torturés est corporel. Telle est la question présente. Comment les âmes des damnés sont punies par ce feu corporel, on le dira plus loin, d. 50, q. 2, a. 3.

[21576] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus non negat simpliciter ignem illum materialem esse, sed quod non est materialis talis qualis apud nos est, eo quod quibusdam proprietatibus ad hoc igne distinguitur. Vel dicendum, quod quia ignis ille non materialiter alterat corpora, sed quadam spirituali actione agit in ea ad punitionem, ut ex dictis patet, ideo non dicitur materialis, non quantum ad substantiam, sed quantum ad punitionis effectum in corporibus, et multo amplius in animabus.

1. [Jean] Damascène ne nie pas tout simplement que ce feu est matériel, mais qu’il n’est pas matériel comme il l’est chez nous, du fait qu’il se distingue de ce feu par certaines qualités. Ou bien, il faut dire que parce que ce feu n’altère pas matériellement les corps, mais agit sur eux par une certaine action spirituelle pour les punir, comme cela ressort de ce qui a été dit, on ne dit donc pas qu’il est matériel quant à sa substance, mais quant à son effet de punition sur les corps, et encore bien davantage sur les âmes.

[21577] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum Augustini potest hoc modo accipi, ut pro tanto dicatur locus ille ad quem animae deferentur post mortem, non esse corporeus, quia anima in eo corporaliter non existit, per modum scilicet quo corpora existunt in loco, sed alio modo spirituali, sicut Angeli in loco sunt. Vel dicendum, quod Augustinus loquitur opinando, et non determinando, sicut frequenter facit in libro illo.

2. La parole d’Augustin peut s’entendre au sens où l’on dit que le lieu dans lequel les âmes sont emportées après la mort n’est pas corporel, parce que l’âme ne s’y trouve pas corporellement à la manière dont les corps existent dans un lieu, mais d’une autre manière spirituelle, comme s’y trouvent les anges. Ou bien, il faut dire qu’Augustin parle en formulant une opinion, et non en prenant position, comme il le fait fréquemment dans ce livre.

[21578] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignis ille erit instrumentum divinae justitiae punientis. Instrumentum autem non solum agit in virtute propria, et per proprium modum, sed etiam in virtute principalis agentis, et secundum quod est regulatum ab eo; unde quamvis ignis secundum propriam virtutem non habeat quod aliquos cruciet magis vel minus secundum modum peccati; habet tamen hoc secundum quod ejus actio modificatur ex ordine divinae justitiae; sicut etiam ignis fornacis modificatur ex industria fabri in sua actione secundum quod competit ad effectum artis.

3. Ce feu sera un instrument de la punition par la justice divine. Or, l’instrument n’agit pas par sa puissance propre et selon son propre mode, mais aussi par la puissance de l’agent principal et selon qu’il est réglé par lui. Bien que le feu, selon sa propre puissance, ne soit pas capable d’en torturer certains plus ou moins selon la mesure de leur péché, il en est cependant capable du fait que son action est modulée selon l’ordre de la justice divine, de même que le feu d’une fournaise est modulé par l’habileté de l’artisan dans son action, selon que cela convient à l’effet de son art.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21579] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ignis propter hoc quod est maximae virtutis in agendo inter reliqua elementa, alia corpora pro materia habet, ut dicitur in 2 Meteor.; unde et ignis dupliciter invenitur; scilicet in propria materia, prout est in sphaera sua; vel in materia aliena, sive terrestri, ut patet in carbone; sive aerea, sicut patet in flamma. Quocumque autem modo ignis inveniatur, semper idem est in specie quantum ad naturam ignis pertinet. Potest autem esse diversitas in specie quantum ad corpora quae sunt materia ignis; unde flamma et carbo differunt specie, et similiter lignum ignitum et ferrum ignitum. Nec differt quantum ad hoc sive ignita sint per violentiam, ut in ferro apparet, sive ex principio intrinseco naturali, ut accidit in sulphure. Quod ergo ignis Inferni quantum ad hoc quod habet de natura ignis, sit ejusdem speciei cum igne qui apud nos est, manifestum est; utrum autem ille ignis sit in propria materia existens, aut in aliena, et si in aliena, in qua materia sit, nobis ignotum est; et secundum hoc potest ab igne qui apud nos est, specie differre materialiter consideratus. Quasdam tamen proprietates differentes habet ab igne isto, sicut quod succensione non indiget, nec lignis nutritur. Sed istae differentiae non ostendunt diversitatem in specie quantum ad id quod pertinet ad naturam ignis.

Parce que, parmi les autres éléments, le feu a une très grande puissance d’action, il a les autres corps comme matière, comme on le dit dans les Météorologiques, II. Aussi trouve-t-on le feu sous deux formes : selon sa matière propre, tel qu’il existe dans sa sphère ; ou selon une autre matière, qu’elle soit terrestre, comme dans le charbon, ou qu’elle soit aérienne, comme cela est manifeste pour la flamme. Quelle que soit la forme sous laquelle on trouve le feu, il a toujours la même espèce, pour ce qui est de la nature du feu. Mais il peut exister une diversité selon l’espèce dans les corps qui sont la matière du feu. Aussi la flamme et le charbon ont-ils une espèce différente ; de même, le bois allumé et le fer allumé. Et cela ne fait pas de différence qu’ils aient été allumés par violence, comme cela est manifeste pour le fer, ou par un principe naturel intrinsèque, comme c’est le cas pour le soufre. Que le feu de l’enfer, pour ce qui est de la nature du feu, soit de la même espèce que le feu qui existe chez nous, cela est manifeste ; mais que ce feu existe dans sa propre matière ou dans une matière étrangère, et si c’est dans une matière étrangère, dans quelle matière, cela nous est inconnu. Sous cet aspect, considéré du point de vue de sa matière, il peut différer par son espèce du feu qui existe parmi nous. Cependant, il possède certaines propriétés différentes de ce feu : ainsi, il n’a pas besoin d’être allumé et d’être alimenté par du bois. Mais ces différences ne montrent pas sa diversité selon l’espèce pour ce qui se rapporte à la nature du feu.

[21580] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur quantum ad id quod est materiale in illo igne, non autem quantum ad ignis naturam.

1. Augustin parle de ce qui est matériel dans ce feu, et non de la nature du feu.

[21581] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ignis iste qui apud nos est, lignis nutritur, et ab homine succenditur, quia est artificialiter et per violentiam in alienam materiam introductus; sed ignis ille lignis non indiget quibus foveatur, quia vel est in propria materia existens, vel est in materia aliena non per violentiam, sed per naturam a principio intrinseco; unde non est ab homine accensus, sed a Deo, qui naturam illam instituit; et hoc est quod dicitur Isai. 30, 33: flatus domini sicut torrens sulphuris succendens eam.

2. Le feu qui existe chez nous est alimenté par le bois et allumé par les hommes, parce qu’il est artificiellement et violemment introduit dans une matière étrangère. Mais le feu [de l’enfer] n’a pas besoin de bois qui l’attise parce qu’il existe selon sa propre matière, ou parce qu’il existe dans une matière étrangère, non pas par violence, mais par nature et selon un principe intrinsèque. Il n’est donc pas allumé par l’homme mais par Dieu, qui a établi cette nature. Et c’est ce qui est dit dans Is 30, 33 : Le souffle du Seigneur est comme un torrent de soufre qui l’allume.

[21582] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut corpora damnatorum erunt ejusdem speciei cujus et modo sunt, quamvis nunc sint corruptibilia, tunc autem incorruptibilia ex ordine divinae justitiae, et propter quietem motus caeli; ita est etiam de igne Inferni, quo corpora illa punientur.

3. De même que les corps des damnés auront la même espèce qu’ils ont maintenant, bien qu’ils soient maintenant corruptibles et seront alors incorruptibles selon l’ordre de la justice divine et en raison de la cessation du mouvement du ciel, de même en est-il du feu de l’enfer, par lequel ces corps seront punis.

[21583] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lucere non convenit igni secundum quemlibet modum existendi, quia in propria materia existens non lucet; unde non lucet in propria sphaera, ut philosophi dicunt. Similiter etiam in aliqua materia aliena ignis existens non lucet, sicut cum est in materia opaca terrestri, ut in sulphure. Similiter est etiam quando ex aliquo grosso fumo ejus claritas obscuratur. Unde quod ignis Inferni non lucet, non est sufficiens argumentum ad hoc quod non sit ejusdem speciei.

4. Briller ne convient pas au feu selon un quelconque mode d’être, car il ne brille par lorsqu’il se trouve dans sa matière propre. Il ne brille donc pas dans sa propre sphère, comme le disent les philosophes. De même, le feu qui se trouve dans une matière étrangère ne brille-t-il pas, comme lorsqu’il se trouve dans une matière terrestre opaque, comme dans le soufre. Il en est de même aussi lorsque son éclat est obscurci par une épaisse fumée. Le fait que le feu de l’enfer ne brille pas n’est donc pas un argument suffisant pour qu’il ne soit pas de la même espèce.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21584] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut Augustinus dicit, et habetur in littera, in qua parte mundi Infernus sit, scire neminem arbitrOr nisi cui divinus spiritus revelavit; unde et Gregorius in 4 Dialog., super hac quaestione interrogatus respondet: hac de re temere definire non audeo. Nonnulli namque in quadam terrarum parte Infernum esse putaverunt; alii vero hunc sub terra esse existimant. Et hanc opinionem probabiliorem esse ostendit dupliciter. Primo ex ipsa nominis ratione, sic dicens: si idcirco Infernum dicimus, quin inferius jacet; quod terra ad caelum est, hoc esse Infernus debet ad terram. Secundo autem ex hoc quod dicitur Apoc. 5, 3: nemo poterat neque in caelo neque in terra neque subtus terram aperire librum: ut hoc quod dicitur in caelo, referatur ad Angelos; hoc quod dicitur in terra, referatur ad homines viventes in corpore; hoc quod dicitur subtus terram referatur ad animas existentes in Inferno. Augustinus etiam in 12 super Genes. ad litteram, duas rationes tangere videtur, quare congruum sit quod Infernus sit sub terra. Una est, ut quoniam defunctorum animae amore carnis peccaverunt, hoc eis exhibeatur quod ipsi carni mortuae solet exhiberi, ut scilicet sub terra recondantur. Alia est quod sicut est gravitas in corporibus, ita tristitia in spiritibus; et laetitia sicut levitas: unde sicut secundum corpus, si ponderis sui ordinem teneant, inferiora sunt omnia graviora; ita secundum spiritum inferiora sunt omnia tristiora: et sic sicut conveniens locus gaudio electorum est caelum Empyreum; ita conveniens locus tristitiae damnatorum est infimum terrae. Nec debet movere quod Augustinus ibidem dicit, quod Inferi sub terris esse dicuntur vel creduntur: quia in Lib. Retractationum, hoc retractans dicit: mihi videor dicere debuisse magis quod sub terris sunt Inferi, quam rationem reddere cur sub terris esse dicantur sive credantur. Quidam tamen philosophi posuerunt quod locus Inferni erit sub orbe terrestri, tamen supra terrae superficiem, ex parte opposita nobis; et hoc videtur Isidorus sensisse, cum dixit, quod sol et luna in ordine quo creati sunt, stabunt, ne impii in tormentis positi fruantur luce eorum: quae ratio nulla esset, si Infernus infra terram esse dicatur. Qualiter tamen haec verba possint exponi, patebit infra, dist. 48. Pythagoras vero posuit locum poenarum in sphaera ignis, quam in medio totius orbis esse dicit, ut patet per philosophum in 2 Cael. et Mund. Sed tamen convenientius his quae in Scriptura dicuntur, est ut sub terra esse dicatur.

Comme le dit Augustin et comme on le lit dans le texte [des Sentences], « en quelle partie du monde se trouve l’enfer, j’estime que personne ne le sait, sauf celui à qui l’Esprit de Dieu l’a révélé ». Aussi, interrogé sur cette question dans les Dialogues, IV, Grégoire répond-il : « Je n’ose pas trancher témérairement cette question. Certains ont estimé que l’enfer se trouve en quelque partie de la terre ; mais d’autres estiment qu’il se trouve sous la terre. » Et il montre que cette opinion est plus probable. Premièrement, par le sens même du mot : « Si donc nous l’appelons enfer (infernum), comment ne pas le situer plus bas (inferius) ? Ce que la terre est au ciel, l’enfer doit l’être à la terre. » Deuxièmement, selon ce qui est dit dans Ap 5, 3 : Personne ne pouvait ouvrir le livre ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, de sorte que ce qui est dit du ciel se rapporte aux anges, ce qui est dit de la terre se rapporte aux hommes vivant dans leur corps, et ce qui est dit sous la terre se rapporte aux âmes qui se trouvent dans l’enfer. Augustin aussi, dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII, semble donner deux raisons pour lesquelles il semble convenable que l’enfer soit sous la terre. L’une est que, les âmes des défunts ayant péché par amour de la chair, leur soit montré ce qu’on a l’habitude de montrer à la chair morte, à savoir qu’elle est soustraite aux regards sous la terre. L’autre est que de même qu’il y a gravité dans les corps, de même y a-t-il tristesse dans les esprits, et que la joie est comme une légèreté. Si donc, selon le corps, les choses inférieures sont toutes plus lourdes, si elles gardent l’ordre de leur poids, de même, selon l’esprit, les choses inférieures sont-elles toutes tristes. De même que le ciel empyrée est un lieu convenable pour la joie des élus, de même donc le lieu de la tristesse des dammés est-il le plus bas de la terre. Et ce que dit Augustin au même endroit ne doit pas ébranler, [à savoir] qu’on dise ou qu’on croie qu’ils sont sous terre, car, dans le livre des Rétractations, il dit en se rétractant : « Il me semble que j’aurais dû plutôt dire que l’enfer est souterrain, que justifier pourquoi on dit ou on croit qu’il se trouve sous terre. » Cependant, certains philosophes ont affirmé que le lieu de l’enfer se trouvera se trouvera sous la sphère terrestre, toutefois au-dessus de la surface de la terre, du côté qui nous fait face. Isidore semble avoir pensé cela lorsqu’il a dit que le soleil et la lune resteront dans l’ordre où ils ont été créés afin que les méchants qui se trouvent dans les tourments jouissent de leur lumière ; il n’y aurait pas de raison pour cela si on dit que l’enfer se trouve sous terre. On verra plus loin, d. 48, comment ces paroles peuvent être interprétées. Mais Pythagore a affirmé que le lieu des peines se trouve dans la sphère du feu, qu’il dit se trouver au centre de toute la sphère, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur le ciel et le monde, II. Cependant, il convient davantage à ce qui est dit dans l’Écriture de dire qu’il se trouve sous la terre.

[21585] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Job, de orbe transferet eum Deus, intelligendum est de orbe terrarum, idest de hoc mundo; et hoc modo exponit Gregorius dicens: de orbe quippe transfertur, cum superno apparente judice de hoc mundo tollitur, in quo perverse gloriatur. Nec est intelligendum quod orbis hic accipiatur pro universo, quasi extra totum universum sit locus poenarum.

1. Cette parole de Job : Dieu les enlèvera de l’univers, doit s’entendre de la terre, c’est-à-dire de ce monde. C’est de cette manière que Grégoire l’interprète en disant : « Il est enlevé du monde lorsque, à l’apparition du juge céleste, il est enlevé de ce monde où il s’est glorifié de manière perverse. » Et il ne faut pas comprendre que ce monde est l’univers, comme si le lieu des peines se trouvait hors de l’ensemble de l’univers.

[21586] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in loco illo conservatur ignis in aeternum ex ordine divinae justitiae, quamvis secundum naturam suam non possit extra locum suum aliquod elementum durare in aeternum, praecipue statu generationis et corruptionis manente in rebus. Ignis autem ibi erit fortissimae caliditatis: quia calor ejus erit undique congregatus propter frigus terrae undique ipsum circumstans.

2. Le feu est éternellement conservé en ce lieu par un commandement de la justice divine, bien que, selon sa nature, un élément ne puisse durer éternellement, surtout lorsque l’état de génération et de corruption demeure dans les choses. Mais le feu aura là une très grande chaleur, car sa chaleur sera rassemblée de partout en raison de la froideur de la terre qui l’entoure de partout.

[21587] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Infernus nunquam deficiet in amplitudine, quin sufficiat ad damnatorum corpora capienda: Infernus enim Prov. 30, inter tria insatiabilia ponitur. Nec est inconveniens quod intra viscera terrae tanta concavitas conservetur divina virtute, quae damnatorum omnium corpora possit capere.

3. L’ampleur de l’enfer ne fera jamais défaut pour recevoir les corps des damnés. En effet, en Pr 30, l’enfer compte parmi les trois choses insatiables. Il n’est pas non plus inapproprié que la cavité qui pourra recevoir les corps de tous les damnés soit conservée par la puissance divine dans les entrailles de la terre.

[21588] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod dicitur: per quae peccat quis, per haec et torquetur, non est necessarium nisi in principalibus instrumentis peccandi. Quia enim homo in anima peccat et corpore, in utroque punitur; non autem oportet quod in quo loco quis peccat, in eodem puniatur, cum alius sit locus qui viatoribus et damnatis debetur. Vel dicendum, quod hoc intelligitur de poenis quibus homo punitur in via, secundum quod quaelibet culpa suam poenam habet annexam, prout quisque inordinatus animus sibi ipsi est poena, ut dicit Augustinus.

4. Lorsqu’on dit : Le pécheur sera torturé par où il a péché, cela n’est nécessaire que pour les principaux instruments du péché. En effet, parce que l’homme pèche par son âme et par son corps, il est puni dans les deux. Mais il n’est pas nécessaire que quelqu’un soit puni dans le même lieu où il a péché, puisque c’est un autre lieu qui revient à ceux qui sont en chemin (viatoribus) et aux damnés. Ou bien il faut dire que cela s’entend des peines par lesquelles l’homme est puni en cette vie, selon que toute faute a une peine qui lui est associée, dans la mesure où « tout esprit désordonné est une peine pour lui-même », comme le dit Augustin.

 

 

Articulus 3 [21589] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 tit. Utrum in anima separata remaneant potentiae sensitivae

Article 3 – Les puissances sensibles demeurent-elles dans l’âme séparée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les puissances sensi-bles demeurent-elles dans l’âme séparée ?]

[21590] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in anima separata remaneant potentiae sensitivae. Augustinus enim, in libro de spiritu et anima, sic dicit: recedit anima a corpore secum trahens omnia, sensum scilicet, et imaginationem, et rationem, et intellectum, intelligentiam, concupiscibilitatem, et irascibilitatem. Sed sensus et imaginatio, et vis irascibilis et concupiscibilis sunt vires sensitivae. Ergo et in anima separata vires sensitivae remanent.

1. Il semble que les puissances sensibles ne demeurent pas dans l’âme séparée. En effet, dans le livre Sur l’esprit et sur l’âme, Augustin dit : « L’âme se retire du corps en emportant tout avec elle : le sens, l’imagination, la raison, l’intellect, l’intelligence, le concupiscible et l’irascible. » Or, le sens et l’imagination, l’irascible et le concupiscible sont des puissances sensibles. Les puissances sensibles demeurent donc dans l’âme séparée.

[21591] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in libro de Eccles. dogmatibus: solum hominem credimus habere animam substantivam; quae exuta corpore vivit, et sensus suos atque ingenia vivaciter tenet. Ergo anima exuta corpore habet potentias sensitivas.

2. Dans le livre Sur les enseignements de l’Église, Augustin dit : « Nous croyons que seul l’homme a une âme qui est une substance, qui vit en dehors du corps et garde vivants ses sens et ses esprits. » L’âme sortie du corps a donc ses puissances sensibles.

[21592] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, potentiae animae vel essentialiter ei insunt, ut quidam dicunt, vel ad minus sunt naturales proprietates ipsius. Sed illud quod essentialiter inest alicui, non potest ab eo separari, neque subjectum aliquod deseritur a proprietatibus naturalibus. Ergo impossibile est quod anima separata a corpore aliquas potentias amittat.

3. Les puissances de l’âme sont en elle de manière essentielle, comme certains le disent, ou elles en sont au moins des propriétés naturelles. Or, ce qui est en quelque chose de manière essentielle ne peut en être séparé, et un sujet n’est pas abandonné par ses propriétés naturelles. Il est donc impossible que l’âme séparée du corps perde certaines puissances.

[21593] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, non est totum integrum cui aliqua partium deest. Sed potentiae animae dicuntur partes ipsius. Si ergo aliquas potentias anima post mortem amittit; non erit anima integra post mortem; quod est inconveniens.

4. Ce à quoi manque une de ses parties n’est pas un tout intégral. Or, les puissances de l’âme sont appelées ses parties. Si donc l’âme perd certaines puissances après la mort, elle ne sera pas une âme entière après la mort, ce qui est inacceptable.

[21594] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, potentiae animae magis comparantur ad meritum quam etiam corpus; cum corpus sit solum instrumentum actus, potentiae vero principia agendi. Sed necesse est ut corpus simul praemietur cum anima propter hoc quod cooperabatur in merito. Ergo multo fortius est necesse quod potentiae animae simul praemientur cum ipsa: ergo anima separata eas non amittit.

5. Les puissances de l’âme se comparent davantage au mérite que même le corps, puisque le corps est seulement l’instrument d’un acte, mais que les puissances sont des principes d’action. Or, il est nécessaire que le corps soit recompensé en même temps que l’âme parce qu’il coopérait au mérite. À bien plus forte raison est-il donc nécessaire que les puissances de l’âme soient récompensées en même temps qu’elle. L’âme séparée ne les perd donc pas.

[21595] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, si anima, cum separatur a corpore, potentiam sensitivam amittit, oportet quod illa potentia in nihilum cedat: non enim potest dici quod in materiam aliquam resolvatur, cum non habeat materiam partem sui. Sed illud quod omnino in nihilum cedit, non reiteratur idem numero, ut supra dictum est. Ergo anima non habebit in resurrectione eamdem numero potentiam sensitivam. Sed secundum philosophum, sicut se habet anima ad corpus, ita se habent potentiae ad partes corporis, ut visus ad oculum. Si autem non esset eadem anima quae redibit ad corpus, non esset idem homo. Ergo eadem ratione nec esset idem oculus numero, si non habet eamdem numero potentiam visivam; et simili ratione nec aliqua alia pars numero eadem resurgeret, et per consequens nec totus homo idem numero erit. Ergo non potest esse quod anima separata potentias sensitivas amittat.

6. Si l’âme, lorsqu’elle est séparée du corps, perd la puissance sensible, il faut que cette puissance tombe dans le néant. En effet, on ne peut pas dire qu’elle est ramenée à la matière, puisqu’elle n’a pas la matière comme une de ses parties. Or, ce qui tombe entièrement dans le néant ne revient pas identique en nombre, comme on l’a dit plus haut. L’âme aura donc, lors de la résurrection, la même puissance sensible en nombre. Or, selon le Philosophe, le rapport entre l’âme et le corps est le même que celui des puissances aux parties du corps, comme la vue par rapport à l’œil. Si donc ce n’était pas la même âme qui revenait au corps, ce ne serait pas le même homme. Pour la même raison, ce ne serait donc pas le même œil en nombre, s’il ne possède pas la même puissance de vision en nombre. Pour la même raison, aucune partie ne ressusciterait identique en nombre et, par conséquent, l’homme entier ne sera pas le même en nombre. Il ne peut donc se faire que l’âme séparée perde ses puissances sensibles.

[21596] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 7 Praeterea, si potentiae sensitivae corrumperentur corrupto corpore, oporteret quod debilitato corpore debilitarentur. Hoc autem non contingit: quia, ut dicitur in 1 de anima: si senex accipiat oculum juvenis, videbit utique sicut et juvenis. Ergo nec corrupto corpore potentiae sensitivae corrumpentur.

7. Si les puissances sensibles étaient corrompues lorsque le corps est corrompu, il faudrait qu’elles soient affaiblies lorsque le corps est affaibli. Or, ce n’est pas le cas, car, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, I : « Si un vieillard reçoit l’œil d’un jeune, il verra comme un jeune. » Les puissances sensibles ne seront donc pas corrompues lorsque le corps sera corrompu.

[21597] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. de Eccl. dogmatibus dicit: duabus substantiis constat homo: anima tantum, et carne; anima cum ratione sua, et carne cum sensibus suis. Potentiae ergo sensitivae ad carnem pertinent. Ergo corrupta carne, in anima non manent potentiae sensitivae.

Cependant, [1] dans le livre Sur les enseignements de l’Église, Augustin dit : « L’homme est fait de deux substances : une âme seulement, et la chair ; l’âme avec sa raison, et la chair avec ses sens. » Les puissances sensibles sont donc en rapport avec la chair. Les puissances sensibles ne demeurent donc pas dans l’âme lorsque la chair se corrompt.

[21598] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus in 12 Met., de separatione animae loquens sic dicit: si autem aliquid remanet, in postremo quaerendum est de hoc: in quibusdam enim non est impossibile. Verbi gratia, si anima est talis dispositionis, non tota, sed intellectus (tota enim foret impossibile), quaerendum de hoc. Ex hoc videtur quod anima tota a corpore non separetur, sed solum potentiae intellectivae, non enim sensitivae vel vegetativae.

[2] Dans Métaphysique, XII, le Philosophe, en parlant de la séparation de l’âme, dit : « Finalement, il faut se demander si quelque chose demeure. En effet, pour certaines choses, cela n’est pas possible. Par exemple, si l’âme possède cette disposition, non pas tout entière, mais l’intellect (ce serait impossible pour l’âme entière), il faut s’interroger à ce sujet. » D’après cela, il semble que l’âme entière n’est pas séparée du corps, mais seulement les puissances intellectuelles, et non les puissances sensibles ou végétatives.

[21599] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, in 2 de anima, philosophus dicit de intellectu loquens: hoc solum contingit separari, ut perpetuum a corruptibili; reliquae autem partes animae manifestum est ex his quod non separabiles sunt, ut quidam dicunt. Ergo potentiae sensitivae non manent in anima separata.

[3] Dans Sur l’âme, II, le Philosophe dit en parlant de l’intellect : « Il arrive seulement que cela soit séparé, comme quelque chose de perpétuel de ce qui est corruptible. Pour les autres parties de l’âme, il est clair qu’elle ne sont pas séparables, comme certains le disent. » Les puissances sensibles ne demeurent donc pas dans l’âme séparée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les actes des puissances sensibles demeurent-ils aussi dans l’âme séparée ?]

[21600] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in anima separata remaneant etiam actus sensitivarum potentiarum. Dicit enim Augustinus in Lib. de spiritu et anima: anima recedens a corpore ex his, scilicet imaginatione, concupiscibilitate, irascibilitate, secundum merita afficitur ad delectationem sive ad dolorem. Sed imaginatio et concupiscibilis et irascibilis sunt sensitivae potentiae. Ergo secundum sensitivas potentias anima separata afficietur, et ita secundum eas in aliquo actu erit.

1. Il semble que les actes des puissances sensibles aussi demeurent dans l’âme séparée. En effet, dans le livre Sur l’esprit et l’âme, Augustin dit : « Lorsque l’âme s’éloigne du corps, elle est affectée pour le plaisir ou la douleur par ces choses (à savoir, l’imagination, le concupiscible et l’irascible). » Or, l’imagination, le concupiscible et l’irascible sont des puissances sensibles. L’âme séparée sera donc affectée par les puissances sensibles, et ainsi elle sera en acte selon elles.

[21601] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus super Genes. ad litteram, in Lib. 12, dicit, quod corpus non sentit, sed anima per corpus, et infra: quaedam autem anima, non corpus, immo sine corpore sentit: ut est timor, et hujusmodi. Sed illud quod animae sine corpore convenit, potest inesse animae a corpore separatae. Ergo tunc actu anima sentire poterit.

2. Dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII, Augustin dit que « le corps ne sent pas, mais l’âme par le corps », et plus loin : « L’âme sent certaines choses, et non le corps, bien plus, sans le corps. » Or, ce qui convient à l’âme sans le corps peut se trouver dans l’âme séparée du corps. L’âme pourra donc alors sentir en acte.

[21602] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, inspicere similitudines corporum, sicut in somnis accidit, ad visionem imaginativam pertinet, quae est in sensitiva parte. Sed hujusmodi similitudines corporum inspicere, sicut in somnis accidit, convenit animae separatae; unde Augustinus, 12 super Genes. ad litteram, sic dicit: neque enim video cur habeat anima similitudinem corporis sui cum, jacente sine sensu corpore, nondum tamen penitus mortuo, videt talia qualia multi ex illa subductione vivis redditi narraverunt; et non habeat, cum perfecta morte penitus de corpore exierit. Non enim hoc potest intelligi, quod anima similitudinem corporis habeat, nisi secundum quod eam inspicit; unde et praemisit de jacentibus sine sensu, quod gerunt quamdam similitudinem corporis sui, per quam possunt ad loca corporalia ferri, et falsa, qualia vident, similitudinibus sensuum experiri. Ergo anima separata potest exire in actum sensitivarum potentiarum.

3. Regarder des similitudes des corps, comme cela arrive dans les rêves, relève de la vision imaginative, qui est une partie sensible. Or, regarder ces similitudes des corps, comme cela arrive dans les rêves, convient à l’âme séparée. Aussi, dans son Commentaire littéral de la Genèse, XII, Augustin dit-il : « En effet, je ne vois pas pourquoi l’âme a une similitude de son corps, lorsque le corps repose sans le sens, alors que, le corps n’étant pas encore entièrement mort, elle voit ce que beaucoup ont raconté, une fois qu’ils sont revenus parmi les vivants après avoir échappé [à la mort] et que [l’âme] n’aurait pas [ces similitudes], lorsqu’elle est complètement sortie du corps, une fois la mort survenue. » En effet, on ne peut comprendre que l’âme ait une similitude du corps, si ce n’est qu’elle la regarde ; aussi a-t-il d’abord dit de ceux qui reposent sans le sens, qu’ils ont une certaine similitude de leur corps, par laquelle ils peuvent être portés vers des lieux corporels, dont ils font l’expérience qu’ils sont faux, lorsqu’ils les voient par des similitudes des sens. L’âme séparée peut donc passer à l’acte des puissances sensibles.

[21603] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, memoria est potentia sensitivae partis, ut probatur in Lib. de memoria et reminiscentia. Sed animae separatae actu memorabuntur eorum quae in hoc mundo gesserunt: unde et diviti epuloni dicitur Luc. 16, 25: recordare quia recepisti bona in vita tua. Ergo anima separata exibit in actum potentiae sensitivae.

4. La mémoire est une puissance de la partie sensible, comme cela est démontré dans le livre Sur la mémoire et la réminiscence. Or, les âmes séparées se souviendront en acte de ce qu’elles ont fait en ce monde, et il est dit au convive riche dans Lc 16, 25 : Rappelle-toi les biens que tu as reçus durant ta vie. L’âme séparée passera donc à l’acte d’une puissance sensible.

[21604] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 3 de anima, irascibilis et concupiscibilis sunt in parte sensitiva. Sed in irascibili et concupiscibili sunt gaudium et tristitia, amor et odium, timor et spes, et hujusmodi affectiones, quas secundum fidem nostram ponimus in animabus separatis. Ergo animae separatae non carebunt actibus sensitivarum potentiarum.

5. Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, III, l’irascible et le concupiscible se trouvent dans la partie sensible. Or, la joie et la tristesse, l’amour et la haine, la crainte et l’espoir, et les affections de ce genre, existent dans l’irascible et le concupiscible, et, selon notre foi, nous affirmons qu’elles existent dans les âmes séparées. Les actes des puissances sensibles ne feront donc pas défaut aux âmes séparées.

[21605] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud quod est commune animae et corpori, non potest remanere in anima separata. Sed omnes operationes potentiarum sensitivarum sunt communes animae et corpori; quod patet ex hoc quod nulla potentia sensitiva aliquem actum habet nisi per organum corporale. Ergo anima separata carebit actibus sensitivarum potentiarum.

Cependant, [1] ce qui est commun à l’âme et au corps ne peut demeurer dans l’âme séparée. Or, toutes les opérations des puissances sensibles sont communes à l’âme et au corps, ce qui ressort du fait qu’aucune puissance sensible n’agit que par un organe corporel. Les actes des puissances sensibles feront donc défaut à l’âme séparée.

[21606] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in Lib. de anima: corrupto corpore, anima neque reminiscitur neque amat; et eadem ratio est de omnibus aliis actibus sensitivarum potentiarum. Ergo non procedit anima separata in aliquem actum alicujus potentiae sensitivae.

[2] Dans le livre Sur l’âme, le Philosophe dit : « Lorsque le corps est corrompu, l’âme ne se souvient pas et n’aime pas. » Le raisonnement est le même pour tous les autres actes des puissances sensibles. L’âme séparée ne passe donc pas à l’acte d’une puissance sensible.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’âme séparée peut-elle souffrir du feu corporel ?]

[21607] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima separata pati non possit ab igne corporeo. Augustinus enim, 12 super Genes. ad litteram, dicit: non sunt corporalia, sed corporalibus similia, quibus animae corporibus exutae afficiuntur seu bene seu male. Ergo anima separata igne corporeo non punitur.

1. Il semble que l’âme séparée ne puisse souffrir du feu corporel. En effet, Augustin dit dans le Commentaire littéral sur la Genèse, XII : « Ce ne sont pas des choses corporelles mais des choses semblables à des réalités corporelles qui affectent en bien ou en mal les âmes sorties du corps. » L’âme séparée n’est donc pas punie par le feu corporel.

[21608] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus in eodem Lib., dicit, quod agens semper est nobilius patiente. Sed impossibile est aliquod corporeum esse nobilius anima separata. Ergo non potest ab aliquo corpore pati.

2. Dans le même livre, Augustin dit que l’agent est toujours plus noble que le patient. Or, il est impossible que quelque chose de corporel soit plus noble que l’âme séparée. Elle ne peut donc pas souffrir par un corps.

[21609] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 1 de generatione, et secundum Boetium in Lib. de duabus naturis, illa solum agunt et patiuntur ad invicem quae in materia communicant. Sed anima et ignis corporeus non communicant in materia: quia spiritualium et corporalium non est materia communis: unde nec possunt invicem transmutari, ut Boetius in eodem Lib. dicit. Ergo anima separata ab igne corporeo non patitur.

3. Selon le Philosophe, dans Sur la génération, I, et selon Boèce, dans le livre Sur les deux natures, seules agissent et subissent réciproquement les choses qui ont la matière en commun. Or, l’âme et le feu corporel n’ont pas de matière en commun, car il n’y a pas de matière commune pour les réalités spirituelles et les réalités corporelles. Elles ne peuvent donc pas être changées réciproquement, comme le dit Boèce dans le même livre. L’âme séparée ne souffre donc pas du feu corporel.

[21610] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod patitur recipit aliquid ab agente. Si ergo anima patiatur ab igne corporeo, aliquid ab eo recipiet. Sed omne quod recipitur in aliquo, est in eo per modum recipientis. Ergo quod recipitur ab igne in anima, non est in ea materialiter, sed spiritualiter. Sed formae rerum in anima spiritualiter existentes sunt perfectiones ipsius. Ergo etsi ponatur quod anima patiatur ab igne corporeo, hoc non erit in ejus poenam; sed magis in ejus perfectionem.

4. Tout ce qui subit reçoit quelque chose de l’agent. Si donc l’âme souffre du feu corporel, elle en recevra quelque chose. Or, tout ce qui est reçu dans quelque chose y existe selon le mode de ce qui reçoit. Ce qui est reçu du feu dans l’âme n’existe donc pas en elle de manière matérielle, mais de manière spirituelle. Or, les formes des choses qui existent dans l’âme de manière spirituelle sont ses perfections. Même si on affirme que l’âme subit le feu corporel, ce ne sera donc pas en tant que peine pour elle, mais plutôt en tant que sa perfection.

[21611] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 5 Si dicatur, quod hoc ipso anima punitur ab igne quod ignem videt, ut videtur dicere Gregorius in 4 Dialog.: contra. Si anima videt ignem Inferni, non potest videre nisi visione intellectuali, cum non habeat organa quibus visio sensitiva vel imaginaria perficitur. Sed visio intellectualis non videtur quod possit esse causa tristitiae: delectationi enim quae est in considerando, non est tristitia contraria, secundum philosophum. Ergo ex tali visione anima non punitur.

5. L’âme est punie par le feu du fait même qu’elle voit le feu, comme Grégoire semble le dire dans les Dialogues, IV. Par contre, si l’âme voit le feu de l’enfer, elle ne peut le voir que selon une vision intellectuelle, puisqu’elle n’a pas d’organes par lesquels la vision sensible ou imaginaire est réalisée. Or, il ne semble pas que la vision intellectuelle puisse être cause de tristesse. En effet, la tristesse n’est pas contraire au plaisir qu’il y a à regarder, selon le Philosophe. L’âme n’est donc pas punie par une telle vision.

[21612] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 6 Si dicatur, quod anima patitur ab igne corporeo, quia tenetur ab eo, sicut nunc tenetur a corpore, dum in corpore vivit; contra. Anima dum in corpore vivit, tenetur a corpore inquantum ex ea et corpore fit unum, sicut ex materia et forma. Sed anima non erit forma illius ignis corporei. Ergo supra dicto modo non poterit ab illo igne teneri.

6. L’âme souffre du feu corporel parce qu’elle est retenue par lui, comme elle est maintenant retenue par le corps pendant qu’elle vit dans le corps. Par contre, pendant que l’âme vit dans le corps, elle est retenue par le corps en tant que ce qui est issu du corps et de l’âme est une seule chose, comme ce qui est issu de la matière et de la forme. Or, l’âme ne sera pas la forme de ce feu corporel. Elle ne pourra donc pas être retenue par le feu de la manière indiquée plus haut.

[21613] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 7 Praeterea, omne agens corporeum agit per contactum. Sed non potest esse aliquis contactus animae et ignis corporei: quia contactus fit solum inter corpora quae habent ultima simul. Ergo anima ab igne corporeo non patitur.

7. Tout agent corporel agit par contact. Or, il ne peut exister aucun contact entre l’âme et le feu corporel, car le contact ne peut se produire qu’entre des corps dont les extrémités se trouvent ensemble. L’âme ne souffre donc pas du feu corporel.

[21614] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 8 Praeterea, agens organicum non agit in remota nisi per hoc quod agit in media: unde per determinatam distantiam agere potest proportionatam suae virtuti. Sed animae, vel ad minus Daemones, de quibus est eadem ratio, quandoque sunt extra locum Inferni, quandoque etiam in hoc mundo hominibus apparent, nec tamen a poena sunt immunes: sicut enim gloria sanctorum nunquam interrumpitur, ita nec poena damnatorum: nec tamen videmus quod omnia intermedia ab igne Inferni patiantur: nec iterum est credibile aliquid corporeum de natura elementi esse tantae virtutis ut ad tantam distantiam actionem suam diffundat. Ergo non videtur quod poenas quas animae damnatorum sustinent, ab igne corporeo patiantur.

8. Un agent organique n’agit sur les choses éloignées que parce qu’il agit sur les intermédiaires ; aussi peut-il agir sur une certaine distance proportionnée à sa puissance. Or, les âmes, ou tout au moins les démons, pour lesquels le raisonnement est le même, se trouvent parfois en dehors du lieu de l’enfer, et parfois aussi ils apparaissent aux hommes dans ce monde, et ils ne sont pas exempts de peine. En effet, de même que la gloire des saints n’est jamais interrompue, de même en est-il de la peine des damnés. Cependant, nous voyons que tous les intermédiaires subissent le feu de l’enfer. Il n’est pas non plus crédible que quelque chose de corporel ayant la nature d’un élément ait une telle puissance, que cela puisse étendre son action jusqu’à une si grande distance. Il ne semble donc pas que les peines que les âmes des damnés supportent, elles les subissent à cause du feu corporel.

[21615] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, eadem est ratio in animabus separatis et Daemonibus, quod ab igne corporeo pati possint. Sed Daemones ab eo patiuntur, cum puniantur ab illo igne in quem corpora damnatorum projicientur post resurrectionem, quem oportet esse corporeum; et hoc patet ex sententia domini, Matth. 25, 41: ite maledicti in ignem aeternum, qui paratus est Diabolo, et Angelis ejus. Ergo et animae separatae igne corporeo pati possunt.

Cependant, [1] c’est pour la même raison que les âmes séparées et les démons peuvent subir le feu corporel. Or, les démons en souffrent lorsqu’ils sont punis par le feu dans lequel les corps des damnés seront jetés après la résurrection, qui doit donc être corporel. Et cela ressort de ce que dit le Seigneur, Mt 25, 41 : Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le Diable et ses anges. Les âmes séparées aussi peuvent donc souffrir du feu corporel.

[21616] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, poena debet respondere culpae. Sed anima per culpam corpori se subjecit per pravam concupiscentiam. Ergo justum est ut in poena rei corporeae subjiciatur per passionem.

[2] La peine doit correspondre à la faute. Or, l’âme s’est soumise au corps par la faute en raison d’une concupiscence mauvaise. Il est donc juste qu’elle soit soumise par la souffrance à titre de peine à une chose corporelle.

[21617] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, major est unio formae ad materiam quam agentis ad patiens. Sed diversitas naturae spiritualis et corporalis non impedit quin anima sit forma corporis. Ergo non impedit quin possit a corpore pati.

[3] L’union de la forme à la matière est plus grande que celle de l’agent et du patient. Or, la différence entre la nature spirituelle et la corporelle n’empêche pas que l’âme soit la forme du corps. Elle n’empêche donc pas qu’elle puisse souffrir à cause du corps.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21618] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc est multiplex opinio. Quidam enim aestimantes potentias omnes esse in anima ad modum quo color est in corpore, dicunt, quod anima a corpore separata omnes suas potentias secum trahit. Si enim aliqua ei deesset, oporteret animam transmutatam esse secundum naturales proprietates, quae subjecto manente non possunt variari. Sed dicta aestimatio falsa est. Cum enim potentia sit secundum quam potentes dicimur agere vel pati; ejusdem autem sit agere et posse agere; oportet quod ejusdem sit potentia, sicut subjecti, quod est agens vel patiens. Unde philosophus, in principio de somno et Vigil., dicit, quod cujus est potentia, ejus est actio. Videmus autem manifeste quasdam operationes, quarum potentiae animae sunt principia, non esse animae, proprie loquendo, sed conjuncti, quia non explentur nisi mediante corpore, ut videre, audire, et hujusmodi; unde oportet quod istae potentiae sint conjuncti sicut subjecti, animae autem sicut principii influentis, sicut forma est principium proprietatum compositi. Quaedam vero operationes exercentur ab anima sine organo corporali, ut intelligere, considerare, et velle; unde cum hae actiones sint animae propriae; et potentiae quae sunt harum principia, non solum erunt animae ut principii, sed ut subjecti. Quia ergo manente proprio subjecto manere oportet et proprias passiones, et corrupto eo corrumpi, oportet illas potentias quae in suis actibus non utuntur organo corporali, remanere in anima separata; illas autem quae utuntur, corrumpi corpore corrupto; et hujusmodi sunt potentiae omnes quae pertinent ad animam sensibilem et vegetabilem. Et propter hoc quidam potentias animae sensibiles distinguunt: dicunt enim, has esse duplices: quasdam quae sunt actus organorum quae sunt ab anima refluxae in corpus; et hae cum corpore corrumpuntur: quasdam vero originales harum quae sunt in anima, quia per eas anima corpus sensificat ad videndum et audiendum, et ad hujusmodi; et hae originales potentiae manent in anima separata. Sed hoc non videtur convenienter dici. Anima enim per suam essentiam, non mediantibus aliquibus aliis potentiis, est origo illarum potentiarum quae sunt actus organorum; sicut et forma quaelibet ex hoc ipso quod per essentiam suam materiam informat, est origo proprietatum quae compositum naturaliter consequuntur. Si enim oporteret in anima ponere alias potentias quibus mediantibus potentiae quae organa perficiunt, ab essentia animae effluerent; eadem ratione oporteret ponere alias potentias, quibus mediantibus ab essentia animae effluerent illae mediae potentiae, et sic in infinitum: si enim statur alicubi, melius est ut in primo stetur. Unde alii dicunt, quod potentiae sensitivae et aliae similes non manent in anima separata nisi secundum quid, scilicet ut in radice, per modum scilicet quo principiata sunt in principiis suis. In anima enim separata manet efficacia influendi iterum hujusmodi potentias, si corpori uniatur. Nec oportet hanc efficaciam esse aliquid superadditum ipsi essentiae animae, ut dictum est. Et haec opinio videtur magis rationabilis.

À ce sujet, il existe plusieurs opinions. En effet, certains, estimant que toutes les puissances existent dans l’âme à la manière dont la couleur existe dans un corps, disent que l’âme séparée du corps emporte avec elle toutes ses puissances. En effet, si l’une lui faisait défaut, il faudrait que l’âme ait été changée dans ses propriétés naturelles, qui ne peuvent changer alors que le sujet demeure. Mais cette opinion est fausse. En effet, puisqu’une puissance existe selon que nous sommes dits capables d’agir ou de subir, et qu’il relève du même d’agir ou de pouvoir agir, il faut donc que le même qui est agent ou patient ait la puissance d’agir et en soit le sujet. Aussi, au début de Sur le sommeil et la veille, le Philosophe dit-il que l’action relève du même à qui appartient la puissance. Or, nous voyons manifestement que certaines opérations, dont les puissances de l’âme sont les principes, ne sont pas à proprement parler le fait de l’âme, mais le fait du composé, car elles ne sont accomplies que par l’intermédiaire du corps, comme voir, entendre et celles de ce genre. Il faut donc que ces puissances soient le fait du composé comme sujet, mais de l’âme comme principe agissant, comme la forme est le principe des propriétés du composé. Mais certaines opérations seront exercées par l’âme sans organe corporel, comme comprendre, considérer et vouloir. Puisque ces actions sont en propre le fait de l’âme, les puissances qui en sont les principes ne relèveront donc pas seulement de l’âme comme de leur principe, mais comme de leur sujet. Puisqu’il faut que les passions propres demeurent tant que demeure le sujet, et qu’elles soient corrompues lorsque celui-ci est corrompu, il faut donc que les puissances qui n’utilisent pas d’organe corporel dans leurs actes demeurent dans l’âme séparée ; mais [il faut que] celles qui en utilisent soient corrompues lorsque le corps est corrompu. Telles sont toutes les puissances qui relèvent de l’âme sensible et végétative. Pour cette raison, certains font une distinction entre les puissances sensibles de l’âme. En effet, ils disent qu’elles sont de deux sortes. Certaines sont des actes des organes, qui refluent vers sur le corps : celles-ci sont corrompues avec le corps. Mais certaines sont à l’origine de celles qui se trouvent dans l’âme, car, par elles, l’âme rend le corps sensible pour voir et entendre, et pour les choses de ce genre : ces puissances qui sont à l’origine [de ces actes] demeurent dans l’âme séparée. Mais cela ne semble pas être exprimé correctement. En effet, l’âme, par son essence et non par l’intermédiaire d’autres puissances, est à l’origine des puissances qui sont des actes des organes, comme toute forme ; ainsi, par le fait même que n’importe quelle forme donne forme par son essence à sa matière, elle est l’origine des propriétés qui découlent naturellement du composé. En effet, s’il fallait affirmer dans l’âme que d’autres puissances par l’intermédiaire desquelles les puissances qui perfectionnent les organes découlent de l’essence de l’âme, pour la même raison, il faudrait affirmer d’autres puissances par l’intermédiaire desquelles ces puissances intermédiaires découlent de l’essence de l’âme, et ainsi jusqu’à l’infini. En effet, si l’on s’arrête quelque part, mieux vaut s’arrêter au point de départ. C’est pourquoi d’autres disent que les puissances sensibles et les autres semblables ne demeurent dans l’âme que sous un aspect : dans leur racine, à la manière dont elles tirent leur origine de leurs principes. En effet, dans l’âme séparée, demeure la capacité d’agir à nouveau sur ces puissances, si elle est unie au corps. Et il n’est pas nécessaire que cette capacité soit quelque chose d’ajouté à l’essence de l’âme, comme on l’a dit. Cette opinion paraît donc la plus raisonnable.

[21619] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Augustini intelligendum est, quod anima secum trahat quasdam illarum potentiarum in actu, scilicet intelligentiam et intellectum; quasdam vero radicaliter, ut dictum est.

1. Par cette parole d’Augustin, on doit comprendre que l’âme emporte avec elle certaines de ces puissances en acte, à savoir, l’intelligence et l’intellect, mais certaines autres dans leur racine, comme on l’a dit.

[21620] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sensus quos anima secum trahit, non sunt isti exteriores sensus, sed interiores, qui scilicet ad partem intellectivam pertinent; quia intellectus interdum sensus appellatur, ut patet per Basilium super proverbia, et per philosophum in 6 Ethic. Vel si intelligit de sensibus exterioribus, dicendum sicut ad primum.

2. Les sens que l’âme emporte avec elle ne sont pas les sens extérieurs, mais les sens intérieurs, qui relèvent de la partie intellective, car l’intellect est parfois appelé sens, comme cela ressort de ce que dit Basile des Proverbes, et de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI. Ou si l’on dit qu’il s’agit des sens extérieurs, il faut dire la même chose que du premier argument.

[21621] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut jam ex dictis patet, potentiae sensitivae non comparantur ad animam sicut naturales passiones ad subjectum, sed sicut ad originem; unde ratio non procedit.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, les puissances sensibles ne se comparent pas à l’âme comme des passions naturelles à leur sujet, mais comme à leur origine. L’argument n’est donc pas concluant.

[21622] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod potentiae animae dicuntur partes ejus potentiales. Talium autem totorum ista est natura, quod tota virtus totius consistit in una partium perfecte, in aliis autem partialiter; sicut in anima virtus animae perfecte consistit in parte intellectiva, in aliis autem partialiter. Unde cum in anima separata remaneant vires intellectivae partis, integra remanebit, non diminuta, quamvis sensitivae potentiae actu non remaneant; sicut nec potentia regis remanet diminuta mortuo praeposito, qui ejus potentiam participabat.

4. Les puissances de l’âme sont appelées ses parties potentielles. Or, la nature de ces touts est telle que la puissance entière du tout se trouve dans une des parties d’une manière parfaite ; mais, dans les autres, elle se trouve d’une manière partielle, comme dans le cas de l’âme, la puissance de l’âme se trouve de manière parfaite dans la partie intellective, mais, dans les autres parties, de manière partielle. Puisque les puissances de la partie intellective demeurent dans l’âme séparée, elle demeurera donc intacte, et non pas diminuée, bien que les puissances sensibles en acte ne demeurent pas, de la même manière que la puissance d’un roi n’est pas diminuée lorsque le prévôt meurt, lequel participait à son pouvoir.

[21623] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod opus cooperatur ad meritum quasi pars essentialis hominis qui meretur; sic autem non cooperantur potentiae sensitivae, cum sint de genere accidentium; et ideo non est simile.

5. L’action coopère au mérite comme une partie essentielle de l’homme qui mérite. Mais les puissances sensibles ne coopèrent pas ainsi, puiqu’elles sont du genre des accidents. Ce n’est donc pas la même chose.

[21624] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod potentiae animae sensitivae non dicuntur esse actus organorum quasi formae essentiales ipsorum, nisi ratione animae cujus sunt; sed sunt actus eorum sicut perficientes ea ad proprias operationes, sicut calor est actus ignis perficiens ipsum ad calefaciendum: unde sicut idem ignis numero remaneret, etiam si alius numero calor in eo esset, sicut patet de frigore aquae, quod non redit idem numero postquam fuerit calefacta, aqua nihilominus eadem numero manente; ita et organa erunt eadem numero, quamvis potentiae eaedem numero non sint.

6. On ne dit pas que les puissances de l’âme sensible sont des actes des organes comme leurs formes essentielles, si ce n’est en raison de l’âme à laquelle elle appartiennent ; mais elles sont leurs actes en tant qu’elles les perfectionnent en vue de leurs opérations propres, comme la chaleur est l’acte du feu qui le perfectionne en vue de réchauffer. De même que le feu demeurerait le même en nombre, même si un autre feu identique en nombre se trouvait en lui, comme cela ressort de la froideur de l’eau qui ne redevient pas identique en nombre après avoir été réchauffée, alors que l’eau demeure la même en nombre, de même les organes seront-ils les mêmes en nombre, bien que les puissances ne soient pas les mêmes en nombre.

[21625] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod philosophus loquitur de hujusmodi potentiis secundum quod radicaliter in anima consistunt; quod patet ex hoc quod dicit, quod senium non est in patiendo animam, sed id in quo est, scilicet corpus; sic enim propter corpus neque debilitantur neque corrumpuntur animae virtutes.

7. Le Philosophe parle des puissances qui se trouvent dans l’âme comme dans leur racine. Cela ressort du fait qu’il dit que « la vieillesse n’est pas subie par l’âme, mais ce en quoi elle se trouve », à savoir, le corps. En effet, les puissances de l’âme ne sont pas ainsi affaiblies ni corrompues à cause du corps.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21626] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam distinguunt duplices actus sensitivarum potentiarum; quosdam exteriores, quos per corpus exercet; et hi non remanent in anima separata; quosdam vero intrinsecos, quos anima per seipsam exercet; et hi erunt in anima separata. Haec autem positio descendere videtur ab opinione Platonis, qui ponit animam corpori conjungi sicut quamdam substantiam perfectam, in nullo a corpore dependentem, sed solum sicut motorem mobili; quod patet ex transcorporatione quam ponebat. Quia autem secundum ipsum nihil movebat nisi motum, et ne abiretur in infinitum, dicebat quod primum movens movet seipsum, posuit quod anima erat se ipsam movens; et secundum hoc erat duplex motus animae; unus quo movebatur a seipsa, alius quo movebatur corpus ab ea; et sic anima habebat actum qui est videre, primo in se ipsa, secundum quod movebat seipsam, et secundo in organo corporali, secundum quod movebat corpus. Hanc autem positionem philosophus destruit in 1 de anima, ostendens quod anima non movet seipsam, et quod nullo modo movetur secundum istas operationes quae sunt videre, sentire, et hujusmodi, sed quod istae operationes sunt motus conjuncti tantum. Unde oportet dicere, quod actus sensitivarum potentiarum nullo modo maneant in anima separata, nisi forte sicut in radice remota.

Certains font une distinction entre deux actes des puissances sensibles : les actes extérieurs, qu’elle exerce par le corps, et ceux-ci ne demeurent pas dans l’âme séparée ; les actes intérieurs, que l’âme exerce par elle-même, et ceux-ci se trouveront dans l’âme séparée. Mais cette opinion semble provenir de l’opinion de Platon, qui affirme que l’âme est unie au corps comme une substance parfaite, ne dépendant en rien du corps, mais ayant seulement [avec lui] le rapport de moteur à mobile. Cela ressort dans la transmigration qu’il affirmait. Parce que, selon lui, rien ne mouvait que ce qui est mû et, pour qu’on ne remonte pas à l’infini, il disait que le premier moteur se meut lui-même, il affirmait que l’âme se mouvait elle-même. Il y avait ainsi un double mouvement de l’âme : l’un par lequel elle était mue par elle-même ; l’autre par lequel le corps était mû par elle. Ainsi, l’âme possédait l’acte de voir, en premier lieu, en elle-même, selon qu’elle se mouvait elle-même, et, en second lieu, dans un organe corporel, selon qu’elle mouvait le corps. Mais le Philosophe démolit cette position dans Sur l’âme, I, en montrant que l’âme ne se meut pas elle-même et qu’elle n’est d’aucune manière mue selon les opérations que sont voir, sentir et les choses de ce genre, mais que ces opérations sont des mouvements du composé seulement. Il faut donc dire que les actes des puissances sensibles ne demeurent d’aucune manière dans l’âme séparée, si ce n’est dans leur racine éloignée.

[21627] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod liber ille negatur a quibusdam esse Augustini; dicitur enim fuisse cujusdam Cisterciensis qui eum ex dictis Augustini compilavit, et quaedam de suo addidit; unde quod ibi scribitur, pro auctoritate habendum non est. Si tamen auctoritas debeat sustineri, dicendum, quod non debet intelligi quod anima separata, ex imaginatione et aliis hujusmodi potentiis afficiatur, quasi ipsa affectio sit actus praedictarum potentiarum; sed quia ex his quae anima per imaginationem et alias hujusmodi potentias commisit in corpore, in futuro afficietur vel in bonum vel in malum; ut sic imaginatio et hujusmodi potentiae non intelligantur elicere illam affectionem, sed elicuisse in corpore meritum affectionis illius.

1. Certains nient que ce livre soit d’Augustin. En effet, on dit que l’auteur en a été un cistercien, qui l’a compilé à partir de ce qu’Augustin a dit, et qu’il y a ajouté du sien. Aussi ce qui y est écrit ne doit-il pas être considéré comme une autorité. Mais si on doit le prendre comme une autorité, il faut dire qu’on ne doit pas comprendre que l’âme séparée est affectée par l’imagination et par les autres puissances de ce genre, comme si cette affection était un acte des puissances des puissances indiquées, mais parce que, en raison de ce que l’âme a accompli dans le corps par l’imagination et les autres puisances de ce genre, elle sera affectée à l’avenir en bien ou en mal, de sorte qu’on ne comprend pas que l’imagination et les puissances de ce genre soient à l’origine de cette affection, mais qu’elle ait été à l’origine, dans le corps, du mérite de cette affection.

[21628] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima dicitur sentire per corpus, non quasi actus sentiendi sit animae secundum se, sed quia est totius conjuncti ratione animae, eo modo loquendi quo dicimus, quod calor calefaciat. Quod autem subjungitur, quod quaedam anima sentit sine corpore, ut timorem, et hujusmodi, intelligendum est sine exteriori corporis motu, qui accidit in actibus sensuum propriorum: non enim timor et hujusmodi passiones sine motu corporali contingunt. Vel potest dici quod Augustinus loquitur secundum opinionem Platonicorum, qui hoc ponebant, ut dictum est.

2. On dit que l’âme sent par le corps, non pas que l’acte de sentir soit le fait de l’âme par elle-même, mais parce qu’il est le fait de tout le composé en raison de l’âme, de la manière dont nous disons que la chaleur réchauffe. Ce qui est ajouté, qu’une âme sent sans le corps, comme la crainte et les choses de ce genre, doit s’entendre selon que [cela se produit] sans le mouvement extérieur du corps, qui se produit dans les actes des sens propres. En effet, la crainte et les passions de ce genre ne se produisent pas sans mouvement corporel. Ou bien l’on peut dire qu’Augustin parle selon l’opinion des platoniciens, qui affirmaient cela, comme on l’a dit.

[21629] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus ibi inquirendo loquitur, non determinando, sicut fere per totum illum librum. Patet enim quod non est similis ratio de anima dormientis, et de anima separata. Anima enim dormientis utitur organo imaginationis, in qua corporales similitudines imprimuntur, quod de anima separata dici non potest. Vel dicendum, quod similitudines rerum sunt in anima et quantum ad potentiam sensitivam et imaginativam et intellectivam, secundum majorem et minorem abstractionem a materia et materialibus conditionibus. Tenet ergo similitudo Augustini quantum ad hoc quod sicut similitudines rerum corporalium sunt in anima somniantis, vel excessum mentis patientis, imaginaliter; ita sunt in anima separata intellectualiter; non autem quod in anima separata sint imaginaliter.

3. Augustin parle là en s’interrogeant, et non en déterminant, comme dans presque la totalité de ce livre. En effet, il est clair que le raisonnement qui porte sur l’âme de celui qui dort n’est pas le même que celui qui porte sur l’âme séparée. En effet, l’âme de celui qui dort utilise l’organe de l’imagination, dans laquelle les similitudes corporelles sont imprimées, ce qu’on ne peut pas dire de l’âme séparée. Ou bien il faut dire que les similitudes des choses existent dans l’âme, pour ce qui est de la puissance sensible, imaginative ou intellective, selon une abstraction de la matière et des conditions matérielles plus ou moins grande. Sur ce point, la comparaison d’Augustin s’en tient donc à ce que, de même que les similitudes des choses corporelles se trouvent dans l’âme de celui qui rêve ou de celui qui éprouve une extase [excessus mentis], de même existent-elles de manière intellectuelle dans l’âme séparée, sans que pour autant elles existent à la manière de l’imagination dans l’âme séparée.

[21630] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in 1 Lib., dist. 3, quaest. 4, art. 1, ad 2, dictum est, memoria dupliciter sumitur. Quandoque prout est potentia sensitivae partis: secundum scilicet quod concernit praeteritum tempus; et hoc modo actus memoriae in anima separata non erit; unde dicit philosophus in 1 de anima, quod hoc corrupto, scilicet corpore, anima non reminiscitur. Alio modo, accipitur memoria prout est pars imaginationis ad intellectivam partem pertinens, secundum scilicet quod ab omni differentia temporis abstrahit, cum non sit tantum praeteritorum, sed etiam praesentium et futurorum, ut Augustinus dicit; et secundum hanc memoriam anima separata memorabitur.

4. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 3, q. 4, a. 1, ad 2, on parle de la mémoire de deux manières. Parfois, comme d’une puissance de la partie sensible, en tant qu’elle concerne le temps passé. De cette manière, l’acte de la mémoire ne se trouvera pas dans l’âme séparée. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur l’âme, I, qu’une fois celui-ci corrompu, à savoir, le corps, l’âme ne se souvient pas. D’une autre manière, on parle de la mémoire comme d’une partie de l’imagination qui se rapporte à la partie intellectuelle, en tant qu’elle abstrait de toute différence de temps, puisqu’elle ne porte pas seulement sur les choses passées, mais aussi sur les choses présentes et futures, comme le dit Augustin. Selon cette mémoire, l’âme séparée se souviendra.

[21631] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut in 3 Lib., distinct. 26, quaest. 1, artic. 2, dictum est, amOr gaudium et tristitia et hujusmodi, dupliciter accipiuntur. Quandoque quidem secundum quod sunt passiones appetitivae sensibilis; et sic non erunt in anima separata: hoc enim modo non explentur sine determinato motu cordis. Alio modo secundum quod sunt actus voluntatis, quae est in parte intellectiva; et hoc modo erunt in anima separata, sicut et delectationem, quae quodammodo est passio sensitivae partis; secundum alium modum accipiendi ponit philosophus de Deo, dicens in 7 Ethic., quod Deus una simplici operatione gaudet.

5. Comme on l’a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 2, l’amour, la joie, la tristesse et les choses de ce genre s’entendent de deux manières. Parfois, selon qu’ils sont des passions de l’appétit sensible : ils n’existeront pas de cette manière dans l’âme séparée. En effet, de cette manière, ils ne se réalisent pas sans un mouvement déterminé du cœur. D’une autre manière, selon qu’ils sont des actes de la volonté, qui se trouve dans la partie intellective. De cette manière, ils se trouveront dans l’âme séparée, comme aussi la délectation, qui est d’une certaine manière une passion de la partie sensible. Le Philosophe propose une autre manière de l’entendre de Dieu lorsqu’il dit, dans Éthique, VII, que Dieu se réjouit par une seule opération simple.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21632] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod supposito, ex praedictis, quod ignis Inferni non sit metaphorice dictus, nec ignis imaginarius, sed verus ignis corporeus; oportet dicere, quod anima ab igne corporeo poenas patietur, cum dominus ignem illum Diabolo et Angelis ejus paratum esse dicat Matth. 25, qui sunt incorporei, sicut et illa. Sed quomodo pati possit, multipliciter assignatur. Quidam enim dixerunt, quod hoc ipsum quod est ignem videre, sit animam ab igne pati; unde Gregorius in 4 Dial. dicit: ignem eo ipso patitur anima quo videt. Sed istud non videtur sufficere; quia quodlibet visum ex hoc quod videtur, est perfectio videntis; unde non potest in ejus poenam cedere inquantum est visus; sed quandoque est punitivum vel contristans per accidens, inquantum scilicet apprehenditur ut nocivum; unde oportet quod praeter hoc quod anima illum ignem videt, sit aliqua comparatio animae ad idem, secundum quam ignis animae noceat. Unde alii dixerunt, quod quamvis ignis corporeus non possit animam exurere, tamen anima apprehendit ipsum ut nocivum sibi; et ad talem apprehensionem afficitur timore et dolore, ut in eis impleatur quod dicitur Psalm. 13, 5: trepidaverunt timore, ubi non erat timor. Unde Gregorius in 4 Dialog. dicit, quod quia anima cremari se conspicit, crematur. Sed hoc iterum non videtur sufficere; quia secundum hoc passio animae ab igne non esset secundum rei veritatem, sed secundum apparentiam tantum: quamvis enim possit esse vera passio tristitiae vel doloris ex aliqua falsa imaginatione, ut Augustinus dicit 12 super Genes. ad litteram; non tamen potest dici quod secundum illam passionem vere patiatur a re, sed a similitudine rei quam concipit. Et iterum iste modus passionis magis recederet a reali passione quam ille qui ponitur per imaginarias visiones; cum ille dicatur per veras imagines rerum esse, quas anima secum defert; iste autem per falsas conceptiones quas anima errans fingit. Et iterum non est probabile quod animae separatae, vel Daemones, qui subtilitate ingenii pollent, putarent ignem corporeum sibi nocere posse, si ab eo nullatenus gravarentur. Unde alii dicunt, quod oportet ponere animam etiam realiter ab igne corporeo pati; unde etiam Gregorius in 4 Dial. dicit: colligere ex dictis evangelicis possumus quia incendium anima non solum videndo, sed etiam experiendo patiatur. Sed hoc tali modo fieri ponunt. Dicunt enim, quod ignis ille corporeus potest considerari dupliciter. Uno modo secundum quod est res quaedam corporea; et hoc modo non habet quod in animam agere possit; alio modo secundum quod est instrumentum divinae justitiae vindicantis; hoc enim divinae justitiae ordo exigit ut anima quae peccando se rebus corporalibus subdit, eis etiam in poenam subdatur. Instrumentum autem non solum agit in virtute propria, sed etiam in virtute principalis agentis, ut supra, dist. 1, quaest. 1, art. 4, dictum est; et ita non est inconveniens, si ignis ille, cum agat in vi spiritualis agentis, in spiritum agat hominis vel Daemonis, per modum etiam quo de sacramentis dictum est, dist. 1, quod animam sanctificant. Sed istud etiam non videtur sufficere: quia omne instrumentum in id circa quod instrumentaliter operatur, habet propriam actionem sibi connaturalem, et non solum actionem secundum quam agit in virtute principalis agentis; immo exercendo primam actionem oportet quod efficiat hanc secundam; sicut aqua lavando corpus in Baptismo sanctificat animam, et sera secando lignum perducit ad formam domus. Unde oportet dare igni aliquam actionem in animam quae sit ei connaturalis ad hoc quod sit instrumentum divinae justitiae peccata vindicantis. Et ideo dicendum, quod corpus in spiritum naturaliter agere non potest, nec ei aliquo modo obesse vel ipsum gravare, nisi secundum quod aliquo modo corpori unitur; sic enim invenimus quod corpus quod corrumpitur, aggravat animam; Sap. 9, 15. Spiritus autem corpori unitur dupliciter. Uno modo ut forma materiae, ut ex eis fiat unum simpliciter; et sic spiritus unitur corpori et vivificat corpus, et a corpore aliqualiter aggravatur; sic autem spiritus hominis vel Daemonis igni corporeo non unitur. Alio modo sicut movens mobili, vel sicut locatum loco, eo modo quo incorporalia sunt in loco; et secundum hoc spiritus incorporei creati loco definiuntur, ita in uno loco existentes quod non in alio. Quamvis autem res corporea ex sua natura habeat quod spiritum incorporeum loco definiat, non tamen habet sua natura quod spiritum incorporeum loco definitum detineat, ut ita alligetur illi loco quod ad alia divertere non possit, cum spiritus non ita sit in loco naturaliter quod loco subdatur. Sed hoc superadditur igni corporeo, inquantum est instrumentum divinae justitiae vindicantis, quod sic detinet spiritum, et ita efficitur ei poenalis, retardans eum ab executione propriae voluntatis, ne scilicet possit operari ubi vult, et secundum quod vult; et hunc modum ponit Gregorius in 4 Dialog. Exponens enim quomodo anima incendium experiendo patiatur, sic dicit: dum veritas peccatorem divitem damnatum in igne perhibet, quisnam sapiens reproborum animas teneri ignibus neget? Et hoc etiam Julianus dixit, ut in littera Magister dicit: si viventis hominis incorporeus spiritus detinetur in corpore, cur etiam non post mortem corporeo igne teneatur? Augustinus etiam, 21 de Civit. Dei dicit, quod sicut anima in hominis conditione jungitur corpori, ut dans ei vitam, quamvis illud sit spirituale et hoc corporale, et ex illa conjunctione vehementer concipit amorem ad corpus, sic ligatur igni, ut accipiens ab eo poenam; et ex illa conjunctione concipit horrorem. Oportet ergo omnes praedictos modos in unum colligere, ut perfecte videatur quomodo anima ab igne corporeo patiatur; ut scilicet dicamus, quod ignis secundum naturam suam habet quod spiritus incorporeus ei conjungi possit, ut loco locatum; sed inquantum est instrumentum divinae justitiae, habet ut ipsum quodammodo retineat alligatum; et in hoc veraciter ignis ille est spiritui noxius; et sic anima ignem ut noxium sibi videns, ab igne cruciatur; unde Gregorius in 4 Dialog., omnia ista per ordinem tangit, ut ex dictis ejus patet.

En supposant, selon ce qui a été dit, qu’on ne parle pas métaphoriquement du feu de l’enfer ni que le feu soit imaginaire, mais un véritable feu corporel, il faut dire que l’âme sibira les peines du feu corporel, puisque le Seigneur dit, en Mt 25, que ce feu a été préparé pour le Diable et ses anges, qui sont incorporels comme l’âme séparée. Mais comment elle peut le subir, on le précise de multiples façons. En effet, certains ont dit que le fait même de voir le feu est pour l’âme subir le feu. Ainsi, dans les Dialogues, IV, Grégoire dit : « L’âme subit le feu du fait qu’elle le voit. » Mais cela ne semble pas suffire, car tout ce qui est vu, du fait même qu’il est vu, est une perfection de celui qui voit ; aussi cela ne peut-il être considéré comme une peine du fait que cela est vu. Mais, parfois, cela est une punition ou une cause de tristesse par accident pour autant que cela est perçu comme nuisible ; aussi faut-il qu’en plus du fait que l’âme voit ce feu, il y ait un autre rapport de l’âme à ce feu, selon lequel le feu nuit à l’âme. Aussi d’autres ont-ils dit que, bien que le feu corporel ne puisse brûler l’âme, l’âme l’appréhende cependant comme nuisible pour elle. Lors d’une telle appréhension, elle est affectée par la crainte et la douleur, de sorte que, par elles, s’accomplit ce qui est dit dans Ps 13, 5 : Ils ont tremblé de crainte, alors qu’il n’existait pas de crainte. Aussi Grégoire dit-il dans les Dialogues, IV, que « parce que l’âme se voit en train de brûler, elle est brûlée ». Mais cela non plus ne semble pas suffire, car, de cette manière, la souffrance de l’âme à cause du feu ne serait pas vraiment réelle, mais selon l’apparence seulement. En effet, bien qu’il puisse exister une véritable passion de tristesse et de douleur à partir d’une fausse imagination, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII, on ne peut cependant dire que [l’âme] souffre de cette passion à cause de la réalité, mais en raison d’une similitude de la réalité qu’elle conçoit. De plus, ce mode de passion s’éloignerait davantage d’une passion réelle que celui qui s’accomplit par des visions imaginatives, puisque celui-là se réaliserait par de vraies images des choses, mais celui-ci par de fausses conceptions que l’âme forme en se trompant. De plus, il n’est pas probable que les âmes séparées ou les démons, qui bénéficient de la subtilité de l’esprit, penseraient que le feu peut leur nuire, s’ils n’en étaient aucunement incommodés. C’est pourquoi d’autres disent qu’il faut affirmer que l’âme souffre réellement du feu corporel. Aussi Grégoire dit-il dans les Dialogues, IV : « Nous pouvons conclure des paroles évangéliques que l’âme souffre du feu, non seulement en [le] voyant, mais aussi en en faisant l’expérience. » Mais ils affirment que cela se produit de la manière suivante. Ils disent en effet que ce feu corporel peut être envisagé de deux manières. D’une manière, selon qu’il est une réalité corporelle : de cette manière, il n’est pas en mesure d’agir sur l’âme. D’une autre manière, selon qu’il est l’instrument de la justice divine qui punit. En effet, l’ordre de la justice exige que l’âme qui s’est soumise aux choses corporelles en péchant leur soit soumise aussi à titre de peine. Or, un instrument n’agit pas seulement par sa puissance propre, mais aussi par la puissance de l’agent principal, comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 1, a. 4. Il n’est donc pas inconcevable que ce feu, lorsqu’il agit par la puissance d’un agent spirituel, agisse sur l’esprit de l’homme ou du démon de la manière qu’on a dite pour les sacrements qui sanctifient l’âme, d. 1. Mais même cela ne semble pas suffire, car tout instrument a une action propre qui lui est connaturelle sur ce sur quoi il agit instrumentalement, et non seulement une action selon laquelle il agit par la puissance de l’agent principal ; bien plus, c’est en exerçant la première action qu’il doit réaliser la seconde, comme l’eau, en lavant le corps dans le baptême, sanctifie l’âme, et la scie, en coupant le bois, conduit à la forme de la maison. Il faut donc reconnaître au feu une action sur l’âme, qui lui est connaturelle, pour qu’il soit un instrument de la justice divine qui rend justice pour les péchés. Il faut donc dire qu’un corps ne peut agir naturellement sur l’esprit, ni s’y opposer ni l’alourdir, sauf si [l’esprit] est uni au corps. Aussi lisons-nous que le corps qui est corrompu alourdit l’âme, Sg 9, 15. Or, l’esprit est uni au corps de deux manières. D’une manière, en tant que forme de la matière, de sorte qu’une seule chose soit formée par eux tout simplement : l’esprit est ainsi uni au corps et donne vie au corps, et il est d’une certaine manière alourdi par le corps. Mais l’esprit de l’homme ou du démon n’est pas uni au feu corporel de cette manière. D’une autre manière, [l’esprit est uni au corps] comme ce qui meut au mobile, ou comme ce qui est dans un lieu avec le lieu, de telle sorte qu’ils se trouvent dans un lieu, et non dans un autre. Mais bien qu’une chose corporelle puisse faire en sorte de circonscrire un esprit incorporel selon un lieu, elle ne fait cependant pas en sorte, par sa nature, de retenir un esprit incorporel dans un lieu, de telle sorte qu’il soit tellement lié à ce lieu qu’il ne puisse en être détourné vers un autre, puisque l’esprit n’est pas à ce point lié à un lieu qu’il soit soumis au lieu. Mais, en tant qu’il est un instrument de la justice punitive de Dieu, cela est ajouté au feu corporel de retenir l’esprit ; ainsi devient-il pour lui une peine, en l’empêchant d’accomplir sa propre volonté et de pouvoir agir là où il le veut et selon qu’il le veut. C’est ce mode dont parle Grégoire dans les Dialogues, IV. En effet, en expliquant comment l’âme souffre en faisant l’expérience du feu, il dit : « Puisque la vérité montre le pécheur riche damné dans le feu, qui, en étant sage, niera que les âmes des réprouvés sont retenues par le feu ? » Julien aussi a dit cela, comme le Maître le dit dans le texte : « Si l’esprit incorporel de l’homme vivant est retenu dans le corps, pourquoi ne serait-il pas retenu aussi par un feu corporel après la mort ? » Dans La cité de Dieu, XXI, Augustin dit encore que, de même que l’âme, dans la condition de l’homme, est unie au corps pour lui donner la vie, bien que celle-là soit spirituelle et celui-ci corporel, et que, par cette union, elle conçoit un puissant amour pour le corps, de même est-elle liée au feu pour en recevoir une peine et conçoit-elle l’horreur de cette union. Il faut donc regrouper tous les modes mentionnés pour voir parfaitement comment l’âme souffre par le feu corporel, en disant que le feu, selon sa nature, est tel qu’un esprit incorporel peut lui être uni à un lieu comme ce qui est dans un lieu ; mais, en tant qu’il est l’instrument de la justice divine, il fait en sorte de le retenir attaché d’une certaine manière et, de cette manière, le feu est véritablement nuisible à l’esprit. Ainsi, l’âme, voyant que le feu lui est nuisible, est torturée par le feu. Aussi, dans les Dialogues, IV, Grégoire aborde-t-il tous ces points de manière ordonnée, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21633] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur inquirendo; unde etiam alium modum ponit determinando in Lib. de Civit. Dei, ut ex dictis patet. Vel dicendum, quod Augustinus intelligit quod ea quibus anima proxime afficitur ad dolorem vel tristitiam, sunt spiritualia; non enim affligeretur, nisi ignem ut noxium sibi apprehenderet. Ignis ergo apprehensus est proximum affligens; sed ignis corporeus extra animam existens est affligens remotum.

1. Augustin parle en s’interrogeant. Il indique donc aussi un autre mode en déterminant dans le livre sur La cité de Dieu, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. Ou bien il faut dire qu’Augustin comprend que les réalités par lesquelles l’âme est affectée de manière prochaine par la douleur ou la tristesse sont spirituelles. En effet, elle ne serait pas affligée si elle ne percevait pas que le feu lui est nuisible. Le feu perçu est donc ce qui afflige de manière prochaine ; mais le feu corporel existant en dehors de l’âme est ce qui afflige de manière éloignée.

[21634] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis anima simpliciter sit nobilior igne; ignis tamen est secundum quid anima nobilior, inquantum scilicet est instrumentum divinae justitiae.

2. Bien que l’âme soit simplement plus noble que le feu, le feu est cependant, sous un aspect, plus noble que l’âme, pour autant qu’il est l’instrument de la justice divine.

[21635] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus et Boetius loquuntur de illa actione per quam patiens transmutatur in naturam agentis; talis autem non est actio ignis in animam; et propter hoc ratio non concludit.

3. Le Philosophe et Boèce parlent de l’action par laquelle un patient est changé en la nature de l’agent. Mais telle n’est pas l’action du feu sur l’âme. Pour cette raison, cet argument n’est pas concluant.

[21636] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignis in animam non agit per modum influentis, sed per modum detinentis, ut ex dictis patet; et ideo ratio non est ad propositum.

4. Le feu n’agit pas sur l’âme par mode d’action, mais par mode de rétention, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi l’argument est hors de propos.

[21637] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in visione intellectuali non est tristitia ex hoc ipso quod aliquid videtur; cum illud quod videtur nullo modo intellectui possit esse contrarium, inquantum videtur. In sensu autem hoc quod videtur, ex ipsa actione qua agit in visum ut videatur, potest esse corruptivum visus per accidens, inquantum corrumpit harmoniam organi. Sed tamen visio intellectualis potest esse contristans, inquantum id quod videtur, apprehenditur ut nocivum, non quasi noceat eo ipso quod videtur, sed alio quocumque modo; et sic anima videndo ignem affligitur.

5. Dans la vision intellectuelle, la tristesse n’existe pas du fait même que quelque chose est vu, puisque ce qui est vu, en tant que vu, ne peut d’aucune manière être contraire à l’intellect. Mais, dans le sens, par l’action même par laquelle [ce qui est vu] agit sur la vue, ce qui est vu peut corrompre le sens par accident, pour autant qu’il corrompt l’harmonie de l’organe. Cependant, la vision intellectuelle peut être source de tristesse pour autant que ce qui est vu est perçu comme nuisible, non pas qu’il soit nuisible par le fait même qu’il est vu, mais de quelque autre façon. Ainsi l’âme est-elle affligée en voyant le feu.

[21638] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est simile quantum ad omnia, sed quantum ad aliquid, ut ex dictis patet.

6. Il ne s’agit pas de la même chose pour tout, mais sous un aspect, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21639] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis non sit aliquis tactus corporalis inter animam et corpus, tamen est inter ea aliquis tactus spiritualis; sicut etiam motor caeli cum sit spiritualis, spirituali tactu tangit caelum, ipsum movens per modum quod dicitur contristans tangere, sicut dicitur in 1 de generatione; et hujusmodi modus sufficit ad actionem.

7. Bien qu’il n’y ait pas de contact corporel entre l’âme et le corps, il existe cependant un contact spirituel entre eux, de même que le moteur du ciel, puisqu’il est spirituel, touche le ciel d’un contact spirituel en le mouvant de la manière dont on dit que ce qui provoque la tristesse touche, comme on le dit dans Sur la génération, I. Un tel mode suffit à l’action.

[21640] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod spiritus damnati nunquam sunt extra Infernum, nisi ex dispensatione divina, vel ad instructionem vel ad exercitium electorum. Ubicumque autem extra Infernum sint, semper tamen vident ignem Inferni ut eis in poenam praeparatum; unde cum ista visio sit immediate affligens, ut dictum est, ubicumque sunt, ab igne Inferni affliguntur; sicut et captivi etiam extra carcerem existentes quodammodo a carcere affliguntur, dum vident se ad carcerem damnatos. Unde sicut gloria electorum in nullo minuitur nec quantum ad praemium essentiale, neque quantum ad accidentale, si aliquando extra caelum Empyreum sint, quod quodammodo in gloriam eorum cedit; ita etiam in nullo minuitur poena damnatorum, si extra Infernum ex divina dispensatione ad tempus ponantur; et hoc est quod dicit Glossa Bedae super illud Jacob. 3: inflammat rotam nativitatis etc.: Diabolus ubicumque sit, sive sub aere, sive sub terra, secum fert tormenta suarum flammarum. Objectio autem procedit ac si ignis corporeus affligeret spiritus immediate, sicut affligit corpora.

8. Les esprits des damnés ne se trouvent jamais en dehors de l’enfer, si ce n’est pas une disposition divine, ou pour leur enseignement, ou pour la mise à l’épreuve des élus. Où qu’ils se trouvent hors de l’enfer, ils voient cependant toujours le feu de l’enfer qui leur est préparé comme peine. Puisque cette vision provoque l’affliction d’une manière immédiate, comme on l’a dit, où qu’ils soient, ils sont affligés par le feu de l’enfer, de la même manière que les captifs, même se trouvant hors de prison, lorsqu’ils se voient condamnés à la prison. Ainsi, de même que la gloire des élus n’est aucunement diminuée ni pour la récompense essentielle, ni pour [la récompense] accidentelle, s’ils se trouvent hors du ciel empyrée, qui leur revient comme gloire d’une certaine manière, de même la peine des damnés n’est-elle en rien diminuée s’ils sont placés pour un temps hors de l’enfer selon une disposition divine. C’est ce que dit la glose de Bède sur Jc 3 : Il met le feu à la roue de la naissance, etc. : « Le Diable, où qu’il soit, dans l’air ou sous la terre, porte avec lui le tourment de ses flammes. » Mais l’objection repose sur la supposition que le feu corporel affligerait les esprits de manière immédiate, comme il afflige le corps.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44

 [21641] Super Sent., lib. 4 d. 44 q. 3 a. 3 qc. 3 expos. Omnes ad aetatem eamdem resurgent et cetera. Hoc intelligendum est non quantum ad mensuram corporis, sed quantum ad perfectionem corporis. Triginta enim duorum annorum et trium mensium erat aetas Christi. Hoc intelligendum est secundum illam opinionem quae ponit Christum in principio trigesimi anni nondum completi baptizatum fuisse. Sed secundum opinionem Chrysostomi, qui ponit quod Christus, cum baptizatus fuit, erat triginta annorum, et inceperat trigesimum primum, oportet dicere, quod Christus triginta tribus annis et tribus mensibus vixerit: tribus enim annis praedicavit, et mensibus quasi tribus. Non est autem fas dicere, quod in resurrectione accedat corpori magnitudo. Sed contra hoc videtur: nani et gigantes resurgent in quantitate quam hic habuerunt. Et dicendum, quod hoc intelligendum est de quantitate quam hic habuerunt vel habituri essent natura non errante per superabundantiam vel defectum. Sed in quemlibet pulverem ac cinerem resolvatur et cetera. Sciendum, quod hae resolutiones quae in littera tanguntur, distribuuntur hoc modo. Primo enim accipit illa in quae corpus humanum proximo resolvitur; unde quantum ad partes grossas et terrestres ponit pulverem et cinerem; ut in pulverem dicatur resolvi, inquantum exsiccatur per congelationem humidi ex frigore agente; in cinerem vero, inquantum exsiccatur per extractionem humidi a calore agente. Sed quantum ad partes subtiles et aereas halitus ponit et auras; ut halitus referatur ad vapores humidos, qui ab humano corpore resolvuntur; aura autem ad fumos siccos qui sunt materia venti, qui proprie aura dicitur. Deinde vero ponit illa in quae primo resolvitur. Haec autem vel sunt sensibilia, vel insensibilia. Si insensibilia, sic tangit elementa in hoc quod dicit: in quamcumque aliorum corporum substantiam; et elementa in hoc quod dicit: in ipsa elementa. Si autem sunt sensibilia, sic tangit alia bruta et homines in hoc quod dicit: in quorumcumque animalium et hominum cibum carnemque mutetur; ut cibus pertineat ad id quod est in via transmutationis humani corporis in substantiam praedictam; quod vero dicit carnem, pertineat ad terminum transmutationis praedictae. Illi animae in puncto temporis reddit quae illam primitus, ut homo fieret, cresceret, viveret, animavit. Exponendum est primitus non solum quod est prius tempore, sed quod est principalius, ut ex dictis patet: alias oporteret dicere, quod costa de qua formata est mulier, in Adam resurgeret, cujus anima primo fuit animata; resurget tamen in Eva, quia in ea principalius fuit, ut scilicet pertinens ad perfectionem individui, non solum ad perfectionem speciei, sicut fuerat in Adam. Resurgent quidem sanctorum corpora sine ullo vitio et cetera. Ista quae hic ponuntur, hoc modo differunt, ut vitium pertineat ad intemperantiam humorum, aut indispositionem inferiorum partium; deformitas autem ad dispositionem partium exteriorum; corruptio vero ad diminutionem, ut si corpora sine aliquo membro resurgerent; onus autem ad indispositionem organorum respectu virtutis motivae; difficultas vero ad ipsius virtutis debilitatem. Et cruciabit damnatorum corpora hominum vel Daemonum et cetera. Hoc dicit Augustinus secundum opinionem quae ponit Daemones habere corpora naturaliter sibi unita. Profiteri animam posse habere similitudinem corporis et corporalium omnino membrorum, quisquis renuit, potest negare animam esse quae in somnis videt vel ambulare se, vel sedere et cetera. Non est intelligendum, quod anima separata habeat similitudinem corporis, et membrorum corporalium realiter, sicut Apollinarius posuit; sed solummodo per modum apprehensionis vel intellectivae, vel etiam imaginariae, ut quidam volunt. Neque enim non sentiunt et cetera. Hoc potest exponi, ut sentire non accipiatur pro actu exteriori sensus, sed pro actu intellectus, secundum quod intellectus quandoque sensus dicitur. Quaeri ac disputari potest, quando incipit homo in utero vivere. De hoc aliqua dicta sunt in 3 Lib., distinct. 3, ubi de conceptione dominici corporis agebatur. Ac non potius duos (quod futurum erat, si gemini nascerentur) resurrecturos aestimemus. Hoc non dicit Augustinus: quia ex quo habebat principalia membra duplicia, sicut duo capita et duo corda, manifestum erat quod duae animae inerant; et ita duo homines erant, sed conjuncti per errorem naturae.

 

 

 

Distinctio 45

Distinction 45 – [La demeure des âmes après la mort]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[21642] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae ad resurrectionem pertinent, hic incipit determinare de his quae pertinent ad remunerationem vel punitionem resurgentium; et dividitur in partes duas: in prima enim determinatur de remuneratione et punitione quae praecedit judicium generale; in secunda de illa quae judicium generale sequitur, dist. 47, ibi: solet etiam quaeri, qualiter dabitur judicii sententia. Prima autem dividitur in duas: in prima determinat de remuneratione vel punitione animarum ante diem judicii, et resurrectionem; in secunda ostendit qualiter secundum justitiam et misericordiam Dei praedicta dispensentur, distinct. 46, ibi: sed quaeritur hic de valde malis et cetera. Prima dividitur in duas: primo ostendit quomodo animae post mortem diversa receptacula habebunt pro diversitate meritorum; in secunda determinat qualiter animae post mortem certis receptaculis distributae juvari possunt orationibus aliorum, ibi: neque negandum est, ut ait Augustinus, defunctorum animas pietate suorum viventium relevari. Et haec pars dividitur in partes duas: in prima ostendit qualiter mortui juvantur suffragiis vivorum; in secunda inquirit, quomodo vivi juvantur precibus mortuorum sanctorum, ibi: sed forte quaeris: numquid preces supplicantium sancti audiunt? Prima autem dividitur in duas: in prima determinat de illis mortuis pro quibus suffragia fiunt, quando eis prosunt; in secunda inquirit, utrum prosint eis pro quibus non fiunt, ibi: solet moveri quaestio de duobus et cetera. Prima dividitur in duas: in prima dicit quae sunt illa quae facta a vivis, prosunt mortuis; in secunda quae sunt illa quae non prosunt, ibi: de pompis vero exequiarum idem Augustinus ita dicit. Solet moveri quaestio de duobus et cetera. Circa hoc duo facit: primo inquirit de illis pro quibus suffragia non fiunt statu praesentis Ecclesiae durante; secundo de illis pro quibus fiunt praesenti Ecclesia deficiente, ibi: sed iterum quaeritur de aliquo mediocriter bono. Sed forte quaeris: numquid preces supplicantium sancti audiunt? Hic ostendit quomodo suffragia mortuorum sanctorum vivis prosunt; et circa hoc tria facit: primo enim proponit quod intendit; secundo confirmat propositum per similitudinem Angelorum, ibi: sicut enim Angelis, ita et sanctis qui Deo assistunt, petitiones nostrae innotescunt in verbo Dei; tertio concludit intentum, ibi: si autem Angeli a Deo per verbum ejus discunt petitiones nostras (...) cur non credamus et animas sanctorum Dei faciem contemplantium, in ejus veritate intelligere preces hominum? Hic tria quaeruntur. Primo de receptaculis animarum post mortem. Secundo de suffragiis mortuorum. Tertio de orationibus sanctorum. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum animabus post mortem aliqua receptacula assignentur; 2 de differentia receptaculorum; 3 de numero eorumdem.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la résurrection, le Maître commence ici à déterminer de ce qui se rapporte à la récompense ou à la punition des ressuscités. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la récompense et de la punition qui précède le jugement général ; dans la seconde, de celles qui suivent le jugement général, d. 47, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander comment sera donnée la sentence du jugement. » La première [partie] est divisée en deux : dans la première, il détermine de la récompense ou de la punition des âmes avant le jour du jugement et la résurrection ; dans la seconde, il montre comment ce qui précède est dispensé selon la justice et la miséricorde de Dieu, d. 46, à cet endroit : « Mais on s’interroge ici sur ceux qui sont très méchants, etc. » La première [partie] est divisée en deux : premièrement, il montre comment les âmes après la mort auront diverses demeures selon la diversité des mérites ; dans la seconde, il détermine comment les âmes, réparties en diverses demeures après la mort, peuvent être aidées par les prières des autres, à cet endroit : « On ne doit pas non plus nier, comme le dit Augustin, que les âmes des défunts sont soulagées par la piété des leurs qui sont en vie. » Cette partie se divise en deux parties : dans la première, il montre comment les morts sont aidés par les suffrages des vivants ; dans la seconde, il se demande comment les vivants sont aidés par les prières des morts saints, à cet endroit : « Mais peut-être demanderas-tu : est-ce que les saints entendent les prières de ceux qui supplient ? » La première [partie] est divisée en deux : dans la première, il détermine quand les suffrages faits pour des morts leur sont utiles, à cet endroit : « On a coutume de soulever une question de deux choses, etc. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il dit quelles choses faites par les vivants sont utiles aux morts ; dans la seconde, quelles sont celles qui ne leur sont pas utiles, à cet endroit : « des pompes des obsèques, le même Augustin dit ceci. » « On a coutume de soulever une question de deux choses, etc. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il s’enquiert de ceux pour lesquels ne sont pas faits de suffrages aussi longtemps que dure l’état de l’Église présente ; deuxièmement, de ceux pour lesquels [des suffrages] sont faits alors que l’Église présente fait défaut, à cet endroit : « Mais on s’interroge de nouveau sur celui qui a été moyennement bon. » « Mais peut-être demanderas-tu : est-ce que les saints entendent les prières de ceux qui supplient ? » Il montre ici comment les suffrages des morts saints sont utiles aux vivants. À ce sujet, il fait trois choses : en effet, il met d’abord de l’avant son intention ; deuxièmement, il confirme son propos par une comparaison avec les anges, à cet endroit : « De même que nos demandes sont connues des anges dans le Verbe de Dieu, de même le sont-elles des saints qui sont auprès de Dieu » ; troisièmement, il conclut ce qu’il avait en tête, à cet endroit : « Mais si les anges apprennent de Dieu nos prières par son Verbe…, pourquoi ne croyons-nous pas aussi que les âmes des saints qui contemplent la face de Dieu entendent les prières des hommes dans sa vérité ? » Il y a ici trois questions : premièrement, des demeures des âmes après la mort ; deuxièmement, des suffrages des morts ; troisièmement, des prières des saints. Sur le premier point, trois questions sont posées : 1 – Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ? 2 – de la différence entre les demeures. 3 – de leur nombre.

 

 

Articulus 1 [21643] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 tit. Utrum animabus post mortem receptacula assignentur

Article 1 – Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Des demeures sont-elles assignées aux âmes après la mort ?]

[21644] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod animabus post mortem receptacula non assignentur. Sicut enim dicit Boetius in libro de Hebdom., communis animi conceptio est apud sapientes, incorporalia in loco non esse; cui concordat quod Augustinus dicit in 12 super Genes. ad litteram: cito quidem responderim, ad corporalia loca animam non ferri, nisi cum aliquo corpore. Sed anima separata a corpore non habet aliquod corpus, sicut ibidem Augustinus dicit. Ergo ridiculum est animabus separatis aliqua receptacula assignare.

1. Il semble que ne soient pas assignées aux âmes des demeures après la mort. En effet, comme le dit Boèce dans le livre Sur les semaines, « c’est une conception commune de l’âme chez les sages, que les réalités incorporelles ne se trouvent pas dans un lieu ». Augustin est d’accord lorsqu’il dit dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII : « Je répondrais rapidement que l’âme n’est pas emportée dans des lieux corporels, à moins qu’elle ne soit jointe à un corps. » Or, l’âme séparée du corps n’a pas de corps, comme le dit Augustin au même endroit. Il est donc ridicule d’assigner des demeures aux âmes séparées.

[21645] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod habet locum determinatum, magis convenit cum illo loco quam cum alio. Sed animae separatae, sicut et quaelibet spirituales substantiae, indifferenter se habent ad omnia loca: non enim potest dici quod cum aliquibus corporibus conveniant, et cum aliis differant; cum ab omnibus conditionibus corporalibus sint penitus remotae. Ergo eis determinata receptacula non sunt assignanda.

2. Tout ce qui a un lieu déterminé a plus en commun avec ce lieu qu’avec un autre. Or, les âmes séparées, comme toutes les autres substances spirituelles, sont indifférentes par rapport à tous les lieux : en effet, on ne peut pas dire qu’elles aient quelque chose en commun avec des corps et qu’elles diffèrent d’autres, puisqu’elles sont tout à fait étrangères à toutes les conditions corporelles. Il ne faut donc pas leur assigner de demeures déterminées.

[21646] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, animabus separatis non assignatur aliquid post mortem nisi quod cedat in poenam vel praemium. Sed corporalis locus non potest eis esse in poenam vel in praemium, cum a corporibus nihil recipiant. Ergo non sunt eis assignanda certa receptacula.

3. Rien n’est assigné aux âmes séparées après la mort, que ce qui revient comme peine ou comme récompense. Or, un lieu corporel ne peut être pour elles une peine ou une récompense, puisqu’elles ne reçoivent rien des corps. Il ne faut donc pas leur assigner des demeures déterminées.

[21647] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, caelum Empyreum locus corporalis est; et tamen ipsum factum mox sanctis Angelis est repletum, ut Strabus dicit. Cum ergo Angeli sint incorporei, sicut et animae separatae; videtur etiam quod separatis animabus sint certa receptacula assignanda. Ergo et cetera.

Cependant, [1] le ciel empyrée est un lieu corporel ; une fois créé, il a cependant été aussitôt rempli par les saints anges, comme le dit Strabon. Puisque les anges sont incorporels, comme les âmes séparées, il semble donc aussi que des demeures déterminées doivent être assignées aux âmes séparées. Donc, etc.

[21648] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per hoc quod Gregorius in 4 Dialog. narrat, animas post mortem ad diversa loca corporalia esse deductas; ut patet de Paschasio, quem germanus Capuanus episcopus in balneis invenit, et de anima Theodorici regis, quam dicit ad Gehennam fuisse perductam. Ergo animae post mortem habent certa receptacula.

[2] Cela ressort de ce que Grégoire raconte dans les Dialogues, IV, que les âmes après la mort ont été conduites dans divers lieux corporels : c’est ainsi le cas de Paschase, que Germain, l’évêque de Capoue, rencontre aux bains, et de l’âme du roi Théodoric, dont il dit qu’elle a été conduite à la géhenne. Les âmes après la mort ont donc des demeures déterminées.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les âmes sont-elles conduites au ciel ou en enfer immédiatement après la mort ?]

[21649] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod statim post mortem nullae animae deducantur ad caelos, vel ad Infernum. Quia super illud Psalm. 36, 10, adhuc pusillum, et non erit peccatOr dicit Glossa, quod sancti liberantur in fine vitae: post hanc tamen vitam non ibi erunt ubi erunt sancti, quibus dicetur: venite benedicti patris mei. Sed illi sancti erunt in caelo. Ergo sancti post hanc vitam non statim ascendunt ad caelum.

1. Il semble qu’aucune âme ne soit conduite au ciel ou en enfer immédiatement après la mort, car, à propos du Ps 36, 10 : Encore un peu de temps, et le pécheur n’existera plus, la Glose dit que les saints sont libérés à la fin de leur vie ; cependant, après cette vie, ils n’iront pas là où seront les saints à qui il sera dit : Venez, les bénis de mon Père ! Or, ces saints seront au ciel. Les saints ne montent donc pas immédiatement au ciel après cette vie.

[21650] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Enchir., quod tempus quod inter hominis mortem et ultimam resurrectionem interpositum est, animas abditis receptaculis continet, sicut unaquaeque digna est requie vel aerumna. Sed haec abdita receptacula non possunt intelligi caelum et Infernus; quia in illis etiam post resurrectionem ultimam animae cum corporibus erunt; unde pro nihilo distingueret tempus ante resurrectionem et post resurrectionem. Ergo non erunt nec in Inferno nec in Paradiso usque ad diem judicii.

2. Augustin dit, dans l’Enchiridion, que « le temps qui a été mis entre la mort de l’homme et l’ultime résurrection garde les âmes dans des demeures secrètes, selon que chacune est digne de repos ou de peine ». Or, le ciel et l’enfer ne peuvent être compris comme ces demeures secrètes, car, après l’ultime résurrection, les âmes y seront avec leurs corps. [Augustin] ferait donc une distinction inutile entre un temps avant la résurrection et un temps après la résurrection. [Les âmes séparées] ne seront donc ni en enfer ni au paradis jusqu’au jour du jugement.

[21651] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, major est gloria animae quam gloria corporum. Sed simul omnibus redditur gloria corporum, ut sit major laetitia singulorum ex communi gaudio, ut patet Hebr. 11, super illud: Deo pro nobis aliquid melius providente etc.; ubi dicit Glossa: ut in communi gaudio omnium majus fieret gaudium singulorum. Ergo multo fortius et gloria animarum debet differri usque ad finem, ut simul omnibus reddatur.

3. La gloire de l’âme est plus grande que la gloire des corps. Or, la gloire des corps sera donnée à tous en même temps, afin qu’existe une allégresse plus grande pour chacun du fait de la joie commune, comme cela ressort de ce que dit la Glose sur He 11 : Dieu, en prévoyant pour nous quelque chose de meilleur, etc. : « Afin que la joie de chacun soit plus grande en raison de la joie commune. » À bien plus forte raison, la gloire des âmes doit donc être reportée jusqu’à la fin, afin qu’elle soit donnée à tous en même temps.

[21652] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, poena et praemium quae per sententiam judicii redduntur, judicium praecedere non debent. Sed ignis Inferni et gaudia Paradisi dabuntur hominibus per sententiam Christi judicantis in ultimo judicio, ut patet Matth. 25. Ergo ante diem judicii nullus ascendit ad caelum, vel descendit ad Inferos.

4. La peine et la récompense qui sont données par la sentence du jugement ne doivent pas précéder le jugement. Or, le feu de l’enfer et les joies du paradis seront données aux hommes par la sentence du Christ jugeant lors du jugement dernier, comme cela ressort de Mt 25. Avant le jour du jugement, personne ne monte donc au ciel ou ne descend en enfer.

[21653] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 2 Corinth. 5, 1: si terrena nostra habitatio dissolvatur, domum habemus non manufactam conservatam in caelis. Ergo dissoluta carne homo habet mansionem quae in caelis fuerit ei conservata.

Cependant, [1] 2 Co 5, 1 dit : Si notre demeure terrestre est détruite, nous avons une demeure qui n’est pas faite de main d’homme réservée dans le ciel. Une fois la chair détruite, l’homme a donc une demeure qui lui aura été réservée au ciel.

[21654] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Philip. 1, 23, dicit apostolus: cupio dissolvi, et esse cum Christo: ex quo sic arguit Gregorius in 4 Dialog.: qui ergo Christum in caelo esse non dubitat, nec Pauli animam esse in caelo negat. Sed non est negandum Christum esse in caelo, cum sit articulus fidei. Ergo nec dubitandum est animas sanctorum ad caelos ferri. Quod etiam aliquae ad Infernum descendant post mortem statim, patet Luc. 16: mortuus est dives, et sepultus est in Inferno.

[2] En Ph 1, 23, l’Apôtre dit : Je désire disparaître et être avec le Christ. À partir de cela, Grégoire raisonne, dans les Dialogues, IV : « Celui qui ne doute pas que le Christ soit au ciel ne nie pas non plus que l’âme de Paul soit au ciel. » Or, on ne doit pas nier que le Christ soit au ciel, puisque c’est un article de foi. Il ne faut donc pas douter que les âmes des saints sont emportées au ciel. Que certains descendent aussi en enfer après la mort immédiatement après la mort, cela ressort de Lc 16 : Le riche mourut et il fut enseveli en enfer.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les âmes qui se trouvent au paradis ou en enfer peuvent-elles en sortir ?]

[21655] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod animae in Paradiso vel in Inferno existentes egredi non valeant. Augustinus enim dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda: si rebus viventium interessent animae mortuorum, ut de aliis taceam, meipsum pia mater nulla nocte desereret, quae terra marique secuta est ut mecum viveret; et ex hoc concludit quod animae defunctorum rebus viventium non intersint. Sed interesse possent, si de suis receptaculis exirent. Ergo de suis receptaculis non exeunt.

1. Il semble que les âmes qui se trouvent au paradis ou en enfer ne puissent en sortir. En effet, Augustin dit dans le livre Sur le soin dû aux morts : « Si les âmes des morts s’occupent de ce qui concerne les vivants, pour ne pas parler d’autres choses, ma tendre mère ne m’abandonnerait jamais la nuit, elle qui m’a suivi par terre et par mer afin de vivre avec moi. » Et il conclut de cela que les âmes des défunts ne s’occupent pas de ce qui concerne les vivants. Or, elles pourraient s’en occuper si elles sortaient de leurs demeures. Elles ne sortent donc pas de leurs demeures.

[21656] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in Psalm. 26, 4, dicitur: ut habitem in domo domini omnibus diebus vitae meae; et Job 7, 9: qui descendit ad Inferos, non ascendet. Ergo tam boni quam mali a suis receptaculis non exeunt.

2. Il est dit dans le Ps 26, 4 : Afin d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, et dans Jb 7, 9 : Celui qui descend en enfer n’en reviendra pas. Aussi bien les bons que les méchants ne sortent donc pas de leurs demeures.

[21657] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, receptacula, ut est dictum, animabus post mortem dantur in praemium vel in poenam. Sed post mortem neque praemia sanctorum minuuntur, neque poenae damnatorum. Ergo non exeunt de suis receptaculis.

3. Comme on l’a dit, des demeures sont données aux âmes après la mort comme récompense ou comme peine. Or, après la mort, ni les récompenses des saints ni les peines des damnés ne sont diminuées. Ils ne sortent donc pas de leurs demeures.

[21658] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Hieronymus contra Vigilantium sic eum alloquens: ais enim vel in sinu Abrahae, vel in loco refrigerii, vel subter aram Dei animas apostolorum et martyrum consedisse, nec posse suis tumulis, cum voluerint, adesse praesentes; et ita tu Deo leges ponis, tu apostolis vincula injicies, ut usque ad diem judicii teneantur custodia, nec sint cum domino suo, de quibus scriptum est Apoc. cap. 14, 4: sequuntur agnum quocumque ierit. Sed agnus ubique est. Ergo et hi qui cum agno sunt, ubique esse credendi sunt. Ridiculum ergo est dicere, quod animae mortuorum a suis receptaculis non recedant.

Cependant, [1] Jérôme dit contre Vigilance : « Tu dis que les âmes des apôtres et des martyrs reposent dans le sein d’Abraham, dans le lieu du rafraîchissement ou sous l’autel de Dieu, et qu’elles ne peuvent pas être présentes dans leur sépulture comme elles le voudraient. Ainsi, tu imposes une loi à Dieu, tu contrains les apôtres par des liens pour qu’ils soient retenus jusqu’au jour du jugement et ne soient pas avec leur Seigneur, eux dont il est dit dans Ap 14, 4 : Ils suivent l’Agneau partout où il va. » Or, l’Agneau est partout. On doit donc croire que ceux qui sont avec l’Agneau sont partout. Il est donc ridicule de dire que les âmes des morts ne sortent pas de leur demeures.

[21659] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Hieronymus ibidem arguit sic: cum Diabolus et Daemones toto vagentur orbe, et celeritate nimia ubique praesentes sint; martyres post effusionem sanguinis ara operientur inclusi, et inde exire non poterunt? Ex quo potest concludi non solum de bonis, sed etiam de malis, quod sua receptacula interdum exeant, cum non habeant majorem damnationem quam Daemones, qui ubique discurrunt.

[2] Jérôme raisonne au même endroit : « Puisque le Diable et les démons vont par toute la terre et sont partout avec une très grande rapidité, les martyrs seraient-ils enfermés sous un autel après l’effusion de leur sang et ne pourraient pas en sortir ? » On peut conclure de cela, non seulement pour les bons, mais aussi pour les méchants, qu’ils sortent de leurs demeures, puisqu’ils ne subissent pas une plus grande condamnation que les les démons qui courent partout.

[21660] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, idem probari potest per Gregorium in 4 Dialog., ubi narrat de multis mortuis quod viventibus apparuerunt.

[3] On peut montrer la même chose en recourant à Grégoire, Dialogues, IV, où il raconte que plusieurs morts sont apparus à des vivants.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21661] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quamvis substantiae spirituales secundum esse suum a corpore non dependeant, corporalia tamen a Deo mediantibus spiritualibus gubernantur, ut dicit Augustinus in 3 de Trinit., et Gregorius in 4 Dialog.; et ideo est quaedam convenientia substantiarum spiritualium ad corporales substantias per congruentiam quamdam, ut scilicet dignioribus substantiis digniora corpora adaptentur; unde etiam philosophi secundum ordinem mobilium posuerunt ordinem substantiarum separatarum. Quamvis autem animabus post mortem non assignentur aliqua corpora, quorum sint formae vel determinati motores; determinantur tamen eis quaedam corporalia loca per congruentiam quamdam secundum gradus dignitatis eorum, in quibus sunt quasi in loco, eo modo quo incorporalia in loco esse possunt, secundum quod magis accedent ad primam substantiam (cui locus superior per congruentiam deputatur) scilicet Deum, cujus sedem caelum Scriptura esse denuntiat; et ideo animas quae sunt in participatione perfecta divinitatis, in caelo esse ponimus; animas vero quae a participatione hujusmodi impediuntur, loco contrario dicimus deputari.

Bien que les substances spirituelles ne dépendent pas d’un corps selon leur être, les réalités corporelles sont cependant gouvernées par Dieu par l’intermédiaire des réalités spirituelles, comme le disent Augustin dans Sur la Trinité, III, et Grégoire, dans Dialogues, IV. Les réalités spirituelles ont donc quelque chose en commun avec les substances corporelles selon une certaine convenance, à savoir que les corps plus dignes sont assortis aux substances plus dignes. Aussi même les philosophes ont-ils établi l’ordre des substances séparées selon l’ordre de ce qui est mobile. Bien qu’après la mort, des corps ne soient pas assignés aux âmes dont elles sont les formes ou les moteurs déterminés, des lieux corporels leur sont cependant assignés selon une certaine convenance en fonction du degré de leur dignité, où elles sont comme dans un lieu, à la manière dont les réalités incorporelles peuvent être dans un lieu selon qu’elles se rapprochent davantage de la substance première (à laquelle un lieu supérieur est accordé par convenance), à savoir, Dieu, dont l’Écriture annonce que le ciel est son siège. Aussi affirmons-nous que les âmes qui participent parfaitement à la divinité sont au ciel, mais disons-nous que les âmes pour lesquelles une telle participation est empêchée sont envoyées dans un lieu contraire.

[21662] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod incorporalia non sunt in loco modo aliquo noto nobis et consueto, secundum quod dicimus corpora proprie in loco esse; sunt tamen in loco modo substantiis spiritualibus convenienti, qui nobis plene manifestus esse non potest.

1. Les réalités incorporelles ne sont pas dans un lieu à la manière, qui nous est connue et habituelle, dont nous disons que les corps sont à proprement parler dans un lieu. Cependant, elles sont dans un lieu d’une manière qui convient aux substances spirituelles, qui ne peut être pleinement évidente pour nous.

[21663] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est convenientia vel similitudo. Una quae est per participationem ejusdem qualitatis, sicut calida ad invicem conveniunt; et talis convenientia incorporalium ad loca corporalia esse non potest. Alia per quamdam proportionalitatem, secundum quam in Scripturis metaphorae corporalium ad spiritualia transferuntur; ut quod dicitur Deus esse sol, quia est principium vitae spiritualis, sicut sol vitae corporalis; et secundum hanc convenientiam quaedam animae quibusdam locis magis conveniunt, sicut animae spiritualiter illuminatae cum corporibus luminosis; animae vero obtenebratae per culpam cum locis tenebrosis.

2. Il existe une double similitude ou convenance. L’une qui vient de la participation à une même qualité, comme des choses chaudes ont quelque chose en commun ; les réalités incorporelles ne peuvent avoir quelque chose en commun avec des lieux corporels de cette manière. L’autre selon une certaine proportionnalité, selon laquelle des métaphores de réalités corporelles dans l’Écriture sont reportées sur des réalités spirituelles : ainsi, on dit de Dieu qu’il est un soleil, parce qu’il est le principe de la vie spirituelle, comme le soleil [est le principe] de la vie corporelle. Selon cette proportion, certaines âmes ont davantage en commun avec certains lieux, comme les âmes spirituellement éclairées avec les corps lumineux, mais les âmes enténébrées par la faute avec des lieux ténébreux.

[21664] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod anima separata directe nihil recipit a locis corporalibus per modum quo corpora recipiunt, quae conservantur a suis locis; sed ipsae animae ex hoc quod cognoscunt se talibus locis deputari, sibi gaudium ingerunt vel moerorem; et sic locus cedit eis in poenam vel in praemium.

3. L’âme séparée ne reçoit rien directement de lieux corporels, à la manière dont les corps reçoivent, lesquels sont conservés dans leurs lieux ; mais les âmes elles-mêmes, du fait qu’elles savent qu’elles sont envoyées dans de tels lieux se donnent joie ou tristesse. Et ainsi le lieu se change pour elles en peine ou en récompense.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21665] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut in corporibus est gravitas vel levitas, qua feruntur in locum suum, qui est finis motus ipsorum; ita etiam est in animabus meritum vel demeritum, quibus perveniunt animae ad praemium vel poenam, quae sunt fines actionum ipsarum; unde sicut corpus per gravitatem vel levitatem statim fertur in locum suum, nisi prohibeatur; ita statim animae, soluto vinculo carnis, per quod in statu viae detinebantur, praemium consequuntur vel poenam, nisi aliquid impediat; sicut interdum impedit consecutionem praemii veniale peccatum, quod prius purgari oportet, ex quo sequitur quod praemium differatur. Et quia locus deputatur animabus secundum congruentiam praemii vel poenae; statim ut anima a corpore absolvitur, vel in Infernum demergitur, vel ad caelum evolat, nisi impediatur aliquo reatu quo oportuit evolationem differri, ut prius anima purgetur. Et huic veritati auctoritates Scripturae canonicae manifeste attestantur, et documenta sanctorum patrum; unde contrarium pro haeresi est habendum, ut patet 4 Dial., et in Lib. de Eccl. dogmatibus.

De même que, dans les corps, il y a une légèreté ou une lourdeur par laquelle ils sont portés vers leur lieu qui est la fin de leur mouvement, de même aussi existe-t-il pour les âmes un mérite ou un démérite par lesquels les âmes parviennent à la récompense ou à la peine qui sont les fins de leurs actions. De même que le corps est aussitôt porté vers son lieu par sa gravité ou sa légèreté, à moins qu’il n’en soit empêché, de même donc les âmes obtiennent-elles aussitôt la récompense ou la peine, lorsqu’est rompu le lien de la chair par lequel elles étaient retenues dans l’état de cheminement (in statu viae), à moins que quelque chose les en empêche, comme le péché véniel, qui doit d’abord être purifié, empêche parfois l’obtention de la récompense, d’où il découle que la récompense est reportée. Parce qu’un lieu est assigné aux âmes selon la convenance de la récompense ou de la peine, dès que l’âme est déliée du corps, soit elle est plongée en enfer, soit elle s’envole au ciel, à moins qu’elle n’en soit empêchée par une faute pour laquelle son envol doit être reporté afin que l’âme soit d’abord purifiée. Des autorités de l’Écriture canonique et des enseignements des saints pères témoignent manifestement de cette vérité. Le contraire doit donc être considéré comme une hérésie, comme cela ressort des Dialogues, IV et du Livre sur les enseignements de l’Église.

[21666] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Glossa seipsam exponit; quod enim dicit: nondum erunt ubi erunt sancti etc. statim exponit subdens; idest, non habebunt geminam stolam quam habebunt sancti in resurrectione.

1. La Glose s’explique elle-même. Elle dit en effet : « Ils ne seront pas où se trouveront les saints, etc. », et explique aussitôt en ajoutant : « À savoir qu’ils n’auront pas la double tunique que les saints auront lors de la résurrection. »

[21667] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inter illa abdita receptacula, de quibus Augustinus loquitur, etiam sunt computandi Infernus et Paradisus, in quibus animae aliquae ante resurrectionem continentur. Sed ideo distinguitur tempus ante resurrectionem et post, quia ante resurrectionem sunt ibi sine corpore, post autem erunt cum corpore; et quia in aliquibus receptaculis nunc sunt animae in quibus post resurrectionem non erunt.

2. Parmi les demeures secrètes dont parle Augustin, il faut aussi compter l’enfer et le paradis, dans lesquels certaines âmes se trouvent avant la résurrection. Mais une distinction est faite entre le temps avant la résurrection et après [la résurrection] parce que, avant la résurrection, elles s’y trouvent sans leur corps, mais elles s’y trouveront après avec leur corps, et parce que des âmes se trouvent maintenant dans certaines demeures où elles ne se trouveront pas après la résurrection.

[21668] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homines secundum corpora habent quamdam continuitatem ad invicem, quia secundum ea est verum quod dicitur Act. 17, quod Deus ex uno fecit omne hominum genus. Sed animas singillatim finxit; unde non est tanta congruentia ut omnes homines simul glorificentur in anima, sicut quod simul glorificentur in corpore. Et praeterea gloria corporis non est ita essentialis sicut gloria animae; unde majus detrimentum esset sanctis si gloria animae differretur, quam de hoc quod gloria corporis differtur; nec posset hoc detrimentum gloriae singulorum de gaudio communi.

3. Les hommes ont une certaine continuité entre eux par leurs corps, parce que, selon ceux-ci, ce qui est dit dans Ac 17 est vrai : Dieu a tiré d’un seul tout le genre humain. Mais il a établi les âmes une à une. Il n’y a donc pas une aussi grande convenance à ce que tous les hommes soient glorifiés en même temps dans leur âmes, comme ils sont glorifiés en même temps dans leurs corps. De plus, la gloire du corps n’est pas aussi essentielle que la gloire de l’âme. Ce serait donc un plus grand préjudice pour les saints si la gloire de l’âme était reportée, que si la gloire du corps est reportée, et ce préjudice de gloire ne pourrait être compensé par l’accroissement de la joie de chacun de la joie commune.

[21669] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eamdem 4. objectionem Gregorius 4 Dial. proponit, et solvit. Si, inquit, nunc in caelo sunt animae sanctorum, quid est quod in die judicii pro justitiae suae retributione recipiunt? Et respondet: hoc eis nimirum crescit in judicio, quod nunc animae sola sui gloria retributione laetantur; postmodum vero etiam corporum beatitudine perfruentur, ut in ipsa quoque gaudeant, in qua dolores pro domino cruciatusque pertulerunt. Et eodem modo dicendum est de damnatis.

4. Grégoire soulève la même objection dans les Dialogues, IV et y répond. « Si, dit-il, les âmes des saints sont maintenant au ciel, comment se fait-il qu’au jour du jugement, ils reçoivent la récompense de leur justice ? » Et il répond : « Cela équivaut à un jugement que les âmes se réjouissent maintenant de leur seule gloire, mais, par la suite, se réjouiront aussi de la béatitude des corps, de sorte qu’elles s’en réjouissent aussi pour elles, alors que [les corps] ont supporté des souffrances et des tortures pour le Seigneur. » Il faut parler de la même manière pour les damnés.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21670] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquem exire de Inferno vel Paradiso potest intelligi dupliciter. Uno modo ut simpliciter inde exeat, ut jam ejus locus non sit Paradisus vel Infernus; et sic nullus Inferno vel Paradiso finaliter deputatus inde exire potest, ut in sequenti dist., qu. 2, art. 3, dicetur. Alio modo potest intelligi, ut exeat inde ad tempus; et in hoc distinguendum est quid eis conveniat secundum legem naturae, et quid eis conveniat secundum ordinem divinae justitiae; quia, ut Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis agenda, alii sunt humanarum limites rerum, alia sunt divinarum signa virtutum; alia sunt quae naturaliter, alia quae mirabiliter fiunt. Secundum ergo naturalem cursum, animae separatae, receptaculis propriis deputatae, a conversatione viventium penitus segregantur. Non enim secundum cursum naturae homines in mortali carne viventes substantiis separatis immediate conjunguntur, cum omnis eorum cognitio a sensu oriatur; nec propter aliud a suis receptaculis eas exire conveniret, nisi ut rebus viventium interessent. Sed secundum dispositionem divinae providentiae aliquando animae separatae a suis receptaculis egressae conspectibus hominum praesentantur, sicut Augustinus in praedicto libro narrat de Felice martyre, qui civibus Nolanis visibiliter apparuit, cum a barbaris oppugnarentur. Et hoc etiam credi potest quod aliquando de damnatis contingat, quod ad eruditionem hominum et terrorem permittuntur viventibus apparere, aut etiam ad suffragia expetenda quantum ad illos qui in Purgatorio detinentur, ut per multa quae in 4 Dialog. narrantur, patet. Sed hoc interest inter sanctos et damnatos, quod sancti, cum voluerint, apparere possunt viventibus, non autem damnati. Sicut enim viventes sancti in carne per donum gratiae gratis datae accipiunt ut sanitates et signa perficiant, quae non nisi divina virtute mirabiliter fiunt (quae quidam signa ab aliis hoc dono carentibus perfici non possunt); ita etiam non est inconveniens ut ex virtute gloriae aliqua potestas animabus sanctorum detur, per quam possint mirabiliter apparere viventibus, cum volunt; quod alii non possunt, nisi interdum permissi.

Que quelqu’un sorte de l’enfer ou du paradis, cela peut s’entendre de deux manières. D’une manière, qu’il en sorte simplement, de sorte que le paradis ou l’enfer ne soit plus son lieu : ainsi, personne qui a été envoyé en enfer ou au paradis ne peut en sortir, comme on le dira dans la prochaine distinction, d. 46, q. 2, a. 3. On peut l’entendre d’une autre manière : qu’il en sorte temporairement. Sur ce point, il faut faire une distinction entre ce qui leur convient selon la loi de la nature et ce qui leur convient selon l’ordre de la justice divine, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts, « autres sont les limites des choses humaines, autres sont les signes de la puissance divine ; autres sont les choses accomplies naturellement, autres celles qui le sont d’une manière étonnante ». Selon le cours naturel, les âmes séparées, envoyées dans leurs demeures propres, sont complètement séparées du commerce avec les vivants. En effet, les hommes qui vivent dans une chair mortelle ne sont pas unis aux substances séparées selon le cours de la nature, puisque toute leur connaissance provient du sens ; et il ne conviendrait qu’ils ne sortent de leurs demeures que pour être présents à ce qui concerne les vivants. Mais, selon une disposition de la providence divine, les âmes séparées se présentent parfois au regard des hommes comme si elles étaient sorties de leurs demeures, comme Augustin le raconte dans le livre mentionné du martyr Félix, qui est apparu visiblement aux citoyens de Nole, alors qu’ils étaient assiégés par les barbares. On peut croire aussi que cela arrive parfois des damnés, qu’il leur soit permis d’apparaître aux vivants pour instruire ou terroriser les hommes, ou bien pour demander des suffrages pour ceux qui sont retenus au purgatoire, comme cela ressort de plusieurs récits dans les Dialogues, IV. Mais il y a cette différence entre les saints et les damnés, que les saints peuvent apparaître aux vivants quand ils le veulent, mais non les damnés. En effet, de même que les saints qui vivent dans la chair reçoivent de donner la santé et d’accomplir des miracles par le don d’un charisme [per donum gratiae gratis datae], ce qu’ils n’accomplissent de manière étonnante que par la puissance divine (ces signes ne peuvent être accomplis par les autres qui n’ont pas un tel don), de même aussi il n’est pas inapproprié qu’en vertu de la gloire, un pouvoir soit donné aux âmes des saints, par lequel elles puissent apparaître aux vivants de manière étonnante lorsqu’elles le veulent, ce que les autres ne peuvent pas, à moins qu’ils n’en aient à l’occasion reçu la permission.

[21671] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus, ut per sequentia patet, loquitur secundum communem cursum naturae; nec tamen sequitur quod etiam si mortui possunt aut volunt viventibus apparere, toties appareant quoties apparent in carne viventes; quia separati a carne vel omnino conformantur divinae voluntati, ita quod non liceat eis nisi quod secundum divinam dispositionem congruere intuentur; vel ita sunt poenis oppressi, ut de sua miseria magis doleant, quam curent aliis apparere.

1. Comme cela ressort de ce qui suit, Augustin parle du cours ordinaire de la nature ; il n’en découle cependant pas que, même si les morts peuvent ou veulent apparaître aux vivants, ils apparaissent aussi souvvent qu’ils paraissent vivre dans la chair, car ceux qui sont séparés de la chair se conforment en tout à la volonté divine, de sorte qu’il ne leur est permis de voir que ce qui convient selon une disposition divine, ou bien d’être à ce point écrasés de peines qu’ils se plaignent plutôt de leur misère qu’ils ne se soucient d’apparaître à d’autres.

[21672] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritates illae loquuntur quantum ad hoc quod nullus de Paradiso vel Inferno egreditur simpliciter, et non quod non egrediatur ad tempus.

2. Ces autorités portent sur le fait que personne ne sort du paradis ou de l’enfer simplement, et non qu’il n’en sort temporairement.

[21673] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex dictis patet, dist. praec., art. ult., qu. 3, in corp., secundum hoc locus animae cedit in poenam vel praemium, quod anima afficiatur ex hoc quod tali loco deputatur vel gaudendo vel dolendo. Hoc autem gaudium sive hic dolor de hoc quod talibus locis deputatur, manet in anima etiam quando extra loca praedicta fuerit; sicut pontifici cum datur pro honore ut in cathedra sedeat in Ecclesia, non minuitur gloria quando a cathedra recedit; quia etiam si actu ibi non sedeat, locus tamen ille sibi deputatus est.

3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, distinction précédente, dernier article, q. 3, c., le lieu de l’âme devient peine ou récompense selon que l’âme est affectée d’être envoyée en un tel lieu en se réjouissant ou en étant affligée. Cette joie et cette peine d’être envoyée dans tels lieux demeure dans l’âme, même lorsqu’elle se trouvera en dehors de ces lieux, comme la gloire du pontife, alors qu’il lui est conféré comme un honneur de s’asseoir sur la cathèdre dans l’église, n’est pas diminuée lorsqu’il s’éloigne de la cathèdre, car même s’il n’y est pas assis en acte, ce lieu lui a cependant été assigné.

[21674] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad s. c. 1 Ad ea etiam quae contra objiciuntur responderi oportet; ad quorum primum dicitur, quod Hieronymus loquitur de apostolis et martyribus secundum hoc quod eis accrescit ex potestate gloriae, et non secundum quod eis congruit ex debito naturae. Quod autem dicit eos ubique esse, non est intelligendum quod simul sint in pluribus locis aut ubique, sed quia esse possunt ubi volunt.

[1] Il faut aussi répondre à ce qui a été objecté. Dans la première objection, Jérôme parle des apôtres et des martyrs selon ce qui leur est ajouté par le pouvoir de la gloire, et non selon ce qui leur convient par exigence de la nature. Qu’il dise qu’ils sont partout, cela ne doit pas être compris comme s’ils étaient en même temps dans plusieurs lieux ou partout, mais comme s’ils peuvent être là où ils veulent.

[21675] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod non est simile de Daemonibus et Angelis et animabus sanctorum et damnatorum. Angeli enim boni et mali hoc officium sortiuntur ut hominibus praesint vel ad custodiam vel ad exercitium; quod de animabus hominum dici non potest. Sed tamen secundum potestatem gloriae animabus sanctorum hoc congruit quod possunt esse ubi voluerint; et hoc est quod Hieronymus intendit.

[2] Il n’en va pas de même des démons et des anges, et des âmes des saints et des damnés. En effet, cette fonction est assignée aux anges bons et mauvais afin qu’ils interviennent auprès des hommes pour leur garde ou leur mise à l’épreuve, ce qu’on ne peut dire des âmes des hommes. Cependant, selon le pouvoir de la gloire, il est approprié pour les âmes des saints de pouvoir être là où ils veulent. C’est ce que Jérôme a en tête.

[21676] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 1 qc. 3 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliquando animae sanctorum vel damnatorum praesentialiter adsint ubi apparent; non tamen credendum est hoc semper accidere. Aliquando enim hujusmodi apparitiones fiunt vel in dormiendo vel in vigilando operatione bonorum vel malorum spirituum ad instructionem vel destructionem viventium; sicut etiam vivi homines quandoque aliis apparent, et eis multa dicunt in somniis, cum tamen constet eos non esse praesentes, sicut Augustinus per multa exempla probat in libro de cura pro mortuis agenda.

[3] Bien que les âmes des saints et des damnés soient parfois effectivement présentes là où elles apparaissent, il ne faut cependant pas croire que cela se produit toujours. En effet, ces apparitions se produsent parfois dans le sommeil ou à l’état de veille par l’opération des esprits bons et mauvais pour l’information ou la destruction des vivants, comme des hommes vivants apparaissent aussi parfois aux autres et leur disent beaucoup de choses dans des rêves, alors qu’il est clair qu’ils ne sont pas présents, comme Augustin le montre par plusieurs exemples dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts.

 

 

Articulus 2 [21677] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 tit. Utrum Limbus Inferni sit idem quod sinus Abrahae

Article 2 – Les limbes sont-ils la même chose que le sein d’Abraham ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [

[21678] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Limbus Inferni non sit idem quod sinus Abrahae. Sicut enim dicit Augustinus, 12 super Genes. ad litteram: nondum inveni Inferos alicubi in bono posuisse Scripturam. Sed sinus Abrahae in bono accipitur, ut ibidem subjungit Augustinus sic dicens: non in bono accipiendum sinum Abrahae, et illam requiem quo ab Angelis pius pauper sublatus est, nescio utrum quisquam possit audire. Ergo sinus Abrahae non est idem quod Limbus Inferni.

1. Il semble que les limbes ne soient pas la même chose que le sein d’Abraham. En effet, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII : « Je n’ai encore trouvé aucun endroit où l’Écriture a parlé en bien de l’enfer ». Or, le sein d’Abraham est considéré comme un bien, comme l’ajoute Augustin : « Je ne sais si quelqu’un peut ne pas entendre en bien le sein d’Abraham et le repos vers lequel le pauvre juste est emporté par les anges. » Le sein d’Abraham n’est donc pas la même chose que les limbes de l’enfer.

[21679] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in Inferno existentes non vident Deum. Sed in sinu Abrahae videtur Deus, ut patet per Augustinum, 9 Lib. Confess., qui loquens de Nebridio dicit: quidquid illic est quod sinus Abraham vocatur, ibi Nebridius meus vivit; et infra: jam non ponit aures ad os meum, sed spirituale os ad fontem tuum, et bibit quantum potest sapientiam pro aviditate sua sine fine felix. Ergo sinus Abrahae non est idem quod Limbus Inferni.

2. Ceux qui sont en enfer ne voient pas Dieu. Or, dans le sein d’Abraham, Dieu est vu, comme cela ressort d’Augustin, Confessions, IX, qui dit en parlant de Nebridius : « Tout ce qu’on appelle là le sein d’Abraham, là vit mon Nebridius. » Et plus loin : « Il ne place plus son oreille sur ma bouche, mais sa bouche spirituelle à ta source, et il boit autant qu’il peut la sagesse avec avidité, heureux pour l’éternité. » Le sein d’Abraham n’est donc pas la même chose que les limbes de l’enfer.

[21680] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Ecclesia non orat pro aliquo ut ad Infernum deducatur. Orat autem ut Angeli animam defuncti in sinum Abrahae deferant. Ergo videtur quod sinus Abrahae non sit idem quod Limbus.

3. L’Église ne prie pas pour que quelqu’un soit amené à l’enfer. Or, elle prie pour que les anges portent l’âme du défunt dans le sein d’Abraham. Il semble donc que le sein d’Abraham ne soit pas la même chose que les limbes.

[21681] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sinus Abrahae dicitur ubi mendicus Lazarus ductus est. Sed ductus est ad Infernum, ut dicit Glossa Job 30, super illud: ubi constituta domus Dei viventis: Infernus domus erat omnium viventium ante adventum Christi. Ergo sinus Abrahae idem est quod Limbus.

Cependant, [1] on appelle « sein d’Abraham » l’endroit où le mendiant Lazare a été conduit. Or, il a été conduit en enfer, comme le dit la Glose sur Jb 30 : Là où est établie la maison du Dieu vivant : « L’enfer était la maison de tous les vivants avant la venue du Christ. » Le sein d’Abraham est donc la même chose que les limbes.

[21682] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Genes. 44, 29, dicit Jacob filiis suis: deducetis canos meos cum dolore ad Inferos. Ergo Jacob sciebat in morte sua se ad Inferos transferendum; ergo et eadem ratione Abraham ad Inferos translatus fuit post mortem; et ita sinus Abrahae videtur esse aliqua pars Inferni.

[2] En Gn 44, 29, Jacob dit à ses fils : Vous conduirez mes cheveux blancs en enfer par la douleur. Jacob savait donc que, lors de sa mort, il devait être emmené en enfer. Pour la même raison, Abraham a donc été emmené après sa mort. Ainsi, le sein d’Abraham semble être une partie de l’enfer.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les limbes sont-ils la même chose que l’enfer des damnés ?]

[21683] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Limbus Inferni sit idem quod Infernus damnatorum. Christus enim dicitur Infernum momordisse, non absorbuisse, quia aliquos extraxit inde, non autem omnes. Non autem diceretur momordisse Infernum, si illi quos liberavit, non fuissent pars multitudinis in Inferno contentae. Ergo cum illi quos liberavit, in Limbo Inferni continerentur, iidem continebantur in Limbo et Inferno; ergo Limbus est idem quod Infernus, vel pars Inferni.

1. Il semble que les limbes soient la même chose que l’enfer des damnés. En effet, on dit que le Christ a entamé l’enfer, et non qu’il l’a absorbé, car il en arraché certains, mais pas tous. Or, on ne dirait pas qu’il a entamé l’enfer si ceux qu’il a libérés ne faisaient pas partie de la multitude qui se trouve en enfer. Puisque ceux qu’il a libérés se trouvent dans les limbes de l’enfer, les mêmes se trouvaient donc dans les limbes et en enfer. Les limbes sont donc la même chose que l’enfer ou une partie de l’enfer.

[21684] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Christus dicitur, in symbolo, descendisse ad Infernum. Sed non descendit nisi ad Limbum patrum. Ergo Limbus patrum est idem quod Infernus.

2. Dans le symbole, on dit que le Christ est descendu en enfer. Or, il n’est descendu que dans les limbes des pères. Les limbes des pères sont donc la même chose que l’enfer.

[21685] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Job 27, dicitur: in profundissimum Inferni descendent omnia mea. Sed Job, cum esset vir sanctus et justus, ad Limbum descendit. Ergo Limbus est idem quod profundissimum Inferni.

3. Il est dit en Jb 27: Tout ce qui m’appartient descendra au plus profond de l’enfer. Or, Job, alors qu’il était un homme saint et juste, est descendu en enfer. Les limbes sont donc la même chose que le plus profond de l’enfer.

[21686] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in Inferno nulla est redemptio. Sed a Limbo sancti fuerunt redempti. Ergo Limbus non est idem quod Infernus.

Cependant, [1] il n’y a pas de rédemption en enfer. Or, les saints ont été racheté des limbes. Les limbes ne sont donc pas la même chose que l’enfer.

[21687] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, 12 super Genes. ad litteram: quomodo illam requiem quam Lazarus accepit, apud Inferos esse credamus, non video. Sed anima Lazari ad Limbum descendit. Ergo Limbus non est idem quod Infernus.

[2] Augustin dit dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII : « Je ne vois pas comment nous croyons que le repos que Lazare a reçu se trouve en enfer. » Or, l’âme de Lazare est descendue aux limbes. Les limbes ne sont donc pas la même chose que l’enfer.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les limbes des enfants sont-ils la même chose que les limbes des pères ?]

[21688] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Limbus puerorum sit idem quod Limbus patrum. Poena enim debet respondere culpae. Sed pro eadem culpa detinebantur in Limbo patres et pueri, scilicet pro culpa originali. Ergo idem debet esse utrorumque locus poenae.

1. Il semble que les limbes des enfants sont la même chose que les limbes des pères. En effet, la peine doit correspondre à la faute. Or, les pères et les enfants étaient détenus dans les limbes pour la même faute, la faute originelle. Le lieu de la peine doit donc être le même pour les deux.

[21689] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Enchir.: mitissima est poena puerorum qui cum solo originali decedunt. Sed nulla est mitior poena ea quam sancti patres habebant. Ergo idem est locus poenae utrorumque.

2. Augustin dit dans l’Enchiridion : « La peine des enfants qui meurent avec la seule faute originelle est très douce. » Or, aucune peine n’est plus douce que celle qu’avaient les saints pères. Le lieu de la peine est donc le même pour les deux.

[21690] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut actuali peccato debetur poena temporalis in Purgatorio, et aeterna in Inferno; ita et originali peccato debebatur poena temporalis in Limbo patrum, et aeterna in Limbo puerorum. Si ergo Infernus et Purgatorium non sunt idem, videtur quod nec Limbus puerorum et Limbus patrum sint idem. Utrum autem Infernus et Purgatorii locus sint idem, quaesitum est supra, dist. 21, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 2, in corp.

Cependant, [1] De même qu’une peine temporelle est due au purgatoire pour le péché actuel et une peine éternelle en enfer, de même une peine temporelle était-elle due dans les limbes des pères et une peine éternelle dans les limbes des enfants. Si donc l’enfer et le purgatoire ne sont pas la même chose, il semble que les limbes des enfants et les limbes des pères ne sont pas la même chose. Le lieu de l’enfer et du purgatoire est-il le même, on l’a examiné plus haut, d. 21, q. 1, a. 1, qa 2, c.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21691] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod animae hominum post mortem ad quietem pervenire non possunt nisi merito fidei: quia accedentem ad Deum oportet credere: Hebr. 11, 6. Primum autem exemplum credendi hominibus in Abraham datur, qui primus se a coetu infidelium segregavit, et speciale signum fidei accepit; et ideo requies illa quae hominibus post mortem datur, sinus Abrahae dicitur, ut patet per Augustinum, 11 super Genes. ad litteram. Sed animae sanctorum post mortem non omni tempore eamdem quietem habuerunt: quia post Christi adventum habent plenam quietem, divina visione perfruentes; sed ante Christi adventum habebant quidem quietem per immunitatem poenae, sed non habebant quietem desiderii per consecutionem finis. Et ideo status sanctorum ante Christi adventum potest considerari et secundum id quod habebat de requie, et sic dicitur sinus Abrahae; potest etiam considerari quantum ad id quod eis de requie deerat; et sic dicitur Limbus Inferni. Limbus ergo Inferni et sinus Abrahae fuerunt ante Christi adventum unum per accidens, et non per se; et ideo nihil prohibet post Christi adventum esse sinum Abrahae omnino diversum a Limbo: quia ea quae sunt unum per accidens, separari contingit.

Les âmes des hommes après la mort ne peuvent parvenir au repos que par le mérite de la foi, car il est nécessaire de croire pour celui qui s’approche de Dieu, He 11, 6. Or, le premier exemple de foi chez les hommes a été donné par Abraham, qui, le premier, s’est séparé de l’assemblée des infidèles et a reçu un signe particulier de la foi. Aussi le repos qui est donné aux hommes après la mort est-il appelé le sein d’Abraham, comme cela ressort d’Augustin, Commentaire littéral sur la Genèse, XI. Mais les âmes des saints n’ont pas eu en tout temps le même repos après la mort, car, après la venue du Christ, elles ont le plein repos en jouissant de la vision de Dieu ; mais, avant la venue du Christ, elles avaient un repos en raison de l’exemption de la peine, mais elles n’avaient pas le repos de leur désir par l’obtention de la fin. C’est pourquoi l’état des saints avant la venue du Christ peut être considéré soit sous l’aspect où ils avaient le repos : on parle alors du sein d’Abraham ; il peut aussi être considéré sous l’aspect où le repos leur faisait défaut : on parle ainsi des limbes de l’enfer. Avant la venue du Christ, les limbes de l’enfer et le sein d’Abraham étaient donc une seule chose par accident, et non par soi. C’est pourquoi rien n’empêche que le sein d’Abraham soit complètement différent des limbes après la venue du Christ, car il arrive que ce qui est un par accident soit séparé.

[21692] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum ad id quod habebat de bono status sanctorum patrum, sinus Abrahae dicebatur; sed quantum ad id quod habebat de defectu, dicebatur Infernus; et sic nec sinus Abrahae in malum accipitur, nec Infernus in bonum; quamvis quodammodo sint unum.

1. Pour ce qu’il avait de bon, l’état des saints pères était appelé le sein d’Abraham ; mais pour ce qui lui faisait défaut, il était appelé l’enfer. Ainsi, ni le sein d’Abraham n’est-il considéré en mal, ni l’enfer en bien, bien qu’ils soient d’une certaine manière une seule chose.

[21693] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut requies sanctorum patrum ante Christi adventum dicebatur sinus Abrahae, ita et post Christi adventum, sed diversimode: quia enim ante Christi adventum sanctorum requies habebat defectum requiei adjunctum, dicebatur idem Infernus et sinus Abrahae, unde ibi non videbatur Deus; sed quia post Christi adventum sanctorum requies est completa, cum Deum videant, talis requies dicitur sinus Abrahae, et nullo modo Infernus; et ad hunc sinum Abrahae Ecclesia orat fideles perduci.

2. De même que le repos des saints pères était appelé le sein d’Abraham avant la venue du Christ, de même aussi après la venue du Christ, mais différemment : en effet, parce que, avant la venue du Christ, un certain manque de repos était associé au repos des saints, on disait que l’enfer et le sein d’Abraham étaient la même chose. Dieu n’y était donc pas vu. Mais parce que, après la venue du Christ, le repos des saints est complet, puisqu’ils voient Dieu, [leur] repos est appelé le sein d’Abraham, et aucunement l’enfer. Et l’Église prie pour que les fidèles soient menés à ce sein d’Abraham.

[21694] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Unde patet responsio ad tertium; et sic est intelligenda quaedam Glossa quae habetur Lucae 16, super illud: factum est ut moreretur mendicus etc., quae sic dicit: sinus Abrahae est requies beatorum pauperum, quorum est regnum caelorum.

3. Ainsi ressort la réponse à la troisième objection. Et ainsi doit être entendue une glose sur Lc 16 : Il arriva que le mendiant mourût, etc., qui dit : « Le sein d’Abraham est le repos des pauvres bienheureux, à qui appartient le royaume des cieux. »

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21695] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod receptacula animarum post mortem dupliciter distingui possunt; aut secundum situm, aut secundum locorum qualitatem, prout scilicet in aliquibus locis poenas vel praemia recipiunt animae. Si ergo consideretur Limbus patrum et Infernus secundum locorum qualitatem praedictam, sic non est dubium quod distinguuntur: tum quia in Inferno est poena sensibilis, quae in Limbo patrum non erat: tum etiam quia in Inferno est poena aeterna; sed in Limbo patrum detinebantur sancti temporaliter tantum. Sed si considerentur quantum ad situm loci; sic probabile est quod idem locus, vel quasi continuus, sit Infernus et Limbus; ita tamen quod quaedam superior pars Inferni Limbus patrum dicatur. Existentes enim in Inferno, secundum diversitatem culpae diversam sortiuntur et poenam; et ideo secundum quod gravioribus peccatis etiam irretiuntur damnati, secundum hoc obscuriorem et profundiorem locum obtinent in Inferno; unde sancti patres, in quibus minimum erat de ratione culpae, supremum et minus tenebrosum locum habuerunt omnibus puniendis.

Les demeures des âmes après la mort peuvent être distinguées de deux manières : soit selon le site, soit selon la qualité des lieux, pour autant que les âmes reçoivent peines ou récompenses dans certains lieux. Si donc on considère les limbes des pères et l’enfer selon la qualité des lieux indiquée, il n’y a aucun doute qu’ils sont distincts, tant parce que, en enfer, existe une peine sensible, qui n’existait pas dans les limbes des pères, que parce que, en enfer, existe une peine éternelle, alors que, dans les limbes des pères, les saints n’étaient détenus que temporairement. Mais s’ils sont considérés selon le site du lieu, il est ainsi probable que l’enfer et les limbes sont le même lieu ou, pour ainsi dire, des lieux contigus, de telle sorte cependant qu’une partie supérieure de l’enfer soit appelée les limbes des pères. En effet, une peine différente est attribuée à ceux qui se trouvent en enfer selon la diversité de leur faute ; selon que les damnés sont retenus dans les filets de péchés plus graves, ils obtiennent ainsi un lieu plus profond et plus obscur en enfer. Aussi les saints pères, chez qui se trouvait le plus petit degré de faute, reçurent-ils le lieu le plus élevé et le moins obscur parmi tous ceux qui devaient être punis.

[21696] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum hoc quod Infernus et Limbus sunt idem quantum ad situm, dicitur Christus Infernum momordisse, et in Infernum descendisse, quando patres a Limbo eripuit suo descensu.

1. On dit que le Christ a entamé l’enfer et est descendu en enfer, lorsqu’il arracha les pères des limbes par sa descente, selon que l’enfer et les limbes sont la même chose du point de vue du site

[21697] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum.

2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire.

[21698] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Job non descendit ad Infernum damnatorum, sed in Limbum patrum; qui quidem dicitur profundissimus locus, non quidem respectu locorum poenalium, sed in comparatione ad alia loca, quia sub eodem includitur omnis locus poenarum. Vel dicendum, sicut Augustinus solvit, 12 super Genes. ad litteram, de Jacob sic dicens: illud quod Jacob dicit ad filios suos: deducetis senectutem meam cum tristitia ad Inferos: videtur hoc magis timuisse, ne nimia tristitia sic perturbaretur, ne ad requiem beatorum iret, sed ad Inferos peccatorum. Et similiter potest exponi verbum Job eadem ratione, ut sit verbum magis timentis quam asserentis.

3. Job n’est pas descendu dans l’enfer des damnés, mais dans les limbes des pères, dont on dit qu’il est le lieu le plus profond, non pas par rapport aux lieux de punition, mais par rapport aux autres lieux, parce que tous les lieux des peines sont inclus dans le même [lieu]. Ou bien il faut dire, comme répond Augustin de Jacob, dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII : « Ce que Jacob dit à ses fils : Vous conduirez ma vieillesse aux enfers avec tristesse ; qu’il ait été ainsi perturbé par une très grande tristesse semble avoir été l’effet d’une grande crainte de ne pas aller vers le repos des bienheureux, mais dans l’enfer des pécheurs. » La parole de Job peut être de même expliquée de la même manière, de sorte qu’elle soit davantage la parole de quelqu’un qui craint que celle de quelqu’un qui affirme.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21699] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Limbus patrum et Limbus puerorum absque dubio differunt secundum qualitatem praemii vel poenae: pueris enim non adest spes beatae vitae quae patribus in Limbo aderat, in quibus etiam lumen fidei et gratiae refulgebat. Sed quantum ad situm, probabiliter creditur utrorumque idem locus fuisse; nisi quod requies beatorum adhuc erat in superiori loco quam Limbus puerorum, sicut de Limbo et Inferno dictum est.

Les limbes des pères et les limbes des enfants diffèrent sans aucun doute quant à la qualité de la récompense ou de la peine. En effet, les enfants n’ont pas l’espérance de la vie bienheureuse qui était présente dans les limbes des pères, chez qui brillait aussi la lumière de la foi et de la grâce. Mais, pour ce qui est du site, on croit avec probabilité qu’ils étaient le même lieu, sauf que le repos des bienheureux était situé dans un endroit supérieur à celui des limbes des enfants, comme on l’a dit des limbes et de l’enfer.

[21700] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad culpam originalem non eodem modo se habebant patres et pueri. In patribus enim originalis culpa expiata erat, secundum quod erat infectiva personae: remanebat tamen impedimentum ex parte naturae, pro qua nondum fuerat plenarie satisfactum. Sed in pueris est impedimentum et ex parte personae et ex parte naturae; et ideo pueris et patribus diversa receptacula assignantur.

1. Les pères et les enfants n’avaient pas le même rapport à la faute originelle. En effet, chez les pères, la faute originelle avait été expiée, pour autant qu’elle infectait la personne ; demeurait cependant un empêchement du côté de la nature, pour laquelle une pleine satisfaction n’avait pas été réalisée. Mais, chez les enfants, existe un empêchement tant du côté de la personne que du côté de la nature. C’est pourquoi des demeures différentes sont attribuées aux enfants et aux pères.

[21701] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus loquitur de poenis quae debentur alicui ratione personae suae, inter quos mitissimam poenam habent qui solo originali peccato gravantur: sed adhuc est mitior poena eorum quos non impedit a perceptione gloriae defectus personae, sed solus defectus naturae, ut ipsa dilatio gloriae quaedam poena dicatur.

2. Augustin parle des peines qui sont dues à quelqu’un en raison de sa personne. Parmi eux, ceux qui sont chargés du seul péché originel ont la peine la plus douce ; mais la peine de ceux qu’une déficience personnelle, mais seulement une déficience de la nature, n’empêche pas de recevoir la gloire est encore plus douce, de telle sorte qu’un report de la gloire soit appelé une peine.

 

 

Articulus 3 [21702] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 tit. Utrum debeant tot receptacula distingui

Article 3 – Faut-il faire une distinction entre autant de demeures ?

[21703] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non debeant tot receptacula distingui. Sicut enim receptacula debentur animabus post mortem pro peccato, ita et pro merito. Sed ratione meriti non debetur nisi unum tantum receptaculum, scilicet Paradisus. Ergo nec ratione peccatorum debetur nisi unum receptaculum.

1. Il semble qu’il ne faille pas faire de distinction entre autant de demeures. En effet, de même que des demeures doivent être attribuées aux âmes après la mort en raison du péché, de même en raison du mérite. Or, en raison du mérite, n’est due qu’une seule demeure, le paradis. Une seule demeure est donc due aussi en raison des péchés.

[21704] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, receptacula assignantur animabus post mortem ratione meritorum vel demeritorum. Sed non est locus in quo merentur vel demerentur. Ergo unum tantum receptaculum debet eis assignari post mortem.

2. Des demeures sont attribuées aux âmes après la mort en raison des mérites ou des démérites. Or, il n’y a pas de lieu où elles méritent ou déméritent. Une seule demeure doit donc leur être assignée après la mort.

[21705] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, loca poenalia debent respondere ipsis culpis. Sed non sunt nisi tria genera culparum; scilicet originalis, venialis, et mortalis. Ergo non debent esse nisi tria receptacula poenalia.

3. Les lieux des peines doivent répondre aux fautes elles-mêmes. Or, il n’y a que trois genres de fautes : l’originelle, la vénielle et la mortelle. Il ne doit donc exister que trois demeures pour les peines.

[21706] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse multo plura quam assignentur. Aer enim iste caliginosus est Daemonum carcer, ut patet 2 Petr. 3; nec tamen computatur inter quinque receptacula, quae a quibusdam assignantur. Ergo sunt plura receptacula quam quinque.

Cependant, [4] il semble qu’il doive y en avoir beaucoup plus que celles qui sont signalées. En effet, l’air présent ennuagé est la prison des démons, comme cela ressort de 2 P 3 ; cependant, il n’en est pas tenu compte parmi les cinq demeures qui sont signalées par certains. Il existe donc plus que cinq demeures.

[21707] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, alius est Paradisus terrestris, et alius Paradisus caelestis. Sed quidam post statum hujus vitae ad Paradisum terrestrem sunt translati, sicut de Enoch et Elia dicitur. Cum ergo Paradisus terrestris inter quinque receptacula non computetur, videtur quod sint plura quam quinque.

[5] Autre est le paradis terrestre, autre est le paradis céleste. Or, certains, après l’état de cette vie, sont emportés vers le paradis terrestre, comme on le dit d’Énoch et d’Élie. Puisque le paradis terrestre n’est pas compté parmi les cinq demeures, il semble donc qu’il y en ait plus que cinq.

[21708] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, cuilibet statui peccantium debet aliquis locus poenalis respondere. Sed si ponatur aliquis in originali peccato decedere cum solo veniali peccato, nullum receptaculorum assignatorum ei competet; constat enim quod in Paradiso non esset, cum gratia careret; sed eadem ratione nec in Limbo patrum; similiter nec in Limbo puerorum, cum in Limbo puerorum non sit poena sensibilis, quae tali debetur ratione venialis peccati; similiter nec in Purgatorio, quia ibi non est nisi poena temporalis, huic autem debetur poena perpetua; similiter nec in Inferno damnatorum, quia mortali peccato caret. Ergo oportet ponere sextum receptaculum.

[6] Un lieu de peine doit répondre à tous les états de ceux qui pèchent. Or, si l’on dit que quelqu’un qui est dans le péché originel meurt avec une seule faute vénielle, aucune des demeures signalées ne lui conviendra. En effet, il est clair qu’il n’ira pas au paradis, puisque la grâce lui fait défaut. Mais, pour la même raison, il n’ira pas dans les limbes des pères. De même, ni dans les limbes des enfants, puisque, dans les limbes des enfants, il n’y a pas de peine sensible, qui est due à celui-là en raison du péché véniel. De même, ni dans le purgatoire, car il n’y existe qu’une peine temporelle. Or, une peine perpétuelle est due à celui-là. De même, ni dans l’enfer des damnés, car il n’a pas de péché mortel. Il faut donc supposer une sixième demeure.

[21709] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, diversae sunt quantitates praemiorum et poenarum secundum differentias culparum et meritorum. Sed infiniti sunt gradus culparum et meritorum. Ergo infinita debent distingui receptacula, in quibus puniantur vel praemientur post mortem.

[7] Les quantités des récompenses et des peines diffèrent selon les différences entre les fautes et les mérites. Or, les degrés des fautes et des mérites sont infinis. Il faut donc distinguer un nombre infini de demeures, où l’on est puni ou récompensé après la mort.

[21710] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, animae quandoque puniuntur in locis in quibus peccaverunt, ut per Gregorium patet in 4 Dialog. Sed peccaverunt in loco in quo nos habitamus. Ergo hic locus debet computari inter receptacula; et praecipue cum aliqui in hoc mundo pro peccatis suis puniantur, ut supra, dist. 15, dixit Magister.

[8] Parfois, les âmes sont punies là où elles ont péché, comme cela ressort de Grégoire, Dialogues, IV. Or, elles ont péché dans le lieu où nous habitons. Le lieu présent doit dont être compté parmi les demeures, surtout lorsque certains sont punis en ce monde pour leurs péchés, comme le dit plus haut le Maître, d. 15.

[21711] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 9 Praeterea, sicut aliqui in gratia decedentes habent aliqua pro quibus sunt digni poena; ita aliqui in peccato mortali decedentes habent aliqua bona, pro quibus essent digni praemio. Sed decedentibus in gratia cum peccatis venialibus assignatur aliquod receptaculum, in quo puniuntur antequam praemia consequantur, scilicet Purgatorium. Ergo et eadem ratione e contrario debet esse de illis qui in mortali peccato decedunt cum bonis operibus aliquibus.

[9] De même que certains qui meurent en grâce ont certaines choses pour lesquelles ils sont dignes de peines, de même certains qui meurent dans le péché mortel ont certaines choses bonnes pour lesquelles ils seraient dignes de récompense. Or, une demeure, dans laquelle ils sont punis avant d’obtenir les récompenses, le purgatoire, est assignée à ceux qui meurent en grâce avec des péchés véniels. Pour la même raison doit-il en être ainsi en sens contraire pour ceux qui meurent dans le péché mortel avec des œuvres bonnes.

[21712] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 10 Praeterea, sicut patres retardabantur a plena gloria animae ante Christi adventum, ita et nunc a gloria corporis. Ergo sicut distinguitur receptaculum sanctorum ante Christi adventum ab eo in quo nunc recipiuntur, ita debet receptaculum nunc distingui ab eo in quo recipientur post resurrectionem.

[10] De même que la pleine gloire de l’âme était reportée pour les pères avant la venue du Christ, de même maintenant la gloire du corps. Donc, de même qu’on distingue une demeure des saints avant la venue du Christ de celle dans laquelle ils sont maintenant reçus, de même une demeure doit-elle être maintenant distinguée de celle dans laquelle ils seront reçus après la résurrection.

[21713] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod receptacula animarum distinguuntur secundum diversos status earum. Anima autem conjuncta mortali corpori habet statum merendi; sed exuta corpore est in statu recipiendi pro meritis bonum vel malum. Ergo post mortem vel est in statu recipientis finale praemium, vel est in statu quo impeditur ab illo. Si autem est in statu recipientis finalem retributionem, hoc est dupliciter: vel quantum ad bonum, et sic est Paradisus; vel quantum ad malum; et sic ratione actualis culpae est Infernus, ratione autem originalis est Limbus puerorum. Si autem est in statu quo impeditur a finali retributione consequenda; vel hoc est propter defectum personae; et sic est Purgatorium, in quo detinentur animae, ne statim praemium consequantur propter peccata quae commiserunt; vel propter defectum naturae, et sic est Limbus patrum, in quo detinebantur patres a consecutione gloriae propter reatum humanae naturae, qui nondum poterat expiari.

Les demeures des âmes sont distinguées selon leurs divers états. Or, l’âme unie à un corps mortel est en état de mériter ; mais, une fois sortie du corps, elle est en état de recevoir un bien ou un mal pour ses mérites. Après la mort, elle est donc en état de recevoir la récompense finale, ou bien elle est dans un état par lequel elle en est empêchée. Or, si elle est en état de recevoir la récompense finale, c’est de deux manières : soit en bien, c’est alors le paradis ; soit en mal. Ainsi, en raison de la faute actuelle, c’est l’enfer ; en raison de la faute originelle, ce sont les limbes des enfants. Mais s’il est dans l’état par lequel il est empêché d’obtenir la récompense finale, c’est soit en raison d’une déficience personnelle : c’est alors le purgatoire, où sont les âmes retenues de recevoir immédiatement la récompense en raison des péchés qu’elles ont commis ; soit en raison d’une déficience de nature : ce sont alors les limbes des pères, où les pères étaient retenus d’obtenir la gloire en raison d’une faute de la nature humaine qui ne pouvait pas encore être expiée.

[21714] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod bonum contingit uno modo, sed malum multifarie, sicut patet per Dionysium 4 cap. de Div. Nom. et per philosophum in 2 Ethic.; et propter hoc non est inconveniens si locus retributionis est unus, loca vero poenarum sunt plura.

1. Le bien arrive d’une seule manière, mais le mal de plusieurs, comme cela ressort de Denys, Les noms divins, IV, et du Philosophe, Éthique, II. Pour cette raison, il n’est pas inapproprié que le lieu de la récompense soit unique, mais qu’il y ait plusieurs lieux pour les peines.

[21715] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod status merendi vel demerendi est unus status, cum ejusdem sit posse mereri et demereri; et ideo convenienter debetur omnibus unus locus. Sed eorum qui recipiunt pro meritis, sunt status diversi; et ideo non est simile.

2. L’état de mérite et de démérite est un seul état puisqu’il appartient au même de pouvoir mériter et démériter. Aussi un seul lieu est convenablement dû à tous. Mais il y a divers états pour ceux qui reçoivent en fonction de leurs mérites. Ce n’est donc pas la même chose.

[21716] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pro culpa originali potest aliquis puniri dupliciter, ut ex dictis patet, vel ratione personae, vel ratione naturae tantum; et ideo illi culpae respondet duplex Limbus.

3. On peut être puni de deux manières pour la faute originelle, comme cela ressort de ce qui a été dit : en raison de la personne ou en raison de la nature seulement. Aussi deux limbes répondent-ils à cette faute.

[21717] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aer iste caliginosus non assignatur Daemonibus quasi locus in quo recipiant retributionem pro meritis, sed quasi competens officio eorum, inquantum deputantur nobis ad exercitium; et ideo inter receptacula de quibus nunc agitur, non computatur; primo enim deputatur eis ignis Inferni, ut patet Matth. 25.

4. Cet air ennuagé n’est pas assigné aux démons comme le lieu dans lequel ils reçoivent une rétribution pour leurs mérites, mais comme celui qui convient à leur fonction, pour autant qu’ils nous sont envoyés pour nous mettre à l’épreuve. Aussi [cet air] n’est-il pas compté parmi les demeures dont il est maintenant question ; en effet, le feu de l’enfer leur est assigné en premier lieu, comme cela ressort de Mt 25.

[21718] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Paradisus terrestris pertinet magis ad statum viatoris quam ad statum recipientis pro meritis; et ideo inter receptacula de quibus nunc agitur, non computatur.

5. Le paradis terrestre se rapporte davantage à l’état de celui qui est en chemin (ad statum viatoris) qu’à l’état de celui qui reçoit pour ses mérites. Il n’est donc pas compté parmi les demeures dont il est maintenant question.

[21719] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illa positio est impossibilis, ut in dist. 2 dictum est; si tamen esset possibilis, talis in Inferno puniretur in aeternum. Quod enim veniale peccatum in Purgatorio temporaliter puniatur, accidit ei inquantum gratiam habet adjunctam; unde si adjungatur mortali, quia est sine gratia, poena aeterna punietur in Inferno. Et quia iste qui cum originali peccato decedit, habet veniale sine gratia, non est inconveniens, si ponitur aeternaliter puniri.

6. Cette position est impossible, comme on l’a dit à la d. 2. Cependant, si elle était possible, celui-là serait puni en enfer pour l’éternité. En effet, que le péché véniel soit puni dans l’enfer d’une manière temporaire, cela vient de ce que la grâce y est associée. Aussi s’il est associé à un péché mortel, parce qu’il n’y a plus de grâce, il serait puni d’une peine éternelle en enfer. Parce que celui qui meurt avec le péché originel a un péché véniel sans la grâce, cela n’est pas inapproprié qu’il soit puni éternellement.

[21720] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod diversitas graduum in poenis vel praemiis non diversificat statum, secundum cujus diversitatem receptacula distinguuntur; et ideo ratio non sequitur.

7. La diversité des degrés dans les peines ou dans les récompenses ne rend pas l’état différent, selon la diversité duquel les demeurent sont distinguées. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[21721] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod hoc quod animae separatae aliquando in loco nostrae habitationis puniuntur, non propter hoc est quod locus iste sit proprius locus poenarum; sed hoc fit ad nostram instructionem, ut earum poenas videntes retrahamur a culpis. Quod autem animae existentes in carne hic puniuntur pro peccatis, non pertinet ad propositum: quia talis poena non trahit hominem extra statum merentis vel demerentis. Nunc autem agimus de receptaculis quae debentur animae post statum meriti vel demeriti.

8. Le fait que les âmes séparées soient parfois punies dans le lieu où nous habitons n’est pas dû au fait que ce lieu est le lieu propre des peines, mais cela est fait pour notre instruction, afin que, voyant ces peines, nous soyons empêchés de pécher. Mais le fait que des âmes qui se trouvent dans la chair sont punies ici pour leurs péchés ne concerne pas la question en cause, car une telle peine n’entraîne pas l’homme hors de l’état où il mérite ou démérite. Or, nous traitons maintenant des demeures qui sont dues à l’âme après l’état de mérite ou de démérite.

[21722] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 9 Ad nonum dicendum, quod malum non potest esse pure absque omni commixtione boni, sicut bonum summum est absque omni commixtione mali; et ideo illi qui ad beatitudinem, quae summum bonum est, transferendi sunt, debent esse ab omni malo purgati; et propter hoc oportet esse locum in quo tales purgentur, si hinc non omnino purgati exeant. Sed illi qui in Infernum detrudentur, non erunt immunes ab omni bono; et ideo non est simile: quia in Inferno existentes praemium bonorum suorum recipere possunt inquantum bona praeterita eis valent ad mitigationem poenae.

9. Le pur mal ne peut exister sans aucun mélange de bien, comme le bien suprême existe sans mélange d’aucun mal. Aussi ceux qui doivent être emportés vers la béatitude, qui est le bien suprême, doivent-ils être purifiés de tout mal. Pour cette raison, il est nécessaire qu’existe un lieu dans lequel ceux-là sont purifiés, s’ils partent sans avoir été entièrement purifiés. Mais ceux qui sont poussés en enfer ne seront pas exempts de tout bien. Aussi n’est-ce pas la même chose, car ceux qui se trouvent en enfer peuvent recevoir la récompense de leurs biens pour autant que les biens passés valent pour l’adoucissement de la peine.

[21723] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 1 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod in gloria animae consistit praemium essentiale; sed gloria corporis, cum redundet ex anima, tota consistit in anima quasi originaliter; et ideo carentia gloriae animae diversificat statum, non autem carentia gloriae corporis; et propter hoc etiam idem locus, scilicet caelum Empyreum, debetur animabus sanctis exutis a corpore, et conjunctis corporibus gloriosis; non autem idem locus debetur animabus patrum ante perceptionem gloriae animae, et post perceptionem ipsius.

10. La récompense essentielle consiste dans la gloire de l’âme ; mais la gloire du corps, puisqu’elle rejaillit à partir de l’âme, se trouve dans l’âme comme dans son origine. Aussi le défaut de grâce diversifie-t-il l’état de l’âme, mais non le défaut de gloire du corps. Pour cette raison, le même lieu, à savoir, le ciel empyrée, est-il aussi dû aux âmes saintes sorties du corps et à celles qui sont unies aux corps glorieux ; mais le même lieu n’est pas dû aux âmes des pères avant qu’ils aient reçu la gloire de l’âme et après qu’ils l’ont reçue.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les suffrages pour les morts]

 

 

Prooemium

Prologue

[21724] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 pr. Deinde quaeritur de suffragiis mortuorum; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum suffragia quae per unum fiunt, alii prodesse possint; 2 quibus prosint; 3 quae suffragia prosint; 4 quantum prosint.

On s’interroge ensuite sur les suffrages pour les morts. À ce sujet, quatre questions sont posées : 1 – Les suffrages faits par un seul peuvent-ils être utiles à un autre ? 2 – À qui sont-ils utiles ? 3 – Quels suffrages sont-ils utiles ? 4 – Dans quelle mesure sont-ils utiles ?

 

 

Articulus 1 [21725] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 tit. Utrum suffragia per unum facta alii prodesse possint

Article 1 – Les suffrages faits par un seul peuvent-ils être utiles à un autre ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les suffrages faits par un seul peuvent-ils être utiles à un autre ?]

[21726] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod suffragia per unum facta alii prodesse non possint. Gal. 6, 6: quae enim seminaverit homo, haec et metet. Sed si unus ex suffragiis alterius fructum consequeretur, meteret ab aliis seminata. Ergo ex suffragiis aliorum nullus fructum consequitur.

1. Il semble que les suffrages faits par un seul ne puissent être utiles à un autre. Ga 6, 6 : Ce que l’homme sème, il le récolte. Or, si quelqu’un tirait du fruit des suffrages d’un autre, il cueillerait ce qui a été semé par d’autres. Personne ne tire donc de fruit des suffrages des autres.

[21727] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ad justitiam Dei pertinet ut unicuique retribuatur pro meritis; unde Psal. 61, 13: tu reddes unicuique secundum opera sua. Sed justitiam Dei deficere impossibile est. Ergo impossibile est quod unus ex operibus alterius juvetur.

2. Il relève de la justice de Dieu que chacun soit rétribué selon ses mérites. Ainsi Ps 61, 13 : Tu rendras à chacun selon ses œuvres. Or, il est impossible que la justice de Dieu fasse défaut. Il est donc impossible que quelqu’un soit aidé par les œuvres d’un autre.

[21728] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, secundum eamdem rationem est opus meritorium et laudabile, quia scilicet inquantum est voluntarium. Sed ex opere unius non laudatur alter. Ergo nec opus unius potest esse alteri meritorium et fructuosum.

3. Une action est méritoire et louable pour la même raison, à savoir qu’elles est volontaire. Or, quelqu’un n’est pas loué pour l’acte d’un autre. L’action de quelqu’un ne peut donc être méritoire et fructueuse pour un autre.

[21729] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ad divinam justitiam pertinet similiter bona reddere pro bonis, et mala pro malis. Sed nullus punitur pro malis alterius; immo, ut dicitur Ezech. 18, 20: anima quae peccaverit, ipsa morietur. Ergo nec unus juvatur per bona alterius.

4. Il relève également de la justice de rendre biens pour biens et maux pour maux. Or, personne n’est puni pour les mauvaises actions des autres ; bien plutôt, comme il est dit en Ez 18, 20, l’âme qui péchera, celle-là mourra. Quelqu’un n’est donc pas non plus aidé par les bonnes actions d’un autre.

[21730] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psal. 118, 64: particeps ego sum omnium timentium te et cetera.

Cependant, [1] il est dit dans Ps 118, 64 : Je fais partie de tous ceux qui te craignent, etc.

[21731] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnes fideles per caritatem uniti, sunt unius corporis Ecclesiae membra. Sed unum membrum juvatur per alterum. Ergo et unus homo potest ex meritis alterius juvari.

[2] Tous les fidèles unis par la charité sont membres d’un seul corps de l’Église. Or, un membre est aidé par un autre. Un homme peut donc être aidé par les mérites d’un autre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les morts peuvent-ils être aidés par les actions des vivants ?]

[21732] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod mortui non possunt juvari ex operibus vivorum. Primo per hoc quod dicit apostolus 2 Corinth. 5: omnes nos oportet manifestari ante tribunal Christi, ut recipiat unusquisque propria corporis quae gessit. Ergo ex his quae post mortem hominis geruntur, quando extra corpus erit, nihil ei accrescere poterit ex aliquibus operibus.

1. Il semble que les morts ne puissent pas être aidés par les actions des vivants. D’abord, en raison de ce que dit l’Apôtre, 2 Co 5 : Nous devons tous nous présenter devant le tribunal du Christ pour que chacun reçoive selon ce qu’il a fait lorsqu’il était dans son corps. Rien ne pourra donc être ajouté par certaines actions qui sont accomplies après la mort d’un homme, alors qu’il sera hors de son corps.

[21733] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc idem videtur ex hoc quod habetur Apocal. 14, 13: beati mortui qui in domino moriuntur; et subdit: opera enim illorum sequuntur illos.

2. Il semble qu’on puisse conclure la même chose à partir de ce qu’on lit dans Ap 14, 13 : Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur. Et il ajoute : En effet, leurs actions les suivent.

[21734] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, proficere ex aliquo opere est solum in via existentis. Sed homines post mortem jam non sunt viatores, quia de eis hoc intelligitur quod legitur Job: semitam meam circumsepsit, et transire non possum. Ergo mortui de suffragiis alicujus juvari non possunt.

3. Profiter d’une action n’est le fait que de celui qui est en chemin (in via existentis). Or, les hommes après la mort ne sont plus désormais des voyageurs (viatores), car c’est d’eux qu’on entend ce qu’on lit en Job : Il a fermé mon sentier, et je ne puis passer. Les morts ne peuvent donc être aidés par les suffrages de quelqu’un.

[21735] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, nullus juvatur ex opere alterius, nisi sit aliqua vitae communicatio inter eos. Sed nulla communicatio est mortuorum ad vivos, secundum philosophum in 1 Ethic. Ergo suffragia vivorum mortuis non prosunt.

4. Personne n’est aidé par l’action d’un autre, à moins qu’ils ne partagent leur vie d’une certaine manière. Or, il n’existe rien de commun entre les morts et les vivants, selon le Philosophe, Éthique, I. Les suffrages des vivants ne sont donc pas utiles aux vivants.

[21736] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod habetur 2 Mach. 12, 46: sancta et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut a peccatis solvantur. Sed hoc esset inutile nisi eos juvaret. Ergo suffragia vivorum mortuis prosunt.

Cependant, [1] il est dit en 2 M 12, 46 : C’est une pensée sainte et salutaire de prier pour les morts afin qu’ils soient libérés de leurs péchés. Or, cela serait inutile si cela ne les aidait pas. Les suffrages des vivants sont utiles aux morts.

[21737] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda: non parva est universae Ecclesiae, quae in hac consuetudine claret, auctoritas, ut in precibus sacerdotis quae domino Deo ad ejus altare funduntur, locum suum etiam habeat commendatio mortuorum. Quae quidem consuetudo ab ipsis apostolis inchoavit, ut dicit Damascenus in quodam sermone de suffragiis mortuorum sic dicens: mysteriorum conscii discipuli salvatoris et sacri apostoli, in tremendis et vivificis mysteriis memoriam fieri eorum qui fideliter dormierunt, sanxerunt. Quod etiam patet per Dionysium in ult. cap. Cael. Hierar., ubi ritum commemorat quo in primitiva Ecclesia pro mortuis orabatur; ubi etiam Dionysius asserit suffragia vivorum mortuis prodesse. Ergo hoc indubitanter credendum est.

[2] Augustin dit, dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts : « L’autorité de l’Église universelle n’est pas petite, qui brille par cette coutume que les prières que le prêtre adresse au Seigneur Dieu à son autel font aussi place à la recommandation des morts. » Or, cette coutume a commencé avec les apôtres, comme le dit [Jean] Damascène dans son sermon sur les suffrages pour les morts : « Les disciples du Seigneur et les saints apôtres, conscients des mystères, ont établi que mémoire doit être faite, lors des mystères redoutables et vivifiants, de ceux se sont endormis dans la foi. » Cela ressort aussi de Denys, dans le dernier chapitre de La hiérarchie céleste, où il rappelle la célébration par laquelle on priait pour les morts dans la l’Église primitive ; où Denys affirme encore que les suffrages des vivants sont utiles aux morts. Cela doit donc être cru sans aucun doute.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les suffrages faits par des pécheurs pour les morts sont-ils utiles ?]

[21738] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod suffragia per peccatores facta mortuis non prosint. Quia, ut dicitur Joan. 9, 31: peccatores Deus non exaudit. Sed si orationes eorum prodessent illis pro quibus orant, a Deo exaudirentur. Ergo suffragia per eos facta mortuis non prosunt.

1. Il semble que les suffrages faits par des pécheurs pour les morts ne soient pas utiles, car, comme le dit Jn 9, 31, Dieu n’écoute pas les pécheurs. Or, si leurs prières étaient utiles à ceux pour lesquelles ils prient, elles seraient écoutées par Dieu. Les suffrages qu’il font ne sont donc pas utiles aux morts.

[21739] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius in pastorali, dicit: cum is qui displicet ad intercedendum mittitur, irati animus ad deteriora provocatur. Sed quilibet peccator Deo displicet. Ergo per peccatorum suffragia Deus ad misericordiam non flectitur; et ita alia suffragia non prosunt.

2. Dans le Pastoral, Grégoire dit : « Lorsque celui qui déplaît est envoyé intercéder, l’esprit de celui qui est irrité est provoqué à faire pire. » Or, tout pécheur déplaît à Dieu. Dieu n’est donc pas enclin à la miséricorde par les suffrages des pécheurs, et ainsi les autres suffrages ne sont pas inutiles.

[21740] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, opus alicujus magis videtur esse fructuosum facienti quam alteri. Sed peccator per opera sua nihil meretur sibi. Ergo multo minus potest alteri mereri.

3. L’action de quelqu’un semble être fructeuse plutôt pour pour celui qui la fait que pour un autre. Or, le pécheur ne mérite rien pour lui-même par ses actions. Encore bien moins peut-il donc mériter pour un autre.

[21741] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, omne opus meritorium oportet esse vivificatum, idest caritate informatum. Sed opera per peccatores facta, sunt mortua. Ergo non possunt per ea juvari mortui pro quibus fiunt.

4. Toute action méritoire doit être rendue vivante, c’est-à-dire recevoir sa forme, de la charité. Or, les actions accomplies par des pécheurs sont mortes. Les morts pour lesquels elles sont faites ne peuvent donc pas être aidés par elles.

[21742] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Sed contra est quod nullus potest scire pro certo de altero, utrum sit in statu culpae vel gratiae. Si ergo illa tantum suffragia prodessent quae fiunt per eos qui sunt in gratia, non posset homo scire per quos suffragia conquireret suis defunctis; et ita multi a suffragiis procurandis retraherentur.

Cependant, [5] personne ne peut savoir d’un autre avec certitude s’il est en état de faute ou de grâce. Si donc seuls les suffrages qui sont faits par ceux qui sont en grâce étaient utiles, un homme ne pourrait savoir à qui il pourrait demander des suffrages pour ses défunts, et ainsi beaucoup seraient empêchés d’assurer des suffrages.

[21743] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, sicut Augustinus dicit in littera, secundum hoc juvatur aliquis mortuus ex suffragiis, secundum quod dum viveret, meruit ut juvaretur post mortem. Ergo valor suffragiorum mensuratur secundum conditiones ejus pro quo fiunt. Non ergo differt, ut videtur, utrum per bonos vel per malos fiant.

[6] Comme Augustin le dit dans le texte, « un mort est aidé par des suffrages selon que, lorsqu’il vivait, il a mérité d’être aidé après la mort ». La valeur des suffrages est dont mesurée selon les conditions de celui pour ils sont faits. Il semble donc que cela ne fasse pas de différence qu’ils soient accomplis par des bons ou par des méchants.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les suffrages faits par les vivants pour les morts profitent-ils à ceux qui les font ?

[21744] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod suffragia quae a vivis pro mortuis fiunt, facientibus non prosint. Quia si aliquis pro altero debitum solveret, secundum humanam justitiam, ipse a debito proprio non absolveretur. Ergo per hoc quod aliquis suffragia faciens debitum solvit pro illo pro quo facit, ex hoc a debito proprio non absolvitur.

1. Il semble que les suffrages faits par les vivants pour les morts ne profitent pas à ceux qui les font, car si quelqu’un acquittait une dette pour un autre, selon la justice humaine, il ne serait pas libéré de sa propre dette. Du fait que quelqu’un qui accomplit des suffrages acquitte une dette de celui pour qui il les fait, il n’est donc pas libéré de sa propre dette.

[21745] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, unusquisque debet quod facit, facere meliori modo quo potest. Sed melius est juvare duos quam unum. Si ergo qui per suffragia debitum mortui solvit, a proprio debito liberatur, videtur quod nunquam deberet aliquis pro seipso satisfacere, sed semper pro alio.

2. Chacun doit accomplir ce qu’il fait du mieux qu’il le peut. Or, il est mieux d’en aider deux qu’un seul. Si donc celui qui acquitte la dette d’un mort par des suffrages est libéré de sa propre dette, il semble qu’il ne devrait jamais satisfaire pour lui-même, mais pour un autre.

[21746] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, si satisfactio alicujus pro alio satisfacientis aequaliter prodesset sibi ut ei pro quo satisfacit; eadem ratione aequaliter valebit et ratio, si pro eodem satisfacit simul; similiter et quarto, et sic deinceps. Ergo unus posset una satisfactione pro omnibus satisfacere; quod est absurdum.

3. Si la satisfaction de quelqu’un qui satisfait pour un autre lui profitait comme à celui pour lequel il satisfait, cet argument vaudrait pour la même raison s’il satisfait pour le même en même temps ; de même, pour un quatrième, et ainsi de suite. Un seul pourrait donc par une seule satisfaction satisfaire pour tous, ce qui est absurde.

[21747] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 34: oratio mea in sinu meo convertetur. Ergo eadem ratione et suffragia quae pro aliis fiunt, facientibus prosunt.

Cependant, [1] Ps 34 dit le contraire : Ma prière se tournera vers mon sein. Donc, pour la même raison aussi, les suffrages qui sont faits pour d’autres profitent-ils à ceux qui les font.

[21748] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Praeterea, Damascenus dicit, in sermone de his qui in fide dormierunt: quemadmodum unguento vel alio oleo sancto circumlinire volens infirmum, primo ille scilicet participat unctionem, deinde sic perungit laborantem; sic quicumque pro proximi salute agonizat, primum sibi ipsi prodest, deinde proximo. Et sic habetur propositum.

[2] [Jean] Damascène dit dans un sermon de ceux qui se sont endormis dans la foi : « De même que, par une huile parfumée ou par une autre huile sainte, celui qui veut oindre un malade est le premier à participer à l’onction et ensuite oint celui qui souffre, de même tous ceux qui combattent pour le salut du prochain sont-ils d’abord utiles à eux-mêmes, ensuite au prochain. » C’est ce qui est mis de l’avant.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21749] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod actus noster ad duo valere potest. Primo ad aliquem statum acquirendum, sicut per opus meritorium homo acquirit statum beatitudinis. Secundo ad aliquid consequens statum (puta ad aliquam beatitudinem) accidentalem, vel dimissionem poenae. Ad utrumque autem horum actus noster dupliciter valere potest; uno modo per viam meriti, alio modo per viam orationis. Et est differentia inter istas duas vias, ut in 15 dist. dictum est, quia meritum innititur justitiae; sed orans impetrat petitum ex sola liberalitate ejus qui oratur. Dicendum ergo, quod opus unius nullo modo potest alteri valere ad statum consequendum per viam meriti, ut scilicet ex his quae ego facio, aliquis mereatur vitam aeternam; quia sors gloriae redditur secundum mensuram accipientis. Unusquisque autem ex suo actu disponitur, et non ex alieno; et dico dispositionem dignitatis ad praemium. Sed per viam orationis etiam quantum ad statum consequendum, opus unius alteri, dum est in via, valere potest; sicut quod unus homo impetrat alteri primam gratiam. Cum enim impetratio orationis sit secundum liberalitatem Dei qui oratur, ad omnia illa impetratio orationis se potest extendere quae potestati divinae subsunt ordinate. Sed quantum ad aliquid quod est consequens vel accessorium ad statum, opus unius potest valere alteri non solum per viam orationis, sed etiam per viam meriti. Quod quidem dupliciter contingit. Vel propter communicantiam in radice operis, quae est caritas in operibus meritoriis; et ideo omnes qui invicem caritate connectuntur, aliquod emolumentum ex mutuis operibus reportant, tamen secundum mensuram status uniuscujusque, quia etiam in patria unusquisque de bonis gaudebit alterius; et inde est quod articulus fidei ponitur sanctorum communio. Alio modo ex intentione facientis, qui aliqua opera specialiter ad hoc facit ut talibus prosint; unde ista opera quodammodo efficiuntur eorum pro quibus fiunt, quasi eis a faciente collata: unde possunt eis valere vel ad impletionem satisfactionis, vel ad quidquid hujusmodi, quod statum non mutat.

Notre acte peut avoir une double valeur. Premièrement, pour atteindre un certain état, comme, par un acte méritoire, l’homme atteint l’état de la béatitude. Deuxièmement, pour [atteindre] quelque chose qui découle d’un état, par exemple, une béatitude accidentelle ou à la rémission d’une peine. Or, notre acte peut avoir de la valeur pour ces deux choses de deux manières : d’une manière, par le moyen du mérite ; d’une autre manière, par le moyen de la prière. Et il existe une différence entre ces deux moyens, comme on l’a dit à la d. 15, car le mérite s’appuie sur la justice, mais celui qui prie obtient ce qu’il a demandé par la seule libéralité de celui qui est prié. Il faut donc dire que l’action de quelqu’un ne peut avoir aucune valeur pour un autre en vue d’obtenir un état par le moyen du mérite, à savoir qu’en vertu de ce que je fais, quelqu’un mérite la vie éternelle, car le partage de la gloire est donné à la mesure de celui qui [la] reçoit. Or, chacun est disposé par son acte, et non par l’acte d’un autre (je parle de la disposition qui consiste à être digne d’une récompense). Mais, par le moyen de la prière, l’action de quelqu’un peut avoir une valeur pour un autre alors qu’il est en chemin (in via), comme lorsqu’un homme obtient pour un autre homme une première grâce. En effet, puisque l’exaucement de la prière se réalise selon la libéralité de Dieu qui est prié, l’exaucement de la prière peut s’étendre à tout ce qui est soumis de manière ordonnée à la puissance divine. Mais, pour ce qui découle ou accompagne un état, l’action de quelqu’un peut avoir une valeur, non seulement par le moyen de la prière, mais aussi par le moyen du mérite. Ce qui se produit de deux manières. Soit en raison de celui qui participe à la racine de l’action, qui est la charité dans les actions méritoires : tous ceux qui sont reliés les uns aux autres par la charité tirent réciproquement un avantage de leurs actions, cependant, à la mesure de l’état de chacun, car, même dans la patrie, chacun se réjouira des biens d’un autre. De là vient que la communion des saints est donnée comme un article de foi. D’une autre manière, selon l’intention de celui qui agit, qui accomplit certaines actions de manière spéciale pour qu’elles leur profitent. Aussi ces actions deviennent-elles, d’une certaine manière, celles de ceux pour lesquels elles sont accomplies, comme si celui qui les accomplit les leur conférait. Elles peuvent donc leur être profitables soit pour l’accomplissement d’une satisfaction, soit pour quelque chose de ce genre, qui ne change pas l’état.

[21750] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod messio illa est perceptio vitae aeternae, sicut habetur Joan. 4, 36: et qui metit (...) fructum congregat in vitam aeternam. Sors autem vitae aeternae non datur alicui nisi pro operibus propriis: quia etiam si aliquis alteri impetret ut ad vitam aeternam perveniat, nunquam tamen hoc fit nisi mediantibus operibus propriis, dum scilicet precibus alicujus gratia alicui datur, per quam meretur vitam aeternam.

1. Cette récolte est l’obtention de la vie éternelle, comme on le lit en Jn 4, 36 : Et celui qui moissonne… récolte du fruit en vue de la vie éternelle. Or, le partage de la vie éternelle n’est donné à quelqu’un que pour ses propres actions, car même si quelqu’un obtient qu’un autre parvienne à la vie éternelle, cela ne se réalise jamais sans l’intervention de ses propres actions, alors que, par les prières de quelqu’un, la grâce est donnée à un autre, par laquelle il mérite la vie éternelle.

[21751] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opus quod pro aliquo fit, efficitur ejus pro quo fit: et similiter opus quod est ejus qui mecum est unum, est quodammodo et meum; unde non est contra divinam justitiam, si unus fructum percipit de operibus factis ab eo qui est unum secum caritate, vel ab operibus pro se factis. Hoc etiam secundum humanam justitiam contingit, ut satisfactio unius pro alio accipiatur.

2. L’action qui est accomplie pour quelqu’un devient accomplie par celui pour qui elle est accomplie. De même, l’action qui appartient à celui qui est un avec moi est-elle d’une certaine manière la mienne aussi. Il n’est donc pas contraire à la justice divine que quelqu’un reçoive le fruit d’actions accomplies par celui qui est un avec lui par la charité ou par les actions accomplies pour lui. Cela se produit aussi selon la justice humaine, que la satisfaction de l’un soit acceptée pour un autre.

[21752] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod laus non datur alicui nisi secundum ordinem ejus ad actum: unde laus est ad aliquid, ut dicitur in 1 Ethic. Et quia ex opere alterius nullus efficitur vel ostenditur bene dispositus vel male ad aliquid; inde est quod nullus laudatur ex operibus alterius nisi per accidens, secundum quod ipse est aliquo modo illorum operum causa, auxilium vel consilium praebendo, vel inducendo, vel quocumque alio modo. Sed opus est meritorium alicui non solum considerata eius dispositione, sed etiam quantum ad aliquid consequens dispositionem vel statum ejus, ut ex dictis patet.

3. La louange n’est adressée à quelqu’un que selon son ordre à l’acte ; aussi la louange est-elle ordonnée à quelque chose, comme on le dit dans Éthique, I. Et parce que, par l’acte d’un autre, personne n’est rendu ou montré bien ou mal disposé à quelque chose, de là vient que personne n’est louangé pour les actions d’un autre, si ce n’est par accident, selon qu’il est, d’une certaine manière, la cause de ces actions, en apportant aide ou conseil, ou en y incitant, ou de toute autre manière. Mais une action est méritoire pour quelqu’un, non seulement en considération de sa disposition, mais aussi selon quelque chose qui découle de sa disposition ou de son état, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[21753] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod auferre alicui quod sibi debetur, hoc directe justitiae repugnat; sed dare aliquid alicui quod ei non debetur, hoc non est justitiae contrarium, sed justitiae metas excedit; est enim liberalitatis. Non autem posset aliquis laedi ex malis alterius nisi aliquid ei de suo subtraheretur: et ideo non ita contingit quod aliquis puniatur pro peccatis alterius, sicut quod emolumentum percipiat ex bonis alterius.

4. Enlever à quelqu’un ce qui lui est dû s’oppose directement à la justice ; mais donner à quelqu’un ce qui ne lui est pas dû, cela n’est pas contraire à la justice, mais déborde les limites de la justice : en effet, cela relève de la libéralité. Or, quelqu’un ne pourrait être lésé par les maux d’un autre que si quelque chose qui lui appartient lui était enlevé. C’est pourquoi il n’arrive pas que quelqu’un soit puni pour les péchés d’un autre, comme [il arrive] qu’il profite des biens d’un autre.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21754] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod caritas, quae est vinculum uniens membra Ecclesiae, non solum ad vivos se extendit, sed etiam ad mortuos qui in caritate decedunt; caritas enim vita corporis non finitur; 1 Corinth. 13, 8: caritas nunquam excidit. Similiter etiam mortui in memoria hominum viventium vivunt; et ideo intentio viventium ad eos dirigi potest; et sic suffragia vivorum dupliciter mortuis prosunt, sicut et vivis; et propter caritatis unionem, et propter intentionem ad eos directam. Non tamen sic eis valere credenda sunt vivorum suffragia, ut status eorum mutetur de miseria in felicitatem, vel e converso; sed valent ad diminutionem poenae, vel aliquid hujusmodi, quod statum mortui non transmutat.

La charité, qui est le lien unissant les membres de l’Église, ne s’étend pas seulement aux vivants, mais aussi aux morts qui meurent dans la charité. En effet, la charité ne se termine pas à la vie du corps, 1 Co 13, 8 : La charité ne cesse jamais. De même aussi, les morts vivent-ils dans la mémoire des hommes vivants. Aussi l’intention des vivants peut-elle être dirigée vers eux. Et ainsi, les suffrages des vivants profitent de deux manières aux morts comme aux vivants : en raison de l’union de la charité, et en raison de l’intention dirigée vers eux. Cependant, il ne faut pas croire que les suffrages des vivants aient une telle valeur que [l’état des morts] soit changé de la misère à la félicité ou inversement ; mais ils ont une valeur pour la diminution de la peine ou pour quelque chose de ce genre, qui ne change pas l’état de celui qui est mort.

[21755] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod homo, dum in corpore vixit, meruit ut haec ei valerent post mortem; et ideo si post hanc vitam eis juvatur, nihilominus hoc procedit ex his quae in corpore gessit. Vel dicendum, secundum Joannem Damascenum in sermone praedicto, quod hoc est intelligendum quantum ad retributionem quae fiet in finali judicio, quae erit aeternae gloriae vel aeternae miseriae, in qua quilibet recipiet solum secundum quod ipse in corpore gessit. Interim autem juvari possunt vivorum suffragiis.

1. L’homme, alors qu’il vivait dans son corps, a mérité que cela vaille pour lui après la mort. S’il en est aidé après cette vie, cela provient donc néanmoins de ce qu’il a accompli alors qu’il était dans son corps. Ou bien il faut dire, selon Jean Damascène, dans le sermon mentionné, qu’il faut entendre cela de la rétribution qui sera faite lors du jugement final, qui consistera dans la gloire éternelle ou dans la misère éternelle, par laquelle chacun recevra seulement selon ce qu’il a lui-même accompli alors qu’il était dans son corps. Entre-temps, ils peuvent être aidés par les suffrages des vivants.

[21756] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod auctoritas illa expresse loquitur de sequela aeternae retributionis: quod patet ex hoc quod praemittitur: beati mortui qui in domino moriuntur. Vel dicendum, quod opera pro eis facta, sunt et quodammodo eorum, ut dictum est.

2. Cette autorité parle expressément d’une conséquence de la rétribution éternelle, ce qui ressort de ce qui est dit auparavant : Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! Ou bien il faut dire que les actions accomplies pour eux sont les leurs d’une certaine manière, comme on l’a dit.

[21757] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis animae post mortem non sint simpliciter in statu viae, tamen quantum ad aliquid adhuc sunt in via, inquantum scilicet eorum progressus adhuc retardatur ab ultima retributione: ideo simpliciter eorum via est circumsepta, ut non possint ulterius transmutari secundum statum felicitatis et miseriae; sed quantum ad hoc non est circumsepta, quin quantum ad hoc quod detinentur ab ultima retributione, possint ab aliis juvari; quia secundum hoc adhuc sunt in via.

3. Bien que les âmes ne soient plus après la mort simplement dans l’état de cheminement (in statu viae), elles sont cependant encore en route sous un aspect, pour autant que leur avancée est retardée par rapport à la rétribution ultime. Aussi leur chemin a-t-il été simplement délimité pour qu’elles ne puissent plus être changées selon l’état de félicité et de misère ; mais [il n’a pas été délimité] au point qu’elles soient retenues par la rétribution ultime et qu’elles ne puissent être aidées par d’autres, car, sous cet aspect, elles sont encore en chemin.

[21758] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis communicatio civilium operum, de qua philosophus loquitur, non possit esse mortuorum ad vivos, quia mortui extra vitam civilem sunt; potest tamen esse eorum communicatio quantum ad opera spiritualis vitae, quae est per caritatem ad Deum, cui mortuorum spiritus vivunt.

4. Bien que le partage des actions civiques, dont parle le Philosophe, ne puisse être le fait des morts avec les vivants, car les morts sont écartés de la vie civique, ils peuvent cependant avoir en commun les actions de la vie civile, qui se réalise par la charité envers Dieu, avec qui vivent les esprits des morts.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21759] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in suffragiis quae fiunt per malos, duo possunt considerari. Primo ipsum opus operatum, sicut sacrificium altaris: et quia nostra sacramenta ex seipsis efficaciam habent absque opere operantis, quam aequaliter explent per quoscumque fiant; quantum ad hoc suffragia per malos facta defunctis prosunt. Alio modo quantum ad opus operantis; et sic distinguendum est. Quia operatio peccatoris suffragia facientis potest uno modo considerari, ut est ejus; et sic nullo modo meritoria esse potest nec sibi nec alii: alio modo, inquantum est alterius: quod dupliciter contingit. Uno modo inquantum peccator suffragia faciens gerit personam totius Ecclesiae, sicut sacerdos cum dicit in Ecclesia exequias mortuorum: et quia ille intelligitur facere cujus nomine vel vice fit, ut patet per Dionysium in 13 cap. Cael. Hier., inde est quod suffragia talis sacerdotis, quamvis sit peccator, pro defunctis prosunt. Alio modo quando agit ut instrumentum alterius. Opus enim ministri est magis principalis agentis. Unde quamvis ille qui agit ut instrumentum alterius, non sit in statu merendi, actio tamen ejus potest esse meritoria ratione principalis agentis; sicut si servus in peccato existens quodcumque opus misericordiae facit ex praecepto domini sui caritatem habentis. Unde si aliquis in caritate decedens praecipiat sibi suffragia fieri, vel alius praecipiat caritatem habens, illa suffragia valent defunctis, quamvis illi per quos fiant, in peccato existant. Magis tamen valerent, si in caritate essent; quia tunc ex duabus partibus opera illa meritoria essent.

Dans les suffrages qui sont accomplis par des méchants, deux choses peuvent être considérées. Premièrement, l’action accomplie elle-même, comme le sacrifice de l’autel ; et parce que nos sacrements ont une efficacité par eux-mêmes, sans l’action de celui qui les accomplit, [efficacité] qu’ils réalisent également, quels que soient ceux qui les accomplissent, sous cet aspect, les suffrages accomplis par les méchants profitent aux défunts. D’une autre manière, pour ce qui est de l’action de celui qui l’accomplit. Il faut alors faire une distinction, car l’action du pécheur qui accomplit des suffrages peut, d’une manière, être considérée en tant qu’elle est sienne : elle ne peut ainsi être aucunement méritoire ni à lui ni à un autre. D’une autre manière, en tant qu’elle est celle d’un autre, ce qui se produit de deux manières. D’une manière, en tant que le pécheur qui accomplit des suffrages représente la personne de toute l’Église, comme le prêtre lorsqu’il dit dans l’église les obsèques des morts. Et parce qu’on comprend que celui-ci agit au nom ou à la place de celui pour qui [l’action] est accomplie, comme cela ressort de Denys, dans La hiérarchie céleste, XIII, de là vient que les suffrages d’un tel prêtre, bien qu’il soit pécheur, sont utiles pour les défunts. D’une autre manière, lorsqu’il agit en tant qu’instrument d’un autre. En effet, l’action du ministre est davantage celle de l’agent principal. Bien que celui qui agit comme instrument d’un autre ne soit pas en état de mériter, son action peut cependant être méritoire en raison de l’agent principal, comme lorsque le serviteur qui se trouve dans le péché accomplit n’importe quelle œuvre de miséricorde sur ordre de son maître qui a la charité. Si quelqu’un meurt dans la charité ordonne que des suffrages soient accomplis pour lui ou si un autre qui a la charité l’ordonne, ces suffrages profitent donc aux défunts, bien que ceux par qui ils sont accomplis se trouvent dans le péché. Ils auraient cependant plus de valeur s’ils avaient la charité, car alors ces actions méritoires seraient méritoires des deux côtés.

[21760] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oratio per peccatorem facta quandoque non est peccatoris, sed alterius; et ideo secundum hoc digna est ut a Deo exaudiatur. Tamen etiam quandoque Deus peccatores audit, scilicet quando peccatores petunt aliquid Deo acceptum: non enim justis solis, sed etiam peccatoribus Deus bona sua providet, ut patet Matth. 5: non autem ex eorum meritis, sed ex sua clementia: et ideo Joan. 9, super illud, peccatores Deus non audit, dicit Glossa, quod loquitur inunctus, idest non adhuc plene videns.

1. La prière faite par un pécheur parfois n’est pas celle du pécheur, mais celle d’un autre ; sous cet aspect, elle est digne d’être écoutée par Dieu. Cependant, Dieu exauce aussi parfois les pécheurs, lorsque les pécheurs demandent a Dieu quelque chose qui lui agrée ; et Dieu n’accorde pas ses bienfaits aux seuls justes, mais aussi aux pécheurs, comme cela ressort de Mt 5, non pas en raison de leurs mérites, mais en raison de sa clémence. C’est pourquoi, à propos de Jn 9 : Dieu n’écoute pas les pécheurs, la Glose dit que celui qui n’est pas oint parle, c’est-à-dire qu’il ne voit pas encore pleinement.

[21761] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ex parte ejus qui displicet, oratio peccatoris non sit accepta; tamen ratione alterius, cujus vice vel imperio agitur, potest esse Deo accepta.

2. Bien que, du côté de celui qui déplaît, la prière du pécheur ne soit pas agréée, en raison d’un autre, cependant, à la place ou sur l’ordre de qui il agit, elle peut être agréée par Dieu.

[21762] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod peccator faciens hujusmodi suffragia nullum reportat commodum, contingit ex hoc quod non est capax talis profectus propter propriam indispositionem; et tamen alii qui non est indispositus, aliquo modo valere potest, ut dictum est.

3. Le fait qu’un pécheur qui accomplit ce genre de suffrages n’en tire aucun avantage vient de ce qu’il n’est pas apte à un tel profit en raison de sa propre indisposition. Cependant, ils peuvent d’une certaine façon profiter à un autre qui n’est pas indisposé, comme on l’a dit.

[21763] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis opus peccatoris non sit vivum inquantum est ejus, potest tamen esse vivum inquantum est alterius, ut dictum est.

4. Bien que l’acte du pécheur ne soit pas vivant en tant qu’il vient de lui, il peut cependant être vivant en tant qu’il vient d’un autre, comme on l’a dit.

[21764] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Sed quia rationes quae sunt in oppositum, videntur concludere quod non differat utrum quis suffragia procuret per bonos vel per malos; ideo ad eas etiam est respondendum. Ad quintum dicendum, quod quamvis aliquis pro certo scire non possit de altero an sit in statu salutis, tamen potest probabiliter aestimare ex his quae exterius videt de homine: ex fructu enim suo arbor cognoscitur, ut dicitur Matth. 7.

[5]. Parce que les arguments donnés en sens contraire semblent conclure que cela ne fait de différence si quelqu’un assure des suffrages pour des bons ou des méchants, il faut donc aussi leur répondre. Au cinquième argument, il faut répondre que, bien que quelqu’un ne puisse pas savoir avec certitude si un autre est dans l’état du salut, il peut cependant l’estimer avec probabilité à partir du comportement extérieur de cet homme : en effet, l’arbre est connu à ses fruits, comme il est dit en Mt 7.

[21765] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ad hoc quod suffragium alicui valeat, requiritur et ex parte ejus pro quo fit, capacitas hujus valoris; et hanc homo acquisivit per opera propria quae gessit in vita: et sic loquitur Augustinus. Requiritur nihilominus qualitas operis, quae prodesse debet: et haec non pendet ex eo pro quo fit, sed magis ex eo qui facit vel exequendo vel imperando.

[6]. Pour qu’un suffrage ait de la valeur pour quelqu’un, la capacité d’une telle valeur est nécessaire du côté de celui pour qui il est accompli ; cette homme a acquis celle-ci par ses propres actions accomplies au cours de sa vie. Ainsi parle Augustin. Néanmoins, la qualité de l’action qui doit être utile est nécessaire, et celle-ci ne dépend pas de celui pour qui elle est accomplie, mais plutôt de celui qui l’accomplit, soit en l’exécutant, soit en l’ordonnant.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21766] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod opus suffragii quod pro altero fit, potest considerari dupliciter. Uno modo ut est expiativum poenae per modum cujusdam recompensationis, quae in satisfactione attenditur; et hoc modo opus suffragii, quod reputatur quasi ejus pro quo fit, ita absolvit eum a debito poenae quod non absolvit facientem a debito poenae propriae; quia in tali recompensatione consideratur aequalitas justitiae; opus autem istud satisfactorium ita potest adaequari reatui uni quod alteri non aequatur. Reatus enim duorum peccatorum majorem satisfactionem requirunt quam reatus unius. Alio modo potest considerari inquantum est meritorium vitae aeternae, quod habet inquantum procedit ex radice caritatis; et secundum hoc non solum prodest ei pro quo fit, sed facienti magis.

L’acte de suffrage accompli pour un autre peut être condidéré de deux manières. D’une manière, en tant qu’il expie la peine par mode d’une certaine compensation, qui est prise en compte dans la satisfaction : de cette manière, l’acte de suffrage, qui est réputé appartenir à celui pour qui il est accompli, le libère de la dette de la peine, sans libérer celui qui l’accomplit de la dette de sa propre peine, car, dans une telle compensation, l’égalité de la justice est prise en compte, mais cet acte satisfactoire peut être égal à une seule faute sans être égal à une autre. En effet, la culpabilité de deux péchés exigent davantage que la culpabilité d’un seul. D’une autre manière, [l’acte de suffrage] peut être considéré en tant qu’il est méritoire de la vie éternelle : il a cela en tant qu’il procède de la racine de la charité. De cette manière, il ne profite pas seulement à celui pour qui il est accompli, mais davantage à celui qui l’accomplit.

[21767] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 1 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. Primae enim rationes procedebant de opere suffragii secundum quod est satisfactorium; sed aliae secundum quod est meritorium.

La réponse aux objections ressort ainsi clairement. En effet, les premiers arguments s’appuyaient sur l’acte de suffrage en tant qu’il est satisfactoire ; mais les autres, en tant qu’il est méritoire.

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les suffrages profitent-ils à ceux qui sont en enfer ?]

[21769] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod suffragia prosunt existentibus in Inferno, per hoc quod habetur 2 Mach. 12, 40 quod invenerunt sub tunicis interfectorum de donariis idolorum, a quibus lex prohibet Judaeos; et tamen post subditur, quod Judas duodecim millia drachmas argenti misit Hierosolymam offerri pro peccatis mortuorum. Constat autem illos mortaliter peccasse, contra legem agentes, et ita in mortali peccato decessisse, et ita ad Infernum esse translatos. Ergo in Inferno existentibus suffragia prosunt.

1. Il semble que les suffrages profitent à ceux qui sont en enfer, selon ce qu’on lit dans 2 M 12, 40 : Ils trouvèrent sous les tuniques des morts des offrandes aux idoles, que la loi interdisait aux Juifs. Cependant, on ajoute par la suite : Judas envoya à Jérusalem douze mille drachmes d’argent pour qu’ils soient offerts pour les péchés des morts. Or, il est sûr que ceux-ci avaient péché en agissant contre la loi, et qu’ainsi ils étaient morts dans le péché mortel et avaient été emportés en enfer. Les suffrages profitent donc à ceux qui se trouvent en enfer.

[21770] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in littera habetur ex verbis Augustini, quod quibus valent suffragia, vel ad hoc prosunt ut sit plena remissio, vel ad hoc ut tolerabilior sit eorum damnatio. Sed soli illi qui sunt in Inferno, damnati esse dicuntur. Ergo etiam existentibus in Inferno suffragia prosunt.

2. On lit dans le texte, à partir de paroles d’Augustin, que ceux à qui profitent les suffrages, ils leur profitent soit pour une pleine rémission, soit pour que les damnation soit plus supportable. Or, on dit seulement de ceux qui sont en enfer qu’ils ont été damnés. Les suffrages profitent donc aussi à ceux qui sont en enfer.

[21771] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Dionysius in ult. cap. Cael. Hierar. dicit: si hic justorum orationes et secundum hanc vitam, quanto magis post mortem in his qui digni sunt, sacris orationibus operantur tantummodo? Ex quo potest accipi, quod suffragia magis prosunt mortuis quam etiam vivis. Sed vivis prosunt etiam in peccato mortali existentibus; cum quotidie oret Ecclesia pro peccatoribus, ut convertantur ad Deum. Ergo etiam mortuis in peccato mortali suffragia valent.

3. Dans le dernier chapitre de La hiérarchie céleste, Denys dit : « Si les prières des justes agissent pendant cette vie, combien plus après la mort agissent-elles sur ceux qui en sont dignes ? » On peut conclure de cela que les suffrages profitent davantage aux morts qu’aux vivants. Or, ils profitent aussi aux vivants qui se trouvent dans le péché mortel, puisque l’Église prie chaque jour pour les pécheurs afin qu’ils se convertissent à Dieu. Les suffrages profitent donc aussi aux morts qui sont dans le péché mortel.

[21772] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in vitis patrum legitur, quod etiam Damascenus in sermone suo refert, quod Macarius inventa in via Calvaria cujusdam defuncti, oratione praemissa quaesivit cujus caput fuisset, et caput dedit responsum, quod fuerat sacerdotis gentilis, qui in Inferno erat damnatus, et tamen confessus est oratione Macarii se et alios juvari. Ergo suffragia Ecclesiae etiam existentibus in Inferno prosunt.

4. Dans les Vies des pères, on lit ce que [Jean] Damascène rapporte aussi dans un sermon, que Macaire, ayant trouvé sur la route du Calvaire la tête d’un mort, demanda par la prière de qui c’était la tête, et que la tête répondit qu’elle appartenait à un prêtre païen qui était damné en enfer. Cependant, il confessa qu’il était aidé, ainsi que d’autres, par la prière de Macaire. Les suffrages de l’Église profitent donc aussi à ceux qui se trouvent en enfer.

[21773] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, Damascenus in eodem sermone narrat, quod Gregorius pro Trajano orationem fundens audivit vocem sibi divinitus allatam: vocem tuam audivi, et veniam Trajano do; cujus rei, ut Damascenus dicit in dicto sermone, testis est oriens omnis et occidens. Sed constat Trajanum in Inferno fuisse: quia multorum martyrum necem amaram instituit, ut ibidem Damascenus dicit. Ergo suffragia etiam valent existentibus in Inferno.

5. Dans le même sermon, [Jean] Damascène raconte que Grégoire, alors qu’il priait pour Trajan, entendit une voix qui lui disait de la part de Dieu : « J’ai entendu ta voix et je pardonne à Trajan. » Comme le dit Damascène dans le sermon mentionné, l’Orient et l’Occident en sont témoins. Or, il est sûr que Trajan était en enfer, car il a décidé la mort de nombreux martyrs, comme le dit Damascène au même endroit. Les suffrages profitent donc aussi à ceux qui se trouvent en enfer.

[21774] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius, 7 cap. Cael. Hier.: summus sacerdos pro immundis non orat, quia in hoc averteretur a divino ordine; et Commentator, ibidem, dicit, quod peccatoribus non orat remissionem, quia non audiretur pro illis. Ergo non valent existentibus in Inferno suffragia.

Cependant, [1] Denys dit en sens contraire, dans La hiérarchie céleste, VII : « Le souverain prêtre ne prie pas pour les impurs, car il se détournerait ainsi de l’ordre de Dieu. » Et un commentateur dit au même endroit qu’« il ne prie pas pour qule pardon des pécheurs, car il ne serait pas écouté pour eux ». Les suffrages ne profitent donc pas à ceux qui se trouvent en enfer.

[21775] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in 34 Moral.: eadem causa est cur non oretur tunc, scilicet post diem judicii, pro hominibus aeterno igne damnatis, quae nunc causa est ut non oretur pro Diabolo, Angelisque ejus aeterno supplicio damnatis: quae etiam nunc causa est ut non orent sancti pro hominibus infidelibus impiisque defunctis: quia de eis utique, quos aeterno damnatos supplicio jam noverunt, ante illum justi judicis conspectum orationis suae meritum cassari refugiunt. Ergo suffragia damnatis in Inferno non valent.

[2] Grégoire dit dans les Morales, XXXIV : « C’est pour la même raison qu’on ne prie pas alors – c’est-à-dire après le jour du jugement – pour les hommes condamnés au feu éternel, et qu’on ne prie pas maintenant pour le Diable et pour ses anges condamnés au supplice éternel. Maintenant, la cause en est que les saints ne prient pas pour les défunts infidèles et impies, car, à leur sujet, ils évitent que soit annulé au regard du juste juge le mérite de leur prière pour ceux qu’ils savent être condamnés au feu éternel. » Les suffrages ne profitent donc pas à ceux qui sont damnés en enfer.

[21776] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, in littera habetur ex verbis Augustini: qui sine fide operante per dilectionem, ejusque sacramentis, a corpore exeunt, frustra illis a suis hujusmodi officia impenduntur. Sed omnes damnati sunt hujusmodi. Ergo suffragia damnatis in Inferno non prosunt.

[3] On lit dans le texte cet extrait d’Augustin : « C’est en vain que ces services sont rendus à ceux qui quittent leur corps sans la foi agissant par l’amour et sans ses sacrements. » Or, tous les dmanés sont de ce genre. Les suffrages ne profitent donc pas aux damnés en enfer.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les suffrages profitent-ils à ceux qui se trouvent au purgatoire ?]

[21777] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec etiam existentibus in Purgatorio. Quia Purgatorium pars quaedam Inferni est. Sed in Inferno nulla est redemptio; et Psal. 6, 6, dicit: in Inferno autem quis confitebitur tibi? Ergo suffragia his qui sunt in Purgatorio, non valent.

1. Il semble que [les suffrages ne profitent pas] à ceux qui se trouvent au purgatoire, car le purgatoire est une partie de l’enfer. Or, dans l’enfer, il n’y a pas de rédemption et le Ps 6, 6 dit : En enfer, qui te confessera ? Les suffrages n’ont donc pas de valeur pour ceux qui sont au purgatoire.

[21778] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, poena Purgatorii est finita. Si ergo per suffragia aliquid de poena dimittitur, tantum poterunt multiplicari suffragia, quod tota tolletur, et ita peccatum remanebit totaliter impunitum; quod repugnare videtur divinae justitiae.

2. La peine du purgatoire est limitée. Si donc une partie de la peine est remise par les suffrages, les suffrages peuvent être à ce point multipliés que toute [la peine] pourra être enlevée, et ainsi le péché demeurera entièrement impuni, ce qui semble s’opposer à la justice divine.

[21779] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad hoc animae in Purgatorio detinentur, ut ibi purgatae, purae ad regnum perveniant. Sed non potest purgari anima nisi aliquid circa ipsam fiat. Ergo suffragia facta per vivos poenam Purgatorii non diminuunt.

3. Les âmes sont retenues au purgatoire afin qu’en y étant purifiées, elles parviennent pures au royaume. Or, l’âme ne peut être purifiée que si quelque chose est accompli pour elle. Les suffrages faits par les vivants ne diminuent donc pas la peine du purgatoire.

[21780] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, si suffragia existentibus in Purgatorio valerent, maxime ea viderentur valere quae sunt ad eorum imperium facta. Sed haec non semper valent; sicut si aliquis decedens disponit tot suffragia pro se fieri, quae si facta essent, sufficerent ad totam poenam abolendam. Posito ergo quod hujusmodi suffragia differantur quousque ille poenam evasit, ista suffragia ei nihil proderunt: non enim potest dici quod ei prosint antequam fiant; postquam autem sunt facta, eis non indiget, quia jam poenam evasit. Ergo suffragia existentibus in Purgatorio non valent.

4. Si les suffrages avaient de la valeur pour ceux qui se trouvent au purgatoire, ce sont surtout ceux qui sont accomplis sur leur ordre qui sembleraient leur profiter. Or, ceux-ci n’ont pas toujours de valeur, comme lorsque quelqu’un fait en sorte qu’autant de suffrages soient accomplis pour lui, qui, s’ils étaient accomplis, suffiraient à abolir la totalité de la peine. À supposer donc que ces suffrages soient reportés jusqu’à ce qu’il ait échappé à la peine, ces suffrages ne lui auront pas profité : en effet, on ne peut dire qu’ils lui profitent avant qu’ils soient accomplis ; mais, après qu’ils ont été accomplis, il n’en a pas besoin, car il a déjà échappé à la peine. Les suffrages n’ont donc pas de valeur pour ceux qui se trouvent au purgatoire.

[21781] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera ex verbis Augustini, quod suffragia prosunt his qui sunt mediocriter boni vel mali. Sed tales sunt qui in Purgatorio detinentur. Ergo et cetera.

Cependant, on dit dans le texte tiré des paroles d’Augustin, que les suffrages profitent à ceux qui sont moyennement bons ou mauvais. Or, ceux-ci sont détenus au purgatoire. Donc, etc.

[21782] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit in 7 cap. Cael. Hierar. quod divinus sacerdos pro mortuis orans, pro illis orat qui sancte vixerunt, et tamen aliquas maculas habuerunt ex infirmitate humana contractas. Sed tales in Purgatorio detinentur. Ergo et cetera.

[2] Denys dit, dans La hiérarchie céleste, VII, que le prêtre divin, en priant pour les morts, prie pour ceux qui ont vécu saintement et ont cependant eu certaines souillures contractées en raison de la faiblesse humaine. Or, ceux-là sont retenus au purgatoire. Donc, etc.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les suffrages profitent-ils aux enfants qui se trouvent dans les limbes ?]

[21783] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod suffragia valent pueris in Limbo existentibus. Quia illi non detinentur nisi pro peccato alieno. Ergo maxime decens est ut ipsi juventur suffragiis alienis.

1. Il semble que les suffrages profitent aux enfants qui se trouvent dans les limbes, car ceux-ci ne sont retenus que pour le péché d’un autre. Il est donc au plus haut point convenable qu’ils soient aidés par les suffrages des autres.

[21784] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in littera habetur ex verbis Augustini, quod suffragia Ecclesiae pro non valde malis propitiationes sunt. Sed pueri non computantur inter valde malos, cum mitissima sit eorum poena. Ergo suffragia Ecclesiae eos juvant.

2. Dans le texte, un passage d’Augustin dit que les suffrages de l’Église sont des offrandes pour ceux qui ne sont pas trop mauvais. Or, les enfants ne sont pas comptés au nombre des très mauvais, puisque leur peine est très douce. Les suffrages de l’Église les aident donc.

[21785] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod habetur in littera ab Augustino, quod suffragia non prosunt illis qui sine fide operante per dilectionem hinc exierunt. Sed pueri hoc modo exierunt. Ergo eis suffragia non prosunt.

Cependant, on lit le contraire dans un texte d’Augustin : les suffrages ne profitent pas à ceux qui sont partis d’ici sans la foi agissant par l’amour. Or, les enfants sont partis de cette manière. Les suffrages ne leur profitent donc pas.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les suffrages profitent-ils de quelque façon aux saints qui se trouvent dans la patrie ?]

[21786] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquo modo prosunt sanctis existentibus in patria, per hoc quod habetur in collecta Missae: sicut sanctis tuis prosunt ad gloriam, scilicet sacramenta, ita nobis proficiant ad medelam. Sed inter alia suffragia praecipuum est sacramentum altaris. Ergo suffragia prosunt sanctis qui sunt in patria.

1. Il semble que les suffrages profitent de quelque façon aux saints qui se trouvent dans la patrie, selon ce qu’on lit dans une collecte de la messe : « De même qu’ils profitent à tes saints pour la gloire – à savoir, les sacrements –, qu’ils nous profitent pour notre guérison. » Or, parmi les autres suffrages, le principal est le sacrement de l’autel. Les suffrages profitent donc aux saints qui sont dans la patrie.

[21787] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sacramenta efficiunt quod figurant. Sed tertia pars hostiae, scilicet in calicem missa, significat eos qui in patria vitam beatam ducunt, ut supra, dist. 12, quaest. 1, art. 3, quaestiunc. 3, ad 4, dictum est. Ergo suffragia Ecclesiae prosunt etiam existentibus in patria.

2. Les sacrements accomplissent ce qu’ils représentent. Or, la troisième partie de l’hostie, celle qui est mise dans le calice, signifie ceux qui mènent une vie bienheureuse dans la patrie, comme on l’a dit plus haut, d. 12, q. 1, a. 3, ad 4. Les suffrages de l’Église profitent donc aussi à ceux qui se trouvent dans la patrie.

[21788] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, sancti non solum gaudent de bonis propriis, sed etiam de bonis aliorum; unde Luc. 15, 10, dicitur: gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente. Ergo ex bonis operibus viventium, sanctorum qui sunt in patria gaudium crescit, et ita etiam eis nostra suffragia prosunt.

3. Les saints se réjouissent non seulement de leurs biens propres, mais aussi des biens des autres. Aussi est-il dit en Lc 15, 10 : Les anges de Dieu se réjouissent pour un seul pécheur qui fait pénitence. La joie des saints qui sont dans la patrie augmente donc par les bonnes actions des vivants, et ainsi nos suffrages leur profitent aussi.

[21789] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus in sermone de dormientibus inducens verba Chrysostomi: si enim gentiles, inquit, cum his qui abierunt, sua comburunt; quanto magis te fidelem mittere convenit cum fideli ipsius propria, non ut favilla fiant et haec velut illa, sed ut majorem hinc circumponas gloriam; et si quidem peccator fuerit qui mortuus est, ut peccamina solvas; si autem justus, ut appositio fiat mercedis et retributionis. Et sic idem quod prius.

4. [Jean] Damascène dit dans un sermon sur les morts qui invoque les paroles de Chrysostome : « Si les païens brûlent ce qui leur appartient avec ceux qui sont partis, combien plus convient-il à toi, un croyant, de rassembler avec un fidèle ce qui lui appartient, non pas pour les réduire en cendres, mais pour les entourer d’une plus grande gloire ; et si celui qui est mort était un pécheur, pour l’absoudre de ses fautes, mais s’il était un juste, pour que la rétribution et la récompense soient réunies. » La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[21790] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod habetur in littera ex verbis Augustini: injuria est in Ecclesia orare pro martyre cujus nos debemus orationibus commendari.

Cependant, [1] on lit dans le texte un extrait d’Augustin : « C’est une injure que de prier dans l’Église pour un martyr aux prières de qui nous devons être récommandés. »

[21791] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ejus est juvari cujus est indigere. Sed sancti in patria sunt absque omni indigentia. Ergo per suffragia Ecclesiae non juvantur.

[2] C’est celui qui est dans le besoin qui a besoin d’aide. Or, les saints dans la patrie sont sans aucun besoin. Ils ne sont donc pas aidés par les suffrages de l’Église.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21792] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa damnatos in Inferno fuit duplex opinio. Quidam enim dixerunt in hoc distinguendum esse dupliciter. Uno modo quantum ad tempus, dicentes, quod post diem judicii nullus in Inferno existens aliquo suffragio juvabitur, sed ante diem judicii aliqui juvantur suffragiis Ecclesiae. Alio modo distinguebant quantum ad personas in Inferno detentas, inter quas quosdam dicebant esse valde malos; qui scilicet sine fide et sacramentis Ecclesiae decesserunt; et talibus qui de Ecclesia non fuerunt, nec merito nec numero suffragia Ecclesiae prodesse possunt. Alii vero sunt non valde mali, qui scilicet de Ecclesia fuerunt numero, et fidem habentes, et sacramentis imbuti, et aliqua opera de genere bonorum facientes; et talibus suffragia Ecclesiae prodesse debent. Sed occurrebat eis quaedam dubitatio eos perturbans, quia scilicet videbatur ex hoc sequi, cum poena Inferni sit finita secundum intensionem, quamvis duratione infinita existat, quod multiplicatis suffragiis poena illa auferetur; quod est error Origenis; et ideo hoc inconveniens multipliciter evadere voluerunt. Praepositinus enim dixit, quod tantum possunt suffragia pro damnatis multiplicari, quod a poena tota redduntur immunes, non autem simpliciter, ut Origenes posuit, sed ad tempus, scilicet usque ad diem judicii: tunc enim animae iterato corporibus conjunctae in poenas Inferni sine spe veniae retruduntur. Sed ista opinio videtur divinae repugnare providentiae, quae nihil in rebus inordinatum relinquit. Culpa autem ordinari non potest nisi per poenam; unde non potest esse ut poena tollatur, nisi prius culpa expietur; et ideo cum culpa continue maneat in damnatis, eorum poena nullatenus interrumpetur. Et ideo Porretani alium modum invenerunt, dicentes, quod hoc modo proceditur in diminutione poenarum per suffragia, sicut proceditur in divisione linearum, quae cum sint finitae, tamen in infinitum dividi possunt, et nunquam per divisionem consumuntur, dum fit subtractio non secundum eamdem quantitatem, sed secundum eamdem proportionem; velut si primo auferatur pars quarta totius, et secundo quarta illius quartae, et iterum quarta illius quartae, et sic deinceps in infinitum. Et similiter dicunt, quod per primum suffragium diminuitur aliquota pars poenae, et per secundum pars aliqua remanentis secundum eamdem proportionem. Sed iste modus multipliciter defectivus invenitur. Primo, quia infinita divisio, quae congruit continuae quantitati, non videtur posse ad quantitatem spiritualem transferri. Secundo, quia non est aliqua ratio quare secundum suffragium minus de poena diminuat quam primum, si sit aequalis valoris. Tertio, quia poena diminui non potest nisi diminuatur et culpa, sicut nec auferri nisi ea ablata. Quarto, quia in divisione lineae tandem pervenitur ad hoc quod non est sensibile: corpus enim sensibile non est in infinitum divisibile. Et sic sequeretur quod post multa suffragia poena remanens propter sui parvitatem non sentiretur, et ita non esset poena. Et ideo alii invenerunt alium modum. Altisiodorensis enim dixit, quod suffragia prosunt damnatis non quidem per diminutionem vel per interruptionem, sed per confortationem patientis; sicut si homo portaret grave onus, et facies sua perfunderetur aqua; sic enim confortaretur ad melius portandum, cum tamen onus suum in nullo levius fieret. Sed hoc iterum esse non potest: quia aliquis plus vel minus aeterno igne gravatur, ut Gregorius dicit, secundum meritum culpae; et inde est quod eodem igne quidam plus quidam minus cruciantur, unde cum culpa damnati immutata remaneat, non potest esse quod levius poenam ferat. Est nihilominus et praedicta opinio praesumptuosa, utpote sanctorum dictis contraria; et vana, nulla auctoritate fulta; et nihilominus irrationalis: tum quia damnati in Inferno sunt extra vinculum caritatis, secundum quam opera vivorum continuantur defunctis: tum quia totaliter ad viae terminum pervenerunt recipientes ultimam pro meritis retributionem, sicut et sancti qui sunt in patria. Quod enim adhuc restat de poena vel gloria corporis, hoc eis rationem viatoris non praebet, cum gloria essentialiter et radicaliter existat in anima; et similiter miseria damnatorum; et ideo non potest poena eorum diminui, sicut nec gloria sanctorum augeri, quantum ad praemium essentiale. Sed tamen modus qui a quibusdam ponitur quod suffragia prosunt damnatis, posset aliquo modo sustineri; ut si dicatur quod non prosunt neque quantum ad diminutionem poenae vel interruptionem, vel quantum ad diminutionem sensus poenae; sed quia ex hujusmodi suffragiis eis aliqua materia doloris subtrahitur, quae eis esse posset, si ita se abjectos conspicerent quod pro eis nullam curam haberent vivi: quae materia doloris eis subtrahitur, dum suffragia pro eis fiunt. Sed istud etiam non potest esse secundum legem communem: quia, ut Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda, (quod praecipue de damnatis verum est), ibi sunt spiritus defunctorum ubi non vident quaecumque agunt aut eveniunt in ista vita hominibus; et ita non cognoscunt quando pro eis suffragia fiunt, nisi supra communem legem hoc remedium divinitus detur aliquibus damnatorum; quod est verbum omnino incertum. Unde tutius est simpliciter dicere, quod suffragia non prosunt damnatis, nec pro eis Ecclesia orare intendit, sicut ex auctoritatibus inductis apparet.

Il existe une double opinion au sujet des damnés en enfer. En effet, certains ont dit qu’il faut faire ici une double distinction. Premièrement, en ce qui concerne le temps, ils disent qu’après le jour du jugement, personne qui se trouve en enfer ne sera aidé, mais que, avant le jour du jugement, certains sont aidés par les suffrages de l’Église. Deuxièment, ils faisaient une distinction parmi les personnes détenues en enfer, dont ils disaient que certaines étaient très mauvaises, celles qui étaient mortes sans la foi et les sacrements de l’Église. À ceux-là, qui ne faisaient pas partie de l’Église, les suffrages de l’Église ne peuvent profiter ni par le mérite ni par le nombre. Mais d’autres ne sont pas très mauvais : celles qui faisaient de nom partie de l’Église, avaient la foi et étaient pénétrées des sacrements, et qui accomplissaient certaines actions bonnes par leur genre. À ceux-là, les suffrages de l’Église peuvent profiter. Mais ils avaient un doute qui les troublait, car il semblait découler de cela que, puisque la peine de l’enfer était finie par son intensité, bien qu’elle soit infinie par sa durée, cette peine était enlevée par la multiplication des suffrages, ce qui est l’erreur d’Origène. Ils ont donc cherché à échapper à cet inconvénient. En effet, Prévostin a dit que les suffrages pour les damnés peuvent être à ce point multipliés que [les damnés] sont exemptés de toute peine, non pas simplement, comme l’affirmait Origène, mais temporairement, à savoir, jusqu’au jour du jugement. En effet, les âmes de nouveau unies aux corps sont poussées vers les peines de l’enfer sans espoir de pardon. Mais cette opinion semble s’opposer à la providence divine, qui ne laisse rien de désordonné dans les choses. Or, la faute ne peut être mise en ordre que par la peine. La peine ne peut donc pas être enlevée, à moins que la faute n’ait d’abord été expiée. Puisque la faute demeure de manière continue chez les damnés, leur peine ne peut donc aucunement être interrompue. C’est pourquoi les porrétains ont trouvé une autre façon : la diminution des peines par les suffrages se réalise de la manière dont se réalise la division de lignes, qui, alors qu’elles sont finies, peuvent cependant être divisées à l’infini, sans disparaître par la division, pourvu que la soustraction soit réalisée, non pas selon la même quantité, mais selon la même proportion. Ainsi, le quart de l’ensemble est d’abord soustrait, ensuite le quart de ce quart, de nouveau le quart de cette partie, et ainsi à l’infini. De la même manière, ils disent que, par le premier suffrage, une certaine partie de la faute est diminuée, et par le deuxième, une partie de ce qui en reste selon la même proportion. Mais ce mode se révèle déficient de plusieurs façons. Premièrement, parce qu’une division infinie, qui convient à une quantité continue, ne semble pas pouvoir être reportée sur une quantité spirituelle. Deuxièmement, parce qu’il n’y a pas de raison pour que, par un suffrage, une partie moindre de la peine soit diminuée que la première, s’il est d’égale valeur. Troisièmement, parce que la peine ne peut être diminuée, à moins que ne soit diminuée la faute, de même qu’elle ne peut être enlevée, à moins que celle-ci ne soit enlevée. Quatrièmement, parce que, dans la division de la ligne, on parvient à quelque chose qui n’est pas sensible : en effet, un corps sensible n’est pas divisible à l’infini. Il en découlerait donc que, après un grand nombre de suffrages, la peine qui reste ne serait pas sentie en raison de sa petitesse, et ainsi ne serait pas une peine. C’est pourquoi d’autres ont trouvé une autre manière. En effet, [Guillaume] d’Auxerre a dit que les suffrages profitent aux damnés, non pas par la diminution ou par l’interruption [de la peine], mais par le réconfort apporté à celui qui souffre, comme si un homme portait un poids écrasant et que son visage était couvert d’eau, il serait réconforté pour le porter plus facilement, alors que son poids ne deviendrait pas du tout plus léger. Mais cela ne peut pas non plus être le cas, car quelqu’un est plus ou moins accablé par le feu éternel, comme le dit Grégoire, selon ce que mérite sa faute ; de là vient que, par le même feu, certains sont moins torturés. Puisque la faute du damné demeure inchangée, il ne se peut donc pas qu’il porte plus légèrement sa peine. Néanmoins, l’opinion rappelée est présomptueuse, étant contraire aux paroles des saints, et vaine, puisqu’elle ne s’appuie sur aucune autorité, et encore déraisonnable, tant parce que les damnés sont en enfer en dehors du lien de la charité, par laquelle les actions des vivants atteignent les défunts, que parce qu’ils sont tout à fait parvenus au terme de la route pour recevoir la rétribution ultime pour leurs mérites, comme les saints qui sont dans la patrie. En effet, ce qui reste de la peine ou de la gloire du corps ne leur confère pas le caractère de voyageur (viatoris), puisque la gloire existe essentiellement et radicalement dans l’âme, et de même, pour ce qui est la misère des damnés. Leur peine ne peut donc pas être diminuée, comme la gloire des saints ne peut être augmentée, pour ce qui est de la récompense essentielle. Cependant, la manière selon laquelle certains affirment que les suffrages profitent aux damnés pourrait être acceptée d’une certaine façon : on pourrait dire qu’ils ne leur profitent ni pour ce qui est de la diminution ou l’interruption de la peine, ni pour ce qui est de la diminution du sens de la peine, mais parce que, par ces suffrages, une matière est soustraite à leur douleur, qu’ils pourraient avoir s’ils semblaient tellement rejetés que les vivants n’auraient aucun souci d’eux. Cette matière est soustraite à leur douleur lorsque des suffrages sont accomplis pour eux. Mais cela non plus ne peut pas exister selon la loi commune, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts, ce qui est surtout vrai des damnés, « les esprits des défunts sont là où ils ne voient rien de ce qui est accompli ou arrive aux hommes en cette vie ». Ainsi, ils ne savent pas quand des suffrages sont accomplis pour eux, à moins qu’un tel remède ne soit donné par Dieu à certains damnés en dépassant la loi commune, ce qui est une affirmation très incertaine. Il est donc plus sûr de dire tout simplement que les suffrages ne profitent pas aux damnés et que l’Église n’a pas l’intention de prier pour eux, comme cela ressort des autorités invoquées.

[21793] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod donaria idolorum non fuerunt inventa apud illos mortuos, ut ex eis signum accipi posset quod in reverentiam idolorum ea deferrent; sed ea acceperunt ut victores quae eis jure belli debebantur; et tamen per avaritiam venialiter peccaverunt; unde non fuerunt in Inferno damnati; et sic suffragia eis prodesse poterant. Vel dicendum secundum quosdam, quod in ipsa pugna videntes sibi periculum imminere, de peccato poenituerunt, secundum illud Psal. 77, 34: cum occideret eos, quaerebant eum. Et hoc probabiliter potest aestimari; et ideo oblatio pro eis fuit facta.

1. Les offrandes aux idoles ne se trouvaient pas chez ces morts, de sorte qu’on puisse en tirer un signe qu’on les apportait en révérence aux idoles, mais ils les recevaient en tant que vainqueurs à qui ils étaient dus selon le droit de la guerre. Cependant, ils ont péché véniellement par avarice. Ils ne furent donc pas condamnés à l’enfer et ainsi des suffrages peuvent leur profiter. Ou bien, selon certains, il faut dire qu’en constatant un danger imminent dans le combat même, ils se repentirent de leur péché, selon ce passage du Ps 77, 34 : Alors qu’il les tuait, ils le recherchaient. Et cela peut être estimé de manière probable. C’est pourquoi une offrande fut faite pour eux.

[21794] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod damnatio in verbis illis large accipitur pro quacumque punitione, ut sic includat et poenam Purgatorii: quae quandoque totaliter per suffragia expiatur; quandoque autem non, sed diminuitur.

2. Dans ces paroles, la damnation est entendue au sens large de n’importe quelle punition, incluant aussi la peine du purgatoire, qui est parfois entièrement expiée par les suffrages, mais parfois non, alors qu’elle est seulement diminuée.

[21795] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad hoc magis acceptatur suffragium pro mortuo quam pro vivo, quia magis indiget, cum non possit auxiliari sibi, sicut vivus potest; sed quantum ad hoc vivus est melioris conditionis, quia potest transferri de statu culpae mortalis in statum gratiae, quod de mortuis dici non potest; et ideo non est eadem causa orandi pro mortuis et pro vivis.

3. Le suffrage est davantage accepté pour un mort que pour un vivant parce qu’il en a davantage besoin, puisqu’il ne peut s’aider lui-même, comme le peut le vivant. Mais, sur ce point, le vivant est dans une meilleure condition parce qu’il peut passer de l’état de la faute mortelle à l’état de la gloire, ce qu’on ne peut dire des morts. La raison de prier pour les morts et pour les vivants n’est donc pas la même.

[21796] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud adjutorium non erat in hoc quod poena eorum diminueretur; sed in hoc solo, ut ibidem dicitur, quod eo orante concedebatur eis ut mutuo se viderent; et in hoc aliquod gaudium non verum sed phantasticum habebant, dum implebatur hoc quod desiderabant; sicut et Daemones gaudere dicuntur dum homines ad peccata pertrahunt, quamvis per hoc eorum poena nullatenus minuatur, sicut nec minuitur gaudium Angelorum per hoc quod malis nostris compati dicuntur.

4. Ce secours ne consiste pas dans le fait que leur peine est diminuée, mais, comme on le dit au même endroit, seulement dans le fait qu’alors qu’il priait, il leur fut accordé de se voir réciproquement. Et en cela, ils avaient une joie qui n’était pas vraie mais imaginée, alors que s’accomplissait ce qu’ils désiraient. C’est ainsi qu’on dit des démons qu’ils se réjouissent lorsqu’ils entraînent les hommes au péché, bien que leur peine ne soit en rien diminuée pour cela, comme n’est pas diminuée la joie des anges par le fait que nous disons qu’ils compatissent à nos maux.

[21797] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de facto Trajani hoc modo potest probabiliter aestimari, quod precibus beati Gregorii ad vitam fuerit revocatus, et ibi gratiam consecutus sit, per quam remissionem peccatorum habuit, et per consequens immunitatem a poena; sicut etiam apparet in omnibus illis qui fuerunt miraculose a mortuis suscitati, quorum plures constat idolatras et damnatos fuisse. De omnibus enim similiter dici oportet, quod non erant in Inferno finaliter deputati, sed secundum praesentem justitiam propriorum meritorum; secundum autem superiores causas, quibus praevidebantur ad vitam revocandi, erat de eis aliter disponendum. Vel dicendum, secundum quosdam, quod anima Trajani non fuit simpliciter a reatu poenae aeternae absoluta; sed ejus poena fuit suspensa ad tempus, scilicet usque ad diem judicii. Nec tamen oportet quod hoc fiat communiter per suffragia; quia alia sunt quae lege communi accidunt, et alia quae singulariter ex privilegio aliquibus conceduntur; sicut aliae sunt humanarum limites rerum, alia divina signa virtutum, ut Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda.

5. À propos du comportement de Trajan, on peut estimer avec probabilité qu’il a été ramené à la vie par les prières du bienheureux Grégoire et qu’il a alors obtenu la grâce, par laquelle il reçut la rémission de ses péchés et, par conséquent, l’exemption de la peine, comme cela ressort chez tous ceux ont été miraculeusement ressuscités d’entre les morts, dont il est avéré que plusieurs ont été idolâtres et damnés. En effet, il faut dire la même chose de tous : ils n’étaient pas envoyés en enfer de manière définitive, mais selon la justice actuelle de leurs propres mérites ; cependant, pour des raisons supérieures, selon lesquelles ils devaient être rappelés à la vie, il fallait disposer d’eux autrement. Ou bien, selon certains, il faut dire que l’âme de Trajan n’a pas été libérée de la culpabilité de la peine éternelle de manière absolue, mais que sa peine a été suspendue pour un temps, à savoir jusqu’au jour du jugement. Cependant, il n’est pas nécessaire que cela soit accompli d’une manière générale par les suffrages, car autres sont les choses qui arrivent selon la loi commune, et autres celles qui sont accordées personnellement à certains par privilège, comme autres sont les limites des choses humaines, et autres les signes de la puissance divine, comme le dit Augustin dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21798] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena Purgatorii est in supplementum satisfactionis quae non fuerat plene in corpore consummata; et ideo, quia, sicut ex praedictis patet, et ex his quae supra, dist. 20, dicta sunt, opera unius possunt valere alteri ad satisfactionem, sive vivis sive mortuis; non est dubium quin suffragia per vivos facta, existentibus in Purgatorio prosint.

La peine du purgatoire est un supplément de la satisfaction qui n’avait pas été accomplie entièrement dans le corps. Comme cela ressort de ce qui a été dit et aussi de ce qui a été dit plus haut à la d. 20, parce que les actions de l’un peuvent avoir une valeur pour un autre en vue de la satisfaction, qu’il s’agisse de vivants ou de morts, il n’y a pas de doute que les suffrages accomplis par les vivants profitent à ceux qui se trouvent au purgatoire.

[21799] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa loquitur de Inferno damnatorum, in quo nulla est redemptio quantum ad illos qui sunt finaliter tali poenae deputati. Vel dicendum, secundum Damascenum in sermone de dormientibus, quia hujusmodi auctoritates exponendae sunt secundum causas inferiores, scilicet secundum exigentiam meritorum eorum qui poenis deputantur; sed secundum divinam misericordiam, quae vincit humana merita, ad preces justorum aliter quandoque disponitur quam sententia praedictarum auctoritatum contineat. Deus autem mutat sententiam, sed non consilium, ut dicit Gregorius; unde etiam Damascenus ponit ad hoc exempla de Ninivitis, Achab et Ezechia, in quibus apparet quod sententia contra eos lata divinitus fuit per divinam misericordiam commutata.

1. Cette autorité parle de l’enfer des damnés, dans lequel il n’y a aucune rédemption pour ceux qui sont définitivement envoyés à une telle peine. Ou bien il faut dire, selon [Jean] Damascène, dans son sermon sur les morts, que ces autorités doivent être interprétées selon les causes inférieures, à savoir selon que l’exigent les mérites de ceux qui sont envoyés à ces peines. Mais, selon la miséricorde divine, qui l’emporte sur les mérites humains, à la prière des justes, il est parfois disposé autrement que ne le disent les autorités indiquées. Or, « Dieu change sa sentence, et non son jugement », comme le dit Grégoire. Aussi [Jean] Damascène lui-même donne-t-il les exemples de Ninivites, Achab et Ezéchias, chez qui il apparaît que la sentence portée contre eux fut changée par Dieu selon la miséricorde divine.

[21800] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est inconveniens, si multiplicatis suffragiis poena in Purgatorio existentium annihiletur: non tamen sequitur quod peccata remaneant impunita; quia poena unius pro altero suscepta alteri computatur.

2. Il n’est pas inapproprié que, par la multiplication des suffrages, la peine de ceux qui se trouvent au purgatoire soit annihilée. Il n’en découle cependant pas que les péchés demeurent impunis, car la peine de l’un acceptée pour un autre est comptée pour l’autre.

[21801] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod purgatio animae per poenas Purgatorii non est aliud quam expiatio reatus impedientis a perceptione gloriae: et quia per poenam quam unus sustinet pro alio, potest reatus alterius expiari, ut dictum est, non est inconveniens, si per unius satisfactionem alius purgetur.

3. La purification de l’âme par les peines du purgatoire n’est rien d’autre que l’expiation de la faute qui empêche d’obtenir la gloire. Et parce que, par la peine que l’un supporte pour un autre, la faute de l’autre peut être expiée, comme on l’a dit, il n’est pas inapproprié que quelqu’un soit purifié par la satisfaction d’un autre.

[21802] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod suffragia ex duobus valent; scilicet ex opere operante, et ex opere operato. Et dico opus operatum non solum Ecclesiae sacramentum, sed effectum accidentem ex operatione; sicut ex collatione eleemosynarum consequitur pauperum relevatio, et eorum oratio pro defuncto ad Deum. Similiter opus operans potest accipi vel ex parte principalis agentis, vel ex parte exequentis. Dico ergo, quod quam cito moriens disponit aliqua suffragia sibi fieri, praemium suffragiorum plene consequitur, ante etiam quam fiant, quantum ad efficaciam suffragii, quae erat ex opere operante principalis agentis; sed quantum ad efficaciam suffragiorum quae est ex opere operato, vel ex opere operante exequentis, non consequitur fructum antequam suffragia fiant, et si prius contingat ipsum a poena purgari, quantum ad hoc fraudabitur suffragiorum fructu; quod redundabit in illos quorum culpa defraudatur. Non enim est inconveniens quod aliquis defraudetur per culpam alterius in temporalibus; poena autem Purgatorii temporalis est; quamvis quantum ad retributionem nullus defraudari possit nisi per propriam culpam.

4. Les suffrages tirent leur valeur de deux choses : de l’action [de celui] qui agit (ex opere operante) et de l’action accomplie (ex opere operato). Et j’appelle « action accomplie » (opus operatum), non seulement le sacrement de l’Église, mais l’effet qui vient de l’action, comme le soulagement des pauvres découle du don d’aumônes, et leur prière adressée à Dieu pour un défunt. De même, l’action de celui qui agit (opus operans) peut être entendue soit du point de vue de l’agent principal, soit du point de vue de celui qui exécute. Je dis donc que, lorsque celui qui va bientôt mourir fait en sorte que des suffrages soient accomplis pour lui, il obtient pleinement la récompense des suffrages, avant même qu’ils soient accomplis, pour ce qui est de l’efficacité du suffrage, qui relevait de l’action de l’agent principal ; mais, pour ce qui est de l’efficacité des suffrages en vertu de l’action accomplie ou de l’action posée par l’exécutant, il n’en obtient pas le fruit avant que les suffrages soient accomplis, et s’il arrive qu’il soit purifié de la peine, il sera privé sur ce point du fruit des suffrages, qui rejaillira sur ceux dont la faute est enlevée. En effet, il n’est pas inapproprié que quelqu’un soit privé par la faute d’un autre en matière temporelle. Or, la peine du purgatoire est temporelle, bien que, pour ce qui est de la rétribution, personne ne puisse être privé que par sa propre faute.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21803] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod pueri non baptizati non detinentur in Limbo, nisi quia deficiunt a statu gratiae; unde cum per opera vivorum, mortuorum status mutari non possit, maxime quantum ad meritum essentialis praemii vel poenae; suffragia vivorum pueris in Limbo existentibus prodesse non possunt.

Les enfants non baptisés ne sont retenus aux limbes que parce qu’il leur manque l’état de grâce. Puisque l’état des morts ne peut être changé par les actions des vivants, surtout pour ce qui est du mérite de la récompense ou de la peine essentielle, les suffrages des vivants ne peuvent donc profiter aux enfants qui sont dans les limbes.

[21804] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis peccatum originale sit hujusmodi quod pro eo possit aliquis ab alio juvari, tamen animae puerorum in Limbo existentes sunt in tali statu quod juvari non possunt: quia post hanc vitam non est tempus gratiam acquirendi.

1. Bien que le péché originel soit d’une nature telle que quelqu’un puisse être aidé par un autre à son sujet, cependant les âmes des enfants qui sont dans les limbes sont dans un état tel qu’elles ne peuvent être aidées, car, après cette vie, ce n’est plus le temps d’obtenir la grâce.

[21805] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus loquitur de non valde malis, qui tamen baptizati sunt; quod patet ex hoc quod praemittitur: cum ergo sacrificia sive altaris, sive quarumcumque eleemosynarum, pro baptizatis omnibus offeruntur.

2. Augustin parle de ceux qui ne sont pas très mauvais, qui n’ont cependant pas été baptisés. Ce qui ressort de ce qui précède : « Lors donc que des sacrifices, celui de l’autel ou celui d’aumônes, sont offerts pour tous les baptisés. »

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21806] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod suffragium de sui ratione importat quamdam auxiliationem, quae non competit ei qui defectum non patitur: nulli enim juvari competit nisi in eo quo indigens est. Unde cum sancti qui sunt in patria, sint ab omni indigentia immunes, inebriati ab ubertate domus Dei, eis juvari per suffragia non competit.

Le suffrage comporte par définition une certaine aide, qui ne convient pas à celui qui ne souffre pas d’un manque : en effet, il ne convient à personne d’être aidé, à moins qu’il ne soit dans le besoin. Puisque les saints qui se trouvent dans la patrie sont exempts de tout besoin, enivrés qu’ils sont de l’abondanace de la maison de Dieu, il ne convient donc pas qu’ils soient aidés par des suffrages.

[21807] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hujusmodi locutiones non sunt sic intelligendae quasi sancti in gloria proficiant quantum ad se, quod eorum festa recolimus; sed quia nobis proficit, qui eorum gloriam solemnius celebramus; sicut ex hoc quod Deum cognoscimus vel laudamus et sic quodammodo ejus gloria in nobis crescit; nihil Deo, sed nobis accrescit.

1. Ces façons de parler ne doivent pas être entendues au sens où les saints dans la gloire tirent quant à eux profit des fêtes par lesquelles nous les célébrons, mais au sens où cela profite à nous, qui célébrons plus solennellement leur gloire, de la même manière que, par le fait que nous connaissons ou louons Dieu, sa gloire augmente d’une certaine manière en nous : rien n’est ajouté à Dieu, mais l’accroissement est de notre côté.

[21808] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sacramenta efficiant quod figurant, non tamen illum effectum suum ponunt circa omne id quod figurant: alias cum figurent Christum, in ipso Christo aliquid efficerent, quod est absurdum: sed efficiunt circa suscipientem sacramentum ex virtute ejus quod per sacramentum significatur: et sic non legitur quod sacrificia pro fidelibus defunctis oblata sanctis prosint; sed quia ex meritis sanctorum qui recoluntur vel significantur in sacramento, prosunt aliis pro quibus offeruntur.

2. Bien que les sacrements réalisent ce qu’ils représentent, ils n’ont cependant pas leur effet par rapport à tout ce qu’ils représentent, autrement, puisqu’ils représentent le Christ, ils réaliseraient quelque chose dans le Christ lui-même, ce qui est absurde. Mais ils agissent, chez celui qui reçoit le sacrement, en vertu de ce qui est signifié par le sacrement. Ainsi on ne lit pas que les sacrifices offerts pour les fidèles défunts profitent aux saints, mais que, par les mérites des saints qui sont célébrés ou signifiés dans le sacrement, ils profitent aux autres pour lesquels ils sont offerts.

[21809] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sancti qui sunt in patria, de omnibus bonis nostris gaudeant, non tamen sequitur quod multiplicatis nostris gaudiis eorum gaudium augmentetur formaliter, sed materialiter tantum: quia omnis passio formaliter augetur secundum rationem objecti sui. Ratio autem gaudendi in sanctis, de quibuscumque gaudent, est ipse Deus, de quo non possunt magis et minus gaudere: quia sic essentiale eorum praemium variaretur, quod consistit in hoc quod de Deo gaudent. Unde ex hoc quod bona multiplicantur, de quibus gaudendi ratio eis Deus est, non sequitur quod intensius gaudeant, sed quod de pluribus gaudeant; et ideo non sequitur quod operibus nostris juventur.

3. Bien que les saints qui sont dans la patrie se réjouissent de tous nos biens, il n’en découle cependant pas que, par la multiplication de nos joies, leur joie est augmentée au sens formel, mais au sens matériel seulement, car toute passion est augmentée au sens formel selon la raison de son objet. Or, la raison de se réjouir chez les saints, quel que soit l’objet de la réjouissance, est Dieu lui-même, dont ils ne peuvent se réjouir ni en plus ni en moins, car ainsi leur récompense essentielle, qui consiste dans le fait qu’ils se réjouissent de Dieu, ne changerait pas. Du fait que sont multipliés les biens dont Dieu est pour eux la raison de se réjouir, il ne découle donc pas qu’ils se réjouissent plus intensément, mais qu’ils se réjouissent de plus de choses. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’ils sont aidés par nos actions.

[21810] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est intelligendum quod fiat oppositio mercedis vel retributionis illi beato per suffragia ab aliquo facta, sed facienti. Vel dicendum, quod ex suffragiis potest appositio mercedis fieri beato defuncto, inquantum sibi de suffragiis faciendis adhuc vivens disposuit, quod ei meritorium fuit.

4. Il ne faut pas comprendre que l’attribution [corr. oppositio/appositio] de la récompense ou de la rétribution est faite à ce bienheureux en vertu des suffrages accomplis par quelqu’un d’autre, mais à celui qui les accomplit. Ou bien il faut dire que, en vertu des suffrages, l’attribution de la récompense peut être faite à un bienheureux défunt pour autant qu’il a disposé, alors qu’il était encore vivant, que des suffrages devaient être faits pour lui, ce qui était méritoire pour lui.

 

 

Articulus 3 [21811] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 tit. Utrum non solum orationibus Ecclesiae et sacrificio altaris et eleemosynis animae defunctorum juventur

Article 3 – Les âmes des défunts sont-elles aidées seulement par les prières de l’Église, le sacrifice de l’autel et les aumônes ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les âmes des défunts sont-elles aidées seulement ou principalement par les prières de l’Église, le sacrifice de l’autel et les aumônes ?]

[21812] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non solum orationibus Ecclesiae et sacrificio altaris et eleemosynis animae defunctorum juventur, vel quod eis juventur praecipue. Poena enim debet per poenam recompensari. Sed jejunium magis est poenale quam eleemosyna vel oratio. Ergo jejunium magis prodesset in suffragiis quam aliquod praedictorum.

1. Il semble que les âmes des défunts soient aidées seulement ou principalement par les prières de l’Église, le sacrifice de l’autel et les aumônes. En effet, la peine doit être compensée par une peine. Or, le jeûne a davantage le caractère de peine que l’aumône ou la prière. Dans les suffrages, le jeûne serait donc plus utile qu’une des choses mentionnées.

[21813] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius II tribus praedictis connumerat jejunium, ut habetur Caus. 13, quaest. 11: animae defunctorum quatuor solvuntur modis: aut oblationibus sacerdotum, aut orationibus sanctorum, aut carorum eleemosynis, aut jejunio cognatorum. Ergo insufficienter ab Augustino haec enumerantur tria praedicta.

2. Grégoire II joint le jeûne à l’énumération des trois choses mentionnées, comme on le lit [dans le Décret], C. 13, q. 11 : « Les âmes des défunts sont libérées de quatre manières : par les offrandes des prêtres, par les prières des saints, par les aumônes de ceux qui leur sont chers, par le jeûne de leurs parents. » Augustin a donc énuméré de manière insuffisante les trois choses mentionnées.

[21814] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Baptismus est potissimum sacramentorum, maxime quantum ad effectum. Ergo Baptismus vel alia sacramenta deberent vel similiter vel magis prodesse defunctis, sicut sacramentum altaris.

3. Le baptême est le principal sacrement, surtout pour ce qui est de son effet. Le baptême ou les autres sacrements devraient donc profiter également ou davantage aux défunts que le sacrement de l’autel.

[21815] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, hoc videtur ex hoc quod habetur 1 Corinth. 15, 29: si omnino mortui non resurgunt, ut quid baptizantur pro illis? Ergo Baptismus etiam valet ad suffragia defunctorum.

4. Cela semble être le cas d’après ce qu’on lit en 1 Co 15, 29 : Si les morts ne ressuscitent pas du tout, pourquoi sont-ils baptisés pour eux ? Le baptême a donc valeur de suffrages pour les défunts.

[21816] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, in diversis Missis est idem altaris sacrificium. Si ergo sacrificium computatur inter suffragia, et non Missa; videtur quod tantumdem valeat quaecumque Missa pro defuncto dicatur, sive de beata virgine, sive de spiritu sancto, vel quaecumque alia; quod videtur esse contra Ecclesiae ordinationem, quae specialem Missam pro defunctis instituit.

5. Le sacrifice de l’autel est le même dans les diverses messes. Si donc le sacrifice est compté parmi les suffrages, et non la messe, il semble que n’importe quelle messe qui est dite profite à un défunt, qu’il s’agisse de [la messe] de la bienheureuse Vierge, de celle de l’Esprit Saint ou de n’importe quelle autre ; ce qui semble aller contre une disposition de l’Église, qui a établi une messe spéciale pour les défunts.

[21817] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, Damascenus in sermone de dormientibus, docet, ceras et oleum et hujusmodi pro defunctis offerri. Ergo non solum oblatio sacrificii altaris, sed etiam aliae oblationes debent inter suffragia mortuorum computari.

6. Dans son sermon sur les morts, [Jean] Damascène enseigne que des cierges, de l’huile et des choses de ce genre doivent être offerts pour les défunts. Non seulement l’offrande du sacrifice de l’autel, mais aussi d’autres offrandes doivent donc être comptées parmi les suffrages pour les morts.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les indulgences que l’Église distribue profitent-elles aussi aux morts ?]

[21818] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod indulgentiae quas Ecclesia largitur, etiam mortuis prosint. Primo per consuetudinem Ecclesiae quae facit praedicari crucem, ut aliquis habeat indulgentiam pro se, et duobus vel tribus, et quandoque decem animabus tam vivorum quam mortuorum; quod esset deceptio, nisi mortuis prodessent. Ergo indulgentiae mortuis prosunt.

1. Il semble que les indulgences que l’Église distribue profitent aussi aux morts. Premièrement, en raison de la coutume de l’Église, qui fait prêcher la croisade, de sorte qu’on obtienne une indulgence pour soi, pour deux ou trois, et parfois dix âmes de vivants et de morts, ce qui serait une tromperie, si elles ne profitaient pas aux morts. Les indulgences profitent donc aux morts.

[21819] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, meritum totius Ecclesiae est efficacius quam meritum unius personae. Sed meritum personale suffragatur defunctis, ut patet in elargitione eleemosynarum. Ergo multo fortius meritum Ecclesiae, cui indulgentiae innituntur.

2. Le mérite de toute l’Église est plus efficace que le mérite d’une seule personne. Or, le mérite personnel sert de suffrage pour les défunts, comme cela ressort de la distribution des aumônes. À bien plus forte raison, le mérite de l’Église, sur lequel se fondent les indulgences.

[21820] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, indulgentiae Ecclesiae prosunt illis qui sunt de foro Ecclesiae. Sed illi qui sunt in Purgatorio, sunt de foro Ecclesiae; alias eis suffragia Ecclesiae non prodessent. Ergo videtur quod indulgentiae defunctis prosint.

3. Les indulgences de l’Église profitent à ceux qui sont au purgatoire. Or, ceux qui sont au purgatoire relèvent du for de l’Église, autrement les suffrages de l’Église ne leur profiteraient pas. Il semble donc que les indulgences profitent aux défunts.

[21821] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quia ad hoc quod indulgentiae alicui valeant, requiritur causa conveniens, pro qua indulgentiae dantur. Sed talis causa non potest esse ex parte defuncti, quia non potest aliquid facere quod sit in utilitatem Ecclesiae, pro qua causa praecipue indulgentiae dantur. Ergo videtur quod indulgentiae defunctis non prosint.

Cependant, [1] le fait que, pour que des indulgences aient valeur pour quelqu’un, est requise une raison convenable, pour laquelle les indulgences sont données, va en sens contraire. Or, une telle cause ne peut se prendre du côté d’un défunt, car il ne peut rien faire pour le bien de l’Église, cause pour laquelle les indulgences sont données. Il semble donc que les indulgences ne profitent pas aux défunts.

[21822] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, indulgentiae determinantur secundum arbitrium indulgentias concedentis. Si ergo indulgentiae defunctis prodesse possent, esset in potestate concedentis indulgentiam ut defunctum omnino liberaret a poena; quod videtur absurdum.

[2] Les indulgences sont déterminées selon le jugement de celui qui accorde les indulgences. Si donc les indulgences pouvaient profiter aux défunts, il serait au pouvoir de celui qui accorde l’indulgence de libérer entièrement le défunt de sa peine, ce qui paraît absurde.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La célébration des obsèques est-elle utile au défunt ?]

[21823] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cultus exequiarum defuncto prosint. Damascenus enim in sermone de dormientibus inducit verba Athanasii sic dicentis: licet in aere qui in pietate consummatus est, depositus fuerit, ne renue oleum et ceras dominum invocans in sepulcro accendere; accepta enim ista sunt Deo, et multam ab eo recipientia retributionem. Sed hujusmodi pertinent ad cultum exequiarum. Ergo cultus exequiarum prodest defunctis.

1. Il semble que la célébration des obsèques soit utile au défunt. En effet, [Jean] Damascène invoque les paroles d’Athanase dans son sermon sur les morts : « Bien que celui qui est mort dans la piété ait été déposé dans l’airain, ne refuse pas d’allumer l’huile et les cierges dans le tombeau en invoquant le Seigneur ; en effet, ceux-ci ont été agréés par Dieu et sont beaucoup récompensés par lui. » Or, cela se rapporte à la célébration des obsèques. La célébration des obsèques est donc utile aux défunts.

[21824] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus 1 Lib. de Civ. Dei: antiquorum justorum funera officiosa pietate curata sunt, et exequiae celebratae, et sepulcra provisa; ipsique cum viverent, de sepeliendis, vel etiam ferendis suis corporibus filiis mandaverunt. Sed hoc non fecissent, nisi sepultura et hujusmodi aliquid mortuis conferrent. Ergo hujusmodi aliquid prosunt defunctis.

2. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, I : « On s’est occupé avec une légitime piété des funérailles des justes d’autrefois et leurs obsèques ont été célébrées, ainsi que leurs tombeaux entretenus ; eux-mêmes, lorsqu’ils vivaient, ont ordonné à leurs fils de les ensevelir et de porter leurs corps. » Or, ils n’auraient pas fait cela si la sépulture et les choses de ce genre n’apportaient rien aux morts. Les choses de ce genre sont donc utiles aux défunts.

[21825] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus facit eleemosynam circa aliquem, nisi ei proficiat. Sed sepelire mortuos computatur inter opera eleemosynarum: unde, ut Augustinus dicit 1 de Civ. Dei: Tobias sepeliendo mortuos Deum promeruisse teste Angelo commendatur. Ergo hujusmodi sepulturae cultus mortuis prodest.

3. Personne ne fait l’aumône à quelqu’un si cela ne lui profite pas. Or, ensevelir les morts est compté par les actes des aumônes. Ainsi, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, I, « selon le témoignage de l’ange, Tobie est louangé pour avoir mérité aux yeux de Dieu en ensevelissant les morts ». Ce culte de la sépulture profite donc aux morts.

[21826] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 4 Praeterea, inconveniens est dicere quod frustretur devotio fidelium. Sed aliqui ex devotione se in locis aliquibus religiosis sepeliri disponunt. Ergo sepulturae cultus prodest defunctis.

4. Il est inapproprié de dire que la dévotion des fidèles est vaine. Or, certains disposent par dévotion d’être ensevelis dans certains lieux. Le culte de la sépulture profite donc aux défunts.

[21827] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 5 Praeterea, Deus pronior est ad miserandum quam ad puniendum. Sed aliquibus nocet sepultura in locis sacris, si indigni sunt; unde dicit Gregorius: quos peccata gravia deprimunt, ad majorem damnationis cumulum potius quam ad solutionem eorum corpora in Ecclesiis ponuntur. Ergo multo amplius dicendum est, quod sepulturae cultus prosit bonis.

5. Dieu est plus enclin à faire miséricorde qu’à punir. Or, la sépulture dans des lieux sacrés est nuisible à certains, s’ils en sont indignes. Grégoire dit donc : « Les corps de ceux qui croulent sous les péchés graves sont apportés dans l’église pour leur plus grande condamnation plutôt que pour leur libération. » À bien plus forte raison faut-il donc dire que le culte de la sépulture profite aux bons.

[21828] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda: corpori humano quidquid impenditur, non est praesidium salutis aeternae, sed humanitatis officium.

Cependant, [1] Augustin dit dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts : « Tout ce qui est fait pour le corps humain n’aide pas au salut éternel, mais exprime le respect pour l’humanité. »

[21829] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit ad Bonifacium archiepiscopum scribens: curatio funeris, conditio sepulturae, pompa exequiarum, magis sunt vivorum solatia quam subsidia mortuorum.

[2] Grégoire dit à l’archevêque Boniface en lui écrivant : « L’attention portée aux funérailles, la préparation de la sépulture, les pompes des obsèques servent plutôt à consoler les vivants qu’à aider les morts. »

[21830] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, dominus dicit Matth. 10: nolite timere eos qui occidunt corpus, et post haec non habent amplius quid faciant. Sed post mortem sanctorum corpora possunt a sepultura prohiberi, sicut in ecclesiastica historia legitur factum de quibusdam martyribus Lugduni Galliae. Ergo non nocet defunctis, si eorum corpora inhumata remaneant; ergo nec cultus sepulturae prodest.

[3] Le Seigneur dit en Mt 10 : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et, après cela, ne savent que faire de plus. Or, après la mort des saints, leurs corps peuvent être interdits de sépulture, comme on lit dans l’histoire ecclésiastique que cela s’est produit à Lyon, en Gaule. Cela ne nuit donc pas aux défunts si leurs corps restent non ensevelis. Le culte de la sépulture n’est donc pas utile.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21831] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod suffragia vivorum prosunt defunctis secundum quod uniuntur viventibus caritate, et secundum quod intentio viventium refertur in mortuos; et ideo illa opera praecipue nata sunt mortuis suffragari quae maxime ad communicationem caritatis pertinent, vel ad directionem intentionis in alterum. Ad caritatem autem sacramentum Eucharistiae praecipue pertinet, cum sit sacramentum ecclesiasticae unionis, continens illum in quo tota Ecclesia unitur, et consolidatur, scilicet Christum; unde Eucharistia est quasi quaedam caritatis origo, sive vinculum; sed inter caritatis effectus praecipuum est eleemosynarum opus; et ita ista duo ex parte caritatis praecipue mortuis suffragantur, scilicet sacrificium Ecclesiae, et eleemosynae. Sed ex parte intentionis directae in mortuos praecipue valet oratio; quia oratio secundum suam rationem non solum dicit respectum ad orantem, sicut et cetera opera, sed directius ad id pro quo oratur. Et ideo ista tria ponuntur quasi praecipua mortuorum subsidia; quamvis quaecumque alia bona ex caritate fiant pro defunctis, eis valere credenda sint.

Les suffrages des vivants profitent aux défunts dans la mesure où ceux-ci sont unis aux vivants par la charité et selon que l’intention des vivants concerne les morts. Aussi ce sont les actions qui sont le plus en rapport avec les échanges de la charité et l’orientation de l’intention qui servent de suffrages. Or, le sacrement de l’eucharistie est principalement en rapport avec la charité, puisqu’il est le sacrement de l’unité de l’Église, qui contient celui en qui toute l’Église est unie et affermie, le Christ. Aussi l’eucharistie est-elle comme la source ou le lien de la charité. Or, parmi les effets de la charité, le principal consiste à faire des aumônes. Ainsi ces deux choses servent-elles principalement de suffrages pour les morts du point de vue de la charité : le sacrifice de l’Église et les aumônes. Mais, du point de vue de l’intention orientée vers les morts, c’est la prière qui a le plus de valeur, car la prière, par sa nature même, n’est pas seulement en rapport avec celui qui prie, comme les autres actions, mais plus directement avec celui pour qui on prie. C’est pourquoi ces trois choses sont données comme les principaux secours pour les morts, bien qu’il faille croire que toutes les autres bonnes actions accomplies par charité pour les défunts ont de la valeur.

[21832] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in eo qui satisfacit pro altero, magis est considerandum, ad hoc quod effectus satisfactionis ad alterum perveniat, id quo satisfactio unius transit in alterum, quam etiam satisfactionis poena; quamvis ipsa poena magis expiet reatum satisfacientis, inquantum est medicina quaedam; et ideo tria praedicta magis valent defunctis quam jejunium.

1. Chez celui qui satisfait pour un autre, pour que l’effet de la satisfaction parvienne à l’autre, il faut plutôt considérer ce par quoi la satisfaction de l’un passe chez l’autre, que la peine de la satisfaction, bien que la peine elle-même expie davantage la faute de celui qui satisfait, pour autant qu’elle est un remède. Aussi les trois choses mentionnées ont-elles plus de valeur pour les défunts que le jeûne.

[21833] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam jejunium potest prodesse defunctis ratione caritatis et intentionis in defunctos directae; sed tamen jejunium in sui ratione non continet aliquid quod ad caritatem vel ad directionem intentionis pertineat; sed haec sunt ei quasi extrinseca; et ideo Augustinus non posuit, sed Gregorius posuit jejunium inter suffragia mortuorum.

2. Même le jeûne peut profiter aux défunts en raison de la charité et de l’intention orientée vers les défunts. Cependant, par sa nature même, le jeûne ne contient rien qui se rapporte à la charité ou à l’orientation de l’intention, mais cela lui est pour ainsi dire extrinsèque. Aussi Augustin ne l’a-t-il pas mentionné, mais Grégoire place le jeûne parmi les suffrages pour les morts.

[21834] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Baptismus est quaedam spiritualis regeneratio; unde sicut per generationem non acquiritur esse nisi generato, ita Baptismus non habet efficaciam nisi in eo qui baptizatur, quantum est ex opere operato; quamvis ex opere operante vel baptizantis vel baptizati possunt aliis prodesse, sicut et cetera opera meritoria. Sed Eucharistia est signum ecclesiasticae unionis; et ideo ex ipso opere operato ejus efficacia in alterum transire potest; quod non contingit de aliis sacramentis.

3. Le baptême est une certaine régénération spirituelle. De même que, par la régénération, seul celui qui est engendré reçoit l’être, de même le baptême n’a-t-il d’efficacité que pour celui qui est baptisé, pour autant qu’il s’agit de l’action accomplie (ex opere operato), bien que, du point de vue de l’action de celui qui agit (ex opere operante), ils puissent être utiles à celui qui baptise ou à celui qui est baptisé, comme les autres actions méritoires. Mais l’eucharistie est le signe de l’union de l’Église. Aussi, par le fait même de l’action accomplie (ex opere operato), son efficacité peut passer chez un autre, ce qui ne se produit pas dans les autres sacrements.

[21835] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Glossa auctoritatem istam dupliciter exponit. Uno modo sic: si mortui non resurgunt, nec etiam Christus resurrexit, ut quid etiam baptizantur pro illis? Idest, pro peccatis, cum ipsa non dimittantur, si Christus non resurrexit: quia in Baptismo non solum passio Christi, sed etiam resurrectio operatur, quae est nostrae spiritualis resurrectionis quodammodo causa. Alio modo sic: fuerunt quidam imperiti qui baptizabantur pro his qui de hac vita sine Baptismo discesserant, putantes illis prodesse; et secundum hoc apostolus non loquitur nisi secundum errorem aliquorum in verbis illis.

4. La Glose interprète cette autorité de deux manières. Première manière : « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité : pourquoi donc sont-ils baptisés ? C’est-à-dire pour les péchés, puisque ceux-ci ne sont pas remis, si le Christ n’est pas ressuscité », car, dans le baptême, non seulement la passion du Christ, mais aussi sa résurrection se réalise, qui est, d’une certaine manière, cause de notre résurrection spirituelle. Autre manière : Il y a eu des ignorants qui baptisaient pour ceux qui avaient quitté cette vie, en pensant que cela leur était utile. L’Apôtre ne parle ainsi que de l’erreur de certains dans ces paroles.

[21836] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in officio Missae non solum est sacrificium, sed etiam sunt ibi orationes; et ideo Missae suffragium continet duo horum quae hic Augustinus numerat, scilicet orationem et sacrificium. Ex parte igitur sacrificii oblati Missa aequaliter prodest defuncto, de quocumque dicatur; et hoc est praecipuum quod fit in Missa. Sed ex parte orationum magis prodest illa in qua sunt orationes ad hoc determinatae. Sed tamen iste defectus recompensari potest per majorem devotionem vel ejus qui dicit Missam, vel ejus qui facit dici, vel iterum per intercessionem sancti cujus suffragium in Missa imploratur.

5. Dans l’office de la messe, il n’y a pas seulement un sacrifice, mais aussi des prières. Aussi le suffrage de la messe comporte-t-il deux des choses énumérées ici par Augustin : la prière et le sacrifice. Du point de vue du sacrifice offert, la messe profite également au défunt, quel que soit celui pour lequel elle est dite ; c’est ce qui est principalement accompli dans la messe. Mais, du point de vue des prières, ce sont les choses ou il y a des prières orientées vers cela qui sont le plus utiles. Cependant, ce manque peut être compensé par une plus grande dévotion de celui qui dit la messe ou de celui qui fait en sorte qu’elle soit dite, ou encore par l’intercession du saint dont le suffrage est imploré dans la messe.

[21837] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hujusmodi oblatio candelarum vel olei possunt prodesse defuncto, inquantum sunt eleemosynae quaedam: dantur enim ad cultum Ecclesiae, vel etiam in usum fidelium.

6. Ces offrandes de cierges ou d’huile peuvent profiter au défunt dans la mesure où elles sont des aumônes : en effet, elles sont faites en vue du culte de l’Église ou encore pour l’usage des fidèles.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21838] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod indulgentia dupliciter alicui prodesse potest: uno modo principaliter; alio modo secundario. Principaliter quidem prodest ei qui indulgentiam accipit, scilicet qui facit hoc pro quo indulgentia datur, ut qui visitat limina alicujus sancti; unde cum mortui non possint aliquid facere eorum pro quibus indulgentiae dantur, eis indulgentiae directe valere non possunt. Secundario autem et indirecte prosunt ei pro quo aliquis facit illud quod est indulgentiae causa, quod, sicut dist. 10, quaest. 1, art. 5, quaestiunc. 3, ad 2, dictum est, quandoque contingere potest, quandoque autem non potest, secundum diversam indulgentiae formam. Si enim sit talis indulgentiae forma: quicumque facit hoc vel illud, habebit tantum de indulgentia: ille qui hoc facit, non potest fructum indulgentiae in alium transferre: quia ejus non est applicare ad aliquid intentionem Ecclesiae, per quam communicantur communia suffragia, ex quibus indulgentiae valent. Si autem indulgentia sub hac forma fiat: quicumque fecerit hoc vel illud, ipse et pater ejus, vel quicumque ei adjunctus in Purgatorio detentus tantum de indulgentia habebit: talis indulgentia non solum vivo, sed etiam mortuo proderit. Non enim est aliqua ratio quare Ecclesia possit transferre merita communia, quibus indulgentiae innituntur, in vivos; et non in mortuos. Nec tamen sequitur quod praelatus Ecclesiae possit pro suo arbitrio animas a Purgatorio liberare: quia ad hoc quod indulgentiae valeant, requiritur causa conveniens indulgentias concedendi, ut supra, dist. 20, dictum est.

L’indulgence peut profiter à quelqu’un de deux manières : d’une manière, principalement ; d’une autre manière, secondairement. Principalement, elle profite à celui qui reçoit l’indulgence, c’est-à-dire qu’il accomplit ce pour quoi l’indulgence est donnée, comme celui qui visite le sanctuaire d’un saint. Puisque les morts ne peuvent rien accomplir de ce pour quoi les indulgences sont données, les indulgences ne peuvent donc leur profiter principalement. Secondairement et indirectement, [les indulgences] profitent cependant à celui pour lequel quelqu’un accomplit ce qui est la cause de l’indulgence ; comme on l’a dit à la d. 10, q. 1, a. 5, qa 3, ad 2, cela peut parfois être le cas, mais parfois cela peut ne pas l’être, selon les diverses formes d’indulgence. En effet, si la forme de l’indulgence est la suivante : « Quiconque accomplit ceci ou cela aura telle indulgence », celui qui accomplit cela ne peut transférer le fruit de l’indulgence à un autre, car il ne lui appartient pas d’appliquer à quelque chose l’intention de l’Église, par laquelle les suffrages communs sont mis en commun, dont les indulgences tirent leur valeur. Mais si l’indulgence est donnée sous cette forme : « Quiconque aura accompli ceci ou cela, lui-même, son père ou quiconque lui est uni et est détenu au purgatoire recevra tant d’indulgence », cette indulgence ne profitera pas seulement à un vivant, mais aussi à un mort. En effet, il n’y a pas de raison pour laquelle l’Église puisse transférer aux vivants, et non aux morts, les mérites communs, sur lesquels reposent les indulgences. Il n’en découle cependant pas qu’un prélat de l’Église puisse libérer des âmes du purgatoire de son propre chef, car, pour que les indulgences aient un valeur, une cause adéquate de concéder des indulgences est requise, comme on l’a dit plus haut, d. 20.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21839] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sepultura adinventa est et propter vivos et propter mortuos. Propter vivos quidem, ne eorum oculi ex turpitudine cadaverum offendantur, et corpora foetoribus inficiantur; et hoc quantum ad corpus: sed spiritualiter etiam prodest vivis, inquantum per hoc astruitur resurrectionis fides. Sed mortuis prosunt ad hoc quod inspicientes sepulcra memoriam retineant defunctorum, ut pro defunctis orent; unde et monumentum a memoria nomen accepit. Dicitur enim monumentum, quia monet mentem, ut dicit Augustinus in 1 de Civ. Dei, et in Lib. de cura pro mortuis gerenda. Paganorum tamen error fuit, quod ad hoc sepultura mortuo prosit, ut ejus anima quietem accipiat: non enim credebant prius animam quietem posse accipere quam corpus sepulturae daretur; quod omnino ridiculum et absurdum est. Sed quod ulterius sepultura in loco sacrato mortuo prodest, non quidem est ex ipso opere operato, sed magis ex ipso opere operante, dum scilicet vel ipse defunctus, vel alius, corpus ejus tumulari in loco sacro disponens, patrocinio alicujus sancti eum committit, cujus precibus per hoc credendus est adjuvari, et etiam patrocinio eorum qui loco sacro deserviunt, qui pro apud se tumulatis frequentius et specialius orant. Sed illa quae ad ornatum sepulturae exhibentur, prosunt quidem vivis inquantum sunt vivorum solatia; sed possunt et defunctis prodesse, non quidem per se, sed per accidens; inquantum scilicet, per hujusmodi, homines excitantur ad compatiendum, et per consequens ad orandum; vel inquantum ex sumptibus sepulturae vel pauperes fructum capiunt, vel Ecclesia decoratur: sic enim Sap. 4, sepultura inter ceteras eleemosynas computatur.

La sépulture a été mise au point pour les vivants et pour les morts. Pour les vivants, afin que leurs yeux ne soient pas offensés par la laideur des cadavres et que les corps ne soient pas infestés de mauvaises odeurs : voilà pour le corps ! Mais elle profite aussi spirituellement aux vivants pour autant que, par elle, la foi en la résurrection est renforcée. Mais elle est [corr. prosunt/prosit] utile aussi pour les morts pour autant que ceux qui voient leurs tombeaux gardent la mémoire des défunts afin de prier pour les défunts ; aussi le mot « monument » provient-il de « mémoire ». En effet, on parle de « monument » parce qu’il alerte (monet) l’esprit, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, I et dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts. Cependant, l’erreur des païens a été de penser que la sépulture est utile au mort pour que son âme reçoive le repos : en effet, ils ne croyaient pas que l’âme pouvait recevoir le repos avant que le corps ne soit enseveli, ce qui est tout à fait ridicule et absurde. Mais que la sépulture dans un lieu sacré soit en plus utile à un mort, cela ne vient pas de l’action accomplie (ex opere operato), mais plutôt de l’action de celui l’accomplit (ex opere operante), alors que le défunt lui-même ou un autre, en faisant en sorte que son corps soit enseveli dans un lieu sacré, le confie au patronage d’un saint, et aussi au patronage de ceux qui desservent le lieu sacré, qui prient plus fréquemment et plus spécialement pour ceux qui sont ensevelis chez eux. Mais ce qui est déployé pour l’embellissement de la sépulture est utile aux vivants en tant que cela est une consolation pour les vivants, mais cela peut être utile aux défunts, non pas en soi, mais par accident, pour autant que, par ces choses, les hommes sont incités à la compassion et, par conséquent, à la prière, ou pour autant que les pauvres en tirent avantage et que l’église est embellie à même les frais de la sépulture. En effet, c’est de cette manière que, dans Sg 4, la sépulture est comptée parmi les autres aumônes.

[21840] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oleum et cera ad sepulcra defunctorum perlata, per accidens defuncto prosunt: vel inquantum Ecclesiae offeruntur, sive pauperibus dantur, vel inquantum hujusmodi in reverentiam Dei fiunt; unde verbis praemissis subjungitur: oleum enim et cera holocaustum sunt.

1. L’huile et les cierges apportés aux tombeaux des défunts sont utiles au défunt par accident, soit qu’ils soient offerts à l’Église ou qu’ils soient donnés aux pauvres, soit que cela soit accompli par révérence envers Dieu. Aussi est-il ajouté aux paroles rappelées plus haut : « En effet, l’huile et la cire sont des holocaustes. »

[21841] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ideo sancti patres de suis corporibus tumulandis curaverunt, ut ostenderent corpora mortuorum ad Dei providentiam pertinere; non quod corporibus mortuis aliquis sensus insit, sed propter fidem resurrectionis astruendam, ut patet per Augustinum in 1 de Civ. Dei; unde etiam voluerunt in terra promissionis sepeliri, ubi credebant Christum nasciturum et moriturum; cujus resurrectio nostrae resurrectionis est causa.

2. Les saints pères ont pris soin de l’ensevelissement de leurs corps afin de montrer que les corps des morts relèvent de la providence de Dieu, non pas que la sensation demeure dans les corps morts, mais afin de renforcer la foi en la résurrection, comme cela ressort d’Augustin, La cité de Dieu, I. Aussi ont-ils voulu être enterrés dans la terre de la promesse, où ils croyaient que le Christ naîtrait et mourrait, lui dont la résurrection est la cause de notre résurrection.

[21842] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia caro est pars naturae hominis, naturaliter homo ad carnem suam afficitur, secundum illud Ephes. 5, 29: nemo carnem suam unquam odio habuit. Unde secundum istum naturalem affectum inest viventi quaedam sollicitudo quid etiam post mortem de ejus corpore sit futurum; doleretque, si aliquid indignum corpori suo evenire praesentiret; et ideo illi qui hominem diligunt, ex hoc quod affectui ejus quem diligunt, conformantur, circa ejus carnem curam humanitatis impendunt. Ut enim dicit Augustinus in 1 de Civ. Dei: si paterna vestis, si annulus, ac si quid hujusmodi tanto carius sunt posteris, quanto erga parentes major affectus; nullo modo ipsa spernenda sunt corpora, quae utique multo familiarius atque conjunctius quam quaelibet indumenta, gestamus. Unde et inquantum affectui hominis satisfacit sepeliens ejus corpus, cum ipse in hoc sibi satisfacere non potest, eleemosynam ei facere dicitur.

3. Parce que la chair est une partie de la nature humaine, l’homme aime naturellement sa propre chair, selon ce que dit Ep 5, 29 : Personne n’a jamais haï sa propre chair. Selon cet amour naturel, une certaine préoccupation existe chez le vivant de ce qui arrivera à son corps après la mort, et il serait affligé s’il pressentait que quelque chose d’indigne devait arriver à son corps. Ainsi ceux qui aiment un homme, par le fait même qu’ils sont rendus conformes par l’amour à celui qu’ils aiment, prennent soin que sa chair soit traitée de manière humaine. En effet, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, I, « si un vêtement paternel, un anneau ou quelque chose de ce genre sont d’autant plus chers à leurs descendants qu’il avaient un plus grand amour de leurs parents, leurs corps eux-mêmes ne doivent pas être méprisés, eux que nous portons effectivement de manière plus familière et plus étroitement unis que n’importe quel vêtement ». Aussi, pour autant que celui qui ensevelit son corps satisfait pour l’amour d’un homme, alors que lui-même ne peut en cela satisfaire pour lui-même, on dit qu’il lui fait une aumône.

[21843] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fidelium devotio, ut Augustinus dicit in Lib. de cura pro mortuis gerenda, suis caris in locis sacris providens sepulturam, in hoc non frustratur quod defunctum suum suffragio sanctorum committit, ut dictum est.

4. La dévotion des fidèles, comme le dit Augustin dans le Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts, en assurant aux êtres chers chers une sépulture dans des lieux sacrés, ne confie pas inutilement son défunt au suffrage des saints, comme on l’a dit.

[21844] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sepultura in loco sacro impio defuncto non nocet, nisi quatenus hanc sepulturam sibi indignam propter humanam gloriam procuravit.

5. La sépulture dans un lieu sacré ne nuit à un défunt impie que pour autant qu’il s’est assuré une sépulture indigne en recherchant une gloire humaine.

 

 

Articulus 4 [21845] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 tit. Utrum suffragia quae fiunt pro uno defuncto magis proficiant ei pro quo fiunt quam aliis

Article 4 – Les suffrages accomplis pour un défunt profitent-ils davantage à celui pour qui ils sont accomplis qu’aux autres ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les suffrages accomplis pour un défunt profitent-ils davantage à celui pour qui ils sont accomplis qu’aux autres ?]

[21846] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod suffragia quae fiunt pro uno defuncto, non magis proficiunt ei pro quo fiunt, quam aliis. Lumen enim spirituale est magis communicabile quam lumen corporale. Sed lumen corporale, scilicet candelae, quamvis accendatur pro uno, tamen aequaliter omnibus prodest qui simul commorantur, quamvis pro eis candela non accendatur. Ergo cum suffragia sint quaedam spiritualia lumina, quamvis pro uno specialiter fiant, non magis valerent ei quam aliis in Purgatorio existentibus.

1. Il semble que les suffrages accomplis pour un défunt profitent davantage à celui pour qui ils sont accomplis qu’aux autres. En effet, la lumière spirituelle peut se communiquer plus facilement que la lumière corporelle. Or, la lumière corporelle, à savoir, les cierges, bien qu’elle soit allumée pour un seul, est cependant utile pour tous ceux qui habitent avec lui, bien que le cierge ne soit pas allumé pour eux. Puisque les suffrages sont des lumières spirituelles, bien qu’ils soient accomplis pour un seul, ils n’auraient pas plus de valeur pour lui que pour les autres qui se trouvent au purgatoire.

[21847] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur, secundum hoc suffragia mortuis prosunt, quia cum viverent hic, sibi ut postea possent prodesse, meruerunt. Sed aliqui magis meruerunt ut suffragia sibi prodessent quam illi pro quibus fiunt. Ergo eis magis prosunt; alias eorum meritum frustraretur.

2. Comme on le dit dans le texte, les suffrages profitent aux morts parce que, alors qu’ils vivaient ici, ils ont mérité qu’ils puissent leur profiter par la suite. Or, certains ont davantage mérité que des suffrages leur profitent que ceux pour qui ils sont accomplis. Ils leur profitent donc davantage ; autrement, leur mérite serait vain.

[21848] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, pro pauperibus non fiunt tot suffragia quot pro divitibus. Si ergo suffragia facta pro aliquibus, eis solum, vel magis eis quam aliis valerent, pauperes essent deterioris conditionis; quod est contra sententiam domini, Luc. 6, 20: beati pauperes, quoniam vestrum est regnum Dei.

3. Autant de suffrages ne sont pas accomplis pour les pauvres que pour les riches. Si donc les suffrages accomplis pour certains avaient de la valeur seulement ou davantage pour eux que pour les autres, les pauvres se trouveraient dans une condition pire, ce qui va à l’encontre du jugement du Seigneur, Lc 6, 20 : Bienheureux les pauvres, car le royaume de Dieu est à eux !

[21849] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, justitia humana exemplatur a divina justitia. Sed justitia humana, si aliquis debitum pro aliquo solvit, eum solum absolvit. Ergo cum ille qui suffragia facit, quodammodo solvat debitum ejus pro quo facit, ei soli proderit.

Cependant, [1] la justice humaine sert d’exemple à la justice divine. Or, la justice humaine, si elle acquitte une dette pour quelqu’un, l’acquitte pour lui seul. Puisque celui qui accomplit des suffrages acquitte, d’une certaine manière, la dette de celui pour qui il les accomplit, il sera donc utile à lui seul.

[21850] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut homo faciens suffragia quodammodo satisfacit mortuo, ita et interdum aliquis pro vivo potest satisfacere, ut supra, dist. 20, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 3, in corp., dictum est. Sed quando aliquis satisfacit pro vivo, satisfactio illa non computatur nisi illi pro quo facta est. Ergo et suffragia faciens, ei soli prodest pro quo facit.

[2] De même qu’un homme qui accomplit des suffrages satisfait d’une certaine manière pour un mort, de même quelqu’un peut-il parfois satisfaire pour un vivant, comme on l’a dit plus haut, d. 20, q. 1, a. 2, qa 3, c. Or, lorsque quelqu’un satisfait pour un vivant, cette satisfaction n’est comptée que pour celui pour qui elle a été accomplie. Celui qui accomplit des suffrages est donc utile à celui-là seul pour qui il les accomplit.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les suffrages accomplis pour plusieurs ont-ils une valeur pour chacun, comme s’ils étaient accomplis pour chacun en particulier ?]

[21851] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod suffragia facta pro multis tantumdem valeant singulis ac si pro unoquoque singulariter fierent. Videmus enim quod ex lectione quae uni legitur, nihil ei deperit, si simul et alii legatur. Ergo et eadem ratione nihil deperit ei pro quo fit suffragium, si ei aliquis connumeretur; et ita si pro pluribus fiat, tantum valet singulis ac si pro unoquoque singulariter fieret.

1. Il semble que les suffrages accomplis pour plusieurs aient une valeur pour chacun, comme s’ils étaient accomplis pour chacun en particulier. En effet, nous voyons que, d’une lecture qui est faite pour un seul, rien n’est perdu si elle est faite en même temps pour d’autres. Pour la même raison, rien n’est perdu pour celui en faveur de qui un suffrage est accompli, si quelqu’un lui est ajouté ; et ainsi, s’il est accompli pour plusieurs, [le suffrage] a-t-il valeur pour chacun, comme s’il était accompli pour chacun en particulier.

[21852] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum communem usum Ecclesiae videmus, quod cum Missa pro aliquo defuncto dicitur, simul etiam orationes illic adjunguntur pro aliis defunctis. Hoc autem non fieret, si ex hoc defunctus pro quo Missa dicitur, aliquod detrimentum reportaret. Ergo idem quod prius.

2. Nous voyons que, selon l’usage commun de l’Église, lorsque la messe pour un défunt est dite, des prières y sont en même temps ajoutées pour les autres défunts. Or, cela ne se ferait pas si, à cause de cela, le défunt pour qui la messe est dite encourait un préjudice. La conclusion est donc la même que précédemment.

[21853] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, suffragia, praecipue orationum, innituntur divinae virtuti. Sed apud Deum sicut non differt juvare per multos vel per paucos, ita non differt juvare multos vel paucos. Ergo quantum juvaretur unus ex una oratione, si pro eo tantum fieret; tantum juvabuntur singuli multorum, si eadem oratio pro multis fiat.

3. Les suffrages, surtout ceux des prières, s’appuient sur la puissance divine. Or, du côté de Dieu, de même que cela ne fait de différence d’aider par l’intermédiaire d’un petit nombre ou d’un grand nombre, de même cela ne fait pas de différence d’en aider un grand nombre ou un petit. Autant un seul serait aidé par une seule prière, si elle était faite pour lui seulement, autant sera donc aidé chaque membre d’une multitude, si la même prière est faite pour plusieurs.

[21854] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, melius est plures juvare quam unum. Si ergo suffragium pro multis factum tantum valeret singulis ac si pro uno tantum fieret; videtur quod Ecclesia non debuit instituisse ut pro aliquo singulariter Missa vel oratio fieret; sed quod semper diceretur pro omnibus fidelibus defunctis; quod patet esse falsum.

Cependant, [1] il est mieux d’en aider plusieurs qu’un seul. Si donc un suffrage accompli pour un grand nombre avait une valeur pour chacun, comme s’il était accompli uniquement pour un seul, il semble que l’Église ne devait pas établir que la messe soit dite ou une prière faite pour quelqu’un en particulier, mais qu’elle soit toujours dite pour tous les fidèles défunts, ce qui est manifestement faux.

[21855] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, suffragium habet finitam efficaciam. Ergo distributum in multos, minus prodest singulis quam prodesset si fieret pro uno tantum.

[2] Un suffrage possède une efficacité finie. S’il est distribué entre plusieurs, il profite donc moins à chacun qu’il ne profiterait s’il était accompli uniquement pour un seul.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les suffrages communs ont-ils autant de valeur pour ceux en faveur de qui ne sont pas accomplis des suffrages particuliers, que les suffrages particuliers et communs ensemble, en faveur de ceux pour qui ne sont pas accomplis des suffrages particuliers ?

[21856] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod tantum valeant suffragia communia illis pro quibus specialia non fiunt, quantum illis pro quibus fiunt, valent specialia et communia simul. Unicuique enim secundum propria merita reddetur in futuro. Sed ille pro quo non fiunt suffragia, meruit ut tantum juvaretur post mortem, quantum ille pro quo fiunt specialia. Ergo tantum juvabitur per communia, quantum ille per specialia et communia.

1. Il semble que les suffrages communs aient autant de valeur pour ceux en faveur de qui ne sont pas accomplis des suffrages particuliers, que les suffrages particuliers et communs ensemble, en faveur de ceux pour qui ne sont pas accomplis des suffrages particuliers. En effet, il sera rendu à chacun selon ses propres mérites dans l’avenir. Or, celui pour qui des suffrages ne sont pas accomplis a mérité d’être autant aidé après la mort, que celui pour qui sont accomplis des suffrages particuliers. Il sera donc autant aidé par les suffrages communs, que celui-là par les suffrages particuliers et communs.

[21857] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, inter Ecclesiae suffragia praecipuum est Eucharistia. Sed Eucharistia, cum contineat totum Christum, habet quodammodo efficaciam infinitam. Ergo una oblatio Eucharistiae quae communiter pro omnibus fit, valet ad plenam liberationem eorum qui sunt in Purgatorio; et ita tantum juvant communia suffragia sola, quantum juvant specialia et communia simul.

2. Parmi les suffrages de l’Église, le principal est l’eucharistie. Or, l’eucharistie, puisqu’elle contient le Christ en entier, possède en quelque sorte une efficacité infinie. Une seule offrande de l’eucharistie, qui est accomplie pour tous, possède donc une valeur suffisante pour la pleine libération de ceux qui sont au purgatoire ; et ainsi, les suffrages communs aident-ils autant que les suffrages particuliers et les suffrages communs ensemble.

[21858] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod duo bona uno sunt magis eligenda. Ergo suffragia communia et specialia magis prosunt ei pro quo fiunt, quam communia tantum.

Cependant, [1] deux biens doivent être choisis plutôt qu’un seul. Les suffrages communs et particuliers sont donc plus utiles à celui pour qui ils sont accomplis, que les suffrages communs seulement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21859] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc fuit duplex opinio. Quidam enim, ut Praepositinus, dixerunt, quod suffragia pro uno aliquo facta, non magis prosunt ei pro quo fiunt, sed eis qui sunt magis digni; et ponebat exemplum de candela quae accenditur pro aliquo divite; quae non minus aliis prodest qui cum eo sunt quam ipsi diviti, et forte magis, si habeant oculos clariores; et etiam de lectione, quae non magis prodest ei pro quo legitur quam aliis qui simul cum eo audiunt, sed forte aliis magis qui sunt sensu capaciores. Et si eis objiceretur, quod secundum hoc Ecclesiae ordinatio esset vana, quae specialiter pro aliquibus orationes instituit, dicebant, quod hoc Ecclesia fecit ad excitandas devotiones fidelium, qui promptiores sunt ad facienda specialia suffragia quam communia, et ferventius etiam pro suis propinquis orant quam pro extraneis. Alii e contrario dixerunt, quod suffragia magis valent pro quo fiunt. Utraque autem opinio secundum aliquid veritatem habet. Valor enim suffragiorum potest pensari ex duobus. Valent enim uno modo ex virtute caritatis, quae facit omnia bona communia; et secundum hoc verum est quod magis valent ei qui magis caritate est plenus, quamvis pro eo specialiter non fiant; et sic valor suffragiorum attenditur magis secundum quamdam interiorem consolationem, secundum quod unus in caritate existens, de bonis alterius delectatur post mortem, quantum ad diminutionem poenae: post mortem enim non est locus acquirendi gratiam vel augmentandi, ad quod valent nobis in vita opera aliorum ex virtute caritatis. Alio modo suffragia valent ex hoc quod per intentionem unius alteri applicantur; et sic satisfactio unius alteri computatur; et hoc modo non est dubium quod magis valent ei pro quo fiunt, immo sic ei soli valent. Satisfactio enim proprie ad poenae dimissionem ordinatur; unde quantum ad dimissionem poenae praecipue valet suffragium ei pro quo fit; et secundum hoc secunda opinio plus habet de veritate quam prima.

À ce sujet, il y a eu une double opinion. En effet, certains, tel Prévostin, ont dit que les suffrages accomplis pour un seul ne profitent pas davantage à celui pour qui ils sont accomplis, mais à ceux qui sont plus dignes. Il donnait l’exemple de la chandelle qui est allumé pour un riche : elle n’est pas moins utile aux autres qui sont avec lui qu’au riche lui-même, et peut-être davantage, s’ils ont les yeux plus perçants. [Il donnait aussi l’exemple] de la lecture, qui n’est pas plus utile à celui pour qui on lit qu’aux autres qui l’entendent en même temps que lui, mais peut-être davantage aux autres qui ont une plus grande capacité sensorielle. Si on leur objectait que, conformément à cela, l’ordonnance de l’Église serait vaine, qui a établi des prières particulières pour certains, ils disaient que l’Église a fait cela pour attiser la dévotion des fidèles, qui sont plus enclins à accomplir des suffrages particuliers que des suffrages communs, et qui prient de manière plus fervente pour leurs proches que pour ceux du dehors. D’autres ont dit au contraire que les suffrages ont plus de valeur pour ceux en faveur de qui ils sont accomplis. Or, les deux opinions comportent une part de vérité. En effet, la valeur des suffrages peut être estimée à partir de deux choses. D’une manière, ils tirent leur valeur de la charité, qui rend tous les biens communs : de ce point de vue, il est vrai qu’ils ont plus de valeur pour celui qui est davantage rempli de charité, bien qu’ils ne soient pas accomplis spécialement pour lui. Ainsi la valeur des suffrages est-elle considérée plutôt selon une certaine consolation intérieure, selon que quelqu’un ayant la charité se réjouit des biens d’un autre après la mort pour ce qui est de la diminution de la peine : en effet, après la mort, il n’est pas possible d’obtenir ou d’accroître la grâce, ce à quoi nous servent durant la vie les actions des autres en vertu de la charité. D’une autre manière, les suffrages tirent leur valeur du fait qu’ils sont appliqués à un autre par l’intention de quelqu’un et qu’ainsi la satisfaction de l’un est comptée pour un autre : de cette manière, il n’y a pas de doute qu’ils profitent davantage à celui pour qui ils sont accomplis, bien plus, ils n’ont de valeur que pour lui seul. En effet, la satisfaction entendue au sens propre est ordonnée à la rémission de la peine ; ainsi, pour ce qui est de la rémission de la peine, un suffrage profite principalement à celui pour qui il est accompli. De ce point de vue, la seconde opinion comporte plus de vérité que la première.

[21860] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod suffragia prosunt per modum luminis, inquantum a mortuis acceptantur; et ex hoc quamdam consolationem recipiunt, et tanto majorem, quanto majori caritate sunt praediti. Sed inquantum suffragia sunt quaedam satisfactio per intentionem facientis translata in alterum, non sunt similia lumini, sed magis solutioni alicujus debiti. Non autem est necesse ut si debitum pro uno solvitur, quod ex hoc aliorum debitum solvatur.

1. Les suffrages sont utiles à la manière de la lumière, pour autant qu’ils sont reçus par les morts. Par cela, ils reçoivent une certaine consolation, et d’autant plus grande qu’ils sont davantage pourvus de charité. Mais, pour autant que les suffrages sont une satisfaction transférée à un autre par l’intention de celui qui les accomplit, ils ne sont pas semblables à la lumière, mais plutôt à l’acquittement d’une dette. Or, il n’est pas nécessaire qu’en acquittant une dette pour quelqu’un, la dette des autres soit par là acquittée.

[21861] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod istud meritum est conditionale, quo sibi meruerunt: hoc enim modo sibi meruerunt ut sibi prodessent, si pro eis fierent; quod nihil aliud fuit quam facere se habiles ad recipiendum. Unde patet quod non directe meruerunt illud juvamen suffragiorum; sed per merita praecedentia se habilitaverunt, ut fructum suffragiorum susciperent: et ideo non sequitur quod meritum eorum frustretur.

2. Le mérite par lequel ils ont mérité pour eux-mêmes est conditionnel. En effet, ils ont mérité de cette manière qu’ils leur profitent, s’ils sont accomplis pour eux, ce qui n’est rien d’autre que de se rendre capables de recevoir. Il est donc clair qu’ils n’ont pas mérité directement cette aide des suffrages, mais que, par des mérites antérieurs, ils se sont rendus capables de recevoir le fruit des suffrages. Il n’en découle donc pas que leur mérite soit vain.

[21862] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil prohibet divites quantum ad aliquid esse melioris conditionis quam pauperes, sicut quantum ad expiationem poenae; sed hoc quasi nihil est, comparatum possessioni regni caelorum, in qua pauperes melioris conditionis esse ostenduntur per auctoritatem inductam.

3. Rien n’empêche que des riches aient, sous un aspect, une meilleure condition que des pauvres, par exemple, pour ce qui est de l’expiation d’une peine ; mais cela n’est pour ainsi dire rien si on le compare à la possession du royaume des cieux, pour laquelle il est montré par l’autorité invoquée que les pauvres ont une meilleure condition.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21863] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod si valor suffragiorum consideretur secundum quod valent ex virtute caritatis unientis membra Ecclesiae; suffragia pro multis facta tantum singulis prosunt ac si pro uno tantum fierent: quia caritas non minuitur, si dividatur effectus ejus in multos; immo magis augetur; et similiter etiam gaudium, quando pluribus est commune, fit majus, ut dicit Augustinus 8 Confess.; et sic de uno bono facto non minus laetantur multi in Purgatorio quam unus. Si autem consideretur valor suffragiorum inquantum sunt satisfactiones quaedam per intentionem facientis translatae in mortuos; tunc magis valet suffragium alicui quod pro eo singulariter fit, quam quod pro eo communiter fit, et multis aliis. Sic enim effectus suffragii dividitur ex divina justitia inter eos pro quibus suffragia fiunt. Unde patet quod haec quaestio dependet ex prima; et ex hoc etiam patet quare institutum sit ut suffragia specialia in Ecclesia fiant.

Si la valeur des suffrages est envisagée selon la valeur qu’ils tirent de la charité qui unit les membres de l’Église, les suffrages accomplis pour un grand nombre profitent autant à chacun que s’ils étaient accomplis uniquement pour un seul, car la charité n’est pas diminuée si son effet est réparti entre un grand nombre, bien plus, il est augmenté. De même en est-il de la joie qui est accrue, lorsqu’elle est commune à un grand nombre, comme le dit Augustin dans les Confessions, VIII. Ainsi un grand nombre ne se réjouit pas moins pour une bonne action au purgatoire qu’un seul. Mais si [la valeur des suffrages] est envisagée selon qu’ils sont des satisfactions transférées à des morts par l’intention de celui qui les accomplit, alors le suffrage accompli pour quelqu’un en particulier a davantage de valeur pour lui, que celui qui est accompli pour lui d’une manière commune et pour beaucoup d’autres. L’effet du suffrage est ainsi réparti par la justice divine entre ceux pour lesquels les suffrages sont accomplis. Il est donc clair que cette question dépend de la première ; la raison pour laquelle il a été établi que des suffrages particuliers seraient accomplis dans l’Église se trouve aussi éclairée.

[21864] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod suffragia, ut sunt satisfactiones quaedam, non prosunt per modum actionis, sicut doctrina prodest, quae, sicut et omnis alia actio, effectum habet secundum dispositionem recipientis; sed valent per modum solutionis debiti, ut dictum est; et ideo non est simile.

 

[21865] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia suffragia pro uno facta aliquo modo etiam aliis prosunt, ut ex dictis patet; ideo cum pro uno Missa dicitur, non est inconveniens ut pro aliis etiam orationes fiant. Non enim ad hoc dicuntur aliae orationes ut satisfactio unius suffragii determinetur ad alios principaliter, sed ut illis oratio pro eis specialiter fusa prosit.

1. Comme ils sont des satisfactions, les suffrages ne sont pas utiles par mode d’action, comme est utile l’enseignement qui, comme toute action, a un effet selon la disposition de celui qui reçoit ; mais ils sont utiles par mode d’acquittement d’une dette, comme on l’a dit. Ce n’est donc pas la même chose.

 

2. Tous les suffrages accomplis pour quelqu’un sont d’une certaine façon utiles aux autres, comme cela ressort de ce qui a été dit. Ainsi, lorsqu’une messe est dite, il n’est pas inapproprié que des prières soient faites aussi pour les autres. En effet, les autres prières ne sont pas dites pour que la satisfaction d’un seul suffrage soit attribuée principalement à d’autres, mais pour que la prière spécialement faite pour eux leur soit utile.

[21866] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oratio consideratur et ex parte orantis, et ex parte ejus qui oratur, et ex utroque effectus ejus dependet; et ideo, quamvis divinae virtuti non sit magis difficile absolvere multos quam unum, tamen hujusmodi orantis oratio non est ita satisfactoria pro multis sicut pro uno.

3. La prière est envisagée du point de vue de celui qui prie et du point de vue de la prière faite, et son effet dépend des deux. C’est pourquoi, bien qu’il ne soit pas plus difficile à la puissance divine d’en absoudre plusieurs qu’un seul, la prière de celui qui prie ainsi n’est pas aussi satisfactoire pour un grand nombre que pour un seul.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21867] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod hujusmodi etiam solutio dependet ex solutione primae quaestionis. Si enim suffragia specialiter pro uno facta, indifferenter omnibus valent, tunc omnia suffragia sunt communia; et ideo tantum juvabitur ille pro quo non fiunt specialia, quantum ille pro quo fiunt, si sit aequaliter dignus. Si autem suffragia pro aliquo facta non indifferenter omnibus prosint, sed eis maxime pro quibus fiunt, tunc non est dubium quod suffragia communia et specialia simul plus valent alicui quam communia tantum; et ideo Magister duas opiniones in littera tangit. Unam quae dicit, quod aequaliter prosunt diviti communia et specialia, et pauperi communia tantum: quamvis enim ex pluribus unus juvetur quam alter, non tamen plus juvatur. Aliam autem tangit, cum dicit, quod ille pro quo fiunt suffragia, consequitur faciliorem absolutionem, sed non pleniorem: quia uterque finaliter ab omni poena liberabitur.

La réponse à cette question dépend de la réponse à la première question. En effet, si les suffrages spécialement accomplis pour un seul profitent indifféremment à tous, alors tous les suffrages sont communs. C’est pourquoi celui pour qui ne sont pas accomplis des suffrages spéciaux sera aidé autant que celui pour qui ils sont accomplis, s’il en est également digne. Mais si les suffrages accomplis pour quelqu’un ne profitent pas indifféremment à tous, mais surtout à ceux pour qui ils sont accomplis, alors il n’y a pas de doute que les suffrages communs et spéciaux ensemble ont plus de valeur pour quelqu’un que les suffrages communs seulement. C’est pourquoi le Maître aborde deux opinions dans le texte. L’une dit que les suffrages communs et les suffrages spéciaux profitent également au riche, et que seulement les suffrages communs [profitent] au pauvre : en effet, bien qu’un seul soit aidé par un plus grand nombre qu’un autre, il n’est cependant pas davantage aidé. [Le Maître] aborde l’autre [opinion] lorsqu’il dit que celui pour qui les suffrages sont accomplis reçoit plus facilement une absolution, mais non pas [une absolution] plus complète, car les deux sont en définitive libérés de toute peine.

[21868] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut ex dictis patet, juvamen suffragiorum non cadit directe sub merito et simpliciter, sed quasi sub conditione; et ideo ratio non sequitur.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’aide des suffrages ne tombe pas directement et absolument sous le mérite, mais pour ainsi dire conditionnellement. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas concluant.

[21869] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis virtus Christi, quae continetur sub sacramento Eucharistiae, sit infinita, tamen determinatus est effectus ad quem illud sacramentum ordinatur; unde non oportet quod per unum altaris sacrificium tota poena eorum qui sunt in Purgatorio expietur, sicut etiam nec per unum sacrificium quod aliquis homo offert, liberatur a tota satisfactione debita pro peccatis; unde et quandoque plures Missae in satisfactionem unius peccati injunguntur. Credibile tamen est, quod per divinam misericordiam si aliquid de specialibus suffragiis supersit his pro quibus fiunt, ut scilicet eis non indigeant; aliis dispensetur, pro quibus non fiunt, si eis indigeant; ut patet per Damascenum in sermone de dormientibus sic dicentem: Deus tamquam justus commetietur impotenti possibilitatem; tamquam sapiens vero defectuum commutationem negotiabitur: quae quidem negotiatio attenditur quod id quod deest uni, alter supplet.

2. Bien que la puissance du Christ contenue dans le sacrement de l’eucharistie soit infinie, l’effet en est cependant déterminé pour celui à qui est ordonné ce sacrement. Il n’est pas nécessaire que, par un seul sacrifice de l’autel, la peine complète de ceux qui sont au purgatoire soit expiée, de même que, par un seul sacrifice qu’un homme offre, il n’est pas libéré de toute la satisfaction due pour les péchés. Aussi plusieurs messes sont-elles parfois enjointes pour la satisfaction d’un seul péché. Cependant, on peut croire que, par la miséricorde divine, si quelque chose des suffrages particuliers est en excédent pour ceux pour qui ils sont accomplis, de sorte qu’ils n’en aient pas besoin, cela sera donné aux autres pour lesquels ils ne sont pas accomplis, s’ils en ont besoin, comme cela ressort de ce que dit [Jean] Damascène dans son sermon sur les morts : « Dieu, qui est juste, accordera la capacité à celui qui n’est pas capable ; mais, comme Il est sage, il assurera l’échange de ce qui manque. » Cet échange est envisagé selon que ce qui manque à l’un, l’autre y supplée.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Les saints ont-ils connaissance de nos prières ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [21870] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 pr. Deinde quaeritur de orationibus sanctorum, quibus pro nobis orant; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum sancti orationes nostras cognoscant; 2 utrum debeamus omnes interpellare ad orandum pro nobis; 3 utrum orationes eorum pro nobis fusae semper exaudiantur; 4 utrum autem possimus sanctos orare, et utrum sancti qui sunt in patria, orent pro nobis, habitum est supra, dist. 15.

On s’interroge ensuite sur les prières des saints, sur l’objet de leur prière pour nous. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – Les saints ont-ils connaissance de nos prières ? 2 – Devons-nous demander à tous de prier pour nous ? 3 – Les prières qu’ils font pour nous sont-elles toujours exaucées ? 4 – Que nous puissions prier les saints et que les saints qui sont dans la patrie prient pour nous, on l’a vu plus haut, d. 15.

 

 

Articulus 1 [21871] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 tit. Utrum sancti orationes nostras cognoscant

Article 1 – Les saints ont-ils connaissance de nos prières ?

[21872] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod sancti orationes nostras non cognoscant. Isa. 43, 16: pater noster es, et Abraham nescivit nos, et Israel ignoravit nos. Glossa Augustini dicit, quia mortui et sancti nesciunt quid agant vivi, etiam eorum filii; et sumitur ab Augustino in Lib. de cura pro mortuis gerenda, ubi hanc auctoritatem inducit; et sunt haec verba Augustini, ibidem: si tanti patriarchae quid erga populum ab eis procreatum ageretur ignoraverunt, quomodo mortui vivorum rebus atque actibus cognoscendis adjuvandisque miscentur? Ergo sancti orationes nostras cognoscere non possunt.

1. Il semble que les saints n’aient pas connaissance de nos prières. Is 43, 16 : Tu es notre père, et Abraham ne nous a pas connus, et Israël nous a ignorés. Une glose d’Augustin dit que les morts et les saints ne savent pas ce que font les vivants, même leurs fils. Elle est tirée du Livre sur le soin qu’il faut porter aux morts d’Augustin, où il invoque cette autorité. Les paroles d’Augustin en cet endroit sont celles-ci : « Si de si grands patriarches ont ignoré ce qui arrivait au peuple engendré par eux, comment les morts se mêlent-ils des affaires des vivants pour en connaître et en aider les actes ? » Les saints ne peuvent donc pas connaître nos prières.

[21873] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, 4 Reg., 22, 20, dicitur ad Josiam regem: idcirco, quia scilicet flevisti coram me, colligam te ad patres tuos (...) ut non videant oculi tui mala omnia quae inducturus sum in locum istum. Sed in hoc nullo modo per mortem Josiae subventum fuisset, si post mortem genti suae quid eveniret cognosceret. Ergo sancti mortui actus nostros non cognoscunt, et ita non intelligunt orationes nostras.

2. En 2 R 22, 20, il est dit au roi Josias : À cause de cela – à savoir, parce que tu as pleuré devant moi – je te réunirai avec tes pères…, afin que tes yeux ne voient pas tous les maux que je vais infliger à ce lieu. Or, la mort de Josias n’aurait été en cela d’aucune aide, s’il avait connu après sa mort ce qui allait arriver à sa descendance. Les saints morts ne connaissent donc pas nos actes, et ainsi ils ne comprennent pas nos prières.

[21874] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis est in caritate perfectiOr tanto magis proximo in periculis subvenit. Sed sancti in carne viventes proximis, et maxime sibi conjunctis, in periculis et consulunt et auxiliantur manifeste. Cum ergo post mortem sint multo majoris caritatis; si facta nostra cognoscerent, multo amplius suis caris sibi conjunctis consulerent et auxiliarentur in necessitatibus: quod facere non videntur. Ergo non videtur quod actus nostros et orationes cognoscant.

3. Plus quelqu’un est parfait en charité, plus il vient au secours du prochain en danger. Or, dans les dangers, les saints qui vivent dans la chair apportent conseil et aide au prochain, et surtout à ceux qui leur sont unis. Puisqu’ils ont une charité beaucoup plus grande après leur mort, s’ils connaissaient ce que nous faisons, à bien plus forte raison, en cas de nécessité, conseilleraient-ils et viendraient-ils donc au secours de ceux qui leur sont chers et qui leur sont unis, ce qu’ils ne semblent pas faire. Il ne semble donc pas qu’ils aient connaissance de nos actes et de nos prières.

[21875] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut sancti post mortem vident verbum, ita et Angeli, de quibus dicitur Matth. 18, 10: Angeli eorum semper vident faciem patris mei. Sed Angeli verbum videntes non propter hoc omnia cognoscunt, cum a nescientia minores a superioribus purgentur, ut patet per Dionysium in 6 cap. Eccl. Hierarch. Ergo nec sancti, quamvis verbum videant, in eo nostras orationes cognoscunt, et alia quae circa nos aguntur.

4. De même que les saints après la mort voient le Verbe, de même aussi les anges, dont il est dit en Mt 18, 10 : Leurs anges voient toujours la face de mon Père. Or, ce n’est pas parce qu’ils voient le Verbe que les anges connaissent tout, puisque les [anges] inférieurs sont purifiés de l’ignorance par les [anges] supérieurs, comme cela ressort de Denys, dans La hiérarchie céleste, VI. Les saints non plus, bien qu’ils voient le Verbe, ne connaissent donc pas nos prières et les autres choses qui nous affectent.

[21876] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, solus Deus est inspector cordium. Sed oratio praecipue in corde consistit. Ergo solius Dei est orationes cognoscere; non ergo sancti orationes nostras cognoscunt.

5. Seul Dieu voit les cœurs. Or, la prière réside principalement dans le cœur. Il appartient donc à Dieu seul de connaître les prières. Les saints n’ont donc pas connaissance de nos prières.

[21877] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, super illud Job 14, 21: sive nobiles fuerint filii ejus, sive ignobiles, non intelliget; dicit beatus Gregorius 12 Lib. Moral.: hoc de animabus sanctis sentiendum non est; quia quae intus omnipotentis Dei claritatem vident, nullo modo credendum est quod sit foras aliquid quod ignorent. Ergo ipsi orationes sibi factas cognoscunt.

Cependant, [1] à propos de Jb 14, 21 : Que ses fils soient nobles ou indignes, il ne comprendra pas, le bienheureux Grégoire dit dans les Morales, XII : « Cela ne doit pas s’entendre des âmes saintes, car en raison de ce qu’elles voient à l’intérieur de l’éclat du Dieu tout-puissant, il ne faut aucunement croire qu’il existe à l’extérieur quelque chose qu’elles ignorent. » Ils connaissent donc les prières qui leur sont adressées.

[21878] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius in 2 Dialog.: animae videnti creatorem angusta est omnis creatura. Quantumlibet enim de luce creatoris aspexerit, breve fit eis omne quod creatum est. Sed hoc maxime impedire videretur quod animae sanctorum orationes, et alia quae circa nos aguntur, cognoscant, quia a nobis distant. Cum ergo distantia illa non impediat, ut ex praedicta auctoritate patet, videtur quod animae sanctorum cognoscant orationes nostras, et ea quae hic aguntur.

[2] Dans les Dialogues, II, Grégoire [écrit] : « Pour l’âme qui voit le Créateur, toute créature est proche. En effet, dans la mesure où elle voit la lumière du Créateur, tout ce qui a été créé est proche. » Or, c’est le fait qu’elles sont éloignées de nous qui semblerait surtout empêcher que les âmes des saints connaissent nos prières et tout ce que nous faisons. Puisqu’une telle distance n’empêche pas cela, comme cela ressort de l’autorité précédente, il semble donc que les âmes des saints ont connaissance de nos prières et de ce qui se passe ici.

[21879] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, si ea quae circa nos aguntur, non cognoscerent; nec pro nobis orarent, quia defectus nostros ignorarent. Sed hic est error Vigilantii, ut Hieronymus dicit in epistola contra eum. Ergo sancti ea quae circa nos aguntur, cognoscunt.

3. Si [les âmes des saints] ne connaissent pas ce que nous faisons, elles ne prieraient donc pas non plus pour nous, parce qu’elles ignoreraient nos besoins. Or, c’est là l’erreur de Vigilance, comme le dit Jérôme dans sa lettre contre lui. Les saints connaissent donc ce que nous faisons.

[21880] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod divina essentia est sufficiens medium cognoscendi omnia; quod patet ex hoc quod Deus videndo suam essentiam omnia intuetur. Non tamen sequitur quod quicumque essentiam Dei videt, omnia cognoscat, sed solum qui essentiam comprehendit; sicut nec principio aliquo cognito consequens est omnia cognosci quae ex principio consequuntur, nisi tota virtus principii comprehendatur. Unde cum animae sanctorum divinam essentiam non comprehendant, non est consequens ut omnia cognoscant quae per essentiam divinam cognosci possunt; unde etiam de quibusdam inferiores Angeli a superioribus edocentur, quamvis omnes essentiam divinam videant. Sed unusquisque beatus tantum de aliis rebus necessarium est ut in essentia divina videat, quantum perfectio beatitudinis requirit, ut homo habeat quidquid velit, nec aliquid inordinate velit, sicut infra, dist. 49, qu. 2, art. 5, habetur. Hoc autem recta voluntate quilibet vult ut ea quae ad ipsum pertinent cognoscat; unde cum nulla rectitudo sanctis desit, volunt cognoscere ea quae ad ipsos pertinent; et ideo oportet quod illa in verbo cognoscant. Hoc autem ad eorum gloriam pertinet quod auxilium indigentibus praebeant ad salutem; sic enim Dei cooperatores efficiuntur, quo nihil est divinius, ut Dionysius dicit, 3 cap. Eccles. Hierarch. Unde patet quod sancti cognitionem habeant eorum quae ad hoc requiruntur; et sic manifestum est quod in verbo cognoscunt vota et orationes et devotiones hominum qui ad eorum auxilium confugiunt.

L’essence divine est un moyen suffisant pour connaître tout, ce qui ressort du fait qu’en voyant son essence, Dieu voit toutes choses. Il n’en découle cependant pas que tous ceux qui voient l’essence de Dieu, connaissent tout, mais seulement celui qui embrasse (comprehendit) son essence, de même qu’il ne découle pas du fait qu’on connaît un principe, qu’on connaît tout ce qui découle de ce principe, à moins que toute la puissance du principe ne soit embrassée. Puisque les âmes des saints n’embrassent pas l’essence divine, il n’en découle donc pas qu’elles connaissent tout ce qui peut être connu par l’essence divine. Aussi les anges inférieurs sont-ils enseignés par les anges supérieurs, bien qu’ils voient tous l’essence divine. Mais il est nécessaire que chaque bienheureux voie les autres choses dans l’essence divine dans la mesure où l’exige la perfection de la béatitude, de sorte qu’un homme ait tout ce qu’il veut et ne veuille rien de manière désordonnée, comme on le dit plus loin, d. 49, q. 2, a. 5. Or, selon une volonté droite, tous veulent connaître ce qui les concernent. Puisque aucune rectitude ne fait défaut aux saints, il est donc nécessaire qu’ils connaissent cela dans le Verbe. Or, cela se rapporte à leur gloire qu’ils apportent de l’aide à ceux qui en ont besoin pour leur salut. En effet, ils deviennent ainsi les collaborateurs de Dieu : rien n’est plus divin que cela, comme le dit Denys dans la Hiérarchie ecclésiastique, III. Il est donc clair que les saints connaissent ce qui est nécessaire pour cela, et il est ainsi manifeste qu’ils connaissent les souhaits, les prières et les dévotions des hommes qui se réfugient sous leur protection.

[21881] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini est intelligendum de cognitione naturali animarum separatarum; quae quidem cognitio in sanctis viris non est obtenebrata, sicut est in peccatoribus: non autem loquitur de cognitione in verbo, quam constat Abraham, eo tempore quo haec dicta sunt per Isaiam, non habuisse, cum ante passionem Christi nullus ad visionem Dei pervenerit.

1. La parole d’Augustin doit s’entendre de la connaissance naturelle des âmes séparées ; cette connaissance n’est pas obscurcie chez les saints comme c’est le cas chez les pécheurs. Mais il ne parle pas de la connaissance dans le Verbe, dont il est clair qu’Abraham ne l’avait pas au moment où cela a été dit par Isaïe, puisque, avant la passion du Christ, personne n’était parvenu à la vision de Dieu.

[21882] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sancti etsi post vitam cognoscant quae hic geruntur, non tamen credendum est quod afficiantur doloribus, cognitis adversitatibus eorum quos hic in saeculo dilexerunt; ita enim repleti sunt gaudio beatitudinis quod dolor in eis locum non invenit; unde si cognoscant suorum infortunia post mortem, nihilominus eorum dolori consulitur, si ante hujusmodi infortunia de hoc saeculo subtrahuntur. Sed forte animae non glorificatae dolorem aliquem sentirent, si incommoda suorum carorum perciperent. Et quia anima Josiae non statim glorificata fuit a corpore egressa, quantum ad hoc ex hac ratione Augustinus concludere nititur quod animae mortuorum non habent cognitionem de factis viventium.

2. Même si les saints connaissent après cette vie ce qui se passe ici, il ne faut cependant pas croire qu’ils sont affectés par des douleurs, lorsqu’ils ont connaissance des malheurs de ceux qu’ils ont aimés dans le temps. En effet, ils sont à ce point remplis de la joie de la béatitude que la douleur ne trouve pas sa place chez eux. S’ils connaissent les malheurs des leurs après la mort, ils s’occupent néanmoins de leur douleur, s’ils sont enlevés à cette vie avant de tels malheurs. Mais peut-être que les âmes non glorifiées ressentiraient une douleur si elles percevaient les ennuis de ceux qui leur sont chers. Et parce que l’âme de Josias n’a pas été glorifiée dès qu’elle est sortie de son corps, Augustin s’efforce de conclure que les âmes des morts n’ont pas connaissance de ce que font les vivants.

[21883] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod animae sanctorum habent voluntatem plenarie conformem divinae voluntati, etiam in volito; et ideo quamvis affectum caritatis ad proximum retineant, non tamen eis aliter auxilium ferunt quam secundum quod per divinam justitiam vident esse dispositum. Et tamen credendum est quod multum proximos juvent, pro eis apud Deum intercedendo.

3. Les âmes des saints ont une volonté entièrement conforme à la volonté divine, même pour ce qui est voulu. Bien qu’elles gardent un amour de charité pour leur prochain, elles ne leur apportent cependant d’aide que selon ce qu’elles voient que la justice divine a décidé. Il faut cependant croire qu’elles aident beaucoup leurs proches en intercédant pour eux auprès de Dieu.

[21884] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis videntes verbum non sit necessarium omnia in verbo videre; vident tamen ea quae ad perfectionem pertinent beatitudinis eorum, ut dictum est.

4. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que ceux qui voient le Verbe voient tout dans le Verbe, ils voient cependant ce qui se rapporte à la perfection de leur béatitude, comme on l’a dit.

[21885] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cogitationes cordium solus Deus per seipsum novit; sed tamen alii cognoscere possunt quatenus eis revelatur vel per visionem verbi, vel quocumque alio modo.

5. Dieu seul connaît par lui-même les pensées des cœurs. Cependant, d’autres peuvent les connaître dans la mesure où cela leur est révélé ou par la vision du Verbe, ou de quelque autre façon.

 

 

Articulus 2 [21886] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 tit. Utrum debeamus sanctos orare ad interpellandum pro nobis

Article 2 – Devons-nous prier les saints d’intercéder pour nous ?

[21887] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non debeamus sanctos orare ad interpellandum pro nobis. Nullus enim amicos alicujus interpellat ad orandum pro se, nisi quatenus apud eos credit facilius gratiam obtinere. Sed Deus est in infinitum magis misericors quolibet sancto; et sic ejus voluntas facilius inclinatur ad nos exaudiendum quam voluntas alicujus sancti. Ergo videtur superfluum esse constituere sanctos mediatores inter nos et Deum, ut ipsi pro nobis intercedant.

1. Il semble que nous ne devions pas prier les saints d’intercéder pour nous. En effet, personne n’intercède auprès des amis de quelqu’un pour qu’ils prient pour lui, à moins de croire qu’il obtiendra plus facilement grâce auprès d’eux. Or, Dieu est infiniment plus miséricordieux que tous les saints, et ainsi sa volonté est plus encline à nous écouter que la volonté d’un saint. Il semble donc superflu d’établir des médiateurs entre nous et Dieu afin qu’ils intercèdent pour nous.

[21888] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, si eos ad orandum pro nobis interpellare debemus, hoc non est nisi quia scimus eorum orationem esse Deo acceptam. Sed quanto aliquis est sanctior inter sanctos, tanto ejus oratio est magis Deo accepta. Ergo semper deberemus superiores sanctos pro nobis intercessores constituere ad Deum, et nunquam minores.

2. Si nous devons intercéder auprès d’eux pour qu’ils prient pour nous, cela ne peut être que parce que nous savons que leur prière est agréable à Dieu. Or, plus quelqu’un est saint parmi les saints, plus sa prière est agréable à Dieu. Nous devrions donc toujours faire des saints plus élevés nos intercesseurs auprès de Dieu, et jamais des saints inférieurs.

[21889] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, Christus secundum etiam quod homo, dicitur sanctus sanctorum, et ei secundum quod homo orare competit. Sed nunquam Christum ad orandum pro nobis interpellamus. Ergo nec alios sanctos interpellare debemus.

3. Le Christ, même en tant qu’homme, est appelé le saint des saints, et il convient de le prier en tant qu’homme. Or, jamais nous n’intercédons auprès du Christ pour qu’il prie pour nous. Nous ne devons donc pas non plus intercéder auprès des autres saints.

[21890] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, quicumque rogatus ab aliquo pro eo intercedit, preces ipsius ei repraesentat apud quem pro eo intercedit. Sed superfluum est aliquid repraesentare ei cui sunt omnia patentia. Ergo superfluum est quod sanctos pro nobis intercessores constituamus ad Deum.

4. Celui à qui quelqu’un demande d’intercéder pour lui fait part de ses prières à celui auprès de qui il intercède pour lui. Or, il est superflu de faire part de quelque chose à celui pour qui tout est manifeste. Il est donc superflu que nous fassions des saints des intercesseurs pour nous auprès de Dieu.

[21891] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, illud est superfluum quod fit propter aliquid quod sine eo eodem modo fieret vel non fieret. Sed similiter sancti orarent pro nobis vel non orarent, sive nos oremus eos, sive non oremus; quia si sumus digni ut pro nobis orarent, etiam nobis eos non orantibus, pro nobis orarent; si autem sumus indigni, etiam si petamus, pro nobis non orant. Ergo interpellare eos ad orandum pro nobis videtur omnino superfluum.

5. Est superflu ce qui est fait en vue de quelque chose qui serait fait ou non de la même manière sans cela. Or, les saints prieraient ou ne prieraient pas de la même manière pour nous, que nous priions ou que nous ne priions pas, car, si nous sommes dignes qu’ils prient pour nous, ils prieraient pour nous, même si nous ne [les] priions pas ; mais si nous en sommes indignes, même si nous le demandons, ils ne prient pas pour nous. Faire appel à eux pour qu’ils prient pour nous semble donc tout à fait superflu.

[21892] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 5, 1: voca ergo si est qui tibi respondeat, et ad aliquem sanctorum convertere. Vocare autem nostrum, ut Gregorius ibidem dicit, est humili Deum prece deposcere. Ergo cum volumus orare Deum, debemus ad sanctos converti, ut orent pro nobis ad Deum.

Cependant, [1] il est dit en Jb 5, 1 : Appelle pour voir si on te répondra, et tourne-toi vers l’un des saints. Or, notre appel, comme Grégoire le dit au même endroit, consiste à faire appel à Dieu par une humble prière. Lorsque nous voulons prier Dieu, nous devons nous tourner vers les saints afin qu’ils prient Dieu pour nous.

[21893] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sancti qui sunt in patria, magis sunt accepti Deo quam in statu viae. Sed sanctos qui sunt in via, constituere debemus interpellatores pro nobis ad Deum exemplo apostoli, qui dicebat Rom. 15, 30: obsecro vos fratres per dominum nostrum Jesum Christum, et per caritatem spiritus sancti, ut adjuvetis me in orationibus vestris pro me ad Deum. Ergo et nos multo fortius petere debemus a sanctis qui sunt in patria, ut nos juvent orationibus ad Deum.

[2] Les saints qui sont dans la patrie sont plus agréables à Dieu que lorsqu’ils étaient en route (in statu viae). Or, nous devons faire des saints qui sont en route nos intercesseurs auprès de Dieu, conformément à l’exemple de l’Apôtre, qui disait en Rm 15, 30 : Je vous conjure, frères, par notre Seigneur Jésus, le Christ, et par la charité de l’Esprit Saint, de m’aider par les prières que vous adressez à Dieu pour moi. À bien plus forte raison, devons-nous demander aux saints qui sont dans la patrie de nous aider par les prières qu’ils adressent à Dieu.

[21894] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 s. c. 3 Praeterea, ad hoc est communis consuetudo Ecclesiae, quae in litaniis sanctorum orationem petit.

[3] L’usage commun de l’Église va dans ce sens, qui demande dans les litanies des saints qu’ils prient.

[21895] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod iste ordo est divinitus institutus in rebus, secundum Dionysium, ut per media ultima reducantur in Deum. Unde cum sancti qui sunt in patria, sint Deo propinquissimi, hoc divinae legis ordo requirit, ut nos qui manentes in corpore peregrinamur a domino, in eum per sanctos medios reducamur; quod quidem contingit, dum per eos divina bonitas suum effectum diffundit. Et quia reditus noster in Deum respondere debet processui bonitatum ipsius ad nos; sicut mediantibus sanctorum suffragiis Dei beneficia in nos deveniunt, ita oportet nos in Deum reduci, ut iterato beneficia ejus sumamus mediantibus sanctis; et inde est quod eos intercessores pro nobis ad Deum constituimus, et quasi mediatores, dum ab eis petimus quod pro nobis orent.

Selon Denys, cet ordre a été établi par Dieu dans les choses, que les réalités ultimes soient ramenées à Dieu par les réalités intermédiaires. Puisque les saints qui sont dans la patrie sont très proches de Dieu, l’ordre de la loi divine exige donc que nous qui, demeurant dans notre corps, cheminons loin du Seigneur, soyons ramenés vers lui par les saints. Or, cela se produit lorsque la bonté divine déploie son effet à travers eux. Et parce que notre retour à Dieu doit correspondre au déploiement de ses bontés envers nous, de même que les bienfaits de Dieu nous parviennent par l’intermédiaire des suffrages des saints, de même est-il nécessaire que nous soyons ramenés à Dieu afin que nous recevions de nouveau ses bienfaits par l’intermédiaire des saints. De là vient que nous en faisons nos intercesseurs et comme nos médiateurs auprès de Dieu, alors que nous demandons qu’ils prient pour nous.

[21896] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut non est propter defectum divinae potentiae quod mediantibus secundis causis agentibus operatur, sed est ad complementum ordinis universi, et ut ejus bonitas multiplicius diffundatur in res, dum res ab ea non solum suscipiunt bonitates proprias, sed insuper quod aliis causa bonitatis existant; ita etiam non est propter defectum misericordiae ipsius quod oporteat ejus clementiam per orationes sanctorum pulsare, sed est ad hoc ut ordo praedictus conservetur in rebus.

1. De même que ce n’est pas en raison d’un défaut de la puissance divine qu’elle agit par l’intermédiaire des causes secondes, mais que cela est un achèvement de l’ordre de l’univers, afin que sa bonté soit plus abondamment répandue dans les choses, alors que les choses ne reçoivent pas seulement leurs propres bontés, mais, en plus, qu’elles soient une cause de bonté pour les autres, de même aussi, ce n’est pas en raison d’un défaut de sa miséricorde qu’il faille insister auprès de sa clémence par l’intermédiaire des prières des saints, mais c’est pour que l’ordre indiqué soit conservé dans les choses.

[21897] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis superiores sancti sint magis Deo accepti quam inferiores, utile tamen est etiam minores sanctos interdum orare; et hoc propter quinque rationes. Primo ex hoc quod aliquis quandoque habet majorem devotionem ad sanctum minorem quam ad majorem; ex devotione autem maxime dependet orationis effectus. Secundo propter fastidium tollendum, quia assiduitas unius rei fastidium parit; per hoc autem quod diversos sanctos oramus, quasi in singulis novus fervor devotionis excitatur. Tertio, quia quibusdam sanctis datum est in aliquibus specialibus causis praecipue patrocinari, sicut sancto Antonio ad ignem infernalem. Quarto, ut honor debitus omnibus exhibeatur. Quinto, quia plurium orationibus quandoque impetratur quod unius oratione non impetraretur.

2. Bien que les saints plus élevés soient plus agréables à Dieu que les inférieurs, il est cependant utile que nous priions parfois les saints inférieurs, et cela, pour cinq raisons. Premièrement, du fait que quelqu’un a parfois une plus grande dévotion envers un saint inférieur qu’envers un saint plus élevé ; or, l’effet de la prière dépend surtout de la dévotion. Deuxièmement, afin d’écarter l’ennui, car la répétion constante d’une seule chose engendre l’ennui ; or, en priant divers saints, une nouvelle intensité de la dévotion est stimulée chez chacun. Troisièmement, parce qu’il a été donné à certains saints d’être les principaux patrons de certaines causes spéciales, comme [il a été donné] à saint Antoine pour le feu de l’enfer. Quatrièmement, afin que l’honneur qui leur est dû soit rendu à chacun. Cinquièmement, parce qu’est parfois obtenu par les prières de plusieurs ce qui ne serait pas obtenu de la prière d’un seul.

[21898] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oratio est actus quidam: actus autem sunt particularium suppositorum; et ideo si diceremus, Christe ora pro nobis, nisi aliquid adderetur, videremur hoc ad personam Christi referre; et ita videretur esse consonum vel errori Nestorii, qui distinxit in Christo personam filii hominis a persona filii Dei; vel errori Arii, qui posuit personam filii minorem patre. Unde ad hos errores evitandos Ecclesia non dicit, Christe ora pro nobis, sed Christe audi nos, vel miserere nobis.

3. La prière est un acte. Or, les actes sont le fait de suppôts particuliers. Aussi, si nous disions : « Christ, prie pour nous », sans rien ajouter, nous semblerions rapporter cela à la personne du Christ. Et ainsi, cela semblerait se conformer soit à l’erreur de Nestorius, qui a fait dans le Christ une distinction entre la personne du Fils de l’homme et la personne du Fils de Dieu, soit à l’erreur d’Arius, qui a affirmé que la personne du Fils est inférieure au Père. Pour éviter ces erreurs, l’Église ne dit donc pas : « Christ, prie pour nous », mais : « Christ, écoute-nous » ou « aie pitié de nous ».

[21899] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut infra dicetur, non dicuntur sancti preces nostras Deo repraesentare quasi ei incognita manifestent; sed quia eas exaudiri a Deo petunt, vel de eis divinam consulunt veritatem, quid scilicet secundum ejus providentiam fieri debeat.

4. Comme on le dira plus loin, on ne dit pas que les saints font part de nos prières à Dieu comme s’ils lui rendaient manifestes des choses inconnues, mais parce qu’ils demandent à Dieu de les écouter, ou parce qu’ils examinent leur vérité, à savoir, ce qui doit être accompli selon sa providence.

[21900] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso aliquis efficitur dignus ut sanctus aliquis pro eo oret, quod ad ipsum cum pura devotione in sua necessitate recurrit; et ita non est superfluum quod sanctos oremus.

5. Quelqu’un est rendu digne qu’un saint prie pour lui par le fait qu’il recourt à lui avec une dévotion pure pour ce qui lui est nécessaire. Il n’est donc pas superflu que nous priions les saints.

 

 

Articulus 3 [21901] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 tit. Utrum orationes sanctorum pro nobis ad Deum fusae, semper exaudiantur

Article 3 – Les prières que les saints répandent pour nous auprès de Dieu sont-elles toujours écoutées ?

[21902] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod orationes sanctorum pro nobis ad Deum fusae, non semper exaudiantur. Si enim exaudirentur, maxime exaudirentur sancti de his quae ad eos pertinent. Sed de his non exaudiuntur; unde dicitur Apocalyps. 6, quod martyribus petentibus vindictam his qui sunt super terram, dictum est ut requiescerent adhuc tempus modicum, donec impleretur numerus fratrum suorum. Ergo multo minus exaudiuntur de his quae ad alios pertinent.

1. Il semble que les prières que les saints répandent pour nous auprès de Dieu ne soient pas toujours écoutées. En effet, s’ils étaient écoutés, les saints seraient surtout écoutés à propos de ce qui les concernent. Or, ils ne sont pas écoutés à propos de cela ; ainsi, il est dit dans Ap 6, qu’alors que les martyrs demandaient d’être vengés de ceux qui se trouvent sur la terre, il leur a été dit de se reposer encore un peu de temps, jusqu’à ce que soit complété le nombre de leurs frères. Ils sont donc encore bien moins écoutés de ce qui se rapporte aux autres.

[21903] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, Hierem. 15, 1: si steterint Moyses et Samuel coram me, non est anima mea ad populum istum. Ergo sancti non semper exaudiuntur, cum pro nobis orant ad Deum.

2. Jr 15, 1 : Même si Moïse et Samuel s’étaient tenus debout devant moi, mon âme n’allait pas vers ce peuple. Les saints ne sont donc pas toujours écoutés lorsqu’ils prient Dieu pour nous.

[21904] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, sancti in patria aequales Dei Angelis esse commemorantur, ut patet Matth. 22. Sed Angeli non semper exaudiuntur in suis orationibus quas fundunt ad Deum; quod patet ex hoc quod habetur Daniel. 10, 12, ubi dicitur: ego veni propter sermones tuos: princeps autem regni Persarum restitit mihi viginti et uno diebus. Non autem venerat in adjutorium Danielis Angelus qui loquebatur, nisi a Deo liberationem eorum petendo; et non est impetrata orationis ejus impletio. Ergo nec etiam alii sancti orantes pro nobis apud Deum semper exaudiuntur.

3. Le souvenir des saints dans la patrie les égale aux anges de Dieu, comme cela ressort de Mt 22. Or, les anges ne sont pas toujours écoutés dans les prières qu’ils répandent devant Dieu, ce qui ressort de ce qu’on trouve en Dn 10, 12, où il est dit : Je suis venu à cause de tes paroles :le prince du royaume des Perses s’est élevé contre moi depuis vingt et un jours. Or, l’ange qui parlait n’était venu au secours de Daniel qu’en demandant à Dieu leur libération, et il n’a pas obtenu l’accomplissement de sa prière. Les autres qui prient pour nous ne sont donc pas non plus toujours écoutés par Dieu.

[21905] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque oratione impetrat aliquid, quodammodo meretur illud. Sed illi qui sunt in patria, non sunt in statu merendi. Ergo non possunt suis orationibus nobis aliquid impetrare apud Deum.

4. Quiconque demande quelque chose par la prière le mérite d’une certaine manière. Or, ceux qui sont dans la patrie ne sont pas en état de mériter. Ils ne peuvent donc pas obtenir de Dieu quelque chose pour nous par leurs prières.

[21906] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 5 Praeterea, sancti per omnia conformant voluntatem suam voluntati divinae. Ergo non volunt nisi quod sciunt Deum velle. Sed nullus orat nisi quod vult. Ergo non orant pro eo nisi quod sciunt Deum velle. Sed hoc quod Deus vult, fieret eis etiam non orantibus. Ergo eorum orationes non sunt efficaces ad aliquid impetrandum.

5. Les saints conforment en tout leur volonté à la volonté divine. Ils ne veulent donc que ce qu’ils savent que Dieu veut. Or, personne ne prie que pour ce qu’il veut. Ils ne prient donc que pour ce qu’ils savent que Dieu veut. Or, ce que Dieu veut, il le leur accorderait même s’ils ne priaient pas. Leurs prières ne sont donc pas efficaces pour obtenir quelque chose.

[21907] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 arg. 6 Praeterea, orationes totius caelestis curiae, si aliquid impetrare possunt, efficaciores essent quam omnia praesentis Ecclesiae suffragia. Sed multiplicatis suffragiis praesentis Ecclesiae factis pro aliquo in Purgatorio existente, totaliter absolveret a poena. Cum ergo sancti qui sunt in patria, eadem ratione orent pro illis qui sunt in Purgatorio, sicut et pro nobis aliquid impetrant; illos qui sunt in Purgatorio totaliter orationes eorum a poena absolverent; quod falsum est, quia sic suffragia Ecclesiae pro defunctis facta superflua essent.

6. Les prières de toute la cour céleste, si elles peuvent obtenir quelque chose, seraient plus efficaces que tous les suffrages de l’Église présente. Or, en multipliant les suffrages de l’Église présente accomplis pour quelqu’un qui se trouve au purgatoire, toute la peine serait absoute. Puis donc que les saints qui sont dans la patrie prient pour la même raison pour ceux qui sont au purgatoire et obtiennent quelque chose pour nous, leurs prières absoudraient entièrement ceux qui sont au purgatoire, ce qui est faux, car ainsi les suffrages de l’Église accomplis pour les défunts seraient superflus.

[21908] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod habetur 2 Machab. ult., 14: hic est qui multum orat pro populo et pro universa civitate, Hieremias propheta Dei. Et quod ejus oratio sit exaudita, patet per hoc quod sequitur, quod extendit Hieremias dexteram, et dedit Judae gladium dicens: accipe sanctum gladium munus a Deo in quo dejicies adversarios populi Dei.

Cependant, [1] 2 M 15, 14 dit : Voici celui qui prie pour le peuple et pour toute la ville : Jérémie, le prophète de Dieu. Que sa prière ait été écoutée, cela ressort de ce qui suit, que Jérémie étendit la droite et donna à Juda une épée en disant : Reçois le saint glaive en présent de la part de Dieu, par lequel tu renversera les adversaires du peuple de Dieu.

[21909] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Hieronymus in epistola contra Vigilantium: dicis in libello tuo, quod dum vivimus, mutuo orare pro nobis possumus; et hoc postea improbat, dicens sic: si apostoli et martyres adhuc in corpore constituti possunt orare pro ceteris quando pro se adhuc debent esse soliciti; quanto magis post coronas, victorias, et triumphos.

[2] Jérôme écrit dans la lettre contre Vigilance : «Dans ton livre, tu dis que, pendant que nous vivons, nous pouvons prier l’un pour l’autre»; et il désapprouve cela en disant : «Si les apôtres et les martyrs encore établis dans leur corps peuvent prier pour les autres, alors qu’ils doivent encore se préoccuper d’eux-mêmes, à combien plus forte raison [le peuvent-ils] après [avoir reçu] les couronnes, les victoires et les triomphes. »

[21910] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 s. c. 3 Praeterea, ad hoc est consuetudo Ecclesiae quae frequenter petit ut sanctorum orationibus adjuvetur.

[3] Telle est la coutume de l’Église, qui demande fréquemment d’être aidée par les prières des saints.

[21911] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sancti dupliciter dicuntur orare pro nobis. Uno modo oratione expressa, dum votis suis aures divinae clementiae pro nobis pulsant; alio modo oratione interpretativa, scilicet per eorum merita, quae in conspectu Dei existentia non solum eis cedunt ad gloriam, sed sunt nobis etiam suffragia et orationes quaedam; sicut etiam sanguis Christi pro nobis effusus dicitur veniam petere. Utroque autem modo sanctorum orationes sunt, quantum est in ipsis, efficaces ad impetrandum quod petunt; sed ex parte nostra potest esse defectus, quod non assequamur fructum orationum ipsorum, secundum quod pro nobis orare dicuntur ex hoc quod merita ipsorum nobis proficiunt; sed secundum quod orant pro nobis, votis suis nobis aliquid postulando, semper exaudiuntur, quia non volunt nisi quod Deus vult, nec petunt nisi quod volunt fieri: quod autem Deus simpliciter vult, impletur, nisi loquamur de voluntate antecedente, secundum quam vult omnes homines salvos fieri, quae non semper impletur. Unde nec est mirum, si etiam quod sancti volunt per hunc modum voluntatis, interdum non impletur.

On dit que les saints prient pour nous de deux manières : d’une manière, par une prière expresse, alors qu’ils insistent en notre faveur auprès de la clémence divine ; d’une autre manière, par ce qu’on interprète comme une prière, à savoir, par leurs mérites, qui, placés sous le regard de Dieu, ne tournent pas seulement à leur gloire, mais sont aussi pour nous des suffrages et des prières, de même que l’on dit que le sang du Christ versé pour nous demande pardon. Des deux manières, les prières des saints sont en elles-mêmes efficaces pour obtenir ce qu’elles demandent ; mais, de notre côté, il peut exister un manque, en raison duquel nous ne recevons pas le fruit de leurs prières, selon qu’on dit qu’ils prient pour nous du fait que leurs mérites nous profitent. Mais, selon qu’ils prient pour nous en demandant quelque chose pour nous par leurs vœux, ils sont toujours écoutés parce qu’ils ne veulent que ce que Dieu veut et ne demandent que ce qu’ils veulent voir accompli. Or, ce que Dieu veut simplement s’accomplit, à moins que nous ne parlions de sa volonté antécédente, selon laquelle il veut que tous les hommes soient sauvés, et qui ne s’accomplit pas toujours. Aussi n’est-il pas étonnant que, parfois, ce que les saints veulent selon ce mode de volonté ne s’accomplisse pas.

[21912] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa oratio martyrum non est aliud quam eorum desiderium de obtinenda stola corporis: et societate sanctorum qui salvandi sunt, et consensus quo consentiunt divinae justitiae punienti malos; unde Apoc. 6, super illud: usquequo domine etc., dicit Glossa: desiderant majus gaudium et consortium sanctorum, et justitiae Dei consentiunt.

1. Cette prière des martyrs n’est rien d’autre que leur désir d’obtenir la robe blanche pour le corps, la société des saints qui doivent être sauvés et le consentement par lequel ils consentent à ce que la justice divine punissent les méchants. Ainsi, en Ap 6, sur ce passage : Jusques à quand, Seigneur, etc., la Glose dit : « Ils désirent une plus grande joie et la compagnie des saints, et ils consentent à la justice de Dieu. »

[21913] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dominus loquitur ibi de Moyse et Samuele secundum statum quo fuerunt in hac vita; ipsi enim leguntur pro populo orantes irae Dei restitisse, ut Glossa interlinearis dicit; et tamen si illo tempore fuissent, non potuissent orationibus Deum placare ad populum propter populi illius malitiam; et hic est intellectus litterae.

2. Le Seigneur parle de Moïse et de Samuel selon l’état qui était le leur en cette vie. En effet, on lit qu’à leur prière, la colère de Dieu s’est retenue, comme le dit la glose interlinéaire. Cependant, s’ils avaient vécu en ce temps, ils n’auraient pas pu, par des prières, apaiser Dieu à l’endroit du peuple en raison de la méchanceté de ce peuple. Tel est le sens du texte.

[21914] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pugna bonorum Angelorum non intelligitur ex hoc quod apud Deum contrarias orationes funderent; sed quia contraria merita ex diversis partibus ad divinum examen referebant, divinam sententiam expectantes; et hoc est quod Gregorius dicit 17 Moral., exponens praedicta verba Danielis: sublimes spiritus gentibus principantes nequaquam pro injuste agentibus decertant, si eorum facta recte judicantes examinant; cumque uniuscujusque gentis vel culpa vel justitia ad supernae curiae solium ducitur, ejusdem gentis praepositus vel obtinuisse in certamine, vel non obtinuisse perhibetur; quorum tamen omnium una victoria est super se opificis voluntas summa; quam dum semper aspiciunt, quod obtinere non valent, nequaquam volunt; unde nec petunt. Ex quo et patet quod orationes eorum semper audiuntur.

3. Le combat des bons anges ne veut pas dire qu’il verseraient des prières en sens contraire auprès de Dieu, mais qu’il soumettaient les mérites contraires de partout au jugement divin, en attendant la sentence divine. C’est ce que dit Grégoire dans les Morales, XVII, en expliquant les paroles précédentes de Daniel : « Les esprits élevés qui gouvernent les nations ne combattent jamais pour ceux qui agissent injustement, s’ils examinent leurs actions en les jugeant correctement ; lorsque la faute ou le jugement de chaque nation sont présentés devant le trône de la cour céleste, il apparaît que celui qui préside à cette même nation a obtenu ou n’a pas obtenu par son combat. Pour tous, cependant, la seule victoire est la volonté suprême de leur Créateur ; puisqu’ils la regardent toujours, ils ne veulent jamais ce qu’ils ne peuvent obtenir. » Aussi ne demandent-ils pas. Il ressort aussi de cela que leurs prières sont toujours écoutées.

[21915] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet sancti non sint in statu merendi sibi postquam sunt in patria, sunt tamen in statu merendi aliis, vel potius ex merito praecedenti alios juvandi: hoc enim apud Deum viventes meruerunt, ut eorum orationes exaudirentur post mortem. Vel dicendum, quod oratio ex alio meretur, et ex alio impetrat. Meritum enim consistit in quadam adaequatione actus ad finem propter quem est, qui ei quasi merces redditur; sed orationis impetratio innititur liberalitati ejus qui rogatur, quod tamen ipse non meruit: et ita quamvis sancti non sint in statu merendi, tamen non sequitur, quod non sint in statu impetrandi.

4. Bien que les saints ne soient pas en état de mériter pour eux-mêmes après qu’ils sont dans la patrie, ils sont cependant en état de mériter pour d’autres, ou plutôt, en état d’en aider d’autres par un mérite antérieur. En effet, alors qu’ils vivaient auprès de Dieu, ils ont mérité que leurs prières soient écoutées après leur mort. Ou bien il faut dire que la prière mérite et obtient pour des raisons différentes. En effet, le mérite consiste dans une certaine proportion entre un acte et la fin pour laquelle il est posé, laquelle lui est rendue comme une récompense ; mais le fait que la prière obtient s’appuie sur la libéralité de celui à qui elle fait appel, alors que [celui qui prie] ne l’a pas mérité. Ainsi, bien que les saints ne soient pas en état de mériter, il n’en découle cependant pas qu’ils ne soient pas en état d’obtenir.

[21916] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut ex auctoritate Gregorii inducta patet, sancti non volunt, vel Angeli, nisi quod in divina voluntate conspiciunt; et ita etiam nihil aliud petunt: nec tamen eorum oratio est infructuosa: quia, sicut dicit Augustinus in Lib. de praedestinatione sanctorum, orationes sanctorum praedestinatis prosunt, quia forte praeordinatum est ut orationibus intercedentium salventur; et ita etiam Deus vult ut orationibus sanctorum impleatur illud quod sancti vident eum velle.

5. Comme cela ressort de l’autorité de Grégoire qui a été invoquée, les saints ou les anges ne veulent que ce qu’ils voient dans la volonté divine. Ainsi, ils ne demandent rien d’autre. Cependant, leur prière n’est pas sans fruit, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur la prédestination des saints, les prières des saints profitent aux prédestinés, parce qu’il a peut-être été préordonné qu’ils soient sauvés par les prières de ceux qui intercèdent ; ainsi même Dieu veut que, par les prières de saints, soit accompli ce que les saints voient qu’il veut.

[21917] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod suffragia Ecclesiae sunt pro defunctis quasi quaedam satisfactiones viventium vice mortuorum; et secundum hoc mortuos a poena absolvunt, quam non solverunt. Sed sancti qui sunt in patria, non sunt in statu satisfaciendi; et ideo non est simile de eorum orationibus, et de suffragiis Ecclesiae.

6. Les suffrages de l’Église pour les défunts sont comme des satisfactions des vivants pour les morts. Ainsi, ils libèrent les morts de la peine qu’ils n’ont pas accomplie. Mais les saints qui sont dans la patrie ne sont pas en état de satisfaire. C’est pourquoi il n’en va pas de même de leurs prières et des suffrages de l’Église.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 45

[21918] Super Sent., lib. 4 d. 45 q. 3 a. 3 expos. Cum facta fuerit resurrectio, bonorum gaudium amplius erit et cetera. Hoc intelligendum est materialiter, quia de pluribus gaudebunt; sed non formaliter, quia non magis gaudebunt, ut dictum est. Sed de hoc magis infra dicetur, dist. 49. Nam qui sine fide operante per dilectionem, ejusque sacramentis, de corpore exierunt, frustra illis a suis hujusmodi pietatis officia impenduntur. Secundum hoc videtur quod suffragia Ecclesiae non prosunt catechumenis in fide Ecclesiae decedentibus; cum tamen illi sint in statu salutis, ut patet ex dictis supra, dist. 4. Et dicendum, quod licet non susceperint sacramenta Ecclesiae actu, susceperunt tamen voto, quod pro facto computatur, cum deest facultas. Mediocriter malis suffragantur et cetera. Ista verba a diversis diversimode exponuntur. Illi enim qui dicunt suffragia Ecclesiae prodesse existentibus in Inferno, dicunt alios esse mediocriter bonos, et alios mediocriter malos. Dicunt enim valde malos esse eos qui sine fide et sacramentis Ecclesiae decesserunt; et his dicunt nihil prodesse suffragia: sed mediocriter malos eos qui cum fide et sacramentis Ecclesiae, in peccato tamen mortali, decesserunt; quibus, secundum eos, valent suffragia ad poenae mitigationem, non autem ad poenae solutionem. Sed valde bonos dicunt illos qui sine criminali decedentes, statim evolant; qui suffragiis non indigent: mediocriter vero bonos qui cremabilia secum ferunt, et in Purgatorio detinentur; et his dicunt prodesse suffragia ad plenam absolutionem. Qui vero dicunt suffragia non prodesse his qui sunt in Inferno, dicunt eosdem esse mediocriter malos et mediocriter bonos. Omnes enim qui sunt in Inferno valde malos dicunt; qui vero in patria valde bonos; eos vero qui sunt in Purgatorio dicunt mediocriter bonos, inquantum deficiunt a perfectione bonitatis; sed et mediocriter malos, inquantum deficiunt a perfecta malitia, quae est peccatum mortale. His autem suffragia quandoque prosunt ad mitigationem poenae, quandoque ad plenam absolutionem, secundum differentiam quantitatis cremabilium et suffragiorum; et haec expositio est convenientior. Injuria est pro martyre in Ecclesia orare. Hoc videtur contra illud quod supra dictum est, quod orationes pro valde bonis sunt gratiarum actiones. Et dicendum, quod superior auctoritas loquitur, quando incertum est nobis, quando sint valde boni, pro quibus oratur; hic autem Augustinus loquitur, quando certum est qui sunt valde boni: sic enim qui pro eis orat, quodammodo eos indigentes ostendit, et sic eis injuriam facit. Aestimo eum quasi per ignem transeuntem et cetera. Hic ponuntur duo auxilia: quorum unum adjuvabit illos qui in fine mundi invenientur per modum satisfactionis, scilicet ignis quo facies mundi purgabitur: poterit enim esse ut intensio poenae suppleat quidquid deest ad temporis brevitatem; et praecipue cum sit probabile quod pauca cremabilia sint habituri, utpote purgati per terrorem futuri judicii ex signis praecedentibus praeostensi. Aliud autem est ex vi caritatis, scilicet merita et intercessiones sanctorum, quae eis suffragantur virtute caritatis. Sive consulendo quid faciat et cetera. Istud consilium nihil est aliud quam conversio eorum ad Deum, ut ab eo illuminationem percipiant de agendis.

 

 

 

Distinctio 46

Distinction 46 – [La justice et la miséricorde de Dieu envers les damnés]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La justice doit-elle être attribuée à Dieu ?]

 

 

Prooemium

Prologue

 [21919] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de receptaculis animarum in quibus puniuntur vel praemiantur ante resurrectionem communem et judicium generale, et de suffragiis quibus juvamus mortuos, vel juvamur ab eis; hic determinat de divina justitia et misericordia, quibus praedicta omnia dispensantur. Dividitur autem in partes duas: in prima determinat de divina justitia et misericordia secundum operationem ad poenam damnatorum; in secunda determinat de eis in generali, ibi: sed quomodo justitiam Dei et pietatem, idest misericordiam, supra Cassiodorus duas esse res dixit? Circa primum tria facit: primo ostendit quod misericordia Dei in poenis damnatorum locum non habet; secundo ostendit contrarium, ibi: sed his occurrit quod ait Cassiodorus. Tertio determinat veritatem, ibi: unde non incongrue dici potest et cetera. Circa quod tria facit: primo proponit quid sit verum circa quaestionem praedictam: secundo solvit auctoritatem quae est in contrarium, ibi: quod igitur dictum est etc.; tertio exponit quod dixerat, scilicet quod sit occultum Dei judicium, ibi: cujus occultum judicium intelligitur poena, qua quisque vel exercetur ad purgationem, vel admonetur ad conversionem. Sed quomodo Dei justitiam et pietatem (...) supra Cassiodorus duas esse res dixit? Hic determinat multipliciter de justitia et misericordia Dei in communi; et dividitur in partes duas: in prima inquirit de differentia justitiae et misericordiae Dei; in secunda inquirit quomodo justitia et misericordia concurrunt ad opus divinum, ibi: post haec considerari oportet, ex quo sensu universae viae domini dicantur misericordia et veritas. Circa primum duo facit: primo movet quaestiones; secundo determinat eas, ibi: his responderi potest. Circa primum duo facit: primo inquirit, utrum sit idem in Deo justitia et misericordia; secundo utrum eadem opera debeant justitiae et misericordiae attribui, ibi: cur igitur dicit Scriptura de operibus Dei, quaedam esse misericordiae, quaedam justitiae? His responderi potest et cetera. Hic solvit propositas quaestiones; et circa hoc duo facit: primo solvit primam; secundo secundam, ibi: quod autem opera quaedam et cetera. Circa primum tria facit: primo solvit primam quaestionem; secundo movet dubitationem circa solutionem positam, ibi: sed secundum hoc occurrit quaestio etc.; tertio solvit dubitationem, ibi: sed dixi supra et cetera. Post haec considerari oportet, ex quo sensu universae viae domini dicantur misericordia et veritas. Hic inquirit quomodo misericordia et justitia Dei occurrunt ad opus ipsius; et circa hoc duo facit: primo ostendit quod nullum opus Dei est ad quod non concurrat misericordia Dei vel justitia; secundo inquirit, an ad quodlibet opus concurrat utrumque, ibi: sed cum superius Cassiodorus dixerit, in his duobus omnia opera Dei includi, merito quaeri potest et cetera. Et circa hoc duo facit: primo proponit quaestionem; secundo solvit eam, ibi: quibusdam placuit. Et dividitur in partes duas, secundum quod duas opiniones ponit circa hanc quaestionem; secunda incipit ibi: aliis autem videtur et cetera. Hic duo quaeruntur. Primo de divina justitia. Secundo de ejus misericordia. Circa primum quaeruntur tria: 1 an justitia Deo debeat attribui; 2 de justitiae ejus effectu; 3 de justitia ejus contra damnatos.

Après avoir déterminé des demeures des âmes par lequelles celles-ci sont punies ou récompensées avant la résurrection commune et le jugement général, et des suffrages par lesquels nous aidons les morts ou sommes aidés par eux, le Maître détermine ici de la justice et de la miséricorde divines, par lesquelles tout ce qui précède est dispensé. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la justice et de la miséricorde divine selon qu’elle agit sur la peine des damnés ; dans la seconde, il en détermine d’une manière générale, à cet endroit ; « Mais comment Cassiodore dit-il que la justice de Dieu et sa piété, c’est-à-dire sa miséricorde, sont deux choses ? » du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que la miséricorde de Dieu n’a pas de place dans les peines des damnés. Deuxièmement, il montre le contraire, à cet endroit : « Mais ici se présente ce que dit Cassiodore. » Troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Aussi peut-on dire d’une manière qui n’est pas déplacée, etc. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il propose ce qui est vrai au sujet de la question précédente. Deuxièmement, il répond à l’autorité qui allait en sens contraire, à cet endroit : « Donc, ce qui a été dit, etc. » Troisièmement, il explique ce qu’il avait dit, à savoir que le jugement de Dieu est mystérieux, à cet endroit : « On comprend que la peine est un jugement mystérieux, par laquelle quelqu’un est mis à l’épreuve au purgatoire ou est averti de se convertir. » « Mais comment Cassiodore dit-il que la justice et la piété de Dieu sont deux choses ? » Ici, il détermine de multiples façons de la justice et de la miséricorde de Dieu en général. Il y a deux parties : dans la première, il s’interroge sur la différence entre la justice et la miséricorde de Dieu ; dans la seconde, il se demande comment la justice et la miséricorde concourent à l’action de Dieu, à cet endroit : « Après cela, il faut examiner en quel sens toutes les voies du Seigneur sont appelées miséricorde et vérité. » du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève les questions ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « On peut répondre à cela… » du premier point, il fait deux choses : premièrement, il se demande si la justice et la miséricorde sont la même chose en Dieu ; deuxièmement, si les mêmes actions de Dieu doivent être attribuées à la justice et à la miséricorde de Dieu, à cet endroit : « Pourquoi donc l’Écriture dit-elle, des actions de Dieu, que certaines relèvent de sa miséricorde et d’autres de sa justice ? » « On peut répondre à cela, etc. » Ici, il répond aux questions soulevées antérieurement. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il répond à la première ; deuxièmement, à la seconde, à cet endroit : « Mais que certaines actions, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il répond à la première question ; deuxièmement, il émet un doute sur la réponse donnée, à cet endroit : « Mais, en second lieu, une question se présente, etc. » ; troisièmement, il résout le doute, à cet endroit : « Mais j’ai dit plus haut, etc. » « Après cela, il faut examiner en quel sens toutes les voies du Seigneur sont appelées miséricorde et vérité. » Ici, il se demande comment la miséricorde et la justice de Dieu concourent à son action. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’il n’y a aucune action de Dieu à laquelle ne concourent pas la miséricorde et la justice de Dieu ; deuxièmement, il se demande si les deux choses concourent à toutes les actions, à cet endroit : « Mais puisque Cassiodore a dit antérieurement que toutes les actions de Dieu sont comprises dans ces deux choses, on peut à juste titre se demander, etc. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il présente la question ; deuxièmement, il y répond, à cet endroit : « Il a plu à certains… » Cela se divise en deux parties, selon qu’il présente deux opinions sur cette question ; la seconde commence à cet endroit : « À d’autres, il semble, etc.… » Ici, il y a deux questions : la première, à propos de la justice divine ; la seconde, à propos de sa miséricorde. À propos de la première, trois questions sont soulevées : 1 – Doit-on attribuer la justice à Dieu ? 2 – de l’effet de sa justice. 3 – de sa justice à l’égard des damnés.

 

 

Articulus 1 [21920] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 tit. Utrum justitia Deo attribuenda sit

Article 1 – Doit-on attribuer la justice à Dieu ?

 

 

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Doit-on attribuer la justice à Dieu ?]

[21921] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod justitia Deo attribuenda non sit. Quia, secundum philosophum in 10 Ethic., ridiculum est laudare deos secundum aliquam virtutem moralem, vel actiones virtutum moralium eis attribuere. Sed justitia est virtus moralis. Ergo Deo attribui non potest.

1. Il semble que la justice ne doive pas être attribuée à Dieu, car, selon le Philosophe dans Éthique, X, il est ridicule de louer les dieux pour une vertu morale ou de leur attribuer les actions des vertus morales. Or, la justice est une vertu morale. Elle ne peut donc pas être attribuée à Dieu.

[21922] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, justitia contra temperantiam dividitur. Sed temperantiam non attribuimus Deo. Ergo nec justitiam ei attribuere debemus.

2. La justice se distingue de la tempérance. Or, nous n’attribuons pas la tempérance à Dieu. Nous ne devons donc pas non plus lui attribuer la justice.

[21923] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, justitia in aequalitate consistit, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Sed nihil potest Deo esse aequale. Ergo non potest esse aliqua justitia ejus ad alterum.

3. La justice consiste dans une égalité, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, V. Or, rien ne peut être égal à Dieu. Il ne peut donc y avoir chez lui de justice à l’égard d’un autre.

[21924] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus in 5 Ethic. dicit, quod domini ad servum non est justitia. Sed Deus est omnium dominator. Ergo ei justitia non competit.

4. Dans Éthique, V, le Philosophe dit qu’il n’y a pas de justice entre le maître et l’esclave. Or, Dieu est le Seigneur de toutes choses. La justice ne lui convient donc pas.

[21925] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod, in Psal. 10, dicitur: justus dominus, et justitias dilexit.

Cependant, [1] le Ps 10 dit en sens contraire : Le Seigneur est juste, il a aimé la justice.

[21926] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod est potissimum, est Deo attribuendum. Sed secundum philosophum in 5 Ethic., justitia est praeclarissima virtutum. Ergo maxime debet attribui Deo.

[2] Tout ce qui est le meilleur doit être attribué à Dieu. Or, selon le Philosophe en Éthique, V, la justice est la plus grande des vertus. Elle doit donc être surtout attribuée à Dieu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La bonté et la justice sont-elles attribuées à Dieu de la même façon ?]

[21927] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Deo secundum eamdem rationem dicatur bonitas et justitia. Quia justitia est universaliter omnis virtus, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Sed virtus uniuscujusque rei est bonitas ipsius; quia virtus est quae bonum habentem facit, et opus ejus bonum reddit, ut patet in 2 Ethic. Ergo secundum eamdem rationem dicitur justus et bonus.

1. Il semble que la bonté et la justice soient attribuées à Dieu de la même façon, car la justice est toute vertu d’une manière universelle, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe en Éthique, V. Or, la vertu de toute chose est sa bonté, car la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et rend son action bonne, comme il ressort d’Éthique, II. Dieu est donc appelé juste et bon pour la même raison.

[21928] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit quod justitia laudatur in Deo, inquantum omnibus secundum dignitatem distribuit. Sed distribuere omnibus, ad rationem bonitatis pertinet, quia totius communicationis divina bonitas causa est. Ergo justitia et bonitas dicuntur in Deo secundum eamdem rationem.

2. Denys dit que la justice est louée en Dieu parce qu’il distribue à tous selon leur dignité. Or, distribuer à tous relève de la bonté, car la bonté divine est la cause de toute communication. On parle donc de justice et de bonté pour Dieu pour la même raison.

[21929] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, bonitas et justitia magis conveniunt in Deo quam conveniant in creaturis. Sed in creaturis eadem videtur esse ratio bonitatis et justitiae; nisi enim ex hoc ipso quod creata sunt bona, justa essent, inconvenienter videretur quod a Deo bono omnia essent bona, et ab eo justo non essent omnia justa. Ergo in Deo secundum eamdem rationem dicitur bonitas et justitia.

3. La bonté et la justice conviennent davantage à Dieu qu’aux créatures. Or, dans les créatures, la raison de bonté et de justice semble être la même : en effet, si elles n’étaient pas justes par le fait qu’elles ont été créées bonnes, il semblerait inacceptable que toutes soient bonnes en raison d’un Dieu bon, et elles ne seraient pas justes en raison [d’un Dieu] juste. En Dieu, bonté et justice se disent donc selon la même raison.

[21930] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Boetius dicit in Lib. de Hebdom.: bonum esse ad essentiam, justum vero esse ad actum respicit. Sed esse et actus non dicuntur secundum eamdem rationem in Deo. Ergo nec justitia et bonitas.

Cependant, [1] Boèce dit, dans le Livre sur les semaines : « Le bien concerne l’essence, mais ce qui est juste, l’acte. » Or, l’être et l’acte ne sont pas attribués selon la même raison en Dieu. Donc, ni la justice et la bonté.

[21931] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, generis et speciei non est omnino eadem ratio. Sed bonitas et justitia se habent ut genus et species; unde Boetius dicit in Lib. de Hebdom.: bonum quidem est generale, justum autem speciale. Ergo non est eadem ratio omnino bonitatis et justitiae.

[2] La notion de genre et celle d’espèce ne sont pas du tout les mêmes ; aussi Boèce dit-il dans le Livre sur les semaines : « Le bien relève du genre, mais le juste, d’une espèce. » La notion de bonté et celle de justice ne sont donc pas du tout les mêmes.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La raison de justice et celle de vérité sont-elles les mêmes en Dieu ?]

[21932] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit eadem ratio in Deo justitiae et veritatis. Quia ea quae in nobis secundum speciem differunt, in Deo differunt secundum rationem. Sed nobis ponitur veritas alia virtus a justitia specie differens, ut patet in 4 Ethic. Ergo et in Deo secundum aliam rationem dicitur justitia et veritas.

1. Il semble que la raison de justice et celle de vérité ne soient pas les mêmes en Dieu, car ce qui chez nous diffère selon l’espèce diffère en Dieu selon la raison. Or, pour nous, la vérité se présente comme une autre vertu que la justice, dont elle diffère par l’espèce, comme cela ressort d’Éthique, IV. En Dieu aussi, on parle donc de justice et de vérité selon une autre raison.

[21933] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, generis et speciei non est omnino eadem ratio. Sed veritas, secundum Tullium, est species justitiae. Ergo veritatis et justitiae non est eadem ratio.

2. La notion de genre et celle d’espèce ne sont pas du tout les mêmes. Or, la vérité, selon Tullius [Cicéron], est une espèce de la justice. La notion de vérité et celle de justice ne sont donc pas les mêmes.

[21934] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, justitia, cum sit quasi species bonitatis, ut ex auctoritate Boetii inducta patet, ad affectum pertinet; veritas autem ad intellectum. Ergo veritas et justitia non dicuntur in Deo secundum eamdem rationem.

3. Puisqu’elle est une espèce de la bonté, comme cela ressort de l’autorité de Boèce invoquée, elle relève donc de l’affectivité, mais la vérité, de l’intellect. On ne parle donc pas de vérité et de justice en Dieu selon la même raison.

[21935] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in auctoritate Psal. 24, 10, quae hic inducitur: universae viae domini, misericordia et veritas, veritas pro justitia exponitur. Ergo sunt idem secundum rationem.

Cependant, [1] le Ps 24, 10, qui est invoqué ici, va en sens contraire : Tous les chemins du Seigneur sont miséricorde et vérité, vérité étant interprétée au sens de justice. Elles sont donc la même chose selon la raison.

[21936] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, justitia consistit in redditione debiti. Sed Deus non est debitor nobis nisi ex promisso, ut Anselmus dicit. Ergo idem est Deo reddere debitum quod solvere promissum. Cum ergo ex hoc quod solvit promissum, dicatur verax; secundum eamdem rationem dicetur Deus justus et verax.

[2] La justice consiste à rendre ce qui est dû. Or, Dieu n’est débiteur envers nous que de ce qu’il a promis, comme le dit Anselme. En Dieu, rendre ce qui est dû est donc la même chose qu’acquitter ce qu’il a promis. Puis-qu’on le dit vrai du fait qu’il acquitte ce qu’il a promis, on dira donc pour la même raison que Dieu est juste et vrai.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21937] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod justitia proprie dicta aequalitatem constituit in acceptationibus et dationibus, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Hoc autem contingit dupliciter. Uno modo secundum quod constituitur aequalitas inter dantem et recipientem, ut scilicet accipiens tantum accipiat a dante quantum accipere debet; et in hoc consistit justitia commutativa, utpote quae medium ponit in emptionibus et venditionibus, et omnibus retributionibus. Alio modo secundum quod constituitur aequalitas inter duos recipientes, secundum quod contingit ex hoc quod uterque aequaliter recipit pro meritis; et in hoc consistit justitia distributiva. In prima ergo, scilicet commutativa justitia, requiritur aequalitas quantitatis, ut scilicet tantum quisquis accipiat, quantum dedit secundum valorem; et ideo inter illos in quibus non potest esse quantitatis aequalitas, non potest proprie esse commutativa justitia, sicut est in illis quorum unus non potest recompensare aliquid aequivalens beneficiis acceptis ab alio; sicut filius non potest recompensare aliquid aequivalens beneficiis patris, a quo esse et nutrimentum accepit et disciplinam; et ideo quantumcumque retribuat patri in obsequiis, non fit perfecta aequalitas; unde nec proprie salvatur ibi ratio commutativae justitiae; sed tamen aliquis modus justitiae salvari potest, inquantum filius retribuit patri secundum modum suum sicut pater dedit secundum modum suum, ut loco aequalis quantitatis sumatur aequalitas proportionis. Sed justitia distributiva non requirit quantitatis aequalitatem, sed proportionis tantum. Non enim oportet ut distribuens omnibus aequaliter distribuat, sed unicuique proportionabiliter secundum suum modum. Sic ergo ratio distributivae justitiae Deo proprie convenire potest, inquantum scilicet aequalitatem proportionis servat in communicatione bonorum suorum, dans unicuique proportionaliter secundum suum modum. Unde Dionysius dicit in 8 cap. de Divin. Nomin., quod justitia laudatur in Deo, inquantum omnibus secundum dignitatem distribuit. Sed justitia commutativa, per quam aequalitas constituitur inter Deum dantem et creaturam recipientem, Deo competere non potest secundum propriam acceptionem, quia beneficia Dei semper excedunt meritum creaturae; sed tamen servatur etiam proportionis quaedam aequalitas inter Deum dantem et creaturam recipientem, inquantum scilicet se habet ad suam superabundantiam, sicut creatura ad id quod competit ei secundum suam parvitatem. Et sic etiam quidam modus commutativae justitiae invenitur in Deo respectu naturae, sicut invenitur inter patrem et filium; et secundum hoc assignantur duo modi divinae justitiae. Unus, inquantum reddit pro meritis: hoc enim ad justitiam distributivam pertinet, cujus est distribuere omnibus proportionaliter secundum suam dignitatem. Alius modus, secundum quod facit id quod decet suam bonitatem; sicut etiam dicitur justus in eo quod peccatoribus parcit, quia decet eum. Hoc autem pertinet ad modum commutativae justitiae, non quidem secundum aequalitatem quantitatis servatae, secundum quod requiritur in commutativa justitia proprie dicta, sed servatae secundum aequalitatem proportionis; quia scilicet ita se habet Deus ad id quod superabundanter facit, sicut creatura ad id in quo deficit; et secundum hoc superabundare in beneficiis dicitur ei justum inquantum est ei proportionatum: et decens. Glossa super illud 1 Corinth. 2: tamquam a domini spiritu, dicit: ut ostenderet talem gloriam dari quae sublimitati congruat dantis.

À proprement parler, la justice établit une égalité entre ce qui est reçu et ce qui est donné, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, V. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, selon qu’est établie une égalité entre celui qui donne et celui qui reçoit, de sorte que celui qui reçoit reçoive de celui qui donne autant qu’il doit recevoir. C’est en cela que consiste la justice commutative, qui établit un milieu dans les ventes, les achats et dans toutes les rétributions. D’une autre manière, selon qu’est établie une égalité entre deux personnes qui reçoivent, qui fait que les deux reçoivent également pour leurs mérites. C’est en cela que consiste la justice distributive. Dans la première, la justice commutative, une égalité quantitative est nécessaire, de sorte que chacun reçoive autant que la valeur de ce qu’il a donné ; entre ceux chez qui il ne peut exister une égalité quantitative, il ne peut donc exister à proprement parler de justice commutative, comme c’est le cas lorsque l’un d’eux ne peut rembourser quelque chose d’équivalent aux bienfaits reçus d’un autre. Ainsi le fils ne peut rembourser quelque chose d’équivalent aux bienfaits de son père, dont il reçu l’être, la nourriture et l’enseignement. Aussi, quelle que soit la quantité de services qu’il rend à son père, une parfaite égalité n’est pas établie. À proprement parler, la raison de justice com-mutative n’y est donc pas sauvegardée ; cependant, une certaine mesure de justice peut être sauvegardée pour autant que le fils remet à son père à sa mesure, de sorte qu’à la place d’une quantité égale, soit reçue une égalité de proportion. Cependant, la justice distributive n’exige pas une égalité quantitative, mais une égalité proportionnelle seulement. En effet, il n’est pas nécessaire que celui qui distribue distribue également à tous, mais à chacun d’une manière qui lui est proportionnée. De cette manière, la raison de justice distributive peut donc convenir à Dieu pour autant qu’elle sauvegarde une égalité proportionnelle dans la communication de ses biens, en donnant à chacun d’une manière proportionnelle. Aussi Denys dit-il, dans Les noms divins, VIII, que la justice est louée en Dieu dans la mesure où il distribue à tous selon leur dignité. Mais la justice commutative, par laquelle une égalité est établie entre Dieu qui donne et la créature qui reçoit, ne peut convenir à Dieu selon son acception propre, parce que les bienfaits de Dieu dépassent toujours le mérite de la créature ; cependant, une certaine égalité est préservée entre Dieu qui donne et la créature qui reçoit pour autant qu’existe en lui-même sa surabondance, comme existe dans la créature ce qui lui convient selon sa peti-tesse. De cette manière, on trouve une certaine mesure de justice commutative entre Dieu et la nature, comme on en trouve entre le père et son fils. Deux modes peuvent donc être attribués à la justice divine. L’un, pour autant qu’elle rend selon les mérites : en effet, cela relève de la justice distributive, à qui il appartient de distribuer à tous d’une manière proportionnelle à leur dignité. L’autre mode, selon qu’elle accomplit ce qui convient à sa bonté : elle est donc dite juste aussi du fait qu’elle épargne les pécheurs, parce que cela lui convient. Mais cela relève de la justice commutative, non pas que soit préservée une égalité quantitative, comme cela est nécessaire dans la justice commu-tative au sens propre, mais une égalité proportionnelle, car le rapport entre Dieu et ce qu’il accomplit de manière surabondante est le même qu’entre la créature et ce qui lui manque. De cette manière, on dit qu’accor-der ses bienfaits avec surabondance est juste pour lui pour autant que cela lui est proportionné et convenable. La Glose dit à propos de 1 Co 2 : Comme venant de l’Esprit du Seigneur : « Afin de montrer que la gloire qui convient à l’élévation de Celui qui donne lui est donnée. »

[21938] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus a Deo excludit virtutes morales, prout determinantur circa materiam civilem, sicut justitia est circa emptiones et venditiones et dispositiones, et hujusmodi; non tamen removetur per hoc quin justitia possit esse in Deo, secundum quod est distributor naturalium bonorum omnibus creaturis.

1. Le Philosophe écarte de Dieu les vertus morales, telles qu’elles sont déterminées en matière civile, comme la justice porte sur les achats, les ventes, les dispositions et les choses de ce genre ; toutefois, la justice n’est pas écartée pour autant, de sorte que la justice peut exister chez Dieu selon qu’il est celui qui distribue les biens naturels à toutes les créatures.

[21939] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod temperantia consistit circa passiones innatas, justitia autem circa commutationes operationum; ex quo patet quod materia temperantiae nullo modo potest Deo convenire, sicut materia justitiae. Et praeterea temperantia dirigit respectu horum quae sunt in temperato; sed justitia respicit illud quod est extra; et ideo non est simile.

2. La tempérance porte sur les passions innées, mais la justice sur les échanges entre des actions. Il ressort donc de cela que la matière de la tempérance ne peut convenir d’aucune manière à Dieu, comme la matière de la justice. De plus, la tempérance dirige ce qui se trouve à l’intérieur de celui qui en est le sujet ; mais la justice concerne ce qui est à l’extérieur. Ce n’est donc pas la même chose.

[21940] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod justitia non semper requirit aequalitatem inter dantem et accipientem, nec semper aequalitatem quantitatis; sed sufficit quandoque aequalitas proportionis; et ideo non est inconveniens, si justitia aliquo modo in Deo ponatur.

3. La justice n’exige pas toujours l’égalité entre celui qui donne et celui qui reçoit, ni toujours une égalité quantitative, mais une égalité proportionnelle suffit parfois. Il n’est donc pas inapproprié que la justice soit attribuée à Dieu d’une certaine manière.

[21941] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter dominum et servum non potest esse justitia commutativa proprie dicta; non enim potest aliqua aequalitas secundum quantitatem inter eos constitui, cum totum quod est servi, sit domini; servatur tamen aliquis modus justitiae commutativae, prout inter eos invenitur aequalitas proportionis. Unde etiam philosophus in 5 Ethic., distinguit dominativum justum a justo politico, quod est proprie dictum; et per hunc etiam modum potest esse justitia Dei ad creaturam.

4. Il ne peut y avoir de justice commutative au sens propre entre le seigneur et l’esclave : en effet, une certaine égalité quantitative ne peut être établie entre eux, puisque tout ce qui appartient à l’esclave appartient au sei-gneur. Cependant, une certaine mesure de justice commutative est sauvegardée pour autant qu’on trouve une égalité propor-tionnelle entre eux. Aussi, même le Philo-sophe, en Éthique, V, fait-il une distinction entre la justice seigneuriale et la justice politique au sens propre.Il peut aussi exister de cette manière une justice entre Dieu et la créature.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21942] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod justitia praesupponit rationem bonitatis in Deo. Bonitas enim importat in Deo rationem finis, in quo est plenissima perfectio; finis autem movet efficientem ad agendum; unde et bonitas Dei movet quodam modo ipsum ad operandum, non quidem ut ipse bonitatem acquirat, sed ut bonitatem aliis communicet. Ut enim, in 2 Lib., dist. 1, quaest. 1, art. 1, in corp., dictum est, Deus non agit propter appetitum finis, sed propter amorem finis, volens communicare bonitatem suam, quantum possibile est et decens secundum ejus providentiam; et ideo sicut finis in omnibus operabilibus est primum principium, ita divina bonitas est primum principium communicationis totius, qua Deus perfectiones creaturis largitur. Sed justitia determinat quemdam modum in istis communicationibus, inquantum scilicet communicando aequalitatem servat. Et ideo patet quod bonitas et justitia secundum rationem dupliciter differunt. Primo, quia bonitas pertinet ad ipsam perfectionem naturae divinae, secundum quam habet rationem finis; sed justitia pertinet ad ipsum communicationis actum. Secundo, quia bonitas etsi respiciat communicationem ut principium, respicit tamen communicationem in communi, non determinans aliquem specialem modum; sed justitia determinat in ea specialem modum, scilicet aequalitatis. Et has duas differentias Boetius tangit in Lib. de Hebdom., dicens quod bonum respicit essentiam, sed justum actum; et iterum quod bonum generale est, et justum speciale.

La justice présuppose la raison de bien en Dieu. En effet, la bonté a en Dieu raison de fin, dans laquelle se trouve la perfection la plus entière. Or, la fin meut à agir celui qui agit. Ainsi la bonté de Dieu meut-elle d’une certaine manière celui-ci à agir, non pas pour acquérir la bonté, mais pour communiquer à d’autres sa bonté. En effet, comme on l’a dit dans le livre II, d. 1, q. 1, a. 1, c., Dieu n’agit pas par appétit d’une fin, mais par amour d’une fin, en voulant communiquer sa bonté, autant qu’il est possible et convenable selon sa providence. De même que la fin est le principe premier de toutes les actions, de même donc la bonté divine est-elle le principe premier de toute communication par laquelle Dieu accorde généreusement leurs perfections aux créatures. Mais la justice détermine une certaine mesure dans ces communications, pour autant qu’elle pré-serve une égalité dans la communication. Il est ainsi clair que la bonté et la justice diffèrent selon la raison de deux manières. Premièrement, parce que la bonté se rapporte à la perfection même de la nature divine, selon laquelle elle a raison de fin ; mais la justice se rapporte à l’acte même de communication. Deuxièmement, parce que même si la bonté vise la communication en tant que principe, elle vise cependant la communication en général, sans en déter-miner un mode particulier ; mais la justice détermine en elle un mode spécial, à savoir, une égalité. Boèce aborde ces deux diffé-rences dans le Livre sur les semaines, lorsqu’il dit que le bien concerne l’essence, mais la justice, l’acte ; [lorsqu’il dit aussi] que le bien relève du genre, et le juste de l’espèce.

[21943] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis virtus faciat bonum habentem, et opus reddat bonum; non tamen est eadem ratio bonitatis et virtutis; quia virtus dicitur secundum quod est principium actionis, et tenet se ex parte causae efficientis; sed bonum magis respicit rationem finis. Sed quia effectus debet esse fini proportionatus, et ex hoc efficiens bonitatem sortitur, et actus ejus; ideo virtus, quae hanc proportionem importat cum sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in 7 Phys., dicitur facere bonum agentem et actum. Et similiter etiam justitia, sive accipiatur ut virtus particularis, sive prout est idem quod omnis virtus, se tenet ex parte efficientis; tamen secundum quod virtus omnis est justitia, etsi subjecto sit idem justitia et virtus, non tamen sunt idem ratione, ut in 5 Ethic. dicitur. Unde nullo modo sequitur quod justitia et bonitas sint ejusdem rationis.

1. Bien que la vertu rende bon celui qui la possède et rende son action bonne, la raison de bonté et celle de vertu ne sont cependant pas les mêmes, car on parle de vertu pour le principe de l’action, et elle a sa place du côté de la cause efficiente ; mais le bien concerne plutôt la raison de fin. Or, parce que l’effet doit être proportionné à la fin et que celui qui agit et son acte tirent de là leur bonté, la vertu, qui comporte cette proportion, puis-qu’elle est la disposition de ce qui est parfait en vue de ce qui est le mieux, comme on le dit dans Physique, VII, est dite rendre bons celui qui agit et son acte. De même en est-il pour la justice, qu’elle soit entendue au sens d’une vertu particulière, ou qu’elle soit la même chose que toute vertu : elle a sa place du côté de celui qui agit. Cependant, au sens où toute vertu est la justice, même si la justice et la vertu ont le même sujet, elles ne sont pas la même chose selon la raison, comme on le dit dans Éthique, V. Il n’en découle donc aucunement que la justice et la bonté aient la même raison.

[21944] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod distributionis principium et est bonitas et justitia, sed diversimode: quia bonitas est sicut principium finale, non determinans specialem distributionis modum; sed justitia est sicut principium efficiens determinans specialem modum distributionis; et ideo etiam Dionysius attribuit justitiae distributionem secundum dignitatem; sed communicationem absolute attribuit bonitati.

2. Le principe de la distribution est la bonté et la justice, mais de manières différentes, car la bonté est comme le principe final, qui ne détermine pas un mode particulier de distribution ; mais la justice est comme un principe efficient déterminant un mode particulier de distribution. Aussi Denys lui-même attribue-t-il à la justice une distri-bution selon la dignité ; mais il attribue la communication de manière absolue à la bonté.

[21945] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus unicuique creaturae quam producit in esse, aliquam perfectionem largitur: alias esse non posset; et ideo omnia dicuntur bona inquantum sunt a bono: non tamen unicuique eorum quae producit in esse, dat quod sit actu secundum illum specialem modum actionis quem justitia servat. Et ideo non oportet quod omnia quae sunt a justo Deo, justa dicantur; et sic etiam non sequitur quod sit eadem ratio boni et justi.

3. Dieu accorde à chaque créature qu’il amène à l’être une perfection, autrement, elle ne pourrait être. C’est pourquoi toutes les choses sont dites bonnes pour autant qu’elles viennent du Bien. Cependant, il ne donne pas à chacune de celles qu’il amène à l’être d’être en acte selon le mode spécial d’action que la justice maintient. Il n’est donc pas nécessaire que tout ce qui vient du Dieu juste soit appelé juste. Ainsi, il n’en découle pas que la raison de bien et celle de juste soient les mêmes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21946] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omnis aequalitas per actionem aliquam constituta requirit aliquam regulam secundum quam adaequatio fiat; unde cum justitia consistat in hoc quod aequalitatem per suam actionem constituat in dationibus et acceptionibus; oportet omnem justitiam aliquam regulam habere secundum quam adaequatio fiat. Regulae autem justitiae sunt rationes in mente constitutae, secundum quas homo justus aequalitatem constituit; et ideo, quando ejus actiones illis rationibus concordant, dicitur justitiam servare; quando autem discordant, dicitur injuste agere. Et quia veritatis ratio consistit in adaequatione rerum ad intellectum; inde est quod nomen veritatis transfertur ad significandum adaequationem operum justitiae ad rationes justitiae; et haec est veritas quam dicimus justitiae veritatem; et secundum hoc ipsa justitia idem quod veritas est; sed tamen justitia dicitur secundum aequalitatem exterius constitutam; sed veritas dicitur secundum commensurationem exterioris aequalitatis ad rationes quae sunt in mente; et secundum hoc veritas et justitia eodem intellectu in Deo accipiuntur.

Toute égalité établie par une action exige une règle selon laquelle l’égalité est réalisée. Puisque la justice consiste dans le fait d’établir l’égalité par son action dans ce qui est donné et ce qui est reçu, il est donc nécessaire que toute justice ait une règle selon laquelle l’égalité se réalise. Or, les règles de la justice sont des raisons formées dans l’esprit, selon lesquelles l’homme juste établit la justice. Lorsque ses actions s’accordent avec ces raisons, on dit donc qu’il observe la justice ; lorsqu’elles ne s’y accordent pas, on dit qu’il agit injustement. Et parce que la raison de vérité consiste dans l’égalité entre les choses et l’intellect, de là vient que le mot de « vérité » est transféré pour signifier l’égalité des actions de la justice par rapport aux raisons de la justice. Telle est la vérité que nous appelons la « vérité de la justice ». La justice elle-même est ainsi la même chose que la vérité ; cependant, on parle de justice pour l’égalité établie de l’extérieur, mais on parle de vérité pour la mesure de l’égalité extérieure par rapport aux raisons qui sont dans l’esprit. De cette manière, la vérité et la justice sont conçues en Dieu par un même intellect.

[21947] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actiones exteriores comparantur ad interiorem dispositionem mentis dupliciter; uno modo ut signum ad signatum; alio modo ut regulatum ad regulam; et secundum utramque comparationem commensuratio exteriorum actionum ad interiorem dispositionem mentis constituit veritatis rationem. Veritas ergo, de qua philosophus loquitur in 4 Ethic., consistit in commensuratione actionum ad mentem, prout sunt signa illius; dum scilicet aliquis talem se exhibet in dictis et factis, qualis est interius: unde haec virtus, secundum ipsum, opponitur jactantiae et simulationi. Sed veritas justitiae, de qua loquimur, facit commensurationem secundum aliam comparationem actionum exteriorum ad mentem, prout scilicet comparantur ad eam ut ad regulam aequalitatis in rebus constitutae per actus justitiae. Sed quia non solum aequalitas constituta in rebus per actus nostros, sed etiam ipsi actus nostri commensurari debent rationi quae est in mente; ideo in hac commensuratione etiam alia veritas invenitur, secundum quod ipsae operationes sunt commensuratae menti; et haec est veritas vitae, quae consistit in hoc quod unusquisque faciat secundum quod ratio docet.

1. Les actions extérieures sont comparées à la disposition intérieure de l’esprit de deux manières : d’une manière, comme le signe par rapport à ce qui est signifié ; d’une autre manière, comme ce qui est réglé par rapport à la règle. Selon les deux comparaisons, la mesure des actions extérieures par rapport à la disposition intérieure de l’esprit fonde la raison de vérité. La vérité dont parle le Philosophe dans Éthique, IV, consiste donc dans la mesure des actions par rapport à l’esprit en tant qu’elles en sont les signes, alors que quelqu’un se montre tel qu’il est à l’intérieur dans ses paroles et dans ses actes. Cette vertu s’oppose donc par elle-mêmes à la jactance et à la simulation. Mais la vérité de la justice, dont nous parlons, établit une mesure selon une autre comparaison entre les actions extérieures et l’esprit, à savoir selon qu’elles lui sont comparées comme à une régle de l’égalité établie dans les choses par les actes de la justice. Mais parce que, non seulement l’égalité établie dans les choses par nos actes, mais nos actes eux-mêmes doivent être mesurés par rapport à la raison qui existe dans l’esprit, on y trouve donc aussi une autre vérité, selon que les actions elles-mêmes sont mesurées par rapport à l’esprit. Telle est la vérité de la vie, qui consiste en ce que chacun agit comme la raison l’enseigne.

[21948] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veritas illa de qua Tullius loquitur, est secundum commensurationem vocis ad rem, prout scilicet aliquis confitetur in judiciis secundum quod res se habet, et servat in factis secundum quod promisit; et haec veritas est pars justitiae.

2. La vérité dont parle Tullius [Cicéron] se prend de la mesure de la parole par rapport à une chose, pour autant que quelqu’un confesse en procès conformément à ce qu’est la réalité et respecte dans les faits ce qu’il a promis. Cette vérité est une partie de la justice.

[21949] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veritas quae est in intellectu, est aequalitas intellectus ad rem indifferenter, sive sit per actum nostrum constituta, sive non; et de hac non loquimur ad praesens. Et quia voces sunt signa intellectus; ideo juxta hanc veritatem sumitur veritas doctrinae quae distinguitur contra veritatem justitiae; veritas enim doctrinae in veritate enuntiationis consistit. Potest igitur colligi ex praedictis, quod veritas uno modo accipitur secundum commensurationem intellectus ad esse rei; et secundum hanc veritas doctrinae accipitur. Alio modo secundum commensurationem actionum nostrarum ad intellectum rectum; et sic prout sunt signum ipsius, non considerato damno vel lucro alicujus, est veritas de qua loquitur philosophus, divisa contra simulationem et jactantiam; considerato vero damno vel lucro, est veritas quae est pars justitiae, quam Tullius ponit, per quam servatur aliquis indemnis in judiciis et confessionibus, ut utraque istarum veritatum reducatur ad veritatem doctrinae, inquantum utraque consistit in quadam manifestatione. Prout vero actiones nostrae comparantur ad intellectum ut regulatum ad regulam, sic secundum quod intellectus rectus est regula actionum, est veritas vitae; secundum vero quod est regula aequalitatis constitutae in rebus, est veritas justitiae.

3. La vérité qui se trouve dans l’intellect est une égalité entre l’intellect et la réalité de manière indifférente, qu’elle soit établie par notre acte ou non. Nous ne parlons pas d’elle présentement. Parce que les mots sont des signes de l’intellect, la vérité d’un ensei-gnement que l’on distingue de la vérité de la justice se prend de cette vérité ; en effet, la vérité d’un enseignement consiste dans la vérité de l’énoncitation. On peut donc con-clure de ce qui précède que la vérité est conçue d’une façon comme l’ajustement entre l’intellect et l’être d’une chose : c’est de cette manière qu’on conçoit la vérité de l’enseignement. D’une autre façon, [la vérité] est conçue comme l’ajustement de nos actions à un intellect droit : pour autant qu’elles en sont le signe, sans prendre en considération le préjudice ou le gain de quelqu’un, ainsi s’agit-il de la vérité dont parle le Philosophe, opposée à la simulation et à la jactance ; mais si l’on prend en consi-dération le préjudice ou le gain, il s’agit de la vérité qui est une partie de la justice dont parle Tullius [Cicéron], par laquelle quel-qu’un demeure indemne dans les procès et les confessions, de sorte que ces deux vérités se ramènent à la vérité de l’enseignement, pour autant que les deux consistent dans une certaine manifestation. Mais pour autant que nos actions sont comparées à l’intellect comme ce qui est réglé à la règle, la vérité de la vie vient de ce qu’un intellect droit est la règle des actions ; mais selon qu’elle est la règle de l’égalité établie dans les choses, elle est la vérité de la justice

 

 

Articulus 2 [21950] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 tit. Utrum opus Dei dicatur justum ex hoc solo quod est ei placitum

Article 2 – L’action de Dieu est-elle appe-lée juste du seul fait qu’elle lui agrée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’action de Dieu est-elle appelée juste du seul fait qu’elle lui agrée ?]

[21951] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod opus Dei dicatur justum ex hoc solo quod est ei placitum. Anselmus enim in Monol., dicit de Deo loquens: id solum justum est quod vis et non justum quod non vis. Ergo et cetera.

1. Il semble que l’action de Dieu soit appelée juste du seul fait qu’elle lui agrée. En effet, Anselme dit, dans le Monologue, en parlant de Dieu : « Seulement ce que tu veux est juste et ce que tu ne veux pas n’est pas juste. » Donc, etc.

[21952] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Rom. 9, 21, dicitur: an non habet potestatem figulus ex eadem massa facere aliud quidem vas in honorem, aliud in contumeliam? Et loquitur de Deo per similitudinem figuli. Sed quidquid ex luto vult figulus fieri, justum est ut ex luto fiat. Ergo quidquid Deus vult in creatura fieri, justum est ut fiat; et sic ex hoc solo dicitur aliquid esse justum quod est a Deo volitum.

2. Il est dit dans Rm 9, 21 : Le potier n’a-t-il pas le pouvoir de tirer du même tas [d’argile] un vase de luxe et un vase ordinaire ? Et il parle de Dieu par compa-raison avec un potier. Or, tout ce que le potier veut tirer de l’argile, il est juste que cela soit tiré de l’argile. Tout ce que Dieu veut qu’il arrive à une créature, il est donc juste que cela lui arrive, Ainsi on dit que quelque chose est juste du seul fait que cela est voulu par Dieu.

[21953] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ubicumque est aliud justitia quam voluntas, justitia voluntatem restringit, et sic quodammodo ei resistit. Sed nihil est quod restringat voluntatem Dei; unde Matth. 20: an non licet mihi quod volo facere? Nec aliquid etiam ei resistere potest; quia in Psalm. 113, 3: omnia quaecumque voluit fecit; et Rom. 9, 19: voluntati ejus quis resistet? Ergo ipsa ejus voluntas est ejus justitia. Ex hoc ergo aliquid est justum quod est a Deo volitum.

3. Partout où la justice diffère de la volonté, la justice restreint la volonté, et ainsi lui résiste d’une certaine manière. Or, il n’exise rien qui restreigne la volonté de Dieu ; ainsi Mt 20 dit-il : Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux ? Rien non plus ne peut lui résister, car en Ps 113, 3, [il est dit] : Tout ce qu’il a voulu, il l’a fait, et en Rm 9, 19 : Qui résistera à sa volonté ? Sa propre volonté est donc sa justice. Quelque chose est donc juste du fait que cela est voulu par Dieu.

[21954] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, in nobis non est idem, opus nostrum esse justum, et a nobis esse volitum, ex hoc quod alicui debitores simus, cui si debitum reddere volumus, justum opus nostrum non esset. Sed Deus nulli est debitor. Ergo opus ipsius non dicitur justum nisi ex hoc quod est ei placitum.

4. En nous, le fait que notre action soit juste et le fait que nous la voulions n’est pas la même chose, du fait qu’étant débiteurs envers quelqu’un, notre action ne serait pas juste, si nous ne voulions lui rendre ce qui lui est dû. Or, Dieu n’est le débiteur de personne. Son action n’est donc appelée juste que parce qu’elle lui agrée.

[21955] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Deus dicitur juste agere, inquantum reddit unicuique pro meritis. Psal. 61, 13: tu reddis unicuique juxta opera sua. Sed voluntas Dei non concernit merita. Ergo non ex hoc solo dicitur opus Dei justum quod est ei placitum.

Cependant, [1] on dit que Dieu agit justement pour autant qu’il rend à chacun selon ses mérites. Ps 61, 13 : Tu rends à chacun selon ses œuvres. Or, la volonté de Dieu ne concerne pas les mérites. L’action de Dieu n’est donc pas appelée juste du seul fait qu’elle lui agrée.

[21956] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, opus Dei non ex eodem dicitur opus justitiae et opus misericordiae. Sed opus misericordiae est opus voluntatis divinae. Ergo non ex hoc solo dicitur opus Dei justum quod est ei placitum.

[2] L’action de Dieu n’est pas appelée une action de justice et une action de miséricorde pour la même raison. Or, l’action de la volonté divine est une action de miséricorde. L’action de Dieu n’est donc pas appelée juste du seul fait qu’elle lui agrée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Dieu peut-il omettre quelque chose de ce qui concourt à la justice de son action ?]

[21957] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Deus non possit praetermittere aliquid eorum quae ad justitiam operis ejus concurrunt. Quia 2 ad Tim. 2: ille fidelis permanet, seipsum negare non potest. Negaret autem seipsum (dicit Glossa) si dicta sua non impleret. Ergo cum ex hoc dicatur opus Dei justum esse quod per ipsum impleantur Dei dicta, videtur quod possit justitiam sui operis praetermittere.

1. Il semble que Dieu ne puisse omettre quelque chose de ce qui concourt à la justice de son action, car, à propos de 2 Tm 2 : Lui demeure fidèle, il ne peut se renier lui-même, la Glose dit qu’« il se renierait lui-même s’il ne donnait pas suite à ses paroles ». Puisque l’action de Dieu est appelée juste du fait qu’il donne lui-même suite aux paroles de Dieu, il semble donc qu’il puisse omettre la justice de son action.

[21958] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 11 (super illud: contra naturam insertus es etc.), Glossa: Deus creator et conditor omnium rerum nihil contra naturam facit, sicut nec contra seipsum. Sed sicut ipse est conditor naturarum, ita ipse est conditor et causa omnis justitiae. Ergo nihil potest facere contra ordinem justitiae in rebus constitutum.

2. À propos de Rm 11, 17 : Tu as été greffé, etc., la Glose dit : « Dieu, créateur et auteur de toutes choses, ne fait rien contre la nature, comme il ne fait rien contre lui-même. » Or, puisqu’il est l’auteur des natures, il est donc l’auteur et la cause de toute justice. Il ne peut donc rien faire à l’encontre de l’ordre de la justice établi dans les choses.

[21959] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si posset ordinem justitiae in rebus constitutum immutare, ergo posset bonos damnare et malos praemiare. Sed hoc videtur inconveniens. Ergo Deus ordinem justitiae qui est in rebus, non potest immutare.

3. S’il pouvait changer l’ordre de la justice établi dans les choses, il pourrait damner les bons et récompenser les méchants. Or, cela semmble inapproprié. Dieu ne peut donc changer l’ordre de la justice qui existe dans les choses.

[21960] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ordo justitiae requirit ut aliquis pro peccato puniatur. Sed Deus potest poenam dimittere peccato debitam: alias frustra rogaretur ut debita nobis dimitteret. Ergo potest immutare ordinem justitiae constitutum in rebus.

Cependant, [1] l’ordre de la justice exige que quelqu’un soit puni pour un péché. Or, Dieu peut remettre la peine due pour un péché, autrement c’est en vain qu’on deman-derait que nos fautes nous soient remises. Il peut donc changer l’ordre de la justice établi dans les choses.

[21961] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ordo justitiae in rebus humanis est conformis ordini rerum naturalium; unde justitia humana a justitia rerum naturalium trahitur, secundum philosophos. Sed Deus immutat quandoque ordinem rerum naturalium ab eo statutum, ut patet in operibus miraculosis. Ergo et potest ordinem justitiae in rebus humanis statutum immutare.

[2] L’ordre de la justice dans les choses humaines est conforme à l’ordre des choses naturelles ; aussi la justice humaine est-elle tirée de la justice des choses naturelles, selon les philosophes. Or, Dieu change parfois l’ordre des choses naturelles établi par lui, comme cela ressort dans les actions miraculeuses. Il peut donc aussi changer l’ordre de la justice établi dans les choses humaines.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Dieu punit-il quelqu’un pour une autre raison que le péché ?]

[21962] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Deus nullum puniat nisi pro peccato. Quia, ut dicit Hieronymus, quidquid patimur, peccata nostra meruerunt. Per passionem autem poenam designat. Ergo omnis poena pro peccato redditur.

1. Il semble que Dieu ne punisse personne pour autre chose que le péché, car, comme le dit Jérôme, « tout ce que endurons, nos péchés l’ont mérité ». Or, par ce que nous endurons, il désigne la peine. Toute peine est donc rendue pour le péché.

[21963] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut praemium habet se ad meritum, ita poena ad peccatum. Sed praemium non redditur nisi merito. Ergo nec poena nisi peccato.

2. Le rapport entre la récompense et le mérite est le même qu’entre la peine et le péché. Or, la récompense n’est rendue qu’au mérite. Donc, la peine n’est rendue qu’au péché.

[21964] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, poena est quasi medicina quaedam, dum scilicet vel ipse qui punitur, per poenam corrigitur, vel alii, qui ex hoc terrentur. Sed hoc non esset, si poena etiam absque peccato inferretur. Ergo non infertur poena nisi pro peccato.

3. La peine est comme un remède, alors que celui qui est puni est corrigé par la peine ou que les autres en sont effrayés. Or, ce ne serait pas le cas si la peine était infligée même sans péché. La peine n’est donc infligée que pour le péché.

[21965] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, humana justitia a divina exemplatur. Sed secundum humanam justitiam reputaretur injustum punire aliquem sine culpa. Ergo multo fortius hoc est inconveniens divinae justitiae.

4. La justice divine suit l’exemple de la justice humaine. Or, selon la justice hu-maine, il serait estimé injuste de punir quelqu’un sans qu’il y ait faute. À bien plus forte raison, cela est-il inapproprié pour la justice divine.

[21966] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Job gravissime punitus fuit. Sed poena non fuit ei inflicta pro culpa, ut frequenter dicit Gregorius. Ergo non semper Deus infert poenam pro culpa.

Cependant, [1] Job a été puni très lour-dement. Or, la peine ne lui a pas été infligée pour une faute, comme le dit fréquemment Grégoire. Dieu n’inflige donc pas toujours une peine à cause d’une faute.

[21967] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, infortunia quae in hoc mundo accidunt, communia sunt bonis et malis, ut Augustinus dicit in Lib. de Civ. Dei. Sed culpa non est utrisque communis. Ergo aliquando poena infertur sine culpa.

[2] Les désagréments qui surviennent en ce monde sont communs aux bons et aux méchants, comme le dit Augustin dans le Livre sur la cité de Dieu. Or, la faute n’est pas commune aux deux. Une peine est donc parfois infligée sans qu’il y ait faute.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le Seigneur agit-il plus justement envers l’un qu’envers un autre ?]

[21968] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod dominus agat justius cum uno quam cum alio. Punitio enim est opus justitiae. Sed magis punit unum quam alium. Ergo justius agit cum uno quam cum alio.

1. Il semble que le Seigneur agisse plus justement envers l’un qu’envers un autre. En effet, la puniton est une œuvre de la justice. Or, il punit davantage l’un que l’autre. Il agit donc plus justement envers l’un qu’envers un autre.

[21969] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, misericordia temperat severitatem justitiae. Sed Deus misericordius agit cum uno quam cum alio. Ergo et justius.

2. La miséricorde tempère la sévérité de la justice. Or, Dieu agit plus miséricordieu-sement envers l’un qu’envers un autre. Il agit donc aussi plus justement.

[21970] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, justitia aequalitas quaedam est. Sed aequale non suscipit magis et minus. Ergo Deus non agit justius cum uno quam cum alio.

Cependant, la justice est une certaine égalité. Or, ce qui est égal n’accueille pas le plus et le moins. Dieu n’agit donc pas plus justement envers l’un qu’envers un autre.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[21971] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod justitia et voluntas in Deo idem sunt secundum rem; sed secundum rationem justitia aliquid supra voluntatem addit; scilicet ordinem divinis effectibus convenientem, secundum quod unum alteri proportionaliter adaequatur. Est enim in rebus creatis duplex ordo: unus secundum quem creatura ordinatur ad Deum; alius secundum quem una creatura dependet ab alia. Nomine igitur voluntatis non exprimitur nisi ordo ille qui est creaturae ad creaturam. Sicut enim igni in tali natura constituto debetur ut sit sursum, considerato rerum ordine ad invicem; ita etiam culpae debetur ut puniatur secundum ordinem eumdem. Unde patet quod non ex hoc tantum aliquid dicitur esse justum quia est a Deo volitum; sed quia est debitum alicui rei creatae secundum ordinem creaturae ad creaturam. Nihil enim alicui rei potest esse debitum nisi ratione suae naturae vel conditionis. Naturae autem et proprietatis rei causa est divina voluntas; et ideo totus ordo justitiae originaliter ad divinam voluntatem reducitur.

La justice et la volonté en Dieu sont en réalité la même chose, mais, selon la raison, la justice ajoute quelque chose à la volonté : l’ordre qui convient aux réalisations divines, selon qu’un chose est égale à une autre de manière proportionnelle. En effet, il existe dans les choses créées un double ordre : l’un, selon lequel la créature est ordonnée à Dieu ; l’autre, selon lequel une créature dépend d’une autre. Par le mot « volonté », n’est pas exprimé l’ordre qui existe d’une créature à une autre. En effet, de même qu’il est dû au feu établi dans telle nature de monter vers le haut, si l’on considère l’ordre des choses entre elles, de même il est dû à la faute d’être punie selon le même ordre. Il est donc clair que quelque chose n’est pas appelé juste seulement parce que cela est voulu par Dieu, mais parce que cela est dû à une chose créée selon l’ordre entre une créature et une autre créature. En effet, rien ne peut être dû à une chose qu’en raison de sa nature ou de sa condition. Or, la volonté divine est la cause de la nature d’une chose et de ce qui lui est propre. C’est pourquoi tout l’ordre de la justice se ramène comme à son origine à la volonté divine.

[21972] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis omne quod Deus vult, justum sit; non tamen ex hoc justum dicitur quod Deus illud vult, ut dictum est.

1. Bien que tout ce que Dieu veut soit juste, ce n’est pas parce que Dieu le veut que cela est appelé juste, comme on l’a dit.

[21973] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod luto non est magis debitum quod ex eo formentur vasa nobilia quam ignobilia; sed cum ex luto formatum est vas nobile, nobilitati illius vasis est debitum ut ad usum conveniens deputetur. Similiter quod Deus talem creaturam producat qualem voluerit, indifferens est ad rationem justitiae: sed quod, aliqua natura producta, ei attribuatur quod illi naturae competit, hoc ad ejus justitiam pertinet; et contrarium ejus justitiae repugnaret: et similiter indifferens est quantum ad justitiam ejus ut det gratiam vel non det, cum donum gratiae non sit naturae debitum; sed postquam gratiam contulit, quae est merendi principium, ad judicium ejus pertinet ut pro meritis praemia reddat; et sic ex suppositione voluntatis justitia causatur.

2. Il n’est pas davantage dû à l’argile que soient formés à partir d’elle des vases de luxe ou des vases ordinaires ; mais lorsqu’un vas de luxe est formé à partir de l’argile, il est dû au caractère luxueux de ce vase d’être destiné à un usage approprié. De même est-il indifférent à la raison de justice que Dieu produise la créature qu’il veut ; mais, une fois une nature produite, il relève de sa justice que soit attribué [à cette nature] ce qui lui convient ; le contraire s’opposerait à sa justice. De même est-il indifférent du point de vue de sa justice qu’il donne ou non la grâce, puisque le don de la grâce n’est pas dû à la nature ; mais, après qu’il a donné la grâce, qui est le principe du mérite, il relève de son jugement d’accorder des récompenses selon les mérites. Ainsi, sa justice est causée selon une supposition de sa volonté.

[21974] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod in voluntate includitur, voluntatem non restringit. Ex hoc autem ipso quod Deus vult aliquam naturam facere, vult attribuere ei ea quae illi naturae competunt; sicut cum homo vult finem, ex hoc ipso vult ea quae sunt ad finem; et ideo voluntas Dei neque justitia ejus restringitur, neque justitiae ejus resistere potest.

3. Ce qui est inclus dans la volonté ne restreint pas la volonté. Or, du fait que Dieu veut faire une nature, il veut lui attribuer ce qui convient à cette nature, comme lorsque l’homme veut une fin, il veut par le fait même ce qui se rapporte à cette fin. C’est pourquoi la volonté de Dieu n’est pas restreinte par sa justice et elle ne peut résister à sa justice.

[21975] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus non sit debitor alicui creaturae, tamen creaturae potest esse aliquid debitum; quod scilicet requiritur ad ipsam ad hoc quod exemplar divinae sapientiae imitetur; et hoc debitum concernit justitia, cum dicitur Deus aliquid juste facere: quod quidem magis pertinet ad ordinem rei ad rem, quam ad ordinem rei creatae ad Deum.

4. Bien que Dieu ne soit pas le débiteur d’une créature, quelque chose peut cependant être dû à une créature, à savoir ce qui est lui est nécessaire pour qu’elle imite le modèle de la sagesse divine. C’est cette dette sur laquelle porte la justice lorsqu’on dit que Dieu fait quelque chose avec justice. Mais cela se rapporte davantage à l’ordre d’une chose par rapport à une autre qu’à l’ordre d’une chose créée par rapport à Dieu.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[21976] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod justitiae opus potest dupliciter praetermitti. Uno modo ut fiat contra justitiam; alio modo ut fiat praeter justitiam. Cum enim justitia dicatur per comparationem ad alterum; tunc contra ordinem fit quando ei subtrahitur quod ei debetur, vel quod conditio ejus exigit. Si autem aliquid amplius ei impendatur, non est contra justitiam, sed praeter justitiam: quia etiamsi alicui rei aliquid non debeatur, non tamen illius privatio est ei debita. Unde si aliquid ei exhibeatur quod non debetur, nihil contra ordinem justitiae fiet; sicut patet in eo qui alicui liberaliter sua bona communicat. Sed, sicut philosophus dicit in 5 Ethic., pro eodem computatur minus de malo et plus de bono; unde sicut sine praejudicio justitiae potest aliquis de bonis suis plus alicui conferre quam debeat, ita sine praejudicio justitiae potest ei minus irrogare de poena pro peccato in eum commisso quam ei debeatur. Sed sicut non potest sine injuria aliquis de bonis alterius plus alicui conferre quam ei debetur; ita non potest minus irrogare de poena pro peccato commisso in alterum; et ideo judex non potest sine praejudicio justitiae poenas diminuere debitas pro peccatis in Deum vel in rempublicam commissis, nisi forte quatenus viderit hoc utilitati reipublicae expedire. Deus autem donator bonorum omnium est, et in eum omnis peccator peccat; unde ipse potest plus conferre de bonis quam sit alicui debitum, et minus inferre de malis, vel etiam poenam totaliter relaxare; nec in hoc contra justitiam, sed praeter justitiam faceret. Sed si alicui minus conferret de bonis quam ei debetur, vel plus puniret quam peccasset, hoc contra ordinem justitiae esset; nec Deus hoc posset, loquendo de potentia ordinaria, sicut non posset facere quin ejus opus, secundum quod esse participat, eum imitaretur. Ex hoc enim ipso aliquid alicui rei est debitum secundum exigentiam suae conditionis, quod sine illo exemplar divinum secundum propriam suam rationem imitari non potest.

L’action de la justice peut être omise de deux manières. D’une manière, en agissant contre la justice ; d’une autre manière, en agissant par-delà la justice. En effet, puisqu’on parle de justice par rapport à autrui, on agit contre l’ordre lorsque quelque chose qui lui est dû ou que sa condition exige lui est enlevé. Mais si quelque chose lui est donné en plus, cela n’est pas contraire à la justice, mais par-delà la justice, car même si quelque chose n’est pas dû à une chose, la privation [de cette chose] ne lui est cependant pas due. Si donc quelque chose qui n’est pas dû lui est donné, rien ne sera accompli contre l’ordre de la justice, comme cela ressort chez celui qui communique ses biens par libéralité. Mais, comme le Philosophe le dit dans Éthique, V, « moins de mal et plus de bien sont comptés pour la même chose » ; de même que quelqu’un peut donner à un autre davantage de ses biens qu’il ne le doit, de même il peut donc, sans préjudice pour la justice, infliger une peine moindre pour le péché commis contre lui qu’il ne lui est dû. Mais de même que quelqu’un ne peut sans préjudice donner à un autre davantage des biens d’un autre qu’il ne lui est dû, de même il ne peut infliger une peine moindre pour un péché commis contre un autre. C’est pourquoi un juge ne peut sans préjudice contre la justice réduire les peines dues pour les péchés commis contre Dieu et la chose publique, à moins qu’il ne voie que cela est utile pour la chose publique. Or, Dieu est le donateur de tous les biens et tout pécheur pèche contre lui ; il peut donc donner plus de biens qu’il n’est dû à quelqu’un et lui occasionner moins de maux ou même remettre la peine en entier. En cela, il n’agit pas contre la justice, mais par-delà la justice. Mais s’il donnait à quelqu’un moins de biens qu’il ne lui est dû ou punissait davantage que le péché, cela irait contre l’ordre de la justice. Dieu ne le pourrait pas non plus si l’on parle de sa puissance ordinaire, comme il ne pourrait faire que son œuvre, selon qu’elle participe à l’être, ne l’imiterait pas. En effet, quelque chose est dû à une réalité conformément à ce qu’exige sa condition, sans quoi le modèle divin ne peut être imité selon sa raison propre.

[21977] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus seipsum negaret, si creaturae non conferret quod ei debetur secundum suam dispositionem. Sic enim veritatem non servaret in operum conditione vel gubernatione. Non autem seipsum negat, si aliquid amplius creaturae exhibeat quam ei debeatur, ut dictum est.

1. Dieu se renierait lui-même s’il ne donnait pas à la créature ce qui lui est dû selon sa disposition. En effet, il ne repecterait pas ainsi la vérité dans la condition et le gouvernement de ses œuvres. Mais il ne se renie pas s’il donne quelque chose de plus qu’il ne lui est dû à une créature, comme on l’a dit.

[21978] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus etsi nihil faciat contra naturam, tamen facit aliquid praeter naturam, inquantum scilicet facit aliquid in natura ad quod non sufficiunt vires naturae; similiter etiam etsi non faciat aliquid contra justitiam, potest tamen aliquid praeter justitiam facere.

2. Dieu, même s’il n’agit en rien contre la nature, fait cependant quelque chose par-delà la nature, pour autant qu’il réalise quelque chose dans la nature à quoi ne suffisent pas les forces de la nature ; de même aussi, même s’il n’agit en rien contre la nature, il peut cependant réaliser quelque chose par-delà la nature.

[21979] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod damnare Petrum, cui ex beneficio gratiae sibi collatae salus debetur, esset contrarium justitiae; unde hoc Deus non potest, loquendo de potentia ordinaria. Sed salvare Judam non esset justitiae contrarium, sed praeter eam, ut patet ex dictis; sed tamen esset contrarium ejus praescientiae et dispositioni, qua ei aeternam poenam paravit; unde justitiae ordo non impedit quin posset salvare Judam; sed impedit ordo praescientiae et dispositionis aeternae.

3. Damner Pierre, à qui le salut est dû par le bienfait d’une grâce qui lui a été donnée, serait contraire à la justice ; aussi Dieu ne le peut-il pas, si l’on parle de sa puissance ordinaire. Mais sauver Judas ne serait pas contraire à la justice, mais par-delà celle-ci, comme cela ressort de ce qui a été dit. Cependant, cela serait contraire à sa prescience et à la disposition selon laquelle il lui a préparé une peine éternelle. L’ordre de la justice n’empêche donc pas qu’il puisse sauver Judas, mais l’ordre de sa prescience et d’une disposition éternelle.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[21980] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod poena de sui ratione semper importat aliquid nocivum. Ex hoc autem est aliquid nocivum quod per ipsum subtrahitur aliquod bonum. Inter bona autem hominis quaedam sunt per se loquendo ei bona, quae sunt bona hominis in eo quod homo; quaedam autem sunt bona secundum ordinem ad ista bona, sicut temporalia bona. Unde ista intantum sunt bona, inquantum ad illa spiritualia bona sunt homini adjumento; si autem impediant, ex hoc non sunt ei bona, sed mala; unde etiam philosophus in 7 Ethic. dicit, quod bona fortuna est judicanda secundum comparationem ad virtutem, prout adjuvat vel impedit eam. Pati ergo detrimentum in spiritualibus bonis semper malum est; sed pati detrimentum in bonis temporalibus quandoque quidem est bonum, quandoque vero malum. Malum quidem est, secundum quod impedit ab operatione virtutis et consecutione spiritualis boni; sed bonum est, secundum quod adjuvat ad virtutem sive ad consecutionem spiritualis boni, sicut exercitium corporale utile est ad corporalem fortitudinem acquirendam. Et quia, ut dictum est, poena a nocendo dicitur, ideo detrimentum in spiritualibus bonis semper poena est; sed detrimentum in temporalibus bonis quandoque quidem non est poena, sed medicina proficiens ad salutem; sicut amaritudo potionis non est poena, sed medela corporalis sanitatis. Sed tamen, quia natura nostra talis est ut ad perfectionem spiritualis boni per temporalium detrimenta oporteat pervenire, ex culpa peccati venit quod tota natura vitiata est: nec tali medicina opus erit, quando vulnus peccati perfecte erit curatum, cum homo ad ultimum finem spiritualis perfectionis perveniet. Unde dicendum, quod poena, proprie loquendo, nunquam datur nisi culpae; sed tamen id quod contingit esse poenale, scilicet detrimentum temporalium bonorum in statu viae, aliquando infertur homini absque culpa praecedenti in persona, quamvis non absque culpa praecedenti in natura; sed post hanc vitam cessante spirituali profectu, nullum detrimentum, etiam in corporalibus, aliquis sine culpa sustinebit; quia tunc absterget Deus omnem lacrymam ab oculis sanctorum; Apoc. 21. Sed in spiritualibus bonis nullus detrimentum sustinet neque in hac vita neque in futura, sine culpa personae.

Par sa nature même, une peine comporte toujours quelque chose de nuisible. Mais quelque chose est nuisible parce que par là est soustrait quelque chose de bon. Or, parmi les biens de l’homme, certains sont bons pour lui en eux-mêmes : ce sont les biens de l’homme en tant qu’il est homme ; mais certains sont bons selon un ordre par rapport à ces biens, comme les biens temporels. Aussi ceux-ci ne sont-ils des biens que dans la mesure où ils aident l’homme en vue des biens spirituels ; s’ils les empêchent, ils ne sont plus des biens pour lui, mais des maux. Aussi, en Éthique, VII, le Philosophe dit-il que la bonne fortune doit être jugée par rapport à la vertu, en tant qu’elle l’aide ou l’empêche. Souffrir un préjudice dans les biens spirituels est donc toujours mal ; mais souffrir un préjudice dans les biens temporels est parfois un bien et parfois un mal. C’est un mal dans la mesure où cela empêche l’opération de la vertu et l’obtention d’un bien spirituel ; mais cela est un bien dans la mesure où cela aide à la vertu ou à l’obtention d’un bien spirituel, comme l’exercice corporel est utile pour acquérir la force corporelle. Parce que, ainsi qu’on l’a dit, on parle de peine pour ce qui nuit, le préjudice dans les biens spirituels est donc toujours une peine ; mais un préjudice dans les biens temporels parfois n’est pas une peine, mais un remède utile pour le salut, comme l’amertume d’un breuvage n’est pas une peine, mais un remède pour la santé corporelle. Cependant, parce que notre nature est telle qu’elle doive parvenir à la perfection du bien spirituel par des préjudices en matière temporelle, et que le fait que toute la nature soit viciée vient du péché, un tel remède ne sera pas nécessaire lorsque la blessure du péché aura été parfaitement guérie, alors que l’homme sera parvenu à la fin ultime de la perfection spirituelle. Aussi faut-il dire que la peine n’est à proprement parler jamais donnée que pour une faute ; cependant, ce qui a parfois un caractère de peine, à savoir, un préjudice dans les biens temporels dans l’état de cheminement (in statu viae), est parfois manifesté à un homme sans qu’une faute personnelle ait précédé ; mais, après cette vie, alors que cessera le progrès spirituel, quelqu’un ne subira aucun préjudice, même en matière temporelle, sans qu’il commette de faute, car Dieu essuiera alors toute larme des yeux des saints, Ap 21. Mais, pour ce qui est des biens spirituels, personne ne subira de préjudice ni en cette vie ni dans l’autre, sans faute personnelle.

[21981] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hieronymus loquitur generaliter de merito peccati actualis et originalis praecedente vel in persona vel in natura.

1. Jérôme parle d’une manière générale du mérite du péché actuel et originel antérieur, soit pour une personne, soit pour la nature.

[21982] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquod bonum alicui exhibetur nullo merito praecedente, sicut prima gratia; non tamen habet rationem praemii; unde non est inconveniens, si aliquod malum inferatur alicui nulla culpa praecedente, quod non habeat rationem poenae, sed potius medicinae promoventis ad bonum.

2. Un bien est donné à quelqu’un sans mérite antérieur, telle la première grâce ; elle n’a cependant pas raison de récompense. Il n’est donc pas inapproprié qu’un mal frappe quelqu’un sans faute antérieure : cela n’aurait pas raison de peine, mais plutôt de remède incitant au bien.

[21983] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poena non solum dicitur medicina ex hoc quod retrahit a malo, terrendo; de quo etiam objectio procedit; sed etiam inquantum promovet ad bonum, exercitando, et abstrahendo hominem ab amore temporalium: unde ratio non sequitur.

3. Une peine n’est pas appelée un remède du seul fait qu’elle retient du mal par la peur (de là vient l’objection), mais aussi en tant qu’elle incite au bien en entraînant et en arrachant l’homme à l’amour des réalités temporelles. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[21984] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam nulla culpa praecedente sine praejudicio humanae justitiae aliquid poenale alicui infertur, ut vel exercitatio juvenibus, vel medicina infirmis; unde non est inconveniens, si hoc idem fiat secundum justitiam divinam.

4. Même sans faute antérieure, quelque chose qui a le caractère de peine survient à quelqu’un sans préjudice pour la justice humaine, comme l’exercice pour les jeunes ou un remède pour les malades. Il n’est donc pas inapproprié que la même chose arrive selon la justice divine.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[21985] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod actio cum sit media inter agentem et effectum, ex utraque parte modificari potest. Cum ergo quaeritur, an Deus justius cum uno agat quam cum alio; si hoc referatur ad actionem prout exit ab agente, cum justitia sua, qua cum omnibus juste agit, sit una et invariabilis, non agit justius cum uno quam cum alio; si autem referatur ad actionem prout terminatur ad effectum, sic etiam dici non potest, quod cum uno justius agat quam cum alio; eo quod opus aliquod dicitur justum ex hoc quod est proportionaliter adaequatum; aequalitas autem, sive quantitatis sive proportionis, est ejusdem rationis in minimis et in magnis; eadem enim proportio quae est inter duo et unum, est inter viginti et decem; et aequalitas eadem quae est inter unum et unum, est inter centum et centum. Et ideo non potest esse unum opus altero justius, dummodo utrumque sit justum; eadem enim justitia servatur dum mala redduntur pro malis, et bona pro bonis, sive sint parva, sive sint magna. Sed tamen, quia in nobis non requiritur ad virtutem ut semper medium attingamus, sed sufficit quandoque juxta medium esse propter difficultatem inventionis medii, ut dicitur in 2 Ethic.; inde est quod apud nos unus alio justius agere dicitur, secundum quod magis vel minus accedit ad medium non perveniente utroque ad ipsum. Sed ipse Deus, cui sunt notae omnium rerum mensurae, semper in operatione sua ad medium indivisibile pertingit; unde nullo modo justius cum uno quam cum alio agit.

Puisque l’action tient le milieu entre l’agent et l’effet, elle peut être modifiée des deux côtés. Lorsqu’on se demande si Dieu agit plus justement avec l’un qu’avec l’autre, si cela se rapporte à l’action en tant qu’elle est issue de l’agent, puisque sa justice, par laquelle il agit justement avec tous, est une et invariable, il n’agit donc pas plus justement avec l’un qu’avec l’autre. Mais si l’on se réfère à l’action en tant qu’elle a son terme dans l’effet, on ne peut pas non plus dire qu’il agit plus justement avec l’un qu’avec l’autre, du fait qu’une action est appelée juste parce qu’elle est égale d’une manière proportionnelle. Or, l’égalité, soit quantitative, soit proportionnelle, a la même raison dans les plus petites choses et dans les grandes. En effet, la même proportion qui existe entre deux et un existe entre vingt et dix, et la même égalité qui existe entre un et un existe entre cent et cent. Aussi une action ne peut-elle être plus juste qu’une autre si que les deux sont justes. En effet, la même justice est préservée lorsque des maux sont rendus pour des maux et des biens pour des biens, qu’ils soient petits ou qu’ils soient grands. Cependant, parce qu’il n’est pas exigé de nous pour la vertu que nous atteignions toujours le milieu, mais qu’il suffit parfois que cela soit proche du milieu, en raison de la difficulté de trouver le milieu, comme il est dit dans Éthique, II, de là vient que, chez nous, on dit que l’un agit plus justement qu’un autre pour autant qu’il atteint plus ou moins le milieu, sans que les deux n’y parviennent. Mais Dieu lui-même, à qui sont connues les mesures de toutes les choses, atteint toujours par son action un milieu indivisible. Aussi n’agit-il pas plus justement avec l’un qu’avec l’autre.

[21986] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod punitio non est effectus justitiae inquantum hujusmodi, sed inquantum est culpae proportionata. Licet ergo a Deo inferatur major poena vel minor; semper tamen ex ejus justitia secundum eamdem proportionem infertur.

1. La punition n’est pas un effet de la justice en tant que telle, mais en tant qu’elle est proportionnée à la faute. Bien qu’une peine plus ou mons grande soit infligée par Dieu, elle est cependant toujours infligée selon la même proportion en vertu de sa justice.

[21987] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod misericordia respicit absolute divinum effectum, non concernendo aliquam proportionem vel aequalitatem in ipso; unde secundum majorem vel minorem misericordiae effectum dicitur misericordius agere cum uno quam cum alio, si hoc referatur ad actionem secundum quod determinatur ad effectum; non autem si referatur ad eam secundum quod exit ab agente: quia ipse una et invariabili misericordia cum omnibus misericorditer agit. Nec tamen sequitur propter hoc, quod aliquo modo cum uno justius agat quam cum alio: effectus enim misericordiae non est contra justitiam, sed praeter eam, ut ex praedictis patet.

2. La miséricorde porte de manière absolue sur un effet de Dieu, sans prendre en considération une proportion ou une égalité en lui ; aussi dit-on qu’il agit de manière plus ou moins miséricordieuse avec l’un qu’avec l’autre selon sa miséricorde plus ou moins grande, si l’on met cela en rapport avec son action selon qu’elle est déterminée à un effet, mais non si l’on met cela en rapport avec elle selon qu’elle est issue de l’agent, car il agit avec une miséricorde unique et invariable à l’égard de tous. Il n’en découle cependant pas qu’il agisse plus justement envers l’un qu’envers l’autre : en effet, l’effet de la miséricorde n’est pas contraire à la justice, mais il est la dépasse, comme cela ressort de ce qui a été dit auparavant.

 

 

Articulus 3 [21988] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 tit. Utrum ex divina justitia inferatur peccatoribus poena aeterna

Article 3 – Une peine éternelle est-elle infligée aux pécheurs en vertu de la justice divine ?

 

[21989] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ex divina justitia non inferatur peccatoribus poena aeterna. Poena enim non debet excedere culpam. Deuter. 25, 2: secundum mensuram delicti erit et plagarum modus. Sed culpa est temporalis. Ergo poena non debet esse aeterna.

1. Il semble qu’une peine éternelle ne soit pas infligée aux pécheurs en vertu de la justice divine. En effet, la peine ne doit pas dépasser la faute. Dt 25, 5 : Les plaies seront à la mesure de la faute. Or, la faute est temporelle. La peine ne doit donc pas être éternelle.

[21990] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, duorum peccatorum mortalium unum est altero majus. Ergo unum debet majori poena quam alterum puniri. Sed nulla poena potest esse major quam aeterna, cum sit infinita. Ergo non cuilibet peccato mortali debetur poena aeterna; et si uni non debetur, nulli debetur, cum eorum non sit distantia infinita.

2. De deux péchés mortels, l’un est plus grand que l’autre. Une plus grande peine est donc due pour l’un que pour l’autre. Or, aucune peine ne peut être plus grande que la peine éternelle, puisqu’elle est infinie. Une peine éternelle n’est donc pas due pour tous les péchés mortels, et si elle n’est pas due pour l’un, elle n’est due pour aucun, puisqu’il n’y a pas entre eux une distance infinie.

[21991] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, a justo judice non infertur poena nisi ad correctionem; unde 2 Ethic. dicitur, quod poenae sunt quaedam medicinae. Sed quod impii in aeternum puniantur, hoc non est ad correctionem eorum, nec aliquorum malorum, cum tunc non sint futuri alii qui per hoc corrigi possint. Ergo secundum divinam justitiam non infertur pro peccatis poena aeterna.

3. Une peine n’est infligée par un juste juge qu’en vue de la correction ; aussi est-il dit dans Éthique, II, que les peines sont des remèdes. Or, que des impies soient punis pour l’éternité, cela ne sert pas à les corriger, pas davantage que d’autres maux, puisqu’alors, il n’y en aura pas d’autres qui pourront être corrigés à l’avenir. Une peine éternelle n’est donc pas infligée selon la justice divine.

[21992] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod non est propter se volitum, nullus vult nisi propter aliquam utilitatem. Sed poenae non sunt a Deo propter se volitae: non enim delectatur in poenis. Cum ergo nulla utilitas possit accidere ex poenae perpetuatione, videtur quod perpetuam poenam pro peccato non infert.

4. Tout ce qui n’est pas voulu pour soi, personne ne le veut qu’en raison d’une certaine utilité. Or, les peines ne sont pas voulues par Dieu pour elles-mêmes : en effet, il ne prend pas plaisir aux peines. Puisque aucune utilité ne peut venir de la perpétuation d’une peine, il semble donc qu’il n’inflige pas une peine perpétuelle pour le péché.

[21993] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, nihil quod est per accidens, est perpetuum, ut dicitur 1 Cael. et Mund. Sed poena est eorum quae sunt per accidens, cum sit contra naturam. Ergo non potest esse perpetua.

5. Rien de ce qui existe par accident n’est perpétuel, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde. I. Or, la peine fait partie des choses qui existent par accident, puisqu’elle est contraire à la nature. Elle peut donc pas être perpétuelle.

[21994] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, justitia Dei hoc requirere videtur ut peccatores ad nihilum redigantur: quia per ingratitudinem dicitur aliquis beneficia accepta amittere. Inter cetera autem Dei beneficia est etiam ipsum esse; unde videtur justum ut peccatOr qui ingratus Deo existit, ipsum esse amittat. Sed si in nihilum redigantur, eorum poena non potest esse perpetua. Ergo non videtur esse consonum divinae justitiae ut peccatores perpetuo puniantur.

6. La justice de Dieu semble exiger que les pécheurs soient ramenés au néant, car on dit que, par l’ingratitude, quelqu’un perd les bienfaits reçus. Or, parmi les autres bienfaits de Dieu, se trouve aussi l’être même ; il semble donc juste que le pécheur, qui est ingrat envers Dieu, perde l’être même. Or, s’ils sont ramenés au néant, leur peine ne peut être perpétuelle. Il ne semble donc pas être conforme à la justice divine que les pécheurs soient punis perpétuellement.

[21995] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 25, 46: ibunt hi, scilicet peccatores, in supplicium aeternum.

Cependant, [1] Mt 25, 46 dit : Ceux-là, c’est-à-dire les pécheurs, iront au supplice éternel.

[21996] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet praemium ad meritum, ita poena ad culpam. Sed secundum divinam justitiam merito temporali debetur praemium aeternum; Joan. 6, 40: omnis qui videt filium et credit in eum, habet vitam aeternam. Ergo et culpae temporali secundum divinam justitiam debetur poena aeterna.

[2] Le rapport entre la récompense et le mérite est le même qu’entre la peine et la faute. Or, selon la justice divine, une récompense éternelle est due à un mérite temporel. Jn 6, 40 : Tous ceux qui voient le Fils et croient en lui ont la vie éternelle. Une peine éternelle est donc aussi due à une faute temporelle.

[21997] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, secundum philosophum in 5 Ethic., poena taxatur secundum dignitatem ejus in quem peccatur; unde majori poena punitur qui percutit alapa principem quam alium quemcumque. Sed quicumque peccat mortaliter, peccat contra Deum, cujus praecepta transgreditur, et cujus honorem aliquando aliis impertitur, dum in alio finem constituit. Majestas autem Dei est infinita. Ergo quicumque mortaliter peccat, dignus est infinita poena; et ita videtur quod juste pro peccato mortali aliquis perpetuo puniatur.

[3] Selon le Philosophe, Éthique, V, la peine est établie selon la dignité de celui contre qui l’on pèche ; aussi celui qui donne un soufflet au dirigeant plutôt qu’à un autre est-il puni d’une plus grande peine. Or, tous ceux qui pèchent mortellement pèchent contre Dieu, dont le commandement est enfreint et dont l’honneur est parfois attribué à d’autres, alors qu’on place sa fin dans un autre. Or, la majesté de Dieu est infinie. Tous ceux qui pèchent mortellement sont donc dignes d’une peine infinie, et ainsi il semble que c’est à juste titre que quelqu’un est éternellement puni pour un péché mortel.

[21998] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum poena duplicem habeat quantitatem, scilicet secundum intensionem acerbitatis, et secundum durationem temporis; quantitas poenae respondet quantitati culpae secundum intensionem acerbitatis, ut secundum quod gravius peccavit, secundum hoc gravior poena ei infligatur; unde Apoc. 18, 7: quantum glorificavit se et in deliciis fuit, tantum date ei tormentum et luctum. Non autem respondet duratio poenae durationi culpae, ut dicit Augustinus, 21 de Civ. Dei; non enim adulterium quod in momento temporis perpetratur, momentanea poena punitur etiam secundum leges humanas; sed duratio poenae respicit dispositionem peccantis. Quandoque enim ille qui peccat in aliqua civitate, ex ipso peccato efficitur dignus ut totaliter repellatur a societate civitatis vel per exilium perpetuum, vel etiam per mortem. Quandoque vero non redditur dignus ut a societate civium totaliter excludatur; et ideo ut possit esse conveniens membrum civitatis, poena ei prorogatur vel breviatur, secundum quod ejus expedit correctioni, ut in civitate convenienter et pacifice vivere possit. Ita etiam secundum justitiam divinam aliquis ex peccato dignus redditur penitus a civitatis Dei consortio separari; quod fit per omne peccatum quo quis contra caritatem peccat, quae est vinculum uniens civitatem praedictam; et ideo pro peccato mortali, quod est contrarium caritati, aliquis in aeternum a societate sanctorum exclusus aeternae poenae adjicitur: quia, ut Augustinus in Lib. praedicto dicit, quod est de civitate ista mortali homines supplicio primae mortis; hoc est de illa civitate immortali homines supplicio secundae mortis auferre. Quod autem poena quam civitas mundana infligit, perpetua non reputatur; hoc est per accidens, inquantum homo non perpetuo manet, vel inquantum etiam ipsa civitas deficit; unde si homo in perpetuum viveret, poenae exilii et servitutis, quae per legem humanam inferuntur, in eo perpetuo permanerent. Qui vero hoc modo peccant, ut tamen non reddantur digni totaliter separari a sanctae civitatis consortio, sicut peccantium venialiter; tanto eorum poena erit brevior vel diuturniOr quanto magis vel minus purgabiles erunt, secundum quod eis peccata plus vel minus inhaeserunt; quod in poenis hujus mundi et Purgatorii secundum divinam justitiam servatur. Inveniuntur etiam aliae rationes a sanctis assignatae, quare juste pro peccato temporali aliqui poena aeterna puniantur. Una est, quia peccaverunt contra bonum aeternum, dum contempserunt vitam aeternam; et hoc est quod Augustinus in Lib. praedicto dicit: factus est malo dignus aeterno, quia hoc in se peremit bonum quod esse posset aeternum. Alia ratio est, quia homo in suo aeterno peccavit; unde Gregorius dicit in 4 Dialog., quod ad magnam justitiam judicantis pertinet ut nunquam careant supplicio qui nunquam carere voluerunt peccato. Et si objiciatur, quod quidam peccantes mortaliter, proponunt vitam suam in melius quandoque commutare, et ita secundum hoc non essent digni aeterno supplicio, ut videtur; dicendum est, secundum quosdam, quod Gregorius loquitur de voluntate quae manifestatur per opus. Qui enim in peccatum mortale propria voluntate labitur, se ponit in statu a quo erui non potest, nisi divinitus adjutus; unde ex hoc ipso quod vult peccare, vult consequenter perpetuo in peccato manere. Homo enim est spiritus vadens, scilicet in peccatum, et non rediens, per seipsum; sicut si aliquis se in foveam projiceret, unde exire non posset nisi adjutus; posset dici quod in aeternum ibi manere voluerit quantumcumque aliud cogitaret. Vel potest dici et melius, quod ex hoc ipso quod mortaliter peccat, finem suum in creatura constituit; et quia ad finem vitae tota vita ordinatur, ideo ex hoc ipso totam vitam suam ordinat ad illud peccatum, et vellet perpetuo in peccato permanere, si hoc sibi esset impune; et hoc est quod Gregorius dicit, 34 Moral. super illud Job 41: aestimabit abyssum quasi senescentem: iniqui ideo cum fine deliquerunt, quia cum fine vixerunt. Voluissent quippe sine fine vivere, ut sine fine potuissent in iniquitate permanere; nam magis appetunt peccare quam vivere. Potest et alia ratio assignari quare poena peccati mortalis sit aeterna, quia per eam contra Deum, qui est infinitus, peccatur; unde cum non possit esse poena infinita per intensionem, quia creatura non est capax alicujus qualitatis infinitae, requiritur quod sit saltem duratione infinita. Est et quarta ratio ad hoc idem: quia culpa manet in aeternum, cum culpa non possit remitti sine gratia, quam homo non potest post mortem acquirere: nec debet poena cessare quamdiu culpa manet.

Puisque la peine comporte une double quantité : selon l’intensité de la haine et selon la durée dans le temps, la quantité de la peine correspond à la quantité de la faute selon l’intensité de la haine, de sorte qu’à celui qui a péché plus gravement, une peine plus grave est infligée. Ainsi Ap 18, 7 dit : À la mesure de sa gloire et de ses plaisirs, donnez-lui tourments et malheurs ! Mais la durée de la peine ne correspond pas à la durée de la faute, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XXI. En effet, l’adultère, qui est perpétré dans un moment du temps, n’est pas puni d’une peine momentanée selon les lois humaines, mais la durée de la peine concerne la disposition de celui qui pèche. En effet, parfois celui qui pèche dans une ville devient digne, par son péché même, d’être totalement écarté de la participation à la cité, soit par l’exil perpétuel, soit aussi par la mort. Mais, parfois, il n’est pas rendu digne d’être totalement exclu de la société des citoyens. Aussi, pour qu’il puisse être un membre convenable de la cité, sa peine est-elle remise ou abrégée, selon qu’il convient à sa correction, afin qu’il puisse vivre convenanblement et pacifiquement dans la cité. De même aussi, selon la justice divine, quelqu’un est rendu digne par son péché d’être complètement écarté de la participation à la cité de Dieu, ce qui se produit pour tout péché par lequel quelqu’un pèche contre la charité, qui est le lien unissant la cité mentionnée. C’est ainsi qu’en raison d’un péché mortel, qui est contraire à la charité, quelqu’un est éternellement exclu de la société des saints par une peine éternelle, car, comme le dit Augustin dans le livre déjà mentionné, « ainsi que les hommes sont écartés de cette cité mortelle par le supplice de la première mort, de même sont-ils écartés de cette cité immortelle par le supplice de la seconde mort ». Mais que la peine infligée par la cité de ce monde ne soit pas considérée comme perpétuelle, cela est accidentel, pour autant que l’homme ne vit pas éternellement ou pour autant que la cité elle-même disparaît. Si l’homme vivait éternellement, les peines de l’exil et de l’esclavage qui sont infligées par la loi humaine demeureraient donc pour lui à perpétuité. Mais, quant à ceux qui pèchent de manière à ne pas être rendus dignes d’être entièrement séparés de la participation à la cité sainte, comme c’est le cas de ceux qui pèchent véniellement, leur peine sera d’autant plus brève ou prolongée qu’ils pourront être plus ou moins purifiés, dans la mesure où leurs péchés ont plus ou moins adhéré à eux, ce qui est appliqué aux peines de ce monde et à celles du purgatoire selon la justice divine. On trouve aussi d’autres raisons invoquées par les saints pour lesquelles certains sont punis d’une peine éternelle pour un péché temporel. L’une est qu’ils ont péché contre le bien éternel lorsqu’ils ont méprisé la vie éternelle : c’est ce que dit Augustin dans le livre déjà mentionné : « Il est devenu digne d’un mal éternel parce qu’il a détruit en lui un bien qui pouvait être éternel. » Une autre raison est que l’homme a péché dans sa propre éternité ; aussi Grégoire dit-il dans les Dialogues, IV : « C’est une grande justice de la part de celui qui juge que ceux qui n’ont jamais voulu que le péché leur fasse défaut, que le supplice ne leur fasse jamais défaut. » Et si l’on objecte que certains qui pèchent mortellement se proposent d’améliorer leur vie un jour, et ainsi qu’ils ne seraient pas dignes d’un supplice éternel, semble-t-il, Grégoire parle de la volonté qui se manifeste par l’action. En effet, celui qui est tombé dans le péché mortel de sa propre volonté se place dans un état dont il ne peut être tiré que s’il est aidé par Dieu. Par le fait même qu’il veut pécher, il veut donc par conséquent rester éternellement dans le péché. En effet, l’homme est un esprit qui va, à savoir, dans le péché, et qui ne revient pas, par lui-même, comme si quelqu’un se jetait dans une fosse, dont il ne pourrait sortir qu’avec de l’aide ; on pourrait dire qu’il veut y rester éternellement, même s’il pensait autrement. Ou l’on peut dire et mieux, que par le fait même qu’il pèche mortellement, il a établi sa fin dans la créature ; et parce que toute sa vie est ordonnée à sa fin, il ordonne par le fait même sa vie à ce péché et il voudrait demeurer perpétuellement dans le péché, s’il le pouvait impunément. C’est ce que Grégoire dit dans les Morales, XXXIV, de Jb 41 : « Il estimera que la vieillesse est un abîme. Les impies ont péché avec une fin, parce qu’ils ont vécu avec la fin. Ils auraient voulu vivre sans fin afin de pouvoir demeurer sans fin dans l’iniquité, car ils désirent davantage pécher que vivre. » On peut aussi invoquer une autre raison pour laquelle la peine du péché mortel est éternelle, car on pèche par elle contre Dieu qui est infini. Puisqu’il ne peut y avoir de peine infinie en intensité, car la créature n’est pas capable d’une qualité infinie, il est nécessaire qu’elle soit infinie au moins par la durée. Il y a aussi une quatrième raison pour la même chose : la faute demeure pour l’éternité, puisque la faute ne peut être remise sans la grâce, que l’homme ne peut acquérir après la mort, et que la peine ne doit pas cesser aussi longtemps que la faute demeure.

[21999] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut jam dictum est, poena non debet adaequari culpae secundum quantitatem durationis, ut videtur etiam secundum leges humanas accidere. Vel dicendum sicut Gregorius solvit, quod quamvis culpa sit actu temporalis, tamen voluntate est aeterna, ut jam expositum est.

1. Comme on l’a déjà dit, la peine ne doit pas être égale à la faute par la quantité de la durée, comme cela semble se produire aussi selon les lois humaines. Ou bien il faut dire, comme répond Grégoire, que bien que la faute soit temporelle en acte, elle est cependant éternelle par la volonté, comme on l’a déjà exposé.

[22000] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitati peccati respondet quantitas poenae secundum intensionem; et ideo peccatorum mortalium inaequalium erunt poenae inaequales intensione, aequales autem duratione.

2. La quantité de la peine en intensité correspond à la quantité du péché ; c’est pourquoi les peines pour des péchés mortels inégaux seront inégales en intensité, mais égales par la durée.

[22001] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poenae quae infliguntur his qui a civitatis societate non penitus ejiciuntur, sunt ad correctionem eorum ordinatae; sed illae poenae per quas aliqui totaliter a societate civitatis exterminantur, non sunt ad correctionem eorum; possunt tamen esse ad correctionem, et tranquillitatem aliorum qui in civitate remanet; et ita damnatio aeterna impiorum est ad correctionem eorum qui nunc sunt in Ecclesia: non enim poenae sunt solum ad correctionem quando infliguntur, sed etiam quando determinantur.

3. Les peines qui sont infligées à ceux qui ne sont pas complètement chassés de la société de la cité sont ordonnées à leur correction ; mais les peines par lesquelles certains sont entièrement écartés de la société de la cité ne sont pas destinées à leur correction. Elles peuvent cependant servir à la correction et à la tranquillité de ceux qui demeurent (corr. remanet/remanent) dans la cité. Ainsi, la damnation éternelle des impies est destinée à la correction de ceux qui sont maintenant dans l’Église : en effet, les peines ne sont pas destinées seulement à la correction lorsqu’elles sont infligées, mais aussi lorsqu’elles sont déterminées.

[22002] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod impiorum poenae in perpetuum duraturae non erunt omnino ad nihilum utiles: sunt enim utiles ad duo. Primo ad hoc quod in eis divina justitia conservatur, quae est Deo accepta propter seipsam; unde Gregorius 4 Dial.: omnipotens Deus, quia pius est, miserorum cruciatu non pascitur: quia autem justus est, ab iniquorum ultione in perpetuum non sedatur. Secundo ad hoc sunt utiles ut de his electi gaudeant, dum in his Dei justitiam contemplantur, et cum hoc se evasisse cognoscunt; unde Psalm. 57, 2: laetabitur justus, cum viderit vindictam; et Isai. ult., 2: erunt, scilicet impii, usque ad satietatem visionis, scilicet sanctis, ut Glossa dicit. Et hoc est quod Gregorius dicit in 4 Dialog.: iniqui omnes aeterno supplicio deputati, sua quidem iniquitate puniuntur; tamen ad aliquid ardebunt, scilicet ut justi omnes et in Deo videant gaudia quae percipiunt, et in illis percipiant supplicia quae evaserunt, quatenus tanto magis in aeternum divinae gratiae se debitores esse cognoscant, quanto in aeternum mala puniri conspiciunt, quae ejus adjutorio vicerunt.

4. Les peines des impies qui doivent durer éternellement ne seront pas totalement inutiles : en effet, elles sont utiles à deux choses. Premièrement, pour que la justice divine soit en cela respectée ; elle est agréable à Dieu par elle-même. Aussi Grégoire dit-il dans les Dialogues, IV : « Le Dieu tout-puissant, parce qu’il est miséricordieux, ne supporte pas la torture des misérables ; mais, parce qu’il est juste, il n’est pas apaisé par le châtiment éternel des impies. » Deuximement, elles sont utiles parce que les élus s’en réjouissent, alors qu’ils contemplent en elles la justice de Dieu et parce qu’ils savent qu’il y ont échappé. Aussi Ps 57, 2 dit-il : Le juste se réjouira lorsqu’il verra la vengeance, et Is 66, 2 : Ils (c’est-à-dire les impies) serviront à rassasier la vue, à savoir, pour les saints, comme le dit la Glose. Et c’est ce que dit Grégoire dans les Dialogues, IV : « Tous les impies envoyés au supplice éternel sont punis pour leur iniquité. Cependant, ils brûleront pour quelque chose : pour que tous les justes voient en Dieu les joies qu’ils reçoivent et perçoivent en eux les supplices auxquels ils ont échappé ; ils se sauront ainsi d’autant plus éternellement débiteurs de la grâce de Dieu, qu’il verront puni pour l’éternité le mal sur lequel ils l’ont emporté par son aide. »

[22003] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis poena per accidens respondeat animae, tamen per se respondet animae culpa infectae; et quia culpa in perpetuum ibi manebit, ideo etiam poena erit perpetua.

5. Bien que la peine corresponde par accident à l’âme, elle correspond cependant par elle-même à l’âme atteinte par la faute. Et parce que la faute y demeurera pour l’éternité, la peine sera aussi perpétuelle.

[22004] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod poena respondet culpae, proprie loquendo, secundum inordinationem quae invenitur in ipsa, et non secundum dignitatem ejus in quem peccatur: quia sic cuilibet peccato redderetur poena infinita intensione. Quamvis ergo ex hoc quod aliquis peccat contra Deum, qui est auctor essendi, mereatur ipsum esse amittere; considerata tamen ipsius actus inordinatione, non debetur ei amissio esse, quia praesupponitur ad meritum et demeritum: nec per inordinationem peccati esse tollitur vel corrumpitur; et ideo non potest esse debita poena alicujus culpae privatio esse.

6. La peine correspond à la faute, à proprement parler, selon le désordre qui s’y trouve, et non selon la dignité de celui contre qui est le péché, car une peine infinie en intensité serait ainsi rendue pour chaque péché. Bien que, du fait que quelqu’un pèche contre Dieu, qui est l’auteur de l’être, il mérite de perdre l’être, si l’on prend cependant en considération le désordre de l’acte lui-même, la perte de l’être ne lui est pas due, car il est présupposé au mérite et au démérite, et l’être n’est pas non plus enlevé ou corrompu par le désordre du péché. La privation de l’être ne peut donc pas être une peine due pour une faute.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La miséricorde de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

[22005] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 pr. Deinde quaeritur de misericordia Dei; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum in Deo sit ponere misericordiam; 2 de effectu ipsius; 3 utrum misericordia Dei patiatur poenas damnatorum esse perpetuas.

On s’interroge ensuite sur la miséricorde de Dieu. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Faut-il attribuer la miséricorde à Dieu ? 2 – Son effet. 3 – La miséricorde de Dieu supporte-t-elle que les peines des damnées soient perpétuelles ?

 

 

Articulus 1 [22006] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 tit. Utrum sit misericordia in Deo

Article 1 – La miséricorde existe-t-elle en Dieu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La miséricorde existe-t-elle en Dieu ?]

[22007] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit misericordia. Sicut enim dicit Damascenus, misericordia est compassio de alienis malis. Sed compassio non cadit in Deo. Ergo nec misericordia.

1. Il semble que la miséricorde n’existe pas en Dieu. En effet, comme le dit [Jean] Damascène, « la miséricorde est la compassion pour les maux des autres ». Or, il n’y a pas de compassion en Dieu. Donc, pas de miséricorde non plus.

[22008] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, misericordia miseriam respicit. Sed quanto aliquis est magis peccator, tanto magis est miser; quia Proverb. 14, 34: miseros facit populos peccatum. Ergo si Deus est misericors, quanto aliquis est magis peccator, tanto magis ei providebit; quod videtur absurdum.

2. La miséricorde concerne la misère. Or, plus quelqu’un est pécheur, plus il est miséreux, car Pr 14, 34 dit : Le péché rend les peuples miséreux. Si Dieu est miséricordieux, plus quelqu’un est un pécheur, plus il s’en occupera, ce qui semble absurde.

[22009] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, misericordia inclinat misericordem ad alienam miseriam repellendam. Ergo misericors nec alii miseriam infert, nec inferri permittit, si fieri potest. Sed Deus aliquos inducit in miseriam poenae, et permittit eos incidere in miseriam culpae. Ergo cum ipse sit omnipotens, non erit misericors.

3. La miséricorde incline le miséricordieux à écarter la misère de l’autre. Le miséricordieux n’inflige donc pas de peine à un autre et ne permet pas que lui en soit infligée, si cela est possible. Or, Dieu en conduit certains à la misère de la peine et permet qu’ils tombent dans la misère de la faute. Puisqu’il est tout-puissant, il ne sera donc pas miséricordieux.

[22010] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in Psal. 144, 8, dicitur: miserator et misericors dominus.

Cependant, [1] il est dit dans Ps 144, 8 : Le Seigneur compatissant et miséricordieux.

[22011] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut Deus aliquos punit, ita et aliquibus parcit; est enim praestabilis super malitia; Joel. 2. Sed ex hoc quod punit, ponimus in Deo iram, quamvis ira sit passio. Ergo ex eo quod parcit, debet dici misericors, quamvis misericordia in nobis sit passio.

[2] De même que Dieu en punit certains, de même il en épargne d’autres : en effet, il regrette le mal, Jl 2. Or, du fait qu’il punit, nous affirmons la colère en Dieu, bien que la colère soit une passion. Du fait qu’il épargne, il doit donc être appelé miséricordieux, bien que la miséricorde soit chez nous une passion.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La bonté et la miséricorde sont-elles affirmées en Dieu selon la même raison ?]

[22012] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Deo secundum eamdem rationem dicatur bonitas et misericordia. Constat enim quod Deus gentiles ex sola misericordia liberavit; Roman. 15, 9: gentes autem super misericordia honorare Deum. Sed conversionem gentium apostolus attribuit divinae bonitati; Rom. 11, 22: vide bonitatem et severitatem Dei; in eos qui ceciderunt severitatem, in te autem bonitatem. Ergo bonitas et misericordia ejusdem sunt rationis in Deo.

1. Il semble que la bonté et la miséricorde soient affirmées en Dieu selon la même raison. En effet, il est clair que Dieu a libéré les païens par sa seule miséricorde. Rm 15, 9 : Que les gentils honorent Dieu en raison de sa miséricorde. Or, l’Apôtre attribue la conversion des nations à la bonté divine. Rm 11, 22 : Vois la bonté et la sévérité de Dieu : chez ceux qui sont tombés, la sévérité ; mais en toi, la bonté. La bonté et la miséricorde relèvent donc de la même raison chez Dieu.

[22013] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, principia per effectus cognoscuntur. Sed idem est effectus misericordiae et bonitatis; scilicet providere minus habentibus. Ergo eadem est ratio utriusque.

2. Les principes sont connus par leurs effets. Or, l’effet de la miséricorde et celui de la bonté sont les mêmes : s’occuper de ceux qui ont moins. La raison des deux est donc la même.

[22014] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, misericordia est quaedam virtus. Sed virtus est bonitas virtuosi. Ergo misericordia, inquantum hujusmodi, bonitas quaedam est; et ita videtur eadem ratio utriusque.

3. La miséricorde est une vertu. Or, la vertu est la bonté du vertueux. La miséricore en tant que telle est donc une certaine bonté, et ainsi, la raison des deux semble la même.

[22015] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quaecumque sunt unius rationis, sunt etiam unius ambitus. Sed bonitas et misericordia non sunt unius ambitus; quia bonitas divina communicatur omnibus creaturis, inquantum a primo bono sunt omnia bona; misericordia autem non invenitur in omnibus creaturis, ut omnes misericordes dicantur. Ergo bonitas et misericordia non sunt ejusdem rationis.

Cependant, [1] tout ce qui relève d’une seule raison a la même étendue. Or, la bonté et la miséricorde n’ont pas la même étendue, car la bonté divine est communiquée à toutes les créatures pour autant que tous les biens viennent du premier bien ; mais la miséricorde ne se trouve pas dans toutes les créatures, de sorte que toutes soient appelées miséricordieuses. La bonté et la miséricorde ne relèvent donc pas de la même raison.

[22016] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, misericordia non esset, nisi esset miseria. Sed bonitas esse potest etiam nulla miseria existente; quia bonum non dependet a malo, sicut nec habitus a privatione. Ergo misericordia et bonitas in Deo non sunt unius rationis.

[2] Il n’y aurait pas de miséricorde s’il n’y avait pas de misère. Or, la bonté pourrait exister même s’il n’existait aucune misère, car le bien ne dépend pas du mal, comme l’habitus [ne dépend] pas non plus de la privation. La miséricorde et la bonté en Dieu ne relèvent donc pas de la même raison.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’action de la miséricorde divine se ramène-t-elle à sa puissance ?]

[22017] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod opus divinae misericordiae ad attributum potentiae reducatur. Quia opus Dei ad illud attributum reducitur quod maxime per ipsum manifestatur. Sed opus misericordiae maxime manifestat Dei potentiam; unde in collecta dicitur: Deus qui omnipotentiam tuam parcendo maxime et miserando manifestas. Ergo misericordiae opus ad omnipotentiam reducitur.

1. Il semble que l’action de la miséricorde divine se ramène à l’attribut de sa puissance, car l’action de Dieu se ramène à l’attribut qui est le plus manifesté par elle. Or, l’action de la miséricorde manifeste au plus haut point la puissance de Dieu. Aussi est-il dit dans une collecte : « Dieu, qui manifestes au plus haut point ta toute-puissance en épargnant et en prenant en pitié… » L’action de la miséricorde se ramène donc à la toute-puissance.

[22018] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, divina misericordia maxime manifestatur in justificatione impii. Sed majus est justificare impium quam creare caelum et terram, ut dicit Augustinus. Ergo cum creatio ad potentiam reducatur, videtur quod et misericordiae opus ad potentiam Dei reduci debeat.

2. La miséricorde divine se manifeste surtout dans la justification de l’impie. Or, « il est plus grand de justifier un impie que de créer le ciel et la terre », comme le dit Augustin. Puisque la création se ramène à la puissance, il semble donc que l’action de la miséricorde aussi doive se ramener à la puissance de Dieu.

[22019] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed contra, videtur quod reducatur ad attributum sapientiae. Quia ipse non miseretur passione, sed judicio. Judicium autem ad sapientiam pertinet. Ergo et misericordiae opus sapientiae est attribuendum.

3. Il semble que [la miséricorde] se ramène à l’attribut de la sagesse, car il ne compatit pas à la souffrance, mais au jugement. Or, le jugement relève de la sagesse. L’action de la miséricorde doit donc aussi être attribuée à la sagesse.

[22020] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, misericordia facit miseriam alicujus quodammodo esse in eo qui miseratur. Sed miseriae nostrae non possunt esse in Deo nisi per cognitionem. Ergo misericordia ad cognitionem seu sapientiam Dei pertinet.

4. La miséricorde fait que la misère de quelqu’un existe en quelque sorte dans celui qui compatit. Or, nos misères ne peuvent exister en Dieu que par la connaissance. La miséricorde relève donc de la connaissance ou de la sagesse de Dieu.

[22021] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, videtur quod ad bonitatem. Quia Sap. 11, 27, ponitur pro ratione misericordiae amor divinus; dicitur enim: parcis omnibus, quoniam tua sunt, qui amas animas. Sed amor ad bonitatem pertinet. Ergo misericordia bonitati est attribuenda.

Cependant, il semble qu’elle [relève] de la bonté, car en Sg 11, 27, l’amour de Dieu est donné comme raison de sa miséricorde. En effet, on dit : Tu épargnes tous parce qu’ils sont à toi, toi qui aimes les âmes. Or, l’amour relève de la bonté. La miséricorde doit donc être attribuée à la bonté.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22022] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ex hoc homo dicitur misericors, quia miseriam alterius suam facit; quod quidem contingit quantum ad duo. Primo quantum ad hoc quod ipse quodammodo ex aliena miseria afficitur, inquantum compatitur patienti. Secundo secundum quamdam reputationem, quia miseriam proximi reputat quasi suam, et exinde movetur ad repellendum ejus miseriam per beneficium, sicut repelleret suam. Deus autem nullo modo miseriae particeps esse potest; unde secundum primum modum misericordia in eum non cadit; sed ipse hoc modo se habet in repellendo miserias aliorum, sicut se habet homo in repellendo miseriam eorum. Sicut homo enim in repellendo miseriam alicujus considerat hominis utilitatem cujus repellit miseriam; ita et Deus per sua beneficia repellens nostram miseriam, non ordinat hoc ad suam utilitatem, sed ad nostram; unde inquantum nostra miseria est quasi sua secundum reputationem quamdam ipsius qui eam repellit, sic dicitur misericors, et misereri; et propter hoc communiter dicitur, quod non est in eo misericordia secundum passionem, sed secundum effectum; qui tamen effectus ex affectu voluntatis procedit; qui non est passio, sed simplex voluntatis actus.

Un homme est appelé miséricordieux parce qu’il fait sienne la misère d’un autre. Or, cela se produit sous deux aspects : premièrement, parce qu’il est lui-même affecté par la misère de l’autre pour autant qu’il compatit à celui qui souffre ; deuxièmement, selon une certaine estimation, car il considère la misère du prochain comme la sienne et il est ainsi entraîné à repousser sa misère par un bienfait, comme il repousserait la sienne. Or, Dieu ne peut d’aucune manière participer à la misère. Aussi la miséricorde ne se trouve-t-elle pas en lui de la première manière. Mais il se comporte, pour repousser les misères des autres, comme l’homme se comporte pour repousser leur misère. En effet, de même que l’homme considère l’utilité de l’homme dont il repousse la misère en repoussant la misère de quelqu’un, de même aussi Dieu, en repoussant notre misère par ses bienfaits, n’ordonne pas cela à son utilité, mais à la nôtre. Pour autant que notre misère est comme la sienne selon une certaine estimation de celui qui repousse la misère, [Dieu] est donc appelé miséricordieux et on dit qu’il a pitié. Pour cette raison, on dit de manière générale que la miséricorde n’existe pas en lui comme une passion, mais comme un effet, effet qui procède cependant de l’affection de la volonté, qui n’est pas une passion, mais un simple acte de la volonté.

[22023] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus definit misericordiam prout est passio in nobis inventa; et per hunc modum Deo non competit.

1. [Jean] Damascène définit la miséricorde en tant qu’elle est une passion qu’on trouve chez nous. Elle ne convient pas à Dieu de cette manière.

[22024] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod misericordia in nobis passio quaedam est; nulla autem passio est laudabilis, nisi secundum quod ratione regulatur; unde in nobis misericordia non est laudabilis, nisi secundum quod sequitur ordinem rationis. Nihil enim quod in nobis sit, transfertur in Deum, nisi eo modo quo in nobis est laudabile; et ideo misericordia in Deo est secundum rationem sapientiae ipsius; unde non oportet quod ex hoc ipso quod aliquis est magis peccator, majorem effectum misericordiae consequatur, nisi secundum quod est in divina sapientia ordinatum.

2. En nous, la miséricorde est une passion. Or, aucune passion n’est louable à moins qu’elle ne soit réglée par la raison. La miséricorde n’est donc pas louable en nous à moins qu’elle ne suive l’ordre de la raison. En effet, rien de ce qui existe en nous n’est reporté sur Dieu que de la manière dont cela est louable chez nous. La miséricorde en Dieu existe donc selon la raison de sa sagesse. Il n’est donc pas nécessaire que, par le fait même que quelqu’un est davantage pécheur, il obtienne un plus grand effet de miséricorde, à moins que celui-ci ne soit ordonné dans la sagesse divine.

[22025] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. Quia homo misericors non repellit alienam miseriam quantumcumque potest, sed quantum recta ratio permittit. Similiter et Deus repellit nostram miseriam secundum ordinem sapientiae suae; et ideo inducit miseriam poenae quibusdam, et permittit quosdam incidere in miseriam culpae.

3. La réponse au troisième argument est ainsi claire, car le miséricordieux ne repousse pas la misère d’un autre autant qu’il le peut, mais autant que la raison droite le permet. De même, Dieu repousse notre misère selon l’ordre de sa sagesse. C’est pourquoi il inflige la misère d’une peine à certains et permet que d’autres tombent dans la misère de la faute.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22026] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ratio misericordiae et bonitatis differunt in tribus. Primo in hoc quod misericordia respicit terminum a quo, sed bonitas magis terminum ad quem. Ille enim cui Deus beneficia largitur, fit de deficiente perfectus. Bonitas ergo respicit communicationem perfectionis, quia bonum est diffusivum sui esse; sed misericordia respicit remotionem defectus. Secundo in hoc quod misericordia, proprie loquendo, pertinet ad providentiam divinam, qua bona sua communicat creaturis rationalibus tantum; respicit enim miseriam, quae cum sit contraria felicitati, non potest esse nisi rationalium creaturarum, quarum est felices esse. Sed bonitas respicit providentiam divinam respectu quarumlibet rerum. Tertio in hoc quod misericordia importat quamdam assimilationem providentis ad eum cui providetur, inquantum providens alterius miseriam quasi suam reputat; et ideo misericordia esse non potest nisi in natura intellectuali quae habet aestimationem miseriae alienae. Sed bonitas habet ordinem ad communicationem simpliciter; unde cuilibet creaturae quae habet perfectionem communicabilem, bonitas convenire potest. Potest et quarta differentia assignari; quia misericordia removet debitum ab eo cui providetur; non enim dicitur misericorditer dari alicui quod ei debetur; sed bonitas non removet debiti rationem ab eo cui aliquid datur; unde bonitas se habet communiter ad largitionem justitiae et misericordiae.

La notion de miséricorde et celle de bonté diffèrent sur trois points. Premièrement, la miséricorde concerne le terme a quo, mais la bonté plutôt le terme ad quem. En effet, celui à qui Dieu accorde ses bienfaits devient parfait après avoir été imparfait. La bonté concerne donc la communication d’une perfection, car le bien diffuse son être, mais la miséricorde concerne l’enlèvement d’une carence. Deuxièmement, à proprement parler, la miséricorde relève de la providence divine, par laquelle celle-ci communique ses biens aux seules créatures raisonnables. Elle concerne en effet la misère, qui, contraire à la félicité, ne peut être le fait que des créatures raisonnables à qui il revient d’être heureuses. Mais la bonté concerne la providence divine dans son rapport à toutes les choses. Troisièmement, la miséricorde comporte une certaine assimilation de celui qui s’en occupe à celui dont il s’occupe, pour autant que celui qui s’en occupe estime comme sienne la misère de l’autre ; aussi la miséricorde ne peut-elle exister que dans une nature intellectuelle qui possède l’estimation de la misère d’un autre. Or, la bonté comporte un ordre à la seule communication. Aussi la bonté peut-elle convenir à toutes les créatures qui possèdent une perfection communicable. On peut aussi indiquer une quatrième différence : la miséricorde écarte la dette de celui dont elle s’occupe : en effet, on ne dit pas que quelque chose est miséricordieusement donné à celui à qui cela est dû. Mais la bonté n’écarte pas la raison de dette de celui à qui quelque chose est donné. La bonté a donc d’une manière générale un rapport avec ce qui est distribué par la justice et par la miséricorde.

[22027] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens conversionem gentium et bonitati divinae et misericordiae etiam attribuere, quamvis ratione diversa, ut ex dictis patet.

1. Il n’est pas inapproprié d’attribuer la conversion des nations à la bonté et à miséricorde divines, bien que ce soit pour une raison différente, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[22028] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod misericordia se habet ex additione ad bonitatem quodammodo, ut patet per praedicta; et ideo omne opus quod est misericordiae, est etiam bonitatis, sed non e converso.

2. La miséricorde est obtenue d’une certaine manière par addition à la bonté, comme cela ressort de ce qui a été dit. Toute action qui relève de la miséricorde relève donc aussi de la bonté, mais l’inverse n’est pas vrai.

[22029] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod misericordia quamvis sit bonitas quaedam, tamen quaedam super rationem bonitatis addit; et secundum hoc non est omnino eadem ratio bonitatis et misericordiae, sicut non est omnino eadem ratio hominis et animalis.

3. Bien que la miséricorde soit une certaine bonté, elle ajoute cependant quelque chose à la notion de bonté. De ce point de vue, les notions de bonté et de miséricorde ne sont pas du tout les mêmes, comme ne sont pas du tout les mêmes les notions d’homme et d’animal.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22030] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod omne opus divinum ex potentia, sapientia et bonitate procedit; sed tamen opus aliquod appropriatur potentiae, sapientiae vel bonitati, secundum quod in eo mirabilius apparet id quod pertinet ad aliquod praedictorum attributorum. Potentia autem importat absolutam rationem principii aliquid producentis; sed sapientiae est ordinare; unde ad sapientiam pertinet modus producendi rem, quo aliquid ordinare in esse producitur; sed bonitas, quae habet rationem finis, respicit motivum ad producendum: et ideo in opere creationis, in quo admirabile redditur hoc praecipue quod res in esse productae sunt, manifestatur maxime divina potentia; sed in opere gubernationis, quo res ordinatae disponuntur, redditur ipse ordo rerum admirabilis, et ideo sapientiae attribuitur; sed opus recreationis admirabile redditur ex ipso motivo, quia non ex operibus justitiae quae fecimus, sed propter suam bonitatem salvos nos fecit; unde attribuitur praecipue bonitati. Et quia ex hoc aliquid dicitur misericorditer esse factum quod non ex debito datur, sed ex bonitate largientis; ideo opus misericordiae, inquantum hujusmodi, bonitati appropriatur.

Toute action de Dieu procède de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ; cependant, une action est appropriée à la puissance ou à la bonté selon que se manifeste en elle de manière plus admirable ce qui relève de l’un des attributs mentionnés. Or, la puissance comporte la notion absolue d’un principe qui réalise quelque chose ; mais il relève de la sagesse d’ordonner : la manière de réaliser une chose, par laquelle ordonner dans l’être est accompli, relève donc de la sagesse. Mais la bonté, qui comporte la raison de fin, concerne ce qui meut à réaliser. Dans l’œuvre de la création, où est principalement rendu admirable le fait que les choses ont été amenées à l’être, est surtout manifestée la puissance divine. Mais, dans l’œuvre du gouvernement, où les choses sont disposées de manière ordonnée, l’ordre même des choses est rendu admirable : elle est donc attribuée à la sagesse. Cependant, l’œuvre de la recréation est rendue admirable par son motif même, car ce n’est pas par les œuvres de justice que nous avons accomplies, mais en raison de sa bonté qu’il nous a sauvés : aussi est-elle attribuée principalement à la bonté. Et parce qu’on dit que quelque chose a été accompli de manière miséricordieuse du fait que cela n’a pas été donné en raison d’une dette, mais en raison de la bonté de celui qui l’accorde, l’œuvre de la miséricorde en tant que telle est attribuée à la bonté.

[22031] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur parcendo et miserendo suam omnipotentiam maxime manifestare, non tam quoad substantiam facti, quam quoad licentiam faciendi; ille enim qui est alicui superiori potestati subjectus, non potest licite dimittere poenas a superiori potestate constitutas. Ex hoc ergo quod Deus poenas dimittit, et supra debitum largitur; ostenditur quod ipse ex propria potestate et auctoritate omnia operatur; et quod ipse non est superiori potestati subjectus. Sed quantum ad substantiam facti praecipue manifestatur bonitas in parcendo; et ideo opus misericordiae bonitati est attribuendum.

1. On dit que Dieu manifeste surtout sa toute-puissance en épargnant et en faisant miséricorde, non pas tant quant à la substance de ce qui a été accompli, qu’à la liberté de l’accomplir. En effet, celui qui est soumis à un pouvoir supérieur ne peut légitimement remettre les peines établies par un pouvoir supérieur. Du fait que Dieu remet les peines et accorde davantage que ce qui est dû, il est donc montré que lui-même accomplit tout par ses propres puissance et autorité, et qu’il n’est pas soumis à un pouvoir supérieur. Mais pour ce qui est de la substance du fait, c’est surtout la bonté qui est manifestée par le fait d’épargner. C’est pourquoi l’œuvre de miséricorde doit être attribuée à la bonté.

[22032] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justificare impium dicitur majus quam creare caelum et terram, inquantum ad nobilius esse perducitur quis per justificationem quam per creationem; vel inquantum in creatione non est aliquid quod repugnet creanti, cum sit ex nihilo, sicut in justificatione repugnat justificanti inordinata voluntas. Unde quamvis opus justificationis potentiam manifestet, specialiter tamen commendat bonitatem, inquantum ipsa est sola quae ad justificandum movet, cum ex parte justificandi magis inveniatur quod justificationi repugnet.

2. On dit que justifier l’impie est plus grand que créer le ciel et la terre pour autant que quelqu’un est amené à un être plus noble par la justification que par la création, ou pour autant que, dans la création, il n’y a rien qui s’oppose à celui qui crée, puisqu’elle est réalisée à partir de rien, alors que, dans la justification, une volonté désordonnée s’oppose à celui qui justifie. Bien que l’action de justifier manifeste la puissance, elle met cependant en relief d’une manière spéciale la bonté, pour autant que celle-ci est la seule qui meuve à justifier, puisque, du côté de celui qui doit être justifié, on trouve surtout ce qui s’oppose à la justification.

[22033] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod licet misericordia judicio dirigatur, non tamen esse misericordiae consistit in judicio, sed magis in voluntate; et ideo magis appropriatur bonitati quam sapientiae.

3. Bien que la miséricorde soit dirigée par le jugement, l’être de la miséricorde ne consiste cependant pas dans le jugement, mais plutôt dans la volonté. Elle est donc davantage appropriée à la bonté qu’à la sagesse.

[22034] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum de cognitione; quia illa praeexigitur ad voluntatem repellendi miseriam, in qua ratio misericordiae completur.

4. Il faut dire la même chose de la connaissance, car celle-ci est prérequise à la volonté de repousser la misère, par laquelle la notion de miséricorde s’achève.

 

 

Articulus 2 [22035] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 tit. Utrum Deus semper misericordiam exhibeat in hoc quod punit citra condignum, et remunerat ultra meritum

Article 2 – Dieu manifeste-t-il toujours sa miséricorde en punissant moins que ce qui est mérité et en récompensant au-delà du mérite ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Dieu manifeste-t-il toujours sa miséricorde en punissant moins que ce qui est mérité et en récompensant au-delà du mérite ?]

[22036] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non semper misericordiam exhibeat in hoc quod punit citra condignum, et remunerat ultra meritum. Quia Apocal. 18, 7: quantum glorificavit se et in deliciis fuit, tantum date illi tormentum et luctum; et Matth. 7, 2: in qua mensura mensi fueritis, remetietur et vobis. Ergo videtur quod secundum mensuram meriti vel delicti sit mensura poenae vel praemii; et ita non semper punit citra condignum, nec remunerat ultra meritum.

1. Il semble que Dieu ne manifeste pas toujours sa miséricorde en punissant moins que mérité et en récompensant au-delà du mérite, car il est dit dans Ap 18, 7 : À la mesure de son faste et de son luxe, donnez-lui tourments et malheurs ! Mt 7, 2 : Ce que vous aurez semé, vous le récolterez ! Il semble donc que la mesure de la peine ou de la récompense soit proportionnelle au mérite ou à la faute. [Dieu] ne punit donc pas toujours moins que mérité et ne récompense pas au-delà du mérite.

[22037] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Apoc. 18, 6, dicitur: duplicate ei duplicia secundum opera ejus; et Isa. 40, 2: suscepit de manu domini duplicia pro omnibus peccatis suis; et super illud Psal. 71: ex usuris et iniquitate etc., dicit Glossa: plus exigit in poenis quam commissum sit in culpis. Ergo videtur quod non puniat citra condignum, sed magis ultra.

2. À propos de Ap 18, 6 : Rendez-lui le double de ses oeuvres ! et Is 40, 2 : Il a reçu de la main du Seigneur le double de ses péchés ; et de Ps 71 : Pour leur usure et leur iniquité, etc., la Glose dit : « Il exige une peine plus grande que les fautes commises. » Il semble donc que [Dieu] ne punisse pas moins que mérité, mais beaucoup plus.

[22038] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, pueri baptizati liberati sunt ab omni peccato. Ergo non sunt debitores alicujus poenae. Sed tamen frequenter multae poenae eis divinitus in hac vita infliguntur, ut febres, et hujusmodi; nec potest dici quod ad eorum utilitatem cedant, cum quandoque moriantur antequam ad adultam aetatem perveniant. Ergo videtur quod non puniat semper citra condignum.

3. Les enfants baptisés sont libérés de tous les péchés. Ils ne sont donc débiteurs d’aucune peine. Cependant, beaucoup de peines leur sont infligées par Dieu en cette vie, comme des fièvres et des choses de ce genre, et on ne peut dire que c’est pour leur bien, puisque parfois ils meurent avant d’être parvenus à l’âge adulte. Il semble donc que [Dieu] ne punisse pas toujours moins que mérité.

[22039] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, peccato originali non debetur alia poena quam carentia visionis divinae. Sed hac poena puniuntur pueri non baptizati, qui in peccato originali decedunt. Ergo videtur quod non semper puniat citra condignum.

4. Pour le péché originel, aucune autre peine n’est due que la privation de la vision de Dieu. Or, les enfants non baptisés, qui meurent dans le péché originel, sont punis de cette peine. Il semble donc que [Dieu] ne punisse pas toujours moins que mérité.

[22040] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, illud quod potest aliter esse, non est asserendum quod semper ita se habeat. Sed Deus potest aliquando servare modum justitiae, ut secundum condignum puniat; hoc enim non est contra potentiam ordinatam. Ergo non est asserendum quod semper puniat citra condignum.

5. Ce qui peut être autrement, il ne faut pas dire que cela existe toujours de la même manière. Or, Dieu peut parfois sauvegarder la mesure de la justice en punissant comme mérité : en effet, cela n’est pas contraire à sa puissance ordonnée. Il ne faut donc pas dire qu’il punit toujours moins que mérité.

[22041] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, Sap. 6, 7 dicitur: exiguo conceditur misericordia; potentes autem potenter tormenta patientur; et Jac. 2, 13: judicium sine misericordia fiet ei qui non fecit misericordiam. Ergo videtur quod potentes et immisericordes non puniantur citra condignum.

6. Il est dit en Sg 6, 7 : La miséricorde est accordée au petit ; mais les puissants souffriront de très grands tourments ; et Jc 2, 13 : La justice sans miséricorde sera faite à celui qui ne se montre pas miséricordieux. Il semble donc que les puissants et les non miséricordieux ne sont pas punis moins que mérité.

[22042] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Psal. 102, 10: non secundum peccata nostra fecit nobis, neque secundum iniquitates nostras retribuit nobis.

Cependant, le Ps 102, 10 dit : Il ne s’est pas comporté avec nous selon nos péchés, il ne nous a pas rétribués selon nos iniquités.

[22043] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, proprium non derelinquit id cujus est proprium. Sed Deo proprium est misereri, ut dicitur in collecta: Deus cui proprium est misereri semper et parcere. Ergo semper miseretur. Sed hoc non esset nisi praemium conferret ultra meritum, et mala citra condignum. Ergo videtur quod ita semper accidat.

[2] Ce qui est propre n’abandonne pas ce dont c’est le propre. Or, il est propre à Dieu de faire miséricorde, comme il est dit dans la collecte : « Dieu, dont le propre est de toujours faire miséricorde et d’épargner… » Il fait donc toujours miséricorde. Or, ce ne serait pas le cas s’il ne récompensait pas au-delà du mérite et [punisait] les maux moins que mérité. Il semble donc que ce soit toujours le cas.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La miséricorde et la justice de Dieu sont-elles toujours unies ?]

[22044] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non in omni tempore Dei misericordia et veritas conjungantur. Quia opus creationis non praesupponit aliquid. Sed opus quod est secundum justitiam, praesupponit debitum; opus autem quod est secundum misericordiam, praesupponit miseriam. Ergo in opere creationis non conveniunt justitia et misericordia

1. Il semble que la miséricorde et la justice de Dieu ne sont pas toujours unies, car l’acte de la création ne présuppose rien. Or, un acte qui est conforme à la justice présuppose une dette, et l’acte qui est conforme à la miséricorde présuppose la misère. La justice et la miséricorde ne sont donc pas unies dans l’acte de la création.

[22045] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, convertere gentes et convertere Judaeos sunt diversa opera. Sed in conversione gentium videtur fuisse sola misericordia; in salvatione autem Judaeorum justitia; per id quod dicitur Rom. 15, 8: dico Jesum Christum ministrum fuisse circumcisionis ad confirmandas promissiones patrum; gentes autem super misericordia honorare Deum. Ergo nec in omni opere domini est misericordia et veritas.

2. Convertir les païens et convertir les Juifs sont des actions différentes. Or, dans la conversion des païens, ne semble avoir existé que la miséricorde ; mais, dans le salut des Juifs, la justice, en fonction de ce qui est dit dans Rm 15, 8 : Je dis que Jésus, le Christ, a été le ministre de la circoncision pour réaliser les promesses faites aux pères, mais que les païens honorent Dieu par miséricorde. Dans toute œuvre du Seigneur, il n’y a donc pas miséricorde et vérité.

[22046] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ibi non videtur esse justitia ubi unus pro peccato alterius punitur. Sed Deus quandoque punit unum pro peccato alterius, sicut pro peccato Cham maledictus est Chanaan, Gen. 9; et pro peccato David percussus est populus, 2 Reg., ult. Ergo videtur quod non semper justitiam et misericordiam in opere servet.

3. Il ne semble pas y avoir de justice là où l’un est puni pour le péché d’un autre. Or, Dieu punit parfois l’un pour le péché d’un autre ; ainsi, pour le péché de Cham, Canaan a été puni, Gn 9 ; et pour le péché de David, le peuple a été frappé, 2 R 24. Il semble donc qu’il ne sauvegarde pas toujours la justice et la miséricorde dans son action.

[22047] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ibi non videtur servari justitia ubi nullum meritum praecessit; cum justitia debitum respiciat. Sed in impio qui justificatur, nullum meritum praecessit. Ergo non videtur justitia aliqua in impii justificatione.

4. La justice ne semble pas respectée là où aucun mérite n’a précédé, puisque la justice concerne une dette. Or, chez l’impie qui est justifié, aucun mérite n’a précédé. Il ne semble donc pas qu’il y ait justice dans la justification de l’impie.

[22048] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, justitia nunquam reddit aequalibus nisi aequalia. Sed Deus quandoque aequalibus inaequalia tribuit; ante enim quam Jacob et Esau nati essent, aut aliquid boni vel mali egissent, omnino aequales erant; et tamen uni praeparavit gloriam, et alteri poenam, ut patet Rom. 9. Similiter cum Aaron et filii Israel peccassent aequaliter in idoli adoratione, Aaron non est punitus, cum populus punitus fuerit, ut patet Exod. 21. Ergo videtur quod non in omnibus justitiam servet.

5. La justice ne rend aux égaux que ce qui est égal. Or, Dieu donne parfois des choses inégales à des égaux : en effet, avant que Jacob et Ésaü ne soient nés ou n’aient fait quelque chose de bien ou de mal, ils étaient tout à fait égaux ; cependant, à l’un a été préparée la gloire, et à l’autre, la peine, comme cela ressort de Rm 9. De même, pour l’adoration d’une idole, Aaron n’a pas été puni, alors que le peuple a été puni, comme cela ressort de Ex 21. Il semble donc que [Dieu] ne respecte pas en tout la justice.

[22049] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, hoc videtur esse injustum, ut meliori minus detur de bonis, et magis de malis. Sed bona temporalia aliquando abundantius dantur a Deo malis quam bonis, et poenae quandoque magis inferuntur bonis quam malis. Ergo videtur quod non in omni opere suo justitiam servet cum misericordia.

6. Il semble injuste que moins de biens soient donnés au meilleur et davantage aux méchants. Or, des biens temporels sont parfois donnés par Dieu plus abondamment aux méchants qu’aux bons, et des peines sont parfois davantage infligées aux bons qu’aux méchants. Il semble donc que [Dieu] ne sauvegarde pas dans toute son œuvre la justice et la miséricorde.

[22050] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de concordia Evangelistarum: Deus, qui res humanas curat, juste et misericorditer curat, ut nec praecludat misericordia justitiam, nec justitia misericordiam excludat. Ergo videtur quod in omni opere domini justitia et misericordia conveniant.

Cependant, Augustin dit dans le Livre sur l’accord entre les évangélistes : « Dieu, qui prend soin des choses humanes, en prend soin avec justice et miséricorde, de sorte que la miséricorde n’exclue pas la justice et la justice n’exclue pas la miséricorde. » Il semble donc que, dans toute l’œuvre du Seigneur, se rencontrent la miséricorde et la justice.

[22051] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, non magis differt in Deo justitia et misericordia, quam potentia, bonitas et sapientia. Sed omne opus potentiae est opus sapientiae et bonitatis. Ergo videtur quod similiter omne opus justitiae sit misericordiae, et e converso.

[2] La justice et la miséricorde en Dieu ne sont pas plus différentes que la puissance, la bonté et la sagesse. Or, tout acte de sa puissance est un acte de sagesse et de bonté. Il semble donc que, de la même manière, tout acte de justice soit un acte de miséricorde et inversement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La justice l’emporte-t-elle sur la miséricorde dans l’action de Dieu ?]

[22052] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in opere Dei principalior sit justitia quam misericordia. Quia, ut dicitur Hebr. 10, 4, horrendum est incidere in manus Dei viventis. Sed hoc non esset, si misericordia principalior in ejus opere esset. Ergo justitia magis in opere Dei principatur quam misericordia.

1. Il semble que la justice l’emporte sur la miséricorde dans l’action de Dieu, car, comme le dit He 10, 4 : Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. Or, ce ne serait pas le cas si la miséricorde l’emportait dans son action. La justice de Dieu l’emporte donc sur la miséricorde dans l’action de Dieu.

[22053] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod est prius in quolibet genere, est principalius. Sed justitia videtur esse prior quam misericordia; quia misericordia ex justitia nascitur, ut dicit Anselmus in Proslogio. Ergo justitia principalior est in opere Dei quam misericordia.

2. Ce qui est premier en chaque genre l’emporte. Or, la justice semble être antérieure à la miséricorde, car la miséricorde est issue de la justice, comme le dit Anselme dans le Proslogion. La justice l’emporte donc sur la miséricorde dans l’action de Dieu.

[22054] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod inest alicui secundum se, principalius ei convenit quam quod convenit ei secundum alterum. Sed, sicut dicit Anselmus in Proslog., parcendo malis justus es secundum te et non secundum nos, sicut misertus es secundum nos et non secundum te; et sic misericordia competit Deo secundum nos; sed justitia secundum seipsum. Ergo principalior est in opere Dei justitia quam misericordia.

3. Ce qui existe par soi en quelque chose l’emporte sur ce qui lui convient selon quelque chose d’autre. Or, comme le dit Anselme dans le Proslogion : « Tu es juste selon toi, et non selon nous, en épargnant les méchants, comme tu fais miséricorde selon nous, et non selon toi. » Ainsi, la miséricorde convient à Dieu selon nous, mais la justice selon lui-même. La justice l’emporte donc sur la miséricorde dans l’action de Dieu.

[22055] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Jacob. 2, 12: superexaltat autem misericordia judicium; idest, superponetur misericordia in judicio, ut Glossa dicit; et in Psalm. 144, 9: miserationes ejus super omnia opera ejus. Ergo misericordia principalior est in opere Dei quam justitia.

Cependant, Jc 2, 12 dit : La miséricorde dépasse de beaucoup le jugement, c’est-à-dire que « la miséricorde l’emportera lors du jugement », comme le dit la Glose ; aussi Ps 144, 9 : Sa miséricorde s’étend à toutes ses œuvres. La miséricorde l’emporte donc sur la justice dans l’action de Dieu.

[22056] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod est proprium alicui, principalius ei convenit quam id quod est alienum ab eo. Sed proprium opus Dei est misereri et parcere; et opus punitionis est alienum ab eo, ut patet Exod. 22. Ergo misericordia principalior est in opere Dei quam justitia.

[2] Ce qui est propre à quelque chose lui convient davantage que ce qui est propre à autre chose. Or, l’action propre à Dieu est de faire miséricorde et d’épargner, et l’action de punir lui est étrangère, comme cela ressort de Ex 22. La miséricorde l’emporte donc sur la justice dans l’action de Dieu.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22057] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod agens et patiens semper debent sibi proportionaliter respondere; ita quod hoc modo se habeat agens ad actionem, sicut patiens ad passionem. Ea autem quae sunt inaequalia, non habent similem proportionem nisi ad inaequalia: sicut enim senarius est major quaternario; ita et ternarius, cujus duplum est senarius, est major binario, cujus duplum est quaternarius. Et inde est quod quandocumque agens excedit patiens, oportet quod actio excedat passionem; sicut videmus in omnibus agentibus aequivocis, quia patiens non recipit effectum totum actionis. Dans autem se habet per modum agentis, et recipiens per modum patientis; et ideo quando dans superexcedit recipientem, conveniens est ut datio excedat illam receptionem quae est proportionata recipienti. Et ideo cum Deus sit excellentissimus dator propter abundantiam suae bonitatis, oportet quod semper ejus datio in bonis superexcedat receptionem quae est proportionata recipienti. Pro eodem autem computatur minus malum et majus bonum, ut dicitur in 5 Ethic.; et ideo Deus semper dat ultra condignum de bonis, et semper mala poenae irrogat citra condignum.

L’agent et le patient doivent toujours se correspondre de manière proportionnelle, de telle sorte que l’agent ait le même rapport avec l’action que le patient avec la passion. Or, les choses inégales n’ont une même proportion semblable que par rapport à des choses inégales. En effet, six est plus grand que quatre ; de même, trois, dont six est le double, est plus grand que deux, dont le double est quatre. De là vient que chaque fois que l’agent dépasse le patient, il faut que l’action dépasse la passion, comme nous le voyons dans tous les agents équivoques, car le patient ne reçoit pas tout l’effet de l’action. Or, celui qui donne joue le rôle d’agent, et celui qui reçoit, celui de patient. Aussi lorsque celui qui donne dépasse celui qui reçoit, il est approprié que le don dépasse la réception qui est proportionnée à celui qui reçoit. Puisque Dieu est le donateur le plus élevé en raison de l’abondance de sa bonté, il est donc nécessaire que le don de biens qu’il fait dépasse la réception qui est proportionnée à celui qui reçoit. Or, un moindre mal et un plus grand bien sont estimés être la même chose, comme on le dit dans Éthique, V. C’est pourquoi Dieu donne toujours en biens au-delà de ce qui est mérité, et inflige des peines moins que mérité.

[22058] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum et tantum non important aequalitatem quantitatis, sed proportionis, in auctoritate inducta. Poenae autem proportio ad culpam potest intelligi dupliciter: vel in generali, vel in speciali. In generali quidem; ut qui peccavit, puniatur; et qui multum peccavit, multum puniatur. In speciali autem dupliciter: vel accipiendo proportionem poenae ad culpam secundum debitum culpae absolute; vel praesupposita mitigatione divinae misericordiae, quae aliquid de poena remittit. Primo igitur et tertio modo nunquam Deus punit citra condignum: quia semper peccantes multum punit: nec aliquid de poena dimittitur quae post mitigationem divinae misericordiae remanet. Sed quantum ad secundum modum semper punitur aliquis citra condignum: quia non tantum punitur quis, quantum per culpam meruit. Vel dicendum, et melius, quod aequalitas ista proportionalitatis est, non aequalitatis; et attendenda est non secundum comparationem poenae ad culpam, sed secundum proportionem duorum peccantium ad duas poenas; ut scilicet qui plus peccavit, plus puniatur; et secundum quod exceditur in peccato, sic excedatur in poena; et sic etiam intelligendae sunt omnes auctoritates quae videntur aequalitatem culpae et poenae demonstrare.

1. La comparaison entre les deux termes ne comporte pas une égalité quantitative, mais proportionnelle, selon l’autorité invoquée. Or, la proportion de la peine par rapport à la faute peut se comprendre de deux manières : de manière générale ou de manière spéciale. De manière générale, de sorte que celui qui a péché est puni, et celui qui a beaucoup péché est beaucoup puni. De manière spéciale, de deux manières : soit en prenant la proportion de la peine par rapport à la faute selon la dette de la faute de manière absolue ; soit en présupposant un adoucissement par la miséricorde divine. Dieu ne punit donc jamais moins que mérité selon le premier et le troisième modes, car il punit toujours beaucoup les pécheurs, et rien n’est remis de leur peine de ce qui demeure après l’adoucissement par la miséricorde divine. Mais, pour ce qui est du deuxième mode, on est toujours puni moins que mérité, car on n’est pas puni autant qu’on l’a mérité par la faute. Ou bien il faut dire, et mieux, que cette égalité en est une qui est proportionnelle, et non d’égalité : elle doit donc être envisagée non pas selon une comparaison entre la peine et la faute, mais selon la proportion entre deux pécheurs et deux peines, à savoir que celui qui a péché davantage est davantage puni ; et à l’excès du péché correspond un excès de peine. Il faut aussi comprendre de cette façon toutes les autorités qui semblent démontrer l’égalité entre la faute et la peine.

[22059] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplicitas illa poenae non intelligitur secundum excessum poenae ad culpam in duplo; sed quia homo in duobus punietur; scilicet in anima et corpore. Quod autem dicitur, quod plus exigitur in poenis quam commissum sit in culpis; intelligendum est quantum ad temporis durationem: quia pro delectatione momentanea infligitur poena aeterna. Duratio autem poenae non proportionatur durationi culpae; sed magis intensio poenae respondet enormitati culpae, ut patet ex supra dictis.

2. Ce double de peine ne s’entend pas selon un dépassement du double de la peine par rapport à la faute, mais selon que l’homme est puni en deux choses : dans son âme et dans son corps. Qu’on dise que plus de peines sont exigées que les fautes commises, cela doit s’entendre de la durée dans le temps, car, pour une peine momentanée, une peine éternelle est infligée. Mais la durée de la peine n’est pas proportionné à la durée de la faute, mais l’intensité de la peine correspond plutôt à l’énormité de la faute, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[22060] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum originale sequitur duplex poena. Una, secundum quod infectivum personae; et sic est poena ejus carentia visionis divinae. Alia, secundum quod est vitium naturae; et sic sequuntur ipsum poenae quae ex principio naturae causantur, ut mors, quae causatur ex contrarietate principiorum naturae, et alia hujusmodi quae ad mortem ordinantur, vel quae ex deordinatione principiorum naturae consequuntur, ut febris, et hujusmodi. Dico ergo, quod Baptismus mundat personam, sed non curat naturam; quod patet ex hoc quod per actum naturae baptizatus originale transmittit in prolem; et ideo per Baptismum absolvitur puer baptizatus a reatu mortis aeternae, quae est carentia visionis divinae; manet tamen adhuc reatus mortis temporalis, et aliorum hujusmodi, quae ex peccato naturae consequuntur: quae quamvis ad utilitatem illius personae non cedant, si infra aetatem perfectam decedit, quia his passionibus non meretur; cedunt tamen in utilitatem aliorum qui sunt ei conformes in natura: quia et poenae hujusmodi peccatum naturae consequuntur.

3. Une double peine découle du péché originel. L’une, selon qu’il infecte la personne : sa peine est ainsi la privation de la vision de Dieu. L’autre, selon qu’il est un vice de la nature : ainsi en découlent les peines qui sont causées par un principe de la nature, comme la mort, qui est causée par le caractère contraire des principes de la nature, et les autres choses du genre qui sont ordonnées à la mort ou qui découlent d’un désordre des principes de la nature, comme les fièvres et les choses de ce genre. Je dis donc que le baptême purifie la personne, mais ne guérit pas la nature, ce qui ressort du fait que le baptisé transmet à sa descendance le péché originel par un acte de la nature. C’est pourquoi l’enfant baptisé est absous par le baptême de la dette de la mort éternelle ; mais demeure encore la dette de la mort temporelle et des autres choses de ce genre, qui découlent du péché de nature. Bien qu’elles ne servent pas au bien de cette personne si elle meurt avant l’âge adulte, puisqu’elle n’est pas méritée par ces passions, elles servent cependant au bien des autres qui lui sont conformes par nature, car les peines de ce genre découlent d’un péché de nature.

[22061] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pro peccato originali secundum rigorem justitiae non solum debetur naturae pro poena carentia visionis divinae, sed etiam ipsius annihilatio; et ideo ex hoc ipso quod conservantur pueris non baptizatis naturalia bona, citra condignum puniuntur. Unde Threnor. cap. 3, 22: misericordiae domini, quod non sumus consumpti.

4. Selon une justice rigoureuse, n’est pas seulement due pour le péché originel la privation de la vision de Dieu, mais aussi l’anéantissement [du pécheur]. Du fait même que les biens naturels sont laissés aux enfants non baptisés, ils sont donc punis moins qu’ils ne le méritent. Aussi est-il dit dans Lm 3, 22 : C’est par la miséricorde du Seigneur que nous n’avons pas été anéantis.

[22062] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut potentia Dei habet ordinem ad ejus justitiam, ita etiam habet ordinem ad ejus misericordiam; unde quamvis non repugnet potentiae secundum quod ordinatur ad justitiam, nihil de poena dimittere; repugnat tamen potentiae secundum quod ordinatur ad misericordiam; et sic de potentia ad misericordiam ordinata hoc Deus non potest.

5. Comme la puissance de Dieu est ordonnée à sa justice, elle est aussi ordonnée à sa miséricorde. Bien qu’il ne soit pas contraire à sa puissance, selon qu’elle est ordonnée à sa justice, de ne rien remettre de la peine, cela est cependant contraire à sa puissance en tant qu’elle est ordonnée à sa miséricorde. Ainsi, en vertu de sa puissance ordonnée à sa miséricorde, Dieu ne peut pas faire cela.

[22063] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod immisericordes non consequuntur misericordiam totaliter a poena liberantem, consequuntur tamen misericordiam aliquid de poena relaxantem. Similiter etiam si potentes sint mali, non possunt excusari per infirmitatem, quae quandoque excusat a toto, sicut per eam exigui, idest totaliter infirmi, excusantur.

6. Ceux qui manquent de miséricorde n’obtiennent pas une miséricorde qui libère entièrement de la peine ; ils obtiennent cependant une miséricorde qui adoucit quelque peu la peine. De même, si les puissants sont méchants, ils ne peuvent être excusés par la faiblesse, qui parfois excuse entièrement, comme sont excusés par elle ceux qui sont petits, c’est-à-dire tout à fait malades.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22064] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod operatio Dei est quasi medium inter Deum operantem et ipsum opus operatum. Omne autem medium participat quodammodo cum utroque extremorum; et ideo in operatione Dei oportet aliquid inveniri ex parte ipsius Dei operantis et ex parte operati, ad quod operatio terminatur. Ex parte quidem operantis exigitur ut sit superabundantia in collatione bonorum et diminutione malorum, cum ipse Deus sit excellentissimus operator, ut dictum est, et in hoc consistit divina misericordia; ex parte autem operati requiritur receptio, quae fit secundum proportionem recipientis; et in hoc ratio justitiae consistit. Ideo oportet quod in omni divina operatione aliquid misericordiae et aliquid justitiae inveniatur: nec justitia misericordiae repugnat; quia misericordia non est laudabilis nisi sit secundum rationem rectam, quae est regula justitiae, sive secundum ordinem sapientiae in divinis; nec misericordia repugnat justitiae; quia elargiri aliquid supra debitum de bonis, vel citra debitum de malis, non est contra justitiam, sed praeter eam, ut ex dictis patet; et ideo nec immensitas misericordiae excludit justitiam a divino opere, nec immensitas justitiae misericordiam.

L’action de Dieu est comme intermédiaire entre Dieu qui agit et l’œuvre réalisée. Or, tout ce qui est intermédiaire participe d’une certaine manière aux deux extrêmes. Dans l’action de Dieu, se trouve donc nécessairement quelque chose du côté de Dieu même qui agit et du côté de ce qui est réalisé, à quoi se termine l’action. Du côté de [Dieu] qui agit, il est donc requis qu’il existe une surabondance dans l’octroi des biens et la diminution des maux, puisque Dieu est l’acteur le plus élevé, comme on l’a dit : c’est en cela que consiste la miséricorde de Dieu. Mais du côté de ce qui est réalisé, une réception est requise, qui se réalise selon la proportion de celui qui reçoit : en cela consiste la raison de justice. Il est donc nécessaire qu’en toute action divine, on trouve quelque chose de la miséricorde et quelque chose de la justice, et la justice n’est pas contraire à la miséricorde, car la miséricorde n’est louable que si elle est conforme à la raison droite, qui est la règle de la justice, ou à l’ordre de la sagesse dans les choses divines. La miséricorde non plus n’est pas contraire à la justice, car il n’est pas contraire à la justice d’accorder plus de biens qu’il n’est dû ou moins de maux que mérité, mais cela est au-delà [de la justice], comme cela ressort de ce qui a été dit. Ni l’immensité de la miséricorde n’exclut donc la jusstice dans l’œuvre de Dieu, ni l’immensité de justice, la miséricorde.

[22065] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod justitia, ut ex dictis patet, quandoque consistit in retributione meritorum; et sic justitia in creatione non consideratur: quandoque vero justitia consistit in condecentia divinae bonitatis; et sic non praesupponit aliquid ex parte recipientis, sed solum ex parte Dei; et sic potest esse justitia in opere creationis. Justum est enim ut unaquaeque res hoc modo esse habeat quomodo praeordinatum est a sapientia divina. Similiter et misericordia dupliciter dicitur. Uno modo secundum quod repellit miseriam praecedentem non ex debito; et sic non potest esse misericordia in opere creationis: alio modo communiter, secundum quod sine debito tollitur quicumque defectus; et sic in opere creationis est misericordia: quia maximum defectum Deus creando removit, scilicet non esse; et hoc ex gratuita voluntate fecit, non aliquo debito constrictus.

1. Comme cela ressort de ce qui a été dit, la justice consiste parfois dans la rétribution des mérites : la justice n’est pas envisagée de cette manière dans la création. Mais elle consiste parfois dans ce qui est digne de la bonté divine : elle ne présuppose pas ainsi quelque chose du côté de celui qui reçoit, mais seulement du côté de Dieu. Ainsi peut exister la justice dans l’œuvre de la création. En effet, il est juste que chaque chose chose possède l’être de la manière dont cela a été ordonné à l’avance par la sagesse divine. De même, on peut parler de miséricorde de deux manières. D’une manière, selon qu’elle repousse une misère antérieure sans qu’il y ait dette : de cette manière, la miséricorde peut exister dans l’œuvre de la création ; d’une autre façon, d’une manière générale, selon que toute carence est enlevée sans qu’il y ait dette : ainsi existe la miséricorde dans l’œuvre de la création, car, en créant, Dieu enlève la plus grande carence, le néant ; et il a fait cela selon une volonté gratuite, sans être limité par une dette.

[22066] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod apostolus utitur tali modo distinctionis, quia aliquis modus justitiae fuit in salvatione Judaeorum qui non fuit in conversione gentium; scilicet impletio promissorum, quae fuerunt per prophetas Judaeis, et non gentibus, repromissa a Deo. Sed tamen in utrisque salvatio habuit et justitiam et misericordiam: justitiam autem quae est secundum decentiam divinae bonitatis: decuit enim ut Deus rationalem creaturam non totaliter perderet, quam ad beatitudinem fecit: misericordiam vero, quia in neutris merita praecesserunt quae ad hoc sufficerent, secundum illud Tit. 3, 5: non ex operibus justitiae, quae fecimus nos, sed secundum suam misericordiam salvos nos fecit.

2. L’Apôtre emploie une telle manière de distinguer parce qu’a existé pour le salut des Juifs un mode de justice qui n’a pas existé pour la conversion des païens : l’accomplissement promis par Dieu des promesses faites aux Juifs par les prophètes, et non aux païens. Cependant, chez les deux, le salut a comporté à la fois justice et miséricorde. Une justice conforme à ce qui est digne de la bonté divine : en effet, il convenait que Dieu ne perde pas entièrement la créature raisonnable qu’il a créée pour la béatitude. Une miséricorde, car, chez les deux, aucun mérite n’a précédé qui suffirait pour cela, selon ce que dit Tt 3, 5 : Il nous a sauvés, non selon les œuvres de justice que nous avons accomplies, mais selon sa miséricorde.

[22067] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus super illud Josue, 7: filii Israel praevaricati sunt etc., in poenis aeternis nunquam unus punitur pro alio; sed in temporali quandoque unus punitur pro alio: cujus ratio potest esse triplex. Una est, quia poena aeterna non infligitur alicui ad profectum patientis, sed ad vindictam culpae; sed poena temporalis quandoque infertur ad profectum patientis. Unde sicut quandoque aliquis sine culpa punitur temporali poena, ita etiam quandoque aliquis punitur pro peccato alterius ad profectum sui et aliorum, ut scilicet videatur quantum unus debeat esse solicitus pro alio, ne cadat in peccatum, ex quo pro peccato unius tota congregatio temporaliter punitur; et ut etiam ostendatur quam fugiendum sit peccatum, quod ita graviter punitur, ut uno delinquente plures puniantur. Secunda ratio potest esse, quia quantum ad temporalia unus homo est res alterius, sicut filius est quaedam res patris; et ideo quandoque filius punitur temporaliter pro peccato patris, et servus pro peccato domini; sed quantum ab bonum animae quilibet gerit personam propriam. Ezech. 18, 4: omnes animae meae sunt. Tertia ratio est quam assignat Gregorius, quia quandoque aliquis est particeps culpae alterius; sicut ex culpa subditorum quandoque permittuntur praelati cadere in peccatum; et ita non est mirum, si pro peccatis praelatorum subditi puniuntur, sicut in 2 Reg., ultim., David peccante populus est punitur. Unde hoc non est divinae justitiae contrarium, ut unus quandoque pro peccato alterius puniatur. Nec tamen ex hoc debet sumi exemplum in judicio humano, ut unus puniatur pro alio, ut Augustinus dicit: quia homo non potest scire profectum provenientem ex poena temporali, sicut hoc Deus infallibiliter cognoscit.

3. Comme le dit Augustin de Jos 7 : Les fils d’Israël ont fauté, etc., quelqu’un n’est pas puni pour un autre par des peines éternelles ; mais parfois quelqu’un est puni pour un autre par une peine temporelle, dont la raison peut être triple. L’une est qu’une peine éternelle n’est pas infligée à quelqu’un pour le progrès de celui qui la supporte, mais pour la vengeance contre la faute ; mais une peine temporelle est parfois infligée pour le progrès de celui qui la supporte. De même, quelqu’un est parfois puni d’une peine temporelle sans avoir commis de faute, en vue de son progrès et de celui des autres, à savoir, afin qu’on voie comment l’un doit se préoccuper de l’autre pour qu’il ne tombe pas dans le péché, du fait que, pour le péché d’un seul, toute la communauté est punie temporellement, et pour que soit aussi montré à quel point le péché doit être fui, qui est à ce point puni que, par la faute d’un seul, plusieurs sont punis. La deuxième raison peut être que, pour ce qui est des réalités temporelles, un homme peut appartenir à un autre, comme le fils appartient à son père ; ainsi le fils est puni temporellement pour le péché du père, et l’esclave pour le péché de son seigneur. Mais, pour ce qui est du bien de l’âme, chacun s’occupe de sa propre personne. Ez 18, 4 : Toutes les âmes m’appartiennent. La troisième raison est celle que donne Grégoire : quelqu’un participe parfois à la faute d’un autre, comme lorsque, par la faute des sujets, il est parfois permis que les supérieurs tombent dans le péché. Ainsi, il n’est pas étonnant que les sujets soient punis pour les péchés des supérieurs, comme dans 2 Sm 24, le peuple est puni parce que David a péché. Cela n’est donc pas contraire à la jusice divine que quelqu’un soit parfois puni pour le péché d’un autre. Cependant, on ne doit pas prendre exemple sur le jugement humain, comme le dit Augustin, car l’homme ne peut connaître l’avantage qui provient d’une peine temporelle, comme Dieu le connaît infailliblement.

[22068] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in justificatione impii servatur aliquis modus justitiae, qui est secundum condecentiam divinae bonitatis, vel etiam secundum exhibitionem promissi, ut habetur in Glossa super illud Psal. 50, 6: ut justificeris in sermonibus tuis; et cetera. Deus enim hoc promisit ut peccatoribus veniam petentibus venia largiretur.

4. Dans la punition de l’impie, une certaine mesure de justice est sauvegardée, selon ce qui convient à la bonté divine, ou bien selon la manifestation de ce qui a été promis, comme on le lit dans la Glose sur Ps 50, 6 : Afin que tu sois justifié dans tes paroles, etc. En effet, Dieu a promis qu’il accorderait le pardon aux pécheurs qui demanderaient le pardon.

[22069] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est justitia, si de eo quod neutri est debitum, aequalibus inaequaliter detur, sicut patet Matth. 20, in parabola de laborantibus in vinea, qui licet inaequaliter laborassent, est redditum aequale praemium; eo enim quod aliquis liberaliter dat quod potest dare vel non dare, nihil differt quo ad justitiam quantumcumque detur. Dico ergo, quod omnibus hominibus ex merito proprii peccati debetur poena aeterna; sed quod aliqui liberentur, hoc est ex sola divina liberalitate: posset enim omnes juste damnare; et ideo nulla est injustitia, si aliquos eligat et aliquos reprobet, in quibus tamen nulla differentia meritorum praecessit. Aaron autem punitus fuit, quamvis non poena manifesta, sicut et populus, in signum quod praelati non debent puniri manifeste, sed occulte propter scandalum vitandum. Poena autem Aaron dicitur fuisse in ipso et filiis ejus, quod in sacrificio vitulae rufae immundi efficiebantur, ut habetur Numer. 19. Augustinus tamen in Glossa Exod. 32, hoc occulto Dei judicio ascribit, qui quibusdam parcit ad tempus, ut in melius commutentur, aliis punitis.

5. Ce n’est pas justice si, du fait qu’aucun des deux n’a une dette, on donne inégalement à des égaux, comme cela ressort de Mt 20, dans la parabole de ceux qui travaillent au vignoble, et qui, bien qu’ils aient travaillé de manière inégale, ont reçu une rémunération égale. En effet, que quelqu’un donne par libéralité ce qu’il peut donner ou non ne fait pas de différence du point de vue de la justice, aussi grand que soit ce qui est donné. Je dis donc qu’une peine éternelle est due à tous les hommes selon leur mérite en regard de leur propre péché ; mais que quelques-uns soient libérés, cela vient de la seule libéralité divine. En effet, il pourrait les damner tous. Aussi n’y a-t-il pas d’injustice s’il en choisit certains et en réprouvent d’autres, chez qui cependant aucune différence de mérites n’a précédé. Mais Aaron a été puni, bien que sa peine de fût pas publique, comme ce fut le cas pour le peuple, pour montrer que les dirigeants ne doivent pas être punis publiquement, mais de manière cachée pour éviter le scandale. Or, on dit que la peine d’Aaron a existé pour lui et pour ses fils, parce qu’ils s’étaient rendus impurs en sacrifiant une génisse rousse, comme on le lit dans Nb 19. Cependant, Augustin, dans la Glose sur Ex 32, attribue cela à un jugement occulte de Dieu, qui en épargne certains pour un temps afin qu’ils changent pour le mieux, alors que d’autres sont punis.

[22070] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc quod melioribus minus datur de bono temporali, et quandoque plus de malo, in eorum profectum cedit quantum ad spirituale bonum, quod est simpliciter hominis bonum. Bona enim temporalia non sunt simpliciter hominis bona, nisi secundum quod organice deserviunt ad spirituale bonum. Quomodo autem hoc cedat in profectum spiritualis boni, supra ostensum est.

6. Le fait que moins de biens temporels soient donnés aux meilleurs et, parfois, davantage de maux, tourne à leur progrès du point de vue du bien spirituel, qui est le bien de l’homme de manière absolue. En effet, les biens temporels ne sont pas les biens de l’homme de manière absolue, sauf s’ils servent d’instruments pour le bien spirituel. Comment cela tourne au progrès du bien spirituel, on l’a montré plus haut.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22071] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illud quod est formale in unoquoque, est excellentius in eo; quia per formam materia completur. In qualibet autem actione illud quod est ex parte agentis, est quasi formale; illud autem quod est ex parte patientis vel recipientis, est quasi materiale. Dictum autem est supra, quod misericordia in omni opere divino resultat ex parte ipsius Dei, qui superabundat in bono; sed justitia ex parte recipientis, qui recipit secundum suam proportionem; et ideo in quolibet opere divino supereminet misericordia justitiae, sicut materiali formale; et hoc est quod in Psal. 144, 9, dicitur: miserationes ejus super omnia opera ejus.

Ce qui a le caractère de forme en chacun existe en lui d’une manière plus excellente, car, la matière est achevée par la forme. Or, en toute action, ce qui vient de l’agent a pour ainsi dire le caractère de forme, mais ce qui vient du patient ou de celui qui reçoit a pour ainsi dire le caractère de matière. Or, on a dit auparavant que la miséricorde en toute œuvre divine provient de Dieu lui-même, qui déborde de bien ; mais que la justice vient de celui qui reçoit, qui reçoit en fonction sa proportion. En toute œuvre divine, la miséricorde l’emporte donc sur la justice, comme ce qui est formel sur ce qui est matériel. C’est ce qui est dit dans Ps 144, 9 : Sa miséricorde l’emporte dans toutes ses œuvres.

[22072] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicitur esse horrendum incidere in manus Dei viventis, non propter remotionem misericordiae relaxantis aliquid de poena, sed propter poenae interminabilitatem, vel etiam propter remotionem resistentiae: quia ejus irae nemo resistere potest, cum sit omnipotens; nec ab eo fugere, cum sit ubique praesens; nec coram eo fallaciter se excusare, cum omnia sciat.

1. On dit qu’il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, non pas en raison de l’éloignement de la miséricorde qui adoucit un peu la peine, mais en raison du caractère interminable de la peine ou encore en raison de l’enlèvement de la résistance, car personne ne peut résister à sa colère, puisqu’il est tout-puissant ; [personne ne peut] le fuir puisqu’il est présent partout ; et [personne ne peut] s’excuser faussement devant lui, puisqu’il connaît tout.f

[22073] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Anselmus loquitur non de justitia quae attendit proportionem creaturae, vel humana merita, sed quae attendit solam decentiam bonitatis divinae: ex tali enim decentia misericordia nascitur: non autem loquitur de justitia secundum quod respicit debitum ex parte creaturae.

2. Anselme parle de la justice qui se rapporte à la proportion de la créature ou aux mérites humains, mais qui se rapporte à la seule convenance de la bonté divine : en effet, la miséricorde est issue de cette convenance. Mais il ne parle pas de la justice selon qu’elle concerne une dette de la part de la créature.

[22074] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Et similiter etiam est dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour la troisième objection.

 

 

Articulus 3 [22075] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 tit. Utrum per divinam misericordiam omnis poena terminetur tam hominum, quam etiam Daemonum

Article 3 – Toute peine des hommes et des démons a-t-elle un terme en raison de la miséricorde de Dieu ?

[22076] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per divinam misericordiam omnis poena terminetur tam hominum quam etiam Daemonum. Quia Sap. 11, 24: misereris omnium, domine, quoniam omnia potes. Sed inter omnia etiam Daemones continentur, qui sunt Dei creaturae. Ergo et Daemonum poena finietur.

1. Il semble qu’en raison de la miséricorde divine, toute peine des hommes et des démons ait un terme, car, selon Sg 11, 24 : Tu as pitié de tous, Seigneur, parce que tu peux tout. Or, les démons, qui sont des créatures de Dieu, sont compris dans toutes choses. La peine des démons aura donc une fin.

[22077] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Rom. 11, 32: conclusit Deus omnia sub peccato, ut omnium misereatur. Sed Deus Daemones sub peccato conclusit, idest peccato concludi permisit. Ergo videtur quod etiam Daemonum quandoque misereatur.

2. Rm 11, 32 dit : Dieu a tout enfermé dans le péché afin de faire miséricorde à tout. Or, Dieu a enfermé les démons dans le péché, c’est-à-dire qu’il a permis qu’ils soient enfermés. Il semble donc qu’il ait aussi parfois pitié des démons.

[22078] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dicit Anselmus in Lib. cur Deus homo, non est justum ut Deus creaturam rationalem quam fecit ad beatitudinem, omnino perire sinat. Ergo videtur quod cum quaelibet creatura rationalis creata fuerit ad beatitudinem, non sit justum ut omnino perire permittatur.

3. Comme le dit Anselme dans le livre Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ?: « Il n’est pas juste que Dieu, qui a créé la créature raisonnable, la laisse périr complètement. » Il semble donc que, puisque toute créature raisonnable a été créée pour la béatitude, il ne soit pas juste que [Dieu] permette qu’elle périsse totalement.

[22079] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 25, 41: ite maledicti in ignem aeternum, qui paratus est Diabolo et Angelis ejus. Ergo aeternaliter punientur.

Cependant, [1] il est dit en Mt 25, 41 : Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le Diable et ses anges ! Ils seront donc punis éternellement.

[22080] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut boni Angeli effecti sunt beati per conversionem ad Deum, ita mali Angeli effecti sunt miseri per aversionem a Deo. Si ergo miseria malorum Angelorum quandoque finietur; et beatitudo bonorum finem habebit; quod est inconveniens.

[2] De même que les anges bons ont été rendus bienheureux par une conversion à Dieu, de même les anges mauvais ont été rendus misérables par un détournement de Dieu. Si donc la misère des anges mauvais se termine à un certain moment, la béatitude des anges bons aura aussi une fin, ce qui est inacceptable.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La miséricorde divine permet-elle que les hommes, tout au moins, ne soient pas éternellement punis ?]

[22081] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod divina misericordia non permittat, saltem homines, in aeternum puniri. Quia Gen. 6, 3, dicitur: non permanebit spiritus meus in homine in aeternum, quia caro est; et accipitur ibi spiritus pro indignatione, ut patet per Glossam, ibidem. Cum igitur indignatio Dei non sit aliud quam ejus poena, non punientur aeternaliter.

1. Il semble que la miséricorde divine ne permette pas que les hommes tout au moins soient éternellement punis, car il est dit en Gn 6, 3 : Mon souffle ne restera pas dans l’homme pour l’éternité, car il est chair, et on entend par là le souffle de l’indignation, comme cela ressort de la Glose au même endroit. Puisque l’indignation de Dieu n’est rien d’autre que la peine qu’il inflige, ils ne seront donc pas punis éternellement.

[22082] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, caritas sanctorum in praesenti hoc facit ut pro inimicis exorent. Sed tunc habebunt perfectiorem caritatem. Ergo tunc orabunt pro inimicis damnatis. Sed orationes eorum esse cassae non poterunt, cum sint maxime Deo accepti. Ergo precibus sanctorum divina misericordia quandoque damnatos a poena liberabit.

2. La charité des saints dans la vie présente fait en sorte qu’ils prient pour leurs ennemis. Or, ils auront alors une charité plus parfaite. Ils prieront donc alors pour leurs ennemis damnés. Or, leurs prières ne pourront être rejetées, puisqu’ils sont au plus haut point agréables à Dieu. À cause des prières des saints, la miséricorde divine libérera donc les damnés de leur peine à un certain moment.

[22083] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc quod Deus poenam aeternam damnatorum praedixit, ad prophetiam comminationis pertinet. Sed prophetia comminationis non semper impletur; quod patet per hoc quod dictum est de subversione Ninive, quae non fuit subversa, sicut praedictum fuerat per prophetam, qui ex hoc etiam contristatus fuit. Ergo videtur quod multo amplius per divinam misericordiam comminatio poenae aeternae commutabitur in mitiorem sententiam, quando in nullius tristitiam, sed in omnium gaudium cedere poterit.

3. Que Dieu ait prédit la peine éternelle des damnés, cela relève d’une menace prophétique. Or, une menace prophétique ne s’accomplit pas toujours, ce qui ressort de ce qui a été dit du renversement de Ninive : elle n’a pas été renversée, comme l’avait prédit un prophète, qui s’en attrista. Il semble donc que la menace d’une peine éternelle sera encore bien plus changée en une sentence plus douce par la miséricorde divine, alors qu’elle ne pourra tourner à la tristesse de personne, mais à la joie de tous.

[22084] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ad hoc facit quod in Psalm. 76, 8, dicitur: numquid in aeternum irascetur Deus? Sed ira Dei est ejus punitio. Ergo Deus in aeternum homines non puniet.

4. Ps 76, 8 va dans ce sens : Dieu sera-t-il pour toujours en colère ? Or, la colère de Dieu est sa punition. Dieu ne punira donc pas les hommes éternellement.

[22085] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, Isa. 14, super illud: tu autem projectus etc., dicit Glossa: et si omnes animae aliquando habebunt requiem, tu nunquam: loquens de Diabolo. Ergo videtur quod omnes animae humanae aliquando requiem habebunt a poenis.

5. À propos de Is 14 : Mais toi, tu as été jeté, etc., la Glose dit : « Même si toutes les âmes ont un jour le repos, toi, tu ne l’auras jamais», en parlant du Diable. Il semble donc que toutes les âmes humaines se reposeront un jour de leurs peines.

[22086] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 25, 46, simul de electis et reprobis: ibunt hi in supplicium aeternum, justi autem in vitam aeternam. Sed inconveniens est ponere quod justorum vita quandoque finiatur. Ergo inconveniens est ponere quod reproborum supplicium terminetur.

Cependant, Mt 25, 46 dit aussi bien pour les élus que pour les réprouvés : Ceux-là iront au supplice éternel, mais les justes iront à la vie éternelle. Or, il est inacceptable d’affirmer que la vie des justes se terminera un jour. Il est donc inacceptable d’affirmer que la supplice des réprouvés se terminera.

[22087] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, hoc est hominibus mors quod Angelis casus. Sed Angeli post casum irreparabiles fuerunt. Ergo et homines similiter post mortem; et sic damnatorum supplicium nunquam terminabitur.

[2] Comme le dit [Jean] Damascène, la mort est aux hommes ce que la chute est aux anges. Or, les anges après la chute n’ont pu être rétablis. De même donc, les hommes aussi après la mort. Le supplice des damnés ne se terminera donc jamais.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La peine des chrétiens, tout au moins, aura-t-elle un terme en raison de la miséricorde divine ?]

[22088] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod saltem Christianorum poena per divinam misericordiam terminetur. Quia Marc. ult. 16, dicitur: qui crediderit et baptizatus fuerit, salvus erit. Sed hoc est omnium Christianorum. Ergo omnes Christiani finaliter salvabuntur.

1. Il semble que la peine des chrétiens tout au moins aura un terme en raison de la miséricorde divine, car il est dit en Mc 16, 16 : Celui qui aura cru et aura été baptisé sera sauvé. Or, c’est le cas de tous les chrétiens. Tous les chrétiens seront donc à la fin sauvés.

[22089] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Joan. 6, 55, dicitur: qui manducat carnem meam, et bibit meum sanguinem, habet vitam aeternam. Sed hoc est communis cibus et potus Christianorum. Ergo omnes Christiani finaliter salvabuntur.

2. Il est dit en Jn 6, 55 : Celui qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle. Or, c’est là la nourriture et le breuvage communs de tous les chrétiens. Tous les chrétiens seront donc à la fin sauvés.

[22090] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, 1 Corinth. 3, 15: si cujus opus arserit, detrimentum patietur, ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem; et loquitur de illis in quibus fuit fundamentum fidei Christianae. Ergo omnes tales finaliter salvabuntur.

3. Il est dit en 1 Co 3, 15 : Si son œuvre est consumée, il en subira la perte ; quant à lui, il sera sauvé, mais comme à travers le feu ; et il parle de ceux chez qui se trouvaient le fondement de la foi chrétienne. Tous ceux-là seront donc à la fin sauvés.

[22091] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 6: iniqui regnum Dei non possidebunt. Sed quidam Christiani sunt iniqui. Ergo non omnes Christiani ad regnum Dei pervenient.

Cependant, 1 Co 6 dit : Les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu. Or, certains chrétiens sont injustes. Tous les chrétiens ne parviendront donc pas au royaume de Dieu.

[22092] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, 2 Petri 2, 21, dicitur: melius erat eis viam veritatis non cognoscere quam post agnitam retroire ab eo quod traditum est illis sancto mandato. Sed illi qui viam veritatis non cognoscunt, aeternaliter puniuntur. Ergo et Christiani qui ab agnita retrocesserunt.

[2] Il est dit en 1 P 2, 21 : Il aurait été mieux pour eux de ne pas connaître le chemin de la vérité que de revenir, après l’avoir connue, sur ce qui leur a été transmis par les saints en vertu d’un saint commandement. Or, ceux qui ne connaissent pas le chemin de la vérité sont punis éternellement. Donc, aussi les chrétiens qui reviennent sur la vérité qu’ils ont connue.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Tous ceux qui accomplissent des œuvres de miséricorde seront-ils punis éternellement ?

[22093] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod illi omnes qui opera misericordiae faciunt, non punientur aeternaliter: sed soli illi qui opera misericordiae negligunt. Jac. 2, 13: judicium sine misericordia fiet ei qui non fecit misericordiam; et Matth. 5, 7: beati misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur.

1. Il semble que tous ceux qui accomplissent des œuvres de miséricorde ne seront pas punis éternellement, mais seulement ceux qui négligent les œuvres de miséricorde. Jc 2, 13 : Un jugement sans miséricorde sera porté contre celui qui n’a pas fait miséricorde ; et Mt 5, 7 : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

[22094] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Matth. 25, ponitur disceptatio domini cum electis et reprobis. Sed disceptatio non est nisi de operibus misericordiae. Ergo solum pro operibus misericordiae omissis aliqui aeternaliter punientur; et sic idem quod prius.

2. En Mt 25, est présentée une discussion du Seigneur avec les élus et les réprouvés. Or, la discussion ne porte que sur les œuvres de miséricorde. C’est donc seulement pour les œuvres de miséricorde omises que certains seront punis éternellement. La conclusion est ainsi la même qu’antérieurement.

[22095] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, Matth. 6, 12, dicitur: dimitte nobis debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris; et sequitur: si enim dimiseritis hominibus peccata eorum, dimittet et vobis pater vester caelestis delicta vestra. Ergo videtur quod misericordes, qui aliis peccato dimittunt, ipsi veniam peccatorum consequantur; et sic non aeternaliter punientur.

3. Il est dit en Mt 6, 12 : Remets-nous nos dettes, comme nous aussi, nous remettons à nos débiteurs ; et on poursuit : En effet, si vous avez remis aux hommes leurs péchés, votre Père céleste aussi vous remettra vos fautes. Il semble donc que les miséricordieux, qui remettent aux autres leur péché, obtiendront eux-mêmes le pardon de leurs péchés. Et ainsi, il ne seront pas punis éternellement.

[22096] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, 1 Tim. 4, super illud: pietas ad omnia valet, dicit Glossa Ambrosii: omnis summa disciplinae Christianae in misericordia et pietate est: quam aliquis sequens, si lubricum carnis patiatur, sine dubio vapulabit, non tamen peribit; si quis autem solum exercitium corporis habuerit, perennes poenas patietur. Ergo illi qui insistunt operibus misericordiae, qui peccatis carnalibus detinentur, non in aeternum punientur; et sic idem quod prius.

4. À propos de 1 Tm 4 : La piété sert à tout, une glose d’Ambroise dit : « Le résumé du comportement chrétien tient dans la miséricorde et la piété. Si quelqu’un les suit et s’il souffre des obscénités de la chair, il recevra sans aucun doute des coups, mais il ne périra pas. Mais si quelqu’un n’a que l’entraînement du corps, il souffrira de peines éternelles. » Ceux qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde et qui sont retenus par les péchés de la chair, ne seront donc pas punis pour l’éternité. La conclusion est donc la même que précédemment.

[22097] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 6, 9, 10: neque fornicarii neque adulteri regnum Dei possidebunt. Sed multi qui se exercent in operibus misericordiae, sunt tales. Ergo non omnes misericordes ad regnum aeternum pervenient; et ita aliqui eorum aeternaliter punientur.

Cependant, [1] 1 Co 6, 9 dit : Ni les fornicateurs ni les adultères ne posséderont le royaume de Dieu. Or, plusieurs qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde sont tels. Ce ne sont donc pas tous les miséricordieux qui parviendront au royaume de Dieu. Certains d’entre eux seront donc punis éternellement.

[22098] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, Jac. 2, 10, dicitur: quicumque totam legem servaverit, offenderit autem in uno, factus est omnium reus. Ergo quicumque servat legem quo ad opera misericordiae, et negligit alia opera, reatum de transgressione legis incurret; et ita aeternaliter punietur.

[2] Il est dit en Jc 2, 10 : Quiconque aura observé toute la loi mais aura péché sur un seul point, il est devenu coupable pour tout. Quiconque observe la loi pour ce qui est des œuvres de miséricorde, mais néglige d’autres œuvres, encourra donc la culpabilité de la transgression de la loi. Ainsi, il sera puni éternellement.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22099] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod error Origenis fuit, ut Augustinus 21 de Civ. Dei dicit quod Daemones quandoque per Dei misericordiam liberandi sunt a poenis. Sed iste error ab Ecclesia est reprobatus, propter duo. Primo, quia manifeste auctoritati Scripturae repugnat, quae habet Apoc. 20, 9: Diabolus, qui seducebat eos, missus est in stagnum ignis et sulphuris, ubi bestia et pseudopropheta cruciabuntur die ac nocte in saecula saeculorum; per quod in Scriptura significari aeternitas consuevit. Secundo, quia ex una parte Dei misericordiam nimis extendebat, et ex alia parte nimis eam coarctabat; ejusdem enim rationis esse videtur bonos Angelos in aeterna beatitudine permanere, et malos Angelos in aeternum puniri. Unde sicut ponebat Daemones et animas damnatorum quandoque a poena liberandas, ita ponebat Angelos et animas beatorum quandoque a beatitudine in hujus vitae miserias devolvendas.

L’erreur d’Origène, comme le dit Augustin dans le livre La cité de Dieu, XXI, a été de dire que les démons devaient être un jour libérés des peines par la miséricorde de Dieu. Or, cette erreur a été repoussée par l’Église pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle est manifestement contraire à l’autorité de l’Écriture, qui dit en Ap 20, 9 : Le Diable, qui les séduisait, fut envoyé dans une mare de feu et de soufre, où les bêtes et les pseudoprophètes seront torturés jour et nuit pour les siècles des siècles. Par cela, l’Écriture a coutume de signifier l’éternité. Deuxièmement, parce que, d’une part, il donnait une trop grande extension à la miséricorde de Dieu et, d’autre part, il la restreignait. En effet, c’est pour la même raison qu’il semble que les anges bons demeurent dans la béatitude éternelle et que les anges mauvais sont punis éternellement. De même qu’il affirmait que les démons et les âmes des damnés devaient être un jour libérés de leur peine, de même donc il affirmait que les anges et les âmes des bienheureux devaient être un jour précipités depuis la béatitude jusque dans les misères de cette vie.

[22100] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus, quantum in ipso est, miseretur omnibus; sed quia ejus misericordia sapientiae ordine regulatur, inde est quod ad quosdam non se extendit, qui se fecerunt misericordiae indignos, sicut Daemones et damnati, qui sunt in malitia obstinati. Tamen potest dici, quod in eis misericordia etiam locum habet, inquantum citra condignum puniuntur, non quod a poena totaliter absolvantur.

1. Dieu, en lui-même, a pitié de tous ; mais parce que sa miséricorde est réglée par l’ordre de sa sagesse, de là vient qu’elle ne s’étend pas à certains, qui se sont rendus indignes de miséricorde, comme les démons et les damnés qui sont obstinés dans le mal. Cependant, on peut dire que la miséricorde a aussi sa place chez eux dans la mesure où ils sont punis moins que mérité, sans être entièrement absous de leur peine.

[22101] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ibi intelligenda est distributio pro generibus singulorum, et non pro singulis generum; ut intelligatur auctoritas de hominibus secundum statum viae; quia scilicet et Judaeorum et gentilium misertus est; sed non omnium gentilium, vel omnium Judaeorum.

2. Il faut entendre la distribution qui est faite là de genres d’individus, et non d’individus de genres, de sorte que l’autorité s’entend des hommes selon l’état de cheminement, car il a eu pitié des Juifs et des païens, mais non pas de tous les païens ou de tous les Juifs.

[22102] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Anselmus intelligit non esse justum quantum ad decentiam divinae bonitatis, et loquitur de creatura secundum genus suum; non enim est conveniens divinae bonitati ut totum unum genus creaturae deficiat a fine propter quem factum est; unde nec omnes homines, nec omnes Angelos damnari convenit; sed nihil prohibet quin aliqui ex hominibus vel ex Angelis in aeternum pereant; quia divinae voluntatis intentio impletur in aliis qui salvantur.

3. Anselme entend « ne pas être juste » de ce qui convient à la bonté divine, et il parle de la créature selon son genre. En effet, il ne convient pas à la bonté divine que tout un genre de créatures manque la fin pour laquelle il a été créé. Aussi ne convient-il pas que tous les hommes ni tous les anges soient damnés. Mais rien n’empêche que certaines parmi les hommes ou parmi les anges périssent pour l’éternité, car l’intention de la volonté divine est accomplie dans les autres qui sont sauvés.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22103] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dicit Augustinus, 21 de Civ. Dei, quidam in hoc ab errore Origenis declinaverunt, quod Daemones posuere in perpetuum puniri; sed omnes homines quandoque liberari a poena, etiam infideles. Sed haec positio est omnino irrationabilis. Sicut enim Daemones sunt in malitia obstinati, et ita perpetuo puniendi; ita et animae hominum qui sine caritate decedunt; cum hoc sit hominibus mors quod Angelis casus, ut Damascenus dicit.

Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XXI, certains se sont écartés de l’erreur d’Origène en affirmant que les démons sont punis pour l’éternité, mais que tous les hommes sont un jour libérés de leur peine, même les infidèles. Mais cette position est tout à fait déraisonnable. En effet, de même que les démons sont obstinés dans leur malice et ainsi doivent être punis pour l’éternité, de même aussi les âmes des hommes qui meurent sans la charité, puisque la mort est aux hommes ce qu’est la chute pour les anges, comme le dit [Jean] Damascène.

[22104] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud intelligendum est de homine secundum genus suum; quia ab humano genere quandoque indignatio est remota per Christi adventum: sed illi qui in hac reconciliatione, quae facta est per Christum, noluerunt esse, vel permanere, in seipsis divinam iram perpetuaverunt, cum non sit nobis aliquis modus reconciliationis concessus nisi per Christum.

1. Cette parole doit s’entendre de l’homme selon son genre, car l’indignation s’est éloignée du genre humain par la venue du Christ ; mais ceux qui n’ont pas voulu faire partie de cette réconciliation qui a été accomplie par le Christ ou y demeurer, ont perpétué en eux-mêmes la colère divine, puisque aucun mode de réconciliation ne nous a été donné que par le Christ.

[22105] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dicit Augustinus, 21 de Civit. Dei, et Gregorius 9 Moral., et 4 Dialog., sancti in hac vita ideo pro inimicis exorant ut convertantur ad Deum, cum adhuc converti possint; si enim esset nobis notum quod essent praesciti ad mortem, non magis pro eis quam pro Daemonibus oraremus. Et quia post hanc vitam decedentibus sine gratia tempus conversionis non erit, nulla pro eis fiet oratio nec ab Ecclesia militante, nec a triumphante; hic enim pro eis orandum est, ut apostolus dicit 2 Tim. 2, 25, ut det illis Deus poenitentiam, et resipiscant a laqueis Diaboli.

2. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XXI et Grégoire dans les Morales, IX et les Dialogues, IV, les saints en cette vie prient pour leurs ennemis afin qu’ils se convertissent, alors qu’il peuvent encore se convertir. En effet, s’il nous était connu qu’ils sont prédestinés à la mort, nous ne prierions pas davantage pour eux que pour les démons. Et parce que, après cette vie, il n’y aura pas de temps de la conversion pour ceux qui meurent, aucune prière ne sera faite pour eux ni par l’Église militante, ni par l’Église triomphante. En effet, c’est maintenant qu’il faut prier pour eux, comme le dit l’Apôtre en 2 Tm 2, 25 : Afin que Dieu leur donne de se repentir et de s’arracher aux pièges du Diable.

[22106] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prophetia comminatoria poenae tunc solummodo immutatur quando merita ejus variantur in quem comminatio facta est; unde Hierem. 18, 7: repente loquar ad gentem et adversum regnum, ut eradicem et destruam et disperdam illud. Si poenitentiam egerit gens illa a malo suo, agam et ego poenitentiam super malo quod cogitaveram ei. Unde, cum damnatorum merita mutari non possint, comminatio poenae semper in eis implebitur. Nihilominus tamen prophetia comminationis semper quantum ad aliquem intellectum impletur; quia, ut dicit Augustinus, Lib. praedicto, eversa est Ninive quae mala erat, et bona aedificata est, quae non erat; stantibus enim moenibus atque domibus, eversa est civitas in perditis moribus.

3. La prophétie qui menace d’une peine n’est changée que lorsque changent les mérites de celui contre qui la menace a été faite. Aussi est-il dit en Jr 18, 7 : Je m’adresserai aussitôt à la nation et au royaume pour l’arracher, la détruire et la perdre. Si cette nation se repent de son mal, je me repentirai moi aussi du mal que j’envisageais contre elle. Puisque les mérites des damnés ne peuvent être changés, la menace de la peine contre eux sera donc toujours accomplie. Cependant, la prophétie comminatoire s’accomplit toujours selon une certaine interprétation, car, comme le dit Augustin dans le livre déjà mentionné, « Ninive qui était mauvaise a été renversée et une ville bonne qui n’existait pas a été construite ; alors que les murailles et les maisons tenaient, la ville a été renversée dans le comportement qu’elle a perdu ».

[22107] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum illud Psalmi pertinet ad vasa misericordiae, quae se indignos misericordia non fecerunt; quia in hac vita, quae quaedam ira Dei est propter vitae miserias, vasa misericordiae mutat in melius; unde sequitur in Psal. 76, 2: haec mutatio dexterae excelsi. Vel dicendum, quod hoc intelligitur de misericordia totaliter liberante, si extendatur etiam ad damnatos; unde non dicit: continebit ab ira misericordias suas, sed in ira; quia non totaliter poena tolletur, sed ipsa poena durante misericordia operabitur eam diminuendo.

4. Cette parole du psaume se rapporte aux vases de miséricorde qui ne se sont pas rendus indignes de miséricorde, car, en cette vie, qui est une certaine colère de Dieu en raison des misères de la vie, il change les vases de miséricorde pour le mieux. Aussi le Ps 76, 2 poursuit-il : Tel est le changement par la droite du Très-Haut.Ou bien il faut dire que cela s’entend de la miséricorde qui libère entièrement, si elle s’étend aussi aux damnés. Aussi ne dit-il pas : il gardera ses miséricordes de sa colère, mais dans sa [colère], car la peine ne sera pas entièrement enlevée, mais, alors que dure la peine, la miséricorde sera à l’œuvre pour la diminuer.

[22108] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Glossa illa non loquitur simpliciter, sed sub hypothesi impossibili, ad exaggerandum peccati magnitudinem ipsius Diaboli vel Nabuchodonosor.

5. Cette glose ne parle pas de manière absolue, mais selon une hypothèse impossible, afin d’exagérer l’ampleur du péché du Diable lui-même ou de Nabuchodonosor.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22109] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam fuerunt, ut dicit Augustinus in Lib. praedicto, qui non omnibus hominibus promiserunt absolutionem a poena aeterna, sed solis Christianis; et in hoc rursum diversificati sunt. Quidam enim dixerunt, quod quicumque sacramenta fidei perceperunt, ab aeterna poena erunt immunes. Sed hoc est contrarium veritati; quia quidam sacramenta fidei recipiunt, et fidem non habent, sine qua impossibile est placere Deo. Hebr. 11. Et ideo alii dixerunt, quod solum illi ab aeterna poena erunt immunes qui sacramenta fidei sunt consecuti, et fidem Catholicam tenuerunt. Sed contra hoc esse videtur quod aliquando aliqui Catholicam fidem tenent, et postea ab ea resiliunt, qui non minori poena sunt digni, sed majori; quia 2 Petr. 2, 21: melius erat viam veritatis non agnoscere quam post agnitam retroire. Planum est etiam plus peccare haeresiarchas, qui de fide Catholica recedentes novas haereses fingunt, quam illos qui a principio aliquam haeresim sunt secuti. Et ideo alii dixerunt, quod illi soli sunt a poena aeterna immunes qui in fide Catholica finaliter perseverant, quantumcumque aliis criminibus involvantur. Sed hoc manifeste contrariatur Scripturae; quia Jacob. 2, 20, dicitur: fides sine operibus mortua est; et Matth. 7, 21 dicitur: non omnis qui dicit mihi, domine domine, intrabit in regnum caelorum; et in multis aliis locis Scriptura peccantibus aeternas poenas comminatur. Unde non omnes finaliter in fide persistentes a poena aeterna erunt immunes, nisi ab aliis criminibus inveniantur finaliter absoluti.

Comme le dit Augustin dans le livre déjà mentionné, certains ont promis l’absolution de la peine éternelle, non pas à tous les hommes, mais aux seuls chrétiens. Et sur ce point, ils se sont diversifiés. En effet, certains ont dit que tous ceux qui ont reçu les sacrements de la foi seront exempts de la peine éternelle. Mais cela est contraire à la vérité, car certains reçoivent les sacrements de la foi et n’ont pas la foi, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu, He 11. Aussi d’autres ont-ils dit que seulement ceux qui ont reçu les sacrements de la foi et ont conservé la foi catholique seront exempts de la peine éternelle. Mais semble s’opposer à cela le fait que certains conservent la foi catholique et, par la suite, l’abandonnent : ils ne sont pas dignes d’une peine moindre, mais plus grande, car il est dit en 2 P 2, 21 : Il était mieux de ne pas connaître le chemin de la vérité que de retourner en arrière après l’avoir connue. Il est clair aussi que les hérésiarques, qui inventent de nouvelles hérésies en s’éloignant de la foi, pèchent davantage que ceux qui ont suivi une hérésie depuis le début. C’est pourquoi d’autres ont dit que ceux-là seuls sont exempts de la peine éternelle, qui persévèrent finalement dans la foi catholique, quels que soient les crimes dans lesquels ils sont tombés. Mais cela est manifestement contraire à l’Écriture, car il est dit en Jc 2, 20 : La foi sans les œuvres est morte ; et en Mt 7, 21 : Tous ceux qui me disent : « Seigneur ! Seigneur ! » n’entreront pas dans le royaume des cieux. Et les pécheurs sont menacés de peines éternelles en beaucoup d’autres endroits de l’Écriture. Ce ne sont donc pas tous ceux qui persistent dans la foi qui seront exempts de la peine éternelle, à moins qu’ils ne soient finalement absous des autres fautes graves.

[22110] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus ibi loquitur de fide formata quae per dilectionem operatur, in qua quicumque decesserit, salvus erit. Sed huic non solum opponitur infidelitatis errOr sed quodlibet peccatum mortale.

1. Le Seigneur parle en cet endroit de la foi formée qui agit par l’amour ; tous ceux qui seront morts en elle seront sauvés. Mais à elle ne s’oppose pas seulement l’erreur de l’infidélité, mais tout péché mortel.

[22111] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum domini est intelligendum non de illis qui tantum sacramentaliter edunt, qui indigne quandoque sumentes, judicium sibi manducant et bibunt, ut dicitur 1 Cor. 11; sed de manducantibus spiritualiter, qui ei per caritatem incorporantur; quam incorporationem facit sacramentalis comestio, si quis digne accedat. Unde quantum est ex virtute sacramenti, ad vitam aeternam perducit; quamvis aliquis se possit tali fructu privare per peccata, etiam postquam digne sumpserit.

2. La parole du Seigneur doit s’entendre non pas de ceux qui mangent sacramentellement seulement, qui, en le prenant parfois indignement, mangent et boivent leur jugement, comme il est dit en 1 Co 11 ; mais de ceux qui mangent spirituellement, qui lui sont incorporés par la charité. La manducation sacramentelle réalise cette incorporation, si quelqu’un s’en approche dignement. Pour ce qui est de la puissance du sacrement, elle conduit donc à la vie éternelle, bien que quelqu’un puisse se priver d’un tel fruit par des péchés, même après l’avoir dignement reçu.

[22112] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fundamentum in verbis apostoli intelligitur fides formata; supra quam qui peccata venialia aedificaverit, detrimentum patietur, quia pro eis punietur a Deo; ipse tamen salvus erit finaliter, quasi per ignem vel temporalis tribulationis, vel purgatoriae poenae, quae erit post mortem.

3. Dans les paroles de l’Apôtre, le fondement s’entend de la foi formée. En édifiant des péchés véniels sur elle, il subira un préjudice, car il sera puni pour eux par Dieu. Cependant, celui-là sera finalement sauvé comme à travers le feu de la tribulation temporelle ou de la peine du purgatoire, qui sera accomplie après la mort.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22113] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Augustinus in Lib. praedicto, quidam posuerunt non omnes qui Catholicam fidem tenent, a poena aeterna esse liberandos, sed solum illos qui misericordiae operibus insistunt, quamvis etiam aliis criminibus sint subjecti. Sed istud non potest stare; quia sine caritate non potest aliquid Deo esse acceptum, nec sine ea prodest aliquid ad vitam aeternam. Contingit autem aliquos operibus misericordiae insistere qui caritatem non habent; unde his nihil prodest ad vitam aeternam promerendam, vel ad immunitatem poenae aeternae, ut patet 1 Corinth. 13. Et praecipue hoc apparet absurdum in raptoribus, qui multa rapiunt; et tamen aliqua misericorditer largiuntur. Et ideo dicendum, quod quicumque cum peccato mortali decedunt, nec fides nec opera misericordiae eos liberabunt a poena aeterna, etiam post quantumcumque spatium temporis.

Comme le dit Augustin dans le livre déjà mentionné, certains ont affirmé que tous les chrétiens qui conservent la foi catholique ne seront pas libérés de la peine éternelle, mais seulement ceux qui s’adonnent aux œuvres de miséricorde, bien qu’ils soient soumis aussi à d’autres fautes graves. Mais cela ne peut être le cas, car, sans la charité, rien ne peut être agréé par Dieu et rien ne sert pour la vie éternelle. Or, il arrive que certains s’adonnent aux œuvres de miséricorde sans avoir la charité ; cela ne sert donc à rien pour mériter la vie éternelle ou pour échapper à une peine éternelle, comme cela ressort de 1 Co 13. Cela semble surtout absurde pour les voleurs qui volent beaucoup, et distribuent cependant certaines choses avec miséricorde. Il faut donc dire que ni la foi ni les œuvres de miséricorde ne libéreront de la peine éternelle tous ceux qui meurent avec un péché mortel, même après n’importe quelle période de temps.

[22114] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi misericordiam consequentur qui misericordiam ordinate impendunt; non autem ordinate misericordiam impendunt qui seipsos in miserendo negligunt, sed magis se impugnant male agendo; et ideo tales misericordiam penitus absolventem non consequentur, etsi consequantur misericordiam de poenis debitis aliquid relaxantem.

1. Ceux-là obtiendront miséricorde qui manifesteront de la miséricorde de manière ordonnée. Or, ne manifestent pas de la miséricorde d’une manière ordonnée ceux qui se négligent eux-mêmes en faisant miséricorde, mais se combattent plutôt eux-mêmes en agissant mal. Ceux-là n’obtiendront donc pas la miséricorde qui absout entièrement, bien qu’ils obtiennent une miséricorde qui adoucit quelque peu les peines dues.

[22115] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non propter hoc ponitur disceptatio solum de operibus misericordiae, quia pro earum neglectu tantummodo aliqui aeternaliter puniantur; sed quia illi ab aeterna poena liberantur post peccata qui per opera misericordiae sibi veniam impetraverunt, facientes sibi amicos de mammona iniquitatis.

2. Ce n’est pas pour cette raison qu’est présentée une discussion sur les œuvres de miséricorde, à l’effet que, pour les avoir négligées, quelques-uns seulement sont punis éternellement ; mais parce que ceux-là sont libérés d’une peine éternelle, qui ont obtenu miséricorde pour eux-mêmes par des œuvres de miséricorde, en se faisant des amis de l’argent d’iniquité.

[22116] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud a domino dicitur his qui petunt sibi debitum relaxari, non illis qui in peccato persistunt; et ideo soli poenitentes per opera misericordiae consequentur misericordiam penitus liberantem.

3. Cela est dit par le Seigneur à ceux qui demandent pour eux-mêmes que leur dette soit remise, non pour ceux qui persistent dans le péché. Seuls ceux qui se repentent obtiendront donc, par des œuvres de miséricorde, une miséricorde qui libère entièrement.

[22117] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Glossa Ambrosii loquitur de lubrico venialis peccati, a quo aliquis post purgatorias poenas, quas vapulationem dicit, per opera misericordiae absolvetur. Vel si loquatur de lubrico mortalis peccati, est intelligendum quantum ad hoc quod adhuc in vita existentes, illi qui ex fragilitate in carnalia peccata incidunt, per opera misericordiae ad poenitentiam disponuntur; unde talis non peribit, idest disponetur per talia opera ad non pereundum.

4. La glose d’Ambroise parle du terrain glissant du péché véniel, dont quelqu’un sera absous par des œuvres de miséricords après des peines purificatrices, qu’il appelle les coups subis. Ou bien, si l’on parle du terrain glissant du péché mortel, il faut entendre ceux qui, encore en vie, tombent dans les péchés de la chair par fragilité, sont disposés à la pénitence par les œuvres de miséricorde. Celui-là ne périra pas, c’est-à-dire qu’il sera disposé par de telles œuvres à ne pas périr.

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 46

[22118] Super Sent., lib. 4 d. 46 q. 2 a. 3 qc. 4 expos. Tam grandis tamen poena est, ut ei possint nulla tormenta quae novimus, comparari. Augustinus dicit, quod mitissima est poena parvulorum, qui tamen alienantur a regno. Et dicendum, quod hoc quod hic dicitur, intelligendum est de illis qui carent divina visione, et habent conscientiae remorsum, quod ex propria culpa ea priventur. Incomprehensibilia sunt judicia ejus. Sed contra, in Psal. 118, 13: in labiis meis pronuntiavi omnia judicia oris tui. Et dicendum, quod judicia in Psal. appellantur Dei mandata; apostolus autem dicit Dei judicia, dispositiones ejus. Sed varietas sensuum et effectuum in creaturis monstratur, inquantum videlicet ex diversis conceptionibus quas a creaturis accipimus, diversas rationes attribuimus Deo, ut diversitas non sit in Deo secundum esse, sed sit diversitas secundum rationem tantum, quod hic dicitur varietas sensuum; vel secundum connotata, et hoc dicitur varietas effectuum. Et de hoc in 2 dist., 1 Lib., quaest. 1, art. 2, ad 5, dictum est.

 

 

 

Distinctio 47

Distinction 47 – [Le jugement général]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le jugement général en lui-même]

 

 

Prooemium

Prologue

[22119] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de remuneratione animarum, et punitione, quae praecedit judicium generale; hic incipit determinare de remuneratione et punitione quae erit per judicium generale; et dividitur in partes duas: in prima determinat de ipso generali judicio; in secunda determinat de remuneratione et poena quae generale judicium consequitur, 49 dist., ibi: post resurrectionem vero facto impletoque judicio, suos fines habebunt civitates duae. Prima pars dividitur in duas: in prima determinat ea quae pertinent ad modum judicii, et ad judicis ministerium; in secunda determinat ea quae pertinent ad judicis personam, 48 dist., ibi: solet etiam quaeri, in qua forma Christus judicabit. Prima in duas: in prima enim requirit de judicii modo; in secunda de judicis ministris, ibi: non autem solus Christus judicabit. Et haec pars dividitur in tres: in prima enim ostendit quomodo homines cum Christo judicante judicabunt; in secunda ostendit quid ministerii Angeli in judicio exhibebunt, ibi: cum autem in Evangelio legatur quod dominus mittet Angelos suos etc.; in tertia parte requirit utrum Daemones ministri hujus judicii sint futuri, torquendo damnatorum animas, ibi: et solet quaeri, utrum in Inferno malis ad puniendum praesint Daemones. Prima pars dividitur in duas: in prima ostendit quod quidam homines cum Christo judicabunt; in secunda enumerat quatuor ordines hominum qui ad judicium veniunt, ibi: erunt autem quatuor ordines in judicio. Hic est duplex quaestio. Prima de judicio generali. Secunda de igne qui praecedit faciem judicis. Circa primum quaeruntur tria: 1 de ipso judicio; 2 de judicantibus cum Christo; 3 de his qui in judicio judicabuntur.

Après avoir déterminé de la récompense et de la punition des âmes qui précèdent le jugement général, le Maître commence ici à déterminer de la récompense et de la punition qui se réaliseront par le jugement général. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du jugement général lui-même ; dans la seconde, il détermine de la récompense et de la punition qui suit le jugement général, d. 49, à cet endroit : « Après la résurrection et une fois complété le jugement, les deux cités auront leur terme. » La première partie est divisée en deux : dans la première, il détermine de ce qui se rapporte au mode du jugement et au ministère du juge ; dans la seconde, il détermine de ce qui se rapporte à la personne du juge, d. 48, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander sous quelle forme le Christ jugera. » La première partie se divise en deux : dans la première, il s’interroge sur le mode du jugement ; dans la seconde, sur les ministres du jugement, à cet endroit : « Mais ce n’est pas seulement le Christ qui jugera. » Cette partie se divise en trois. Dans la première, il montre comment des hommes jugeront avec le Christ juge ; dans la deuxième, il montre le ministère que les anges exerceront lors du jugement, à cet endroit : « Puisqu’on lit dans l’évangile que le Seigneur enverra ses anges, etc. » ; dans la troisième, il se demande si les démons seront les ministres de ce jugement en torturant les âmes des damnés, à cet endroit : « Et l’on a coutume de demander si les démons dirigent la punition des méchants en enfer. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que certains hommes jugeront avec le Christ ; dans la seconde, il énumère les quatre ordres d’hommes qui seront au jugement, à cet endroit : « Mais quatre ordres [seront] au jugement. » À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Sur le jugement lui-même. 2 – Sur ceux qui jugent avec le Christ. 3 – Sur ceux qui seront jugés lors du jugement.

 

 

Articulus 1 [22120] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 tit. Utrum generale judicium sit futurum

Article 1 – Y aura-t-il un jugement général ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Y aura-t-il un jugement général ?]

[22121] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod generale judicium non sit futurum. Quia, ut dicitur Naum 1, 9, non judicabit Deus bis in idipsum. Sed nunc Deus judicat de singulis hominum operibus, cum post mortem unicuique poenas vel praemia pro meritis tribuit, et dum etiam in hac vita quosdam pro bonis vel malis operibus praemiat vel punit. Ergo videtur quod non sit aliud judicium futurum.

1. Il semble qu’il n’y aura pas de jugement général, car, ainsi qu’il est dit en Na 1, 9 : Le Seigneur ne jugera pas la même chose deux fois. Or, Dieu juge maintenant toutes les actions des hommes, puisque, après la mort, il accorde à chacun des peines ou des récompenses selon ses mérites, et puisque, dans cette vie, il en récompense certains pour leurs bonnes actions et les punit pour leurs mauvaises actions. Il semble donc qu’il n’y aura pas un autre jugement.

[22122] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in nullo judicio executio sententiae praecedit judicium. Sed sententia divini judicii quo ad homines, est de adeptione regni, vel exclusione a regno, ut patet Matth. 25. Ergo cum modo aliqui adipiscantur regnum aeternum, et quidam excludantur ab ipso perpetuo, videtur quod aliud judicium non sit futurum.

2. Dans aucun jugement, l’exécution de la sentence ne précède le jugement. Or, la sentence du jugement divin pour les hommes consiste dans l’obtention du royaume ou dans l’exclusion du royaume, comme cela ressort de Mt 25. Puisque certains obtiennent maintenant le royaume éternel et certains en sont exclus pour l’éternité, il semble donc qu’il n’y aura pas d’autre jugement.

[22123] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, propter hoc aliqua in judicium oportet adduci, quia dubium est quid de eis definiendum sit. Sed ante finem mundi determinata est unicuique damnatorum sua damnatio, et cuique sanctorum sua beatitudo. Ergo videtur quod non oporteat aliquod futurum judicium esse.

3. Il est nécessaire de porter certaines choses en jugement parce qu’il existe un doute sur ce qu’il faut décider à leur sujet. Or, avant la fin du monde, leur damnation a été décidée pour tous les damnés, et leur béatitude pour tous les saints. Il semble donc qu’un autre jugement ne doive pas avoir lieu.

[22124] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Matth. 12, 41, dicitur: viri Ninivitae surgent in judicio cum generatione ista, et condemnabunt eam. Ergo post resurrectionem aliquod judicium erit.

Cependant, [1] il est dit en Mt 12, 41 : Les gens de Ninive se lèveront lorsque cette génération sera jugée, et ils la condamneront. Il y aura donc un jugement après la résurrection.

[22125] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Joan. 5, 29, dicitur: procedent qui bona fecerunt, in resurrectionem vitae; qui vero mala egerunt, in resurrectionem judicii. Ergo videtur quod post resurrectionem aliquod judicium sit futurum.

[2] Il est dit en Jn 5, 29 : Ceux qui auront bien agi ressusciteront pour la vie ; mais ceux qui auront mal agi ressusciteront pour le jugement. Il semble donc qu’après la résurrection, il y aura un jugement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le jugement général sera-t-il oral ?]

[22126] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod judicium illud quantum ad disceptationem et sententiam fiat per locutionem vocalem. Quia, ut dicit Augustinus, 20 de Civ. Dei, per quot dies hoc futurum judicium tendatur incertum est. Sed non esset incertum, si illa quae in judicio dicuntur futura, tantum mentaliter complerentur. Ergo judicium illud vocaliter fiet, et non solum mentaliter.

1. Il semble que ce jugement se fera oralement, pour ce qui est du débat et de la sentence, car, comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XX : « Sur combien de jours s’étendra ce jugement, cela est incertain. » Or, cela ne serait pas incertain si ce qui doit être dit en jugement se limitait à l’esprit seulement. Ce jugement se fera donc oralement, et non seulement à l’intérieur de l’esprit.

[22127] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit, et habetur in littera: illi saltem verba judicis audient qui ejus fidem saltem verbo tenuerunt. Hoc autem non potest intelligi de verbo interiori; quod sic omnes verba judicis audient: quia omnibus et bonis et malis, nota erunt omnia facta aliorum, sicut supra, dist. 43, dictum est. Ergo videtur quod judicium illud vocaliter peragetur.

2. Grégoire dit, et on le lit dans le texte: « Ceux-là du moins entendront les paroles du juge qui auront gardé la foi au moins en paroles. » Or, cela ne peut s’entendre de la parole intérieure, que tous entendront ainsi que les paroles du juge, car toutes les actions des autres seront connues de tous les bons et de tous les méchants, comme on l’a dit plus haut, d. 43. Il semble donc que ce jugement se fera de vive voix.

[22128] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut in sequenti dist. dicetur, Christus secundum formam hominis judicabit, in qua corporaliter ab omnibus possit videri. Ergo videtur eadem ratione quod corporali voce loquatur, ut ab omnibus audiatur.

3. Comme on le dira dans la distinction suivante, le Christ jugera sous sa forme d’homme, dans laquelle il peut être vu corporellement de tous. Il semble donc que, pour la même raison, il parlera par sa voix corporelle afin d’être entendu de tous.

[22129] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, 20 de Civ. Dei, quod liber vitae, de quo Apocal. 20, vis quaedam intelligenda est divina, qua fiet ut unicuique opera sua vel bona vel mala in memoriam revocentur, et mentis intuitu mira celeritate cernantur, ut accuset vel excuset scientia conscientiam; atque ita simul et omnes et singuli judicentur. Sed si vocaliter discurrerentur merita singulorum, non possent omnes et singuli judicari simul. Ergo videtur quod illa discussio non erit vocalis.

Cependant, [1] Augustin dit, dans La cité de Dieu, XX, que le livre de vie, dont il est question dans Ap 20, « doit s’entendre d’une certaine force divine par laquelle tous se remémoreront leurs actions, bonnes ou mauvaises, et les évalueront par le regard de l’esprit avec une rapidité étonnante, de sorte que la connaissance de la conscience les accusera ou les excusera. Ainsi, tous et chacun seront jugés en même temps. » Or, si les mérites de chacun étaient exprimés de vive voix, tous et chacun ne pourraient être jugés en même temps. Il semble donc que ce débat ne sera pas oral.

[22130] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sententia proportionaliter debet testimonio respondere. Sed testimonium et accusatio vel excusatio mentalis erit; unde Rom. 2, 15: testimonium illis reddente conscientia ipsorum, et inter se invicem cogitationum accusantium, aut etiam defendentium, in die cum judicabit Deus occulta hominum. Ergo videtur quod illa sententia, et totum judicium, mentaliter expleatur.

[2] La sentence doit correspondre proportionnellement au témoignage. Or, le témoignage et l’accusation ou la récusation se feront par l’esprit ; aussi Rm 2, 15 dit-il : À preuve le témoignage de leur conscience, ainsi que les accusations et les plaidoyers qu’ils porteront les uns sur les autres, au jour où Dieu jugera les pensées secrètes des hommes.Il semble donc que cette sentence, ainsi que tout le jugement, s’accomplira en esprit.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Le moment du jugement à venir est-il inconnu ?]

[22131] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod tempus futuri judicii non sit ignotum. Sicut enim sancti patres expectabant primum adventum, ita et nos expectamus secundum. Sed sancti patres sciverunt tempus adventus primi, sicut patet per numerum hebdomadarum quae describuntur Dan. 9; unde et reprehenduntur Judaei, quod tempus adventus Christi non cognoverunt, ut patet Luc. 12, 56: hypocritae, faciem caeli et terrae nostis probare; hoc autem tempus quomodo non probatis? Ergo videtur quod etiam nobis esse debeat determinatum tempus secundi adventus, quo Deus ad judicium veniet.

1. Il semble que le moment du jugement à venir soit inconnu. En effet, de même que les saints pères attendaient le premier avènement, nous attendons le second. Or, les saints pères ont connu le moment du premier avènement, comme cela ressort du nombre des semaines qui sont décrites en Dn 9 ; aussi les Juifs sont-ils blâmés de n’avoir pas reconnu le moment de l’avènement du Christ, comme cela ressort de Lc 12, 56 : Hypocrites ! Vous savez discerner la face du ciel et de la terre ; comment alors ne discernez-vous pas le moment présent ? Il semble donc que doive aussi nous être dévoilé le moment du second avènement, alors que Dieu viendra pour juger.

[22132] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per signa devenimus in cognitionem signatorum. Sed de judicio futuro multa signa nobis in Scriptura ponuntur, ut patet 14 Matth. et 21 Lucae et 12 Marci. Ergo in cognitionem illius temporis possumus pervenire.

2. Nous parvenons par les signes à la connaissance de ce qui est signifié. Or, de nombreux signes du jugement à venir nous sont donnés dans l’Écriture, comme cela ressort de Mt 14, Lc 21 et Mc 12. Nous pouvons donc parvenir à la connaissance de ce moment.

[22133] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, apostolus dixit, 1 Cor. 10, 2: nos sumus in quos fines saeculorum devenerunt; et 1 Joan. 2, 18: filioli, novissima hora est et cetera. Cum ergo jam longum tempus transierit ex quo haec dicta sunt, videtur quod saltem nunc scire possumus quod ultimum judicium sit propinquum.

3. L’Apôtre a dit en 1 Co 10, 2 : Nous, nous sommes parvenus à la fin des siècles, et 1 Jn 2, 18 : Petits enfants, l’heure est venue, etc. Puisqu’un long temps est passé depuis que cela a été dit, il semble donc que nous pouvons au moins maintenant savoir que le jugement dernier est proche.

[22134] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, tempus judicii non debet esse occultum, nisi propter hoc quod quilibet solicitus se ad judicium praeparet, dum determinate tempus ignorat. Sed eadem solicitudo remaneret, etiam si certum esset: quia cuicumque incertum est tempus suae mortis, et, sicut dicit Augustinus in epistola ad Hesychium, in quo quemque invenerit suus novissimus dies, in hoc eum comprehendet mundi novissimus dies. Ergo non est necessarium, tempus judicii esse occultum.

4. Le moment du jugement ne doit être caché que parce que tous, préoccupés, se préparent au jugement, lorsqu’ils en ignorent le moment de manière précise. Or, la même préoccupation demeurerait même s’il était précisé, car le moment de leur mort est incertain pour tous et, comme le dit Augustin dans sa lettre à Hésychius, « là où son dernier jour trouvera chacun, là le dernier jour du monde le saisira ». Il n’est donc pas nécessaire que le moment du jugement soit caché.

[22135] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Marc. 13, 32: de die illa vel hora nemo scit; neque Angeli in caelo, neque filius, nisi pater. Dicitur autem filius nescire, inquantum nos scire non facit.

Cependant, [1] Mc 13, 32 dit : Personne ne connaît ce jour ou cette heure, ni les anges dans le ciel et ni le Fils, mais [seulement] le Père. Or, on dit que le Fils ne la connaît pas pour autant qu’il ne nous la fait pas connaître.

[22136] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, 1 Thessal. 5, 2: dies domini sicut fur in nocte, ita veniet. Ergo videtur, cum adventus furis in nocte sit omnino incertus, quod dies ultimi judicii sit omnino incertus.

[2] Il est dit en 1 Th 5, 2: Le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit. Il semble donc que, le jour du dernier jugement soit tout à fait incertain, puisque la venue du voleur dans la nuit est tout à fait incertaine.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22137] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut operatio pertinet ad rerum principium quo producuntur in esse, ita judicium pertinet ad terminum, quo res ad suum finem perducuntur. Distinguitur autem duplex Dei operatio. Una qua res primitus in esse producit, instituens naturam, et distinguens ea quae ad completionem ipsius pertinent: a quo quidem opere Deus dicitur quievisse Genes. 1. Alia ejus operatio est qua operatur in gubernatione creaturarum, de qua Joan. 5, 17: pater meus usque modo operatur, et ego operor; ita etiam duplex judicium distinguitur, ordine tamen converso. Unum quod respondet operi gubernationis, quae sine judicio esse non potest: per quod quidem judicium unusquisque singulariter pro suis operibus judicatur non solum secundum quod sibi competit, sed secundum quod competit gubernationi universi; unde differtur unius praemiatio pro utilitate aliorum, ut dicitur Hebr. 11, et poenae unius ad profectum alterius cedunt; unde necesse est ut sit aliquod judicium universale correspondens ex adverso primae rerum productioni in esse, ut videlicet sicut tunc omnia processerunt immediate a Deo, ita tunc ultima completio mundo detur, unoquoque accipiente finaliter quod ei debetur secundum seipsum; unde in illo judicio apparebit manifeste divina justitia quantum ad omnia quae nunc ex hoc occultantur quod interdum de uno disponitur ad utilitatem aliorum aliter quam manifesta opera exigere videantur; unde etiam et tunc erit universalis separatio bonorum a malis, quia ulterius non erit locus ut mali per bonos vel boni per malos proficiant; propter quem profectum interim commixti inveniuntur boni malis, quoadusque status hujus vitae per divinam providentiam gubernatur.

De même que l’action relève du principe des choses, par lequel elles sont amenées à l’être, de même le jugement relève-t-il du terme par lequel les choses sont amenées à leur fin. Or, on distingue une double action de Dieu. L’une par laquelle il amène une chose à l’être pour la première fois et qui distingue ce qui se rapporte à son achèvement : c’est de cette action qu’on dit de Dieu, en Gn 1, qu’il s’est reposé. Son autre action est celle par laquelle il agit en vue du gouvernement des créatures, dont Jn 5, 17 parle : Mon Père agit jusqu’à maintenant, et moi aussi j’agis. De même aussi, on distingue un double jugement, mais en ordre inverse. L’un qui correspond à l’action du gouvernement, qui ne peut exister sans jugement : par ce jugement, chacun est jugé individuellement pour ses actions, non seulement selon ce qui le concerne, mais selon ce qui concerne le gouvernement de l’univers. Aussi la récompense de l’un est-elle différée pour le bien des autres, comme il est dit en He 11, et les peines de l’un tournent-elles au progrès des autres. Pour cette raison, il est nécessaire qu’il y ait un jugement universel correspondant, en sens inverse, à la première venue des choses à l’être, à savoir que, de même que toutes les choses sont alors issues immédiatement de Dieu, de même un ultime achèvement sera-t-il donné au monde, chacun recevant finalement ce qui lui est dû pour lui-même. Par ce jugement, la justice divine se manifestera donc pour tout ce qui est maintenant caché, parce qu’est caché entre-temps tout ce qui est décidé pour quelqu’un en vue du bien des autres, autrement que ses actions connues semblent le requérir. Aussi se réalisera-t-il alors une séparation des bons et des méchants, car il n’y aura plus place pour que les méchants progressent à cause des bons ou les bons à cause des méchants. C’est en vue d’un tel progrès que les bons se trouvent entre-temps mêlés aux méchants, pour autant que l’état de la vie présente est gouverné par la providence divine.

[22138] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quilibet homo et est singularis quaedam persona, et est pars totius humani generis; unde et duplex ei judicium debetur. Unum singulare, quod de eo fiet post mortem, quando recipiet juxta ea quae in corpore gessit, quamvis non totaliter, quia non quo ad corpus, sed quo ad animam tantum. Aliud judicium debet esse de eo secundum quod est pars totius humani generis; sicut aliquis judicari dicitur secundum humanam justitiam etiam quando judicium datur de communitate, cujus ipse est pars; unde et tunc quando fiet universale judicium totius humani generis per universalem separationem bonorum a malis, etiam quilibet per consequens judicabitur. Nec tamen Deus bis judicat in idipsum: quia non duas poenas pro uno peccato infert; sed poena quae ante judicium complete inflicta non fuerat, in ultimo judicio complebitur, post quod impii cruciabuntur quo ad corpus et animam simul.

1. Tous les hommes sont à la fois une personne unique et une partie de tout le genre humain. Aussi un double jugement leur est-il dû. L’un individuel, qui aura lieu pour lui après la mort, alors qu’il recevra selon ce qu’il a fait pendant qu’il avait son corps, bien que non entièrement, car [il recevra], non pas selon son corps, mais selon son âme. L’autre jugement doit avoir lieu selon que [l’homme] est une partie de tout le genre humain, comme on dit que quelqu’un est aussi jugé, selon la justice humaine, même lorsqu’un jugement est porté sur la communauté dont il est une partie. Lorsque se réalisera le jugement universel de tout le genre humain par la séparation universelle des bons et des méchants, tous seront donc par conséquent jugés. Cependant, Dieu ne juge pas deux fois la même chose, car il n’inflige pas deux peines pour un seul péché, mais la peine qui avait été infligée de manière incomplète avant le jugement sera complétée lors du jugement dernier, après lequel les impies seront torturés dans leur corps et leur âme en même temps.

[22139] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propria sententia illius generalis judicii est universalis separatio bonorum a malis, quae illud judicium non praecedet. Sed nec etiam quo ad particularem sententiam uniuscujusque plene praecessit judicii effectus: quia etiam boni amplius post judicium praemiabuntur, tum ex gloria corporis adjuncta, tum ex numero sanctorum completo; et mali etiam amplius torquebuntur adjuncta poena corporis, et impleto in poenis numero damnatorum: quia quanto cum pluribus ardebunt, tanto plus ardebunt.

2. La sentence propre de ce jugement général est la séparation universelle des bons et des méchants, qui ne précédera pas ce jugement. Mais l’effet du jugement ne précédera pas non plus pour ce qui est de la sentence particulière de chacun, car même les bons seront encore récompensés après le jugement tant en raison de la gloire du corps ajoutée, que par l’achèvement du nombre des saints ; et les méchants seront aussi davantage torturés par la peine corporelle ajoutée et par l’achèvement du nombre des damnés dans les peines, car plus ils brûleront avec un grand nombre, plus ils brûleront.

[22140] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod universale judicium, ut dictum est, magis directe respicit utilitatem hominum quam singulos judicandorum. Quamvis ergo cuilibet homini ante judicium sit certa notitia de sua damnatione vel praemio; non tamen omnibus omnium damnatio vel praemium innotescet; unde judicium necessarium erit.

3. Comme on l’a dit, le jugement universel concerne plus directement le bien des hommes que chacun de ceux qui doivent être jugés. Bien que tous les hommes connaîtront avec certitude avant le jugement leur damnation ou leur récompense, ils ne connaîtront donc pas la condamnation ou la récompense de tous pour tout. Un jugement sera donc nécessaire.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22141] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quid sit verum circa hanc quaestionem, definiri pro certo non potest; tamen probabilius aestimatur quod totum illud judicium, et quo ad discussionem, et quo ad accusationem malorum et commendationem bonorum, et quo ad sententiam de utrisque, mentaliter perficietur. Si enim vocaliter singulorum facta narrarentur, inaestimabilis magnitudo temporis ad hoc exigeretur; sicut etiam Augustinus, 20 de Civ. Dei, dicit, quod si liber ex cujus Scriptura omnes judicabuntur, ut dicitur Apoc. 9, carnaliter cogitetur, quis ejus magnitudinem aut longitudinem valeat aestimare? Aut quanto tempore legi poterit liber, in quo scriptae sunt universae vitae universorum? Non autem minus tempus requiritur ad narrandum oretenus singulorum facta, quam ad legendum, si essent in libro materiali scripta. Unde probabile est quod illa quae dicuntur Matth. 25, non vocaliter, sed mentaliter, intelligenda sint esse perficienda.

On ne peut définir avec certitude ce qui est vrai de cette question ; cependant, on estime avec plus de probabilité que l’ensemble de ce jugement se réalisera en esprit, tant pour l’examen, que pour l’accusation des méchants, la louange des bons et la sentence des deux. En effet, si les actes de chacun étaient racontés de vive voix, une longueur de temps incalculable serait nécessaire. Comme le dit aussi Augustin dans La cité de Dieu, XX, si le livre à partir duquel tous seront jugés, comme le dit Ap 9, est conçu de manière charnelle, qui pourra estimer sa dimension et sa longueur ? Ou en combien de temps le livre pourra-t-il être lu, dans lequel toutes les vies de tous ont été écrites ? Or, il ne faut pas moins de temps pour raconter oralement les actes de chacun que pour les lire, s’ils étaient écrits dans un livre matériel. Il est donc probable qu’il faille comprendre que ce qui est dit en Mt 25 sera accompli, non pas oralement, mais en esprit.

[22142] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pro tanto dicit Augustinus quod incertum est per quot dies hoc judicium tendatur, quia non est determinatum utrum perficiatur vocaliter. Si enim vocaliter perficeretur, prolixum tempus ad hoc requireretur; si autem mentaliter, in momento fieri poterit.

1. Augustin dit que le nombre de jours sur lequel ce jugement se tiendra est incertain parce qu’il n’est pas décidé s’il sera accompli oralement. En effet, s’il était accompli oralement, un temps très long serait nécessaire pour cela ; mais s’il est accompli en esprit, il pourra se réaliser dans l’instant.

[22143] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam si judicium fiat mentaliter tamen verbum Gregorii salvari potest: quia etsi omnibus innotescent sua et aliorum facta, divina virtute hoc faciente, quae in Evangelio locutio dicitur; tamen illi qui fidem habuerunt, quam ex verbis Dei conceperunt, ex ipsis verbis judicabuntur: quia, ut dicitur Rom. 2, 12, qui in lege peccaverunt, per legem judicabuntur. Unde et quodam speciali modo dicetur aliquid his qui fuerunt fideles quod non dicetur his qui fuerunt infideles.

2. Même si le jugement est accompli en esprit, la parole de Grégoire peut être sauvegardée, car même si tous connaissent leurs actes et ceux des autres par l’intervention de la puissance divine, qui est appelée parole dans l’évangile, ceux qui ont eu la foi, qu’ils ont trouvée à partir des paroles de Dieu, seront jugés selon les paroles elles-mêmes, car, comme le dit Rm 2, 12, ceux qui ont péché selon la loi seront jugés selon la loi. Aussi quelque chose sera dit d’une manière spéciale à ceux qui ont été croyants, qui ne sera pas dit à ceux qui ont été incroyants.

[22144] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus corporaliter apparebit, ut ab omnibus judex corporalis cognoscatur; quod quidem subito fieri poterit. Sed locutio quae tempore mensuratur requireret immensam temporis prolixitatem, si vocali locutione judicium perageretur.

3. Le Christ apparaîtra corporellement afin que le juge corporel soit connu de tous. Cela pourra se réaliser instantanément. Mais la parole qui est mesurée par le temps exigerait une immense étendue de temps, si le jugement était accompli par une parole orale.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22145] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Deus per scientiam suam est causa rerum. Utrumque autem creaturis communicat, dum et rebus tribuit virtutem agendi alias res quarum sint causa, et quibusdam etiam rerum cognitionem praebet; sed in utroque aliqua sibi reservat. Operatur enim quaedam in quibus nulla creatura ei cooperatur; et similiter cognoscit quaedam quae a nulla pura creatura cognoscuntur. Haec autem nulla alia magis esse debent quam illa quae soli divinae subjacent potestati, in quibus ei nulla creatura cooperatur; et hujusmodi est finis mundi, in quo erit dies judicii. Non enim per aliquam causam creatam mundus finietur, sicut etiam et mundus esse incepit immediate a Deo; unde dicitur, quod cognitio finis mundi soli Deo reservatur. Et hanc rationem ipse dominus videtur assignare Act. 1, 7: non est, inquit, vestrum nosse tempora vel momenta, quae pater posuit in sua potestate; quasi dicat, quae soli potestati ejus reservata sunt.

Dieu est cause des choses par sa connaissance. Or, il communique les deux aspects aux créatures, lorsqu’il donne aux choses la puissance de faire d’autres choses dont elles sont la cause, et donne aussi la connaissance des choses à certaines [créatures]. En effet, il accomplit certaines choses pour lesquelles aucune créature ne coopère avec lui ; de même, il connaît certaines choses qui ne sont connues d’aucune créature pure. Or, celles-ci ne doivent pas être autres que celles qui sont soumises au seul pouvoir divin, pour lesquelles aucune créature ne coopère avec lui. La fin du monde est de cette sorte, alors que surviendra le jour du jugement. En effet, le monde ne s’achèvera pas par une cause créée, de même que le monde a aussi commencé par Dieu de manière immédiate. Aussi dit-on que la connaissance de la fin du monde est réservée à Dieu seul. C’est cette position que le Seigneur lui-même semble indiquer dans Ac 1, 7 : Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a établis par son pouvoir, comme s’il disait : « Qui ont été réservés à sa seule puissance. »

[22146] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in primo adventu Christus venit occultus, secundum illud Isai. 45, 15: vere tu es Deus absconditus, sanctus Israel salvator; et ideo ut a fidelibus cognosci posset, oportuit determinate tempus praedeterminare. Sed in secundo adventu veniet manifestus, ut dicitur in Psalm. 49, 3: Deus manifeste veniet etc.; et ideo circa cognitionem adventus ipsius error esse non poterit: propter quod non est simile.

1. Lors du premier avènement, le Christ est venu de manière cachée, selon ce que dit Is 45, 15 : Vraiment, tu es un Dieu caché, le Saint qui sauve Israël. Pour qu’il soit connu des fidèles, il a donc fallu préciser un temps de manière déterminée. Mais, lors du second avènement, il viendra ouvertement, comme il est dit dans Ps 49, 3 : Dieu viendra de manière manifeste, etc. Aussi ne pourra-t-il pas y avoir d’erreur de la connaissance de son avènement. Pour cette raison, ce n’est donc pas la même chose.

[22147] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, sicut dicit Augustinus in epistola, de die judicii ad Hesychium. Signa quae in Evangeliis ponuntur, non omnia pertinent ad secundum adventum, qui erit in fine; sed quaedam eorum pertinent ad tempus destructionis Hierusalem, quae jam praeteriit; quaedam vero, et plura, eorum pertinent ad adventum quo quotidie ad Ecclesiam suam venit, eam spiritualiter visitans, prout inhabitat nos per fidem et amorem: nec illa quae in Evangeliis vel in epistolis ponuntur ad ultimum adventum spectantia, ad hoc possunt valere ut determinate tempus judicii possit cognosci; quia illa pericula quae praenuntiantur nuntiantia vicinum Christi adventum, etiam a tempore primitivae Ecclesiae fuerunt, quandoque intensius quandoque remissius: unde et ipsi dies apostolorum dicti sunt novissimi dies, ut patet Act. 2, 17: ubi Petrus exponit illud verbum Joel. 2, 28: erit in novissimis diebus, effundam spiritum meum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiae vestrae, pro tempore illo; et tamen ex illo tempore tempus plurimum transivit; et quandoque plures, et quandoque pauciores tribulationes in Ecclesia fuerunt. Unde non potest determinari tempus quantum sit futurum, nec de mense, nec de anno, nec de centum, nec de mille annis, ut Augustinus in eodem libro dicit. Et si credatur in fine hujusmodi pericula magis abundare, non tamen potest determinari quae sit illa quantitas periculorum quae immediate diem judicii praecedet, vel Antichristi adventum; cum et circa tempora primitivae Ecclesiae fuerint persecutiones aliquae adeo graves, et corruptiones errorum adeo abundarent, quod aliquibus tunc vicinus expectaretur vel imminens Antichristi adventus, sicut dicitur in ecclesiastica historia, et in Lib. Hieronymi de viris illustribus.

2. Comme le dit Augustin dans sa lettre à Hésychius sur le jour du jugement, les signes qui sont indiqués dans les évangiles ne se rapportent pas tous au second avènement, qui s’accomplira à la fin, mais certains d’entre eux se rapportent au moment de la destruction de Jérusalem, qui était déjà passée, et certains d’entre eux, plus nombreux, à l’avènement selon lequel il vient chaque jour dans son Église, en la visitant spirituellement, pour autant qu’il habite en nous par la foi et l’amour. Et ce qui est indiqué dans les évangiles ou dans les épîtres en rapport avec le dernier avènement n’a pas de valeur pour permettre de connaître de manière précise le moment du jugement, car les dangers qui sont annoncés d’avance comme une annonce de la proximité de l’avènement du Christ existaient déjà au temps de l’Église primitive, parfois plus intensément, parfois plus faiblement. Ainsi, l’époque même des apôtres a-t-elle été appelée les derniers jours, comme cela ressort de Ac 2, 17, où Pierre explique cette parole de Jl 2, 28 : Voici que, dans les derniers jours, je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, en ce temps-là ; et pourtant beaucoup de temps s’est écoulé depuis ce temps, et l’Église a parfois connu davantage, et parfois moins de tribulations. Aussi ne peut-on préciser le moment où aura lieu [le jugement], ni le mois, ni l’année, ni la centaine, ni le millier d’années, comme le dit Augustin dans le même livre. Et si l’on croit que davantage de dangers apparaîtront lors de cette fin, on ne peut cependant préciser la quantité de dangers qui précédera immédiatement le jour du jugement ou l’avènement de l’Antéchrist, puisque, à l’époque de l’Église primitive, se sont multipliées à tel point des persécutions tellement graves et des corruptions par des erreurs, que certains attendaient l’avènement prochain de l’Antéchrist, comme on le dit dans l’histoire ecclésiastique et dans le livre de Jérôme, Les hommes illustres.

[22148] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod dicitur, novissima hora est, vel ex similibus locutionibus quae in Scriptura dicuntur, non potest aliqua determinata quantitas temporis sciri. Non enim est dictum ad significandum aliquam brevem horam temporis, sed ad significandum novissimum statum mundi, qui est quasi novissima aetas; quae quanto temporis spatio duret, non est definitum; cum etiam nec senio, quod est ultima aetas hominis, sit aliquis terminus certus praefinitus, cum quandoque inveniatur durare quantum omnes praecedentes aetates, vel plus, ut dicit Augustinus in Lib. 83 quaest., quaest. 58; unde etiam et apostolus, 2 Thessal. 2, excludit falsum intellectum quem quidam ex illis verbis conceperant, ut crederent diem domini jam instare.

3. Lorsque, dans l’Église, on dit : C’est la dernière heure, ou des expressions semblables, on ne peut connaître de quantité précise. En effet, cela n’a pas été dit pour signifier le temps d’une brève heure, mais pour signifier le dernier état du monde, qui est pour ainsi dire le dernier âge. Sa durée dans le temps n’est pas précisé, car le sixième âge (vieillesse ? senio/senium ?) non plus, qui est le dernier âge de l’homme, n’est pas un terme précis déterminé d’avance, puisque parfois il se trouve durer autant que tous les âges précédents ou davantage, comme le dit Augustin dans le Livre des 83 questions, q. 58. L’Apôtre lui-même, en 2 Th 2, écarte donc la mauvaise compréhension que certains avaient conçue à partir de ces paroles, alors qu’ils croyaient que le jour du Seigneur était déjà imminent.

[22149] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam supposita mortis incertitudine, dupliciter ad vigilantiam valet incertitudo judicii. Primo ad hoc quod ignoratur utrum etiam differatur tantum quantum est hominis vita, ut sic ex duabus partibus incertitudo majorem diligentiam faciat. Secundo quantum ad hoc quod homo non gerit solum solicitudinem de persona sua, sed de familia vel civitate vel regno, aut tota Ecclesia, cui non determinatur tempus durationis secundum hominis vitam; et tamen oportet unumquodque horum hoc modo disponi ut dies domini non inveniat imparatos.

4. Même en supposant l’incertitude de la mort, l’incertitude du jugement est bonne pour deux choses. Premièrement, pour que soit ignoré s’il est différé aussi longtemps que dure la vie de l’homme, de sorte que l’incertitude provoque un plus grand soin des deux côtés. Deuxièmement, pour que l’homme ne se soucie pas seulement de sa propre personne, mais aussi de sa famille, de la cité, du royaume ou de l’Église tout entière, à laquelle une durée n’a pas été déterminée selon la vie de l’homme. Toutefois, il faut que chacun soit disposé de telle sorte que le jour du Seigneur ne le trouve pas non préparé.

 

 

Articulus 2 [22150] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliqui homines judicabunt cum Christo

Article 2 – Certains hommes jugeront-ils avec le Christ ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Certains hommes jugeront-ils avec le Christ ?]

[22151] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nulli homines judicabunt cum Christo. Quia Joan. 5, 22: pater omne judicium dedit filio, ut omnes honorificent filium, sicut honorificant patrem. Sed honorificentia talis non debetur alicui quam Christo. Ergo et cetera.

1. Il semble qu’aucun homme ne jugera avec le Christ, car, selon Jn 5, 22, le Père a confié tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. Or, un tel honneur n’est dû à personne d’autre qu’au Christ. Donc, etc.

[22152] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque judicat, habet potestatem super illud quod judicat. Sed ea de quibus debet esse futurum judicium, sicut merita et praemia humana, soli divinae auctoritati subsunt. Ergo nulli competit de his judicare.

2. Quiconque juge a pouvoir sur ce qu’il juge. Or, ce sur quoi doit porter le jugement à venir, comme les mérites et les récompenses des hommes, est soumis à la seule autorité de Dieu. Il ne convient donc à personne de juger de ces choses.

[22153] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, judicium illud non exercebitur vocaliter, sed mentaliter, ut probabilius aestimatur. Sed hoc quod cordibus hominum notificentur merita et demerita, quod est quasi accusatio vel commendatio; vel retributio poenae et praemii, quod est quasi sententiae prolatio, sola divina virtute fiet. Ergo nulli alii judicabunt nisi Christus, qui est Deus.

3. Ce jugement ne sera pas exercé oralement, mais en esprit, comme on l’estime plus probablement. Or, le fait que les mérites et les démérites soient connus aux cœurs des hommes, ce qui est comme une accusation ou une louange, ou la rétribution sous forme de peine ou de récompense, qui est comme le prononcé de la sentence, sera accompli par la seule puissance divine. Aucun autre que le Christ, qui est Dieu, ne jugera donc.

[22154] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 19, 28: sedebitis super sedes duodecim, judicantes duodecim tribus Israel.

Cependant, [1] Mt 19, 28 dit : Vous siégerez sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël.

[22155] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Isai. 3, 14: dominus ad judicium veniet cum senioribus populi sui. Ergo videtur quod etiam alii judicabunt cum Christo.

[2] Is 3, 14 dit : Le Seigneur viendra pour juger, accompagné des anciens de son peuple. Il semble donc que d’autres aussi jugeront avec le Christ.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le pouvoir de juger résultera-t-il de la pauvreté volontaire ?]

[22156] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod judiciaria potestas non respondeat voluntariae paupertati. Hoc enim solum duodecim apostolis promissum est Matth. 19, 28: sedebitis super sedes duodecim, judicantes duodecim tribus Israel. Ergo cum non omnes voluntarie pauperes sint apostoli, videtur quod non omnibus judiciaria potestas respondeat.

1. Il semble que le pouvoir de juger ne résultera pas de la pauvreté volontaire. En effet, cela a été promis aux douze apôtres en Mt 19, 28 : Vous siègerez sur douze sièges pour juger les douze tribus d’Israël. Puisque tous les pauvres volontaires ne sont pas des apôtres, il semble donc que le pouvoir de juger ne soit pas confié à tous.

[22157] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, majus est offerre sacrificium Deo de proprio corpore quam de exterioribus rebus. Sed martyres, et etiam virgines, offerunt de proprio corpore sacrificium Deo, voluntarie autem pauperes de exterioribus rebus. Ergo sublimitas judiciariae potestatis magis respondet martyribus et virginibus quam voluntarie pauperibus.

2. Il est plus grand d’offrir à Dieu son propre corps en sacrifice, que des choses extérieures. Or, les martyrs et même les vierges offrent à Dieu leur propre corps en sacrifice, mais les pauvres volontaires [offrent] des choses extérieures. L’élévation du pouvoir de juger appartient donc plutôt aux martyrs et aux vierges qu’aux pauvres volontaires.

[22158] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Joan. 5, 45: est qui accusat vos Moyses, in quo vos speratis; Glossa: quia voci ejus non creditis; et Joan. 12, 48: sermo quem locutus sum, ille judicabit eum in novissimo die. Ergo ex hoc quod aliquis proponit legem vel verbum exhortationis ad instructionem morum, habet quod judicet contemnentes. Sed hoc est doctorum. Ergo doctoribus magis competit quam pauperibus.

3. À propos de Jn 5, 45 : C’est Moïse qui vous accuse, en qui vous avez mis votre espérance, la Glose dit : « Parce que vous ne croyez pas ce qu’il dit » ; et Jn 12, 48 : C’est la parole que je dis qui le jugera au dernier jour. Par le fait que quelqu’un propose la loi ou une parole d’exhortation pour instruire sur le comportement, il peut juger ceux qui les méprisent. Or, c’est le cas des docteurs. [Le pouvoir de juger] appartient donc plutôt aux docteurs qu’aux pauvres.

[22159] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Christus ex hoc quod injuste judicatus est inquantum homo, meruit ut sit judex omnium in natura humana; unde Joan. 5, 27: potestatem dedit ei judicium facere, quia filius hominis est. Sed qui persecutionem patiuntur propter justitiam, injuste judicantur. Ergo judiciaria potestas magis eis quam pauperibus competit.

4. Le Christ a mérité d’être le juge de tous ceux qui ont la nature humaine par le fait qu’il a été jugé injustement en tant qu’homme. Aussi est-il dit en Jn 5, 27 : Il lui a donné le pouvoir de juger, car il est le Fils de l’homme. Or, ceux qui sont persécutés pour la justice sont injustement jugés. Le pouvoir de juger leur convient donc davantage qu’aux pauvres.

[22160] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, superior non judicatur ab inferiore. Sed multi licite divitiis utentes, majoris meriti erunt multis voluntarie pauperibus. Ergo voluntarii pauperes non judicabunt, sed ab aliis judicabuntur.

5. Le supérieur n’est pas jugé par un inférieur. Or, beaucoup, qui utilisent légitimement des richesses, auront un plus grand mérite que beaucoup de pauvres. Les pauvres volontaires ne jugeront donc pas, mais ils seront jugés par d’autres.

[22161] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Job 36, 6: non salvat impios, et judicium pauperibus tribuit. Ergo pauperum est judicare.

Cependant, [1] il est dit en Jb 36, 6 : Il ne sauve pas les impies, et il donne le jugement aux pauvres. Il appartient donc aux pauvres de juger.

[22162] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 19, super illud: vos qui reliquistis omnia etc.; dicit Glossa: qui reliquerunt omnia, et secuti sunt dominum, hi judices erunt: qui licita habentes, recte usi sunt, judicabuntur; et sic idem quod prius.

[2] À propos de Mt 19 : Vous qui avez tout abandonné, etc., la Glose dit : « Ceux qui ont tout abandonné et suivi le Seigneur, ceux-là seront des juges ; ceux qui possèdent légitimement [des biens] et en ont usé correctement seront jugés. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les anges doivent-ils juger ?]

[22163] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angeli debeant judicare. Matth. 25, 31: cum venerit filius in majestate sua; et omnes Angeli cum eo. Sed loquitur de adventu ad judicium. Ergo videtur quod etiam Angeli judicabunt.

1. Il semble que les anges doivent juger. Mt 25, 31 : Lorsque le Fils viendra dans sa majesté, avec tous les anges. Or, on parle de l’avènement en vue du jugement. Il semble donc que les anges aussi jugeront.

[22164] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Angelorum ordines nomina sortiuntur ex officio quod exercent. Sed quidam Angelorum ordo est ordo thronorum, quod videtur pertinere ad judiciariam potestatem: thronum enim est sedes judicis, solium regis, cathedra doctoris. Ergo aliqui Angeli judicabunt.

2. Les ordres des anges tirent leurs noms de la fonction qu’ils exercent. Or, un ordre des anges est l’ordre des Trônes, qui semble être en rapport avec le pouvoir de juger : en effet, le trône est le siège du juge, le fauteuil du roi, la chaire du docteur. Certains anges jugeront donc.

[22165] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sanctis post hanc vitam promittitur Angelorum aequalitas Matth. 22. Si ergo homines hanc habebunt potestatem, ut judicent, multo fortius et Angeli.

3. En Mt 22, l’égalité avec les anges est promise aux saints après la mort. Si donc des hommes possèdent ce pouvoir de juger, à bien plus forte raison les des anges.

[22166] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Joan. 5, 27: potestatem dedit ei judicium facere, quia filius hominis est. Sed Angeli non communicant in humana natura. Ergo nec in judiciaria potestate.

Cependant, [1] Jn 5, 27 dit : Il lui a donné le pouvoir de juger parce qu’il est le Fils de l’homme. Or, les anges ne partagent pas la nature humaine. Donc, ni le pouvoir de juger.

[22167] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, non est ejusdem judicare et esse judicis ministrum. Sed Angeli erunt in judicio illo ut ministri judicis. Matth. 13, 41: mittet filius hominis Angelos suos, et colligent de regno ejus omnia scandala. Ergo Angeli non judicabunt.

[2] Il n’appartient pas au même de juger et d’être le ministre du juge. Or, les anges seront comme des ministres du juge lors de ce jugement. Mt 13, 41 : Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils rassembleront dans son royaume tous les scandales. Tous les anges ne jugeront donc pas.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les démons exécutent-ils la sentence du juge après le jour du jugement ?]

[22168] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod post diem judicii Daemones non exequantur sententiam judicis in damnatis. Quia Daemones magis peccaverunt quam homines. Ergo non est justum quod homines per Daemones torqueantur.

1. Il semble que les démons n’exécutent pas la sentence du juge après le jour du jugement, car les démons ont davantage péché que les hommes. Il n’est donc pas juste que les hommes soient torturés par les démons.

[22169] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut Daemones suggerunt hominibus mala, ita Angeli suggerunt bona. Sed praemiare bonos non erit officium Angelorum; sed hoc erit ab ipso Deo immediate. Ergo nec punire malos erit officium Daemonum.

2. De même que les démons ont suggéré le mal aux hommes, de même les anges ont-ils suggéré le bien. Or, récompenser les bons ne sera pas la fonction des anges, mais cela viendra de Dieu de manière immédiate. Punir les méchants ne sera donc pas la fonction des démons.

[22170] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod homines peccatores se Diabolo subjecerunt peccando. Ergo justum est ut ei subjiciantur in poenis, quasi ab eo puniendi.

Cependant, les hommes pécheurs se sont soumis au Diable en péchant. Il est donc juste qu’ils lui soient soumis pour les peines afin d’être punis par lui.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22171] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod judicare multipliciter dicitur. Uno modo causaliter, ut dicatur illud judicare unde apparet aliquis judicandus; et secundum hoc aliqui dicuntur judicare comparatione, inquantum ex comparatione aliorum aliqui judicandi ostenduntur, sicut patet Matth. 12, 41: viri Ninivitae surgent in judicio cum generatione ista, et condemnabunt eam. Sed sic judicare in judicio, communiter bonorum et malorum est. Alio modo dicitur judicare, quasi interpretative: interpretamur enim aliquem facere qui facienti consentit; unde illi qui consentient Christo judici, ejus sententiam approbando, judicare dicuntur; et sic judicare est omnium electorum; unde dicitur Sap. 3, 8: judicabunt sancti nationes. Tertio modo dicitur judicare quasi per similitudinem, quia scilicet similitudinem judicis habet, inquantum sedet in loco eminenti sicut judex; sicut assessores judicare dicuntur; et secundum hunc modum dicunt quidam, quod perfecti viri, quibus judiciaria potestas promittitur Matth. 19, judicabunt, scilicet per honorabilem confessionem, quia superiores ceteris in judicio apparebunt, occurrentes Christo obviam in aera. Sed istud non videtur sufficere ad promissionem domini complendam, qua dicitur, sedebitis judicantes; videtur enim judicium confessioni superaddere. Et ideo est quartus modus judicandi, qui perfectis viris conveniet, inquantum continentur in eis decreta divinae justitiae, ex quibus homines judicabuntur; sicut si liber in quo continetur lex, judicare dicatur; unde Apoc. 20, judicium sedit, et libri aperti sunt. Et per hunc modum hanc judicationem Richardus de sancto Victore exponit; unde dicit, quod qui divinae contemplationi assistunt, qui in libro sapientiae quotidie legunt, velut in cordium voluminibus transcribunt quidquid jam perspicua veritatis intelligentia comprehendunt; et infra: quid vero sunt judicantium corda divinitus in omnem veritatem edocta, nisi quaedam canonum decreta? Sed quia judicare importat actionem in alium procedentem, ideo proprie loquendo judicare dicitur qui sententiam loquendo in alterum fert. Sed hoc dupliciter contingit. Uno modo ex propria auctoritate; et hoc est illius proprie qui habet in alios dominium et potestatem, cujus regimini subduntur qui judicantur, unde ejus est in eos jus ferre; et sic judicare solius Dei est. Alio modo judicare est, sententiam alterius auctoritate latam in aliorum notitiam ducere, quod est sententiam latam pronuntiare; et hoc modo perfecti viri judicabunt: quia alios ducent in cognitionem divinae justitiae, ut sciant quid eis juste pro meritis debeatur, ut ipsa revelatio justitiae judicium dicatur. Unde dicit Richardus de sancto Victore: judices coram judicandis decretorum suorum libros aperire, est ad cordium suorum inspectionem inferiorum quorumlibet visum admittere, sensumque suum in his quae ad judicium pertinent, revelare.

« Juger » s’emploie de plusieurs manières. D’une manière, au sens causal, pour dire qu’on juge une chose ; en conséquence, quelqu’un semble devoir être jugé. En ce sens, on dit que certains jugent par mode de comparaison, pour autant que, par comparaison avec d’autres, certains semblent devoir être jugés, comme cela ressort de Mt 12, 41 : Les Ninivites se lèveront lors du jugement de cette génération, et ils la condamneront. Or, juger ainsi lors d’un jugement est commun aux bons et aux méchants. D’une autre manière, on parle de juger en un sens interprétatif : en effet, nous interprétons que quelqu’un accomplit lorsqu’il consent à celui qui accomplit. On dit donc que ceux-là jugent qui donnent leur consentement au Christ juge en approuvant sa sentence. Il revient ainsi à tous les élus de juger. Aussi est-il dit en Sg 3, 8 : Les saints jugeront les païens. Troisième manière : on dit par analogie que quelqu’un juge parce qu’il ressemble à un juge en étant assis dans un endroit élevé comme un juge ; ainsi dit-on que les assesseurs jugent. De cette manière, certains disent que les parfaits, auxquels le pouvoir de juger est promis en Mt 19, jugeront, par une confession digne d’honneur, car ils se montreront supérieurs aux autres lors du jugement, en accourant vers le Christ dans les airs. Mais cela ne semble pas suffire pour accomplir la promesse du Seigneur, où il dit : Vous siégerez pour juger. En effet, il semble que le jugement ajoute à la confession. Aussi y a-t-il une quatrième manière de juger, qui conviendra aux parfaits, dans la mesure où sont contenus en ceux-ci les décrets de la justice divine selon lesquels les hommes seront jugés, comme si on disait que le livre dans lequel la loi est contenue juge. Ainsi Ap 20 dit : Le jugement siège, et les livres sont ouverts. C’est selon ce mode que Richard de Saint-Victor explique ce jugement. Il dit que « ceux qui s’adonnent à la contemplation, qui lisent tous les jours le livre de la sagesse, transcrivent dans le livre de leur cœur tout ce qu’ils comprennent par une vive intelligence de la vérité ». Plus loin : « Que sont les cœurs de ceux qui jugent, après avoir été divinement enseignés en toute vérité, sinon des décrets des canons ? » Mais parce que juger comporte à proprement parler une action envers un autre, on dit que celui-là juge qui porte une sentence contre quelqu’un par la parole. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, en vertu de sa propre autorité : cela appartient en propre à celui qui a autorité et pouvoir sur d’autres, auquel ceux qui sont jugés sont soumis ; il lui appartient donc de leur imposer le droit. Juger en ce sens n’appartient qu’à Dieu seul. D’une autre manière, juger, c’est porter à la connaissance des autres une sentence portée en vertu de l’autorité d’un autre, ce qui consiste à prononcer la sentence portée. De cette manière, les parfaits jugeront, car ils conduiront les autres à la connaissance de la justice divine, afin qu’ils sachent ce qui leur est dû pour leurs mérites, de sorte que la révélation de la justice soit appelée un jugement. Aussi Richard de Saint-Victor dit-il : « Ouvrir le livre de leurs décrets pour ceux qui doivent être jugés, c’est pour les juges permettre que tous leurs inférieurs examinent leurs propres cœurs et révéler leur sentiment sur ce qui relève du jugement. »

[22172] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de judicio auctoritatis, quod soli Christo conveniet.

1. Cette objection vient du jugement d’autorité, qui conviendra au Christ seulement.

[22173] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour la seconde [objection].

[22174] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens aliquos sanctorum aliis quaedam revelare, vel per modum illuminationis, sicut superiores Angeli inferiores illuminant; vel per modum locutionis, sicut quando inferiores superioribus loquuntur.

3. Il n’est pas inapproprié que certains saints révèlent certaines choses à d’autres, soit par mode d’illumination, comme les anges supérieurs illuminent les inférieurs, soit par mode de langage, comme lorsque les inférieurs parlent aux supérieurs.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22175] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod paupertati debetur judiciaria potestas specialiter propter tria. Primo ratione congruitatis: quia voluntaria paupertas est eorum qui omnibus quae mundi sunt contemptis, soli Christo inhaerent; et ideo non est eis aliquid quod eorum judicium a justitia deflectat; unde idonei ad judicandum redduntur, quasi veritatem justitiae prae omnibus diligentes. Secundo per modum meriti; quia humilitati respondet exaltatio pro merito. Inter omnia autem quae hominem in hoc mundo despectum faciunt, praecipuum est paupertas; unde et pauperibus excellentia judiciariae potestatis promittitur, ut sic qui se propter Christum humiliat, exaltetur. Tertio, quia paupertas disponit ad praedictum modum judicandi. Ex hoc enim aliquis sanctorum judicare dicetur, ut ex praedictis patet, quod cor habebit edoctum omni divina veritate, quam aliis potens erit manifestare. In progressu autem ad perfectionem, primum quod relinquendum occurrit, sunt exteriores divitiae, quia haec sunt ultimo acquisita; quod autem est ultimum in generatione, est primum in destructione; unde et inter beatitudines, quibus est progressus ad perfectionem, prima ponitur paupertas. Et sic paupertati respondet judiciaria potestas, inquantum est prima dispositio ad potestatem praedictam. Et hinc est quod non quibuscumque pauperibus, etiam voluntarie, repromittitur potestas praedicta, sed illis qui relinquentes omnia sequuntur Christum secundum perfectionem vitae.

Le pouvoir de juger est dû à la pauvreté d’une manière spéciale pour trois raisons. Premièrement, en raison d’une convenance, car la pauvreté volontaire est celle de ceux qui s’attachent au seul Christ, en méprisant tout ce qui relève du monde ; il n’y a donc pas chez eux quelque chose qui détourne leur jugement de la justice : ils sont donc rendus aptes à juger en aimant la vérité de la justice par-dessus tout. Deuxièmement, par mode de mérite, car l’élévation pour leur mérite répond à leur humilité. Or, parmi tous ce qui rend un homme méprisé en ce monde, la pauvreté est la principale chose. Aussi l’excellence du pouvoir de juger [lui] est-elle promise, de sorte que celui qui s’humilie à cause du Christ soit élevé. Troisièmement, parce que la pauvreté dispose à la manière de juger indiquée. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, on dira que l’un des saints juge parce que son cœur a reçu l’enseignement de toute la vérité divine, qu’il est en mesure de manifester aux autres. Or, pour la progrès vers la perfection, ce sont les richesses extérieures qu’il faut abandonner en premier, car ce sont elles qui ont été acquises en dernier. Or, ce qui est dernier par la génération est premier par la destruction. Aussi, parmi les béatitudes qui assurent le progrès vers la perfection, la première indiquée est-elle la pauvreté. Ainsi le pouvoir de juger répond-il à la pauvreté dans la mesure où elle est la première disposition au pouvoir mentionné. De là vient que le pouvoir en cause n’est pas promis à n’importe quel pauvre, même volontaire, mais à ceux qui, abandonnant tout, suivent le Christ selon la perfection de la vie.

[22176] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Augustinus, 21 de Civ. Dei, nec quoniam super duodecim sedes sessuros esse ait, duodecim solos homines cum illo judicaturos putare debemus; alioquin quoniam in locum Judae traditoris apostolum Mathiam legimus ordinatum, Paulus, qui plus aliis laboravit, ubi ad judicandum sedeat, non habebit. Unde duodenario numero significata est universa judicantium multitudo propter duas partes septenarii, scilicet tria et quatuOr quae in se ductae duodenarium faciunt. Septenarius autem est numerus perfectionis, vel propter hoc quod constat ex duplici senario qui est numerus perfectus, vel quia ad litteram duodecim apostolis loquebatur, in quorum persona hoc omnibus eorum sectatoribus promittebat.

1. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XXI, « nous ne devons pas penser que, parce qu’il dit qu’ils seront assis sur douze sièges, seulement douze hommes jugeront avec lui, autrement, parce que nous lisons que l’apôtre Matthias a été ordonné pour remplacer Judas, le traître, Paul, qui a travaillé plus que les autres, n’aurait pas où s’asseoir pour juger. Aussi, par le nombre douze, c’est toute la multitude de ceux qui jugent qui a été signifiée en raison des deux parties du nombre sept : trois et quatre, qui, multipliés, donnent douze. » Or, le nombre sept est le nombre de la perfection, soit parce qu’il vient de la multiplication de deux par six, qui est le nombre parfait, soit parce que [le Seigneur] parlait littéralement des douze apôtres, en la personne de qui il promettait cela à tous leurs disciples.

[22177] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virginitas et martyrium non ita disponunt ad retinendum in corde decreta divinae justitiae sicut paupertas; sicut e contrario exteriores divitiae ex sua solicitudine suffocant verbum Dei, ut dicitur Luc. 8. Vel dicendum, quod paupertas non solum sufficit ad meritum judiciariae potestatis; sed quia est prima pars perfectionis, cui respondet judiciaria potestas; unde inter ea quae sequuntur ad paupertatem, ad perfectionem spectantia, possunt computari et virginitas et martyrium, et omnia perfectionis opera: non tamen sunt ita principalia sicut paupertas; quia principium est maxima pars rei.

2. La virginité et le martyre ne disposent pas autant que la pauvreté à garder dans son cœur les décrets de la justice divine, comme, en sens contraire, les richesses extérieures étouffent par leurs préoccupations la parole de Dieu, comme il est dit en Lc 8. Ou bien il faut dire que la pauvreté non seulement suffit pour mériter le pouvoir de juger, mais parce qu’elle est la première partie de la perfection, à laquelle correspond le pouvoir de juger. Aussi, parmi ce qui suit la pauvreté et concerne la perfection, peut-on compter la viriginité et le martyre, et toutes les œuvres de la perfection. Cependant, elles ne jouent pas le rôle de principe autant que la pauvreté, car le principe est la partie principale d’une chose.

[22178] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui legem proposuit, aut exhortatus est ad bonum; judicabit causaliter loquendo: quia per comparationem ad verba ab ipso proposita aliqui judicabuntur; et ideo non respondet proprie potestas judiciaria praedicationi vel doctrinae. Vel dicendum, secundum quosdam, quod tria requiruntur ad judiciariam potestatem. Primo abdicatio temporalium curarum, ne impediatur animus a sapientiae perceptione. Secundo requiritur habitus continens divinam justitiam scitam et observatam. Tertio, quod illam justitiam alios docuerit; et sic doctrina erit complens meritum judiciariae potestatis.

3. Celui qui a proposé la loi ou a exhorté au bien jugera de manière causale par la parole, parce que certains seront jugés par comparaison avec les paroles qu’il a proférées. Aussi le pouvoir de juger ne correspond-il pas à proprement parler à la prédication ou à l’enseignement. Ou bien il faut dire, selon certains, que trois choses sont nécessaires au pouvoir de juger. Premièrement, l’abdication des soucis temporels pour que l’esprit ne soit pas empêché de percevoir la sagesse. Deuxièmement, est nécessaire l’habitus comportant la justice divine apprise et respectée. Troisièmement, l’enseignement de cette justice aux autres. C’est ainsi que l’enseignement réalisera le mérite de pouvoir de juger.

[22179] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus in hoc quod est injuste judicatus, seipsum humiliavit: oblatus est enim quia voluit; et meritum humilitatis est judiciaria exaltatio, qua ei omnia subduntur, ut dicitur Philip. 2. Et ideo magis debetur judiciaria potestas illis qui voluntarie se humiliant bona temporalia abjiciendo, propter quae homines a mundanis honorantur, quam his qui ab aliis humiliantur.

4. En ayant été injustement jugé, le Christ s’est humilié lui-même. En effet, il a été offert parce qu’il l’a voulu, et l’humilité mérite l’élévation pour le jugement, par laquelle tout lui est soumis, comme il est dit en Ph 2. Aussi le pouvoir de juger est-il dû davantage à ceux qui s’humilient volontairement en abandonnant les biens temporels, pour lesquels les hommes sont honorés par ceux qui appartiennent au monde, plutôt qu’à ceux qui sont humiliés par les autres.

[22180] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod inferior non potest judicare superiorem auctoritate propria; sed tamen auctoritate superioris potest; sicut patet in judicibus delegatis; et ideo non est inconveniens, si hoc quasi accidentale praemium pauperibus detur, ut judicent alios, etiam qui sunt excellentioris meriti respectu praemii essentialis.

5. Un inférieur ne peut juger un supérieur en vertu de sa propre autorité, mais il le peut cependant en vertu de l’autorité d’un supérieur, comme cela ressort chez les juges délégués. Il n’est donc pas inapproprié que les pauvres en jugent d’autres, même ceux qui ont un mérite excellent en regard de la récompense essentielle, si cela est donné aux pauvres comme une récompense pour ainsi dire accidentelle

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22181] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod assessores judicis debent esse judici proportionales vel conformes. Judicium autem filio attribuitur, quia secundum humanam naturam omnibus apparebit, tam bonis quam malis, quamvis tota Trinitas judicet per auctoritatem; et ideo etiam oportet ut assessores judicis humanam naturam habeant, in qua possint ab omnibus bonis et malis videri; et sic Angelis non competit judicare; quamvis etiam Angeli aliquo modo possint dici judicare, scilicet per sententiae approbationem.

Les assesseurs d’un juge doivent être proportionnés ou conformes au juge. Or, le jugment est attribué au Fils parce qu’il apparaîtra à tous, bons comme méchants, selon sa nature humaine, bien que la Trinité entière juge d’autorité. Il faut donc aussi que les assesseurs du juge possèdent la nature humaine par laquelle ils puissent être vus de tous, bons et méchants. Ainsi ne convient-il pas aux anges de juger, bien qu’on puisse dire que les anges jugent d’une certaine manière en approuvant la sentence.

[22182] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut ex Glossa ibidem patet, Angeli cum Christo venient, non ut judices, sed ut sint testes humanorum actuum, sub quorum custodia homines bene vel male egerunt.

1. Comme cela ressort de la Glose au même endroit, les anges viendront avec le Christ, non pas comme des juges, mais pour être des témoins des actions humaines que les hommes auront accomplies en bien ou en mal sous leur garde.

[22183] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen throni attribuitur Angelis ratione illius judicii quod Deus semper exercet, omnia justissime gubernando; cujus judicii Angeli sunt quodammodo executores et promulgatores. Sed judicium quod de omnibus per hominem Christum fiet, etiam requirit homines assessores.

2. Le nom de «Trônes» est attribué à des anges en raison du jugement que Dieu exerce en gouvernant tout de la manière la plus juste. Les anges sont pour ainsi dire les exécuteurs et les promulgateurs de ce jugement. Mais le jugement qui sera porté sur tous par le Christ homme exige aussi des hommes comme assesseurs.

[22184] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hominibus promittitur Angelorum aequalitas quantum ad praemium essentiale. Nihil tamen prohibet aliquod accidentale praemium hominibus exhiberi quod Angelis non dabitur, ut patet de aureola virginum aut martyrum; et similiter potest dici de judiciaria potestate.

3. L’égalité avec les anges est promise aux hommes pour ce qui est de la récompense essentielle. Cependant, rien n’empêche qu’une récompense accidentelle soit donnée aux hommes, qui ne sera pas donnée aux anges, comme cela ressort de l’auréole des vierges et des martyrs. De même peut-on parler du pouvoir de juger.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22185] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod circa hoc tangitur a Magistro in littera duplex opinio; et utraque Dei justitiae videtur competere. Ex hoc enim quod homo peccat, juste Daemoni subjicitur, sed Daemon injuste ei praeest. Opinio ergo illa quae ponit Daemones in futurum post diem judicii hominibus non praeesse in poenis, respicit ordinem divinae justitiae ex parte Daemonum punientium; contraria vero opinio respicit ordinem divinae justitiae ex parte hominum punitorum. Quae autem harum verior sit, certum nobis esse non potest. Verius autem aestimo, quod sicut servabitur ordo in salvatis, quod quidam a quibusdam illuminabuntur et perficientur; eo quod caelestis hierarchiae ordines perpetui erunt; ita salvabitur ordo in poenis, ut homines per Daemones puniantur, ne totaliter ordo divinus quo Angelos medios inter naturam divinam et humanam constituit, annulletur. Et ideo sicut hominibus per Angelos divinae illuminationis deferuntur, ita etiam Daemones sunt executores divinae justitiae in malos. Nec in hoc aliquid minuetur de Daemonum poena; quia in hoc quod etiam alios torquent, ipsi torquebuntur. Ibi enim miserorum societas miseriam non minuet, sed augebit.

À ce sujet, le Maître aborde deux opinions dans le texte, et les deux semblent convenir à la justice de Dieu. En effet, par le fait que l’homme pèche, il est justement soumis au démon, mais le démon lui est injustement supérieur. L’opinion qui affirme que les démons ne seront pas les supérieurs des hommes à l’avenir, après le jour du jugement, se rapporte à l’ordre de la justice divine du point de vue des démons qui punissent. Mais l’opinion contraire se rapporte à l’ordre de la justice divine du point de vue des hommes qui sont punis. Laquelle de deux est plus vraie, cela ne peut pas être certain pour nous. Mais j’estime plus vrai que, de même que sera respecté l’ordre parmi ceux qui sont sauvés, selon lequel certains seront illuminés et perfectionnés par d’autres du fait que les ordres de la hiérarchie céleste sont éternels, de même sera respecté l’ordre pour les peines, selon lequel les hommes seront punis par les démons, afin que l’ordre divin ne soit pas annulé, selon lequel [Dieu] a établi les anges comme des intermédiaires entre la nature divine et la nature humaine. C’est pourquoi, de même que les illuminations [corr. illuminationis/illuminationes] divines sont apportées par les anges, de même aussi les démons sont-ils les exécuteurs de la justice divine pour les méchants. La peine des démons n’est en rien diminuée par cela, car du fait qu’ils en torturent d’autres, eux-mêmes sont torturés. En effet, la société des miséreux ne diminuera pas là la misère, mais l’augmentera.

[22186] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praelatio illa quae dicitur evacuanda per Christum in futuro, est accipienda secundum modum praelationis quae est secundum statum hujus mundi, in quo et homines hominibus principantur, et Angeli hominibus, et Angeli Angelis, et Daemones Daemonibus, et Daemones hominibus; et hoc totum ad perducendum ad finem, vel abducendum a fine. Tunc autem cum omnia ad finem suum pervenerint, non erit praelatio adducens ad finem, sed conservans in fine boni vel mali.

1. La supériorité dont on dit qu’elle sera éliminée par le Christ à l’avenir doit être entendue selon le mode de supériorité qui existe dans l’état de ce monde, où les hommes commandent à des hommes, des anges aux hommes, des anges à des anges, des démons à des démons et des démons aux hommes, et tout cela pour mener à la fin ou pour écarter de la fin. Mais alors, du fait que tout sera parvenu à sa fin, il n’existera pas de supériorité menant à la fin, mais préservant à la fin ce qui est bien ou mal.

[22187] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis meritum Daemonum non requirat ut hominibus praeferantur, quia injuste sibi homines subjecerunt; tamen hoc requirit ordo naturae ipsorum ad naturam humanam; bona enim naturalia in eis integra manent, ut Dionysius dicit, 4 cap. de Div. Nomin.

2. Bien que le mérite des démons n’exige pas qu’ils soient placés au-dessus des hommes, parce qu’ils se sont injustement soumis les hommes, cependant, l’ordre de leur nature par rapport à la nature humaine l’exige. En effet, les biens naturels demeurent intégralement chez eux, comme le dit Denys dans Les noms divins, IV.

[22188] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli boni non sunt causa principalis praemii electis; quia hoc omnes immediate a Deo percipient; sed tamen quorumdam accidentalium praemiorum Angeli hominibus sunt causa; inquantum per superiores Angelos, inferiores et Angeli et homines illuminantur de aliquibus secretis divinorum quae ad substantiam beatitudinis non pertinent. Et similiter etiam principalem poenam damnati percipient immediate a Deo, scilicet exclusionem perpetuam a visione divina; alias autem poenas sensibiles non est inconveniens hominibus per Daemones infligi. In hoc tamen est differentia, quia meritum exaltat, sed peccatum deprimit; unde cum natura angelica sit altior quam humana, quidam propter excellentiam meriti intantum exaltabuntur, quod talis exaltatio excedet altitudinem naturae et praemii in quibusdam Angelis; unde etiam quidam Angeli per quosdam homines illuminabuntur; sed nulli homines peccatores propter aliquem gradum malitiae venient ad illam eminentiam quae debetur naturae Daemonum.

3. Les anges bons ne sont pas la cause principale de la récompense pour les élus, car tous la recevront de Dieu de manière immédiate. Cependant, les anges sont la cause de certaines récompenses accidentelles dans la mesure où, par les anges supérieurs, les anges comme les hommes sont éclairés sur certains secrets concernant les réalités divines qui ne relèvent pas de la substance de la béatitude. De même aussi, les damnés recevront-ils de Dieu de manière immédiate leur peine principale : l’exclusion éternelle de la vision de Dieu ; mais il n’est pas inapproprié que d’autres peines sensibles soient infligées aux hommes par les démons. Il existe cependant en cela une différence, car le mérite élève, mais le péché abaisse. Puisque la nature angélique est plus élevée que la nature humaine, certains seront donc élevés en raison de l’excellence de leur mérite, de telle sorte qu’une telle élévation dépassera l’élévation de la nature et de la récompense chez certains anges ; aussi certains anges seront-ils illuminés par des hommes ; mais aucun homme pécheur n’atteindra l’éminence due à la nature des démons en raison d’un certain degré de malice.

 

 

Articulus 3 [22189] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnes homines in judicio compareant

Article 3 – Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous les hommes comparaîtront-ils en jugement ?]

[22190] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnes homines in judicio compareant. Quia dicitur Matth. 19, 28: sedebitis super sedes, judicantes duodecim tribus Israel. Sed non omnes homines pertinent ad illas duodecim tribus. Ergo videtur quod non omnes homines compareant.

1. Il semble que tous les hommes ne comparaîtront pas en jugement, car il est dit en Mt 19, 28 : Vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Or, tous les hommes n’appartiennent pas à ces douze tribus. Il semble donc que tous les hommes ne comparaîtront pas.

[22191] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, idem videtur per hoc quod dicitur in Psal. 1, 6: non resurgent impii in judicio. Sed multi hominum sunt tales. Ergo in judicio non comparebunt.

2. La même chose ressort de ce qui est dit dans Ps 1, 6 : Les impies ne ressusciteront pas lors du jugement. Or, beaucoup parmi les hommes sont tels. Ils ne comparaîtront donc pas en jugement.

[22192] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad hoc aliquis ad judicium adducitur, ut ejus merita discutiantur. Sed quidam sunt qui nulla merita habuerunt, sicut pueri ante perfectam aetatem decedentes. Ergo illos in judicio comparere non est necesse.

3. Quelqu’un est amené en jugement pour que ses mérites soient examinés. Or, il y en aura certains qui n’auront pas de mérites, tels les enfants morts avant l’âge adulte. Il n’est donc pas nécessaire que ceux-là comparaissent.

[22193] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur actuum 10, quod Christus est constitutus a Deo judex vivorum et mortuorum. Sed sub istis differentiis comprehenduntur omnes homines, qualitercumque vivi a mortuis distinguantur. Ergo omnes homines in judicio comparebunt.

Cependant, [1] il est dit dans Ac 10, que le Christ a été établi par Dieu comme juge des vivants et des morts. Or, tous les hommes sont compris sous cette distinction, quelle que soit la différence que l’on fasse entre les vivants et les morts. Tous les hommes comparaîtront donc en jugement.

[22194] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Apoc. 1, 7, dicitur: ecce venit cum nubibus, et videbit eum omnis oculus. Hoc autem non esset, si non omnes homines in judicio comparerent. Ergo et cetera.

[2] Il est dit en Ap 1, 7 : Voici qu’il vient sur des nuées, et tout œil le verra. Or, ce ne serait pas le cas si tous les hommes ne comparaissaient pas en jugement. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les bons seront-ils jugés lors du jugement ?]

[22195] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nulli boni in judicio judicentur. Quia Joan. 3, 18: qui credit in eum, non judicabitur. Sed omnes boni crediderunt in eum. Ergo non judicabuntur.

1. Il semble qu’aucun des bons ne sera jugé lors du jugement, car Jn 3, 18 dit : Celui qui croit en moi ne sera pas jugé. Or, tous les bons ont cru en lui. Ils ne seront donc pas jugés.

[22196] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illi non sunt beati quibus est incerta sua beatitudo: ex quo Augustinus probat, Daemones nunquam fuisse beatos. Sed sancti homines nunc sunt beati. Ergo certi sunt de sua beatitudine. Sed quod est certum, non adducitur in judicium. Ergo boni non judicabuntur.

2. Ceux pour qui leur béatitude est incertaine ne sont pas bienheureux ; Augustin démontre à partir de là que les démons n’ont jamais été bienheureux. Or, ceux qui sont saints sont maintenant bienheureux. Ils sont donc certains de leur béatitude. Mais ce qui est certain n’est pas amené en jugement. Les bons ne seront donc pas jugés.

[22197] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, timor beatitudini repugnat. Sed extremum judicium, quod tremendum maxime dicitur, non poterit fieri sine timore eorum qui sunt judicandi; unde etiam Gregorius dicit, super illud Job 41: cum sublatus fuerit, timebunt Angeli: consideremus quomodo tunc iniquorum conscientia concutitur, quando etiam justorum vita turbatur. Ergo beati non judicabuntur.

3. La crainte s’oppose à la béatitude. Or, le jugement dernier, dont on dit qu’il doit être craint au plus haut point, ne pourra avoir lieu sans crainte de la part de ceux qui doivent être jugés. Aussi Grégoire dit-il, à propos de Jb 41 : Lorsqu’il aura été élevé, les anges craindront : « Considérons comment la conscience des impies est frappée, alors que même la vie des justes est perturbée. » Les bienheureux ne seront donc pas jugés.

[22198] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, videtur quod omnes boni judicentur. Quia dicitur 2 Corinth. 5, 10: omnes astabimus ante tribunal Christi, ut referat unusquisque propria corporis quae gessit, sive bona, sive mala. Sed non est aliud judicari. Ergo omnes judicabuntur.

Cependant, [1] il semble que tous les bons seront jugés, car il est dit en 2 Co 5, 10 : Nous nous tiendrons tous debout devant le tribunal du Christ, afin que chacun déclare ce qu’il a fait en bien ou en mal, alors qu’il était dans son corps. Or, être jugé n’est pas autre chose. Tous seront donc jugés.

[22199] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, universale omnia comprehendit. Sed illud judicium dicitur universale. Ergo omnes judicabuntur.

[2] L’universel comprend tout. Or, ce jugement est appelé universel. Tous seront donc jugés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tous les méchants seront-ils jugés ?]

[22200] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nulli mali judicabuntur. Sicut enim est certa infidelium damnatio, ita et eorum qui in mortali decedunt. Sed propter damnationis certitudinem, dicitur Joan. 3, 18: qui non credit, jam judicatus est. Ergo eadem ratione nec alii peccatores judicabuntur.

1. Il semble qu’aucun des méchants ne sera jugé. En effet, de même que la damnation des infidèles est certaine, de même en est-il de ceux qui meurent dans le péché mortel. Or, en raison de la certitude de la damnation, il est dit en Jn 3, 18 : Celui qui ne croit pas a déjà été jugé. Pour la même raison, les autres pécheurs ne seront donc pas jugés.

[22201] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vox judicis est valde terribilis eis qui per judicium condemnantur. Sed, sicut in littera ex verbis Gregorii habetur, ad infideles allocutio judicis non fiet. Si ergo fieret ad fideles damnandos, infideles de sua infidelitate commodum reportarent; quod est absurdum.

2. La voix du juge est assurément terrible pour ceux qui sont damnés par un jugement. Or, comme on le lit dans le texte de Grégoire, le juge ne s’adressera pas aux infidèles. Si donc cela devait être fait aux fidèles qui doivent être damnés, les infidèles en tireraient un bénéfice, ce qui est absurde.

[22202] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, videtur quod omnes mali sint judicandi. Quia omnibus malis infligetur poena secundum quantitatem culpae. Sed hoc sine definitione judicii esse non potest. Ergo omnes mali judicabuntur.

Cependant, il semble que tous les méchants doivent être jugés, car une peine proportionnée à la quantité de la faute sera infligée à tous. Or, cela ne peut être le cas sans définition par un jugement. Tous les méchants seront donc jugés.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les anges seront-ils jugés ?]

[22203] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angeli in futuro judicentur. Quia dicitur 1 Corinth. 6, 3: nescitis quoniam Angelos judicabimus? Sed hoc non potest referri ad statum praesentis temporis. Ergo hoc referri debet ad futurum judicium.

1. Il semble que les anges seront jugés à l’avenir, car il est dit en 1 Co 6, 3 : Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Or, cela ne peut se rapporter à l’état du temps présent. Cela doit donc se rapporter au jugement à venir.

[22204] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Job 40, 28, dicitur de Behemoth, per quem Diabolus intelligitur: cunctis videntibus praecipitabitur; et Marc. 1, 24, exclamavit Daemon ad Christum: venisti ante tempus perdere nos; et Glossa dicit ibidem, quod Daemones in terra dominum cernentes, se continuo judicandos credebant. Ergo videtur quod eis finale judicium reservatur.

2. Il est dit en Jb 40, 28, de Béhémoth, sous lequel on entend le Diable : Il était jeté bas aux yeux de tous ; et en Mc 1, 24, le démon cria au Christ : Tu es venu avant le temps pour nous perdre. La Glose dit au même endroit que les démons, voyant que le Seigneur était sur terre, croyaient qu’ils allaient être jugés immédiatememnt. Il semble donc qu’un jugement final leur est réservé.

[22205] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, 2 Petri 2, 4, dicitur: Deus Angelis peccantibus non pepercit, sed rudentibus Inferni detractos in Tartarum tradidit cruciandos in judicium reservari. Ergo videtur quod Angeli judicabuntur.

3. Il est dit en 2 P 2, 4 : Dieu n’a pas épargné les anges qui ont péché, mais les a livrés au Tartare et jetés dans les abîmes de l’enfer, pour être réservés à la torture lors du jugement. Il semble donc que les anges seront jugés.

[22206] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Deus non judicat bis in idipsum. Sed mali Angeli jam judicati sunt; unde Joan. 16, 11: princeps mundi jam judicatus est. Ergo in futuro Angeli non judicabuntur.

Cependant, [2] Dieu ne juge pas deux fois la même chose. Or, les anges mauvais ont déjà été jugés ; aussi Jn 16, 11 dit-il : Le prince de ce monde a déjà été jugé. Les anges ne seront donc pas jugés à l’avenir.

[22207] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, perfectior est bonitas vel malitia Angelorum quam aliquorum hominum in statu viae. Sed quidam homines boni et mali non judicabuntur, ut in littera dicitur. Ergo Angeli boni vel mali non judicabuntur.

[2] La bonté ou la malice des anges est plus grande que celle de certains hommes dans l’état de cheminement (in statu viae). Or, certains hommes bons et méchants ne seront pas jugés, comme on le dit dans le texte. Les anges bons ou mauvais ne seront donc pas jugés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22208] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod potestas judiciaria Christo homini collata est in praemium humilitatis quam in passione exhibuit. Ipse autem sua passione sanguinem pro omnibus fudit quantum ad sufficientiam, licet non in omnibus effectum habuit propter impedimentum in aliquibus inventum. Et ideo congruum est ut omnes homines in judicio congregentur ad videndum ejus exaltationem in humana natura, secundum quam constitutus est a Deo judex vivorum et mortuorum.

Le pouvoir judiciaire a été donné au Christ comme récompense pour l’humilité qu’il a manifestée lors de la passion. Or, il a versé son sang pour tous de manière suffisante lors de sa passion, bien qu’il n’ait pas eu chez tous son effet en raison d’un empêchement qui se trouvait chez certains. C’est pourquoi il est approprié que tous les hommes soient rassemblés pour être jugés, afin de voir son élévation dans sa nature humaine, selon laquelle il a été établi par Dieu juge des vivants et des morts.

[22209] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Augustinus, 20 de Civ. Dei, non quia dictum est, judicantes duodecim tribus Israel, tribus levi, quae tertiadecima est, judicanda non erit, aut solum illum populum, non etiam gentes ceteras judicabunt. Ideo autem per duodecim tribus omnes aliae gentes significatae sunt, quia per Christum in sortem duodecim tribuum omnes gentes sunt vocatae.

1. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XX, « ce n’est pas parce qu’il a été dit qu’en jugeant les douze tribus d’Israël, la tribu de Lévi, qui est la treizième, ne doit pas être jugée, ou qu’ils jugeront seulement ce peuple, et non les autres nations ». Aussi, par les douze tribus d’Israël, les autres nations ont-elles été signifiées, car toutes les nations ont été appelées à l’héritage des douze tribus.

[22210] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod dicitur: non resurgent impii in judicio, si referatur ad omnes peccatores, sic intelligendum est, quod non resurgent ad hoc quod judicent. Si autem impii dicantur infideles; sic intelligendum est quod non resurgent ad hoc quod judicentur, quia jam judicati sunt; sed omnes resurgent, ut in judicio compareant ad gloriam judicis intuendam.

2. Lorsqu’on dit : Les impies ne ressusciteront pas lors du jugement, si on le met en rapport avec tous les pécheurs, il faut comprendre qu’ils ne ressusciteront pas pour juger. Mais si on dit que les impies sont des infidèles, il faut entendre qu’ils ne ressusciteront pas pour être jugés, car ils ont déjà été jugés ; mais tous ressusciteront afin de comparaître lors du jugement pour voir la gloire du juge.

[22211] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam pueri ante perfectam aetatem decedentes in judicio comparebunt; non autem ut judicentur, sed ut videant gloriam judicis.

3. Même les enfants qui meurent avant l’âge adulte comparaîtront en jugement, non pas pour être jugés, mais pour voir la gloire du juge.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22212] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad judicium duo pertinent: scilicet discussio meritorum, et retributio praemiorum. Quantum ergo ad receptionem praemiorum, omnes judicabuntur, etiam boni, in eo quod unusquisque recipiet ex divina sententia praemium merito respondens. Sed discussio meritorum non fit nisi ubi est quaedam meritorum commixtio bonorum cum malis. Illi autem qui aedificant super fundamentum fidei aurum et argentum et lapides pretiosos, divinis servitiis totaliter insistentes; quia nullam admixtionem notabilem alicujus mali meriti habent, in eis discussio meritorum locum non habet; sicut illi qui rebus mundi penitus abjectis solicite cogitant solummodo quae sunt Dei; et ideo salvabuntur, sed non judicabuntur. Illi vero qui aedificant super fundamentum fidei lignum et fenum et stipulam, qui adhuc scilicet amant saecularia, et terrenis negotiis implicantur, ita tamen quod nihil Christo praeponant, sed studeant peccata eleemosynis expiare; habent quamdam commixtionem bonorum meritorum cum malis; et ideo discussio meritorum in eis locum habet; unde tales quantum ad hoc judicantur, et tamen salvabuntur.

Deux choses relèvent du jugement : l’évaluation des mérites et l’attribution des récompenses. Pour ce qui est de l’attribution des récompenses, tous seront jugés, mêmes les bons, dans la mesure où chacun recevra par la sentence divine une récompense correspondant à son mérite. Mais l’évaluation des mérites n’a lieu que lorsqu’il existe un mélange des bons et des méchants. Or, ceux qui accumulent, sur le fondement de la foi, de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, en s’adonnant entièrement au service de Dieu, parce qu’ils n’auront aucun mélange significatif de mal, une évaluation des mérites n’aura pas lieu pour eux, comme pour ceux qui, après avoir rejeté complètement les choses du monde, ne se préoccupent que ce qui relève de Dieu. Aussi seront-ils sauvés, mais ils ne seront pas jugés. Mais ceux qui accumulent, sur le fondement de la foi, du bois, du foin et de la paille, qui aiment encore les choses du siècle et s’impliquent dans les affaires terrestres, d’une manière telle cependant qu’ils ne placent rien au-dessus du Christ, mais s’appliquent à expier leurs péchés par des aumônes, possèdent un mélange de mérites bons et de mérites mauvais. Aussi l’évaluation des mérites aura-t-elle lieu pour eux et ainsi, sous cet aspect, ils seront jugés, tout en étant sauvés.

[22213] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia punitio est effectus justitiae, praemiatio autem misericordiae; magis Deo, et judicio, quod est actus justitiae, antonomastice punitio attribuitur, ut interdum judicium pro ipsa condemnatione accipiatur; et sic intelligitur auctoritas inducta, ut per Glossam, ibidem, patet.

1. Parce que la punition est un effet de la justice et la récompense, un effet de la miséricorde, la punition est plutôt attribuée par antonomase à Dieu et au jugement, qui est un acte de justice, de sorte que parfois le jugement est pris pour la condamnation elle-même. Ainsi est comprise l’autorité invoquée, comme cela ressort de la Glose au même endroit.

[22214] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod discussio meritorum in electis non erit ad tollendum incertitudinem beatitudinis a cordibus ipsorum judicandorum; sed ut praeeminentia bonorum meritorum ad mala ostendatur omnibus manifeste; et sic Dei justitia comprobetur.

2. L’évaluation des mérites chez les élus ne se fera pas pour enlever l’incertitude de la béatitude dans les cœurs de ceux qui doivent être jugés, mais pour que la prééminence des mérites bons sur les mauvais soit montrée à tous de manière manifeste. Ainsi sera démontrée la justice de Dieu.

[22215] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Gregorius loquitur de justis adhuc in carne mortali existentibus; unde supra praemiserat: hi qui in corporibus reperiri potuerint; quamvis jam fortes atque perfecti, quia adhuc in carne sunt positi, non possunt in tanti terroris turbine nulla formidine concuti. Unde patet quod terror ille referendus est ad tempus immediate judicium praecedens, tremendum quidem maxime malis, non autem bonis, quibus nulla erit mali suspicio.

3. Grégoire parle des justes qui se trouvent encore dans la chair mortelle. Aussi avait-il dit plus haut : « Ceux qui pourront se trouver dans leur corps, bien que forts et parfaits, parce qu’ils sont encore placés dans la chair, ne peuvent pas ne pas être frappés d’effroi par un telle émotion de terreur. » Il est donc clair que cette terreur doit être mise en rapport avec le temps qui précède immédiatement le jugement, afin que tremblent surtout les méchants, mais non les bons, pour qui il n’existe aucun soupçon de mal.

[22216] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Rationes autem quae sunt in oppositum, procedunt de judicio quantum ad retributionem praemiorum.

Cependant, les arguments qui vont en sens contraire viennent du jugement en tant qu’il est la rétribution de récompenses.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22217] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod judicium quod est poenarum retributio pro peccatis, omnibus malis competit; judicium autem quod est discussio peccatorum, solum fidelibus: quia in infidelibus non est fidei fundamentum, quo sublato, omnia opera sequentia perfecta rectitudine intentionis carent; unde non est in eis aliqua permixtio bonorum meritorum ad mala, quae discussionem requirant. Sed fideles in quibus manet fidei fundamentum, ad minus fidei actum laudabilem habent, qui quamvis non sit meritorius sine caritate, tamen, quantum est de se, est ordinatus ad meritum; et ideo in eis judicium discussionis locum habet. Unde ipsi fideles, qui fuerunt saltem numero cives civitatis Dei, judicabuntur ut cives, in quos sine discussione meritorum sententia mortis non fertur; sed infideles condemnabuntur ut hostes, qui consueverunt apud homines absque meritorum audientia exterminari.

Le jugement qui est une rétribution de peines pour les péchés concerne tous les méchants ; mais le jugement qui est l’examen des mérites [ne convient] qu’aux fidèles, car chez les infidèles n’existe pas le fondement de la foi : si celui-ci est enlevé, toutes les actions qui suivent sont privées d’une rectitude parfaite. Aussi n’existe-t-il pas chez eux un mélange de mérites bons et mauvais, qui exige une évaluation. Mais les fidèles, chez qui demeure le fondement de la foi, ont au moins un acte de foi louable, qui, tout en n’étant pas méritoire sans la charité, est cependant ordonné au mérite, pour ce qui est de lui-même. Aussi un jugement d’évaluation a-t-il sa place chez eux. Les fidèles qui ont été au moins de nom citoyens de la cité de Dieu seront donc jugés comme des citoyens, contre qui une sentence de mort n’est pas portée sans une évaluation de leurs mérites. Mais les infidèles seront condamnés en tant qu’ennemis, que les hommes ont coutume d’exterminer sans prendre en compte leurs mérites.

[22218] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis eis qui in mortali decedunt, pro certo constet de eorum damnatione; quia tamen aliqua quae pertinent ad bene merendum habent annexa, oportet ad manifestationem divinae justitiae, ut discussio de eorum meritis fiat, per quam ostendatur eos juste a civitate sanctorum excludi, cujus esse cives numero exterius videbantur.

1. Bien que ceux qui meurent dans le péché mortel soient certainement damnés, parce qu’ils ont cependant certaines choses qui sont jointes à un mérite bon, il est nécessaire, pour que soit manifestée la justice divine, qu’une évaluation de leur mérite soit réalisée, par laquelle il sera montré qu’ils ont été à juste titre exclus de la cité des saints, dont ils paraissaient être les citoyens extérieurement et de nom.

[22219] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod allocutio illa spiritualiter intellecta, secundum hoc non erit aspera fidelibus condemnandis, quod in eis aliqua sibi placentia manifestabit, quae in infidelibus inveniri non possunt; quia sine fide impossibile est placere Deo, Hebr. 11. Sed sententia condemnationis, quae in omnes feretur, omnibus terribilis erit.

2. Ce discours, compris spirituellement, ne sera pas dur pour les fidèles qui doivent être condamnés : il manifestera certaines choses qui lui plaisent, qui ne peuvent se trouver chez les infidèles, car sans la foi, il n’est pas possible de plaire à Dieu, He 11. Mais la sentence de condamnation, qui sera portée contre tous, sera terrible pour tous.

[22220] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 3 ad s. c. Ratio vero in contrarium adducta procedebat de judicio retributionis.

L’argument invoqué en sens contraire venait du jugement de rétribution.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22221] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod judicium discussionis nullo modo habet locum neque in bonis Angelis neque in malis; quia neque in bonis potest aliquid mali inveniri, neque in malis aliquid boni ad judicium pertinens. Sed si loquamur de judicio retributionis, sic est distinguenda duplex retributio. Una respondens propriis meritis Angelorum; et haec a principio fuit utrisque facta, dum quidam sunt ad beatitudinem sublimati, quidam vero in miseriam demersi. Alia retributio, quae respondet meritis bonis vel malis per Angelos procuratis; et haec retributio in futuro judicio fiet; quia boni Angeli amplius gaudium habebunt de salute eorum quos ad meritum induxerunt, et mali amplius torquebuntur, multiplicata malorum ruina, qui per eos ad mala sunt incitati. Unde directe loquendo, judicium nec ex parte judicantium nec ex parte judicandorum erit Angelorum, sed hominum; sed indirecte quodammodo respiciet Angelos, inquantum actibus hominum fuerunt commixti.

Le jugement d’évaluation n’a aucune place chez les anges bons ni chez les anges mauvais, car on ne peut trouver rien de mal chez les bons, ni rien de bon qui relève d’un jugement chez les mauvais. Mais si nous parlons du jugement de rétribution, il faut alors distinguer une double rétribution. L’une qui correspond aux mérites propres des anges : celle-ci a été rendue aux deux dès le commencement, alors que certains ont été élevés à la béatitude, mais d’autres ont été plongés dans la misère. L’autre rétribution, qui répond aux mérites bons ou mauvais assurés par les anges : cette rétribution se réalisera par le jugement à venir, car les anges bons participeront davantage au salut de ceux qu’ils ont conduits à mériter, et les mauvais seront davantage torturés, alors que sera multipliée la ruine des méchants qui ont été incités au mal par eux. À parler directement, le jugement n’atteindra donc les anges ni du point de vue de ceux qui jugent ni du point de vue de ce sur quoi ils seront jugés, mais les hommes. Mais il concernera les anges indirectement d’une certaine façon, pour autant qu’ils auront été mêlés aux actes des hommes.

[22222] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud apostoli est intelligendum de judicio comparationis; quia quidam homines quibusdam Angelis superiores invenientur.

1. Cette parole de l’Apôtre doit s’entendre du jugement par comparaison, car certains hommes se trouveront supérieurs à certains anges.

[22223] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsi Daemones, cunctis videntibus, tunc praecipitabuntur, quia in perpetuum in Inferni carcerem retrudentur, ut non sit eis liberum extra progredi; quia hoc eis non concedebatur nisi secundum quod ordinabatur ex divina providentia ad hominum vitam exercendam.

2. Les démons eux-mêmes, sous le regard de tous, seront alors précipités, car ils seront relégués dans la prison de l’enfer pour l’éternité, de sorte qu’ils n’auront pas la liberté d’en sortir, car cela ne leur était permis que selon qu’en disposait la providence divine pour mettre à l’épreuve la vie des hommes.

[22224] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le feu de l’enfer]

 

 

Prooemium

Prologue

[22225] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 pr. Deinde quaeritur de igne qui praecedet faciem judicis; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de purgatione mundi per ignem futura; 2 de effectu ignis purgantis; 3 de ordine illius ignis ad alia quae circa judicium agentur.

On s’interroge ensuite sur le feu qui précédera le visage du juge. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Sur la purification du monde par le feu à venir. 2 – Sur l’effet du feu purificateur. 3 – Sur le rapport entre ce feu et les autres choses qui seront accomplies lors du jugement.

 

 

Articulus 1 [22226] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 tit. Utrum aliqua mundi purgatio sit futura

Article 1 – Y aura-t-il une purification du monde à venir ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Y aura-t-il une purification du monde à venir ?]

[22227] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla mundi purgatio sit futura. Non enim purgatione indiget nisi quod est immundum. Sed creaturae Dei non sunt immundae; unde dicitur actuum 10, 15: quod Deus creavit, tu ne commune dixeris, idest immundum. Ergo creaturae mundi non purgabuntur.

1. Il semble qu’il n’y aura pas de purification du monde à venir. En effet, n’a besoin de purification que ce qui est impur. Or, les créatures de Dieu ne sont pas impures ; aussi est-il dit en Ac 10, 15 : Ce que Dieu a créé, ne le dis pas commun, c’est-à-dire impur. Les créatures du monde ne seront donc pas purifiées.

[22228] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, purgatio secundum divinam justitiam ordinatur ad auferendam immunditiam culpae, sicut patet de purgatione post mortem. Sed in elementis hujus mundi nulla potest esse culpae infectio. Ergo videtur quod purgatione non indigeant.

2. Selon la justice divine, la purification est destinée à enlever l’impureté de la faute, comme cela ressort pour la purification après la mort. Or, chez les éléments de ce monde, aucun infection par la faute ne peut exister. Il semble donc qu’ils n’ont pas besoin de purification.

[22229] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, unumquodque tunc dicitur purgari quando separatur quod est extraneum ab ipso, inducens in eo ignobilitatem; separatio enim ejus quod nobilitatem inducit, non dicitur purgatio, sed magis diminutio. Sed hoc ad perfectionem et nobilitatem elementorum pertinet quod aliquid extraneae naturae est eis admixtum, quia forma corporis mixti est nobilior quam forma simplicis. Ergo videtur quod elementa hujus mundi nullo modo purgari possint.

3. On dit de n’importe quelle chose qu’elle est purifiée lorsque ce qui lui est étranger et y entraîne un caractère abject en est séparé : en effet, la séparation de ce qui entraîne un caractère noble ne s’appelle pas une purification, mais plutôt une diminution. Or, il appartient à la perfection et à la noblesse des éléments que quelque chose d’une nature étrangère lui soit mêlé, car la forme d’un corps mixte est plus noble que la forme d’un corps simple. Il semble donc que les éléments de ce monde ne peuvent être purifiés d’aucune manière.

[22230] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis innovatio fit per aliquam purgationem. Sed elementa innovabuntur; unde Apocal. 21, 1: vidi caelum novum et terram novam, primum enim caelum et prima terra abiit. Ergo elementa purgabuntur.

Cependant, [1] tout renouvellement se réalise par une purification. Or, les éléments seront renouvelés. Aussi Ap 21, 1 dit-il : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; en effet, le premier ciel et la première terre étaient disparus. Les éléments seront donc purifiés.

[22231] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 7, super illud: praeterit figura hujus mundi, dicit Glossa: pulchritudo hujus mundi mundanorum ignium conflagratione peribit; et sic idem quod prius.

[2] À propos de 1 Co 7 : La figure de ce monde passe, la Glose dit : « La beauté de ce monde périra dans l’embrasement des feux de ce monde. » La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Cette purification se réalisera-t-elle par le feu ?]

[22232] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod haec purgatio non sit futura per ignem. Ignis enim, cum sit pars mundi, purgatione indiget, sicut et aliae partes. Sed non debet idem esse purgans et purgatum. Ergo videtur quod ignis non purgabit.

1. Il semble que cette purification ne se réalisera pas par le feu. En effet, puisqu’il est une partie du monde, le feu a besoin de purification, comme les autres parties. Or, la même chose ne doit pas être à la fois purificatrice et purifiée. Il semble donc que le feu ne purifiera pas.

[22233] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut ignis habet virtutem purgativam, ita et aqua. Cum ergo non omnia sint purgabilia per ignem, sed quaedam necesse sit aqua purgari, sicut etiam vetus lex distinguit; videtur quod ignis non purget, ad minus universaliter.

2. Comme le feu possède une puissance purificatrice, de même en est-il pour l’eau. Puisque tout ne peut pas être purifié par le feu, mais que certaines choses sont purifiées par l’eau, comme la distinction faite par la loi ancienne, il semble donc que le feu ne purifie pas, du moins, universellement.

[22234] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, purgatio ad hoc videtur pertinere ut partes mundi ab invicem segregatae puriores reddantur. Sed segregatio partium mundi ab invicem in mundi initio sola divina virtute facta est, quia ex hoc opus distinctionis determinatur; unde et Anaxagoras segregationem posuit actum intellectus moventis omnia. Ergo videtur quod in fine mundi purgatio fiat immediate a Deo, et non per ignem.

3. La purification semble se rapporter à ce que les parties du monde, séparées les unes des autres, soient rendues plus pures. Or, la séparation des parties du monde les unes des autres a été réalisée au commencement du monde par la seule puissance divine, car l’œuvre diversifiée est déterminée par cela. Aussi Anaxagoras a-t-il fait de la séparation un acte de l’intellect qui meut tout. Il semble donc qu’à la fin du monde, la purification sera réalisée de manière immédiate par Dieu, et non par le feu.

[22235] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in Psal. 49, 3, dicitur: ignis in conspectu ejus exardescet, et in circuitu tempestas valida; et postea sequitur de judicio: advocavit caelum desursum, et terram discernere populum suum. Ergo videtur quod ultima purgatio mundi sit futura per ignem.

Cependant, [1] il est dit dans Ps 49, 3 : Le feu brûle à son approche, et la tempête s’élève alentour ; par la suite [Ps 49, 4], on continue du jugement : Il appelle les cieux d’en haut, et la terre pour juger son peuple. Il semble donc que l’ultime purification du monde se réalisera par le feu.

[22236] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, 2 Petr., ult., 12, dicitur: caeli ardentes solventur, et elementa ignis ardore tabescent. Ergo purgatio illa per ignem fiet.

[2] Il est dit en 2 P 3, 12 : Les cieux enflammés seront dissous, et les éléments embrasés se fondront. Cette purification se réalisera donc par le feu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce feu est-il de la même espèce que le feu élémentaire ?]

[22237] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille non sit ejusdem speciei cum igne elementari. Nihil enim seipsum consumit. Sed ille ignis quatuor elementa absumet, ut dicit Glossa, 2 Pet., ult. Ergo ignis ille non erit ejusdem speciei cum igne elementari.

1. Il semble que ce feu ne soit pas de la même espèce que le feu élémentaire. En effet, rien ne se consume soi-même. Or, ce feu consumera les quatre éléments, comme le dit la Glose sur 2 P 3. Ce feu ne sera donc pas de la même espèce que le feu élémentaire.

[22238] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut virtus manifestatur per operationem, ita natura per virtutem. Sed ignis ille habebit aliam virtutem ab igne qui est elementum; quia scilicet purgabit universum, quod ignis iste facere non potest. Ergo non erit ejusdem speciei cum isto.

2. De même que la puissance se manifeste par l’opération, de même la nature se manifeste-t-elle par la puissance, Or, ce feu aura une autre puissance que le feu qui est un élément, car il purifiera tout, ce que ne peut faire ce dernier feu. Il ne sera donc pas de la même espèce que celui-ci.

[22239] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt ejusdem speciei in corporibus naturalibus, habent eumdem motum. Sed ignis ille habebit alium motum quam ignis elementum, quia circumquaque movebitur, ut totum purgare possit. Ergo ignis ille non erit ejusdem speciei cum isto.

3. Ce qui est de la même espèce dans les corps naturels a le même mouvement. Or, ce feu aura un autre mouvement que le feu qui est un élément, car il se déplacera partout afin de pouvoir tout purifier. Ce feu ne sera donc pas de la même espèce que celui-ci.

[22240] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, 20 de Civ. Dei, et habetur in Glossa 1 Corinth. 4, 7, quod figura hujus mundi mundanorum ignium conflagratione peribit. Ergo ignis ille erit de natura ignis qui nunc est in hoc mundo.

Cependant, [1] Augustin dit, dans La cité de Dieu, XX, et on lit cela dans la Glose de 1 Co 4, 7, que « la figure de ce monde périra par l’embrasement des feux du monde ». Ce feu aura donc la nature du feu qui existe maintenant dans ce monde.

[22241] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut futura purgatio erit per ignem, ita praecedens fuit per aquam: et utraque ad invicem comparatur, 2 Petri, 3. Sed in prima purgatione aqua fuit ejusdem speciei cum aqua elementari. Ergo et similiter in secunda purgatione ignis erit ejusdem speciei cum igne elementari.

[2] De même que la purification à venir se réalisera par le feu, de même la purification précédente s’est-elle réalisée par l’eau : les deux sont comparées dans 2 P 3. Or, dans la première purification, l’eau était de la même espèce que l’eau élémentaire. De la même manière, dans la seconde purification, le feu aura donc l’espèce du feu élémentaire.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22242] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quia mundus, aliquo modo propter hominem factus est, oportet quod quando homo secundum corpus glorificabitur, etiam alia corpora mundi ad statum meliorem mutentur; ut sit et locus convenientiOr et aspectus delectabilior. Ad hoc autem quod gloriam corporis homo consequatur, oportet prius removeri ea quae gloriae opponuntur; quae sunt duo, scilicet corruptio, et infectio culpae; quia, ut dicitur 1 Corinth. 15, 50, corruptio incorruptelam non possidebit; et a civitate gloriae omnes immundi foris erunt, Apoc. ult.; et similiter etiam oportet elementa mundi purgari a contrariis dispositionibus, antequam in novitatem gloriae adducantur, proportionaliter ei quod de homine dictum est. Quamvis autem res corporalis subjectum infectionis culpae proprie esse non possit; tamen ex culpa quaedam incongruitas in rebus corporalibus corruptis relinquitur ad hoc ut spiritualibus dicentur; et inde videmus quod loca in quibus sunt aliqua crimina commissa, non reputantur idonea ad aliqua sacra in eis exercenda, nisi purgatione quadam praemissa. Et secundum hoc ex peccatis hominum quamdam inidoneitatem ad gloriae susceptionem pars mundi recipit quae in usum nostrum cedit; unde quantum ad hoc mundatione indiget. Similiter etiam circa medium locum propter elementorum contactum multae sunt corruptiones et generationes et alterationes elementorum, quae puritati eorum derogant; et ideo ab his oportet elementa purgari ad hoc quod decenter suscipiant novitatem gloriae.

Parce que le monde a été fait d’une certaine façon en vue de l’homme, il faut que, lorsque l’homme sera glorifié selon son corps, les autres corps du monde soient aussi changés pour un meilleur état, afin que leur lieu soit plus approprié et leur aspect plus délectable. Or, pour que l’homme obtienne la gloire de son corps, il est d’abord nécessaire que soit enlevé ce qui s’oppose à la gloire, et il y a deux choses : la corruption et l’infection de la faute, car, ainsi qu’il est dit en 1 Co 15, 50, la corruption ne possédera pas l’incorruptibilité, et tous les impurs seront hors de la cité de la gloire, Ap 22. De même faut-il aussi que les éléments du monde soient purifiés de dispositions contraires avant d’être amenés au renouvellement de la gloire, proportionnellement à ce qui a été dit de l’homme. Or, bien qu’une chose corporelle ne puisse à proprement parler être sujette à l’infection de la faute, une certaine inconvenance est laissée par la faute dans les choses corporelles corrompues, comme on le dit pour les choses spirituelles ; ainsi voyons-nous que les endroits où certains crimes ont été commis ne sont estimés appropriés pour y exercer certains actes sacrés que si une purification a précédé. De cette manière, une partie du monde qui est à notre usage reçoit, en raison des péchés des hommes, une incapacité à recevoir la gloire : elle a donc de ce point de vue besoin de purification. De même aussi, du lieu environnant, il existe beaucoup de corruptions, de générations et d’altérations des éléments qui s’écartent de leur pureté ; il faut donc que les éléments soient purifiés de cela pour recevoir dignement la grandeur de la gloire.

[22243] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: omnis creatura Dei est munda, hoc intelligendum est, quia non habet in substantia sua alicujus malitiae permixtionem, sicut ponebant Manichaei, dicentes bonum et malum esse duas substantias alicubi divisas, et alicubi commixtas; non autem removetur quin aliqua creatura habeat commixtionem naturae extraneae; quae etiam natura in se bona est, sed perfectioni hujusmodi creaturae repugnat. Similiter non removetur ex hoc quin malum alicui creaturae accidat, quamvis non sit permixtum ei quasi pars ipsius substantiae.

1. Lorsqu’on dit : « Toute créature est pure », cela doit s’entendre du fait qu’il n’y a pas de malice mêlée à sa substance, comme l’affirmaient les manichéens, qui disaient que le bien et le mal sont deux substances parfois divisées et parfois mêlées. Mais on n’écarte pas qu’une nature étrangère soit mêlée à une créature ; cette nature est encore bonne en elle-même, mais [le mélange de cette nature] est contraire à la perfection de la créature en question. De même, on n’écarte pas qu’un mal survienne à une créature, bien qu’il ne lui soit pas mêlé comme une part de sa propre substance.

[22244] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis corporalia elementa subjectum culpae esse non possint, tamen ex culpa in eis commissa aliquam ineptitudinem possunt consequi ad perfectionem gloriae suscipiendam.

2. Bien que les éléments corporels ne soient pas sujets à la faute, ils peuvent cependant, en raison de la faute commise avec eux, recevoir une certaine inaptitude à recevoir la perfection de la gloire.

[22245] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod forma mixti et forma elementi possunt dupliciter considerari: aut quantum ad perfectionem speciei; et sic corpus mixtum nobilius est: aut quantum ad perpetuitatem durationis; et sic corpus simplex nobilius est, quia non habet in seipso unde corrumpatur, nisi ejus corruptio fiat ab aliquo exteriori. Corpus autem mixtum in seipso habet causam suae corruptionis, scilicet operationem contrariorum; et ideo corpus simplex etsi sit corruptibile secundum partem, est tamen incorruptibile secundum totum; quod de mixto dici non potest. Et quia incorruptio est de perfectione gloriae, perfectio corporis simplicis magis convenit perfectioni gloriae quam perfectio corporis mixti, nisi etiam corpus mixtum in se habeat aliquod incorruptionis principium, sicut corpus humanum, cujus forma est incorruptibilis. Nihilominus tamen quamvis aliquo modo corpus mixtum sit nobilius quam simplex, nobilius tamen esse habet corpus simplex secundum se existens in mixto: quia in mixto sunt corpora simplicia quodammodo in potentia, in seipsis autem existentia sunt in ultima sui perfectione.

3. La forme de ce qui est mixte et la forme d’un élément peuvent être envisagées de deux manières : quant à perfection de l’espèce, et ainsi le corps mixte est plus noble ; quant à la perpétuité de sa durée, et ainsi le corps simple est plus noble parce qu’il n’a pas en lui-même de quoi le corrompre, à moins que sa corruption n’arrive par quelque chose d’extrinsèque. Mais le corps mixte possède en lui-même la cause de sa corruption : l’action des contraires. Le corps simple, même s’il est corruptible dans une partie, est cependant incorruptible pour l’ensemble, ce qu’on ne peut dire du corps mixte. Et parce que l’incorruption fait partie de la perfection de la gloire, la perfection du corps simple convient davantage à la perfection de la gloire que la perfection du corps mixte, à moins que le corps mixte n’ait aussi en lui-même un principe d’incorruption, comme le corps humain, dont la forme est incorruptible. Néanmoins, bien que le corps mixte soit cependant, d’une certaine manière, plus noble que le corps simple, le corps simple qui existe en lui-même dans le corps mixte est cependant plus noble, car, dans un corps mixte, les corps simples existent en puissance, alors que, existant en eux-mêmes, ils existent selon leur ultime perfection

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22246] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod illa mundi purgatio, ut dictum est, removebit a mundo imperfectionem ex culpa relictam et impuritatem commixtionis, et erit dispositio ad gloriae perfectionem; et ideo quantum ad haec tria convenientissime fiet per ignem. Primo, quia ignis, cum sit nobilissimum elementorum, habet naturales proprietates similiores proprietatibus gloriae, ut maxime patet de luce. Secundo, quia ignis non ita recipit commixtionem extranei propter efficaciam virtutis activae, sicut alia elementa. Tertio, quia sphaera ignis est remota a nostra habitatione, nec ita communis est nobis usus ignis sicut terrae et aquae et aeris, unde non ita inficitur; et praeter hoc habet maximam efficaciam ad purgandum et ad dividendum subtiliando.

Comme on l’a dit, cette purification du monde enlèvera du monde l’imperfection laissée par la faute et l’impureté du mélange, et elle sera une disposition à la perfection de la gloire. Aussi se réalisera-t-elle par le feu de la manière la plus appropriée sur ces trois points. Première, parce que le feu, le plus noble des éléments, possède des propriétés naturelles plus semblables aux propriétés de la gloire, comme cela ressort le mieux pour la lumière. Deuxièmement, parce que le feu ne reçoit pas autant que les autres éléments un mélange d’une chose extrinsèque en raison de l’efficacité de sa puissance active. Troisièment, parce que la sphère du feu est éloignée de notre habitat, et que l’usage du feu ne nous est pas aussi familier que celui de la terre, de l’eau et de l’air ; il n’est donc pas aussi infecté. En plus de cela, il possède la plus grande efficacité pour purifier et diviser finement.

[22247] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis non venit in usum nostrum prout est in materia propria (sic enim remotus est a nobis), sed solum prout est in materia aliena; et quo ad hoc poterit per ignem in sua puritate existentem purgari ipse mundus quantum ad hoc quod habet de extraneo adjunctum.

1. Nous n’utilisons pas le feu dans sa matière propre (en effet, il est ainsi éloigné de nous), mais seulement selon qu’il se trouve dans une matière étrangère. Sous cet aspect, le monde lui-même pourra être purifié par le feu existant dans sa pureté, pour autant qu’il y a en lui quelque chose qui lui est étranger.

[22248] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prima purgatio mundi, quae facta est per diluvium, non respiciebat nisi infectionem peccati. Praecipue autem tunc regnabat peccatum concupiscentiae; et ideo convenienter per contrarium purgatio fuit facta, scilicet per aquam. Sed secunda purgatio respicit et infectionem culpae et commixtionis impuritatem; et quantum ad utrumque convenit magis quod fiat per ignem quam per aquam. Aqua enim non habet vim disgregandi, sed magis aggregandi; unde per aquam naturalis impuritas elementorum tolli non posset, sicut per ignem. Similiter etiam circa finem regnabit vitium tepiditatis, quasi mundo jam senescente: quia, ut dicitur Matth. 24, 12, tunc refrigescet caritas multorum; unde tunc convenienter purgatio per ignem fiet. Nec est aliquid quod per ignem purgari non possit quodammodo; sed quaedam sunt quae sine sui corruptione per ignem non possunt purgari, sicut panni, et vasa lignea, et hujusmodi; et talia lex praecepit purgari per aquam; quae tamen omnia finaliter per ignem corrumpentur.

2. La première purification du monde, qui s’est réalisée par le déluge, ne concernait que l’infection du péché. Or, régnait alors principalement le péché de concupiscence. C’est donc de manière appropriée que la purification a été réalisée par quelque chose de contraire, l’eau. Mais la seconde purification concerne l’infection de la faute et l’impureté du mélange : sur ces deux points, il est approprié que [la purification] soit réalisée par le feu plutôt que par l’eau. En effet, l’eau n’a pas une capacité de désagréger, mais plutôt d’agréger ; l’impureté des éléments ne peut donc être enlevée par l’eau comme par le feu. De même aussi, le vice de la tiédeur régnéra vers la fin, comme si le monde était déjà devenu vieux, car, comme le dit Mt 24, 12 : Alors se refroidira la charité de beaucoup. La purification sera donc alors réalisée de manière appropriée par le feu. Et il n’existe rien qui ne puisse être purifié d’une certaine manière par le feu ; mais il existe certaines choses qui ne peuvent être purifiées par le feu sans se corrompre, comme les étoffes, les vases en bois et les choses de ce genre. Ces choses, la loi ordonne qu’elles soient purifiées par l’eau. Elles seront cependant finalement toutes corrompues par le feu.

[22249] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per opus distinctionis sunt rebus diversae formae collatae, quibus ad invicem distinguuntur; et ideo fieri non potuit nisi per eum qui est auctor naturae: sed per finalem purgationem deducentur res ad puritatem in qua conditae fuerunt; et ideo in hoc poterit natura creata exhibere ministerium creatori; et propter hoc ministerium creaturae committitur, quia hoc ad ejus nobilitatem cedit.

3. Par l’action de séparer, diverses formes ont été données aux choses, par lesquelles elles se distinguent les unes des autres. [Cette action] ne pouvait donc être réalisée que par celui qui est l’auteur de la nature. Mais, par la purification finale, les choses seront amenées à la pureté dans laquelle elles ont été créées. Pour cela, une nature créée pourra donc être au service du Créateur. C’est pour cela qu’un ministère à été confié à une créature, car cela revient à sa noblesse.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22250] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod circa hoc inveniuntur tres opiniones. Quidam enim dicunt, quod ignis elementum qui est in sphaera sua, descendet ad purgationem mundi. Modum autem descensionis ponunt per multiplicationem: ignis enim undique apposito combustibili augmentatur; et hoc praecipue tunc fiet quando ignis virtus exaltabitur super omnia alia elementa. Sed contra hoc esse videtur quod ignis ille non tantum descendet, sed etiam a sanctis ascendere perhibetur, ut patet 2 Pet. 3, ubi videtur, quod tantum ascendet judicii ignis quantum aqua diluvii: ex quo videtur quod ignis ille sit circa locum medium generationis. Et propter hoc alii dicunt, quod ignis ille generabitur circa locum terrae ex congregatione radiorum caelestium corporum, sicut videmus quod congregantur in speculo comburente: tunc autem loco speculorum erunt nubes concavae, ad quas fiet radiorum reverberatio. Sed istud etiam non videtur conveniens: quia cum effectus caelestium corporum sequantur determinatos situs et aspectus eorum; si ex virtute corporum caelestium ignis ille generaretur, esset notum tempus illius purgationis considerantibus motus astrorum: quod auctoritati Scripturae repugnat. Et ideo alii dicunt, sequentes Augustinum, quod sicut mundanarum aquarum inundatione factum est diluvium, ita mundanorum ignium conflagratione figura hujus mundi peribit, ut dicitur 20 de Civ. Dei. Ista autem conflagratio nihil aliud est quam congregatio omnium causarum superiorum et inferiorum, quae ex natura sua habent virtutem igniendi: quae quidem congregatio non naturali cursu rerum, sed virtute divina fiet; et ex omnibus istis causis sic congregatis generabitur ignis qui faciem hujus mundi exuret. Si autem hae opiniones recte considerentur, inveniuntur diversificari quantum ad causam generationis illius, et non quantum ad speciem ejus. Ignis enim generatus a sole, vel ab inferiori calefaciente, est ejusdem speciei cum igne qui est in sua sphaera, nisi inquantum admiscetur ei de materia aliena: quod quidem tunc oportebit; quia ignis non potest aliquid purgare nisi secundum hoc quod alterum efficitur materia ejus aliquo modo. Unde simpliciter concedendum est, quod ignis ille erit ejusdem speciei cum isto.

À ce sujet, il existe trois opinions. En effet, certains disent que le feu, comme élément qui existe dans sa sphère, descendra pour purifier le monde. Mais ils affirment que le mode de la descente sera la multiplication : en effet, le feu mis partout augmente par le combustible, et cela aura surtout lieu lorsque la puissance du feu dépassera celle de tous les autres éléments. Mais il semble que s’oppose à cela le fait que ce feu non seulement descendra, mais semble aussi monter par l’action des saints, comme cela ressort de 2 P 3, où il semble que le feu du jugement montera aussi haut que l’eau du déluge. Il semble donc que ce feu se trouvera vers le milieu de la génération. Pour cette raison, d’autres disent que ce feu sera engendré à un endroit de la terre par le regroupement des rayons des corps célestes, comme nous voyons qu’ils sont rassemblés dans un miroir qui brûle : mais alors, à la place des miroirs, il y aura des nuages concaves sur lesquels se produira la réverbération des rayons. Mais cela non ne semble pas approprié : puisque les effets des corps célestes suivent des sites et des aspects déterminés chez eux, si ce feu était engendré par la puissance des corps célestes, le moment de leur purification serait connu en prenant en considération les mouvements des astres, ce qui est contraire à l’autorité de l’Écriture. C’est pourquoi d’autres disent, à la suite d’Augustin, que de même que le déluge s’est produit par l’inondation des eaux de ce monde, de même la figure de ce monde périra par une déflagration des feux de ce monde, comme il est dit dans La cité de Dieu, XX. Or, cette déflagration n’est rien d’autre que le rassemblement de toutes les causes supérieures et inférieures qui ont par nature la puissance de mettre le feu : ce rassemblement se réalisera, non pas selon le cours naturel des choses, mais par la puissance divine. À partir de toutes ces causes ainsi rassemblées, un feu sera engendré qui brûlera la face de ce monde. Mais si ces opinions sont correctement envisagées, on trouve qu’elles se différencient par la cause de cette génération, et non par son espèce. En effet, le feu engendré par le soleil ou par un [corps] inférieur qui réchauffe a la même espèce que le feu qui existe dans sa propre sphère, sauf que lui est mêlée une matière étrangère, ce qui sera alors nécessaire, car le feu ne peut purifier quelque chose à moins que quelque chose d’autre devienne sa matière de quelque façon. Il faut donc concéder tout simplement que ce feu aura la même espèce que le feu actuel.

[22251] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis ille quamvis sit ejusdem speciei cum igne qui apud nos est, non tamen est idem numero. Videmus autem quod duorum ignium ejusdem speciei unus alterum destruit, major scilicet minorem, consumendo materiam ejus; et similiter etiam ille ignis ignem qui apud nos est, consumere poterit.

1. Ce feu, bien qu’il ait la même espèce que le feu qui existe chez nous, n’est cependant pas le même en nombre. Mais nous voyons que, de deux feux de même espèce, l’un détruit l’autre, le plus grand [détruit] le plus petit, en consumant sa matière. De même aussi, ce feu pourra-t-il consumer le feu qui existe chez nous.

[22252] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut operatio quae procedit a virtute rei, est virtutis indicium; ita et virtus est indicium essentiae vel naturae quae procedit a principiis essentialibus rei. Operatio autem quae non procedit ex virtute rei operantis, non indicat virtutem ipsius, sicut patet in instrumentis; actio enim instrumenti magis manifestat virtutem agentis quam virtutem instrumenti: quia virtutem agentis manifestat ut primum operationis principium; virtutem autem instrumenti non manifestat, nisi quatenus est susceptivum influentiae principalis agentis, secundum quod movetur ab eo. Similiter etiam virtus quae non procedit ex principiis essentialibus rei, non manifestat naturam ejus, nisi quantum ad susceptibilitatem; sicut virtus qua aqua calefacta potest calefacere, non manifestat naturam ejus nisi quantum ad calefactibilitatem; et ideo nihil prohibet quin aqua habens hanc virtutem sit ejusdem speciei cum aqua non habente virtutem istam. Similiter etiam non est inconveniens quod ignis ille qui habebit vim purgandi faciem mundi, sit alterius speciei ab igne qui apud nos est, cum vis calefactiva non oriatur in ipso ex principiis essentialibus, sed ex divina operatione; sive dicatur quod illa virtus sit aliqua qualitas absoluta, sicut calor in aqua calefacta; sive sit intentio quaedam, sicut de instrumentali virtute in 1 dist. dictum est; et hoc probabilius est, quia ignis ille non aget nisi ut instrumentum divinae virtutis.

2. De même que l’action qui vient de la puissance d’une chose est un indice de sa puissance, de même la puissance est-elle un indice de l’essence ou de la nature qui vient des principes essentiels d’une chose. Or, l’action qui ne vient pas de la puissance d’une chose qui agit n’indique pas sa puissance, comme cela ressort pour les instruments. En effet, l’action de l’instrument manifeste davantage la puissance de l’agent que la puissance de l’instrument, car elle manifeste la puissance de l’agent comme premier principe de l’action ; mais elle ne manifeste la puissance de l’instrument que dans la mesure où il est capable de recevoir l’influence de l’agent principal, pour autant qu’il est mû par lui. De la même manière aussi, la puissance qui ne vient pas des principes essentiels d’une chose ne manifeste sa nature que dans la mesure où elle peut la recevoir, comme la puissance par laquelle l’eau réchauffée peut réchauffer ne manifeste sa nature que dans la mesure où elle est susceptible [de réchauffement]. Aussi rien n’empêche que l’eau qui possède cette puissance ait la même espèce que l’eau qui n’a pas cette puissance. De même aussi, il n’est pas inapproprié que le feu qui aura la puissance de purifier la face de la terre ait une autre espèce que le feu qui existe chez nous, puisque la puissance de réchauffer ne lui vient pas de ses principes essentiels, mais de l’action divine, soit qu’on dise que cette puissance est une qualité absolue, comme la chaleur dans l’eau réchauffée, soit qu’elle est une certaine intention, comme on l’a dit de la puissance de l’instrument dans la d. 1. Et cela est plus probable, parce que ce feu n’agira que comme l’instrument de la puissance divine.

[22253] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignis ex propria natura non fertur nisi sursum; sed inquantum sequitur materiam quam requirit extra propriam sphaeram existens, sic sequitur materiae combustibilis situm; et per modum istum non est inconveniens quod vel in circuitu vel in deorsum moveatur, et praecipue secundum quod agit ut instrumentum virtutis divinae.

3. Par sa nature, le feu n’est porté que vers le haut ; mais pour autant qu’il suit la matière qu’il requiert en se trouvant hors de sa propre sphère, il suit le site de la matière combustible. De cette manière, il n’est pas inapproprié qu’il soit mû en cercle ou vers le bas, surtout qu’il agit comme un instrument de la puissance divine.

 

 

Articulus 2 [22254] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 tit. Utrum ille ignis purgabit etiam caelos superiores

Article 2 – Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Ce feu purifiera-t-il aussi les cieux supérieurs ?]

[22255] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ille ignis purgabit etiam caelos superiores. Quia in Psal. 101, 20, dicitur: opera manuum tuarum sunt caeli. Ipsi peribunt, tu autem permanebis. Sed etiam superiores caeli sunt opera manuum Dei. Ergo etiam ipsi in illa finali conflagratione peribunt.

1. Il semble que ce feu purifiera aussi les cieux supérieurs, car, dans le Ps 101, 20, il est dit : Les cieux sont l’œuvre de tes mains. Ils passeront, mais toi, tu demeureras. Or, même les cieux supérieurs sont l’œuvre des mains de Dieu. Eux aussi passeront donc dans cette déflagration finale.

[22256] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, 2 Petri 3, 12, dicitur: caeli ardentes solventur, et elementa ignis ardore tabescent. Caeli autem qui ab elementis distinguuntur, sunt caeli superiores, in quibus fixa sunt sidera. Ergo videtur quod etiam illi per ignem illum purgabuntur.

2. Il est dit en 2 P 3, 12 : Les cieux enflammés se dissoudront et les éléments embrasés se fondront. Or, les cieux qui sont distingués des éléments sont les cieux supérieurs, dans lesquels les astres sont fixés. Il semble donc que même ceux-là seront purifiés par ce feu.

[22257] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ignis ille est ad hoc ut removeat a corporibus indispositionem ad perfectionem gloriae. Sed in caelo superiori invenitur indispositio et ex parte culpae, quia Diabolus ibi peccavit; et ex parte naturalis defectus, quia Roman. 8, super illud: scimus quod omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc, dicit Glossa: omnia elementa cum labore sua explent officia, sicut sol et luna non sine labore statuta sibi implent spatia. Ergo etiam caeli purgabuntur per ignem.

3. Le but de ce feu est d’enlever des corps l’indisposition à la perfection de la gloire. Or, dans le ciel supérieur, on trouve une indisposition tant du côté de la faute, car le Diable y a péché, que du côté d’une carence naturelle, car, de Rm 8 : Nous savons que toute créature gémit et enfante jusqu’à ce moment, la Glose dit : « Tous les éléments accomplissent leurs fonctions avec effort, alors que le soleil et la lune ne remplissent pas sans effort l’espace qui leur a été déterminé. » Même les cieux seront donc purifiés par le feu.

[22258] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est: corpora caelestia peregrinae impressionis receptiva non sunt.

Cependant, [1] les corps célestes ne sont pas susceptibles de recevoir une impulsion passagère.

[22259] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, super illud 2 Thess. 1: in flamma ignis dantis vindictam, dicit Glossa: ignis erit in mundo qui praecedet eum, tantum spatium aeris occupans quantum occupavit aqua in diluvio. Sed aqua diluvii non ascendit usque ad superiores caelos, sed solum quindecim cubitis super altitudinem montium, ut habetur Gen. 7. Ergo caeli superiores illo igne non purgabuntur.

[2] À propos de 2 Th 1 : Dans les flammes du feu vengeur, la Glose dit : « Il y aura dans le monde un feu qui le précédera, qui occupera dans l’air un aussi grand espace que l’eau du déluge a occupé. » Or, l’eau du déluge n’est pas montée jusqu’au cieux supérieurs, mais a atteint seulement quinze coudées au-dessus des sommets des montagnes, comme on le lit dans Gn 7. Les cieux supérieurs ne seront donc pas purifiés par ce feu.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce feu consumera-t-il les autres éléments ?]

[22260] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille alia elementa consumet. Quia, ut dicit Glossa Bedae, 2 Petri ult., elementa quatuor quibus mundus consistit, ille maximus ignis absumet: nec cuncta intantum consumentur, ut non sint; sed duo ex toto consumet, duo vero in meliorem restituet faciem. Ergo videtur quod ad minus duo elementa per ignem illum destruenda sint totaliter.

1. Il semble que ce feu consumera les autres éléments, car, ainsi que le dit une glose de Bède sur 2 P 3 : « Cet immense feu consumera les quatre éléments dont le monde est constitué ; ils ne seront pas consumés au point de ne plus exister, mais il en consumera deux totalement et améliorera l’apparence des deux autres. » Il semble donc qu’au moins deux éléments doivent être totalement détruits par ce feu.

[22261] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Apoc. 21, 1, dicitur: primum caelum et prima terra abiit; et jam mare non est. Sed per caelum aer intelligitur, ut Augustinus dicit: mare autem est aquarum congregatio. Videtur ergo quod illa tria elementa totaliter destruentur.

2. Il est dit en Ap 21, 1 : Le premier ciel et la première terre sont passés, et il n’y a plus de mer. Or, par l’air on entend le ciel, comme le dit Augustin ; mais la mer est le rassemblement des eaux. Il semble donc que ces trois éléments seront totalement détruits.

[22262] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ignis non purgat nisi secundum hoc quod alia efficiuntur materia ejus. Si ergo ignis purgat alia elementa, oportet quod ejus materia efficiantur. Ergo oportet quod in naturam ignis transeant; et sic a natura sua corrumpentur.

3. Le feu ne purifie que dans la mesure où d’autres choses deviennent sa matière. Si donc le feu purifie les autres éléments, il faut qu’ils deviennent sa matière. Il est donc nécessaire qu’ils deviennent la matière du feu, et ainsi ils seront corrompus en perdant leur nature.

[22263] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, forma ignis est nobilissima forma ad quam perduci possit elementaris materia. Sed per illam purgationem omnia in statum nobilissimum mutabuntur. Ergo alia elementa in ignem totaliter convertentur.

4. La forme du feu est la forme la plus noble à laquelle puisse être amenée la matière élémentaire. Or, par cette purification, tout sera changé pour l’état le plus noble. Les autres éléments seront donc totalement changés en feu.

[22264] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 7 super illud: praeterit figura hujus mundi: pulchritudo, non substantia hujus mundi praeterit. Sed ipsa substantia elementorum pertinet ad mundi perfectionem. Ergo elementa non consumentur secundum suam substantiam.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 7 : La figure de ce monde passe, mais la substance de ce monde ne passe pas. Or, la substance même des éléments fait partie de la perfection du monde. Les éléments ne seront donc pas consumés en leur substance.

[22265] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, illa finalis purgatio, quae fiet per ignem, respondebit primae purgationi, quae facta est per aquam. Sed illa non corrupit elementorum substantiam. Ergo nec illa quae fiet per ignem, corrumpet.

[2] Cette purification finale, qui se réalisera par le feu, correspondra à la première purification qui a été réalisée par l’eau. Or, celle-ci n’a pas corrompu la substance des éléments. Celle qui se réalisera par le feu ne corrompra donc pas non plus.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Tous les éléments seront-ils purifiés par ce feu ?]

[22266] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec omnia elementa per illum ignem purgabuntur. Quia, ut jam dictum est, ignis ille non ascendet nisi quantum ascendit aqua diluvii. Sed aqua diluvii non pervenit usque ad sphaeram ignis. Ergo nec per ultimam purgationem elementum ignis purgabitur.

1. Il semble que tous les éléments ne seront pas purifiés par ce feu, car, ainsi qu’on l’a déjà dit, ce feu ne montera qu’au où est montée l’eau du déluge. Or, l’eau du déluge n’est pas parvenue jusqu’à la sphère du feu. L’élément du feu ne sera donc pas purifié par la purification finale.

[22267] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Apoc. 21, dicit Glossa, super illud: vidi caelum novum etc.: immutatio aeris et terrae dubitabile non est quin per ignem fiat; sed de aqua dubitatur, nam purgationem in seipsa habere creditur. Ergo ad minus non est certum quod omnia elementa purgentur.

[2] À propos de Ap 21 : Je vis un ciel nouveau, etc., la Glose dit : « On ne peut douter que le changement de l’air et de la terre se réalisera par le feu ; mais on doute que ce soit le cas de l’eau, car on croit qu’elle possède en elle-même de quoi purifier. » Il n’est donc pas à tout le moins certain que tous les éléments seront purifiés.

[22268] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, locus qui est perpetuae infectionis nunquam purgatur. Sed in Inferno erit perpetua infectio. Cum ergo Infernus intra elementa collocetur, videtur quod non totaliter elementa purgentur.

3. Un lieu où il y a une infection perpétuelle n’est jamais purifié. Or, il existera dans l’enfer une infection perpétuelle. Puisque l’enfer est situé à l’intérieur des éléments, il semble donc que les éléments ne seront pas totalement purifiés.

[22269] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, Paradisus terrestris in terra continetur. Sed ille non purgabitur per ignem: quia nec etiam aquae diluvii illuc ascenderunt, ut Beda dicit, et habetur in 2 Sent., dist. 27. Ergo videtur quod non totaliter omnia elementa purgentur.

4. Le Paradis terrestre est contenu par la terre. Or, celui-là ne sera pas purifié par le feu, car « même les eaux du déluge ne sont pas montées jusque-là », comme le dit Bède, et comme on le lit en Sent. II, d. 27. Il semble donc que tous les éléments ne seront pas totalement purifiés.

[22270] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est Glossa supra inducta quae habetur 2 Petri ult. quod quatuor elementa ignis ille absumet.

Cependant, [1] la glose invoquée plus haut, à propos de 2 P 3, dit que ce feu consumera les quatre éléments.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22271] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod purgatio mundi ad hoc est ut removeatur a corporibus dispositio contraria perfectioni gloriae, ut supra dictum est: quae quidem perfectio est ultima rerum consummatio; et haec quidem indispositio in omnibus corporibus invenitur, sed diversimode in diversis. In quibusdam enim invenitur indispositio secundum aliquid inhaerens substantiae ipsorum, sicut in istis corporibus inferioribus, quae per mutuam mixtionem decidunt a propria puritate. In quibusdam vero corporibus invenitur indispositio non per aliud substantiae eorum inhaerens, sicut in corporibus caelestibus, in quibus nihil invenitur repugnans ultimae perfectioni universi, nisi motus, qui est via ad perfectionem: nec motus quilibet, sed localis tantum, qui non variat aliquid quod intrinsecum sit rei, ut substantiam aut quantitatem, aut qualitatem, sed solum locum qui est extra rem. Et ideo a substantia caeli superioris non oportet quod aliquid removeatur; sed oportet quod motus ejus quietetur. Quietatio autem motus localis non fit per actionem alicujus contrarii agentis, sed per hoc quod motor desistit a movendo; et ideo corpora caelestia nec per ignem nec per alicujus creaturae actionem purgantur, sed ipsa eorum quietatio, sola voluntate divina accidens, eis loco purgationis erit.

Le but de la purification du monde est que soit enlevée des corps une disposition contraire à la perfection de la gloire, comme on l’a dit plus haut. Or, cette perfection est l’achèvement ultime des choses, et cette indisposition se trouve dans tous les corps, mais diversement dans les différents [corps]. En effet, chez certains, on trouve une indisposition inhérente à leur substance, comme dans les corps inférieurs qui perdent leur propre pureté par un mélange réciproque. Mais, dans certains corps, on trouve une indisposition, non pas par quelque chose d’autre d’inhérent à leur substance, comme dans les corps célestes, dans lesquels ne se trouve rien qui soit contraire à la perfection ultime de l’univers, si ce n’est leur mouvement, qui est un chemin vers la perfection, et non pas n’importe quel mouvement, mais le [mouvement] local seulement, qui ne modifie pas quelque chose d’intrinsèque à une réalité, comme la substance, la quantité ou la qualité, mais seulement le lieu qui leur est extrinsèque. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que quelque chose soit enlevé à la substance du ciel supérieur, mais il est nécessaire que son mouvement s’apaise. Or, l’apaisement d’un mouvement local ne se réalise pas par l’action d’un agent contraire, mais par le fait que le moteur cesse de mouvoir. C’est pourquoi les corps célestes ne sont purifiés ni par le feu ni par l’action d’une créature, mais leur apaisement, qui surviendra par la seule volonté divine, leur tiendra lieu de purification.

[22272] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Augustinus 20 de Civ. Dei, verba illa Psalmi intelligenda sunt de caelis aereis, qui purgabuntur per ignem ultimae conflagrationis. Vel dicendum, quod si etiam de superioribus caelis intelligantur, tunc dicuntur perire quantum ad motum quo nunc continue moventur.

1. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XX, ces paroles du psaume doivent s’entendre du ciel aérien, qui sera purifié par le feu de l’ultime déflagration. Ou bien il faut dire que, si on les entend aussi des cieux supérieurs, on dit qu’ils passent pour ce qui du mouvement par lequel ils sont présentement mus de manière continuelle.

[22273] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Petrus se exponit de quibus caelis intelligat. Praemiserat enim ante verba inducta, quod caeli prius et terra per aquam perierant, qui nunc sunt eodem verbo repositi, igni reservati in diem judicii. Illi ergo caeli per ignem purgabuntur qui prius aqua diluvii sunt purgati, scilicet caeli aerei.

2. Pierre explique lui-même quels cieux il entend. En effet, il avait dit plus haut avant les paroles invoquées, que les cieux et la terre avaient péri par l’eau, lesquels sont maintenant rétablis et réservés pour le feu du jour du jugement. Les cieux seront donc purifiés par le feu, qui avaient d’abord été purifiés par l’eau du déluge : les cieux aériens.

[22274] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille labor et illa servitus creaturae qui corporibus caelestibus ab Ambrosio attribuitur, nihil est aliud quam vicissitudo motus, ratione cujus tempori subjiciuntur, et defectus ultimae consummationis, quae finaliter in eis erit. Ex culpa etiam Daemonum caelum Empyreum infectionem non contraxit, quia peccando statim de caelo expulsi sunt.

3. Cet effort et cette servitude qui sont attribués aux corps célestes par Ambroise ne sont rien d’autre que la vicissitude du mouvement, en raison de quoi ils sont soumis au mouvement, et le manque d’un ultime achèvement, qui existera finalement en eux. Le ciel empyrée n’a pas contracté d’infection par la faute des démons, parce qu’aussitôt qu’ils ont péché, ils ont été chassés du ciel.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22275] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa hanc quaestionem multiplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod omnia elementa manebunt quantum ad materiam: omnia autem mutabuntur quantum ad imperfectionem; sed duo eorum retinebunt propriam formam substantialem, scilicet aer et terra; in duobus vero, scilicet igne et aqua, non remanebit forma substantialis eorum, sed mutabuntur ad formam caeli: et sic tria elementa, scilicet ignis, aer et aqua, caelum dicentur, quamvis aer retineat eamdem formam substantialem quam nunc habet, quia nunc etiam caelum dicitur. Unde et Apoc. 21, 1, non fit mentio nisi de caelo et terra: vidi, inquit, caelum novum et terram novam. Sed haec opinio est omnino absurda: repugnat enim et philosophiae, secundum quam poni non potest quod corpora inferiora sint in potentia ad formam caeli, cum nec materiam habeant communem, nec contrarietatem ad invicem; et etiam theologiae, quia secundum hanc positionem non salvabitur perfectio universi cum integritate suarum partium, duobus elementis sublatis. Unde per hoc quod dicit caelum, intelligitur quintum corpus; omnia vero elementa intelliguntur per terram, sicut in Psalmo 148, 7, dicitur: laudate dominum de terra; et sequitur: ignis, grando, nix, glacies et cetera. Et ideo alii dicunt, quod omnia elementa manebunt secundum substantiam, sed qualitates activae et passivae ab eis removebuntur; sicut etiam ponunt quod in corpore mixto elementa salvabuntur secundum formas suas substantiales sine hoc quod proprias qualitates habeant, cum sint ad medium reductae, et medium neutrum extremorum est. Et huic etiam videtur consonare quod Augustinus dicit, 20 de Civit. Dei: illa conflagratione mundana elementorum corruptibilium qualitates quae corporibus nostris congruebant, ardendo penitus interibunt, atque ipsa substantia eas qualitates habebit quae corporibus immortalibus mirabili mutatione conveniant. Sed istud non videtur probabile, cum qualitates propriae elementorum sint effectus formarum substantialium, quod formis substantialibus manentibus qualitates praedictae possint mutari, nisi per actionem violentam ad tempus: sicut in aqua calefacta videmus quod ex vi suae speciei frigiditatem recuperat, quam per actionem ignis amisit, dummodo species aquae maneat. Et praeterea etiam ipsae qualitates elementares sunt de perfectione secunda elementorum, sicut propriae passiones eorum. Nec est probabile quod in illa finali consummatione aliquid naturalis perfectionis ab elementis tollatur. Et ideo videtur dicendum, quod manebunt elementa quantum ad substantiam et qualitates eorum proprias; sed purgabuntur, ut supra dictum est, ab infectione quam ex peccatis hominum contraxerunt, et ab impuritate quae per actionem et passionem mutuam in eis accidit: quia jam cessante motu primi mobilis, in inferioribus elementis mutua actio et passio esse non poterit; et hoc Augustinus appellat qualitates corruptibilium elementorum, scilicet innaturales eorum dispositiones, secundum quas corruptioni appropinquant.

Sur cette question, il y a plusieurs opinions. En effet, certains disent que tous les éléments demeureront pour ce qui est de la matière, mais que tous seront changés pour ce qui est de leur imperfection ; cependant, deux d’entre eux conserveront leur propre forme substantielle : l’air et la terre, mais chez les deux autres, le feu et l’eau, leur forme substantielle ne demeurera pas, car ils seront changés en la forme du ciel. Ainsi, trois éléments : le feu, l’air et l’eau, sont appelés « ciel », bien que l’air conserve la même forme substantielle qu’il possède maintenant, car il est appelé « ciel » même maintenant. Aussi n’est-il fait mention en Ap 21 que du ciel et de la terre : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Mais cette opinion est tout à fait absurde. En effet, elle est contraire à la philosophie, selon laquelle on ne peut affirmer que les corps inférieurs sont en puissance par rapport à la forme du ciel, puisqu’ils n’ont pas de matière commune et ne sont pas contraires l’un par rapport à l’autre. [Elle est aussi contraire] à la théologie, car, selon cette position, la perfection de l’univers, avec l’intégrité de ses parties, ne sera pas sauvée, puisque deux éléments seront supprimés. Aussi, en parlant de « ciel », on entend un cinquième corps, mais on entend tous les éléments par la « terre », comme dans le Ps 148, 7 : Louez le Seigneur sur la terre, puis suit : Le feu, la grêle, la neige, la glace, etc. C’est pourquoi d’autres disent que tous les éléments demeureront selon leur substance, mais que leurs qualités actives et passives leur seront enlevées ; ils affirment aussi que, dans le corps mixte, les éléments seront préservés selon leurs formes substantielles sans qu’elles aient leurs qualités, puisqu’elles sont ramenés au milieu, et que le milieu n’appartient à aucun des extrêmes. Avec cela aussi semble être d’accord ce que dit Augustin dans La cité de Dieu, XX : « Dans cette déflagration du monde, les qualités des éléments corruptibles qui convenaient à nos corps disparaîtront entièrement en brûlant, et leur substance possédera par une mutation admirable les qualités qui conviennent à des corps immortels. » Mais il ne semble pas probable, puisque les qualités propres des éléments sont les effets des formes substantielles, que, si les formes substantielles demeurent, les qualités évoquées puissent être changées, sauf pour un temps par une action violente. Nous voyons ainsi que, pour l’eau chaude, celle-ci récupère par la puissance de son espèce la froideur qu’elle a perdue par l’action du feu, pourvu que l’espèce de l’eau demeure. De plus, les qualités élémentaires elles-mêmes font partie de la perfection seconde des éléments, en tant que leurs passions propres. Et il n’est pas probable que, lors de la consommation finale, quelque chose de leur perfection naturelle soit enlevé aux éléments. C’est pourquoi il semble qu’il faille dire que les éléments demeureront quant à leur substance et à leurs qualités propres, mais comme on l’a dit plus haut, qu’ils seront purifiés de l’infection qu’ils ont contractée par les péchés des hommes, et de l’impureté qui leur vient de leur action et de leur passion réciproques, car, alors que cessera le mouvement du premier mobile, il ne pourra pas y avoir d’action et de passion réciproques dans les éléments inférieurs. C’est ce qu’Augustin appelle les « qualités des éléments corruptibles », c’est-à-dire leurs dispositions non naturelles, par lesquelles ils s’approchent de la corruption.

[22276] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis ille dicitur quatuor elementa absumere, inquantum ea aliquo modo purgabit. Quod autem sequitur: duo ex toto consumet, non est intelligendum quod duo elementa secundum substantiam destruantur; sed quia duo magis removebuntur a proprietate quam nunc habent: quae quidem duo a quibusdam dicuntur esse ignis et aqua, quae maxime excedunt in qualitatibus activis, scilicet calore et frigore, quae sunt maxime corruptionis principia in aliis corporibus. Et quia tunc non erit actio ignis et aquae, quae sunt maxime activae; maxime immutari videbuntur a virtute quam nunc habent. Alii dicunt haec duo esse aerem et aquam, propter varios motus istorum duorum elementorum, quos consequuntur ex motu corporum caelestium: et quia isti motus non erunt (sicut fluxus et refluxus maris, et commotiones ventorum, et hujusmodi); ideo illa elementa maxime mutabuntur a proprietate quam nunc habent.

1. On dit que ce feu détruit les quatre éléments pour autant qu’il les purifiera d’une certaine manière. Ce qui suit : « Il en consumera deux entièrement », ne doit pas s’entendre au sens où deux éléments sont détruits selon leur substance, mais que deux seront soustraits à la propriété qu’ils possèdent maintenant. Ces deux, certains disent que ce sont le feu et l’eau, qui dépassent le plus par leurs qualités actives : la chaleur et le froid, qui sont les principaux principes de corruption pour certains corps. Et parce qu’il n’y aura pas alors d’action du feu et de l’eau, qui sont très actifs, ils sembleront être changés par rapport à la puissance qu’ils possèdent maintenant. D’autres disent que ces deux éléments seront l’air et l’eau en raison des divers mouvements de ces deux éléments, qu’ils possèdent en raison du mouvement des corps célestes et parce que ces mouvements n’existeront plus (comme le flux et le reflux de la mer, les mouvements des vents et les choses de ce genre). C’est pourquoi ces éléments seront le plus changés par rapport à la propriété qu’ils possèdent maintenant.

[22277] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dicit Augustinus, 20 de Civit. Dei, cum dicitur: et mare jam non est, per mare potest intelligi praesens saeculum, de quo supra parum ante dixerat: mare dedit mortuos suos. Si tamen mare ad litteram referamus, tunc est dicendum, quod in mari duo intelliguntur; scilicet substantia aquarum, et earum dispositio quantum ad salsedinem et fluctuum commotiones; et quantum ad hoc secundum, mare non remanebit; manebit autem quantum ad primum.

2. Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XX, lorsqu’on dit : Et il n’y a plus de mer, on peut entendre par « mer » le temps présent, dont il avait parlé un peu plus haut : Il a livré ses morts à la mer. Mais si nous interprétons « mer » au sens littéral, il faut alors dire que par « mer », on entend deux choses : la substance des eaux et leur disposition du point de vue de leur salinité et des mouvements de leur flots. Selon cette seconde interprétation, la mer ne demeurera pas, mais elle demeurera selon la première.

[22278] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignis ille non aget nisi ut instrumentum providentiae et virtutis divinae; unde non aget in alia elementa usque ad eorum consumptionem, sed solum usque ad purgationem. Nec oportet quod illud quod efficitur materia ignis, totaliter a specie propria corrumpatur; sicut patet in ferro ignito, quod a loco ignitionis remotum, ex virtute speciei remanentis, ad proprium statum et pristinum redit; et ita etiam erit de elementis per ignem purgatis.

3. Ce feu n’agira que comme un instrument de la providence et de la puissance divines. Il n’agira donc pas sur les autres éléments au point de les consumer, mais seulement pour les purifier. Et il n’est pas nécessaire que ce qui devient matière du feu soit entièrement corrompu par rapport à son espèce, comme cela ressort du fer rouge, qui, une fois enlevé du lieu où il est rougi, revient à son état propre et premier par la puissance de son espèce qui demeure. Ainsi en sera-t-il des éléments purifiés par le feu.

[22279] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in partibus elementorum non oportet considerari solum quid congruat alicui parti secundum se acceptae, sed etiam quid congruat secundum ordinem ad totum. Dico ergo, quod aqua quamvis esset nobilior si haberet formam ignis, similiter terra et aer; universum tamen esset imperfectius, si tota elementorum materia formam ignis assumeret.

4. Pour les parties des éléments, il ne faut pas considérer seulement ce qui convient à une partie envisagée en elle-même, mais aussi ce qui lui convient selon son ordre par rapport au tout. Je dis donc que, bien que l’eau serait plus noble si elle possédait la forme du feu (et il en va de même pour la terre et pour l’air), l’univers serait cependant plus imparfait si toute la matière des éléments prenait la forme du feu.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22280] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quidam dicunt quod ignis ille ascendet usque ad summitatem spatii continentis quatuor elementa, ut sic elementa totaliter purgentur et ab infectione peccati, quo etiam superiores partes elementorum sunt infectae, ut patet per fumum idolatriae superiora inficientis; et etiam a corruptione, quia elementa secundum omnes partes sui corruptibilia sunt. Sed ista opinio repugnat auctoritati sacrae Scripturae; quia 2 Petri, 3, dicitur, quod illi caeli repositi sunt igni qui fuerunt per aquam purgati; et Augustinus dicit, 20 de Civ. Dei, quod ille mundus qui diluvio periit, igni reservatur. Constat autem quod aqua diluvii non ascendit usque ad summitatem spatii elementorum, sed solum usque ad quindecim cubitos super altitudines montium; et praeterea notum est quod vapores elevati a terra, vel fumi quicumque non possunt transire per totam sphaeram ignis, ut perveniant ad summitatem ejus; et ita infectio peccati non pervenit usque ad spatium praedictum. A corruptibilitate etiam elementa non possunt purgari per subtractionem alicujus quod per ignem possit consumi; sed per ignem poterunt consumi impuritates elementorum quae ex eorum permixtione proveniunt. Hujusmodi autem impuritates praecipue sunt circa terram usque ad medium aeris interstitium; unde usque ad illud spatium ignis ultimae conflagrationis elementa purgabit; tantum enim etiam aquae diluvii ascenderunt; quod probabiliter aestimari potest ex montium altitudine quos determinata mensura transcenderat.

Certains disent que ce feu montera jusqu’au sommet de l’espace contenant les quatre éléments, de sorte que les éléments seront entièrement purifiés, aussi de l’infection du péché, par lequel même les parties supérieures ont été infectées, comme c’est le cas pour la fumée de l’idolatrie qui infecte les lieux supérieurs ; ils seront aussi purifiés de la corruption, car les éléments sont corruptibles selon toutes leurs parties. Mais cette opinion est contraire à l’autorité de la Sainte Écriture, car il est dit, en 2 P 3, que les cieux purifiés par l’eau ont été rétablis. Et Augustin dit, dans La cité de Dieu, XX, que le monde qui a péri par le déluge est réservé au feu. Or, il est clair que l’eau du déluge n’est pas montée jusqu’au sommet de l’espace des éléments, mais seulement jusqu’à quinze coudées par-dessus les sommets des montagnes. De plus, on sait que les vapeurs qui s’élèvent de la terre ou n’importe fumée ne peuvent traverser toute la sphère du feu pour parvenir à son sommet. Ainsi, l’infection du péché ne parvient pas jusqu’à l’espace évoqué. Les éléments ne peuvent pas non plus être purifiés par la soustraction de quelque chose qui peut être consumé par le feu, mais les impuretés des éléments qui proviennent de leur mélange pourront être purifiés par le feu. Ces impuretés concernent surtout la terre jusqu’à la séparation intermédiaire de l’air. Aussi le feu de l’ultime déflagration purifiera-t-il les éléments jusqu’à cet espace : en effet, les eaux du déluge n’ont atteint que ce point, ce qu’on peut estimer de manière probable par la hauteur des montagnes que leur mesure déterminée avait dépassée.

[22281] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Primum ergo concedimus.

1. Nous concédons le premier argument.

[22282] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio dubitationis in Glossa exprimitur, quia scilicet aqua in se virtutem purgationis habere creditur. Non tamen habet vim purgationis talis, qualis futuro statui competit, ut ex dictis patet.

2. La raison de douter est formulée dans la Glose, à savoir qu’on croit que l’eau possède en elle-même la puissance de purifier. Elle n’a cependant pas la puissance de purification qui convient à l’état à venir, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[22283] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa purgatio praecipue ad hoc erit, ut quidquid est imperfectionis, a sanctorum habitatione removeatur; et ideo illa purgatione totum quod est foedum, ad locum damnatorum congregabitur; unde Infernus non purgabitur, sed ad ipsum adducentur totius mundi purgamenta.

3. Cette purification aura pour but d’enlever de la demeure des saints tout ce qui est imparfait. C’est pourquoi, lors de cette purification, tout ce qui sale sera rassemblé dans le lieu des damnés. L’enfer ne sera donc pas purifié, mais les immondices du monde entier y seront amenés.

[22284] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis peccatum primi hominis in terrestri Paradiso sit commissum, non tamen locus ille est locus peccantium, sicut nec caelum Empyreum; ex utroque enim loco homo et Diabolus statim propter peccatum sunt ejecti; unde locus ille purgatione non indiget.

4. Bien que le péché du premier homme ait été commis au Paradis terrestre, ce lieu n’est cependant pas le lieu des pécheurs, pas davantage que le ciel empyrée. En effet, l’homme et le Diable ont été chassés de ce lieu aussitôt après avoir péché. Aussi ce lieu n’a-t-il pas besoin de purification.

 

 

Articulus 3 [22285] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 tit. Utrum ignis ultimae conflagrationis judicium sequi debeat

Article 3 – Le feu de l’ultime déflagration doit-il suivre le jugement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Le feu de l’ultime déflagration doit-il suivre le jugement ?]

[22286] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ignis ultimae conflagrationis judicium debet sequi. Augustinus, 20 de Civ. Dei, hunc ordinem ponit eorum quae in judicio sunt futura, dicens: in illo judicio, vel circa illud judicium, has res didicimus esse venturas; Eliam Thesbitem, fidem Judaeorum, Antichristum persecuturum, Christum judicaturum, mortuorum resurrectionem, bonorum malorumque divisionem, mundi conflagrationem, ejusdemque renovationem. Ergo conflagratio judicium sequitur.

1. Il semble que le feu de l’ultime déflagration doive suivre le jugement. Dans La cité de Dieu, XX, Augustin décrit l’ordre de ce qui se passera lors du jugement : « Lors de ce jugement ou aux alentours de ce jugement, nous avons appris que ces choses surviendront : Élie le Thesbite ; la foi des Juifs ; la persécution par l’Antéchrist ; le jugement par le Christ ; la résurrection des morts ; la séparation des bons et des méchants ; l’embrasement du monde et son renouvellement. » La déflagraton suit donc le jugement.

[22287] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in eodem Lib.: judicatis impiis, et in ignem aeternum Missis, figura hujus mundi mundanorum ignium conflagratione peribit. Ergo idem quod prius.

2. Augustin dit dans le même livre : « Une fois les impies jugés et envoyés au feu éternel, la figure de ce monde périra par l’embrasement des flammes de ce monde. » La conclusion est donc la même que précédemment.

[22288] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dominus ad judicandum veniens aliquos vivos reperiet, ut patet ex hoc quod habetur 1 Thessal. 4, 14; ubi ex persona eorum apostolus dicit: deinde nos qui vivimus, qui residui sumus in adventum domini, non praeveniemus eos qui dormierunt. Sed hoc non esset, si conflagratio mundi praecederet; quia per ignem dissolverentur. Ergo ignis ille judicium sequitur.

3. Lorsqu’il viendra juger, le Seigneur en trouvera certains vivants, comme cela ressort de ce qu’on lit en 1 Th 4, 14, où l’Apôtre dit en leur nom : Ensuite, nous qui vivons, qui serons restés lors de l’avènement du Seigneur, nous ne précéderons pas ceux qui se sont endormis. Or, ce ne serait pas le cas si l’embrasement du monde précédait, car ils seraient dissous par le feu. Ce feu suit donc le jugement.

[22289] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, dominus dicitur judicaturus orbem per ignem; et ideo conflagratio finalis videtur esse executio divini judicii. Sed executio sequitur judicium. Ergo ille ignis judicium sequitur.

4. On dit que le Seigneur jugera le monde par le feu ; l’embrasement final semble donc être l’exécution du jugement divin. Or, l’exécution suit le jugement. Ce feu suit donc le jugement.

[22290] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 96, 3: ignis ante ipsum praecedet.

Cependant, [1] il est dit en Ps 96, 3 : Le feu le précédera.

[22291] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, resurrectio praecedet judicium; alias non videret omnis oculus Christum judicantem. Sed mundi conflagratio resurrectionem praecedet; sancti enim qui resurgent, corpora spiritualia et impassibilia habebunt; et ita non poterunt per ignem purgari; cum tamen in littera dicatur ex verbis Augustini quod per ignem illum purgabitur, si quid in aliquibus sit purgandum. Ergo ignis ille judicium praecedet.

[2] La résurrection précédera le jugement, autrement tout œil ne verrait pas le Christ qui juge. Or, l’embrasement du monde précédera la résurrection. En effet, les saints qui ressusciteront auront des corps spirituels et impassibles ; ainsi ils ne pourront être purifiés par le feu, alors qu’il est dit dans le texte, selon les paroles d’Augustin, que si quelque chose doit être purifié dans certaines choses, cela sera purifié par ce feu. Le feu précédera donc le jugement.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Ce feu aura-t-il sur les hommes l’effet indiqué dans le texte ?]

[22292] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille non habebit talem effectum in hominibus, qualis in littera designatur. Illud enim consumi dicitur quod reducitur ad nihilum. Sed corpora impiorum non solventur in nihilum, sed in aeternum conservabuntur, ut aeternam poenam sustineant. Ergo ignis ille non erit malis consumptio, ut in littera dicitur.

1. Il semble que ce feu n’aura pas sur les hommes l’effet indiqué dans le texte. En effet, on dit que quelque chose est consumé lorsque cela est réduit au néant. Or, les corps des impies ne seront pas ramenés au néant, mais ils seront conservés pour l’éternité afin qu’ils supportent une peine éternelle. Ce feu ne sera donc pas la destruction des méchants, comme il est dit dans le texte.

[22293] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Si dicatur, quod consumet malorum corpora, inquantum ea resolvet in cinerem; contra. Sicut corpora malorum, ita et bonorum in cinerem resolventur; hoc enim est Christi privilegium, ut caro ejus corruptionem non videat. Ergo etiam et bonis tunc repertis erit consumptio.

2. Si l’on dit que [le feu] consumera les corps des méchants en les réduisant en cendre, on objectera que, de même que les corps des méchants, les corps des bons aussi seront réduits en cendre : en effet, c’est un privilège du Christ que sa chair n’ait pas vu la corruption. Donc, même les bons qui vivront alors seront consumés.

[22294] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, infectio peccati magis abundat in elementis, secundum quod veniunt ad compositionem humani corporis, in quo est corruptio fomitis, etiam quantum ad bonos, quam in elementis extra corpus humanum existentibus. Sed elementa extra corpus humanum existentia purgabuntur propter peccati infectionem. Ergo multo fortius oportet per ignem purgari elementa in corporibus humanis existentia, sive bonorum, sive malorum; et ita oportet utrorumque corpora resolvi.

3. L’infection du péché est plus importante dans les éléments dans la mesure où ils entrent dans la composition du corps humain, dans lequel existe la corruption de la convoitise, même chez les bons, alors que ce n’est pas le cas pour les éléments qui se trouvent hors du corps humain. Or, les éléments qui se trouvent hors du corps humain seront purifiés en raison de l’infection du péché. À bien plus forte raison donc, faut-il que soient purifiés par le feu les éléments qui se trouvent dans les corps humains, dans ceux des bons comme dans ceux des méchants. Il est donc nécessaire que les corps des deux soient réduits [en cendre].

[22295] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, quamdiu status viae durat, elementa similiter agunt in bonos et in malos. Sed adhuc durabit status hujusmodi viae in illa conflagratione; quia post statum hujus viae non erit mors naturalis, quae tamen per illam conflagrationem causabitur. Ergo ignis ille aequaliter aget in bonos et in malos; et ita videtur quod non sit aliqua discretio inter eos quantum ad effectum illius ignis suscipiendum, sicut in littera ponitur.

4. Aussi longtemps que dure l’état de cheminement, les éléments agissent de la même façon chez les bons et chez les méchants. Or, l’état de ce cheminement durera encore lors de cet embrasement, car, après l’état de cheminement actuel, il n’y aura pas de mort naturelle qui sera cependant causée par cet embrasement. Ce feu agira donc également sur les bons et les méchants. Il semble ainsi qu’il n’y ait pas de différence entre eux pour la réception de ce feu, comme on le dit dans le texte.

[22296] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, illa conflagratio quasi in momento perficietur. Sed multi invenientur vivi, in quibus erunt multa purgabilia. Ergo illa conflagratio non sufficiet ad eorum purgationem.

5. Cet embrasement se réalisera pour ainsi dire dans l’instant. Or, beaucoup seront vivants, chez qui existeront beaucoup de choses qui doivent être purifiées. Cet embrasement ne suffira donc pas à leur purification.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Ce feu enveloppera-t-il les réprouvés ?]

[22297] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ignis ille non involvet reprobos. Quia Malach. 3, super illud: purgabit filios levi, dicit Glossa: duos ignes legimus futuros: unum qui purgabit electos, et praecedet judicium; alterum qui reprobos cruciabit. Sed hic est ignis Inferni, qui malos involvet: primus autem est ignis finalis conflagrationis. Ergo ignis finalis conflagrationis non erit ille qui malos involvet.

1. Il semble que ce feu n’enveloppera pas les réprouvés, car, à propos de Ml 3 : Il purifiera les fils de Lévi, la Glose dit : « Nous lisons qu’il y aura deux feux : l’un qui purifiera les élus et précédera le jugement ; un autre qui torturera les réprouvés. » Or, celui-ci est le feu de l’enfer, qui enveloppera les méchants, mais le premier est le feu de l’embrasement final. Le feu de l’embrasement final ne sera donc pas celui qui enveloppera les méchants.

[22298] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ignis ille Deo obsequitur in purgatione mundi. Ergo deberet remunerari aliis elementis remuneratis, et praecipue cum ignis sit nobilissimum elementorum. Non ergo videtur quod in Infernum debeat dejici in damnatorum poenam.

2. Ce feu servira Dieu pour la purification du monde. Il devrait donc être récompensé si les autres éléments sont récompensés, surtout que le feu est le plus noble des éléments. Il ne semble donc pas qu’il doive être jeté en enfer pour la peine des damnés.

[22300] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 In contrarium est quod in Psal. 96, 3, de igne illo dicitur, quod inflammabit in circuitu inimicos ejus.

Cependant, [1] il est dit de ce feu, en Ps 96, 3, qu’il créera un cercle de feu autour de ses ennemis.

[22301] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Dan. 7, 10, dicitur: igneus fluvius rapidusque egrediebatur a facie ejus; Glossa: ut peccatores traheret in Gehennam. Loquitur autem auctoritas illa de igne illo de quo nunc est mentio, ut patet per quamdam Glossam, quae ibi dicit: ut bonos purget et malos puniat. Ergo ignis finalis conflagrationis in Infernum cum reprobis demergetur.

[2] À propos de Dn 7, 10 : Un fleuve de feu courait depuis son visage, la Glose dit : « Afin d’attirer les pécheurs dans la géhenne. » Or, cette autorité parle du feu dont il est question ici, comme cela ressort de la Glose, qui dit à cet endroit : « Afin de purifier les bons et de punir les méchants. » Le feu de l’embrasement final sera donc englouti en enfer avec les réprouvés.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22302] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illa conflagratio secundum rei veritatem quantum ad sui initium judicium praecedet: quod ex hinc manifeste colligitur quod mortuorum resurrectio judicium praecedet; quod patet ex hoc quod dicitur 1 Thessal. 4, quod illi etiam qui dormierunt, rapientur in nubibus in aera obviam Christo ad judicium venienti. Simul autem erit resurrectio communis, et corporum sanctorum glorificatio: sancti enim resurgentes corpora gloriosa resument, ut patet per illud quod dicitur 1 Corinth. 15, 43: seminatur in ignobilitate, surget in gloria. Simul autem cum corpora sanctorum glorificabuntur; et tota creatura suo modo renovabitur, ut patet per id quod dicitur Rom. 8, 21, quod ipsa creatura liberabitur a servitute corruptionis in libertatem gloriae filiorum Dei. Cum ergo conflagratio mundi sit dispositio ad renovationem praedictam, ut ex dictis patet; manifeste potest colligi quod illa conflagratio quo ad purgationem mundi judicium praecedet; sed quo ad aliquem actum, qui scilicet est involvere malos, judicium sequetur.

Cet embrasement précédera en réalité le jugement en son commencement. Cela peut être clairement conclu du fait que la résurrection des morts précédera le jugement, ce qui ressort de ce qui est dit en 1 Th 4, que même ceux qui se sont endormis seront enlevés dans l’air sur des nuées pour aller à la rencontre du Christ qui vient pour le jugement. Or, la résurrection commune sera simultanée, ainsi que la glorification des corps : en effet, les saints qui ressusciteront retrouveront leurs corps glorieux, comme cela ressort de ce qui est dit en 1 Co 15, 43 : Il est semé dans l’ignominie, il ressuscitera dans la gloire. En même temps que les corps des saints seront glorifiés, toute la création sera renouvelée à sa manière, comme cela ressort de ce qui est dit en Rm 8, 21 : La création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu. Puisque l’embrasement du monde est une disposition en vue du renouvellement mentionné, comme cela ressort de ce qui a été dit, on peut manifestement en conclure que l’embrasement précédera le jugement pour ce qui est de la purification du monde ; mais, pour ce qui est de l’acte qui consiste à envelopper les méchants, il suivra le jugement.

[22303] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus non loquitur determinando, sed opinando: quod patet ex hoc quod sequitur: quae omnia quidem ventura esse credendum est; sed quibus modis et quo ordine veniant, magis tunc docebit rerum experientia quam nunc ad perfectum hominis intelligentia valeat consequi. Existimo tamen eo quo a me commemorata sunt ordine esse ventura. Ergo patet quod hoc dixit opinando.

1. Augustin ne parle pas en tranchant, mais en donnant une opinion, ce qui est ressort de ce qui suit : « Il faut croire que tout cela se produira ; mais de quelle manière et dans quel ordre cela surviendra, l’expérience des choses l’enseignera alors davantage que ce que l’intelligence de l’homme peut en découvrir maintenant. Pour ma part, j’estime cependant que cela se produira selon l’ordre que j’ai rappelé. » Il est donc clair qu’il dit cela sous forme d’opinion.

[22304] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[22305] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut supra, 13 dist., dictum est, omnes homines morientur et resurgent; sed tamen illi vivi dicuntur reperiri qui usque ad tempus conflagrationis in corpore vivent.

3. Comme on l’a dit plus haut, d. 13, tous les hommes mourront et ressusciteront ; cependant on dit qu’on trouve vivants ceux qui vivront dans leur corps jusqu’au moment de l’embrasement.

[22306] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignis ille non exequitur sententiam judicis nisi quo ad involutionem malorum; et quantum ad hoc sequitur judicium.

4. Ce feu n’exécute la sentence du juge que pour l’enveloppement des méchants. Sous cet aspect, il suit le jugement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22307] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ignis ille finalis conflagrationis quantum ad hoc quod judicium praecedet, aget ut instrumentum divinae justitiae; et iterum per virtutem naturalem ignis. Quantum ergo pertinet ad virtutem naturalem ipsius, similiter aget in bonos et malos, qui vivi reperientur, utrorumque corpora in cinerem resolvendo; inquantum vero aget ut instrumentum divinae justitiae, diversimode aget in diversos quantum ad sensum poenae. Mali enim per actionem ignis cruciabuntur, boni vero in quibus nihil purgandum invenitur, omnino nullum dolorem ex igne sentient, sicut nec pueri senserunt in camino, Dan. 3; quamvis eorum corpora non serventur integra, sicut puerorum servata fuerunt; et hoc divina virtute fieri poterit, ut sine doloris cruciatu resolutionem corporum patiantur. Boni vero in quibus aliquid purgandum reperietur, sentient cruciatum doloris ex illo igne plus vel minus pro meritorum diversitate. Sed quantum ad actum quem post judicium ille ignis habebit, in damnatos tantum aget: quia omnes boni habebunt corpora impassibilia.

1. Le feu de la déflagration finale sous l’aspect où il précédera le jugement, agira comme un instrument de la justice divine et aussi par la puissance naturelle du feu. Quant à sa puissance naturelle, il agira de la même manière sur les bons et sur les méchants, qui seront trouvés vivants, en réduisant les corps des deux en cendre. Pour autant qu’il agira comme instrument de la justice divine, il agira de diverses manières sur ceux qui sont différents pour ce qui est de la sensation de la peine. En effet, les méchants seront torturés par l’action du feu, mais les bons, chez qui ne se trouve rien à purifier, ne ressentiront aucune douleur venant du feu, comme les enfants non plus n’en ont pas ressenti dans la fournaise, Dn 3, bien que les corps [des bons] ne soient pas préservés intègres, comme ceux des enfants ont été préservés. Et la puissance divine pourra faire qu’ils endurent la dissolution de leurs corps sans souffrir de la douleur. Mais les bons chez qui se trouvera quelque chose à purifier éprouveront le tourment de la douleur par ce feu, plus ou moins selon la diversité des mérites. Mais, pour ce qui est de l’acte que ce feu aura après le jugement, il agira seulement sur les damnés, car tous les bons auront des corps impassibles.

[22308] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod consumptio ibi accipitur non pro annihilatione, sed pro resolutione in cineres.

1. Cette dissolution s’entend là, non pas de l’anéantissement, mais de la dissolution en cendre.

[22309] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonorum corpora quamvis in cinerem resolvantur per ignem, non tamen ex hoc dolorem sentient, sicut nec pueri in fornace existentes, ut dictum est; et quantum ad hoc est dissimile de bonis et malis.

2. Les corps des bons, bien qu’ils soient réduits en cendre, n’en ressentiront cependant pas pour autant de la douleur, comme les enfants dans la fournaise, ainsi qu’on l’a dit. Sur ce point, il y a une différence entre les bons et les méchants.

[22310] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod elementa in corporibus humanis existentia purgabuntur per ignem etiam in corporibus electorum; sed hoc per divinam virtutem fiet sine cruciatu doloris.

3. Les éléments qui se trouvent dans les corps humains seront aussi purifiés par le feu dans les corps des élus ; mais cela se réalisera par la puissance divine sans le tourment de la douleur.

[22311] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignis ille non aget tantum secundum naturalem elementi virtutem, sed etiam ut divinae justitiae instrumentum.

4. Ce feu n’agira pas seulement selon la puissance naturelle de l’élément, mais aussi comme un instrument de la justice divine.

[22312] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod tres causae sunt quare subito illi qui vivi reperientur, purgari poterunt. Una est, quia pauca purganda in eis inveniuntur, cum terroribus et persecutionibus praecedentibus fuerint purgati. Secunda est, quia vivi et voluntarii sustinebunt poenam; poena autem in hac vita voluntarie suscepta multo plus purgat quam poena post mortem inflicta, sicut patet in martyribus; quod si quid purgandum in eis invenitur, passionis falce tollitur, ut Augustinus dicit, cum tamen poena martyrum brevis fuerit in comparatione ad poenam quae in Purgatorio sustinetur. Tertia est, quia calor ille recuperabit in intensione quantum amittet in temporis abbreviatione.

5. Il y a trois raisons pour lesquelles ceux qui se seront trouvés soudainement vivants pourront être purifiés. L’une est que peu de chose doit être purifié chez eux, puisqu’ils auront été purifiés par les terreurs et les persécutions antérieures. La deuxième est que les vivants et les volontaires subiront la peine. Or, la peine acceptée volontairement en cette vie purifie beaucoup plus que la peine infligée après la mort, comme cela est clair chez les martyrs. « Si l'on trouve quelque chose à purifier chez eux, cela est enlevé par le glaive de la souffrance », comme le dit Augustin ; cependant, la peine des marturs aura été brève en compariaosn de la peine qui est supportée au purgatoire. La troisième [raison] est que cette chaleur gagnera en intensité autant qu’elle perdra en réduction de sa durée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22313] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod tota purgatio mundi et innovatio ad purgationem et innovationem hominis ordinabitur; et ideo oportet ut mundi purgatio et innovatio purgationi et innovationi humani generis respondeat. Humani autem generis purgatio quaedam erit, quando mali segregabantur a bonis; unde dicitur Luc. 3, 17: cujus ventilabrum est in manus sua, et purgabit aream suam, et congregabit triticum suum, idest electos, in horreum suum; paleas autem, idest reprobos, comburet igne inextinguibili. Unde ita erit de purgatione mundi, quod quidquid erit turpe et foedum, in Infernum cum reprobis retrudetur; quidquid autem erit pulchrum et nobile, in superioribus reservabitur ad gloriam electorum; et ita etiam erit de illo igne conflagrationis, sicut dicit Basilius super illud Psal. 28: vox domini intercidentis flammam ignis: quia quo ad calidum ustivum, et quantum ad id quod in igne grossum reperietur, descendet ad Inferos ad poenam damnatorum; quod vero est ibi subtile et lucidum, remanebit superius ad gloriam electorum.

Toute la purification et tout le renouvellement du monde sont ordonnés à la purification et au renouvellement de l’homme. Aussi faut-il que la purification et le renouvellement du monde correspondent au la purification et au renouvellement du genre humain. Or, il y aura une purification du genre humain lorsque les méchants seront séparés des bons ; aussi est-il dit en Lc 3, 17 : Il tient en main le van pour purifier son aire et recueillir son blé, c’est-à-dire les élus, dans son grenier ; mais la bale, c’est-à-dire les réprouvés, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas. Il en sera ainsi pour la purification du monde : tout ce qui sera honteux et sale sera jeté en enfer avec les réprouvés ; mais tout ce qui sera beau et noble sera gardé dans les hauteurs pour la gloire des élus. Ainsi en sera-t-il aussi pour le feu de l’embrasement, comme le dit Basile du Ps 28 : La voix du Seigneur qui fait disparaître la flamme du feu : « Ce qui est chaud et brûlant et ce qu’il y a de grossier dans le feu descendra aux enfers pour la peine des damnés ; mais ce qui est subtil et brillant demeurera en haut pour la gloire des élus. »

[22314] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis qui purgabit electos ante judicium, erit idem cum igne conflagrationis mundi; quamvis quidam contrarium dicant. Convenit enim ut, cum homo sit pars mundi, eodem igne purgetur homo et mundus. Dicuntur autem duo ignes qui purgabit bonos et qui cruciabit malos, et quantum ad officium, et aliquo modo quantum ad substantiam: quia non tota substantia ignis purgantis in Infernum retrudetur, uti dictum est.

1. Le feu qui purifiera les élus avant le jugement sera le même que le feu de l’embrasement du monde, bien que certains disent le contraire. En effet, il est approprié que, l’homme étant une partie du monde, l’homme et le monde soient purifiés par le même feu. Mais on dit que deux feux purifieront les bons et tortureront les méchants en raison de leur fonction et, d’une certaine manière, en raison de leur substance, car ce n’est pas toute la substance du feu qui sera jetée en enfer, comme on l’a dit.

[22315] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ignis ille remunerabitur, quia illud quod est grossum in eo, separabitur ab ipso, et retrudetur in Infernum.

2. Ce feu sera récompensé en cela que ce qui est grossier en lui sera séparé de lui et sera jeté en enfer.

[22316] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut gloria electorum post judicium erit major quam ante, ita et poena reproborum; et ideo sicut claritas superiori creaturae addetur ad augmentandum gloriam electorum; ita et quidquid est turpe in creaturis, retrudetur in Infernum ad augmentandum miseriam damnatorum; et ita igni ab initio praeparato in Inferno non est inconveniens si alter ignis addatur.

3. De même que la gloire des élus après le jugement sera plus grande qu’avant, et qu’il en va de même pour la peine des réprouvés, et de même qu’un éclat est ajouté à une créature supérieure en vue d’accroître la gloire des élus, de même tout ce qui est honteux dans les créatures sera-t-il jeté en enfer pour accroître la misère des damnés, et de même n’est-il pas inapproprié qu’un autre feu soit ajouté au feu préparé en enfer dès l’origine.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 47

[22317] Super Sent., lib. 4 d. 47 q. 2 a. 3 qc. 3 expos. Illi saltem verba judicis audient et cetera. Verba haec accipienda sunt non vocalia, sed mentalia, ut supra dictum est. Et peribit caelum et terra non secundum substantiam, sed secundum speciem. Species hic dicitur corruptibilitas elementorum, et alia quae ad ignobilitatem eorum spectant. Ministerio Angelorum virtute Dei cooperante mittentur mali in caminum ignis. Hoc intelligendum est de bonis Angelis quantum ad praeceptum, sed de malis Angelis quantum ad executionem.

 

 

 

Distinctio 48

Distinction 48 – [La condition du juge]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le juge jugera-t-il en sa condition d’homme ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[22318] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de divino judicio quantum ad modum judicii et ad ministros judicis, hic determinat ea quae pertinent ad personam judicis; et dividitur in partes duas: in prima enim parte ostendit in qua forma Christus ad judicium veniens apparebit; in secunda determinat de his quae judicium circumstant, ibi: et putant quidam, dominum descensurum in vallem Josaphat in judicio. Prima pars dividitur in duas: in prima ostendit quod Christus judicabit in forma hominis; in secunda inducit similitudinem, scilicet quod Christus secundum quod est homo, est causa resurrectionis corporum, ibi: et sicut dicitur Christus secundum formam servi judicaturus propter causam praemissam; ita etiam dicitur suscitaturus corpora mortuorum secundum humanitatem. Prima pars dividitur in duas: in prima determinat quod Christus in forma hominis judicabit; in secunda quod in forma hominis gloriosa, ibi: sed cum in forma humana constet eum appariturum, quaeritur et cetera. Et putant quidam dominum descensurum in vallem Josaphat in judicio. Hic determinat ea quae adventum judicis circumstant; et circa hoc duo facit: primo determinat ea quae concomitantur judicis adventum; secundo ea quae consequuntur, ibi: cum autem factum fuerit caelum novum et terra nova, tunc erit lux lunae sicut lux solis. Circa primum duo facit: primo enim determinat locum adventus; secundo effectum judicis venientis, ibi: veniente autem ad judicium domino (...) sol et luna dicuntur obscurari. Hic est duplex quaestio. Prima est de ipso judice. Secunda de mundi innovatione, quae judicium sequitur. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum Christus in forma hominis sit judicaturus; 2 utrum in judicio apparebit in figura gloriosa; 3 utrum possit apparere in natura divinitatis aliquibus sine gaudio; 4 de his quae adventum judicis circumstant.

Après avoir déterminé du jugement divin quant au mode du jugement et aux ministres du juge, ici le Maître détermine de ce qui concerne la personne du juge. Cela se divise en deux parties : dans la première partie, il montre sous quelle forme le Christ apparaîtra pour juger ; dans la seconde, il détermine de ce qui accompagne le jugement, à cet endroit : « Certains pensent que le Seigneur descendra dans la vallée de Josaphat pour juger. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que le Christ jugera en sa condition d’homme ; dans la seconde, il fait appel à une comparaison, à savoir que le Christ est cause de la résurrection des corps selon qu’il est homme, à cet endroit : « Et comme on dit que le Christ jugera dans sa condition d’homme pour la raison indiquée, de même dit-on qu’il ressuscitera les corps des morts selon son humanité. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine que le Christ jugera en sa condition d’homme ; dans la seconde, [qu’il jugera] en sa condition humaine glorieuse, à cet endroit : « Mais comme il est certain qu’il apparaîtra en sa condition humaine, on se demande, etc. » « Certains pensent que le Seigneur descendra dans la vallée de Josaphat pour juger. » Ici, [le Maître] détermine de ce qui entoure l’avènement du juge. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il détermine de ce qui accompagne l’avènement du juge ; deuxièmement, de ce qui [le] suit, à cet endroit : « Lorsqu’un ciel nouveau et une terre nouvelle auront été créés, alors la lumière de la lune sera comme la lumière du soleil. » du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine du lieu de l’avènement ; deuxièmement, de l’effet de l’avènement du juge, à cet endroit : « Lorsque le Seigneur viendra pour juger…, on dira que le soleil et la lune se sont obscurcis. » Ici, il y a deux questions : la première porte sur le juge lui-même ; la seconde porte sur le renouvellement du monde qui suit le jugement. du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Le Christ jugera-t-il en sa condition d’homme ? 2 – Apparaîtra-t-il lors du jugement en sa condition glorieuse ? 3 – Peut-il apparaître à certains en sa nature divine sans qu’il y ait de la joie ? 4 – de ce qui accompagne l’avènement du juge.

 

 

Articulus 1 [22319] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus in forma servi sit judicaturus

Article 1 – Le Christ jugera-t-il en sa condition de serviteur ?

[22320] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus in forma servi non sit judicaturus. Judicium enim auctoritatem requirit in judicante. Sed auctoritas super vivos et mortuos est in Christo secundum quod est Deus: sic enim est dominus et creator omnium. Ergo in forma divinitatis judicabit.

1. Il semble que le Christ ne jugera pas en sa condition de serviteur. En effet, le jugement exige une autorité chez celui qui juge. Or, l’autorité sur les vivants et les morts existe chez le Christ selon qu’il est Dieu : en effet, c’est ainsi qu’il est le Seigneur et le Créateur de toutes choses. Il jugera donc en sa condition divine.

[22321] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in judice requiritur potestas invincibilis; unde Eccli. 7, 6: noli quaerere fieri judex, nisi valeas virtute irrumpere iniquitates. Sed virtus invincibilis convenit Christo secundum quod est Deus. Ergo in forma divinitatis judicabit.

2. Le juge doit posséder un pouvoir invincible. Ainsi Si 7, 6 dit-il : Ne cherche pas à devenir juge à moins de pouvoir briser l’iniquité par ta puissance. Or, une puissance invincible convient au Christ en tant qu’il est Dieu. Il jugera donc en sa condition divine.

[22322] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, Joan. 5, 22, dicitur: pater omne judicium dedit filio, ut omnes honorificent filium sicut honorificant patrem. Sed honor aequalis non debetur patri et filio secundum humanam naturam. Ergo non judicabit secundum formam humanam.

3. Il est dit en Jn 5, 22 : Le Père a confié tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Or, un honneur égal n’est pas dû au Père et au Fils selon la nature humaine [du Fils]. Il ne jugera donc pas selon sa condition humaine.

[22323] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Daniel. 7, 9, dicitur: aspiciebam donec throni positi sunt, et antiquus dierum sedit. Throni autem judiciariam potestatem designant; antiquitas autem de Deo dicitur ratione aeternitatis; ut dicit Dionysius in Lib. de Div. Nom. Ergo secundum hoc judicare convenit filio prout est aeternus; non ergo secundum quod homo.

4. Il est dit en Dn 7, 9 : Je regardais jusqu’à ce que les trônes soient en place et que l’Ancien s’assoie. Or, les trônes désignent le pouvoir judiciaire. Mais on parle d’ancienneté pour Dieu en raison de son éternité, comme le dit Denys dans le livre sur Les noms divins. Il convient donc au Fils de juger en tant qu’il est éternel, et non en tant qu’il est homme.

[22324] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, et habetur in littera, quod per verbum filii Dei fit animarum resurrectio. Sed judicium illud finale magis pertinet ad animam quam ad carnem. Ergo magis convenit judicare Christo secundum quod est Deus, quam inquantum est homo.

5. Augustin dit, et on le lit dans le texte, que la résurrection des âmes se réalise par la parole du Fils de Dieu. Or, ce jugement final concerne davantage l’âme que la chair. Il convient donc davantage au Christ de juger selon qu’il est Dieu que selon qu’il est homme.

[22325] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Joan. 5, 27, dicitur: potestatem dedit ei judicium facere, quia filius hominis est.

Cependant, [1] il est dit en Jn 5, 27 : Il lui a donné le pouvoir de juger, car il est le Fils de l’homme.

[22326] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Job 36, 17, dicitur: causa tua quasi impii judicata est; Glossa, a Pilato: ideo judicium causamque recipies; Glossa, ut juste judices. Sed Christus secundum humanam naturam judicatus est a Pilato. Ergo secundum humanam naturam judicabit.

[2] Il est dit en Jb 36, 17 : Ta cause a été jugée comme celle d’un impie. La Glose dit : « De Pilate, tu recevras un jugement et une cause…, afin que tu juges justement. » Or, le Christ a été jugé par Pilate selon sa nature humaine. Il jugera donc selon sa nature humaine.

[22327] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ejus est judicare cujus est legem condere. Sed Christus in humana natura apparens nobis legem Evangelii dedit. Ergo et secundum eamdem naturam judicabit.

[3] Il appartient de juger à celui qui a établi la loi. Or, le Christ nous a donné la loi de l’évangile en paraissant dans la nature humaine. Il jugera donc selon cette même nature.

[22328] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod judicium aliquod dominium in judicando requirit; unde Rom. 14, 4: tu quis es qui judicas alienum servum? Et ideo secundum hoc Christo competit judicare quod dominium super homines habet, de quibus principaliter erit finale judicium. Ipse autem est noster dominus non solum ratione creationis, quia dominus ipse est Deus, ipse fecit nos, et non ipsi nos, Psalm. 99, 3; sed etiam ratione redemptionis, quod ei competit secundum humanam naturam; unde Rom. 14, 9: in hoc Christus mortuus est et resurrexit, ut et vivorum et mortuorum dominetur. Ad praemium autem vitae aeternae nobis creationis bona non sufficerent, nisi redemptionis beneficium adderetur, propter impedimentum quod naturae creatae supervenit ex peccato primi parentis. Unde cum judicium illud finale ad hoc ordinetur ut aliqui admittantur ad regnum, conveniens est ut ipse Christus secundum humanam naturam, cujus redemptionis beneficio ad regnum admittimur, illi judicio praesideat; et hoc est quod dicitur Act. 10, 42, quod constitutus est a Deo judex vivorum et mortuorum. Et quia per redemptionem humani generis non solum homines reparavit, sed etiam universaliter totam creaturam; secundum quod tota creatura reparato homine melioratur, ut habetur Coloss. 1, 20: pacificans per sanguinem crucis ejus sive quae in terris sive quae in caelis sunt; ideo non solum super homines, sed super universam creaturam Christus per suam passionem dominium promeruit, et judiciariam potestatem. Matth. ult., 10: data est mihi omnis potestas in caelo et in terra.

Le jugement exige un certain pouvoir sur celui qui doit être jugé. Ainsi Rm 14, 4 dit-il : Qui es-tu pour juger l’esclave d’un autre ? Il convient donc au Christ de juger au même titre qu’il a pouvoir sur les hommes qui seront l’objet du jugement final. Or, il est notre Seigneur, non seulement en raison de la création, car Dieu lui-même est le Seigneur, il nous a créés, et non pas nous-mêmes, Ps 99, 3, mais aussi en raison de la rédemption, qui relève de lui selon la nature humaine. Aussi Rm 14, 9 dit-il : Le Christ est mort et ressuscité afin de devenir Seigneur des vivants et des morts. Or, les biens de la création ne nous suffiraient pas pour la récompense de la vie éternelle, si le bienfait de la rédemption n’y était pas ajouté, en raison de l’empêchement qui affecte la nature créée à cause du péché du premier père. Puisque ce jugement final est ordonné à ce que certains soient admis dans le royaume, il est donc approprié que le Christ lui-même, par le bienfait duquel nous sommes admis dans le royaume, préside à ce jugement selon sa nature humaine. C’est ce qui est dit en Ac 10, 42 : Il a été établi par Dieu comme juge des vivants et des morts. Et parce que, par la rédemption du genre humain, il n’a pas seulement renouvelé les hommes, mais aussi toute la création, pour autant que toute la création est améliorée par le renouvellement de l’homme, comme on le lit en Col 1, 20 : Réconciliant par le sang de sa croix ce qui existe sur terre ou ce qui existe au ciel, le Christ a mérité par sa passion la souveraineté et le pouvoir de juger toute la création, Mt 28, 10 : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.

[22329] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Christo secundum divinam naturam est auctoritas dominii respectu universalis creaturae ex jure creationis; sed in ipso est auctoritas dominii quam per passionem promeruit, et est quasi auctoritas secundaria et acquisita; sed prima est naturalis et aeterna.

1. Selon sa nature divine, il existe chez le Christ une autorité souveraine sur toute la création par droit de création ; mais il existe en lui une autorité souveraine qu’il a méritée par sa passion : il s’agit pour ainsi dire d’une autorité secondaire et acquise. Cependant, la première [autorité] est naturelle et éternelle.

[22330] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Christus secundum quod homo non habeat a se invincibilem potestatem ex naturali virtute humanae speciei; tamen ex dono divinitatis etiam in humana natura habet invincibilem potestatem, secundum quod omnia sunt subjecta pedibus ejus, ut dicitur 1 Corinth. 12; et ideo judicabit quidem in humana natura, sed ex virtute divinitatis.

2. Bien que le Christ en tant qu’homme ne possède pas un pouvoir invincible en vertu de la puissance naturelle de l’espèce humaine, il possède cependant même dans sa nature humaine, en vertu d’un don de la divinité, un pouvoir invincible, selon que tout a été soumis à ses pieds, comme il est dit en 1 Co 12. Il jugera donc en sa nature humaine, mais par la puissance de la divinité.

[22331] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus non suffecisset ad humani generis redemptionem, si purus homo fuisset; et ideo ex hoc quod secundum humanam naturam genus humanum redimere potuit, ac per hoc judiciariam potestatem consecutus est, manifeste ostenditur quod ipse est Deus, et ita aequaliter honorandus cum patre, non inquantum homo, sed inquantum Deus.

3. Le Christ n’aurait pas suffi à la rédemption du genre humain s’il avait été un pur homme. C’est pourquoi par le fait qu’il a pu racheter le genre humain selon sa nature humaine et a ainsi obtenu le pouvoir de juger, il est clairement montré qu’il est lui-même Dieu et qu’il doit être également honoré avec le Père, non pas en tant qu’il est homme, mais en tant qu’il est Dieu.

[22332] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in illa visione Danielis manifeste exprimitur totus ordo judiciariae potestatis; quae quidem sicut in prima origine est in ipso Deo; et specialius in patre, qui est fons totius divinitatis; et ideo primo praemittitur quod antiquus dierum sedit. Sed a patre judiciaria potestas traducta est in filium non solum ab aeterno secundum divinam naturam, sed etiam in tempore secundum humanam, in qua meruit; et ideo subjungitur in visione praedicta: ecce cum nubibus caeli quasi filius hominis veniebat, et usque ad antiquum dierum pervenit; et dedit ei potestatem et honorem et regnum.

4. Dans cette vision de Daniel, tout l’ordre du pouvoir judiciaire est clairement exprimé. Celui-ci se trouve en Dieu comme en sa première origine, et, de manière plus particulière dans le Père, qui est la source de toute la divinité. Aussi est-il dit d’abord : L’Ancien siégeait. Mais le pouvoir judiciaire a été transmis par le Père au Fils, non seulement éternellement selon la nature divine, mais aussi dans le temps selon la nature humaine par laquelle il a mérité. Aussi est-il ajouté dans la vision mentionnée : Voici qu’il venait sur les nuées du ciel comme le Fils de l’homme, et qu’il rejoignait l’Ancien. Et il lui donna pouvoir, honneur et règne.

[22333] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Augustinus loquitur per appropriationem quamdam, ut videlicet reducat effectus quos Christus in humana natura fecit, ad causas aliquo modo consimiles. Et quia secundum animam sumus ad imaginem et similitudinem Dei, secundum carnem autem sumus ejusdem speciei cum homine Christo; ideo ea quae in animabus nostris Christus fecit, divinitati attribuit; quae vero in carne nostra facit, vel facturus est, attribuit carni ejus: quamvis caro ejus inquantum est divinitatis organum, ut dicit Damascenus habeat etiam effectum in animabus nostris, secundum illud quod dicitur Hebr. 9, 14, quod sanguis ejus emundabit conscientias nostras; ab operibus mortuis; et sic etiam verbum caro factum, est causa resurrectionis animarum. Unde etiam secundum humanam naturam convenienter est judex non solum corporalium, sed spiritualium bonorum.

5. Augustin parle selon une certaine appropriation, à savoir qu’il ramène les effets que le Christ a réalisés dans sa nature humaine à des causes qui leur sont d’une certaine manière semblables. Et parce que, par notre âme, nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu, mais que, selon la chair, nous sommes de la même espèce que l’homme Christ, ce que le Christ a réalisé dans nos âmes, [Augustin] l’attribue à la divinité ; mais ce qu’il a réalisé ou réalisera dans notre chair, il l’attribue à sa chair, bien que sa chair, en tant qu’elle est l’instrument de la divinité, comme le dit [Jean] Damas-cène, ait aussi un effet sur nos âmes, selon ce qui est dit en He 9, 14 : Son sang purifiera nos consciences des œuvres mortes. De cette manière aussi, le Verbe incarné est la cause de la résurrection des âmes. Aussi convient-il qu’il soit juge selon sa nature humaine, non seulement des biens corporels, mais aussi des biens spirituels

 

 

Articulus 2 [22334] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus in judicio apparebit in forma humanitatis gloriosa

Article 2 –Le Christ apparaîtra-t-il lors du jugement dans la condition glorieuse de son humanité ?

[22335] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus in judicio non apparebit in forma humanitatis gloriosa. Joan. 19, 37: videbunt in quem transfixerunt; Glossa: quia in ea carne venturus est in qua crucifixus est. Sed crucifixus est in forma infirma. Ergo in forma infirmitatis apparebit, non in forma gloriosa.

1. Il semble que le Christ n’apparaîtra pas lors du jugement dans la condition glorieuse de son humanité. À propos de Jn 19, 37 : Ils verront celui qu’il ont crucifié, la Glose dit : « Car il viendra dans la chair en laquelle il a été crucifié. » Or, il a été crucifié dans sa condition de faiblesse. Il apparaîtra donc dans sa condition de faiblesse, et non dans la condition glorieuse.

[22336] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Matth. 24, 30, dicitur, quod apparebit signum filii hominis in caelo, idest signum crucis; et Chrysostomus dicit, quod veniet in judicio Christus, non solum vulnerum cicatrices, sed etiam ipsam mortem exprobratissimam ostendens. Ergo videtur quod non apparebit in forma gloriosa.

2. En Mt 24, 30, il est dit que le signe du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel, c’est-à-dire le signe de la croix. Et Chrysostome dit que le Christ viendra pour juger en montrant non seulement les cicatrices de ses blessures, mais aussi la plus grande preuve de sa mort. Il semble donc qu’il n’apparaîtra pas dans sa condition glorieuse.

[22337] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum hanc formam Deus in judicio apparebit quae ab omnibus conspici possit. Sed Christus secundum formam humanitatis gloriosam non poterit videri ab omnibus, bonis et malis; quia oculus non glorificatus non videtur esse proportionatus ad videndum claritatem corporis gloriosi. Ergo non apparebit in forma gloriosa.

3. Dieu apparaîtra lors du jugement dans la condition selon laquelle il peut être vu de tous. Or, dans la condition glorieuse de son humanité, le Christ ne pourra être vu par tous, bons et méchants, car l’œil non glorifié ne semble pas être proportionné pour voir l’éclat de son corps glorieux. Il n’apparaîtra donc pas dans sa condition glorieuse.

[22338] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod promittitur justis in praemium, non conceditur injustis. Sed videre gloriam humanitatis promittitur justis in praemium. Joan. 10, 9: ingredietur et egredietur, et pascua inveniet, idest refectionem et in divinitate et in humanitate, ut Augustinus exponit; et Isa. 33, 17: regem in decore suo videbunt. Ergo in judicio non apparebit omnibus in forma gloriosa.

4. Ce qui est promis aux justes comme une récompense n’est pas accordé aux injustes. Or, voir la gloire de l’humanité [du Christ] est promis aux justes comme une récompense. Jn 10, 9 : Il entrera et sortira, et il trouvera la pâque, c’est-à-dire une réfection par la divinité et par l’humanité, comme l’explique Augustin. Et Is 33, 17 : Ils verront le roi dans toute sa splendeur. Lors du jugement, il n’apparaîtra donc pas à tous dans sa condition glorieuse.

[22339] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum illam formam Christus judicabit in qua judicatus est; unde super illud Joan. 5: sic et filius, quos vult, vivificat, dicit Glossa: in qua forma injuste judicatus est, juste judicabit, ut possit ab impiis videri. Sed judicatus est in forma infirmitatis. Ergo et in eadem in judicio apparebit.

5. Le Christ jugera dans la condition selon laquelle il a été jugé. Aussi, de Jn 5 : Ainsi le Fils donne-t-il la vie à ceux qu’il veut, la Glose dit-elle : « Afin de pouvoir être vu par les impies, il jugera avec justice dans la condition où il a été injustement jugé. » Or, il a été jugé dans sa conditon de faiblesse. Il apparaîtra donc dans la même lors du jugement.

[22340] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Luc. 21, 27: tunc videbunt filium hominis venientem in nube cum potestate magna et majestate. Majestas autem et potestas ad gloriam pertinent. Ergo in forma gloriosa apparebit.

Cependant, [1] il est dit en Lc 21, 27 : Alors, ils verront le Fils de l’homme venant sur une nuée avec grand pouvoir et majesté. Or, la majesté et le pouvoir se rapportent à la gloire. Il apparaîtra donc en sa condition glorieuse.

[22341] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ille qui judicat, debet eminere illis qui judicantur. Sed electi qui judicabuntur a Christo, corpora gloriosa habebunt. Ergo multo fortius judex in forma gloriosa apparebit.

2. Celui qui juge doit être supérieur à ceux qu’il juge. Or, les élus qui seront jugés par le Christ auront leurs corps glorieux. À bien plus forte raison, le juge apparaîtra donc dans sa condition glorieuse.

[22342] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, sicut judicari est infirmitatis, ita judicare est auctoritatis et gloriae. Sed in primo adventu, in quo Christus venit ad hoc quod judicaretur, in forma infirmitatis apparuit. Ergo in secundo adventu in quo veniet ad hoc ut judicet, apparebit in forma gloriosa.

3. De même qu’être jugé relève de la faiblesse, de même juger relève-t-il de l’autorité et de la gloire. Or, lors du premier avènement, dans lequel le Christ est venu pour être jugé, il est apparu en sa condition de faiblesse. Lors du second avènement, où il viendra pour juger, il apparaîtra donc dans sa condition glorieuse.

[22343] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum quod Christus dicitur Dei et hominum mediatOr inquantum pro hominibus satisfacit, et interpellat apud patrem, et ea quae sunt patris hominibus communicat, secundum quod dicitur Joan. 17, 22: claritatem quam dedisti mihi, dedi eis. Secundum hoc autem utrumque convenit ei quod cum utroque communicat extremorum. Inquantum enim cum hominibus communicat, vices hominum gerit apud patrem; inquantum vero cum patre communicat, dona patris transmittit ad homines. Quia ergo in primo adventu ad hoc venit ut pro nobis satisfaceret apud patrem, in forma nostrae infirmitatis apparuit: quia vero in secundo adventu ad hoc veniet ut justitiam patris in homines exequatur, gloriam demonstrare debebit, quae inest ei ex communione ad patrem: et ideo in forma gloriosa apparebit.

Le Christ est appelé le médiateur entre Dieu et les hommes en tant qu’il satisfait pour les hommes et interpelle le Père, et qu’il communique aux hommes ce qui appartient au Père, selon ce que dit Jn 17, 22 : La gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée. Or, les deux choses lui convenaient selon qu’il partage les deux extrêmes. En effet, puisqu’il partage avec les hommes, il tient la place des hommes auprès du Père; en tant qu’il partage avec le Père, il transmet les dons du Père aux hommes. Puisque, lors du premier avènement, il est venu afin de satisfaire pour nous auprès du Père, il est donc apparu dans la condition de notre faiblesse ; mais parce que, lors du second avènement, il viendra afin de mettre en œuvre la justice du Père envers les hommes, il devra manifester sa gloire, qui est en lui en raison de sa communion avec le Père. C’est pourquoi il apparaîtra dans sa condition glorieuse.

[22344] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in eadem carne apparebit, sed non similiter se habente.

1. Il apparaîtra dans la même chair, mais non dans la même condition.

[22345] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod signum crucis apparebit in judicio non ad judicium tunc existentis infirmitatis, sed praeteritae, ut per hoc justior eorum condemnatio appareat qui tantam misericordiam neglexerunt, et eorum praecipue qui Christum injuste persecuti sunt. Cicatrices autem quae in ejus corpore apparebunt, non pertinebunt ad aliquam infirmitatem, sed erunt indicia maximae virtutis, qua Christus per passionis infirmitatem de hostibus triumphavit. Exprobratissimam etiam mortem ostendet, non sensibiliter oculis eam ingerens, ac si tunc eam pateretur; sed ex his quae apparebunt, scilicet indiciis praeteritae passionis, homines in recognitionem praeteritae mortis adducet.

2. Le signe de la croix apparaîtra lors du jugement, non pas pour juger de la faiblesse qui existera alors, mais de la faiblesse passée, afin que la condamnation de ceux qui ont négligé une si grande miséricorde, et surtout de ceux qui ont injustement persécuté le Christ apparaisse plus juste. Or, les cicatrices qui apparaîtront dans son corps ne se rapporteront pas à une faiblesse, mais elles seront les signes de la très grande puissance par laquelle le Christ a triomphé des ennemis par la faiblesse de la passion. Il donnera aussi la plus grande preuve de sa mort, non pas en l’accomplissant sensiblement sous nos yeux, comme s’il souffrait par elle, mais par ce qui apparaîtra, à savoir qu’il amènera les hommes à reconnaître sa mort passée par les signes de sa passion passée.

[22346] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus gloriosum habet in potestate sua ut se demonstret vel non demonstret oculo non glorioso, ut patet ex iis quae supra, 44 dist., quaest. 2, art. 4, dicta sunt; et ideo in forma gloriosa Christus ab hominibus poterit videri.

3. Le corps glorieux a en son pouvoir de se montrer ou de ne pas se montrer à l’œil non glorieux, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 44, q. 2, a. 4. Le Christ pourra donc être vu des hommes en sa condition glorieuse.

[22347] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut amici gloria est delectabilis; ita gloria et potestas ejus qui odio habetur, maxime contristat; et ideo sicut visio gloriae humanitatis Christi erit justis in praemium, ita inimicis Christi erit in supplicium; unde Isa. 26, 2: videant et confundantur zelantes populi et ignis, scilicet invidiae, hostes tuos devoret.

4. De même que la gloire d’un ami est délectable, de même la gloire et le pouvoir de celui qui est haï attriste au plus haut point. C’est pourquoi de même que la vision de la gloire de l’humanité du Christ sera une récompense pour les justes, de même sera-t-elle un supplice pour les ennemis du Christ. Ainsi Is 26, 2 dit-il : Qu’ils voient et qu’ils soient confondus, ceux qui harcèlent le peuple, et que le feu, de l’envie, dévore tes ennemis.

[22348] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod forma ibi accipitur pro natura humana, in qua judicatus est, et etiam judicabit; non autem pro qualitate naturae, quae non erit eadem in judicante, scilicet infirma, quae in judicato fuit.

5. La « condition » s’entend ici de la nature humaine, dans laquelle il a été jugé et il jugera aussi ; [elle ne s’entend] pas d’une qualité de la nature qui ne sera pas la même chez celui qui juge, à savoir, la faiblesse, et qui se trouvait chez celui qui était jugé.

 

 

Articulus 3 [22349] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 tit. Utrum divinitas a malis sine gaudio videri possit

Article 3 – La divinité peut-elle être vue sans joie par les méchants ?

[22350] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod divinitas a malis sine gaudio possit videri. Constat enim quod impii manifestissime cognoscent Christum esse Deum. Ergo divinitatem ejus videbunt; et tamen de visione Christi non gaudebunt. Ergo divinitas sine gaudio videri potest.

1. Il semble que la divinité ne puisse être vue sans joie par les méchants. En effet, il est certain que les impies savent de la manière la plus manifeste que le Christ est Dieu. Ils verront donc sa divinité, et cependant ils ne se réjouiront pas de la vision du Christ. La divinité peut donc être vue sans joie.

[22351] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, voluntas impiorum perversa non magis adversatur humanitati Christi quam ejus divinitati. Sed hoc quod videbunt gloriam humanitatis, cedet eis in poenam, ut dictum est. Ergo multo fortius, si divinitatem viderent, magis tristarentur quam gauderent.

2. La volonté perverse des impies ne s’oppose pas davantage à l’humanité du Christ qu’à sa divinité. Or, le fait qu’ils verront la gloire de son humanité est pour eux une peine, comme on l’a dit. À bien plus forte raison, s’ils voyaient sa divinité, s’attristeraient-ils davantage qu’ils ne se réjouiraient.

[22352] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quae sunt in affectu, non de necessitate sequuntur ad ea quae sunt in intellectu; unde Augustinus dicit: praecedit intellectus, et sequitur tardus aut nullus affectus. Sed visio ad intellectum pertinet, gaudium autem ad affectum. Ergo poterit esse divinitatis visio sine gaudio.

3. Ce qui se trouve dans la puissance affective ne découle pas nécessairement de ce qui se trouve dans l’intellect ; aussi Augustin dit-il : « L’intellect précède, et la puissance affective suit avec retard ou pas du tout. » Or, la vision relève de l’intellect, mais la joie, de la puissance affective. Il pourra donc y avoir une vision de la divinité sans joie.

[22353] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod recipitur in aliquo, recipitur per modum recipientis, et non per modum recepti. Sed omne quod videtur, quodammodo in vidente recipitur. Ergo quamvis divinitas in se sit delectabilissima, tamen visa ab illis qui sunt tristitia absorpti, non delectabit, sed magis contristabit.

4. Tout ce qui est reçu dans quelque chose est reçu à la manière de ce qui reçoit, et non à la manière de ce qui est reçu. Or, tout ce qui est vu est reçu d’une certaine manière par celui qui voit. Bien que la divinité soit en elle-même ce qu’il y a de plus délectable, elle ne réjouira cependant pas, mais plutôt attristera lorsqu’elle sera vue par ceux qui sont absorbés par la tristesse.

[22354] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, sicut se habet sensus ad sensibile, ita se habet intellectus ad intelligibile. Sed ita est in sensibus, quod palato non sano poena est panis, qui sano est suavis, ut dicit Augustinus; et similiter accidit in aliis sensibus. Ergo cum damnati habeant intellectum indispositum, videtur quod visio lucis increatae magis afferet eis poenam quam gaudium.

5. Le rapport entre le sens et le sensible est le même que celui de l’intellect à l’intelligible. Or, dans les sens, le pain est une peine pour le palais qui n’est pas sain, alors qu’il est doux à celui qui est sain, comme le dit Augustin ; de même en est-il pour les autres sens. Puisque les damnés ont un intellect indisposé, il semble que la vision de la lumière incréée lui cause plus de peine que de joie.

[22355] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 17, 3: haec est vita aeterna, ut cognoscant te verum Deum; ex quo patet quod essentia beatitudinis in Dei visione consistit. Sed de ratione beatitudinis est gaudium. Ergo divinitas sine gaudio videri non potest.

Cependant, [1] il est dit en Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le vrai Dieu ; il est ainsi clair que l’essence de la béatitude consiste dans la vision de Dieu. Or, la joie fait partie de la notion de béatitude. La divinité ne peut donc être vue sans joie.

[22356] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, essentia ipsa divinitatis est essentia veritatis. Sed unicuique est delectabile videre verum; unde et homines natura scire desiderant, ut dicitur in principio Metaph. Ergo divinitas sine gaudio videri non potest.

[2] L’essence même de la divinité est l’essence de la vérité. Or, il est délectable pour chacun de voir la vérité ; aussi les hommes désirent-ils par nature savoir, comme il est dit au début des Métaphysiques. La divinité ne peut donc être vue sans joie.

[22357] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, si aliqua visio non semper est delectabilis, convenit eam quandoque esse tristabilem. Sed visio intellectiva nunquam est contristabilis: quia delectationi quae est in intelligendo, non opponitur aliqua tristitia, ut dicit philosophus. Cum ergo divinitas non possit videri nisi per intellectum, videtur quod divinitas sine gaudio videri non possit.

[3] Si une vision n’est pas toujours délectable, il est approprié qu’elle soit parfois cause de tristesse. Or, la vision intellectuelle ne peut jamais être cause de tristesse, car il n’y a pas de tristesse contraire à la délectation qui est produite par le fait de comprendre, comme le dit le Philosophe. Puisque la divinité ne peut être vue que par l’intellect, il semble donc que la divinité ne puisse être vue sans joie.

[22358] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in quolibet appetibili vel delectabili duo possunt considerari; scilicet id quod appetitur vel est delectabile, et id quod est ratio appetibilitatis vel delectabilitatis in ipso. Sicut autem, secundum Boetium in Lib. de Hebdomad., id quod est, habere aliquid praeter quam quod ipsum est, potest; ipsum vero esse nihil aliud praeter se habet admixtum; ita id quod est appetibile vel delectabile, potest habere aliquid admixtum, unde non sit delectabile vel appetibile; sed id quod est ratio delectabilitatis, nihil habet admixtum vel habere potest, propter quod non delectabilis sit vel appetibilis. Res igitur quae sunt delectabiles per participationem bonitatis, quae est ratio appetibilitatis et delectabilitatis, possunt apprehensae non delectare; sed id quod per essentiam suam est bonitas, impossibile est quod ejus essentia apprehensa non delectet. Unde cum Deus essentialiter sit ipsa bonitas, non potest divinitas sine gaudio videri.

En tout ce qui est désirable ou délectable, deux choses peuvent être considérées : ce qui est désiré ou délectable, et ce qui est la raison pour laquelle cela est désirable ou délectable. Or, de même que, selon Boèce, dans le Livre sur les semaines, «ce qui existe peut avoir quelque chose en plus du fait d’être, mais qu’il n’y a rien d’autre qui soit mêlé à l’être », de même quelque chose peut être mêlé à ce qui est désirable ou délectable, de sorte que ce ne soit pas délectable ou désirable ; mais ce qui est la raison pour laquelle quelque chose est délectable ne comporte ou ne peut comporter rien qui lui soit mêlé, en raison de quoi cela serait non délectable ou non désirable. Les choses qui sont délectables par une participation à la bonté, qui est la raison pour laquelle cela est désirable ou délectable, peuvent donc ne pas délecter lorsqu’elles sont appréhendées ; mais il est impossible que l’essence de ce qui est bonté par essence ne délecte pas lorsqu’elle est appréhendée. Puisque Dieu est la bonté même par essence, la divinité ne peut donc pas être vue sans joie.

[22359] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod impii manifeste cognoscent Christum esse Deum, non per hoc quod divinitatem ejus videant, sed per manifestissima divinitatis indicia.

1. Les impies savent manifestement que le Christ est Dieu, non pas parce qu’ils voient sa divinité, mais par des indices très clairs de sa divinité.

[22360] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divinitatem, secundum quod est in se, nullus potest odio habere, sicut nec aliquis potest odio habere ipsam bonitatem; sed quantum ad aliquos divinitatis effectus dicitur ab aliquibus odio haberi, inquantum scilicet aliquid agit vel praecipit quod est contrarium voluntati; et ideo visio divinitatis nulli potest esse non delectabilis.

2. Personne ne peut haïr la divinité en elle-même, pas davantage que personne ne peut haïr la bonté elle-même. Mais, du point de vue de certains effets de la divinité, on dit qu’elle est haïe par certains dans la mesure où elle fait quelque chose ou ordonne ce qui est contraire à la volonté. C’est pourquoi la vision de la divinité ne peut pas ne pas être délectable pour quelqu’un.

[22361] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum Augustini est intelligendum quando id quod apprehenditur per intellectum praecedentem, est bonum per participationem, et non per essentiam, sicut sunt omnes creaturae; unde potest in eis esse aliquid quare affectus non moveatur. Similiter etiam in via Deus cognoscitur per effectus, et intellectus non attingit ad ipsam essentiam bonitatis ejus; unde non oportet quod affectus intellectum sequatur, sicut sequeretur, si essentiam ejus videret, quae est ipsa bonitas.

3. La parole d’Augustin doit s’entendre du cas où ce qui est appréhendé par l’intelllect qui précède est bon par participation, et non par essence, comme c’est le cas de toutes les créatures. Il peut donc s’y trouver une raison pour laquelle la puissance affective n’est pas mue. De même aussi, pendant le cheminement (in via), Dieu est connu par ses effets, et l’intellect n’atteint pas l’essence même de sa bonté. La puissance affective ne suit donc pas nécessairement l’intellect, comme elle le suivrait si elle voyait son essence, qui est la bonté même.

[22362] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tristitia non nominat dispositionem, sed magis passionem; omnis autem passio a contraria causa fortiori superveniente tollitur, et non eam tollit; et ideo tristitia damnatorum tolleretur, si Deum per essentiam viderent.

4. La tristesse n’est pas le nom d’une disposition, mais plutôt d’une passion. Or, toute passion est supprimée par une cause contraire plus forte qui survient, si elle ne la supprime pas. C’est pourquoi la tristesse des damnés serait enlevée, s’ils voyaient Dieu par son essence.

[22363] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per indispositionem organi tollitur proportio naturalis ipsius organi ad objectum quod natum est delectare; et propter hoc delectatio impeditur; sed indispositio quae est in damnatis, non tollit naturalem proportionem qua sunt ordinati ad divinam bonitatem, cum imago semper in eis maneat; et ideo non est simile.

5. Par une indisposition de l’organe, est enlevée la proportion naturelle entre l’organe et l’objet dont il est destiné à se délecter. Pour cette raison, la délectation est-elle empêchée. Mais l’indisposition qui se trouve chez les damnés n’enlève pas la proportion naturelle par laquelle ils sont ordonnés à la bonté divine, puisque l’image en demeure toujours en eux. Ce n’est donc pas la même chose.

 

 

Articulus 4 [22364] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 tit. Utrum adventum domini ad judicium praecedent aliqua signa

Article 4 – Est-ce que certains signes précèdent la venue du Seigneur pour le jugement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Est-ce que certains signes précèdent la venue du Seigneur pour le jugement ?]

[22365] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod adventum domini ad judicium non praecedent aliqua signa. Quia 1 Thess. 5, 3: cum dixerint, pax et securitas, repentinus eis superveniet interitus. Sed non esset pax et securitas, si homines per signa praecedentia terrerentur. Ergo signa non praecedent illum adventum.

1. Il semble que certains signes ne précèdent pas la venue du Seigneur pour le jugement, car, en 1 Th 5, 3, il est dit : Alors qu’ils disaient : « Paix et sûreté ! », la mort fondra sur eux. Or, il n’y aurait pas de paix ni de sûreté si les hommes étaient effrayés par des signes qui précèdent. Des signes ne précéderont donc pas cet avènement.

[22366] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, signa ad manifestationem ordinantur. Sed adventus ejus debet esse occultus; unde 1 Thess. 5, 2: dies domini sicut fur in nocte ita veniet. Ergo signa non debent ipsum praecedere.

2. Les signes sont ordonnés à la manifestation. Or, son avènement doit être caché ; aussi lit-on en 1 Th 5, 2 : Le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit. Des signes ne doivent donc pas le précéder.

[22367] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, tempus primi adventus fuit praecognitum a prophetis: quod non est de secundo adventu, ut supra dictum est. Sed primum adventum Christi non praecesserunt aliqua hujusmodi signa. Ergo nec secundum praecedent.

3. Le moment du premier avènement était connu des prophètes, ce qui n’est pas le cas du second, comme on l’a dit plus haut. Or, des signes de ce genre n’ont pas précédé le premier avènement du Christ. Ils ne précéderont donc pas non plus le second.

[22368] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Lucae 21, 25: erunt signa in sole et luna et stellis.

Cependant, [1] il est dit en Lc 21, 25 : Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles.

[22369] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Hieronymus ponit quindecim signa praecedentia judicium, dicens, quod primo die maria omnia exaltabuntur quindecim cubitis super montes. Secundo omnia aequora prosternentur in profundum, ita ut vix videri poterunt. Tertio redigentur in antiquum statum. Quarto belluae omnes, et aliae quae moventur in aquis, congregabuntur, et levabuntur super pelagus more contentionis invicem mugientes. Quinto omnia volatilia caeli congregabuntur in campis, invicem plorantes, non gustantes neque bibentes. Sexto flumina ignea surgent ab occasu solis contra faciem firmamenti usque ad ortum corruentia. Septimo omnia sidera errantia et fixa spargent ex se igneas comas, sicut cometae. Octavo erit magnus terraemotus, et omnia animalia prosternentur. Nono omnes lapides tam magni quam parvi dividentur in quatuor partes, unaquaque aliam collidente. Decimo omnes plantae sanguineum fluent rorem. Undecimo omnes montes et colles et aedificia in pulverem redigentur. Duodecimo omnia animalia venient ad campos de silvis et montibus rugientia et nihil gustantia. Tertiodecimo omnia sepulcra ab ortu solis usque ad occasum patebunt cadaveribus ad resurgendum. Quartodecimo omnes homines de habitaculis suis recedent non intelligentes neque loquentes, sed discurrentes. Quintodecimo omnes morientur et resurgent cum mortuis longe ante defunctis.

[2] Jérôme indique quinze signes qui précéderont le jugement, lorsqu’il dit que, le premier jour, toutes les mers dépasseront les montagnes de quinze coudées. Le second, tous les plats pays s’enfonceront dans l’abîme, de sorte qu’on pourra à peine les voir. Le troisième, on reviendra à un état ancien. Le quatrième, tous les monstres et toutes les autres bêtes qui se déplacent dans les eaux se rassembleront et sortiront de la mer en mugissant les unes contre les autres comme dans un combat. Le cinquième, tous les volatiles du ciel se rassembleront dans les champs en se lamentant, sans goûter ni boire. Le sixième, des fleuves de feu se lèveront au coucher du soleil en direction du firmament et s’accumuleront jusqu’au lever [du soleil]. Le septième, tous les astres errants et fixes expulseront des panaches de feu comme les comètes. Le huitième, il y aura un grand tremblement de terre et tous les animaux seront terrifiés. Le neuvième, toutes les pierres, grandes et petites, seront séparées en quatre parties, chacun entrant en collision avec une autre. Le dixième, du sang coulera de toutes les plantes comme la rosée. Le onzième, tous les montagnes, cols et édifices seront réduits en poussière. Le douzième, tous les animaux sortiront des forêts et des montagnes vers les plaines en rugissant et en ne mangeant rien. Le treizième, tous les sépulcres, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, s’ouvriront sur les cadavres pour qu’ils ressuscitent. Le quatorzième, tous les hommes sortiront de leurs demeures en ne comprenant pas ni en parlant, mais en courant. Le quinzième, tous mourront et ressusciteront avec les défunts morts depuis longtemps.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Lors du jugement, le soleil et la lune deviendront-ils s’assombriront-ils réellement ?]

[22370] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod circa judicium, secundum rei veritatem sol et luna obscurentur. Quia, ut dicit Rabanus super Matth., nihil prohibet intelligere tunc temporis veraciter solem et lunam cum sideribus ceteris suo lumine privari, quomodo de sole constat factum tempore dominicae passionis.

1. Il semble que, lors du jugement, le soleil et la lune s’assombriront réellement, car, comme le dit Raban [Maur] en commentant Matthieu, rien n’empêche de comprendre qu’à ce moment, le soleil, la lune et les autres astres seront réellement privés de leur lumière, comme il est clair que cela se produisit au moment de la passion du Seigneur.

[22371] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, lux corporum caelestium ad generationem inferiorum corporum ordinatur: quia per eam influunt in haec inferiora, et non solum per motum, ut dicit Averroes in Lib. de substantia orbis. Sed tunc generatio cessabit. Ergo nec lux in corporibus caelestibus remanebit.

2. La lumière des corps célestes est ordonnée à la génération des corps inférieurs, car ils influent par elle sur ces [corps] inférieurs, et non seulement par le mouvement, comme le dit Averroès dans le livre sur La substance du monde. Or, la génération cessera à ce moment. La lumière ne restera donc pas non plus dans les corps célestes.

[22372] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, inferiora corpora purgabuntur, ut quibusdam videtur, a qualitatibus quibus agunt. Corpus autem caeleste non solum agit per motum, sed per lumen, ut dictum est. Ergo sicut motus caeli cessabit, ita et lumen corporum caelestium.

3. Comme il semble à certains, les corps inférieurs seront purifiés des qualités par lesquelles ils agissent. Or, le corps céleste n’agit pas seulement par le mouvement, mais par la lumière, comme on l’a dit. Comme le mouvement du ciel cessera, de même aussi la lumière des corps célestes.

[22373] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod, secundum astrologos, sol et luna simul eclipsim pati non possunt. Sed illa obscuratio solis et lunae simul esse dicitur, scilicet domino ad judicium veniente. Ergo non est obscuratio secundum rei veritatem per modum eclipsis naturalis.

Cependant, [1] selon les astrologues, le soleil et la lune ne peuvent subir en même temps une éclipse. Or, on dit que cet assombrissement du soleil et de la lune se réalisera simultanément, lorsque le Seigneur viendra pour juger. Il ne s’agit donc pas d’un assombrissement réel par une éclipse naturelle.

[22374] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, non congruit idem esse causam defectus alicujus rei, et augmentatio. Sed veniente domino lux luminarium promittitur augenda; unde Isa. 30, 26: erit lux lunae sicut lux solis, et lux solis septempliciter. Ergo non est conveniens quod veniente domino lux illorum corporum cesset.

[2] Il ne convient pas que la même chose soit cause de carence d’une chose et son accroissement. Or, lorsque le Seigneur viendra, la lumière des luminaires promet d’être accrue ; aussi est-il dit en Is 30, 26 : La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus intense. Il ne convient donc pas que, lorsque le Seigneur viendra, la lumière de ces corps cesse.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les Puissances du ciel seront-elles mues lorsque le Seigneur viendra ?]

[22375] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes caelorum domino veniente non moveantur. Virtutes enim caelorum dici non possunt nisi Angeli beati. Sed immutabilitas est de ratione beatitudinis. Ergo moveri non poterunt.

1. Il semble que les Puissances du ciel ne seront pas mues lorsque le Seigneur viendra. En effet, on ne peut parler des Puissances du ciel que pour des anges. Or, l’immuabilité fait partie de l’essence de la béatitude. Elles ne pourront donc pas être déplacées.

[22376] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, admirationis causa est ignorantia, ut patet in principio Metaph. Sed sicut ab Angelis longe abest timor, ita et ignorantia; quia, ut dicit Gregorius, quid est quod non videant qui videntem omnia vident? Ergo non poterunt per admirationem moveri, ut in littera dicitur.

2. La cause de l’étonnement est l’ignorance, comme cela ressort au début des Métaphysiques. Or, de même que la crainte est éloignée des anges, de même en va-t-il de l’ignorance, car, comme le dit Grégoire, « que ne voient-il pas, eux qui voient Celui qui voit tout ? ». Ils ne pourront donc pas être mus par l’étonnement, comme on le dit dans le texte.

[22377] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnes Angeli astabunt divino judicio; unde Apocal. 7, 2: et omnes Angeli stabant in circuitu throni. Sed virtutes nominant unum specialem ordinem in Angelis. Ergo non potius de eis dici debuit quod moveantur quam de aliis Angelis.

3. Tous les anges se tiendront debout lors du jugement divin ; aussi Ap 7, 2 dit-il : Tous les anges se tenaient debout autour du trône. Or, les Puissances désignent un ordre particulier parmi les anges. On ne devait donc pas dire d’eux plutôt que des autres anges qu’ils seront mus.

[22378] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Job 26, 2: columnae caeli pavent adventum ejus. Sed columnae caeli non possunt intelligi nisi per virtutes caelorum. Ergo virtutes commovebuntur.

Cependant, [1] il est dit en Jb 26, 2 : Les colonnes du ciel seront frappées de terreur par son avènement. Or, par les colonnes du ciel, on ne peut entendre que les Puissance du ciel. Les Puissances seront donc bouleversées.

[22379] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Matth. 24, 29, dicitur: stellae cadent de caelo, et virtutes caelorum movebuntur.

[2] Il est dit en Mt 24, 29 : Les étoiles tomberont du ciel, et les Puissances du ciel seront bouleversées.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Le jugement aura-t-il lieu dans la vallée de Josaphat ?]

[22380] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod judicium non fiet in valle Josaphat, aut in loco circumstante. Quia ad minus oportet omnes judicandos in terra stare, aut eos tantum levari in nubibus quorum erit judicare. Sed tota terra promissionis capere non posset multitudinem judicandorum. Ergo non potest esse quod circa vallem sit judicium.

1. Il semble que le jugement n’aura pas lieu dans la vallée de Josaphat ou dans un lieu des environs, car il faut qu’au moins tous ceux qui doivent être jugés se tiennent debout sur la terre ou qu’il y en ait autant sur les nuées pour juger. Or, toute la terre de la promesse ne pourrait recevoir la multitude de ceux qui doivent être jugés. Il n’est donc pas possible que le jugement se tienne dans cette vallée.

[22381] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut supra dictum est, Christo in humanitate datum est judicium, ut juste judicet, qui injuste judicatus est. Sed ipse injuste judicatus est in praetorio Pilati, et sententiam injusti judicii in Golgotha suscepit. Ergo loca illa magis determinari debent ad judicium.

2. Comme on l’a dit plus haut, le jugement a été donné au Christ en son humainié, afin que juge justement celui qui a été jugé injustement. Or, celui-là même qui a été jugé injustement se trouve dans le prétoire de Pilate et a reçu la sentence d’un jugement injuste sur le Golgotha. Ces lieux doivent donc plutôt être indiqués pour le jugement.

[22382] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, nubes fiunt ex resolutione vaporum. Sed tunc nulla erit evaporatio vel resolutio. Ergo non poterit esse quod justi in nubibus obviam Christo in aera rapiantur; et sic oportebit et bonos et malos esse in terra; et ita locus multo amplior requireretur quam sit ista vallis.

3. Les nuées viennent de la dissolution des vapeurs. Or, il n’y aura alors aucune évaporation ni dissolution. Il ne sera donc pas possible que les justes venant vers le Christ sur les nuées soient enlevés dans les airs ; il faudra donc que les bons et les méchants soient sur la terre. Et ainsi, un endroit beaucoup plus grand que cette vallée serait donc nécessaire.

[22383] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joelis 3, 2: congregabo omnes gentes, et deducam eas in vallem Josaphat, et disceptabo ibi cum eis.

Cependant, [1] il est dit en Jl 3, 2 : Je rassemblerai toutes les nations, et je les conduirai dans la vallée de Josaphat, et je les jugerai.

[22384] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, actuum 1, 2, dicitur: quemadmodum vidistis eum ascendentem in caelum, ita veniet. Sed ipse ascendit de monte oliveti, qui praeeminet valli Josaphat. Ergo et circa loca illa ad judicandum veniet.

[2] Il est dit dans Ac 1, 2 : Comme vous l’avez vu monter vers le ciel, ainsi viendra-t-il. Or, il est monté depuis le mont des Olivers, qui domine la vallée de Josaphat. Il viendra donc dans ces endroits pour juger.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22385] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra dictum est, Christus ad judicandum veniens, in forma gloriosa apparebit propter auctoritatem quae judici debetur. Ad dignitatem autem judiciariae potestatis pertinet habere aliqua indicia quae ad reverentiam et subjectionem inducant; et ideo adventum Christi ad judicium venientis multa signa praecedent, ut corda hominum in subjectionem venturi judicis adducantur, et ad judicium praeparentur hujusmodi signis commoniti. Quae autem sint ista signa, de facili non potest sciri. Signa enim quae in Evangeliis leguntur, ut Augustinus dicit, ad Hesychium de fine mundi, non solum pertinent ad adventum Christi ad judicium, sed etiam ad tempus destructionis Hierusalem, et ad adventum Christi, quo Christus continue Ecclesiam suam visitat; ita quod forte, si diligenter advertantur, nullum eorum invenitur ad futurum adventum pertinere, ut ipse dicit; quia illa signa quae in Evangeliis tanguntur, sicut pugnae et terrores et hujusmodi, a principio humani generis fuerunt; nisi forte dicatur, quod tunc temporis magis invalescent; sed secundum quam mensuram circumstantiae vicinum adventum denuntient, incertum est. Signa vero quae Hieronymus ponit, non asserit, sed in annalibus Judaeorum se ea reperisse scripta dicit: quae etiam valde parum verisimilitudinis habent.

Comme on l’a dit plus haut, le Christ qui vient pour juger apparaîtra en sa condition glorieuse en raison de l’autorité due à un juge. Or, il appartient à l’autorité judiciaire d’avoir certains signes qui engagent à la révérence et à la soumission. Aussi plusieurs signes précéderont-ils l’avènement du Christ venant pour le jugement, afin que les cœurs des hommes soient amenés à se soumettre au juge qui vient et qu’ils soient préparés à ce jugement en étant avertis par les signes indiqués. Mais on ne peut savoir facilement quels sont ces signes. En effet, comme le dit Augustin à Hésychius de la fin du monde, les signes dont il est question dans les évangiles ne se rapportent pas seulement à l’avènement du Christ pour juger, mais aussi au temps de la destruction de Jérusalem et à l’avènement du Christ, par lequel le Christ visite continuellement son Église. De telle sorte que, si on les examine attentivement, aucun d’entre eux ne concerne l’avènement à venir, comme il le dit lui-même, car les signes qui sont abordés dans les évangiles, tels les combsats, les terreurs et les choses de ce genre, ont existé depuis le commencement du genre humain, à moins qu’on dise qu’à ce moment, ils prendront de la force ; mais dans quelle mesure ces circonstances annoncent la proximité de l’avènement, cela est incertain. Toutefois, les signes que Jérôme donne, il ne les affirme pas, mais il dit qu’il les a trouvés écrits dans les annales des Juifs, qui ont aussi très peu de vraisemblance.

[22386] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum in Lib. ad Hesychium praedicto, circa finem mundi erit universalis persecutio malorum contra bonos; unde simul aliqui timebunt, scilicet boni; et aliqui securi erunt, scilicet mali. Quod autem dixerunt: pax et securitas, ad malos referendum est, qui signa futuri judicii parvipendent; ad bonos vero pertinet quod dicitur Luc. 21, 26: arescentibus hominibus prae timore et cetera. Vel potest dici, quod omnia illa signa quae circa judicium erunt, infra tempus judicii computantur, ut sic dies judicii omnia illa contineat. Unde quamvis ex signis apparentibus circa diem judicii homines terreantur, ante tamen quam signa illa apparere incipiant, in pace et securitate se impii esse credent, post mortem Antichristi non statim videntes mundum consummari, ut existimabant.

1. Selon Augustin, dans le livre à Hésychius déjà mentionné, vers la fin du monde, il y aura une persécution universelle des bons par les méchants ; aussi certains craindront-ils en même temps que d’autres seront en sécurité, les méchants. Le fait qu’ils ont dit : Paix et sécurité ! doit se rapporter aux méchants, qui feront peu de cas des signes du jugement à venir ; mais ce qui est dit en Lc 21, 26 : Des hommes sécheront de frayeur, etc., concerne les bons. Ou on peut dire que tous ces signes qui entoureront le jugement sont comptés à l’intérieur de la durée du jugement, de sorte que le jour du jugement les contienne tous. Bien que les hommes soient effrayés par les signes qui se manifesteront le jour du jugement, avant que ces signes ne commencent à apparaître, les impies se croiront cependant en paix et en sécurité, en voyant que le monde n’est pas consumé aussitôt après la mort de l’Antéchrist, comme ils le pensaient.

[22387] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dies domini dicitur sicut fur venire, quia ignoratur determinatum tempus, quod per signa illa cognosci non poterit; quamvis etiam sub die judicii comprehendi possint omnia illa manifestissima signa quae immediate praecedent judicium, ut dictum est.

2. On dit que le jour du Seigneur vient comme un voleur parce qu’on en ignore le moment précis, qui ne pourra être connu par ces signes, bien qu’on puisse comprendre sous le jour du Seigneur tous ces signes très manifestes qui précéderont immédiatement le jugement, comme on l’a dit.

[22388] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in primo adventu Christus venit occultus, quamvis determinatum tempus esset prius praecognitum a prophetis; et ideo non oportebat hujusmodi signa in primo adventu apparere, sicut apparebunt in secundo adventu, in quo manifestus veniet, quamvis determinatum tempus sit occultum.

3. Lors de son premier avènement, le Christ est venu caché, bien que le moment déterminé ait été connu d’avance par les prophètes. Aussi n’était-il pas nécessaire que des signes de ce genre apparaissent lors du premier avènement, comme ils apparaîtront lors du second avènement, où il viendra de manière manifeste, bien que le moment précis en soit caché.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22389] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod si loquamur de sole et luna quantum ad ipsum momentum adventus Christi, sic non est credibile quod obscurentur sui luminis privatione; quia totus mundus innovabitur Christo veniente, et sanctis surgentibus, ut dictum est. Si autem loquamur de eis secundum tempus propinquum ante judicium, sic esse poterit quod sol et luna et alia caeli luminaria, sui luminis privatione obscurabuntur vel diversis temporibus, vel simul, divina virtute faciente ad hominum terrorem.

Si nous parlons du soleil et de la lune en rapport avec le moment de l’avènement du Christ, il n’est pas ainsi crédible qu’ils s’assombrissent par la privation de leur lumière, car le monde entier sera renouvelé lorsque le Christ viendra et que les saints ressusciteront, comme on l’a dit. Mais si nous en parlons en rapport avec le temps qui précède le jugement de manière prochaine, il sera alors possible que le soleil, la lune et les autres luminaires du ciel soient assombris par la privation de leur lumière, soit à divers moments, soit en même temps, par l’intervention de la puissance divine, en vue d’effrayer les hommes.

[22390] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Rabanus loquitur quantum ad tempus judicii praecedens.

1. Raban parle du temps qui précède le jugement.

[22391] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lux est in corporibus caelestibus non solum ad causandum generationem in istis inferioribus, sed etiam ad eorum perfectionem et decorem; unde non oportet quod cessante generatione, lux corporum caelestium cesset, sed magis augeatur.

2. La lumière dans les corps célestes n’existe pas seulement pour causer la génération dans les [corps] inférieurs, mais aussi pour leur perfection et leur beauté. Il n’est donc pas nécessaire qu’en raison de la cessation de la génération, la lumière des corps célestes cesse, mais qu’elle soit plutôt augmentée.

[22392] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non videtur esse probabile, ut dictum est, quod qualitates elementares removeantur ab elementis, quamvis quidam hoc posuerint. Si tamen removerentur, non est simile de eis et de luce, eo quod qualitates elementares habent ad invicem contrarietatem, unde agunt corrumpendo; lux autem non est principium actionis per viam contrarietatis, sed per viam principii regulantis contraria, et ad concordiam reducentis. Nec est etiam simile de motu corporum caelestium: motus enim est actus imperfecti; unde et tolli debet, quando tolletur imperfectio; quod de luce non potest dici.

3. Comme on l’a dit, il ne semble pas probable que leurs qualités élémentaires soient enlevées aux éléments, bien que certains aient affirmé cela. Cependant, si elles sont enlevées, il n’en va pas de même d’elles et de la lumière, du fait que les qualités élémentaires sont contraires les unes aux autres, et ainsi qu’elles agissent par mode de corruption. Mais la lumière n’est pas un principe d’action par mode de contrariété, mais à la manière d’un principe qui règle des contraires et les ramène à la concorde. Il n’en va pas non plus de même pour le mouvement des corps célestes : en effet, le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait ; aussi doit-il être enlevé lorsque l’imperfection sera enlevée, ce qu’on ne peut dire de la lumière.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22393] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtutes in Angelis dupliciter dicuntur, ut patet per Dionysium. Quandoque enim nomen virtutum uni ordini appropriatur, qui secundum ipsum est medius mediae hierarchiae; secundum vero Gregorium est supremus infimae hierarchiae. Alio modo accipitur communiter pro omnibus caelestibus spiritibus; et utroque modo potest accipi in proposito. In littera enim exponitur prout accipitur secundo modo, scilicet pro omnibus Angelis; et tunc dicuntur moveri propter admirationem novitatis quae in mundo erit, sicut in littera dicitur. Potest etiam exponi prout virtutes est proprium nomen ordinis; et tunc ordo ille dicitur moveri prae aliis ratione effectus: quia illi ordini secundum Gregorium attribuitur miracula facere, quae maxime circa illud tempus fient; vel quia ordo ille, cum sit de media hierarchia, secundum Dionysium, non habet potentiam limitatam, unde oportet quod ejus ministerium sit circa causas universales; unde proprium officium virtutum esse videtur corpora caelestia movere, quae sunt causa eorum quae in natura inferiori aguntur; et hoc etiam ipsum nomen sonat, quia virtutes caelorum dicuntur. Tunc ergo movebuntur, quia ab effectu cessabunt, ulterius corpora caelestia non moventes; sicut nec Angeli qui sunt ad custodiam hominum deputati, ulterius custodiae officio vacabunt.

On parle de Puissances chez les anges de deux manières, comme cela ressort de Denys. En effet, le nom de Puissances est parfois approprié à un seul ordre, qui, en lui-même, se trouve au milieu de la hiérarchie intermédiaire ; mais, selon Grégoire, il est le plus élevé de la hiérarchie la plus basse. D’une autre manière, [le nom de Puissances] est pris pour tous les esprits célestes. On peut l’entendre dans les deux sens dans le cas présent. En effet, il est présenté dans le texte selon le second mode, à savoir, pour tous les anges : on dit alors qu’ils sont mus en raison de l’admiration pour la nouveauté qui se trouvera dans le monde, comme on le dit dans le texte. Il peut aussi être expliqué par le fait que « Puissances » est le nom propre d’un ordre : on dit alors que cet ordre est mû plus que les autres en raison de l’effet, car on attribue à cet ordre le fait d’accomplir des miracles, selon Grégoire, lesquels seront accomplis surtout vers cette époque, ou parce que cet ordre, du fait qu’il fait partie de la hiérarchie intermédiaire, selon Denys, n’a pas une puissance limitée ; aussi faut-il que son ministère porte sur des causes universelles. L’office particulier des Puissances semble ainsi être de mouvoir les corps célestes, qui sont la cause de ce est fait dans la nature inférieure. C’est cela aussi que le nom même évoque, car elles sont appelées les « puissances du ciel ». Elles seront donc mues parce que leur effet cessera, alors qu’elles ne mouvront plus les corps célestes, de même que les anges qui ont été désignés pour la garde des hommes cesseront leur fonction de garde.

[22394] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mutatio illa non variat aliquid quod ad eorum statum pertineat, sed refertur vel ad effectus eorum, qui immutari possunt sine eorum mutatione, vel ad novam rerum considerationem, quam prius secundum species concreatas videre non potuerant. Hanc autem vicissitudinem cogitationum ab eis beatitudo non tollit; unde dicit Augustinus, quod Deus movet creaturam spiritualem per tempora.

1. Ce changement ne modifie en rien ce qui concerne leur état, mais il se rapporte soit à leurs effets, qui peuvent être changés sans qu’eux-mêmes soient changés, soit à une nouvelle considération des choses qu’ils n’avaient pu voir auparavant par les espèces concréées. Mais la béatitude ne leur enlève pas cette vicissitude des pensées. Aussi Augustin dit-il que Dieu meut la créature spirituelle selon les époques.

[22395] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod admiratio solet esse de his quae nostram cognitionem excedunt vel facultatem; et secundum hoc virtutes caelorum admirabuntur divinam virtutem alia facientem, inquantum ab ejus imitatione et comprehensione deficiunt; per quem modum dixit Agnes, quod ejus pulchritudinem et sol et luna mirantur; et sic non ponitur in Angelo ignorantia, sed tollitur Dei comprehensio.

2. L’étonnement porte habituellement sur des choses qui dépassent notre connaissance ou notre capacité. De ce point de vue, les Puissances du ciel s’étonneront que la puissance divine réalise d’autres choses, pour autant qu’elles manquent à leur imitation ou à leur compréhension. C’est de cette manière qu’Agnès disait que « que le soleil et le lune s’étonnent de sa beauté ». On n’affirme donc pas ainsi qu’une ignorance existe chez les anges, mais que la compréhension de Dieu est écartée.

[22396] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet responsio ex dictis.

3. La réponse à la troisième objection est ainsi claire d’après ce qui a été dit.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22397] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod qualiter illud judicium sit futurum, et quomodo homines ad judicium conveniant, non potest multum per certitudinem sciri; tamen probabiliter potest colligi ex Scripturis, quod circa locum montis oliveti descendet, sicut et inde ascendit; ut idem esse ostendatur qui ascendit et qui descendit.

Comment ce jugement surviendra et comment les hommes se rassembleront pour le jugement, on ne peut pas beaucoup le savoir avec certitude. On peut cependant tirer des Écritures que [le Seigneur] descendra aux environs du mont des Oliviers, comme il en est monté, afin qu’il soit montré que celui qui monte et celui qui descend sont le même.

[22398] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod magna multitudo in parvo spatio comprehendi potest. Sufficit autem ponere quantumcumque spatium circa locum illum ad capiendum multitudinem judicandorum, dummodo ab illo spatio Christum videre possint, qui in aere eminens, et maxima claritate refulgens, a longinquo inspici poterit.

1. Une grande multitude peut être comprise dans un petit espace. Or, il suffit d’indiquer n’importe quel espace pour ce lieu pour englober la multitude de ceux qui doivent être jugés, pourvu que, depuis cet espace, ils puissent voir le Christ, qui, élevé dans les airs et brillant d’un très grand éclat, pourra être vu de loin.

[22399] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Christus per hoc quod injuste judicatus est, judiciariam potestatem meruerit, non tamen judicabit in forma infirmitatis, in qua injuste judicatus est, sed in forma gloriosa, in qua ad patrem ascendit; unde locus ascensionis magis competit judicio quam locus ubi condemnatus est.

2. Bien que le Christ, du fait qu’il a été injustement jugé, ait mérité le pouvoir judiciaire, il ne jugera cependant pas dans sa condition de faiblesse, sous laquelle il a été injustement jugé, mais dans sa condition glorieuse, sous laquelle il est monté vers le Père. Le lieu de l’ascension convient ainsi davantage que le lieu où il a été condamné.

[22400] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nubes hic appellantur, ut quidam dicunt, quaedam densitates lucis resplendentis a corporibus sanctorum, et non aliquae evaporationes ex terra et aqua. Vel potest dici, quod nubes illae generabuntur divina virtute ad ostendendum conformitatem in adventu ad judicium et ascensionem; ut qui ascendit in nube ad judicium veniat. Nubes etiam propter refrigerium misericordiam indicant judicantis.

3. On appelle ici « nuées », comme certains le disent, certaines densités de lumière resplendissante issues des corps des saints, et non des évaporations venues de la terre et de l’eau. Ou bien on peut dire que ces nuées seront engendrées par la puissance divine pour montrer la conformité au jugement et à l’ascension lors du jugement, afin que celui qui monte sur la nuée vienne pour juger. Les « nuées » indiquent aussi la miséricorde de celui qui juge en raison d’un rafraîchissement.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le renouvellement du monde]

 

 

Prooemium

Prologue

[22401] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 pr. Deinde quaeritur de innovatione mundi; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 utrum innovatio mundi sit futura; 2 utrum mundo innovato motus corporum caelestium cesset; 3 utrum caelestia corpora majori claritate refulgeant; 4 utrum elementa aliqua claritatis gloria ornentur; 5 utrum animalia bruta et plantae et corpora mineralia maneant.

On s’interroge ensuite sur le renouvellement du monde. À ce sujet, cinq questions sont posées : 1 – Y aura-t-il un renouvellement du monde ? 2 – Lorsque le monde sera renouvelé, le mouvement des corps célestes cessera-t-il ? 3 – Les corps célestes brilleront-ils d’un plus grand éclat ? 4 – Les éléments seront-ils parés d’une gloire éclatante ? 5 – Les animaux sans raison, les plantes et les corps minéraux demeureront-ils ?

 

 

Articulus 1 [22402] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 tit. Utrum mundus aliquando innovabitur

Article 1 – Le monde sera-t-il un jour renouvelé ?

 

[22403] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod mundus nunquam innovabitur. Nihil enim est futurum, nisi quod aliquando fuit secundum speciem. Eccle. 1, 9: quid est quod fuit? Ipsum quod futurum est. Sed nunquam mundus aliam dispositionem habebit quam nunc habet quantum ad partes essentiales, et ad genera et species. Ergo nunquam innovabitur.

1. Il semble que le monde ne sera jamais renouvelé. En effet, il n’y aura rien qui n’ait existé un jour selon une espèce. Qo 1, 9 : Qu’y a-t-il qui n’ait déjà été ? Ce qui sera. Or, le monde n’aura jamais une autre disposition que celle qu’il a dans ses parties essentielles, tant pour les genres que pour les espèces. Il ne sera donc jamais renouvelé.

[22404] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, innovatio alteratio quaedam est. Sed impossibile est universum alterari; quia omne alteratum reducitur ad aliquod alterans non alteratum, quod tamen secundum locum movetur; quod non est extra universum ponere. Ergo non potest esse quod mundus innovetur.

2. Le renouvellement est une certaine altération. Or, il est impossible que l’univers soit altéré, car tout ce qui est altéré se ramène à ce qui altère sans être altéré, qui est cependant mû selon le lieu, ce qu’on ne peut placer hors de l’univers. Il est donc impossible que le monde soit renouvelé.

[22405] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Genes. 1, dicitur, quod Deus die septimo requievit ab omni opere quod patrarat; et exponunt sancti, quod requievit a novis creaturis condendis. Sed in illa prima conditione non fuit alius modus rebus impositus quam iste quem nunc naturali ordine tenent. Ergo nunquam alium habebunt.

3. Il est dit, en Gn 1, que, le septième jour, Dieu s’est reposé de tout le travail qu’il avait fait. Les saints donnent l’interprétation qu’il s’est reposé de faire de nouvelles créatures. Or, dans cette première condition, un autre mode n’a pas été imposé aux choses, que celui qui est observé dans l’ordre naturel. Elles n’en auront donc jamais un autre.

[22406] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, ista rerum dispositio quae nunc est, rebus est naturalis. Si ergo in aliam dispositionem transmutentur, illa dispositio erit eis innaturalis. Sed illud quod est innaturale et per accidens, non potest esse perpetuum, ut patet 1 caeli et mundi. Ergo etiam illa dispositio novitatis quandoque ab eis removebitur; et ita erit ponere circulationem quamdam in mundo, sicut Empedocles et Origenes posuerunt, ut post hunc mundum sit iterum alius mundus, et post illum iterum alius.

4. La disposition des choses qui existe maintenant est naturelle pour les choses. Si donc elles changent pour une autre disposition, cette disposition ne leur sera pas naturelle. Or, ce qui n’est pas naturel et existe par accident ne peut être perpétuel, comme cela ressort de Le ciel et le monde, I. Cette disposition nouvelle leur sera donc aussi enlevée un jour. Comme l’affirmaient Empédocle et Origène, il faudra donc affirmer un mouvement circulaire dans le monde, selon lequel un autre monde existera après le monde présent, et encore un autre après celui-là.

[22407] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, novitas gloriae in praemium rationali creaturae datur. Sed ubi non est meritum, non potest esse praemium. Cum ergo creaturae insensibiles nihil meruerint, videtur quod non innovabuntur.

5. Le renouvellement de la gloire est donné comme récompense à la créature raisonnable. Or, là où il n’existe pas de mérite, ne peut exister de récompense. Puisque les créatures insensibles n’auront rien mérité, il semble qu’elles ne seront pas renouvelées.

[22408] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Isai. 65, 17: ecce ego creo novos caelos et novam terram; et non erunt in memoria priora; et Apocal. 21, 1: vidi caelum novum et terram novam; primum enim caelum et prima terra abiit.

Cependant, [1] on lit en Is 65, 17 : Voici que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et les choses passées seront oubliées ; et dans Ap 21, 1 : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; en effet, le premier ciel et la première terre avaient disparu.

[22409] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, habitatio debet habitatori congruere. Sed mundus factus est ut sit habitatio hominis. Sed homo innovabitur. Ergo et mundus innovabitur.

[2] L’habitation doit convenir à celui qui l’habite. Or, le monde a été fait pour être la demeure de l’homme. Or, l’homme sera renouvelé. Le monde sera donc renouvelé.

[22410] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omne animal diligit suum simile, Eccle. 13; ex quo patet quod similitudo est ratio amoris. Sed homo habet aliquam similitudinem cum universo; unde et minor mundus dicitur. Ergo homo universum diligit naturaliter; ergo et ejus bonum concupiscit; et ita, ut satisfiat hominis desiderio, debet etiam universum meliorari.

[3] Tout animal aime son semblable, Si 13 ; il ressort de cela que la similitude est la raison de l’amour. Or, l’homme a une certaine ressemblance avec l’univers ; aussi est-il appelé un microcosme. L’homme aime donc l’univers naturellement. Il en recherche donc le bien, et ainsi, pour satisfaire le désir de l’homme, l’univers doit être rendu meilleur.

[22411] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnia corporalia propter hominem facta esse creduntur; unde et omnia dicuntur ei esse subjecta. Serviunt autem ei dupliciter. Uno modo ad sustentationem vitae corporalis; alio modo ad profectum divinae cognitionis, inquantum homo per ea quae facta sunt, invisibilia Dei conspicit, ut dicitur Rom. 1. Primo ergo ministerio creaturarum, homo glorificatus nullo modo indigebit, cum ejus corpus omnino incorruptibile sit futurum, virtute divina id faciente per animam, quam immediate glorificat. Secundo etiam ministerio non indigebit homo quantum ad cognitionem intellectivam; quia tali cognitione Deum sancti videbunt immediate per essentiam. Sed ad hanc visionem essentiae oculus carnis attingere non poterit; et ideo, ut ei solatium congruens sibi de visione divinitatis praebeatur, inspiciet divinitatem in suis effectibus corporalibus, in quibus manifeste indicia divinae majestatis apparebunt, et praecipue in carne Christi; et post hoc in corporibus beatorum; et deinceps in omnibus aliis corporibus; et ideo oportebit ut etiam alia corpora majorem influentiam a divina bonitate suscipiant; non tamen speciem variantem, sed addentem cujusdam gloriae perfectionem; et haec erit mundi innovatio; unde simul mundus innovabitur, et homo glorificabitur.

Nous croyons que toutes les choses corporelles ont été créées pour l’homme ; aussi dit-on que toutes lui ont été soumises. Or, elles le servent de deux manières : d’une manière, pour soutenir sa vie corporelle ; d’une autre manière, pour le progrès dans la connaissance de Dieu, pour autant que l’homme aperçoit ce qui est invisible de Dieu à partir de ce qui a été créé, comme il est dit en Rm 1. L’homme glorifié n’aura donc aucun besoin du service des créatures selon la première manière, puisque son corps sera entièrement incorruptible sous l’effet de la puissance divine, qui réalise cela par l’intermédiaire de l’âme qu’elle glorifie de manière immédiate. L’homme n’aura pas non plus besoin de [leur] service pour ce qui est de la connaissance intellectuelle, car les saints verront Dieu de manière immédiate par son essence. Or, l’œil de chair ne pourra pas atteindre à cette vision de l’essence [de Dieu]. Aussi, pour que lui soit accordé un secours qui lui convienne pour la vision de la divinité, il regardera la divinité dans ses effets corporels, dans lesquels apparaîtront de manière manifeste des indices de la majesté divine, surtant dans la chair du Christ, et ensuite dans les corps des bienheureux, et ensuite dans tous les autres corps. Il sera donc nécessaire que les autres corps aussi reçoivent une plus grande influence de la bonté divine, qui ne modifiera cependant pas leur espèce, mais qui ajoutera la perfection d’une certaine gloire. Tel sera le renouvellement du monde. Aussi le monde sera-t-il renouvelé et l’homme sera-t-il glorifié en même temps.

[22412] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Salomon ibi loquitur de cursu naturalium; quod patet ex hoc quod subditur: nihil sub sole novum. Cum enim sol circulariter moveatur, oportet ea quae solis virtuti subsunt, circulationem aliquam habere; quae consistit in hoc quod illa quae priora fuerunt, iterum redeunt specie eadem, numero diversa, ut dicitur in fine libri de generatione. Ea vero quae ad statum gloriae pertinent, soli non subsunt.

1. Salomon parle là du cours des choses naturelles, ce qui ressort du fait qu’est ajouté : Rien de nouveau sous le soleil. En effet, puisque le soleil est mû de manière circulaire, il faut que les choses qui existent par la puissance du soleil aient un certain mouvement circulaire, qui consiste en ce que ce qui a d’abord existé revienne selon la même espèce, mais différent en nombre, comme on le dit à la fin du Livre sur la génération. Mais ce qui relève de l’état de la gloire n’est pas soumis au soleil.

[22413] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de alteratione naturali, quae habet agens naturale, quod ex necessitate naturae agit: non enim potest tale agens variam dispositionem inducere, nisi ipsum alio modo se habeat. Sed ea quae divinitus fiunt, procedunt ex libertate voluntatis; unde sine aliqua immutatione Dei volentis potest nunc haec nunc illa dispositio ab ipso in universo existere; et sic ista innovatio non reducitur in aliquod principium motum, sed in principium immobile, scilicet Deum.

2. Cet argument vient de l’altération naturelle que possède un agent naturel qui agit par nécessité de nature : en effet, un tel agent ne peut amener de disposition différente que s’il a lui-même une disposition différente. Or, ce qui est accompli par Dieu vient d’une volonté libre ; aussi la disposition actuelle peut-elle exister par lui dans l’univers sans changement de la volonté de Dieu. Ainsi ce changement ne se ramène-t-il pas à un principe mû, mais à un principe immobile, Dieu.

[22414] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pro tanto dicitur Deus die septimo a novis creaturis condendis cessasse, quia nihil postea factum est quod prius non praecesserit in aliqua similitudine secundum genus vel speciem, vel ad minus sicut in principio seminali, vel etiam sicut in potentia obedientiali. Dico ergo, quod novitas mundi futura praecessit quidem in operibus sex dierum in quadam remota similitudine, scilicet in gloria vel gratia Angelorum; praecessit etiam in potentia obedientiae, quae creaturae tunc est indita ad talem novitatem suscipiendam a Deo agente.

3. On dit que Dieu a cessé de réaliser de nouvelles créatures le septième jour pour autant que rien n’a été créé par la suite qui n’ait précédé selon une certaine ressemblance par le genre ou l’espèce ou, tout au moins selon un principe séminal, ou encore selon une puissance obédientielle. Je dis donc que le renouvellement du monde à venir a précédé dans les œuvres des six jours selon une ressemblance éloignée, à savoir dans la gloire ou la grâce des anges. Il a aussi précédé selon une puissance obédientielle innée destinée à recevoir un tel renouvellement par l’action de Dieu.

[22415] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa dispositio novitatis non erit naturalis nec contra naturam; sed erit supra naturam, sicut gratia et gloria sunt supra animae naturam; et erit a perpetuo agente, quod eam perpetuo conservabit.

4. Cette disposition du renouvellement ne sera pas naturelle ni contre nature, mais elle dépassera la nature, comme la grâce et la gloire sont supérieures à la nature de l’âme. Elle viendra aussi d’un agent éternel qui la conservera éternellement.

[22416] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis corpora insensibilia non meruerint illam gloriam, proprie loquendo; homo tamen meruit ut illa gloria toti universo conferretur, inquantum hoc cedit in augmentum gloriae hominis; sicut aliquis homo meretur ut ornatioribus vestibus induatur, quem tamen ornatum nullo modo ipsa vestis meretur.

5. Bien que les corps insensibles n’aient pas mérité cette gloire au sens propre, l’homme a cependant mérité que cette gloire soit accordée à tout l’univers, pour autant qu’elle tourne à l’accroissement de la gloire de l’homme, comme un homme individuel mérite d’être revêtu de vêtements plus ornés, alors qu’un tel ornement n’a aucun mérite.

 

 

Articulus 2 [22417] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 tit. Utrum motus corporum caelestium in illa mundi innovatione cessabit

Article 2 – Le mouvement des corps célestes cessera-t-il lors de ce renouvellement du monde ?

[22418] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod motus corporum caelestium in illa mundi innovatione non cessabit. Quia Genes. 8, 22, dicitur: cunctis diebus terrae frigus et aestus, aestas et hiems, nox et dies non acquiescent. Sed nox et dies, hiems et aestas efficiuntur per motum solis. Ergo nunquam motus solis cessabit.

1. Il semble que le mouvement des corps célestes ne cessera pas lors de ce renouvellement du monde, car, en Gn 8, 22, il est dit : Le froid et la chaleur de la terre, l’été et l’hiver, la nuit et le jour ne cesseront jamais. Or, la nuit et le jour, l’hiver et l’été viennent du mouvement du soleil. Le mouvement du soleil ne cessera donc jamais.

[22419] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Hierem. 31, 35: haec dicit dominus, qui dat solem in lumine diei, ordinem lunae et stellarum in lumine noctis; qui turbat mare, et sonant fluctus ejus. Si steterint leges istae coram me, tunc et semen Israel deficiet ut non sit gens coram me cunctis diebus. Sed semen Israel nunquam deficiet, sed in perpetuum permanebit. Ergo leges diei et noctis, et fluctuum maris, quae ex motu caeli causantur, in perpetuum erunt; ergo motus caeli nunquam cessabit.

2. Jr 31, 35 dit : Ainsi parle le Seigneur, qui établit le soleil pour la lumière du jour, l’ordre de la lune et des étoiles pour la lumière de la nuit, qui agite la mer et fait mugir ses flots : « Si jamais cet ordre venait à faillir devant moi, alors la descendance d’Israël cesserait aussi d’être une nation devant moi pour toujours ! Or la descendance d’Israël ne cessera jamais, mais demeurera pour l’éternité. Les lois du jour et de la nuit, et des flots de la mer, qui sont causées par le mouvement du ciel, demeureront donc pour l’éternité. Le mouvement du ciel ne cessera donc jamais.

[22420] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, substantia corporum caelestium semper erit. Sed frustra est ponere aliquid, nisi ponatur illud propter quod est factum. Corpora autem caelestia ad hoc sunt facta, ut dividant diem et noctem, et sint in signa et tempora et dies et annos, Gen. 1, quod non possunt facere nisi per motum. Ergo motus eorum semper manebit; alias frustra illa corpora remanerent.

3. La substance des corps célestes existera toujours. Or, il est vain d’affirmer quelque chose, à moins d’affirmer ce pour quoi cela est fait. Or, les corps célestes ont été créés afin de séparer le jour et la nuit, d’être des signes pour les époques, les jours et les années, Gn 1, ce qu’ils ne peuvent faire que par le mouvement. Leur mouvement durera donc toujours, autrement ces corps demeureraient en vain.

[22421] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, in illa mundi innovatione totus mundus meliorabitur. Ergo nulli corpori remanenti auferetur id quod est de sua perfectione. Sed motus est de perfectione corporis caelestis; quia, ut dicitur in 1 caeli et mundi, illa corpora participant divinam bonitatem per motum. Ergo motus caeli non cessabit.

4. Lors de ce renouvellement du monde, le monde entier sera amélioré.Ce qui fait partie de sa perfection ne sera donc jamais enlevé à aucun corps qui demeure. Or, le mouvement fait partie de la perfection du corps céleste, car, comme on le dit dans le livre Le ciel et le monde, I, ces corps participent à la bonté divine par leur mouvement. Le mouvement du ciel ne cessera donc pas.

[22422] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, sol successive illuminat diversas partes mundi secundum quod circulariter movetur. Si ergo motus circularis caeli cesset, sequitur quod in aliqua superficie terrae erit perpetua obscuritas, quod non convenit illi novitati.

5. Le soleil illumine les différentes parties du monde en raison de son mouvement circulaire. Si donc le mouvement circulaire du ciel cesse, il en découle que ce sera l’obscurité perpétuelle sur une partie de la terre, ce qui ne convient pas à ce renouvellement.

[22423] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, si motus caeli cessat, hoc non est nisi inquantum motus aliquam imperfectionem in caelo ponit, utpote lassitudinis vel laboris; quod non potest esse, cum motus ille sit naturalis, et caelestia corpora sint impassibilia; unde in suo motu non fatigantur, ut dicitur in 2 caeli et mundi. Ergo motus caeli nunquam cessabit.

6. Si le mouvement du ciel cesse, ce n’est que parce que le mouvement place une imperfection dans le ciel, comme celle de la lassitude ou de l’effort, ce qui ne peut être le cas, puisque ce mouvement est naturel et que les corps célestes sont impassibles. Ils ne se fatiguent donc pas dans leur mouvement, comme on le dit dans Le ciel et le monde, II. Le mouvement du ciel ne cessera donc jamais.

[22424] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, frustra est potentia quae non reducitur ad actum. Sed in quocumque situ ponatur corpus caeli, est in potentia ad alium situm. Ergo nisi reduceretur ad actum, potentia illa frustra remaneret, et semper esset imperfecta. Sed non potest reduci ad actum nisi per motum localem. Ergo semper movebitur.

7. Une puissance qui n’est pas amenée à l’acte est vaine. Or, en quelque site qu’un corps du ciel soit placé, il est en puissance à une autre site. Si elle n’était amenée à l’acte, cette puissance demeurerait donc vaine et serait toujours imparfaite. Or, elle ne peut être amenée à l’acte que par le mouvement local. Elle sera donc toujours en mouvement.

[22425] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, illud quod se habet indifferenter ad plura, aut utrumque attribuitur ei, aut nullum. Sed sol indifferenter se habet ad hoc quod sit in oriente vel occidente; alias motus ejus non esset uniformis per totum; quia ad locum ubi naturalius esset, velocius moveretur. Ergo vel neuter situs attribuitur soli, vel uterque. Sed nec uterque nec neuter potest ei attribui nisi successive per motum; oportet enim, si quiescit, quod in aliquo situ quiescat. Ergo corpus solis in perpetuum movebitur; et eadem ratione omnia alia corpora caelestia.

8. Ce qui est indifférent par rapport à plusieurs choses, soit les deux choses lui sont attribuées, soit aucune. Or, il est indifférent au soleil de se trouver à l’orient ou à l’occident, autrement son mouvement ne serait pas en tout uniforme, puisque là où il serait naturel, il se déplacerait plus rapidement. Donc, soit les deux sites ne sont pas attribués [au soleil],soit les deux le sont. Or, ni les deux ni aucun des deux ne peuvent lui être attribués que de manière successive par le mouvement : en effet, s’il est au repos, il est nécessaire qu’il soit au repos dans un site. Le corps du soeil sera donc éternellement en mouvement et, pour la même raison, tous les autres corps célestes.

[22426] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 9 Praeterea, motus caeli est causa temporis. Si ergo motus caeli deficiat, oportet tempus deficere; quod si deficeret, oportet quod deficeret in instanti. Definitio autem instantis est in 8 Physic., quod est initium futuri, et finis praeteriti; et sic post ultimum instans temporis esset tempus; quod est impossibile. Ergo motus caeli nunquam cessabit.

9. Le mouvement du ciel est la cause du temps. Si donc le mouvement du ciel fait défaut, il est nécessaire que le temps fasse défaut ; mais si celui-ci fait défaut, il est nécessaire qu’il fasse défaut dans l’intant. Or, la définition de l’instant donnée dans Physique, VIII, est qu’il est le commecement de ce qui est à venir et la fin de ce qui est passé. Après le dernier instant du temps, il y aurait donc du temps, ce qui est impossible. Le mouvement du ciel ne cessera donc jamais.

[22427] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 arg. 10 Praeterea, gloria non tollit naturam. Sed motus caeli est ei naturalis. Ergo per gloriam non ei tollitur.

10. La gloire n’enlève pas la nature. Or, le mouvement du ciel lui est naturel. Il n’est donc pas enlevé par la gloire.

[22428] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apocal. 10, quod Angelus qui apparuit, juravit per viventem in saecula, quia tempus amplius non erit, scilicet postquam septimus Angelus tuba cecinerit, qua canente mortui resurgent, ut dicitur 1 Corinth. 15. Sed si non est tempus, non est motus caeli. Ergo motus caeli cessabit.

Cependant, [1] il est dit, dans Ap 10, que l’ange qui était apparu fit serment par le Vivant pour les siècles, car il n’y aura plus de temps, à savoir, après que le septième ange aura sonné de la trompette, au son de laquelle les morts ressusciteront, comme il est dit en 1 Co 15. Or, s’il n’y a pas de temps, il n’y a pas de mouvement du ciel. Le mouvement du ciel cessera donc.

[22429] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Isai. 60, 20, dicitur: non occidet ultra sol tuus, et luna tua non minuetur. Sed occasus solis et diminutio lunae ex motu caeli causatur. Ergo motus caeli quandoque cessabit.

[2] Il est dit en Is 60, 20 : Ton soleil ne se couchera plus, et ta lune ne disparaîtra plus. Or, le coucher du soleil et la disparition de la lune sont causés par le mouvement du ciel. Le mouvement du ciel cessera donc à un certain moment.

[22430] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, ut probatur in 2 de generatione, motus caeli est propter continuam generationem in istis inferioribus. Sed generatio cessabit impleto numero electorum. Ergo motus caeli cessabit.

[3] Comme on le démontre dans Sur la génération, le mouvement du ciel a pour but une génération continuelle dans les corps inférieurs. Or, la génération cessera lorsque le nombre des élus sera complété. Le mouvement du ciel cessera donc.

[22431] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 s. c. 4 Praeterea, omnis motus est propter aliquem finem, ut dicitur in 2 Metaphysic. Sed omnis motus qui est propter finem, habito fine quiescet. Ergo vel motus caeli nunquam consequetur finem suum, et sic esset frustra; vel aliquando quiescet.

[4] Tout mouvement est en vue d’une fin, comme on le dit dans Métaphysique, II. Or, tout mouvement qui existe en vue d’une fin cessera lorsque la fin sera atteinte. Donc, soit le mouvement du ciel n’atteint jamais sa fin, et il serait ainsi vain, soit il cessera à un certain moment.

[22432] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 s. c. 5 Praeterea, quies est nobilior quam motus; quia secundum hoc quod res sunt immobiles, Deo assimilantur, in quo est summa immobilitas. Sed corporum inferiorum motus terminatur naturaliter ad quietem. Ergo cum corpora caelestia sint multo nobiliora, eorum motus naturaliter ad quietem terminabitur.

[5] Le repos est plus noble que le mouvement, car, en étant immobiles, les choses ressemblent à Dieu, chez qui existe une suprême immobilité. Or, le mouvement des corps inférieurs se termine naturellement par un repos. Puisque les corps célestes sont beaucoup plus nobles, leur mouvement se terminera donc naturellement par un repos.

[22433] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa istam quaestionem est triplex positio. Prima est philosophorum, qui dicunt, quod motus caeli semper durabit. Sed hoc non est consonum fidei nostrae, quae ponit certum numerum electorum praefinitum a Deo; et sic oportet quod generatio hominum non in perpetuum duret; et eadem ratione nec alia quae ad generationem hominis ordinantur, sicut est motus caeli, et variationes elementorum. Alii vero dicunt, quod motus caeli cessabit secundum naturam. Sed hoc etiam est falsum; quia omne corpus quod naturaliter quiescit et naturaliter movetur, habet locum in quo naturaliter quiescit, ad quem naturaliter movetur, et a quo non recedit nisi per violentiam. Nullus autem locus potest assignari corpori caelesti; quia non est magis naturalis soli accessus ad punctum orientis quam recessus ab eo; unde vel motus ejus non esset naturalis totaliter, vel motus ejus non terminatur naturaliter ad quietem. Unde dicendum est, secundum alios, quod motus caeli cessabit in illa mundi innovatione, non quidem ex aliqua naturali causa, sed divina voluntate faciente. Corpus enim illud sicut et alia, in ministerium hominis dupliciter facta sunt, ut prius dictum est. Altero autem horum ministeriorum homo post statum gloriae non indigebit, scilicet secundum quod corpora ei deserviunt ad sustentationem corporalis vitae; hoc autem modo corpus caeleste servit ei per motum, inquantum per motum caeli multiplicatur genus humanum, et generantur plantae, et alia animalia, quae usui hominum sunt necessaria; et temperies in aere efficitur, conservans sanitatem. Unde homine glorificato, motus caeli cessabit.

 de cette question, il existe trois opinions. La première est celle des philosophes, qui disent que le mouvement du ciel durera toujours. Mais cela n’est pas conforme à notre foi, qui affirme qu’un nombre déterminé d’élus a été fixé au préalable par Dieu. Il est donc nécessaire que la génération des hommes ne dure pas éternellement ; pour la même raison, [il est nécessaire que ne durent pas éternellement] les autres choses qui sont ordonnées à la génération des hommes, comme le mouvement du ciel et les variations des éléments. Mais d’autres disent que le mouvement du ciel cessera naturellement. Or, cela est aussi faux, car tout corps qui repose naturellement et est mû naturellement possède un lieu dans lequel il repose naturellement, vers lequel il est naturellement mû et duquel il ne s’éloigne que par violence. Or, aucun lieu ne peut être assigné à un corps céleste, car le soleil n’atteint pas plus naturellement un point de l’orient qu’il ne s’en éloigne ; ainsi, soit son mouvement ne serait pas entièrement naturel, soit son mouvement ne se termine pas naturellement dans un repos. Il faut donc dire, selon d’autres, que le mouvement du ciel cessera lors de ce renouvellement du monde, non pas en raison d’une cause naturelle, mais par l’intervention de la volonté divine. En effet, ce corps, comme les autres, a été créé au service de l’homme de deux manières, comme on l’a dit antérieurement. Or, l’homme n’aura besoin d’aucun de ces deux services (selon que les corps sont à son service pour soutenir la vie corporelle) après l’état de la gloire, pour autant que, par le mouvement du ciel, le genre humain est multiplié et que sont engendrés les plantes et les autres animaux qui sont nécessaires pour l’usage des hommes, et que le caractère modéré de l’air est maintenu pour conserver la santé. Lorsque l’homme sera glorifié, le mouvement du ciel cessera donc.

[22434] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba illa intelliguntur de terra secundum statum istum in quo potest esse principium generationis et corruptionis plantarum; quod patet ex hoc quod ibi dicitur: cunctis diebus terrae sementis et messis; et hoc simpliciter concedendum est, quod quamdiu terra erit messibus et sementibus apta, motus caeli non cessabit.

1. Ces paroles s’entendent de la terre dans l’état où elle peut être principe de la génération et de la corruption des plantes. Cela ressort de ce qui est dit en cet endroit : Tous les jours de semailles et de moisson de la terre. Il faut tout simplement concéder que, aussi longtemps que la terre sera apte aux moissons et aux semailles, le mouvement de la terre ne cessera pas.

[22435] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 2 Et similiter dicendum ad secundum, quod dominus loquitur ibi de duratione seminis Israel secundum praesentem statum; quod patet ex hoc quod dicit: et semen Israel deficiet, ut non sit gens coram me cunctis diebus; vicissitudo enim dierum post statum istum non erit; et ideo etiam leges de quibus fecerat mentionem, post istum statum non erunt.

2. Il faut dire la même chose pour le second argument : le Seigneur parle là de la durée de la descendance d’Israël dans son état présent. Cela est clair d’après ce qu’il dit : Et la semence d’Israël fera défaut, pour qu’il ne soit pas tous les jours un peuple à mes yeux. En effet, il n’y aura pas de changement de jours après cet état. Aussi, même les lois dont il avait parlé n’existeront-elles plus après cet état.

[22436] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis qui ibi assignatur corporibus caelestibus, est finis proximus, quia est proprius eorum actu; sed iste actus ulterius ordinatur ad alium finem; scilicet ad ministerium humanum, ut patet per illud quod habetur Deut. 4, 19: ne forte oculis elevatis ad caelum videas solem et lunam, et omnia astra caeli; et errore deceptus adores ea quae fecit dominus Deus tuus in ministerium cunctis gentibus quae sub caelo sunt: et ideo magis debet judicium sumi de corporibus caelestibus secundum ministerium hominum quam secundum finem in genere assignatum. Corpora autem caelestia per alium modum in ministerium hominis glorificati cedunt, sicut prius dictum est, et ideo non sequitur quod frustra remaneant.

3. La fin qui est assignée là aux corps célestes est leur fin prochaine, car elle est leur acte [corr. actu/actus] propre. Mais cet acte est en plus ordonné à une autre fin : les service des hommes, comme cela ressort de ce qu’on trouve en Dt 4, 19 : De crainte qu’en levant les yeux au ciel, tu ne voies le soleil, la lune et tous les astres du ciel, et que, trompé, tu n’adores ce que le Seigneur ton Dieu a créé pour le service de tous les peuples qui existent sous le ciel. Aussi faut-il juger des corps célestes plutôt d’après le service des hommes que d’après la fin qui leur est assignée d’une manière générale. Or, les corps célestes sont au service de l’homme d’une autre manière, comme on l’a dit antérieurement. Aussi n’en découle-t-il pas qu’ils demeurent en vain.

[22437] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus caeli non est de perfectione corporis caelestis nisi inquantum per hoc est causa generationis in istis inferioribus; et secundum hoc etiam motus ille facit corpus caeleste participare divinam bonitatem per quamdam similitudinem causalitatis; non autem motus est de perfectione substantiae caeli, quae remanebit; et ideo non sequitur quod motu cessante, aliquid de perfectione caeli tollatur, secundum quod remanebit.

4. Le mouvement du ciel ne fait partie de la perfection du corps céleste que dans la mesure où il est ainsi cause de génération dans les [corps] inférieurs. De ce point de vue, même ce mouvement fait participer le corps céleste à la bonté divine par une certaine similitude de causalité. Mais le mouvement ne fait pas partie de la perfection de la substance du ciel, qui demeurera. Il n’en découle donc pas que, lorsque le mouvement cessera, quelque chose de la perfection du ciel sera enlevé, par quoi il demeurera.

[22438] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnia corpora electorum, ut infra dicetur, habebunt in seipsis quamdam claritatem gloriae; unde quamvis aliqua superficies terrae non illuminetur a sole, nullo tamen modo remanebit ibi obscuritas.

5. Tous les corps des élus, comme on le dira plus loin, auront en eux-mêmes un certain éclat de gloire. Bien qu’une surface de la terre ne soit pas illuminée par le soleil, il n’y restera cependant pas.

[22439] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod Rom. 8, super illud: omnis creatura ingemiscit etc., dicit Glossa Ambrosii expresse, quod omnia elementa cum labore sua explent officia, sicut sol et luna non sine labore statuta sibi implent spatia: quod est causa nostri, unde quiescent nobis assumptis. Labor autem ille, ut credo, non significat aliquam fatigationem vel passionem illis corporibus accidentem ex motu, cum motus ille sit naturalis nihil habens de violentia adjunctum, ut probatur 1 caeli et mundi. Sed labor ibi intelligitur defectus ab eo ad quod aliquid tendit; unde quia motus ille ordinatus est ex divina providentia ad complendum numerum electorum, illo incompleto nondum consequitur illud ad quod ordinatus est; et ideo similitudinarie dicitur laborare, sicut homo qui non habet quod intendit; et hic etiam defectus a caelo tolletur impleto numero electorum. Vel etiam potest referri ad desiderium futurae innovationis, quam ex divina dispositione expectat.

6. À propos de Rm 8 : Toute la création gémit, etc., une glose d’Ambroise dit expressément que tous les éléments accomplissent leurs fonctions par leur effort, comme ce n’est pas sans effort que le soleil et la lune occupent l’espace qui leur est alloué, ce qui la cause de notre [effort] ; aussi se reposeront-ils lorsque nous serons ressuscités. Or cet effort, comme je le crois, ne signifie pas qu’une fatigue ou une passion affectent ces corps du fait du mouvement, puisque ce mouvement est naturel et ne comporte aucune violence, comme on le démontre dans Le ciel et le monde, I. Mais l’effort s’entend là d’une carence en regard de ce à quoi quelque chose tend. Parce que ce mouvement a été ordonné par la divine providence afin de compléter le nombre des élus, lorsqu’il n’est pas complété, ce à quoi il est ordonné n’est pas encore obtenu. On parle donc d’effort par mode de similitude, comme l’homme qui n’a pas ce qu’il vise. Cette carence sera donc aussi enlevée au ciel lorsque sera complété le nombre des élus. Ou bien cela peut aussi se rapporter au désir du renouvellement à venir, qu’elle attend par une disposition divine.

[22440] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in corpore caelesti non est aliqua potentia quae perficiatur per locum, vel quae facta sit propter hunc finem qui est esse in tali loco; sed hoc modo se habet potentia ad ubi in corpore caelesti, sicut se habet potentia artificis ad hoc quod facit diversas domos unius modi: quarum si unam faciat, non dicitur frustra potentiam habere; et similiter in quocumque situ ponatur corpus caeleste, potentia quae est in ipso ad ubi, non remanebit incompleta, nec frustra.

7. Dans le corps céleste, il n’y a pas une puissance qui est perfectionnée par le lieu ou qui a été créée en vue de la fin qui consiste à se trouver dans tel lieu ; mais la puissance à un lieu dans le corps céleste ressemble à la puissance de l’artisan par rapport à ce qui réalise diverses maisons d’une seule forme. S’il en fait une, on ne dit pas qu’il possède en vain sa puissance. De même, quel que soit le site où l’on place le corps céleste, la puissance qui existe en lui par rapport au lieu ne restera pas incomplète ni vaine.

[22441] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamvis corpus caeleste secundum suam naturam aequaliter se habeat ad omnem situm qui est ei possibilis; tamen si comparetur ad ea quae sunt extra ipsum, non aequaliter se habet ad omnes situs, sed secundum unum situm nobilius disponitur respectu quorumdam quam secundum alium, sicut quo ad nos nobilius disponitur sol in die quam in nocte; et ideo probabile est, cum tota innovatio mundi habeat ordinem ad hominem, quod caelum in illa novitate habeat nobilissimum situm qui est possibilis in respectu ad nostram habitationem. Vel, secundum quosdam, caelum quiescet in illo situ in quo factum fuit; alias aliqua revolutio caeli remaneret incompleta. Sed ista ratio videtur inconveniens: quia cum aliqua revolutio sit in caelo quae non finitur nisi in triginta sex millibus annorum, sequeretur quod tamdiu mundus deberet durare; quod non videtur probabile. Et praeterea secundum hoc posset sciri quando mundus finiri deberet. Probabiliter enim colligitur ab astrologis in quo situ corpora caelestia sunt facta, considerato numero annorum qui computatur ab initio mundi; et eodem modo posset sciri certus annorum numerus in quo ad dispositionem similem reverteretur. Tempus autem finis mundi ponitur esse ignotum.

8. Bien que le corps céleste, selon sa nature, ait un rapport égal avec tout lieu qui lui est possible, s’il est comparé à ce qui se trouve en dehors de lui, il n’a cependant pas le même rapport avec tous les sites, mais il est disposé d’une manière plus noble à un site qu’à un autre par rapport à certaines choses, comme, pour nous, le soleil est disposé d’une manière plus noble le jour que la nuit. Puisque le renouvellement total du monde a un rapport avec l’homme, il est donc probable que le ciel aura, lors de ce renouvellement, le site le plus noble qui est possible par rapport à notre habitation. Ou bien, selon certains, le ciel s’arrêtera dans le site où il a été créé, autrement une révolution du ciel resterait incomplète. Mais cet argument semble inapproprié, car, puisqu’il existe dans le ciel une révolution qui ne s’achève qu’en trente six mille ans, il en découlerait que le monde devrait durer aussi longtemps, ce qui ne semble pas probable. De plus, on pourrait ainsi savoir quand le monde devrait finir. En effet, les astrologues conjecturent avec probabilité dans quel site les corps célestes ont été créés, en examinant le nombre d’années calculé depuis le commencement du monde. De la même manière, on pourrait connaître le nombre déterminé d’années dans lequel il reviendrait à une disposition similaire. Or, on affirme que le moment de la fin du monde est inconnu.

[22442] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod tempus quandoque deficiet motu caeli deficiente; nec illud nunc ultimum erit principium futuri: dicta enim definitio non datur de nunc nisi secundum quod est continuans partes temporis, non secundum quod est terminans totum tempus; et de hoc dictum est in 1 dist., 2 libri, cum de aeternitate mundi ageretur.

9. Le temps s’arrêtera lorsque le mouvement du ciel s’arrêtera, et cet ultime instant ne sera pas le commencement de l’avenir. En effet, la présente définition de l’instant n’est donnée que selon qu’il assure la continuité entre les parties du temps, et non selon qu’il termine la totalité du temps. On a parlé de cela dans le livre II, d. 1, lorsqu’il a été question de l’éternité du monde.

[22443] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod motus caeli non dicitur naturalis quasi sit pars naturae, eo modo quo principia naturae naturalia dicuntur: nec iterum hoc modo quod habeat principium activum in natura corporis, sed receptivum tantum. Principium autem activum ejus est in substantia spirituali, ut dicit Commentator 1 caeli et mundi; et ideo non est inconveniens, si per novitatem gloriae motus ille tollatur: non enim eo ablato natura corporis caelestis variabitur.

10. On ne dit pas que le mouvement du ciel est naturel comme s’il était une partie de la nature, à la manière dont les principes de la nature sont appelés naturels ; [on ne le dit pas] non plus à la manière dont existe une principe actif dans la nature d’un corps, mais seulement [un principe] réceptif. Or, son principe actif se trouve dans une substance spirituel, comme le dit le Commentateur de Le ciel et le monde, I. Il n’est donc pas inapproprié que ce mouvement soit enlevé par le renouvellement de la gloire : en effet, une fois celui-ci enlevé, la nature du corps céleste ne changera pas.

[22444] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad s. c. 1 Alias rationes concedimus, scilicet duas primas quae sunt ad oppositum: quia debito modo concludunt.

[1] et [2] Nous concédons les autres arguments, c’est-à-dire les deux premiers qui vont en sens contraires, car leur conclusion est correcte.

[22445] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad s. c. 4 Sed quia aliae duae videntur concludere quod motus caeli naturaliter cesset; ideo ad eas respondendum est. Ad primam ergo earum dicendum, quod motus cessat habito eo propter quod est, si illud sequatur motum, et non concomitetur ipsum. Illud autem propter quod est motus caelestis, secundum philosophos, concomitatur motum, scilicet imitatio divinae bonitatis in causalitate quam habet super inferiora; et ideo non oportet quod naturaliter motus ille cesset.

[4] Parce que les deux autres semblent conclure que le mouvement du ciel cessera naturellement, il faut donc y répondre. du premier, il faut dire que le mouvement cesse lorsqu’est possédé ce pour quoi il existe, si cela suit le mouvement et ne lui est pas concomitant. Or, selon les philosophes, ce pour quoi existe le mouvement céleste est concomitant au mouvement, à savoir, l’imitation de la bonté divine par la causalité qu’il exerce sur les [corps] inférieurs. Il n’est donc pas nécessaire que ce mouvement cesse naturellement.

[22446] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 2 ad s. c. 5 Ad secundam dicendum, quod quamvis immobilitas sit simpliciter nobilior quam motus, tamen motus in eo quod per motum potest consequi aliquam perfectam participationem divinae bonitatis, est nobilior quam quies in illo quod nullo modo per motum possit illam perfectionem consequi; et ratione ista terra, quae est infimum corporum, est sine motu; quamvis ipse Deus, qui est nobilissimus rerum, sine motu sit, a quo corpora nobiliora moventur; et inde est etiam quod motus superiorum corporum possent poni secundum viam naturae perpetui, nec unquam ad quietem terminari, quamvis motus inferiorum corporum ad quietem terminetur.

[5] Bien que l’immobilité soit tout simplement plus noble que le mouvement, parce que peut être obtenue par lui une participation parfaite à la bonté divine, le mouvement est toutefois plus noble que le repos du fait que celui-ci ne peut d’aucune manière obtenir cette perfection par le mouvement. Pour cette raison, la terre actuelle, qui est le plus petit des corps, n’a pas de mouvement, bien que Dieu lui-même, qui est la plus noble des réalités, par qui les corps plus nobles sont mus, soit sans mouvement. De là vient aussi, si l’on suit la nature, que les mouvements des corps supérieurs pourraient être éternels et ne jamais se terminer dans un repos, bien que le mouvement des corps inférieurs se termine dans un repos.

 

 

Articulus 3 [22447] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 tit. Utrum corporibus caelestibus claritas augeatur in illa innovatione

Article 3 – L’éclat des corps célestes est-il accru lors de ce renouvellement ?

 

[22448] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod corporibus caelestibus claritas non augeatur in illa innovatione. Illa enim innovatio in corporibus inferioribus erit per ignem purgantem. Sed ignis purgans nunquam pertingit ad corpora caelestia, ut praecedenti distinctione dictum est. Ergo corpora caelestia non innovabuntur per majoris claritatis susceptionem.

1. Il semble que l’éclat des corps célestes ne soit pas accru lors de ce renouvellement. En effet, ce renouvellement des corps inférieurs se réalisera par le feu. Or, le feu purificateur n’atteint jamais les corps célestes, comme on l’a dit à la distinction précédente. Les corps célestes ne seront donc pas renouvelés par la réception d’un plus grand éclat.

[22449] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut corpora caelestia per motum sunt causa generationis in istis inferioribus, ita et per lucem. Sed cessante generatione, cessabit motus, ut dictum est. Ergo similiter cessabit lux caelestium corporum magis quam augeatur.

2. De même que les corps célestes sont, par le mouvement, la cause de la génération pour les corps inférieurs, de même [le sont-ils] par la lumière. Or, si la génération cesse, le mouvement cessera, comme on l’a dit. De la même manière, la lumière des corps célestes cessera plutôt qu’elle n’augmentera.

[22450] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, si innovato homine corpora caelestia innoventur, oportet quod eo deteriorato fiant deteriora. Sed hoc non videtur probabile, cum illa corpora sint invariabilia quantum ad id quod est in substantia eorum. Ergo nec innovato homine innovabuntur.

3. Si les corps célestes sont renouvelés lorsque l’homme sera renouvelé, il faut que, si celui-ci se détériore, ils deviennent pires. Or, cela ne semble pas probable, puisque ces corps sont invariables quant à leur substance. Ils ne seront donc pas renouvelés lorsque l’homme sera renouvelé.

[22451] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, si deteriorata tunc fuerint, oportet quod tantum deteriorata fuerint quantum dicitur esse melioranda in hominis innovatione. Sed Isai. 30, 26, dicitur, quod tunc erit lux lunae sicut lux solis. Ergo et in primo statu ante peccatum luna lucebat quantum nunc lucet sol. Ergo quandocumque luna erat super terram, faciebat diem sicut facit sol; et hoc manifeste apparet falsum per id quod dicitur Gen. 1, quod luna facta est ut praeesset nocti. Ergo homine peccante non sunt corpora caelestia diminuta in lumine; et ita nec eorum lumen augebitur, ut videtur, in hominis glorificatione.

4. S’ils étaient alors détériorés, il faut qu’ils soient alors détériorés autant qu’ils devaient être améliorés lors du renouvellement de l’homme, selon ce qu’on dit. Or, il est dit en Is 30, 26 que la lumière de la lune sera alors comme la lumière du soleil. Dans son premier état avant le péché, la lune brillait donc autant que maintenant le soleil. Chaque fois que la lune était au-dessus de la terre, elle donnait le jour comme le fait le soleil ; et cela apparaît manifestement faux selon ce qui est dit dans Gn 1, que la lune a été créée pour présider à la nuit. Par le péché de l’homme, les corps célestes n’ont donc pas perdu de leur lumière, et ainsi leur lumière ne sera pas accrue, semble-t-il, lors de la glorification de l’homme.

[22452] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, claritas corporum caelestium ordinatur ad usum hominis, sicut et aliae creaturae. Sed post resurrectionem claritas solis non cedet in hominis usum: dicitur enim Isai. 60, 19: non erit tibi amplius sol ad lucendum per diem, neque splendor lunae illuminabit te; et Apoc. 21, 23, dicitur, quod civitas illa beatorum non egebit sole neque luna, ut luceant in ea. Ergo eorum claritas non augebitur.

5. L’éclat des corps célestes est ordonné à l’usage de l’homme, comme les autres créatures. Or, après la résurrection, l’éclat du soleil ne sera pas pour l’usage de l’homme. En effet, il est dit dans Is 60, 19 : Il n’y aura plus de soleil pour éclairer pendant le jour, et l’éclat de la lune ne t’éclairera plus ; et dans Ap 21, 33, il est dit que la cité des bienheureux n’aura plus besoin que le soleil ni la lune brillent sur elle. Leur éclat ne sera donc pas accru.

[22453] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, non esset sapiens artifex qui maxima instrumenta faceret ad aliquod modicum artificium constituendum. Sed homo est quoddam minimum comparatione caelestium corporum, quae sua ingenti magnitudine quasi incomparabiliter hominis quantitatem excedunt; immo etiam totius terrae, quae habet se ad caelum ut punctum ad sphaeram, sicut astrologi dicunt. Ergo, cum Deus sit sapientissimus, non videtur quod finis creationis caeli sit homo; et ita non videtur quod eo peccante caelum deterioratum fuerit, nec eo glorificato melioretur.

6. L’artisan qui ferait de très grands instruments pour produire une petite œuvre d’art ne serait pas sage. Or, l’homme est tout petit si on le compare aux corps célestes, qui, par leur immense grandeur, dépassent incomparablement la quantité de l’homme, bien plus, celle de toute la terre, qui est, par rapport au ciel, comme un point par rapport à la sphère, comme le disent les astrologues. Puisque Dieu est sage au plus haut point, il ne semble donc pas que l’homme soit la fin de la création. Il ne semble donc pas que le ciel ait été détérioré par son péché, ni qu’il soit amélioré par sa glorification.

[22454] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 30, 26: erit lux lunae sicut lux solis, et lux solis septempliciter.

Cependant, [1] il est dit en Is 30, 26 : La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera multipliée par sept.

[22455] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, totus mundus innovabitur in melius, ut supra dictum est. Sed caelum est nobilior pars mundi corporalis. Ergo in melius mutabitur. Sed hoc non potest esse, nisi majori claritate resplendeat. Ergo majorabitur et crescet claritas ejus.

[2] Le monde entier sera renouvelé pour le mieux, comme on l’a dit plus haut. Or, le ciel est la partie la plus noble du monde corporel. Il sera donc changé pour le mieux. Or, cela ne peut être le cas que s’il brille d’un plus grand éclat. Son éclat sera donc accru et augmentera.

[22456] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, omnis creatura quae ingemiscit et parturit, expectat revelationem gloriae futurae filiorum Dei, ut dicitur Rom. 8. Sed etiam corpora caelestia sunt hujusmodi, ut ibidem dicit Glossa. Ergo expectant gloriam sanctorum. Sed non expectarent, nisi ex hoc eis aliquid accresceret. Ergo claritas eis per hoc accrescet, qua praecipue decorantur.

[3] Toute la création qui gémit et enfante attend la manifestation de la gloire à venir des fils de Dieu, comme il est dit en Rm 8. Or, même les corps célestes sont de cette sorte, comme la Glose le dit à cet endroit. Ils attendent donc la gloire des saints. Or, ils n’attendraient pas si quelque chose ne leur était pas ajouté par cela. L’éclat par lequel ils sont surtout embellis augmentera donc.

[22457] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum est, ad hoc innovatio mundi ordinatur, ut etiam mundo innovato manifestis indiciis quasi sensibiliter Deus ab homine videatur. Creatura autem praecipue in Dei cognitionem ducit sua specie et decore, quae manifestant sapientiam facientis et gubernantis; unde dicitur Sap. 13, 5: a magnitudine speciei cognoscibiliter poterat creator horum videri. Pulchritudo autem caelestium corporum praecipue consistit in luce; unde Eccli. 43, 10: species caeli gloria stellarum, mundum illuminans in excelsis dominus; et ideo praecipue quantum ad claritatem corpora caelestia meliorabuntur. Quantitas autem et modus meliorationis illi soli cognita est qui erit meliorationis auctor.

Comme on l’a dit plus haut, le renouvellement du monde est ordonné à ce que, lorsque le monde sera renouvelé, Dieu soit vu par l’homme de manière sensible grâce à des indices manifestes. Or, la création conduit à la connaissance de Dieu surtout par son apparence et par sa beauté, qui manifestent la sagesse de celui qui les crée et les gouverne. Aussi est-il dit dans Sg 13, 5 : Leur créateur pouvait être vu par la connaissance de leur grandeur et de leur beauté. Or, la beauté des corps célestes consiste principalement dans leur lumière. Aussi Si 43, 10 dit-il : La gloire des étoiles est la beauté du ciel ; le Seigneur illumine le monde dans les hauteurs. Les corps célestes seront donc améliorés, surtout quant à leur éclat. Mais la quantité et le mode de l’amélioration sont connus de celui-là seul qui est l’auteur de l’amélioration.

[22458] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ignis purgans non causabit innovationis formam, sed disponet tantum ad eam, purgando a foeditate peccati, et ab impuritate commixtionis, quae in corporibus caelestibus non invenitur; et ideo, quamvis corpora caelestia per ignem non sint purganda, sunt tamen divinitus innovanda.

1. Le feu purificateur ne causera pas la forme du renouvellement, mais il y disposera seulement, en purifiant de la souillure du péché et de l’impureté du mélange, qu’on ne trouve pas dans les corps célestes. Bien que les corps célestes ne doivent pas être purifiés par le feu, ils devront cependant être renouvelés par Dieu.

[22459] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod motus non importat aliquam perfectionem in eo quod movetur, secundum quod in se consideratur, cum sit actus imperfecti; quamvis possit pertinere ad perfectionem corporis, inquantum est causa alicujus. Sed lux pertinet ad perfectionem corporis lucentis, etiam in substantia sua considerati; et ideo postquam corpus caeleste desinet esse causa generationis, non remanebit mortuum, sed remanebit claritas ejus.

2. Le mouvement, considéré en lui-même, n’apporte pas une perfection à ce qui est mû, puisqu’il est un acte de ce qui est imparfait ; toutefois, il peut avoir un rapport avec la perfection du corps pour autant qu’il en est la cause. Or, la lumière a un rapport avec la perfection du corps qui brille, même s’il est considéré en sa substance. Après que le corps céleste cesse d’être cause de génération, il ne restera pas mort, mais son éclat demeurera.

[22460] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod super illud Isai. 30: erit lux lunae sicut lux solis, dicit Glossa: omnia propter hominem facta, in ejus lapsu pejorata sunt; et sol et luna suo lumine minorata; quae quidem minoratio a quibusdam intelligitur secundum realem luminis minorationem. Nec obstat quod corpora caelestia secundum naturam sint invariabilia: quia illa variatio facta est a divina virtute. Alii autem probabilius intelligunt, minorationem illam esse dicentes non secundum realem luminis defectum, sed quo ad usum hominis, qui non tantum beneficium ex lumine corporum caelestium post peccatum consecutus est, quantum ante fuisset consecutus; per quem etiam modum dicitur, Genes. 3, 17: maledicta terra in opere tuo (...) spinas et tribulos germinabit tibi; quae tamen etiam ante spinas et tribulos germinabat, sed non in hominis poenam. Nec tamen sequitur, si lux caelestium corporum per essentiam minorata non est homine peccante, quod realiter non sit augenda in ejus glorificatione: quia peccatum hominis non immutavit statum universi, cum etiam homo prius et post, animalem vitam habuerit, quae motu et generatione creaturae corporalis indigeat. Sed glorificatio hominis statum totius creaturae corporalis immutabit, ut dictum est; et ideo non est simile.

3. À propos de Is 30 : La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, la Glose dit : « Tout ce qui a été fait pour l’homme a été endommagé par sa chute ; la lumière du soleil et de la lune a été diminuée. » Certains entendent cette diminution d’une diminution réelle de la lumière. Et le fait que les corps célestes sont invariables par nature ne s’oppose pas à cela, car cette variation a été réalisée par la puissance divine. Mais d’autres entendent avec plus de probabilité cette diminution, non pas d’un manque réel de lumière, mais de l’usage [qui en est fait] par l’homme, qui n’a pas profité autant de la lumière des corps célestes après le péché, qu’il en aurait profité avant le péché. Gn 3, 17 dit ainsi : La terre est maudite pour ton travail…; elle fera pousser des épines et des chardons pour toi ; elle faisait pousser des épines et des chardons avant, mais non pour la peine de l’homme. Cependant, il ne découle pas du fait que la lumière des corps célestes n’est pas diminuée dans son essence par le péché de l’homme, qu’elle ne doive pas être augmentée lors de sa glorification, car le péché de l’homme n’a pas changé l’état de l’univers, puisque l’homme a eu, avant et après, la vie animale, qui a besoin du mouvement et de la génération de la créature corporelle. Mais la glorification de l’homme changera l’état de toute la créature corporelle, comme on l’a dit. Ce n’est donc pas la même chose.

[22461] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod minoratio illa, ut probabilius aestimatur, non fuit secundum substantiam, sed secundum effectum; unde non sequitur quod luna existens super terram diem fecisset; sed quod tantum commodum ex lumine lunae homo habuisset, sicut nunc habet ex lumine solis; et post resurrectionem, quando lux lunae augmentabitur secundum rei veritatem, non erit alicubi nox super terram, sed solum in centro terrae ubi erit Infernus: quia tunc, ut dicitur, luna lucebit quantum nunc lucet sol; sol autem in septuplum quam modo luceat; corpora autem beatorum septies magis sole: quamvis hoc non sit aliqua auctoritate vel ratione probatum.

4. Cette diminution ne s’est pas faite selon la substance, mais selon l’effet. Il n’en découle donc pas que la lune, se trouvant au-dessus de la terre, a donné de la lumière, mais que l’homme a profité de la lumière de la lune comme il profite maintenant de la lumière du soleil. Après la résurrection, alors que la lumière de la lune sera réellement augmentée, il n’y aura de nuit nulle part sur la terre, mais seulement au centre de la terre où se trouvera l’enfer, car alors, comme on le dit, la lune brillera autant que le soleil brille maintenant. Or, le soleil brillera sept fois plus que maintenant, et les corps des bienheureux, sept fois plus que le soleil, bien que cela ne soit démontré par aucune autorité ou aucun argument.

[22462] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid potest cedere in usum hominis dupliciter. Uno modo propter necessitatem; et sic nulla creatura cedet in usum hominis, quia ex Deo plenam sufficientiam habebit; et hoc significatur in auctoritate apostoli inducta; quae dicit, quod civitas non eget sole vel luna. Alius usus est ad majorem perfectionem; et sic homo aliis creaturis utetur, non tamen quasi necessariis ad perveniendum in finem, sicut nunc eis utitur.

5. Quelque chose peut servir à l’usage de l’homme de deux manières. D’une manière, en raison d’une nécessité : ainsi, aucune créature ne servira à l’usage de l’homme, car il recevra de Dieu tout ce qui suffit. C’est ce qui est indiqué dans l’autorité de Paul invoquée, qui dit que la cité n’aura besoin ni du soleil ni de la lune. L’autre usage sert à une plus grande perfection ; l’homme usera ainsi des autres créatures, non pas cependant comme si elles étaient nécessaires pour parvenir à sa fin, comme il en use maintenant.

[22463] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ratio illa est Rabbi Moysi, qui omnino nititur improbare, mundum propter hominem esse factum; unde hoc quod in veteri testamento de innovatione mundi legitur, sicut patet in auctoritatibus Isaiae inductis, dicit metaphorice esse dictum; ut sicut alicui dicitur obtenebrari sol, quando in magnam tristitiam incidit, ut nesciat quid faciat (qui etiam modus loquendi consuetus est in Scriptura), ita etiam e contrario dicitur ei sol magis lucere, et totus mundus innovari, quando ex statu tristitiae in maximam exultationem convertitur. Sed hoc dissonat ab auctoritatibus et expositionibus sanctorum. Unde rationi illi inductae hoc modo respondendum est, quod quamvis corpora caelestia maxime excedant corpus hominis, tamen plus multo excedit anima rationalis caelestia corpora quam ipsa excedunt corpus humanum; unde non est inconveniens, si corpora caelestia propter hominem esse facta dicantur; non tamen sicut principalem finem, quia principalis finis omnium Deus est.

6. Cet argument est celui de Rabbi Moïse, qui s’efforce d’exclure que le monde ait été créé pour l’homme. Il dit donc que ce qui a été écrit du renouvellement du monde dans l’Ancien Testament, comme cela ressort des autorités d’Isaïe invoquées, a été dit de manière métaphorique. Ainsi, on dit que le soleil s’assombrit pour quelqu’un lorsqu’il tombe dans une grande tristesse, de sorte qu’il ne sait quoi faire (c’est aussi une manière de parler de l’Écriture) ; de la même manière, on dit en sens contraire que le solel brille davantage pour quelqu’un et que le monde entier est renouvelé lorsque, de son état de tristesse, il passe à la plus grande exubérance. Mais cela est contraire aux autorités et aux explications des saints. Aussi faut-il répondre à cet argument que, bien que les corps célestes dépassent de beaucoup le corps de l’homme, l’âme raisonnable dépasse cependant bien plus les corps célestes qu’ils ne dépassent le corps humain. Il n’est donc pas inapproprié de dire que les corps célestes ont été créés pour l’homme, non pas cependant comme pour leur fin principale, puisque la fin principale de toutes choses est Dieu.

 

 

Articulus 4 [22464] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 tit. Utrum elementa innovabuntur per receptionem alicujus claritatis

Article 4 – Les éléments seront-ils renouvelés par la réception d’un certain éclat ?

[22465] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod elementa non innovabuntur per receptionem alicujus claritatis. Sicut enim lux est claritas corporis caelestis propria, ita calidum et frigidum, et humidum et siccum, sunt propriae qualitates elementorum. Ergo sicut caelum innovatur per augmentum claritatis, ita debent innovari elementa per augmentum qualitatum activarum et passivarum.

1. Il semble que les éléments ne seront pas renouvelés par la réception d’un certain éclat. En effet, de même que la lumière est l’éclat propre au corps céleste, de même le chaud et le froid, l’humide et le sec sont-ils les qualités propres des éléments. De même que le ciel est renouvelé par l’accroissement de son éclat, de même donc les éléments doivent-ils être renouvelés par l’augmentation de leurs qualités actives et passives.

[22466] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, rarum et densum sunt propriae qualitates elementorum, quas elementa in illa innovatione non amittent, ut dictum est. Sed raritas et densitas elementorum resistere videntur claritati, cum corpus clarum oporteat alio modo condensatum esse; unde claritas aeris non videtur quod possit claritatem pati; et similiter etiam nec densitas terrae, quae pervietatem tollit. Ergo non potest esse quod innoventur per alicujus claritatis additionem.

2. La rareté et la densité sont des qualités propres aux éléments, que les éléments ne perdront pas lors de ce renouvellement, comme on l’a dit. Or, la rareté et la denité des éléments semblent résister à l’éclat, puis-qu’un corps éclatant doit avoir été condensé d’une autre manière ; aussi la rareté de l’air ne semble-t-elle pas pouvoir subir d’éclat ; de même aussi, la densité de la terre, qui enlève le caractère translucide. Il n’est donc pas possible qu’ils soient renouvelés par l’addition d’un éclat.

[22467] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, constat quod damnati erunt in terra. Sed ipsi erunt in tenebris non solum interioribus, sed etiam exterioribus. Ergo terra non dotabitur claritate in illa innovatione, et eadem ratione nec alia elementa.

3. Il est certain que les damnés seront sur la terre. Or, ils seront dans les ténèbres non seulement intérieures, mais aussi extérieures. La terre ne sera donc pas dotée de clarté lors de ce renouvellement et, pour la même raison, ni les autres éléments.

[22468] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, multiplicatio claritatis in elementis multiplicat calorem. Si igitur in illa innovatione erit major claritas elementorum quam nunc sit, erit etiam per consequens major caliditas; et sic videtur quod transmutentur a naturalibus suis qualitatibus, quae sunt eis secundum certam mensuram; quod est absurdum.

4. La multiplication de l’éclat dans les éléments multiplie la chaleur. Si donc, lors de ce renouvellement, l’éclat des éléments sera plus grand qu’il ne l’est maintenant, il y aura toujours en conséquence une plus grande chaleur ; il semble ainsi qu’ils seront transformés dans leurs qualités naturelles, qui existent en eux selon une certaine mesure, ce qui est absurde.

[22469] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, bonum universi, quod consistit in ordine et harmonia, dignius est quam bonum alicujus naturae singularis. Sed si creatura efficiatur meliOr tollitur bonum universi: quia non remanebit eadem harmonia. Ergo si corpora elementaria, quae secundum gradum suae naturae quem tenent in universo, claritatis debent esse expertia, claritatem recipiant, ex hoc magis deperiet perfectioni universi quam accrescet.

5. Le bien de l’univers, qui consiste dans l’ordre et l’harmonie, est plus digne que le bien d’une nature particulière. Or, si une créature est rendue meilleure, le bien de l’univers est enlevé, car la même harmonie de demeurera pas. Si donc les corps élémentaires, qui doivent être privés d’éclat selon le degré de la nature qu’ils possèdent dans l’univers, reçoivent un éclat, cela sera plutôt pour la diminution de la perfection de l’univers que pour son accroissement.

[22470] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apocalyp. 1, 21: vidi caelum novum et terram novam. Sed caelum innovabitur per majorem claritatem. Ergo et terra, et similiter alia elementa.

Cependant, [1] il est dit dans Ap 1, 21 : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. Or, le ciel sera renouvelé par un plus grand éclat. Donc, la terre aussi et, de la même manière, les autres éléments.

[22471] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, corpora inferiora fuerunt in usum hominis, sicut et superiora. Sed creatura corporalis remunerabitur propter ministerium quod homini exhibuit, ut videtur dicere Glossa ad Rom. 8. Ergo etiam elementa clarificabuntur, sicut et alia corpora caelestia.

[2] Les corps inférieurs ont été [destinés] à l’usage de l’homme, comme les corps supérieurs. Or, la créature corporelle sera récompensée en raison du service qu’elle a rendu à l’homme, comme semble le dire la Glose de Rm 8. Les éléments aussi recevront donc un éclat, comme les autres corps célestes.

[22472] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, corpus hominis est ex elementis compositum. Ergo partes elementorum quae sunt in corpore hominis, glorificato homine, glorificabuntur per receptionem claritatis. Sed eamdem convenit esse dispositionem totius et partis. Ergo et ipsa elementa convenit claritate dotari.

[3] Le corps de l’homme est composé d’éléments. Les parties des éléments qui font partie du corps de l’homme seront donc glorifiées par la réception d’un éclat, lorsque l’homme sera glorifié. Or, il convient que la disposition du tout et de la partie soit la même. Il convient donc que les éléments eux-mêmes soient dotés d’un éclat.

[22473] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod sicut est ordo caelestium spirituum ad spiritus terrenos, scilicet humanos; ita etiam est ordo caelestium corporum ad corpora terrestria. Cum autem creatura corporalis sit facta propter spiritualem, et per eam regatur; oportet similiter disponi corporalia sicut spiritualia disponuntur. In illa autem ultima rerum consummatione spiritus inferiores accipient proprietates superiorum spirituum, quia homines erunt sicut Angeli in caelis, sicut dicitur Matth. 22; et hoc erit, inquantum ad maximam perfectionem deveniet id secundum quod humanus spiritus cum angelico convenit. Unde et similiter cum corpora inferiora cum caelestibus non communicent nisi in natura lucis et diaphani, ut dicitur in 2 de anima; oportet corpora inferiora maxime perfici secundum claritatem. Unde omnia elementa claritate quadam vestientur: non tamen aequaliter, sed secundum modum suum. Terra enim, ut dicitur, erit in superficie exteriori pervia sicut vitrum, aqua sicut crystallus, aer ut caelum, ignis ut luminaria caeli.

Tel est l’ordre des esprits célestes par rapport aux esprits terrestres, c’est-à-dire humains, tel est l’ordre des corps célestes par rapport aux corps terrestres. Puisque la créature corporelle a été créée pour la créature spirituelle et est dirigée par elle, il est donc nécessaire que les réalités corporelles soient disposées comme les réalités spirituelles. Or, lors de cette ultime consommation des choses, les esprits inférieurs recevront les propriétés des esprits supérieurs, car les hommes seront comme les anges dans le ciel, comme il est dit en Mt 22. Cela se réalisera dans la mesure où ce que l’esprit humain a en commun avec l’esprit angélique parviendra à sa plus grande perfection. Puisque les corps inférieurs n’ont en commun avec les corps célestes que la nature de la lumière et du diaphane, comme on le dit dans Sur l’âme, II, il est donc nécessaire que les corps inférieurs soient surtout perfectionnés par l’éclat. Tous les éléments seront donc revêtus d’un éclat, non pas également, cependant, mais selon leur mesure. En effet, la terre, comme on dit, sera translucide comme du verre à sa surface extérieure, l’eau comme du cristal, l’air comme le ciel, le feu comme les luminaires du ciel.

[22474] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut supra dictum est, innovatio mundi ordinatur ad hoc quod homo etiam sensu in corporibus quodammodo per manifesta indicia divinitatem videat. Inter sensus autem nostros spiritualior est visus et subtilior; et ideo quantum ad qualitates visivas, quarum principium est lux, oportet omnia corpora inferiora maxime meliorari. Qualitates autem elementares pertinent ad tactum, qui est maxime materialis; et earum excessus contrarietatis magis est contristativus. Excessus autem lucis erit delectabilis, cum contrarietatem non habeat nisi propter organi debilitatem, quae tunc non erit.

1. Comme on l’a dit plus haut, le renouvellement du monde est ordonné à ce que l’homme voie en quelque sorte sensiblement la divinité dans les corps par des indices manifestes. Or, parmi nos sens, la vue est le plus spirituel et le plus subtil. C’est pourquoi il est nécessaire, pour ce qui est des qualités visuelles dont le principe est la lumière, que tous les corps inférieurs soient améliorés au plus haut point. Or, les qualités élémentaires se rapportent au toucher, qui est très matériel, et l’excès de ce qui leur est contraire contriste davantage. Or, l’excès de lumière sera délectable, puisqu’il n’y a de contrariété qu’en raison de la faiblesse de l’organe, qui n’existera pas alors.

[22475] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aer non erit clarus sicut radios projiciens, sed sicut diaphanum illuminatum; terra vero quamvis ex natura sua opacitatem habeat propter defectum lucis, tamen ex divina virtute in sui superficie claritatis gloria vestietur sine praejudicio densitatis ipsius.

2. L’air ne sera pas éclatant comme s’il projetait des rayons, mais comme le diaphane illuminé ; mais la terre, bien qu’elle soit opaque de sa nature en raison d’un manque de lumière, sera cependant revêtue d’éclat à sa surface par la puissance divine, sans préjudice pour sa densité.

[22476] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in loco Inferni non erit terra glorificata per claritatem, sed loco hujus gloriae habebit pars illa terrae spiritus rationales hominum et Daemonum; qui quamvis ratione culpae sint infimi, tamen ex dignitate naturae sunt qualibet qualitate corporali superiores. Vel dicendum, quod etiamsi sit tota glorificata, nihilominus reprobi in tenebris exterioribus erunt: quia etiam ignis Inferni qui aliquid eis lucebit, quantum ad aliud eis lucere non poterit, ut dist. ult. dicetur.

3. À la place de l’enfer, il n’y aura pas de terre glorifiée par un éclat, mais, à la place de sa gloire, cette partie de la terre aura les esprits rationnels des hommes et des démons, qui, bien qu’ils soient les plus petits en raison de leur faute, sont cependant supérieurs par une certaine qualité en raison de la dignité de leur nature. Ou bien il faut dire que même si [cette partie de la terre] est entièrement glorifiée, les réprouvés se trouveront néanmoins dans les ténèbres extérieures, car même le feu de l’enfer qui luira en quelque manière pour eux, ne pourra pas luire pour les autres pour le reste, comme on le dira dans la dernière distinction.

[22477] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod claritas illa erit in istis corporalibus, sicut est in corporibus caelestibus, in quibus caliditatem non causat; quia corpora ista tunc erunt inalterabilia, sicut modo caelestia.

4. Cet éclat existera dans ces réalités corporelles comme il existe dans les corps célestes, chez lesquels il ne cause pas de chaleur, car ces corps seront alors inaltérables comme le sont maintenant les corps célestes.

[22478] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non tolletur propter meliorationem elementorum ordo universi; quia etiam omnes aliae partes meliorabuntur; et sic remanebit eadem harmonia.

5. L’ordre de l’univers ne sera pas enlevé en raison de l’amélioration des éléments, car toutes les autres parties seront aussi améliorées. La même harmonie demeurera donc.

 

 

Articulus 5 [22479] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 tit. Utrum plantae et animalia remaneant in illa innovatione

Article 5 – Les plantes et les animaux demeureront-ils lors de ce renouvellement ?

 

[22480] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod plantae et animalia remaneant in illa innovatione. Elementis enim non debet aliquid subtrahi quod ad eorum ornatum pertinet. Sed animalibus et plantis elementa ornari dicuntur. Ergo non auferentur in illa innovatione.

1. Il semble que les plantes et les animaux demeurent lors de ce renouvellement. En effet, rien ne doit être enlevé aux éléments de ce qui se rapporte à leur beauté. Or, on dit que les éléments sont embellis par les animaux et les plantes. Ils ne seront donc pas enlevés lors de ce renouvellement.

[22481] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, sicut elementa homini servierunt, ita etiam animalia et plantae et corpora mineralia. Sed elementa propter praedictum ministerium glorificabuntur. Ergo et animalia et plantae et mineralia corpora glorificabuntur.

2. Comme les éléments ont été au service de l’homme, ainsi en a-t-il été des animaux, des plantes et des corps minéraux. Or, les éléments seront glorifiés en raison de ce service. Les animaux, les plantes et les corps minéraux seront donc glorifiés.

[22482] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, universum remanebit imperfectum, si aliquod quod est de ejus perfectione auferatur. Sed species animalium et plantarum et corporum mineralium sunt de perfectione universi. Cum igitur non debeat dici, quod mundus in sua innovatione imperfectus remaneat, videtur quod oportet dicere, plantas et animalia remanere.

3. L’univers restera imparfait si quelque chose qui appartient à sa perfection en est enlevé. Or, les espèces d’animaux, de plantes et de corps minéraux font partie de la perfection de l’univers. Puisqu’on ne doit pas dire que le monde, lors de son renouvellement, reste imparfait, il semble donc qu’il faille dire que les plantes et les animaux demeureront.

[22483] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, animalia et plantae habent nobiliorem formam quam ipsa elementa. Sed mundus in illa finali innovatione in melius mutabitur. Ergo magis debent remanere animalia et plantae quam elementa, cum sint nobiliora.

4. Les animaux et les plantes ont une forme plus noble que les éléments. Or, lors ce renouvellement final, le monde sera changé pour le mieux. Les animaux et les plantes doivent donc davantage demeurer, puisqu’ils sont plus nobles.

[22484] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, inconveniens est dicere quod naturalis appetitus frustretur. Sed secundum naturalem appetitum animalia et plantae appetunt esse perpetuum, etsi non secundum individuum, saltem secundum speciem; et ad hoc ordinatur eorum generatio continua, ut in 2 de Gener. dicitur. Ergo inconveniens est dicere, quod istae species aliquando deficiant.

5. Il est inapproprié de dire qu’un appétit naturel sera frustré. Or, les animaux et les plantes désirent exister éternellement selon leur appétit naturel, même si ce n’est pas selon l’individu, du moins selon l’espèce : c’est à cela qu’est ordonnée leur génération continue, comme on le dit dans Sur la génération, II. Il est donc inapproprié de dire que ces espèces dont défaut à un certain moment.

[22485] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, si plantae et animalia remanebunt; aut omnia, aut quaedam. Si omnia, oportebit etiam animalia bruta quae prius fuerunt mortua resurgere, sicut et homines resurgent; quod dici non potest, quia cum forma eorum in nihilum cedat, non potest eadem numero resumi. Si autem non omnia, sed quaedam; cum non sit major ratio de uno quam de alio quod in perpetuum maneat; videtur quod nullum eorum in perpetuum manebit. Sed quidquid remanebit post mundi innovationem, in perpetuum erit, generatione et corruptione cessante. Ergo plantae et animalia penitus post mundi innovationem non erunt.

Cependant, [1] si les plantes et les animaux demeurent, soit tous le feront, soit certains. Si tous [demeurent], il faudra aussi que les animaux sans raison qui sont morts ressuscitent, comme les hommes ressusciteront, ce qu’on ne peut pas dire parce que, leur forme tombant dans le néant, la même numériquement ne peut être reprise. Mais si tous [ne demeurent pas], mais seulement certains, puisqu’il n’y a pas de raison qu’un demeure éternellement plutôt qu’un autre, il semble qu’aucun d’entre eux ne demeurera éternellement. Or, tout ce qui demeurera après le renouvellement du monde le fera pour l’éternité, alors que la génération et la corruption cesseront. Les plantes et les animaux n’existeront donc plus du tout après le renouvellement du monde.

[22486] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 de Gener., in animalibus et plantis et hujusmodi corporibus speciei perpetuitas non conservatur nisi secundum continuationem motus caelestis. Sed tunc motus caelestis deficiet. Ergo non poterit perpetuitas in istis speciebus conservari.

[2] Selon le Philosophe, dans Sur la génération, II, la perpétuité de l’espèce chez les animaux, les plantes et les corps de ce genre n’est conservée qu’en raison de la continuation du mouvement céleste. La perpétuité de ces espèces ne pourra donc pas être conservée.

[22487] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, cessante fine, cessare debet id quod est ad finem. Sed animalia et plantae factae sunt ad animalem vitam hominis sustentandam; unde dicitur Gen. 9, 3: sicut olera virentia dedi vobis omnem carnem. Sed post illam innovationem animalis vita in homine non erit. Ergo nec plantae nec animalia remanere debent.

[3] La fin disparaissant, ce qui était ordonné à cette fin doit cesser. Or, les animaux et les plantes ont été créées pour sustenter la vie de l’homme, comme il est dit dans Gn 9, 3 : De même que la verdure, je vous ai donné toute chair. Or, après ce renouvellement, il n’y aura pas de vie animale chez l’homme. Les plantes ni les animaux ne doivent donc pas demeurer.

[22488] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod cum innovatio mundi propter hominem fiat, oportet quod innovationi hominis conformetur. Homo autem innovatus de statu corruptionis in incorruptionem transiet ad statum perpetuae quietis, ut dicitur 1 Corinth. 15, 53: oportet corruptibile hoc induere incorruptionem; et ideo mundus hoc modo innovabitur, ut abjecta omni corruptione et transmutatione, perpetuo remaneat in quiete; unde ad illam innovationem nihil ordinari poterit nisi quod habet ordinem ad incorruptionem. Hujusmodi autem sunt corpora caelestia, elementa, et homines. Corpora enim caelestia secundum sui naturam incorruptibilia sunt et secundum totum et secundum partem; elementa vero sunt quidem corruptibilia secundum partes, et incorruptibilia secundum totum; homines vero corrumpuntur et secundum totum et secundum partes; sed hoc ex parte materiae, non ex parte formae, scilicet animae rationalis, quae post corruptionem hominis remanet incorrupta; animalia vero bruta et plantae et mineralia et omnia corpora mixta corrumpuntur et secundum totum et secundum partem, et ex parte materiae quae formam amittit, et ex parte formae quae actu non manet; et sic nullo modo habent ordinem ad incorruptionem. Unde in illa innovatione non manebunt, sed sola ea quae dicta sunt.

Puisque le renouvellement du monde est réalisé à cause de l’homme, il est nécessaire qu’il soit conforme au renouvellement de l’homme. Or, l’homme renouvelé de l’état de corruption à l’incorruption passera à un état de repos éternel, comme il est dit en 1 Co 15, 33 : Il est nécessaire que ce qui est corruptible revête l’incorruption. Aussi le monde sera-t-il renouvelé de sorte que, toute corruption et tout changement ayant été rejetés, il reste éternellement en repos. Rien ne pourra donc être ordonné à ce renouvellement sans être ordonné à l’incorruption. Or, les corps célestes, les éléments et les hommes sont de cette sorte. En effet, les corps célestes sont incoruptibles dans leur ensemble et dans leurs parties ; cependant, les éléments sont corruptibles dans leurs parties et incorruptibles dans leur tout ; mais les hommes se corrompent tant selon leur tout que selon leurs parties, mais cela, du point de vue de la matière, et non du point de vue de la forme, l’âme raisonnable, qui demeure incorrompue après la corruption de l’homme. Quant aux animaux sans raison, aux plantes, aux minéraux et à tous les corps mixtes, il se corrompent selon leur tout et selon leurs parties, tant du point de vue de la matière qui perd la forme, que du point de vue de la forme qui ne demeure pas en acte. Ils ne sont donc ordonnés d’aucune manière à l’incorruption. Lors de ce renouvellement, ils ne demeureront donc pas, mais seules les choses qu’on a dites [le feront].

[22489] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hujusmodi corpora dicuntur esse ad ornatum elementorum, inquantum virtutes activae et passivae generales quae sunt in elementis, ad speciales actiones contrahuntur; et ideo sunt ad ornatum elementorum in statu actionis et passionis. Sed hic status in elementis non remanebit; unde nec animalia nec plantas remanere oportet.

1. On dit que ces corps existent pour embellir les éléments pour autant que les puissances actives et passives générales qui existent dans les éléments sont limitées à des actions particulières ; ils existent donc pour embellir les éléments dans l’état d’action et de passion. Or, cet état ne demeurera pas dans les éléments. Aussi n’est-il pas nécessaire que les animaux ni les plantes demeurent.

[22490] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nec animalia nec plantae, nec aliqua alia corpora in ministrando homini aliquid meruerunt, cum libertate arbitrii careant; sed pro tanto dicuntur quaedam corpora remunerari, quia homo meruit ut illa innoventur quae ad innovationem ordinem habent. Plantae autem et animalia non habent ordinem ad innovationem, ut praedictum est, unde ex hoc homo non meruit ut illa innoventur; quia nullus potest alteri mereri nisi id cujus est capax, nec etiam sibi ipsi. Unde etiam dato quod animalia bruta mererentur in ministerio hominis, non tamen essent innovanda.

2. Ni les animaux, ni les plantes, ni d’autres corps n’ont mérité quelque chose en servant l’homme, puisqu’il leur manque la liberté ; mais on dit que certains corps sont récompensés dans la mesure où l’homme a mérité que soient renouvelés ceux qui sont ordonnés au renouvellement. Or, les plantes et les animaux ne sont pas ordonnés au renouvellement comme on l’a dit plus haut. L’homme n’a donc pas ainsi mérité qu’ils soient renouvelés, car nul ne peut mériter pour un autre que ce dont il est capable, pas plus que pour lui-même. Même en admettant que les animaux sans raison mériteraient en servant l’homme, ils ne devraient donc pas être renouvelés.

[22491] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut perfectio hominis multipliciter assignatur; est enim perfectio naturae conditae, et naturae glorificatae; ita etiam perfectio universi est duplex; una secundum statum hujus mutabilitatis, altera secundum statum futurae novitatis. Plantae autem et animalia sunt de perfectione ejus secundum statum istum, non autem secundum statum novitatis illius, cum ordinem ad eam non habeant.

 

[22492] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis animalia et plantae quantum ad quaedam alia, sint nobiliora quam ipsa elementa; tamen quantum ad ordinem incorruptionis, elementa sunt nobiliora, ut ex dictis patet.

3. De même que la perfection de l’homme est attribuée de manière multiple (en effet, il existe une perfection de la nature créée et de la nature glorifiée), de même la perfection de l’univers est-elle double : l’une selon l’état de changement présent, l’autre selon l’état du renouvellement à venir. Or, les plantes et les animaux font partie de sa perfection dans l’état présent, mais non dans l’état de renouvellement, puisqu’ils ne lui sont pas ordonnés.

 

4. Bien que les animaux et les plantes soient plus nobles que les éléments sous certains aspects, par rapport à l’incorruption, les éléments sont cependant plus nobles, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[22493] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod naturalis appetitus ad perpetuitatem, qui inest animalibus et plantis, est accipiendus secundum ordinem ad motum caeli, ut scilicet tantum in esse permaneant, quantum motus caeli durabit; non enim potest appetitus esse in effectu ut permaneat ultra causam suam. Et ideo si, cessante motu primi mobilis, plantae et animalia non remaneant secundum speciem, non sequitur appetitum naturalem frustrari.

5. Le désir naturel de perpétuité qui existe chez les animaux et les plantes doit s’entendre selon l’ordre au mouvement du ciel, à savoir qu’ils demeurent dans l’être aussi longtemps que dure le mouvement du ciel. En effet, le désir ne peut se réaliser au-delà de sa cause. Si les plantes et les animaux ne demeurent pas selon leur espèce lorsque cesse le mouvement du premier mobile, il n’en découle donc pas que le désir naturel est vain.

 

 

Expositio textus

Explication du texte – Distinction 48

[22494] Super Sent., lib. 4 d. 48 q. 2 a. 5 expos. Cum tamen virtute divinitatis sit suscitaturus, non humanitatis. Sed contra est quod dicitur in Glossa 1 Corinth. 15, quod resurrectio Christi fuit causa nostrae resurrectionis. Sed Christus secundum humanitatem resurrexit. Ergo virtute humanitatis corpora resuscitabit. Et dicendum, quod sicut Damascenus in 3 Lib., dicit, humanitas Christi est quasi divinitatis organum, sicut corpus animae; unde effectus aliquis potest attribui humanitati Christi dupliciter. Uno modo secundum se, sicut attribuitur ei tangere leprosum, et hujusmodi; alio modo inquantum est instrumentum divinitatis; sicut attribuitur ei tactu suo leprosum mundare. Hoc autem modo attribuitur humanitati Christi sua resurrectione nostram causare, sicut tactu suo leprosum mundare. Et quia instrumentum non agit nisi in virtute principalis agentis; inde est quod dicitur Christus resuscitaturus corpora non virtute humanitatis, sed divinitatis; quamvis sua resurrectio sit nostrae resurrectionis causa per modum quo tactus leprosi est causa mundationis. Per verbum filium Dei fit animarum resurrectio, per verbum factum in carne filium hominis fit corporum resurrectio. Sed contra, quia sicut resurrectio Christi dicitur esse causa resurrectionis nostrae corporalis, ita et spiritualis, ut patet per illud Rom. 4, 25: resurrexit propter justificationem nostram. Et dicendum, quod utrumque fit principaliter virtute divina, et quasi instrumentaliter per operationem humanitatis Christi; sed tamen spiritualis resurrectio appropriatur divinitati; corporalis vero humanitati per appropriationem quamdam; ut servetur similitudo inter effectum et causam. Filius cum patre et spiritu sancto eadem vita est, quae pertinet ad animam non ad corpus. Sed contra, quia omnis vita tam spiritualis quam corporalis oritur a vita divina, et imitatur eam, ut patet per Dionysium, 6 cap. de Divin. Nomin. Et dicendum, quod dicitur non pertinere ad corpus, quia corpus non potest ejus esse particeps per cognitionem et amorem. Angeli deferent ante signum crucis. Sed contra est quod signum illud crucis non habet aliquem ordinem ad incorruptionem; et ita non remanebit post illam innovationem. Et dicendum, quod signum crucis non accipitur hic pro ipso ligno crucis dominicae, sed pro aliqua repraesentatione ipsius. Columnae caeli pavent adventum ejus. Columnae caeli hic dicuntur Angeli qui caelos movent, quia in eorum virtute sustentatur tota efficacia caelestis actionis, cum omnia corpora regantur per spiritum vitae rationalem, ut Augustinus dicit 3, de Trinit. Quantum luxit sol in prima conditione septem dierum ante peccatum primi hominis, tantum lucebit post judicium. Intelligenda est haec comparatio secundum commodum quod homo percipit ex lumine caelestium corporum quod fuit majus ante peccatum quam post; quamvis post resurrectionem realiter magis luceant, ut dictum est. Significat, solem et lunam his qui erunt in aeterna beatitudine, nullum lucis usum praestare. Hoc intelligendum est de usu necessitatis, ut prius dictum est. Ne impii in tormentis sub terra positi fruantur luce eorum. Secundum hoc videtur Isidorus sensisse, quod Infernus sit in alia superficie terrae; cum tamen ab aliis dicatur, quod sit in profundo terrae. Quidam vero dicunt, Isidorum etiam hoc sensisse, quod Infernus sit in profundo terrae; sed quod ex alia superficie terrae sit aliquis magnus terrae hiatus, unde lumen solis ad alios qui sunt in Inferno pervenire posset, si sol terram circuiret: quod utrum verum sit, omnino certum non est.

 

 

 

Distinctio 49

Distinction 49 – [Les récompenses et les peines qui découlent du jugement général]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [En quoi faut-il chercher la béatitude ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[22495] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae pertinent ad judicium generale, in parte hac incipit determinare de praemiis et poenis quae judicium generale sequuntur; et dividitur in partes duas: in prima determinat de praemiis bonorum; in secunda de poenis malorum, 50 dist., ibi: hic oritur quaestio et cetera. Prima autem pars dividitur in partes tres: in prima enim describit qualis erit beatitudo sanctorum, quae eis in praemium post generale judicium dabitur; in secunda ostendit quomodo ad eam consequendam omnis humanus appetitus tendat, ibi: solet etiam quaeri de beatitudine, utrum omnes eam velint. In tertia qualiter eam habentes, diversimode ipsam participant, ibi: solet etiam quaeri, utrum aliquid de Deo cognoscat aliquis magis meritus, ut Petrus, quod non cognoscat aliquis minus meritus, ut Linus. Circa hoc tria facit: primo ostendit diversitatem quae in beatitudine sanctorum accidit ex parte cognitionis; secundo ex parte gaudii, vel delectationis, ibi: solet etiam quaeri, an in gaudio dispares sint. Tertio inquirit de augmento beatitudinis, quod accidet ex resumptione corporis, ibi: post hoc quaeri solet, si beatitudo sanctorum major sit futura post judicium quam interim. Hic quaeruntur quinque. Primo de beatitudine. Secundo de visione Dei, in qua principaliter beatitudo consistit. Tertio de delectatione, quae formaliter beatitudinem complet. Quarto de dotibus quae in beatitudine continentur. Quinto de aureolis, quibus beatitudo perficitur et decoratur. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 in quo sit quaerenda beatitudo; 2 quid sit; 3 utrum omnes eam appetant; 4 utrum ab omnibus aequaliter participetur.

Après avoir déterminé de ce qui se rapporte au jugement général, le Maître commence à déterminer, dans cette partie, des récompenses et des peines qui découlent du jugement général. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des récompenses des bons ; dans la seconde, des peines des méchants, d. 50, à cet endroit : « Ici, une question est soulevée, etc. » La première partie se divise en trois : dans la première, en effet, il décrit ce qu’est la béatitude des saints, qui leur sera donnée comme récompense après le jugement général ; dans la deuxième, il montre que tout le désir humain tend à l’obtenir, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si tous la veulent » ; dans la troisième, comment ceux qui la possèdent y participent de diverses façons, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si celui qui est plus méritant, comme Pierre, connaît plus de Dieu, que celui qui est moins méritant, comme Lin. » À ce propos, [le Maître] fait trois choses : premièrement, il montre la diversité qui survient dans la béatitude des saints du point de vue de la connaissance ; deuxièmement, du point de vue de la joie ou de la délectation, à cet endroit : « On aussi coutume de se demander s’ils sont inégaux dans la joie » ; troisièmement, il s’interroge sur l’accroissement de la béatitude qui viendrait de la reprise du corps, à cet endroit : « Après cela, on a coutume de se demander si la béatitude des saints sera plus grande après la jugement qu’entre-temps. » Ici, cinq questions sont posées. Premièrement, de la béatitude ; deuxièmement, de la vision de Dieu ; troisièmement, de la délectation ; cinquièmement, des auréoles, par lesquelles la béatitude est achevée et embellie. du premier point, quatre questions sont posées : 1 – En quoi faut-il chercher la béatitude ? 2 – Qu’est-ce que la béatitude ? 3 – Tous la désirent-ils ? 4 – Tous y participent-ils également ?

 

 

Articulus 1 [22496] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 tit. Utrum beatitudo in bonis corporis consistat

Article 1 – La béatitude consiste-t-elle dans les biens du corps ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La béatitude consiste-t-elle dans les biens du corps ?]

[22497] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beatitudo in bonis corporis consistat. Quia quod a pluribus dicitur, impossibile est falsum esse totaliter, ut Commentator dicit in Libr. de anima; et philosophus dicit in 7 Ethicor., quod opinio non perditur, quam populi multi famant. Sed major hominum multitudo inclinatur ad quaerendum corporales delectationes et corporalia bona quasi finem. Ergo finis humanae vitae in corporalibus bonis consistit. Finem autem humanae vitae dicimus beatitudinem. Ergo beatitudo in bonis corporis quaerenda est.

1. Il semble que la béatitude consiste dans les biens du corps, car ce que beaucoup disent ne peut pas être totalement faux, comme le disent le Commentateur dans le livre Sur l’âme, et le Philosophe dans Éthique, VII : « L’opinion à laquelle beaucoup accordent crédit ne s’égare pas. » Or, la majorité des hommes est encline à la recherche des plaisirs corporels et des biens corporels en tant que fin. La fin de la vie humaine consiste donc dans les biens corporels. Or, nous appelons béatitude la fin de la vie humaine. La béatitude doit donc être recherchée dans les biens corporels.

[22498] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quanto aliquis finis est magis ultimus in consecutione, tanto prior est in intentione et appetitu. Sed homo prius appetit corporale bonum quam spirituale, cum ex amore corporalium rerum in amorem invisibilium manuducamur, ut Gregorius dicit. Ergo bonum corporale est ultimus finis noster. Talis autem finis est beatitudo. Ergo in bonis corporalibus beatitudo est quaerenda.

2. Plus une fin est dernière par l’exécution, plus elle est première par l’intention et le désir. Or, l’homme désire le bien corporel avant le bien spirituel, puisque nous sommes menés vers l’amour des réalités invisibles à partir de l’amour des réalités corporelles, comme le dit Grégoire. Le bien corporel est donc notre fin ultime. Or, telle est la béatitude. La béatitude doit donc être recherchée dans les biens corporels.

[22499] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquod bonum est communius, tanto divinius, ut patet in 1 Ethic. Sed bonum corporale communius est quam spirituale: quia corporale ad plantas et animalia bruta se extendit, non autem spirituale. Ergo corporale bonum spirituali praeminet; et ita in corporalibus bonis magis est beatitudo quaerenda.

3. Plus un bien est général, plus il est divin, comme cela ressort d’Éthique, I. Or, le bien corporel est plus général que le bien spirituel, car ce qui est corporel s’étend aux plantes et aux animaux sans raison, mais non ce qui est spirituel. Le bien corporel l’emporte donc sur le bien spirituel, et ainsi la béatitude doit être recherchée dans les biens corporels.

[22500] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, beatitudo ab omnibus ponitur finis virtutis. Sed virtus habet finem suum non solum in bonis spiritualibus, sed etiam in corporalibus: per virtutem enim temperantiae et alias virtutes homo conservatur a nocivis etiam secundum corpus. Ergo beatitudo non solum in spiritualibus, sed etiam in corporalibus bonis est quaerenda.

4. Tous donnent la béatitude comme fin de la vertu. Or, la vertu a sa propre fin, non seulement dans les biens spirituels, mais aussi dans les biens corporels : en effet, par la vertu de tempérance et les autres vertus, l’homme se garde de ce qui nuit, même selon le corps. La béatitude doit donc être recherchée non seulement dans les réalités spirituelles, mais aussi dans les réalités corporelles.

[22501] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in 2 Phys., felicitas et fortuna circa idem esse videntur. Sed bona fortunae sunt corporalia. Ergo bona in quibus consistit beatitudo et felicitas, sunt corporalia.

5. Selon le Philosophe, dans Physique, II, la félicité et la fortune semblent porter sur la même chose. Or, les biens de la fortune sont corporels. Les biens dans lesquels consistent la béatitude et la félicité sont donc corporels.

[22502] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 6 Praeterea homo ex anima et corpore constituitur. Ergo bonum hominis debet esse commune animae et corpori. Sed bonum spirituale non potest esse commune corpori; bonum autem corporale potest esse commune animae, inquantum anima de corporalibus delectatur. Ergo beatitudo, quae est bonum hominis, magis consistit in corporalibus quam in spiritualibus bonis.

6. L’homme est constituté de corps et d’âme. Le bien de l’homme doit donc être commun à l’âme et au corps. Or, le bien spirituel ne peut être commun au corps, mais le bien corporel peut être commun à l’âme pour autant que l’âme se délecte des biens corporels. La béatitude, qui est le bien de l’homme, consiste donc plutôt dans les biens corporels que dans les biens spirituels.

[22503] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod convenit homini secundum corpus, potest esse commune sibi et aliis animalibus. Sed beatitudo aliis animalibus non potest competere. Ergo beatitudo non est quaerenda in bonis corporis.

Cependant, [1] ce qui convient à l’homme selon son corps peut être commun à lui et aux autres animaux. Or, la béatitude ne peut convenir aux autres animaux. La béatitude ne doit donc pas cherchée dans les biens du corps.

[22504] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, beatitudo est summum bonum hominis. Ergo in praecipuis hominis bonis est quaerenda. Sed bona animae sunt nobiliora bonis corporis, sicut et anima corpore nobilior. Ergo beatitudo est quaerenda in bonis animae.

[2] La béatitude est le bien suprême de l’homme : elle doit donc être cherchée dans les principaux biens de l’homme. Or, les biens de l’âme sont plus nobles que les biens du corps, comme l’âme est aussi plus noble que le corps. La béatitude doit donc être cherchée dans les biens de l’âme.

[22505] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, illud quod est ultima mensura, non est aliquo modo mensuratum. Ergo illud quod non potest esse bonum nisi prout est mensuratum, non potest esse mensura ultima in rebus humanis; et ita nec ultimus finis, qui est beatitudo; cum finis sit mensura imponens modum his quae sunt ad finem. Sed bona corporalia non sunt laudabilia nec bona nisi inquantum sunt mensura virtutis, ut patet per philosophum in 2 Ethic. Ergo in bonis corporalibus non potest esse beatitudo.

[3] Ce qui est la mesure ultime n’est mesuré d’aucune façon. Ce qui ne peut être bon que si cela est mesuré ne peut donc être la mesure ultime dans la choses humaines, et ainsi, la fin ultime non plus, qui est la béatitude, puisque la fin est la mesure qui impose le mode de ce qui se rapporte à la fin. Or, les biens corporels ne sont ni louables ni bons que dans la mesure où ils sont la mesure de la vertu, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, II. La béatitude ne peut donc pas consister dans les biens corporels.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La béatitude consiste-t-elle davantage dans ce qui relève de la volonté que dans ce qui relève de l’intellect ?]

[22506] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo magis consistat in his quae sunt voluntatis quam in his quae sunt intellectus. Quia beatitudo est summum bonum. Sed bonum est objectum voluntatis inquantum hujusmodi, non autem intellectus. Ergo beatitudo magis consistit in actu voluntatis quam intellectus.

1. Il semble que la béatitude consiste davantage dans ce qui relève de la volonté que dans ce qui relève de l’intellect, car la béatitude est le bien suprême. Or, le bien est l’objet de la volonté en tant que telle, et non de l’intellect. La béatitude consiste donc plutôt dans un acte de la volonté que dans un acte de l’intellect.

[22507] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, delectatio, secundum philosophum in 7 Ethic., ad beatitudinem requiritur; unde et in Graeco nomen beatitudinis a gaudio accipitur. Sed delectatio est in voluntate, sive in affectu. Ergo et beatitudo.

2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VII, la délectation est nécessaire à la béatitude ; aussi le mot de « béatitude » en grec vient-il de « joie ». Or, la délectation se trouve dans la volonté ou dans l’affectivité. Donc, la béatitude aussi.

[22508] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 10 Ethic., in actu nobilissimae virtutis consistit felicitas sive beatitudo. Sed caritas est excellentissima omnium virtutum, ut patet per apostolum 1 Corinth. 13. Ergo cum caritas sit in voluntate, ibi quaerenda est beatitudo.

3. Selon le Philosophe, dans Éthique, X, la félicité ou la béatitude consiste dans l’acte de la vertu la plus noble. Or, la charité est la plus excellente de toutes les vertus, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre en 1 Co 13. Puisque la charité se situe dans la volonté, il faut donc y chercher la béatitude.

[22509] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut anima imperat corpori, ita voluntas imperat intellectui, et per consequens est eo superior. Sed beatitudo magis ponitur in bonis animae quam corporis, quia anima est superior corpore. Ergo eadem ratione magis debet poni in voluntate quam in intellectu.

4. De même que l’âme commande au corps, de même la volonté commande-t-elle à l’intellect et, par conséquent, elle lui est supérieure. Or, la béatitude consiste plutôt dans les biens de l’âme que dans ceux du corps, car l’âme est supérieure au corps. Pour la même raison, elle doit donc plutôt consister dans la volonté que dans l’intellect.

[22510] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, beatitudo hominis consistit in perfecta conjunctione ad Deum. Sed perfectius homo conjungitur Deo per voluntatem quam per intellectum; unde dicit Hugo de sancto Victore, 7 cap. Cael. Hier. super illud: mobile, et acutum etc.: dilectio supereminet scientiae, et major est intelligentia. Plus enim Deus diligitur quam intelligatur; intrat dilectio ubi scientia foris est. Ergo beatitudo consistit magis in dilectione quam in cognitione, et in voluntate quam in intellectu.

5. La béatitude de l’homme consiste dans une parfaite union à Dieu. Or, l’homme est plus parfaitement uni à Dieu par la volonté que par l’intellect. Aussi Hugues de Saint-Victor dit-il, dans la Hiérarchie céleste, VII, de : « Mobile, aiguisé, etc. » : « L’amour l’emporte sur la science et est plus grand que l’intelligence. En effet, Dieu est davantage aimé que compris ; l’amour pénètre là où la science reste dehors. » La béatitude consiste donc davantage dans l’amour que dans la connaissance, et dans la volonté que dans l’intellect.

[22511] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 17, 3: haec est vita aeterna ut cognoscant te verum Deum, et quem misisti Jesum Christum. Sed vita aeterna est ipsa beatitudo. Ergo beatitudo in cognitione consistit.

Cependant, [1] il est dit en Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. Or, la vie éternelle est la béatitude même. La béatitude consiste donc dans la volonté.

[22512] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, super illud: cum tradiderit regnum Deo et patri, dicit Glossa: idest, cum perduxerit credentes ad contemplationem Dei patris, ubi est finis omnium, requies sempiterna et gaudium. Sed hoc est beatitudo. Ergo in contemplatione intellectus beatitudo consistit.

[2] À propos de 1 Co 15 : Lorsqu’il aura livré le royaume au Dieu et Père, la Glose dit : « C’est-à-dire lorsqu’il aura mené les croyants à la contemplation de Dieu, le Père, en qui se trouve la fin de tout, le repos éternel et la joie. » Or, telle est la béatitude. La béatitude consiste donc dans la contemplation de l’intellect.

[22513] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, philosophus in 10 Eth. ostendit quod in contemplativae virtutis actu ultima hominis beatitudo consistit. Sed hoc pertinet ad intellectum. Ergo beatitudo maxime consistit in intellectu.

[3] Dans Éthique, X, le Philosophe montre que la béatitude ultime de l’homme consiste dans l’acte d’une vertu contemplative. Or, cela relève de l’intelligence. La béatitude consiste donc surtout dans l’intellect.

[22514] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 4 Praeterea, secundum philosophum in 1 Ethic., bonum in quo per se est sufficientia, est felicitas vel beatitudo. Sed hoc est in cognitione, ut patet Joan. 14, 8: domine ostende nobis patrem, et sufficit nobis. Ergo idem quod prius.

[4] Selon le Philosophe, dans Éthique, I, le bien dans lequel se trouve la suffisance est la félicité ou béatitude. Or, cela se trouve dans la connaissance, comme cela ressort de Jn 14, 8 : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. La conclusion est donc la même qu’antérieurement.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La béatitude consiste-t-elle dans un acte de l’intellect pratique plutôt que spéculatif ?]

[22515] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo magis consistat in actu intellectus practici quam speculativi. Quanto enim aliquod bonum est communius, tanto est divinius, ut patet in 1 Ethic. Sed bonum intellectus speculativi est singulariter ejus qui speculatur; bonum autem intellectus practici potest esse commune multorum. Ergo magis consistit beatitudo in intellectu practico quam speculativo.

1. Il semble que la béatitude consiste plutôt dans un acte de l’intellect pratique que spéculatif. En effet, plus un bien est commun, plus il est divin, comme cela ressort d’Éthique, I. Or, le bien de l’intellect spéculatif est individuellement le bien de celui qui spécule ; mais le bien de l’intellect pratique peut être commun à un grand nombre. La béatitude consiste donc plutôt dans l’intellect pratique que dans l’intellect spéculatif.

[22516] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, beatitudo est ultima perfectio hominis. Sed major est perfectio alicujus rei secundum quod est causa alterius, quam secundum quod in se perfecta existit; unde dicit Dionysius in 3 cap. Caelest. Hierarch., quod omnium divinius est Dei cooperatorem fieri in reductione aliorum. Per intellectum autem speculativum homo habet perfectionem in seipso; intellectus autem practicus est causa aliorum. Ergo beatitudo magis consistit in intellectu practico quam in speculativo.

2. La béatitude est la perfection ultime de l’homme. Or, la perfection d’une chose est plus grande lorsqu’elle est cause d’une autre, que lorsqu’elle est parfaite en elle-même. Aussi Denys dit-il, dans La hiérarchie céleste, III, qu’il est plus grand que tout de devenir le collaborateur de Dieu pour ramener les autres. Or, par l’intellect spéculatif, l’homme possède la perfection en lui-même ; mais l’intellect pratique est cause pour les autres. La béatitude consiste donc plutôt dans l’intellect pratique que spéculatif.

[22517] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, finis est conformis his quae sunt ad finem. Sed beatitudo est finis et praemium virtutum, ut in 1 Ethic. dicitur; virtutes autem magis consistunt in operatione quam in cognitione; quia scire, parum, vel nihil prodest ad virtutem, ut patet 2 Ethic. Ergo beatitudo magis consistit in intellectu practico quam in speculativo.

3. La fin est conforme à ce qui existe en vue de la fin. Or, la béatitude est la fin et la récompense des vertus, comme on le dit dans Éthique, I ; mais les vertus consistent plutôt dans l’action que dans la connaissance, car savoir contribue peu ou pas du tout à la vertu, comme cela ressort d’Éthique, II. La béatitude consiste donc plutôt dans l’intellect pratique que spéculatif.

[22518] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4 Praeterea, beatitudo hominis consistit in eo quod est in homine nobilius. Sed intellectus practicus est nobilior speculativo, quia ipse legem ponit speculativo intellectui; per prudentiam enim legislatoris ordinatur qualiter quis discere debeat disciplinas speculativas, ut patet in 1 Ethic. Ergo beatitudo magis est in intellectu practico quam speculativo.

4. La béatitude de l’homme consiste dans ce qui est le plus noble dans l’homme. Or, l’intellect pratique est plus noble que le spéculatif, car il impose sa loi à l’intellect spéculatif : en effet, par la prudence du législateur, est ordonné qui doit apprendre les discipline spéculatives, comme cela ressort d’Éthique, I. La béatitude se trouve donc davantage dans l’intellect pratique que spéculatif.

[22519] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, beatitudo, cum sit ultimus finis, propter seipsam quaeritur, et non propter alterum. Sed cognitio practica ordinatur ad alterum tamquam ad finem, quia ad opus, ut in 2 Metaph. dicitur; non autem speculativa, sed propter seipsam quaeritur, ut patet in 1 Metaphys. Ergo beatitudo magis consistit in intellectu speculativo quam practico.

Cependant, [1] puisqu’elle est la fin ultime, la béatitude est recherchée pour elle-même, et non pour quelque chose d’autre. Or, la connaissance pratique est ordonnée à quelque chose d’autre comme à sa fin, car [elle est ordonnée] à une œuvre, comme on le dit dans Métaphysique, II ; mais ce n’est pas le cas de la [connaissance] spéculative, qui est recherchée pour elle-même, comme cela ressort de Métaphysique, I. La béatitude consiste donc plutôt dans l’intellect spéculatif que dans l’intellect pratique.

[22520] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, beatitudo nostra consistit in hoc quod Deo conjungimur. Sed nos non conjungimur Deo per intellectum practicum, sed per speculativum. Ergo beatitudo magis consistit in intellectu speculativo quam practico.

[2] Notre béatitude consiste dans le fait que nous soyons unis à Dieu. Or, nous ne sommes pas unis à Dieu par l’intellect pratique, mais par l’intellect spéculatif. La béatitude consiste donc dans l’intellect spéculatif plutôt que pratique.

[22521] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, in ratione beatitudinis est diuturnitas, et sufficientia, et delectatio. Sed in actu contemplativi intellectus est homo magis sufficiens sibi quam in actu intellectus practici, ad quem multis auxiliis exterioribus indiget; nullaque actio est in qua homo possit ita diu persistere sicut in contemplatione, propter remotionem a corporeis instrumentis, quorum debilitas lassitudinem inducit: neque est aliqua delectatio ita pura sicut contemplationis, quia ei nullum contrarium admiscetur, neque enim contrarium habet. Ergo beatitudo maxime in actu intellectus speculativi consistit.

[3] La pérennité, la suffisance et la délectation font partie de la béatitude. Or, par l’acte de l’intellect spéculatif, l’homme se suffit davantage à lui-même que par l’acte de l’intellect pratique, pour lequel il a besoin de beaucoup d’aide extérieure ; il n’y a non plus aucune action dans laquelle l’homme puisse persévérer aussi longtemps que la contemplation, en raison de l’éloignement des instruments corporels dont la faiblesse entraîne la lassitude ; il n’existe pas non plus de délectation aussi pure que celle de la contemplation, car rien de contraire ne lui est mêlé (en effet, rien ne lui est contraire). La béatitude consiste donc surtout dans l’acte de l’intellect spéculatif.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La béatitude est-elle possédée en cette vie ?]

[22522] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo in hac vita habeatur. Quia Matth. 5, 3, dicitur: beati pauperes spiritu, quoniam ipsorum est regnum caelorum; et similiter: beati qui persecutionem patiuntur; et cetera hujusmodi. Sed omnia haec in hac vita habentur. Ergo beatitudo est in hac vita.

1. Il semble que la béatitude soit possédée en cette vie, car il est dit en Mt 5, 3 : Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! et aussi : Bienheureux ceux qui sont persécutés ! et d’autres choses de ce genre. Or, toutes ces choses arrivent en cette vie. La béatitude existe donc en cette vie.

[22523] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, si beatitudo non posset esse in hac vita, nullus beatitudinem cognosceret, nisi qui de alia vita notitiam haberet. Sed multi philosophi de beatitudine tractaverunt, futuram vitam penitus ignorantes. Ergo beatitudo potest etiam esse in hac vita.

2. Si la béatitude ne pouvait exister en cette vie, personne ne connaîtrait la béatitude, sauf ceux qui auraient connaissance d’une autre vie. Or, beaucoup de philosophes ont traité de la béatitude, alors qu’ils ignoraient totalement la vie future. La béatitude peut donc exister aussi en cette vie.

[22524] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, praesens vita hominis est perfectior quam praesens vita alicujus alterius animalis. Sed vita praesens aliorum animalium includit finem ultimum eorumdem. Ergo et vita praesens hominis beatitudinem includit, qui est finis ejus.

3. La vie présente de l’homme est plus parfaite que celle de tout autre animal. Or, la vie présente des autres animaux inclut leur fin ultime. La vie présente de l’homme inclut donc la béatitude, qui est sa fin.

[22525] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, unaquaeque res naturaliter desiderat finem suum. Sed ex desiderio finis nascitur desiderium eorum quae sunt ad finem. Illa autem praecipue sunt ordinata ad finem sine quibus ad finem perveniri non potest. Sic autem ad beatitudinem hominis mors esset ordinata, si in hac vita beatitudinem habere non posset. Ergo homo naturaliter desiderat mortem; quod experimento falsum esse sentitur, et auctoritati apostoli contradicit, qui dicit, 2 Corinth. 5, 4: nolumus expoliari, sed supervestiri. Ergo beatitudo hominis est in hac vita.

4. Chaque chose désire naturellement sa fin. Or, le désir de ce qui est ordonné à la fin naît du désir de la fin. Mais ce sans quoi on ne peut parvenir à la fin est principalement ordonné à la fin. Ainsi, la mort serait ordonnée à la béatitude de l’homme, s’il ne pouvait posséder la béatitude en cette vie. L’homme désire donc naturellement la mort, ce qui se révèle faux par l’expérience et contredit l’autorité de l’Apôtre, qui dit en 2 Co 5, 4 : Nous ne voulons pas être dépouillés, mais être revêtus. La béatitude de l’homme existe donc en cette vie.

[22526] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, nullus potest esse beatus qui non habet hoc quod bene vult. Sed quilibet beatus bene et ordinate vult sua beatitudine nunquam posse privari. Ergo quicumque hoc non habet, non est vere beatus. Sed nullus hoc in hac vita habet; quia ipsam beatitudinem quam in hac vita habere posset, oportet quod ad minus mors tollat. Ergo beatitudo in hac vita haberi non potest.

Cependant, [1] personne ne peut être heureux s’il ne possède pas ce qu’il veut en bien. Or, tous ceux qui sont heureux veulent à juste titre et de manière ordonnée ne pas pouvoir être privés de leur béatitude. Quiconque ne possède pas cela n’est donc pas vraiment heureux. Or, personne ne possède cela en cette vie, car il est nécessaire que la mort tout au moins enlève la béatitude même qu’il pourrait avoir en cette vie. La béatitude ne peut donc être possédée en cette vie.

[22527] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, nullus ad ultimum vitae jam pervenit, cui restat aliquid appetendum; eo quod beatitudo in se sufficientiam habeat, ut etiam philosophus dicit. Sed quantumcumque aliquis sit in hac vita perfectus vel scientia vel virtute vel quocumque alio modo, adhuc ei restat aliquid appetendum, scilicet multa scire quae nescit; immo bonitas etiam suae perfectionis, quamdiu haec vita durat, certa esse non potest; cum etiam sapientissimi et perfectissimi viri per infirmitates corporales possint in insaniam devenire. Ergo beatitudo in hac vita haberi non potest.

[2] Personne à qui il reste quelque chose à désirer n’est parvenu à la fin ultime de la vie, car alors la béatitude comporterait en elle-même une insuffisance, comme le Philosophe lui-même le dit. Or, aussi parfait que quelqu’un soit par la science, la vertu ou de quelque autre manière, il lui reste encore quelque chose à désirer, à savoir, connaître beaucoup de choses qu’il ne connaît pas. Bien plus, la bonté même de sa perfection ne peut être certaine, aussi longtemps que dure cette vie, puisque même les hommes les plus sages et les plus parfaits peuvent devenir fous en raison de maladies corporelles. La béatitude ne peut donc être possédée en cette vie.

[22528] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 3 Praeterea, beatitudo ab omnibus ponitur maximum bonum. Sed maximum bonum est quod est malo penitus impermixtum. Cum ergo vita haec absque malis esse non possit, quantumcumque aliquis sit sapiens et virtute perfectus (ut manifeste apparet varios casus hominis intuendo); videtur quod in hac vita beatitudo esse non possit.

[3] Tous affirment que la béatitude est le plus grand bien. Or, le plus grand bien est ce qui n’est mélangé à aucun mal. Puisque cette vie ne peut être sans maux, autant que quelqu’un soit sage ou parfait en vertu (comme cela ressort des diverses situations de l’homme), il semble donc que la béatitude ne puisse exister en cette vie.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22529] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod beatitudo, cum sit naturaliter ab omnibus hominibus desiderata, nominat ultimum humanae vitae finem. Finis autem cujuslibet rei est operatio propria, vel per operationem propriam ad finem venit. Cum autem forma propria sit in qualibet re operationis propriae principium; forma autem propria hominis, inquantum est homo, sit rationalis anima; oportet quod vel in ipsis actibus rationalis animae beatitudo consistat, vel in his ad quae homo per actus rationalis animae comparatur. Haec autem bona animae dicuntur; unde necesse est beatitudinem ponere in bonis animae, etiam secundum philosophos. Quod autem aliqui beatitudinem in bonis corporis ponunt, ex hoc provenit quod seipsos quid essent ignorabant; non enim agnoscebant se secundum id quod est in eis melius, quod eorum esse formaliter complet, sed secundum id quod de eis exterius apparet; et secundum hoc in exterioribus bonis suam beatitudinem quaesierunt.

Puisqu’elle est désirée par tous les hommes, la béatitude désigne la fin ultime de la vie humaine. Or, la fin de toute chose est son opération propre ou elle atteint sa fin par son opération propre. Puisque sa forme propre est en toute chose le principe de son opération propre et que la forme propre de l’homme, en tant qu’homme, est l’âme raisonnable, il est donc nécessaire que la béatitude consiste dans les actes de l’âme raisonnable ou dans ce à quoi l’homme est disposé par les actes de l’âme raisonnable. Or, on appelle cela les biens de l’âme ; aussi est-il nécessaire d’affirmer que la béatitude se trouve dans les biens de l’âme, même selon les philosophes. Que certains placent la béatitude dans les biens du corps, cela vient de ce qu’ils ignoraient ce qu’ils étaient eux-mêmes : en effet, ils ne se connaissaient pas selon ce qui est meilleur en eux, qui achève leur être à la manière d’une forme, mais selon ce qui apparaît d’eux à l’extérieur. Aussi ont-ils cherché leur béatitude dans les biens extérieurs.

[22530] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod multorum opinionem non est necesse esse veram simpliciter, sed secundum partem. Multitudo autem hominum in bonis corporis beatitudinem ponentium, quantum ad hoc veram opinionem habet, quod illud quod sibi optimum aestimant, hoc suam beatitudinem esse putant; et quantum ad hoc opinio eorum vera est, scilicet quod optimum hominis est beatitudo. Non autem oportet quod sit vera quantum ad hoc quod ponunt eam in bonis corporis; quia haec opinio procedit ex falsa radice, quia scilicet aestimant se principaliter esse id quod sunt secundum corpora.

1. L’opinion d’un grand nombre n’est pas nécessairement tout simplement vraie, mais en partie. Or, la multitude des hommes qui placent leur béatitude dans les biens du corps a une opinion vraie sur le point que ce qu’ils estiment le meilleur pour eux, ils pensent que cela est leur béatitude : sur ce point, leur opinion est vraie, à savoir que la béatitude est ce qu’il y a de mieux pour l’homme. Mais il n’est pas nécessaire que [leur opinion] soit vraie quant au fait qu’ils la placent dans les biens du corps, car cette opinion vient d’un principe faux puisqu’ils estiment être principalement ce qu’ils sont par leurs corps.

[22531] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod primo desideratur bonum corporale quam spirituale, per accidens contingit. Nostra enim cognitio ab universalioribus ad specialia procedit, ut patet 1 Physic.; et ideo in principio nihil cognoscimus de fine hominis nisi hoc generale quod est quoddam optimum; et sicut cognoscimus, ita desideramus; et ideo inter illa bona quae primo cognitioni occurrunt aestimamus illud bonum. Priora autem in nostra cognitione sunt sensibilia; unde in principio aestimamus quasi summa bona, sensibilia bona; sed in fine quando cognitio nostra perficitur, habemus distinctam cognitionem de hominis fine, discernendo ipsum ab aliis; et tunc appetimus summum bonum ut est, scilicet in spiritualibus. Ratio autem procedit, ac si per se loquendo appetitus boni corporalis praecederet appetitum boni spiritualis.

2. Le fait que le bien corporel est désiré avant le bien spirituel est le résultat d’un accident. En effet, notre connaissance passe de ce qui est plus universel à ce qui est plus particulier, comme cela ressort de Physique, I. Aussi ne connaissons-nous au départ de la fin de l’homme que cet aspect général qu’elle est ce qu’il y a de mieux, et nous le désirons comme nous le connaissons. C’est pourquoi, parmi les biens qui viennent en premier à la connaissance, nous estimons que cela est bon. Or, ce qui vient en premier dans notre connaissance, ce sont les choses sensibles ; aussi estimons-nous au départ que les biens sensibles sont les plus grands biens ; mais, à la fin, lorsque notre connaissance s’est améliorée, nous avons une connaissance précise de la fin de l’homme, en la distinguant des autres choses. Nous désirons alors le plus grand bien tel qu’il existe, à savoir, dans les réalités spirituelles. Or, l’argument se déroule comme si, à parler proprement, le désir du bien corporel précédait le désir du bien spirituel.

[22532] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dupliciter aliquid dicitur esse commune. Uno modo per praedicationem; hujusmodi autem commune non est idem numero in diversis repertum; et hoc modo habet bonum corporis, communitatem. Alio modo est aliquid commune secundum participationem unius et ejusdem rei secundum numerum; et haec communitas maxime potest in his quae ad animam pertinent, inveniri; quia per ipsam attingitur ad id quod est commune bonum omnibus rebus, scilicet Deum; et ideo ratio non procedit.

3. On dit que quelque chose est commun de deux manières. D’une manière, par attribution : ce qui est ainsi commun n’est pas la même chose qu’on trouve dans des choses différentes. C’est de cette manière que le bien du corps a quelque chose de commun. D’une autre manière, quelque chose est commun par participation à une seule et même chose en nombre : ce caractère commun peut se trouver dans ce qui concerne l’âme, car on atteint par elle ce qui est le bien commun de toutes choses, à savoir, Dieu. Aussi l’argument n’est-il pas concluant.

[22533] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod duplex est finis: scilicet finis operationis, et intentionis. Bonum ergo corporis potest esse finis virtutis, quasi quidam terminus vel effectus virtuosae operationis; non autem sicut in quo stet virtutis intentio; quia cum virtus sit perfectio animae, quae est corpore nobiliOr et nihil agat propter vilius se, non potest esse quod in bono corporis intentio virtutis quiescat.

4. La fin est double : la fin de l’opération et [la fin] de l’intention. Le bien du corps peut donc être la fin de la vertu comme un terme ou un effet de l’opération vertueuse, mais non comme ce en quoi se fixe l’intention de la vertu, car, la vertu étant une perfection de l’âme, qui est plus noble que le corps, et rien n’agissant pour ce qui est moins noble que soi, il ne peut arriver que l’intention de la vertu se fixe dans un bien du corps.

[22534] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod felicitas et fortuna dicuntur aliquorum dupliciter. Uno modo sicut subjectorum; et hoc modo felicitas et fortuna sunt ejusdem; quia utrumque non nisi in rationalibus potest esse. Alio modo sicut objectorum vel materiae; et sic impossibile est quod felicitas et fortuna sint eorumdem: quia fortuna est eorum quae propter aliquid aguntur, quando aliquid praeter intentionem accidit; felicitas autem vel beatitudo est quae ab omnibus intenditur, nec ad alterum ordinatur; et ideo licet corporalia bona dicantur fortunae materialiter, non tamen sequitur quod in corporalibus bonis felicitas consistat.

5. On parle de la félicité et de la fortune de certains de deux manières. D’une manière, quant à celle de sujets. De cette manière, la félicité et la fortune appartiennent au même, car les deux ne peuvent exister que chez les êtres raisonnables. D’une autre manière, quant à leurs objets ou matière. Il est ainsi impossible que la félicité et la fortune se trouvent dans les mêmes choses, car la fortune existe dans ce qui est fait pour quelque chose, lorsque quelque chose survient en dehors de l’intention. Or, la félicité ou la béatitude est ce qui est recherché par tous et qui n’est pas ordonné à quelque chose d’autre. Bien qu’on dise des biens corporels qu’ils relèvent matériellement de la fortune, il n’en découle cependant pas que la félicité consiste dans les biens corporels.

[22535] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet homo ex anima et corpore consistat, tamen esse specificum habet ex anima, non ex corpore, quia forma cujuslibet rei est principium esse ejus specifici; unde et beatitudo hominis principaliter et originaliter consistit in bonis animae. Sicut enim corpus est propter animam sicut propter finem, et materia propter formam, ut patet in 2 de anima, ita et bona corporis ordinantur in animae bona ut in finem; unde in bonis corporis beatitudo principaliter consistere non potest.

6. Bien que l’homme soit composé de corps et d’âme, il tient cependant de l’âme, et non du corps, son être spécifique, car la forme de toute chose est le principe de son être spécifique. Aussi la béatitude de l’homme consiste-t-elle principalement et en son origine dans les biens de l’âme. En effet, de même que le corps existe en vue de l’âme comme de sa fin, et la matière en vue de la forme, comme cela ressort de Sur l’âme, II, de même les biens du corps sont-ils ordonnés aux biens de l’âme comme à leur fin. Aussi la béatitude ne peut-elle consister principalement dans les biens du corps.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22536] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod beatitudinem esse in voluntate, dupliciter potest intelligi. Uno modo ita quod sit voluntatis objectum; et sic beatitudo, cum sit ultimus finis, et ex fine sit ratio boni, quod est voluntatis objectum; oportet ponere beatitudinem in voluntate esse. Alio modo ita quod sit aliquis actus voluntatis; et sic beatitudo in voluntate esse non potest. Beatitudo enim ultimum finem hominis importat. Finis autem ultimus hominis potest accipi duplex: unus in ipso, et alius extra ipsum. In ipso, sicut operatio rei dicitur esse finis ejus, cum omnis res sit propter suam operationem. Finis vero extra ipsum est, ad quod per suam operationem pertingit. Non autem quaelibet operatio potest dici finis, sed illa quae fini exteriori primo conjungit; et hoc dico quando res finem extra se habet; tunc enim oportet quod finis interior ad exteriorem ordinetur, ut sic finis exterior sit quasi finis ultimus; et finis interiOr qui est operatio, sit ad illum ordinatus; sicut videmus quod res naturales per operationes quas habent, pertingunt secundum assimilationem quamdam ad divinam bonitatem, quae est earum exterior finis. Non autem est possibile ut ipse voluntatis actus sit ultimus finis alicujus; quia cum voluntatis objectum sit finis, hoc ipsum quod est velle, et quilibet alius voluntatis actus, nihil est aliud quam ordinare aliqua in finem; unde praesupponit alium finem; et ideo si ipsum velle dicatur esse volitum, oportet praesupponere ante hoc aliquid esse volitum. Non enim potest intelligi in aliqua potentia reflexio super actum suum, nisi actu suo, in quem fit reflexio, prius terminato per objectum proprium, quod sit aliud ab ipso actu potentiae illius; alias oporteret in infinitum procedere. Si enim intellectus intelligit se intelligere, oportet quod intelligat se intelligere aliquid; et si dicas quod intelligit se intelligere hoc quod est se intelligere, adhuc oportebit aliud ponere, et sic in infinitum. Patet ergo quod ipsum intelligere non potest esse primum objectum intellectus; et eadem ratione nec ipsum velle potest esse objectum primum voluntatis. Cum ergo objectum primum voluntatis sit finis ultimus, impossibile est quod aliquis voluntatis actus sit ultimus finis voluntatis. Nec etiam potest dici quod assecutio finis exterioris sit per actum voluntatis immediate; intelligitur enim esse actus voluntatis ante assecutionem finis, ut motus quidam in finem; post assecutionem vero ut quietatio quaedam in fine. Non potest autem esse quod voluntas nunc quietetur in fine in quem prius tendebat, nisi quia voluntas alio modo se habet ad finem quam prius, vel e converso. Illud ergo quod facit voluntatem hoc modo se habere ad finem ut voluntas quietetur in ipso, est ultimus finis interior qui primo conjungit exteriori fini; sicut si alicujus finis exterior sit pecuniae, finis interior erit possessio pecuniae, per quam homo se habet ad pecuniam, ut voluntas in ea quietetur. Cum ergo ultimus finis quasi exterior humanae voluntatis sit Deus, non potest esse quod aliquis actus voluntatis sit interior finis; sed ille actus erit ultimus finis interior quo primo hoc modo se habebit ad Deum, ut voluntas quietetur in ipso. Haec autem est visio Dei secundum intellectum, quia per hanc fit quasi quidam contactus Dei ad intellectum; cum omne cognitum sit in cognoscente secundum quod cognoscitur; sicut etiam corporalis tactus ad delectabile corporeum inducit quietationem affectus. Et ideo ultimus finis hominis est in actu intellectus; et ita beatitudo, quae est ultimus finis hominis, in intellectu consistit. Tamen id quod est ex parte voluntatis, scilicet quietatio ipsius in fine, quod potest dici delectatio, est quasi formaliter complens rationem beatitudinis, sicut superveniens visioni, in qua substantia beatitudinis consistit; ut sic voluntati attribuatur et prima habitudo ad finem, secundum quod assecutionem finis appetit, et ultima, secundum quod in fine jam assecuto quietatur.

On peut comprendre de deux manières que la béatitude se trouve dans la volonté. D’une manière, de telle sorte qu’elle soit l’objet de la volonté. De cette manière, puisque la béatitude est la fin ultime et que le bien tire sa raison de la fin, qui est l’objet de la volonté, il est nécessaire d’affirmer que la béatitude se trouve dans la volonté. D’une autre manière, de telle sorte que [la béatitude] soit un acte de la volonté. De cette manière, la béatitude ne peut pas se trouver dans la volonté. En effet, la béatitude inclut la fin ultime de l’homme. Or, la fin ultime de l’homme peut s’entendre de deux manières : l’une qui est existe en lui-même, l’autre qui existe en dehors de lui. En lui-même, comme on dit que l’opération d’une chose est sa fin, puisque toute chose existe en vue de son opération. Mais la fin qui existe hors de lui est ce qu’il atteint par son opération. Or, ce n’est pas n’importe quelle opération qui peut être appelée une fin, mais celle qui unit d’abord à une fin extérieure (je parle du cas où une chose a sa fin hors d’elle-même). En effet, il faut alors que la fin intérieure soit ordonnée à [la fin] extérieure, de sorte que la fin extérieure soit pour ainsi dire la fin ultime, et que la fin intérieure, qui est l’opération, soit ordonnée à celle-ci, comme nous voyons que les choses naturelles parviennent par leurs opérations à la bonté divine, qui est leur fin extérieure, selon une certaine assimilation. Or, il n’est pas possible que l’acte même de la volonté soit la fin ultime d’une chose, car la fin étant l’objet de la volonté, l’acte même de vouloir et tout autre acte de la volonté ne sont rien d’autre que le fait d’ordonner certaines choses à la fin. Ils présupposent donc une autre fin. Si donc on appelle vouloir le fait d’être voulu, il faut présupposer avant cela que quelque chose a été voulu. En effet, dans une puissance, on ne peut concevoir que soit différent de l’acte même de cette puissance le retour qu’elle fait sur son propre acte, sinon par son propre acte, qui a eu comme terme son objet propre,                                                                                        autrement, il faudrait remonter à l’infini. En effet, si l’intellect comprend qu’il comprend, il faut qu’il comprenne qu’il intellige quelque chose, et si tu dis qu’il comprend qu’il comprend ce que c’est de se comprendre, il faudra encore affirmer autre chose, et ainsi à l’infini. Il est donc clair que l’acte même de comprendre ne peut être l’objet premier de l’intellect. Pour la même raison, l’acte même de vouloir ne peut être l’objet premier de la volonté. Or, puisque l’objet premier de la volonté est la fin ultime, il est donc impossible qu’un acte de la volonté soit la fin ultime de la volonté. On ne peut pas dire non plus que l’obtention de la fin extérieure se réalise de manière immédiate par un acte de la volonté : en effet, on comprend qu’il y a un acte de la volonté avant l’obtention de la fin, comme un mouvement vers la fin, mais après l’obtention de la fin, comme un repos dans la fin. Or, il ne peut se faire que la volonté se repose maintenant dans la fin vers laquelle elle tendait, que si la volonté a un autre rapport qu’antérieurement avec la fin, ou inversement. Ce qui fait que la volonté a un autre rapport avec la fin, de sorte qu’elle se repose en elle, est donc la fin ultime intérieure, qui unit en premier à la fin extérieure, comme si la fin intérieure de quelqu’un était la possession d’argent, par laquelle l’homme a un rapport tel avec l’argent qu’il se repose en lui. Puisque la fin pour ainsi dire extérieure de l’homme est Dieu, il ne peut arriver qu’un acte de la volonté soit la fin intérieure ; mais sera la fin ultime l’acte par lequel il aura un rapport tel avec Dieu que sa volonté se reposera en lui. Or, telle est la vision de Dieu par l’intellect, car, par elle, se réalise pour ainsi dire un contact de Dieu avec l’intellect, puisque tout ce qui est connu existe dans celui qui connaît selon qu’il est connu, de même que le contact corporel avec quelque chose de corporel qui est délectable entraîne un repos affectif. Aussi la fin ultime de l’homme est-elle un acte de l’intellect, et la béatitude, qui est la fin ultime de l’homme, réside-t-elle dans l’intellect. Cependant, ce qui existe du côté de la volonté, à savoir, son apaisement dans la fin, qu’on peut appeler délectation, complète formellement la raison de béatitude, comme s’ajoutant à la vision en laquelle consiste la substance de la béatitude. De sorte qu’on attribue à la volonté un premier rapport avec la fin, pour autant qu’elle désire l’obtention de la fin, et un dernier, selon qu’elle se repose dans la fin déjà obtenue.

[22537] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa ostendit quod beatitudo sit in voluntate sicut suum objectum, non autem quasi ejus actus.

1. Cet argument montre que la béatitude existe dans la volonté comme son objet, mais non comme son acte.

[22538] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod delectatio requiritur ad beatitudinem quasi forma completiva beatitudinis: quia delectatio perficit operationem ut quidam finis superveniens; velut si juvenibus superveniat pulchritudo, quae juventutem decorat, ut dicitur 10 Ethic.

2. La délectation est nécessaire à la béatitude comme une forme qui achève la béatitude, car la délectation perfectionne l’opération comme une fin qui s’ajoute, à la manière de la beauté qui intervient chez les jeunes, qui embellit la jeunesse, comme on le dit dans Éthique, X.

[22539] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas pro tanto dicitur esse altior virtus ceteris quae sunt in via, quia ipsa est quae ordinat omnes in Deum; ipsa est etiam cujus erit in patria ultima quietatio in Deum. Hoc tamen non dat ei quod actus ejus sit substantia ipsa beatitudinis; sed vel inclinatio quaedam in ipsam, sicut in statu viae, vel quietatio in ipsa, sicut in statu patriae.

3. On dit que la charité est une vertu plus élevée que les autres qui existent en l’état de cheminement parce que c’est elle qui les ordonne toutes vers Dieu ; c’est aussi à elle que reviendra l’ultime repos en Dieu dans la patrie. Cependant, il ne lui revient pas d’être la substance même de la béatitude, mais une certaine inclination vers elle, comme dans l’état de cheminement (in statu viae), ou un repos en elle, comme dans l’état de la patrie (in statu patriae0.

[22540] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus corporis non potest pertingere ut assequatur bonum animae; sed actus intellectus potest pertingere ad assequendum bonum quod voluntas appetit; et ideo non est simile.

4. Un acte du corps ne peut aller jusqu’à  obtenir un bien de l’âme ; mais l’acte de l’intellect peut réussir à obtenir le bien que la volonté désire. Ce n’est donc pas la même chose.

[22541] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per affectum homo perfectius Deo conjungitur quam per intellectum, inquantum conjunctio quae est per affectum, supervenit perfectae conjunctioni quae est per intellectum, perficiens et decorans eam; sed tamen oportet quod prima conjunctio sit semper per intellectum. Dilectio enim prius inclinat in conjunctionem perfectam appetendam, quam intellectus perfecte conjungat, quamvis non prius quam intellectus quoquomodo cognoscat, eo quod appetitus non potest esse incogniti omnino; et ideo dicit Hugo, quod scientia foris manet, ubi dilectio intus est.

5. L’homme peut être plus parfaitement uni à Dieu par l’affectivité que par l’intellect dans la mesure où l’union réalisée par l’affectivité s’ajoute à l’union parfaite qui existe par l’intellect, en la perfectionnant et en l’embellissant ; cependant, il est nécessaire que la première union se réalise toujours par l’intellect. En effet, l’amour incline à désirer l’union parfaite avant que l’intellect n’unisse parfaitement, bien que ce ne soit pas avant que l’intellect connaisse dans une certaine mesure, du fait que l’appétit ne peut exister dans l’ignorance totale. C’est pourquoi Hugues dit que la science demeure hors de ce que l’amour pénètre.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22542] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut ex jam dictis patet, secundum hoc in actu intellectus beatitudo hominis constituitur quod per ipsum est prima conjunctio hominis ad suum ultimum finem exteriorem, cui intellectus conjungitur, inquantum cognoscit ipsum. Illud autem quod est cognitum per intellectum practicum, non potest esse ultimus finis exteriOr quia cognitio intellectus practici ordinatur ad cognitum sicut causa ad effectus. Effectus autem alicujus non potest esse ultimus finis ejus, quia perfectio causae non dependet ab effectu, sed e converso; et ideo impossibile est quod beatitudo in actu intellectus practici consistat, sed solum in actu intellectus speculativi; et inde est quod omnis cognitio practica est propter aliquod aliud appetibile; sed cognitio speculativa magis appetitur propter seipsam.

Comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, la béatitude de l’homme se trouve dans l’acte de l’intellect selon que, par lui, se réalise la première union de l’homme à sa fin ultime extérieure, à laquelle l’intellect est uni dans la mesure où il la connaît. Or, ce qui est connu par l’intellect pratique ne peut être la fin ultime extérieure, car la connaissance de l’intellect pratique est ordonnée à ce qui est connu comme la cause aux effets. Or, l’effet de quelque chose ne peut être sa fin ultime, car la perfection de la cause ne dépend pas de l’effet, mais c’est l’inverse. Aussi est-il impossible que la béatitude consiste dans un acte de l’intellect pratique, mais seulement dans un acte de l’intellect spéculatif. De là vient que toute connaissance pratique existe en vue de quelque chose d’autre qui est désirable ; mais la connaissance spéculative est plutôt désirée pour elle-même.

[22543] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod bonum cui intellectus speculativus conjungitur per cognitionem, est communius bono cui conjungitur intellectus practicus, inquantum intellectus speculativus magis separatur a particulari quam intellectus practicus cujus cognitio in operatione perficitur, quae in singularibus consistit. Sed hoc est verum quod assecutio finis, ad quem pervenit intellectus speculativus, inquantum hujusmodi, est propria assequenti; sed assecutio finis quem intellectus practicus intendit, potest esse propria et communis, inquantum per intellectum practicum aliquis se et alios dirigit in finem, ut patet in rectore multitudinis; sed aliquis ex hoc quod speculatur, ipse singulariter dirigitur in speculationis finem. Ipse autem finis intellectus speculativi tantum praeeminet bono intellectus practici quantum singularis assecutio ejus excedit communem assecutionem boni intellectus practici; et ideo perfectissima beatitudo in intellectu speculativo consistit.

1. Le bien auquel l’intellect spéculatif est uni par la connaissance est plus commun que le bien auquel est uni l’intellect pratique, dans la mesure où l’intellect spéculatif est davantage séparé du particulier que l’intellect pratique, dont la connaissance est perfectionnée par une opération qui consiste dans des choses particulières. Mais il est vrai que l’atteinte de la fin, à laquelle parvient l’intellect spéculatif en tant que tel, est propre à celui qui l’atteint ; mais l’atteinte de la fin que vise l’intellect pratique peut être propre et commune, dans la mesure où, par l’intellect pratique, quelqu’un dirige soi-même et les autres vers la fin, comme cela ressort chez celui qui dirige une multitude ; mais, du fait que quelqu’un spécule, il est lui-même dirigé d’une manière singulière vers la fin de la spéculation. Or, la fin même de l’intellect spéculatif dépasse le bien de l’intellect pratique autant que son atteinte particulière dépasse l’atteinte commune du bien de l’intellect pratique. La béatitude la plus parfaite consiste donc dans l’intellect spéculatif.

[22544] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectius est habere aliquam perfectionem et transfundere ipsam in alterum, quam solum habere eam in seipso. Non enim alio modo intelligi potest comparatio dictarum perfectionum; eo quod perfectio alicujus ut est causa, non potest esse, nisi simul sit perfectio ejus in seipso. Contingit autem majorem esse perfectionem alicujus prout in se perfectum est, quam secundum quod est causa alterius, quando non eamdem perfectionem communicat, vel non tantam sicut habet; sicut major est perfectio quae consideratur in Deo secundum quod in se consistit, quam secundum quod alia causat; et sic major est perfectio speculatoris inquantum in se in speculando perfectus est, quam fabri inquantum facit cultellum. Perfectior autem esset ille qui speculando alios speculatores aequaliter sibi constitueret, quam ille qui ipse solus posset speculari.

2. Il est plus parfait d’avoir une perfection et de la verser dans un autre, que de la posséder seulement pour soi-même. En effet, la comparaison des perfections en cause ne peut se comprendre d’une autre façon, du fait que la perfection d’une chose en tant qu’elle est cause ne peut exister que si sa perfection existe en même temps en soi-même. Or, il arrive que la perfection d’une chose soit plus grande en tant qu’elle existe en soi, qu’en tant qu’elle est la cause d’une autre chose, lorsqu’elle ne communique pas la même perfection ou pas autant qu’elle ne l’a. Ainsi la perfection qui existe en Dieu est-elle plus grande selon qu’elle existe en elle-même que selon qu’elle cause d’autres choses ; ainsi aussi la perfection de celui qui spécule est plus grande pour autant qu’il est parfait en spéculant en lui-même que celle de l’artisan alors qu’il fait un couteau. Mais celui qui, en spéculant, ferait d’autres qui spéculent ses égaux serait plus parfait que celui qui seul pourrait spéculer.

[22545] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis et ea quae sunt ad finem, non oportet esse conformia, quasi sint unius generis; sed oportet ibi esse conformitatem proportionis, ut scilicet ea quae sunt ad finem, sint proportionata ad finem inducendum; et hoc modo virtutes conformantur beatitudini, quia ad beatitudinem inducunt per modum dispositionis et meriti.

3. Il n’est pas nécessaire que la fin et ce qui est ordonné à la fin soient conformes, comme s’ils étaient d’un même genre ; mais il est nécessaire qu’il y existe une conformité proportionnelle, à savoir que ce qui est ordonné à la fin soit proportionné à l’obtention de la fin. De cette manière, les vertus sont conformes à la béatitude, parce qu’elles mènent à la béatitude par mode de disposition et de mérite.

[22546] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus simpliciter practico nobilior est, cum sit propter seipsum, practicus vero propter opus: nec intellectus practicus legem ei ponit: non enim dirigitur intellectus speculativus in judicando de veritate rerum secundum aliquam legem ab intellectu practico positam; sed intellectus practicus legem ponit propter intellectum speculativum, ut dicit philosophus in 6 Ethic., dum ordinat qualiter aliquis ad perfectionem speculativi intellectus debeat pervenire; et ex hoc ostenditur intellectus practicus esse subveniens speculativo.

4. L’intellect spéculatif est tout simplement plus noble que l’intellect pratique puisqu’il existe pour lui-même, alors que [l’intellect] pratique [existe] en vue d’une œuvre. L’intellect pratique ne lui impose pas non plus de loi. En effet, l’intellect spéculatif n’est pas dirigé pour le jugement de la vérité des choses selon une loi établie par l’intellect pratique ; mais l’intellect pratique impose une loi à cause de l’intellect spéculatif, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI, lorsqu’il ordonne comment quelqu’un doit parvenir à la perfection de l’intellect spéculatif. En cela est montré comment l’intellect pratique vient au secours de l’intellect spéculatif.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22547] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut in rebus naturalibus se habet motus ad terminum, ita in voluntariis se habet appetitus finis, et eorum quae propter finem appetuntur, ad consecutionem finis; et ideo sicut quando res naturalis pervenit ad terminum, cessat motus ejus; ita voluntas cum habet quod quaerit, appetitus ejus desistit, conversus in amorem vel delectationem. Beatitudo ergo cum sit finis ad quem referuntur omnia desideria, oportet quod sit tale aliquid, quo habito nihil ulterius desiderandum restet. Quilibet autem naturaliter esse desiderat, et permanere in bono quod ipse habet; et ideo ab omnibus beatitudo tale aliquid esse ponitur quod immobilitatem habeat et perpetuitatem. Sed de immobilitate et perpetuitate beatitudinis humanae aliqui diversimode judicaverunt. Quidam enim dixerunt, quod de ratione humanae beatitudinis non erat perpetuitas absolute, sed perpetuitas respectu vitae hominis. Nec tamen in hac perpetuitate consideranda est immobilitas quae privaret potentiam ad immutationem, sed quae tantum privaret immutationis actum. Et haec fuit opinio Platonis, ut tangitur 1 Ethic. Posuit enim, illum hominem esse beatum in hac vita, cujus beatitudo continuatur usque ad mortem ipsius. Sed quia conditio hominis, quantumcumque perfecti, in hac vita mutari potest, et de contingenti futuro non possumus habere certum judicium; ideo de nullo homine ante mortem scire possumus, an sua perfectio continuetur sibi usque ad finem; sed in ejus fine sciri poterit, si usque ad finem continuata est; et ita nullus potest dici beatus nisi in morte sua. Hanc autem positionem philosophus improbat: quia inconveniens est ponere quod aliquis debeat dici beatus quando non est, et quod non possit dici quando est. Si ergo beatitudo est in vita ista; si aliquis est beatus, dum vivit, beatus est; cum autem mortuus est, beatus non esset; et ita magis potest dici beatus cum vivit quam cum mortuus est. Unde philosophus ibidem ponit aliam sententiam de beatitudine, sive de felicitate; ut scilicet dicatur, quod beatitudo, secundum suam perfectam rationem, perpetuitatem et immobilitatem absolutam habeat. Sed secundum perfectam rationem beatitudo non est possibilis homini accidere; sed possibile est hominem esse in aliqua participatione ipsius, licet modica, et ex hoc eum dici beatum; et ideo non oportet hominem beatum esse perpetuum et immutabilem simpliciter, sed secundum conditionem humanae naturae; unde subjungit: beatos autem ut homines. Talis autem immutabilitas accidit homini quando sunt in ipso firmati habitus virtutum, ut non de facili possit deflecti ab actu secundum virtutem. Sed ista etiam positio non videtur esse rationabilis. Ab omnibus enim communiter ponitur quod felicitas, sive beatitudo, est bonum rationalis vel intellectualis naturae; et ideo oporteret quod ubi invenitur natura rationalis vel intellectualis per essentiam, et non solum per participationem, etiam beatitudo ponatur per essentiam, et non per participationem; et ideo cum in homine sit non solum aliqua redundantia intellectus, sicut est in brutis quaedam redundantia rationis, inquantum participant aliqua prudentia, ut in eorum moribus apparet, sed est in eis ratio et intellectus per essentiam; oporteret ponere quod ad veram beatitudinem quandoque pervenire possit, et non tantum ad aliquam beatitudinis participationem; alias appetitus naturalis intellectualis naturae quae est in homine, frustraretur. Beatitudo autem vera non potest poni in hac vita propter mutabilitates varias quibus homo subjacet; unde necesse est beatitudinem quae est finis humanae vitae, esse post hanc vitam. Et hoc quidem concesserunt omnes philosophi qui posuerunt animam, quae est forma humani corporis, esse intellectum per essentiam: posuerunt enim animam immortalem. Illi vero qui posuerunt animam, quae est forma humani corporis, non esse intellectum per essentiam, sed in ea esse refulgentiam quamdam intellectus qui est separatus, et unus communis omnibus, ponunt animam, quae est corporis forma, esse corruptibilem, nec pervenire ad perfectam beatitudinem, sed solum ad aliquam beatitudinis participationem, qualis dicta est. Sed haec opinio absurda est, ut patuit distinctione 17, 2 libri, quaest. 2, art. 1. Et ideo simpliciter concedimus veram hominis beatitudinem esse post hanc vitam. Non negamus tamen quin aliqua beatitudinis participatio in hac vita esse possit, secundum quod homo est perfectus in bonis rationis speculativae principaliter, et practicae secundario; et de hac felicitate philosophus in Lib. Ethic. determinat, aliam, quae est post hanc vitam, nec asserens nec negans.

Le rapport du mouvement au terme dans les choses naturelles est le même que celui de l’appétit par rapport à la fin dans les choses volontaires, et de ce qui est désiré en vue de la fin par rapport à l’obtention de la fin. De même que, lorsqu’une chose naturelle parvient au terme, son mouvement cesse, de même la volonté, lorsqu’elle possède ce qu’elle cherche, voit son appétit cesser, et il est converti en amour ou en délectation. Puisque la béatitude est la fin à laquelle se rapportent tous les désirs, il est donc nécessaire qu’elle soit une chose qui, une fois possédée, fait qu’il ne reste rien d’autre à désirer. Or, tous désirent naturellement être et demeurer dans le bien qu’ils possèdent. Aussi tous affirment-ils que la béatitude est une chose qui possède l’immobilité et la perpétuité. Or, sur l’immobilité et de la perpétuité de la béatitude humaine, certains ont porté divers jugements. En effet, certains ont dit que la perpétuité ne faisait pas partie de la béatitude humaine de manière absolue, mais qu’il s’agit d’une perpétuité par rapport à la vie de l’homme. Cependant, il ne faut pas considérer dans cette perpétuité une immobilité qui priverait de la puissance de changer, mais qui priverait seulement de l’acte du changement. Telle était l’opinion de Platon, comme cela est signalé dans Éthique, I. En effet, il affirmait que l’homme qui était heureux en cette vie était celui dont la béatitude se continue jusqu’à sa mort. Mais parce que la condition de l’homme, aussi parfait soit-il, peut être changée en cette vie et que nous ne pouvons avoir un jugement certain du futur contingent, nous ne pouvons donc savoir d’aucun homme avant sa mort si sa perfection continuera jusqu’à la fin ; mais on pourra savoir lors de sa fin si elle s’est continuée . Ainsi personne ne peut être dit bienheureux que lors de sa mort. Mais le Philosophe repousse cette position, car il est inapproprié d’affirmer que quelqu’un doive être appelé heureux alors qu’il ne l’est pas, et qu’il ne puisse être ainsi appelé alors qu’il l’est. Si donc la béatitude existe en cette vie et si quelqu’un est heureux alors qu’il vit, il est heureux ; mais lorsqu’il est mort, il ne serait pas heureux. Il pourrait ainsi être plutôt appelé bienheureux  alors qu’il vit que lorsqu’il est mort. Aussi le Philosophe exprime-t-il une autre position à propos de la béatitude ou de la félicité : la béatitude, selon sa notion parfaite, possède perpétuité et immobilité. Mais, selon sa notion parfaite, la béatitude ne peut pas arriver à l’homme, mais il est possible que l’homme y participe d’une manière modeste et qu’on le dise bienheureux pour cette raison. Il n’est donc pas nécessaire que l’homme heureux soit tout simplement éternel et immuable, mais selon la condition de la nature humaine. Aussi ajoute-t-il : « Heureux comme des hommes. » Or, une telle immuabilité survient chez l’homme lorsque les habitus des vertus sont affermis en lui, de sorte qu’il ne puisse pas facilement être détourné d’un acte conforme à la vertu. Mais cette position ne paraît pas raisonnable. En effet, tous affirment que la félicité ou béatitude est le bien de la nature raisonnable ou intellectuelle. Il faudrait donc que là où se trouve la nature raisonnable ou intellectuelle par essence, et non seulement par participation, on affirme la béatitude par essence, et non par participation. Puisque, chez l’homme, n’existe pas seulement un rejaillissement d’intellect, comme existe chez les animaux sans raison un certain rejaillissement de la raison, dans la mesure où ils participent à une certaine prudence, comme cela est manifeste dans leur comportement, mais que la raison et l’intellect existent en lui par essence, il faudrait affirmeer qu’il peut à un certain moment parvenir à la vraie béatitude, et non seulement à une béatitude par participation, autrement l’appétit naturel de la nature intellectuelle qui existe chez l’homme serait frustré. Or, la vraie béatitude ne peut être placée en cette vie en raison des divers changements auxquels l’homme est sujet. Il est donc nécessaire que la béatitude, qui est la fin de la vie humaine, existe après cette vie. Tous les philosophes qui ont affirmé que l’âme, qui est la forme du corps humain, est intellect par essence, ont concédé cela : en effet, ils ont affirmé que l’âme est immortelle. Mais ceux qui ont affirmé que l’âme, qui est la forme du corps humain, n’est pas intellect par essence, mais qu’il existe en elle un reflet de l’intellect qui est séparé, unique pour tous, affirment que l’âme, qui est la forme du corps, est corruptible et ne parvient pas à la béatitude parfaite, mais seulement à une certaine participation à la béatitude, comme celle qu’on a dite. Mais cette opinion est absurde, comme on l’a monré dans le livre II, d.  17, q. 2, a. 1. Nous concédons donc que la vraie béatitude existe après cette vie. Nous ne nions pas cependant qu’une certaine participation à la béatitude puisse exister en cette vie pour autant que l’homme est parfait principalement dans les biens de la raison spéculative et, secondairement, dans ceux de la raison pratique. C’est de cette félicité que le Philosophe détermine dans le livre de l’Éthique, sans affirmer ni nier l’autre qui existe après cette vie.

[22548] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dictum est in 3 Lib., distinct. 27, beatitudines ibi dicuntur actus quidam perfectarum virtutum, secundum quos homo est in quadam participatione et similitudine futurae beatitudinis, quae est vera beatitudo.

1. Comme on l’a dit dans le livre III, d. 27, sont appelés là « béatitudes » des actes des vertus parfaites, selon lesquels l’homme se trouve dans une certaine participation ou ressemblance de la béatitude future, qui est la vraie béatitude.

[22549] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illi philosophi qui futuram vitam non posuerunt, de beatitudine loquentes, non locuti sunt de vera beatitudine, sed de participatione beatitudinis, sicut dictum est.

2. Les philosophes qui n’ont pas affirmé la vie future, en parlant de la béatitude, n’ont pas parlé de la véritable béatitude, mais d’une participation à la béatitude, comme on l’a dit.

[22550] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod finis humanae vitae plus superat finem vitae aliorum animalium, quam vita superat vitam; et ex hoc ipsa vita hominis est nobilior quod ad nobiliorem finem ordinatur; unde non oportet quod includat ultimum finem suum, sicut vita aliorum animalium includit.

3. La fin de la vie humaine dépasse davantage la fin de la vie des autres animaux que [sa] vie ne dépasse [leur] vie. De là vient que la vie même de l’homme est plus noble parce qu’elle est ordonnée à une fin plus noble. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle d’inclue sa propre fin, comme la vie des autres animaux l’inclut.

[22551] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis homo naturaliter desideret finem, non tamen naturaliter desiderat ea quae sunt ad finem; sed ea desiderat appetitu rationali, consiliando de eis, et eligendo ipsa. Nec est inconveniens, aliquid quod secundum se est odibile, esse appetibile in ordine ad finem; sicut sectio membri est appetibilis propter sanitatem; et hoc modo mors, quam naturaliter quilibet refugit, est appetibilis propter beatitudinem, sicut dicitur Philip. 1, 23: desiderium habens dissolvi, et esse cum Christo.

4. Bien que l’homme désire naturellement sa fin, il ne désire cependant pas naturellement ce qui est ordonné à la fin, mais il le désire par l’appétit raisonnable, en délibérant à son sujet et en le choisissant. Et il n’est pas non plus inapproprié que quelque chose qui est haïssable en soi soit désirable par rapport à la fin, comme l’amputation d’un membre est désirable pour la santé. De cette manière, la mort, que tous fuient naturellement, est désirable en vue de la béatitude, comme il est dit dans Ph 1, 23 : Je désire mourir et être avec le Christ.

 

 

Articulus 2 [22552] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 tit. Utrum beatitudo sit quid increatum

Article 2 – La béatitude est-elle quelque chose de créé ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La béatitude est-elle quelque chose de créé ?]

[22553] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod beatitudo sit quid increatum. Primo per hoc quod dicit Boetius in 3 de Consol., quod beatitudo est ipsa divinitas; unde concludit quod omnis beatus est Deus.

1. Il semble que la béatitude soit quelque chose de créé. D’abord, selon ce que dit Boèce dans La consolation, III, que « la béatitude est la divinité elle-même ». Il en conclut donc que tout ce qui est bienheureux est Dieu.

[22554] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod per superabundantiam dicitur, uni soli convenit. Sed Deus est summum bonum, cum sit omnis bonitatis causa; beatitudo etiam est summum bonum, cum ab omnibus tamquam finis ultimus desideretur. Ergo beatitudo est ipse solus Deus.

2. Ce qu’on dit en vertu d’une surabondance ne convient qu’à un seul. Or, Dieu est le bien suprême, puisqu’il est la cause de toute bonté ; la béatitude est aussi le bien suprême, puisqu’elle est désirée par tous comme la fin ultime. La béatitude est donc Dieu seul.

[22555] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod propter se tantum desiderabile est, habet rationem fruibilis, ut patet per Augustinum. Sed beatitudo est tantum propter se appetibilis, ut patet per philosophum in 1 Ethic. Ergo beatitudine fruendum est. Sed solo Deo fruendum est, ut patet per Augustinum in 1 de doctrina Christiana. Ergo solus Deus est beatitudo.

3. Ce qui est désirable seulement à cause de soi est quelque chose dont on peut jouir [fruibilis], comme cela ressort d’Augustin. Or, la béatitude n’est désirable qu’en elle-même, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, I. Il faut donc jouir [fruendum] de la béatitude. Or, il ne faut jouir [fruendum] que de Dieu, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans La doctrine chrétienne, I. Dieu seul est donc la béatitude.

[22556] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, de ratione beatitudinis est quod sit in ea sufficientia. Sed in solo Deo sufficientiam invenit appetitus humanus; unde Augustinus dicit in libro confessionum: inquietum est cor nostrum donec perveniat ad te. Ergo solus Deus est ipsa beatitudo.

4. Il est de la nature de la béatitude qu’existe en elle une suffisance. Or, l’appétit humain ne trouve qu’en Dieu une suffisance ; aussi Augustin dit-il dans le livre des Confessions : « Notre cœur n’a pas de repos avant de parvenir à toi. » Dieu seul est donc la béatitude elle-même.

[22557] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, omne quod inest nobis, vel inest nobis essentialiter, vel est accidens. Sed beatitudo non est de essentia hominis: quia sic omnis homo, et semper, esset beatus. Ergo si est aliquid in homine, erit accidens. Sed accidens non potest esse finis substantiae, cum substantia sit nobilior accidente. Ergo impossibile est beatitudinem aliquid esse in nobis; et ita erit aliquid increatum.

5. Tout ce qui existe en nous y existe soit essentiellement, soit par accident. Or, la béatitude ne fait pas partie de l’essence de l’homme, car tout homme serait toujours heureux. Si elle est quelque dans l’homme, elle sera donc accidentelle. Or, l’accident ne peut être la fin d’une substance, puisque la substance est plus noble que l’accident. Il est donc impossible que la béatitude soit quelque chose qui existe en nous. Elle sera ainsi quelque chose d’incréé.

[22558] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est, quod sicut justitiae participatione dicuntur homines justi, ita per beatitudinis participationem dicuntur homines beati, ut patet per Boetium in 3 de Consolat. Sed justitia est aliquid creatum in nobis. Ergo et beatitudo.

Cependant, [1] de même que les hommes sont appelés justes par une participation à la justice, de même sont-ils appelés bienheureux par une participation à la béatitude, comme cela ressort de ce que dit Boèce dans La consolation, III. Or, la justice est quelque chose de créé en nous. Donc, la béatitude aussi.

[22559] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, felicitas addita numero bonorum est eligibilior, ut patet per philosophum in 1 Ethic. Sed Deus quocumque addito non est eligibilior. Ergo felicitas est aliquid aliud quam Deus; et ita est aliquid creatum in nobis.

[2] La félicité ajoutée à un nombre de biens est plus éligible, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, I. Or, Dieu n’est pas plus éligible, quoi qu’on lui ajoute. La félicité est donc quelque chose d’autre que Dieu. Elle est donc quelque chose de créé en nous.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La félicité est-elle un acte ?]

[22560] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod felicitas non sit actus. Quia secundum Boetium in 3 de Consol., beatitudo est status omnium bonorum congregatione perfectus. Sed status non nominat actum. Ergo beatitudo non est actus.

1. Il semble que la félicité ne soit pas un acte, car, selon Boèce dans La consolation, III, « la béatitude est l’état parfait de tous les biens réunis ». Or, l’état ne désigne pas un acte. La béatitude n’est donc pas un acte.

[22561] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, actuum nostrorum non sumus causa. Si ergo beatitudo in actu nostro constaret, nos essemus causa nostrae beatitudinis; quod est absurdum.

2. Nous ne sommes pas la cause de nos actes. Si donc la béatitude consistait dans un acte de notre part, nous ne serions pas la cause de notre béatitude, ce qui est absurde.

[22562] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si aliquid quod est in nobis sit ultimus finis, hoc erit praecipue illud quod nunquam propter aliud quaeritur. Sed delectatio non quaeritur propter aliud, sed propter seipsam. Ergo in delectatione maxime consistit beatitudo. Sed delectatio non est actus, sed passio. Ergo felicitas non est actus.

3. Si quelque chose qui est en nous est la fin ultime, ce sera principalement ce qui n’est jamais recherché en vue d’autre chose. Or, la délectation n’est pas recherchée en vue d’autre chose, mais pour elle-même. La béatitude consiste donc principalement dans la délectation. Or, la délectation n’est pas un acte, mais une passion. La félicité n’est donc pas un acte.

[22563] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, ab uno agente et secundum unum habitum possunt esse actus diversi. Si ergo beatitudo esset actus essent ejusdem beati diversae beatitudines; quod est absurdum.

4. Différents actes peuvent provenir d’un seul agent et selon un seul habitus. Si donc la béatitude était un acte, il y aurait plusieurs béatitudes chez le même bienheureux, ce qui est absurde.

[22564] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, beatitudo viae est quaedam similitudo beatitudinis patriae. Sed beatitudo viae non potest dici actus: quia sic dormientes amitterent beatitudinem. Ergo beatitudo patriae non est actus.

5. La béatitude du chemin (viae) est une similitude de la béatitude de la patrie. Or, la béatitude du chemin ne peut pas être appelée un acte, car ainsi ceux qui dorment perdraient la béatitude. La béatitude de la patrie n’est donc pas un acte.

[22565] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 1 Ethic., quod felicitas est operatio secundum perfectam virtutem.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique, I, que la félicité est une opération selon une vertu parfaite.

[22566] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, illud propter quod est res, est ultimus finis. Sed omnis res est propter suam operationem, ut dicitur in 2 caeli et mundi. Ergo operatio propria hominis est ultimus finis ejus; et ita beatitudo ipsius est actus quidam.

[2] Ce pour quoi existe une chose est sa fin ultime. Or, toute chose existe en vue de son opération, comme on le dit dans Le ciel et le monde, II. L’opération propre de l’homme est donc sa fin ultime. Ainsi, sa béatitude est-elle un acte.

[22567] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, homo secundum hoc beatus est quod ad Dei similitudinem maxime pertingit. Sed secundum hoc quod actu agit, maxime Deo assimilatur, quia sic est maxime in actu remotus a potentialitate. Ergo beatitudo hominis consistit in ejus operatione.

[3] L’homme est bienheureux du fait qu’il ressemble au plus haut point à Dieu. Or, il est assimilé à Dieu au plus haut point lorsqu’il agit effectivement, car il est ainsi le plus éloigné de la potentialité. La béatitude de l’homme consiste donc dans son opération.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La béatitude de l’homme est-elle la même chose que la vie éternelle ?]

[22568] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo hominis non sit idem quod vita aeterna. Vivere enim viventibus est esse, ut dicitur in 2 de anima. Sed beatitudo, secundum philosophum, non consistit in essendo, sed in operando. Ergo beatitudo hominis non est aliqua vita.

1. Il semble que la béatitude de l’homme ne soit pas la même chose que la vie éternelle. En effet, vivre, c’est exister pour les vivants, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Or, la béatitude, selon le Philosophe, ne consiste pas à exister, mais à agir. La béatitude de l’homme n’est donc une sorte de vie.

[22569] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ratio vitae in motu consistit, ut patet per Commentatorem in Lib. de causis. Sed beatitudo includit in sui ratione intransmutabilitatem. Ergo beatitudo non est idem quod vita aeterna.

2. L’essence de la vie consiste dans le mouvement, comme cela ressort de ce que dit le Commentateur, dans le Livre sur les causes. Or, la béatitude inclut dans son essence l’immobilité. La béatitude n’est donc pas la même chose que la vie éternelle.

[22570] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, beatitudo est homini communicabilis. Sed aeternitas vitae non potest ei communicari: quia quod in tempore factum est, non potest esse aeternum. Ergo vita aeterna non est idem quod beatitudo.

3. La béatitude peut être communiquée à l’homme. Or, l’éternité de la vie ne peut lui être communiquée, car ce qui a été créé dans le temps ne peut être éternel. La vie éternelle n’est donc pas la même chose que la vie éternelle.

[22571] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, quaecumque in perpetuum durant, quodammodo vitae aeternitatem participant, secundum quod aeternum largo modo accipitur pro perpetuo. Sed damnati in perpetuum durabunt in ignem aeternum missi, ut patet Matth. 25; non autem habebunt beatitudinem, sed summam miseriam. Ergo beatitudo et vita aeterna non sunt idem.

4. Tout ce qui dure éternellement participe d’une certaine manière à l’éternité de la vie, selon que « éternel » est pris au sens large pour « perpétuel ». Or, les damnés dureront perpétuellement après avoir été envoyés dans le feu, comme cela ressort de Mt 25 ; ils n’auront cependant pas la béatitude, mais la plus grande misère. La béatitude et la vie éternelle ne sont donc pas la même chose.

[22572] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, id quod est finis humanae vitae, est beatitudo. Sed vita aeterna est finis humanae vitae, ut patet Rom. 6, 22: habetis fructum vestrum in sanctificationem, finem vero vitam aeternam. Ergo et cetera.

Cependant, [1] ce qui est la fin de la vie humaine est la béatitude. Or, la vie éternelle est la fin de la vie humaine, comme cela ressort de Rm 6, 22 : Vous portez votre fruit pour la sanctification : la fin en est la vie éternelle. Donc, etc.

[22573] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ultima beatitudo hominis consistit in visione Dei, ut ex supra dictis patet. Sed in hoc consistit vita aeterna, ut patet Joan. 17, 3: haec est vita aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum. Ergo beatitudo est idem quod vita aeterna.

[2] La béatitude ultime de l’homme consiste dans la vision de Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. Or, c’est en cela que consiste la vie éternelle, comme cela ressort de Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. La béatitude est donc la même chose que la vie éternelle.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La béatitude est-elle la même chose que la paix ?]

[22574] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo sit idem quod pax. Primo per hoc quod in Psal. 147, 14, dicitur: qui posuit fines tuos pacem. Sed finis civitatis Dei, de qua ibi loquitur, est beatitudo. Ergo beatitudo est idem quod pax.

1. Il semble que la béatitude soit la même chose que la paix, d’abord, du fait que, dans Ps 147, 14, il est dit : Lui qui a donné la paix comme frontière à tes fils. Or, la  frontière  de la cité de Dieu, dont on parle là, est la béatitude. La béatitude est donc la même chose que la paix.

[22575] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit, 19 de Civ. Dei: possumus dicere finem bonorum nostrorum esse pacem, sicut et aeternam vitam. Sed vita aeterna est idem quod beatitudo. Ergo et pax.

2. Augustin dit, dans La cité de Dieu, XIX : « Nous pouvons dire que la fin de nos biens est la paix, de même que la vie éternelle. » Or, la vie éternelle est la même chose que la béatitude. Donc aussi, la paix.

[22576] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod naturaliter desideratur ab omnibus et propter quod alia aguntur, videtur esse hominis beatitudo. Sed pacem omnes desiderant, et propter ipsam agunt quae agunt, ut Augustinus dicit, et Dionysius. Ergo pax est ipsa beatitudo.

3. Ce qui est naturellement désiré par tous et en vue de quoi tout le reste est accompli semble être la béatitude de l’homme. Or, tous désirent la paix et accomplissent ce qu’ils font en vue d’elle, comme le disent Augustin et Denys. La paix est donc la béatitude elle-même.

[22577] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Praeterea, pax quietem quamdam importat. Sed omnis mutationis finis est quies, ut per exemplum in naturalibus ostendi potest. Ergo totius vitae nostrae mutabilis finis est pax; et sic pax est idem quod beatitudo.

4. La paix comporte un certain repos. Or, la fin de tout changement est le repos, comme on peut le montrer par un exemple tiré des choses naturelles. La fin de toute notre vie changeante est donc la paix, et ainsi la paix est la même chose que la béatitude.

[22578] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, beatitudo est operatio quaedam, secundum philosophum. Sed pax non nominat actum aliquem, sed immobilitatem tantum. Ergo pax non est idem quod beatitudo.

Cependant, [1] la béatitude est une opération, selon le Philosophe. Or, la paix n’exprime pas un acte, mais seulement l’immobilité. La paix n’est donc pas la même chose que la béatitude.

[22579] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, pax maxime ad appetitum vel voluntatem refertur, quia est quaedam ipsius quietatio; beatitudo autem praecipue consistit in intellectu, ut supra dictum est. Ergo beatitudo non est idem quod pax.

[2] La paix se rapporte surtout à l’appétit ou à la volonté, car elle en est un apaisement. Or, la béatitude se tient principalement du côté de l’intellect, comme on l’a dit plus haut. La béatitude n’est donc pas la même chose que la paix.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [La béatitude est-elle la même chose que le règne de Dieu ?]

[22580] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo non sit idem quod regnum Dei. Regnum enim, quod dicitur a regendo, ad gubernationem providentiae pertinere videtur. Sed providentia consistit in coordinatione eorum quae sunt ad finem ipsum. Ergo regnum Dei non videtur ad beatitudinem pertinere, quae est ultimus finis.

1.Il semble que la béatitude ne soit pas la même chose que le règne de Dieu. En effet, « règne », qui vient de « diriger [regendo] », semble être en rapport avec la providence. Or, la providence consiste dans la coordination de ce qui est ordonné à la fin elle-même. Le règne de Dieu ne semble donc pas se rapporter à la béatitude, qui est la fin ultime.

[22581] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod regnum est omnis finis et legis et ordinis distributio. Sed haec distributio non solum pertinet ad homines, sed ad omnes creaturas quibus Deus praedicta distribuit; beatitudo autem ad solas creaturas rationales. Ergo beatitudo non est idem quod regnum Dei.

2. Denys dit que le règne est « la distribution de toute fin, loi et ordre ». Or, cette distribution ne se rapporte pas seulement aux hommes, mais à toutes les créatures entre lesquelles Dieu répartit ce qui a été mentionné. Or, la béatitude ne concerne que les créatures raisonnables. La béatitude n’est donc pas la même chose que le règne de Dieu.

[22582] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3 Praeterea, regnum non importat aliquam perfectionem nisi in praesidente. Sed qui praeest in regimine regni, est unus tantum, ut patet per philosophum in 8 Ethic. Ergo regnum Dei non dicit aliquam perfectionem nisi in ipso Deo. Sed beatitudo non solum dicit perfectionem in Deo, sed in omnibus beatis. Ergo beatitudo non est idem quod regnum Dei.

3. Le règne n’implique une perfection que chez celui qui préside. Or, celui qui préside au gouvernement du royaume est unique, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VIII. Le règne de Dieu n’exprime donc une perfection que chez Dieu lui-même. Or la béatitude n’exprime pas seulement une perfection en Dieu, mais en tous les bienheureux. La béatitude n’est donc pas la même chose que le règne de Dieu.

[22583] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 4 Praeterea, beatitudo non patitur commixtionem alicujus mali. Sed in regno Dei possunt esse aliqua mala; unde Matth. 13, dicitur, quod in fine mundi Angeli colligent de regno Dei omnia scandala. Ergo regnum Dei non est ipsa beatitudo.

4. La béatitude ne souffre aucun mélange de mal. Or, il peut exister des maux dans le royaume de Dieu ; aussi est-il dit en Mt 13 qu’à la fin du monde, les anges ramasseront tous les scandales dans le royaume de Dieu. Le royaume de Dieu n’est donc pas la béatitude elle-même.

[22584] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, 22 sermone ad patres in eremo, quod tres primae petitiones in oratione dominica ad futuram beatitudinem pertinent. Una autem earum est, adveniat regnum tuum. Ergo regnum Dei ad beatitudinem pertinet.

Cependant, [1] Augustin dit, dans le sermon 22 sur les pères du désert, que les trois premières demandes de la prière dominicale se rapportent au futur. Or, l’une d’elles est : Que ton règne arrive. Le royaume de Dieu concerne donc la béatitude.

[22585] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, illud quod promittitur sanctis in praemium, est beatitudo. Sed regnum Dei est hujusmodi, ut patet Matth. 5, 10: beati qui persecutionem patiuntur propter justitiam, quoniam ipsorum est regnum caelorum. Ergo regnum caelorum est ipsa beatitudo.

[2] Ce qui est promis aux saints comme récompense est la béatitude. Or, le règne de Dieu est de ce genre, comme cela ressort de Mt 5, 10 : Bienheureux ceux qui supportent la persécution pour la justice, car le royaume de Dieu leur appartient ! Le règne des cieux est donc la béatitude elle-même.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 [22586] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod bonum quod omnia concupiscunt, est esse, ut patet per Boetium in Lib. de Consolat.; unde ultimum desideratum ab omnibus est esse perfectum, secundum quod est possibile in natura illa. Omne autem quod habet esse ab alio, perfectionem sui esse ab alio habet: quia tanto perfectius esse recipit unumquodque, quanto verius conjungitur essendi principio; unde inferiora corpora propter longe distare a primo principio, esse corruptibile habent, ut patet 2 de Generat. Et ideo ultimus finis cujuslibet rei habentis esse ab alio est duplex: unus exterius, secundum scilicet id quod est desideratae perfectionis principium; alius interius, scilicet ipsa sua perfectio, quam facit conjunctio ad principium. Unde cum beatitudo sit ultimus hominis finis, duplex erit beatitudo. Una quae est in ipso; scilicet quae est ultima ejus perfectio, ad quam possibile est ipsum pervenire; et haec est beatitudo creata. Alia vero est extra ipsum, per cujus conjunctionem praemissa beatitudo in ea causatur; et haec est beatitudo increata, quae est ipse Deus.

Le bien que tous désirent, c’est d’être, comme cela ressort de ce que dit Boèce dans La consolation. Ce qui est ultimement désiré de tous est donc l’être parfait, autant qu’il est possible à cette nature. Or, tout ce qui tient l’être d’un autre reçoit d’un autre sa perfection, car tout reçoit l’être d’autant plus parfaitement qu’il est plus véritablement uni au principe de l’être. Aussi les corps inférieurs possèdent-ils un être corruptible parce qu’ils sont très éloignés du premier principe, comme cela ressort de Sur la génération, II. C’est pourquoi la fin ultime de toute chose qui tient l’être d’un autre est double : l’une qui vient de l’extérieur, selon ce qui est le principe de la perfection désirée ; l’autre qui vient de l’intérieur, à savoir, sa perfection même, que réalise l’union au principe. Puisque la béatitude est la fin ultime de l’homme, il y aura donc une double béatitude. L’une qui existe en lui-même, qui est la perfection ultime à laquelle il lui est possible de parvenir : telle est la béatitude créée. Mais l’autre vient d’en dehors de lui : la béatitude en question est ainsi causée en lui par l’union à celle-ci. Telle est la béatitude incréée, qui est Dieu lui-même.

[22587] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut ipse Deus est bonus per essentiam suam; omnia vero alia sunt bona per participationem, ut dicitur in libro de hebdomadibus; ita ipse solus Deus est beatitudo per suam essentiam, alii vero beati sunt participatione; unde beatitudo creata est quaedam participatio et similitudo beatitudinis increatae; non est tamen essentialiter beatitudo, quasi faciens homines per essentiam suam beatos; et sic intelligenda est auctoritas Boetii.

1. De même que Dieu est bon par son essence, mais que toutes les autres choses sont bonnes par participation, comme il est dit dans le livre sur Les semaines, de même Dieu seul est-il la béatitude par son essence, mais les autres sont-ils bienheureux par participation. Aussi la béatitude créée est-elle une participation et une ressemblance de la béatitude incréée, mais elle n’est pas essentiellement la béatitude, comme si elle rendait les hommes bienheureux par son essence. C’est ainsi que doit être comprise l’autorité de Boèce.

[22588] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beatitudo creata non est summum bonum simpliciter, sed summum bonum inter bona humana; sed Deus est summum bonum simpliciter; et ideo ratio non sequitur.

2. La béatitude créée n’est pas le plus grand bien tout simplement, mais le plus grand bien parmi les biens humains. Mais Dieu est le plus grand bien tout simplement. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[22589] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplex est diligibile: unum quod diligitur per modum benevolentiae, quando volumus bonum alicujus propter seipsum; sicut diligimus amicos, etiam si nihil ex eis nobis debeat accidere. Aliud quod diligitur dilectione concupiscentiae; et hoc est vel bonum quod in nobis est, vel quia ex eo in nobis aliquod bonum fit: sicut diligimus delectationem, vel vinum, inquantum facit delectationem. Quidquid autem diligitur dilectione concupiscentiae, non potest esse ultimum dilectum, cum ad bonum alterius referatur, ejus scilicet qui concupiscitur; sed illud quod diligitur amore benevolentiae, potest esse ultimum dilectum. Beatitudo ergo creata quae in nobis est, non diligitur nisi dilectione concupiscentiae; unde ejus dilectionem referimus ad nos, et per consequens referimus eam in Deum, cum et nos in Deum referre debeamus; et ita non potest esse ultimum dilectum; est tamen ultimum concupitum ex hoc ipso quod est maximum bonum, quod nobis ex conjunctione ad Deum provenit; et ideo dicitur esse propter se quaesitum vel desideratum; utrumque enim importat aliquid ultimum in his quae diliguntur amore concupiscentiae. Etsi enim Deus concupiscatur, tamen idem est concupiscere Deum et maximum bonorum, quod nobis ex Deo provenit; sicut idem est concupiscere vinum et effectum vini in nobis, puta delectationem.

3. Il existe un double objet d’amour. L’un qui est aimé par mode de bienveillance, lorsque nous voulons le bien de quelqu’un pour lui-même ; ainsi aimons-nous nos amis, même si rien ne doit nous venir d’eux. L’autre qui est aimé d’un amour de concupiscence : cela est soit le bien qui existe en nous, soit le fait qu’un bien nous est apporté par lui, comme nous aimons la délectation, ou le vin, pour autant qu’il cause la délectation. Or, tout ce qui est aimé d’un amour de concupiscence ne peut être un objet ultime d’amour, puisqu’il se rapporte au bien d’un autre, à savoir, de ce qui est désiré ; mais ce qui est aimé d’un amour de bienveillance peut être l’objet ultime de l’amour. La béatitude créée qui existe en nous n’est donc aimée que d’un amour de concupiscence ; aussi rapportons-nous à nous-mêmes son amour, et, par voie de conséquence, le rapportons-nous à Dieu, puisque nous devons nous rapporter aussi à Dieu. Elle ne peut donc pas être un objet ultime d’amour ; elle peut cependant être l’objet ultime du désir du fait qu’elle est le plus grand bien qui nous vient de l’union à Dieu. Aussi dit-on qu’elle est recherchée ou désirée pour elle-même : les deux comportent en effet quelque chose d’ultime dans ce qui est aimé d’un amour de concupiscence. Car, même si Dieu est désiré, c’est cependant la même chose de désirer Dieu et le plus grand des biens, qui nous vient de Dieu, comme c’est la même chose de désirer le vin et l’effet du vin en nous, par exemple, une délectation.

[22590] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in solo Deo invenitur sufficientia sicut in principio omnis boni, quod quaerit appetitus; sed ex divino munere invenitur sufficientia quoad ipsos in illis quibus a Deo confertur ut omnia bona sufficienter habeant.

4. En Dieu seul se trouve ce qui suffit, comme dans le principe de tout bien que recherche l’appétit. Mais c’est par un don de Dieu qu’on trouve qu’on a tous les biens en suffisance dans ce qui est donné par Dieu.

[22591] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis omne accidens, inquantum hujusmodi, sit substantia ignobilius; tamen aliquod accidens quantum ad aliquid potest esse substantia dignius. Potest enim accidens considerari dupliciter. Uno modo secundum quod inhaeret subjecto, ex quo habet rationem accidentis; et sic omne accidens substantia indignius est. Alio modo potest considerari in ordine ad aliquid extra; et sic aliquod accidens potest esse substantia nobilius, inquantum per ipsum substantia aliqua conjungitur alicui nobiliori se; et hoc modo beatitudo creata, et gratia, et hujusmodi, sunt aliquid nobilius natura animae cui inhaerent. Est etiam aliqua consideratio secundum quam omne accidens nobilius est, inquantum scilicet substantia comparatur ad accidens sibi inhaerens sicut potentia ad actum.

5. Bien que tout accident en tant que tel soit moins noble que la substance, un accident peut cependant être plus noble que la substance d’un certain point de vue. En effet, l’accident peut être envisagé de deux manières. D’une manière, pour autant qu’il adhère au sujet, ce par quoi il a raison d’accident : de cette manière, tout accident est moins digne que la substance. D’une autre manière, il peut être envisagé par rapport à quelque chose d’extérieur : ainsi, un accident peut être plus noble que la substance, dans la mesure ou, par lui, une substance est unie à quelque chose de plus noble qu’elle-même. De cette manière, la béatitude créée, la grâce et les réalités de ce genre sont-elles quelque chose de plus noble que la nature de l’âme à laquelle elles adhèrent. On peut aussi envisager que tout accident est plus noble dans la mesure où la substance se compare à l’accident qui adhère à elle comme la puissance à l’acte.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22592] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut ex dictis patet, ultimus finis rei in ipsa re acceptus, est id per quod conjungitur res suo fini exteriori, qui est principium suae perfectionis. Deo autem, qui est ultimus finis rerum, res dupliciter conjungi possunt. Uno modo per modum assimilationis, ut sic dicatur illa res esse Deo conjunctissima quae est Deo simillima; et secundum hoc oportet illud in unaquaque re esse ultimum ejus finem, secundum quod maxime Deo assimilatur. Unumquodque autem secundum hoc ad Dei similitudinem accedit quod est actu, recedit vero secundum quod est in potentia; et illud per quod res maxime est in actu, est ejus ultimus finis. Alio modo pertingendo ad ipsum Deum: quae quidem conjunctio soli creaturae rationali est possibilis, quae potest ipsi Deo conjungi per cognitionem et amorem, eo quod Deus est objectum operationis ejus, non autem operationis alicujus alterius creaturae. Quocumque autem modo consideretur ultima perfectio hominis, quae est ejus finis, oportet eam ponere in genere actus. Si enim consideremus modum conjunctionis ad Deum, quae est communis omnibus creaturis, cum res magis sit in actu secundum quod est operans, quam secundum quod est potens operari; erit ultima perfectio uniuscujusque rei sua operatio perfecta: unde res esse dicitur propter suam operationem. Similiter si consideremus conjunctionem quae est propria rationalis creaturae, ultima perfectio hominis in operatione consistit: habitus enim non conjungitur objecto nisi mediante actu; et ideo oportet quod beatitudo in genere actus ponatur. Tamen haec secunda consideratio propinquius, inducit in considerationem beatitudinis quam prima, quia beatitudo non est nisi rationalis creaturae.

Comme cela ressort de ce qui a été dit, la fin ultime d’une chose, considérée dans la chose elle-même, est ce par quoi la chose est unie à sa fin extérieure, qui est le principe de sa perfection. Or, les choses peuvent être unies à Dieu, qui est la fin ultime des choses, de deux manières. D’une manière, par mode d’assimilation, de sorte qu’on puisse dire que la chose qui est la plus semblable à Dieu à la plus unie à Dieu : de cette manière, il faut que soit la fin ultime d’une chose ce par quoi elle est le plus assimilée à Dieu. Or, toute chose parvient à l’assimilation à Dieu selon qu’elle est en acte, mais elle s’en éloigne selon qu’elle est en puissance, et ce par quoi une chose est le plus en acte est sa fin ultime. D’une autre manière, en parvenant à Dieu lui-même : une telle union n’est possible qu’à la créature raisonnable, qui peut être unie à Dieu par la connaissance et par l’amour du fait que Dieu est l’objet de son opération, mais non de l’opération d’une autre créature. Quelle que soit la manière d’envisager la perfection ultime de l’homme, qui est sa fin, il faut la placer dans le genre de l’acte. En effet, si nous envisageons le mode de l’union à Dieu qui est commun à toutes les créatures, puisqu’une chose est plus en acte lorsqu’elle agit plutôt que lorsqu’elle est en puissance d’agir, la perfection ultime de toutes choses sera son opération parfaite. Aussi dit-on d’une chose qu’elle existe en vue de son opération. De même, si nous envisageons l’union qui est propre à la créature raisonnable, la perfection ultime de l’homme consiste-t-elle dans l’action. En effet, un habitus n’est uni à son objet que par l’intermédiaire de l’acte. Il est donc nécessaire que la béatitude soit placée dans le genre de l’acte. Cependant, cette seconde manière d’envisager mène de plus près à la considération de la béatitude, car la béatitude n’est le fait que de la créature raisonnable.

[22593] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in quolibet ordine omnia quae sunt ad finem, coperantur ad ultimum finem; unde cum perfecta hominis operatio sit ultimus finis ejus, sicut et uniuscujusque rei: omne bonum hominis cooperatur ad perfectam operationem ipsius; sicut ad perfectam operationem hominis in hac vita cooperantur habitus quibus actus informantur; et alia bona naturalia sicut principia actuum, et bona exteriora sicut instrumentaliter necessaria ad perfectam operationem. Ita ergo omnium bonorum congregatio ponitur esse beatitudo, inquantum omnia bona congregata coadjuvant ad operationem perfectissimam hominis, quae est essentialiter ipsa beatitudo. Praedicta etiam bona omnia ordinantur ad beatitudinem patriae, secundum quod per eorum usum meremur; et quamvis non omnia in beatitudine illa maneant per seipsa, manent tamen in sibi succedentibus, sicut fidei succedit sufficientia bonorum aeternorum.

1. Dans tout ordre, tout ce qui existe en vue de la fin coopère en vue de la fin ultime. Puisque l’opération parfaite de l’homme est sa fin ultime, comme aussi de toutes choses, tout bien de l’homme coopère à son opération parfaite, comme coopèrent à l’opération parfaite de l’homme en cette vie les habitus par lesquels les actes reçoivent forme, les autres biens naturels en tant que principes des actes, et les biens extérieurs pour autant qu’ils sont nécessaires à l’opération parfaite en tant qu’instruments. Ainsi dit-on que la réunion de tous les biens est la béatitude, pour autant que tous les biens rassemblés aident à l’opération la plus parfaite de l’homme, qui est essentiellement la béatitude elle-même. Tous les biens mentionnés sont aussi ordonnés à la béatitude de la patrie selon que nous méritons par leur usage, et bien que tous ne demeurent pas par eux-mêmes dans cette béatitude, ils demeurent cependant dans ce qui leur succède, comme succède à la foi la suffisance des biens éternels.

[22594] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in actu duo consideranda sunt; scilicet substantia actus, et forma ipsius, a qua perfectionem habet actus. Ergo secundum substantiam principium est naturalis potentia; sed secundum formam suam principium est ejus habitus. Si ergo habitus ille sit acquisitus, totaliter nostri actus causa erimus; si vero sit infusus, erit ejus perfectio a causa exteriori, quae habitum causat. Actus autem noster non ponitur esse beatitudo, nisi ratione suae perfectionis, ex qua habet quod fini exteriori nobilissime conjungatur; et ideo nostrae beatitudinis non sumus nos causa, sed Deus.

2. Dans l’acte, deux choses doivent être considérées : la substance de l’acte et sa forme, dont l’acte tire sa perfection. Du point de vue de sa substance, le principe est la puissance naturelle ; mais, du point de vue de la forme, son principe est l’habitus. Si donc cet habitus est acquis, nous serons entièrement la cause de notre acte ; mais s’il est infus, sa perfection viendra d’une cause extérieure qui cause l’habitus. Or, on n’affirme que notre acte est la béatitude qu’en raison de sa perfection, dont il tient d’être le plus noblement uni à sa fin extérieure. Nous ne sommes donc pas nous-mêmes cause de notre béatitude, mais Dieu.

[22595] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplex est delectatio. Una quae praecedit assecutionem finis, et haec est ordinabilis in aliud: potest enim ordinari ad perfectam operationem, inquantum videlicet illa in quibus delectamur, attentius agimus. Alia delectatio est quae consequitur assecutionem finis; et illa efficitur per operationem quae fini conjungit: et ideo haec delectatio non est ipsa beatitudo, sed quaedam beatitudinis perfectio, et forma, ut supra dictum est.

3. Il existe une double délectation. L’une qui précède l’atteinte de la fin, et celle-ci peut être ordonnée à autre chose : en effet, elle peut être ordonnée à l’opération parfaite, dans la mesure où ce en quoi nous nous délectons, nous l’accomplissons avec plus d’attention. L’autre délectation est celle qui suit l’atteinte de la fin : celle-ci est causée par l’opération qui unit à la fin. C’est pourquoi cette délectation n’est pas la béatitude elle-même, mais une perfection et la forme de la béatitude, comme on l’a dit plus haut.

[22596] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod multitudo actuum ab eodem habitu procedentium respectu ejusdem objecti non causatur nisi ex interruptione temporis: et ideo in beatitudine perfecta, ubi non erit aliqua interruptio, sed continua operatio, non erit nisi una beatitudo.

4. La multiplicité des actes qui procèdent du même habitus par rapport au même objet n’est causée que par l’interruption dans le temps. C’est pourquoi, dans la béatitude parfaite, où il n’y aura pas d’interruption mais une opération continue, il n’y aura qu’une seule béatitude.

[22597] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, sicut supra dictum est, beatitudo viae non est perfecta beatitudo, sed quaedam participatio beatitudinis; et ideo non semper est in actu, sed quandoque est in habitu: unde dormiens non potest dici beatus quantum ad id quod tunc habet, sed inquantum ipsa operatio est in eo habitualiter. Secundum enim quod effectus sunt in suis causis, sic operationes sunt in habitibus.

5. Comme on l’a dit plus haut, la béatitude du chemin n’est pas la béatitude parfaite, mais une participation à la béatitude. Elle n’existe donc pas toujours en acte, mais parfois elle existe à l’état d’habitus. Ainsi celui qui dort ne peut pas être appelé bienheureux quant à ce qu’il a alors, mais dans la mesure où l’opération elle-même existe chez lui de manière habituelle. En effet, pour autant que les effets existent dans leurs causes, les opérations existent dans les habitus.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22598] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod vita dicitur dupliciter. Uno modo ipsum esse viventis; quia, ut in 2 de anima dicitur, vivere viventibus est esse. Ex hoc autem dicitur aliquid vivens quod potest seipsum movere secundum aliquam actionem: unde et plantae dicuntur vivere ex hoc quod movent se secundum augmentum; et animalia ulterius, inquantum movent se secundum locum, et inquantum movent se ad sentiendum; in homine autem ulterius, inquantum potest se movere ad volendum et intelligendum. Cujuslibet autem potentiae perfectio est suus actus: unde secundo translatum est nomen vitae ad significandum operationem ad quam aliquis seipsum movet, sicut sentire dicitur vita animalis, et intelligere vita hominis: et secundum hunc modum unusquisque illam operationem suam vitam reputat cui maxime intendit, quasi ad hoc sit totum esse suum ordinatum; secundum quem modum loquendi dicitur: iste ducit talem vel talem vitam: et sic Epicurei posuerunt beatitudinem esse vitam voluptuosam. Operatio autem non mensuratur tempore nisi secundum quod est motui adjuncta: unde et operationes quae non adjunguntur motui, sed termino motus, non mensurantur tempore, sed instanti, ut patet de illuminatione. Et ideo si est aliqua operatio omnino transcendens motum, talis operatio non mensurabitur tempore, sed mensura quae est supra tempus. Visio autem Dei, quae ponitur esse beatitudo hominis, non potest esse actio tempore mensurata secundum seipsam, cum non sit successiva; nec ex parte videntis aut visi, cum utrumque sit extra motum: unde sicut nec tempore, ita nec instanti, quod est terminus temporis, mensurari potest. Non potest etiam mensurari aevo: quia aevum, secundum quod ab aeternitate distinguitur, pertinet ad creaturas immutabiles; haec autem visio excedit naturalem potentiam creaturae, cum ad eam nulla creatura ex suis naturalibus pertingere possit: unde propria mensura ejus est ipsa aeternitas; et ideo visio Dei, quae est ipsa beatitudo, est ipsa vita aeterna.

On parle de vie de deux manières. D’une manière, pour l’être même du vivant, car, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, II, vivre, pour les vivants, c’est être. En effet, on dit que quelque chose est vivant du fait qu’il peut se mouvoir par une action. On dit ainsi que les plantes vivent du fait qu’elles se meuvent pour croître, et en plus les animaux, pour autant qu’ils se meuvent selon le lieu et pour autant qu’ils se meuvent pour sentir ; et encore plus chez l’homme, pour autant qu’il peut se mouvoir pour vouloir et comprendre. Or, la perfection de toute puissance est son acte. Aussi le mot de « vie » a-t-il été reporté en second lieu pour signifier l’opération à laquelle quelqu’un se meut : ainsi sentir est-il appelé la vie animale, et comprendre, la vie de l’homme. De cette manière, chacun estime être sa vie l’opération sur laquelle il se concentre davantage, comme si tout son être y était ordonné. Selon cette manière de parler, on dit : « Celui-ci mène telle ou telle vie. » Et ainsi les épicuriens ont affirmé que la béatitude est la vie voluptueuse. Mais l’opération n’est mesurée par le temps que selon qu’elle est unie au mouvement. Les opérations qui ne sont pas unies au mouvement, mais au terme du mouvement, ne sont donc pas mesurées par le temps mais par l’instant, comme cela est manifeste pour l’illumination. Si donc il existe une opération qui dépasse totalement le mouvement, une telle opération ne sera pas mesurée par le temps, mais selon une mesure qui est supérieur au temps. Or, la vision de Dieu, qu’on affirme être la béatitude de l’homme, ne peut être en elle-même une action mesurée par le temps, puisqu’elle n’est pas successive, ni du point de vue de celui qui voit, ni du point de vue de ce qui est vu, puisque les deux sont hors du mouvement. De même qu’elle ne peut être mesurée par le temps, de même ne le peut-elle pas par l’instant, qui est le terme du temps. Elle ne peut aussi être mesurée par l’aevum, car l’aevum, pour autant qu’il se distingue de l’éternité, concerne les créatures immuables. Mais cette vision dépasse la puissance naturelle de la créature, puisqu’aucune créature ne peut l’obtenir par sa [capacité] naturelle. Sa mesure propre est donc l’éternité même. Ainsi la vision de Dieu, qui est la béatitude même, est-elle la vie éternelle elle-même.

[22599] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo patet responsio ex dictis.

1. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit.

[22600] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis vita primo ex motu sit cognita, quia per motum primo viventia a non viventibus distincta sunt; tamen nomen vitae se extendit ulterius ad omnes operationes quae non sunt ab aliquo exteriori movente, sicut velle, intelligere, et hujusmodi: unde etiam ad hujusmodi operationes nomen motus transfertur, ut cum dicimus intelligere, motum esse intellectus; et velle, motum voluntatis.

2. Bien qu’on connaisse d’abord la vie à partir du mouvement, car les vivants se distinguent des non-vivants d’abord par le mouvement, le mot « vie » s’étend cependant au-delà à toutes les opérations qui ne proviennent pas d’un moteur extérieur, comme vouloir, comprendre, et les opérations de ce genre. Le mot « mouvement » est donc aussi reporté sur les opérations de ce genre, comme lorsque nous disons que comprendre est un mouvement de l’intelligence, et vouloir, un mouvement de la volonté.

[22601] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aeternitas non est communicabilis homini ita quod sit ejus mensura adaequata, vel alicujus quod in ipso est, ut probat ratio inducta. Potest tamen homini communicari secundum quamdam participationem; ut sicut homo fit particeps divinae operationis in videndo Deum, ita fiat particeps aeternitatis, qua divina operatio mensuratur; et sic ipsa ejus operatio dicitur vita aeterna.

3. L’éternité ne peut être communiquée à l’homme de telle sorte qu’elle en soit la mesure adéquate ou celle de quelque chose qui existe en lui, comme le montre l’argument invoqué. Elle peut cependant être communiquée à l’homme par participation, de sorte que, de même que l’homme devient participant de l’action de Dieu en voyant Dieu, il devient participant de l’éternité par laquelle l’action divine est mesurée. C’est ainsi que son opération est appelée la vie éternelle.

[22602] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vita aeterna quae a sanctis habebitur, dicitur secundum participationem aeternitatis non solum quantum ad defectum finis, per quem modum etiam damnatorum poena aeterna dicitur, sed ulterius quantum ad remotionem omnis mutationis non solum in actu, quam etiam aevum excludit, sed etiam in potentia: quia sancti ex hoc quod Deo adhaerebunt, stabilitatem ex divino munere consequentur, ut scilicet transmutari non possint; quod Deus habet ex natura, ratione cujus est aeternus.

4. La vie éternelle qui sera obtenue par les saints est nommée à partir de la participation à l’éternité, non seulement pour ce qui est de l’absence de fin, par laquelle même la peine des damnés est appelée éternelle, mais, au-delà, pour ce qui est de l’enlèvement de tout changement, non seulement en acte, que même l’aevum exclut, mais aussi en puissance, car les saints, du fait qu’ils adhéreront à Dieu, obtiendront la stabilité par un don divin, de sorte qu’ils ne puissent pas être changés, ce que Dieu possède par nature, raison pour laquelle il est éternel.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22603] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Augustinus, 19 de Civit. Dei, pax omnium rerum est tranquillitas ordinis: ex quo patet quod ex hoc ratio pacis assumitur quod aliquid non impeditur a recto ordine: tranquillitas enim perturbationem impedimenti excludit. Pax autem praecipue respicit illum ordinem quo voluntas in aliquid ordinatur: unde et tunc dicimus hominem pacem habere quando nihil est quod impediat ordinem suae voluntatis in aliquid; et similiter dicimus pacem esse in civitate, quando nihil est quod perturbet rectum ordinem civitatis, qui est ex voluntate gubernatoris civitatis; et secundum etiam quod inanimata appetitum naturalem habere dicuntur, ponimus unamquamque rem habere pacem, secundum quod non impeditur ab inclinatione quam habet in suum finem, quem naturaliter appetit. Operationem autem in qua beatitudo consistit, oportet esse operationem non impeditam: quia impedimentum aliquid de ejus perfectione detraheret; unde etiam delectatio quae perfectam operationem consequitur, causatur ex operatione non impedita, ut dicitur in 7 Ethic.; et ideo ad beatitudinem requiritur pax, non quae sit ipsa essentia beatitudinis, sed sicut remotio eorum quae possent beatitudinem impedire. Et quia ex hoc ipso quod desideratur aliquid, contrarium ejus refugit appetitus; ideo ex hoc ipso quod omnes appetunt beatitudinem naturaliter, etiam naturaliter refugiunt beatitudinis impedimenta; et hoc est eos naturaliter desiderare pacem.

Comme le dit Augustin dans La cité de Dieu, XIX, « la paix de toutes choses est la tranquillité de l’ordre ». Il ressort de cela qu’on entend la raison de paix par le fait que quelque chose n’est pas empêché d’être correctement ordonné : en effet, la tranquillité exclut le bouleversement causé par un empêchement. Or, la paix porte principalement sur l’ordre par lequel la volonté est ordonnée à quelque chose. Nous disons ainsi que l’homme est en paix lorsqu’il n’y a rien qui empêche l’ordre de sa volonté par rapport à quelque chose ; de même, nous disons que la paix existe dans la cité lorsqu’il n’existe rien qui trouble l’ordre correct de la cité, qui vient de la volonté de celui qui gouverne la cité. Parce que nous disons aussi que les choses inanimées ont un appétit naturel, nous affirmons que chaque chose est en paix lorsque l’inclination qu’elle a par rapport à sa fin, qu’elle désire naturellement, n’est pas empêchée. Or, il est nécessaire que l’opération dans laquelle consiste la béatitude soit une opération sans empêchement, car un empêchement enlèverait quelque chose à sa perfection. La délectation qui suit l’opération parfaite est donc aussi causée par l’opération qui n’est pas empêchée, comme on le dit dans Éthique, VII. C’est pourquoi la paix est aussi nécessaire à la béatitude, non pas qu’elle soit l’essence même de la béatitude, mais en tant qu’elle écarte ce qui peut empêcher la béatitude. Et parce que du fait même que quelque chose est désiré, l’appétit fuit son contraire, parce que tous désirent naturellement la béatitude, ils fuient aussi naturellement les empêchements à la béatitude. C’est en cela que consiste pour eux désirer naturellement la paix.

[22604] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pax dicitur esse finis civitatis Dei, quasi propinquissima dispositio ad finem, quae est simul cum ipso fine; et non quasi ipsa sit per se finis.

1. On dit que la paix est la fin de la cité de Dieu parce qu’elle est la disposition la plus rapprochée en vue de la fin, qui existe en même temps que la fin, et non pas parce qu’elle est elle-même la fin.

[22605] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum similiter.

2. Il faut dire la même chose pour le deuxième argument.

[22606] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pacem omnia desiderant, non sicut finem, sed sicut id sine quo finis haberi non potest.

3. Toutes choses désirent la paix, non pas comme leur fin, mais comme ce sans quoi leur fin ne peut être obtenue.

[22607] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ultimus finis rei non est quies, sed operatio rei, cujus perfectio non potest esse nisi re perfecta existente; motus autem est actus imperfecti; et secundum hoc quies ad quam terminatur motus, est finis propinquior quam ipse motus; et sic motus ordinatur in quietem sicut in finem.

4. La fin ultime d’une chose n’est pas la paix, mais l’opération de la chose, dont la perfection ne peut exister que si la chose existe parfaitement. Or, le mouvement est l’acte de quelque d’imparfait. Sous cet aspect, le repos dans lequel se termine le mouvement est une fin plus rapprochée que le mouvement lui-même. Ainsi, le mouvement est-il ordonné au repos comme à sa fin.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[22608] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod nomen regni a regendo est sumptum; regere autem providentiae actus est; unde secundum hoc aliquis regnum habere dicitur quod alios sub sua providentia habet; et ideo secundum hoc homines in regno Dei esse dicuntur, quod ejus providentiae perfecte subduntur. Providentiae autem est ordinare in finem. In finem autem ordinantur et ea quae distant a fine, secundum quod perducuntur ad finem; et ea quae jam assecuta sunt finem, secundum quod in fine conservantur. Et cum regula providentiae sit finis; illa perfecte providentiae subsunt quae jam in ipso fine collocantur; et ideo in eis nihil potest esse ab ordine providentiae alienum. In aliis autem quae a fine distant, secundum hoc magis vel minus divinae providentiae subsunt, secundum quod magis et minus a fine elongantur: propinquissimi sunt fini qui sunt in via ad finem. Via autem perveniendi ad finem est fides per dilectionem operans. Unde et regnum Dei, quasi antonomastice, dupliciter dicitur: quandoque congregatio eorum qui per fidem ambulant; et sic Ecclesia militans regnum Dei dicitur: quandoque autem illorum collegium qui jam in fine stabiliti sunt; et sic ipsa Ecclesia triumphans regnum Dei dicitur; et hoc modo esse in regno Dei idem est quod esse in beatitudine. Nec differt, secundum hoc, regnum Dei a beatitudine, nisi sicut differt bonum commune totius multitudinis a bono singulari uniuscujusque.

Le mot « royaume » vient de « régner ». Or, régner est un acte de providence ; c’est pourquoi on dit que quelqu’un possède un royaume du fait qu’il en a d’autres sous sa providence. On dit donc ainsi que les hommes sont dans le royaume de Dieu parce qu’ils sont parfaitement soumis à sa providence. Or, il appartient à la providence d’ordonner vers la fin, et sont ordonnées vers la fin aussi bien les choses qui sont éloignées de la fin, selon qu’elles sont conduites vers la fin, que celles qui ont déjà obtenu la fin, selon qu’elles sont maintenues dans la fin. Et puisque la règle de la providence est la fin, sont parfaitement soumises à la providence les choses qui sont déjà établies dans la fin. Aussi rien ne peut se trouver en elles qui soit étranger à l’ordre de la providence. Mais les autres, qui sont éloignées de la fin, sont plus ou moins soumises à la providence divine selon qu’elles sont plus ou moins éloignées de la fin, et sont plus rapprochés de la fin celles qui sont en route vers la fin. Or, la route pour parvenir à la fin est la foi agissant par l’amour. Par antonomase, on parle donc de royaume de Dieu de deux manières. Parfois, il est le rassemblement de ceux qui marchent dans la foi : l’Église militante est ainsi appelée le royaume de Dieu. Mais, parfois, elle est le collège de ceux qui sont déjà établis dans la fin : l’Église triomphante est ainsi appelée le royaume de Dieu ; de cette manière, être dans le royaume de Dieu est la même chose qu’être dans la béatitude. Le royaume de Dieu ne diffère donc de la béatitude que selon que le bien commun de toute la multitude diffère du bien particulier de chacun.

[22609] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beatitudo non subest providentiae quasi ad finem ordinata, sed quia ad ipsam alia ordinantur.

1. La béatitude n’est pas soumise à la providence comme si elle était ordonnée à une fin, mais parce que les autres choses lui sont ordonnées.

[22610] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Dionysius sufficienter tangit ea quae ad regnum exiguntur, prout significat multitudinem gubernatam a providentia; ad cujus actum tria requiruntur; scilicet finis, ordo ad finem, et regula ordinis: quae quidem est duplex. Una in ordinante; et haec est lex, ex qua rectitudo ordinis procedit. Alia est in ipso ordinato, per quam fit ut rectitudo ordinis non deseratur; et haec regula est id quod causat ordinationem in finem, sive sit forma, vel virtus, vel aliquid hujusmodi; et hoc appellat Dionysius ornatum. Quamvis autem haec quatuor ad omnem creaturam possint pertinere, quia omnia a Deo sunt in finem ordinata secundum legem aeternae sapientiae, et rebus omnibus sunt datae virtutes quibus in finem tendant; specialiter tamen ad rationales creaturas pertinent, quae ad ipsum ultimum finem modo nobilissimo natae sunt pervenire, et cognoscunt rationem ordinis et finis.

2. Denys aborde de manière suffisante ce qui est nécessaire au royaume en tant qu’il signifie une multitude gouvernée par la providence. Trois choses sont nécessaires à cet acte : la fin, l’ordre par rapport à la fin et la règle de l’ordre, qui est double : l’une, chez celui qui ordonne, et celle-ci est la loi dont provient la rectitude de l’ordre ; l’autre existe dans cela même qui est ordonné, par laquelle il est fait en sorte que la rectitude de l’ordre ne soit pas abandonnée, et cette règle est ce qui cause l’action d’ordonner vers la fin, qu’il s’agisse de la forme, de la vertu ou de quelque chose de ce genre : c’est ce que Denys appelle « embelli ». Bien que ces quatre choses puissent convenir à toute créature, parce que tout a été ordonné par Dieu vers la fin selon la loi de la sagesse éternelle et que des puissances sont données à toutes choses par lesquelles elles tendent vers la fin, elles conviennent d’une manière particulière aux créatures raisonnables, qui sont destinées à parvenir à la fin ultime elle-même de la manière la plus noble, et qui connaissent les raisons de l’ordre et de la fin.

[22611] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod regnum importat perfectionem et in praesidente, et in eo qui subest; sed in praesidente sicut in perfectionis principio, qui suam rectitudinem aliis imponit; in eo vero qui subest, tamquam in accipiente perfectionem ab alio. Sancti autem qui sunt in patria, hoc modo divinae providentiae subduntur, quia etiam ipsi providentes fiunt sibi ipsis, vel etiam aliis secundum quod omnia alia erunt eis subjecta. Et ideo ad regnum Dei pertinent non solum ut existentes sub rege, sed etiam ut reges, qui tamen erunt sub uno summo rege; et ideo dicitur Apocal. 5, 10: fecisti nos Deo nostro regnum et sacerdotes, et regnabimus super terram.

3. Le royaume comporte la perfection tant chez celui qui préside que chez celui qui est soumis : chez celui qui préside comme dans le principe de la perfection, qui impose sa rectitude aux autres ; mais chez celui qui est soumis comme chez celui qui reçoit sa perfection d’un autre. Or, les saints qui sont dans la patrie sont soumis de cette manière à la providence divine parce qu’il deviennent une providence pour eux-mêmes ou encore pour les autres, selon que toutes les autres choses leur sont soumises. C’est pourquoi ils appartiennent au royaume de Dieu, non seulement en tant qu’ils sont placés sous un roi, mais aussi comme des rois, qui seront cependant placés sous un seul roi suprême. Aussi est-il dit dans Ap 5, 10 : Tu as fait de nous un royaume et des prêtres pour notre Dieu, et nous régnerons sur la terre.

[22612] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ibi regnum Dei accipitur Ecclesia militans, et non triumphans.

4. Le royaume de Dieu est entendu là de l’Église militante, et non de l’Église triomphante.

 

 

Articulus 3

[22613] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 tit. Utrum omnes appetant beatitudinem

Article 3 – Tous désirent-ils la béatitude ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Tous désirent-ils la béatitude ?]

[22614] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnes appetant beatitudinem. Nullus enim vult quod ignorat, ut patet per Augustinum in Lib. de Trinit., et per philosophum, qui dicit in 3 de anima, quod objectum voluntatis est appetibile apprehensum. Sed non omnes cognoscunt beatitudinem, cum multi circa beatitudinem erraverint. Ergo non omnes appetunt beatitudinem.

1. Il semble que tous ne désirent pas la béatitude. En effet, personne ne désire ce qu’il ignore, comme cela ressort de ce que disent Augustin, dans le livre sur La Trinité, et Aristote, dans Sur l’âme, III, que l’objet de la volonté est ce qui est désirable une fois appréhendé. Or, tous ne connaissent pas la béatitude, puisque beaucoup ont erré à propos de la béatitude. Tous ne désirent donc pas la béatitude.

[22615] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quicumque appetit beatitudinem, appetit illud quod est essentialiter ipsa beatitudo. Sed ipsa beatitudo est Dei visio, quam non omnes appetunt. Ergo non omnes appetunt beatitudinem.

2. Quiconque désire la béatitude désire ce qui est essentiellement la béatitude. Or, la béatitude elle-même est la vision de Dieu, que tous ne désirent pas. Tous ne désirent donc pas la béatitude.

[22616] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod non potest apprehendi, non potest desiderari. Sed duo contraria esse simul, non cadit in apprehensione, ut patet 4 Metaph. Ergo contraria simul non possunt appeti. Sed aliqui appetunt ea quae sunt beatitudini contraria, sicut illi qui appetunt peccata. Ergo non omnes appetunt beatitudinem.

3. Ce qui ne peut être appréhendé ne peut être désiré. Or, que deux contraires existent en même temps ne tombe pas sous l’appréhension, comme cela ressort de Métaphysique, IV. Des contraires ne peuvent donc pas être désirés. Or, certains désirent ce qui est contraire à la béatitude, comme ceux qui désirent des péchés. Tous ne désirent donc pas la béatitude.

[22617] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, peccatum est, spreto incommutabili bono, rebus mutabilibus adhaerere. Sed beatitudo est incommutabile bonum. Ergo qui peccat, eam spernit; et sic non omnes eam appetunt.

4. Le péché consiste à s’attacher aux choses changeantes, après avoir foulé aux pieds le bien immuable. Or, la béatitude est un bien immuable. Celui qui pèche la méprise donc, et ainsi tous ne la désirent pas.

[22618] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Boetius in 3 de Consol., probat, quod mentibus omnium hominum veri boni cupiditas inserta est. Verum autem bonum dicit beatitudinem. Ergo beatitudo ab omnibus appetitur.

Cependant, [1] Boèce démontre, dans La consolation, III, que le désir du vrai bien a été placé dans les esprits de tous les hommes. Or, le vrai bien exprime la béatitude. La béatitude est donc désiré par tous.

[22619] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, unicuique appetibilis est suus finis. Sed beatitudo est ultimus finis humanae vitae. Ergo omnes homines beatitudinem appetunt.

[2] Pour chacun, sa fin est désirable. Or, la béatitude est la fin ultime de la vie humaine. Tous les hommes désirent donc la béatitude.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Peut-on désirer la misère ?]

[22620] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquis possit miseriam appetere. Omnis enim rationalis potentia ad opposita se habet. Sed voluntas est potentia rationalis. Ergo se habet ad opposita. Beatitudini autem opponitur miseria. Ergo si potest aliquis appetere beatitudinem, potest etiam appetere miseriam.

1. Il semble que l’on puisse désirer la misère. En effet, toute puissance raisonnable porte sur des choses opposées. Or, la volonté est une puissance raisonnable. Elle se porte donc sur des choses opposées. Or, la béatitude s’oppose à la misère. Si l’on peut désirer la béatitude, on peut donc aussi désirer la misère.

[22621] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, si non potest aliquis velle miseriam, impossibile est eum velle. Ergo necesse est eum non velle. Sed necessitas coactionem vel prohibitionem importat, ut Anselmus dicit. Ergo voluntas cogi poterit; quod ejus repugnat libertati.

2. Si on ne peut vouloir la misère, il lui est impossible de vouloir. Il est donc nécessaire qu’il ne veuille pas. Or, la nécessité comporte une coercition ou une interdiction, comme le dit Anselme. La volonté pourra donc être forcée, ce qui est contraire à sa liberté.

[22622] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut beatitudo est ab omnibus appetibilis, ita et esse. Sed quidam volunt non esse, ut patet de his qui seipsos interficiunt. Ergo et quidam possunt velle miseriam.

3. De même que la béatitude est désirable par tous, de même l’être. Or, certains veulent ne pas exister, comme cela ressort de ceux qui se tuent. Certains peuvent donc vouloir la misère.

[22623] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, voluntas est de fine, ut dicitur 3 Ethic. Sed finis est bonum, vel apparens bonum, ut dicitur 2 Phys. Ergo tam bonum quam apparens bonum potest desiderari. Sed illud quod est malum, potest esse apparens bonum. Ergo miseria quantumcumque sit mala, aliquis eam velle poterit.

4. La volonté porte sur la fin, comme on le dit dans Éthique, III. Or, la fin est un bien ou ce qui a l’apparence du bien, comme on le dit dans Physique, II. Tant le bien que ce qui a l’apparence du bien peut donc être désiré. Or, ce qui est mal peut avoir l’apparence du bien. On pourra donc vouloir la misère, aussi mauvaise soit-elle.

[22624] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus in Lib. de Lib. Arb., ostendit quod nullus homo potest velle esse miser.

Cependant, [1] Augustin montre dans le livre sur Le libre arbitre, qu’aucun homme ne peut vouloir être miséreux.

[22625] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet intellectus ad primum intelligibile, ita se habet voluntas ad primum appetibile. Sed intellectus non potest assentire contrario primi intelligibilis, quod est affirmationem et negationem non esse simul veram, ut probatur 4 Metaph. Ergo voluntas non potest assentire miseriae, quae est contrarium sui primi appetibilis.

[2] Le rapport de l’intellect au premier intelligible est comparable à celui de la volonté au premier appétible. Or, l’intellect ne peut donner son assentiment à ce qui est contraire au premier intelligible, qui consiste en ce qu’une affirmation et une négation ne peuvent pas être vraies en même temps, comme cela est démontré dans Métaphysique, IV. La volonté ne peut donc donner son assentilement à la misère, qui est le contraire de ce qu’elle désire en premier lieu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Mérite-t-on la béatitude en la désirant ?]

[22626] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nullus appetendo beatitudinem mereatur. Naturalibus enim non meremur. Sed appetitus beatitudinis est homini naturalis; alias non esset omnibus communis. Ergo nullus appetendo beatitudinem meretur.

1. Il semble que personne ne mérite la béatitude en la désirant. En effet, nous ne méritons pas par ce qui est naturel. Or, le désir de la béatitude est naturel à l’homme, autrement il ne serait pas commun à tous. Personne ne mérite donc la béatitude en la désirant.

[22627] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, cum meritum et demeritum sint circa idem, nullus meretur in eo quod vitare non potest, sicut nec peccat, ut dicit Augustinus. Sed homo non potest non appetere beatitudinem. Ergo nullus appetendo meretur.

2. Puisque le mérite et le démérite portent sur la même chose, personne ne mérite pour ce qu’il ne peut éviter, de même qu’il ne pêche pas, comme le dit Augustin. Or, l’homme ne peut pas ne pas désirer la béatitude. Personne ne mérite donc en la désirant.

[22628] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, nullus potest ex propriis viribus mereri vitam aeternam, sicut Pelagius dicebat. Sed homo ex propriis viribus beatitudinem appetere potest. Ergo appetendo beatitudinem non meretur.

3. Personne ne peut mériter la vie éternelle par ses propres forces, comme le disait Pélage. Or, l’homme peut désirer la béatitude par ses propres forces. Il ne [la] mérite donc pas en la désirant.

[22629] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, eodem modo aliquis desiderat beatitudinem et Deum. Si ergo nullus desiderando beatitudinem meretur, nullus desiderando Deum merebitur; quod est absurdum.

Cependant, [1] on désire la béatitude et Dieu de la même manière. Si donc personne ne mérite la béatitude en la désirant, personne me méritera Dieu en le désirant, ce qui est absurde.

[22630] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, caritas est principium merendi. Sed caritas principaliter respicit finem. Ergo ex motu voluntatis in ultimum finem maxime meremur; et ita in appetendo beatitudinem.

[2] La charité est le principe du mérite. Or, la charité concerne principalement la fin. Nous méritons donc par le mouvement de la volonté en direction de la fin, et ainsi [nous méritons] la béatitude en la désirant.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Veut-on tout parce qu’on veut la béatitude ?]

[22631] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omne quod aliquis vult, propter beatitudinem velit. Nullus enim delectationem propter aliquid vult, ut dicitur 7 Ethic. Delectatio autem non est ipsa beatitudo, ut ex supra dictis patet. Ergo non quidquid aliquis vult, propter beatitudinem vult.

1. Il semble que l’on ne veuille pas tout parce que l’on veut la béatitude. En effet, personne ne veut la délectation en vue de quelque chose, comme on le dit dans Éthique, VII. Or la délectation n’est pas la béatitude elle-même, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. On ne veut donc pas tout ce que l’on veut parce qu’on veut la béatitude.

[22632] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, id quod potest propter beatitudinem desiderari, est ad beatitudinem ordinabile. Sed multi volunt aliqua quae non sunt ordinabilia in beatitudinem, sed magis ab ea avertunt, sicut est de peccatoribus. Non ergo omne quod aliquis vult, propter beatitudinem vult.

2. Ce qui peut être désiré en fonction de la béatitude peut être ordonné à la béatitude. Or, beaucoup veulent des choses qui ne peuvent être ordonnées à la béatitude, mais plutôt en détournent, comme c’est le cas des pécheurs. On ne veut donc pas tout ce qu’on veut en fonction de la béatitude.

[22633] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, illud quod in se nullam speciem boni habet, non potest ad beatitudinem desiderari. Sed quandoque desideratur aliquid quod nullam speciem boni habet, sicut patet per Augustinum in Lib. Confess., ubi dicit: id furatus sum quod mihi abundabat, et multo melius; nec ea re volebam frui quam furto appetebam; sed ipso furto et peccato (...) et ita quaero quid me in furto delectaverit; et ecce species nulla est. Ergo aliquid desideratur non propter beatitudinem.

3. Ce qui n’a en soi aucune apparence de bien ne peut être désiré en fonction de la béatitude. Or, parfois, quelque chose est désiré qui n’a aucune apparence de bien, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le livre des Confessions : « J’ai volé ce que j’avais en abondance et en bien meilleur ; je ne voulais pas jouir de ce que je désirais par le vol, mais du vol et du péché eux-mêmes… Je cherche donc ce qui m’aura plu dans le vol, et je n’en trouve aucune trace. » Quelque chose est donc désiré, mais non en fonction de la béatitude.

[22634] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, mors nullo modo ad beatitudinem potest ordinari, nisi forte sub spe vitae consequendae post mortem: quia beatitudo non nisi viventis est. Sed quidam seipsos mortem pati voluerunt vel a seipsis, vel ab aliis, sub nulla spe futurae vitae. Ergo non omne quod quis vult, propter beatitudinem vult.

4. La mort ne peut être ordonnée à la béatitude d’aucune manière, si ce n’est par l’espérance de la vie qui pourra être obtenue après la mort, car la béatitude est le fait du vivant seulement. Or, certains ont voulu souffrir la mort par eux-mêmes ou par d’autres, sans espérance d’une vie à venir. On ne veut donc pas tout ce qu’on veut en fonction de la béatitude.

[22635] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 5 Praeterea, ex hoc hominis voluntas recta indicatur quod in rectum finem ordinatur. Si ergo quidquid desideratur, propter beatitudinem desideratur, omnis voluntas hominis est recta: quod falsum est.

5. La volonté droite d’un homme est montrée par le fait qu’elle est ordonnée à une fin droite. Si donc tout ce qui est désiré est désiré en fonction de la béatitude, toute volonté de l’homme est droite, ce qui est faux.

[22636] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 6 Praeterea, propter quod aliquis vult aliquid actu, oportet actu esse cogitatum. Si ergo quidquid vult propter beatitudinem vult, in omni desiderio oportebit beatitudinem actu esse cogitatam; quod apparet esse falsum. Ergo idem quod prius.

6. Ce pour quoi l’on veut quelque chose en acte doit être pensé en acte. Si donc l’on veut tout en fonction de la béatitude, il faudra que la béatitude soit pensée en acte en tout désir, ce qui semble faux. La conclusion est la même que précédemment.

[22637] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, in eo quod propter se desideratur, et nunquam propter aliud, stat motus desiderii. Sed illud in quo stat motus desiderii, est ultimus finis. Si ergo aliud quam beatitudo sit desideratum propter se, et nunquam propter aliquid aliud; aliud quam beatitudo erit ultimus finis; quod esse non potest. Ergo omne aliud desideratum, vel mediate vel immediate ad beatitudinis desiderium refertur.

Cependant, [1] le mouvement du désir s’apaise dans ce qui est désiré pour soi, et jamais pour autre chose. Or, ce en quoi s’apaise le mouvement du désir est la fin ultime. Si donc autre chose que la béatitude est désiré pour soi, et jamais pour quelque chose d’autre, la fin ultime sera autre chose que la béatitude, ce qui ne peut pas être le cas. Tout ce qui est désiré d’autre se rapporte donc au désir de la béatitude, de manière médiate ou immédiate.

[22638] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, quod pacem omnia desiderant, et quod propter eam agunt quaecumque agunt. Sed pax ordinatur in beatitudinem, ut ex dictis patet. Ergo quidquid desideratur, propter beatitudinem desideratur.

[2] Denys dit que tous désirent la paix et qu’ils font tout ce qu’ils font en fonction d’elle. Or, la paix est ordonnée à la béatitude, comme cela ressort de ce qui a été dit. Tout ce qui est désiré est donc désiré en fonction de la béatitude.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22639] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in omni ordine mobilium et motorum oportet secundos motores ordinari in finem primi motoris per dispositionem impressam in eis a primo motore; sicut patet cum anima movet manum et manus baculum, et baculus percutit, quod est finis intentus ab anima; baculus et manus tendunt ad finem ab anima intentum per hoc quod anima in eis imprimit mediate vel immediate. Sed hoc distat in motibus naturalibus et violentis; quod in motibus violentis impressio relicta a primo motore in secundis motoribus est praeter naturam eorum; et ideo operatio consequens ex tali impressione est eis difficilis et laboriosa: sed in motibus naturalibus impressio relicta a primo motore in secundis motoribus, est eis causa naturalis; et ideo operatio hanc impressionem consequens est conveniens et suavis; et ideo dicitur Sap. 8, quia Deus omnia suaviter disponit: quia unaquaeque res ex natura sibi divinitus indita tendit in id ad quod per divinam providentiam ordinatur secundum exigentiam impressionis receptae. Et quia omnia procedunt a Deo inquantum bonus est, ut dicit Augustinus, et Dionysius; ideo omnia creata secundum impressionem a creatore receptam inclinantur in bonum appetendum secundum suum modum; ut sic in rebus quaedam circulatio inveniatur; dum, a bono egredientia, in bonum tendunt. Haec autem circulatio in quibusdam perficitur creaturis, in quibusdam autem remanet imperfecta. Illae enim creaturae quae non ordinantur ut pertingant ad illud primum bonum a quo processerunt, sed solummodo ad consequendam ejus similitudinem qualemcumque; non perfecte habent hanc circulationem; sed solum illae creaturae quae ad ipsum primum principium aliquo modo pertingere possunt; quod solum est rationabilium creaturarum, quae Deum ipsum assequi possunt per cognitionem et amorem: in qua assecutione beatitudo eorum consistit, ut ex dictis patet. Et ideo sicut quaelibet res alia naturaliter appetit suum bonum, ita quaelibet creatura rationalis naturaliter suam beatitudinem appetit.

Dans tout ordre entre les mobiles et les moteurs, il faut que les moteurs seconds soient ordonnés à la fin du premier moteur par une disposition imprimée en eux par le premier moteur, comme cela est clair lorsque l’âme meut la main et la main, le bâton, et que le bâton frappe, ce qui est la fin visée par l’âme : le bâton et la main tendent vers la fin visée par l’âme du fait que l’âme imprime en eux [cette disposition] de manière médiate ou immédiate. Or, une différence existe entre les mouvement naturels et les mouvements violents : dans les mouvement violents, l’impression laissée par le premier moteur dans les moteurs seconds dépasse leur nature ; aussi l’opération qui découle d’une telle impression est-elle difficile et laborieuse. Mais, dans les mouvements naturels, l’impression laissée par le premier moteur dans les moteurs seconds est pour eux une cause naturelle ; aussi l’opération qui découle de cette impression leur convient-elle et est-elle douce. C’est pourquoi il est dit dans Sg 8, que Dieu dispose tout avec douceur, car chaque chose tend vers ce à quoi elle est ordonnée par la providence divine selon que l’exige l’impression reçue, en vertu de la nature qui lui a été donnée par Dieu. Et parce que tout vient de Dieu en tant qu’il est bon, comme le disent Augustin et Denys, tout ce qui est créé est enclin à désirer le bien à sa manière selon une impression reçue du Créateur, de sorte qu’on trouve dans les choses un mouvement circulaire, dès lors que, sorties du bien, elles tendent au bien. Or, ce mouvement circulaire est achevé chez certaines créatures, mais, chez d’autres, il demeure imparfait. En effet, les créatures qui ne sont pas ordonnées à atteindre ce premier Bien dont elles sont sorties, mais seulement à l’obtenir par une certaine ressemblance avec lui, ne possèdent pas parfaitement ce mouvement circulaire, mais seulement les créatures qui peuvent, d’une certaine manière, atteindre le premier principe, ce qui n’est le fait que des créatures raisonnables, qui peuvent atteindre Dieu par la connaissance et par l’amour, atteinte en laquelle consiste leur béatitude, comme cela ressort de ce qui a été dit. De même que toute autre chose désire naturellement son propre bien, de même toute créature raisonnable désire donc naturellement sa béatitude.

[22640] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut visibile est duplex; scilicet per se, ut colOr et per accidens, ut homo: ita etiam appetibile, quod est objectum voluntatis, dupliciter accipi potest; per se, et per accidens. Per se objectum voluntatis est bonum; sed per accidens est hoc vel illud bonum. Et sicut bonum, communiter loquendo, est per se objectum voluntatis; ita et summum bonum est ultimus voluntatis finis, per se loquendo: sed hoc vel illud bonum ponitur ut ultimus voluntatis finis et principale ejus objectum quasi per accidens. Beatitudo ergo quantum ad id quod in ipsa est per se voluntatis principale objectum, est omnibus nota; sed quantum ad id quod accidit per se objecto, non est nota. Omnes enim cognoscunt perfectum bonum, et hoc appetunt, dum beatitudinem appetunt; sed hoc perfectum bonum esse voluptatem vel divitias, virtutem, vel quidquid hujusmodi, est per accidens; et ideo circa hoc non est inconveniens multos esse errores.

1. De même que ce qui peut être vu est double : par soi, comme la couleur, et par accident, comme un homme, de même ce qui peut être désiré, qui est l’objet de la volonté, peut s’entendre de deux manières : par soi et par accident. Par soi, l’objet de la volonté est le bien ; mais par accident, il est tel ou tel bien. Comme le bien, à parler communément, est par soi l’objet de la volonté, de même le bien suprême est-il la fin ultime de la volonté à parler par soi. Mais c’est par accident que tel ou tel bien est donné comme fin ultime de la volonté et son objet principal. Quant à ce qu’elle est en elle-même, la béatitude est donc par soi l’objet principal de la volonté et elle est connue de tous ; mais quant à ce s’ajoute à l’objet par soi, elle n’est pas connue. En effet, tous connaissent le bien parfait et le désirent, alors qu’ils désirent la béatitude ; mais que ce bien parfait soit la volupté, les richesses, la vertu ou quelque chose de ce genre, cela est par accident. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié qu’il existe à ce sujet beaucoup d’erreurs.

[22641] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis divina visio sit ipsa beatitudo, non tamen sequitur quod quicumque appetit beatitudinem, appetat divinam visionem: quia beatitudo, inquantum hujusmodi, importat per se objectum voluntatis, non autem ipsa divina visio; sicut aliquis appetit dulce, qui tamen non appetit mel.

2. Bien que la vision divine soit la béatitude elle-même, il n’en découle cependant pas que quiconque désire la béatitude désire la vision divine, car la béatitude, en tant que telle, comporte l’objet par soi de la volonté, mais non la vision divine elle-même, comme quelqu’un désire ce qui est doux, mais ne désire cependant pas le miel.

[22642] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliqui appetant ea quae sunt contraria beatitudini secundum rei veritatem; tamen secundum suam aestimationem non sunt contraria, sed perducentia ad eam.

3. Bien que certains désirent ce qui est contraire à la béatitude selon la vérité de la chose, cela n’y est cependant pas contraire selon leur estimation, mais y conduit.

[22643] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui peccat inhaerendo bonis mutabilibus sicut fini, accipit ipsas res mutabiles quasi principale appetibile et perfectum bonum; et ideo eis inhaerendo beatitudinem appetit. Sicut enim non sequitur quod aliquis appetendo beatitudinem appetat id quod secundum rei veritatem est beatitudo; ita etiam non sequitur quod aliquis spernendo id quod secundum rei veritatem est beatitudo, beatitudinem spernat: sicut non sequitur quod qui ignorat hominem, ignoret album, quamvis homo sit albus.

4. Celui qui pèche en s’attachant à des biens changeants comme à sa fin conçoit les choses changeantes comme le principal objet de désir et le bien parfait ; c’est pourquoi il désire la béatitude en s’y attachant. En effet, de même qu’il ne découle pas du fait quelqu’un, en désirant la béatitude, désire ce qu’est la béatitude selon la vérité de la chose, de même ne découle-t-il pas non plus qu’en se détournant de ce qu’est la béatitude selon la vérité de la chose, il méprise la béatitude, comme il ne découle pas que celui qui ignore l’homme ignore ce qui est blanc, bien que l’homme soit blanc.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22644] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod operatio causae secundae semper fundatur super operatione causae primae, et praesupponit eam; et ideo oportet quod omnis operatio animae procedat ex suppositione ejus quod inditum est animae ex impressione primi agentis, Dei scilicet; et ideo videmus ex parte intellectus, quod ad nihil intelligendum anima potest procedere nisi ex suppositione illorum quorum cognitio est ei innata; et propter hoc non potest assentire alicui quod sit contrarium his principiis quae naturaliter cognoscit; et similiter oportet esse ex parte voluntatis. Unde cum ex impressione primae causae, scilicet Dei, hoc animae insit ut bonum velit; et perfectum bonum tamquam finem ultimum appetat; impossibile est quod contrarium ejus in appetitu illius cadat: et ideo nullus potest miseriam velle, vel malum, nisi per accidens; quod contingit dum appetit aliquod malum quod apprehendit ut bonum.

L’opération de la cause seconde se fonde toujours sur l’opération de la cause première et la présuppose. Aussi est-il nécessaire que toute opération de l’âme vienne de la présence de ce qui est inné à l’âme en vertu d’une impression par le premier agent, Dieu. Ainsi voyons-nous que, pour ce qui est de l’intellect, l’âme ne peut s’adonner à comprendre qu’en supposant ce dont la connaissance lui est innée ; pour cette raison, elle ne peut donner son assentiment à ce qui serait contraire aux principes qu’elle connaît naturellement. De même doit-il en être du côté de la volonté. Puisqu’il est inné à l’âme qu’elle veuille le bien par une impression de la cause première, Dieu, et qu’elle désire le bien parfait comme sa fin ultime, il est donc impossible que le contraire devienne l’objet de son désir. Aussi personne ne peut-il vouloir la misère ou le mal, si ce n’est par accident, ce qui arrive lorsqu’il désire un mal qu’il appréhende comme un bien.

[22645] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia rationalis se habet ad opposita in his quae ei subsunt; et haec sunt illa quae per ipsam determinantur: non autem potest in opposita illorum quae sunt ei ab alio determinata; et ideo voluntas non potest in oppositum ejus ad quod ex divina impressione determinatur, scilicet in oppositum finis ultimi; potest autem in oppositum eorum quae ipsa sibi determinat, sicut sunt ea quae ordinantur in finem ultimum, quorum electio ad ipsam pertinet.

1. La puissance raisonnable porte sur des choses opposées pour ce qui lui est soumis : telles sont les choses qui sont déterminées par elle ; mais elle n’a aucun pouvoir sur ce qui est déterminé par un autre. Aussi la volonté n’a-t-elle aucun pouvoir sur ce qui est opposé à ce à quoi elle est déterminée par une impression divine, à savoir, ce qui est contraire à la fin ultime ; mais elle a pouvoir sur ce qui s’oppose à ce qu’elle-même détermine, comme l’est ce qui est ordonné à la fin ultime, dont le choix relève d’elle.

[22646] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod coactio, cum violentiam importet, et prohibitio similiter, non pertinent ad illam necessitatem quae naturam rei consequitur: quia omne violentum est contra naturam; et ideo cum naturaliter voluntas necessario feratur in beatitudinem, hoc coactionem in ipsa non ponit, nec aliquam libertatis diminutionem.

2. La coercition, puisqu’elle comporte une violence, et aussi l’interdiction ne relèvent pas de la nécessité qui découle de la nature d’une chose, car tout ce qui est violent est contre nature. Puisque la volonté est nécessairement portée vers la béatitude, cela ne lui impose donc pas une coercition ni une diminution de sa liberté.

[22647] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil prohibet aliquid quod secundum se est appetibile, aliquo adjuncto appetibile non esse. Unde etiam esse, quod per se ab omnibus desideratur, et secundum se est bonum, aliquo adjuncto redditur malum et odibile, sicut esse in tristitia vel miseria; unde et per accidens non esse appetitur, non quidem inquantum privat esse, sed inquantum tollit illud malum quod esse odiosum reddebat. Carere autem malo bonum est; unde et qui appetit non esse, appetit illud ut bonum. Sed miseria nunquam potest accipi ut bonum, quia dicit rationem perfecti mali; et ideo nullus potest velle esse miser. Non esse autem non dicit ipsam rationem mali, sed id quod est malum; et ideo aliquo adjuncto, quod habet rationem boni, potest esse appetibile; sicut patet per philosophum in 9 Ethic., et per Hieronymum in Glossa Hierem. 20. Quod autem Augustinus dicit, quod nullus appetit non esse, intelligendum est per se loquendo.

3. Rien n’empêche que ce qui est désirable en soi ne soit pas désirable, si l’on y ajoute quelque chose. Aussi l’être, qui est en soi désiré de tous et est bon en soi, est-il rendu mauvais et haïssable si l’on y ajoute quelque chose, comme le fait d’être dans la tristesse ou la misère. Par accident, le néant est donc désiré, non pas en tant qu’il prive de l’être, mais en tant qu’il enlève le mal qui faisait de l’être un objet de haine. Or, être privé de mal est un bien. Celui qui désire ne pas exister le désire donc comme un bien. Mais la misère ne peut jamais être perçue comme un bien, car elle exprime la raison de mal parfait. Aussi personne ne peut-il vouloir être misérable. Mais ne pas être n’exprime pas la raison de mal, mais ce qui est mal ; si quelque s’y ajoute qui comporte la raison de bien, cela peut donc être désirable, comme cela ressort de ce que disent le Philosophe, dans Éthique, IX, et Jérôme, dans sa glose sur Jr 20. Ce que dit Augustin, que personne ne désire ne pas être, doit se comprendre si l’on parle en soi.

[22648] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non potest aestimari quod albedo sit nigredo, quamvis possit aestimari quod id quod est album, ut homo, sit nigrum; et similiter potest aestimari ut id quod est bonum, sit malum: sed quod ipsa bonitas sit malitia, aut e converso, aestimari non potest. Et quia miseria implicat in se rationem mali, ideo non potest aestimari ut bona, et propter hoc non potest appeti.

4. On ne peut estimer que la blancheur est la noirceur, bien qu’on puisse estimer que ce qui est blanc, comme l’homme, est noir. De même peut-on estimer que ce qui est bon est mauvais ; mais on ne peut estimer que la bonté elle-même est la malice, ou inversement. Parce que la misère comporte en elle-même la raison de mal, on ne peut donc l’estimer bonne. Pour cette raison, elle ne peut donc être désirée.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22649] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod bonum, quod est objectum voluntatis, est in rebus, ut dicit philosophus in 6 Metaph.; et ideo oportet quod motus voluntatis terminetur ad rem extra animam existentem. Quamvis autem res, prout est in anima, possit considerari secundum rationem communem praetermissa ratione particulari; res tamen extra animam non potest esse secundum communem rationem nisi cum additione propriae rationis; et ideo oportet, quantumcumque voluntas feratur in bonum, quod feratur in aliquod bonum determinatum; et similiter quantumcumque feratur in summum bonum, quod feratur in summum bonum hujus vel illius rationis. Quamvis autem ex naturali inclinatione voluntas habeat ut in beatitudinem feratur secundum communem rationem, tamen quod feratur in beatitudinem talem vel talem, hoc non est ex inclinatione naturae, sed per discretionem rationis, quae adinvenit in hoc vel in illo summum bonum hominis constare; et ideo quandocumque aliquis beatitudinem appetit, actualiter conjungitur ibi appetitus naturalis, et appetitus rationalis; et ex parte appetitus naturalis semper est ibi rectitudo; sed ex parte appetitus rationalis quandoque est ibi rectitudo, quando scilicet appetitur ibi beatitudo ubi vere est; quandoque autem perversitas, quando appetitur ubi vere non est; et sic in appetitu beatitudinis potest aliquis vel mereri adjuncta gratia, vel demereri, secundum quod ejus appetitus est rectus vel perversus.

Le bien, qui est l’objet de la volonté, existe dans les choses, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, VI ; aussi faut-il que le mouvement de la volonté se termine à une chose qui existe hors de l’âme. Mais bien qu’une chose, en tant qu’elle existe dans l’âme, puisse être considérée selon sa raison commune, en omettant sa raison particulière, la chose extérieure à l’âme ne peut exister selon la raison commune qu’en y ajoutant sa raison propre. Autant que la volonté soit portée vers le bien, il est donc nécessaire qu’elle soit portée vers un bien déterminé ; de même, autant elle est portée vers le bien suprême, [est-il nécessaire] qu’elle soit portée vers le bien suprême selon telle ou telle raison. Bien que la volonté tienne d’une inclination naturelle d’être portée vers la béatitude selon sa raison commune, elle ne tient cependant pas d’une inclination naturelle d’être portée vers telle ou telle béatitude : [elle tient cela] de la discrétion de la raison, qui trouve que le bien de l’homme consiste dans ceci ou dans cela. Chaque fois que l’on désire la béatitude, le désir naturel et le désir raisonnable y sont donc effectivement joints. Pour ce qui est du désir naturel, il est toujours droit ; mais, pour ce qui est du désir raisonnable, parfois il est droit, lorsque la béatitude est désirée là où elle se trouve vraiment ; mais parfois il est contraire à la raison, lorsque [la béatitude] est désirée là où elle n’existe pas vraiment. Ainsi, par le désir de la béatitude, on peut soit mériter, si la grâce y est jointe, soit démériter, selon que son désir est droit ou contraire à la raison.

[22650] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in appetitu beatitudinis semper cum eo quod est naturale, conjungitur aliquod voluntarium non naturale, et sic potest ibi cadere ratio meriti vel demeriti.

1. Dans le désir de la béatitude, quelque chose de naturel est toujours uni à quelque chose de volontaire non naturel ; ainsi peut s’y trouver la raison de mérite ou de démérite.

[22651] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis nullus possit vitare quin beatitudinem aliquo modo appetat, potest tamen vitare quod non appetat eam hoc modo quo est appetenda; et sic potest mereri vel demereri.

2. Bien que personne ne puisse éviter de désirer la béatitude d’une certaine manière, on peut cependant éviter de ne pas la désirer de la manière dont elle est désirée. On peut ainsi mériter ou démériter.

[22652] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad appetendam beatitudinem perfecto appetitu, qui sufficiat ad merendum, homo ex propriis viribus non est sufficiens; sed habet hoc ex munere divinae gratiae, ut patet 2 Corinth. 5, 5: qui efficit nos in hoc ipsum Deus, idest, qui facit nos veram gloriam appetere, secundum Glossam.

3. L’homme ne suffit pas par ses propres forces à mériter la béatitude d’un désir parfait qui suffise pour mériter ; mais il tient cela du don de la grâce divine, comme cela ressort de 2 Co 5, 5 : Dieu qui réalise cela en nous, c’est-à-dire qui nous fait désirer la gloire véritable, selon la Glose.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22653] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum in 7 Ethic., in ordine appetibilium hoc modo se habet finis sicut principium in ordine intelligibilium. Quia autem illud quod est primum in quolibet genere et maximum, est causa eorum quae sunt post; ideo cognitio principii in speculativis est causa cognitionis omnium aliorum; et similiter appetitus finis est causa appetendi omnia alia quae sunt ad finem. Unde cum beatitudo sit finis humanae vitae; quidquid voluntas appetit facere, ad beatitudinem ordinat: quod etiam experimento patet. Quicumque enim appetit aliquid, appetit illud inquantum est aestimatum bonum. Per hoc autem quod aliquis habet aliquid quod aestimat bonum, reputat se ut beatitudini propinquiorem: quia additio boni super bonum facit magis appropinquare bono perfecto, quod est ipsa beatitudo. Et ideo quilibet appetitus in beatitudinem ordinatur.

Selon le Philosophe dans Éthique, VII, la fin joue, dans l’ordre de ce qui est désirable, le rôle de principe dans l’ordre de ce qui est intelligible. Parce que ce qui est premier et le plus grand en chaque genre est la cause de ce qui vient après, la connaissance du principe en matière spéculative est donc la cause de la connaissance de tout le reste ; de même, le désir de la fin est-il la cause de tout ce qui est ordonné à la fin. Puisque la béatitude est la fin de la vie humaine, tout ce que la volonté désire faire, elle l’ordonne à la béatitude, ce qui ressort de l’expérience. En effet, quiconque désire quelque chose le désire en tant que cela est estimé bon. Or, par le fait que l’on a quelque chose que l’on estime bon, on se considère comme plus proche de la béatitude, car l’ajout d’un bien à un autre fait se rapprocher du bien parfait, qui est la béatitude elle-même. C’est pourquoi tout désir est ordonné à la béatitude.

[22654] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectatio est aliquid eorum quae ad beatitudinem exiguntur, cum sit in beatitudine; et ideo appetitus ipse quo quis delectationem appetit, in beatitudinem ordinatur, inquantum ipsa delectatio est aliqua similitudo vel propinqua vel remota illius delectationis quae beatitudinem perficit.

1. La délectation est quelque chose qui est exigé pour la béatitude, puisqu’elle fait partie de la béatitude. Le désir même par lequel l’on désire la délectation est donc ordonné à la béatitude, pour autant que la délectation même est une similitude proche ou éloignée de la délectation en laquelle se réalise la béatitude.

[22655] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquid ordinari ad beatitudinem per desiderium, dupliciter contingit. Uno modo sicut quod quaeritur ut per hoc homo ad beatitudinem perveniat; sicut aliquis vult operari opera virtutis, ut per hoc beatitudinem mereatur. Alio modo cum quis appetit aliquid ex hoc ipso quod habet aliquam similitudinem beatitudinis. Cum enim voluntas appetit aliquid, ex hoc ipso efficitur ut desideret illud in quo ejus aliqua similitudo invenitur, quamvis principale desideratum habere non possit; et hoc modo omnes qui peccata appetunt, ad beatitudinem tendunt, et ad Dei imitationem, ut dicit Augustinus 2 Confession., sic dicens: superbia celsitudinem imitatur, cum tu sis unus super omnia Deus excelsus: ambitio quid nisi honorem quaerit, et gloriam, cum tu sis prae cunctis honorandus; et similiter inducit in aliis vitiis.

2. Quelque chose est ordonné à la béatitude de deux manières. D’une manière, comme ce qui est recherché, par quoi l’homme pourra parvenir à la béatitude : ainsi, on veut accomplir les actes d’une vertu afin de mériter par là la béatitude. D’une autre manière, lorsque l’on désire quelque chose par le fait même que cela possède une certaine similitude avec la béatitude. En effet, lorsque la volonté désire quelque chose, elle désire par le fait même ce en quoi se trouve une similitude [de la béatitude], bien qu’elle puisse ne pas posséder ce qui est désiré à titre principal. De cette manière, tous ceux qui désirent des péchés tendent à la béatitude et à l’imitation de Dieu, comme le dit Augustin dans Les confessions, II : « L’orgueil imite la grandeur, alors que tu es le seul Très-Haut, Dieu, au-dessus de tout ; l’ambition ne recherche que l’honneur et la gloire, alors que tu dois être honoré plus que tous. »

[22656] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illo furto, ut Augustinus, ibidem, dicit, erat aliquid speciem boni habens, hoc scilicet, facere aliquid contra legem, in quo quaedam libertatis umbra apparet; unde dicit: quid ergo in illo furto ego dilexi, et in quo Deum meum vitiose atque perverse imitatus sum? Et solvit dicens: an libuit facere contra legem saltem fallacia, quia potentatu non poteram, ut libertatem captivus imitarer, faciendo impune quod non liceret, tenebrosa omnipotentiae similitudine?

3. Dans ce vol, comme le dit Augustin au même endroit, il y avait une apparence de bien : faire le contraire de la loi, par quoi se manifeste une certaine ombre de la liberté. Aussi dit-il : « Qu’ai-je donc aimé dans ce vol et en quoi ai-je imité mon Dieu de manière vicieuse et perverse ? » Et il répond : « Ne m’a-t-il pas été permis d’agir à tort à l’encontre de la loi parce que, captif, je n’avais pu imiter la liberté en accomplissant impunément ce qui n’était pas permis, par une obscure ressemblance avec la toute-puissance ? »

[22657] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliqui sine spe futurae vitae morti se exponunt dupliciter. Uno modo propter operationem virtutis; sicut illi qui ut salvarent patriam, vel aliqua inhonesta vitarent, mortem sustinere praeelegerunt; et hoc quidem in beatitudinem ordinabant secundum eorum aestimationem, non consequendam post mortem, sed in ipso opere tunc consequendam: quia facere perfectum opus virtutis, quod erat in sustinendo mortem, erat ab eis desideratum maxime, in quo beatitudinem ponebant. Alio modo propter taedium miseriae quod sustinebant, quam se per mortem vitare aestimabant. Vitare autem miseriam et appetere beatitudinem in idem coincidunt. Et ideo constat quod desiderium eorum qui mortem sustinere voluerunt, ad beatitudinem ordinabatur.

4. Certains s’exposent à la mort sans espérance d’une vie future de deux manières. D’une manière, à cause de la mise en œuvre d’une vertu, comme ceux qui, pour sauver la patrie ou éviter quelque chose de malhonnête, ont préféré supporter la mort. Selon leur estimation, ils ordonnaient cela à l’obtention de la béatitude, non pas après la mort, mais en l’obtenant alors dans l’acte même [qu’ils ont posé], car l’accomplissement d’un acte parfait de vertu en supportant la mort était ce qu’ils désiraient au plus haut point et en quoi ils plaçaient la béatitude. D’une autre manière, en raison de la lassitude [provoquée par] la misère qu’ils supportaient, qu’ils estimaient éviter par la mort. Or, éviter la misère et désirer la béatitude portent sur le même objet. C’est pourquoi il est clair que le désir de ceux qui ont voulu supporter la mort était ordonné à la béatitude.

[22658] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad hoc quod voluntas sit recta, duo requiruntur. Unum est quod sit finis debitus; aliud, ut id quod ordinatur in finem, sit proportionatum fini. Quamvis autem omnia desideria ad beatitudinem referantur, tamen contingit utrolibet modo desiderium esse perversum; quia et ipse appetitus beatitudinis potest esse perversus, cum quaeritur ubi non est, ut ex dictis patet; et si quaeratur ubi est, potest contingere quod id quod propter hunc finem appetitur, non est fini proportionatum; sicut cum quis vult furari, ut det eleemosynam, per quam mereatur beatitudinem.

5. Pour que la volonté soit droite, deux choses sont nécessaires : l’une est que la fin soit appropriée; l’autre, que ce qui est ordonné à la fin soit proportionné à la fin. Bien que tous les désirs se ramènent à la béatitude, il arrive cependant que le désir soit dévoyé des deux manières, car le désir même de la béatitude peut être dévoyé lorsqu’il cherche [la béatitude] là où elle ne se trouve pas, comme cela ressort de ce qui a été dit ; et même si elle la cherche là où elle existe, il peut arriver que ce qui est désiré en vue de cette fin ne soit pas proportionné à la fin, comme lorsque quelqu’un veut voler en vue de faire l’aumône par laquelle il pourra mériter la béatitude.

[22659] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sic in intelligibilibus non oportet ut in omnibus consequentibus demonstrationibus prima principia essentialiter ingrediantur quasi actualiter cogitata, sed virtute tantum, dum demonstratio conficitur ex his quae per prima principia fidem habent; ita etiam quamvis omne desiderium ad beatitudinem referatur, non tamen oportet quod in omni desiderio de beatitudine actualiter cogitetur: sed desiderium beatitudinis est virtute in omnibus aliis desideriis, sicut causa in effectu.

6. En matière intelligible, il n’est pas nécessaire que les premiers principes entrent dans les démonstrations subséquentes d’une manière essentielle, en tant qu’ils sont effectivement objets de pensée, mais virtuellement seulement, alors qu’une démonstration est réalisée à partir de ce qui s’appuie sur les premiers principes. De même aussi, bien que tout désir se ramène à la béatitude, il n’est cependant pas nécessaire qu’en tout désir, l’on pense effectivement à la béatitude ; mais le désir de la béatitude existe virtuellement dans tous les autres désirs, comme la cause dans l’effet.

 

 

Articulus 4 [22660] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 tit. Utrum beatitudo sanctorum sit major futura post judicium quam ante

Article 4 – La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après qu’avant le jugement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La béatitude des saints sera-t-elle plus grande après qu’avant le jugement ?]

[22661] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod beatitudo sanctorum non sit major futura post judicium quam ante. Quanto enim aliquid magis accedit ad similitudinem divinam, tanto perfectius beatitudinem participat. Sed anima a corpore separata Deo similior est quam corpori conjuncta. Ergo major est ejus beatitudo ante corporis resumptionem quam post.

1. Il semble que la béatitude future des saints ne sera pas plus grande après qu’avant le jugement. En effet, plus quelque chose se rapproche de la ressemblance avec Dieu, plus parfaitement cela participe-t-il à la béatitude. Or, l’âme séparée du corps ressemble plus à Dieu que l’âme unie au corps. Sa béatitude est donc plus grande avant qu’après la reprise du corps.

[22662] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, virtus unita magis est potens quam multiplicata. Sed anima extra corpus magis est unita quam cum est corpori conjuncta. Ergo virtus ejus est major ad operandum; et ita perfectius beatitudinem participat, quae in actu consistit.

2. Une puissance unifiée est plus puissante que lorsqu’elle est multipliée. Or, l’âme hors du corps est plus unifiée que lorsqu’elle est unie au corps. Sa puissance est donc plus grande pour agir, et ainsi elle participe plus parfaitement à la béatitude, qui consiste dans un acte.

[22663] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, beatitudo consistit in actu intellectus speculativi, ut patet ex supra dictis. Sed intellectus in suo actu non utitur organo corporali; et sic corpus resumptum non efficiet ut anima perfectius intelligat. Ergo beatitudo animae non erit major post resurrectionem.

3. La béatitude consiste dans un acte de l’intellect spéculatif, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. Or, l’intellect n’utilise pas d’organe corporel dans son acte ; ainsi le corps une fois repris ne fera pas en sorte que l’âme intellige plus parfaitement. La béatitude de l’âme ne sera donc pas plus grande après la résurrection.

[22664] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, infinito non potest esse aliquid majus; et ita infinitum cum finito aliquo non sunt majus quam ipsum infinitum. Sed anima beata ante corporis resumptionem beatitudinem habet de hoc quod gaudet de bono infinito, scilicet Deo; post resumptionem autem corporis non habebit de alio gaudium, nisi forte de gloria corporis, quod est quoddam bonum finitum. Ergo gaudium eorum post corporis resumptionem non erit majus quam ante.

4. Rien ne peut être plus grand que l’infini, et ainsi l’infini auquel est ajouté quelque chose de fini n’est pas plus grand que l’infini lui-même. Or, l’âme bienheureuse possède la béatitude avant de reprendre son corps, du fait qu’elle se réjouit d’un bien infini : Dieu ; une fois le corps repris, elle ne tirera pas de joie d’autre chose, si ce n’est de la gloire du corps, qui est un bien fini. La joie [des saints] après avoir repris leur corps ne sera donc pas plus grande qu’avant.

[22665] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Apoc. 8, super illud: vidi subter altare animas interfectorum etc., dicit Glossa: modo animae sanctorum sunt existentes sub, idest in minori dignitate quam sint futurae. Ergo major erit eorum beatitudo post mortem.

Cependant, [1] la Glose dit à propos de Ap 8 : Je vis sous l’autel les âmes de ceux qui ont été tués, etc. : « Maintenant, les âmes des saints se trouvent dessous, c’est-à-dire dans une dignité moins grande qu’elles n’auront. » Leur béatitude sera donc plus grande après la mort.

[22666] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut bonis redditur beatitudo pro praemio, ita et malis miseria. Sed miseria malorum post corporis resumptionem erit major quam ante; quia non solum in anima, sed etiam in corpore punientur. Ergo et beatitudo sanctorum erit major post resurrectionem corporis quam ante.

[2] De même que la béatitude est donnée aux bons comme récompense, de même la misère aux méchants. Or, la misère des méchants après la reprise du corps sera plus grande qu’auparavant, car ils seront punis non seulement dans leur âme, mais dans leur corps. La béatitude des saints sera donc plus grande après la résurrection du corps qu’avant.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Tous participeront-ils également à la béatitude ?]

[22667] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beatitudo ab omnibus aequaliter participabitur. Quia, Matth. 20, dicitur, quod omnes accipient singulos denarios. Denarius autem significat aliquid quod omnes communiter habebunt. Hoc autem non erit nisi beatitudo. Ergo tantum de beatitudine habebit unus quantum alius.

1. Il semble que tous participeront également à la béatitude, car il est dit en Mt 20, que tous recevront chacun un denier. Or, le denier signifie quelque chose que tous auront d’une manière générale. Or, cela ne sera que la béatitude. L’un possédera donc la béatitude autant que l’autre.

[22668] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ultra ultimum nihil est. Sed beatitudo est ultimum eorum quae ab hominibus desiderari possunt. Ergo ultra beatitudinem alicujus hominis in nullo homine potest esse aliquid quasi beatitudinem alterius hominis excedens; et sic idem quod prius.

2. Il n’existe rien au-delà de ce qui est ultime. Or, la béatitude est la dernière chose qui puisse être désirée par les hommes. Au-delà de la béatitude d’un homme, il ne peut donc exister chez un homme rien qui dépasse la béatitude d’un autre homme. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[22669] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut cuilibet appetibile est bonum, ita et magis bonum. Si ergo aliquis esset beatior minus beato, esset appetibilis beatitudo magis beati secundum rectum appetitum: nec eam haberet. Ergo non esset beatus, quia, ut in littera dicitur, beatus non dicitur nisi qui habet omnia quae vult, et nihil mali vult.

3. De même que ce qui est bon est désirable pour quelqu’un, de même ce qui est meilleur. Si donc quelqu’un était davantage heureux que celui qui est moins heureux, la béatitude de celui qui est bienheureux selon un désir droit serait donc plus désirable, et il ne l’aurait pas. Il ne serait donc pas bienheureux, car, comme le dit le texte, « on n’appelle bienheureux que celui qui possède tout ce qu’il veut et ne veut rien de mal ».

[22670] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 41: stella differt a stella in claritate; sic erit et resurrectio mortuorum. Ergo unus resurgentium majorem gloriam habebit quam alius.

Cependant, [1] 1 Co 15, 41 dit : Une étoile diffère de l’autre par l’éclat ; ainsi sera la résurrection des morts. Un ressuscité aura donc une gloire plus grande qu’un autre.

[22671] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, praemium debet respondere merito. Sed quidam sunt excellentioris meriti aliis. Ergo cum beatitudo sit virtutis praemium, videtur quod majorem beatitudinem habebunt.

[2] La récompense doit correspondre au mérite. Or, certains ont un mérite qui dépasse celui des autres. Puisque la béatitude est la récompense de la vertu, il semble donc qu’ils auront une plus grande béatitude.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Doit-on appeler des demeures les degrés de la béatitude ?]

[22672] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hujusmodi beatitudinis gradus mansiones dici non debeant. Beatitudo enim importat rationem praemii. Sed mansio nihil significat quod ad praemium pertineat. Ergo diversi gradus beatitudinis mansiones dici non debent.

1. Il semble que l’on ne doive pas appeler des demeures les degrés de la béatitude. En effet, la béatitude comporte la raison de récompense. Or, une demeure ne signifie rien qui concerne la récompense. Les différents degrés de la béatitude ne doivent donc pas être appelés des demeures.

[22673] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, mansio locum significare videtur. Sed locus quo sancti beatificabuntur, non est corporalis, sed spiritualis, scilicet Deus, qui unus est. Ergo non est nisi una mansio; et ita diversi gradus beatitudinis mansiones dici non possunt.

2. Une demeure semble signifier un lieu. Or, le lieu où les saints seront rendus bienheureux n’est pas corporel mais spirituel, à savoir, Dieu, qui est unique. Il n’y a donc qu’une seule demeure, et ainsi les différents degrés de la béatitude ne peuvent pas être appelés des demeures.

[22674] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut in patria erunt homines diversorum meritorum, ita nunc sunt in Purgatorio, et in Limbo patrum fuerunt. Sed in Purgatorio et in Limbo non distinguuntur mansiones. Ergo nec in patria mansiones debent distingui.

3. De même que, dans la patrie, il y aura des hommes aux mérites différents, de même, maintenant, y en a-t-il eu au purgatoire et dans les limbes des pères. Or, au purgatoire et dans les limbes, on ne fait pas de distinction entre les demeures.

[22675] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 14, 2: in domo patris mei mansiones multae sunt; quod Augustinus exponit de variis dignitatibus praemiorum.

Cependant, [1] il est dit en Jn 14, 2 : Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Augustin explique cela par les différentes dignités des récompenses.

[22676] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in qualibet civitate est ordinata mansionum distinctio. Sed caelestis patria civitati comparatur, ut patet Apoc. 21. Ergo oportet ibi diversas mansiones distinguere secundum diversos beatitudinis gradus.

[2] Dans n’importe quelle cité, il existe une distinction ordonnée entre les demeures. Or, la patrie céleste est comparée à une cité, comme cela ressort de Ap 21. Il est donc nécessaire de faire là une distinction entre diverses demeures selon les différents degrés de béatitude.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les différentes demeures se différencient-elles selon les différents degrés de la charité ?]

[22677] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diversae mansiones non distinguantur penes diversos gradus caritatis. Quia Matth. 25, 15, dicitur: dedit unicuique secundum propriam virtutem. Propria autem uniuscujusque virtus est vis naturalis. Ergo et dona gratiae et gloriae distribuuntur secundum diversos gradus virtutis naturalis.

1. Il semble que les différentes demeures ne se différencient pas selon les différents degrés de la charité, car il est dit en Mt 25, 15 : Il a donné à chacun selon sa capacité. Or, la capacité de chacun est une puissance naturelle. Les dons de la grâce et de la gloire seront donc distribués selon les divers degrés de la puissance naturelle.

[22678] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, in Psalm. 61, 12, dicitur: tu reddes unicuique secundum opera sua. Sed illud quod redditur, est beatitudinis mensura. Ergo gradus beatitudinis distinguentur secundum diversitatem operum, et non secundum diversitatem caritatis.

2. Il est dit dans Ps 61, 12 : Tu rendras à chacun selon ses œuvres. Or, ce qui est rendu est une mesure de béatitude. Les degrés de la béatitude seront donc différenciés selon la diversité des œuvres, et non selon la diversité de la charité.

[22679] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, praemium debetur actui, et non habitui; unde fortissimi non coronantur, sed agonizantes, ut patet 1 Ethicor.; et 2 ad Timoth. 2, 5: non coronabitur, nisi qui legitime certaverit. Sed beatitudo est praemium. Ergo diversi gradus beatitudinis non erunt secundum diversos gradus caritatis.

3. Une récompense est due à un acte, et non à un habitus ; ce ne sont donc pas les plus forts, mais les combattants qui sont couronnés, comme cela ressort d’Éthique, I et de 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles. Or, la béatitude est une récompense. Les divers degrés de la béatitude existeront donc selon les divers degrés de la charité.

[22680] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est, quia quanto aliquis erit Deo magis conjunctus, tanto erit beatior. Sed secundum modum caritatis est modus conjunctionis ad Deum. Ergo secundum differentiam caritatis erit et diversitas beatitudinis.

Cependant, [1] plus quelqu’un sera uni à Dieu, plus il sera bienheureux. Or, la mesure de l’union à Dieu se prend de la mesure de la charité. La diversité de la béatitude se prendra donc de la différence de la charité.

[22681] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut simpliciter sequitur ad simpliciter, ita magis ad magis. Sed habere beatitudinem sequitur ad habere caritatem. Ergo et habere majorem beatitudinem sequitur ad habere majorem caritatem.

[2] De même que ce qui existe simplement découle de ce qui existe simplement, de même ce qui existe davantage [découle-t-il] de ce qui existe davantage. Or, posséder la béatitude découle du fait d’avoir la charité. Posséder une plus grande béatitude découle donc du fait de posséder une plus grande charité.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22682] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod beatitudinem sanctorum post resurrectionem augeri extensive quidem manifestum est; quia beatitudo tunc erit non solum in anima, sed etiam in corpore; et etiam ipsius animae beatitudo augebitur extensive, inquantum anima non solum gaudebit de bono proprio, sed de bono corporis. Potest etiam dici, quod etiam beatitudo animae ipsius augebitur intensive. Corpus enim hominis dupliciter potest considerari. Uno modo secundum quod est ab anima perfectibile; alio modo secundum quod est in eo aliquid repugnans animae in suis operibus, prout non perfecte corpus per animam perficitur. Secundum autem primam considerationem corporis, conjunctio corporis ad animam addit animae aliquam perfectionem; quia omnis pars imperfecta est, et completur in suo toto; unde et totum se habet ad partes sicut forma ad materiam; unde et anima perfectior est in esse suo naturali cum est in toto, scilicet in homine conjuncto ex anima et corpore, quam cum est per se separata. Sed unio corporis quantum ad secundam ipsius considerationem impedit animae perfectionem; et ideo dicitur, quod corpus quod corrumpitur, aggravat animam; Sap. 9, 15. Si ergo a corpore removeatur omne id per quod actioni animae resistit; simpliciter anima erit perfectior in corpore tali existens quam per se separata. Quanto autem aliquid est perfectius in esse, tanto potest perfectius operari; unde et operatio animae conjunctae tali corpori erit perfectior quam operatio animae separatae. Hujusmodi autem corpus est corpus gloriosum, quod omnino subdetur spiritui, ut supra, dist. 44, dictum est. Unde cum beatitudo in operatione consistat, perfectior erit beatitudo animae post resumptionem corporis quam ante. Sicut enim anima separata a corpore corruptibili perfectius potest operari quam ei conjuncta; ita postquam conjuncta fuerit corpore glorioso, perfectior erit ejus operatio quam quando erat separata. Omne autem imperfectum appetit suam perfectionem et ideo anima separata naturaliter appetit corporis conjunctionem: et propter hunc appetitum ex imperfectione procedentem, ejus operatio quae in Deum fertur, est minus intensa; et hoc est quod dicit Hieronymus, quod ex appetitu corporis retardatur ne tota intentione pergat in illud summum bonum.

Que la béatitude des saints s’accroisse en étendue après la résurrection, cela est clair, car la béatitude n’existera pas alors seulement dans l’âme, mais aussi dans le corps ; la béatitude de l’âme aussi sera accrue en extension dans la mesure où l’âme ne se réjouira pas seulement de son propre bien, mais du bien du corps. On peut aussi dire que la béatitude de l’âme sera augmentée en intensité. En effet, le corps de l’homme peut être considéré de deux manières : d’une manière, selon qu’il est perfectible par l’âme ; d’une autre manière, selon qu’il existe dans ses actions quelque chose qui répugne à l’âme pour autant que le corps n’est pas perfectionné par l’âme. Selon la première manière d’envisager le corps, l’union du corps à l’âme ajoute à l’âme une perfection, car toute partie est imparfaite et elle s’achève dans son tout. Ainsi le tout est-il par rapport aux parties comme la forme par rapport à la matière. L’âme est donc plus parfaite dans son être naturel lorsqu’elle existe dans le tout, à savoir, dans l’homme composé d’âme et de corps, que lorsqu’elle existe séparée en elle-même. Mais l’union du corps selon la seconde manière de l’envisager empêche la perfection de l’âme. Aussi est-il dit que le corps qui se corrompt alourdit l’âme, Sg 9, 15. Si donc est enlevé du corps ce par quoi il résiste à l’action de l’âme, l’âme sera plus parfaite dans un tel corps que si elle est séparée en elle-même. Or, plus quelque chose est parfait dans l’être, plus parfaitement peut-il agir. L’action de l’âme unie à tel corps sera donc plus parfaite que l’action de l’âme séparée. Or, le corps glorieux est un corps de ce genre, entièrement soumis qu’il est à l’esprit, comme on l’a dit plus haut, d. 44. Puisque la béatitude consiste dans l’action, la béatitude de l’âme, après que le corps aura été repris, sera donc plus parfaite qu’avant. En effet, de même que l’âme séparée du corps corruptible peut agir plus parfaitement que lorsqu’elle lui est unie, de même, après qu’elle aura été réunie à un corps glorieux, son action sera-t-elle plus parfaite que lorsqu’elle en était séparée. Or, tout ce qui est imparfait désire sa perfection. C’est pourquoi l’âme séparée désire naturellement l’union avec le corps. C’est en raison de ce désir issu de l’imperfection que son action qui se porte vers Dieu est moins intense. C’est ce que dit Jérôme, que le désir du corps empêche qu’elle ne tende de toutes ses forces vers ce bien suprême.

[22683] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima conjuncta corpori glorioso magis est Deo similis quam ab eo separata, inquantum conjuncta habet esse perfectius. Quanto enim aliquid est perfectius, tanto est Deo similius: sicut etiam cOr cujus vitae perfectio in motu consistit, est Deo similius quando movetur quam quando quiescit, quamvis Deus nunquam moveatur.

1. L’âme unie au corps glorieux est plus semblable à Dieu que lorsqu’elle en est séparée dans la mesure où, lorsqu’elle est unie, elle a un être plus parfait. En effet, plus quelque chose est parfait, plus cela est semblable à Dieu, comme le cœur, dont la perfection de la vie consiste dans le mouvement, est plus semblable à Dieu lorsqu’il est mû que lorsqu’il est au repos, bien que Dieu ne soit jamais mû.

[22684] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus quae de sua natura habet quod sit in materia, magis est potens in materia existens quam a materia separata; quamvis, absolute loquendo, virtus a materia separata sit potentior.

2. Une puissance qui, par sa nature, est faite pour exister dans la matière est plus puissante lorsqu’elle existe dans la matière que lorsqu’elle en est séparée, bien que, absolument parlant, une puissance séparée de la matière soit plus puissante.

[22685] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in actu intelligendi anima corpore non utatur, tamen perfectio corporis quodammodo ad perfectionem operationis intellectualis cooperabitur, inquantum ex conjunctione corporis gloriosi anima erit in sua natura perfectiOr et per consequens in operatione efficacior; et secundum hoc, ipsum bonum corporis cooperabitur quasi instrumentaliter ad operationem illam in qua beatitudo consistit; sicut etiam philosophus ponit in 1 Ethic., quod bona exteriora cooperantur instrumentaliter ad felicitatem vitae.

3. Bien que l’âme n’utilise pas le corps dans l’acte d’intelliger, la perfection du corps coopérera cependant d’une certaine manière à la perfection de l’opération intellectuelle, pour autant que l’âme du corps glorieux sera plus parfaite dans sa nature et, par conséquent, plus efficace dans son opération. De cette manière, le bien même du corps coopérera pour ainsi dire instrumentalement à l’opération dans laquelle consiste la béatitude, de même que le Philosophe affirme, dans Éthique, I, que les biens extérieurs coopèrent instrumentalement à la félicité de la vie.

[22686] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis finitum infinito additum non faciat majus, tamen facit plus: quia infinitum et finitum sunt duo, cum finitum per se acceptum sit unum. Extensio autem gaudii non respicit majus, sed plus; unde extensive augetur gaudium, secundum quod est de Deo et de gloria corporis, respectu gaudii quod erat de Deo. Gloria etiam corporis operabitur ad perfectiorem operationem qua anima in Deum feretur. Quanto enim operatio conveniens fuerit perfectiOr tanto delectatio erit majOr ut patet ex hoc quod dicitur 10 Ethic.

4. Bien que quelque chose de fini ajouté à l’infini ne donne pas quelque chose de plus grand, il donne cependant davantage, car l’infini et le fini sont deux choses, alors que le fini, pris en lui-même, est une seule chose. Or, l’étendue de la joie ne concerne pas ce qui est plus grand, mais ce qui est davantage ; aussi la joie sera-t-elle augmentée en étendue selon qu’elle vient de Dieu et de la gloire du corps, par rapport à la joie qui venait de Dieu. La gloire du corps agira aussi en vue d’une opération plus parfaite par laquelle l’âme sera portée vers Dieu. En effet, plus l’opération appropriée sera parfaite, plus la délectation sera grande, comme cela ressort de ce qui est dit dans Éthique, X.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22687] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod cum beatitudo in operatione consistat, gradus beatitudinis est attendendus secundum gradum perfectionis in operando. Perfectio autem operationis in qua felicitas consistit, ex duobus pensatur: scilicet ex parte operantis, et ex parte objecti. Unde philosophus dicit in 10 Ethic., quod perfectissima operatio est quae est altissimae potentiae nobilissimo habitu perfectae (quod est ex parte operantis) et respectu nobilissimi objecti. Objectum autem operationis in qua beatitudo consistit, est omnino unum et idem; scilicet divina essentia, ex cujus visione omnes erunt beati; unde ex hac parte non erit aliquis gradus in beatitudine; sed ex parte operantium operatio beatitudinis non erit eodem modo perfecta: quia secundum quod habitus perficiens ad operationem praedictam, scilicet lumen gloriae, erit perfectior in uno quam in alio, secundum hoc operatio erit perfectiOr et delectatio major; et secundum hoc non in eodem gradu beatitudinis erunt omnes beati.

Puisque la béatitude consiste dans une opération, le degré de la béatitude doit se prendre du degré de perfection de l’opération. Or, la perfection de l’opération en laquelle consiste la félicité est mesurée à partir de deux choses : celui qui agit et l’objet. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, X, que l’opération la plus parfaite est celle qui relève de la puissance la plus élevée, perfectionnée par l’habitus le plus noble, en rapport avec l’objet le plus noble. Or, l’objet de l’opération en laquelle consiste la béatitude est tout à fait unique et identique : l’essence divine, par la vision de laquelle tous seront bienheureux. De ce point de vue, il n’y aura donc pas de degrés dans la béatitude. Mais, du point de vue de ceux qui agissent, l’opération de la béatitude ne sera pas parfaite de la même façon, car, selon que l’habitus qui perfectionne en vue de l’opération en cause, à savoir, la lumière de la gloire, sera plus parfait chez l’un que chez l’autre, l’opération sera alors plus parfaite et la délectation plus grande. Sous cet aspect, tous ne seront donc pas bienheureux selon le même degré.

[22688] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod denarius dicitur unus qui communiter reddetur ex parte objecti ipsius beatitudinis, quia Deus essentiam suam omnibus ostendet; sed unusquisque eam aspiciet secundum modum suum.

1. On parle d’un denier unique qui sera rendu par tous du point de vue de l’objet même de la béatitude, car Dieu montrera à tous son essence ; mais chacun la verra à sa manière.

[22689] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut ignis est subtilissimus corporum specie, et tamen unus ignis altero subtilior esse potest; ita beatitudo secundum suam speciem considerata est ultimum omnium desiderabilium humanorum; unde nihil prohibet unius beatitudinem esse perfectiorem beatitudine alterius. Cujuslibet autem beatitudo secundum hoc ultima est, quod appetitus habentis per eam totaliter terminatur, quamvis non sit ultima tamquam existens in ultimo perfectionis gradu.

2. De même que le feu est le plus subtil des corps par son espèce et que, cependant, un feu peut être plus subtil qu’un autre, de même la béatitude, considérée selon son espèce, est ce qu’il y a d’ultime parmi les objets des désirs humains. Rien n’empêche donc que la béatitude de l’un soit plus parfaite que la béatitude d’un autre. Mais la béatitude de chacun est ultime selon que le désir de celui qui la possède se termine complètement en elle, bien qu’elle ne soit pas ultime en tant qu’elle existe selon l’ultime degré de la perfection.

[22690] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in beatis erit perfecta caritas; unde quilibet ibi plus diliget Deum quam seipsum; et ideo magis volet id quod est convenientius Deo, quam id quod esset melius ei; et ideo magis volet divinam justitiam salvari in hoc quod ipse minus habeat, quod est Deo convenientius, quam in hoc quod plus habeat, quod esset sibi melius.

3. Chez les bienheureux, la charité sera parfaite : aussi tous aimeront alors Dieu plus qu’eux-mêmes. Ils voudront donc ce qui convient le mieux à Dieu plutôt que ce qui est meilleur pour eux. Ils voudront donc davantage être sauvés par la justice divine du fait qu’ils la possèdent moins, ce qui convient davantage à Dieu, que du fait qu’ils la possèdent davantage, ce qui serait meilleur pour eux.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22691] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, quia motus localis prior est omnium aliorum motuum; ideo secundum philosophum, nomen motus et distantiae et omnium hujusmodi derivatum est a motu locali ad omnes alios motus. Finis autem motus localis est locus, ad quem cum aliquod pervenerit, ibi manet quiescens, et in eo conservatur; et ideo in quolibet motu ipsam quietationem in fine motus dicimus collocationem, vel mansionem; et ideo cum nomen motus derivetur usque ad actum appetitus et voluntatis, ipsa assecutio finis appetitivi motus, dicitur mansio vel collocatio in fine; et ideo diversi modi consequendi finem ultimum diversae mansiones dicuntur; ut sic unitas domus respondeat unitati beatitudinis, quae est ex parte objecti; et pluralitas mansionum respondeat differentiae quae in beatitudine invenitur ex parte beatorum. Sicut etiam videmus in rebus naturalibus quod est idem locus sursum, ad quem tendunt omnia levia; sed unumquodque pertingit propinquius secundum quod est levius; et ita habent diversas mansiones secundum differentias levitatis.

Parce que le mouvement local est le premier de tous les autres mouvements, les mots «mouvement», «distance» et tous les autres de ce genre sont reportés du mouvement local vers tous les autres mouvements. Or, la fin du mouvement local est le lieu dans lequel, lorsqu’on quelque chose l’a atteint, il y reste en se reposant et y est maintenu. Aussi, en tout mouvement, appelons-nous l’apaisement dans la fin du mouvement un «établissement» ou une «demeure». Puisque le mot est reporté jusqu’à l’acte du désir et de la volonté, l’obtention de la fin du mouvement du désir est ainsi appelée une «demeure» ou un «établissement» dans la fin. Ainsi les diverses manières d’obtenir la fin ultime sont-elles appelées des «demeures», de sorte que l’unité de la maison corresponde à l’unité de la béatitude, qui vient de son objet, et que la pluralité des demeures corresponde à la différence que l’on trouve dans la béatitude du point de vue des bienheureux. Nous voyons ainsi dans les choses naturelles que tout ce qui est léger tend au même lieu vers le haut, mais que chaque chose l’atteint de plus près selon qu’elle est plus légère. Elles ont ainsi diverses demeures selon les différences dans la légèreté.

[22692] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mansio importat rationem finis, ut ex dictis patet, et sic per consequens importat rationem praemii, quod est finis meriti.

1. La demeure comporte la raison de fin, comme cela ressort de ce qui a été dit. En conséquence, elle comporte aussi la raison de récompense, qui est la fin du mérite.

[22693] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit unus locus spiritualis, tamen diversi sunt gradus appropinquandi ad locum illum; et secundum hoc constituuntur diversae mansiones.

2. Bien qu’il n’existe qu’un seul lieu spirituel, il existe cependant divers degrés dans l’approche de ce lieu. Plusieurs  demeures sont ainsi constituées.

[22694] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi qui erant in Limbo, vel nunc sunt in Purgatorio, nondum pervenerunt ad suum finem; et ideo in Purgatorio vel in Limbo non distinguuntur mansiones, sed solum in Paradiso et in Inferno, ubi est finis bonorum et malorum.

3. Ceux qui se trouvaient dans les limbes ou maintenant au purgatoire ne sont pas parvenus à leur fin. Au purgatoire ou dans les limbes, il n’existe donc pas de différences entre les demeures, mais seulement au paradis et en enfer, où existe la fin des bons et des méchants.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22695] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod principium distinctivum mansionum, sive graduum beatitudinis, est duplex; scilicet propinquum et remotum. Propinquum est diversa dispositio quae erit in beatis, ex qua contingit diversitas perfectionis apud eos in operatione beatitudinis; sed principium remotum est meritum quo talem beatitudinem consecuti sunt. Primo autem modo distinguuntur mansiones secundum caritatem patriae; quae quanto in aliquo erit perfectior, tanto reddet eum capaciorem divinae claritatis, secundum cujus augmentum augebitur perfectio divinae visionis. Secundo vero modo distinguuntur secundum caritatem viae. Actus enim noster non habet quod sit meritorius ex ipsa substantia actus, sed solum ex habitu virtutis quo informatur. Vis autem merendi est in omnibus virtutibus ex caritate, quae habet ipsum finem pro objecto; et ideo diversitas in merendo tota revertitur ad diversitatem caritatis; et sic caritas viae distinguet mansiones per modum meriti.

Le principe de la distinction entre les demeures ou degrés de la béatitude est double : rapproché et lointain. Le [principe] rapproché est une disposition différente qui existera chez les bienheureux, dont provient une différence de perfection chez eux pour l’opération de la béatitude. Mais le principe éloigné est le mérite par lequel ils ont obtenu une telle béatitude. Selon la première manière, on distingue les demeures selon la charité de la patrie, qui, plus elle sera parfaite chez quelqu’un, plus elle le rendra capable de l’éclat divin, dont l’accroissement assurera l’accroissement de la perfection de la vision de Dieu. Selon la seconde manière, on distingue [les demeures] selon la charité du chemin. En effet, notre acte ne peut être méritoire par la substance même de l’acte, mais seulement par l’habitus de la vertu qui lui donne sa forme. Or, la capacité de mériter vient, pour toutes les vertus, de la charité, qui a la fin elle-même comme objet. Aussi la diversité du mérite revient-elle entièrement à la diversité de la charité. La charité du chemin établira donc une distinction entre les demeures par mode de mérite.

[22696] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus ibi non solum accipitur pro naturali capacitate, sed pro naturali capacitate simul cum conatu ad habendam gratiam; et tunc virtus hoc modo accepta erit quasi materialis dispositio ad mensuram gratiae et gloriae percipiendae: sed caritas est formaliter complens meritum ad gloriam; et ideo distinctio gradus in gloria accipitur penes gradus caritatis potius quam penes gradus virtutis praedictae.

1. La puissance ne s’entend pas seulement là de la capacité naturelle, mais de la capacité naturelle associée à l’effort pour avoir la grâce. La puissance entendue de cette manière est pour ainsi dire une disposition matérielle à la mesure de grâce et de gloire qui doit être reçue. Mais la charité réalise formellement le mérite de la gloire. Aussi la distinction entre les degrés de la gloire se prend-elle selon les degrés de la charité plutôt que selon le degré de la puissance mentionnée plus haut.

[22697] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opera non habent quod eis retributio gloriae reddatur, nisi inquantum sunt caritate informata; et ideo secundum diversos caritatis gradus erunt diversi gradus in gloria.

2. Les œuvres n’ont pas ce qu’il faut pour que la récompense de la gloire leur soit rendue, si ce n’est en tant qu’elles reçoivent leur forme de la charité. Aussi les degrés de la gloire existeront-ils selon les divers degrés de la charité.

[22698] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis habitus caritatis vel cujuslibet virtutis non sit meritum cui debeatur praemium; est tamen principium et tota ratio merendi in actu; et ideo secundum ejus diversitatem praemia distinguuntur; quamvis ex ipso genere actus possit aliquis gradus in merendo considerari non respectu praemii essentialis, quod est gaudium de Deo; sed respectu alicujus accidentalis praemii, quod est gaudium de aliquo bono creato.

3. Bien que l’habitus de la charité ou de n’importe quelle vertu ne soit pas un mérite auquel soit due une récompense, il est cependant le principe et la raison entière de mériter en acte. Aussi les récompenses sont-elles distinguées selon sa diversité, bien que, en vertu du genre même de l’acte, on puisse envisager de degrés du mérite, non pas par rapport à la récompense essentielle, qui est la joie provenant de Dieu, mais par rapport à une récompense accidentelle, qui est la joie provenant d’un bien créé.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La vision de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

 [22699] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 pr. Deinde quaeritur de visione Dei; et circa hoc quaeruntur septem: 1 utrum sancti videbunt Deum per essentiam; 2 utrum possint Deum videre oculo corporali; 3 utrum videndo Deum comprehendant ipsum; 4 utrum videntium Deum per essentiam alter altero perfectius videat; 5 utrum videntes divinam essentiam necesse sit omnia videre quae Deus videt; 6 utrum ad videndum Deum per essentiam aliqua creatura ex puris naturalibus possit pertingere; 7 utrum in statu viae possit aliquis Deum per essentiam videre.

On s’interroge ensuite sur la vision de Dieu. À ce propos, sept questions sont posées : 1 – Les saints verront-ils Dieu par son essence ? 2 – Pourront-ils voir Dieu d’un œil corporel ? 3 – En voyant Dieu, le posséderont-ils (comprehendant) ? 4 – Parmi ceux qui verront Dieu en son essence, l’un le voit-il plus parfaitement que l’autre ? 5 – En voyant l’essence divine, voit-on nécessairement tout ce que Dieu voit ? 6 – Une créature peut-elle, par ses simples [puissances naturelles], aller jusqu’à voir Dieu par son essence ? 7 – Quelqu’un peut-il voir Dieu par son essence dans l’état de cheminement ?

 

 

Articulus 1 [22700] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 tit. Utrum intellectus humanus possit pervenire ad videndum Deum per essentiam

Article 1 – L’intellect humain peut-il aller jusqu’à voir Dieu par son essence ?

[22701] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod intellectus humanus non possit pervenire ad videndum Deum per essentiam. Quia Joan. 1, 18: Deum nemo vidit unquam; et exponit Chrysostomus quod nec ipsa caelestes essentiae (ipse dico Cherubim et Seraphim) ipsum ut est unquam videre potuerunt. Sed hominibus non promittitur nisi aequalitas Angelorum; Matth. 22, 30: erunt sicut Angeli Dei in caelo. Ergo nec sancti in patria Deum per essentiam videbunt.

1. Il semble que l’intellect humain ne puisse aller jusqu’à voir Dieu par son essence, car, à propos de Jn 1, 18 : Dieu, personne ne l’a jamais vu ! Chrysostome a expliqué que « les essences célestes elles-mêmes (j’appelle ainsi les chérubins et les séraphins) n’ont jamais pu le voir tel qu’il est ». Or, n’est promise aux hommes que l’égalité avec les anges, Mt 22, 30 : Ils seront commes les anges dans le ciel. Les saints non plus ne verront donc pas Dieu par son essence dans la patrie.

[22702] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, Dionysius sic argumentatur in 1 cap. de Div. Nom. Cognitio non est nisi existentium. Omne autem existens finitum est, cum sit in aliquo genere determinatum; et sic Deus, cum sit infinitus, est super omnia existentia. Ergo ejus non est cognitio, sed est super cognitionem.

2. Denys raisonne ainsi dans Les noms divins, I. La connaissance ne porte que sur ce qui existe. Or, tout ce qui existe est fini, puisqu’il est déterminé à un genre. Puisque Dieu est infini, il est donc au-dessus de tout ce qui existe. On ne le connaît donc pas, mais il est au-delà de [notre] connaissance.

[22703] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Dionysius ostendit quod perfectissimus modus quo intellectus noster Deo conjungi potest, est inquantum conjungitur ei ut ignoto. Sed illud quod est visum per essentiam, non est ignotum. Ergo impossibile est ut intellectus noster per essentiam Deum videat.

3. Denys montre que la manière la plus parfaite selon laquelle notre intelligence peut être unie à Dieu est qu’elle lui soit unie en tant qu’il est inconnu. Or, ce qui est vu par en essence n’est pas inconnu. Il est donc impossible que notre intelligence voie Dieu en son essence.

[22704] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, Dionysius dicit, quod superpositae Dei tenebrae, quas abundantiam lucis appellat, cooperiuntur omni lumini, et absconduntur omni cognitioni; et si aliquis videns Deum intellexit quod vidit, non ipsum vidit, sed aliquid eorum quae sunt ejus. Ergo nullus intellectus creatus poterit Deum videre per essentiam.

4. Denys dit que «les ténèbres supérieures de Dieu – qu’il appelle une abondance de lumière – sont couvertes pour toute lumière et sont cachées à toute connaissance. Si quelqu’un, en voyant Dieu, a compris ce qu’il a vu, il ne l’a pas vu lui-même, mais [il a vu] une des choses qui lui appartiennent ». Aucune intelligence créée ne pourra donc voir Dieu par son essence.

[22705] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut dicit Dionysius in Epist. 5 ad Dorotheum, invisibilis quidem Deus est existens propter excedentem claritatem. Sed claritas ejus sicut excedit intellectum hominis in via, ita excedit intellectum hominis in patria. Ergo sicut est invisibilis in via, ita erit invisibilis in patria.

5. Comme le dit Denys dans sa lettre 5, à Dorothée, « le Dieu invisible existe selon un éclat qui surpasse [tout] ». Or, son éclat dépasse l’intelligence humaine dans la patrie (in patria), comme elle la dépasse dans [l’état] de cheminement (in via). De même qu’il est invisible dans [l’état] de cheminement, de même donc sera-t-il invisible dans la patrie.

[22706] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, cum intelligibile sit perfectio intellectus, oportet esse proportionem aliquam inter intellectum et intelligibile, visibile et visum. Sed non est accipere proportionem aliquam inter intellectum nostrum et essentiam divinam, cum in infinitum distent. Ergo intellectus noster non potest pertingere ad essentiam divinam videndam.

6. Puisque ce qui est intelligible est la perfection de l’intelligence, il faut qu’il existe une proportion entre l’intelligence et l’intelligible, entre ce qui est visible et la vue. Or, on ne peut accepter de proportion entre notre intelligence et l’essence divine, puisqu’il y a entre elles une distance infinie. Notre intelligence ne peut donc aller jusqu’à voir l’essence divine.

[22707] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, plus distat Deus ab intellectu nostro quam intelligibile creatum a sensu. Sed sensus nullo modo potest pertingere ad creaturam spiritualem videndam. Ergo nec intellectus noster potest pertingere ad videndam divinam essentiam.

7. Il existe une plus grande distance entre Dieu et notre intelligence qu’entre un intelligible créé et le sens. Or, le sens ne peut d’aucune manière aller jusqu’à voir une créature spirituelle. Notre intelligence ne peut donc non plus aller jusqu’à voir l’essence divine.

[22708] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 8 Praeterea, quandocumque intellectus aliquid intelligit in actu, oportet quod informetur per similitudinem intellecti, quae est principium intellectualis operationis in tale objectum determinatae, sicut calor est principium calefactionis. Si ergo intellectus Deum intelligat, oportet quod fiat per aliquam similitudinem informantem ipsum intellectum. Hoc autem non potest esse ipsa divina essentia: quia formae et formati oportet esse unum esse; divina autem essentia ab intellectu nostro differt secundum essentiam et esse. Oportet ergo quod forma qua informatur intellectus noster intelligendo Deum, sit aliqua similitudo impressa a Deo in intellectum nostrum. Sed similitudo illa, cum sit aliquid creatum, non potest ducere in Dei cognitionem, nisi sicut effectus in causam. Ergo impossibile est ut intellectus noster Deum videat nisi per effectum ipsius. Sed visio Dei quae est per effectus, non est visio Dei per essentiam. Ergo intellectus noster non poterit Deum per essentiam videre.

8. Chaque fois que l’intelligence intellige en acte, il faut qu’elle soit formée par une similitude de ce qui est intelligé, qui est le principe de l’opération intellectuelle déterminée à tel objet, comme la chaleur est le principe du réchauffement. Si donc l’intelligence intellige Dieu, il faut que cela se réalise par une similitude formant l’intellect lui-même. Or, cela ne peut être l’essence divine elle-même, car il faut que la forme et ce qui est formé n’aie qu’un seul être. Or, l’essence divine diffère de notre intelligence par son essence et par son être. Il faut donc que la forme par laquelle notre intelligence est formée soit une similitude imprimée par Dieu dans notre intelligence. Or, cette similitude, puisqu’elle est quelque chose de créé, ne peut mener à la connaissance de Dieu, si ce n’est comme l’effet mène à la cause. Il est donc impossible que notre intelligence voie Dieu, si ce n’est par ses effets. Or, la vision de Dieu par ses effets n’est pas la vision de Dieu par son essence. Notre intelligence ne pourra donc pas voir Dieu en son essence.

[22709] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 9 Praeterea, divina essentia magis distat ab intellectu nostro quam quicumque Angelus vel intelligentia. Sed, sicut dicit Avicenna in sua Metaph., intelligentiam esse in intellectu nostro non est essentiam intelligentiae esse in intellectu: quia sic scientia quam de intelligentiis habemus, esset substantia, et non accidens. Sed hoc est impressionem intelligentiae esse in nostro intellectu. Ergo et Deus non est in intellectu nostro ut intelligatur a nobis, nisi inquantum impressio ejus est in intellectu. Sed illa impressio non potest ducere in cognitionem divinae essentiae: quia cum in infinitum distet a divina essentia, degenerat in aliam speciem multo amplius quam si species albi degeneraret in speciem nigri. Ergo si ille in cujus visu species albi degenerat in speciem nigri, propter indispositionem organi non dicitur videre album; ita nec intellectus noster, qui solum per hujus impressionem Deum intelligit, eum per essentiam videre poterit.

9. L’essence divine est plus éloignée de notre intelligence que n’importe quel ange ou n’importe quelle intelligence. Or, comme le dit Avicenne dans sa Métaphysique, que l’acte de comprendre existe dans notre intellect n’est pas la même chose que l’essence de l’acte de comprendre dans notre intellect, car la connaissance que nous avons des actes de comprendre serait ainsi une substance, et non un accident. Or, c’est là une impression de l’acte de comprendre dans notre intelligence. Dieu n’est donc pas dans notre intelligence de sorte qu’il soit compris par nous, que dans la mesure où son impression est dans l’intelligence. Or, cette impression ne peut mener à la connaissance de l’essence divine, car, puisqu’elle est infiniment distante de l’essence divine, elle dégénère bien davantage en une autre espèce, que si l’espèce du blanc dégénérait en l’espèce du noir. Si donc on ne dit pas que celui-là voit le blanc, dans la vision de qui l’espèce du blanc dégénère en l’espèce du noir en raison d’une indisposition de l’organe, de même notre intelligence, qui n’intellige Dieu que par une impression de sa part, ne pourra pas non plus voir Dieu par son essence.

[22710] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, in rebus separatis a materia idem est intelligens et quod intelligitur, ut patet in 3 de anima. Sed Deus est maxime a materia separatus. Cum ergo intellectus qui est creatus, non possit ad hoc pertingere ut fiat essentia increata, non poterit esse quod intellectus Deum per essentiam videat.

10. Dans les choses qui sont séparées de la matière, celui qui intellige et ce qui est intelligé sont la même chose, comme cela ressort de Sur l’âme, III. Or, Dieu est séparé de la matière au plus haut point. Puisque l’intelligence qui est créée ne peut aller jusqu’à devenir l’essence incréée, il ne peut donc se faire que l’intellect voie Dieu en son essence.

[22711] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 11 Praeterea, omne illud quod videtur per essentiam, de eo scitur quid est. Sed de Deo intellectus non potest videre quid est, sed solum quid non est, sicut dicit Dionysius et Damascenus. Ergo intellectus Deum per essentiam videre non potest.

11. On sait ce qu’est tout ce qui est vu par son essence. Or, l’intellect ne peut voir ce qu’est Dieu, mais seulement ce qu’il n’est pas, comme le disent Denys et [Jean] Damascène. L’intellect ne peut donc voir Dieu par son essence.

[22712] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne infinitum, inquantum infinitum, est ignotum. Sed Deus est modis omnibus infinitus. Ergo est omnino ignotus; ergo per essentiam ab intellectu creato videri non poterit.

12. Tout ce qui est infini est inconnu en tant qu’infini. Or, Dieu est infini de toutes les manières. Il est donc totalement inconnu. Il ne pourra donc pas être vu par son essence par une intelligence créée.

[22713] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 13 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de videndo Deum: Deus est natura invisibilis. Sed ea quae insunt in Deo per naturam, non possunt aliter se habere. Ergo non potest esse quod per essentiam videatur.

13. Augustin dit dans le livre sur La vision de Dieu : « Dieu est une nature invisible. » Or, ce qui se trouve en Dieu par nature ne peut être autrement. Il n’est donc pas possible qu’il soit vu en son essence.

[22714] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 14 Praeterea, omne quod alio modo est, et alio modo videtur, non videtur secundum id quod est. Sed Deus alio modo est, et alio modo videtur a sanctis in patria: est enim per modum suum; sed videbitur a sanctis secundum modum eorum. Ergo non videbitur a sanctis secundum id quod est, et sic non videbitur per essentiam.

14. Tout ce qui existe d’une manière et est vu d’une autre manière n’est pas vu selon ce qu’il est. Or, Dieu existe d’une manière et il est vu d’une autre manière par les saints dans la patrie : en effet, il existe à sa façon, mais il sera vu par les saints à leur façon. Il ne sera donc pas vu par les saints selon ce qu’il est, et ainsi il ne sera pas vu par son essence.

[22715] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, illud quod per medium videtur, non videtur per essentiam. Sed Deus per medium videtur in patria, quod est lumen gloriae, ut patet in Psal. 35, 10: in lumine tuo videbimus lumen. Ergo non videbitur per essentiam.

15. Ce qui est vu par un intermédiaire n’est pas vu en son essence. Or, Dieu est vu par un intermédiaire dans la patrie : la lumière de la gloire, comme cela ressort de Ps 35, 10 : Nous verrons la lumière par ta lumière. Il ne sera donc pas vu en son essence.

[22716] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 arg. 16 Praeterea, Deus in patria videtur facie ad faciem, ut dicitur 1 Corinth. 13. Sed hominem quem videmus faciem ad faciem, videmus per similitudinem. Ergo Deus in patria videbitur per similitudinem, et sic non per essentiam.

16. Dieu sera vu face à face dans la patrie, comme il est dit en 1 Co 13. Or, l’homme que nous voyons face à face, nous le voyons par une similitude. Dieu sera donc vu par une similitude dans la patrie, et ainsi [il ne sera pas vu] en son essence.

[22717] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur 1 Corinth. 13, 12: videmus nunc in speculo et in aenigmate; tunc autem facie ad faciem. Sed illud quod videtur facie ad faciem, videtur per essentiam. Ergo Deus per essentiam videbitur a sanctis in patria.

Cependant, [1] il est dit en 1 Co 13, 12 : Nous voyons maintenant dans un miroir et comme en énigme, mais alors ce sera face à face. Or, ce qui est vu face à face est vu en son essence. Dieu sera donc vu par son essence par les saints dans la patrie.

[22718] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Joan. 3, 2: cum apparuerit, similes ei erimus, et videbimus eum sicuti est. Ergo videbimus Deum per essentiam.

[2] Il est dit en 1 Jn 3, 2 : Lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, et nous le verrons comme il est. Nous verrons donc Dieu par son essence.

[22719] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 3 Praeterea, 1 Corinth. 15, super illud: cum tradiderit regnum Deo et patri, dicit Glossa: ubi (scilicet in patria) essentia patris et filii et spiritus sancti videbitur; quod solum mundis cordibus dabitur; quae est summa beatitudo. Ergo beati Deum per essentiam videbunt.

[3] de 1 Co 15 : Lorsqu’il remettra le royaume au Père, la Glose dit : « Là – c’est-à-dire dans la patrie – où sera vue l’essence du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ce qui sera donné seulement aux cœurs purs, et qui est la béatitude suprême. » Les bienheureux verront donc Dieu par son essence.

[22720] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 4 Praeterea, Joan. 14, 21, dicitur: si quis diligit me, diligetur a patre meo; et ego diligam illum, et manifestabo ei meipsum. Sed illud quod manifestatur, essentialiter videtur. Ergo Deus a sanctis in patria essentialiter videbitur.

[4] Il est dit en Jn 14, 21 : Si quelqu’un m’aime, il sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai et je me manifesterai à lui. Or, ce qui est manifesté est vu en son essence. Dieu sera donc vu par son essence dans la patrie.

[22721] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 5 Praeterea, Exod. 33 super illud: non videbit me homo et vivet, Gregorius improbat opinionem illorum qui dicebant, quod in illa regione beatitudinis Deus in claritate sua conspici potest, sed in natura videri non potest: quia aliud non est ejus claritas et ejus natura. Sed natura est ejus essentia. Ergo videtur per suam essentiam.

5. À propos de Ex 33 : L’homme me verra et il vivra, Grégoire réprouve l’opinion de ceux qui disaient que, « dans la région de la béatitude, Dieu peut être vu en son éclat, mais ne peut être vu en sa nature, car son éclat n’est pas différent de sa nature ». Or, sa nature est son essence. Il est donc vu par son essence.

[22722] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 s. c. 6 Praeterea, sanctorum desiderium non potest omnino frustrari. Sed sanctorum desiderium commune est ut Deum per essentiam videant, ut patet Exod. 33, 18: ostende mihi faciem tuam; et Joan. 14, 8: ostende nobis patrem, et sufficit nobis. Ergo sancti Deum per essentiam videbunt.

[6] Le désir des saints ne peut être complètement vain. Or, le désir commun des saints est de voir Dieu par son essence, comme cela ressort de Ex 33, 18 : Montre-moi ton visage ! et Jn 14, 8 : Montre-nous le Père, et cela nous suffit. Les saints verront donc Dieu en son essence.

[22723] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut secundum fidem ponimus finem ultimum humanae vitae esse visionem Dei; ita philosophi posuerunt ultimam hominis felicitatem esse intelligere substantias separatas a materia secundum esse; et ideo circa hanc quaestionem eadem difficultas et diversitas invenitur apud philosophos et apud theologos. Quidam enim philosophi posuerunt quod intellectus noster possibilis nunquam potest ad hoc pervenire ut intelligat substantias separatas, sicut Alpharabius in fine suae Ethicae: quamvis contrarium dixerit in Lib. de intellectu, ut Commentator refert in 3 de anima. Et similiter quidam theologi posuerunt, quod intellectus humanus nunquam potest ad hoc pervenire quod Deum per essentiam videat. Et utrosque ad hoc movet distantia inter intellectum nostrum et essentiam divinam, vel alias substantias separatas. Cum enim intellectus in actu sit quodammodo unum cum intelligibili in actu, videtur difficile quod intellectus creatus aliquo modo fiat essentia increata; unde et Chrysostomus dicit: quomodo enim creabile videt increabile? Et major difficultas in hoc est illis qui ponunt intellectum possibilem esse generabilem et corruptibilem, utpote virtutem a corpore dependentem non solum respectu visionis divinae, sed respectu visionis quarumcumque substantiarum separatarum. Sed haec positio omnino stare non potest. Primo, quia repugnat auctoritati Scripturae canonicae, ut Augustinus dicit in Lib. de videndo Deum. Secundo, quia cum intelligere sit maxime propria operatio hominis, oportet quod secundum eam assignetur sibi sua beatitudo, cum haec operatio in ipso perfecta fuerit. Cum autem perfectio intelligentis inquantum hujusmodi, sit ipsum intelligibile; si in perfectissima operatione intellectus homo non perveniat ad videndam essentiam divinam, sed aliquid aliud, oportebit dicere quod aliquid aliud sit beatificans ipsum hominem quam Deus; et cum ultima perfectio cujuslibet sit in conjunctione ad suum principium, sequitur ut aliquid aliud sit principium effectivum hominis quam Deus; quod est absurdum secundum nos, et similiter est absurdum apud philosophos, qui ponunt animas nostras a substantiis separatis emanare, ut in fine eas possimus intelligere. Unde oportet ponere secundum nos, quod intellectus noster quandoque perveniat ad videndam essentiam divinam, et secundum philosophos quod perveniat ad videndam essentiam substantiarum separatarum. Quomodo autem possit hoc accidere, restat investigandum. Quidam enim dixerunt, ut Alpharabius et Avempace, quod ex hoc ipso quod intellectus noster intelligit quaecumque intelligibilia, pertingit ad videndam essentiam substantiae separatae; et ad hoc ostendendum procedunt duobus modis. Quorum primus est, quod sicut materia specie non diversificatur in diversis individuis, nisi secundum quod conjungitur principiis individuantibus; ita forma intellecta hominis non diversificatur apud me et te, nisi secundum quod conjungitur diversis formis imaginabilibus; et ideo quando intellectus separat formam intellectam a formis imaginationis, remanet quidditas intellecta, quae est una et eadem apud diversos intelligentes; et hujusmodi est quidditas substantiae separatae. Et ideo, quando intellectus noster pervenit ad summam abstractionem quidditatis intelligibilis cujuscumque, intelligit per hoc quidditatem substantiae separatae, quae est ei similis. Secundus modus est, quia intellectus noster natus est abstrahere quidditatem ab omnibus intelligibilibus habentibus quidditatem. Si ergo quidditas quam abstrahit ab hoc singulari habente quidditatem, sit quidditas non habens quidditatem; intelligendo eam, intelliget quidditatem substantiae separatae, quae est talis dispositionis, eo quod substantiae separatae sunt quidditates subsistentes non habentes quidditates: quidditas enim simplicis est ipsum simplex, ut Avicenna dicit. Si autem quidditas abstracta ab hoc particulari sensibili sit quidditas habens quidditatem, ergo illam intellectus natus est abstrahere; et ita, cum non sit abire in infinitum, erit devenire ad quidditatem non habentem quidditatem, per quam intelligitur quidditas separata. Sed iste modus non videtur esse sufficiens. Primo, quia quidditas substantiae materialis quam intellectus abstrahit, non est unius rationis cum quidditatibus separatarum substantiarum: et ita, per hoc quod intellectus noster abstrahit quidditates rerum materialium, et cognoscit eas, non sequitur quod cognoscat quidditatem substantiae separatae, et praecipue divinam essentiam, quae maxime est alterius rationis ab omni quidditate creata. Secundo, quia dato quod esset unius rationis, tamen cognita quidditate rei compositae, non cognosceretur quidditas separatae substantiae, nisi secundum genus remotissimum, quod est substantia: haec autem cognitio est imperfecta, nisi deveniatur ad propria rei. Qui enim cognoscit hominem solum inquantum est animal, non cognoscit eum nisi secundum quid, et in potentia; et multo minus cognoscit eum, si non cognoscat nisi substantiae naturam in ipso. Unde sic cognoscere Deum vel alias substantias separatas, non est videre essentiam divinam vel quidditatem substantiae separatae; sed est cognoscere per effectum, et quasi in speculo. Et ideo alius modus intelligendi substantias separatas ponitur ab Avicenna in sua Metaph., scilicet quod substantiae separatae intelliguntur a nobis per intentiones suarum quidditatum, quae sunt quaedam eorum similitudines non abstractae ab eis, quia ipsaemet sunt immateriales, sed impressae ab eis in animabus nostris. Sed hic modus etiam non videtur nobis sufficere ad visionem divinam quam quaerimus. Constat enim quod omne quod recipitur in aliquo, est in eo per modum recipientis: et ideo similitudo divinae essentiae impressa ab ipso in intellectu nostro erit per modum nostri intellectus. Modus autem intellectus nostri deficiens est a receptione perfecta divinae similitudinis. Defectus autem perfectae similitudinis potest tot modis accidere, quot modis dissimilitudo invenitur. Uno enim modo est deficiens similitudo, quando participatur forma secundum eamdem rationem speciei, sed non secundum eumdem perfectionis modum; sicut est similitudo deficiens ejus qui habet parum de albedine, ad illum qui habet multum. Alio modo adhuc magis deficiens, quando non pervenitur ad eamdem rationem speciei, sed tantum ad eamdem rationem generis; sicut est similitudo inter illum qui habet colorem citrinum, et illum qui habet colorem album. Alio modo adhuc magis deficiens, quando ad rationem eamdem generis pertingit, sed solum secundum analogiam; sicut est similitudo albedinis ad hominem in eo quod utrumque est ens; et hoc modo est deficiens similitudo quae est in creatura recepta respectu divinae essentiae. Ad hoc autem quod visus cognoscat albedinem, oportet quod recipiatur in eo similitudo albedinis secundum rationem suae speciei, quamvis non secundum eumdem modum essendi: quia habet alterius modi esse forma in sensu, et in re extra animam. Si enim fuerit in oculo forma citrini, non dicetur videre albedinem; et similiter ad hoc quod intellectus intelligat aliquam quidditatem, oportet quod in eo fiat similitudo ejusdem rationis secundum speciem, quamvis forte non sit idem modus essendi utrobique. Non enim forma existens in intellectu vel sensu, est principium cognitionis secundum modum essendi quem habet utrobique, sed secundum rationem in qua communicat cum re exteriori. Et ita patet quod per nullam similitudinem receptam in intellectu creato potest sic Deus intelligi quod essentia ejus videatur immediate. Unde etiam quidam ponentes divinam essentiam solum per hunc modum videri, dixerunt, quod ipsa essentia non videbitur, sed quidam fulgor, quasi radius ipsius. Unde nec ille modus sufficit ad visionem divinam quam quaerimus. Et ideo accipiendus est alius modus, quem etiam quidam philosophi posuerunt, scilicet Alexander et Averroes in 3 de anima. Cum enim in qualibet cognitione sit necessaria aliqua forma, qua res cognoscatur aut videatur; forma ista qua intellectus perficitur ad videndas substantias separatas, non est quidditas quam intellectus abstrahit a rebus compositis, ut dicebat prima opinio; neque aliqua impressio relicta a substantia separata in intellectu nostro, ut dicebat secunda; sed est ipsa substantia separata, quae conjungitur intellectui nostro ut forma, ut ipsa sit quod intelligitur, et qua intelligitur. Et quidquid sit de aliis substantiis separatis, tamen istum modum oportet nos accipere in visione Dei per essentiam: quia quacumque alia forma informaretur intellectus noster, non posset per eam duci in essentiam divinam: quod quidem non debet intelligi quasi divina essentia sit vera forma intellectus nostri, vel quod ex ea et intellectu nostro efficiatur unum simpliciter, sicut in naturalibus ex forma et materia naturali; sed quia proportio essentiae divinae ad intellectum nostrum est sicut proportio formae ad materiam. Quandocumque enim aliqua duo, quorum unum est perfectius altero, recipiuntur in eodem receptibili, proportio unius duorum ad alterum; scilicet magis perfecti ad minus perfectum, est sicut proportio formae ad materiam; sicut lux et color recipiuntur in diaphano, quorum lux se habet ad colorem sicut forma ad materiam; et ita cum in anima recipiatur vis intellectiva, et ipsa essentia divina inhabitans, licet non per eumdem modum, essentia divina se habebit ad intellectum sicut forma ad materiam. Et quod hoc sufficiat ad hoc quod intellectus per essentiam divinam possit videre ipsam essentiam divinam, hoc modo potest ostendi. Sicut enim ex forma naturali qua aliquid habet esse, et materia, efficitur unum ens simpliciter; ita ex forma qua intellectus intelligit, et ipso intellectu, fit unum in intelligendo. In rebus autem naturalibus res per se subsistens non potest esse forma alicujus materiae, si illa res habeat materiam partem sui; quia non potest esse ut materia sit forma alicujus: sed si illa res per se subsistens sit forma tantum, nihil prohibet eam effici formam alicujus materiae, et fieri quo est ipsius compositi, sicut patet de anima. In intellectu autem oportet accipere ipsum intellectum in potentia quasi materiam, et speciem intelligibilem quasi formam; et intellectus in actu intelligens erit quasi compositum ex utroque. Unde si sit aliqua res per se subsistens quae non habeat aliquid in se praeter id quod est intelligibile in ipsa, talis res per se poterit esse forma qua intelligitur. Res autem quaelibet est intelligibilis secundum id quod habet de actu, non secundum id quod habet de potentia, ut patet in 9 Metaph.; hujus signum est, quod oportet formam intelligibilem abstrahere a materia, et omnibus proprietatibus materiae; et ideo, cum essentia divina sit actus purus, poterit esse forma qua intellectus intelligit; et hoc erit visio beatificans; et ideo Magister dicit in 1 dist., 2 Sent., quod unio animae ad corpus est quoddam exemplum illius beatae unionis qua spiritus unietur Deo.

De même que nous affirmons, selon la foi, que la fin ultime de l’homme est la vision de Dieu, de même des philosophes ont affirmé que la félicité ultime de l’homme consiste à intelliger les substances séparées de la matière selon leur être. À propos de cette question, la même difficulté et la même diversité se rencontrent donc chez les philosophes et chez les théologiens. En effet, certains philosophes ont affirmé que notre intelligence possible ne peut jamais aller jusqu’à intelliger les substances séparées, comme Alfarabi à la fin de son Éthique, bien qu’il ait dit le contraire dans le livre Sur l’intelligence, comme le rapporte le Commentateur dans Sur l’âme, IIIé De même, certains théologiens ont affirmé que l’intelligence humaine ne peut jamais aller jusqu’à voir Dieu en son essence. C’est la distance entre notre intelligence et l’essence divine ou d’autres substances séparées qui les pousse en ce sens. En effet, puisque l’intelligence en acte est d’une certaine manière une seule chose avec l’intelligible en acte, il semble difficile qu’une intelligence créée devienne d’une certaine manière l’essence incréée. Aussi Chrysostome dit-il : «Comment ce qui peut être créé peut-il voir ce qui ne peut être créé? » La difficulté est plus grande sur ce point pour ceux qui affirment que l’intellect possible est sujet à la génération et à la corruption, comme une puissance qui dépend du corps, non seulement en ce qui concerne la vision divine, mais en ce qui concerne la vision de n’importe quelle substance séparée. Mais cette position ne peut pas du tout être tenue. Premièrement, parce qu’elle est contraire à l’autorité de l’Écriture canonique, comme le dit Augustin dans son livre sur La vision de Dieu. Deuxièmement, parce qu’intelliger est au plus haut point l’opération de l’homme, il est nécessaire que sa béatitude lui soit attribuée selon elle. Or, comme la perfection de celui qui intellige en tant que tel est l’intelligible même, si l’homme ne parvient pas par sa plus parfaite opération à voir l’essence divine, mais quelque chose d’autre, il faudra dire que quelque chose d’autre que Dieu rend l’homme bienheureux. Comme la perfection ultime de toute chose est la union à son principe, il en découle que quelque chose d’autre que Dieu est le principe créateur de l’homme, ce qui est absurde selon nous et est également absurde selon les philosophes, qui affirment que nos âmes émanent des substances séparées, de sorte que nous puissions à la fin les intelliger. Il faut donc affirmer, selon nous, que notre intelligence va parfois jusqu’à voir l’essence divine et que, selon les philosophes, elle va jusqu’à voir l’essence des substances séparées. Comment cela peut se produire, il reste à le chercher. En effet, certains ont dit, comme Alfarabi et Avicenne, que du fait même que notre intelligence intellige n’importe quel intelligible, elle va jusqu’à voir l’essence de la substance séparée, et ils cherchent à le démontrer de deux manières. La première est que, de même que la matière n’est pas diversifiée selon l’espèce dans les divers individus, si ce n’est selon qu’elle est unie aux principes individuants, de même la forme intelligée par l’homme n’est pas diversifiée en moi et en toi, si ce n’est selon qu’elle est unie aux diverses formes imaginables. Lorsque l’intelligence sépare la forme intelligée des formes de l’imagination, il reste l’essence intelligée, qui est une et identique chez tous ceux qui intelligent. Une quiddité de ce genre est celle de la substance séparée. Lorsque notre intelligence parvient à la plus haute abstraction de n’importe quelle quiddité intelligible, elle intellige ainsi la quiddité de la substance séparée, qui lui est semblable. La seconde manière est que notre intelligence est faite pour abstraire la quiddité de tous les intelligibles qui possèdent une quiddité. Si donc la quiddité qu’elle abstrait de telle chose singulière qui possède une quiddité est une quiddité qui n’a pas de quiddité, en l’intelligeant, elle intelligera la quiddité de la substance séparée, qui est une telle disposition, du fait que les substances séparées sont des quiddités subsistantes qui n’ont pas de quiddité. En effet, la quiddité d’une chose simple est cela même qui est simple, comme le dit Avicenne. Mais cette manière ne semble pas suffisante. Premièrement, parce que la quiddité d’une substance matérielle que l’intellect abstrait a la même raison que les quiddités des substances séparées. Ainsi, parce que notre intellect abstrait les quiddités des choses matérielles et les connaît, il n’en découle pas qu’il connaisse la quiddité d’une substance séparée, et surtout l’essence divine, qui a une raison complètement différente de toute quiddité créée. Deuxièmement, parce qu’en supposant qu’elles aient la même raison, la quiddité de la substance séparée ne serait pas connue par le fait que la quiddité d’une chose composée est connue, si ce n’est selon le genre le plus éloigné, qui est la substance. Or, cette connaissance est imparfaite, à moins qu’elle ne parvienne à ce qui est propre à la chose. En effet, celui qui connaît l’homme comme animal seulement ne le connaît que partiellement et en puissance ; et il le connaît beaucoup moins s’il ne connaît pas la nature de la substance en lui. Connaître ainsi Dieu ou les autres substances séparées, ce n’est pas voir l’essence divine ou la quiddité d’une substance séparée, mais c’est les connaître par leurs effets et comme dans un miroir. Aussi une autre manière d’intelliger les substances séparées est-elle donnée par Avicenne dans sa Métaphysique, à savoir que les substances séparées sont intelligées par nous par l’intermédiaire des intentions de leurs quiddités, qui en sont des similitudes non pas abstraites à partir d’elles, parce qu’elles sont immatérielles, mais imprimées à partir d’elles dans nos âmes. Mais cette manière ne semble pas nous suffire pour la vision de Dieu que nous cherchons. En effet, il est clair que tout ce qui est reçu dans quelque chose s’y trouve selon le mode de ce qui reçoit. Aussi la similitude de l’essence divine imprimée par [Dieu] dans notre intellect existera donc selon le mode de notre intellect. Or, le mode de notre intellect est insuffisant pour recevoir parfaitement une similitude divine. Or, le défaut d’une parfaite similitude peut survenir d’autant de manières qu’il y a de manières selon lesquelles on trouve une dissimilitude. En effet, il y a un premier mode de similitude déficiente lorsqu’il y a participation à la forme selon la même raison selon l’espèce, mais non selon le même mode de perfection, comme il y a une similitude déficiente entre ce qui a peu de blanc et ce qui en a beaucoup. [La similitude] est encore plus déficiente lorsqu’elle ne va pas jusqu’à la même raison selon l’espèce, mais à la même raison selon le genre, comme c’est le cas de la similitude entre ce qui est jaune et ce qui est blanc. [La similitude] est encore plus déficiente lorsqu’elle a la même raison selon le genre, mais seulement par analogie, comme c’est le cas de la similitude entre la blancheur et l’homme du fait que les deux sont des êtres. Telle est la déficience de la similitude reçue par une créature par rapport à l’essence divine. Or, pour que la vue connaisse la blancheur, il est nécessaire que soit reçue en elle une similitude de la blancheur selon la raison de son espèce, bien que ce ne soit pas selon le même mode d’être, car la forme a une autre manière d’être dans le sens et dans la chose hors de l’âme. En effet, si la forme du jaune existe dans l’œil, on ne dira pas qu’il voit la blancheur ; de même, pour que l’intellect intellige une quiddité, il est nécessaire que se forme en lui une similitude de la même raison selon l’espèce, bien que la manière d’être ne soit pas la même dans les deux cas. En effet, la forme qui existe dans l’intellect et dans le sens est principe de connaissance selon la manière d’être qu’elle a dans les deux cas, mais selon la raison qu’elle a en commun avec la chose extérieure. Il en ressort ainsi que Dieu ne peut être intelligé par aucune similitude reçue dans un intellect créé, de telle sorte que son essence soit vue de manière immédiate. Aussi certains qui avançaient que l’essence divine n’est vue que de cette manière ont-il affirmé que l’essence elle-même ne sera pas vue, mais son resplendissement et, pour ainsi dire, son rayonnement. Mais ce mode n’est pas suffisant pour la vision divine que nous recherchons. Il faut donc prendre un autre mode que même certains philosophes ont mis de l’avant, Alexandre et Averroès, dans Sur l’âme, III. En effet, puisqu’une forme par laquelle une chose est connue est nécessaire en toute connaissance, la forme par laquelle l’intellect est perfectionné pour voir les substances séparées n’est pas la quiddité que l’intellect abstrait des choses composées, comme le disait la première opinion, ni une empreinte laissée par une substance séparée dans notre intellect, comme le disait la deuxième, mais elle est la substance séparée elle-même, qui est unie à notre intellect comme une forme, afin qu’il soit ce qu’il intellige et par quoi il intellige. Quoi qu’il en soit des autres substances séparées, il nous faut cependant accepter ce mode pour la vision de Dieu en son essence, car, quelle que soit la forme reçue par notre intellect, il ne pourrait être mené par elle à l’essence divine. Cela ne doit pas être entendu comme si l’essence divine est la vraie forme de notre intellect, ou comme si d’elle et de notre intellect, n’est réalisée qu’une seule chose tout simplement, mais parce que la proportion entre l’essence divine et notre intellect est semblable à la proportion entre la forme et la matière. En effet, chaque fois que deux choses, dont l’une est plus parfaite que l’autre, sont reçues par le même sujet d’une réception, la proportion de l’un des deux à l’autre, à savoir, du plus parfait au moins parfait, est semblable à la proportion entre la forme et la matière, comme la lumière et la couleur sont reçues par le diaphane, la lumière jouant par rapport à la couleur le rôle de forme par rapport à la matière. Puisque dans l’âme sont reçues la puissance intellective et l’essence divine elle-même qui y habite, bien que ce ne soit pas de la même manière, l’essence divine jouera par rapport à l’intellect le rôle de la forme par rapport à la matière. Que cela suffise pour que l’intellect puisse voir l’essence divine elle-même par l’essence divine, on peut le montrer de cette façon. En effet, de même qu’un seul être est tout simplement réalisé à partir de la forme naturelle, par laquelle quelque chose a l’être, et de la matière, de même, par la forme, par laquelle l’intellect intellige, l’intellect lui-même devient une seule chose dans l’acte d’intelliger. Or, dans les choses naturelles, une chose qui subsiste par soi ne peut être la forme d’une matière si cette chose possède une matière comme partie d’elle-même ; mais si cette chose subsistant par elle-même n’est qu’une forme, rien n’empêche qu’elle devienne la forme d’une matière et qu’elle devienne ce par quoi existe le composé lui-même, comme cela est clair pour l’âme. Or, pour l’intellect, il faut concevoir l’intellect en puissance comme la matière, et l’espèce intelligible comme la forme ; l’intellect en acte d’intellection sera ainsi un composé des deux. Si donc il existe une chose subsistant par elle-même qui n’a en elle-même rien que ce qui est intelligible en soi, cette chose pourra être par elle-même la forme par laquelle elle est intelligée. Or, toute chose est intelligible selon qu’elle est en acte, comme cela ressort de Métaphysique, IX : le signe en est qu’il faut abstraire la forme intelligible de la matière et de toutes les propriétés de la matière. Puisque l’essence divine est acte pur, elle pourra donc être la forme par laquelle l’intellect intellige. Telle sera la vision qui rend bienheureux. Aussi le Maître dit-il dans le livre II des Sentences, d. 1, que l’union de l’âme au corps est un exemple de cette union bienheureuse par laquelle l’esprit sera uni à Dieu.

[22724] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas illa potest tripliciter exponi, ut patet per Augustinum in Lib. de videndo Deum. Uno modo ut excludatur visio corporalis, qua nemo vidit vel visurus est Deum in essentia sua, ut dicetur. Alio modo ut excludatur visio intellectualis Dei per essentiam ab his qui in ista mortali carne vivunt. Tertio modo ut excludatur visio comprehensionis ab intellectu creato; et sic intelligit Chrysostomus; unde subdit: notitiam hujus dicit Evangelista certissimam; et comprehensionem tantam quantam habet pater de filio; et hic est Evangelistae intellectus; unde subdit: unigenitus qui est in sinu patris, ipse enarravit; per comprehensivam visionem volens probare filium esse Deum.

1. Cette autorité peut être expliquée de trois manières, comme cela ressort dans le livre d’Augustin, La vision de Dieu. D’une manière, selon qu’est exclue la vision corporelle par laquelle personne ne voit ou ne verra Dieu en son essence, comme on le dira. D’une autre manière, selon qu’est exclue la vision intellectuelle de Dieu en son essence par ceux qui vivent dans cette chair mortelle. D’une troisième manière, selon qu’elle exclut la vision par laquelle l’intellect créé embrasse (comprehensio) [l’essence divine]. Ainsi l’entend Chrysos-tome, qui ajoute : « L’évangéliste dit que cette connaissance est très certaine, et qu’elle est comme le Père qui étreint (comprehensio) le Fils. » C’est là ce qu’entend l’évangéliste. Aussi ajoute-t-il : Le [Fils] unique qui est dans le sein du Père, lui l’a raconté, en voulant démontrer par la vision qui est une étreinte (per comprehensivam visionem) que le Fils est Dieu.

[22725] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut Deus excedit omnia existentia quae habent esse determinatum, per essentiam suam infinitam; ita cognitio sua qua cognoscit, est super omnem cognitionem: unde quae est proportio cognitionis nostrae ad entia creata, ea est proportio cognitionis divinae ad suam essentiam. Ad cognitionem autem duo concurrunt; et cognoscens, et quo cognoscitur. Visio autem illa qua Deum per essentiam videbimus, est eadem cum visione qua Deus se videt, ex parte ejus quo videtur: quia sicut ipse se videt per essentiam suam, ita et nos videbimus; sed ex parte cognoscentis invenitur diversitas quae est inter intellectum divinum et nostrum. In cognoscendo autem, id quod cognoscitur sequitur formam qua cognoscimus; quia per formam lapidis videmus lapidem; sed efficacia in cognoscendo sequitur virtutem cognoscentis; sicut qui habet visum fortem, acutius videt; et ideo in illa visione nos idem videbimus quod Deus videt, scilicet essentiam suam, sed non ita efficaciter.

2. De même que Dieu dépasse par son essence infinie tout ce qui existe en ayant un être déterminé, de même la connaissance par laquelle il connaît dépasse-t-elle toute connaissance ; ainsi la proportion qui existe entre notre connaissance et les êtres créés est-elle la proportion entre la connaissance divine et sa propre essence. Or, deux choses concourent à la connaissance : celui qui connaît et ce par quoi l’on connaît. La vision par laquelle nous verrons Dieu en son essence est la même selon laquelle Dieu se voit, du point de vue de ce qui est vu, car ainsi qu’il se voit en son essence, ainsi le verrons-nous, nous aussi. Mais du point de vue de celui qui connaît, existe la différence qui existe entre l’intellect divin et le nôtre. Or, dans l’acte de connaissance, ce qui est connu découle de la forme par laquelle nous connaissons, car nous voyons la pierre par la forme de la pierre ; mais l’efficacité de la connaissance découle de la puissance de celui qui connaît : ainsi celui qui a une vue forte voit de manière plus précise. Dans cette vision, nous verrons donc Dieu comme Dieu se voit, à savoir, son essence, mais non pas aussi efficacement.

[22726] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Dionysius ibi loquitur de cognitione qua Deum in via cognoscimus per aliquam formam creatam, qua intellectus noster formatur ad eum videndum. Sed, sicut dicit Augustinus, Deus omnem formam intellectus nostri subterfugit: quia quamcumque formam intellectus noster concipiat, illa forma non pertingit ad rationem divinae essentiae; et ideo ipse non potest esse pervius intellectui nostro; sed in hoc eum perfectissime cognoscimus in statu viae quod scimus eum esse super omne id quod intellectus noster concipere potest; et sic ei quasi ignoto conjungimur. Sed in patria id ipsum per formam quae est essentia sua, videbimus, et conjungemur ei quasi noto.

3. Denys parle là de la connaissance par laquelle, dans l’état de cheminement, nous connaissons Dieu par une forme créée, par laquelle notre intellect reçoit forme pour le voir. Mais, comme le dit Augustin, Dieu échappe à toute forme de notre intellect, car, quelle que soit la forme conçue par notre intellect, cette forme ne va pas jusqu’à la raison de l’essence divine. Il ne peut donc être accessible à notre intellect, mais nous le connaissons très parfaitement dans l’état de cheminement du fait que nous savons qu’il dépasse tout ce que notre intellect peut concevoir. Nous lui sommes ainsi unis comme à un inconnu. Mais, dans la patrie, nous verrons cela même par la forme qui est son essence, et nous lui serons unis comme à quelqu’un que nous connaîtrons.

[22727] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus est lux, ut dicitur 1 Joan. 1. Lumen autem est impressio lucis in aliquo illuminato; et quia essentia divina est alterius modi quam omnis similitudo ipsius impressa in intellectu, ideo dicit, quod tenebrae divinae operiuntur omni lumini, quia scilicet essentia divina, quam tenebras vocat, propter claritatis excessum manet non demonstrata per impressionem intellectus nostri; et per hoc sequitur quod abscondatur omni cognitioni; et ita quicumque videntium Deum aliquid mente concipit, hic non est Deus, sed aliquid divinorum effectuum.

4. Dieu est lumière (lumen), comme il est dit en 1 Jn 1. Or, l’éclairage (lux) est une empreinte de la lumière sur ce qui est éclairé. Parce que l’essence divine existe d’une autre manière que toute similitude d’elle-même empreinte dans l’intellect, il dit donc que les ténèbres divines couvrent toute lumière, car l’essence divine, qu’il appelle ténèbres en raison de l’excès de son éclat, demeure non manifestée par son empreinte dans notre intellect. Il en découle qu’elle est cachée à toute connaissance, et ainsi tous ceux qui, en voyant Dieu, conçoivent quelque chose dans leur esprit, ce n’est pas Dieu, mais l’un de ses effets.

[22728] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod claritas Dei quamvis excedat omnem formam qua nunc intellectus formatur, non tamen excedit ipsam essentiam divinam, quae erit quasi forma intellectus nostri in patria; et ideo licet nunc sit invisibilis, tamen tunc erit visibilis.

5. L’éclat de Dieu, bien qu’il dépasse toute forme que reçoit notre intellect, ne dépasse cependant pas l’essence divine elle-même, qui sera pour ainsi dire la forme de notre intellect dans la patrie. Bien qu’il soit maintenant invisible, il sera donc alors visible.

[22729] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis finiti ad infinitum non possit esse proportio, quia excessus infiniti supra finitum non est determinatus; potest tamen esse inter ea proportionalitas quae est similitudo proportionum; sicut enim finitum aequatur alicui finito, ita infinito infinitum. Ad hoc autem quod aliquid totaliter cognoscatur, quandoque oportet esse proportionem inter cognoscens et cognitum; quia oportet virtutem cognoscentis adaequari cognoscibilitati rei cognitae; aequalitas autem proportio quaedam est. Sed quandoque cognoscibilitas rei excedit virtutem cognoscentis; sicut cum nos cognoscimus Deum, aut e converso, sicut cum ipse cognoscit creaturas; et tunc non oportet esse proportionem inter cognoscentem et cognitum, sed proportionalitatem tantum; ut scilicet sicut se habet cognoscens ad cognoscendum, ita se habeat cognoscibile ad hoc quod cognoscatur; et talis proportionalitas sufficit ad hoc quod infinitum cognoscatur a finito, et e converso. Vel dicendum, quod proportio secundum primam nominis institutionem significat habitudinem quantitatis ad quantitatem secundum aliquem determinatum excessum vel adaequationem; sed ulterius est translatum ad significandum omnem habitudinem cujuscumque ad aliud; et per hunc modum dicimus, quod materia debet esse proportionata ad formam; et hoc modo nihil prohibet intellectum nostrum, quamvis sit finitus, dici proportionatum ad videndum essentiam infinitam; non tamen ad comprehendendum eam, et hoc propter suam immensitatem.

6. Bien qu’il ne puisse exister de proportion entre l’infini et le fini, puisque le dépassement du fini par l’infini n’est pas déterminé, elle peut cependant exister entre une proportionnalité qui est une similitude entre les proportions : en effet, de même que le fini est égal à quelque chose de fini, de même l’infini [est-il égal] à l’infini. Mais pour que quelque soit entièrement connu, il faut parfois qu’existe une proportion entre celui qui connaît et ce qui est connu, car, il faut que la puissance de celui qui connaît égale ce qui peut être connu dans la chose connue. Or, l’égalité est une proportion. Mais parfois ce qui peut être connu dans la chose dépasse la puissance de celui qui connaît, comme lorsque nous connaissons Dieu, ou inversement, comme lorsque lui-même connaît les créatures. Il n’est pas alors nécessaire qu’il existe une proportion entre celui qui connaît et ce qui est connu, mais seulement une proportionnalité, à savoir que le rapport entre celui qui connaît et ce qui est peut être connu soit le même qu’entre ce qui peut être connu et ce qui est connu. Une telle proportionnalité suffit pour que ce qui est infini soit connu par ce qui est fini, et inversement. Ou bien il faut dire que la proportion, selon le premier sens du terme, signifie le rapport entre une quantité et une quantité selon un dépassement ou une égalité déterminés. Mais [la proportion] a été étendue pour signifier tout rapport d’une chose à une autre. De cette manière, nous disons que la matière doit être proportionnée à la forme. De cette manière, rien n’empêche de dire que notre intellect, bien qu’il soit fini, est proportionné à la vision de l’essence infinie, non pas cependant pour l’étreindre (ad comprehendendam eam), et cela en raison de son immensité.

[22730] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod duplex est similitudo et distantia. Una secundum convenientiam in natura; et sic magis distat Deus ab intellectu creato quam intelligibile creatum a sensu. Alia secundum proportionalitatem; et sic est e converso, quia sensus non est proportionatus ad cognoscendum aliquod immateriale; sed intellectus est proportionatus ad cognoscendum quodcumque immateriale; et haec similitudo requiritur ad cognitionem, non autem prima; quia constat quod intellectus intelligens lapidem non est similis ei in naturali esse; sicut etiam visus apprehendit mel rubeum, et fel rubeum, quamvis non apprehendat mel dulce; mellis enim rubedo magis convenit cum felle inquantum est visibile, quam dulcedo mellis cum felle.

7. Il existe une double similitude et distance. L’une, selon que la nature est commune : Dieu est ainsi plus éloigné de l’intellect créé qu’un intelligible créé du sens. L’autre, selon une proportionnalité. Il en va de même  inversement, car le sens n’est pas proportionné à la connaissance de quelque chose d’immatériel, mais l’intellect est proportionné à la connaissance de n’importe réalité immatérielle. Une telle similitude est nécessaire pour la connaissance, mais non la première, car il est clair que l’intellect qui intellige une pierre ne lui est pas semblable selon son être naturel ; la vue saisit le miel rouge et le fiel rouge, bien qu’elle ne saisisse pas le miel doux : en effet, la rougeur du miel a plus en commun avec le fiel, pour autant qu’elle est visible, que la douceur du miel avec le fiel.

[22731] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in visione qua Deus per essentiam videbitur, ipsa divina essentia erit quasi forma intellectus quae intelligit; nec oportet quod efficiant unum secundum esse simpliciter, sed solum quod fiat unum quantum pertinet ad actum intelligendi, ut supra dictum est.

8. Dans la vision par laquelle Dieu sera vu en son essence, l’essence divine elle-même sera pour ainsi dire la forme de l’intellect qui intellige, et il n’est pas nécessaire qu’ils deviennent tout simplement une seule chose selon l’être, mais seulement qu’ils deviennent une seule chose pour ce qui se rapporte à l’acte d’intelliger, comme on l’a dit plus haut.

[22732] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dictum Avicennae quantum ad hoc non sustinemus, quia ei etiam ab aliis philosophis in hoc contradicitur; nisi forte velimus dicere, quod Avicenna intelligit de cognitione substantiarum separatarum, secundum quod cognoscuntur per habitus scientiarum speculativarum, et similitudinum rerum. Unde hoc introducit ad ostendendum quod scientia non est in nobis substantia, sed accidens. Et tamen divina essentia quamvis plus distet secundum proprietatem naturae suae ab intellectu nostro quam substantia Angeli; tamen plus habet de ratione intelligibilitatis, quia est actus purus, cui non admiscetur aliquid de potentia; quod non contingit in aliis substantiis separatis. Nec illa cognitio qua Deum per essentiam videbimus, ex parte ejus quod videbitur, erit in genere accidentis, sed solum quantum ad actum ipsius intelligentis, qui non erit ipsa substantia intelligentis vel intellecti.

9. Sur ce point, nous n’acceptons pas ce que dit Avicenne, car il est aussi contredit là-dessus par d’autres philosophes, à moins que nous ne voulions dire qu’Avicenne l’entend de la connaissance des substances séparées, selon laquelle elles sont connues par les habitus des sciences spéculatives et des similitudes des choses. Il y fait donc appel pour montrer que la science n’est pas en nous une substance, mais un accident. Cependant, selon ce qui est propre à sa nature, l’essence divine est plus éloignée de notre intelligence que la substance de l’ange ; elle possède toutefois davantage de raison d’intelligibilité parce qu’elle est acte pur, auquel n’est mêlé rien de la puissance, ce qui ne se produit pas dans les autres substance séparées. Et la connaissance par laquelle nous verrons Dieu en son essence ne fera pas partie du genre de l’accident, du point de vue de ce qui sera vu, mais seulement du point de vue de l’acte de celui qui intellige, qui ne sera pas la substance même de celui qui intellige ou de ce qui est intelligé.

[22733] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod substantia separata a materia intelligit se et intelligit alia: et utroque modo potest verificari auctoritas inducta. Cum enim ipsa essentia substantiae separatae sit per seipsam intelligibilis in actu, eo quod est a materia separata, constat quod quando substantia separata intelligit se, omnino idem est intelligens et intellectum. Non enim intelligit se per aliquam intentionem abstractam a se, sicut nos intelligimus res materiales; et hic videtur esse intellectus philosophi in 3 de anima, ut patet per Commentatorem ibidem. Secundum autem quod intelligit res alias, intellectum in actu fit unum cum intellectu in actu, inquantum forma intellecti fit forma intellectus, inquantum est intellectus in actu, non quod sit ipsamet essentia intellectus, ut Avicenna probat in 6 de naturalibus; quia essentia intellectus manet una sub duabus formis, secundum quod intelligit res duas successive, ad modum quo materia prima manet una sub diversis formis; unde etiam Commentator in 3 de anima, comparat intellectum possibilem quantum ad hoc materiae primae. Et sic nullo modo sequitur quod intellectus noster videns Deum, fiat ipsa essentia divina, sed quod ipsa essentia comparatur ad ipsum quasi perfectio et forma.

10. La substance séparée de la matière s’intellige elle-même et intellige d’autres choses, et la vérité de l’autorité invoquée peut être confirmée sous les deux aspects. En effet, puisque l’essence même de la substance séparée est par soi intelligible en acte du fait qu’elle est séparée de la matière, il est certain que, lorsque la substance séparée s’intellige elle-même, ce qui intellige et ce qui est intelligé est tout à fait la même chose, car elle ne s’intellige pas par une intention abstraite d’elle-même, comme nous intelligeons les choses matérielles. C’est ce que semble entendre le Philosophe dans Sur l’âme, III, comme cela ressort de ce que dit le Commentateur au même endroit. Mais selon qu’elle intellige d’autres choses, ce qui est intelligé en acte devient un avec l’intellect en acte pour autant que la forme de ce qui est intelligé devient la forme de l’intellect, dans la mesure où l’intellect est en acte, et non pas parce qu’elle est elle-même l’essence de l’intellect, comme Avicenne le démontre dans Sur les choses naturelles, VI. En effet, l’essence de l’intellect demeure unique sous les deux formes, selon qu’il intellige les deux choses de manière successive, à la manière dont la matière première demeure unique sous diverses formes. Aussi, dans Sur l’âme, III, même le Commentateur compare l’intellect possible à la matière première sur ce point. Il n’en découle donc d’aucune façon que notre intellect, en voyant Dieu, devienne l’essence divine elle-même, mais que l’essence [divine] elle-même se compare à lui comme une perfection et une forme.

[22734] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod auctoritates illae et omnes similes sunt intelligendae de cognitione qua cognoscimus Deum in via, ratione prius posita.

11. Ces autorités et toutes les semblables doivent s’entendre de la connaissance par laquelle nous connaissons Dieu [dans l’état] de cheminement, pour la raison donnée plus haut.

[22735] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod infinitum privative dictum, est ignotum, inquantum est hujusmodi; quia dicitur per remotionem complementi, a quo est cognitio rei; unde infinitum reducitur ad materiam subjectam privationi, ut patet in 3 Physic. Sed infinitum negative acceptum dicitur per remotionem materiae terminantis, quia forma etiam quodammodo terminatur per materiam; unde infinitum hoc modo de se maxime est cognoscibile; et hoc modo infinitus est Deus.

12. L’infini entendu au sens privatif est inconnu en tant que tel parce qu’on en parle en enlevant le complément, par lequel on connaît une chose. Aussi l’infini se ramène-t-il à la matière soumise à la privation, comme cela ressort de Physique, III. Mais on parle de l’infini entendu au sens négatif selon l’enlèvement de la matière qui fixe un terme, car la forme est aussi limitée par la matière d’une certaine façon. Aussi l’infini est-il en soi connaissable de cette manière. C’est de cette manière que Dieu est infini.

[22736] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 13 Ad tertiumdecimum dicendum, quod Augustinus loquitur de visione corporali, qua nunquam videbitur: quod patet ex hoc quod praemittitur: sicut enim videntur visibilia ista quae nominantur, Deum nemo vidit unquam nec videre potest; et est natura invisibilis sicut et incorruptibilis. Sicut autem secundum suam naturam est maxime ens; ita et secundum se est maxime intelligibilis; sed quod a nobis quandoque non intelligatur, est ex defectu nostro; unde quod videatur postquam visus non fuit a nobis, non est ex mutatione sua, sed nostra.

13. Augustin parle de la vision corporelle par laquelle [l’essence divine] ne sera jamais vue. Cela ressort de ce qui est dit auparavant : « Personne n’a jamais vu Dieu et ne peut jamais le voir comme sont vues les choses visibles qui portent un nom : il est une nature invisible et incorruptible. » De même qu’il est par sa nature être au plus haut point, de même est-il par lui-même intelligible au plus haut point. Mais qu’il lui arrive de ne pas être intelligé par nous, cela vient de notre déficience. Qu’il soit vu après n’avoir pas été vu par nous, cela ne vient dont pas d’un changement de sa part, mais de la nôtre.

[22737] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 14 Ad quartumdecimum dicendum, quod Deus in patria videbitur a sanctis sicuti est, si hoc referatur ad modum ipsius visi; videbitur enim a sanctis Deus habere illud modum quem habet; sed si referatur modus ad ipsum cognoscentem, non videbitur sicuti est, quia non erit tanta efficacia intellectus creati ad videndum, quanta efficacia divinae essentiae ad hoc quod intelligatur.

14. Dieu sera vu comme il est par les saints dans la patrie, si cela est mis en rapport avec ce qui est vu : en effet, les saints verront que Dieu possède cela selon le mode qu’il a (corr. illud/illum). Mais si le mode est mis en rapport avec celui qui connaît, il ne sera pas vu comme il est, car l’efficacité de l’intellect créé pour voir ne sera pas à la mesure de l’efficacité de l’essence divine pour être intelligée.

[22738] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 15 Ad quintumdecimum dicendum, quod medium in visione corporali et intellectuali invenitur triplex. Primum est medium sub quo videtur; et hoc est quod perficit visum ad videndum in generali, non determinans visum ad aliquod speciale objectum, sicut se habet lumen corporale ad visum corporalem, et lumen intellectus agentis ad intellectum possibilem. Secundum est medium quo videtur; et hoc est forma visibilis qua determinatur uterque visus ad speciale objectum, sicut per formam lapidis ad cognoscendum lapidem. Tertium est medium in quo videtur; et hoc est id per cujus inspectionem ducitur visus in aliam rem, sicut inspiciendo speculum ducitur in ea quae in speculo repraesentantur, et videndo imaginem ducitur in imaginatum; et sic etiam intellectus per cognitionem effectus ducitur in causam, vel e converso. In visione igitur patriae non erit tertium medium, ut scilicet Deus per species aliorum cognoscatur, sicut nunc cognoscitur, ratione cujus dicimur nunc videre in speculo; nec erit ibi secundum medium, quia ipsa essentia divina erit qua intellectus noster videbit Deum, ut ex dictis patet; sed erit ibi tantum primum medium, quod elevabit intellectum nostrum ad hoc quod possit conjungi essentiae increatae modo praedicto. Sed ab hoc medio non dicitur cognitio mediata, quia non cadit inter cognoscentem et rem cognitam, sed est illud quod dat cognoscenti vim cognoscendi.

15. Le moyen de la vision corporelle et de la vision intellectuelle est triple. Le premier est le moyen sous lequel on voit : celui-ci est ce qui réalise la vision pour voir d’une manière générale, en ne déterminant pas la vision à une objet particulier, comme c’est le cas de la lumière corporelle pour la vision corporelle et de la lumière de l’intellect agent pour l’intellect possible. Le deuxième est le moyen par lequel on voit : celui-ci est la forme visible par laquelle les deux visions sont déterminées à un objet particulier, comme la forme d’une pierre pour connaître la pierre. Le troisième moyen est celui dans lequel on voit : celui-ci est ce dont l’examen mène la vision vers une autre chose, comme en regardant le miroir, [la vision] est menée à ce qui est représenté dans le miroir, et en voyant l’image, elle est menée à ce qui est représenté. De cette manière aussi, l’intellect est mené à la cause par la connaissance de l’effet, ou inversement. Donc, dans la vision de la patrie, il n’y aura pas de troisième moyen, à savoir que Dieu soit connu par des espèces des autres choses, comme on connaît maintenant, ce en raison de quoi nous disons que nous voyons dans un miroir. Il n’y aura pas non plus le deuxième moyen, car l’essence divine elle-même sera ce par quoi notre intellect verra Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Mais il n’y aura que le premier moyen, qui élèvera notre intellect pour qu’il puisse être uni à l’essence incréée de la manière qui a été dite auparavant. Mais on ne parle pas de connaissance par un intermédiaire dans ce cas, car [l’essence divine] ne s’interpose pas entre celui qui connaît et la chose connue, mais elle est ce qui donne à celui qui connaît la capacité de connaître.

[22739] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 1 ad 16 Ad sextumdecimum dicendum, quod creaturae corporales non dicuntur immediate videri, nisi quando id quod in eis est conjungibile visui, ei conjungitur: non sunt autem conjungibiles per essentiam suam ratione materialitatis; et ideo tunc immediate videntur quando eorum similitudo intellectui conjungitur; sed Deus per essentiam conjungibilis est intellectui; unde non immediate videretur, nisi essentia sua conjungeretur intellectui; et haec visio immediata dicitur visio faciei. Et praeterea similitudo rei corporalis recipitur in visu secundum eamdem rationem qua est in re, licet non secundum eumdem modum essendi; et ideo similitudo illa ducit in illam rem directe. Non autem potest hoc modo ducere aliqua similitudo intellectum nostrum in Deum, ut ex dictis patet; et propter hoc non est simile.

16. On ne dit pas que les créatures corporelles sont vues de manière immédiate, si ce n’est lorsque ce qui peut être uni à la vision lui est uni ; mais elles ne peuvent être unies par leur essence en raison de leur matérialité. Aussi sont-elles vues de manière immédiate lorsque leur similitude est unie à l’intellect. Mais Dieu peut être uni à l’intellect par son essence ; aussi ne serait-il pas vu de manière immédiate si son essence n’était pas unie à l’intellect. C’est cette vision immédiate qu’on appelle la vision face à face. De plus, la similitude d’une chose corporelle est reçue dans la vision selon la raison par laquelle elle existe en réalité, bien que non selon le même mode d’être. Aussi cette similitude conduit-elle à cette chose directement. Mais une similitude ne peut conduire de cette manière notre intellect vers Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Pour cette raison, ce n’est pas la même chose.

 

 

Articulus 2 [22740] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 tit. Utrum sancti post resurrectionem Deum corporalibus oculis videbunt

Article 2 – Après la résurrection, les saints verront-ils Dieu de leurs yeux corporels?

[22741] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod sancti post resurrectionem Deum corporalibus oculis videbunt. Oculus enim glorificatus majoris erit virtutis quam aliquis oculus non glorificatus. Sed beatus Job oculo suo Deum videbit: Job 42, 5: auditu auris audivi te, nunc autem oculus meus videt te. Ergo multo fortius oculus glorificatus Deum per essentiam videre poterit.

1. Il semble qu’après la résurrection, les saints verront Dieu de leurs yeux corporels. En effet, l’œil glorifié aura une plus grande puissance qu’un œil non glorifié. Or, le bienheureux Job verra Dieu avec son œil, Jb 42, 5 : Je t’ai entendu de mon oreille ; maintenant, mon œil te verra. À bien plus forte raison, l’œil glorifié pourra-t-il voir Dieu par son essence.

[22742] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Job 19, 26: in carne mea videbo Deum salvatorem meum. Ergo videtur quod corporalibus oculis Deus in patria videbitur.

2. Jb 19, 26 dit : Dans ma chair, je verrai Dieu, mon sauveur. Ce qui sera vu dans la patrie sera donc vu par les yeux corporels.

[22743] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus, 12 de Civ. Dei, loquens de visu oculorum glorificatorum, sic dicit: vis praepollentior oculorum erit illorum, non ut acrius videant quam quidam perhibentur videre serpentes vel aquilae (quantalibet enim acrimonia cernendi eadem animalia vigeant, nihil aliud possunt videre quam corpora); sed ut videant et incorporalia. Quaecumque autem potentia cognoscitiva est incorporalium, potest elevari ad videndum Deum. Ergo oculi gloriosi Deum videre poterunt.

3. Dans La cité de Dieu, XII, Augustin dit, en parlant de la vision des yeux glorifiés : « Leurs yeux auront une puissance supérieure, non pas pour qu’ils voient de manière plus aiguë à la manière dont semblent voir certains serpents ou les aigles (aussi aiguë que soit la vision de ces animaux, ils ne peuvent voir d’autre chose chose que des corps), mais pour qu’ils voient aussi les réalités incorporelles. » Or, toute puissance qui peut connaître les réalités incorporelles peut être élevée jusqu’à la vision de Dieu. Les yeux glorieux pourront donc voir Dieu.

[22744] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, quae est differentia corporalium ad incorporalia, eadem est e converso. Sed oculus incorporeus potest corporaliter videre. Ergo oculus corporeus potest videre incorporalia, et sic idem quod prius.

4. La différence entre les réalités corporelles et les réalités incorporelles est la même en sens inverse. Or, l’œil incorporel peut voir de manière corporelle. L’œil corporel peut donc voir des réalités incorporelles. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[22745] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, Gregorius in 5 Moral., super illud Job 4: stetit quidam cujus non cognoscebam vultum etc., sic dicit: homo qui si praeceptum servare voluisset, etiam carne spiritualis futurus fuerat, factus est peccando et mente carnalis. Sed ex hoc quod est mente factus carnalis, ut ibidem dicitur, solum ea cogitat quae ad animum per corporum imagines trahit. Ergo etiam quando carne spiritualis erit, quod post resurrectionem sanctis promittitur, etiam carne spiritualia videre poterit; et sic idem quod prius.

5. Dans Morales, V, Grégoire dit à propos de Jb 4 : Quelqu’un dont je ne connaissais pas le visage se tenait debout, etc. : « L’homme qui, s’il avait voulu observer le commandement, aurait été spirituel même dans la chair, est devenu charnel en son esprit en péchant. » Or, du fait qu’il est devenu charnel en son esprit, comme on le dit au même endroit, il ne pense que ce qu’il peut faire venir à son esprit par des images des corps. Lorsqu’il sera spirituel dans la chair, ce qui est promis aux saints après la résurrection, il pourra donc aussi voir les réalités spirituelles dans la chair. La conclusion est donc la même que précédemment.

[22746] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, homo solo Deo potest beatificari. Beatificabitur autem non solum quantum ad animam, sed etiam quantum ad corpus. Ergo non solum intellectu, sed etiam carne Deum videre poterit.

6. L’homme ne peut être rendu bienheureux que par Dieu. Or, il sera rendu bienheureux non seulement dans son âme, mais aussi dans son corps. Il pourra donc voir Dieu non seulement par l’intellect, mais aussi par la chair.

[22747] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, sicut Deus est praesens per essentiam suam in intellectu, ita etiam erit praesens in sensu, quia erit omnia in omnibus, ut dicitur 1 Cor. 15. Sed videbitur ab intellectu ex hoc quod sua essentia ei conjungitur, ut supra dictum est. Ergo poterit etiam a sensu videri.

7. De même que Dieu est présent par son essence dans l’intellect, de même aussi sera-t-il présent dans le sens, car il sera tout en tout, comme il est dit dans 1 Co 15. Or, il sera vu par l’intellect du fait que son essence lui sera unie, comme on l’a dit plus haut. Il pourra donc aussi être vu par le sens.

[22748] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Ambrosius dicit super Lucam: nec corporalibus oculis Deus quaeritur, nec circumscribitur visu, nec tactu tenetur. Ergo nullo modo corporali sensu Deus videbitur.

Cependant, [1] Ambroise dit en commentant Luc : « Dieu n’est pas cherché par des yeux corporels, il n’est pas circonscrit par la vision et n’est pas tenu par le toucher. » Dieu ne sera donc vu d’aucune manière par le sens corporel.

[22749] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hieronymus dicit: non solum deitatem patris, sed nec filii nec spiritus sancti, oculi carnis possunt aspicere, sed oculi mentis, de quibus dicitur: beati mundo corde et cetera.

[2] Jérôme dit : « Les yeux de chair ne peuvent voir la déité non seulement du Père, mais ni celle du Fils, ni celle du Saint-Esprit ; mais les yeux de l’esprit [le peuvent], dont il est dit : Bienheureux les cœurs purs, etc. »

[22750] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, idem Hieronymus dicit: res incorporales corporalibus oculis non videntur. Sed Deus est maxime incorporalis. Ergo et cetera.

[3] Le même Jérôme dit : « Les réalités incorporelles ne sont pas vues par les yeux corporels. » Or, Dieu est au plus haut point incorporel. Donc, etc.

[22751] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 s. c. 4 Praeterea, Augustinus in Lib. de videndo Deum, dicit: Deum nemo vidit unquam, vel in hac vita, sicuti ipse est, vel in Angelorum vita, sicut visibilia ista quae corporali visione cernuntur. Vita autem Angelorum dicitur vita beata, in qua resurgentes vivent. Ergo et cetera.

[4] Dans son livre La vision de Dieu, Augustin dit : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, soit dans cette vie, tel qu’il est, soit selon la vie des anges, comme les choses visibles qui sont vues par la vision corporelle. » Or, la vie des anges est appelée la vie bienheureuse, selon laquelle les ressuscités vivront. Donc, etc.

[22752] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 s. c. 5 Praeterea, secundum hoc homo dicitur factus ad imaginem Dei, quod Deum conspicere potest, ut Augustinus dicit. Sed homo est ad imaginem non secundum carnem, sed secundum mentem. Ergo mente, et non carne, Deum videbit.

[5] On dit que Dieu a été créé à l’image de Dieu parce qu’il peut voir Dieu, comme le dit Augustin. Or, l’homme est à l’image [de Dieu], non pas selon la chair, mais selon l’esprit. Il verra donc Dieu selon l’esprit, et non selon la chair.

[22753] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sensu corporali aliquid sentitur dupliciter: uno modo per se, alio modo per accidens. Per se quidem sentitur illud quod per se passionem sensui corporali inferre potest. Per se autem potest aliquid passionem inferre aut sensui inquantum est sensus, aut huic sensui inquantum est hic sensus. Quod autem hoc secundo modo infert per se passionem sensui, dicitur sensibile proprium; sicut color respectu visus, et sonus respectu auditus. Quia autem sensus inquantum est sensus, utitur organo corporali, non potest in eo aliquid recipi nisi corporaliter; cum omne quod recipitur in aliquo, sit in eo per modum recipientis; et ideo omnia sensibilia inferunt passionem sensui inquantum est sensus, secundum quod habent magnitudinem; et ideo magnitudo, et omnia consequentia, ut motus et quies et numerus, et hujusmodi, dicuntur sensibilia communia per se tantum. Per accidens autem sentitur illud quod non infert passionem sensui neque inquantum est sensus, neque inquantum est hic sensus; sed conjungitur his quae per se sensui inferunt passionem; sicut Socrates, et filius Diarii, et amicus, et alia hujusmodi: quae per se cognoscuntur in universali intellectu; in particulari autem in virtute cogitativa in homine, aestimativa autem in aliis animalibus. Hujusmodi autem tunc sensus exterior dicitur sentire, quamvis per accidens, quando ex eo quod per se sentitur, vis apprehensiva, cujus est illud cognitum per se cognoscere, statim sine dubitatione et discursu apprehendit; sicut videmus aliquem vivere ex hoc quod loquitur. Quando autem aliter se habet, non dicitur illud sensus videre, etiam per accidens. Dico ergo, quod Deus nullo modo potest videri visu corporali, aut aliquo alio sensu sentiri, sicut per se visibile, nec hic nec in patria; quia si a sensu removeatur id quod convenit sensui inquantum est sensus, non erit sensus; et similiter si a visu removeatur id quod est visus inquantum est visus, non erit visus. Cum ergo sensus, inquantum est sensus, percipiat magnitudinem; et visus, inquantum est talis sensus, percipiat colorem; impossibile est quod visus percipiat aliquid quod non est color nec magnitudo, nisi sensus diceretur aequivoce. Cum ergo visus et sensus sit futurus idem specie in corpore glorioso, non poterit esse quod divinam essentiam videat sicut visibile per se; videbit autem eam sicut visibile per accidens, dum ex una parte visus corporalis tantam gloriam Dei inspiciet in corporibus, et praecipue gloriosis, et maxime in corpore Christi, et ex parte alia intellectus tam clare videbit Deum, quod in rebus corporaliter visis Deus percipietur, sicut in locutione percipitur vita: quamvis enim tunc intellectus noster non videat Deum ex creaturis, tamen videbit eum in creaturis corporaliter visis. Et hunc modum quo Deus corporaliter possit videri, ponit Augustinus in fine de Civ. Dei, ut patet verba ejus intuenti; dicit enim sic: valde credibile est sic nos visuros mundana tunc corpora caeli novi vel terrae, ut Deum ubique praesentem et universa corpora gubernantem clarissima perspicuitate videamus; non sicut nunc invisibilia Dei per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur; sed sicut homines mox ut aspicimus, non credimus vivere, sed videmus.

Le sens corporel sent quelque chose de deux manières : d’une manière, par soi ; d’une autre manière, par accident. Est senti par soi ce qui peut par soi produire une passion dans le sens corporel. Or, quelque chose peut produire par soi une passion soit dans le sens en tant qu’il est sens, soit dans ce sens en tant qu’il est ce sens. Ce qui produit par soi une passion dans le sens de la seconde manière est appelé le sensible propre, comme la couleur par rapport à la vue et le son par rapport à l’ouïe. Comme le sens en tant que sens utilise un organe corporel, quelque chose ne peut être reçu en lui que de manière corporelle, puisque tout ce qui est reçu par quelque chose est dans cette chose à la manière de ce qui reçoit. Aussi tous les sensibles produisent-ils une passion du sens en tant que sens selon qu’ils possèdent une grandeur. Ainsi la grandeur et tout ce qui en découle, comme le mouvement, le repos, le nombre et les choses de ce genre, sont-ils appelés seulement des sensibles communs par soi. Mais est senti par accident ce qui ne produit pas une passion dans le sens ni en tant que sens, ni en tant que tel sens, mais est uni à ce qui produit par soi une passion dans le sens, comme Socrate, le fils de Diarius, un ami, et les choses de genre, qui sont connues de manière universelle par l’intellect, mais de manière particulière par la puissance cogitative chez l’homme, et par l’estimative chez les autres animaux. On dit que le sens extérieur sent, bien que par accident, lorsque, à partir de ce qui est senti par soi, la puissance qui saisit, à qui il appartient de connaître par soi cette réalité connue, la saisit aussitôt, sans doute ni raisonnement, comme nous voyons que quelqu’un vit par le fait qu’il parle. Lorsqu’elle se comporte autrement, on ne dit pas que le sens voit cela, même par accident. Je dis donc que Dieu ne peut d’aucune manière être vu par la vision corporelle, ni être senti par aucun autre sens, comme par quelque chose de visible par soi, ni ici ni dans la patrie, car si on enlève du sens ce qui convient au sens en tant qu’il est sens, ce ne sera pas un sens. De même, si on enlève de la vision ce qu’est la vision en tant que vision, ce ne sera pas la vision. Puisque le sens, en tant qu’il est sens, perçoit la grandeur, et la vue, en tant qu’elle est tel sens, perçoit la couleur, il est donc impossible que la vision perçoive quelque chose qui ne soit ni une couleur ni une grandeur, à moins qu’on parle de sens de manière équivoque. Puisque la vision et le sens seront les mêmes selon l’espèce dans le corps glorieux, il ne pourra arriver qu’ils voient l’essence divine comme une rélité visible par soi ; mais ils la verront comme une réalité visible par accidenet lorsque, d’une part, la vision corporelle observera la gloire de Dieu dans les corps, surtout dans les corps glorieux et, par-dessus tout, dans le corps du Christ, et que, d’autre part, l’intellect verra Dieu si clairement que Dieu sera perçu dans les choses de manière corporelle, comme lorsque la vie est perçue dans la parole. En effet, bien que notre intellect ne voie pas Dieu à partir des créatures, il le verra cependant dans les créatures vues de manière corporelle. C’est cette manière dont Dieu peut être vu corporellement que présente Augustin à la fin de La cité de Dieu, comme cela ressort pour celui qui regarde ses paroles. En effet, il dit : « On peut facilement croire que nous verrons les corps matériels du ciel nouveau ou de la terre nouvelle de telle manière que nous verrons Dieu présent partout et gouvernant tous les corps les plus éclatants avec sagesse, non pas comme nous voyons maintenant par l’intelligence ce qui est invisible par l’intermédiaire de ce qui a été créé, mais comme nous voyons, et ne croyons pas, que les hommes vivent dès que nous les regardons. »

[22754] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud Job intelligitur de oculo spirituali, de quo dicit apostolus Ephes. 1, 18: illuminatos habere oculos cordis vestri.

1. Cette parole de Job s’entend de l’œil spirituel, dont l’Apôtre dit dans Ep 1, 18 : Que les yeux de votre cœur soient éclairés !

[22755] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa auctoritas non intelligitur quod per oculos carnis Deum simus visuri, sed quia in carne existentes Deum videbimus.

2. Cette autorité ne doit pas s’entendre du fait que nous verrons Dieu par les yeux de la chair, mais que, alors que nous nous trouvons dans la chair, nous verrons Dieu.

[22756] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus loquitur inquirendo in verbis illis, et sub conditione; quod patet ex hoc quod praemittitur: longe itaque alterius potentiae erunt, si per eos videbitur incorporea illa natura; et postea subdit: vis itaque etc., et postmodum determinat, ut dictum est.

3. Par ces paroles, Augustin parle en s’interrogeant et d’une manière conditionnelle. Cela ressort de ce qui précède : « Ils auront une puissance très différente si l’on voit par eux cette nature incorporelle. » Il ajoute par la suite : « Une puissance, etc. », et après, il détermine, comme on l’a dit.

[22757] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnis cognitio fit per aliquam abstractionem a materia; et ideo quanto forma corporalis magis abstrahitur a materia, magis est cognitionis principium; et inde est quod forma in materia existens nullo modo est cognitionis principium; in sensu autem aliquo modo, prout a materia separatur; et in intellectu nostro adhuc melius; et ideo oculus spiritualis, a quo removetur impedimentum cognitionis, potest videre rem corporalem; non autem sequitur quod oculus corporalis, in quo deficit vis cognoscitiva, secundum quod participat de materia, possit cognoscere perfecte cognoscibilia quae sunt incorporea.

4. Toute connaissance se réalise par une abstraction à partir de la matière. Aussi, plus la forme corporelle est abstraite de la matière, plus elle est principe de connaissance – de là vient que la forme qui existe dans la matière n’est d’aucune manière un principe de connaissance – : dans le sens, d’une certaine façon, pour autant qu’elle est séparée de la matière ; dans notre intellect, encore mieux. Ainsi, l’œil spirituel, dont est enlevé l’empêchement à la connaissance, peut-il voir une chose corporelle ; mais il n’en découle pas que l’œil corporel, dans lequel la puissance cognitive est déficiente, puisse connaître parfaitement les réalités connaissables qui sont incorporelles.

[22758] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis mens facta carnalis non possit cogitare nisi accepta a sensibus, tamen cogitat ea immaterialiter: et similiter oportet quod visus illud quod apprehendit, semper apprehendat corporaliter; unde non potest cognoscere illa quae corporaliter apprehendi non possunt.

5. Bien que l’esprit devenu charnel ne puisse penser que ce qui est reçu des sens, il le pense néanmoins de manière immatérielle. De même est-il nécessaire que la vision appréhende toujours corporellement ce qu’elle appréhende. Elle ne peut donc pas connaître ce qui ne peut être appréhendé corporellement.

[22759] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod beatitudo est perfectio hominis inquantum est homo; et quia homo non habet quod sit homo ex corpore, sed magis ex anima, corpus autem est de essentia hominis inquantum est perfectum per animam; ideo beatitudo hominis non consistit principaliter nisi in actu animae, et ex ea derivatur ad corpus per quamdam redundantiam, sicut patet ex his quae dicta sunt 44 dist. quaest. 2, art. 4, in corp. Quaedam tamen beatitudo corporis nostri erit, inquantum Deum videbit in sensibilibus creaturis, et praecipue in corpore Christi.

6. La béatitude est la perfection de l’homme en tant qu’il est homme. Et parce que l’homme ne tient pas de son corps, mais plutôt de son âme le fait qu’il est homme, et que le corps fait partie de l’essence de l’homme en tant qu’il est perfectionné par l’âme, la béatitude de l’homme ne consiste donc principalement que dans un acte de l’âme, et elle est détournée vers le corps par un certain rejaillissement, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 44, q. 2, a. 4, c. Il y aura cependant une certaine béatitude de notre corps pour autant qu’il verra Dieu dans les créatures sensibles, et surtout dans le corps du Christ.

[22760] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod intellectus est perceptivus spiritualium, non autem visus incorporalium; et ideo intellectus poterit cognoscere divinam essentiam sibi conjunctam, non autem visus incorporalia.

7. L’intellect perçoit les réalités spirituelles, mais la vision ne perçoit pas les réalités incorporelles. Aussi l’intellect pourra-t-il connaître l’essence divine unie à lui, mais la vision [ne pourra-t-elle pas connaître] les réalités incorporelles.

 

 

Articulus 3 [22761] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 tit. Utrum sancti in patria videndo Deum, eum comprehendant

Article 3 – En voyant Dieu dans la patrie, les saints l’étreignent-ils (comprehendant) ?

[22762] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sancti in patria videndo Deum, eum comprehendant. 1 Corinth. 9, 24: sic currite ut comprehendatis. Cursus autem est ad praemium. Ergo comprehensio Dei est praemium virtutis, quod sanctis reddetur.

1. Il semble que les saints, en voyant Dieu dans la patrie, le comprennent (comprehendant). 1 Co 9, 24 : Courez afin de l’appréhender (ut comprehendatis) ! Or, on court pour la récompense. Comprendre Dieu (comprehensio Dei) est donc la récompense de la vertu qui sera accordée aux saints.

[22763] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de videndo Deum: totum comprehenditur videndo, quod ita videtur, ut nihil ipsius lateat videntem. Sed si Deus videtur ab aliquo, nihil ipsius latet videntem: quia cum sit simplex, non potest esse quod aliquid ejus videatur, et aliquid lateat. Ergo Deus a quolibet ipsum vidente comprehenditur.

2. Augustin dit dans le libre Sur la vision de Dieu : « On comprend tout en voyant lorsqu’on voit de telle manière que rien n’est caché pour celui qui voit. » Or, si Dieu est vu par quelqu’un, rien de lui n’est caché pour celui qui voit, car puisqu’il est simple, il ne peut se faire que quelque chose de lui soit vu et quelque chose en soit caché. Dieu est donc compris par tous ceux qui le voient.

[22764] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod totum et totaliter videtur, comprehenditur. Sed Deus a videntibus essentiam suam totus videtur, et totaliter; quia totus Deus non est nisi ejus essentia; quilibet etiam ejus modus est ejus essentia: nec potest essentia ejus videri, nisi ipse totus, et totaliter, videatur. Ergo ab omnibus essentiam suam videntibus comprehenditur.

3. Tout ce qui est vu en entier et d’une manière totale est compris. Or, Dieu est vu en entier et totalement par ceux qui voient son essence, car Dieu n’est que son essence ; toutes ses manières d’être sont aussi son essence, et son essence ne peut être vue sans qu’il soit vu en entier et totalement. Il est donc compris par tous ceux qui voient son essence.

[22765] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut dicitur in 3 de anima, intellectus eodem modo intelligit se et alia. Sed, sicut dicit Augustinus in Lib. 83 quaest., omne quod se intelligit, comprehendit se. Ergo omne quod intelligit aliud, comprehendit ipsum. Sed quilibet videns essentiam divinam, intelligit ipsam. Ergo comprehendit eam.

4. Comme il est dit dans Sur l’âme, III, l’intellect intellige de la même manière lui-même et les autres choses. Or, comme le dit Augustin dans le Livre sur les 83 questions, tout ce qui s’intellige se comprend. Tout ce qui intellige autre chose se comprend donc. Or, tous ceux qui voient l’essence divine l’intelligent. Ils la comprennent donc.

[22766] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 5 Praeterea, omne illud de quo cognoscitur quid est, comprehenditur; quia hoc cognoscitur quasi per suam definitionem: comprehenditur autem cujus fines circumspici possunt, ut dicit Augustinus in Lib. de videndo Deum. Sed omne illud cujus essentia videtur, cognoscitur de eo quid est. Ergo quilibet essentiam Dei videns, comprehendit ipsum.

5. Tout ce dont on connaît ce que c’est est compris, car cela est connu pour ainsi dire par sa définition. Or, est compris ce dont les limites peuvent être observées, comme le dit Augustin dans le livre sur La vision de Dieu. Or, de tout ce dont l’essence est vue, on connaît ce que cela est. Tous ceux qui voient l’essence de Dieu la comprennent donc.

[22767] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, quantitas actionis est secundum quantitatem formae, quae est actionis principium; secundum enim quantitatem caloris est quantitas calefactionis. Sed forma, quae est cognitionis principium, est id quo cognoscens cognoscit. Ergo secundum modum ejus quo cognoscitur, est modus cognitionis. Sed illud quo cognoscitur Deus, non est aliud quam eius essentia, ut dictum est supra, haec autem infinita est. Ergo et visio infinita; ergo ea potest divina essentia comprehendi, quamvis sit infinita.

6. La quantité de l’action découle de la quantité de la forme, qui est le principe de l’action : en effet, la quantité du réchauffement découle de la quantité de la chaleur. Or, la forme, qui est principe de connaissance, est ce que connaît celui qui connaît. Le mode de la connaissance se conforme donc au mode selon lequel quelque chose est connu. Or, ce par quoi Dieu est connu n’est rien d’autre que son essence, comme on l’a dit plus haut, et celle-ci est infinie. La vision est donc infinie. Donc, l’essence divine peut être comprise par elle, bien qu’elle soit infinie.

[22768] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 7 Praeterea, si essentia divina non potest comprehendi, hoc non est nisi propter excessum claritatis ipsius. Sed excessus cognoscibilis impedit cognitionem, inquantum corrumpit potentiam cognoscitivam; quod accidit tantum in sensu, non autem in intellectu, ut patet ex hoc quod dicitur in 3 de anima, quod qui intelligit maxima, non minus potest intelligere minima, sed magis; cujus contrarium in sensu accidit. Cum ergo divina essentia non videatur nisi per intellectum, ut dictum est, videtur quod excessus divinae claritatis comprehensionem divinae essentiae non impediat.

7. Si l’essence divine ne peut être comprise, cela ne peut venir que de l’excès de son éclat. Or, l’excès de ce qui est connaissable empêche la connaissance dans la mesure où cela corrompt la puissance cognitive, ce qui se produit seulement dans le sens, mais non dans l’intellect, comme cela ressort de ce qui est dit dans Sur l’âme, III, que celui qui intellige les choses les plus grandes n’en peut pas moins intelliger les plus petites, mais davantage ; c’est le contraire qu’on trouve dans le sens. Puisque l’essence divine n’est vue que par l’intellect, comme on l’a dit, il semble donc que l’excès de l’éclat divin n’empêche pas la compréhension de l’essence divine.

[22769] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 arg. 8 Praeterea, essentia divina comprehensibilis est ab aliquo intellectu; quia ipse Deus seipsum comprehendit. Si ergo ab intellectu humano non possit comprehendi, hoc erit propter defectum intellectus. Sed lumen gloriae aufert omnem defectum intellectus; cum etiam per gloriam auferatur omnis corporis defectus. Ergo illi qui in lumine gloriae videbunt Deum, comprehendent ipsum.

8. L’essence divine peut être comprise par un intellect, puisque Dieu lui-même se comprend. Si donc il ne peut être compris par l’intellect humain, ce sera en raison d’une carence de l’intellect. Or, la lumière de la gloire enlève toute carence de l’intellect, puisque, par la gloire, est aussi enlevée toute carence du corps. Ceux qui verront Dieu dans la lumière de la gloire le comprendront donc.

[22770] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in Lib. de videndo Deum: Dei plenitudinem non solum oculis corporis, sed nec ipsa mente quisquam aliquando comprehendit.

Cependant, [1] Augustin dit, dans le livre sur La vision de Dieu : « Personne ne comprend jamais la plénitude de Dieu par les yeux du corps ni par l’esprit lui-même. »

[22771] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus in Lib. 83 quaest., quod comprehendit se, finitum est sibi. Ergo quod comprehendit aliud, illud finitum est ei. Sed Deus non potest esse finitus alicui intellectui creato. Ergo nullus intellectus creatus potest Deum comprehendere.

[2] Comme le dit Augustin dans le livre Sur les 83 questions, ce qui se comprend est fini pour soi. Donc, un autre sera fini pour celui qui le comprend. Or, Dieu ne peut être fini pour aucun intellect créé. Aucun intellect créé ne peut donc comprendre Dieu.

[22772] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 s. c. 3 Praeterea, Damascenus dicit in 1 Lib.: quoniam incomprehensibilis est Dei substantia, his qui divinae credunt Scripturae, non dubium est.

[3] [Jean] Damascène dit, dans le livre I : « Pour ceux qui croient à l’Écriture, il n’y a pas de doute que la substance de Dieu est incompréhensible. »

[22773] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 s. c. 4 Praeterea, omne quod comprehendit aliquid, vel est majus vel aequale illi. Sed intellectus creatus non potest esse major Deo, nec aequalis. Ergo non potest ipsum comprehendere.

[4] Tout ce qui comprend quelque chose est soit plus grand, soit égal à lui. Or, l’intellect créé ne peut être plus grand ni égal à Dieu. Il ne peut donc le comprendre.

[22774] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod comprehendere dicitur quasi simul prendere, idest capere; et ideo illud proprie comprehenditur quod simul capitur, idest cum omnibus quae ejus sunt. Unde oportet quod omne comprehensum includatur in comprehendente; includitur autem proprie contentum in continente; et ideo oportet comprehensum contineri in comprehendente. Sicut autem dicitur corporaliter aliquid in altero contineri, quia non excedit continens ex ulla parte secundum quantitatem dimensivam, ut vinum in dolio; ita dicitur contineri aliquid ab aliquo spiritualiter, quod substat virtuti ejus, et in nullo excedit ipsum. Et ideo tunc dicitur aliquid per cognitionem comprehendi, quando cognitum stat sub actu virtutis cognoscitivae, et non excedit ipsam. Excessus autem omnis est secundum aliquam quantitatem. Secundum hanc autem quantitatem dicitur cognoscibile excedere potentiam cognoscitivam, secundum quam cognoscibile est ab ipsa. Sensibile autem cognoscitur et secundum quantitatem dimensivam, propter hoc quod sensus in cognoscendo utitur organo corporali, ratione cujus cognoscit sensibilia omnia quae reducuntur ad quantitatem dimensivam; et secundum quantitatem virtualem, ut patet in sensibilibus propriis, quae qualitates sunt; et ideo etiam comprehensio sensus impeditur et propter excessum quantitatis dimensivae, sicut impeditur ne comprehendat totam terram; et propter excessum quantitatis virtualis, sicut impeditur ne comprehendat claritatem solis: quia non est tanta virtus oculi ad cognoscendum, quanta claritas solis quae est cognoscibilis. Intelligibile autem non cognoscitur ab intellectu sub ratione quantitatis dimensivae nisi per accidens, inquantum scilicet accipit a sensu; ex quo sequitur quod intelligat cum continuo; et secundum hoc intellectus impeditur a comprehensione intelligibilis propter excessum quantitatis; sicut impeditur a comprehensione lineae vel numeri infiniti. Sed per se loquendo, intelligibile comparatur ad intellectum secundum rationem quantitatis virtualis, eo quod proprium objectum intellectus est quid; et ideo in his quae sunt separata a sensu, non impeditur comprehensio intellectus nisi per excessum quantitatis virtualis; et hoc est quando intelligibile plus est cognoscibile quam intellectus cognoscere possit vel cognoscat. Sicut ille qui scit hanc conclusionem, triangulus habet tres, per probabilem rationem, quia scilicet ita communiter dicitur, non comprehendit ipsam: non quia partem ejus videat et partem non videat; sed quia modus quo cognoscit, deficit a modo quo est cognoscibilis per demonstrationem. Essentia autem divina est cognoscibilis per veritatem suam; intellectus autem est cognoscitivus per lumen intellectuale quod est in ipso. Veritas autem divinae essentiae excedit lumen quodcumque intellectus creati; et ideo impossibile est quod videat Deum ita perfecte sicut est visibilis; et ex hoc sequitur quod nullus intellectus creatus Deum comprehendere possit.

Comprendre veut dire « prendre en même temps » (prendere simul), c’est-à-dire saisir. Est donc compris ce qui est pris en même temps, à savoir, avec tout ce qui en fait partie. Il est donc nécessaire que tout ce qui est compris soit inclus dans celui qui comprend. Or, est inclus ce qui, au sens propre, est contenu dans celui qui contient. Il est donc nécessaire que ce qui est compris soit contenu dans celui qui comprend. De même qu’on dit que quelque chose est contenu corporellement dans un autre parce que rien n’en dépasse selon la quantité dimensionnelle, comme c’est le cas du vin dans le tonneau, de même dit-on que quelque est contenu dans un autre spirituellement de ce qui est soumis à sa puissance et ne le dépasse en rien. On dit donc que quelque chose est compris par la connaissance lorsque ce qui est connu est soumis à l’acte de la puissance cognitive et ne le dépasse pas. Or, tout excédent vient d’une quantité. On dit donc que ce qui est connaissable dépasse la puissance cognitive selon la puissance par laquelle elle peut le connaître. Or, ce qui est sensible est connu selon la quantité dimensionnelle, parce que le sens utilise un organe corporel pour connaître, en raison de quoi il connaît tous les objets sensibles qui se ramènent à la quantité dimensionnelle ; [ce qui est sensible est aussi connu] selon la quantité virtuelle, comme cela apparaît pour les sensibles propres, que sont les qualités. Aussi la compréhension du sens est-elle empêchée tant par un excédent de quantité dimensionnelle – elle est ainsi empêchée de comprendre toute la terre –, que par un excédent de quantité virtuelle –  elle est ainsi empêchée de comprendre l’éclat du soleil, car la capacité de connaissance de l’œil n’est pas à la mesure de l’éclat du soleil qui est connaissable. Or, ce qui est intelligible n’est pas connu par l’intellect sous la raison de la quantité dimensionnelle, si ce n’est par accident, pour autant qu’il le reçoit du sens. Il en découle qu’il intellige selon le continu. Sous cet aspect, l’intellect est incapable d’une compréhension intelligible en raison d’un excédent de quantité, comme il est empêché de comprendre la ligne ou un nombre infini. Mais, à parler de soi, l’intelligible se compare à l’intellect comme la raison de la quantité virtuelle du fait que l’objet propre de l’intellect est l’essence. Aussi, pour les choses qui sont séparées du sens, la compréhension de l’intellect n’est-elle empêchée que par l’excédent de la quantié virtuelle : ceci se produit lorsque l’intelligible est plus connaissable que l’intellect ne peut connaître ou ne connaît. Ainsi, celui qui connaît cette conclusion par un raisonnement probable : le triangle a trois [angles], parce qu’on le dit d’une manière générale, ne la comprend pas, non pas qu’il en voie une partie et ne voie pas une autre partie, mais parce que le mode selon lequel il connaît fait défaut au mode selon lequel cela est connaissable par une démonstration. Or, l’essence divine est connaissable selon sa vérité, et l’intellect peut connaître par la lumière intellectuelle qui est en lui. Or, la vérité de l’essence divine dépasse toute lumière de l’intellect créé. C’est pourquoi il est impossible qu’il voie Dieu aussi parfaitement qu’il est visible. De là découle qu’aucun intellect créé ne peut comprendre Dieu.

[22775] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus loquitur de comprehensione gloriae, qua scilicet fit ut anima capiat in se omne illud quod ad perfectionem gloriae pertinet; et secundum hoc dicitur gloriam comprehendere, quamvis nunquam essentiam intellectu comprehendat. Vel comprehensio ibi dicitur ipsa perventio ad habendum Deum, secundum quod spei dicitur comprehensio succedere.

1. L’Apôtre parle de la compréhension de la gloire, par laquelle l’âme saisit en elle-même tout ce qui se rapporte à la perfection de la gloire. Sous cet aspect, on dit qu’elle comprend la gloire, bien qu’elle ne comprenne jamais l’essence [divine] par l’intellect. Ou bien on appelle là compréhension le fait même de parvenir jusqu’à la possession de Dieu, comme on dit que la compréhension succède à l’espérance.

[22776] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus duo ponit in definitione comprehensionis; quorum uno excluditur excessus cognoscibilis supra virtutem cognoscentis, quae est secundum quantitatem dimensivam; et quantum ad hoc dicit: quod ita videtur ut nihil ejus lateat videntem; alio autem excluditur excessus secundum quantitatem virtutis; et quantum ad hoc dicit: aut cujus fines circumspici possunt; tunc enim fines rei circumspiciuntur quando videns pervenit ad finem visionis perfecte videndo.

2. Augustin met deux choses dans la définition de la compréhension. L’une exclut l’excès de ce qui est connaissable par rapport à la puissance de celui qui connaît, qui se produit par la quantité dimensionnelle ; sous cet aspect, il dit : « Il est vu de telle manière que rien en lui ne demeure caché à celui qui voit. » L’autre exclut l’excédent selon la quantité virtuelle : sous cet aspect, il dit : « Ou dont les limites ne peuvent pas être observées. » En effet, les limites d’une chose sont observées lorsque celui qui voit parvient à la fin de la vision en voyant parfaitement.

[22777] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod totam essentiam divinam sancti videbunt in patria, sed non totaliter; non ita quod aliquis modus sit in Deo quem non videant, vel aliquis modus sit intellectus ipsorum qui non convertatur ad Deum; sed quia modus quo convertuntur ad Deum cognoscendum, non est aequalis modo quo Deus est cognoscibilis; et haec inaequalitas ostenditur cum dicitur, quod divina essentia non totaliter videbitur; hoc enim adverbium totaliter neque dicit modum videntis absolute, neque modum absolute rei visae; sed modum videntis per comparationem ad rem visam: hoc enim adverbium determinat ipsam visionem, secundum quam comparatur videns ad visum.

3. Les saints verront toute l’essence divine dans la patrie, mais non pas entièrement. Non pas qu’il existe en Dieu une autre manière [d’être] qu’ils ne voient pas, ou un autre mode de leur intellect qui ne soit pas tourné vers Dieu, mais parce que la manière dont ils se tournent vers Dieu pour le connaître n’est pas égale à la manière dont Dieu est connaissable. Cette énégalité est montrée lorsqu’on dit que l’essence divine ne sera pas vue entièrement. En effet, cet adverbe « entièrement » n’exprime ni le mode de celui qui voit absolument, ni le mode de la chose vue absolument, mais le mode de celui qui voit par comparaison avec la chose vue. En effet, cet adverbe détermine la vision elle-même selon qu’on compare celui qui voit à ce qui est vu.

[22778] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quando aliquid intelligit se, idem est modus cognoscentis et cogniti; et ideo si intelligit se, comprehendit se. Non est autem idem modus cognoscentis et cogniti quando intellectus intelligit aliud; et ideo non est simile.

4. Lorsque quelque chose s’intellige, le mode de ce qui connaît et de ce qui est connu est le même. S’il s’intellige, il se comprend donc. Mais le mode de ce qui connaît et de ce qui est connu n’est pas le même lorsque l’intellect intellige autre chose que soi. Ce n’est donc pas la même chose.

[22779] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo aliquis cognoscit quid est res quo cognoscit essentiam rei, cum ipsa essentia sit quidditas rei; et ideo ille solus comprehendit quid est res, qui comprehendit essentiam; unde sicut sancti videbunt essentiam divinam, sed non comprehendent ipsam; ita videbunt quid est Deus, sed non comprehendent; et ita non videbitur Deus ab eis sicut videtur res per suam definitionem, cujus essentia comprehenditur.

5. On connaît ce qu’est une chose et l’essence d’une chose de la même manière, puisque l’essence d’une chose est sa quiddité. Aussi celui-là seul comprend ce qu’est une chose, qui en comprend l’essence. De même que les saints verront l’essence divine, mais ne la comprendront pas, de même verront-ils ce qu’est Dieu, mais ne le comprendront pas. Dieu ne sera donc pas vu par eux comme une chose, dont l’essence est comprise, est vue par sa définition.

[22780] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod actio non attribuitur formae tantum, quae est principium actionis, sed composito; sicut calefactio calido, non calori tantum; et ideo actionem oportet mensurare non solum secundum formam, quae est principium actionis, sed etiam secundum subjectum formae. Sed forma quae non est per se subsistens, non habet alium modum a modo subjecti, quia non habet esse nisi inquantum est actus talis subjecti; et ideo mensura formae est mensura compositi; sed forma quae est per se subsistens, habet aliquem modum inquantum est res quaedam subsistens, et quemdam modum, secundum quod est actus talis subjecti; et hic modus accipitur secundum mensuram qua perfectibile pertingit ut perficiat tali forma; et ex hoc modo mensuratur actio. Essentia autem divina est per se subsistens; et ideo visio quae per eam fit in intellectu creato, non mensuratur secundum modum infinitum, qui est ipsius essentiae secundum se, sed secundum modum quo intellectus pertingit ad hoc quod per ipsam perficiatur. Ad hoc autem pertingit, inquantum ei conjungitur per lumen gloriae, quod est finitum; et ideo finita est ex parte videntis.

6. L’action n’est pas attribuée à la forme seulement, qui est le principe de l’action, mais au composé ; ainsi, le réchauffement [est-il attribué] à ce qui est chaud, mais non pas à la seule chaleur. Aussi faut-il mesurer l’action non seulement selon la forme, qui est le principe de l’action, mais aussi selon le sujet de la forme. Or, la forme qui ne subsiste pas par elle-même n’a pas un autre mode que le mode du sujet, car elle ne possède l’être que dans la mesure où elle est l’acte d’un tel sujet. La mesure de la forme est donc la mesure du composé. Mais la forme qui subsiste par elle-même possède un mode pour autant qu’elle est une réalité subsistante, et un mode selon qu’elle est l’acte de tel sujet. Ce mode se prend de la mesure selon laquelle ce qui est perfectible va jusqu’à perfectionner selon telle forme, et l’action est mesurée par cela. Or, l’essence divine subsiste par elle-même. Aussi la vision qui est faite par elle dans un intellect créé n’est-elle pas mesurée selon un mode infini, qui est celui de l’essence elle-même, mais selon le mode sous lequel l’intellect va jusqu’à être perfectionné par elle. Or, il va jusqu’à cela pour autant qu’il lui est uni par la lumière de la gloire, qui est finie. [La vision] est donc finie du point de vue de celui qui voit.

[22781] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod claritas Dei dicitur veritas suae essentiae, per quam cognoscibilis est, sicut sol per suam claritatem; et quamvis non impediat comprehensionem per corruptionem intellectus, impedit tamen ex ipso excessu; quia non potest contingere quod intellectus creatus pertingat ad cognoscendum ita perfecte divinam essentiam sicut cognoscibilis est.

7. On appelle éclat de Dieu la vérité de son essence, par laquelle il est connaissable, comme le soleil par son éclat. Et bien qu’il n’empêche pas la compréhension en corrompant l’intellect, il l’empêche cependant par son excès, car il ne peut arriver qu’un intellect créé aille jusqu’à connaître l’essence divine aussi parfaitement qu’elle est connaissable.

[22782] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod gloria perficit naturam, et non destruit; et ideo imperfectionem, quae est de ratione naturae, lumen gloriae non tollit, sicut hoc quod est ex nihilo esse; ex hoc autem ipso intellectus creatus deficit a possibilitate comprehensionis; et ideo nec per lumen gloriae ad comprehensionem pervenire potest.

8. La gloire perfectionne la nature, et ne la détruit pas. Aussi la lumière de la gloire n’enlève-t-elle pas l’imperfection qui fait partie de la nature, comme le fait qu’elle existe à partir du néant. Or, c’est à cause de cela que l’intellect créé n’a pas la possibilité de la compréhension. Aussi ne peut-il pas non plus parvenir à la compréhension par la lumière de la gloire.

 

 

Articulus 4 [22783] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 tit. Utrum eorum qui vident Deum per essentiam, unus alio videat perfectius

Article 4 – Parmi ceux qui voient Dieu par son essence, l’un voit-il plus parfaitement qu’un autre ?

[22784] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod eorum qui vident Deum per essentiam, unus alio non videat perfectius. Quia, ut dicit Augustinus in Lib. 83 qq., eamdem rem non potest unus alio magis intelligere. Sed divina essentia non videbitur nisi per intellectum. Ergo unus alio non videbit plenius.

1. Il semble que, parmi ceux qui voient Dieu par son essence, l’un ne le voit plus parfaitement qu’un autre, car, comme le dit Augustin dans le Livre sur 83 questions, l’un ne peut intelliger la même chose plus qu’un autre. Or, l’essence divine ne sera vue que par l’intellect. L’un ne verra donc pas plus pleinement qu’un autre.

[22785] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, tanto aliquid perfectius videtur, quanto expressior similitudo rei in se fit in vidente. Sed non erit expressior similitudo qua Deus videatur in uno quam in alio eorum qui Deum per essentiam vident; quia eadem essentia est in omnibus. Ergo unus alio non melius videbit.

2. Plus parfaitement quelque chose est vu, plus expressément la similitude de la chose se réalise en celui qui voit. Or, il n’y aura pas de similitude plus expresse selon laquelle Dieu sera vu par l’un plutôt que par un autre de ceux qui voient Dieu par son essence, car la même essence se trouve en tous. L’un ne verra donc pas mieux qu’un autre.

[22786] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, ille melius videt a quo magis removentur impedimenta visionis. Sed in nullo remanebit aliquod visionis impedimentum. Ergo omnes aequaliter videbunt.

3. Celui-là voit mieux, dont les empêchements à la vision ont été davantage enlevés. Or, aucun empêchement à la vision ne demeurera chez aucun. Tous verront donc également.

[22787] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, omnes sancti videbunt Deum sicut est; 1 Joan. 3. Sed non potest melius videri quam sit. Ergo unus alio non melius videbit.

4. Tous les saints verront Dieu comme il est, 1 Jn 3. Or, il ne peut être mieux vu qu’il n’est. L’un ne verra donc pas mieux que l’autre.

[22788] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, optimus modus cognoscendi Deum est quo videtur per essentiam. Sed optimo non potest esse melius. Ergo videntium Deum per essentiam unus alio melius non videt.

5. La manière la plus élevée de connaître Dieu est de le voir par son essence. Or, il ne peut exister mieux que ce qui est le plus élevé. Un de ceux qui voient Dieu par son essence ne le voit donc pas mieux qu’un autre.

[22789] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra, homines assumuntur ad sortes Angelorum. Sed superiores Angeli Deum clarius vident quam inferiores, ut patet per Dionysium in Caelest. Hierar. Ergo et hominum in gloria quidam aliis clarius videbunt.

Cependant, [1] les hommes sont admis à partager le sort des anges. Or, les anges supérieurs voient Dieu plus clairement que les inférieurs, comme cela ressort de Denys dans La hiérarchie céleste. Certains des hommes dans la gloire verront donc mieux que d’autres.

[22790] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in visione Dei consistit essentialiter hominis beatitudo. Sed quidam aliis beatiores erunt, ut supra dictum est. Ergo quidam aliis clarius videbunt.

[2] La béatitude de l’homme consiste essentiellement dans la vision de Dieu. Or, certains seront plus heureux que d’autres, comme on l’a dit plus haut. Certains verront donc plus clairement que d’autres.

[22791] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, in lumine gloriae Deus a sanctis videbitur, sicut dicitur in Psal. 35, 10: in lumine tuo videbimus lumen. Sed quidam aliis majori lumine replebuntur. Sicut enim stella differt a stella in claritate, sic erit resurrectio mortuorum, ut dicitur 1 Corinth. 15. Claritas autem corporis claritatem indicabit mentis. Ergo quidam clarius videbunt Deum.

[3] Dieu sera vu par les saints dans la lumière de la gloire, comme il est dit dans Ps 35, 10 : Nous verrons la lumière dans ta lumière. Or, certains seront remplis d’une plus grande lumière que d’autres. En effet, de même qu’une étoile diffère d’une autre étoile par son éclat, de même en sera-t-il lors de la résurrection des morts, comme il est dit dans 1 Co 15. Or, l’éclat du corps indiquera l’éclat de l’esprit. Certains verront donc Dieu plus clairement.

[22792] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum principium actionis sit forma qua agitur, oportet ex parte ejus sumi actionis mensuram; aliter autem in formis subsistentibus quam in aliis formis, ut prius dictum est. In aliis enim formis est quantitas fortitudinis in actione secundum quantitatem ejus quod receptum est de forma in subjecto, ut de calore in calido; in formis autem subsistentibus, secundum quod subjectum subditur formae magis vel minus. Potentia autem cognoscitiva subditur formae qua cognoscit, secundum hoc quod habet virtutem cognoscendi. Illud enim quod facit visum potentem ad videndum est quod facit eum receptivum similitudinis coloris. Sicut autem intellectus possibilis per lumen naturale intellectus agentis fit cognoscitivus naturalium cognoscibilium, ita per lumen gloriae superadditum fit visivus divinae essentiae; unde secundum quantitatem recepti luminis accipitur modus quo substat intellectus noster essentiae divinae ut formae intelligibili; et per consequens modus perfectionis in operatione, cujus talis forma est principium, scilicet in visione Dei per essentiam; et ideo, cum quidam sancti aliis majori lumine gloriae repleantur, quidam aliis clarius videbunt.

Puisque le principe de l’action est la forme par laquelle elle est accomplie, il est nécessaire que la mesure de l’action soit prise de son côté, mais de manière différente pour les formes subsistantes et pour les autres formes, comme on l’a dit plus haut. En effet, dans les autres formes, la quantité de la force existe dans l’action selon la quantité reçue de la forme dans un sujet, comme dans ce qui est chaud à partir de la chaleur. Mais, dans les formes subsistantes, [la quantité existe] selon que le sujet est plus ou moins soumis à la forme. Or, la capacité cognitive est soumise à la forme par laquelle elle connaît, selon qu’elle possède la puissance de connaître. En effet, ce qui rend la vision capable de voir est ce qui la rend réceptive à la similitude de la couleur. Or, de même que l’intellect possible est rendu apte à connaître les objets de connaissance naturels par la lumière naturelle de l’intellect agent, de même est-il rendu apte à voir l’essence divine par la lumière de la gloire ajoutée. Le mode selon lequel notre intellect est soumis à l’essence divine comme à une forme intelligible se prend donc de la quantité de la lumière reçue, et, par conséquent aussi, le mode de la perfection dans l’opération dont une telle forme est le principe, à savoir, dans la vision de Dieu par son essence. Puisque certains saints seront davantage remplis que d’autres par la lumière de la gloire, certains verront donc plus clairement que d’autres.

[22793] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unus alio non potest aliquid idem magis intelligere, si ly magis importat modum qui est ex parte intellecti. Non enim potest esse ut aliquis intelligat rem, nisi intelligendo rem habere illum modum quem habet; si enim alium modum rei attribuat, errat, et non intelligit; et sic intelligit Augustinus. Sed si ly magis dicat modum qui est ex parte intelligentis, sic unus alio melius potest intelligere, inquantum est limpidior ejus cognitio de uno et eodem cognoscibili.

1. L’un ne peut intelliger quelque chose davantage qu’un autre si « davantage » comporte le mode qui existe du côté de ce qui est intelligé. En effet, il ne peut se faire que quelqu’un intellige une chose, à moins qu’en intelligeant, la chose ait le mode qu’elle a. En effet, si on attribue un autre mode à la chose, [l’intellect] se trompe et n’intellige pas. C’est ce qu’entend Augustin. Mais si « davantage » exprime le mode qui existe du côté de celui qui intellige, l’un peut de cette manière intelliger davantage qu’un autre dans la mesure où sa connaissance d’un seul et même objet connaissable est plus limpide.

[22794] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in intellectu unius sancti non sit expressior similitudo Dei qua ipsum cognoscit, quam in alio, quia quilibet per essentiam suam Deum videt: tamen intellectus unius perfectius substat formae qua intelligit, quam intellectus alterius; et ita unus alio perfectius intelligit.

2. Bien que la similitude de Dieu par laquelle il le connaît ne soit pas plus expresse dans l’intellect d’un saint que dans celui d’un autre, puisque tous connaissent Dieu par son essence, l’intellect de l’un est cependant davantage soumis que l’intellect d’un autre à la forme par laquelle il intellige. L’un peut donc intelliger plus parfaitement que l’autre.

[22795] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intensio secundum quam aliquid dicitur magis et minus, non solum causatur per recessum a contrario, sed etiam per accessum ad terminum; sicut patet in intensione lucis corporalis; et sic etiam lumen spirituale intenditur in uno beatorum magis quam in alio per majorem assimilationem ad Deum, quamvis in nullo inveniatur aliquid contrarium illi lumini.

3. L’intensité selon laquelle on parle de plus ou de moins n’est pas causée seulement par l’éloignement de ce qui est contraire, mais aussi par le rapprochement du terme, comme cela ressort dans l’intensité de la lumière corporelle. La lumière spirituelle est ainsi plus intense chez l’un des bienheureux que chez un autre par une plus grande assimilation à Dieu, bien que chez aucun ne se trouve quelque chose de contraire à cette lumière.

[22796] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, omnes sancti videbunt Deum sicut est, ly sicut importat modum qui est ex parte visi, non qui sit ex parte videntis. Quilibet enim videbit Deum esse eo modo quo est; sed tamen modus videntis non erit aequalis modo rei visae, sed in infinitum distans; et ita modus unius videntis potest esse minus distans quam modus alterius.

4. Lorsqu’on dit : « Tous les saints verront Dieu comme il est », « comme » comporte un mode qui existe du côté de ce qui est vu, et non du côté de celui qui voit. En effet, tous verront que Dieu est tel qu’il est ; mais le mode de celui qui voit ne sera cependant pas égal au mode de la chose vue, mais il sera infiniment distant. Ainsi, le mode de quelqu’un qui voit peut être moins distant que le mode d’un autre.

[22797] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod videre Deum per essentiam est perfectissimus modus cognoscendi Deum secundum genus; sed tamen in hoc genere potest majus et minus inveniri; sicut ignis est subtilissimus corporum specie; et tamen unus ignis alio subtilior invenitur.

5. Voir Dieu par son essence est le mode le plus parfait de connaître Dieu selon le genre ; cependant, on peut trouver du plus et du moins à l’intérieur de ce genre, comme le feu est le plus subtil des corps par son espèce et que, cependant, on trouve un feu plus subtil qu’un autre.

 

 

Articulus 5 [22798] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 tit. Utrum sancti videntes Deum per essentiam, omnia videant quae Deus in seipso videt

Article 5 – Les saints qui voient Dieu par son essence voient-ils tout ce que Dieu voit en lui-même ?

[22799] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sancti videntes Deum per essentiam, omnia videant quae Deus in seipso videt. Quia, ut dicit Isidorus in Lib. de summo bono, Angeli in verbo Dei omnia sciunt antequam fiant. Sed sancti Angelis aequales erunt, ut patet Matth. 22. Ergo et sancti videndo Deum omnia videbunt.

1. Il semble que les saints qui voient Dieu par son essence voient tout ce que Dieu voit en lui-même, car, comme le dit Isidore dans le Livre sur le bien suprême, « les anges connaissent tout dans le Verbe de Dieu avant que cela ne se produise. » Or, les saints seront égaux aux anges, comme cela ressort de Mt 22. Les saints aussi verront donc tout en voyant Dieu.

[22800] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit: quia illic omnes communi claritate Deum conspiciunt, quid est quod ibi nesciant, ubi scientem omnia sciunt? Loquitur autem de beatis qui vident Deum per essentiam. Ergo qui videt Deum per essentiam, omnia cognoscit.

2. Grégoire dit : « Parce que, là, tous voient Dieu dans le même éclat, que ne connaissent-ils pas, là où ils connaissent celui qui sait tout ? » Or, il parle des bienheureux qui voient Dieu par son essence. Celui qui voit Dieu par son essence connaît donc tout.

[22801] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut dicitur in 3 de anima, intellectus, cum intelligit maxima, magis intelligere potest et minima. Sed maximum intelligibile est Deus. Ergo maxime auget virtutem intellectus in intelligendo; ergo intellectus Deum videns, omnia intelligit.

3. Il est dit dans Sur l’âme, III, que l’intellect, puisqu’il intellige les réalités les plus grandes, peut intelliger aussi les plus petites. Or, Dieu est ce qu’il y a de plus intelligible. Il augmente donc au plus haut point la puissance de l’intellect pour intelliger. L’intellect qui voit Dieu intellige donc tout.

[22802] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, intellectus non impeditur ab intelligendo aliquid, nisi inquantum illud superat ipsum. Sed intellectum Deum videntem nulla creatura superat: quia, ut dicit Gregorius in 2 Dial., animae videnti creatorem angusta fit omnis creatura. Ergo videntes Deum per essentiam omnia cognoscent.

4. L’intellect n’est empêché d’intelliger quelque chose que dans la mesure où cela le dépasse. Or, aucune créature ne dépasse l’intellect qui voit Dieu, car, comme le dit Grégoire dans les Dialogues, II, « pour l’âme qui voit le Créateur, toute créature devient mince ». Ceux qui voient Dieu par essence voient donc tout.

[22803] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, omnis potentia passiva quae est non reducta ad actum, est imperfecta. Sed in possibili intellectu animae humanae est potentia quasi passiva ad cognoscendum omnia: quia intellectus possibilis est quo est omnia fieri, ut dicitur in 3 de anima. Si ergo in illa beatitudine non intelligeret omnia, remaneret imperfectus; quod est absurdum.

5. Toute puissance passive qui n’est pas amenée à l’acte est imparfaite. Or, dans l’intellect possible de l’âme humaine existe une puissance pour ainsi dire passive à connaître tout, car l’intellect possible est ce par on devient tout, comme il est dit dans Sur l’âme, III. Si donc il n’intelligeait pas tout dans cette béatitude, il demeurerait imparfait, ce qui est absurde.

[22804] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, quicumque videt speculum, videt ea quae in speculo resultant. Sed in verbo Dei omnia sicut in speculo resultant: quia ipsum est ratio et similitudo omnium. Ergo sancti qui vident verbum per essentiam, vident omnia creata.

6. Quiconque voit un miroir voit ce qui apparaît dans le miroir. Or, dans le Verbe de Dieu, tout apparaît comme dans un miroir, car il est lui-même la raison et la similitude de toutes choses. Les saints qui voient le Verbe par essence voient donc toutes les réalités créées.

[22805] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea, ut dicitur Prov., cap. 10, 24, desiderium suum justis dabitur. Sed sancti desiderant omnia scire: quia omnes homines natura scire desiderant: nec natura per gloriam aufertur. Ergo dabitur eis a Deo quod omnia cognoscant.

7. Comme le dit Pr 10, 24, leur désir sera accordé aux justes. Or, les saints désirent tout connaître, car tous les hommes désirent naturellement connaître et la nature n’est pas enlevée par la gloire. Dieu leur donnera donc de tout connaître.

[22806] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, ignorantia est quaedam poenalitas praesentis vitae. Sed omnis poenalitas a sanctis per gloriam auferetur. Ergo et omnis ignorantia; et ita omnia cognoscent.

8. L’ignorance est une peine de la vie présente. Or, toute peine sera enlevée des saints par la gloire. Donc aussi, toute ignorance. Et ainsi, ils connaîtront tout.

[22807] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, beatitudo sanctorum per prius est in anima quam in corpore. Sed corpora sanctorum reformabuntur in gloriam ad similitudinem corporis Christi, ut patet Philipp. 3. Ergo et animae perficientur ad similitudinem animae Christi. Sed anima Christi in verbo omnia videt, ut in 3 libro, dist. 14, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, dictum est. Ergo et omnes animae sanctorum videbunt omnia in verbo.

9. La béatitude des saints existe d’abord dans l’âme avant d’exister dans le corps. Or, les corps des saints seront remodelés en vue de la gloire à la ressemblance du corps du Christ, comme cela ressort de Ph 3. Leurs âmes aussi seront donc perfectionnées à la ressemblance de l’âme du Christ. Or, l’âme du Christ voit tout dans le Verbe, comme on l’a dit dans le livre III, d.  14, q. 1, a.  2, qa 2. Toutes les âmes des saints verront donc tout dans le Verbe.

[22808] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, sicut sensus, ita et intellectus cognoscit omne illud in cujus similitudinem informatur. Sed divina essentia expressius indicat quamlibet rem quam aliqua alia similitudo rei. Ergo cum in illa beata visione essentia divina fiat quasi forma intellectus nostri, videtur quod sancti videntes Deum omnia videant.

10. L’intellect connaît tout ce dont il reçoit la similitude de la forme. Or, l’essence divine manifeste tout plus expressément qu’une autre similitude d’une chose. Puisque dans cette vision bienheureuse, l’essence divine devient comme la forme de notre intellect, il semble que les saints qui voient Dieu voient tout.

[22809] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea, Commentator dicit in 3 de anima, quod si intellectus agens esset forma intellectus possibilis, intelligeremus omnia. Sed divina essentia clarius repraesentat omnia quam intellectus agens. Ergo intellectus videns Deum per essentiam cognoscit omnia.

11. Le Commentateur dit dans Sur l’âme, III, que si l’intellect agent était la forme de l’intellect possible, nous intelligerions tout. Or, l’essence divine représente tout plus clairement que l’intellect agent. L’intellect qui voit Dieu par son essence connaît donc tout.

[22810] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 arg. 12 Praeterea, propter hoc quod inferiores Angeli nunc non omnia cognoscant, illuminantur de ignotis a superioribus. Sed post diem judicii Angelus non illuminabit Angelum: tunc enim omnis praelatio cessabit, ut dicit Glossa 1 Corinth. 15. Ergo inferiores Angeli tunc omnia scient; et eadem ratione omnes alii sancti Deum per essentiam videntes.

12. Parce que les anges inférieurs ne connaîssent pas tout maintenant, ils sont éclairés par les anges supérieurs pour les réalités inconnues. Or, après le jour du jugement, l’ange n’éclairera pas l’ange : en effet, toute supériorité cessera alors, comme le dit la Glose de 1 Co 15. Les anges inférieurs connaîtront donc tout alors. Pour la même raison, tous les autres saints qui voient Dieu par son essence.

[22811] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, sicut dicit Dionysius, Angeli superiores inferiores a nescientia purgant. Angeli autem inferiores vident essentiam divinam. Ergo Angelus videns essentiam divinam potest aliqua nescire. Sed anima non perfectius videbit Deum quam Angelus. Ergo animae videntes Deum non oportet quod omnia videant.

Cependant, [1] comme le dit Denys, les anges supérieurs purifient les anges inférieurs de l’ignorance. Or, les anges inférieurs voient l’essence divine. L’ange qui voit l’essence divine peut donc ignorer certaines choses. Or, l’âme ne verra pas Dieu plus parfaitement que l’ange. Il n’est donc pas nécessaire que les âmes qui voient Dieu voient tout.

[22812] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, solus Christus habet spiritum non ad mensuram, ut dicitur Joan. 3. Sed Christo, inquantum habet spiritum non ad mensuram, competit quod omnia in verbo cognoscat; unde ibidem dicitur, quod pater omnia dedit in manu ejus. Ergo nulli alii competit omnia cognoscere in verbo nisi Christo.

[2] Seul le Christ possède l’Esprit sans mesure, comme il est dit en Jn 3. Or, il revient au Christ, pour autant qu’il possède l’Esprit sans mesure, de connaître tout dans le Verbe ; aussi dit-on au même endroit que le Père a tout remis en ses mains. Il ne revient donc à personne d’autre qu’au Christ de tout connaître dans le Verbe.

[22813] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, quanto aliquod principium perfectius cognoscitur, tanto plures effectus ejus cognoscuntur per ipsum. Sed quidam videntium Deum per essentiam perfectius aliis cognoscent Deum, qui est rerum omnium principium. Ergo quidam aliis plura cognoscent; et ita non omnes scient omnia.

[3] Plus un principe est connu parfaitement, plus ses effets sont connus par lui. Or, certains qui voient Dieu par son essence connaîtront Dieu, qui est le principe de tout, plus parfaitement que d’autres. Certains connaîtront donc davantage de choses que d’autres. Ainsi, tous ne connaîtront pas tout.

[22814] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod Deus videndo suam essentiam cognoscit omnia quae sunt vel erunt vel fuerunt; et hoc dicitur cognoscere notitia visionis, quia ad similitudinem visionis corporalis cognoscit ea quasi praesentia. Cognoscit insuper videndo essentiam suam, omnia quae potest facere, quamvis nunquam fecerit vel facturus sit: alias non perfecte cognosceret potentiam suam: non enim potest cognosci potentia nisi sciantur potentiae objecta; et hoc dicitur cognoscere notitia simplicis intelligentiae. Impossibile est autem quod aliquis intellectus creatus cognoscat omnia videndo essentiam divinam, quae Deus potest facere: quia quanto aliquod principium perfectius cognoscitur, tanto plura sciuntur in ipso; sicut in uno demonstrationis principio ille qui est perspicacioris ingenii, plures conclusiones videt quam alius qui est ingenii tardioris. Cum ergo quantitas potentiae divinae attendatur secundum ea in quae potest; si aliquis intellectus videret in divina essentia omnia quae Deus potest facere, eadem esset quantitas perfectionis in intelligendo quae est quantitas divinae potentiae in producendo effectus; et ita comprehenderet divinam essentiam; quod est impossibile omni creato intellectui. Illa autem quae Deus scit notitia visionis, aliquis intellectus creatus cognoscit; in verbo scilicet anima Christi, ut in 3 Lib., dist. 14, dictum est. Sed de aliis videntibus divinam essentiam est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod omnes videntes Deum per essentiam, vident omnia quae Deus videt scientia visionis. Sed hoc repugnat sanctorum dictis, qui ponunt Angelos aliqua ignorare; quos tamen constat secundum fidem omnes Deum per essentiam videre. Et ideo alii dicunt, quod alii a Christo, quamvis videant Deum per essentiam, non tamen vident omnia quae Deus videt, eo quod essentiam divinam non comprehendunt. Non est enim necessarium quod sciens causam, sciat omnes ejus effectus, nisi causam comprehendat, quod non competit intellectui creato; et ideo unusquisque videntium Deum per essentiam tanto plura in ejus essentia conspicit, quanto clarius divinam essentiam intuetur; et inde est quod de his potest unus alium instruere; et sic scientia Angelorum et animarum sanctarum potest augeri usque ad diem judicii, sicut et alia quae ad praemium accidentale pertinent. Sed ulterius non proficiet: quia tunc erit ultimus status rerum, et in isto statu possibile erit quod omnes omnia cognoscent quae Deus scientia visionis novit.

En voyant son essence, Dieu connaît tout ce qui est, sera ou a été. C’est ce qu’on appelle la connaissance de la vision, car il connaît tout comme si cela était présent, à la ressemblance de la vision corporelle. De plus, en voyant son essence, il connaît tout ce qu’il peut faire, bien qu’il ne l’ait jamais fait ou ne le fera jamais, autrement il ne connaîtrait pas sa puissance parfaitement : en effet, une puissance ne peut être connue que si sont connus les objets de cette puissance. On parle alors de connaître selon une connaissance de simple intelligence. Or, il est impossible qu’un intellect créé, en voyant l’essence divine, connaisse tout ce que Dieu peut faire, car plus un principe est connu parfaitement, plus est grand le nombre de choses qui sont connues en lui, comme dans un seul principe d’une démonstration, celui qui a un esprit plus perspicace voit un plus grand nombre de conclusions qu’un autre qui a un esprit plus lent. Puisque la quantité de la puissance divine se prend de ce sur quoi il peut agir, si un intellect voyait dans l’essence divine tout ce que Dieu peut faire, la quantité de sa perfection pour intelliger serait donc la même que la quantité de la puissance divine pour produire ses effets. Il comprendrait ainsi l’essence divine, ce qui est impossible à tout intellect créé. Mais un intellect créé peut connaître ce que Dieu connaît d’une connaissance de vision, à savoir, l’âme du Christ dans le Verbe, comme on l’a dit dans le livre III, d. 14. Mais il existe une double opinion sur les autres qui voient Dieu par son essence. En effet, certains disent que tous ceux qui voient Dieu par son essence voient tout ce que Dieu voit d’une connaissance de vision. Or, cela est contraire aux paroles des saints, qui affirment que les anges ignorent certaines choses ; cependant, il est clair selon la foi que tous voient Dieu par essence. Aussi d’autres disent-ils que les autres que le Christ, bien qu’ils voient Dieu par essence, ne voient cependant pas tout ce que Dieu voit, du fait qu’ils ne comprennent pas l’essence divine. En effet, il n’est pas nécessaire que celui qui connaît une cause connaisse tous ses effets, à moins qu’il ne comprenne la cause, ce qui ne convient pas à un intellect créé. Aussi chacun de ceux qui voient Dieu par son essence voit-il d’autant plus de choses dans son essence qu’il verra plus clairement l’essence divine. De là vient que l’un peut en instruire un autre à leur sujet. Ainsi, la connaissance des anges et des âmes saints peut-elle être augmentée jusqu’au jour du jugement, comme les autres choses qui relèvent de la récompense accidentelle. Mais, par la suite, elle ne progressera pas, car ce sera alors l’état ultime des choses, et dans cet état, il sera possible que tous connaissent tout ce que Dieu connaît d’une connaissance de vision.

[22815] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dicit Isidorus quod sciunt Angeli in verbo omnia antequam fiant, non potest referri ad illa quae Deus scit scientia simplicis intelligentiae tantum, quia illa nunquam fient; sed referendum est ad ea tantum quae Deus scit scientia visionis; de quibus etiam dicit, quod non omnes Angeli ea omnia cognoscant, sed forte aliqui; et illi etiam qui cognoscunt, non perfecte omnia cognoscunt. In una enim re est multas rationes intelligibiles considerare, sicut diversas ejus proprietates et habitudines ad res alias; et possibile est quod eadem re scita communiter a duobus, unus alio plures rationes percipiat, et has rationes unus ab alio accipiat; unde et Dionysius dicit, quod inferiores Angeli docentur a superioribus rerum scibiles rationes; et ideo etiam Angeli qui omnes creaturas cognoscunt, non oportet quod omnia quae in eis intelligi possunt, participent.

1. Ce que dit Isidore, que les anges voient tout dans le Verbe avant que cela n’existe, ne peut se rapporter à ce que Dieu sait seulement d’une science de simple intelligence, car cela ne sera jamais réalisé. Mais il faut le mettre en rapport seulement avec ce que Dieu sait d’une connaissance de vision, dont il dit aussi que tous les anges ne connaissent pas tout, mais peut-être quelques-uns ; et ceux qui connaissent ne connaissent pas tout parfaitement. En effet, pour une seule chose, il faut envisager de nombreuses raisons intelligibles, comme ses diverses propriétés et relations à d’autres choses. Et il est possible que, pour la même chose connue par deux personnes, l’une perçoive davantage de raisons que l’autre et que l’une reçoive de l’autre ces raisons. Aussi Denys dit-il que les raisons connaissables des choses seront enseignées aux anges inférieurs par les anges supérieurs. Aussi n’est-il pas nécessaire que même les anges qui connaissent toutes les créatures, partagent tout ce qu’ils peuvent en comprendre.

[22816] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex verbo illo Gregorii ostenditur quod in illa beata visione est sufficientia ad omnia intuenda ex parte divinae essentiae, quae est medium quo videtur, per quam Deus omnia videt; sed quod non omnia videantur, est ex defectu intellectus creati, qui divinam essentiam non comprehendit.

2. Par cette parole de Grégoire, il est montré que, dans cette vision bienheureuse, existe une suffisance pour tout connaître du côté de l’essence divine, qui est le moyen par lequel on voit, et par laquelle Dieu voit tout. Mais qu’on ne voie pas tout, cela vient d’une carence de l’intellect créé, qui ne comprend pas l’essence divine.

[22817] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intellectus creatus non videt divinam essentiam secundum modum ipsius essentiae, sed secundum modum proprium, qui finitus est: unde non oportet quod ejus efficacia in cognoscendo ex visione praedicta amplietur in infinitum ad omnia cognoscendum.

3. L’intellect créé ne voit pas l’essence divine selon le mode de l’essence elle-même, mais selon son mode propre, qui est fini. Il n’est donc pas nécessaire que son efficacité pour connaître par la vision en question soit accrue à l’infini pour connaître tout.

[22818] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod defectus cognitionis non solum procedit ex excessu et defectu cognoscibilis super intellectum; sed etiam ex hoc quod intellectui non conjungitur id quod est ratio conjungibilis; sicut visus non videt lapidem quandoque ex hoc quod species non est ei conjuncta. Quamvis autem intellectui videntis Deum conjungatur ipsa divina essentia, quae est omnium ratio; non tamen conjungitur ei prout est omnium ratio, sed secundum quod est ratio aliquorum; et tanto plurium quanto quisque plenius divinam essentiam intuetur.

4. La carence de la connaissance ne vient pas seulement de l’excès et de la carence de ce qui est connaissable par rapport à l’intellect, mais aussi du fait que ce qui est la raison de la possibilité de l’union n’est pas uni à l’intellect, comme, à l’occasion, la vision ne voit pas la pierre du fait que l’espèce ne lui est pas unie. Bien que l’essence divine elle-même, qui est la raison de tout, soit unie à l’intellect de celui qui voit Dieu, elle ne lui est cependant pas unie en tant qu’elle est la raison de tout, mais en tant qu’elle est la raison de certaines choses, et d’un nombre d’autant plus grand qu’il verra plus pleinement l’essence divine.

[22819] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando potentia passiva est perfectibilis pluribus perfectionibus ordinatis; si perfecta sit sua ultima perfectione, non dicitur imperfecta etiam si aliquae dispositiones praecedentes ei desint. Omnis autem cognitio qua intellectus creatus perficitur, ordinatur, sicut ad finem, ad Dei cognitionem. Unde videns Deum per essentiam, etiam si nihil aliud cognosceret, perfectum intellectum haberet; nec est perfectior ex hoc quod aliquid aliud cum ipso cognoscit, nisi quatenus ipsum plenius videt. Unde Augustinus in 5 Confes.: infelix homo qui scit omnia illa, scilicet creaturas, te autem nescit; beatus autem qui te scit, etiam si illa nesciat. Qui vero te et illa novit, non propter illa beatiOr sed propter te tantum beatus.

5. Lorsqu’une puissance passive est perfectible par plusieurs perfections ordonnées, si elle est perfectionnée par son ultime perfection, on ne l’appelle par imparfaite, même si certaines dispositions précédentes lui font défaut. Or, toute connaissance par laquelle un intellect créé est perfectionné est ordonnée à la connaissance de Dieu comme à sa fin. Celui qui voit Dieu par son essence, même s’il ne connaissait rien d’autre, aurait donc un intellect parfait, et il n’est pas plus parfait parce qu’il connaît quelque chose d’autre que lui, si ce n’est qu’il le voit plus pleinement. Aussi Augustin dit-il dans les Confessions, V : « Malheureux homme qui connaît toutes ces choses – à savoir, les créatures –, mais ne te connaît pas ! Mais bienheureux celui qui te connaît, même s’il ne les connaît pas ! Toutefois, celui qui te connaît ainsi que celles-là n’est pas plus heureux à cause d’elles, mais il n’est bienheureux que par toi. »

[22820] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod speculum illud est voluntarium; et sicut se ostendet cui vult, ita in se ostendet quae vult: nec est simile de speculo materiali; in cujus potestate non est quod videatur vel non videatur. Unde dicendum, quod in speculo materiali tam res quam speculum videntur sub propria forma, quamvis speculum illud videatur per formam receptam, lapis vero per formam propriam resultantem in re alia; et ideo per quam rationem cognoscitur unum, et aliud. Sed in speculo increato videtur aliquid per formam ipsius speculi, sicut effectus videtur per similitudinem causae, et e converso; et ideo non oportet quod quicumque videt speculum aeternum, videat omnia quae in speculo resultant; non enim necesse est quod videns causam, videat omnem effectus ejus, nisi comprehendat causam.

6. Ce miroir est volontaire et comme il se montrera à qui il veut, il montrera en lui ce qu’il veut. Mais il n’en va pas de même d’un miroir matériel, qui n’a pas de pouvoir sur ce qui y est vu ou non. Aussi faut-il dire que, dans un miroir matériel, aussi bien les choses que le miroir sont vus sous leur propre forme, bien que ce miroir soit vu par une forme reçue, mais la pierre, par sa forme propre aboutissant à une chose autre ; et ainsi, une chose et l’autre sont connues par cette raison. Mais, dans le miroir incréé, quelque chose est vu selon la forme du miroir lui-même, comme l’effet par une similitude de la cause, et inversement. Aussi n’est-il pas nécessaire que quiconque voit le miroir éternel voie tout ce qui apparaît dans le miroir. En effet, il n’est pas nécessaire que celui qui voit une cause voie tous [corr. omnem/omnes] ses effets, à moins qu’il ne comprenne la cause.

[22821] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sanctorum desiderium quo omnia scire desiderant, implebitur ex hoc solum quod Deum videbunt; sicut desiderium eorum, quo omnia bona habere cupiunt, complebitur in hoc quod Deum habebunt. Sicut enim Deus in hoc quod habet perfectam bonitatem, sufficit affectui; et eo habito omnia bona quodammodo habentur; ita ejus visio sufficit intellectui Joan. 14, 8: domine ostende nobis patrem, et sufficit nobis.

7. Le désir des saints de tout connaître sera comblé par le seul fait qu’ils verront Dieu, comme le désir par lequel ils désirent posséder tous les biens sera comblé par le fait qu’ils posséderont Dieu. En effet, de même que Dieu, qui possède la bonté parfaite, suffit à l’affectivité et que, lui possédé, tous les biens sont d’une certaine manière possédés, de même sa vision suffit à l’intellect. Jn 14, 8 : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit.

[22822] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ignorantia proprie accepta in privationem sonat; et sic poena est: sic enim ignorantia est nescientia aliorum quae sciri debent, vel quae necesse est scire. Nullius autem eorum scientia sanctis deerit in patria. Quandoque autem ignorantia accipitur communiter pro omni nescientia; et sic Angeli et sancti in patria quaedam ignorabunt; unde Dionysius dicit, quod Angeli a nescientia purgantur. Sic autem ignorantia non est poenalitas, sed defectus quidam. Sic autem nec necesse quod omnis talis defectus per gloriam auferatur; sic enim etiam posset dici, quod defectus est in Lino, quod non pervenit ad gloriam Petri.

8. L’ignorance, entendue au sens propre, comporte une privation. Elle est donc ainsi une peine. En effet, l’ignorance est le fait de ne pas connaître les autres choses qui doivent être connues ou qu’il est nécessaire de connaître. Or, la science des saints ne fera défaut à personne dans la patrie. Mais parfois l’ignorance est prise d’une manière générale pour toute absence de connaissance. Ainsi, les anges et les saints dans la patrie ignoreront certaines choses. C’est pourquoi Denys dit que les anges sont purifiés de leur ignorance. Ainsi entendue, l’ignorance n’est pas une peine, mais une carence. Mais il n’est pas non plus nécessaire qu’une telle carence soit enlevée par la gloire : en effet, on pourrait ainsi dire qu’une carence existe chez Lin, du fait qu’il n’est pas parvenu à la gloire de Pierre.

[22823] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod corpus nostrum conformabitur corpori Christi in gloria secundum similitudinem, non secundum aequalitatem; erit enim clarum sicut et corpus Christi, sed non aequaliter. Et similiter anima nostra habebit gloriam ad similitudinem animae Christi, sed non ad aequalitatem; et ita habebit scientiam sicut anima Christi, sed non tantam, scilicet ut sciat omnia, sicut anima Christi.

9. Notre corps sera conformé au corps du Christ dans la gloire selon une ressemblance, et non selon une égalité : en effet, il sera éclatant comme le corps du Christ, mais non pas également. De même, notre âme sera glorieuse à la ressemblance de l’âme du Christ, mais non pas selon une égalité. Elle possédera ainsi une science comme l’âme du Christ, mais pas aussi grande : elle ne connaîtra donc pas tout, comme l’âme du Christ.

[22824] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod quamvis essentia divina sit ratio omnium cognoscibilium, non tamen conjungetur cuilibet intellectui creato, secundum quod est ratio omnium; et ideo ratio non sequitur.

10. Bien que l’essence divine soit la raison de tout ce qui est connaissable, elle ne sera cependant pas unie à n’importe quel intellect créé selon qu’elle est la raison de tout. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant.

[22825] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod intellectus agens est forma proportionata intellectui possibili, sicut etiam potentia materiae est proportionata potentiae agentis naturalis; ut omne quod est in potentia passiva materiae vel intellectus possibilis, sit in potentia activa intellectus agentis vel naturalis agentis: et ideo si intellectus agens fuerit forma intellectus possibilis, oportet quod intellectus possibilis cognoscat omnia ad quae se extendit virtus intellectus agentis. Divina autem essentia non est forma hoc modo intellectui nostro proportionata; et ideo non est simile.

11. L’intellect agent est la forme proportionnée de l’intellect possible, de même aussi que la puissance de la matière est proportionnée à la puissance d’un agent naturel. Ainsi, tout ce qui est dans la puissance passive de la matière ou de l’intellect possible se trouve dans la puissance active de l’intellect agent ou de l’agent naturel. Si donc l’intellect agent est la forme de l’intellect possible, il est nécessaire que l’intellect possible connaisse tout ce sur quoi porte la puissance de l’intellect agent. Or, l’essence divine n’est pas une forme qui est proportionnée de cette manière à notre intellect. Ce n’est donc pas la même chose.

[22826] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 5 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod nihil prohibet dicere, quod post diem judicii, quando gloria hominum et Angelorum erit penitus consummata, omnes beati scient omnia quae Deus scientia visionis novit, ita tamen quod non omnes omnia videant in essentia divina; sed anima Christi ibi plene videbit omnia, sicut et nunc videt; alii autem videbunt ibi plura vel pauciora secundum gradum quo Deum cognoscent; et sic anima Christi de his quae prae aliis videt in verbo, omnes alias illuminabit: unde dicitur Apoc. 21 quod claritas Dei illuminat civitatem beatorum, et lucerna ejus est agnus; et similiter Angeli superiores illuminabunt inferiores, non quidem nova illuminatione, ut scientia inferiorum per hoc augeatur, sed quadam continuatione illuminationis; sicut si intelligatur quod sol quiescens illuminat aerem; et ideo dicitur Dan. 17, 3, quod qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt quasi stellae in perpetuas aeternitates. Praelatio autem ordinis dicitur cessatura quantum ad ea quae nunc circa nos per eorum ordinata ministeria exercentur, ut patet etiam per Glossam ibidem.

12. Rien n’empêche de dire qu’après le jour du jugement, alors que la gloire des hommes et des anges sera entièrement consommée, tous les bienheureux connaîtront tout ce que Dieu connaît d’une connaissance de vision, de telle sorte cependant que tous ne verront pas tout dans l’essence divine ; mais l’âme du Christ y verra tout, comme elle le voit maintenant. Les autres y verront plus ou moins de choses selon le degré auquel ils connaîtront Dieu. Ainsi, l’âme du Christ éclairera toutes les autres sur ce qu’elle voit avant les autres dans le Verbe. Aussi est-il dit, dans Ap 21, 23, que l’éclat de Dieu illumine la cité des bienheureux, et que l’Agneau lui sert de flambeau. De même, les anges supérieurs illumineront-ils les anges inférieurs, non pas par une nouvelle illumination qui augmentera la science des anges inférieurs, mais par la continuation de l’illumination, comme si on comprend que le soleil couchant illumine l’air. Aussi est-il dit en Dn 17, 3, que ceux qui donnent la connaissance de la justice à un grand nombre resplendiront comme des étoiles pour toute l’éternité. Mais on dit que la supériorité de l’ordre doit cesser pour ce qui est ce qui est maintenant exercé à notre endroit par leurs ministères ordonnés, comme cela ressort de la Glose au même endroit.

 

 

Articulus 6 [22827] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 tit. Utrum aliquis intellectus creatus ex propriis naturalibus possit Deum per essentiam videre

Article 6 – Un intellect créé peut-il, par ce qui lui est naturel, voir Dieu par son essence?

[22828] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod aliquis intellectus creatus ex propriis naturalibus possit Deum per essentiam videre. Secundum enim multorum opinionem, Angeli in solis naturalibus creati sunt. Sed Angeli in principio suae creationis viderunt res in verbo, ut dicit Augustinus super Genes. ad litteram; et hoc dicitur eorum, cognitio matutina. Ergo aliquis intellectus creatus ex propriis naturalibus Deum per essentiam videre potest.

1. Il semble qu’un intellect créé puisse, par ce qui lui est naturel, voir Dieu par son essence. En effet, selon l’opinion d’un grand nombre, les anges ont été créés dans leur nature seulement. Or, les anges ont vu les choses dans le Verbe dès le début de sa création, comme le dit Augustin dans le Commentaire littéral de la Genèse : cela s’appelle leur connaissance du matin. Un intellect créé peut donc, par ce qui lui est naturel, voir Dieu par son essence.

[22829] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, boni Angeli et mali non communicant nisi in naturalibus. Sed Angeli mali vident Deum per essentiam; quod patet ex hoc quod habetur Job 1, 11: cum assisterent filii Dei, affuit etiam inter eos Satan. Assistentes autem nominantur Angeli secundum Gregorium, qui intima contemplatione perfruuntur. Ergo Angeli ex propriis naturalibus Deum per essentiam videre possunt.

2. Les anges bons et les anges mauvais n’ont en commun que ce qui est naturel. Or, les anges mauvais voient Dieu par son essence, ce qui ressort de ce qu’on lit en Jb 1, 11 : Alors que les fils de Dieu étaient assis, Satan se trouvant aussi parmi eux. Or, selon Grégoire, on dit que sont assis les anges qui jouissent d’une contemplation intime. Les anges peuvent donc voir Dieu par son essence par ce qui leur est naturel.

[22830] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, ille qui potest videre illud quod est minus intelligibile, potest videre illud quod est magis intelligibile, ut Commentator dicit in 3 de anima. Sed divina essentia est magis intelligibilis quam ista materialia; quae non sunt intelligibilia, nisi quia nos facimus ea esse intelligibilia; ipse autem Deus, cum omnino sit a materia immunis; per seipsum est intelligibilis. Cum ergo nos videamus ex propriis naturalibus creaturas materiales, videtur multo fortius quod ex propriis naturalibus Deum per essentiam videre possimus; et praecipue hoc videtur de Angelis.

3. Celui qui peut voir ce qui est moins intelligible peut voir ce qui est plus intelligible, comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III. Or, l’essence divine est plus intelligible que les réalités matérielles, qui ne sont intelligibles que parce que nous les rendons intelligibles. Or, Dieu, puisqu’il est tout à fait dépourvu de matière, est intelligible en lui-même. Puisque nous voyons par notre capacité naturelle les créatures matérielles, il semble donc qu’à plus forte raison nous puissions voir Dieu en son essence par notre capacité naturelle, et cela semble être surtout le cas pour les anges.

[22831] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, ut dicitur in 3 de anima, sicut habet se visus ad visibile, ita se habet intellectus ad intelligibile. Sed visus non impeditur a visione nisi aliquo quatuor modorum. Uno modo propter corruptionem visus, scilicet quando est aliqua macula in pupilla: quod non potest dici de intellectu angelico etiam in statu naturalium, quia sunt specula munda et clarissima, ut Dionysius dicit. Alio modo propter absentiam visibilis: nec hoc potest dici in proposito, quia Deus est praesens omni intellectui, quia omnia implet. Tertio modo ex hoc quod visibile non est visibile in actu, sicut colores in tenebris; non enim fiunt visibiles actu nisi per lucem: quod etiam in proposito dici non potest, quia ipse Deus per seipsum visibilis est, cum sit lux intelligibilis, ut patet Joan. 1. Quarto modo per excellentiam objecti, quod corrumpit sensum: nec hoc in proposito locum habet: excellentiae enim intelligibilium non corrumpunt intellectum, sicut excellentiae sensibilium corrumpunt sensum, ut dicitur in 3 de anima. Ergo nihil est quod impediat quin aliquis intellectus creatus ex propriis naturalibus Deum videre possit per essentiam.

4. Dans Sur l’âme, III, il est dit que « le rapport entre la vision et ce qui est visible est le même que le rapport entre l’intellect ce qui est intelligible ». Or, la vision n’est empêchée que de l’une de ces quatre manières. La première, en raison de la corruption de la vision, lorsqu’il y a une tache dans la pupille, ce qu’on ne peut dire de l’intelligence angélique, même dans son état naturel, car [les anges] sont des miroirs purs et très clairs, comme le dit Denys. La deuxième, en raison de l’absence d’objet visible : on ne peut pas dire cela dans le cas en question, car Dieu est présent à tout intellect, puisqu’il remplit tout. La troisième manière, par le fait que ce qui est visible n’est pas visible en acte, comme les couleurs dans l’obscurité : en effet, elles ne deviendront visibles en acte que par la lumière, ce qu’on ne peut dire non plus dans le cas en question, car Dieu lui-même est visible par lui-même, puisqu’il est la lumière intelligible, comme cela ressort de Jn 1. La quatrième manière, en raison de l’excellence de l’objet, qui corrompt le sens. Cela n’a pas non plus sa place dans le cas en question : en effet, l’excellence de ce qui est intelligible ne corrompt pas l’intellect, comme l’excellence des objets sensibles corrompt le sens, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, III. Il n’y a donc rien qui empêche que l’intellect créé puisse, par ce qui lui est naturel, voir Dieu en son essence.

[22832] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, unumquodque cognoscitur per suam similitudinem. Sed Angelus secundum propriam naturam est expressa similitudo ipsius Dei, ut dicit Dionysius, quod Angelus est imago Dei; manifestatio occulti luminis, scilicet divini. Ergo Angelus per propriam naturam potest Deum per essentiam videre.

5. Tout est connu par sa similitude. Or, l’ange est par sa propre nature une similitude expresse de Dieu ; ainsi Denys dit que l’ange est « une image de Dieu, une manifestation de la lumière cachée », c’est-à-dire divine. L’ange peut donc voir Dieu par son essence par sa propre nature.

[22833] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod omnis intelligentia intelligit quod est supra se, inquantum est causatum ab eo. Sed quilibet intellectus creatus secundum naturam suam est causatus a Deo. Ergo secundum sua naturalia potest Deum per essentiam videre.

6. Il est dit dans le livre Sur les causes, que tout intelligence intellige ce qui est au-dessus d’elle, dans la mesure où elle est causée par cela. Or, tout intellect créé est causé par Dieu selon sa nature. Il peut donc voir Dieu en son essence par ce qui lui est naturel.

[22834] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea, ad immensitatem divinae liberalitatis pertinet ut creaturae communicet omne id cujus ipsa est capax. Sed creatura est capax hujus muneris quod ex propriis naturalibus Deum per essentiam videre possit; ad hoc enim quod Deum per essentiam videat potest pertingere per lumen gloriae; quod quidem lumen sicut est naturae superadditum, ita posset esse a Deo naturae inditum. Ergo alicui creaturae est collatum quod ex propriis naturalibus pertingat ad videndum Deum per essentiam.

7. Il appartient à l’immensité de la libéralité divine de communiquer à la créature tout ce dont elle est capable. Or, la créature est capable de ce don qui consiste à pouvoir voir Dieu en son essence par ce qui lui est naturel. Elle peut en effet aller jusqu’à voir Dieu en son essence par la lumière de la gloire, lumière qui, de même qu’elle est ajoutée à la nature, pourrait être rendue innée à la nature par Dieu. Il a donc été donné à une créature d’aller jusqu’à voir Dieu en son essence par ce qui lui est naturel.

[22835] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, Commentator dicit in principio 9 Metaph., quod si aliquod esset intelligibile a nullo intellectu intellectum, illud intelligibile esset frustra. Sed absurdum est dicere quod divina essentia sit frustra intelligibilis. Ergo aliquis intellectus per suam naturam potest ipsam videre.

8. Le Commentateur dit, au début de Métaphysique, IX, que, s’il y avait quelque d’intelligible qui n’aurait été intelligé par aucun intellect, cet intelligible serait inutile. Or, il est absurde de dire que l’essence divine soit un intelligible inutile. Un intellect créé peut donc la voir en son essence.

[22836] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra, Roman. 6, 93 dicitur: gratia Dei vita aeterna. Sed videre Deum per essentiam est vita aeterna, ut patet Joan. 17, 3: haec est vita aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum. Ergo ad videndum Deum per essentiam non potest perveniri nisi per gratiam.

Cependant, [1] il est dit en Rm 6, 23 : La grâce de Dieu, c’est la vie éternelle. Or, voir Dieu en son essence est la vie éternelle, comme cela ressort de Jn 17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui qui tu as envoyé, Jésus, le Christ. On ne peut donc parvenir à voir Dieu en son essence que par la grâce.

[22837] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, ad illud quod redditur caritati in praemium, non potest perveniri per naturalia; cum etiam ipsa caritas sit supra naturam. Sed visio Dei per essentiam redditur caritati in praemium, ut patet Joan. 14, 21: si quis diligit me, diligetur a patre meo; et ego manifestabo ei meipsum. Ergo ad videndum Deum per essentiam non potest ex propriis naturalibus intellectus creatus pervenire.

[2] À ce qui est donné comme récompense de la charité, on ne peut parvenir par ce qui est naturel, puisque la charité elle-même dépasse la nature. Or, la vision de Dieu en son essence est donnée comme récompense de la charité, comme cela ressort de Jn 14, 21 : Si quelqu’un m’aime, il sera aimé de mon Père, et je me manifesterai à lui. L’intellect créé ne peut donc aller jusqu’à voir Dieu en son essence par ce qui lui est naturel.

[22838] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 s. c. 3 Praeterea, natura cum gratia est fortior quam natura solum. Sed sancti in Limbo existentes, quamvis gratiam haberent, non viderunt Deum per essentiam; unde in eorum persona dicitur Tob. 5, 12: quale mihi gaudium est, qui in tenebris sedeo, et lumen caeli non video? Ergo multo minus ex puris naturalibus aliquis ad hoc pertingere potest.

[3] La nature avec la grâce est plus forte que la nature seulement. Or, les saints qui se trouvent dans les limbes, bien qu’ils aient eu la grâce, n’ont pas vu Dieu en son essence ; aussi est-il dit en leur nom dans Tb 5, 12 : Quelle joie ai-je, moi qui suis assis dans les ténèbres et ne vois pas la lumière du ciel ? Encore bien moins quelqu’un peut-il y parvenir seulement par ce qui lui est naturel.

[22839] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 s. c. 4 Praeterea, secundum ordinem effectuum est et ordo causarum: nobilioris enim effectus nobilior est causa. Sed inter omnia quae possunt purae creaturae praestari, hoc est maximum, ut Deum per essentiam videat. Ergo hujus causa non potest esse natura, sed solum Deus, qui est summa omnium causa.

4. L’ordre des causes correspond à l’ordre des effets : en effet, la cause d’un effet plus noble est plus noble. Or, parmi tout ce qui peut être attribué à la pure créature, la chose la plus élevée est qu’elle voie Dieu par son essence. La cause de cela ne peut donc être naturelle, mais Dieu seulement, qui est la plus élevée de toutes les causes.

[22840] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod ad hoc quod intellectus Deum per essentiam videat, oportet quod essentia divina uniatur intellectui nostro quodammodo ut forma intelligibilis. Forma autem non conjungitur perfectibili nisi quando perfectibile habet dispositiones quibus efficitur susceptivum talis formae; sicut corpus non unitur animae nisi quando in corpore sunt dispositiones convenientes ad animam suscipiendam. Unde oportet ad hoc quod intellectus uniatur essentiae divinae modo praedicto, quod sit in eo aliquid per modum dispositionis, praeparans ipsum ad unionem praedictam; et hoc est lumen quo intellectus perficitur ad videndum Deum per essentiam divinam. Haec autem dispositio non potest esse naturalis alicui creato intellectui; ultima enim dispositio ad formam secundum eamdem rationem recipitur in perfectibili et forma ipsa; ita quod si unum est naturale, et aliud; quia perfectibile per ultimam dispositionem ad formam contingit ipsam formam. Forma autem quae est divina essentia, omnem facultatem et capacitatem naturalem excedit. Potentia enim et proprius ejus actus semper accipiuntur in eodem genere; unde potentia et actus dividunt quodlibet genus entis, ut patet in 3 Physic.; et ideo facultas sive potentia creaturae non se extendit nisi ad sui generis formam: et sic essentia divina, quae est extra omne genus, excedit naturalem facultatem cujuslibet intellectus creati; et ideo dispositio ultima quae est ad unionem intellectus cum tali essentia, excedit omnem facultatem naturae; unde non potest esse naturalis, sed supra naturam; et ista dispositio est lumen gloriae, de quo dicitur ibi, Psalm. 35, 10: in lumine tuo videbimus lumen. Secundum autem naturalem facultatem potest intellectus creatus pervenire ad cognitionem Dei per formas creatas ei inditas vel acquisitas; sed haec cognitio non est visio ejus per essentiam, sicut ex dictis patet, nec per eam scitur quid est, sed solum quia est, et quid non est.

Pour que l’intellect voie Dieu par son essence, il est nécessaire que l’essence divine soit d’une certaine manière unie à notre intellect comme une forme intelligible. Or, une forme n’est unie à ce qui est perfectible que lorsque ce qui est perfectible possède l es dispositions par lesquelles il est rendu capable de recevoir une telle forme ; ainsi, le corps n’est uni à l’âme que lorsque qu’existent dans le corps les dispositions appropriées pour recevoir l’âme. Pour que l’intellect soit uni à l’essence divine de la manière dite plus haut, il faut donc qu’existe en lui quelque chose par mode de disposition, qui le prépare à l’union en question. Telle est la lumière par laquelle l’intellect est perfectionné pour voir Dieu par l’essence divine. Or, cette disposition ne peut être naturelle à un intellect créé. En effet, l’ultime disposition à une forme est reçue dans ce qui est perfectible selon la même raison que la forme elle-même, de sorte que si l’une est naturelle, l’autre l’est aussi, puisque ce qui est perfectible entre en contact avec la forme par l’ultime disposition à la forme. Or, la forme qu’est l’essence divine dépasse toute faculté et capacité naturelles. En effet, une puissance et son acte propre relèvent du même genre ; aussi la puissance et l’acte sont-ils une distinction en tout genre d’être, comme cela ressort de Physique, III. Aussi la faculté ou puissance de la créature ne s’étend-elle qu’à la forme de son genre. Ainsi l’essence divine, qui est en dehors de tout genre, dépasse-t-elle la faculté naturelle de tout intellect créé. La disposition ultime à l’union de l’intellect avec une telle essence dépasse donc toute faculté de la nature, et cette disposition est la lumière de la gloire, dont il est dit dans Ps 35, 10 : Dans ta lumière, nous verrons la lumière. Toutefois, l’intellect créé peut parvenir à la connaissance de Dieu par des formes créées innées ou acquises ; mais cette connaissance n’est pas la vision [de Dieu] par son essence, comme cela ressort de ce qui a été dit, et l’on ne connaît pas par elle ce qu’il est, mais seulement qu’il est et ce qu’il n’est pas.

[22841] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli in prima sua conditione non viderunt verbum per essentiam; viderunt tamen per similitudinem creatam, quae est ipsa natura eorum, quae est Dei similitudo; et hoc, sive ponantur creati in gratia, sive non, dummodo non ponantur creati in gloria; unde et cognitio vespertina qua seipsos cognoverunt in propria natura, praecessit in eis cognitionem matutinam, qua cognoscunt res in verbo; quod patet ex hoc quod primus dies habet vespere sine mane.

1. Dans leur condition première, les anges n’ont pas vu le Verbe par son essence ; cependant, ils l’ont vu par une similitude créée, qui est leur propre nature, laquelle est une similitude de Dieu, et cela, qu’on affirme qu’ils ont été créés dans la grâce ou non, pourvu qu’on n’affirme pas qu’ils ont été créés dans la gloire. Aussi la connaissance vespérale par laquelle ils se sont connus dans leur propre nature a-t-elle précédé chez eux la connaissance du matin, par laquelle ils connaissent les choses dans le Verbe, ce qui ressort du fait que le premier jour a un soir sans matin.

[22842] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Diabolus non dicitur Deo astitisse quasi ipsum per essentiam viderit, sed quia a Deo visus est, et ad eum Dei providentia se extendit, sicut ad bonos Angelos, per modum quo dicimus, illa nobis praesto esse quae nostrae providentiae subjacent; unde aequivoce sumitur assistere.

2. On ne dit pas que le Diable était auprès de Dieu comme s’il le voyait par son essence, mais parce qu’il était vu par Dieu et que la providence de Dieu s’étend jusqu’à lui, comme aux anges bons, à la manière dont nous disons que nous sont proches les choses qui sont soumises à notre providence. « Être auprès » a donc un sens équivoque.

[22843] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid potest esse per se magis intelligibile, quod tamen est minus intelligibile intellectui alicui; quod de nostro intellectu manifeste apparet. Facultas enim intellectus nostri determinatur ad formas sensibiles quae per intellectum agentem fiunt intellectae in actu, eo quod phantasmata hoc modo se habent ad intellectum nostrum sicut sensibilia ad sensum, ut dicitur in 3 de anima; et ideo oportet quod in omne illud quod intellectus noster intelligit, naturaliter manuducatur per formas sensibiles, ut etiam Dionysius dicit; et quia substantiae separatae, quae sunt per se maxime intelligibiles, excedunt genus formarum sensibilium; ideo intellectus noster invenitur debilis ad cognitionem earum; propter quod dicitur in 2 Metaph., quod intellectus noster se habet ad manifestissima naturae, sicut oculus noctuae ad solem. Facultas autem naturalis intellectus angelici, quamvis non sit determinata ad formas sensibiles, est tamen determinata ad formas creatas quae sunt sui generis: et ideo sicut intellectus noster deficit a cognitione substantiarum separatarum; ita et multo amplius deficit intellectus angelicus secundum suam facultatem naturalem a visione Dei per essentiam. Dictum autem Commentatoris intelligitur de intelligibilibus creatis.

3. Quelque chose peut être en soi plus intelligible, qui est cependant moins intelligible pour un intellect, ce qui est manifeste pour notre intellect. En effet, la faculté de notre intellect est déterminée aux formes sensibles qui sont rendues intelligées en acte par l’intellect agent, du fait que les fantasmes ont avec notre intellect le même rapport que les objets sensibles avec le sens, comme il est dit dans Sur l’âme, III. Il faut donc que, dans tout ce que notre intellect intellige, il soit naturellement conduit par les formes sensibles, comme Denys aussi le dit. Et parce que les substances séparées, qui sont en elles-mêmes les plus intelligibles, dépassent le genre des formes sensibles, notre intellect se trouve faible pour les connaître. C’est pourquoi il est dit dans Métaphysique, II, que le rapport de notre intellect avec les choses les plus claires de la nature est le même que celui de la chouette avec le soleil. Mais la faculté de l’intellect angélique, bien qu’elle ne soit pas déterminée aux formes sensibles, est cependant déterminée aux formes créées qui font partie de son genre. De même donc que notre intellect est déficient pour la connaissance des substances séparées, de même, et encore bien plus, l’intellect angélique est-il déficient, selon sa faculté naturelle, pour connaître Dieu par son essence. Mais ce que dit le Commentateur s’entend des intelligibles créés.

[22844] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus creatus non impeditur ad hoc quod naturaliter possit Deum per essentiam videre ex defectu divinae essentiae, quod de se non sit intelligibilis in actu; sed ex parte ipsius intellectus creati. Primo propter defectum ipsius intellectivae virtutis creatae, cujus naturalis facultas est determinata ad ens creatum. Hic tamen defectus aliter est in Angelo et in homine, secundum sua naturalia considerando eos. In intellectu enim Angeli non invenitur aliquis defectus secundum rationem sui generis, sed secundum comparationem ad intellectum qui est extra genus suum, scilicet divinum; habet enim omnem perfectionem quae debetur generi intellectus, in quo non continetur nisi intellectus creatus; intellectus enim increatus est extra genus. Sed intellectus humanus patitur defectum etiam secundum rationem sui generis; quia in eo est lux intelligibilis obumbrata; unde dicit Isaac, quod ratio oritur in umbra intelligentiae. Secundo propter absentiam intelligibilis. Quamvis enim divina essentia sit cuilibet rei praesens, non tamen est praesens cuilibet intellectui, ut forma intelligibilis; quod tunc solum accidit quando in intellectu est dispositio sufficiens ad hoc quod sit unibilis divinae essentiae ut formae intelligibili. Tertio propter excessum claritatis divinae essentiae supra formam qua intellectus creatus naturaliter intelligit; et sic per consequens deficit intellectus creatus a videndo Deum per essentiam, quamvis immensitas divinae essentiae intellectum non corrumpat, sed magis confortet.

4. L’intellect créé n’est pas empêché de pouvoir naturellement voir Dieu par son essence en raison d’une carence de l’essence divine, qui ne serait par intelligible en acte par elle-même, mais en raison de l’intellect créé lui-même. Premièrement, en raison d’une carence de la puissance intellective créée, dont la faculté naturelle est déterminée à l’être créé. Cependant, cette carence existe différemment chez l’ange et chez l’homme, si on les envisage selon ce qui leur est naturel. En effet, dans l’intellect de l’ange, on ne trouve aucune carence en raison de son genre, mais par comparaison avec un intellect qui est en dehors de son genre, l’intellect divin. Ainsi, [l’intellect de l’ange] possède toute la perfection qui est due au genre d’un intellect, dont ne fait partie que l’intellect créé, puisque l’intellect incréé est en dehors de ce genre. Mais l’intellect humain souffre aussi d’une carence en raison de son genre parce que la lumière intelligible est chez lui ombragée. Aussi Isaac dit-il que la raison apparaît dans l’ombre de l’intelligence. Deuxièment, en raison de l’absence d’intelligible. En effet, bien que l’essence divine soit présente à toute chose, elle n’est cependant pas présente comme forme intelligible à tout intellect. Cela ne se produit que lorsqu’existe dans l’intellect une disposition suffisante pour qu’il puisse être uni à l’essence divine comme à une forme intelligible. Troisièmement, en raison de l’excès de l’éclat de l’essence divine en regard de la forme par laquelle l’intellect créé intellige naturellement. Par voie de conséquence, l’intellect créé est déficient pour voir Dieu par son essence, bien que l’immensité de l’essence divine ne corrompe pas l’intellect, mais plutôt le renforce.

[22845] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ad cognoscendum Deum per aliquam similitudinem creatam potest intellectus creatus ex suis naturalibus pervenire; sed haec cognitio non est visio Dei per essentiam, ut supra probatum est.

5. Par ce qui lui est naturel, l’intellect créé peut parvenir à connaître Dieu par une similitude créée ; mais cette connaissance n’est pas la vision de Dieu par son essence, comme on l’a montré plus haut.

[22846] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod effectus retinet similitudinem suae causae; et ex hoc sequitur quod intelligentia naturaliter cognoscat causam suam ex similitudine ejus quam habet; sed hoc non est videre Deum per essentiam, ut dictum est.

6. L’effet garde une similitude de sa cause. De là découle que l’intelligence connaît naturellement sa cause à partir de la similitude qu’il a avec elle. Mais cela n’est pas voir Dieu par son essence, comme on l’a dit.

[22847] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod non quidquid superadditur creaturae, potest esse de constitutione naturae ipsius. Illud enim quod ad proprietatem naturae superioris pertinet, non potest communicari inferiori naturae, ut illud naturaliter habeat, nisi transferatur in superiorem naturam; sicut diaphano non potest communicari ut absente lucido luceat, nisi ipsum lucidum fiat, quamvis lumen ei a corpore lucido communicetur. Determinari autem ad formam intelligibilem increatam est proprietas intellectus increati; et ideo lumen illud per quod intellectus unitur formae intelligibili increatae, communicari potest intellectui creato; sed non ut ipsum lumen naturaliter habeat, nisi in naturam intellectus increati transferatur; quod est impossibile.

7. Ce n’est pas tout ce qui est ajouté à la créature qui peut faire partie de la constitution de sa nature. En effet, ce qui relève de ce qui est propre à une nature supérieure ne peut être communiqué à une nature inférieure de telle manière qu’elle le possède naturellement, à moins qu’elle ne passe à une nature supérieure ; ainsi, le diaphane ne peut pas luire en l’absence de luminosité, à moins qu’il ne devienne lui-même lumineux, bien que la lumière lui soit communiquée par un corps lumineux. Or, être déterminé à une forme intelligible incréée est propre à l’intellect incréé. Aussi cette lumière par laquelle l’intellect est uni à la forme intelligible incréée peut-elle être communiquée à l’intellect créé, mais non pas pour qu’il possède cette même lumière de manière naturelle, à moins qu’il ne soit transféré à la nature de l’intellect incréé, ce qui est impossible.

[22848] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod etiam si nullus intellectus intelligeret divinam essentiam nec per naturam nec per gratiam, divina essentia non esset frustra intelligibilis; tum quia ipsa seipsam intelligit; tum quia non est propter aliud: frustra autem non habet locum nisi in his quae propter aliud sunt, ad quod non pertingunt.

8. Même si aucun intellect n’intelligeait l’essence divine ni par nature ni par grâce, l’essence divine ne serait pas intelligible en vain, tant parce qu’elle s’intellige elle-même, que parce qu’elle n’existe pas pour autre chose. Or, être en vain n’a sa place que pour les choses qui existent en vue d’autre chose, qu’elles ne parviennent pas à atteindre.

 

 

Articulus 7 [22849] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 tit. Utrum Deus in statu viae possit per essentiam videri

Article 7 – Dieu peut-il être vu par son essence dans l’état de cheminement ?

[22850] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic proceditur. Videtur quod Deus in statu viae possit per essentiam videri. Quia dicitur Isai. 6, 1: vidi dominum sedentem super solium excelsum et elevatum; et plena erat omnis terra majestate ejus; et Seraphim clamabant. Sed ille cujus majestate omnis terra impletur, est ille qui essentialiter est Deus. Ergo Isaias vidit Deum per essentiam in statu viae existens.

1. Il semble que Dieu puisse être vu par son essence dans l’état de cheminement, car il est dit en Is 6, 1 : Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et élevé ; toute la terre était remplie de sa majesté, et les séraphins criaient. Or, celui dont la majesté remplit toute la terre est celui qui est Dieu par essence. Isaïe a donc vu Dieu par son essence alors qu’il se trouvait en état de cheminement.

[22851] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 2 Praeterea, videre Deum facie ad faciem, est videre Deum per essentiam, ut patet 1 Corinth. 13, sic enim beatam visionem apostolus nominat. Sed Jacob in statu viae existens vidit Deum facie ad faciem; unde dicit Genes. 32, 30: vidi dominum facie ad faciem, et salva facta est anima mea. Ergo aliquis in statu viae potest videre Deum per essentiam.

2. Voir Dieu face à face, c’est voir Dieu par son essence, comme cela ressort de 1 Co 13 : en effet, c’est ainsi que l’Apôtre appelle la vision bienheureuse. Or, Jacob, alors qu’il se trouvait dans l’état de cheminement, a vu Dieu face-à-face ; aussi Gn 32, 30 dit-il : Je vis le Seigneur face-à-face, et mon âme fut sauvée. Alors qu’il est en état de cheminement, quelqu’un peut donc voir Dieu par son essence.

[22852] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 3 Praeterea, Job 42: auditu auris audivi te, nunc autem oculus meus videt te. Visus autem est de rebus praesentibus, auditus autem de absentibus. Ergo postquam Job cognoverat Deum quasi absentem per auditum, adhuc in hac vita existens vidit Deum quasi praesentem per essentiam.

3. Il est dit en Jb 42 : Je t’ai entendu de mon oreille ; mais, maintenant, mon œil te voit. Or, la vision porte sur des choses présentes, mais l’ouïe, sur des choses absentes. Après que Job eut connu par l’ouïe Dieu absent, alors qu’il se trouvait encore dans cette vie, il a vu Dieu présent par son essence.

[22853] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 4 Praeterea, de Moyse dicitur Num. 12, 8: palam, et non per aenigmata, videt Deum. Sed omnis visio Dei vel est per aenigma, vel per essentiam, ut patet 1 Corinth. 13. Ergo Moyses in statu viae existens vidit Deum per essentiam.

4. Il est dit de Moïse dans Nb 12, 8 : Il voit Dieu clairement, et non en énigmes. Or, toute vision de Dieu se réalise soit par des énigmes, soit par son essence, comme cela ressort de 1 Co 13. Alors qu’il se trouvait en état de cheminement, Moïse a donc vu Dieu par son essence.

[22854] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 5 Praeterea, 2 Corinth. 12, super illud: raptum hujusmodi usque ad tertium caelum, dicit Glossa, quod Deus ostendit apostolo vitam, in qua videndus est in aeternum; et ita ad hoc raptus est apostolus ut ipsum Deum in se, non in aliqua figura, videret; et infra dicitur, quod in tertio ordine Angelorum sunt throni, Cherubim, et Seraphim, qui vicinius Deum contemplantur; ad quorum similitudinem Deum vidisse dicitur apostolus. Ex quibus omnibus aperte ostenditur quod ipse vidit Deum per essentiam; et sic idem quod prius.

5. À propos de 2 Co 12 : Ainsi ravi jusqu’au troisième ciel, la Glose dit que Dieu a montré à l’Apôtre la vie où il doit être vu pour l’éternité ; ainsi l’Apôtre a été ravi jusqu’à voir Dieu par son essence, et non par quelque figure. Et il est dit plus loin que, dans le troisième ordre des anges, se trouvent les Trônes, les Chérubins et les Séraphins, qui contemplent Dieu de plus près ; on dit que Paul a vu Dieu en leur ressemblant. Il est montré ouvertement par tout cela qu’il a vu Dieu par son essence. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[22855] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea, secundum Augustinum, 12 super Gen. ad litteram, visione intellectuali videntur ea quae sunt in anima per sui essentiam. Sed visio intellectualis est de rebus ipsis intelligibilibus non per aliquas similitudines, sed per suas essentias, ut ipse dicit. Ergo cum Deus per suam essentiam sit in anima viatoris, videtur quod per essentiam suam ipsum videat.

6. Selon Augustin, dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII, les choses qui existent dans l’âme par leur essence sont vues d’une vision intellectuelle. Or, la vision intellectuelle porte sur les réalités intelligibles elles-mêmes, non pas par leurs similitudes, mais par leur essence, comme il le dit lui-même. Puisque Dieu est par son essence dans l’âme de celui qui est en route, il semble donc qu’elle le voit par son essence.

[22856] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 7 Praeterea, affectus magis est corruptus per peccatum quam intellectus; quia peccatum in voluntate est, ut dicit Augustinus. Sed affectus potest immediate diligere Deum in statu viae. Ergo et intellectus potest immediate videre Deum.

7. L’affectivité est davantage corrompue par le péché que l’intellect, car le péché réside dans la volonté, comme le dit Augustin. Or, l’affectivité peut aimer Dieu de manière immédiate dans l’état de cheminement. L’intellect peut donc voir Dieu de manière immédiate.

[22857] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 8 Praeterea, omne illud immediate videtur per intellectum ad quod intellectus se convertit sine hoc quod convertatur ad aliud. Sed intellectus viatoris potest converti ad Deum sine hoc quod convertatur ad aliquid aliud. Ergo intellectus viatoris potest immediate videre Deum.

8. Est vu de manière immédiate par l’intellect tout ce vers quoi l’intellect se tourne sans se tourner vers autre chose. Or, l’intellect de celui qui est en route peut se tourner vers Dieu sans se tourner vers rien d’autre. L’intellect de celui qui est en route peut donc voir Dieu de manière immédiate.

[22858] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 9 Praeterea, illud per quod judicamus de aliquibus, oportet esse nobis magis notum quam illa. Sed secundum Augustinum in Lib. de vera Relig., secundum veritatem increatam de omnibus judicamus, ipsam de omnibus consulentes etiam in statu viae. Ergo ipsam veritatem videmus. Sed veritas increata est divina essentia. Ergo in via Deum per essentiam videre possumus.

9. Ce par quoi nous jugeons de certaines choses doit nous être plus connu que ces choses. Or, selon Augustin dans le livre sur La vraie religion, nous jugeons de tout selon la vérité incréée, en la consultant sur tout, même dans l’état de cheminement. Nous voyons donc la vérité elle-même. Or, la vérité incréée est l’essence divine. Nous pouvons donc voir Dieu par son essence, alors que nous sommes en route.

[22859] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 10 Praeterea, propter quod unumquodque, illud magis. Sed omnia quae cognoscimus, cognoscimus per lumen divinum, quod est ipsa divina essentia; quia, ut dicitur in Lib. de spiritu et anima, mens nostra in actum cognitionis exire non potest, nisi divino lumine perfundatur. Ergo ipsum Deum per essentiam videmus magis quam aliquid aliud.

10. Ce par quoi toute chose existe existe bien davantage. Or, tout ce que nous connaissons, nous le connaissons par la lumière divine, qui est l’essence divine elle-même, car, ainsi qu’il est dit dans le livre Sur l’esprit et le corps, notre esprit ne peut passer a l’acte de connaissance que s’il est baigné de lumière divine. Nous voyons donc Dieu par son essence plus que quelque chose d’autre.

[22860] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 11 Praeterea, secundum Augustinum, mens nostra a Deo, nulla interposita creatura, formatur. Sed in omni mediata visione aliud interponitur. Ergo et in hac vita mens nostra immediate videt Deum.

11. Selon Augustin, notre esprit est créé sans l’interposition d’aucune créature. Or, en toute vision médiate, quelque chose s’interpose. Dans cette vie, notre esprit voit donc Dieu de manière immédiate.

[22861] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 12 Praeterea, per quamlibet scientiam speculativam cognoscitur de subjecto quid est. Sed Deus in aliqua scientia speculativa est subjectum, vel saltem in parte alicujus scientiae, sicut in theologia et in metaphysica, quae etiam de Deo est, ut patet in principio Metaph. Ergo per aliquam scientiam speculativam scitur de Deo quid est; et hoc est videre ipsum per essentiam. Ergo cum omnes scientias speculativas possimus habere in via, Deum in statu viae per essentiam videre possumus.

12. En toute science spéculative, on sait ce qu’en est le sujet. Or, Dieu est le sujet d’une science spéculative ou, tout au moins, [le sujet] partiel d’une science, la théologie et la métaphysique, qui portent aussi sur Dieu, comme cela ressort au début de Métaphysique. On connaît donc ce que Dieu est par une science spéculative, et cela ; c’est là le voir par son essence. Puisque nous pouvons posséder toutes les sciences spéculatives dans l’état de cheminement, nous pouvons donc voir Dieu par son essence dans l’état de cheminement.

[22862] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 arg. 13 Praeterea, nihil impeditur nisi a suo contrario. Sed corruptio corporis non contrariatur dispositioni intellectus, cum non sint in eodem. Ergo dispositio intellectus non impeditur per corporis corruptionem. Sed anima in corpore incorruptibili existens videbit Deum per essentiam. Ergo et corpori corruptibili juncta potest Deum per essentiam videre.

13. Rien n’est empêché que par son contraire. Or, la corruption du corps n’est pas contraire à une disposition de l’intellect, puisqu’elles ne portent pas sur la même chose. La disposition de l’intellect n’est donc pas empêchée par la corruption du corps. Or, l’âme qui se trouvera dans un corps incorruptible verra Dieu par son essence. Elle peut donc aussi voir Dieu par son essence alors qu’elle est unie à un corps corruptible.

[22863] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Exod. 33, 30: non videbit me homo et vivet; Glossa: quamdiu hic totaliter vivitur, videri per quasdam imagines Deus potest, sed per ipsam naturae suae speciem non potest.

Cependant, [1] à propos de Ex 33, 30 : L’homme ne continuera pas à vivre après m’avoir vu, la Glose dit : « Aussi longtemps qu’il vit entièrement en cette vie, [l’homme] peut voir Dieu par l’intermédiaire de certaines images, mais il ne peut [le voir] selon l’espèce même de sa nature. »

[22864] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 s. c. 2 Praeterea, Joan. 1, 18, dicitur: Deum nemo vidit unquam; Glossa: nemo purus homo vivens in hoc corpore videt Deum ut est.

[2] À propos de Jn 1, 18 : Dieu, personne ne l’a jamais vu, la Glose dit : « Aucun simple homme qui vit dans ce corps ne voit Dieu tel qu’il est. »

[22865] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 s. c. 3 Praeterea, 2 Corinth. 5, 6: quamdiu sumus in corpore, peregrinamur a domino: per fidem enim ambulamus, et non per speciem; Glossa: homini vitam mortalem adhuc agenti non potest contingere ut dimoto atque omni discusso nubilo phantasiarum corporalium serenissima incommutabilis veritatis luce potiatur.

[3] À propos de 2 Co 5, 7 : Aussi longtemps que nous sommes dans notre corps, nous cheminons loin du Seigneur : en effet, nous marchons dans la foi, et non dans la claire vision, la Glose dit : « Il ne peut arriver à l’homme qui mène encore une vie mortelle qu’éloigné [de son corps] et encore sujet aux nuées des phantasmes corporels, il jouisse de la lumière parfaitement paisible de la vérité immuable. »

[22866] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 s. c. 4 Praeterea, esse viatorem et comprehensorem est solius Christi. Sed quicumque videt Deum per essentiam, est comprehensor. Ergo nullus alius a Christo adhuc viator existens, potest Deum per essentiam videre.

[4] Il appartient au seul Christ d’être en route [viator] et de comprendre [comprehendere]. Or, quiconque voit Dieu par son essence [le] comprend. Aucun autre que le Christ et qui se trouve encore en route ne peut donc voir Dieu par son essence.

[22867] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 s. c. 5 Praeterea, posita causa, ponitur effectus. Sed causa quare anima beata sit, est divina visio, ut ex dictis patet. Si ergo aliquis in statu viae Deum per essentiam videat, in statu viae erit beatus; quod est absurdum.

[5] Une fois posée la cause, l’effet est posé. Or, la cause pour laquelle l’âme est bienheureuse est la vision de Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Si donc quelqu’un voit Dieu par son essence dans l’état de cheminement, il sera bienheureux dans l’état de cheminement, ce qui est absurde.

[22868] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod cum beatitudo sit ultimus finis rationalis creaturae, status viae in qualibet rationali creatura dicitur esse ille in quo a beatitudine deficit. Beatitudo autem cujuslibet rationalis creaturae consistit in visione Dei per essentiam, ut ex dictis patet. Operatio autem delectabilissima, in qua beatitudo consistit, oportet quod sit potentiae dispositae et perfectae ad dignissimum objectum, ut patet per philosophum in 10 Ethic.; et ideo ad hoc quod creatura rationalis sit beata per visionem Dei in essentia sua, oportet quod in hanc visionem sit potens per aliquam dispositionem sibi inhaerentem, quam dicimus esse lumen gloriae. Sic autem nulla pura creatura in statu viae existens videre potest Deum per essentiam; homo enim per dispositiones omnes quas in statu viae habet, non potest in aliquid amplius, nisi ut intelligat quidquid intelligit per species a sensu abstractas: quia phantasmata sunt intellectui nostro ut sensibilia sensui, ut patet per philosophum in 3 de anima. Intellectus etiam Angeli in statu viae per omnes dispositiones naturales, vel etiam gratuitas, non potest in aliquid amplius nisi ut intelligat omne quod intelligit per formas creatas, ad quas naturalis facultas intellectus ejus determinatur, ut ex dictis patet. Deus autem in essentia sua videri non potest nec per aliquam formam a sensu abstractam, nec per aliquam formam creatam, ut ex dictis patet. Unde patet quod nullus intellectus purae creaturae in statu viae existentis potest in visionem Dei per essentiam per aliquam dispositionem sibi inhaerentem. Sed contingit aliquando divina virtute quod aliqua res miraculose perducitur in aliquid in quod nullo modo potest per aliquas dispositiones sibi inhaerentes, sicut quod virgo pariat, quod ignis in aqua comburat; et similiter potest miraculose fieri quod divina virtute aliquis intellectus creatus non habens nisi dispositionem viae elevetur ad videndum Deum per essentiam; nec tamen ex tali visione potest dici beatus simpliciter, sed secundum quid tantum, inquantum scilicet communicat in actu beati: sicut etiam aliquod corpus in statu gravitatis existens, potest miraculose participare actum agilitatis vel impassibilitatis, sicut de Habacuc legitur, Daniel. ult., et de tribus pueris conservatis in fornace Daniel. 8, nec tamen eorum corpora erant gloriosa. Ea autem quae fiunt miraculose, non dicuntur possibilia secundum naturam in qua fiunt, sed secundum virtutem facientis tantum. Non enim dicimus, proprie loquendo, quod caecus possit fieri videns, sed quod Deus potest eum facere videntem. Et ideo dicendum est, quod nulla pura creatura in statu viae existens potest Deum per essentiam videre; sed Deus potest facere quod videat adhuc in statu viae manens. Ex dictis etiam patet quod nullus homo in statu viae essentiam Dei, nec etiam Angeli, potest cognoscere; quia excedit omnes formas sensibiles, per quas intellectus noster in statu viae cognoscit, et ipsam mentem nostram, ex cujus similitudine aliquid de substantiis intellectualibus cognoscimus.

Puisque la béatitude est la fin ultime de la créature raisonnable, l’état de cheminement pour toute créature raisonnable est appelé celui dans lequel la béatitude lui fait défaut. Or, la béatitude de toute créature raisonnable consiste dans la vision de Dieu par son essence, comme il ressort de ce qui a été dit. Or, il est nécessaire que l’opération la plus délectable, en laquelle consiste la béatitude, soit celle d’une puissance disposée et perfectionnée en vue de l’objet le plus digne, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, X. Pour que la créature raisonnable soit bienheureuse par la vision de Dieu en son essence, il faut donc qu’elle soit habilitée à cette vision par une disposition qui lui est inhérente, dont nous disons qu’elle est la lumière de la gloire. Or, aucune créture en état de cheminement ne peut voir Dieu par son essence de cette manière. En effet, par toutes les dispositions que l’homme possède en l’état de cheminement, l’homme ne peut rien de plus qu’intelliger tout ce qu’il intellige par des espèces tirées du sens, car les fantasmes sont à notre intellect ce que sont les objets sensibles au sens, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. L’intellect de l’ange aussi, en l’état de cheminement, ne peut, par toutes ses dispositions naturelles ou même gratuites, faire plus qu’intelliger tout ce qu’il intellige par des formes créées, auxquelles la faculté naturelle de son intellect est déterminée, comme on l’a dit. Or, Dieu ne peut être vu en son essence ni par une forme abstraite du sens, ni par une forme créée, comme cela ressort de ce qui a été dit. Il est donc clair qu’aucun intellect d’une pure créature dans l’état de cheminement ne peut voir Dieu par son essence par une disposition qui lui est inhérente. Mais il arrive parfois que, par la puissance divine, une chose soit miraculeusement conduite vers une chose sur laquelle elle n’a aucun pouvoir par les dispositions qui lui sont inhérentes, comme le fait qu’une vierge enfante ou que le feu brûle dans l’eau. De même il peut arriver miraculeusement que, par la puissance divine, un intellect créé, qui ne possède qu’une disposition propre à l’état de cheminement, soit élevé jusqu’à voir Dieu par son essence. Cependant, il n’est pas appelé tout simplement bienheureux en raison d’une telle vision, mais de manière relative seulement, pour autant qu’il ait un acte en commun avec le bienheureux, de même aussi qu’un corps qui se trouve en état de gravité peut miraculeusement participer à un acte d’agilité ou d’impassibilité, comme on le lit d’Habacuq, Dn 14, et des trois enfants placés dans la fournaise, Dn 8, dont les corps ne seront cependant pas glorieux. Or, ce qui est réalisé par miracle n’est pas dit possible selon la nature où cela est réalisé, mais relève seulement de la puissance de celui qui l’accomplit. En effet, nous ne disons pas, à proprement parler, qu’un aveugle peut devenir voyant, mais que Dieu peut le faire voir. Il faut donc dire qu’aucune pure créature dans l’état de cheminement ne peut voir Dieu par son essence ; mais Dieu peut faire qu’elle voie, alors qu’elle se trouve encore dans l’état de cheminement. Il ressort aussi de ce qui a été dit qu’aucun homme ne peut, dans l’état de cheminement, connaître l’essence de Dieu ni de l’ange, parce qu’elle dépasse toutes les formes sensibles par lesquelles notre intellect connaît dans l’état de cheminement, ni même notre propre esprit, par la similitude duquel nous connaissons quelque chose des substances intellectuelles

[22869] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Dionysium, per hoc quod in Scriptura dicitur, quod aliquis sanctus vidit Deum, ut Isaias, vel quilibet alius; non est intelligendum quod essentiam Dei, quae est omnibus viatoribus occulta, viderit; sed quod ostensae sunt eis aliquae formae, vel corporales, vel imaginariae, per quas manuducebantur in Dei cognitionem; et hoc fiebat ministerio Angelorum, quorum illuminatione confortabatur intellectus prophetae ad perveniendum in aliqualem divinorum cognitionem ex apparentibus formis. Et quia Angelus non intendebat ducere in sui cognitionem principaliter, sed in cognitionem Dei; ideo in hujusmodi visis non dicebatur Angelus apparere, sed Deus; ex cujus persona apparebat Angelus, et ex cujus virtute efficaciam habebat ad illuminandum mentem; et hoc vocatur Theophania, idest Dei apparitio, in Scriptura. Quandoque tamen et Angelus dicebatur ille qui apparebat propter ministerium quod exhibebat: unde Gregorius dicit: Angelus qui Moysi apparuisse describitur, modo Angelus, modo dominus memoratur; Angelus, quia exterius loquendo deservit; dominus, quia interius praesidens loquenti efficaciam tribuit. Et haec est etiam sententia Augustini, 2 de Trinit.

1. Selon Denys, lorsque l’Écriture dit qu’un saint voit Dieu, tel Isaïe ou n’importe quel autre, il ne faut pas entendre qu’il a vu l’essence de Dieu, qui est cachée à tous ceux qui sont en route, mais certaines formes corporelles ou imaginaires, par lesquelles ils étaient menés à la connaissance de Dieu. Cela était réalisé par le ministère des anges, par l’illumination desquels l’intellect du prophète était renforcé pour parvenir à une certaine connaissance des realités divines à partir des formes apparentes. Et parce que l’ange n’avait pas l’intention de conduire principalement à la connaissance de lui-même, mais à la connaissance de Dieu, on ne disait pas que l’ange, mais que Dieu était apparu, au nom de qui l’ange était apparu et par la puissance de qui il était en mesure d’illuminer l’esprit. Dans l’Écriture, cela est appelé une « théophanie », c’est-à-dire une apparition de Dieu. Cependant, on disait parfois que l’ange apparaissait en raison du ministère qu’il exerçait. Aussi Grégoire dit-il : « L’ange, dont l’apparition à Moïse est décrite, est appelé parfois ange et parfois le Seigneur : ange, parce qu’il accomplit son ministère en parlant de l’extérieur ; Seigneur, parce que celui qui agit de l’intérieur donne son efficacité à celui qui parle. » Telle est aussi la position d’Augustin dans La Trinité, II.

[22870] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod visio illa Jacob fuit imaginaria, vel corporalis. Dicitur tamen vidisse facie ad faciem, quia illa figura in qua ei apparuit Deus, facie ad faciem est ab eo visa; unde dicit Glossa ibid.: non quod Deus videri possit, sed formam vidit in qua Deus locutus est ei. In hoc tamen quod dicit: facie ad faciem, notatur quaedam eminentia visionis: ut enim dicit Rabbi Moyses, gradus prophetiae distinguens, eminentior est gradus prophetiae quando prophetae apparet aliquid in visione vigiliae, quam si appareat in dormiendo; et utrolibet modo si fiat revelatio, eminentior gradus est quando apparet ille qui loquitur in aliqua figura visui, quam quando auditur locutio ejus tantum sine hoc quod aliquid videtur. Eminentior quoque gradus est, si ille qui loquitur, apparet in figura Angeli quam in figura hominis. Et hanc eminentiam habuit apparitio Jacob: quia non fuit in dormiendo, sed in vigilando: nec tantum audivit vocem secum loquentis, sed etiam figuram inspexit, hominis tamen. Unde dicitur, quod apparuit ei vir etc., quem Angelum intellexit; et ad hanc eminentiam designandam dicitur, quod vidit dominum facie ad faciem, Angelum dominum vocans ratione jam dicta. Non potest dici secundum Glossam Gregorii ibidem, quod hoc intelligatur de visione spirituali, qua sanctorum mentes etiam in via, vitiis purgatae, Deum contemplantur adjutae divino lumine quo perfunduntur: secundum quam quidem visionem quamvis divina natura ut est non videatur, quia illud lumen receptum non est similitudo sufficienter repraesentans divinam essentiam, ut supra dictum est; tamen aliqua perfectior cognitio de Deo habetur, cum illud lumen sit expressior ejus similitudo quam lumen naturae, aut creaturae sensibilis, ex quibus homo naturali cognitione ducitur ad Dei cognitionem. Nisi enim illam, scilicet veritatem increatam, utcumque conspiceret, non eam se conspicere non posse sentiret, ut in eadem Glossa dicitur. Et quia per faciem quemlibet cognoscimus, cognitionem Dei faciem vocamus.

2. Cette vision de Jacob était imaginaire ou corporelle. On dit cependant qu’il a vu face à face parce que la figure sous laquelle Dieu lui est apparu a été vue par lui face-à-face. Aussi la Glose dit-elle au même endroit : « Non pas que Dieu puisse être vu, mais il a vu la forme sous laquelle Dieu lui a parlé. » Cependant, lorsqu’il dit : Face-à-face, une certaine élévation de la vision est signalée. En effet, comme, comme le dit Rabbi Moïse, en distinguant les degrés de la prophétie, le degré de la prophétie est plus élevé lorsque quelque chose apparaît au prophète dans une vision à l’état de veille que si elle apparaît au cours du sommeil ; et si la révélation est faite des deux manières, le degré en est plus élevé lorsque celui qui parle apparaît au regard sous une certaine figure, que lorsque sa parole est entendue sans que rien ne soit vu. Le degré en est aussi plus élevé si celui qui parle apparaît sous la figure d’un ange que sous la figure d’un homme. C’est une telle élévation que l’apparition à Jacob a eue, car elle n’a pas eu lieu alors qu’il dormait, mais qu’il était en état de veille ; il n’a pas seulement entendu une voix qui s’adressait à lui, mais il a aussi vu une figure, qui était cependant une figure d’homme. Aussi est-il dit qu’un homme lui apparut, etc., en qui il voit un ange. C’est pour indiquer cette élévation qu’on dit qu’il a vu le Seigneur face-à-face, en appelant le Seigneur un ange pour la raison déjà donnée. On ne peut dire, d’après la glose de Grégoire au même endroit, que cela s’entend de la vision spirituelle par laquelle les esprits des saints qui sont encore en état de cheminement, purifiés des vices, contemplent Dieu avec l’aide de la lumière divine dont ils sont imprégnés : par cette vision, bien que la nature divine ne soit pas vue telle qu’elle est, parce que la lumière reçue n’est pas une similitude qui représente suffisamment l’essence divine, comme on l’a dit plus haut, une connaissance plus parfaite de Dieu est cependant obtenue, puisque cette lumière en est une similitude plus expresse que la lumière naturelle ou que celle de la nature sensible, à partir desquelles l’homme est conduit à la connaissance de Dieu par une connaissance naturelle. « À moins qu’il n’éprouve qu’il ne peut voir cette vérité incréée, de quelque manière qu’il la regarde», comme on le dit dans cette même glose. Et parce que nous connaissons chacun par sa face, nous appelons « face » la connaissance de Dieu.

[22871] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verbum Job potest intelligi de visione imaginaria et intellectuali. Si enim intelligatur de imaginaria, designatur profectus Job in gradu prophetiae; cum primo non fuerit ei facta revelatio nisi per auditum loquentis, postmodum vero per visionem loquentis. Si autem intelligatur de visione intellectuali, tunc ostenditur profectus ejus de cognitione fidei in intellectum divinorum, qualis hic per contemplationem praedictam habetur a sanctis; quae quidem visio dicitur: quia sicut videndo aliqua cognoscimus, ab ipsis rebus accipiendo; ita sancti in contemplatione accipiunt lumen ab ipso Deo, per quod divina altius ceteris contemplantur; sed audita cognoscimus assentiendo eis qui ab ipsis rebus species acceperunt, dum nobis referunt se vidisse; et similiter per fidem adhaeremus dictis apostolorum et prophetarum, qui fuerunt divino lumine illustrati. Et sic non oportet ponere quod Deum per essentiam viderit.

3. La parole de Job peut s’entendre d’une vision imaginaire et d’une vision intellectuelle. Si on l’entend d’une vision imaginaire, elle indique le progrès de Job dans un degré de la prophétie, puisqu’une révélation ne lui avait été d’abord faite que par l’écoute de celui qui parle, puis, par la suite, par la vision de celui qui parle. Mais si on l’entend d’une vision intellectuelle, celle-ci montre alors son progrès par la connaissance de la foi dans l’intelligence des réalités divines, que possèdent ici les saints par la contemplation dont il a été question, qu’on appelle une vision, car, de même que nous connaissons des choses en les voyant, en recevant des choses elles-mêmes, de même, par la contemplation, les saints reçoivent la lumière de Dieu lui-même, par laquelle ils contemplent les réalités divines d’une manière plus élevée que les autres. Mais nous connaissons les choses entendues en donnant notre assentiment à ceux qui ont reçu les espèces des réalités elles-mêmes, alors qu’ils nous disent qu’ils ont vu. De même, nous adhérons par la foi aux paroles des apôtres et des prophètes, qui ont été éclairés par la lumière divine. Ainsi, il n’est donc pas nécessaire d’affirmer qu’il a vu Dieu par son essence.

[22872] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod duplex eminentia visionis Moysi adscribitur. Una Exod. 33, 2: ubi dicitur, quod loquebatur dominus Moysi facie ad faciem, sicut loqui solet homo ad amicum suum. Ex quibus tamen verbis haberi non potest quod Deum per essentiam viderit; quod patet ex hoc quod petit dicens: ostende mihi gloriam tuam; quod ei tunc concessum non est; unde dictum est ei: faciem meam videre non poteris; et ideo dicit Glossa ibidem: secundum opinionem populi loquitur Scriptura, quae putabat Moysem ore ad os loqui cum Deo, cum per subjectam creaturam, idest per Angelum et nubem, ei loqueretur et appareret. Haec autem locutio potest intelligi fuisse imaginaria vel corporalis; unde dicit Augustinus, 2 de Trin.: locutio illa quae fiebat vocibus, sic modificabatur tamquam esset amici loquentis ad amicum. Potest etiam intelligi esse intellectualis, secundum quod intelligibilia divinorum inspiciebat per modum quo dicitur in Psal. 48, 9: audiam quid loquatur in me dominus Deus. Et utroque modo ostenditur privilegiata ejus revelatio, inquantum familiarius ceteris ei sua secreta revelavit, quasi amico, juxta illud quod dicitur Joan. 15, 15: vos dixi amicos, quia omnia quaecumque audivi a patre meo, nota feci vobis: et ideo dicitur Deut. ult., 10: non surrexit ultra propheta in Israel quem nosset dominus facie ad faciem. Alia eminentia visionis Moysi ostenditur Num. 12, 8, ubi dominus de eo dixit ad Aaron et Mariam: ore ad os loquor ei, et palam; non per aenigmata et figuras Deum videt, vel gloriam domini, secundum Septuaginta; ubi ostenditur impleta fuisse ejus petitio, qua petiverat in Exod. 33, 18: ostende mihi faciem tuam; ita quod ante mortem Deum per essentiam vidit, ut Augustinus dicit, 12 super Gen. ad litteram, et in libro de videndo Deum; et ideo signanter dicitur: ore ad os loquar ei; quod in Exod. dictum non fuerat: quia visio Dei per essentiam non fit mediante aliquo superiori spiritu; sed ipse Deus immediate se ostendit; et hoc est loqui ore ad os: non enim os corporis, sed os mentis intelligendum est, ut Augustinus dicit. Sed visio contemplationis viae fit mediante illuminatione Angelorum, ut patet per Dionysium; et ideo non potest dici secundum illam loqui ore ad os, sed loqui quasi per internuntium. Haec tamen visio qua ante mortem Deum per essentiam vidit, non fecit eum beatum simpliciter; unde nec semper illa visio in eo permansit, sed ad tempus; quamvis illud tempus in Scriptura non determinetur: non enim erat ex dispositione in intellectu existente, sed ex sola divina virtute quasi miraculose, ut dictum est. Quando autem natura creata miraculose elevatur ad aliquid supra naturam, non potest simul esse in contrario actu; sicut corpus Petri cum miraculose actum dotis agilitatis habuit super undas ambulando, non simul erat in eo actus gravitatis, qui est ferri deorsum. Et similiter quando intellectus viatoris elevatur miraculose ad videndum Deum per essentiam, non potest simul esse in actu visionis viae, qua anima naturaliter sensibilia percipit; et ideo oportet in illo statu animam videntis omnino ab actu sensuum abstrahi; et ideo Augustinus dicit, 12 super Gen. ad litteram, quia Deum per essentiam nemo videre potest, nisi ab hac vita quodammodo moriatur, sive omnino exiens de corpore, sive aversus et alienatus a sensibus carnalibus; et simile dicit in libro de videndo Deum; et sic non est contrarium ei quod dicitur Exod. 33: non videbit me homo et vivet. Unde Gregorius, ibidem, dicit in Glossa: a quibusdam in carne viventibus, sed inaestimabili virtute crescentibus, potest aeterni Dei claritas videri; non tamen videbit eum homo et vivet: quia qui sapientiam, quae Deus est, videt, huic mundo funditus moritur.

4. Une double vision éminente est attribuée à Moïse. L’une, en Ex 33, 2, où il est dit que le Seigneur parlait à Moïse face-à-face, comme un homme a coutume de parler à son ami. Cependant, on ne peut tirer de ces paroles qu’il a vu Dieu par son essence, ce qui ressort du fait qu’il demande : Montre-moi ta gloire ! Cela ne lui a pas été alors accordé. Aussi lui a-t-il été dit : Tu ne peux voir mon visage. Aussi la Glose dit-elle au même endroit : « L’Écriture parle selon l’opinion du peuple : celui-ci pensait que Moïse dialoguait directement avec Dieu, alors que celui-ci lui parlait et lui apparaissait par un ange et une nuée. » On peut comprendre que cette manière de parler était imaginaire ou corporelle. Aussi Augustin dit-il, dans La Trinité, II : « Cette manière de parler, qui se réalisait par des paroles, ressemblait à celle d’un ami qui parle à son ami. » On peut aussi comprendre qu’elle était intellectuelle, selon qu’il regardait ce qui peut être compris de Dieu à la manière dont le Ps 48, 9 dit : J’entendrai ce que le Seigneur Dieu dit en moi. Et l’on montre que sa révélation était privilégiée des deux manières, pour autant qu’il lui a révélé ses secrets avec plus de familiarité qu’aux autres, comme à un ami, selon ce que dit Jn 5, 15 : Je vous ai appelés amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Aussi est-il dit en Dt 34, 10 : Un prophète ne se lève plus en Israël, que le Seigneur aurait connu face à face. L’autre élévation de la vision de Moïse est montrée dans Nb 12, 8, où le Seigneur dit de lui à Aaron et Marie : Je lui parle de bouche-à-bouche et clairement ; il ne voit pas Dieu à travers des énigmes et des figures, ou la gloire du Seigneur, selon les Septante ; il est ainsi montré que la demande qu’il avait adressée avait été accordée, Ex 33, 18 : Montre-moi ton visage ! de sorte que, avant sa mort, il a vu Dieu par son essence, comme le dit Augustin, dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII, et dans le livre Sur la vision de Dieu. Aussi est-il dit explicitement : Je lui parlerai de bouche-à-bouche, ce qui n’avait pas été dit dans l’Exode, car la vision de Dieu ne se réalise pas par l’intermédiaire d’un esprit supérieur, mais Dieu se montre de manière immédiate. C’est cela parler de bouche-à-bouche: il ne faut pas comprendre par la bouche du corps, mais par la bouche de l’esprit, comme le dit Augustin. Mais la vision de la contemplation en cours de route se réalise par l’intermédiaire des anges, comme cela ressort de Denys. Aussi ne peut-on pas dire que [le Seigneur] parle par elle de bouche-à-bouche, mais qu’il parle par un messager. Cependant, cette vision par laquelle il a vu Dieu par son essence avant sa mort ne l’a pas rendu bienheureux tout simplement ; aussi cette vision n’est-elle pas demeurée en lui pour toujours, mais temporairement, bien que l’Écriture ne précise pas ce temps : en effet, elle n’existait pas dans l’intellect par une disposition, mais par la seule puissance divine de manière pour ainsi dire miraculeuse, comme on l’a dit. Or, lorsque la nature créée est élevée à quelque chose qui dépasse la nature, elle ne peut être engagée en même temps dans un acte contraire, comme le corps de Pierre, lorsqu’il eut de manière miraculeuse l’acte du don d’agilité en marchant sur les eaux, n’avait pas en même temps l’acte de la gravité, qui consiste à être attiré vers le bas. De même, lorsque l’intellect de celui qui est en route est élevé miraculeusement pour voir Dieu par son essence, il ne peut être engagé en même dans l’acte de vision de la route, par laquelle l’âme perçoit naturellement les objets sensibles. Dans cet état, il faut donc que l’âme de celui qui voit soit entièrement arraché à l’acte des sens. C’est pourquoi Augustin dit, dans le Commentaire littéral sur la Genèse, que personne ne peut voir Dieu par son essence, à moins de mourir d’une certaine manière à cette vie, soit en sortant complètement du corps, soit en étant détourné et aliéné des sens charnels. Il dit aussi quelque chose de semblable dans le livre Sur la vision de Dieu. Cela n’est donc pas contraire à ce qui est dit dans Ex 33 : L’homme ne verra pas, pour continuer à vivre. Aussi Grégoire dit-il au même endroit, dans la Glose : « L’éclat du Dieu éternel peut être vu par certains alors qu’ils vivent dans la chair, mais qu’ils s’élèvent par une puissance inestimable ; cependant, l’homme ne le verra pas pour continuer à vivre, car celui qui voit la sagesse, qui est Dieu, meurt entièrement à ce monde. »

[22873] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in illo raptu Paulus hoc modo vidit Deum per essentiam, sicut et de Moyse dictum est, ut per Augustinum in Lib. de videndo Deum, et 12 super Gen. ad litteram: ut idem privilegium doctor gentium et magister Judaeorum consequerentur. Quamvis quidam dicant, quod hujusmodi visio fuit media inter visionem viae et visionem patriae, volentes quod non viderit Deum per essentiam, sed eminentissima contemplatione viae; cujus tamen contrarium videntur sonare verba sanctorum. Secundum hoc tamen potest dici fuisse media inter utramque cognitionem, quia in hoc quod vidit Deum per essentiam, fuit supra cognitionem viae; in hoc vero quod ex illa visione non fuit simpliciter beatus, fuit infra cognitionem patriae.

5. Lors de ce rapt, Paul a vu Dieu par son essence à la manière dont on l’a dit de Moïse, comme l’expose Augustin dans le livre Sur la vision de Dieu et dans le Commentaire littéral sur la Genèse, XII, de sorte que le maître des Juifs et le docteur des nations ont reçu le même privilége. Bien que certains disent qu’une vision de cette sorte était intermédiaire entre la vision de la route et la vision de la patrie, voulant qu’il n’ait pas vu Dieu par son essence, mais une contemplation très élevée sur la route, ce à quoi semblent s’opposer les paroles des saints. Cependant, on peut dire qu’elle a été intermédiaire entre les deux connaissances, parce que, par le fait qu’il a vu Dieu par essence, il dépassait la connaissance de la route, mais par le fait qu’il n’a pas été rendu tout simplement bienheureux par cette vision, elle était inférieure à la connaissance de la patrie.

[22874] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod visio intellectualis est de his quae sunt in anima per sui essentiam, non quocumque modo, sed de his quae sunt in ea ut formae intelligibiles in intellectu. Sic autem non est Deus in anima viatoris per essentiam suam, sed per similitudinem. Quod autem dicitur ab Augustino quod visio intellectualis est earum rerum quarum similitudines non sunt aliud quam ipsae, est referendum ad objectum visionis, non ad medium quo videtur. Constat enim quod medium quo intelligitur lapis, est species ejus in anima, quae non est ipsa lapidis essentia; sed per similitudinem lapidis pervenitur ad cognoscendam ipsam essentiam lapidis; quia objectum intellectus est quid, idest rei essentia, seu quidditas. Sed hoc non contingit in visione imaginaria vel corporali; quia objectum imaginationis vel sensus non est ipsa essentia rei, sed accidentia quae sunt extra, sicut colOr et figura, et hujusmodi. Unde etiam in visione intellectuali viatoris non oportet quod ipsa divina essentia sit medium quo videtur; sed quod per similitudinem aliquam ipsius perveniatur ad aliqualem divinae essentiae cognitionem; non qua sciatur quid est Deus, sed qua sciatur quid non est. Vel dicendum quod Augustinus, 12 super Genes. ad litteram, unde verba illa sumuntur in Glossa 2 Corinth. 12, inducit hoc ad ostendendum differentiam intellectualis visionis ad alias visiones. Hoc enim intellectualis prae aliis habet quod potest cognoscere ea quae sunt intellectus per sui essentiam, non autem sensus vel imaginatio. Non autem sequitur propter hoc quod intellectus nihil intelligat nisi per essentiam suam, et quod non intelligat per similitudines aliquas.

6. La vision intellectuelle porte sur ce qui existe dans l’âme par sa propre essence, non pas de n’importe quelle manière, mais sur ce qui existe en elle comme des formes intelligibles dans l’intellect. Or, Dieu n’existe pas ainsi par son essence dans l’âme de celui qui est route, mais par une similitude. Le fait qu’Augustin dise que la vision intellectuelle porte sur les réalités dont les similitudes ne sont pas autres choses qu’elles-mêmes doit être mis en rapport avec la vision, et non avec le moyen par lequel on voit. En effet, il est clair que le moyen par lequel une pierre est intelligée est son espèce dans l’âme, qui n’est pas l’essence même de la pierre ; mais, par une similitude de la pierre, on parvient à la connaissance de l’essence de la pierre parce que l’objet de l’intellect est l’essence d’une chose ou sa quiddité. Mais cela ne se produit pas dans la vision imaginaire ou corporelle parce que l’objet de l’imagination ou du sens n’est pas l’essence de la chose, mais les accidents qui sont à l’extérieur, comme la couleur, la figure et les choses de ce genre. Même dans la vision intellectuelle de celui qui est en route, il n’est donc pas nécessaire que l’essence divine elle-même soit le moyen par lequel elle est vue, mais qu’on parvienne à une certaine connaissance de l’essence divine par une similitude de l’essence divine, par laquelle on ne connaît pas ce qu’est Dieu, mais par laquelle on connaît ce qu’il n’est pas. Ou bien il faut dire qu’Augustin, dans le Commentaire littéral sur la Genèse, XII, dont les paroles sont empruntées par la glose sur 2 Co 12, fait appel à cela pour montrer la différence de la vie intellectuelle par rapport aux autres visions. En effet, la vision intellectuelle a ceci de propre, par rapport aux autres, qu’elle peut connaître ce qui appartient à l’intellect par sa propre essence, mais ce n’est pas le cas du sens ou de l’imagination. Il n’en découle cependant pas que l’intellect n’intellige rien sinon par son essence, et qu’il n’intellige pas par des similitudes.

[22875] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in omnibus potentiis ad invicem ordinatis hoc est necessarium ut ubi terminatur actus prioris potentiae, incipiat actus secundae; unde cum voluntas praesupponat intellectum, voluntas fertur in illud in quod intellectus terminatur: intellectus autem quamvis Deum in statu vitae non nisi per effectus cognoscat, tamen ejus operatio in ipsum Deum terminatur secundum quantulamcumque cognitionem quam de ipso accipit; et ideo affectus non indiget ad hoc quod referatur in Deum quod redeat in illa media; sed potest statim in ipsum Deum ferri, in quem intellectus devenit.

7. Dans toutes les puissances ordonnées les unes aux autres, il est nécessaire que là où se termine l’acte de la puissance antérieure, commence l’acte de la seconde. Puisque la volonté présuppose l’intellect, la volonté est donc portée vers ce à quoi se termine l’intellect. Or, bien que, dans l’état de cheminement (corr. vitae/viae), l’intellect ne connaisse Dieu que par ses effets, son opération se termine cependant à Dieu selon la faible connaissance qu’il reçoit de lui. Aussi l’affectivité n’a-t-elle pas besoin, pour se rapporter à Dieu, de revenir vers cette [connaissance] intermédiaire, mais elle peut aussitôt être portée vers Dieu lui-même, auquel l’intellect est parvenu.

[22876] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod etiam quando aliquid videtur per similitudinem alterius rei, potest contingere quod videns rem per medium, cogitet de re immediate sine hoc quod ejus cognitio convertatur ad aliquam aliam rem; quia in illud medium non convertitur ut est res quaedam, sed ut imago illius rei quae per ipsam cognoscitur. Idem autem est motus intellectus in imaginem inquantum est imago, et in imaginatum; quamvis alius motus sit intellectus in imaginem inquantum est res quaedam, et in id cujus est imago; et ideo, quando per similitudinem creaturae quam intellectus habet penes se, non convertitur in creaturam ut est res quaedam, sed solum ut est similitudo rei, tunc immediate de Deo cogitat, quamvis non immediate Deum videat.

8. Même lorsque quelque chose est vu à travers une similitude d’une autre chose, il peut arriver que celui qui voit la chose par cet intermédiaire pense à la chose de manière immédiate, sans que sa connaissance se tourne vers l’autre chose, car elle ne se tourne pas vers cet intermédiaire en tant qu’il est une certaine chose, mais en tant qu’il est l’image de la chose qui est connue par elle. Or, le mouvement de l’intellect vers l’image en tant qu’elle est image et vers ce qui est représenté par l’image est le même, bien que le mouvement de l’intellect vers l’image en tant qu’elle est une certaine chose soit différent de son mouvement vers ce dont elle est l’image. Lorsque, par la similitude de la créature qu’il a en lui-même, l’intellect ne se tourne pas vers la créature en tant qu’elle est une chose, mais seulement en tant qu’elle est la similitude d’une chose, il pense donc immédiatement à Dieu, bien qu’il ne voie pas Dieu de manière immédiate.

[22877] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 9 Ad nonum dicendum, quod, sicut dicit Glossa super illud Psalm. 11: diminutae sunt veritates etc., ab una veritate increata resultant multae veritates in animabus nostris, sicut ab una facie similitudines multae in speculo fracto, sive in multis speculis; et haec veritas in intellectu nostro resultans primo et principaliter consistit in primis principiis per se notis; et ideo quando per ea de omnibus aliis judicamus, nostrum judicium est secundum primam veritatem, cujus est dictorum principiorum veritas similitudo.

9. Comme le dit la Glose de Ps 11 : Les vérités sont diminuées, etc., d’une seule vérité incréée, résultent plusieurs vérités dans nos âmes, comme d’un seul visage, plusieurs ressemblances résultent dans un miroir brisé ou dans plusieurs miroirs. La vérité qui résulte dans notre intellect consiste premièrement et principalement dans les premiers principes connus par eux-mêmes. Lorsque nous jugeons de tout le reste à travers eux, notre jugement se réalise donc selon la vérité première, dont la vérité est une similitude de ces [premiers] principes.

[22878] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 10 Ad decimum dicendum, quod dupliciter cognoscitur aliquid ab altero. Uno modo sicut ex cujus cognitione devenitur in cognitionem alterius; et sic illud quo cognoscitur, est magis notum, ut principia conclusionibus. Alio modo sicut perficiens cognoscentem ad cognoscendum; sive sit forma, sicut species lapidis in oculo perficit oculum ad videndum; sive principium effectivum hujus formae, sicut dicitur quod oculus videt per solem; et hoc modo id quo aliquid cognoscitur, non oportet quod sit magis notum, immo possibile est quod non cognoscatur; cognoscitur enim per quamdam inflexionem intellectus ab objecto cognoscibili in id quod erat cognitionis principium. Sic autem in Deo omnia cognoscimus; et ideo ratio non sequitur.

10. Une chose est connue par quelque chose d’autre de deux manières. D’une manière, lorsque, par sa connaissance, on parvient à sa connaissance d’une autre chose : de cette manière, ce par quoi l’on connaît est plus connu, comme les principes [le sont] plus que les conclusions. D’une autre manière, comme ce qui perfectionne celui qui connaît pour qu’il connaisse, qu’il s’agisse d’une forme, comme l’espèce de la pierre dans l’œil perfectionne l’œil pour voir, ou d’un principe qui réalise cette forme, comme on dit que l’œil voit par le soleil : de cette manière, il n’est pas nécessaire que ce par quoi quelque chose est connu soit plus connu, bien plus, il est possible qu’il ne soit pas connu : en effet, il est connu par une sorte d’infléchissement de l’intellect depuis l’objet connaissable vers ce qui était le principe de la connaissance. Ainsi connaissons-nous tout en Dieu. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[22879] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod verbum Augustini intelligendum est quantum ad hoc quod nulla creatura interponitur inter mentem nostram et Deum, qua mediante mens nostra a Deo procedat in esse, vel qua mediante formetur per gratiam vel per gloriam, sicut efficiente medio. Nihil tamen prohibet quin aliqua forma creata mediante mens nostra a Deo formetur, sicut gratiae vel caritatis habitu; et sic per speciem creatam formatur mens viatoris ad videndum Deum.

11. La parole d’Augustin doit s’entendre de ce qu’aucune créature ne s’interpose entre notre esprit et Dieu, par l’intermédiaire de laquelle notre esprit procède de Dieu vers l’être, ou par l’intermédiaire de laquelle il prend forme par la grâce et par la gloire, comme par un intermédiaire qui [les] causerait. Cependant, rien n’empêche que notre esprit soit formé par Dieu par l’intermédiaire d’une forme créée, comme par l’habitus de la grâce ou de la charité. L’esprit de celui qui est en cheminement est ainsi formé par une espèce créée afin de voir Dieu.

[22880] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avempace posuit quod intelligere essentias separatarum substantiarum poterat provenire homini per scientias speculativas, quas in hac vita addiscimus. Sed hanc positionem improbat Commentator in 3 de anima, ex hoc quod adhuc non sunt inventa aliqua principia quibus ad hoc perveniri possit; quod non videtur esse probabile, si ad hoc per principia scientiarum speculativarum perveniri posset; et praecipue cum omnis humana cognitio ad illam ordinetur; non enim esset probabile quod species humana deficeret a perfectione naturali totaliter. Et ideo dicendum, quod praedicta positio impossibilis est; cujus ratio est, quia scientiae speculativae procedunt ex principiis per se notis, quae a sensu accipiuntur, ut dicitur in 2 posteriorum; et ideo per illa non possumus devenire in essentias illarum rerum quae omnes formas sensibiles excedunt; unde per nullam scientiam speculativam quam nunc acquirimus, scimus quid est Deus, vel quid est Angelus, nisi sub quibusdam similitudinibus, magis cognoscentes de eis quid non sunt quam quid sunt; et propter hoc dicit philosophus in principio Metaph. quod scientia de Deo non est humana possessio, quia scilicet eam ad plenum habere non possumus.

12. Avempace a affirmé que l’intellection des essences séparées pouvait venir à l’homme par les sciences spéculatives que nous apprenons dans la vie présente. Mais le Commentateur repousse cette position dans Sur l’âme, III, par le fait que certains principes n’ont pas encore été trouvés, par lesquels il puisse y parvenir, ce qui n’est pas probable, si on pouvait parvenir à cela par les principes des sciences spéculatives, surtout que toute connaissance humaine y est ordonnée. En effet, il ne serait pas probable qu’une perfection naturelle ferait totalement défaut à l’espèce humaine. Aussi faut-il dire que la position rappelée est impossible. La raison en est que les sciences spéculatives procèdent de principes connus par eux-mêmes, qui sont reçus du sens, comme on le dit dans les Analytiques postérieurs, II. Aussi ne pouvons-nous pas parvenir par eux aux essences des choses qui dépassent toutes les formes sensibles. En conséquence, nous ne savons ce qu’est Dieu ou ce qu’est l’ange par aucune science spéculative que nous acquérons maintenant, si ce n’est sous certaines similitudes ; à leur sujet, nous connaissons plutôt ce qu’elles ne sont pas que ce qu’elles sont. Pour cette raison, le Philosophe dit, au début de la Métaphysique, que la science de Dieu n’est pas une possession humaine, car nous ne pouvons la posséder pleinement.

[22881] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 2 a. 7 ad 13 Ad tertiumdecimum dicendum, quod corpus non potest esse corruptibile nisi quando anima non plene corpori dominatur. Si enim plene ei dominaretur, suam incorruptionem ei conferret; et ideo in statu corruptionis oportet quod anima cognoscat secundum exigentiam corporis, scilicet accipiendo a sensibus. Tali autem modo cognitionis Deus per essentiam videri non potest, ut ex dictis patet, et secundum hoc status corruptionis repugnat visioni Dei per essentiam.

13. Le corps ne peut être corruptible que lorsque l’âme ne domine pas complètement le corps. En effet, si elle le dominait pleinement, elle lui conférerait son incorruptibilité. Dans l’état de corruption, il faut donc que l’âme connaisse selon que l’exige le corps, en recevant des sens. Or Dieu ne peut être vu par son essence d’une telle manière, comme cela ressort de ce qui a été dit. Pour cette raison, l’état de corruption s’oppose à la vision de Dieu par son essence.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La délectation]

 

 

Prooemium

 

[22882] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 pr. Deinde quaeritur de delectatione; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 quid sit delectatio; 2 quae sit causa delectationis; 3 de comparatione delectationis ad tristitiam; 4 de bonitate et malitia delectationis et tristitiae; 5 de comparatione delectationis spiritualis ad corporalem.

On s’interroge ensuite sur la délectation. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la délectation ? 2 – Quelle est la cause de la délectation ? 3 – La comparaison entre la délectation et la tristesse. 4 – Le caractère bon et mauvais de la délectation et de la tristesse. 5 – La comparaison entre la délectation spirituelle et la [délectation] corporelle.

 

 

Articulus 1 [22883] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 tit. Utrum delectatio sit passio

Article 1 – La délectation est-elle une passion ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La délectation est-elle une passion ?]

[22884] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod delectatio non sit passio. Omnis enim passio in motu consistit, ut dicitur in Lib. 6 principiorum, et 10 Ethic. Sed delectatio non est motus neque generatio aliqua, ut dicit philosophus in 7 Ethic. Ergo delectatio non est passio.

1. Il semble que la délectation ne soit pas une passion. En effet, toute passion consiste dans un mouvement, comme on le dit dans Sur les principes, VI, et dans Éthique, X. Or, la délectation n’est pas un mouvement ni une génération, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII. La délectation n’est donc pas une passion.

[22885] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, operatio non est passio, sed magis actio, cum sit existentis in actu, secundum quod hujusmodi. Sed delectatio est quaedam operationis perfectio, ut dicitur in 10 Ethic. Ergo delectatio non est passio.

2. L’opération n’est pas une passion mais plutôt une action, puisqu’elle est le fait de ce qui existe en acte en tant que tel. Or, la délectation est la perfection d’une opération, comme on le dit dans Éthique, X. La délectation n’est donc pas une passion.

[22886] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in omni passione trahitur patiens ad terminos agentis; quia agens assimilat sibi patiens. Sed causa delectationis est convenientia; et ita illud quod delectatur, in suis terminis manet. Ergo delectatio non est passio.

3. En toute passion, ce qui subit est entraîné vers les limites de l’agent, car l’agent s’assimile le patient. Or, la cause de la délectation est ce qu’il y a de commun ; ainsi, ce qui se délecte demeure dans ses limites. La délectation n’est donc pas une passion.

[22887] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, gaudium et delectatio sunt unius generis. Sed gaudium est passio; ponitur enim una de quatuor principalibus passionibus, ut patet 9 de Civit. Dei. Ergo delectatio est passio.

Cependant, [1] la joie et la délectation font partie du même genre. Or, la joie est une passion : en effet, elle fait partie des quatre passions principales, comme cela ressort de La cité de Dieu, IX. La délectation est donc une passion.

[22888] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, delectationis objectum est bonum. Sed bonum est proprium objectum appetitus. Ergo delectatio ad appetitum pertinet. Sed alia quae pertinent ad appetitum, sunt passiones, ut amOr ira et hujusmodi. Ergo et delectatio est passio.

[2] L’objet de la délectation est un bien. Or, le bien est l’objet propre de l’appétit. La délectation relève donc de l’appétit. Or, les autres choses qui relèvent de l’appétit sont des passions, comme l’amour, la colère et les choses de ce genre. La délectation aussi est donc une passion.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [La délectation peut-elle exister dans l’âme intellective et dans les autres substances spirituelles ?]

[22889] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in parte intellectiva animae et in aliis substantiis spiritualibus delectatio esse non possit. Quia, ut dicitur in 7 physicorum, omnis passio est in parte animae sensitiva. Sed delectatio est passio, ut probatum est. Ergo non potest esse in parte intellectiva, nec in substantia aliqua spirituali.

1. Il semble que la délectation ne puisse exister dans la partie intellective de l’âme et dans les autres substances spirituelles, car, ainsi qu’il est dit dans Physique, VII, toute passion se trouve dans la partie sensible. Or, la délectation est une passion, comme on l’a montré. Elle ne peut donc exister dans la partie intellective ni dans une autre substance spirituelle.

[22890] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Avicenna dicit in 6 de naturalibus, quod subjectum delectationis est speciei corporalis. Sed pars intellectiva non utitur aliquo corporali organo. Ergo in ea non potest esse aliqua delectatio.

2. Avicenne dit, dans Les choses naturelles, VI, que le sujet de la délectation est le fait d’une espèce corporelle. Or, la partie intellective n’utilise pas d’organe corporel. Il ne peut donc exister en elle de délectation.

[22891] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est intellectivae partis, non est commune nobis et brutis. Sed delectatio est etiam in brutis. Ergo delectatio non est intellectivae partis.

3. Ce qui relève de la partie intellective n’est pas commun à nous et aux animaux sans raison. Or, la délectation existe aussi chez les animaux sans raison. La délectation ne relève donc pas de la partie intellective.

[22892] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Lucae 15, 10: gaudium est Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente.

Cependant, [1] il est dit en Lc 15, 10 : Les anges de Dieu se réjouissent de ce qu’un pécheur fasse pénitence.

[22893] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 7 Ethic., quod Deus semper una et simplici operatione gaudet. Ergo et eadem ratione in aliis substantiis spiritualibus potest esse delectatio.

[2] Le Philosophe dit, dans Éthique, VII, que Dieu se réjouit par une opération unique et simple. Pour la même raison, la délectation peut donc exister chez les autres substances spirituelles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La délectation existe-t-elle dans le temps ?]

[22894] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod delectatio sit in tempore. Delectatio enim consequitur operationem nostram, ut dicitur in 10 Ethic. Sed operatio nostra est in tempore. Ergo et delectatio est in tempore.

1. Il semble que la délectation existe dans le temps. En effet, la délectation découle de notre opération, comme on le dit dans Éthique, X. Or, notre opération existe dans le temps. La délectation existe donc aussi dans le temps.

[22895] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omne illud in quo est accipere prius et posterius, est in tempore. Sed in delectatione est accipere prius et posterius, cum aliquis per longam horam possit continue delectari. Ergo videtur quod delectatio sit in tempore.

2. Tout ce en quoi on peut saisir de l’avant et de l’après existe dans le temps. Or, dans la délectation, on peut saisir de l’avant et de l’après, puisque quelqu’un peut se délecter de manière continue pendant toute une heure. Il semble donc que la délectation existe dans le temps.

[22896] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, delectatio aliis passionibus condividitur. Sed aliae passiones animae sunt in tempore, ut ira et hujusmodi. Ergo et delectatio.

3. La délectation se distingue des autres passions. Or, les autres passions de l’âme existent dans le temps, telle la colère et [les passions] de ce genre. Donc, la délectation aussi.

[22897] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 10 Ethic.: secundum nullum tempus acciperet quis delectationem.

Cependant, [1] le Philosophe dit dans Éthique, X : « Personne ne prendrait jamais de délectation. »

[22898] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, delectatio sequitur apprehensionem convenientis. Sed visio et aliae apprehensiones, non sunt in tempore, sed in instanti. Ergo et delectatio non mensuratur tempore.

[2] La délectation découle de la perception de ce qui commun. Or, la vision et les autres perceptions n’existent pas dans le temps, mais dans l’instant. La délectation aussi n’est donc pas mesurée par le temps.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La délectation et la joie sont-elles la même chose ?]

[22899] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod delectatio et gaudium sint penitus idem; et similiter exultatio et laetitia et jucunditas. Passiones enim et habitus penes objecta distinguuntur. Sed gaudium et delectatio et alia dicta, habent idem objectum, scilicet bonum conveniens. Ergo sunt idem.

1. Il semble que la délectation et la joie soient la même chose, de même que l’exultation, la joie, l’allégresse et la gaieté. En effet, les passions et les habitus se distinguent selon leurs objets. Or, la joie, la délectation et les autres choses mentionnées ont le même objet, à savoir, un bien qui convient. Elles sont donc la même chose.

[22900] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, ab eadem causa procedit idem effectus; quia idem semper natum est idem facere. Sed delectationis et gaudii non potest poni nisi una et eadem causa, scilicet conjunctio convenientis. Ergo sunt idem.

2. D’une même cause procède un même effet, car une chose est destinée à produire une même chose. Or, on ne peut donner qu’une seule cause aux délectations et à la joie : l’union à ce qui convient. Elles sont donc la même chose.

[22901] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, unum uni opponitur. Sed delectationi et gaudio opponitur unum, quod est tristitia. Ergo delectatio et gaudium sunt unum omnino.

3. Une seule chose s’oppose à une seule chose. Or, une seule chose s’oppose à la délectation et à la joie : la tristesse. La délectation et la joie ne sont donc qu’une seule chose.

[22902] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Avicenna in 6 de naturalibus, quod gaudium est species delectationis. Ergo non sunt omnino idem.

Cependant, [1] Avicenne dit, dans Les choses naturelles, VI, que la joie est une espèce de la délectation. Elles ne sont donc pas une seule chose.

[22903] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, si gaudium et delectatio essent omnino idem, ubicumque est delectatio, esset et gaudium. Hoc autem falsum est: quia in sensu dicitur esse delectatio, sed non gaudium, proprie loquendo. Ergo delectatio et gaudium non sunt penitus idem.

[2] Si la joie et la délectation n’étaient qu’une seule chose, partout où il y a délectation, il y aurait joie. Or, cela est faux, car on dit qu’il y a de la délectation dans le sens, mais non pas de la joie au sens propre. La délectation et la joie ne sont donc pas tout à fait la même chose.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22904] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quaelibet res quando pertingit ad propriam perfectionem, consequitur stabilimentum et vigorem; sicut corpora quando perveniunt ad terminos motus sui naturalis, quia in loco naturali conservantur. Cum autem motus penes terminos distinguantur, oportet quod diversum judicium de perventione ad terminum complementi accipiatur secundum differentiam motus. Movetur autem aliquid ad suam perfectionem dupliciter. Uno modo per inclinationem naturalem, sicut lapis movetur deorsum; et hic motus non praeexigit cognitionem in eo quod movetur, sed in alio quod est principium causans hanc inclinationem; et hic est motus naturalis. Alio modo per inclinationem cujus principium est cognitio ejus quod movetur; et haec quidem inclinatio dicitur appetitus animalis aut intellectualis; unde sicut in terminatione motus naturalis est quaedam vigoratio naturalis ejus quod movetur, ita in assecutione perfectionis in quam tendit appetitus animalis, est quaedam quietatio ipsius, seu vigoratio ejus, praesupponens cognitionem perfectionis jam conjunctae, sicut appetitus praesupponebat cognitionem perfectionis nondum habitae; et talis vigor sive quietatio appetitus, vocatur delectatio; unde etiam Commentator dicit in 10 Ethic. quod delectatio est quaedam superfloritio naturae. Est autem duplex appetitus, sicut et cognitio; scilicet sensitivae et intellectivae partis. Appetitus autem sensitivae partis est virtus in organo corporali, et est immediatum principium corporalis motus; unde omnia quae accidunt in appetitu sensitivo, sunt conjuncta cum quadam transmutatione corporali; quod non accidit in his quae sunt in appetitu intellectivo, nisi passione large accepta, et improprie, ut in 3 Lib., dist. 15, quaest. 11 art. 1, quaestiunc. 2 in corp., dictum est; unde delectatio quae est in appetitu sensitivo, quaedam passio est; non autem delectatio quae est in intellectivo, nisi passione large accepta.

De toute chose, lorsqu’elle atteint la perfection qui lui est propre, découle solidité et vigueur, comme les corps, lorsqu’ils parviennent au terme de leur mouvement naturel, sont conservés dans leur lieu naturel. Or, comme les mouvements se distinguent par leurs termes, il est nécessaire que le jugement sur l’atteinte du terme soit porté selon la différence du mouvement. Or, quelque chose est mû vers sa perfection de deux manières. D’une manière, par une inclination naturelle, comme la pierre est mue vers le bas. Ce mouvement n’exige pas de connaissance de la part de ce qui est mû, mais chez un autre qui est le principe causant cette inclination. C’est là un mouvement naturel. D’une autre manière, par une inclination dont le principe est la connaissance chez ce qui est mû. Une telle inclination est appelée appétit animal ou intellectuel. De même qu’au terme d’un mouvement naturel existe un renforcement naturel de ce qui est mû, de même, pour l’atteinte de la perfection vers laquelle tend l’appétit animal, existe-t-il donc un certain apaisement ou un renforcement de celui-ci, présupposant la connaissance de la perfection déjà atteinte, de la même façon que l’appétit présupposait une connaissance de la perfection non encore possédée. Une telle vigueur ou apaisement de l’appétit est appelée délectation. Aussi le Commentateur dit-il dans Éthique, X, que la délectation est un épanouissement de la nature. Or, il existe un double appétit, de même qu’il existe une double connaissance : celui de la partie sensible et celui de la partie intellective. L’appétit de la partie sensible est une puissance qui se trouve dans un organe corporel, et il est le principe immédiat du mouvement corporel. Aussi tout ce qui se produit dans l’appétit sensible est-il accompagné d’une transformation corporelle, ce qui n’est pas le cas pour l’appétit intellectuel, à moins qu’on entende « passion » au sens large et impropre, comme on l’a dit dans le livre III, d. 15, q. 11, a. 1, qa 2, c. La délectation qui existe dans l’appétit sensible est donc une passion, mais non la délectation qui existe dans [l’appétit] intellectif, à moins d’entendre « passion » au sens large.

[22905] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens motum per accidens terminari ad alium motum, quamvis hoc per se sit impossibile, ut probatur in 5 Physic. Delectatio ergo, inquantum hujusmodi, semper consistit in aliqua terminatione motus. Sed tamen quia in terminatione motus appetitivi consurgit quidam motus, in quo passio animalis consistit; ideo passionem inesse accidit delectationi; sed inest per se delectationi sensitivae.

1. Il n’est pas inapproprié qu’un mouvement se termine par accident dans quelque chose d’autre qui est mû, bien que cela soit impossible par soi, ainsi qu’on le montre dans Physique, V. En tant que telle, la délectation consiste donc toujours dans un achèvement du mouvement. Cependant, parce que, lors de l’achèvement d’un mouvement appétitif, un mouvement est suscité, dans lequel consiste la passion animale, il arrive que la passion soit inhérente à la délectation ; mais elle est inhérente par soi à la délectation sensible.

[22906] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis operatio, inquantum operatio, non sit passio; tamen potest habere passionem annexam, vel sicut praecedentem, vel sicut subsequentem: ut praecedentem quidem, sicut sentire habet annexam receptionem speciei sensibilis, et intelligere receptionem speciei intelligibilis, secundum quod omne sentire quoddam pati est: sed ut consequentem; sicut operationem appetitus sensitivi consequitur quaedam corporalis transmutatio secundum dilatationem et constrictionem cordis et alia hujusmodi; et sic quamvis delectatio sit circa operationem, tamen inquantum est delectatio sensitiva, est in passione quadam consistens.

2. Bien que l’opération, en tant qu’opération, ne soit pas une passion, une passion peut cependant lui être associée, soit qu’elle la précède, soit qu’elle en découle. Elle la précède, comme à la sensation est associée la réception d’une espèce sensible, et à l’intellection, la réception d’une espèce intelligible, selon que toute sensation est une certaine passion. Elle en découle, comme une transformation corporelle par la dilatation ou le rétrécissement du corps,«  et d’autres choses de ce genre découlent de l’opération de l’appétit sensible. Puisque la délectation porte sur l’opération, cependant, en tant qu’elle est une délectation sensible, elle consiste en une passion.

[22907] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatus includitur terminis suae perfectionis, ex qua delectatio consurgit; qui quidem termini sunt alieni hoc modo quo differt perfectio et perfectibile; sunt autem proprii secundum quod perfectio est connaturalis perfectibili.

3. Celui qui se délecte est inclus dans les limites de sa perfection, dont provient la délectation. Ces limites sont différentes comme diffèrent une perfection et ce qui est perfectible ; mais elles sont propres selon que la perfection est connaturelle à ce qui est perfectible.

[22908] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus quantum ad delectationem sensitivam.

[1] et [2] Nous concédons ces deux arguments pour ce qui est de la délectation sensible.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22909] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod delectatio invenitur diversimode in Deo, Angelis, hominibus, et brutis, secundum quod diversimode se habent ad suas perfectiones, ex quarum conjunctione delectatio consurgit. Bruta enim non possunt pertingere ad altiorem perfectionem quam sit perfectio materialis; unde eam consequuntur materiali motu, qui scilicet est per organum corporale; et sic delectatio in eis consurgens est materialis passio. In Angelis vero, cum sint omnino a materia separati, non est accipere aliquam materialem perfectionem, sed immaterialem tantum; unde et immaterialiter eam consequuntur; et delectatio in eis consequens immaterialis est. Unde dicit Dionysius in fine Caelest. Hierarch.: caelestes dispositiones, idest Angeli, acceptrices non sunt omnino ejus quae secundum nos est passibilis delectationis. Homines vero ex spirituali et materiali natura compositi sunt; et ideo quantum ad inferiorem partem, scilicet appetitum sensibilem, in quo cum brutis conveniunt, est delectatio materialis; in superiori vero appetitu, in quo cum Angelis conveniunt, habent delectationem immaterialem, ut cum gaudent de rebus spiritualibus, puta de contemplationibus, et aliis divinis donis; unde dicit Dionysius, ibidem, quod in participatione angelicae delectationis saepe facti sunt et viri sancti per deificos divinarum illuminationum superadventus. In omnibus autem praedictis perfectio est aliud ab eo quod perficitur; unde possibile est plures perfectiones uni inesse; et ideo tam in brutis quam in hominibus et Angelis sunt multiplices delectationes eis supervenientes. Sed Deus non habet perfectionem quae non sit idem quod ipse, cum ipse sit actus purus; et ideo unica tantum est ejus delectatio, non superveniens, sed essentialis; unde dicit philosophus in 7 Ethic., quod Deus semper una et simplici gaudet delectatione.

La délectation se trouve de manière différente en Dieu, chez les anges, chez les hommes et chez les animaux sans raison, selon leur rapport différent à leurs perfections, dont l’union avec elles suscite la délectation. En effet, les animaux sans raison ne peuvent atteindre une perfection plus élevée que ne l’est une perfection matérielle. Aussi l’obtiennent-ils par un mouvement matériel, qui est le fait d’un organe corporel ; ainsi la délectation suscitée chez eux est-elle une passion matérielle. Mais, chez les anges, puisqu’ils sont entièrement séparés de la matière, il n’est pas question de retenir une perfection matérielle, mais une [perfection] immatérielle seulement. Aussi l’obtiennent-ils de manière immatérielle, et la délectation qui en découle chez eux est-elle immatérielle. C’est pourquoi Denys dit, à la fin des La hiérarchie céleste : « Les dispositions célestes – à savoir, les anges – ne reçoivent d’aucune manière ce qui relève chez nous de la délectation sensible. » Mais les hommes sont composés d’une naturelle spirituelle et matérielle. Pour ce qui est de la partie inférieure, à savoir, l’appétit sensible, qu’ils ont en commun avec les animaux sans raison, existe donc la délectation matérielle ; pour ce qui est de l’appétit supérieur, qu’ils ont en commun avec les anges, ils ont la délectation immatérielle, comme lorsqu’ils se réjouissent de réalités spirituelles, par exemple, de contemplations et d’autres dons divins. C’est pourquoi Denys dit au même endroit que « les saints participent souvent à la délectation angélique par l’irruption divinisante d’illuminations divines ». Or, dans tout ce qui vient d’être dit, la perfection est différente de ce qui est perfectionné ; aussi est-il possible que plusieurs perfections se trouvent chez un seul. Tant chez les animaux sans raison que chez les hommes et les anges, il existe donc plusieurs délectations. Mais Dieu n’a pas de perfection qui ne soit pas la même chose que lui-même, puisqu’il est lui-même acte pur. Aussi sa délectation est-elle unique : elle ne lui est pas ajoutée, mais elle lui est essentielle. C’est ainsi que le Philosophe dit, dans Éthique, VII, que « Dieu se réjouit d’une délectation unique et simple ».

[22910] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in appetitu intellectivo nulla est passio, sed solum in appetitu sensitivo; quia quod patitur, ab alio movetur et ducitur. Appetitus autem intellectivus, cum sit liber sui, non dicitur duci; sed appetitus sensitivus ducitur; unde in eo solo passio cadit; delectatio vero quae est in appetitu intellectivo, non est passio, sed quaedam operationis perfectio, ut dictum est.

1. Dans l’appétit intellectuel, il n’existe aucune passion, mais seulement dans l’appétit sensible, car ce qui subit une passion est mû et mené par autre chose. Or, on ne dit pas que l’appétit intellectuel est mené, puisqu’il est libre, mais l’appétit sensible est mené ; aussi ne trouve-t-on de passion qu’en lui seulement. La délectation qui existe dans l’appétit intellectuel n’est donc pas une passion, mais une perfection de l’opération, comme on l’a dit.

[22911] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Avicenna loquitur de delectatione sensitiva, quae per organum completur corporale, sicut et cetera quae ad sensitivam partem pertinent.

2. Avicenne parle de la délectation sensible qui se réalise par un organe corporel, comme les autres choses qui relèvent de la partie sensible.

[22912] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa quae sunt communia nobis et brutis secundum unam rationem, non pertinent ad intellectivam partem; sed aliquid est commune nobis et brutis non secundum rationem eamdem, quod in nobis ad intellectum pertinet; sicut cognitio, et alia hujusmodi, quae secundum quamdam communitatem analogiae extenduntur a Deo usque ad bruta animalia, ut cognitio, et etiam usque ad plantas, ut vita, et etiam usque ad lapides, ut esse, ut patet per Dionysium de Div. Nom.: et secundum hoc delectatio spiritualis habet communitatem cum delectatione quae est in brutis.

3. Ce qui est commun à nous et aux animaux sans raison selon une seule raison ne se rapporte pas à la partie intellectuelle. Mais il y a quelque chose de commun à nous et aux animaux sans raison, qui ne relève pas de la même raison, qui relève chez nous de l’intellect, comme la connaissance et les autres choses de ce genre, qui, selon ce qu’elles ont de commun par analogie, vont depuis Dieu jusqu’aux animaux sans raison, en tant que connaissance, et même jusqu’aux plantes, en tant que vie, et même jusqu’aux plantes, en tant qu’être, comme cela ressort de ce que dit Denys dans Les noms divins. Sous cet aspect, la délectation spirituelle a quelque chose de commun avec la délectation qui existe chez les animaux sans raison.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22913] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquid dicitur esse in tempore dupliciter. Uno modo per se, alio modo per accidens. Quia autem de ratione temporis est prius et posterius, et illud per se inest alicui quod convenit ei secundum rationem suae speciei; ideo illa per se in tempore sunt in quibus requiritur aliquid ad complementum speciei quod in futurum expectatur; et hoc modo motus est in tempore; non enim completur species motus in medio, nisi perveniatur ad terminum; et similiter etiam quies est in tempore, eo quod quiescere est eodem modo se habere nunc ut prius; et sic de ratione quietis est quod aliquid in futurum expectetur. Per accidens vero aliquid in tempore esse dicitur ad cujus speciei complementum nihil requiritur quod in futurum expectetur, sicut esse hominem quod in uno instanti completur; sed est conjunctum motui, qui per se est in tempore, prout esse hominis variabile est. Delectatio autem ad complementum suae speciei et rationis nihil in futurum expectat; in instanti enim verum est dicere hominem delectari; unde non est in tempore nisi per accidens, inquantum scilicet perfectio illa ex cujus conjunctione surgit delectatio, motui conjuncta est; et ideo si sit aliqua perfectio quam motus non contingat, talis delectatio non erit in tempore neque per se neque per accidens; et haec est spiritualis delectatio in Angelis. In brutis autem est delectatio existens in tempore per accidens, inquantum eorum perfectionibus motus directe conjungitur; sed in nobis delectatio non est in tempore quo ad intellectivam partem etiam per accidens, nisi valde indirecte, inquantum scilicet operatio intellectus nostri conjungitur phantasmatibus. Tamen verum est nullam delectationem esse in tempore, per se loquendo.

On dit que quelque chose existe dans le temps de deux manières : d’une manière, par soi ; d’une autre manière, par accident. Parce que l’avant et l’après font partie de la raison de temps et que ce qui convient à quelque chose selon la raison de son espèce lui est inhérent par soi, existe par soi dans le temps ce pour quoi quelque chose est nécessaire pour l’achèvement de son espèce qui est attendu dans l’avenir : de cette manière, le mouvement existe dans le temps. En effet, l’espèce du mouvement n’est pas achevée au milieu, à moins qu’il ne soit parvenu au terme. De même, le repos existe dans le temps du fait qu’être au repos consiste à se trouver de la même manière maintenant qu’antérieurement ; il est donc de la raison du repos que quelque chose soit attendu dans le futur. Mais on dit que quelque chose existe dans le temps par accident parce que, pour achever son espèce, rien n’est requis qui soit attendu dans le futur, comme le fait d’être homme est achevé en un instant ; mais cela est associé au mouvement, qui existe dans le temps par lui-même, pour autant qu’être homme est quelque chose de changeant. Or, la délectation n’attend rien dans le futur pour que son espèce et sa raison soient achevées. En effet, il est vrai de dire que l’homme se délecte dans l’instant. Cela n’existe donc dans le temps que par accident, pour autant que la perfection par laquelle la délectation est suscitée, lorsqu’elle lui est unie, est associée au mouvement. S’il existe une perfection que le mouvement n’atteint pas, une telle délectation n’existera donc pas dans le temps ni par soi ni par accident ; telle est la délectaton spirituelle chez les anges. Mais, chez les animaux sans raison, la délectation existe dans le temps par accident dans la mesure où le mouvement est directement uni à leurs perfections. Cependant, chez nous, la délectation n’existe pas dans le temps pour ce qui est de la partie intellectuelle, même par accident, si ce n’est très indirectement, dans la mesure où l’opération de notre intellect est unie aux fantasmes. Toutefois, il est vrai qu’aucune délectation n’existe par soi dans le temps.

[22914] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectatio immediate consequitur operationes animae, quae sunt apprehendere et velle. Hae autem operationes non sunt in tempore nisi per accidens; videre enim et intelligere et velle statim sunt.

1. La délectation découle immédiatement des opérations de l’âme que sont comprendre et vouloir. Or, ces opérations n’existent dans le temps que par accident : en effet, voir, intelliger et vouloir existent dans l’instant.

[22915] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod aliquis dicatur diutius alio delectari, non est nisi inquantum delectatio est in tempore per accidens; sicut etiam dicitur homo diutius videre vel vivere.

2. Le fait de dire que quelqu’un se délecte plus rapidement qu’un autre ne vient que de ce que la délectation existe dans le temps par accident, comme on dit qu’un homme voit ou vit plus rapidement.

[22916] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam aliae animae passiones quantum ad id quod est ex parte animae, non sunt in tempore nisi per accidens, inquantum scilicet eis conjungitur motus ex parte corporis; tamen delectatio magis habet rationem quod non sit in tempore quam aliae passiones: quia aliae passiones consistunt in appetitu secundum quod tendit in aliquid, sicut ira in vindictam, et odium in nocumentum alterius; sed delectatio consistit in appetitu secundum quod ejus motus in suo appetibili adepto terminatur: omnis autem terminus motus non est in tempore, sed in instanti.

3. Même les autres passions de l’âme, pour ce qui relève de l’âme, n’existent dans le temps que par accident, dans la mesure où un mouvement leur est associé de la part du corps. Cependant, la délectation a plus de raison de ne pas exister dans le temps que les autres passions, car les autres passions résident dans l’appétit en tant qu’il tend à quelque chose, comme la colère à la vengeance et la haine à une nuisance occasionnée à un autre. Mais la délectation réside dans l’appétit selon que son mouvement se termine dans l’obtention de ce qui est désirable. Or, tout terme d’un mouvement n’existe pas dans le temps, mais dans l’instant.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[22917] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod delectatio, gaudium, laetitia, et omnia hujusmodi, hoc habent commune quod causantur ex conjunctione perfectionis appetitae. Perfectio autem aliqua potest alicui conjungi dupliciter: uno modo realiter; alio modo secundum comprehensionem ejus. Ex hoc autem quod perfectio realiter conjungitur, consurgit delectatio; ex hoc autem quod conjungitur secundum apprehensionem, surgit gaudium et omnia alia; et propter hoc etiam gaudium est de spe futurorum, et memoria praeteritorum; sed delectamur de praesentibus tantum; ideo etiam quia sensus exterior non apprehendit rem nisi praesentem, secundum eum non dicimur gaudere, sed delectari. Sensus autem interior apprehendit et rem praesentem et absentem; unde secundum sensum interiorem dicimur et delectari et gaudere: delectari quidem de eo quod sibi sua perfectio conjungitur, sicut de ipsa sua operatione, de qua etiam et gaudet inquantum eam apprehendit; sed de operatione sensus exterioris, quae sibi non conjungitur nisi apprehensione, potest quidem gaudere, sed non delectari; sicut sensus interior vel intellectus non delectatur in comestione dulcium; sed potest gaudere de hoc, inquantum hoc apprehendit ut conveniens exteriori sensui. Laetitia vero et exultatio et jucunditas exprimunt quosdam gaudii effectus. Laetitia quidem effectum interiorem, secundum quod ipse affectus dilatatur quasi roboratus et perfectus ex appetibilis conjunctione; unde et passio gaudii cum dilatatione cordis perficitur: dicitur enim laetitia quasi latitia. Sed exultatio exprimit ulterius effectum gaudii exterius prorumpentem in signum interioris gaudii; unde dicitur exultatio ex hoc quod interius gaudium ad exteriora prodit, quod ex magnitudine gaudii interioris contingit; unde dicit Cassiodorus super Psalm. 9, quod exultatio in magnis gaudiis dicitur. Jucunditas vero ulterius importat effectum gaudii exterius prorumpentem, qui non solum demonstrat interius gaudium, sed etiam excitat aliquos ad gaudendum.

La délectation, la joie, l’allégresse et toutes les choses de ce genre ont en commun d’être causées par l’union de la perfection désirée. Or, une perfection peut être unie à quelque chose de deux manières : d’une manière, réellement ; d’une autre manière, selon qu’elle est appréhendée. La délectation est suscitée par le fait que la perfection est unie réellement ; mais, du fait qu’elle est unie selon qu’elle est appréhendée, la joie et toutes les autres choses sont suscitées. Pour cette raison aussi, la joie porte sur l’espérance de choses à venir et le souvenir des choses passées ; mais nous ne sommes délectés que par les choses présentes. Pour cette raison aussi, parce que le sens extérieur n’appréhende qu’une chose présente, on ne dit pas que nous nous en réjouissons, mais que nous nous en délectons. Mais le sens intérieur appréhende une chose présente et une chose absente ; aussi, selon le sens intérieur, dit-on que nous nous délectons et que nous nous réjouissons. Nous nous délectons du fait que notre perfection nous est unie, comme de notre opération elle-même, dont nous nous réjouissons aussi pour autant que nous l’appréhendons. Mais, pour ce qui est de l’opération du sens extérieur, qui ne nous est unie que par l’appréhension, nous pouvons assurément nous réjouir, mais non pas nous délecter ; ainsi, le sens intérieur ou l’intellect ne se délectent pas de manger des choses douces, mais ils peuvent s’en réjouir pour autant qu’ils appréhendent cela comme approprié au sens extérieur. Mais l’allégresse, l’exultation et la gaieté expriment certains effets de la joie. L’allégresse exprime un effet intérieur, selon que la puissance affective se dilate, comme si elle était affermie et perfectionnée par l’union avec ce qui est désirable. Ainsi la passion de la joie se réalise-t-elle avec une dilatation du cœur. Mais l’exultation exprime en plus un effet de la joie qui jaillit vers l’extérieur en signe de la joie intérieure ; on parle donc d’exultation lorsque la joie intérieure s’exprime à l’extérieur, ce qui se produit en raison de la grandeur de la joie intérieure. Ainsi Cassiodore dit-il, à propos du Ps 9, que l’exultation comporte en plus un effet de la joie qui jaillit à l’extérieur, qui non seulement manifeste la joie intérieure, mais en incite aussi d’autres à se réjouir.

[22918] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gaudium et delectatio licet habeant unum objectum secundum rem, non tamen est unum objectum secundum rationem. Bonum enim conjunctum realiter facit delectationem; sed conjunctum secundum apprehensionem facit gaudium. Laetitia vero, exultatio et jucunditas sunt idem quod gaudium, nisi quod exprimunt quosdam gaudii effectus, ut dictum est.

1. La joie et la délectation, bien qu’elles aient en réalité un objet commun, n’ont pas un objet commun selon la raison. En effet, le bien qui est uni réalise réellement la délectation ; mais lorsqu’il est uni en tant qu’appréhendé, il réalise la joie. Mais l’allégresse, l’exultation et la gaieté sont la même chose que la joie, sauf qu’elles expriment certains effets de la joie, comme on l’a dit.

[22919] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod idem est causa delectationis et gaudii, sed non eodem ordine: primo enim et per se est causa delectationis; secundario vero est causa gaudii. Nunquam enim aliquid apprehensum facit gaudium, nisi inquantum aestimatur ut conjunctum vel conjungibile secundum rem ad faciendam delectationem; et ideo conjunctio perfectionis primo et per se facit delectationem; sed inquantum apprehenditur ut delectationem faciens, facit gaudium etiam quando delectationem actualiter non causat; unde delectatio naturaliter prior est gaudio.

2. La cause de la délectation et de la joie est la même chose, mais non selon le même ordre : en effet, elle est en premier et par soi cause de la délectation ; mais, de manière secondaire, elle est cause de la joie. En effet, jamais quelque chose d’appréhendé ne réalise la joie, à moins que cela ne soit estimé réellement uni ou capable d’union pour réaliser la délectation. C’est pourquoi l’union d’une perfection réalise premièrement et par soi la délectation ; mais en tant qu’elle est appréhendée comme réalisant la délectation, elle réalise la joie, même lorsqu’elle ne cause pas la joie en acte. La délectation est donc naturellement antérieure à la joie.

[22920] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gaudio opponitur directe tristitia; delectationi autem opponitur dolOr secundum quod delectatio est in sensu exteriori, et praecipue in tactu; sed secundum quod est interius, non habet aliud oppositum quam tristitiam: posset tamen habere, si esset nomen positum.

3. À la joie s’oppose directement la tristesse ; mais à la délectation s’oppose la douleur, selon que la délectation existe dans le sens extérieur, et surtout dans le toucher ; mais selon qu’elle est intérieure, elle n’a pas d’autre opposé que la tristesse. Elle pourrait cependant en avoir si on lui donnait un nom.

 

 

Articulus 2 [22921] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 tit. Utrum causa delectationis sit sola operatio connaturalis habitus non impedita

Article 2 – La cause de la délectation est-elle seulement une opération connaturelle à un habitus non contrariée ?

[22922] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod causa delectationis non sit sola operatio connaturalis habitus non impedita. Dicit enim Avicenna in Lib. de naturalibus, quod delectatio consurgit ex perceptione convenientis adjuncti. Sed non sola operatio est conveniens, sed multa alia. Ergo non sola operatio est delectationis causa.

1. Il semble que la cause de la délectation ne soit pas seulement une opération connaturelle à un habitus non contrariée. En effet, Avicenne dit, dans le livre sur Les choses naturelles, que la délectation est suscitée par la perception de l’union avec quelque chose qui convient. Or, ce n’est pas seulement l’opération qui convient, mais beaucoup d’autres choses. L’opération n’est donc pas seule la cause de la délectation.

[22923] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, idem non est contrariorum causa. Sed operatio aliquando est causa tristitiae, etiam propria et connaturalis; unde accidia quae quaedam tristitia est, etiam consurgit ex spiritualibus operibus. Ergo operatio non est propria delectationis causa.

2. Une même chose n’est pas la cause de contraires. Or, l’opération, même propre et connaturelle, est parfois cause de tristesse ; ainsi l’acédie, qui est une tristesse, est-elle suscitée par des actions spirituelles. L’opération n’est donc pas la cause propre de la délectation.

[22924] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, si aliquid est causa alicujus, continuatio ejus causa est continuationis illius. Sed continuatio operationis non est causa continuationis delectationis; immo continuatio operationis frequenter parit fastidium; et operationes in sui novitate sunt magis delectabiles. Ergo operatio non est causa delectationis.

3. Si une chose est cause d’une autre chose, sa continuation est la cause de la continuation de l’autre chose. Or, la continuation d’une opération n’est pas la cause de la continuation d’une délectation ; bien plutôt, la continuation de l’opération engendre souvent l’ennui, alors que les opérations sont plus délectables lorsqu’elles sont nouvelles. L’opération n’est donc pas la cause de la délectation.

[22925] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, quies operationi opponitur. Sed quies delectationem causat. Ergo operatio non est propria causa delectationis.

4. Le repos s’oppose à l’opération. Or, le repos cause la délectation. L’opération n’est donc pas la cause propre de la délectation.

[22926] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, senes sunt attentioris operationis quam juvenes. Sed in senibus est minus de delectatione quam in juvenibus, ut patet per philosophum in 8 Ethic. Ergo operatio non est causa delectationis.

5. Les gens âgés ont une opération plus vigilante que les jeunes. Or, il existe moins de délectation chez les gens âgés que chez les jeunes, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VIII. L’opération n’est donc pas la cause de la délectation.

[22927] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea, si operatio esset causa delectationis, similiter se haberent ad delectationem qui similiter se habent ad operationem. Sed aliqui qui similiter operantur, non similiter delectantur: melancholici enim minus delectantur quam sanguinei. Ergo videtur quod operatio non sit per se delectationis causa.

6. Si l’opération était la cause de la délectation, ceux qui ont le même rapport avec une opération auraient le même rapport avec la délectation. Or, certains, qui agissent de la même manière, ne se délectent pas de la même manière : en effet, les mélancoliques se délectent moins que les sanguins. Il semble donc que l’opération ne soit pas par soi la cause de la délectation.

[22928] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 7 Ethic., quod delectatio est operatio connaturalis habitus: nec hoc potest intelligi nisi causaliter. Ergo operatio est delectationis causa.

Cependant, [1] le Philosophe dit dans Éthique, VII, que la délectation est une opération connaturelle à un habitus, et cela ne peut s’entendre que de manière causale. L’opération est donc la cause de la délectation.

[22929] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, unumquodque distinguitur secundum distinctionem suae causae; sed delectationes distinguuntur per distinctionem operationum, ut patet per philosophum in 10 Ethic. Ergo operatio est delectationis causa.

[2] Chaque chose se distingue selon la distinction de sa cause. Or, les délectations se distinguent par la distinction des opérations, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, X.

[22930] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 s. c. 3 Praeterea, habitus non cognoscitur nisi per operationem, vel per aliquid per operationem causatum. Sed habitus cognoscitur ex delectatione, ut dicitur 2 Ethic.: signum oportet accipere habitus fientem in opere delectationem. Cum ergo delectatio non sit ipsa operatio, videtur quod sit ex operatione causata.

[3] Un habitus n’est connu que par son opération ou par quelque chose qui est causé par l’opération. Or, un habitus est connu par la délectation, comme on le dit dans Éthique, II : « Il faut chercher le signe d’un habitus dans la délectation de celui qui agit. » Puisque la délectation n’est pas l’opération elle-même, il semble donc qu’elle soit causée par l’opération.

[22931] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut anima est forma corporis, ita in his quae sunt communia animae et corpori, id quod ex parte animae se habet, est formale; quod vero ex parte corporis, materiale; sicut in ira appetitus vindictae est formale; accensio sanguinis circa cor est materiale. Cum ergo delectatio, secundum quod est passio, sit de communibus animae et corporis; causa ejus potest quaeri duplex: formalis ex parte animae, et materialis ex parte corporis. Sed quia delectatio, secundum quod se tenet ex parte animae, habet rationem quasi communem quantum ad omnes in quibus delectatio invenitur, scilicet Deum, Angelos, et homines, et bruta; secundum autem quod se tenet ex parte corporis, manet tantum in parte animae sensitiva; ideo causa formalis delectationis est causa delectationis cujuscumque, non autem causa materialis ipsius. Patet etiam quod secundum formam est aliquid actu, sed secundum materiam est aliquid in potentia; et secundum materiae dispositiones est aliquid in aptitudine vel habilitate ad actum; et ideo secundum materialem causam delectationis scitur quomodo aliquis sit dispositus ad delectationem; sed secundum causam formalem ipsius apparet qualiter aliquis actu delectetur. Formalis igitur causa cujuslibet passionis vel operationis est objectum ipsius: objectum autem delectationis est bonum conveniens conjunctum. Ex eo enim quod delectatio est in parte appetitiva, oportet quod ejus objectum sit bonum; ex eo vero quod est appetitus jam terminati in suo objecto, oportet quod sit conveniens etiam conjunctum. Hoc autem bonum quod est proprium delectationis objectum, est operatio; praecipue propter tres rationes. Primo, quia cum delectatio consistat in quietatione appetitus, motus autem appetitus sit in bonum; oportet quod quietis ipsius delectatio sit in ultimo bonorum. Ultimum autem et perfectissimum quod est in unoquoque, est sua operatio; unde omnis forma inhaerens comparatur ad operationem quodammodo ut potentia ad actum; propter quod forma dicitur actus primus, ut scientia; et operatio actus secundus, ut considerare, ut patet in 2 de anima. Secundo, quia, cum delectatio sit in appetitu, et omnis passio vel operatio appetitus praeexigat apprehensionem; oportet quod bonum conjunctum quod delectationem causat, sit apprehensum. Dispositio autem quae est jam inhaerens, a nobis non apprehenditur ita sicut dum est in fieri, ut Avicenna dicit in 6 de naturalibus; unde hectici minus sentiunt calorem febrilem quam alii febricitantes, quamvis in eis febris sit intensior: quia jam calor ille est infusus membris quasi complexio illorum; et hoc ideo quia nostrum sentire et intelligere sunt ex aliqua permutatione intellectus et sensus a suis objectis; ab eo autem quod jam in se quiescit, nihil immutatur. Unde cum esse nostrum et vivere nostrum, et omnes actus proprii insint nobis ut in nobis quiescentes, sola autem operatio insit in nobis ut in fieri existens; in ipsa operatione percipimus et esse nostrum et vivere nostrum; et inde est quod in operando delectamur, et in vivendo et sentiendo, et aliis hujusmodi, in quibus indicatur quodammodo nostrum esse et vivere, ut patet per philosophum in 10 Ethic. Tertio, quia operatio procedit ex his bonis quae in nobis sunt, et quodammodo in se continet sicut effectus causam; per eam etiam bonis exterioribus conjungimur: unde omne bonum quod a nobis est diligibile, quietat nostrum appetitum mediante operatione; unde operatio est per se causa delectationis. Non autem omnis operatio est delectationis causa, sed illa quae est ab habitu procedens, et non impedita; bonum enim conjunctum non delectat nisi inquantum est conveniens. Operatio autem efficitur nobis conveniens, et quasi connaturalis, per habitum; quia habitus inclinat in actum per modum naturae, ut Tullius dicit de virtute; et ideo dicitur in 2 Ethic. quod delectatio in opere facta est signum habitus inhaerentis. Quamvis autem operatio connaturalis nobis fiat secundum habitum, tamen potest esse nobis non conveniens ratione alicujus accidentis, inquantum videlicet habemus aliqua impedimenta progrediendi in talem operationem; unde oportet operationem quae delectationem causat, esse non impeditam; et hoc est quod dicit philosophus in 7 Ethic., quod in operatione connaturalis habitus non impedita delectatio consistit. Sic ergo causa formalis propria delectationis est operatio connaturalis habitus non impedita; materialis autem causa delectationis accipienda est ex parte subjecti ejus. Subjectum autem delectationis et omnium animae passionum est spiritus animalis, qui est proximum instrumentum animae in operationibus quae per corpus exercentur. Ad hoc autem quod spiritus aptetur ad delectationem, duo requiruntur; scilicet debita quantitas, et debita qualitas. Quantitas quidem debita est, ut sit abundantia spirituum, propter duo. Primo, quia spiritus abundans in quantitate, abundat etiam in virtute. Secundo, quia cum ad passionem delectationis requiratur dilatatio cordis et spirituum, non potest dilatatio perfici quando sunt pauci spiritus; quia natura constringit eos, et retinet in suo principio. Sed quando sunt multi spiritus, natura potest retinere partem in principio suo, et effundere abunde ad dilatationem; et ideo convalescentes, in quibus sunt pauci spiritus, sunt proni ad tristitiam magis quam ad delectationem. Debita vero qualitas attenditur quantum ad tria. Primo ut sit temperatae complexionis; et ideo aegri non sunt apti ad delectationem. Secundo ut spiritus sit clarus, et non nubilosus; et ideo melancholici, in quibus sunt spiritus terrestres et obscuri, sunt proni ad tristitiam. Tertio, ut ejus substantia sit mediocris inter spissitudinem et tenuitatem. Si enim sit nimis grossus, sicut in senibus, vel nimis tenuis, sicut in macilentis; non est aptus ad delectationem, quia non est facile dilatabilis. Et propter has causas vinum laetificat, quia generat multos spiritus claros, temperatos, et mediocres inter spissitudinem et tenuitatem. Quanto ergo fuerit major dispositio ex parte materialium causarum ad gaudium vel tristitiam, tanto minus quid requiritur ex parte causae formalis, et e converso; et ideo quidam ex modica occasione laetantur vel tristantur, quidam vero non nisi ex magna.

De même que l’âme est la forme du corps, de même, pour ce qui est commun à l’âme et au corps, ce qui relève de l’âme joue-t-il le rôle de forme, et ce qui relève du corps joue-t-il le rôle de matière ; ainsi, dans la colère, l’appétit de vengeance joue le rôle de forme, mais le sang qui s’enflamme dans la région du cœur joue le rôle de matière. Puisque la délectation, en tant qu’elle est une passion, fait partie de ce qui est commun à l’âme et au corps, on peut donc en chercher une double cause : formelle, du point de vue de l’âme ; matérielle, du point de vue du corps. Or, parce que la délectation, selon qu’elle relève de l’âme, a une raison pour ainsi dire commune avec tout ce chez qui se trouve la délectation : Dieu, les anges, les hommes et les animaux sans raison, mais que, selon qu’elle relève du corps, elle réside seulement dans la partie sensible de l’âme, la cause formelle de la délectation est la cause de toute délectation, mais non sa cause matérielle. En effet, il est clair que quelque chose existe en acte selon sa forme, mais que quelque chose existe en puissance selon sa matière, et que quelque chose est apte ou habilité à l’acte selon les dispositions de la matière. Aussi, selon la cause matérielle de la délectation, on sait comment quelqu’un est disposé à la délectation ; mais, selon sa cause formelle, se manifeste comment quelqu’un se délecte en acte. La cause formelle de toute passion ou opération est donc son objet ; mais l’objet de la délectation est le bien approprié en tant qu’il est uni. En effet, du fait que la délectation se trouve dans la partie appétitive, il faut que son objet soit un bien ; mais, du fait qu’elle est l’appétit de quelque chose qui est déjà limité par son objet, il est nécessaire que ce qui est uni lui soit approprié. Or, le bien qui est le bien propre de la délectation est une opération, surtout pour trois raisons. Premièrement, parce que la délectation consistant dans l’apaisement de l’appétit, et que le mouvement de l’appétit va vers le bien, il est nécessaire que la délectation du repos lui-même existe dans ce qu’il y a d’ultime parmi les biens. Or, ce qui est ultime et le plus parfait en toute chose est son opération. Aussi toute forme inhérente se compare-t-elle d’une certaine manière à l’opération comme la puissance à l’acte. Pour cette raison, la forme est appelée l’acte premier, telle la science, et l’opération [est-elle appelée] l’acte second, tel le fait de considérer, comme cela ressort dans Sur l’âme, II. Deuxièmement, parce que la délectation se trouvant dans l’appétit, et toute passion ou opération de l’appétit exigeant une perception, il est nécessaire que le bien uni qui cause la délectation soit perçu. Or, une disposition déjà inhérente n’est pas perçue par nous comme lorsqu’elle est en devenir, comme le dit Avicenne dans Les choses naturelles, VI ; ainsi ceux qui souffrent habituellement de la fièvre ressentent-ils moins la chaleur de la fièvre que les autres qui ont la fièvre, bien que la fièvre soit plus intense chez eux, parce que la chaleur qui est déjà présente dans les membres fait pour ainsi dire partie de leur complexion. La raison en est que nos sensations et nos perceptions intellectuelles viennent d’un certain changement de la perception intellectuelle et de la sensation effectuées par leurs objects, mais que rien n’est changé par ce qui est déjà au repos. Puisque notre être, notre vie et tous nos actes propres sont présents en nous comme s’ils reposaient en nous, mais que seule l’opération est présente en nous comme en devenir, nous percevons par l’opération le fait que nous sommes et que nous vivons. De là vient que nous nous délectons dans l’opération, la vie, la sensation et les autres choses de ce genre, par lesquelles est indiqué d’une certaine façon le fait que nous sommes et que nous vivons, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique. X. Troisièmement, parce que l’opération vient de biens qui existent en nous et qu’elle contient en elle-même comme la cause contient l’effet. Par elle encore, nous sommes unis aux biens extérieurs ; aussi tout ce qui nous est aimable repose-t-il notre appétit au moyen de l’opération. L’opération est donc par elle-même cause de délectation. Mais ce n’est pas toute opération qui est cause de délectation, mais celle qui procède d’un habitus et qui n’est pas contrariée. En effet, le bien uni ne délecte que s’il est approprié. Or, une opération nous est rendue appropriée et pour ainsi dire connaturelle par un habitus, car l’habitus incline vers un acte à la manière de la nature, comme Tullius [Cicéron] le dit de la vertu. C’est pourquoi on dit, dans Éthique, II, que la délectation est devenue dans un acte le signe d’un habitus inhérent. Bien que l’opération nous soit rendue connaturelle par un habitus, elle peut cependant ne pas nous être appropriée en raison d’un accident, dans la mesure où nous avons certains empêchements à passer à une telle opération. Il est donc nécessaire que l’opération qui cause la délectation ne soit pas contrariée : c’est ce que dit le Philosophe dans Éthique, VII, que « la délectation consiste dans l’opération non contrariée d’un habitus connaturel ». Ainsi donc, la cause formelle propre de la délectation est l’opération non contrariée d’un habitus connaturel, mais la cause matérielle de la délectation doit se prendre du point de vue de son sujet. Or, le sujet de la délectation et de toutes les passions de l’âme est l’esprit animal, qui est l’instrument rapproché de l’âme dans les opérations qui sont accomplies par le corps. Mais pour que l’esprit soit rendu apte à la délectation, deux choses sont nécessaires : la quantité appropriée et la qualité appropriée. La quantité est appropriée de telle sorte qu’il y ait une abondance d’esprits en raison de deux choses. Premièrement, parce que l’esprit abondant en quantité abonde aussi en puissance ; deuxièmement, parce que la passion de la délectation exigeant une dilatation du cœur et des esprits, une dilatation ne peut se réaliser lorsqu’il y a peu d’esprits, car la nature les restreint et les retient dans leur principe. Mais lorsque les esprits sont nombreux, la nature peut en retenir une partie dans leur principe et les répandre abondamment pour réaliser une dilatation Aussi les convalescents, chez qui il y a peu d’esprits, sont-ils plus enclins à la tristesse qu’à la délectation. Mais la qualité appropriée vient de trois choses. Premièrement, qu’elle soit le fait d’une complexion tempérée ; les malades ne sont donc pas aptes à la délectation. Deuxièmement, que l’esprit soit clair, et non ombragé ; les mélancoliques, chez qui se trouvent des esprits terrestres et obscurs, sont donc enclins à la tristesse. Troisièmement, que sa substance soit moyenne entre consistance et ténuité. En effet, s’il est trop épais, comme chez les vieux, ou trop ténu, comme comme chez ceux qui sont maigres, [l’esprit] n’est pas apte à la délectation parce qu’il ne peut pas se dilater facilement. Pour ces raisons, le vin réjouit parce qu’il engendre beaucoup d’esprits clairs, tempérés et moyens entre consistance et ténuité. Plus grande aura été la disposition à la joie ou à la tristesse du point de vue des causes matérielles, moins il en sera requis du point de vue de la cause formelle, et inversement. C’est pourquoi certains se réjouissent ou s’attristent d’une petite occasion, mais certains d’une grande seulement.

[22932] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis multa alia sint convenientia quam operatio, tamen ex omnibus eis non consurgit delectatio nisi operatione mediante; quia exteriora convenientia nobis per aliquam operationem conjunguntur, interiora vero in operationibus apprehenduntur.

1. Bien qu’il y ait plus de choses qui conviennent, il n’en provient de délectation que par l’intermédiaire de l’opération, car les réalités extérieures qui conviennent nous sont unies par une opération, mais les réalités intérieures sont perçues dans les opérations.

[22933] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet operatio est delectationis causa, sed operatio connaturalis habitus non impedita; et ideo quando cogimur ad aliquas operationes contrarias habitibus qui nobis insunt, vel in quibus impedimenta patimur, ratione quorum accidit nobis fatigatio et labor, in hujusmodi operationibus non delectamur, sed contristamur.

2. Ce n’est pas n’importe quelle opération qui est cause de délectation, mais l’opération connaturelle d’un habitus qui n’est pas empêchée. Lorsque nous sommes forcés à certaines opérations contraires aux habitus qui sont en nous ou auxquels nous supportons des empêchements, en raison desquels  nous viennent fatigue et effort, nous ne nous délectons pas de ces opérations, mais nous en sommes contristés.

[22934] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod triplex ratio est quare non similiter delectamur in processu operationis sicut in principio. Primam assignat philosophus in 10 Ethic.; quia scilicet cum operatio sit delectationis causa, quanto aliquis attentius operatur, tanto major delectatio ex operatione consurgit; homo autem in principio operationis attentior est ad operationem quam in progressu. Omnia enim nova magis ad se nostram intentionem trahunt; et ideo in progressu operationis, quando aliquis negligentius intendit operationem, non sentit tantam in opere delectationem. Secundam ponit in 7 Ethic., quae etiam est ratio praemissae. Oportet enim in nobis delectationem esse secundum modum naturae nostrae; unde cum nostra natura sit mutabilis, non erit nobis semper idem delectabile, quia jam mutati erimus a pristina dispositione; et sic post pauca non erit nobis conveniens quod prius conveniens erat, et ideo quod prius erat delectabile, fit nobis minus delectabile, vel etiam triste; et haec etiam est ratio quare continuitas unius rei in nobis fastidium parit, alternatio vero delectat. In Deo vero qui semper eodem modo se habet, est semper eadem operatio delectabilis, nec aliqua alternatione delectatur; et similis ratio est de Angelis et hominibus beatis. Tertia ratio potest sumi ex verbis Avicennae in 6 de naturalibus. Cum enim ad delectationem requiratur convenientis perceptio, quanto aliquid minus sentitur, tanto minus est delectabile; res autem in sui novitate magis sentiuntur, quia postmodum eorum dispositio fit quasi qualitas quaedam inhaerens sentientibus; unde fabri qui sonitum malleorum consueverunt audire, non ita moventur a talibus sonis sicut alii; et ideo in principio operationis homo magis delectatur quam postmodum in processu ipsius continuatae; quamvis forte in processu operatio sit intensior.

3. Il existe une triple raison pour laquelle nous ne nous délectons pas autant dans le cours de l’opération qu’au commencement. Le Philosophe indique la première dans Éthique, X, car, l’opération étant la cause de la délectation, plus grande est l’attention avec laquelle quelqu’un s’adonne à une opération, plus grande est la délectation qui provient de l’opération. Or, l’homme est plus attentif au début d’une opération que dans son déroulement. En effet, tout ce qui est nouveau attire davantage notre attention. C’est pourquoi, dans le déroulement d’une opération, lorsque quelqu’un s’adonne à l’opération de manière plus négligente, il n’en éprouve pas autant de délectation. Le Philosophe donne la deuxième [raison] dans Éthique, VII, qui est aussi la raison de la première. En effet, il faut que délectation soit en nous conforme à notre nature. Puisque notre nature est changeante, la même chose ne nous sera pas toujours délectable, car nous aurons changé par rapport à la disposition primitive. Après peu, ce qui nous convenait d’abord nous devient mons délectable ou même triste. C’est aussi la raison pour laquelle la poursuite d’une seule chose chez nous engendre l’ennui, mais le fait d’alterner cause de la délectation. Mais en Dieu, qui demeure toujours le même, la même opération est toujours délectable et il ne se délecte pas d’un changement ; la raison est la même pour les anges et pour les hommes bienheureux. La troisième raison peut se prendre des paroles d’Avicenne dans Les choses naturelles, VI. En effet, comme la perception de ce qui convient est nécessaire pour la délectation, moins quelque chose est ressenti, moins cela est délectable. Or, les choses sont davantage ressenties dans leur nouveauté plutôt que par la suite, alors que leur disposition devient comme une qualité présente en ceux qui ressentent. Aussi les forgerons qui ont coutume d’entendre le bruit des marteaux ne sont-ils pas aussi émus que d’autres par de tels sons. C’est poourquoi, au début d’une opération, l’homme se délecte davantage que par la suite, à mesure qu’elle se poursuit, même si l’opération est plus intense au cours de son déroulement.

[22935] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis operatio secundum se sit delectabilis, tamen inquantum adjungitur ei motus, qui fatigationem inducit, est aliquo modo poenosa et contristans; unde et per accidens quies est delectabilis, inquantum tollit contristationis causam, scilicet motum.

4. Bien que l’opération soit délectable par elle-même, cependant, dans la mesure où un mouvement lui est associé, qui entraîne la fatigue, elle est d’une certaine manière fatigante et attristante. Aussi le repos est-il délectable par accident, dans la mesure où il écarte la cause de la tristesse : le mouvement.

[22936] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quantum ad causam materialem delectationis senes sunt minus apti ad delectationem quam juvenes; et ideo etiam ex majori causa formali non tantum afficiuntur ex delectatione sicut juvenes ex minori, loquendo de delectatione quae est passio, quae scilicet in appetitum sensibilem redundat, et magis sensibilis est nobis; sicut sulphur modico igne accenditur, quia est ad hoc aptum; ligna vero quae sunt ad hoc minus apta, majore igne non accenduntur. Tamen spiritualis delectatio, quae non est passio, non minor est in senibus quam in juvenibus, sed forte major.

5. Pour ce qui est de la cause matérielle de la délectation, les gens âgés sont moins aptes à la délectation que les jeunes. Aussi ne sont-ils pas autant affectés par la délectation en raison d’une plus grande cause formelle, que les jeunes le sont en raison d’une cause [formelle] moindre, pour parler de la délectation qui est une passion, qui déborde sur l’appétit sensible et nous est plus sensible. Ainsi, le soufre s’allume avec peu de feu parce qu’il est apte à cela, mais le bois, qui y est moins apte, ne s’allume pas par un feu plus grand. Toutefois, la délectation spirituelle, qui n’est pas une passion, n’est pas moindre chez les gens âgés que chez les jeunes, mais peut-être plus grande.

[22937] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod illi qui similem operationem exercent, quandoque non eodem modo delectantur; quod potest contingere et ex parte causae materialis, quia non habent spiritus similiter ad operationem dispositos; et ex parte causae formalis, quia eadem operatio uni est conveniens per habitum sibi inhaerentem, et alteri non est conveniens qui habitum non habet; immo forte est ei contraria, si contrarium habitum habeat; et propter hoc, dare, quod est liberali delectabile, est avaro triste.

6. Ceux qui exercent une opération semblable parfois ne se délectent pas de la même manière, ce qui peut venir soit du côté de la cause matérielle, parce qu’ils n’ont pas des esprits également disposés à cette opération, soit du côté de la cause formelle, car la même opération convient à l’un en raison d’un habitus présent en lui, et ne convient pas à un autre qui n’a pas l’habitus ; bien plus, elle lui est contraire s’il a un habitus contraire. Pour cette raison, le fait de donner, qui est délectable pour celui qui est libéral, est triste pour l’avare.

 

 

Articulus 3 [22938] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 tit. Utrum delectationi tristitia sit contraria

Article 3 – La tristesse est-elle contraire à la délectation ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [La tristesse est-elle contraire à la délectation ?]

[22939] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod delectationi tristitia non sit contraria. Passiones enim non distinguuntur secundum suas causas. Sed causa tristitiae est motus et labor, ut dicit philosophus in 7 Ethic.: unde juvenes, qui sunt in motu, delectationes appetunt quasi medicinas contra tristitiam: causa autem delectationis est operatio. Motus autem et operatio non sunt contraria, cum aliquando ad invicem conjungantur. Ergo nec delectatio tristitiae contrariatur.

1. Il semble que la tristesse ne soit pas contraire à la délectation. En effet, les passions ne se distinguent pas selon leurs causes. Or, la cause de la tristesse est le mouvement et l’effort, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII. Aussi les jeunes, qui sont en mouvement, désirent-ils les délectations comme des remèdes contre la tristesse. Or, la cause de la délection est l’opération. Mais le mouvement et l’opération ne sont pas contraires, puisque parfois ils sont unis l’un à l’autre. La délectation non plus n’est donc pas contraire à la tristesse.

[22940] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, unum contrariorum non est materia alterius. Sed delectatio potest esse materia tristitiae; quia, ut dicit philosophus in 9 Ethic., pravus post parum tristatur de hoc quod delectatus est; similiter etiam tristitia est materia delectationis; et poenitenti indicitur ut semper doleat, et de dolore gaudeat. Ergo delectatio et tristitia non sunt contraria.

2. Un des contraires n’est pas la matière de l’autre. Or, la délectation peut être la matière de la tristesse, car, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, car le méchant s’attriste après peu de temps de ce dont il s’est délecté ; de même, la tristesse est la matière de la délecttion, et il est enjoint au pénitent de toujours être affligé et de se réjouir de la douleur. La délectation et la tristesse ne sont donc pas des choses contraires.

[22941] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, delectatio et gaudium non sunt penitus idem, ut ex praedictis patet. Sed tristitia opponitur gaudio. Ergo non opponitur delectationi.

3. La délectation et la joie ne sont pas tout à fait la même chose, comme cela ressort de ce qui a été dit auparavant. Or, la tristesse s’oppose à la joie. Elle ne s’oppose donc pas à la délectation.

[22942] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, medicinae fiunt per contraria, ut dicitur in 2 Ethic. Sed delectationes sunt medicinae contra tristitias, ut dicitur in 7 Ethic. Ergo delectatio et tristitia sunt contraria.

Cependant, [1] les remèdes sont faits par des choses contraires, comme on le dit dans Éthique, II. Or, les délectations sont des remèdes contre les tristesses, comme on le dit dans Éthique, VII. La délectation et la tristesse sont des contraires.

[22943] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, bonum et malum sunt contraria. Sed delectatio opponitur tristitiae, ut bonum malo, ut dicitur in 7 Ethic. Ergo sunt contraria.

[2] Le bien et le mal sont des contraires. Or, la délectation s’oppose à la tristesse, comme le bien au mal, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VII. Elles sont donc des choses contraires.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Existe-t-il une tristesse contraire à la considération ?]

[22944] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod delectationi quae est in considerando, sit aliqua tristitia contraria. Fatigatio enim est tristitiae causa. Sed in considerando accidit fatigatio. Ergo in considerando accidit tristitia; ergo delectationi quae est in considerando, aliqua tristitia contraria est.

1. Il semble qu’il existe une tristesse contraire à la délectation qui consiste dans la considération. En effet, la fatigue est cause de tristesse. Or, une fatigue se produit lors de la considération. Une tristesse survient donc lors de la considération. Il existe donc une tristesse contraire à la délectation qui consiste dans la considération.

[22945] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut contingit aliquid considerare ut conveniens, ita contingit considerare aliquid ut nocivum. Sed consideratio convenientis causat delectationem. Ergo consideratio nocivi causat tristitiam; et sic idem quod prius.

2. De même qu’il arrive qu’on considère quelque chose comme convenable, de même arrive-t-il de considérer quelque chose comme nuisible. Or, la considération de ce qui convient cause la délectation. La considération de ce qui est nuisible cause donc la tristesse. Ainsi, la conclusion est la même que précédemment.

[22946] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omnis actio quae est contraria habitui inhaerenti, est tristitiae causa; sicut ei qui habitum injustitiae habet, est contristabilis operatio justi. Sed contingit aliquem habentem habitum alicujus scientiae prodire in actum contra rationem habitus inhaerentis; sicut cum grammaticus non grammatice loquitur, et dialecticus non recte syllogizat. Ergo in considerando potest esse tristitia; et sic idem quod prius.

3.Toute action qui est contraire à un habitus présent en nous est cause de tristesse, comme à celui qui possède l’habitus de l’injustice l’opération de ce qui est juste est attristante. Or, il arrive que quelqu’un qui possède l’habitus d’une science passe à un acte contraire à la raison de l’habitus possédé, comme lorsqu’un grammairien ne parle pas selon la grammaire et un dialecticien ne fait pas un bon syllogisme. Il peut donc exister une tristesse dans la considération. La conclusion est donc la même que précédemment.

[22947] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 1 Topic., quod delectationi quae est ab eo quod est considerare, non est aliqua tristitia contraria.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Topiques, I, qu’il n’existe pas de tristesse contraire à la délectation qui vient du fait de considérer.

[22948] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, considerationes procedunt ex rationibus rerum in anima existentibus. Sed rationes rerum etiam contrariarum in anima existentes non sunt contrariae, ut dicitur in 7 Metaph. Ergo nec delectationi quae ex consideratione causatur, aliquid potest esse contrarium.

2. Les considérations procèdent des raisons des choses qui existent dans l’âme. Or, les raisons de choses même contraires qui existent dans l’âme ne sont pas contraires, comme on le dit dans Métaphysique, VII. Rien ne peut donc être contraire à la délectation qui est causée par la considération.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La tristesse affecte-t-elle plus fortement que la délectation ?]

[22949] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod tristitia fortius afficiat quam delectatio. Quia, ut dicit Augustinus in Lib. 83 quaest., nemo est qui non magis dolorem fugiat quam appetat voluptatem. Ergo magis homo afficitur tristitia quam delectatione.

1. Il semble que la tristesse affecte plus fortement que la délectation, car, ainsi que le dit Augustin dans le Livre sur 83 questions, « il n’y a personne pour fuir davantage la douleur, qu’il ne désire la volupté ». L’homme est donc davantage affecté par la tristesse que par la délectation.

[22950] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut tristitia vehementia sua movet ad fugam, ita delectatio movet ad desiderium. Sed non omnes, delectationes appetunt; immo quidam, ut temperati, eas vitant; tristitias autem quilibet fugit, ut dicit philosophus in Ethic. Ergo delectatio minus afficit quam tristitia.

2. De même que la tristesse meut à la fuite par sa véhémence, de même la délectation meut-elle au désir. Or, tous ne désirent pas les délectations ; bien plus, certains, tels les tempérés, les évitent, et tous fuient les tristesse, comme le dit le Philosophe dans Éthique. La délectation affecte donc moins que la tristesse.

[22951] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum in 10 Ethic., omnis tristitia hominem in operando impedit; non autem omnis delectatio adjuvat; sed solum propria. Ergo tristitia vehementius afficit quam delectatio.

3. Selon le Philosophe, dans Éthique, X, toute tristesse empêche l’homme d’agir, mais toute délectation ne l’aide pas, mais seulement sa délectation propre. La tristesse affecte donc avec plus de véhémence que la délectation.

[22952] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, bonum est efficacius in agendo quam malum: quia malum non agit nisi in virtute boni, ut dicit Dionysius. Sed bonum est causa delectationis, malum vero tristitiae. Ergo delectatio magis afficit quam tristitia.

Cependant, [1] le bien est plus effiace pour agir que le mal, car le mal n’agit qu’en vertu du bien, comme le dit Denys. Or, le bien est cause de délectation, mais le mal, de tristesse. La délectation affecte donc davantage que la tristesse.

[22953] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ut dicitur in 7 Ethic., delectatio expellit tristitiam non solum sibi contrariam, sed et quamlibet aliam. Ergo delectatio est fortior tristitia.

[2] Comme on le dit dans Éthique, VII, la délectation chasse non seulement la tristesse qui nous est propre, mais aussi toutes les autres. La délectation est donc plus forte que la tristesse.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22954] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cujuslibet passionis ratio formalis ex objecto sumitur; unde et passiones et actus penes objecta distinguuntur. Objectum autem delectationis bonum est, tristitiae vero malum; unde oportet tristitiam delectationi formaliter contrariari.

La raison formelle de n’importe quelle passion se prend de son objet ; aussi les passions et les actes se distinguent-il par leur objets. Or, l’objet de la délectation est un bien, mais celui de la tristesse est un mal. Il est donc nécessaire que la tristesse s’oppose  formellement à la délectation.

[22955] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis motus per se operationi non contrarietur, est tamen in motu aliquid invenire ex quo tristitiam causat, quod contrariatur operationi, secundum quod est delectationis causa. Operatio enim delectationis causa existit, secundum quod est conveniens operanti. In motu autem, in quo est processus de uno ad aliud, oportet aliquid esse non conveniens ei quod movetur, cum ea inter quae est motus, sint contraria; et ideo motus ratione contrarietatis quam habet ad mobile, lassitudinem et tristitiam inducit; et propter hoc praecipue motus innaturales et violenti lassitudinem causant. Sic ergo motus ratione contrarietatis causat tristitiam, operatio vero delectationem ratione convenientiae; unde oportet quod delectatio et tristitia opponantur secundum oppositionem convenientiae et contrarietatis.

1. Bien que le mouvement ne soit pas contraire par soi à l’opération, on peut cependant trouver dans le mouvement quelque chose qui cause la tristesse et qui est contraire à l’opération, en tant qu’elle est la cause de la délectation. En effet, l’opération est cause de délectation selon qu’elle convient à celui qui agit. Or, dans le mouvement, où il y a passage d’une chose à une autre, il est nécessaire qu’il existe quelque chose qui ne convient pas à celui qui est mû, puisque les termes entre lesquels il y a mouvement sont des contraires. Aussi le mouvement, en raison de son caractère contraire à ce qui est mobile, entraîne-t-il lassitude et tristesse. Pour cette raison, surtout les mouvements non naturels et violents causent-ils la lassitude. Ainsi donc, le mouvement, en raison de son caractère, cause la tristesse, mais l’opération cause la délectation en raison de sa convenance. Il est donc nécessaire que la délectation et la tristesse s’opposent selon l’opposition entre la convenance et la contrariété.

[22956] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tristitia non est materia delectationis, nec delectatio tristitiae, per se loquendo; sed per accidens tantum, inquantum accidit delectationi esse malum, quod est propria tristitiae materia; et tristitiae esse bonum, quod est propria materia delectationis; et hoc quidem accidere potest in istis contrariis, ut unum per accidens sit alterius materia propter communitatem suorum objectorum, quae sunt bonum et malum; quorum unum potest alteri adjungi ratione diversorum. Quod enim est secundum unam rationem bonum, potest esse secundum alteram rationem malum. Accidit etiam quod hujusmodi contraria consistunt in actu animae, quae reflectitur super actum suum, inquantum scit se scire, et vult se velle; unde et tristitia potest esse materia gaudii, et etiam ipsum gaudium; quod in rebus naturalibus accidere non potest, ut aliquid sit materia sui ipsius, vel etiam contrarii.

2. À proprement parler, la tristesse n’est pas la matière de la délectation, ni la délectation celle de la tristesse ; mais, elle l’est par accident seulement, pour autant qu’il arrive à la délectation d’être un mal, et à la tristesse d’être un bien, qui est la matière propre de la délectation. Cela peut se produire, dans ces contraires, que l’un soit par accident la matière de l’autre en raison du caractère commun de leurs objets, qui sont le bien et le mal, dont l’un peut être associé à l’autre pour des raisons diverses. En effet, ce qui est bien selon une raison peut être mal selon une autre raison. Il arrive aussi que ces contraires consistent dans un acte de l’âme, qui réfléchit sur son acte dans la mesure où elle sait qu’elle sait et veut le fait de vouloir. Ainsi la tristesse peut-elle être la matière de la joie et la joie elle-même ; mais il ne peut se produire, dans les choses naturelles, que quelque chose soit la matière de soi-même ou même son contraire.

[22957] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si fiat vis in verbis; sicut delectatio distinguitur a gaudio, ita dolor a tristitia, ut sic per oppositum tristitia respondeat gaudio, dolor vero delectationi: sed quia dolor proprie accipitur in sensu, et praecipue in sensu tactus: delectatio etiam proprie loquendo se extendit ad interiores vires; ideo delectationi non solum dicimus opponi dolorem, sed etiam tristitiam.

3. Si on accorde aux mots leur force, de même que la délectation se distingue de la joie, de même la douleur [se distingue-t-elle] de la tristesse, de sorte que, par opposition, la tristesse réponde à la joie, mais la douleur à la délectation. Mais parce que la douleur est prise au sens propre dans le sens, surtout dans le sens du toucher, la délectation s’étend aussi, à proprement parler et au sens propre, aux puissances intérieures. Nous disons donc non seulement que la douleur s’oppose à la délectation, mais aussi la tristesse.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 [22958] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod apprehensio potest dici delectationis causa dupliciter. Uno modo ex parte ipsius apprehensi; sicut cum apprehendimus aliquod bonum nobis conveniens, et inde delectamur; et per hunc modum apprehensio est omnis delectationis causa; unde nihil prohibet delectationi quae sic ex apprehensione causatur sive sensibili sive intelligibili, aliquid contrarium esse; alias nulli delectationi esset tristitia contraria. Alio modo ex parte ipsius apprehensionis; ut cum quis delectatur non quidem de apprehenso, sed de ipsa apprehensione qua apprehendit; et sic, per se loquendo, delectationi quae ex quacumque apprehensione causatur, non potest esse tristitia contraria. Oportet enim hujusmodi tristitiam etiam ex aliqua apprehensione causatam esse; contraria enim circa idem sunt. Apprehensio autem, per se loquendo, nullo modo potest tristitiam facere; quia illud solum tristitiam facere potest quod est contrarium; nulla autem apprehensio, inquantum hujusmodi, est contraria vel repugnans apprehendenti; immo est perfectio ipsius: quia species quibus fit apprehensio, sunt perfectiones apprehendentis; unde nulla apprehensio, nec sensibilis nec intelligibilis, per se loquendo, tristitiam causat, sed delectationem tantum; quandoque plus, quandoque minus, secundum quod apprehensio est perfectiOr et delectanti convenientior. Unde philosophus dicit in 10 Ethicor., quod perfectissima, ac per hoc delectabilissima, visio est visus optime dispositi ad pulcherrimum sub visu cadentium. Per accidens autem contingit ex apprehensione causari tristitiam dupliciter. Uno modo ex parte apprehendentis, qui scilicet apprehendit per organum aliquod corporale, cui potest accidere lassitudo et corruptio propter organi permutationem; et sic apprehensio sensitivae partis per accidens est contristativa; apprehensio vero intellectiva non nisi per accidens valde remotum, inquantum scilicet considerationi intellectus adjungitur operatio sensitivarum virium, ex quibus accidit in consideratione intellectus nostri lassitudo; quod non esset, si sine phantasmatibus intelligere possemus. Alio modo ex parte ipsius effectus apprehensionis, inquantum ex hoc quod apprehensioni vacavimus, aliquod damnum incurrimus, ut puta si ex hoc impedimur ab aliquo utiliori, vel pertrahimur in peccatum occasionaliter. Sed tunc, proprie loquendo, non causatur tristitia ex apprehensione, sed ex consideratione effectus apprehensionis. Et ideo, proprie loquendo, delectationi quae est ex hoc quod est considerare secundum intellectum, non est aliqua tristitia contraria.

On peut parler de la perception de la douleur de deux manières. D’une manière, du point de vue de ce qui est appréhendé, comme lorsque nous percevons un bien qui nous convient et nous nous en délectons. De cette manière, la perception est la cause de toute délectation. Aussi rien n’empêche que quelque chose soit contraire à la délectation qui est ainsi causée par la perception, qu’elle soit sensible ou intelligible ; autrement, il n’y aurait de tristesse contraire à aucune délectation. D’une autre manière, du point de vue de la perception elle-même, comme lorsque quelqu’un se délecte, non pas de ce qui est perçu, mais de la perception par laquelle il perçoit. À proprement parler, il ne peut y avoir de tristesse contraire à la délectation qui est causée par n’importe quelle perception. En effet, il faut qu’'une tristesse de ce genre ait aussi été causée par une perception, car les contraires portent sur la même chose. Or, la perception ne peut aucunement causer de tristesse, à proprement parler, car seul ce qui est contraire peut causer de la tristesse. Or, aucune perception en tant que telle n’est contraire ou ne s’oppose à celui qui perçoit ; bien plus, elle en est une perfection, car les espèces par lesquelles la perception se réalise sont des perfections de celui qui perçoit. Aucune perception, sensible ou intelligible, ne cause donc en soi la tristesse, mais seulement une délectation, parfois plus, parfois moins, selon que la perception est plus parfaite et convient davantage à celui qui se délecte. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, X, que la vision la plus parfaite et la plus délectable est la vue de ce qui est le mieux disposé par rapport à ce qui est le plus beau parmi ce qui tombe sous la vue. Mais il arrive par accident que la tristesse soit causée par la perception de deux manières. D’une manière, du point de vue de celui qui perçoit, qui perçoit par un organe quelque chose de corporel, dans lequel peuvent survenir une lassitude et une corruption en raison de la transformation de l’organe. Ainsi la perception de la partie sensible est-elle cause de tristesse par accident ; mais la perception intellectuelle ne l’est que par un accident très éloigné, pour autant qu’est associée à la considération de l’intellect une opération des puissances sensibles, d’où vient la lassitude dans la considération de notre intellect, ce qui ne serait pas le cas si nous pouvions intelliger sans fantasmes. D’une autre manière, du point de vue de l’effet même de la perception, pour autant que nous encourons un préjudice du fait de nous être adonnés à la perception, par exemple, si nous nous sommes détournés par elle de quelque chose de plus utile ou si nous sommes occasionnellement attirés vers le péché. Mais alors, au sens propre, la tristesse n’est pas causée par la perception, mais par la considération d’un effet de la perception. À proprement parler, il n’y a donc pas de tristesse contraire à la délectation qui vient du fait de considérer par l’intellect.

[22959] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo et secundum patet responsio ex dictis.

1-2. La réponse au premier et au deuxième argument ressort ainsi clairement de ce qui a été dit.

[22960] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio contraria habitui scientiae quandoque procedit ab aliquo scienter; et tunc talis operatio est habitui conveniens; quia per habitum scientiae non solum cognoscimus id quod est rectum, sed etiam id quod est erroneum; unde etiam scire aliquid esse erroneum, est de perfectione scientiae. Si autem consideratio scientiae contraria procederet ab aliquo nescienter, utputa cum quis habet falsam considerationem quam aestimat veram, adhuc talis consideratio erit delectabilis, quia apprehenditur ut conveniens, quamvis non sit conveniens; sicut et justo esset operatio injusta delectabilis, si eam aestimaret esse justam.

3. L’opération contraire à l’habitus de la science vient parfois de quelqu’un sciemment ; une telle opération convient alors à l’habitus, car, par l’habitus de la science, non seulement connaissons-nous ce qui est droit, mais aussi ce qui est erroné. Savoir que quelque chose est erroné fait donc aussi partie de la perfection de la science. Mais si la considération contraire à la science venait de quelqu’un à son insu, par exemple, lorsque quelqu’un a une fausse considération qu’il estime vraie, une telle considération sera encore délectable parce qu’elle est perçue comme appropriée, bien qu’elle ne soit pas appropriée. Ainsi, pour celui qui est juste, une opération injuste serait délectable s’il l’estimait juste.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22961] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod tam delectatio quam tristitia, consequuntur causam aliquam apprehensam; unde et possunt dupliciter considerari. Uno modo ex parte causae delectantis vel contristantis; alio modo ex parte apprehensionis quam delectatio et tristitia sequitur. Causa autem delectationis est bonum conveniens conjunctum; tristitia vero repugnans malum conjunctum. Potest autem inveniri aliquod bonum quod totaliter conveniens est, nec ex aliqua parte dissonantiam habet; non autem potest inveniri aliquod malum quod ita sit dissonum quod quantum ad nihil conveniens sit: quia non est aliquid pure malum, quod secundum aliquid non sit bonum; et ideo causa delectationis perfectius se habet ad delectandum quam causa tristitiae ad contristandum, generaliter loquendo; sed in speciali non potest una regula dari, propter diversos ordines causarum in malitia et bonitate; unde quaedam causa delectans excedit contristantem aliquam, et e converso. Sed ex parte apprehensionis, tristitia secundum genus, generaliter loquendo, delectationem excedit, eo quod res similes minus sentiuntur quam res contrariae; unde cum convenientia delectationem causet, repugnantia vero tristitiam; quantum ad apprehensionem tristitia delectationi praevalet; quamvis in speciali aliqua delectatio alicui tristitiae praeemineat quantum ad apprehensionem. Dicendum ergo est, quod si proprie loquamur, delectatio vehementius afficit quam tristitia; sed tristitia magis sentitur quam delectatio, sicut etiam et amor rei praesentis, ut Augustinus dicit 10 de Trin.

Tant la délectation que la tristesse découlent d’une cause perçue ; elle peuvent donc être considérées de deux manières : d’une manière, du point de vue de la cause qui délecte ou attriste : d’une autre manière, du point de vue de la perception dont découlent la délectation et la tristesse. Or, la cause de la délectation est un bien qui convient et est uni ; mais [celle de] la tristesse est un mal contraire qui est uni. Or, on peut trouver un bien qui convient totalement et ne comporte aucune discordance, mais on ne peut trouver de mal qui soit si discordant qu’il ne comporte aucune convenance, car le mal pur n’existe pas, qui ne soit bon en quelque manière. Aussi la cause de la délectation est-elle en mesure de délecter plus parfaitement que la cause de la tristesse ne peut attrister, à parler d’une manière générale ; mais, pour les cas particuliers, on ne peut donner une seule règle en raison des divers ordres de causes dans la malice et la bonté. Ainsi une cause qui délecte dépasse une cause qui attriste, et inversement. Mais, du point de vue de la perception, la tristesse selon son genre, à parler d’une manière générale, dépasse la délectation, du fait que des choses semblables sont moins ressenties que des choses contraires. Puisque la convenance cause la délectation, mais la contrariété, la tristesse, la tristesse l’emporte donc sur la délectation pour ce qui est de la perception, bien que, dans un cas particulier, la délectation l’emporte sur la tristesse pour ce qui est de la perception. Il faut donc dire qu’à proprement parler, la délectation affecte plus fortement que la tristesse ; mais la tristesse est davantage ressentie que la délectation, de même que l’amour d’une chose présente, comme Augustin le dit dans La Trinité, X.

[22962] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod magis fugitur tristitia quam appetatur delectatio, quia magis sentitur.

1. On fuit davantage la tristesse qu’on ne désire la délectation parce qu’elle est davantage ressentie.

[22963] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnis tristitia, per se loquendo, est mala, ut infra dicetur, art. sequenti, quaest. 2; quamvis per accidens possit esse bona; sed non omnis delectatio est bona, per se loquendo; ideo tam boni quam mali fugiunt tristitiam quamlibet, sed non omnes delectationes quaslibet appetunt.

2. À parler en soi, toute tristesse est mauvaise, comme on le dira plus loin, à l’article suivant, question 2, bien que, par accident, elle puisse être bonne. Mais, à parler en soi, toute délectation n’est pas bonne. Aussi les bons comme les méchants fuient-ils toute tristesse, mais tous ne désirent pas toutes les délectations.

[22964] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pluribus modis potest impediri aliqua operatio quam perfici: quia non perficitur nisi omnibus causis concurrentibus; impeditur autem operatio, si quodcumque eorum quae sunt ad operationem necessaria, impediatur; et ideo omnis tristitia operationem aliquam impedit, inquantum est contraria operanti; non autem omnis delectatio coadjuvat ad operandum; immo extranea impedit, inquantum avertit intentionem ad aliud quam attentio, quae necessaria est ad perfecte agendum; sed propria delectatio et operantem expedit, eum quodammodo corroborando, inquantum est conveniens, et attentionem ejus facit inhaerere ad operationem delectabilem.

3. Une opération peut être empêchée de plus de manières qu’elle ne peut être accomplie, car elle n’est accomplie que si toutes les causent concourent, mais elle est empêchée si une des choses qui sont nécessaires à l’opération est empêchée. Aussi toute tristesse empêche-t-elle une opération dans la mesure où elle est contraire à celui qui agit. Mais toute délectation n’aide pas à agir ; bien plus, une délectation étrangère l’empêche, dans la mesure où elle détourne l’attention vers autre chose que ce sur quoi porte l’attention, qui est nécessaire pour agir parfaitement. Mais la délectation propre aide celui qui agit, en le renforçant d’une certaine façon, dans la mesure où cela est approprié, et elle fait que attention se concentre sur l’opération délectable.

 

 

Articulus 4 [22965] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 tit. Utrum quaelibet delectatio sit bona

Article 4 – Toute délectation est-elle bonne ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Toute délectation est-elle bonne ?]

[22966] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod quaelibet delectatio sit bona. Omne enim quod conjunctum aliis facit ea eligibiliora, est per se bonum. Sed delectatio conjuncta quibuscumque bonis facit ea eligibiliora. Ergo delectatio est per se bonum; et sic quaelibet delectatio bona erit.

1. Il semble que toute délectation soit bonne. En effet, tout ce qui, en étant uni à d’autres choses, les rend plus dignes d’être choisies, est bon. Or, la délectation unie à n’importe quelles choses les rend plus dignes d’êtres choisies. La délectation est donc bonne en soi. Ainsi, toute délectation sera bonne.

[22967] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil appetitur nisi bonum. Sed unumquodque est appetibile ex hoc quod est delectabile. Ergo delectatio, per se loquendo, est bona; et sic idem quod prius.

2. Rien n’est désiré que si cela est bon. Or, tout est bon du fait que cela est désirable. À parler en soi, la délectation est donc bonne. La conclusion est donc la même que précédemment.

[22968] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omne esse, inquantum hujusmodi, est bonum. Ergo et illud quod est ultima entis perfectio, universaliter est bonum. Sed delectatio est ultima entis perfectio: perficit enim operationem, quae est actus secundus, ut per philosophum patet. Ergo omnis delectatio est bona.

3. Tout être, en tant que tel, est bon. Donc, ce qui est l’ultime perfection d’un être est universellement bon. Or, la délectation est l’ultime perfection d’un être : en effet, elle perfectionne l’opération, qui est un acte second, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe. Toute délectation est dont bonne.

[22969] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illud quod fugit virtuosus, est malum. Sed delectationem fugit temperatus. Ergo delectatio est mala.

Cependant, [1] ce que le vertueux fuit est mauvais. Or, le tempéré fuit la délectation. La délectation est donc mauvaise.

[22970] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod judicium rationis impedit, est malum. Sed delectatio corrumpit aestimationem prudentiae, ut dicitur in 6 Ethic. Ergo delectatio est mala.

[2] Ce qui empêche le jugement de la raison est mauvais. Or, la délectation corrompt l’estimation de la prudence, comme on le dit dans Éthique, VI. La délectation est donc mauvaise.

[22971] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, illud cujus desiderium facit aliquid malum, est per se malum. Sed desiderium delectationis facit aliquos malos, sicut intemperatos, qui delectationem prosequuntur ut finem, et blandos, qui ad delectationem solummodo dulcia loquuntur. Ergo delectatio est mala.

[3] Ce dont le désir rend quelque chose mauvais est mauvais en soi. Or, le désir de la délectation en rend certains mauvais, comme les intempérants, qui poursuivent la délectation comme une fin, et les rusés, qui ne disent des choses agréables que pour le plaisir. Le plaisir est donc mauvais.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Toute tristesse est-elle mauvaise ?]

[22972] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non omnis tristitia sit mala. Nullum enim salutiferum est malum. Sed aliqua tristitia est salutifera: quae enim secundum Deum est tristitia, poenitentiam in salutem stabilem operatur; 2 Corinth. 7, 10. Ergo aliqua tristitia est bona.

1. Il ne semble pas que toute tristesse soit mauvaise. En effet, rien de salutaire n’est mauvais. Or, une certaine tristesse est salutaire : En effet, la tristesse selon Dieu produit une pénitence durable en vue du salut, 2 Co 7, 10. Une certaine tristesse est donc bonne.

[22973] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullum laudabile est malum. Sed aliquae tristitiae sunt laudabiles, sicut misericordia, quae est tristitia de alieno malo, et poenitentia, quae est tristitia de peccatis praeteritis. Ergo non omnis tristitia est mala.

2. Rien de ce qui est louable n’est mauvais. Or, certaines tristesses sont louables, telles la miséricorde, qui est une tristesse portant sur le mal de l’autre, et la pénitence, qui est une tristesse portant sur les péchés passés. Toute tristesse n’est donc pas mauvaise.

[22974] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut delectatio se habet ad bonum, ita tristitia ad malum. Sed non omnis delectatio est bona. Ergo nec omnis tristitia est malum.

3. Le rapport entre la délectation et le bien est le même que celui entre la tristesse et le mal. Or, toute délectation n’est pas bonne. Toute tristesse n’est donc pas un mal.

[22975] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne illud quod impedit operationem rectam, est malum. Sed omnis tristitia operationem impedit, ut patet in 9 Ethic. Ergo omnis tristitia est mala.

Cependant, [1] tout ce qui empêche une opération droite est un mal. Or, toute tristesse empêche une opération, comme cela ressort d’Éthique, IX. Toute tristesse est donc mauvaise.

[22976] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, quod adjunctum alicui facit ipsum minus bonum, est per se malum. Sed tristitia cuicumque bono adjuncta facit ipsum minus eligibile; unde 2 Corinth. 9, 7, dicitur: non ex tristitia, aut ex necessitate: hilarem enim datorem diligit Deus; et eadem ratio est, cujuscumque virtutis actui tristitia adjungatur. Ergo tristitia est secundum se malum.

[2] Ce qui, en étant associé à quelque chose, rend cela moins bon est mauvais en soi. Or, la tristesse, associée à n’importe quel bien, le rend moins digne d’être choisi. Aussi est-il dit en 2 Co 9, 7 : Non pas avec tristesse ou en y étant forcés, car Dieu aime celui qui se réjouit en donnant ; et le raisonnement est le même pour tout acte de n’importe quelle vertu auquel la tristesse est associée. La tristesse est donc en soi mauvaise.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La délectation est-elle ce qu’il y a de meilleur ?]

[22977] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliqua delectatio sit optimum. Illud enim quod est ultimus finis, est optimum. Sed delectatio est ultimus finis: ut enim dicitur 7 Ethicor., est finis architecton. Architectonicarum autem fines sunt nobiliores et desiderabiliores, ut dicitur in 1 Ethicor. Ergo delectatio est optimum.

1. Il semble que la délectation soit ce qu’il y a de meilleur. En effet, ce qui est la fin ultime est ce qu’il y a de meilleur. Or, la fin ultime est une délectation : en effet, comme on le dit dans Éthique, VII, elle est la fin architectonique. Or, les fins architectoniques sont plus nobles et plus désirables, comme on le dit dans Éthique, I. La délectation est donc ce qu’il y a de meilleur.

[22978] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dicitur in 2 caeli et mundi: omnis res est propter suam operationem. Sed operatio est propter delectationem, cum delectatio sit operationis perfectio, ut dicitur in 10 Ethic. Ergo delectatio est ultimus finis.

2. On dit dans Sur le ciel et le monde, II : « Toute chose existe en vue de son opération. » Or, l’opération existe en vue de la délectation, puisque la délectation est la perfection d’une opération, comme on le dit dans Éthique, X. La fin ultime est donc une délectation.

[22979] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod desideratur tantum propter se et nunquam propter aliud, est ultimus finis. Sed delectatio est hujusmodi: stultum enim est quaerere quare aliquis velit delectari. Ergo delectatio est ultimus finis.

3. Ce qui n’est désiré que pour soi et jamais pour quelque chose d’autre est la fin ultime. Or, la délectation est de ce genre : en effet, il est stupide de chercher pourquoi quelqu’un veut se délecter. La fin ultime est donc une délectation.

[22980] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod omnes appetunt, et cum cujus contrario nihil est eligibile, videtur esse optimum, et ultimus finis. Sed omnes delectationem appetunt; et pueri, et bestiae, et homines sapientes, et insipientes: nec aliquod bonum esset eligibile, si esset triste: nec etiam esset possibile in aliquo bono continue perseverare, si esset triste. Ergo delectatio est optimum.

4. Ce que tous désirent, et dont rien de ce qui y est contraire ne semble digne d’être choisi, semble être ce qu’il y a de meilleur et la fin ultime. Or, tous désirent la délectation : les enfants, les bêtes et tous les hommes, sages et stupides ; et aucun bien ne serait digne d’être choisi, s’il était triste, et il ne serait pas possible de persévérer de manière continue dans le bien, si celui-ci était triste. La délectation est donc ce qu’il y a de meilleur.

[22981] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ultimus finis hominis et optimum ejus est beatitudo ipsius. Sed beatitudo non est delectatio, sed magis operatio, ut ex supra dictis patet. Ergo delectatio non est optimum.

Cependant, [1] la fin ultime de l’homme et ce qu’il y a de meilleur pour lui est sa béatitude. Or, la béatitude n’est pas une délectation, mais plutôt une opération, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. La délectation n’est donc pas ce qu’il y a de meilleur.

[22982] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, secundum Platonem, delectatio est generabilis natura. Sed nulla generatio est optimum: quia generatio est motus ad perfectionem. Ergo nulla delectatio potest esse optimum.

[2] Selon Platon, la délectation est une nature qui peut être engendrée. Or, aucune génération n’est ce qu’il y a de meilleur, car la génération est un mouvement vers une perfection. Aucune délectation ne peut donc être ce qu’il y a de meilleur.

[22983] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, omne quod eligitur, eligitur in ordine ad optimum. Sed, sicut dicit philosophus in 10 Ethic., circa multa studium faceremus, etiam si nullam delectationem inferrent; puta videre, recordari, scire, et virtutes habere. Ergo delectatio non est optimum.

[3] Tout ce qui est choisi est choisi en vue de ce qu’il y a de meilleur. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X, nous nous appliquerions à bien des choses, même si elles n’apportaient pas de délectation, par exemple, se rappeler, savoir et posséder des vertus. La délectation n’est donc pas ce qu’il y a de mieux.

[22984] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 4 Praeterea, omne illud quod a natura ordinatur ad aliquid non est ultimus finis. Sed natura ordinat delectationem ad operationem; unde operationibus nutritivae et generativae ordinatis ad conservationem individui et speciei, natura delectationem apposuit, ut ad haec opera animalia magis inclinarentur. Ergo delectatio non est optimum, vel ultimus finis.

[3] Tout ce qui est ordonné à quelque chose par la nature n’est pas la fin ultime. Or, la nature ordonne la délectation à l’opération ; aussi la nature a-t-elle associé une délectation aux opérations ordonnées à la fonction nutritive et à la fonction génératrice en vue de la conservation de l’individu et de l’espèce, afin que les animaux soient plus enclins à ces opérations. La délectation n’est donc pas ce qu’il y a de meilleur ou la fin ultime.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[22985] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod delectatio dupliciter potest considerari. Uno modo inquantum est delectatio; alio modo inquantum est haec delectatio. Delectatio ergo inquantum est delectatio, aliquod bonum nominat; sed inquantum est talis delectatio, potest rationem mali habere ex parte ejus ex quo specificatur; sicut etiam omnis actio quantum ad hoc quod habet de natura actionis est bona; sed quantum ad hoc quod adjungitur de defectu, aliqua actio est mala. Similiter etiam inquantum alicui delectationi adjungitur de defectu, secundum hoc adjungitur ei de malo. Hoc autem modo adjungitur defectus delectationi quo et operationi, cum delectatio ex operatione causetur; et sic ex deficienti operatione deficiens delectatio; et ideo, ut dicitur in 10 Ethicor., sicut operationes differunt ab invicem bonitate et malitia, ita et delectationes; ut secundum hoc delectatio dicatur bona quod ex bona operatione procedat, mala vero quae est de mala operatione.

La délectation peut être envisagée de deux manières : d’une manière, en tant qu’elle est délectation ; d’une autre manière, en tant qu’elle est telle délectation. La délectation en tant que délectation désigne une certain bien ; mais en tant qu’elle est telle délectation, elle peut comporter la raison de mal du point de vue de ce dont elle reçoit son espèce, de même que toute action, pour ce qu’elle comporte de la nature de l’action, est bonne, mais, pour autant que lui est associée une carence, une action est mauvaise. De même aussi, dans la mesure où une carence est associée à la délectation, un mal lui est associé. Or, une carence est associée à la délectation de la même manière dont elle l’est à une opération, puisque la délectation est causée par l’opération. Ainsi, une délectation déficiente vient-elle d’une opération déficiente. C’est pourquoi, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, X, de même que les opérations diffèrent les unes des autres par la bonté et la malice, de même en est-il des délectations, de sorte qu’une délectation est appelée bonne du fait qu’elle procède d’une opération bonne, mais mauvaise, celle qui vient d’une opération mauvaise.

[22986] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectatio quae facit bona eligibiliora, est delectatio ejus propria, utpote cum justus delectatur de justa operatione; sed si delectationes intemperati adjungerentur operationibus justis, non facerent eas delectabiliores; unde non sequitur omnes delectationes esse bonas.

1. La délectation qui rend des biens plus dignes d’être choisis est son opération propre, comme lorsqu’un juste se délecte d’une opération juste ; mais si les délectations de l’intempérant étaient associées à des opérations justes, elles ne les rendraient pas plus délectables. Il n’en découle donc pas que toutes les délectations soient bonnes.

[22987] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non solum appetitur bonum, sed etiam apparens bonum. Quia autem omnis delectatio ex hoc quod est delectatio, bona est; quantumcumque ex aliquo adjuncto efficiatur mala, habet unde apparere possit bona, et per consequens unde possit appeti; et sic appetibilis est non habenti rectum judicium: sed habenti rectum judicium delectationes quaedam appetibiles non sunt; sicut prudens et temperatus non appetit delectationes intemperati.

2. Non seulement le bien, mais aussi le bien apparent est désiré. Parce que toute délectation, en tant que délectation, est bonne ; autant elle est rendue mauvaise par quelque chose qui y est associé, elle peut apparaître bonne et, par conséquent, avoir une raison d’être désirée. Ainsi est-elle désirable pour celui qui n’a pas un jugement droit ; mais, pour celui qui a un jugement droit, certaines délectations ne sont pas désirables, comme le prudent et le tempérant ne désirent pas les délectations de l’intempérant.

[22988] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio non probat delectationem esse bonum, nisi inquantum est delectatio.

3. Ce raisonnement ne prouve pas que la délectation est un bien, sauf en tant qu’elle est délectation.

[22989] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad s. c. 1 Sed quia ex rationibus quae sunt in contrarium, quidam ostendere volebant omnem delectationem esse malam, ideo ad eas est etiam respondendum. Ad primum ergo dicendum est, quod virtuosus non fugit quamlibet delectationem, immo propriam delectationem amplectitur; quod est delectari in operibus virtutum; fugit autem delectationes inordinatas; et has concedimus malas esse.

[1] Parce que certains voulaient montrer que toute délectation est mauvaise par les raisonnements invoqués en sens contraire, il faut aussi leur répondre. Au premier, il faut répondre que le vertueux ne fuit pas toutes les délectations, bien plus, il embrasse la délectation propre, qui consiste à se délecter des actions des vertus. Mais il fuit les délectations désordonnées, et nous concédons que celles-ci sont mauvaises.

[22990] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet delectatio impedit judicium rationis, sed delectatio immoderata et extranea; sicut delectatio corporalis judicium rationis perturbat, si sit vehemens; sed spiritualis delectatio judicium rationis confortat, quia unusquisque attentius operatur in his quibus delectatur, ut dicitur in 10 Ethic.; et sic etiam non sequitur omnem delectationem esse malam.

[2] Ce n’est pas n’importe quelle délectation qui empêche le jugement de la raison, mais la délectation immodérée et extérieure ; ainsi une délectation corporelle trouble le jugement de la raison si elle est forte, mais une délectation spirituelle renforce le jugement de la raison, car tous agissent avec plus de soin pour les choses dont ils se délectent, ainsi qu’il est dit dans Éthique, X. Il n’en découle donc pas que toute délectation soit mauvaise.

[22991] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 1 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod illae delectationes quae faciunt hominem malum, non sunt dicendae simpliciter et vere delectationes: quia non sunt convenientes homini inquantum est homo, sed inquantum bonum hominis est in eo quodammodo corruptum: sicut etiam non est dicendum dulce simpliciter quod videtur habenti corruptum gustum; et dato etiam quod sint delectationes verae, differunt tamen specie ab illis delectationibus quae bonae sunt.

[3] Les délectations qui rendent l’homme mauvais ne doivent pas être appelées simplement et vraiment des délectations, parce qu’elles ne conviennent pas à l’homme en tant qu’homme, mais en tant que le bien de l’homme est par là corrompu d’une certaine manière ; de même, il ne faut pas appeler tout simplement doux ce qui semble doux à celui qui a un goût corrompu. Et même en concédant qu’elles soient des délectations véritables, elles diffèrent cependant par l’espèce des délectations qui sont bonnes.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[22992] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliquid dicitur bonum dupliciter: uno modo ut per se eligibile; alio modo ut ordinatum ad illud; sicut potiones austerae non sunt per se bonae vel appetibiles, sed solum inquantum sunt utiles ad sanitatem. Tristitia ergo nulla, per se loquendo, est bona ut per se appetibilis; unde etiam Augustinus in Lib. de Confess., tolerari eas jubet, non amari, scilicet tribulationes et tristitias: cujus ratio est, quia omnis tristitia procedit ex aliquo inconvenienti; habere autem aliquod inconveniens non potest esse per se appetibile: sed tamen aliquae tristitiae sunt bonae vel appetibiles, inquantum sunt utiles ad aliquid; vel ad expellendum pravas delectationes, vel ad aliquid hujusmodi.

On dit que quelque chose est bon de deux manières : d’une manière, en tant que cela est digne d’être choisi par soi ; d’une autre manière, en tant que cela est ordonné à quelque chose d’autre, comme des boissons âpres au goùt ne sont pas par soi bonnes ou désirables, mais seulement dans la mesure où elles sont utiles pour la santé. En elle-même, aucune tristesse n’est bonne en tant qu’elle est désirable en elle-même. Augustin aussi, dans le livre des Confessions, ordonne donc de les supporter, mais non de les aimer – il parle des tribulations et des tristesses : la raison en est que toute tristesse vient de quelque chose qui ne convient pas. Or, avoir quelque chose qui ne convient pas ne peut être en soi désirable ; cependant, certaines tristesses sont bonnes ou désirables pour autant qu’elles sont utiles à quelque chose : soit à écarter les mauvaises délectations, soit à quelque chose de ce genre.

[22993] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia illa tristitia secundum Deum esse dicitur, et salutifera, quae ordinatur ad salutem; unde non sequitur quod sit bona, nisi ut medicina quaedam.

1. On dit que cette tristesse qui est ordonnée au salut est selon Dieu et salutaire. Il n’en découle donc pas qu’elle est bonne, si ce n’est comme un remède.

[22994] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tristitia non potest esse laudabilis nisi ex suppositione alicujus mali existentis: supposita enim miseria, laudabilis est misericordia; et similiter peccato praeexistente, eligibilis est poenitentia. Tamen ubi est bonorum perfectio, nec est locus misericordiae nec poenitentiae. Unde non sequitur quod tristitia sit bona simpliciter, sed secundum quid tantum.

2. La tristesse ne peut être louable qu’en supposant un mal qui existe. En effet, à supposer une misère, la miséricorde est louable ; de même, en supposant un péché préexistant, la pénitence est-elle digne d’être choisie. Cependant, là où existe la perfection des biens, il n’y a place ni pour la miséricorde ni pour la pénitence. Il n’en découle donc pas que la tristesse est tout simplement bonne, mais qu’elle l’est d’une manière relative seulement.

[22995] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis omnis tristitia secundum se sit fugienda, non tamen sequitur quod omnis delectatio sit secundum se appetenda et bona. Ad hoc enim quod aliquid sit bonum, oportet multa concurrere, quorum quodlibet deficiens rationem mali inducit; et ita, omne illud quod habet aliquid de malo, est fugiendum; nec tamen omne illud quod habet aliquid de bono, est simpliciter appetendum; et sic omnis tristitia, inquantum aliquid habet de defectu, est fugienda; non autem omnis delectatio est appetenda, quamvis habeat aliquid de bono.

3. Bien que toute tristesse doive en elle-même être fuie, il n’en découle cependant pas que toute délectation doive être par elle-même désirée et bonne. En effet, pour que quelque chose soit bon, il faut le concours de plusieurs choses : l’absence de l’une d’entre elles entraîne la raison de mal. Ainsi tout ce qui a quelque de chose de mal doit être fui ; cependant, tout ce qui a quelque chose de bon ne doit pas être désiré tout simplement. Toute tristesse, pour autant qu’elle comporte une carence, doit donc être fuie ; mais toute délectation ne doit pas être désirée, bien qu’elle ait quelque chose de bon.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[22996] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod de delectatione fuit triplex opinio. Una fuit Epicureorum, qui ponebant delectationem, inquantum hujusmodi, esse optimum, volentes per hoc etiam omnem delectationem esse bonam. Alia fuit opinio Stoicorum et Platonicorum, qui ponebant, omnem delectationem esse malam. Tertia fuit opinio Aristotelis et Peripateticorum, qui posuerunt quasdam delectationes esse bonas, et quasdam malas; et quod nihil prohibet aliquam delectationem esse optimum in genere humanorum bonorum: delectatio enim operationem consequitur; unde cum aliqua operatio sit optimum in genere humanorum bonorum, quod est felicitas; et delectatio ipsam consequens optimum erit. Nec illa duo sunt consideranda quasi duo bona, sed quasi unum bonum. Sicut enim ex perfectione et perfectibili fit una res perfecta; ita ex delectatione et operatione fit una operatio perfecta, quae est felicitas; cum delectatio sit operationis perfectio, ut dicitur in 10 Ethic. Quid autem horum sit propter alterum eligendum, utrum scilicet delectatio propter operationem, vel e converso, philosophus ibi insolutum relinquit. Sed tamen secundum rei veritatem videtur dicendum, quod delectatio ad operationem ordinetur sicut ad finem; sicut omnes perfectiones secundae non propter aliud sunt nisi propter sua perfectibilia perficienda. Delectatio autem est quaedam perfectio operationi superveniens, ut decor juventuti; unde delectatio ad operationem ordinatur. Sic ergo, proprie loquendo, delectatio aliqua non est optimum, sed est aliquid optimi, scilicet felicitatis. Felicitas enim delectationem includit, ut patet per philosophum in 10 Ethic. Sic ergo ad utrasque rationes respondendum est.

À propos de la délectation, il y a eu trois opinions. L’une était celle des épicuriens, qui affirmaient que la délectation en tant que telle est ce qu’il y a de meilleur, en voulant ainsi que toute délectation soit bonne. Une autre opinion était celle des stoïciens et des platoniciens, qui affirmaient que toute délectation est mauvaise. La troisième était l’opinion d’Aristote et des péripatéticiens, qui ont affirmé que certaines délectations sont bonnes et certaines mauvaises, et que rien n’empêche qu’une délectation soit ce qu’il y a de meilleur dans le genre des biens humains. En effet, la délectation découle de l’opération. Puisqu’il existe une opération qui est ce qu’il y a de meilleur dans le genre des biens humains, la félicité, la délectation qui en découle sera donc ce qu’il y a de meilleur, et ces deux choses ne doivent pas être considérées comme deux biens, mais comme un seul bien. En effet, de même qu’une seule chose parfaite est réalisée à partir de la perfection et de ce qui est perfectible, de même, à partir de la délectation et de l’opération, est réalisée une seule opération parfaite, qui est la félicité, puisque la délectation est la perfection de l’opération, comme il est dit dans Éthique, X. Laquelle de ces deux choses doit être choisie pour l’autre : la délectation en vue de l’opération, ou inversement, le Philosophe le laisse sans solution. Cependant, il semble qu’il faille dire, selon la vérité de la chose, que la délectation est ordonnée à l’opération comme à sa fin, comme toutes les perfections secondes n’existent pour rien d’autre que pour réaliser ce qui est perfectible par elles. Or, la délectation est une perfection qui s’ajoute à l’opération comme la beauté à la jeunesse. La délectation est donc ordonnée à l’opération. Ainsi donc, à proprement parler, une délectation n’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais elle fait partie de ce qui est meilleur, la félicité. En effet, la félicité inclut la délectation, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, X. Il faut donc répondre aux deux arguments.

[22997] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod delectatio dicitur esse finis architecton, non quia sit architectonicae, scilicet civilis, finis ultimus; nisi forte inquantum est aliquid ultimi finis, ut dictum est. Dicitur autem esse finis architecton, ut regula quaedam, ad quam architecton, scilicet civilis, omnia judicat; unde ibi subjungitur: ad quam respicientes hoc quidem bonum, hoc quidem malum dicimus. Ex hoc enim aliquis bonus cognoscitur quod delectatur in bonis; malus autem ex hoc quod delectatur in malis.

1. On dit que la délectation est la fin architectonique, non pas parce qu’elle est la fin ultime de ce qui est architectonique ou civil, sauf peut-être dans la mesure où elle est fait partie de la fin ultime, comme on l’a dit. On parle de fin architectonique comme de la règle selon laquelle ce qui dirige, à savoir, le [dirigeant] civil, juge de tout. Aussi est-il ajouté à cet endroit : « … En la regardant, nous disons que ceci est bon et que cela est mauvais ». En effet, on sait que quelqu’un est bon du fait qu’il se délecte dans ce qui est bon, mais qu’il est mauvais du fait qu’il se délecte dans ce qui est mauvais.

[22998] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod delectatio non est perfectio operationis a qua operatio speciem habeat; sed magis quae superadditur ei per modum perfectionis secundae, sicut sanitas ad hominem se habet, et non sicut anima. Hoc autem interest inter perfectiones primas et secundas; quod ad primam perfectionem ordinatur perfectibile sicut ad finem, ut materia ad formam: sed e converso secunda perfectio ordinatur ad perfectibile, ut scilicet perfectibile per eam esse perfectum habeat; et sic delectatio ad operationem ordinatur.

2. La délectation n’est pas la perfection de l’opération dont l’opération tire son espèce, mais plutôt ce qui lui est ajouté par mode de perfection seconde, comme la santé a un rapport avec l’homme, et non comme l’âme. Or, la différence entre les perfections premières et les perfections secondes est que ce qui est perfectible est ordonné à la perfection première comme à sa fin, comme la matière à la forme ; mais, en sens inverse, la perfection seconde est ordonnée à ce qui est perfectible, de sorte que ce qui est perfectible par elle possède un être parfait. Ainsi la délectation est-elle ordonnée à l’opération.

[22999] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod de illis ordinatis ad finem consuevimus quaerere propter quem fiant quae fini non sunt conjuncta; de his vero quae fini conjunguntur, talis quaestio non fit, quia statim apparet ea esse appetibilia. Et quia delectatio non est conjuncta operationi perfectae, quae est finis; ideo non consuevit quaeri propter quid aliquis velit delectari. Et praeterea delectatio dicit quietationem appetitus in aliquo; unde quaerere quare aliquis velit delectari, est idem quod quaerere quare velit appetitum suum quietari; quod idem est ac si quaereretur quare aliquis velit finem voluntatis consequi. Licet autem operatio aliqua sit finis; tamen operatio de suo nomine non importat rationem finis vel quietationem in fine; et inde est quod magis quaerimus propter quid vis operari, quam propter quid vis delectari.

3. À propos de ce qui est ordonné à la fin, nous avons coutume de chercher pour quelle [fin] est réalisé ce qui n’est pas associé à la fin ; à propos de ce qui est associé à la fin, une telle question n’est pas soulevée, parce qu’il apparaît immédiatement que cela est désirable. Et parce que la délectation n’est pas associée à l’opération parfaite, qui est la fin, on n’a donc pas l’habitude de se demander pourquoi quelqu’un veut se délecter. De plus, la délectation exprime un apaisement de l’appétit dans quelque chose ; chercher par quoi quelqu’un veut que son appétit soit apaisé est la même chose que chercher pourquoi quelqu’un veut obtenir la fin de la volonté. Bien qu’une opération soit la fin, par son nom, l’opération ne comporte pas la raison de fin ou d’apaisement dans la fin. De là vient que nous cherchons plutôt pourquoi tu veux agir que pourquoi tu veux te délecter.

[23000] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cujuslibet rei finis est sua perfectissima operatio; ideo omnes delectationem appetunt, qua operatio perficitur, sicut et propriam operationem perfectam: et sicut accidit error in appetitu operationis, quia quidam insistunt operationibus extraneis, dimissis propriis operationibus, ut omnes mali sequentes operationes bestiales praetermissis humanis; ita etiam quidam loco propriarum delectationum extraneas sequuntur.

4. La fin de toute chose est son opération la plus parfaite. C’est pourquoi tous désirent la délectation par laquelle l’opération est perfectionnée, ainsi que leur propre opération parfaite. De même qu’une erreur se produit dans le désir de l’opération, parce que certains s’adonnent à des opérations étrangères en écartant leurs opérations propres, comme tous les méchants qui suivent les opérations des animaux sans raison en omettant les opérations humaines, de même certains suivent-ils des délectations étrangères à la place de leurs délectations propres.

[23001] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum quae objiciuntur in oppositum, dicendum, quod non quaelibet operatio est felicitas, sed operatio perfecta, quam oportet delectabilem esse; et sic delectatio est aliquid optimi.

[1] À ce qui est objecté en sens inverse, il faut répondre que ce n’est pas n’importe quelle opération qui est la félicité, mais une opération parfaite, qui doit être délectable. Ainsi, la délectation porte sur ce qui est le meilleur.

[23002] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod definitio illa Platonis non est conveniens, ut patet per philosophum in 7 et 10 Ethic. Non enim delectatio in generatione consistit, sed magis in esse generatum: tunc enim res potest habere propriam operationem, quae est delectationis causa, quando jam perfecta est; non autem quando est imperfecta, et in fieri.

[2] Cette définition de Platon n’est pas appropriée, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VII et X. En effet, la délectation ne consiste pas dans une génération, mais plutôt dans le fait d’avoir été engendré. En effet, une chose peut avoir son opération propre, qui est la cause de la délectation, lorsqu’elle est déjà achevée, mais non lorsqu’elle est imparfaite et en devenir.

[23003] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 4 qc. 3 ad s. c. 3 Aliae duae rationes concludunt quod operatio sit melior delectatione; et hoc quidem verum est. Sed utroque est melius operatio perfecta, cujus aliquid est delectatio.

[3]-[4] Les deux autres arguments concluent que l’opération est meilleure que la délectation : cela est vrai. Mais l’opération parfaite, dont la délectation est un aspect, est meilleure que ces deux choses.

 

 

Articulus 5 [23004] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 tit. Utrum delectationes corporales sint potiores spiritualibus

Article 5 – Les délectations corporelles sont-elles plus fortes que les délectations spirituelles ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les délectations corporelles sont-elles plus fortes que les délectations spirituelles ?]

[23005] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod delectationes corporales sint potiores spiritualibus. Delectabile enim, inquantum est delectabile, est appetibile. Ergo in quod magis inclinatur appetitus, est magis delectabile. Sed pluries et frequentius inclinatur in delectationes corporales quam spirituales. Ergo delectationes corporales sunt potiores spiritualibus.

1. Il semble que les délectations corporelles soient plus fortes que les délectations spirituelles. En effet, ce qui est délectable est désirable en tant que délectable. Ce à quoi le désir est davantage enclin est donc plus délectable. Or, il est incliné plus souvent et plus fréquemment vers les délectations corporelles que vers les délectations spirituelles. Les délectations corporelles sont donc plus fortes que les délectations spirituelles.

[23006] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, majoris efficaciae est res ipsa quam similitudo rei. Sed delectationes corporales, utpote tactus et gustus, proveniunt ex ipsis rebus conjunctis; delectationes autem spirituales, utpote quae sunt in contemplando, proveniunt ex similitudinibus rerum, quibus intelligimus. Ergo delectationes corporales sunt potiores spiritualibus.

2. Une chose elle-même est plus efficace que sa similitude. Or, les délectations corporelles, comme le toucher et le goût, viennent de l’union même avec les choses ; mais les délectations spirituelles, comme celles de la contemplation, viennent des similitudes des choses par lesquelles nous intelligeons. Les délectations corporelles sont donc plus fortes que les délectations spirituelles.

[23007] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ut Avicenna dicit in 5 de naturalibus, operatio causarum utilium praesentium est efficacior quam operatio causarum utilium futurarum; et similiter operatio causarum utilium ad delectandum est efficacior quam operatio causarum utilium honestati; et similiter operatio ejus quod est secundum opinionem, est efficacior quam operatio ejus quod est secundum rationem. Sed operationes corporales proveniunt ex bonis praesentibus utilibus ad delectandum secundum opinionem boni: delectationes vero spirituales proveniunt praecipue ex bonis futuris honestis, et secundum rationem existentibus. Ergo delectatio corporalis est potior spirituali.

3. Comme le dit Avicenne dans Les choses naturelles, V, l’opération de causes utiles présentes est plus efficace que l’opération de causes utiles futures ; de même, l’opération de causes utiles en vue de la délectation est plus efficace que l’opération de causes utiles pour l’honnêteté ; de même aussi l’opération de ce qui s’appuie sur l’opinion est plus efficace que l’opération de ce qui s’appuie sur la raison. Or, les opérations corporelles viennent de biens présents utiles pour la délectation, selon l’opinion de celui qui est bon ; mais les délectations spirituelles viennent surtout de biens futurs honnêtes et qui existent selon la raison. La délectation corporelle est donc plus forte que la délectation spirituelle.

[23008] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, delectationes corporales sua efficacia quandoque rationem evertunt, et corpus transmutant; et ideo indigent refrenari, ut philosophus dicit in 7 Ethic.: concupiscentiae venereorum manifeste corpus transmutant, et quibusdam insanias faciunt. Delectationes autem spirituales hoc facere non videntur; unde et eas refrenare non oportet. Ergo corporales sunt potiores spiritualibus.

4. Les délectations corporelles bouleversent parfois la raison et modifient le corps ; elles doivent donc être réfrénées, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII : « Les désirs sexuels modifient manifestement le corps et causent la folie chez certains. » Or, les délectations spirituelles ne semblent pas causer cela ; il n’est donc pas nécessaire de les réfréner. Les [délectations] corporelles sont donc plus fortes que les délectations spirituelles.

[23009] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 10 Ethic., quod delectabilissima operatio est illa quae est secundum sapientiam. Videtur enim philosophia admirabiles delectationes habere puritate et firmitate. Et ad hoc est etiam quod dicitur Eccli. 24, 10, ex ore sapientiae: spiritus meus super mel dulcis; et hereditas mea super mel et favum.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique, X, que « l’opréation la plus délectable est celle qui est accomplie selon la sagesse. En effet, la philosophie semble comporter des délectations admirables par sa pureté et sa solidité ». Ce qui est dit en Si 24, 20 va dans le même sens : Mon esprit est plus doux que le miel, et mon héritage [plus doux] qu’un rayon de miel.

[23010] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, bonum est causa delectationis. Sed spirituale bonum praeeminet corporali. Ergo et spiritualis delectatio corporali.

[2] Le bien est la cause de la délectation. Or, le bien spirituel l’emporte sur le bien corporel. La délectation spirituelle l’emporte donc aussi sur la délectation corporelle.

[23011] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, albius est quod est nigro impermixtius. Sed delectatio corporalis habet admixtam tristitiam, quae ei contrariatur; delectationi autem spirituali non est aliqua tristitia contraria quae possit ei admisceri. Ergo delectatio spiritualis est potior corporali.

[3] Est plus blanc ce qui n’est pas mélangé de noir. Or, la délectation corporelle a une tristesse associée, qui lui est contraire ; mais il n’y a pas de tristesse qui puisse être mêlée à la délectation spirituelle. La délectation spirituelle est donc plus forte que la délectation corporelle.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Parmi les délectations corporelles, celle du toucher est-elle la plus forte ?]

[23012] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inter delectationes corporales non est potissima illa quae est secundum tactum. Spiritualis enim delectatio est potior quam corporalis. Ergo et quanto aliqua delectatio corporalis est spirituali viciniOr tanto est potior. Sed delectatio visus et auditus est propinquior spirituali delectationi quam delectatio tactus. Ergo est potior.

1. Il semble que, parmi les délectations corporelles, celle du toucher ne soit pas la plus forte. En effet, la délectation spirituelle est plus forte que la délectation corporelle. Donc, plus une délectation corporelle se rapproche de la délectation spirituelle, plus est elle est forte. Or, la délectation de la vue et de l’ouïe est plus proche de la délectation spirituelle que la délectation du toucher. Elle est donc plus forte.

[23013] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, delectationis causa est perceptio convenientis. Sed visus inter alios sensus est magis perceptivus et cognoscitivus, ut patet per philosophum in 1 Metaphys. Ergo et delectatio visus est potissima inter corporales.

2. La cause de la délectation est la perception de ce qui convient. Or, parmi les autres sens, la vue perçoit et connaît mieux, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, I. La délectation de la vue est donc la plus forte parmi les délectations corporelles.

[23014] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, praecipuae delectationes tactus sunt in actibus nutritivae et generativae. Actus autem illi sunt communes etiam plantis, in quibus nulla delectatio invenitur. Ergo tactus habet minimum de delectatione.

3. Les principales délectations du toucher portent sur les actes de [la fonction] nutritive et génératrice. Or, ces actes sont communs aussi aux plantes, chez lesquelles on ne trouve aucune délectation. Le toucher comporte donc le moins de délectation.

[23015] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est, quod temperantia est circa maximas delectationes et tristitias corporales. Est autem circa delectationes tactus, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo delectationes tactus sunt potiores aliis corporalibus.

Cependant, [1] la tempérance porte sur les délectations et les tristesses corporelles les plus grandes. Or, elle porte sur les délectations du toucher, comme il est dit dans Éthique, III. Les délectations du toucher sont donc plus fortes que les autres délectations corporelles.

[23016] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, delectationi corporali opponitur dolor. Sed dolor praecipue ad sensum tactus pertinet, cum ex divisione continui proveniat. Ergo et inter delectationes corporales delectatio tactus est potior.

[2] La douleur s’oppose à la délectation corporelle. Or, la douleur est surtout en rapport avec le sens du toucher, puisqu’elle provient de la division du continu. La délectation du toucher est donc la plus forte parmi les délectations corporelles.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Parmi les délectations spirituelles, la délectation des opérations de la vie active est-elles plus forte que celle des opérations de la vie contemplative ?]

[23017] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inter delectationes spirituales delectatio quae est in operibus activae, sit potior ea quae est in operibus contemplativae. Delectatio enim ad affectum pertinet. Sed activa vita ex rectitudine voluntatis dependet; contemplativa vero magis consistit in perfectione intellectus. Ergo delectatio in operibus activae est potior delectatione quae est in operibus contemplativae.

1. Parmi les délectations spirituelles, la délectation des opérations de la vie active semble être plus forte que celle des opérations de la vie contemplative. En effet, la délectation se rapporte à la puissance affective. Or, la vie active dépend de la rectitude de la volonté, mais la vie contemplative consiste plutôt dans la perfection de l’intellect. La délectation des opérations de la vie active est donc plus forte que la délectation des opérations de la vie contemplative.

[23018] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, delectationis causa est operatio connaturalis habitus. Sed habitus virtutum moralium, quae perficiunt in activa, magis movet per modum naturae quam habitus intellectualium virtutum: sciens enim sine difficultate potest aliquod falsum considerare; sed justus non potest sine difficultate operari injusta, ut dicitur Lib. 9 Ethic. Ergo delectatio virtutum moralium, quae ad activam pertinent, est potior delectatione intellectualium, quae pertinent ad contemplativam.

2. La cause de la délectation est une opération connaturelle d’un habitus. Or, les habitus des vertus morales, qui donnent la perfection dans la vie active, meuvent davantage à la manière d’une nature que les habitus des vertus intellectuelles : en effet, celui qui sait peut sans difficulté examiner quelque chose de faux, mais le juste ne peut sans difficulté accomplir des actes injustes, comme il est dit dans Éthique, IX. La délectation des vertus morales, qui sont en rapport avec la vie active, est donc plus forte que la délectation des vertus intellectuelles, qui sont en rapport avec la vie contemplative.

[23019] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, convenientia est ratio delectationis. Sed delectatio magis convenit cum virtute morali quam cum intellectuali; et virtutem et malitiam moralem circa delectationem et tristitiam ponimus, ut dicitur in 2 et 7 Ethic. Ergo delectatio activae potior est delectatione contemplativae.

3. La convenance est la raison de la délectation. Or, la délectation a plus en commun avec la vertu morale qu’avec la vertu intellectuelle, et nous attribuons vertu et malice morale à la délectation et à la tristesse, comme il est dit dans Éthique, II, et VII. La délectation de la vie active est donc plus forte que la délectation de la vie contemplative.

[23020] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, operationibus contemplativae non admiscetur amaritudo aut taedium; unde Sap. 8, 16: non habet amaritudinem conversatio illius, scilicet sapientiae: nec taedium convictus illius. Sed operationes activae vitae sunt multis amaritudinibus respersae. Ergo delectationes contemplativae vitae sunt potiores.

Cependant, [1] l’amertume ou l’ennui ne se mêlent pas aux opérations de la vie contemplative ; aussi est-il dit en Sg 8, 16 : La fréquentation (de la Sagesse) n’a rien d’amer, ni la vie avec elle. Or, les opérations de la vie active sont davantage entachées d’amertume. Les délectations de la vie contemplative sont donc plus fortes.

[23021] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto aliqua operatio est delectabilior, tanto magis potest continuari. Sed operatio contemplationis maxime potest continuari, ut dicitur in 10 Ethic. Ergo operatio contemplationis est maxime delectabilis.

[2] Plus une opération est délectable, plus elle peut être continuée. Or, surtoout l’opération de la vie contemplative peut être continuée, comme il est dit dans Éthique, X. L’opération de la vie contemplative est donc la plus délectable.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [La délectation est-elle égale chez tous les bienheureux ?]

[23022] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in beatis omnibus est aequalis delectatio. Quia, ut dicitur in Glossa, 1 Corinth. 15, super illud: stella differt a stella in claritate, in dispari claritate erit par gaudium.

1. Il semble que la délectation soit égale chez tous les bienheureux, car, ainsi que le dit la Glose sur 1 Co 15 : Une étoile diffère d’une autre par l’éclat : « Il y aura une joie égale pour un éclat inégal. »

[23023] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, in beatis erit perfecta caritas; unde unusquisque perfecte implebit illud praeceptum: diliges proximum tuum sicut teipsum. Ergo tantum gaudebit unusquisque de bono alterius, sicut de bono suo; et sic videtur quod omnes aequale gaudium habebunt.

2. Chez les bienheureux, la charité sera égale. Chacun accomplira donc parfaitement le précepte : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Chacun se réjouira donc du bien de l’autre comme de son propre bien. Il semble ainsi que tous auront une joie égale.

[23024] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 arg. 3 Praeterea, gaudium non diminuitur nisi ex aliquo impedimento. Sed in nullo beatorum erit aliquod impedimentum gaudii. Cum igitur omnibus sit una gaudendi ratio, scilicet Dei visio, videtur quod omnes aequaliter gaudebunt.

3. La joie n’est diminuée qu’à cause d’un empêchement. Or, chez aucun des bienheureux, il n’y aura d’empêchement à la joie. Puisqu’il n’y aura qu’une seule raison de se réjouir pour tous, la vision de Dieu, il semble donc que tous se réjouiront également.

[23025] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, homines assumuntur pro diversitate meritorum ad diversos ordines Angelorum, sicut dicit Gregorius. Sed non in omnibus Angelis est aequale gaudium; unde dicit Dionysius, quod suprema hierarchia est sola digna effecta domestica unitate divinae refectionis, per quam refectionem delectatio intelligitur. Ergo nec omnes beati aequaliter gaudebunt.

Cependant, [1] Les hommes sont placés dans divers ordres des anges selon la diversité de leurs mérites, comme le dit Grégoire. Or, la joie n’est pas égale chez tous les anges ; aussi Denys dit-il que « la hiérarchie suprême a été seule rendue digne de l’union familière de la réfection divine », réfection par laquelle on entend la délectation. Tous les bienheureux ne se réjouiront donc pas également.

[23026] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, visio Dei in beatis erit causa delectationis. Sed quidam sancti clarius Deum videbunt, ut supra dictum est. Ergo non omnes aequaliter delectabuntur.

[2] La vision de Dieu sera pour les bienheureux la cause de leur délectation. Or, certains saints verront Dieu plus clairement, comme on l’a dit plus haut. Tous ne se délecteront donc pas également.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23027] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut aliquid dicitur dupliciter magis notum; vel simpliciter, vel quo ad nos; ita potest una delectatio potior altera judicari vel simpliciter, vel quo ad nos. Loquendo igitur simpliciter, delectatio spiritualis incomparabiliter praeeminet corporali, propter sex rationes. Primo, quia spiritualis perfectio, quae spiritualem delectationem causat, incomparabiliter perfectionem corporalem excedit, quae causat delectationem corporalem. Secundo, quia cum haec sit melior, delectanti convenientior; unusquisque enim maxime est illud quod est in eo perfectissimum, ut patet per philosophum in 10 Ethic. In nobis autem perfectissimum est spiritualis natura, secundum quam res spirituales sunt nobis convenientes, sicut in unoquoque forma est potior materia; et id quod convenit nobis secundum spiritualem naturam, est nobis convenientius; et propter hoc, quantum est de se, natum est magis delectare. Tertio, quia perfectio spiritualis est naturaliter magis dilecta quam corporalis; et hoc experimento patet; homines enim multa sustinent incommoda corporalia, ut vitent infamiam, vel habeant victoriam seu eminentiam, quae sunt perfectiones intelligibiles, et non corporales. Quanto autem aliquid magis diligitur, tanto habitum magis delectat; unde dicit philosophus in 11 de animalibus, quod amator quando diligit aliquid, afficitur ad id quod comprehendit de eo; quamvis aliquando quod comprehendit, sit modicum quantum ad multa quae comprehendit de aliis rebus; et sic parva cognitio quam habemus de substantiis spiritualibus caelestibus, est nobis delectabilissima. Quarto, quia cum conjunctio sit delectationis causa; quanto aliquid vehementius conjungitur, magis delectat. Res autem spirituales intellectivae intimius nobis conjunguntur quam res corporales apprehensae per sensum; sensus enim per apprehensionem conjungitur rebus corporalibus quasi superficialiter tantum; sed intellectus pertingit usque ad intimam rei quidditatem; unde delectatio intelligibilis est potior quam sensibilis. Quinto, quia cum operatio sit causa delectationis per hoc quod procedit ab operante perfecto, sicut cum perficitur per habitum; quanto in operante invenitur major perfectio respectu operationis, tanto ejus operatio est delectabilior. Motus autem est actus imperfecti; unde operationes admixtae motui intantum deficiunt a perfectione delectationis, inquantum motui adjunguntur; ex motu enim lassitudinem inducunt; et ideo cum operationibus corporalibus adjungatur motus, operationes autem spirituales sunt a motu remotae, spirituales delectationes erunt corporalibus puriores, et per consequens vehementiores. Sexto, quia spirituales delectationes sunt diuturniores et firmiores corporalibus, utpote ex causis incorruptibilibus et immobilibus provenientes. Loquendo autem de delectatione quo ad nos, delectatio corporalis est nobis perceptibilior propter quatuor rationes. Primo, quia res corporales sensibiles magis percipimus quam res spirituales, eo quod oportet ex sensibilibus pervenire in intelligibilia; ante delectationem autem requiritur perceptio convenientis; et inde est quod plures inclinantur ad delectationes corporales quam ad spirituales, quia plures cognoscunt sensibilia quam intelligibilia. Secundo propter dispositionem affectus nostri, qui est assuetus delectationibus corporalibus; unde sicut gustus infectus non percipit dulcedinem puram, ita etiam affectus nostri delectationibus corporalibus inquinati delectationes purissimas, scilicet spirituales, percipere non possunt; et ideo homines virtuosi, qui habent affectum depuratum a corporalibus delectationibus, magis spiritualibus delectationibus fruuntur. Unde et philosophus dicit in 10 Ethic., quod illa est potissima delectatio quae videtur potior virtuoso. Tertio, quia delectationes corporales propinquiores sunt virtutibus corporalibus motivis; unde ex delectationibus et doloribus corporalibus statim sequitur corporis transmutatio; non autem ex delectationibus et tristitiis spiritualibus, nisi sint adeo fortes quod ex eis fiat redundantia in appetitum sensibilem. Transmutationes autem corporis maxime percipiuntur; unde et delectatio corporalis magis percipitur quam spiritualis. Quarto, quia, ut dicit Augustinus, 8 Confess., gaudium vel delectatio major sequitur, ubi major molestia praecessit. In rebus autem corporalibus continue molestamur propter continuos motus, qui omnes cum labore quodam sunt; sed in rebus spiritualibus non inveniuntur hujusmodi molestiae; unde delectationes corporales majores apparent, utpote magis e vicino remedium praebentes contra molestias corporales; unde, secundum philosophum in 7 Ethic., corporales delectationes appetuntur ut medicinae quaedam contra corporales molestias; et propter hoc, juvenes, in quibus natura laborat continue ex augmento corporis et aliis motibus, magis afficiuntur ad delectationes corporales; et similiter melancholici, quorum corpus semper mordetur ex malitia complexionis, sunt in vehementi appetitu delectationis, utpote semper indigentes medicina, ut ibidem dicit philosophus.

De même qu’on dit que quelque chose est plus connu de deux manières : tout simplement ou par rapport à nous, de même une délectation peut-elle être jugée plus forte qu’une autre tout simplement ou par rapport à nous. Donc, à parler simplement, la délectation spirituelle l’emporte incomparablement sur la délectation corporelle pour six raisons. Premièrement, parce que la perfection spirituelle, qui cause la délectation spirituelle, dépasse incomparablement la perfection corporelle, qui cause la délectation corporelle. Deuxièmement, parce que [la délectation spirituelle] est meilleure, elle convient davantage à celui qui se délecte : en effet, chacun est au plus haut point ce qui est le plus parfait en lui, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, X. Or, en nous, la nature spirituelle, selon laquelle les réalités spirituelles nous conviennent, est ce qu’il y a de plus parfait, comme en tout la forme est plus forte que la matière ; et ce qui nous convient selon notre nature spirituelle nous convient davantage. Pour cette raison, la [délectation] spirituelle est par elle-même destinée à nous délecter davantage. Troisièmement, parce que la perfection spirituelle est naturellement plus aimée que la perfection corporelle. Cela se manifeste par l’expérience. En effet, les hommes supportent bien des inconforts corporels pour éviter l’infamie ou pour obtenir la victoire ou la supériorité, qui sont des perfections intelligibles, et non pas corporelles. Or, plus quelque chose est aimé, plus cela cause de la délectation, une fois possédé. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur les animaux, XI, que celui qui aime, lorsqu’il aime une chose, éprouve davantage de plaisir de ce qu’il comprend d’elle, bien que, parfois, ce qu’il comprend d’elle soit peu de chose en regard de ce qu’il comprend des autres choses. Ainsi, une faible connaissance que nous avons des substances spirituelles célestes est pour nous très délectable. Quatrièmement, puisque l’union est la cause de la délectation, plus quelque chose est uni avec force, plus cela délecte. Or, les réalités spirituelles intellectuelles nous sont plus intimement unies que les réalités corporelles perçues par le sens. En effet, le sens est uni par la perception aux réalités corporelles pour ainsi dire seulement d’une manière superficielle, mais l’intellect parvient jusqu’à la quiddité intelligible. La délectation intellectuelle est donc plus forte que la délectation sensible. Cinquièmement : puisque l’opération est la cause de la délectation du fait qu’elle vient d’un agent parfait, comme lorsqu’elle est accomplie par un habitus, plus la perfection de l’agent est grande, plus son opération sera délectable. Or, le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait. Les opérations mêlées au mouvement manquent donc de délectation dans la mesure où elles sont mêlées au mouvement. En effet, [les opérations] entraînent de la lassitude en raison du mouvement. Édtant donné que des mouvements sont associés aux opérations corporelles, mais que les opérations spirituelles sont éloignées du mouvement, les délectations spirituelles seront donc plus pures que les délectations corporelles et, par conséquent, plus fortes. Sixièmement, parce que les délectations spirituelles durent plus longtemps et sont plus fermes que les délectations corporelles, parce qu’elles proviennent de causes incorruptibles et immobiles. Mais, si l’on parle de délectation de notre point de vue, la délectation corporelle nous est plus perceptible pour quatre raisons. Premièrement, parce que nous percevons davantage les réalités corporelles sensibles que les réalités spirituelles, du fait que nous devons parvenir aux réalités intelligibles à partir des réalités sensibles. Or, avant la délectation, la perception de ce qui convient est nécessaire. De là vient qu’un plus grand nombre est enclin aux délectations corporelles qu’aux délectations spirituelles, parce qu’un plus grand nombre connaît les réalités sensibles que les réalités intelligibles. Deuxièmement, en raison de la disposition de notre affectivité, qui est accoutumée aux délectations corporelles. De même qu’un goût infecté ne perçoit pas la pure délectation, de même aussi notre affectivité, corrompue par les délectations corporelles, ne peut-elle pas percevoir les délectations les plus pures, les délectations spirituelles. Aussi, les hommes vertueux, qui ont une affectivité purifiée des délectations corporelles, jouissent-ils davantage des délectations spirituelles. De là vient que, dans Éthique, X, le Philosophe dit que « la délectation la plus forte est celle qui semble plus forte à celui qui est vertueux ». Troisièmement, parce que les délectations corporelles sont plus rapprochées des puissances motrices corporelles, de sorte qu’une modification du corps découle immédiatement des délectations et des douleurs corporelles, mais non des délectations et des tristesses spirituelles, à moins qu’elles soient tellement fortes qu’elles rejaillissent sur l’appétit sensible. Or, les modifications du corps sont celles qui sont le plus perçues. La délectation corporelle est donc davantage perçue que la délectation spirituelle. Quatrièmement, parce que, ainsi que le dit Augustin dans Les confessions, VIII, une joie ou une délectation plus grande suit là où un plus grand déplaisisr a précédé. Or, dans les choses corporelles, nous sommes continuellement incommodés en raison de mouvements continus, qui tous comportent un certain effort ; mais, dans les choses spirituelles, on ne trouve pas ces ennuis. Les délectations corporelles apparaissent donc plus grandes, parce qu’elles apportent rapidement un remède contre les ennuis corporels. Aussi, selon ce que dit le Philosophe dans Éthique, VII, les délectations corporelles sont-elles davantage désirées comme des remèdes contre certaines incommodités corporelles. Pour cette raison, les jeunes, chez qui la nature fait continuellement des efforts en raison de la croissance du corps et des autres mouvements, sont-ils plus affectés par les délectations corporelles. De même, les mélancoliques, dont le corps est toujours rongé par la misère de sa complexion, éprouvent-ils un fort désir de délectation, comme s’ils avaient toujours besoin d’un remède, ainsi que le dit le Philosophe au même endroit.

[23028] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de comparatione delectationum quo ad nos.

1. Cet argument vient de la comparaison entre les délectations de notre point de vue.

[23029] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per similitudines spirituales nobis conjunctas magis pertingimus ad intima quam per ipsam conjunctionem realem quae nobis secundum sensum exhibetur; cum tactus et gustus non cognoscant nisi accidentia, intellectus vero ipsam rei quidditatem.

2. Par les similitudes spirituelles qui nous sont unies, nous atteignons davantage ce qui est le plus profond que par l’union réelle qui nous est donnée selon le sens, puisque le toucher et le goût ne connaissent que des accidents, mais l’intellect, la quiddité même d’une chose.

[23030] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Avicenna ibi loquitur de comparatione delectationum quo ad nos: unde contrarium dicit in sua Metaph. loquens de comparatione delectationum secundum se; ubi dicit, quod delectationes corporales non sunt etiam nominandae delectationes respectu spiritualium. Vel potest dici, quod Avicenna ibi loquitur de delectationibus quae in passione consistunt, quae fiunt per motum spiritus corporei animalis: vult enim quod hujusmodi delectationes sensibiles minus proveniant ex rebus spiritualibus quam ex corporalibus.

3. Avicenne parle là de la comparaison entre les délectations de notre point de vue. Aussi dit-il le contraire dans sa Métaphysique, lorsqu’il parle de la comparaison entre les délectations en elles-mêmes. Il dit là que les délectations corporelles ne sont même pas appelées des délectations en regard des délectations spirituelles. Ou bien on peut dire qu’Avicenne parle là des délectations qui consistent dans une passion, qui se réalisent par un mouvement de l’esprit corporel animal : en effet, il veut que les délectations sensibles de ce genre viennent moins des réalités spirituelles que des réalités corporelles.

[23031] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod delectationes corporales propter hoc quod faciunt transmutationem corporalem magis quam spirituales, natae sunt rationem impedire, sicut et aliae transmutationes corporales: sed delectationes spirituales quamvis mentem ad se rapiant, tamen usum rationis in nullo impediunt, unde sobriae nominantur. Ideo autem potest in delectationibus corporalibus, secundum philosophum in 7 Ethic., superabundantia inveniri, quia non sunt homini secundum seipsas eligibiles, sed solum per accidens; inquantum scilicet sunt ut medicinae corporales tristitias prohibentes: et ideo appetendae sunt servata quadam mensura, quam eis ratio praefigit; et si eam excesserint, noxiae reputantur. Sed delectationes spirituales appetuntur secundum seipsas, quasi homini connaturales, et non ut medicinae, cum non habeant tristitias contrarias: et ideo delectationibus spiritualibus nullam mensuram praefigit ratio; sed quanto sunt majores, tanto sunt eligibiliores.

4. Parce que les délectations corporelles provoquent davantage une modification corporelle que les délectations spirituelles, elles empêchent par nature la raison, comme les autres modifications corporelles ; mais les délectations spirituelles, bien qu’elles entraînent l’esprit vers elles-mêmes, n’empêchent aucunement l’usage de la raison ; aussi dit-on qu’elles sont sobres. C’est pourquoi, selon ce que dit le Philosophe dans Éthique, VII, une surabondance de délectations corporelles peut se rencontrer, car elles ne peuvent pas être choisies par l’homme pour elles-mêmes, mais seulement par accident, dans la mesure où elles sont des remèdes qui empêchent les tristesses corporelles. Elles doivent dont être désirées en respectant une certaine mesure, que leur fixe à l’avance la raison ; si elles la dépassent, elles sont considérées comme nuisibles. Mais les délectations spirituelles sont désirées pour elles-mêmes en tant qu’elles sont connaturelles à l’homme, et non comme des remèdes, puisqu’elles ne comportent pas de tristesses contraires. Aussi la raison ne fixe-t-elle pas à l’avance de mesure aux délectations spirituelles, mais plus elles sont grandes, plus elles peuvent être choisies.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23032] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod delectationes sensus tactus comparantur delectationibus aliorum sensuum, dupliciter. Uno modo quantum ad vehementiam; et sic delectationes tactus sunt aliis vehementiores, propter quatuor rationes. Primo, quia tangibile conjungitur nobis realiter; sed visibile et audibile et odorabile conjungitur nobis per aliquid sui; et tamen nullus sensus ad interiora rei ingredi potest. Res autem corporalis efficacior est ad delectandum corporaliter quam species rei, vel aliquid a re causatum. Secundo, quia tangibilia sunt nobis magis connaturalia, eo quod ex calido et frigido et humido et sicco constituitur animal: et ideo majorem delectationem inferunt nobis tangibilia quam alia sensibilia, sicut et majorem laesionem: quia eorum excellentiae non solum corrumpunt unum sensum, sed totum animal. Tertio, quia cum sensus tactus sit quasi fundamentum sensuum, ratione cujus, immobilitato ejus organo, omnes sensus immobilitantur, ut dicitur in Lib. de somno et vigilia; id quod in tactu accidit tam de delectatione quam de laesione, redundat in hos sensus; et propter hoc delectatio tactus inter corporales est vehementior. Quarto, quia delectationes tactus sunt circa necessaria ad conservationem individui et speciei, sicut in cibis et potibus et venereis: et propter hoc apposita est in eis maxima delectatio, ne ab animalibus negligantur; et inde est quod circa has delectationes maxime est temperantia, ut dicitur in 3 Ethic. Secundo comparantur delectationes tactus aliis delectationibus quantum ad nobilitatem; et sic sunt magis materiales et magis bestiales, et per consequens minus nobiles. Alii enim sensus spiritualius recipiunt sua objecta quam tactus: unde et alia animalia non delectantur aliis sensibus nisi in ordine ad tactum, ut dicitur in 3 Ethic.: sed homo delectatur etiam eis inquantum ordinantur ad cognitionem solam.

Les délectations du sens du toucher se comparent aux délectations des autres sens de deux manières. D’une manière, pour ce qui est de leur force : ainsi les délectations du toucher sont plus fortes que les autres pour quatre raisons. En premier lieu, parce que ce qui est tangible nous est uni réellement ; mais ce qui visible, audible et sensible à l’odorat nous est uni par un de ses aspects, et cependant aucun sens ne peut pénétrer ce qu’il y a de plus profond dans une chose. Or, une réalité corporelle est plus efficace pour délecter corporellement que l’espèce de cette chose ou quelque chose causé par cette réalité. Deuxièmement, parce que ce qui est tangible nous est plus connaturel du fait qu’un animal est constitué de chaud, de froid, d’humide et de sec. Aussi les réalités tangibles nous procurent-elles une plus grande délectation, de même qu’une plus grande douleur, que les autres réalités sensibles, parce que leur intensité ne corrompt pas seulement un seul sens, mais l’animal tout entier. Troisièmement, parce que le sens du toucher est pour ainsi dire le fondement des sens ; c’est la raison pour laquelle tous les sens sont immobilisés, lorsque l’organe [du toucher] est immobilisé, comme on le dit dans le livre Sur le sommeil et la veille ; ce qui arrive au toucher, aussi bien pour le plaisir que pour la douleur, rejaillit sur ces sens. Pour cette raison, la délectation du toucher est la plus forte des délectations corporelles. Quatrièmement, les délectations du toucher portent sur ce qui est nécessaire à la conservation de l’individu et de l’espèce, comme la nourriture, la boisson et les choses sexuelles. Pour cette raison, la plus grande délectation leur a-t-elle été associée pour éviter que cela ne soit négligé par les animaux. De là vient que la tempérance porte surtout sur ces réalités, comme on le dit dans Éthique, III. En second lieu, les délectations du toucher se comparent aux autres délectations selon la noblesse. Elles sont ainsi plus matérielles et plus caractéristiques des animaux sans raison, et, par conséquent, moins nobles. En effet, les autres sens reçoivent leurs objets plus spirituellement que le toucher. Aussi les animaux ne se délectent-ils pas des autres sens, si ce n’est par rapport au toucher, comme il est dit dans Éthique, III ; mais l’homme se délecte aussi d’eux en tant qu’ils sont ordonnés à la seule connaissance.

[23033] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc quod delectationes aliorum sensuum sunt propinquiores aliis delectationibus spiritualibus quam delectationes tactus, potest haberi quod sunt nobiliores; non autem quod sint vehementiores; cum modum delectationum corporalium non transcendant.

1. Du fait que les délectations d’autres sens sont plus proches des délectations spirituelles que les délectations du toucher, on peut conclure qu’elles sont plus nobles, mais non qu’elles sont plus fortes, puisqu’elles ne dépassent pas le mode des délectations corporelles.

[23034] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis visus sit magis perceptivus aliis sensibus, tamen ejus perceptio est secundum minorem conjunctionem ad rem quam in sensu tactus: et ideo delectatio quae est de sensibili delectabili, magis est per tactum quam per visum: sed tamen delectatio quae est de cognitione visus, est major quam est de cognitione tactus. Sed hoc modo non delectantur alia animalia in sentiendo, sed solum homines in ordine ad scientiam quam ex sensibus acquirunt: unde talis delectatio cadit quodammodo in genus spiritualium delectationum.

2. Bien que la vue perçoive davantage que les autres sens, sa perception se réalise cependant selon une union plus faible avec une chose que dans le sens du toucher. C’est pourquoi la délectation qui vient d’un objet sensible délectable est plutôt le fait du toucher que de la vue. Cependant, la délectation qui vient de la connaissance par la vue est plus grande que celle qui vient de la connaissance par le toucher. Mais les autres animaux ne se délectent pas de cette manière par la sensation, mais seulement les hommes par rapport à la science qu’ils acquièrent à partir des sens. Une telle délectation tombe donc d’une certaine manière dans la genre des délectations spirituelles.

[23035] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ea de quibus sunt praecipue delectationes tactus, inveniantur in plantis, non tamen ea percipiunt: unde non est (ibi delectatio) ex defectu perceptionis.

3. Bien que l’objet sur lequel portent principalement les délectations du toucher se trouve dans les plantes, elles ne le perçoivent cependant pas. Il n’y a donc pas là de délectation en raison d’un manque de perception.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23036] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod delectationes quae sunt in operibus speculativae vitae, praeeminent delectationibus quae sunt in operibus activae; et hoc propter quatuor rationes. Primo, quia sunt nobiliores, utpote ex nobilioribus rebus provenientes: actus enim vitae activae sunt secundum conversionem inferioris partis animae ad ea quae infra ipsam sunt, sicut ad passiones circa quae morales virtutes consistunt, et ad usus bonorum exteriorum, in quibus aliquae virtutes consistunt, ut justitia et liberalitas; sed actus vitae contemplativae sunt secundum quod anima convertitur per superiorem rationem ad res aeternas, quae sunt supra ipsam. Secundo, quia sunt convenientiores: sicut enim ratio in nobis excellit sensum; ita id quod est convenientius rationi, est nobis convenientius quam quod convenit sensui. Similiter speculativus intellectus praecedit practicum: unde perfectiones intellectus speculativi sunt homini convenientiores. Tertio, quia sunt puriores. Opera enim activae vitae sunt circa passiones sensitivae partis et circa corporales motus; et sic admiscetur eis de lassitudine et materialitate, quod non contingit de spiritualibus delectationibus. Quarto, quia spirituales delectationes sunt perfectiores. Homo enim ad opera vitae activae multis indiget; sed in operibus contemplativae est sibi unusquisque magis sufficiens: unde contemplativae delectatio non ita patitur defectum sicut delectatio activae, ex hoc quod desit aliquid eorum quae ad perfectam operationem requiruntur.

Les délectations dans les opérations de la vie spéculative l’emportent sur les délectations de la vie active, et cela pour quatre raisons. Premièrement, parce qu’elles sont plus nobles, en tant qu’elles viennent de réalités plus nobles. En effet, les actes de la vie active s’exercent selon une conversion de la partie inférieure de l’âme vers ce qui lui est inférieur, tels les passions sur lesquelles s’exercent les vertus morales et l’usage des biens extérieurs, sur lesquels s’exercent les autres vertus, comme la justice et la libéralité. Mais les actes de la vie contemplative sont ceux par lesquels l’âme se tourne, par la raison supérieure, vers les réalités éternelles, qui lui sont supérieures. Deuxièmement, parce qu’elles conviennent davantage. En effet, de même que la raison en nous dépasse le sens, de même ce qui convient davantage à la raison nous est plus approprié que ce qui convient au sens. De même, l’intellect spéculatif précède-t-il l’intellect pratique. Aussi les perfections de l’intellect spéculatif conviennent-elles davantage à l’homme. Troisièmement, parce qu’elles sont plus pures. En effet, les opérations de la vie active portent sur les passions de la partie sensible et sur les mouvements corporels ; il s’y mêle donc de la lassitude et de la matérialité, ce qui n’est pas le cas pour les opérations spirituelles. Quatrièmement, parce que les délectations spirituelles sont plus parfaites. En effet, l’homme a besoin de beaucoup de choses pour les opérations de la vie active ; mais, pour les opérations de la vie contemplative, chacun se suffit plutôt à lui-même. La délectation de la vie contemplative ne souffre donc pas autant du manque que la délectation de la vie active, du fait que manque à celle-ci l’une des choses qui sont nécessaires à une opération parfaite.

[23037] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod affectus se habet communiter et ad activam et ad contemplativam vitam. Sicut enim aliquis volens opera activae exercet, ita et contemplativae opera; et sic in affectu est communiter delectatio de utroque: sed causa delectationis contemplativae vitae est in intellectu quantum ad superiorem partem; causa vero delectationis activae vitae est in parte superiori animae. Affectus autem non minus afficitur ex his quae sunt superioris partis rationis quam ex his quae sunt inferioris, sed magis.

1. L’affectivité s’applique également à la vie active et à la vie contemplative. En effet, de même que celui qui veut les actes de la vie active les exerce, de même en est-il pour les actes de la vie contemplative. Il existe donc dans l’affectivité une égale délectation dans les deux cas. Mais la cause de la délectation de la vie contemplative se trouve dans l’intellect pour la plus grande part, alors que celle de la délectation de la vie active se trouve dans la partie supérieure (?) de l’âme. Or, l’affectivité n’est pas moins affectée par ce qui relève de la partie de la raison que par ce qui relève de la partie inférieure, mais davantage.

[23038] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habitus inclinat ad actum dupliciter. Uno modo ad hoc ut actus exerceatur; et sic inclinare ad actum non est nisi habitus in parte appetitiva existentis: quia appetitus qui habet bonum et finem pro objecto, movet seipsum et vim cognitivam in actum: ex desiderio enim actus vel finis provenit quod aliquis aliquem actum exerceat, dummodo non sit ex necessitate naturae. Alio modo quantum ad modum agendi, ut scilicet illud quod agitur, recte agatur; et sic quilibet habitus inclinat ad actum. Habitus ergo contemplativus, utpote sapientia vel intellectus, non intelligit ad hoc quod aliquis utatur contemplationis actu, sed ut quando utitur, recte utatur. Sed ad hoc quod utatur non inclinat nisi habitus qui est in appetitu non inferiori, sed superiori; utpote caritas. Unde etiam caritas ad vitam contemplativam pertinet; utpote inclinans habitus contemplativos ad actus suos. Sed habitus activae vitae, ut virtutes morales, sunt in parte appetitiva, utpote in irascibili et concupiscibili, ut temperantia et fortitudo: unde habitus isti inclinant et ad hoc quod agatur, et ad hoc quod recte agatur; et pro tanto naturae comparantur, quae est principium movendi. Nihilominus tamen illud in quod inclinat habitus speculativus, est nobis magis connaturale quam illud in quod inclinat habitus activus.

2. L’habitus incline à l’acte de deux manières. D’une manière, pour que l’acte soit mis en œuvre. Incliner à l’acte de cette manière n’est le fait que de l’habitus qui se trouve dans la partie appétitive, car l’appétit qui a le bien et la fin comme objet meut lui-même et la puissance cognitive à l’acte. En effet, du désir de l’acte et de la fin, vient le fait que quelqu’un exerce un acte, à condition qu’il ne vienne pas de la nécessité naturelle. D’une autre manière, pour ce qui est du mode d’agir, afiin que ce qui est fait soit fait correctement. Tout habitus incline à l’acte de cette manière. L’habitus contemplatif, par exemple, la sagesse ou l’intelligence, n’intellige pas afin que quelqu’un fasse usage de l’acte de la contemplation, mais pour que, lorsqu’il en fait usage, il en fasse un usage correct. Mais à ce qu’il en fasse usage, n’incline qu’un habitus qui se trouve dans l’appétit non pas inférieur, mais supérieur, par exemple, la charité. Aussi même la charité se rapporte-t-elle à la vie contemplative, en tant qu’elle incline les habitus contemplatifs vers leurs actes. Mais les habitus de la vie active, comme les vertus morales, se trouvent dans la partie appétitive, par exemple, dans l’irascible et le concupiscible, comme la tempérance et la force. Aussi ces habitus inclinent-ils à l’action et à une action correcte et, en cela, sont-ils comparés à la nature, qui est un principe du mouvement. Néanmoins, ce vers quoi l’habitus spéculatif incline nous est plus connaturel que ce vers quoi incline l’habitus actif.

[23039] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectationis causa est convenientia, non quidem delectationis, sed causae ejus ad delectatum. Delectationes autem quae cum virtute morali conveniunt, sunt delectationes corporales, vel corporalibus admixtae, quae sunt materia virtutum moralium; sed contemplativae vitae conveniunt aliae nobiliores delectationes, scilicet spirituales; non tamen ita quod delectatio sit contemplationis materia, sed est contemplationem consequens.

3. La cause de la délectation est la convenance, non pas de la délectation, mais de sa cause par rapport à celui qui se délecte. Or, les délectations qui conviennent à la vertu morale sont des délectations corporelles ou mêlées à des réalités corporelles, qui sont la matière des vertus morales. Mais d’autres délectations plus nobles, des délectations spirituelles, conviennent à la vie contemplative, non pas cependant que la délectation soit la matière de la contemplation, mais qu’elle découle de la contemplation.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[23040] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod intensio delectationis potest provenire ex duobus; scilicet ex causa delectationis quae est fortior et ex dispositione delectati quae est delectationis capacior. Causa autem delectationis proxima est operatio; sed remota, operationis objectum; sicut in delectatione beatorum, de qua nunc agitur, causa proxima est Dei visio, sed prima causa est Deus. Haec igitur causa prima una est, et communis omnibus beatis: unde quantum ad hoc eorum delectatio est aequalis: visio autem et dispositio ad delectationem non est aequalis, quia unus alio clarius videt, ut ex supradictis patet: unus etiam alio est delectationis capacior propter perfectiorem habitum, qui est lumen gloriae: et ideo quidam magis delectantur aliis, quamvis secundum quid omnes aequaliter delectentur, materialiter loquendo, inquantum scilicet gaudent de aequali re, scilicet de Deo; et sic intelligitur Glossa inducta, quod in dispari claritate erit par gaudium.

L’intensité de la délectation peut venir de deux choses : de la cause de la délectation qui est plus forte, et de la disposition de celui qui est délecté, qui est plus apte à la délectation. Or, la cause prochaine de la délectation est l’opération ; mais la cause éloignée est l’objet de l’opération, comme dans la délectation des bienheureux, dont nous traitons ici, la cause prochaine est la vision de Dieu, mais la cause première est Dieu. Cette cause première est donc unique et commune pour tous les bienheureux : sur ce point, leur délectation est égale. Mais la vision et la disposition à la délectation ne sont pas égales, car l’un voit plus clairement que l’autre, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. L’un est aussi plus apte à la délectation en raison d’un habitus plus parfait, qui est la lumière de la gloire. Certains se délectent donc davantage que d’autres, bien que, sous un aspect, tous se délectent également à parler de la matière, pour autant qu’ils se réjouissent d’une réalité égale : Dieu. Ainsi s’entend l’autorité invoquée voulant qu’il y ait une joie égale pour une clarté inégale.

[23041] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 ad 1 Unde patet responsio ad primum. Vel dicendum ad primum, quod omnium beatorum dicitur esse par gaudium, inquantum unusquisque ad summum gaudii pervenit secundum modum suum; sed modus unius erit amplior quam alterius; et secundum hoc gaudium unius erit majus gaudio alterius, ut sic alia paritas importet non aequalitatem quantitatis, sed proportionis.

1. La réponse au premier argument est donc claire. Ou bien il faut dire, par rapport à ce premier argument, que la joie des bienheureux est dite égale pour autant que chacun est parvenu au point le plus élevé de la joie à sa mesure, mais que la mesure de l’un sera plus grande que celle d’un autre. Ainsi, la joie de l’un sera donc plus grande que la joie d’un autre, de telle sorte que l’autre égalité ne comporte pas une égalité selon la quantité, mais [une égalité] selon la proportion.

[23042] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in regno caelorum minor gaudet non solum de bono suo, sed etiam de bono superioris, non tamen tantum gaudet de eo quantum superior: quia ratio gaudii in omnibus erit Deus; et ideo quanto aliquis plus gaudet de Deo, tantum plus gaudebit de quocumque alio; unde superior plus gaudebit de bono inferioris quam ipse inferior.

2. Bien que, dans le royaume des cieux, un inférieur ne se réjouisse pas seulement de son propre bien, mais aussi du bien d’un supérieur, il ne s’en réjouit cependant pas en tant qu’il est supérieur, car la raison de la joie sera chez tous Dieu. Plus quelqu’un se réjouit de Dieu, plus donc il se réjouira de n’importe quel autre. Aussi le supérieur se réjouira-t-il du bien d’un inférieur plus que l’inférieur lui-même.

[23043] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 3 a. 5 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in nullo beatorum sit aliquod delectationis impedimentum, sunt tamen ibi aliae causae intensionis: non enim intenditur aliquod solum per remotionem a contrario, sed etiam per accessum ad terminum.

3. Bien qu’il n’existe chez aucun bienheureux d’empêchement à la délectation, il y existe cependant d’autres causes d’intensité : en effet, quelque chose n’est pas intensifié seulement par l’éloignement d’un contraire, mais par le rapprochement du terme.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Les dots]

 

 

Prooemium

Prologue

[23044] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 pr. Deinde quaeritur de dotibus; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 an beatis sint assignandae aliquae dotes; 2 utrum dos a beatitudine differat; 3 utrum Christo insint dotes; 4 utrum Angelis; 5 de numero dotium.

On s’interroge ensuite sur les dots. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Faut-il attribuer des dots aux bienheureux ? 2 – La dot diffère-t-elle de la béatitude ? 3 – Des dots existent-elles chez le Christ ? 4 – [Existent-elles] chez les anges ? 5 – du nombre des dots.

 

 

Articulus 1 [23045] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 tit. Utrum sint ponendae aliquae dotes in hominibus beatis

Article 1 – Faut-il reconnaître des dots chez les hommes bienheureux ?

[23046] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non sint ponendae aliquae dotes in hominibus beatis. Dos enim secundum jura datur sponso ad sustinenda onera matrimonii. Sed sancti non gerunt figuram sponsi, sed magis figuram sponsae, inquantum sunt membra Ecclesiae. Ergo eis dotes non dantur.

1. Il semble qu’il faille reconnaître des dots chez les hommes bienheureux. En effet, une dot, selon le droit, est donnée à l’époux pour supporter la charge du mariage. Or, les saints ne représentent pas l’époux, mais plutôt l’épouse, pour autant qu’ils sont des membres de l’Église. Des dots ne leur sont donc pas donnés.

[23047] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, dotes non dantur secundum jura a patre sponsi, sed a patre sponsae. Omnia autem dona beatitudinis beatis dantur a patre sponsi, scilicet Christi; Jacob. 1, 17: omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est, descendens a patre luminum. Ergo hujusmodi dona quae beatis dantur, non sunt dotes appellandae.

2. Selon le droit, les dots ne sont pas données par le père de l’époux, mais par le père de l’épouse. Or, tous les dons de la béatitude sont donnés par le père de l’époux, le Christ. Jc 1, 17 : Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières. Les dons de ce genre, qui sont donnés aux bienheureux, ne doivent donc pas être appelés des dots.

[23048] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, in matrimonio dantur dotes ad facilius toleranda onera matrimonii. Sed in matrimonio spirituali non sunt aliqua onera, maxime secundum statum Ecclesiae triumphantis. Ergo non sunt ibi aliquae dotes assignandae.

3. Dans le mariage, des dots sont données pour supporter plus facilement les charges de mariage. Or, dans le mariage spirituel, il n’y a pas de charge, surtout dans l’état de l’Église triomphante. Il ne faut donc pas y attribuer de dots.

[23049] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, dotes non dantur nisi causa matrimonii. Sed matrimonium spirituale contrahitur cum Christo per fidem secundum statum Ecclesiae militantis. Ergo eadem ratione si beatis aliquae dotes conveniunt, convenient etiam sanctis in via existentibus. Sed istis non conveniunt. Ergo nec beatis.

4. Des dots ne sont données qu’en raison du mariage. Or, le mariage spirituel est contracté avec le Christ par la foi, dans l’état de l’Église militante. Pour la même raison, si certaines dots conviennent aux bienheureux, elles conviennent aussi aux saints qui se trouvent en route. Or, elles ne conviennent pas à ceux-ci. Donc, ni aux bienheureux.

[23050] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, dotes ad bona exteriora pertinent, quae dicuntur bona fortunae. Sed praemia beatorum erunt de interioribus bonis. Ergo non debent dotes numerari.

5. Les dots se rapportent à des biens extérieurs, qu’on appelle les biens de la fortune. Or, les récompenses des bienheureux porteront sur des biens intérieurs. Elles ne doivent donc pas être comptés parmi les dots.

[23051] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Ephes. 5, 32, dicitur: sacramentum hoc magnum est, dico autem in Christo et Ecclesia; ex quo habetur quod spirituale matrimonium per carnale significatur. Sed in carnali matrimonio sponsa dotata traducitur in domum sponsi. Ergo cum sancti in domum Christi traducantur cum beatificantur, videtur quod aliquibus dotibus dotentur.

Cependant, [1] il est dit en Ep 5, 32 : Ce mystère est grand, je veux parler du Christ et de l’Église : on conclut de cela que le mariage spirituel est signifié par le mariage charnel. Or, dans le mariage charnel, l’épouse qui est dotée est menée dans la maison de l’époux. Puisque les saints sont menés dans la maison du Christ lorsqu’ils deviennent bienheureux, il semble donc qu’ils reçoivent des dots.

[23052] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, dotes in matrimonio corporali assignantur in matrimonii solatium. Sed matrimonium spirituale est delectabilius quam corporale. Ergo ei dotes sunt maxime assignandae.

[2] Dans le mariage corporel, les dots sont données pour l’allégement du mariage. Or, le mariage spirituel est plus délectable que le mariage corporel. C’est donc à lui surtout qu’il faut attribuer des dots.

[23053] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ornamenta sponsarum ad dotem pertinent. Sed sancti ornati in gloriam introducuntur, ut dicitur Isai. 61, 10: induit me vestimentis salutis (...) quasi sponsam ornatam monilibus suis. Ergo sancti in patria dotes habent.

[3] Les parures des épouses ont un rapport avec la dot. Or, les saints sont menés dans la gloire parés, comme il est dit en Is 61, 10 : Il m’a revêtu des vêtements du salut…, comme une épouse parée de ses colliers. Les saints ont donc des dots dans la patrie.

[23054] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod absque dubio beatis, quando in gloriam transferuntur, aliqua dona divinitus dantur ad eorum ornatum; et hi ornatus a magistris dotes sunt nominati; unde datur quaedam definitio de dote, de qua nunc loquimur, talis: dos est perpetuus ornatus animae et corporis, vitae sufficiens, in aeterna beatitudine jugiter perseverans. Et sumitur haec descriptio ad similitudinem dotis corporalis, per quam sponsa ornatur, et providetur viro unde possit sufficienter sponsam et liberos nutrire; et tamen inamissibiliter dos sponsae conservatur, ut ad eam matrimonio separato revertatur. Sed de ratione nominis, diversi diversimode opinantur. Quidam enim dicunt, quod dos non accipitur ex aliqua similitudine ad matrimonium corporale, sed secundum modum loquendi quo omnem perfectionem seu ornatum cujuscumque hominis dotem nominamus, sicut dicitur aliquis esse dotatus scientia qui scientia pollet; et sic Ovidius usus est nomine dotis, dicens: et quacumque potes dote placere, place. Sed istud non videtur usquequaque conveniens: quia quandocumque aliquod nomen est impositum ad aliquid principaliter significandum, non consuevit ad alia transferri, nisi secundum aliquam similitudinem. Unde cum secundum primam institutionem nominis dos ad matrimonium carnale pertineat, videtur quod in qualibet alia acceptione attendatur aliqua similitudo ad principale significatum. Et ideo alii dicunt, quod secundum hoc similitudo attenditur, quod dos proprie dicitur donum quod in matrimonio corporali datur sponsae ex parte sponsi, quando traducitur in domum sponsi, ad ornatum sponsae pertinens; quod patet ex hoc quod dixit Sichem Jacob et filiis ejus Gen. 34, 12: augete dotem, et munera postulate; et Exod. 22, 16: si seduxerit quis virginem (...) dormieritque cum ea, dotabit eam, et accipiet eam in uxorem; unde et ornatus qui a Christo sanctis exhibetur, quando traducuntur in domum gloriae, dos nominatur. Sed hoc est manifeste contra id quod juristae dicunt, ad quos pertinet de his tractare. Dicunt enim, quod dos proprie est quaedam datio ex parte mulieris his qui sunt ex parte viri, facta pro onere matrimonii quod sustinet vir. Sed illud quod sponsus dat sponsae, vocatur donatio propter nuptias; et secundum hunc modum accipitur dos 3 Reg. 9, ubi dicitur, quod Pharao rex Aegypti cepit Gazer, et dedit in dotem filiae suae uxori Salomonis. Nec contra hoc faciunt auctoritates inductae: quamvis enim dotes a parente puellae consueverunt assignari, tamen quandoque contingit, quod sponsus vel pater sponsi assignat dotes vice patris puellae: quod contingit dupliciter: vel pro nimio affectu ad sponsam, sicut fuit de Sichem, qui voluit assignare dotem quam debebat accipere propter vehementem amorem filii sui ad puellam; vel hoc fit in poenam sponsi, ut virgini a se corruptae dotem de suo assignet, quam pater puellae debuerat assignare; et in hoc casu loquitur Moyses in auctoritate inducta. Et ideo secundum alios dicendum, quod dos in matrimonio carnali proprie dicitur quod datur ab his qui sunt ex parte mulieris, his qui sunt ex parte viri, ad sustentanda onera matrimonii, ut dictum est. Sed tunc remanet difficultas, quomodo haec significatio aptari possit ad propositum, cum ornatus qui sunt in beatitudine, dentur sponsae spirituali a patre sponsi: quod manifestabitur respondendo ad argumenta.

Sans aucun doute, certains dons sont faits aux saints pour les orner, lorsqu’ils passent dans la gloire. Ces ornements ont été appelés des dots par les maîtres. On donne ainsi une définition de la dot dont nous parlons maintenant : «La dot est un ornement perpétuel de l’âme et du corps, suffisant pour vivre et possédant une durée perpétuelle dans la béatitude éternelle. » Cette description est donnée par comparaison avec la dot corporelle, par laquelle l’épouse est ornée et l’homme est pourvu pour entretenir suffisamment l’épouse et les enfants. Cependant, la dot de l’épouse est conservée sans qu’elle puisse lui être enlevée, de sorte qu’elle lui revient lorsque le mariage est séparé. Mais, sur le sens du mot, plusieurs ont des opinions diverses. En effet, certains disent que la dot n’est pas conçue par comparaison avec le mariage corporel, mais selon la manière de parler par laquelle nous appelons « dot » toute perfection ou ornement de n’importe quel homme, comme on dit que celui qui a beaucoup de science est doté de science. C’est ainsi qu’Ovide a employé le mot « dot » : « Plais par quelque dot dont tu puisses plaire. » Mais cela ne semble pas tout à fait approprié, car lorsqu’un mot est pris pour signifier principalement quelque chose, on n’a coutume de le transférer à d’autres choses que selon une certaine ressemblance. Puisque le mot « dot », selon sa première institution, se rapporte au mariage charnel, il semble donc que, quelles que soient les autres acceptions, il faille relever une certaine similitude par rapport à ce qui est signifié principalement. C’est pourquoi d’autres disent que « dot » est entendu par comparaison avec la dot qui est donnée à l’épouse de la part de l’époux dans le mariage corporel, lorsqu’elle est conduite à la maison de l’époux, et qui se rapporte à la parure de l’épouse. Cela ressort de ce que dit Sichem à Jacob et à ses fils en Gn 34, 12 : Augmentez la dot et demandez des présents, et dans Ex 22, 16 : Si quelqu’un a séduit une vierge... et à couché avec celle, il lui donnera une dot et la prendra comme épouse. De là appelle-t-on dot la parure que le Christ donne aux saints lorsqu’ils sont conduits dans la demeure de la gloire. Mais cela est manifestement contraire à ce que disent les juristes, à qui il revient de traiter de ces choses. En effet, ils disent qu’à proprement parler, la dot est un don fait par la famille de l’épouse à ceux qui appartiennent à la famille de l’époux, pour compenser la charge du mariage que supporte l’homme. Mais ce que l’époux donne à l’épouse est appelé une donation en vue du mariage. C’est en ce sens que la dot est entendue dans 1 R 9, où il est dit que Pharaon, roi d’Égypte, prit Gazer et la donna comme dot pour sa fille, épouse de Salomon. Et les autorités invoquées ne s’opposent pas cela : en effet, bien qu’on ait coutume d’allouer des dots de la part des parents d’une jeune fille, il arrive parfois que l’époux ou le père de l’époux alloue une dot pour remplacer celle du père de la jeune fille. Cela se produit de deux manières : soit en raison d’une très grande affection pour l’épouse, comme ce fut le cas de Sichem, qui voulut allouer la dot qu’il devait recevoir, en raison de l’amour passionné de son fils pour la jeune fille ; soit que cela soit fait à titre de peine imposée à l’époux, qu’il donne à même ses biens à l’épouse qu’il a déflorée  la dot que le père de la jeune fille aurait dû allouer. C’est de ce cas que parle Moïse dans l’autorité invoquée. C’est pourquoi, selon d’autres, il faut dire qu’au sens propre, qu’on appelle dot dans le mariage charnel ce qui est donné par ceux qui appartiennent à la famille de l’épouse à ceux qui appartiennent à la famille de l’époux, en vue de porter la charge du mariage, comme on l’a dit. Mais reste alors la difficulté de savoir comment ce sens peut être adapté à la question en cause, puisque la parure qui fait partie de la béatitude est donnée à l’épouse spirituelle par le père de l’époux. C’est ce qu’on mettra en évidence en répondant aux arguments.

[23055] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dotes quamvis assignentur sponso in carnali matrimonio ad usum, tamen proprietas et dominium pertinent ad sponsam; quod patet ex hoc quod soluto matrimonio dos remanet sponsae secundum jura; et sic etiam in matrimonio spirituali ipsi ornatus qui sponsae spirituali dantur, scilicet Ecclesiae in membris suis, sunt quidem ipsius sponsi, inquantum ad ejus gloriam et honorem cedunt; sed sponsae, inquantum per eas ornatur.

1. Bien que, dans le mariage charnel, les dots soient attribuées à l’époux pour qu’il en use, cependant la propriété et le droit de propriété relèvent de l’épouse. Cela ressort dans le fait que, lorsque le mariage est rompu, la dot reste à l’épouse selon le droit. De même aussi, dans le mariage spirituel, les ornements qui sont donnés à l’épouse spirituelle, à savoir, l’Église dans ses membres, appartiennent-ils à l’époux, pour autant qu’ils font partie de sa gloire et de son honneur, mais à l’épouse, pour autant qu’elle en est parée.

[23056] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pater sponsi, scilicet Christi, est persona sola patris; pater autem sponsae est tota Trinitas. Effectus autem in creaturis ad totam pertinent Trinitatem; unde hujusmodi dotes in spirituali matrimonio, proprie loquendo, magis dantur a patre sponsae quam a patre sponsi. Sed tamen haec collatio quamvis ab omnibus personis fiat, singulis personis potest appropriari per aliquem modum: personae quidem patris ut danti, quia in ipso est auctoritas; ei etiam paternitas respectu creaturae appropriatur, ut dictum est in 1 libro, distinct. 18, quaest. 1, art. 5, in corp., ut sic idem sit pater sponsi et sponsae; filio vero appropriatur, inquantum propter ipsum et per ipsum dantur; sed spiritui sancto, inquantum in ipso et secundum ipsum dantur: amor enim est omnis donationis ratio.

2. Le père de l’époux, c’est-à-dire du Christ, est la seule personne du Père ; mais le père de l’épouse est toute la Trinité. Or, les effets produits dans les créatures relèvent de toute la Trinité ; à proprement parler, les dots du mariage spirituel sont donc plutôt données par le père de l’épouse que par le père de l’époux. Cependant, bien que cette attribution soit faite par toutes les personnes, elle peut être appropriée à chaque personne d’une certaine manière. À la personne du Père en tant qu’elle la donne, car a lui appartient l’autorité ; à lui aussi est appropriée la paternité par rapport à la créature, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18, q. 1, a. 5, de sorte que le père de l’époux et de l’épouse est le même. Elle est cependant appropriée au Fils en tant qu’elle est donnée pour lui et par lui. Mais, au Saint-Esprit, en tant qu’elle est donnée en lui et selon lui : en effet, l’amour est la raison de toute donation.

[23057] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dotibus per se convenit illud quod per dotes efficitur, scilicet solatium matrimonii; sed per accidens illud quod per eas removetur, scilicet onus matrimonii, quod per dotes alleviatur: sicut gratiae per se convenit facere justum, sed per accidens quod de impio faciat justum. Quamvis ergo in matrimonio spirituali non sint aliqua onera, est tamen ibi summa jucunditas; et ad hanc perficiendam jucunditatem dotes sponsae conferuntur, ut scilicet delectabiliter per eas sponso conjungatur.

3. Ce qui est réalisé par les dots convient par soi aux dots : l’adoucissement du mariage ; mais, par accident, ce qui est enlevé par elles, le poids du mariage, qui est allégé par les dots. Ainsi il convient à la grâce de rendre juste, mais, par accident, de rendre juste un impie. Bien qu’il n’y ait pas de poids dans le mariage spirituel, il y existe cependant une très grande allégresse. C’est pour réaliser cette allégresse que la dot est conférée à l’épouse, afin qu’elle soit unie par elle à son époux dans la joie.

[23058] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dotes non consueverunt assignari sponsae quando desponsatur, sed quando in domum sponsi traducitur, ut praesentialiter sponsum habeat. Quamdiu autem in hac vita sumus, peregrinamur a domino; 2 Corinth. 5; et ideo dona quae sanctis in hac vita conferuntur, non dicuntur dotes, sed illa quae conferuntur eis quando transferuntur in gloriam, in qua sponso praesentialiter perfruuntur.

4. La dot n’a pas coutume d’être attribuée à l’épouse au moment des fiançailles, mais lorsqu’elle est introduite dans la maison de l’époux, de sorte que l’époux lui soit présent. Or, aussi longtemps que nous sommes dans cette vie, nous marchons loin du Seigneur, 2 Co 5. Aussi les dons qui sont faits aux saints durant cette vie ne sont-ils pas appelés des dots, mais ceux qui leur sont faits lorsqu’ils sont introduits dans la gloire, dans laquelle ils jouissent de la présence de l’époux.

[23059] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in spirituali matrimonio interior decor requiritur, ut in Psalm. 44, 15: omnis gloria ejus filiae regis ab intus et cetera. Sed in matrimonio corporali requiritur decor exterior; unde non oportet quod hujusmodi dotes assignentur in matrimonio spirituali sicut assignantur in corporali.

5. La beauté intérieure est nécessaire pour le mariage spirituel, comme dans Ps 44, 15 : Toute la gloire de la fille du roi est à l’intérieur, etc. Or, la beauté extérieure est nécessaire pour le mariage corporel. Aussi n’est-il pas nécessaire que ces dots soient attribuées au mariage spirituel, comme elles sont allouées au mariage corporel.

 

 

Articulus 2

[23060] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 tit. Utrum dos sit idem quod beatitudo

Article 2 – La dot est-elle la même chose que la béatitude ?

[23061] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod dos sit idem quod beatitudo. Ut enim ex definitione praedicta patet, est ornatus animae et corporis, in aeterna beatitudine jugiter perseverans. Sed beatitudo animae est quidam ornatus ejus. Ergo beatitudo est dos.

1. Il semble que la dot soit la même chose que la béatitude. En effet, comme cela ressort de la définition donnée plus haut, [la dot] est « une parure de l’âme et du corps, qui dure pour toujours dans la béatitude éternelle ». Or, la béatitude de l’âme est sa parure. La béatitude est donc une dot.

[23062] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, dos dicitur illud per quod sponsa delectabiliter sponso conjungitur. Sed in spirituali matrimonio beatitudo est hujusmodi. Ergo beatitudo est dos.

2. On appelle dot ce par quoi l’épouse est unie à l’époux de manière délectable. Or, dans le mariage spirituel, la béatitude est de ce genre. La béatitude est donc une dot.

[23063] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, visio, secundum Augustinum, est tota substantia beatitudinis. Sed visio ponitur una de dotibus. Ergo beatitudo est dos.

3. Selon Augustin, la vision est toute la substance de la béatitude. Or, la vision est donnée comme une des dots. La béatitude est donc une dot.

[23064] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, fruitio beatum facit. Fruitio autem est dos. Ergo dos beatum facit; et sic est beatitudo.

4. La jouissance [fruitio] rend bienheureux. Or, la jouissance est une dot. La dot rend donc bienheureux ; elle est ainsi la béatitude.

[23065] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, secundum Boetium in 3 de consolatione, beatitudo est status omnium bonorum congregatione perfectus. Sed status beatorum perficitur ex dotibus. Ergo dotes sunt beatitudinis partes.

5. Selon Boèce, La consolation, III, la béatitude est l’état réalisé par le rassemblement de tous les bons. Or, l’état des bienheureux se réalise par les dots. Les dots sont donc des parties de la béatitude.

[23066] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed contra, dos datur sine meritis. Sed beatitudo non datur, sed redditur. Ergo beatitudo non est dos.

Cependant, [1] la dot est donnée sans mérite. Or, la béatitude n’est pas donnée, mais rendue. La béatitude n’est donc pas une dot.

[23067] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, beatitudo est una tantum; dotes vero sunt plures. Ergo beatitudo non est dos.

2. La béatitude est unique, mais les dots sont nombreuses. La béatitude n’est donc pas une dot.

[23068] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, beatitudo inest homini secundum id quod inest potissimum in eo, ut dicitur in 1 Ethic. Sed dos etiam in corpore ponitur. Ergo dos et beatitudo non sunt idem.

[3] La béatitude est présente dans l’homme selon ce qui est le meilleur en lui, comme on le dit dans Éthique, I. Or, une dot est aussi située dans le corps. La dot et la béatitude ne sont donc pas la même chose.

[23069] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod beatitudo et dos sunt idem in re, sed differunt tantum ratione; quia dos respicit spirituale matrimonium quod est inter Christum et animam, non autem beatitudo. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum beatitudo in operatione consistat, dos autem non sit operatio, sed magis sit qualitas vel dispositio quaedam. Et ideo, secundum alios, dicendum, quod beatitudo et dos etiam realiter differunt, ut beatitudo dicatur ipsa operatio perfecta qua anima beata Deo conjungitur; sed dotes dicuntur habitus vel dispositiones, vel quaecumque aliae qualitates, quae ordinantur ad hujusmodi perfectam operationem; ut sic dotes ordinentur ad beatitudinem magis quam sint in beatitudine ut partes ipsius.

À ce sujet, il existe deux opinions. En effet, certains disent que la béatitude et la dot sont en réalité la même chose, mais qu’elles diffèrent seulement selon la raison, car la dot concerne le mariage spirituel qui existe entre le Christ et l’âme, mais non la béatitude. Mais il semble que cela soit impossible, puisque la béatitude consiste dans une opération, mais que la dot n’est pas une opération, mais plutôt une qualité ou une disposition. C’est pourquoi, selon d’autres, il faut dire que la béatitude et la dot diffèrent en réalité, de sorte que soit appelée « béatitude » l’opération parfaite elle-même par laquelle l’âme bienheureuse est unie à Dieu, mais « dots », des habitus ou des dispositions, ou n’importe quelle autre qualité, qui sont ordonnés à cette opération parfaite. Ainsi, les dots sont plutôt ordonnées à la béatitude qu’elles ne sont des parties de celle-ci.

[23070] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beatitudo, proprie loquendo, non est animae ornatus, sed est aliquid quod ex ornatu animae provenit, cum sit operatio quaedam; ornatus vero dicitur aliquis decor ipsius beati.

1. À proprement parler, la béatitude n’est pas une parure de l’âme, mais elle est quelque chose qui vient de la parure de l’âme, puisqu’elle est une opération. Mais la parure de l’âme est appelée la beauté du bienheureux lui-même.

[23071] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beatitudo non ordinatur ad conjunctionem, sed est ipsa conjunctio animae cum Christo, quae est per operationem; sed dotes sunt dona disponentia ad hujusmodi conjunctionem.

2. La béatitude n’est pas ordonnée à l’union, mais elle est l’union même de l’âme avec le Christ, qui se réalise par une opération. Or, les dots sont des dons qui disposent à une telle union.

[23072] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod visio dupliciter potest accipi. Uno modo actualiter, idest pro ipso actu visionis; et sic visio non est dos, sed est ipsa beatitudo. Alio modo potest accipi habitualiter, idest pro habitu a quo talis operatio elicitur, idest pro ipsa gloriae claritate, qua anima divinitus illustratur ad Deum videndum; et sic est dos et principium beatitudinis, non autem est ipsa beatitudo.

3. La vision peut être être entendue de deux manières. D’une manière, en acte, à savoir, l’acte même de la vision : ainsi, la vision n’est pas une dot, mais la béatitude elle-même. D’une autre manière, elle peut être entendue selon un habitus, à savoir, l’habitus dont est issue une telle opération : la lumière de la gloire elle-même, par laquelle l’âme est illuminée par Dieu pour voir Dieu. Ainsi, elle est une dot et le principe de la béatitude, mais non pas la béatitude elle-même.

[23073] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum de fruitione.

4. Il faut dire la même chose pour la jouissance [fruitione].

[23074] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod beatitudo colligit omnia bona, non quasi partes essentiae beatitudinis, sed quasi aliquo modo ad beatitudinem ordinata, ut supra dictum est.

5. La béatitude réunit tous les biens, non pas comme des parties de l’essence de la béatitude, mais en tant qu’ils sont ordonnés d’une certaine manière à la béatitude, comme on l’a dit plus haut.

 

 

Articulus 3 [23075] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 tit. Utrum Christo competat habere dotes

Article 3 – Convient-il au Christ de posséder des dots ?

[23076] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christo competat habere dotes. Sancti enim Christo per gloriam conformabuntur; unde dicitur Philip. 3, 21: qui reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae. Ergo Christus etiam dotes habet.

1. Il semble qu’il convienne au Christ de posséder des dots. En effet, les saints seront conformés au Christ par la gloire ; aussi est-il dit en Ph 3, 21 : Lui qui transfigurera notre corps humilié en le conformant à son corps de gloire. Le Christ possède donc aussi des dots.

[23077] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, in spirituali matrimonio assignantur dotes ad similitudinem matrimonii corporalis. Sed in Christo invenitur quoddam spirituale matrimonium quod est sibi singulare, scilicet duarum naturarum in una persona, secundum quod dicitur natura humana in ipso esse desponsata a verbo, ut patet ex Glossa super illud Psalm. 18, 7: in sole posuit tabernaculum suum; et Apoc. 21, 3: ecce tabernaculum Dei cum hominibus. Ergo Christo competit habere dotes.

2. Dans le mariage spirituel, des dots sont attribuées à l’image du mariage corporel. Or, dans le Christ, on trouve un mariage spirituel qui lui est unique : celui de deux natures dans une seule personne ; la nature humaine a ainsi été épousée en lui dans le Verbe, comme cela ressort de la Glose sur Ps 18, 7 : Il a fait du soleil sa demeure, et Ap 21, 3 : Voici la demeure de Dieu parmi les hommes. Il convient donc au Christ de posséder des dots.

[23078] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, ut dicit Augustinus in Lib. de Doctr. Christ., Christus, secundum regulam Ticonii, propter unitatem corporis mystici, quae est inter caput et membra, nominat se etiam sponsam, et non solum sponsum, ut patet Isai. 61, 10: quasi sponsum decoratum corona, et quasi sponsam ornatam monilibus suis. Cum ergo sponsae debeantur dotes, oportet in Christo dotes, ut videtur, ponere.

3. Comme le dit Augustin dans le livre L’enseignement chrétien, selon la deuxième règle de Tyconius, en raison de l’unité du corps mystique qui existe entre la tête et les membres, le Christ est aussi appelé épouse, et non seulement époux, comme cela ressort de Is 61, 10 : Comme un époux portant la couronne et comme une épouse parée de ses colliers. Puisque des dots sont dues à l’épouse, il semble donc qu’il faille affirmer qu’il y a des dots chez le Christ.

[23079] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnibus membris Ecclesiae debetur dos, cum Ecclesia sit sponsa. Sed Christus est Ecclesiae membrum, ut patet 1 Corinth. 12, 27: vos estis corpus Christi, et membra de membro; Glossa: de Christo. Ergo Christo debentur dotes.

4. Une dot est due à tous les membres de l’Église, puisque l’Église est une épouse. Or, le Christ est membre de l’Église, comme cela ressort de 1 Co 12, 27 : Vous êtes le corps du Christ et membres d’un membre, – la Glose dit : « Du Christ.» Des dots sont donc dues au Christ.

[23080] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea, Christus habet perfectam visionem, fruitionem et delectationem. Hae autem ponuntur dotes. Ergo Christus habuit dotes.

5. Le Christ a une vision, une jouissance et une délectation parfaites. Or, ces réalités sont données comme des dots. Le Christ a donc possédé des dots.

[23081] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed contra, inter sponsum et sponsam exigitur discretio personarum. Sed in Christo non est aliquid personaliter distinctum a filio Dei, qui est sponsus, ut patet Joan. 3, 20: qui habet sponsam, sponsus est. Ergo cum dotes sponsae assignentur, vel pro sponsa, videtur quod Christo non competat habere dotes.

Cependant, [1] entre l’époux et l’épouse, une distinction entre les personnes est nécessaire. Or, chez le Christ, il n’existe rien qui soit personnellement distinct du Fils de Dieu, qui est l’époux, comme cela ressort de Jn 3, 20 : Celui qui a l’épouse est l’époux. Puisque les dots sont attribuées à l’épouse ou pour l’épouse, il semble donc qu’il ne convienne pas au Christ de posséder des dots.

[23082] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea, non est ejusdem dare dotes et recipere. Sed Christus est qui dat spirituales dotes. Ergo Christo non competit dotes habere.

[2] Il n’appartient pas au même de donner et de recevoir des dots. Or, c’est le Christ qui donne les dots spirituelles. Il ne convient donc pas au Christ de posséder des dots.

[23083] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc difficultatem est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod in Christo est triplex unio. Una quae dicitur consentanea, qua unitur Deo per connexionem amoris; alia dignativa, qua humana natura unitur divinae; tertia qua ipse Christus unitur Ecclesiae. Dicunt ergo, quod secundum duas uniones competit Christo habere dotes sub ratione dotis; sed quantum ad tertiam convenit ei id quod est dos excellentissime, non tamen sub ratione dotis; quia in tali conjunctione Christus est ut sponsus, sed Ecclesia ut sponsa. Dos autem datur sponsae quantum ad proprietatem et dominium, quamvis detur sponso ad usum. Sed hoc non videtur conveniens. In illa enim conjunctione qua Christus unitur patri per consensum amoris, etiam inquantum est Deus, non dicitur esse aliquod matrimonium, quia non est ibi aliqua subjectio, quam oportet esse sponsae ad sponsum. Similiter etiam nec in conjunctione humanae naturae ad divinam quae est in unitate personae, vel etiam per conformitatem voluntatis, potest esse proprie ratio dotis, propter tria. Primo, quia exigitur conformitas naturae inter sponsum et sponsam in matrimonio illo in quo dantur dotes; et hoc deficit in conjunctione humanae naturae ad divinam. Secundo, quia exigitur ibi distinctio personarum; humana autem natura non est personaliter distincta a verbo. Tertio, quia dos datur quando sponsa de novo introducitur in domum sponsi; et sic videtur ad sponsam pertinere, quae de non conjuncta fit conjuncta. Humana autem natura, quae est assumpta in unitatem personae a verbo, nunquam fuit quin esset perfecte conjuncta. Unde secundum alios dicendum, quod vel omnino non convenit Christo ratio dotis, vel non ita proprie sicut aliis sanctis; ea tamen quae dotes dicuntur, excellentissime ei conveniunt.

À propos de cette difficulté, il existe deux opinions. En effet, certains disent qu’il existe dans le Christ une triple union : l’union par consentement, en vertu de laquelle il est uni à Dieu par un lien d’amour; l’autre, de dignité, par laquelle la nature humaine est unie à la nature divine ; la troisième, par laquelle le Christ lui-même est uni à l’Église. Ils disent donc que, selon les deux [premières] unions, il convient au Christ de posséder des dots selon la raison de dot ; mais, pour ce qui est de la troisième, lui convient ce qui est une dot au sens le plus élevé, mais non selon la raison de dot, car le Christ se trouve dans une telle union en tant qu’époux, et l’Église en tant qu’épouse. Or, la dot est donnée à l’épouse pour ce qui est de la propriété et du droit de propriété, bien qu’elle soit donnée pour l’usage de l’époux. Mais cela ne semble pas approprié. En effet, pour l’union par laquelle le Christ est uni au Père par un consentement d’amour, même en tant qu’il est Dieu, on ne dit pas qu’il s’agit d’un mariage, car n’existe pas là la soumission que l’épouse doit avoir envers son époux. De même aussi, la raison propre de dot ne peut-elle exister dans l’union de la nature humaine à la nature divine qui existe dans l’unité de la personne ou encore par conformité de la volonté, et cela pour trois raisons. Premièrement, parce qu’une conformité de nature est requise entre l’époux et l’épouse dans le mariage où sont données des dots, et cela fait défaut dans l’union de la nature humaine à la nature divine. Deuxièmement, parce qu’y est requise une distinction entre les personnes. Or la nature n’est pas personnellement distincte du Verbe. Troisièmement, parce que la dot est donnée lorsque l’épouse est introduite dans la maison de l’époux ; elle semble ainsi convenir à l’épouse qui devient unie, après n’avoir pas été unie. Or, la nature humaine, qui est assumée dans l’unité de la personne par le Verbe, n’a jamais été sans être parfaitement unie. Aussi faut-il dire selon les autres que la raison de dot ne convient pas du tout au Christ, ou bien qu’[elle ne lui convient pas] aussi proprement qu’aux autres saints. Cependant, ce qu’on appelle les dots lui convient de la manière la plus élevée.

[23084] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod conformatio illa est intelligenda secundum id quod est dos, et non secundum rationem dotis quae sit in Christo; non enim oportet quod illud in quo Christo conformamur, sit eodem modo in nobis et in Christo.

1. Cette conformité doit s’entendre selon ce qu’est une dot, et selon selon la raison de dot qui existe dans le Christ. En effet, il faut que ce en quoi nous sommes conformes au Christ existe de la même manière en nous et dans le Christ.

[23085] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura humana non proprie dicitur esse sponsa in conjunctione illa qua verbo conjungitur, cum non servetur ibi personarum distinctio, quae inter sponsum et sponsam requiritur. Sed quod quandoque desponsata dicatur humana natura, secundum quod verbo conjuncta est, hoc est inquantum habet aliquem actum sponsae, quia scilicet inseparabiliter conjungitur; et quia in illa conjunctione humana natura est verbo inferior et per verbum regitur sicut sponsa per sponsum.

2. La nature humaine n’est pas appelée épouse au sens propre, selon l’union par laquelle elle est unie au Verbe, puisque n’y est pas respectée la distinction entre des personnes, qui est nécessaire entre l’époux et l’épouse. Mais qu’on dise parfois que la nature humaine a été épousée en étant unie au Verbe, cela se justifie pour autant qu’elle a un acte de l’épouse, à savoir qu’elle est inséparablement unie, et parce que, par cette union, la nature est inférieure au Verbe et est dirigée par le Verbe comme l’épouse par l’époux.

[23086] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod aliquando dicitur Christus sponsa, non est quia ipse vere sit sponsa, sed inquantum assumit personam sponsae suae, scilicet Ecclesiae, quae est ei spiritualiter conjuncta; unde nihil prohibet quin per illum modum loquendi posset dici habere dotes; non quod ipse habeat, sed quia Ecclesia habet.

3. Le fait que le Christ soit parfois appelé épouse ne vient pas de ce qu’il n’est lui-même vraiment épouse, mais de ce qu’il assume la personne de son épouse, l’Église, qui lui est unie spirituellement. Aussi rien n’empêche-t-il que, selon cette manière de parler, on puisse dire qu’il possède des dots, non pas qu’il les possède lui-même, mais parce que l’Église les possède.

[23087] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nomen Ecclesiae dupliciter accipitur. Quandoque enim nominat tantummodo corpus quod Christo conjungitur sicut capiti; et sic tantum Ecclesia habet rationem sponsae; sic vero Christus non est Ecclesiae membrum, sed est caput influens omnibus Ecclesiae membris. Alio modo accipitur Ecclesia secundum quod nominat caput, et membra conjuncta; et sic Christus dicitur membrum Ecclesiae, inquantum habet officium distinctum ab omnibus aliis, scilicet influere aliis vitam; quamvis non multum proprie dicatur membrum, quia membrum importat partialitatem quamdam. In Christo autem bonum spirituale non est particulatum, sed est totaliter, et integrum; unde ipse est totum Ecclesiae bonum; nec est aliquod majus ipse et alii quam ipse solus. Sic autem loquendo de Ecclesia, Ecclesia non nominat solum sponsam, sed sponsum et sponsam, prout per conjunctionem spiritualem est ex eis unum effectum. Unde licet Christus aliquo modo dicatur membrum Ecclesiae, nullo tamen modo potest dici membrum sponsae; et sic ei non convenit ratio dicti.

4. Le mot « Église » s’entend de deux manières. En effet, il désigne parfois seulement le corps qui est uni au Christ comme à sa tête. C’est seulement en ce sens que l’Église a la raison d’épouse ; cependant, le Christ n’est pas ainsi un membre de l’Église, mais il est la tête qui agit en tous les membres de l’Église. D’une autre manière, « Église » s’entend au sens de la tête et des membres unis. De cette manière, le Christ est appelé membre de l’Église pour autant qu’il possède une fonction distincte de tous les autres : donner aux autres la vie. Toutefois, [le Christ] n’est pas appelé un membre en un sens très propre, car le membre comporte le fait d’être une partie. Or, dans le Christ, le bien spirituel n’existe pas à l’état de partie, mais il existe en totalité et intégralement. Aussi est-il lui-même tout le bien de l’Église, et lui-même et les autres ne sont pas quelque chose de plus grand que lui seul. À parler ainsi de l’Église, l’Église ne désigne pas seulement l’épouse, mais l’époux et l’épouse, pour autant que l’union spirituelle a fait d’eux une seule réalité. Bien que le Christ soit appelé d’une certaine manière un membre de l’Église, il ne peut cependant être appelé un membre de l’épouse. Aussi le sens de ce qui a été dit ne lui convient-il pas.

[23088] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in processu illo est fallacia accidentis: non enim illa Christo conveniunt secundum quod habent rationem dotis.

5. Dans cette démarche, il y a une erreur selon l’accident. En effet, ces choses ne conviennent pas au Christ selon qu’elles ont la raison de dot.

 

 

Articulus 4 [23089] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 tit. Utrum Angeli habeant dotes

Article 4 – Les anges possèdent-ils des dots ?

[23090] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Angeli habeant dotes. Quia super illud Cantic. 6: una est columba mea, dicit Glossa: una est Ecclesia in hominibus et in Angelis. Sed Ecclesia est sponsa; et sic membris Ecclesiae convenit habere dotes. Ergo Angeli dotes habent.

1. Il semble que les anges possèdent des dots, car, à propos de Ct 6 : Ma colombe est unique, la Glose dit : « Il y a une seule Église des hommes et des anges. » Or, l’Église est l’épouse, et ainsi il convient aux membres de l’Église de posséder des dots. Les anges possèdent donc des dots.

[23091] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, Luc. 12, super illud: et vos similes hominibus expectantibus dominum suum quando revertatur a nuptiis, dicit Glossa: ad nuptias dominus ivit, cum post resurrectionem novus homo Angelorum multitudinem sibi copulavit. Ergo multitudo Angelorum est sponsa Christi; et sic Angelis debentur dotes.

2. À propos de Lc 12 : Et vous, semblables aux hommes qui attendent leur maître lorsqu’il reviendra des noces, la Glose dit : « Le Seigneur est allé aux noces lorsque, après la résurrection, l’homme nouveau s’est uni à la multitude des anges. » La multitude des anges est donc l’épouse du Christ, et ainsi des dots sont dues aux anges.

[23092] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea, spirituale matrimonium in spirituali conjunctione consistit. Sed spiritualis conjunctio non minor est inter Angelos et Deum, quam inter homines beatos et Deum. Ergo cum dotes, de quibus nunc agimus, ratione spiritualis matrimonii assignentur, videtur quod Angelis conveniant dotes.

3. Le mariage spirituel consiste dans une union spirituelle. Or, l’union spirituelle n’est pas moindre entre les anges et Dieu qu’entre les hommes bienheureux et Dieu. Puisque les dots, dont nous parlons maitenant, sont attribuées en raison d’une mariage spirituel, il semble que les dots conviennent aux anges.

[23093] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spirituale matrimonium requirit spiritualem sponsum et spiritualem sponsam. Sed Christo, inquantum est summus spiritus, magis sunt conformes in natura Angeli quam homines. Ergo magis potest esse spirituale matrimonium Angelorum ad Christum quam hominum.

4. Le mariage spirituel exige un époux et une épouse spirituels. Or, les anges sont par nature plus conformes au Christ que les hommes, en tant qu’il est l’esprit le plus élevé. Un mariage spirituel peut donc exister plutôt entre les anges et le Christ qu’entre les hommes [et le Christ].

[23094] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 arg. 5 Praeterea, major convenientia exigitur inter caput et membra, quam inter sponsum et sponsam. Sed conformitas quae est inter Christum et Angelos, sufficit ad hoc quod Christus dicatur caput Angelorum. Ergo eadem ratione sufficit ad hoc quod dicatur sponsus respectu eorum.

5. Une plus grande harmonie est requise entre la tête et les membres qu’entre l’époux et l’épouse. Or, l’harmonie qui existe entre le Christ les anges suffit pour que le Christ soit appelé la tête des anges. Pour la même raison, elle suffit pour qu’il soit appelé un époux pour eux.

[23095] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Origenes super Cantic., distinguit quatuor personas; scilicet sponsum et sponsam, adolescentulas, et sodales sponsi; et dicit, quod Angeli sunt sodales sponsi. Cum ergo dotes non debeantur nisi sponsae, videtur quod Angelis dotes non conveniant.

Cependant, [1] à propos du Cantique, Origène distingue quatre personnes : l’époux et l’épouse, les jeunes filles et les compagnons de l’époux, et il dit que les anges sont les compagnons de l’époux. Puisque des dots ne sont dues qu’aux épouses, il semble donc que des dots ne conviennent pas anges.

[23096] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Christus desponsavit sibi Ecclesiam per incarnationem et passionem; unde figuratur per hoc quod dicitur Exod. 4, 25: sponsus sanguinum tu mihi es. Sed Christus per passionem et incarnationem non aliter fuit conjunctus Angelis quam prius fuerat. Ergo Angeli non pertinent ad Ecclesiam, secundum quod Ecclesia dicitur sponsa; ergo Angelis non conveniunt dotes.

[2] Le Christ a épousé l’Église par l’incarnation et la passion. Aussi est-il figuré par ce qui est dit dans Ex 4, 25 : Tu es pour moi un époux de sang. Or, par la passion et l’incarnation, le Christ n’a pas été uni aux anges différemment qu’il ne l’était auparavant. Les anges ne relèvent donc pas de l’Église selon que l’Église est appelée une épouse. Les dots ne conviennent donc pas aux anges.

[23097] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ea quae ad dotes animae pertinent, non est dubium Angelis sicut et hominibus convenire; sed secundum rationem dotis non ita eis sicut hominibus conveniunt, eo quod non ita proprie convenit Angelis ratio sponsae sicut hominibus. Exigitur enim inter sponsum et sponsam naturae conformitas, ut sint ejusdem speciei. Hoc modo autem homines cum Christo conveniunt, inquantum naturam humanam assumpsit, per quam assumptionem factus est conformis in natura speciei humanae omnibus hominibus. Angelis autem non est conformis secundum unitatem speciei, neque secundum naturam divinam, neque secundum humanam naturam; et ideo ratio dotis non ita proprie convenit Angelis sicut hominibus. Tamen in his quae metaphorice dicuntur, cum non requiratur similitudo quantum ad omnia; non potest ex aliqua dissimilitudine concludi quod metaphorice aliquid de alio non praedicetur; et sic ex ratione inducta non potest simpliciter haberi quod Angelis dotes non conveniant; sed solum quod non ita proprie sicut hominibus, ratione dissimilitudinis praedictae.

Il n’y a pas de doute que ce qui concerne les dots de l’âme conviennent aux anges comme aux hommes ; mais, selon la raison de la dot, elles ne leur conviennent pas comme aux hommes, du fait que la raison d’épouse ne leur convient pas aussi proprement. En effet, une conformité de nature est requise entre l’époux et l’épouse pour qu’ils soient d’une même espèce. Or, c’est ce que les hommes ont en commun avec le Christ en tant qu’il a assumé la nature humaine ; il est ainsi devenu conforme à tous les hommes par la nature de l’espèce humaine. Mais il n’est pas conforme aux anges selon l’unité de l’espèce, ni selon la nature divine, ni selon la nature humaine ; aussi la raison de dot ne leur convient-elle pas aussi proprement. Cependant, lorsqu’on parle métaphoriquement, puisque n’est pas exigée une similitude sur tous les points, on ne peut conclure à partir d’une différence que quelque chose n’est pas attribué. Aussi, à partir de l’argument invoqué, on ne peut simplement conclure que les dots ne conviennent pas aux anges, mais seulement qu’elles [ne leur conviennent pas] aussi proprement qu’aux hommes en raison de la différence signalée plus haut.

[23098] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Angeli pertineant ad unitatem Ecclesiae, non tamen sunt membra Ecclesiae secundum quod Ecclesia dicitur sponsa per conformitatem naturae; et sic non convenit eis proprie habere dotes.

1. Bien que les anges appartiennent à l’unité de l’Église, ils ne sont cependant pas des membres de l’Église selon que l’Église est appelée épouse par une conformité de nature. Ainsi ne leur convient-il pas au sens propre de posséder des dots.

[23099] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod desponsatio illa large accipitur pro unione, quae non habet conformitatem naturae in specie; et sic etiam nihil prohibet, large accipiendo dotes, ponere dotes in Angelis.

2. Ces épousailles sont entendues au sens large d’une union qui ne possède pas de conformité de nature selon l’espèce. Ainsi rien n’empêche, en entendant les dots au sens large, d’affirmer que les anges ont des dots.

[23100] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in matrimonio spirituali non sit nisi conjunctio spiritualis, tamen illos qui conjunguntur ad perfectam matrimonii rationem, oportet in specie naturae convenire; et propter hoc desponsatio ad Angelos proprie non pertinet.

3. Bien que, dans le mariage spirituel, il n’existe qu’une union spirituelle, il est cependant nécessaire que ceux qui sont unis selon la raison parfaite de mariage aient en commun une même nature selon l’espèce. Pour cette raison, le mariage ne convient-il pas aux anges au sens propre.

[23101] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa conformatio qua Angeli conformantur Christo inquantum est Deus, non est talis quae sufficiat ad perfectam matrimonii rationem, cum non sit secundum convenientiam in specie; sed magis adhuc remanet distantia infinita.

4. Cette configuration par laquelle les anges cont rendus conformes au Christ en tant qu’il est Dieu n’est pas telle qu’elle suffise à la raison parfaite de mariage, puisqu’il n’y a pas une espèce commune ; il y demeure plutôt une distance infinie.

[23102] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nec etiam Christus proprie dicitur caput Angelorum secundum illam rationem qua caput requirit conformitatem naturae. Tamen sciendum, quod licet caput et alia membra sint partes individui unius speciei, non tamen, si unumquodque per se consideretur, cum alio est ejusdem speciei; manus enim habet aliam speciem partis a capite. Unde loquendo de membris secundum se, non requiritur inter ea alia convenientia quam proportionis, ut unum ab alio accipiat, et unum alii subserviat; et sic convenientia quae est inter Deum et Angelos, magis sufficit ad rationem capitis quam ad rationem sponsi.

5. Le Christ n’est pas non plus appelé tête des anges au sens propre, selon la raison pour laquelle la tête exige une conformité de nature. Cependant, il faut savoir que, bien que la tête et les autres membres soient des parties de l’individu d’une même espèce, si chaque [membre] est considéré en lui-même, il n’est pas de la même espèce qu’un autre : en effet, comme partie, la main a une autre espèce que la tête. À parler des membres en eux-mêmes, un autre caractère commun n’est pas requis que celui d’une proportion, de sorte que l’un reçoive d’un autre et que l’un soit au service d’un autre. Ainsi ce qu’il y a de commun entre Dieu et les anges suffit plutôt à la raison de tête qu’à la raison d’époux.

 

 

Articulus 5 [23103] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 tit. Utrum convenienter ponantur tres esse animae dotes

Article 5 – Affirme-t-on de manière appropriée qu’il existe trois dots de l’âme?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Affirme-t-on de manière appropriée qu’il existe trois dots de l’âme : la vision, l’amour et la jouissance ?]

[23104] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter ponantur tres animae esse dotes, scilicet visio, dilectio, et fruitio. Anima enim conjungitur Deo secundum mentem, in qua est imago Trinitatis secundum memoriam, intelligentiam, et voluntatem. Sed dilectio ad voluntatem pertinet, visio ad intelligentiam. Ergo debet aliquid poni quod memoriae respondeat; cum fruitio non pertineat ad memoriam, sed magis ad voluntatem.

1. Il semble qu’on affirme de manière inappropriée qu’il existe trois dots de l’âme : la vision, l’amour et la jouissance. En effet, l’âme est unie à Dieu selon l’esprit, dans lequel existe l’image de Dieu par la mémoire, l’intelligence et la volonté. Or, l’amour relève de la volonté, la vision de l’intelligence. On doit donc affirmer quelque chose qui corresponde à la mémoire, puisque la jouissance ne relève pas de la mémoire, mais plutôt de la volonté.

[23105] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, dotes beatitudinis dicuntur respondere virtutibus viae, quibus Deo conjungimur, quae sunt fides, spes et caritas, quibus est ipse Deus objectum. Sed dilectio respondet caritati, visio autem fidei. Ergo deberet aliquid poni quod pertineret ad spem, cum fruitio magis pertineat ad caritatem.

2. On dit que les dots de la béatitude correspondent aux vertus de [l’état] de cheminement, par lesquelles nous sommes unis à Dieu : la foi, l’espérance et la charité, dont l’objet est Dieu lui-même. Or, l’amour correspond à la charité, mais la vision à la foi. On devrait donc affirmer quelque chose qui corresponde à l’espérance, puisque la jouissance relève plutôt de la charité.

[23106] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Deo non fruimur nisi per dilectionem et visionem: illis enim dicimur frui quae diligimus propter se, ut patet per Augustinum in Lib. 1 de Doct. Christ. Ergo fruitio non debet poni alia dos a dilectione.

3. Nous ne jouissons de Dieu que par l’amour et la vision : en effet, on dit que nous jouissons [frui] de ce que nous aimons pour soi, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans L’enseignement chrétien, I. La jouissance ne doit donc pas être affirmée comme une autre dot que l’amour.

[23107] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ad perfectionem beatitudinis requiritur comprehensio, 1 Corinth. 9, 24: sic currite ut comprehendatis. Ergo deberet adhuc quarta dos poni.

4. La perfection de la béatitude exige qu’on saisisse [comprehensio], 1 Co 9, 24 : Courez pour saisir. On devrait donc affirmer une quatrième dot.

[23108] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 5 Praeterea, Anselmus dicit, quod haec pertinent ad beatitudinem animae: sapientia, amicitia, concordia, potestas, honor, securitas, gaudium; et sic videntur praedictae dotes inconvenienter assignari.

5. Anselme dit que relèvent de la béatitude de l’âme la sagesse, l’amitié, la concorde, la puissance, l’honneur, la sûreté, la joie. Les dots mentionnées semblent donc avoir été attribuées de manière inappropriée.

[23109] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus in fin. de Civit. Dei, dicit, quod Deus in illa beatitudine sine fine videbitur, sine fastidio amabitur, sine fatigatione laudabitur. Ergo laus praeassignatis dotibus annumerari debet.

6. À la fin de La cité de Dieu, Augustin dit que Dieu « sera vu sans fin dans cette béatitude, qu’il y sera aimé sans dégoût et qu’il sera loué sans fatigue ». La louange devrait donc être comptée parmi les dots mentionnées plus haut.

[23110] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 arg. 7 Praeterea, Boetius ponit quinque ad beatitudinem pertinentia in 3 de consolatione, quae sunt haec: sufficientia, quam promittunt divitiae; jucunditas, quam promittit voluptas; celebritas, quam promittit fama; securitas, quam promittit potentia; reverentia, quam promittit dignitas: et sic videtur quod ista potius deberent assignari dotes quam praedicta.

7. Dans La consolation, III, Boèce affirme que cinq choses relèvent de la béatitude : « la suffisance », que promettent les richesses ; « l’allégresse », que promet la volupté ; « la célébrité », que promet la renommée ; « la sûreté », que promet la puissance ; « le respect », que promet la dignité. Il semble ainsi que ces choses devraient être attribuées comme des dots plutôt que celles qui ont été dites plus haut.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Faut-il affirmer des dots pour le corps en plus des dots de l’âme ?]

[23111] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sunt ponendae aliquae dotes in corpore praeter dotes animae. Dotes enim ordinantur ad conjunctionem spiritualem, in qua beatitudo consistit, ut dictum est. Sed ea quae sunt in corpore, non inclinant ad hujusmodi conjunctionem: quia operationes mentis, per quam anima Deo conjungitur, non exercentur organis corporalibus. Ergo non sunt ponendae aliquae dotes corporis.

1. Il semble qu’il faille attribuer des dots au corps en plus des dots de l’âme. En effet, les dots sont ordonnées à l’union spirituelle dans laquelle consiste la béatitude, comme on l’a dit. Or, ce qui existe dans le corps ne tend pas à une union de ce genre, car les opérations de l’esprit, par lequel l’âme est unie à Dieu, ne sont pas exercées par des organes corporels. Il ne faut donc pas placer de dots dans le corps.

[23112] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, homini debetur dos et beatitudo secundum quod est ad imaginem Dei. Sed homo non est ad imaginem secundum corpus, sed secundum animam, ut patet per Augustinum in Lib. de Trinit. Ergo corpori non debentur dotes.

2. La dot et la béatitude sont dues à l’homme selon qu’il est à l’image de Dieu. Or, l’homme n’est pas à l’image de Dieu selon le corps, mais selon l’âme, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le livre sur la Trinité. Des dots ne sont donc pas dues au corps.

[23113] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, vires inferiores animae sensitivae et vegetativae sunt perfectiores quam ipsum corpus. Sed non assignantur aliquae dotes respondentes viribus inferioribus animae. Ergo non debent aliquae dotes assignari, corpori respondentes.

4. Les puissances inférieures de l’âme sensible et végétative sont plus parfaites que le corps lui-même. Or, on n’attribue pas de dots correspondant aux puissances inférieures de l’âme. On ne doit donc pas attribuer de dots correspondant au corps.

[23114] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, dotes debentur beatis secundum quod Christo conformantur. Sed homines non solum conformantur Christo secundum animam, sed etiam secundum corpus. Ergo etiam dotes corpori debentur.

Cependant, [1] des dots sont dues aux bienheureux selon qu’ils sont rendus conformes au Christ. Or, les hommes ne sont pas rendus conformes au Christ seulement par l’âme, mais aussi par le corps. Des dots sont donc aussi dues au corps.

[23115] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc idem apparet ex definitione dotis supra posita, quae talis est: dos est ornatus animae, et corporis et cetera.

[2] La même chose ressort de la définition de la dot donnée plus haut : « La dot est une parure de l’âme et du corps, etc. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les quatre dots du corps sont-elles affirmées de manière appropriée : la subtilité, l’agilité, l’éclat et l’impassibilité ?]

[23116] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod dotes corporis inconvenienter ponantur quatuor, scilicet subtilitas, agilitas, claritas, et impassibilitas. Anselmus enim, videtur ponere septem: dicit enim quod septem erunt beatitudines corporis, scilicet: pulchritudo, velocitas, fortitudo, libertas, sanitas, voluptas, diuturnitas.

1. Il semble que les quatre dots du corps sont affirmées de manière appropriée : la subtilité, l’agilité, l’éclat et l’impassibilité. En effet, Anselme en donne sept. Il dit en effet qu’il y aura sept béatitudes du corps : la beauté, la rapidité, la force, la liberté, la santé, le plaisir et la pérennité.

[23117] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad perfectionem corporis viventis non solum pertinet motus, sed etiam sensus. Sed una dos ponitur quae pertinet ad motum, scilicet agilitas. Ergo deberet alia poni quae pertineret ad sensum.

2. Non seulement le mouvement, mais aussi le sens concernent la perfection du corps vivant. Or, une seule dot est donnée qui concerne le mouvement : l’agilité. D’autres devraient donc être affirmées qui concerneraient le sens.

[23118] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, corpora sanctorum erunt delectabilia secundum omnes sensus. Ergo sicut ponitur claritas, quae pertinet ad visum ita deberent poni aliae dotes pertinentes ad alios sensus.

3. Les corps des saints seront plaisants pour tous les sens. De même qu’est affirmé l’éclat, qui se rapporte à la vue, d’autres dots se rapportant aux autres sens devraient donc être affirmées.

[23119] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, sicut impassibilitas convenit corpori glorioso, ita et animae glorificatae. Ergo non oportet poni dos corporis, cum non ponatur dos animae.

4. De même que l’impassibilité convient au corps glorieux, de même convient-elle à l’âme glorifiée. Elle ne devrait donc pas être donnée comme une dot du corps, puisqu’elle n’est pas donnée comme une dot de l’âme.

[23120] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 arg. 5 Praeterea, sicut subtilitas est dos corporis, ita et pervietas; ut patet per Gregorium in Moral., super illud Job 28: non adaequabitur ei aurum vel vitrum. Ergo inter dotes corporis debet poni pervietas.

5. De même que la subtilité est une dot du corps, de même la transparence, comme cela ressort de ce que dit Grégoire dans les Morales de Jb 28 : L’or et le verre ne l’égaleront pas. La transparence devrait donc être placée parmi les dots du corps.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23121] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ab omnibus communiter ponuntur tres animae dotes; diversimode tamen. Quidam enim dicunt, quod tres animae dotes sunt visio, dilectio et fruitio; quidam vero, quod sunt visio, comprehensio et fruitio; quidam vero, quod sunt visio, dilectio et comprehensio. Omnes tamen hae assignationes reducuntur in idem, et eodem modo earum numerus assignatur: dictum est enim, quod dos est aliquid animae inhaerens, per quod ordinatur ad operationem, in qua consistit beatitudo: in qua quidem operatione duo requiruntur, scilicet ipsa substantia operationis, quae est visio; et perfectio ejus, quae est delectatio: oportet enim beatitudinem esse operationem perfectam. Visio autem aliqua est delectabilis dupliciter: uno modo ex parte objecti, inquantum id quod videtur, est delectabile; alio modo ex parte visionis, inquantum ipsum videre delectabile est, sicut delectamur in cognoscendo mala, quamvis mala nos non delectent; et quia operatio illa in qua ultima beatitudo consistit, debet esse perfectissima, ideo requiritur quod visio illa sit utroque modo delectabilis. Ad hoc autem quod ipsa visio sit delectabilis ex parte visionis, requiritur quod sit facta connaturalis videnti per habitum aliquem. Sed ad hoc quod sit delectabilis ex parte visionis, duo requiruntur, scilicet quod ipsum visibile sit conveniens, et quod sit conjunctum. Sic ergo ad delectabilitatem visionis ex parte sui requiritur habitus qui visionem eliciat; et sic est una dos, quod dicitur ab omnibus visio. Sed ex parte visibilis requiruntur duo, scilicet convenientia quae est per affectum; et quantum ad hoc ponitur dos a quibusdam dilectio, et a quibusdam fruitio, secundum quod fruitio ad affectum pertinet: illud enim quod summe diligimus, convenientissimum aestimamus. Requiritur etiam ex parte visibilis conjunctio; et sic ponitur a quibusdam comprehensio, quae nihil est aliud quam in praesentia Deum habere, et in seipso tenere; sed secundum alios, fruitio, prout fruitio est non spei sicut est in via, sed jam rei sicut est in patria; et sic dotes tres respondent tribus virtutibus theologicis, scilicet visio fidei, spei vero comprehensio, vel fruitio secundum unam acceptionem; caritati vero dilectio vel fruitio secundum aliam assignationem: fruitio enim perfecta, qualis in patria habebitur, includit in se dilectionem, et comprehensionem; et ideo a quibusdam accipitur pro uno, a quibusdam vero pro alio. Quidam vero attribuunt has tres dotes tribus animae viribus, visionem scilicet rationali, dilectionem concupiscibili, fruitionem vero irascibili, inquantum talis fruitio est per quamdam victoriam adepta. Sed hoc non proprie dicitur: quia irascibilis et concupiscibilis non sunt in parte intellectiva, sed sensitiva, ut in 3 Lib., distinct. 26, quaest. 1, art. 2, in corp., dictum est.

Tous affirment de manière générale trois dots de l’âme, mais cependant de manière diverse. En effet, certains disent que les trois dots de l’âme sont la vision, l’amour et la jouissance, mais certains, que ce sont la vision, l’amour et la possession [comprehensio]. Cependant, tous ramènent ces attributions à la même chose et leur nombre est attribué de la manière manière. En effet, on a dit que la dot est quelque chose qui est dans l’âme, par quoi elle est ordonnée à l’opération dans laquelle consiste la béatitude. Pour cette opération, deux choses sont nécessaires : la substance même de l’opération, qui est la vision, et sa perfection, qui est l’amour. En effet, il faut que la béatitude soit une opération parfaite. Or, la vision est délectable de deux manières : d’une manière, du point de vue de son objet, pour autant que ce qui est vu est délectable ; d’une autre manière, du point de vue de la vision, pour autant que l’acte même de voir est délectable, comme nous nous délectons de connaître ce qui est mal, bien que le mal ne nous délecte pas. Et parce que l’opération dans laquelle consiste la béatitude doit être la plus parfaite, il est donc nécessaire que cette vision soit délectable des deux manières. Pour ce que cette vision soit délectable du point de vue de la vision, il est nécessaire qu’elle soit devenue connaturelle à celui qui voit par un habitus. Mais pour qu’elle soit délectable du point de vue de la vision, deux choses sont nécessaires : que l’objet visible lui-même convienne, et qu’il soit uni. Ainsi donc, pour une vision délectable de son point de vue, un habitus est nécessaire dont la vision soit issue : il existe ainsi une dot, que tous appellent la vision. Mais du point de vue de l’objet visible, deux choses sont nécessaires : la proportion, qui se réalise par l’affectivité. Sous cet aspect, certains affirment comme dot l’amour et d’autres, la jouissance, selon que la jouissance relève de l’affectivité : en effet, ce que nous aimons, nous l’estimons le plus en accord. Est aussi nécessaire, du point de vue de ce qui est visible, l’union : ainsi, certains affirment la possession [comprehensio], qui n’est rien d’autre que de posséder Dieu par sa présence et de le garder en soi ; mais selon d’autres, la jouissance, en tant que la jouissance n’est pas celle de l’espérance, telle qu’elle existe sur la route, mais celle de la réalité, telle qu’elle est dans la patrie. Et ainsi, les trois dots correspondent aux trois vertus théologales : la vision à la foi, la possesion [comprehensio] à l’espérance, ou la jouissance, selon une interprétation ; l’amour à la charité, ou la jouissance, selon une autre attribution : en effet, la jouissance parfaite, telle qu’elle existera dans la patrie, inclut en elle-même l’amour et la possession [comprehensio] ; aussi est-elle considérée par certains comme une chose, mais par d’autres, comme une autre. Mais certains attribuent ces trois dots aux trois puissances de l’âme : la vision, à la puissance rationnelle ; l’amour, au concupiscible ; la jouissance, à l’irascible, pour autant qu’une telle jouissance est obtenue par une victoire. Mais ce n’est pas là parler au sens propre, car l’irascible et le concupiscible ne se trouvent pas dans la partie intellective, mais dans la partie sensible, comme on l’a dit dans le livre III, d. 26, q. 1, a. 2, c.

 [23122] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod memoria et intelligentia non habent nisi unam operationem: quia vel ipsa intelligentia est operatio memoriae; vel si intelligentia dicatur esse potentia quaedam memoria non exit in operationem nisi mediante intelligentia, quia memoriae est notitiam tenere; unde etiam memoriae et intelligentiae non respondet nisi unus habitus, scilicet notitia; et ideo utrique respondet una tantum dos, scilicet visio.

1. La mémoire et l’intelligence n’ont qu’une seule opération, car soit l’intelligence est l’opération de la mémoire, soit, si on dit que l’intelligence est une puissance, la mémoire ne passe à l’opération que par l’intermédiaire de l’intelligence, car il appartient à la mémoire de conserver la connaissance. Aussi un seul habitus correspond-il à la mémoire et à l’intelligence : la connaissance. C’est pourquoi une seule dot correspond aux deux : la vision.

[23123] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fruitio respondet spei, inquantum includit comprehensionem, quae spei succedet: quod enim speratur, nondum habetur; et ideo spes quodammodo affligit propter distantiam amati; et propter hoc in patria non remanet, sed succedit ei comprehensio.

2. La jouissance correspond à l’espérance, pour autant qu’elle inclut la possession [comprehensio], qui succède à l’espérance. En effet, ce qui est espéré n’est pas encore possédé. Aussi l’espérance afflige-t-elle d’une certaine manière en raison de la distance de ce qui est aimé. Pour cette raison, elle ne demeure pas dans la patrie, mais la possession [comprehensio] lui succède.

[23124] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fruitio, secundum quod comprehensionem includit, distinguitur a visione et dilectione; alio tamen modo quam dilectio a visione; dilectio enim et visio diversos habitus nominant, quorum unus pertinet ad intellectum, alter vero ad affectum; sed comprehensio vel fruitio, secundum quod ponitur pro comprehensione, non importat alium habitum ab illis duobus, sed importat remotionem, ex quibus efficiebatur ut non posset mens Deo praesentialiter conjungi; et hoc quidem fit per hoc quod ipse habitus gloriae animam ab omni defectu liberat, sicut quod facit eam sufficientem ad cognoscendum sine phantasmatibus, et ad praedominandum corpori, et alia hujusmodi, per quae excluduntur impedimenta, quibus fit ut nunc peregrinemur a domino.

3. La jouissance, pour autant qu’elle inclut la possession [comprehensio], se distingue de la vision et de l’amour, mais d’une autre manière que l’amour par rapport à la vision. En effet, l’amour et la vision désignent des habitus différents, dont l’un se rapporte à l’intellect, mais l’autre à la puissance affective. Mais la possession [comprehensio] ou la jouissance, si on entend par elle la possession [comprehensio], ne comporte pas un autre habitus que ces deux-là, mais comporte un éloignement ; en raison de ces [habitus], il se faisait que l’esprit ne pouvait être uni à Dieu par sa présence ; cela vient du fait que l’habitus même de la gloire libère l’âme de toute carence, comme quelque chose qui la rend apte à connaître sans fantasmes, à l’emporter sur le corps et à d’autres choses de cette sorte, par lesquels sont écartés les empêchements par lesquels il arrive que, maintenant, nous sommes en marche loin du Seigneur.

[23125] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 4 Ad quartum patet responsio ex dictis.

4. La réponse ressort de ce qui a été dit.

[23126] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod proprie dotes sunt immediata principia illius operationis in qua perfecta beatitudo consistit, per quam anima Christo conjungitur: illa autem quae Anselmus enumerat, non sunt hujusmodi, sed sunt qualitercumque beatitudinem concomitantia vel consequentia, non solum in comparatione ad sponsum, ad quem sola sapientia inter enumerata ab eo pertinet; sed etiam in comparatione ad alios vel pares, ad quos pertinet amicitia quantum ad unionem affectuum, et concordia quantum ad consensum in agendis; vel ad inferiores ad quos pertinet et potestas, secundum quod a superioribus inferiora disponuntur, et honor secundum id quod ab inferioribus superioribus exhibetur; et etiam per comparationem ad seipsum, ad quod pertinet securitas quantum ad remotionem mali, et gaudium quantum ad adeptionem boni.

5. Au sens propre, les dots sont des principes immédiats de l’opération en laquelle consiste la béatitude parfaite, par laquelle l’âme est unie au Christ. Mais ce qu’Anselme énumère n’est pas de cette sorte, mais ce sont des choses qui accompagnent ou suivent d’une certaine manière la béatitude, non seulement par comparaison avec l’époux, que concerne seule la sagesse parmi les choses énumérées par lui, mais aussi par comparaison aux autres ou aux égaux, que concernant l’amitié, pour ce qui est de l’union des sentiments, et la concorde, pour ce qui est de l’accord sur ce qui est à faire ; ou [par comparaison] avec des inférieurs, que concernent la puissance, selon que des réalités inférieures sont disposées par des [réalités] supérieures, et l’honneur, selon que ce qui est manifesté aux supérieurs par les inférieurs ; et aussi par comparaison à soi-même, que concernent la sûreté, pour ce qui est de l’éloignement du mal, et la joie, pour ce qui est de l’obtention du bien.

[23127] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod laus quae ab Augustino ponitur tertium eorum quae in patria erunt, non est dispositio ad beatitudinem, sed magis beatitudinem consequens: ex hoc enim ipso quod anima Deo conjungitur in qua beatitudo consistit, sequitur quod in laudem prorumpat, unde laus non habet rationem dotis.

6. La louange, qui est donnée par Augustin comme la troisième chose qui existera dans la patrie, n’est pas une disposition à la béatitude, mais plutôt une conséquence de la béatitude. En effet, par le fait même que l’âme est unie à Dieu, en quoi consiste la béatitude, il en découle qu’elle se lance dans  la louange. La louange n’a donc pas la raison de dot.

[23128] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod illa quinque quae enumerat Boetius, sunt quaedam beatitudinis conditiones, non autem dispositiones ad beatitudinis actum, eo quod beatitudo ratione perfectionis suae sola et singulariter habet per seipsam quidquid ab hominibus in diversis rebus quaeritur, ut patet etiam per philosophum in 1 et 10 Ethic.; et secundum hoc Boetius ostendit illa quinque in vera beatitudine esse: quia haec sunt quae ab hominibus in temporali felicitate quaeruntur, quae vel pertinent ad immunitatem a malo, sicut securitas; vel ad consecutionem boni vel convenientis, sicut jucunditas; vel perfecti, sicut sufficientia; vel ad manifestationem boni, sicut celebritas, inquantum bonum unius est in notitia multorum; et reverentia, inquantum illius notitiae vel boni signum aliquod exhibetur: reverentia enim consistit in exhibitione honoris qui est testimonium virtutis. Unde patet quod ista quinque non debent dici dotes, sed quaedam beatitudinis conditiones.

7. Les cinq choses que Boèce énumère sont des conditions de la béatitude, mais non des dispositions à l’acte de la béatitude, du fait que la béatitude, en raison de sa perfection, possède par elle-même, seule et d’une manière singulière, tout ce qui est recherché par les hommes dans diverses choses, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, I et X. Boèce montre ainsi que ces cinq choses existent dans la véritable béatitude, car ce sont celles qui sont recherchées par les hommes dans la félicité temporelle et qui concernent soit l’immunité par rapport au mal, comme la sûreté, soit l’obtention du bien ou de ce qui convient, comme l’allégresse, ou de ce qui est parfait, comme la suffisance, ou la manifestation du bien, comme la célébrité, pour autant que le bien de quelqu’un vient à la connaissance d’un grand nombre, et le respect, pour autant qu’un signe de cette connaissance ou de ce bien est manifesté : en effet, le respect consiste dans la manifestation de l’honneur, qui est un témoignage rendu à la vertu. Il est donc clair que ces cinq choses ne doivent pas être appelées des dots, mais des conditions de la béatitude.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23129] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod secundum hoc homo est beatitudinis particeps quod ad imaginem Dei consistit. Imago autem Dei primo et principaliter in mente consistit; sed per quamdam derivationem etiam in corpore hominis quaedam repraesentatio imaginis invenitur, secundum quod oportet corpus animae esse proportionatum, ut etiam patet ex his quae Magister dicit in 2 Sent., dist. 16; unde etiam beatitudo vel gloria primo et principaliter est in mente, sed per quamdam redundantiam derivatur etiam ad corpus, ut beatitudo hominis secundum corpus dicatur, quod imperium animae Deo conjunctae perfecte exequitur. Unde sicut dispositiones quae sunt in anima beata ad perfectam operationem, qua Deo conjungitur, dicuntur animae dotes; ita dispositiones quae sunt in corpore glorioso, ex quibus corpus efficitur perfecte animae subjectum, dicuntur corporis dotes.

L’homme participe à la béatitude pour autant qu’il est à l’image de Dieu. Or, l’image de Dieu se trouve premièrement et principalement dans l’esprit ; mais, par une certaine dérivation, se trouve aussi dans le corps de l’homme une certaine représentation de l’image, selon que le corps doit être proportionnée à l’âme, comme cela ressort aussi de ce que dit le Maître dans les Sentences, II, d. 16. La béatitude ou la gloire existent donc premièrement et principalement dans l’esprit, mais, par un certain rejailllisement, elles parviennent aussi au corps, de sorte qu’on appelle béatitude de l’homme selon son corps le fait qu’il accomplit parfaitement ce que l’âme unie à Dieu commande. De même donc que les dispositions qui sont dans l’âme bienheureuse en vue de l’opération parfaite, par laquelle elle est unie à Dieu, sont appelées des dots de l’âme, de même les dispositions qui existent dans le corps glorieux, par lesquelles le corps devient parfaitement soumis à l’âme, sont-elles appelées des dots du corps.

[23130] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam perfectio corporis gloriosi aliquo modo coadjuvat ad hoc quod anima liberius et perfectius Deo inhaereat, inquantum videlicet non retrahitur aliquibus corporeis impedimentis a divina inhaesione; et inquantum etiam anima perfectius esse habet corpori conjuncta, quam a corpore separata; et sic etiam ejus operatio est perfectior, ut supra dictum est.

1. Même la perfection du corps glorieux aide d’une certaine manière à ce que l’âme adhère à Dieu plus librement et plus parfaitement, pour autant qu’elle n’est pas éloignée de l’adhésion à Dieu par certains empêchements corporels, et aussi pour autant que l’âme a un être plus parfait en étant unie au corps qu’en étant séparée du corps. De cette manière aussi, son opération est plus parfaite, comme on l’a dit plus haut.

[23131] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet responsio ex dictis.

2. La réponse ressort de ce qui a été dit.

[23132] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut dicit Augustinus in Lib. de Trinit., ad exteriorem hominem non solum pertinet corpus, sed etiam corporis sensus; unde omnes inferiores potentiae quae sunt organis affixae, simul cum corpore computantur, et cum eo etiam simul dotantur.

3. Comme le dit Augustin dans le livre sur La Trinité, non seulement le corps concerne l’homme extérieur, mais aussi le sens du corps. Toutes les puissances inférieures qui sont liées à des organes sont donc comptées avec le corps et sont aussi dotées en même que lui.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23133] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod anima est forma corporis, et motor: unde cum dotes corporis ad hoc ordinentur ut corpus perfecte animae subjiciatur, hoc erit ut subjiciatur ei perfecte et sicut formae, et sicut motori. A forma autem in materia tria causantur; scilicet esse substantiale, vires, et formae secundariae, scilicet accidentales, et amborum conservatio. Corpus ergo gloriosum, inquantum perfecte animae subditur quantum ad esse substantiale quod ab ea habet, sic est dos subtilitatis: ex hoc enim corpus gloriosum subtile dicitur, ut supra, distinct. 44, dictum est, quod perfecte ab anima informatur. Inquantum vero perfecte subditur ei ut formae secundum accidentales formas quae sunt in corpore ab anima, sic est dos claritatis. Inquantum vero corpus gloriosum perfecte ab anima conservatur, sic est dos impassibilitatis: ex hoc enim impassibile dicitur quod ex vi animae servatur immune ab omni laesione. Sed inquantum corpus perfecte subditur animae ut motori, sic est dos agilitatis: corpus enim secundum hoc dicitur agile quod ad omnes animae actus est expeditum et paratum. Quidam autem quatuor dotes corporis quatuor virtutibus cardinalibus adaptant, eo quod cardinalium virtutum materia sunt bona corporalia; ut scilicet prudentiae respondeat claritas propter cognitionem: justitiae, quae est perpetua et immortalis, impassibilitas: fortitudini agilitas, ex qua contingit ut nihil corpori possit resistere: unde agilitas notatur 1 Corinth. 15, 43, per hoc quod dicitur: surget in virtute: temperantiae vero, quae corpus attenuat, subtilitas: et sic quatuor dotes corporis respondent quatuor virtutibus cardinalibus, sicut tres dotes animae tribus theologicis, ut dictum est.

L’âme est la forme et le moteur du corps. Puisque les dots du corps sont ordonnées à ce que le corps soit parfaitement soumis à l’âme, cela sera pour qu’il lui soit soumis comme à sa forme et à son moteur. Or, trois choses sont causées par la forme dans la matière : l’être substantiel, les puissances et les formes secondaires, c’est-à-dire accidentelles, et la conservation des deux. Le corps glorieux, en tant qu’il est parfaitement soumis à l’âme quant à l’être substantiel qu’il tient d’elle, est ainsi doté de subtilité. En effet, est dit subtil comme on l’a dit plus haut, d. 44, le corps glorieux qui est possède parfaitement la forme de l’âme. Mais, en tant qu’il lui est soumis parfaitement comme à sa forme selon les formes accidentelles qui sont conférées au corps par l’âme, cela donne la dot de l’éclat. En tant que le corps glorieux est parfaitement conservé par l’âme, cela donne la dot de l’impassibilité. En effet, il est appelé impassible du fait que, par la force de l’âme, il est protégé de toute blessure. Mais, en tant que le corps est parfaitement soumis à l’âme comme à son moteur, cela donne la dot de l’agilité. En effet, le corps est appelé agile du fait qu’il est empressé et prêt à tous les actes de l’âme. Mais certains rattachent les quatre dots du corps aux quatre vertus cardinales, du fait que les vertus cardinales ont comme matière les biens corporels : ainsi, à la prudence répond l’éclat en raison de la connaissance ; à la justice, qui est perpétuelle et immortelle, [répond] l’impassibilité ; à la force, l’agilité, qui fait  que rien ne peut résister au corps : ainsi, l’agilité est-elle signalée dans 1 Co 15, 43, lorsqu’il est dit : Il se lèvera avec puissance. À la tempérance, qui atténue le corps, [répond] la subtilité. Ainsi, les quatre dots du corps correspondent-elles aux quatre vertus cardinales, comme les trois dots de l’âme [répondent] aux trois [vertus] théologales, comme on l’a dit.

[23134] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa septem quae Anselmus ponit, continentur sub istis quatuor: pulchritudo enim continetur sub claritate; velocitas et libertas et fortitudo sub agilitate; sanitas et diuturnitas sub impassibilitate; voluptas vero potest reduci ad subtilitatem; quia ex hoc quod corpus est perfecte informatum per animam, est ad delectationem dispositum.

1. Les sept choses que Anselme présente sont contenues dans les quatre [déjà mentionnées]. En effet, la beauté est contenue sous l’éclat ; la rapidité, la liberté et la force, sous l’agilité ; la santé et la pérennité, sous l’impassibilité ; mais le plaisir peut se ramener à la subtilité, car, du fait que le corps possède parfaitement la forme de l’âme, il est disposé à la délectation.

[23135] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod agilitas non solum pertinet ad motum, sed etiam ad sensum, et ad omnes alias operationes animae: ut secundum hoc dicatur corpus gloriosum esse agile, quod est perfecte habilitatum ad omnes operationes quae per corpus exercentur.

2. L’agilité ne concerne pas seulement le mouvement, mais aussi le sens et toutes les opérations de l’âme. Le corps glorieux est ainsi appelé agile du fait qu’il est parfaitement habilité à toutes les opérations qui sont exercées par le corps.

[23136] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in 2 de generatione, qualitates visibiles sunt aliis qualitatibus sensibilibus nobiliores quantum ad hoc quod in visibilitate conveniunt inferiora corpora cum superioribus corporibus, non autem quantum ad alias sensibiles qualitates: unde lux vel claritas, quae est qualitas propria caelestium corporum, inter alias qualitates corporales est nobilior, et magis similis ad exprimendam intelligibilem claritatem: et ideo ex redundantia gloriae ab anima in corpus magis ponitur in corpore glorioso claritas ut dos, quam alia sensibilis qualitas.

3. Selon le Philosophe, dans La génération, II, les qualités visibles sont plus nobles que les autres qualités sensibles sous l’aspect où les corps inférieurs ont la visibilité en commun avec les corps supérieurs, mais non les autres qualités sensibles. La lumière et l’éclat, qui sont des qualités propres aux corps célestes, sont donc plus nobles que les autres qualités corporelles, et se prêtent mieux à l’expression de la clarté intelligible. C’est pourquoi, en raison du rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps, l’éclat est reconnu de préférence comme une dot du corps glorieux, plutôt qu’une autre qualité sensible.

[23137] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima non est passibilis secundum naturam, sed per accidens, inquantum corpus patitur: vel per divinam justitiam est passibilis ex culpa, quae ab animabus beatorum est procul propter Dei dilectionem: unde ex quo impassibilitas ponitur corporis dos, non oportet quod ponatur dos animae.

4. L’âme n’est pas passible selon sa nature, mais, par accident, selon que le corps souffre ; ou bien elle est passible selon la justice en raison d’une faute, qui est éloignée des âmes des bienheureux en raison de l’amour de Dieu. Du fait que l’impassibilité est donnée comme une dot du corps, il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit donnée comme une dot de l’âme.

[23138] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 4 a. 5 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod clarum et pervium ad idem genus reducuntur, eo quod lux est actus diaphani: et ideo pervietas non ponitur dos distincta a claritate. De praedictis autem dotibus tam animae quam corporis, in speciali dictum est; de fruitione quidem in 1 dist., 1 Lib.; de dilectione, in 3 Lib., tractatu de caritate; de visione supra, hac eadem dist.; de quatuor dotibus corporis supra, dist. 44.

5. L’éclat et la transparence se ramènent au même genre du fait que la lumière est l’acte du diaphane. Aussi la transparence n’est-elle pas donnée comme une dot distincte de l’éclat. Or, on a parlé d’une manière particulière de ces dots de l’âme et du corps. Mais il a été question de la jouissance dans le livre I, d. 1 ; de l’amour, dans le livre III, dans le traité de la charité ; de la vision, plus haut, dans la même distinction ; des quatre dots du corps, plus haut, d. 44.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [Les auréoles]

 

 

Prooemium

Prologue

[23139] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 pr. Deinde quaeritur de aureolis: et circa hoc quaeruntur quinque: 1 quid sit aureola; 2 quomodo differat a fructu; 3 ratione quorum debeatur aureola; 4 quibus debeatur; 5 de numero aureolarum.

On s’interroge ensuite sur les auréoles. Cinq questions sont posées à ce sujet : 1 – Qu’est-ce qu’une auréole ? 2 – Comment diffère-t-elle du fruit ? 3 – Les raisons pour lesquelles une auréole est due . 4 – À qui est-elle due ? 5 – Le nombre des auréoles.

 

 

Articulus 1 [23140] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 tit. Utrum aureola sit aliquod aliud praemium ab essentiali praemio, quod aurea dicitur

Article 1 – L’auréole est-elle une autre récompense que la récompense essentielle, qui est appelée la [couronne] d’or ?

[23141] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aureola non sit aliquod aliud praemium ab essentiali praemio, quod aurea dicitur. Praemium enim essentiale est ipsa beatitudo. Sed beatitudo, secundum Boetium, est status omnium bonorum aggregatione perfectus. Ergo praemium essentiale includit omne bonum quod habetur in patria; et sic aureola includitur in aurea.

1. Il semble que l’auréole ne soit pas une autre récompense que la récompense essentielle, qui est appelé la [couronne] d’or. En effet, la récompense essentielle est la béatitude elle-même. Or, la béatitude, selon Boèce, « est l’état de tous les biens parfaitement rassemblés ». La récompense essentielle inclut donc tous les biens qui sont possédés dans la patrie, et ainsi l’auréole est incluse dans la [couronne] d’or.

[23142] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, magis et minus non diversificant speciem. Sed illi qui servant consilia et praecepta, magis praemiantur quam illi qui servant praecepta tantum: nec in aliquo praemium eorum videtur differre, nisi quod unum est altero majus. Cum ergo aureola nominet praemium quod debetur operibus perfectionis, videtur quod aureola non dicat aliquid distinctum ab aurea

2. Le plus et le moins n’apportent pas diversité à l’intérieur d’une espèce. Or, ceux qui observent les conseils et les commandements sont plus récompensés que ceux qui observent les commandements seulement, et leur récompense ne semble pas différer par autre chose que le fait qu’elle soit plus grande pour l’un que pour l’autre. Puisque l’auréole désigne la récompense qui est due pour les actions relevant de la perfection, il semble donc que l’auréole ne désigne pas quelque chose de distinct de la [couronne] d’or.

[23143] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, praemium respondet merito. Sed radix totius meriti est caritas. Cum ergo caritati respondeat aurea, videtur quod in patria non erit aliquod praemium ab aurea distinctum.

3. La récompense répond au mérite. Or, la racine de tout mérite est la charité. Puisque la [courone] d’or répond à la charité, il semble donc qu’il n’y aura pas dans la patrie d’autre récompense distincte de la [couronne] d’or.

[23144] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, homines beati assumuntur ad Angelorum ordines, ut dicit Gregorius. Sed in Angelis licet quaedam data sint quibusdam excellenter, ibi tamen nihil possidetur singulariter: omnia enim in omnibus sunt, non quidem aequaliter, quia alii aliis sublimius possident, quae tamen omnes habent, ut etiam Gregorius dicit. Ergo et in beatis non erit aliquod aliud praemium nisi omnium commune: ergo aureola non est praemium distinctum ab aurea.

4. Les hommes bienheureux sont reçus dans les ordres des anges, comme le dit Grégoire. Or, chez les anges, bien que certaines choses soient données à certains d’une manière excellente, rien n’est possédé de manière singulière. En effet, tout se trouve chez tous, mais non pas également, car les uns le possèdent d’une manière plus élevée que les autres, comme Grégoire le dit aussi. Chez les bienheureux, il n’y aura donc pas une autre récompense que la récompense commune à tous. L’auréole n’est donc pas une récompense distincte de la [couronne] d’or.

[23145] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 arg. 5 Praeterea, excellentiori merito excellentius praemium debetur. Si ergo aurea debetur operibus quae sunt in praecepto, aureola vero his quae sunt in consilio; aureola erit perfectior quam aurea: et ita non deberet diminutive signari: et sic videtur quod aureola non sit praemium distinctum ab aurea.

5. Une récompense plus grande est due à un mérite plus grand. Si donc la [couronne] d’or est due pour les actions qui relèvent du commandement, mais l’auréole pour celles qui relèvent du conseil, l’auréole sera plus parfaite que la [couronne] d’or, et ainsi elle ne devrait pas être moins marquée. Il semble ainsi que l’auréole ne soit pas une récompense distincte de la [couronne] d’or.

[23146] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Exod. 25, super illud: faciet alteram coronam aureolam, dicit Glossa: ad coronam hanc pertinet canticum novum, quod virgines tantum coram agno concinunt. Ex quo videtur quod aureola sit quaedam corona non omnibus, sed aliquibus specialiter reddita. Aurea autem omnibus beatis redditur. Ergo aureola est aliud quam aurea.

Cependant, [1] à propos de Ex 25 : Il fera une autre couronne en forme d’auréole, la Glose dit : « Le cantique nouveau, que seules les vierges chantent devant l’Agneau, se rapporte à cette couronne. » D’après cela, il semble que l’auréole soit une couronne donnée non pas à tous, mais à certains. Or, la [couronne] d’or est donnée à tous les bienheureux. L’auréole est donc quelque chose d’autre que la [couronne] d’or.

[23147] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, pugnae quam sequitur victoria, debetur corona, 2 ad Timoth. 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit. Ergo ubi est specialis ratio certaminis, ibi debet esse specialis corona. Sed in aliquibus operibus est specialis ratio certandi. Ergo prae aliis aliquam coronam habere debent, et hanc dicimus aureolam.

[2] Une couronne est due au combat que suit la victoire, 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles. Là où existe une raison particulière de combat, là doit exister une couronne particulière. Or il existe une raison particulière de combattre dans certaines actions. Elles doivent donc recevoir une couronne différente des autres. C’est ce que nous appelons l’auréole.

[23148] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Ecclesia militans descendit a triumphante, ut patet Apoc. 21, 2: vidi civitatem sanctam Hierusalem novam descendentem de caelo a Deo. Sed in Ecclesia militante specialia opera habentibus specialia praemia redduntur, sicut victoribus corona, currentibus bravium. Ergo similiter debet esse in Ecclesia triumphante.

[3] L’Église militante descend de l’Église triomphante, comme cela ressort de Ap 21, 2 : Je vis la nouvelle Jérusalem sainte qui descendait du ciel d’auprès de Dieu. Or, dans l’Église militante, des récompenses particulières sont données à ceux qui accomplissent des actions particulières, comme une couronne aux vainqueurs et un prix à ceux qui courent. De même doit-il donc en être dans l’Église triomphante.

[23149] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod praemium essentiale hominis, quod est ejus beatitudo, consistit in perfecta conjunctione animae ad Deum, inquantum eo perfecte fruitur, ut viso et amato perfecte. Hoc autem praemium metaphorice corona dicitur, vel aurea: tum ex parte meriti, quod cum quadam pugna agitur, militia enim est vita hominis super terram: Job 7, 1, tum etiam ex parte praemii, per quod homo efficitur quodammodo divinitatis particeps, et per consequens regiae potestatis: Apoc. 5, 10: fecisti nos Deo nostro regnum et sacerdotes. Corona autem est proprium signum regiae dignitatis: et eadem ratione praemium quod essentiali additur coronae rationem habet. Significat etiam corona perfectionem quamdam ratione figurae circularis, ut ex hoc etiam competat perfectioni beatorum. Sed quia nihil potest superaddi quin sit eo minus, ideo superadditum praemium aureola nominatur. Huic autem essentiali praemio, quod aurea dicitur, aliquid additur dupliciter. Uno modo ex conditione naturae ejus quae praemiatur, sicut supra beatitudinem animae gloria corporis adjungitur, unde et ipsa gloria corporis interdum aureola nominatur: unde et super illud Exod. 25: facies alteram coronam aureolam, dicit quaedam Glossa, quod in fine aureola superponitur; cum in Scriptura dicatur, quod eis sublimior gloria in receptione corporum servetur. Sic autem nunc de aureola non agitur. Alio modo ex ratione operis meritorii: quod quidem rationem meriti ex duobus habet ex quibus habet etiam bonitatis rationem: scilicet ex radice caritatis, quae refertur in finem ultimum; et sic debetur ei essentiale praemium, scilicet perventio ad finem, quae est aurea: et ex ipso genere actus laudabilitatem quamdam habet ex debitis circumstantiis, et ex habitu eliciente, et proximo fine; et sic debetur ei quoddam accidentale praemium, quod aureola dicitur: et hoc modo de aureola ad praesens intendimus. Et sic dicendum, quod aureola dicit aliquid aureae superadditum, idest quoddam gaudium de operibus a se factis, quae habent rationem victoriae excellentis, quod est aliud gaudium ab eo quo de conjunctione ad Deum gaudetur, quod gaudium dicitur aurea. Quidam tamen dicunt, quod ipsum praemium commune, quod est aurea, accipit nomen aureolae secundum quod virginibus vel martyribus vel doctoribus redditur, sicut et denarius accipit nomen debiti ex hoc quod alicui debetur, quamvis omnino idem sint debitum et denarius; non tamen ita quod praemium essentiale oporteat esse majus quando aureola dicitur; sed quia excellentiori actui respondet, non quidem secundum meriti intensionem, sed secundum modum merendi; ut quamvis in duobus sit aequalis limpiditas divinae visionis, in uno tamen dicatur aureola, non in altero, inquantum respondet excellentiori merito secundum modum agendi. Sed hoc videtur esse contra intentionem Glossae Exod. 30. Si enim idem esset aurea et aureola; non diceretur aureola aureae superponi. Et praeterea, cum merito respondeat praemium, oportet quod illi excellentiae meriti quae est ex modo agendi, respondeat aliqua excellentia in praemio; et hanc excellentiam vocamus aureolam; unde oportet aureolam ab aurea differre.

La récompense essentielle de l’homme, qui est sa béatitude, consiste dans l’union parfaite de l’âme avec Dieu, en tant qu’il en jouit parfaitement comme de ce qui est vu et aimé parfaitement. Or, cette récompense est appelée métaphoriquement une couronne ou une couronne d’or, tant du point de vue du mérite, qui est obtenu par un combat, Jb 7, 1 : La vie de l’homme sur terre est un combat, que du point de vue de la récompense, par laquelle l’homme devient  d’une certaine manière participant de la divinité et, par conséquent, du pouvoir royal, Ap 5, 10 : Tu as fait de nous un royaume et des prêtres pour notre Dieu. Or, la couronne est le signe propre de la dignité royale ; pour la même raison, la récompense qui est ajoutée à la récompense essentielle a la raison de couronne. La couronne signifie aussi une perfection en raison de sa forme circulaire, de sorte qu’elle convient ainsi à la perfection des bienheureux. Mais parce que rien ne peut être ajouté qui ne lui soit inférieur, la récompense qui s’y ajoute est appelée une auréole. Or, quelque chose s’ajoute à cette récompense essentielle, appelée la [couronne] d’or, de deux manières. D’une manière, par la condition de la nature de celui qui est récompensé, comme lorsque la gloire du corps est ajoutée à la béatitude de l’âme ; c’est ainsi que la gloire du corps elle-même est parfois appelée une auréole. Aussi, à propos de Ex 25 : Tu feras une autre couronne en forme d’auréole, une glose dit que, « à la fin, l’auréole est ajoutée, puisqu’il est dit dans l’Écriture qu’une gloire plus sublime est gardée en eux lorsqu’ils reçoivent leurs corps ». On ne traite pas maintenant de l’auréole en ce sens. D’une autre manière, en raison de l’action méritoire. Elle a le caractère de mérite pour deux raisons, pour lesquelles elle a aussi son caractère de bonté. En raison de la racine de la charité, qui se rapporte à la fin ultime : la récompense essentielle lui est ainsi due, c’est-à-dire l’atteinte de la fin, qui est la [couronne] d’or. En raison du genre de l’acte, elle est digne de louange en raison des circonstances appropriées, de l’habitus qui la suscite et de la fin rapprochée : ainsi lui est due une récompense accidentelle, qui est appelée « auréole ». C’est à l’auréole entendue en ce sens que nous nous arrêtons maintenant. Il faut donc dire que l’auréole exprime quelque chose qui est ajouté à la [couronne] d’or, à savoir, une certaine joie provenant des actions qu’on a accomplies, qui ont le caractère d’une très grande victoire, et qui est une joie différente de celle par laquelle on se réjouit de l’union à Dieu, qui est appelée la [couronne] d’or. Cependant, certains disent que la récompense commune elle-même, qui est la [couronne] d’or, reçoit le nom d’auréole selon qu’elle est donnée aux vierges, aux martyrs ou aux docteurs, de même que le denier reçoit le nom de dette du fait qu’il est dû à quelqu’un, bien que la dette et le denier soient tout à fait la même chose ; mais non pas cependant de telle sorte que la récompense essentielle doive être plus grande lorsqu’elle est appelée une auréole, mais parce qu’elle répond à un acte meilleur, non pas par l’intensité du mérite mais par la manière de mériter. Ainsi, dans les deux, il y aura une égale limpidité de la vision de Dieu, mais dans l’une, elle s’appellera une auréole, mais non pas dans l’autre, pour autant qu’elle répond à un mérite plus grand par la manière d’agir. Mais cela semble aller à l’encontre de la glose sur Ex 30. En effet, si la [couronne] d’or et l’auréole étaient la même chose, on ne dirait pas que l’auréole est déposée sur la [couronne] d’or. De plus, puisque la récompense répond au mérite, il faut qu’à l’excellence du mérite qui vient de la manière d’agir réponde l’excellence de la récompense. C’est cette excellence que nous appelons une auréole. Il faut donc que l’auréole diffère de la [couronne] d’or.

[23150] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod beatitudo includit in se omnia bona quae sunt necessaria ad perfectam hominis vitam, quae consistit in perfecta hominis operatione; sed quaedam possunt superaddi non quasi necessaria ad perfectam operationem, ut sine quibus esse non possit, sed quia his additis est beatitudo clarior; unde pertinet ad bene esse beatitudinis, et ad decentiam quamdam ipsius; sicut et felicitas politica ornatur nobilitate, et corporis pulchritudine, et hujusmodi, sine quibus tamen esse potest, ut patet in 1 Ethicor.: et hoc modo se habet aureola ad beatitudinem patriae.

1. La béatitude inclut en elle-même tous les biens qui sont nécessaires à la vie parfaite de l’homme, qui consiste dans une opération parfaite de l’homme. Mais certaines choses peuvent y être ajoutées, non pas parce qu’elles sont nécessaires à l’opération parfaite, de sorte qu’elle ne pourrait pas exister sans elles, mais parce, par l’ajout de celles-ci, la béatitude est plus éclatante. Cela se rapporte donc au bon état de la béatitude et à ce qui lui convient, comme la félicité politique est embellie par la noblesse, la beauté du corps et les choses de ce genre, sans lesquelles elle peut cependant exister, comme cela ressort d’Éthique, I. Tel est le rapport entre l’auréole et la béatitude de la patrie.

[23151] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ille qui servat consilia et praecepta, semper magis meretur quam ille qui servat praecepta tantum, secundum quod ratio meriti consideratur in operibus ex ipso genere operum, non autem semper secundum quod ratio meriti pensatur ex radice caritatis; cum quandoque ex majori caritate aliquis servet praecepta tantum quam aliquis praecepta et consilia. Sed ut pluries accidit e converso; quia probatio dilectionis est exhibitio operis, sicut dicit Gregorius. Non ergo ipsum praemium essentiale magis intensum dicitur aureola, sed id quod praemio essentiali superadditur indifferenter, sive sit majus praemium essentiale habentis aureolam, sive minus, sive aequale praemio essentiali non habentis.

2. Celui qui observe les conseils et les commandements mérite toujours plus que celui qui observe seulement les commandements, selon que le caractère méritoire est envisagé dans les actes d’après le genre même des actes, mais non pas toujours selon que le caractère méritoire est évalué d’après la racine de la charité, puisque parfois, par une charité plus grande, quelqu’un observe les commandements seulement, plutôt qu’il n’observe les commandements et les conseils. Mais, dans la plupart des cas, c’est l’inverse, car la preuve de l’amour est l’accomplissement de l’action, comme le dit Grégoire. Ce n’est donc pas une récompense essentielle plus intense qui est appelée auréole, mais ce qui s’ajoute indifféremment à la récompense essentielle, que ce soit une plus grande récompense essentielle de celui qui possède l’auréole, ou qu’elle soit égale à la récompense essentielle de celui qui ne la possède pas.

[23152] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas est principium merendi; sed actus noster est quasi instrumentum quo meremur. Ad effectum autem consequendum non solum requiritur debita dispositio in primo movente, sed etiam recta dispositio in instrumento; et ideo in effectu aliquid consequitur ex parte primi principii, quod est principale, et aliquid ex parte instrumenti, quod est secundarium; unde et in praemio aliquid est ex parte caritatis, scilicet aurea, et aliquid ex genere operationis, ut aureola.

3. La charité est le principe du mérite, mais notre acte est comme l’instrument par lequel nous méritons. Or, pour obtenir l’effet, non seulement une disposition appropriée est-elle requise chez le premier moteur, mais aussi une disposition correcte dans l’instrument. C’est pourquoi, dans l’effet, quelque chose découle du premier principe, ce qui est principal, et quelque chose de l’instrument, ce qui est secondaire. Ainsi, dans la récompense, quelque chose vient de la charité, la [couronne] d’or, et quelque chose du genre de l’opération, l’auréole.

[23153] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Angeli omnes ex eodem genere actus suam beatitudinem meruerunt, scilicet in hoc quod sunt conversi ad Deum; et ideo nullum singulare praemium invenitur in uno quod alius non habeat aliquo modo. Homines autem diversis generibus actuum beatitudinem merentur; et ideo non est simile. Tamen illud quod unus videtur specialiter habere inter homines, quodammodo omnes communiter habent, inquantum scilicet per caritatem perfectam unusquisque bonum alterius suum reputat. Non tamen hoc gaudium quo unus alteri congaudet, potest aureola nominari; quia non datur in praemium victoriae ejus, sed magis respicit victoriam alienam; corona vero ipsis victoribus redditur, non victoriae congaudentibus.

4. Tous les anges ont mérité leur béatitude par le même genre d’acte : le fait qu’ils se sont tournés vers Dieu. Aussi ne trouve-t-on chez aucun une récompense particulière qu’un autre ne possède pas de quelque manière. Mais les hommes méritent la béatitude par divers genres d’actes. Aussi n’est-ce pas la même chose. Cependant, ce que quelqu’un semble posséder d’une manière particulière chez les hommes, tous le possèdent d’une certaine manière d’une manière générale, pour autant que, par une charité parfaite, chacun estime sien le bien d’un autre. Toutefois, cette joie, par laquelle l’un s’associe à la joie de l’autre, ne peut pas être appelée une auréole, car elle n’est pas donnée comme récompense de sa victoire, mais elle concerne plutôt la victoire de l’autre ; mais la couronne est donnée aux vainqueurs eux-mêmes, et non à ceux qui s’associent à la joie [d’un autre].

[23154] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod major est excellentia meriti, quae consurgit ex caritate, quam illa quae consurgit ex genere actus; sicut finis ad quem ordinat caritas, est potior his quae sunt ad finem, circa quae actus nostri consistunt. Unde etiam praemium respondens merito ratione caritatis, quantumcumque sit parvum, est majus quolibet praemio respondente actui ratione sui generis; et ideo aureola diminutive dicitur respectu aureae.

5. L’excellence du mérite qui vient de la charité est plus grande que celle qui vient du genre de l’acte, comme la fin à laquelle la charité ordonne est plus grande que ce qui est ordonné à la fin, sur quoi portent nos actes. La récompense qui répond au mérite en raison de la charité, aussi petite soit-elle, est donc plus grande que n’importe quelle récompense qui répond à un acte en raison de son genre. Aussi le mot « auréole » [aureola] est-il un diminutif de la [couronne] d’or [aurea].

 

 

Articulus 2 [23155] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 tit. Utrum aureola differat a fructu

Article 2 – L’auréole diffère-t-elle du fruit ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [L’auréole diffère-t-elle du fruit ?]

[23156] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aureola non differat a fructu. Eidem enim merito non debentur diversa praemia. Sed eidem merito respondet aureola et fructus centesimus, scilicet virginitati, ut patet in Glossa, Matth. 13. Ergo aureola est idem quod fructus.

1. Il semble que l’auréole ne diffère pas du fruit. En effet, des récompenses différentes ne sont pas dues pour un même mérite. Or, l’auréole et le fruit au centième répondent au même mérite, à savoir, à la virginité, comme cela ressort de la Glose sur Mt 13. L’auréole est donc la même chose que le fruit.

[23157] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de virginitate, quod centesimus fructus debetur martyri, et idem debetur virgini. Ergo fructus est quoddam praemium commune virginibus et martyribus. Sed eisdem etiam debetur aureola. Ergo aureola est idem quod fructus.

2. Augustin dit, dans le livre sur La virginité, que le centuple du fruit est dû au martyre, et que la même chose est due à la virginité. Le fruit est donc une récompense commune aux vierges et aux martyrs. Or, l’auréole est due aux mêmes. L’auréole est donc la même chose que le fruit.

[23158] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in beatitudine non invenitur nisi duplex praemium; scilicet essentiale, et accidentale, quod essentiali superadditur. Sed praemium essentiale superadditum dictum est esse aureolam; quod patet ex hoc quod Exod. 25 aureola coronae aureae superponi dicitur. Sed fructus non est praemium essentiale, quia sic deberetur omnibus beatis. Ergo est idem quod aureola.

3. On ne trouve dans la béatitude que deux récompenses : la récompense essentielle et la récompense accidentelle, qui s’ajoute à la récompense essentielle. Or, la récompense essentielle ajoutée a été appelée une auréole, ce qui ressort du fait qu’on dise, en Ex 25, que l’auréole est ajoutée à la couronne d’or. Or, le fruit n’est pas la récompense essentielle, car il serait ainsi dû à tous les bienheureux. Il est donc la même chose que l’auréole.

[23159] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quaecumque non sunt ejusdem divisionis, non sunt etiam ejusdem rationis. Sed fructus et aureola non similiter dividuntur; quia aureola dividitur in aureolam virginum, martyrum, et doctorum; fructus autem in fructum conjugatorum, viduarum, et virginum. Ergo fructus et aureola non sunt idem.

Cependant, [1] tout ce qui ne fait pas partie de la même division n’a pas la même raison. Or, le fruit et l’auréole ne se divisent pas de la même manière, car l’auréole est divisée en auréole des vierges, des martyrs et des docteurs, mais le fruit, en fruit des gens mariés, des veuves et des vierges. Le fruit et l’auréole ne sont donc pas la même chose.

[23160] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, si fructus et aureola essent idem; cuicumque deberetur fructus, deberetur aureola. Hoc autem patet esse falsum; viduitati enim debetur fructus, sed non aureola. Ergo et cetera.

[2] Si le fruit et l’auréole étaient la même chose, l’auréole serait due à tous ceux à qui le fruit serait dû. Or, cela est manifestement faux : en effet, le fruit est dû au veuvage, mais non l’auréole. Donc, etc.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Le fruit est-il dû seulement à la vertu de continence ?]

[23161] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fructus non debeatur soli virtuti continentiae. Quia 1 Corinth. 15 super illud: alia claritas solis etc. dicit Glossa quod claritati solis illorum dignitas comparatur qui centesimum fructum habent, lunari autem qui sexagesimum, stellae qui trigesimum. Sed illa diversitas claritatum, secundum intentionem apostoli, pertinet ad quamcumque beatitudinis differentiam. Ergo diversi fructus non debent respondere soli continentiae.

1. Il semble que le fruit soit dû seulement à la vertu de continence, car, à propos de 1 Co 15 : Autre est l’éclat du soleil, etc., la Glose dit qu’est comparée à l’éclat du soleil la dignité de ceux qui ont porté du fruit au centuple, à l’éclat de la lune ceux qui en ont soixante fois le fruit, à l’éclat de l’étoile celui qui en a trente fois. Or, cette diversité d’éclat, selon l’intention de l’Apôtre, se rapporte à n’importe quelle différence de béatitude. Les divers fruits ne doivent dont pas répondre à la seule continence.

[23162] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, fructus a fruitione dicuntur. Sed fruitio ad praemium essentiale pertinet, quod omnibus virtutibus respondet. Ergo et cetera.

2. Le mot « fruit » vient de fruitio [jouissance]. Or, la jouissance relève de la récompense essentielle, qui répond à toutes les vertus. Donc, etc.

[23163] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, fructus labori debetur; sapientiae 3, 15: bonorum laborum gloriosus est fructus. Sed major labor est in fortitudine quam in temperantia vel in continentia. Ergo fructus non respondet soli continentiae.

3. Le fruit est dû au travail. Sg 3, 15 : Le fruit d’un travail appliqué est glorieux. Or, il y a plus d’effort dans la force que dans la tempérance ou la continence. Le fruit ne répond donc pas à la seule continence.

[23164] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, difficilius est modum non excedere in cibis qui sunt necessarii ad vitam, quam in venereis, sine quibus vita conservari potest; et sic major est labor parsimoniae quam continentiae. Ergo parsimoniae magis respondet fructus quam continentiae.

4. Il est plus difficile de ne pas dépasser la mesure pour la nourriture nécessaire à la vie que pour le sexe, sans lequel la vie peut être conservée. Ainsi l’effort pour se suffire de peu [parsimonia] est plus grand que celui de la continence. Le fruit répond donc davantage à la parcimonie qu’à la continence.

[23165] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, fructus refectionem importat. Refectio autem praecipue est in fine. Cum ergo virtutes theologicae finem habeant pro objecto, scilicet ipsum Deum, videtur quod eis fructus maxime debeant respondere.

5. Le fruit comporte une réfection. Or, la réfection se réalise principalement par la fin. Puisque les vertus théologales ont Dieu pour objet, il semble donc qu’à elles surtout les fruits doivent répondre.

[23166] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod habetur in Glossa, Matth. 15, quae fructus assignat virginitati, viduitati, et continentiae conjugali; quae sunt continentiae partes.

Cependant, à propos de Mt 15, la Glose attribue les fruits à la virginité, au veuvage et à la continence conjugale, qui sont des parties de la continence.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les trois fruits sont-ils convenablement attribués aux trois parties de la continence ?]

[23167] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter assignentur tres fructus tribus continentiae partibus. Quia, Galat. 5, ponuntur duodecim fructus spiritus, scilicet gaudium, pax etc.: et ideo videtur quod non debeant poni tres tantum.

1. Il semble que les trois fruits soient attribuées de manière inappropriée aux trois parties de la continence, car, en Ga 5, sont indiqués douze fruits de l’Esprit : la joie, la paix, etc. Il semble donc qu’on ne doive pas en signaler trois seulement.

[23168] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, fructus nominat aliquod praemium speciale. Sed praemium quod assignatur virginibus et viduis et conjugatis, non est speciale; quia omnes salvandi continentur sub aliquo horum trium, cum nullus salvetur qui continentia careat et continentia per has partes sufficienter dividatur. Ergo inconvenienter tribus praedictis tres fructus assignantur.

2. Le fruit désigne une récompense particulière. Or, la récompense qui est attribuée aux vierges, aux veuves et aux gens mariés n’est pas particulière, car tous ceux qui doivent être sauvés sont inclus dans une de ces trois catégories, puisque personne ne sera sauvé s’il manque de continence et que la continence est divisée de manière suffisante en ces parties. Les trois fruits sont donc attribués de manière inappropriée aux trois groupes rappelés.

[23169] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut viduitas excedit continentiam conjugalem, ita virginitas viduitatem. Sed non similiter excedit sexagenarius tricenarium, et centenarius sexagenarium; neque secundum arithmeticam proportionalitatem, quia sexagenarius excedit tricenarium in triginta, et centenarius sexagenarium in quadraginta; neque etiam secundum proportionalitatem geometricam, quia sexagenarius se habet in dupla proportione ad tricenarium, centenarius vero ad sexagenarium in sesquitertia, quia continet totum et duas tertias ejus. Ergo inconvenienter aptantur fructus tribus continentiae gradibus.

3. De même que le veuvage dépasse la continence conjugale, de même la virginité dépasse-t-elle le veuvage. Or, la soixantaine ne dépasse pas la trentaine, et la centaine la soixantaine de la même manière, ni selon une proportionnalité arithmétique, parce que la soixantaine dépasse la trentaine de trente, et la centaine [dépasse] la soixantaine de quarante ; ni non plus selon une proportionnalité géométrique, car la soixantaine a le rapport de la proportion du double avec la trentaine, mais la centaine, [le rapport] d’un tiers de plus avec la soixantaine, puisqu’elle contient l’ensemble et ses deux tiers. Les fruits sont donc adaptés de manière inappropriée aux trois degrés de la continence.

[23170] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, ea quae in sacra Scriptura dicuntur, perpetuitatem habent; Luc. 21, 33: caelum et terra transibunt; verba autem mea non transibunt. Sed ea quae ex institutione hominum sunt facta, quotidie possunt mutari. Ergo ex his quae ex institutione hominum sunt, non est accipienda ratio eorum quae in Scriptura dicuntur: et sic videtur quod inconveniens sit ratio quam Beda assignat de istis fructibus, dicens, quod fructus tricesimus debetur conjugatis, quia in repraesentatione quae fit in abacho, triginta significatur per contactum pollicis et indicis secundum suam summitatem, unde ibi quodammodo osculantur se, et sic tricenarius numerus significat conjugatorum oscula; sexagenarius vero numerus significatur per tactum indicis super medium articulum pollicis; et sic per hoc quod index jacet super pollicem opprimens ipsum, significat oppressionem quam viduae patiuntur in mundo: cum autem numerando ad centenarium pervenimus, transimus a leva in dexteram; unde per centenarium virginitas designatur, quae habet portionem angelicae dignitatis, qui sunt in dextera, scilicet in gloria, nos autem in sinistra propter imperfectionem praesentis vitae.

4. Ce qui est dit dans la Sainte Écriture est éternel. Lc 21, 33 : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Or, ce qui a été établi par l’homme peut être changé tous les jours. Il ne faut donc pas tirer de ce qui a été établi par l’homme la raison de ce qui est dit dans l’Écriture. Il semble ainsi qu’est inappropriée la raison donnée par Bède pour ces fruits, lorsqu’il dit que la multiplication du fruit par trente est due aux gens mariés, parce que, dans la représentation qu’on donne d’un chiffrier, trente est signifié par le contact du bout du pouce et de l’index ; ainsi s’embrassent-ils d’une certaine manière et ainsi, le nombre trente signifie les baisers des gens mariés. Mais le nombre soixante est signifié par le contact de l’index avec l’articulation médiane du pouce ; ainsi, du fait que l’index appuie sur le pouce en y faisant pression, cela signifie l’oppression que les veuves supportent dans le monde. Mais lorsque nous parvenons en comptant au nombre cent, nous passons de la gauche à la droite ; ainsi la virginité est-elle désignée par le nombre cent, car elle comporte en partie la dignité des anges, qui se trouvent à droite, c’est-à-dire dans la gloire, alors que nous sommes à gauche en raison de l’imperfection de la vie présente.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23171] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ea quae metaphorice dicuntur, possunt varie accipi secundum adaptationem ad diversas proprietates ejus unde fit transumptio. Cum autem fructus proprie in rebus corporalibus dicatur de terrae nascentibus secundum diversas conditiones quae in fructibus corporalibus inveniri possunt, diversimode fructus spiritualiter accipitur. Fructus enim corporalis dulcedo est quae reficit, secundum quod in usum hominis venit: est etiam ultimum ad quod operatio naturae pervenit: est etiam id quod ex agricultura expectatur per seminationem, vel quoscumque alios modos. Quandoque igitur fructus spiritualiter accipitur pro eo quod reficit quasi ultimus finis; et secundum hanc significationem dicimur Deo frui perfecte quidem in patria, imperfecte autem in via; et ex hac significatione accipitur fruitio quae dos est. Sic autem nunc de fructibus non loquimur. Quandoque autem sumitur spiritualiter fructus pro eo quod reficit tantum, quamvis non sit ultimus finis; et sic virtutes fructus dicuntur, inquantum mentem sincera dulcedine reficiunt, ut Ambrosius dicit; et sic accipitur fructus Galat. 5, 22: fructus autem spiritus caritas, gaudium, pax et cetera. Sic autem de fructibus nunc non quaeritur: de hoc enim habitum est in 3 Lib., dist. 23, 24, 25, 26 et 27. Potest autem sumi alio modo fructus spiritualis ad similitudinem corporalis fructus, inquantum corporalis fructus est quoddam commodum quod ex labore agriculturae expectatur; ut sic fructus dicatur illud praemium quod homo ex labore consequitur quo in hac vita laborat; et sic omne praemium quod in futuro habetur ex nostris laboribus, fructus dicitur; et sic accipitur fructus Roman. 6; 22: habetis fructum vestrum in sanctificationem; finem vero vitam aeternam. Sic etiam nos nunc de fructu non agimus; sed agimus nunc de fructu secundum quod ex semine consurgit: sic enim de fructu loquitur dominus Matth. 13, ubi fructum dividit in tricesimum, sexagesimum, et centesimum. Fructus autem secundum hoc potest prodire ex semine, quod vis sementina est efficax ad convertendum humores terrae in suam naturam; et quanto haec virtus est efficacior, et terra ad hoc paratior, tanto fructus sequitur uberior. Spirituale autem semen quod in nobis seminatur, est verbum Dei; unde quanto aliquis magis in spiritualitatem convertitur a carne recedens, tanto in eo est major fructus verbi Dei. Secundum ergo hoc fructus differt ab aurea et ab aureola: quia aurea consistit in gaudio quod habetur de Deo; aureola vero in gaudio quod habetur de operum perfectione; sed fructus in gaudio quod habetur de ipsa dispositione operantis secundum gradum spiritualitatis, in quem proficit ex semine verbum Dei. Quidam distinguunt inter aureolam et fructum, dicentes, quod aureola debetur pugnanti, secundum illud 2 Timoth. 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit; fructus autem laboranti, secundum illud quod dicitur sapientiae cap. 3, 15: bonorum laborum gloriosus est fructus. Alii vero dicunt, quod aurea respicit conversionem ad Deum, sed aureola et fructus consistunt in his quae sunt ad finem; ita tamen quod fructus principalius respicit voluntatem, aureola autem magis corpus. Sed cum in eodem sit labor et pugna, et secundum idem; et praemium corporis ex praemio animae dependeat; secundum praedicta non esset differentia inter fructum, auream et aureolam, nisi ratione tantum; et hoc non potest esse, cum quibusdam assignetur fructus quibus non assignatur aureola.

Ce qui est dit au sens métaphorique peut s’entendre diversement selon les diverses propriétés de ce à quoi on l’emprunte. Puisqu’on parle de fruit pour les choses corporelles qui naissent de la terre selon les diverses conditions qui peuvent se trouver dans les fruits corporels, le fruit spirituel peut donc s’entendre de diverses manières. En effet, il y a la douceur du fruit corporel qui nourrit, lorsque l’homme en fait usage. C’est aussi le point ultime auquel parvient une opération de la nature. C’est encore ce qui est attendu de l’agriculture par les semailles, ou encore encore n’importe quel autre sens. Parfois donc, le fruit est entendu au sens spirituel de ce qui nourrit, comme la fin ultime : en ce sens, nous disons que nous jouissons parfaitement de Dieu dans la patrie, mais imparfaitement en chemin. C’est en ce sens qu’est entendue la fructification qui est une dot. Or, c’est ainsi que nous parlons maintenant de fruits. Mais, parfois, le fruit est entendu au sens spirituel seulement pour ce qui nourrit, bien qu’il ne s’agisse pas de la fin ultime : c’est ainsi que les vertus sont appelées des fruits, pour autant qu’elles nourrissent l’esprit avec une authentique douceur, comme Ambroise le dit. C’est aussi de cette façon qu’on entend les fruits en Ga 5, 22 : Les fruits de l’Esprit sont charité, joie, paix, etc. Mais ce n’est pas sur ce sens que nous nous interrogeons maintenant : on en a traité dans le livre III, d. 23, 24, 25, 26 et 27. Le fruit spirituel peut être entendu d’une autre manière par comparaison avec le fruit corporel, pour autant que le fruit corporel est un avantage qui est attendu du travail agricole ; ainsi le fruit exprime la récompense que l’homme obtient du travail qu’il accomplit en cette vie. De cette manière, toute récompense qui est obtenue par nos efforts dans le futur est appelée un fruit. C’est en ce sens qu’on parle de fruit dans Rm 6, 22 : Vous portez fruit par la sanctification, mais votre fin est la vie éternelle. Nous ne traitons pas non plus du fruit en ce sens maintenant, mais nous traitons du fruit selon qu’il sort d’une semence. En effet, c’est ainsi que le Seigneur parle de fruit en Mt 13, où il divise le fruit en trente, soixante et cent. Or, le fruit ainsi entendu peut venir de la semence, qui est une puissance séminale capable de convertir les humeurs de la terre en sa nature : plus cette puissance est efficace et plus la terre est préparée pour cela, plus grande est l’abondance avec laquelle le fruit en sort. Or, la semence spirituelle qui est semée en nous est la parole de Dieu. Ainsi plus quelqu’un se tourne vers ce qui est spirituel en s’éloignant de la chair, plus est grand en lui le fruit de la parole de Dieu. En ce sens, le fruit diffère de la [couronne] d’or et de l’auréole, car la [couronne] d’or consiste dans la joie qui vient de Dieu, mais l’auréole, dans la joie qui vient de la perfection des actions. Le fruit consiste dans la joie obtenue de la disposition même de celui qui agit, selon le degré de spiritualité auquel parvient la parole de Dieu à partir de la semence. Certains font une distinction entre l’auréole et le fruit : ils disent que l’auréole est due au combattant, selon 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles, mais le fruit à celui qui a travailllé, selon ce qui sit en Sg 3, 15 : Le fruit des bons travaux est glorieux. Mais d’autres disent que la [couronne] d’or concerne la conversion à Dieu, mais que l’auréole et le fruit consistent dans ce qui se rapporte à la fin, de telle sorte cependant que le fruit concerne principalement la volonté, mais l’auréole plutôt le corps. Mais comme il y a chez le même travail et combat, et pour la même chose, et que la récompense du corps dépend de la récompense de l’âme, il n’existe pas de différence, d’après ce qui a été dit, entre le fruit, la [couronne] d’or et l’auréole, si ce n’est selon la raison. Et cela ne peut pas être le cas, puisque le fruit est atttribué à certains auxquels l’auréole n’est pas attribuée.

[23172] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est inconveniens eidem merito, secundum diversa quae in ipso sunt, diversa praemia respondere; unde et virginitati respondet aurea, secundum quod propter Deum servatur imperio caritatis; aureola vero, secundum quod est quoddam perfectionis opus habens rationem victoriae excellentis; fructus vero, secundum quod per virginitatem homo in quamdam spiritualitatem transit a carnalitate recedens.

1. Il n’est pas inapproprié qu’à un même mérite répondent diverses récompenses, selon les divers aspects qui s’y trouvent. Ainsi, à la virginité répond la [couronne] d’or selon qu’elle est observée pour Dieu selon le commandement de la charité ; mais l’auréole, selon qu’elle est une action relevant de la perfection et qui possède le caractère d’une très grande victoire ; le fruit, selon que, par la virginité, l’homme passe à une certaine spiritualité en s’éloignant de ce qui est charnel.

[23173] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fructus secundum propriam acceptionem, prout nunc loquimur, non dicit praemium commune matrimonio et virginitati, sed tribus continentiae gradibus. Glossa autem illa quae ponit fructum centesimum martyribus respondere, large accipit fructum, secundum quod quaelibet remuneratio fructus dicitur; ut sic per centesimum fructum remuneratio designetur quae quibuslibet operibus perfectionis debetur.

2. Selon son sens propre, le fruit dont nous parlons maintenant n’exprime pas une récompense commune au mariage et à la virginité, mais aux trois degrés de la continence. Mais la glose qui fait correspondre le fruit au centième aux martyrs entend fruit au sens large, selon que n’importe quelle rémunération est appelée fruit. Ainsi, par le fruit au centième, on désigne une rémunération qui est due à toutes les œuvres de la perfection.

[23174] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aureola sit quoddam accidentale praemium essentiali superadditum; non tamen omne accidentale praemium est aureola, sed praemium de operibus perfectionis, quibus homo maxime Christo conformatur secundum perfectam victoriam; unde non est inconveniens quod abstractioni a carnali vita aliquod aliud praemium accidentale debeatur, quod fructus dicitur.

3. Bien que l’auréole soit une récompense accidentelle ajoutée à la récompense essentielle, toute récompense accidentelle n’est cependant pas une auréole, mais la récompense pour les œuvres de la perfection, par lesquelles on est rendu le plus conforme au Christ par une victoire parfaite. Il n’est donc pas inapproprié qu’une autre récompense accidentelle, appelée fruit, soit due pour le retranchement de la vie charnelle.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23175] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut dictum est, fructus est quoddam praemium quod debetur homini ex hoc quod a carnali vita in spiritualem transit; et ideo illi virtuti praecipue respondet quae hominem praecipue a subjectione carnis liberat: hoc autem facit continentia, quia per delectationes venereas anima praecipue carni subditur, adeo ut in actu carnali, secundum Hieronymum, nec spiritus prophetiae corda prophetarum tangat, nec in illa delectatione est possibile aliquid intelligere, ut philosophus dicit in 7 Ethicor.; et ideo continentiae magis respondet fructus quam alii virtuti.

Comme on l’a dit, le fruit est une récompense due à l’homme pour être passé de la vie charnelle à la vie spirituelle. Il répond donc principalement à la vertu qui libère principalement l’homme de la sujétion à la chair. Or, c’est ce que fait la continence, car l’âme est soumise à la chair surtout par les plaisir sexuels, à ce point que, dans l’acte charnel, selon Jérôme, l’esprit de prophétie ne touche pas les cœurs des prophètes et qu’il n’est pas possible de comprendre quelque chose pendant cette délectation, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII. C’est pourquoi le fruit répond à la continence plutôt qu’à une autre vertu.

[23176] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Glossa illa accipit fructum large, secundum quod quaelibet remuneratio fructus nominatur.

1. Cette glose entend le fruit au sens large, selon que toute rémunération est appelée un fruit.

[23177] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fruitio non sumitur a fructu secundum illam similitudinem qua nunc de fructu loquimur, ut ex dictis patet.

2. La jouissance [fruitio] n’est pas tirée du fruit selon la ressemblance dont nous parlons maintenant, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[23178] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod fructus, secundum quod nunc loquimur, non respondet labori ratione fatigationis, sed secundum quod per laborem semina fructificant; unde et ipsae segetes labores dicuntur, inquantum propter eas laboratur, vel labore acquiruntur. Similitudo autem fructus, secundum quod oritur ex semine, magis aptatur in continentia, quam in fortitudine: quia per passiones fortitudinis homo non subditur carni, sicut per passiones circa quas est continentia.

4. Le fruit, au sens où nous en parlons maintenant, ne répond pas au travail en raison de la fatigue, mais selon que, par le travail, les semences fructifient. Aussi les moissons elles-mêmes sont-elles appelées des travaux, pour autant qu’on travaille pour elles ou qu’elles sont obtenues par le travail. La similitude du fruit, selon qu’il vient de la semence, est mieux adaptée à la continence qu’à la force, car par les passions sur lesquelles porte la force, l’homme n’est pas soumis à la chair, comme par les passions sur lesquelles porte la continence.

[23179] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis delectationes quae sunt in cibis, sint magis necessariae illis quae sunt in venereis; non tamen sunt ita vehementes; unde per eas anima non ita carni subditur.

4. Bien que les délectations qui se rapportent à la nourriture soient plus nécessaires que celles qui se rapportent à la sexualité, elles ne sont cependant pas aussi impétueuses. Aussi l’âme n’est-elle pas autant soumise à la chair par elles.

[23180] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod fructus non sumitur hic secundum quod frui dicitur qui reficitur in fine; sed alio modo; et ideo ratio non sequitur.

5. Le fruit n’est pas pris ici au sens où on dit que celui qui est restauré par la fin jouit [frui], mais d’une autre manière. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23181] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod per continentiam, cui fructus respondet, ut dictum est, homo in quamdam spiritualitatem adducitur carnalitate abjecta; et ideo secundum diversum modum spiritualitatis quem continentia facit, diversi fructus distinguuntur. Est enim quaedam spiritualitas necessaria, et quaedam superabundans. Necessaria quidem spiritualitas est in hoc quod rectitudo spiritus ex delectatione carnis non pervertatur: quod fit dum aliquis secundum rectum ordinem rationis utitur delectabilibus carnis; et haec est spiritualitas conjugatorum. Spiritualitas vero superabundans est per quam homo ab hujusmodi delectationibus carnis spiritum suffocantibus omnino se abstrahit. Sed hoc contingit dupliciter: vel respectu cujuslibet temporis, praeteriti, praesentis, futuri; et haec est spiritualitas virginum; vel secundum aliquod tempus, et haec est spiritualitas viduarum. Servantibus ergo continentiam conjugalem datur fructus tricesimus, vidualem sexagesimus, virginalem centesimus, ratione illa quam Beda assignat; quamvis possit et alia ratio assignari ex ipsa natura numerorum. Tricenarius enim numerus ex ductu ternarii in denarium surgit; ternarius enim est numerus omnis rei, ut dicitur in 1 Cael., et habet in se perfectionem quamdam omnibus communem, scilicet principii, medii, et finis; unde convenienter tricenarius numerus conjugatis assignatur, in quibus super observationem Decalogi, qui per denarium signatur, non additur aliqua perfectio nisi communis, sine qua non potest esse salus. Senarius autem, ex cujus ductu in denarium sexagenarius surgit, habet perfectionem ex partibus, cum constet ex omnibus partibus suis simul aggregatis; unde convenienter viduitati respondet, in qua invenitur perfecta abstractio a delectabilibus carnis quantum ad omnes circumstantias, quae sunt quasi partes virtuosi actus; cum nulla enim persona et nullo loco delectabilibus carnis viduitas utitur; et sic de aliis circumstantiis carnis; quod non erat in continentia conjugali. Sed centenarius convenienter respondet virginitati, quia denarius, ex cujus ductu centenarius surgit, est limes numerorum; et similiter virginitas tenet spiritualitatis limitem, quia ad eam nihil de spiritualitate adjici potest; habet enim centenarius, inquantum est quadratus numerus, perfectionem ex figura; figura enim quadrata secundum hoc perfecta est quod ex omni parte aequalitatem habet, utpote habens omnia latera aequalia; unde competit virginitati, in qua quantum ad omne tempus aequaliter incorruptio invenitur.

Par la continence à laquelle répond le fruit, comme on l’a dit, l’homme est conduit à une certaine spiritualité après avoir rejeté la condition charnelle. C’est pourquoi divers fruits sont distingués selon le divers mode de spiritualité que réalise la continence. En effet, il existe une spiritualité nécessaire et une spiritualité débordante. La spiritualité nécessaire consiste en ce que la droiture de l’esprit ne soit pas bouleversée par le plaisir de la chair. Cela se produit lorsque quelqu’un fait usage des plaisirs de la chair selon un ordre correct de la raison. Telle est la spiritualité des gens mariés. Mais la spiritualité débordante est celle par laquelle l’homme s’abstient complètement des plaisirs de la chair qui étouffent l’esprit. Or, cela se produit de deux manières : soit par rapport à tout moment, passé, présent et futur, et telle est la spiritualité des vierges ; soit pour un temps, et telle est la spiritualité des veuves. À ceux qui observent la continence conjugale est donc donné un fruit multiplié par trente ; à [la continence] du veuvage, par soixante ; à [la continence] virginale, par cent, pour la raison donnée par Bède, bien qu’une autre raison puisse être aussi tirée de la nature des nombres. En effet, le nombre trente vient de trois multiplié par dix, car trois est le nombre de toute chose, comme il est dit dans La [hiérarchie] céleste, I, et il comporte en lui-même une perfection commune à toutes : celle du principe, du milieu et de la fin. Aussi le nombre est-il attribué de manière appropriée aux gens mariés, chez qui, en plus de l’observance du décalogue, qui est signifiée par le nombre dix, n’est ajoutée qu’une perfection sans laquelle le salut n’est pas possible. Mais le nombre six qui, multiplié par dix, donne soixante, a une perfection partielle, puisqu’il résulte de l’assemblage de toutes ses parties. Il répond donc de manière appropriée au veuvage, dans lequel se trouve une abstention parfaite des plaisirs de la chair dans toutes les circonstances, qui sont comme des parties de l’acte vertueux, puisque le veuvage ne fait usage d’aucune personne ni d’aucun lieu pour les plaisirs de la chair, et ainsi des autres circonstances de la chair, ce qui n’était pas le cas de la continence conjugale. Mais le nombre cent répond de manière appropriée à la virginité parce que le nombre qui donne cent en le multipliant par dix, est la limite des nombres. De même, la virginité marque-t-elle la limite de la spiritualité, car rien de spirituel ne peut y être ajouté. En effet, le nombre cent, en tant qu’il est un nombre au carré, tire sa perfection de sa forme, car la forme carrée est parfaite parce qu’elle est égale en toutes ses parties, puisque tous ses côtés sont égaux. Elle convient donc à la virginité, dans laquelle ne se trouve également aucune corruption en tout temps.

[23182] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi fructus non accipiuntur hoc modo sicut hic de fructibus loquimur, ut ex dictis patet.

1. Les fruits ne sont pas entendus là dans le sens où nous en parlons ici, comme cela ressort de ce qui a été dit.

[23183] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nihil cogit ad ponendum fructum esse praemium non omnibus salvandis conveniens. Non solum enim essentiale praemium commune est omnibus, sed etiam aliquod accidentale, sicut gaudium de operibus illis sine quibus non est salus. Potest tamen dici, quod fructus non omnibus conveniunt salvandis, sicut patet de his qui in fine poenitent, et incontinenter vixerunt: eis enim non fructus, sed essentiale praemium tantum debetur.

2. Rien n’oblige à affirmer que le fruit est une récompense appropriée pour tous ceux qui ne seront pas sauvés. En effet, non seulement la récompense essentielle est commune à tous, mais aussi une certaine récompense accidentelle, comme la joie pour ces actions sans lesquelles il n’y a pas de salut. On peut cependant dire que les fruits ne conviennent pas à tous ceux qui seront sauvés, comme cela ressort pour ceux qui se repentent à la fin, alors qu’ils ont vécu dans l’incontinence : en effet, un fruit ne leur est pas dû, mais seulement la récompense essentielle.

[23184] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod distinctio fructuum magis accipitur secundum species vel figuras numerorum, quam secundum quantitates eorum; tamen etiam quantum ad quantitatis excessum potest aliqua ratio assignari. Conjugatus enim abstinet tantum a non sua, vidua vero a suo et a non suo; et sic invenitur ibi quaedam ratio dupli, sicut sexagenarius est duplex ad tricenarium. Centenarius vero supra sexagenarium addit quadragenarium, qui consurgit ex ductu quaternarii in denarium; quaternarius autem est primus numerus solidus et cubus; et sic convenit talis additio virginitati, quae supra perfectionem viduitatis perpetuam incorruptionem adjungit.

3. La distinction entre les fruits se prend plutôt des espèces ou des figures des nombres, que selon leur quantité ; cependant, même par le dépassement de la quantité, on peut donner une certaine raison. En effet, celui qui est marié s’abstient seulement de ce qui ne lui appartient pas, mais la veuve, de ce qui lui appartient et de ce qui ne lui appartient pas. On trouve ainsi la raison de double, puisque soixante est le double de trente. Mais le nombre cent ajoute au nombre soixante le nombre quarante, qui vient de la multiplication de quatre par dix. Or, le nombre quatre est le premier nombre entier cubique. Une telle addition convient donc à la virginité qui ajoute à la perfection du veuvage une absence de corruption perpétuelle.

[23185] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis illa repraesentatio numerorum sit ex humana institutione, tamen fundatur aliquo modo supra rerum naturam, inquantum secundum ordinem digitorum et articulorum et contactuum numeri gradatim designantur.

4. Bien que cette représentation des nombres soit une invention humaine, elle se fonde cependant d’une certaine manière sur la nature des choses, pour autant que, selon l’ordre des doigts, des articulations et des contacts, les nombres sont indiqués progressivement.

 

 

Articulus 3 [23186] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 tit. Utrum ratione virginitatis debeatur aureola

Article 3 – Une auréole est-elle due en raison de la virginité ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une auréole est-elle due en raison de la virginité ?]

[23187] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ratione virginitatis non debeatur aureola. Ubi enim est major difficultas in opere, ibi debetur majus praemium. Sed majorem difficultatem patiuntur in abstinendo a delectabilibus carnis viduae quam virgines: dicit enim Hieronymus, quod quanto major est difficultas ex parte quadam a voluptatis illecebris abstinere, tanto majus est praemium; et loquitur in commendationem viduarum. Philosophus etiam in libro de animalibus, ait, quod juvenes corruptae magis appetunt coitum propter rememorationem delectationis. Ergo aureola, quae est maximum praemium, debetur magis viduis quam virginibus.

1. Il semble qu’une auréole ne soit pas due en raison de la virginité. En effet, là où existe une plus grande difficulté de l’action, là est due une plus grande récompense. Or, les veuves éprouvent une plus grande difficulté à s’abstenir des plaisirs de la chair que les vierges. En effet, Jérôme dit que plus grande est la difficulté de s’abstenir partiellement de l’attrait de la volupté, plus grande est la récompense, et il parle en louangeant les veuves. Le Philosophe aussi, dans le livre Sur les animaux, dit que les jeunes déflorées désirent davantage l’union sexuelle en raison du souvenir du plaisir. L’auréole, qui est la plus grande récompense, est donc plutôt due aux veuves qu’aux vierges.

[23188] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, si virginitati deberetur aureola; ubi esset perfectissima virginitas, maxime inveniretur aureola. Sed in beata virgine est perfectissima virginitas; unde et virgo virginum nominatur; et tamen ei non debetur aureola, quia nullam pugnam sustinuit in continendo, cum corruptione fomitis non fuerit infestata. Ergo virginitati aureola non debetur.

2. Si l’auréole était due à la virginité, là où est la plus parfaite virginité se trouverait surtout l’auréole. Or, la virginité est la plus parfaite chez la bienheureuse Vierge ; aussi est-elle appelée la Vierge des vierges. Toutefois, une auréole ne lui est pas due, car elle n’a soutenu aucun combat pour pratiquer la continence, puisqu’elle n’était pas infectée par la corruption du désir [fomes]. Une auréole n’est donc pas due à la virginité.

[23189] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ei quod non est secundum omne tempus laudabile, non debetur praemium excellens. Sed virginitatem servare non fuisset laudabile in statu innocentiae, cum tunc esset homini praeceptum: crescite et multiplicamini, et replete terram; Gen. 1, 28: nec etiam tempore legis, quando steriles erant maledictae. Ergo virginitati aureola non debetur.

3. À ce qui n’est pas louable en tout temps n’est pas due la plus haute récompense. Or, l’observance de la virginité n’aurait pas été louable dans l’état d’innocence, puisqu’il y avait alors pour l’homme le commandement : Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre, Gn 1, 28. Elle ne l’aurait pas été non plus au temps de la loi, alors que les [femmes] stériles étaient maudites. Une auréole n’est donc pas due à la virginité.

[23190] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, non debetur idem praemium virginitati servatae et virginitati amissae. Sed pro virginitate amissa quandoque debetur aureola, utpote si aliqua invita prostituatur a tyranno, quia Christum profitetur. Ergo virginitati aureola non debetur.

4. La même récompense n’est pas due à la virginité conservée et à la virginité perdue. Or, une auréole est parfois due à la virginité perdue, comme lorsqu’une femme est prostituée par un tyran contre son gré, parce qu’elle a confessé le Christ. Une auréole n’est donc pas due à la virginité.

[23191] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, excellens praemium non debetur ei quod inest nobis a natura. Sed virginitas innascitur cuilibet homini et bono et malo. Ergo virginitati aureola non debetur.

5. La récompense la plus élevée n’est pas due pour ce qui existe en nous par nature. Or, la virginité est innée en tout homme, bon comme méchant. Une auréole n’est donc pas due à la virginité.

[23192] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 6 Praeterea, sicut se habet viduitas ad fructum sexagenarium, ita virginitas ad fructum centesimum et aureolam. Sed non cuilibet viduae debetur fructus sexagenarius, sed solum viduitatem voventi, ut quidam dicunt. Ergo videtur quod nec cuilibet virginitati aureola debeatur, sed solum virginitati ex voto servatae.

6. Le rapport entre le veuvage et un fruit de soixante est le même que le rapport entre la virginité et un fruit de cent et l’auréole. Or, un fruit de soixante n’est pas dû à toutes les veuves, mais seulement à celle qui fait vœu de veuvage, comme certains le disent. Il semble donc qu’une auréole ne soit pas non plus due à n’importe quelle virginité, mais seulement à la virginité observée par vœu.

[23193] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 arg. 7 Praeterea, praemium non respondet necessitati, cum omne meritum in voluntate consistat. Sed quidam sunt virgines ex necessitate, ut naturaliter frigidi et eunuchi. Ergo virginitati non semper debetur aureola.

7. La récompense ne répond pas à la nécessité, puisque tout mérite se trouve dans la volonté. Or, certains sont vierges par nécessité, comme ceux qui sont naturellement frigides et les eunuques. Une auréole n’est donc pas toujours due à la virginité.

[23194] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Exod. 25, 25: facies alteram coronam aureolam; Glossa: ad coronam pertinet canticum novum quod virgines coram agno concinunt, scilicet qui sequuntur agnum quocumque ierit. Ergo praemium quod virginitati debetur, dicitur aureola.

Cependant, [1] on lit dans Ex 25, 25 : Tu feras une autre couronne en forme d’auréole. La Glose dit : « Se rapporte à la couronne le cantique nouveau que les vierges chantent devant l’Agneau, qui suivent l’Agneau partout où il ira. » La récompense qui est due à la virginité est donc appelée une auréole.

[23195] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Isaiae 6, 4, dicitur: haec dicit dominus eunuchis; et sequitur: dabo eis nomen melius a filiis et filiabus; Glossa: propriam gloriam excellentemque signat. Sed per eunuchos qui seipsos castraverunt propter regnum caelorum, virgines designantur. Ergo virginitati debetur aliquod excellens praemium, et haec vocatur aureola.

[2] En Is 6, 4 : Voici ce que dit le Seigneur aux eunuques, puis suit : Je leur donnerai un nom meilleur que celui de fils et de filles. La Glose dit : « Il désigne une gloire propre et excellente. » Or, les vierges sont indiqués par ceux qui se sont rendus eux-mêmes eunuques en vue du royaume des cieux. Une récompense très élevée est donc due à la virginité, et elle s’appelle une auréole.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une auréole est-elle due aux martyrs ?]

[23196] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod martyribus aureola non debeatur. Aureola enim est praemium quod operibus supererogationis redditur; unde dicit Beda super illud Exod. 25: aliam coronam aureolam etc.: de eorum praemio potest recte intelligi qui generalia mandata spontanea vitae perfectioris electione transcendunt. Sed mori pro confessione fidei quandoque est necessitatis, non supererogationis, ut patet ex hoc quod dicitur Roman. 10, 10: corde creditur ad justitiam, ore autem confessio fit ad salutem. Ergo martyrio non semper debetur aureola.

1. Il semble qu’une auréole ne soit pas due aux martyrs. En effet, l’auréole est une récompense qui est donnée pour des actes surérogatoires. Aussi Bède dit-il en commentant Ex 25 : Une autre couronne en forme d’auréole, etc. : « On peut entendre correctement la récompense de ceux qui dépassent les commandements généraux par le choix volontaire d’une vie plus parfaite. » Or, mourir pour confesser la foi est parfois nécessaire, et non surérogatoire, comme cela ressort de ce qui est dit en Rm 10, 10 : On croit par le cœur en vue de la justice, mais on confesse de bouche en vue du salut. Une auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

[23197] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Gregorium, servitia tanto magis sunt grata, quanto magis sunt libera. Sed martyrium minimum habet de libertate, cum sit poena ab alio violenter inflicta. Ergo martyrio aureola non debetur, quae respondet merito excellenti.

2. Selon Grégoire, les servives sont d’autant mieux accueillis qu’ils sont plus libres. Or, le martyre comporte très peu de liberté puisqu’il est une peine infligée avec violence par un autre. Une auréole, qui répond à un mérite très élevé, n’est donc pas due au martyre.

[23198] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, martyrium non solum consistit in exteriori passione mortis, sed etiam in interiori voluntate; unde Bernardus distinguit tria genera martyrum: voluntate, non nece, ut Joannes; voluntate et nece, ut Stephanus; nece, non voluntate, ut innocentes. Si ergo martyrio aureola deberetur, magis deberetur martyrio voluntatis quam exteriori martyrio, cum meritum ex voluntate procedat. Hoc autem non ponitur. Ergo martyrio aureola non debetur.

3. Le martyre ne consiste pas seulement dans le fait de supporter extérieurement la mort, mais aussi dans une volonté intérieure. Aussi Bernard distingue-t-il trois genres de martyre : volontaire, mais sans mort violente, comme dans le cas de Jean ; volontaire et avec mort violente, comme dans le cas d’Étienne ; par mort violente, mais sans volonté, comme dans le cas des innocents. Si donc une auréole était due au martyre, elle serait plutôt due au martyre volontaire qu’au martyre extérieur, puisque le mérite vient de la volonté. Une auréole n’est donc pas due au martyre.

[23199] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 4 Praeterea, afflictio corporis est minor quam afflictio mentis, quae est per interiores dolores, et interiores animae passiones. Sed interior etiam afflictio quoddam martyrium est; unde dicit Hieronymus in sermone de assumptione: recte dixerim, Dei genitrix virgo et martyr fuit, quamvis in pace vitam finiverit; unde etiam ipsius animam pertransivit gladius, scilicet dolor de morte filii. Cum ergo interiori dolori aureola non respondeat, nec exteriori respondere debet.

4. L’affliction du corps est moindre que l’affliction de l’esprit, qui se réalise par des douleurs intérieures et par des passions intérieures de l’âme. Or, l’affliction intérieure est aussi un martyre. Aussi, dans son sermon sur l’Assomption, Jérôme dit-il : « C’est à juste titre que je dirai que la Vierge, mère de Dieu, fut aussi une martyre, bien qu’elle ait terminé sa vie dans la paix. » Un glaive lui perça aussi le cœur, c’est-à-dire la mort de son Fils. Puisque l’auréole ne répond pas à la douleur intérieure, elle ne doit pas non plus répondre à la douleur extérieure.

[23200] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 5 Praeterea, ipsa poenitentia quoddam martyrium est; unde dicit Gregorius: quamvis occasio persecutionis desit, habet tamen et pax nostra martyrium suum: quia etsi carnis colla ferro non subjicimus, spirituali tamen gladio carnalia desideria in mente trucidamus. Poenae autem quae in exterioribus operibus consistit, aureola non debetur. Ergo nec etiam omni exteriori martyrio.

5. La pénitence elle-même est un martyre. Aussi Grégoire dit-il : « Bien qu’il n’y ait pas d’occasion de persécution, notre paix comporte cependant son martyre, car même si nous ne soumettons pas notre cou au fer, nous tuons cependant les désirs charnels dans notre esprit par un glaive spirituel. » Or, l’auréole n’est pas due aux peines qui consistent en actes extérieurs. Elle ne l’est donc pas non plus à tout martyre extérieur.

[23201] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 6 Praeterea, illicito operi non debetur aureola. Sed illicitum est sibi ipsi manus injicere, ut patet per Augustinum in Lib. de Civ. Dei; et tamen quorumdam martyria in Ecclesia celebrata sunt, qui sibi manus injecerunt, tyrannorum rabiem fugientes, ut patet in ecclesiastica historia, de quibusdam mulieribus apud Alexandriam. Ergo non semper martyrio debetur aureola.

6. L’auréole n’est pas due à une action défendue. Or, il est défendu de porter la main contre soi, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le livre sur La cité de Dieu. Cependant, le martyre de certains, qui ont porté la main contre eux-mêmes pour fuir la fureur de tyrans, est célébré dans l’Église, comme cela ressort de ce l’histoire de l’Église [rapporte] de certaines femmes d’Alexandrie. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

[23202] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 7 Praeterea, contingit aliquando aliquem pro fide vulnerari, et etiam aliquo tempore supervivere. Hunc constat martyrem esse; et tamen ei, ut videtur, aureola non debetur, quia ejus pugna non duravit usque ad mortem. Ergo non semper martyrio debetur aureola.

7. Il arrive parfois que quelqu’un soit blessé pour la foi et survive pendant un certain temps. Il est clair qu’il s’agit d’un martyr ; cependant, il semble que l’auréole ne lui soit pas due parce que son combat n’a pas duré jusqu’à la mort. L’auréole n’est donc pas toujours due au martyre.

[23203] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 8 Praeterea, quidam magis affliguntur in amissione temporalium rerum quam etiam in proprii corporis afflictione; quod patet ex hoc quod multas afflictiones sustinent ad lucra acquirenda. Si ergo eis propter Christum temporalia bona diripiantur, videtur quod sint martyres; nec tamen eis, ut videtur, debetur aureola. Ergo idem quod prius.

8. Certains sont plus affligés par la perte de leurs biens temporels que par l’affliction de leur propre corps, ce qui ressort du fait qu’ils supportent de nombreuses afflictions par soif du gain. Si donc des biens leur sont arrachés à cause du Christ, il semble qu’ils soient des martyrs. Il ne semble cependant pas qu’une auréole leur soit due. La conclusion est donc la même que précédemment.

[23204] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 9 Praeterea, martyr videtur esse ille qui pro fide occiditur; unde dicit Isidorus: martyres Graece, testes Latine dicuntur, quia propter testimonium Christi passiones sustinent vel sustinuerunt, et usque ad mortem pro veritate certaverunt. Sed aliquae aliae virtutes sunt fide excellentiores, ut justitia, caritas, et hujusmodi, quae sine gratia esse non possunt; quibus tamen non debetur aureola. Ergo videtur quod nec martyrio aureola debeatur.

9. Le martyr semble être celui qui est tué à cause de la foi. Aussi Isidore dit-il : « Ils sont appelés martyrs, en grec, et témoins, en latin, parce qu’ils supportent ou ont supporté des peines en rendant témoignage au Christ et ont combattu pour la vérité jusqu’à la mort. » Or, certaines vertus sont meilleures que la foi, comme la justice, la charité et celles de ce genre, qui ne peuvent être possédées sans la grâce. Cependant, une auréole ne leur est pas due. Il semble donc qu’une auréole ne soit pas non plus due au martyre.

[23205] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 10 Praeterea, sicut veritas fidei est a Deo, ita et quaelibet alia veritas, ut dicit Ambrosius, quia omne verum a quocumque dicatur, a spiritu sancto est. Si ergo sustinenti mortem pro veritate fidei debetur aureola, eadem ratione et sustinentibus mortem pro qualibet alia veritate; quod tamen non videtur.

10. De même que la vérité de la foi vient de Dieu, de même aussi toute autre vérité, comme le dit Ambroise, car tout ce qui est vrai, quel que soit celui qui le dit, vient de l’Esprit Saint. Si donc une auréole est due à celui qui supporte la mort pour la vérité de la foi, pour la même raison [est-elle due] à ceux qui supportent la mort pour n’importe quelle vérité, ce qui ne semble pas être le cas.

[23206] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 11 Praeterea, bonum commune est potius bono particulari. Sed si aliquis pro conservatione reipublicae moriatur in bello justo, non debetur ei aureola. Ergo etiam si occidatur pro conservatione fidei in seipso; et sic martyrio aureola non debetur.

11. Le bien commun est plus important que le bien particulier. Or, si quelqu’un meurt dans une guerre juste pour sauvegarder le bien public, une auréole ne lui est pas due. Donc, non plus s’il est tué pour préserver la foi en lui-même. Une auréole n’est donc pas due au martyre.

[23207] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 arg. 12 Praeterea, omne meritum ex libero arbitrio procedit. Sed quorumdam martyria celebrat Ecclesia qui usum liberi arbitrii non habuerunt. Ergo aureolam non meruerunt; et sic non omnibus martyribus debetur aureola.

12. Tout mérite vient du libre arbitre. Or, l’Église célèbre le martyre de certains qui n’avaient pas l’usage du libre arbitre. Ils n’ont donc pas mérité une auréole. Une auréole n’est donc pas due à tous les martyrs.

[23208] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra Augustinus dicit in Lib. de sancta virginitate: nemo, quantum puto, ausus fuit praeferre virginitatem martyrio. Sed virginitati debetur aureola. Ergo et martyrio.

Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur la sainte virginité : « Personne, à mon avis, n’a osé préférer la virginité au martyre. » Or, une auréole est due à la virginité. Donc aussi au martyre.

[23209] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, corona debetur certanti; sed in martyrio est specialis difficultas pugnae; ergo ei debetur specialis aureola.

[2] La couronne est due à celui qui combat. Or, dans le martyre, il existe une difficulté particulière du combat. Une auréole particulière lui est donc due.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Une auréole est-elle due aux docteurs ?]

[23210] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod doctoribus aureola non debeatur. Omne enim praemium quod in futuro habebitur, alicui actui virtutis respondet. Sed praedicare vel docere non est actus alicujus virtutis. Ergo doctrinae vel praedicationi non debetur aureola.

1. Il semble qu’une auréole ne soit pas due aux docteurs. En effet, toute récompense qui sera obtenue dans le futur répond à un acte de vertu. Or, prêcher ou enseigner n’est pas l’acte d’une vertu. Une auréole n’est donc pas due à l’enseignement ou à la prédication.

[23211] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, docere et praedicare, ex doctrina et studio proveniunt. Sed ea quae praemiantur in futuro, non sunt acquisita per humanum studium; quia naturalibus acquisitis non meremur. Ergo pro doctrina et praedicatione nullus in futuro meretur aureolam.

2. Enseigner et prêcher viennent de l’enseignement et de l’étude. Or, ce qui est récompensé dans le futur n’est pas acquis par un effort humain, car nous ne méritons pas par ce qui est acquis naturellement. Personne ne mérite donc dans l’avenir une auréole pour l’enseignement et la prédication.

[23212] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, exaltatio in futuro respondet humiliationi in praesenti; quia qui se humiliat exaltabitur, Luc. 14, 11. Sed in docendo et praedicando non est humiliatio, immo magis superbiae occasio; unde Glossa dicit, Matth. 4, quod Diabolus multos decepit honore magisterii inflatos. Ergo videtur quod praedicationi et doctrinae aureola non debeatur.

3. L’élévation dans l’avenir répond à l’humiliation dans le présent, car celui qui s’humilie sera élevé, Lc 4, 11. Or, il n’y a pas d’humiliation dans l’enseignement et la prédication, bien plus, ils sont plutôt une occasion d’orgueil. Aussi la Glose sur Mt 4 dit-elle que « le Diable en a trompé un grand nombre qui s’étaient enorgueillis de l’honneur du magistère ». Il semble donc qu’une auréole ne soit pas due à la prédication et à l’enseignement.

[23213] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est, Ephes. 1 super illud: ut sciatis quae sit eminens etc., dicit Glossa: quoddam crementum habebunt sancti doctores ultra id quod alii communiter habebunt. Ergo et cetera.

Cependant, [1] à propos de Ep 1 : Afin que vous sachiez à quel point est élevée, etc., la Glose dit : « Les saints docteurs auront un accroissement qui dépassera celui que les autres auront d’une manière générale. » Donc, etc.

[23214] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Cant. 8 super illud: vinea mea est coram me, dicit Glossa: ostendit quid singularis praemii doctoribus ejus disponit. Ergo doctores habebunt singulare praemium; et hoc vocamus aureolam.

[2] À propos de Ct 8 : Ma vigne est devant moi, la Glose dit : « Il montre ce qu’il prépare comme récompense particulière pour ses docteurs. » Les docteurs auront donc une récompense particulière, que nous appelons une auréole.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23215] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod ubi est praecellens ratio victoriae, ibi debetur aliqua specialis corona; unde cum per virginitatem aliquis singularem quamdam victoriam obtineat de carne, contra quam continue bellum geritur, ut patet Gal. 5, 17: spiritus concupiscit adversus carnem; virginitati specialis corona debetur, quae aureola nominatur. Et hoc quidem communiter ab omnibus tenetur; sed cui virginitati debeatur aureola, non omnes dicunt. Quidam enim dicunt, aureolam actui deberi; unde illa quae actu virginitatem servat, aureolam habebit, si sit de numero salvandorum. Sed hoc non videtur esse conveniens; quia secundum hoc, illae quae habent voluntatem nubendi, et tamen antequam nupserint decedunt, habebunt aureolam. Unde alii dicunt, quod aureola debeatur statui, et non actui; ut illae tantum virgines aureolam mereantur, quae in statu virginitatis perpetuae servandae per votum se posuerunt. Sed hoc etiam non videtur conveniens; quia aliquis ex pari voluntate potest servare virginitatem non vovens, sicut alius vovens. Et ideo aliter potest dici, quod meritum omne actui virtutis debetur a caritate imperato. Virginitas autem secundum hoc ad genus virtutis pertinet secundum quod perpetua incorruptio mentis et corporis sub electione cadit, ut patet ex his quae dicta sunt, 33 dist., et ideo illis tantum virginibus aureola proprie debetur quae propositum habuerunt virginitatem perpetuo conservandi, sive hoc propositum voto firmaverint sive non; et hoc dico secundum quod aureola proprie accipitur ut praemium quoddam merito redditum; quamvis hoc propositum aliquando fuerit interruptum, integritate tamen carnis manente, dummodo in fine vitae inveniatur: quia virginitas mentis reparari potest, quamvis non virginitas carnis, ut supra, dist. 33, dictum est. Si autem aureolam large accipiamus pro quocumque gaudio quod in patria habebunt super gaudium essentiale; sic etiam incorruptis carne aureola respondebit, etiamsi propositum non habuerint perpetuo virginitatem servandi; non enim est dubium quod de incorruptione corporis gaudebunt, sicut et innocentes de hoc quod immunes a peccato fuerunt, quamvis etiam peccandi opportunitatem non habuerint, ut patet in pueris baptizatis. Sed haec non est propria acceptio aureolae, sed valde communis.

Là où existe le caractère d’une grande victoire, là est due une couronne particulière. Puisque, par la virginité, quelqu’un obtient une victoire particulière sur la chair, contre laquelle une guerre est menée de manière continue, comme cela ressort de Ga 5, 17 : L’esprit désire à l’encontre de la chair, une couronne particulière est due à la virginité, qu’on appelle une auréole. Cela est accepté d’une manière générale par tous, mais à quelle virginité est due une auréole, tous le ne le disent pas. En effet, certains disent que l’auréole est due à un acte. Celle qui garde en acte la virginité aura donc une auréole, si elle fait partie de ceux qui doivent être sauvés. Mais cela ne semble pas approprié, car ainsi celles qui ont la volonté de se marier et meurent cependant avant de s’être mariées auront une auréole. C’est pourquoi d’autres disent que l’auréole est due à un état, et non à un acte, de sorte que les vierges qui, seules, méritent une auréole sont celles qui se sont placées dans un état de préservation perpétuelle de la virginité par un vœu. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car quelqu’un peut préserver sa virginité avec une égale volonté sans faire de vœu, alors qu’un autre [peut le faire] en faisant un vœu. On peut donc dire autrement que tout mérite est dû à un acte de vertu commandé par la charité. Or, la virginité relève ainsi d’un genre de vertu selon que l’absence de corruption de l’esprit et du corps relève d’un choix, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 33. C’est pourquoi une auréole n’est due qu’à celles qui ont eu le propos de préserver perpétuellement leur virginité, qu’elles il parvient à partir de la et chez qui la parole de Dieu progresse à partir de la semence aient confirmé ce propos par un vœu ou non. Je dis cela selon que l’auréole est entendue au sens propre comme une récompense rendue au mérite, bien que ce propos ait été parfois interrompu, alors que l’intégrité de la chair demeurait, pourvu qu’il existe en fin de vie, car la virginité de l’esprit peut être restaurée, mais non celle de la chair, comme on l’a dit plus haut, d. 33. Mais nous entendons l’auréole au sens large de toute joie qu’on aura dans la patrie en plus de la joie essentielle, l’auréole répondra aussi à ceux dont la chair sera incorrompue, même s’ils n’ont pas eu le propos de préserver leur virginité perpétuellement. En effet, il n’est pas douteux qu’ils se réjouiront de ce que leur corps ne sera pas corrompu, comme les innocents, du fait qu’ils ont été libres de péché, bien qu’ils n’aient pas eu l’occasion de pécher, comme cela ressort du cas des enfants baptisés. Mais ce n’est pas là une manière propre de comprendre l’auréole, mais une manière très générale.

[23216] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in continendo secundum aliquid majorem pugnam sustinent virgines, et secundum aliquid viduae, ceteris paribus. Virginibus enim concupiscentiam inflammat et experiendi desiderium, quod ex quadam quasi curiositate procedit, qua etiam fit ut homo libentius videat quae nunquam vidit; et etiam quandoque eis concupiscentiam auget aestimatio majoris delectationis quam sit secundum veritatem, et inconsideratio eorum incommodorum quae delectationi hujusmodi adjunguntur; et quantum ad hoc viduae minorem sustinent pugnam, majorem autem propter delectationis memoriam; et in diversis unum alteri praejudicabit secundum diversas hominis dispositiones; quia quidam magis moventur hoc, quidam illo. Quidquid autem sit de quantitate pugnae, tamen hoc certum est, quod perfectior est victoria virginum quam viduarum. Perfectissimum enim genus victoriae est, et pulcherrimum, hosti nunquam cessisse. Corona autem non debetur pugnae, sed victoriae de pugna.

1. Pour la continence, les vierges soutiennent un combat plus grand sous un aspect, et les veuves sous un autre, toutes choses étant égales. En effet, chez les vierges, le désir d’en faire l’expérience enflamme la concupiscence, ce qui vient pour ainsi dire d’une certaine curiosité, par laquelle il arrive que l’homme voit plus volontiers ce qu’il ne voit jamais. Parfois aussi, le fait d’estimer le plaisir plus grand qu’il n’est en vérité et et le défaut de prendre en compte les inconvénients qui sont associés à un tel plaisir augmentent chez eux la concupiscence. Sur ce point, les veuves soutiennent un combat moindre, mais un combat plus grand en raison du souvenir du plaisir. Selon les cas, une chose l’emportera sur l’autre selon les diverses dispositions de l’homme, car certains sont davantages mus par ceci et d’autres par cela. Quoi qu’il en soit de la grandeur du combat, il est cependant certain que la victoire des vierges est plus parfaite que celle des veuves. En effet, c’est un genre de victoire plus parfait et plus beau de n’avoir jamais plié devant l’ennemi. Or, la couronne n’est pas due au combat, mais à la victoire lors du combat.

[23217] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est circa hoc opinio. Quidam enim dicunt, quod beata virgo pro virginitatis praemio non habet aureolam, si aureola proprie accipiatur secundum quod respicit pugnam; tamen habet aliquid majus aureola, propter perfectissimum propositum virginitatis servandae. Alii vero dicunt, quod aureolam, etiam sub propria ratione aureolae, habet excellentissimam: quamvis enim pugnam non senserit, pugnam tamen aliquam carnis habuit; sed ex vehementia virtutis adeo habuit carnem subditam, quod hujusmodi pugna ei insensibilis erat. Sed istud non videtur convenienter dici; quia cum beata virgo credatur omnino fuisse immunis a fomitis inclinatione propter ejus sanctificationem perfectam, non est pium ponere aliquam pugnam a carne fuisse in ea; cum talis pugna non sit nisi ex fomitis inclinatione, nec tentatio quae est a carne, sine peccato esse possit, ut patet per Glossam 2 Corinth. 12, super illud: datus est mihi stimulus carnis meae. Unde dicendum est, quod aureolam proprie habet, ut in hoc membris aliis Ecclesiae conformetur in quibus virginitas invenitur; et quamvis non habuerit pugnam per tentationem quae est a carne, habuit tamen pugnam per tentationem ab hoste, qui nec etiam ipsum Christum reveritus est, ut patet Matth. 4.

2. Il existe à ce sujet deux opinions. En effet, certains disent que la bienheureuse Vierge n’a pas d’auréole en récompense de sa virginité, si on entend l’auréole au sens propre où elle concerne le combat ; cependant, elle a quelque chose de plus grand qu’une auréole en raison de son propos très parfait de préserver sa virginité. Mais d’autres disent qu’elle a l’auréole la meilleure, même si on l’entend au sens propre de l’auréole : bien qu’elle n’ait pas éprouvé de combat, elle a cependant eu à combattre la chair d’une certaine manière. Or, la puissance de sa vertu a soumis la chair au point qu’un tel combat était insensible pour elle. Mais il ne semble pas approprié de dire une telle chose, car puisqu’on croit que la bienheureuse Vierge a été entièrement exempte de l’inclination de la concupiscence en raison de sa sanctification parfaite, il n’est pas pieux d’affirmer qu’il y a eu un certain combat contre la chair chez elle, puisqu’un tel combat ne vient que de l’inclination de la concupiscence, et que la tentation qui vient de la chair ne peut pas non plus exister sans le péché, comme cela ressort de la Glose à propos 2 Co 12 : J’éprouve un aiguillon dans ma chair. Il faut donc dire qu’elle a l’auréole au sens propre, de sorte qu’elle est en cela conforme aux autres membres de l’Église chez qui se trouve la virginité ; bien qu’elle n’ait pas eu de combat en raison de la tentation qui vient de la chair, elle eut cependant un combat en vertu de la tentation qui vient de l’Ennemi, qui n’a pas craint le Christ lui-même, comme cela ressort de Mt 4.

[23218] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virginitati non debetur aureola, nisi inquantum addit quamdam excellentiam super alios continentiae gradus. Si autem Adam non peccasset, virginitas nullam perfectionem addidisset supra continentiam conjugalem; quia fuissent tunc nuptiae honorabiles, et torus immaculatus, nulla concupiscentiae foeditate existente; unde virginitas tunc servata non fuisset, nec ei tunc aureola deberetur. Sed mutata humanae naturae conditione, virginitas specialem decorem habet; et ideo speciale praemium ei redditur. Etiam tempore legis Moysi, quando cultus Dei etiam per carnalem actum propagandus erat, non erat omnino laudabile a commixtione carnis abstinere; unde nec tali proposito speciale praemium redderetur, nisi ex divino processisset instinctu, ut creditur de Hieremia et de Elia, quorum conjugia non leguntur.

3. Une auréole n’est due à la virginité que dans la mesure où elle ajoute une certaine excellence aux autres degrés de la continence. Mais si Adam n’avait pas péché, la virginité n’aurait ajouté aucune perfection à la continence conjugale, car les noces auraient alors été honorables et le lit conjugal immaculé, alors que n’aurait existé aucune souillure de la concupiscence. La virginité n’aurait pas alors été observée et une auréole ne lui aurait pas été alors due. Mais, une fois changée la condition de la nature, la virginité possède une beauté particulière. Aussi une récompense particulière lui est-elle donnée. Même au temps de la loi de Moîse, alors que le culte de Dieu devait être propagé aussi par l’acte charnel, il n’était pas tout à fait louable de s’abstenir de rapports charnels ; une récompense ne devait donc pas être accordée à un tel propos particulier, sauf si cela venait d’une inspiration divine, comme on le croit pour Jérémie et Élie, dont on ne lit pas qu’ils aient été mariés.

[23219] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si aliqua per violentiam oppressa fuerit, non amittit propter hoc aureolam, dummodo propositum perpetuo virginitatem servandi inviolabiliter servet, si illi actui nullo modo est consentiens. Non tamen per hoc virginitatem perdit, ut supra, dist. 33, dictum est; et hoc dico, sive pro fide, sive pro quacumque alia causa violenter corrumpatur. Sed si hoc pro fide sustineat, hoc erit ei meritorium, et ad genus martyrii pertinebit; unde Lucia dixit; si me invitam violari feceris, mihi castitas duplicabitur ad coronam; non quod habeat duas virginitatis aureolas; sed quia duplex praemium reportabit, unum pro virginitate custodita, aliud pro injuria quam passa est. Dico etiam, quod si talis violenter oppressa concipiat, nec ex hoc meritum virginitatis perdit; nec tamen matri Christi aequabitur, in qua fuit cum integritate mentis integritas carnis.

4. Si une femme a été opprimée par la violence, elle ne perd pas l’auréole pour autant, pourvu qu’elle conserve le propos de préserver sa virginité perpétuellement, si elle ne consent d’aucune manière à cet acte. Cependant, elle ne perd pas pour autant sa virginité, comme on l’a dit plus haut, d. 33. Et je dis cela, qu’elle ait été violée pour la foi ou pour n’importe quelle raison. Mais si elle a supporté cela pour la foi, cela sera méritoire pour elle et relève du genre du martyre. Ainsi Lucie dit-elle : « Si tu me fais violer malgré moi, tu redoubleras la récompense de ma chasteté. » Non pas qu’elle ait eu deux auréoles pour sa virginité, mais parce qu’elle remportera un double prix : l’un pour avoir gardé sa virginité, un autre pour le préjudice qu’elle a subi. Je dis aussi que si cette femme ainsi opprimée par la violence conçoit, elle ne perd pas pour autant le mérite de la virginité ; cependant, elle ne sera pas égalée à la mère du Christ, chez qui l’intégrité de la chair a coexisté avec l’intégrité de l’esprit.

[23220] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virginitas nobis a natura innascitur quantum ad id quod in virginitate materiale est; sed propositum perpetuae incorruptionis servandae, ex quo virginitas meritum habet, non est innatum, sed ex munere gratiae proveniens.

5. La virginité est innée en nous par nature pour ce qui est matériel dans la virginité ; mais le propos de préserver perpétuellement son intégrité, par quoi la viriginité obtient son mérite, n’est pas inné, mais vient d’un don de la grâce.

[23221] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non cuilibet viduae fructus sexagenarius debetur, sed ei solum quae propositum viduitatis servandae retinet, quamvis etiam votum non emittat, sicut et de virginitate dictum est.

6. Un fruit au soixantième n’est pas dû à n’importe quelle veuve, mais à celle-là seulement qui maintient le propos de garder le veuvage, même sans émettre un vœu, comme on l’a dit aussi de la virginité.

[23222] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si frigidi et eunuchi voluntatem habeant incorruptionem perpetuam servare, etiam si facultas adesset coeundi, virgines sunt dicendi et aureolam merentur; faciunt enim de necessitate virtutem. Si vero voluntatem habeant ducendi conjugem, si possent, aureolam non merentur. Unde dicit Augustinus in Lib. de sancta virginitate: quibus ipsum virile membrum debilitatur, ut generare non possint, ut sunt eunuchi, sufficit, cum Christiani fiunt, et Dei praecepta custodiunt, eo tamen proposito sunt, ut conjuges, si possent, haberent, conjugatis fidelibus adaequari.

7. Si des personnes frigides et des eunuques ont la volonté de rester perpétuellement intacts, même s’ils avaient la capacité de s’unir sexuellement, ils doivent être appelés des vierges et ils méritent l’auréole : en effet, ils font de nécessité vertu. Mais s’ils ont la volonté de se marier, s’ils le pouvaient, ils ne méritent pas l’auréole. Aussi Augustin dit-il dans le livre sur La sainte virginité : « Pour ceux à qui le membre viril fait défaut, de sorte qu’ils ne peuvent pas engendrer, comme c’est le cas des eunuques, il suffit qu’il observent les commandements de Dieu lorsqu’ils deviennent chrétiens ; mais s’ils ont l’intention d’avoir des épouses, s’ils le pouvaient, ils doivent être égalés aux fidèles mariés. »

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23223] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut inest quaedam pugna spiritui contra interiores concupiscentias, ita etiam inest homini quaedam pugna contra passiones exterius illatas; unde sicut perfectissimae victoriae qua de concupiscentiis carnis triumphatur, scilicet virginitati, debetur specialis corona, quae aureola dicitur; ita etiam perfectissimae victoriae quae habetur de impugnatione exteriori, debetur aureola. Perfectissima autem victoria de exterioribus passionibus consideratur ex duobus. Primo ex magnitudine passionis. Inter omnes autem passiones illatas exterius praecipue locum mors tenet, sicut et in passionibus interioribus praecipue sunt venereorum concupiscentiae; et ideo quando aliquis obtinet victoriam de morte, et ordinatis ad mortem, perfectissime vincit. Secundo perfectio victoriae consideratur ex causa pugnae; quando scilicet pro honestissima causa pugnatur, quae scilicet est ipse Christus. Et haec duo in martyrio considerantur, quod est mors suscepta propter Christum. Martyrem enim non facit poena, sed causa. Et ideo martyrio aureola debetur, sicut et virginitati.

De même que l’esprit supporte un combat contre les concupiscences intérieures, de même aussi existe chez l’homme un combat contre les passions venues de l’extérieur. De même donc qu’est due une couronne particulière, appelée auréole, à la victoire la plus parfaite remportée sur les concupiscences de la chair, la virginité, de même aussi une auréole est-elle due à la victoire la plus parfaite contre [les passions] venues de l’extérieur. Or, une victoire parfaite sur les passions extérieures s’envisage de deux points de vue. Premièrement, selon la grandeur de la passion. Or, parmi toutes les passions venues de l’extérieur, la première place est occupée par la mort, comme les concupiscences sexuelles occupent la première place parmi les passions intérieures. Aussi, lorsque quelqu’un remporte la victoire sur la mort et sur ce qui est ordonné à la mort, est-il parfaitement vainqueur. Deuxièmement, la perfection de la victoire est envisagée selon la cause du combat, à savoir, lorsqu’on combat pour une cause très élevée, qui est le Christ lui-même. Ces deux choses sont prises en compte dans le martyre, qui est la mort acceptée pour le Christ. En effet, ce n’est pas la peine, mais la cause qui fait le martyr. C’est pourquoi une auréole est due au martyre, comme à la virginité.

[23224] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sustinere mortem propter Christum, quantum est de se, est opus supererogationis: non enim quilibet tenetur fidem suam coram persecutore profiteri: sed in casu est de necessitate salutis, quando scilicet aliquis a persecutore deprehensus de fide sua requiritur, quam confiteri tenetur. Nec tamen sequitur quod aureolam non mereatur. Aureola enim non debetur operi supererogationis inquantum est supererogatio, sed inquantum perfectionem quamdam habet; unde tali perfectione manente, etiam si non sit supererogatio, aliquis aureolam meretur.

1. En soi, supporter la mort pour le Christ est un acte surérogatoire : en effet, tout le monde n’est pas tenu de professer sa foi devant un persécuteur ; mais cela est nécessaire au salut dans le cas où quelqu’un, pris par un persécuteur, est interrogé sur sa foi, qu’il est tenu de confesser. Cependant, il n’en découle pas qu’il ne mérite pas une auréole. En effet, l’auréole n’est pas due à un acte surérogatoire en tant que tel, mais en tant qu’il possède une certaine perfection. Pourvu que demeure cette perfection, même s’il n’était pas surérogatoire, on mérite l’auréole.

[23225] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod martyrio non debetur aliquod praemium secundum hoc quod ab exteriori infligitur, sed secundum hoc quod voluntarie sustinetur: quia non meremur nisi per ea quae sunt in nobis: et quanto id quod quis sustinet voluntarie, est difficilius, et magis natum voluntati repugnare, tanto voluntas quae propter Christum illud sustinet, ostenditur firmius fixa in Christo; et ideo excellentius ei praemium debetur.

2. Une récompense n’est pas due au martyre du fait qu’il est infligé de l’extérieur, mais du fait qu’il est supporté volontairement, car nous ne méritons que par ce qui est en notre pouvoir. Et plus ce que quelqu’un supporte volontairement est difficile et répugne davantage à sa volonté, plus la volonté qui le supporte pour le Christ démontre qu’elle est attachée au Christ. Une récompense plus grande lui est donc due.

[23226] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidam actus sunt qui in ipso actu habent quamdam vehementiam delectationis vel difficultatis; et in talibus actus semper addit ad rationem meriti vel demeriti secundum quod in actu oportet voluntatem variari ex vehementia actus a statu in quo prius erat: et ideo, ceteris paribus, actu luxuriam exercens plus peccat quam qui solum in actum consentit; quia in ipso actu voluntas augetur. Similiter cum actus martyrii maximam difficultatem habeat, voluntas martyrii non pertingit ad illud meritum quod actui martyrum debetur ratione difficultatis; quamvis possit etiam pervenire ad ulterius praemium, considerata radice merendi: quia aliquis ex majori caritate potest velle sustinere martyrium, quam alius sustineat. Unde voluntarie martyr potest mereri sua voluntate praemium essentiale aequale vel majus eo quod martyri debetur. Sed aureola debetur difficultati quae est ipsa pugna martyrii; unde aureola voluntarie tantum martyribus non debetur.

3. Il existe certains actes qui comportent en eux-mêmes un plaisir ou une difficulté intense. Dans ces cas, l’acte ajoute toujours à la raison de mérite ou de démérite, pour autant qu’il est nécessaire que l’acte de la volonté change, à partir de l’état où il se trouvait auparavant, en fonction de l’intensité de l’acte. C’est pourquoi, toutes choses étant égales, celui qui commet un acte de luxure pèche davantage que celui qui consent seulement à l’acte, car la volonté est accrue dans l’acte même. De même, puisque l’acte du martyre comporte la plus grande difficulté, la volonté du martyre ne va pas jusqu’à mériter ce qui est dû à l’acte des martyrs en raison de la difficulté, bien qu’il puisse parvenir à une récompense ultérieure, en prenant en compte la racine du mérite, car quelqu’un peut vouloir supporter le martyre par une plus grande charité qu’un. Un martyr peut donc volontairement mériter par sa volonté une récompense essentielle égale ou plus grande que celle qui est due au martyr. Mais l’auréole est due à la difficulté qui existe dans le combat même du martyre ; aussi l’auréole n’est-elle pas due seulement à la volonté [du martyre].

[23227] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut delectationes tactus, circa quas est temperantia, praecipuum locum tenent inter omnes delectationes interiores et exteriores; ita dolores tactus omnibus aliis doloribus praeeminent; et ideo difficultati illi quae accidit in sustinendo dolores tactus, puta qui sunt in verberibus et hujusmodi, debetur aureola magis quam difficultati sustinendi interiores dolores; pro quibus tamen aliquis non proprie dicitur martyr, nisi secundum quamdam similitudinem; et hoc modo Hieronymus loquitur.

4. De même que les plaisirs du toucher, sur lesquels porte la tempérance, occupent la place principale parmi les autres plaisirs intérieurs et extérieurs, de même les douleurs du toucher l’emportent-elles sur toutes les autres douleurs. C’est pourquoi une auréole est davantage due à la difficulté de supporter les douleurs du toucher, par exemple, des coups et des choses de ce genre, qu’à la difficulté de supporter des douleurs intérieures. Cependant, on n’appelle pas quelqu’un martyr en raison de ces [douleurs], si ce n’est en raison d’une certaine ressemblance. C’est de cette manière que parle Jérôme.

[23228] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod afflictio poenitentiae non est, proprie loquendo, martyrium, quia non consistit in his quae ad mortem inferendam ordinantur, cum ordinetur solum ad carnem domandam; quam mensuram si excesserit, erit afflictio culpanda. Dicitur ergo propter similitudinem afflictionis martyrium: quae quidem afflictio excedit martyrii afflictionem diuturnitate, sed exceditur intensione.

5. L’affliction de la pénitence n’est pas un martyre, à parler au sens propre, parce qu’elle ne consiste pas dans ce qui est ordonné à donner la mort, puisqu’elle est ordonnée seulement à dompter la chair. Si elle dépasse cette mesure, l’affliction doit considérée comme une faute. Elle est donc appelée un martyre selon une certaine similitude : cette affliction dépasse l’affliction du martyre par sa durée, mais elle en est dépassée par l’intensité.

[23229] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod secundum Augustinum in 1 de Civ. Dei, nulli licitum est sibi manus injicere quacumque ex causa, nisi forte divino instinctu fiat ad exemplum fortitudinis extendendum, ut mors contemnatur. Illi autem de quibus est objectum, divino instinctu mortem sibi intulisse creduntur; et propter hoc eorum martyria Ecclesia celebrat.

6. Selon Augustin, dans La cité de Dieu, I, il n’est permis à personne de porter la main contre lui-même pour quelque raison que ce soit, sauf si cela est fait sous l’inspiration divine pour donner un exemple de force par le mépris de la mort. Or, on croit que ceux dont parle l’objection se sont donné la mort sous l’inspiration divine. C’est pour cette raison que l’Église célèbre leur martyre.

[23230] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si aliquis propter fidem vulnus mortale accipiat, et supervivat, non est dubium quod aureolam meretur; sicut de beata Caecilia patet, quae triduo supervixit, et de multis martyribus qui in carcere sunt defuncti. Sed etiam si vulnus non mortale accipiat, et tamen exinde mortem incurrat, creditur aureolam promereri; quamvis quidam dicant, quod aureolam non meretur, si ex incuria vel negligentia propria mortem incurrat: non enim ista negligentia eum ad mortem perduxisset, nisi praesupposito vulnere quod pro fide acceptum est; et ita vulnus propter Christum susceptum est ei plena occasio mortis. Unde propter hoc aureolam non videtur amittere, nisi sit talis negligentia quae culpam mortalem inducat, quae ei et auream aufert et aureolam. Si vero ex vulnere mortali suscepto non moriatur aliquo casu contingente, vel etiam vulnera non mortalia susceperit, et adhuc carcerem sustinens moriatur; adhuc aureolam meretur; unde et quorumdam sanctorum martyria in Ecclesia celebrantur qui in carcere mortui sunt aliquibus verberibus longe ante susceptis, sicut patet de Marcello Papa. Qualitercumque igitur afflictio propter Christum illata usque ad mortem continuetur (sive mors inde sequatur, sive non), aliquis martyr efficitur, et aureolam meretur. Si vero non continuetur usque ad mortem; non propter hoc aliquis dicetur martyr; sicut patet de Sylvestro, de quo non solemnizat Ecclesia sicut de martyre, quia in pace vitam finivit, quamvis prius aliquas passiones sustinuerit.

7. Si quelqu’un reçoit une blessure mortelle à cause de la foi et survit, il n’est pas douteux qu’il mérite une auréole, comme cela est clair pour la bienheureuse Cécile, qui a survécu trois jours, et pour de nombreux martyrs qui sont morts en prison. Mais même s’il ne reçoit pas une blessure mortelle et encourt cependant la mort à cause d’elle, on croit qu’il mérite une auréole, bien que certains disent qu’il ne mérite pas d’auréole, s’il encourt la mort par son incurie ou sa négligence. En effet, cette négligence ne l’aurait pas conduit à la mort, si ce n’avait été de la blessure qu’il a reçue. La blessure reçue pour le Christ est ainsi en totalité l’occasion de la mort. Il ne semble donc pas perdre l’auréole à cause de cela, à moins que la négligence soit telle qu’elle entraîne une faute mortelle, qui lui enlève à la fois la [couronne] d’or et l’auréole. Mais si, par hasard, il ne meurt pas d’une blessure mortelle ou même a reçu des blessures qui ne sont pas mortelles, et meurt alors qu’il supporte l’emprisonnement, il mérite aussi l’auréole. Ainsi sont célébrés dans l’Église les martyres de certains saints, qui sont morts en prison après avoir reçu des coups longtemps auparavant, comme cela est clair pour le pape Marcel. Quelle que soit la façon dont l’affliction subie pour le Christ se poursuit jusqu’à la mort (que la mort en découle ou non), quelqu’un devient martyr et mérite l’auréole. Mais si elle ne se poursuit pas jusqu’à la mort, on ne dira pas de quelqu’un qu’il est un martyr, comme cela est clair pour Sylvestre, que l’Église ne célèbre pas comme un martyre parce qu’il a terminé sa vie dans la paix, bien qu’il ait supporté auparavant certaines souffrances.

[23231] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut temperantia non est circa delectationes in pecuniis vel in honoribus et hujusmodi, sed solum in delectationibus tactus quasi praecipuis; ita etiam fortitudo est circa pericula mortis sicut circa praecipua, ut dicitur in 3 Ethic.; et ideo soli injuriae quae irrogatur circa corpus proprium, ex qua nata est mors sequi, debetur aureola. Sive igitur aliquis propter Christum res temporales, sive famam, vel quidquid hujusmodi amittat, non efficitur propter hoc proprie martyr, nec meretur aureolam; nec plus aliquis potest ordinate res exteriores diligere quam proprium corpus: amor autem inordinatus non coadjuvat ad meritum aureolae: nec etiam potest dolor de amissione rerum coaequari dolori de corporis occisione, et aliis hujusmodi.

8. De même que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l’argent ou des honneurs, ou de choses de ce genre, mais seulement sur les plaisirs du toucher comme sur les principaux, de même la force porte-t-elle sur les dangers de mort comme sur les principaux, comme on le dit dans Éthique, III. C’est pourquoi l’auréole n’est due qu’au mauvais traitement qui est infligé à son propre corps, et dont découle naturellement la mort. Que quelqu’un perde à cause du Christ ses biens temporels, sa réputation ou une chose de ce genre, il n’en devient pas pour autant un martyr au sens propre et il ne mérite pas l’auréole ; et quelqu’un ne peut pas aimer davantage et de manière ordonnée les choses extérieures que son propre corps, car l’amour désordonné ne contribue pas mériter l’auréole. La douleur de perdre des biens ne peut pas non plus être égalée à la douleur de la mort de son corps et d’autres choses de ce genre.

[23232] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod causa sufficiens ad martyrium non solum est confessio fidei, sed quaecumque alia virtus, non politica, sed infusa, quae finem habeat Christum. Quolibet enim actu virtutis aliquis testis Christi efficitur, inquantum opera quae in nobis Christus perficit, testimonium bonitatis ejus sunt; unde aliquae virgines sunt occisae pro virginitate quam servare volebant, sicut beata Agnes, et quaedam aliae, quarum martyria in Ecclesia celebrantur.

9. La cause suffisante du martyre n’est pas seulement la confession de la foi, mais toute autre vertu, non pas politique, mais infuse, qui a le Christ comme fin. En effet, quelqu’un devient témoin du Christ par n’importe quel acte de vertu, pour autant que les actes que le Christ accomplit en nous sont un témoignage de sa bonté. Aussi certaines vierges sont-elles tuées à cause de la virginité qu’elles voulaient garder, comme la bienheureuse Agnès et certaines autres dont l’Église célèbre le martyre.

[23233] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod veritas fidei habet Christum pro fine vel pro objecto; et ideo confessio ipsius aureolam meretur, si poena addatur, non solum ex parte finis, sed ex parte materiae. Sed confessio cujuscumque alterius veritatis non est causa sufficiens ad martyrium ratione materiae, sed solum ratione finis; utpote si aliquis prius vellet occidi quam quodcumque mendacium dicendo, contra ipsum peccare.

10. La vérité de la foi a le Christ comme fin et comme objet. Aussi la confession de celle-ci mérite-t-elle l’auréole, si une peine est ajoutée, non seulement du point de vue de la fin, mais aussi du point de vue de la matière. Mais la confession de n’importe quelle autre vérité n’est pas une cause suffisante pour le martyre en raison de la fin, par exemple, si quelqu’un voulait plutôt être tué que de pécher contre lui-même en disant n’importe quel mensonge.

[23234] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod etiam bonum increatum excedit omne bonum creatum; unde quicumque finis creatus, sive sit bonum commune, sive bonum privatum, non potest actui tantam bonitatem praestare quantam finis increatus; cum scilicet aliquid propter Deum agitur: et ideo cum quis propter bonum commune non relatum ad Christum mortem sustinet, aureolam non meretur; sed si hoc referatur ad Christum, aureolam merebitur, et martyr erit; utpote si rempublicam defendat ab hostium impugnatione qui fidem Christi corrumpere moliuntur, et in tali defensione mortem sustineat.

11. Le bien incréé dépasse tout bien créé. N’importe quelle fin créée, que ce soit un bien commun ou un bien privé, ne peut donc donc conférer à un acte une bonté aussi grande que la fin incréée, comme c’est le cas lorsqu’on agit pour Dieu. Lorsque quelqu’un supporte la mort pour un bien commun qui n’est pas en rapport avec le Christ, il ne mérite donc pas l’auréole ; mais s’il est mis en rapport avec le Christ, il méritera l’auréole et il sera un martyr, par exemple, s’il défend la communauté contre l’attaque d’ennemis qui s’efforcent de comprrompre la foi au Christ et s’il supporte la mort lors d’une telle défense.

[23235] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod quidam dicunt, quod in innocentibus occisis pro Christo virtute divina acceleratus est usus rationis, sicut et in Joanne Baptista, dum adhuc esset in materno utero; et secundum hoc vere martyres fuerunt et voluntate et actu, et aureolam habent. Sed alii dicunt, quod fuerunt martyres actu tantum, et non voluntate: quod videtur sentire Bernardus, distinguens tria genera martyrum, ut dictum est; et secundum hoc innocentes sicut non pertingunt ad perfectam rationem martyrii, sed aliquid martyrii habent ex hoc quod passi sunt pro Christo; ita etiam aureolam habent, non quidem secundum perfectam rationem; sed secundum aliquam participationem, inquantum scilicet gaudent se in obsequium Christi occisos esse, ut dictum est de pueris baptizatis, quod habebunt aliquod gaudium de innocentia, et carnis integritate.

12. Certains disent que, chez les innocents morts pour le Christ, l’usage de la raison a été accéléré par la puissance divine, comme chez Jean-Baptiste, alors qu’il était encore dans le sein maternel ; ils sont ainsi devenus des martyrs par volonté et en acte, et ils possèdent l’auréole. Mais d’autres disent qu’ils ont été des martyrs en acte seulement, et non par volonté, ce que semble penser Bernard, qui distingue trois genres de martyre, comme on l’a dit. Les innocents n’atteignent pas ainsi la raison parfaite du martyre, mais ils possèdent quelque chose du martyre du fait qu’il ont souffert pour le Christ. De même, ils possèdent l’auréole, non pas seulement seulement sa raison parfaite, mais selon une certaine participation, pour autant qu’il se réjouissent d’avoir été tués pour le service du Christ, comme on l’a dit des enfants baptisés, qui posséderont une certaine joie en raison de la leur innocence et de l’intégrité de leur chair.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23236] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut per martyrium et virginitatem aliquis perfectissimam victoriam obtinet de carne et mundo; ita et perfectissima victoria contra Diabolum obtinetur, quando aliquis non solum Diabolo impugnanti non cedit, sed etiam eum expellit, et non solum a se, sed etiam ab aliis. Hoc autem fit per praedicationem et doctrinam. Et ideo praedicationi et doctrinae aureola debetur, sicut et virginitati et martyrio. Nec est dicendum, ut quidam dicunt, quod tantum debeatur praelatis, quibus competit ex officio praedicare et docere; sed quibuscumque qui licite hunc actum exercent. Praelatis autem non debetur, quamvis habeant officium praedicandi, nisi actu praedicent: quia corona non debetur habitui, sed actuali pugnae, secundum illud 2 Timoth. 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit.

De même que, par le martyre et la virginité, quelqu’un remporte la victoire la plus parfaite sur la chair et sur le monde, de même remporte-t-il la victoire la plus parfaite contre le Diable lorsque, non seulement il ne cède pas devant le Diable qui l’attaque, mais aussi le chasse, non seulement de lui-même, mais aussi des autres. Or, cela est réalisé par la prédication et l’enseignement. C’est pourquoi une auréole est due à la prédication et à l’enseignement, comme à la virginité et au martyre. Et il ne faut pas dire, comme certains le disent, qu’elle n’est due qu’aux prélats, à qui il revient de prêcher et d’enseigner en vertu de leur fonction, mais à tous ceux qui exercent légitimement cet acte. Mais, bien qu’ils possèdent la fonction de prêcher, elle n’est due aux prélats que s’ils prêchent effectivement, car la couronne n’est pas due à l’habitus, mais à l’acte du combat, selon ce que dit 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles.

[23237] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod praedicare et docere sunt actus alicujus virtutis, scilicet misericordiae; unde et inter spirituales eleemosynas computantur, ut patet supra, dist. 25, quaest. 2, art. 3.

1. Prêcher et enseigner sont les actes d’une vertu : la miséricorde. Aussi sont-ils comptés parmi les aumônes spirituelles, comme cela ressort de la d. 25, q. 2, a. 3.

[23238] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis facultas praedicandi et docendi quandoque ex studio proveniat, tamen usus doctrinae ex voluntate procedit, quae per caritatem informatur a Deo infusam; et sic actus ejus meritorius esse potest.

2. Bien que la capacité de prêcher et d’enseigner vienne parfois de l’étude, l’usage de l’enseignement vient de la volonté, qui reçoit sa forme de la charité versée [en nous] par Dieu. C’est ainsi que son acte peut être méritoire.

[23239] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod exaltatio in hac vita non diminuit alterius vitae praemium, nisi ei qui in tali exaltatione propriam gloriam quaerit; qui autem talem exaltationem in utilitatem aliorum convertit, ex ea sibi mercedem acquirit. Cum enim dicitur quod doctrinae debetur aureola, intelligendum est doctrinae quae est de pertinentibus ad salutem, per quam Diabolus a cordibus hominum expugnatur, sicut quibusdam spiritualibus armis, de quibus dicitur 2 Corinth. 10, 4: arma militiae nostrae non sunt carnalia, sed spiritualia.

3. L’élévation en cette vie ne diminue la récompense de l’autre vie, que si celui qui est dans cet état d’exaltation cherche sa propre gloire ; mais celui qui tourne cette élévation vers l’utilité des autres acquiert par cela une récompense. En effet, lorsqu’on dit qu’une auréole est due à l’enseignement, il faut entendre qu’il s’agit de l’enseignement qui porte sur ce qui se rapporte au salut, par lequel le Diable est chassé des cœurs des hommes comme par des armes spirituelles, dont il est dit en 2 Co 10, 4 : Les armes de notre combat ne sont pas charnels, mais spirituels.

 

 

Articulus 4

[23240] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 tit. Utrum Christo aureola debeatur

Article 4 – Une auréole est-elle due au Christ ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Une auréole est-elle due au Christ ?]

[23241] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Christo aureola debeatur. Debetur enim aureola virginitati, martyrio et doctrinae. Sed in Christo haec tria praecipue fuerunt. Ergo Christo praecipue aureola competit.

1. Il semble qu’une auréole soit due au Christ. En effet, l’auréole est due à la virginité, au martyre et à l’enseignement. Or, c’est chez le Christ que ces trois choses ont principalement existé. L’auréole convient donc principalement au Christ.

[23242] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod est perfectissimum in rebus humanis, praecipue Christo est attribuendum. Sed praemium aureolae debetur excellentissimis meritis. Ergo Christo debetur.

2. Tout ce qui est le plus parfait dans les choses humaines doit être attribué principalement au Christ. Or, la récompense de l’auréole est due aux mérites les plus élevés. Elle est donc due au Christ.

[23243] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Cyprianus dicit, quod imaginem Dei virginitas portat. Virginitatis ergo exemplar in Deo est; et sic videtur quod Christo etiam, inquantum est Deus, aureola competit.

3. Cyprien dit que la virginité porte l’image de Dieu. Le modèle de la virginité se trouve donc en Dieu. Il semble donc que l’auréole convienne aussi au Christ en tant qu’il est Dieu.

[23244] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, aureola est gaudium de conformitate ad Christum, ut dicitur. Sed nullus conformatur vel similatur sibi ipsi, ut patet per philosophum. Ergo Christo non debetur aureola.

Cependant, [1] l’auréole est la joie d’être rendu conforme au Christ, comme on le dit. Or, personne n’est rendu conforme ou semblable à soi-même, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe. L’auréole n’est donc pas due au Christ.

[23245] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Christi praemium nunquam est augmentatum. Sed Christus ab instanti conceptionis suae non habuit aureolam, quia tunc nunquam pugnaverat. Ergo nunquam postea aureolam habuit.

[2] La récompense du Christ n’est jamais augmentée. Or, le Christ n’a pas possédé l’auréole dès l’instant de sa conception, car il n’avait alors jamais combattu. Il n’a donc jamais possédé l’auréole par la suite.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Une auréole est-elle due aux anges ?]

[23246] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angelis aureola debeatur. Quia, ut dicit Hieronymus de virginitate loquens, in carne praeter carnem vivere potius est vita angelica quam humana; et 1 Cor. 7, dicit Glossa, quod virginitas est portio angelica. Cum igitur virginitati respondeat aureola, videtur quod Angelis debeatur.

1. Il semble qu’une auréole soit due aux anges, car, comme le dit Jérôme, en parlant de la virginité, « vivre hors de la chair dans la chair est plutôt une vie angélique qu’une vie humaine ». Et à propos de 1 Co 7, la Glose dit que la virginité est la part des anges. Puisqu’une auréole répond à virginité, il semble donc qu’elle soit due aux anges.

[23247] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nobilior est incorruptio spiritus quam incorruptio carnis. Sed in Angelis invenitur incorruptio spiritus, quia nunquam peccaverunt. Ergo eis magis debetur aureola quam hominibus incorruptis carne, qui alias aliquando peccaverunt.

2. L’intégrité de l’esprit est plus noble que l’intégrité de la chair. Or, chez les anges, on trouve l’intégrité de l’esprit, car ils n’ont jamais péché. Une auréole leur est donc due plutôt qu’aux hommes dont la chair est intègre, qui autrement ont parfois péché.

[23248] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, doctrinae debetur aureola. Sed Angeli nos docent purgando, illuminando et perficiendo, ut Dionysius dicit. Ergo eis debetur aureola saltem doctorum.

3. Une auréole est due à l’enseignement. Or, les anges nous enseignent en nous purifiant, en nous illuminant et en nous perfectionnant, comme le dit Denys. Au moins l’auréole des docteurs leur est donc due.

[23249] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, 2 Timoth., 2, 5: non coronabitur nisi qui legitime certaverit. Sed in Angelis non est pugna. Ergo nec eis aureola debetur.

Cependant, [1] il est dit en 2 Tm 2, 5 : Ne sera couronné que celui qui aura combattu selon les règles. Or, il n’y a pas de combat chez les anges. Une auréole ne leur sera donc pas donnée.

[23250] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, aureola non debetur actui qui per corpus non exercetur; unde amantibus virginitatem et martyrium et doctrinam, si exterius haec eis non insunt, aureola non debetur. Sed Angeli sunt incorporei. Ergo aureolam non habent.

[2] L’auréole n’est pas due à un acte qui n’est pas exercé par le corps ; l’auréole n’est donc pas donnée à ceux qui aiment la virginité, le martyre et l’enseignement, si ceux-ci ne se trouvent pas en eux de manière extérieure. Or, les anges sont incorporels. Ils ne possèdent donc pas d’auréole.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’auréole est-elle due au corps ?]

[23251] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aureola etiam corpori debeatur. Praemium enim essentiale est potius quam accidentale. Sed dos, quae ad praemium essentiale pertinet, non solum est in anima, sed etiam in corpore. Ergo et aureola, quae pertinet ad praemium accidentale.

1. Il semble que l’auréole soit aussi due au corps. En effet, la récompense essentielle est plus importante que la [récompense] accidentelle. Or, la dot, qui est en rapport avec la récompense essentielle, ne se trouve pas seulement dans l’âme, mais aussi dans le corps. Donc, l’auréole aussi, qui est en rapport avec la récompense accidentelle.

[23252] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, peccato quod per corpus exercetur, respondet poena in anima et corpore. Ergo et merito quod exercetur per corpus, debetur praemium et in anima et in corpore. Sed meritum aureolae per corpus exercetur. Ergo aureola etiam debetur corpori.

2. Au péché qui est accompli par le corps répond une peine dans l’âme et dans le corps. Au mérite qui est accompli par le corps est donc due aussi une récompense dans l’âme et dans le corps. Or, le mérite de l’auréole sera accompli par le corps. L’auréole est donc due au corps.

[23253] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in corporibus martyrum apparebit quaedam virtutis pulchritudo in ipsis cicatricibus corporis; unde dicit Augustinus, 22 de Civit. Dei: nescio quomodo sic afficimur amore martyrum beatorum, ut velimus in illo regno in eorum corporibus videre vulnerum cicatrices, quas pro Christi nomine pertulerunt; et fortasse videbimus; non enim erit in eis deformitas, sed dignitas; et quaedam, quamvis in corpore, non corporis, sed virtutis pulchritudo fulgebit. Ergo videtur quod aureola martyrum sit in corpore; et eadem ratione de aliis.

3. Dans les corps des martyrs, une certaine beauté de la vertu se manifestera dans les cicatrices mêmes du corps. Aussi Augustin dit-il, dans La cité de Dieu, XXII : « Je ne sais comment nous sommes à ce point affectés par l’amour des martyrs bienheureux, que nous voulions voir en leurs corps, dans ce royaume, les cicatrices des blessures qu’ils ont supportées au nom du Christ. Peut-être les verrons-nous. En effet, il n’y aura pas de difformité chez eux, mais une dignité, et une certaine beauté de la vertu brillera dans leur corps, tout en ne venant pas du corps. » Il semble donc que l’auréole des martyrs se trouve dans le corps. [Elle se trouve donc] dans les autres pour la même raison.

[23254] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, animae quae modo sunt in Paradiso, habent aureolas, nec tamen habent corpora. Ergo proprium subjectum aureolae non est corpus, sed anima.

Cependant, [1] les âmes qui sont maintenant au Paradis ont des auréoles et n’ont cependant pas de corps. Le sujet propre de l’auréole n’est donc pas le corps, mais l’âme.

[23255] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, omne meritum est ab anima. Ergo praemium totum in anima esse debet.

[2] Tout mérite vient de l’âme. Toute la récompense doit donc se trouver dans l’âme.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23256] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod circa hoc duplex est opinio. Quidam enim dicunt, quod in Christo est aureola secundum propriam aureolae rationem, cum in eo pugna inveniatur et victoria, et per consequens corona secundum propriam rationem. Sed diligenter considerando, quamvis Christo competat ratio aureae vel coronae, non tamen ei competit ratio aureolae; aureola enim ex hoc ipso quod diminutive dicitur, importat aliquid quod participative et non secundum sui plenitudinem possidetur; unde illis competit aureolam habere in quibus est aliqua perfectioris victoriae participatio secundum imitationem ejus in quo perfectae victoriae plena ratio consistit; et ideo, cum in Christo inveniatur hujusmodi principalis et plena victoriae ratio, per cujus victoriam omnes alii victores constituuntur, ut patet Joan. 16, 33: confidite: ego vici mundum; et Apoc. 5, 5: ecce vicit leo de tribu Juda; Christo non competet aureolam habere, sed aliquid unde omnes aureolae originantur; unde Apoc. 3, 21: qui vicerit, faciam eum sedere in throno meo, sicut ego vici, et sedeo in throno patris mei. Unde secundum alios dicendum est, quod quamvis id quod est in Christo, non habeat rationem aureolae, tamen est excellentius omni aureola.

À ce sujet, il existe une double opinion. En effet, certains disent que l’auréole existe chez le Christ selon la raison propre de l’auréole, puisqu’elle se trouve dans le combat et la victoire et, par conséquent, la couronne aussi selon sa raison propre. Mais, en examinant attentivement, bien que la raison de la [couronne] d’or ou de la couronne convienne au Christ, la raison de l’auréole ne lui convient cependant pas. En effet, l’auréole, du fait qu’elle est nommée de manière diminutive, comporte quelque chose qui est possédé par participation, et non selon sa plénitude. Aussi convient-il d’avoir une auréole à ceux chez qui existe une certaine participation à une victoire plus parfaite, à l’imitation de celui chez qui la pleine raison de victoire parfaite existe. Puisque, chez le Christ, se trouve cette raison de victoire principale et plénière, par la victoire de qui tous les autres sont établis comme vainqueurs, comme cela ressort de Jn 16, 33 : Ayez confiance : j’ai vaincu le monde ; et Ap 5, 5 : Voici que le lion de la tribu de Juda l’a emporté, il ne convient donc pas au Christ de posséder l’auréole, mais quelque chose dont toutes les autres auréoles tirent leur origine. Ainsi est-il dit en Ap 3, 21 : Celui qui a vaincu, je le ferai siéger sur mon trône, comme j’ai vaincu et je siège sur le trône de mon Père. Aussi faut-il dire selon d’autres que bien que ce qui existe dans le Christ n’ait pas la raison d’auréole, cela est cependant plus élevé que toute auréole.

[23257] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus fuit verissime virgo, martyr et doctor; sed tamen praemium accidentale his respondens in Christo non habet aliquam notabilem quantitatem in comparatione ad magnitudinem essentialis praemii; unde non habet aureolam sub ratione aureolae.

1. Le Christ a été au sens le plus vrai vierge, martyr et docteur. Cependant, la récompense accidentelle répondant à ces qualités chez le Christ n’a pas de quantité significative par comparaison avec la grandeur de la récompense essentielle. Il ne possède donc pas d’auréole selon la raison d’auréole.

[23258] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aureola, quamvis debeatur operi perfectissimo quo ad nos, tamen aureola inquantum diminutive dicitur, significat quamdam participationem perfectionis ab aliquo in quo plenarie invenitur; et secundum hoc ad quamdam minorationem pertinet; et sic in Christo non invenitur, in quo omnis perfectio plenissime invenitur.

2. Bien qu’elle soit due pour une action très parfaite de notre point de vue, ce qu’on appelle auréole d’une manière diminutive signifie cependant une certaine participation à la perfection chez celui en qui elle se trouve de manière plénière. Sous cet aspect, elle relève d’une certaine diminution. Elle ne se trouve donc pas ainsi chez le Christ, en qui se trouve toute perfection selon la plus grande plénitude.

[23259] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis virginitas habeat aliquo modo exemplar in Deo, non tamen habet exemplar unius rationis; incorruptio enim Dei, quam virginitas imitatur, non eadem ratione est in Deo et in aliquo virgine.

3. Bien que la virginité ait d’une certaine manière son modèle en Dieu, elle n’a cependant pas de modèle en un un sens unique. En effet, l’intégrité de Dieu, que la virginité imite, n’a pas le même caractère chez Dieu et chez celui qui est vierge.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23260] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Angelis aureola non debetur: cujus ratio est, quia aureola proprie respondet cuidam perfectioni in excellenti merito. Ea vero quae in hominibus ad perfectionem meriti pertinent, Angelis sunt connaturalia, vel etiam spectant ad communem eorum statum, aut etiam ad ipsum praemium; et ideo propter quae hominibus debetur aureola, Angeli non habent aureolas.

L’auréole n’est pas due aux anges. La raison en est que l’auréole, au sens propre, répond à une perfection pour une mérite excellent. Or, ce qui se rapporte à la perfection du mérite chez les hommes est connaturel chez les anges, ou encore concerne leur état commun, ou même leur récompense propre. Aussi ce pour quoi une auréole est due aux hommes ne fait-il pas que les anges aient une auréole.

[23261] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virginitas dicitur esse vita angelica, inquantum per gratiam virgines imitantur id quod Angeli habent per naturam: non enim virtutis est in Angelis quod omnino a delectationibus carnis abstineant, cum hujusmodi delectationes in eis esse non possint.

1. On dit que la virginité est une vie angélique dans la mesure où, par la grâce, les vierges imitent ce que les anges possèdent par nature. En effet, il ne relève pas de la vertu, chez les anges, qu’ils s’abstiennent entièrement des plaisirs de la chair, puisque ce genre de plaisirs ne peut exister chez eux.

[23262] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perpetua incorruptio spiritus in Angelis praemium essentiale meretur: est enim de necessitate salutis, cum in eis non possit subsequi reparatio post ruinam.

2. L’intégrité perpétuelle de l’esprit chez les anges mérite la récompense essentielle. En effet, elle est nécessaire au salut, puisqu’une restauration ne peut suivre après la déchéance.

[23263] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi actus secundum quos Angeli nos docent, pertinent ad gloriam eorum, et ad communem ipsorum statum; unde per hujusmodi actus aureolam non merentur.

3. Les actes par lesquels les anges nous enseignent se rapportent à leur gloire et à leur état commun. Aussi ne méritent-ils pas d’auréole pour ces actes.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23264] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aureola proprie est in mente, est enim gaudium de operibus illis quibus aureola debetur. Sed sicut ex gaudio essentialis praemii, quod est aurea, redundat quidam decor in corpore, qui est gloria corporis; ita ex gaudio aureolae resultat aliquis decor in corpore; ut sic aureola principaliter sit in mente, sed per quamdam redundantiam fulgeat etiam in carne.

Au sens propre, l’auréole se trouve dans l’esprit : en effet, elle est une joie pour les actions auxquelles une auréole est due. Mais de même qu’une certaine beauté rejaillit sur le corps – la gloire du corps – à partir de la joie de la récompense essentielle qui est la [couronne] d’or, de même une certaine beauté résulte-t-elle dans le corps à partir de la joie de l’auréole, de sorte que l’auréole se trouve principalement dans l’esprit, mais, comme par un rejaillissement, elle resplendisse aussi dans la chair.

[23265] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 4 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta. Tamen sciendum est, quod decor cicatricum quae in corporibus martyrum apparebunt, non potest dici aureola: quia aliqui martyres aureolam habebunt in quibus hujusmodi cicatrices non erunt, utpote illi qui sunt submersi, aut famis inedia vel squalore carceris interempti.

1-3. Ainsi ressort la réponse aux arguments. Il faut cependant savoir que la beauté des cicatrices qui apparaîtront dans les corps des martyrs ne peut être appelée une auréole, car certains martyrs auront une auréole, chez qui il n’y aura pas de cicatrices de ce genre, par exemple, ceux qui ont été noyés, ou qui ont été tués par la privation de nourriture ou la misère de la prison.

 

 

Articulus 5 [23266] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 tit. Utrum convenienter designentur tres aureolae

Article 5 – Les trois auréoles sont-elles désignées de manière appropriée ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les trois auréoles sont-elles désignées de manière appropriée ?]

[23267] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter designentur tres aureolae, virginum, martyrum, et praedicatorum. Aureola enim martyrum respondet virtuti fortitudinis, aureola virginum virtuti temperantiae, aureola vero doctorum virtuti prudentiae. Ergo videtur quod debeat esse quarta aureola, quae debeatur justitiae.

1. Il semble que les trois auréoles soient désignées de manière inappropriée : celles des vierges, des martyrs et des prédicateurs. En effet, l’auréole des martyrs répond à la vertu de force, l’auréole des vierges à la vertu de tempérance, et l’auréole des docteurs à la vertu de prudence. Il semble donc qu’il doive exister une quatrième auréole due à la justice.

[23268] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Exod. 25, dicit Glossa, quod corona aurea additur, cum per Evangelium his qui mandata custodiunt, vita aeterna promittitur. Matth. 19, 17: si vis ad vitam ingredi; serva mandata. Huic aureola superponitur cum dicitur: si vis perfectus esse, vade, et vende omnia quae habes, et da pauperibus. Ergo paupertati debetur aureola.

2. À propos de Ex 25, la Glose dit que la couronne d’or est ajoutée, lorsque la vie éternelle est promise à ceux qui observent les commandements. Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. À celle-ci s’ajoute une auréole lorsqu’il est dit : Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. Une auréole est donc due à la pauvreté.

[23269] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, per votum obedientiae aliquis se Deo subjicit totaliter. Ergo in voto obedientiae maxima perfectio consistit; et ita videtur quod ei aureola debeatur.

3. Par le vœu d’obéissance, quelqu’un se soumet entièrement à Dieu. La plus grande perfection consiste donc dans le vœu d’obéissance. Il semble ainsi qu’une auréole lui soit due.

[23270] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 arg. 4 Praeterea, multa sunt etiam alia supererogationis opera, de quibus homo in futuro speciale gaudium habebit. Ergo multae sunt aliae aureolae praeter istas tres.

4. Il existe encore beaucoup d’autres actions surérogatoires, pour lesquelles l’homme aura une joie spéciale dans l’avenir. Il existe donc plusieurs autres auréoles en plus de ces trois.

[23271] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 arg. 5 Praeterea, sicut aliquis divulgat fidem praedicando et docendo, ita scripta compilando. Ergo et talibus quarta aureola debetur.

5. De même que quelqu’un diffuse la foi en prêchant et en enseignant, de même [le fait-il] en composant des écrits. Une quatrième auréole est donc due à ceux-là.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [L’auréole des vierges est-elle la meilleure ?]

[23272] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aureola virginum sit inter alias potissima. Quia Apocal. 14, dicitur de virginibus quod sequuntur agnum quocumque ierit; et quod nemo alius poterat dicere canticum quod virgines cantabant. Ergo virgines habent excellentiorem aureolam.

1. Il semble que l’auréole des vierges soit la meilleure, car, en Ap 14, il est dit des vierges qu’elles suivront l’Agneau par tout où il ira et que personne d’autre ne pouvait exécuter le cantique que les vierges chantaient. Les vierges ont donc une meilleure auréole.

[23273] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Cyprianus dicit de virginibus, quod sunt illustrior portio gregis Christi. Ergo eis magis aureola debetur.

2. À propos des vierges, Cyprien dit qu’elles sont « la portion la plus distinguée du troupeau du Christ ». C’est donc à elles surtout qu’une auréole est due.

[23274] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, videtur quod potissima sit aureola martyrum. Quia dicit Haymo, quod non omnes virgines conjugatos praecedunt; sed hi specialiter qui in tormento passionis virginitate insuper custodita coaequantur martyribus conjugatis. Ergo martyrium dat virginitati praeeminentiam super alios status. Ergo martyrio potior aureola debetur.

3. Il semble que l’auréole des martyrs soit la meilleure, car Haymon dit que « ce ne sont pas tous ceux qui sont vierges qui précèdent les gens mariés, mais ceux qui, tourmentés par la passion, égalent les martyrs mariés en conservant la virginité ». Le martyr donne donc une prééminence sur les autres états. Une meilleure auréole est donc due au martyre.

[23275] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 arg. 4 Praeterea, videtur quod potissima debeatur doctori. Quia Ecclesia militans exemplata est ab Ecclesia triumphante. Sed in Ecclesia militante maximus honor debetur doctoribus, 1 Timoth. 5, 17: qui bene praesunt presbyteri, duplici honore digni habentur; maxime qui laborant in verbo et doctrina. Ergo in Ecclesia triumphante eis potior aureola debetur.

4. Il semble qu’une meilleure [auréole] soit due au docteur, car l’Église militante a tiré son modèle de l’Église triomphante. Or, dans l’Église militante, le plus grand honneur est dû aux docteurs. 1 Tm 5, 17 : Les prêtres qui exercent bien la préséance sont dignes d’un double honneur, surtout ceux peinent à la parole et à l’enseignement. Une meilleure auréole leur est donc due dans l’Église triomphante.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [L’auréole de la virginité, du martyre ou de l’enseignement est-il possédé à un plus haut degré par l’un que par l’autre ?]

[23276] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod unus aureolam virginitatis vel martyrii vel doctoris excellentius alio non habet. Quia ea quae sunt in termino perfectionis non intenduntur et remittuntur. Sed aureola debetur operibus quae sint in termino perfectionis. Ergo aureola non intenditur nec remittitur.

1. Il semble que l’auréole de la virginité, du martyre ou de l’enseignement ne soit pas possédé à un plus haut degré par l’un que par l’autre, car ce qui atteint la limite de la perfection ne s’intensifie pas et n’est pas amoindri. Or, l’auréole est due aux actes qui atteignent la limite de la perfection. L’auréole ne s’intensifie donc pas ni ne s’amoindrit.

[23277] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, virginitas non suscipit magis et minus, cum importet privationem quamdam; et negationes non intendantur nec remittantur. Ergo nec praemium virginitatis, scilicet aureola virginum, intenditur et remittitur.

2. La virginité ne comporte pas de plus ni de moins, puisqu’elle comporte une certaine privation, et que les négations ne sont ni intensifiées ni amoindries. Donc, ni la récompense de la virginité, à savoir, l’auréole des vierges, n’est-elle donc intensifiée ni amoindrie.

[23278] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, aureola superponitur aureae. Sed aurea est intensior in uno quam in alio. Ergo et aureola.

Cependant, une auréole s’ajoute à une auréole. Or, la [couronne] d’or est plus intense chez l’un que chez l’autre. Donc, l’auréole aussi.

Quaestiuncula 1

[23279] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod aureola est quoddam privilegiatum praemium, privilegiatae victoriae respondens, ut patet ex dictis, et ideo secundum privilegiatas victorias in tribus pugnis, quae cuilibet homini imminent, tres aureolae sumuntur. In pugna enim quae est contra carnem, ille potissimam victoriam obtinet qui a delectabilibus venereis, quae sunt praecipua in hoc genere, omnino abstinet; et ideo virginitati aureola debetur. In pugna vero qua contra mundum pugnatur, illa est praecipua, cum a mundo persecutionem usque ad mortem sustinemus; unde et martyribus, qui in ista pugna victoriam obtinent, secunda aureola debetur. In pugna vero qua contra Diabolum pugnamus, illa est praecipua victoria, cum aliquis hostem non solum a se, sed a cordibus aliorum removet: quod fit per praedicationem et doctrinam; et ideo doctoribus et praedicatoribus tertia aureola debetur. Quidam vero distinguunt tres aureolas secundum tres vires animae, ut dicantur tres aureolae respondere potissimis trium virium animae actibus. Potissimus enim actus rationalis est veritatem fidei etiam in aliis diffundere; et huic actui debetur doctorum aureola. Irascibilis vero actus potissimus est etiam mortem propter Christum superare; et huic actui debetur aureola martyrum. Concupiscibilis autem actus potissimus est a delectabilibus maximis penitus abstinere; et huic debetur aureola virginum. Alii vero aureolas tres distinguunt secundum ea quibus Christo nobilissime conformamur. Ipse enim mediator fuit inter mundum et patrem. Fuit ergo doctor, secundum quod veritatem quam a patre acceperat, mundo manifestavit; fuit autem martyr, secundum quod a mundo persecutionem sustinuit; fuit vero virgo, inquantum puritatem in seipso conservavit. Et ideo doctores, martyres, virgines ei perfectissime conformantur; unde talibus debetur aureola.

Réponse à la sous-question 1

L’auréole est une récompense privilégiée, qui répond à une victoire privilégiée, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi, selon les victoires privilégiées de ces trois combats, qui s’imposent à tout homme, retient-on trois auréoles. En effet, dans le combat contre la chair, celui-là obtient la victoire la plus parfaite qui s’abstient entièrement des plaisirs sexuels, qui sont les principaux dans ce genre ; aussi une auréole est-elle due à la virginité. Mais dans le combat qui est soutenu contre le monde, la principale [victoire] consiste à soutenir la persécution du monde jusqu’à la mort ; aussi une deuxième auréole est-elle due aux martyrs, qui obtiennent la victoire dans ce combat. Dans le combat que nous soutenons contre le Diable, la victoire principale est obtenue lorsque quelqu’un éloigne l’Ennemi, non seulement de lui-même, mais du cœur des autres, ce qui se produit par la prédication et l’enseignement. C’est pourquoi la troisième auréole est due aux docteurs et aux prédicateurs. Mais certains font une distinction entre les trois auréoles selon les trois puissances de l’âme : ils disent ainsi que les trois auréoles répondent aux actes des trois puissances de l’âme. En effet, l’acte raisonnable le meilleur consiste à répandre la vérité de la foi aussi chez les autres : à cet acte, est due l’auréole des docteurs. Mais le meilleur acte de l’irascible est de l’emporter sur la mort pour le Christ : à cet acte, est due l’auréole des martyrs. Le meilleur acte du concupiscible consiste à s’abstenir totalement des plus grands plaisirs : à cet acte, l’auréole des vierges est due. Mais d’autres font une distinction entre les auréoles selon ce par quoi l’on est rendu conforme au Christ de la manière la plus noble. En effet, il a été le médiateur entre le monde et le Père. Il a donc été un docteur, selon qu’il avait reçu du Père la vérité qu’il a manifestée au monde. Il a aussi été un martyr, selon qu’il a enduré la persécution du monde. Mais il a été vierge en préservant en lui-même la pureté. Ainsi les docteurs, les martyrs et les vierges lui sont-ils rendus le plus parfaitement conformes. C’est pourquoi une auréole leur est due.

[23280] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in actu justitiae non attenditur aliqua pugna, sicut in actibus aliarum virtutum: nec tamen hoc verum est, quod docere sit actus prudentiae; immo potius est actus caritatis vel misericordiae, secundum quod ex tali habitu inclinamur ad hujusmodi exercitium, vel etiam sapientiae ut dirigentis. Vel potest dici, secundum alios, quod justitia circuit omnes virtutes; et ideo ei specialis aureola non debetur. Quomodo autem hoc sit verum, dictum est in Lib. 3, dist. 33, quaest. 3, art. 4.

1. Dans l’acte de justice, on ne relève pas de combat comme dans les actes des autres vertus. Toutefois, il n’est pas vrai qu’enseigner soit un acte de la prudence : c’est bien plutôt un acte de charité et de miséricorde, selon que, par un tel habitus, nous sommes enclins à une entreprise de ce genre, ou encore, [il s’agit d’un acte] de sagesse, comme celle de celui qui dirige. Ou bien, selon d’autres, on peut dire que la justice englobe toutes les vertus : aussi une auréole particulière ne lui est-elle pas due. Comment cela est vrai, on l’a dit dans le livre III, d. 33, q. 3, a. 4.

[23281] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod paupertas quamvis sit opus perfectionis, non tamen tenet summum locum in aliqua spirituali pugna: quia amor corporalium minus impugnat quam concupiscentia carnis, vel persecutio inflicta in corpus proprium. Unde paupertati non debetur aureola; sed debetur ei judiciaria potestas ratione humiliationis, quae consequitur paupertatem, ut supra dictum est. Glossa autem inducta large accipit aureolam pro quolibet praemio quod redditur merito excellenti.

2. Bien qu’elle soit un acte de perfection, la pauvreté n’occupe cependant pas la place la plus élevée dans le combat spirituel, parce que l’amour des choses corporelles assaille moins fortement que la concupiscence de la chair ou la persécution infligée à son propre corps. C’est pourquoi une auréole n’est pas due à la pauvreté. Mais, en raison de l’humiliation qui découle de la pauvreté, le pouvoir judiciaire lui est due, comme on l’a dit. Mais la glose invoquée entend l’auréole au sens large de toute récompense qui est due à un mérite élevé.

[23282] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium et quartum.

3. Il faut dire la même chose pour le troisième et le quatrième argument.

[23283] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam scribentibus sacram doctrinam debetur aureola; sed haec non distinguitur ab aureola doctorum, quia scripta componere quidam modus docendi est.

5. Une auréole est due aussi à ceux qui écrivent l’enseignement sacré, mais celle-ci n’est pas différente de l’auréole des docteurs, car rédiger des écrits est une manière d’enseigner.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23284] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod praeeminentia aureolae ad aureolam potest dupliciter attendi. Primo ex parte pugnae, ut dicatur aureola potior quae fortiori pugnae debetur; et per hunc modum aureola martyrum aliis aureolis supereminet quodam modo, et aureola virginum alio modo. Pugna enim martyrii est fortior secundum seipsam, et vehementius affligens: pugna carnis est periculosior, inquantum est diuturnior, et magis nobis imminet e vicino. Secundo ex parte eorum de quibus est pugna; et sic aureola doctorum inter omnes est potior: quia hujusmodi pugna versatur circa bona intelligibilia, aliae vero pugnae circa sensibiles passiones. Sed illa eminentia quae attenditur ex parte pugnae, est aureolae essentialior: quia aureola secundum propriam rationem respicit victoriam et pugnam. Difficultas etiam pugnae quae attenditur ex parte ipsius pugnae, est potior quam illa quae attenditur ex parte nostri, inquantum est nobis vicinior. Et ideo, simpliciter loquendo, aureola martyrum inter omnes est potior; et ideo dicitur Matth. 5, in Glossa, quod in octava beatitudine, quae ad martyres pertinet, scilicet: beati qui persecutionem patiuntur etc., omnes aliae perficiuntur. Propter hoc etiam Ecclesia in connumeratione sanctorum martyres doctoribus et virginibus praeordinat. Sed quantum ad aliquid, nihil prohibet alias aureolas excellentiores esse.

La prééminence d’une auréole sur une autre peut être envisagée de deux manières. Premièrement, du point de vue du combat : de cette manière, l’auréole des martyres l’emporte sur les autres auréoles sous un aspect et sur l’auréole des vierges sous un autre aspect. En effet, le combat du martyre est plus fort en lui-même et afflige plus durement ; mais le combat de la chair est plus dangereux dans la mesure où il dure plus longtemps et s’impose davantage à nous et à ceux qui nous entourent. Deuxièment, du point de vue de l’objet du combat : l’auréole des docteurs l’emporte ainsi sur toutes [les auréoles], car ce combat porte sur des réalités intelligibles, mais les autres combats, sur des passions sensibles. Or, cette éminence qui est envisagée du point de vue du combat est plus essentielle à l’auréole, car l’auréole, en son sens propre, concerne la victoire et le combat. Aussi, la difficulté qui est envisagée du point de vue du combat lui-même est-elle plus importante que celle qui est envisagée de notre point de vue, pour autant qu’elle nous est plus proche. À parler simplement, l’auréole des martyrs est donc la plus élevée parmi toutes. C’est pourquoi il est dit à propos de Mt 5, dans la Glose, que, dans la huitième béatitude, qui concerne les martyrs : Bienheureux ceux qui sont persécutés ! toutes les autres sont accomplies. C’est aussi la raison pour laquelle l’Église, en énumérant les saints, place les martyrs avant les docteurs et les vierges. Mais, sous un aspect, rien n’empêche que les autres auréoles soient plus élevées.

[23285] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

Ainsi ressortent les réponses aux autres objections.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23286] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum meritum sit quodammodo praemii causa; oportet diversificari praemia, secundum quod merita diversificantur. Aliquid enim intenditur et remittitur per intensionem et remissionem suae causae. Meritum autem aureolae potest esse majus et minus; unde et aureola potest esse major et minor. Sciendum tamen, quod meritum aureolae potest intendi dupliciter: uno modo ex parte radicis, alio modo ex parte operis. Contingit enim esse aliquos duos, quorum unus ex minori caritate majus tormentum martyrii sustinet, vel magis praedicationi instat, aut etiam magis se a delectabilibus carnis elongat. Intensioni ergo meriti quae attenditur penes radicem, non respondet intensio aureolae, sed intensio aureae; sed intensioni meriti quae est ex genere actus, respondet intensio aureolae. Unde potest esse quod aliquis qui minus in martyrio meretur quantum ad essentiale praemium, habebit pro martyrio majorem aureolam.

Puisque le mérite est en quelque sorte la cause de la récompense, il est nécessaire que les récompenses se diversifient selon que les mérites se diversifient. En effet, quelque chose augmente et diminue en intensité par l’augmentation et la diminution de l’intensité de sa cause. Or, le mérite de l’auréole peut être plus grand et plus petit. L’auréole peut donc être plus grande et plus petite. Il faut cependant savoir que le mérite de l’auréole peut gagner en intensité de deux manières : d’une manière, du point de vue de sa racine ; d’une autre manière, du point de vue de l’action. En effet, il arrive que, de deux personnes, l’une supporte un martyre plus douloureux, s’applique davantage à la prédication ou même s’éloigne davantage des plaisirs de la chair par une charité moindre. L’intensité de l’auréole ne répond donc pas à l’intensité du mérite envisagée selon sa racine, mais à l’intensité de la [couronne] d’or ; mais l’intensité de l’auréole répond à l’intensité du mérite qui vient du genre de l’acte. Il peut ainsi arriver que quelqu’un qui, par le martyre, mérite moins pour ce qui est de la récompense essentielle, aura une plus grande auréole à cause du martyre.

[23287] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod merita quibus debentur aureolae, non attingunt ad terminum perfectionis simpliciter, sed secundum speciem; sicut ignis est specie subtilissimum corporum; unde nihil prohibet unam aureolam alia esse excellentiorem, sicut unus ignis est alio subtilior.

1. Les mérites pour lesquels des auréoles sont dues ne touchent pas la limite de la perfection par essence, mais selon l’espèce ; ainsi le feu est le plus subtil des corps par son espèce. Rien n’empêche donc qu’une auréole soit meilleure qu’une autre, comme un feu est plus subtil qu’un autre.

[23288] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una virginitas potest esse alia major propter majorem recessum a virginitatis contrario; ut dicatur in illa esse major virginitas quae magis occasiones corruptionis vitat; sicut privationes intendi possunt, ut cum dicitur homo magis caecus, quia magis elongatur a visu.

2. Une virginité peut être plus grande qu’une autre en raison d’un éloignement plus grand de ce qui est contraire à la virginité ; on dira ainsi que l’une a une plus grande virginité parce qu’elle évite davantage d’occasions de corruption. Ainsi des privations peuvent être intensifiées, comme lorsqu’on dit qu’un homme est plus aveugle parce qu’il est plus éloigné de la vue.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 49

[23289] Super Sent., lib. 4 d. 49 q. 5 a. 5 qc. 3 expos. Suos fines habebunt duae civitates. Hoc ideo dicitur, quia usque ad diem judicii numerus electorum et damnatorum augetur; et etiam gloria et poena augeri potest, saltem quantum ad praemium et poenam accidentalem; sed post judicium ulterius augeri non poterit. Denarius enim unus. Hoc dicitur propter hoc quod idem est objectum omnium beatorum. Ille quippe beate vivit qui vivit ut vult, nec male aliquid vult. Haec sententia Augustini concordat cum sententia philosophi, ut per vivere operatio vitae intelligatur; per hoc autem quod dicitur: ut vult, ostenditur operatio non impedita; per hoc autem quod dicitur: nec aliquid male vult, ostenditur esse connaturalis, quia mala sunt contra naturam. Quo retardatur quodammodo, ne tota intentione pergat in illud summum caelum, donec appetitus ille conquiescat. Ista retardatio intelligitur quantum ad hoc quod anima a corpore separata non habet perfectum esse; et ita nec perfectam operationem, qua possit Deo perfecte conjungi.

 

 

 

Distinctio 50

Distinction 50 – [Les peines des impies]

Quaestio 1

Question 1 – [La connaissance de l’âme séparée]

 

 

Prooemium

Prologue

[23290] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de gloria sanctorum post judicium generale, hic determinat de poenis impiorum; et dividitur in partes duas: in prima propositum prosequitur; in secunda ponit totius opere epilogum, ibi: haec de pedibus sedentis super solium excelsum (...) commemorasse sufficiat. Prima autem pars dividitur in duas partes: in prima determinat de poenis damnatorum quantum ad effectum; in secunda determinat de poenis eorum quantum ad cognitionem, sive intellectum, ibi: hic quaeri solet, quare illae tenebrae, quibus involventur mali in Gehenna, dicuntur tenebrae exteriores. Et haec pars dividitur in partes tres: in prima ostendit quomodo excluduntur a cognitione Dei per hoc quod sunt in tenebris exterioribus; in secunda ostendit qualiter se habeat eorum cognitio ad ea quae in hoc mundo aguntur, ibi: praeterea quaeri solet, si reproborum animae quae nunc in Inferno cruciantur, notitiam habeant eorum quae circa suos in hac vita geruntur; in tertia qualiter se habeat ad cognoscenda ea quae erga sanctos aguntur, ibi: quaeri etiam solet, utrum vicissim se videant illi qui sunt in Inferno, et illi qui sunt in gloria. Secunda pars dividitur in duas: in prima inquirit, utrum mortui cognoscant ea quae hic aguntur; in secunda movet dubitationem quamdam ex dictis, ibi: si quis autem quaerat quomodo intelligatur quod de Lazaro et divite legitur, audiat Augustini responsum. Tertia vero pars dividitur in duas: in prima ostendit quomodo boni et mali invicem se videant; in secunda inquirit, quid accidat sanctis ex visione damnatorum, ibi: sed cum sancti malos in tormentis videant, nonne aliqua compassione erga eos moventur? Et haec pars dividitur in duas: in prima inquirit, utrum sancti videntes damnatorum miseriam eis compatiantur; in secunda, utrum ex hoc quod poenam damnatorum vident, eorum gloria minuatur, ibi: postremo quaeritur, an poena reproborum visa decoloret gloriam beatorum. Hic quaeruntur duo. Primo de cognitione naturali animae separatae. Secundo de poena damnatorum. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum anima possit aliquid intelligere a corpore separata; 2 utrum possit intelligere per species quas a sensibus accepit, dum corpori esset juncta; 3 utrum anima separata singularia cognoscat; 4 utrum localis distantia ejus cognitionem impediat. Utrum autem sensibus utatur, quaesitum est supra, dist. 44.

Après avoir déterminé de la gloire des saints après le jugement général, le Maître détermine ici des peines des impies. Il y a deux parties : dans la première, il poursuit son propos ; dans la seconde, il présente l’épilogue de l’ensemble de l’œuvre, à cet endroit : « Qu’il suffise d’avoir rappelé cela… à propos des pieds de celui qui est assis sur son trône dans les hauteurs. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine des peines des damnés pour ce qui est de leur effet ; dans la seconde, il détermine de leurs peines pour ce qui est de leur connaissance ou de leur intellect, à cet endroit : « On a coutume de se demander ici pourquoi les ténèbres dont sont enveloppés les méchants dans la Genèse sont appelées les ténèbres extérieures. » Cette partie se divise en trois parties. Dans la première, il montre comment ils sont écartés de la connaissance de Dieu du fait qu’ils sont dans les ténèbres extérieures. Dans la deuxième, il montre comment se comporte leur connaissance par rapport à ce qui se passe dans ce monde, à cet endroit : « De plus, on a coutume de se demander si les âmes des réprouvés qui sont torturées maintenant dans l’enfer ont connaissance de ce qui arrive à leurs proches en cette vie. » Dans la troisième, [il montre] comment [leur connaissance] se comporte pour la connaissance de qui arrive aux saints, à cet en endroit : « On a aussi coutume de se demander si ceux qui sont en enfer et ceux qui sont dans la gloire se voient réciproquement. » La deuxième partie se divise en deux : dans la première, il se demande si les morts connaissent ce qui se passe ici ; dans la seconde, il soulève un doute sur ce qui a été dit, à cet endroit : « Si quelqu’un cherche comment comprendre ce qu’on lit de Lazare et du riche, qu’il écoute la réponse d’Augustin. » La troisième partie se divise en deux : dans la première, il montre comment les bons et les méchants se voient réciproquement ; dans la seconde, il cherche ce qui arrive aux saints qui voient les damnés, à cet endroit : « Mais, lorsque les saints voient les méchants dans les tourments, ne sont-ils pas mus par une certaine compassion à leur endroit ? » Et cette partie se divise en deux : dans la première, il se demande si les saints qui voient la misère des damnés compatissent avec eux ; dans la seconde, si, du fait qu’ils voient la peine des damnés, leur gloire est diminuée, à cet endroit : « Finalement, on se demande si la vue de la peine des réprouvés ternit la gloire des bienheureux. » Il y a ici deux questions : premièrement, à propos de la connaissance naturelle de l’âme séparée ; deuxièmement, à propos de la peine des damnés. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – L’âme peut-elle intelliger quelque chose, une fois qu’elle est séparée du corps ? 2 – Peut-elle intelliger par des espèces qu’elle a reçues des sens, alors qu’elle était unie au corps ? 3 – L’âme séparée intellige-t-elle le singulier ? 4 – La distance locale empêche-t-elle sa connaissance ? On a examiné plus haut si elle fait usage des sens, d. 44.

 

 

Articulus 1 [23291] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 tit. Utrum anima aliquid intelligere possit a corpore separata

Article 1 – L’âme peut-elle intelliger quelque chose, une fois qu’elle est séparée du corps?

[23292] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod anima nihil intelligere possit a corpore separata. Quia, ut dicit philosophus in 1 de anima, intelligere et considerare consumitur quodam interius corrupto. Sed per mortem illud quod est interius ex parte corporis, corrumpitur. Ergo post mortem non potest anima intelligere aliquid et considerare.

1. Il semble que l’âme ne puisse rien intelliger, une fois qu’elle est séparée du corps, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, I, « intelliger et examiner disparaissent lorsque quelque chose est corrompu de l’intérieur ». Or, ce qui est intérieur du point de vue du corps est corrompu par la mort. L’âme ne peut donc pas rien intelliger et examiner après la mort.

[23293] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nulla actio communis corpori et animae potest remanere in anima, corpore corrupto. Sed intelligere est quaedam actio corpori et animae communis, sicut et texere et aedificare, ut patet in 1 de anima. Ergo, corpore corrupto, anima non potest intelligere.

2. Aucune action commune au corps et à l’âme ne peut demeurer dans l’âme, une fois que le corps est corrompu. Or, intelliger est une action commune au corps et à l’âme, comme c’est le cas de tisser et de construire, comme cela ressort de Sur l’âme, I. Une fois le corps corrompu, l’âme ne peut donc pas intelliger.

[23294] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, anima nihil potest intelligere sine intellectu possibili. Sed intellectus iste est corruptibilis, ut dicitur in 3 de Anim.: non autem corrumpitur nisi corpore corrupto. Ergo anima a corpore separata nihil potest intelligere.

3. L’âme ne peut rien intelliger sans l’intellect possible. Or, cet intellect est corruptible, comme on le dit dans Sur l’âme, I, mais il n’est corrompu que lorsque le corps est corrompu. L’âme séparée du corps ne peut donc rien intelliger.

[23295] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ut dicitur in 3 de anima, sicut se habent colores ad visum, ita se habent phantasmata ad animam intellectivam. Sed destructis coloribus visus nihil posset videre. Ergo destructis phantasmatibus anima nihil poterit intelligere. Phantasmata autem non remanent in anima separata, cum sint in imaginatione, quae habet organum corporale. Ergo anima separata nihil potest intelligere.

4. Comme on le dit dans Sur l’âme, III, le rapport entre les couleurs et la vue est le même qu’entre les fantasmes et l’âme intellective. Or, une fois détruites les couleurs, la vue ne pourrait rien voir. Une fois les fantasmes détruits, l’âme ne pourra donc rien intelliger. Or, les fantasmes ne demeurent pas dans l’âme séparée, puisqu’ils se trouvent dans l’imagination, qui a un organe corporel. L’âme séparée ne peut donc rien intelliger.

[23296] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, perfectius esse habet anima in corpore quam a corpore separata; sicut pars in toto perfectior est quam per se existens. Sed anima intellectiva, cum est in corpore, non potest intelligere sine phantasmatibus, ut patet in 1 et 3 de anima. Ergo nec separata a corpore sine eis intelligere poterit; et sic idem quod prius.

5. L’âme dans le corps possède l’être de manière plus parfaite que lorsqu’elle est séparée du corps, comme une partie est plus parfaite lorsqu’elle fait partie du tout que lorsqu’elle existe par elle-même. Or, l’âme intellective, lorsqu’elle est dans le corps, ne peut intelliger sans fantasmes, comme cela ressort de Sur l’âme, I et III. Elle ne pourra donc pas non plus intelliger sans eux, lorsqu’elle sera séparée du corps. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[23297] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, intellectus humanus est factus sicut tabula in qua nihil est scriptum, ut dicitur in 3 de anima. Ergo anima in sui creatione non habet aliquas formas concreatas. Si ergo intelligit aliquid, oportet quod intelligat per formas a sensibus acceptas; cum omnis cognitio fiat per aliquam formam quae sit similitudo rei cognitae. Sed animae puerorum defunctorum in uteris maternis non habent aliquas formas a sensibus acceptas. Ergo saltem animae puerorum non possunt intelligere aliquid, cum non habeant aliquas intelligibiles formas.

6. L’intellect humain a été créé comme une tablette sur laquelle rien n’est écrit, comme on le dit dans Sur l’âme, III. L’âme ne possède donc pas de formes créées en même temps que lorsqu’elle a été créée. Si donc elle intellige quelque chose, il faut qu’elle l’intellige par des formes reçues des sens, puisque toute connaissance se réalise par une forme qui est la similitude de la chose connue. Or, les âmes des enfants morts dans le sein maternel n’ont pas de formes reçues des sens. Du moins dans le cas des âmes des enfants, elles ne peuvent donc rien intelliger, puisqu’elles ne possèdent aucune forme intelligible.

[23298] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, anima ad hoc dicitur esse corpori conjuncta, ut scientiis et virtutibus perficiatur. Ergo antequam in corpore fuerit scientia perfecta, non potest intelligere aliquid; alias frustra corpori conjungeretur. Sed animae parvulorum praedictorum non fuerunt aliqua scientia in corporibus perfectae. Ergo idem quod prius.

7. On dit que l’âme a été unie au corps pour qu’elle soit perfectionnée par les sciences et par les vertus. Avant qu’il n’existe une science parfaite, alors qu’elle est dans le corps, elle ne peut donc intelliger quoi que ce soit, autrement, c’est en vain qu’elle serait unie au corps. Or, les âmes des petits dont il a été question n’ont pas été perfectionnées par une science. La conclusion est donc la même que précédemment.

[23299] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit in 2 caeli et mundi, quod omnis res est propter suam operationem: unde re remanente remanet ejus operatio; et hoc est quod Damascenus dicit, quod nulla substantia est otiosa. Si ergo anima post corpus remanet, sicut fides ponit; oportet quod aliqua ejus operatio remaneat; quia, ut dicitur in 1 de anima, si nulla operatio animae est ei propria sine corpore, non contingit eam separari. Sed intelligere est maxime propria ejus operatio. Ergo anima separata aliquid intelligere potest.

Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Sur le ciel et le monde, II, que toute chose existe en vue de son opération ; si la chose demeure, son opération demeure donc. C’est ce que dit [Jean] Damascène, qu’« aucune substance n’est inactive ». Si donc l’âme demeure après le corps, comme la foi l’affirme, il est nécessaire que l’opération qui est la sienne demeure, car, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, I, si aucune opération de l’âme ne lui est propre sans le corps, aucune séparation ne se produit. Or, intelliger est l’opération qui lui est le plus propre. L’âme séparée peut donc intelliger quelque chose.

[23300] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut dicit Avicenna in sua Metaph., immunitas a materia est causa quare aliqua substantia sit intellectiva. Sed anima separata a corpore immunior est a materia quam corpori conjuncta; quia tunc non est actus alicujus materiae, sicut modo est. Cum ergo anima modo intelligat, multo magis intelliget cum erit a corpore separata.

[2] Comme le dit Avicenne dans sa Métaphysique, l’« immunité de la matière est la cause pour laquelle une substance est intellectuelle ». Or, l’âme séparée du corps est plus exempte de la matière que lorsqu’elle est unie au corps, car elle n’est pas alors l’acte d’une matière, comme elle l’est maintenant. Puisque l’âme intellige maintenant, à bien plus forte raison intelligera-t-elle lorsqu’elle sera séparée du corps.

[23301] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Avicenna dicit in 6 de naturalibus, quod anima non indiget imaginatione et aliis virtutibus sensibilibus nisi in principio tantum; et non postea, nisi parum. Cum ergo proficit et roboratur, sola per se operatur actiones suas absolute; et sic anima indiget sensibus sicut homo indiget jumento et ejus apparatu, ut perveniat eo quo proponit; quo cum accesserit, non ejus ulterius indigebit. Ergo anima non semper indiget corpore ad intelligendum; et sic separata intelligere poterit.

[3] Avicenne dit dans Sur les choses naturelles, VI, que l’âme n’a besoin de l’imagination et des autres puissances sensibles qu’au départ seulement, et non par la suite, si ce n’est un peu. Lorsqu’elle progresse et se renforce, elle accomplit donc seulement par elle-même et librement ses opérations ; ainsi, l’âme a besoin des sens comme l’homme a besoin d’un cheval et de son équipement, afin de parvenir là où il veut aller ; lorsque cela s’est produit, il n’en aura plus besoin. L’âme n’a donc pas toujours besoin du corps pour intelliger. Lorsqu’elle sera séparée, elle pourra donc intelliger.

[23302] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ponentibus intellectum a potentiis sensitivis differre, necesse est ponere intellectus substantiam incorruptibilem esse, eo quod necesse est eum immaterialem ponere, nec a materia secundum esse dependentem. Omnem autem hujusmodi substantiam oportet incorruptibilem esse; quia materia, inquantum potest esse subjectum privationis et formae, est corruptionis causa in rebus materialibus. Unde dicit philosophus in 1 de anima, quod intellectus videtur esse substantia quaedam, et non corrumpi. Quidam vero hunc intellectum corruptibilem dixerunt non esse partem animae humanae, sed esse aliquam substantiam omnino a corpore separatam: animam vero humanam non dici intellectivam nisi secundum quamdam participationem intellectualitatis ex refulgentia intellectus separati super ipsam; unde destructo corpore anima humana nec remanebat, nec aliquid intelligere poterat. Sed hoc videtur esse contra intentionem philosophi; dicit enim in 2 de anima, de intellectu loquens, quod intellectus videtur esse alterum genus animae: et hoc solum contingit separari sicut perpetuum a corruptibili. 12 etiam Metaph., dicit, quod anima est talis dispositionis, ut scilicet possit separari non tota, sed intellectus. Ex quo patet quod intellectum, qui est pars animae, ponit a corpore separari; et ideo oportet animam intellectivam, quae est anima humana, post corpus remanere, sicut fides ponit: et per consequens necesse est quod intelligat, cum intelligere sit ejus propria operatio. Sed quomodo intelligat, diversimode a quibusdam ponitur. Quidam enim dicunt, quod anima separata, a rebus cognitionem accipit, sicut et nunc facit. Sed haec opinio videtur omnino irrationabilis: anima enim humana a corpore separata non poterit uti sensitivis potentiis, ut supra, dist. 44, qu. 3, art. 3, qu. 2, dictum est, cum harum potentiarum actus per organa corporea necesse sit exerceri; unde non erit nisi in usu potentiarum intellectivae partis. Intellectus autem non est natus accipere cognitionem a rebus sensibilibus immediate, sed mediantibus potentiis sensitivis; cum oporteat esse quamdam convenientiam inter recipiens et receptum. Species autem in sensibus existentes habent convenientiam et cum intellectu, inquantum sunt sine materia, et cum rebus materialibus, inquantum sunt cum conditionibus materiae; unde convenienter sensus a rebus materialibus accipit, et intellectus a sensibus: non autem intellectus immediate a rebus materialibus; et ideo non potest poni quod anima separata cognitionem a rebus materialibus accipiat. Nec sufficit ponere in ea cognitionem solum quae fuit a sensibus accepta in corpore, propter animas puerorum decedentium in maternis uteris, quae a sensibus cognitionem non acceperunt. Et ideo alii dicunt, quod sicut Angelus habet apud se formas innatas causarum ordinis universi, ita et anima a sui creatione; sed dum est in corpore, a corpore opprimitur, ut illis formis uti non possit ad intelligendum; sed utitur formis quas a sensu accipit, vel etiam ipsis formis innatis, secundum quosdam qui posuerunt quod addiscere non est aliud quam reminisci; sed postquam a corpore fuerit separata, utetur illis formis innatis. Sed illud contradicit sententiae philosophi, qui dicit intellectum humanum esse sicut tabulam in qua nihil est scriptum: contradicit etiam experientiae, qua experimur nos nihil posse intelligere, nisi ex praeacceptis a sensu ad intelligendum manuducamur. Nec esset probabile quod, cum anima naturaliter corpori uniatur, totaliter impediretur per conjunctionem ad corpus, ut formis innatis uti posset. Sed hoc consonum videretur opinioni illorum qui posuerunt animam ante corpus creatam, et postea corpori accidentaliter conjunctam: non enim ea quae uni et eidem naturaliter insunt, ita se habent, quod unum eorum totaliter impediat alterum; alias in natura aliquid esset otiosum. Et ideo aliter dicendum est, quod anima in sui creatione nullas habet formas concreatas: nec ad hoc quod post separationem a corpore intelligat, requiruntur aliquae formae a rebus acceptae vel tunc vel prius; sed intelliget, de naturali cognitione loquendo, per influentiam a substantiis superioribus, Deo, scilicet, vel Angelis; et loquor de naturali influentia; et hoc sic patet. Intellectus enim noster est medius inter substantias intelligibiles et res corporales; unde anima intellectiva dicitur esse creata in orizonte aeternitatis, in libro de causis; et hoc ideo quia ipsa per intellectum attingit ad substantias intelligibiles; inquantum vero est actus corporis, contingit res corporales. Omne autem medium quanto magis appropinquat uni extremorum, tanto magis recedit ab alio; et quanto magis recedit ab uno, tanto magis alteri appropinquat. Unde cum anima nostra in statu viae maxime ad corpus accedat, utpote actus ejus existens; non habet respectum ad res intelligibiles nisi aliquo modo contingendo corpus; et propter hoc anima in statu hujus viae non recipit influentiam a superioribus substantiis, nisi ut cognoscat sub speciebus a sensibus acceptis; unde Dionysius dicit, quod non est possibile nobis in hac vita aliter superlucere divinum radium, nisi cum varietate sensibilium formarum: et ideo etiam in hac vita quanto anima magis a corpore abstrahitur: tanto magis a substantiis spiritualibus influxum cognitionis recipit; et inde est quod quaedam occulta cognoscunt in dormiendo, et in excessu mentis, quando anima a corporis sensibus abstrahitur; unde cum actu erit a corpore separata, erit paratissima ad recipiendum influentiam a substantiis superioribus, scilicet Deo vel Angelis; et sic per hujusmodi influentiam cognitionem habebit majorem, vel minorem secundum modum naturalis capacitatis ipsius animae: et sic etiam Commentator, qui ponit intellectum possibilem esse substantiam separatam, quamvis in hoc erret; tamen quantum ad hoc recte dicit quod ex hoc quod ponitur substantia separata, habet respectum ad alias substantias spirituales superiores ut eas intelligat; sed secundum illum respectum quo comparatur ad nostrum corpus recipiendo species a phantasmatibus, non conjungitur substantiis altioribus.

Si on affirme que l’intellect est différent des puissances sensibles, il est nécessaire d’affirmer que la substance de l’intellect est incorruptible, du fait qu’il est nécessaire d’affirmer qu’elle est immatétielle et qu’elle ne dépend pas de la matière pour son être. Or, il est nécessaire que toute substance de ce genre soit incorruptible, car la matière, en tant qu’elle peut être sujet d’une privation et de la forme, est la cause de la corruption pour les choses matérielles. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur l’âme, I, que l’intellect semble être une substance et qu’elle ne se corrompt pas. Mais certains ont dit que cet intellect incorruptible [corr. corruptibilem/incorruptibilem] n’est pas une partie de l’âme humaine, mais qu’il est une substance tout à fait séparée du corps, et que l’âme humaine n’est appelée intellectuelle que par une certaine participation à l’intellectualité en vertu d’un rayonnement exercé sur elle par l’intellect séparé ; si le corps était détruit, l’âme humaine ne demeurait donc pas et elle ne pouvait rien intelliger. Mais cela semble être contraire à l’intention du Philosophe. En effet, il dit, dans Sur l’âme, II, en parlant de l’intellect, que l’intellect être d’un autre genre que l’âme, et que cela seulement est séparé, comme ce qui est perpétuel de ce qui est corruptible. Il dit aussi dans Métaphysique, XII, que l’âme a une disposition telle qu’elle peut être séparée, non pas en entier, mais que l’intellect peut être séparé. Il ressort de cela qu’il affirme de l’intellect, qui est une partie de l’âme, qu’il est séparé du corps. Il est donc nécessaire que l’âme intellectuelle, qui est l’âme humaine, demeure après le corps, comme l’affirme la foi. Par conséquent, il est nécessaire qu’elle intellige, puisque intelliger est son opération propre. Mais comment elle intellige, cela est présenté de différentes façons par certains. En effet, certains disent que l’âme séparée reçoit sa connaissance des choses, comme elle le fait maintenant. Mais cette opinion semble être tout à fait déraisonnable : en effet, l’âme humaine séparée du corps ne pourra pas faire usage de puissances sensibles, comme on l’a dit plus haut, d. 44, a. 3, q. 2, puisqu’il est nécessaire que les actes de ces puissances s’exercent nécessairement par des organes corporels ; elle ne fera donc usage que des puissances de la partie intellectuelle. Or, l’intellect n’est pas fait pour recevoir de manière immédiate la connaissance des choses sensibles, mais par l’intermédiaire des puissances sensibles, puisqu’il doit exister quelque chose de commun entre ce qui reçoit et ce qui est reçu. Or, les espèces qui existent dans les sens ont quelque chose en commun avec l’intellect, pour autant qu’elles existent sans matière, et avec les choses matérielles, pour autant qu’elles existent avec les conditions de la matière. Aussi est-il approprié que le sens reçoive à partir des choses matérielles et l’intellect à partir des sens, mais non que l’intellect [reçoive] immédiatement à partir des choses matérielles. On ne peut donc pas affirmer que l’âme séparée reçoit la connaissance à partir des choses matérielles. Et il ne suffit pas d’affirmer qu’existe en elle seulement la connaissance de ce qui a été reçu en elle à partir des sens alors qu’elle était dans le corps, en raison des âmes des enfants qui meurent dans le sein maternel, et qui n’ont pas reçu de connaissance à partir des sens. C’est pourquoi d’autres disent que, de même que l’ange possède en lui-même les formes innées des causes de l’ordre de l’univers, de même aussi l’âme, dès sa création, mais que, lorsqu’elle est dans le corps, elle est étouffée par le corps, de sorte qu’elle ne peut faire usage de ces formes pour intelliger ; mais elle fait usage des formes qu’elle a reçues du sens ou encore des formes innées elles-mêmes, selon certains qui ont affirmé qu’apprendre n’est rien d’autre que se souvenir, mais qu’après qu’elle a été séparée du corps, elle fera usage de ces formes innées. Mais cela est contraire à la position du Philosophe, qui dit que l’intellect humain est comme une tablette sur laquelle rien n’a été écrit ; cela est aussi contraire à l’expérience, par laquelle nous constatons que nous ne pouvons rien intelliger, à moins que nous ne soyons conduits par la main pour intelliger ce que nous avons d’abord reçu du sens. Il ne serait pas non plus probable que, puisque l’âme est naturellement unie au corps, elle serait entièrement empêchée par l’union au corps de pouvoir faire usage des formes innées. Mais cela semblerait s’harmoniser avec l’opinion de ceux qui ont affirmé que l’âme a été créée avant le corps et que, par la suite, elle a été accidentellement unie au corps. En effet, les choses qui existent dans une seule et même chose ne sont pas telles que l’une d’entre elles fasse totalement obstacle à une autre, autrement il y aurait quelque chose d’inutile dans la nature. C’est pourquoi il faut parler autrement : l’âme, lors de sa création, ne possède aucune forme qui soit créée avec elle et, pour qu’elle intellige après la séparation du corps, des formes reçues des choses alors ou avant ne sont pas nécessaires, mais elle intelligera, pour parler de la connaissance naturelle, sous l’influence des substances supérieures, Dieu ou les anges, et je parle d’une influence naturelle. Cela ressort de la manière suivante. En effet, notre intellect se situe entre les substances intelligibles et les choses corporelles. Aussi dit-on, dans le livre Sur les causes, que l’âme intellectuelle a été créée sur l’horizon de l’éternité, parce que, par l’intellect, elle rejoint les substances intelligibles, mais que, dans la mesure où elle est l’acte du corps, elle touche aux choses visibles. Or, tout ce qui est au centre atteint d’autant plus l’un des extrêmes qu’il s’éloigne de l’autre, et plus il s’éloigne de l’un, plus il se rapproche de l’autre. Puisque notre âme, dans l’état de cheminement, se rapproche surtout du corps en tant qu’elle en est l’acte, elle n’a donc de regard sur les choses intelligibles qu’en atteignant le corps d’une certaine manière. Pour cette raison, l’âme, dans l’état de la vie présente, ne reçoit-elle l’influence des substances supérieures que pour connaître par les espèces reçues des sens. Ainsi Denys dit-il qu’il ne nous est pas possible en cette vie de regarder le rayonnement divin, sinon sous la diversité des formes sensibles. En cette vie, plus l’âme s’abstrait du corps, plus elle reçoit un influx de connaissance de la part des substances spirituelles. De là vient qu’on connaît certaines choses cachées pendant le sommeil et lorsqu’on est en état d’extase [excessus mentis], alors que l’âme est abstraite des sens. Aussi lorsqu’elle sera effectivement séparée du corps, sera-t-elle la mieux disposée à recevoir l’influence des substances supérieures, Dieu et les anges. Ainsi aura-t-elle, par une telle influence, une connaissance plus grande ou moins grande selon la mesure de la capacité naturelle de l’âme elle-même. C’est aussi ce que dit le Commentateur, qui affirme que l’intellect possible est une substance séparée, bien qu’il erre [sur ce point] ; mais il dit correctement à ce propos que, du fait qu’elle est une subs-tance séparée, elle a un rapport avec les autres substances spiritutelles supérieures en vue de les intelliger ; mais, sous l’aspect où elle se compare à notre corps en recevant des espèces à partir des fantasmes, elle n’est pas unie aux autres substances plus élevées.

[23303] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de actu intellectus quo nunc in via intelligimus, abstrahendo a phantasmatibus: hic enim actus esse desinit, phantasmatibus destructis, in separatione animae a corpore.

1. Le Philosophe parle de l’acte de l’intellect par lequel nous intelligeons maintenant dans l’état de cheminement, en abstrayant à partir des fantasmes. En effet, cet acte cesse d’exister lorsque les fantasmes sont détruits lors de la séparation de l’âme du corps.

[23304] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intelligere, secundum quod exit ab intellectu, non est actio communis animae et corpori (non enim intellectus intelligit mediante aliquo organo corporali), sed est communis animae et corpori ex parte objecti, inquantum intelligimus abstrahendo a phantasmatibus, quae sunt in organo corporali; et hunc modum intelligendi anima separata non habet.

2. Intelliger, selon que [cet acte] provient de l’intellect, n’est pas une action commune à l’âme et au corps (en effet, l’intellect n’intellige pas au moyen d’un organe corporel), mais elle est commune à l’âme et au corps du point de vue d’objet, pour autant que nous intelligeons en abstrayant à partir de fastasmes, qui existent dans un organe corporel. L’âme séparée ne possède pas cette manière d’intelliger.

[23305] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod passivus intellectus, de quo philosophus loquitur, non est intellectus possibilis, sed ratio particularis, quae dicitur vis cogitativa, habens determinatum organum in corpore, scilicet mediam cellulam capitis, ut Commentator ibidem dicit; et sine hoc anima nihil modo intelligit; intelliget autem in futuro, quando a phantasmatibus abstrahere non indigebit.

3. L’intellect passif, dont parle le Philosophe, n’est pas l’intellect possible, mais la raison particulière, qui est appelée la puissance cogitative, qui possède un organe déterminé dans le corps : le réduit du milieu de la tête, comme le dit le Commentateur au même endroit. Sans cela l’âme n’intellige rien maintenant, mais elle intelligera dans le futur, alors qu’elle n’aura pas besoin d’abstraire à partir des fantasmes.

[23306] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod comparatio illa intelligitur de anima intellectiva ex parte illa qua corpori conjungitur, et non prout est intellectiva simpliciter: quia intellectus, inquantum hujusmodi, non respicit phantasmata, sicut patet de intellectu angelico.

4. Cette comparaison s’entend de l’âme intellective sous l’aspect où elle est unie au corps, et non en tant qu’elle est simplement intellective, car l’intellect, en tant que tel, ne regarde pas les fantasmes, comme cela est clair pour l’intellect angélique.

[23307] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod anima habet esse perfectius in corpore quam separata, inquantum est forma, non autem inquantum est intellectus; nisi forte conjungatur tali corpori quod est omnino animae subditum, in nullo intellectum distrahens, sicut erit corpus gloriosum: corpus enim quod corrumpitur, aggravat animam, et deprimit terrena habitatio sensum multa cogitantem: sapientiae 9, 15.

5. L’âme a un être plus parfait dans le corps que lorsqu’elle est séparée pour autant qu’elle est forme, mais non pour autant qu’elle est intellect, à moins qu’elle ne soit unie à un corps qui est entièrement soumis à l’âme et qui ne distrait aucunement l’intellect, comme ce sera le cas du corps glorieux : En effet, le corps qui est corrompu alourdit l’âme et la demeure terrestre alourdit l’esprit aux multiples pensées, Sg 9, 15.

[23308] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod animae puerorum quamvis non habeant formas innatas vel acquisitas, habebunt tamen aliquas formas intelligibiles ex influentia divini luminis, cooperante ministerio Angelorum.

6. Les âmes des enfants, bien qu’elle n’aient pas de formes innées ou acquises, auront cependant certaines formes intelligibles sous l’influence de la lumière divine, avec la collaboration du ministère des anges.

[23309] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod anima ex hoc quod in corpore scientis perfecta fuit, etiam separata magis intelliget, ut infra dicetur: non tamen sequitur quod, si non fuerit in scientia perfecta, nullo modo intelligat.

7. L’âme, du fait qu’elle a parfaite dans le corps de celui qui connaît, intelligera aussi davantage lorsqu’elle sera séparée, comme on le dira plus loin ; il n’en découle cependant pas que, si elle n’avait pas une science parfaite, elle n’intelligera d’aucune manière.

 

 

Articulus 2 [23310] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 tit. Utrum anima per species quas nunc a corpore abstrahit, separata postmodum per eas aliquid intelligat

Article 2 – Lorsque qu’elle sera séparée par la suite, l’âme intelligera-t-elle quelque chose grâce aux espèces qu’elle abstrait maintenant à partir du corps ?

[23311] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima per species quas nunc a corpore abstrahit, separata postmodum per eas nihil intelligat. Hujusmodi enim species ejusdem rationis erunt in anima separata cujus modo sunt. Sed nunc per eas non potest anima intelligere sine phantasmatibus: quod patet ex hoc quod laeso organo phantasiae anima impeditur in consideratione eorum quae prius a sensu accepit. Ergo nec anima separata per illas species intelligere poterit, cum in ea nulla phantasmata sint.

1. Il semble que, lorsqu’elle sera séparée, l’âme intelligera grâce aux espèces qu’elle abstrait maintenant à partir du corps. En effet, ces espèces auront dans l’âme séparée la même raison qu’elles ont maintenant. Or, maintenant, l’âme ne peut intelliger sans fantasmes, ce qui est ressort du fait que, si l’organe de l’imagination est blessé, l’âme est empêchée d’examiner ce qu’elle a auparavant reçu du sens. L’âme séparée ne pourra donc pas non plus intelliger grâce à ces espèces, puisqu’il n’y a en elle aucun fantasme.

[23312] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ex similibus actibus similes habitus relinquuntur. Sed habitus scientiae nunc acquirimus ex actu intelligendi, quo anima a phantasmatibus abstrahit. Ergo habitus scientiae acquisitae non inclinat nisi in similes actus. Cum ergo talis actus intelligendi non possit esse in anima separata, scilicet accipiendo a phantasmatibus; videtur quod per scientiam hic acquisitam, vel per species hic a sensibus acceptas, anima separata nihil intelligat.

2. Des habitus semblables sont laissés par des actes semblables. Or, maintenant, nous acquérons des habitus de science par l’acte d’intelliger, par lequel l’âme abstrait à partir des fantasmes. L’habitus de la science acquise n’incline donc qu’à des actes semblables. Puisqu’un tel acte d’intellection ne peut exister dans l’âme séparée, à savoir, en recevant [des espèces] à partir des fantasmes, il semble donc que, par la science acquise ici ou par les espèces reçues ici des sens, l’âme séparée n’intellige rien.

[23313] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, in operibus naturae nihil est superfluum; nec natura facit per duo quod per unum facere potest. Sed anima separata poterit intelligere per influentiam a substantiis superioribus, ut supra dictum est. Ergo non intelliget per aliquas species a sensibus acceptas.

3. Rien n’est superflu dans les œuvres de la nature, et la nature ne réalise pas par deux choses ce qu’elle peut faire par une seule. Or, l’âme séparée pourra intelliger par une influence venue des substances supérieures, comme on l’a dit plus haut. Elle n’intelligera donc pas par des espèces reçues des sens.

[23314] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, impossibile est duas formas ejusdem speciei esse in eodem subjecto. Sed anima separata recipiet aliquas formas intelligibiles ex influentia substantiae superioris, per quas poterit res intelligere. Ergo in ipsa non possunt remanere intelligibiles formae earumdem rerum a sensibus acceptae.

4. Il est impossible que deux formes d’une même espèce exister dans un même sujet. Or, l’âme séparée recevra de l’influence d’une substance supérieure certaines formes intelligibles, par lesquelles elle pourra intelliger les choses. Les formes intelligibles de ces mêmes choses reçues des sens ne peuvent donc pas demeurer en elle.

[23315] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ex hoc intellectus noster actu intelligit quod forma intelligibilis in eo existit. Ergo postquam destitit actu intelligere, forma intelligibilis in eo non remanet; et sic videtur quod non remaneant in anima separata aliquae formae intelligibiles a sensibus acceptae, per quas intelligere possit.

5. Notre intellect intellige en acte du fait qu’une forme intelligible demeure en lui. Après qu’il a cessé d’intelliger, la forme intelligible ne demeure donc pas en lui. Il semble ainsi que ne demeurent pas dans l’âme séparée des formes intelligibles reçues des sens, par lesquelles elle pourrait intelliger.

[23316] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, considerare illud cujus scientiam aliquis prius accepit, videtur ad memoriam vel reminiscentiam pertinere. Sed destructo corpore, anima non reminiscitur, ut dicit philosophus in 1 et 3 de anima. Anima ergo separata non intelligit per species in hac vita a sensibus acceptas.

6. Examiner ce dont quelqu’un a auparavant reçu la science semble relever de la mémoire ou de la réminiscence. Or, une fois le corps détruit, l’âme ne se souvient pas, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, I et III. L’âme séparée n’intellige donc pas par des espèces reçues des sens en cette vie.

[23317] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit, quod anima est locus specierum; et loquitur de parte intellectiva. Sed locus conservat locatum. Ergo species a sensibus acceptae in intellectiva conservantur; et sic videtur quod per eas possit intelligere anima separata a corpore, sicut et nunc potest.

Cependant, [1] le Philosophe dit que l’âme est le lieu des espèces, et il parle de la partie intellective. Or, le lieu conserve ce qui est dans le lieu. Les espèces reçues des sens sont donc conservées. Il semble ainsi que, par elles, l’âme séparée du corps peut intelliger, comme elle le peut maintenant.

[23318] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, finis remanet remotis etiam his quae sunt ad finem. Sed sensus ordinatur ad cognitionem animae intellectivae sicut ad finem, inquantum ex sensibus cognitionem accipit. Ergo cognitio quam anima accipit a sensibus, remanet in ea etiam destructis sensibus corporis; quod erit cum anima fuerit a corpore separata.

[2] La fin demeure, même lorsqu’est enlevé ce qui se rapporte à la fin. Or, le sens est ordonné à la connaissance de l’âme intellective comme à sa fin, pour autant qu’elle reçoit sa connaissance des sens. La connaissance que l’âme reçoit des sens demeure donc en elle une fois que les sens du corps sont détruits, ce qui sera le cas lorsque l’âme aura été séparée du corps.

[23319] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Sed anima est incorruptibilis et perpetua. Ergo quod in ea recipitur, recipitur ut perpetuo conservabile in ipsa; ergo species intelligibiles quas a sensibus accipit, remanent in ea post separationem a corpore. Frustra autem remanerent, nisi per eas intelligeret formas prius a sensibus acceptas.

[3] Ce qui est reçu par quelque chose en est reçu selon le mode de celui qui reçoit. Or, l’âme est incorruptible et perpétuelle. Ce qui est reçue en elle est donc reçu comme quelque chose qui peut être perpétuellement conservé en elle. Les espèces intelligibles qu’elle a reçues des sens demeurent donc en elle après la séparation du corps. Or, elles y demeureraient inutilement, si [l’âme] n’intelligeait pas par elles les formes reçues auparavant des sens.

[23320] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc duplex est opinio. Una occasionatur ex opinione Avicennae, qui dicit, quod intellectus noster possibilis non servat aliquas formas postquam actu intelligere desinit; quia formae intelligibiles non possunt esse in intellectu possibili nisi ut in vi apprehendente. Non enim utitur organo corporali, ut ex parte ejus possit aliquid esse in intellectu non ut in apprehendente actu; per quem modum aliquid est in potentiis sensitivae partis, quae potentiae thesauri dicuntur, sicut memoria et imaginatio; sed intellectus possibilis cum convertit se ad intelligentiam agentem, quam ponit separatam, accipit species intelligibiles ex influentia ejus, cujus est formas a phantasmatibus abstrahere, et ponere eas in intellectu possibili; et cum desinit se convertere ad intellectum agentem, formae illae desinunt esse in eo; sicut forma visibilis desinit esse in oculo, cum oculus desinit se convertere ad rem visam. Oportet autem ut si iterum velit intellectus possibilis considerare quod prius consideravit, de novo se convertat ad intellectum agentem, et de novo species intelligibiles recipiat; et secundum hoc quidam eum sequentes dicunt, quod in anima nostra nullae species intelligibiles reservantur, quibus possit post mortem uti ad intelligendum; et sic etiam dicunt, quod scientia hic acquisita nullo modo manet neque quantum ad actum neque quantum ad habitum. Sed haec opinio non videtur esse conveniens. Primo, quia contrariatur manifeste sententiae philosophi, qui ponit animam esse locum specierum; unde oportet quod species in illa conserventur. Secundo, quia ex quo species in intellectum possibilem imprimuntur, non est probabile eas aboleri, nisi aliqua causa corrumpens eas fuerit; cum multo nobilius recipiantur formae intelligibiles in intellectu possibili quam formae sensibiles in materia prima. Tertio, quia Augustinus ponit partem mentis esse memoriam; et sic in ea species intelligibiles reservantur. Quarto, quia dato quod nullae species intelligibiles remanerent in anima separata, non propter hoc tolleretur quin habitus scientiae remaneret, etiam secundum praedictam opinionem Avicennae. Vult enim quod quamvis species intelligibiles non remaneant in intellectu possibili cum actu non intelligit, remanet tamen in eo quaedam habilitatio, ut facilius se convertat ad recipiendum species intelligibiles ab intellectu agente, ratione cujus non oportet quod semper aliquis ita laboret ad aliquid intelligendum, sicut cum de novo didicit vel invenit; et habilitas haec nihil aliud est quam habitus scientiae. Unde etiam in anima separata hujusmodi habitus remanebit, ut scilicet paratior sit ad recipiendum cognitionem ex influentia superioris substantiae anima quae habitu scientiae in hoc mundo fuit perfecta, quam alia quae hujusmodi habitu caruit. Et ideo ponendum secundum alios videtur, quod species intelligibiles remanent in anima postquam actu intelligere desierit, et etiam major habilitas ad recipiendum ab intellectu agente; et quod utrumque eorum remanebit in anima separata, et utroque uti poterit in intelligendo; alio tamen modo eis utitur cum est corpori conjuncta. Cum enim est conjuncta corpori, ejus intellectus non potest aliquid considerare nec per species acquisitas, nec per aliquem influxum superioris substantiae, nisi convertendo se ad phantasmata; quia, propter perfectam conjunctionem ejus ad corpus, potentia intellectiva ejus nihil cognoscit nisi per ea quae per corpus recipiuntur, unde habet phantasmata quasi objecta ad quae respicit; sed cum erit a corpore separata, intelliget per alium modum, ut supra dictum est, scilicet non aspiciendo ad phantasmata.

À ce sujet, il existe deux opinions. L’une vient de l’opinion d’Avicenne, qui dit que notre intellect possible ne conserve pas de formes après qu’il cesse d’intelliger en acte, parce que les formes intelligibles ne peuvent exister dans l’intellect possible qu’en tant qu’elles existent dans une puissance qui appréhende. En effet, il ne fait pas usage d’un organe corporel, de telle sorte que, de son côté, quelque chose puisse exister dans l’intellect qui n’appréhende pas en acte. Quelque chose existe selon ce mode dans les puissances de la partie sensible, qu’on appelle les puissances de thésaurization, comme la mémoire et l’imagination. Mais l’intellect possible, lorsqu’il se tourne vers l’intellect agent, dont [Avicenne] affirme qu’il est séparé, reçoit les espèces intelligibles par l’influence de ce à quoi il appartient d’abstraire les formes à partir des fantasmes et de les déposer dans l’intellect possible. Et lorsqu’il cesse de se tourner vers l’intellect agent, ces formes cessent d’exister en lui, comme une forme visible cesse d’exister dans l’œil lorsque l’œil cesse de se tourner vers la chose sensible. Mais, si l’intellect possible veut examiner ce qu’il a examiné auparavant, il faut qu’il se tourne à nouveau vers l’intellect agent et reçoive à nouveau des espèces intelligibles. Ainsi, dans sa foulée, certains disent que, dans notre âme, aucune espèce intelligible n’est mise en réserve, que [l’âme] pourrait utiliser après la mort. Ils disent aussi que la science acquise ici ne demeure d’aucune manière ni par l’acte, ni par l’habitus. Mais cette opinion ne semble pas appropriée. Premièrement, parce qu’elle est manifestement contraire à la position du Philosophe, qui affirme que l’âme est le lieu des espèces ; aussi est-il nécessaire que les espèces soient conservées en elle. Deuxièmement, parce que, du fait que les espèces sont imprimées dans l’intellect possible, il n’est pas probable qu’elles soient effacées, à moins qu’il n’y ait une cause qui les corrompe, puisque les formes intelligibles sont reçues dans l’intellect possible d’une manière beaucoup plus noble que les formes sensibles dans la matière première. Troisièmement, parce que Augustin affirme que la mémoire est une partie de l’âme et qu’ainsi les espèces intelligibles sont conservées en elle. Quatrièmement, parce que, en supposant qu’aucune espèce intelligible ne demeure dans l’âme séparée, on n’écarterait pas ainsi que l’habitus y demeurerait, même selon l’opinion d’Avicenne qui a été rappelée. En effet, il veut que, même si les espèces intelligibles ne demeurent pas dans l’intellect possible lorsqu’il n’intellige pas en acte, une certaine capacité demeure en lui de se tourner plus facilement vers la réception d’espèces intelligibles de la part de l’intellect agent, raison pour laquelle il n’est pas nécessaire que quelqu’un fasse autant d’effort pour intelliger quelque chose que lorsqu’il l’apprend ou le trouve pour la première fois ; et cette capacité n’est rien d’autre que l’habitus de science. Aussi cet habitus demeurera-t-il dans l’âme séparée, de sorte que l’âme qui a été perfectionnée en ce monde par l’habitus de la science sera mieux préparée à recevoir la connaissance sous l’influence d’une substance supérieure, qu’une autre à qui fait défaut un tel habitus. Il semble donc qu’il faille affirmer selon d’autres que les espèces intelligibles demeurent dans l’âme après qu’elle a cessé d’intelliger en acte, ainsi qu’une plus grande facilité à recevoir de l’intellect agent, que les deux choses demeureront dans l’âme séparée et qu’elle pourra faire usage des deux pour intelliger ; mais elle en fait usage d’une autre manière que lorsqu’elle est unie au corps. En effet, lorsqu’elle est unie au corps, son intellect ne peut examiner quelque chose qu’à travers des espèces acquises, et non sous l’influence d’une substance supérieure, à moins de se tourner vers des fantasmes. En effet, en raison de sa parfaite union au corps, sa puissance intellective ne connaît rien, sauf ce qui est reçu par elle de la part du corps. Elle a donc comme objet les fantasmes qu’elle regarde. Mais lorsque l’âme sera séparée du corps, elle intelligera d’une autre manière, comme on l’a dit plus haut : sans regarder des fantasmes.

[23321] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis species intelligibiles, per se loquendo, sint ejusdem rationis dum sunt in anima conjuncta corpori, et cum sunt in anima separata; tamen per accidens sunt rationis diversae, inquantum anima in qua sunt, diversimode se habet in conjunctione ad materiam, vel separatione ab ea; et ideo per species illas anima conjuncta non intelligit nisi convertendo se ad phantasmata; sed cum fuerit separata, intelliget per eas etiam sine tali conversione.

1. Bien que, à parler par soi, les espèces intelligibles aient la même raison lorsqu’elles existent dans l’âme unie au corps et lorsqu’elles existent dans l’âme séparée, elles existent cependant par accident selon une autre raison, dans la mesure où l’âme est dans un état différent, lorsqu’elle est unie à la matière, que lorsqu’elle en est séparée. Par ces espèces, l’âme unie n’intellige qu’en se tournant vers des fantasmes ; mais, lorsqu’elle sera séparée, elle intelligera par elles sans une telle conversion.

[23322] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus non specificantur a termino a quo, sed magis a termino ad quem; unde idem specie motus est dealbatio, sive per eam aliquis fiat de nigro albus, sive de rubeo albus. Unde et intelligere non diversificatur specie per hoc quod intelligitur abstrahendo a phantasmatibus vel non abstrahendo, dummodo sit unius modi quod intelligitur et quo intelligitur; et propterea habitus scientiae qui acquiritur ex actibus intellectus accipientis a phantasmate, inclinat in actum intelligendi quo phantasmata non respicit. Et praeterea intelligere nostrum secundum statum istum est secundum phantasmata illustrata lumine intellectus agentis; unde est unius rationis cum cognitione animae separatae, quae est per influentiam luminis a superiori substantia, quantum ad ipsam illustrationem, quamvis non quantum ad phantasmata.

2. Les actes ne reçoivent par leur espèce de leur terme a quo, mais plutôt de leur terme ad quem. Le blanchissement est donc un mouvement de la même espèce, que l’on passe par lui du noir au blanc ou que, par lui, quelqu’un passe du noir au blanc ou du rouge au blanc. Aussi intelliger ne se diversifie-t-il pas spécifiquement par le fait qu’on intellige en abstrayant ou en n’abstrayant pas des fantasmes, pourvu que ce qui est intelligé et ce par quoi cela est intelligé aient un même mode. Pour cette raison, l’habitus de science qui est acquis par des actes de l’intellect qui reçoit à partir du fantasme rejoint l’acte d’intelliger par lequel il ne regarde pas de fastasmes. De plus, notre acte d’intellection en l’état présent se fait par des fantasmes éclairés par la lumière de l’intellect agent. Aussi a-t-il la même raison que la connaissance de l’âme séparée, qui se réalise par l’influence de la lumière venue d’une substance supérieure, pour ce qui est de l’éclairage, bien que ce ne soit pas le cas pour les fantasmes.

[23323] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex ipsis speciebus intelligibilibus praeexistentibus in intellectu possibili efficitur intellectus possibilis paratior ad perfectius recipiendum cognitionem ex influentia superioris substantiae; unde non sequitur quod frustra hujusmodi species in anima separata remaneant ad intelligendum per eas.

3. En raison des espèces intelligibles qui préexistent dans l’intellect possible, l’intellect possible est mieux préparé à recevoir plus parfaitement la connaissance par l’influence d’une substance supérieure. Il n’en découle donc pas qu’il est inutile, pour les comprendre, que ces espèces demeurent dans l’âme séparée.

[23324] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod formae intelligibiles acceptae non sunt omnino unius rationis cum illis formis qua immediate ex influentia divina proveniunt; quia ex diversis imprimentibus diversae impressiones relinquuntur; sic etiam et habitus virtutis acquisitae non est ejusdem rationis cum habitu virtutis infusae. Unde nihil prohibet utrasque formas in anima separata remanere; et formas illas tunc acceptas ex influxu superioris substantiae esse formales et completivas respectu formarum acquisitarum a sensibus.

4. Les formes intelligibles reçues n’ont pas entièrement la même raison que celles qui viennent immédiatement de l’influence divine, car diverses impressions sont laissées par ce qui imprime diversement. Ainsi l’habitus de la vertu acquise n’a pas la même raison que l’habitus de la vertu infuse. Rien n’empêche donc que les deux formes demeurent dans l’âme séparée, et que les formes reçues par l’influence d’une substance supérieure jouent un rôle de formes et d’achèvement par rapport aux formes acquises à partir des sens.

[23325] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectu nostro remanent formae intelligibiles, etiam postquam actu intelligere desinit; nec in hoc opinionem Avicennae sequimur. Remanent autem hujusmodi formae intelligibiles in intellectu possibili, cum actu non intelligit, non sicut in actu completo, sed in actu medio inter potentiam puram et actum perfectum, sicut etiam forma quae est in fieri, hoc modo se habet.

5. Les formes intelligibles demeurent dans notre intellect, même après qu’il a cessé d’intelliger, et nous ne suivons pas l’opinion d’Avicenne sur ce point. Mais ces formes intelligibles demeurent dans l’intellect possible, lorsqu’il n’intellige pas en acte, non pas selon un acte complet, mais selon un acte intermédiaire entre la puissance pure et l’acte parfait, comme une forme qui est en devenir se trouve dans cet état.

[23326] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus loquitur de memoria et reminiscentia, quae est pars animae sensitivae, cujus actus corrupto corpore non potest remanere; et hac indigemus ad intelligendum ad praesens ea quae prius intelleximus; propter hoc oportet nos ad phantasmata converti, quae quandoque oportet de thesauro memoriae adduci: sed memoria prout ab Augustino ponitur in mente, remanebit in anima post mortem.

6. Le Philosophe parle de la mémoire et de la réminiscence qui est une partie de l’âme sensible, dont l’acte ne peut demeurer, une fois que le corps est corrompu. Pour intelliger, nous avons présentement besoin de ce que nous avons intelligé auparavant ; pour cette raison, il faut que nous nous tournions vers les fantasmes qu’il est parfois nécessaire de tirer du trésor de la mémoire. Mais la mémoire, telle qu’Augustin la situe dans l’esprit, demeurera dans l’âme après la mort.

 

 

Articulus 3 [23327] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 tit. Utrum anima separata singularia cognoscat

Article 3 – L’âme séparée connaît-elle le singulier ?

[23328] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod anima separata singularia non cognoscat. Anima enim separata non utetur potentiis sensitivis. Sed singularia non cognoscuntur ab anima nisi per potentias sensitivas; singulare est enim aliquid, dum sentitur, ut Boetius dicit. Ergo anima separata singularia non cognoscet.

1. Il semble que l’âme séparée ne connaisse pas le singulier. En effet, l’âme séparée ne fait pas usage des puissances sensibles. Or, le singulier n’est connu par l’âme que par les puissances sensibles : en effet, le singulier est ce dont nous avons la sensation, comme le dit Boèce. L’âme séparée ne connaît donc pas le singulier.

[23329] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, intellectus animae separatae magis erit a materia remotus quam intellectus animae conjunctae corpori. Sed anima conjuncta corpori non potest intellectu cognoscere singularia propter intellectus immaterialitatem. Ergo nec cum est a corpore separata.

2. L’intellect de l’âme séparée sera plus éloigné de la matière que l’intellect de l’âme unie au corps. Or, l’âme unie au corps ne peut connaître les choses singulières par l’intellect en raison de l’immatérialité de l’intellect. Elle ne le peut donc pas non plus lorsqu’elle est séparée du corps.

[23330] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, differentia hic ponitur praecipue inter sensum et intellectum, eo quod sensus cognoscit hic et nunc, intellectus autem abstrahit ab utroque. Si ergo intellectus animae separatae possit singularia cognoscere, in nullo ejus cognitio a sensu differret; quod est inconveniens.

3. On établit ici une différence surtout entre le sens et l’intellect, du fait que le sens connaît ici et maintenant, mais que l’intellect abstrait des deux. Si donc l’intellect de l’âme séparée peut connaître les choses singulières, sa connaissance ne différerait aucunement du sens, ce qui est inapproprié.

[23331] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut in statu viae per sensum particularia cognoscimus, ita per intellectum universalia. Sed sensus nunquam potest devenire ad hoc quod universalia cognoscat. Ergo nec intellectus ad hoc quod cognoscat singularia.

4. Dans l’état de cheminement, nous connaissons le particulier par le sens et l’universel par l’intellect. Or, le sens ne peut jamais aller jusqu’à connaître l’universel. Donc, ni l’intellect jusqu’à connaître le singulier.

[23332] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, eadem est natura animae separatae, et corpori conjunctae. Sed per naturam intellectivae animae, formae quae in intellectu recipiuntur dum corpori est conjuncta, non ducunt in cognitionem singularium; sunt enim in ea per modum ipsius. Ergo eodem modo erunt in ipsa postquam fuerit a carne separata; et sic non ducent in singularium cognitionem.

5. La nature de l’âme séparée est la même que celle de l’âme unie au corps. Or, par la nature de l’âme intellective, les formes qui sont reçues dans l’intellect alors qu’elle est unie au corps ne mènent pas à la connaissance du singulier : en effet, elles existent en elle selon son propre mode. Elles existeront donc de la même manière lorsqu’elle aura été séparée du corps. Ainsi, elle ne conduiront pas à la connaissance du singulier.

[23333] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Luc. 16, 28, dicitur quod dives in Inferno existens secundum animam tantum, dixit: habeo enim quinque fratres; etc.: ex quo patet quod singularia cognoscunt animae separatae.

Cependant, [1] il est dit, en Lc 16, 28, que le riche qui se trouve en enfer par son âme seulement a dit : Car j’ai cinq frères, etc. Il ressort de cela que les âmes séparées connaissent le singulier.

[23334] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, intellectus animae corpori conjunctae singularia cognoscit; quod patet ex hoc quod propositionem format, cujus praedicatum est universale, et subjectum singulare; et syllogismum componit, cujus minor est singularis. Ergo etiam a corpore separata anima per intellectum singularia cognoscet.

[2] L’intellect de l’âme unie [au corps] connaît le singulier, ce qui ressort du fait qu’elle forme une proposition dont le prédicat est universel et le sujet singulier, et qu’elle compose un sylllogisme dont la mineure est au singulier. Donc, l’âme séparée du corps connaîtra, elle aussi, le singulier.

[23335] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nullus potest disponere de his quae ignorat. Sed anima in corpore existens per intellectum disponit de his quae circa singularia sunt agenda. Ergo etiam in corpore existens singularia cognoscit per intellectum. Cum ergo intellectus in anima separata integer maneat, videtur quod anima separata singularia cognoscat.

[3] Personne ne peut disposer de ce qu’il ignore. Or, l’âme qui se trouve dans un corps dispose par l’intellect de ce qui doit être fait au sujet de choses singulières. Celle qui se trouve dans le corps connaît donc aussi le singulier par l’intellect. Puisque l’intellect demeure intégralement dans l’âme séparée, il semble donc que l’âme séparée connaisse le singulier.

[23336] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis cognitio sit per formas, quibus cognoscens rebus cognitis assimilatur; duplex erit cognoscendi modus: unus per formas a rebus acceptas; alius per formas quae sunt causae rerum, vel a causis rerum acceptae. Ad hoc enim quod aliqua duo sint similia, oportet unum esse causam alterius, vel ambo sub eadem causa procedere; cum unitas effectus causae indicet unitatem. In illa ergo cognitione quae fit per formas a rebus acceptas, ipsae res per suam actionem sunt cognitionis causa. Cum ergo omnis actio sit per formam, forma autem quantum est de se sit universalis; per talem modum non potest deveniri in cognitionem rerum singularium: quia per hunc modum non cognoscitur materia, quae est individuationis principium, nisi in universali, inquantum scilicet habet habitudinem ad formam universalem; sicut qui cognoscit simum, cognoscit nasum inquantum est subjectum simi; nisi quando formae individualiter recipiuntur in cognoscente ut sunt in rebus extra animam, sicut accidit in potentiis cognoscitivis per organum corporale. Sed in illa cognitione quae est per formas quae sunt rerum causae, vel earum impressiones, pervenitur usque ad singularia, quamvis hujusmodi formae sint omnino immateriales, eo quod causa rei prima est quae rebus esse influit: esse autem communiter materiam et formam respicit. Unde hujusmodi formae ducunt directe in cognitionem utriusque, scilicet materiae et formae; et propter hoc per talem cognitionem cognoscuntur res et in universali et in singulari. Anima ergo, cum est corpori conjuncta, non cognoscit nisi per formas a rebus acceptas; et ideo per potentiam illam cognoscitivam in qua formae a rebus omnino immaterialiter recipiuntur, directe singularia non cognoscit, sed solummodo per potentias organis affixas; sed indirecte, et per quamdam reflexionem, etiam per intellectum, qui organo non utitur, cognoscit singularia; prout scilicet ex objecto proprio redit ad cognoscendum suum actum, ex quo actu redit in speciem, quae est intelligendi principium; et ex ea procedit ad considerandum phantasma, a quo species hujusmodi est abstracta; et sic per phantasma singulare cognoscit. Anima vero separata utitur utraque cognitione: quia et cognoscit per species acceptas a sensibus, et per species receptas a superioribus substantiis, quae species sunt causarum impressiones, idest rationum idealium in Deo existentium; et ideo secundum illum modum quo cognoscit per species a sensibus acceptas, singularia directe non cognoscit: sed per illum modum quo cognoscit ex influentia superioris substantiae, cognoscere potest singularia eadem ratione qua et Angeli, de quorum cognitione dictum est 2 Lib., dist. 3, quaest. 2, per totam.

Puisque toute connaissance se réalise par des formes par lesquelles celui qui connaît est assimilé aux choses connues, il existera deux manières de connaître : l’une, par les formes reçues des choses ; l’autre, par les formes qui sont les causes des choses ou qui sont reçues des causes des choses. En effet, pour que deux choses soient semblables, il faut qu’une soit cause de l’autre ou que les deux fonctionnent sous la même cause, puisque l’unité de l’effet indique l’unité de la cause. Dans cette connaissance qui est réalisée par les formes reçues des choses, les choses elles-mêmes sont donc la cause de la connaissance par leur action. Puisque toute action vient de la forme, mais que la forme est universelle pour ce qui tient à elle, on ne peut parvenir à la connaissance du singulier d’une telle manière, parce que, de cette manière, la matière, qui est le principe d’individuation, n’est connue que dans l’universel, c’est-à-dire pour autant qu’elle a un rapport avec la forme universelle – ainsi celui qui connaît le nez camus connaît le nez en tant qu’il est le sujet de ce qui est camus –, sauf lorsque les formes sont reçues de manière individuelle par celui qui connaît, comme le sont les choses extérieures à l’âme, ainsi que cela arrive dans les puissance cognitives par un organe corporel. Mais, dans cette connaissance qui se réalise par les formes qui sont les causes des choses ou leurs empreintes, on parvient jusqu’au singulier, bien que les formes de ce genre soient entièrement immatérielles, du fait que la cause de la chose est [la cause] première qui fait exister les choses. Or, l’être concerne d’une manière générale la matière et le forme. Aussi ces formes conduisent-elles directement à la connaissance des deux, la matière et la forme. Pour cette raison, par une telle connaissance, les choses sont connues et dans l’universel et dans le singulier. Alors qu’elle est unie au corps, l’âme ne connaît donc que par les formes reçues des choses. C’est pourquoi elle ne connaît pas directement le singulier par la puissance cognitive dans laquelle les formes sont reçues des choses de manière tout à fait immatérielle, mais seulement par les puissances liées à des organes. Mais, de manière indirecte et selon une certaine réflexion, elle connaît le singulier aussi par l’intellect, qui ne fait pas usage d’un organe, en tant que, à partir de son objet propre, elle revient à la connaissance de son acte, acte à partir duquel elle revient vers l’espèce, qui est le principe de l’acte d’intellection ; puis, à partir de celle-ci, elle examine les fantasmes, dont l’espèce de cette sorte est abstraite. Et ainsi, elle connaît le singulier par les fantasmes. Mais l’âme séparée fait usage des deux connaissances, car elle connaît par des espèces reçues des sens et par des espèces reçues des substances supérieures, espèces qui sont des empreintes des causes, à savoir, des raisons idéales qui existent en Dieu. Ainsi, selon la manière dont elle connaît par des espèces reçues des sens, elle ne connaît pas directement le singulier ; mais, selon la manière dont elle connaît sous l’influence d’une substance supérieure, elle peut connaître le singulier pour la même raison que les anges [le font]. Il a été question de leur connaissance dans le livre II, d. 3, q. 2, en entier.

[23337] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima in statu viae non cognoscit singularia directe, nisi per potentias sensitivas, quia non cognoscit nisi per formas a rebus acceptas; quae cum ad intellectum pervenerint, in quo omnino immaterialiter recipiuntur, non possunt esse principium cognoscendi singulare: sed cum fuerit a corpore separata, habebit alium modum cognoscendi, quo singularia cognoscere poterit, ut dictum est in corp. art.

1. Dans l’état de cheminement, l’âme ne connaît pas le singulier directement, sauf par les puissances sensibles, parce qu’elle ne connaît que par les formes reçues des choses, qui, lorsqu’elles parviennent à l’intellect, par lequel elles sont reçues de manière tout à fait immatérielle, ne peuvent être le principe de la connaissance du singulier. Mais lorsque [l’âme] sera séparée du corps, elle aura une autre manière de connaître, selon laquelle elle pourra connaître le singulier, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[23338] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod anima separata est quodammodo immaterialior quam corpori conjuncta, est propinquior substantiis superioribus, quae sunt omnino immateriales; et magis parata ad recipiendum earum influxum, et per consequens ad intelligendum eo modo quo ipsae intelligunt.

2. Par le fait même que l’âme séparée est d’une certaine manière plus immatérielle que lorsqu’elle est unie au corps, elle est plus proche des substances supérieures, qui sont entièrement immatérielles, et mieux préparée à recevoir leur influence et, par conséquent, à intelliger à la manière dont elles-mêmes intelligent.

[23339] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intellectus qui singulare cognoscit, alio modo cognoscit quam sensus. Sensus enim singulare cognoscit per formam quodammodo materialem; unde per illam formam non potest se extendere ejus cognitio ultra singulare: sed intellectus singulare cognoscit per formam immaterialem, quae potest esse principium cognoscendi universale et singulare; et sic adhuc remanet differentia inter sensum et intellectum.

3. L’intellect qui connaît le singulier connaît d’une autre manière que le sens. En effet, le sens connaît le singulier par une forme qui est d’une certaine manière matérielle ; aussi sa connaissance ne peut-elle pas parvenir par cette forme au-delà du singulier. Mais l’intellect connaît le singulier par une forme immatérielle, qui peut être principe de connaissance de l’universel et du singulier. Il reste ainsi une différence entre le sens et l’intellect.

[23340] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus sensitiva est infra virtutem intellectivam; unde magis potest intellectus se extendere ad id quod est sensus, quam sensus ad id quod est intellectus.

4. La puissance sensible est inférieure à la puissance intellective. Aussi l’intellect peut-il plutôt porter sur ce qui relève du sens, que le sens sur ce qui relève de l’intellect.

[23341] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eodem modo recipitur forma in intellectu animae separatae et in intellectu animae conjunctae, scilicet immaterialiter; sed tamen forma quae est in anima separata, erit alterius rationis et virtutis; prout scilicet erit effluens a substantiis superioribus, sicut dictum est, in corp. art.

5. La forme est reçue de la même manière dans l’intellect de l’âme séparée et dans l’intellect de l’âme unie [au corps], à savoir, de manière immatérielle ; cependant, la forme qui existe dans l’âme séparée aura un autre caractère et une autre puissance, pour autant qu’elle proviendra des substances supérieures, comme on l’a dit dans le corps de l’article.

[23342] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad s. c. 1 Primum objectum in contrarium est concedendum. Sed ad alia duo oportet respondere: quia concludunt quod intellectus animae conjunctae corpori singularia cognoscat.

[1] L’objection en sens contraire doit être concédée. Mais il faut répondre aux deux autres, car elles concluent que l’intellect de l’âme uni au corps connaît le singulier.

[23343] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad s. c. 2 Ad secundum dicendum, quod intellectus noster in statu viae utitur singularibus componendo propositiones, et formando syllogismos, inquantum reflectitur ad potentias sensitivae partis, ut dictum est, et quodammodo continuatur cum eis, secundum quod earum motus et operationes ad intellectum terminantur, prout intellectus ab eis accipit.

[2] Dans l’état de cheminement, notre intellect recourt au singulier pour composer des propositions et former des syllogismes, dans la mesure où il revient sur les puissances de la partie sensible, comme on l’a dit, et, d’une certaine manière, est en continuité avec elles selon que leurs mouvements et opérations se terminent à l’intellect, pour autant que l’intellect reçoit d’elles.

[23344] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 3 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum, quod intellectus practicus ad hoc quod de singularibus disponat, ut dicitur in 3 de anima, indiget ratione particulari, qua mediante, opinio quae est universalis (quae est in intellectu) ad particulare opus applicetur: ut sic quidem fiat syllogismus, cujus major est universalis, quae est opinio intellectus practici; minor vero singularis, quae est aestimatio rationis particularis, quae alio nomine dicitur cogitativa: conclusio vero consistit in electione operis.

[3] Pour disposer du singulier, l’intellect pratique, comme on le dit dans Sur l’âme, III, a besoin de la raison particulière, par l’intermédiaire de laquelle l’opinion qui est universelle (qui se trouve dans l’intellect) est appliquée au particulier. Ainsi est établi un syllogisme dont la majeure est universelle, qui est l’opinion de l’intellect pratique, mais la mineure est au singulier, qui est l’estimation de la raison particulière, qu’on appelle sous un autre nom la cogitative. Mais la conclusion consiste dans le choix de l’action.

 

 

Articulus 4 [23345] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 tit. Utrum localis distantia impediat cognitionem animae separatae

Article 4 – La distance locale empêche-t-elle la connaissance de l’âme séparée ?

[23346] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod localis distantia impediat cognitionem animae separatae. Anima enim hic existens ea quae hic aguntur cognoscit. Sed existens in receptaculo sibi debito, ea quae hic aguntur non cognoscit; unde dicit Augustinus in libro de cura pro mortuis agenda: ibi sunt defunctorum animae ubi ea quae hic aguntur, scire non possunt. Ergo localis distantia cognitionem animae separatae impedit.

1. Il semble que la distance locale empêche la connaissance de l’âme séparée. En effet, l’âme qui existe ici connaît ce qui se passe ici. Or, celle qui se trouve dans la demeure qui lui est appropriée ne connaît pas ce qui se passe ici. Aussi Augustin dit-il dans le livre sur Le soin à accorder aux morts : « Les âmes des défunts se trouvent là où elles ne peuvent connaître ce qui se passe ici. » La distance locale empêche donc la connaissance de l’âme séparée.

[23347] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, naturalis cognitio animae separatae non est potior quam naturalis cognitio Daemonis. Sed Daemones naturali cognitione non cognoscunt absentia; unde Augustinus in libro de divinatione Daemonum, dicit, quod ea quae etiam alibi fiunt, celeritate motus sui cito ad nos deferunt, ut quasi ea praedicere videantur quae nos postea nuntiantibus hominibus sumus scituri. Ad hoc autem nihil faceret celeritas motus, si hic nobiscum existentes absentia cognoscere possent. Ergo anima separata non cognoscit absentia; et sic ejus cognitio per localem distantiam impeditur.

2. La connaissance naturelle de l’âme séparée n’est pas plus puissante que la connaissance naturelle du Démon. Or, les démons ne connaissent pas ce qui est absent par leur connaissance naturelle. Aussi Augustin dit-il dans le livre sur La divination des démons, que « par la rapidité de leur mouvement, ils nous rapportent immédiatement ce qui se passe ailleurs, de sorte qu’ils semblent prédire ce que nous devons apprendre par des hommes qui nous l’annoncent par la suite ». Or, la rapidité de mouvement ne jouerait aucun rôle s’ils pouvaient connaître ce qui est absent, alors qu’ils demeurent avec nous. L’âme séparée ne connaît donc pas ce qui est absent, et ainsi sa connaissance est-elle empêchée par la distance locale.

[23348] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, omnis cognoscens rem sub hic et nunc, aliter cognoscit sub hic et nunc quae sunt hic et quae sunt alibi. Sed anima separata cognoscit sub hic et nunc, quia cognoscit singularia, ut dictum est. Ergo aliter cognoscit propinqua et remota; et sic idem est quod prius.

3. Celui qui connaît une chose ici et maintenant connaît autrement ici et maintenant ce qui est ici et ce qui est maintenant. Or, l’âme séparée connaît ici et maintenant, puisqu’elle connaît le singulier, comme on l’a dit. Elle connaît donc autrement ce qui est proche et ce qui est éloigné. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[23349] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut est aliquid distans secundum tempus, ita est distans aliquid secundum locum. Sed anima separata non potest cognoscere distantia secundum tempus, ut puta futura: hoc enim solius Dei est, ut patet per id quod habetur Isa. 41, 23: annuntiate nobis quae ventura sunt, et dicemus quia dii estis. Ergo nec distantia secundum locum potest cognoscere.

4. De même que quelque est distant dans le temps, de même quelque chose est-il distant dans l’espace. Or, l’âme séparée ne peut connaître ce qui est distant dans le temps, par exemple, le futur : en effet, cela appartient à Dieu seul, comme cela ressort de ce qu’on lit dans Is 41, 23 : Annoncez-nous ce qui adviendra, et nous dirons que vous êtes des dieux. Elle ne peut donc pas non plus connaître ce qui est distant selon le lieu.

[23350] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, operatio non excedit substantiam operantis; unde Damascenus dicit, quod Angeli ibi sunt ubi operantur. Sed anima separata est in aliquo loco, cum ei locus corporalis pro receptaculo assignetur. Ergo operatio animae separatae non potest se extendere ultra locum illum; et sic ea quae sunt distantia secundum locum, cognoscere non potest.

5. L’action ne dépasse pas la substance de celui qui agit. Aussi [Jean] Damascène dit-il que les anges sont là où ils agissent. Or, l’âme séparée se trouve dans un lieu, puisqu’un lieu corporel lui est assigné comme demeure. L’action de l’âme séparée ne peut donc s’étendre au-delà de ce lieu, et ainsi elle ne peut connaître ce qui est distant selon le lieu.

[23351] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, sancti a damnatis distant maxime, etiam secundum locum. Sed damnati vident beatos, ut patet Luc. 16, de divite, qui in tormentis positus Abraham et Lazarum vidit. Ergo localis distantia cognitionem animae separatae non impedit.

Cependant, [1] les saints sont très éloignés des damnés, même selon le lieu. Or, les damnés voient les bienheureux, comme cela ressort en Lc 16, du riche qui, se trouvant dans les tourments, voit Abraham et Lazare. La distance locale n’empêche donc pas la connaissance de l’âme séparée.

[23352] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, nulla operatio impeditur per loci distantiam, nisi sit situalis: quia propinquum et distans secundum locum, ad situm pertinere videntur. Sed anima separata non habet aliam cognitionem nisi intellectivam, cum potentiis sensitivis non utatur; intellectiva autem cognitio nullo modo est situalis, cum non fiat per corporea instrumenta. Ergo ad cognitionem animae separatae nihil loci propinquitas facit vel distantia.

[2] Aucune action n’est empêchée par la distance de lieu, à moins qu’elle ne soit liée à un site, car ce qui est proche et distant selon le lieu semble se rapporter au site. Or, l’âme séparée n’a pas d’autre connaissance qu’intellectuelle, puisqu’elle ne fait pas usage de puissances sensibles. Or, la connaissance intellectuelle n’est d’aucune manière liée à un site, puisqu’elle ne se réalise pas par des instruments corporels. La proximité ou l’éloignement selon le lieu n’apporte donc rien à la connaissance de l’âme séparée.

[23353] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, lux intelligibilis est potentior quam lux aliqua sensibilis. Sed lux sensibilis solis non impeditur a sua operatione per aliquam localem distantiam, quia totum mundum illuminat. Ergo nec lux intelligibilis animae separatae impeditur a sua cognitione per distantiam aliquam corporalem.

[3] La lumière intelligible est plus puissante qu’une lumière sensible. Or, la lumière sensible du soleil n’est pas empêchée dans son opération par une distance locale, car il illumine le monde entier. Donc, la lumière intelligible de l’âme séparée n’est pas non plus empêchée dans sa connaissance par une distance corporelle.

[23354] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, quidam ponunt, quod anima separata cognoscat accipiendo a rebus: quod si verum esset, localis distantia proculdubio cognitionem animae separatae impediret, eo quod rerum sensibilium actiones non aequaliter se extendunt ad propinquum et distans, cum per propinqua in distantia moveantur; et sic in remotis virtus primi agentis paulatim deficit; et inde est quod non possumus sentire ea quae sunt procul a nobis. Sed si ponamus quod anima separata cognoscat per formas aliquas vel concreatas vel influxas a superioribus substantiis, non potest esse quod ejus cognitio per rei distantiam impediatur. Non enim per hujusmodi formas cognoscet in quantum res aliquid agant in animam, vel anima in res, ut sic medium corporale, per quod actio fiat, cognitionem impedire possit; sed cognitio praedicta perficitur ex hoc solo quod formae in anima existentes repraesentant res quae sunt extra animam; quas aequaliter repraesentant, sive sint propinquae, sive sint distantes; sicut imago Herculis aequaliter repraesentat Herculem, ubicumque sit Hercules: unde etiam potentiae cognoscitivae quae cognoscunt res per formas a rebus acceptas, dummodo non cognoscant solummodo dum accipiunt, aequaliter cognoscunt res distantes et propinquas; sicut intellectus noster in statu viae aequaliter cognoscit solem et lunam; et imaginatio aequaliter imaginatur hominem propinquum et distantem. Sed quia cognitio sensus perficitur in hoc ipso quod sensus a sensibili movetur; inde est quod sensitiva cognitio per localem distantiam impeditur. Si ergo cognitio animae separatae non fit per acceptionem formarum a rebus sensibilibus, ut supra positum est, nullo modo esse poterit ut ejus cognitionem localis distantia impediat.

Comme on l’a dit, certains affirment que l’âme séparée connaît en recevant [les formes] des choses. Si cela était vrai, la distance locale empêcherait sans aucun doute la connaissance de l’âme séparée, du fait que les actions des choses sensibles n’atteignent pas également ce qui est proche et ce qui est distant, puisqu’elles sont mues vers ce qui est distant en passant par ce qui est proche. Ainsi la puissance du premier agent sur les choses éloignées faiblit-elle peu à peu ; de là vient que nous ne pouvons sentir ce qui est éloigné de nous. Mais si nous affirmons que l’âme séparée connaît par des formes soit créées simultanément, soit provenant de l’influence de substances supérieures, il ne peut arriver que sa connaissance soit empêchée par la distance d’une chose. En effet, elle ne connaîtrait pas par ces formes comme si les choses exerçaient une action sur l’âme ou l’âme sur les choses, de sorte que l’intermédiaire corporel, par lequel l’action est réalisée, puisse empêcher la connaissance, mais la connaissance en question se réalise du seul fait que les formes qui se trouvent dans l’âme représentent les choses qui sont extérieures à l’âme, qu’elles représentent également, fussent-elles proches ou distantes. Ainsi l’image d’Hercule représente également Hercule, quel que soit l’endroit où se trouve Hercule. Aussi, même les puissances cognitives qui connaissent les choses par des formes reçues des choses, pourvu qu’elles ne connaissent pas seulement lorsqu’elles les reçoivent, connaissent-elles également les choses distantes et les choses éloignées. Dans l’état de cheminement, notre intellect connaît ainsi également le soleil et la lune, et notre imagination imagine également un homme proche et un homme éloigné. Mais, parce que la connaissance du sens s’accomplit du fait que le sens est mû par ce qui est sensible, de là vient que la connaissance sensible est empêchée par la distance locale. Si donc la connaissance de l’âme séparée se ne se réalise pas par la réception de formes à partir des choses sensibles, comme on l’a dit plus haut, il ne pourra arriver d’aucune manière que sa connaissance soit empêchée par la distance locale.

[23355] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis aliquae animae defunctorum in suis receptaculis existentes ea quae hic aguntur ignorent, non tamen hoc contingit propter localem distantiam, sed propter aliquam aliam causam, utpote quia afficiuntur vehementer ad ea quae in illis receptaculis patiuntur; vel etiam quia influentia superioris substantiae quamvis eas perficiat ad aliqua cognoscenda, non tamen ad omnia, sed ad illa tantum quae ei secundum modum suum competunt.

1. Bien que certaines âmes qui se trouvent dans leur demeure ne connaissent pas ce qui se passe ici, cela n’est pas dû à la distance locale, mais à une autre cause, par exemple, parce qu’elles sont fortement affectées par ce qu’elles endurent dans leur demeure, ou encore parce que l’influence d’une substance supérieure, bien qu’elle les perfectionne pour qu’elles connaissent certaines choses, ne le fait pas pour toutes, mais pour celles-là seulement qui lui reviennent selon son mode.

[23356] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus frequenter utitur illa positione qua ponuntur Daemones habere corpora sibi unita, sicut etiam in libello inducto apparet; quod si esset, tunc oporteret ponere eos corpus sensibile habere, et per sensus cognitionem a rebus accipere, et sic eorum cognitionem locali distantia impediri; unde non est simile de anima separata quae hoc modo non cognoscit.

2. Augustin recourt fréquemment à la position selon laquelle des démons ont été unis à des corps, comme cela ressort aussi du livre invoqué. Si tel était le cas, il faudrait alors affirmer qu’ils ont un corps sensible et que, par les sens, ils reçoivent une connaissance des choses, et que leur connaissance est empêchée par la distance locale. Ce n’est donc pas la même chose que pour l’âme séparée, qui ne connaît pas de cette manière.

[23357] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa recte procederet, si anima separata cognosceret ea quae sunt hic et nunc, accipiendo a rebus quae sunt hic et nunc, sicut in sensu accidit. Sed hoc dictum est esse falsum; unde ratio non sequitur.

3. Ce raisonnement serait correct si l’âme séparée connaissait ce qui existe ici et maintenant en recevant des choses ce qui existe ici et maintenant, comme cela se produit pour le sens. Mais on a dit que cela était faux. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[23358] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ea quae distant secundum tempus, scilicet futura, deficiunt ab esse: eo quod esse rei mensuratur tempore. Unde cum res secundum hoc sint cognoscibiles quod habent esse, quia cognitiones sunt existentium, ut dicit Dionysius 1 cap. de Div. Nom., futura ex seipsis sunt incognoscibilia. Sed distantia secundum locum non deficiunt ab esse; locus enim non mensurat esse rei, sed res existentes. Unde per hoc quod sunt distantes res, in seipsis nihil minus sunt cognoscibiles; possunt tamen esse minus cognoscibiles quo ad aliquos, qui in patiendo a rebus res ipsas cognoscunt; quod non est de anima separata.

4. Ce qui est distant dans le temps, à savoir, le futur, n’a pas d’être, du fait que l’être d’une chose est mesuré par le temps. Puisque les choses sont connaissables selon qu’elles ont l’être, étant donné que les connaissances portent sur ce qui existe, comme le dit Denys dans Les noms divins, I, le futur est de soi inconnaissable. Mais l’être ne fait pas défaut à ce qui est distant selon le lieu. En effet, le lieu ne mesure pas l’être d’une chose, mais les choses qui existent. Du fait que des choses sont distantes, elles ne sont donc pas moins connaissables en elles-mêmes ; elles peuvent cependant être moins connaissables pour certains, qui connaissent par l’action des choses sur eux, ce qui n’est pas le cas de l’âme séparée.

[23359] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod operatio, prout est accidens quoddam habens esse in subjecto, non extenditur ultra suum subjectum; sed prout comparatur ad objectum, sic ultra suum subjectum extenditur, sicut nunc per animam existentem in corpore cognoscimus ea quae in caelo sunt; et sic etiam nihil prohibet animam separatam distantia secundum locum cognoscere.

5. L’opération, en tant qu’elle est un accident qui a l’être dans un sujet, ne va pas au-delà de son sujet. Mais, selon qu’elle est comparée à un objet, elle va au-delà du sujet : ainsi, par l’âme qui se trouve maintenant dans le corps, nous connaissons ce qui se trouve dans le ciel. Rien n’empêche donc que l’âme séparée connaisse des choses distantes selon le lieu.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les peines affectives des damnés]

 

 

Prooemium

Prologue

[23360] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 pr. Deinde quaeritur de poenis damnatorum; et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de poenis eorum quantum ad affectum eorum; 2 quantum ad intellectum; 3 quantum ad corpus; 4 de poenis eorum per comparationem ad beatorum intuitum.

On s’interroge ensuite sur les peines des damnés. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Sur leurs peines affectives. 2 – Sur leur intellect. 3 – Sur leur corps. 4 – Sur leurs peines par rapport au regard des bienheureux.

 

 

Articulus 1 [23361] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 tit. Utrum omnis voluntas damnatorum sit mala

Article 1 – Toute volonté des damnés est-elle mauvaise ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Toute volonté des damnés est-elle mauvaise ?]

[23362] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non omnis voluntas damnatorum sit mala. Quia, ut dicit Dionysius, 4 cap. de Divin. Nomin., Daemones bonum et optimum concupiscunt, esse, vivere et intelligere. Cum ergo damnati homines non sint pejoris conditionis quam Daemones, videtur quod et ipsi bonam voluntatem habere possint.

1. Il semble que toute volonté des damnés ne soit pas mauvaise, car, comme le dit Denys, dans Les noms divins, IV, les démons désirent le bien et le meilleur : être, vivre et intelliger. Puisque la condition des hommes damnés n’est pas pire que celle des démons, il semble donc qu’eux aussi peuvent avoir une volonté bonne.

[23363] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, malum, ut dicit Dionysius, est omnino involuntarium. Ergo si damnati aliquid volunt, illud volunt inquantum bonum, vel apparens bonum. Sed voluntas quae per se ordinatur ad bonum, est bona. Ergo damnati possunt habere voluntatem bonam.

2. Comme le dit Denys, le mal est tout à fait involontaire. Si les damnés veulent quelque chose, ils le veulent en tant que cela est bon ou a l’apparence du bien. Or, la volonté, qui est par elle-même ordonnée au bien, est bonne. Les damnés peuvent donc avoir une volonté bonne.

[23364] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, aliqui erunt damnati qui in hoc mundo existentes aliquos virtutum habitus secum detulerunt, utpote gentiles, qui habent virtutes politicas. Sed ex habitibus virtutum elicitur laudabilis voluntatis actus. Ergo in aliquibus damnatis poterit esse laudabilis voluntas.

3. Certains seront damnés qui, alors qu’ils se trouvaient dans ce monde, ont emporté avec eux certains habitus des vertus, comme les païens qui possèdent des vertus politiques. Or, l’acte de la volonté digne d’éloge vient des habitus des vertus. Chez certains damnés pourra donc exister une volonté digne d’éloge.

[23365] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, obstinata voluntas nunquam potest flecti nisi in malum. Sed damnati homines erunt obstinati, sicut et Daemones. Ergo voluntas eorum nunquam poterit esse bona.

Cependant, [1] la volonté obstinée ne peut être fléchie que vers le mal. Or, les hommes damnés seront obstinés, comme les démons. Leur volonté ne pourra donc jamais être bonne.

[23366] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet voluntas beatorum ad bonum, ita se habet voluntas damnatorum ad malum. Sed beati nunquam habent voluntatem malam. Ergo nec damnati habent aliquam voluntatem bonam.

[2] Le rapport de la volonté des bienheureux au bien se compare au rapport de la volonté des damnés au mal. Or, les bienheureux n’ont jamais de volonté mauvaise. Les damnés n’ont donc non plus jamais de volonté bonne.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les damnés se repentent-ils jamais du mal qu’ils ont fait ?]

[23367] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 co. 1 Ulterius. Videtur quod damnati nunquam poeniteant de malis quae fecerunt. Quia dicit Bernardus in Cantic., quod damnatus semper vult iniquitatem quam fecit. Ergo nunquam de peccato commisso poenitet.

1. Il semble que les damnés ne se repentent jamais du mal qu’ils ont fait, car Bernard dit, en commentant le Cantique, que « le damné veut toujours l’iniquité qu’il a commise ». Il ne se repent donc jamais du péché commis.

[23368] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 co. 2 Praeterea, velle se non peccasse, est bona voluntas. Sed damnati non habebunt bonam voluntatem. Ergo damnati nunquam volent se non peccasse; et sic idem quod prius.

2. Vouloir ne pas avoir péché est une volonté bonne. Or, les damnés n’auront pas de volonté bonne. Les damnés ne voudront donc jamais ne pas avoir péché. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[23369] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 co. 3 Praeterea, secundum Damascenum, hoc est hominibus mors quod Angelis casus. Sed Angeli voluntas post casum est invertibilis hoc modo, ut non possit recedere ab electione qua prius peccavit. Ergo et damnati non possunt poenitere de peccatis a se commissis.

3. Selon [Jean] Damascène, la mort est pour les hommes ce qu’est la chute pour les anges. Or, la volonté de l’ange après la chute est irréversible, de sorte qu’il puisse revenir sur le choix par lequel il a péché antérieurement. Les damnés ne peuvent donc se repentir des péchés qu’ils ont commis.

[23370] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 co. 4 Praeterea, major erit perversitas damnatorum in Inferno quam peccatorum in hoc mundo. Sed peccatores aliqui in hoc mundo non poenitent de peccatis commissis, vel propter excaecationem mentis, sicut haeretici; vel propter obstinationem, sicut qui laetantur cum male fecerint, et exultant in rebus pessimis, ut dicitur Proverb. 2, 14. Ergo et damnati in Inferno de peccatis non poenitebunt.

4. La perversité des damnés sera plus grande en enfer que celle des pécheurs en ce monde. Or, certains pécheurs en ce monde ne se repentent pas des péchés commis, soit par aveuglement de leur esprit, comme les hérétiques, soit par obstination, comme ceux qui se réjouissent d’avoir fait le mal et se complaisent dans leur perversité, comme il est dit dans Pr 2, 14. Les damnés en enfer ne se repentiront donc pas non plus de leurs péchés.

[23371] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Sap. 5, 3, dicitur de damnatis: intra se poenitentiam agentes.

Cependant, [1] il est dit en Sg 5, 3, à propos des damnés : Se repentant par devers deux.

[23372] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 9 Ethic. quod poenitudine replentur pravi; mox enim tristantur de hoc quod prius delectati sunt. Ergo damnati, cum sint maxime pravi, magis poenitent.

[2] Le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que les méchants sont pleins de remords : en effet, ils s’attristent bientôt de ce dont ils s’étaient délectés. Les damnés, puisqu’ils sont dépravés au plus haut point, se repentiront donc davantage.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les damnés peuvent-ils vouloir ne pas exister selon la raison droite et délibérée ?]

[23373] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati recta ratione et deliberativa non possint velle se non esse. Augustinus enim dicit in Lib. de Lib. Arbit.: considera quantum bonum est esse, quod et beati et miseri volunt. Majus enim est esse, et esse miserum, quam omnino non esse.

1. Il semble que les damnés ne peuvent pas vouloir ne pas exister selon la raison droite et délibérée. En effet, Augustin dit dans le livre sur Le libre arbitre : « Vois comme il est bon d’exister, ce que les bienheureux et les misérables veulent ! En effet, il est plus grand d’être et d’être misérable, que de ne pas être du tout. »

[23374] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus ibidem sic arguit. Praelectio supponit electionem. Sed non esse non est eligibile, cum non habeat apparentiam boni, cum nihil sit. Ergo non esse non potest esse magis appetibile damnatis quam esse.

2. Augustin raisonne ainsi au même endroit. Une préférence suppose un choix. Or, ne pas être n’est pas l’objet d’un choix, car cela n’a pas l’apparence du bien, puisque cela n’est rien. Ne pas être ne peut donc est plus désirable qu’être pour les damnés.

[23375] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, magis malum est magis fugiendum. Sed non esse est maximum malum, cum tollat totaliter bonum, eo quod nihil relinquit. Ergo non esse est magis fugiendum quam miserum esse; et sic idem quod prius.

3. Un plus plus grand mal doit être davantage fui. Or, ne pas être est le plus grand mal, puisque cela enlève totalement le bien, du fait que rien ne demeure. Ne pas être doit donc être davantage fui qu’être misérable. La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[23376] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Apocalyps. 9, 6: in diebus illis desiderabunt homines mori, et fugiet mors ab eis.

Cependant, [1] il esst dit dans Ap 9, 6 : En ces jours-là, les hommes désireront mourir, et la mort les fuira.

[23377] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, damnatorum miseria omnem hujus mundi miseriam excedit. Sed ad vitandam miseriam hujus mundi appetibile est aliquibus mori; unde dicitur Eccli. 41, 3: o mors, quam bonum est judicium tuum homini indigenti, et qui minoratur viribus, deficit aetate, et cui de omnibus cura est, et incredibili, qui perdit sapientiam. Ergo multo fortius est damnatis appetibile non esse secundum rationem deliberatam.

[2] La misère des damnés dépasse toute la misère de ce monde. Or, il est désirable pour certains de mourir afin d’éviter la misère de ce monde. Ainsi, il est dit en Si 41, 3 : Ô mort ! Comme ton jugement est bon pour l’indigent, pour celui dont les forces diminuent, qui décline à cause de l’âge, pour celui qui se préoccupe de tout, pour qui incroyablement perd la sagesse ! À bien plus forte raison est-il désirable pour les damnés, selon la raison délibérée, de ne pas être.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les damnés en enfer veulent-ils que d’autres soient damnés qui ne sont pas damnés ?]

[23378] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati in Inferno non vellent esse aliquos damnatos qui non sunt damnati. Quia Luc. 16, dicitur de divite, quod rogabat pro fratribus suis, ne venirent in locum tormentorum. Ergo eadem ratione et damnati alii non vellent ad minus carnales suos amicos in Inferno damnari.

1. Il semble que les damnés en enfer veulent que d’autres soient damnés qui ne sont pas damnés, car il est dit du riche, en Lc 16, qu’il demandait que ses frères ne viennent pas dans ce le lieu des tourments. Pour la même raison, d’autres dammnés ne voudraient donc pas que tout au moins leurs amis charnels soient damnés en enfer.

[23379] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, affectiones inordinatae a damnatis non auferuntur. Sed aliqui damnati inordinate aliquos non damnatos dilexerunt. Ergo non vellent eorum malum, quod est esse damnatos.

2. Les affections désordonnées ne sont pas enlevées aux damnés. Or, certains damnés ont aimé de manière désordonnée certains qui ne sont pas damnés. Ils ne voudraient donc pas pour eux le mal qui consiste à être damnés.

[23380] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, damnati non desiderant augmentum suae poenae. Sed si plures damnarentur, major esset damnatorum poena; sicut etiam multiplicatio bonorum amplificat eorum gaudium. Ergo damnati non vellent salvatos damnari.

3. Les damnés ne désirent pas l’accroissement de leur peine. Or, si un plus grand nombre était damné, la peine des damnés serait plus grande, de même que la multiplication des bons augmente leur joie. Les damnés ne voudraient donc pas que ceux qui sont sauvés soient damnés.

[23381] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Isai. 14, super illud, surrexerant de soliis, dicit Glossa: solatium est malorum multos socios habere poenarum.

Cependant, [1] à propos de Is 14 : Ils s’étaient levés de leurs sièges, la Glose dit : « C’est un réconfort pour les méchants qu’il y en ait beaucoup à partager leurs peines. »

[23382] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, in damnatis maxime regnat invidia. Ergo dolent de felicitate bonorum, et eorum damnationem appetunt.

[2] L’envie règne au plus haut point chez les damnés. Ils pleurent donc la félicité des bons et désirent qu’ils soient damnés.

Quaestiuncula 5

Sous-question 5 – [Les damnés haïssent-ils Dieu ?]

[23383] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati non habeant odio Deum. Quia, ut dicit Dionysius, 4 capit. de divinis Nomin., omnibus diligibile est bonum et pulchrum, quod est omnis boni et pulchritudinis causa. Hoc autem Deus est. Ergo a nullo potest odio haberi.

1. Il semble que les damnés ne haïssent pas Dieu, car, comme le dit Denys, Les noms divins, IV, « ce qui est la cause du bien et de la beauté est une bonté et une beauté aimables par tous ». Or, cela est Dieu. Personne ne peut donc le haïr.

[23384] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, nullus potest ipsam bonitatem odio habere, sicut nec ipsam malitiam velle; malum enim est omnino involuntarium, ut dicit Dionysius, 4 cap. de Divin. Nom. Deus autem est bonitas ipsa. Ergo nullus potest Deum odio habere.

2. Personne ne peut haïr la bonté même, comme [personne ne peut] vouloir la méchanceté même : en effet, le mal est tout à fait involontaire, comme le dit Denys, Les noms divins, IV. Or, Dieu est la bonté même. Personne ne peut donc haïr Dieu.

[23385] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 73, 23: superbia eorum qui te oderunt, ascendit semper.

Cependant, il est dit dans le Ps 73, 23 : L’orgueuil de ceux qui te haïssent s’élève toujours

Quaestiuncula 6

Sous-question 6 – [Les dammnés déméritent-ils ?]

[23386] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati demereantur. Damnati enim habent voluntatem malam, ut dicitur in littera. Sed per malam voluntatem quam hic habuerunt, demeruerunt. Ergo si ibi non demerentur, ex sua damnatione commodum reportant.

1. Il semble que les damnés déméritent. En effet, les damnés ont une volonté mauvaise, comme il est dit dans le texte. Or, ils ont démérité par la volonté mauvaise qu’ils ont eue ici. S’ils ne déméritent pas là-bas, ils tirent donc un avantage de leur damnation.

[23387] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 arg. 2 Praeterea, damnati sunt ejusdem conditionis cum Daemonibus. Sed Daemones demerentur post suum casum; unde serpenti, qui hominem ad peccandum induxit, est a Deo poena inflicta, ut dicitur Genes. 3. Ergo et damnati demerentur.

2. Les damnés ont la même condition que les démons. Or, les démons déméritent après leur chute ; ainsi Dieu a-t-il infligé une peine au serpent qui a induit l’homme à pécher, comme il est dit dans Gn 3. Les damnés déméritent donc.

[23388] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 arg. 3 Praeterea, actus inordinatus ex libertate arbitrii procedens non excusatur quin sit demeritorius, etiam si aliqua necessitas adsit, cujus aliquis sit sibi causa; ebrius enim meretur duplices mulctationes, si ex ebrietate aliquod aliud peccatum committat, ut dicitur in 3 Ethic. Sed ipsi damnati fuerunt sibi causa propriae obstinationis, per quam quamdam necessitatem patiuntur peccandi. Ergo cum eorum actus inordinatus ex libero arbitrio procedat, non excusatur a demerito.

3. Un acte désordonné venant du libre arbitre, et dont quelqu’un est la cause pour lui-même, n’est pas exempt de démérite, même s’il y a une certaine nécessité : en effet, l’homme ivre mérite une double peine, s’il commet un autre péché à cause de l’ébriété, comme on le dit dans Éthique, III. Or, les damnés ont été pour eux-mêmes causes de leur propre obstination, par laquelle ils souffrent d’une certaine nécessité de pécher. Puisque leur acte désordonné vient du libre arbitre, il n’est donc pas exempt de démérite.

[23389] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 s. c. 1 Sed contra, poena contra culpam dividitur. Sed perversa voluntas in damnatis ex obstinatione procedit, quae est eorum poena. Ergo perversa voluntas in damnatis non est culpa, ut per eam demereantur.

Cependant, [1] la peine s’oppose à la faute. Or, la volonté perverse chez les damnés vient de l’obstination, qui est leur peine. La volonté perverse chez les damnés n’est donc pas une faute par laquelle ils déméritent.

[23390] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 s. c. 2 Praeterea, post ultimum terminum non relinquitur aliquis motus sive profectus in bonum sive in malum. Sed damnati, maxime post diem judicii, ad ultimum terminum suae damnationis pervenient; quia tunc finem habebunt duae civitates, ut Augustinus dicit. Ergo damnati post diem judicii perversa voluntate non demerebuntur; quia sic cresceret eorum damnatio.

[2] Après le terme ultime, il ne reste pas de mouvement soit vers le bien, soit vers le mal. Or, les damnés, surtout après le jour du jugement, parviendront au terme ultime de leur damnmation, car ce sera alors la fin des deux cités, comme le dit Augustin. Les damnés ne démériteront donc pas par leur volonté perverse après le jour du jugement, car ainsi leur damnation augmenterait.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23391] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in damnatis potest duplex voluntas considerari; scilicet voluntas deliberativa, et voluntas naturalis. Naturalis quidem non est eis ex ipsis, sed ex auctore naturae, qui in natura hanc inclinationem posuit, quae naturalis voluntas dicitur: unde cum natura in eis remaneat, secundum hoc bona poterit in eis esse voluntas naturalis. Sed voluntas deliberativa est eis ex seipsis secundum quod in potestate eorum est inclinari per affectum ad hoc vel illud; et talis voluntas in eis est solum mala; et hoc ideo, quia sunt perfecte aversi a fine ultimo rectae voluntatis; nec aliqua voluntas potest esse bona nisi per ordinem ad finem praedictum; unde etiam si aliquod bonum velint, non tamen bene bonum volunt illud, ut ex hoc voluntas eorum bona dici possit.

Chez les damnés, on peut envisager deux volontés : la volonté délibérante et la volonté naturelle. La volonté naturelle ne leur vient pas d’eux-mêmes, mais de l’auteur de la nature, qui a établi dans la nature cette inclination qu’on appelle volonté naturelle. Puisque la nature demeure chez eux, la volonté naturelle pourra ainsi exister en eux. Mais la volonté délibérante vient d’eux, selon qu’il est en leur pouvoir d’être enclins par l’affectivité à ceci ou à cela : une telle volonté est chez eux n’est que mauvaise. La raison en est qu’il se sont complètement détournés de la fin ultime de la volonté droite, et qu’il ne peut y avoir de volonté droite que selon l’ordre à la fin en question. S’ils veulent un bien, ils ne le veulent cependant pas bien, de sorte que leur volonté puisse être ainsi dite bonne.

[23392] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Dionysii intelligitur de voluntate naturali quae est inclinatio naturae in aliquod bonum; sed tamen ista naturalis inclinatio per eorum malitiam corrumpitur, inquantum hoc bonum quod naturaliter desiderant, sub quibusdam malis circumstantiis appetunt.

1. La parole de Denys s’entend de la volonté naturelle qui est une inclination de la nature vers un bien. Cependant, cette intention naturelle est corrompue par leur malice, pour autant que le bien qu’ils désirent naturellement, ils le désirent selon des circonstances mauvaises.

[23393] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod malum in quantum est malum non movet voluntatem, sed inquantum est aestimatum bonum; sed hoc ex eorum malitia procedit, ut id quod est malum, aestiment ut bonum; et ideo voluntas eorum est mala.

2. Le mal en tant que mal ne meut pas la volonté, mais en tant qu’il est estimé bon. Mais qu’ils estiment bon ce qui est mal, cela vient de leur malice. Leur volonté est donc mauvaise.

[23394] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus virtutum politicarum non remanent in anima separata, eo quod virtutes illae perficiunt solum in vita civili, quae non erunt post hanc vitam; si tamen remanerent, nunquam in actum exirent, quasi ligatae ex obstinatione mentis.

3. Les habitus des vertus politiques ne demeurent pas dans l’âme séparée, du fait que ces vertus ne perfectionnent que pour la vie civile et qu’elles n’existeront pas après cette vie. Cependant, si elles demeuraient, elles ne passeraient jamais à l’acte, liées qu’elles seraient par l’obstination de l’esprit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23395] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poenitere de peccato est dupliciter. Uno modo per se, et alio modo per accidens. Per se quidem de peccato poenitet qui peccatum in eo quod est peccatum abominatur; per accidens vero qui illud odit ratione alicujus adjuncti, utpote poenae, vel alicujus hujusmodi. Mali igitur non poenitebunt per se loquendo, de peccatis, quia voluntas malitiae peccati in eis remanet; poenitebunt autem per accidens, inquantum affligentur de poena quam pro peccato sustinent.

On se repent du péché de deux manières : d’une manière, en soi ; d’une autre manière, par accident. Se repent du péché en soi celui qui abomine le péché en tant que péché ; mais [se repent] par accident celui qui le déteste en raison de quelque chose qui lui est joint, à savoir, une peine ou quelque chose de ce genre. Les méchants ne se repentiront donc pas des péchés à proprement parler, parce que la volonté de la malice du péché demeure en eux ; mais ils se repentiront par accident, dans la mesure où il s’affligeront de la peine qu’ils supportent pour le péché.

[23396] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod damnati iniquitatem volunt, sed poenam refugiunt; et sic per accidens de iniquitate commissa poenitent.

1. Les damnés veulent l’iniquité, mais fuient la peine. Ainsi se repentiront-ils par accident de l’iniquité commise.

[23397] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod velle se non peccasse propter turpitudinem iniquitatis, est bona voluntas; sed hoc non erit in damnatis.

2. Vouloir ne pas avoir péché en raison de l’ignominie de l’iniquité est une volonté bonne ; mais cela n’existera pas chez les damnés.

[23398] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sine aliqua aversione voluntatis continget quod damnati de peccatis poeniteant; quia non hoc refugient in peccatis quod prius appetiverunt, sed aliquid aliud, scilicet poenam.

3. Les damnés se repentiront des péchés sans en détourner leur volonté, car ils ne fuiront pas dans les péchés ce qu’ils y ont d’abord désiré, mais quelque chose d’autre : la peine.

[23399] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homines in hoc mundo, quantumcumque obstinati, per accidens de peccatis suis poenitent, si pro eis puniantur; quia hoc dicit Augustinus in Lib. 83 qq.: videmus etiam ferocissimas bestias dolore poenarum a maximis voluptatibus abstinere.

4. Les hommes en ce monde, aussi obstinés soient-ils, se repentent par accident de leurs péchés, s’ils sont punis pour eux, car Augustin dit, dans le Livre sur 83 questions : « Nous voyons que même les bêtes les plus féroces s’abstiennent des plus grands plaisirs en raison de la douleur des peines. »

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23400] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non esse dupliciter potest considerari. Uno modo secundum se: et sic nullo modo potest esse appetibile, cum non habeat aliquam rationem boni, sed sit pura boni privatio. Alio modo potest considerari inquantum est ablativum poenalis vel miserae vitae; et sic non esse accipit rationem boni. Carere enim malo est quoddam bonum, ut dicit philosophus in 5 Ethic.; et per hunc modum melius est damnatis non esse quam miseros esse. Unde Matth. 26, 24, dicitur: bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille; et Hier. 20, super illud, maledicta dies in qua natus sum etc. dicit Glossa, Hieronymi, ibi: melius est non esse quam male esse. Et secundum hoc damnati possunt praeligere non esse, secundum deliberativam rationem.

Ne pas être peut être envisagé de deux manières. D’une manière, en soi : cela ne peut ainsi être aucunement désirable, puisque cela n’a pas raison de bien, mais est une pure privation de bien. D’une autre manière, cela peut être envisagé comme ce qui enlève une vie de peine et de misère : ainsi ne pas être reçoit une raison de bien. En effet, être privé d’un mal est un certain bien, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. De cette manière, il est meilleur pour les damnés de ne pas être que d’être misérables. Aussi est-il dit en Mt 26, 24 : Il aurait été mieux pour lui que cet homme ne fût pas né. Et en commentant Jr, 20 : Maudit soit le jour où je suis né, etc., une glose de Jérôme dit : « Il est mieux de ne pas être que de mal être. » De cette manière, les damnés peuvent préférer ne pas être selon leur volonté délibérante.

[23401] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Augustini est intelligendum, quod non esse per se non est eligibile; sed per accidens eligibile est, inquantum scilicet est miseriae terminativum. Quod enim dicitur, quod esse et vivere ab omnibus appetitur naturaliter, non oportet hoc accipere quantum ad malam vitam et corruptam, et eam quae est in tristitiis, ut dicit philosophus in 9 Ethic.

1. La parole d’Augustin doit s’entendre au sens où le non-être ne peut être choisi en lui-même ; mais il peut être choisi par accident, pour autant qu’il met un terme à la misère. En effet, lorsqu’il dit qu’être et vivre sont désirés par tous naturellement, il ne faut pas comprendre cela d’une vie mauvaise et corrompue, et de celle qui se trouve dans la tristesse, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX.

[23402] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non esse non est eligibile per se, sed per accidens tantum, ut dictum est.

2. Le non-être ne peut être choisi en lui-même, mais par accident seulement, comme on l’a dit.

[23403] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non esse, licet maxime sit malum inquantum privat esse, tamen est valde bonum inquantum privat miseriam, quae est maximum malorum; et sic non esse eligitur.

3. Le non-être, bien qu’il soit mauvais pour autant qu’il prive de l’être, est cependant très bon pour autant qu’il prive de la misère, qui est le plus grand des maux. C’est ainsi que le non-être est choisi.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[23404] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod sicut in beatis in patria erit perfectissima caritas, ita in damnatis erit perfectissimum odium; unde sicut sancti gaudebunt de omnibus bonis, ita etiam mali de omnibus bonis dolebunt; unde et felicitas sanctorum considerata eos maxime affligit; unde dicitur Isai. 26, 11: videant et confundantur zelantes populi, et ignis hostes tuos devoret. Unde vellent omnes bonos esse damnatos.

De même que, dans la patrie, la charité la plus parfaite se trouvera chez les bienheureux, de même, chez les damnés, se trouvera la haine la plus parfaite. De même donc que les bienheureux se réjouiront de tous les biens, de même aussi les méchants déploreront-ils tous les biens. Le bonheur des saints qu’ils constateront les affligera donc au plus haut point. C’est ainsi que Is 26, 11 dit : Qu’ils voient et qu’ils soient confondus, ceux qui s’en prennent à mon peuple ! Que le feu dévore tes ennemis ! Aussi voudraient-ils que tous les bienheureux soient damnés.

[23405] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tanta erit invidia in damnatis, quod etiam propinquorum gloriae invidebunt, cum ipsi sint in summa miseria; cum etiam in hac vita hoc accidat crescente invidia. Sed tamen minus invident propinquis quam aliis; et major esset eorum poena, si omnes propinqui damnarentur, et alii salvarentur, quam si aliqui de suis propinquis salvarentur; et exinde fuit quod dives petiit fratres suos a damnatione eripi; sciebat enim quod aliqui eriperentur; maluisset tamen fratres suos cum omnibus aliis damnari.

1. L’envie des damnés sera telle qu’ils envieront même la gloire de leurs proches, alors qu’eux sont dans la plus grande misère, comme cela se produit aussi en cette vie, lorsque l’envie s’accroît. Cependant, ils envieront moins leurs proches que les autres, et leur peine serait plus grande si tous leurs proches étaient damnés et les autres sauvés, que si certains parmi leurs proches étaient sauvés. De là vint que le riche a demandé que ses frères soient arrachés à la damnation : en effet, il savait que certains en seraient arrachés ; mais il aurait préféré que tous ses frères soient damnés avec tous les autres.

[23406] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dilectio quae non fundatur super honestum, facile rescinditur, et praecipue in malis hominibus, ut philosophus dicit in 9 Ethic.: unde damnati non conservabunt amicitiam ad eos quos inordinate dilexerunt; sed in hoc voluntas eorum remanebit perversa, quod causam inordinatae dilectionis adhuc diligent.

2. « L’amour qui ne se fonde pas sur ce qui est honnête est facilement rompu, surtout chez les méchants », comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Aussi les damnés ne conserveront-ils pas d’amitié envers ceux qu’ils ont aimés de manière désordonnée. Mais leur volonté restera perverse du fait qu’ils continueront d’aimer la cause de leur amour désordonné.

[23407] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ex damnatorum multitudine poena singulorum augeatur, tamen tantum superexcrescet odium et invidia, quod eligerent torqueri magis cum multis quam minus soli.

3. Bien que la peine de chacun soit augmentée par le fait de la multitude des damnés, leur haine et leur envie augmenteront seulement du fait qu’ils choisiraient d’être torturés davantage avec un grand nombre que moins, s’ils étaient seuls.

Quaestiuncula 5

Réponse à la sous-question 5

[23408] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod affectus movetur ex bono vel malo apprehenso. Deus autem apprehenditur dupliciter; in se, sicut a beatis, qui eum per essentiam vident; et per effectus, sicut a nobis et damnatis. Ipse igitur in seipso, cum sit per essentiam bonitas, non potest alicui voluntati displicere; unde quicumque eum per essentiam videret, eum odio habere non posset. Sed effectuum ejus aliqui sunt voluntati repugnantes, inquantum contrariantur alicui volito; et secundum hoc aliquis non in seipso, sed ratione effectuum Deum odire potest; unde damnati Deum percipientes in effectu justitiae, qui est poena, eum odio habent, sicut et poenas quas sustinent.

L’affectivité est mue par le bien ou le mal appréhendé. Or, Dieu est appréhendé de deux manières : en soi, comme par les bienheureux qui le voient par son essence ; et par ses effets, comme il l’est par nous et par les damnés. Il ne peut donc pas en lui-même déplaire à une volonté, puisqu’il est la bonté par essence ; quiconque le verrait par son essence ne pourrait donc le haïr. Mais certains de ses effets répugnent à la volonté, dans la mesure où ils sont contraires à ce qui est voulu : sous cet aspect, on peut haïr Dieu, non pas en lui-même, mais en raison de ses effets. Les damnés qui perçoivent Dieu dans l’effet de sa justice, qui est leur peine, le haïssent donc, ainsi que les peines qu’ils supportent.

[23409] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Dionysii est intelligendum de appetitu naturali, qui tamen in damnatis pervertitur per illud quod additur ex deliberata voluntate, ut dictum est.

1. La parole de Denys doit s’entendre du désir naturel, qui est cependant perverti chez les damnés par ce qui y est ajouté par leur volonté délibérée, comme on l’a dit.

[23410] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procederet, si damnati Deum in seipso conspicerent, inquantum est per essentiam bonus.

2. Ce raisonnement serait concluant si les damnés voyaient Dieu en lui-même, en tant qu’il est bon par essence.

Quaestiuncula 6

Réponse à la sous-question 6

[23411] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem dicendum, quod de damnatis ante diem judicii et post distinguendum est. Omnes enim communiter confitentur, quod post diem judicii non erit aliquod meritum vel demeritum; et hoc ideo est, quia meritum vel demeritum ordinatur ad aliquod bonum vel malum ulterius consequendum; post diem autem judicii erit ultima consummatio bonorum et malorum, ita quod nihil erit addendum ulterius de bono vel malo. Unde bona voluntas in beatis non erit meritum, sed praemium; et mala voluntas non erit in damnatis demeritum, sed poena tantum. Operationes enim virtutis sunt praecipue in felicitate, et eorum contrariae sunt praecipue in miseria; ut dicitur in 1 Ethic. Sed ante diem judicii quidam dicunt et beatos mereri, et damnatos demereri. Sed hoc non potest esse respectu praemii essentialis vel poenae principalis, cum quantum ad hoc utrique ad terminum pervenerint; potest tamen hoc esse respectu praemii accidentalis vel poenae secundariae, quae possunt augeri usque ad diem judicii; et hoc praecipue in Daemonibus vel Angelis bonis, quorum officio aliqui trahuntur ad salutem, ex quo bonorum Angelorum gaudium crescit; vel ad damnationem, ex quo crescit poena Daemonum.

À propos des damnés, il faut faire une distinction entre ce qui précède le jour du jugement et ce qui le suit. En effet, tous confessent d’une manière générale qu’après le jour du jugement, il n’y aura aucun mérite ni démérite. La raison en est que le mérite ou le démérite est ordonné à l’obtention ultérieure d’un bien ou d’un mal. Mais, après le jour du jugement, ce sera la consommation ultime des bons et des méchants, de telle sorte que rien n’y sera plus ajouté en bien ou en mal. Aussi la volonté bonne chez les bienheureux ne sera-t-elle pas un mérite, mais une récompense, et la volonté mauvaise chez les damnés ne sera-t-elle pas un démérite, mais seulement une peine. Or, les actions vertueuses se rencontrent surtout dans la félicité, et leurs contraires se rencontrent surtout dans la misère, comme il est dit dans Éthique, I. Mais, avant le jour du jugement, certains disent que les bienheureux méritent et que les damnés déméritent. Or, cela est impossible par rapport à la récompense essentielle ou à la peine principale, puisque, sur ce point, les deux seront parvenus au terme. Cependant, cela peut être le cas par rapport à la récompense accidentelle ou à la peine secondaire, surtout chez les démons ou les anges bons, par la fonction desquels certains sont attirés vers le salut – en raison de quoi la joie des anges bons augmente –, ou vers la damnation – en raison de quoi la peine des démons augmente.

[23412] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hoc est summum incommodum ad summum malorum pervenisse, ex quo contingit damnatis quod demereri non possunt; unde patet quod ex peccato commodum non reportant.

1. Être parvenu au plus grand mal est le malheur suprême ; pour cette raison, les damnés ne peuvent donc démériter. Il ressort ainsi qu’ils ne tirent pas d’avantage du péché.

[23413] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad damnatorum hominum officium non pertinet alios ad damnationem pertrahere, sicut pertinet ad officium Daemonum, ratione cujus demerentur quantum ad secundariam poenam.

2. Il ne relève pas de la fonction des hommes damnés d’en attirer d’autres à la damnation, comme cela relève de la fonction des démons, raison pour laquelle ils déméritent quant à la peine secondaire.

[23414] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 1 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non propter hoc excusantur a demerito quia necessitatem peccandi habeant, sed quia ad summum malorum pervenerunt. Tamen necessitas peccandi cujus causa sumus, excusat a culpa, inquantum est necessitas quaedam, quia omne peccatum oportet esse voluntarium: sed quod non excuset, hoc est inquantum a voluntate praecedente processit; et sic totum demeritum sequentis culpae videtur ad primam culpam pertinere.

3. Ils ne sont pas exempts de démérite parce qu’ils pèchent nécessairement, mais parce qu’ils sont parvenus au plus grand des malheurs. Cependant, la nécessité de pécher dont nous sommes la cause excuse de la faute dans la mesure où elle une certaine nécessité, car tout péché doit être volontaire. Mais qu’elle n’en excuse pas, cela est dû à ce qu’elle vient d’une volonté antécédente ; ainsi tout le démérite de la faute qui suit semble relever de la première faute.

 

 

Articulus 2 [23415] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 tit. Utrum damnati possint uti notitia quam in hoc mundo habuerunt

Article 2 – Les damnés peuvent-ils utiliser la connaissance qu’ils avaient en ce monde ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les damnés peuvent-ils utiliser la connaissance qu’ils avaient en ce monde ?]

[23416] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod damnati non possint uti notitia quam in hoc mundo habuerunt. In consideratione enim scientiae est maxima delectatio. Sed in eis nullam delectationem est ponere. Ergo non possunt uti scientia prius habita secundum aliquam considerationem.

1. Il semble que les damnés ne puissent pas utiliser la connaissance qu’ils avaient en ce monde. En effet, le plus grand plaisir se trouve dans l’examen de la science. Or, il ne faut leur attribuer aucun plaisir. Ils ne peuvent donc pas utiliser la science possédée antérieurement pour un examen.

[23417] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, damnati sunt in majoribus poenis quam sint aliquae poenae hujus mundi. Sed in hoc mundo dum aliquis est in maximis tormentis constitutus, non potest considerare aliquas intelligibiles conclusiones, abstractus a poenis quas patitur. Ergo multo minus in Inferno.

2. Les damnés supportent des peines plus grandes que ne le sont les peines de ce monde. Or, en ce monde, lorsque quelqu’un se trouve dans les plus grands tourments, il ne peut examiner des conclusions intelligibles, en faisant abstraction des peines qu’il supporte. Donc, encore bien moins en enfer.

[23418] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, damnati sunt subjecti tempori. Sed longitudo temporis est causa oblivionis, ut dicitur in 4 Physic. Ergo damnati obliviscentur eorum quae hic sciverunt.

3. Les damnés sont soumis au temps. Or, la longueur du temps est cause d’oubli, comme on le dit dans Physique, IV. Les damnés oublieront donc ce qu’ils savaient ici.

[23419] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Lucae 16, 25, diviti damnato: recordare quia recepisti bona in vita tua. Ergo considerabunt ea quae hic sciverunt.

Cependant, [1] il est dit au riche damné en Lc 16, 25 : Rappelle-toi les biens que tu as reçus durant ta vie. Ils examineront donc ce qu’ils savaient ici.

[23420] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, species intelligibiles in anima separata remanent, ut supra dictum est. Si igitur eis non uti possent, frustra remanerent in eis.

[2] Les espèces intelligibles demeurent dans l’âme séparée, comme on l’a dit plus haut. Si donc ils ne peuvent en faire usage, c’est en vain qu’elles demeureraient en eux.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les damnés penseront-ils parfois à Dieu ?]

[23421] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cogitabunt aliquando de Deo. Quia non potest haberi odio actu nisi illud de quo cogitatur. Sed damnati Deum odio habebunt, ut in littera dicitur. Ergo de Deo aliquando cogitabunt.

1. Il semble que [les damnés] penseront parfois à Dieu, car on ne peut haïr en acte que ce à quoi l’on pense. Or, les damnés haïront Dieu, comme on le dit dans le texte. Ils penseront donc parfois à Dieu.

[23422] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, damnati habebunt remorsum conscientiae. Sed conscientia patitur remorsum de actis contra Deum. Ergo de Deo aliquando cogitabunt.

2. Les damnés auront du remords dans leur conscience. Or, la conscience souffre le remords des actes contre Dieu. Ils penseront donc parfois à Dieu.

[23423] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, perfectissima cogitatio hominis est quae cogitat de Deo. Sed damnati erunt in statu imperfectissimo. Ergo de Deo non cogitabunt.

Cependant, [1] la pensée la plus parfaite de l’homme est celle qui pense à Dieu. Or, les damnés seront dans l’état le plus imparfait. Ils ne penseront donc pas à Dieu.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les damnés voient-ils la gloire des bienheureux ?]

[23424] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati gloriam beatorum non videant. Magis enim ab eis distat gloria beatorum quam ea quae in hoc mundo aguntur. Sed ipsi non vident quae circa nos aguntur; unde dicit Gregorius 12 Moral. super illud Job 14: sive fuerint nobiles filii ejus etc.: sicut hi qui adhuc vivi sunt, mortuorum animae quo loco habeantur, ignorant; ita mortui qui carnaliter vixerunt, vitam in carne positorum, qualiter post eos disponatur, ignorant. Ergo multo minus possunt videre gloriam beatorum.

1. Il semble que les damnés voient la gloire des bienheureux. En effet, la gloire des bienheureux est plus distante d’eux que ce qui se passe dans ce monde. Or, ils ne voient pas ce qui se passe pour nous ; aussi Grégoire dit-il dans les Morales, XII, à propos de Jb 14 : Que ses fils aient été nobles, etc. : « De même que ceux qui sont encore vivants ignorent le lieu où sont les âmes des morts, de même les morts qui ont vécu dans la chair ignorent-ils comment est arrangée après eux la vie de ceux qui sont dans la chair. » Encore moins peuvent-ils donc voir la gloire des bienheureux.

[23425] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod conceditur sanctis in hac vita pro magno munere, nunquam conceditur damnatis. Sed Paulo pro magno munere fuit concessum ut videret illam vitam qua sancti aeternaliter cum Deo vivunt, ut dicitur Corinth. 12, in Glossa. Ergo damnati sanctorum gloriam non videbunt.

2. Ce qui est accordé aux saints en cette vie comme un grand don n’est jamais accordé aux damnés. Or, il a été accordé à Paul comme un grand don de voir cette vie selon laquelle les saints vivent éternellement avec Dieu, comme il dit dans 1 Co 12, dans la Glose. Les damnés ne verront donc pas la gloire des saints.

[23426] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Lucae 16, quod dives in tormentis positus vidit Abraham et Lazarum in sinu ejus.

Cependant, [1] Lc 16 dit que le riche, alors qu’il est dans les tourments, voit Abraham et Lazare dans son sein.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23427] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut propter perfectam sanctorum beatitudinem nihil erit in eis quod non sit gaudii materia, ita nihil erit in damnatis quod non sit eis materia et causa tristitiae; nec aliquid quod ad tristitiam pertinere possit, deerit, ut sit eorum miseria consummata. Consideratio ergo aliquorum notorum quantum ad aliquid inducit gaudium, vel ex parte cognoscibilium, inquantum diliguntur, vel ex parte ipsius cognitionis, inquantum est conveniens et perfecta. Potest etiam tristitiae esse ratio et ex parte cognoscibilium quae nata sunt contristare, et ex parte ipsius cognitionis, prout ejus imperfectio consideratur; utpote cum aliquis considerat se deficere in cognitione alicujus rei, cujus perfectionem appeteret. Sic ergo in damnatis erit actualis consideratio eorum quae prius sciverunt, ut materia tristitiae, non autem ut delectationis causa. Considerabunt enim et mala quae gesserunt, ex quibus damnati sunt, et bona dilecta quae amiserunt; et ex utroque torquebuntur. Similiter etiam torquebuntur de hoc quod considerabunt notitiam quam de rebus speculabilibus habuerunt, imperfectam esse, et amisisse summam perfectionem ejus quam potuerant adipisci.

De même qu’en raison de la béatitude parfaite des saints, rien ne se trouvera chez eux qui ne soit matière à la joie, de même rien ne se trouvera chez les damnés qui ne soit matière et cause de tristesse, et rien ne leur manquera de ce qui peut se rapporter à la tristesse, de sorte que leur misère sera totale. L’examen de certaines choses connues entraîne donc la joie sous un aspect, soit du point de vue de ce qui est connaissable, pour autant que cela est aimé, soit du point de vue de la connaissance elle-même, pour autant qu’elle est appropriée et parfaite. Il peut aussi exister une raison de tristesse tant du point de vue de ce qui est connaissable et qui est attristant par sa nature, que du point de vue de la connaissance elle-même, pour autant que son imperfection est envisagée, comme lorsque quelqu’un considère que la connaissance de quelque chose, dont il désirerait la connaissance parfaite, lui fait défaut. Ainsi donc, chez les damnés, il y aura une considération en acte de ce qu’ils ont connu antérieurement, en tant que matière de la tristesse, mais non en tant que cause de délectation. En effet, ils considéreront le mal qu’ils ont fait et pour lequel ils ont été damnés, et les biens aimés qu’ils ont perdus, et ils seront tourmentés par les deux. De même aussi, ils seront tourmentés par le fait que la connaissance qu’ils ont eue des choses qui sont objets de spéculation était imparfaite, et qu’ils ont perdu la perfection suprême de ce qu’ils pouvaient obtenir.

[23428] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis consideratio scientiae per se sit delectabilis, tamen ex aliquo accidente potest esse tristitiae causa, ut dictum est, et sic erit in damnatis.

1. Bien que la considération de la science soit délectable en elle-même, elle peut cependant être cause de tristesse en raison d’un accident, comme on l’a dit. Tel sera le cas pour les damnés.

[23429] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc mundo anima conjungitur corruptibili corpori; unde per hoc quod corpus affligitur, consideratio animae impeditur: sed in futuro anima non ita trahetur ex corpore; sed quantumcumque corpus affligatur, tamen anima semper considerabit lucidissime illa quae ei possunt esse causa moeroris.

2. Dans ce monde, l’âme est unie à un corps corruptible ; aussi la considération de l’âme est-elle empêchée par le fait que le corps est affligé. Mais, dans l’avenir, l’âme ne sera pas ainsi entraînée par le corps, mais, autant que le corps soit affligé, l’âme considérera cependant toujours très clairement ce qui peut être cause d’affliction.

[23430] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tempus est causa oblivionis per accidens, inquantum motus, cujus est mensura, est causa transmutationis; sed post diem judicii non erit motus caeli, unde nec oblivio esse poterit ex quantacumque diuturnitate; sed ante diem judicii anima separata non mutatur a sua dispositione per motum.

3. Le temps est cause d’oubli par accident, pour autant que le mouvement, dont il est la mesure, est cause de transformation. Mais, après le jour du jugement, il n’y aura pas de mouvement du ciel. Il ne pourra donc pas y avoir d’oubli, quelle que soit la durée. Cependant, avant le jour du jugement, l’âme séparée n’est pas changée dans sa disposition par le mouvement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23431] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Deus potest considerari dupliciter. Uno modo secundum se, et secundum illud quod est ei proprium, scilicet esse totius bonitatis principium; et sic nullo modo a damnatis cogitabitur. Alio modo secundum aliquid quod est ei quasi accidentale in effectibus suis, utpote punire, vel aliquid hujusmodi; et secundum hoc consideratio de eo potest tristitiam inducere; et hoc modo damnati de eo cogitabunt.

Dieu peut être considéré de deux manières. D’une manière, en soi et selon ce qui lui est propre : être le principe de toute bonté. Il ne sera ainsi aucunement considéré par les damnés. D’une autre manière, [il peut être considéré] selon quelque chose qui est pour lui pour ainsi dire accidentel : dans ses effets ; ainsi, punir ou quelque chose de ce genre. Semblable considération peut entraîner de la tristesse, et les damnés penseront à lui de cette manière.

[23432] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod damnati, ut dictum est, non habent odio Deum nisi ratione punitionis et prohibitionis ejus; quod malae voluntati eorum consonat; unde non considerabunt eum nisi ut punitorem et prohibitorem.

1. Comme on l’a dit, les damnés ne haïssent Dieu qu’en raison de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à leur volonté mauvaise. Ils ne le considéreront donc que comme celui qui punit et interdit.

[23433] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum: quia conscientia non remordet de peccato nisi inquantum est divino praecepto contraria.

2. Par cela, la réponse au second argument est claire, car la conscience n’a de remords du péché que pour autant qu’elle va à l’encontre du commandement divin.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23434] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum est, sicut in littera dicitur, quod damnati ante diem judicii videbunt beatos in gloria, non hoc modo quod gloria eorum qualis sit cognoscant; sed solum cognoscent eos esse in gloria quadam inaestimabili; et ex hoc turbabuntur, tum propter invidiam, dolentes de felicitate bonorum, tum propter hoc quod talem gloriam amiserunt; unde dicitur Sap. 5, 2, de impiis: videntes turbabuntur timore horribili. Sed post diem judicii omnino beatorum visione privabuntur. Nec tamen ex hoc eorum poena minuetur, sed augebitur: quia memoriam habebunt gloriae beatorum quam in judicio viderunt, vel ante judicium; et hoc erit eis in tormentum: sed ulterius affligentur in hoc quod videbunt indignos se reputari etiam videre gloriam quam sancti merentur habere.

Comme on le dit dans le texte, avant le jour du jugement, les damnés verront les bienheureux dans la gloire, non pas de manière à ce qu’ils connaissent quelle est leur gloire, mais qu’ils connaissent seulement qu’ils sont dans une gloire inestimable. Et ils seront troublés par cela, tant par l’envie, en déplorant le bonheur des bons, que parce qu’ils ont perdu une telle gloire. Aussi est-il dit des impies en Sg 5, 2 : Les voyant, ils seront troublés par une crainte terrifiante. Mais, après le jour du jugement, ils seront complètement privés de la vision des bienheureux. Cependant, leur peine ne sera pas diminuée pour autant, mais elle sera augmentée, car ils auront le souvenir de la gloire des bienheureux qu’ils ont vue lors du jugement ou avant le jugement, et cela sera pour eux un tourment. Mais, en plus, ils seront affligés de voir qu’ils ont été considérés indignes de voir la gloire que les saints ont mérité de posséder.

[23435] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ea quae in hac vita aguntur, non ita affligerent damnatos in Inferno si viderentur, sicut sanctorum gloria inspecta; unde non ita ostenduntur damnatis ea quae hic aguntur, sicut sanctorum; quamvis etiam eorum quae hic aguntur ostendantur eis ea quae in eis tristitiam augere possunt.

1. Ce qui est accompli en cette vie n’affligerait pas tellement les damnés en enfer, si cela était vu comme la gloire des saints est regardée. Aussi ce qui est accompli [en cette vie] n’est-il pas montré aux damnés comme ce qui l’est par les saints, bien que, de ce qui est accompli, leur soit montré ce qui peut accroître leur tristesse.

[23436] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Paulus inspexit vitam illam in qua sancti cum Deo vivunt, eam experiendo, et in futurum perfectius sperando; quae ratio non est de damnatis; et ideo non est simile.

2. Paul a vu la vie selon laquelle les saints vivent avec Dieu en en faisant l’expérience et en l’espérant plus parfaitement pour l’avenir. Telle n’est pas le cas des damnés. Aussi n’est-ce pas la même chose.

 

 

Articulus 3 [23437] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 tit. Utrum damnati in Inferno sola poena ignis affligantur

Article 3 – Les damnés en enfer sont-ils affligés par la seule peine du feu ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les damnés en enfer sont-ils affligés par la seule peine du feu ?]

[23438] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod damnati in Inferno sola poena ignis affligantur. Quia Matth. 25, 4, ut eorum damnatio exprimatur, fit mentio solum de igne, cum dicitur: ite, maledicti, in ignem aeternum.

1. Il semble que les damnés en enfer soient affligés par la seule peine du feu, car, en Mt 25, 4, pour exprimer leur damnation, il est fait mention seulement du feu, lorsqu’il est dit : Allez, maudits, au feu éternel !

[23439] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut poena Purgatorii debetur peccato veniali, ita poena Inferni debetur mortali. Sed in Purgatorio non dicitur esse nisi poena ignis, ut patet per hoc quod dicitur 1 Corinth. 3, 13: uniuscujusque opus quale sit, ignis probabit. Ergo nec in Inferno erit nisi ignis poena.

2. De même que la peine du purgatoire est due pour le péché véniel, de même la peine de l’enfer est-elle due pour le péché mortel. Or, dans le purgatoire, on dit qu’il n’y a que la peine du feu, comme cela ressort de ce qui est dit dans 1 Co 3, 13 : Le feu mettra à l’épreuve l’action de chacun, quelle qu’elle soit. Il n’y aura donc non plus en enfer que la peine du feu.

[23440] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, poenarum varietas refrigerium praestat, sicut calido cum transfertur ad frigidum. Sed nullum refrigerium est ponere in damnatis. Ergo non erunt diversae poenae, sed sola poena ignis.

3. La diversité des peines apporte un rafraîchissement, comme c’est le cas de ce qui est chaud, lorsqu’il est amené au froid. Or, aucun rafraîchissement ne doit être reconnu pour les damnés. Il n’y aura donc pas diverses peines, mais seulement la peine du feu.

[23441] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Psalm. 10, 7: ignis, sulphur, et spiritus procellarum pars calicis eorum.

Cependant, [1] il est dit dans Ps 10, 7 : Le feu, le soufre et un vent de tempête seront leur lot.

[23442] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Job 24, 19: transibunt ab aquis nivium ad calorem nimium.

[2] Jb 24, 19 dit : Ils passeront des eaux glacées à une chaleur excessive.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les vers dont les damnés sont affligés sont-ils corporels ?]

[23443] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod vermis quo affliguntur damnati, sit corporalis. Quia caro non potest affligi per vermem spiritualem. Sed caro damnatorum affligetur per vermem. Judith 16, 21: dabit ignem et vermes in carnes eorum; et Eccli. 7, 19: vindicta carnis impii ignis et vermis. Ergo vermis ille erit corporalis.

1. Il semble que les vers dont les damnés sont affligés soient corporels, car leur chair ne peut être affligée par des vers spirituels. Or, la chair des damnés sera affligée par des vers. Jdt 16, 21 : Il communiquera à leur chair le feu et les vers. Et Si 7, 19 : La vengeance contre la chair de l’impie sera le feu et les vers. Ces vers seront donc corporels.

[23444] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit 21 de Civ. Dei: utrumque, idest ignis et vermis, poena erunt carnis; et sic idem quod prius.

2. Augustin dit dans La cité de Dieu, XXI : « Les deux choses – c’est-à-dire le feu et les vers – seront la peine de la chair. » La conclusion est ainsi la même que précédemment.

[23445] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, 20 de civitate Dei: in poenis malorum inextinguibilis ignis et vivacissimus vermis ab aliis aliter atque aliter est expositus. Alii utrumque ad corpus, alii utrumque ad animam retulerunt; alii proprie ad corpus ignem, topice ad animam vermem; quod esse credibilius videtur.

Cependant, Augustin dit dans La cité de Dieu, XX : « Pour ce qui est des peines des méchants, le feu inextinguible et les vers grouillants ont été expliqués différemment par divers auteurs. Les uns mettent les deux en rapport avec le corps, les autres mettent les deux en rapport avec l’âme ; les uns rapportent le feu au corps, et les vers spécifiquement à l’âme, ce qui semble être plus crédible. »

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les pleurs qui se rencontrent chez les damnés sont-ils corporels ?]

[23446] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod fletus qui est in damnatis, erit corporalis. Quia Luc. 13, dicit quaedam Glossa, quod per fletum quem dominus reprobis comminatur, potest probari vera corporum resurrectio; quod non esset, si fletus ille esset tantum spiritualis. Ergo et cetera.

1. Il semble que les pleurs qui se rencontrent chez les damnés soient corporels, car, à propos de Lc 13, une glose dit que, « par les pleurs dont le Seigneur menace les réprouvés, peut être confirmée la véritable résurrection des corps », ce qui ne serait pas le cas si ces pleurs n’étaient que spirituels. Donc, etc.

[23447] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, tristitia quae est in poena, respondet delectationi quae fuit in culpa, secundum illud Apocal. 18, 7: quantum glorificavit se, et in deliciis fuit, tantum date illi tormentum et luctum. Sed peccatores in culpa habuerunt delectationem et interiorem et exteriorem. Ergo habebunt fletum etiam exteriorem.

2. La tristesse que comporte la peine répond à la délectation que comportait la faute, selon ce que dit Ap 18, 7 : Donnez-lui d’autant plus de tourments et de larmes qu’il s’est davantage glorifié et adonné aux plaisirs. Or, les pécheurs ont connu un plaisir intérieur et extérieur en péchant. Ils auront donc des larmes extérieures.

[23448] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, fletus corporalis fit per quamdam resolutionem lacrymarum. Sed a corporibus damnatorum non potest fieri perpetua resolutio, cum nihil in eis per cibum restauretur: omne enim finitum consumitur, si aliquid ab eo continue abstrahatur. Ergo in damnatis non erit corporalis fletus.

Cependant, les pleurs corporels se réalisent par le versement de larmes. Or, il ne peut y avoir un versement perpétuel à partir des corps des damnés, puisque rien ne sera restauré chez eux par une nourriture. En effet, tout ce qui est fini est consommé, si quelque chose en est continuellement enlevé. Il n’y aura donc pas de pleurs corporels chez les damnés.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 – [Les damnés seront-ils dans des ténèbres corporelles ?]

[23449] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod damnati non sint in tenebris corporalibus. Quia, ut dicit Gregorius in 9 Lib. Moral., super illud Job 10: sed sempiternus horror inhabitat, quamvis ignis illic ad consolationem non luceat, tamen ut magis torqueat ad aliquid lucet: nam sequaces quos secum traxerunt de mundo reprobi, flamma illustrante visuri sunt. Ergo non erunt ibi tenebrae corporales.

1. Il semble que les damnés ne soient pas dans des ténèbres corporelles, car, ainsi que le dit Grégoire dans les Morales, IX, à propos de Jb 10 : « Une horreur éternelle les habite, bien que ce feu ne brille pas pour leur consolation, mais qu’il brille pour les tourmenter davantage, car les disciples que les réprouvés ont entraînés avec eux dans le monde seront vus à la lumière des flammes. » Il y aura donc là des ténèbres corporelles.

[23450] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, damnati vident poenam suam: hoc enim est eis augmentum poenae. Sed nihil videtur sine lumine. Ergo non sunt tenebrae corporales.

2. Les damnés voient leur peine : en effet, c’est là un accroissement de leur peine. Or, rien n’est vu sans lumière. Il ne s’agit donc pas de ténèbres corporelles.

[23451] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, damnati habebunt ibi potentiam visivam post corporum resumptionem. Sed frustra esset in eis, nisi viderent aliquid. Ergo cum nihil videatur nisi in lumine, videtur quod non sint omnino in tenebris.

3. Les damnés auront la puissance visuelle après avoir repris leurs corps. Or, cela serait inutile chez eux s’ils ne voyaient rien. Puisque rien n’est vu que par une lumière, il semble donc qu’ils ne soient pas dans les ténèbres.

[23452] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 22, 13: ligatis pedibus et manibus projicite eum in tenebras exteriores; super quo dicit Gregorius Lib. 9 Mor.: si ignis ille lucem haberet, in tenebras exteriores nequaquam mitti diceretur.

Cependant, [1] Mt 22, 13 dit : Liez-leur les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures. À propos de ce passage, Grégoire dit dans les Morales, IX : « Si ce feu donnait de la lumière, jamais il ne serait dit de l’envoyer dans les ténèbres extérieures. »

[23453] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, Basilius dicit super illud Psalm. 28: vox domini intercidentis flammam ignis, quod virtute Dei separabitur claritas ignis ab ejus virtute adustiva: ita quod claritas cedet in gaudium sanctorum, et ustivum ignis in tormentum damnatorum. Ergo damnati habebunt tenebras corporales. Quaedam vero alia quae ad poenam damnatorum pertinent, determinata sunt supra, 44 dist.

[2] Basile dit à propos du Ps 28 : Voix du Seigneur qui éteint la flamme du feu ! que, par la puissance de Dieu, la clarté du feu sera séparée de sa puissance de combustion, de sorte que la clarté reviendra à la gloire des saints, et la puissance de combustion du feu, au tourment des damnés. Les damnés seront donc dans les ténèbres corporelles. Mais certaines autres choses qui se rapportent à la peine des damnés ont été déterminées plus haut, d. 44.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23454] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod secundum Basilium in ultima mundi purgatione fiet quaedam separatio in elementis; ut quidquid est purgatum et nobile, remaneat superius ad gloriam beatorum; quidquid vero est ignobile et faeculentum, in Inferno projiciatur ad poenam damnatorum; ut sicut omnis creatura Dei est beatis materia gaudii, ita damnatis ex omnibus creaturis tormentum accrescat, secundum illud Sap. 5, 21: pugnabit cum illo orbis terrarum contra insensatos. Hoc etiam divinae justitiae competit, ut sicut ab uno recedentes per peccatum, in rebus materialibus (quae sunt multa et vana) finem suum constituerunt; ita etiam multipliciter affligantur, et ex multis.

Selon Basile, lors de l’ultime purification du monde, une séparation des éléments se réalisera, de sorte que tout ce qui est purifié et noble reste sur le dessus pour la gloire des bienheureux, mais tout ce qui est bas et trouble soit jeté en enfer pour la peine des damnés. Ainsi, toute créature de Dieu sera pour les bienheureux matière à joie, mais le tourment des damnés s’accroîtera à propos de toutes les créatures, selon Sg 5, 21 : Le monde entier combattra les insensés. Cela convient aussi à la justice divine que, de même qu’ils se sont éloignés de l’unique par le péché en plaçant leur fin dans les choses matérielles (qui sont nombreuses et vaines), de même ils soient affligés de multiples façons et par beaucoup de choses.

[23455] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quia ignis est maxime afflictivus propter hoc quod abundat virtute activa; ideo nomine ignis omnis afflictio designatur ut sit vehemens.

1. Parce que le feu est une très grande source d’affliction en raison de l’abondance de sa puissance active, toute affliction est appelée un feu lorsqu’elle est forte.

[23456] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poena Purgatorii non est principaliter ad affligendum, sed ad purgandum; unde per solum ignem fieri debet, qui habet maximam vim purgativam. Sed damnatorum poena non ordinatur ad purgandum; unde non est simile.

2. La peine du purgatoire ne vise pas principalement à affliger mais à purifier ; elle doit donc être accomplie uniquement par le feu, qui a une très grande puissance purificatrice. Mais la peine des damnés n’est pas ordonnée à [les] purifier. Ce n’est donc pas la même chose.

[23457] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod damnati transibunt ex vehementissimo calore ad vehementissimum frigus, sine hoc quod in eis sit aliquod refrigerium: quia passio ab exterioribus non erit per transmutationem corporis a sua pristina naturali dispositione, ut contraria passio ad aequalitatem vel temperiem reducendo refrigerium causet, sicut accidit nunc; sed erit per actionem spiritualem, secundum quod sensibilia agunt per sensum, prout sentiuntur imprimendo formas illas secundum esse spirituale in organum, et non secundum esse materiale, ut supra, dist. 44, dictum est.

3. Les damnés passeront de la chaleur la plus intense au froid le plus intense, sans pour autant être rafraîchis, car la passion venue des choses extérieures ne se réalisera pas par un changement corporel à partir de leur disposition naturelle antérieure, de sorte qu’une passion contraire cause un rafraîchissement en les ramenant à une égalité ou à une température modérée, comme c’est le cas maintenant ; mais elle se réalisera par une action spirituelle, selon laquelle les réalités sensibles agissent par le sens, pour autant qu’elles sont senties en imprimant ces formes selon un être spirituel dans un organe, et non selon leur être matériel, comme on l’a dit plus haut, d. 44.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23458] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut supra dictum est, dist. 48, post diem judicii in mundo innovato non remanebit aliquod animal vel aliquod corpus mixtum, nisi corpus hominis tantum, eo quod non habeat aliquem ordinem ad corruptionem, nec post illud tempus sit futura generatio et corruptio. Unde vermis qui in damnatis ponitur, non debet intelligi esse materialis, sed spiritualis, qui est conscientiae remorsus: qui dicitur vermis, inquantum oritur ex putredine peccati, et animam affligit, sicut corporalis vermis ex putredine ortus affligit pungendo.

Comme on l’a dit plus haut, d. 48, après le jour du jugement, il ne restera plus dans le monde rénové d’animal ou de corps mixte, sauf le corps de l’homme, parce qu’il n’est pas ordonné à la corruption et qu’il n’y a plus de généréation et de corruption à venir après ce temps. Aussi ne faut-il pas comprendre que les vers qui sont attribués aux damnés sont matériels, mais spirituels : le remords de la conscience. On l’appelle vers pour autant qu’il naît de la pourriture du péché et afflige l’âme, comme les vers issus de la pourriture affligent en tourmentant.

[23459] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ipsae animae damnatorum dicuntur carnes eorum pro eo quod carni subjectae fuerunt. Vel potest dici quod etiam per vermem spiritualem caro affligetur, secundum quod passiones animae redundant in corpus; et hoc in futuro.

1. Les âmes des damnés sont appelées leur chair parce qu’elles ont été soumises à la chair. Ou bien on peut dire que la chair aussi sera affligée par des vers spirituels, du fait que les passions de l’âme rejaillissent sur le corps, et cela dans l’avenir.

[23460] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus loquitur sub quadam comparatione: non enim vult simpliciter asserere quod ille vermis sit materialis; sed quod potius esset asserendum, ignem et vermem materialiter intelligi, quam quod utrumque spiritualiter tantum intelligatur; quia sic damnati nullam poenam corporalem sustinerent; ut patet seriem verborum ejus ibidem inspicienti.

2. Augustin parle par comparaison. En effet, il ne veut pas simplement dire que ces vers sont matériels, mais qu’il faudrait plutôt affirmer que le feu et les vers sont matériels, que d’entendre les deux de manière spirituelle seulement, car ainsi les damnés ne supporteraient aucune peine corporelle, comme cela ressort de la suite de ses paroles pour celui qui y jette un regard.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23461] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in fletu corporali duo inveniuntur: quorum unum est lacrymarum resolutio; et quantum ad hoc fletus corporalis in damnatis esse non potest: quia post diem judicii quiescente motu primi mobilis non erit aliqua generatio et corruptio, vel corporalis alteratio; in lacrymarum autem resolutione oportet esse illius humoris generationem qui per lacrymas distillat; unde quantum ad hoc corporalis fletus in damnatis esse non poterit. Aliud quod invenitur in corporali fletu, est quaedam commotio et perturbatio capitis et oculorum; et quantum ad hoc fletus in damnatis esse poterit post resurrectionem. Corpora enim damnatorum non solum ex exteriori affligentur, sed etiam ab interiori, secundum quod corpus immutatur ad passionem animae in bonum vel malum; et quantum ad hoc fletus carnis resurrectionem indicat, et respondet delectationi culpae quae fuit in anima et in corpore.

Dans les pleurs corporels, on trouve deux choses. L’une, le versement de larmes : sous cet aspect, les pleurs corporels ne peuvent se trouver chez les damnés, parce que, après le jour du jugement, alors que le mouvement du premier mobile se sera arrêté, il n’y aura ni génération ni corruption ou altération corporelle. Or, dans le versement de larmes, il faut qu’il y ait génération d’une humeur qui tombe goutte à goutte par les larmes. Aussi ne pourra-t-il y avoir sous cet aspect de pleurs corporels chez les damnés. L’autre chose qu’on trouve dans les pleurs corporels est un certain mouvement et un certain trouble de la tête et des yeux : sous cet aspect, il y pourra y avoir des pleurs chez les damnés après la résurrection. En effet, les corps des damnés ne seront pas seulement affligés de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, selon que le corps est changé en bien ou en mal par une passion de l’âme. Sous cet aspect, les pleurs indiquent la résurrection de la chair et répondent au plaisir de la faute qui a existé dans l’âme et dans le corps.

[23462] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

Ainsi ressort la réponse aux objections.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[23463] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod dispositio Inferni talis erit quod maxime miseriae damnatorum competet; unde secundum hoc sunt ibi lux et tenebra, prout maxime spectant ad miseriam damnatorum. Ipsa autem visio secundum se est delectabilis; ut enim dicitur in 1 Metaph., sensus oculorum est maxime diligibilis, eo quod per ipsum plura cognoscimus. Sed per accidens contingit visionem esse afflictivam, inquantum videmus aliqua nobis nociva, vel nostrae voluntati repugnantia. Ideo et in Inferno hoc modo debet esse locus dispositus ad videndum secundum lucem et tenebras, quod nihil ibi perspicue videatur, sed solummodo sub quadam umbrositate videantur illa quae afflictionem cordi ingerere possunt. Unde simpliciter loquendo, locus est tenebrosus, sed tamen ex divina dispositione est ibi aliquid luminis, quantum sufficit ad videndum illa quae animam torquere possunt: et ad hoc satis facit naturalis situs loci: quia in terrae medio, ubi Infernus ponitur, non potest esse ignis nisi faeculentus et turbidus, et quasi fumosus. Quidam tamen tenebrarum harum causam assignant ex commassatione et compressione corporum damnatorum, quae propter multitudinem ita replebunt locum Inferni, quod nihil ibi de aere remanebit; et sic non erit ibi aliquid de diaphano quod possit esse subjectum lucis et tenebrae, nisi oculi damnatorum, qui erunt obtenebrati.

La disposition de l’enfer sera telle qu’elle conviendra au mieux à la misère des damnés. Aussi y trouve-t-on lumière et ténèbres, en tant qu’ils concernent la misère des damnés. Or, la vision est en elle-même délectable. Comme il est dit dans Métaphysique, I, « le sens des yeux est celui que nous aimons le plus, du fait que, par lui, nous connaissons plus de choses ». Mais, par accident, il arrive que la vision soit source d’affliction, pour autant que nous voyons certaines choses nuisibles ou qui répugnent à notre volonté. Dans l’enfer, le lieu doit donc être aussi disposé pour qu’on voie selon la lumière et les ténèbres, de sorte qu’on n’y voie rien clairement, mais que l’on voie seulement de manière ombragée ce qui peut amener l’affliction du cœur. Aussi, à parler simplement, l’endroit est ténébreux ; cependant, par une disposition divine, il y aura un peu de lumière, suffisante pour voir ce qui peut tourmenter l’âme. À cela contribue fort bien le site naturel du lieu, car, au centre de la terre, où l’on situe l’enfer, il ne peut y avoir qu’un feu ombragé et confus, pour ainsi dire enfumé. Cependant, certains attribuent la cause de ces ténèbres à l’accumulation et à la compression des corps des damnés, qui, en raison de leur multitude, rempliront le lieu de l’enfer, au point qu’il n’y restera pas d’air. Et ainsi ne s’y trouvera-t-il rien du diaphane, qui est le sujet de la lumière et des ténèbres, si ce n’est les yeux des damnés, qui seront enténébrés.

[23464] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 3 qc. 4 ad arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.

Ainsi ressort la réponse aux objections.

 

 

Articulus 4 [23465] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 tit. Utrum beati qui erunt in patria, videant poenas damnatorum

Article 4 – Les bienheureux qui seront dans la patrie voient-ils les peines des damnés ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 – [Les bienheureux qui seront dans la patrie verront-ils les peines des damnés ?]

[23466] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod beati qui erunt in patria, non videant poenas damnatorum. Major enim est distantia damnatorum a beatis quam viatorum. Sed beati semper viatorum facta non vident; unde Isai. 43, 16: Abraham nescivit vos, dicit Glossa: nesciunt mortui, etiam sancti, quid faciunt vivi, etiam eorum filii. Ergo multo minus vident poenam damnatorum.

1. Il semble que les bienheureux qui seront dans la patrie ne voient pas les peines des damnés. En effet, la distance des damnés par rapport aux bienheureux est plus grande que par rapport à ceux qui sont en route [viatores]. Or, les bienheureux ne voient pas toujours ce que font ceux qui sont en route. Ainsi, à propos de Is 43, 16 : Abraham ne vous connaît pas, la Glose dit : « Les morts, même les saints, ne savent pas ce que font les vivants, même leurs fils. » Encore bien moins, donc, voient-ils la peine des damnés.

[23467] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, perfectio visionis dependet a perfectione visibilis; unde philosophus dicit in 10 Ethicor., quod perfectissima sensus operatio est sensus optime dispositi ad pulcherrimum sub sensu jacentium. Ergo e contrario turpitudo visibilis redundat in imperfectionem visionis. Sed nulla imperfectio erit in beatis. Ergo non videbunt miserias damnatorum, in quibus est summa turpitudo.

2. La perfection de la vision dépend de la perfection de ce qui est visible. Ainsi le Philosophe dit-il, dans Éthique, X, que « l’opération la plus parfaite est celle du sens disposé au mieux par rapport à ce qu’il y a de plus beau parmi les choses qui tombent sous le sens ». En sens contraire, la laideur de ce qui est visible rejaillit donc sur l’imperfection de la vision. Or, il n’y aura aucune imperfection chez les bienheureux. Ils ne verront donc pas les misères des damnés, chez qui existe la plus grande laideur.

[23468] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isa. ult., 24: egredientur et videbunt cadavera virorum qui praevaricati sunt in me. Glossa: electi egredientur intelligentia vel visione manifesta, ut ad laudem Dei magis accendantur.

Cependant, à propos de Is 66, 24 : Ils sortiront et ils verront les cadavres des hommes qui ont fauté contre moi, la Glose dit : « Les élus sortiront avec une intelligence ou une vision claire, afin qu’ils soient davantage enflammés pour la louange de Dieu. »

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Les bienheureux compatissent-ils aux misères des damnés ?]

[23469] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beati miseriis damnatorum compatiantur. Compassio enim ex caritate procedit. Sed in beatis erit perfectissima caritas. Ergo maxime miseriis damnatorum compatientur.

1. Il semble que les bienheureux compatissent aux misères des damnés. En effet, la compassion vient de la charité. Or, la charité la plus parfaite existera chez les bienheureux. Ils compatiront donc au plus haut point aux misères des damnés.

[23470] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, beati nunquam erunt tantum elongati a passione quantum Deus est. Sed Deus quodammodo miseriis compatitur nostris, unde et misericors dicitur; et similiter Angeli. Ergo beati compatientur miseriis damnatorum.

2. Les bienhereux ne seront jamais aussi éloignés de la passion que Dieu l’est. Or, Dieu compatit parfois à nos misères ; on dit ainsi qu’il est miséricordieux. De même en est-il des anges. Les bienheureux compatiront donc aux misères des damnés.

[23471] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quicumque alii compatitur, fit ejus miseriae quodammodo particeps. Sed beati non possunt esse participes alicujus miseriae. Ergo beati miseriis damnatorum non compatiuntur.

Cependant, quiconque compatit à un autre devient en quelque manière participant de sa misère. Or, les bienheureux ne peuvent participer à aucune misère. Les bienheureux ne compatissent donc pas aux misères des damnés.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [Les bienheureux se réjouissent-ils des peines des impies ?]

[23472] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod beati non laetentur de poenis impiorum. Laetari enim de malo ad odium alterius pertinet. Sed in beatis nullum erit odium. Ergo non laetabuntur de miseriis damnatorum.

1. Il semble que les bienheureux ne se réjouissent pas des peines des impies. En effet, se réjouir du mal relève de la haine de l’autre. Or, chez les bienheureux, il n’y aura pas de haine. Ils ne se réjouiront donc pas des misères des bienheureux.

[23473] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, beati in patria erunt summe Deo conformes. Sed Deus non delectatur in poenis nostris. Ergo nec beati delectabuntur de poenis damnatorum.

2. Dans la patrie, les bienheureux seront au plus haut point conformes à Dieu. Or, Dieu ne se réjouit pas de nos peines. Les bienheureux non plus ne se réjouiront donc pas des peines des damnés.

[23474] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, illud quod est vituperabile in viatore, nullo modo cadit in comprehensorem. Sed in homine viatore est maxime vituperabile quod reficiatur aliorum poenis, et maxime commendabile ut de poenis doleat. Ergo beati nullo modo laetantur de poenis damnatorum.

3. Ce qui est blâmable chez celui qui est en chemin [viatore] ne peut se retrouver d’aucune manière chez le possesseur [comprehensor]. Or, chez celui qui est en chemin, il est au plus haut point blâmable qu’il se repaisse des peines des autres, et au plus haut point digne de louange qu’il déplore ses peines. Les bienheureux ne se réjouissent donc aucunement des peines des damnés.

[23475] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in Psal. 57, 2, dicitur: laetabitur justus, cum viderit vindictam.

Cependant, [1] le Ps 57, 2 dit : Le juste se réjouira lorsqu’il verra la vengeance.

[23476] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Isai. ult. 24, dicitur: erunt usque ad satietatem visionis omni carni. Satietas autem refectionem mentis designat. Ergo beati gaudebunt de poenis impiorum.

[2] Il est dit en Is 66, 24 : Toute chair verra à satiété. Or, la satiété indique la réfection de l’esprit. Les bienheureux se réjouiront donc des peines des impies.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[23477] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod a beatis nihil subtrahi debet quod ad perfectionem beatitudinis eorum pertineat. Unumquodque autem ex operatione contrarii magis cognoscitur; quia contraria juxta se posita magis elucescunt; et ideo, ut beatitudo sanctorum eis magis complaceat, et de ea uberiores gratias Deo agant, dantur eis ut poenam impiorum perfecte intueantur.

Rien ne doit être soustrait aux bienheureux de ce qui appartient à la perfection de leur béatitude. Or, chaque chose est davantage connue par l’action de ce qui lui est contraire, car les contraires, placés l’un à côté de l’autre, s’éclairent ; c’est pourquoi, pour que la béatitude des saints leur plaise davantage et qu’ils en rendent encore davantage grâce à Dieu, il leur est accordé de voir parfaitement la peine des impies.

[23478] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Glossa illa loquitur de sanctis mortuis secundum impossibilitatem naturae: non enim oportet ut naturali cognitione cognoscant omnia quae erga vivos aguntur. Sed sancti qui sunt in patria, omnia clare cognoscunt quae aguntur et apud viatores et apud damnatos; unde Gregorius dicit, 12 Lib. Moral., de animabus sanctis: sentiendum non est hoc (scilicet quod Job dicit: sive nobiles fuerint filii ejus, sive ignobiles, nesciunt etc.): quia qui intus habent Dei claritatem, nullo modo credendum est quod sit foris aliquid quod ignorent.

1. Cette glose parle des saints morts selon ce qui est impossible à la nature : en effet, il n’est pas nécessaire qu’ils connaissent d’une connaissance naturelle tout ce qui arrive aux vivants. Mais les saints qui sont dans la patrie connaissent clairement tout ce qui arrive à ceux qui sont en chemin et aux damnés. Aussi Grégoire dit-il, dans les Morales, XII, à propos des âmes saintes : « Il ne faut pas retenir cela (c’est-à-dire ce que Job dit : Que leurs fils aient été nobles ou odieux, ils ne savent pas, etc.), car il ne faut pas croire que ceux qui ont en eux la clarté de Dieu ignorent quelque chose qui est à l’extérieur. »

[23479] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis pulchritudo visibilis ad perfectionem faciat visionis, visibilis tamen turpitudo sine visionis imperfectione esse potest: species enim rerum in anima, per quas contraria cognoscuntur, non sunt contrariae; unde etiam Deus, qui perfectissimam cognitionem habet, omnia, pulchra et turpia, videt.

2. Bien que la beauté visible contribue à la perfection de la vision, la laideur visible peut cependant exister sans imperfection de la vision. En effet, les espèces des choses dans l’âme, par lesquelles des réalités contraires sont connues, ne sont pas contraires. Aussi Dieu lui-même, qui possède la connaissance la plus parfaite, voit toutes les choses, belles et laides.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[23480] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod misericordia vel compassio potest inveniri in aliquo dupliciter: uno modo per modum passionis; alio modo per modum electionis. In beatis autem non erit aliqua passio in parte inferiori, nisi consequens electionem rationis; unde non erit in eis compassio vel misericordia, nisi secundum rationis electionem. Hoc autem modo ex electione misericordia vel compassio nascitur, prout scilicet aliquis vult malum alterius repelli; unde in illis quae non volumus secundum judicium rationis repelli, compassionem talem non habemus. Peccatores autem, quamdiu sunt in hoc mundo, in tali statu sunt quod sine praejudicio divinae justitiae possunt in beatitudinem transferri a statu miseriae et peccati; et ideo beatorum compassio ad eos locum habet et secundum electionem voluntatis, prout Deus, Angeli et beati eis compati dicuntur, eorum salutem volendo; et secundum compassionem, sicut compatiuntur eis homines boni in statu viae existentes. Sed in futuro non poterunt transferri a sua miseria; unde ad eorum miserias non poterit esse compassio secundum electionem rectam; et ideo beati qui erunt in gloria, nullam compassionem ad damnatos habebunt.

La miséricorde ou la compassion peut se trouver chez quelqu’un de deux manières : d’une manière, par mode de passion ; d’une autre manière, par mode de choix. Or, chez les bienheureux, il n’existera aucune passion dans la partie inférieure, à moins qu’elle ne découle du choix de la raison. Aussi n’existera-t-il en eux de la compassion ou de la miséricorde que selon le choix de la raison. Or, la miséricorde ou la compassion naît du choix selon que quelqu’un veut que le mal de l’autre soit enlevé ; aussi n’avons-nous pas une telle compassion selon le jugement de la raison pour ce que nous ne voulons pas voir enlever selon le jugement de la raison. Or, les pécheurs, aussi longtemps qu’ils sont en ce monde, sont dans un état tel qu’ils peuvent passer de l’état de misère et de péché à la béatitude, sans préjudice pour la justice divine. C’est pourquoi la compassion des bienheureux pour eux a sa place et on dit que Dieu, les anges et les bienheureux compatissent pour eux par un choix volontaire en voulant leur salut ; et par compassion, comme les hommes bons se trouvant dans l’état de cheminement compatissent avec eux. Mais, dans l’avenir, ils ne pourront être enlevés à leur misère ; il ne pourra donc pas exister de compassion pour leurs misères selon un choix correct. C’est pourquoi les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront aucune compassion pour les damnés.

[23481] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas tunc est principium compassionis, quando possumus ex caritate velle remotionem malitiae alicujus; sed sancti ex caritate hoc velle non possunt de damnatis, cum divinae justitiae repugnet; unde ratio non sequitur.

1. La charité est le principe de la compassion lorsque nous pouvons vouloir par charité l’enlèvement du mal de quelqu’un. Mais les saints ne peuvent vouloir cela par charité pour les damnés, puisque cela s’oppose à la justice divine. Le raisonnement n’est donc pas concluant.

[23482] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus dicitur esse misericors, inquantum subvenit ipsis quos secundum ordinem sapientiae et justitiae suae convenit a miseria liberari; non quod damnatorum misereatur, nisi forte puniendo citra condignum.

2. On dit que Dieu est miséricordieux pour autant qu’il vient au secours de ceux dont il convient qu’ils soient libérés de la misère selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice ; non pas qu’il ait pitié des damnés, sauf peut-être en les punissant moins qu’ils ne le méritent.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[23483] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod aliquid potest esse materia gaudii dupliciter. Uno modo per se, scilicet quando de aliquo gaudetur inquantum hujusmodi; et sic sancti non laetabuntur de poenis impiorum. Alio modo per accidens, idest ratione alicujus adjuncti; et hoc modo sancti de poenis impiorum gaudebunt considerando in eis ordinem divinae justitiae, et suam liberationem, de qua gaudebunt; et sic divina justitia et sua liberatio erunt per se causa gaudii bonorum, sed poenae damnatorum per accidens.

Quelque chose peut être matière à la joie de deux manières. D’une manière, par soi, lorsqu’on se réjouit de quelque chose en tant que tel : ainsi les saints ne se réjouiront-ils pas des peines des impies. D’une autre manière, par accident, en raison de quelque chose d’associé : de cette manière, les saints se réjouiront des peines des damnés en considérant en elles l’ordre de la justice divine et leur libération, dont ils se réjouiront. C’est ainsi que la justice divine et leur libération seront en elles-mêmes causes de la joie des bons, mais les peines des damnés par accident.

[23484] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod laetari de malo alterius inquantum hujusmodi, pertinet ad odium; non autem laetari de malo alterius ratione alicujus adjuncti. Sic autem aliquis quandoque de malo proprio laetatur, sicut cum aliquis gaudet de propriis afflictionibus, secundum quod prosunt ei ad meritum vitae. Jac. 1, 2: omne gaudium existimate, fratres mei, cum in tentationes varias incideritis.

1. Se réjouir du mal d’un autre en tant que tel relève de la haine, mais non se réjouir du mal d’un autre en raison de quelque chose d’associé. C’est ainsi que quelqu’un se réjouit parfois de son mal propre, comme lorsqu’il se réjouit de ses propres afflictions, selon qu’elles lui servent de mérite pour la vie. Jc 1, 2 : Estimez comme une joie, mes frères, d’être soumis à diverses épreuves.

[23485] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non delectetur in poenis inquantum hujusmodi; delectatur tamen in eis inquantum sunt per suam justitiam ordinatae.

2. Bien qu’il ne se délecte pas des peines en tant que telles, il s’en délecte cependant pour autant qu’elles sont ordonnées par sa justice.

[23486] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in viatore non est laudabile quod delectetur de poenis aliorum secundum se: est tamen laudabile, si delectetur de eis inquantum habent aliquid annexum. Tamen alia ratio est de viatore et comprehensore; quia in viatore passiones frequenter insurgunt sine judicio rationis; et tamen tales passiones sunt interdum laudabiles, secundum quod bonam dispositionem mentis indicant; sicut patet de verecundia et misericordia et poenitentia de malo; sed in comprehensoribus non potest esse passio, nisi consequens judicium rationis.

3. Chez celui qui est en route, il n’est pas louable de se délecter des peines des autres en elles-mêmes ; cependant, cela est louable si on s’en délecte pour autant qu’elles ont quelque chose d’associé. Toutefois, il en va autrement de celui qui est en route [viatore] et du possesseur [compehensor], car, chez le voyageur, les passions s’élèvent souvent sans le jugement de la raison ; cependant, de telles passions sont parfois louables, selon qu’elles indiquent une bonne disposition de l’esprit, comme cela ressort pour la honte, la miséricorde et la pénitence pour le mal. Mais, chez les possesseurs [comprehensoribus], il ne peut exister de passion que si elle découle du jugement de la raison.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 50

[23487] Super Sent., lib. 4 d. 50 q. 2 a. 4 qc. 3 expos. Nec malis facultas peccandi esse poterit. Peccare hic accipitur, non quantum ad deordinationem actus, sed quantum ad demeritum culpae. Quid est enim esse penitus extra Deum nisi in summa caecitate? Extra Deum dicuntur esse reprobi, non quod ad eos providentia Dei non se extendat; sed quia in ipso non delectantur, nec eum considerant nisi ad suam tristitiam, et iterum mens eorum est totaliter a Deo aversa. Ubi nullam lucem videbunt, cui confiteantur. Non quod nullam veritatem cognoscant; sed quia cognitio veritatis non erit causa confessionis, sed magis tribulationis et odii. Sed melius est dubitare de occultis et cetera. Non quod de hoc sit dubitandum an anima separata corporalem linguam habeat; sed quia nobis certus esse non potest status animae separatae. Egredientur et videbunt cadavera impiorum et cetera. Egredientur non loco, sed intelligentia, ut Glossa dicit Isa. ult. Per cadavera vero, ut Augustinus dicit de Civ. Dei, significatur evidens corporum poena; quamvis cadaver nisi caro exanimis non soleat nuncupari. Illa vero animata erunt corpora; alioquin nulla poterunt sentire tormenta. Nisi quia forte mortuorum erunt corpora, idest eorum qui in secundam cadent mortem; ideo non absurde hic cadavera dici possunt; unde est et illud ab eodem propheta dictum, quod jam supra posuit: terra vero impiorum cadet; Isai. 26, 19, ubi nos habemus: terram gigantum detrahes in ruinam. Quis autem non videat a cadendo esse appellata cadavera? Haec de pedibus sedentis (...) commemorasse sufficiat. Hic Magister in fine operis tangit visionem quamdam Isaiae, ut dicitur Isai. 6, 1: vidit enim Deum sedentem super solium excelsum et elevatum; et plena erat domus majestate ejus; et ea quae sub ipso erant, replebant templum, et Seraphim stabant subter illud, sex alae uni, et sex alae alteri: duabus velabant faciem ejus, et duabus velabant pedes ejus, et duobus volabant; quae quidem visio a Hieronymo allegorice exponitur, volente per sedentem super solium excelsum, Christum significari; per solium autem excelsum et elevatum significari Angelos, in quibus Deus sedet, ut dicitur in Psalm. 9, 1: qui sedet super Cherubim; per domum autem superiorem, Ecclesiam triumphantem, quae Dei majestate impletur; per templum vero inferius, Ecclesiam militantem, quae inferioribus donis perficitur, nec videt divinae essentiae majestatem. Sed Dionysius per sedentem in solio dicit significari ipsum Deum; per solium autem excelsum, ipsam eminentiam divinae naturae; per domum vero superiorem, creaturas excellentiores Deo magis propinquas, quae ejus majestatem plenius repraesentant; per templum vero inferius, inferiores creaturas, scilicet corporales, quae in inferiori mundo divinam participant bonitatem. Hujusmodi autem sedentis super thronum facies ipsam divinam essentiam designat, et ea quae in aeternitate fuerunt ante mundi constitutionem; per pedes vero, ea quae post mundum erunt in gloria beatorum, et in poenis damnatorum; per media vero, ea quae cursu temporis medio aguntur. Seraphim ergo faciem et pedes sedentis super thronum velare dicuntur, quia mysteria aeternae deitatis et futurae beatitudinis et miseriae nobis ad plenum non revelant; sed duabus alis volabant, quia de his quae in medio tempore aguntur, nos, quantum opus est, Angelorum ministerio instruimur, inter quos Seraphim primatum tenent. Volatus ergo eorum, processum revelationis eorum in nos demonstrat, quem etiam rectum motum ipsorum Dionysius nominat in 4 cap. de Div. Nom. Magister ergo in hoc libro exorsus a Deo, idest incipiens a facie sedentis super thronum, idest ab ipsa Trinitate divinitatis, de qua in 1 Lib. egit, procedens per media, quae dum durat mundus aguntur, ut sunt creaturae, et peccata, de quibus egit in 2 Lib.; vel reparatio, et virtutes, de quibus egit in 3 et ecclesiastica sacramenta, de quibus egit in prima parte 4, duce Christo, qui est via, pervenit usque ad pedes, idest usque ad ea quae in fine mundi et etiam postmodum agentur, sicut est resurrectio corporum, punitio damnatorum, et gloria beatorum, quae in Dei visione consistit; ut sic a Deo incipiens ejus doctrina, etiam terminetur in Deo, qui est principium a quo omnia, et finis ad quem omnia ordinantur; cui est honor et gloria in saecula saeculorum. Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] 1. Les apôtres n'ont pas reçu le baptême du Christ (du moins, on ne le lit pas dans le Nouveau Testament); 2. De toutes manières, le Christ n'est pas lié aux sacrements et pouvait leur en donner la réalité sans le sacrement lui-même; 3. Les apôtres n'ont pas reçu seulement le baptême de Jean, mais il existe une certaine comparaison entre celui-ci et le baptême du feu (allusion au martyre des apôtres). Autrement dit, les apôtres ont reçu le baptême du feu, qu'on peut comparer au baptême de Jean. Ils ont donc été baptisés d'une certaine manière.